N° 1846
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 novembre 2023
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146-3, alinéa 8, du Règlement
PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques
sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 3650)
du 9 décembre 2020 sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. Christophe BLANCHET et KÉvin MAUVIEUX
Députés
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SOMMAIRE
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Pages
I. LA CONTREFAÇON : UN PHÉNOMÈNE ENDÉMIQUE QUI PROFITE DES NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION
1. La crise sanitaire a accéléré le développement du commerce en ligne et du fret express et postal
2. Les réseaux sociaux vecteurs de circulation de produits contrefaits
3. Des saisies douanières qui progressent mais ne peuvent suivre l’explosion du commerce en ligne
4. Des provenances bien identifiées
B. LES CONTREFACTEURS S’ADAPTENT AUX CONTRÔLES ET AU CONTEXTE INTERNATIONAL
C. CONTREFAÇON ET TRAFICS ILLICITES : LES CAS PARTICULIERS DU TABAC ET DES MÉDICAMENTS
1. Contrefaçon et contrebande : des trafics de tabacs multiformes
2. Une grande diversité de médicaments illicites source de dangers pour nos concitoyens
II. L’ADOPTION DE NOUVEAUX DISPOSITIFS POUR LUTTER CONTRE LA CONTREFAÇON
1. Les règlements européens sur les marchés et les services numériques
b. La responsabilisation des plateformes intermédiaires est renforcée par le règlement
i. La responsabilité des plateformes connaîtra encore d’importantes limites
ii. Pourtant, quelques dispositions joueront en faveur du consommateur des places de marché en ligne
iii. Les cas d’ambiguïté quant au vendeur ou au prestataire
iv. Les sanctions encourues par les plateformes
c. La surveillance du respect des obligations : le cas des grandes plateformes
d. Le recours à un code de conduite en cas de risque systémique de contrefaçon ?
2. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique
a. Des signaleurs de confiance à définir
b. Faciliter la défense des droits de propriété intellectuelle des entreprises
i. L’Arcom voit son rôle renforcé par le projet de loi SREN
ii. Élaborer des accords entre l’Arcom et les acteurs du commerce sur internet
3. D’autres actions européennes contribueront à mieux protéger la propriété intellectuelle
a. Le projet de réforme de l’union douanière de l’Union européenne
b. L’agenda de la Commission européenne pour la propriété intellectuelle
c. Le lancement attendu de longue date du brevet unitaire
d. La suppression de l’exemption de TVA pour les marchandises d’une valeur inférieure à 150 euros
B. DES DISPOSITIONS NATIONALES POUR MIEUX LUTTER CONTRE LA CONTREFAÇON
1. Le renforcement des outils et moyens des douanes
2. Une loi pour encadrer l’influence commerciale
3. Des mesures ciblées pour lutter contre les trafics de tabac et de médicaments
a. Le plan tabac 2023-2025 pour mieux lutter contre les trafics
b. Des avancées dans la lutte contre les médicaments illicites
III. D’AUTRES ACTIONS NATIONALES SONT NÉCESSAIRES POUR ÊTRE PLUS EFFICACE
A. MIEUX FORMER ET COMMUNIQUER SUR LA CONTREFAÇON
1. Former au droit de la propriété intellectuelle
b. Les enjeux de la formation à la propriété intellectuelle
2. Sensibiliser les consommateurs aux conséquences de la contrefaçon
B. AMÉLIORER LES PROCÉDURES ET L’EFFICACITÉ DE LA SANCTION
1. La faible réponse de la DGCCRF au phénomène de la contrefaçon
2. Faciliter l’action des titulaires de droits face à la vente de contrefaçon
a. L’institution d’une procédure administrative d’injonction et de déréférencement
b. Le blocage de sites connexes
3. Améliorer l’efficacité de la sanction des contrefacteurs et vendeurs de contrefaçon
a. Renforcer l’action de la police
ii. Les obstacles à la saisie du numéraire
iii. Créer une amende forfaitaire délictuelle à l’encontre de l’acheteur de produits contrefaits
b. Adapter l’organisation et l’action judiciaires pour traiter les affaires de contrefaçon
ii. L’organisation judiciaire pour le traitement des affaires de contrefaçon n’a pas évolué
iv. Faire tomber les sites miroirs reste aussi difficile
ANNEXE N° 1 : TABLEAU DE SUIVI DES PROPOSITIONS
ANNEXE N° 2 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
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En octobre 2018, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) avait inscrit à son programme de travail, à la demande des groupes La République en marche et UDI-Agir, une évaluation de la lutte contre la contrefaçon et décidé, sur le fondement de l’article L. 132‑5 du code des juridictions financières, de solliciter l’assistance de la Cour des comptes.
Les travaux de la Cour ont été présentés au CEC en mars 2020 par M. Christian Charpy, président de la première chambre, puis les rapporteurs MM. Christophe Blanchet (LaREM) et Pierre-Yves Bournazel (Agir ensemble) ont, à leur tour, conduit un cycle d’échanges avec les professionnels concernés dans le cadre de dix auditions, six tables rondes et de trois déplacements.
Le 9 décembre 2020, les rapporteurs ont présenté leurs conclusions et 18 propositions articulées autour de trois thématiques : le changement de regard sur la contrefaçon et la définition d’une stratégie nationale pour mieux coordonner les acteurs publics et privés, la révision de notre cadre législatif et le renforcement de notre réponse judiciaire, la nécessaire défense des créateurs, fabricants et la protection des consommateurs par l’Union européenne.
Depuis décembre 2020, la circulation de produits contrefaits a considérablement progressé, sur fond de développement exponentiel du commerce en ligne, favorisé par la crise sanitaire, tandis qu’un nouveau cadre législatif européen et national a vu le jour.
Lors de sa réunion du 21 mars 2023, le suivi de l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon a été inscrit à l’agenda d’un CEC renouvelé, et MM. Christophe Blanchet (Dem) et Kévin Mauvieux (RN) en ont été désignés rapporteurs.
Ils ont organisé quinze auditions et deux déplacements à la direction interrégionale des douanes de Paris-Aéroports à Roissy et au musée de la contrefaçon. De ce large tour d’horizon, il ressort que :
– les saisies douanières progressent mais peinent à suivre l’évolution des modes de commercialisation qui multiplient les canaux de diffusion de produits contrefaits (I) ;
– un nouveau cadre juridique européen impose des outils de régulation des plateformes d’achat en ligne et des réseaux sociaux tandis qu’une meilleure coordination des opérations policières, douanières et judiciaires se met en place ; de son côté, la France a récemment adapté les outils des douanes et régulé les métiers de l’influence commerciale (II) ;
– d’autres actions sont nécessaires pour lutter efficacement contre la contrefaçon ; elles ont trait à une meilleure formation et sensibilisation des citoyens, à une efficacité accrue des procédures et des sanctions ; enfin, à des actions internationales plus volontaristes (III).
En conclusion de leurs travaux, les rapporteurs formulent quinze nouvelles propositions pour remédier aux difficultés identifiées dans le présent rapport.
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I. LA CONTREFAÇON : UN PHÉNOMÈNE ENDÉMIQUE QUI PROFITE DES NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION
Depuis 2020, la fabrication et la vente de produits contrefaits se sont incontestablement développées et diversifiés, « boostées » par le développement du commerce en ligne et des réseaux sociaux.
Les rapporteurs l’ont, une fois encore, constaté lors de leur visite du musée de la contrefaçon ([1]), la vente de produits contrefaits ne saurait se réduire aux marques de luxe. Sont également concernés : les pièces mécaniques tels des plaquettes de frein ou des filtres à huile, le matériel de sport, tels des mousquetons ou des roues de vélo, ou les produits électroménagers. Par conséquent, au‑delà de l’atteinte portée au droit de la propriété intellectuelle, ces produits peuvent s’avérer dangereux pour leurs utilisateurs.
Ce phénomène menace également l’existence de nombreuses entreprises : ainsi, selon un très récent rapport de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et de l’OCDE, les PME victimes d’atteintes aux droits de la propriété intellectuelle ont 34 % moins de chances de survivre après cinq ans ([2]).
La vente de produits contrefaits revêt enfin différentes formes : celle qui consiste à proposer un article de marque à un prix dérisoire… le consommateur pourra alors difficilement soutenir qu’il ignorait acheter une contrefaçon, mais aussi celle qui s’approche du prix du produit original, conduisant le consommateur à acquérir, sans le savoir, un produit « bas de gamme » et dangereux au prix fort, avec, à la clef, un bénéfice maximum pour le contrefacteur.
A. LA CONTREFAÇON « BOOSTÉE » PAR L’ESSOR DU E-COMMERCE VIA LES PLACES DE MARCHÉ ET LES RÉSEAUX SOCIAUX
Le rapport de 2020 constatait déjà un phénomène massif : quelque 6 % des importations annuelles de l’Union européenne, soit 121 Mds€, étaient constituées de produits contrefaits. Les données de l’EUIPO pour 2021 confirment cette proportion, dans un contexte de fort accroissement du e-commerce… et de manque de moyens de contrôle à tous les niveaux. Ainsi, selon cet organisme ([3]), 40 % des PME indiquent ne pas surveiller leurs marchés pour déceler des atteintes à leurs droits ou ne s’appuyer que sur des retours d’information de clients ou partenaires commerciaux ; quant aux services de l’État, leurs effectifs contraints ne permettent pas, malgré leurs efforts, de contrôler et de sanctionner comme il devrait l’être, le flux continu de produits contrefaits déversé sur notre sol.
1. La crise sanitaire a accéléré le développement du commerce en ligne et du fret express et postal
Alors que dans les pays de l’OCDE, 38 % des personnes avaient acheté des produits en ligne en 2010, près de 60 % l’avaient fait en 2018. 2020, marquée par la crise sanitaire, a vu les ventes en ligne augmenter de 20 % par rapport à 2019 : la part des ventes au détail effectuées en ligne est passée de 16 à 20 % et cette tendance se confirme.
En 2019, 39 millions de Français avaient utilisé internet pour faire des achats en ligne ; selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), entendue par les rapporteurs ([4]), le e-commerce est aujourd’hui utilisé par 45 millions de Français – de 1 à 5 millions d’entre eux se connectent tous les jours sur les grands sites internet et 75 % des Français ont consulté un des grands sites du « top 20 » au cours du mois de mai 2023. Ce mode de consommation représentait, en 2022, 147 Mds€ de chiffre d’affaires (+ 14 % par rapport à l’année précédente), soit l’équivalent du chiffre d’affaires de l’automobile ou du bâtiment, la moitié étant constituée de services, l’autre moitié de produits. Les ventes de produits en ligne ont reculé de 7 % par rapport à 2021, mais ont augmenté de 33 % par rapport à 2019.
En 2022, 2,3 milliards de transactions ont été réalisées en ligne (produits et services), avec un panier moyen de 65 euros, en augmentation de 6,9 % par rapport à 2021.
Toujours selon la FEVAD, le développement des sites de vente en ligne en France s’est poursuivi en 2022, avec plus de 10 000 nouveaux sites actifs pour atteindre plus de 200 000 sites marchands actifs à la fin de l’année 2022. Le volume des ventes via les places de marché en ligne – les marketplaces – a crû de 30 % par rapport à 2019 ; elles représentent aujourd’hui 15 à 20 % de l’activité du e‑commerce de produits, les ventes en ligne des magasins enseignes progressant de 35 % sur la même période. Enfin, près de la moitié des transactions sont effectuées via un smartphone, ce qui facilite les achats « d’impulsion ».
Il ne faut naturellement pas associer ventes en ligne et contrefaçon ; en effet, plus de la moitié du chiffre d’affaires du e-commerce de produits est réalisé par de grandes enseignes telles que la Fnac, Leroy Merlin, Carrefour… Par ailleurs, les marketplaces permettent l’accès de beaucoup de PME à internet avec une audience très importante. Enfin, relève la FEVAD, la France est le pays où les acteurs locaux ont le plus de poids : dans le « top 20 » du e-commerce en France, 70 % sont des acteurs français.
Toutefois, le rapport de 2020 relevait que le e-commerce était un important vecteur de circulation de produits contrefaits, constat qui ne fait que s’aggraver avec le développement de ce mode de consommation. L’étude d’impact du projet de loi visant à donner aux douanes les moyens de faire face aux nouvelles menaces relevait ainsi que la fraude était grandement facilitée par les spécificités du commerce en ligne : anonymat, sentiment d’impunité, volatilité des sites et morcellement des envois.
Selon le bilan 2022 de la direction interrégionale des douanes de Paris‑Aéroports, le nombre de déclarations a connu un développement spectaculaire : 77 millions de déclarations en 2022 contre 47 millions en 2021, soit une hausse de 64 %. 92 % de ces déclarations (soit plus de 70 millions) concernent des colis d’une valeur inférieure à 150 euros.
2. Les réseaux sociaux vecteurs de circulation de produits contrefaits
La vente de produits contrefaits profite de l’engouement croissant pour le commerce en ligne, lequel s’appuie également sur les réseaux sociaux. 90 % des jeunes nés entre 1997 et 2010 – dite Génération Z – achètent en ligne et réalisent ainsi plus de la moitié de leurs achats habituels ; ce public est également friand des contenus diffusés par les influenceurs.
Or, d’après l’édition 2022 du tableau de bord sur la propriété intellectuelle et les jeunes publiée par l’EUIPO ([5]), 37 % des jeunes Européens de 15‑24 ans ont délibérément acheté au moins un produit de contrefaçon ou téléchargé des contenus illégaux au cours des 12 derniers mois, le prix et la disponibilité restant les principaux facteurs d’achat de contrefaçon et de piratage numérique.
Les réseaux sociaux, rappelait le rapport de 2020, sont utilisés comme support de publicités ciblées qui renvoient vers des sites de vente en ligne, offrant ainsi facilement à la vente de produits contrefaits, visibilité et anonymat ; certains contenus publiés de manière éphémère (stories, live) rendent en outre très difficile de prouver la fraude. Sont ainsi présentés, sous leur meilleur jour mais de façon peu détaillée, des produits à des prix attractifs pouvant conduire les consommateurs, de bonne ou de mauvaise foi, à acheter des contrefaçons. Au‑delà des produits de marque, sont ainsi promus des produits cosmétiques potentiellement dangereux, des médicaments falsifiés ou contrefaits ou encore des tabacs. Cette question prégnante avait conduit les rapporteurs à intégrer les réseaux sociaux dans 6 de leurs 18 propositions.
Dans ce contexte, vos rapporteurs ont souhaité entendre des représentants des principaux réseaux sociaux. Meta (Facebook et Instagram), Twitter (X) et TikTok ont indiqué avoir pris conscience du danger et progressé, notamment en instaurant des canaux de signalement ou en développant des outils basés sur l’intelligence artificielle, des banques d’images et de mots clés, permettant de détecter et de retirer les produits contrefaits avant qu’ils ne soient signalés.
Le représentant de Meta a ainsi précisé que l’intelligence artificielle permettait d’importantes avancées en matière de reconnaissance d’images : il y a trois ans, si la photo n’était pas identique à celle du produit authentique, il était impossible de repérer une contrefaçon ; aujourd’hui, si une photo est retouchée, tronquée… il est possible de la détecter. Des équipes de recherche travaillent à l’amélioration de ces outils, souvent en open source, permettant ainsi leur utilisation par de plus petites plateformes.
Grands utilisateurs des réseaux sociaux, les influenceurs sont estimés à 150 000 en France et génèrent plus de 40 milliards de vues mensuelles ; 40 % des suiveurs ont entre 15 et 24 ans, 25 % entre 25 et 34 ans. Selon Médiamétrie, un internaute sur quatre suit au moins un influenceur. Or, en janvier dernier, une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) indiquait que, sur la soixantaine d’influenceurs ciblés depuis 2021, 6 sur 10 ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs.
Entendue par les rapporteurs, la présidente de la nouvelle Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (UMICC) a toutefois souligné que l’approche d’influenceurs par des vendeurs de contrefaçons était très aisément détectable en raison, par exemple, d’absence de mentions légales ou de lien vers la marque, de fausses adresses, d’envoi de mails types, de recours à de faux comptes d’influenceurs renommés… Les agents d’influenceurs mettent donc régulièrement en garde leurs créateurs de contenu sur ce type de démarches frauduleuses. En outre, a‑t‑elle souligné, les influenceurs ont construit leur notoriété sur une relation de confiance avec leur public et ceux qui se livreraient à de telles pratiques perdraient aussitôt leur crédibilité auprès des marques, de leurs suiveurs et donc leur activité.
Pour autant, nombre d’influenceurs – en particulier des « micro‑influenceurs » – ne sont pas accompagnés par des agences à même de leur insuffler les bonnes pratiques et, faute de moyens, les contrôles de la DGCCRF (en charge de la conformité et de la sécurité des produits) restent dérisoires au regard du nombre d’influenceurs et de vues recensés, comme le montrent les données publiées avant l’adoption, cette année, de la loi dédiée :
Source : Rapport fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux – Amel Gacquerre – 3 mai 2023.
Quel que soit le vecteur de commercialisation des produits contrefaits, les représentants de marques entendus par les rapporteurs ont, pour leur part, déploré le flux ininterrompu de contrefaçons proposé sur les réseaux sociaux et les places de marché ainsi que les difficultés auxquelles ils sont confrontés pour obtenir leur retrait.
Ainsi, le plus souvent, les adresses d’expédition n’existent pas (très peu de plateformes de marketplace demandent aux vendeurs de s’identifier) et, malgré des multirécidives, les vendeurs de produits illicites sont toujours présents sur les plateformes. Les titulaires de droits se heurtent à des questions d’extraterritorialité – il est par exemple très difficile d’agir sur un influenceur basé à Dubaï. Le tribunal de Bobigny, auquel échoient la plupart des affaires de contrefaçon de la région parisienne, est saturé et peut difficilement traiter ce type de plaintes ; la charge de la preuve repose sur le titulaire de droits qui doit remplir avec précision les notices de signalement des plateformes, exercice laborieux et chronophage car chaque plateforme a une procédure différente, avec le risque permanent de voir sa demande rejetée si une précision manque.
Le Digital Services Act et sa traduction dans la législation française arrivent donc opportunément. Il y a urgence quand on sait que les réseaux sociaux commencent à intégrer le e-commerce directement sur leur application. Ainsi, TikTok vient d’inaugurer, aux États-Unis, un nouvel onglet « shop » ([6]) qui permettrait d’accéder directement à près de 200 000 marchands partenaires dont 90 % basés en Chine. Quant à Amazon, elle permet aux influenceurs américains d’y faire de la promotion de produits.
3. Des saisies douanières qui progressent mais ne peuvent suivre l’explosion du commerce en ligne
L’avalanche des flux de fret express et postal réduit les services de contrôle, malgré des efforts considérables et des effectifs limités, à « vider la mer à la petite cuiller ».
Le volume d’articles de contrefaçon retenus dans l’UE s’élevait à environ 86 millions d’articles en 2021 soit une augmentation de près de 31 % par rapport à 2020 (66 millions d’articles). La valeur estimée des articles contrefaits retenus s’élevait à plus de 1,9 Md€.
L’Italie, la France, les Pays-Bas, l’Espagne et la Hongrie figurent parmi les pays européens les plus touchés en termes de nombre d’articles et de valeur estimée. Les biens saisis sont très divers. À titre d’exemple, en 2022, l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) a contribué à la saisie de 400 000 bouteilles de vin, 20 000 jouets, 40 000 médicaments et 36 000 pièces de roulement contrefaits susceptibles d’être à l’origine d’accidents graves.
En France, selon le bilan des douanes pour 2022, 11,5 millions d’articles contrefaits ont été retirés du marché en 2022 contre 9,1 millions en 2021 et 5,6 millions en 2020, soit un doublement en deux ans.
En 2019, les articles ayant concentré les saisies les plus importantes étaient : les produits de soins corporels (986 000), les vêtements (523 000), les jeux, jouets, articles de sport (390 000), les téléphones mobiles (317 000) et les chaussures (212 000).
En 2022, les données publiées par les douanes font état d’une progression nette dans certaines catégories… qu’il faut néanmoins rapporter au ciblage des contrôles ; ainsi, entre décembre 2020 et septembre 2022, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) a coordonné une très importante opération européenne contre la contrefaçon en ligne de jouets qui a permis de saisir ou de bloquer plus de 16 millions d’objets dont la majorité venait de Chine et était proposée à la vente par des fournisseurs chinois pour la plupart sans existence légale.
Les saisies se poursuivent à un rythme soutenu en 2023 ; ainsi, en septembre dernier, à la suite d’un renseignement transmis par les douaniers de Marseille, les douaniers de la Réunion ont saisi plus de 640 000 contrefaçons de produits alimentaires dissimulés dans un container en provenance de Chine et destiné à Madagascar. À elle seule, cette saisie dépasse le nombre de produits alimentaires et boissons contrefaits saisis par les douanes en 2022.
En mai dernier, les douaniers de Fos Port-Saint-Louis-du-Rhône ont saisi près de 900 000 produits de contrefaçons – dont 400 000 étiquettes et logos – dissimulés dans trois containers en provenance de Chine. 54 marques d’articles de luxe et automobiles étaient concernées pour des produits authentiques d’une valeur de près de 170 M€.
Source : Bilan annuel de la douane 2022.
La direction interrégionale des douanes de Paris-Aéroports (DIPA)
et le bureau de contrôle Roissy Banale
En juin dernier, vos rapporteurs se sont rendus à Roissy, à la direction interrégionale des douanes de Paris-Aéroports (DIPA) compétente pour Roissy, Orly et Le Bourget. Après un échange avec ses responsables et collaborateurs, ils ont visité le bureau Roissy Banale chargé du contrôle fret express et cargo et ont pu constater l’ampleur des défis que doivent relever les services des douanes.
La DIPA dispose de 1 619 emplois à temps plein répartis dans 3 directions régionales et de 13 équipes maître-chien. En 2022, dans un contexte d’explosion du commerce en ligne, les services de cette direction ont ainsi enregistré 77 millions de déclarations – contre 47 millions en 2021 – dont l’essentiel concerne des envois de faible valeur, et saisi 1,3 million de marchandises contrefaites (soit 11 % des saisies nationales) pour une valeur de 43 M€. Le fret, et en particulier le fret express, est le principal vecteur de circulation de biens contrefaits (97 % du nombre d’articles saisis) depuis la progression exponentielle du commerce en ligne.
Pour s’adapter à ces flux, un nouveau bureau de contrôle a été créé fin 2022 pour traiter les flux de DHL ; et, cette année, a été effectuée la refonte de l’outil de dédouanement DELTA permettant de prendre en compte les données des colis postaux et ceux de faible valeur. Un nouvel outil permettra également d’intégrer les critères de sécurité et de sûreté des 27 États membres.
Dans le cadre d’un partenariat avec l’Unifab, 41 agents de la DIPA ont été formés pour mieux lutter contre la contrefaçon et des échanges ont été organisés avec le parquet de Bobigny sur les problématiques anti-contrefaçon.
Le bureau de contrôle Roissy Banale est constitué de 24 agents (dont 5 inspecteurs, 10 contrôleurs et 7 agents de constatation) qui contrôlent, de 8 h à 20 h, six jours sur sept, une cinquantaine d’opérateurs répartis sur six entrepôts aéroportuaires et une zone d’activité proche de Roissy, ce qui représente plus de 13 millions de déclarations en 2022.
En 2022, à l’appui d’un téléservice de dédouanement en ligne, 14 000 déclarations de dédouanement d’importation et plus de 38 000 déclarations d’export y ont été traitées au titre du fret traditionnel ; au titre du fret express de plus de 150 euros, plus de 5,5 millions de déclarations ont été traitées (contre 3,6 millions en 2020, progression imputable à l’export).
Le dispositif de fret express dédié aux valeurs déclarées de moins de 150 euros a pour sa part enregistré plus de 8 millions de déclarations en 2022, l’entrée en vigueur de la taxation au premier euro ayant engendré une augmentation importante du flux de déclarations. À lui seul, le nouvel opérateur Clear Express, du groupe chinois YunExpress, est à l’origine de 2,5 millions de marchandises en décembre 2022.
En 2022, au titre du fret express, le bureau Banale a réalisé plus de 24 000 contrôles (dont plus de 15 000 au titre du dédouanement centralisé national). En outre, plus de 23 000 contrôles, prescrits par le bureau Banale, ont été réalisés par d’autres bureaux.
Près de 1 000 dossiers contentieux ont concerné la contrefaçon en 2022 (près de 300 000 articles saisis).
4. Des provenances bien identifiées
Comme en 2020, le dernier rapport publié par la Commission européenne et l’EUIPO ([7]) désigne la Chine comme premier pays de provenance des articles portant atteinte aux droits de la propriété intellectuelle arrivant dans l’Union européenne, suivie de la Turquie et de Hong Kong.
Une étude récente de l’EUIPO et de l’OCDE sur le commerce de produits contrefaits dangereux indique par exemple que la plupart des contrefaçons dangereuses importées en Europe (produits de parfumerie et cosmétiques, vêtements, les jouets et jeux, pièces détachées automobiles, produits pharmaceutiques) proviennent de Chine (55 % des saisies douanières mondiales), de Hong Kong (19 %) et de Turquie (9 %). 37 % des saisies mondiales de marchandises dangereuses étaient destinées aux États-Unis ; l’Allemagne (21 %) et la Belgique (9 %) étant les pays européens les plus ciblés par la contrefaçon de faux dangereux ([8]).
Des travaux plus récents ([9]) confirment la place prépondérante des contrefaçons chinoises qui représentent 85 % des saisies liées aux ventes en ligne et 51 % des saisies mondiales de ventes hors ligne de produits portant atteinte à la propriété intellectuelle des PME.
La part de saisies de biens contrefaits dans l’UE en provenance de Turquie progresse, situation que les douanes constatent sur le terrain car ce pays combine fabrication et transit avec des points d’entrée des marchandises tel le port de Sète (où les arrivées se font par les remorques de camions chargées sur les bateaux).
Les constats réalisés en 2022 par la direction interrégionale des douanes de Paris‑Aéroports (DIPA) compétente pour Roissy, Orly et Le Bourget placent la Chine comme première provenance des articles saisis (51 % soit 651 000 articles), suivie de Hong Kong (19 % soit 246 000 articles).
Outre les indispensables renforcements des contrôles à l’échelle européenne, ces flux exigent une véritable prise de conscience de l’enjeu de la protection. Tel était le message du directeur de l’action économique de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) entendu par vos rapporteurs qui relevait que dans l’Union européenne, seuls 47 % des brevets sont déposés par des Européens ; or, en Chine, en Corée et au Japon, plus de 90 % des dépôts sont réalisés par des nationaux. Il y a donc une obligation à se protéger, en premier lieu, par des dépôts de brevets.
B. LES CONTREFACTEURS S’ADAPTENT AUX CONTRÔLES ET AU CONTEXTE INTERNATIONAL
Les interlocuteurs de vos rapporteurs ont constaté plusieurs évolutions des trafics :
– Le profil des contrefacteurs se diversifie : ainsi, la criminalité organisée s’intéresse de plus en plus à la contrefaçon et des organisations se livrant à des trafics de tabac ou de stupéfiants évoluent vers la vente très lucrative et peu sanctionnée de produits contrefaits. De même, émergent des profils qui n’ont pas de passé de délinquants et commencent à vendre quelques produits contrefaits puis deviennent des autoentrepreneurs du trafic voire abandonnent leur activité professionnelle pour se lancer à plein temps dans la vente de contrefaçons ; ces personnes n’ont, initialement, pas toujours le sentiment de se livrer à une activité pénalement sanctionnée… ce qui justifie un renforcement de l’information, prôné par le rapport de 2020.
– La nature des flux évolue : alors que les contrefaçons étaient constituées de produits finis majoritairement venus de Chine et d’Asie du Sud-Est, des ateliers d’assemblage et de fabrication s’installent sur le territoire européen ou national, confirmant ainsi un phénomène déjà constaté en 2020. Le renforcement du contrôle de la propriété intellectuelle dans certains pays comme les tensions internationales favorisent également le déplacement des lieux de production.
Ainsi, des organisations de la région parisienne tournées vers les stupéfiants font venir de Pologne des flacons de parfum, des étiquettes puis, d’après des formules chimiques collectées par d’autres biais, réalisent des assemblages. Revendus sur les marchés, ces produits potentiellement dangereux représentent un trafic très lucratif.
Lors de leur visite du bureau des douanes de Roissy Banale en juin dernier, vos rapporteurs ont constaté l’interception de plus de 600 000 étiquettes contrefaisantes d’une grande marque de sport sur un flux de transbordement en provenance de Hong Kong et à destination de l’Algérie, elles avaient très certainement vocation à être assemblées sur des pièces de textile dans des ateliers clandestins du Maghreb. Or, ces envois fragmentés rendent très difficile la remontée de la filière et exigent de s’appuyer sur un large spectre d’enquêtes.
Ainsi, il y a quelques années, plusieurs pays européens ont démantelé un réseau d’importation de shampoings contrefaits : les bouteilles en plastique venaient via Hong Kong, Singapour et l’Allemagne, les étiquettes arrivaient de Chine via Dubaï et la Pologne, les produits chimiques arrivaient dans d’autres États puis étaient assemblés dans des usines européennes. À l’origine des recherches, la société titulaire de droits ne comprenait pas pour quelle raison elle vendait moins en Europe et les recherches ont permis d’interpeller des personnes en raison du rejet dans la nature de résidus de production. On mesure bien ici la nécessité d’une coopération avec les titulaires de droits d’une part, et, d’autre part, le nécessaire travail d’enquête, parfois très vaste, pour identifier les fraudes, anticiper et agir.
– Des techniques de commercialisation facilitent la dissimulation : des interlocuteurs des rapporteurs ont souligné le lien fréquent entre le dropshipping et la vente de contrefaçon ; cette technique de livraison directe dans le cadre d’une vente en ligne consiste, pour le vendeur, à ne se charger que de la commercialisation et de la vente des produits, le fournisseur expédiant directement la marchandise au consommateur. Ce procédé, qui évite les stocks et les investissements logistiques, permet aux vendeurs de contrefaçon de faire disparaître toute trace de leurs méfaits ; ils peuvent aussi se reconstituer rapidement car les logiciels de dropshipping sont très accessibles. De même, pour échapper aux notifications réalisées par les marques, les vendeurs de contrefaçons n’utilisent plus leurs mots clés, modifient les libellés, tronquent ou « floutent » les photos des produits proposés, empêchant ainsi les titulaires de faire valoir leurs droits.
– Les modes de livraison saturent les contrôles : l’envoi de contrefaçons par containers tend à être remplacé par un déferlement de petits colis dont l’adresse d’expédition est souvent inconnue tandis que les contrefacteurs sous‑estiment volontairement la valeur du bien envoyé voire le qualifient d’échantillon. Le constat réalisé en 2020 reste ainsi d’actualité : la tactique des faussaires consiste en outre à diviser les risques et, comme pour les stupéfiants, à saturer les capacités de contrôle. Les opérations de dédouanement s’exercent aussi sous pression de la concurrence des autres pays européens – les douanes doivent être compétitives – et avec le souci de ne pas perturber la chaîne logistique, les délais pouvant altérer la qualité de la marchandise ou compromettre les clauses contractuelles entre le fournisseur et son client.
Ces évolutions et les flux considérables de marchandises proposées en ligne contraignent les entreprises, dans la mesure de leurs moyens, à effectuer des veilles chronophages et sans fin pour signaler les produits contrefaits. Une enquête réalisée par l’Unifab auprès de 25 entreprises membres a ainsi montré qu’au cours de la seule année 2021, celles-ci ont obtenu le déréférencement de quelque 32 millions d’annonces.
C. CONTREFAÇON ET TRAFICS ILLICITES : LES CAS PARTICULIERS DU TABAC ET DES MÉDICAMENTS
1. Contrefaçon et contrebande : des trafics de tabacs multiformes
Depuis 2020, les trafics de tabac illicites n’ont cessé de progresser : en 2020, les services douaniers avaient saisi 284 tonnes de tabac, 402 tonnes en 2021 et près de 650 tonnes en 2022. Au cours des dix premiers mois de 2022, ils ont conduit quelque 75 000 missions dédiées à la lutte contre les trafics de tabac et réalisé près de 15 000 constatations d’infractions. En 2022, les agents de la direction interrégionale des douanes de Paris-Aéroports ont saisi près de 22 tonnes de tabac sur des voyageurs de Roissy et Orly dans le cadre de 3 700 constatations soit un quart du volume national. À titre d’exemple, près de 5 500 cartouches de cigarettes ont été saisies le 11 septembre 2022 par les agents des douanes d’Orly.
L’été dernier, dans le cadre d’une enquête menée par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), les contrôles opérés par la brigade des douanes d’Arras ont permis la saisie de près de 37 tonnes de cigarettes contrefaisantes (35 000 cigarettes) pour une valeur de plus de 17 M€.
Les services de police interviennent également dans ce domaine : ainsi, le préfet de police de l’agglomération parisienne et le directeur interrégional des douanes de Paris-Aéroports ont signé une convention avec des débitants de tabacs pour mieux lutter contre la vente illicite de tabac. Dans ce cadre, une opération de police intervenue mi‑juin dans le 18e arrondissement concernant un trafic avec des points de vente Porte de la Chapelle et à Barbès et des stockages dans les départements limitrophes a permis la saisie de 1 100 cartouches de cigarettes. Cette opération a également permis des saisies de véhicules de luxe et de l’appartement qui tenait lieu de local de stockage. Concomitamment, près de 2 000 cartouches ont été saisies à Aubervilliers, à la suite d’observations de la police municipale.
Peu de temps avant, la plainte déposée par un débitant de tabac de Neuilly‑sur‑Marne ayant vu ses ventes baisser, a permis de démanteler un trafic et de saisir un millier de cartouches.
Pour autant, les trafics illicites de tabac restent difficiles à évaluer et, jusqu’à présent, faute d’outils dédiés, la distinction entre le tabac de contrebande et de contrefaçon ne pouvait être établie.
En 2021, les députés Éric Woerth et Zivka Park ([10]) se sont penchés sur la consommation de tabac durant le confinement. Cette étude les a conduits à estimer que de 9 et 12 % des cigarettes manufacturées consommées sur le territoire ne provenaient pas du réseau des buralistes comme 29 à 32 % du tabac fine coupe à rouler. Dans les départements frontaliers, le marché parallèle représenterait près de 30 % des volumes de tabac consommés ; cette situation conduisant à de lourdes pertes de recettes pour l’État et les buralistes.
Entendu par les rapporteurs, le président de la Confédération des buralistes a, pour sa part, indiqué que les observations de terrain et les ventes de tabac réalisées durant la crise du Covid-19 permettaient d’estimer le marché parallèle jusqu’à 30 voire 35 % de la consommation, représenté pour moitié de contrebande d’importation (issue de pays moins fiscalisés), pour moitié de contrefaçon.
Les circuits de production ont évolué ; ainsi, des sites de production de cigarettes contrefaites ont vu le jour en France notamment en Seine‑et‑Marne, en Normandie et dans les Hauts-de-France, la Pologne restant le pays qui concentre le plus d’usines clandestines ; or, les circulations intracommunautaires sont plus difficiles à « tracer ». Désormais, des machines entrent en pièces détachées et des entrepôts de stockage abritent des lieux de fabrication.
La relative liberté de circulation du tabac dans l’UE rend les contrôles difficiles car la règlementation est différente d’un pays à l’autre (dans certains pays comme l’Espagne, un document d’accompagnement des marchandises est demandé, ce qui n’est pas le cas en France et dans la plupart des pays européens) ; des discussions communautaires se tiennent pour améliorer la lutte contre ces trafics et des travaux sont en cours pour mieux identifier les points de départ et d’arrivée des marchandises. La nature des marchandises permet aussi d’apprécier la fraude car les cigarettes contrefaites sont souvent fabriquées à partir de déchets de tabac.
Pour analyser les tabacs saisis et leur origine, les douanes s’appuient sur des laboratoires (notamment celui de Marseille qui fait référence à l’échelle européenne) dont les travaux alimentent une base de données spécifique. Le plan tabac 2023-2025, présenté en décembre 2022 par le ministre délégué chargé des comptes publics, prévoit de renforcer les outils d’analyse des tabacs saisis et la réalisation d’études toxicologiques, en coopération avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), afin de mieux identifier la dangerosité des produits et leur parcours.
Dans le même esprit, les douanes engagent un partenariat avec la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) et l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) pour améliorer la connaissance des produits du tabac issu des trafics.
2. Une grande diversité de médicaments illicites source de dangers pour nos concitoyens
Le rapport de 2020 l’avait souligné : la notion de médicaments illicites correspond à plusieurs types de falsifications :
Source : Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM).
Lors de leur visite du musée de la contrefaçon et de leurs échanges avec l’Unifab, vos rapporteurs ont pu mesurer la diversité des produits concernés par le trafic de médicaments contrefaits, falsifiés ou non autorisés.
Les médicaments non prescrits tels les médicaments traitant l’impuissance masculine, les psychotropes, les produits amaigrissants ou éclaircissants, et les stéroïdes prisés par les adeptes du culturisme suscitent un véritable engouement et représentent de vrais risques de santé publique.
En 2022, près de 280 000 médicaments contrefaits ont été interceptés contre 87 000 en 2021. Ainsi, en février 2022, la direction interrégionale des douanes de Paris-Aéroports, avec laquelle vos rapporteurs ont échangé à Roissy, a saisi plus de 35 000 médicaments (142 kg) en provenance de Madagascar lors du contrôle d’un passager.
En défendant des amendements sur le sujet dans le projet de loi visant à donner aux douanes de nouveaux moyens d’agir, votre rapporteur a souligné que les médicaments falsifiés pouvaient contenir de la mort-aux-rats, du ciment ou d’autres substances nocives, que le phénomène ne cessait de prendre de l’ampleur. Ces produits, qui transitaient par la France, s’y stabilisent désormais, des molécules en provenance de certains pays étant assemblées sur notre territoire.
La proposition n° 18 du rapport de 2020 demandait que soient régulièrement publiées des informations sur les falsifications de médicaments au sein de l’Union européenne afin de mieux évaluer l’efficacité des contrôles et sanctions en vigueur.
Sur ce point, il a été indiqué aux rapporteurs que le rapport prévu par l’article 3 de la directive du 8 juin 2011 relative aux médicaments falsifiés ([11]) sera soumis au Parlement européen et au Conseil début 2024. Ce document devrait comporter des informations et des données quantitatives sur l’évolution de la falsification des médicaments, les canaux de distribution, les États membres concernés, la nature des falsifications et les régions de provenance de ces produits. Il évaluera également l’efficacité des mesures prévues par la directive pour prévenir l’entrée des médicaments falsifiés dans la chaîne d’approvisionnement légale. Dans ce cadre, le ministère chargé de la santé ainsi que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont été auditionnés.
L’évolution des volumes et des circuits commerciaux utilisés par les fraudeurs depuis la crise sanitaire témoigne, s’il en était besoin, de leur inépuisable capacité à s’adapter à l’évolution des techniques de commercialisation pour échapper aux contrôles et aux poursuites. Pour autant, le e‑commerce représente entre 10 et 15 % du commerce en France mais atteint 20 % en Grande‑Bretagne et 50 % de la consommation intérieure aux États‑Unis, ce qui peut laisser penser à une tendance analogue sur notre sol d’ici quelques années, avec ses conséquences en termes de flux de colis.
Ce contexte de forte évolution des modes de consommation et de volatilité des contrefacteurs impose de rassembler régulièrement les données disponibles sur les flux de produits contrefaits pour adapter les réponses des différentes administrations intervenant dans la lutte contre la contrefaçon comme des titulaires de droits. Dans cet esprit, la proposition n° 5 du rapport de 2020 consistait à charger l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) de collecter l’ensemble des données utiles à la quantification de la contrefaçon et au recensement de l’action des administrations.
Cette proposition a été inscrite dans le contrat d’objectifs et de performance de l’INPI et, il y a un peu plus d’un an, a été créé le dispositif « France anti‑contrefaçon » ([12]) piloté par l’INPI. Dans ce cadre et avec différents partenaires sont conduits des travaux destinés à mieux comprendre le phénomène et renseigner la nature et l’impact de la contrefaçon en France pour mieux y faire face.
Le dispositif France anti-contrefaçon
« France anti-contrefaçon » rassemble des acteurs économiques, universitaires et juridiques autour de trois objectifs :
– rassembler et donner la parole aux acteurs pour avoir la vision la plus complète du phénomène en France ;
– exploiter les données existantes et recueillir des informations utiles pour caractériser la nature et l’impact de la contrefaçon en France ;
– proposer la création de nouveaux outils pour favoriser la lutte anti-contrefaçon.
À cette fin, des partenariats ont été conclus avec :
– la Confédération des PME pour connaître l’impact de la contrefaçon sur les PME et comprendre leurs difficultés dans la lutte contre la contrefaçon ;
– la Fédération des industries mécaniques pour évaluer le phénomène dans l’industrie mécanique ;
– le Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) pour enrichir les réflexions par des travaux universitaires, des conférences et des actions de sensibilisation auprès des étudiants ;
– l’Unifab pour mieux connaître les comportements des consommateurs français vis‑à‑vis de la contrefaçon, et, en particulier, améliorer les campagnes de sensibilisation ;
– la direction générale des douanes et droits indirects pour disposer de données permettant d’établir des indicateurs nationaux.
C’est donc une logique de partenariat avec les acteurs concernés qui a été privilégiée pour répondre aux préoccupations formulées par la proposition n° 5 de 2020. L’Observatoire de l’EUIPO collecte, pour sa part, les informations à l’échelle européenne, tandis que les douanes disposent d’un pôle statistique. Ces éléments répondent donc aux objectifs formulés par la proposition précitée du rapport de 2020.
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II. L’ADOPTION DE NOUVEAUX DISPOSITIFS POUR LUTTER CONTRE LA CONTREFAÇON
Des initiatives visant à de nouvelles régulations ont été présentées au niveau de l’Union européenne afin d’adapter le cadre juridique des échanges commerciaux sur l’internet, devenu obsolète. Les règlements Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), adoptés à la quasi‑unanimité des groupes du Parlement européen en juillet 2022, puis approuvés par le Conseil de l’Union européenne le 4 octobre 2022, pour une adoption par les deux institutions le 19 octobre 2022, durant la Présidence française de l’UE, ont été une avancée notable.
Cette nouvelle régulation était négociée depuis 2020 par les États membres afin de répondre aux défis posés par le rôle des géants du numérique sur le marché et à l’impératif de protection des utilisateurs. Les règlements visent à responsabiliser les plateformes numériques et à lutter contre la diffusion de contenus illicites ou préjudiciables, ou de produits illégaux : aussi bien les attaques racistes, les images pédopornographiques, la désinformation comme la vente de drogues ou de contrefaçons. Il convient d’analyser dans quelle mesure les nouvelles règles adoptées, de même que d’autres initiatives plus récentes qui sont en cours d’examen, apporteront des améliorations en ce qui concerne le phénomène bien particulier de la contrefaçon. Le niveau européen est le bon échelon, avec 450 millions de consommateurs, pour réguler les plateformes a minima ; être plus exigeant au niveau national est tentant, d’autant plus que les marketplaces sont très implantées en France. Pourtant, il convient de s’assurer que le vendeur comme l’acheteur ne contourneront pas facilement les exigences françaises en réalisant la transaction sur une plateforme basée hors de notre territoire.
Il est évidemment regrettable que les mesures adoptées ou à l’examen ne mentionnent pas expressément la lutte contre la contrefaçon. Ainsi le plan d’action douanier ne contient pas d’actions spécifiques de lutte contre la contrefaçon ; les institutions européennes considèrent néanmoins que le développement des capacités analytiques sur les données et la meilleure gestion des risques serviront aussi la défense des droits de propriété intellectuelle.
Au niveau national, des mesures ont aussi été prises depuis 2020 : il s’agit de mieux outiller les services de l’État, en particulier les douanes, en première ligne dans la lutte contre l’importation de produits contrefaits.
À l’initiative des parlementaires, la France s’est aussi dotée d’un cadre juridique novateur destiné aux métiers de l’influence commerciale, qui, avec l’usage des réseaux sociaux, est un vecteur de vente de contrefaçons.
A. DES DISPOSITIONS EUROPÉENNES (DMA-DSA) ADOPTÉES EN 2022 SUIVIES DU PROJET DE LOI SUR L’ESPACE NUMÉRIQUE
1. Les règlements européens sur les marchés et les services numériques
Le Digital Markets Act (DMA) vise à instaurer un nouveau modèle de régulation du comportement des grandes plateformes sur le marché unique européen.
Le Digital Services Act (DSA) ou règlement sur les services numériques (RSN) ([13]) vise à protéger les utilisateurs en ligne contre tout type de contenu illicite, dangereux et préjudiciable. Il réforme la directive dite « e‑commerce » de 2000 ([14]), élaborée à une période où les places de marché n’existaient pas. Le nouveau règlement veut consacrer le principe que « ce qui est illégal hors ligne est également illégal en ligne ». Les obligations qu’il définit sont applicables pour l’ensemble des sociétés dans un délai de 15 mois après l’entrée en vigueur du texte, soit le 17 février 2024. Le délai a été avancé à quatre mois après leur désignation pour les très grandes plateformes et les très grands moteurs de recherche. De ce fait, depuis le 25 août 2023, le RSN doit être respecté par les plateformes et les moteurs de recherche comptant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans l’Union européenne.
Le rapport du CEC de 2020 préconisait une définition plus exigeante de la responsabilité des plateformes de commerce électronique et des réseaux sociaux, à travers une série d’obligations.
La proposition n° 15 visait à reconnaître la responsabilité des plateformes de commerce électronique et des réseaux sociaux en cas de mise en vente de produits contrefaisants et leur imposer un devoir de vigilance, ce qui appelait la définition au plan européen d’un certain nombre d’obligations : retrait de la marchandise incriminée dans un délai donné, obligation de transparence sur les moyens mis en œuvre, obligation de coopérer avec les autorités administratives, d’exiger l’identité des vendeurs professionnels, et enfin obligation de rembourser le client trompé sur la qualité de la marchandise.
Le règlement sur les services numériques fait porter sur les acteurs du numérique l’obligation de modération des contenus illégaux, ce qui inclut les questions de haine en ligne, de harcèlement, de pédopornographie sur les réseaux sociaux, de diffamation, de dénigrement mais aussi des contenus contrefaisants, ou encore de la publicité trompeuse. La proposition de produits et services non conformes, c’est-à-dire qui ne respectent pas les règles européennes en matière de sécurité et de mise sur le marché, est également concernée par le règlement.
Il s’agit par ce règlement de mettre en place un certain nombre de mécanismes afin de lutter plus efficacement contre les comptes ou vendeurs qui, par exemple, violent à de multiples reprises les conditions générales d’utilisation. Auparavant, la charge de cette surveillance incombait aux seuls distributeurs en ligne, épargnant les intermédiaires, ce qui n’est plus le cas.
Le RSN s’applique à l’ensemble des intermédiaires en ligne qui fournissent des services dans l’Union européenne : places de marché en ligne, hébergeurs, moteurs de recherche, réseaux sociaux, services de simple transport et services de cache – qui permettent de stocker des copies de fichiers dans un emplacement de stockage temporaire. Ces acteurs sont soumis à des obligations graduées selon qu’ils sont simples prestataires de services, hébergeurs ou encore plateformes. Les obligations sont aussi proportionnées à leur taille et à leur audience : les plateformes et les moteurs de recherche touchant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans l’Union, qualifiés de très grandes plateformes et très grands moteurs de recherche, sont assujettis à des obligations supplémentaires. Dans l’objectif d’une proportionnalité des obligations, les très petites entreprises et petites entreprises (moins de 50 salariés et moins de 10 millions de chiffre d’affaires annuel), n’atteignant pas le seuil des 45 millions d’utilisateurs actifs mensuels, sont exemptées d’une partie des obligations du règlement.
Le règlement, par ces différentes dispositions, répond à l’essentiel des préconisations du CEC concernant le signalement de la contrefaçon, les signaleurs, l’obligation de contrôle des vendeurs professionnels par les services intermédiaires, l’information sur les produits illicites lorsque leur présence a été détectée.
a. Des obligations nouvelles qui pourront contribuer à lutter contre la présence de contrefaçons en ligne
Les dysfonctionnements constatés par les titulaires de droits de propriété intellectuelle dans le fonctionnement des services numériques sont nombreux : présence de contrefaçon, absence ou complexité du dispositif de signalement, signalements inopérants, retour des contrefaçons à la vente même après un déréférencement du site…
Le RSN impose aux acteurs du numérique une série d’obligations dont les principales sont les suivantes :
– mettre à disposition un système de signalement des contenus illicites : les plateformes doivent apposer un bouton de signalement simple permettant aux internautes de signaler des contenus illégaux. La généralisation de ce bouton, qui existait déjà chez certains acteurs, est une avancée ;
– traiter en priorité les signalements des organisations reconnues pour leur compétence et leur expertise, appelées « signaleurs de confiance ». Le signalement n’équivaut pas au retrait immédiat ;
– coopérer avec les autorités judiciaires ;
– suspendre les comptes publiant des contenus illicites ;
– interdire le ciblage publicitaire sur les mineurs ou à partir de données sensibles ;
– protéger les consommateurs en assurant l’identité du vendeur dans les places de marché en ligne (marketplaces) en appliquant le principe « Know your customer ». Ce principe de « connaissance du client » est la procédure du due diligence mise en œuvre par les entreprises et les banques pour vérifier l’identité de leurs clients personnes physiques ou morales. Le contrôle de l’identité du vendeur ne faisait jusqu’à présent l’objet d’aucune obligation, bien que les plateformes françaises l’aient mis en œuvre. Parmi les plateformes chinoises, seule Pinduoduo, selon nos interlocuteurs, demanderait aux vendeurs de s’identifier. L’article 30 du RSN prévoit l’obligation de recueillir certaines informations sur l’identité du vendeur et de contrôler cette identité, ce qui est positif, mais risque d’être d’une efficacité limitée car l’adresse d’expédition se trouve souvent en Chine. Il sera difficile d’empêcher une personne ou société sanctionnée de recréer immédiatement une offre sous la forme d’une autre identité ou société. Il y a là une faiblesse importante du dispositif ;
– analyser les risques liés à leurs services en matière de contenus illégaux, d’atteinte à la vie privée ou à la liberté d’expression, de santé ou de sécurité et mettre en place les moyens pour les atténuer.
Une nouvelle obligation concerne la transparence quant à la politique de modération des contenus, les systèmes de recommandation et la publicité diffusée, ou encore la garantie des droits des utilisateurs via des mécanismes de signalement et de traitement interne des réclamations. L’utilisation d’interfaces visant à manipuler ou tromper l’utilisateur dans ses choix sera interdite.
Les très grandes plateformes devront également analyser les risques systémiques qu’elles engendrent, assurer une transparence renforcée de la publicité en ligne et garantir l’accès des régulateurs nationaux à leurs données. Ces risques sont notamment la diffusion de contenus illégaux.
b. La responsabilisation des plateformes intermédiaires est renforcée par le règlement
Les plateformes intermédiaires en ligne, également appelées plateformes de médiation en ligne, sont des services ou des sites web qui agissent comme des intermédiaires ou des facilitateurs entre différents acteurs ou parties prenantes dans divers domaines. Ces plateformes offrent un espace facilitant les interactions, les transactions et la mise en relation de parties prenantes dans divers secteurs, en offrant souvent des fonctionnalités de recherche, de paiement sécurisé, de communication et d’évaluation pour garantir une expérience utilisateur positive ([15]).
Le statut de responsabilité de ces intermédiaires, hébergeurs de contenus qui n’ont pas de rôle actif dans leur édition, était déjà défini dans la directive de 2000 sur le commerce électronique. Il s’agissait d’une responsabilité allégée limitée au prompt retrait d’un contenu signalé comme illégal. Le règlement précise ce cadre et l’adapte au nouvel environnement de l’économie des plateformes, notamment au regard de la place prise par les algorithmes dans les possibilités de modération de ces contenus.
Les plateformes sont amenées à connaître ce qu’il se passe sur leurs interfaces, devant contribuer à la détection des contenus illégaux puis prendre la décision de retirer un contenu avant même une décision de justice.
Elles devront exiger l’identité des vendeurs professionnels, donc avoir une connaissance de la chaîne de vente. Le fait de pouvoir identifier les personnes responsables de la vente de contrefaçon permettra aux autorités nationales de réaliser des contrôles.
Enfin la Commission européenne demandera des comptes aux très grandes plateformes sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre les contenus illicites, ce qui profitera à la lutte contre la contrefaçon.
i. La responsabilité des plateformes connaîtra encore d’importantes limites
Il n’a pas été mis en place une responsabilité spécifique pour les plateformes qui sont des places de marché (marketplaces), ni en matière de sécurité/conformité des produits ni en cas de méconnaissance des droits des consommateurs (garanties prévues lors de l’achat).
Il n’y a pas non plus de responsabilité subsidiaire pour la place de marché lorsque le vendeur ou son représentant, normalement responsable, serait défaillant – cas d’un opérateur situé dans un pays lointain ne répondant pas aux demandes, ou d’un opérateur économique qui dépose le bilan, par exemple.
Il n’incombe pas aux places de marché de vérifier régulièrement que les produits proposés par les vendeurs tiers ne sont pas déjà signalés comme dangereux/non conformes/contrefaisants (on peut regretter que cette obligation de moyens n’ait pas été adoptée, avec des vérifications automatisées par comparaison des offres avec des produits signalés sur des bases de données officielles).
Enfin, la responsabilité des places de marché n’a pas non plus été étendue à l’organisation des rappels de produits dangereux déjà vendus, lorsque le vendeur responsable est défaillant (responsabilité subsidiaire).
L’obligation de remboursement du client trompé sur la qualité de la marchandise, dernier item de la proposition n° 15, n’est pas non plus comprise dans les nouvelles obligations du règlement. Il est considéré que le remboursement est un élément de la politique commerciale de la plateforme – certaines places de marché l’appliquant déjà afin d’obtenir un bon niveau de satisfaction du client.
ii. Pourtant, quelques dispositions joueront en faveur du consommateur des places de marché en ligne
Le consommateur est fréquemment victime de confusion quant à l’identité du vendeur du bien : est-ce la place de marché (Amazon par exemple) ou est-ce un vendeur autre qui bénéficie de son support ?
Le RSN, dans ses articles 30 à 32, prévoit une obligation de transparence quant à l’identité du vendeur : si la mention du rôle d’intermédiaire joué par la plateforme n’est pas claire, ce qui peut être le cas pour les plateformes dites hybrides, la plateforme sera requalifiée comme vendeur et endossera une responsabilité de plein droit quant à la vente des produits illégaux.
La place de marché devra assurer la vérification (obligation de moyens) de la complétude des informations sur les annonces : les produits difficiles à identifier ou pour lesquels les informations sont lacunaires, y compris en matière de sécurité, ne devraient pas pouvoir être proposés sur les places de marché.
Une obligation d’information des consommateurs en cas d’offre de produit non conforme ou dangereux incombera aux places de marché, qui devront avertir les consommateurs ayant déjà acheté le produit dans les six derniers mois ou, à défaut, publier un avertissement sur leur interface.
Des contrôles aléatoires automatisés sur les annonces devront être faits par les fournisseurs de places de marché en ligne, sur la base d’efforts raisonnables, pour vérifier qu’elles ne correspondent pas à des contenus déjà signalés comme illicites sur des bases de données librement accessibles.
iii. Les cas d’ambiguïté quant au vendeur ou au prestataire
Le régime particulier de responsabilité des plateformes « ne s’applique pas en ce qui concerne la responsabilité au titre de la législation relative à la protection des consommateurs applicable aux plateformes en ligne permettant aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels, lorsqu’une telle plateforme en ligne présente l’information spécifique ou permet de toute autre manière la transaction spécifique en question de telle sorte qu’un consommateur moyen peut être amené à croire que les informations, le produit ou service faisant l’objet de la transaction sont fournis soit directement par la plateforme en ligne, soit par un destinataire du service agissant sous son autorité ou son contrôle ».
Néanmoins, à chaque fois que le consommateur pourrait raisonnablement penser que le produit est fourni par la plateforme – quand il y aura une ambiguïté sur le point de savoir s’il s’agit ou non d’un vendeur tiers –, alors elle sera responsable de plein droit des règles de protection des droits du consommateur. Le RSN crée surtout des obligations de vigilance et de contrôle imposées aux places de marché à l’égard des vendeurs.
Le jugement de la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire Louboutin (C-148/21 et C-184/21) anticipait la philosophie du règlement : il considérait que, lorsqu’un utilisateur de plateforme de vente a l’impression d’acheter un produit fourni par la plateforme elle-même, il y a une évaluation particulière de la responsabilité de ladite plateforme.
Un autre règlement, adopté le 10 mai 2023 et relatif à la sécurité générale des produits, entrera en vigueur fin 2024 ([16]). Il conduit à considérer des plateformes comme Amazon comme des « prestataires de services d’exécution de commande ». Un rôle qui les conduira, faute de pouvoir trouver les prestataires responsables concernés (fabricant, importateur ou personne mandatée) au sein de l’UE, à endosser des responsabilités en termes de conformité et sécurité des produits. Une telle évolution est protectrice du consommateur, et il aurait été souhaitable d’ajouter la garantie de non‑contrefaçon à la conformité, ce qui l’aurait fait entrer dans ce cadre. Une contrefaçon dangereuse pour l’acheteur devrait cependant tomber sous le coup de ce nouveau règlement.
iv. Les sanctions encourues par les plateformes
Un ensemble de sanctions au niveau européen doit permettre d’assurer l’application et le respect de ce texte par les plateformes. Les sanctions sont notamment l’amende à hauteur de 6 % du chiffre d’affaires de la plateforme, en dernier recours, lorsque tous les moyens d’actions pour parvenir à la cessation de l’infraction ont échoué, et la restriction d’accès à la plateforme en cas d’infraction au règlement constituant une infraction pénale impliquant une menace pour la vie et la sécurité des personnes.
L’autorité judiciaire est la seule compétente, dans le cadre d’échanges contradictoires, pour ordonner la restriction temporaire de l’accès à un site. Cette mesure peut être prononcée pour quatre semaines, renouvelables si la plateforme n’a pas pris de mesures nécessaires pour mettre fin à l’infraction.
c. La surveillance du respect des obligations : le cas des grandes plateformes
Pour faire respecter ces obligations au niveau national, le régulateur compétent est celui de l’État membre où est établi le fournisseur de services.
Cependant, la Commission européenne est exclusivement compétente pour faire appliquer le règlement par les très grandes plateformes (dont font partie les places de marché) et les très grands moteurs de recherche, en ce qui concerne leurs obligations systémiques, dans le but d’assurer un haut niveau d’harmonisation sur le marché intérieur. Ces grands acteurs contribueront au coût de la supervision via une redevance. Pour les autres obligations, la Commission partagera sa compétence avec les autorités nationales.
L’article 34 du RSN prévoit que les très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche en ligne (en anglais very large online platforms and search engines ou VLOPSEs) devront recenser, analyser et évaluer de manière diligente tout risque systémique au sein de l’Union découlant de la conception ou du fonctionnement de leurs services et de leurs systèmes connexes, y compris des systèmes algorithmiques, ou de l’utilisation qui en est faite. La vente de contrefaçon n’est pas mentionnée mais elle entre dans « la diffusion de contenus illicites » par les services de ces plateformes (article 34, paragraphe 1.a) du règlement). Aussi, la façon dont les plateformes gèrent la lutte contre la contrefaçon devra être décrite dans des rapports d’évaluation des risques, avec les mesures d’atténuation prises (article 35). Les autorités nationales compétentes du pays où se trouvent ces plateformes devront veiller à l’établissement de ces rapports. On soulignera que la plupart de ces plateformes se trouvent en Irlande ; très peu sont établies en France. Il appartiendra donc au régulateur de ce pays de faire respecter les obligations du règlement, puis à la Commission d’effectuer des poursuites si la mise en conformité n’est pas faite, et de déclencher la sanction, en lien avec les autorités du pays d’établissement.
La Commission européenne a dressé une première liste de ces entités (17 très grandes plateformes et 2 très grands moteurs de recherche ([17])), qui devront respecter le régime général des obligations du règlement : comme tous les fournisseurs de services intermédiaires, désigner un point de contact unique pour leur permettre de communiquer directement, par voie électronique, avec les autorités publiques des États membres (articles 11 et 13), Elles devront aussi désigner un point de contact unique pour permettre aux destinataires du service (client…) de communiquer directement et rapidement avec eux (article 12). Ces moyens de communication ne doivent pas être qu’électroniques. Ces obligations devraient faciliter le travail des titulaires de droits dans le signalement des contrefaçons.
Le règlement prévoit des procédures de coopération renforcée entre coordinateurs nationaux des services numériques (CSN) : un coordinateur qui a des raisons de soupçonner que le fournisseur d’un service intermédiaire situé dans un autre État membre ne respecte pas le règlement (article 58) et, en particulier, l’obligation de lutte contre les contrefaçons, pourrait saisir le coordinateur du pays d’établissement du service, lui demander d’examiner la situation et de prendre les mesures d’exécution nécessaires. Étant donné la nature transfrontalière de la diffusion de produits contrefaits, cela devrait rendre la lutte plus efficace.
La coordination et la cohérence de l’ensemble du dispositif de gouvernance à travers l’Union européenne seront assurées par des mécanismes de coopération, notamment via un Comité européen des services numériques réunissant les autorités compétentes des États membres.
Les rapports d’évaluation des risques évoqués ci-dessus devraient aussi permettre une meilleure compréhension des différentes situations nationales – il y aura un volet dédié à la France, comme aux autres États membres. Le rapport annuel du Comité européen des services numériques analysera les rapports émanant des très grandes plateformes et mettra en avant les meilleures pratiques constatées.
d. Le recours à un code de conduite en cas de risque systémique de contrefaçon ?
Le règlement introduit la possibilité de mettre en place des codes de conduite volontaires pour contribuer à sa bonne application.
Des efforts d’autorégulation existaient déjà au niveau européen comme le protocole d’accord (MoU) sur la vente de contrefaçon sur l’internet de 2013. L’avenir de ce protocole d’accord doit être réexaminé car plusieurs de ses dispositions deviendront obsolètes avec l’application du règlement, certaines mesures volontaires devenant obligatoires. Toutefois, les institutions européennes considèrent qu’il convient de sauvegarder les acquis positifs de ce protocole d’accord, en le transformant en code de conduite. Ces acquis comportent notamment des modalités d’implication des plateformes de vente dans la lutte contre la contrefaçon en ligne. La modernisation du MoU s’ouvrira après l’installation du conseil compétent, en février 2024.
L’article 45 paragraphe 2 du règlement prévoit la possibilité, en cas de risque systémique important concernant plusieurs très grandes plateformes ou très grands moteurs de recherche en ligne, que la Commission invite les entreprises concernées à participer à l’élaboration de codes de conduite, y compris en formulant des engagements portant sur l’adoption de mesures spécifiques d’atténuation des risques. Cette disposition donne une flexibilité au dispositif pour s’adapter à des pratiques problématiques futures. Les interlocuteurs de vos rapporteurs ont envisagé le recours à cette disposition pour la question spécifique de la lutte contre la contrefaçon – la notion de « risque systémique important » devrait être mieux précisée, car il semble que la situation actuelle soit déjà une situation de risque systémique !
On peut douter que le règlement réponde aux difficultés importantes rencontrées par une PME qui veut faire valoir ses droits en Chine, par exemple, où elle devra être habilitée pour ester en justice. Ces difficultés sont régulièrement soulevées par les acteurs économiques auprès de la direction générale Trade de la Commission européenne qui les évoquerait, selon nos interlocuteurs, lors des échanges avec les autorités chinoises. De même, les textes ne répondent pas au problème de la reconstitution de nouveaux sites semblables immédiatement après un déréférencement pour contrefaçon... Ce problème relèvera de la future boîte à outils de lutte contre la contrefaçon en cours d’élaboration, sur la base de la directive de 2004 (2004/48) afin de rendre les injonctions « plus dynamiques ».
Les rapporteurs considèrent que si le RSN forme une base juridique pour l’action concertée, il n’est pas une arme suffisante pour soutenir le combat des titulaires de droits souvent démunis pour faire valoir leur droit. L’esprit du texte consiste bien davantage en une incitation aux acteurs à se mettre en règle, plutôt qu’en un système de surveillance et de sanction.
Les rapporteurs souhaiteraient que les créateurs européens soient mieux défendus face à ces pratiques, avec des armes réellement adaptées aux procédés de la vente de contrefaçon en ligne.
Les observateurs des institutions européennes ont pu émettre des doutes quant à l’efficacité du RSN, craignant un manque de volonté politique et de moyens lorsqu’il faudra prononcer des sanctions contre les acteurs se livrant à ou permettant des pratiques illégales. Les sites et réseaux se livrant à la désinformation devront retirer rapidement les messages signalés comme mensongers : refuser exposerait la plateforme à une amende pouvant aller jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires annuel. Pourtant, selon certains observateurs ([18]), le texte serait moins exigeant que le code de bonnes pratiques suivi par nombre de réseaux sociaux (sauf X, ex‑Twitter). Les organisations expertes labellisées « signaleurs de confiance » seront en première ligne de cette action de signalement.
2. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique
Le règlement RSN est d’harmonisation maximale, et les États membres doivent se conformer strictement à son contenu, sans possibilité d’adaptation ou d’insertion complémentaire. Il prévoit néanmoins, à titre d’exception, que peuvent être maintenues les dispositions existantes poursuivant des finalités différentes du RSN ou constituant la transposition d’actes juridiques de l’Union européenne en matière de protection des consommateurs.
Sa transposition est en cours à travers le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, dit « projet de loi SREN », qui a été adopté par le Sénat puis par l’Assemblée nationale, et est en attente d’une adoption définitive par le Parlement. Ce projet de loi modifie la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui avait transposé la directive « e‑commerce » de 2000.
Le projet de loi (dans son article 7) tire les conséquences de l’article 49 du RSN en désignant trois « autorités compétentes » : l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation (la DGCCRF) et la CNIL. Parmi ces autorités, l’Arcom est désignée « coordinateur des services numériques » et sera chargée de missions au titre du règlement ([19]). En tant que coordinateur des services numériques, l’Autorité siègera au Comité européen des services numériques.
Conformément aux dispositions de l’article L. 331‑12 du code de la propriété intellectuelle, le périmètre d’intervention de l’Arcom recouvre de larges secteurs : les atteintes aux droits de propriété littéraire et artistique, la protection contre le piratage en ligne des contenus protégés par un droit d’auteur ou droit voisin ou des retransmissions illicites de compétitions ou manifestations sportives sur internet. L’Autorité a développé une expérience dans ces domaines qui rendra plus aisée la mise en œuvre des procédures applicables à l’encontre de la vente de contrefaçon sur les plateformes numériques.
L’article 25 du projet de loi ajoute une disposition (article 8‑1) élargissant le périmètre de compétence de l’Arcom eu égard au RSN. Elle a ainsi pour tâche de contrôler :
– l’ensemble des fournisseurs de services intermédiaires dans leur lutte contre les contenus illicites et le respect de leurs obligations de diligence et de transparence ;
– les fournisseurs de services d’hébergement (les hébergeurs) dans leur obligation de signalement des contenus illicites et la mise en place des mesures de restrictions liées ;
– les plateformes en ligne dans leur traitement des réclamations, des actions des signaleurs de confiance, des suspensions de comptes, des règles relatives aux publicités, des recommandations et de la protection des mineurs en ligne.
Les propositions n° 6 à 8 du rapport de 2020 préconisaient des mesures permettant de prononcer une injonction de mise en conformité et si nécessaire le déréférencement des sites internet proposant des produits contrefaisants. Les apports du RSN devraient contribuer à l’efficacité de ces actions relevant du niveau national, et aussi leur donner, il faut l’espérer, un caractère plus systématique.
a. Des signaleurs de confiance à définir
Le rapport du CEC avait proposé « d’instituer des agents assermentés pour le droit des marques autorisés à constater une infraction commise sur internet et à exiger, pour le compte du titulaire de droits, qu’il soit mis fin à l’exposition et à la vente de contrefaçon sur des plateformes commerciales ou des réseaux sociaux » (proposition n° 7).
Cette proposition s’inspirait des dispositifs en vigueur, très efficaces, pour constater les infractions au droit d’auteur : ainsi, les organismes de défense ou de gestion de droits que sont la Sacem, la SDRM ([20]) et le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) assermentent des agents qui font la constatation des infractions et saisissent l’Arcom.
Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique ne crée pas d’agents assermentés pour le droit des marques. Cependant, il met en place le dispositif des signaleurs de confiance prévu par le RSN dans son article 19.
Les signaleurs de confiance verront leurs notifications traitées en priorité et « dans les meilleurs délais » par la plateforme. Il conviendra de mieux définir cette notion afin que les plateformes réagissent dans les mêmes délais à l’action des signaleurs de confiance.
Les États membres doivent définir, via leur coordinateur des services numériques, quelles administrations ou entités pourront prétendre à ce statut ; le candidat doit démontrer expertise et compétence dans la détection, l’identification et la notification des contenus illicites. Il devra être indépendant des plateformes et représenter des intérêts collectifs. Il peut s’agir d’associations reconnues d’utilité publique, par exemple. La liste de ces tiers de confiance sera publiée sur une base de données, accessible au public, tenue à jour par la Commission européenne.
Il appartient donc à l’Arcom, coordinateur national des services numériques, de désigner les signaleurs de confiance. L’Autorité a organisé, dans le cadre d’un groupe de travail, des échanges avec les parties prenantes (associations, pouvoirs publics, grandes plateformes, Observatoire de la haine en ligne…), et mène aussi au niveau européen une réflexion avec les régulateurs désignés ou pressentis de plusieurs États membres. La CNIL et la DGCCRF (qui sera compétente pour la surveillance des places de marché) sont associées à ces réflexions. Après adoption de la loi SREN, un appel à candidatures public sera lancé pour que les entités souhaitant être signaleur de confiance se manifestent. Les candidatures seront admises selon des critères européens partagés.
Pour les domaines de la loi relatifs à la protection de l’enfance, à la lutte contre le cyber-harcèlement, ce seront des organismes tiers indépendants – certaines associations, entités, organisations, reconnues pour leur expertise et leur compétence – qui seront invités à postuler au statut de signaleurs de confiance.
Pour le domaine de la propriété intellectuelle, de la conformité et dangerosité des produits ou de la contrefaçon, pourraient être admises les organisations représentatives comme le Comité national anti-contrefaçon (CNAC) ou l’Unifab, voire les fédérations professionnelles. Il ne semble pas envisagé actuellement que ces signaleurs de confiance soient très nombreux, car en admettre un grand nombre dans chaque pays rendrait le système difficilement lisible au niveau des 27 États membres. Le système envisagé est plutôt centralisé, avec quelques acteurs signaleurs de confiance coordonnant et relayant les signalements qui leur parviennent.
La perspective de devenir signaleur de confiance peut susciter l’inquiétude quant à l’ampleur de la tâche si les titulaires de droits, n’arrivant pas à obtenir le retrait de contrefaçons, se tournaient vers eux pour agir à leur place : par exemple, si l’Unifab remplissait ce rôle pour ses 200 entreprises adhérentes, il s’agirait, par extrapolation d’expérimentations récentes, d’environ 300 millions d’interventions aux fins de déréférencement par an ! Et davantage si l’Unifab se mettait à la disposition des entreprises non adhérentes… Par conséquent cette association souhaite que les marques concernées puissent être également signaleur de confiance.
Les rapporteurs soulignent que le règlement ouvre largement la possibilité de désigner les signaleurs de confiance, ce qui est positif car la surveillance et le travail de notification représentent une tâche considérable pour les entreprises et leurs groupements. Cette tâche devra être répartie sur plusieurs entités afin que les textes produisent de réels changements de pratique.
L’Arcom ne devrait pas adopter une approche trop stricte et admettre dans ce rôle les fédérations industrielles et artisanales concernées par les droits de propriété intellectuelle, les organisations de défense de la propriété intellectuelle, ainsi que les grandes entreprises qui le demanderont. Cependant, il est certain que les entreprises doivent parvenir à un consensus pour faire émerger les entités à désigner comme signaleur de confiance : ces entités seront des intermédiaires qui devront relayer les signalements et les demandes de déréférencement émanant des entreprises. Les rapporteurs soulignent que l’enjeu est pour les titulaires de droits de propriété industrielle de parvenir à une organisation aussi efficace que la défense des droits d’auteur !
Les rapporteurs considèrent que la mission de signaleur de confiance pourrait être également confiée à une réserve citoyenne des douanes, ce que le rapporteur Christophe Blanchet avait proposé par amendement au projet de loi visant à donner aux douanes les moyens de faire face aux nouvelles menaces, lors de son examen par l’Assemblée nationale en juin 2023 ([21]). Ils regrettent que le principe de cette réserve citoyenne n’ait pas été retenu.
b. Faciliter la défense des droits de propriété intellectuelle des entreprises
La proposition n° 6 visait à instituer une procédure administrative d’avertissement ou de blocage des sites internet proposant à la vente des produits contrefaisants.
La proposition n° 11 visait à faciliter la défense des droits de propriété intellectuelle des entreprises en créant un groupement d’intérêt public pour apporter une aide aux titulaires de droits, en particulier les PME, afin de les aider à obtenir les déréférencements nécessaires ou à se pourvoir en justice.
Ces deux propositions trouvent une réponse partielle à travers le règlement européen et la loi SREN.
Les entreprises titulaires de droits entendues par les rapporteurs ont évoqué les difficultés persistantes de mise en œuvre des procédures de signalement et de retrait des contrefaçons proposées à la vente sur les plateformes et les réseaux sociaux. Les difficultés liées à la défense des droits à l’encontre des plateformes en ligne sont encore plus aiguës pour les PME : la valorisation temps/budget de la lutte anti‑contrefaçon est particulièrement défavorable.
L’article 26 du projet de loi SREN habilite la DGCCRF ([22]) à contrôler les fournisseurs de places de marché en ligne au regard de leurs obligations prévues au règlement européen. Elle poursuivra son travail de surveillance du marché pour les consommateurs résidant en France, en intervenant directement auprès des plateformes concernées pour en faire retirer les contenus illicites et identifier les opérateurs responsables de ces offres illicites, afin de les poursuivre et, dans la mesure du possible, de remonter les filières jusqu’aux produits s’ils sont physiquement présents sur le territoire français.
Au stade infra-judiciaire, le règlement européen permettra aux groupements d’entreprises d’agir de plusieurs façons :
– en utilisant le mécanisme de signalement que toute plateforme en ligne et, plus largement, tout fournisseur de service d’hébergement, devront mettre à disposition des utilisateurs pour signaler un contenu ou une activité illicite sur le service (article 16) ;
– en introduisant une plainte auprès du comité des services numériques du pays d’établissement d’une plateforme, ou tout autre fournisseur de services intermédiaires, contrevenant à ses obligations (au titre de l’article 53 qui prévoit que « les destinataires du service, ainsi que tout organisme, organisation ou association ayant reçu mandat pour exercer les droits conférés par le présent règlement » ont le droit d’introduire une telle plainte), étant rappelé que les CSN seront compétents pour évaluer la mise en œuvre des obligations de moyens (et non les contenus particuliers) ;
– s’agissant de cas particuliers, en les signalant à un signaleur de confiance agissant dans le domaine de la défense des droits de la propriété intellectuelle en France ou dans tout autre État membre de l’UE (la liste et les coordonnées des signaleurs de confiance seront publiées par la Commission européenne) ;
– en candidatant au statut de signaleur de confiance (article 22).
Les rapporteurs approuvent les améliorations obtenues, mais considèrent qu’il faut progresser encore sur certains points importants pour réellement faciliter la tâche aux titulaires de droits : simplifier et harmoniser les procédures de notification et de retrait de contenu illicite (notice and take down).
Ces procédures sont différentes d’une plateforme de vente à l’autre, d’un pays à l’autre, et trop chronophages selon le témoignage des entrepreneurs. L’entreprise doit mobiliser au moins une personne à temps complet afin de développer une réponse assez efficace à la vente de contrefaçon.
Ainsi une entreprise, qui a dédié une petite équipe de collaborateurs afin d’effectuer les signalements, rapporte avoir effectué en une année plus de 5 800 signalements sur les plateformes et obtenu l’ouverture de plus de 30 dossiers spécifiques suite à ces signalements (il s’agit essentiellement d’opérateurs de sites internet dont les fournisseurs sont sur ces plateformes online). Ces signalements ont exigé plus de 1 800 heures de travail (dont se sont chargées trois personnes). Le coût lié à ces tâches est supérieur à 100 000 euros, incluant les coûts salariaux et les frais d’avocat.
Les entreprises disent jusqu’à présent se heurter à un mur : certaines plateformes récusent les juristes des entreprises comme signaleurs, exigent une validation des droits des signaleurs, des décisions judiciaires pour agir, contestent la bonne forme de la notification, refusent de donner raison aux marques lorsque le contrefacteur déforme ou floute une partie de la photo du produit contrefait… Plusieurs années d’intervention ne parviennent pas à faire retirer les contrefaçons de certaines plateformes, que les entreprises considèrent comme des complices des contrefacteurs étant donné qu’elles perçoivent une commission sur ces ventes. La proportion de refus des notifications par les plateformes peut atteindre 50 %.
La représentante de la Commission européenne entendue par les rapporteurs reconnaît que la simplification et l’uniformisation font partie des demandes « que l’on entend », et qu’un modèle pourrait être élaboré et proposé aux plateformes. Le résultat d’une telle démarche lui semble aléatoire étant donné qu’il ne s’agirait pas d’une mesure contraignante et qu’au mieux, elle ferait partie du code de conduite du RSN, ou d’un engagement des plateformes à recourir au même modèle ou à demander les mêmes données.
Les rapporteurs préconisent de formuler une obligation, voire une condition, pour les fournisseurs des plateformes en ligne, de mettre en place un formulaire unique de signalement des contenus illicites, s’agissant des marchandises contrefaisantes, des produits du tabac manufacturé contrefaisant ou de contrebande, ainsi que des médicaments vendus hors circuit légal de vente. Il leur paraît essentiel de faciliter le travail des entreprises titulaires de droits et de leur éviter des recherches et démarches laborieuses pour effectuer un signalement.
Ils suggèrent également qu’une case à cocher « contrefaçon » soit directement accessible dans SignalConso, plateforme évolutive de protection du consommateur. Cette plateforme a déjà enregistré 1 600 signalements faisant mention du mot « contrefaçon » depuis son ouverture en 2020, dont 355 à mi‑mai 2023. Le nombre de signalements pour 2023 était de 911 en début octobre.
c. Renforcer la coordination européenne lors des mesures de déréférencement de sites commercialisant des contrefaçons
Le rapport du CEC comportait, dans la proposition n° 8, un ensemble de mesures visant à être plus efficace face à la réapparition rapide des contrefaçons sur les sites marchands, même lorsque le déréférencement de pages de vente coupables d’infractions a pu être obtenu. Les mesures que l’on peut envisager à cette fin relèvent du droit interne comme du niveau européen : le souhait de mesures plus protectrices du consommateur et du détenteur de droits de propriété intellectuelle n’est pas toujours partagé par la Commission européenne et les autres États membres.
Les injonctions de mise en conformité ou de cessation de pratique peuvent être mises en œuvre par la DGCCRF et par l’Arcom, dont les pouvoirs seront renforcés à cette fin par le projet de loi SREN ([23]).
Le pouvoir d’injonction et de déréférencement de la DGCCRF est mis en œuvre, mais à mesure des moyens que la direction peut déployer à cette fin : en 2022, la direction a utilisé à 86 reprises son nouveau pouvoir d’injonction numérique, dont 56 fois pour restreindre l’accès à des sites internet et 30 fois pour bloquer un nom de domaine. L’on peut constater le hiatus entre la masse de la contrefaçon en vente sur les plateformes numériques et le nombre des injonctions prononcées au niveau national !
Ce pouvoir avait été utilisé la première fois en 2021 pour déréférencer la plateforme de vente en ligne Wish. L’encadré suivant montre que le déréférencement prononcé en 2021 n’a pas empêché cette plateforme de présenter à nouveau des produits illicites dès son retour en ligne.
Il est impératif que les dispositifs de signalement à présent obligatoires au niveau européen et l’action des signaleurs de confiance parviennent à empêcher la renaissance perpétuelle des offres des contrefacteurs, peu après la suppression des sites ou pages sanctionnés.
Les rapporteurs soulignent que le fait que la plateforme Wish ait pu être déréférencée en France n’implique nullement que les autres États membres de l’Union en aient fait de même. Il existe un certain automatisme de la procédure d’alerte lorsqu’il s’agit de rappel de produits dangereux, mais lorsqu’il s’agit de contrefaçon ou de non‑conformité sans danger, le déréférencement donne lieu à un simple partage d’information au niveau des groupes de travail de l’Union et de l’OCDE. Chaque autorité nationale peut mener ses contrôles selon ses propres critères, et parvenir à des conclusions différentes. Dans ce cas, le produit reste accessible via une autre plateforme européenne.
Les rapporteurs auraient souhaité une réaction harmonisée et des mesures de protection au niveau de l’Union européenne lorsque des autorités nationales constatent qu’une plateforme vend des contrefaçons.
On soulignera que le gouvernement français a appelé, lors de la négociation du règlement sur la sécurité générale des produits, à une responsabilisation accrue des plateformes, mais n’a pas été entendu.
Enfin, la suspension groupée de nombreux noms de domaine, préconisée par les rapporteurs, n’a pas été envisagée.
Une action répressive qui serait fondée sur la connexité de pages ressemblantes de vente de produits contrefaisants, afin de déréférencer par une même décision plusieurs sites, se heurte au refus des États membres d’établir une surveillance des plateformes ou à réduire la liberté de commerce telle qu’elle est définie à l’échelle européenne. Il restera donc impératif de motiver chaque demande de déréférencement de façon précise, argumentée et de prouver la contrefaçon. Le droit européen a donc vocation à rester bien moins protecteur des titulaires de droits et des consommateurs que celui d’autres pays comme les États-Unis, où il apparaît beaucoup plus réactif et efficace face à la menace de la contrefaçon.
L’action menée à l’encontre du site de vente Wish
pour obtenir le retrait des produits contrefaisants :
à refaire !
Depuis décembre 2020 (1), la DGCCRF peut, pour faire cesser des pratiques commerciales trompeuses ou dangereuses pour le consommateur, prononcer une injonction de mise en conformité ou de cessation de pratique sous peine de sanctions, injonction qui peut être assortie de mesures de publicité.
Le cas du site de vente Wish a particulièrement marqué les esprits : après la présentation récurrente de produits non conformes et dangereux sur le site de vente et l’application mobile Wish, la DGCCRF a pour la première fois ordonné, en novembre 2021, le déréférencement du site auprès des moteurs de recherche Google, Bing et Qwant, ainsi que de son application mobile (Apple), décision inédite en Europe.
À l’issue de recours devant le tribunal administratif de Paris, puis devant le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel s’est prononcé dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité contestant le fondement du pouvoir administratif de déréférencement de la DGCCRF au regard des principes de liberté d’expression et de liberté d’entreprendre. Dans une décision du 21 octobre 2022, le Conseil a confirmé la conformité à la Constitution de la loi en vigueur. Le déréférencement a été effectif le 29 novembre 2021.
Après un an et demi de déréférencement, la plateforme incriminée a fait son retour en ligne en mars 2023. Pour autant, les rapporteurs ont pu constater qu’il était toujours possible d’y trouver, à bas prix, des produits très ressemblants à des références de grandes marques et qui pourraient potentiellement représenter un danger pour les consommateurs, ce qui les conduit à inviter la DGCCRF, en lien avec les services des douanes, à poursuivre ses contrôles.
Afin de faciliter l’action de la DGCCRF, les rapporteurs souhaitent que la contrefaçon soit systématiquement assimilée à une non-conformité de produit.
Source : Site de vente en ligne Wish, 24 octobre 2023.
(1) Loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (dite DDADUE).
i. L’Arcom voit son rôle renforcé par le projet de loi SREN
Le projet de loi (dans son article 25) prévoit que l’Arcom dispose des pouvoirs d’enquête et d’exécution à l’égard des fournisseurs de services intermédiaires relevant de la compétence de la France.
L’Arcom pourra mettre en demeure un fournisseur de services intermédiaires de se conformer, dans un délai qu’elle fixe, aux obligations de lutte contre les contenus illicites. Elle peut également prononcer une injonction éventuellement assortie d’une astreinte lorsque le fournisseur concerné ne satisfait pas aux mesures d’enquête effectuées par les agents de l’Autorité.
Ses pouvoirs de sanction sont précisés : si le fournisseur de services intermédiaires ne se conforme pas à la mise en demeure, à l’injonction ou aux mesures prises, l’Arcom pourra prononcer une sanction pécuniaire dans les conditions prévues à l’article 42‑7 de la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, c’est-à-dire sous la responsabilité d’un rapporteur nommé par le vice-président du Conseil d’État, après avis de l’Arcom. Ce rapporteur assure l’engagement des poursuites et l’instruction préalable au prononcé des sanctions.
Le montant de l’astreinte et celui de la sanction pécuniaire prennent en considération différents critères objectifs : la nature, la gravité et la durée du manquement (1°), l’intentionnalité ou la négligence (2°), les manquements commis précédemment par le fournisseur (3°), sa situation financière (4°), sa coopération avec les autorités (5°), sa nature et sa taille (6°) et son degré de responsabilité en tenant compte des mesures techniques et opérationnelles qu’il a prises pour se conformer au RSN (7°).
Le règlement fixe un plafond pour la sanction pécuniaire applicable : 6 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé par le fournisseur de services intermédiaires au cours de l’exercice précédant la sanction. L’astreinte quant à elle est au maximum de 5 % des revenus ou du chiffre d’affaires mondial journaliers moyens.
La conjonction des dispositions du règlement sur les services numériques et de la capacité d’intervention de l’Arcom peut laisser espérer des procédures plus rapides et plus efficaces qu’actuellement.
Une pratique difficile à combattre pour les titulaires de droits est celle des sites miroirs, qui reproduisent des contenus illicites semblables et permettent de continuer à proposer des contenus lorsque des actions de déréférencement sont entreprises par les autorités.
La coopération entre l’Arcom et les titulaires de droits du cinéma et du secteur de l’audiovisuel a permis à l’Autorité de notifier aux fournisseurs d’accès internet, d’octobre 2022 à août 2023, 325 sites miroirs, en vue de leur blocage, en complément des services bloqués dans le cadre des décisions de justice initiales et sans nécessité pour les ayants droit d’engager de nouvelles procédures devant le juge.
L’Arcom peut également, en application de l’article L. 331‑25 du code de la propriété intellectuelle (CPI), établir et publier une liste des services portant atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteur ou aux droits voisins afin d’informer les utilisateurs, de stigmatiser les acteurs peu vertueux et d’inciter les intermédiaires à ne plus collaborer avec les services identifiés pour assécher les principales sources de revenus de ces services.
Il serait souhaitable que ces modalités de réponse profitent également aux titulaires de droits dans le domaine de la propriété intellectuelle et de la contrefaçon.
ii. Élaborer des accords entre l’Arcom et les acteurs du commerce sur internet
L’expérience développée par l’Autorité pourrait bénéficier à la lutte contre les contenus illicites.
Dans le domaine des contenus audiovisuels et de la lutte contre le piratage des œuvres, l’Arcom a développé, en application de l’article L. 331‑12 du CPI, des mesures impliquant l’ensemble des acteurs et intermédiaires techniques de l’écosystème d’internet, sur la base d’actions volontaires, afin de faciliter le travail des titulaires de droits.
Par exemple, l’accord intervenu sous l’égide de l’Arcom entre Free, les membres de la Fédération française des télécoms et les membres de l’Association pour la protection des programmes sportifs signé le 18 janvier 2023. Cet accord, au‑delà de traiter de la répartition des coûts des mesures de blocage entre les parties, permet d’automatiser le système de transmission afin d’accélérer la lutte contre le piratage des retransmissions d’événements et manifestations sportives en ligne, et prévoit la possibilité de l’adapter aux nouveaux modes d’accès illégaux.
Des accords de ce type, conclus avec les plateformes de commerce, seraient nécessaires pour construire des actions volontaires ; ils devront être élargis à d’autres intermédiaires tels que les moteurs de recherche, par exemple.
d. Assurer l’information des acheteurs et rendre visible la condamnation des contrefacteurs à des sanctions
Deux modes d’avertissement sont nécessaires : l’avertissement à l’acheteur qui a été trompé lors de son achat, et l’avertissement plus général aux consommateurs qui entrent sur le site d’une plateforme qui été sanctionnée pour vente de contrefaçon.
L’article 32 du RSN introduit des obligations de moyens applicables aux places de marché. Lorsqu’un fournisseur de place de marché (entendu comme « plateforme en ligne permettant aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels ») « a connaissance, par quelque moyen que ce soit, qu’un professionnel propose un produit ou service illégal à des consommateurs situés dans l’Union par l’intermédiaire de ses services, ledit fournisseur informe, dans la mesure où il dispose de leurs coordonnées, les consommateurs qui ont acheté le produit ou le service illégal en question par l’intermédiaire de ses services, de ce qui suit :
a) le fait que le produit ou service est illégal ;
b) l’identité du professionnel ;
c) et tout moyen de recours pertinent. »
Cette obligation ne vaut que pour les achats de produits ou services illégaux réalisés dans les six mois précédant le moment où le fournisseur a eu connaissance de l’illégalité. Si le fournisseur de la place de marché n’a pas les coordonnées des consommateurs concernés, il devra mettre à la disposition du public, de manière facilement accessible, sur son interface en ligne des informations concernant les produits ou services illégaux, l’identité du professionnel et les voies de recours pertinentes.
Si le principe de cette information est bon, l’on peut douter que les plateformes déploient une telle diligence envers leurs clients, vu le peu de personnel qu’elles emploient pour la surveillance.
Les rapporteurs de 2020 préconisaient l’apposition d’un bandeau sur le site qui a permis la vente de contrefaçon pour appeler les internautes à la méfiance.
Des condamnations de justice ont parfois été assorties d’une telle mesure ; ainsi, il y a quelques années, la société eBay International AG a été condamnée plusieurs fois à une importante peine d’amende délictuelle (200 000 euros en 2012) pour recel de vente de contrefaçon, et à la diffusion du jugement sur la page d’accueil du site internet « eBay » pendant un mois, ainsi que sept jours dans les quotidiens Le Monde et Le Parisien. Les rapporteurs soulignent que cette plateforme est depuis très vigilante quant à la vente de contrefaçon et obtient de très bons résultats à cet égard, ce qui démontre qu’il est possible de refuser de jouer le rôle d’intermédiaire pour les contrefacteurs.
Toutefois, certains représentants entendus par les rapporteurs ont observé que l’impact de cette obligation de diffusion du jugement peut être annihilé lorsque l’apparition du bandeau est subordonnée à un clic sur une page dédiée, donc peu visible…
Le « name and shame » s’avère difficile à mettre en place ; cependant, des dispositions nationales récentes renforcent la publicité des injonctions et des sanctions.
Depuis la loi précitée de 2020, la DGCCRF peut ordonner l’affichage d’un message d’avertissement, le déréférencement, la restriction d’accès à un site ou une application mobile ou le blocage d’un nom de domaine. Elle peut décider la publication, par l’administration et le professionnel, de communiqués informant le public des agissements d’une entreprise, sur divers supports : presse, affichage en magasin, sur internet et les réseaux sociaux… Le professionnel concerné peut aussi se voir imposer une communication, dont le projet de contenu lui est adressé en amont. En 2022, près de 230 sanctions ont fait l’objet d’une telle communication.
À l’initiative du ministère de l’économie et des finances, les pouvoirs de « name and shame » de la DGCCRF ont été renforcés dans la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat ([24]), qui permet notamment la publication d’injonctions à l’encontre d’influenceurs.
Le décret du 29 décembre 2022 pris en application de cette loi permet à la DGCCRF de renforcer les modalités de publicité des mesures d’injonction. Elles peuvent prendre la forme d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de ces mesures, intégrer un message de sensibilisation sur les pratiques relevées, être ordonnées sur divers supports (presse, affichage en magasin, sur internet et les réseaux sociaux), aux frais du professionnel qui fait l’objet de l’injonction. Dans le cadre de ses pouvoirs de « réquisition numérique », la DGCCRF pourra ordonner le renvoi des sites frauduleux bloqués vers une page informant les consommateurs du motif du blocage.
La publicité des injonctions est désormais possible dans tout le champ d’action de la DGCCRF, que ce soit dans la lutte contre les pratiques restrictives de concurrence (suppression d’une clause créant un déséquilibre significatif) ou en matière de protection des consommateurs (cessation d’une pratique commerciale trompeuse, obligations d’information…).
Les rapporteurs souhaiteraient que le pouvoir d’injonction numérique conféré aux agents des douanes (nouvel article 67 D 6 et 7 du code des douanes, issu de la loi du 18 juillet 2023) inclue aussi une obligation d’affichage.
La publicité de l’injonction devrait être systématiquement et immédiatement visible dès la page d’accueil du site sans action complémentaire du consommateur.
Ils souhaiteraient que l’information au consommateur soit calquée et aussi systématiquement prononcée que les obligations de publier adressées aux médias, contraints en cas de condamnation de publier un extrait du jugement les concernant. Celles‑ci sont formulées à l’article 131‑35 du code pénal ([25]).
Le projet de loi SREN prévoit une autre disposition du même ordre avec le filtre anti-arnaque : la plateforme devra retirer l’accès à l’offre frauduleuse et informer le consommateur. Il aurait été intéressant que ce filtre puisse être activé en cas de vente de contrefaçon, mais le champ d’application de cette disposition ne l’inclura pas.
Des communications volontaires de type « Aidez-nous à lutter contre la contrefaçon » pourraient aussi être apposées par les plateformes : elles pourraient être proposées dans le cadre des bonnes pratiques consacrées par le MoU.
En conclusion de ces développements consacrés aux ventes en ligne, les rapporteurs souhaitent la création d’un label de conformité aux règles en vigueur pour les plateformes numériques, que l’on pourrait nommer « site coopératif avec la lutte contre la contrefaçon » ou en recourant à une formule montrant l’engagement pour un espace de commerce sans contrefaçon. Un tel label permettrait d’orienter les consommateurs vers les places de marché en ligne qui contribuent à la lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle.
Les critères et les conditions d’obtention du label doivent être les plus précis possible : signalement clair et facile d’accès, délai de retrait des produits précisé et rapide, dans la mesure où la notion retenue par le droit européen de retrait « dans les meilleurs délais » est diversement interprétée par les plateformes. Le contrôle du respect des critères pourrait être assuré par le Comité national anti‑contrefaçon par exemple, car il procèderait à l’analyse des différentes plateformes de vente, en élargissant progressivement le panel des plateformes contrôlées. Une telle analyse apporterait de bonnes garanties dans la mesure où les plateformes de commerce ont commencé à déployer des mises en conformité vis-à-vis de certaines entreprises afin de communiquer sur leur bonne volonté, mais pas de toutes uniformément !
Le Gouvernement avait évoqué la création d’un tel label en 2020, mais aucune suite n’a été donnée, probablement dans l’attente des textes européens, qui selon les rapporteurs, n’ôtent pas son utilité à la notion de label.
3. D’autres actions européennes contribueront à mieux protéger la propriété intellectuelle
Plusieurs réformes en cours d’élaboration pourront, tout en ayant des visées plus larges, contribuer à gêner les contrefacteurs et les vendeurs de contrefaçon.
a. Le projet de réforme de l’union douanière de l’Union européenne
La proposition législative réformant l’union douanière de l’UE annonce deux objectifs : la simplification des procédures et la transparence, une protection optimale du marché unique et des intérêts financiers et non financiers aux frontières.
Simplifier les procédures réduirait les coûts de mise en conformité, et rendrait les flux commerciaux plus faciles à superviser pour les douanes, qui disposeraient de davantage de données pour, d’une part traiter le commerce légitime rapidement, et d’autre part cibler plus précisément les flux à contrôler pour lutter contre les pratiques illicites.
La réforme du code des douanes ne concerne pas spécifiquement la contrefaçon mais devrait améliorer la coordination entre les autorités et la circulation des informations. La réforme s’appuie sur deux piliers : la plateforme de données douanières de l’UE et la nouvelle autorité douanière européenne en charge de la gestion des risques.
La plateforme de données douanières (IP Enforcement portal), gérée par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, reçoit depuis décembre 2021 les demandes d’intervention douanière des entreprises ou des autorités. Cette plateforme, utilisant une technologie de pointe, permettra de compiler les données fournies par les entreprises et donnera aux autorités, grâce notamment à l’apprentissage automatique et à l’intelligence artificielle, une vue d’ensemble dite « à 360 degrés » des chaînes d’approvisionnement et de la circulation des marchandises. Les opérateurs les plus fiables – opérateurs « trust and check » ou « confiance et contrôle » – pourront mettre leurs marchandises en circulation dans l’Union sans aucune intervention douanière active, renforçant encore le régime existant pour les opérateurs économiques agréés (OEA). Alléger les contrôles sur les flux provenant de ces opérateurs permettra de consacrer plus de ressources au ciblage des flux non conformes.
La nouvelle autorité douanière de l’UE – qui sera opérationnelle en 2028 – aura accès à la plateforme de données ; elle sera chargée de la gestion des risques et de fournir des recommandations de contrôles aux États membres. Le renforcement des capacités et la coopération avec les autres autorités (contrôles conjoints) sont prévus.
Ce nouveau dispositif comporte une gestion des risques au niveau de l’Union, une « strate européenne » de contrôle par les autorités douanières de la chaîne d’approvisionnement, au niveau européen et national, « agissant ensemble » pour le contrôle des marchandises aux frontières extérieures.
Il s’appliquera à tous les risques traités par les douanes parmi lesquels l’infraction aux droits de propriété intellectuelle.
b. L’agenda de la Commission européenne pour la propriété intellectuelle
La Commission européenne a établi un plan d’action pour la propriété intellectuelle publié en novembre 2020. Plusieurs propositions de normes ont ensuite été présentées dans ce cadre :
– un règlement visant à protéger les indications géographiques des produits artisanaux et industriels au sein de l’Union européenne, qui a été adopté en septembre dernier ;
– une proposition de directive et une proposition de règlement révisant la protection des dessins ou modèles industriels dans l’Union afin de la rendre moins coûteuse, plus rapide et plus prévisible (novembre 2022). Ces textes sont en cours d’examen au sein du Conseil et du Parlement européens ;
– le « paquet brevet » comportant trois volets : un premier volet sur les certificats complémentaires de protection, un deuxième volet consacré aux licences obligatoires en temps de crise et un dernier volet relatif aux brevets essentiels aux normes (avril 2023). Ces textes sont en début d’examen par les institutions européennes.
Le « chantier » le plus important en ce qui concerne la contrefaçon est celui d’une boîte à outils (« toolbox ») européenne de lutte contre la contrefaçon. Depuis un appel à contributions publié le 3 février 2022, la Commission procède à une consultation de toutes les parties prenantes sur la lutte contre la contrefaçon au sein de différents écosystèmes (plateformes, réseaux sociaux, noms de domaine, services de paiement, intermédiaires de transport et échange d’informations et de données au sein et entre les différents écosystèmes). Ces échanges recoupent les priorités identifiées par les rapporteurs du CEC en 2020 : une meilleure efficience des injonctions, une meilleure indemnisation des atteintes aux droits de propriété intellectuelle ou encore une meilleure information et éducation sur l’impact négatif de la contrefaçon. Les représentants de la direction générale GROW ([26]) de la Commission européenne, entendus par les rapporteurs, ont indiqué que la Commission a récemment lancé une étude sur l’application de la directive 2004/48/EC sur le respect des droits de propriété intellectuelle. Cette étude devrait aborder les insuffisances d’application de cette directive : efficacité des injonctions, notamment au regard des sites miroirs, calcul des dommages trop disparate d’un État membre à l’autre...
La Commission prépare en conséquence cet ensemble d’outils (figurant dans une intervention non législative) avec les objectifs suivants :
– améliorer la coopération et l’échange d’informations et de données entre toutes les parties prenantes ;
– améliorer les procédures judiciaires en clarifiant le cadre législatif (et en particulier la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle) ;
– encourager l’usage des nouvelles technologies pour une lutte plus efficace contre la contrefaçon ;
– mieux armer les PME contre les atteintes à leurs droits de propriété intellectuelle et contre la cybercriminalité ;
– améliorer l’information et l’éducation sur les dommages occasionnés par la contrefaçon et les moyens de lutter contre la contrefaçon.
c. Le lancement attendu de longue date du brevet unitaire
Le lancement du brevet unitaire, le 1er juin dernier, que l’on peut qualifier d’historique puisqu’il clôt 50 ans de négociations, institue un nouveau régime centralisé pour faciliter la protection des inventions des entreprises au sein du marché européen, à un prix moindre qu’actuellement. Les entreprises pourront faire respecter leurs brevets européens (avec ou sans effet unitaire) devant une juridiction unifiée du brevet, ce qui devrait apporter une sécurité juridique accrue ainsi qu’une réduction des frais liés aux litiges.
L’INPI, dont les représentants ont été entendus par les rapporteurs, a regretté le peu de brevets déposés par les inventeurs européens, en comparaison avec la situation d’autres pays comme la Chine où le dépôt de brevet est quasi systématique. Les PME européennes ne tirent pas systématiquement avantage des bénéfices des droits de propriété intellectuelle : alors que 30 % des PME se déclarent innovantes, seules 9 % procèdent à l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle. Les statistiques montrent que cette lacune peut porter atteinte à leur compétitivité, car les petites entreprises qui enregistrent des droits de propriété intellectuelle ont 21 % plus de chance de croître que celles n’ayant rien enregistré.
La Commission européenne et l’EUIPO ont pour objectif de soutenir les PME dans la protection de leurs droits de propriété intellectuelle : le fonds 2023 pour les PME, doté d’un budget de 60,1 millions d’euros, prévoit un soutien financier aux PME désireuses d’enregistrer des marques, dessins ou modèles, brevets ou certificats d’obtention végétale. Ce soutien est aussi disponible pour obtenir des conseils en matière de protection de leurs droits de propriété intellectuelle.
Les PME pourront bénéficier d’un remboursement à hauteur de 75 % des frais de recherche de priorité effectuée par les offices nationaux de brevets et d’un remboursement à hauteur de 75 % des frais appliqués par l’Office européen des brevets (OEB) pour l’enregistrement d’un brevet européen (frais de dépôt et de recherche).
La mise en place d’une juridiction unifiée des brevets est considérée par les institutions européennes comme un succès de négociation et une source de sécurité accrue pour les PME.
d. La suppression de l’exemption de TVA pour les marchandises d’une valeur inférieure à 150 euros
La Commission européenne a proposé le 8 décembre 2022 un paquet de propositions visant à moderniser le système de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de l’Union et à le rendre plus efficace pour les entreprises et plus résistant à la fraude en adoptant et en promouvant la numérisation. L’objectif d’établir des conditions de traitement fiscal plus équitables entre les fournisseurs traditionnels et les plateformes numériques est aussi recherché.
Parmi ces propositions, le projet de directive « TVA à l’ère du numérique » introduira un régime douanier sur mesure pour les achats sur des sites de commerce en ligne situés hors de l’Union européenne, avec un système de données unique, et supprimera la franchise de droits de douane pour les marchandises d’une valeur inférieure à 150 euros achetées sur des sites extérieurs à l’Union européenne, exemption considérée comme source de fraude douanière et fiscale ; elle sera remplacée par un barème simplifié.
Avec le rapport obligatoire sur la vente à distance de biens, qui devra contenir les données nécessaires à la mise en libre circulation, les douanes disposeront de plus de données sur chaque envoi. L’amélioration de la qualité des contrôles qui en est attendue inclut ceux portant sur les droits de propriété intellectuelle.
En ce qui concerne la contrefaçon, cette réforme devrait réduire la sous‑estimation volontaire de la valeur en douane des envois par les contrefacteurs.
La réforme devrait générer des droits additionnels pour les États membres et le budget européen (évalués à 1 à 2 milliards par an pour le commerce électronique) et réduire les écarts en douane dus à la sous-évaluation (plusieurs milliards par an) et aux pratiques illégales. Elle participera à la lutte contre la fraude à la TVA, actuellement évaluée à 50 milliards par an.
Ainsi la réforme européenne de la TVA sur le commerce électronique (« paquet e-commerce »), entrée en vigueur en 2021, qui a instauré le paiement de la taxe dès le 1er euro, a-t-elle déjà contribué à la perception de 10 milliards d’euros. Tous les envois en provenance de pays tiers, et donc en particulier de Chine, sont dédouanés sur le site de Roissy et le paiement de la TVA est appliqué via différents dispositifs dont un guichet unique.
La proposition n° 14 du rapport de 2020 appelait à faire de la lutte contre la contrefaçon une priorité de l’action des organes de l’OLAF et d’Europol : « Intégrer la contrefaçon dans la feuille de route politique de l’Union européenne, prioriser la lutte contre la contrefaçon au sein des missions de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) et d’Europol. »
Ce phénomène n’a hélas pas été placé en tête des objectifs de ces organes de coopération. La lutte contre la contrefaçon est intégrée dans l’objectif de la détection du commerce illégal dans les programmes d’action de l’Office.
L’Office européen de lutte anti-fraude a parmi ses missions de lutter contre les trafics illégaux, grâce aux accords conclus avec plus de 80 pays. La mission centrale de l’Office est la protection de l’intérêt financier de l’UE ; cependant il conduit des actions d’accompagnement au-delà de sa mission financière comme la coordination des douanes, qui s’effectue dans le cadre du règlement européen 515/97 ([27]). Ces actions de coordination douanière sont menées en ciblant, en raison du manque de ressources, les produits dangereux pour la santé et la sécurité humaine et pour l’environnement.
Les pouvoirs de l’OLAF sont importants : il peut conduire des enquêtes administratives, conclure des accords de coopération administrative avec les douanes de pays tiers pour mieux comprendre comment les produits contrefaits arrivent en Europe… Les obstacles rencontrés sont ceux des données manquantes et de mauvaise qualité, en particulier dans le cadre du commerce électronique.
L’Office est compétent pour traiter l’importation de biens contrefaisants sur le marché intérieur, mais il demande une extension de ses pouvoirs à la contrefaçon intra‑européenne.
Les ressources humaines de l’Office étaient de 371 personnes en 2021. Cependant l’unité chargée des opérations et des investigations est constituée de 3 personnes travaillant sur les cigarettes, 4 à 5 personnes sur les produits dangereux, soit 7 à 8 personnes au total. L’Office dans son ensemble a perdu 64 postes au profit de la nouvelle institution du procureur européen.
Les rapporteurs regrettent les ressources limitées de l’Office consacrées à la contrefaçon, qui comprend beaucoup de flux et de trafics, car l’on peut ajouter aux secteurs évoqués ci-dessus la surveillance des jouets, des médicaments, des boissons, des gaz réfrigérants… ou encore celle des produits à double usage (produits légaux qui peuvent servir à en fabriquer d’autres comme des drogues ou des armes). La surveillance des produits pouvant contribuer à l’armement est passée au rang de priorité du fait de la guerre en Ukraine.
Un renforcement de l’équipe dédiée à la contrefaçon serait utile pour une plus grande efficacité dans les missions actuelles, et a fortiori si ces missions sont accrues avec les flux de contrefaçon intra-communautaires.
B. DES DISPOSITIONS NATIONALES POUR MIEUX LUTTER CONTRE LA CONTREFAÇON
La présentation du contrat d’objectifs et de moyens 2022-2025 de la direction générale des douanes et droits indirects rappelle le contexte auquel nous devons faire face : « Nouvelle frontière européenne à nos portes avec le Brexit, croissance fulgurante du e‑commerce, aggravation des menaces liées aux trafics illicites internationaux et à la criminalité organisée, défis renouvelés de la compétitivité de nos entreprises dans la mondialisation. Ces mutations rapides et intenses affectent durablement nos frontières, la circulation des marchandises et témoignent d’un besoin de protection du territoire, de la population, des entreprises, et de souveraineté économique. »
Les ports et aéroports européens sont en compétition pour attirer l’activité économique ; or un important facteur de compétitivité réside dans le fait que les marchandises n’y stationnent pas trop longtemps. Il y a donc un enjeu fort de renforcement des contrôles, tout en garantissant la fluidité du franchissement des frontières.
Dans ce contexte, le plan contrefaçon 2021-2022 et plusieurs textes récemment adoptés sont de nature à permettre de lutter plus efficacement contre la contrefaçon.
1. Le renforcement des outils et moyens des douanes
Administration de la frontière et de la marchandise, les douanes sont en première ligne dans la lutte contre la contrefaçon et plusieurs mesures ont été prises depuis 2020 pour renforcer la lutte contre ce phénomène endémique.
En février 2021, un plan contrefaçon 2021-2022 a été présenté à Roissy par le ministre délégué chargé des comptes publics. Ce plan s’articule autour de quatre objectifs destinés à mieux lutter contre la présence accrue de contrefaçons dans le commerce en ligne.
Le premier objectif concerne le renforcement de la coopération avec tous les acteurs de la lutte contre la contrefaçon. Il s’agit ainsi de soutenir la mise en œuvre de mesures proactives par les places de marché et les réseaux sociaux, de développer des protocoles de coopération et de s’associer à une certification commune des marketplaces avec la direction générale des entreprises (DGE) ; de renforcer les liens avec l’INPI, l’EUIPO ; de porter au niveau européen la nécessité de lutter contre la contrefaçon ; de sensibiliser les entreprises et les consommateurs.
Le deuxième objectif concerne la collecte et le traitement du renseignement. Il s’agit en particulier d’étendre le réseau de cyberdouaniers, de mieux exploiter les demandes d’intervention, d’améliorer la collecte de renseignements et de soutenir des évolutions européennes. Il s’agit aussi de développer de nouvelles techniques et outils d’analyse.
Le troisième objectif concerne le renforcement des contrôles et enquêtes notamment en programmant des contrôles spécifiques, en développant la nouvelle compétence « contrefaçon » pour la direction des enquêtes douanières, en poursuivant l’identification et le démantèlement de filières d’assemblage sur le territoire national et en sensibilisant les parquets aux infractions liées à la propriété intellectuelle.
Le quatrième objectif prévoit d’adapter la politique contentieuse et les poursuites, de renforcer la formation des douaniers et de responsabiliser les titulaires de droits.
Le contrat d’objectifs et de moyens 2022-2025 et la loi du 18 juillet 2023 s’inscrivent dans la continuité du plan 2021-2022 et apportent de nouveaux outils pour permettre aux services des douanes de mieux lutter contre la circulation de produits illicites.
Le contrat d’objectifs et de moyens de la douane 2022-2025 prévoit en effet la modernisation des équipements de ses services :
Source : La douane change – Stratégie 2022-2025 de la direction générale des douanes et droits indirects.
Ces mesures vont incontestablement dans le bon sens mais seront‑elles suffisantes pour permettre à cette administration aux effectifs limités – et dont le contrat d’objectifs et de moyens prévoit la stabilité jusqu’en 2025 –, de faire face à l’augmentation spectaculaire des flux de colis et à l’évolution des trafics évoqués plus haut ?
En effet, un important travail de veille doit être opéré sur les réseaux sociaux et les marketplaces… Telle est l’une des missions du réseau Cyberdouane dont le pôle central, d’une quinzaine d’agents, est établi à Ivry avec l’objectif de multiplier les enquêtes déconcentrées, de réaliser des achats sous pseudonymes, de localiser les personnes et les stocks pour ensuite constater les délits. La loi n° 2023‑610 du 18 juillet 2023 visant à donner aux douanes de nouveaux moyens d’agir face aux nouvelles menaces ayant renforcé les pouvoirs des douanes pour lutter contre les infractions, de plus en plus nombreuses, commises via internet, les rapporteurs soulignent l’importance stratégique de ce réseau et, d’une manière générale, du travail d’enquête des douanes.
Dans le cadre de la modernisation des outils de contrôle, la direction interrégionale des douanes de Paris-Aéroports (DIPA) a expérimenté en 2022, au centre de dédouanement postal de Roissy, un équipement à rayons X utilisant une technique d’imagerie permettant de reconstruire le volume des objets avec l’objectif de constituer une banque d’images à même de générer des algorithmes exploitables par l’intelligence artificielle. Ce type de scanner pourrait fluidifier, simplifier et rendre plus efficace le contrôle des flux massifs du e-commerce.
En mai dernier, le ministre délégué chargé des comptes publics a annoncé qu’au titre des interventions douanières dans le e-commerce, l’objectif de 32 500 infractions relevées dans le fret express et postal à l’horizon 2025 serait atteint et que 100 % des colis postaux venant de pays non européens seraient scannés par les douanes à la même échéance, 100 équivalents temps plein (ETP) devant être redéployés sur le contrôle douanier du e-commerce d’ici 2025.
Complétant ces moyens, la loi précitée est d’abord destinée à adapter notre droit à la suite de la censure, par le Conseil constitutionnel ([28]), de l’article 60 du code des douanes conférant aux douaniers un « droit de visite », pierre angulaire de la lutte contre les trafics. Mais le texte adopté comporte plusieurs mesures de nature à mieux lutter contre la contrefaçon, en particulier via le commerce en ligne :
– le droit de visite, qui habilite les douaniers à fouiller les personnes, véhicules et marchandises, s’exerce donc désormais de plein droit aux frontières, dans un rayon de 40 kilomètres, dans les ports, les aéroports, les gares internationales mais aussi à l’intérieur du territoire en cas de raisons plausibles de soupçonner que la personne contrôlée a commis une infraction douanière, ou après information préalable du procureur de la République pour la recherche d’infractions graves ;
– pour gagner en efficacité dans la recherche et la constatation d’infractions, les agents des douanes de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières pourront, par exemple, geler les données hébergées sur un serveur distant au cours des visites domiciliaires ;
– les sanctions des délits douaniers de première classe (article 414 du code des douanes) sont élargies par la confiscation des biens ayant servi à commettre l’infraction ou destinés à la commettre et dont l’auteur de l’infraction est propriétaire (sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi), pour tout fait de contrebande ainsi que tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises prohibées ;
– pour faciliter la prévention des infractions commises au moyen d’internet, le code des douanes intègre un chapitre spécifique (articles 67 D‑5 et suivants). En effet, les lois du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et du 7 octobre 2016 pour une République numérique avaient déjà imposé, aux fournisseurs d’accès et hébergeurs, de mettre en place des dispositifs de signalement de contenus illicites (contenus violents, haineux…) et de retirer lesdits contenus, sous peine de voir leur responsabilité engagée, d’informer les autorités des activités illicites pouvant ordonner des blocages judiciaire et administratif.
La DGCCRF dispose déjà d’un pouvoir d’injonction au titre de la sécurité et de la conformité des produits, lui permettant d’ordonner aux opérateurs de plateforme en ligne et aux hébergeurs de faire apparaître un message avertissant les consommateurs du risque encouru ou, pour les infractions les plus graves, de faire cesser le référencement et de bloquer les noms de domaine. Elle peut aussi saisir l’autorité judiciaire pour prévenir ou faire cesser un dommage causé par le contenu d’un service de communication au public.
Toutefois, il n’existait pas de dispositions équivalentes pour permettre aux services des douanes de lutter contre les contenus illicites proposant, via internet, des marchandises prohibées (dont relèvent les produits contrefaits) ou des produits du tabac.
La loi du 18 juillet 2023 a donc remédié à cette lacune en permettant aux agents des douanes habilités, dans le cadre d’infractions relevant de l’article 414 du code des douanes (contrebande, importation ou exportation sans déclaration de marchandises prohibées) ou d’acquisition de tabac à distance, de saisir l’intermédiaire (dont les opérateurs de plateformes en ligne), de demander le retrait des contenus concernés, voire de demander aux opérateurs le déréférencement ou la suspension du nom de domaine pour une durée de quatre mois renouvelable une fois, ou encore de demander au tribunal judiciaire la suppression, en raison du caractère illicite de leurs contenus, d’un ou de plusieurs noms de domaine. En l’absence de suite, les agents des douanes habilités peuvent demander à la juridiction saisie de prononcer une astreinte.
Il serait maintenant nécessaire de permettre aux officiers de police judiciaire de la police et de la gendarmerie, de disposer de pouvoirs équivalents à ceux des agents des douanes ; c’est le sens de la proposition de loi que votre rapporteur a récemment déposée ([29]).
La loi du 18 juillet 2023 prévoit enfin la création d’une réserve opérationnelle, composée de retraités des douanes et de volontaires, pour des missions de renfort temporaire.
Votre rapporteur a défendu plusieurs amendements pour accélérer la création de la réserve opérationnelle, s’inspirer de ce qui fonctionne bien, mieux reconnaître et sécuriser les réservistes et pour créer une réserve citoyenne, à l’image de la réserve citoyenne de défense et de sécurité. Il regrette de ne pas avoir été suivi sur ce point alors que, par exemple, des réservistes bénévoles pourraient être sollicités pour faire, en milieu scolaire, de la pédagogie sur les méfaits de la contrefaçon.
2. Une loi pour encadrer l’influence commerciale
Les dérives constatées dans le secteur de l’influence ont conduit les députés à se saisir du sujet pour définir et encadrer une activité qui, jusqu’à présent, se développait sans règles claires, et ainsi mieux protéger les consommateurs.
Adoptée à l’unanimité, la loi du 9 juin 2023 ([30]) rappelle le cadre légal relatif à la publicité et à la promotion des biens et services auquel doivent se soumettre les influenceurs, comme elle interdit la publicité pour certains biens et services comme les produits de nicotine. La mention « publicité » ou « collaboration commerciale » doit désormais figurer, de façon claire, lisible et identifiable, durant l’intégralité de la promotion réalisée par les influenceurs.
Le dropshipping ou « livraison directe », qui a donné lieu à de nombreuses dérives, est également encadré par l’engagement de la responsabilité des influenceurs vis-à-vis des acheteurs, lesquels doivent notamment s’assurer que les produits ainsi vendus ne sont pas contrefaisants (article 6 de la loi). Un mécanisme d’identification et de sanctions est également établi : les influenceurs résidant à l’étranger tout en ciblant un public français doivent désormais désigner un représentant légal dans l’Union européenne et y souscrire une assurance civile professionnelle (article 9).
Les articles 10, 11 et 12 du nouveau texte s’attachent à réguler les contenus diffusés par les influenceurs par l’intégration de trois nouveaux articles dans la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Les fournisseurs de services d’hébergement mettent en place des mécanismes permettant de signaler, dans les conditions prévues par le règlement relatif à un marché unique des services numériques, la présence de contenus illicites tandis que les fournisseurs de plateformes en ligne prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que les notifications soumises par des signaleurs de confiance soient traitées prioritairement ; les fournisseurs de services intermédiaires (les réseaux sociaux utilisés par les influenceurs) prennent les mesures nécessaires pour donner suite aux injonctions des autorités habilitées ; enfin, les agents de la DGCCRF, via une équipe dédiée, peuvent désormais prononcer des mises en demeure et injonctions sous astreinte pour imposer le retrait des contenus illicites ou la suspension de comptes (article 13).
Enfin, les influenceurs qui violeraient les interdictions ou obligations posées par la loi risqueront jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, ainsi qu’une interdiction d’exercer leur activité.
Concomitamment, le ministère de l’économie a élaboré un guide de bonne conduite des influenceurs et des créateurs de contenus, présentant de manière pédagogique les conditions d’exercice et obligations de l’activité d’influenceur. Ce guide rappelle les interdictions relatives à la contrefaçon, comme le montre l’extrait suivant :
Extrait du guide de bonne conduite des influenceurs et des créateurs de contenus
(juillet 2023)
22. Quels produits et services ne puis-je pas promouvoir ?
En tant qu’influenceurs, vous pouvez être sollicités par des marques pour faire la promotion de leurs produits et vous devez ainsi respecter les clauses du contrat qui vous lient à ces marques (les annonceurs) (cf. point 13. Quels éléments doit comporter le contrat que je signe avec mon agent d’influenceur ou l’annonceur dont je promeus la marque ?). Vous pouvez également vous référer aux recommandations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) en la matière.
Néanmoins, il est formellement interdit de faire la promotion de tout bien ou service contrefaisant. La contrefaçon peut concerner tous types de produits (médicaments, vêtements, jouets, cosmétiques, parfums, etc), ou toute création (vidéo, musique, image, logo, etc). En effet, est considéré comme une contrefaçon, toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle au sens des articles L. 335-2, L. 513-4, L. 521-1, L. 613-3 et L. 613-4, et L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle.
Le marketing d’influence, comme toute pratique commerciale, doit également respecter les dispositions spécifiques relatives à la promotion de certains biens ou services.
Sur internet comme partout ailleurs, la publicité est encadrée et les mêmes règles s’appliquent. Elles s’appliquent notamment lorsque vous faites la promotion des produits suivants, particulièrement encadrés, à savoir :
(…)
Par ailleurs, la publicité est interdite pour :
→ le tabac et les produits du tabac, la cigarette électronique, ainsi que les produits de nicotine ;
(…)
23. Que faire si je pratique le « dropshipping » ?
Le « dropshipping » ou « livraison directe » est une vente sur internet dans laquelle le vendeur ne se charge que de la commercialisation et de la vente du produit. C’est le fournisseur du vendeur qui expédie la marchandise au consommateur final. Le consommateur n’a généralement ni connaissance de l’existence du fournisseur ni de son rôle.
Bien que vous ne vous chargiez pas de la livraison des produits que vous vendez, cette méthode de vente vous engage car vous êtes et restez le vendeur, vous êtes responsable à l’égard de l’acheteur. Dès lors :
→ Assurez-vous que ces produits sont conformes à la législation applicable (nationale ou européenne, par exemple imposant un marquage CE pour certains produits), qu’ils ne sont pas dangereux, ni pour des adultes, ni, le cas échéant pour des enfants, et qu’ils ne sont pas interdits. Assurez-vous que les produits sont disponibles et licites, notamment qu’ils ne sont pas des contrefaçons ;
→ Vous devez informer l’acheteur de l’identité réelle du fournisseur, si ce n’est pas vous.
→ Vous devez afficher les détails de ces produits : le prix (TTC en euros), les caractéristiques (taille, quantité, composition...) et les conditions de vente (modalités de paiement, délais de livraison...) doivent apparaître clairement.
Lorsque certaines informations obligatoires sont manquantes, le vendeur s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 euros pour une personne morale et 15 000 euros pour une personne physique.
→ Vous êtes seul responsable, vis-à-vis de l’acheteur, de la bonne exécution de la commande et de la livraison du produit dans le délai prévu et en bon état.
→ Vous devez respecter le droit de rétractation de votre client qui, dans les 14 jours à la compter de la date de livraison du produit, peut revenir sur sa commande et vous renvoyer le produit. Vous devez alors le rembourser.
Vous devez par ailleurs être inscrit au registre du commerce et des sociétés.
Le non-respect de ces règles est passible de sanctions administratives ou pénales.
Un effort de professionnalisation a également été engagé : ainsi l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) propose, au terme d’une formation en ligne de 3 h 30 incluant des contenus sur le cadre légal et déontologique du marketing d’influence, un certificat de l’influence responsable. Selon la présidente de l’UMICC, qui gère sa propre agence, les titulaires du certificat ont un taux de manquement de 1 %. Jusqu’à présent (septembre 2023), quelque 1 000 créateurs de contenu ont obtenu ce certificat.
Cette certification va dans le bon sens, d’autant que la formation constitue le maillon faible de cette activité au développement spectaculaire. Pour autant, ce certificat ne relève pas d’une certification professionnelle enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et un nombre très limité d’influenceurs en est titulaire.
L’ensemble de ces nouvelles mesures, associé aux dispositions européennes sur les marchés et services numériques (DSA et DMA), devrait permettre de limiter la promotion de produits contrefaits par les réseaux sociaux et les influenceurs. Il faudrait néanmoins que les moyens de contrôle, aujourd’hui dérisoires même si le ministère de l’économie a annoncé la création d’une brigade de 15 agents de la DGCCRF dédiée à l’influence commerciale, soient à la hauteur du développement exponentiel de ces nouvelles activités en ligne.
Les deux lois de 2023 relatives aux douanes et à l’influence commerciale apportent donc des outils pour répondre aux demandes formulées aux propositions nos 6 et 7 du rapport de 2020 qui demandaient :
– l’instauration d’une procédure administrative d’avertissement ou de blocage des sites internet proposant à la vente des produits contrefaisants ;
– l’institution d’agents assermentés pour le droit des marques autorisés à constater une infraction commise sur internet et à exiger, pour le compte du titulaire de droits, qu’il soit mis fin à l’exposition et à la vente de contrefaçons sur les plateformes ou les réseaux sociaux.
3. Des mesures ciblées pour lutter contre les trafics de tabac et de médicaments
a. Le plan tabac 2023-2025 pour mieux lutter contre les trafics
En décembre 2022, un plan tabac 2023-2025 a été présenté par le ministre délégué chargé des comptes publics pour permettre aux agents des douanes de mieux lutter contre ces trafics par l’amélioration du renseignement douanier, le renforcement des moyens d’action et d’enquête, l’adaptation du cadre juridique et de la gestion du contentieux et par des actions de communication.
Plus concrètement, ce plan prévoit : le positionnement de 22 nouveaux scanners sur les routes et entrepôts du e-commerce (le déploiement d’une dizaine de camionnettes scanners est prévu en 2024 dans les principaux ports), 5 équipes de maîtres de chien spécialisées pour épauler les 25 existantes ainsi que de nouveaux outils de détection et d’analyse d’image.
Parallèlement, dans les neuf principales zones urbaines de trafic, des groupes de lutte anti-trafics de tabac (GLATT), coordonnant l’action des services douaniers et des forces de l’ordre, mèneront des opérations coup de poing et des enquêtes, avec le concours d’un réseau de partenaires (50 opérations sont prévues en 2023, 100 à l’horizon 2025). Le Groupe de recherche et d’intervention contre les trafics de tabac (GRITT), créé en février 2021 au sein de la direction régionale des douanes de Lyon et précurseur des GLATT, a ainsi permis, avec le concours du RAID, la saisie de 19 tonnes de cigarettes, de 150 000 euros et le démantèlement d’un réseau international de cigarettes de contrebande.
En juin 2023, a été conduite l’opération Colbert fondée sur la coopération de différents services de l’État sur tout le territoire, dans 11 aéroports et 7 zones frontalières.
Élaborée dans le cadre du groupe opérationnel national anti-fraude (GONAF), cette opération de lutte contre les trafics de tabac a été copilotée par la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) et la Douane, en partenariat avec la Police nationale, la Gendarmerie nationale, la préfecture de police de Paris, des polices municipales ainsi que des Parquets.
5 172 agents ont ainsi été mobilisés dont 2 866 douaniers, 1 389 agents des services de police et 724 gendarmes. Près de 7 000 contrôles ont été effectués, de jour comme de nuit et 712 vols contrôlés.
À l’issue de cette opération, près de 9 tonnes de tabac ont été saisies et 58 personnes interpellées.
Une seconde opération Colbert prévue dans les six prochains mois, a été annoncée par le ministre délégué.
Source : Portail de la direction générale des douanes et droits indirects – 25 septembre 2023.
Pour mieux lutter contre la vente illégale de tabac via le commerce en ligne et les réseaux sociaux, un réseau déconcentré de douaniers spécialisés dans les « cybertrafics » a été expérimenté depuis 2020. À l’issue de cette expérience, une dizaine d’implantations prioritaires ont été choisies en fonction de l’intensité des trafics locaux de tabac. Ces douaniers spécifiquement formés et équipés ont vocation à intervenir en coordination avec les GLATT. Ainsi, une enquête a été menée à Dunkerque par les services régionaux d’enquête et Cyberdouane (rattachés à la DNRED), et a permis de saisir plus de 2 000 articles de contrefaçon pour une valeur de près de 300 000 euros et près de 2 000 paquets de cigarettes. Ces mesures constituent de réelles avancées mais, compte tenu de l’ampleur et de l’évolution des trafics, il pourrait être utile de densifier ce réseau afin de faciliter les investigations au plus près du terrain.
La direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) exerce également des missions de contrôle des bateaux de plaisance et navires commerciaux et participe à la lutte contre les trafics de tabac. Ainsi, en avril 2022, la brigade de surveillance extérieure du Port de Marseille et la brigade nautique de garde‑côtes de Port-de-Bouc et de Sainte-Maxime ont saisi 1 624 cartouches de cigarettes sur un navire de commerce.
Le plan tabac 2023-2025 prévoit également un renforcement des sanctions qui a trouvé sa traduction dans la loi du 18 juillet dernier ([31]) (article 31) : celle‑ci double les amendes et porte d’un an à trois ans (et de cinq à dix ans, en bande organisée) la peine d’emprisonnement prévue pour le trafic de tabac, et instaure une peine complémentaire d’interdiction du territoire jusqu’à dix ans pour tout étranger se livrant à ce trafic. Ces mesures sont les bienvenues car, ainsi que l’a rappelé la rapporteure du projet de loi, « il apparaît que les modes opératoires des trafiquants de tabac tendent à se rapprocher de ceux des trafiquants de stupéfiants et produisent les mêmes effets, dont des guerres de territoire et l’alimentation de circuits de blanchiment. En outre, la rentabilité du trafic de tabac augmente et peut désormais rapporter autant que le trafic de stupéfiants tout en représentant un risque pénal plus limité » ([32]).
Les rapporteurs estiment néanmoins que, compte tenu de l’impact des trafics de contrefaçon sur l’économie et la sécurité publique, l’interdiction du territoire français pouvant désormais être prononcée à l’encontre de tout étranger se livrant aux trafics de tabac manufacturé ou de stupéfiants pourrait être élargie aux trafics de contrefaçons.
Par ailleurs, le texte adopté porte de trois à six mois la durée de la fermeture administrative des commerces revendant du tabac de manière illicite, le non‑respect de l’arrêté de fermeture étant sanctionné d’une peine de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
De même, la prévention des infractions commises par internet – nouveaux articles 67 D‑5 et suivants du code des douanes issus de la loi du 18 juillet 2023, voir supra – s’applique aux infractions de vente ou d’acquisition à distance de tabac, ce qui constitue un outil supplémentaire pour lutter contre ce type de trafics.
La loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux interdit aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, des produits considérés comme produits de nicotine pouvant être consommés et composés, même partiellement, de nicotine, comme c’est déjà le cas pour le tabac (article 4 de la loi). Le guide de bonne conduite des influenceurs et créateurs de contenus, édité en 2023 par le ministère de l’économie rappelle, pour sa part, cette interdiction.
Enfin, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée nationale prévoit que les fournisseurs de services d’accès à internet informent leurs abonnés de l’interdiction de procéder en France métropolitaine et dans les départements d’outre‑mer à des opérations de vente à distance, d’acquisition, d’introduction en provenance d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’importation en provenance de pays tiers de produits du tabac manufacturé dans le cadre d’une vente à distance ainsi que des sanctions légalement encourues pour de tels actes. Tout manquement à cette obligation étant puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
Ces évolutions constituent des outils pour mieux lutter contre les trafics de tabacs et vont dans le sens – sans y correspondre parfaitement – de la proposition n° 12 du rapport de 2020 qui demandait notamment de mieux lutter contre les ventes illicites de tabac en :
– appliquant l’article 29 de la loi n° 2018‑898 relative à la lutte contre la fraude qui oblige les réseaux sociaux à énoncer que la vente de tabac est illégale ;
– de sensibiliser les réseaux sociaux à leur obligation de retirer les annonces illégales sans intervention du titulaire de droits, de la même manière qu’ils coopèrent pour supprimer les contenus haineux.
Compte tenu de la circulation croissante de tabacs au sein de l’Union européenne, les rapporteurs souhaitent qu’une identification de ces productions soit imposée afin d’en permettre la traçabilité.
b. Des avancées dans la lutte contre les médicaments illicites
Si le chantier est immense, la lutte contre les médicaments illicites s’est dotée de nouveaux outils.
Constatant que la DNRED ne pouvait, en l’absence d’infraction à la propriété intellectuelle – ce qui est restrictif –, réaliser des coups d’achat sur internet lorsque les produits sont identifiés comme potentiellement illégaux, à la vente, le rapport de 2020 plaidait pour remédier à cette lacune en autorisant les douanes à pratiquer des coups d’achat pour les médicaments et les matières premières à usage pharmaceutique (proposition n° 1).
À l’initiative de votre rapporteur Christophe Blanchet, l’article 26 de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner aux douanes de nouveaux moyens d’agir face aux nouvelles menaces prévoit, par une nouvelle rédaction de l’article 67 bis 1 du code des douanes, d’élargir la procédure spéciale d’enquête du coup d’achat aux délits douaniers prévus aux articles 414, 414‑2 et 459 du code des douanes, visant ainsi l’ensemble des marchandises prohibées dont les médicaments falsifiés. Il s’agit, par cette procédure, de permettre aux douaniers habilités de remonter les filières de ces activités illicites et dangereuses. Par ailleurs, l’article 24 de la nouvelle loi ajoute les médicaments falsifiés à la liste des marchandises prohibées définies à l’article 38 du code des douanes et relevant des peines prévues par l’article 414 du même code qualifiant les délits douaniers. La première proposition formulée dans le rapport de 2020 est donc concrétisée.
La proposition n° 17 du rapport de 2020 demandait une règlementation plus efficace de la vente en ligne de médicaments en renforçant les obligations des registraires de noms de domaine en ce qui concerne les sites de vente de médicaments, en imposant aux plateformes de commerce électronique des mesures proactives pour retirer les médicaments falsifiés en vente et en prévoyant pour les réseaux sociaux une obligation de mettre en place des filtres dès lors qu’il s’agit d’offres ou incitations à vendre des médicaments.
Rappelons qu’en France, seules les pharmacies peuvent avoir un site de commerce électronique de médicaments et assument la responsabilité de la qualité des médicaments vendus ; tandis que les sites basés dans d’autres États membres ont des obligations équivalentes, avec, au moins, la désignation d’une personne responsable.
En ce qui concerne les plateformes en ligne, les obligations qui leur incombent désormais, dans le cadre de la mise en œuvre du RSN ainsi que la loi renforçant les pouvoirs des douanes, constituent un début de réponse aux préoccupations formalisées par la proposition n° 17.
Par ailleurs, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement au projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique en cours de discussion prévoit que les produits contrefaits et les médicaments falsifiés doivent faire l’objet d’une information de la part des fournisseurs d’accès à internet à leurs abonnés quant au caractère illégal de leur vente ou de leur acquisition à distance, ainsi que des sanctions encourues par les auteurs se livrant à ces pratiques.
En ce qui concerne les réseaux sociaux, la loi précitée relative à l’influence commerciale – laquelle fait un grand usage des réseaux sociaux – prévoit, dans son article 3, que sont applicables à l’influence commerciale les articles du code de la santé publique régissant la publicité pour les médicaments.
De même, le guide de bonne conduite publié en juillet dernier par le ministère de l’économie rappelle aux influenceurs et créateurs de contenus qu’il est formellement interdit de faire la promotion de tout bien ou service contrefaisant, la contrefaçon pouvant concerner des médicaments ; que le marketing d’influence doit respecter les dispositions spécifiques relatives à la promotion de certains biens ou services pour lesquels la publicité est encadrée, ce qui concerne les médicaments à usage humain (articles L. 5122‑1 à 16 du code de la santé publique) et les dispositifs médicaux (articles L. 5213‑1 à 7 du même code). Par ailleurs, le guide rappelle que la publicité est interdite pour les médicaments soumis à prescription médicale.
Sans répondre parfaitement à la proposition n° 17 formulée en 2020, ces différentes mesures constituent des avancées.
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III. D’AUTRES ACTIONS NATIONALES SONT NÉCESSAIRES POUR ÊTRE PLUS EFFICACE
Les nouveaux outils adoptés à l’échelle européenne et en France, sous réserve qu’ils soient mis en œuvre dans des conditions efficaces, sont de nature à améliorer la lutte contre la contrefaçon. Pour autant, plusieurs axes d’amélioration, en lien avec les propositions de 2020, ont été identifiés par les rapporteurs. Ils ont pour objet : une formation et une communication exigeantes sur les questions de propriété intellectuelle ; une efficacité accrue des procédures et des sanctions ; enfin, une mise à l’ordre du jour systématique de la lutte contre la contrefaçon dans les échanges internationaux.
A. MIEUX FORMER ET COMMUNIQUER SUR LA CONTREFAÇON
Le rapport de 2020 soulignait l’importance de la prévention et de l’information des citoyens pour les protéger contre les dangers de la contrefaçon et avait formulé une proposition n° 3 demandant d’informer les consommateurs sur l’impact négatif des contrefaçons, à différents moments clés de l’éducation ou de la vie économique : école, collège, lycée, service national universel, achats sur des sites internet ou des réseaux sociaux.
Certes, des actions de sensibilisation existent, en particulier à l’initiative de l’Unifab, mais la récente enquête menée par l’EUIPO ([33]) auprès des jeunes montre que des progrès restent à accomplir. Ainsi, 52 % des jeunes Européens avaient acheté au moins un produit de contrefaçon au cours des 12 mois précédant l’enquête, faisant apparaître une augmentation substantielle par rapport à 2019 : 37 % contre 14 % en 2019 avaient acquis volontairement un produit de contrefaçon (une même proportion – 37 % – déclarant un achat involontaire contre 12 % en 2019).