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N° 1685

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIXIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2023.

 

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et
de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

sur le contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations sociales

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

MM. Marc FERRACCI et Jérôme GUEDJ,

 

Députés.

 

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SOMMAIRE

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Pages

Avantpropos de M. MARC FERRACCI, rapporteur

Avantpropos de M. Jérôme Guedj, rapporteur

Introduction

I. Les allègements généraux de cotisations sociales : une politique au coût budgétaire particulièrement élevé dont l’efficacité repose principalement sur un ciblage à proximité du salaire minimum

A. Une politique publique ancienne qui a connu une forte accélération depuis 2014

1. Une politique ancienne renforcée de manière sensible au cours de ces dernières années

a. La réduction générale de cotisations sur les bas salaires

b. L’exonération de cotisations d’assurance maladie, ou « bandeau maladie »

c. L’exonération de cotisations d’allocations familiales, ou « bandeau famille »

2. Une forte augmentation des montants des réductions générales de cotisations sociales, qui signale un « effet d’emballement » en lien avec un contexte économique singulier

3. La distribution des entreprises concernées par les allègements généraux et leur impact sur celles-ci

a. Les allègements généraux bénéficient davantage aux petites entreprises et aux secteurs d’activité caractérisés par des niveaux de salaires plus faibles

b. La répartition du bénéfice du bandeau famille est moins sensible au profil de l’entreprise que celle de la réduction de cotisations sur les bas salaires

B. Allègements généraux et trappes à bas salaires : des risques théoriques non avérés par les études empiriques

1. Il est régulièrement imputé aux allègements généraux de créer des trappes à bas salaires

2. Toutefois, les études existantes n’identifient pas de lien causal entre les dispositifs d’allègements généraux et les phénomènes de « trappes à bas salaires »

C. Le « bandeau famille » : une réduction de cotisations sociales sur les rémunérations élevées sans effet significatif sur l’emploi ou la compétitivité

1. Une mesure conçue en faveur de la compétitivité et de l’industrie

2. Des effets sur l’emploi quasiment nuls

3. Des effets difficilement décelables sur la compétitivité

D. Mieux cibler les exonérations de cotisations sociales : des critères à étudier et une mise en œuvre à détailler

1. Les conditions de mise en œuvre d’un ciblage plus fin des allègements généraux de cotisation

2. Des études récentes montrent l’intérêt économique que pourrait revêtir un ciblage des allègements en fonction de critères relatifs aux entreprises bénéficiaires

a. Selon la situation financière des entreprises

b. Selon l’âge des entreprises

II. conditionner les allègements généraux à la négociation salariale : une pratique existante mais marginale, une généralisation qui se heurte à des obstacles importants

A. La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît déjà une forme d’application

1. La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît un regain d’intérêt depuis quelques années

2. Le droit en vigueur prévoit déjà certaines conditions au bénéfice des allègements généraux

a. L’interdiction du travail illégal

b. La condition relative à l’obligation de négociation sur les salaires effectifs

3. L’absence de consensus sur l’opportunité d’étendre la conditionnalité des allègements généraux à d’autres domaines

B. Lier le bénéfice des allègements généraux à la négociation salariale de branche : une proposition qui se heurte à des obstacles importants

1. Une proposition qui s’inscrit dans un contexte particulier de revalorisations importantes et régulières du Smic...

2. … mais qui se heurte à des écueils importants

III. Les exonérations de cotisations et contributions sociales en fonction de l’âge : un outil efficace pour augmenter le taux d’emploi ?

A. malgré une évolution positive sur les dernières années, La situation de l’emploi des seniors reste préoccupante en France

1. Un changement de politiques publiques en ce qui concerne l’emploi des seniors

2. Une évolution favorable mais encore insatisfaisante de l’emploi des seniors

B. Des exonérations supplémentaires nécessiteraient de pouvoir démontrer leur bénéfice pour ces populations spécifiques

1. La France a peu à peu supprimé les exonérations et dispositifs spécifiques en lien avec l’âge

2. En l’absence de consensus, plusieurs pistes sont évoquées en matière d’exonérations ciblées en fonction de l’âge

3. Les principaux risques d’une nouvelle exonération liée à l’âge

Travaux de la commission

ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉes par lEs rapporteurs

 

    


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   Avant‑propos de M. MARC FERRACCI, rapporteur

Évaluer l’efficacité de la dépense publique est une ardente nécessité. Dans les prochaines années les investissements dans nos services publics, dans notre protection sociale et dans notre souveraineté nous imposent de dégager des marges de manœuvres nouvelles. Il faut pour cela avoir le courage de réduire, voire de supprimer les dépenses inefficaces. Ce principe de bonne gestion est aussi un enjeu de transparence démocratique. Nos concitoyens doivent savoir si les dépenses qui sont engagées en leur nom atteignent les objectifs fixés par le législateur, et notamment savoir si elles contribuent à créer de l’activité et des emplois.

Le présent rapport s’inscrit dans cette ambition, en se penchant sur l’impact des exonérations de cotisations sociales qui bénéficient aux entreprises. Évaluer cet impact est d’autant plus essentiel que ces exonérations connaissent une dynamique importante, et atteignent aujourd’hui un montant considérable : les allègements généraux portant sur les salaires inférieurs à 3,5 Smic sont ainsi passés de 1,1 point du PIB en 2004 à 2,8 points en 2022, soit près de 80 milliards d’euros. Ces chiffres ne sont pas, en soi, problématiques, dès lors que les exonérations permettent de créer ou de maintenir l’emploi, ce qui constitue leur justification essentielle depuis que les premiers dispositifs d’allègements ont vu le jour au début des années 90.

Dans ce rapport nous avons donc cherché à évaluer les effets concrets des allègements, en particulier ceux qui portent sur les plus hauts niveaux de salaires, et dont de nombreuses études économiques suggèrent que leurs effets sur l’emploi et la compétitivité des entreprises sont faibles, voire insignifiants. Nous avons également souhaité éclairer le débat public sur l’opportunité de conditionner les allègements à une négociation salariale plus active, notamment au niveau de la branche. Nous avons enfin interrogé lors de nos auditions l’intérêt de pratiquer des exonérations plus importantes pour les salariés seniors, dans le but théorique de favoriser leur maintien ou leur retour dans l’emploi.

Je suis heureux d’avoir pu bénéficier de la grande expérience de mon collègue Jérôme Guedj sur les enjeux liés à la protection sociale, et d’avoir pu établir sur ces différents points un diagnostic partagé avec lui. Les auditions que nous avons menées pendant plusieurs semaines avec les partenaires sociaux, les administrations et des chercheurs académiques ont été riches et stimulantes, et nous ont permis d’enrichir et d’élargir notre vision des allègements de charges sociales. Certes, les implications politiques que nous tirons de ce diagnostic partagé peuvent différer, mais il est crucial de fonder les débats parlementaires à venir sur un socle solide. C’est le signe qu’un travail transpartisan sur un sujet aussi important est possible et, je l’espère, fertile.

Concernant l’impact des allègements, les auditions ont largement confirmé les résultats issus des évaluations académiques depuis de nombreuses années. Ces résultats montrent qu’alléger le coût du travail sur les plus hauts salaires ne permet pas de soutenir efficacement l’emploi, ni la compétitivité des entreprises. En effet, l’impact des allègements dépend de la capacité des entreprises à ne pas répercuter ces allègements sur les salaires bruts. Or, pour des niveaux de salaires élevés, le pouvoir de négociation des salariés est tel qu’il leur permet de capter une large part des exonérations au travers des augmentations de salaire ultérieures.

La question du seuil de salaire au-delà duquel les allègements perdent leur efficacité reste débattue. Certains chercheurs ont insisté sur le fait que dès 1,6 Smic cette efficacité devient faible, même si elle n’est sans doute pas nulle. En tout état de cause, il nous a semblé que le maintien des exonérations de cotisations familiales (dites « bandeau famille ») portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic ne se justifiait pas, c’est pourquoi nous proposons de les supprimer. Cette suppression se traduirait par un surcroît de ressources de l’ordre de 1,5 milliard d’euros pour le budget de l’État, à travers une moindre compensation due à la branche famille de la sécurité sociale.

Je considère pour ma part que les ressources tirées de la suppression du « bandeau famille » sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic gagneraient à être utilisées pour mettre en œuvre des baisses de prélèvements sur les entreprises plus efficaces pour l’activité et l’emploi que les exonérations sur les hauts salaires. En particulier, un renforcement des exonérations sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic, ainsi qu’un meilleur lissage des exonérations autour du seuil de 1,6 Smic contribueraient à renforcer les effets sur l’emploi, sans surcoût pour les finances publiques. Alternativement, une baisse plus rapide et/ou plus ample des impôts de production pourrait être envisagée, dans l’esprit des propositions du Conseil d’analyse économique dans son rapport de 2019 (« Baisses de charges : stop ou encore ? »).

En d’autres termes, le cap suivi depuis 2017 par la majorité présidentielle est de ne pas augmenter les impôts, et il doit être maintenu. Mais ceci ne doit pas conduire à vitrifier notre système de prélèvements obligatoires, en laissant perdurer des dépenses inefficaces. Être plus sélectif doit permettre d’aller plus vite vers l’objectif du plein emploi. Si cette option de suppression du « bandeau famille » devait être retenue, il serait par ailleurs nécessaire de l’envisager de manière progressive, afin de donner le temps aux entreprises et aux secteurs les plus concernés de s’adapter.

Une autre question essentielle est celle de la possibilité de trappes à bas salaires liées aux allègements. Sur ce sujet, les auditions et la recension des travaux scientifiques n’ont pas mis en évidence de telles trappes. Toutefois nous avons souhaité soulever lors des auditions l’hypothèse selon laquelle les exonérations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic, combinées à la prime d’activité dont le point de sortie est proche – 1,5 Smic – pourraient générer malgré tout des phénomènes de trappes, ou tout du moins, de ralentissement des augmentations salariales vers 1,5‑1,6 Smic. En l’absence de données exploitables pour répondre à cette question dans les délais impartis au présent rapport, nous recommandons de poursuivre la réflexion sur ce point.

L’opportunité de conditionner les allègements à certains objectifs sociaux, et notamment à la conformité des minima de branches au niveau du Smic a également été largement abordée lors des auditions, sur la base des propositions faites par certaines organisations syndicales. Il m’apparaît que les arguments contre une telle proposition l’emportent largement. Certains intervenants, et notamment des chercheurs, ont ainsi insisté sur le fait qu’à un instrument donné de politique publique (ici, les exonérations) devait correspondre un seul objectif (ici, l’emploi), au risque de n’atteindre aucun des multiples objectifs qui seraient poursuivis. Se donner pour ambition de réduire le coût du travail avec les allègements tout en incitant les entreprises à l’augmenter au travers des augmentations du salaire brut apparaît paradoxal, et même assez incohérent. Par ailleurs, les obstacles juridiques et opérationnels à une telle mesure ont été soulignés, notamment par les administrations centrales interrogées, et en feraient probablement une usine à gaz qu’il convient d’éviter.

S’agissant enfin de l’opportunité de renforcer les exonérations pour les salariés seniors, les risques d’effet d’aubaine surpassent largement les effets positifs qu’il serait possible d’en attendre. Cette mesure n’aurait sans doute un effet bénéfique que pour une petite partie des salariés expérimentés et probablement pas pour ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi.

Au final, la rédaction de ce rapport me permet d’insister sur la nécessité de systématiser l’évaluation d’impact des dépenses publiques, et de remettre en cause celles dont l’efficacité n’est pas avérée. Au-delà des exonérations de charges, il conviendrait d’élargir la démarche à l’ensemble des dépenses d’intervention économiques et sociales. Je préconise en particulier d’étudier la mise en œuvre du principe des « clauses d’extinction » (« sunset clauses »), consistant à assortir certains dispositifs d’un calendrier dans lequel ils feraient l’objet d’une évaluation indépendante. La pérennisation de ladite mesure ne serait envisagée que si l’évaluation montre que celle-ci attient les objectifs qui ont été fixés par le législateur. Il s’agirait en somme d’inverser la charge de la preuve : plutôt que de devoir prouver l’inefficacité d’une mesure pour la supprimer – comme c’est le cas pour ce rapport avec les exonérations sur les hauts salaires –, il faudrait prouver son efficacité pour la pérenniser. Ce principe permettrait selon moi de renforcer la confiance de nos concitoyens dans l’action publique, et partant, le consentement à l’impôt.

Qu’il me soit permis, enfin, de remercier l’ensemble des personnes auditionnées lors de cette mission pour la qualité des échanges que nous avons eus. Je souhaite également remercier les administrateurs de l’Assemblée nationale pour leur compréhension fine des enjeux, ainsi que pour l’efficacité et la célérité dont ils ont fait preuve pour la rédaction de ce rapport dans des délais contraints.


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   Avant‑propos de M. Jérôme Guedj, rapporteur

À l’heure où l’argent public se fait rare, où le « quoi qu’il en coûte » est terminé, une dépense gonfle et s’emballe : les allègements généraux de cotisations sociales patronales. En trente ans, leur coût a explosé. L’ensemble des allègements de cotisations sociales et exemptions d’assiette représentent désormais plus de 80 milliards d’euros. Les allègements généraux portant sur les salaires inférieurs à 3,5 Smic sont passés de 1,1 point du PIB en 2004 à 2,8 points en 2022. Encore plus frappant est « l’effet d’emballement » de ces dernières années : pour le seul régime général, le montant des exonérations a doublé entre 2013 et 2022, et pour la seule année 2002, il a augmenté de 14,5 % en 2022 pour atteindre un peu plus de 73 milliards d’euros.

Cette dynamique récente s’inscrit toutefois dans une tendance profonde. Toutes les politiques économiques des trente dernières années ont essayé de réduire le chômage des personnes sous-qualifiées en baissant le coût du travail. Trois décennies d’allègements se succèdent et s’empilent. De Balladur à Juppé dans les années 90 en passant par les gouvernements Jospin (1998 et 2002) et Fillon (2003) au « pacte de responsabilité et de solidarité » et au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) du Gouvernement Ayrault (2012 et 2014) – supprimé en 2019, puis transformé en nouveaux allègements – les exonérations de cotisations sociales n’ont cessé de croître dans leurs taux mais aussi dans le nombre de travailleurs concernés. Ces dernières décennies, aucun autre outil de politique publique n’aura été mobilisé avec une telle ampleur et une telle persistance.

C’est la raison pour laquelle, avec mon collègue Marc Ferracci, nous avons eu à cœur de nous emparer du vaste sujet du « contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations et de contributions sociales » à l’occasion du premier cycle d’évaluation « au long cours » de la Mecss de cette XVIe législature. Confirmant ainsi la nécessité de renforcer l’évaluation de sommes aussi importantes, et dès le départ, nous avons manifesté la volonté de dépasser les slogans et les postures, de rendre les auditions riches et vivantes, et d’aller au fond du sujet. De fait, l’ambition de ce rapport est de faire un point d’étape sur l’efficacité économique des baisses de cotisations sociales et de commencer à documenter le droit d’inventaire. Il devra être poursuivi. Pour ce faire, nous avons auditionné une grande variété d’acteurs, organisations syndicales et patronales, les principales administrations centrales compétentes sur le sujet, les corps d’inspection et un panel d’économistes qui ont travaillé sur l’évaluation de ces dispositifs.

Au-delà de ses implications techniques, la lecture de ce rapport doit être l’occasion de reposer les termes du débat à propos des cotisations sociales. Dès le XIXe siècle, les assurances sociales ont été mises en place en dehors de l’État. Les ouvriers ou les employeurs organisaient alors les mutuelles de l’assurance sociale. Ces assurances sociales étaient financées par un prélèvement sur le salaire et non par l’impôt. Dans une société où l’individualisme libéral progressait, la cotisation sociale fut la clé de voûte d’une solidarité qui dépasse l’individu et qui n’attend pas l’État. À la Libération, les fondateurs de la sécurité sociale ont conservé ce principe de la cotisation pour intégrer les travailleurs à la gestion du système de protection sociale, d’une part, et pour éviter que les dépenses sociales ne soient soumises à la contrainte budgétaire d’autre part. Aux yeux des Français, la cotisation sociale se distinguait alors du prélèvement obligatoire : elle se concevait comme un salaire différé, c’est-à-dire comme le pendant des nouveaux droits‑créances de l’État‑Social. Recette générée par le travail, la cotisation, loin d’être une charge, permet de financer notre modèle social protecteur et généreux, c’est-à-dire mettre les moyens en commun pour satisfaire nos besoins sociaux.

Toutefois, depuis le début des années 1980, les cotisations sociales sont l’objet d’une intense bataille culturelle et sémantique. Dès 1982, Yvon Gattaz, président du Conseil National du Patronat Français (CNPF) lance « la bataille des charges » pour réclamer la réduction de la participation des employeurs au financement de la protection sociale, qui serait un poids pour l’activité économique. Dans les années 1990, et notamment avec l’achèvement du marché unique européen, ce discours sur le coût du travail et le poids des « charges sociales » se déploie avec une intensité redoublée. Progressivement, l’idée que les cotisations sociales sont un fardeau qu’il faut réduire se répand et s’impose comme une soi‑disant évidence partagée. Les cotisations sociales deviennent alors des charges qu’il faut réduire sans se poser de questions et non plus les ressources légitimes adossées au travail permettant de financer notre modèle social singulier.

C’est ce postulat de la nécessité et de l’efficacité de la réduction constante des « charges » qui est ici questionné. De fait, recentrer le débat sur l’efficacité des réductions ou des exonérations de cotisations sociales permet d’identifier la réduction des cotisations avant tout comme une perte de recette. Désormais le problème à résoudre n’est plus l’hypertrophie des « charges » mais le coût vertigineux des baisses des cotisations dont, pour une part significative d’entre‑elles, l’efficacité économique est très incertaine, voire totalement nulle.

Au fil de nos auditions, de mon point de vue, deux constats se sont imposés. D’une part, plus une exonération concerne un niveau de rémunération proche du Smic plus elle est susceptible d’avoir des effets bénéfiques sur l’emploi. D’autre part, certains allègements sont insuffisamment ciblés. S’il a été démontré que deux tiers de ces dépenses exercent des effets positifs sur le marché de l’emploi – les allègements portant sur les bas salaires allant jusqu’à 1,6 Smic ayant créé les centaines de milliers d’emplois attendus –, l’impact d’un tiers des exonérations reste vague. Les travaux d’évaluation existants, notamment du CICE, par le Conseil d’analyse économique, France Stratégie, l’Institut des politiques publiques, l’Observatoire français des conjonctures économiques ou du laboratoire interdisciplinaire de Sciences Po (Liepp), invitent au scepticisme et nourrissent une critique raisonnée des exonérations sociales portant sur les salaires situés au‑delà de 1,6 Smic, et a fortiori, envers celles portant sur les salaires au‑delà de 2,5 Smic.

D’ailleurs, au regard de l’objectif de soutien à l’emploi et de lutte contre le chômage, le Conseil d’analyse économique recommandait déjà en 2019 l’abandon des baisses de cotisations au-dessus de 2,5 Smic.

L’exemple du « bandeau famille » est éloquent : l’exonération de cotisations familiales – une réduction de cotisations sociales sur les rémunérations élevées, pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic, conçue en faveur de la compétitivité et de l’industrie en 2014 – a des effets quasiment nuls sur l’emploi et difficilement décelables sur la compétitivité. Son abandon devrait être pris au sérieux. C’est la proposition forte de notre travail transpartisan. Avec mon co‑rapporteur Marc Ferracci, avec qui j’ai eu plaisir à travailler en bénéficiant de son expertise incontestable de chercheur devenu député sur ces enjeux, nous ne partageons pas les conséquences que nous tirons de ce constat et l’usage qui pourrait être fait de l’économie ainsi réalisée. C’est le sel du débat démocratique, qui gagne à être éclairé. Il ne doit pas y avoir de tabou à questionner le « pognon de dingue » que mobilisent ces exonérations.

Priver la sécurité sociale d’autant de recettes à l’heure des crises sanitaires, des pénuries de personnels à l’hôpital ou dans les Ehpad, à ce niveau, avec une telle persistance, et avec une garantie relative d’efficacité interroge et peut inquiéter. Plusieurs questions émergent alors naturellement. Si environ un tiers des allègements n’a pas d’impact positif connu sur les marges, la compétitivité ou l’emploi dans les entreprises françaises, à quoi bon persister dans cette inertie et raréfier davantage les ressources publiques ? Si les rapports d’analyse économique prônent des baisses de cotisations plus sélectives, qu’attendons-nous ?

Ce rapport soulève également la question de la faisabilité de nouveaux chantiers, comme la conditionnalité des allègements, qui pourrait être un levier intéressant pour accélérer la transition écologique et sociale de notre modèle productif. En déterminant de véritables contreparties telles que le développement de l’emploi de qualité, la revalorisation les salaires, la fixation de critères environnementaux, la puissance publique pourrait aménager les dépenses en fonction de l’atteinte d’objectifs précis. Au fil des auditions, nous avons pu constater que ce chantier de la conditionnalité fait l’objet de réflexions intéressantes notamment au sein des organisations syndicales mais qu’à ce stade, les recommandations envisagées ne sont pas pleinement opérationnelles. Aussi, j’appelle de mes vœux à ce qu’un travail d’approfondissement soit mené sur cet aspect, notamment sur la hiérarchisation des conditions entre elles, sur le suivi des contreparties et sur les mécanismes d’incitation ou de sanction à envisager.

Je finis cet avant-propos en soulignant la qualité des auditions qui ont été menées, l’apport décisif des administrateurs de l’Assemblée nationale qui nous ont accompagnés dans ce travail et en faisant le vœu que ce travail soit fécond et utile pour nous faire avancer collectivement sur le sujet.


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   Introduction

En mars 2023, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale (Mecss) a confié à vos rapporteurs la responsabilité de mener des travaux portant sur l’efficacité et le contrôle des exonérations de cotisations sociales. Ces travaux ont abouti à la rédaction du présent rapport dont le champ porte plus précisément sur les réductions générales de cotisations sociales patronales dites « allègements généraux ».

Ces allègements comportent trois principales composantes :

– la réduction dégressive portant sur les salaires compris entre 0 et 1,6 Smic, dite « allègement Fillon » ;

– la réduction de 6 points de cotisations maladies portant sur les salaires compris entre 0 et 2,5 Smic dite « bandeau maladie » ;

– la réduction d’1,8 point de cotisations familiales portant sur les salaires compris entre 0 et 3,5 Smic dite « bandeau famille ».

Initialement conçus dans les années 1990 comme un moyen de lutter contre le chômage de masse via la réduction du coût du travail des salariés rémunérés autour du Smic, les allègements généraux ont peu à peu été étendus tant dans leur ampleur – par l’augmentation du taux d’exonération – que dans leur périmètre – par l’élargissement de l’assiette aux salaires allant jusqu’à 2,5 Smic voire 3,5 Smic pour la réduction de cotisations familiales. Cette extension a conduit à ce que ce dispositif devienne un instrument incontournable de la politique en faveur de l’emploi. En 2022, « l’allègement Fillon » s’appliquait ainsi aux cotisations sociales de plus de 12 millions de personnes représentant 61 % du total des effectifs salariés en France. En prenant en compte l’ensemble des allègements généraux, l’on observe que plus de 78 % de l’ensemble de l’assiette salariale soumise à cotisations de notre pays – c’est-à-dire l’assiette salariale des salariés rémunérés jusqu’à 3,5 Smic – est concerné par au moins l’un d’entre eux.

L’origine de ce travail part du constat selon lequel le coût des allègements généraux a fortement augmenté depuis plusieurs années. En 2022, l’ensemble des exonérations de cotisations sociales s’est ainsi élevé à un montant de 73,6 milliards d’euros contre 37 milliards en 2013 et 19,5 milliards en 2004. Selon l’Urssaf, les allègements généraux représentaient 96 % du montant total des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient le secteur privé en 2022.

Cet « emballement » du coût des allègements généraux – dont les ressorts sont exposés dans le présent rapport – justifiait que soit menée une étude portant sur leur efficacité au regard des objectifs poursuivis en termes d’emploi et de compétitivité. L’étendue des connaissances disponibles sur le sujet a conduit vos rapporteurs à s’interroger plus précisément sur la pertinence du maintien des allègements portant sur les plus hauts salaires, en particulier la part du « bandeau famille » applicable sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic.

Vos rapporteurs retiennent des études existantes que l’efficacité des dispositifs d’allègements généraux sur l’emploi dépend principalement de leur ciblage sur les salaires proches du Smic et se transmettent selon des canaux de transmission que des chercheurs en sciences économiques continuent d’investiguer mais qui pourraient être liés au profil des entreprises bénéficiaires – selon leur situation financière, leur taille ou leur âge notamment. S’agissant de la compétitivité des entreprises, les mêmes études ne parviennent pas à établir de lien causal entre les allègements généraux sur les hauts salaires et des gains de compétitivité, en particulier à l’export.

Or, les données relatives à la distribution des allègements généraux montrent que le bénéfice de l’allègement dégressif sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic est fortement ciblé sur les petites et les jeunes entreprises, ainsi que sur les secteurs où les salaires sont moins élevés, à la différence notamment du « bandeau famille » et en particulier de sa composante portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic.

Ces constats conduisent donc vos rapporteurs à proposer, dans un premier temps, de resserrer le périmètre des allègements généraux aux seuls salaires allant jusqu’à 2,5 Smic, pour une économie estimée à près d’1,6 milliard d’euros par les services interrogés.

Le présent rapport a également été l’occasion d’étudier plus spécifiquement certaines propositions régulièrement avancées dans le débat public portant sur les allègements généraux : l’opportunité et la faisabilité de lier le bénéfice de ces allègements au respect de certaines conditions par les entreprises ainsi que la pertinence de prévoir des exonérations de cotisations sociales spécifiquement ciblées sur les seniors, en lien avec les débats intervenus à l’occasion de la dernière réforme des retraites.

Ces travaux ont été menés sur un temps court, de juin à septembre 2023, et constituent le premier jalon d’une réflexion plus globale sur le système des exonérations de cotisations sociales, très spécifique à la France. Les rapporteurs souhaitent adresser leurs vifs remerciements à l’ensemble des organisations, experts et services ayant participé aux travaux préparatoires au présent rapport. Leur contribution a utilement alimenté les réflexions et les recommandations qu’il contient.

I.   Les allègements généraux de cotisations sociales : une politique au coût budgétaire particulièrement élevé dont l’efficacité repose principalement sur un ciblage à proximité du salaire minimum

A.   Une politique publique ancienne qui a connu une forte accélération depuis 2014

1.   Une politique ancienne renforcée de manière sensible au cours de ces dernières années

Le financement de la sécurité sociale française, notamment depuis les ordonnances fondatrices de 1945 ([1]), s’appuie, selon un modèle assurantiel, sur les cotisations des travailleurs afin de couvrir les risques auxquels ceux-ci sont exposés. Aujourd’hui, ces cotisations représentent 49 % des recettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss), mais elles en représentaient 82 % en 1993 ([2]). Le poids des prélèvements reposant sur l’activité a été identifié comme un des éléments explicatifs de l’augmentation du chômage, notamment au début des années 1990, en s’appuyant notamment sur l’hypothèse d’une relation négative entre la demande et le coût du travail ([3]). Au cours de cette période, selon l’Insee, le taux de chômage a augmenté de 2,2 points pour l’ensemble et de 2,5 points pour les travailleurs les moins qualifiés. Selon la même source, en 1993, alors que le taux de chômage a atteint 10,1 % sur l’ensemble, il était de 16,6 % pour les travailleurs les moins qualifiés ([4]).

Ces considérations ont conduit à la mise en place d’exonérations générales de cotisations sociales, complétant des exonérations ciblées préexistantes visant certains publics considérés comme fragiles ou prioritaires.

a.   La réduction générale de cotisations sur les bas salaires

● Les travailleurs rémunérés au voisinage du Smic furent la cible principale des politiques publiques d’allègement des cotisations sociales du début des années 1900. Ainsi, la loi du 27 juillet 1993 ([5]) a supprimé les cotisations d’allocation familiales pour les salaires entre 1 et 1,1 Smic et les a diminué de moitié entre 1,1 et 1,2 Smic.

Ce premier texte a ouvert la voie à une législation qui a progressivement élargi et approfondi le champ des réductions et exonérations de cotisations sociales, et dont les principales étapes sont les suivantes :

– création de la « ristourne Juppé » en 1995 ([6]), instaurant une réduction dégressive des cotisations sociales patronales à hauteur de 12,8 points pour les salaires s’échelonnant jusqu’à 1,2 Smic. Dès le 1er octobre 1995, cette ristourne fut fusionnée avec l’allègement créé en 1993 afin de porter le taux maximal d’exonération à 18,2 % pour les salaires inférieurs à 1,33 Smic, puis 1,3 Smic ([7]) ;

– mise en place d’un dispositif d’accompagnement de la réduction du temps de travail dans les entreprises en 2000, créant un dispositif additionnel d’exonération dont le taux maximal est de 26 % pour les entreprises réduisant leur temps de travail, applicable à des rémunérations allant jusqu’à 1,8 Smic ([8]) ;

– harmonisation en 2003 des dispositifs préexistants avec une réduction unique, pour l’ensemble des entreprises, avec un taux maximal d’exonération de 26 % pour les rémunérations inférieures à 1,6 Smic, dite « allègements Fillon » ([9]) ;

– augmentation en 2014 du champ des cotisations concernées par l’exonération, portant le coefficient maximal d’exonération à la somme des taux des cotisations maladie, vieillesse, famille, AT-MP (part hors accidentalité), de la contribution au Fonds national d’aide au logement (FNAL) et de la contribution solidarité autonomie (CSA), dans le cadre des allègements généraux dits « zéro charge Urssaf au niveau du Smic » ([10]) ;

– mise en œuvre en 2019 de l’extension du champ de cette réduction générale aux cotisations de retraite complémentaire et aux contributions patronales d’assurance chômage ([11]).

Cette réduction générale concentrée sur les bas salaires porte donc sur des cotisations et des contributions qui dépassent le seul champ des Robss. Elle s’est accompagnée de deux dispositifs complémentaires, plus ciblés en ce qui concerne les cotisations concernées mais plus larges s’agissant de l’échelle de rémunérations.

Exonérations de cotisations sociales et compensation de la perte de recettes pour la sécurité sociale

Depuis la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, dite « loi Veil », les exonérations et réductions de cotisations sociales font l’objet d’une obligation de compensation intégrale par l’État. Cette règle, inscrite à l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, a été régulièrement renforcée depuis sa création et s’applique également aux exemptions d’assiette depuis 2004.

La loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale confie à la loi de financement le monopole des dérogations au principe général de compensation. Selon l’annexe 2 du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022, 48 mesures de réduction ou d’exonération ont fait l’objet d’une disposition expresse de non-compensation dont, notamment, la réduction d’1,8 point de cotisations familiales portant sur les salaires jusqu’à 3,5 Smic et la réduction de 6 points de cotisations maladie portant sur les salaires jusqu’à 2,5 Smic.

Pour autant, l’existence d’une disposition juridique expresse de non-compensation en application de l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale ne signifie pas nécessairement l’absence de compensation financière.

Ainsi, et bien que l’article L. 131-7 précité ne s’applique pas aux allègements généraux, ceux-ci font néanmoins l’objet d’une compensation via l’affectation d’une part des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour « solde de tout compte ».

Il en résulte donc que le nombre des exonérations « non compensées » financièrement est plus restreint que celui des exonérations ayant fait l’objet d’une disposition expresse de non compensation sur le plan juridique. L’annexe 2 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022 indique ainsi que le montant des mesures d’exonérations non compensées pour les Robss s’élevait à 2,5 milliards d’euros, soit 3,6 % du total des exonérations.

Depuis 2017, les modalités de compensation des exonérations de cotisations sociales par l’État a fait l’objet d’un chantier de rationalisation. L’article 48 de la loi de finances pour 2017 a supprimé certaines dispositions expresses de non-compensation et a étendu le principe de compensation à certaines exonérations créées avant 1994 (aide à la création ou à la reprise d’une entreprise, aide à domicile employée par un particulier, etc.). Le renforcement du barème des allègements généraux à l’occasion de la « bascule » du CICE en allègements généraux a conduit le législateur à supprimer certaines exonérations spécifiques dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Enfin, depuis la loi de finances pour 2023, le « bandeau maladie » fait l’objet d’une compensation intégrale par affectation de TVA, y compris lorsqu’il s’applique à des employeurs qui bénéficient par ailleurs des exonérations ciblées spécifiques applicables en outre-mer (dites « Lodeom »).

b.   L’exonération de cotisations d’assurance maladie, ou « bandeau maladie »

Cette exonération est l’héritière du dispositif du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mis en place en 2012 pour améliorer la compétitivité des entreprises et favoriser l’emploi ([12]). Ce crédit d’impôt correspondait à 4 % – puis 6 % à compter du 1er janvier 2014 – de la somme des rémunérations dont le montant était inférieur à 2,5 Smic versées par une entreprise.

Ce crédit d’impôt a été transformé, à compter du 1er janvier 2019, en réduction pérenne de cotisations sociales d’assurance maladie. Il s’agit concrètement d’une réduction proportionnelle du taux de la cotisation d’assurance maladie de 6 points pour les rémunérations annuelles qui n’excèdent pas 2,5 Smic, couramment retenue sous le terme de « bandeau maladie ». À ces échelles de rémunération, le taux de cotisations d’assurance maladie passe donc de 13 % à 7 %.

c.   L’exonération de cotisations d’allocations familiales, ou « bandeau famille »

Dans la perspective là-encore d’une amélioration du taux d’emploi, le « Pacte de responsabilité et de solidarité » mis en place en 2014 a conduit à la création d’une autre exonération générale de cotisations sociales. Il s’agit d’une réduction du taux de cotisations d’allocations familiales pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 3,5 Smic, ou « bandeau famille », applicable depuis le 1er avril 2016 ([13]). Concrètement, il s’agit d’une réduction proportionnelle du taux de la cotisation d’allocations familiales de 1,8 point, qui passe, pour ces niveaux de rémunération, de 5,25 % à 3,45 %.

Ces réductions sont cumulables pour les employeurs. Le profil des allègements généraux de cotisations et de contributions sociales est donc le suivant :

https://lh5.googleusercontent.com/0bufsjA2VW0oLwJGRpqeQyzqQOta2d6lZ5WwiNnSEcoKEXIp-O0nvJUoMGFES0PdQI3vc-jnjJ3tkrQvP-9Rkb2rwKYuqziDklh-5-vNRYprQ_JhRiE8gShY5O6Wxsomd2COz7YRsefeh49HrRMIQw

Source : Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, Financement, annexe du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022.

Au total, la réduction du coût du travail au niveau du Smic est de 39,8 points pour les entreprises de moins de cinquante salariés, et 40,2 points pour les entreprises de plus de cinquante salariés au 1er janvier 2022.

2.   Une forte augmentation des montants des réductions générales de cotisations sociales, qui signale un « effet d’emballement » en lien avec un contexte économique singulier

Outre l’augmentation de l’usage des exonérations de cotisations sociales comme instrument de politique publique destiné à favoriser l’emploi, la part des allègements généraux de cotisations sociales a elle-même largement progressé au cours de la dernière décennie au sein de l’ensemble des dispositifs d’exonération, au point de constituer, en ce qui concerne leur montant, un instrument hégémonique. Ainsi, les allègements généraux représentent aujourd’hui 96 % du montant total des exonérations dont bénéficie le secteur privé, soit une augmentation de 12,2 points depuis 2004. Rapporté au total des exonérations et des exemptions d’assiette, la part des allègements généraux s’élève à 75,5 % du montant des « niches sociales » sur le champ des Robss.

https://lh3.googleusercontent.com/W890X1_ju6z4ls3SFjR0lYE3PauSDslkvAmO_0xk6ILr1c12ZYL-28u4AfXr-705WVlT0T5LRKstax-TyF1g5tsg_CLayRBKwCeRnhdgQ52pJUVNXMm-vzOgYlcy4_8Au3CqLBhAvhWvgGvJVoFBiQ

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

https://lh5.googleusercontent.com/DhV9m7eDvL5duwRZC7HXuTcgxvMM6fHwQJkvfiEeuvijO_9FETX-nz7-sRbzuw3KKqaTidWqtzdRBrCcxAx7eAiKp10KyjqW3fCy1ydZYQCWVoBVQMu75AwDFUhQpmPesNrr0F9EphXk6bFic6cL3g

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

S’agissant du seul régime général, les publications les plus récentes, notamment de l’Urssaf Caisse nationale ([14]), démontrent un « effet d’emballement » du montant des exonérations générales de cotisations sociales. Celles-ci, sur ce seul champ, ont augmenté de 13,1 % en 2022, pour atteindre 73,6 milliards d’euros, dont 72,7 milliards d’euros pour le secteur privé.

Cette augmentation est nettement supérieure à l’augmentation de la masse salariale sur la même année, qui s’élève à 8,7 %. S’agissant des allègements généraux, ceux-ci ont augmenté, toujours en 2022, de 14,5 %, et même de 19,1 % pour ceux d’entre eux qui sont concentrés sur les bas salaires. Ce phénomène s’explique notamment par l’augmentation très dynamique de la masse salariale comprise entre 1 et 1,6 Smic ([15]).

S’agissant des trois principaux allègements mentionnés ci-dessus – l’allègement dit « Fillon » ainsi que les exonérations de cotisations « maladie » et « famille » – les données annexées au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022 ([16]) montrent que l’évolution du coût des exonérations tout comme celle des effectifs concernés s’accélère sensiblement.

Évolution du montant des allègements généraux entre 2004 et 2022

https://lh6.googleusercontent.com/bQ3G6nn4zP-f28sc8kuqIEtWLJIGihujH7ybxT3jm8Z_lH5M20Jk98Ct5JTd-9pmm3NODzVrg0qtK7pSKEoDF42u6FfTp4zVyz-0RGCnjfC3ImdSeo2eyouKz40ON7cGcTUsu4Oo60arNAWZH6S9Og

Note de lecture : en 2022, le montant des allègements généraux s’élevait à 69,8 milliards d’euros (axe de gauche) représentant 96 % du total des exonérations de cotisations sociales (axe de droite).

Champ : ensemble des employeurs du secteur privé, y compris la réduction de cotisations sur les retraites complémentaires versées à l’Agirc-Arrco et l’exonération sur les heures supplémentaires.

Source : commission des affaires sociales à partir des données de l’Urssaf.

Évolution des effectifs concernÉs par les exonÉrations au cours des six derniÈres annÉes

 (millions)

Effectifs exonérés

Réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, dite « allègement Fillon »

Réduction du taux de cotisations d’assurance maladie pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 2,5 Smic, ou « bandeau maladie »

Réduction du taux de cotisations d’allocations familiales pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 3,5 Smic, ou « bandeau famille »

2022

12,55

2,28

2,36

2021

12,51

1,95

2,03

2020

12,27

s.d.

s.d.

2019

12,49

s.d.

s.d.

2018

11,04

s.d.

s.d.

2017

9,8

s.d.

s.d.

Note de lecture : par « effectifs exonérés », on entend les salariés pour lesquels les employeurs bénéficient d’une exonération ou d’une réduction de cotisations sociales.

Source : Commission des affaires sociales, à partir des annexes aux lois de financement de la sécurité sociale de 2018 à 2023.

éVOLUTION du montant des EXONÉRATIONS AU COURS DES SIX DERNIÈRES ANNÉES

 (millions d’euros)

Coût (Robss)

Réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, dite « allègement Fillon »

Pourcentage d’augmentation d’un exercice à l’autre

Réduction du taux de cotisations d’assurance maladie pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 2,5 SMIC, ou « bandeau maladie »

Pourcentage d’augmentation d’un exercice à l’autre

Réduction du taux de cotisations d’allocations familiales pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 3,5 SMIC, ou « bandeau famille »

Pourcentage d’augmentation d’un exercice à l’autre

2022

29 426

+ 43 %

24 499

+ 14 %

8 808

+ 10 %

2021

20 534

+ 18 %

21 429

+ 10 %

8 017

+ 10 %

2020

17 389

- 16 %

19 469

- 12 %

7 289

- 6 %

2019

20 809

- 10 %

22 160

 

7 729

+ 3 %

2018

23 213

+ 4 %

 

 

7 496

+ 7 %

2017

22 343

 

 

 

6 976

 

Note de lecture : Le champ retenu est celui des régimes obligatoires de sécurité sociale, soit le périmètre pertinent des lois de financement de la sécurité sociale, qui intègrent, outre le régime général et des travailleurs indépendants celui de la fonction publique et les régimes spéciaux.

Source : commission des affaires sociales, à partir des annexes au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022.

Source : commission des affaires sociales, à partir des annexes aux lois de financement de la sécurité sociale de 2018 à 2023.

● La situation particulière de l’exercice 2022, qui devrait se réitérer en 2023, s’explique par un certain nombre de facteurs :

– la dynamique de la masse salariale, en ce qui concerne notamment les salaires inférieurs à 1,6 Smic. Cette dynamique s’explique elle-même par :

  – le dynamisme propre à la masse salariale dans son ensemble, dans le contexte qui suit la crise sanitaire et ses conséquences économiques. Ainsi que le rappelle la Commission des comptes de la sécurité sociale dans son rapport de mai 2023 ([17]), la masse salariale soumise à cotisations a connu un rebond en 2021 (8,9 %) et en 2022 (8,7 %), après une diminution de 5,7 % en 2020. Cette augmentation est principalement portée par une augmentation du montant du salaire moyen au sein de ce même agrégat, à hauteur de 6,7 % en 2021 et de 5,8 % en 2022. Or, cette tendance, selon ce même rapport, devrait se poursuivre en 2023, avec une augmentation respective de la masse salariale soumise à cotisations et du salaire moyen de 5,6 % et de 4,7 %.

  – le dynamisme propre à la masse salariale au voisinage du Smic. Outre son rôle dans la fixation des salaires dans le secteur privé, le Smic sert en effet de critère pour déterminer les « points de sortie » des exonérations et réductions générales de cotisations – à hauteur respectivement de 1,6, 2,5 et 3,5 fois son montant. Or, le Smic est indexé sur l’indice des prix à la consommation non seulement au moment de sa revalorisation annuelle au 1er janvier ([18]), mais également en cours d’année si le taux d’évolution de cet indice est supérieur de 2 % par rapport à la précédente revalorisation ([19]). Alors que le Smic n’avait pas connu pendant plusieurs années de revalorisation infra-annuelle, celle-ci est intervenue en octobre 2021, en mai et en août 2022 ainsi qu’en mai 2023, de telle sorte que le montant du Smic a augmenté de 8 % entre fin 2020 et fin 2022, contre une augmentation de 5,7 % du salaire mensuel de base ([20]). Cette hausse a non seulement pour effet d’augmenter l’assiette des exonérations, mais aussi d’intégrer dans leur champ de nouveaux salariés, compte tenu de l’absence d’effet de rattrapage automatique de l’évolution des salaires sur celle du Smic.

https://lh6.googleusercontent.com/zH747-xPoO0qYyMW2Dtee38w-X8tLk0uf3a1U74hmXEYEc-7uRXyvKwcT6J5-TBy6g3NngB8v4YVSbF_Hx9o63UWpAsw_dDV0f7CgHJbJENrl8i6mxk-g-ubJzUSvPl6fGjRbAiwF8dJcgaE_UL7Gg

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

Ainsi, toujours selon l’Urssaf ([21]), la hausse de la masse salariale entre 2021 et 2022 est de :

– 15 % sur le champ de la réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, dite « allègement Fillon » ;

– 11,1 % sur le champ du « bandeau maladie » ;

– 10 % sur le champ du « bandeau famille ».

Il convient enfin de mentionner comme facteur de « renchérissement » des exonérations de cotisations sociales la création d’emplois, contributrice nette à l’augmentation de la masse salariale soumise à cotisations à hauteur de 2,1 % en 2021 et de 2,7 % en 2022 ([22]).

Les perspectives en 2023 sont naturellement encore soumises à interprétation au moment de la rédaction de ce rapport. Cependant, le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023 apporte déjà des éclairages utiles sur l’exercice en cours ([23]). Sur le fondement d’un certain nombre d’hypothèses crédibles – augmentation du montant du Smic de 5,4 % sur l’année, augmentation de la masse salariale soumise à cotisations de 5,6 % en 2023 –, le coût des allègements généraux dans leur ensemble atteindrait 77,2 milliards d’euros pour l’ensemble des Robss, soit une augmentation de 10 %. Dans le détail, la réduction générale de cotisations sur les bas salaires augmenterait de 13,8 %, contre 6,7 % pour les « bandeaux maladie et famille ».

3.   La distribution des entreprises concernées par les allègements généraux et leur impact sur celles-ci

Les rapporteurs ont souhaité s’attacher à préciser l’effet concret de ces allègements généraux ([24]) sur les entreprises selon des critères relatifs à leur taille, au profil de leur masse salariale ou à leur secteur d’activité.

a.   Les allègements généraux bénéficient davantage aux petites entreprises et aux secteurs d’activité caractérisés par des niveaux de salaires plus faibles

Les données fournies par l’Urssaf permettent de conclure que les allègements généraux favorisent les plus petites entreprises ainsi que les secteurs d’activité dans lesquels le salaire moyen par tête (SMPT) ([25]) est le plus bas. Le taux d’exonération apparent – rapport entre le montant d’exonération et l’assiette salariale – y est en effet le plus élevé.

S’agissant de la taille des entreprises, ce taux s’établit en 2022 à :

– 16,2 % pour les entreprises de moins de 9 salariés ;

– 12,7 % pour les entreprises employant entre 20 et 49 salariés ;

– 10,3 % pour les entreprises employant entre 250 et 499 salariés ;

– 7,7 % pour les entreprises employant entre 500 et 1 999 salariés.

Ce taux se relève à 8 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés, compte tenu de la part des intérimaires employés au sein de ces dernières. La variation du SMPT explique largement ces écarts, puisque le SMPT des entreprises de moins de 9 salariés s’établissait à 2 298 euros en 2022, contre 3 299 euros pour les entreprises de 500 à 1 999 salariés.

La distribution du taux d’exonération apparent entre les secteurs d’activité dépend tout autant du SMPT au sein de chacun de ces secteurs. Les secteurs de la restauration, de l’action sociale et de l’hébergement médico-social, dont le SMPT est inférieur à 2 000 euros, bénéficient ainsi d’un taux d’exonération apparent bien supérieur à ceux de la cokéfaction, du raffinage ou encore des activités financières et d’assurance, dont le SMPT est supérieur à 4 500 euros.

https://lh5.googleusercontent.com/VDn5uLFDsl--Yhk9xABX7mFz63NaNbVu85AOxLs2ZhZ50yNeMpxErBB_DZwowfarnHp4R4aQVGDZi6sGA8sAKq-eQqpR4SgnTb_NaBvxPrBG5MQ_-OTi191N47gOp4acfbjN1PQ-9xV-zN5UWSnZwA

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

Cette distribution a toutefois connu des évolutions récentes, notamment avec la mise en œuvre des « bandeaux » maladie et famille. En effet, en 2012, seule la moitié des secteurs d’activité mentionnés ici présentaient un taux d’exonération apparent proche de la moyenne – entre 0,4 et 1,6 fois le taux moyen d’exonération apparent. Cette part est passée à 80 % en 2022.

Cela confirme que les « bandeaux maladie et famille » ont contribué au nivellement des taux d’exonération par secteur et par entreprise, au profit notamment des grandes entreprises pour lesquelles le SMPT est en moyenne plus élevé.

b.   La répartition du bénéfice du bandeau famille est moins sensible au profil de l’entreprise que celle de la réduction de cotisations sur les bas salaires

● Les données fournies par la direction de la sécurité sociale (DSS) et l’Urssaf permettent d’affiner le raisonnement en distinguant, au sein de l’ensemble des allègements généraux, l’impact relatif des allègements sur les bas salaires, du « bandeau famille » et du « bandeau maladie ».

On observe que le taux d’exonération des allègements « Fillon » décroît avec la taille de l’entreprise tandis que celui du « bandeau famille » reste sensiblement identique quelle que soit la taille de l’entreprise. Le taux d’exonération relatif à la réduction générale sur les bas salaires représente ainsi 9,2 % pour les TPE contre 3,3 % pour les entreprises de 2 000 salariés et plus. Cet écart ne se retrouve pas lorsque l’on regarde le taux d’exonération lié au « bandeau famille » qui oscille entre 1,2 % pour les entreprises de 2 000 salariés ou plus et 1,4 % pour les entreprises de moins de cent salariés.

Taux d’exonération en fonction de la taille de l’entreprise (2022)

https://lh5.googleusercontent.com/pNQeXO8JZdtC6aXdsvaD5SJgwVHFN3izYyjb0Dubum2hCSEGRApO2W28mYXtYnw4bNyyUO_ltnC8ULlD7OSz8E2G4ADkc3UoS04mv2ngSdXuvC_pvXcm6asfZz2uptxmn7KlL7QZYdk59pZHKrsspw

Note de lecture : le taux d’exonération de la réduction générale sur les bas salaires est de 9,2 % dans les très petites entreprises (0 à 9 salariés) contre 3,3 % pour les entreprises de 2 000 salariés ou plus.

Source : Commission des affaires sociales à partir des données fournies par l’Urssaf.

● Le même constat peut être fait lorsque l’on compare les entreprises en fonction de leurs secteurs d’activité. Les entreprises appartenant à des secteurs caractérisés par une plus grande proportion de salariés faiblement rémunérés – restauration, hébergement, services, construction – bénéficient davantage des allègements « Fillon » en proportion de leur assiette salariale que les autres entreprises.

Les secteurs au sein desquels le taux d’exonération lié à la réduction générale sur les bas salaires est le plus élevé sont la restauration (12,3 %), les activités de services administratifs et de soutien (10 %), l’hébergement (10,0 %), les autres activités de service (9,2 %) et la construction (7,4 %). À l’inverse, ce taux est particulièrement faible dans une grande partie des secteurs industriels, notamment dans les secteurs de la cokéfaction et du raffinage (0,4 %), de la production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné (0,5 %) et de l’industrie pharmaceutique (0,8 %).

L’effet du « bandeau famille » apparaît quant à lui moins sensible au secteur d’activité des entreprises puisque le taux d’exonération ne varie qu’entre 0,9 % pour le secteur des activités financières et d’assurance et 1,6 % pour la restauration.

Taux d’exonération en fonction du secteur d’activité (2022)

https://lh4.googleusercontent.com/yWWa0EG1qNxbNuktzIFJbal_ua2Rg_qST2OQSzhT28J2nQnd_azLc7G8LtKbnLn29CvvunI8FsLN3tAlUOQENio5gq7zcsW7WK52mZsr_lguuFmuVJxolCK-H4CDkmIxNpb0zp7oh7sVaWsuA0Mlsg

Source : commission des affaires sociales à partir des données fournies par l’Urssaf.

Il en résulte que, selon les secteurs, la part que représente chaque type d’exonération dans le total des allègements généraux varie grandement, comme en témoigne le graphique ci-après. Ainsi, la réduction générale sur les bas salaires représente 63 % des allègements généraux dans le secteur de l’hébergement et la restauration contre 27 % dans le secteur de la fabrication de matériels de transport.

Part relative de chaque type d’allègement rapportée au total des allègements généraux pour chaque secteur (2022)

Source : commission des affaires sociales à partir des données de la DSS.

● Cette répartition recoupe au moins partiellement la distinction entre secteurs abrités et exposés à la concurrence internationale. En se fondant sur des indices de concentration géographique, Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud identifient un certain nombre de secteurs exposés à la concurrence internationale en dépassant la conception traditionnelle liée à la distinction entre secteurs primaire, secondaire et tertiaire ([26]). Dans leur approche, un secteur est considéré comme exposé lorsque son indice de concentration excède le seuil de l’activité la moins concentrée de l’industrie manufacturière, secteur incontestablement exposé à la concurrence ([27]).

Cette analyse accrédite l’hypothèse selon laquelle les allègements généraux sur les bas salaires ne ciblent pas, en particulier, les secteurs exposés à la concurrence. Dans la mesure où les taux d’exonération relatifs aux « bandeaux famille et maladie » sont plus uniformes en fonction des secteurs, la part que les exonérations de cotisations maladie et familiales prennent dans le total du montant des allègements généraux apparaît donc d’autant mécaniquement plus importante pour les secteurs exposés à la concurrence.

Cela étant rappelé, vos rapporteurs observent que l’exposition à la concurrence internationale ne signifie pas pour autant qu’une réduction du coût du travail sur les hauts salaires soit un moyen efficace d’améliorer la compétitivité des entreprises concernées.

En effet, l’impact des allègements sur la compétitivité dépend de la capacité des entreprises à ne pas répercuter ces allègements sur les salaires bruts. Or, pour des niveaux de salaires élevés, le pouvoir de négociation des salariés est tel qu’il leur permet de capter une large part des exonérations au travers des augmentations de salaire ultérieures.

D’autre part, il est possible que les allègements sur les bas salaires bénéficient indirectement à la compétitivité des secteurs exposés au travers de leurs intrants.

C’est la raison pour laquelle vos rapporteurs ont souhaité s’attacher à analyser les études empiriques permettant d’établir un lien entre différents types d’exonérations et la compétitivité des entreprises (cfinfra section I.C.).

*

*     *

Face à l’ensemble de ces constats concernant le coût des allègements généraux et leur distribution en fonction du profil des entreprises, vos rapporteurs souhaitaient interroger leur efficacité au regard de deux questions principales : les risques d’une forme de « trappe à bas salaires » et la pertinence d’une exonération générale sur les rémunérations les plus élevées en termes d’emplois et de compétitivité.

B.   Allègements généraux et trappes à bas salaires : des risques théoriques non avérés par les études empiriques

1.   Il est régulièrement imputé aux allègements généraux de créer des trappes à bas salaires

● Ainsi qu’il a été exposé, les allègements généraux se caractérisent par un profil dégressif ou constant, fonction du montant des rémunérations des salariés et s’annulent à un niveau de rémunération qualifié de « point de sortie ». Ces points de sortie sont respectivement de 1,6 Smic pour la réduction générale sur les bas salaires, de 2,5 Smic pour le « bandeau maladie » et de 3,5 Smic pour le « bandeau famille ».

Ces points de sortie pourraient être de nature à créer des « effets de seuil », à savoir une incitation, pour les employeurs bénéficiaires des exonérations générales de cotisations et de contributions sociales, à maintenir globalement les rémunérations dans le champ de ces exonérations. Cet argument a souvent été employé pour critiquer le bien-fondé des allègements généraux. Si le terme de « trappe à bas salaire » peut s’employer s’agissant de « l’allègement Fillon », il s’agirait plus généralement d’une rigidité dans la distribution et l’évolution salariales dans les entreprises concernées par les allègements généraux, qui pourrait à la fois déformer les négociations salariales et biaiser les politiques de ressources humaines menées par ces mêmes entreprises.

● Ces critiques sont alimentées par le phénomène de tassement de la distribution des salaires actuellement observable en France. En effet, en se fondant sur le graphique ci-après – partagé par Mathieu Plane lors de son audition –, l’on observe que 50 % des salariés gagnaient moins de 2 012 euros net par mois en 2021 soit environ l’équivalent d’1,6 Smic ([28]).

Par ailleurs, depuis 2010, la proportion de salariés rémunérés au Smic s’est accrue de près de 5 points selon les données publiées par la direction de l’analyse, de la recherche, des études et des statistiques (Dares), avec une forte accélération en 2022.

Du point de vue macroéconomique, ces données semblent donc accréditer l’hypothèse de l’existence de « trappes à bas salaires ». Toutefois, seules des études empiriques permettraient d’attribuer la responsabilité de ce phénomène à l’existence des exonérations de cotisations sociales.

Distribution des salaires mensuels nets en équivalent temps plein (2021)

https://lh6.googleusercontent.com/mG5gRSr16-3OF79c4jLCWejO3iSqPGT2f96hdCNiH5b6YG-6J-hM-tMjv3ABfAfyQQjwm5TyQ_kiQljZl10dwmGVfpFSBQ9FX3btTtJIwAAKhj5eTnuxUTgxZV--nKfIL9TCMnh531L4jSv7QzM9fA

Champ : France hors Mayotte, salariés du privé, y compris bénéficiaires de contrats aidés et de contrats de professionalisation ; hors apprentis, stagiaires, salariés agricoles et salariés des particuliers employeurs.

Source : Insee.

2.   Toutefois, les études existantes n’identifient pas de lien causal entre les dispositifs d’allègements généraux et les phénomènes de « trappes à bas salaires »

● Les études existantes ont plutôt tendance à démontrer une absence de trappe à bas salaire, notamment pour les allègements généraux portant sur les rémunérations inférieures à 2,5 Smic. Le comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements mis en place au sein de France Stratégie a analysé ce sujet en 2017 ([29]). Il en ressort, sur la base de travaux de la Dares ([30]) concernant la mise en œuvre des premières exonérations sur les bas salaires – à savoir des cohortes observées entre 1995 et 2002 –, que 33 % des salariés initialement rémunérés au voisinage du Smic (jusqu’à 1,05 Smic) obtiennent cinq ans plus tard un salaire plus élevé ; seulement 7 % demeurent au voisinage du Smic de façon permanente, et 11 % alternent salaires au voisinage du Smic et salaires plus élevés au gré de changements d’emplois sur les cinq ans.

Dans le cadre du suivi des effets du CICE, y compris après sa transformation en allègement pérenne de cotisations sociales, les chercheurs de l’Institut des politiques publiques (IPP) ([31]) ont voulu tester l’effet de « saillance » du seuil de 2,5 Smic, applicable désormais à l’exonération générale de cotisations sociales d’assurance maladie. Ainsi, pour rappel, en 2019 – date de l’analyse – une augmentation du salaire brut correspondant à 2,5 Smic (3 802 euros par mois, 45 624 euros annuels) d’un euro mensuel aboutissait à une augmentation du coût du travail annuel de 2 748 euros. Un tel effet est de nature à encourager un comportement d’optimisation à l’échelle micro-économique, comme le montre le tableau suivant :

https://lh3.googleusercontent.com/z1JZBDS9fNYBKDIW3iL3Zqmb7sspDK9gAL-SeduVwXmk4HHYtJRRJCI7vsy9WZqx5Qns_5KbBVoCorHBjvAONoZdspsCWIFZmGEv8o_tYe8VdY6h6-E_1WMwUW6X3s5INrqSQeqK7foU0I5JfFJepA

Note de lecture : un employeur qui offrirait 3 802 euros bruts par mois la première année à son salarié (de facto une localisation au seuil de 2,5 Smic), puis 3 979 euros bruts la deuxième année, aurait le même coût du travail sur deux ans qu’un employeur qui offrirait deux années de suite un salaire mensuel de 3 803euros bruts. Le gain net pour le salarié d’une telle opération serait, lui, de 1 672 euros.

● Malgré les effets théoriques attendus, et en ligne avec les travaux précédents, les auteurs n’observent pas de pic dans la distribution des salaires en amont du seuil de 2,5 Smic, qui viendrait confirmer l’existence d’un effet de seuil et d’une démarche d’optimisation par les employeurs. Toutefois, en 2020, année au cours de laquelle les données doivent naturellement être prises avec prudence, un effet semble poindre, laissant apparaître une moindre opportunité de voir son salaire augmenter lorsque sa rémunération est légèrement inférieure à 2,5 Smic.

https://lh4.googleusercontent.com/st_iylUxKTt0O5g54G63FZE-LkbF4jGr00e474Y5aijhiT6Xk8KdFVmg4k9l29i-ZeypN4oykCdsWVRxTVHerVwwz31742Rz6lCuQcfXt0e5keyOh3PynTLThoYoXM0GbS5Xz5UhmAbSUtn9U1u33g

Source : Bozio A., Cottet S. et Malgouyres C., Évaluation d’impact de la bascule du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègements de cotisations employeur, rapport de l’IPP, septembre 2022.

Les rapporteurs estiment que ces effets méritent d’être approfondis, dans le cadre des futures études qui pourront être menées autant par France Stratégie que par l’Institut des politiques publiques, afin notamment d’estimer si la « bascule » du CICE vers un allègement de cotisations sociales a in fine tendance à créer une discontinuité dans la distribution des salaires.

Ces résultats ne remettent toutefois pas en cause le constat partagé, qui a été rappelé à plusieurs reprises au cours des auditions, notamment par France Stratégie, selon lequel les exonérations de cotisations ne créent pas de « trappe à bas salaires » visible. Ce constat a par ailleurs été réaffirmé dans le cadre d’articles récents.

Lors des auditions, les rapporteurs ont toutefois souhaité soulever l’hypothèse selon laquelle les exonérations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic, combinés à la prime d’activité dont le point de sortie est proche – 1,5 Smic – pourraient générer malgré tout des phénomènes de trappes, ou tout du moins de ralentissement des augmentations salariales autour de 1,5 et 1,6 Smic.

En l’absence de données exploitables pour répondre à cette question dans les délais impartis au présent rapport, ils recommandent de poursuivre la réflexion sur ce point.

C.   Le « bandeau famille » : une réduction de cotisations sociales sur les rémunérations élevées sans effet significatif sur l’emploi ou la compétitivité

Au regard des débats récurrents sur l’opportunité d’une réduction qui touche des niveaux élevés de rémunération, vos rapporteurs ont souhaité évaluer, autant que possible, l’efficacité de cette réduction, en interrogeant plus spécifiquement la part de cette réduction portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic.

1.   Une mesure conçue en faveur de la compétitivité et de l’industrie

● Cette réduction de cotisations familiales a été engagée en deux temps. Elle a d’abord conduit à baisser les cotisations familiales de 1,8 point pour les salaires inférieurs à 1,6 Smic, puis, dans un second temps presque immédiat, elle a été étendue aux salaires inférieurs à 3,5 Smic. Inscrite dans un ensemble de mesures d’allègements généraux, cette extension a été présentée comme bénéficiant « davantage que la première étape du pacte à des secteurs d’activité dont la main d’œuvre est plus qualifiée, comme l’industrie manufacturière, les activités scientifiques et techniques et l’information et la communication », afin de faire face à la concurrence internationale.

La mesure s’appuyait notamment sur le rapport dit « Gallois »), selon lequel « les allègements effectués depuis 20 ans ont concerné les plus bas salaires et ont, pour cette raison, très peu impacté directement l’industrie qui se situe à des niveaux de rémunération plus élevés ».

● En ligne avec les prévisions faites au moment de la création de cette réduction, celle-ci a représenté un coût de 7,7 milliards d’euros en 2019, que l’État compense à la sécurité sociale par l’affectation d’une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour solde de tout compte. Ce coût a toutefois sensiblement augmenté, comme celui de l’ensemble des allègements généraux ([32]), pour atteindre 8,8 milliards d’euros en 2022, pour 2,36 millions de salariés éligibles ([33]). Ce coût se répartit de manière relativement équitable de part et d’autre de la « borne » à 1,6 Smic.

S’agissant plus spécifiquement des salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic, le montant du « bandeau famille » afférent à cette tranche ne peut être connu avec la précision qui caractérisent les données comptables. Pour des raisons qui tiennent à la nomenclature de la déclaration sociale nominative (DSN), ce montant n’est pas directement visible par les services des Urssaf. Sa détermination nécessite donc des retraitements de données qui permettent néanmoins d’estimer un coût de l’ordre d’1,6 milliard d’euros en 2022.

Modalités d’estimation du montant du « bandeau famille » portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic

Les montants des réductions de taux maladie et famille ne figurent pas en lecture directe dans les déclarations aux Urssaf car leurs modalités déclaratives sont spécifiques :

– les cotisations famille et maladie aux taux réduits sont déclarées au niveau de l’établissement sur un code-type de personnel (CTP) « cas général » (CTP 100) ;

– pour les salariés dont la rémunération excède les bornes (2,5 Smic pour la réduction maladie et 3,5 Smic pour la réduction famille), le supplément de cotisations (6 % pour la maladie, 1,8 % pour la famille) est déclaré sur des CTP spécifiques.

Pour calculer le montant des réductions, l’Urssaf raisonne par différence, à l’échelle de l’établissement, en appliquant le taux « supplémentaire » sur l’ensemble de l’assiette et en déduisant les cotisations supplémentaires déclarées, selon les formules suivantes :

Montant de la réduction maladie = 6,0 % x assiette déclarée - cotisations déclarées sur les CTP spécifiques

Montant de la réduction famille = 1,8 % x assiette déclarée - cotisations déclarées sur les CTP spécifiques

Le montant des exonérations de cotisations familiales correspondant aux salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic est calculé indirectement par l’Urssaf, par différence avec l’assiette des salaires concernés par les exonérations de cotisations maladie.

D’ores et déjà, afin de pouvoir parvenir à terme à un recalcul de la réduction générale en masse et au fil de l’eau à partir des données individuelles déclarées, l’Urssaf a déclaré travailler dans deux directions :

– elle a formulé des demandes d’évolution de la norme DSN afin de l’enrichir pour mieux prendre en compte la diversité des situations. Ces évolutions sont en cours d’instruction pour être intégrées dans la norme 2025 ;

– elle a entrepris de nombreuses actions de fiabilisation qui visent à améliorer la qualité déclarative de cet allègement et des données mobilisées par son recalcul. Ainsi, des campagnes de fiabilisation sont déployées afin de vérifier le respect des consignes déclaratives, la cohérence des montants déclarés et plus largement l’éligibilité de l’entreprise ou du salarié à la réduction générale. D’autres campagnes de fiabilisation sont menées également sur les données constitutives (Smic, quotités). Ces actions sont complétées par des actions de communication, l’élaboration de nouvelles fiches consignes et des rencontres avec les entreprises ou les éditeurs de logiciels en difficulté.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

La même méthode de calcul permet d’analyser la répartition du bénéfice du « bandeau famille » au-delà de 2,5 Smic en fonction de la taille et du secteur d’activité des entreprises.

Selon les données fournies par l’Urssaf, on constate que la réduction des cotisations familiales portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic bénéficie sensiblement plus aux grandes entreprises qu’aux plus petites : les entreprises de 2 000 salariés ou plus concentrent 28,3 % du montant total de cette exonération, contre 13,8 % pour l’allègement dégressif sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic. À l’inverse, les entreprises de 10 à 19 salariés ne perçoivent que 5,9 % du montant total de ces exonérations alors qu’elles représentent 12,7 % de l’effectif salarié total.

Montant des exonérations du « bandeau famille » sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic

Taille d’entreprise

Montant du « bandeau famille » compris entre 2,5 et 3,5 Smic

Répartition (en %)

Part de l’effectif salarié total (en %)

0 à 9 salariés

109 millions d’euros

7,3 %

23,1 %

10 à 19 salariés

88 millions d’euros

5,9 %

12,7 %

20 à 49 salariés

151 millions d’euros

10,2 %

17,9 %

50 à 99 salariés

115 millions d’euros

7,8 %

13,0 %

100 à 249 salariés

178 millions d’euros

12,0 %

14,2 %

250 à 499 salariés

141 millions d’euros

9,5 %

8,3 %

500 à 1 999 salariés

278 millions d’euros

18,8 %

7,9 %

2 000 salariés et plus

418 millions d’euros

28,3 %

2,8 %

Total

1,5 milliard d’euros

100 %

100 %

Note : le montant total est arrondi à la centaine de millions d’euros la plus proche. La part de l’effectif salarié total est calculée sur l’ensemble des effectifs des salariés, indépendamment de leur niveau de salaire.

Source : réponse de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

S’agissant des secteurs d’activité, le taux d’exonération lié au « bandeau famille » portant sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic est plus de 12 fois plus élevé pour les entreprises de la cokéfaction et du raffinage (0,75 % du total de l’assiette salariale du secteur) que pour les entreprises de la restauration (0,06 %).

Naturellement, ces chiffres apparaissent faibles au regard de ceux relatifs aux allègements « Fillon » lorsqu’on les exprime en valeur absolue, mais ils montrent que la répartition du bénéfice des allègements en fonction du profil des entreprises bénéficiaires varie grandement selon le type d’allègement considéré et, au sein d’un même dispositif, selon la tranche de salaire étudiée. Le graphique ci-après illustre avec éloquence ce phénomène. Ainsi, 75 % du montant total des exonérations dont bénéficie le secteur de la cokéfaction et du raffinement au titre du « bandeau famille » provient des exonérations sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic.

Si l’on compare ces données à l’aune de la classification de Frocrain et Giraud, on observe que les secteurs qui bénéficient le plus du « bandeau famille » pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic sont également les plus exposés à la concurrence. C’est le cas de la plupart des secteurs industriels mais également d’un certain nombre de services : la recherche et le développement (44,5 % du montant total du « bandeau famille »), les activités informatiques (35,9 %) ou les activités financières et d’assurance (34,8 %) notamment.

Taux d’exonération lié au « bandeau famille » en fonction de la tranche de salaire concerné (2022)

Note de lecture : Dans le secteur de la cokéfaction et du raffinage, le taux d’exonération de la part du « bandeau famille » sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic est de 0,75 % alors que le taux d’exonération global du « bandeau famille » est de 1 % sur le même secteur.

Source : commission des affaires sociales à partir des données de l’Urssaf.

2.   Des effets sur l’emploi quasiment nuls

● Les effets de cette mesure sur l’emploi ont été contestés dans un ensemble de travaux économiques antérieurs et postérieurs à sa mise en œuvre, aboutissant à la conclusion selon laquelle les allègements de cotisations sont d’autant plus efficaces qu’ils portent sur des salaires modestes.

Ainsi que le démontrent Mathieu Bunel, Céline Emond et Yannick L’Horty, dans un article de 2012 ([34]), les exonérations générales de cotisations sociales poursuivent un objectif macroéconomique d’enrichissement du contenu en emploi de la croissance. Il s’agit de rendre le prélèvement social progressif en fonction du salaire, ce qui, à niveau donné de prélèvement, permet de réduire le coût relatif du travail peu qualifié et est favorable à l’emploi si l’on suit la théorie classique de la demande de travail.

La principale question qui se pose porte donc sur l’impact relatif des exonérations sur les différents niveaux de distribution des salaires. Dans leur note pour le Conseil d’analyse économique (CAE), Yannick L’Horty, Philippe Martin, et Thierry Mayer ([35]) estiment que l’élasticité de l’emploi au coût du travail est décroissante – en valeur absolue – avec le salaire. Autrement dit, le coût du travail est un déterminant de moins en moins important au fur et à mesure que les salaires augmentent. D’abord, les possibilités de substitution entre le travail peu qualifié et le capital sont fortes alors qu’au contraire le travail qualifié et le capital sont relativement complémentaires. Ensuite, les bas salaires sont surreprésentés dans les secteurs d’activité où les baisses de coûts sont fortement répercutées dans les prix et non dans les marges, ce qui produit un effet plus important sur le volume de production et sur l’emploi. La troisième raison est qu’une exonération de cotisation sociale peut aussi augmenter les salaires, ce qui réduit les effets sur l’emploi.

Pour ce qui concerne le calcul des élasticités, les études sont relativement convergentes. Ainsi, pour Mathieu Bunel, Céline Emond, et Yannick L’Horty dans l’article précité, sur la base d’une étude microéconomique, estiment que l’élasticité moyenne au coût du travail correspond à 0,516.

● Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo ([36]) partagent également l’analyse d’un impact maximal des allègements de cotisations sur les salaires au voisinage du Smic en raison du jeu des élasticités.

Les auteurs tâchent d’apprécier l’impact des exonérations de cotisations sociales sur l’emploi sur la base du schéma classique de l’offre et de la demande de travail. Compte tenu du fait qu’au voisinage du Smic la principale problématique en France relève d’une insuffisance de la demande de travail, une augmentation de la demande de travail entraîne un accroissement de l’emploi sans augmentation du salaire tant que la demande reste inférieure à l’offre de travail.

Figure 1

Daniel Hamermesh, dans son livre de 1993, Labor Demand, – qui constitue aujourd’hui encore la synthèse de référence sur le sujet – avait estimé que l’ordre de grandeur des élasticités concernant la demande de travail était de l’ordre d’1/3 pour l’ensemble des travailleurs et de 1 pour les travailleurs les moins qualifiés. Ces résultats sont confirmés par une analyse pour la France menée en 2009 par Mathieu Bunel confirme cet ordre de grandeur. Les auteurs en tirent la conclusion que la réduction d’1 % du coût du travail au niveau du Smic se traduit en France par la création de 20 000 emplois.

S’agissant des salaires supérieurs au Smic, l’impact d’un allègement de cotisations sociales n’a pas d’effet que sur l’emploi mais également sur les salaires, selon la même pente de la fonction d’offre de travail. L’effet sur l’emploi est donc diminué par rapport à l’effet sur le salaire.

Figure 2

Or, les auteurs constatent une faible élasticité tant de l’offre que de la demande de travail, pour des salaires avoisinant 1,6 Smic. En ce qui concerne l’offre de travail, les auteurs estiment l’élasticité moyenne à 0,25, ce qui implique qu’une diminution de 1 % des cotisations sociales se traduit par un accroissement des salaires de 0,75 % et une augmentation de l’emploi de 0,25 %. Un calcul cohérent avec une élasticité de la demande de travail de 0,33 % aboutit à ce que l’accroissement de l’emploi, pour des revenus de 1,6 Smic, ne soit que de 0,08 %.

Ces études plaident donc pour concentrer les allègements de cotisations sur les rémunérations les plus faibles et permettent d’estimer que la suppression d’exonérations sur les salaires les plus élevés bénéficierait aux salariés aux travers d’augmentations de rémunération ultérieures.

 

Les nuances dans l’appréciation de la part de l’emploi et du salaire des effets du « bandeau famille »

Une étude récente, portant sur l’impact de l’augmentation des cotisations, à partir de données françaises, laisse toutefois entendre que cette augmentation, s’agissant des salaires élevés, pourrait être portée au moins partiellement par les employeurs.

L’article, signé par Antoine Bozio, Thomas Breda et Julien Grenet, porte sur l’augmentation des cotisations patronales au-dessus du plafond annuel de la sécurité sociale (Pass), affectant donc les trois déciles les plus hauts de la distribution des salaires, dont le taux a augmenté de 7 % en 1976 à 38 % en 2001.

Sont étudiés en particulier :

– le déplafonnement des cotisations d’assurance maladie en 1981. Le taux de cotisations patronales sur la part déplafonnée est ainsi passée de 4,5 % en juillet 1981 à 12,6 % en janvier 1984, avec une baisse de 0,85 % sur la part plafonnée ;

– le déplafonnement strict des cotisations « famille » en 1989 et 1990, avec la création de cotisations à hauteur de 7 % au-dessus du Pass et une réduction de 9 à 7 % pour la part inférieure au Pass ;

L’augmentation des cotisations de retraite complémentaire au-dessus du Pass, de 4,5 % en 1999 à 12 % en 2005.

Il ressort de cette étude deux conclusions. La première porte sur les deux premières réformes, pour lesquelles les auteurs ont étudié l’impact des hausses de cotisations sur les salaires nets, bruts et superbruts au cours des quatre à six années suivant les réformes. Il apparaît que l’augmentation du montant des cotisations s’est traduite par une augmentation du coût du travail pris en charge par les employeurs à hauteur de plus de 55 %, voire de près de 90 %, tandis que le salaire brut a connu une très légère diminution. À l’inverse, s’agissant de la troisième réforme, les salaires bruts connaissent une diminution progressive et le coût du travail revient, après quelques années, au niveau qu’il connaissait avant la réforme.

Les auteurs en tirent les conclusions suivantes : à l’encontre du modèle traditionnel qui permet de prédire que les salariés sont les acteurs qui portent le coût, in fine, des augmentations de cotisations, il semble que, en l’espèce, ce soit majoritairement les employeurs par le canal du coût du travail. Si les hausses sont in fine supportées par les salariés, ce n’est dans tous les cas que partiellement.

Par ailleurs, il semble que la compréhension par les acteurs de la dimension assurantielle des cotisations de retraite complémentaire explique la différence entre les deux premières réformes et la troisième : le coût de cette dernière est beaucoup plus massivement porté par les salariés, via une forme de modération salariale.

3.   Des effets difficilement décelables sur la compétitivité

● Les effets des exonérations sur la compétitivité des entreprises sont difficiles à estimer. Des organisations auditionnées comme l’AFEP, France Industrie ou le Medef ont insisté sur les points suivants :

– les allègements sur les rémunérations élevées permettent aux entreprises industrielles concernées non seulement de maintenir des emplois à haute valeur ajoutée, mais aussi de pouvoir continuer de recruter à ces niveaux de salaires ;

– les entreprises bénéficiant des allègements peuvent utiliser les marges de manœuvre financières qu’ils leur permettent à d’autres fins que la seule politique salariale, et ce d’autant plus qu’ils sont « fondus » plus largement dans le poste de dépenses qu’est la masse salariale ;

– les grandes entreprises internationales seraient attachées à la stabilité en matière de prélèvements sociaux, notamment dans un contexte international où le coût du travail serait perçu comme une fragilité française. À l’appui de cet argument, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) a partagé avec les rapporteurs les graphiques suivants :

https://lh5.googleusercontent.com/Z_0EMa5peu7G-q83oeiY4PDYgDHdYpRJzLa5WBbCbPbr0x5cVowTDG0dfgDT7j0lgC8VNj-Ji_ZdjbW6iyzwJaHEQ-Unsq1uaCy1krdpF7tDkGOA8V6-6UhqzEEC2j0-IlTmwi9cANsWSU9xe1d2ew

Source : données Eurostat 2022.

https://lh6.googleusercontent.com/tqPaNKlybp7R0U08MisRMnSLTEXLdPCQSJMvdNC_kFaQ_8G-tyCvYs5b4HWzdkKrkNiFAbFMH2SOoSXKzHsrr_ShO00vXM5wgeWze9nUKu9ujIlVGHYxJFRIkvQxfwL_sPYhzPYaZztlEQPPfeOHNg

Source : données Eurostat 2022.

● D’autres personnes auditionnées, comme les chercheurs de l’IPP – Antoine Bozio, Sophie Cottet et Clément Malgouyres – ont cependant expliqué que l’effet des réductions de cotisations sociales sur la décision d’exporter était difficilement identifiable, compte tenu de l’ensemble des facteurs qui rentrent en ligne de compte dans la décision d’exporter.

Compte tenu de l’ensemble des données qui leur ont été fournies, vos rapporteurs estiment qu’il est probable, en l’état des connaissances, que la réduction de cotisations que constitue le « bandeau famille » se traduise très majoritairement par des augmentations de salaires, qui ont certes des effets favorables en matière de gestion des ressources humaines et de politique salariale dynamique, mais qui n’ont pas d’effet sur l’emploi ou sur la compétitivité des entreprises et un effet au mieux marginal sur l’attractivité de la France.

Dans ce contexte, les rapporteurs proposent de supprimer le « bandeau famille », c’est-à-dire la réduction de 1,8 point de cotisations patronales familiales, entre 2,5 et 3,5 Smic, tout en prêtant une attention particulière à l’accompagnement des secteurs qui seraient les plus fortement affectés par cette suppression.

D.   Mieux cibler les exonérations de cotisations sociales : des critères à étudier et une mise en œuvre à détailler

L’audition des chercheurs de l’IPP susmentionnée a permis de mettre en avant des mécanismes encore peu étudiés concernant la manière dont les exonérations cotisations sociales produisent des effets sur l’emploi. Outre leur intérêt académique, ces éléments de réflexion pourraient servir de base à l’évolution des critères de fonctionnement des allègements généraux.

Faute de pouvoir en faire une analyse complète et détaillée dans les temps retenus pour la publication du présent rapport, vos rapporteurs se contenteront à ce stade d’évoquer ces éléments après avoir rappelé quelques principes s’agissant des caractéristiques nécessaires pour qu’un critère puisse entrer dans la définition des exonérations de cotisations sociales.

1.   Les conditions de mise en œuvre d’un ciblage plus fin des allègements généraux de cotisation

● Comme l’ont rappelé les services et les économistes auditionnés par vos rapporteurs, pour qu’un ciblage ou une modulation des allègements généraux puisse être opérationnel, il faut retenir des critères simples et ne prêtant pas lieu à divergence d’interprétation. L’expérience montre d’ailleurs que des notions pourtant simples et univoques en apparence – rémunération, valeur du Smic, temps de travail... – peuvent s’avérer plus complexes à appliquer qu’escompté.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la diversité des modes de calculs retenus pour déterminer la valeur du Smic à prendre en compte dans le cadre des « allègements Fillon » selon la durée travaillée par le salarié concerné.

 

https://lh5.googleusercontent.com/cxrmGPYwlBXG83o0nmYlgcflKvLHsOj6xbr4GDfeY4-Z3FRghXjshVxb7eyhFpXJ3RgFzXKraMBgHdFNk_M1gPZ5275FBu2EDmbnhbIvQUOSpTzfenF2Ar6WC9jpNvuuSq3qwYr6qHHFIoivaw4uFw

Source : présentation d’un logiciel de paie partagé à vos rapporteurs par l’Urssaf.

Or, l’abondance des questions et complexités qui existent en matière déclarative pour les allègements généraux montre qu’il ne faut pas sous-estimer les difficultés opérationnelles qui se présenteraient pour les entreprises si de nouveaux critères étaient susceptibles d’être introduits en remplacement ou en complément de ceux déjà existants.

À ces contraintes pour les entreprises, s’ajoutent également des difficultés pour les organismes chargés de définir les règles d’utilisation desdits critères et pour ceux chargés de leur contrôle, au risque de rendre le dispositif inapplicable.

2.   Des études récentes montrent l’intérêt économique que pourrait revêtir un ciblage des allègements en fonction de critères relatifs aux entreprises bénéficiaires

a.   Selon la situation financière des entreprises

● Les études actuelles de Sophie Cottet, portant sur la Suède comme sur la France ([37]), démontrent que l’effet de ces exonérations est variable en fonction de la situation des entreprises. Ainsi, les réductions de cotisations dites « Juppé » ont principalement touché les entreprises avec un grand nombre de salariés proches du Smic. Ces entreprises ont ainsi bénéficié d’un « effet liquidité », d’autant plus fort qu’il a touché des entreprises ayant des difficultés de liquidité ou un accès restreint au crédit.

Or, comme l’illustre le graphique suivant, le bénéfice des allègements généraux sur les bas salaires et du « bandeau maladie » est d’autant plus important qu’il touche des entreprises ayant d’importantes créances auprès des Urssaf. Ce constat ne se vérifie cependant pas s’agissant du « bandeau famille » lequel n’apparaît donc pas particulièrement ciblé sur les entreprises en difficulté.

Taux d’exonération en fonction du taux de créances accumulé

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Note : l’Urssaf appréhende la situation financière des entreprises à partir des créances cumulées sur vingt ans constatées sur l’entreprise et rapportées aux cotisations dues sur le dernier exercice.

Source : Urssaf.

Bien que ce constat permette d’éclairer les mécanismes de transmission des allègements généraux sur l’état de l’emploi, il semble délicat de définir des critères permettant de cibler les entreprises ayant des difficultés de liquidité, pour au moins deux raisons :

D’une part, la notion de « difficultés de liquidité » prête à des divergences d’interprétations et n’est pas aisément quantifiable. Il n’est en outre pas exclu que cette notion connaisse des variations en fonction d’autres caractéristiques de l’entreprise, tels que son âge, sa taille ou son secteur d’activité.

D’autre part, cette notion n’est pas observable en temps réel. Les exonérations ne pourraient alors s’appliquer qu’avec retard, avec le risque d’un découplage entre le moment où l’entreprise a le plus besoin de bénéficier des aides et le moment où elle les perçoit. En outre, Stéphane Carcillo, auditionné par vos rapporteurs, a également souligné le risque d’aléa moral – en incitant les entreprises à gérer leurs liquidités avec moins de rigueur afin de pouvoir bénéficier des aides – et de rupture d’égalité avec les autres entreprises.

b.   Selon l’âge des entreprises

● Un autre indicateur pourrait être l’âge des entreprises concernées. Les entreprises les plus jeunes sont en effet celles qui ont un besoin de liquidité généralement le plus important. Ce sont souvent ces entreprises qui sont également créatrices nettes d’emploi. Des exonérations de cotisations ciblées existent toutefois déjà en faveur des entreprises qui présentent une forte valeur ajoutée, comme les « jeunes entreprises innovantes » ([38]).

La généralisation d’une exonération ciblée sur les jeunes entreprises en fonction de leur degré de valeur ajoutée ou, à l’inverse, de leurs contraintes de liquidité, pourrait donc constituer une piste de ciblage des exonérations de cotisations sociales.

● Selon les évaluations fournies à vos rapporteurs par l’Urssaf, on observe qu’à secteur d’activité et taille d’entreprise données, le taux d’exonération apparent des entreprises lié à l’allègement de cotisations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic décroît déjà avec l’ancienneté. Par exemple, dans les entreprises âgées de plus de 30 ans, le taux d’exonération est inférieur de 5 points à celui des entreprises de moins d’un an ([39]).

Effet isolé de l’ancienneté de l’entreprise sur le taux d’exonération lié à l’allègement de cotisations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic

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Note de lecture : à secteur d’activité et taille d’entreprise donnés, les entreprises ayant plus de 30 ans d’existence ont un taux d’exonération lié aux allègements de cotisations sur les salaires jusqu’à 1,6 Smic inférieur de 5 points à celui des entreprises créées il y a moins d’un an.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

Cet effet ne se vérifie pas lorsque l’on examine les « bandeaux maladie et famille ». Ainsi, le taux d’exonération afférent au « bandeau famille » varie légèrement avec l’ancienneté de l’entreprise. Il est globalement moins élevé dans les entreprises dont l’ancienneté est comprise entre un et dix ans et un peu plus élevé pour les entreprises dont l’âge excède dix ans.

Effet isolé de l’ancienneté de l’entreprise sur le taux d’exonération lié au « bandeau famille » sur les salaires jusqu’à 3,5 Smic

https://lh5.googleusercontent.com/Tq0lFGSmKp7Ik8-9nXgLljNID-TPZKqSG57F4IQe74KVL6HHE1LLQh0E0S7kiQXKQMgUmCwCqAy5MftzhLicwk-NB_0I-pBxPLDI_7x9stc5rgX7Q0G5jgdEUAHPzCOCR3c9SkROlPSrJ4DD7z9l_w

Note de lecture : à secteur d’activité et taille d’entreprise donnés, les entreprises ayant plus de 30 ans d’existence ont un taux de réduction lié au « bandeau famille » supérieur de 0,03 point à celui des entreprises créées il y a moins d’un an.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

Quant au « bandeau maladie », son effet apparaît significativement plus faible pour les entreprises dont l’ancienneté est comprise entre un et cinq ans que pour les entreprises âgées de dix à trente ans.

Effet isolé de l’ancienneté de l’entreprise sur le taux d’exonération lié au « bandeau Maladie »

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Note de lecture : à secteur d’activité et taille d’entreprise donnés, les entreprises ayant plus de 30 ans d’existence ont un taux de réduction lié au « bandeau maladie » inférieur de 0,01 point à celui des entreprises créées il y a moins d’un an.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

Ces résultats permettent donc de constater qu’à l’inverse des « bandeaux maladie et famille », l’allègement de cotisation sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic cible de facto davantage les jeunes entreprises.

Le montant brut des rémunérations semble donc constituer, à ce stade et compte tenu de l’absence actuelle d’effet de seuil identifié, la base la plus objective pour des exonérations qui visent à favoriser l’emploi et la compétitivité des entreprises.

II.   conditionner les allègements généraux à la négociation salariale : une pratique existante mais marginale, une généralisation qui se heurte à des obstacles importants

A.   La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît déjà une forme d’application

1.   La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît un regain d’intérêt depuis quelques années

● Aussi ancienne que la création des allègements généraux, la question de la mise en place de conditions ou de contreparties aux exonérations de cotisations sociales est un thème récurrent qui ressurgit dans le débat chaque fois que le législateur se saisit du sujet des exonérations de cotisations sociales.

Dès 1995, les discussions autour du projet de loi relatif à des mesures d’urgence pour l’emploi et la sécurité sociale se sont accompagnées de diverses propositions visant à assortir les exonérations de cotisations sociales patronales de contreparties liées notamment à la création d’emplois par les entreprises bénéficiaires ([40]).

● La question de la conditionnalité des allègements généraux semble cependant connaître un regain d’intérêt ces dernières années en lien avec le débat plus global concernant les contreparties des aides publiques versées aux entreprises dans un contexte où l’État a produit un effort considérable pour soutenir l’activité et l’économie face à la crise sanitaire ([41]).

Le sujet revient régulièrement dans les débats parlementaires, en particulier lors de l’examen annuel du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l’occasion duquel sont systématiquement discutés des amendements visant à conditionner le bénéfice des exonérations de cotisations sociales au respect d’engagements en matière d’emploi, d’investissement, de relocalisation, d’égalité professionnelle ou d’objectifs environnementaux, ainsi qu’à l’occasion de la discussion de textes relatifs au droit du travail et au partage de la valeur en entreprise.

Dans ce contexte, les rapporteurs ont souhaité rappeler l’état du droit concernant la conditionnalité des allègements généraux d’une part, et interroger les différentes parties prenantes sur l’opportunité de l’étendre à d’autres types de conditions et sur les modalités concrètes que pourraient prendre lesdites conditions d’autre part.

2.   Le droit en vigueur prévoit déjà certaines conditions au bénéfice des allègements généraux

Il convient tout d’abord de rappeler que le bénéfice des allègements généraux est déjà soumis à un certain nombre de critères d’éligibilité.

a.   L’interdiction du travail illégal

● Le code de la sécurité sociale conditionne le bénéfice des allègements généraux au respect de la législation relative à l’interdiction du travail illégal. En application de l’article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, le recours au travail illégal entraîne la suppression totale ou partielle des réductions ou exonérations de cotisations sociales lorsque l’entreprise commet une ou plusieurs des infractions suivantes :

– travail dissimulé ;

– marchandage ;

– prêt illicite de main d’œuvre ;

– emploi d’étranger non autorisé à travailler.

L’article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale exclut cependant deux situations constitutives de travail illégal des hypothèses pouvant conduire à la suppression des allègements généraux :

– le cumul irrégulier d’emplois ;

– la fraude aux allocations consacrées aux actions de reclassement et de reconversion professionnelle, à l’activité partielle et à l’aide aux travailleurs privés d’emploi.

● Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ([42]), la suppression du bénéfice des allègements généraux peut n’être que partielle dans les deux hypothèses suivantes :

– lorsque la dissimulation d’activité ou de salarié résulte uniquement de la requalification d’une prestation de services en relation salariée ([43]) ;

– lorsque la dissimulation d’activité est limitée ([44]), c’est-à-dire qu’elle représente moins de 5 % des rémunérations déclarées au titre de la période d’emploi faisant l’objet du redressement – 10 % pour les entreprises de moins de vingt salariés.

Le montant de l’annulation des réductions et exonérations de cotisations sociales correspond alors au rapport suivant :

La sanction ne peut cependant pas être modulée lorsque l’infraction concerne des mineurs soumis à l’obligation scolaire, des personnes dont l’état de vulnérabilité ou de faiblesse sont apparents ou connus de l’auteur ou lorsque l’infraction est effectuée en bande organisée.

● Selon les données fournies à vos rapporteurs par l’Urssaf, les annulations d’exonérations liées au travail dissimulé ont représenté un montant de 27 millions d’euros en 2022 sur un total de 789 millions d’euros de redressement prononcé par les Urssaf.

b.   La condition relative à l’obligation de négociation sur les salaires effectifs

● En outre, dans l’objectif d’inciter les entreprises à revaloriser leurs grilles salariales, la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail ([45]) a instauré une forme de conditionnalité des allègements généraux à l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, liée à l’obligation pour l’employeur d’engager une négociation annuelle portant sur les salaires effectifs et l’organisation du temps de travail.

Dans sa version initiale, cet article prévoyait un abattement du montant des exonérations de cotisations sociales applicable aux employeurs ne remplissant pas l’obligation de négociation sur les salaires prévue au 1° de l’article L. 2242-8 du code du travail. L’abattement était de 10 % du montant des exonérations de cotisations sociales dues au titre de l’année concernée par l’absence de négociation. Le dispositif prévoyait en outre que, lorsque l’employeur ne remplissait pas cette obligation pour la troisième année consécutive, le bénéfice des exonérations de cotisations sociales lui était intégralement supprimé.

Malgré une évolution progressive de ses modalités, le principe de cette conditionnalité reste applicable aujourd’hui sous la forme d’une pénalité pouvant être prononcée par l’autorité administrative ([46]). L’article 17 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 ([47]) a ainsi substitué à l’abattement initial un mécanisme de sanction financière. Lorsqu’aucun manquement relatif à l’obligation de négociation n’a été constaté au cours des six exercices précédents, la pénalité est plafonnée à un montant équivalent à 10 % de la réduction de cotisations au titre de chaque année au cours de laquelle le manquement a été observé et dans la limite de trois années consécutives.

En cas de constatation d’un précédent manquement au cours des six années précédentes lors d’un contrôle de l’inspection du travail, le plafond de la pénalité est porté à un montant équivalent à 100 % des exonérations de cotisations sociales.

Il appartient à l’autorité administrative compétente – la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) – de fixer le montant exact de la pénalité, en tenant compte des efforts constatés pour ouvrir les négociations, de la situation économique et financière de l’entreprise, de la gravité du manquement et des circonstances ayant conduit au manquement. Cette sanction est dorénavant prévue à l’article L. 2242-7 du code du travail dans sa rédaction résultant des ordonnances dites « travail » de 2017 ([48]).

● Ce dispositif appelle plusieurs remarques de la part des rapporteurs. Tout d’abord, cette sanction ne s’applique qu’aux entreprises concernées par l’obligation de négociation sur les salaires effectifs. Elle ne concerne donc que les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives ([49]) c’est-à-dire les entreprises d’au moins cinquante salariés ([50]) ou celles de moins de cinquante salariés dès lors qu’un membre de la délégation élue du personnel au comité social et économique y a été désigné en tant que délégué syndical ([51]).

Or, selon les données publiées par la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques du ministère chargé du travail (Dares) ([52]), en 2021, 85 % des entreprises de cinquante salariés ou plus disposent d’au moins une instance élue et seulement 42,5 % disposent de délégués syndicaux.

En outre, si 88,5 % des entreprises de 300 salariés ou plus disposent à la fois d’une instance représentative du personnel et de délégués syndicaux, cette proportion n’est que de 35,4 % dans les entreprises de 50 à 299 salariés et de 4,1 % des entreprises de 10 à 49 salariés.

Le graphique ci-après illustre les grandes disparités dans la représentation des salariés dans les entreprises – et donc dans l’existence d’une obligation de négociation – en fonction de la taille des entreprises.

Couverture des entreprises par au moins une instance représentative du personnel élue ou des délégués syndicaux selon la taille, de 2018 à 2021

 

https://lh4.googleusercontent.com/wMaOlJ_odXinwlKnWYC_Ar79E6tVTjgipbjnfagfn6Fj4u-PlVDf0z75oJii_w3Lszy1rLZ5BJngbg5qECthUXp2cw8tTjykDSmMWPKj5YxYspnSHJ3SEQR5ExhyOhC1hmLrqFAu8kwNobVGBz39kg

Lecture : en 2021, parmi les entreprises de 10 à 49 salariés, 29 % sont couvertes par une instance représentative du personnel (IRP) élue, et 4,5 % par au moins un délégué syndical.

Champ : entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole en France (hors Mayotte).

Source : Dares, enquête Acemo « Dialogue social en entreprise ».

Au total, et toujours selon la Dares, 11,2 % des entreprises de dix salariés ou plus – représentant 57,5 % des salariés du même champ – disposent d’au moins un délégué syndical.

D’autre part, elle ne s’applique pas lorsque la périodicité de la négociation sur les salaires effectifs a été portée à une durée supérieure par un accord d’entreprise pris en application de l’article L. 2242-11 du code du travail.

Vos rapporteurs ne remettent naturellement pas en cause le fait que les obligations de négociation dans l’entreprise soient modulées en fonction de leur taille, et donc de leur capacité à négocier efficacement. Toutefois, force est de constater qu’il résulte de cette situation que la possibilité d’une sanction est loin de concerner l’intégralité des entreprises bénéficiant des allègements généraux.

● Enfin, cette condition est satisfaite dès lors que l’entreprise a ouvert la négociation. Le bénéfice des allègements généraux n’est donc pas subordonné à la signature d’un accord. Les travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2008 éclairent le choix alors fait par le législateur. Comme le mentionnait Gérard Cherpion, rapporteur du projet de loi, « lier le bénéfice des allègements généraux à la conclusion d’une négociation présenterait deux inconvénients fondamentaux :

« – le risque, en privant d’une partie du bénéfice des allègements les entreprises qui connaissent des difficultés, d’aggraver ces difficultés qui constituent précisément l’une des raisons pour lesquelles elles ne sont pas en mesure d’offrir davantage en termes de salaires ;

« – une obligation de conclure qui paraît difficilement compatible avec les principes de liberté et d’autonomie des partenaires sociaux. » ([53])

Vos rapporteurs ajoutent que conditionner le bénéfice des allègements généraux à la conclusion d’un accord emporte le risque d’un phénomène de « culpabilité pour fait d’autrui » puisqu’une entreprise pourrait être pénalisée dans l’hypothèse où les partenaires sociaux ne parviennent pas à se mettre d’accord.

● Les données fournies à vos rapporteurs par les Urssaf tendent à montrer que cette mesure a donné lieu à un nombre de sanctions relativement faible pour des montants dérisoires au regard du coût budgétaire des allègements généraux. Entre 2009 et 2014, le nombre d’entreprises sanctionnées chaque année a varié entre 74 et 325 pour des montants associés compris entre 1,43 million d’euros et 9,9 millions d’euros. Le nombre de sanctions et les montants ont chuté à partir de 2015. Au total, 1 056 sanctions ont donné lieu à pénalités déclarées depuis 2009 pour un montant cumulé de 25,2 millions d’euros soit moins que le montant des annulations d’exonérations liées au travail dissimulé pour la seule année 2022.

Cela étant rappelé, vos rapporteurs ne sauraient en déduire que cette disposition est inefficace ou superfétatoire. En effet, le degré d’efficacité d’une sanction ne doit pas s’apprécier à l’aune du nombre de décisions prononcées mais davantage à sa capacité à prévenir la survenance du comportement qu’elle vise à réprimer. À ce sujet, vos rapporteurs regrettent n’avoir eu connaissance d’aucune étude permettant d’identifier avec précision les effets que cette mesure a pu avoir sur la dynamique des négociations salariales au moment de sa mise en œuvre.

3.   L’absence de consensus sur l’opportunité d’étendre la conditionnalité des allègements généraux à d’autres domaines

● Vos rapporteurs se sont intéressés à la question de savoir s’il était pertinent et souhaitable de créer de nouvelles conditions au bénéfice des allègements généraux. Ils regrettent que la littérature économique et les études relatives aux exonérations générales de cotisations sociales n’aient pas davantage creusé la question de la conditionnalité.

Rappelons avant tout qu’aucun consensus ne se dégage sur le principe même de renforcer la conditionnalité des allègements généraux, pas davantage qu’il n’en existe sur les modalités concrètes que pourraient revêtir lesdites conditionnalités.

● Lors de leur audition, les syndicats de salariés ont unanimement souhaité instaurer de nouvelles conditions à l’octroi du bénéfice des allègements généraux et, plus globalement, mettre en place des contreparties à l’octroi d’aides publiques aux entreprises. S’agissant des allègements généraux, les syndicats – en particulier la CFDT et la CFE‑CGC – ont indiqué à vos rapporteurs souhaiter suspendre les allègements généraux pour les entreprises appartenant à des branches professionnelles dont les minima conventionnels se situent en dessous du Smic. La CFDT a également proposé d’interrompre le bénéfice des exonérations portant sur les revenus versés aux salariés rémunérés au Smic et ayant au moins deux ans d’ancienneté dans l’entreprise. La CFE‑CGC a quant à elle évoqué l’idée de suspendre les exonérations de cotisations aux entreprises de plus de cinquante salariés qui ne proposent pas de forfait mobilités durables.

Après avoir rappelé leur opposition à tout type d’exonération de cotisations sociales, la CGT et FO ont néanmoins indiqué être favorables à la conditionnalité des aides publiques liée, entre autres critères, à des engagements en termes de création et de maintien de l’emploi, au respect des obligations légales et conventionnelles, au respect de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Bien que ce sujet dépasse la seule question des allègements généraux – et excède donc à ce titre le champ du présent rapport –, l’enjeu de la transparence et de la gouvernance des aides publiques a également été mise en avant par les organisations syndicales. La CFDT et la CFE‑CGC souhaitent ainsi une transparence accrue sur l’usage des aides publiques aux entreprises, en particulier à destination des membres du comité social et économique. La CFE‑CGC propose en outre la création d’une commission de contrôle de l’utilisation des fonds publics attribués aux entreprises, qui serait placée auprès du Haut‑commissariat au plan. Les syndicats ont également exprimé le besoin que soient renforcés les moyens des inspecteurs du recouvrement et des inspecteurs du travail.

● Si l’on peut aisément comprendre l’enjeu sous-jacent qui est d’obtenir un meilleur « retour sur investissement » des aides publiques, le nombre et la diversité des conditions évoquées apparaissent pour le moins ambitieux : respect des stipulations conventionnelles et engagements en matière de salaires ; création ou maintien d’un certain nombre d’emplois dans l’entreprise ; interdiction des délocalisations ou engagements à relocaliser ; maintien des effectifs en contrat à durée indéterminée ; respect de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ; interdiction des « super-profits » ou des dividendes ; rénovation de la gouvernance des entreprises ; engagements environnementaux

● De leur côté, les organisations patronales ont exprimé leur opposition à la mise en place de conditionnalités au bénéfice des allègements généraux. Le Medef a mis en avant les obstacles juridiques et techniques à la mise en œuvre d’une conditionnalité des allègements généraux ainsi que les risques de réduction de l’efficacité économique de ces dispositifs en faveur de l’emploi. La CPME et l’U2P ont quant à elles évoqué le risque de déstabilisation pour les TPE‑PME dans un contexte économique marqué par l’inflation.

Compte tenu du périmètre retenu pour le présent rapport, vos rapporteurs ont toutefois fait le choix de concentrer leurs travaux sur la proposition actuellement la plus débattue concernant les allègements généraux, à savoir celle visant à lier le bénéfice de ces allègements au respect, par les branches professionnelles, de l’obligation de fixer des minima conventionnels d’un niveau au moins égal au Smic.

B.   Lier le bénéfice des allègements généraux à la négociation salariale de branche : une proposition qui se heurte à des obstacles importants

1.   Une proposition qui s’inscrit dans un contexte particulier de revalorisations importantes et régulières du Smic...

● Dans un objectif d’incitation à la négociation salariale de branche, plusieurs syndicats de salariés – la CFDT et la CFE-CGC notamment – ont proposé de restreindre le bénéfice des allègements généraux de cotisations sociales aux entreprises qui appartiennent à une branche professionnelle ayant des minima conventionnels au moins égal au Smic. Cette proposition rejoint plusieurs initiatives parlementaires discutées récemment lors de l’examen en première lecture du projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise ([54]).

Dans un contexte de forte inflation, la dynamique de revalorisation du Smic conduit en effet à ce qu’un nombre important de branches professionnelles présentent des minima conventionnels inférieurs au Smic. À la date du 9 juin dernier, 140 des 171 branches professionnelles présentaient ainsi des minima inférieurs au Smic suite à sa dernière revalorisation du 1er mai 2023 ([55]). Ce phénomène peut s’expliquer aisément par le fait qu’un certain nombre de branches peinent à suivre le rythme récent des revalorisations du Smic et sont en cours de négociation à la date de rédaction du présent rapport. Selon les données du ministère chargé du travail, seules 13 branches étaient en situation de non-conformité depuis plus d’un an au 31 août 2023.


– 1 –

dates d’entrée en vigueur des revalorisations du salaire minimum de croissance depuis le 1er janvier 2019

(en euros)

Date d’entrée en vigueur

Smic horaire brut

Smic mensuel brut pour 151,67 heures de travail

1er janvier 2019

10,03

1 521,22

1er janvier 2020

10,15

1 539,42

1er janvier 2021

10,25

1 554,58

1er octobre 2021

10,48

1 589,47

1er janvier 2022

10,57

1 603,12

1er mai 2022

10,85

1 645,58

1er août 2022

11,07

1 678,95

1er janvier 2023

11,27

1 709,20

1er mai 2023

11,52

1 747,20

Source : Commission des affaires sociales à partir des données de l’Insee.

Évolution du salaire minimum de croissance depuis le 1er janvier 2019

Source : Urssaf.

La loi imposant aux entreprises de rémunérer leurs salariés à un niveau au moins égal au Smic ([56]), cette situation est financièrement neutre pour les salariés concernés. Elle peut néanmoins conduire à renforcer le phénomène de tassement des grilles de rémunération qui freine l’augmentation salariale des salariés au niveau du Smic malgré leur progression de carrière.

Face à ce problème, la proposition de conditionner le bénéfice des exonérations de cotisations sociales aux entreprises appartenant à des branches ayant fixé des minima au moins égaux au Smic poursuit donc l’objectif d’inciter les partenaires sociaux à la négociation salariale.

● Il est à noter qu’un dispositif similaire avait été voté par le législateur en 2008 ([57]) afin d’inciter les branches présentant des minima conventionnels structurellement inférieurs au Smic à procéder à des renégociations salariales. Concrètement, l’article 27 de la loi en faveur des revenus du travail prévoyait de substituer le minimum conventionnel au Smic comme base de calcul de la réduction générale de cotisations sociales patronales lorsqu’il était inférieur au Smic au cours des deux années civiles précédant celle du mois au titre duquel le montant de la réduction était calculé. Sans aller jusqu’à la suspension du bénéfice des allègements, cette mesure devait permettre de réduire le montant des exonérations de cotisations octroyées aux entreprises appartenant à des branches dont les minima ne respectaient pas le niveau du Smic.

Cet article devait en principe s’appliquer à partir du 1er janvier 2011, sauf si le ratio entre le nombre de branches de plus de 5 000 salariés dont les minima conventionnels étaient inférieurs au Smic depuis au moins deux ans, d’une part, et le nombre de branches de plus de 5 000 salariés avait diminué d’au moins 50 % depuis la date de publication de la loi du 3 décembre 2008. Compte tenu de cette dernière condition, ce dispositif n’est cependant jamais entré en vigueur et aucune évaluation n’a pu en être faite.

2.   … mais qui se heurte à des écueils importants

Si vos rapporteurs souscrivent à l’objectif que poursuit une telle proposition, utiliser l’outil des allègements généraux pour y parvenir se heurte néanmoins à des écueils de taille qui ont été rappelés à plusieurs reprises lors des auditions.

● En premier lieu, un tel dispositif pose des questions de principe. Sur le plan éthique et juridique, son application aurait pour conséquence de pénaliser des entreprises vertueuses pour des comportements dont elles ne sont pas responsables puisque la fixation des minima conventionnels incombe aux partenaires sociaux au niveau de la branche.

Outre l’injustice que représenterait cette « culpabilité pour fait d’autrui », il n’est pas certain qu’une telle mesure, dont il pourrait être alléguée qu’elle est assimilable à une sanction, puisse être regardée par le juge constitutionnel comme étant conforme aux principes de proportionnalité et de nécessité des délits et des peines. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel précise que les principes énoncés par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ne concernent pas uniquement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition. En tout état de cause, cette mesure de conditionnalité devrait faire l’objet d’un examen de constitutionnalité plus approfondi au regard du risque juridique qu’elle présente.

● Sur le plan des principes de politique économique, les allègements généraux ne semblent en outre pas constituer l’outil idoine pour renforcer le dynamisme des négociations salariales.

Bien connu des économistes, le principe de Tinbergen postule que, pour être efficace, chaque instrument de politique économique doit être affecté à la résolution d’un seul problème ou à l’atteinte d’un seul objectif ([58]). Or, comme vos rapporteurs l’ont rappelé à de multiples reprises dans le présent rapport, le dispositif des exonérations générales de cotisations sociales a été conçu dans un objectif de lutte contre le chômage via l’abaissement du coût du travail sur les bas salaires.

Dans le prolongement de ce constat, il apparaît contradictoire d’utiliser un outil initialement destiné à limiter le coût du travail afin de favoriser des hausses de salaires. Comme cela a été rappelé par les économistes et les services auditionnés par vos rapporteurs, ajouter une telle condition risquerait donc de divertir les exonérations de cotisations sociales de leur but originel avec le risque d’atténuer les effets positifs et avérés qu’elles ont sur l’emploi.

● Sur le plan du dialogue social, en ajoutant la condition selon laquelle les entreprises des branches ayant des minima conventionnels inférieurs au Smic perdent le bénéfice des allègements généraux, et compte tenu des enjeux financiers qu’ils représentent, il existe un risque de dénaturer les négociations et d’inciter les partenaires sociaux à privilégier la signature rapide d’un accord qui se contenterait d’augmenter les minima conventionnels au niveau du Smic, au détriment de la qualité de la négociation.

Au demeurant, cette situation exceptionnelle de forte inflation est conjoncturelle tandis que certaines dispositions du droit en vigueur poursuivent déjà l’objectif d’un renforcement de la dynamique des négociations salariales. D’une part, la loi impose aux branches professionnelles d’ouvrir des négociations lorsque les minima conventionnels de la branche deviennent inférieurs au Smic suite à sa revalorisation ([59]).

D’autre part, depuis la loi dite « pouvoir d’achat », le délai laissé aux organisations patronales pour entamer ces négociations a été raccourci à quarante‑cinq jours contre trois mois précédemment, précisément dans l’objectif de prendre en compte le dynamisme des revalorisations du Smic en période de forte inflation ([60]). Le même article a par ailleurs renforcé les outils permettant au ministre du travail d’engager une procédure de fusion de branches lorsqu’une branche professionnelle ne négocie pas régulièrement sur le niveau des minima conventionnels.

● En second lieu, les services des ministères auditionnés ainsi que le directeur général de l’Urssaf Caisse nationale ont mis en avant les redoutables questions d’opérationnalité que ne manquerait pas de poser la mise en œuvre de cette nouvelle règle, notamment eu égard au fait qu’il n’est pas toujours évident de savoir quelle convention collective s’applique à quelle entreprise. En effet, une entreprise peut relever de plusieurs branches différentes, notamment lorsqu’elle est divisée en établissements ou en filiales. De même, certaines branches se caractérisent par l’existence de plusieurs conventions collectives. Il en résulte qu’une entreprise peut relever de plusieurs conventions collectives à la fois. En outre, certaines conventions collectives peuvent prévoir plusieurs grilles salariales différentes avec des minima distincts. Cette réalité impose donc de prévoir des règles spécifiques dans chacun de ces différents cas.

Une telle règle s’ajouterait aux éléments de complexité déclarative que les allègements généraux représentent déjà pour les entreprises, en particulier pour les plus petites d’entre elles. En effet, comme l’ont rappelé les services auditionnés, les mesures d’exonérations constituent un sujet complexe et source d’erreurs pour les entreprises. Selon l’Urssaf Caisse nationale, les difficultés se concentrent plus particulièrement sur la compréhension de ce qu’il convient d’intégrer au champ des rémunérations à prendre en compte pour le calcul des exonérations, ainsi qu’à la valeur du Smic à laquelle est rapportée la rémunération annuelle brute.

Cette complexité est appréhendée par les Urssaf à travers un indicateur objectif : la part que représentent les allègements généraux dans le total des restitutions qu’elles sont amenées à verser aux entreprises qui ont commis des erreurs de déclaration en leur défaveur.

Or, en 2022, les exonérations en faveur de l’emploi représentaient 51 % des restitutions aux entreprises, contre seulement 25 % des redressements. S’agissant des entreprises de moins de cinquante salariés, cette part s’élevait à 59 % du total des restitutions. Au total, 124 millions d’euros ont été restitués à ce titre en 2022.

 

*

*     *

Compte tenu de ces éléments et de l’impact des allègements sur les bas salaires en termes d’emploi, il n’apparaît pas opportun aux rapporteurs de mettre en place une conditionnalité portant sur la négociation salariale de branche. Pour envisager une telle conditionnalité, les conséquences et la faisabilité gagneraient à en être mieux connues et appréhendées par les chercheurs, les administrations et la représentation nationale.

III.   Les exonérations de cotisations et contributions sociales en fonction de l’âge : un outil efficace pour augmenter le taux d’emploi ?

Les débats autour du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023 ont mis au jour, notamment par la voie de l’article relatif à « l’index seniors » ([61]), toute l’importance de l’enjeu de l’emploi des personnes les plus âgées sur le marché du travail. Dans ce cadre, le Sénat a souhaité ajouter un article créant un contrat de travail spécifiquement dédié aux travailleurs âgés et assorti d’une exonération de cotisations « famille » à la charge de l’employeur ([62]).

Si la commission mixte paritaire sur le PLFRSS s’était accordée sur le principe d’une expérimentation ciblée sur les travailleurs âgés les plus éloignés de l’emploi ([63]) et si, finalement, le Conseil constitutionnel avait censuré cet article ([64]), il n’en reste pas moins que la problématique est centrale et régulièrement débattue. Les rapporteurs ont donc souhaité approfondir cette question afin d’analyser dans quelle mesure une exonération ciblée sur l’âge des salariés, qui n’existe pas encore en France, pourrait avoir un effet positif ([65]).

A.   malgré une évolution positive sur les dernières années, La situation de l’emploi des seniors reste préoccupante en France

1.   Un changement de politiques publiques en ce qui concerne l’emploi des seniors

Depuis les années 1990, la France a connu un changement drastique de stratégie économique vis-à-vis de l’emploi des travailleurs dits « seniors ». En effet, entre l’entre-deux-guerres et les années 1980, les départs anticipés étaient facilités, par plusieurs dispositifs, auxquels participaient la réforme des retraites de 1982 ([66]), les mesures de pré-retraite ([67]) et les règles spécifiques d’assurance chômage ([68]).

Face à l’enjeu désormais de plus en plus important de conserver les salariés les plus âgés sur le marché du travail, ces différents dispositifs ont peu à peu été éteints. En créant la « surcote » et en instaurant une taxe sur les pré-retraites privées ([69]), la réforme des retraites de 2003 a permis d’accélérer l’augmentation du taux d’emploi des salariés expérimentés. Des mesures visant à faciliter le cumul emploi-retraite, récemment réformé par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ([70]), ont ensuite été prises dans le but de permettre aux personnes en situation de cumul de continuer à se créer de nouveaux droits à la retraite, accessibles dans le cadre d’une seconde liquidation.

Le « contrat de génération », introduit en 2013 ([71]) et supprimé en 2017 ([72]) faute d’avoir trouvé son public ([73]), octroyait une aide financière aux entreprises de moins de 50 salariés en cas d’embauche de jeunes de moins de 26 ans et de maintien en emploi des salariés de 57 ans ou plus. Pour les entreprises dont l’effectif était compris entre 50 et 300 salariés, le bénéfice de l’aide était conditionné à la mise en place d’un accord ou d’un plan d’action portant sur le contrat de génération. En parallèle, ce « contrat de génération » comprenait un volet dissuasif, conduisant à ce que les entreprises de plus de 300 salariés qui ne mettaient pas en place cet accord ou ce plan d’action se voyaient financièrement pénalisées.

2.   Une évolution favorable mais encore insatisfaisante de l’emploi des seniors

● Ces évolutions législatives ont logiquement conduit à augmenter, dans de fortes proportions, le taux d’emploi des salariés seniors, après que celui-ci a chuté jusqu’à 17 % au milieu des années 1990 ([74]). Le Conseil d’orientation des retraites précise ainsi que ce taux a augmenté de 25 points de pourcentage entre 2000 et 2017 pour les 55-59 ans, de 20 points pour les 60-64 ans et de 4 points pour les 65-69 ans ([75]).

Taux d’emploi et d’activité des seniors

https://lh4.googleusercontent.com/lLgmcOLBHUm4E2jz5q5TRP6ZzRjVonf-B3MG4S0-LJeu1D8VYPWDToo-jeaj4rj4FZFufoqOKapKyNCR44rNDdOwE25jkfnw3EoZMrGuUkPzwwThXTJHsYaTS5-aTDx58_wBl42zxDm_MfihY12htA

Source : Dares, 2023.

La situation des travailleurs seniors varie bien entendu en fonction de leur âge. En mai 2023, l’Insee a publié une note ([76]) qui résume les principales données disponibles jusqu’à l’année 2021. Elle montre ainsi qu’à 55 ans, 79 % des personnes sont en emploi, les autres situations étant minoritaires : 5 % sont au chômage, 15 % inactifs sans être à la retraite et 1 % retraités. À l’opposé, à 69 ans, 91 % des personnes sont retraitées. Seulement 5 % sont en emploi, la majorité en situation de cumul emploi‑retraite, et 3 % sont ni en emploi ni à la retraite (NER).

Toutefois, l’Insee rappelle bien qu’une personne de 55 à 69 ans sur six n’est ni en emploi ni à la retraite et que cette situation est, la plupart du temps, subie. Plus précisément, « de 20 % à 55 ans, la part de personnes ni en emploi ni à la retraite atteint 28 % à 61 ans. À 62 ans, du fait de l’augmentation des départs à la retraite, cette part chute de 11 points, puis continue de baisser jusqu’à atteindre 3 % à 69 ans. » La part des personnes ni à la retraite ni en emploi dans la tranche d’âge 55‑69 ans a augmenté sur la période récente, passant de 14 % en 2014 à 16 % en 2021, malgré une stabilisation du nombre de chômeurs sur la période.

Surtout, le taux d’emploi des travailleurs seniors reste, en France, structurellement inférieur à celui des pays comparables : 53,8 % en 2020, contre 59,6 % pour l’ensemble de l’Union européenne et même 60,2 % pour les pays membres de la zone euro ([77]). Les États du cœur et du nord de l’Europe se distinguent par des performances particulièrement notables en la matière. L’Insee rappelle en outre que cet écart est particulièrement important pour la tranche 60-62 ans, avec par exemple un taux d’emploi de 62 % en Allemagne contre seulement 36 % en France ([78]).

Taux d’emploi des seniors dans quelques pays de l’Union Européenne (2021)

https://lh6.googleusercontent.com/aN8e6ywIjSGU1BgvfcwHmwqEuiapzXTCo7HqUcXIM-VlCUa_0JDJOWXlVYUF_k4jLUYrKd_h_Eo809gY5mpjJvAkGX9Hq7GuugtoxFTskKtXDD5NFtfjHGo9yvAJid2Hlt3pxttjAUSkKp5J3fvrRQ

Source : Dares, 2023.

 

Enfin, selon les dernières données disponibles ([79]), il faut noter que les seniors étaient payés 1,2 fois plus que les plus jeunes (contre 1,10 dans l’OCDE), niveau similaire à l’Allemagne.

écart de salaire moyen des seniors vis-à-vis des plus jeunes

https://lh3.googleusercontent.com/2DHdncu5KJy9hWi85TFjvv1CP-exY6iz0ifX2MPP5wokRuyIBSoS0zD2XpfwPfIY99IKBSXP-yncvAHWkbpHJ_7ziLbdRIKF9WXg_ZwdOIri1dmoW1MS1JIxmRL5wcOE7CXz9lpKvWLr7iv8d9jsJQ

Source : France Stratégie, 2018.

Cette différence s’explique d’abord par un différentiel de coût du travail compte tenu de l’importance des allègements de cotisations sur les bas salaires. Ce différentiel de coût ne saurait toutefois trouver, dans la littérature économique, une explication dans un éventuel différentiel de productivité entre les salariés les plus jeunes et les salariés les plus expérimentés, même si ce sujet reste fortement débattu. Comme l’indiquait France Stratégie en 2018 ([80]), même si la productivité individuelle n’est souvent pas directement observable, il faut noter la surreprésentation mécanique des seniors dans les secteurs et structures les moins dynamiques, la mise en évidence de hausses de productivité en cas d’équipes intergénérationnelles, ainsi que l’importance à cet égard des « soft skills » liées à l’expérience. Toutefois, « certaines études microéconomiques ([81]) n’identifient aucun écart de productivité entre différentes générations de travailleurs sur une même ligne d’assemblage » ([82]).

B.   Des exonérations supplémentaires nécessiteraient de pouvoir démontrer leur bénéfice pour ces populations spécifiques

1.   La France a peu à peu supprimé les exonérations et dispositifs spécifiques en lien avec l’âge

● La France a peu à peu supprimé les dispositifs qui visaient spécifiquement les salariés les plus âgés. C’est le cas en particulier de la contribution dite « Delalande » créée par la loi en 1987 ([83]) et supprimée en 2008 ([84]), qui prévoyait la taxation des licenciements des plus de 50 ans en contrat à durée indéterminée.

Depuis le 1er janvier 2019, le « contrat de professionnalisation » ([85]), qui octroie une aide forfaitaire de l’État d’un montant maximal de 2 000 euros pour les employeurs qui embauchent des demandeurs d’emploi de 45 ans ou plus, n’est plus assorti d’exonérations de cotisations spécifiques ([86]). Les employeurs qui en bénéficiaient sont toutefois éligibles à la réduction générale, renforcée, de cotisations sociales pour les employeurs.

Ainsi, il n’existe en France que peu d’exonérations qui fassent intervenir l’âge comme critère d’éligibilité. La plus identifiée reste l’exonération en faveur des jeunes chefs d’exploitation ou d’entreprises agricoles ([87]). Créée en 1985 ([88]), il s’agit d’une exonération partielle et dégressive de cotisations d’assurance maladie, vieillesse de base, famille et invalidité-décès, pour une durée de cinq ans à compter de la première année au titre de laquelle les cotisations sont dues. Le taux d’exonération est de 65 % la première année, 55 % la deuxième année, 35 % la troisième année, 25 % la quatrième année et 15 % la cinquième année. Pour en bénéficier, il est nécessaire d’exercer une activité d’exploitant agricole ou de chef d’entreprise à titre principal ou exclusif, de bénéficier des prestations d’assurance maladie des exploitants agricoles et surtout d’être âgé de 18 à 40 ans ([89]). Pour un coût de 41,3 millions d’euros en 2022, cette mesure bénéficie à un peu plus de 45 000 personnes ([90]).

● Pour les plus jeunes, des exonérations spécifiques existent pour les contrats d’apprentissage, qui donnent lieu à l’exonération de la quasi-totalité des cotisations patronales et salariales ainsi qu’à un non-assujettissement à la CSG et à la CRDS.

D’autres États ont expérimenté un soutien indirect aux employeurs par la voie d’exonérations ciblées en fonction de l’âge. C’est le cas de la Suède, où le taux de cotisations diminue avec l’âge – 31,42 % jusqu’à 65 ans, 16,36 % à partir de 65 ans, 6,15 % à partir de 81 ans. Les cotisations de retraite professionnelle y sont, par ailleurs, supprimées à partir de 65 ans par la voie de certains accords collectifs ([91]).

2.   En l’absence de consensus, plusieurs pistes sont évoquées en matière d’exonérations ciblées en fonction de l’âge

● La situation inquiétante de l’emploi des seniors en France a conduit à ce que beaucoup d’institutions et d’organismes formulent des recommandations en la matière, comme cela a été le cas de l’Assemblée nationale ([92]), du Conseil d’analyse économique ([93]), ou encore de l’Institut Montaigne ([94]). Alors que la Cour des comptes avait alerté le Premier ministre en 2019 sur ce sujet ([95]), un rapport avait été remis au Gouvernement dès 2020 afin d’alimenter les réflexions en vue de futures évolutions ([96]).

Peu de ces rapports font état de pistes d’évolutions qui pourraient concerner les cotisations sociales. Certains d’entre eux, notamment celui remis au Gouvernement en 2020, faisaient plutôt état des difficultés liées à la multiplication des ruptures conventionnelles pour des salariés âgés de 59 ou 60 ans, pouvant expliquer, compte tenu de la période de chômage, un départ « anticipé » à la retraite par cet intermédiaire. La dernière réforme des retraites a été l’occasion, à l’initiative de la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, d’harmoniser certains régimes fiscaux et sociaux auparavant divergents entre les indemnités de mise à la retraite et les indemnités de rupture conventionnelle individuelle ([97]), afin de lutter contre les sorties anticipées d’emploi.

● Il a également pu être envisagé, notamment dans le rapport parlementaire de MM. Martin et Viry ([98]), de « réduire l’impact de la sinistralité [pour les cotisations accidents du travail-maladie professionnelle ATMP] pour des salariés recrutés après 60 ans ». En effet, « l’état de santé ou la sinistralité est moins liée à l’attitude vertueuse de leur employeur en matière de prévention qu’au résultat de l’ensemble des risques pris au cours de la carrière du salarié ». Comme cela a également pu être proposé à l’occasion de la dernière réforme des retraites par des amendements rejetés par l’Assemblée nationale ([99]), il ne s’agirait pas d’une exonération en tant que telle mais plutôt d’une révision de la modulation, déjà complexe, des cotisations AT‑MP.

Le Conseil d’analyse économique (CAE) recommandait, quant à lui, d’instituer un « système de bonus-malus pour les cotisations employeur d’assurance-chômage », afin de faire en sorte que « les entreprises contribuent pour partie au coût de l’indemnisation chômage de leurs ex-salariés » ([100]). Toutefois, le CAE précise que « pour qu’il ne désavantage pas les seniors, comme c’était le cas pour la contribution Delalande, ce système doit s’appliquer à tous les salariés, indépendamment de leur âge ».

L’Institut Montaigne a proposé plus directement de « moduler le taux de cotisations sociales patronales en fonction de l’âge du salarié ». Plus précisément, l’Institut demande, pour un coût fiscalo-social neutre, à ce que « les personnes de moins de 30 ans et celles de plus de 55 ans, dont les taux d’emploi sont les plus faibles, [puissent] voir le taux des charges sociales patronales qui leur sont appliquées diminuer ». Le raisonnement inverse est appliqué aux personnes entre 30 et 55 ans, dont le taux d’emploi est meilleur, et qui se verraient donc appliquer un taux de cotisation supérieur ([101]).

3.   Les principaux risques d’une nouvelle exonération liée à l’âge

● Alors que le Sénat a proposé une exonération des cotisations familiales patronales pour l’embauche de demandeurs d’emploi seniors, toutes ces propositions ne se recoupent pas et ne forment aucun consensus. Les auditions des rapporteurs ont confirmé ce constat. Les organisations patronales auditionnées, pourtant enclines à défendre les exonérations, ne paraissent pas en demande d’une exonération supplémentaire, dans un maquis jugé déjà complexe et peu lisible d’exonérations aux objectifs divers. Ces dernières n’ont donc pas défendu le principe d’un allègement supplémentaire pour les seniors, susceptible de générer des comportements de mise en préretraite de la part des employeurs en ciblant les seniors dans les fins de contrat, préférant mettre l’accent sur la nécessité de revoir les paramètres de l’indemnisation du chômage spécifiques aux seniors.

Les rapporteurs identifient quatre principaux risques à créer une nouvelle exonération en fonction de l’âge :

– le risque constitutionnel : si le Conseil constitutionnel a censuré l’article de la LFRSS 2023 relatif au « CDI seniors » en le considérant comme un « cavalier social », d’autres importantes incertitudes constitutionnelles pèsent sur l’idée d’exonérer de cotisations sociales sur la base de l’âge, comme le rappelle le rapport de l’Institut Montaigne ([102]), notamment sur le fondement du principe d’égalité. En effet, il serait difficilement justifiable, au regard de ce principe, que deux salariés ayant un salaire identique dans une même entreprise ou un même secteur, l’un juste avant la borne d’âge choisie et l’autre juste après, ne bénéficient pas des mêmes exonérations, sur le seul fondement de leur âge ;

– le risque d’effet d’aubaine, lié à la difficulté de cibler les bons publics. Une exonération liée à l’âge pourrait conduire les entreprises à adopter des stratégies économiques, en coopération avec les salariés, conduisant à acter un licenciement ou une rupture conventionnelle, avant de reprendre le salarié, afin de remplir les critères permettant d’accéder à l’exonération. Cette stratégie reviendrait bien entendu à rendre l’exonération totalement inutile, puisqu’elle ne permettrait pas de création d’emploi.

Par ailleurs, il faut rappeler que les études montrent clairement que les seniors ne sont pas égaux face au risque de chômage et que le diplôme reste l’élément le plus déterminant en ce sens. Comme le précise la note de l’Insee de mai 2023 ([103]), « entre 55 et 61 ans, la moitié des [personnes ni en emploi ni à la retraite] pour raison de santé ou de handicap sont peu ou pas diplômés ». Ils sont 28 % au chômage (contre 14 % en cas de diplôme supérieur à bac + 2). Au total, 42 % des personnes entre 55 et 61 ans sans diplôme ne sont ni en emploi ni à la retraite, contre 16 % pour ceux qui en possèdent. Cette situation conduit plutôt à interroger la formation tout au long de la vie, afin d’assurer un maintien dans l’emploi, plutôt que des exonérations de cotisations qui ne toucheraient probablement qu’imparfaitement les personnes au faible niveau de diplôme ;

Taux de personnes entre 55 et 61 ans qui ne sont ni en emploi ni à la retraite en fonction du niveau de diplôme (en %) 

 

Au chômage au sens du BIT

Pour des raisons de santé ou de handicap

Pour une autre raison

Ensemble

Diplôme du supérieur

25

9

19

16

Baccalauréat, CAP, BEP, ou équivalent

47

40

43

42

Aucun diplôme, CEP ou brevet des collèges

28

51

38

42

Source : Insee, 2023.

– le risque d’entrer à nouveau dans une stricte logique générationnelle en matière de politique de l’emploi. Tous les dispositifs ciblant spécifiquement une catégorie d’âge ont été peu à peu supprimés, après le constat d’une trop faible efficacité ;

– le risque du mauvais calibrage. Comme il est possible de le constater à la lecture des différentes études, il n’y a de consensus ni sur les cotisations précises dont il faudrait exonérer l’employeur ou le salarié ([104]), ni sur l’ampleur que devrait avoir cette nouvelle exonération. Aucune bonne solution ne semble ainsi se dégager en ce qui concerne le ciblage des exonérations.

Face à l’ensemble de ces risques, les rapporteurs estiment qu’une nouvelle exonération de cotisations ne permettrait pas de réduire rapidement et profondément les obstacles qui empêchent encore notre pays de disposer d’un taux d’emploi des seniors équivalent à celui de nos voisins. L’effet d’aubaine étant trop fort, les risques qui s’attacheraient à cette nouvelle exonération surpassent largement les effets positifs qu’il serait possible d’en attendre. Cette mesure n’aurait sans doute un effet bénéfique que pour une petite partie des salariés expérimentés et probablement pas pour ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi.


– 1 –

   Travaux de la commission

Dans sa séance du 27 septembre 2023, la commission des affaires sociales examine le rapport d’information de MM. Marc Ferracci et Jérôme Guedj en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur le contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations sociales

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux par la présentation d’un rapport élaboré dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss), qui a choisi pour première évaluation au long cours de cette législature de se consacrer aux exonérations de cotisations sociales. Elle s’est réunie la semaine dernière pour approuver le rapport de Marc Ferracci et Jérôme Guedj. Je les remercie de nous présenter leur travail ce matin avant que nous n’entamions l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.

M. Marc Ferracci, rapporteur. Mon collègue Jérôme Guedj et moi-même sommes très heureux de vous présenter le résultat de nos réflexions. Je tiens préalablement à remercier très chaleureusement les administrateurs de la commission des affaires sociales qui nous ont appuyés dans l’élaboration de ce rapport et qui nous ont permis d’aboutir à un travail qui me semble satisfaisant dans les délais contraints que nous nous étions fixés.

Ce rapport part d’un constat, d’emblée documenté, à savoir que les exonérations de charges sociales pèsent lourd dans notre pays. Dans ce rapport, nous n’avons pas souhaité nous intéresser à l’intégralité des dispositifs d’exonérations de charges sociales, faute de temps et de données. Ces dispositifs sont extrêmement nombreux. Ils ont d’ailleurs été documentés par un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) et je crois qu’ils sont au nombre de 147 ou 150. Nous avons préféré centrer notre rapport sur les allégements généraux de charges sociales, qui représentent une masse qui n’a cessé de croître au cours des dernières années dans notre pays pour s’élever aujourd’hui à près de 3 % du PIB, soit l’équivalent de 80 milliards d’euros en tenant compte des dispositifs d’assiette. Notre exigence consiste à évaluer l’impact de cette dépense au regard des objectifs que fixe le législateur.

Le premier de ces objectifs, depuis l’introduction des allégements généraux au début des années 1990, réside dans la création d’emplois. Notre première préoccupation a donc consisté à interroger l’impact et l’efficacité de ces mesures d’allégement sur la création d’emplois.

Nous avons décliné trois questions qui intéressent aujourd’hui le débat public, en nous inspirant des problématiques qui ont émergé au cours de ces derniers mois.

Le premier axe de notre réflexion a consisté à évaluer l’efficacité de l’ensemble des allégements généraux, notamment en regard des niveaux de salaire auxquels ils s’appliquent. Nous sommes parvenus à la conclusion que les exonérations sur les bas salaires, notamment sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic, étaient efficaces sur le maintien et la création d’emplois et qu’il était nécessaire de les conserver. En revanche, les exonérations sur les plus hauts salaires, en particulier sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic – à savoir les exonérations de cotisations famille à hauteur de 1,8 point, le « bandeau famille » –, ont très peu d’effet sur l’emploi et sur la compétitivité des entreprises. La première de nos recommandations consisterait donc à revenir sur ces exonérations, ce qui permettrait de dégager 1,5 milliard d’euros et d’utiliser cette somme de façon plus conforme à l’intérêt général. Jérôme Guedj développera ce sujet, mais nos points de vue diffèrent quant aux conséquences politiques d’une éventuelle suppression du bandeau famille. Pour ma part, je considère que ces sommes devraient être recyclées dans des baisses de fiscalité ou de charges plus efficaces pour les entreprises afin de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires sur les entreprises.

Nous nous sommes ensuite interrogés quant à l’opportunité de conditionner les exonérations à certaines actions des entreprises ou des branches professionnelles. La conditionnalité est susceptible de concerner de nombreux thèmes et sujets, notamment des actions environnementales, des actions destinées à l’inclusion, etc. Pour notre part, nous nous sommes centrés sur la question d’une éventuelle conditionnalité à la négociation salariale et en particulier à la négociation salariale de branche. Cette proposition figure dans le débat public et dans le contexte de la future conférence sociale – que nous n’avions pas anticipée, mais qui offre une perspective à cette réflexion –, nous avons souhaité interroger l’opportunité et la faisabilité de cette mesure d’exonération. Je laisserai également Jérôme Guedj compléter mon propos et entrer dans le détail de notre réflexion. Force est néanmoins de constater qu’à ce stade, il ne serait probablement pas opportun d’envisager une telle conditionnalité, notamment pour des raisons de principe. En effet, ajouter l’objectif de dynamisation des salaires à celui du maintien et de la création de l’emploi pourrait faire courir le risque de n’atteindre aucun des objectifs. En outre, des questions de nature juridico-opérationnelle, soulevées notamment par les administrations que nous avons auditionnées, nous conduisent à penser que la mise en œuvre de ce dispositif, en particulier au niveau des branches, génèrerait une complexité difficile à assumer. Dès lors, bien que la réflexion à ce sujet puisse et doive sans doute se poursuivre, à ce stade, notre recommandation consiste à renoncer à ce type de mesure.

Enfin, au regard du débat public et dans le prolongement des échanges que nous avons développés au sein de cette commission et dans l’hémicycle pendant la réforme des retraites, nous nous sommes interrogés quant à l’opportunité d’augmenter les exonérations de charges et de les adosser à des critères d’âge de sorte à créer des emplois pour les seniors ou à les maintenir dans l’emploi. Sur la base de l’examen de la littérature économique, nous ne recommandons pas cette solution. Il existe certainement des leviers plus pertinents pour favoriser le maintien des seniors dans l’emploi, car des exonérations de ce type généreraient probablement de très forts effets d’aubaine. La justification des exonérations consiste à compenser un éventuel écart entre la productivité et le coût du travail. C’est la raison pour laquelle les exonérations ciblent les bas salaires, c’est-à-dire les salariés les moins productifs, pour lesquels le coût du travail peut être plus élevé que la productivité. Toutefois, nous n’avons identifié aucun élément attestant que la productivité des salariés seniors, au-delà de 50 ou 55 ans, est plus faible que celle de salariés plus jeunes. Il n’existe donc pas de justification économique à cibler les exonérations sur ces catégories d’âge.

Mon propos est resté très général et je pense que nos échanges permettront de les approfondir.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Nous prendrons en effet le temps d’échanger et de répondre à vos questions, mais je souhaite vous apporter quelques éléments complémentaires dans un propos introductif.

Nous nous sommes livrés à cet exercice un peu inédit que représentait l’évaluation des exonérations de cotisations sociales. J’insiste sur le terme « cotisations » ; le rapport ne mentionne à aucun moment l’expression « charges sociales », que certains emploient à l’oral, comme vient de le faire mon collègue Marc Ferracci. Je préfère que nous veillions à mentionner les « exonérations de cotisations sociales ».

Pour votre parfaite information, dans le cadre de la loi organique adoptée à l’initiative de Thomas Mesnier et à partir de l’année prochaine, il sera obligatoire d’évaluer un tiers des exonérations de cotisations sociales dans la loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (LACSS) de l’année précédente. Cette nouveauté, introduite à l’initiative de Thomas Mesnier, est pertinente. Une méthodologie nous a été proposée récemment ainsi qu’un rapport de l’Igas et de l’IGF. À partir de l’année prochaine, un tiers de ces exonérations devra désormais être évalué chaque année, ce qui représente une évolution positive par rapport à ce qu’imposait l’annexe 5 du PLFSS jusqu’à maintenant.

La raison principale qui a présidé à cette mission réside dans le constat d’un effet d’emballement – le terme est consacré – des exonérations de cotisations sociales, notamment depuis une dizaine d’années, en raison non seulement d’un nouveau dispositif, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), et sa transformation en exonération, mais également de la progression de la masse salariale. En effet, les exonérations étant adossées à un critère lié au Smic, on a assisté à leur explosion, à savoir le doublement des exonérations générales qui, de 37 milliards d’euros en 2013 ont atteint 77 milliards cette année. Aucune autre dépense publique prévue dans le budget n’a doublé sur cette période. Parallèlement, il existe très peu d’évaluations de l’efficacité de ces exonérations, qui semblent fondées sur une forme de confiance. Nous nous étions donc assigné l’objectif de mettre un peu – pardonnez‑moi l’expression – « le pied dans la porte » de sorte que le Parlement participe à ces évaluations régulièrement, en lien avec le travail que l’exécutif doit nous proposer. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons, d’une manière ou d’une autre, prolonger ce rapport en affinant nos travaux.

Nous avons souhaité cibler en première intention les exonérations sur les plus hauts salaires (compris entre 4 200 et 6 000 euros bruts), ce fameux bandeau famille sur lequel se dégageait une forme de consensus des économistes que nous avons voulu vérifier à travers des auditions visant à évaluer son effet sur l’emploi et sur la compétitivité. En effet, ces exonérations généraient des questionnements quant à leur efficacité sur l’emploi et la compétitivité. Nous confirmons que leur efficacité ne semble pas avérée. Elles représentent 1,5 milliard d’euros et l’estimation de leur impact constituait donc un enjeu non négligeable. C’est la raison pour laquelle nous en proposons la suppression.

Chacun de nous, dans son avant-propos, propose des pistes d’utilisation de cet argent. Ce sera aussi l’objet de notre échange. Pour la petite histoire, cette mission est née du constat posé l’année dernière dans cette salle au moment de l’examen dans le cadre du PLFSS d’amendements identiques, déposés par Marc Ferracci et moi‑même, proposant déjà la suppression du bandeau famille. Pour autant, déjà à l’époque, dans nos exposés des motifs, nous ne préconisions pas la même utilisation des montants ainsi dégagés.

Le rapport questionne, bien qu’il n’apporte pas de réponse. Dans tous les cas, il fait écho à des interrogations que plusieurs économistes et acteurs ont mentionnées devant nous. En effet, entre 1,6 et 2,5 Smic, la question de la pertinence peut se poser. Nous n’apportons pas de réponse aussi tranchée que s’agissant des salaires supérieurs à 2,5 Smic sur le bandeau famille, mais le « bandeau maladie », qui représente la majeure partie de l’exonération entre 1,6 et 2,5 Smic, s’élève entre 20 et 25 milliards d’euros sur lesquels nous pensons qu’il faudrait prolonger les travaux d’évaluation et d’appréciation au regard des objectifs assignés.

Nous avons souhaité mentionner ces éléments en rappelant que ces exonérations sont compensées. Elles ne produisent donc pas d’impact sur le budget de la sécurité sociale. L’État décide des exonérations dans le cadre de sa politique de l’emploi et il compense soit par des financements directs, soit le plus souvent en affectant au financement de la sécurité sociale une partie des recettes fiscales – TVA ou autre.

J’attire collectivement notre attention sur un élément que nous avons souhaité mentionner, à savoir que l’exonération générale relative à la désocialisation des heures supplémentaires, décidée en 2019, n’est pas compensée. Elle représente 2,5 milliards d’euros. Cela signifie que la sécurité sociale pâtit d’un défaut de ressources à hauteur de 2,5 milliards d’euros, sur décision de l’État, qui représente presque un tiers du déficit de la sécurité sociale qui nous est présenté dans le PLFSS puisque l’État ne compense pas une exonération qu’il a lui-même décidée. Cette donnée est importante.

Je ne m’attarderai pas sur la question de la conditionnalité puisqu’elle a déjà fait l’objet d’un débat. Le rapport souligne les positions des organisations syndicales sur cet objectif de conditionnalité. Nous rappelons qu’il existe déjà un principe de conditionnalité, introduit par la loi du 3 décembre 2008, relativement à l’obligation de négociations annuelles sur les salaires. Il a été intéressant de constater – les chiffres figurent dans le rapport – que le non‑respect de cette obligation a été très peu sanctionné. Entre 2009 et 2015, entre soixante‑quinze et trois cent vingt‑cinq entreprises ont été sanctionnées pour des montants dérisoires, à savoir entre 1 million et 10 millions d’euros. Au total, sur l’ensemble de cette période, les sanctions infligées aux entreprises qui n’ont pas respecté l’obligation de négociations annuelles représentent environ 25 millions d’euros.

La question de la faisabilité a été posée et à ce stade, il n’est pas apparu pertinent d’introduire cette logique de conditionnalité au sein des branches pour lesquelles les minima conventionnels sont inférieurs au Smic, notamment pour des entreprises vertueuses au sein d’une branche qui le serait moins. Pour autant, je considère que, dans ce domaine également, le débat n’est pas clos. En effet, d’autres éléments de conditionnalité peuvent être examinés : la qualité de l’emploi, l’égalité femme-homme, la responsabilité sociale des entreprises, la transition écologique, etc.

S’agissant de la mesure d’exonération liée à l’âge, un consensus s’est clairement dégagé en termes non seulement de faisabilité, mais également d’opportunité.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. La parole est aux orateurs des groupes.

Mme Caroline Janvier (RE). Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour ce rapport très précis et très clair qui permet également de retracer l’histoire de cette exonération de cotisations sociales et des débats qui lui sont liés.

Je partage votre point de vue selon lequel ces cotisations constituent des revenus différés qui permettent de financer des risques, eux-mêmes couverts par la sécurité sociale. Le débat lancé dans les années 1990 sur le coût du travail ainsi que le débat relatif à la compétitivité des entreprises ont rappelé que l’objectif principal de ces exonérations consistait à favoriser l’emploi. Nous l’entendons tous lorsque nous discutons avec des chefs d’entreprise, notamment des PME, qui parfois sont amenés à renoncer à recruter en raison du coût du travail. Il s’avère donc intéressant de confronter cette réalité à des études plus théoriques.

Vous constatez qu’entre 2,5 et 3,5 Smic les effets de ces exonérations ne sont pas avérés et vous aboutissez donc au consensus d’une inefficacité de cette politique publique sur les plus hauts salaires. Vous proposez de supprimer ce bandeau famille, mais vous affichez malheureusement votre désaccord quant aux modalités d’utilisation de cette économie réalisée de 1,5 milliard d’euros.

Au sein de cette commission, ne serait pas possible de trouver un accord quant à la suppression de ce bandeau famille en écartant la question de son utilisation ou en identifiant une solution consensuelle ?

Mme Joëlle Mélin (RN). Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour cette présentation de votre très intéressant rapport, après celle que vous en avez faite à la Mecss la semaine dernière.

Il était urgent d’évaluer les conséquences objectives et l’impact des exonérations sociales massives et des exemptions d’assiette au regard des 80 milliards d’euros qu’elles représentent. C’est une évidence. Tout aussi évidemment, il était indécent de ne pas l’avoir fait mieux et plus tôt.

Dans un a priori réaliste, on découvre que 5 à 10 % du montant de ces exonérations seraient inefficients. Ce sont 4,8 milliards d’euros qui correspondraient à autant de recettes en sus ou de compensations d’État en moins, selon le point de vue. C’est d’ailleurs également le montant des économies espérées dans les mesures présentées par le ministre délégué chargé des comptes publics ces jours-ci.

Les allégements généraux retiendront mon attention. Ils constituaient un des trois piliers de votre étude. Ils représentent les trois quarts des niches sociales dans le champ des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et 96 % des exonérations bénéficiant au secteur privé. Ils profiteraient en particulier aux petites entreprises, que nous soutenons bien évidemment, et portent avant tout sur les bas salaires, de 1 à 1,6 Smic. Selon vous, ils ne constitueraient pas un mécanisme de trappe à bas salaires et nous ne partageons pas votre avis.

En effet, les secteurs concernés sont évidemment des secteurs en tension tels que l’hôtellerie, la restauration, les services administratifs et de soutien. Or ils ont la particularité de ne pas être délocalisables. Nous avons découvert dans votre rapport que pour maintenir la compétitivité et préserver la prime d’activité de certains salariés, il importerait de ne pas augmenter les salaires et de les maintenir au plus près des salaires délocalisés. C’est donc une main‑d’œuvre étrangère, seule capable d’accepter des salaires non attractifs en France, qui accepte ces emplois. Ce constat représente donc une délocalisation à domicile. À l’inverse, pour les pays d’origine de ces travailleurs, il s’agit d’une externalisation de leur économie. Ainsi, 25 % du PIB des Comores reposent aujourd’hui sur les diasporas. Alors pour cette raison majeure et d’autres, plus vénielles, telles que la suppression du bandeau famille, nous estimons qu’il existe des modalités plus pertinentes de soutien aux PME. Nous ne partageons donc pas vos conclusions et vos propositions.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). « L’État est devenu un puissant dealer de subventions, un narcotique auquel les entreprises françaises aiment se shooter. » Qui a écrit cela ? Ce n’est pas moi. Ce n’est pas un leader de la CGT. Ce n’est pas Attac. C’est un ancien cadre du Medef, responsable des affaires sociales, M. Éric Verhaeghe. Il poursuit ainsi sa métaphore : « Les entreprises françaises sont malades de cette addiction à la subvention déguisée. Celle-ci agit comme de la cocaïne. Elle donne l’illusion temporaire de la puissance et de la force, mais elle ruine la santé à petit feu. »

Je vous remercie pour votre rapport, qui vient mettre un peu d’ordre dans ce torrent de subventions dont le volume a triplé en dix ans, passant de 26 milliards d’euros d’exonérations sociales à 77 milliards d’euros cette année. En ajoutant les autres aides – crédit d’impôt recherche, etc. – , on atteint probablement environ 160 milliards d’euros, sans aucune condition ni sociale, ni fiscale, ni environnementale. Je vous remercie donc d’apporter de la lumière à ce sujet et notamment de constater qu’au-delà de 2,5 Smic, ces exonérations ne présentent plus d’efficacité, ni sur l’emploi, ni sur l’économie. Merci, monsieur Ferracci, d’entamer cette remise en cause ; merci, monsieur Guedj, d’aller plus loin. Votre apport est en effet « un pied dans la porte » ou un orteil dans la porte. Il est évident qu’il engendrera des questionnements quant à cet énorme paquet de 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises.

L’État a besoin de moyens. L’État a besoin de moyens pour rebâtir son hôpital. L’État a besoin de moyens pour rebâtir son école. L’État a besoin de moyens pour affronter le choc climatique. Il dégagera ces budgets via une fiscalité juste afin que les milliardaires ne soient pas sous-taxés par rapport au Français moyen et en ponctionnant dans cette masse de subventions que l’État attribue comme un dealer, selon les propos de cet ancien cadre.

M. Stéphane Viry (LR). Votre travail, chers collègues, prouve s’il en était besoin l’utilité de la Mecss. Vous avez mené un travail important d’évaluation de dépenses de l’État ou de dépenses d’organismes sociaux afin de tenter d’améliorer le sort de chacun, non seulement le pays en général, mais également la situation individuelle des personnes. Je salue la qualité de votre travail. J’ai vu les auditions que vous avez conduites de façon très éclectique, affichant votre volonté non seulement de poser un diagnostic, mais également d’apporter une vision. C’est ce que je retiens de votre travail. J’espère qu’une suite lui sera donnée. J’ignore quelle suite et il est probable que nous rencontrions des divergences. Cependant, lorsqu’on « met le pied dans la porte », comme l’a dit notre collègue Ruffin, on ne peut en effet pas rester au milieu du gué sur un sujet comme celui-ci.

Vous nous proposez une vision à terme sur la question de l’allégement des charges sociales. Tous les gouvernements, qu’ils fussent de droite ou de gauche, ont cherché à renforcer la compétitivité de notre économie et de nos entreprises en baissant le coût du travail qui, effectivement, nous met en difficulté par rapport à d’autres pays. Le sujet est prégnant et la réponse a été, effectivement, l’allégement des charges. Vous nous proposez des recommandations avec, me semble-t-il, un consensus sur le constat selon lequel, en dessous de 2,5 Smic, les allégements sont efficaces, mais qu’ils sont discutables au-delà.

N’oublions jamais, mes chers collègues, que les charges sociales, les cotisations sociales représentent le revenu de remplacement et la protection sociale. Le modifier signifie devoir financer la protection sociale différemment. Faut-il la financer par de la fiscalité ? Faut‑il établir une conditionnalité ? Ce sujet m’intéresse. Selon moi, décider de ne plus diminuer les charges sociales serait suicidaire par rapport à cet enjeu de compétitivité. Ne faut-il pas pour autant demander une contrepartie ? La question mérite d’être posée. En tout cas nous ne pourrons pas exclure de nos travaux la nécessité de renforcer le salaire net dans notre pays, parce que, en creux, c’est ce que sous-tend votre rapport.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je remercie les deux rapporteurs, dont le rapport confirme l’intérêt du rôle de la Mecss, que j’ai honneur de coprésider avec Jérôme Guedj. Vous avez réalisé un formidable travail qui non seulement rend hommage à la Mecss, mais s’avère également très intéressant quant à l’historique.

Des textes sont publiés chaque année sans que leur fondement soit très clair. L’éclairage que vous apportez est donc très intéressant, y compris du point de vue de la sémantique, dans nos débats – on peut parler d’allégement ou d’exonération de cotisations, de cotisations ou de charges sociales – et il s’avère intéressant sur le plan politique d’identifier les différentes perceptions de ces cotisations sociales.

Je constate que nous parvenons un petit peu à un point de bascule. En 2023, nous procédons à une analyse de ces exonérations en regard de ce qui a été décidé il y a dix ou quinze ans. Nous percevons ce point de bascule parce que nous constatons qu’il y a quinze ans, l’emploi et le chômage constituaient un problème prégnant. Nous vivons désormais dans un autre monde. Il y a quinze ans, nous subissions un chômage de masse que des décisions politiques – il faut le réaffirmer – ont permis d’enrayer. Actuellement, nous sommes davantage dans une situation où certains secteurs connaissent des tensions. L’historique que vous dressez est intéressant parce qu’il met en évidence ce point de bascule. Nous avons évolué d’un monde vers un autre.

Ce travail est également intéressant parce qu’au sein de cette commission et au sein de la Mecss, il est possible d’identifier des consensus. Dès lors, je tiens à vous féliciter pour le consensus auquel vous êtes parvenus, notamment par rapport à la remise en cause du bandeau famille, entre 2,5 et 3,5 Smic, à laquelle il conviendra de donner suite. L’analyse et l’historique des différentes périodes et problématiques qui ont traversé notre pays sont instructifs.

M. Arthur Delaporte (SOC). Les moments comme celui que nous vivons aujourd’hui en commission des affaires sociales sont précieux. En effet, il est rare de pouvoir dépasser les préjugés, les idées reçues et de mettre une situation à plat. Ce constat sans appel que vous dressez dans votre rapport apporte des éléments pour légiférer. Je vous remercie, monsieur Guedj et monsieur Ferracci, d’avoir su travailler en bonne intelligence de sorte à nous apporter des éléments tangibles.

Le débat relatif aux exonérations dure depuis plus d’une dizaine d’années. Au sein même de cette commission, nous avons débattu au sujet du CICE et de la question de la conditionnalité des aides. Vous avez esquissé le thème de la conditionnalité dans vos propos liminaires. Pourriez-vous détailler davantage vos suggestions à ce sujet ? Quelles sont les pistes qui pourraient nous amener à identifier des amendements éventuellement transpartisans de sorte à supprimer les dépenses superflues d’argent public ?

2,5 milliards d’euros d’exonérations de charges sociales liées aux heures supplémentaires ne sont pas compensés et grèvent le budget de la sécurité sociale. Alors que nous chassons les économies sur différents sujets, ne pensez-vous pas que la compensation par l’État de cette exonération des heures supplémentaires constitue un enjeu public afin de rééquilibrer un déficit artificiellement creusé ?

M. François Gernigon (HOR). Je tiens tout d’abord à remercier les deux rapporteurs pour le travail qu’ils ont accompli.

Face à l’impératif d’une allocation transparente et démocratique des fonds publics, plus que jamais dans notre contexte qui nécessite une réduction de la dépense publique afin de permettre de nouvelles avancées, votre rapport se penche sur les implications des allégements de charges sociales accordées aux entreprises qui enregistrent une croissance substantielle pour culminer à près de 80 milliards d’euros, en particulier pour les tranches salariales élevées, et démontre leur efficacité trop limitée sur l’emploi. Je pense également qu’il est de bon sens et primordial de systématiser l’évaluation d’impact des dépenses publiques et, comme vous l’avez souligné, de remettre en cause celles dont l’efficacité n’est pas avérée.

Votre rapport soulève également la question de l’adaptation des exonérations afin de favoriser davantage l’emploi des seniors, offrant ainsi une base solide pour un dialogue constructif sur cette question cruciale. J’adhère à votre perspective selon laquelle une exonération supplémentaire pourrait ne pas surmonter efficacement les défis qui limitent le taux d’emploi des seniors. Il me semble que simplifier les contrats destinés aux seniors serait une solution plus pertinente pour une intégration sur le marché du travail. Favoriser l’adoption de ces contrats par les entreprises me semble plus judicieux que de proposer sans cesse des incitations financières qui ont prouvé à plusieurs reprises leur échec lorsqu’elles sont pensées seules.

Un point de votre rapport a également retenu mon attention, à savoir les exonérations pour les jeunes entreprises innovantes. Les propositions récentes de notre collègue Paul Midy relatives à l’élargissement des exonérations étaient accompagnées de projections selon lesquelles un investissement d’un peu plus d’un milliard d’euros pourrait entraîner la création de 100 000 emplois. Cette proposition est ambitieuse. Avez-vous étudié cette piste ? Correspond-elle à votre vision d’accentuer le ciblage des exonérations en vue d’atteindre le plein emploi ?

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Je tiens également à saluer le travail des deux rapporteurs.

Rapport Charpin de 1992, rapport Malinvaud de 2000, rapport Gallois de 2012 : depuis trente ans, les rapports se succèdent, promettant une diminution du chômage contre une baisse des cotisations sociales des entreprises. Depuis trente ans, les gouvernements successifs font la part belle aux caprices du Medef et à la grande fable de la théorie du ruissellement.

Aujourd’hui, nous disposons enfin d’un rapport qui a le mérite de remettre en question l’efficacité de ces milliards de cadeaux aux entreprises. En effet, comme le constate à juste titre notre collègue Jérôme Guedj, ces exonérations constituent d’abord une perte de recettes pour la puissance publique et pour notre système de santé. Entre 2019 et 2022, en pleine crise sanitaire, le montant cumulé des exonérations de cotisations s’est élevé à 278 milliards d’euros alors que 5 milliards d’euros seraient nécessaires pour endiguer la crise de l’hôpital public, que 9 milliards d’euros financeraient la prise en charge de la dépendance et que pour 13 milliards d’euros, nous pouvions nous passer de la réforme des retraites. Ces exonérations en masse qui, dans le cas du bandeau famille s’avèrent d’ailleurs particulièrement inefficaces sur l’emploi pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 fois le Smic.

Ce rapport a également le mérite d’étudier la pertinence du conditionnement des exonérations sociales à des objectifs sociaux. En effet, avec 80 milliards d’euros d’exonérations et 144 milliards d’aides publiques annuelles, nous considérons que nous avons signé un nombre suffisant de chèques en blanc à des entreprises et qu’il est temps qu’elles prennent leur part de responsabilités afin de répondre à l’urgence sociale et climatique.

Nous attendons donc beaucoup de la commission et de la Mecss pour contribuer à une meilleure information des députés sur le conditionnement des exonérations à des impératifs sociaux et écologiques dans un contexte où le culte de la croissance passe toujours plus devant l’objectif d’atteindre la pleine santé pour toutes et tous.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je remercie également Marc Ferracci et Jérôme Guedj pour ce travail au sein de la Mecss.

J’aurais souhaité que nous évoquions également les vertus de la cotisation. En effet, ces exonérations reposent sur une sorte d’idée reçue selon laquelle les cotisations seraient par nature nocives, et notamment nocives pour l’emploi. Je pense pour ma part que ces exonérations massives portent atteinte à la cotisation, au principe de la cotisation, et je crois qu’il faut réhabiliter ce principe de cotisation. La montée en charge des exonérations massives a accompagné une montée en puissance de la crise du système de santé. Il me semble que ce constat devrait nous interpeler.

Je partage une partie de votre constat et de votre interrogation quant aux effets de ces exonérations. J’approuve la remise en cause des exonérations liées aux salaires supérieurs à 2,5 Smic, qui ne représentent d’ailleurs pas tous des hauts salaires. Toutefois, j’identifie une confusion dans les politiques qui ont été menées jusqu’à présent, à savoir que le financement de l’emploi ne relève pas des prérogatives de la sécurité sociale. En effet, il appartient à la puissance publique, et donc à l’État, de financer les politiques de l’emploi. Or, en réalité, les exonérations de cotisations sociales reviennent à financer l’emploi par l’impôt, c’est-à-dire en partie par les salariés, ce qui auparavant relevait de la cotisation patronale. On opère donc un transfert du partage des richesses. Il me semble que ce constat pose un problème et qu’il conviendrait de s’interroger quant à cette réalité.

M. Laurent Panifous (LIOT). Messieurs les rapporteurs, je vous remercie pour votre travail.

La question de la légitimité de l’efficacité des exonérations de charges ou cotisations sociales se pose aujourd’hui avec d’autant plus de force que nous sommes en recherche constante de ressources supplémentaires pour financer notre système de protection sociale. Ce système doit évoluer avec le vieillissement de la population française, la nécessaire adaptation de l’offre de soins et d’accompagnement qui en découle, l’explosion des maladies chroniques, l’adaptation de l’offre médico-sociale afin d’accompagner nos aînés ou tout simplement l’évolution du niveau d’exigence des usagers sur ce que doit être une prise en charge de qualité en 2023, dans notre pays. Les règles d’hier ne sont en effet plus forcément adaptées à une société dont les besoins ont évolué. Il est donc légitime de les interroger.

Je souhaite néanmoins formuler plusieurs remarques relativement à l’hypothèse de la diminution des exonérations de cotisations, évaluées dans ce rapport comme peu ou pas efficaces. Vous reprenez précisément les différentes mesures qui ont été appliquées au fil des décennies pour arriver à la situation actuelle de 80 milliards d’euros d’exonérations.

J’évoquerai d’abord la notion de stabilité fiscale et sociale. Les entreprises ont besoin d’un élément essentiel qui n’est pas toujours le niveau, mais la tendance du coût du travail, comme pour les autres coûts liés à leur activité. Ce constat est d’autant plus pertinent que l’entreprise est petite, car le chef d’entreprise a besoin de visibilité.

Il existe également un risque de déplacement de la rémunération. En effet, la diminution des exonérations représente une hausse du coût du travail qui peut avoir comme effet collatéral assez simple de déplacer les rémunérations pour ceux qui dépassent les seuils, que vous souhaitez fixer ou revisiter, vers des outils défiscalisés ou désocialisés qui sont à la disposition de l’entreprise pour éviter de faire évoluer sa masse salariale. Cela représenterait alors une perte sèche pour le financement de la sécurité sociale.

Le tassement des salaires constitue également un risque d’autant plus prégnant lorsque vous évoquez la fixation d’un seuil à 1,6 Smic et non plus au‑delà, comme c’est le cas actuellement, avec même un renforcement des exonérations autour de ce seuil. Les chefs d’entreprise connaissent ces seuils ou ces exonérations qui, bien sûr, ne constituent pas la raison majeure de leurs recrutements. Néanmoins, à l’échelle d’une entreprise, sur la durée, la conséquence des effets de seuil est à prendre en compte.

Je viens de me faire l’avocat du diable. Ces remarques ne sont pas des oppositions à vos propositions, mais des réflexions.

M. Marc Ferracci, rapporteur. Je vous remercie pour l’ensemble de vos interventions. Nous tenterons de synthétiser les différents points qui ont été soulevés.

S’agissant de l’intervention de M. Panifous et en écho également à celle de Mme Mélin, ces problématiques posent la question des trappes à bas salaires et de l’hypothèse selon laquelle les exonérations pourraient ralentir, voire bloquer, les augmentations de salaire. Nous avons étudié cette question dans le cadre du rapport. Nous avons examiné de nombreuses études économiques qui cherchaient à évaluer l’existence ou non de trappes à bas salaires. Je précise que par trappes à bas salaires, nous entendons l’idée selon laquelle, au-delà de certains niveaux de salaire, il n’existe plus aucune incitation pour l’employeur et pour le salarié à augmenter le salaire parce que la ponction sur le salaire brut est trop importante ou parce que la perte de certains éléments de rémunération – prime d’activité, notamment – rend l’augmentation salariale moins intéressante. Les études montrent qu’à proximité des seuils, on ne constate pas de point de masse, c’est-à-dire le blocage d’un grand nombre de salaires légèrement inférieurs aux seuils. En l’état actuel des connaissances, les études ne mettent pas en évidence de trappe à bas salaires. Cela signifie-t-il que, notamment entre 1 et 1,6 Smic, il n’existe aucun ralentissement de l’augmentation salariale engendré par l’existence des exonérations ? C’est une question que nous laissons ouverte, mais cela n’équivaut pas stricto sensu à une trappe à bas salaires.

La possibilité d’un ralentissement des augmentations de salaires, notamment entre 1 et 1,6 Smic, est une réalité parce que deux points de sortie coexistent : le point de sortie des exonérations générales à 1,6 Smic, qui ensuite débouche sur le bandeau maladie entre 1,6 et 2,5 Smic, et le point de sortie de la prime d’activité. Dans le cadre de la négociation salariale entre un employeur et son salarié, à proximité de 1,6 Smic, l’employeur peut considérer qu’il n’a aucun intérêt à faire progresser le salaire au-delà 1,6 Smic parce que les exonérations chuteraient en raison de cet effet de seuil. Parallèlement, le salarié pourrait estimer que l’augmentation au-delà de 1,6 Smic lui faisant perdre une partie de sa prime d’activité, il serait préférable de trouver un arrangement différent. Nous avons explicitement mentionné dans le rapport cette possibilité sur laquelle nous ne disposons pas de données, notamment de données croisées entre les entreprises et les bénéficiaires de la prime d’activité, pour répondre à l’existence de tels mécanismes. Nous recommandons donc de poursuivre le travail et la réflexion sur cette question de trappes à bas salaires et en particulier entre 1 et 1,6 Smic.

Je souhaite revenir sur l’interprétation des résultats des études économiques qui montrent le peu d’impact sur l’emploi des exonérations sur les hauts salaires. Comment fonctionne ce mécanisme ? Fondamentalement, les effets sur l’emploi dépendent de la manière dont les entreprises répercutent ou pas les exonérations sur les salaires des employés, notamment sur les bas niveaux de salaire. Les employeurs répercutent assez peu les exonérations sur les salaires. Cela signifie qu’ils se préservent des possibilités d’embaucher ou d’investir. C’est la raison pour laquelle les effets sur l’emploi et l’activité sont importants s’agissant des exonérations sur les bas salaires. Entre 2,5 et 3,5 Smic, les salariés ont un pouvoir de négociation plus important parce qu’ils sont plus qualifiés, parce qu’ils sont face à un marché du travail qui est plus tendu, parce que le taux de chômage à ces niveaux de qualification est très faible et via des renégociations salariales qui ont lieu à intervalle régulier, tous les ans, ils vont capter le bénéfice des exonérations sous forme d’augmentations de salaire brut. Dès lors, concrètement, les exonérations bénéficient moins à l’entreprise qu’aux salariés les plus qualifiés. Nous pourrions réfléchir quant à la pertinence de subventionner le salaire des salariés les plus qualifiés avec des exonérations. Néanmoins, il nous semble que l’objectif poursuivi par les exonérations consiste à soutenir et à maintenir l’emploi et pas forcément à soutenir les salaires les plus élevés.

S’agissant de la remarque de Mme Caroline Janvier quant à l’opportunité pour notre commission de se prononcer, Jérôme Guedj a rappelé que nous avions déposé l’année dernière des amendements basés sur des arguments différents et des propositions différentes quant à l’utilisation des sommes dégagées par la suppression du bandeau famille. Nos divergences demeurent, mais il va de soi que nous devrons discuter de cette question au sein de notre commission. Nous verrons bien si un consensus se dégage.

S’agissant de la conditionnalité, sans vouloir modérer les ardeurs de M. Peytavie notamment, je souhaite tout de même rappeler que les conclusions de notre rapport ne retiennent, certes, qu’un sujet de conditionnalité, à savoir la négociation et en particulier les négociations de branche. Nous nous sommes demandé si les branches négocient des minima au-dessus du Smic. Cependant, il existe évidemment d’autres pistes de conditionnalité qui peuvent être explorées. J’attire simplement l’attention sur le fait que plus on raffine les critères de conditionnalité en introduisant des objectifs sociaux ou/et environnementaux, plus la mise en œuvre d’un dispositif de conditionnement devient complexe. Il convient de se montrer prudent parce qu’une des remarques critiques portées sur la conditionnalité pointe justement cette complexité. Quoi qu’il en soit, s’agissant des minima de branche, notre conclusion est très claire à savoir que nous considérons que ce n’est ni opportun ni souhaitable.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Sur ce dernier point, je pense que le débat mérite d’être approfondi. Récemment, nous avons discuté des conditionnalités introduites sur le RSA. Notre collègue Arthur Delaporte a examiné le formulaire de demande d’exonération des cotisations sociales qui comprend deux pages que le chef d’entreprise doit remplir une fois par an. Dans le même temps, un allocataire du RSA déclare ses revenus chaque trimestre. Le montant de son allocation est alors ajusté en fonction d’une situation très individualisée, comme la composition du ménage, etc. L’argument de la simplicité avait un peu présidé à la création du CICE : on conçoit un dispositif simple, on le met en œuvre et puis on examine les conséquences. À l’ère du big data, nous disposons de données fiables. La situation financière des entreprises pourrait constituer un autre élément de conditionnalité, bien que son utilisation puisse s’avérer complexe en raison du niveau d’emploi, de la qualité de l’emploi, etc. Quoi qu’il en soit, nous disposons désormais d’informations quasiment en temps réel. Dès lors, le débat politique reste ouvert et il portera sur la manière d’introduire ces éléments.

S’agissant de l’utilisation des sommes dégagées, Mme Caroline Janvier a fait écho à des échanges que nous avons eus et qui concernaient d’autres sujets. La proposition avancée par mon collègue Marc Ferracci il y a un an, réitérée aujourd’hui dans son avant-propos, consisterait à allouer la recette liée à la suppression de cette exonération, le milliard et demi d’euros, à ce qui reste de cotisations patronales entre 1 et 1,6 Smic. En effet, le niveau de cotisation dans cette tranche salariale a considérablement diminué pour passer de 42 % au début des années 1990 à 6 % actuellement. Il s’agit de rediriger ce budget vers un secteur où son efficacité serait avérée. Pour ma part, je pense qu’il serait souhaitable de réaffecter ses ressources vers des secteurs qui sont en besoin de financement. C’est la raison pour laquelle l’amendement que j’avais déposé l’an dernier prévoyait de les allouer à la branche autonomie. Cette décision répondrait à un des débats que nous nourrissons régulièrement, à savoir l’identification des ressources afin de financer les Ehpad et les services à domicile.

Sommes-nous capables de parvenir à un consensus ? Je préférerais. Nous avons mené une démarche transpartisane qui a abouti à un accord sur la suppression de certaines exonérations et je préférerais que nous parvenions à déposer un amendement transpartisan quant à cette suppression, sans mentionner les modalités d’affectation. L’affectation figurera dans l’exposé des motifs et elle fera l’objet d’une décision juridico-financière. En revanche, l’exposé des motifs ne conditionne pas la suppression. Dès lors, dans un monde idéal, je souhaiterais un amendement de la commission des affaires sociales sur la base de ce rapport qui propose la suppression du bandeau famille et uniquement sur ce point. À défaut, nous nous retrouverons face à un amendement Guedj et un amendement Ferracci qui auront le même objet avec des exposés des motifs différents. L’exécutif s’exprimera. Chacun des groupes décidera de sa position, par loyauté et fidélité. Un consensus sur la suppression constituerait une manière de consolider le travail de la Mecss, de notre commission des affaires sociales et plus largement du Parlement.

Dans une mission de cette nature, « on se lime la cervelle », comme disait Montaigne. On écoute les arguments de celui avec lequel on est supposé ne pas être en plein accord. Pour ma part, j’assume la position selon laquelle les éléments fournis me permettent d’affirmer qu’entre 1 et 1,6 Smic, l’efficacité sur l’emploi est avérée au regard de l’objectif assigné. Je comprends que des détracteurs puissent affirmer que d’autres solutions seraient envisageables. Nous sommes parvenus à un véritable consensus quant à l’inefficacité des exonérations au-delà de 2,5 Smic – qui a d’ailleurs abouti à la proposition que nous avançons aujourd’hui. Cependant, je ne souhaite pas que les interrogations qui ont été exprimées quant à la situation entre 1,6 et 2,5 Smic restent sans réponse. Il conviendrait en effet, dans une seconde étape, d’approfondir la réflexion relative au bandeau maladie – puisqu’à ce niveau, il s’agit essentiellement d’une exonération de cotisation d’assurance maladie –, car elle représente entre 20 à 25 milliards d’euros.

La suppression de ces exonérations n’est bien sûr pas sans conséquences. Les organisations patronales ont avancé l’argument selon lequel ces exonérations de cotisations sociales permettaient de corriger le différentiel de coût du travail, notamment par rapport à nos voisins allemands. Cependant, le rapport constate que l’essentiel des exonérations de cotisations sociales ne profite pas d’abord au secteur exposé à la concurrence internationale. Ce constat contredit donc l’argument de la compétitivité des prix sur des secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale.

Je ne peux pas m’empêcher de répéter ce que j’avançais au moment de la création du CICE, à savoir que l’argument de l’emploi et de la compétitivité ne s’appliquait pas sur des pans entiers qui n’étaient pas exposés à la concurrence internationale. Dans cette salle, je prenais l’exemple à l’époque des professions réglementées – experts-comptables, avocats, huissiers, notaires – qui bénéficieraient du CICE alors que, par définition, ils n’évoluent pas dans un secteur exposé à la concurrence internationale. Dès lors, les allégements, les diminutions de l’impôt sur les sociétés (IS) qu’ils encaisseraient ne se traduiraient pas par de la création d’emplois. Le total représentait 1 milliard d’euros pour l’ensemble de ces professions réglementées.

Le rapport s’avère donc utile en ce sens qu’il documente la distribution des exonérations de cotisations sociales non seulement par secteurs, mais également en fonction de la taille des entreprises. Il constate que le ciblage n’est pas pertinent. Les exonérations des allégements Fillon décroissent en fonction de la taille de l’entreprise, ce qui paraît sain. En revanche, le bandeau famille ne décroît pas avec la taille de l’entreprise. Force est donc de constater un effet qu’on peut qualifier d’aubaine et qui se traduit moins par un impact sur l’emploi que par une subvention au niveau des salaires.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, présidente. Nous poursuivons par les questions des députés.

Mme Isabelle Valentin (LR). Vous relancez le débat sur la politique de réduction du coût du travail et vous plaidez pour la suppression d’exonérations de cotisations sociales sur les hauts salaires. Votre diagnostic apparaît partagé mais ne pas s’accorder sur l’ensemble des solutions au-delà de la suppression du bandeau famille. À l’heure où l’exécutif se dit en quête d’économies budgétaires, la suppression de ce bandeau famille rapporterait environ 1,5 milliard d’euros. Cependant, quel en sera l’impact sur l’attractivité et la compétitivité de nos entreprises alors que l’exécutif parle de réindustrialisation, de souveraineté industrielle et agricole ?

Vous avez également évoqué l’idée de conditionner les allégements à des objectifs tels que la revalorisation des salaires, la création d’emplois de qualité ou la fixation de critères environnementaux. À la lecture de votre rapport, nous constatons que nous en sommes très éloignés et vous n’êtes pas toujours à l’unisson. Concrètement, que proposez-vous afin d’améliorer la situation inquiétante de l’emploi des seniors en France ? Le groupe LR avait avancé des propositions intéressantes lors de la discussion du projet de loi relatif aux retraites. Votre rapport soulève malheureusement plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Les solutions que vous proposez sont sujettes à un débat et nous devons travailler ensemble au sein de la commission sur ces thématiques. Votre rapport est néanmoins très minutieux.

M. Didier Le Gac (RE). Je salue le travail des deux rapporteurs ainsi que l’esprit transpartisan qui prévaut dans ce rapport. Jérôme Guedj a répondu en partie à la question que je souhaitais poser à la fin de son propos, concernant les entreprises exposées à la compétition internationale.

Bien que le rapport soit très intéressant, il m’a laissé un petit peu sur ma faim parce qu’il n’entre pas dans le détail des catégories, secteur par secteur. Ce n’était cependant pas l’objet de ce rapport, j’en conviens. Néanmoins, il existe des différences très importantes d’un secteur à l’autre. Le Breton que je suis est particulièrement attaché au secteur maritime que je défends tout spécifiquement. Les entreprises d’armement bénéficient non seulement d’une exonération des cotisations patronales pour les marins embarqués, mais également, depuis 2021 d’une exonération ou d’une aide correspondant à la part salariale des charges. Ce secteur est donc très soutenu. Pour autant, il convient de s’intéresser aux entreprises exposées à la globalisation et à la mondialisation telles que le transport maritime, par exemple.

M. Thibault Bazin (LR). Je souhaite apporter un peu de contradiction à votre diagnostic, car vous semblez avoir fait l’impasse sur une réflexion relative à la compétitivité en vous limitant à l’emploi. Vous proposez de supprimer le bandeau famille. Cela signifie que vous préconisez de supprimer des exonérations de cotisations familiales, ce qui correspond à une augmentation de prélèvements obligatoires et donc à une hausse des charges. Malgré les exonérations dont ils bénéficient actuellement sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic les employeurs s’acquittent de 6,4 milliards d’euros de cotisations de plus que leurs homologues allemands. En effet, notre système de protection sociale est progressif, ce qui signifie que plus le salaire est élevé, plus le taux de cotisations sociales en pourcentage de salaire brut est important. Votre proposition ne risque-t-elle pas de diminuer la compétitivité des entreprises exposées à la concurrence ? En effet, cette catégorie d’entreprises ne compte pas uniquement des experts comptables et des notaires.

Vous évoquiez par ailleurs une perte de recettes de 1,5 milliard d’euros pour l’État. Cette augmentation de charges induira une diminution des recettes d’IS. N’avez-vous pas surestimé le gain budgétaire ?

En deçà de 2,5 Smic, les allégements s’élèveraient à 7,8 % et à 0 % au-delà. Ce postulat ne risque-t-il pas d’accentuer les effets de seuil ? Alors que ces exonérations de charges ont pu inciter les employeurs à augmenter les salaires, votre proposition ne conduira‑t‑elle pas à les en dissuader ?

Ce sont autant de questions qui me font douter du bien-fondé de votre recommandation.

Mme Justine Gruet (LR). L’objectif majeur de ces exonérations consiste à favoriser l’employabilité. N’est-il pas préférable d’embaucher sur des salaires avec une meilleure valorisation ? Il n’en sera pas ainsi s’ils sont moins exonérés et nous assisterons à un nivellement par le bas des salaires, des compétences et de la valeur du travail. Comme l’a évoqué M. Guedj par rapport à la refonte du financement du secteur médico-social, les disparités territoriales sont fortes. On pourrait donc s’interroger quant à la gratuité de notre système de santé face à un reste à charge important du financement de la dépendance.

Vous avez mentionné la non-pertinence de l’exonération des seniors à l’emploi. Quelles sont vos pistes de réflexion afin de favoriser l’emploi des seniors ?

Enfin, évitons de rechercher uniquement des recettes supplémentaires. L’État et le Gouvernement devraient impérativement diminuer leurs dépenses et leur train de vie. Comme pour la fiscalité sur les carburants, essayons de diminuer nos dépenses plutôt que de chercher des recettes supplémentaires.

M. Fabien Di Filippo (LR). Je remercie les rapporteurs pour leur travail.

Sur le plan technique, force est de constater que le montant des charges sur les salaires, qu’elles soient salariales ou patronales, est compris entre 37 à 70 % et, dans la plupart des cas, elles avoisinent les 60 %. Nous rencontrons d’énormes difficultés à faire diminuer le taux chômage en dessous de 7 %. Que dire du taux d’inactivité quand, en onze ans, le taux de bénéficiaires du RSA a augmenté de 50 %.

Le point cardinal réside dans la valeur du travail. Le salaire brut payé par l’entreprise atteint quasiment le double du salaire net touché par le salarié. Il importe de s’interroger notamment sur le financement de notre modèle social.

Les ménages, y compris dans les classes moyennes, ont l’impression de toujours tout payer et de ne bénéficier d’aucune aide. Le chèque carburant dont a parlé le Président représente un bon exemple puisqu’il bénéficiera à des gens qui ont 14 700 euros de revenus fiscaux par an, autant dire à pas grand monde, notamment parmi les gens qui travaillent. Notre modèle est généreux. Dès lors, d’un côté une population paie toujours autant, voire tout, et d’un autre côté, ceux qui bénéficient exclusivement des aides. Ce constat fracture notre société sur le plan du travail.

La réflexion ne doit pas nous conduire à alléger les charges uniquement sur des petits salaires, car cela enfermera les salariés dont la rémunération est proche du Smic pendant toute leur carrière. Il convient d’élargir la réflexion sur l’ensemble des salaires et sur la revalorisation du travail et de tous les secteurs du travail, notamment dans un contexte où la pyramide des âges offre de nombreuses opportunités à la génération qui arrive sur le marché du travail.

M. Matthieu Marchio (RN). Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour ce rapport et pour les éléments qu’il apporte.

Notre niveau de prélèvements obligatoires est historiquement haut, soit 45,4 % du PIB. Votre rapport propose d’augmenter encore plus les cotisations sociales. Concentrer les exonérations de cotisations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic revient à créer une trappe à bas salaires. Plutôt que de chercher à augmenter sans cesse le taux de cotisations ou remettre en cause des exonérations, il serait préférable de se concentrer sur la diminution des cotisations chômage, emploi des seniors et emploi des jeunes. Le Rassemblement national propose depuis longtemps de favoriser et d’inciter les entreprises à augmenter les salaires nets de 10 % en exonérant des cotisations les augmentations de 10% des salaires inférieurs à 3 Smic. Cette mesure bénéficierait à 90 % des salariés, notamment aux classes moyennes, sans mettre en danger les TPE et les PME par une augmentation du coût du travail. Alors messieurs, quand préconiserez-vous une mesure aussi juste et aussi gagnant-gagnant pour nos entreprises et pour les salariés ?

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). Messieurs les rapporteurs, je vous remercie pour votre travail.

Je note que vous ne mentionnez pas l’outre-mer. Cela signifie-t-il que vos constats sont identiques dans nos territoires ?

Les allégements de cotisations sociales ont-ils produit un impact différent ou spécifique sur l’emploi et l’économie en outre-mer par rapport à la France continentale ? Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

Par ailleurs, vous connaissez nos spécificités. Nos taux de chômage atteignent des sommets et notre tissu économique est fragile. Vos préconisations valent-elles également pour l’outre-mer ?

Avez-vous étudié notre dispositif spécifique appelé Lodeom ? Est-il efficace ? Est-il nécessaire de l’améliorer ?

Enfin, vous n’êtes pas sans savoir que les salaires sont moins élevés chez nous dans le privé et que dans le même temps, une sur-rémunération qui accordée aux fonctionnaires par rapport à l’Hexagone. Cette spécificité a-t-elle été prise en compte dans vos travaux ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je pense qu’en effet il est souhaitable de poursuivre la recherche sur cette problématique de trappe à bas salaires. Vous avez d’ailleurs indiqué que cela semblait nécessaire. Force est de constater que plus les salaires sont bas, plus les exonérations sont élevées. Ce constat contribue aux politiques de modération salariale. Il convient donc de poursuivre la recherche afin de ne pas opposer emploi et qualité de l’emploi, de ne pas opposer emploi et salaire et de préserver la part socialisée du salaire. Nous avons par ailleurs besoin d’un meilleur ciblage de la politique de l’emploi, notamment sur la taille des entreprises. Je constate qu’une possible majorité se fait jour pour revenir sur certaines exonérations. Je signerai l’amendement que proposeront nos deux rapporteurs et je ne doute pas que nous trouvions comment utiliser cet argent.

M. Stéphane Viry (LR). Je souhaite revenir sur la question de l’emploi des seniors. Actuellement, on cherche la martingale pour remettre en situation de travail ou permettre le retour à l’emploi d’hommes et de femmes de plus de 50 ans. Selon le grand nombre d’acteurs de ce secteur d’activité et d’employeurs que j’ai écoutés, le coût du travail des seniors serait a priori un frein. Vous avez tous les deux exclu l’idée d’un allégement de cotisations spécifique pour ce public-là. Sur quels éléments la position qui est la vôtre repose‑t‑elle ? Peut-être à tort, je pensais qu’un coût allégé du recrutement d’un senior pouvait être un facteur incitant à l’emploi de ces hommes et de ces femmes qui sont hélas victimes de préjugés et de discriminations sur le marché du travail.

M. Laurent Panifous (LIOT). Je profite de cette réflexion sur la légitimité actuelle des exonérations qui existent pour aborder la question de la valorisation du travail et répondre à une hypothèse d’utilisation de la remise en cause de cette exonération, si elle était mise en œuvre. Je crois que ma proposition n’a pas été évoquée dans le rapport. Je suggère de transférer à l’euro près le bénéfice de l’exonération de ces cotisations patronales sur une réduction des cotisations salariales afin d’augmenter de manière très concrète et nette le revenu de l’ensemble des salariés français. L’impact serait absolument neutre pour les comptes publics et ce transfert serait simple et concret.

M. Frédéric Mathieu (LFI - NUPES). J’espère que la volonté – ou la velléité, je ne sais pas comment dire – de la proposition d’amendement commun survivra à un 49.3. En tout cas, je compte sur votre binôme, monsieur Guedj, dans le cadre de ce rapport, qui, paraît‑il, bénéficie de l’oreille du Président, pour que le message puisse passer. Ce serait positif.

Il est très intéressant de faire ce pas de côté par rapport aux exonérations de cotisations sociales. Toutefois, je regrette d’entendre certains propos issus du vieux monde, entre le Front national social, qui explique qu’il faut ruiner la sécurité sociale pour augmenter les salaires nets, et LR qui est également resté figé dans un monde ancien et évoque la générosité du système de sécurité sociale. Il n’est pas question de générosité, chers collègues, puisqu’il s’agit de l’argent produit par le travail des travailleurs. La création de richesse existe uniquement dans la mise en œuvre du travail. Arrêtez de vous élever sans cesse contre les cotisations sociales. Si vous souhaitez parvenir à un système à l’américaine, dites‑le franchement.

M. François Gernigon (HOR). Certains propos sont tout de même difficiles à entendre de la bouche de certains qui semblent presque affirmer que les patrons sont des gens qui gagnent leur argent en dormant. Je crois qu’il ne faut pas confondre les sociétés du CAC 40 et les quatre millions de chefs d’entreprise qui rament tous les jours et pour qui les économies de charges sociales permettent d’embaucher et surtout de maintenir l’emploi.

Je pense qu’il est probablement nécessaire de retoucher certaines de ces exonérations. Néanmoins, supprimer une masse importante d’allégements conduit obligatoirement à un moindre résultat de l’entreprise et à un IS de plus faible montant. Je crois qu’il conviendrait d’effectuer un rapprochement entre l’économie qui serait réalisée sur les exonérations de charges et la diminution de l’IS.

Il serait également nécessaire de réfléchir à la prime d’activité qui a été mise en place pour favoriser celui qui travaille par rapport à celui qui ne travaille pas. Ne serait-il pas judicieux d’intégrer la prime d’activité dans les salaires et donc d’augmenter les salaires en supprimant la prime d’activité ? Il me semble que cette réflexion serait pertinente.

M. Marc Ferracci, rapporteur. Je vous remercie pour vos questions. Je ne répondrai pas point par point, mais j’ai regroupé certaines thématiques que plusieurs d’entre vous ont abordées dans leur intervention.

Mme Valentin, M. Bazin et M. Viry ont évoqué deux sujets communs, à savoir la compétitivité et l’emploi des seniors.

S’agissant de la compétitivité, le rapport s’y intéresse. En tout cas, il s’y intéresse à hauteur des évaluations existantes sur l’impact des exonérations et du CICE. En effet, des évaluations ont porté sur le CICE et elles n’ont pas mis en évidence d’effets négatifs sur la compétitivité, en particulier sur la capacité exportatrice des entreprises. C’est la raison pour laquelle nous nous permettons d’avancer que les exonérations sur les hauts salaires sont inefficaces non seulement sur l’emploi, mais également sur la compétitivité. Toutefois, je reconnais qu’il convient d’approfondir la question. J’attire simplement l’attention sur le fait que les comparaisons de coûts du travail nominaux entre la France et l’Allemagne ou entre la France et d’autres pays, ne peuvent pas être correctement interprétées si elles ne sont pas rapportées à la productivité respective des pays. L’indicateur pertinent réside dans les coûts unitaires de production respectifs de notre pays et, par exemple, de l’Allemagne. S’agissant des comparaisons avec l’Allemagne, le rapport du groupe d’experts sur le Smic montre depuis plusieurs années que ces coûts unitaires de production ont eu tendance à converger alors que nous étions en retard et que nos coûts unitaires de production étaient plus élevés que ceux de l’Allemagne. Ce constat relève en partie effectivement des dispositifs globaux d’exonération, mais pas obligatoirement grâce au dispositif d’exonération sur les hauts salaires.

S’agissant du gain budgétaire que vous évoquiez, qui pourrait diminuer du fait d’une baisse des recettes l’IS, j’avoue que je suis un petit peu circonspect parce que je pense qu’il faut démontrer que les recettes d’IS baisseraient si on remettait en cause le bandeau famille. Pour ma part, je ne vois pas selon quel mécanisme et en tout cas, je suis sûr de n’avoir identifié aucune preuve empirique de ce type de mécanisme.

Concernant la problématique des seuils, je vais abonder un peu plus dans votre sens. Je pense qu’il est nécessaire de mener une réflexion globale et le point de sortie de nos travaux se situe probablement à ce niveau. Ils se prolongeront dans le cadre de la Mecss sur un profil différent des allégements qui permettrait d’éviter les seuils à 1,6 à 2,5 Smic. Nous préconisons que le point de sortie ne se situe plus à 3,5, mais à 2,5 Smic. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec certaines organisations patronales et je pense qu’il conviendrait de mener une réflexion sur la manière de glisser sur l’intégralité du profil des allégements. Cette analyse nécessite des données et de l’expertise. Peut-être que le Gouvernement souhaitera s’en saisir ou pas.

S’agissant de l’emploi des seniors, je répète, parce que c’est important, que la disposition qui consisterait à exonérer davantage les cotisations sociales pour les salariés âgés serait inefficace en ceci qu’elle produirait du gaspillage d’argent public. Elle permettrait probablement le maintien de certaines personnes dans l’emploi ou la création d’emplois, mais pour de nombreuses autres, ces exonérations engendreraient des effets d’aubaine pour les raisons que j’ai indiquées précédemment. En effet, la productivité de nombreux salariés seniors est suffisamment importante pour que leur emploi ne soit pas menacé, quand bien même on supprimerait les exonérations, quand bien même on ne leur appliquerait pas des exonérations plus importantes.

Pour ce qui concerne les pistes, nous ne relancerons pas la discussion relative à l’index senior que nous avons eue pendant le débat sur les retraites. Pour ma part, je considérais que cette piste était intéressante. J’attire votre attention sur le fait que les partenaires sociaux seront amenés à négocier sur ce sujet-là. Un document d’orientation leur sera envoyé incessamment par le Gouvernement afin d’opérer une négociation interprofessionnelle. De nombreux enjeux seront posés sur la table de négociation et notamment le fait de compenser les personnes d’un certain âge qui sont au chômage et qui sont réticentes à reprendre des emplois parce que les seniors subissent parfois une forme de décote salariale liée au fait qu’ils entrent dans une période de chômage avec des niveaux de salaires un peu plus importants que les autres salariés, après avoir progressé à l’ancienneté tout au long de leur carrière. Il peut être utile de compenser les pertes de salaires des personnes qui se trouvent dans cette situation-là de sorte à les inciter à reprendre un emploi. C’est une des pistes qui seront étudiées, notamment dans le cadre de la négociation relative à l’assurance chômage par les partenaires sociaux. J’espère qu’ils iront dans cette direction-là.

Je termine par un autre élément qui a fait l’objet d’annonces et auquel je suis moi‑même très attaché, à savoir la généralisation des dispositifs de testing afin de faire évoluer la culture des entreprises vis-à-vis des salariés seniors. Le ministre Olivier Dussopt a annoncé le lancement dans les prochaines semaines d’un testing relatif à l’accès à l’embauche des seniors. J’en profite pour faire un peu la promotion d’une proposition de loi que j’ai déposée pour généraliser ce dispositif de testing, dont je pense qu’il peut aboutir à des changements de comportements.

Je souhaite également répondre à l’intervention de M. Matthieu Marchio relative à la proposition défendue lors de la précédente niche du Rassemblement national. Je ne rouvrirai pas les échanges qui se sont déroulés à l’occasion de cette proposition. J’avais développé de nombreux arguments démontrant que cette proposition n’était pas pertinente pour des raisons de principe, pour des raisons d’opérationnalité et pour des raisons de complexité. Je m’en tiendrai au simple constat selon lequel votre propre rapporteur a déposé à l’occasion de cette proposition de loi, une demande de rapport au Gouvernement pour en étudier la faisabilité, ce qui est quand même relativement inédit s’agissant d’une proposition de niche. Je pense que cela révèle les failles et les limites de cette proposition et je n’entrerai pas davantage dans le détail.

S’agissant de l’amendement commun évoqué par mon collègue Jérôme Guedj, il me semble que les conséquences politiques que nous tirons l’un et l’autre de la suppression du bandeau famille n’ouvrent pas beaucoup de possibilités, mais nous continuons à en discuter. Je suis toujours ouvert à la discussion.

Enfin, s’agissant de la remarque de M. Ratenon relative à l’outre-mer, nous avons indiqué ne pas avoir eu le temps d’étudier les dispositifs spécifiques. Il existe des niches sociales qui portent sur l’outre-mer dont il est possible d’interroger l’efficacité. Quoi qu’il en soit, les allégements généraux s’appliquent en outre-mer. Notre travail d’évaluation n’est pas terminé. Il s’agit d’une étude au long cours et nous aurons peut-être l’occasion effectivement de nous pencher sur des niches géographiques ou sectorielles.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. En effet, la question de ce que nous ferons à la suite du rapport sera posée. Dans le programme de travail de la Mecss, nous nous interrogerons quant à la poursuite de ce travail d’évaluation, en articulation avec les travaux relatifs à la Lacss, qui débuteront au mois de mai prochain.

Je confirme que nous n’avons pas abordé les exonérations ciblées, qui peuvent être territoriales et concerner les quartiers politiques de la ville, les zones de revitalisation rurale ou certaines catégories de population, comme les apprentis, les jeunes, etc. Il conviendra donc de prolonger ce travail.

S’agissant de l’amendement, je vais vous livrer un scoop. Je serai obligé de voter l’amendement de Marc Ferracci, bien que je ne sois pas d’accord avec l’exposé des motifs. Est-ce que la réciproque sera vraie ? Alors, déposons-le ensemble. Quoi qu’il en soit, je proposerai un amendement à l’ensemble des membres de la commission dès l’instant où ce rapport aura été autorisé à la publication, afin d’aller dans son sens.

Nous venons tous de recevoir le PLFSS et il soulève la question des ressources. M. Arthur Delaporte évoquait précédemment dans son intervention la question de la non‑compensation de la désocialisation des heures supplémentaires et les raisons objectivées de cette non-compensation opérée en 2019. Il s’avère désormais complexe de continuer à la légitimer et à voir cette anomalie dans le tableau de l’annexe 5 du PLFSS. Je n’ai pas encore eu le temps de consulter le document, mais je pense qu’il sera souhaitable de poser à nouveau la question de la légitimité de cette non-compensation et d’en débattre.

Je tiens à mon tour à remercier chaleureusement les administrateurs de la commission des affaires sociales. Leur agilité et leur souplesse se sont avérées très précieuses pour la rédaction du rapport, tout comme d’ailleurs la parfaite collaboration de l’ensemble des administrations, à savoir la direction générale du travail, la direction générale des entreprises et la direction de la sécurité sociale, qui ont contribué à éclairer nos travaux.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour la qualité de vos travaux et la qualité de ces échanges.

Je pense que ces débats ont permis de montrer d’abord l’intérêt que portent les députés sur ce sujet parce qu’ils ont également à cœur d’évaluer nos politiques publiques. Ensuite, nous constatons qu’il subsiste encore de nombreuses questions sur la conditionnalité, sur l’impact que pourraient produire de nouvelles exonérations pour cibler par exemple l’emploi des seniors, etc.

J’encourage tout de même à la vigilance quant aux éventuelles conséquences d’un retour en arrière sur la sensibilité nos chefs d’entreprise à des signaux annonçant une éventuelle augmentation du coût du travail via la suppression d’exonérations de cotisations sociales. Il me semble important que, dans le cadre de la poursuite des travaux, l’impact de cette suppression soit bien pris en compte dans l’engagement de nos chefs d’entreprise ainsi que dans la confiance qu’ils auront dans leurs marchés et dans les perspectives non seulement d’emplois, mais également de rémunération de leurs salariés dans un contexte d’éventuelles augmentations de leur masse salariale et d’inflation. Il importe que la commission travaille encore davantage sur ce champ.

 

En application des dispositions de l’article 145, alinéa 7, du Règlement, la commission autorise la publication du rapport d’information.


– 1 –

ANNEXE :
Liste des personnes auditionnÉes par lEs rapporteurs

(Par ordre chronologique)

        Membres de la mission IGAS-IGF sur la méthodologie d’évaluation des exonérations de cotisations sociales :

– M. Rodolphe Gintz, inspecteur général des finances ;

M. Thomas Brand, ancien inspecteur des finances ;

Mme Laurence Eslous, inspectrice générale des affaires sociales ;

M. Antoine Magnier, inspecteur général des affaires sociales.

        Table ronde des organisations représentatives des salariés :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  M. Luc Mathieu, secrétaire national responsable de la politique de financement de la protection sociale et de la fiscalité, M. Paul Busi, secrétaire confédéral en charge de la fiscalité et des questions économiques, Mme Sara Mirasadi, stagiaire à la confédération ;

 Confédération générale du travail (CGT)Mme Cécile Velasquez, dirigeante confédérale, et M. Victor Duchesne, conseiller confédéral ;

 Force Ouvrière (FO) – M. Éric Gautron, secrétaire confédéral en charge de la protection sociale collective, et M. Léo Lasnier, assistant confédéral ;

 Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC)  Mme Christelle Thieffinne, secrétaire nationale du secteur « protection sociale », et Mme Anaïs Filsoofi, chargée d’études « économie et fiscalité » ;

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Raffaël Margherita, chef de file CFTC CA Acoss, et M. Nassim Chibani, conseiller technique « protection sociale ».

        France Stratégie  M. Cédric Audenis, commissaire général adjoint, M. Antoine Naboulet, auteur du rapport de 2017 sur les exonérations générales de cotisations, et M. Vincent Aussilloux, auteur du rapport « Les politiques industrielles en France - Évolutions et comparaisons internationales »

        Association française des entreprises privées (Afep)* – Mme Julie Leroy, directrice des affaires sociales, et M. Nicolas Ragache, chef économiste

        Audition conjointe :

 CroissancePlus – Mme Audrey Louail, présidente de CroissancePlus et d’Ecritel, M. Arnaud Marcilly, coresponsable du groupe « future of work » chez CroissancePlus et fondateur de Thinkmarket, et M. Thibault Baranger, affaires publiques de CroissancePlus ;

 France Industrie* – M. Alexandre Saubot, président, M. Vincent Moulin Wright, directeur général, et Mme Murielle Jullien, directrice des affaires publiques.

        Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)* – M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général, M. Nicolas Bondonneau, directeur de la protection sociale et de la santé sécurité au travail, et Mme Fanny Forest-Baccialone, directrice des relations extérieures

        Table ronde des organisations représentatives des employeurs :

– Mouvement des entreprises de France (Medef)*M. Hubert Mongon, président de la commission « dynamique du marché du travail et de l’emploi », Mme France Henry-Labordère, responsable du pôle social, et Mme Élizabeth Vital Durand, responsable du pôle Affaires publiques ;

– Union des entreprises de proximité (U2P)* – M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Thérèse Note, responsable des relations parlementaires.

        M. Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS)

        Audition conjointe :

– M. Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques ;

 Mme Sophie Cottet, doctorante ;

 M. Clément Malgouyres, économiste.

        M. Stéphane Carcillo, chef de la division « emploi et revenus » à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

        Audition conjointe :

 Direction générale des entreprises : M. Benjamin Delozier, chef du service de la compétitivité, de l’innovation et du développement des entreprises (SCIDE), et M. Balthazar Vatimbella, chargé de mission au pôle compétitivité et écologie de la sous‑direction de la prospective, des études et de l’évaluation économique du SCIDE ;

 Direction générale du Trésor : M. Antoine Deruennes, chef du service des politiques publiques, M. Édouard Chrétien, chef du bureau marché du travail et politiques de l’emploi, et Mme Rania Benyamina, adjointe au chef du bureau marché du travail et politiques de l’emploi.

        Direction de la sécurité sociale : M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale, M. Thomas Ramilijaona, adjoint au sous-directeur du financement de la sécurité sociale, Mme Mava Lamand, adjointe à la cheffe du bureau de la législation financière, et M. Marin GuédoGuilloteau, chargé de mission sur les exonérations de cotisations sociales.

        M. Thomas Breda, professeur associé à l’École d’économie de Paris

        M. Yann-Gaël Amghar, directeur général de l’Urssaf Caisse nationale

        Audition conjointe :

 M. Yannick L’Horty, économiste, professeur de sciences économiques à l’université Gustave Eiffel ;

 M. Mathieu Plane, économiste, directeur adjoint de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale.

([2]) Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023, consultable ici : https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/DSS/2023/CCSS-Mai2023.pdf

([3]) Exemple de l’article de Daniel Hamermesch, « The Demand for Workers and Hours and the Effects of Job Security Policies: Theory and Evidence », National Bureau of Economic Research, 1986.

([4])  Garsaa, Aziza. « Les exonérations de cotisations sociales patronales : une évaluation à partir d’un modèle de croissance et de rentabilité de la firme », La Revue de l’Ires, vol. 85-86, no. 2-3, 2015, pp. 3-43.

([5]) Loi n° 93-353 du 27 juillet 1993 relative au développement de l’emploi et de l’apprentissage.

([6]) Loi n° 95-882 du 4 août 1995 relative à des mesures d’urgence pour l’emploi et la sécurité sociale.

([7]) Loi n° 951356 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996.

([8]) Loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.

([9]) Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi et loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.

([10])  Loi n° 2014-892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale.

([11]) Lois n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et n° 2017-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([12]) Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

([13]) Loi n° 2014892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.

([14]) Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

([15]) Comme cela est décrit aux pages 11 à 13 du présent rapport.

([16]) Annexe 2, disponible ici :

https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/PLACSS/2022/PLACSS%202022%20-%20Annexe%202.pdf

([17]) Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023, consultable ici : https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/DSS/2023/CCSS-Mai2023.pdf

([18]) Précisément, cette revalorisation tient compte de l’évolution de l’inflation constatée pour les 20 % de ménages ayant les plus faibles revenus.

([19]) Article L. 3231-5 du code du travail.

([20]) Urssaf Caisse nationale, op. cit.

([21]) Ibid.

([22]) Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023, consultable ici : https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/DSS/2023/CCSS-Mai2023.pdf.

([23]) Id.

([24]) Les analyses qui suivent ne portent pas sur les exonérations dites ciblées, dont le montant est estimé à environ 10 milliards d’euros pour l’année 2023.

([25]) Le salaire moyen par tête (SMPT) rapporte les masses salariales brutes versées par l’ensemble des employeurs au nombre de salariés en personnes physiques.

([26]) Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud, « L’évolution de l’emploi dans les secteurs exposés et abrités en France », Économie et statistique, n°503-504, 2018.

([27]) L’indice de concentration est obtenu par le calcul d’un indice de Gini comparant la distribution de la demande à celle de l’offre. Si l’emploi – un indicateur de l’offre – dans un secteur donné est plus concentré que la demande à laquelle il fait face au niveau local, cela veut dire qu’une partie de sa production est consommée en dehors de la zone. La production est donc échangeable.

([28]) Le montant mensuel net du Smic pour 35 heures de travail par semaine était de 1230,60 euros par mois au 1er janvier 2021.

([29]) Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements : « Les exonérations générales de cotisations », juillet 2017.

([30]) S. Ananian, O. Calavrezo, « Les trajectoires salariales des individus payés au voisinage du Smic dans le secteur privé. Une analyse empirique sur données françaises entre 1995 et 2007 », Économie et Statistique, n° 448-449, 2011, consultable ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1377690/ES448C.pdf.

([31]) Bozio A., Cottet S. et Malgouyres C., Évaluation d’impact de la bascule du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègements de cotisations employeur, rapport de l’IPP, septembre 2022.

([32]) Voir le I du présent rapport.

([33]) Annexe 2 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022.

([34]) Bunel, Mathieu, Emond, Céline et L’Horty, Yannick. « Évaluer les réformes des exonérations générales de cotisations sociales », Revue de l’OFCE, vol. 126, n° 7, 2012, pp. 57-103.

([35]) L’Horty, Yannick, Martin, Philippe, et Mayer, Thierry. « Baisses de charges : stop ou encore ? », Notes du Conseil d’analyse économique, vol. 49, n° 1, 2019, pp. 1-12.

([36]) Cahuc, Pierre, et Carcillo, Stéphane. « Les conséquences des allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires », Revue française d’économie, vol. xxvii, n° 2, 2012, pp. 19-61.

([37]) S’agissant du cas français, l’étude porte sur l’impact des exonérations de cotisations sociales mises en œuvre à compter de 1995, sur les bas salaires.

([38]) Cette exonération de cotisations d’assurance maladie, d’assurance vieillesse et d’allocations familiales porte sur la rémunération des personnels impliqués dans des activités de recherche et développement ainsi que d’innovation, dans la limite de la septième année suivant celle de la création de l’entreprise et dans la limite d’une rémunération de 4,5 Smic.

([39]) Les résultats présentés dans les graphiques ci-dessous sont issus d’une régression linéaire faisant dépendre le taux d’exonération apparent des établissements de l’ancienneté de l’entreprise à taille et secteur d’activité donnés.

([40]) Voir notamment le compte rendu des débats de la deuxième séance du vendredi 28 juillet 1995.

([41]) Le lecteur pourra utilement se référer au rapport de la mission d’information commune sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises présenté le 31 mars 2021 par les rapporteurs Saïd Ahamada, Barbara Bessot-Ballot, Dominique Da Silva et Laurianne Rossi.

([42]) Article 21 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([43]) II de l’article L. 8221-6 du code du travail.

([44]) Article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale.

([45]) Article 26 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

([46]) Article L. 2242-7 du code du travail.

([47]) Article 17 de la loi n° 20015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

([48]) Article 7 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

([49]) Article L. 2242-1 du code du travail.

([50]) Article L. 2143-3 du code du travail.

([51]) Article L. 2143-6 du code du travail.

([52]) Dares, « Les instances de représentation des salariés dans les entreprises en 2021 », Résultats, n° 32, juin 2023.

([53]) Assemblée nationale, XIIIe législature, rapport (n° 1107) de M. Gérard Cherpion, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur le projet de loi en faveur des revenus du travail, 17 septembre 2008, p. 41.

([54]) Projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, déposé le mercredi 24 mai 2023 devant le bureau de l’Assemblée nationale.

([55]) Données communiquées par le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion lors de la réunion du comité de suivi de la négociation salariale de branches du 14 juin 2023.

([56]) Article L. 3231-2 du code du travail.

([57]) Article 27 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

([58]) Jan Tinbergen, À propos de la théorie en politique économique, 1952.

([59]) Article L. 2241-10 du code du travail.

([60]) Article 7 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

([61]) Article 2 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, n° 760.

([62]) Amendement n° 2112 rect. Présenté par M. RenéPaul Savary et Mme Élisabeth Doineau, au nom de la commission des affaires sociales (https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/368/Amdt_2112.html).

([63]) Article 2 bis A du texte élaboré par la commission mixte paritaire (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0950_texte-adopte-commission#D_Article_2_bis_A), devenu article 3 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([64]) Décision n° 2023-849 du 14 avril 2023.

([65]) Ce débat sur une exonération en fonction de l’âge est évidemment applicable à d’autres catégories que les seuls seniors : les jeunes connaissent aussi des difficultés d’insertion sur le marché du travail, notamment après la crise sanitaire.

([66])  Ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982 relative à l’abaissement de l’âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles.

([67]) Il s’agissait notamment de l’allocation spéciale du Fonds national de l’emploi (éteinte en 2012), de la garantie-ressource (éteinte en 1982), des contrats de solidarité, de la cessation progressive d’activité dans la fonction publique (éteinte en 2009), de la pré-retraite progressive (éteinte en 2005), de l’allocation de remplacement pour l’emploi (éteinte à partir de 2003), du congé de fin d’activité dans la fonction publique (éteint par la réforme des retraites de 2003 pour les personnes nées après 1946), de la cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés (les branches ne peuvent plus négocier des accords prévoyant cette cessation depuis 2005) et du congé de solidarité outre-mer (abrogé en 2007). Cf. Sénat, rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’emploi des seniors, par Mme Monique Lubin et M. René-Paul Savary, 26 septembre 2019.

([68]) Il s’agissait notamment du mécanisme de dispense de recherche d’emploi, en vigueur entre 1984 et 2012, qui permettait d’exonérer les demandeurs d’emploi de plus de 57 ans (et même, à partir de 1999, 55 ans en cas de cotisation d’au moins 160 trimestres) de rechercher un emploi, tout en continuant de percevoir leurs allocations chômage.

([69]) Article L. 137-10 du code de la sécurité sociale.

([70])  Article 26 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([71]) Loi n° 2013-185 du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération.

([72]) Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

([73]) Cour des comptes, Rapport public annuel 2016, « Le contrat de génération : les raisons d’un échec », février 2016.

([74]) Insee, Économie et Statistique, n° 355-356, 2002.

([75]) Conseil d’orientation des retraites, « La situation des seniors sur le marché du travail : éléments de cadrage statistique », document de travail n° 2, séance plénière du 21 novembre 2018.

([76]) Castelain, Eliette, « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première n° 1946, 11 mai 2023 https://www.insee.fr/fr/statistiques/7617420#:~:text=En%202021%2C%20en%20France%20(hors,de%20retraite%20(13%20%25)

([77]) Dares, « Les seniors sur le marché du travail en 2021. Un taux d’emploi toujours en progression », n° 2, janvier 2023.

https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/7f3c893f7955adc07a5ab3390503f2a4/Les%20seniors%20sur%20le%20march%C3%A9%20du%20travail%20en%202021.pdf

([78]) Castelain, Eliette, « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première n° 1946, 11 mai 2023.

([79]) 2016, sur la base de données 2014.

([80])  France Stratégie, « Les seniors, l’emploi et la retraite », octobre 2018, p. 60 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_rapport-seniors-emploi-retraite_01102018_0.pdf

([81]) Börsch-Supan A. et Weiss M., « Productivity and age: Evidence from work teams at the assembly line », MEA discussion paper series 07148, Munich Center for the Economics of Aging (MEA) at the Max Planck Institute for Social Law and Social Policy, 2011.

([82]) France Stratégie, op. cit., p. 60.

([83])  Loi n° 87-518 du 10 juillet 1987 modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée.

([84]) Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social.

([85]) Créé par la loi n°2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

([86])  La suppression de cette exonération a été permise par l’article 8 de la loi n°2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([87])  Articles D. 731-56 et D. 762-14 du code rural et de la pêche maritime.

([88]) Décret n° 85-570 du 4 juin 1985.

([89]) Cette limite pouvant être reculée de la durée du service national et, sous réserve d’avoir la qualité d’allocataire des prestations familiales, d’un an par enfant à charge.

([90])  Annexe 2 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022, p. 189.

([91]) Assemblée nationale, rapport d’information (n° 4443) déposé en application de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission d’information sur l’emploi des travailleurs expérimentés et présenté par M. Didier Martin et M. Stéphane Viry, 16 septembre 2021, p. 85.

([92]) Id.

([93]) Conseil d’analyse économique (Pierre Cahuc, Jean-Olivier Hairault et Corinne Prost), « L’emploi des seniors : un choix à éclairer et à personnaliser », note n° 32, mai 2016.

([94]) Institut Montaigne, « Emploi des seniors : agir sur tous les leviers », octobre 2022.

([95]) Cour des comptes, référé au Premier ministre, « Les fins de carrière : un risque de précarité pour les seniors exclus du marché du travail, un coût croissant pour la solidarité », 23 juillet 2019 https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/20191010-refere-S2019-1878-fins-de-carriere.pdf

([96]) Sophie Bellon, Olivier Mériaux, Jean-Manuel Soussan, mission sur le maintien en emploi des seniors, « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés », rapport remis au Gouvernement le 14 janvier 2020.

([97]) Article 4 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([98]) Assemblée nationale, rapport d’information n° 4443 précité, p. 91.

([99])  Par exemple, en première lecture en séance publique à l’Assemblée nationale, l’amendement n°20386 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/0760/AN/20386

([100]) Conseil d’analyse économique (Pierre Cahuc, Jean-Olivier Hairault et Corinne Prost), « L’emploi des seniors : un choix à éclairer et à personnaliser », note n° 32, mai 2016, p. 12.

([101]) Institut Montaigne, « Emploi des seniors : agir sur tous les leviers », octobre 2022, p. 35.

([102]) Ibid., p. 37

([103]) Castelain, Eliette, « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première n°1946, 11 mai 2023.

https://www.insee.fr/fr/statistiques/7617420#:~:text=En%202021%2C%20en%20France%20(hors,de%20retraite%20(13%20%25)

([104]) Toutes cotisations patronales pour l’Institut Montaigne, les cotisations d’assurance chômage pour le CAE, les cotisations AT‑MP pour le rapport de l’Assemblée nationale, les cotisations familiales pour le Sénat.