N° 1681

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 octobre 2023.

 

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

au nom de la délégation aux droits des enfants

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur éducation et numérique

PAR

Mme Charlotte GOETSCHY-BOLOGNESE et M. Hervé SAULIGNAC

Députés

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 


 

La Délégation aux droits des enfants est composée de : Mme Perrine Goulet, présidente ; M. Paul Christophe, Mme Michèle Peyron, Mme Isabelle Santiago, Mme Isabelle Valentin, viceprésidents ; M. Philippe Dunoyer, Mme Maud Petit, secrétaires ; M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Anne-Laure Blin, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Sophie Errante, M. Philippe Fait, M. Perceval Gaillard, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Servane Hugues, Mme Caroline Janvier, Mme Hélène Laporte, Mme Laure Lavalette, Mme Karine Lebon, Mme Christine Loir, M. Laurent Marcangeli, Mme Alexandra Martin, Mme Marianne Maximi, Mme Caroline Parmentier, Mme Francesca Pasquini, M. Alexandre Portier, M. Éric Poulliat, Mme Angélique Ranc, M. Hervé Saulignac, M. Olivier Serva, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Bruno Studer, M. Léo Walter.


 

SOMMAIRE

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 Pages

introduction

PREMIÈRE PARTIE : de l’éducation par le numérique à la nécessité d’un enseignement au numérique

I. la priorité donnée à l’éducation par le numérique remise en question

A. éducation nationale et numérique : le choix premier de l’éducation par le numérique

1. L’éducation par le numérique a été favorisée au sein des établissements scolaires

a. Le numérique comme support aux apprentissages

b. Le numérique comme support à l’organisation des établissements

2. L’éducation par le numérique n’a pas produit les résultats escomptés

a. Un manque de concertation dans le processus de prise de décision

b. Des outils en inadéquation avec les besoins des établissements scolaires

B. un choix premier en contradiction avec les enjeux actuels de protection de la jeunesse en ligne

1. Les enfants et le numérique : la prise de conscience des risques

a. Une précocité de l’équipement numérique et de la présence en ligne

b. Exacerbation des risques pesant sur les enfants en ligne

2. L’action des pouvoirs publics : éviter les risques pesant sur les enfants en ligne

a. Le législateur cherche à protéger l’enfant en ligne

b. Les pouvoirs publics doivent en parallèle favoriser l’autonomisation des enfants par leur éducation au numérique

II. l’amorce d’une éducation au numérique, à caractère transversal, doit se concrétiser en un enseignement spécifique

A. une amorce d’éducation au numérique transversale et lacunaire

1. Le cadre institutionnel de l’éducation au numérique au cours de la scolarité

a. Du B2i à Pix : un tronc commun insuffisant

b. L’éducation au numérique au lycée : une éducation plus technique et optionnelle

2. Des sensibilisations ponctuelles en réaction à des évènements donnés

a. Des sensibilisations en réaction à des évènements médiatiques

b. Des sensibilisations en réaction à des évènements internes aux établissements scolaires

B. la nÉcessitÉ de concevoir un enseignement spécifique au numérique

1. Un enseignement crucial dans l’intérêt supérieur de l’enfant

a. Une nécessité en termes d’égalité et de protection des droits des enfants

b. La nécessité d’un enseignement précoce au numérique

2. Une vraie définition de l’éducation au numérique

a. La nécessité de se doter d’une définition précise dans les programmes scolaires

b. La nécessité de valider tant des compétences techniques et que de discernement

Seconde partie : vers une implication plus structurée de l’ensemble de la société pour éduquer les enfants au numérique

I. Une multiplication des acteurs de l’éducation au numérique

A. la multiplication d’acteurs impliqués conduit au défaut d’identification de l’interlocuteur compétent

1. Le nombre pléthorique d’acteurs complique la lisibilité des actions et des ressources produites

a. Des acteurs institutionnels

b. Des acteurs privés

2. Le nombre pléthorique d’acteurs suscite des ruptures d’égalité

a. Des acteurs importants ignorés

b. Une marchandisation de l’éducation au numérique

B. l’urgence d’un processus d’harmonisation des acteurs

1. Au sein de l’Éducation nationale : reconnaître le rôle central du professeur documentaliste

2. Au sein de la société : instaurer un pilotage de l’État

II. Une implication de l’ensemble de la société pour garantir l’intérêt supérieur de l’enfant

A. Le rôle des éducateurs

1. La nécessité de former tous les personnels de l’Éducation nationale

a. La formation aux techniques numériques

b. La formation à la psychologie de l’enfant

2. Le rôle des parents

a. L’exemplarité des parents comme première éducation au numérique

b. L’éducation à la parentalité à l’ère numérique

B. vers l’implication de l’ensemble de la société

1. Le rôle des médias

a. Adopter le mode de communication de la jeunesse

b. Produire du contenu éduquant au numérique

2. Le rôle des plateformes numériques

a. Une autorégulation insuffisante des plateformes

b. Une réglementation et la responsabilisation des plateformes

Liste des recommandations

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

Annexe : liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

 


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   introduction

Le numérique n’est plus seulement une possibilité ; il est devenu omniprésent, indispensable dans la vie usuelle de tous les citoyens. En ce sens, il est devenu un « fait social total » ([1]) qui ne peut plus être cantonné à ses aspects techniques. Le numérique est désormais un objet quotidien et la surexposition au numérique touche, non seulement les adultes, mais aussi des enfants de plus en plus jeunes : selon Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), « le smartphone est devenu le cordon ombilical des plus petits et la laisse virtuelle des plus grands ». ([2])

C’est pourquoi des travaux parlementaires récents ont initié un mouvement de protection de la jeunesse en ligne, partant du postulat que l’enfant doit être reconnu comme une personne vulnérable face aux risques auxquels il est exposé en ligne. En complément de cette stratégie, le présent rapport a pour objet de mettre en exergue la nécessité d’éduquer en parallèle les enfants aux questions numériques. Il s’agit de faire en sorte que les enfants ne soient plus de simples objets passifs mais qu’ils aient, en complément, la possibilité de devenir des acteurs pleinement conscients de leur environnement numérique. En effet, selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), « c’est le manque de connaissances qui fait que l’enfant est passif ; il faut le rendre actif » en l’éduquant aux enjeux du numérique et en lui « permettant de reprendre sa vie numérique en main ». ([3])  Cela suppose de lui enseigner le fonctionnement du numérique et les risques qu’il comporte ainsi que de renforcer sa réflexion critique sur ses usages. En 2012, le Défenseur des droits préconisait ainsi de « former les enfants, les parents et les éducateurs » ([4]) au numérique, de manière urgente. De la même manière, en 2021, dans sa 25e observation portant sur les droits des enfants dans l’environnement numérique, le Comité des droits des enfants de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) a préconisé que la culture numérique soit enseignée dans les écoles afin de garantir le droit à l’éducation dans l’environnement contemporain.

Lors de sa réunion du 29 mars 2023, la Délégation aux droits des enfants a décidé la création d’une mission d’information sur l’éducation et le numérique. Aux termes d’une trentaine d’auditions, les rapporteurs dressent le constat de lacunes dans l’appréhension de cette problématique par les politiques publiques actuelles. Ils proposent donc de s’interroger sur la manière d’articuler numérique et éducation dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour rappel, ce dernier principe doit, en vertu de l’article 3.1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE), être une considération primordiale dans toutes les décisions les concernant. Initialement, l’articulation entre éducation et numérique a consisté en une éducation par le numérique. Face à des critiques sur ce modèle, la question de l’éducation au numérique est apparue prioritaire, sans toutefois se développer de manière suffisamment probante. Les rapporteurs appellent ainsi les pouvoirs publics à élaborer une réelle politique publique d’éducation au numérique impliquant l’ensemble de la société. Ils souhaitent également mettre en évidence le fait que l’Éducation nationale ne peut, à elle seule, compenser les défaillances éducatives des parents, qui n’ont pas toujours pris la mesure des risques que peuvent encourir leurs enfants en ligne et que, par conséquent, l’éducation au numérique doit être l’affaire de la société dans son ensemble.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   PREMIÈRE PARTIE : de l’éducation par le numérique à la nécessité d’un enseignement au numérique

Au sein de l’Éducation nationale, l’articulation initiale entre éducation et numérique a été d’enseigner par le numérique, c’est-à-dire d’utiliser le numérique comme un support censé faciliter la scolarité des élèves au sein des établissements scolaires. L’éducation par le numérique n’a pas produit les résultats escomptés et la prise de conscience des risques qui pèsent sur les enfants dans l’espace numérique a acté la nécessité d’éduquer les enfants au numérique avant de les éduquer au moyen d’outils numériques. Une amorce d’éducation au numérique a ainsi vu le jour ; elle demeure insuffisante et doit se concrétiser en un enseignement spécifique et systématique des questions numériques dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

I.   la priorité donnée à l’éducation par le numérique remise en question

Le choix initial de favoriser l’éducation par le numérique dans l’articulation entre éducation et numérique est remis en cause car il n’a pas produit les résultats qui en étaient attendus.

A.   éducation nationale et numérique : le choix premier de l’éducation par le numérique

L’éducation par le numérique s’est matérialisée par l’équipement progressif des établissements scolaires en outils numériques, dont la pertinence n’a pas toujours été clairement démontrée.

1.   L’éducation par le numérique a été favorisée au sein des établissements scolaires

Des outils numériques ont été déployés dans les établissements scolaires pour servir de support aux apprentissages ou améliorer leur organisation.

a.   Le numérique comme support aux apprentissages

 Le développement progressif du numérique éducatif

En 2013, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ([5]) attribue une place centrale au numérique dans le système scolaire, notamment par la création d’un service public du numérique éducatif, dont les missions sont de mettre à disposition des établissements scolaires une offre de services numériques permettant de prolonger l’offre des enseignements qui y sont dispensés, d’enrichir les modalités d’enseignement et de faciliter une aide personnalisée à tous les élèves. ([6]) Ce service public du numérique éducatif vise également à proposer aux enseignants une offre diversifiée de ressources pédagogiques ainsi que des outils de suivi des élèves et des familles, à assurer l’instruction aux enfants qui ne peuvent bénéficier du cadre classique de l’Éducation nationale et, enfin, à contribuer au développement de projets innovants et d’expérimentations pédagogiques. ([7]) L’organisation de ce nouveau service public est attribuée à la Direction du numérique éducatif (DNE), créée en 2013 et rattachée à la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). La DNE prend, ce faisant, la mission de pilotage de la transition numérique du système éducatif et l’orientation stratégique des politiques publiques en coordonnant l’action des acteurs publics et de la filière numérique. Sous son égide, des appels à projet ont vu le jour : collèges connectés, collèges préfigurateurs, collège lab, classe connectée, etc.

Par la suite, en 2014, est annoncé un « grand plan numérique pour l’école » qui fixait l’objectif qu’à la rentrée 2016, tous les enfants de 5e soient équipés d’une tablette et bénéficient d’une formation au numérique. En 2015, est lancé un « plan numérique pour l’éducation » et un nombre croissant de collèges y participe, si bien qu’à la rentrée 2016, 1 256 écoles et 1 510 collèges au moins sont alors équipés en tablettes et près d’un quart des collèges rejoignent le plan numérique. Plus de 175 000 élèves sont ainsi dotés de tablettes numériques cofinancées par l’État et par les collectivités territoriales. Le but affiché est de « faire rentrer l’école dans l’ère numérique » et « développer un écosystème global de l’e-Éducation » avec un budget d’un milliard d’euros sur trois ans. ([8])

La crise liée au Covid-19 a généralisé le recours au numérique à l’école pour assurer la continuité pédagogique avec un recours massif de l’enseignement à distance durant les confinements, puis dans le contexte de réouverture des établissements, un recours éventuel à un enseignement hybride lors du maintien à domicile des élèves déclarés positifs ou cas contact. ([9])

Toutefois, les rapporteurs regrettent ne pas pouvoir disposer d’un état des lieux précis de l’équipement numérique des établissements scolaires au niveau national, cet équipement, très hétérogène sur le territoire, relevant de la compétence des collectivités territoriales.

 

 

 

Recommandation n° 1 : les rapporteurs demandent au ministère de l’Éducation nationale de dresser un état des lieux détaillé de l’équipement des établissements scolaires en technologies numériques sur l’intégralité du territoire national afin que la représentation nationale en soit correctement informée.

 Un « mythe fondateur » erroné

Selon la chercheuse en sciences de l’information et de la communication Anne Cordier, un « mythe » a été à l’origine du choix initial de l’éducation par le numérique et de l’outillage des établissements scolaires en numérique : le postulat était que le simple fait de fournir du matériel numérique aux élèves suffirait à valider et accroître leurs compétences numériques, comme si, par comparaison, le simple fait de placer un enfant dans une bibliothèque le transformait en lecteur passionné. ([10]) Pour la chercheuse, cette logique a prévalu dans le déploiement des plans précités ; pourtant, doter les enfants en matériel informatique n’a en rien accru leurs compétences ni favorisé les apprentissages. ([11]) Les rapporteurs relèvent à ce titre qu’un grand nombre d’acteurs auditionnés dans le cadre du présent rapport regrettent l’inexistence d’une évaluation probante qui démontrerait l’existence d’effets positifs réels sur les apprentissages par l’utilisation du numérique dans le cadre éducatif.

Recommandation n° 2 : les rapporteurs soulignent la nécessité de mener des évaluations sur les gains d’apprentissage résultant de l’utilisation des technologies numériques utilisées par les établissements scolaires.

b.   Le numérique comme support à l’organisation des établissements

Le numérique est également utilisé, au sein des établissements scolaires, à des fins d’organisation. Ainsi, les espaces numériques de travail (ENT) permettent de faire la liaison entre, d’un côté, les établissements scolaires et, de l’autre, les élèves et leur famille. Pratique en termes d’organisation, la Défenseure des droits Claire Hédon considère que cette plateforme peut, dans certains cas, porter atteinte aux droits des enfants. Elle relève notamment que cette plateforme a pour effet, dans certaines familles, une surveillance permanente des enfants par leurs parents, qui altère la liberté de l’enfant. ([12]) Par ailleurs, elle remarque que l’ENT a pu avoir pour effet de réduire les échanges qualitatifs entre les communautés enseignantes et les parents : elle regrette particulièrement que ces échanges soient devenus purement académiques et que les parents ne reçoivent, en conséquence, plus que rarement des réponses de l’établissement lorsqu’ils tentent de faire part des difficultés d’un élève. ([13]) Enfin, l’ENT n’est pas toujours propice au respect du droit à la déconnexion, tant des enfants que des parents : des devoirs y sont parfois envoyés à des heures tardives, y compris le week-end ; son fonctionnement n’est pas encadré. ([14]) Les rapporteurs soulignent ainsi la nécessité d’adopter des lignes directrices quant à une utilisation raisonnable des ENT, de telle sorte que ceux-ci ne portent pas atteinte aux droits des enfants et de leur famille. Au contraire, les rapporteurs estiment que les ENT pourraient être utilisés comme des outils de protection de droit, par exemple en les exploitant pour signaler des cas de harcèlement.

Recommandation n° 3 : les rapporteurs recommandent d’intégrer aux ENT une fonctionnalité permettant de signaler en ligne des comportements de harcèlement.

D’autres plateformes numériques ont été mises en place pour centraliser les procédures d’affectation au lycée (Affelnet) et dans les études supérieures (Parcoursup). Sur ces plateformes, la Défenseure des droits alerte sur l’utilisation d’algorithmes pouvant porter atteinte aux droits des enfants. Elle a ainsi rendu une décision s’agissant de la procédure Affelnet ([15]) après s’être saisie d’office de la situation de nombreux élèves restés sans affectation au lycée pour la rentrée 2022-2023. Dans sa décision, la Défenseure des droits relève qu’au jour de la rentrée 2022, 17 832 élèves demeuraient sans affectation au lycée, ([16]) ce qui constitue une atteinte au droit à l’éducation. ([17]) Par ailleurs, lors de son audition, Claire Hédon a précisé, sur la procédure Affelnet, qu’elle s’était alarmée, dans un cas précis, de constater que les affectations étaient devenues totalement automatisées sur la plateforme numérique, au moyen d’un algorithme, et que, dans certains cas, il semblait ne plus y avoir d’intervention humaine dans le processus de prise de décision. ([18]) La Défenseure des droits rappelle que l’enfant ne doit en aucun cas être soumis à des décisions prises uniquement par l’intelligence artificielle, car cela va à l’encontre de l’article 3 de la CIDE, en ce que n’est, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas appréhendé dans le processus de prise de décision. En conséquence, la Défenseure des droits souhaite que soit porté à sa connaissance le fonctionnement très précis des algorithmes utilisés par Affelnet et Parcoursup afin de s’assurer de l’absence de discriminations sous-jacentes et de la transparence de ces systèmes. Les rapporteurs soutiennent cette demande, fondamentale en vue de s’assurer du respect des droits des enfants dans le cadre de ces procédures et rappellent que ces algorithmes doivent respecter les critères de non-discrimination. Il est de ce point de vue problématique, par exemple, que dans une prépa MPSI, il y ait 111 places pour les garçons et 30 pour les filles, l’algorithme éliminant ainsi des filles qui ont des meilleurs résultats scolaires en raison de leur sexe. ([19])

 

Recommandation n° 4 : les rapporteurs préconisent la transmission pour examen à la Défenseure des droits du fonctionnement détaillé des algorithmes des plateformes Affelnet et Parcoursup ainsi que de la manière dont elles sont utilisées par les établissements scolaires.

Enfin, l’utilisation de plateformes numériques à des fins d’organisation scolaire présente, pour la Défenseure des droits, un risque de mise à l’écart de tout un pan de la population. Elle regrette ainsi que les pouvoirs publics partent du postulat que tous les citoyens disposent de la même qualité de connexion. Or, elle rappelle qu’à peu près un tiers de la population française est éloignée du numérique, que 11,5 millions de Français sont même en difficulté numérique, parmi lesquels 4 millions n’ont pas accès à internet. ([20]) Dans ce contexte, ces plateformes peuvent donc constituer une source de renforcement des inégalités.

L’intelligence artificielle est également utilisée au sein des établissements scolaires, comme un moyen de surveillance contra legem. Le Défenseur des droits de la contestation par des parents d’élèves de la décision d’une cheffe d’établissement privé d’enseignement d’équiper chacun d’entre eux de porte-clés connectés qu’ils devaient « avoir en permanence sur eux », selon les termes du règlement intérieur de l’établissement, afin de s’assurer de leur présence en classe et au sein de l’établissement. ([21]) La Défenseure des droits Claire Hédon alerte sur l’utilisation de l’intelligence artificielle au sein des établissements scolaires et rappelle qu’elle ne doit ni être utilisée à des fins de surveillance, ni remplacer l’enseignant avec un « tuto intelligent », mais qu’elle ne peut être utilisée que dans le but d’améliorer les enseignements – sans toutefois les remplacer. ([22]) Les syndicats des personnels de l’Éducation nationale partagent ces inquiétudes. ([23]) Partant, les rapporteurs estiment qu’il s’avérerait utile que le ministère de l’Éducation nationale rappelle plus clairement aux établissements scolaires ce qui est autorisé et proscrit en matière d’usage de technologies d’intelligence artificielle en leur sein.

Recommandation n° 5 : les rapporteurs recommandent l’adoption, par le ministère de l’Éducation nationale, de consignes claires quant aux usages de l’intelligence artificielle au sein des établissements scolaires.

La Défenseure des droits estime que, tel qu’il est actuellement utilisé, le numérique au service des apprentissages comme de l’organisation scolaire est souvent inutile voire dangereux pour le respect des droits des enfants. ([24])

2.   L’éducation par le numérique n’a pas produit les résultats escomptés

Le déploiement des outils numériques dans les établissements scolaires n’a pas produit les effets qui en étaient attendus, notamment en raison d’un défaut de concertation dans les processus de prise de décision ainsi que d’un manque de réflexion sur le choix des outils numériques.

a.   Un manque de concertation dans le processus de prise de décision

Le plan tablettes de 2014 n’avait fait l’objet d’aucune concertation préalable avec le corps enseignant, ni d’études d’impact menées sur la durée ([25]) ; ce manque de concertation demeure aujourd’hui. En effet, le ministère de l’Éducation nationale s’est doté d’une stratégie numérique pour l’éducation, dévoilée le 27 janvier 2023, visant à réfléchir aux modalités précises de l’introduction du numérique à l’école. Les syndicats des personnels de l’Éducation nationale ont largement voté contre avec 13 voix pour, 26 contre et 10 abstentions. ([26]) En effet, le coût ne leur a pas réellement été présenté, la façon de construire la stratégie, sans concertation préalable, est selon eux problématique, et la plateforme « iFrame » leur a été présentée comme une aide lors des remplacements de courte durée, alors même que les syndicats y sont opposés. Par ailleurs, ils estiment que l’empreinte écologique de cette stratégie est colossale. ([27]) En effet, pour Tristan Brams, secrétaire fédéral du Sgen-CFDT en charge des politiques éducatives et de formation professionnelle, la stratégie du ministère n’est « pas du tout en phase avec les ambitions de la France de neutralité carbone en 2050 » ([28]). Le refus des syndicats de la stratégie pour le numérique est également lié à la fracture numérique, qui touche aussi les enseignants eux-mêmes, sans égard à la question de l’âge. ([29]) De la même manière, le Conseil national du numérique relève que les tablettes sont « une catastrophe » que les enseignants eux-mêmes ne savent pas mieux utiliser que leurs élèves. ([30]) Ce défaut de concertation a également pour effet d’induire des formes de suspicion quant aux motivations à l’origine de ces choix. Ainsi, par exemple, le Collectif de lutte contre l’invasion numérique (Coline) estime que le défaut de concertation avec les parents, les syndicats et les personnels de l’Éducation nationale et, a contrario, les discussions avec « certains experts » qui, selon le collectif, auraient des intérêts directs sur ces questions, semble attester de l’existence de formes de lobbying pour fournir des appareils numériques dans les établissements. ([31]) Les rapporteurs estiment que, pour plus de transparence et une meilleure adaptation des choix qui sont faits, il serait nécessaire de consulter davantage les syndicats et les parents d’élèves avant toute prise de décision d’équipement numérique dans les établissements scolaires. Il en résulterait notamment une meilleure adéquation des outils fournis avec les besoins réels des établissements.

 

Recommandation n° 6 : les rapporteurs incitent à consulter systématiquement, au préalable de l’équipement des établissements scolaires en technologies numériques, les syndicats des personnels de l’Éducation nationale, des directeurs d’établissements et les associations de parents d’élèves afin d’établir les besoins réels.

b.   Des outils en inadéquation avec les besoins des établissements scolaires

En raison du manque de concertation, les outils déployés dans les établissements scolaires ne répondent pas aux exigences de terrain des professionnels de l’Éducation nationale et s’avèrent en inadéquation avec leurs besoins.

Pour les représentants du syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN-UNSA), dans l’histoire du système éducatif en matière d’éducation au numérique, il a d’abord été essentiellement question d’équipements et d’outillages : il fallait montrer que l’Éducation nationale française était technophile. En revanche, la question de ce qu’on allait faire avec ne se posait pas. ([32]) Pourtant, l’utilité même du recours au numérique dans les établissements scolaires pose question. La course des collectivités territoriales à abonder le plus possible leurs établissements en matériel numérique par le biais des opérations tablettes s’est révélée être un « grand n’importe quoi » ([33]) : les enfants n’ont jamais fait ce qu’on voulait qu’ils fassent avec leurs appareils numériques, la protection installée sur les tablettes empêche souvent toute connexion au wifi de l’établissement et les enfants, de leur côté, sont obsédés par la seule idée de réussir à faire tomber les protections qui y sont installées. Le syndicat regrette un manque de sens dans la construction de cette politique ; des équipements massifs mais inadaptés « dorment dans les placards des établissements faute d’utilité concrète ». ([34]) Selon le directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant au CNRS Grégoire Borst, il n’est pas anodin de faire rentrer des outils numériques dans des classes et pourtant, les pouvoirs publics ne se préoccupent pas réellement de la question du gain d’apprentissage qui en résulte. Il souligne que ces derniers résultent essentiellement des interactions sociales et que dès lors qu’on utilise le numérique au service des apprentissages, il convient de s’interroger sur son utilité et ses effets. ([35])

Non seulement le matériel mis à disposition dans les établissements n’a pas été pertinent et en adéquation avec les besoins réels, mais, a contrario, il n’y a eu, selon les différents acteurs auditionnés, aucune réflexion pour abonder les établissements en matériel qui permettrait effectivement de construire une réflexion pérenne et viable et de se connecter de manière intelligente (ordinateurs fixes, licences logiciels, serveurs…). ([36]) Les établissements ont ainsi été dotés en tableaux blancs interactifs, qu’aucun enseignant n’a su comment utiliser ([37]) tandis que dans le même temps les classes n’étaient plus équipées en ordinateurs fixes alors qu’il s’agit de l’outil central de développement des compétences numériques. ([38]) Par ailleurs, sans réflexion sur les outils, les personnels de l’Éducation nationale utilisent des logiciels libres que les élèves n’utiliseront jamais dans leur vie professionnelle future. Les rapporteurs soutiennent que cette situation ne permet nullement de construire une éducation au numérique. A contrario, les inégalités sociales se creusent puisque le déséquilibre de base n’est pas comblé par les usages. Tristan Brams, secrétaire général du Sgen-CFDT en charge des politiques éducatives et de formation professionnelle rajoute que l’idée que chaque élève puisse avoir son propre matériel fourni par l’école et repartir avec, chez lui, est mauvaise par essence et qu’il serait plus pertinent d’imaginer des outils numériques qui ne soient utilisés que dans l’enceinte de la classe sans être confiés à un élève en particulier. ([39])

Recommandation n° 7 : les rapporteurs incitent à proscrire le principe de dotation généralisée aux élèves individuellement, à préférer la dotation à l’établissement sur la base des besoins réels établis par les parties-prenantes de la communauté éducative.

Outre les outils numériques eux-mêmes, se pose la question de leurs usages. Le développement de l’usage d’outils numériques au sein des établissements n’est pas, per se, positif ou négatif pour les enfants ; tout dépend de l’usage pédagogique qui en est fait. Or, l’Éducation nationale n’investit pas dans des programmes numériques de qualité. Les syndicats des personnels de l’Éducation nationale regrettent que le ministère de l’Éducation nationale ne leur propose pas de contenus pédagogiques qui leur permettraient d’utiliser les technologies numériques mises à disposition à bon escient. ([40]) Ainsi, par exemple, Arte a développé une filiale Arte Éducation pour transformer des contenus numériques en outils pédagogiques avec un modèle sur abonnement. Pour autant, très peu d’établissements sont aujourd’hui abonnés à ces contenus malgré le faible coût, estimé par le directeur général d’Arte France à un euro par élève et par an. ([41]) Aujourd’hui, il n’y a que 1 358 établissements sur les 59 650 qui sont abonnés à ces contenus en France. ([42]) De manière générale, les syndicats des personnels de l’Éducation nationale alertent sur cette absence de ressources pédagogiques qui altère les possibilités d’utilisation pertinente des outils numériques. ([43]) Les rapporteurs soulignent qu’il est absolument nécessaire que les établissements scolaires disposent d’un budget leur permettant d’acquérir des ressources pour leurs élèves et regrettent que cette problématique soit insuffisamment prise en compte par les pouvoirs publics. Un autre impensé a été de déterminer avec quel outil logiciel équiper les outils numériques disponibles au sein des établissements : du matériel numérique a ainsi été mis à disposition et les équipes pédagogiques ont dû improviser avec, sans logiciels installés dessus. Par ailleurs, ils n’ont pas disposé de budget pour en acquérir ou de consignes sur le sujet, ce qui a fait progresser les inégalités éducatives ces dernières années. ([44])

Recommandation n° 8 : les rapporteurs recommandent un investissement massif dans les ressources éducatives et les logiciels fournis au corps éducatif pour traiter la question de l’éducation au numérique.

B.   un choix premier en contradiction avec les enjeux actuels de protection de la jeunesse en ligne

Au-delà d’un manque de réflexion sur les usages du numérique avant leur déploiement dans les établissements, c’est le maintien même d’une logique d’éducation par le numérique qui paraît en décalage avec les enjeux contemporains. En effet, par suite de la prise de conscience des risques pesant sur les enfants en ligne, les pouvoirs publics se sont emparés du sujet pour tenter de les protéger, essentiellement en tentant d’éloigner les enfants du numérique. Maintenir la priorité d’une éducation par le numérique sans éduquer au préalable à ces questions s’inscrirait ce faisant à contre-courant des réflexions en cours.

1.   Les enfants et le numérique : la prise de conscience des risques

Les enfants détiennent des outils numériques et sont présents en ligne de plus en plus tôt, ce qui exacerbe les risques auxquels ils sont exposés.

a.   Une précocité de l’équipement numérique et de la présence en ligne

Les enfants accèdent de plus en plus tôt aux outils numériques, notamment au smartphone, qui entre dans la vie de 46 % des enfants avant l’âge de 10 ans. ([45]) Entre 2011 et 2019, le taux d’équipement en smartphones des 12-17 ans est passé de 22 % à 86 %, selon le baromètre du numérique 2019 de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). ([46]) Dès le CM2, un enfant sur trois est équipé et, en 6e, 63 % d’entre eux détiennent un smartphone ([47]) tandis qu’en 3e, c’est le cas de 88 % des enfants. ([48]) La tablette est également un outil mis à disposition aux enfants de manière précoce puisque 36 % des 7-12 ans en possèdent une. ([49]) Il en résulte que les enfants âgés de 1 à 6 ans passent en moyenne 4 heures 37 devant les écrans. ([50])

Ainsi, les jeunes se connectent de plus en plus tôt sur les réseaux sociaux et y passent de plus en plus de temps et, paradoxalement, le temps éducatif consacré à l’encadrement de leur pratique est infime et quasi inexistant au cours de leur cursus scolaire. Or, cette omniprésence des enfants en ligne conduit à l’explosion de nouveaux risques ou à l’exacerbation de dangers préexistants qui sont accrus par les technologies numériques.

 

b.   Exacerbation des risques pesant sur les enfants en ligne

Les enfants et les pré-adolescents, en phase de construction et d’organisation des apprentissages, sont particulièrement vulnérables à l’altération de leur environnement que peut constituer le numérique. En effet, le cerveau de l’être humain est en maturation jusqu’à 25 ans. Jusqu’à cet âge, ils sont donc particulièrement sensibles à leur environnement et acquièrent les apprentissages de base. Ainsi, si ces derniers ne sont pas faits durant cette période à cause d’un environnement inadéquat, il est ensuite de plus en plus difficile de les acquérir. De ce fait, il est primordial d’accorder aux enfants un environnement adapté à leurs besoins. ([51]) Or, selon les neuroscientifiques Irène Cristofori et Servane Mouton, les outils numériques comme supports aux apprentissages sont inadaptés aux plus petits car ces derniers « ont besoin d’humains pour devenir des humains » ([52]) : les outils numériques ne sont pas affectueux, valorisants, ils ne sont pas dans l’ajustement subtil de l’interaction et ne sont donc pas optimaux pour les apprentissages. ([53]) Par conséquent, pour les chercheuses, il est nécessaire, avant de se servir des outils numériques, d’acquérir le langage écrit, oral, qui seront ensuite à la base de toutes les interactions humaines. ([54])

Outre les difficultés d’acquisition des apprentissages fondamentaux, les neuroscientifiques insistent également sur les corollaires neuronaux de la présence précoce des enfants sur les écrans en précisant que les enfants passant plus de temps devant les écrans sont susceptibles d’avoir des compétences verbales et de compréhension inférieures aux autres enfants. De la même manière, chez les 9‑11 ans plus particulièrement, les chercheuses observent que plus le temps passé devant des écrans est important, moins les émotions sont régulées dans le cortex préfrontal ; en résultent des comportements d’agressivité et de manque de capacité à réguler ses émotions. ([55]) Par ailleurs des études récentes ont mis en évidence que lorsque les adolescents passent trop de temps sur l’application « TikTok », la zone de la récompense s’active, c’est-à-dire la zone neuronale qui demande sans cesse plus de stimuli ainsi que la zone neuronale « par défaut », qui est sollicitée lorsque le cerveau est au repos cognitif. ([56]) Les études portant sur les réseaux sociaux, notamment « Instagram », « Snapchat » et « Facebook », ont montré que plus les enfants passent de temps à regarder leurs notifications, plus est forte l’activation du réseau de la peur et de la douleur physique et psychologique, ce qui mène à des comportements d’hypersensibilité. ([57]) Plus largement, selon le psychiatre Louis Forgeard, les écrans freinent le processus d’adaptation, d’imagination et de construction de soi. ([58])

L’activité sur écran est également facteur de l’accroissement de la sédentarité des enfants, facteur de risques cardio-vasculaires. Aujourd’hui, 40 % des 15-18 ans sont à risque sanitaire élevé en lien avec la sédentarité ; il s’agit, selon Irène Cristofori et Servane Mouton, d’un enjeu de santé publique à moyen et à long terme. ([59]) Les écrans, utilisés à des heures inappropriées, peuvent aussi être à l’origine de perturbations quantitatives et qualitatives du sommeil.

Toutefois, les rapporteurs soulignent qu’il n’existe pas à ce jour de réflexion sur les bénéfices et les risques de l’utilisation du numérique par les enfants portée par les institutions. Ils ont constaté, au fil de leurs auditions, des opinions très tranchées et difficilement conciliables sur les effets du numérique sur les jeunes, ce qui tend à conflictualiser le sujet. Par conséquent, les rapporteurs estiment qu’il est urgent d’établir un consensus scientifique porté par les institutions qui évaluerait les risques globaux du numérique sur la santé des enfants à long terme. Sans consensus sur ces effets, il semble difficile de trouver l’articulation préservant au mieux l’intérêt supérieur de l’enfant.

Recommandation n° 9 : les rapporteurs recommandent l’établissement d’une conférence de consensus portée par les pouvoirs publics actant des résultats scientifiquement éprouvés quant aux conséquences du numérique sur les enfants.

Recommandation n° 10 : en complément, les rapporteurs préconisent la définition de seuils de nocivité dans l’utilisation des outils numériques par les plus jeunes.

 

       L’exposition à du contenu inadapté à leur âge : le cas de la pornographie

Les enfants ont de plus en plus, et de plus en plus tôt, accès à du contenu pornographique. Dans 60 % des cas, la première fois qu’un enfant est confronté à des images pornographiques, c’est involontairement, via des sites de streaming ou de jeux en ligne, notamment, où des pop-ups peuvent s’ouvrir toutes seules. ([60]) En 2009, les Français déclaraient avoir regardé leur premier film pornographique à 24 ans et demi, c’est-à-dire souvent après leurs premières relations sexuelles. En 2017, les adolescents voient des images pornographiques pour la première fois autour de 14,4 ans pour les filles et 14,3 ans pour les garçons. Ce faisant, les enfants visionnent du contenu pornographique avant même que ne se développe leur sexualité. Cela a de facto un effet sur leurs représentations de la vie sexuelle : les jeunes reproduisent les pratiques qu’ils observent en ligne et tendent à généraliser des pratiques sexuelles à risque. ([61]) La consommation de contenus pornographiques à un âge précoce conduit également à la banalisation de pratiques telles que le sexting, l’envoi de nudes dès l’école primaire ([62]) , le revenge porn, voire la prostitution de mineurs. ([63]) Elle conduit également à l’adoption d’attitudes sexistes renforcées : des corrélations sont désormais établies entre la consommation de contenu pornographique à un âge très jeune et la progression des violences dans les relations sexuelles. ([64]) Selon le psychiatre Louis Forgeard, l’exposition au contenu pornographique provoque également chez les enfants des psycho-traumatismes voire de l’addiction aux contenus ainsi que l’augmentation des risques d’agression sexuelle durant la préadolescence. ([65]) La banalisation de la consommation de contenus pornographiques chez les jeunes n’a pas seulement un impact sur eux-mêmes, mais sur la société dans son ensemble : les codes de la pornographie, assimilés par un grand nombre de jeunes spectateurs, se diffusent ensuite dans les médias, dans la mode, dans le rapport aux corps, etc., si bien qu’il est aujourd’hui possible de parler d’une « culture porno ». ([66]) Des pratiques sexuelles très présentes dans la pornographie sont ainsi banalisées tandis que la demande sociale relative à l’esthétique des organes génitaux, notamment des femmes, engendre une explosion des interventions de chirurgie esthétique. ([67]) Dans le même temps, les stéréotypes de genre explosent.

 

De manière plus générale, en dehors de la pornographie, les enfants sont exposés en ligne à du contenu inadapté à leur âge, qui peut par exemple être violent. À cet égard, les rapporteurs alertent sur la multiplication de vidéos d’actes de maltraitance commis sur des animaux qui circulent sur les réseaux sociaux et, qui sont visionnées, puis parfois reproduites, par des mineurs.

       La multiplication des actes de violence en ligne à l’égard des enfants

Selon l’association e-enfance, 20 % des 11-18 ans ont déjà été confrontés à des actes de cyber-harcèlement et 49 % des jeunes de 18 à 25 ans ont déjà pensé au suicide suite à des actes de cyber-violences, qui ont de plus en plus de conséquences sur la santé mentale des enfants (anxiété, isolement, troubles du sommeil et de l’appétit, dépression, comportements addictifs…). ([68]) Or, 40 % des jeunes ayant subi du harcèlement et du cyber-harcèlement développent des conséquences post-traumatiques durables. De plus, la prise en charge des jeunes victimes intervient souvent de manière trop tardive, quand l’enfant a développé des pathologies. ([69]) Les enfants sont aussi confrontés à la pratique du grooming, qui consiste pour les pédophiles à se faire passer pour des jeunes afin de gagner leur confiance en ligne, d’échanger avec eux pour, in fine, leur demander des faveurs sexuelles (contenus vidéos, rencontres). Maîtrisant peu les usages techniques du numérique, les enfants sont davantage susceptibles que les adultes de faire l’objet de piratage, de violation de leurs données personnelles, de phishing, de désinformation, de chantage à la webcam, d’usurpations d’identité… ([70]) Les enfants sont d’autant plus aisément des victimes en ligne qu’ils sont beaucoup moins critiques que les adultes sur ces technologies. Dans son ouvrage Le biberon numérique, le chercheur en sciences de l’information et de la communication Stéphane Blocquaux montre qu’un individu est toujours plus méfiant de quelque chose qu’il ne connaît pas. Or, selon lui, les digital native ayant précisément grandi dans un contexte numérique, ne se méfieraient pas assez de celui-ci et adopteraient une posture naïve. Le chercheur souligne ainsi que les enfants se mettent souvent eux-mêmes en danger en faisant confiance à la technologie numérique, notamment en publiant du contenu qui sera ensuite exploité pour les harceler par exemple. ([71]) Plus généralement, les enfants étant par essence en construction intellectuelle, ils s’avèrent plus vulnérables et plus faciles à influencer, par exemple par des publicités ciblées ou du contenu d’influenceurs. Le constat dressé par les associations est que les enfants sont tellement habitués à la violence ordinaire des réseaux sociaux qu’ils ne font même plus remonter les agressions qu’ils subissent, pensant qu’il s’agit d’un comportement ordinaire. ([72])

2.   L’action des pouvoirs publics : éviter les risques pesant sur les enfants en ligne

Compte tenu de la prise de conscience des risques pesant sur les enfants en ligne, de plus en plus tôt dans leur vie, les pouvoirs publics s’emparent progressivement du sujet, essentiellement pour éviter les risques encourus par l’enfant, entendu comme objet de protection.

a.   Le législateur cherche à protéger l’enfant en ligne

Le législateur s’est emparé de la question de l’exposition des enfants à des risques en ligne en prévoyant, par exemple, des aggravations de crimes et délits à caractère sexuel lorsqu’ils sont commis sur des mineurs par un moyen de communication électronique ([73])  ainsi que lorsque des faits de corruption ou de tentative de corruption de mineurs sont réalisés en ligne. ([74]) Dans une logique de protection des enfants, le dispositif de contrôle parental sur tous les appareils susceptibles de naviguer sur internet a été généralisé ([75]) et l’exploitation commerciale de l’image des enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne a été encadrée. ([76]) Plus récemment, le rapport flash de la Délégation aux droits des enfants n° 911 portait sur l’examen de trois propositions de lois portant sur la protection des jeunes en ligne examinées en 2023. ([77]) Le projet de loi « Sécuriser et réguler l’espace numérique » déposé par le ministre délégué chargé du numérique M. Jean-Noël Barrot prévoit par ailleurs, parmi ses trois axes, un axe spécifique pour « protéger les plus jeunes des dangers d’internet ».

Ainsi, comme le soulève la Cnil, la priorisation de l’éducation par le numérique dans l’appréhension des relations entre éducation et numérique d’un côté et la tentative des pouvoirs publics d’éloigner les enfants des écrans d’un autre côté créent une confusion sur l’objectif que visent les pouvoirs publics. ([78]) La DGESCO elle-même entretient cette incohérence en déclarant que « la première éducation numérique est sans doute l’absence d’écrans » tout en ayant permis la numérisation des établissements scolaires. ([79]) Les rapporteurs estiment que la position de l’État sur ce point gagnerait à être clarifiée. En tout état de cause, ils jugent que ces actions pour protéger les enfants du numérique en tentant de les en éloigner sont insuffisantes en elles-mêmes : il est nécessaire, en complément, de favoriser l’autonomisation des enfants en les éduquant au numérique.

b.   Les pouvoirs publics doivent en parallèle favoriser l’autonomisation des enfants par leur éducation au numérique

Les rapporteurs considèrent qu’il est vain de protéger les enfants en ligne sous le seul prisme de l’évitement des risques. En effet, les personnalités auditionnées ont unanimement considéré que les différentes évolutions législatives précitées étaient insuffisantes pour protéger efficacement les enfants en ligne. Ainsi, par exemple, les contrôles parentaux peuvent dorénavant être très rapidement désinstallés des appareils par les enfants eux-mêmes, qui sont par ailleurs en mesure d’installer des VPN par leurs propres moyens. ([80]) De la même manière, poser le principe de la majorité numérique à 15 ans devrait produire peu d’effets in concreto pour protéger les enfants, lesquels parviennent déjà à s’inscrire sur les réseaux sociaux largement avant les 13 ans normalement requis à la création d’un compte sur un réseau social. Imposer des normes aux enfants pour les protéger conduit surtout les enfants à tenter à tout prix de contourner l’interdiction sans, in fine, qu’ils comprennent davantage les risques auxquels ils sont exposés. ([81])

Par conséquent, en complément de cette logique de protection, il est nécessaire de renforcer leurs connaissances des outils numériques, de la culture numérique, d’accroître leur capacité de discernement et d’esprit critique, afin d’en faire, non plus seulement des objets, mais également des acteurs conscients des réalités du monde numérique. Éduquer les enfants au numérique est une nécessité tant pour leur émancipation qu’un enjeu de respect de leurs droits. Si une amorce d’éducation au numérique a vu le jour, les rapporteurs soulèvent son insuffisance et soutiennent la nécessité de se montrer plus ambitieux.

II.   l’amorce d’une éducation au numérique, à caractère transversal, doit se concrétiser en un enseignement spécifique

Compte tenu des éléments précédents, une amorce d’éducation au numérique a été progressivement élaborée : éduquer au numérique est devenu un préalable nécessaire à l’éducation par le numérique. L’idée est d’apprendre comment fonctionnent les outils avant de s’en servir. Toutefois, cette amorce d’éducation au numérique est essentiellement transversale ; ce faisant, elle est « l’affaire de tous », et donc in fine de personne. En effet, l’éducation au numérique existe théoriquement dans les enseignements sans qu’elle n’incombe en réalité à personne : in concreto, l’éducation au numérique n’est dès lors pas effectivement mise en œuvre. Les rapporteurs préconisent donc plutôt l’élaboration d’un enseignement sui generis, doté d’une définition propre et d’un programme précis ainsi qu’abondé en heures effectives d’enseignement.

A.   une amorce d’éducation au numérique transversale et lacunaire

Le cadre institutionnel prévoit une éducation au numérique qui, dans les faits, ressemble plus à une case que l’établissement scolaire devrait cocher qu’à un véritable enseignement : s’il est prévu théoriquement, sa transversalité et son côté lacunaire en empêchent la réalisation concrète.

1.   Le cadre institutionnel de l’éducation au numérique au cours de la scolarité

Au cours de la scolarité, il est obligatoire pour chaque élève de valider un certain nombre de compétences numériques à caractère transversal. Au lycée, l’éducation au numérique est abordée sous un angle plus technique, mais il s’agit alors essentiellement d’enseignements spécialisés qui ne sont pas ouverts à tous.

a.   Du B2i à Pix : un tronc commun insuffisant

● Le brevet informatique et internet (B2i)

Dès 2005, la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ([82]) définissait, en son article 9, un socle « de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité », notamment, à son septième alinéa, « la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication » ([83])  : c’est la création du brevet informatique et internet (B2i) au collège, lequel doit permettre un « usage sûr et critique des techniques de la société de l’information ». ([84]) Il était ainsi attendu des élèves qu’ils maîtrisent des compétences de base : composants matériels, logiciels et services courants, traitement et échange de l’information, caractéristiques techniques, connaissance du fonctionnement de base des équipements informatiques ainsi que les règles régissant leur usage (propriété intellectuelle, droits et libertés des citoyens).

● La certification numérique Pix

En 2019, la certification Pix, obligatoire en classe de troisième et en terminale, remplace le B2i. Dès la 5e et, à compter de septembre 2023, dès la 6e, tous les élèves peuvent s’inscrire sur la plateforme Pix afin de s’entraîner individuellement ou dans le cadre de programmes définis par les enseignants. ([85]) Un décret ([86]) fixe l’établissement de compétences numériques dans cinq domaines d’activité et huit niveaux de maîtrise des compétences qui font l’objet d’une certification. ([87]) La répartition est la suivante :

Tableau du programme éducationnel au numérique ([88])

Domaines d’activité

Niveaux de maîtrise de compétences

Information et données

Mener une recherche et une veille d’information

Gérer des données

Traiter des données

Communication et collaboration

Interagir

Partager et publier

Collaborer

S’insérer dans le monde numérique

Création de contenus

Développer des documents textuels

Développer des documents multimédias

Adapter les documents à leur finalité

Programmer

Protection et sécurité

Sécuriser l’environnement numérique

Protéger les données personnelles et la vie privée

Protéger la santé, le bien-être et l’environnement

Environnement numérique

Résoudre des problèmes techniques

Évoluer dans un environnement numérique

Cependant, Pix fait l’objet d’un certain nombre de critiques. Pour la sociologue Dominique Pasquier, cette plateforme ne « sert à rien », ([89]) étant entendu qu’elle ne forme pas à la réalité des usages numériques contemporains. En effet, les syndicats des personnels de l’Éducation nationale estiment que Pix est essentiellement technique dans ses usages et qu’il ne comporte que peu d’éducation citoyenne en ligne ([90]) Ainsi, le syndicat CGT Educ’action relève qu’ « il est difficile d’approuver un système de certification qui s’attache à la notion de qualification en renvoyant à l’employabilité plus qu’à la préservation de l’intérêt général et à la prise en charge des élèves », tout en supprimant l’heure de technologie en 6e([91]) Ainsi, pour le chercheur Nicolas Vibert, cet outil est « louable et intéressant », mais largement insuffisant car il est très factuel et il n’aborde pas des problématiques complexes ; il n’apprend pas à utiliser réellement le numérique. ([92]) Pix présente aussi l’inconvénient qu’il ne valide pas d’attentes particulières : la certification se fait en fonction des entraînements de l’élève : il n’y a pas vraiment de base attendue, de compétence validée, c’est en fonction de chaque élève. ([93]) Ce prisme a été conçu par Pix dans l’idée de ne pas culpabiliser les élèves sur leurs compétences ([94]) mais il en résulte que si un élève ne s’intéresse pas du tout aux questions numériques, il obtiendra tout de même la certification sans avoir rien appris.

Ensuite, les syndicats des personnels de l’Éducation nationale relèvent un manque de cohérence éducative dans le fonctionnement même de Pix, qui est une certification que les établissements font passer aux élèves sans réel contexte, formation préalable ou suivi. Le syndicat CGT Educ’action souhaiterait notamment qu’il y ait la possibilité, en amont de Pix, d’accompagner correctement à la fois les enseignants et les élèves et que cette certification vienne à l’issue d’une véritable séquence dédiée. ([95]) C’est une demande qui est également faite par les lycéens eux-mêmes, pour qui la certification Pix « arrive comme un cheveu sur la soupe », sans contexte préalable, sans échanges sur le sujet, sans formation propre, et pour laquelle un certain nombre d’entre eux n’ont jamais obtenu leurs résultats. ([96]) Par ailleurs, comme Pix est réalisé à la maison, il est impossible de savoir qui passe concrètement le test. ([97]) Les chefs d’établissements considèrent pour leur part que Pix n’est pas vraiment exploité : les personnels éducatifs ne le passent pas eux-mêmes et Pix n’est pas conçu comme un support à l’école, mais seulement comme une demande institutionnelle obligatoire. ([98]) Pix présente toutefois l’avantage d’être un service public, gratuit, qui permet une utilisation tout du long de la vie ; la démarche donc est louable. ([99])

Recommandation n° 11 : les rapporteurs recommandent d’inscrire la certification Pix au sein d’un programme éducatif avec des heures de préparation et de suivi.

Au-delà de Pix, l’éducation au numérique est conçue par la DGESCO et la DNE comme une discipline essentiellement transdisciplinaire qui est réalisée de manière fragmentée, dans chaque discipline, tout enseignant ayant compétence pour former les élèves sur ces questions. ([100]) Il en résulte, pour les syndicats des personnels de l’Éducation nationale, qu’aucun enseignant n’éduque donc réellement au numérique. ([101])

b.   L’éducation au numérique au lycée : une éducation plus technique et optionnelle

L’éducation au numérique au lycée devient plus technique, omettant ce faisant ses dimensions sociétales, et fait l’objet d’enseignements de spécialité, qui ne profitent donc pas à tous les élèves.

La discipline Sciences numériques et technologie (SNT) consiste en un enseignement obligatoire d’une heure et demie par semaine s’adressant à tous les élèves de seconde des formations générales et technologiques en lycée. Cet enseignement a pour but d’appréhender les grands concepts sur lesquels sont fondées les technologies numériques et éclaire les élèves sur les notions de données, d’algorithmes, des langages qui permettent de coder les algorithmes et des machines et leurs systèmes d’exploitation. Le programme comprend sept thèmes d’études :

       internet ;

       le web ;

       les réseaux sociaux ;

       les données structurées et leur traitement ;

       localisation, cartographie et mobilité ;

       informatique embarquée et objets connectés ;

       photographie numérique. ([102])

Toutefois, selon le Conseil supérieur des programmes, cette matière n’a pas réussi à atteindre ses objectifs car elle sert « très souvent de variable d’ajustement dans les services des enseignants ». ([103]) Par ailleurs, l’institution regrette que cet enseignement soit fréquemment dispensé par des enseignants non volontaires et non formés, voire des stagiaires ou des contractuels qui apprennent souvent au dernier moment qu’ils seront en charge de cet enseignement. Le Conseil préconise notamment que ces enseignements soient exclusivement dispensés par des professeurs ayant des compétences dans ces domaines : titulaires du CAPES NSI, de l’agrégation d’informatique, du CAPET SII (option ingénierie informatique) ou du diplôme interuniversitaire NSI. Par ailleurs, pour la Cnil, « il s’agit plus d’apprendre à coder que de faire de l’éducation au numérique ». ([104]) Ainsi, la seule matière abordant le numérique dans le tronc commun au lycée semble produire peu d’effectivité sur la capacité réelle des élèves à connaître et maîtriser leurs usages du numérique.

L’enseignement de spécialité Numérique et sciences informatiques (NSI), de quatre heures par semaine en première et six heures en terminale, a succédé au précédent enseignement de spécialité Informatique et sciences du numérique, de deux heures par semaine introduit en 2012 qui n’était proposé qu’aux élèves de terminale S. Cet enseignement vise l’appropriation des concepts et des méthodes théoriques fondant l’informatique dans ses dimensions à la fois scientifiques et techniques ; il s’appuie sur les concepts de données, des algorithmes, des langages et des machines. Cette discipline est assurée par des enseignants titulaires du CAPES NSI ou du diplôme interuniversitaire « Enseigner l’informatique au lycée » mis en place au cours des deux années scolaires 2019-2020 et 2020-2021. Pour la Cnil, il s’agit de nouveau d’une matière très axée sur la technologie et peu sur des sujets éthiques ou juridiques permettant de comprendre le fonctionnement de l’espace numérique et de s’en protéger. ([105])

L’éducation au numérique passe également ponctuellement par d’autres enseignements de spécialité, en fonction de la volonté de l’enseignant. Ainsi, par exemple, l’enseignement de spécialité Géopolitique permet d’aborder – bien qu’à la marge – le sujet de la circulation de fausses informations en ligne. ([106]) Les rapporteurs regrettent que l’éducation au numérique ne soit abordée au lycée qu’essentiellement sous un angle technique et que des problématiques essentielles soient en même temps dispensées dans des enseignements de spécialité, qui ne profitent pas à tous.

2.   Des sensibilisations ponctuelles en réaction à des évènements donnés

En complément du cadre institutionnel de l’éducation au numérique, des sensibilisations aux questions numériques sont ponctuellement organisées au sein des établissements scolaires, essentiellement en réponse à des évènements donnés, qu’il s’agisse d’évènements médiatiques ou internes aux établissements scolaires.

a.   Des sensibilisations en réaction à des évènements médiatiques

Il est fréquent que l’éducation à des questions numériques se fasse en réaction à un sujet d’actualité et uniquement sous les aspects concernés par ce sujet. Ainsi, par exemple, la circulaire du 24 janvier 2022 ([107]) redonnait des moyens à l’éducation aux médias et à l’information par suite de l’assassinat de Samuel Paty, mais uniquement sous le prisme de la lutte contre les fausses informations et les théories du complot sans aborder toutes les dimensions de l’éducation aux médias et à l’information. Dans la même logique, c’est pour faire suite au suicide de l’adolescente Lindsay que le ministre de l’Éducation nationale M. Pap Ndiaye a annoncé une heure de sensibilisation sur le cyber-harcèlement et les réseaux sociaux. Sur ce point, le syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale regrette que ceux-ci aient été prévenus un vendredi soir qu’ils devraient faire une heure de sensibilisation sur le cyber-harcèlement la semaine suivante, en toute fin d’année. Ce faisant, ils estiment que le ministère a « pris les personnels de l’Éducation nationale à la gorge », alors même qu’ils tentent de travailler sur ces sujets tout du long de l’année. ([108]) Ils jugent qu’il aurait été préférable d’organiser une sensibilisation de manière réfléchie au moment de la pré-rentrée, avec des journées d’intégration.

b.   Des sensibilisations en réaction à des évènements internes aux établissements scolaires

De la même manière, les rapporteurs ont assisté à plusieurs formations de l’association Génération Numérique au sein d’établissements scolaires au cours desquelles ils ont relevé que, souvent, ces formations sont organisées pour répondre à une problématique précise constatée parmi les élèves. Ainsi, une formation Génération numérique au sein de classes de 5e avait été demandée à l’initiative d’une infirmière scolaire qui avait constaté des troubles chez les élèves liés à une surexposition aux écrans : déficit de sommeil et de concentration, maux de tête et de ventre, nausées, isolement… la majorité des élèves de la classe ont ainsi admis passer une dizaine d’heures devant les écrans sur une journée type de mercredi, six élèves ont même reconnu atteindre jusqu’à 14 heures devant les écrans. ([109]) De la même manière, une formation de Génération Numérique au sein d’une classe de 3e sur les stéréotypes de genre en ligne avait été demandée par une infirmière scolaire qui avait observé chez les élèves un renforcement des stéréotypes de genre qui, selon elle, pouvaient être dus au contenu en ligne, à la consultation de sites pornographiques, aux images genrées propagées sur les réseaux sociaux. ([110])

Les rapporteurs soulignent que le fait d’organiser des sensibilisations en réaction à des évènements donnés ne permet ni d’aborder le sujet de manière sereine et adéquate, ni de le penser sur le long terme et que, ce faisant, nous nous privons d’une réelle politique publique et de solution concrète pour les enfants.

B.   la nÉcessitÉ de concevoir un enseignement spécifique au numérique

L’éducation au numérique ne doit pas consister en un saupoudrage : il est nécessaire de créer un enseignement sui generis ; il s’agit d’un enjeu crucial d’égalité entre tous les enfants et de protection de leurs droits.

1.   Un enseignement crucial dans l’intérêt supérieur de l’enfant

Il est désormais, selon les rapporteurs, indispensable d’éduquer les enfants au numérique le plus tôt possible afin que tous, sur un plan égalitaire, aient connaissance des risques auxquels ils sont soumis comme de leurs droits en ligne.

a.   Une nécessité en termes d’égalité et de protection des droits des enfants

Les enfants subissent des inégalités numériques du fait d’éducations familiales très hétérogènes. La chercheuse en sciences de l’information et de la communication Anne Cordier relève qu’il existe des inégalités relatives au maniement des outils numériques, de leur compréhension, mais également des pratiques numériques : les enfants de milieux défavorisés développent des usages moins diversifiés que les enfants de milieux favorisés et qui correspondent moins aux attentes académiques et professionnelles futures (manier des logiciels de présentation, de traitement de texte, etc.). ([111]) La sociologue Dominique Pasquier a notamment observé que le niveau de diplôme des parents, et surtout de la mère, a une influence considérable pour éduquer les enfants en matière de numérique. ([112]) Parmi les classes les plus favorisées, elle observe un retard à l’équipement personnel de l’enfant et un encouragement aux moments de déconnexion ainsi qu’un accès au double-imprimé (écrit et en ligne) ; les enfants apprennent ainsi à se servir du numérique de façon utile. Dans les familles pas ou peu diplômées, elle constate en revanche la prééminence de l’idée d’un devoir de connexion pour les enfants qui, sinon, rateraient leur entrée dans la modernité. Cette idéologie a des conséquences directes sur les usages : les enfants des milieux populaires sont connectés beaucoup plus tôt et sur des modèles plus chers, ils restent plus longtemps en ligne et ont davantage d’usages ludiques et communicationnels qu’informationnels et scolaires. ([113]) La sociologue observe, en effet, des familles au sein desquelles l’email n’est jamais utilisé car trop difficile d’accès. Elle estime ce faisant, tout comme la chercheuse Anne Cordier, que si l’Éducation nationale ne forme pas les enfants à ces questions, il y aura d’un côté ceux qui ont des parents qui leur transmettent les bons usages et de l’autre des enfants qui ne bénéficient d’aucune transmission à cet égard. ([114])Cet enjeu d’égalité n’est par ailleurs pas uniquement socio-économique mais également entre les genres : les personnels de l’Éducation nationale observent dès l’école élémentaire une orientation des garçons vers les technologies tandis que les filles sont davantage victimes que les garçons de cyber-violences. Pour Tristan Brams, secrétaire fédéral du Sgen-CFDT en charge des politiques éducatives et de formation professionnelle, il y a donc aussi un réel besoin de donner plus d’aisance aux filles sur la question du numérique afin qu’elles puissent elles aussi s’y épanouir dans leur vie privée, voire professionnelle. ([115])

Les rapporteurs regrettent de laisser ces inégalités prospérer et considèrent que pour lutter contre, il est essentiel que l’éducation au numérique constitue une discipline à part entière. Pour les associations de parents d’élèves, le numérique, omniprésent dans la vie de tous les citoyens, est devenu un savoir fondamental qui doit, à ce titre, faire l’objet d’une politique éducative propre. ([116]) Cette lutte contre les inégalités permettra in fine de permettre une meilleure protection des droits de tous les enfants : pour la Défenseure des droits, l’éducation au numérique leur permettrait d’avoir conscience de leurs droits en ligne et d’être effectivement en mesure de les revendiquer. ([117])

b.   La nécessité d’un enseignement précoce au numérique

Pour la sociologue Dominique Pasquier, il faut éduquer les enfants au numérique avant leur arrivée sur les réseaux sociaux, ce qui suppose une initiation à ces questions dès le CM1 et le CM2. ([118]) Ce constat est partagé par Samuel Comblez, psychologue de l’enfance et de l’adolescence et directeur des opérations de l’association e-enfance, qui considère que dès l’âge de 6 ans, il convient de faire de la prévention sur les risques quant à l’utilisation du numérique par les enfants. En effet, les études montrent que dès l’âge de 7 ans, les enfants sont globalement déjà autonomes en ligne, souvent sans que leurs parents ne le sachent. ([119]) Par conséquent, l’association e-enfance choisit d’intervenir du CP à la terminale et, à partir de 2024, elle souhaite étendre ses interventions de prévention à la crèche et à la maternelle pour répondre à une forte demande en ce sens des personnels qui y travaillent. L’association alerte sur le fait que beaucoup d’écoles maternelles tentent aujourd’hui de convaincre et de sensibiliser les parents et alertent sur l’utilisation du numérique qui est faite par les enfants. ([120]) Samuel Comblez considère ainsi que toutes les thématiques doivent être abordées dès le primaire : risques de pédophilie en ligne, de prostitution en ligne, de pornographie, de cyber-harcèlement, des conséquences du numérique sur le sommeil, des troubles de l’attention, de la désinformation, des théories du complot, des questions d’escroquerie, de piratage, d’usurpation d’identité, etc. ([121])

2.   Une vraie définition de l’éducation au numérique

Afin de rendre effectif un enseignement aux questions numériques suffisamment ambitieux pour répondre à ces enjeux, il est nécessaire à la fois de poser une définition très précise ainsi que de cibler des compétences suffisamment larges pour recouvrir toutes les problématiques qui y sont liées.

a.   La nécessité de se doter d’une définition précise dans les programmes scolaires

Pour rendre effectif l’éducation au numérique, il est nécessaire de le faire rentrer dans les programmes scolaires, sous la forme d’une discipline entièrement dédiée à ces questions. Cette inscription dans les programmes scolaires permettrait de justifier la mise en place de séances par les enseignants, notamment par les professeurs documentalistes. ([122]) La Cnil estime qu’il est tout à fait possible, et que cela est attesté dans son livret enseignant avec des séances clé en main, de faire de l’enseignement au numérique une discipline propre qui déclinerait dans un programme des connaissances fondamentales à acquérir, au même titre que le français ou les mathématiques. ([123]) Sandra Gaudillère, du syndicat CGT Educ’action, considère qu’il faudrait mettre en place un enseignement qui regrouperait l’éducation au numérique et aux médias, en intégrant une progression de la 6e à la terminale, avec une heure par semaine dédiée auprès des professeurs documentalistes qui s’ajouterait aux autres enseignements. Cela présenterait l’avantage, selon elle, que l’enseignement du numérique ne dépende plus de la volonté de chaque établissement mais soit une norme valable pour tous, ([124]) favorisant l’égalité entre les élèves sur ces questions sur le territoire national.

Les rapporteurs estiment que l’effectivité d’un réel enseignement aux questions numériques suppose l’adoption d’une définition précise. Le choix de la notion d’enseignement plutôt que d’ « éducation à » leur semble préférable car la seconde renvoie à de nombreux dispositifs : éducation à la sexualité, éducation au développement durable, éducation à la citoyenneté, etc., qui sont des dispositifs relevant plus de l’intention, sans quelconque réel objectif à atteindre, que de la validation de compétences précises. ([125]) Les dispositifs d’ « éducation à » passent souvent par l’intervention de personnes extérieures aux établissements dans le seul but de « cocher des cases ». ([126]) Or, le sujet de la jeunesse et du numérique est trop important pour ne relever que d’une déclaration d’intention : il est, partant, nécessaire de sortir du transdisciplinaire et de se doter d’objectifs clairs, qui constitueront un point d’entrée pour agir. ([127]) Les rapporteurs insistent sur la remise en, cause nécessaire de la dimension transversale de l’éducation au numérique.

Recommandation n° 12 : les rapporteurs recommandent d’enseigner le numérique comme une discipline à part entière, disposant de ce fait d’une définition et d’un programme propres, ainsi que d’heures dédiées.

Bien que la définition doive être précise, sous peine de voir cet enseignement ineffectif, l’enseignement au numérique doit dans le même temps englober en son sein des compétences très larges pour permettre réellement l’autonomisation de l’enfant dans l’espace numérique de manière sécurisée.

b.   La nécessité de valider tant des compétences techniques et que de discernement

Un enseignement du numérique ambitieux doit viser des compétences larges, c’est-à-dire permettre de valider à la fois des compétences techniques et des compétences liées au renforcement des facultés de discernement et d’esprit critique des enfants en ligne.

Comme pour tout outil, avant de se servir des outils numériques, il est préférable d’avoir appris les bases de leur fonctionnement et de la technique qui les porte. En ce sens, les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire que les enfants comprennent comment fonctionne internet, comment sont posés les câbles, quels mécanismes sont à l’œuvre lorsqu’une personne envoie un message et qu’une autre le reçoit, etc. Les pouvoirs publics sont partis du principe que les digital natives, puisqu’ils baignaient dans le numérique depuis leur plus jeune âge, sauraient ipso facto utiliser à bon escient les technologies numériques. Or, dans les faits, les usages qu’ils en développent ne sont pas les plus pertinents. Ainsi, par exemple, la chercheuse Anne Cordier, au cours de ses recherches de terrain, s’est aperçue qu’un grand nombre d’enfants de CM1 ne savaient pas ce qu’était une souris d’ordinateur car ils n’avaient développé des usages numériques que sur des tablettes. La conséquence est un retard des apprentissages au maniement des outils numériques réellement utiles. ([128]) De la même manière, l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale (APDEN) alerte sur des classes entières de 6e qui ne savent pas de quelle manière allumer un ordinateur fixe. ([129]) Les jeunes sont surtout présents sur les réseaux sociaux et utilisent essentiellement des smartphones et des tablettes, mais ils ne développent pas les usages qui leur seront utiles dans leur vie professionnelle ou dans leurs vies d’adultes en général. Dès lors, les rapporteurs estiment absolument crucial de renforcer les compétences techniques sur des outils présentant une réelle utilité pour l’avenir des enfants. De la même manière, dans leurs futures vies d’adultes, ces enfants auront besoin d’accomplir un certain nombre de démarches en ligne (accéder à des services de santé, au logement, déclarer les impôts, etc…). Or, la sociologue Dominique Pasquier observe sur le terrain que les enfants s’avèrent incapables de remplir des formulaires en ligne. Elle estime qu’il faudrait donc former davantage les enfants à la dématérialisation des services en ligne pour former de futurs citoyens autonomes dans leurs démarches et considère que ce rôle incombe à l’Éducation nationale. ([130]) Par comparaison, il existe en effet dans les pays scandinaves un modèle d’intégration de la culture numérique à l’école : les enfants apprennent notamment à se saisir de la numérisation des services à l’école en Finlande. ([131])

Par ailleurs, faire émerger une culture du numérique est indispensable pour que les enfants comprennent davantage le monde dans lequel ils évoluent en ligne. Ainsi, la philosophe Anne Alombert estime par exemple qu’il faudrait enseigner, dans les cursus scolaires, l’histoire et l’anthropologie des techniques afin que les élèves puissent saisir le contexte de déploiement et d’utilisation des technologies numériques. ([132]) Il serait également bénéfique, selon le chercheur en sciences de l’information et de la communication Stéphane Blocquaux, de valoriser ces disciplines en reconnaissant l’anthropologie du numérique comme une véritable discipline par le Conseil national des universités (CNU). ([133])

Apprendre aux élèves le fonctionnement des technologies numériques leur permettrait également de mieux se protéger en ligne (paramétrage des réseaux sociaux, protection des données personnelles et de l’identité en ligne, alternative aux moteurs de recherche qui traitent les données, etc…). ([134])À l’égard de tous ces enjeux, les rapporteurs regrettent la suppression de l’heure de technologie en 6e qui aurait pu être mise à profit pour atteindre ces objectifs.

Un enseignement purement technique serait toutefois insuffisant compte tenu des enjeux démocratiques et sociétaux en ligne. Pour permettre aux enfants de se protéger et de devenir des acteurs pleinement conscients du numérique, il est primordial de renforcer leurs facultés de discernement.

-         L’éducation aux médias et à l’information adaptée au numérique

Renforcer les facultés de discernement des enfants suppose en premier lieu d’adapter l’éducation aux médias et à l’information au numérique pour permettre aux élèves d’analyser l’information de manière critique face à la multiplication d’informations de mauvaise qualité. Selon le directeur général chargé des ressources d’Arte France Frédéric Bereyziat, une information est censée répondre à trois critères de qualité : elle doit faire l’objet d’une vérification professionnelle ; elle doit être émise par un émetteur désintéressé ; elle engage la responsabilité de son émetteur. ([135]) La nouveauté avec le numérique de manière générale et les réseaux sociaux en particulier, c’est que ces derniers ont totalement bouleversé l’économie de la diffusion des messages : il suffit dorénavant de disposer d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone ainsi que d’une connexion pour émettre de l’information. Cette situation a donc décuplé les capacités d’émission et les barrières à l’entrée de la production informationnelle ont baissé sans commune mesure, le potentiel de diffusion des messages devenant illimité. Or, une très grande partie de ces messages ne répond plus aux critères de qualité précités. ([136]) Dans le même temps, les enfants s’informent majoritairement sur les réseaux sociaux : selon une étude Ipsos ([137]), 94 % d’entre eux utilisent un réseau social pour s’informer, parmi lesquels Instagram à 48 %, YouTube à 42 % et TikTok à 32 %. Ainsi, l’information traditionnelle est devenue noyée et dépassée. ([138]) Le risque aujourd’hui est d’être submergé par un flot d’informations qui n’en sont pas réellement et que face à ce raz-de-marée, se crée un rapport de fatigue, de rejet de l’information ; c’est un sujet de préoccupation majeur dans notre espace démocratique. ([139]) Le défi est de réussir à apprendre aux élèves à construire une acquisition des connaissances qui n’est pas seulement le fait brut extrait de l’ordinateur mais l’analyse d’une série de faits relatée différemment en fonction de cette analyse. Ce faisant, le Conseil supérieur des programmes par exemple estime que l’éducation aux médias et à l’information soit renforcée à tous les niveaux de scolarité et dans toutes les disciplines, et qu’il existe un risque que cette discipline ne soit pas assez visible et qu’elle ne soit pas toujours jugée prioritaire par les enseignants. ([140]) Il est donc nécessaire d’en faire une compétence à part entière au sein de l’enseignement au numérique.

Recommandation n° 13 : compte tenu des enjeux informationnels pour la démocratie et la circulation croissante de fausses informations et ni contenus ni sourcés ni qualifiés en ligne, les rapporteurs préconisent l’intégration d’une éducation aux médias et à l’information ciblée sur le numérique au sein du programme de l’éducation au numérique.

-         Renforcement de la connaissance de soi et des compétences psycho-émotionnelles

En second lieu, le renforcement des facultés de discernement passe par une meilleure connaissance de soi-même et un renforcement des compétences psycho-émotionnelles, qui ne sont actuellement pas valorisées dans les cursus scolaires. Pourtant, pour mieux comprendre l’environnement virtuel dans lequel ils évoluent, les enfants ont d’abord besoin de mieux se connaître eux-mêmes. Or, le directeur du centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage de l’Université de Poitiers Nicolas Vibert souligne que la première fois qu’on leur parle de leur cerveau, c’est en 4e, en SVT. ([141]) En 6e, les enfants sont, d’après le chercheur, tout bonnement incapables de discerner les vraies des fausses informations ; il faut donc avant tout leur expliquer le fonctionnement de leur cerveau, leur apprendre que s’ils trouvent une information drôle, sensationnelle, confortant leurs biais, etc., c’est parce que leurs cerveaux ont des failles qui sont exploitées par les plateformes numériques. ([142]) Par ailleurs, pour le chercheur en sciences de l’information et de la communication Stéphane Blocquaux, le processus de virtualisation du monde qui est à l’œuvre avec le numérique, et amplifié par l’intelligence artificielle, renforce la nécessité d’expliquer aux élèves ce qu’il se passe lorsqu’un humain est connecté, de leur faire comprendre que le numérique et l’intelligence artificielle ne sont capables ni de sensibilité ni de réflexion propre ; il faut ramener les enfants à une « problématisation heuristique » ([143]). Il estime également nécessaire d’accompagner l’enfant dans sa construction émotionnelle pour gagner en empathie, notamment à un moment où l’intelligence artificielle présente un risque à cet égard avec un sentiment d’irréalité. ([144]) Dès la maternelle, 40 % des enseignants affirment en effet assister à des situations de harcèlement : les rapporteurs partagent donc la nécessité de travailler davantage les compétences psycho-émotionnelles des enfants. ([145])Au Danemark, par exemple, il existe des cours d’empathie et, plus généralement, dans un certain nombre de pays, notamment en Scandinavie, il y a des programmes scolaires précis sur les compétences psycho-émotionnelles. En Suisse, le programme PATH va également en ce sens. ([146])

Recommandation n° 14 : les rapporteurs recommandent d’encourager l’accompagnement des enfants dans leur construction émotionnelle pour gagner en empathie et valoriser le développement de leur esprit critique.

       Renforcer l’éducation à la vie sexuelle et affective

Le renforcement des compétences psycho-émotionnelle et des facultés de discernement passe également par un renforcement de l’éducation à la vie sexuelle et affective face à l’augmentation constante de la consultation de contenu pornographique en ligne par les enfants. ([147]) La fréquentation de ces sites par les mineurs est devenu un véritable enjeu de santé publique. Le psychologue de l’enfance et de l’adolescence et directeur des opérations de l’association e-enfance Samuel Comblez témoigne recevoir des jeunes patients qui rencontrent des difficultés dans l’appropriation de leur vie sexuelle en raison des injonctions des contenus pornographiques. ([148]) Se pose également de manière croissante le problème de la pédophilie sur internet qui échappe totalement à toute régulation, notamment en raison de l’utilisation de webcams. ([149]) Par ailleurs, à cause de la surexposition à des images pornographiques, les enfants ont des difficultés à reconnaître ce qui constitue des violences sexuelles ([150]), ce qui les rend d’autant plus vulnérables à des pédocriminels, voire à des réseaux de prostitution. L’ACPE souligne une augmentation de la prostitution en ligne des mineurs constante depuis 2016, facilitée par la généralisation des outils numériques : des enfants souhaitant se faire de l’argent rapide ont des possibilités illimitées de le faire sur internet. ([151]).Or, pour Samuel Comblez, si nous n’expliquons pas à nos enfants les ressorts de tous ces mécanismes, ils tomberont dans les pièges qui leur sont tendus. ([152]) D’après une étude de WeProtect Global Alliance, 64 % des jeunes de 18 ans en France auraient subi au moins un type de préjudice sexuel en ligne au cours de l’enfance : 49 % d’entre eux a reçu du contenu sexuellement explicite d’un adulte ; 24 % a été invité à garder secrète une partie de leur relation en ligne sexuellement explicite avec un adulte ; 27 % a été victime d’une personne qui a diffusé des images et/ou des vidéos sexuellement explicites sans sa permission ; 50 % a été invité à faire en ligne quelque chose de sexuellement explicite qui le/la mettait mal à l’aise ou qu’il/elle ne voulait pas faire. ([153])

Les rapporteurs soulignent par conséquent l’enjeu éducatif fort sur la question de la sexualité : les mineurs s’en réfèrent souvent à du contenu sexuel en ligne car ils ont besoin de trouver des réponses à des questionnements que personne ne leur apporte dans le cadre éducatif. Malgré l’obligation textuelle d’effectuer trois séances annuelles d’éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements scolaires, ([154]) cette sensibilisation est rarement effectuée en pratique. La Défenseure des droits alerte sur cette situation, qui porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Recommandation n° 15 : les rapporteurs demandent aux pouvoirs publics de garantir l’effectivité de la mise en œuvre de l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements scolaires.

Recommandation n° 16 : les rapporteurs recommandent d’intégrer au sein du programme de l’enseignement du numérique les questions liées à l’information et la prévention des enfants face à la pornographie, la pédocriminalité et la prostitution en ligne.

Un exemple de définition d’éducation numérique : le canton de Vaud, en Suisse

Au sein des établissements scolaires du canton de Vaud, en Suisse, a été créée une nouvelle discipline à part entière d’éducation au numérique, à la demande de la ministre de l’éducation du canton. Les objectifs qui étaient assignés à cette discipline sont : réduire la fracture numérique, préparer les citoyens de demain, favoriser l’égalité des chances, développement des compétences et un esprit critique, développer les « humanités digitales », encourager les élèves à la créativité et assurer leur émancipation.

Sur la base de ces objectifs, l’éducation au numérique a été définie à l’aune de trois composantes : les sciences informatiques, les usages et l’éducation aux médias. Au sein de la composante portant sur les sciences informatiques, l’objectif est de donner aux élèves des bases leur permettant de comprendre ce que sont la science informatique en tant que discipline, les algorithmes, la programmation, l’information, les données, les machines et systèmes de réseaux. S’agissant des usages, il s’agit de leur apprendre à réguler leurs usages des technologies numériques. S’agissant enfin de l’éducation aux médias, il s’agit de faire comprendre aux élèves le système des médias et de leur permettre d’être en mesure d’analyser leurs productions et de faire des choix éclairés.

Le point important dans le modèle développé est que ces trois composantes sont étroitement liées : par exemple, dès le plus jeune âge, il faut comprendre que les machines trient les informations (sciences informatiques) et qu’on utilise des moteurs de recherche pour trouver ces informations (usages), qui eux-mêmes utilisent des algorithmes : une fois que l’on prend conscience de ses usages, on est en mesure de faire des choix et devenir un acteur éclairé. Pour chaque cycle, ces trois composantes sont décomposées en compétences concrètes que les enfants doivent apprendre selon un plan d’études établi en deux parties : la compréhension et l’engagement.

La compréhension renvoie à l’environnement sociotechnique et à la modularité. Il s’agit d’une part de contextualiser le numérique dans un environnement donné, de comprendre son historique, l’histoire de son développement, son économie ; en second lieu, il s’agit de comprendre de quelle manière le numérique peut résoudre ou non des questions de société avec tous ses différents modules. Une fois la compréhension acquise, l’engagement relève plutôt de la délégation et de l’éthique : il s’agit de déterminer ce que l’on choisit de déléguer ou non au numérique – par exemple, déléguer sa direction à un GPS. S’agissant de l’éthique, il s’agit de responsabilité, de durabilité ; il s’agit d’appeler chacun à prendre ses responsabilités sur la base de tous les éléments précédents. Un manuel scolaire a été mis en place pour reprendre toutes ces compétences. ([155])

Au-delà de la question du contenu d’un enseignement du numérique, se pose également celle des acteurs de celui-ci : à qui doit incomber la tâche d’enseigner les enjeux du numérique aux mineurs ?

   Seconde partie : vers une implication plus structurée de l’ensemble de la société pour éduquer les enfants au numérique

Les acteurs sont à la fois trop nombreux et insuffisants : d’un côté, une multitude d’acteurs créent des ressources et proposent des actions en vue d’éduquer les enfants au numérique, au point de devenir en réalité illisible et inaccessible ; de l’autre côté, un grand nombre d’acteurs demeurent trop peu concernés par la question de l’éducation au numérique. La mise en place d’une politique publique en mesure d’harmoniser et de piloter les actions de ces différents acteurs s’impose donc.

I.   Une multiplication des acteurs de l’éducation au numérique

Les acteurs proposant des ressources et des actions en matière d’éducation au numérique se multiplient et rendent ainsi illisibles et inaccessibles leurs actions. En l’état actuel des choses, il est difficile de répondre à la question : qui éduque au numérique ? Cela génère des effets indésirables rendant indispensable une intervention de l’État.

A.   la multiplication d’acteurs impliqués conduit au défaut d’identification de l’interlocuteur compétent

Les acteurs sont si nombreux que les différentes actions des uns et des autres s’en trouvent invisibilisées.

1.   Le nombre pléthorique d’acteurs complique la lisibilité des actions et des ressources produites

Les acteurs intervenant en matière d’éducation au numérique sont à la fois institutionnels et privés.

a.   Des acteurs institutionnels

L’Arcom, même si ses missions premières consistent à réguler le comportement des éditeurs de contenus, participe aux côtés d’autres acteurs à l’éducation au numérique par des actions ponctuelles. Depuis un an, l’Arcom est notamment mobilisée pour identifier des points d’appui au sein des territoires (associations, radios locales, établissements scolaires, représentants du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi), associations de parents d’élèves…). Son rôle est donc surtout de mettre tous ces acteurs en réseau. ([156]) Pourtant, les rapporteurs constatent un manque de coordination de tous les acteurs.

Depuis 2013, la Cnil est engagée en matière d’éducation au numérique, notamment par le biais du collectif EducNum, que l’autorité administrative indépendante pilote et qui comprend 70 membres, notamment des associations, mais aussi des entreprises de médias. Ensemble, ils essaient de fédérer les acteurs du secteur et d’entreprendre des actions communes afin de faire circuler l’information portant sur l’éducation au numérique. La Cnil travaille également avec Axa Prévention sur le « permis internet » tandis que dans le même temps, le ministre délégué M. Jean-Noël Barrot a annoncé la mise en place d’un « passeport numérique » au cours d’une audition devant la Délégation aux droits des enfants. ([157]) La Cnil avoue être elle-même perdue au milieu de tous ces dispositifs qui ne communiquent pas entre eux. ([158]) Malgré son rôle crucial, les moyens de la Cnil ne lui permettent, par ailleurs, pas de toucher tout le territoire national : actuellement, seulement quatre personnes travaillent au sein d’EducNum et ses actions ne sont menées qu’à Paris. La Cnil produit énormément de ressources pédagogiques en matière d’éducation au numérique ([159]), à la fois à destination des enfants, des parents et des enseignants. Toutefois, l’institution ne peut toucher le public que de manière fragmentée. Par exemple, leur livret de conseils et de bonnes pratiques à destination des parents a été envoyé à 500 écoles sur le territoire, leur budget ne leur permettant pas de faire davantage. Au total, 150 000 enfants sont formés chaque année par le biais des actions de la Cnil sur les sujets informatique et libertés, grâce aux formateurs qui se font les relais de la Cnil sur l’ensemble du territoire et plus de 1 000 personnes ont été formées directement par ses équipes depuis le 1er trimestre 2023. ([160]) Par ailleurs, malgré la quantité de ressources produites, ce sont les vecteurs de communication qui sont lacunaires. En effet, par exemple, les ressources pédagogiques de la Cnil reposent principalement sur le site internet de l’institution([161]) : y accéder suppose donc au préalable de connaître celle-ci.

Le Clemi a, quant à lui, essentiellement trois missions : former les enseignants à l’éducation aux médias et à l’information, produire et coproduire des ressources pédagogiques, animer et organiser des actions éducatives (dont la plus importante est la semaine de la presse et des médias dans les établissements scolaires). ([162]) Ainsi, en matière d’éducation au numérique, le Clemi s’attache donc aux enjeux de citoyenneté numérique et produit également des ressources. Le Clemi est notamment en train d’élaborer un guide pour apprendre aux enfants à se servir des outils numériques. ([163]) La plateforme Pix, de son côté, vise à mesurer les compétences numériques pour développer celles-ci puis les valoriser. ([164])

Le Défenseur des droits, pour sa part, a mis en place le programme Educadroit, destiné à la sensibilisation sur les droits des enfants de 6 à 12 ans qui s’adresse aux adultes professionnels intervenant auprès des enfants ainsi qu’un kit pédagogique disponible sur leur site internet, gratuit et téléchargeable. Par ailleurs, grâce au dispositif des jeunes ambassadeurs des droits, le Défenseur des droits parvient à sensibiliser environ 53 000 enfants chaque année sur les 12 millions d’enfants du système éducatif.

Dans les établissements, interviennent également des policiers et des gendarmes, sans que personne ne sache, selon la Cnil, quelle est leur formation sur ces sujets. ([165]) Les enseignants de toutes les disciplines sont également tous en partie en charge d’éduquer au numérique, selon la DGESCO et la DNE. ([166]) La DGESCO a également adopté une charte pour le numérique mais « qui la connaît ? » demandent les directeurs d’établissements. ([167])  Cette charte constitue une base mais elle n’a pas fait l’objet d’une appropriation au sein des établissements. ([168]) Comme le souligne le secrétaire fédéral Sgen-CFDT en charge des politiques éducatives et de formation professionnelle Tristan Brams, « on ne fait que publier des textes sans application ». ([169]) Pour les syndicats des personnels de l’éducation nationale, cette charte est une « catastrophe » : elle a été élaborée sans les syndicats et elle n’est absolument pas à la hauteur des enjeux. ([170])

Ainsi, plusieurs acteurs de droit public ont la charge de parties de l’éducation au numérique ; il en ressort une image fragmentée qui conduit à un manque de lisibilité pour les citoyens ainsi qu’à un défaut de communication. Ainsi, par exemple, il n’y a pas d’instance au sein de laquelle la Cnil est représentée au sein de l’Éducation nationale, ce qui empêche l’autorité administrative de faire remonter des problématiques ou des conseils sur les usages numériques au sein des établissements scolaires. ([171]) Les rapporteurs regrettent un tel manque de communication entre les institutions sur un sujet pourtant majeur.

Recommandation n° 17 : les rapporteurs recommandent une meilleure représentation de la Cnil au sein des instances de l’Éducation nationale liées au numérique scolaire.

b.   Des acteurs privés

De nombreux acteurs privés, à la fois des associations et des entreprises, se sont également emparés du sujet de l’éducation au numérique. S’agissant des associations, e-enfance a pour mission de protéger les mineurs sur internet. En matière d’éducation au numérique, l’association dispose d’un pôle sensibilisation et prévention organisant des interventions à destination des enfants, des parents ainsi que des professionnels de l’enfance et de la jeunesse. Pour l’année 2022, l’association aurait sensibilisé près de 200 000 personnes aux usages responsables d’internet et aux violences numériques. ([172]) L’association Génération Numérique est un autre acteur privé fondamental en matière d’éducation au numérique. Dès 2003, l’association a lancé des cours d’éducation civique adaptée au numérique et a réalisé plus de 7 500 séances de formation en 2023. ([173]) L’association intervient régulièrement dans des établissements scolaires à travers différents modules (repérage des fausses informations, internet et les réseaux sociaux, renforcement des stéréotypes de genre sur internet…). L’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) a, quant à lui, été fondé sur le constat que les actions de sensibilisation en matière de numérique sont souvent moralisatrices, stigmatisantes et pleines d’injonctions. Aussi, cette association a pour mission de produire des études, de publier des ressources à destination des adultes, de lever leurs inquiétudes sur ces sujets pour instaurer une meilleure logique de dialogue. ([174]) La Fondation pour l’enfance élabore des campagnes de communication et de sensibilisation. Elle mène également une campagne avec l’Association française de pédiatrie ambulatoire, « La meilleure application pour vos enfants, c’est vous » et, avec Mpedia, ils proposent gratuitement des formations sur le numérique aux médecins et soignants. ([175]) L’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) est, pour sa part, mobilisée sur ces questions à travers la prostitution des mineurs en ligne et mène des campagnes de sensibilisation tandis que l’association Caméléon lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. Cette dernière intervient dans les établissements scolaires pour faire connaître aux enfants leurs droits et leurs responsabilités pour mieux les protéger contre les violences, elle sensibilise les parents pour renforcer leurs compétences ainsi que les encadrants pour leur permettre de repérer et de signaler la maltraitance.

S’agissant des entreprises, l’école des réseaux sociaux, créée par Daniel Jasmin, propose des ressources pédagogiques gratuites visant à mieux se protéger en ligne. ([176]) Avec les centres Relier, l’entreprise propose des actions de prévention du harcèlement/cyber-harcèlement à destination des adultes et des enfants ainsi que des services de prise en charge des victimes de cyber-harcèlement et de harcèlement ainsi qu’édite un guide numérique « Maux d’enfants mode d’emploi » recensant toutes les ressources gratuites d’un territoire pouvant accompagner les adultes (parents, enseignants, acteurs territoriaux) lorsqu’ils détectent une souffrance de jeune. Ce guide sera lancé en septembre 2023 et intégré dans les ENT ainsi que les sites des collectivités. Ils mènent également le programme STOP Cyberviolences, en cours de mise en œuvre avec Génération Numérique et en partenariat avec l’académie Orléans-Tours visant à mener une action systémique auprès des élèves de cycles 3 et 4, de leurs parents, des acteurs territoriaux ainsi qu’au sein des réseaux sociaux. Un autre acteur, Internet sans crainte, est le programme national de sensibilisation pour accompagner les jeunes dans une meilleure maîtrise de leur vie numérique et est opéré par Tralalere, entreprise de l’économie sociale et solidaire. Toutefois, ces derniers, essentiels dans l’éducation au numérique, ont en grande partie été invisibilisés.

Compte tenu du caractère pléthorique des acteurs impliqués, la Défenseure des droits souligne qu’il est impossible de disposer d’une réelle visibilité sur ce qui se fait en matière d’éducation au numérique et que ses propres équipes ne parviennent pas à en avoir un panorama complet. ([177]) De la même manière, énormément de ressources sont produites, mais demeurent inconnues faute d’une communication adéquate. ([178]) Les rapporteurs constatent le besoin d’un vrai dialogue de fond sur ces questions pour permettre l’émergence d’une réponse unique. Par ailleurs, la multiplication de tous ces acteurs pose des problèmes en termes de rupture d’égalité.

2.   Le nombre pléthorique d’acteurs suscite des ruptures d’égalité

Le grand nombre d’acteurs impliqués produit des difficultés, à savoir d’une part que des acteurs importants ne font l’objet d’aucune reconnaissance et que d’autre part, émerge une marchandisation des formations d’éducation au numérique, sujet pourtant d’intérêt public majeur.

a.   Des acteurs importants ignorés

Internet Sans Crainte est l’une des trois lignes d’action du programme de protection des mineurs du Safer Internet France, opéré par Tralalere, aux côtés de la ligne d’écoute 3018, opérée par e-enfance et de la plateforme de signalement Point de Contact. Internet Sans Crainte est également l’organisateur, en France, du Safer Internet Day, la journée mondiale pour un internet plus sûr. Ainsi, cette entreprise est considérée comme le point d’entrée en matière d’éducation au numérique en France. Toutefois, compte tenu de la multiplication des acteurs dans ce domaine, elle a été invisibilisée. Pourtant, son contrat avec l’Union européenne est renouvelé depuis 15 ans et l’entreprise bénéficie de financements, à hauteur de 50 %, de la Commission européenne. Ses actions de sensibilisation résultent essentiellement de la création d’outils et de ressources permettant d’éduquer les citoyens et les enfants au numérique. ([179]) Malgré sa place normalement privilégiée au sein des institutions, cet organisme peine à être identifié clairement par le public, alors même qu’il est le point d’entrée de l’Union européenne sur ce sujet. La conséquence est sa difficulté à faire financer les 50 % de son financement restant et, donc, de pérenniser ses actions. Depuis sa création, Internet Sans Crainte travaille en partenariat avec la DGESCO, la DNE et la cellule de prévention des violences en milieu scolaire : pour toute sensibilisation prévue dans les classes, les ressources de l’organisme sont mises à disposition gratuitement mais aucun ministère ne le finance pour autant. ([180]) À titre de comparaison, dans les autres pays européens, les organismes du réseau Safer internet sont financés par leur gouvernement. En Allemagne, par exemple, l’organisme compétent est financé à la fois par le ministère de la santé et celui de l’Éducation nationale. ([181]) Internet Sans Crainte est donc en capacité de proposer une véritable éducation au numérique, mais les pouvoirs publics ne lui en donnent pas les moyens malgré la reconnaissance de son expertise par la Commission européenne. Les rapporteurs soulignent qu’il est regrettable que les pouvoirs publics omettent d’octroyer des financements à un acteur jugé pourtant central par la Commission européenne.

b.   Une marchandisation de l’éducation au numérique

Un grand nombre de formations proposées par des associations au sein des établissements scolaires s’avèrent payantes. Ainsi, par exemple, une intervention à l’école d’e-enfance coûte 60 euros ; une journée entière d’intervention 180 euros. ([182]) L’éducation au numérique, à défaut d’être correctement assurée par l’État, tend à se transformer en un véritable marché lucratif. Faire intervenir des associations en établissement scolaire sur décision de son directeur suscite également des inégalités entre les établissements, entre les territoires et, in fine, entre les élèves. Par exemple, Génération Numérique n’intervient pas dans les territoires ultra-marins. ([183]) Cela a également pour conséquence qu’il n’y a aucune maîtrise du contenu des formations qui sont apportées aux enfants, qui diffèrent par conséquent énormément. La Défenseure des droits regrette les inégalités territoriales entre les élèves ainsi générées par cette marchandisation des formations au numérique elle-même résultant des lacunes de l’État à proposer un enseignement au numérique porté par une véritable politique publique. ([184]) Or, lorsqu’il s’agit de sujets de santé publique et d’intérêt supérieur de l’enfant, les rapporteurs recommandent de se mettre d’accord au plus haut niveau pour porter le sujet et de prendre des mesures empêchant une marchandisation de l’éducation et favorisant l’égalité des enfants sur les questions numériques.

B.   l’urgence d’un processus d’harmonisation des acteurs

Afin de redonner une visibilité aux différentes initiatives en matière d’éducation au numérique, les rapporteurs estiment que l’État doit apporter une forme d’unité et de cohérence, ce qui suppose, au sein de l’Éducation nationale, de reconnaître le rôle central de la figure du professeur documentaliste et, au sein de la société dans son ensemble, d’instaurer un vrai pilotage de l’État.

1.   Au sein de l’Éducation nationale : reconnaître le rôle central du professeur documentaliste

Les rapporteurs s’étonnent de ce que tout le monde se demande qui a les compétences pour former les enfants au numérique alors que dans le même temps, en 1989, a été créé un CAPES avec des enseignants qui sont formés pour : les professeurs documentalistes. À cet égard, la chercheuse Anne Cordier, décrit une véritable « schizophrénie » ([185]) : le ministère a créé un véritable corps d’enseignants qu’il n’utilise et ne valorise pas et vis-à-vis duquel il manque de considération. ([186]) Les professeurs documentalistes sont par ailleurs les seuls enseignants à ne pas avoir reçu la prime informatique pendant la pandémie de Covid-19, renforçant leur impression d’être méprisés par l’institution. ([187]) Lorsqu’un professeur documentaliste arrive dans un établissement, comme il ne dispose pas d’heures dédiées, il doit en négocier avec son proviseur, puis ensuite négocier avec les autres enseignants pour obtenir des heures. Si le chef d’établissement change, ou s’il y a d’autres priorités institutionnelles, ce sont les heures du professeur documentaliste qui sont immédiatement supprimées. ([188]) Or, les professeurs documentalistes souhaiteraient exercer le métier pour lequel ils ont été formés. ([189]) Le Clemi est par ailleurs convaincu qu’il faut davantage valoriser le rôle du professeur documentaliste, qui est en capacité d’accompagner à la fois les élèves et les autres enseignants dans une pédagogie sur des projets d’éducation au numérique de qualité.([190]) Les centres de documentation et d’information (CDI) des établissements scolaires pourraient devenir le lieu de croisement de travaux interdisciplinaires et le professeur documentaliste pourrait avoir davantage un rôle de coordination de tous les enseignants qui voudraient monter des projets d’éducation au numérique. ([191]) Pour les syndicats des personnels de l’Éducation nationale ([192]) et des personnels de direction, les professeurs documentalistes sont suffisamment formés sur ces questions pour qu’on leur confère davantage un rôle de coordination en la matière. ([193])

Les rapporteurs prônent l’utilisation des moyens et des personnels déjà qualifiés sur ces questions plutôt que de chercher de nouvelles solutions. Ils préconisent par conséquent de doter le professeur documentaliste d’un rôle de coordination dans la mise en œuvre du programme de l’enseignement du numérique. Cela suppose de recruter des professeurs documentalistes de telle sorte qu’il y en ait au minimum un par établissement.

Recommandation n° 18 : les rapporteurs préconisent la revalorisation du métier de professeur documentaliste par l’octroi de vraies heures d’enseignement, une campagne de recrutement permettant de massifier les effectifs et par la reconnaissance de leur rôle centralisateur dans la mise en œuvre du programme d’éducation au numérique.

2.   Au sein de la société : instaurer un pilotage de l’État

Les rapporteurs estiment qu’une politique publique portée par une administration d’État fait aujourd’hui défaut en matière d’éducation au numérique. Aujourd’hui, les établissements scolaires reçoivent des sollicitations de toutes parts, beaucoup d’acteurs souhaitent y intervenir et personne n’est en mesure de leur indiquer laquelle choisir, sur la base de quels critères, ou encore quel sujet doit être traité en priorité. En l’état actuel des choses, l’éducation au numérique est totalement « artisanale » ([194])  ; il faut plus de rigueur et que l’État s’empare du sujet. « éduquer au numérique ne signifie pas assommer de messages » en tous sens. ([195]) S’il existe bien des circulaires, des outils, des acteurs, il n’y a pas de pensée derrière qui détermine une entrée unique, institutionnelle, démocratique, qui filtrerait les messages reçus et envoyés ; « sans cette voie, on continuera forcément de constater des friches partout et nos élèves, comme la population, y succombent très largement » ([196]) Le Conseil national du numérique prône la création d’un service public pour une éducation populaire au numérique permettant une mise en réseau des acteurs ([197]) et permettant, par le débat, de résoudre collectivement les enjeux de la jeunesse et du numérique.

Par ailleurs, pour permettre aux citoyens d’avoir accès à toutes les informations pertinentes sur les ressources et les acteurs existants, les rapporteurs estiment nécessaire d’élaborer une plateforme recensant toutes les actions qui sont disponibles sur le territoire en matière d’éducation au numérique car, en l’état actuel des choses, Cyril di Palma, délégué général de l’association Génération Numérique, relève que les propositions qui sont faites sont illisibles même pour les collectivités territoriales. ([198])

Recommandation n° 19 : les rapporteurs recommandent la mise en place d’une plateforme étatique recensant les acteurs et les actions disponibles en matière d’éducation au numérique au niveau national et le pilotage d’une politique publique dédiée.

II.   Une implication de l’ensemble de la société pour garantir l’intérêt supérieur de l’enfant

Éduquer les seuls enfants au numérique ne suffit pas à les éduquer de manière effective et sur le long terme : c’est l’ensemble de la société dans laquelle évolue l’enfant qui doit être éduquée et formée aux pratiques numériques et à la protection de l’enfance en ligne.

A.   Le rôle des éducateurs

Afin d’éduquer efficacement les enfants au numérique, il est absolument crucial que le monde dans lequel ils évoluent soit également formé sur ces questions, à la fois pour les mettre en mesure de repérer les situations à risque comme de donner l’exemple aux enfants qui, par mimétisme, reproduisent les comportements des adultes. Les rapporteurs constatent un manque d’implication de la communauté éducative, des parents et de tous les adultes qui gravitent autour de l’enfant sur ces questions. Ce manque d’implication explique, pour Thomas Rohmer, l’échec de tout ce qui a été mis en place ces dernières années. ([199]) En cela, il est crucial de tendre vers l’objectif d’une cohérence des messages éducatifs : il ne faut pas que le contenu éducatif de l’enfant soit en totale contradiction avec l’environnement dans lequel il évolue. ([200])

1.   La nécessité de former tous les personnels de l’Éducation nationale

Tous les personnels de l’Éducation nationale, et non uniquement les enseignants, doivent être formés à la fois aux techniques numériques et à la psychologie de l’enfant pour pouvoir repérer des situations à risque.

a.   La formation aux techniques numériques

La sociologue Dominique Pasquier relève qu’il existe un antagonisme fort entre la culture numérique des jeunes et la culture scolaire des enseignants. Cette dernière est fondée sur la « forme scolaire », à savoir l’écrit, la séparation entre l’écolier d’un côté et la vie de l’adulte de l’autre, la séparation du savoir et du faire fondée sur l’autorité d’un maître et des rapports très verticaux. Le parcours scolaire est très linéaire, avec des étapes à valider qui reposent sur le principe d’un apprentissage à la fois long et cumulatif, très normé. À l’inverse, Internet repose sur des rapports plus horizontaux au sein desquels l’autorité ne repose pas sur le niveau de diplômes mais sur la capacité à retenir l’attention des autres. Les ressources sont disponibles à n’importe quel moment et échappent au découpage travail/loisirs : il n’y a pas de principe de programmation. ([201]) La chercheuse estime donc nécessaire de former les enseignants à la compréhension de l’univers numérique.

En principe, les personnels de l’Éducation nationale sont censés être formés aux questions numériques. Les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation doivent en principe former « les étudiants et les enseignants à la maîtrise et à la compréhension des enjeux liés à l’environnement numérique ». ([202]) Par ailleurs, dans le cadre du programme pHaRe, il y a une obligation de former les personnels aux questions numériques. Cependant, ils ne sont formés que trois heures chaque année, ce qui est insuffisant, selon Cyril di Palma, pour que les enseignants suivent les évolutions et les enjeux des technologies numériques. ([203]) Les syndicats des personnels de l’Éducation nationale mettent en effet en avant que dans ce dispositif, le temps de formation a été le grand oublié, alors que les personnels estiment manquer de temps, de formation et d’outils pour être en mesure de maîtriser les technologies numériques. Ils admettent que, ce faisant, il arrive au personnel éducatif de ne pas traiter correctement certaines situations en connaissance de cause, cette situation les mettant en incapacité de faire les choses correctement. ([204]) Le peu de formation dont ils disposent dans le cadre du programme pHaRe ne leur paraît en outre pas satisfaisant au niveau des problématiques abordées. Concrètement, par exemple, face à des cas de cyber-harcèlement, ils ne savent toujours pas de quelle manière ils sont censés réagir, d’autant que, selon Stéphanie de Vanssay, du syndicat SE-Unsa, il n’existe pas de culture du signalement au sein de l’Éducation nationale et qu’une grande partie des personnels de l’Éducation nationale ne connaît même pas les numéros 3018 et le 3020. ([205]) Les personnels de l’Éducation nationale estiment, ce faisant, que « l’éducation au numérique est un impensé global dans la formation des enseignants aujourd’hui ». ([206]) Les syndicats des personnels de l’Éducation nationale relèvent que si les enseignants veulent se former sur la question, il n’y a pratiquement rien de disponible sur leur temps de travail. Il en découle qu’ils doivent alors se former sur leur temps libre, souvent par ailleurs dans le cadre d’une formation en ligne, ce qui pose problème s’ils ne sont déjà pas à l’aise avec le numérique. ([207]) Le syndicat Unsa réalise chaque année un baromètre sur les questions liées au numérique avec 35 000 répondants. Lorsqu’il a demandé si les personnels se sentaient suffisamment formés aux outils numériques, un tiers seulement a répondu positivement et près de 75 % d’entre eux déclarent que la numérisation des tâches leur pose d’énormes difficultés ; c’est notamment en raison de l’absence de toute méthode. ([208]) Durant la pandémie de Covid-19, il y a eu une prise de conscience de la nécessité d’éduquer les personnels éducatifs au numérique. Des cadres de travail déontologiques et structurels ont été élaborés, mais ils n’ont pas convaincu les enseignants. ([209])

Le résultat observé par la sociologue Dominique Pasquier au cours d’une enquête européenne en Europe du Nord et dans les pays baltes en 2012 est que les enfants qui rencontrent des problèmes sur internet dans ces pays s’adressent en priorité à leurs enseignants tandis qu’en France, ils s’adressent uniquement à leurs amis et très rarement à leurs professeurs. La chercheuse constate qu’il n’y a pas de dialogue sur le numérique en France entre les enseignants et leurs élèves car sans formation, des discours très génériques sont employés par les enseignants, voire contre-productifs, par exemple lorsque ces derniers donnent de mauvais conseils aux élèves. ([210]) Il en va notamment ainsi quand ils conseillent aux enfants de ne pas employer de pseudonymes sur internet – alors qu’il est précisément préférable d’en utiliser. ([211]) Au-delà de donner des conseils mal avisés à leurs élèves, des enseignants mal formés peuvent aussi involontairement, à défaut de formation, entraîner la collecte des données personnelles de leurs élèves sans leur consentement en utilisant des outils inadaptés, en violation de leurs droits. ([212])

Par conséquent, les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de systématiser la formation de tout le personnel de l’Éducation nationale sur les questions numériques, et pas seulement les enseignants qui seraient en charge de cet enseignement. Tout adulte présent au sein de l’établissement doit être en mesure d’orienter correctement l’élève sur ces questions et de détecter des situations problématiques, ce qui suppose par ailleurs que les personnels de l’Éducation nationale acquièrent une formation plus poussée relative au développement et à la psychologie de l’enfant.

La place centrale de la formation des enseignants dans le modèle mis en place dans le canton de Vaud

Par exemple, dans le canton de Vaud précité, la formation a été centrale dans le modèle mis en place : les deux tiers du budget ont été attribués à la formation des enseignants. Cette formation a été pensée « en cascade » : l’idée était de faire un pilotage avec 12 établissements sur deux ans avec des enseignants qui ont bénéficié de huit journées de formation, puis un autre déploiement à 17 autres établissements et, sur deux ans, trois jours entiers de formation puis un 2e déploiement pour 22 autres établissements et, enfin un troisième déploiement pour 19 autres. Il est important de noter que les enseignants de toutes les disciplines sont formés. ([213]) Le chercheur Grégory Liégeois n’est pas convaincu par les modèles qui passent par un budget plus fort pour l’outillage que pour la formation. ([214]) par ailleurs, un groupe d’experts a formé des personnes ressources qui seront dans les 93 établissements pour accompagner les enseignants dans leurs pratiques en classe. Il ne faut pas non plus oublier l’accompagnement technique : il y a une cellule technique en support à la partie pédagogique. ([215])

Recommandation n° 20 : les rapporteurs exhortent le ministère de l’Éducation nationale à investir dans la mise en œuvre d’une formation systématique et effective de tous les personnels de l’Éducation nationale en matière de numérique.

b.   La formation à la psychologie de l’enfant

Tristan Brams, secrétaire fédéral politiques éducatives et de formation au syndicat Sgen-CFDT, souligne que les établissements scolaires ne sont souvent pas en capacité de répondre aux problématiques découlant de l’utilisation du numérique par les jeunes en raison d’une absence totale de formation sur le développement de l’enfant. ([216]) Il souligne qu’on confie au personnel éducatif des enfants pour les éduquer, qu’il ne s’agit pas d’une mission anodine et que pour remplir au mieux cet objectif, s’impose une meilleure formation dans ce domaine. Par ailleurs, les personnels de l’Éducation nationale estiment qu’il est aussi nécessaire de mieux les former sur des questions de société telles que l’égalité entre les femmes et les hommes, car c’est aussi ce qui leur permet, in fine, de déceler des situations problématiques parmi les élèves. ([217]) Il s’agirait là encore de mieux former à ces questions l’entièreté des personnels de l’éducation nationale : les enseignants, les infirmiers, médecins et psychologues scolaires. Les assistants de services sociaux pourraient aussi constituer du personnel ressource. ([218]) Enseigner le numérique et faire évoluer l’élève dans un environnement propice au développement de compétences numériques saines suppose donc l’émergence d’un environnement propice, où les adultes ont conscience du développement des enfants, de leur ressenti, et prennent en considération leur parole.

Les rapporteurs sont toutefois bien conscients que le personnel de l’Éducation nationale ne saurait se substituer entièrement aux parents et qu’il y a en réalité un enjeu de coéducation, chaque acteur ayant son propre rôle à jouer en matière d’éducation au numérique.

2.   Le rôle des parents

Le rôle des parents est également crucial en matière d’éducation au numérique ; ils n’en ont toutefois pas nécessairement conscience. Leur exemplarité dans leurs usages des technologies numériques est en première ligne dans l’éducation au numérique de leurs enfants : en découle la nécessité, notamment, d’investir dans des dispositifs de soutien à la parentalité à l’ère numérique.

a.   L’exemplarité des parents comme première éducation au numérique

Pour Guillaume Prévost, délégué général de l’association VersLeHaut, le premier levier de l’éducation au numérique réside dans le rôle des parents. ([219]) Or, le premier moyen, pour les parents, d’éduquer leurs enfants au numérique est l’exemplarité, c’est-à-dire le fait de montrer l’exemple d’un usage raisonnable du numérique à leurs enfants. En effet, les enfants adoptent, par mimétisme, les comportements qu’ils observent autour d’eux, et au premier chef ceux de leurs parents. ([220]) Or, un grand nombre de parents eux-mêmes ne savent pas utiliser le numérique à bon escient, voire violent – consciemment ou inconsciemment – les droits de leurs enfants en ligne, par exemple à travers la pratique du « sharenting »([221]) De la même manière, la proportion de parents qui utilisent aujourd’hui des logiciels de filtrage ou de contrôle parental sur les appareils de leurs enfants est relativement faible (25 %) tandis qu’à l’inverse une grande majorité de parents (60 %) utilisent des logiciels de géolocalisation de leurs enfants. ([222]) Ainsi, si une grande majorité de parents ne pense pas à protéger leurs enfants en ligne, ils pensent néanmoins à les géolocaliser sans leur consentement, violant ce faisant leurs droits fondamentaux, ([223]) en particulier leur droit à la vie privé. ([224]) Les parents montrent également le mauvais exemple aux enfants simplement par un usage excessif du numérique. Les psychiatres parlent notamment de « technoférence » au sein des foyers lorsque les technologies numériques interfèrent dans les relations sociales entre les parents et leurs enfants. ([225])

Les rapporteurs estiment, ce faisant, qu’un travail de fond ayant pour objet l’exemplarité des parents est à penser. Pour ce faire, il est notamment nécessaire, au préalable, d’obtenir des données précises sur l’usage qui est fait du numérique afin d’en connaître mieux les usages problématiques et de cibler les réponses apportées. À ce titre, il est indispensable de créer un observatoire des compétences numériques au niveau national. À titre d’exemple, l’Observatoire du Numérique en Éducation au Québec constitue une approche intéressante, en contribuant à la recension et à l’essor des pratiques pédagogiques intégrant les technologies numériques dans l’enseignement.

Recommandation n° 21 : les rapporteurs recommandent la création d’un observatoire des compétences numériques afin d’obtenir des statistiques solides sur les usages du numérique des citoyens et de pouvoir, en réponse, cibler des campagnes de sensibilisation.

b.   L’éducation à la parentalité à l’ère numérique

Les rapporteurs estiment nécessaire d’impliquer davantage les parents dans la prise de conscience des risques en ligne et les manières d’éduquer les enfants à des bonnes pratiques en ligne. Or, il ressort des différentes auditions que peu de parents se préoccupent de la vie numérique de leurs enfants ou, s’ils s’en préoccupent, ils estiment souvent manquer de légitimité sur ces questions. ([226]) Pour le chercheur Stéphane Blocquaux, le site Internet Jeprotegemonenfant.gouv.fr est un bel outil pour les parents, mais il est insuffisant. Le chercheur estime que, pour qu’un vrai réseau de la parentalité numérique prenne son sens, il faut une structure porteuse qui aiderait les parents à se fédérer autour de la question de l’éducation au numérique. ([227]) Le point le plus difficile réside néanmoins dans la détermination du lieu où sensibiliser les parents dans le but d’en toucher le plus grand nombre.

Virginie Sassoon, du Clemi, prône quant à elle la multiplication de temps de formation dans les bibliothèques et médiathèques. ([228]) Enfin, une autre solution efficace invoquée serait de toucher les parents par l’intermédiaire du monde médical. Pour interpeler les parents sur toutes ces questions, la proposition de loi n° 399 déposée en première lecture au Sénat après son adoption à l’Assemblée nationale en première lecture de la députée Madame Caroline Janvier préconise par exemple l’inscription de conseils dans le carnet de grossesse puis le carnet de santé de l’enfant par le personnel médical. La Fondation pour l’enfance estime qu’il pourrait également être utile, lors de la préparation à l’accouchement, d’intégrer des cours de parentalité comprenant les questions numériques et imagine une implication plus forte des services de protection maternelle et infantile sur ces sujets, dont elles pourraient centraliser les ressources. ([229]) Toucher les parents par ce biais est louable, mais elle ne permet qu’une sensibilisation minimale ; elle ne permet pas aux parents de comprendre par eux-mêmes les technologies numériques, leurs sous-jacents ou leurs bons usages. Il pourrait être utile, en complément, d’alerter sur les risques des outils numériques sur leur emballage.

Recommandation n° 22 : les rapporteurs préconisent d’obliger les fabricants de tablettes, ordinateurs, smartphones, jeux vidéo et autres contenus ludiques destinés aux enfants et adolescents à mentionner sur les emballages desdits produits les dangers liés à des usages abusifs et des prescriptions de temps maximum d’exposition aux écrans selon les tranches d’âge.

Les différents acteurs auditionnés s’accordent, ainsi, pour affirmer que les parents nécessitent des formations plus poussées. Jusqu’à présent, l’association e-enfance par exemple donnait des conférences au sein des établissements scolaires de 18 heures à 20 heures, mais elle a constaté que le peu de parents qui s’y rendaient étaient déjà les plus investis sur la question. L’association réfléchit donc actuellement à l’idée de se rendre sur le lieu de travail des parents pour y mener des interventions sur le temps du midi.  ([230]) Toutefois, ce type d’intervention n’est pas de nature à résorber les inégalités, étant entendu que tous les parents d’élèves n’ont pas nécessairement un emploi, ou n’ont pas forcément un emploi permettant ce type d’intervention, qui correspond davantage à l’organisation de travail des cadres. C’est pourquoi le syndicat des directeurs d’établissements estime qu’il demeure préférable de former les parents au sein de l’école, en école ouverte, et par l’intermédiaire d’intervenants extérieurs. ([231]) En effet, les associations de parents d’élèves sont elles-mêmes demandeuses de formations au sein des établissements scolaires. L’association de parents d’élèves UNAAPE propose par exemple que les parents soient eux-mêmes formés en leur sein sur l’utilisation des ENT et autres outils numériques utilisés. ([232]) Laurent Zameczkowski, de l’association de parents d’élèves PEEP, propose quant à lui la mise en place, dans chaque établissement, d’un point d’accueil pour les parents où ils pourraient être pris en charge pour les aider à remédier à leur illectronisme. ([233]) Guillaume Prévost, délégué général de l’association VersLeHaut, estime que la question des parents d’élèves est la zone grise de notre système éducatif. Il relève pourtant que la réforme de 2014 prévoyait l’ouverture d’un espace parents mais constate que ces espaces n’existent toujours pas en pratique. ([234])

Recommandation n° 23 : les rapporteurs recommandent de promouvoir la parentalité numérique en investissant le lieu de l’école à la fois pour sensibiliser et pour former les parents d’élèves sur les questions numériques.

L’Éducation nationale s’empare désormais a minima de la question : dans la stratégie pour le numérique de l’éducation nationale, est prévu le déploiement d’un dépliant au profit des parents comportant des conseils sur la parentalité numérique. Les rapporteurs préconisent qu’il figure également sur les ENT et physiquement au sein des établissements ainsi que dans les carnets de liaison.

Afin de construire un véritable système d’éducation au numérique des enfants, c’est toutefois l’ensemble de la société, et non seulement les éducateurs, qui doivent produire des efforts pour éduquer l’enfant au numérique de manière à protéger au mieux l’intérêt supérieur de l’enfant.

B.   vers l’implication de l’ensemble de la société

Les éducateurs n’ont pas à supporter tout le poids de l’éducation au numérique. Ce sujet doit impliquer l’ensemble de la société si nous voulons nous doter d’un écosystème propice à des usages sains des technologies numériques par les enfants. Par conséquent, doivent notamment être impliqués sur ces questions les médias et les plateformes numériques elles-mêmes.

1.   Le rôle des médias

Les médias ont un rôle non négligeable à jouer en matière d’éducation au numérique, à la fois en s’adressant aux jeunes dans la production d’informations en adoptant leurs modes de communication et en informant sur les questions numériques elles-mêmes.

a.   Adopter le mode de communication de la jeunesse

Une des clés majeures pour éduquer les enfants au numérique et renforcer leur esprit critique est de leur rendre plus accessibles des moyens d’information éprouvés. Ainsi, pour informer qualitativement la jeunesse, les médias traditionnels doivent adopter ses modes de communication et diversifier leur présence : à défaut d’adopter les modes de communication des enfants, le directeur général d’Arte estime que les médias se couperaient de toute cette partie de la population. ([235]) Ainsi, Arte par exemple diversifie ses modes de communication pour tenter de toucher davantage la jeunesse en utilisant « le langage des jeunes » et le format des réseaux sociaux tout en conservant la ligne éditoriale du média traditionnel : Arte développe ainsi dorénavant des contenus spécialement destinés à Instagram, Snapchat ou Twitch. Par exemple, le média a lancé sur Twitch une émission interactive dédiée aux rapports du GIEC dans laquelle ils s’associent à des figures déjà identifiées sur les réseaux sociaux. Ainsi, Arte demeure un tiers de confiance, un point de repère, dans un monde où il faut être de plus en plus méfiant. ([236]) Radio France soutient elle aussi qu’aujourd’hui, pour les médias traditionnels, il est nécessaire, pour lutter contre la désinformation d’investir les lieux où celle-ci se déploie, c’est-à-dire essentiellement les réseaux sociaux. Une forte présence sur les réseaux sociaux fait ainsi partie de la stratégie de Radio France dans la lutte contre la désinformation en ligne. ([237])

En adoptant les codes de la jeunesse, les médias traditionnels parviennent ainsi à se rapprocher des mineurs, qui s’informent essentiellement par l’intermédiaire des réseaux sociaux, permettant ce faisant de faire parvenir jusqu’à eux des informations qui répondent aux critères journalistiques tout en s’adaptant à leur mode de communication. Cette présence renouvelée des médias est fondamentale pour renforcer l’esprit critique des enfants et les éduquer aux enjeux contemporains, notamment aux questions numériques.

b.   Produire du contenu éduquant au numérique

Les médias ont une responsabilité fondamentale dans la question de l’éducation au numérique puisqu’il leur appartient d’informer le grand public en tant que tiers de confiance dans le traitement des informations. Radio France relève, à cet égard, que dans le « nouvel écosystème instable » de production de l’information à l’ère numérique, « l’éducation aux médias et à l’information est un rempart indispensable aux dérives et autres manipulations de l’information » et en a, ce faisant, fait une priorité stratégique. ([238]) Ainsi, Radio France a adapté son offre éditoriale pour permettre, notamment aux plus jeunes, d’opérer la distinction entre information sérieuse et fausses informations. ([239]) Elle a également signé un partenariat avec la Cnil en février 2022 visant à mieux exposer les enjeux liés à la protection des données sur les antennes de Radio France et dans ses actions de sensibilisation auprès des jeunes, et elle est membre du collectif Educnum. Par ailleurs, Radio France relaie régulièrement les différentes études sur les effets délétères des écrans ([240]) et s’est portée volontaire pour diffuser en juillet 2022 la campagne de l’Arcom intitulée « Enfants et écrans » destinée à sensibiliser le public aux risques liés à l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans et à prodiguer des conseils d’usage de ces écrans pour les enfants plus âgés. Arte a également lancé une série documentaire, Dopamine, destiné aux enfants et aux adolescents, expliquant les mécanismes à l’œuvre dans la captologie sur les réseaux sociaux. Le but est d’expliquer la manière dont les applications sont conçues pour capter l’attention des plus jeunes par le biais de l’activation de la dopamine, chaque épisode déclinant ces explications pour une application donnée.

Radio France aborde également les questions relatives à l’éducation au numérique sous le prisme de l’éducation aux médias et à l’information. Ainsi, les antennes de Radio France accompagnent depuis 15 ans des milliers d’établissements scolaires à travers plusieurs dispositifs complémentaires qui permettent un maillage territorial assez fin. Ainsi, par exemple, de 2015 à 2023, le dispositif InterClass’ d’éducation aux médias et à l’information, créé par France Inter à la suite des attentats de Charlie Hebdo en 2015, a mobilisé chaque année et pendant neuf mois des journalistes, producteurs, enseignants, collégiens et lycéens pour les aider à forger leur sens critique et à grandir en étant informés, libres de leur choix en citoyen éclairé. Ce dispositif a bénéficié à une vingtaine d’établissements scolaires situés dans des zones dites quartier prioritaire, des zones rurales et des territoires ultra-marins. Franceinfo ([241]) , le Mouv’ ([242]) et France Bleu ([243]) proposent également des dispositifs d’éducation aux médias à travers une déclinaison junior de l’information : au total, 3 500 élèves participent chaque année à des ateliers mis en œuvre par Radio France.

Les rapporteurs saluent ces actions accomplies par certains médias, d’une importance cruciale, mais relèvent toutefois qu’aucun moyen ne leur est spécifiquement alloué pour l’éducation aux médias et à l’information et à l’éducation au numérique. Les actions développées ci-dessus ne résultent que de la volonté des journalistes, producteurs et techniciens conscients de ces enjeux. Radio France souligne que sans moyens spécifiques, l’organisation de tous ces dispositifs dans un contexte de contraction budgétaire est fragile. Par ailleurs, les médias de service public sont en train de construire avec le Clemi, le Ministère de l’Éducation nationale et Canopé une convention-cadre pour une action forte et concertée sur cette question mais que ses objectifs ambitieux ne pourront voir le jour que si des moyens supplémentaires leur sont alloués.

Recommandation n° 24 : les rapporteurs recommandent d’octroyer aux médias de service public des moyens supplémentaires pour amplifier leurs actions facilitant l’éducation au numérique des enfants.

Les rapporteurs notent, enfin, qu’il y a des limites à ce que peut faire la société pour éduquer au numérique si les plateformes numériques elles-mêmes ne prennent pas conscience de l’ampleur de leurs responsabilités et n’agissent pas en conséquence.

2.   Le rôle des plateformes numériques

Les plateformes numériques sont à la source de la majorité des risques pesant sur les enfants en ligne. Pourtant, leur rôle est insuffisamment abordé en matière de protection de la jeunesse face aux dangers qui existent en ligne. Tous les efforts de la société sont cependant vains si le problème n’est pas réglé à sa source : il faut réglementer davantage les plateformes numériques, leur autorégulation annoncée étant insuffisante.

a.   Une autorégulation insuffisante des plateformes

Les plateformes numériques mettent, d’elles-mêmes, en place certaines procédures d’autorégulation de leur contenu en ligne. Elles se dotent ainsi, de manière croissante, d’algorithmes permettant de détecter les contenus sensibles devant être supprimés (contenu à caractère pornographique, pédopornographique, contenant des images violentes, etc.). Cependant, les algorithmes présentent des limites majeures. Ainsi, selon la plateforme de signalement Pharos, ([244]) il est relativement facile pour les internautes de passer « entre les mailles du filet » des algorithmes en utilisant des termes qui ne sont pas reconnus par eux. La plateforme prend l’exemple de l’expression « je vais te faire une Lindsay », utilisé par des jeunes pour harceler un autre internaute et lui faire comprendre qu’on va le pousser au suicide sans que les algorithmes soient capables de le détecter. Par ailleurs, Génération numérique souligne qu’une centaine de signalements sont nécessaires en moyenne avant qu’une publication soit examinée par les plateformes numériques et qu’il en résulte qu’un grand nombre de publications choquantes pour les enfants circulent sur les réseaux sociaux. ([245]) Ainsi, par exemple, les rapporteurs ont pu constater lors d’une formation de Génération numérique dans une classe de 6e qu’un nombre important d’enfants de la classe avaient visionné une vidéo d’agression sexuelle commise par un influenceur qui circulait sur les réseaux sociaux. ([246]) Par ailleurs, ce sont les interfaces mêmes comme les conditions générales d’utilisation qui sont hors de portée de la compréhension des enfants, qui ne comprennent pas, en utilisant les réseaux sociaux, les conséquences de leur utilisation, notamment pour leurs données personnelles. Ainsi, pour informer les consommateurs et inciter les réseaux sociaux à l’autorégulation, la loi n° 2022-309 du 3 mars 2022 pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinées au grand public a créé un « cyberscore » – à l’image du Nutriscore pour les produits alimentaires – permettant aux internautes de connaître la sécurisation de leurs données sur les réseaux sociaux qu’ils fréquentent. Ce dispositif entrera en vigueur au 1er octobre 2023. Les rapporteurs s’en félicitent mais appellent les plateformes à adopter des mesures réellement protectrices des enfants.

b.   Une réglementation et la responsabilisation des plateformes

Au niveau européen, le règlement dit « DSA » va dans le sens de la responsabilisation des acteurs du numérique puisqu’il fera évoluer la manière dont nous traitons les réseaux sociaux de simples hébergeurs sans responsabilité vis-à-vis du contenu à une véritable responsabilité de modération et d’analyse des risques. En effet, en vertu de ce texte, les plateformes seront obligées de proposer des conditions générales d’utilisation et des interfaces adaptées aux enfants, d’empêcher les contacts des enfants avec des inconnus, d’empêcher la publicité ciblée sur mineur.

Au niveau du droit interne, l’Assemblée nationale aura cet automne à examiner le projet de loi n° 1514, adopté en première lecture par le Sénat, visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, dont le titre Ier concerne la protection des mineurs en ligne. Il s’agit essentiellement de renforcer les pouvoirs de l’Arcom en matière de protection en ligne des mineurs en lien avec leur exposition à du contenu pornographique. Ainsi, en vertu de l’article 1er, il incombe à l’Arcom de s’assurer que les contenus pornographiques ne puissent plus être accessibles aux mineurs et lui confère la mission d’établir un référentiel pour déterminer les caractéristiques techniques applicables aux systèmes de vérification de l’âge. L’article 2 détaille la procédure applicable en cas de manquement des hébergeurs de contenu pornographique. L’article 2 bis, ajouté par le Sénat en première lecture, permet, en cas d’inexécution de la mise en demeure de l’Arcom vis-à-vis de l’hébergeur d’empêcher le téléchargement de l’application logicielle auprès des boutiques d’application logicielles. L’article 3 pénalise pour sa part le défaut d’exécution en vingt-quatre heures d’une demande de l’autorité administrative de retrait de contenu pédopornographique.

Les rapporteurs regrettent que ce projet de loi ne traite que de la question de l’effectivité de l’interdiction d’accès aux sites pornographiques par les mineurs, laquelle existe déjà en droit positif. ([247]) Du reste, le projet de loi ne prévoit pas de mécanisme concret permettant l’application de cette interdiction, alors que, lors de son audition, la Cnil a indiqué aux rapporteurs avoir donné son autorisation pour une solution provisoire qui consisterait à passer par la carte bancaire de l’internaute, qui est à ce jour, selon l’institution, la meilleure solution possible et celle qui permettrait d’empêcher dès aujourd’hui un grand nombre d’enfants d’accéder à du contenu pornographique. C’est également ce qui avait été proposé par Mme la secrétaire d’État auprès de la Première ministre chargée de l’Enfance Charlotte Caubel devant la Délégation aux droits des enfants, en considérant que « si on peut déjà protéger 30 % ou 40 % des enfants, ce sera une victoire » ([248]) , cette solution technique n’étant pas parfaite, compte tenu de la possible utilisation de VPN. Force est de constater qu’aucune grande démocratie n’est parvenue à mettre en place un dispositif efficace, toute solution technique semblant se heurter à des libertés ou droits fondamentaux. Enfin, le projet de loi ne traite pas les autres risques pesant sur les enfants en ligne développés dans le présent rapport et n’aborde pas le point majeur de l’éducation au numérique, qui nécessite une intervention législative.

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Sur la question de l’exposition des enfants à des risques nouveaux ou amplifiés en ligne, les rapporteurs rappellent que nous sommes tous collectivement responsables et que la société dans son ensemble doit s’emparer de cette problématique. À ce titre, l’éducation au numérique est, selon l’Arcom, un « combat collectif auquel chacun doit contribuer en apportant sa brique » ([249]) : pouvoirs publics de manière générale, Éducation nationale, éducateurs divers, parents, médias, plateformes numériques. Il est urgent que tous ces acteurs échangent et trouvent des solutions pour protéger davantage les enfants et leur permettre de se construire une réflexion critique sur le numérique tout en communiquant un message cohérent et unifié. La Défenseure des droits observe que le numérique pourrait être un formidable outil de droit si la société se focalisait sur l’enfant comme sujet de droit et que les personnels de l’Éducation nationale étaient réellement formés sous ce prisme. ([250]) Les rapporteurs rappellent que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la boussole guidant les choix de politiques publiques.

 


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   Liste des recommandations

Bénéficier d’un état des lieux

Dresser un état des lieux détaillé de l’équipement des établissements scolaires en technologies numériques sur l’intégralité du territoire national afin d’en informer correctement la représentation nationale.

Mener des évaluations sur les gains d’apprentissage résultant de l’utilisation des technologies numériques utilisées par les établissements scolaires.

Établir une conférence de consensus portée par les pouvoirs publics actant des résultats scientifiquement éprouvés quant aux conséquences du numérique sur les enfants et, en conséquence, définir des seuils de nocivité.

Mettre en place une plateforme gouvernementale recensant les acteurs et les actions disponibles en matière d’éducation numérique au niveau national.

Créer un observatoire des compétences numériques à l’échelle nationale pour obtenir des statistiques consolidées sur les usages du numérique des citoyens.

Réfléchir sur la pertinence des outils numériques au sein des établissements scolaires

Intégrer aux espaces numériques de travail une fonctionnalité permettant de signaler en ligne des comportements de harcèlement.

Transmettre pour examen à la Défenseure des droits le fonctionnement détaillé des algorithmes utilisés sur les plateformes Affelnet et Parcoursup ainsi que la manière dont elles sont utilisées par les établissements scolaires.

Adopter, au niveau du ministère de l’Éducation nationale, des consignes claires quant aux usages permis et prohibés de l’intelligence artificielle au sein des établissements scolaires.

Cesser de fournir, par principe et sans réflexion sur l’outil, des tablettes aux élèves individuellement.

Mener une étude d’impact sur les besoins réels en outillage numérique des établissements scolaires.

Abandonner la transdisciplinarité et mettre en œuvre un programme propre d’éducation au numérique

Enseigner l’éducation au numérique comme une discipline à part entière, disposant de ce fait d’une définition et d’un programme propres, ainsi que d’heures dédiées.

Inscrire la certification Pix au sein d’un programme éducatif dédié à l’éducation au numérique, lui conférant une cohérence éducative associée à des heures de préparation et de suivi de la certification.

Investir massivement dans des ressources éducatives et des logiciels pour traiter la question de l’éducation au numérique.

Renforcer des compétences psycho-émotionnelles et les facultés de discernement

Intégrer une éducation aux médias et à l’information ciblée sur le numérique au sein du programme de l’éducation au numérique.

Encourager l’accompagnement des enfants dans leur construction émotionnelle pour gagner en empathie et valoriser le développement de leur esprit critique.

Garantir l’effectivité de la mise en œuvre de l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements scolaires et intégrer au sein du programme de l’éducation au numérique les questions spécifiques liées à la sexualité en ligne (pornographie, pédocriminalité, prostitution en ligne).

Accroître la coordination des acteurs

Consulter systématiquement, au préalable de l’équipement des établissements scolaires en technologies numériques, les syndicats des personnels de l’Éducation nationale, des personnels de direction et les associations de parents d’élèves afin d’établir clairement les besoins réels.

Permettre la représentation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) au sein d’une instance dédiée aux questions numériques au sein du ministère de l’Éducation nationale.

Accorder aux professeurs-documentalistes un rôle de coordination dans la mise en œuvre du programme de l’éducation au numérique au sein des établissements scolaires et, en conséquence, revaloriser ce corps, notamment par l’octroi d’heures d’enseignement dédiées et une campagne de recrutement.

Former les éducateurs

Former systématiquement tous les personnels de l’Éducation nationale aux questions numériques.

Investir massivement dans des dispositifs de soutien à la parentalité à l’ère numérique.

Sensibiliser le public

Obliger les fabricants d’outils numériques à mentionner sur les emballages les dangers liés à leur usage abusif.

Octroyer aux médias de service public des moyens supplémentaires pour amplifier leurs initiatives en faveur de l’éducation au numérique à destination de l’ensemble des citoyens et notamment des enfants.


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   EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du mardi 26 septembre 2023, la Délégation aux droits des enfants a procédé à la présentation du rapport de la mission d’information sur : éducation et numérique.

La vidéo de cette réunion est consultable à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/iQGuEh

 

Puis la Délégation adopte le rapport d’information et ses propositions. Elle en autorise la publication.

 

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   Annexe : liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

       Mme Bénédicte Lesage, membre du collège, présidente du groupe de travail « Éducation aux médias, transition écologique et santé publique » ;

       M. Benoît Loutrel, membre du collège, président du groupe de travail « Supervision des plateformes en ligne » et vice-président du groupe de travail « Éducation aux médias, transition écologique et santé publique ».

Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil)

       Mme Chirine Berrichi, conseillère aux questions parlementaires et institutionnelles ;

       M. Xavier Delporte, directeur des relations avec le public.

       Mme Dominique Pasquier, sociologue de la culture et des médias, directrice de recherche émérite au CNRS, membre du Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS) de l’Université de Paris, enseignante-chercheuse à Télécom-Paris et membre du collège du Conseil national du numérique. Elle est notamment l’auteure de L’internet des familles modestes : Enquête dans la France rurale.

       Mme Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine, ancienne professeure-documentaliste, auteure de l’ouvrage Grandis informés. Les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes.

Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi)

       M. Serge Barbet, directeur délégué ;

       Mme Virginie Sassoon, directrice-adjointe.

       Mme Irène Cristofori, neuropsychologue, professeure associée à l’Université Claude Bernard Lyon 1 ;

       Mme Servane Mouton, docteure en médecine, neurologue et neurophysiologiste, spécialisée en psychopathologie des apprentissages, coordinatrice de l’ouvrage collectif Humanité et numérique. Les liaisons dangereuses.

Conseil national du numérique (CNN)

       Mme Anne Alombert, maîtresse de conférences en philosophie française contemporaine à l’Université Paris 8 et membre du Conseil national du numérique.

       Mme Agathe Bougon, secrétaire générale adjointe en charge de la communication au Conseil national du numérique.

       M. Jean Cattan, secrétaire général du Conseil national du numérique.

       M. Serge Tisseron, psychiatre, co-auteur de l’Avis de l’académie des sciences sur L’enfant et les écrans (2013), membre du Conseil national du numérique.

Association Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN)

       M. Thomas Rohmer, fondateur et directeur.

Jeudi 1er juin 2023

Pix

       M. Benjamin Marteau, directeur.

Arte France

       M. Frédéric Bereyziat, directeur général en charge de la gestion d’Arte France et président d’Arte éducation ;

       Mme Adeline Cornet, secrétaire générale d’Arte France.

 

Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO)

       M. Édouard Geffray, directeur général.

Direction du numérique pour l’éducation (DNE)

       M. Audran Le Baron, directeur.

       Mme Florence Biot, sous-directrice.

Association Agir Contre la Prostitution des Enfants et les Violences Sexuelles (ACPE)

       Mme Sophie Antoine, responsable juridique et plaidoyer.

       Mme Charlotte Lottin, service civique du pôle juridique.

Association Caméléon

       Mme Socheata Sim, responsable de la Mission Sociale France.

Association e-enfance

       M. Samuel Comblez, psychologue de l’enfant et de l’adolescence, directeur des opérations de l’association e-enfance.

Fondation pour l’enfance

       Mme Angèle Lefranc, chargée des missions sociales et du plaidoyer.

       Mme Odile Naudin, membre du conseil d’administration.

       Mme Jöelle Sicamois, directrice

Association VersLeHaut

       M. Guillaume Prévost, délégué général.

Collectif de Lutte contre l’Invasion Numérique à l’École (Coline)

       M. Julie Perel, co-fondatrice.

       M. Audrey Vinel, co-fondatrice.

Association Génération Numérique

       M. Cyril di Palma, délégué général.

Table ronde des associations de parents d’élèves

UNAAPE

     M. Patrick Salaün, président.

     Mme Caroline Bonin, secrétaire administrative.

APEL

          M. Christophe Abraham, secrétaire général.

Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale

CGT Educ’action

       Mme Sandra Gaudillère, secrétaire nationale et professeure documentaliste en lycée.

CFDT

       M. Tristan Brams, secrétaire fédéral en charge des politiques éducatives et des transitions numériques et démocratiques, professeur de sciences économiques et sociales.

Unsa

       Mme Stéphanie de Vanssay, conseillère nationale Éducation.

       M. Daniel Jasmin, co-fondateur d’EduPad, président des centres Relier, président de l’École des réseaux sociaux.

       Mme Axelle Desaint, directrice du pôle éducation au numérique et d’internet Sans Crainte chez TRALALERE.

 

 

Défenseur des droits

       M. Éric Delemar, adjoint en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant ;

       Mme Claire Hédon, Défenseure des droits

       M. Vincent Lewandowski, chef du pôle Action territoriale, formation, accès des jeunes aux droits ;

       Mme France de Saint-Martin, conseillère parlementaire.

Réseau thématique pluridisciplinaire du CNRS Recherches autour des questions d’éducation

     M. Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement, membre de l’Institut Universitaire de France, directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant au CNRS, co-responsable du réseau thématique pluridisciplinaire du CNRS Recherches autour des questions d’éducation.

     M. Nicolas Vibert, directeur de recherches au CNRS et directeur du Centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage de l’Université de Poitiers, co-responsable du réseau thématique pluridisciplinaire du CNRS Recherches autour des questions d’éducation.

Syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale SNPDEN-UNSA

       Mme Pascale Le Flem, membre de la commission « Métier » dans l’Académie de Rennes ;

       M. François Resnais, secrétaire national de la communication et permanent au siège.

     M. Stéphane Blocquaux, docteur en sciences de l’information et de la communication, maître de conférences à l’Université catholique de l’Ouest, auteur de l’ouvrage Le Biberon Numérique.

     M. Grégory Liegeois, chef de projet, centre des sciences de l’apprentissage LEARN de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, en Suisse.

Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale (APDEN)

     Mme Carole-Anne Bonnaud, présidente ;

     Mme Camille Brouzes, membre du bureau national.

     Mme Masmine Khermimoun, secrétaire générale.

       M. Louis Forgeard, psychiatre, responsable du service Enfants et adolescents du centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon.

       Laurent Zameczkowski, président de l’union des associations de parents d’élèves Peep de l’Académie de Versailles.

       Radio France, par l’intermédiaire de Mme Marie Menard, chargée des affaires institutionnelles.

 


([1]) Audition du Conseil national du numérique, 31 mai 2023.

([2]) Audition de M. Thomas Rohmer, 31 mai 2023.

([3]) Audition de la Cnil du 17 février 2023 dans le cadre du rapport d’information n° 911 de la Délégation aux droits des enfants en conclusion des travaux d’une mission flash portant sur Les jeunes et le numérique à l’aune des propositions de loi n° 739 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, n° 758 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants et n° 757 relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans.

([4]) Rapport du Défenseur des droits consacré aux droits des enfants, Enfants et écrans, grandir dans le monde numérique, 2012.

([5]) Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République

([6]) Article 16 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.  

([7]) Article 16, ibid.

([8]) https://www.gouvernement.fr/action/l-ecole-numerique  

([9]) Audition de Mme Anne Cordier, jeudi 25 mai 2023.

([10]) Audition de Mme Anne Cordier, ibid.

([11]) Audition de Mme Anne Cordier, ibid.

([12]) Audition de la Défenseure des droits, 28 juin 2023.

([13]) Audition de la Défenseure des droits, ibid.

([14]) Audition de la Défenseure des droits, ibid.

([15]) Décision du Défenseur des droits, n° 2023-153 le 6 juillet 2023.

([16]) Décision du Défenseur des droits, Ibid, p. 4.

([17]) En vertu de l’article 2 du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction ».

([18]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.

([19]) « Pourquoi la prépa scientifique de Ginette offre-t-elle moins de places aux filles sur Parcoursup ? », Le Figaro étudiant, 4 septembre 2023. Disponible en ligne : https://etudiant.lefigaro.fr/article/pourquoi-le-lycee-ginette-accepte-moins-de-filles-en-prepa-scientifique_e92464e6-3c16-11ee-a627-f2593cbd3307/

([20]) Audition de la Défenseure des droits, ibid.

([21]) Défenseur des droits, rapport annuel sur les droits de l’enfant 2022 – La vie privée : un droit pour l’enfant.

([22]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.

([23]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, 21 juin 2023.

([24]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.

([25]) Éric Sadin, « L’ineptie des tablettes numériques au collège », publié par Libération le 16 novembre 2014.

([26]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([27]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, ibid.

([28]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, ibid.

([29]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, ibid.

([30]) Audition du Conseil national du numérique, 31 mai 2023.

([31]) Audition du Collectif de Lutte contre l’Invasion Numérique à l’École, 15 juin 2023.

([32])  Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale SNPDEN-UNSA, 29 juin 2023.

([33]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, ibid.

([34]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([35]) Audition de M. Grégoire Borst, 28 juin 2023.

([36]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.

([37]) Audition du syndicat des directeurs d’établissements, op. cit. ; audition de l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale (APDEN), 19 juillet 2023.

([38]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([39]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([40]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, ibid.

([41]) Audition d’Arte, 7 juin 2023.

([42]) Audition d’Arte, ibid.

([43]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([44]) Audition de M. Grégoire Borst, op. cit.

([45]) Audition de l’association e-enfance, 8 juin 2023.

([46]) Arcep, Enquête sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française en 2019, Baromètre du numérique 2019.

([47]) Étude de Vers Le Haut et Opinionway pour la région Île-de-France, Ce qu’il faut savoir sur l’impact de la pornographie chez les jeunes, 10 septembre 2020.

([48]) Étude Générations & Co réalisée du 3 au 7 mai 2018 auprès de 573 parents d’enfants de 3 à 14 ans pour Approuvé par les familles.

([49]) Santé Publique France, Unaf, Guide à destination des parents sur les enfants et les écrans.  

([50]) Santé Publique France, Unaf, ibid.

([51]) Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, 31 mai 2023.

([52]) Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, ibid.

([53]) Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, ibid.

([54])  Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, ibid.

([55]) Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, ibid.

([56]) Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, op. cit.

([57]) Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, ibid.

([58]) Contribution écrite de M. Louis Forgeard.

([59])  Audition de Mme Irène Cristofori et Mme Servane Mouton, op.cit.

([60]) Audition de l’association VersLeHaut, 14 juin 2023.

([61]) Ce qu’il faut savoir sur l’impact de la pornographie chez les jeunes, op. cit.

([62]) Audition de M. Thomas Rohmer, op. cit.

([63]) Audition de l’association Agir contre la prostitution des enfants et les violences sexuelles (ACPE), 7 juin 2023.

([64]) Ce qu’il faut savoir sur l’impact de la pornographie chez les jeunes, op. cit.

([65]) Contribution écrite de M. Louis Forgeard.

([66]) Ce qu’il faut savoir sur l’impact de la pornographie chez les jeunes, op. cit.

([67]) Ce qu’il faut savoir sur l’impact de la pornographie chez les jeunes, ibid.

([68]) Audition de l’association e-enfance, op. cit.

([69]) Audition de M. Daniel Jasmin, 22 juin 2023.

([70]) Association e-enfance, rapport annuel 2022, Prévenir – Intervenir.

([71]) Audition M. Stéphane Blocquaux, 5 juillet 2023.

([72]) Audition de M. Daniel Jasmin, op. cit.

([73]) Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

([74]) Article 227-22 du code pénal.

([75]) Loi n° 2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet.

([76]) Loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.

([77]) La proposition de loi n° 739 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, la proposition de loi n° 758 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants et la proposition de loi n° 757 relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans.  

([78]) Audition de la Cnil, 13 avril 2023.

([79]) Audition de la DGESCO et de la DNE, 7 juin 2023.

([80]) Audition de l’association Génération Numérique, 19 juin 2023.

([81]) Audition de l’association Génération Numérique, ibid.

([82]) Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.

([83]) Article 9 de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.

([84]) Décret du 11 juillet 2006 publié au BOEN du 20 juillet 2006.

([85]) Audition de Pix, 1er juin 2023.

([86]) Décret n° 2019-919 du 30 août 2019 relatif au développement des compétences numériques dans l’enseignement scolaire, dans l’enseignement supérieur et par la formation continue, et au cadre de référence des compétences numériques  

([87]) Article 1 du décret n° 2019-919, ibid.

([88]) Annexe du décret n° 2019-919, ibid.

([89]) Audition de Mme Dominique Pasquier, 24 mai 2023.

([90]) Audition de la Fondation pour l’enfance, 14 juin 2023.

([91]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([92]) Audition de M. Nicolas Vibert, 28 juin 2023.

([93]) Audition de la Fondation pour l’enfance, op. cit.

([94]) Audition de Pix, op. cit.

([95])  Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.  

([96]) Audition du syndicat lycéen FIDL, 19 juillet 2023.

([97]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([98]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.  

([99]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.  

([100]) Audition de la DGESCO et de la DNE, op. cit.

([101]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.  

([102]) Conseil supérieur des programmes, Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques, juin 2022, p. 14.

([103])  Conseil supérieur des programmes, Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques, ibid.

([104]) Audition de la Cnil, op. cit.

([105]) Audition de la Cnil, op. cit.

([106]) Audition du syndicat de lycéens FIDL, op. cit.

([107]) Circulaire du 24 janvier 2022 MENE2202370C relatif à la généralisation de l’éducation aux médias et à l’information.

([108]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.   

([109]) Déplacement au sein du collège Jean Lolive, à Pantin, le 11 mai 2023.  

([110]) Déplacement au sein du collège Léon Gambetta dans le 20e arrondissement de Paris, le 31 mai 2023.  

([111]) Audition de Mme Anne Cordier, op. cit.

([112]) Audition de Mme Dominique Pasquier, op. cit.

([113]) Audition de Mme Dominique Pasquier, ibid.

([114]) Auditions de Mme Dominique Pasquier, ibid ; audition de Mme Anne Cordier, op. cit.  

([115]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.   

([116]) Table ronde des associations de parents d’élèves, 21 juin 2023.

([117]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.  

([118]) Audition de Mme Dominique Pasquier, op. cit.

([119]) Audition de l’association e-enfance, op. cit.  

([120]) Audition de l’association e-enfance, ibid.  

([121]) Audition de l’association e-enfance, ibid.  

([122]) Audition de l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale, 19 juillet 2023.

([123]) Audition de la Cnil, op. cit.

([124]) Audition de l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale, op. cit.

([125]) Audition de l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale, ibid.

([126])  Audition de l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale, ibid.

([127]) Audition de l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale, ibid.

([128]) Audition de Mme Anne Cordier, op. cit.

([129])  Audition de l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale, ibid.

([130]) Audition de Mme Dominique Pasquier, op. cit.

([131]) Audition de Mme Dominique Pasquier, ibid.

([132]) Audition du Conseil national du numérique, op. cit.

([133]) Audition de M. Stéphane Blocquaux, op. cit.

([134]) Audition de l’association Génération Numérique, op. cit.   

([135]) Audition d’Arte, op. cit.

([136]) Audition d’Arte, ibid.

([137]) Étude Ipsos, Le rapport des jeunes à l’information,10 novembre 2022.  

([138]) Audition d’Arte, op. cit.   

([139]) Audition d’Arte, ibid.

([140]) Conseil supérieur des programmes, Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques, juin 2022, p. 19.  

([141]) Audition de M. Nicolas Vibert, op. cit.

([142]) Audition de M. Nicolas Vibert, ibid.

([143]) Audition de M. Stéphane Blocquaux, op. cit.

([144]) Audition de la Fondation pour l’enfance, op. cit.

([145]) Audition de M. Grégoire Borst, 28 juin 2023.

([146]) Audition de M. Nicolas Vibert, op. cit.  

([147]) Étude de l’Arcom, La fréquentation des sites « adultes » par les mineurs, mars 2023 : 51 % des garçons de 1213 ans consulteraient chaque mois des sites pornographiques ; il en est de même pour 21 % des 1112 ans. La part des mineurs fréquentant ces sites a ainsi progressé de + 9 points en 5 ans, de 19 % fin 2017 à 28 % fin 2022. La fréquentation moyenne quotidienne des mineurs est également en hausse. Le nombre de mineurs visitant ces sites chaque mois a augmenté de + 36 % en 5 ans (+600 000) pour monter à 2,2 millions.

([148]) Audition de l’association e-enfance, op. cit.   

([149]) Audition de l’association e-enfance, ibid.  

([150]) Audition association Caméléon, 7 juin 2023.

([151]) Audition de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants et les violences sexuelles (ACPE) et de l’association Caméléon, 7 juin 2023.

([152]) Audition de l’association e-enfance, op. cit.   

([153]) Audition de l’association Caméléon, op. cit.

([154]) L’article L. 121-1 du code de l’éducation prévoit « l’information sur les violences » et « l’éducation à la sexualité » : « les écoles, les collèges et les lycées assurent une mission d’information sur les violences et une éducation à la sexualité ».

([155]) Audition de M. Grégory Liegeois, 5 juillet 2023.

([156]) Audition de l’Arcom, 13 avril 2023.

([157]) Audition de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications devant la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, 14 février 2023.

([158]) Audition de la Cnil, op. cit.

([159]) Cnil, « Dix conseils pour rester net sur le web », livret à destination des parents avec conseils et bonnes pratiques distribué dans 500 écoles

([160]) Audition de la Cnil, op. cit.

([161]) Audition de la Cnil, ibid.

([162]) Audition du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi), 25 mai 2023.  

([163]) Audition du Clemi, ibid.

([164]) Audition de Pix, op. cit.

([165]) Audition de la Cnil, op. cit.

([166]) Audition de la DGESCO et de la DNE, op. cit.

([167])  Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.   

([168]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, ibid.   

([169]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([170]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, ibid.

([171]) Audition de la Cnil, op. cit.

([172]) Association e-enfance, rapport annuel 2022, Prévenir – Intervenir, p. 34.

([173]) Audition de l’association Génération Numérique, op. cit.   

([174]) Audition de M. Thomas Rohmer, op. cit.   

([175]) Audition de la Fondation pour l’enfance, op. cit.   

([176]) Audition de M. Daniel Jasmin, 22 juin 2023.

([177]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.

([178]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.     

([179]) Audition de Mme Axelle Desaint, 22 juin 2023.

([180]) Audition de Mme Axelle Desaint, ibid.

([181]) Audition de Mme Axelle Desaint, ibid.

([182]) Audition de l’association e-enfance, op. cit.

([183]) Audition de l’association Génération Numérique, op. cit.   

([184]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.  

([185]) Audition de Mme Anne Cordier, op. cit.

([186]) Audition de Mme Anne Cordier, ibid.

([187]) Auditions Anne Cordier, ibid ;  audition de l’APDEN, op. cit.

([188]) Auditions Anne Cordier, ibid

([189]) Audition de l’association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale, op. cit.

([190]) Audition du Clemi, op. cit.

([191]) Audition du Clemi, ibid.

([192]) Table ronde des syndicats des personnels de l’éducation nationale, op. cit.

([193]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.    

([194]) Audition de la Cnil, op. cit.

([195]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.   

([196]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, ibid.   

([197]) Audition du Conseil national du numérique, op. cit.

([198]) Audition de l’association Génération Numérique, op. cit.  

([199]) Audition de M. Thomas Rohmer, op. cit.

([200]) Audition de l’association VersLeHaut, op. cit.

([201]) Audition de Mme Dominique Pasquier, op. cit.

([202]) L’article 46 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance précise l’article L. 721‑2 du code de l’éducation

([203]) Audition de l’Association Génération Numérique, op. cit.   

([204]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([205]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([206]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, ibid.

([207]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, ibid.

([208]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.      

([209]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, ibid.      

([210]) Audition de Mme Dominique Pasquier, op. cit.

([211]) Audition de Mme Anne Cordier, op. cit.

([212]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.

([213]) Audition de M. Grégory Liégeois, op. cit.

([214]) Audition de M. Grégory Liégeois, ibid.

([215]) Audition de M. Grégory Liégeois, ibid.

([216]) Audition de M. Nicolas Vibert, op. cit.

([217]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([218]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([219]) Audition de l’association VersLeHaut, op. cit.

([220]) Audition de Mme Irène Cristofori et de Mme Servane Mouton, op. cit.

([221]) Le « sharenting », ou « surpartage parental », désigne la pratique des parents consistant à publier en ligne des contenus concernant leurs enfants.  

([222])  Audition de l’association VersLeHaut, op. cit.

([223]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.

([224]) Protégé par l’article 16 de la CIDE et dont la Défenseure des droits est la garante en droit interne.

([225]) Le terme de « technoférence » a été créé en 2012 par le chercheur en psychologie familiale Brandon McDaniel pour décrire des interruptions quotidiennes dans les relations interpersonnelles en raison des outils numériques.

([226]) Audition de l’association VersLeHaut, op. cit.

([227]) Audition de M. Stéphane Blocquaux, op. cit.

([228]) Audition du Clemi, op. cit.

([229]) Audition de la Fondation pour l’enfance, op. cit.

([230]) Audition de l’association e-enfance, op. cit.   

([231]) Audition du syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale, op. cit.

([232]) Table ronde des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, op. cit.

([233]) Contribution écrite de M. Laurent Zameczkowski.

([234]) Audition de l’association VersLeHaut, op. cit.  

([235]) Audition d’Arte, op. cit.

([236]) Audition d’Arte, ibid.

([237]) Contribution écrite de Radio France.

([238]) contribution écrite de Radio France.

([239]) Deux nouvelles saisons de « Mécaniques du complotisme » et six nouvelles saisons de « Mécaniques du journalisme » ont ainsi par exemple été proposées en 2021 afin de lutter contre la désinformation et agir pour l’éducation aux médias.

([240]) En 2018, la question de l’utilisation des écrans sur les enfants était déjà au cœur du programme « Les idées claires » produit par France culture et franceinfo. Le 3 janvier 2022 France Culture a consacré son émission « Être et savoir » aux enjeux liés aux utilisations du numérique par les enfants et les adolescents. L’émission « Le téléphone sonne » sur France Inter, première Radio de France, a abordé la question de l’éducation au numérique dans son émission du 21 novembre 2022.Les antennes de France Bleu abordent également le sujet sous différents angles, comme France Bleu Pays d’Auvergne le 25 mai dernier qui a réalisé une chronique sur l’incidence des écrans sur le langage, ou France Bleu Poitou qui a consacré le 10 mai dernier une émission entière sur l’addiction de toute la famille aux écrans. Plus généralement, les questions relatives à l’innovation et aux enjeux technologiques sont abordées quotidiennement sur les antennes de Radio France avec parfois des journées dédiées (par exemple journée spéciale “intelligence artificielle” sur France Inter le 12 avril 2023).  

([241]) À travers les émissions Franceinfo junior, Le Vrai du Faux Junior, et le podcast original Salut l’info !  

([242]) Pod’classe accompagne 18 lycées et collèges répartis sur tout le territoire dans la réalisation de podcasts sur des questions d’actualité.  

([243]) France Bleu Classe Média est le dispositif d’éducation aux médias de France Bleu. Il intervient directement dans les écoles sur l’ensemble du territoire pour apprendre à créer un média informatif.  

([244]) Visite de Pharos de la Délégation aux droits des enfants, 26 juin 2023.   

([245]) Audition de l’association Génération Numérique.   

([246]) Déplacement au sein du collège Jean Lolive, à Pantin, op. cit.

([247]) La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes des violences conjugales, dont le chapitre IX est consacré aux « Dispositions relatives à la protection des mineurs » contraint les sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs sous contrôle de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

([248]) Audition de Mme Charlotte Caubel devant la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, 25 octobre 2022.

([249]) Audition de l’Arcom, op. cit.

([250]) Audition de la Défenseure des droits, op. cit.