N° 1841

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 novembre 2023

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 décembre 2022

sur les relations entre la France et l’Afrique

et présenté par

M. Bruno FUCHS et Mme Michèle TABAROT

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. UNE France DÉSTABILISÉE DANS UNE AFRIQUE EN PLEINE MUTATION

A. L’AFRIQUE : un continent en recomposition au cœur de toutes les convoitises

1. « L’Afrique-Monde » : l’émergence d’un continent pleinement ancré dans la mondialisation

a. L’Afrique : un géant démographique tourné vers l’avenir

b. L’Afrique, un continent au fort potentiel économique, malgré la persistance de fragilités et une présence française en recul

2. Un continent traversé par de profonds bouleversements endogènes

a. Une Afrique travaillée par un ensemble de transformations qui s’entremêlent…

b. …et dont résulte une série de coups d’État en Afrique francophone

c. Un partenaire politique dont le soutien n’est plus acquis aux puissances occidentales

3. L’Afrique, terre d’opportunités et de promesses : un nouvel enjeu de compétition internationale

a. L’intérêt renouvelé des États-Unis pour l’Afrique

b. Une stratégie chinoise tous azimuts fondée sur le contrôle des ressources et des infrastructures

c. Une concurrence aux méthodes parfois déloyales

i. La Russie en Afrique : une présence ancienne réactivée

ii. La stratégie russe de déstabilisation de la France

B. de la françafrique À la prÉsidence d’emmanuel macron : une volontÉ constamMent exprimÉe de rÉformer la politique africaine de la France

1. La rupture de 1990 : l’émergence d’une politique de la conditionnalité plus théorique que réelle

2. Des choix politiques lourds de conséquence pour la relation bilatérale

3. De la politique à la stratégie africaine : une nouvelle grammaire sous la présidence d’Emmanuel Macron pour « inventer ensemble une amitié »

C. la France BALLOTTÉe DANS une AFRIQUE EN MOUVEMENT

1. La France : un pays contesté dans une partie de l’Afrique

a. L’image de la France s’est dégradée auprès des élites africaines

b. Le désamour entre la France et une partie des sociétés africaines

i. Un phénomène ancien…

ii. …qui s’exprime avec une vigueur renouvelée mais doit être nuancé

c. Des sujets persistants qui nourrissent un certain ressentiment contre la France

2. Une fragilité qui conduit au retrait partiel de la France du continent africain, notamment dans la zone sahélienne

a. La fin de l’opération Barkhane

b. Le retrait des troupes françaises du Burkina Faso

II. les dÉfauts d’une stratÉgie qui n’a pas su comprendre et s’adapter pleinement aux besoins nouveaux de l’afrique

A. Une mÉthode dÉfaillante : l’Élaboration en vase clos d’une politique africaine insuffisamment arrimÉe aux RÉalitÉs locales

1. Du 20, rue Monsieur au 2, rue de l’Élysée

a. Le conseiller Afrique du président : la figure incontournable des relations franco-africaines

b. Le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) : une innovation certaine, des résultats mitigés

c. Un entourage militaire resserré autour du président de la République

d. Élysée, ministère des Armées, Quai d’Orsay, secrétariat à la coopération : un manque d’équilibre et de cohérence entre des acteurs très divers

e. Une vision souvent unilatérale et mal documentée : les faiblesses de la méthode française

2. Une perte de connaissances généralisée sur l’Afrique qui vient renforcer la dimension parfois « hors sol » de la politique africaine française

a. Un monde de la recherche jouissant d’une expertise d’excellence mais peu dense et entravé par les problématiques sécuritaires de l’Afrique

b. Une perte de connaissances sur l’Afrique au sein du Quai d’Orsay

c. Une lente régression de la présence française sur le terrain

3. Des postures et des discours qui abîment la relation en profondeur

a. Des maladresses vexatoires

b. La politique des visas « au cœur de la discorde »

B. la stratÉgie africaine de la France manque de lisibilitÉ dans sa mise en œuvre

1. La France dispose d’avantages comparatifs en Afrique mais subit encore trop souvent les évènements

a. Une volonté manifeste d’investir de nouveaux domaines…

i. Sur le plan culturel

ii. Sur le sport

iii. Sur l’entreprenariat et l’innovation

b. …dont la réalisation tarde à se concrétiser

2. Une stratégie qui pâtit des contradictions entre ses fondements théoriques et sa mise en œuvre

a. Des enjeux sécuritaires persistants

b. Les limites d’un prisme trop sécuritaire

3. La politique du « double standard » : l’écueil d’une doctrine politique mal assurée

C. des marges de progrÈs : une sous-utilisation de nos outils d’influence et un dÉfaut de moyens et de pilotage

1. Des instruments d’influence peu ou mal mobilisés

i. L’audiovisuel extérieur de la France : un formidable outil qui a pu se retourner contre notre pays

ii. Une stratégie communicationnelle déployée avec retard

2. Des moyens en demi-teinte

a. Sur le temps long, une diminution significative des moyens militaires et civils préjudiciable

i. Sur le plan militaire

ii. Sur le plan civil

b. Une volonté de « réarmer » la diplomatie française : une nécessité

c. L’aide publique au développement en Afrique : des moyens en augmentation

3. Un pilotage perfectible de la stratégie africaine de la France et de ses outils

a. Une aide publique au développement à l’efficacité contestable et progressivement vidée de sa dimension politique

i. L’autonomisation progressive de la politique d’aide au développement

ii. Redéfinir les objectifs et renforcer le suivi des actions menées

iii. Une aide non perçue par les populations bénéficiaires

iv. Une arme puissante qui se retourne désormais contre la France

b. La dilution du suivi de la stratégie africaine de la France : une myriade d’acteurs et des pratiques déconcertantes

III. Reconstruire une offre stratÉgique crÉdible : la condition sine qua non au renouveau des relations francoafricaines

A. Mobiliser davantage les atouts stratÉgiques de la France et rÉFORMER LA POLITIQUE DES VISAS : une ambition commune des deux rapporteurs, qui appellent À recentrer notre action, amÉliorer son pilotage et valoriser ses rÉsultats

1. La Francophonie : un instrument à réinvestir

2. Développer notre proximité culturelle et éducative

3. Repenser l’APD

a. Une réforme profonde

b. Un pilotage politique absolument nécessaire

c. Plus de dons, moins de prêts

4. Relancer une politique de coopération modernisée

5. Réformer la politique des visas : une urgence

6. Mieux valoriser nos résultats : mieux communiquer et mobiliser les médias

B. En FINIR AVEC « LES IRRITANTS » pour fonder un nouveau partenariat sincÈre, respectueux des intÉrÊts des deux parties : le plaidoyer du rapporteur Bruno Fuchs

1. Mettre fin aux attitudes paternalistes et à celles jugées condescendantes. Écouter plus et mieux et partir des réalités du terrain.

a. « Un Africain ça s’invite, ça ne se convoque pas »

b. La familiarité d’une relation acquise

c. Arrêter d’imposer nos réalités et nos modes de pensée

2. Fixer une doctrine claire : la « juste distance »

a. Sortir du double standard

b. Proposer une nouvelle doctrine

c. Solder notre passif colonial par des actes tangibles et partagés

3. Miser sur un développement économique mutuellement gagnant

a. Les économies subsahariennes, une importance bien loin des idées reçues

b. De fortes contraintes et des risques

c. Un marché stratégique

d. Des avantages compétitifs

4. Valoriser les politiques solidaires de la France

a. Le rôle moteur de la politique française de la santé

b. La mobilisation historique de la France en faveur de programmes de recherche et de conservation de la biodiversité africaine

c. La France, chef de file de la lutte contre le réchauffement climatique en Afrique

5. S’appuyer sur les diasporas

C. La dimension géopolitique des relations entre la France et l’Afrique : une préoccupation majeure pour la rapporteure Michèle Tabarot

1. La nouvelle géographie de la politique africaine de la France

a. Se tourner vers l’« autre Afrique » (2017-2022)

b. Une ouverture à poursuivre dans un contexte de tensions accrues

c. Les contraintes de la realpolitik : le retour vers l’ancien « pré carré »

2. Achever la recomposition de notre politique militaire

a. Une réforme de la présence et de la stratégie militaire française en cours

b. Restructurer notre offre de formation et de coopération

c. Poursuivre et achever cette recomposition

3. La place du multilatéralisme

EXAMEN EN COMMISSION

PROPOSITIONS du rapporteur BRUNO FUCHS

PROPOSITIONS DE LA RAPPORTEURE MICHÈle tabarot

analyse du rapporteur bruno Fuchs

Annexe N°1 : Liste des personnes RENCONTRÉes ou auditionnÉes par LEs RAPPORTEURS

ANNEXE N°2 : Liste des acronymes et des abrÉviations utilisÉs dans le rapport

 

 

 


   introduction

L’Afrique a changé. Déjà en 2005, lors de son discours de Brazzaville, le président Jacques Chirac déclarait : « Finissons-en avec les descriptions apocalyptiques de l’Afrique ! Regardons devant nous, au-delà de l’horizon immédiat. Nous voyons une Afrique pleine de promesses, mais aussi une Afrique qui doit surmonter les graves difficultés qu’elle connaît mais elle le peut. ». Tout est dit en quelques mots.

L’Afrique est aujourd’hui entrée de plain-pied dans la mondialisation et est travaillée par de profonds changements principalement endogènes : elle n’a désormais plus grand-chose à voir avec l’Afrique des années postcoloniales. L’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération d’hommes politiques, une croissance démographique impressionnante, le développement d’une civilisation citadine et l’émergence d’une classe moyenne de consommateurs potentiels, une véritable explosion créatrice et culturelle ou encore l’intensification des mobilités constituent quelques-unes des recompositions à l’œuvre sur le continent. Cette transformation n’est pas sans heurts ni questionnements dans tous les domaines : s’entrecroisent désormais la contestation des formats politico‑institutionnels issus de la décennie des années 1990 comme de l’autorité familiale, l’aggravation des conflits générationnels, la montée d’un mouvement néosouverainiste et la contestation des valeurs occidentales. Il est frappant de constater à quel point l’Afrique est aujourd’hui le continent de la jeunesse, une jeunesse hyper-connectée et qui conteste le pouvoir de ses élites, souvent francophiles, accusées de ne plus comprendre la vie quotidienne de leurs populations. Frappant aussi de voir combien ce qui se passe en France et en Afrique résonne et s’entremêle à travers des diasporas qui communiquent en temps réel et combien le continent se renouvelle lui-même au gré des mouvements internes qui en transforment les anciens équilibres.

Ces mutations, et leurs potentialités, n’ont échappé à personne ou presque. Toutes les grandes puissances actuelles bâtissent des politiques africaines, de la Chine aux États-Unis, en passant par la Russie, la Turquie, le Maroc et les pétromonarchies du Golfe arabo-persique. Ces stratégies s’inspirent de la politique africaine longtemps poursuivie par la France, scandée par ses sommets France‑Afrique et les discours structurants de ses présidents successifs, depuis le discours de Brazzaville du général De Gaulle, celui de La Baule de François Mitterrand, jusqu’aux discours de Paris et de Brazzaville du président Jacques Chirac ou encore celui de Dakar de Nicolas Sarkozy. Et la liste est encore longue.

Quant à la France, elle éprouve des difficultés à suivre ces bouleversements, victime de La revanche des contextes, pour paraphraser Jean‑Pierre Olivier de Sardan. Ses référentiels, hérités de l’ère de la Françafrique et volontiers essentialistes, se sont révélés inadaptés pour comprendre cette nouvelle Afrique qui change sans cesse et rapidement. Une Afrique plurielle, ouverte sur le monde, où la Chine comme de nouvelles puissances émergentes gagnent des parts de marché, pour qui la relation avec l’ancienne puissance coloniale n’a plus rien d’évident et qui ne se réduit donc pas à l’Afrique francophone sur laquelle la France a traditionnellement tant investi. Ébranlée par la succession de coups d’États en Afrique francophone, contrainte de retirer ses troupes du Mali, du Burkina Faso et désormais du Niger, contestée par la montée en puissance d’un discours anti‑français particulièrement vocal à défaut d’être une opinion unanimement partagée, elle est sur la défensive et tâtonne quant à l’attitude à adopter. Si elle demeure performante dans une partie de l’Afrique, notamment anglophone, quoiqu’encore trop timide dans cette partie du continent, elle s’est comme endormie dans son ancien pré carré quand elle n’a pas déconstruit ce qui fonctionnait admirablement, telle sa politique de coopération.

Elle hésite d’autant plus que, soucieuse de renouveler ses liens avec l’Afrique et d’éviter les erreurs du passé, privée d’une connaissance fine du continent et dépendante de choix politiques incertains, elle refuse désormais de se doter d’une véritable « politique africaine », déclarée morte et non avenue par le président Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, en novembre 2017. Cette politique doit faire place à de nouveaux partenariats plus inclusifs et horizontaux. Elle s’adresse davantage aux sociétés civiles. La relation bilatérale, jusqu’alors structurée par les questions sécuritaires, a vocation à s’ouvrir aux thèmes de l’entrepreneuriat, des échanges universitaires, de la culture, du changement climatique et du sport. Enfin, la France doit sortir d’une relation quasi exclusivement tournée vers l’Afrique francophone pour intégrer davantage l’ensemble du continent africain, commercer et échanger avec ses grandes puissances anglophones.

La volonté de rupture est affichée mais sa mise en œuvre encore incertaine : les projets concrets se font attendre et la politique militaire de la France, qui devait être reléguée au second plan, monopolise encore le devant de la scène, même si c’est pour constater sa remise en cause, occultant les multiples projets que notre pays cherche, à raison, à mener dans d’autres domaines. Les Africains, même ceux – encore nombreux– favorables à conserver des liens forts avec notre pays, déplorent nos hésitations, entre excès d’autoritarisme et politique timorée au gré des évènements que nous subissons faute de pouvoir les anticiper. C’est sans doute ainsi qu’il faut interpréter le discours anti-français si souvent médiatisé : il ne s’agit pas d’un rejet de la France mais de l’expression d’un sentiment d’incompréhension et de frustrations face à des choix politiques français contestés.

C’est qu’au-delà du vocabulaire renouvelé et de l’accumulation d’initiatives, souvent bienvenues, il manque peut-être l’essentiel : une offre stratégique précise et de long terme qui donne envie aux pays africains de maintenir des liens nourris et plus égalitaires avec la France. C’est cet aggiornamento qui reste désormais à accomplir et auquel le présent rapport souhaite contribuer. Les rapporteurs partagent, en effet, la conviction que les relations franco‑africaines ont encore toute leur pertinence et peuvent s’améliorer à condition d’être construites sur de nouvelles bases. Beaucoup reste à faire mais la France ne manque pas d’atouts pour y parvenir, qu’il s’agisse de sa longue histoire partagée avec l’Afrique ou de l’usage du français. Encore faut-il qu’elle sache ce qu’elle veut dans sa relation avec l’Afrique.

Il ne s’agit toutefois pas de condamner sans nuances les erreurs faites par notre pays, loin s’en faut : reconstruire une politique africaine apte à embrasser l’ensemble de l’Afrique dans la diversité de ses populations et de ses enjeux, à une époque éruptive et de grands bouleversements, est une tâche longue et d’une complexité extrême qui excuse bien des travers. Cette entreprise ne peut évidemment se faire seule : elle ne réussira qu’avec l’aide des alliés de la France mais aussi et surtout qu’avec la participation active de ses partenaires africains, premiers concernés et responsables des transformations qui touchent leur continent.

Quelques précisions s’imposent quant au champ des travaux menés par les rapporteurs. Au regard de l’ampleur du sujet, ils ont fait le choix de ne pas inclure dans leur définition de l’Afrique les pays du Maghreb. Cette distinction a certes quelque chose d’artificiel tant les liens sont étroits entre ces États et le reste du continent. Néanmoins, la spécificité des relations que la France entretient avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie a paru justifier cette limitation du sujet. Pour le reste, les rapporteurs ont décidé de s’intéresser à l’ensemble des pays africains – francophones et non francophones – ainsi qu’à toutes les dimensions de la relation bilatérale, même si leur étude de la politique militaire française est presque exclusivement circonscrite au Sahel.

Les rapporteurs tentent de définir ce que pourrait être une nouvelle politique africaine, car il s’agit bien à leurs yeux d’une véritable politique, comme l’ont compris les compétiteurs stratégiques de la France. Celle-ci passe d’abord par un changement de méthode. Il faut accepter de poser un nouveau regard sur l’Afrique : ne pas chercher à imposer nos valeurs et nos grilles de lecture sur ce continent complexe et écouter les aspirations profondes de sa population pour construire un discours ancré dans les cultures et les réalités locales. Cela passe aussi par une meilleure connaissance du continent africain, qui fait aujourd’hui cruellement défaut à la France, dans toutes ses sphères d’intervention ; ensuite, par une plus grande concertation dans la conception de cette politique, qui doit retrouver sa place dans des canaux de prise de décision plus transparents et institutionnels pour éviter sa personnalisation excessive. Un changement de style est nécessaire : arrêter les grands discours, souvent porteurs d’attentes finalement déçues, et leur préférer des actions concrètes. Abandonner notre ton martial et grandiloquent, pour une posture humble mais non moins confiante. Accepter de partir là où nous ne sommes plus attendus et rechercher de nouveaux partenariats là où il existe une attente manifeste ou à susciter. Clarifier enfin notre doctrine et mettre en cohérence nos actions, par exemple sur la politique des visas, sont essentiels tout en concentrant nos efforts sur des domaines où la France dispose d’avantages comparatifs et où les Africains l’attendent.

Voici quelques pistes de réflexion qu’explore ce rapport, dont l’ambition pour la France est l’édification d’une nouvelle stratégie africaine, cette fois bien ancrée dans le XXIème siècle.

 



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I.   UNE France DÉSTABILISÉE DANS UNE AFRIQUE EN PLEINE MUTATION

La France est aujourd’hui bousculée dans une Afrique en recomposition. La montée en puissance d’un discours anti-français, même cantonné à une partie de la jeunesse citadine, témoigne d’un contexte général de remise en cause de l’influence française dans son ancien pré carré. Il ne faut toutefois pas y voir une fatalité : l’Afrique est diverse, la France est bien positionnée en Afrique anglophone et de nombreux pays africains souhaitent maintenir des relations nourries avec notre pays. On ne peut toutefois nier l’existence d’une lame de fond défavorable à la France en Afrique francophone, le risque étant qu’elle se propage sans que notre pays puisse réagir. C’est la raison pour laquelle les rapporteurs se concentrent sur l’étude de cette contestation et de ses causes en Afrique francophone. C’est toutefois bien nos relations avec l’ensemble de ce continent d’avenir qu’il s’agit de repenser et de construire.

A.   L’AFRIQUE : un continent en recomposition au cœur de toutes les convoitises

1.   « L’Afrique-Monde » : l’émergence d’un continent pleinement ancré dans la mondialisation

En 2013 déjà, un rapport sénatorial prédisait : « L’Afrique est notre avenir » ([1]). Ce constat semble à bien des égards toujours d’actualité pour qui accepte de se départir de certaines idées reçues sur le continent africain et de la vision misérabiliste qui a longtemps été posée sur lui. Comme le rappelle fréquemment Pascal Lamy, ancien directeur général de l’organisation mondiale du commerce (OMC) : « L’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe pour les 50 ans à venir » ([2]). De l’Europe et probablement du reste du monde aussi.

a.   L’Afrique : un géant démographique tourné vers l’avenir

L’Afrique, c’est d’abord un continent de quelque 1,4 milliard d’individus doté d’une croissance démographique exceptionnelle : sa population a été multipliée par plus de dix en l’espace d’un siècle et elle pourrait dépasser les 4,2 milliards d’habitants d’ici à 2100, selon les Nations Unies. Dans les années 2040, ce sont 566 millions d’enfants qui devraient y naître, lui permettant de se hisser devant l’Asie en nombre de naissances, et les Africains constitueront le plus grand groupe de personnes en âge d’activité maximale au monde, c’est-à-dire entre 24 et 54 ans ([3]). Certains États africains sont déjà parmi les plus peuplés de la planète et cette tendance devrait se poursuivre : la population du Nigéria, qui double tous les trente ans, pourrait atteindre 400 millions d’individus en 2050 et peut-être 800 millions en 2100, ce qui en ferait le deuxième pays le plus peuplé au monde après l’Inde et devant la Chine ([4]).

La jeunesse de sa population rend sa démographie d’autant plus remarquable : 70 % des Africains ont entre 15 et 35 ans. Les populations africaines sont ainsi pleinement tournées vers l’avenir, ce qui n’est toutefois pas sans susciter des conflits autour de l’usage des terres et des ressources, lesquels pourraient s’amplifier, avec des risques durables de déstabilisation de régions entières et de déplacements massifs de populations aux échelles régionale et internationale. L’Afrique devrait donc demain, plus encore qu’aujourd’hui, se situer au cœur des enjeux migratoires mondiaux.

b.   L’Afrique, un continent au fort potentiel économique, malgré la persistance de fragilités et une présence française en recul

Fort de sa démographie, le continent africain constitue un immense marché présentant de nombreuses opportunités économiques grâce à sa jeunesse créative, l’émergence d’une véritable classe moyenne et le développement du secteur tertiaire. La France y dispose d’intérêts économiques réels mais contrastés et souvent surestimés.

À l’échelle continentale, la part de marché relative de la France a décliné, passant de 15 % à 7,5 % entre 2000 et 2020, bien que sa part absolue ait connu une légère hausse due à l’extension du marché africain et à l’arrivée de nouveaux concurrents. La Chine est désormais le premier partenaire commercial de l’Afrique avec 27 % de ses parts de marché, auxquels s’ajoutent plus de 80 milliards de dollars d’investissements directs et 150 milliards de dollars accordés en prêts depuis une vingtaine d’années. Quant à l’UE, elle est le premier fournisseur et débouché des pays membres de la zone CFA. Certains pays européens s’avèrent très bien positionnés sur le continent : l’Allemagne est parvenue à pénétrer le marché africain à un niveau similaire à celui de la France, par exemple. Notons toutefois que les entreprises françaises ont la caractéristique de s’installer localement avec des filiales de droit africain. Les chiffres de ces filiales n’entrent pas dans les statistiques du commerce extérieur mais sont reflétés par l’évolution des investissements directs à l’étranger (IDE) : au regard de cet indicateur, la France occupe la deuxième place en Afrique, derrière la Grande-Bretagne, avec un montant de stock d’IDE de 61 milliards de dollars, alors que la Chine se hisse à la cinquième place « seulement » avec un stock d’IDE de 43 milliards de dollars. La France dispose de nombreux atouts pour développer ses liens économiques avec l’Afrique, qu’il s’agisse du partage de la langue française avec de nombreux pays, du franc CFA encore arrimé à l’euro ou de l’existence d’un droit commun des affaires dans les dix-sept pays membres de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) ([5]).

Les intÉrÊts Économiques français en Afrique de l’Ouest

L’essentiel des échanges français se concentre autour de l’Afrique du Sud, de l’Égypte et du Nigeria, trois pays non francophones ; la présence française est moins forte en Afrique australe et non négligeable en Afrique de l’Est, notamment au Kenya, au Mozambique et en Ouganda. Le Nigéria est notre premier partenaire commercial en Afrique subsaharienne, avec un volume d’échanges de 4,5 milliards d’euros en 2019 : la France importe majoritairement des produits pétroliers et y exporte des produits pétroliers raffinés, pharmaceutiques et agroalimentaires. Les entreprises françaises sont également très présentes en Côte d’Ivoire, premier client de la France (1,4 milliard d’euros) en 2021 au sein de l’Union économique et monétaire ouest‑africaine (UEMOA), qui réunit le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, loin devant le Sénégal (814 millions d’euros). Par ailleurs, malgré un léger recul de ses ventes de 6 % par rapport à 2020, la Côte d’Ivoire est également le principal fournisseur de la France en 2021 (848 millions d’euros), à l’origine de 73 % des importations françaises en provenance de l’Union ([6]). Au total, l’année 2021 est marquée par une hausse des échanges entre la France et l’UEMOA de 10 % par rapport à 2020, pour atteindre 4,6 milliards d’euros.

Notons que, contrairement à une idée reçue, les intérêts économiques de la France en Afrique de l’Ouest reposent davantage sur les positions anciennes de quelques grands groupes français que sur l’activité extractive. En effet, l’uranium nigérien représente moins du tiers de nos besoins et tandis que le pétrole, principalement importé du Nigéria et d’Angola, couvre environ 15 % de nos approvisionnements. La France est, par ailleurs, peu impliquée à l’échelle continentale dans d’autres activités extractives comme celle des métaux, des métaux précieux et des pierres ([7]) : si elle a pu être accusée de lorgner sur les ressources en or du Mali, ce sont pourtant des entreprises canadiennes ([8]) et australiennes qui sont actives dans le pays.

Bien que la France dispose déjà de parts de marchés non négligeables en Afrique, elle a tout intérêt à se positionner pour bénéficier, à l’avenir, de nouvelles opportunités économiques au regard des perspectives de croissance du continent. Ce dernier est toutefois fragilisé par le défi climatique et environnemental, qui s’y pose avec une acuité particulière : si l’Afrique ne représente que 7 % des émissions mondiales de CO2 cumulées depuis le milieu du XIXème siècle, elle est particulièrement exposée aux risques climatiques. Les études montrent déjà les conséquences du réchauffement de la planète sur le déplacement des populations africaines, la croissance et les inégalités de revenus sur le continent, lesquelles devraient s’accroître avec la forte croissance démographique que connaît l’Afrique et son industrie en plein développement : la demande d’énergie en Afrique progresse ainsi deux fois plus vite que la moyenne mondiale ([9]). Toutefois, l’Afrique abrite aussi une part de la solution au défi climatique : un quart de son territoire est couvert de forêts, puits de carbone naturels indispensables pour lutter contre le dérèglement climatique. Ce n’est pas un hasard si le One Forest Summit des 1er et 2 mars 2023 s’est tenu à Libreville, au Gabon : le bassin du Congo est le premier puits de captation de carbone au monde.

Ses importantes réserves naturelles rendent aujourd’hui l’Afrique indispensable au reste du monde et suscitent les plus grandes convoitises : elle abrite ainsi 80 % des réserves mondiales de coltan, 60 % de celles de cobalt, 40 % des réserves d’or ou encore 32 % des réserves mondiales de bauxite.

2.   Un continent traversé par de profonds bouleversements endogènes

a.   Une Afrique travaillée par un ensemble de transformations qui s’entremêlent…

Le continent africain, en particulier dans sa zone francophone, est aujourd’hui en pleine recomposition, en proie au développement de régimes militaires qui constituent, selon le philosophe et historien camerounais Achille Mbembe ([10]), la fin d’un « cycle historique », entamé au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et l’entrée dans une nouvelle ère dont la France ne serait plus qu’un acteur secondaire. L’Afrique fait ainsi l’objet de transformations multiples et simultanées dont il est nécessaire de comprendre les ressorts, principalement endogènes, pour en saisir la portée.

Un premier changement tient à l’arrivée au pouvoir de générations de politiques nées dans les années 1990-2000 et ayant grandi dans un contexte de crise économique majeure. Ceux-ci doivent faire face à une Afrique en mutation, marquée par son réveil technologique, l’influence croissance des diasporas, l’accélération de la création artistique et culturelle, l’intensification des mobilités et la recherche de nouveaux modes de développement s’inspirant davantage des traditions locales. Les enjeux démographiques, socio-culturels, économiques et politiques s’entrecroisent désormais : coïncident ainsi la contestation des formats politico-institutionnels issus du passé, les mutations de l’autorité familiale, la rébellion silencieuse des femmes et une aggravation des conflits générationnels. La jeunesse d’Afrique se pense et se vit comme africaine par fierté continentale à l’heure où les atouts actuels et futurs du continent africain sont désormais vantés et où nombre d’intellectuels africains, souvent passés par les universités américaines, ont théorisé cette identité nouvelle, tels que Felwinn Sarr, Dialo Diop, Achille Mbembe, Moustapha Sow, Léonora Miano, Kako Nubukpo pour n’en citer que quelques‑uns ([11]).

Parallèlement, ainsi que l’explique Achille Mbembe, l’Afrique voit se développer une forme de néosouverainisme puissant, « version appauvrie et frelatée du panafricanisme » ([12]) dont les principaux tenants se recrutent dans les rangs d’une jeunesse continentale très connectée ainsi qu’auprès des diasporas, qui se sentent mal intégrées dans les pays où elles ont grandi et en tirent une profonde déception partagée en temps réel sur les réseaux sociaux. Toutefois, contrairement au mouvement panafricanisme de l’après-guerre, qui combattait le colonialisme et la ségrégation raciale et portait un discours universaliste adossé aux trois grands piliers de la conscience moderne que sont la démocratie, les droits humains et l’idée de justice universelle, le néosouverainisme rejette le concept de communauté humaine universelle. Il confère aux races un caractère primordial et érige en ennemi absolu l’Occident : l’émancipation africaine ne peut passer, selon lui, que par la remise en cause sans nuance des pays et des valeurs occidentales. La démocratie est ainsi condamnée comme une émanation de l’ingérence internationale à laquelle sont préférés des régimes aux « hommes forts ». Aucun autre contre-discours solide ne vient contrecarrer l’expansion de cette idéologie violente, en particulier auprès de la jeunesse.

b.   …et dont résulte une série de coups d’État en Afrique francophone

Ce nouveau contexte auquel s’ajoutent des contingences locales explique, en partie, la multiplication des coups d’État en Afrique francophone. Ainsi, depuis le 18 août 2020, date du coup d’État contre l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita au Mali, pas moins de sept coups d’État militaires ont eu lieu dans la région, sans compter la prise de pouvoir contestée au Tchad par Mahamat Idriss Deby.

Les régimes militaires sont parfois perçus par les populations locales comme l’ultime remède aux maux que sont la corruption, l’enrichissement personnel de leurs dirigeants, les divisions internes exacerbées, les élections truquées, les services publics abandonnés et leur forte dépendance à l’aide occidentale. Trop souvent aussi, les démocraties contestées sont vues comme soutenues de l’extérieur, par un Occident prédateur dont la France est le bouc‑émissaire. Dans les faits pourtant, l’émergence des démocraties en Afrique a été le produit de révoltes populaires contre des régimes militaires considérés comme illégitimes, lesquelles ont abouti aux conférences nationales des années 1990, matrices des démocraties sur le continent. S’y ajoutent, dans le cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la crise sécuritaire sahélienne, qui se traduit par l’expansion du djihadisme imputée à la faiblesse des régimes en place : le retour des militaires au pouvoir est alors regardé avec libération ([13]).

Le coup d’État au Gabon témoigne quant à lui d’une lassitude à l’égard d’un État corrompu, aux mains d’une même famille depuis des décennies dont la proximité avec la France a perduré sous plusieurs présidents français.

La France face au Gabon : des relations complexes

Le coup d’État mené, le 30 août 2023, au Gabon par le commandant en chef de la Garde républicaine, le général Brice Oligui Nguema, a fait suite à la proclamation de la victoire de l’ancien président, Ali Bongo, aux élections présidentielles très contestées du 26 août 2023. Sa survenue est l’occasion de questionner le positionnement de la France envers ce pays dont les dirigeants ont perdu la confiance d’une grande partie de leur population ; les conditions de vie des Gabonais ne cessent de se dégrader malgré la forte croissance économique du pays, dont l’actualité a été ponctuée par la révélation de multiples affaires de corruption.

L’indépendance du Gabon, ancienne colonie française, le 17 août 1960, n’a pas marqué la fin de ses relations diplomatiques étroites avec la France : le premier président Léon Mba (1961 1967), renversé temporairement par un putsch militaire en février 1964, reçoit l’aide de l’armée française pour revenir au pouvoir. À sa mort, la France soutient le régime d’Albert Bernard (Omar) Bongo, alors vice-président du Gabon, qui aura à cœur de détruire les fondements démocratiques du pouvoir : dès 1969, il met fin au multilatéralisme politique et impose un parti unique (le Bloc puis le Parti Démocratique Gabonais, PDG). Seul candidat, il se maintient au pouvoir élection après élection jusqu’à sa mort en 2009. Il est remplacé par son fils Ali Bongo, candidat du PDG et soutenu par la France, après une élection très contestée, qui donne lieu à des violences post-électorales s’en prenant notamment au consulat général et à la concession Total de Port-Gentil. Il est réélu en 2016 avec une marge très faible : les soupçons sur la véracité des résultats du scrutin donnent de nouveau lieu à des manifestations et la France prend ses distances avec Ali Bongo. Ce dernier brigue et obtient un troisième mandat en août 2023 face à dix-huit autres candidats politiques, dont l’ancien ministre de l’éducation et de l’enseignement supérieur, Albert Ondo Ossa. Si Ali Bongo est proclamé vainqueur de la présidentielle, il est renversé quelques heures plus tard par un coup d’État coordonné par le commandant en chef de la Garde républicaine, le général Brice Oligui Nguema.

La France s’est trouvée gênée quant à l’attitude à adopter face au coup d’État : elle a condamné le putsch militaire du 30 août et a demandé un « retour à l’ordre constitutionnel » mais a aussi rappelé son « attachement aux processus électoraux libres et transparents », insistant sur le caractère contestable de la troisième victoire d’Ali Bongo.

Ce coup d’État intervient alors que le pays connaît une situation économique paradoxale. Si le Gabon est l’un des pays les plus riches de l’Afrique, en termes de PIB par habitant, les inégalités y sont très marquées. Ces cinq dernières années, le taux de pauvreté du Gabon a fortement augmenté : un tiers de la population vit avec moins de 5,5 dollars par jour. De plus, le pays connaît une très forte corruption (il se place 124ème sur 180 pays au classement de Transparency International), qui le priverait, selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, de 400 à 500 milliards de francs CFA. En cause également, les investissements publics douteux effectués par le président Ali Bongo, notamment en faveur de la Coupe d’Afrique des nations de football en 2012 et 2017.

Depuis le coup d’État du 30 août, plusieurs anciens ministres, et des membres de la « Young Team », ont été arrêtés par le régime de transition en place, pour détournement de fonds publics, corruption et association de malfaiteurs. Ces arrestations combinées à la procédure judiciaire en France des « biens mal acquis » à l’encontre de la famille Bongo témoignent, s’il en était encore besoin, du caractère dynastique et antidémocratique de la gestion du pays par le « clan Bongo ».

Sources diverses

Or, ces coups d’État ne sont pas sans inquiéter pour la stabilité du Sahel et, plus largement, de l’ensemble du continent. Les nouveaux régimes peinent à lutter contre la menace djihadiste qui, loin de régresser, progresse partout au point que l’Afrique pourrait voir se constituer, selon Luis Martinez ([14]), le prochain califat sur son territoire.

 

 

 

 

Évolution de la menace terroriste au Sahel à la suite des coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger

Alors que les juntes militaires responsables des renversements des régimes malien, burkinabé, et, plus récemment, nigérien ont invoqué l’incapacité de leurs autorités à endiguer la menace terroriste dans leurs pays comme justification de leur prise de pouvoir, il apparaît toutefois que ces motifs ne survivent pas à l’exercice du pouvoir. En effet, une hausse de la violence djihadiste est observée au Mali et au Burkina Faso depuis les coups d’États militaires de 2021 et 2022, le nombre de morts liés aux groupes islamistes militants africains au Sahel ayant atteint un niveau record au cours de l’année passée.

Les groupes terroristes affiliés au JNIM, l’EIGS et Boko Haram ont en effet profité de l’instabilité politique et du vide sécuritaire engendrés par la prise de pouvoir des juntes malienne et burkinabée, afin d’accroître leur emprise géographique sur le terrain sahélien. Le retrait consécutif de la force française Barkhane et la dégradation des relations entre le Mali et ses partenaires sécuritaires, dont la MINUSMA, ont par ailleurs participé à accroître les libertés de manœuvres des groupes militants dans la zone.

Ainsi, le nombre d’évènements violents impliquant des groupes terroristes islamistes a doublé au Sahel depuis 2021, tandis que le nombre de décès liés à ces incidents a quasiment triplé, ces derniers se concentrant majoritairement au Burkina Faso et au Mali. Ces pics de violence coïncident ainsi avec les putschs perpétrés dans ces pays.

À ce titre, l’évolution de la menace djihadiste au Burkina Faso depuis les coups d’État de janvier et de novembre 2022 est particulièrement révélatrice. En effet, un « déplacement de l’épicentre de la violence au Sahel » vers le Burkina Faso a été observé, alors que les zones d’action des groupes terroristes dans le pays se sont largement propagées sur le territoire burkinabé, avec une augmentation de 45 % de ces dernières par rapport à la période précédant les putschs. Si le Nord du pays demeure le principal foyer de violence, l’Ouest et l’Est du territoire ont connu une augmentation significative des attaques djihadistes, menaçant à cet égard les pays côtiers du Golfe de Guinée. Ainsi, la junte militaire ne contrôlerait qu’environ la moitié du pays, tandis qu’un encerclement progressif de la capitale, Ouagadougou, par les groupes terroristes pourrait d’autant plus menacer le gouvernement.

Le récent coup d’État au Niger inquiète par ailleurs alors qu’une trajectoire similaire à celles du Mali et du Burkina Faso pourrait y survenir. En effet, si la présidence de Mohamed Bazoum avait permis de contenir la menace djihadiste au Niger depuis 2021, une succession d’attaques terroristes a été observée depuis août 2023. Cette situation fait ainsi craindre une dégradation du contexte sécuritaire dans le pays, notamment autour de la zone dite des « trois frontières », tandis que la menace d’une intervention de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a engendré un redéploiement des soldats luttant contre les groupes terroristes sur le terrain au profit de la capitale.

Source : Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « La crise au Burkina Faso continue son engrenage », infographie, mardi 12 septembre 2023

Événements et décès d’un groupe islamiste militant depuis le premier coup d’État au Burkina Faso

 

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c.   Un partenaire politique dont le soutien n’est plus acquis aux puissances occidentales

De même qu’une partie de l’Afrique cherche à retrouver sa souveraineté et à défendre ses valeurs, son soutien politique, fort de ses 54 États ([15]), qui constituent autant de voix à l’Assemblée générale des Nations Unies, n’est désormais plus acquis aux puissances occidentales. Le Sénégal, qui exerçait alors la présidence tournante de l’Union africaine (UA), s’est ainsi abstenu lors du vote du 2 mars 2022 de l’Assemblée générale des Nations Unies exigeant que la Russie « retire immédiatement, complètement et inconditionnellement toutes ses forces militaires du territoire de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ». Il renouvelle cette position lors du vote sur la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, le 7 avril 2022.

On peut toutefois noter que cette neutralité n’est pas entièrement nouvelle, le Sénégal ayant déjà adopté une attitude similaire en 2014, lors du vote sur l’annexion de la Crimée par la Russie. Cela n’a néanmoins pas empêché le président Macky Sall de condamner, le 3 mars 2022, les mauvais traitements infligés aux Africains qui tentaient alors de quitter l’Ukraine pour rejoindre les pays limitrophes. Il avait également demandé la mise en place d’une commission d’enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l’Homme en Ukraine ([16]). L’Ukraine ne s’y est d’ailleurs pas trompée : son ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba a réalisé plusieurs visites sur le continent africain depuis le début de la guerre en Ukraine pour contrer le narratif de son homologue russe Sergueï Lavrov.

3.   L’Afrique, terre d’opportunités et de promesses : un nouvel enjeu de compétition internationale

La plupart des puissances qui comptent aujourd’hui sur la scène internationale sont en train d’échafauder de « nouvelles stratégies globales avec l’Afrique » ([17]) à l’instar de la Chine, de la Russie, de l’Inde, des États du Golfe arabo‑persique, du Maroc ou encore des États-Unis. La Turquie, par exemple, forte de ses 43 ambassades et de sa première base militaire ouverte en 2017 à Mogadiscio en Somalie, mise sur une politique culturelle active, la création de mosquées dédiées aux classes populaires et l’approfondissement de son empreinte économique sur le continent. L’Afrique y trouve un intérêt : ouverte sur le monde et ne se sentant plus tenue de privilégier ses liens avec ses anciennes puissances coloniales, elle se tourne vers les partenaires qui répondent le mieux à ses besoins immédiats. Dans ce contexte, la France n’est plus la référence unique et évidente sur le continent africain.

a.   L’intérêt renouvelé des États-Unis pour l’Afrique

Les relations entre l’Afrique et les États-Unis ont trouvé une nouvelle actualité à l’occasion du sommet « États-Unis – Afrique », qui s’est tenu à Washington du 13 au 15 décembre 2022. Le président Joe Biden a invité 49 chefs d’États et de gouvernements africains ainsi que des représentants de l’UA aux États‑Unis ; seuls les pays suspendus par l’UA (Mali, Burkina Faso, Guinée, Soudan) n’ont pas été conviés. Le ministre des Affaires étrangères du Zimbabwe a été invité ; l’Érythrée – qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec les États-Unis – a également été conviée à un niveau ministériel mais a refusé de participer.

Il s’agit là du second sommet de ce type depuis la première édition organisée par Barack Obama en 2014. Durant trois jours, l’administration américaine a reçu et échangé avec des dirigeants africains, des chefs d’entreprises, des représentants de la jeunesse, des diasporas et de la société civile sur des thèmes variés : démocratie, bonne gouvernance, sécurité, économie, santé, changement climatique, énergies et sécurité alimentaire étaient ainsi au programme.

Pour l’administration américaine, ce sommet était l’occasion de souligner l’intérêt retrouvé des États-Unis pour le continent africain et l’UA, après les années Trump. Sur la forme, le ton employé par Washington a été jugé plus respectueux à l’égard des États africains, désormais regardés comme des partenaires égaux. Cet intérêt renouvelé s’est incarné dans les deux tournées du secrétaire d’État Antony Blinken en Afrique en novembre 2021 (Kenya, Nigeria et Sénégal), puis en août 2022 (Afrique du Sud, République démocratique du Congo et Rwanda) ; de nombreux hauts responsables de la Maison Blanche ont également effectué des visites au cours des années 2021 et 2022. Le président Joe Biden a d’ailleurs annoncé, à l’occasion du sommet, son intention de se rendre en Afrique, sans donner de dates précises, ni indiquer les pays choisis par la Maison Blanche. Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis, s’est ainsi rendue au Ghana, en Tanzanie et en Zambie en mars 2023, dans le sillage de cette nouvelle stratégie diplomatique.

À l’occasion du sommet « États-Unis–Afrique », le secrétaire à la défense Lloyd Austin a également mis en garde les dirigeants africains contre le rôle déstabilisateur de la Chine et de la Russie en Afrique. Les États-Unis ont, par ailleurs, réaffirmé les valeurs qu’ils souhaitent promouvoir sur le continent et qui les distinguent de ces deux pays, tout en reconnaissant qu’il n’existe pas de modèle unique, ni en matière de bonne gouvernance, ni pour construire des institutions fortes.

Le développement de relations économiques solides entre les États-Unis et le continent africain était également l’un des enjeux majeurs de ce sommet. L’administration Biden a identifié plusieurs mesures permettant d’approfondir ce partenariat économique avec le continent. Enfin, parmi les multiples annonces, les États‑Unis ont promis un financement de 55 milliards de dollars pour l’Afrique sur trois ans afin de faire avancer les priorités qu’ils partagent et soutenir l’Agenda 2063 ([18]).

b.   Une stratégie chinoise tous azimuts fondée sur le contrôle des ressources et des infrastructures

La conférence de Bandung, qui s’est tenue en Indonésie en 1955, a constitué le début d’une coopération économique progressive entre la Chine et l’Afrique. Les années 1960, traversées par les premières indépendances, ont vu leurs échanges économiques progresser rapidement pour atteindre un pic dans les années 1990, donnant lieu à l’appellation « Chinafrique » ([19]), résultat d’une véritable « convergence d’intérêts » ([20]) . Pour de nombreux gouvernements africains, la Chine représente une alternative viable aux bailleurs de fonds et aux partenaires commerciaux traditionnels de l’Afrique, capable d’apporter des financements importants sans conditionnalité de gouvernance. De son côté, la Chine voit de nombreuses opportunités dans le développement de ses relations avec l’Afrique, notamment pour l’accès à ses matières premières et ses terres agricoles, et gagne des marchés grâce à des règles éthiques plus souples que celles de ses concurrents occidentaux.

Les résultats de cette stratégie sont sans appel. La Chine s’est imposée comme le premier partenaire économique de l’Afrique. Ses échanges avec le continent sont passés de 10 à 210 milliards de dollars entre 2002 et 2021. Elle est la principale détentrice de la dette extérieure africaine, estimée à environ 365 milliards de dollars en 2021 ([21]), et est parvenue à convaincre presque tous les pays du continent africain de rejoindre l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie ([22]), la Belt and Road Initiative (BRI), qui a fêté ses dix ans à Pékin les 17 et 18 octobre 2023, lors d’un forum ayant réuni des dirigeants et représentants de plus de 130 pays.

 

 

 

 

Les nouvelles routes de la soie

Si les discours ont pu laisser penser à la construction d’un partenariat « gagnant-gagnant » entre la Chine et l’Afrique, la réalité des relations économiques entre ces deux entités témoigne plutôt de la constitution d’une nouvelle forme de dépendance du continent africain vis-à-vis de la puissance chinoise et dont la question de la dette est révélatrice. En effet, si la Chine concentre 15,4 % du commerce extérieur africain, l’Afrique ne représente que 3,7 % du commerce extérieur de son partenaire chinois. Par ailleurs, entre 2000 et 2018, 50 pays africains sur 54 ont emprunté à la Chine : un nombre croissant de ces pays dépasse les niveaux d’endettement soutenables, à l’instar du Kenya, dont la loi de finances pour 2023‑2024 consacre la moitié du budget au service de la dette.

Les conditions dans lesquelles les gouvernements africains se sont endettés auprès de la Chine posent également question et nourrissent des soupçons de dette cachée. Les investissements de la Chine en Afrique sont, en effet, difficilement traçables, abrités derrière le secret d’État ou déguisés en aides au développement. Le discours chinois d’entraide entre nations aux combats communs n’évite pas le recours à des prêts gagés sur les infrastructures et les ressources naturelles africaines, souvent en des termes désavantageux pour les pays africains. Des clauses prévoient ainsi qu’en cas de non-remboursement de prêts kényans pour la ligne de chemin de fer entre Nairobi et Mombasa, Pékin prendrait le contrôle du port de Mombasa. À cela s’ajoutent le fonctionnement opaque des institutions prêteuses chinoises, l’endettement d’États africains pour la construction d’infrastructures à la rentabilité douteuse, la corruption d’opérateurs locaux, le recours à des clauses exorbitantes du droit commun et les multiples trafics dont se rendent coupables les Chinois, en particulier dans les domaines de la pêche ([23]) et de l’orpaillage.

La stratégie économique de la Chine sur le continent africain, notamment structurée par le forum sur la coopération sino-africaine (FOSAC), est au service d’une politique d’influence plus large sur le plan international. Les pays africains constituent, en effet, un réservoir de soutiens pour la Chine au sein des instances internationales, utile à ses objectifs de politique et de sécurité intérieures. Dès les années 1960, la Chine a, par exemple, pris soin de conditionner ses investissements en Afrique à une rupture des relations entre les pays africains et Taïwan : seul l’Eswatini soutient encore Taïwan, le Burkina Faso ayant rompu ses relations avec l’île irrédente en 2018. Plus récemment, la Chine a pu bénéficier du soutien de sa politique répressive à Hong Kong par nombre de pays africains, dont certains historiquement alignés sur les positions de l’Occident et de la France (Niger, Cameroun, Togo, Gabon) ([24]).

La Chine a su mobiliser d’autres instances et aspects de ses relations diplomatiques avec l’Afrique : la crise de la Covid‑19 lui a, par exemple, permis de déployer une stratégie de diplomatie sanitaire autour de la fourniture de vaccins et de matériels médicaux. Elle y poursuit également une politique culturelle ambitieuse à travers la signature de quelque 65 accords culturels et l’installation de 61 instituts Confucius établis dans 46 pays africains avec pour objectif l’enseignement du mandarin et la diffusion de la culture chinoise ([25]). Par ailleurs, la Chine accueille aujourd’hui plus de 81 000 étudiants africains sur son sol et contribue ainsi à la formation des élites dirigeantes africaines du continent de demain : ce chiffre est en nette augmentation, puisqu’elle n’accueillait que 2 000 étudiants en 2003 ([26]).

Si la présence chinoise en Afrique a pu prospérer grâce à un discours fondé sur l’entraide entre pays en développement et des promesses de partenariats dénués de prédation, ses volontés de s’imposer comme une puissance de premier plan sur le continent s’affirment néanmoins progressivement. En plus d’être le deuxième contributeur financier aux opérations de maintien de la paix en Afrique, la Chine dispose, depuis 2017, d’une base militaire extérieure à Djibouti et a obtenu, en janvier 2023, un accord pour la création de la première base de lancement spatial sur le continent africain. Or, le choix de cette localisation est tout sauf anodin : Djibouti accueille la plus importante base française en Afrique, ainsi qu’une base américaine. Il témoigne, dès lors, de la volonté chinoise d’investir à son tour un fief bien identifié des puissances occidentales et de leurs alliés, ce qui ne manque pas d’inquiéter ([27]). Il s’inscrit également dans le projet des nouvelles routes de la soie en permettant à la Chine d’avoir un accès et d’exercer un contrôle sur le très stratégique détroit de Bab‑el‑Mandeb, point névralgique du commerce mondial ouvert sur l’espace indopacifique.

La visite du président Xi Jiping dans le cadre du sommet Chine-Afrique, qui s’est tenue en Afrique du Sud du 22 au 24 août 2023, vise à relancer cette relation alors que le président chinois ne s’était plus rendu en Afrique depuis 2018.

c.   Une concurrence aux méthodes parfois déloyales

La compétition que se livrent les grandes puissances présentes sur le continent africain n’est pas toujours loyale, loin s’en faut. La France est, en particulier, victime de la stratégie de déstabilisation poursuivie à son encontre par la Russie.

i.   La Russie en Afrique : une présence ancienne réactivée

Pendant longtemps, les relations entre la Russie et l’Afrique ont été très distantes : le continent africain était principalement, aux yeux des Russes, la lointaine Éthiopie, ce royaume, disait‑on, d’où venait Hannibal, l’esclave noir affranchi par Pierre le Grand et devenu général, arrière-grand-père du grand poète Pouchkine ([28]). La situation évolua toutefois avec l’avènement de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), même si, paradoxalement, celle-ci découvrit véritablement l’Afrique tardivement, au moment de la décolonisation, qu’elle a largement instrumentalisée au profit de sa stratégie d’influence contre l’Occident, lorsque de nouveaux régimes, libérés de l’influence des puissances coloniales, arrivèrent au pouvoir imprégnés de culture marxiste‑léniniste et que l’Afrique devenait, dans ce cadre, un champ de bataille dans la guerre des blocs.

La Russie a ainsi construit son influence en Afrique à travers le soutien aux mouvements de libération pendant la période de la guerre froide : Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud, Front de libération nationale (FLN) en Algérie, Front de libération du Mozambique (FRELIMO), Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU), Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), notamment. Elle a également noué des alliances au-delà des seuls régimes marxistes-léninistes, qu’il s’agisse, par exemple, de l’Égypte nationaliste de Nasser (soutien à la nationalisation du canal de Suez en 1956, livraisons d’armes, traité d’amitié et de coopération de 1971), de l’Algérie de Houari Boumédiène (livraisons d’armes) ou du Maroc (visite du secrétaire général du Parti communiste de Léonid Brejnev, en 1961).

Si certains pays s’inspirent alors ouvertement de l’URSS dans leur gestion économique et politique des affaires intérieures, le « socialisme africain » était surtout marqué par le nationalisme, le panafricanisme et des pouvoirs forts. Il n’implique pas nécessairement un alignement international sur les vues de Moscou, si ce n’est pour un noyau dur constitué de l’Angola, du Mozambique, de l’Éthiopie et de la Somalie.

Toutefois, l’influence russe en Afrique ne résista pas à l’affaiblissement puis à l’implosion de l’URSS. L’Égypte renvoie 20 000 conseillers soviétiques dès 1972 et dénonce en 1976 son traité d’amitié avec la Russie. Les régimes marxistes ont commencé à disparaître progressivement, pour se transformer souvent en dictatures pures et simples, à l’image du Mali du socialiste panafricaniste Modibo Keïta, décoré du prix Lénine en 1963 et renversé en 1968.

La Russie ne revient que progressivement et tardivement en Afrique. Les visites du président Vladimir Poutine en Afrique du Sud – qui sera intégrée en 2011 au groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) devenu BRICS à cette occasion  – , au Maroc en 2006, puis en Libye en 2008, ont marqué le début de son grand retour sur le théâtre africain. Son successeur, Dmitri Medvedev, a élargi le cercle en visitant, en 2009, l’Égypte, l’Angola, le Nigéria et la Namibie. Les ouvertures d’ambassades se sont succédé et quarante ambassades russes sont aujourd’hui mobilisées en Afrique pour promouvoir les intérêts économiques de Moscou, rallier les votes des États africains aux Nations Unies et attribuer des bourses et des stages.

Les firmes russes se sont installées sur tout le continent : outre la présence déjà ancienne de Rusal en Guinée-Conakry puis au Nigéria, on peut penser aux consortiums Renova en Namibie, en Afrique du Sud et au Gabon pour le manganèse, Alrosa pour la recherche des diamants en Angola et bientôt en République centrafricaine, Nornikel pour l’or en Afrique du Sud et au Botswana, Lukoil pour l’exploitation du pétrole en Libye, en Côte d’Ivoire et au Ghana ou encore ARMZ pour l’uranium en Tanzanie. Dans le secteur financier, la banque VTB, contrainte d’abandonner en 2019 sa filiale africaine du fait des sanctions économiques consécutives à l’annexion russe de la Crimée, a signé la même année un accord avec la Banque Afreximbank dont le siège est au Caire et qui finance ses opérations d’import-export dans toute l’Afrique.

La présence russe ne se limite pas aux matières premières, elle se manifeste également par la construction ou la mise à niveau des chemins de fer en Algérie ou en Libye, la vente de quatre réacteurs nucléaires à l’Égypte et la signature d’accords de coopération nucléaire civile avec une vingtaine d’États africains dont le Nigéria, le Soudan, l’Éthiopie et le Rwanda. Cette présence économique n’a toutefois pas suscité d’inquiétudes particulières de la part des États occidentaux qui y voient le résultat de l’ouverture du continent dans un jeu normal de concurrence entre puissances.

Il en va différemment dans le domaine militaire. La Russie vend, de longue date, du matériel militaire bon marché aux régimes africains dans le cadre d’accords de coopération militaire, devenant ainsi le premier pourvoyeur d’armes du continent. Le processus s’est toutefois accéléré depuis le début de la crise ukrainienne, en 2014, tout en devenant volontiers agressif à l’égard de l’Occident et, plus spécifiquement, de la France. La Russie a ainsi signé, entre 2017 et 2020, dix nouveaux accords avec des pays qui ne s’étaient jusqu’alors jamais associés à Moscou ( Niger, République centrafricaine, Tanzanie, Zambie, Madagascar, Botswana, Burundi, Guinée-Bissau, Sierra Leone ([29])).

Ces accords sont d’un genre nouveau : s’ils incluent les rubriques traditionnelles sur la formation, la livraison d’équipements, l’échange de renseignements, la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la piraterie, ils impliquent également implicitement ou explicitement le déploiement de conseillers militaires pour la protection des personnalités au pouvoir, au besoin par des milices privées ou des mercenaires ([30]) du groupe Wagner animé jusqu’à sa mort en août 2023 par Evgueni Prigojine, transformant de facto le pays signataire en allié de Moscou. La mise en place d’un réseau de points d’appui militaro-économiques s’accompagne le plus souvent d’une campagne médiatique efficace mettant en valeur la contribution russe au développement et à la défense du pays, son passé sans histoire coloniale, sa prétendue participation à la lutte anti‑impérialiste pourtant démentie par la guerre en Ukraine et, surtout, son refus de donner des leçons de démocratie et d’y conditionner toute aide.

L’Afrique étant de mieux en mieux connectée, les réseaux sociaux sont utilisés intensivement pour diffuser des fausses nouvelles, informations fabriquées ou des rumeurs malveillantes à l’égard des anciennes puissances coloniales, avec des résultats indéniables, notamment dans la sphère francophone du continent.

ii.   La stratégie russe de déstabilisation de la France

La Russie entretient des relations particulièrement belliqueuses avec la France en Afrique notamment depuis le contentieux apparu entre les deux pays autour de la crise libyenne et de la mort du dirigeant Mouammar Kadhafi. Le président Dmitri Medvedev avait, en effet, été convaincu de s’abstenir au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur un projet de résolution, présenté par la France, prévoyant une zone d’interdiction aérienne en Libye. Contre le souhait de son premier ministre Vladimir Poutine, qui y était opposé, il a accepté de ne pas bloquer la résolution 1973. Or, l’interdiction aérienne devenue une interdiction d’intervention directe au sol a conduit à la défaite et à la mort du leader libyen, mettant fin aux contrats signés quelques années plus tôt par Vladimir Poutine à Tripoli, ainsi qu’à l’alliance entre la Russie et la Libye. En représailles, Moscou n’a pas hésité à se poser en concurrent de la France, jugée hostile sur de nombreux dossiers (Syrie, Libye, Ukraine, Biélorussie), dans l’ensemble du continent africain. Ce n’est donc pas un hasard si le nouveau pouvoir malien du colonel Assimi Goïta a réclamé le retrait de la force française Barkhane, redéployée dans la région, et fait appel à la société privée russe Wagner, qui occupe sous les vivats les camps évacués par la France tout en mettant la main sur les gisements d’or maliens.

La nouvelle stratégie russe à l’égard de l’Afrique repose sur trois sphères impliquant des acteurs officiels, des acteurs non officiels mais étroitement liés au pouvoir russe, et enfin des acteurs non officiels jouant le jeu des efforts d’influence russe par conviction ou par opportunisme ([31]).

Des acteurs officiels

S’agissant des acteurs officiels, la diplomatie publique médiatique russe tente de s’implanter en Afrique subsaharienne via la chaîne RT (ex-Russia Today) et l’agence Sputnik. Suite à l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les deux réseaux russes ont été suspendus au sein de l’UE ; l’Afrique subsaharienne et son immense audience potentielle constituent désormais une cible de choix pour ces médias. Cette nouvelle stratégie s’est traduite par l’ouverture d’un bureau de correspondance de RT à Nairobi, en février 2022, ainsi que par la création d’un hub anglophone de RT en Afrique du Sud ; sa maison-mère TV‑Novosti a acheté, fin janvier 2022, plusieurs noms de domaine explicites, comme afrique‑rt.com et africa‑rt.com. Sputnik France a, de son côté, fait peau neuve sous un nouveau nom, Sputnik Afrique, faisant le choix d’internationaliser son identité éditoriale, en mettant l’accent sur les actualités de l’ensemble du continent africain.  Leur ligne éditoriale consiste à adopter une posture « alternative » dans l’espace médiatique international, en s’opposant aux « médias dominants » (mainstream media), à la norme démocratique libérale et à l’interventionnisme occidental.

Des « entrepreneurs d’influence »

Au-delà des acteurs médiatiques officiels, une part importante de l’influence informationnelle russe sur le continent africain repose sur des « entrepreneurs d’influence », qui peuvent porter à moindres frais la parole nationale à travers les médias, notamment à la radio et sur les réseaux sociaux, ou directement sur le terrain. C’est parmi ces entrepreneurs d’influence que se retrouve la milice Wagner, partie intégrante de la « galaxie Prigojine », du nom de l’entrepreneur Evgueni Prigojine. Ce dernier était à la tête non seulement de la société militaire privée Wagner mais aussi de sociétés engagées dans des contrats publics avec le gouvernement russe – en particulier le ministère de la défense –, de compagnies d’exploitation de matières premières en Afrique et en Syrie et d’un puissant appareil d’influence à la fois visible et clandestin. Les miliciens de la société Wagner occupaient une place de choix dans la stratégie russe à l’égard de l’Afrique. Sous couvert de lutte contre le terrorisme et d’offrir une protection privée aux dirigeants africains, ils se sont implantés dans différents pays d’Afrique, à commencer par le Mali ([32]).

La présence de Wagner en Afrique

La société militaire privée (SMP) Wagner s’est implantée en Afrique à partir de 2018 et a étendu son influence à de nombreux pays du continent. Aujourd’hui, la présence du groupe paramilitaire est avérée en République Centrafricaine (RCA), au Mali, au Soudan, en Libye, au Mozambique, au Congo, en Érythrée, en Côte d’Ivoire et à Madagascar ; elle est présumée dans les pays du Burkina Faso, de la Guinée Bissau, de la Guinée et du Zimbabwe. Avant sa mort, Prigojine avait également pour projet de s’implanter au Tchad via le Nord de la RCA.

Dans chacun de ces États, le groupe Wagner suit un mode opératoire similaire. Les miliciens sont officiellement déployés dans le cadre d’une mission d’instruction militaire leur permettant d’intervenir dans le pays d’accueil conjointement avec les forces armées des régimes en place, puis de manière indépendante. Proches des cercles de pouvoir, ils ont souvent la charge de la protection rapprochée des dirigeants en place. En contrepartie de ses interventions, le groupe Wagner s’approprie les ressources minières (or et diamant) et énergétiques (pétrole) des pays et se livre impunément à de nombreuses exactions et massacres à l’encontre des populations locales. Enfin, les États désormais sous influence de la SMP servent de relais à la propagande pro-russe sur le reste du continent. Celle-ci est d’une efficacité redoutable : dès les années 2013-2015, des politologues travaillant pour la fondation pour la protection des valeurs nationales réalisent des enquêtes sociologiques en RCA, au Mali, en Libye et à Madagascar. Ils perçoivent la montée d’un « sentiment anti-français » sur lequel les Russes sauront capitaliser avec succès. Telle est aussi ce qu’il faut retenir de l’empire Prigojine : il ne se réduit pas à une milice privée mais intègre un réseau médiatique puissant au service de la diplomatie russe. Il se compose d’ailleurs principalement de civils, depuis des secrétaires jusqu’à des politologues, en passant par des géologues et de nombreuses autres professions où les femmes sont bien représentées.

L’implantation la plus importante du groupe Wagner se trouve en RCA. La société s’y est installée à partir de 2018 dans le cadre d’un accord bilatéral signé entre Bangui et Moscou, prévoyant le soutien militaire russe en échange de concessions minières avantageuses. Installés à Bobangui, un camp militaire à 50 kilomètres de la capitale, les 2 000 miliciens de Wagner sont d’abord chargés de l’instruction de l’armée centrafricaine. Rapidement, ils assurent la protection rapprochée du président, Faustin‑Archange Touadéra. En décembre 2020, à la demande de ce dernier, les miliciens de Wagner se déploient pour contrer l’avancée de la coalition des patriotes pour le changement (CPC), dirigé par l’ancien président Bozizé, qui a tenté de le renverser. Cet évènement marque un tournant dans la présence de Wagner dans le pays : la milice agit désormais indépendamment des forces armées centrafricaines (FACA), dans le but de renforcer l’assise du pouvoir en place à échange de la cession de concessions minières d’or et de diamants, octroyées à deux sociétés du groupe Prigojine, Midas Ressources et Diamville. En 2019, Evgueni Prigojine a obtenu le permis d’exploitation de la mine d’or de Ndassima via Midas Ressources, une société appartenant au groupe Incomad dont les liens avec Prigojine sont avérés : la production d’or de Ndassima est estimée à quatre tonnes d’or par an, soit l’équivalent de 290 millions de dollars.

Au Mali, l’arrivée des troupes de Wagner a été plus tardive, même si les liens entre le pays et la Russie sont anciens et encadrés par de nombreux accords de coopération. Elle est motivée par l’intérêt du Mali pour l’offre sécuritaire russe dans sa lutte contre le terrorisme djihadiste : le pays obtient la livraison de matériels militaires russes, ainsi que la formation de ses troupes dès septembre 2021 et une coopération militaro-technique. Le gouvernement malien a toujours nié la présence des miliciens pourtant estimée à 1 000 personnes dès décembre 2021 et à 1 500 en 2023. Leur mission s’articule principalement autour de la protection de la junte militaire et d’interventions communes avec les forces armées maliennes (FAMa) au centre du pays, dans les zones d’insurrection djihadiste. Si les les FAMa et les miliciens Wagner ont connu des revers militaires, leurs interventions ont aussi exacerbé localement les tensions communautaires et se sont accompagnées d’importantes exactions à l’encontre de populations civiles, notamment à Mourra, en mars 2022, où 300 personnes auraient été tuées par Wagner et les FAMa. À la différence de la République centrafricaine, la réglementation entourant l’exploitation des concessions minières maliennes sont plus difficiles à contourner et le groupe Wagner n’a pas encore réussi à s’emparer des mines artisanales au nord du Mali qui demeurent contrôlées par des groupes armés, tels que la coordination des mouvements de l’Azawad, qui ont condamné le recours à la milice.

En Libye, les forces de Wagner sont arrivées en mai 2018, en complément du soutien officiel – diplomatique et financier – apporté par la Russie au général Haftar dès 2016, dans le cadre d’une alliance avec les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Arabie saoudite. Selon l’ONU, la société Wagner aurait déployé 1 500 miliciens aux côtés des forces du général Haftar et aurait largement contribué à l’offensive de Tripoli à l’automne 2019. Si cette offensive se solde par un échec, les mercenaires de Wagner sont incriminés par l’ONU et les États-Unis, pour la pause de mines terrestres antipersonnel aux abords de Tripoli. En janvier 2020, Vladimir Poutine reconnaît la présence de mercenaires russes en Libye mais précise qu’ils ne servent pas les intérêts russes. En parallèle de leurs interventions auprès du général Haftar, les mercenaires de Wagner ont pris pour cibles les ressources pétrolifères libyennes : dès juillet 2020, la National Oil Corporation libyenne a annoncé que les mercenaires se sont emparés de plusieurs sites pétroliers ainsi que de leurs infrastructures de transport (gazoducs).

Malgré la guerre en Ukraine, la présence de Wagner en Libye est restée importante, car le pays est un lieu stratégique pour l’entrée des forces de Wagner en RCA et au Mali et la confiscation de sites pétroliers stratégiques libyens offre à la Russie un avantage énergétique considérable sur l’Europe.

Au Soudan, le groupe Wagner est resté relativement éloigné des conflits locaux, sans s’associer à une faction combattante particulière. En revanche, dès 2017, la SMP a obtenu des contrats de concession sur l’exploitation de mines d’or via la société M Invest et sa filiale Meroe Gold, le Soudan possédant l’une des plus grandes réserves d’or du continent. Déjà sous le régime du dictateur Omar el-Béchir, en 2017, les Russes avaient conclu un accord prévoyant l’installation d’une base navale russe en mer Rouge, à Port‑Soudan. Le nombre de mercenaires russes dans le pays est estimé à 500. Officiellement instructeurs de l’armée soudanaise, ils seraient stationnés au Sud-Ouest du pays, à proximité de la frontière du Soudan et de la RCA.

Source principale : « La pénétration du groupe Wagner en Afrique », Michel Klen, revue de défense nationale, 2023/5 (N°860), p. 53-58.

 

Source : TV5 Monde.Où se trouvent les principales activités de Wagner en Afrique ? | TV5MONDE  - Informations

Des acteurs non officiels

Enfin, un troisième cercle se compose d’acteurs sans aucun lien direct ou indirect avec Moscou : il s’agit essentiellement d’entrepreneurs du numérique prêts à diffuser la parole russe contre une rémunération financière. C’est le cas d’un large éventail de sites africains, qui semblent avoir fait de la réplication des contenus russes en français un véritable modèle économique.

Ainsi, la Russie ne se contente pas de tirer bénéfice des difficultés françaises en Afrique ; elle les instrumentalise et les amplifie pour renforcer son influence par des campagnes de communication ciblées et extrêmement agressives, notamment sur les réseaux sociaux, et par le soutien à des manifestations contre la France. Ces phénomènes sont observables au Mali, au Niger et au Burkina Faso mais aussi, sous forme de prémices, en Afrique de l’Ouest côtière, en particulier au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Ces campagnes et ces actions anti-françaises sont recensées par le projet indépendant All eyes on Wagner initié par OpenFacto, association française spécialisée sur les enquêtes en sources ouvertes.

Une campagne anti-française réussie : l’exemple du Mali

Dans son rapport ([33]) consacré à la présence russe au Mali, l’association All eyes on Wagner démontre que le soft power russe a joué un rôle majeur pour influencer l’opinion malienne en faveur d’une présence russe renforcée dans le pays, et ce bien avant que des mercenaires de Wagner y soient visibles. Ainsi, dès 2016‑2017, une organisation de la société civile malienne, le Groupement des Patriotes, demande l’intervention de la Russie dans la lutte contre le terrorisme au Mali. En janvier 2021, Yerewolo Debout sur Les Remparts, une ONG panafricaine, dont le dirigeant est proche du gouvernement russe, appelle plusieurs fois au départ des troupes françaises et de l’opération Barkhane ; dans le même temps, une autre organisation, la fondation pour la protection des valeurs nationales, décrite comme proche de Wagner, mène et publie des enquêtes au Mali mettant en évidence des opinions favorables à l’intervention russe et une perception très négative de l’opération Barkhane auprès des populations.

Campagnes de désinformation détectées et documentées publiquement

Les réseaux sociaux facilitent la circulation, sans aucun recul critique, de fausses informations et théories complotistes qui infusent tout particulièrement la jeunesse africaine, très connectée. Ce constat est d’autant plus inquiétant que ce discours anti‑français trouve un écho, y compris hors d’Afrique. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu a ainsi dénoncé, le 12 février 2023, la représentation de mercenaires opérant en Afrique sous un uniforme très proche de celui des soldats de l’opération Barkhane au Mali, dans le deuxième volet de la superproduction cinématographique de Marvel, Black Panther.

Sans aucune commune mesure avec ces stratégies, le manque de solidarité de certains acteurs européens peut être regretté. Ainsi, le 20 janvier 2019, Giorgia Meloni, alors députée et présidente du parti Fratelli d’Italia, n’a pas hésité, lors de l’émission « Non è l’arena », l’un des principaux talk-shows italiens diffusé sur la chaîne LA7, à accuser la France de se servir du franc CFA pour exploiter indûment les ressources des quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale qui l’utilisent ([34]), donnant du crédit et de l’audience au discours anti‑français.

B.   de la françafrique À la prÉsidence d’emmanuel macron : une volontÉ constamMent exprimÉe de rÉformer la politique africaine de la France

1.   La rupture de 1990 : l’émergence d’une politique de la conditionnalité plus théorique que réelle

Des années 1960 à 1990, la France disposait d’une offre stratégique claire à l’égard des pays africains : elle assurait la sécurité des « régimes amis » de l’Afrique de l’Ouest et attendait de leur part une totale loyauté géopolitique sur la scène internationale. En cas de tentative de coup d’État, la France n’hésitait pas à intervenir pour rétablir de la stabilité, comme au Gabon en 1964.

Or, en 1990, dans un contexte marqué par la chute du mur de Berlin et la fin des blocs, le président François Mitterrand entend rompre avec la doctrine jusque‑là établie entre la France et les pays d’Afrique francophone ([35]). Dans son discours de La Baule en 1990, le président de la République indique que « la France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté » et précise : « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons ». Ce discours est alors mal reçu des dirigeants africains, qui y voient une régression de la garantie de sécurité offerte par la France aux seuls États et non plus aux régimes et une forme d’ingérence dans leurs affaires intérieures : la France réduit le spectre de sa garantie, durcit ses conditions de soutien et ne veut plus considérer l’Afrique francophone comme son pré carré.

En 1998, le ministère de la coopération est intégré au sein du ministère des Affaires étrangères : cette incorporation et la fermeture du « guichet de l’Afrique à Paris », héritée du passé colonial, était censée sceller le sort de la France‑Afrique. Pourtant, vingt ans plus tard, les maux sont les mêmes : absence de stratégie africaine, pilotage politique défaillant, perte de la présence française sur le terrain, manque d’expertise et donc d’informations fiables, décisions prises depuis Paris parfois contradictoires, souvent illisibles.

Cette normalisation est toutefois théorique. Dans les faits, cette politique de conditionnalité se heurte aux intérêts géopolitiques de la France et la recherche de stabilité sur un continent en proie aux crises. Les contradictions se multiplient et suscitent colère et frustrations : si la France accompagne les transitions démocratiques au Bénin et au Mali, elle peine à se positionner face au Togo, au Gabon, au Congo, au Cameroun et au Tchad, où elle soutient inconditionnellement les régimes en place ([36]).

Cette dichotomie entre la théorie et la pratique associée à une série de décisions politiques nourrit ainsi la défiance des Africains à l’égard de la France.

2.   Des choix politiques lourds de conséquence pour la relation bilatérale

L’héritage d’une histoire douloureuse autant que des choix politiques français parfois anciens et structurants pour la relation franco-africaine ont contribué à tisser des liens complexes, occasionnellement conflictuels, et de plus en plus distanciés entre l’Afrique et la France.

On pense d’abord au passé colonial de la France. Un travail mémoriel partiel est en cours et a abouti à une réconciliation entre la France et le Rwanda. Il est cependant délicat à mener, comme l’ont prouvé les controverses autour de la constitution d’une commission mixte d’historiens ([37]) chargée de faire la lumière sur l’histoire entre la France et le Cameroun. Par ailleurs, l’histoire coloniale française est parfois volontairement exploitée par des activistes politiques et des gouvernements peu scrupuleux, qui poursuivent un agenda politique domestique et fuient leurs responsabilités en faisant du facteur colonial l’unique explication de tous les maux africains. Il ne faut toutefois pas sous-estimer le poids de ce passé ni l’influence que peut avoir sur la relation franco-africaine le renouveau d’une telle histoire.

S’y ajoutent des décennies d’interférences françaises dans les affaires africaines, notamment par le soutien de Paris à des pouvoirs autoritaires et à la légitimité contestée déjà mentionnés, à l’instar des régimes d’Omar Bongo (1967‑2009) puis du fils Ali Bongo (2009-2023) au Gabon, d’Idriss Déby (1990‑2021) au Tchad ou du général Gnassingbé Eyadéma (1967‑2005) au Togo, trois pays ayant connu une succession dynastique du pouvoir. La France multiplie les initiatives qui peuvent être interprétées, aujourd’hui encore, comme une tentative de prolonger son emprise sur l’Afrique, en faisant la promotion de la démocratie tout en défendant ouvertement des régimes équivoques ou encore en cherchant à exporter ses standards, son modèle de société et ses valeurs. Récemment, l’ambassadeur français en charge de la défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) n’a fait que renforcer ce sentiment. Sa visite prévue au Cameroun du 27 juin au 1er juillet 2023 pour discuter de la situation des personnes LGBT dans ce pays où l’homosexualité est criminalisée a dû être annulée après que l’ambassadeur a été déclaré persona non grata, le gouvernement camerounais y voyant une initiative peu respectueuse des lois et des valeurs locales et lui refusant finalement la délivrance d’un visa. Malgré plusieurs réformes, le rejet du franc CFA s’inscrit dans la même logique.

La cristallisation des pensions des anciens combattants de l’Union française, les restrictions de l’accès aux visas, rendus obligatoires dès 1986 – et sans réciprocité pour commencer – sur décision de Jacques Chirac, ainsi que les choix de politiques migratoires français autant qu’européens sont vécues comme vexatoires et injustes par des populations africaines majoritairement jeunes, pour certaines francophones, aspirant à une éducation de qualité et à des liens renouvelés entre la France et l’Afrique de l’Ouest.

La hausse des frais d’inscription universitaires, dits frais différenciés, pour les étudiants non‑européens, en 2019, a été vécue comme une forme d’injustice par les populations africaines : le rapporteur Bruno Fuchs, co-rapporteur du dernier rapport d’information valant avis sur le contrat d’objectifs et de performance de Campus France ([38]), saisit cette nouvelle occasion qui lui est offerte de dénoncer cette situation. Le recul de la France comme lieu de formation des élites a également conduit à une perte d’influence et de rayonnement de notre pays dans les États africains, en particulier francophones : rappelons qu’il fut un temps où les présidents civils africains étaient d’autant plus francophiles qu’ils avaient été ministres dans des gouvernements français, tels l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, tandis que les militaires avaient combattu avec l’armée française en Indochine et en Algérie, à l’instar du Centrafricain Jean‑Bedel Bokassa ([39]). La baisse sensible de la coopération technique et militaire française en Afrique francophone a renforcé cette tendance en réduisant les opportunités d’échange, de dialogue et de compréhension mutuelle. Enfin, la politique actuelle de délivrance des visas menée par la France complique l’établissement de liens avec l’Afrique et crée un mouvement d’hostilité voire de rejet à l’égard de notre pays.

3.   De la politique à la stratégie africaine : une nouvelle grammaire sous la présidence d’Emmanuel Macron pour « inventer ensemble une amitié »

Les présidents de la République française n’en finissent pas de tourner la page de la « Françafrique » : c’est François Mitterrand qui déclare que « [l]a France n’entend pas intervenir dans les affaires intérieures des États africains amis », lors du sommet de La Baule, le 20 juin 1990. « Le temps de ce qu’on appelait autrefois la « Françafrique » est révolu », assure plus de vingt ans plus tard, le 12 octobre 2012, le président François Hollande, à Dakar. En ce sens, il n’est guère surprenant de voir ce message repris par Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir en 2017. Dans un style différent, le président de la République nouvellement élu n’hésite pas à affirmer, dans son discours dit de Ouagadougou, prononcé le 28 novembre 2017 à l’Université Ouaga 1, qu’ « il n’y a plus de politique africaine ».

Dans une analyse du 3 juin 2021, le diplomate Michel Duclos ([40]) identifie deux axes structurants de la nouvelle « stratégie » – le terme étant désormais préféré à celui de politique – de la France à l’égard de l’Afrique : d’une part, un repositionnement vers une Afrique globalisée, regardée au-delà du seul prisme du « pré carré » francophone et reconnue pour être au cœur de tous les défis mondiaux ; d’autre part, le maintien, là aussi d’emblée, de l’engagement militaire français au Sahel et, plus généralement, le choix d’assumer une certaine continuité vis-à-vis de l’Afrique francophone.

Le discours de Ouagadougou permet au président de développer sa pensée et d’expérimenter une méthode nouvelle. Il se distingue d’abord par une série de symboles qui doivent en souligner la singularité, en rupture avec les rendez‑vous franco‑africains passés. Prononcé devant des jeunes burkinabé, il se donne une ambition : symboliser non pas « une nouvelle étape » de la relation entre la France et l’Afrique mais bien plutôt une invitation à « inventer ensemble une amitié », qui s’articule autour de plusieurs idées structurantes :

– la volonté de réconcilier les mémoires ;

– la restitution d’œuvres d’art ;

– la montée en puissance de l’aide publique au développement, avec l’engagement que celle-ci atteigne, dès la fin de son premier quinquennat, les 0,55 % du revenu national brut et qu’elle se montre « plus proche du terrain » ;

– la poursuite de la lutte contre le terrorisme, en particulier dans la zone sahélienne avec un soutien affirmé à l’opération Barkhane et une meilleure implication des États africains dans la gestion de leurs conflits, grâce à la montée en puissance des forces du G5 Sahel ;

– la priorité donnée à l’éducation, pour lutter contre l’obscurantisme religieux et toutes les formes d’extrémisme ;

– la promotion de la circulation des talents entre la France et le continent africain ;

– une meilleure ouverture à la société civile, et notamment à la jeunesse, aux oppositions politiques et à toutes les forces vives des nations africaines.

Quelques éléments apparaissent donc. En termes de méthode d’abord, il semble clair que le président de la République explique vouloir favoriser une nouvelle relation, plus horizontale, avec les pays africains : il ne s’agit plus d’imposer d’en haut des politiques conçues à Paris mais de se mettre davantage au diapason des besoins des populations africaines, dans une logique de co‑construction. Sur les sujets investis ensuite, la France s’implique davantage dans des secteurs tels que le sport, la culture ou encore l’entrepreneuriat : ils présentent l’avantage d’être moins chargés émotionnellement que les domaines politique et militaire et de s’adresser directement aux populations. Elle privilégie, enfin, la construction d’un lien direct avec la société civile, au premier rang de laquelle la jeunesse, plutôt qu’avec les dirigeants africains eux-mêmes.

Il est, en revanche, plus difficile d’identifier le degré d’importance et de priorité octroyé à cette politique, ou plutôt, pour reprendre les mots du président, de cette non‑politique, dans le spectre global de la diplomatie française.

Quoi qu’il en soit, le président est conscient que cette entreprise de refondation est longue et difficile. Dans un entretien accordé à Antoine Glaser et Pascal Airault le 25 septembre 2020, il n’hésite pas à déclarer que la transition qu’il amorce vers de nouvelles relations prendra au mieux dix ans, dans une version optimiste. Il souligne que ce travail peut se montrer « ingrat » et déclare : « vous avez le sentiment à un certain moment de perdre ce qui était facile et ne de pas être reconnu sur les risques que vous avez pris. Mais c’est le propre de ces transitions » ([41]). Il assume néanmoins l’ensemble de ses choix et des difficultés rencontrées, se disant persuadé « que le système dans lequel nous vivions était mort » ([42]), même si cela n’était pas encore totalement perceptible.

Pour le rapporteur Bruno Fuchs, si la stratégie présidentielle est claire et pertinente, sa mise en œuvre politique et opérationnelle n’a pas été à la hauteur des espoirs suscités. La France peine ainsi de plus en plus à trouver sa place dans une partie de l’Afrique.

La rapporteure Michèle Tabarot considère, quant à elle, que les difficultés rencontrées par la France tiennent, en grande partie, à l’affirmation selon laquelle notre pays ne dispose plus de politique africaine, ce qui a contribué à renforcer les incompréhensions et les ambiguïtés, d’autant plus que cette déclaration s’est accompagnée d’évolutions sur les plans diplomatiques et militaires donnant le sentiment d’un désengagement du continent.

C.   la France BALLOTTÉe DANS une AFRIQUE EN MOUVEMENT

1.   La France : un pays contesté dans une partie de l’Afrique

a.   L’image de la France s’est dégradée auprès des élites africaines

Contrairement aux idées préconçues, la France souffre d’une perte d’attractivité sur le continent africain auprès des élites africaines : une enquête de 2021 menée pour le Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN) ([43]) auprès de leaders d’opinion africains montre que, dans le prolongement des tendances des années précédentes, la crise de la Covid-19 et le dynamisme des pays émergents – au premier rang desquels la Turquie ou encore les Émirats arabes unis – est venue infléchir les rapports de force et d’influence en Afrique.

Les États anglo‑saxons et l’Allemagne sont de loin les pays jouissant de la meilleure image sur le continent. Quant à l’influence de la Chine, elle connaît un net recul : son image a perdu quinze points en trois ans.

Celle de la France s’est banalisée. Elle n’occupe plus que la septième place, distancée par tous ses compétiteurs traditionnels et désormais au coude-à-coude avec la Turquie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait du baromètre CIAN des leaders d’opinion en Afrique.

 

 

 

 

 

 

Extrait du baromètre CIAN des leaders d’opinion en Afrique

b.   Le désamour entre la France et une partie des sociétés africaines

Le contexte est encore plus inquiétant auprès d’une partie des sociétés africaines qui rejette, parfois violemment, la présence française en Afrique et nourrit de ses critiques le développement d’un véritable discours anti-français. Ce phénomène reste, pour le moment, circonscrit à une petite partie du continent, principalement francophone, et à travers elle, à une partie minoritaire des sociétés africaines souvent jeune et citadine. Toutefois, l’expansion de ce mouvement et ses risques de viralisation tout comme son retentissement médiatique méritent une attention particulière.

i.   Un phénomène ancien…

Cette situation n’est certes pas nouvelle. Dans un article consacré au sentiment anti-français en Afrique, le géographe et chercheur Christian Bouquet ([44]) rappelle que l’un des premiers foyers de confrontation idéologique entre un pays africain et la France fut la Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, en 1983. Les concepts d’anticolonialisme et d’anti-impérialisme y furent popularisés par Thomas Sankara, qui s’en était lui-même imprégné lors de son séjour d’études à l’académie militaire d’Antsirabe, à Madagascar, en 1972. Vingt ans plus tard, c’est en Côte d’Ivoire, alors dirigée par Laurent Gbagbo (2000‑2011), que surviennent des manifestations anti-françaises très violentes, créant ce qui fut qualifié à l’époque de « climat anti-français ». Celui-ci prospéra après le refus de la France de soutenir le pouvoir en place à Abidjan face à la rébellion survenue en septembre 2002. Une vague de violences visant les expatriés français, surtout victimes de pillages et de harcèlements, éclata, certains médias n’hésitant pas à publier les noms, adresses et immatriculations d’un grand nombre d’entre eux : elle trouva son paroxysme avec l’assassinat du journaliste correspondant de RFI Jean Hélène, en octobre 2003.

Dans ces deux pays, le discours anti-français était principalement porté par les médias traditionnels auxquels s’ajoutent, en Côte d’Ivoire, les « patriotes » de la fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), lesquels tenaient des réunions enflammées contre les Français à la « Sorbonne », quartier du Plateau d’Abidjan. Le pouvoir prit également soin de neutraliser les signaux des radios étrangères émettant en FM, qui donnaient régulièrement la parole aux oppositions politiques ; ceux de RFI, France 24, TV5 Monde et de la BBC furent régulièrement coupés entre 2000 et 2011, ce qui n’est pas sans rappeler leur situation actuelle au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

ii.   …qui s’exprime avec une vigueur renouvelée mais doit être nuancé

Ce phénomène trouve aujourd’hui une nouvelle ampleur, en particulier auprès de la jeunesse africaine très connectée aux réseaux sociaux. Si le discours anti-français est particulièrement vif dans certains pays d’Afrique de l’Ouest (on pense bien sûr au Mali et au Burkina Faso mais le phénomène apparaît dans d’autres pays, comme la Côte d’Ivoire), il est également présent, sous une forme rampante, dans le reste de l’Afrique, bien souvent au nom du combat anti-impérialiste et d’une forme moderne de panafricanisme. Ainsi, à l’occasion de la « Journée mondiale de l’Afrique », qui commémore la fondation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenue l’UA, plusieurs centaines de militants de la gauche radicale sud‑africaine se sont rassemblés, le 25 mai 2022, devant l’ambassade de France à Pretoria, pour condamner l’ingérence française sur le continent africain ; il s’agissait là de la première manifestation du genre dans ce pays.

La multiplication des attaques dont la France fait l’objet a donné lieu au recours de plus en plus prégnant dans le discours médiatique, politique et militant de l’expression de « sentiment anti-français », lequel se développerait dans toute l’Afrique. Or, cette expression appelle plusieurs remarques.

D’abord, son emploi n’est pas neutre : il signifie que le discours anti‑français aurait quitté la rationalité politique pour se transformer en une réaction émotionnelle et épidermique contre notre pays. Ou pour reprendre la fameuse formule de Léopold Sédar Senghor : « L’émotion est nègre comme la raison est hellène […] » ([45]). Or, là est précisément toute l’ambiguïté du phénomène actuel : il se fonde autant sur une forme de ressentiment à l’égard de la France et de ses politiques passées, c’est-à-dire sur des faits tangibles et retravaillés par la mémoire, que sur un désamour plus contemporain et diffus.

Ensuite, cette expression est souvent utilisée pour donner l’impression que l’ensemble des sociétés africaines se retrouverait dans le rejet unanime et sans nuance de la France et de son modèle. Sans doute convient-il de se garder des raccourcis et de se méfier des « effets de loupe » que peuvent donner, parfois à dessein, les médias et les réseaux sociaux quant à l’ampleur du phénomène anti‑français ([46]). Loin d’être homogène, il varie selon les pays considérés et n’existe pas – ou pratiquement pas – dans nombre de pays africains, que l’on pense à l’Éthiopie, au Ghana, à la Tanzanie, au Kenya, à l’Angola ou encore à l’Égypte. Il est, par ailleurs, plus prononcé dans les villes que dans les campagnes et parmi les jeunes générations, sans constituer la préoccupation de la grande majorité des populations souvent plus intéressées par leurs conditions de vie immédiates.

En ce sens, la manifestation anti-française organisée contre l’ambassade de France au Niger, le 30 juillet 2023, n’est pas véritablement surprenante : elle se tient à Niamey, bastion de l’opposition au président Mohammed Bazoum, dont les soutiens se trouvent plus volontiers dans les campagnes nigériennes. Il ne faut cependant pas être dupe : alors même que les partis d’opposition avaient donné l’ordre de manifester sans s’approcher de l’ambassade, une trentaine d’éléments très violents parmi les milliers de manifestants présents ont clairement attaqué l’ambassade de France contre rémunération. Il a certainement été donné trop de crédit et de temps médiatique à ces images spectaculaires masquant la réalité plus nuancée des sentiments profonds des Nigériens.

Pour la très grande majorité des personnes rencontrées par les rapporteurs, le rejet est à la hauteur des espoirs déçus : « la France, on la veut mais on la veut autrement » nous disent‑ils. Tant que la France ne changera pas ses pratiques et ses attitudes, il faudra s’attendre à des expressions et à des gestes d’indifférence chez une partie des Africains allant jusqu’au rejet ou à la haine, à la manière du dépit que peut susciter une déception amoureuse.

Ce constat ayant été fait, il n’en demeure pas moins que la France se trouve bien en situation de fragilité dans une partie de l’Afrique, et plus spécifiquement dans les pays d’Afrique de l’Ouest.

c.   Des sujets persistants qui nourrissent un certain ressentiment contre la France

Cette défiance à l’égard de la France se nourrit d’incompréhensions ou des raccourcis plus ou moins dommageables, et ce dans tous les domaines ([47]).

Alors la France est parfois accusée de néocolonialisme économique et monétaire, notamment à travers le maintien du franc CFA, elle a pourtant proposé de concert avec le président ivoirien Alassane Ouattara une réforme de cette monnaie en 2019 ([48]). La balle est à présent dans le camp des pays d’Afrique qui n’ont pas souhaité, à ce jour, utiliser les opportunités ouvertes par cette réforme. Le recours au franc CFA n’est, en effet, pas dénué d’avantages : il confère une certaine stabilité économique aux pays qui l’utilisent. Le taux d’inflation de la Côte d’Ivoire est, par exemple, de 4,8 % contre plus de 10 % chez ses voisins du Ghana et du Nigéria. De même, si de grands groupes français ont été ou sont toujours présents en Afrique (Bolloré, TotalEnergies, Orange, Bouygues), ce sont désormais de véritables multinationales dont les liens avec le gouvernement français ne sont plus les mêmes qu’autrefois.

 

Le franc CFA au cœur d’une coopération économique et monétaire contestée entre l’Afrique et la France

Le franc CFA est la monnaie commune aux États de la « zone franc » créée à la fin des années 1930, à la veille de la Seconde guerre mondiale. Celle-ci se compose elle-même de trois zones disposant chacune d’une banque centrale et de leur propre monnaie arrimée à l’euro et imprimée en France :

– la zone de l’Union monétaire Ouest africaine (UMOA) qui se compose de huit États : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ces pays utilisent le franc CFA d’Afrique de l’Ouest (ou XOF) ;

– la zone de l’Union monétaire d’Afrique centrale (UMAC) qui se compose de six États : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Ces pays utilisent le franc CFA d’Afrique centrale (ou XAF) ;

– l’Union des Comores qui utilise le franc comorien (ou KMF).

Chaque pays est libre de rejoindre, de rester et de quitter temporairement (comme l’a fait le Mali de 1962 à 1984) ou définitivement (à l’image de la Guinée, de la Mauritanie et de Madagascar respectivement en 1960, 1973 et 1975) sa zone franc. La participation des pays membres repose sur des accords bilatéraux et, depuis 1962, sur des accords de coopération avec les Unions monétaires régionales.

La souveraineté monétaire et les décisions sont de la responsabilité des trois banques centrales communes et indépendantes, où siègent les États membres de la zone franc :

– la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) au Sénégal ;

– la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) au Cameroun ;

– la Banque Centrale des Comores (BCC).

Les décisions de politique monétaire sont prises à l’échelle régionale. La France dispose d’une représentation minoritaire au sein du comité de politique monétaire et du conseil d’administration de la BEAC (un administrateur français sur sept). Le conseil d’administration de la BCC se compose, quant à lui, de huit membres désignés pour moitié par le gouvernement français. Enfin, suite à la réforme de la coopération monétaire en zone UEMOA annoncée en 2019, la France n’est plus présente dans les instances de gouvernance de la BCEAO. Cette réforme, dont la mise en œuvre et le calendrier dépendent exclusivement de l’UEMOA, repose sur quatre piliers :

– le changement de nom de la devise. Les autorités de l’UEMOA ont indiqué leur souhait de passer du « franc CFA » (XOF) à l’« ECO »;

– la suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations au Trésor français ;

– le retrait de la France des instances de gouvernance de la zone ;

– la mise en place concomitante de mécanismes ad hoc de dialogue et de suivi des risques.

Le régime de change demeure inchangé, avec le maintien de la parité fixe entre l’euro et la devise de l’Union, ainsi que de la garantie de convertibilité assurée par la France.

La réforme du franc CFA devrait se poursuivre dans les années à venir. La CEDEAO a ainsi lancé un projet de devise commune en deux phases :

– les pays qui disposent de leur propre devise (Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone) lanceront une monnaie commune ;

– les huit membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) – Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo –, qui ont en commun le franc CFA, devraient adopter cette nouvelle monnaie, afin que tous l’utilisent en 2027. D’ici là, les pays de la zone franc devront achever les réformes du franc CFA engagées fin 2019, avec la signature d’un nouveau traité monétaire avec Paris.

Le franc CFA fait l’objet de critiques nourries depuis sa création ([49]). Celles-ci dénoncent un outil néocolonial au service de politiques « françafricaines », la centralisation des réserves au Trésor public français vue comme une preuve patente du manque de souveraineté monétaire, la fabrication des billets en France, l’ancrage fixe à l’euro là où un arrimage à un panier de monnaies correspondrait davantage aux réalités dynamiques des échanges internationaux ou encore le caractère restrictif de la politique monétaire associée.

Ces critiques ont gagné en audience et en visibilité sous l’influence de chocs exogènes qui ont touché la monnaie : dévaluations du franc, crise de l’endettement, dévaluation du franc CFA, passage à l’euro, etc. Selon les périodes, les critiques plus politiques (néocolonialisme) ont pris le dessus (années 1960-1970) ; à d’autres moments, ce sont les critiques économiques qui ont été les plus audibles (à partir des années 1980). La période actuelle intègre et amalgame les différents arguments politiques, économiques, géopolitiques et panafricanistes ; elle a également vu ces critiques nourrir un temps le mouvement social (Sénégal, Mali, notamment), avant de devenir l’un des principaux sujets de contestation dirigée contre la France en Afrique de l’Ouest.

Sources diverses

Carte de la Zone franc
La zone franc

Source : direction générale du Trésor

 

Les malentendus ne manquent pas non plus dans le domaine des médias : la France est encore trop souvent perçue comme l’ancienne puissance coloniale contrôlant étroitement leur contenu au prétexte qu’il s’agit de médias de service public, confondus avec des médias d’État. Dans ces conditions, il n’est pas rare que les populations et les gouvernements des pays africains voient indûment l’ombre de l’Élysée derrière la ligne éditoriale de France 24 ou de RFI.

2.   Une fragilité qui conduit au retrait partiel de la France du continent africain, notamment dans la zone sahélienne

La remise en cause de l’influence française en Afrique se traduit par la multiplication des manifestations hostiles, et parfois violentes, aux intérêts français.   Pensons, par exemple, aux attaques dirigées contre l’ambassade de France à Ouagadougou et l’Institut français de Bobo Dioulasso au Burkina Faso, le 1er octobre 2022, à l’interdiction, le 3 décembre 2022, de la diffusion de RFI sur le territoire burkinabé, bientôt suivie de celle de France 24, en mars 2023, et à l’expulsion des correspondants des journaux Le Monde et Libération, en avril 2023. Citons également le pillage de magasins français à Dakar, au Sénégal, en mars 2021, ou l’interdiction faite aux organisations non gouvernementales (ONG) recevant des fonds français d’exercer au Mali.

Plus structurellement, la fragilité actuelle de la France en Afrique conduit à un net recul de sa présence sur le continent, lequel a connu un développement spectaculaire sur le plan militaire et dans la zone sahélienne au cours de l’année 2022 pour trouver un ultime développement en octobre septembre 2023 avec le début du retrait des forces françaises présentes au Niger. Cela s’est également traduit par le retrait, en décembre 2022, des dernières forces militaires françaises présentes en Centrafrique, qui suivit la dégradation de ses relations avec la France du fait de la présence d’éléments de la milice russe Wagner sur son territoire. La France a ainsi suspendu son accord de coopération militaire avec la Centrafrique en avril 2021 et l’Union européenne (UE) a gelé ses missions de formation, en décembre 2021 pour la même raison. Deux autres exemples, au Mali et au Burkina Faso, permettent de prendre la mesure du phénomène.

a.   La fin de l’opération Barkhane

Le 9 novembre 2022, le président de la République Emmanuel Macron annonce la fin de l’opération Barkhane au Sahel ([50]), laquelle visait à sécuriser le territoire malien et à prendre le relais, en août 2014, de l’opération Serval, elle‑même lancée en 2013 avec un mandat clair, celui de repousser l’avancée

 

terroriste vers Bamako, capitale politique et administrative du pays ([51]).

Cette annonce parachève un processus de retrait des troupes françaises du Mali, où étaient principalement déployés les militaires français, amorcé mi-2021 ; les derniers soldats français mobilisés dans le cadre de Barkhane, qui a compté jusqu’à 5 100 hommes – hors forces spéciales –, ont quitté le pays mi-août 2022. Ce retrait s’est accompagné de celui de la task force Takuba, coalition de forces spéciales européennes qui soutenaient l’armée malienne. Dans leur déclaration conjointe de deux pages sur la lutte contre la menace terroriste et le soutien à la paix et à la sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest, publiée le 17 février 2023, l’ensemble des acteurs impliqués ([52]) soulignent qu’« en raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les États européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations. En étroite coordination avec les États voisins, ils ont également exprimé leur volonté de rester engagés dans la région, dans le respect de leurs procédures constitutionnelles respectives. »

Si les autorités maliennes n’ont pas demandé officiellement le retrait des troupes françaises du Mali, ce dernier résulte d’une longue dégradation des relations entre les deux pays. Le déploiement de plusieurs centaines d’instructeurs russes et de paramilitaires de la société privée Wagner – entre 800 et 900 en février 2022 – constitue une source de tensions supplémentaires alors que les militaires français font l’objet d’une défiance de plus en plus ouverte de la part des autorités maliennes au bénéfice des forces russes ([53]).

b.   Le retrait des troupes françaises du Burkina Faso

Quelques mois après le retrait des soldats de l’opération Barkhane, la France a été contrainte de rappeler ses troupes stationnées au Burkina Faso, qui comptait 400 éléments des forces spéciales dans le cadre de l’opération Sabre, en vertu d’un accord en date du 17 décembre 2018, afin de lutter contre la présence djihadiste dans la région. Cet accord a été dénoncé par les autorités burkinabé – arrivées au pouvoir par un coup d’État le 30 septembre 2022 –, ce dont le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a pris acte le 25 janvier 2023.

Ce retrait s’est accompagné du rappel pour « consultations » de l’ambassadeur français au Burkina Faso, le 26 janvier 2023 ([54]). Son retour coïncide avec une demande des autorités de transition de le voir remplacer : fin décembre 2022, une lettre avait été envoyée par le ministère burkinabé des Affaires étrangères à Paris pour réclamer son départ, lui reprochant notamment d’avoir fait état publiquement de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays. Rappelons que celle-ci est réelle : le pays a connu, entre le 1er janvier et le 10 mars 2023, 309 incidents sécuritaires ayant entraîné 1 427 morts, ce qui le classe, en nombre de morts dans cette région, juste derrière le Nigéria (1 644 morts) et loin devant le Mali (566), le Niger (119), le Togo (68) et le Bénin (19) ([55]). Il s’en est suivi le rappel de tous les coopérants militaires français présents dans le pays en mars 2023.

Parallèlement, les autorités burkinabé se sont rapprochées de pays ouvertement hostiles à la France : l’ambassadeur russe à Abidjan, compétent pour le Burkina Faso, a annoncé la réouverture prochaine de l’ambassade de son pays à Ouagadougou, fermée depuis 1992 ; de même, les nouvelles autorités burkinabé ont renoué des relations diplomatiques avec l’Iran, qui a maintenant un ambassadeur résident à Ouagadougou, et avec la Corée du Nord, dont un ambassadeur a été agréé au conseil des ministres burkinabé.

Il convient toutefois de distinguer les scénarios burkinabé et malien. Si certains mouvements panafricains et acteurs politiques burkinabé ont reproché à la France son manque d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme, celle-ci s’est, en réalité, heurtée au défaut d’appétence de la partie burkinabé à l’égard d’un partenariat opérationnel avec ses forces Armées. En effet, quels que soient les régimes qui se sont succédé depuis la chute de l’ancien président Blaise Compaoré, le Burkina Faso, jaloux de sa souveraineté, n’a jamais pleinement souhaité coopérer avec les forces françaises, ne faisant appel à elles qu’en cas d’urgence opérationnelle avérée. La prise de pouvoir du capitaine Traoré a porté à son paroxysme cette situation, puisqu’aucune intervention, même en appui, n’a été sollicitée depuis le 30 septembre 2022. De plus, les relations entre les autorités burkinabé et françaises n’ont jamais atteint le degré de tension et de défiance existant entre la France et le Mali. Surtout, si le retrait des soldats de l’opération Barkhane s’est accompagné de la fin de toute coopération entre la France et le Mali, rien ne dit qu’il en sera de même au Burkina Faso où de nouvelles formes de coopération, y compris sécuritaires, pourraient voir le jour.

Si les relations entre la France et l’Afrique ne peuvent se lire à la seule aune de ces deux retraits, ces derniers n’en demeurent pas moins symptomatiques du questionnement, voire de la remise en cause, des liens franco-africains sous leur forme actuelle. Ainsi, quelles que soient les causes invoquées, la position de la France en Afrique est aujourd’hui difficilement tenable, soumise à des critiques contradictoires – tantôt pour indifférence, tantôt pour ingérence – mais toujours très vives.

Devant cette impasse, une solution, évoquée par certains, pourrait être de se retirer durablement du continent africain. Telle n’est pas la voie soutenue par les rapporteurs ni même par les autorités françaises, tant l’Afrique est au cœur de tous les grands enjeux contemporains. Il existe toujours en Afrique, dans de nombreux pays, une envie de maintenir des relations riches et apaisées avec la France. Les populations africaines ne sont pas hostiles, à quelques exceptions près, aux Français eux-mêmes mais concentrent leur critique sur la politique menée par notre pays. Il est donc essentiel de comprendre ce qui ne fonctionne pas ou plus aujourd’hui, malgré les efforts réels déployés pour repenser cette relation. C’est en comprenant nos erreurs et les malentendus qu’elles suscitent que la France pourra construire une relation saine avec l’Afrique dans toute sa complexité.

II.   les dÉfauts d’une stratÉgie qui n’a pas su comprendre et s’adapter pleinement aux besoins nouveaux de l’afrique

Malgré sa réforme, maintes fois menée, la politique africaine de la France, rebaptisée stratégie, peine à obtenir des résultats, en particulier en Afrique francophone. Il s’agit donc de s’interroger sur les causes profondes de ce relatif échec pour bâtir des relations solides à l’avenir. Les rapporteurs demeurent optimistes sur une telle possibilité et leurs critiques ne visent qu’à garantir les conditions d’émergence d’un nouveau partenariat avec l’Afrique. Ils ne négligent ni les difficultés inhérentes à l’exercice du pouvoir ni l’extrême complexité que représente l’édification d’une politique s’adressant à un continent pluriel, aux enjeux et à l’histoire très divers selon les pays envisagés, sans cesse en recomposition.

A.   Une mÉthode dÉfaillante : l’Élaboration en vase clos d’une politique africaine insuffisamment arrimÉe aux RÉalitÉs locales

Traditionnellement, la politique africaine a toujours constitué un domaine réservé au cœur du domaine réservé dépendant étroitement de l’Élysée. Cette tendance s’est maintenue au fil du temps. Elle a abouti à réduire les possibilités de discussion et de débat autour des choix stratégiques faits par la France en Afrique, et ce d’autant plus que l’Afrique demeure un continent largement méconnu et incompris. Cette méconnaissance a pu favoriser la tenue de discours ou l’adoption de postures qui ont contribué à abîmer la relation bilatérale.

1.   Du 20, rue Monsieur au 2, rue de l’Élysée

La disparition, en 1998, du ministère de la coopération, acteur central des relations entre les Afriques et la France installé au 20, rue Monsieur, a accentué année après année la concentration de la politique africaine de notre pays autour du président de la République française.

a.   Le conseiller Afrique du président : la figure incontournable des relations franco-africaines

S’il n’existe plus de cellule africaine au sein de l’Élysée depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, les conseillers Afrique des différents présidents – désormais rattachés à la cellule diplomatique de l’Élysée – n’ont cessé de jouer un rôle central dans la définition de la politique africaine de la France. La présidence d’Emmanuel Macron ne fait pas exception sur ce point.

Installé au 2, rue de l’Élysée, le conseiller Afrique est un chaînon majeur, quoique très discret, des relations franco-africaines. C’est lui qui suit l’ensemble des dossiers afférents au continent et reçoit les visiteurs africains de passage à Paris ; lors des visites d’État du président de la République en Afrique, il peut rencontrer des personnalités délaissées par l’agenda officiel, par exemple, des opposants politiques, et fait souvent le lien entre la présidence et les ambassadeurs en poste lorsque des consignes urgentes ou importantes doivent être données.

b.   Le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) : une innovation certaine, des résultats mitigés

Officiellement créé le 29 août 2017, le CPA a été pensé pendant la campagne présidentielle par le directeur Afrique du groupe Duval, Jules‑Armand Aniambossou, franco-béninois et condisciple de l’ENA du président de la République. Comme le rapportent Antoine Glaser et Pascal Airault ([56]), ce dernier a fait porter le projet par trois autres personnalités : Lionel Zinsou, banquier proche de Laurent Fabius et premier ministre du Bénin entre 2015 et 2016, Jean‑Michel Severino, à la tête d’un fonds d’investissement destiné aux PME africaines et Hakim El Karoui, conseiller en stratégie et essayiste. À l’Élysée, le secrétaire général Alexis Kohler et la cellule diplomatique ont ensuite choisi onze membres de la société civile, essentiellement des trentenaires et quadragénaires issus du monde de l’entreprise, des nouvelles technologies, de l’art, de la santé, des médias, du sport et ayant un lien fort avec l’Afrique. Autant de « premiers de cordés » ([57]) dont la représentativité des diasporas africaines en France est sans doute à nuancer.

Non rémunérés et directement rattachés au président de la République, les membres de ce conseil, d’abord installés dans les locaux de l’AFD puis à l’Hôtel Marigny, une annexe de l’Élysée, se réunissent plusieurs fois par mois, puis à des intervalles plus espacés. Leur rôle : apporter à Emmanuel Macron un éclairage différent sur les enjeux de la relation entre la France et l’Afrique, formuler des propositions concrètes d’actions sur des secteurs d’avenir de la relation, faire le lien avec les sociétés civiles africaines et rapporter au président la manière dont est perçue sa politique auprès des populations africaines.

On retrouve donc, à travers cette entité, les fondamentaux de la nouvelle stratégie du président mais aussi de sa méthode : mobiliser les diasporas africaines en France et, à travers elles, les sociétés civiles. La création de ce conseil participe néanmoins à une certaine mise à l’écart de son administration, et notamment des diplomates de carrière, en contournant l’expertise du Quai d’Orsay pour faire appel à des femmes et des hommes dépendant de l’Élysée et censés porter un autre regard sur l’Afrique. Notons d’ailleurs que cette initiative a directement inspiré les États‑Unis qui ont lancé, le 26 septembre 2023, un conseil présidentiel sur l’Afrique et les diasporas dont la structuration est très similaire au CPA français ([58]).

Les onze personnalités choisies pour composer le CPA en 2017

Jean-Marc Adjovi-Boco, Franco-Béninois, ancien sportif et entrepreneur ;

Jules-Armand Aniambossou, Franco-Béninois, directeur général Afrique et Outre-Mer du groupe Duval ;

Diane Binder, Française, directrice adjointe du développement international du groupe Suez ;

Yves-Justice Djimi, Français, avocat ;

Liz Gomis, Française, journaliste et réalisatrice ;

Jeremy Hadjenberg, Français, directeur général adjoint chez I & P ;

Yvonne Mburu, Kényane, chercheuse et consultante en santé ;

Vanessa Moungar, Franco-Tchadienne, directrice genre, femmes et société civile à la Banque africaine de développement ;

Nomaza Nongqunga Coupez, Sud-Africaine, entrepreneuse dans la culture ;

Karim Sy, Franco-Libano-Malien, entrepreneur dans le numérique ;

Sarah Toumi, Franco-Tunisienne, entrepreneuse.

Si son lancement est annoncé en grande pompe, son action se fait beaucoup plus discrète et se trouve peu renseignée. Un an après sa création, le journal Le Monde ([59]) souligne la difficulté pour le conseil à trouver sa place et à convaincre de son utilité. Chaque membre doit rédiger des fiches à l’attention du président lors de ses voyages en Afrique, précisant la perception de la France, les attentes des populations et les projets financés par notre pays, et doit proposer quelques recommandations pour renforcer la relation bilatérale. Le conseil contribue à la préparation des voyages du président en Afrique pour identifier des interlocuteurs de la société civile et ses membres visitent des ambassades pour s’assurer que l’agenda transformationnel trouve à s’appliquer sur le terrain. Il suscite toutefois une certaine perplexité quant à son rôle exact et à l’importance de son influence ; il a sans doute aussi souffert d’un manque de moyens. Il est finalement supprimé en mars 2022. L’Élysée ne se montre guère plus précis quant à son bilan global : son site internet indique seulement qu’il « est à l’origine de nombreuses propositions d’actions nouvelles en faveur de la jeunesse africaine et française (culture, sport, numérique, entrepreneuriat, enseignement supérieur) » ([60]).

c.   Un entourage militaire resserré autour du président de la République

Quelques personnalités militaires entourent le président de la République et exercent une influence sur la politique de la France à l’égard du continent africain. Le chef de l’état-major particulier du chef de l’État (CEMP) est l’un d’entre eux. Troisième personnalité dans le rang protocolaire de l’Élysée, il agit comme une sorte de secrétaire particulier du chef de l’État sur les questions militaires : il prépare les conseils de défense dans le poste de commandement Jupiter, assure la permanence opérationnelle des forces nucléaires et une liaison permanente avec le ministère des Armées et l’État-major des armées. Il est épaulé par un général de brigade, adjoint au CEMP, qui est plus particulièrement en charge des questions africaines et souvent en première ligne pour répondre aux questions des journalistes sur les opérations extérieures de la France en Afrique ([61]). Le CEMP occupe ainsi un poste très influent mais ne peut donner d’ordre aux armées : cette fonction stratégique revient au chef d’État-major des armées (CEMA), deuxième personnage clé pour les arbitrages de la politique militaire de la France en Afrique.

L’autorité de ces deux hommes, représentants de l’institution militaire, est néanmoins à relativiser sous la présidence d’Emmanuel Macron, alors que ce dernier s’est employé à déplacer l’épicentre du pouvoir du ministère des Armées à l’Élysée. D’une part, celui‑ci aime à consulter de nombreux visiteurs du soir, qui n’appartiennent pas nécessairement à l’armée. D’autre part, le rôle du CEMP au sein même de l’Élysée s’est trouvé quelque peu amoindri : l’arrêté du 18 septembre 2017 relatif à la composition du cabinet du président de la République rétrograde ainsi le CEMP de la deuxième à la troisième place dans la hiérarchie de l’Élysée, derrière le secrétaire général et le directeur de cabinet de la présidence, tandis qu’Emmanuel Macron fait le choix, à deux reprises, de ne pas nommer d’ancien CEMP au poste de CEMA, comme cela est pourtant souvent le cas ([62]).

d.   Élysée, ministère des Armées, Quai d’Orsay, secrétariat à la coopération : un manque d’équilibre et de cohérence entre des acteurs très divers

Les différents acteurs impliqués dans la politique africaine de la France entretiennent des liens nourris de manière à articuler leur travail respectif et les interactions sont ainsi quasi constantes. Les échanges et les contacts entre le Quai d’Orsay et le ministère des Armées sont, par exemple, nombreux :

 la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et l’État‑major des armées participent, aux côtés d’autres services, aux réunions hebdomadaires de partage d’informations organisées par la direction de l’Afrique et de l’Océan indien du Quai d’Orsay ;

 il existe des échanges quotidiens au niveau des sous-directeurs et des rédacteurs des deux ministères travaillant sur des dossiers communs. Dans ce cadre, les personnels du ministère des Armées en mobilité au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, dont une personne se trouve à la direction de l’Afrique et de l’Océan indien au poste de rédacteur sur le Tchad, une autre à la direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement sur le suivi des enjeux de sécurité en Afrique et un dernier à la direction des Nations Unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie, jouent un rôle de facilitateurs ;

 sous l’égide des cabinets ministériels, des réunions sont organisées régulièrement afin d’aborder des thématiques spécifiques ;

 lorsque la Task Force Sahel était encore en place sous l’autorité de l’envoyé spécial pour le Sahel, un poste était occupé par un représentant du ministère des Armées.

La politique de la France à l’égard de l’Afrique au Quai d’Orsay

Différentes directions du Quai d’Orsay sont mobilisées pour le déploiement de la politique française en Afrique :

- la direction de l’Afrique et de l’Océan indien (DAOI) : composé de 51 ETPT, il s’agit de l’une des cinq « directions géographique » du ministère. Elle est chargée, d’une part, de la conduite des relations bilatérales entre la France et les États d’Afrique subsaharienne et suit en ce sens les questions politiques, économiques et sociales de ces pays et, d’autre part, de la conduite des relations avec les organisations régionales non financières de la zone. Elle s’appuie sur 42 ambassades qui animent au quotidien les relations diplomatiques avec leurs pays ou les organisations hôtes et mettent en œuvre les orientations politiques prises par la France. Sur la base de son expertise géographique, elle apporte également une vision et des recommandations politiques à la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international dans son action ;

- la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (DGM), quant à elle, définit et met en œuvre l’action de la France relative aux enjeux globaux, au développement durable, à la coopération internationale, à la politique d’influence et aux grandes politiques sectorielles.

D’autres services contribuent, dans le champ de leurs compétences, au traitement des questions africaines au sein du ministère :

- la direction de la communication et de la presse (DCP), qui est chargée notamment de la définition et de la mise en œuvre de la stratégie de communication du ministère en Afrique, des relations avec la presse et les journalistes africains, et de veiller à la cohérence de l’ensemble de l’expression publique des services de l’administration centrale et des postes diplomatiques et consulaires en Afrique ;

- la direction de l’Union européenne (DUE), qui suit la déclinaison en Afrique des orientations de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union ;

- la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui, dans ses activités, anime la coopération structurelle avec les États africains dans les domaines de la défense et de la sécurité intérieure et civile. Elle met en œuvre, dans ces domaines, sous la forme de projets de coopération bilatéraux ou multilatéraux, des actions de formation, d’expertise et de conseil dont elle assure le pilotage stratégique et la gestion globale ;

- la direction des Nations Unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie traite, par différents volets, des thématiques africaines : questions politiques relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales au sein des enceintes des Nations Unies, affaires humanitaires et francophonie ;

- l’ambassadeur en charge de la diplomatie publique en Afrique et son équipe.

Source : Ministère de l’Europe et de Affaires étrangères

De même, en dehors des périodes de crise, la fabrique de la politique africaine de la France est structurée par une ou plusieurs réunions interministérielles hebdomadaires organisées directement à l’Élysée, et non à Matignon, qui regroupent autour du conseiller Afrique du président de la République une vingtaine de personnes. En période d’intervention militaire, une nouvelle instance de prise de décision occupe une place centrale, le conseil de défense et de sécurité nationale réuni en conseil restreint, dont les séances sont préparées par des réunions ad hoc autour du CEMP ([63]). Ce conseil a, par exemple, été réuni le 29 juillet 2023 suite au coup d’État au Niger, lequel oblige la France à envisager un redéploiement des soldats qui y étaient stationnés.

Toutefois, malgré l’existence de telles instances, une certaine incohérence est perceptible dans l’action des différents acteurs impliqués, comme si chacun se trouvait dans son couloir, selon une organisation en silos. Il y a ce qui relève directement de l’Élysée ; pour le reste, chaque ministère agit en fonction de sa vision et de ses objectifs propres, sans se soucier d’une cohérence d’ensemble. La multiplication des intervenants peut aussi aboutir à brouiller le message politique de la diplomatie française. Ainsi, durant son mandat, le président François Hollande entretient des relations très distantes avec le Tchad du président Idriss Déby et fait de la défense des droits de l’Homme dans ce pays un marqueur de sa politique. Telle n’est pas celle, en revanche, de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui souhaite éviter de s’aliéner le président tchadien dont le soutien est essentiel à la France dans le cadre de la MINUSMA, du conflit libyen et de l’aide apportée à la région du Darfour au Soudan.

À cela s’ajoute un déséquilibre certain quant à l’influence de ces divers acteurs. Ainsi, l’effacement relatif des diplomates au profit des militaires dans la crise sahélienne a contribué à conférer au ministère en charge des armées une place de premier plan dans la définition de la stratégie africaine de la France et dans l’expression médiatique de son action. Plusieurs personnes interrogées ont souligné l’absence de véritable stratégie émanant du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à tel point que ce sont les armées elles‑mêmes qui suggèrent, les premières, d’accompagner leur action au Mali d’une vision politique, ainsi que d’initiatives sur le terrain, liées au développement des territoires libérés.

Le pouvoir du ministère en charge des armées et l’investissement croissant du président et de son entourage ont un corollaire : le relatif effacement du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, lequel est particulièrement visible dans la zone sahélienne. Le différentiel d’influence entre les deux ministères est perceptible aussi bien dans leur capacité à peser sur la prise de décision politique que sur le terrain : la France envoie, au moment de l’opération Serval au Mali, jusqu’à 5 000 hommes, quand l’ambassade de France à Bamako ne compte qu’une poignée de personnels permanents et que les diplomates ne peuvent voyager dans le pays sans la protection des militaires. De même, et sans surprise pour des raisons stratégiques évidentes, les diplomates en poste n’apprennent qu’avec retard le lancement d’opérations militaires : l’ambassadeur de France à Bamako n’aurait été informé de l’opération Serval que le 11 janvier 2013 à 12 heures 40 – l’opération ayant commencé dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013 – par un message qualifié de « laconique » ([64]) de la conseillère Afrique du président de la République, tandis que le directeur Afrique n’apprendra la nouvelle que le soir venu, à la télévision.

Outre le contexte sécuritaire défavorable au travail des diplomates, leur retrait peut aussi s’expliquer par le manque d’attractivité des postes offerts à ces derniers sur le continent africain. Un passage par l’Afrique est, en effet, peu valorisé au sein du ministère, sans même mentionner les conditions de vie souvent difficiles, et dès lors peu attrayantes, imposées aux diplomates et à leurs familles.

e.   Une vision souvent unilatérale et mal documentée : les faiblesses de la méthode française

À partir du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la reprise en mains des questions africaines par l’Élysée donne un regain d’influence au conseiller Afrique du président, non démenti jusqu’alors. La prise de décision s’est ainsi concentrée à l’Élysée au détriment des autres acteurs peu consultés et écoutés, au risque de concevoir une politique de façon isolée, en écartant trop souvent les opinions divergentes ou alternatives, ce qui favorise une vision parfois approximative et partielle du continent africain et de ses enjeux. Les chercheurs, experts et journalistes sont eux-mêmes peu écoutés.

Le rapporteur Bruno Fuchs observe que la société civile et les opposants politiques africains ne sont pas suffisamment pris en compte. Quand ils sont reçus, cela se fait surtout par des fonctionnaires de la direction Afrique du Quai d’Orsay et non à l’Élysée. Sur le terrain, le constat est le même. À titre d’exemple, si un ambassadeur américain reçoit ou visite toute la classe politique et la société civile, la majorité des diplomates français en zone francophone se contente d’une proximité avec les autorités officielles. Il est paradoxal qu’une stratégie fondée sur la vitalité des sociétés civiles ait omis à ce point de les consulter.

La relégation du Parlement à un rôle extrêmement secondaire sur l’élaboration et le suivi de la politique africaine est également symptomatique de cette méthode. Rares sont les débats autour des choix stratégiques opérés par la France ou, plus récemment, le retrait de ses troupes et la reconfiguration de sa politique militaire. De ce point de vue, nos alliés africains font parfois mieux : c’est le cas du Niger où la présence des forces françaises dans le pays avait été débattue au Parlement.

La rapporteure Michèle Tabarot déplore les errements et les échecs auxquels cette hypercentralisation a conduit. Elle estime qu’il est désormais impératif de décloisonner le domaine réservé pour en faire un domaine partagé associant plus largement le gouvernement français, les parlementaires, les diplomates et l’ensemble des experts.

2.   Une perte de connaissances généralisée sur l’Afrique qui vient renforcer la dimension parfois « hors sol » de la politique africaine française

Paradoxalement, si la France a depuis longtemps des liens privilégiés avec le continent africain et si elle est régulièrement accusée d’y être omniprésente, elle connaît peu et peut-être de moins en moins son interlocuteur. Dans tous les domaines, économiques, politiques, militaires, diplomatiques ou encore universitaires, rares sont ceux qui comprennent vraiment l’Afrique dans sa subtilité, sa diversité et ses profondes transformations. Les réseaux de l’ancienne Françafrique ont laissé place à une forme de vide.

Cette situation couplée à un manque de moyens de la recherche et de la diplomatie et à la concurrence de l’Europe, de l’Asie et du Proche et du Moyen‑Orient, jugés plus attractifs à bien des égards, a relégué l’Afrique au second plan des priorités diplomatiques françaises. Parallèlement, les lieux de formation sur l’Afrique ont, pour certains, disparu, comme le centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes, école fondée en 1937 avant de fermer ses portes en 2000. Là est précisément le risque : comment bâtir une offre stratégique pertinente et se prémunir de la poursuite d’une politique « hors sol » sans connaître ceux à qui elle s’adresse ? Cette situation est d’autant plus dommageable que les Africains, notamment francophones, ont une connaissance fine de la France, de son histoire et de sa culture.

a.   Un monde de la recherche jouissant d’une expertise d’excellence mais peu dense et entravé par les problématiques sécuritaires de l’Afrique

La France est reconnue, sur la scène internationale, pour l’excellence de sa recherche sur les problématiques intéressant le continent africain. Toutefois, les centres français spécifiquement consacrés à l’Afrique sont encore peu nombreux, que l’on pense à l’institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), qui intègre les questions liées au Maghreb, au laboratoire « Langage, langues et cultures d’Afrique » (LLACAN), centré sur les langues africaines, à l’unité mixte de recherche « Les Afriques dans le monde » (LAM) et à l’institut des mondes africains (IMAF). Les directions de recherche sur l’Afrique se concentrent autour de quelques universités seulement, principalement Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris-Diderot (Paris 7) et Aix‑Marseille. Paradoxalement, la recherche sur la zone sahélienne est plus développée aux États‑Unis qu’en France, même si, depuis quelques années, notre pays connaît une certaine effervescence intellectuelle autour de l’Afrique. Une chaire permanente «  Histoire et archéologie des mondes africains », occupée par François‑Xavier Fauvelle, a ainsi été créée au Collège de France en 2018 tandis que se multiplient les ouvrages visant à restituer l’irréductible diversité de l’histoire du continent africain et à rompre avec les préjugés ([65]).

Si l’Afrique peine toujours à s’imposer comme un sujet d’études prioritaire en France, sa connaissance se heurte de surcroît aux obstacles rencontrés par les chercheurs pour s’y rendre physiquement du fait de la dégradation des conditions sécuritaires sur une vaste part du continent. En tant que fonctionnaires, ceux-ci sont, en effet, tenus de respecter les consignes aux voyageurs formulées par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

CONSEILS AUX VOYAGEURS EN AFRIQUE (AU 08/03/2023)

Une fois publiés, on ne peut que regretter la faible valorisation des travaux de recherche français qui ne permettent que rarement d’éclairer la prise de décision politique. Certes, le rôle d’un chercheur n’est pas de proposer clés en main des solutions aux décideurs publics ; du moins ses travaux, qui apportent une connaissance fine du terrain et de la complexité des situations locales, devraient permettre de nourrir davantage la réflexion politique. À plusieurs reprises, il a été présenté aux rapporteurs des modèles étrangers enthousiasmants : aux États-Unis, par exemple, la formation des diplomates nommés ambassadeurs intègre un cycle de rencontres avec des chercheurs spécialistes du pays de destination ; ces entretiens sont l’occasion d’échanges nourris et ne sont en aucune façon perçus comme une marque de défiance à l’égard de la compétence des diplomates concernés.

b. Une perte de connaissances sur l’Afrique au sein du Quai d’Orsay

La faible valorisation des parcours tournés vers l’Afrique au sein du Quai d’Orsay, la disparition en 1998 du ministère de la coopération dont le niveau d’expertise sur le continent africain était indéniable, comme la réduction des effectifs des postes offerts aux diplomates dans le réseau, tout particulièrement dans les pays africains, et le retrait du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sur les questions africaines n’ont sans doute pas contribué à la montée en puissance d’une véritable filière « Afrique » au sein du Quai.

Il est reconnu que les postes occupés en Afrique ne sont pas assez valorisés dans la carrière des diplomates. De même, il n’est pas rare de voir des non spécialistes être nommés en Afrique, ou des spécialistes d’Afrique de l’Est nommés en Afrique de l’Ouest, et inversement. Le rapporteur Bruno Fuchs déplore, à ce titre, que presque aucun ambassadeur ou consul de couleur ne soit en poste en Afrique. On voudrait délibérément se couper des meilleurs experts sur l’Afrique qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères semble toutefois conscient de cette problématique. La direction des ressources humaines (DRH) a ainsi lancé plusieurs initiatives dédiées au renforcement de cette filière africaine, parmi lesquelles :

 la modification du concours d’Orient avec l’introduction à l’automne 2024 d’une section « Afrique » et la possibilité de concourir avec deux langues supplémentaires, le wolof et le peul, venant s’ajouter à l’haoussa, au mandingue et au swahili ;

 l’ouverture d’une réflexion sur le renforcement de la formation initiale et continue des diplomates sur la zone Afrique ;

 le développement de la mobilité hors du ministère sur des postes traitant de questions africaines au sein d’autres administrations françaises, d’entreprises, d’organisations non gouvernementales, d’institutions européennes ou encore de think tanks est à l’étude ;

 la meilleure prise en compte des contraintes spécifiques à certains pays africains ;

 la volonté de faire mieux connaître le ministère et ses métiers auprès de publics qui s’intéressent à l’Afrique mais ne se tournent que peu vers les carrières diplomatiques, souvent par manque de connaissance de la réalité des métiers et par conviction que la diplomatie demeure hors de portée et destinée à une élite.

Plus largement, les rapporteurs considèrent que la connaissance des pays africains devrait davantage guider la politique de recrutement du Quai et l’octroi de postes diplomatiques en Afrique comme le font de nombreux pays, tels que les États‑Unis et la Russie.

c. Une lente régression de la présence française sur le terrain

La baisse spectaculaire du nombre de coopérants déployés en Afrique est d’autant plus dommageable que la France s’est ainsi vue privée de capteurs précieux, constituant un maillage serré et assurant une compréhension fine des pays africains. De 10 000 coopérants civils à la fin des années 1990, il en reste aujourd’hui moins d’un millier, dont les deux tiers en Afrique.

De même, au sein des armées, les coopérants étaient 9 000 dans les années 1990 et opéraient souvent sous uniforme des armées nationales dans un métissage fécond. Désormais, on n’y compte guère plus que 400 coopérants, de sorte que les officiers ont peu d’opportunités de se rendre et de vivre en Afrique, en dehors des interventions des forces françaises, peu propices à une véritable rencontre avec les populations locales. Le colonel Charles Michel, qui a participé aux opérations Serval, Barkhane et Sangaris souligne ainsi : « Ce dont je me suis aperçu sur mes dix ans d’opérations au Sahel, c’est que la connaissance que nous pensions avoir, nous militaires, était au mieux succincte et au pire inexistante. Lorsque j’arrive au Sahel, c’est ma cinquième opération extérieure. J’ai sauté de la Bosnie à l’Afghanistan, du Kosovo au Liban, donc je découvre le Sahel » ([66]). Il explique, à ce titre, combien l’apport de chercheurs, tels que Francis Simonis et Alain Antil, lui a permis de nourrir ses réflexions, en particulier sur les stratégies de contre-insurrection appliquées aux théâtres de conflits sahéliens. En neuf ans, l’opération Barkhane a été confiée à neuf commandements différents, dont tous n’ont pas partagé la même connaissance des subtilités du terrain.

Cette relative méconnaissance du continent africain se retrouve dans les milieux économiques, qui ont tendance à surévaluer le risque que constitue une installation en Afrique, ce qui, couplé à un réel sentiment d’inquiétude, les conduit à renoncer ou à retarder leurs projets sur le continent.

Cette situation est dommageable à plus d’un titre : enfermés dans une vision souvent passéiste du continent, en partie héritée de l’époque de la Françafrique, nous percevons difficilement les changements en cours. La France se limite trop souvent à un face-à-face réducteur avec les régimes en place au risque de s’aliéner les autorités dirigeantes de demain. Elle s’est enfin privée de certains relais précieux en affaiblissant considérablement sa politique de coopération, parfois jugée datée, mais qui avait du moins le mérite de s’enraciner dans des réalités locales aujourd’hui négligées.

3.   Des postures et des discours qui abîment la relation en profondeur

a.   Des maladresses vexatoires

« La France, on l’aime mais on la veut autrement ». Voici en substance ce que disent les Africains : les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs ont tous exprimé une grande frustration face à une France à laquelle ils sont attachés mais qu’ils ne reconnaissent plus. Ils ont été unanimes pour critiquer des comportements qu’ils jugent indifférents, blessants et même humiliants.

Tour à tour, les Français sont perçus comme paternalistes, arrogants, condescendants, donneurs de leçon, peu à l’écoute, imposant leurs standards et leurs idées préconçues. Nombre des témoignages recueillis ont fait état de situations qui ont renforcé la défiance du continent envers la France. Si certaines peuvent paraître anecdotiques à nos yeux, elles ont été interprétées comme des résurgences vexatoires de l’esprit de la Françafrique ou, au mieux, une méconnaissance des usages et des cultures africaines.

Le rapporteur Bruno Fuchs souligne quelques exemples pertinents à ses yeux à l’instar du tutoiement facile de certaines autorités françaises à l’égard de leurs aînés africains : là où les Français y voient une recherche bienveillante de proximité, les Africains l’interprètent comme un manque de respect manifeste. Sont également souvent cités l’appel du président Nicolas Sarkozy à ce que l’homme africain entre dans l’histoire, prononcé lors de son discours de Dakar de 2007 ([67]), ou les propos du président Emmanuel Macron à l’égard du président burkinabé mué, le temps d’une plaisanterie prononcée dans un souci de complicité avec un amphithéâtre d’étudiants, en réparateur de climatisation ([68]).

Ce type de maladresse n’est pas le propre des politiques mais peut se retrouver dans tous les milieux, qu’ils soient économique, culturel, institutionnel, militaire ou touristique. Il s’agit là d’un point central : aucune stratégie de reconquête ne trouvera d’échos sans changement de comportement.

Certaines initiatives françaises ont également pu susciter une forme d’incompréhension. C’est le cas du sommet de Montpellier dont la réception et l’héritage sont controversés. Si la France a retenu son côté visionnaire, les populations africaines ne se sont pas senties représentées alors que les chefs d’État, non invités, ont eu le sentiment d’être trahis.

Le discours de Montpellier : méthode et réception

Dans la droite ligne du discours de Ouagadougou, le Nouveau sommet Afrique-France, qui s’est tenu le 8 octobre 2021 à Montpellier, a tenté d’incarner une volonté politique forte de refondation du partenariat entre l’Afrique et la France. Ce sommet d’un genre nouveau, sans chef d’État et sans autorité institutionnelle, était consacré exclusivement aux jeunesses africaine et française. Des centaines de jeunes entrepreneurs, artistes, chercheurs, athlètes, étudiants, personnalités engagées d’Afrique et de France se sont réunis pour envisager les perspectives et les premières actions concrètes à mener pour le renouveau de la relation entre la France et les États africains. Les échanges ont porté principalement sur cinq grandes thématiques : l’engagement citoyen, l’entrepreneuriat et l’innovation, l’enseignement supérieur et la recherche, la culture et le sport. Peu de place a ainsi été faite aux sujets politiques, même si certains ont pu être abordés à travers la thématique de l’engagement citoyen et lors de la séance plénière ([69]).

La tenue de ce sommet a été préparée dès le mois de février 2021. Le président de la République a, en effet, confié à Achille Mbembe ([70]) le soin d’organiser en amont un cycle de discussions dans douze pays africains ([71]) et au sein de la diaspora africaine de France, qui a réuni, en présentiel ou virtuellement, près de 3 600 personnes, essentiellement des jeunes entre 20 et 35 ans. L’objectif, consigné dans la lettre de mission adressée à Achille Mbembe était, à travers une « parole libre et sans tabous », de « recueillir les attentes », de « faire émerger des propositions fortes pour l’avenir » ainsi que des « orientations durables », l’ensemble de ce processus devant contribuer « à mettre en lumière et en responsabilité la jeune génération à l’avant-garde de nos pays ». Ce sommet donne à la France l’occasion de rappeler sa volonté politique de repenser ses relations avec l’Afrique selon une démarche horizontale et d’insister pour que ce nouveau partenariat soit bâti sur des échanges ouverts à la société civile, qui doit être impliquée dans la conception des politiques publiques. Cette idée est réaffirmée avec force lors du discours du président de la République à Yaoundé, au Cameroun, en juillet 2022.

La démarche n’a cependant pas convaincu. Les chefs d’État africains se sont sentis exclus par ce sommet qui vise à les écarter du dialogue avec la France : ils l’ont vécu comme un acte de défiance et une manière d’interférer dans leurs rapports avec leur propre population. Le ton adopté par certains jeunes, volontiers directs envers le président de la République française, a également surpris, voire déplu, dans des sociétés africaines où la séniorité et le respect dû aux autorités sont deux valeurs cardinales. S’y ajoute un manque de résultats concrets qui a pu décevoir, aussi bien les Africains séduits par la méthode, que les concepteurs du sommet qui espéraient des résultats plus rapides.

Sources diverses

 

Enfin, à cette liste d’erreurs et de maladresses, il convient d’ajouter la pratique des déplacements officiels de seulement quelques heures perçus par le pays d’accueil comme un profond manque de respect et d’intérêt.

b.   La politique des visas « au cœur de la discorde »

« Moi, je ne demande même plus de visa à la France. Je ne veux plus vivre d’humiliation ». Voilà le type de témoignages surprenant et révoltant que les rapporteurs, comme nombre de parlementaires, reçoivent chaque jour. Pensons à cette professeure tunisienne de l’institut Pasteur qui se voit refuser un visa, finalement accepté quand sa fille mineure est, elle, recalée. Le vice-président de l’Assemblée nationale du Cameroun muni d’un passeport diplomatique se voit refuser un visa pour se rendre à une conférence sur la francophonie. Un donneur de rein sénégalais ne peut aller à l’hôpital ; cet élève majeur en classe de terminale au lycée Mermoz d’Abidjan choisit, à défaut de pouvoir se rendre en France, de poursuivre ses études au Canada ou encore cette cheffe d’entreprise de Côte d’Ivoire qui, ne pouvant obtenir le fameux sésame pour former ses techniciens à de nouveaux matériels qu’elle souhaitait acheter dans notre pays, s’est finalement approvisionnée en Inde pour développer son entreprise. Et la liste est encore longue.

La politique des visas menée par la France et la question des laissez-passer consulaires, sont plus que des irritants majeurs de la relation entre les populations d’Afrique et notre pays : elles sont contre-productives. S’agissant des visas, il existe, en effet, une contradiction certaine entre les injonctions à développer des projets toujours plus inclusifs et ouverts aux sociétés civiles, chercheurs, artistes du continent africain, et les barrières existantes à leur mobilité vers la France. De nombreuses expériences malheureuses, absurdes et humiliantes ont ainsi été rapportées : refus de visas sans justifications, délais de réponses extrêmement longs, arrestations par la police des frontières de personnes étant pourvues de toutes les autorisations nécessaires. Les démarches pour obtenir un visa sont longues, complexes et de plus en plus déléguées à des plateformes d’entreprises privées auxquelles nombre de consulats, dépassés par les demandes, ont sous-traité la gestion : celles-ci sont souvent perçues par les populations locales comme une contrainte supplémentaire, allongeant excessivement la liste des pièces à fournir requises et faisant l’objet, pour certaines, à tort ou à raison, de soupçons de corruption. Le rapport de Paul Hermelin ([72]), paru en avril 2023, n’hésite pas à parler du « caractère dramatique de la situation actuelle » et de « crise des visas », constatant sur « tous les sites sans exception […] des demandeurs mécontents, des responsables frustrés et des services consulaires souvent épuisés ».

Il ne s’agit pas de nier les enjeux propres à la délivrance des visas, y compris en matière de gestion des flux, à laquelle la rapporteure Michèle Tabarot rappelle sans détour son attachement, mais seulement de souligner que son pilotage par le seul ministère de l’intérieur comme une politique migratoire au détriment de son inscription dans le cadre plus large d’une politique assurant le rayonnement de la France à l’étranger est dommageable pour l’image de notre pays. Dans des secteurs aujourd’hui aussi concurrentiels que l’éducation et la recherche au niveau mondial – pour ne citer qu’eux – la France prend le risque de se marginaliser au profit de pays ayant bien compris l’intérêt que ces échanges représentent, tels que le Canada et les États-Unis souvent cités en exemples. En Côte d’Ivoire, par exemple, il est fréquent et désolant de constater que de brillants étudiants ayant fait toute leur scolarité dans des écoles françaises jusqu’au baccalauréat rejoignent ensuite le Canada ou un pays anglophone pour leurs études supérieures faute d’obtenir un visa pour intégrer une université ou une classe préparatoire en France. Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs du 28 août 2023, le président de la République a reconnu que le système de délivrance des visas actuel manquait d’efficacité et concourrait trop souvent à pénaliser les familles et les talents nourrissant positivement la relation bilatérale sans parvenir à lutter efficacement contre l’immigration illégale et les réseaux de passeurs.

B.   la stratÉgie africaine de la France manque de lisibilitÉ dans sa mise en œuvre

1.   La France dispose d’avantages comparatifs en Afrique mais subit encore trop souvent les évènements

a.   Une volonté manifeste d’investir de nouveaux domaines…

En 2017, le président de la République affiche une vraie volonté de tourner la page de la Françafrique et lance de nombreux chantiers : restitution d’œuvres d’art, travail sur la mémoire, réforme du franc CFA, notamment.

La stratégie présidentielle cherche ainsi à investir de nouveaux secteurs qui forment l’agenda transformationnel : entre autres, la culture, le sport, les industries culturelles et créatives, la formation professionnelle, l’entrepreneuriat et l’innovation. L’objectif est de tisser des liens nouveaux avec les sociétés civiles tout en se départissant d’une charge émotionnelle et symbolique ralentissant la construction d’une relation franco-africaine apaisée et positive. Les rapporteurs n’ont pas l’ambition de brosser un portrait exhaustif de l’ensemble des projets annoncés – fort nombreux au demeurant – dans ce cadre mais de présenter quelques exemples significatifs de la nouvelle méthode présidentielle, et de démontrer que, par manque de vision et de capacité communicationnelle, ses atouts ne servent pas suffisamment l’action de notre pays.

i.   Sur le plan culturel

La restitution des œuvres d’art africaines

De nombreux projets ont été portés par le président de la République concernant les sujets culturels, entendus au sens large. Le plus médiatique, et sans doute le plus discuté, concerne la restitution temporaire ou définitive du patrimoine africain en Afrique. Dans son discours de Ouagadougou déjà, Emmanuel Macron soulignait l’importance de l’accès de la jeunesse africaine à son patrimoine, qui ne pouvait se trouver uniquement dans les collections privées et les musées européens. Il a alors initié une réflexion sur une politique de restitution qu’il ne souhaite pas envisager comme une entreprise de renationalisation des patrimoines nationaux mais plutôt comme un accès universel au patrimoine commun de l’humanité.

En mars 2018, le président de la République a chargé l’historienne française Bénédicte Savoy et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr d’une mission visant à préciser les conditions dans lesquelles cette annonce pourrait être concrétisée. Cette mission a donné lieu à un « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle », remis au président de la République le 23 novembre 2018, dont l’objectif n’est pas seulement la restitution des œuvres d’art africaines à leur pays d’origine mais aussi la capacité de ces objets à créer du lien et une forme de réciprocité dans la relation. Comme le souligne Amadou-Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’UNESCO, dans un discours du 7 juin 1998 cité dans le rapport : « Les peuples victimes de ce pillage […] voient bien que certaines œuvres partagent depuis trop longtemps et trop intimement l’histoire de leur terre d’emprunt pour qu’on puisse nier les symboles qui les y attachent et couper toutes les racines qu’elles y ont prises. »

Suite à ce rapport, le Parlement français a adopté une loi, le 24 décembre 2020, permettant la restitution de 26 œuvres du trésor d’Abomey réclamées par le Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, ainsi que celle du sabre d’El Hadj Oumar Tall au musée des civilisations noires de Dakar. De même, à la suite de la demande officielle du président malgache, la France a remis, le 5 novembre 2020, l’élément décoratif en forme de couronne surmontant le dais de la dernière reine malgache, Ranavalona III, par le biais d’une convention de dépôt de cinq ans.

Après ces premières restitutions, la France a semblé prendre du retard dans la mise en œuvre de son projet, par frilosité du ministère en charge de la culture : ses voisins belges et allemands, pourtant inspirés par la France, ont pris une certaine avance dans la poursuite de politiques similaires. Lors de son déplacement au Bénin en juillet 2022, le président de la République a toutefois réitéré son souhait qu’une loi‑cadre, qui établirait des critères précis de « restituabilité » et permettrait de poursuivre et de simplifier ce travail de restitution, voit le jour rapidement. Dans cette perspective, il a confié à Jean-Luc Martinez, ancien président-directeur général du musée du Louvre, le soin de lui remettre un rapport sur le sujet ([73]).

La restitution des œuvres d’art extra-européennes par l’Allemagne : un processus décentralisé qui fait débat

La question des restitutions est un sujet débattu dans de nombreux pays européens, y compris en Allemagne, où des discussions sur l’opportunité de restituer ces œuvres sont activement engagées. Dès 2013, la rénovation du Humboldt Forum, musée d’ethnographie de Berlin, a suscité des débats sur la légitimité de la propriété des pièces extra-européennes dans les collections du pays, en particulier celles issues du continent africain. En effet, le musée concentre près de la moitié des 1 100 objets acquis par des institutions allemandes lors de la vente des biens issus du sac de Benin City en 1897 par les troupes britanniques. Ces sculptures, bas-reliefs et objets proviennent du palais royal de l’ancien royaume du Bénin, situé dans l’actuel Nigéria. L’idée d’une loi fédérale sur les restitutions avait été évoquée, notamment par le parti des Verts (Die Grünen), après les élections fédérales allemandes de 2021, mais ne s’est pas concrétisée. Bien que des questions (« anfragen ») au Gouvernement évoquent régulièrement les restitutions d’œuvres d’art au sein du Parlement fédéral, le sujet ne semble plus à l’ordre du jour.

La propriété des collections des musées relevant de la compétence des régions, certains Länder mènent une politique volontariste de restitution au Nigéria. Cette campagne de restitution a notamment été préparée par une enquête scientifique à grande échelle recensant tous les bronzes du Bénin. L’État fédéral allemand avait auparavant signé avec le gouvernement fédéral du Nigéria une déclaration conjointe à Lagos, le 1er juillet 2022, qui renouvelle l’accord bilatéral de coopération culturelle signé en 1999. Les deux États déclarent vouloir faciliter le transfert de propriété des « bronzes de Benin » au Nigéria faisant l’objet d’accords séparés. Le déclassement des œuvres (sortie du bien culturel du domaine public) ne nécessite pas de loi spécifique : chaque Land peut émettre un simple acte de sortie de ses actifs.

L’accord prévoit ainsi le transfert des droits de propriété de centaines d’œuvres d’art au Nigéria selon des modalités qui pourraient inspirer la loi-cadre française : il est prévu que certains artefacts retournent en Afrique et que d’autres demeurent en Allemagne, sous forme de prêts à long terme du Nigéria. Néanmoins, même lorsque le transfert de propriété a été acté, peu d’objets ont véritablement regagné leur pays d’origine. Ainsi, pour les collections prussiennes, seulement une vingtaine d’œuvres ont été physiquement restituées au Nigéria en décembre 2022. La propriété des autres œuvres a bien été transférée mais celles-ci restent conservées à Berlin.

L’État fédéral allemand a par ailleurs signé en 2021 avec la Namibie un accord de reconnaissance de sa responsabilité dans le génocide des peuples Herero et Nama (1904‑1908) incluant une réparation financière sur trente ans mais ne comportant aucun volet patrimonial ou culturel. Cet accord a été précédé par un retour des restes humains conservés dans diverses institutions (musées, hôpitaux) en 2011, 2014 et 2018. Des négociations équivalentes sont actuellement en cours avec la Tanzanie pour le rapatriement des crânes de chefs rebelles tanzaniens pendus en 1900 par les autorités allemandes.

L’Allemagne s’est également engagée dans une politique de formation et de recherches autour de ces œuvres, laquelle accompagne le processus de restitution. Elle a ainsi lancé, en mai 2021, TheMuseumsLab, un programme facilitant l’échange et la formation continue pour de jeunes experts muséaux et pour des gestionnaires africains et allemands. L’objectif, à terme, de cette plateforme, qui permettra à la fois une formation conjointe et la transmission des compétences à des individus et à des institutions, est la création d’une agence de coopération internationale des musées. Suivant le modèle de l’Agence France Museum, créée en 2007, l’Allemagne souhaite en effet aider les musées nationaux à être mieux représentés à l’international.

La France et l’Allemagne ont également lancé de nouveaux projets communs en matière culturelle. Les deux pays ont signé, le 23 janvier 2023, un accord relatif à la mise en place d’un fonds franco-allemand pour favoriser les recherches sur la provenance des biens culturels produits en Afrique sub-saharienne. L’objectif de cette initiative est de mener des démarches scientifiques communes des deux côtés du Rhin en vue d’identifier l’origine de certaines œuvres et de pouvoir les rendre aux Africains.

Si les restitutions allemandes semblaient faire l’objet d’un relatif consensus, elles ont donné lieu à une polémique en mai 2023, qui a trouvé un écho manifeste au sein du Bundestag. Ces contestations sont apparues suite à la révélation, le 23 mars 2023, du fait que le président nigérian sortant, Muhammadu Buhari, avait signé un décret cédant à l’oba (roi) de l’ancien royaume du Bénin la propriété des bronzes récemment restitués par l’Allemagne au Nigéria, y compris ceux encore présents en Allemagne ; l’oba refuse, en outre, que ces bronzes soient exposés à l’Edo Museum of West African Art (EMOWAA), le nouveau musée de Benin City cofinancé par l’Allemagne. Les médias allemands ont, par ailleurs, révélé que les bronzes avaient été fabriqués à partir de bracelets en métal utilisés par les commerçants portugais comme moyen de paiement contre des esclaves, la traite négrière ayant été maintenue dans le royaume du Bénin de l’ancêtre de l’oba pour son bénéfice. Si le gouvernement fédéral comme les institutions muséales allemandes assument leur politique de restitution, les débats n’en demeurent pas moins vifs et le Land de Saxe a décidé de suspendre le processus de restitution le concernant.

Au-delà de la seule question de la restitution des œuvres d’art, l’Allemagne renouvelle avec succès ses liens avec ses anciennes colonies dans le domaine artistique et muséal. Ainsi, la Maison des cultures du monde de Berlin, institution prestigieuse mais souffrant d’une image quelque peu ampoulée, est désormais dirigée par le curateur germano‑camerounais Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, premier directeur non-blanc de l’institution.

Sources diverses

Parallèlement à ces restitutions, la France s’est engagée pour la conservation et la rénovation du patrimoine sur le continent, en initiant une politique de coopération et d’expertise muséale, qui doit permettre une meilleure circulation des œuvres. En 2021, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a, par exemple, mis en œuvre huit projets financés par le fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) dans le domaine patrimonial et muséal en Afrique.

La saison Africa 2020

Annoncée par Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou, la saison Africa 2020 a été conçue comme une concrétisation de l’ambition présidentielle de changer le regard de la France sur l’Afrique. Sa commissaire générale N’Goné Fall l’a ainsi pensée comme une invitation à voir le monde du point de vue africain. Concrètement, la Saison a donné lieu à l’organisation de 1 500 événements dans plus de 210 villes françaises. Elle a permis l’émergence de partenariats durables entre les 489 structures africaines et les 422 structures françaises impliquées.

Au-delà des chiffres, c’est la méthode qui a pu retenir l’attention. Structurée autour de cinq thèmes (oralité augmentée, économie et fabulation, archivage d’histoires imaginaires, fiction et mouvement (non) autorisés et systèmes de désobéissance), Africa 2020 a, en effet, accordé une grande place aux débats d’idées, aux sciences sociales, aux sujets de mémoire et à un volet éducatif – 350 projets pédagogiques ont pu être soutenus – ayant permis de mettre en relation des établissements scolaires en France et sur le continent africain, tout en cherchant à intégrer dans l’ensemble des projets soutenus une dimension panafricaine et pluridisciplinaire. Elle a aussi été conçue de manière décentralisée, puisqu’elle s’est déployée dans une douzaine de quartiers généraux (« QG ») éphémères partout en France métropolitaine et ultramarine, prétexte à une programmation co-créée par des collectifs français et africains.

Outre la continuation de la Saison par le soutien apporté via l’Institut français à 22 projets conçus dans le cadre d’Africa 2020 à hauteur de 700 000 euros, son esprit n’est pas sans inspirer un autre projet structurant du président de la République – témoignant de la recherche de cohérence entre l’ensemble des projets poursuivis – annoncé lors de la clôture de la Saison Africa 2020 : l’ouverture d’un « QG permanent » ou « QG des QG », qui devrait se concrétiser par la création de la Maison des mondes africains.

La Maison des mondes africains

La conception de ce nouvel espace, qui a vocation à être plus qu’un simple établissement culturel, a été confirmé par le président de la République lors du Nouveau sommet Afrique-France du 8 octobre 2021. Il doit s’agir d’un « lieu pluridisciplinaire de création, de rassemblement, de découverte, d’information et d’innovation, [qui] aurait pour vocation à devenir une référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’Afrique et/ou souhaitent y mener des projets […], créant un lien quotidien et vivant entre la France et l’Afrique ».

Suite à la tenue du sommet, une mission de préfiguration a été initiée par le président de la République. Portée par le diplomate Luc Briard et la journaliste Liz Gomis, membre du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) et de l’équipe d’Africa 2020, elle remit son rapport en mars 2022 et le président confirma son souhait que la Maison, dont Liz Gomis a été nommée préfiguratrice, puisse s’ouvrir à l’été 2024.

Le projet souhaite favoriser les échanges entre la France et l’Afrique dans les secteurs que sont la culture, la recherche, l’entrepreneuriat et l’engagement, ainsi qu’entre les diasporas et les acteurs continentaux. Il doit s’appuyer sur la nouvelle recherche pour produire un discours lucide et apaisé, notamment sur les questions mémorielles, faciliter l’accès aux archives, aux ressources, aux réserves françaises qui parlent de et à l’Afrique, et favoriser leurs exploitations par des acteurs africains.

 

 

Les industries culturelles et créatives

Les industries culturelles et créatives ([74]) (ICC) constituent une déclinaison de l’agenda transformationnel au cœur des préoccupations du président de la République. En effet, elles recouvrent de nombreux enjeux, en termes de souveraineté et d’égalité (produire ses propres images et disposer des réseaux pour les diffuser), de prescription (alimenter le monde de créations africaines) et de défis économiques (permettre aux écosystèmes africains de produire des œuvres, en partenariat avec tous les acteurs français). Elles assurent la rencontre de divers acteurs : créateurs d’images et de médias, entrepreneurs, concepteurs d’un écosystème propice à leur incubation et à leur accélération, chercheurs et acteurs démocratiques, mobilisés sur des sujets tels que la régulation des plateformes, la propriété des datas ou encore la définition et la protection des droits d’auteur. En ce sens, les ICC sont traversées par une circulation d’idées, d’acteurs et d’enjeux qui en font des sujets de transformation du partenariat entre la France et l’Afrique particulièrement féconds.

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a confié une « mission prioritaire ICC » à 37 ambassades en centrant une partie de son action sur le continent africain à travers sept postes en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Maroc, au Nigéria, au Sénégal et en Tunisie. Par ailleurs, depuis 2017, l’AFD dispose d’un mandat sur les ICC. Elle soutient ainsi divers projets, parmi lesquels :

– « accès culture ». Porté par l’AFD et mis en œuvre par l’Institut français, ce programme vise à accompagner et financer des projets culturels en Afrique dans le but de favoriser le lien social et renforcer les collaborations entre acteurs culturels africains et français. Initialement doté de 3 millions d’euros pour la période 2020‑2022, il a été reconduit pour 3 millions d’euros et élargi entre 2023 et 2027 au Kenya, au Nigéria et à l’Afrique du Sud ;

– « Afrique créative ». Soutenu par l’AFD à hauteur de 2 millions d’euros pour sa troisième édition et mis en œuvre par l’organisme dédié à la culture, Africalia, ce programme cherche à soutenir le développement, le renforcement des compétences et la mise en réseau des ICC africaines ;

En outre, sur la volonté du président de la République, un forum ICC, conçu comme un rendez-vous annuel entre les acteurs publics et privés visant à créer des opportunités dans le secteur des ICC et à mieux accompagner les jeunes talents africains, s’est tenu à Paris du 6 au 8 octobre 2023.

ii.   Sur le sport

Le sport constitue aux yeux du président de la République « un puissant vecteur de développement et de croissance des économies africaines », qui présente le double avantage de parler à la jeunesse et de mettre en valeur l’apport des diasporas africaines en France, incontestable et particulièrement visible dans ce domaine. La France peut s’appuyer sur son expertise reconnue dans la formation des joueurs et des entraîneurs à la gestion du sport amateur et de la haute performance. Les visites présidentielles sont souvent l’occasion de mettre en valeur les partenariats existants dans ce secteur, au Nigeria où l’AFD a signé un partenariat avec la NBA, au Rwanda ou au Cameroun, dont le président a visité le club Noah de Yaoundé lors de son déplacement, en juillet 2022, dans le pays.

La France a conclu de nombreux partenariats avec ses homologues africains, en particulier dans les domaines du rugby, du football et du basketball, lesquels visent à construire ou entretenir des infrastructures sportives et assurer leur gestion pérenne mais également à promouvoir l’accès des jeunes filles et femmes aux activités et infrastructures sportives.

Dans ce cadre, l’AFD a été mandatée pour faire du sport un outil de réalisation des objectifs de développement durables (ODD) dès février 2018. L’Agence a ainsi engagé plus de 112 millions d’euros, accompagné 74 athlètes et soutenu une centaine de projets dans le secteur du sport en Afrique.

Le partenariat entre Paris 2024 et les Jeux olympiques de la jeunesse Dakar 2026

Une séquence sport de premier plan s’ouvre prochainement avec les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) Paris 2024 et les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) Dakar 2026, lesquels se tiennent pour la première fois en Afrique. Dans ce cadre, un partenariat entre les écosystèmes français et africains mobilisés pour l’organisation de ces évènements a été conclu.

Parmi les projets réalisés dans le cadre de cette collaboration, on peut citer :

– la création, en septembre 2019, de l’Alliance Dioko dont l’objectif est de favoriser le partage d’expertise entre les acteurs des mouvements sportifs français et sénégalais dans la perspective des JOJ de Dakar ;

 le lancement d’un programme d’incubation d’athlètes porteurs de projets d’entrepreneuriat social et environnemental, qui permet le financement par Paris 2024 de 10 athlètes en France et de 16 athlètes en Afrique soutenus par l’AFD ;

 l’appel à projets « Impact 2024 International », lancé en juillet 2021, afin d’accompagner et de financer à hauteur de 10 000 à 40 000 euros des projets utilisant le sport comme outil au service du développement en Afrique ; 19 projets ont ainsi été financés lors des deux premières sessions et deux nouvelles sessions sont organisées à partir de la mi‑2023 ;

 le financement par l’AFD de 45 millions d’euros destinés aux autorités sénégalaises dans le cadre de l’organisation des JOJ de Dakar en 2026, afin de permettre la réhabilitation d’infrastructures sportives existantes et la construction de nouvelles infrastructures, la définition d’une stratégie de gestion et d’entretien des sites et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’accès aux équipements sportifs.

Sources diverses

iii.   Sur l’entreprenariat et l’innovation

« La deuxième révolution que nous pouvons conduire ensemble, cette révolution qui permettra le sursaut de la jeunesse, c’est celle de l’innovation et avec elle de l’entrepreneuriat. C’est la seule révolution qui peut apporter les 450 millions d’emplois dont l’Afrique aura besoin d’ici 2050. Concrètement la France sera au rendez-vous en consacrant plus d’un milliard d’euros pour soutenir les PME africaines. ». Une fois de plus, l’ambition du président de la République est présente dans son discours fondateur de Ouagadougou. En cohérence avec les facteurs structurants de sa stratégie, la France voit dans ces domaines une opportunité de soutenir la jeunesse, les femmes et les initiatives portées par les diasporas africaines sur son territoire.

Dans les faits, la France a dépassé l’objectif fixé de 1 milliard d’euros : ce sont en fait 3 milliards qui ont été engagés en soutien aux petites et moyennes entreprises (PME), dont 780 millions en réponse à la crise économique résultant de la pandémie de la Covid-19 (programme « Choose Africa Resilience »).

Quelques exemples d’initiatives de soutien à l’entreprenariat et à l’innovation en Afrique

1°) Choose Africa

Au 31 décembre 2021, 3 milliards d’euros de financements ont été engagés par le programme « Choose Africa » d’appui aux PME, parmi lesquels 780 millions d’euros en réponse à la crise économique faisant suite à la pandémie (« Choose Africa Resilience ») qui s’est achevée le 31 décembre 2021. Au total, ce sont 26 000 entreprises et plusieurs dizaines de milliers de micro-entrepreneurs qui ont été soutenus. Dans ce même cadre, près de 2 500 entreprises bénéficient aussi d’un accompagnement technique.

2°) Digital Africa

La France porte une attention particulière au développement des entreprises du numérique sur le continent africain. C’est dans cette perspective qu’elle a créé l’initiative « Digital Africa », d’abord sous la forme d’une association soutenue par l’AFD, en 2018, avant qu’elle ne devienne, en 2021, une filiale de Proparco.

Concrètement, « Digital Africa » intervient au bénéfice de sociétés en création ou dont le stade de maturité ne permet pas encore le soutien de Proparco (pré-amorçage et amorçage), pour de tickets en direct d’un montant de 500 000 euros maximum sur des cibles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros et visant une levée de fonds inférieure à 1,5 million d’euros.

3°) Affirmative Finance Action for Women in Africa (AFAWA)

Lancé à l’occasion du G7 de Biarritz en août 2019, le mécanisme AFAWA de facilitation de l’accès au crédit pour les femmes entrepreneuses sur le continent africain est désormais effectif dans six pays (Cameroun, République démocratique du Congo, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda) grâce à l’adhésion de leurs établissements financiers. La France apporte une contribution de 135 millions de dollars qui va permettre, aux côtés des Pays‑Bas et de la Banque africaine de développement (BAD), de fournir des garanties aux institutions bancaires pour accélérer l’accès aux prêts pour ces femmes.

La France apporte également un soutien en matière d’assistance technique à hauteur de 4,5 millions de dollars en 2021. Cette assistance vise à offrir des services de conseil aux institutions financières (banques et autres intermédiaires) pour leur permettre d’adapter leurs services financiers à destination des femmes entrepreneures et de garantir une mise en œuvre optimale de leurs portefeuilles de produits destinés aux femmes. Elle cible aussi directement le renforcement des capacités des femmes entrepreneures grâce à des formations visant à optimiser la productivité et la croissance de leur entreprise.

Sources diverses

b.   …dont la réalisation tarde à se concrétiser

Les sujets investis sont multiples tout comme les projets présentés : ils créent une vive attente chez nos partenaires africains, et ce d’autant plus qu’ils tardent à voir le jour, au risque de susciter de la frustration. Comme souvent, l’ambition affichée est grande mais les moyens consacrés sont modestes et la mise en œuvre pèche par une lenteur et une désorganisation caractéristique. Une fois de plus, le décalage entre les effets d’annonce et la réalité vécue par les populations est important et ne peut que créer du désenchantement.

L’exemple du sommet de Montpellier est à ce titre éloquent : presque deux ans après sa tenue, rares sont les initiatives concrètes qui ont suivi, à l’exception peut-être de la fondation de l’innovation pour la démocratie, en cours de construction, et de la maison des mondes africains, encore à venir.

Il est donc urgent de donner une traduction réelle à ces projets dont certains semblent particulièrement prometteurs, à l’instar de la fondation de l’innovation pour la démocratie, dont les rapporteurs ont pu rencontrer des acteurs lors de leur déplacement en Côte d’Ivoire, et qui présente l’avantage d’être pensée et conçue depuis le terrain par des Africains.

2.   Une stratégie qui pâtit des contradictions entre ses fondements théoriques et sa mise en œuvre

Tout l’enjeu de la stratégie présidentielle de 2017 était d’investir des sujets alternatifs à la question militaire qui a longtemps dominé les relations franco‑africaines. La gestion de l’opération Barkhane et du retrait de ses troupes a cependant mis à mal cet objectif.

a.   Des enjeux sécuritaires persistants

La présence militaire de la France en Afrique a fondé une grande partie de son influence sur la scène internationale ainsi que sa spécificité. C’est en effet vers la France que se tournent tous ses partenaires, y compris les États-Unis, lorsqu’ils s’inquiètent de l’évolution politique ou sécuritaire du continent ([75]). C’est elle qui est à la manœuvre, aux Nations Unies, lorsque le Conseil de sécurité décide de rédiger une résolution permettant une intervention en Afrique, notamment grâce à un relais d’influence, le secrétariat général adjoint aux opérations de maintien de la paix. Il ne fait guère de doute qu’une partie de l’attachement de la France à sa présence militaire en Afrique repose sur cette donnée : elle tient à cet héritage, sans lequel elle sera définitivement reléguée au rang de puissance moyenne. Cette position a toutefois un revers : alors que la France joue le rôle de « gendarme de l’Afrique », ses partenaires, y compris européens, en profitent pour développer leurs liens commerciaux avec le continent et la supplanter économiquement.

D’autres raisons justifient une telle présence. La France compte une diaspora d’environ 150 000 personnes installées au Sud du Sahara, principalement en Afrique de l’Ouest. La protection de ces populations est un enjeu non négligeable, justifiant le maintien des quatre bases permanentes françaises en Afrique, au Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire et à Djibouti. Si notre pays n’a a priori plus vocation à intervenir pour soutenir des régimes politiques, quels qu’ils soient, la conservation de ses bases présente tout de même l’avantage de servir de zones d’appui dans l’hypothèse où serait menée une opération d’envergure visant à sécuriser les ressortissants français, s’ils devaient être menacés d’un péril grave. Ainsi que le souligne un récent rapport sénatorial consacré à la stratégie française dans le Golfe de Guinée ([76]), on ne peut exclure, dans un continent encore marqué par une présence djihadiste active, le développement d’un nouveau sanctuaire terroriste qui servirait de base arrière pour des actions projetées contre la France. Celui-ci pourrait justifier la poursuite d’une nouvelle intervention en Afrique, probablement de courte durée, nécessitant de conserver une logistique importante sur le continent. Comme le souligne le chercheur et docteur en histoire Elie Tenenbaum, de telles bases constituent enfin « des pôles de coopération avec les forces locales, des interfaces permanentes et des points d’observation uniques à https://www.leparisien.fr/resizer/AFeCY29BGXcNKkzwsbtBXV45G1g=/622x715/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/leparisien/IQHK6DAOKBEJXOU6ELNQ7IEJO4.jpg
la compréhension de la région » ([77]).

L’évacuation des ressortissants français et étrangers du Soudan : l’exemple de l’utilité de la base française de Djibouti et d’un réseau diplomatique universel

Face à la dégradation de la situation sécuritaire au Soudan, les armées françaises ont mené à la demande du président de la République une opération d’évacuation de ressortissants français et étrangers présents dans le pays entre le samedi 22 et le mercredi 26 avril 2023. L’opération Sagittaire, permise par une suspension temporaire des hostilités sur le territoire soudanais, a pu être mise en œuvre par le Quai d’Orsay avec le concours du ministère des Armées depuis la base de Djibouti.

Celle-ci s’est organisée en trois phases :

- la sécurisation d’une plateforme aéroportuaire à une vingtaine de kilomètres au nord de Kharthoum, capitale soudanaise, grâce à laquelle dix rotations de vols militaires opérés à partir de Djibouti ont permis l’évacuation de presque 500 ressortissants de toutes les nationalités ;

- la frégate multi-missions à capacité aérienne renforcée (FREMM-DA) Lorraine a été déployée à Port Soudan, en mer Rouge, et a permis l’évacuation de 400 ressortissants dont plus de 100 enfants, conduits au port par un convoi terrestre des Nations Unies, pour les transférer à Djeddah, en Arabie saoudite, en accord avec les autorités saoudiennes ;

- un avion a permis d’évacuer une centaine de personnes membres du personnel des Nations Unies, très présentes dans la région du Darfour, vers le Tchad.

Au total, la France a ainsi évacué 1 998 ressortissants de 60 nationalités différentes dont 216 Français, ainsi que de nombreux ayants-droits. Au titre de la solidarité européenne, 75 % des coûts de l’opération Sagittaire ont été pris en charge dans le cadre du mécanisme de protection civile de l’UE.

Source : audition par la commission des affaires étaffairesrangères de l’Assemblée nationale de MM. Stéphane Romanet, directeur du centre de crise et de soutien du MEAE, et Christophe Bigot, directeur de l’Afrique et de l’Océan indien, sur la situation au Soudan, le mercredi 17 mai 2023.

b.   Les limites d’un prisme trop sécuritaire

Si les enjeux sécuritaires persistent en Afrique, une approche purement sécuritaire du continent présente des limites, comme ont pu le prouver les difficultés rencontrées par l’opération Barkhane.

Les raisons identifiées par les autorités françaises pour expliquer ces dernières sont nombreuses :

– contrairement à l’idée que s’en sont faite les populations locales, sans que celle-ci ne soit démentie par les autorités maliennes, le mandat de l’opération n’était pas de sécuriser l’ensemble du pays mais de mettre la menace terroriste à la portée des forces locales, en affaiblissant les groupes armés terroristes (GAT), en se concentrant sur l’élimination de leurs chefs, et en participant à l’autonomisation progressive des forces locales, grâce à des actions de formation et à un accompagnement de ces dernières sur le terrain ([78]). La dégradation de la situation sécuritaire du pays et la multiplication des zones de non-droit ont ainsi été imputées à tort à la France, alors même que leur résorption ne faisait pas partie du mandat de Barkhane ;

– la dégradation récente des relations politiques entre la France et le Mali suite à la survenue de deux coups d’État en l’espace de neuf mois (août 2020 et mai 2021) mais dont les causes sont anciennes. Face à une armée malienne nourrissant un fort sentiment de revanche après l’humiliation imposée en 2012 par les groupes rebelles et djihadistes, et devant les exactions commises par cette dernière contre les communautés arabes et touarègues de Tombouctou libérée, la France s’est opposée à ce que l’armée malienne s’installe dans la ville de Kidal. Cette position lui vaudra le ressentiment durable de l’armée et de ses chefs persuadés, évidemment à tort, que notre pays jouait double jeu et soutenait les terroristes ([79]) ;

– le manque de volonté politique de l’État malien « au mieux défaillant, au pire non-coopératif » ([80]) dans la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, dit accord d’Alger, signé le 15 mai 2015 par le gouvernement malien et la plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger ([81]), puis, le 20 juin 2015, par la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) ([82]) , essentiel à la stabilisation du pays ;

– le manque d’efficacité du dispositif international onusien et européen déployé au Mali (MINUSMA ; mission de formation de l’UE au Mali, EUTM Mali ; mission de soutien aux capacités de sécurité intérieure maliennes, EUCAP Sahel Mali) trop dispersé et insuffisamment coordonné pour compléter utilement l’effort français.

Sans remettre en cause la pertinence des raisons invoquées par les autorités françaises, d’autres facteurs peuvent expliquer les difficultés rencontrées par l’opération Barkhane, un succès militaire mais un échec politique.

Rappelons d’abord quelques éléments de contexte : l’occupation, à partir de 2012, de différentes villes du Nord du Mali par des groupes djihadistes – Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) – s’accompagne d’exactions contre les populations civiles et la destruction des mausolées de Tombouctou, ce qui provoque l’indignation de la communauté internationale et l’élargissement du front interventionniste. L’opération française Serval est alors déployée en urgence début 2013 et, de concert avec les forces armées maliennes et la mission de la CEDEAO – la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) –, les djihadistes sont expulsés des villes du Nord du pays en l’espace de quelques mois. Ce succès, qui s’accompagne du rétablissement de la légalité constitutionnelle par l’élection présidentielle de 2013, qui porte au pouvoir Ibrahim Boubacar Keïta, ne permet pas de rétablir la paix dans le pays ni d’empêcher la fragmentation de l’insurrection en une multitude de groupes armés, qui investissent progressivement les régions du centre du pays et les zones frontalières du Niger et du Burkina Faso.

Or, bien que son mandat au titre de l’opération Serval soit achevé, la France décide de rester au Mali au nom de la « guerre contre le terrorisme » – elle ne cessera de faire de cette doctrine l’aiguillon de sa politique militaire qu’à partir de 2017 alors que les États-Unis l’abandonnent comme unique point de référence dès 2014 pour mieux intégrer celle de la « compétition stratégique » ([83]) – dans le cadre de l’opération Barkhane, initiée en 2014 ([84]). Elle fait le choix de cibler les têtes pensantes du djihad, afin de déstructurer la chaîne de commandement des insurgés et obtient, à ce titre, de nombreux succès tactiques qu’il convient de souligner : la lutte contre le terrorisme menée entre 2013 et 2022 a permis aux forces françaises, maliennes, nigériennes et burkinabé de mettre hors-de-combat (ils sont soit tués, soit arrêtés et remis à la justice locale) les émirs des quatre katibats ([85]) d’AQMI et plusieurs dizaines de leurs responsables opérationnels, les émirs d’Al Mourabitoune et du MUJAO, un grand nombre de responsables d’Ansar Dine, trois des cinq émirs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) et les émirs de l’État islamique au Sahel ; partant, elle a pu mettre un terme à l’action de la quasi‑intégralité des vétérans étrangers du djihad, qu’ils soient algériens, mauritaniens, libyens, tunisiens, marocains ou levantins ([86]).

Sans doute la France aurait-elle dû davantage insister, notamment auprès des populations locales, sur ces succès militaires indéniables qui valorisent son action sur le terrain. Au lieu de cela, elle s’est laissée enfermer dans le narratif imposé par les autorités maliennes qui ont eu beau jeu d’accuser notre pays de ne pas savoir sécuriser l’ensemble du territoire, alors même qu’il ne s’agissait pas là de sa mission.

Néanmoins, cette approche a aussi présenté des limites stratégiques : l’élimination des chefs historiques de ces mouvements n’a pas permis de mettre fin à l’expansion des insurgés vers le centre du Mali et la région des trois frontières, en direction du Niger et du Burkina Faso, voire, plus au sud, en direction de la Côte d’Ivoire. ; elle a renforcé le ressentiment contre les « croisés » français et a souvent laissé la place à des leaders plus jeunes et encore plus radicaux ; enfin, cette stratégie a favorisé la fragmentation des groupes d’insurgés, rendant difficile l’identification d’interlocuteurs avec lesquels négocier.

Comment expliquer cette situation ? D’abord, peut-être, par une certaine méconnaissance du Mali de la part des autorités françaises. Celles-ci n’ont pas suffisamment tenu compte de sa position politique désastreuse dès le début des années 2000, celle d’un État failli. Cela les a conduites à sous-estimer la défiance des populations locales à l’égard du gouvernement de Bamako et de l’armée malienne, accusée d’exactions contre la population. Leur coopération avec les forces du G5 Sahel composées, outre du Mali, du Burkina Faso, de la Mauritanie, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie, dont les abus et violations des droits de l’Homme ont favorisé la montée du djihadisme, a contribué à lui aliéner la population sans obtenir de résultats probants sur le terrain.

La lecture de ces conflits par le seul prisme sécuritaire, réduit à la lutte contre les groupes djihadistes, et religieux oublie ainsi les facteurs plus profondément politiques et structurels de la crise du Sahel, conduisant à négliger les demandes de justice sociale de la population face à des gouvernements décriés pour leur corruption et leur affairisme. Elle ne voit pas que la montée du djihadisme dans la zone sahélienne ne s’explique pas véritablement par une contagion d’endoctrinement religieux de « fous de Dieu » s’inscrivant dans un djihab global. Elle s’apparente davantage à l’expansion d’insurrections locales alimentées par des enjeux sociétaux et socio-économiques : la pauvreté, les conflits d’usage de l’eau et de la terre entre cultivateurs sédentaires et éleveurs nomades ou semi‑nomades mais aussi entre membres de chacune de ces deux catégories dans un contexte de raréfaction des ressources due au changement climatique et à « l’explosion démographique » de l’Afrique ([87]). L’un des enjeux de ces conflits tient donc en partie aux restrictions de la circulation au sein même du continent africain, lesquelles rendent impossible le maintien d’activités fondées sur le mouvement, comme le pastoralisme : la question des mobilités africaines, essentiellement abordée à travers la recherche de protection des frontières extérieures de l’Union, doit ainsi davantage intégrer les mobilités internes à l’Afrique et la restructuration de son territoire comme un espace ouvert autour de nœuds, couloirs et portails ([88]). S’y ajoutent les enrôlements forcés et la présence de « zones grises » échappant totalement à l’autorité régalienne des services de l’État du fait de leur mauvaise gouvernance. Les conséquences en sont néfastes puisque cette lecture a justifié la mobilisation d’un outil militaire en partie inadapté : la force conventionnelle s’est révélée inefficace et coûteuse pour mener des opérations de contre‑terrorisme centrées sur la volonté de traquer des chefs djihadistes.

C’est que la solution militaire ne peut pas tout et ne saurait exclure toute recherche politique de sortie de crise. Les témoignages recueillis tendent d’ailleurs à prouver que les militaires eux-mêmes en avaient bien conscience. À titre d’exemple, l’armée française a tenté de déployer au Mali des « colonnes foraines » inspirées d’une initiative du Niger sur son territoire. L’objectif était de faire venir l’administration malienne dans les villages libérés par l’armée française à partir de la fin de l’année 2019, de manière à montrer aux populations locales que les victoires françaises sur les groupes armés pouvaient avoir des conséquences positives sur leur vie quotidienne. Une expérimentation a été menée à Labbezanga, à la frontière avec le Niger : les Maliens devaient être en première ligne dans la mise en œuvre de ce projet, les Français intervenant seulement pour apporter davantage de sécurité et faciliter le processus par l’apport de moyens humains et financiers complétant leur travail ([89]). Leur analyse n’a cependant pas été suivie par les décideurs politiques. Les autorités maliennes elles-mêmes ont également profité de l’affaiblissement de la France et d’un certain flottement entourant sa présence au Sahel pour se rapprocher d’autres acteurs, à commencer par la Russie ; celle-ci a l’immense avantage, aux yeux du gouvernement malien, d’être peu regardante sur le respect des principes démocratiques quand la France ne cesse d’appeler à la tenue d’élections libres.

L’exemple malien rappelle ainsi que, si la France ne doit pas s’interdire d’intervenir militairement pour protéger ses intérêts et ses ressortissants en Afrique, une approche purement sécuritaire du continent paraît à la fois inefficace et manquer les véritables enjeux qui en structurent les évolutions actuelles : le militaire ne peut se substituer au politique, même si son action est une réussite dans son domaine. La question militaire a continué d’occuper le devant de la scène sur le continent et s’est imposée comme un sujet éruptif dans une partie de l’Afrique francophone où les forces militaires françaises sont présentes. Le cas récent du Niger est là pour le rappeler : l’une des premières demandes de la junte qui a pris illégalement le pouvoir est précisément d’exiger le retrait des troupes françaises.

3.   La politique du « double standard » : l’écueil d’une doctrine politique mal assurée

Il s’agit certainement là d’un point majeur qui rend illisible et incohérent notre action en Afrique. Sortir de la Françafrique, c’est résoudre la contradiction entre nos principes démocratiques et les écarts que nous nous accordons, lorsqu’il s’agit de nos relations avec une grande partie des États d’Afrique francophone. Ne pas mettre fin à cette politique du double standard, c’est continuer à nourrir le scepticisme et le rejet, et à alimenter le fantasme d’un agenda français caché.

Déjà, en 1990, la politique de conditionnalité, qui devait concrétiser le discours de La Baule, avait souffert de nombreuses exceptions remarquées. Celles‑ci ont perduré jusqu’aujourd’hui : la France est ainsi accusée d’être volontiers moralisatrice avec les pays africains, alors même qu’elle ferait moins de cas auprès de certains de ses alliés, par exemple dans le Golfe arabo‑persique, au risque de donner l’impression d’être dure avec les faibles et accommodante avec les puissants. En Afrique même, ses positions peuvent être changeantes selon les régimes envisagés. Si la France dénonce avec vigueur le coup d’État de la junte malienne, elle se montre plus compréhensive avec d’autres pays. Au Tchad, la présence du président français au premier rang des obsèques d’Idriss Déby, en avril 2021, a été interprétée comme un soutien au général Mahamat Idriss Déby, fils du « chef » disparu et déjà président d’un conseil militaire de transition ([90]) : quand bien même cette vision serait erronée, le symbole reste et a été extrêmement commenté par la jeunesse africaine sur les réseaux sociaux. Il ne fait guère de doute que la France souhaitait marquer une certaine solidarité à l’égard d’un pays où est déployée une partie des troupes françaises en Afrique. De même, quand le président de la République reçoit, sur le perron de l’Élysée, Ali Bongo, le 12 novembre 2021, le président gabonais justifie cette rencontre par l’importance de la relation bilatérale, fort ancienne, entre les deux pays. Dans les faits, le Gabon et le Ghana sont alors membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies pour la période 2022-2024 et le soutien du Gabon est donc un atout pour la France, en particulier dans le cadre des opérations de maintien de la paix organisées en Afrique.

La realpolitik impose ainsi régulièrement à la France de soutenir et de dialoguer avec des régimes peu démocratiques, quitte à être parfois gênée dans cet exercice d’équilibriste : la visite d’Emmanuel Macron dans la République du Congo de Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis 1979, se voulait aussi discrète que possible, le président justifiant sa présence de quelques heures par une volonté de n’ « humilier personne quand on fait une tournée régionale » ([91]). Il s’en est suivi un décalage, sur le terrain, entre l’intention française de n’oublier aucun pays et le sentiment vivace chez la population d’un manque de considération en raison de la brièveté du séjour présidentiel.

Enfin, il nous faut éviter d’adopter des postures intransigeantes, en particulier quand elles ne sont pas appliquées avec constance. S’il est indéniable que le coup d’État au Niger n’est pas favorable à la France, le rapport de force et l’attitude consistant à dicter nos conditions et refuser tout dialogue avec la junte au pouvoir se sont avérés contreproductifs. Ils ont cristallisé l’attention de la communauté internationale et donnent des arguments à la junte pour coaliser une partie des opinions publiques dans un discours anti-français réducteur.

Or, comment justifier le bien-fondé et la sincérité de cette position quand, dans le même temps, la France a semblé adouber une transition familiale au Tchad ? En laissant s’installer l’idée que la France a agi en fonction de ses intérêts contre ses principes de soutien à la démocratie, elle jette le doute sur sa sincérité dans toute autre situation comparable.

Enfin, ce manque de stratégie est également visible à l’échelle temporelle : la France semble encore trop souvent réagir à des crises qu’elle subit plus qu’elle ne les prévoit et ne les anticipe. Il existe certes des lieux de prospective comme le centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du Quai d’Orsay et la direction des affaires stratégiques du ministère des Armées (DAS) mais leurs moyens semblent encore trop limités pour peser véritablement sur la prise de décision. La connaissance du continent africain, en recul chez l’ensemble des acteurs impliqués dans la politique française en Afrique complique, par ailleurs, l’identification de signaux faibles et la construction de scenarii fiables de moyen et long termes.

La fondation de l’innovation pour la démocratie en Afrique

Créée le 7 juillet 2022 à Johannesburg, en Afrique du Sud, et dotée d’un budget de 2,4 millions d’euros, la fondation de l’innovation pour la démocratie en Afrique est issue d’une proposition du rapport du professeur Achille Mbembe au président de la République, en amont du sommet de Montpellier de 2021.

Alors que la France a affirmé vouloir s’engager pour promouvoir la démocratie sur le continent africain, elle a décidé de soutenir la création de cette fondation à hauteur de 50 millions d’euros sur cinq ans. Si ce projet s’inscrit dans le contexte de la refondation des relations entre la France et l’Afrique, la fondation est dotée d’une gouvernance indépendante – présidée par le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, professeur à l’université de Columbia – et dont le conseil d’administration est composé pour moitié de personnalités africaines reconnues.

La fondation se décline pour l’heure en deux laboratoires régionaux à Abidjan (Côte d’Ivoire) et à Douala (Cameroun), ainsi qu’en un campus à Marseille (France), destinés à « ancrer l’action dans les réalités locales nationales très concrètes ».

L’ambition de cette fondation est de soutenir et de valoriser les initiatives africaines locales en faveur de la démocratie, afin de lutter contre le recul de celle-ci sur le continent. Sa mission est de mettre en réseaux les acteurs porteurs d’initiatives dans le domaine de l’innovation pour la démocratie en Afrique, de favoriser la recherche et la production de pensées nouvelles, ainsi que de déployer des formations et de mettre à disposition des lieux et outils pour faciliter le dialogue et l’animation de l’intelligence collective, en s’appuyant notamment sur la jeunesse, les femmes, les universitaires, les acteurs institutionnels et la société civile.

Concrètement, à l’occasion de sa première activité publique en juillet 2023 à Grand‑Bassam (Côte d’Ivoire), la fondation de l’innovation pour la démocratie s’est réunie pour dresser un état des lieux de l’avancée de la démocratie dans le contexte de la succession de coups d’État, d’élections truquées et de troisième mandat en Afrique, afin de dresser un diagnostic des dysfonctionnements de la démocratie sur le continent.

Source : fondation de l’innovation pour la démocratie.

 

C.   des marges de progrÈs : une sous-utilisation de nos outils d’influence et un dÉfaut de moyens et de pilotage

1.   Des instruments d’influence peu ou mal mobilisés

i.   L’audiovisuel extérieur de la France : un formidable outil qui a pu se retourner contre notre pays

L’audiovisuel extérieur de la France constitue un outil d’influence puissant. France Médias Monde (FMM), qui regroupe la chaîne d’information continue France 24, la radio mondiale RFI et Monte Carlo Doualiya, réalise ainsi une audience globale en Afrique subsaharienne, pour l’année 2022, de 78,5 millions de téléspectateurs et auditeurs hebdomadaires, soit une hausse de 19 % par rapport à 2018 : France 24, première chaîne d’information en Afrique francophone, compte ainsi 40 millions de téléspectateurs hebdomadaires toutes zones et langues confondues, soit une audience en augmentation de 32 % par rapport à 2018, tandis que RFI réunit 38,6 millions d’auditeurs chaque semaine, nombre en hausse de 13 % depuis 2018. Les coupures intervenues au Mali, au Burkina Faso et, plus récemment, au Niger n’ont donc pas eu d’influence majeure sur la part d’audience de FMM dans la région, laquelle a développé des stratégies de contournement de ces interdictions de diffusion consistant à recourir aux ondes courtes, à la diffusion satellitaire directe ne passant par aucun opérateur de bouquet, aux réseaux privés virtuels et aux sites miroirs, et à utiliser les réseaux sociaux et plateformes de diffusion des flux en direct sur YouTube et Facebook notamment.

Les diffÉrents moyens de contournement des coupures utilisÉs
par RFI et France 24 au Mali et au Burkina Faso

Source : FMM

Afin de toucher une audience plus large et d’ancrer ses médias dans un contexte de fortes déstabilisations géostratégiques en Afrique, FMM propose désormais des programmes sur RFI en quatre langues africaines à raison de deux heures de programme par jour : en mandenkan et en fulfulde, depuis une rédaction située à Dakar, en haoussa, depuis Lagos, et en kiswahili, depuis Nairobi. RFI propose également des programmes dans d’autres langues parlées en Afrique, qu’il s’agisse du portugais diffusé en FM au Cap Vert, en Guinée-Bissau, au Mozambique et à Sao Tomé, ainsi qu’en anglais. Elle s’appuie sur des envoyés spéciaux permanents présents dans les grandes capitales régionales d’Afrique, à Abidjan, Dakar et Nairobi, ainsi qu’un important réseau de correspondants plurilingues présents dans tous les pays d’Afrique, dont beaucoup d’entre eux sont originaires.

En ce sens, FMM présente de nombreux atouts pour permettre à la France de nouer des liens étroits avec les populations africaines. Certains programmes y contribuent déjà. RFI et France 24 proposent ainsi des programmes spécifiquement dédiés à la déconstruction des fausses informations qui prolifèrent, à travers une quinzaine d’émissions dans toutes les langues (en français, en anglais mais aussi dans différentes langues africaines), à l’instar de la rédaction des « Observateurs » sur France 24. Le groupe contribue également au rayonnement de la francophonie par l’accompagnement de l’apprentissage du français, grâce à ses antennes en français et aux offres en langues étrangères qui s’insèrent toujours dans la grille francophone, ainsi que des outils d’apprentissage de la langue française, en particulier avec le nouveau site « le Français facile avec RFI », le « journal en français facile » et les fictions bilingues en langues africaines et française.

Les résultats d’audience de FMM apparaissent d’autant plus satisfaisants que le groupe dispose d’un budget largement inférieur à ces principaux concurrents en Afrique, tels que BBC World Service, Voice of America (USA Global Media) et Deutsche Welle, qui disposent de moyens renforcés depuis plusieurs années, leur permettant de bénéficier d’effectifs plus nombreux sur le terrain pour développer des partenariats tant en termes de reprises directes que de co-productions avec les médias locaux.

Comparaison des budgets de FMM et de ses principaux concurrents
en Afrique

Source : FMM

Les rapporteurs souhaitent toutefois attirer l’attention sur deux dimensions :

– comme souligné, les budgets alloués aux médias extérieurs français sont faibles par rapport à ceux de leurs principaux concurrents. Par ailleurs, l’État français ne donne guère de visibilité à moyen terme sur leur financement, ce qui empêche FMM de se projeter sereinement dans l’avenir ;

– dans la guerre informationnelle qui se joue en Afrique, les médias publics font librement leurs choix éditoriaux sur lesquels les rapporteurs n’ont pas autorité à intervenir. Cependant, lors des auditions menées, de nombreux témoignages ont déploré que ces médias renvoient trop souvent une image négative de la France et de sa diplomatie. Or, il faut bien comprendre qu’en Afrique, peu font la différence entre un média de service public et un média d’État. Cet amalgame conduit certains commentateurs à déplorer que notre pays montre à longueur d’antenne des images d’attaques de nos ambassades ou donne de l’audience à des discours violemment anti-français. Les rapporteurs souhaitent alerter sur ce constat. Ils regrettent également que les initiatives positives menées par la France soient souvent oubliées des médias et que la parole soit donnée à ses détracteurs, prêts à user de tous les discours et méthodes malhonnêtes pour porter atteinte à l’image de notre pays. La réalisation d’un entretien avec l’influenceur anti‑français, payé par la Russie, Kémi Séba, programmé puis annulé au dernier moment sur la chaîne parlementaire LCP, a pu émouvoir. Cette initiative est d’autant plus dommageable qu’elle a été aisément exploitée par cet influenceur comme le signe de la peur supposée qu’il inspirerait aux autorités françaises et la reconnaissance explicite de son influence. Les rapporteurs en appellent à la responsabilité de chacun dans un moment difficile pour la France et ses ressortissants. Les États généraux de l’information, annoncés par Emmanuel Macron le 13 juillet 2023 et lancés au début du mois d’octobre, sont l’occasion d’aborder cette question : les rapporteurs en soutiennent l’initiative et espèrent que ce rendez-vous sera l’occasion d’une prise de conscience générale sur le rôle joué par les médias dans la diffusion ou la lutte contre la désinformation dont la France est victime.

ii.   Une stratégie communicationnelle déployée avec retard

La France a commencé à prendre la pleine mesure des attaques dont elle fait désormais l’objet par des puissances étrangères déstabilisatrices. Elle déploie ainsi une nouvelle stratégie nationale d’influence dont la réalisation repose sur une logique interministérielle et sur une tentative de définition d’une nouvelle politique communicationnelle.

Il est toutefois regrettable qu’elle ait pris si tardivement conscience du caractère préjudiciable de ces attaques. Le développement d’un discours anti‑français instrumentalisé par la Russie en Afrique est connu dès 2013 ; il faut néanmoins attendre les années 2019-2021 pour que la France commence véritablement à prendre en compte cette menace sous la pression de l’influence russe grandissante en Centrafrique. Dans son discours du 1er septembre 2022 à la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, Emmanuel Macron appelle ainsi à la poursuite d’une « diplomatie de combats », dont l’une des déclinaisons repose sur une nouvelle stratégie communicationnelle. Les diplomaties publique et d’influence sont finalement considérées comme des fonctions stratégiques par la nouvelle revue nationale stratégique de 2022. Enfin, cette dimension de la guerre asymétrique est intégrée à la loi de programmation miliaire votée en 2023.

Cette communication s’articule autour de deux piliers : l’un défensif, la lutte contre les fausses informations et les désinformateurs ; l’autre offensif, la valorisation des atouts et actions menées par la France en Afrique, notamment au profit des populations locales. Elle s’accompagne du déploiement d’un narratif unique et cohérent, lequel assume le passé de la France et présente le renouveau de la politique française à l’égard de l’Afrique comme le fruit d’un choix, résolument tourné vers l’avenir. Ce narratif s’adresse non seulement aux responsables politiques africains mais aussi aux populations civiles et, au-delà, à tous les franco‑africains. Il met en avant les multiples liens positifs entre la France et l’Afrique, qu’ils soient culturels, sportifs, économiques ou démographiques, à travers l’importance des diasporas franco‑africaines. Il insiste également sur les valeurs dont la France est porteuse (droits de l’Homme, démocratie et bonne gouvernance) tout en se gardant de se prononcer sur les situations politiques intérieures propres à chaque État africain ou sur les résultats de l’action militaire et sécuritaire de la France en Afrique. Il recourt enfin à un vocabulaire spécifique : l’Afrique est désignée comme un « partenaire » lié à la France par des relations égalitaires et respectueuses, dont la voix compte et qui doit être écoutée ; elle fait l’objet d’alliances ou d’initiatives conjointes et non d’aides ou de tentatives de développement dans une logique asymétrique. Un point de vigilance consiste à ne pas se laisser enfermer dans la posture de l’ancienne puissance coloniale : chaque fois qu’il est demandé, y compris par des acteurs africains, à un représentant français de s’exprimer sur les orientations politiques d’un pays africain, il est nécessaire de rappeler que ce n’est pas le rôle de notre pays de délivrer des conseils sur la posture à tenir.

La mise en œuvre de cette nouvelle communication repose sur la mobilisation de tous les canaux institutionnels : outre le président de la République et ses ministres, des postes d’ambassadeurs thématiques ont été créés. La France dispose désormais d’un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique. La mission compte, en plus de l’ambassadeur, un agent contractuel du ministère des Affaires étrangères, un agent mis à disposition du ministère des Armées et un stagiaire une partie de l’année. Elle s’appuie, par ailleurs, sur les ressources de veille et de communication des ministères des Armées et des Affaires étrangères. Enfin, l’ambassadeur préside le comité interministériel pour la diplomatie publique en Afrique, qui rassemble l’ensemble des ministères et services concernés. La France compte, en sus, un ambassadeur pour le numérique chargé de promouvoir les droits humains, les valeurs démocratiques et la langue française dans le monde numérique, ainsi que de renforcer l’influence et l’attractivité des acteurs français du numérique.

Depuis août 2022, le Quai d’Orsay s’est, en outre, doté d’une nouvelle sous‑direction en charge de la veille et de la stratégie en complément de celles de la communication et du porte-parolat : elle réunit une vingtaine de personnes, dont une cellule de veille sur les réseaux sociaux composée de cinq personnes. Des effectifs supplémentaires pour assurer la gestion de ces nouvelles missions ont été consentis, tout comme un doublement des moyens budgétaires dédiés à la communication et un renforcement de la coordination entre Paris et les services de presse des ambassades et consulats à travers le monde.

La France développe des partenariats pour mieux lutter contre les menaces informationnelles. Notre pays n’est pas le seul concerné par ces attaques, qui s’en prennent, plus généralement, au modèle occidental. La France noue ainsi des liens avec ses partenaires européens, notamment allemands et baltes, mais aussi avec ceux du G7, tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, et les pays africains eux‑mêmes via le réseau francophone des régulateurs de médias (Refram), créé à Ouagadougou en 2007 et dont l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) est membre. Elle s’investit enfin dans certaines organisations internationales, telles que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), où se tiennent des discussions sur la définition de ce qu’est une information fiable.

Localement, cette stratégie s’appuie sur les ambassades : il revient à chaque ambassadeur désormais à la tête d’un comité local de communication, d’une part, de définir une ligne communicationnelle claire, qui devra être reprise par l’ensemble des acteurs de l’ « équipe France » sur le terrain et, d’autre part, de renforcer sa communication, notamment sur les réseaux sociaux. L’objectif fixé par le Quai d’Orsay est que l’ensemble des ambassadeurs soient ainsi présents sur les réseaux sociaux lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs d’août 2023. Pour ce faire, de nouveaux moyens leur sont octroyés :

– le 2 septembre 2022, lors de son discours à la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a annoncé la création de trois fonds de soutien à l’innovation au sein du ministère. L’un d’entre eux concerne la communication du réseau diplomatique. Doté de 500 000 euros, il vise à soutenir les projets les plus ambitieux et les plus innovants en matière de communication. L’objectif est de renforcer la capacité des postes à mener des actions de communication innovantes et à toucher de nouveaux publics, en appui des positions françaises. L’appel à projets pour le Fonds de soutien à l’innovation en matière de communication est clos depuis le 22 février 2023 : 96 dossiers ont été reçus dont 26 pour la zone « Afrique‑Océan indien » ;

– depuis mars 2022, la direction de la communication et de la presse du Quai d’Orsay apporte un soutien accru à ses ambassades en Afrique, en leur proposant une aide en termes de réalisation vidéo et de visuels, avec le soutien de prestataires extérieurs.

Enfin, le ministère des Armées a adopté une doctrine de « lutte informatique d’influence » en octobre 2021, tandis que l’État-major des armées s’est doté d’une cellule « anticipation, stratégie et orientation » (ASO).

Néanmoins, cette communication souffre :

– d’un sous‑dimensionnement manifeste par rapport à l’ampleur de la propagande russe officielle ou relayée par Wagner ;

– d’un temps de retard par rapport aux évolutions des pratiques de nos détracteurs ;

– de la concentration des moyens sur la mobilisation des canaux institutionnels qui, s’ils sont indispensables, ne pourront rétablir à eux seuls l’équilibre avec les puissances qui nous sont hostiles ;

– d’un fonctionnement sans doute trop administratif et d’une organisation interministérielle qui manque encore d’expertises pointues.

Les rapporteurs considèrent qu’il est urgent de déployer des moyens à la hauteur des enjeux et de mettre en œuvre concrètement les stratégies énoncées pour être enfin en capacité de valoriser l’action de la France et de contrer les stratégies de désinformation dont notre pays est victime. Ces actions se feront dans les règles éthiques que la France, avec raison et fierté, s’impose. Il n’est, en effet, pas question d’utiliser les mêmes moyens non démocratiques de désinformation que ceux de nos détracteurs.

2.   Des moyens en demi-teinte

a.   Sur le temps long, une diminution significative des moyens militaires et civils préjudiciable

i.   Sur le plan militaire

La France a connu une très nette déflation de ses forces de présence à l’étranger entre les années 1996 et 2015 ([92]). Ainsi, dès 1996, les 1 500 hommes des éléments français d’assistance opérationnels (EFAO), installés à Bangui et à Bouar en Centrafrique, sont retirés. Les autres garnisons de Dakar, Abidjan, Libreville et Djibouti sont également concernées, si bien que l’ensemble du dispositif français (hors Tchad) passe de 8 000 hommes en 1995 à 5 000 en 2001. La révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2008 accélère cette tendance de même que Le Livre blanc de 2008 : prenant acte de la moindre dépendance au pétrole de la France et d’une véritable politique de diversification des approvisionnements stratégiques, ce dernier affiche sa volonté de réduire la place de l’Afrique dans les déploiements français à l’étranger, ce que symbolise l’ouverture d’une base permanente à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, en 2009. C’est toujours dans cette logique que seront dissoutes les 1 200 forces françaises du Cap Vert remplacées par les éléments français du Sénégal formés de 350 militaires seulement.

L’intervention française au Mali et en République centrafricaine en janvier et décembre 2013 ont sans doute permis d’atténuer les réductions d’effectifs engagés tant par Le Livre blanc de 2013 que par la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, sans pour autant enrayer ce phénomène. Ainsi, les forces françaises du Gabon sont réduites, comme celles du Sénégal, de 900 à 350 hommes pour devenir les éléments français du Gabon (EFG), couvrant les onze pays de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Il est toutefois décidé de maintenir une base permanente en Côte d’Ivoire après la fin de l’opération Licorne en 2015, à hauteur d’un millier d’hommes : cette base opérationnelle avancée (BOA) permet à la France de couvrir toute l’Afrique de l’Ouest. La sécurisation de l’Afrique de l’Est repose, quant à elle, sur les forces françaises de Djibouti connectées à nos éléments prépositionnés aux Émirats arabes unis, ainsi qu’aux forces armées de la zone Sud de l’océan indien (Faszoi) à Mayotte et à La Réunion.

Cette réduction des moyens consacrés à la politique africaine de la France s’est accompagnée d’un changement de doctrine : si, dans les années 1990 et 2000, les forces de présence s’inscrivent dans une logique d’interposition avec le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP), la montée du djihadisme dans la décennie 2010 impose comme objectif la lutte contre le terrorisme au détriment du maintien de la paix. La nouvelle approche retenue privilégie alors la formation, notamment via la coopération structurelle placée sous l’autorité de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du Quai d’Orsay, qui appuie le travail d’une quinzaine d’écoles nationales à vocation régionale (ENVR). Le travail de la DCSD est complété par d’autres actions du ministère des armées qui organise l’accueil des stagiaires africains dans différentes écoles militaires en France. Enfin, ces approches structurelles se combinent à des missions d’instruction opérationnelle et d’entraînement pilotées depuis les pôles opérationnels de coopération (POC) de Dakar et de Libreville. Or, les moyens consacrés à la coopération militaire ont eux-mêmes considérablement diminué : le nombre de coopérants est ainsi passé d’environ 10 000 avant 1998 – date à laquelle le secrétariat d’État à la coopération disparaît au profit du ministère des Affaires étrangères qui absorbe une partie de ses missions – à 311 ([93]) aujourd’hui, principalement stationnés en Afrique sous l’autorité des attachés de défense ou des attachés de sécurité intérieure.

ii.   Sur le plan civil

La réduction des moyens au service de la politique de la France en Afrique observée sur le plan militaire trouve son pendant sur le plan civil. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a subi, ces trente dernières années, une baisse considérable de ses moyens qui n’est pas sans conséquences pour le rayonnement de notre diplomatie et l’efficacité de l’action de nos ambassades. Comme le rappelait la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères à l’occasion de son audition devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 4 octobre 2022, les effectifs du Quai d’Orsay « ont baissé de 30 % sur les deux dernières décennies », alors même que le périmètre des missions diplomatiques et consulaires est resté, quant à lui, inchangé : cette baisse a tout particulièrement touché les effectifs de la France en Afrique, lesquels ont diminué de 40 % environ entre 2006 et 2017.

Ce manque de moyens a sans doute contribué au retard pris par la France dans sa stratégie communicationnelle : moins bien identifiés et longtemps perçus comme secondaires, les services de presse et de communication font partie des postes les plus vulnérables. Le réseau consulaire a également été fortement touché par cette baisse d’effectifs chronique : comme le souligne l’avis budgétaire du député Vincent Seitlinger ([94]), le programme 151 relatif aux Français à l’étranger et aux affaires consulaires a perdu, entre 2008 et 2021, 11 % de ses effectifs, soit 375 équivalents temps pleins travaillés (ETPT), alors que le nombre de Français inscrits au registre progressait de 12,4 % sur la même période. Associée à la désorganisation causée par la pandémie de la Covid-19, cette évolution est lourde de conséquences sur le service rendu aux usagers, qui subissent une augmentation des délais de délivrance des titres d’identité et de voyage, ainsi qu’une dégradation du contact humain lorsqu’ils recourent au service public consulaire. Si cette situation ne concerne pas seulement les États africains, elle ne sert guère l’image de la France dans ces pays, en particulier lorsqu’elle s’ajoute aux conditions restrictives d’obtention de visas.

b.   Une volonté de « réarmer » la diplomatie française : une nécessité

Dans ces conditions, il est essentiel que la nouvelle politique française à l’égard de l’Afrique soit dotée de moyens robustes, sans lesquels elle risque fort de rester lettre morte. À cet égard, les rapporteurs se félicitent des récentes annonces du président de la République qui a déclaré, au cours des États généraux de la diplomatie de mars 2023, qu’il était nécessaire de « mettre les moyens en conformité avec nos ambitions » : concrètement, ce sont plus de 700 nouveaux emplois qui seront créés sur quatre ans au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, lesquels s’accompagnent d’une hausse du budget de plus de 20 % sur la même période, pour atteindre 7,9 milliards d’euros en 2027.

Le Gouvernement souhaite également renforcer son réseau de volontaires internationaux : s’ils sont aujourd’hui 1 700 à travers le monde, la France souhaiterait voir leur nombre doubler d’ici trois à quatre ans. L’objectif est aussi d’étendre le dispositif d’experts techniques internationaux (ETI), qui relèvent d’Expertise France, l’agence française d’expertise technique internationale : leur nombre devrait passer de 80 en Afrique, aujourd’hui, à 300 à la fin de l’année 2023 et à 500 en 2027.

Quant aux moyens dévolus aux armées, ils tiennent compte de la dégradation continue de l’environnement international auquel la France doit faire face, notamment en Afrique. La LPM 2024-2030 fixe, à ce titre, un cadre budgétaire ambitieux, puisqu’elle permet à notre pays de franchir le cap des 2 % de son produit intérieur brut (PIB) consacré à la défense dès l’année 2025 : elle prévoit ainsi de débloquer 400 milliards d’euros de crédits budgétaires sur les sept années couvertes, soit une hausse de 105 milliards d’euros par rapport à la précédente loi de programmation.

c.   L’aide publique au développement en Afrique : des moyens en augmentation

L’aide publique au développement octroyé par la France – dont une part majeure de la conception et la quasi-intégralité de la mise en œuvre reposent sur l’Agence française de développement (AFD) – à l’Afrique est importante. Le contrat d’objectif et de moyens (COM) 2020-2022 assigné à l’AFD, traduction de l’engagement présidentiel d’investir 15,5 milliards d’euros sur la période trisannuelle en Afrique, est respecté. L’AFD en tant que groupe (incluant donc l’AFD, sa filiale Proparco et Expertise France) a ainsi investi sur le continent africain dans son ensemble 4,9 milliards d’euros en 2020, 5,4 milliards d’euros en 2021 et 5,2 milliards d’euros en 2022.

En 2022, neuf pays ont concentré plus de 50 % des montants octroyés en cumulé par le groupe, à savoir : l’Afrique du Sud (450 millions d’euros), la République de Côte d’Ivoire (400 millions d’euros), le Sénégal (291 millions d’euros), le Kenya (285 millions d’euros), la Tunisie (266 millions d’euros), la Tanzanie (256 millions d’euros), l’Égypte (240 millions d’euros), le Cameroun (212 millions d’euros), le Nigéria (200 millions d’euros) et le Maroc (170 millions d’euros). La moitié des octrois de l’AFD pour cette même année s’est concentrée sur trois secteurs (énergie, eau et assainissement, transports et mobilité) et ce chiffre atteint même 60 % si l’on inclut un quatrième secteur, celui de l’éducation et de la formation professionnelle.

Il est à noter que la dégradation des relations entre la France et certains pays africains n’a pas eu de véritables conséquences sur la qualité du dialogue entre l’AFD et ses partenaires. Dans les pays majoritairement anglophones, tels que l’Angola, l’Éthiopie et la Tanzanie, la coopération avec des acteurs financiers internationaux comme l’AFD est toujours perçue comme positive et nécessaire. À titre d’exemple, l’image favorable dont la France bénéficie en Tanzanie s’est traduite par la reproduction de photographies d’Emmanuel Macron et de la présidente locale de l’AFD sur les affiches de campagne de célébration des deux ans de la prise de fonction de la présidente tanzanienne, Samia Suluhu Hassan, pour mettre en avant son action en matière de coopération internationale et les progrès réalisés dans le secteur de l’eau et de son assainissement dans le pays.

3.   Un pilotage perfectible de la stratégie africaine de la France et de ses outils

a.   Une aide publique au développement à l’efficacité contestable et progressivement vidée de sa dimension politique

i.   L’autonomisation progressive de la politique d’aide au développement

La politique d’aide au développement de la France est fondée sur une distinction entre une supervision politique, relevant de l’échelon central de l’État, et une mise en œuvre opérationnelle principalement confiée à l’AFD, groupe dont dépend la filiale Proparco, qui finance le secteur privé, ainsi qu’Expertise France, depuis le 1er janvier 2022.

Comme le souligne un récent rapport de la Cour des comptes ([95]), l’AFD présente une spécificité du fait de sa double nature, à la fois société de financement et établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), et de l’élargissement progressif de ses compétences, lesquelles en font le point d’appui central et très autonome de la politique française de développement depuis la réforme de notre système de coopération adoptée le 4 février 1998. Celle-ci aboutit à la disparition du secrétariat d’État à la coopération et à la prise en charge de ses attributions par le ministère des Affaires étrangères, ainsi qu’à la promotion de l’AFD comme « opérateur pivot » des projets d’aide au développement. Ce phénomène est encore amplifié par le fait que sa tutelle n’est pas unifiée, puisqu’elle relève à la fois du ministère en charge des affaires étrangères et du ministère chargé de l’économie.

La complexité imposée par cette double tutelle est particulièrement visible dans le cadre de la conception de la politique d’aide au développement française. Celle-ci fait intervenir une double instance. D’une part, le comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) : créé par le décret n°98‑66 du 4 février 1998, présidé par le premier ministre, il réunit les ministres directement concernés par la politique d’aide au développement, afin de définir « les orientations de la politique de coopération internationale et d’aide au développement ». D’autre part, la conférence d’orientation stratégique et de programmation (COSP), organe créé sur la base des conclusions des réunions du CICID du 20 juillet 2004 et du 18 mai 2005 : elle rassemble, au moins une fois par an, les acteurs de la politique d’aide publique au développement sous la présidence du ministre chargé de la coopération, notamment pour établir une programmation budgétaire indicative des ressources allouées à chaque pays, en vue de donner une traduction concrète aux orientations décidées par le CICID.

Cette tutelle bicéphale a favorisé l’autonomisation de l’AFD et l’abandon progressif d’une vision et d’un portage politiques. Déjà en 2012, puis en 2019 et désormais en 2023, la Cour des comptes déplorait l’absence d’un ministère pilote qui intégrerait la conception et la mise en œuvre de la politique française d’aide au développement comme une dimension majeure de la politique extérieure de la France. Ainsi, plus qu’à une agence de mise en œuvre à l’allemande, l’AFD s’apparente davantage à une agency à l’américaine, qui participe à la conception d’une politique publique autant qu’à son application.

Sans doute la baisse significative des effectifs du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et des moyens dédiés aux postes, déjà mentionnée, a-t-elle également favorisé ce phénomène en rendant quelque peu illusoire toute volonté de contrôle effectif sur l’agence. Ce positionnement a des traductions très concrètes sur le terrain : la Cour des comptes souligne que les conseillers de coopération et d’action culturelle des ambassades de France apparaissent souvent « démunis » face à la puissance de l’AFD, que ce soient en termes budgétaires et d’expertise. Ceux‑ci rencontreraient, par exemple, des difficultés à incarner les positions françaises lors des réunions organisées par les délégations de l’UE, s’ils ne sont pas accompagnés d’un représentant de l’AFD.

ii.   Redéfinir les objectifs et renforcer le suivi des actions menées

De même que le pilotage politique de l’aide au développement est défectueux, le suivi des actions menées par l’AFD est insuffisant : des réunions interministérielles relatives aux questions de coopération et de développement sont ainsi trop rares.

De plus, le contrat d’objectif et de moyens de l’AFD, tout comme la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, ont une dimension pluriannuelle, si bien que la stratégie de la politique d’aide au développement, majoritairement orientée vers le continent africain, ne fait pas l’objet d’une revue régulière, ce qui peut nuire à sa capacité d’adaptation et de soutien à la politique étrangère de la France.

iii.   Une aide non perçue par les populations bénéficiaires

Or, un tel mode de fonctionnement n’est pas sans poser question : la politique d’aide au développement, pourtant dotée d’un budget conséquent, peine à s’inscrire dans une stratégie globale de rayonnement et d’influence de notre pays, au risque de manquer d’efficacité. Rappelons qu’aucun pays n’est jamais sorti de la pauvreté grâce à une telle politique et même lorsque la France investit parfois massivement pour soutenir un État, ses résultats n’en sont pas toujours perceptibles par les populations locales, soit que l’argent ne leur parvienne pas, soit que l’AFD se montre incapable de mettre en valeur son action et ses projets. En Côte d’Ivoire, par exemple, le micro-crédit est octroyé par l’intermédiaire d’acteurs locaux sans que la provenance française de ces fonds n’apparaisse in fine auprès des populations locales alors même que la France y consacre une part importante de son aide.

Depuis trente ans, s’est donc dessiné un double mouvement : l’abandon progressif du terrain et de la coopération avec sa myriade d’acteurs locaux pour armer un vaisseau amiral puissant et influent mais qui, majoritairement, contracte avec de grandes institutions financières ou des ministères, lesquels, par « ruissellement », touchent in fine les populations par l’intermédiaire d’acteurs locaux. La France souffre ainsi d’un paradoxe préjudiciable : elle est dotée d’un outil de développement qui n’a jamais été aussi puissant et aussi peu visible sur le terrain. Les populations concernées l’ignorent totalement et n’accordent pas à la France le bénéfice de l’amélioration de leur situation.

 

L’action de l’AFD en Côte d’Ivoire

Les interventions du Groupe AFD en Côte d’Ivoire s’inscrivent dans le programme de développement national 2021-2025 ([96]) et ciblent la valorisation du capital humain et la promotion de l’emploi, un développement régional équilibré soucieux de la préservation de l’environnement et de la lutte contre les effets du changement climatique, ainsi que le renforcement de la gouvernance et la modernisation de l’État.

Avec un portefeuille de 2,8 milliards d’euros (1,5 milliard d’euros en prêts et 1,3 milliard d’euros en subventions), la Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays d’intervention de l’AFD et l’agence y est le premier bailleur bilatéral. L’ensemble des instruments financiers du groupe y est déployé. Les interventions de l’AFD sont significatives en volume et diversifiées, grâce notamment :

- aux contrats de développement et de désendettement (C2D), dont la Côte d’Ivoire bénéficie pour un montant inédit cumulé de 2,89 milliards d’euros. Trois contrats C2D ont été mis en œuvre : le premier C2D signé en 2012 (630 millions d’euros), le deuxième en 2014 (1,125 milliard d’euros) et le troisième en octobre 2021 pour un montant de 1,144 milliard d’euros sur la période 2021-2025 ;

- à la reprise progressive des prêts souverains depuis 2016, qui a bénéficié d’une forte dynamique avec aujourd’hui quinze projets vivants pour un total d’engagements de 1,5 milliard d’euros, décaissés, fin septembre 2022, à hauteur de 23 %. Les dernières signatures de prêt souverain, en juillet 2022, ont porté sur un prêt de soutien budgétaire (250 millions d’euros), un projet de réhabilitation de l’extension de la route du Nord jusqu’aux frontières du Burkina Faso et du Mali, assorti d’un programme de désenclavement de la région Nord‑Est (200 millions d’euros), et un projet de développement du réseau d’assainissement de la commune de Yopougon approuvé en janvier 2022 (130 millions d’euros).

Au total, l’AFD accompagne aujourd’hui plus de 70 projets de développement dans les secteurs de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, de l’aménagement et du développement urbains, de la biodiversité et de l’environnement, de l’eau et de l’assainissement, de l’énergie, des infrastructures, de la justice, des secteurs sociaux (éducation sur l’ensemble du continuum, santé) ou plus récemment des industries culturelles et créatives, ou le sport. À noter que le portefeuille actuel est composé d’une part significative d’appuis budgétaires globaux ou sectoriels.

Quelques résultats concrets non exhaustifs de cette politique :

- plus de 1 192 salles de classe ont été construites, 1 352 sont en voie de l’être aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire. Ce sont plus de 115 000 élèves qui, chaque année, bénéficieront de ces nouvelles infrastructures ;

- plus de 28 000 enseignants et personnel d’encadrement au niveau du primaire et du secondaire ont réussi à suivre des programmes de formation continue hybrides (en présentiel et en ligne), 2 000 autres sont en voie d’en bénéficier ;

- au moins 7 partenariats écoles-universités destinés principalement à la modernisation ou à l’extension des formations, ont été favorisés avec le lycée Louis-Le-Grand, X Polytechnique, l’école nationale de l’aviation civile (ENAC), le centre de droit et d’économie du sport (CDES), l’école de référence internationale de la construction durable (ESTP) Paris, l’Université Paris-Dauphine et l’Université de Liège.

- 4 centres d’excellence dans les domaines du changement climatique, de l’économie-statistique, des mines et de l’environnement, et dans la gestion durable des déchets sont soutenus.

 

Source : L’Agence française de développement.

Enfin, le type d’aide octroyée par l’AFD s’avère parfois inadapté aux contextes locaux. L’agence finance trop souvent de grands projets d’infrastructures là où les Africains auraient besoin d’investissement dans la formation ou de petits projets, réalisables rapidement avec des résultats visibles à court terme pour les populations locales. Les démarches pour obtenir des fonds sont, par ailleurs, souvent très longues et les exigences imposées aux acteurs locaux calquées sur les procédures françaises, d’une complexité souvent excessive pour de petites associations notamment. Trouver un juste milieu entre le maintien d’un contrôle minimal et une plus grande souplesse est l’un des enjeux auquel doit répondre l’aide au développement de demain.

iv.   Une arme puissante qui se retourne désormais contre la France

Dans le contexte actuel, ce mode de fonctionnement est préjudiciable et se retourne contre la France, renforce les arguments de ses détracteurs et modifie négativement son image auprès des populations africaines.

« Comment, année après année, la France, cette grande puissance qui déverse des milliards d’euros (près de 15 milliards dont la grande majorité sous forme de prêts) n’arrive pas à sortir les pays africains de la misère ? ». Voici le message souvent entendu en Afrique. Comme pour l’opération Barkhane, notre puissance affichée et l’absence de résultats tangibles et visibles renvoient notre pays à une image d’impuissance et de déclassement.

Plus insidieuse et préjudiciable encore est l’opinion grandissante qu’il s’agit, pour la France, d’une façon de renforcer les régimes politiques en place, de vouloir maintenir délibérément l’Afrique sous dépendance et de participer au renforcement des phénomènes de corruption.

Il convient donc de réinvestir fortement le terrain et de faire en sorte que l’action de notre pays soit perceptible au bénéfice direct des populations. Il est aussi nécessaire de bannir au plus vite l’usage du vocable « aide au développement » qui renvoie à une relation à laquelle l’Afrique francophone souhaite mettre fin. Cette demande a été explicitement formulée par le président de la République lors du sommet de Montpellier. Des divergences entre l’Élysée et le ministère des Affaires étrangères ont toutefois empêché ce changement d’aboutir.

b.   La dilution du suivi de la stratégie africaine de la France : une myriade d’acteurs et des pratiques déconcertantes

Si la définition de la stratégie africaine de la France est hyper personnalisée, sa mise en œuvre relève d’une multitude d’acteurs rendant parfois malaisée l’identification du bon interlocuteur. On connaît la fameuse phrase d’Henry Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Elle pourrait s’appliquer, à bien des égards, à la stratégie africaine de la France. C’est là le deuxième écueil de la disparition du ministère de la coopération que nos interlocuteurs africains regrettent bien souvent.

Ce ministère ([97]) a été créé par un décret du 10 juin 1961, même si son administration a été mise en place dès 1959, dans le prolongement de l’indépendance des colonies françaises d’Afrique subsaharienne. Il se voit confier la responsabilité du suivi des relations entre la France et des États membres de la Communauté avec une attention particulière à « l’action d’aide et de coopération dans les domaines économique, financier, culturel et social » (décret du 27 mars 1959).

Un premier « Conseil interministériel pour l’aide et la coopération entre la République et les autres États de la Communauté » est d’abord institué : il se compose alors d’un secrétariat réunissant des fonctionnaires de l’ancien ministère de la France d’outre-mer, des administrateurs issus d’autres ministères et des contractuels. Il est complété, en Afrique, par des missions d’aide et de coopération et la mise en place du fonds d’aide et de coopération, qui soutient le développement des pays issus de l’ancien empire colonial français. Installé rue Monsieur, ce dispositif relève d’abord d’un ministre d’État auprès du premier ministre avant de constituer une entité propre, le ministère de la coopération. Il gagne peu à peu en influence, ce dont témoigne l’augmentation significative de ses effectifs qui passent de quelque 165 agents en 1964 à 637 personnes en administration centrale et 366 dans les missions de coopération et d’action culturelle en 1996. Confiée, selon les périodes, à un ministre de plein exercice, à un ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères ou à un secrétaire d’État, cette structure, spécifiquement dévolue à l’Afrique, conserve sa spécificité jusqu’à sa disparition, même si son champ d’intervention s’élargit : d’abord limité aux anciennes colonies françaises, il est étendu à l’ensemble des pays francophones de l’Afrique subsaharienne, puis en 1995, aux États africains anglophones ou lusophones et aux pays de la région des Caraïbes.

Il apparaît ainsi, durant plus de trente ans, comme le guichet presque unique auquel les Africains savent pouvoir s’adresser d’autant plus facilement que son administration spécialisée connaît parfaitement le continent. Les Africains doivent désormais composer avec des interlocuteurs aux missions et spécialités divers, depuis le Quai d’Orsay jusqu’à l’AFD en passant par les acteurs de la coopération décentralisée.


III.   Reconstruire une offre stratÉgique crÉdible : la condition sine qua non au renouveau des relations franco‑africaines

A.   Mobiliser davantage les atouts stratÉgiques de la France et rÉFORMER LA POLITIQUE DES VISAS : une ambition commune des deux rapporteurs, qui appellent À recentrer notre action, amÉliorer son pilotage et valoriser ses rÉsultats

1.   La Francophonie : un instrument à réinvestir

Affinités et diversités culturelles, diplomatie, éducation, recherche, organisations constitutionnelles, religion, mode de pensée, valeurs universalistes et humanistes, vision du monde : la langue française a joué un rôle prépondérant dans notre rayonnement international rappelle le rapporteur Bruno Fuchs. Le « soft power » français, dont la francophonie est le cœur, est potentiellement parmi les plus puissants du monde, aux yeux des rapporteurs, mais il demeure insuffisamment activé.

Aujourd’hui, l’usage du français est un lien solide entre la France et les 120 millions de locuteurs francophones africains répartis dans vingt-quatre pays. Pour vingt-et-un de ces pays, il s’agit même de la langue officielle ou co-officielle. C’est d’ailleurs souvent la langue choisie par les Africains pour communiquer entre eux, lorsque leurs langues régionales sont trop nombreuses. C’est le cas au Gabon, en Guinée ou encore en Côte d’Ivoire.

Pourtant, force est de constater que le français amorce un déclin sur le continent, au profit de l’anglais, qui compte environ 130 millions de locuteurs et vingt-cinq pays anglophones ([98]). C’est d’ailleurs en anglais que le président destitué du Gabon, Ali Bongo, s’exprime dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le 30 août 2023, pour appeler tous ses « amis » à « faire du bruit » contre son arrestation. Outre le Rwanda, déjà mentionné, et le Cameroun qui a rejoint l’organisation le 16 octobre 1995, il est ainsi significatif d’observer que le Gabon et le Togo, deux anciennes colonies françaises, ont choisi d’intégrer le Commonwealth en 2022.

Cette situation trouve plusieurs origines. Tout d’abord, il existe des formes de résistance presque politiques et culturelles, liées à l’histoire, à l’usage du français dans un nombre toujours plus grand de pays. Les mouvements panafricanistes lui préfèrent, tout comme à l’anglais et à l’arabe, des langues régionales, telles que le kiswahili, parlé par 150 millions d’Africains, l’haoussa (Afrique de l’Ouest et Afrique centrale), le zoulou (Afrique du Sud), le yoruba (Afrique de l’Ouest), l’ibo ou I’igbo (Nigéria) ou encore le peul (Afrique de l’Ouest) ([99]).

Sans doute aussi la francophonie, pensée comme un instrument de rayonnement et d’influence, a-t-elle été délaissée par la France depuis de nombreuses années. Pourtant, dès son arrivée au pouvoir en 2017, le président français s’est montré résolu sur ce sujet : son discours de Ouagadougou s’achève sur une longue tirade sur l’avenir de la francophonie en Afrique, dont « l’épicentre est quelque part autour du fleuve Congo, résolument ! ». À cette fin, il souhaite mobiliser l’ensemble des acteurs dans les domaines de la langue française, de son enseignement, de l’éducation, de la création artistique, ainsi que des acteurs plus porteurs, comme ceux de la mode et de la gastronomie ([100]). Il se distingue en cela de ses prédécesseurs, qui faisaient de la francophonie politique le moteur de leur politique francophone.

Néanmoins, presque six ans après ces déclarations, et malgré quelques initiatives – la France accueillera, par exemple, le 19ème sommet de la francophonie en 2024, sommet que le président de la République souhaite tourner vers la jeunesse et porteur d’une vision désinstitutionnalisée de la francophonie –, la mise en œuvre concrète de cette politique est, pour l’heure, décevante : elle manque de moyens et d’ambitions dans sa réalisation sur le terrain.

Pour le rapporteur Bruno Fuchs, l’inauguration, le 30 octobre 2023, de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts constituera peut-être cette forte impulsion vers le redéploiement de la francophonie que les partenaires de la France attendent de sa part depuis bien longtemps.

La dégradation des moyens du réseau culturel français – la France compte 28 instituts français, 109 alliances françaises en Afrique subsaharienne et 108 établissements scolaires sur le continent africain– n’est pas étrangère à cette situation alors même que ce réseau pourrait constituer un formidable pont entre les populations françaises et africaines.

En ce sens, les rapporteurs appellent à investir massivement dans notre réseau d’écoles et d’instituts culturels français à l’étranger en ciblant prioritairement les pays africains au regard des enjeux, des opportunités existantes et des bonnes relations que la France entretient avec eux. L’école, en particulier, est un formidable moyen de créer un lien indéfectible entre la France et les populations africaines dont les élèves qui ont étudié dans les établissements scolaires français sont souvent les meilleurs ambassadeurs de notre pays. Cette revalorisation du réseau éducatif et culturel français doit s’accompagner de la mise en place d’un système d’identification des élèves les plus méritants, articulé autour d’une stratégie de délivrance des visas plus ouverte à l’égard des jeunes talents. Il est également urgent de mettre fin à la politique de recrutement local du corps professoral, qui conduit trop souvent à abaisser les exigences académiques et pédagogiques du personnel recruté.

Rappelons enfin que les concurrents de la France en Afrique ont compris les avantages à promouvoir l’apprentissage de leur langue. Outre la Chine et ses instituts Confucius déjà décrits, la Russie a créé, fin 2022, une Organisation africaine de la russophonie à Bangui, capitale de la Centrafrique, placée sous la direction de l’homme d’affaires camerounais controversé Émile Parfait Simb. Chargée de diffuser l’apprentissage de la langue russe, elle constitue surtout un nouvel instrument de soft power au service de l’implantation de la Russie sur le continent. La Turquie pousse elle aussi son avantage en faisant avancer de pair investissements économiques, aide au développement et construction d’écoles coraniques.

De façon générale, le rapporteur Bruno Fuchs souhaite insister sur le fait que la francophonie est restée trop institutionnelle. La plupart des citoyens africains ne la connaissent pas ou ne semblent pas concernés par elle. Interrogé sur ce que la francophonie évoquait pour lui, l’Observateur, célèbre influenceur ivoirien, répondait : « des cravates, des costumes, des ministères… ». Des images très – trop – éloignées de son quotidien et de ses préoccupations.

Pour se réinventer, au-delà de la force de la langue, la francophonie doit redevenir attractive. Elle doit chercher à mieux répondre aux attentes des populations, et particulièrement de la jeunesse en développant, par exemple, la formation professionnelle, l’entrepreneuriat, le sport et la culture. La francophonie économique a, quant à elle, été totalement négligée. Le potentiel de création de richesses au sein d’un espace partageant la même langue est pourtant considérable : en fondant sa raison d’être sur le politique et la culture, le modèle de développement de la francophonie a, en quelque sorte, été imaginé à l’inverse de l’Union européenne, immédiatement conçue comme un grand marché commun. Aujourd’hui, trois organisations patronales francophones ([101]) cherchent à tirer profit de cet énorme marché alors que le développement économique de l’Afrique est un formidable levier pour notre influence, comme le prouve l’exemple angolais.

Enfin, le rapporteur Bruno Fuchs souligne que la francophonie est un système de valeurs, une vision du monde fondée sur l’État de droit, la liberté d’expression, l’égalité des individus, le développement de l’humain ou encore une approche multilatérale des relations internationales. C’est un modèle alternatif à la globalisation et à l’uniformisation, lesquelles s’attaquent, à travers le monde, aux identités des peuples et engendrent une standardisation culturelle des comportements et des modes de vie.

Face aux intégrismes religieux, aux impérialismes politiques, aux nationalismes autoritaires, aux libéralismes sans loi, la francophonie est, aux yeux du rapporteur Bruno Fuchs, une arme particulièrement adaptée pour autant qu’on lui donne les moyens de se renforcer. Comme le soulignait avec justesse Abdou Diouf, ancien secrétaire général de l’OIF, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde en 2007 : « Je n’ose croire que ceux dont le métier est de penser et de créer veuillent réduire le combat de la francophonie pour le respect et la promotion de la diversité des langues et des cultures à une nouvelle guerre de Cent Ans. Il ne s’agit pas de lutter pour ou contre la prééminence de telle ou telle langue. Il s’agit de faire en sorte que la vie de l’homme sous l’effet d’une standardisation ne se transforme en un désert de redondances et de monotonie, ou que les identités culturelles ne deviennent "meurtrières". » ([102])

L’Angola, un pays demandeur de la francophonie

En partie du fait de sa proximité avec les deux États francophones de la République du Congo et de la RDC au Nord de ses frontières, le français est aujourd’hui parlé par près de 15 % de la population de l’Angola, pays lusophone. En ce sens, l’ancien ambassadeur de France à Luanda, Sylvain Itté, a parlé du pays non-francophone « le plus francophone d’Afrique ».

 En effet, en Angola, tout concourt à ce que la France promeuve davantage sa langue et, plus généralement, sa présence, en particulier la nécessité de trouver de nouveaux alliés sur le continent africain pour contrebalancer l’influence grandissante de la Chine et des États-Unis :

– L’image de la France est perçue positivement par la population angolaise, notre pays étant jugé attractif par ses valeurs universelles, la solidité de ses institutions, les libertés publiques qu’il défend ainsi que par la qualité de son enseignement et de ses infrastructures de santé.

– La présence de nombreuses grandes entreprises françaises en Angola, et donc des emplois qu’elles proposent, renforce l’attractivité de notre langue et a fortiori de notre pays. Par-dessus tout, un système original et performant de l’enseignement du français y a été mis en place. Un bureau dédié au français a été ouvert au ministère de l’enseignement angolais, où deux fonctionnaires angolais et français sont chargés de l’organisation de l’enseignement de la langue française à tous les niveaux scolaires. Par ailleurs, l’Association des enseignants du français en Angola (AEFA) est extrêmement active. Cette dernière a formé dix-huit binômes de formateurs afin de créer un maillage dans tout le pays. L’ambassade de France en Angola propose également son aide pour coordonner et financer ce dispositif. Enfin, le réseau Eiffel, issu d’un partenariat entre TotalEnergies EP Angola, le ministère angolais de l’éducation, l’ambassade de France en Angola et la mission laïque française, participe à la diffusion et à la promotion du français dans le système éducatif angolais. Ce dispositif compte aujourd’hui six, et bientôt huit écoles scientifiques parfaitement bilingues, disposant d’un enseignement gratuit et s’inspirant du modèle éducatif français.

L’importance du nombre d’apprenants de la langue française, qui était, en 2020, de 250 000 pour 1 500 enseignants, représente une réussite pour l’expansion de la francophonie dans le pays. Ce succès est particulièrement visible dans le Sud du pays – proche des pays anglophones – où le nombre d’élèves en cours d’apprentissage du français progresse de manière significative.

Ainsi, grâce à une stratégie ambitieuse et de moyens plus importants, l’Angola peut devenir à l’avenir un grand pays « francophone ». À ce titre, le gouvernement angolais a fait acte de candidature en 2019 pour adhérer à l’OIF en qualité de membre observateur, et en parallèle à l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Ces démarches pourraient aboutir en 2024.

Source diverses

2.   Développer notre proximité culturelle et éducative

Les liens entre sociétés civiles se nourrissent également de tous les échanges scolaires et universitaires, de la circulation des artistes, d’intellectuels et de sportifs. Le développement du volontariat international, notamment dans le cadre d’une politique tournée vers la jeunesse, peut aussi trouver sa place dans une telle stratégie en favorisant la réciprocité. La tenue, à Paris, du 6 au 8 octobre 2023, du forum Création Africa représente un signe positif dans la perspective d’une telle stratégie.

En ce sens, les rapporteurs déplorent le récent cafouillage autour d’une directive de l’administration française, en septembre 2023. Il y était demandé la suspension de toute collaboration de notre pays avec des artistes du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Le président de la République et son gouvernement ont, par la suite, démenti la mise en place d’une telle suspension. La succession d’une annonce aussi sensible et de son démenti ont brouillé davantage encore le message de la France et la clarté de sa stratégie, ce qui est regrettable.

À ce titre, il est important de promouvoir une mobilité réciproque. Il s’agit d’ailleurs là d’une des priorités que fixe la loi de programmation de l’aide publique au développement qui, à ce jour, ne trouve aucune traduction réelle.

3.   Repenser l’APD

a.   Une réforme profonde

Les rapporteurs sont convaincus de la nécessité d’une réforme profonde de la politique d’aide au développement de la France avec, comme corollaire, le changement de nom de l’AFD en « France partenariats ». Cela semble cohérent, l’Exécutif ayant décidé de remplacer l’aide publique au développement par une politique d’investissement solidaire et durable (ISD), autant que nécessaire pour améliorer la visibilité du nom « France » dans nos actions aujourd’hui trop souvent masquées par l’utilisation du sigle « AFD ». Une première réforme devrait consister à rendre cette politique plus souple et davantage adaptée aux besoins locaux. Il est essentiel de mieux soutenir des petits projets réalisables à court terme, aux retombées visibles et facilement identifiables pour les populations locales. L’AFD s’est déjà lancée sur ce chemin, notamment à travers la création du fonds d’innovation pour le développement (FID). Il conviendrait désormais d’accélérer ce mouvement, en particulier auprès des pays avec lesquels la France entretient de bonnes relations.

Le fonds d’innovation pour le développement

Hébergé à l’AFD, le FID a été créé en décembre 2020 à l’occasion du premier Conseil présidentiel de développement et s’inscrit dans la lignée des recommandations du rapport d’Hervé Berville sur la modernisation de la politique partenariale de développement, publié en août 2018.

Ce fonds dédié au financement de l’innovation sociale, technologique ou organisationnelle dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et les inégalités propose des subventions pour :

- permettre le développement de nouvelles idées grâce à des financements pilotes allant de 50 000 à 200 000 euros ;

- évaluer l’impact de nouvelles idées en finançant, jusqu’à 1,5 million d’euros, leur évaluation rigoureuse menée en lien avec des équipes de recherche ;

- accompagner, jusqu’à 4 millions d’euros, le premier passage à l’échelle d’idées dont l’impact positif a été rigoureusement démontré ;

- permettre le dialogue de politiques publiques autour de l’évaluation comme outil de prise de décision pour la transformation des politiques publiques.

Plus de 2 000 projets émanant d’ONG, start-ups, entreprises du secteur privé, centres de recherche et organismes issus du secteur public ont été proposés via l’appel à projet ouvert en ligne et en continu depuis mars 2021. Les trois quarts de ces candidatures portent sur des projets localisés sur le continent africain et deux tiers sur des stades préliminaires du développement de l’innovation pour lesquels les besoins en financements d’amorçage et jouant le rôle d’effet de leviers sont très forts. Parmi les 43 projets sélectionnés pour un financement de 23 millions d’euros, 80 % sont localisés sur le continent africain et 40 % dans un pays prioritaire. Il s’agit pour la moitié de financements visant au développement de nouvelles idées avec de faibles montants, inférieurs à 200 000 euros, et, pour l’autre moitié, de financements qui permettront d’évaluer les conséquences de nouvelles idées en lien avec des équipes de recherche ou de financer un premier passage à l’échelle d’innovations ayant déjà fait leurs preuves.

Source : AFD

L’action du FID gagnerait également à mobiliser bien davantage les services de coopération et d’action culturelle des ambassades (SCAC), sans doute plus adaptés au soutien des petits projets appelés de leurs vœux par les rapporteurs grâce à une augmentation significative des moyens alloués à ces services, encore largement sous-dotés. Une première évolution en ce sens est d’ailleurs esquissée, puisqu’une partie des crédits qui revenaient auparavant à l’AFD sont désormais fléchés vers deux fonds servant à financer de petits projets identifiés par les ambassades des pays concernés : le fonds « Équipe France », doté de 40 millions d’euros mobilisés pour financer des projets dans neuf pays et centrés sur les secteurs de l’agenda transformationnel, et le fonds d’appui à l’entrepreneuriat culturel, dédié à dix-neuf pays prioritaires, pourvu à hauteur de 20 millions d’euros.

De tels moyens ne semblent pas à la hauteur des enjeux et doivent être sensiblement augmentés puisque l’attente est forte et que les représentations sur place de nos concurrents stratégiques ont bien plus de moyens et de capacité d’action que nos services diplomatiques.

b.   Un pilotage politique absolument nécessaire

Dans cette perspective, la rapporteure Michèle Tabarot rejoint la préoccupation exprimée plusieurs fois par la Cour des Comptes (rapport précité) sur la nécessité de conférer à l’AFD un pilotage stratégique interministériel associant l’ensemble des ministres concernés et notamment ceux en charge des affaires étrangères, de l’économie, des armées et du développement. Le CICID du 18 juillet 2023 semble le confirmer, en annonçant le renforcement du portage politique de la politique de solidarité, grâce à la tenue d’une réunion annuelle des ministres chargés des affaires étrangères et de l’économie et de réunions trimestrielles entre le secrétariat d’État au développement et le ministère en charge de l’économie.

Ce pilotage pourrait être régulièrement et efficacement assuré par un conseil des affaires étrangères placé auprès du chef de l’État, associant notamment les ministres en charge des affaires étrangères, de l’économie, de l’armée et des coopérations. Outre ce pilotage de l’aide publique au développement, cette instance, inspirée du conseil de défense et de sécurité nationale, conseillerait le président de la République sur les affaires étrangères et pourrait informer régulièrement le Parlement des décisions prises.

L’épisode de la guerre au Proche-Orient souligne l’intérêt d’une telle instance mais aussi d’une information plus en amont des parlementaires sur les choix diplomatiques effectués, afin d’éviter que les annonces faites par l’Exécutif ne suscitent trop d’incompréhensions et d’interrogations.

La création d’un ministère des coopérations et des partenariats est également souhaitée : celui-ci assurerait la coordination du pilotage interministériel de l’ensemble de la politique d’aide au développement. Il offrirait un guichet unique aux pays désireux de construire des partenariats avec la France. Il permettrait de soutenir la repolitisation de l’aide publique au développement qui fait aujourd’hui si cruellement défaut. Il renforcerait le poids de notre pays dans les négociations internationales, par exemple auprès des bailleurs, en conférant une force de plaidoyer et une légitimité accrue au sein de la sphère institutionnelle. Il décentrerait enfin la prise de décision de l’Élysée dans un souci de transparence, de débat et de réintégration de cette politique dans des canaux institutionnels.

c.   Plus de dons, moins de prêts

L’analyse comparée de l’aide publique au développement bilatérale de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France fait apparaître la singularité du système français.

Le Royaume-Uni, qui ne dispose d’aucune agence de mise en œuvre de l’aide publique au développement, a toujours considéré le don comme le vecteur privilégié de l’aide publique au développement. Sa philosophie le rapproche, sur ce point, des États-Unis et de l’Australie. Moins de 10 % de l’aide publique au développement britannique se fait sous forme de prêts. Les dons présentent l’avantage d’être lisibles et aisément traçables ; ils présentent également des atouts évidents en termes de communication. A contrario, le choix de l’AFD de privilégier le recours aux prêts a forgé son image d’institution bancaire.

Par ailleurs, la lourdeur de ses procédures, l’insuffisance de sa communication et le « saupoudrage » de ses aides ont pénalisé la lisibilité de ses financements ; le recours aux prêts a renforcé encore cette tendance.

4.   Relancer une politique de coopération modernisée

Le renforcement des interactions et des liens humains entre les sociétés africaines et françaises pourrait passer par la relance d’une véritable politique de coopération. Dans ce cadre, il est nécessaire de renforcer le nombre de coopérants présents en Afrique, lesquels sont à la fois des relais de la diplomatie française mais aussi des ponts entre nos sociétés et souvent de fins connaisseurs du terrain et de ses problématiques. Ils apportent une expertise dans des domaines variés, tels que la solidarité, la culture, l’éducation, la science… Le seul recours au réseau d’ETI par l’AFD ne peut suffire, dès lors que l’agence n’est pas directement investie de la responsabilité de porter une véritable politique d’influence.

Parmi les nombreuses possibilités de coopération, certains programmes pourraient se voir donner la priorité, en tant qu’ils permettent de mobiliser aisément des ressources financières, de valoriser l’action de notre pays et qu’ils sont appelés de leurs vœux par les sociétés civiles africaines : c’est, par exemple, le cas des programmes de protection civile, pour lesquels la mobilisation de soutiens financiers est relativement aisée, et de la mise en œuvre de services civiques d’aide à l’insertion, qui semble bien fonctionner sur le terrain, selon les témoignages recueillis par les rapporteurs.

5.   Réformer la politique des visas : une urgence

Il s’agit là, pour le rapporteur Bruno Fuchs, d’un des irritants majeurs de notre relation avec les citoyens africains. Les incohérences et les situations vexatoires sont quotidiennes. Au total, ce sont des centaines de milliers de personnes qui nourrissent de griefs contre la France. Mais ce sont aussi de nombreux talents dont la France se prive indûment. Que de déceptions, de frustrations et d’humiliations inutiles ; que de rendez-vous manqués et d’aigreur difficile à dépasser.

Au regard des conflits récurrents qui opposent la France aux pays africains autour de la politique de délivrance des visas et des laissez-passer consulaires, les autorités françaises ont assoupli, sous conditions, les règles d’entrée de certains publics notamment pour les étudiants et diverses professions, à l’instar des chercheurs.

Comme cela a pu être illustré, force est toutefois de constater que ces dispositifs sont insuffisants au regard des enjeux. Comme le souligne Paul Hermelin, rapporteur d’une mission d’évaluation sur la politique des visas de la France, c’est l’ensemble de la politique française de délivrance des visas qu’il faudrait repenser. Il préconise, à ce titre, de réaffirmer les trois priorités de la politique migratoire (sécurité, maîtrise de l’immigration et attractivité), de rééquilibrer leur combinaison, d’identifier les publics cibles et de traduire en instructions claires et positives cette nouvelle stratégie pour mieux guider les agents des services des visas dans leur travail quotidien.

Les rapporteurs proposent que les personnes auparavant dotées d’un visa de plusieurs années puissent obtenir de nouveau, si elles en font la demande, ce type de visa long : les cas répertoriés d’hommes politiques, d’entrepreneurs, d’artistes et autres intellectuels obligés de demander le renouvellement constant de leur visa, à quelques semaines ou mois d’intervalles, alors qu’ils disposaient auparavant de visas de plusieurs années avec une partie de leur famille ou une résidence en France, présentent une dimension inutilement vexatoire. Il pourrait ensuite appartenir aux agents locaux, plus proches des réalités du terrain, d’interpréter certains critères de délivrance, tels que le degré d’insertion des demandeurs, au regard des situations locales, à condition que ces interprétations soient explicitées et communiquées aux parties concernées. Cette stratégie pourra ensuite faire l’objet d’une communication réaliste et dynamique, élaborée depuis Paris et diffusée localement par les ambassades et les services consulaires, conjuguant les impératifs d’attractivité et de sélectivité des procédures. Enfin, le renforcement des effectifs responsables, à Paris comme en poste, des demandes de visas, le renforcement de leur formation afin de leur permettre d’identifier plus facilement le public prioritaire, la suspension du recours à l’externalisation des démarches, souvent sources de difficultés, et la mise en place d’instances de dialogue et de concertation à tous les échelons paraissent urgents et indispensables à la continuité et à la fluidité des processus existants.

Les rapporteurs soutiennent la mise en œuvre de ces préconisations ainsi que l’importance de promouvoir une politique européenne clarifiée en matière de contrôle des frontières et de conditionnalité de la délivrance des visas, au sein de l’espace Schengen, sans quoi tout effort au niveau national pour repenser cette politique risque de rester lettre morte. La France doit ainsi œuvrer activement, dans les prochains mois, à la définition d’une politique migratoire européenne harmonisée et cohérente.

Pour les rapporteurs, cette vision globale devra également s’inscrire dans une stratégie de gestion et de maîtrise des flux passant notamment par un rôle renforcé du Parlement dans la définition de ses objectifs et dans le suivi de leur mise en œuvre.

6.   Mieux valoriser nos résultats : mieux communiquer et mobiliser les médias

La France est loin d’être inactive dans de nombreux domaines. Si sa politique manque parfois d’efficacité, elle souffre également d’une absence ou d’une mauvaise communication autour de ses réussites. Il est ainsi urgent de changer de posture et de mieux valoriser notre stratégie.

D’abord, la France devrait reconnaître qu’elle dispose d’intérêts en Afrique, comme de nombreux autres États, et qu’elle est en droit de souhaiter les maintenir, voire de les approfondir. Il est nécessaire de ne plus les dissimuler mais de les affirmer et de les assumer, afin de couper court aux théories complotistes, toujours prêtes à fantasmer des ambitions et des agendas cachés.

Ensuite, la France doit être beaucoup plus performante pour expliquer et mettre en lumière les projets qu’elle soutient et ses réalisations concrètes sur le terrain. Ses concurrents n’ont guère de scrupules à faire la publicité, parfois offensive, de leur action ; la France devrait être décomplexée dans ce domaine.

C’est une demande constatée sur le terrain en Côte d’Ivoire où plusieurs interlocuteurs ont demandé à la France d’assumer une communication plus offensive dans la valorisation de son action.

Le groupe AFD, dont la feuille de route pour 2023-2027 a été adoptée par le conseil d’administration du 16 mars 2023, semble intégrer davantage cette ambition.

Concrètement, le groupe AFD souhaite, dès l’année 2023, et afin de contribuer à renforcer la visibilité et la lisibilité des actions de la France en Afrique :

– rendre obligatoire la communication des partenaires sur les projets que finance l’AFD avec une attention particulière pour les projets d’infrastructures ;

– renforcer la capacité de communication locale du groupe, en lien avec les ambassades, à l’égard des publics locaux par la création de contenus spécifiques pays par pays ;

– contribuer, dans quelques pays pilotes (Sénégal, Côte d’Ivoire et Cameroun), à la « communication d’alliés » directement portée par nos partenaires locaux vers le grand public.

Le déploiement de cette nouvelle communication gagnerait à être accéléré et doté de moyens conséquents. Plus généralement, dans ce domaine comme dans la lutte informationnelle à laquelle elle est confrontée, la France devrait chercher à s’appuyer sur des relais locaux, influenceurs et personnalités locales sincèrement convaincus du bien-fondé de son action.

Enfin, il convient de rappeler, dans le respect de l’indépendance des médias, l’importance de ces derniers dans la cristallisation et la diffusion d’une certaine image de la France. Les rapporteurs en appellent à la conscience de chacun et souhaiteraient que les rédactions, en particulier des médias de l’audiovisuel public, mènent un travail de réflexion sur leur ligne éditoriale et puissent s’interroger sur les conséquences de la diffusion de certains programmes, qui donnent une caisse de résonnance à des discours haineux dirigés contre la France et les Français. La rapporteure Michèle Tabarot insiste sur la nécessité de s’attacher à contrebalancer systématiquement ces discours par des points de vue différents et d’éviter de relayer des thèses complotistes.

Il est essentiel que ces médias, perçus comme des éléments d’influence de la France en Afrique, s’attachent aussi à mieux mettre en valeur les actions de la France et à ne pas donner de la matière aux critiques envers notre pays, comme cela a pu être le cas concernant le coup d’État au Niger, par exemple.

B.   En FINIR AVEC « LES IRRITANTS » pour fonder un nouveau partenariat sincÈre, respectueux des intÉrÊts des deux parties : le plaidoyer du rapporteur Bruno Fuchs

Les développements qui suivent dans le présent B reflètent une argumentation portée par Monsieur le rapporteur Bruno Fuchs. Par conséquent, ils n’engagent pas Madame la rapporteure Michèle Tabarot.

1.   Mettre fin aux attitudes paternalistes et à celles jugées condescendantes. Écouter plus et mieux et partir des réalités du terrain.

a.   « Un Africain ça s’invite, ça ne se convoque pas »

La scène se passe dans un grand pays francophone. Le président du club des investisseurs d’un pays africain nouvellement élu cherche des partenaires étrangers pour mener de grands projets industriels et d’infrastructures. Il souhaite inviter les ambassadeurs des principaux « pays amis » et, en premier lieu, celui de France. La veille du rendez-vous fixé, il reçoit un appel pour lui annoncer que celui-ci aura lieu à l’ambassade et non au siège du club comme initialement décidé. Vexé, le président annule la réunion. Par la suite, défileront les ambassadeurs des États-Unis, d’Allemagne, de Chine, de Turquie, de Russie, du Maroc, des Émirats arabes unis : tous feront le déplacement. L’ambassadeur de France, lui, n’a jamais été auditionné.

Les situations de ce type sont hélas trop fréquentes. La France agit encore, en Afrique francophone, comme si elle se trouvait dans son ancien pré-carré, perpétuant des attitudes et des réflexes dépassés et clairement contreprodutifs.

b.   La familiarité d’une relation acquise

Sur le devant de la scène politique, il n’est pas rare de voir des personnalités françaises tutoyer leurs homologues africains alors que ces derniers les vouvoient. Le discours d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, a marqué les esprits. Devant un parterre d’étudiants séduits, le président de la République a annoncé certaines des orientations novatrices de sa nouvelle stratégie envers l’Afrique : fin de la politique africaine de la France, dialogue au niveau continental avec la jeunesse, partenariats gagnant‑gagnant, priorité à l’éducation des jeunes filles et à celle du français, restitution d’œuvres d’art, déclassification du dossier sur l’assassinat de Thomas Sankara et reconnaissance des crimes de la colonisation, entre autres. Dans une salle surchauffée, alors qu’il répondait à une étudiante sur les réflexes post‑coloniaux, Emmanuel Macron, en voyant le président Kaboré quitter la salle, aura cette plaisanterie : « le Président [Kaboré] est parti réparer la climatisation ». Cette phrase aux apparences parfaitement anodines pour la plupart des Français choque encore aujoud’hui la grande majorité de nos interlocuteurs.

Sans le vouloir, nous sommes des milliers, tous les jours, à offenser nos partenaires et amis africains. Sans opérer de façon urgente une révolution mentale, nous reproduirons, souvent involontairement, ces actes que les Africains ont de plus en plus de mal à accepter sans rien dire.

c.   Arrêter d’imposer nos réalités et nos modes de pensée

En Afrique, la France est accusée d’une autre forme de colonisation, celle des esprits. Deux exemples permettent d’illustrer ce que les Africains pensent.

La France est très engagée sur le sujet de la défense de la démocratie opérée à partir d’un référentiel français historiquement daté, culturellement identifié et géographiquement situé. Celui-ci n’est pas nécessairement adapté aux modes de gouvernance africains, qui sont tout autant légitimes, et doivent être compris en tenant compte de l’histoire et de la culture de ces pays.

La démocratie élective, prédominante en France, ne recouvre ainsi que très imparfaitement les subtilités et les richesses de la sociologie africaine : aussi est‑elle perçue comme une matrice occidentale imposée de l’extérieur. Achille Mbembe prône ainsi la recherche d’une forme de démocratie substantive plus conforme aux réalités africaines et qui, dans nos sociétés mêmes, serait apte à réduire la fracture entre citoyens et institutions. La fondation de l’innovation pour la démocratie, née du sommet de Montpellier en 2021, est, à cet égard, une réponse adaptée à cette nécessité d’opérer une révolution intellectuelle et un décentrement de notre vision. Sans nier l’importance de la question des droits fondamentaux, des libertés publiques et de l’État de droit tout en s’inspirant des réalités africaines, la fondation, pilotée par des experts de terrain, cherche à trouver des réponses politiques propres à chaque pays d’Afrique. Voilà qui est prometteur : partir du terrain pour créer des outils adaptés et mieux acceptés par la société civile.

Il faut bien comprendre que les populations africaines sont d’abord préoccupées par des considérations matérielles directes, telles que pouvoir manger et faire vivre leurs familles, et non par la question des deuxième et troisième mandats. La figure de l’aîné y est centrale. La légitimité du pouvoir vient encore aujourd’hui  des chefferies traditionnelles. On doit au chef, à l’aîné, un respect absolu ce qui explique que des présidents puissent rester très longtemps au pouvoir sans faire l’objet de contestation, même si les jeunes générations se distancient progressivement de ces pratiques.

La question de l’orientation sexuelle est à l’origine d’une autre incompréhension. L’homosexualité est interdite dans de nombreux pays du continent et passible de lourdes sanctions pénales ; au Soudan, en Somalie ou en Mauritanie, la peine de mort peut être requise pour homosexualité ; en Tanzanie, elle est passible d’une peine de prison de trente ans ; au Tchad, d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans. Dans la plupart des pays où l’homosexualité n’est pas explicitement criminalisée, la discrimination, la violence et la stigmatisation à l’encontre des personnes homosexuelles sont courantes. Récemment, le corps d’un jeune homme, suspecté d’avoir une sexualité criminalisée au Sénégal, a été déterré et publiquement brûlé. Les homologues diplomatiques du continent critiquent l’approche française de promotion des droits des personnes LGBT+, jugée intrusive et parfois contre-productive, comme en témoigne la mésaventure récente de l’ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT+, lesquel s’est vu refuser son visa pour assister à une conférence annoncée sur ce sujet au Cameroun. La tenue de cette conférence dans un pays où l’homosexualité est passible de six ans d’emprisonnement a été considérée, dans toute l’Afrique, comme une provocation. Il ne s’agit nullement d’accepter cette situation ni de renier nos valeurs, bien au contraire, mais d’adapter nos pratiques et nos discours aux contextes locaux pour les rendre audibles et acceptables par les populations locales, afin de ne pas agir, à l’étranger, comme si nous étions en France.

Il faut ainsi reconnaître que le mode opératoire diplomatique de la France n’est pas efficace. En Angola, une tribune engagée, publiée par un diplomate étranger sur ce sujet, a conduit à des arrestations dans la communauté LGBT+, démontrant que l’ingérence n’était pas de mise dans ce pays. C’est là une réalité qu’il faut pleinement prendre en compte.

2.   Fixer une doctrine claire : la « juste distance »

a.   Sortir du double standard

Pendant les périodes de décolonisation, la doctrine fixée par le Général de Gaulle a eu le mérite d’être claire et simple à comprendre pour tous : la France accorde aide et sécurité aux « régimes amis » en échange de quoi elle attend leur loyauté en matière géopolitique, c’est-à-dire principalement l’alignement des votes africains sur ceux de la France à l’ONU.

Le discours de la Baule, prononcé le 20 juin 1990 par François Mitterrand, marque un tournant dans les relations avec l’Afrique en ce sens qu’il prend en compte un certain nombre d’évolutions géopolitiques et d’aspirations à une meilleure gouvernance des pays africains. Pour la première fois, la diplomatie française conditionne son aide aux efforts de démocratisation consentis par les États bénéficiaires.

Cette nouvelle doctrine a semé le trouble et la confusion parmi nos partenaires africains, non pas par l’intention qu’il exprime mais par le différentiel existant entre ce discours et sa mise en pratique. Ce décalage flagrant est venu jeter un doute toujours plus grand sur la sincérité des intentions de la France accusée d’appliquer différemment, au cours du temps, ses principes selon les pays et les situations considérés. Sa doctrine est appliquée avec rigueur à l’égard de certains pays ; avec d’autres, la mansuétude est de mise. D’un côté, la France refuse de rencontrer Teodoro Obiang, le président de la Guinée équatoriale ; de l’autre, elle maintient des relations d’une grande proximitié avec son voisin Ali Bongo du Gabon. Elle conteste le troisième mandat du président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, alors même qu’elle continue d’entretenir des relations poussées avec Paul Biya, le président du Cameroun au pouvoir depuis 1982.

Ce manque de lisibilité tout comme l’absence d’explication quant aux contradictions des positions françaises retenues deviennent progressivement des marqueurs de la relation de notre pays avec la majorité des États du continent africain. La contradiction « ultime » intervient lors de la mort tragique, le 19 avril 2021, du maréchal Idriss Déby au Tchad. Présent lors de la prise de pouvoir par son fils Mahamat Idriss Déby, le président français déclare que la France « n’autorisera personne, ni aujoud’hui ni demain, à porter atteinte à la stabilité du Tchad ». La France soutient ainsi la transition du pouvoir en faveur de Mahamat Idriss Déby qui a dissous le Parlement et suspendu la constitution, quand des alternatives démocratiques crédibles étaient possibles, comme celle incarnée par le principal opposant au régime, Succès Masra.

Dès lors, face à ce soutien français, comment faire comprendre le combat frontal contre les militaires de la junte malienne alors même que ces derniers ont mis un terme, après des mois de manifestations dans les rues de Bamako, au mandat d’Ibrahim Boubacar Keita, l’un des pires présidents que le Mali ait connu ? La cohérence et la sincérité des actions et des prises de parole de la France sont remises en cause. Le doute plane sur les objectifs réels poursuivis par notre pays, suspecté d’avoir un double langage ou un agenda caché, de telle sorte qu’au Mali, par exemple, une partie importante des militaires est toujours persuadée que l’armée française était de collusion avec l’organisation terroriste de Daesh. La population, quant à elle, ne croit pas que que les questions sécuritaires justifient la présence de notre armée. Elle demeure convaincue que la présence française a pour seul but de défendre ses intérêts économiques, notamment miniers. Or, au Mali, comme dans l’écrasante majorité des pays du continent, les entreprises françaises n’ont aucun intérêt dans l’exploitation minière.

Il est dès lors aisé pour des « concurrents » malintentionnés de la France de jouer sur nos faiblessses et de produire une désinformation de masse qui trouvera un écho d’autant plus favorable que nous ne communiquons pas clairement sur nos objectifs et nos intérêts. Il est devenu indispensable que la France redéfinisse et propose de manière urgente une doctrine claire en Afrique.

Même si ce n’est pas l’objet direct du présent rapport, il faut préciser ici que la résolution de cette question du double standard dans son intégralité nécessitera également d’en sortir en France même. En effet, les Français issus des diasporas doivent pouvoir trouver, en France, les mêmes chances de réussite que le reste de la population. À défaut, elles continueront d’en critiquer l’existence, nourrissant ainsi les reproches véhiculés par les campagnes de désinformation en Afrique.

b.   Proposer une nouvelle doctrine

La réputation de la France en Afrique pâtit de la mauvaise image des présidents qu’elle soutient ou qu’elle a soutenus, de son incapacité à démontrer que ses politiques publiques produisent des résultats perceptibles au bénéfice des populations africaines et du contraste existant entre sa vision multilatérale et l’approche unilatérale de sa politique en Afrique francophone.

L’application à « géométrie variable » de la proposition du président François Mitterrand de conditionner l’aide française au respect de principes démocratiques, formulation pourtant plus proche des réalités du continent que ne pouvait l’être la doctrine du Général de Gaulle, doit être à présent dénoncée. La définition d’une doctrine renouvelée rendra l’action de la France à nouveau lisible et cohérente. En la partageant avec les pays du continent africain, elle pourra de nouveau jouer un rôle proactif et ne plus définir sa stratégie en réaction aux événements diplomatiques.

Il ne nous appartient pas ici de définir cette nouvelle doctrine. Toutefois, en contribution au débat, le rapporteur Bruno Fuchs partage ces quelques principes qu’elle pourrait intégrer :

1- S’agissant de la défense de la démocratie, il préconise une « juste distance démocratique et politique », comme le suggère Achille Mbembe : en clair, la France n’intervient pas dans les affaires intérieures des pays du continent africain. En revanche, elle propose un certain nombre de défis communs à résoudre, de projets à mener ensemble (institutions, biodiversité, éducation, notamment) de manière bilatérale voire à l’échelle du continent ;

2- La France communique clairement ses objectifs, valeurs et intérêts en Afrique ;

3- La France protège et participe à la sécurité à l’échelle régionale ;

4- La France s’engage à apporter des résultats dans une vision opérationnelle des partenariats.

Cette nouvelle offre stratégique doit s’inscrire dans le droit fil des fondements que la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a fixés. Celle-ci prévoit, dans son premier article, « la promotion des droits humains, le renforcement de l’État de droit et de la démocratie » et rappelle, en outre, le rôle de la société civile dans l’atteinte de ces objectifs. En 2022, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères s’est d’ailleurs doté d’une stratégie pour soutenir l’engagement citoyen et la société civile.

Poursuivre dans cette voie semble être le chemin à suivre. En plus du besoin de renforcement de ce cadre normatif, il est urgent de proposer explicitement d’autres leviers pour consolider le nouvel agenda de la résilience démocratique. Ces propositions s’inscriraient parmi les aspects déterminants de la nouvelle offre stratégique française qu’il est nécessaire de construire. Ceci marquerait donc la fin de la doctrine des années 1990, qui reposait sur la mise en place de conditionnalités démocratiques, ce à quoi il faut résolument tourner le dos.

Ce nouveau positionnement, original et cohérent avec l’approche de la « juste distance » consiste, sur le modèle de ce que fait d’ores et déjà la France avec la fondation de l’innovation pour la démocratie, à accompagner l’émergence d’une démocratie substantive choisie par les Africains eux-mêmes. Cela suppose que notre pays rejoigne les acteurs internationaux qui œuvrent déjà dans ce domaine (agence des Nations Unies pour le développement international, agence danoise pour le développement international, agence suédoise de coopération internationale pour le développement, action de l’Allemagne), tout en s’inspirant du modèle de la fondation, lequel implique une approche plus directe que celle pratiquée par ces acteurs.

Dotés de moyens substantiels, ceux-ci, à commencer par la fondation, pourraient alors s’engager sur les quatre terrains identifiés comme prioritaires :

1- Le financement des fondamentaux démocratiques, notamment au niveau local (décentralisation, État de droit, gestion des finances publiques, transparence, redevabilité, etc.) ; 

2- Le financement des dispositifs de participation citoyenne : conventions, jurys, consultations en ligne, évaluation citoyenne, notamment ; 

3- Le soutien au lancement et au déploiement d’innovations démocratiques, que celles-ci émanent de la société civile ou des institutions publiques ; 

4- Le financement d’innovations démocratiques en réponse à des défis majeurs tels que le climat, la santé, l’environnement et la mobilité.

Voilà, en substance, ce que pourraient être les piliers fondamentaux de cette nouvelle doctrine plus transparente, directe, respectueuse et féconde.

c.   Solder notre passif colonial par des actes tangibles et partagés

Si nos relations avec les pays anglophones ne sont en rien affectées et qu’elles ne le sont que très peu auprès de certains pays francophones, comme la Guinée-Conakry – le président Ahmed Sekou Touré ayant tourné la page de la colonisation dès l’indépendance ([103]) –, nos relations avec la plupart des pays anciennement colonisés souffrent encore sensiblement de cette période.

De nombreux ouvrages ont été écrits à ce sujet. Notre propos n’est pas d’en refaire l’histoire et les enjeux mais d’insister sur le fait que, sans traiter et régler cette question, il sera difficile de recréer les fondements de relations assainies et équilibrées.

Dans son rapport Les Nouvelles Relations Afrique-France : relever ensemble les défis de demain où il appelle notamment à « éclairer la relecture du colonialisme afin de rebâtir l’en-commun », Achille Mbembe dresse un rapide état de la question. Il recommande, entre autres, la multiplication de gestes symboliques de reconnaissance, de restitution et de réparation. Il suggère par ailleurs des initiatives visant à faire progresser la connaissance et la transmission de cette histoire et de ses héritages, par le biais d’une réforme des programmes d’histoire dans les écoles, à l’université et dans les centres de recherche. La mise en place d’une maison des mondes africains s’inscrit dans la même perspective. Le rapporteur Bruno Fuchs souscrit à cette idée sous réserve qu’elle trouve un écho dans d’autres pays d’Afrique.

L’historien propose également de lancer une mission de préfiguration aux fins de création d’un musée des colonisations, qui s’inscrirait dans un vaste réseau national (Quai Branly, Musée des Confluences, Archives d’Aix, MUCEM, Mémorial Acte, Musée d’Aquitaine, Musée de la Rochelle, Mémorial de Nantes, Institut franco-algérien de Montpellier, Camps des Milles, Camps de Rivesaltes, Fondation de la Mémoire des Esclavages, Maison des Mondes Africains, entre autres).

Le rapporteur estime qu’il est essentiel que ce type d’actions soit déployé avec respect et compréhension mutuelle.

Il faudra alors reconnaître que le passé colonial ne pourra jamais être totalement dépassé mais, qu’acceptant de partager avec humilité les faits d’une même histoire commune, il sera possible de bâtir de nouvelles relations plus égales et plus respectueuses.

3.   Miser sur un développement économique mutuellement gagnant

Si la France souhaite contribuer à la création de richesses en Afrique à la hauteur des enjeux du continent, cela passera nécessairement par le développement de l’investissement et des activités économiques en Afrique. C’est aussi la condition du maintien d’un niveau suffisant d’interactions avec les populations africaines. Il est ainsi nécessaire de mettre en œuvre une politique d’investissements incitative et de donner la priorité aux industries de transformation, à des pratiques de transfert de savoir-faire et de technologie, à des programmes de formation et, plus globalement, à une démarche de responsabilité sociétale. Notre pays dispose de réels atouts en la matière et pourra ainsi se distinguer aisément de ses concurrents chinois, russes ou encore américains.

a. Les économies subsahariennes, une importance bien loin des idées reçues

Tendance lourde depuis plusieurs années, la déprise de nos partenariats commerciaux et un décrochage de nos entreprises en termes de parts de marché ont abouti à un relâchement de notre proximité économique avec le continent africain.

Contrairement aux idées reçues, le continent africain ne représente plus que 5,3 % du commerce extérieur français. Sur les quinze pays de la zone franc CFA, cette part représente 0,6 %. La dure réalité qu’incarnent ces chiffres s’avère donc aux antipodes du stéréotype de l’Afrique comme « chasse gardée économique » de la France.

Actuellement, la plupart des intérêts économiques de la France en Afrique se situent au Maghreb, puis en Afrique subsaharienne, mais en dehors de la zone du franc CFA. En 2018, parmi les cinq premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique, aucun n’était issu de cette zone. Le Maroc est en première position des partenaires économiques de la France (il représente 18,9 % des échanges commerciaux franco-africains), suivi de l’Algérie (18,4 %), de la Tunisie (15,2 %), du Nigéria (8,5 %) et, enfin, de l’Afrique du Sud (5,8 %). Le premier pays de la zone franc CFA à figurer dans ce classement est la Côte d’Ivoire en tant que neuvième partenaire commercial de la France en Afrique (3,8 % des échanges commerciaux).

Du point de vue des débouchés, les parts de marché des entreprises françaises en Afrique ont été divisées par deux au cours des vingt dernières années. Cette situation s’explique, non pas par un recul des exportations françaises – qui sont restées stables en valeur –, mais par un déclassement de leur importance commerciale pour les économies africaines, ainsi que par la progression accélérée de nouveaux compétiteurs, européens et asiatiques.

b. De fortes contraintes et des risques

Le manque de dynamisme économique de la France en Afrique s’explique par l’existence de fortes contraintes pesant sur les groupes et sociétés françaises qui ont été découragés d’investir sur le continent. C’est notamment le cas des entreprises côtées en bourse et soumises à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Cette loi, dite Sapin 2, joue certes un rôle majeur pour lutter contre la corruption et garantir des règles éthiques minimales. Elle n’est toutefois pas sans effets pervers, puisqu’elle impose des contraintes importantes aux entreprises françaises auxquelles ne sont pas soumis nos principaux compétiteurs économiques.

S’y ajoute un niveau de pression fiscale dissuasif, allant jusqu’au « harcèlement fiscal », qui crée un contexte peu favorable pour les entreprises françaises. Ainsi, avant même la survenue du coup d’État du 26 juillet 2023, Orange, TotalEnergies ou le brasseur Castel avaient déjà quitté le Niger pour des raisons commerciales.

c. Un marché stratégique 

La France demeure néanmoins le premier fournisseur européen des pays de la zone franc CFA. Elle a perdu le statut de premier fournisseur mondial du continent en 2007 au profit de la Chine qui ne s’embarrasse pas des mêmes exigences en termes de normes éthiques et sociales.

Dix ans plus tard, en 2017, l’Allemagne était devenue le premier fournisseur européen d’Afrique, reléguant la France en deuxième position. Les exportations de produits industriels en direction de la zone franc CFA et vers les autres pays d’Afrique subsaharienne ne sont plus en mesure de soutenir le déclin de certaines branches de l’appareil productif français.

Le marché existe et  a vocation à croître de façon exponentielle. Néanmoins, les entreprises françaises semblent avoir du mal à accompagner cette croissance. L’agence COFACE estimait ainsi, en 2018, que les exportations françaises à destination des pays francophones étaient inférieures de 26 % par rapport à leur potentiel. Toujours selon la même agence, ce sont les économies subsahariennes qui abriteraient les potentiels de gains d’exportations les plus importants pour notre pays, lesquels seraient situés principalement au Rwanda (le potentiel de progression y a été estimé à 89 %), en Érythrée (89 %) et au Botswana (71 %).

Au final, malgré son accessibilité et son caractère rassurant pour les investisseurs et les entreprises d’import-export, en raison de la stabilité de sa monnaie due en grande partie à son lien avec l’euro, la zone franc CFA ne représente donc pas un intérêt prioritaire pour l’avenir de la relation économique entre l’Afrique et la France. Le véritable enjeu partenarial, en termes de souveraineté, se situe dans des pays comme la RDC et dans certains pays anglophones.

d. Des avantages compétitifs

Enfin, le rapporteur Bruno Fuchs souligne que le choix stratégique de nos partenaires doit résulter du croisement des spécificités locales et de l’état de notre positionnement vis-à-vis de ces pays, dans le but d’identifier des filières porteuses. De plus, un autre défi doit être pris en compte, celui de notre influence normative face à une demande qualitative qui sera croissante au sein des sociétés africaines.

En effet, malgré la faiblesse actuelle des standards, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) monte en puissance sur tous les continents et il n’en sera pas autrement dans l’Afrique en mutation. Au lieu d’aller contre ce mouvement, comme certains de nos compétiteurs, un enjeu crucial consiste à en faire un levier concurrentiel. Les entreprises françaises devront intégrer à leur nouvelle stratégie d’implantation leur capacité à contribuer à l’élévation des standards locaux. Ainsi observons-nous dans certaines filières, comme la filière agro-alimentaire, l’émergence d’une réelle demande qualitative. Quelques grandes entreprises africaines ont déjà adopté des normes internationales de gestion comme la norme ISO 14001 en matière environnementale. C’est dans cette voie qu’il convient de s’engager. Des réseaux d’entreprises, à l’instar du réseau RSE Sénégal ou du réseau Kilimanjaro, favorisent l’échange de savoir-faire à leur niveau et les chambres de commerce diffusent des labels RSE. À n’en pas douter, l’essor de la classe moyenne, encore freiné par la corruption, jouera en faveur de l’acquisition de ces normes exigeantes.

L’avenir de la relation économique de la France avec l’Afrique nécessitera enfin de trouver un mécanisme pour réduire la distorsion concurrentielle entre les acteurs français et étrangers, tout en maintenant une pratique commerciale vertueuse.

Le manque d’intérêt manifesté par les acteurs économiques français pour le marché de la RDC, une erreur stratégique

Alors que le France vit une remise en cause dans un grand nombre de pays francophones de l’Afrique, la RDC, plus grand pays francophone avec plus de 100 millions d’habitants, rappelle à tous ses visiteurs sa « demande de France », à savoir son souhait de renforcer et de développer son partenariat avec sa sœur francophone. Or, il apparaît clairement que la France n’est pas au rendez‑vous générant, dans le pays, un fort sentiment d’incompréhension, d’abandon et d’irritation.

Force est de constater que de nombreux appels d’offre de la RDC ne suscitent aucune candidature française. Peu d’investisseurs privés français s’implantent dans le pays, y compris dans des secteurs de pointe en plein essor comme celui du numérique ou des métaux critiques. Cela laisse de réelles opportunités à des acteurs de pays non-africains.

Cette attitude est à interroger. Pour rappel, la RDC concentre une part significative des richesses minières. Rubaya est la capitale mondiale du coltan dont est extrait le tantale, métal indispensable pour la fabrication des composants des téléphones portables et notamment des smartphones. Le pays possède des gisements d’une cinquantaine de minerais. Seule une douzaine d’entre eux est actuellement exploitée : le cuivre, le cobalt, l’argent, l’uranium, le plomb, le zinc, le cadmium, l’or, le diamant, l’étain, le tungstène, le manganèse et autres métaux rares. La RDC possède la deuxième réserve mondiale en cuivre recensée sur la planète, ainsi que 50 % des réserves mondiales de cobalt.

Le code minier national de 2002 a été conçu pour attirer les investissements étrangers et ainsi favoriser le développement de ce secteur. Par conséquent, l’avenir de l’exploitation des métaux rares et des souverainetés se joue en RDC. Ne pas le mesurer serait une faute économique et stratégique majeure pour la France.

Quant au secteur agricole, celui-ci représente 36 % du PIB du pays et soutient économiquement les deux tiers de la population en occupant 70 % de sa population active.

Vouloir renouer avec l’Afrique francophone sans intégrer pleinement la RDC dans cette nouvelle stratégie reviendrait à envisager une UE sans l’Allemagne.

Sources diverses.

4.   Valoriser les politiques solidaires de la France

La France déploie des politiques solidaires dans de nombreux domaines dont l’impact est très significatif mais qui, paradoxalement, sont peu mises en avant alors même qu’elles constituent des avantages comparatifs évidents vis-à-vis de ses compétiteurs.

À titre d’exemple, et de manière non exhaustive, trois politiques publiques en matière de santé, de biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique permettent de le vérifier.

a.   Le rôle moteur de la politique française de la santé

Soixante ans après les indépendances, le système de santé des pays africains apparaît comme l’un des plus fragiles au monde. Manque d’infrastructures et de médicaments, prestations très coûteuses : l’accès à la santé est un frein majeur au développement du continent africain.

La France, de concert avec l’ONU, le G7 et l’UE, est à l’initiative du fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme dont elle est le deuxième contributeur. Créé en janvier 2002, ce fonds mutualise les contributions financières de plus d’une soixantaine de pays et d’acteurs privés et non gouvernementaux ; il aurait permis de sauver 59 millions de vies en 2022 et de réduire de 55 % le taux de mortalité combiné du SIDA, de la tuberculose et du paludisme.

Or, le continent africain est de loin le premier bénéficiaire de ce fonds : 70 % des sommes engagées lui sont dédiées, notamment à destination du Nigéria, de la RDC, du Kenya, de l’Afrique du Sud, de la Tanzanie et de l’Ouganda. L’Afrique est, en effet, particulièrement touchée par les trois maladies couvertes par ce fonds. À titre d’exemple, en 2020, 241 millions de nouvelles infections de paludisme ont été diagnostiquées contre 229 millions l’année précédente, causant la mort de 627 000 personnes dont 95 % en Afrique subsaharienne. De même, l’Afrique est le continent le plus touché par le SIDA. Il convient de noter que l’infection par le virus d’immunodéficience humaine (VIH) y est plus répandue chez les femmes que chez les hommes, en raison de leur plus grande vulnérabilité biologique et exposition au virus, dans des sociétés souvent marquées par des inégalités entre sexes importante et un taux de pauvreté élevé.

En marge du programme d’action lié à ce fonds, le rapporteur Bruno Fuchs rappelle l’investissement de nombre d’ONG françaises humanitaires, à l’instar de la Croix‑Rouge, de Médecins sans frontières, de Médecins du monde, de Pharmaciens sans frontières, lesquelles ne jouissent sans doute pas d’une reconnaissance à la hauteur de leur engagement. Ces dernières fonctionnent non seulement grâce aux financements et partenariats octroyés par l’AFD mais aussi grâce à des contributions du grand public et constituent, en ce sens, des passerelles de solidarité entre les sociétés civiles françaises et africaines.

b.   La mobilisation historique de la France en faveur de programmes de recherche et de conservation de la biodiversité africaine

Alors que certains des compétiteurs de la France en Afrique s’illustrent par leur politique prédatrice à l’égard des ressources et de la biodiversité africaines, alimentant la piraterie et armant le braconnage, notre pays représente, au contraire, un partenaire résolu à l’aide à la conservation des écosystèmes et de la faune sur le continent africain.

Ce soutien passe, entre autres, par la mobilisation de fonds publics et privés, l’animation de programmes de recherche et la mise à disposition de scientifiques et de compétences techniques.

En Côte d’Ivoire, le Global Biodiversity Information Facility France (GBIF), consortium international fondé à l’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), œuvre à la mobilisation et au renforcement des données sur la biodiversité au service du développement durable.

En Afrique du Sud, l’Office français de la biodiversité (OFB) a signé, en juin 2022, un accord de partenariat avec l’Institut national sud-africain de la biodiversité, les parcs nationaux d’Afrique du Sud (Sanparks) et l’AFD, pour renforcer les échanges entre l’Afrique du Sud et la France en matière de protection de la biodiversité.

Le Musée national d’histoire naturelle propose, quant à lui, son expertise et développe une stratégie de diffusion de la culture scientifique, d’organisation et de mise en œuvre de projets de coopération internationale dans l’enseignement et la formation, notamment avec l’université de Dschang au Cameroun.

De nombreuses associations et fondations de conservation, en particulier au sein de l’Association française des parcs zoologiques (AFdPZ), financent et soutiennent, par leur expertise et de la formation, de nombreux programmes de conservation de la faune sur le terrain et de lutte contre les trafics, tels que celui de viande de brousse.

c.   La France, chef de file de la lutte contre le réchauffement climatique en Afrique

Alors que l’Afrique est responsable de moins de 4 % des émissions mondiales de CO2, elle est le continent le plus touché par le réchauffement climatique.

Or, la France se singularise par son rôle de fer de lance de la lutte contre le réchauffement climatique et par son soutien, dans ce domaine, auprès de l’Afrique. En décembre 2020, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé fixer l’objectif français des financements pour le climat en faveur des pays en développement à 6 milliards d’euros par an sur la période 2021-2025, dont un tiers, soit 2,2 milliards d’euros, consacré à l’adaptation. Grâce à cet engagement, la France fournit ainsi sa « juste part » à l’objectif des 100 milliards de dollars mobilisés à l’échelle mondiale en faveur du climat : elle représente à elle seule environ 10 % de la finance internationale dédiée à l’adaptation.

Elle s’est aussi affirmée comme le premier soutien financier de l’initiative africaine pour les énergies renouvelables (AREI) qui vise notamment à doubler la capacité énergétique du continent d’ici à 2030. Avec l’Inde, elle est à l’origine de la création de l’alliance solaire internationale (ASI), une initiative lancée et soutenue par plus de 30 États, le 30 novembre 2015, lors de la COP21. Son objectif premier est de réduire massivement les coûts de production de l’énergie solaire, afin de la rendre accessible et de viser ainsi à son déploiement massif dans les pays à fort ensoleillement, dont plus de la moitié sont des États africains.

La France est aussi à l’initiative d’un axe euro-africain face au défi climatique qui se traduit par des réalisations concrètes sur le terrain, comme l’illustre la Grande muraille verte, vaste projet de reforestation le long de la bande sahélienne soutenu par l’AFD.

Enfin, comme pour son engagement sanitaire ou en faveur de la conservation de la biodiversité africaine, la France peut compter sur la mobilisation des compétences et de l’investissement financier d’acteurs nationaux, d’organismes de recherche, de scientifiques, d’ONG, d’entreprises, au premier rang desquels figurent des acteurs publics comme l’AFD. Cette dernière a été mobilisée à travers deux programmes, « Adapt’Action » et « Facilité 2050 » auxquels ont été affectés 60 millions d’euros pour soutenir les pays les plus vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique et pour leur permettre de se doter d’une stratégie de développement bas-carbone. Enfin, au-delà de son engagement contre le réchauffement climatique, l’AFD s’est fixée une ligne éthique selon laquelle son action ne doit pas contrevenir aux objectifs d’atténuation des émissions et d’adaptation au réchauffement climatique des pays accueillant ses interventions.

5.   S’appuyer sur les diasporas

Les diasporas ([104]) africaines en France constituent un puissant réseau. Du fait de son histoire commune avec l’Afrique, la France est le pays européen où vivent les diasporas les plus diverses, actives et structurées d’Europe. Elles représentent ainsi la moitié des diasporas africaines en Europe et se composent à la fois d’étrangers (2,9 millions de personnes) et de descendants d’immigrés (3,3 millions de personnes). Leurs liens avec leurs pays d’origine restent importants et se matérialisent par des transferts d’argent en augmentation croissante qui atteignent, en 2018 et selon la Banque mondiale, 8 milliards de dollars depuis notre pays sur les 520 milliards de dollars au niveau mondial. Ces diasporas apparaissent donc comme une force motrice, un catalyseur et un vecteur d’efficacité pour la politique de coopération. Parallèlement, les jeunes générations, qui en sont issues, veulent davantage s’impliquer dans l’essor du continent africain. Elles constituent, pour les entreprises françaises, un avantage comparatif évident par rapport à leurs concurrents en proposant une meilleure compréhension du marché africain.

Pourtant, ces diasporas sont aujourd’hui insuffisamment sollicitées par les autorités françaises dans la conception et le déploiement de leur politique à l’égard de l’Afrique. Le CPA constituait certes une tentative intéressante pour les mobiliser autour du président de la République. Il n’a toutefois pas perduré et ses membres, tous de brillants modèles de réussite intellectuelle et sociale, se sont avérés peu représentatifs de leur diversité. Cet exemple vient souligner l’importance et la difficulté du choix des représentants identifiés. Il est nécessaire de se prémunir du double écueil que représente la mobilisation, d’une part, des seuls « premiers de cordés », pour reprendre l’expression déjà mentionnée d’Antoine Glaser, dont le quotidien et les habitus sont parfois éloignés de ceux de la majorité des diasporas, et, d’autre part, des membres des diasporas qui, estimant leur niveau d’intégration insuffisant, sont de facto peu désireux de porter une image positive et constructive de notre pays. En novembre 2021, le CPA révélait, en effet, les conclusions de son « tour de France » de l’entrepreneuriat auprès de la diaspora africaine et présentait les résultats d’un sondage d’OpinionWay faisant état d’un réel « malaise » des Français issus des diasporas africaines : 75 % des personnes interrogées considéraient que l’égalité des chances n’était pas respectée dans l’Hexagone, 73 % des sondés estimaient que l’intégration des personnes d’origine étrangère en France fonctionnait mal et 73 % prétendaient que les personnes d’origine étrangère étaient victimes de discriminations.

Ces précautions prises, il semble néanmoins possible d’inclure davantage les diasporas dans la stratégie africaine de la France. Quelques initiatives ont été lancées en ce sens par l’AFD qui soutient, au plan entrepreneurial et philanthropique, les investisseurs issus des diasporas, en redirigeant une partie des flux financiers et leur expertise vers leurs pays d’origine et en ouvrant davantage les fenêtres thématiques de l’agenda transformationnel aux diasporas. À titre d’exemple, l’AFD soutient le forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (FORIM) à travers deux programmes :

– le programme « structuration du milieu associatif » (SMA) ;

– le programme d’appui aux organisations de la société civile issues de l’immigration (PRA/OSIM). Ce dispositif à destination des associations de la diaspora finance des micro-projets dans leur pays d’origine. Chaque année, le PRA/OSIM permet de mener plus de 75 micro-projets (à hauteur de 15 000 euros par projet), dans près de trente pays, principalement dans les secteurs de l’éducation, de la formation, de la santé, de l’agriculture, de l’eau-assainissement et de l’entrepreneuriat.

L’AFD appuie également deux projets à dimension « Tout Afrique » : « MEETAfrica » et « DIASDEV », destinés respectivement aux entrepreneurs et aux investisseurs de la diaspora, afin de valoriser les nouveaux outils de transferts digitaux mobiles, de banque ou de financement participatif.

Ce type d’initiatives pourrait être impérativement amplifié de manière à faire partie intégrante de la politique française à l’égard de l’Afrique. Toutefois, pour avoir un sens, ces initiatives devraient être menées de concert avec une revalorisation des talents issus des diasporas et de leurs descendants en France. À titre d’exemple, leur manque de représentation dans un domaine aussi exposé et visible que le paysage audiovisuel français est particulièrement dommageable, a fortiori lorsque le secteur privé fait parfois mieux que certains acteurs de l’audiovisuel public déjà marqué par la suppression symboliquement chargée de la chaîne France Ô, notamment dédiée à la France d’outre-mer, en 2020.

Est-ce un bon signal de n’avoir sur RFI qu’il seul animateur d’une émission quotidienne qui soit d’origine afro-descendante ? De même, est-il pertinent de n’avoir au service Afrique d’un grand quotidien national qu’un seul journaliste afro‑descendant sur quatorze? Enfin, est-il performant de n’avoir qu’un seul ambassadeur en Afrique sur cinquante-quatre de cette origine ?

Sans une reconnaissance claire des talents des membres des diasporas ou, plus globalement, des personnes d’origine afro-descendante, cette nouvelle stratégie de relation d’égal à égal avec l’Afrique portera en elle, dès le départ, les germes de la suspicion.

C.   La dimension géopolitique des relations entre la France et l’Afrique : une préoccupation majeure pour la rapporteure Michèle Tabarot

Les développements qui suivent dans le présent C reflètent une argumentation portée par Madame la rapporteure Michèle Tabarot. Par conséquent, ils n’engagent pas Monsieur le rapporteur Bruno Fuchs.

1.   La nouvelle géographie de la politique africaine de la France

Les difficultés récentes rencontrées par la France en Afrique francophone doivent l’amener à réfléchir aux partenariats qu’elle souhaite nouer et à leur nouvelle géographie. Il ne s’agit pas de se désintéresser de l’Afrique francophone. Certains pays de cette zone, à l’instar des pays côtiers comme la Côte d’Ivoire, sont désireux de maintenir des relations nourries avec notre pays. Toutefois, les opportunités de nouveaux partenariats existent ; la France a d’ailleurs déjà tenté d’en développer en Afrique anglophone, avec des résultats mitigés. Une relance de cette politique d’ouverture serait souhaitable pour diversifier nos partenariats et sortir de l’ornière sahélienne.

a. Se tourner vers l’« autre Afrique » (2017-2022)

Au cours de son premier quinquennat, le président Emmanuel Macron tente de sortir de l’Afrique francophone marquée par des crises internes et les stigmates de la « Françafrique ». Il cherche ainsi à se tourner vers de grandes puissances de l’Afrique anglophone, de l’Éthiopie à l’Afrique du Sud, en passant par le Nigeria, le Ghana et le Rwanda, et en mettant en avant des projets économiques tournés vers l’avenir. Comme il le souligne : « L’Afrique anglophone est pour nous une ligne d’action pour sortir du pré carré. » ([105]).

Cette ouverture à l’Afrique non francophone n’est toutefois pas nouvelle et plusieurs présidents s’y sont aventurés dans le passé.

Les sommets France‑Afrique ont accueilli de plus en plus de représentations lusophones et anglophones à partir de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, tandis que le ministre chargé de la coopération et du développement Jean-Pierre Cote a consacré son premier voyage, en septembre 1981, au Ghana. Jacques Chirac s’est également ouvert politiquement au Nigéria, comme François Hollande après lui ([106]).

Ce choix peut paraître d’autant plus pertinent que certaines des grandes puissances historiquement influentes dans cette partie de l’Afrique, comme le Royaume-Uni, y sont en déclin.

Le Royaume-Uni et l’Afrique : des relations contrastées

Le Royaume-Uni connaît, de manière significative , une dégradation progressive de ses relations avec le continent africain.

Le gouvernement britannique de Rishi Sunak, dans la ligne de ses prédécesseurs conservateurs, poursuit une politique de fermeté à l’égard de l’immigration, incarnée par la ministre de l’intérieur (Home Secretary), Suella Braverman. Cette politique conduit le Royaume-Uni à nouer des relations particulières avec le Rwanda ; en vertu d’un accord conclu en mars 2022 par le premier ministre Boris Johnson et moyennant une aide financière du Royaume-Uni, le Rwanda devait accueillir les migrants clandestins expulsés par le Royaume-Uni, quel que soit leur pays d’origine.

Dans les faits, l’Afrique occupe désormais une position secondaire dans la politique étrangère britannique : l’Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy, présentée en mars 2021 par Boris Johnson, se caractérise par une nette inflexion vers la zone Indo-Pacifique. Le ministère des forces armées a, par ailleurs, retiré les 300 soldats britanniques déployés sur trois ans au Mali en soutien à la MINUSMA, dans une politique calquée sur celle de la France mais allant à l’encontre des préconisations du Foreign office. L’influence de ce dernier est, quant à elle, contrainte par une réorganisation interne datée de 2021-2022, qui complexifie son organigramme, de même que l’absorption administrative du Department for International Development (DFID) depuis juin 2020. Parallèlement, l’aide publique au développement britannique, dont l’Afrique reste la première bénéficiaire avec 50,5 % de son montant total, est en déclin : en novembre 2020, Rishi Sunak, alors Chancelier de l’Échiquier (l’équivalent du ministre des finances) ; annonçait réduire l’APD de 0,7 % à 0,5 % du PIB, du fait de la crise économique liée à la pandémie de la Covid-19.

Cette baisse a particulièrement affecté l’aide humanitaire britannique intégrée à sa politique de développement, notamment à l’égard de l’Éthiopie et, dans une moindre mesure, du Nigeria. Si le 36ème sommet franco-britannique du 10 mars 2023 a permis à Emmanuel Macron et Rishi Sunak de réaffirmer leur volonté de coopérer dans la lutte contre le terrorisme, la crise alimentaire, le renforcement des institutions démocratiques et le soutien aux pays sahéliens et côtiers d’Afrique de l’Ouest, leur coopération ne sera sans doute pas aussi poussée que dans le cadre de l’opération Barkhane. La situation des principaux partenaires africains du Royaume-Uni – l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria et l’Éthiopie – s’est dégradée, tandis que les problèmes de la Corne de l’Afrique et des deux Soudan, zone traditionnelle d’implication de la diplomatie et de l’aide britanniques, sont en difficultés. Quant à ses deux alliés privilégiés en Afrique centrale, l’Angola et le Rwanda, ils poursuivent des politiques de plus en plus divergentes à l’égard de la République démocratique du Congo.

Source : « Le Royaume-Uni de Charles III et l’Afrique : une tentation de repli », François Gaulme, Briefings de l’institut français des relations internationales, 5 mai 2023.

Le président Emmanuel Macron se rend au Nigéria en juillet 2018 et rencontre quasi exclusivement, à l’exception du président Muhammadu Buhari, des hommes d’affaires qu’il invite en France, à l’instar des Business Conferences de Versailles, sans parvenir véritablement à les mobiliser. De même, les relations entre la France et l’Afrique du Sud, quoique cordiales, n’ont pas connu de développement spectaculaire ces dernières années.

En revanche, la France obtient plus de résultats avec le Rwanda de Paul Kagamé ([107]) dans le cadre de la nouvelle stratégie française à l’égard de l’Afrique dans une sous-région, celle des Grands Lacs, où notre pays est concurrencé tant par la Russie que par les États‑Unis ([108]), preuve que les liens entre la France et les pays africains ne sont ni évidents, ni inéluctables.

Le choix du Rwanda n’est pas neutre. D’abord, la France ne pouvait laisser perdurer les critiques violentes du gouvernement rwandais à son égard et à l’égard de son armée : se voir accusée ouvertement et à intervalles réguliers de complicité dans le génocide des Tutsis de 1994 ne peut que nuire à son image et à sa crédibilité sur le reste du continent. De plus, le Rwanda est un pays stable, pourvoyeur de troupes pour plusieurs opérations multilatérales et bilatérales de maintien de la paix et de la sécurité, porte d’entrée à la fois vers la République démocratique du Congo, et vers l’Afrique anglophone. Les autorités rwandaises cherchent de nouveaux alliés ainsi qu’à s’ouvrir au monde africain francophone dans sa quête de leadership sur le reste du continent.

Ce rapprochement entre les deux pays s’est opéré avec la visite officielle de Paul Kagamé à Paris, en mars 2018. La même année, la France s’engage à soutenir l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Cet appui est un geste fort de la part de la France alors que le Rwanda a abandonné le français comme langue d’enseignement et de l’administration au profit de l’anglais en 2008 et a rejoint le Commonwealth en 2009 ([109]) . La rapporteure Michèle Tabarot regrette que cet appui, qui a fait l’objet de nombreuses critiques, n’ait malgré tout pas permis de redonner une nouvelle impulsion à l’apprentissage de la langue française dans ce pays.

Ce rapprochement ne pouvait se faire qu’après un travail approfondi sur les relations franco-rwandaises et la mémoire du génocide de 1994. La France charge une commission d’historiens et de juristes de livrer ses conclusions, tandis que le gouvernement rwandais commandite son propre rapport auprès d’un cabinet d’avocats américain. Furent ainsi publiés deux rapports, dits Duclert et Muse, dont aucun ne fit mention d’éventuelles complicités de la France dans la perpétration du génocide. Cette lecture des évènements de 1994 permit aux deux parties de poursuivre ainsi la normalisation de leur relation.

La pacification des relations franco-rwandaises s’est accompagnée d’une série d’initiatives. Un nouvel ambassadeur puis un attaché de défense français ont été envoyés à Kigali, qui abrite de nouveau un centre culturel francophone depuis le 27 mai 2021, après la fermeture du précédent en 2014. La coopération économique franco-rwandaise a repris et un bureau de l’AFD a pu rouvrir à Kigali. Paris s’est engagée, de son côté, à organiser le procès de suspects du génocide contre les Tutsis réfugiés en France, à augmenter sensiblement l’aide publique au développement en direction du Rwanda et a évoqué l’existence d’une « convergence d’intérêts stratégiques » avec le pays, pour ne citer que ces quelques exemples. La France apporte également un soutien appuyé au sein de l’UA aux opérations menées par les troupes rwandaises en République centrafricaine et au Mozambique.

Ainsi, le Rwanda est en voie de devenir, en l’espace de quelques années seulement l’un des partenaires privilégiés de la France en Afrique. Ce processus n’est pas sans susciter certaines critiques. Il n’est pas non plus sans créer des crispations importantes entre la France et la République démocratique du Congo en lutte contre le mouvement M23, que le gouvernement congolais qualifie « d’organisation terroriste » soutenue par les autorités rwandaises.

b. Une ouverture à poursuivre dans un contexte de tensions accrues

La stratégie consistant à se tourner vers de nouveaux partenaires, hors de la seule Afrique francophone et en particulier hors de la zone sahélienne, paraît pertinente au regard du contexte : le Nigéria est la grande puissance économique et démographique du XXIème siècle, l’Afrique du Sud reste un acteur important investi par les Russes au détriment de la France tandis que l’Afrique de l’Est est une zone encore largement négligée par notre diplomatie alors que les possibilités de coopération y sont nombreuses. Pensons au Kenya ou encore à l’Éthiopie, notre plus ancien partenaire africain, avec qui la France entretient des relations diplomatiques depuis plus de 125 ans. La France est son premier partenaire sur les questions culturelles et patrimoniales et a lancé, à ce titre, un programme de protection et de restauration des églises de Lalibela en 2019. Elle a également été sollicitée par l’Éthiopie pour transformer son palais impérial en musée et pour libéraliser son économie grâce à la présence d’une quinzaine d’experts français sur place. Elle abrite en outre le siège de l’UA, partenaire central sur le continent.

Certains conflits en Afrique non francophone risquent d’avoir des conséquences régionales majeures et méritent une attention particulière de notre diplomatie. C’est le cas de la crise du Soudan. Le conflit qui y fait rage depuis le 15 avril 2023 entre les forces armées soudanaises, dirigées par le général al-Burhan au pouvoir, et les forces de soutien rapide, dirigées par le général « Hemedti », revêt une importance majeure pour la sécurisation de la sous-région. En effet, la poursuite des combats au Soudan fait craindre un débordement du conflit aux pays frontaliers. En particulier, alors qu’un enlisement du conflit en une guerre civile généralisée est probable, le Tchad et la Libye, ayant des situations locales déjà fragiles, sont particulièrement exposés aux déstabilisations provoquées par les combats en raison de la porosité des frontières. Le risque de débordement du conflit vers ces pays pourrait se manifester par un renforcement opportuniste des groupes armés rebelles et criminels présents aux frontières et par une exploitation du vide sécuritaire, ainsi que par un afflux massif de réfugiés. Le 27 septembre 2023, le conflit avait déjà déplacé plus de 1 086 000 ([110]) personnes dans les pays voisins.

Enfin, un pays francophone comme la République démocratique du Congo, ancienne colonie belge, est étrangement absent de la stratégie africaine française, malgré ses 100 millions d’habitants, « sa demande de France », et son souhait de renforcer et de développer des partenariats avec notre pays. En effet, les investisseurs privés français ne se bousculent pas pour s’y implanter. Or la République démocratique du Congo concentre une part significative du stock mondial – quand ce n’est pas sa grande majorité – des richesses minières aujourd’hui raréfiées. De nombreux appels d’offres ne suscitent aucune candidature française, dans le secteur porteur du bâtiment et des travaux publics par exemple, malgré l’implantation du français BTP matière, qui livre notamment des ponts.

c. Les contraintes de la realpolitik : le retour vers l’ancien « pré carré »

Malgré cette tentative de réorientation de la politique française hors de la zone de l’ancien pré carré, les évolutions de l’Afrique de l’Ouest et la virulente contestation de l’engagement militaire de la France dans cette région ont contraint le président de la République à s’intéresser de nouveau à l’Afrique francophone et aux problématiques sécuritaires qui la traversent, avec tous les risques politiques et en termes d’image que cela comporte.

Le premier voyage africain de son second mandat le conduit au Cameroun, dès le 26 juillet 2022, alors que Yaoundé a renouvelé un accord de défense avec la Russie en avril de la même année, puis au Bénin et en Guinée‑Bissau. La géographie de la dernière tournée présidentielle en Afrique, du 1er au 4 mars 2023, a été très commentée : si le président se rend en Angola et en République démocratique du Congo, c’est avant tout son passage par les anciennes colonies du Gabon et du Congo-Brazzaville qui sera retenu par la presse. Le président français proclame certes la mort de la « Françafrique » mais la realpolitik  l’oblige à composer avec deux figures de cette époque, Ali Bongo, l’hériter d’une famille au pouvoir depuis 1967 à Libreville jusqu’au coup d’État d’août 2023, et Denis Sassou‑Nguesso, l’homme fort de Brazzaville au pouvoir depuis 1979, qui a su mettre en scène habilement les trois heures qu’Emmanuel Macron a passé sur son territoire.

À cet égard, la rapporteure Michèle Tabarot souligne qu’en dehors de situations de crise, il est important d’éviter de multiplier de telles visites « éclairs » de quelques heures, qui sont souvent une source de vexation pour les autorités des pays hôtes, lesquelles se sentent déconsidérées.

2.   Achever la recomposition de notre politique militaire

La réorientation de la politique militaire française en Afrique s’opère en grande part sous la contrainte des évènements et tente de conjuguer au mieux deux injonctions en apparence contradictoires : être moins présents et moins visibles tout en apportant davantage de soutien aux pays africains.

a. Une réforme de la présence et de la stratégie militaire française en cours

La France est une nation singulière en tant qu’elle demeure la seule puissance qui conserve des bases militaires permanentes dans ses anciennes colonies africaines. Outre des déploiements militaires temporaires issus de l’opération Barkhane, elle possède, en effet, quatre bases permanentes à Dakar (Sénégal), Abidjan (Côte d’Ivoire), Libreville (Gabon) et Djibouti, lesquelles exercent deux types de mission : la formation et le soutien logistique aux opérations. Les bases de Dakar et de Libreville constituent des pôles de coopération plus civils que militaires : le séjour de nos forces y sont plus longs et la France n’y dispose presque pas d’armement. En revanche, les bases d’Abidjan et de Djibouti sont des points d’appui au combat dont les forces peuvent être engagées à la demande du président de la République et selon les souhaits des pays de la région.

Cette présence militaire distingue la France d’autres pays exerçant une influence sur le continent : à l’exception d’une intervention en Tanzanie, en 1961, le RoyaumeUni a limité sa présence militaire en Afrique à des actions ponctuelles de formation délivrées par les British Military Advisory and Training Teams ; l’implication de l’URSS sur le continent durant la guerre froide s’est essentiellement appuyée sur la présence de soldats cubains dans plusieurs pays du continent. Quant aux ÉtatsUnis, s’ils possèdent quelques bases en Afrique, le siège de l’Africom, leur commandement militaire pour l’Afrique, est encore situé à Stuttgart, en Allemagne, même s’il pourrait bientôt se délocaliser en Afrique de l’Ouest ([111]).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La prÉsence militaire française en Afrique

Source : Le Monde, 29 août 2023

La présence des forces françaises est toujours agréée par les autorités politiques locales. Elle fait toutefois l’objet d’une acceptabilité variable, en particulier auprès des populations locales : celle-ci est plus prononcée au Gabon et en Côte d’Ivoire qu’au Sénégal, qui a cherché à diversifier ses partenariats de sécurité, notamment auprès de la Turquie et des États-Unis, et se montre plus pointilleux sur les signes extérieurs d’une présence militaire française dans le pays ([112]). Quant au Niger, il refuse désormais  par la voix des putschistes au pouvoir – l’installation de toute base militaire permanente française sur son territoire, ce qui a conduit au retrait en cours de nos 1 500 hommes sur place.

L’évolution des effectifs des forces françaises pré-positionnés en Afrique ne répond pas à des considérations économiques mais bien plutôt à des enjeux d’acceptabilité auprès des gouvernements et des populations locales.

Dans son discours du 27 février 2023 prononcé à l’Élysée, le chef de l’État a appelé à une diminution « visible » des effectifs militaires français en Afrique. Si celle-ci n’est pas encore chiffrée, elle s’inscrit dans la droite ligne de l’évolution de la présence des forces françaises en Afrique, passées de 8 000 hommes dans les années 1990 à 5 600 aujourd’hui. Elle répond incontestablement à l’objectif de réduire l’emprise du militaire sur les relations franco-africaines, même s’il existe un risque fort que les Français se trouvent remplacés par ses compétiteurs stratégiques, comme la Russie, la Chine ou la Turquie. Notons que ce reflux des forces pré‑positionnées en Afrique pourrait se concentrer sur les bases de la seule Afrique de l’Ouest : celle de Djibouti, stratégique pour l’influence de la France dans l’Indo‑Pacifique, répond à d’autres enjeux et semble exclue du dispositif.

En Côte d’Ivoire, par exemple, la base militaire de Port-Bouët a déjà commencé sa mutation. Les effectifs français présents seront réduits pour passer de 950 hommes à 500 en décembre 2023, puis 400 à l’été 2024. Les soldats français seront remplacés par des Ivoiriens qui cohabiteront avec les Français restés sur place : l’objectif est que cette réforme aboutisse avant la tenue des élections présidentielles de 2025, de manière à ne pas peser sur le cours du vote. Il est à noter que ce sont les autorités ivoiriennes, inquiètes de l’expansion du djihadisme dans la région, et attachées au partenariat qu’elles ont noué avec la France, qui ont souhaité revoir l’ampleur du dispositif à la hausse : il était initialement prévu d’atteindre le chiffre de 400 soldats français maintenus à Abidjan dès la fin de l’année 2023.

Cette réorganisation de nos forces armées devrait s’accompagner d’une montée en puissance des armées africaines : en effet, celles-ci ont vocation à être plus nombreuses sur les bases françaises qui s’ouvriront davantage et pourront même accueillir, si les effectifs africains le souhaitent et à leurs conditions, d’autres partenaires. Aussi, comme le rappelle le président, cette ré-articulation « n’a pas vocation à être un retrait ou un désengagement, mais elle se traduira en effet par […] une africanisation, une mutualisation de ces grandes bases ».

Pour la rapporteure Michèle Tabarot, il est essentiel que ces évolutions s’accompagnent systématiquement de garanties sur le maintien en conditions opérationnelles de nos troupes et sur notre capacité à les renforcer rapidement en cas de difficultés pour leur protection ou pour la protection de nos ressortissants présents sur place.

b. Restructurer notre offre de formation et de coopération

Parallèlement, la France va mener, dans les prochains mois, une série de consultations auprès de ses partenaires africains pour déterminer leurs besoins et attentes pour le futur en matière militaire et sécuritaire. L’objectif de la France, comme le rappelle le président dans le discours de Toulon, est de décliner « à l'échelle de chaque pays selon les besoins qui seront exprimés par nos partenaires : équipements, formations, partenariats opérationnels, accompagnements dans la durée et intimités stratégiques. ». La rapporteure Michèle Tabarot estime qu’il est désormais urgent que ce travail d’identification des attentes stratégiques de nos partenaires africains soit finalisé. Cette logique n’est fondamentalement pas différente de celle poursuivie ces trente dernières années : la France assure, en effet, la formation de cadres militaires africains soit en France, où le ministère des armées organise l’accueil de stagiaires étrangers dans différentes écoles militaires françaises, soit au sein d’ENVR relevant du Quai d’Orsay et répliquant les offres de formation françaises directement dans les pays concernés. Elle mène également des projets de coopération opérationnelle, notamment via des partenariats militaires opérationnels.

Ainsi, l’objectif est d’abord de revivifier les offres de formation qui ont souffert de la baisse des moyens dévolus aux armées au cours des dernières décennies, limitant de facto les contacts et la proximité entre les armées françaises et étrangères. En 2022, les armées, directions et services des armées n’ont pu accueillir que 487 stagiaires sur les 1 689 demandes reçues quand les Russes, les Turcs et les Chinois en accueillaient dix fois plus. Le ministre des Armées a ainsi annoncé vouloir doubler le nombre de stagiaires issus des seuls pays africains, qui passeraient d’environ 300 à 600 sur la durée de la LPM 2024-2030 en ciblant les catégories des officiers et des sous‑officiers ([113]).

Il s’agit également de réorienter l’offre de formation existante, laquelle a pu se montrer à bien des égards décevante : rappelons que l’armée malienne s’est effondrée malgré les décennies de formation et de coopération structurelle dont elle avait pu bénéficier. Le ministre des Armées lui-même reconnaît que sur les deux bases entièrement dédiées à la formation dont dispose la France au Gabon et au Sénégal, notre pays a pris des « habitudes de formation très généralistes [qui ne sont] plus toujours complètement adaptées aux partenaires » ([114]), tournées vers la prise en main de l’infanterie et l’acquisition de techniques de combats quand les Africains souhaitent conquérir des espaces maritimes nouveaux, développer une aviation de chasse et utiliser efficacement des drones ; c’est précisément ce que leur proposent les Turcs et les Israéliens, par exemple, ce qui leur permet incontestablement de gagner des parts de marché en Afrique. La modernisation de la politique militaire française passe donc par la conception, à partir des besoins exprimés par nos pays partenaires, de nouvelles offres de formation plus courtes et construites selon une logique de projets à partir d’un catalogue fixe, dont l’élaboration doit être prioritaire.

c. Poursuivre et achever cette recomposition

Dans cette perspective, la France pourra utilement s’appuyer sur sa propre expérience : l’appui à la constitution d’armées africaines nationales modernes semble difficile pour notre pays et à plus forte raison pour l’UE ellemême. Elle pourrait, en revanche, se concentrer sur la création d’unités partenaires capables d’être les effecteurs privilégiés de son action militaire. La formation et la coopération pourraient alors porter sur les éléments moins renforcés des armées africaines : renseignement, logistique, ressources humaines, commandements et contrôles, et prise en main de nouveaux systèmes d’armes, comme les drones et les missiles ([115]). Sur ce point, notre offre de formation s’avère inadaptée aux attentes de nos partenaires du continent, ce qui nuit à notre compétitivité stratégique. Il est important que ce « catalogue » en tienne désormais compte tout en veillant à former nos partenaires sur des équipements produits par notre base industrielle et technologique de défense, qui doit elle aussi pouvoir adapter son offre.

S’agissant des bases françaises en Afrique, la rapporteure Michèle Tabarot soutient une logique selon laquelle il est nécessaire de respecter la volonté des dirigeants, même de fait, des États africains et de leurs populations. Si la France n’est plus souhaitée, elle n’a ni la légitimité ni les moyens de rester. En revanche, là où elle est attendue, comme en Côte d’Ivoire, il est possible de garder une empreinte pour assurer la protection de nos ressortissants et l’aide à la lutte contre le terrorisme tout en renouvelant les conditions de présence des éléments français. Dans ce cadre, s’agissant de la présence des troupes françaises au Tchad qui est régulièrement questionnée, il appartient au gouvernement tchadien de préciser s’il souhaite maintenir son partenariat militaire avec la France et sous quelles conditions.

3.   La place du multilatéralisme

Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial avec le Sud s’est tenu les 22 et 23 juin 2023. Annoncé par le président de la République à l’occasion du sommet du G20 à Bali en novembre 2022, le sommet a rassemblé une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement (dont une large part de pays émergents et en développement), les représentants d’une soixantaine de pays, les dirigeants des grandes organisations et institutions financières internationales, ainsi que de nombreux représentants de la société civile (ONG, think-tanks et monde académique) et du secteur privé (entreprises, investisseurs). Il a été l’occasion de plusieurs annonces concrètes faisant l’objet d’une forte attente des pays du Sud, notamment africains, parmi lesquelles l’atteinte de la réallocation des 100 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) aux pays vulnérables, en particulier en Afrique, grâce aux engagements de la France, du Japon et de la Chine, un accord sur la restructuration de la dette de la Zambie ou le lancement d’un partenariat pour une transition énergétique juste (JET‑P) avec le Sénégal.

Cette démarche peut être déclinée aux échelles internationales – à travers l’action des Nations Unies –, européenne et régionale.

La mobilisation de l’Europe comme grande zone géographique pertinente pour négocier et coopérer avec l’Afrique est une idée ancienne. Le président de la République français Valéry Giscard d’Estaing annonçait ainsi, à l’occasion de la conférence franco‑africaine de Nice, le 8 mai 1980, sa volonté de créer un trilogue entre l’Europe, le monde arabe et l’Afrique, afin de promouvoir une « coopération plus étroite et plus efficace – c’est-à-dire exemplaire – entre trois régions que la géographie, l’histoire et d’anciennes affinités culturelles ont habitué à la coexistence ». Cette coopération ne vise pas à se substituer aux négociations menées dans un cadre global, celui des Nations Unies en particulier, mais constitue un niveau supplémentaire et complémentaire de concertation couvrant tous les domaines, politiques, économiques et financiers, culturels et sécuritaires. Il faut toutefois attendre de nombreuses années avant que l’UE ne s’intéresse véritablement à l’Afrique, sous l’impulsion de la France.

La politique africaine de l’Union s’est d’abord limitée à la poursuite d’opérations dont la première en Afrique subsaharienne – l’opération Artémis déployée à Bunia, en République démocratique du Congo, en juin 2003 – visait d’abord à reconstruire une unité sur le plan opérationnel ; cette dernière avait notamment été affaiblie par les positions divergentes des membres de l’UE sur la question irakienne en 2002‑2003. Révélatrice de la tendance de l’Union à se positionner et à agir sur des théâtres stratégiques délaissés par d’autres acteurs, tels que les États‑Unis et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ([116]), elle permit à la France de se réinvestir dans la région des Grands Lacs et, plus largement, en Afrique centrale. En ce sens, elle est peut-être davantage le fruit d’une européanisation de l’intervention française dans le pays que le résultat d’une véritable volonté européenne.

Sous l’impulsion conjointe de la France et du Royaume-Uni, l’UE s’est parallèlement dotée d’un outil conceptuel : la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) – à laquelle a succédé la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) –, dont le volet stratégique africain s’est développé dès 2005. Aussi l’opération Artémis peut-elle être regardée comme un test grandeur nature pour l’interopérabilité des armées européennes, constituant ce que la chercheuse Niagalé Bagayoko a pu appeler un « terrain de validation du cadre institutionnel […] de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ([117]). Parmi les opérations récentes menées avec succès dans ce cadre, peut être également citée l’opération Atalante, initiée par la France et mise en œuvre par l’UE, pour lutter contre l’insécurité dans le golfe d’Aden et l’Océan indien, une zone maritime menacée par des pirates partant des côtes somaliennes.

 

 

 

 

 

 

ENGAGEMENTS DE L’UNION EUROPéENNE en matière
de sécurité et de défense à travers le monde

Source : eeas.europa.eu

Cette volonté d’inscrire la politique africaine française dans une approche plus régionale se traduit également par une recherche d’appuis auprès des organisations régionales africaines, telle que l’UA, mais surtout auprès d’autres États membres de l’UE comme l’Allemagne, notamment pour soutenir ses interventions militaires en Afrique de l’Ouest. La France et l’Allemagne, deux voisins et partenaires historiques du continent africain, se sont ainsi engagées, lors de la formulation du traité d’Aix‑la‑Chapelle en 2019, à joindre leurs efforts pour rendre la mise en œuvre de la politique étrangère de l’Union plus effective, en formulant une « stratégie africaine commune » ([118]).

L’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) et l’Institut de sécurité maritime interrégional (ISMI) en Côte d’Ivoire : deux exemples de coopération en vue de la responsabilisation et de l’engagement des acteurs africains

La création de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme, située à Jacqueville en Côte d’Ivoire, est née d’une initiative commune franco-ivoirienne portée en 2017, lors du sommet de Pau, par les présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara. Inaugurée le 10 juin 2021, elle vise à développer les capacités des États d’Afrique de l’Ouest à apporter une réponse globale à la menace terroriste qui s’y développe. Fondée sur la mobilisation de divers acteurs, en particulier de la France, de la Côte d’Ivoire, de l’UE, de l’UA et de la CEDEAO, elle témoigne d’une nouvelle forme de soutien apportée par la France au continent africain sur les plans sécuritaire, militaire et judiciaire : elle cherche à mieux impliquer les États africains dans la gestion de leurs crises.

Dans cette perspective l’AILCT propose trois types de formations : un camp d’entraînement des unités, une école de formation des cadres et un institut de recherche. Près de 1 000 stagiaires ont déjà pu se perfectionner dans cette académie qui a vocation à former des policiers, militaires, gendarmes, magistrats, douaniers et personnels des administrations pénitentiaires issus de 26 pays africains. Cet établissement espère accueillir 600 stagiaires en 2023-2024 et progressivement devenir un centre de référence pour le continent.

Créé en 2015 à Abidjan et situé sur le site de l’Académie régionale des sciences et techniques de la mer (ARSTM), l’ISMI est un pôle de formation destiné aux cadres civils et militaires des administrations et entités privées d’Afrique de l’Ouest et du Centre ayant des compétences dans les domaines de la sécurité et de la sûreté maritimes, ainsi que de la protection du milieu marin. La France finance cinq stages par an et soutient pédagogiquement le reste des formations délivrées et financées par les Ivoiriens et leurs partenaires européens. L’ISMI a déjà permis la formation de 1 500 à 2 000 personnes dans tout le Golfe de Guinée.

Sources diverses

La France continue enfin de militer pour une meilleure intégration de l’Afrique dans les principales organisations internationales, de manière à ce que le continent puisse porter ses propres revendications et solutions auprès des grandes puissances. Notre pays soutient ainsi l’intégration de l’UA au G20 et une meilleure répartition des sièges pour le continent africain au Conseil de sécurité des Nations Unies.

La multilatéralisation de la politique africaine présente des limites à toutes les échelles : les nations européennes demeurent, dans bien des situations, des concurrents pacifiques plutôt que de véritables alliés solidaires lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts. La récente crise au Niger a permis de le vérifier une nouvelle fois : à l’exception du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, aucun dirigeant européen n’a officiellement exprimé sa solidarité avec la France, à la suite de la demande d’expulsion de l’ambassadeur de France de Niamey. Quant à la force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), volet militaire du G5 créé en 2017, elle s’est rapidement transformée en une arène de captation des ressources, marquée par une méfiance accrue entre ses États membres dont trois (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) – voire quatre si l’on inclut le Tchad – ont connu un coup d’État, fragilisant l’ensemble de la structure de coopération. Finalement, le G5 Sahel s’est retiré du Mali le 15 mai 2022, sur fond de tensions avec les autres pays membres ([119]). Au Mali toujours, la MINUSMA a connu le même sort que les troupes françaises : les autorités maliennes ont demandé son retrait « sans délai » lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 16 juin 2023.

Le multilatéralisme constitue ainsi une opportunité de sortir du face-à-face politique qui a longtemps prévalu avec les gouvernements africains, en intégrant de nouveaux acteurs et en assumant une forme de chef de filât mais non une solution toute faite aux difficultés que rencontre notre pays.


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 8 novembre 2023, la commission examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/vD5xca

 

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur les relations entre la France et l’Afrique en vue de sa publication.

 

 

 


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   PROPOSITIONS du rapporteur BRUNO FUCHS

– Plan d’actions pour une nouvelle relation Afrique/France –

 

Ces mesures ne sont pas exhaustives mais renseignent sur la dimension et l’ampleur du plan à mettre en œuvre

 

A/ Retrouver de la cohérence et de la lisibilité dans notre action

 

  1.      Proposer une offre stratégique claire et ambitieuse :

 

Une offre conforme à nos valeurs, nos principes et nos intérêts. La France doit dire ce qu’elle veut faire en Afrique et comment le faire.

 

  1.      Mieux piloter les politiques publiques en créant un grand ministère des nouveaux partenariats et de l’Afrique :

 

Ce ministère incarnera et coordonnera la nouvelle politique de partenariats et sera un guichet unique, notamment pour les pays africains désireux de construire de nouveaux partenariats avec la France.

 

  1.      Impliquer les citoyens dans le débat sur l’Afrique et, de fait, associer étroitement le Parlement :

 

3-1 Tenir un débat tous les deux ans au Parlement sur l’évolution de notre politique africaine ;

3-2  Développer une vraie diplomatie parlementaire ;

3-3  Mettre en place une large commission mixte Afrique/France  pour construire et mettre en œuvre la nouvelle offre stratégique.


 

B/ La France « autrement » :  en finir avec les irritants

 

  1.      Arrêter le double standard et clarifier la doctrine de conditionnalité démocratique de la France.

Adopter le principe de la « juste distance ». 

 

  1.      Achever la réforme du Franc CFA :

 

5-1 Annoncer une échéance souhaitée et élaborer un agenda de fin du Franc CFA avec les pays de la zone ;

5-2 Construire avec les Africains – et diffuser – un argumentaire sérieux démontrant l’importance de cette monnaie pour la stabilité économique de leurs États ;

 

  1.      Changer radicalement de politique de délivrance des visas tout en conservant la maîtrise des flux :

 

Dans la continuité du rapport Hermelin, il faut des moyens et définir des critères clairs, lisibles et transparents pour avoir une politique des visas qui serve enfin le rayonnement de la France. 

6-1 Proposer aux demandeurs un accueil et un parcours respectueux et adapté ;

6-2 Restaurer la pleine compétence du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;

6-3 Proposer largement des parcours intégrant les études universitaires/des visas d’affaires multiusages ;

6-3 Exemption de visa pour certains pays ou pour des populations identifiées ;

6-4 Élaborer un « visa africain » avec nos pays alliés ;

 

  1.      Procéder à une révolution des mentalités :

7-1 Éradiquer les comportements paternalistes et condescendants que nous maintenons exclusivement avec l’Afrique francophone ;

7-2 Cesser d’imposer une vision unilatérale et bureaucratique, partir de l’écoute des acteurs de terrain et bâtir des partenariats inclusifs et multilatéraux : parler à tout le monde, opposition comme société civile ;

7-3 Veiller à un métissage suffisant.

 

C/ Mieux piloter notre action, la rendre plus efficace

 

  1.      Faire des « investissements solidaires » le bras armé de notre stratégie d’influence.

 

8-1 Bannir le terme « aide au développement » et le remplacer par                             « investissements solidaires » ;

8-2 Assumer clairement le pilotage politique de l’AFD, qui passe donc sous               tutelle du ministère des partenariats et de l’Afrique ;

8-3 Bannir l’usage du mot développement et par conséquent

8-4 Changer le nom de l’AFD :  à titre d’exemple « France Partenariats » couvrirait bien nos nouvelles intentions ;

8-5 Bâtir autour de l’AFD une stratégie de communication active, en               cohérence avec la nouvelle offre stratégique de la France ;

8-6 Proposer des lignes claires d’investissement en lien avec la diplomatie               économique. En finir donc avec l’éparpillement et le saupoudrage de notre APD ;

8-7 Réinvestir le terrain : Renforcer massivement notre présence civile               sur le terrain. Renforcer notre expertise technique ;

8-8 Passer d’une logique de la demande à celle de l’offre. Passer d’une logique d’appels à projets à celle de financements directs. Opérer une grande part des programmes directement vers les bénéficiaires ;

8-9 Simplifier les procédures administratives pour permettre de l’agilité et répondre aux besoins des acteurs de terrain ;

8-10 Doter les Ambassades de plus de moyens pour le soutien direct à des               projets de proximité, en phase avec la stratégie ;

8-11 Revoir les critères d’attribution des pays bénéficiaires des  programmes ;

8-12 Créer un guichet unique pour une vraie équipe de France (acteurs               privés et publics) ;

8-13 Promouvoir une Coopération décentralisée en lien direct avec la                             stratégie africaine de la France.

 

  1.      Réarmer notre diplomatie :

 

9-1 Constituer une filière « Afrique » au Quai d’Orsay et mieux préparer nos diplomates à leurs missions en incluant une meilleure compréhension des enjeux interculturels ;

9-2 Valoriser l’attractivité des carrières vers l’Afrique ;

9-3 Nommer des diplomates (ambassadeur, consuls généraux etc.) afro-descendants ;

9-4  Instituer une « diplomatie nouvelle » plus directe, plus transparente et plus visible afin d’en finir avec les suspicions d’agenda caché ;

9-5 Faire des ambassadeurs de vrais « chefs de file », ayant une réelle et totale autorité sur l’ensemble des prérogatives et compétences (Consulat général, AFD, DG trésor, BPI France, etc.) pouvant recruter et composer eux-mêmes leurs équipes rapprochées et les évaluant pour s’acquitter des missions leurs étant assignées ;

9-6 Privilégier à l’avenir une approche « toutes Afriques » :

Les Africains eux-mêmes sont organisés de cette façon. Par conséquent fusionner la sous-direction Afrique du Nord et la direction Afrique du quai d’Orsay ;

9-7 Réintroduire de l’analyse de contextes : créer un organe d’écoute et de stratégie des nouveaux partenariats (experts, associations, chercheurs, journalistes, économistes, entrepreneurs) ;

9-8 Organiser un séminaire annuel de trois jours rassemblant tous les ambassadeurs en Afrique pour nourrir la stratégie Afrique et partager leurs expériences ;

9-9 Former des agents à la gestion de projets ;

9-10 Redéfinir le rôle du conseiller Afrique et de la cellule Afrique de l’Élysée, en lien avec le quai d’Orsay ;

9-11 Renforcer les moyens de nos services de renseignements en Afrique :

Leur action s’est légitimement centrée ces dernières années sur les groupes terroristes et djihadistes mais nous y avons perdu en capacité d’anticipation des grandes évolutions.

9-12 Miser plus sur la médiation quand cela se justifie ;

9-13 Demander un rapport sur le bilan de la diplomatie économique :

Depuis l’orientation de Laurent Fabius jusqu’à nos jours intégrant la gouvernance et les résultats.

 

 10) Renforcer notre avantage compétitif :

 

10-1 Défendre un modèle démocratique et multilatéral ;

10-2 Miser sur une francophonie des citoyens ;

10-3 Contribuer plus fortement aux moyens de la Fondation pour la démocratie et/ou tout autre organisation non gouvernementale opérant sur ce sujet :

Cette initiative, encore embryonnaire, porte en elle l’ADN de la nouvelle relation souhaitée à l ‘Afrique. L’Allemagne finance le soutien au développement démocratique à hauteur de 500 millions d’euros ;

10-4 La France devrait plus généralement moins s’exposer directement sur cette problématique en sous-traitant cette mission aux organisations non gouvernementales, en finançant des associations locales et françaises ;

10-5 Consolider et renforcer le réseau des écoles et instituts culturels                                           Français. Les transformer progressivement en Instituts franco                            camerounais, franco-ivoirien et ainsi de suite ;

10-6 Apprendre l’Afrique d’aujourd’hui à l’école ;

10-7 Introduire des modules d’enseignement sur l’Afrique dans nos grandes écoles publiques et privées ;

10-10 Donner des moyens aux historiens de dire le passé en vérité ;

10-11  Proposer une vraie stratégie pour que les diasporas jouent enfin un rôle majeur au sein de la nouvelle relation Afrique-France :

Alors qu’elles comptent potentiellement parmi nos meilleurs atouts, les diasporas sont sous-valorisées. Elles ont tendance à se désengager, lorsqu’elles ne sont pas acerbes à l’égard de la France.

  1.    Exploiter toutes les opportunités que recèle notre conception multilatérale du monde. Mettre en œuvre une « démarche trilogue » ;
  2.    Encourager l’Union européenne à développer son action à l’égard de l’Afrique en proposant une approche davantage tournée vers le soutien à la bonne gouvernance, l’enracinement de la démocratie et de l’État de droit et le développement économique durable.

 

 11) Miser sur le développement économique et sur les investissements :

 

 11-1 Développer les industries de transformation ;

11-2  Privilégier les approches par filière et la répartition de valeur corrélée ;

11-3 Donner la priorité aux entreprises à capitaux croisés ;

11-4 Trouver le moyen juridique pour sécuriser les entreprises cotées en bourse tout en respectant les règles d’éthique ;

11-5 Ouvrir le financement à de petites entreprises ;

11-6 Armer les ambassades pour piloter l’accompagnement des entreprises dans les grands projets ;

11-7  Impulser et soutenir les partenariats public-privé.

 

 

 12) Déployer une stratégie de communication performante :

 

12-1  Proposer une stratégie nationale d’influence ;

12-2  Bâtir un récit sur la place de la France et ses ambitions en Afrique ;

12-3  Recentrer la communication sur nos avantages comparatifs (politiques solidaires : santé, climat ou encore biodiversité) ;

  1.  Minorer fortement la communication politique et militaire ;
  2.  Face à la désinformation, faire appel à des acteurs privés :

Au-delà de la souplesse, cela apporterait d’autres expertises et ne serait pas suspecté d’être de la propagande d’État ;

12-6  Construire un « meta réseau » d’acteurs et d’influenceurs partant de l’Afrique, regroupant tous les défenseurs des modèles démocratiques ;

12-7  Mettre en place une communication proactive et des relais d’influence dans les pays africains :

Il faut faire porter la communication par tous les acteurs locaux incluant les bénéficiaires et contribuer à la création d’un écosystème de communication francophone à partir de l’Afrique (chaines de télévision, réseaux sociaux, etc.) ;

12-8  Responsabiliser les médias français pour qu’ils ne servent pas malgré eux de caisse de résonance aux discours haineux ou complotistes contre la France;

12-9  Créer un pôle média holistique, une agence de presse, une radio, une chaîne qui, à défaut d’être panafricaine, soit africanisée.


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   PROPOSITIONS DE LA RAPPORTEURE MICHÈle tabarot

3 AXES

POUR CONSTRUIRE
LA NOUVELLE STRATÉGIE DE LA FRANCE
EN AFRIQUE

AXE STRATÉGIQUE

 Faire de la politique africaine de la France un domaine partagé 

REPOLITISER L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT


 Avoir une offre stratégique ambitieuse assumant nos intérêts et nos attentes.

 Créer un grand Ministère des coopérations et des partenariats.

 Instaurer un véritable pilotage stratégique interministériel de l’Aide Publique au Développement.


RECONNAITRE LE ROLE DU PARLEMENT


 Organiser des débats, au moins semestriels, sur la politique africaine de la France.

 Développer une vraie diplomatie parlementaire.


ASSOCIER TOUS LES ACTEURS


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 Créer un Conseil des Affaires étrangères à l’Elysée associant a minima les ministres en charge des Affaires étrangères, de la coopération et des Armées, sur le modèle du CDSN.

 

AXE RÉPUTATIONNEL

 Moderniser et renforcer
la cohérence de notre action 

RESOUDRE LES POINTS DE TENSIONS


 Accompagner la réforme du franc CFA qui dépend du seul vouloir des pays africains.

 Clarifier la doctrine de conditionnalité démocratique des aides et mettre fin au « double-standard » en ce domaine.

 Réformer la politique des visas sans renoncer à la maitrise des flux.


AVOIR UNE STRATÉGIE DE COMMUNICATION AMBITIEUSE


 Mettre en œuvre les stratégies de lutte contre la désinformation avec plus de moyens.

   Identifier des acteurs d’influence dans les pays africains pour relayer notre action.

 Demander aux médias français plus de responsabilité sur la valorisation de l’action de la France et sur la diffusion de discours haineux ou complotistes envers notre pays.


SE SERVIR DE NOS AVANTAGES STRATÉGIQUES


 Miser sur la francophonie.

 Développer le réseau des écoles et instituts culturels Français en portant les efforts sur les pays avec lesquels nous avons de bonnes relations.

 Poursuivre l’ouverture à l’« autre Afrique » anglophone, lusophone…


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AXE OPÉRATIONNEL

 Se renforcer dans
la bataille des idées 

REFAIRE DE LA DIPLOMATIE UNE FORCE


 Instaurer une filière Afrique au Quai d’Orsay et valoriser les carrières

 Mieux préparer les diplomates à leur affectation avant l’arrivée dans un pays

 Créer un institut des hautes études sur l’Afrique

 Développer le nombre de coopérants sur le terrain

 Créer une véritable « équipe France » sous la responsabilité de l’Ambassadeur.


RÉINVENTER NOTRE OFFRE STRATÉGIQUE


 Être présents là où nous sommes souhaités

 Identifier les attentes de nos partenaires pour adapter notre offre stratégique

 Renforcer les moyens de nos services de renseignement en Afrique

 Adapter notre offre de formation aux besoins de nos partenaires et encourager notre BITD à faire évoluer son catalogue en conséquence.


FAIRE DE « L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT »
L’OUTIL MAJEUR DE NOTRE STRATÉGIE D’INFLUENCE


 Réformer l’AFD pour institutionnaliser son pilotage politique et repositionner son action.

 Changer le nom de l’AFD en « France Partenariats ».

 Donner beaucoup plus de moyens aux Ambassades pour soutenir directement des projets locaux à fort impact réputationnel


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analyse du rapporteur bruno Fuchs

LES ENSEIGNEMENTS DE L’OPÉRATION BARKHANE : RÉVÉLATEURS DE TOUTES NOS FORCES ET FAIBLESSES OU COMMENT UNE OPÉRATION MILITAIRE À L’EFFICACITÉ DÉMONTRÉE PÂTIT D’UN BIAIS D’ANALYSE, D’UN DÉFAUT DE STRATÉGIE, DE PÉDAGOGIE ET D’HUMILITÉ

1/ Une mauvaise compréhension de la nature de la crise et de la dynamique du conflit.

Un défaut d’analyse initiale a rejailli négativement sur l’opération Barkhane. Ce défaut tient aussi au fait que les responsables français ont envisagé la situation malienne sous le prisme de leurs propres problématiques sécuritaires et non en cherchant à comprendre les particularités de la situation locale. Le djihadisme étranger a réussi à transformer une insurrection locale en conflit de grande ampleur, certes menée au nom de l’Islam et à la faveur d’un recrutement local important, alors qu’initialement les rébellions sont davantage mues par des motivations primaires de besoins de subsistance, d’accès aux ressources, au foncier, d’ambitions héritées de conflits intercommunautaires ou encore des visées nationalistes que par une pure idéologie islamiste.

L’erreur initiale a donc consisté à ne pas comprendre la complexité du terrain et à réduire la crise à la seule lutte contre le terrorisme islamique alors que le Mali se trouvait face à un contexte insurrectionnel généralisé.

2/ Une opération militaire efficace, mais sous-dimensionnée et de laquelle on attend tout.

D’un strict point de vue militaire, il convient de rendre justice à Barkhane, et plus généralement, d’affirmer que la lutte contre le terrorisme, menée entre 2013 et 2022, a permis aux forces françaises, maliennes, nigériennes et burkinabé de mettre hors-de-combat les chefs des quatre katibats d’AQMI, les émirs d’Al Mourabitoune et du MUJAO, de nombreux éléments clefs d’Ansar Eddine, les émirs du JNIM et les émirs de l’État Islamique au Sahel. Ces faits d’armes ont mis fin aux attentats de grande ampleur dans les capitales sahéliennes depuis 2018 et ont engendré une forte baisse du nombre des enlèvements d’étrangers.

Alors qu’en Afghanistan la communauté internationale a engagé jusqu’à 150 000 hommes, la France a porté sa présence, au plus fort de la crise malienne, à 5 000 hommes sur un territoire trois fois plus grand. Ce sous-dimensionnement porte les germes de la déception.

 

3/ Une défiance grandissante de l’armée malienne à l’égard des militaires français.

 Mais, paradoxalement, après le succès de Serval et après les résultats obtenus, les Maliens ont pensé que la seule présence de l’armée française allait suffire à régler facilement la question. Après le grand espoir, notre communication de chiffres a créé, paradoxalement, un climat déceptif au regard des attaques de villages et de règlements de compte continus.

Sûrs de notre fait, nous aurions dû mieux expliquer et partager le sens de notre action. À titre d’exemple, en dix ans, l’armée française n’a produit aucune vidéo à usage des médias locaux.

Ainsi, Barkhane a fortement souffert d’un manque de justification auprès des populations et d’un déficit de communication de ses réelles missions. A posteriori, Barkhane apparaît donc comme une opération qui s’est fixée des objectifs s’appuyant sur une évaluation biaisée et optimiste des dynamiques politiques en cours au Sahel, et qui a été conduite à l’impuissance par l’incompétence de la classe politique au pouvoir.

Les populations ont également fondé, dans les forces militaires françaises, des espoirs qui excédaient le cadre de l’opération Barkhane, ne pouvant qu’entraîner de l’incompréhension, de la déception et, à terme, de l’hostilité.

4/ Kidal, moment clé qui va nourrir le ressentiment et l’idée d’un agenda caché côté français.

En 2012, l’armée malienne a été massacrée et forcée de fuir Kidal devant la conquête des groupes rebelles et djihadistes. Ce moment a nourri un profond sentiment de vengeance. En 2013, les risques de représailles contre les communautés Arabes et Touaregs ont amené l’armée française à stopper la reconquête aux portes de Kidal, encore sous contrôle des mouvements rebelles.

Or, ce qui pour nous relevait d’une prudence pour éviter un bain de sang, a été interprétée par les Forces armées maliennes, à la tête desquelles se trouvait le colonel Goïta, comme un pacte entre les forces françaises et les groupes rebelles. Dès lors, et à défaut d’une communication claire et partagée, le doute s’est installé. Une part importante des « Fama » a toujours eu un doute sur les objectifs réels des français.

En ajoutant cela à la dégradation sécuritaire dont les populations ont souffert au quotidien pendant l’opération Barkhane, l’hostilité s’est faite de plus en plus forte. 

 

 

5/ Le « syndrome du pré carré », un péché d’orgueil provocant des attitudes contestables.

Il s’agit d’une attitude globale sans que de véritables lignes rouges aient été franchies, car l’armée française est tout à fait républicaine.

Les militaires français, sûr d’eux et portés par l’obsession de la bonne exécution de leurs missions, ont pu donner le sentiment de se penser chez eux, en terre conquise, en s’affranchissant ainsi de règles élémentaires d’échange et de partage. Or, selon le dicton Africain, « un invité ne décide des plats à servir sur la table ».  Par conséquent, ces comportements n’ont fait que renforcer le sentiment de défiance.

6/ Un défaut de portage politique et de stratégie.

Si on comprend qu’une partie substantielle des conflits armés peut trouver une résolution par la médiation et le développement économique, alors, pour avoir une chance de réduire massivement l’activité terroriste, il aurait fallu activer en parallèle un plan de développement de grande ampleur répondant aux besoins primaires des populations. 

Or, étant donné que nous avons activé uniquement le volet militaire, de nombreux jeunes ont succombé aux 100-150 dollars offerts par les groupes terroristes et sont venus en gonfler les rangs, sans pour autant être dans une logique d’intégrisme musulman.

7/ Nous avons, avec une forme de naïveté, confié la conduite politique, et donc la réussite ou non de l’opération, à un gouvernement clairement défaillant.

Le but initial et strict de l’opération Barkhane était de protéger Bamako et de laisser le temps à la classe politique locale de s’organiser, pour rétablir la paix dans la région. En effet, le mandat de l’opération n’était pas de sécuriser l’ensemble du pays mais de mettre la menace terroriste à la portée des forces locales, en affaiblissant les groupes armés terroristes.

Toute la réussite de l’opération reposait sur le postulat que l’État malien allait fournir sa part d’effort. Or, les observateurs avertis avaient conscience du caractère illusoire de ce postulat. Les personnes fréquentant le Mali voyaient bien que le Président Ibrahim Boubacar Keïta n’était pas l’homme de la situation. Plus jouisseur que stratège, il a laissé faire. Il se disait que son palais « c’était Versailles avant le révolution ».

Le niveau de corruption y a atteint des sommets et notamment de forts détournements de fonds sur les budgets militaires.  

Une divergence de vue stratégique s’est installée entre le gouvernement malien et le gouvernement français, ce dernier ayant voulu imposer l’application des accords d’Alger de 2015, visant à mettre fin à la guerre du Mali entre les forces du gouvernement malien et les forces issues de la Coordination des mouvements de l’Azawad. En effet, le Président Ibrahim Boubacar Keïta était contre les dispositions de cet accord et a empêché leur mise en place. Cette posture a aujourd’hui pour conséquence que la partition du Nord Mali du reste du territoire malien apparait comme une hypothèse de plus en plus plausible.


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   Annexe N°1 : Liste des personnes RENCONTRÉes ou auditionnÉes par LEs RAPPORTEURS

Les rapporteurs adressent leurs remerciements chaleureux au président du Niger, M. Mohamed Bazoum, à l’ancien président de la République française, M. François Hollande, et à la Première Dame de Côte d’Ivoire, Mme Dominique Ouattara, qui ont bien voulu leur accorder une audience.

Certaines personnes n’ont pas souhaité apparaître dans la liste des auditionnés. Celle-ci respecte donc leur anonymat.

 

Jeudi 9 mars 2023

– Mme Anne-Sophie Avé, ambassadeur, envoyée spéciale pour la diplomatie publique en Afrique.

 

Jeudi 23 mars 2023

– M. Éric Blanchot, directeur général de l’ONG Promediation ;

– Mme Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;

– M. Wassim Nasr, journaliste à France 24, spécialiste des mouvements djihadistes.

 

Jeudi 30 mars 2023

– M. Christian Bouquet, professeur de géographie politique et du développement à l’Université Michel-de-Montaigne-Bordeaux-3 ;

– M. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches à l’institut de recherche pour le développement (IRD), spécialiste du Nigéria ;

– M. Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ;

– M. Luc Hallade, ambassadeur de France au Burkina Faso ;

– Mme Laure Taillandier-Thomas, rédactrice Burkina Faso, Niger, cellule Sahel, sous-direction d’Afrique occidentale au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;

– Mme Eva Nguyen Binh, présidente de l’Institut français.

 

Jeudi 6 avril 2023

– Mme Évelyne Decorps, ambassadrice de France au Tchad (2013-2016) et au Mali (2016-2018) ;

– M. Aurélien Lechevallier, directeur général de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;

– M. Luc Briard, chargé de mission Afrique auprès du directeur général de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et membre de la mission de préfiguration de la Maison des Mondes Africains ;

– Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux ;

– M. Loris Gaudin, conseiller chargé des relations avec le Parlement, du mécénat et des partenariats avec le secteur privé auprès de Mme Chrysoula Zacharopoulou ;

– M. Thomas Rossignol, sous-directeur d’Afrique australe et de l’Océan indien, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

 

Mercredi 12 avril 2023

– M. Hugo Sada, ancien conseiller spécial pour le Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, ancien délégué à la paix, aux droits de l’Homme et à la démocratie de l’Organisation internationale pour la francophonie, chercheur associé à la fondation pour la recherche stratégique ;

– M. Christophe Bigot, directeur de l’Afrique et de l’Océan indien au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;

– Mme Adorice Gachet, chargée de mission auprès du directeur de l’Afrique et de l’Océan indien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

 

Mercredi 3 mai 2023

– M. Jean-Christophe Belliard, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire ;

– M. Joël Meyer, ancien ambassadeur de France au Mali (2018-2022) et en Mauritanie (2014-2018).

 

Jeudi 4 mai 2023

– M. Étienne Giros, président du conseil français des investisseurs en Afrique et de l’European Business Council for Africa and Mediterranean ;

– Mme Sandrine Sorieul, directrice générale du conseil français des investisseurs en Afrique ;

– M. Philippe Gautier, directeur général du MEDEF international ;

– Mme Alice Féray, chargée de projet au sein du pôle financements internationaux au MEDEF international ;

– M. Nicolas Guillaume, chargé de projet Afrique subsaharienne au MEDEF international ;

– M. Gautier Vassas, chargé de projet Afrique subsaharienne au MEDEF international ;

– M. Antoine Glaser, journaliste.

 

Mardi 9 mai 2023

– M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement ;

– M. Philippe Baumel, responsable du secrétariat des instances en charge des relations avec les administrateurs et le Parlement à l’Agence française de développement ;

– M. Christian Yoka, directeur du département Afrique de l’Agence française de développement.

 

Mercredi 10 mai 2023

– M. Laurent Bigot, ancien sous-directeur pour l’Afrique de l’Ouest (2008‑2013) au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. 

 

Jeudi 11 mai 2023

– M. Pierre Boilley, historien spécialiste de l’Afrique et du Sahel ;

– M. Charles Grémont, historien et membre associé à l’institut des mondes africains ;

– M. Rémi Maréchaux, ambassadeur de France en Éthiopie, délégué permanent de la France auprès de l’Union africaine.

 

Jeudi 25 mai 2023

– Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde ;

– M. Thomas Legrand-Hedel, directeur de la communication, des relations institutionnelles et de la RSE chez France Médias Monde ;

– Mme Cécile Mégie, directrice des stratégies et des coopérations éditoriales transverses chez France Médias Monde ;

– M. Jonathan Guiffard, expert en relations internationales et questions stratégiques, senior fellow à l’institut Montaigne.

 

Jeudi 1er juin 2023

– M. Alain Antil, chercheur et directeur du centre Afrique subsaharienne de l’institut français des relations internationales ;

– M. Maxime Audinet, chercheur spécialisé sur les stratégies d’influence et de la Russie à l’institut de recherche stratégique de l’École militaire.

 

Mardi 6 juin 2023

– M. Seidik Abba, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal Jeune Afrique ;

– Mme Niagalé Bagayoko, chercheuse, présidente de l’African security secteur network.

 

Jeudi 8 juin 2023

– M. Alain Juillet, ancien directeur général de la direction générale de la sécurité extérieure.

 

Jeudi 15 juin 2023

– Général Pascal Ianni, officier général « anticipation stratégique et orientations » à l’État-major des armées.

 

Jeudi 22 juin 2023

– Général Djibrill Yipènè Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso.

 

Jeudi 29 juin 2023

– M. Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères français.

 

Mercredi 13 septembre 2023

– M. Claudy Siar, chanteur, animateur, présentateur et journaliste.

 

Jeudi 14 septembre 2023

– M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération (1995-1997) ;

– M. Michel Roussin, ministre de la coopération (1993-1994) ;

– M. Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l’institut français des relations internationales.

 

 

 

Déplacement en Côte d’Ivoire du 16 septembre au 21 septembre 2023

– Colonel Patrick Vaglio, attaché de défense ;

– Visite du camp des Éléments français de Côte d’Ivoire en présence du Colonel Bruno Yver ;

– M. Jean-Christophe Belliard, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire et ses équipes.

– M. Adama Coulibaly, ministre de l’économie et des finances ;

– M. Ally Coulibaly, conseiller diplomatique du président, ancien ministre et ancien ambassadeur ;

– M. Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire ;

– Mme Françoise Remarck, ministre de la culture et de la francophonie ;

– M. Françis Akindès, sociologue et professeur à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké ;

– M. Venance Konan, journaliste et écrivain ;

– M. Arthur Banga, représentant Afrique de l’Ouest de la fondation d’innovation pour la démocratie, M. Fred Eboko, membre du conseil de la fondation, M. Yodé Simplice Dion, philosophe et M. Eddie Guipi, politologue ;

– Réunion d’échange avec les représentants de la société civile ivoirienne : associations, artistes, jeunes entrepreneurs, militants et activistes ;

– M. Philippe Collin, consul général de France en Côte d’Ivoire et Mme Amélie Gayan, responsable du service visas du consulat de France, avec visite du service ;

– Représentants du secteur économique français (Club French Tech, Club Abidjan Ville Durable, Conseillers du commerce extérieur de la France, Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire) ;

– Visite de l’agence AFD et échange avec M. Adrien Haye, directeur pays et M. Lionel Yondo, directeur régional Golfe de Guinée, en présence des représentants pays d’Expertise France et de Proparco ;

– M. Stanislas Zézé, entrepreneur, fondateur de Bloomfield Investment Corporation ;

– M. Marc Alberola, directeur général du groupe Eranove et ancien président de la Chambre de commerce européenne en Côte d’Ivoire (Eurocham);

– M. Justin Katinan, vice-président Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire ;

– M. Robert Beugré Mambé, gouverneur du district autonome d’Abidjan ;

– Visite du service communication de l’ambassade.

 

Mercredi 28 septembre 2023

– Mmes Alexandra Jousset et Knesia Bolchakova, journalistes, réalisatrices du film « Wagner, l'armée de l'ombre de Poutine », prix Albert Londres ;

– M. Martial Ze Belinga, économiste et sociologue.

Jeudi 29 septembre 2023

– M. Emmanuel Dupuy, président de l’institut prospective et sécurité en Europe.

 

Mercredi 18 octobre 2023

– M. Achille Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université Witwatersrand (Afrique du Sud).

 

Jeudi 19 octobre 2023

– Mme Stéphanie Rivoal, secrétaire générale du sommet Afrique‑France 2020.


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   ANNEXE N°2 : Liste des acronymes et des abrÉviations utilisÉs dans le rapport

AFD : Agence française de développement

AQMI : Al-Qaïda au Maghreb islamique

ANC : Congrès national africain

ARCOM : Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

BOA : Base opérationnelle avancée

CEDEAO : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

CEEAC : Communauté économique des États de l’Afrique centrale

CEMA : Chef de l’État-major des armées

CEMP : Chef de l’État-major particulier du chef de l’État

CIAN : Conseil des investisseurs français en Afrique

CMA : Coordination des mouvements de l’Azawad

CPI : Cour pénale internationale

DCSD : Direction de la coopération de sécurité et de défense

DGSE : Direction générale de la sécurité extérieure

DTS : Droits de tirage spéciaux

EFAO : Éléments français d’assistance opérationnels

EFG : Éléments français du Gabon

EIGS : État islamique au Grand Sahara

ENA : École nationale d’administration

ENVR : École nationale à vocation régionale

EPIC : Établissement public à caractère industriel et commercial

ETI : Expert technique international

ETPT : Équivalent temps plein annuel travaillé

FID : Fonds d’innovation pour le développement

FLN : Front de libération nationale

FMM : France Médias Monde

FOSAC : Forum sur la coopération sino-africaine

FRELIMO : Front de libération du Mozambique

FSPI : Fonds de solidarité pour les projets innovants

GAT : Groupes armées terroristes

ICC : Industrie culturelle et créative

IDE : Investissement direct à l’étranger

JNIM : Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans

LGBT : Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres

LPM : Loi de programmation militaire

MPLA : Mouvement populaire de libération de l’Angola

MUJAO : Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

OHADA : Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires

OIF : Organisation internationale de la Francophonie

OMC : Organisation mondiale du commerce

ONG : Organisation non gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique nord

OUA : Organisation de l’unité africaine

PAIGC : Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert

PAM : Programme alimentaire mondial

PESD : Politique européenne de sécurité et de défense

PIB : Produit intérieur brut

PME : Petite et moyenne entreprise

PNB : Produit national brut

POC : Pôle opérationnel de coopération

PSDC : Politique de sécurité et de défense commune

RECAMP : Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix

REFRAM : Réseau francophone des régulateurs de médias

RGPP : Révision générale des politiques publiques

TPE : Très petite entreprise

UA : Union africaine

UE : Union européenne

UEMOA : Union économique et monétaire ouest‑africaine

URSS : Union des républiques soviétiques socialistes

ZAPU : Union du peuple africain du Zimbabwe


([1]) « L’Afrique est notre avenir », rapport d’information sénatorial de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, déposé le 29 octobre 2013.

([2]) « L’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe pour les 50 ans à venir », entretien avec Pascal Lamy, Le Point, 2 décembre 2021.

([3]) « It’s Africa’s Century—for Better or Worse », Adam Tooze, Foreign Policy, 13 mai 2022.

([4]) « Quelle stratégie française dans le golfe de Guinée ? », rapport d’information déjà mentionné.

([5]) Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad et Togo.

([6]) « Commerce bilatéral entre la France et les pays de l’UEMOA en 2021 », note de la direction générale du Trésor, mars 2022.

([7]) Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, étude déjà citée.

([8]) « Or : les compagnies minières canadiennes à l’assaut de l’Afrique de l’Ouest », Jeune Afrique, 7 janvier 2019.

([9]) L’économie africaine 2023, Agence française de développement, La Découverte, janvier 2023.

([10])  « En Afrique, il faut réarmer la pensée », Achille Mbembe, Le Monde, samedi 5 août 2023.

([11]) Le sentiment anti-français en Afrique », Antoine Pouillieute, revue défense nationale, n° 860, 14-19, mai 2023.

([12])  « En Afrique, il faut réarmer la pensée », article déjà mentionné.

([13]) Voir à ce sujet « Coup d’État au Niger : le grand gâchis », Jean-Pierre Olivier de Sardan, Jeune Afrique, 29 juillet 2023.

([14]) L’Afrique, le prochain califat ? La spectaculaire expansion du djihadisme, Luis Martinez, Tallandier, 23 février 2023.  

([15]) L’Union africaine reconnaît, quant à elle, 55 États en incluant la République arabe sahraouie démocratique.

([16]) « Le Sénégal : la « voix » de l’Afrique dans la crise russo-ukrainienne », trois questions à Babacar Ndiaye, institut Montaigne, 21 juillet 2022.

([17]) « Un New Deal entre l’Europe et l’Afrique est-il possible ? », Achille Mbembe, groupe d’études géopolitiques, working papers, 2022, p. 1-8.

([18]) L’Agenda 2063 est un cadre stratégique défini par l’Union africaine pour la transformation socio‑économique du continent au cours des cinquante prochaines années. Il s’appuie sur les initiatives continentales passées et actuelles en faveur de la croissance et du développement durable et cherche à accélérer leur mise en œuvre.

([19]) « La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir », Michel Beuret et Serge Michel, Paris, Grasset, 2008.

([20]) « Les influences chinoises en Afrique. 1. Les outils politiques et diplomatiques « du grand pays en développement » », Jean-Pierre Cabestan, Élisa Domingues dos Santos, Zhao Alexandre Huang, Philippe Le Billion, Thierry Vircoulon, institut français des relations internationales, novembre 2021.

([21]) Institut français des relations internationales, article déjà mentionné.

([22]) La nouvelle route de la soie, terminologie parfois employée au pluriel, est un projet stratégique chinois visant à relier économiquement la Chine à l’Europe en intégrant les espaces d’Asie centrale par un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires.

([23]) Dans le Golfe de Guinée, 40 % du poisson pêché le serait de façon illégale par des navires russes et chinois, ce qui représente plus de 1,2 milliard d’euros de manque à gagner annuel pour les pays de la région. Cf ; « Quelle stratégie française dans le golfe de Guinée ? », rapport d’information n° 383 (2022-2023) de Bernard Fournier, François Bonneau et Gisèle Jourda, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, déposé le 1er mars 2023.

([24]) « The 53 countries supporting China’s crackdown on Hong Kong », Dave Lawler, Axios, 3 juillet 2020.

([25]) « Quelle présence chinoise en Afrique ? », Sixtine Hellouin de Cenival, institut d’études de géopolitique appliquée, 20 septembre 2022.

([26]) Le dessous des cartes, La Chinafrique, arte, 30 août 2018.

([27]) « Djibouti, révélations sur la très secrète base militaire chinoise qui inquiète les Occidentaux », Antoine Izambard, challenges, 20 octobre 2022.

([28]) « La Russie et l’Afrique : la stratégie du jeu de go », interview de Jean de Gliniasty, article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°67, « Quel avenir pour la Russie de Poutine ? », avril-mai 2022, et publié sur Areion24news, le 8 août 2022. La description proposée de la stratégie russe en Afrique s’appuie sur cet article éclairant.

([29]) Nouveau nom pris par le Swaziland en avril 2018.

([30]) L’opportunité d’utiliser le terme de « mercenaires » pour désigner les membres de la milice Wagner est discutée tant celle-ci est, en fait, liée au pouvoir russe.

([31]) « Le dispositif d’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone : un écosystème flexible et composite », Maxime Audinet et Kevin Limonier, Questions de communication, 41, 2022, 129-148.

([32]) « How the Wagner Group Is Aggravating the Jihadi Threat in the Sahel », Wassim Nasr, Combating Terrorism Center at West Point, novembre-décembre 2022, volume 15, issue 11.

([33]) « Un an de Wagner au Mali », All eyes on Wagner, novembre 2022.

([34]) « Les exagérations et manipulations de Giorgia Meloni, qui accuse la France d’exploiter certains pays d’Afrique avec le franc CFA », Gary Dagorn, Le Monde, 24 novembre 2022.

([35])  « Le discours de La Baule : anatomie d’un mythe », Francis Laloupo, Revue internationale et stratégique, vol. 126, no. 2, 2022, pp. 61-69.

([36]) « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Laurent Bansept et Elie Tenenbaum, institut français des relations internationales, mai 2022.

([37]) L’historien camerounais Jacob Tatsitsa voit, par exemple, dans cette initiative une tentative du président Emmanuel Macron de préserver les intérêts de la France en prenant les devants sur l’ouverture des archives relative à la guerre du Cameroun. « Cameroun : « La création d’une commission d’historiens est un stratagème pour contourner la reconnaissance des massacres coloniaux », Le Monde Afrique, Séverine Kodjo‑Grandvaux, le 3 août 2022. La désignation du chanteur camerounais Blick Bassy pour présider le volet artistique de la commission a, par ailleurs, été contestée par certains historiens camerounais : « Cameroun: la ‘‘commission mémoire’’sur le rôle de la France relance le débat sur l’enseignement de l’histoire », RFI, 28 février 2023.

([38]) Rapport d’information n° 1527 valant avis sur le projet de contrat d’objectifs et de performance de Campus France de Bruno Fuchs et Sabrina Sebaihi, 12 juillet 2023.

([39]) « Macron, la difficile ambition du chef de guerre politique en Afrique », tribune déjà mentionnée.

([40]) « Les deux politiques africaines du Président Macron - éléments d’un premier bilan », Michel Duclos, institut Montaigne, analyses du 3 juin 2021.

([41]) Le piège africain de Macron. Du continent à l’Hexagone, Antoine Glaser et Pascal Airault, Pluriel, 2023, p. 228.

([42]) Ibid.

([43]) Baromètre CIAN des leaders d’opinion en Afrique réalisé par IMMAR Research & Consultancy, troisième édition 2020-2021 : https://www.cian-afrique.org/media/2021/03/barometre_Africaleads2021_defweb.pdf

([44]) « Le sentiment anti-français en Afrique », Christian Bouquet, diplomatie n° 116, juillet-août 2022.

([45]) Citation issue de « Ce que l’homme noir apporte » (1939) reprise, en 1964, dans Liberté I.

([46]) « Le sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest, reflet de la confrontation autoritaire contre "l’Occident collectif"», Jonathan Guiffard, institut Montaigne, analyses du 4 janvier 2023.

([47]) « La France et l’Afrique : les clichés perdurent », Christian Bouquet, Outre-Terre, février 2017, n° 51, pp. 308-317.

([48]) Le franc dit « CFA » désigne en réalité trois monnaies distinctes régies par des accords de coopération monétaire avec trois zones monétaires africaines : l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA), la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) et l’Union des Comores.

([49]) La partie consacrée aux critiques adressées au franc CFA est empruntée à l’audition de M. Martial Ze Belinga, le mercredi 27 septembre 2023.

([50]) Les rapporteurs n’ont pas l’ambition de dresser un bilan exhaustif de l’opération Barkhane dans ce rapport, tant il y aurait à dire sur le sujet mais simplement de livrer quelques éléments d’analyse permettant de contextualiser la position de la France dans la zone sahélienne.

([51]) L’intervention de la France au Mali, dans le cadre de l’opération Serval, se fonde sur une demande d’aide formulée le 10 janvier 2013 par le président du Mali Dioncounda Traoré et adressée à la France et au Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que sur les dispositions de l’article 51 de la Charte des Nations Unies relatif au droit à la légitime défense.

([52]) L’Allemagne, la Belgique, le Bénin, le Canada, la Côte d’Ivoire, le Danemark, l’Estonie, la France, le Ghana, la Hongrie, l’Italie, la Lituanie, la Mauritanie, le Niger, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie, le Sénégal, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, le Tchad, le Togo, le Conseil européen, la Commission européenne, le Haut représentant de la coalition pour le Sahel et la Commission de l’Union africaine.

([53]) « Mali : la France acte son retrait avec la fin de l’opération militaire Barkhane », Cyril Bensimon, Philippe Ricard et Élise Vincent, Le Monde, 17 février 2022.

([54]) L’enjeu de ce rappel est aussi d’éviter que l’ambassadeur de France au Burkina Faso ne devienne « persona non grata » et ne soit remplacé par un chargé d’affaires, comme ce fut le cas au Mali.

([55]) Audition de M. Luc Hallade et Mme Laure Taillandier-Thomas, le jeudi 30 mars 2023.

([56]) Ibid., p. 105.

([57]) Ibid.

([58]https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/09/26/president-biden-announces-the-inaugural-members-of-the-presidents-advisory-council-on-african-diaspora-engagement-in-the-united-states/

([59]) « Le Conseil présidentiel pour l’Afrique, outil controversé du « soft power » d’Emmanuel Macron », Laurence Caramel, Le Monde, 29 novembre 2018.

([60]https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/02/15/afrique-un-nouveau-partenariat.

([61]) Antoine Glaser et Pascal Airault, ouvrage mentionné, p. 120-121.

([62]) Entrer en guerre au Mali : luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française, Grégory Daho, Florent Pouponneau, Johanna Siméant-Germanos (dir.), Rue d’Ulm, Paris, 2022, p. 98-99.

([63]) Entrer en guerre au Mali : luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française, ouvrage déjà mentionné, p. 40.

([64]) Entrer en guerre au Mali : luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française, ouvrage déjà mentionné, p. 113.

([65]) Youness Bousenna, article déjà cité.

([66]) Entretien avec le colonel Charles Michel déjà mentionné.

([67]) « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

([68]) Cette plaisanterie a été faite dans le cadre du discours du président Emmanuel Macron devant l’université de Ouagadougou, le 28 novembre 2017. Le président burkinabé quitte momentanément la salle de conférence et le président Emmanuel Macron ponctue cette sortie de la déclaration : « Il est parti réparer la climatisation ».

([69]) « Nouveau Sommet Afrique-France : la continuité masquée de la politique africaine d'Emmanuel Macron », Élisa Domingues dos Santos et Sina Schlimmmer, L’Afrique en questions, n° 61, 27 octobre 2021.

([70]) Le 27 novembre 2020, Achille Mbembe signe, dans Jeune Afrique, une tribune extrêmement critique sur la politique africaine d’Emmanuel Macron après la parution, dans le même journal, d’un long entretien du président français. Il lui reproche de faire passer ce qui est une « simple opération marketing » en une révision en profondeur des rapports franco-africains. Il dénonce, en particulier, l’absence d’imagination historique, de parole politique de poids et de concept, au profit d’une stratégie à visée lucrative.

([71]) Afrique du Sud, Angola, Kenya, République démocratique du Congo, Cameroun, Nigeria, Niger, Burkina Faso, Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal et Tunisie.

([72]) « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas », Paul Hermelin, avril 2023.

([73])  «Patrimoine partagé, : universalité, restitutions et  circulation des œuvres d’art. Vers une législation et une doctrine françaises sur les critères de « restituabilité » pour les biens culturels », Jean-Luc Martinez, avril 2023.

([74]) Les industries culturelles et créatives recouvrent les arts visuels, le spectacle vivant, la musique, le livre, le cinéma, les contenus audiovisuels, la création numérique, les musées et le patrimoine, l’architecture, le design, la mode, les métiers d’art et les médias.

([75]) Lorsque des diplomates américains sont nommés ambassadeurs en Afrique, c’est en France qu’ils viennent se former sur leur pays de destination.

([76]) « Quelle stratégie française dans le golfe de Guinée ? », rapport d’information déjà mentionné.

([77]) « Pour les armées françaises en Afrique, pas d’influence sans présence », Elie Tenenbaum, tribune, Le Monde, le 19 janvier 2023.

([78]) Pour plus d’informations sur la genèse et le déroulé de l’opération Barkhane, il est possible de se référer au rapport d’information n °4089 de François Dumas, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre pour la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, déposé le 14 avril 2021.

([79]) « Barkhane : échec, réussite ou bilan nuancé », Jonathan Guiffard, institut Montaigne, analyses du 17 mars 2023.

([80]) « Quels retours d’expérience du Sahel ? », entretien avec Charles Michel mené par Paul Mugnier, la revue géopolitique, 15 juin 2023.  

([81]) Aussi appelée la plateforme des mouvements d’autodéfense, il s’agit d’une alliance de groupes armés maliens pro-gouvernementaux qui se sont formés pendant la guerre du Mali.

([82]) Alliance de groupes touareg et nationalistes arabes du Nord du pays.

([83]) Audition par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale de M. Elie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l’institut français des relations internationales, le jeudi 13 avril 2023.

([84]) Le changement de nom de l’opération Serval en opération Barkhane aurait été décidé, en 2014, pour sauvegarder l’héritage jugé positif de Serval.

([85]) Une katiba désigne une unité, un bataillon ou un camp de combattants en Afrique du Nord ou dans le Sahel.

([86]) « Barkhane : échec, réussite ou bilan nuancé », article déjà mentionné.

([87]) Sur ce sujet voir : « Au Sahel, la difficile équation eau-terre-populations », Christian Bouquet, ID4D, publié le 26 novembre 2019 et mis à jour le 17 juin 2021.

([88]) « Afrique-France : neuf thèses sur la fin d’un cycle », Achille Mbembe, Le Grand Continent, 4 septembre 2023.

([89]) Entretien avec le colonel Charles Michel déjà mentionné.

([90]) « Prime française à la stabilité politique en Afrique plutôt qu’à la démocratie », Antoine Glaser, revue internationale et stratégique, vol. 126, no. 2, 2022, pp. 71-78.

([91]) « Le voyage d’Emmanuel Macron en Afrique centrale : retour sur un exercice diplomatique difficile », Lise Lesigne et Alain Antil (dir.), Briefings de l’institut français des relations internationales, 10 mai 2023.

([92]) Cette partie s’appuie sur le travail très complet de Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, « Après Barkhane

Repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », institut français des relations internationales, mai 2022.

([93]) « Quelle contribution militaire à la stratégie d’influence de la France ? », Bertrand Debray, revue défense nationale, 2022/HS3.

([94]) Avis budgétaire « Action extérieure de l’État » présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273), déposé le 19 octobre 2022.

([95]) « Comparaison des politiques française, allemande et britannique d’aide publique au développement », rapport de la Cour des comptes, avril 2023.

([96]) Le programme de développement national 2021-2025, élaboré par les autorités ivoiriennes, prévoit un investissement global d’environ 90 milliards d’euros et se fixe pour objectifs l’accélération de la transformation structurelle de l’économie, le renforcement de l’inclusion sociale, le doublement du PIB par habitant et l’accès de la Côte d’Ivoire au rang des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure à l’horizon 2030.

([97]) Ce développement sur l’historique du ministère est emprunté au rapport sénatorial d’information n° 46, « La réforme de la coopération à l'épreuve des réalités, un premier bilan 1998-2001 » de Guy Penne, Paulette Brisepierre et André Dulait, déposé le 30 octobre 2001.

([98]) « Influence. Macron à la « reconquête » de l’Afrique : ‘‘ La francophonie est la langue du panafricanisme’’ », courrier international, 21 novembre 2022.

([99]) « No, Mr. Macron! French isn’t the Universal African Language of Pan-Africanism », The African Exponent, 1er novembre 2022.

([100]) « La francophonie selon Macron », Hugo Sada, in « Macron, an I. Quelle politique étrangère », études de l’institut français des relations internationales, avril 2018.

([101]) L’Alliance pour le patronat francophone autour du Medef, le Groupement du patronat francophone et le Forum francophone des affaires.

([102]) « La francophonie, une réalité oubliée, par Abdou Diouf », tribune, Le Monde, 19 mars 2007.

([103]) Discours du président Ahmed Sekou Touré : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté que la richesse dans l’esclavage ». Discours du 25 août 1958 à Conakry

([104]) L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Migration Policy Institute définissent les diasporas comme « les émigrants et leur descendance qui vivent hors de leur pays natal ou du pays de leurs parents, sur une base temporaire ou permanente, tout en conservant des liens affectifs et matériels avec leur pays d’origine ». Si l’on se réfère au nombre d’immigrés (6,22 millions) et de leurs enfants (7,48 millions), les diasporas représentent potentiellement 20 % de la population française.

([105]) Antoine Glaser et Pascal Airault, ouvrage mentionné, p. 227.

([106]) « L’Afrique ne souhaite plus un tête-à-tête avec la France », Frédéric Lejeal, Le Point, 25 juin 2022.

([107]) Cette analyse s’appuie en grande part sur l’article de Serge Dupuis, « Le rapprochement France-Rwanda : droits de l’homme et intérêts nationaux », fondation Jean Jaurès, 15 février 2023.

([108]) Le conseiller Afrique du président de la République, Franck Paris, explique à ce titre que « notre rapport au Rwanda est un bon laboratoire de cette politique africaine que l’on cherche à nourrir ». Cité dans Le piège africain de Macron. Du continent à l’Hexagone, Antoine Glaser et Pascal Airault, Pluriel, 2023, p. 271.

([109]) C’est d’ailleurs à Louise Mushikiwabo que l’on doit, en 2011, la remarque selon laquelle « l’anglais est une langue avec laquelle on va plus loin que le français. Sinon, le français au Rwanda va nulle part ».

([110]) « Situational report Sudan », Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 27 septembre 2023.

([111]) « Maroc ou Liberia ? L’Africom en quête d’un siège africain », courrier international, 29 mars 2023.

([112]) « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, Focus stratégique, n° 109, institut français des relations internationales, mai 2022.

([113]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, jeudi 13 avril 2023. 

([114]) Ibid.

([115]) Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, article déjà mentionné.

([116]) « Du laboratoire au miroir : quand l’Afrique subsaharienne construit l’Europe stratégique », Bastien Nivet, politique africaine, 2012/3 (N° 127), p. 135-153.  

([117]) « L’Opération Artémis, un tournant pour la politique européenne de sécurité et de défense ? », Niagalé Bagayoko-Pénone, Afrique contemporaine, vol. 1, n° 209, 2004, p. 101-116.

([118]) « Les relations entre l’Europe et l’Afrique vues à travers le prisme franco-allemand », Alain Antil, Sina Schlimmer, Allemagne d’aujourd'hui, 2021/2 (N° 236), p. 129-142.

([119]) « S’allier pour durer : nouvel axiome de la stratégie française au Sahel », Ilan Garcia, revue défense nationale, vol. h-, no. HS2, 2022, pp. 88-95.