N° 1295

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2023

 

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 12 octobre 2022

sur les enjeux migratoires aux frontières Sud de l’Union européenne

et dans l’océan indien

 

 

et présenté par

M. Laurent MARCANGELI et Mme Estelle YOUSSOUFFA

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. les migrations au SUD de l’europe : une augmentation des flux qui pose le dÉfi de la gestion des frontiÈres

A. des mouvements migratoires de nouveau en hausse

1. Une nette reprise des flux migratoires

2. Une augmentation des entrées irrégulières

3. Des conséquences concrètes pour la France

a. Une augmentation continue du nombre d’étrangers en situation irrégulière

b. Un accroissement du nombre de mineurs non accompagnés

B. des routes remodelÉes au sud de l’europe

1. Les Balkans occidentaux, première voie d’arrivée irrégulière en Europe

2. La Méditerranée centrale, une deuxième voie d’accès en pleine expansion

3. La Méditerranée orientale, troisième porte d’entrée

4. La Méditerranée occidentale et l’Afrique de l’Ouest : des routes relativement sous contrôle

a. La Méditerranée occidentale

b. L’Afrique de l’Ouest

5. L’augmentation des nonadmissions aux frontières françaises

C. des migrations appelÉes À durer

1. Des facteurs de migration plus prégnants

2. Les impacts sur les routes vers l’Europe et sur les frontières françaises

II. La situation spÉcifique de Mayotte : une bombe À retardement

A. des flux migratoires massifs

1. Des flux très majoritairement comoriens

2. L’émergence d’une immigration originaire de la région des Grands Lacs

3. Un nombre de demandes d’asile encore limité

4. Des flux au service d’une revendication de souveraineté par un État étranger

B. des consÉquences dramatiques pour l’Île

1. Une croissance démographique hors de contrôle

2. Un système de santé plongé dans le chaos

3. Une pauvreté endémique

4. Des dommages écologiques

5. Une insécurité menaçante

C. Une réponse aujourd’hui en dessous des enjeux

1. Des spécificités juridiques touchant notamment au droit au séjour et à la nationalité

2. Une politique d’interception et d’éloignement aux effets limités

III. Un enjeu migratoire dont le traitement n’est pas À la hauteur et qui appelle de nouvelles rÉponses

A. Le contrÔle des frontiÈres extÉrieures : un enjeu de plus en plus politique

1. La dévolution du contrôle des frontières aux États de première entrée

2. Des migrations instrumentalisées par des pays voisins

3. Frontex : un rôle en mutation

B. le nouveau pacte migratoire : une rÉforme europÉenne encore inaboutie

1. La proposition de la Commission européenne

a. La réforme du règlement Dublin

b. Le filtrage aux frontières extérieures

c. L’asile à la frontière

d. Les autres textes

2. Des négociations à l’issue incertaine

a. L’accord sur une approche graduelle et les avancées de 2022

b. La quasi-absence à ce stade de textes définitivement adoptés

C. Renforcer les partenariats avec les pays d’Émigration et de transit

1. Une coopération efficace avec les États tiers

2. Des partenariats globaux à privilégier

D. un impÉratif : DÉmontrer en actes la solidaritÉ de la France et de l’Europe envers mayotte

1. Défendre l’autorité de l’État et la solidarité républicaine avec Mayotte

2. Donner sa pleine portée au statut de région ultrapériphérique de l’Union européenne de Mayotte

liste des recommandations

examen en commission

annexe : liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs


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   introduction

Le 12 octobre 2022, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a décidé de confier à deux de ses membres la rédaction d’un rapport d’information pour faire le point sur les enjeux migratoires, sept ans après l’éclatement de la crise majeure de 2015. Cette crise avait vu plus d’un million de migrants, Syriens pour moitié mais aussi Afghans et, dans une moindre mesure, Irakiens, Pakistanais ou Érythréens, arriver en Europe via la Méditerranée, en à peine un an.

Le lancement de ce travail paraissait également opportun alors que, à l’approche des élections européennes de 2024, le temps restant s’amoindrit pour faire aboutir la négociation du nouveau pacte migratoire proposé par la Commission européenne en 2020. Les divergences d’intérêts et d’approches entre États membres, divergences dont l’actualité fournit maints exemples, laissent planer une incertitude sur la possibilité de parvenir à un accord sur des sujets aussi délicats que, par exemple, la réforme du règlement dit de Dublin ([1]).

La pression migratoire exceptionnelle subie par le département français de Mayotte justifiait plus encore de se pencher en détails sur la problématique migratoire avant que celle‑ci ne s’impose d’elle-même dans le débat en France, de façon peut‑être dramatique. L’annonce par le Gouvernement du dépôt d’un projet de loi relatif à l’immigration ([2]) n’a fait que confirmer l’utilité de la remise d’un rapport d’information ayant pour ambition d’éclairer les membres de la commission des affaires étrangères sur les enjeux les plus actuels en la matière.

L’ampleur du sujet rendait impérative une délimitation du champ de la réflexion. Sur le plan géographique, les rapporteurs ont centré leurs travaux, d’une part, sur la façade Sud de l’Union européenne, depuis les îles Canaries jusqu’aux Balkans occidentaux en passant par la Grèce, et, d’autre part, sur l’île de Mayotte. Sur le plan thématique, ils se sont concentrés sur les arrivées irrégulières, c’est‑à‑dire les arrivées de personnes démunies des documents de séjour ou d’identité nécessaires pour entrer sur le territoire européen. Ils ont fait porter leurs investigations sur le volume des flux et sur l’évolution des routes empruntées, sur la gestion des frontières et les défis qu’elle pose ainsi que sur les réponses élaborées par l’Union européenne au lendemain de la crise de 2015. L’on ne trouvera donc pas, dans ce rapport, de développements consacrés, par exemple, à la protection temporaire des déplacés ukrainiens ou à l’intégration des réfugiés, sujets essentiels mais qui ont fait, ou qui feront, l’objet d’autres travaux parlementaires.

Les rapporteurs ont mené de nombreuses auditions, aussi bien d’acteurs institutionnels et politiques que de chercheurs ou d’associations de défense des droits des migrants et des réfugiés. Trois déplacements successifs à Mayotte, en Grèce et en Italie leur ont permis de confronter ces auditions à l’épreuve des faits et aux réalités de terrain. La visite de Samos et celle de Lampedusa leur ont donné l’occasion de mettre en perspective la problématique de ces îles méditerranéennes avec celle de Mayotte.

Au terme de leurs travaux, les rapporteurs se sont efforcés de dresser un état des lieux actualisé de la problématique migratoire aux frontières Sud de l’Union européenne et dans l’océan indien et de dégager un certain nombre de recommandations.

Dans un premier temps, le rapport fait ressortir la très forte reprise des flux migratoires vers l’Europe, pourtant encore largement ignorée dans les médias comme dans le discours politique. L’un des principaux enseignements porte sur l’augmentation exponentielle des arrivées en Italie au cours des cinq premiers mois de l’année en cours : 45 000 arrivées maritimes irrégulières ont ainsi été enregistrées à la date du 8 mai 2023 alors même que la saison des traversées, c’est‑à‑dire celle des beaux jours, n’en est encore qu’à ses prémices. C’est quatre fois plus que le nombre des arrivées pour la même période en 2022. Le chiffre de 100 000, correspondant au total des arrivées maritimes en Italie l’année dernière, sera donc largement dépassé en 2023. Outre cette accélération très préoccupante des flux, le rapport analyse l’évolution des routes empruntées et souligne le défi que constitue la gestion des frontières dans le contexte actuel. Il termine sur ce point par des anticipations, pour les mois et les années à venir, concernant tant l’ampleur des flux migratoires que l’évolution des voies d’accès vers l’Europe.

Le rapport s’interroge aussi sur les leçons qui ont pu être tirées par l’Union européenne de la grande crise migratoire de 2015 et 2016. À la suite de cet afflux sans précédent, la Commission européenne a engagé une réflexion ayant abouti à la proposition, formulée en 2020, d’un nouveau « pacte migratoire ». Le vaste ensemble de réformes proposé, s’il est ambitieux, court toutefois le risque d’une complexité excessive qui pourrait entraver son caractère opérationnel. Il n’en a pas moins le mérite de tenter d’apporter une réponse aux insuffisances et aux lacunes révélées par la crise de 2015. À quelques mois de la fin du mandat de l’actuelle Commission européenne, cependant, le doute plane encore sur la possibilité de parvenir à son adoption définitive.

Enfin, le rapport se penche également de manière particulière sur la situation de Mayotte qui, à l’instar du reste de l’outre-mer français, apparaît comme l’une des grandes absentes de la réponse européenne. Les rapporteurs rappellent le caractère absolument hors norme de la pression migratoire subie par ce département français et l’impasse que constitue le confinement de ces flux incessants de migrants aux limites étroites de l’île. Les conséquences en sont chaque jour plus dramatiques pour la population mahoraise, en proie à une sursaturation des services publics, doublée d’un chaos sécuritaire et d’une menace de catastrophe écologique.

Si, à Mayotte, la crise est déjà présente, et de manière suraiguë, tous les signaux laissent penser que l’hexagone et l’Union européenne ne sont pas à l’abri, eux non plus, d’une nouvelle crise migratoire. Il est temps, aux frontières Sud de l’Union européenne comme dans l’océan indien, de l’anticiper et de s’y préparer.


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I.   les migrations au SUD de l’europe : une augmentation des flux qui pose le dÉfi de la gestion des frontiÈres

L’année 2022 et le début de l’année 2023 ont été marqués par un redémarrage très net des flux migratoires, qui s’observe aussi bien dans les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne que dans le nombre de demandes d’asile déposées. Les migrations vers l’Europe se font aujourd’hui essentiellement par la route des Balkans occidentaux et par la Méditerranée centrale. Celle‑ci a connu au cours des derniers mois une augmentation exponentielle des traversées. L’existence de facteurs structurels à la migration, qu’il s’agisse de l’instabilité en Afrique subsaharienne, de l’insécurité alimentaire ou de la crise climatique, devrait conférer à cette reprise des flux un caractère durable.

A.   des mouvements migratoires de nouveau en hausse

1.   Une nette reprise des flux migratoires

Après deux années de ralentissement liées à la pandémie de Covid-19, l’année 2022 a vu une nette reprise des flux migratoires. Ceux‑ci retrouvent globalement, à la faveur de la réouverture des voies d’immigration légale comme de la reprise d’activité des réseaux de passeurs sur les voies clandestines, leurs niveaux d’avant la crise sanitaire.

S’agissant de l’immigration légale, les premières délivrances de titres de séjour ou de visas long séjour ont dépassé en France les niveaux de 2019. Avec plus de 320 000 primo-délivrances, la France n’a jamais délivré autant de titres de séjour qu’en 2022 (+ 17,2 % par rapport à l’année précédente). Le vaste ensemble des délivrances de titres et visas connaît toutefois certaines modifications, marquées par le dynamisme de l’immigration de travail et étudiante, alors que l’immigration familiale demeure stable.

Les flux de demande d’asile retrouvent, eux aussi, les niveaux historiquement élevés de 2019, avec 137 046 nouvelles demandes enregistrées en 2022 par les guichets uniques de demande d’asile (GUDA), en hausse de 31,3 % par rapport à 2021 ; 131 000 demandes ont été introduites devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 2022 ([3]). L’OFPRA anticipe, pour 2023, un chiffre d’environ 160 000 demandes d’asile déposées devant lui. Aux demandeurs d’asile se sont ajoutées, en 2022, les plus de 100 000 personnes déplacées d’Ukraine et accueillies en France au titre du mécanisme européen de protection temporaire, reconduit par la Commission européenne jusqu’en mars 2024.

Cette reprise de la demande d’asile s’est nettement accélérée au dernier trimestre de l’année 2022, dépassant les niveaux historiquement élevés de l’automne 2019. Cette accélération touche l’ensemble de l’Union européenne ([4]), où 953 796 demandes d’asile ont été enregistrées en 2022, en augmentation de 42 %.

Bien que le conflit en Ukraine n’ait pas eu d’impact direct sur la migration irrégulière, il a entraîné une détérioration de la situation économique et sociale, notamment du point de vue de la sécurité alimentaire, dans de nombreux pays d’origine, tels que l’Égypte, le Soudan ou encore le Liban. Ce faisant, le conflit ukrainien a contribué indirectement à augmenter la pression migratoire dans l’Union européenne.

2.   Une augmentation des entrées irrégulières

Après un pic en 2015 et 2016, les franchissements irréguliers décelés aux frontières de l’Union européenne ont baissé jusqu’en 2019, en raison notamment de la crise sanitaire. Ces franchissements irréguliers ont ensuite réaugmenté, passant d’environ 125 000 en 2020 à plus de 300 000 en 2022. Ces hausses s’expliquent notamment par l’augmentation sensible des flux transitant par la route des Balkans ([5]), par la levée des restrictions de voyage liées au Covid-19 et par la réactivation des réseaux de passeurs qui repensent sans cesse leurs routes et leurs modes opératoires.

Le tableau ci‑après montre la reprise importante des entrées irrégulières dans l’Union européenne en 2022. Plus de 330 000 entrées irrégulières ont été enregistrées l’année dernière, en augmentation de plus de 65 % par rapport à l’année 2021, qui avait vu approximativement 200 000 entrées irrégulières. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex n’avait décompté que 127 000 franchissements irréguliers en 2020. Autre signal qui doit alerter, environ 83 000 refus d’entrée sur le territoire français ont été édictés en 2022, en hausse de 7 % par rapport à 2021. Sur les onze premiers mois de 2022, 6 244 étrangers ont été maintenus en zone d’attente, contre 3 823 pour l’ensemble de l’année 2021 ([6]).

EntrÉes irréguliÈres au sein de l’Union europÉenne

 

Nombre d’entrées irrégulières au sein de l’Union européenne

Évolution

 

2021

200 101

 

+ 57 %

2022

330 716

 

+ 65 %

janvier-février 2022

28 660

- 2 %

 

janvier-février 2023

28 129

Source : direction centrale de la police aux frontières et Frontex

La pression migratoire aux frontières extérieures de l’Union européenne en 2022 s’est révélée au plus haut depuis 2016. Si, en janvier 2023, Frontex n’a enregistré que 13 000 entrées irrégulières au sein de l’Union européenne, en baisse de 13 % par rapport à janvier 2022, cette diminution n’apparaît que ponctuelle. D’ailleurs, en France, en janvier 2023, la pression migratoire a globalement progressé aux frontières terrestres par rapport à janvier 2022. On a, en effet, constaté une nette reprise des non‑admissions avec plus de 6 700 refus d’entrée, dont plus de la moitié à la frontière franco-italienne, en janvier 2023, contre environ 5 000 en décembre 2022.

Le diagramme ci-après décrit l’évolution du nombre annuel de franchissements irréguliers des frontières extérieures depuis 2015.

Nombre annuel de franchissements irrÉguliers

des frontiÈres extÉrieures depuis 2015

https://frontex.europa.eu/thumb/Images_News/2023/Chart2015-2022_002.prop_750x.1ae87d95f7.png

Source : Frontex

3.   Des conséquences concrètes pour la France

Les rapporteurs rappellent que l’augmentation des franchissements irréguliers des frontières européennes n’est pas neutre. Il a des répercussions importantes pour les États membres. Deux types d’impacts, à court et moyen terme, de ces entrées irrégulières, peuvent plus particulièrement être relevés dans le cas de la France.

a.   Une augmentation continue du nombre d’étrangers en situation irrégulière

La reprise des entrées irrégulières au sein de l’Union européenne contribue à augmenter la présence sur le territoire français d’une population importante de ressortissants étrangers y séjournant illégalement. Il peut s’agir de personnes ne sollicitant pas ou n’obtenant pas de titre de séjour, ou encore de personnes déboutées du droit d’asile. Rappelons en effet que, selon un rapport de la Cour des comptes de 2015, plus de 96 % des déboutés du droit d’asile demeureraient en France malgré le rejet de leur demande ([7]).

Le nombre des ressortissants étrangers en situation irrégulière est difficile à évaluer puisqu’il s’agit, par définition, de dénombrer des personnes qui se dérobent à la surveillance des autorités françaises. Il est néanmoins possible de l’évaluer à travers les statistiques du ministère de la santé, via le nombre de personnes bénéficiant de l’aide médicale d’État (AME). En dix ans (2011-2021) le nombre de bénéficiaires de cette aide a augmenté de 80 %, passant de 210 000 à 380 000. Or, une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES), réalisée sur un échantillon de 1 223 personnes dans les agglomérations parisienne et bordelaise en 2019, arrive à la conclusion que 49 % des personnes éligibles à l’aide médicale d’État ne font pas valoir leurs droits. En conséquence, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin pouvait estimer devant la commission des lois du Sénat, le 2 novembre 2022, à un chiffre compris « entre 600 000 et 900 000 », le nombre d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire français.

Le tableau ci-après montre l’accroissement du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État entre 2003 et 2020.

Évolution du nombre de bÉnÉficiaires

de l’aide mÉdicale d’État de droit commun de 2011 À 2020

Source : direction générale des étrangers en France

 

La population des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français tend, de surcroît, à se « cristalliser », compte tenu des grandes difficultés rencontrées pour procéder à leur éloignement. Le total des éloignements enregistrés ne s’est ainsi élevé qu’à 15 400 en 2022 (hors Mayotte). S’il est certes en hausse de 15 % par rapport à 2021, ce chiffre demeure toutefois très faible, comparé au nombre d’étrangers en situation irrégulière, ainsi qu’au nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées (134 280 en 2022). En outre, ce chiffre inclut les éloignements aidés, les éloignements spontanés et les « remises Dublin ». Les éloignements forcés proprement dits ne se sont ainsi élevés qu’à 11 410 en 2022 (10 091 en 2021), comme le montre le tableau ci-après.

Éloignements effectifs ([8])

 

2021

2022

janvier 2023

Éloignements forcés (A)

10 091

11 410

1 027

dont retours des ressortissants pays

tiers vers les pays tiers

3 511

5 056

518

dont remises Dublin

3 032

3 038

201

Éloignements spontanés (B)

1 742

1 888

133

Éloignements aidés (C)

1 570

2 102

197

Total des éloignements

(forcés/spontanés/aidés) (A)+(B)+(C)

13 403

15 400

1 357

Départs volontaires aidés (D)

1 415

1 263

175

Départs spontanés (E)

2 001

2 766

99

Total des sorties du territoire

(A)+(B)+(C)+(D)+(E)

16 819

19 429

1 631

Dont Éloignements et départs

volontaires aidés (C)+(D)

2 985

3 365

372

Source : département des statistiques, des études et de la documentation et direction générale des étrangers en France

Un rapport sénatorial publié en mai 2022 rappelait que le taux d’exécution des OQTF était passé de 22,3 % en 2012 à 5,7 % au premier trimestre de 2021 ([9]). L’exécution des mesures d’éloignement continue de se heurter à des difficultés dont les raisons sont bien connues. De nombreux rapports ont mis en cause l’insuffisance des moyens des services préfectoraux de l’immigration, couplée à l’extrême complexité du contentieux des étrangers, qui monopolise 40 % de l’activité des tribunaux administratifs.

Les freins tiennent aussi à la difficulté d’identifier la nationalité d’un certain nombre d’étrangers, à l’absence de documents de voyage et aux réticences des pays d’origine à délivrer, dans ce cas, un laissez-passer consulaire (LPC). Rappelons en effet que, lorsqu’un étranger en instance d’éloignement ne présente aucun passeport ou autre document l’autorisant à regagner le pays dont il possède la nationalité ou lui ayant octroyé un droit au séjour, la préfecture en charge de l’exécution de la mesure d’éloignement doit solliciter un laissez-passer consulaire auprès des autorités du pays de destination (postes consulaires ou autorités centrales).

Le taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans un délai utile s’est élevé à 60 % en 2022, en légère augmentation par rapport 2021 (54 %). Une remontée du niveau de délivrance a été observée pour l’Algérie en 2022, avec 46 % de laissez‑passer délivrés, contre 6 % en 2021. Le début de l’année 2023 a malheureusement vu, dans un contexte d’aggravation des tensions diplomatiques, Alger refuser la délivrance de nouveaux laissez-passer consulaires. S’agissant des autres pays jugés prioritaires en matière d’éloignements, les taux de délivrance en 2022 ont été, par exemple, de 54 % pour le Maroc (contre 43 % en 2021), de 44 % pour la Tunisie (contre 41 % en 2021) et de 75 % pour le Sénégal (contre 72 % en 2021).

La pandémie de Covid-19, avec l’opportunité offerte aux étrangers sans titre de refuser le test de réaction de polymérase en chaîne (PCR) requis pour prendre l’avion, a par ailleurs constitué une entrave supplémentaire pendant de longs mois.

b.   Un accroissement du nombre de mineurs non accompagnés

L’augmentation des entrées irrégulières sur le territoire européen explique également l’augmentation, en France, de la présence de mineurs dits « non accompagnés » (MNA). La crise sanitaire avait eu pour effet de réduire fortement leurs arrivées en 2020. Depuis 2021, une augmentation de leur nombre, et plus précisément du nombre de prises en charge de ces mineurs sur décision judiciaire, est constatée. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021, ce sont 11 315 mineurs isolés, reconnus comme tels par l’autorité judiciaire, qui ont été confiés aux départements, soit une augmentation de 18,8 % par rapport à l’année précédente. Cette tendance s’est confirmée en 2022 et au début de l’année 2023. Ainsi, entre le 1er et le 20 janvier 2023, le nombre de mineurs non accompagnés confiés aux départements par décisions judiciaires s’est élevé à 973, en augmentation de 35,7 % par rapport à la même période en 2021.

Nombre de Mineurs non accompagnÉs (MNA) pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), au niveau national, entre 2015 et 2022

 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

MNA pris en charge par l’ASE

5 990

8 054

14 908

17 022

16 760

9 524

11 315

14 782

Source : direction de la protection judiciaire de la jeunesse

B.   des routes remodelÉes au sud de l’europe

Les migrations vers le sud de l’Europe ne constituent pas un phénomène récent. On se souvient de l’arrivée par cargos entiers, dans les années 1990, après la chute du rideau de fer, de dizaines de milliers d’Albanais sur les côtes italiennes. C’est également de la décennie 1990 que date le développement des arrivées irrégulières depuis le Maroc vers l’Espagne, consécutif à l’obligation de visa imposée aux ressortissants marocains après l’adhésion de l’Espagne à la Communauté européenne. Les années 2000 ont vu, par la suite, un fort développement des traversées de la Tunisie vers l’Italie, ralenties ensuite par la conclusion d’un accord de réadmission ([10]) entre les deux pays, ainsi que par une surveillance accrue des côtes par les autorités tunisiennes. Ces exemples montrent que les routes d’accès vers l’Europe sont en perpétuelle redéfinition, en fonction des événements, des décisions politiques et des initiatives diplomatiques.

Les voies d’accès des migrants aux frontières Sud de l’Union européenne se répartissent aujourd’hui en cinq routes principales ([11]). Il faut garder présent à l’esprit, avant d’aborder ces routes plus en détail, qu’un nombre important de migrants originaires de pays du Sud et qui se trouvent aujourd’hui irrégulièrement sur le territoire européen, y sont entrés en passant par un aéroport, moyennant un document de voyage ou un visa régulier, mais en se maintenant au-delà de la durée de séjour permise. Il convient aussi de rappeler que les chiffres indiqués plus bas ne concernent que les arrivées décelées, les arrivées réelles étant évidemment supérieures, sans qu’il soit possible de les chiffrer précisément.

Nombre de franchissements irrÉguliers

des frontiÈres SUD de l’UNION europÉenne

https://frontex.europa.eu/thumb/Images_News/2023/Jan_Map_2022.prop_750x.4f3cac7212.png

Source : Frontex

1.   Les Balkans occidentaux, première voie d’arrivée irrégulière en Europe

La route des Balkans est devenue en 2022 la route la plus empruntée au Sud de l’Europe, avec 145 600 franchissements irréguliers, en augmentation de 136 % par rapport à 2021. C’est sur cette route qu’ont été enregistrées 45 % des entrées irrégulières en Europe en 2022. Les principales nationalités concernées ont été les Syriens, les Afghans et les Turcs mais on a observé également une augmentation du nombre de Tunisiens, d’Indiens et de Burundais, nationalités qui avaient été peu présentes jusqu’alors sur cette route.

Une partie de ce flux a gagné l’Italie par la route du Frioul. La frontière franco‑suisse a également vu, depuis l’été 2021, de nombreuses arrivées de migrants, notamment afghans, cherchant à pénétrer sur le territoire français en empruntant les transports ferroviaires. Le durcissement des contrôles à la frontière entre la Serbie et la Hongrie, à la fin de l’année 2022, a contribué à accroître les flux se dirigeant vers le Sud de la Suisse, via l’Italie et la Croatie. L’entrée de cette dernière dans l’espace Schengen de libre circulation, le 1er janvier 2023, a eu mécaniquement pour effet de fluidifier les flux qui y transitent.

Soumise à une pression migratoire exceptionnelle, l’Autriche est devenue le deuxième pays européen pour le nombre de demandeurs d’asile par habitant. Cette pression hors du commun a incité l’Autriche à se tourner vers la coopération bilatérale, en concluant avec le Maroc des accords en matière de lutte contre l’immigration illégale, rendus publics en février 2023. À titre d’indicateur, selon les données du ministère autrichien de l’intérieur, plus de 1 300 Marocains avaient déposé une demande d’asile en Autriche au mois de janvier 2023 ; 90 % d’entre eux étaient arrivés dans le pays de manière illégale. L’exemple du Maroc montre qu’un certain nombre d’États tiers, qu’il s’agisse de pays d’origine ou de transit, sont enclins à conclure des accords de coopération, mais plus sur un mode bilatéral que de manière globale avec toute l’Union européenne, soit qu’ils estiment en retirer des contreparties plus intéressantes, soit qu’ils aient un différend ou une mésentente avec un ou plusieurs États membres.

2.   La Méditerranée centrale, une deuxième voie d’accès en pleine expansion

La Méditerranée centrale avait été, en 2021, la première voie d’accès au Sud de l’Europe, avec plus de 68 000 entrées irrégulières décelées. Elle est passée au second rang en 2022, derrière la route des Balkans. Elle n’en a pas moins enregistré, avec plus de 100 000 entrées irrégulières, une hausse de 51 % des arrivées par rapport à 2021. Les arrivées de Libye et de Tunisie n’ont ainsi jamais été aussi nombreuses depuis 2017. Les Égyptiens, les Tunisiens et les Bangladais ont été les trois premières nationalités concernées.

La fin de l’année 2022 et le début de l’année 2023 ont vu une accélération de ces arrivées. Entre le 1er janvier et le 11 avril 2023, plus de 28 000 migrants ont débarqué dans le Sud du pays, contre moins de 7 000 en 2022 sur la même période. Ces arrivées massives ont conduit le gouvernement italien à annoncer, le 5 décembre 2022, la suspension « temporaire », en raison de la saturation des centres d’accueil, des « transferts Dublin », c’est-à-dire des renvois vers l’Italie des demandeurs d’asile entrés dans l’Union européenne via ce pays. Au demeurant, avant même la décision du gouvernement de Mme Giorgia Meloni de suspendre les transferts Dublin, ceux‑ci se faisaient déjà au compte-gouttes entre la France et l’Italie. Plusieurs gouvernements européens, particulièrement concernés par les mouvements dits « secondaires », dont le gouvernement français, ont réagi en appelant l’Italie à revenir à l’application de bonne foi des règles prévues par le règlement Dublin ([12]). La direction générale de la migration et des affaires intérieures (HOME) de la Commission européenne s’efforce depuis lors de convaincre l’Italie de reprendre ces transferts Dublin, moyennant l’augmentation des capacités de ses centres d’accueil. Aucune perspective ne semble toutefois, pour l’heure, se dessiner en ce sens. La décision du Conseil d’État des Pays-Bas du 26 avril 2023, faisant défense au gouvernement néerlandais de renvoyer des demandeurs d’asile vers l’Italie, quand bien même celle‑ci serait responsable de l’examen de leur demande sur le fondement du règlement Dublin, compte tenu de la saturation des capacités d’accueil dans ce pays, n’augure pas d’une reprise prochaine des transferts Dublin.

La France, de son côté, avait suspendu dès novembre 2022 ses opérations de relocalisation depuis l’Italie, à la suite de l’affaire de l’Ocean Viking ([13]). Rappelons que ces opérations de relocalisation étaient menées dans le cadre du « mécanisme volontaire de solidarité », dispositif non contraignant mis en place par le Conseil de l’Union européenne en juin 2022, pour une durée d’un an renouvelable.

Ces épisodes illustrent les défis majeurs que posent les flux migratoires actuels à la solidarité européenne, et le coin qu’ils risquent d’enfoncer entre les États de première entrée et ceux destinataires des mouvements secondaires. Quel que soit le jugement que l’on porte sur les positions politiques des uns et des autres, il est incontestable que l’Italie subit depuis plusieurs mois une pression migratoire croissante et très préoccupante qui justifie que les rapporteurs y consacrent un focus particulier.

 

L’augmentation exponentielle des arrivées de migrants en Italie en 2023

44 742 migrants, à bord de 877 embarcations, sont arrivés irrégulièrement par voie maritime en Italie, entre le 1er janvier et le 8 mai 2023, contre 11 797 sur la même période en 2022, soit une augmentation de 279 %.

Sur ces 44 742 migrants arrivés par voie maritime, 31 319 (70 % du total) ont été sauvés lors d’une opération « Search And Rescue » (SAR), 10 233 (22,9 %) ont été interceptés en mer principalement par la garde côtière ou la garde des finances ([14]), et 3 190 (7,1 %) ont été interpellés peu de temps après leur débarquement.

Au cours de la seule semaine du 1er mai au 8 mai 2023, on a recensé l’arrivée de 2 550 migrants par voie maritime. 1 660 étaient partis de Libye, 759 de Tunisie et 126 migrants de Turquie (en deux opérations).

D’après les données du ministère italien de l’intérieur, plus de la moitié des arrivées de 2023 en provenance de Libye (10 000 sur 17 000) proviendraient de la région côtière contrôlée par le général Khalifa Haftar.

Les principales régions de débarquement en Italie ont été, par ordre décroissant, la Sicile et ses îles Pélages Pantelleria, Linosa et Lampedusa (37 258 personnes recensées, soit 83,3 % du total), puis la Calabre (4 598), les Pouilles (748), la Ligurie (573), le Latium (355), la Campanie (294), la Sardaigne (219), les Abruzzes (201), la Toscane (185), les Marche (158) et enfin l’Émilie-Romagne.

La Tunisie a concentré en 2022 près de 56,1 % des départs vers l’Italie, devant la Libye (41 %), la Turquie (2,5 %) et l’Algérie (0,4 %). La répartition des flux entre les différents pays de départ est décrite dans le schéma ci‑après.

Pays de dÉpart des flux maritimes vers l’Italie

Source : ambassade de France à Rome

 

Le schéma ci‑après précise l’évolution des flux par pays de départ, de février à mai 2023.

Source : ambassade de France à Rome

Dans le cadre de ce rapport d’information, un déplacement a été effectué sur l’île de Lampedusa du 10 au 11 mai 2023. Cette île est devenue, aux yeux de nombreux migrants, à partir des années 2000, et plus encore à partir de la révolution tunisienne de 2011 et de la chute du régime de Mouammar Kadhafi à la même époque, la première porte d’entrée dans l’Union européenne. Lampedusa est devenue emblématique à la fois de la crise migratoire, du drame des naufrages dans la Méditerranée et des défis posés aux États de première entrée, en termes de soutenabilité et d’acceptabilité pour la population locale. Depuis quelques mois, elle se trouve à nouveau en première ligne face à l’augmentation des flux migratoires.

 

La situation à Lampedusa

Construit en 2015, le hotspot de Lampedusa héberge en moyenne, à l’heure actuelle, quatre fois plus de migrants que sa capacité normale d’accueil, qui est de 400 places. Selon l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EUAA), présente sur l’île, les arrivées à Lampedusa auraient augmenté d’environ 300 % pendant les quatre premiers mois de 2023, par rapport à la même période en 2022.

Les garde-côtes italiens et la garde des finances effectuent des sauvetages en mer, de manière quasi‑quotidienne. Outre les patrouilles qu’ils réalisent, ils peuvent être alertés par des avions, des navires ou par les embarcations de migrants elles‑mêmes. Au mois d’avril 2023, les garde-côtes et la garde des finances ont, au cours d’une seule semaine, ramené entre 50 et 55 bateaux à Lampedusa : 2 000 personnes ont été secourues en sept jours.

Interceptés en mer, les migrants sont amenés sur le quai Favaloro où ils font l’objet d’un premier examen médical sommaire afin, le cas échéant, de répondre aux cas d’urgence. Il est ainsi arrivé, comme cela a été rapporté à la mission d’information, qu’une femme donne naissance à son enfant dans le bateau des garde‑côtes. Les migrants sont conduits ensuite directement, par les services de police, du quai Favaloro au hotspot. Celui‑ci est un centre fermé, contrairement au centre de Samos, en Grèce, également visité dans le cadre de ce rapport d’information, qui n’est fermé que la nuit et dont les migrants peuvent sortir librement au cours de la journée. Les carabinieri n’ont pas de rôle dans l’accueil ou le transport des migrants accueillis à Lampedusa mais sont chargés de veiller au maintien de l’ordre public et peuvent, s’ils en sont requis, prêter une assistance aux services de police.

Au sein du hotspot, il est procédé à un travail de détection des vulnérabilités. Des photographies sont prises, de même que les empreintes digitales. Les migrants reçoivent une information relative à la procédure de dépôt d’une demande d’asile.

Les migrants sont ensuite très rapidement, au bout de quelques heures ou de quelques jours, transférés en Sicile ou sur le continent dans des centres d’accueil proprement dit. Pour faire face à l’augmentation des arrivées à Lampedusa et à la saturation du hotspot, le nombre de transferts vers le continent a été augmenté. Sous la supervision de la questure d’Agrigente, il a été décidé d’utiliser jusqu’à deux ferrys par jour et de recourir, lorsque c’est nécessaire, à des avions de transport militaire. Il a également été décidé d’accroître le nombre de places du hotspot, pour passer de 400 à 1 250 places. La Croix‑Rouge italienne va par ailleurs reprendre la gestion du hotspot qui était jusqu’à présent confiée au secteur privé.

Grâce à cette organisation, et à l’implication de tous les acteurs, y compris les associations, la présence des migrants à Lampedusa, en dépit de sa très forte augmentation, reste aujourd’hui peu perceptible pour la population insulaire. On sait que celle‑ci avait fait preuve d’une vraie solidarité lors des premières arrivées de migrants dans les années 1990 et 2000 mais qu’elle avait protesté contre l’absence de prise en charge par l’État italien d’un phénomène qui nuisait à l’activité touristique, principale ressource des habitants de cette île très exigüe (20 km2([15]).

Les rapporteurs saluent l’organisation mise en place à Lampedusa, qui a permis de préserver l’île et ses habitants tout en garantissant le respect des droits des migrants. Elle a fait en sorte que ne se renouvelle pas le chaos observé au début des années 2010, lors des premières vagues d’arrivées de migrants. On voit ici concrètement à l’œuvre la solidarité manifestée par le reste de l’Italie, Sicile et continent, avec son île située en première ligne.

L’augmentation exponentielle des arrivées de migrants en Italie depuis la fin de l’année 2022 a poussé les autorités italiennes à prendre un certain nombre de mesures exceptionnelles.

La réaction des autorités italiennes

La réaction des autorités italiennes ne s’est pas limitée à la suspension des transferts Dublin en décembre 2022. Elles ont aussi proclamé un « état d’urgence migratoire ».

Une ordonnance (ou décret-loi) du 16 avril 2023 a désigné un préfet délégué, entouré d’une task force. Celui‑ci a notamment pour mission d’augmenter les capacités d’accueil des hotspots, d’accroître le nombre de prestataires en charge de leur gestion et de simplifier la procédure.

Le gouvernement italien a également fixé de nouvelles règles aux organisations non‑gouvernementales (ONG) opérant en Méditerranée, en leur imposant de revenir au port après chaque intervention. Ce faisant, l’Italie espère diminuer le nombre d’arrivées, estimant que l’activité des navires d’ONG constitue un facteur déclenchant des traversées. Les ONG ont protesté contre ces règles mais s’y sont pliées.

Bénéficiant de contacts privilégiés en Libye et en Tunisie, le gouvernement italien a souhaité en tirer profit dans le cadre d’accords de coopération et de lutte contre l’immigration clandestine. Le 4 mai 2023, la Première ministre Giorgia Meloni et le général Khalifa Haftar se sont entretenus à huis clos, à l’occasion du déplacement du second à Rome. Le ministère italien de l’intérieur a fait savoir qu’un accord avait été signé, prévoyant une surveillance renforcée, par les autorités du général Haftar, des départs de migrants depuis la Cyrénaïque, en échange d’un soutien du gouvernement italien au secteur de l’agriculture dans l’Est du pays. L’Italie fournirait par ailleurs à son partenaire cinq patrouilleurs et des camions ainsi que des instruments de contrôle des déplacements comme des radars et des drones. La première ministre Meloni s’était déjà rendue à Tripoli, le 28 janvier, accompagnée de ses ministres des affaires étrangères et de l’intérieur, pour un premier contact avec les différentes autorités libyennes, mais n’avait pas pu se rendre alors dans la région de Benghazi contrôlée par général Haftar. Ce serait, semble‑t‑il, l’intervention des dirigeants égyptiens, dont le général Haftar est réputé proche, qui aurait facilité la prise de contact entre celui‑ci et Rome.

L’Italie s’appuie enfin sur le soutien de l’agence Frontex dans certains aéroports, ainsi que dans cinq ports, en particulier Lampedusa, Porto Empedocle et Crotone.

 

Les principales nationalités de migrants arrivés par voie maritime en Italie du 1er janvier au 8 mai 2023 sont retracées dans le digramme ci‑après.

Classement des principales nationalitÉs de migrants

arrivÉs en Italie À la date du 8 mai 2023

Source : ambassade de France à Rome

Les chiffres ci‑dessus montrent que, au sein des migrants arrivés par voie maritime en Italie, le nombre de ressortissants tunisiens ne figure, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, qu’en sixième position. Les autorités italiennes mettent ce constat au crédit de leurs bonnes relations avec la Tunisie ([16]). L’arrivée de Soudanais à Lampedusa a aussi été relevée mais ceux‑ci sont encore peu nombreux. Les deux premières nationalités parmi les arrivants sont, en réalité, des francophones : les Ivoiriens et les Guinéens. Si la France, pour ce qui est au moins de l’hexagone, a jusqu’à présent été épargnée par les arrivées directes de bateaux de migrants dans ses eaux ou sur ses plages, la surreprésentation de nationalités francophones parmi les arrivées en Italie en 2023 doit donc, en revanche, constituer pour elle un sujet d’alerte.

 

Une alerte pour la France

Au vu du nombre élevé de francophones parmi les migrants arrivés en Italie depuis le début de l’année 2023, il serait illusoire de la part de la France de considérer que ces flux massifs ne la concernent pas.

Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), a attiré l’attention le 5 mai 2023 sur « une augmentation des tentatives de passage à travers les Alpes ([17]) ». Comme il l’a expliqué : « il y a près de 40 000 personnes qui ont débarqué en Italie depuis le début de l’année 2023. Les nationalités qui arrivent en Italie sont pour près de la moitié d’entre elles, des nationalités qui ont un rapport avec l’espace historique francophone des Subsahariens. La première nationalité, ce sont les Ivoiriens et il y a aussi des Guinéens et des Maliens. Ces personnes sont peu enregistrées pour une partie d’entre elles et donc se dirigent immédiatement vers la France. »

Le directeur général de l’OFII ajoutait : « On a une poussée globale sur toute l’Union européenne puisque depuis le début de l’année, c’est plus de 300 000 personnes qui ont demandé ou déposé une demande d’asile dans l’Union européenne. Plus de 30 % par rapport à 2022. Les premières nationalités, ce sont toujours les Syriens, les Afghans. On a une très forte poussée de Turcs aussi, les Vénézuéliens ou les Colombiens vont plutôt vers l’Espagne. En Italie il y a un flux particulier qui ne concerne pas d’une certaine manière l’ensemble de l’UE, au sens où ce ne sont pas des nationalités qui ont des communautés dans toute l’Union européenne, mais qui concernent principalement l’Italie et la France. C’est pour ça que les tensions entre les deux pays sont fortes. On a une augmentation des tentatives de passage à travers les Alpes parce que justement, ce sont pour beaucoup d’entre elles des nationalités où on parle le français. »

3.   La Méditerranée orientale, troisième porte d’entrée

Quelque 42 831 franchissements irréguliers des frontières ont été détectés sur la route de la Méditerranée orientale en 2022, en doublement par rapport à l’année précédente. Ces chiffres demeurent certes, pour l’instant, inférieurs de plus de moitié à ceux de 2019. La situation dans les îles grecques ne présente donc plus le caractère de crise aiguë qu’elle a eu de 2015 à 2020. C’est en effet en Grèce que s’était concentrée en 2015 la grande majorité des arrivées (850 000 en un an, dont plus d’une moitié de Syriens, un quart d’Afghans et le reste composé d’Irakiens et d’autres nationalités). Les rapporteurs ont pu se rendre compte de cette évolution en visitant en mars 2023 le centre d’hébergement de Samos, moderne et construit entièrement grâce à des financements européens. Plus vaste centre de Grèce et même d’Europe ([18]), doté d’une capacité de 3 000 places, le camp de Samos est occupé aujourd’hui par environ 900 migrants.

Les principales nationalités concernées par les franchissements irréguliers sur cette route de la Méditerranée orientale ont été les Syriens, les Afghans et les Nigérians. Lors du déplacement effectué en Grèce, il a été signalé une proportion importante, depuis août 2022, de migrants palestiniens arrivant dans ce pays, en provenance du Liban ou de Gaza, via l’Égypte. La présence de ressortissants palestiniens sur cette route depuis 2022 est effectivement mentionnée dans les différents rapports de veille des institutions européennes. Les Palestiniens constituent la première nationalité arrivée dans les îles de la mer Égée pour l’année 2022 et le premier trimestre de l’année 2023.

Si les chiffres des franchissements irréguliers sur cette route n’ont donc pas, en valeur absolue, le caractère critique d’il y a quelques années, ils n’en ont pas moins connu une hausse de 108 % par rapport à 2021. On note, de surcroît, une accélération des flux aux frontières grecques au début de l’année 2023, avec un doublement par rapport à la même période en 2022. S’agissant de Chypre, la situation y est particulièrement difficile : le nombre de demandeurs d’asile y a doublé en 2022 par rapport à 2021.

4.   La Méditerranée occidentale et l’Afrique de l’Ouest : des routes relativement sous contrôle

a.   La Méditerranée occidentale

L’Espagne a eu recours, depuis plusieurs années, à la mise en place d’un système intégré de surveillance des frontières, notamment sur le détroit de Gibraltar, avec l’utilisation de radars. La coopération entre le Maroc et l’Espagne s’est révélée efficace. Un accord de réadmission a été conclu entre les deux États. Les autorités marocaines ont accepté d’exercer une mission de surveillance des côtes. Les arrivées irrégulières par cette route ont diminué de 21 % en 2022 par rapport à 2021, avec un chiffre de 14 582.

b.   L’Afrique de l’Ouest

Le renforcement progressif au cours des dernières années du contrôle dans le détroit de Gibraltar a eu pour effet, dans un premier temps, de détourner un certain nombre de flux migratoires vers la route de l’Atlantique Ouest. La fin des années 2000 a ainsi vu une forte augmentation des arrivées dans les îles Canaries de migrants partant de Nouadhibou, en Mauritanie, ou même du Sénégal. Toutefois, là encore, les Espagnols ont développé leur coopération avec les pays de départ concernés, qu’ils ont accompagnés par un plan de développement appelé « plan Afrique ». L’agence Frontex a apporté son soutien à cette action : l’une de ses premières opérations d’envergure a eu lieu au large des îles Canaries. Cette politique a porté ses fruits. Les arrivées irrégulières par cette route ont diminué de 31 % en 2022 par rapport à 2021, avec 15 462 franchissements irréguliers détectés (468 pour le mois de décembre 2022).

Les évolutions des différentes routes vers le flanc Sud de l’Union européenne en 2022 sont résumées dans le tableau ci-après.

Évolution des franchissements irrÉguliers sur le flanc sud de l’Europe

Route

Janvier-décembre 2022

Décembre 2022

2022/2021

Principales nationalités

Balkans occidentaux

145 600

8 944

+ 136 %

Syriens, Afghans, Turcs, Tunisiens

Méditerranée centrale

102 529

7 760

+ 51 %

Égyptiens, Tunisiens, Bangladais, Syriens

Méditerranée orientale

42 831

1 898

+ 108 %

Syriens, Afghans, Nigérians, Congolais (Kinshasa)

Méditerranée occidentale

15 462

784

– 21 %

Algériens, Marocains, Syriens

Afrique de l’ouest

71 081

468

– 31 %

Marocains, Sénégalais, Guinéens, Ivoiriens

Source : Frontex

L’un des enseignements que l’on peut tirer de ce qui précède est celui d’une certaine efficacité des accords bilatéraux, conclus par exemple par l’Espagne. Après l’Autriche, l’Italie semble également vouloir s’engager dans cette voie, comme elle l’avait d’ailleurs déjà fait par le passé ([19]). Si la Grèce, compte tenu de ses relations difficiles avec la Turquie, n’est jamais entrée avec son voisin dans ce type de coopération bilatérale, l’Union européenne, en revanche, s’y est essayée, avec l’accord du 7 mars 2016 ([20]).

Comme l’écrit le chercheur Matthieu Tardis, « la coopération avec les pays tiers en matière migratoire (…) fait l’objet d’un consensus parmi les États membres de l’Union européenne. Si ces derniers ne s’accordent pas sur leurs responsabilités quant à l’accueil et à la solidarité européenne, ils se retrouvent sur deux points : « réduire les flux de migration illégale et accroître les taux de retour » (déclaration du Conseil européen de Bratislava de septembre 2016) des étrangers en situation irrégulière. Pour cela, l’Union européenne a besoin des pays tiers, appelés à davantage contrôler leurs frontières et à réadmettre leurs ressortissants ([21]). »

5.   L’augmentation des non‑admissions aux frontières françaises

Les flux migratoires décrits précédemment ont eu d’ores et déjà des impacts sur les frontières françaises qu’il est possible de mesurer, par exemple, par le biais des non‑admissions sur le territoire national opérées par les services de la police aux frontières. Ces non‑admissions ont augmenté de 12 % en 2022 et de 5 % sur les deux premiers mois de 2023.

Concernant les frontières intérieures terrestres, la frontière franco‑italienne a vu les non‑admissions augmenter de 8 %, sous l’effet des mouvements secondaires de personnes débarquées en Italie ou en provenance des Balkans. Elles ont concerné essentiellement des Tunisiens, des Afghans, des Ivoiriens, des Guinéens et des Marocains. Les Alpes‑Maritimes, suivies de la Savoie, ont absorbé la majorité de ces flux.

Les non‑admissions à la frontière franco‑espagnole, en légère baisse de 3 %, sont liées aux débarquements en Espagne, qui sont eux-mêmes en reflux. Elles ont concerné essentiellement des Marocains (25 %) et des Algériens (24 %). Les Pyrénées‑Orientales ont absorbé 51 % de ce flux (personnes plutôt en provenance de la péninsule) et les Pyrénées‑Atlantiques 48 % (migrants plutôt en provenance des îles Canaries).

Les non-admissions ont augmenté de 5 % à la frontière franco-belge. Elles ont concerné, pour l’essentiel, des Marocains, des Congolais et des Algériens. Cette hausse est liée surtout aux contrôles effectués dans le cadre de la lutte contre les « small boats ».

La très forte augmentation des non‑admissions à la frontière franco-suisse (+ 95 %) s’explique par la lutte contre les mouvements secondaires en provenance des Balkans, qui empruntent la route de la Hongrie ou la Slovénie, ou de l’Autriche et de la Suisse. Ces non‑admissions ont concerné surtout des Afghans et des Tunisiens mais aussi des Algériens et des Marocains.

S’agissant des frontières intérieures aériennes, les flux, notamment extra‑Schengen, ont nettement repris en 2022, en lien avec l’amélioration de la situation sanitaire. L’aéroport de Roissy‑Charles de Gaulle est resté le plus touché par la pression migratoire irrégulière, suivi de ceux de Beauvais et d’Orly. Les Marocains, les Turcs et les Algériens y ont été les nationalités les plus refusées, à la suite de la réouverture des espaces aériens en 2022.

C.   des migrations appelÉes À durer

1.   Des facteurs de migration plus prégnants

Tous les signaux laissent présager, pour les années à venir, l’amplification des flux migratoires actuels, sous les effets conjugués de la levée des dernières restrictions sanitaires appliquées aux déplacements internationaux et des tensions géopolitiques en cours. Les crises, manifestes ou larvées, au Sahel, au Soudan, dans la région des Grands Lacs, en Tunisie, au Liban, en Turquie, etc., continueront d’alimenter les flux migratoires à destination du flanc Sud de l’Europe. La situation sécuritaire, démocratique et humanitaire de même que l’existence de menaces hybrides dans un certain nombre d’États du Moyen Orient, d’Afrique sahélienne et subsaharienne et de la Corne africaine sont, de ce point de vue, particulièrement préoccupantes.

L’instabilité économique mondiale constituera un facteur aggravant. La directrice générale du Fonds Monétaire International (FMI), Mme Kristalina Georgieva, a annoncé pour 2023 une année « plus difficile » que la précédente et pointé les risques liés à l’inflation, au chômage et à l’impact de la hausse des taux sur les pays endettés. Le FMI a alerté, en particulier, sur le risque de voir 60 % des pays émergents ou en développement basculer dans une crise de la dette souveraine ([22]). Le dérèglement climatique constituera un second facteur aggravant. Le changement climatique est, selon un rapport publié le 26 avril 2023 par l’Imperial College de Londres ([23]), responsable de la sécheresse qui sévit actuellement en Somalie, au Soudan, au Kenya, en Éthiopie, en Érythrée ou encore à Djibouti. À ce sujet, le 3 mai 2023, une agence de l’Organisation des Nations Unies a lancé une alerte quant aux conséquences du phénomène météorologique El Niño : « Le phénomène météorologique El Niño a de fortes probabilités de se former cette année (…) El Niño est un phénomène climatique naturel généralement associé à une augmentation des températures, une sécheresse accrue dans certaines parties du monde et de fortes pluies dans d’autres (…) El Niño est généralement associé à une augmentation des précipitations dans certaines régions du sud de l’Amérique du Sud, le sud des États-Unis, la Corne de l’Afrique et l’Asie centrale ([24]). ».

À court ou moyen terme, la dégradation de la situation politique et socio‑économique en Tunisie pourrait avoir un impact important sur le volume des flux migratoires vers l’Europe, comme l’a souligné le ministère italien des affaires étrangères auprès des rapporteurs lors de leur déplacement à Rome. Le Haut‑commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) anticipe, par ailleurs, l’arrivée d’un nombre non négligeable de Syriens, voire de Turcs, en provenance des régions touchées par le séisme de février 2023.

Selon les indications apportées aux rapporteurs par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), les mouvements secondaires, notamment vers la France, devraient se maintenir à un niveau élevé en 2023. Les frontières intérieures françaises seront exposées en 2023 en 2024 à une pression migratoire d’autant plus forte que les contrôles frontaliers seront renforcés, notamment à l’occasion de la coupe du monde de rugby et des jeux olympiques et paralympiques. La DCPAF milite pour cette raison pour le maintien de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans le cadre de l’espace Schengen, recommandation que les rapporteurs reprennent à leur compte.

Proposition des rapporteurs : Maintenir la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen.

2.   Les impacts sur les routes vers l’Europe et sur les frontières françaises

L’Italie continuera à être soumise à une forte pression migratoire au cours des prochains mois. Les mesures prises par le gouvernement italien, qu’il s’agisse du contrôle de l’activité des ONG ou de la coopération bilatérale avec les États d’Afrique du Nord, ne suffiront pas à freiner durablement l’augmentation des flux que nourriront la guerre au Soudan, la sécheresse en Afrique de l’Ouest et dans la Corne africaine et l’insécurité au Sud du Sahara. Comme l’a montré le déplacement à Lampedusa et à Rome, une forte proportion des migrants arrivant aujourd’hui en Italie, de l’ordre de 50 %, sont des francophones, en particulier des Tunisiens, des Ivoiriens et des Guinéens. Si les Tunisiens tendent à rester en Italie, les Ivoiriens et les Guinéens cherchent quant à eux, dans leur très grande majorité, à rejoindre la France, en raison des diasporas qui y sont déjà implantées.

Sur la route des Balkans, la pression demeurera forte en 2023 en raison d’un vivier important de migrants déjà présents. Son intensité dépendra notamment de la politique de visas appliquée par certains États de la région, ainsi que de l’évolution de la situation en Turquie. Concernant la frontière franco-suisse, on peut s’attendre toutefois à une atténuation de la pression, compte tenu du plan d’action bilatéral conclu par la Suisse avec l’Autriche et du renforcement de sa coopération avec l’Allemagne.

À la frontière espagnole, la pression migratoire pourrait continuer à baisser à l’avenir, compte tenu des investissements réalisés par l’Espagne dans les pays africains voisins. Le contrôle exercé par le Maroc sur la façade atlantique, à la suite de l’amélioration des relations diplomatiques entre les deux pays, conjugué à une surveillance accrue au départ de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie, apparaît de nature à contrer les flux renaissants. La maîtrise de ces flux reste toutefois soumise à l’aléa du maintien d’une bonne entente diplomatique avec ces différents États.

La frontière franco‑allemande devrait rester soumise à une forte pression en 2023. Du fait de la densité du réseau de circulation, elle est relativement poreuse et peu contrôlée. L’implantation des deux côtés de la frontière de fortes diasporas turques et balkaniques donne lieu à de fréquents passages transfrontaliers. Leur faible détection ne reflète pas tant un faible flux migratoire qu’une insuffisante disponibilité des effectifs policiers au contrôle frontalier. La forte augmentation (+47 %) des primo-demandes d’asile en Allemagne en 2022 (essentiellement de Syriens, d’Afghans et de Turcs) contribuera à cette pression, les déboutés de l’asile étant portés à poursuivre leur périple vers la France.

Une pression migratoire au moins égale est à prévoir à la frontière franco‑belge. À l’instar de la frontière germanique, elle s’avère difficilement contrôlable, du fait de la densité du réseau de circulation. De nombreux mouvements pendulaires y sont recensés en matière de flux irréguliers, notamment dans le cadre des tentatives de traversées vers le Royaume-Uni, en « small boats » ou en poids lourds, et compte tenu également de l’implantation des deux côtés de la frontière de fortes diasporas, maghrébines en particulier.

 


  1  

 

II.   La situation spÉcifique de Mayotte : une bombe À retardement

L’île de Mayotte, territoire français depuis 1841 ([25]) et département français depuis 2011, pourrait sembler, à certains égards, dans une situation bien différente de celle des côtes méditerranéennes dont elle est séparée par des milliers de kilomètres. On peut pourtant dresser des parallèles éclairants avec les problématiques migratoires que connaissent les îles de Samos et de Lampedusa même si les réponses qui sont apportées apparaissent bien différentes. Cette différence d’approche pose question lorsqu’on se rappelle que Mayotte, bien qu’elle ne fasse pas partie de l’espace Schengen, n’en constitue pas moins une « région ultrapériphérique » de l’Union européenne.

Mayotte subit depuis plusieurs années des flux migratoires massifs, très majoritairement en provenance des Comores. Ces flux sont à l’origine de problèmes dramatiques pour la population de l’île, dans tous les domaines : démographie, sécurité, santé, école, approvisionnement en eau, etc. Face à ces conséquences extrêmement graves, les réponses apportées sont loin d’être à la hauteur des enjeux. Elles se résument à certaines dérogations au droit commun, notamment en matière d’acquisition de la nationalité française, et à une politique d’interception et de reconduite qui est certes nécessaire mais pas suffisante.

A.   des flux migratoires massifs

1.   Des flux très majoritairement comoriens

Après une courte accalmie liée au Covid-19 en 2020, les flux migratoires ont repris entre les Comores et Mayotte dès le début de l’année 2021. Les Comoriens ont représenté, en 2021, 30 000 détections à l’entrée ou sur le territoire de Mayotte. Sur la période 2019‑2022, 87,12 % des étrangers en situation irrégulière placés en rétention après une arrivée maritime étaient de nationalité comorienne. En 2022, les Comoriens ont été de très loin, comme les années précédentes, la première nationalité détectée pour les entrées irrégulières à Mayotte (96 %). Les premiers mois de 2023 montrent que les flux à destination du territoire mahorais continuent d’augmenter.

Ces flux comoriens sont facilités par la faible distance qui sépare Anjouan de Mayotte (70 kilomètres), comme le montre la carte ci-après. Les traversées se font sur des canots de pêche rapides et effilés, à fond plat et équipés d’un ou deux moteur, appelés « kwassas ». Les passagers doivent payer entre 300 et 1 200 euros par personne, le prix variant en fonction du nombre de personnes dans l’embarcation (moins il y a de passagers, plus le prix est élevé) et de la puissance des moteurs utilisés (plus ils sont puissants, plus les bateaux augmentent leur chance de ne pas être interceptés). C’est un motif essentiellement économique qui motive la décision des Comoriens de s’installer à Mayotte, le produit intérieur brut (PIB) du département étant près de huit fois supérieur à celui des Comores.

Situation géographique de l’archipel des Comores et de Mayotte

Carte n°1 : situation géographique de l’archipel des Comores

Source : J. Herfaut, 2005

2.   L’émergence d’une immigration originaire de la région des Grands Lacs

À côté de la massive immigration comorienne, les années passées ont vu le développement d’une immigration malgache et, phénomène plus récent, d’une nouvelle immigration, originaire du continent africain, essentiellement de la région des Grands Lacs (cf. carte ci‑après). Après avoir transité par Dar‑es‑Salam, ces migrants africains embarquent dans des boutres ou des navires de fret depuis les côtes tanzaniennes au Sud du pays, pour débarquer aux Comores avant de repartir en kwassa vers Mayotte ou, surtout depuis septembre 2021, pour directement transborder en mer à proximité des Comores dans un kwassa assurant le trajet vers Mayotte. Cette immigration nouvelle se répercute dans les demandes d’asile. Sur un total de 3 379 demandes d’asile en 2022, 1 780 émanaient de Comoriens, 733 de Malgaches et 866 de ressortissants africains (principalement du Congo, du Rwanda et du Burundi).

Source : Google Maps

3.   Un nombre de demandes d’asile encore limité

En 2021, l’OFPRA a rendu 3 800 décisions liées à Mayotte dont 500 décisions favorables. Ceci constitue un taux de protection relativement bas, comparé à la moyenne de l’OFPRA, qui se situe à 29 %. Les demandes déposées par des Comoriens ont été rarement acceptées, sauf pour des cas de protection d’opposants politiques ou de personnes subissant des discriminations, par exemple en raison de leur orientation sexuelle. Elles ont été suivies des demandes des pays de l’Afrique des Grands Lacs (Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo) pour lesquelles le taux d’acceptation a été plus élevé, compte tenu notamment de la situation sécuritaire au Congo.

4.   Des flux au service d’une revendication de souveraineté par un État étranger

Devenue indépendante de la France en 1975, l’Union des Comores ne se cache pas de voir dans les flux migratoires vers Mayotte un levier au service de sa réclamation de souveraineté sur l’île. Rappelons en effet qu’elle revendique plus que jamais sa souveraineté sur ce département français. Elle a ainsi publié en 2010 des coordonnées de ses espaces maritimes en y incluant Mayotte. Dans un décret présidentiel du 10 janvier 2014, elle a publié une division de ses zones maritimes en blocs pétroliers, en y faisant figurer ceux sous juridiction française. Selon son propre discours officiel, les citoyens comoriens, en se rendant à Mayotte, ne font qu’exercer leur liberté fondamentale de circulation, garantie par l’État comorien à l’intérieur de l’archipel.

Comme l’écrit l’universitaire Thomas M’Saïdié, maître de conférences en droit public, « les manœuvres utilisées par l’Union des Comores à chaque crise migratoire ont atteint leur paroxysme lors du mouvement social de février 2018, qui a paralysé l’île de Mayotte pendant plus d’un mois. En effet, les plus hautes autorités comoriennes avaient décidé, le 20 mars 2018, de refuser d’accueillir leurs propres ressortissants ayant fait l’objet de mesures d’éloignement, engageant ainsi une épreuve de force avec la France. La France avait publiquement condamné cette mesure, et en réaction contre celle-ci, elle avait suspendu la délivrance de visas aux ressortissants comoriens désireux de se rendre en France continentale ou dans les autres territoires ultramarins ([26]). »

B.   des consÉquences dramatiques pour l’Île

1.   Une croissance démographique hors de contrôle

Mayotte connaît, du fait de ces flux migratoires, une croissance démographique hors de toute maîtrise et extrêmement préoccupante. La population a été multipliée par quatre entre 1985 et 2020. Elle a été officiellement estimée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), au début de l’année 2022, à 310 000 habitants. D’après la préfecture de Mayotte, un peu moins de 50 % de la population serait de nationalité étrangère, soit entre 140 000 et 150 000 personnes. Entre un tiers et la moitié de la population seraient en situation irrégulière ; la préfecture estime ce chiffre compris entre 70 000 et 100 000 personnes.

Eu égard à l’imprécision de ces chiffres, les rapporteurs attirent l’attention sur la nécessité de mettre en œuvre dès que possible un recensement complet de la population résidant à Mayotte.

Proposition des rapporteurs : Mettre en œuvre, dès que possible, un recensement complet du nombre d’habitants à Mayotte.

L’explosion démographique s’observe au premier chef dans le nombre annuel de naissances. La maternité de Mamoudzou est aujourd’hui la première maternité de France et d’Europe, en nombre de naissances par année. Sur les 10 610 naissances enregistrées en 2021, 7 400 concernent des mères de nationalité comorienne, 2 580 de mères françaises, 535 des mères malgaches, et 85 des mères d’autres nationalités. La moitié des enfants sont nés d’un père de nationalité étrangère, principalement comorienne. La fécondité des mères nées à l’étranger et résidant à Mayotte est de 6 enfants par femme, contre 3,5 enfants par femme pour les mères nées à Mayotte.

Conséquence de ce qui précède, la population résidant à Mayotte est extrêmement jeune : 54 % des habitants ont moins de 20 ans, contre 24 % dans l’hexagone ; près de 50 % de la population a moins de 18 ans. Il convient de préciser qu’une partie importante des mineurs n’ont pas aujourd’hui de nationalité déterminée et sont dans une situation de quasi-apatridie.

Ce poids exorbitant de la population jeune explique les pratiques de scolarisation dérogatoires que connaît l’île par rapport au reste du territoire national : classes surchargées, classes itinérantes, rotation de classes dans les mêmes locaux, etc. Le service départemental de l’aide sociale à l’enfance est aujourd’hui débordé. Malgré le triplement de sa capacité d’accueil depuis 2017, il accusait en 2019 un déficit de 219 places.

Compte tenu de la superficie restreinte de l’île (375 km2), la densité y est désormais du même ordre que dans la petite couronne parisienne. Dans un rapport de janvier 2022 consacré à l’évaluation de la prise en charge des mineurs à Mayotte, une mission inter-inspections, ayant réuni six inspections générales ([27]), a pointé les conséquences de cette évolution démographique : « Les scénarios d’évolution de la population envisagés par l’INSEE pour 2050 laissent présager, dans tous les cas, une pression considérable sur les différents services publics déjà saturés (santé, école notamment) comme sur l’habitat et l’environnement. Dans l’hypothèse d’un maintien des flux migratoires au niveau actuel, la situation deviendrait explosive ([28]). »

2.   Un système de santé plongé dans le chaos

L’aide médicale d’État n’existant pas à Mayotte, les étrangers séjournant illégalement sur le territoire mahorais ne peuvent se faire soigner dans le secteur libéral. Ainsi, l’ensemble des demandes de soins et de prise en charge des étrangers en situation irrégulière se reporte sur le centre hospitalier de Mamoudzou et sur ses antennes territorialisées. Le fort taux de renoncement aux soins constaté pour les personnes sans affiliation sociale (en pratique, les ressortissants étrangers en situation irrégulière) a également un impact majeur sur le système de santé, dans la mesure où les intéressés sont souvent pris en charge tardivement, dans des états aggravés. Bien que marginale dans l’activité du centre hospitalier (environ dix prises en charge par semaine aux urgences contre 1 400 passages hebdomadaires), l’arrivée par « kwassas sanitaires » (deux à trois malades par bateau dédié à ce transport) de patients dans des états cliniques souvent très dégradés (polytraumatisés, brûlés) nécessite leur prise en charge aux services des urgences et des soins critiques. Enfin, les conditions d’habitat précaire d’une part importante des patients sans affiliation sociale complexifie la réalisation des soins à domicile.

 

Bilan 2022 du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Sud Océan Indien pour la zone de Mayotte

Le bilan 2022 du CROSS Sud Océan Indien pour la zone de Mayotte est le suivant :

- 180 opérations de secours, dont 121 opérations liées à l’immigration clandestine par kwassas, et 106 assistances médicales sur des kwassas ;

- 313 personnes secourues, 1 790 personnes assistées ;

- tendances : augmentation du nombre d’opérations de secours (+26 %) et du nombre de personnes secourues (+49 %) ;

- 67 % des opérations de secours sont liées à l’immigration clandestine.

 

Compte tenu de la saturation du centre hospitalier, le service départemental de protection maternelle et infantile (PMI) est aujourd’hui devenu quasiment un second hôpital. La saturation de ces établissements a transformé l’île, pour la population, en un désert médical.

La file active des soins réalisés aux personnes non affiliées représente ainsi près de 50 % du total des séjours hospitaliers au centre hospitalier de Mayotte (CHM), plus de 60 % des consultations réalisées en centres périphériques du CHM et plus de 90 % des consultations en protection maternelle et infantile (PMI).

Nombre de patients français ou étrangers soignés chaque année au Centre hospitalier de mayotte

 

2020

2021

2022

Nombre de patients Français

87 072

97 811

93 626

Nombre de patients étrangers

77 455

89 934

85 567

Source : Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte

La logique de mesures dérogatoires qui s’appliquent à Mayotte alimente un « appel d’air » régulièrement dénoncé par les collectifs de citoyens qui citent : « une note de service daté du 30 novembre 2015 du Directeur du CHM rétablissant la gratuité, conformément à l’ordonnance n° 2012785 du 31 mai 2012 ([29]). Dorénavant, les patients du CHM (à plus de 75 % des non-assurés sociaux), n’ont plus à s’acquitter de la somme de 10 euros pour une consultation simple ; 15 euros pour voir un spécialiste et du forfait de 30 euros pour les urgences ; de 10 euros pour les mineurs, et du forfait de 300 euros pour un accouchement ([30]) . »

La forte densité de populations résidant dans des quartiers d’habitat illégal accentue par ailleurs les risques de propagation épidémiques, considérant notamment les problèmes d’hygiène et les difficultés à maintenir les distanciations physiques et les gestes barrière. Les populations vivant dans ces bidonvilles n’ont souvent pas un accès direct à l’eau potable et ont fréquemment recours à une eau non potable, puisée dans les rivières notamment, pour les tâches quotidiennes : lessive, vaisselle, hydratation, etc. Des épidémies de gales se sont ainsi propagées ces dernières années dans ces quartiers d’habitat précaire.

 

Évaluation du coût global des soins dispensés aux personnes non affiliées à la sécurité sociale

L’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte et le centre hospitalier de Mayotte (CHM) estiment difficile, compte tenu notamment l’absence de données fiabilisées dont dispose le CHM, d’estimer la part des dépenses dévolues à la prise en charge des non‑assurés sociaux. Ceci étant, la dotation annuelle du CHM s’élève en moyenne à 240 millions d’euros par an sur les cinq dernières années. Si l’on considère qu’environ 40 % de la file active du CHM ne bénéficie pas d’une affiliation sociale (proportion en hausse ces dernières années), on peut estimer que la part des dépenses annuelles du CHM pour la prise en charge des non‑assurés sociaux est de l’ordre de 96 millions d’euros, soit 480 millions d’euros sur les cinq dernières années. En parallèle, la Cour des Comptes estime que les dépenses de santé à Mayotte s’élevaient en 2017 à 900 euros par habitant.

Dans le cadre de l’aide médicale d’urgence (AMU), le fonds d’intervention en région (FIR) de l’ARS prend en charge la part des non‑affiliés opérés par les transports sanitaires privés (transports urgents régulés par le Service d’Aide Médicale Urgente ou SAMU). En 2022, cela représentait un cout de 270 000 euros.

3.   Une pauvreté endémique

Comme l’écrit la mission inter‑inspections dans son rapport de janvier 2022, « cette croissance démographique, liée à la question migratoire (48 % de population étrangère en 2017) pèse lourdement sur les perspectives de développement du territoire ([31]). »

Mayotte est aujourd’hui le département le plus pauvre de France : 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté national. Le produit intérieur brut à Mayotte est de 9 978 euros par habitant alors qu’il est de 23 400 euros par habitant à La Réunion et de 34 100 euros par habitant au niveau national. Le taux de chômage y est de 34 % de la population active. L’économie se caractérise par le poids excessif du secteur public (plus de 50 % du PIB) et par des retards persistants en matière d’infrastructures de base ou de services élémentaires pour la population (accès limité à l’eau et à l’électricité, réseau routier saturé, absence de transports collectifs, piste d’aéroport ne pouvant pas accueillir les avions gros porteurs, habitat anarchique, gestion des déchets et assainissement lacunaires, etc.).

De plus, la forte proportion d’immigrés en situation irrégulière alimente une économie parallèle clandestine et illégale dont la proportion est difficile à chiffrer mais l’impact réel. Dans le secteur agricole qui assure une partie de l’alimentation de l’île, les autorités préfectorales retirent régulièrement des marchés à la sauvette des fruits et légumes issus du vol ou impropres à la consommation car cultivés avec des produits phytosanitaires interdits importés par kwassas kwassas. Le trafic maritime clandestin importe également en dehors de tout contrôle sanitaire des animaux destinés à la consommation humaine. L’immigration se traduit aussi par une très forte disponibilité de travailleurs clandestins ou régularisés. Alors que les Mahorais sont, depuis la départementalisation, en demande d’égalité sociale et de mise aux normes, le marché du travail local se distingue non seulement par un très fort taux de chômage mais aussi par une surabondance de main‑d’œuvre à bas coût, peu regardante sur le droit du travail et fortement dépendante des employeurs pour l’obtention ou la reconduction de leur titre de séjour. La prévalence de l’économie clandestine entraîne un manque à gagner pour les finances publiques ; elle décourage aussi les entrepreneurs qui subissent astreintes et contrôles en face d’une concurrence qu’ils jugent déloyale. Plus largement, on peut considérer que la fragilisation du tissu économique hypothèque les chances de prospérité dont le territoire a besoin pour sortir de la pauvreté.

Mayotte abrite le plus grand bidonville français, constitué de cases en tôle, où résident souvent des ressortissants étrangers en situation irrégulière. L’opération de lutte contre l’immigration clandestine et de destruction d’habitations illégales engagée par le Gouvernement le 24 avril 2023 sur l’île, dénommée « Wuambushu » (ce qui signifie « reprise »), a précisément pour objet de réduire cet habitat insalubre.

L’opération Wuambushu

L’opération Wuambushu vise notamment à réduire l’habitat illégal et insalubre où vivent des enfants, des personnes âgées et même des personnes handicapées, sans accès correct à l’assainissement, l’eau, l’électricité ou le gaz, moyennant le relogement des personnes évacuées. Elle a également un volet de lutte contre les réseaux criminels qui trouvent refuge dans ces bangas (habitats de tôle). Elle implique enfin l’interpellation et la reconduite des ressortissants étrangers en situation irrégulière qui remplissent les conditions pour être éloignés. Son nom, qui signifie « reprise » en mahorais, manifeste bien la volonté de l’État de reprendre le contrôle d’un territoire doublement abandonné, puisque les constructions illégales empiètent sur le domaine public ou privé et car elles permettent à des réseaux criminels de se mettre à couvert.

L’opération Wambushu a provoqué une crise diplomatique avec les Comores qui ont demandé son annulation. Contrevenant à l’accord-cadre France-Comores (signé à Paris le 22 juillet 2019 comportant un volet de « lutte contre les trafics d’êtres humains » et la délivrance de laissez-passer consulaires en échange d’une aide au développement de 150 millions d’euros sur trois ans), Moroni a refusé de reprendre ses ressortissants expulsés. Par plusieurs communiqués officiels, manifestations et prises de parole sur les réseaux sociaux, les dirigeants comoriens ont menacé les élus de Mayotte, dont la co-rapporteure Estelle Youssouffa, pour avoir soutenu cette opération. Le gouverneur d’Anjouan a pris des arrêtés dont l’un ayant pour objet de créer un comité de vigilance, et a appelé au débarquement massif de kwassas remplis d’Anjouanais à Mayotte pour prendre le contrôle de l’île. Le président Azali Assoumani a multiplié les déclarations en dénonçant l’opération Wambushu et en réaffirmant la revendication territoriale des Comores sur Mayotte : « Raison de plus pour que la France se rende compte, qu’elle le veuille ou non, que Mayotte est comorienne (…) C’est pour cela que nous ne voulons pas envenimer les relations entre la France et les Comores. Sinon, nous serons perdants à coup sûr. Mais la France ne sera pas gagnante non plus. Vous savez, beaucoup d’autres puissances n’attendent que notre brouille. La Russie et [le groupe de mercenaires] Wagner ont déjà fait des incursions à Madagascar. Et ne parlons pas des Chinois ([32]) ». Après une visite aux Comores en décembre 2022, l’ambassadeur russe à Madagascar, Andrey Andreev, déclare : « La Russie a toujours soutenu l’Union des Comores dans sa volonté légitime de restituer l’île de Mayotte sous sa souveraineté ([33]). » Moscou se dit prête « à l’interaction la plus étroite avec Moroni pour un règlement politique rapide de la situation autour de Mayotte ([34]) ». Après plusieurs semaines de blocages, les liaisons maritimes et reconduites à la frontière vers les Comores ont repris.

Le 25 avril 2023, le tribunal judiciaire de Mamoudzou, saisi en référé, a suspendu l’évacuation du bidonville. La chambre d’appel de Mayotte a infirmé cette ordonnance le 17 mai suivant. L’opération a repris le 22 mai.

4.   Des dommages écologiques

L’arrachage de la végétation traditionnelle et de ses racines par les habitants des bidonvilles, et leur remplacement par des constructions illégales et des plantations de bananes et de manioc destinés au marché noir, sont à l’origine de coulées de boues particulièrement destructrices. Causée par des pluies diluviennes de la saison humide, une coulée de boue a tué quatre personnes à Koungou en janvier 2018. Au niveau environnemental, ces coulées de boue ont envahi certaines parties du pourtour maritime de l’île, asphyxient la mangrove qui sert de nursery marine et de barrière en cas de tsunami, détruisent la biodiversité du lagon et sa beauté, comme on peut s’en rendre compte en survolant l’île.

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Un autre problème de nature écologique se pose à cause de l’immigration clandestine : l’extension des habitations illégales est source de pollution des eaux et, surtout, de déforestation pour dégager des zones constructibles et cultivables sauvages. L’impact est immédiatement catastrophique, comme l’explique Michel Charpentier, président de l’association environnementale Les Naturalistes : « la forêt favorise l’infiltration de l’eau à travers son réseau racinaire et permet aux nappes phréatiques de se recharger. Or, Mayotte perd environ 300 hectares de forêt chaque année. Ce qui en fait le département français le plus déforesté ([35]) ». Pour son alimentation en eau potable, Mayotte est très dépendante de l’eau pluviale. L’une des deux principales retenues collinaires de Mayotte, située à Dzoumogné, dans le Nord de l’île, n’était remplie à la mi‑avril 2023 qu’à 18 % alors que, normalement, elle est quasiment pleine à cette période. Le déficit en eau dans les robinets risque de s’aggraver encore puisque la saison des pluies est à présent terminée. Des coupures d’eau sont imposées à la population mahoraise quotidiennement ; elles permettent « d’économiser 2 000 m³ par jour », selon Floriane Ben Hassen, responsable du centre météorologique de Mayotte ([36]). La crise migratoire n’est évidemment pas la cause de la sécheresse mais elle lui confère un caractère suraigu. Dans les faits, la déforestation et l’explosion démographique alimentent le manque de ressources en eau qui frappe Mayotte.

5.   Une insécurité menaçante

L’actualité dramatique des dernières années sur l’île a été émaillée de faits de délinquance graves, allant jusqu’à des actes de torture et de mutilation. On peut, à certains égards, dresser un parallèle avec la Guyane où les orpailleurs (garimpeiros), en provenance du Brésil, menacent les populations locales guyanaises ([37]). Comme l’écrivent le président de l’association des maires de l’île, Madi Madi Souf, et le président du conseil départemental de Mayotte, Ben Issa Ousseni, « les Mahorais subissent encore des violences extrêmes, comme des attaques de bandes de délinquants cagoulés et armés de machettes. Certains élus, parmi eux des maires, sont aussi pris pour cible ([38]). »

Les agressions violentes sont dans certains cas commises par des bandes armées juvéniles, parfois sous l’emprise de la drogue. Les agressions, y compris contre des foundis (« anciens » ou « sachants »), ont à la fois révolté et profondément inquiété la population mahoraise. En proie à un sentiment d’abandon et de désespoir, certains Mahorais sont clairement tentés de se tourner vers des réflexes d’auto‑défense. La violence des mineurs pose question avec un problème aigu de « jeunes en errance » : la mission inter-inspections parle « d’environ 6 600 mineurs en risque majeur de désocialisation, faute de prise en charge familiale et institutionnelle ». Les familles d’accueil ne sont pas suffisamment formées pour accueillir les jeunes dont certains sont placés par la justice et réputés dangereux. Contrairement à la norme hexagonale, les familles d’accueil mahoraises reçoivent jusqu’à dix enfants alors que la limite légale est fixée à trois enfants par foyer. Face à la saturation des structures d’accueil sur place et le diagnostic partagé d’une enfance en danger, les élus mahorais demandent l’application à Mayotte de la circulaire dite « Taubira » du 31 mai 2013 prévoyant la répartition sur l’ensemble du territoire national des mineurs étrangers isolés ([39]).

Comme dans l’hexagone, les frais de prise en charge des mineurs étrangers isolés sont à la charge du conseil départemental. Celui‑ci n’arrive plus à faire face financièrement. Le vice-président en charge des affaires sociales au conseil départemental de Mayotte, Madi Velou, explique que le poids de l’immigration déstabilise les comptes de la collectivité locale : « Le premier poste qui nous coûte cher, c’est celui de l’aide sociale à l’enfance (ASE)­  protection maternelle Infantile (PMI). Lorsque l’État avait compensé nos charges liées à l’immigration en 2015 avec un versement de 180 millions d’euros, il avait exigé de les virer sur un budget annexe. Cette somme a été utilisée pour faire fonctionner les services chaque année, pour une vaste campagne de vaccination de 20 millions d’euros, notamment pour des maladies importées, et qu’il faudra réitérer. En 2022, nous avons dépensé 65 millions d’euros sur ces deux services, pour 24 millions d’euros de compensation. Si on rajoute les 12 millions qui restent des 180 millions de départs, nous voyons qu’il manque 30 millions d’euros. Sans accompagnement de l’État, nous allons devoir prendre des décisions douloureuses. Nous envisageons par exemple de ne plus accueillir les personnes non assurées sociales en PMI, celles qui n’ont pas de carte Vitale. Elles sont 91,5 % de la population accueillie en PMI, et 82 % à l’ASE, qui devront se rendre dans les services de l’État, à l’hôpital ou à Jacaranda ([40]), nous n’avons plus les moyens de les accueillir sans compensation. Nous pouvons espérer 20 millions d’euros de gain ([41]) ».

Proposition des rapporteurs : Appliquer à Mayotte la circulaire dite « Taubira » du 31 mai 2013 qui prévoit la prise en charge sur l’ensemble du territoire national des mineurs étrangers isolés.

C.   Une réponse aujourd’hui en dessous des enjeux

1.   Des spécificités juridiques touchant notamment au droit au séjour et à la nationalité

Les autorités publiques ont cherché à répondre à la pression migratoire exceptionnelle en instaurant, tout d’abord, des mesures juridiques dérogatoires pour l’île, en matière notamment de droit de la nationalité mais aussi de droit social et des droits des étrangers, dans l’espoir de décourager les candidats à l’immigration clandestine.

À titre d’illustration, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ([42]) a introduit une condition supplémentaire, tenant à la régularité du séjour de l’un des parents au moins, pour que les enfants, nés à Mayotte de parents étrangers, puissent acquérir la nationalité française à raison de leur naissance et de leur résidence en France. L’article 2493 du Code civil dispose ainsi : « Pour un enfant né à Mayotte, le premier alinéa de l’article 21-7 ([43]) et l’article 21-11 ([44]) ne sont applicables que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois. » Comme l’écrit Thomas M’Saïdié, l’« irruption massive et incontrôlée des ressortissants comoriens a conduit le juge constitutionnel à considérer que la situation de Mayotte présente « les caractéristiques et contraintes particulières » justifiant que soit faite une entorse aux conditions d’acquisition de la nationalité française. Aussi, pour qu’un enfant dont les parents sont d’origine étrangère puisse acquérir la nationalité française, il convient que l’un des deux parents se trouve en situation régulière et ait résidé de manière ininterrompue sur le territoire français (entendu au sens plus large, comme incluant la métropole et les outre-mer) trois mois avant la naissance de l’enfant ».

La loi du 10 septembre 2018, entrée en application au 1er mars 2019, a certes permis de réduire le nombre de déclarations acquisitives. Cependant, cette mesure à elle seule n’est pas de nature à réduire de manière significative le nombre d’enfants mineurs, nés à Mayotte, qui accèdent à la nationalité française par déclaration, ni le nombre de titres de séjour délivrés par la préfecture aux parents d’enfants français.

En effet, d’autres dispositions ont pour effet, quant à elles, de faciliter l’acquisition de la nationalité française. Il en va ainsi de l’article 19-3 du Code civil, qui dispose : « est français l’enfant né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né ». Cette disposition permet à un grand nombre d’enfants nés à Mayotte d’un parent étranger lui‑même né à Mayotte d’accéder facilement à la nationalité française, par le biais de ce que l’on appelle le « double droit de sol ([45]) ». Ainsi, un nombre significatif d’enfants naissent à Mayotte de nationalité française, par attribution de la loi, alors même que leurs parents restent de nationalité étrangère. Les parents de ces enfants, bénéficient ensuite de titres de séjour en leur qualité de parents d’enfants français.

L’article 21-12 du code civil ([46]), de son côté, permet à un mineur étranger, confié à l’aide sociale à l’enfance, d’acquérir par déclaration la nationalité française jusqu’à sa majorité, pourvu qu’il justifie de trois ans de placement. Cette mesure, très favorable, place paradoxalement le mineur étranger non natif dans une situation potentiellement plus favorable au regard de la nationalité française qu’un enfant étranger, né et scolarisé pendant des années à Mayotte.

Enfin, le droit de la filiation mérite une attention vigilante, tant il est vrai que celle-ci permet la reconnaissance de la nationalité française sans condition d’intégration ou d’antériorité de résidence. Les restrictions posées au droit du sol font apparaître la reconnaissance de paternité comme un moyen plus aisé pour faire acquérir la nationalité française à l’enfant reconnu et un titre de séjour à la mère en tant que parent d’enfant français. Le nombre d’actes de reconnaissance de paternité à Mayotte a connu une augmentation fulgurante.

Comme le résume la mission inter‑inspections ([47]), « les récentes restrictions apportées à l’acquisition de la nationalité par le droit du sol à Mayotte par la loi de 2018 ne seront perceptibles que dans quelques années mais laissent craindre un risque de fraude sur la reconnaissance de paternité. Par ailleurs, un nombre croissant d’enfants pourrait bénéficier de la nationalité française sur le fondement du double droit du sol. La préfecture, pour sa part, se trouve dans la situation de devoir délivrer un nombre de plus en plus important de titres de séjour aux parents d’enfants qui sont devenus Français par le droit du sol, le double droit du sol ou la reconnaissance de paternité. L’acquisition de la nationalité française pendant la minorité de l’enfant permet aux parents en situation irrégulière de bénéficier d’un titre de séjour, ce qui les protège d’un éloignement forcé tant que l’enfant est mineur et leur ouvre, selon la réglementation, des droits sociaux ».

Comme le relève la mission inter‑inspections, l’efficacité des dispositifs particuliers décrits plus haut souffre d’une fraude documentaire extrêmement développée. Celle‑ci vise en premier lieu l’obtention de titres de séjour, de la nationalité française ou de permis de conduire. La fraude prend généralement la forme de la rédaction de faux ou de l’utilisation de documents appartenant à des tiers, pris souvent dans l’entourage familial ou amical. Les documents obtenus sont ensuite utilisés pour solliciter des prestations sociales.

En matière de droit social, les rapporteurs ont déjà souligné la particularité tenant à l’absence d’application de l’aide médicale d’État à Mayotte. Cette absence d’application ne dissuade nullement les Comoriens de s’installer à Mayotte tout en contribuant fortement à la saturation du centre hospitalier de Mamoudzou. C’est pourquoi les rapporteurs recommandent de rendre désormais applicable l’aide médicale d’État à Mayotte

Proposition des rapporteurs : Instaurer l’aide médicale d’État (AME) à Mayotte.

Faiblement dissuasives, ces spécificités juridiques sont en outre entourées d’un grand flou s’agissant tant du nombre de procédures engagées (acquisitions de nationalités sur les différents fondements, reconnaissances de paternité, etc.) que de l’effet des évolutions législatives.

Par ailleurs, Mayotte se distingue par le fait que les visas délivrés, de même que la plupart des titres de séjour, ne sont valables qu’à Mayotte.

Le droit au séjour dérogatoire à Mayotte avec le « visa territorialisé »

La plupart des titres de séjour délivrés à Mayotte ne sont valables qu’à Mayotte.

En effet, la loi prévoit que, « sans préjudice des dispositions des articles L. 233-1 et L. 233-2, les titres de séjour délivrés par le représentant de l’État à Mayotte, à l’exception des titres délivrés en application des dispositions des articles L. 233-5, L. 421-11, L. 421-14, L. 421-22, L. 422-10, L. 422-11, L. 422-12, L. 422-14, L. 424-9, L. 424-11 et L. 426-11 et des dispositions relatives à la carte de résident, n’autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte » (article L. 441-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou CESEDA).

Le CESEDA ne prévoit que de rares exceptions, comme par exemple la carte de résident de dix ans (article L. 423-6 ).

Les étrangers en situation régulière concernés doivent donc demander un visa pour aller dans l’hexagone ou un autre département ou région d’outre‑mer (DROM) ou dans le reste de l’espace Schengen.

Les élus mahorais demandent depuis des années la fin des restrictions géographiques des titres de séjour délivrés à Mayotte qui empêchent les étrangers de circuler sur l’ensemble du territoire national et qui ont pour effet de fixer la population migrante sur l’île.

Les rapporteurs recommandent, afin de soulager l’île en proie à l’explosion démographique et aux flux migratoires massifs, de lever ces restrictions territoriales en matière de droit au séjour.

Proposition des rapporteurs : Mettre fin à la carte de séjour « territorialisée » à Mayotte et au visa « territorialisé » à Mayotte.

2.   Une politique d’interception et d’éloignement aux effets limités

Outre les spécificités juridiques dont il vient d’être question, la réponse publique à la pression migratoire se fonde sur une politique d’interception ou d’interpellation des étrangers en situation irrégulière, en immense majorité des Comoriens, et de reconduite vers l’Union des Comores.

Ainsi, en 2022, un peu plus de 25 000 personnes ont été reconduites aux Comores. Sur ce total, près de 8 000 avaient été interceptées en mer. La présence de la brigade nautique, lorsqu’elle n’aboutit pas à l’interception de kwassas, peut aussi avoir un effet bénéfique en provoquant le demi-tour des bateaux. Les chiffres précis sont détaillés dans le tableau ci‑après.

Nombre d’interpellations en mer, de placements en rÉtention et d’Éloignements À mayotte

 

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre interpellations en mer

2 619

2 816

3 536

6 168

7 839

Nombre de personnes placées en rétention

12 659

 

 

 

30 919

 

dont 3 178 mineurs

16 779

 

dont 2 137 mineurs

31 623

 

dont 3 275 mineurs

30 877

 

dont 3 317 mineurs

      Nombre d’éloignements forcés

9 377

24 096

 

12 107

 

21 266

 

22 381

      Nombre d’éloignements départs volontaires

5 282

3 248

1 302

2 456

2 999

Nombre total d’éloignements

14 659

27 344

13 409

23 722

25 380

Source : préfecture de Mayotte

Il convient de rappeler ici que la loi interdit l’éloignement des mineurs s’ils ne sont pas accompagnés d’un adulte. À Mayotte, lors de leur placement en rétention, on sait qu’un certain nombre de parents en instance d’éloignement taisent délibérément la présence de leurs enfants sur l’île.

Mayotte compte une capacité de rétention de 250 places, se décomposant de la façon suivante : un centre de rétention administrative, situé à Pamandzi, en Petite-Terre, de 136 places, et cinq locaux de rétention administrative présentant un total de 114 places. La loi de finances pour 2023 prévoit une enveloppe de 5 millions d’euros à la construction d’un nouveau local de rétention administrative de 50 places.

En 2022, 26 020 personnes ont été placées en rétention dans le centre de Mayotte (contre 26 485 en 2021). Ceci représente près de 60 % des placements effectués dans l’ensemble des centres de rétention administrative (CRA) français. Le taux d’éloignement du centre de Mayotte s’est élevé en 2022 à 76 % (contre 75,6 % en 2021). Comme le montre la figure ci‑après, le centre de Pamandzi a représenté à lui tout seul plus de 75 % des éloignements effectués depuis des CRA français en 2022.

 

 

Nombre d’étrangers éloignés en 2022 depuis les Centres de rétention adminisrative de l’Hexagone et d’Outre-mer

Source : Centres et locaux de rétention administrative, Rapport national et local 2022 (Groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés, France terre d’asile, La Cimade, Solidarité Mayotte)

Ces chiffres sont sensiblement identiques à ceux de l’année 2021.

Nombre d’étrangers éloignés en 2022 depuis les Centres de rétention adminisrative de l’Hexagone et d’Outre-mer

Source : Centres et locaux de rétention administrative, Rapport national et local, 2021 (Groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés, France terre d’asile, La Cimade, Solidarité Mayotte)

Pour améliorer l’interception des kwassas, quatre radars ont été installés à Mayotte entre 2004 et 2011. Propriété du ministère de l’intérieur, ils sont utilisés exclusivement par la base navale de l’île, chargée de la surveillance maritime. Leur remplacement a été annoncé. La loi de finances pour 2023 prévoit un montant de 1,2 million d’euros pour le remplacement de deux d’entre eux. Le remplacement des deux autres radars est prévu pour 2024 et 2027. L’installation d’un cinquième radar, sur le site de Ngoujou, est prévue en 2025. Le positionnement géographique des radars est problématique avec deux angles morts bien connus des passeurs (au Nord et à l’Ouest de l’île, au plus près d’Anjouan) : la couverture radar des frontières de Mayotte n’est donc pas complète à ce jour.

Le parc de radars destinés à la détection de kwassas a été complété par la mise en place d’une surveillance aérienne permettant d’effectuer des détections jusqu’à trente miles nautiques au-delà des côtes mahoraises. Cet appui aérien, outre son rôle de détection, a vocation à fournir des renseignements sur les pratiques des passeurs, et donc à nourrir les enquêtes judiciaires dirigées contre les filières de traite des êtres humains. Des vols de nuit ont également été engagés depuis la fin du mois d’avril 2022. Cette détection lointaine donne au poste de commandement de l’action de l’État en mer (PCAEM) un préavis plus important pour mieux coordonner les moyens nautiques, voire les renforcer ponctuellement, en cas de regroupement de kwassas.

S’agissant des enquêtes judiciaires, onze filières de passeurs ont été démantelées en 2022. L’implantation de ces réseaux criminels à la fois à Mayotte et aux Comores empêche les autorités françaises de saisir leurs avoirs comme d’interpeller les responsables demeurés aux Comores.

Les chiffres qui viennent d’être cités montrent, de manière incontestable, que des moyens non négligeables ont été consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte. Ces moyens doivent absolument être maintenus et augmentés.

Proposition des rapporteurs : Maintenir et renforcer les moyens de détection et d’interception des flux migratoires vers Mayotte.

Pour autant, cette politique d’interception et de reconduite, si elle est indispensable, n’a qu’une portée limitée et ne peut, à elle seule, résoudre la crise migratoire qui frappe Mayotte. En effet, seule une fraction des kwassas est interceptée. Le démantèlement en février 2023 d’une filière à Mayotte a montré que les organisateurs profitaient de la faiblesse de la détection : « Depuis 2019, ce réseau organise trois voyages par semaine avec 18 personnes à bord de chaque bateau et chaque passager paie 300 euros. Si l’on multiplie ça sur quatre ans, on estime qu’ils ont fait passer 36 000 personnes pour un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros », selon Laurent Simonin, directeur territorial de la police nationale à Mayotte, décrivant une « véritable entreprise ([48]) ».

De surcroît, les personnes éloignées, ou qui ont fait demi-tour, tentent à nouveau la traversée, parfois seulement quelques heures après. La croissance démographique incontrôlée, la multiplication des mineurs isolés et la croissance des bidonvilles sont là pour démontrer, s’il en était besoin, l’échec d’une politique, dont on ne voit pas la fin, centrée sur l’interception et la reconduite. Le problème migratoire ne se résoudra pas tout seul. Il n’ira qu’en empirant si des actes forts ne sont pas posés, sauf à croire, ce à quoi les rapporteurs se refusent, que l’espoir secret de certains responsables politiques ne soit que, de guerre lasse, la population mahoraise ne finisse par se résigner à la séparation d’avec la France, elle qui par deux fois a fait massivement le choix de la République ([49]). On peut en effet constater que le nouvel équilibre démographique avec une forte composante comorienne modifie radicalement le corps électoral et changerait le cours d’une hypothétique consultation référendaire sur le statut de Mayotte.


III.   Un enjeu migratoire dont le traitement n’est pas À la hauteur et qui appelle de nouvelles rÉponses

Le contrôle des frontières apparaît, dans le contexte géopolitique actuel, comme un enjeu de nature de plus en plus politique. Les États européens de première entrée soulignent à quel point les autres États membres se reposent sur eux du soin de contrôler les frontières extérieures de l’Union, avec tous les défis que cela suppose.

À cet égard, on sait combien l’arrivée irrégulière de plus d’un million de migrants en Europe en 2015 a ébranlé l’Union européenne en profondeur. Ce que l’on a appelé la « crise des réfugiés » a mis au jour l’incapacité de l’Union à apporter une réponse immédiate et efficace à un tel afflux. La « crise » n’a pas tenu seulement au nombre de migrants et de réfugiés mais aussi aux insuffisances structurelles de l’Union européenne et de sa législation pour y faire face. La confiance dans la capacité de l’Europe à maintenir l’effectivité du droit d’asile sur son sol tout en protégeant réellement ses frontières a été mise à mal. Ces insuffisances ont laissé libre champ, comme on l’a vu plus haut, aux initiatives bilatérales des États membres.

C’est avec la volonté de répondre à ces insuffisances que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé, dès juillet 2019, dans ses orientations politiques, un nouveau pacte sur la migration et l’asile. Ce pacte comporte un ensemble de réformes ambitieuses mais, à quelques mois de la fin du mandat de l’actuelle Commission européenne, il n’est toujours pas finalisé.

Pour être à la hauteur des enjeux, l’Europe et la France doivent accompagner ce pacte d’une politique plus résolue de coopération et de partenariat avec les pays d’émigration et de transit. Enfin, s’agissant de Mayotte, il est temps qu’elles démontrent en actes leur solidarité vis‑à‑vis d’une île, qui constitue région ultrapériphérique de l’Union européenne depuis 2014 et qui se trouve en première ligne des flux migratoires dans l’océan indien.

A.   Le contrÔle des frontiÈres extÉrieures : un enjeu de plus en plus politique

1.   La dévolution du contrôle des frontières aux États de première entrée

Les États dits du « MED5 » (Espagne, Italie, Chypre, Malte et Grèce) sont unanimes à pointer le fait que les autres États membres se satisfont fort bien de leur avoir, en quelque sorte, « délégué » la mission de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne (ou plus exactement de l’espace Schengen). Comme le ministère italien de l’intérieur l’a indiqué aux rapporteurs, l’effort demandé aux États membres, en termes de solidarité, est partagé à vingt‑deux mais le poids de la gestion concrète des frontières extérieures et du premier accueil des migrants, lui, n’est réparti qu’entre cinq pays. C’est pourquoi les États du « MED5 » tendent à juger quelque peu hypocrites les griefs qui leur sont adressés, par exemple en matière de respect des droits humains, par des États à qui la géographie épargne la tâche de devoir assurer eux-mêmes ce contrôle des frontières extérieures. L’Italie ne manque pas de rappeler que sa marine est depuis de longues années l’acteur principal, en termes de sauvetage en mer, dans la Méditerranée centrale.

Les rapporteurs ont pu approfondir la vision des autorités grecques lors de longs entretiens menés avec le secrétaire général de la politique d’immigration ainsi qu’avec l’état-major des garde-côtes helléniques. L’éparpillement des innombrables îles de la mer Égée rend particulièrement compliqué le contrôle d’une frontière qui est essentiellement maritime. Les associations de défense des migrants estiment que la Grèce se rend coupable de « refoulements » (pushbacks en anglais), proscrits par l’article 33 de la convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (dite « convention de Genève »), aux termes duquel : « Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ». Ce principe est repris par le droit de l’Union aux articles 18 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui stipulent : « le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » et « nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

La Grèce rejette le bien‑fondé de ces reproches. Elle se reconnaît le droit, à sa frontière maritime, de ne pas laisser les bateaux de migrants entrer dans ses eaux, sauf s’il y a risque pour la vie des personnes concernées. Les autorités helléniques jugent ce risque inexistant lorsque la côte turque n’est qu’à quelques centaines de mètres, comme c’est le cas pour de nombreuses îles, telles que Samos. Elles considèrent que le fait de ne pas laisser pénétrer un navire dans leurs eaux ne constitue pas une violation du principe de non-refoulement, l’obligation d’examiner une demande d’asile ne s’imposant que si le bateau se trouve dans les eaux grecques. La Grèce rappelle qu’elle seule est responsable de l’application des textes européens sur son sol, sous le contrôle de la Commission européenne, gardienne des traités. Les associations de défense des migrants allèguent l’existence de cas où des embarcations de migrants auraient été reconduites hors des eaux grecques par les garde-côtes helléniques, ce que les autorités grecques nient.

Il est un fait que le nombre d’arrivées dans les îles de la mer Égée a été fortement réduit, par rapport aux sommets atteints en 2015 et dans les années qui ont suivi. La politique stricte des autorités grecques y a certainement contribué. On a en effet observé qu’un certain nombre de migrants partant des côtes turques préféraient se rendre directement en Italie, plus précisément en Calabre, plutôt qu’en Grèce. Les garde-côtes helléniques ont eux‑mêmes témoigné que certains bateaux de migrants refusaient leur assistance afin de ne pas renoncer à leur volonté de gagner les côtes du Sud de l’Italie.

Les associations de défense des migrants contestent également la décision, prise conjointement en juin 2021 par le ministère grec des affaires étrangères et celui des migrations, de considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr » pour les personnes originaires de Syrie, du Bangladesh, de la Somalie, d’Afghanistan et du Pakistan. Les autorités grecques estiment en effet qu’Ankara remplit les conditions pour prendre en charge les demandeurs d’asile de ces cinq pays. Ceux-ci verront donc leur demande d’asile en Grèce rejetée, sauf s’ils peuvent établir qu’ils sont persécutés en Turquie, et non pas seulement dans leur pays d’origine. Le Conseil d’État grec a toutefois récemment renvoyé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle qui pourrait remettre en cause cette décision de voir en la Turquie un « pays tiers sûr ».

2.   Des migrations instrumentalisées par des pays voisins

Les deux dernières décennies ont vu le renforcement d’un phénomène, inédit jusqu’à présent dans son ampleur, d’instrumentalisation de la problématique des migrations par certains États. De plus en plus d’États n’hésitent pas en effet à se servir des migrations à des fins politiques, comme instruments de pression ou de déstabilisation, qui peuvent aller dans des cas extrêmes jusqu’à des visées terroristes, comme on l’a vu avec le quasi-État qu’était l’État islamique.

L’un des exemples les plus emblématiques est celui de la crise frontalière de juillet 2021 entre la Biélorussie et l’Union européenne. La première, à la suite de la réélection contestée d’‎Alexandre Loukachenko en 2020, avait été soumise par l’Union européenne à des sanctions ainsi qu’à l’interdiction d’entrée de ses avions dans l’espace aérien européen. La Biélorussie avait répliqué en encourageant la venue de réfugiés irakiens et syriens sur son sol, moyennant des visas touristiques, puis en les poussant à traverser les frontières avec la Pologne, la Lituanie ou la Lettonie. Des journalistes ont documenté la présence de soldats biélorusses aidant les migrants à échapper aux patrouilles de garde-frontières de ces pays. Ces flux ont finalement été interrompus, en particulier grâce à l’accord trouvé par l’Union européenne avec le gouvernement irakien pour suspendre les vols reliant Bagdad à Minsk et, de façon générale, grâce à une action déterminée de l’Union européenne en direction des États d’origine ou de transit.

L’arme migratoire avait également été utilisée, dans les années 2000, par Mouammar Kadhafi, comme moyen de pression sur les autorités italiennes. Elle avait largement contribué à la conclusion du vaste accord de coopération, signé en décembre 2007 entre le premier ministre Silvio Berlusconi et le chef de la Jamahiriya libyenne, incluant l’organisation de patrouilles maritimes mixtes et le rapatriement sur le sol libyen des migrants interceptés en mer. On sait que les flux, un moment taris, ont fortement redémarré à partir des années 2011 et 2012, après le renversement de Mouammar Kadhafi, avec en particulier le transit par la Libye de nombreux migrants en provenance d’Afrique subsaharienne.

À moindre échelle, les propos hostiles du président tunisien Kaïs Saïed, le 21 février 2023, à l’encontre des migrants subsahariens présents dans son pays, tiennent également de l’instrumentalisation. Ils s’éclairent dans le contexte de l’instabilité aux frontières de la Tunisie et des relations de cet État avec ses deux voisins. Un autre exemple d’instrumentalisation a été offert par le Maroc en mai 2021 lorsqu’il a délibérément laissé des migrants franchir les barrières de Ceuta et de Melilla pour protester contre l’hospitalisation en Espagne d’un militant du Front Polisario. Les rapporteurs ont, par ailleurs, déjà évoqué plus haut le refus de délivrance de laissez‑passer consulaires, exprimé par Alger en mars 2023, en réaction à l’accueil par la France sur son sol de l’opposante Amira Bouraoui.

De façon plus manifeste encore, Ankara a su jouer de la présence sur son sol d’environ quatre millions de réfugiés syriens comme d’un levier vis‑à‑vis de l’Union européenne et comme d’un atout dans le cadre du « bras de fer » qui l’oppose à la Grèce, sur fond de contentieux territorial et maritime. Il serait naïf de croire que les autorités turques sont dépourvues d’influence sur la décision de départ vers l’Europe, ou au contraire de maintien sur son sol, des réfugiés syriens, afghans ou autres. Ces réfugiés recourent à une logistique, que ce soit pour travailler et subsister dans les régions côtières avant leur départ, ou, le moment venu, pour trouver un bateau, de l’essence, des gilets de sauvetage, etc., qui de toute évidence n’échappent nullement à la vigilance des autorités et des garde-côtes turcs. Les vagues de départ en 2015 et 2016, mais aussi en 2020 et 2021, ont reçu l’assentiment tacite, sinon l’encouragement, du gouvernement d’Ankara. Comme le résume Mathieu Tardis, « les Européens confient parfois les clés de l’Europe à des pays voisins instables et pas toujours fiables. C’est le cas de la Turquie, qui brandit la carte de la menace migratoire lors de désaccords économiques ou politiques avec l’Union européenne. Ankara a su mettre à exécution sa menace en février 2020 en envoyant une dizaine de milliers de migrants à la frontière grecque ([50]). »

Cette situation constitue la toile de fond de l’accord du 18 mars 2016 conclu entre l’Union européenne et la Turquie ([51]). Particulièrement souhaité par l’Allemagne, cet accord est fondé sur un mécanisme d’ « un pour un », impliquant la réinstallation dans l’Union européenne, depuis le territoire turc, d’un Syrien en besoin de protection, avec comme contrepartie l’obligation pour la Turquie de reprendre en réadmission un Syrien en situation irrégulière. Les Syriens concernés par cette « réadmission » sont ceux qui ne demandent pas l’asile en Grèce ou ceux dont la demande d’asile est jugée infondée ou irrecevable. L’accord prévoit, en outre, le versement de 6 milliards d’euros à la Turquie pour l’aider à accueillir les réfugiés sur son sol, par le financement de projets dans les domaines de l’assistance humanitaire, de la santé, de l’éducation ou du soutien socio-économique. L’Union européenne s’engage aussi à relancer le processus d’adhésion du pays et à mettre en place une procédure de libéralisation des visas pour les ressortissants turcs. Ankara promet, de son côté, de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration ne s’ouvrent au départ de son territoire vers l’Union européenne.

Dans les faits, le bilan de cet accord est assez mitigé. L’Europe a rempli sa part de l’accord, avec le versement des financements prévus, et la réinstallation dans les États membres de 38 077 réfugiés syriens depuis le 4 avril 2016 ; un moment interrompues en raison de la pandémie de Covid‑19, les réinstallations ont repris en août 2020. En contrepartie, les chiffres des arrivées ont certes été considérablement réduits mais il est difficile de dire dans quelle mesure il convient de mettre cette réduction au crédit de l’accord. Cette diminution s’est révélée au demeurant fragile, comme la suite la montré, la possibilité de nouvelles vagues de départs demeurant suspendue au-dessus des pays européens comme une épée de Damoclès. Le nombre de migrants réadmis en Turquie est par ailleurs resté très faible, Ankara ayant multiplié les conditions et exigences pour ces réadmissions. Les opérations de renvoi des migrants en situation irrégulière des îles grecques vers la Turquie sont d’ailleurs interrompues depuis mars 2020. Il est clair enfin que toutes les mesures nécessaires n’ont pas été prises par la Turquie pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière ne s’ouvrent au départ de son territoire en direction de l’Union européenne, et notamment de Chypre. C’est pourquoi cet accord apparaît à certains, et notamment aux États de première entrée comme la Grèce et Chypre, comme un marché de dupes.

Dernier exemple, significatif s’il en est, il est évident que l’Union des Comores voit dans les flux migratoires massifs entre ses trois îles et Mayotte une arme au service de sa revendication, maintes fois réaffirmée, de souveraineté sur ce département français de l’océan indien ([52]).

Alors que dans son discours sur l’état de l’Union 2021, la présidente Ursula von der Leyen a appelé l’afflux de migrants organisé par la Biélorussie « une attaque hybride ([53]) »,  le Conseil de l’Union Européenne a adopté, sous présidence française en juin 2022, une orientation générale concernant la réforme du code frontières Schengen définissant l’instrumentalisation des migrants comme « une situation dans laquelle un pays tiers ou un acteur non étatique encourage ou facilite le déplacement de ressortissants de pays tiers vers les frontières extérieures ou vers un État membre dans le but de déstabiliser l’Union ou un État membre ([54]). » Dans son concept stratégique 2022, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) définit elle aussi comme une menace hybride l’instrumentalisation des flux migratoires appelés à prendre de plus en plus d’ampleur : « Des acteurs autoritaires s’en prennent à nos intérêts, à nos valeurs et à nos démocraties (…) Le climat d’instabilité se traduit par des violences contre les civils  notamment des violences sexuelles liées aux conflits  ainsi que par des dommages aux biens culturels et à l’environnement. Il donne lieu à des déplacements forcés qui alimentent la traite des êtres humains et la migration irrégulière. Ces phénomènes sont source de défis humanitaires majeurs, de portée transnationale. Ils mettent à mal la sécurité humaine et celle des États, et ils touchent de manière disproportionnée les femmes, les enfants et les minorités ([55]). » 

Cette dimension politico‑stratégique croissante des migrations est encore trop sous-estimée par les autorités françaises et européennes. Ceci les conduit à pécher par une certaine naïveté, comme cela se voit dans la tendance à « sanctuariser » les questions d’immigration sans vouloir les aborder conjointement, par exemple, avec les questions politiques ou celles d’aide au développement. Les migrants sont souvent les premières victimes de cette naïveté. Les rapporteurs invitent donc à une prise de conscience quant à la dimension politico‑stratégique, voire de défense, impliquée de manière croissante dans les problématiques migratoires.

Proposition des rapporteurs : Intégrer dans la politique française et européenne la dimension politico-stratégique, voire de défense, présente de manière croissante dans les problématiques migratoires.

3.   Frontex : un rôle en mutation

L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex a connu une très forte croissance au cours des dernières années, à la suite des révisions de son règlement, intervenues en 2016 et en 2019. Le règlement de 2019 ([56]) lui confie un mandat élargi et lui permet de passer d’un rôle réactif à un rôle davantage proactif. Elle peut désormais opérer des déploiements à long terme là où, jusqu’alors, elle réagissait surtout aux situations d’urgence. Son mandat a été étendu à toutes les dimensions du retour, qu’il s’agisse du retour volontaire, du retour forcé, de l’identification, de la réadmission, de l’affrètement des vols ou de la mise à disposition d’escortes. Son mandat inclut enfin le domaine de la coopération internationale, avec une mission de renforcement capacitaire des pays tiers, par la formation de garde-frontières notamment.

Afin de répondre à son nouveau mandat, l’agence s’est vue vu doter d’un budget et d’effectifs importants, dont la hausse est programmée jusqu’à 2027 en vue d’atteindre à cette échéance 10 000 agents opérationnels. Le budget pour la période 2021-2027 s’élève à 5,6 milliards d’euros. Frontex est désormais l’agence la plus importante de l’Union européenne.

Les rapporteurs soulignent néanmoins que le renforcement de la gouvernance de l’agence n’a pas suivi au même rythme l’évolution de ses missions et de ses moyens. Certaines procédures de recrutement se sont révélées ainsi excessivement longues : les trois directeurs exécutifs‑adjoints n’ont été nommés qu’en octobre 2021, le recrutement des 45 contrôleurs des droits fondamentaux prévu pour décembre 2020 ne s’est achevé qu’en décembre 2022 et l’adjoint à l’officier aux droits fondamentaux n’a été nommé qu’en janvier 2022.

La période de la crise sanitaire avait eu pour effet, pendant deux ans, de freiner l’activité de l’agence. La finalisation des procédures de recrutement précitées, et l’arrivée du nouveau directeur exécutif, le Néerlandais Hans Leijtens, devraient permettre à Frontex de mettre plus efficacement en œuvre son mandat en 2023, dans le contexte de pression migratoire aux frontières extérieures de l’Union européenne qui a été décrit plus haut. Les rapporteurs ont noté le développement, d’ores et déjà, de l’activité de soutien aux opérations de retour mais aussi de la coopération avec les pays tiers. Ainsi, un accord est en cours de négociation entre Frontex et le Sénégal, d’une part, la Mauritanie, d’autre part, en vertu d’une autorisation donnée par le Conseil en juillet 2022. Frontex avait déjà conclu, sous l’empire du mandat précédent, des accords de coopération en matière de gestion des frontières avec, par exemple, l’Albanie (en 2019), le Monténégro (en 2020) et la Serbie (en 2020). Le règlement de 2019 permet désormais à Frontex de prêter assistance à des pays dans des régions non limitrophes de l’Union européenne. Il permet également au personnel de Frontex d’exercer des pouvoirs d’exécution, comme les vérifications aux frontières et l’enregistrement des personnes. Un accord avec la Moldavie, déjà régi par les nouvelles règles, est entré en vigueur le 1er novembre 2022.

Les rapporteurs encouragent à la multiplication de ce type d’accords impliquant Frontex, qui doivent permettre de traiter les problèmes en amont, avec les pays d’origine comme avec les pays de transit, dans une optique de prévention des flux irréguliers.

Proposition des rapporteurs : Faire de l’action internationale et de la coopération avec les pays tiers, y compris ceux non limitrophes de l’Union européenne, des priorités de l’agence Frontex.

Il est clair que ces accords, dits « de statut », avec les pays tiers, ne sont pas toujours aisés à négocier. Le fait de voir une agence européenne intervenir sur leur sol est parfois de nature, dans ces États, à susciter des réticences pour des motifs de souveraineté ou d’acceptabilité par la population.

Il importe également, afin que l’agence exerce pleinement son nouveau mandat, en particulier sur le plan de la coopération internationale, que les États membres de l’Union européenne, au premier rang desquels la France, lui apportent un soutien efficace, notamment pour la constitution du corps permanent de garde-frontières et de garde‑côtes. Ce sont en effet les États qui mettent à disposition des agents pour les catégories 2 et 3 de Frontex (seule la catégorie 1 étant constituée de personnels proprement Frontex). Ceci suppose que des conditions d’attractivité suffisantes soient proposées à ces agents, par les États comme par l’agence elle‑même.

Proposition des rapporteurs : Améliorer le soutien des États membres de l’Union européenne, en particulier de la France, à l’activité de Frontex, notamment pour la constitution du corps permanent de garde-frontières et de gardecôtes.

B.   le nouveau pacte migratoire : une rÉforme europÉenne encore inaboutie

Pour tenter de remédier aux difficultés révélées par la crise des réfugiés de 2015, la Commission européenne a proposé en 2016 un certain nombre de textes législatifs visant à réformer le régime d’asile européen commun. Les négociations ont toutefois buté très rapidement sur la question de la solidarité entre les États membres. Ceux‑ci, confrontés à leurs désaccords, ont mis fin aux discussions en juin 2018.

La nouvelle Commission européenne mise en place en 2019 a décidé de reprendre le flambeau et de poursuivre dans la voie d’une réforme législative d’ampleur. La recherche d’un consensus entre les États de premier accueil (Italie, Grèce, Chypre, Malte et Espagne), les pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie) et les États destinataires des mouvements secondaires (France, Allemagne, Pays-Bas) représente néanmoins un défi dont on se demande s’il est atteignable.

1.   La proposition de la Commission européenne

La Commission européenne a présenté, le 23 septembre 2020, un « pacte sur l’asile et la migration » qui comprend une déclaration politique et se décline en une série de propositions législatives. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen a présenté ce pacte comme « un nouveau départ » permettant de dépasser les oppositions entre États membres et de poser les bases d’un meilleur équilibre entre solidarité et responsabilité. Ce pacte vise à modifier un certain nombre de directives et règlements en vigueur et à les compléter par de nouveaux textes. Les quatre principales propositions concernent la réforme du règlement Dublin, le filtrage à la frontière, l’asile à la frontière ainsi que le règlement visant à faire face aux situations de crise et de force majeure.

a.   La réforme du règlement Dublin

La Commission européenne a émis, en vue de réformer le système de Dublin, une proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration (GAM) ([57]). Elle vise à mieux organiser la répartition de la charge de l’accueil et de l’asile dans l’ensemble de l’Union, laquelle pèse aujourd’hui essentiellement sur l’Italie, la France, l’Allemagne ou encore l’Autriche. En mettant en avant la recherche d’un équilibre entre « responsabilité » de l’examen de la demande d’asile et « solidarité », la Commission s’efforce de concilier trois attentes différentes.

Les États de première entrée réclament un partage du fardeau que représentent pour eux l’accueil et l’examen des demandes d’asile de la masse des arrivants. Ils sont en effet, du fait de leur position géographique, en première ligne pour prendre en charge les arrivées irrégulières sur leurs côtes. Les autorités italiennes ont fait part aux rapporteurs, lors de leur déplacement à Rome, de leur souhait d’obtenir une révision des critères de Dublin sur la responsabilité en matière d’examen de demande d’asile, faute de quoi il n’y aurait, selon elles, ni accord, ni solution. Des critères comme l’intérêt de l’enfant, la présence de membres de famille dans un État ou le pays de délivrance d’un titre de séjour ou d’un visa pourraient ainsi être privilégiés par rapport au critère du pays de première entrée, retenu par le règlement Dublin actuellement en vigueur.

Les États destinataires des mouvements secondaires, principalement la France et l’Allemagne, attendent, quant à eux, des États de première entrée, plus de rigueur dans l’enregistrement des arrivées, et souhaitent qu’il soit tenu compte de la pression à laquelle leurs propres dispositifs d’accueil sont déjà soumis. On sait, par exemple, qu’un tiers des demandes reçues par l’OFPRA sont issues de personnes relevant du règlement Dublin.

Enfin, les États d’Europe centrale et orientale, tels que la Hongrie, la Pologne ou encore la République tchèque, rejettent toute idée de quotas obligatoires de répartition des migrants. Ce sont avant tout ces quotas de relocalisation, promus par l’Allemagne en 2016, qui avaient échoué et entraîné à l’époque le blocage des tentatives de réforme du régime européen d’asile. Les États concernés veulent être autorisés à ne pas contribuer à la répartition des demandeurs d’asile en Europe. Sans concessions envers ces pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), il paraît difficile de parvenir à un consensus. La piste envisagée consiste à prévoir pour eux la possibilité de s’engager par des mesures alternatives de solidarité ou par des compensations volontaires. Au demeurant, les migrants, dans leur immense majorité, ne souhaitent pas de rendre dans les pays concernés. Comme le résume Didier Leschi, directeur général de l’OFFI, « depuis très longtemps, on a une dizaine de pays où se concentre la demande d’asile par rapport à l’ensemble de l’UE, pour des raisons culturelles et historiques. Les pays de l’Est de l’Europe voient peu de personnes venant du Sud du monde ([58]). »

b.   Le filtrage aux frontières extérieures

La Commission européenne a présenté ensuite une proposition de règlement « établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures » ([59]). Son champ est large. Elle a pour premier objet un contrôle de sécurité : il s’agit de s’assurer que la personne concernée n’est pas inscrite ou connue pour des problèmes de dangerosité ou de terrorisme ([60]). Elle vise ensuite à identifier la personne, avec notamment la consultation de la base Eurodac pour vérifier que l’individu concerné n’a pas déjà déposé une demande d’asile ailleurs. Elle a enfin une finalité sanitaire en vue de détecter, par un examen minimal, si la personne n’est pas porteuse d’une maladie transmissible grave.

Le filtrage pourrait être effectué soit sur le territoire de l’État membre, soit à proximité de celui‑ci, dans un délai ne dépassant pas cinq jours. Il concernerait tous les migrants se présentant irrégulièrement aux frontières extérieures, soit trois catégories de ressortissants de pays tiers : ceux qui sont appréhendés lors du franchissement irrégulier d’une frontière extérieure, ceux qui ont déposé une demande d’asile dans un point de passage frontalier sans remplir les conditions d’entrée et ceux débarqués après une opération de sauvetage. Le filtrage pourrait s’appliquer, en outre, à toute personne trouvée en situation irrégulière sur le territoire de l’Union européenne et dont il est manifeste qu’elle vient d’entrer irrégulièrement par une frontière extérieure.

Cette procédure est destinée à permettre l’identification et l’orientation rapides des migrants vers la procédure adéquate : retour, asile à la frontière, relocalisation, etc. Les rapporteurs soulignent la contribution importante que ce texte pourrait apporter au contrôle des flux de migrants entrant dans l’Union européenne ainsi qu’à la maîtrise des mouvements secondaires. Ce dispositif de filtrage est au cœur du nouveau pacte migratoire mais se veut aussi un élément majeur de l’effort de réforme du système Schengen. La capacité à assurer la pérennité d’un système de libre circulation à l’intérieur de l’espace européen est en effet liée à l’aptitude à contrôler efficacement les frontières extérieures.

c.   L’asile à la frontière

La Commission européenne a présenté, en matière d’asile à la frontière, un projet de règlement « instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union » ([61]).

La procédure d’asile à la frontière est familière au droit français ([62]). Elle repose sur la fiction juridique de la non-entrée : la personne se trouve physiquement sur le territoire d’un État mais on considère que, d’un point de vue juridique, elle n’y est pas entrée. Ceci emporte des conséquences juridiques importantes puisqu’on peut appliquer à l’intéressé une procédure de refus d’entrée, et non pas une procédure d’éloignement, beaucoup plus lourde.

Telle qu’elle est prévue par la proposition de règlement ([63]), la procédure d’asile à la frontière interviendrait postérieurement au filtrage. Elle s’appliquerait obligatoirement aux personnes dont la nationalité se caractérise par un faible taux d’octroi de la protection (inférieur à 20 %), comme les Tunisiens ou les Marocains, et de manière facultative aux autres. Elle ne serait toutefois pas applicable à certaines personnes, comme les mineurs non accompagnés par exemple, lesquels suivraient la procédure d’asile ordinaire.

Dans ce cadre, la demande d’asile à la frontière ferait l’objet d’une procédure d’examen accélérée, sans doute d’une durée maximale de douze semaines, recours compris. En cas de rejet de la demande d’asile présentée, la procédure de retour serait immédiatement mise en œuvre. Pendant le temps nécessaire à la procédure, les personnes concernées seraient retenues dans des infrastructures de rétention, assimilables à des « hotspots ». Ces centres seraient considérés juridiquement comme extérieurs au territoire de l’Union, afin de maintenir la fiction d’une absence d’entrée sur le sol européen.

d.   Les autres textes

La Commission européenne a émis une proposition de règlement sur la gestion des situations de crises et de force majeure devant permettre de répondre à des situations imprévisibles et d’urgence par le biais d’aménagements procéduraux et de réponses solidaires ([64]).

La Commission a repris par ailleurs sa proposition de 2016 tendant à refondre la directive « Qualification » relative aux conditions que doivent remplir les demandeurs d’asile. Elle vise à fixer des critères communs pour l’acceptation des demandes d’asile individuelles.

La Commission européenne a aussi renouvelé sa proposition de 2016 visant à refondre la directive « Accueil » qui fixe le cadre juridique des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs d’asile. Le but est d’harmoniser davantage les règles et d’améliorer globalement les conditions d’accueil, notamment en termes de scolarisation des enfants et d’accès au marché du travail. Celui‑ci pourrait ainsi intervenir six mois après le dépôt de la demande d’asile. Les conditions d’accueil ne seraient assurées que dans l’État membre responsable, afin de ne pas encourager les mouvements secondaires.

Enfin, une proposition de règlement Eurodac ([65]) a pour ambition de réformer complètement cette base de données très importante. Sa réforme vise, en résumé, à passer d’un système qui recense les demandes d’asile à un système qui recenserait les demandeurs eux‑mêmes. La nouvelle base Eurodac permettrait ainsi un suivi individualisé de chaque parcours dans sa continuité. Elle aiderait les autorités publiques à prendre les décisions individuelles requises, notamment en termes d’application des règles du droit au séjour.

2.   Des négociations à l’issue incertaine

a.   L’accord sur une approche graduelle et les avancées de 2022

Après de longs mois de discussions peu conclusives, les présidences française et tchèque du Conseil de l’Union européenne ont permis des avancées incontestables.

La présidence française de l’Union européenne, au premier semestre 2022, a obtenu un accord sur une approche dite « graduelle » des négociations relatives au pacte sur la migration et l’asile, mettant ainsi fin à plusieurs années de blocage au Conseil. Elle a pu ainsi obtenir un accord au Conseil sur deux des textes du pacte : le règlement « Filtrage » (contrôles d’identité, de sécurité et de santé aux frontières extérieures) et le règlement « Eurodac ». Pour obtenir cet accord sur ces deux textes qui relèvent essentiellement du domaine de la responsabilité (imposant donc des contraintes aux États de première entrée), la présidence française a obtenu en parallèle l’adoption d’une déclaration politique sur la solidarité, prévoyant des relocalisations au profit des États de premier accueil, en particulier dans les cas de débarquements maritimes faisant suite à une opération de secours en mer.

De son côté, la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne a obtenu, au second semestre 2022, des mandats de négociation avec le Parlement européen sur les règlements « Qualification » et « Réinstallation » et sur la directive « Accueil », en échange de l’ouverture de trilogues ([66]) sur « Eurodac » et « Filtrage ». La présidence tchèque a donc maintenu la dynamique engagée par la présidence française. À la fin de l’année 2022, le Conseil a validé des accords sur la révision de la directive « Accueil », du nouveau règlement « Qualification », du règlement relatif aux réinstallations (c’est‑à‑dire à l’accueil au titre de l’asile de personnes qui viennent directement de certains pays tiers), et puis aussi, en partie, sur le règlement « Procédure » qui détaille les procédures d’examen des demandes d’asile.

b.   La quasi-absence à ce stade de textes définitivement adoptés

Des progrès ont donc incontestablement été enregistrés au cours de l’année 2022, et il convient de les mettre, au moins en partie, au crédit de l’approche graduelle que la présidence française a su faire accepter aux autres États membres. Il n’en reste pas moins que, alors que les négociations s’étaient ouvertes dès la fin de l’année 2020, un seul texte, à ce jour, a été définitivement adopté. Il s’agit du règlement relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EUAA) ([67]).

Aucun autre texte n’a encore été adopté. La présidence suédoise, au premier semestre 2023, a repris les négociations et mène en parallèle les trilogues sur le règlement « Eurodac » avec le Parlement européen et les négociations au Conseil sur les dernières dispositions du règlement « Procédure » et sur le règlement relatif à la gestion de l’asile et des migrations (GAM). La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen a adopté, le 28 mars 2023, des mandats de négociation sur quatre textes : le règlement « Filtrage », le règlement GAM, le règlement « Procédure » et le règlement sur les situations de crise. Si les règlements « Qualification » et « Réinstallation », ainsi que la directive « Accueil », semblent quasiment stabilisés, leur adoption formelle par le Conseil et le Parlement européen n’est pas encore intervenue. Des discussions se poursuivent en vue de trouver un équilibre entre le caractère obligatoire de la procédure d’asile à la frontière, le fonctionnement du mécanisme de solidarité et la réforme des règles du système de Dublin. Les réunions se poursuivent aussi concernant les règles relatives à la procédure d’asile à la frontière.

À dix mois des élections européennes de 2024 et de la fin du mandat de l’actuelle Commission, il y a urgence à résoudre les désaccords subsistants au Conseil et à engager, ou à poursuivre, les trilogues sur les différents textes. Les prochaines semaines seront déterminantes, avec notamment le rendez-vous majeur que constituera la réunion du Conseil « justice et affaires intérieures » (JAI) des 8 et 9 juin 2023. L’aboutissement des négociations sur le pacte sera un enjeu crucial du prochain scrutin européen.

Un échec des négociations, à quelques mois de la fin du mandat de la Commission et du Parlement, enverrait un très mauvais signal aux populations européennes comme aux pays tiers. Les rapporteurs appellent à ce que la France pèse de tout son poids pour le succès de ces négociations, sans céder sur ses deux objectifs majeurs : la mise en place de procédures de contrôle substantielles aux frontières extérieures et la lutte, par le biais d’une répartition plus efficace des responsabilités, contre les mouvements secondaires au sein de l’Union européenne.

Proposition des rapporteurs : Mettre tout le poids de la France pour faire aboutir le pacte européen sur la migration et l’asile avant les élections européennes de 2024, sans céder sur ses deux objectifs majeurs : la mise en place de procédures de contrôle substantielles aux frontières extérieures et la lutte, par le biais d’une répartition plus efficace des responsabilités, contre les mouvements secondaires au sein de l’Union européenne.

Les semaines qui viennent diront si l’espoir d’arriver à un accord était réaliste et, si accord il y a, si les États sont parvenus à un paquet législatif et réglementaire ambitieux ou se sont contentés de textes a minima. L’avenir dévoilera aussi si les dispositifs adoptés sont suffisamment opérationnels pour être efficaces, ou bien si au contraire leur complexité tend à les paralyser.

C.   Renforcer les partenariats avec les pays d’Émigration et de transit

1.   Une coopération efficace avec les États tiers

La coopération avec les États de départ et de transit a fait la preuve de son efficacité. C’est en particulier le cas lorsqu’elle s’effectue sur une base bilatérale. Rappelons en effet que, aux termes de l’article 79 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la compétence en matière de politique migratoire est partagée entre l’Union européenne et les États membres. Les accords bilatéraux constituent souvent des instruments plus souples et plus faciles à négocier que des accords multilatéraux. Les rapporteurs ont déjà cité les exemples des accords conclus entre l’Italie et la Tunisie, entre l’Italie et la Libye, entre l’Espagne et le Maroc, entre l’Espagne et le Sénégal, entre l’Autriche et le Maroc, etc. Dans d’autres cas, une réponse européenne globale paraîtra plus adaptée, compte tenu de l’effet de levier obtenu grâce au poids des vingt-sept États membres.

Cette coopération peut prendre la forme d’accords d’accords-cadres pour la gestion des flux migratoires et la lutte contre l’immigration irrégulière, d’accords relatifs à la surveillance des frontières ou encore, par exemple, d’accords de réadmission, lesquels peuvent être conclus tant par l’Union européenne que par les États membres. La France a ainsi conclu des accords de gestion concertée des flux migratoires avec le Sénégal, le Gabon, le Bénin, la Tunisie, le Cap Vert ou encore le Burkina Faso.

L’Union européenne, pour sa part, a conclu des accords de réadmission avec des États tels que l’Albanie, la Macédoine du Nord, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Moldavie, le Monténégro, le Pakistan, la Russie, la Serbie, le Sri Lanka, etc. Par ailleurs, il est prévu que l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI ([68])), entré en vigueur au 1er janvier 2021 et doté de 79,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027, consacre 10 % de ses financements à la gestion des migrations ainsi qu’à la prévention des causes profondes de la migration irrégulière ([69]).

2.   Des partenariats globaux à privilégier

L’approche partenariale ne doit pas se limiter à des accords de nature strictement migratoire. Elle doit inclure la négociation d’accords plus globaux susceptibles d’englober des aspects aussi divers que l’aide publique au développement, le soutien financier ou la délivrance des visas, du côté des États européens, et la prévention des départs, la surveillance des eaux territoriales et le rapatriement des migrants interceptés, la réadmission et la délivrance des laissez-passer consulaires, du côté des États de départ et de transit. La conditionnalité de l’aide publique au développement, en particulier, ne doit plus être un sujet-tabou.

Les rapporteurs ont montré que les problématiques migratoires étaient de plus en plus instrumentalisées par certains États et que, plus généralement, la gestion des frontières devenait chaque jour davantage un enjeu politique et stratégique. C’est pourquoi il est vain de se cantonner à une vision étroitement technique et uniquement juridique des questions d’immigration. Il faut les aborder au contraire sous tous leurs aspects, dans le cadre d’un dialogue politique constructif avec les États d’émigration et de transit.

Le recours aux accords de coopération internationale peut aller jusqu’à l’envoi, un moment envisagé par le Danemark avant d’être suspendu en janvier 2023, d’envoyer les demandeurs d’asiles dans des centres d’accueil et d’examen situés dans un pays tiers – possiblement le Rwanda – pour la durée de la procédure de demande d’asile, voire, postérieurement, une fois le statut de réfugié obtenu ([70]). Quoi qu’il en soit des débats que ce projet a suscités, il convient de rappeler que la coopération internationale en matière migratoire doit impliquer, tant au stade de la négociation que de la mise en œuvre des accords, une vigilance quant au respect des droits humains, tant il est vrai, comme l’écrit Matthieu Tardis, qu’ « en transférant à des pays tiers la responsabilité de la gestion des flux migratoires, les pays européens transfèrent également leur responsabilité au regard de la protection des droits de l’homme ([71]) ».

Proposition des rapporteurs : Développer avec les pays d’origine ou de transit, notamment par le biais d’accords bilatéraux, la coopération en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

D.   un impÉratif : DÉmontrer en actes la solidaritÉ de la France et de l’Europe envers mayotte

1.   Défendre l’autorité de l’État et la solidarité républicaine avec Mayotte

L’Union des Comores ne démontre aujourd’hui aucune véritable volonté de coopérer à une vraie réduction des flux migratoires. Le démantèlement d’une filière particulièrement active, en février 2023, a montré que les organisateurs profitaient de la complicité ou de la corruption des membres des forces de sécurité comoriennes, en particulier du personnel affecté aux radars de surveillance et des garde‑côtes, ainsi que de l’absence de coopération policière puisque les organisateurs identifiés aux Comores n’ont pas été inquiétés.

C’est à un véritable rétablissement de l’autorité de l’État qu’il faut procéder. La première voie, pour cela, est de faire respecter la frontière maritime entre la France et l’Union des Comores, en consacrant les moyens nécessaires à empêcher la pénétration de bateaux étrangers dans les eaux françaises, sans préjudice bien sûr du respect du droit de la mer et du secours aux navires en danger de naufrage. Cette politique ne serait en aucun cas constitutive de « refoulements », ne serait-ce que parce que les migrants comoriens sont des migrants économiques et pas des réfugiés, d’une part, et qu’il n’existe pas de droit à pénétrer dans les eaux territoriales d’un État, d’autre part.

Proposition des rapporteurs : Faire respecter la frontière maritime entre la France et l’Union des Comores, le cas échéant en déployant un patrouilleur de la Marine nationale.

La seconde direction que doit emprunter l’action publique, c’est une action diplomatique très ferme envers l’Union des Comores. Comme cela a été développé plus haut, les migrations et la gestion des frontières constituent de manière croissante, dans le contexte géopolitique actuel, un enjeu stratégique, voire de défense. Il est par conséquent urgent de sortir de la naïveté et de la faiblesse face à des États qui instrumentalisent les migrations. La question du maintien de l’aide publique française au développement en direction de l’Union des Comores doit être posée tant que celle‑ci n’aura pas prouvé dans les faits sa capacité à surveiller ses côtes et à prévenir les départs.

Proposition des rapporteurs : Poser la question du maintien de l’aide publique française au développement au profit de l’Union des Comores, faute pour celleci de démontrer concrètement sa capacité à surveiller ses côtes et à prévenir les départs.

Enfin, il faut prendre acte désormais de l’état de surpopulation de l’île et de l’insuffisance de ses ressources. Mayotte n’a pas les ressources en eau, en forêt, en électricité, en emploi, en services publics, etc. pour faire face à ses perspectives démographiques. Elle ne paye que trop aujourd’hui des décennies d’indécision qui ont laissé s’aggraver les problèmes. Il est temps désormais de suivre l’exemple de l’Italie qui n’a pas abandonné à son sort l’île de Lampedusa, pas plus que la Grèce n’a abandonné Samos et les autres îles de l’Est de la mer Égée. Les contraintes insulaires dans l’un et l’autre cas sont les mêmes.

Le choix d’une solidarité et d’une égalité républicaines sans faille à l’égard de Mayotte implique donc aujourd’hui de répartir une partie du poids démographique de l’immigration comorienne dans le reste du territoire français, et en particulier dans l’hexagone. On ne voit pas pourquoi la logique mise en œuvre par le Gouvernement dans l’hexagone, tendant à orienter les demandeurs d’asile vers la province pour désengorger l’Ile-de-France ([72]), ne trouverait pas à s’appliquer à Mayotte. Ceci passe notamment par la fin du visa « territorialisé » qui ne permet pas actuellement à un ressortissant comorien de quitter l’île de Mayotte.

Proposition des rapporteurs : Répartir une partie du poids démographique de l’immigration comorienne à Mayotte dans le reste du territoire français.

2.   Donner sa pleine portée au statut de région ultrapériphérique de l’Union européenne de Mayotte

Le 1er janvier 2014, Mayotte a acquis le statut de « région ultrapériphérique de l’Union européenne ». La frontière maritime entre la France et l’Union des Comores constitue donc désormais également une frontière extérieure de l’Union européenne. Ajoutons que, à l’heure où l’on assiste à un basculement de la puissance vers la zone indopacifique ([73]), Mayotte constitue pour l’Europe comme pour la France un point d’ancrage irremplaçable.

Le caractère européen de Mayotte impose à l’Union européenne des devoirs. Les rapporteurs ont été surpris, lors de leurs auditions des institutions européennes, de la grande méconnaissance par celles‑ci des enjeux de l’outre‑mer français, et en particulier de Mayotte. Cette dernière constitue, comme Lampedusa, Chypre ou les îles de la mer Égée, une région de première entrée des flux migratoires. L’Union européenne doit par conséquent s’investir beaucoup plus fortement qu’elle ne fait, notamment par le biais de ses agences, au soutien de Mayotte, comme elle l’a fait par exemple au soutien de Samos et des États de première entrée en général. Les fonds européens, notamment le Fonds Asile Migration Intégration (FAMI), doté d’un budget de 9,8 milliards d’euros pour la période 2021-2027, doivent être mobilisés pleinement.

Le soutien de l’Union européenne doit passer également par un engagement de Frontex. Certes, Mayotte ne fait pas partie de l’espace Schengen, pas plus que La Réunion. Mais Frontex a dans ses missions un rôle d’appui et de soutien opérationnel qui n’est nullement limité dans son champ géographique. L’Union européenne offre d’ailleurs à des États tiers, extérieurs par définition à l’espace Schengen, l’appui de Frontex. Ainsi, en déplacement à Dakar le 11 février 2022, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, a proposé de déployer l’agence Frontex au Sénégal pour aider à lutter contre le trafic de migrants. Elle a précisé que l’Union européenne pourrait envoyer des équipements de surveillance, tels que des drones et des navires, ainsi que du personnel de Frontex. Déployés aux côtés des forces de sécurité locales, les agents, selon Ylva Johansson, « travailleraient ensemble pour lutter contre les passeurs ». Il serait paradoxal que Frontex soit déployé aux frontières sénégalaises ou mauritaniennes, et ne puisse pas être déployé ou apporter son appui à Mayotte.

Proposition des rapporteurs : Solliciter de l’Union européenne un soutien renforcé pour Mayotte, par le biais des fonds européens, notamment le Fonds Asile Migration Intégration (FAMI). Associer l’agence Frontex à la gestion de la crise migratoire à Mayotte et à la protection de la frontière maritime.

 

 


  1  

 

   liste des recommandations

 

À L’ÉCHELLE DE LA FRANCE ET DE L’UNION EUROPÉENNE

1)                   Maintenir la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen.

2)                   Intégrer dans la politique française et européenne la dimension politico‑stratégique, voire de défense, présente de manière croissante dans les problématiques migratoires.

3)                   Faire de l’action internationale et de la coopération avec les pays tiers, y compris ceux non limitrophes de l’Union européenne, des priorités de l’agence Frontex.

4)                   Améliorer le soutien des États membres de l’Union européenne, en particulier de la France, à l’activité de Frontex, notamment pour la constitution du corps permanent de garde-frontières et de garde côtes.

5)                   Mettre tout le poids de la France pour faire aboutir le pacte européen sur migration et l’asile avant les élections européennes de 2024, sans céder sur ses deux objectifs majeurs : la mise en place de procédures de contrôle substantielles aux frontières extérieures et la lutte, par le biais d’une répartition plus efficace des responsabilités, contre les mouvements secondaires au sein de l’Union européenne.

6)                   Développer avec les pays d’origine ou de transit, notamment par le biais d’accords bilatéraux, la coopération en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

 

CONCERNANT SPÉCIFIQUEMENT MAYOTTE

7)                   Mettre en œuvre, dès que possible, un recensement complet du nombre d’habitants à Mayotte.

8)                   Appliquer à Mayotte la circulaire dite « Taubira » du 31 mai 2013 qui prévoit la prise en charge sur l’ensemble du territoire national des mineurs étrangers isolés.

9)                   Instaurer l’aide médicale d’État (AME) à Mayotte.

 

10)              Mettre fin à la carte de séjour « territorialisée » à Mayotte et au visa « territorialisé » à Mayotte.

11)              Maintenir et renforcer les moyens de détection et d’interception des flux migratoires vers Mayotte.

12)              Faire respecter la frontière maritime entre la France et l’Union des Comores, le cas échéant en déployant un patrouilleur de la Marine nationale.

13)              Poser la question du maintien de l’aide publique française au développement au profit de l’Union des Comores, faute pour celle‑ci de démontrer concrètement sa capacité à surveiller ses côtes et à prévenir les départs.

14)              Répartir une partie du poids démographique de l’immigration comorienne à Mayotte dans le reste du territoire français.

15)              Solliciter de l’Union européenne un soutien renforcé pour Mayotte, par le biais des fonds européens, notamment le Fonds Asile Migration Intégration (FAMI). Associer l’agence Frontex à la gestion de la crise migratoire à Mayotte et à la protection de la frontière maritime.

 


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   examen en commission

 

Au cours de sa séance du mercredi 31 mai 2023, la commission examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/LnPqHL

 

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur les enjeux migratoires aux frontières Sud de l’Union européenne et dans l’océan indien en vue de sa publication.

 

 


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   annexe : liste des personnes auditionnÉes
par les rapporteurs

 

Auditions menées dans le cadre du déplacement à Mayotte (2 au 4 mars 2023)

 

Auditions menées dans le cadre du déplacement en Grèce (30-31 mars 2023)

 

Auditions menées dans le cadre du déplacement en Italie (10-12 mai 2023)

 

 


([1]) Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

([2])  Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, déposé sur le Bureau du Sénat le 1er février 2023 (n° 304).,

([3]) Ce chiffre est légèrement inférieur à celui des GUDA puisqu’il n’inclut pas les demandes des personnes soumises à l’application du règlement Dublin.

([4]) En particulier l’Allemagne.

([5]) Cf. infra.

([6]) Le rapport du ministère de l’intérieur au Parlement, établi en application de l’article L.123-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, offre chaque année un état des lieux précis de la situation des étrangers en France, et notamment de la pression migratoire aux frontières métropolitaines et de la distribution des flux par route. Les données sur les flux migratoires présentées sont collectées auprès d’Eurostat, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du ministère de l’intérieur.

([7]) Référé de la Cour des comptes sur l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile, 20 octobre 2015, p. 8.

([8]) Hors Mayotte.

([9]) M. François-Noël Buffet, rapport d’information sur la question migratoire, 10 mai 2022, n° 626, p. 92.

([10]) Les accords de réadmission ont pour objectif de faciliter la réadmission dans leur pays des personnes en séjour irrégulier dans un des États membres.

([11]) On ne traitera donc pas ici du cas de la Pologne, qui a constitué en 2022 la première porte d’entrée dans l’Union européenne si l’on tient compte des déplacés ukrainiens. On évalue à dix millions les franchissements de frontières en 2022 entre l’Ukraine et la Pologne, en incluant les allers et retours.

([12]) Cf. communiqué commun du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et de ses homologues autrichien, belge, danois, allemand, néerlandais et suisse du 8 mars 2023.

([13]) Pour mémoire, le navire norvégien Ocean Viking, affrété par l’organisation non‑gouvernementale SOS Méditerranée et transportant 234 migrants bangladais, érythréens, syriens, égyptiens, pakistanais, maliens, soudanais et guinéens, avait été accueilli au port de Toulon en novembre 2022, à la suite du refus de Rome de le laisser accoster dans un port italien.

([14]) La Garde des finances (en italien « Guardia di Finanza » ou GDF) est la police douanière et financière italienne. C’est un corps qui fait partie des forces armées italiennes mais qui dépend du ministère de l’économie et des finances.

([15]) Concentré sur les mois de mai à octobre, le tourisme constitue, avec la pêche, l’unique source de revenus des habitants de Lampedusa.

([16])  Cf. 20 mai 2023 : Italie : Giorgia Meloni presse le FMI de débloquer une aide à la Tunisie, https://afrique.tv5monde.com/information/italie-giorgia-meloni-presse-le-fmi-de-debloquer-une-aide-la-tunisie

([17]https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/migrants-on-a-une-augmentation-des-tentatives-de-passage-a-travers-les-alpes-explique-l-office-francais-de-l-immigration-et-de-l-integration_5808536.html

([18]) La Grèce construit actuellement à Lesbos un centre qui sera plus vaste encore que celui de Samos.

([19]) Cf. accords italo-libyens de 2008, 2017 et 2020.

([20]) Cf. infra.

([21]) Matthieu Tardis, Vie publique, 9 février 2022, La politique d’immigration de l’Union européenne en crise.

([22]) Cf. Les Échos, 13 janvier 2023, Chômage, inflation, dette : le FMI redoute une année marquée par des tensions sociales : https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/chomage-inflation-dette-le-fmi-redoute-une-annee-marquee-par-des-tensions-sociales-1896827

([23]) https://spiral.imperial.ac.uk/handle/10044/1/103482

([24]) Cf. https://news.un.org/fr/story/2023/05/1134742 et https://public.wmo.int/fr/medias/communiqu%C3%A9s-de-presse/bulletin-de-l%E2%80%99omm-pr%C3%A9parons-nous-%C3%A0-el-ni%C3%B1o

([25]) La relation entre Mayotte et la France commence en 1841 lorsque le sultan Andriantsouli cède la première à la seconde. Madagascar, par exemple, ne deviendra française qu’en 1896.

([26]) Thomas M’Saïdié, Revue française de droit administratif, Mayotte, collectivité territoriale de la République française face à l’Union des Comores : quelles relations ?, novembre-décembre 2020, p. 1066.

([27]) Inspection générale de la justice, inspection générale de l’administration, inspection générale des affaires sociales, inspection générale des affaires étrangères, inspection générale des finances, inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.

([28]) Mission inter-inspections, Évaluation de la prise en charge des mineurs à Mayotte, Rapport définitif, janvier 2022, p. 3.

([29]) Ordonnance n° 2012-785 du 31 mai 2012 portant extension et adaptation du code de l’action sociale et des familles au Département de Mayotte.

([30]https://imazpress.com/courrier-des-lecteurs/la-defense-des-interets-des-mahorais-l-heure-du-choix.

([31])  Rapport précité, p. 3.

([32]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/05/08/azali-assoumani-je-demande-la-levee-du-visa-entre-les-comores-et-mayotte_6172550_3212.html

([33]https://www.comoresinfos.net/interview-exclusive-la-russie-sestime-decue-par-les-comores/

([34]Ibid.

([35])  Ibid.

([36]https://la1ere.francetvinfo.fr/a-mayotte-l-inquietude-grandit-face-au-manque-d-eau-1384758.html

([37]) Cf. https://www.opex360.com/2023/03/25/un-militaire-de-lantenne-du-gign-de-cayenne-a-ete-tue-par-balle-lors-dune-operation-contre-lorpaillage-illegal/

([38])  Le Monde, 23 mai 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/23/il-faut-faire-le-choix-d-une-solidarite-et-d-une-egalite-republicaines-sans-faille-a-l-egard-de-mayotte_6174413_3232.html

([39]) Circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers : dispositif national de mise à l'abri, d’évaluation et d’orientation.

([40]) À Jacaranda se trouve un centre de consultation et de soins dépendant de l’hôpital de Mamoudzou.

([41]https://lejournaldemayotte.yt/2023/03/16/budget-du-departement-la-majorite-de-ben-issa-a-t-elle-crame-la-caisse/

([42]) Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

([43]) Article 21‑7 alinéa 1er du Code civil : « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans. »

([44]) Article 21-11 du Code civil : « L’enfant mineur né en France de parents étrangers peut à partir de l’âge de seize ans réclamer la nationalité française par déclaration, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants si, au moment de sa déclaration, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans.

Dans les mêmes conditions, la nationalité française peut être réclamée, au nom de l’enfant mineur né en France de parents étrangers, à partir de l’âge de treize ans, la condition de résidence habituelle en France devant alors être remplie à partir de l’âge de huit ans. Le consentement du mineur est requis, sauf s’il est empêché d’exprimer sa volonté par une altération de ses facultés mentales ou corporelles constatée selon les modalités prévues au troisième alinéa de l’article 17-3. »

([45]) Le double droit du sol est un principe juridique selon lequel la nationalité du pays de naissance est attribuée à toute personne étant née dans ce pays et dont au moins un parent y est également né.

([46]) Article 21-12 du Code civil, alinéas 3 et 4 : « Peut, dans les mêmes conditions, réclamer la nationalité française : 1° L’enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l’aide sociale à l’enfance. »

([47])  Rapport précité, p. 6.

([48]) Mayotte : trois personnes condamnées à de la prison ferme pour avoir fait passer 36 000 migrants, https://guineesignal.com/2023/02/13/mayotte-trois-personnes-condamnees-a-de-la-prison-ferme-pour-avoir-fait-passer-36-000-migrants/

([49]) Lors du référendum de 1974 sur l’indépendance des Comores puis lors du référendum de 1976 spécifique à Mayotte.

([50]Ibid.

([51]) Cet accord a pris en réalité la forme d’une « déclaration conjointe ».

([52]) Cf. supra.

([53]https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/speech_21_4701

([54]https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9937-2022-INIT/fr/pdf

([55]https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/6/pdf/290622-strategic-concept-fr.pdf

([56]) Règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant les règlements (UE) n° 1052/2013 et (UE) 2016/1624.

([57]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la gestion de l’asile et de la migration et modifiant la directive 2003/109/CE du Conseil (en anglais « RAMM » pour « Regulation on asylum and migration management »).

([58]) 5 mai 2023, https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/migrants-on-a-une-augmentation-des-tentatives-de-passage-a-travers-les-alpes-explique-l-office-francais-de-l-immigration-et-de-l-integration_5808536.html

([59]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures et modifiant les règlements (CE) nº 767/2008, (UE) 2017/2226, (UE) 2018/1240 et (UE) 2019/817 (en anglais, Règlement « Screening »).

([60]) Ces contrôles impliqueraient la consultation en particulier des bases de données ETIAS (European Travel Information and Authorization System), VIS (Système d’information sur les visas), etc.

([61]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE.

([62]) Elle s’applique notamment dans les aéroports.

([63]) Proposition de règlement APR (Asylum Procedures Regulation).

([64]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile.

([65]) Proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la création d’«Eurodac» pour la comparaison des données biométriques.

([66]) Les négociations interinstitutionnelles, qui sont désormais la règle pour l’adoption des actes législatifs de l’Union, prennent en général la forme de réunions tripartites («trilogues») entre le Parlement, le Conseil et la Commission. Chaque institution désigne, pour chaque dossier, des négociateurs qui la représenteront et qui défendront son mandat de négociation.

([67]) Règlement (UE) 2021/2303 du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile et abrogeant le règlement (UE) n° 439/2010. Cette agence a pris le relai du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), avec un mandat renforcé.

([68]Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument. Le nouvel instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (« NDICI- Europe dans le monde ») a fusionné en 2021 une dizaine d’instruments européens, dont le Fonds européen de développement (FED).

([69]) Cf. https://ue.delegfrance.org/la-politique-europeenne-de-2025

([70]) De son côté, le Royaume-Uni a conclu un accord avec le Rwanda visant à y envoyer des demandeurs d’asile qui seraient arrivés illégalement sur le territoire britannique. Les personnes concernées pourraient solliciter auprès des autorités rwandaises le statut de réfugié ou un titre de séjour ou bien demander l’asile dans un autre « pays tiers sûr ». Ce projet, qui a été validé par la Haute Cour le 20 décembre 2022 mais qui fait l’objet de nouveaux recours judiciaires outre-Manche, n’a pas encore été mis en œuvre. Au‑delà des questions qu’elle pose en termes de respect des droits humains, il n’est pas certain qu’une telle stratégie puisse être développée avec efficacité de manière durable. Il paraît clair que le Rwanda n’entre dans ce type de coopération qu’en raison de contreparties financières et pour des raisons diplomatiques. Ce type de dispositif semble donc relativement fragile en soumettant l’une des parties au bon vouloir de l’autre.

([71]Matthieu Tardis, Vie publique, 9 février 2022, La politique d’immigration de l’Union européenne en crise.

([72]) Cf. rapport parlementaire de Mme Stella Dupont et de M. Mathieu Lefèvre de mai 2023, https://www.lefigaro.fr/flash-actu/des-deputes-appellent-a-mieux-coordonner-les-transferts-de-migrants-en-regions-20230523

([73]) Cf. Rapport d’information de Mme Aude Amadou et de M. Michel Herbillon sur « l’espace indopacifique : enjeux et stratégie pour la France », n° 5041, 16 février 2022.