N° 1860

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

portant observations sur le projet de loi pour contrôler l'immigration,
améliorer l'intégration, (n° 1855),

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Pierre-Henri DUMONT,

Député

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  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, David AMIEL, Rodrigo ARENAS, Mme Delphine BATHO, MM. Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mmes Félicie GÉRARD, Perrine GOULET, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Philippe JUVIN, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, Mmes Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, MM. Christophe PLASSARD, Jean-Pierre PONT, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 

 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PremiÈre partie : L’Europe et la France font face À une forte croissance des flux migratoires et demeurent impuissantes pour lutter contre l’immigration irrÉguliÈre

I. Depuis la crise de 2015, les flux migratoires vers l’europe n’ont pas tari

A. Des arrivÉes irrÉGULIÈres en Europe au plus haut niveau depuis 2015

B. Une hausse globale de l’immigration en France

II. La France pÂti des dÉfaillances de la politique europÉenne et de la faible coopÉration des pays tiers

A. La France est victime d’importants « mouvements secondaires » au sein de l’Union europÉenne

B. Des taux d’exÉcution des mesures d’Éloignement À un niveau historiquement bas

C. Une situation intenable À Calais

DeuxiÈme partie : Face À ce constat, un projet de loi qui n’est pas à la hauteur des enjeux

I. Un ÉNIÈme projet de loi qui ne modifie le cadre juridique existant qu’a la marge

A. Des mesures tendant à favoriser les Éloignements qui restent au milieu du guÉ

B. Un risque d’appel d’air des mesures en faveur de l’immigration légale

II. Une occasion manquÉe d’anticiper les réformes europÉennes À venir

A. Un projet de loi qui intervient alors qu’une profonde rÉvision du cadre europÉen est sur le point d’aboutir

B. Une anticipation incertaine de l’impact de cette réforme sur le droit national

TroisIÈme partie : La politique migratoire de l’union europÉenne doit PERMETTRE DE renforcer la souverainetÉ des États membres

I. ASSURER QUE le droit europÉen ne constitue pas un frein à la mise en œuvre d’une politique migratoire efficace

A. Un cadre europÉen contraignant qui restreint les marges de manœuvre du lÉgislateur

B. La France doit pleinement utiliser les clauses de flexibilitÉ permises par l’Union europÉenne

II. Tirer pleinement profit des coopÉrations possibles au niveau europÉen

A. Renforcer l’utilisation des outils europÉens de coopÉration en matiÈre d’Éloignement

B. AccroÎtre les mesures d’incitation À l’Égard des pays tiers

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Recommandations du rapporteur

 


   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée nationale entamera dans quelques semaines la discussion du 29e projet de loi sur l’immigration déposé depuis 1980. Son examen interviendra dans un contexte migratoire inédit marqué par la hausse durable et soutenue des flux à destination de la France et de l’Europe, au plus haut niveau depuis la crise intervenue lors de l’année 2015.

Si notre droit national nécessite sans nul doute d’être réformé, la succession des modifications législatives intervenues depuis quarante ans, sans parvenir à un infléchissement de la dynamique migratoire, démontre que les mesures entreprises ont été insuffisantes. Hélas, le projet de loi qui nous est présenté ne devrait pas connaître un sort différent. En effet, les mesures proposées en matière d’éloignement ne constituent que des ajustements à la marge du cadre existant et ne permettront pas de répondre aux véritables sources des inefficiences de la politique d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, lesquelles résident essentiellement dans l’exécution des mesures de retour et non au stade de leur édiction. Par ailleurs, l’article du projet de loi permettant la régularisation de certains travailleurs sans papiers peut sembler en contradiction avec l’objectif affiché de lutte contre l’immigration illégale.

En outre, le projet de loi ne dit rien de son articulation avec le droit de l’Union européenne. Pourtant, depuis le traité d’Amsterdam de 1997, la politique migratoire constitue une compétence partagée des États membres et de l’Union qui fait l’objet d’une importante production de droit dérivé. L’articulation des mesures nationales avec le cadre tracé par l’Union européenne est un enjeu majeur de l’efficacité de la politique migratoire. À cet égard, la présentation du projet de loi intervient alors même que les négociations sur le Pacte sur l’Asile et la migration, qui réformera en profondeur les règles migratoires européennes, sont en cours d’achèvement.

Si les défaillances de la politique migratoire européenne sont susceptibles d’avoir des conséquences non négligeables sur chacun des États membres comme l’a montré la crise de 2015, l’Union européenne peut aussi constituer l’échelon approprié pour maîtriser les frontières extérieures du continent européen et mener un dialogue coordonné avec les pays tiers.

Afin de bâtir une Europe souveraine qui remplit les objectifs qui lui sont assignés par les traités à travers la création d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice », il convient de renforcer la souveraineté des États membres dans la maîtrise de leurs frontières en tirant pleinement parti des possibilités offertes par la coopération européenne.


   PremiÈre partie : L’Europe et la France font face À une forte croissance des flux migratoires et demeurent impuissantes pour lutter contre l’immigration irrÉguliÈre

I.   Depuis la crise de 2015, les flux migratoires vers l’europe n’ont pas tari

A.   Des arrivÉes irrÉGULIÈres en Europe au plus haut niveau depuis 2015

Les flux migratoires vers l’Europe s’inscrivent désormais dans une dynamique durable qui n’a pas vocation à s’infléchir. La crise de 2015 a, à cet égard, constitué un évènement d’une intensité inédite au regard du nombre d’arrivées sur le sol européen. L’agence Frontex a, sur cette seule année, recensé 1,8 million de franchissement irréguliers des frontières extérieures européennes tandis que les États membres ont procédé à l’enregistrement d’1,2 million de demandes d’asile.

Toutefois, loin de constituer un évènement isolé, cette crise s’inscrit dans une augmentation globale et rapide des flux migratoires vers l’Union européenne. Si ces flux avaient diminué jusqu’en 2020, en raison notamment de l’impact de la crise sanitaire, ils connaissent à nouveau une augmentation très soutenue.

Les franchissements irréguliers enregistrés aux frontières extérieures sont ainsi passés d’environ 125 000 en 2020 à plus de 300 000 en 2022, soit une augmentation de 64 % par rapport à 2021, un chiffre jamais atteint depuis 2016. Cette dynamique haussière se confirme et tend même se renforcer en 2023. Ainsi, sur les neuf premiers mois de l’année, Frontex a décompté 280 000 franchissements irréguliers.

Les routes migratoires évoluent rapidement et font l’objet d’une recomposition incessante. Toutefois, la route de la Méditerranée centrale constitue actuellement la route migratoire la plus active avec 131 600 traversées enregistrées sur les neuf premiers mois de l’année 2023, un chiffre qui lui non plus n’avait jamais été atteint depuis 2016. La seconde route la plus active est la route des Balkans occidentaux avec 80 000 passages enregistrés sur la même période. Les principaux pays de nationalité des personnes recensées, toutes routes migratoires confondues vers l’Union européenne, sont la Guinée, la Syrie et la Côte d’Ivoire.


Source Frontex

Cette augmentation de la pression migratoire aux frontières de l’Union est également visible à travers la hausse des demandes d’asile déposées dans les États membres. 962 160 ressortissants de pays tiers ont ainsi demandé l'asile dans l'Union en 2022, ce qui constitue une très nette hausse par rapport à l’année 2021 (632 400 demandes) et d’autant plus comparé à 2020 (472 660 demandes). Les Syriens et les Afghans constituent toujours les premières nationalités des demandeurs d’asile, suivies en 2022 des Turcs et des Vénézuéliens.

Ainsi, bien que le niveau de la demande d’asile n’atteint pas les chiffres enregistrés en 2015, il n’a jamais retrouvé son niveau d’avant crise (259 635 en 2010), ce qui confirme que l’Europe est confrontée à une nouvelle donne migratoire depuis 10 ans qui n’est pas seulement conjoncturelle.

B.   Une hausse globale de l’immigration en France

 

La hausse des flux migratoires en Europe est également une réalité en France. Le nombre d’immigrés résidant sur le territoire national s’élevait au 1er janvier 2021 à 7,0 millions, soit 10,3 % de la population totale. Cette part n’était que de 7 % il y a une vingtaine d'années. Si l’on ne comptabilise que les personnes étrangères, la proportion s’élève à 7,7 % de la population, soit 5,2 millions de personnes ([1]).

Cette hausse du nombre d’étrangers résidant en France résulte de l’augmentation de toutes les catégories d’immigration : légale, humanitaire et illégale.

Le nombre de premiers titres de séjour délivrés a ainsi augmenté de 17 % en 2022 par rapport à l’année 2021 pour atteindre le chiffre de 320 330, principalement portée par la hausse de la délivrance des titres de séjour en matière d’immigration de travail (52 000 titres, représentant une augmentation de 41 %) et à destination des étudiants étrangers (101 000). La migration familiale, si elle fait l’objet d’une moindre augmentation (+2,5 %) continue toutefois de représenter une part substantielle de la délivrance de titres de séjour (95 500). Le nombre de visas délivrés connaît également une augmentation marquée de 137 % par rapport à 2021 et s’élève à 1 million 738 151.

S’agissant de la migration humanitaire, la demande d’asile, conformément à la dynamique européenne, connaît également une augmentation conséquente. Le nombre de primo-demandeurs d’asile s’élève à 137 000 en 2022 soit 30 % de plus qu’en 2021. Au total, 16 % de toutes les demandes d’asile enregistrées en Europe ont été déposées en France. La France est le second pays européen à avoir enregistré le plus de demandes d’asile sur l’année 2022, derrière l’Allemagne.

Si la migration irrégulière est par nature plus difficile à quantifier, les indicateurs disponibles indiquent également une forte hausse des flux clandestins. Le nombre de bénéficiaire de l’Aide médicale d’État (AME) est communément utilisé pour jauger du nombre de clandestins présents sur le territoire. Or, ce nombre a augmenté de 80 % en dix ans, passant de 210 000 en 2011 à 380 000 en 2021. Il est, de surcroît, probablement inférieur à celui de clandestins réellement présents compte tenu de l’importance du non-recours, estimé à près de 50 %. Le ministre de l’intérieur a ainsi estimé « entre 600 000 et 900 000 » le nombre d’étrangers présents irrégulièrement sur le territoire national ([2]).

De plus, la pression migratoire clandestine est également tangible au regard de l’augmentation des refus d’entrée sur le territoire français prononcés par les autorités aux frontières du territoire national. 83 000 refus d’entrée sur le territoire français ont été pris en 2022, soit une hausse de 7 % par rapport à 2021. Les premiers mois de l’année 2023 laisse entrevoir une nouvelle hausse, tout particulièrement à la frontière italienne dans le contexte de l’augmentation spectaculaire des arrivées par bateaux sur les côtes de l’île de Lampedusa.

II.   La France pÂti des dÉfaillances de la politique europÉenne et de la faible coopÉration des pays tiers

A.   La France est victime d’importants « mouvements secondaires » au sein de l’Union europÉenne

La France, de par sa géographie, est fortement dépendante de la bonne gestion de l’espace Schengen et de la mise en œuvre effective du régime d’asile européen commun. Or, les deux dispositifs ont révélé de fortes défaillances face à l’augmentation de la pression migratoire.

En effet, la France n’est que rarement le premier pays d’entrée de l’Union européenne. Les frontières terrestres de la France sont toutes des frontières intérieures au sens du code frontières Schengen, à l’exception du lien fixe transmanche, des liaisons ferroviaires entre le Royaume-Uni et la France et de la frontière avec la principauté d’Andorre.

En revanche, la France compte 2 000 kilomètres de frontière maritime en Méditerranée, dont 1 000 sur le continent et 1 000 autour de la Corse. Pour autant, la France ne connaît pas les mêmes problématiques que des pays comme l’Italie ou la Grèce en raison de l’éloignement de ses côtes avec les pays de départ de la rive sud de la Méditerranée. De même, la frontière maritime nord avec le Royaume-Uni constitue une frontière de départ plus que d’arrivée.

Ainsi, la France fait partie, tout comme l’Allemagne, des États membres de l’Union européenne faisant l’objet d’importants mouvements secondaires. Face aux défaillances dans la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen, caractérisées par l’afflux massifs d’entrée irrégulières, de nombreux États ont mis en œuvre les clauses de sauvegarde prévues par le code frontières Schengen permettant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures. La France a ainsi procédé dès 2011 à la réintroduction de contrôles à sa frontière avec l’Italie.

Lors de la crise migratoire de 2015, les États membres ont procédé à une réintroduction des contrôles en cascade. Dès le 13 septembre 2015, l’Allemagne a rétabli les contrôles à ses frontières, suivie par l’Autriche puis la Slovénie et la Hongrie, ainsi que la Suède, la Norvège et le Danemark.

Depuis cette date, certains États ont réintroduit des contrôles aux frontières intérieures de manière continue. La Commission européenne dans son premier rapport de sur l’état de l’espace Schengen en date de 2022 indiquait que, depuis septembre 2015, les contrôles aux frontières intérieures ont été réintroduits plus de 280 fois dans l’espace Schengen. Les États membres ont eu recours en 2022 à la réintroduction ou à la prolongation des contrôles aux frontières intérieures à 28 reprises, dont 19 fois dans le cas de la prolongation de contrôles aux frontières intérieures de longue durée en vigueur depuis 2015.

En matière de demandes d’asile, les services de l’État font également face aux difficultés induites par les failles du régime d’asile européen commun. Les mouvements secondaires dans l’Union conduisent un nombre important de demandeurs d’asile relevant du règlement Dublin III à se présenter en France. En vertu, de ce règlement, l’examen de leur demande relève de la responsabilité d’un autre État membre de l’Union, en général, l’État membre de première entrée sur le territoire européen. Ainsi, sur les 136 724 primo-demandes d’asile formulées en France en 2022, 19 049 relevaient de la procédure Dublin soit 14 % du total.

En vertu de l’application du règlement Dublin III, le demandeur relevant de la procédure Dublin doit être transféré vers l’État responsable de l’examen de sa demande. Toutefois, le mécanisme de transfert n’est que rarement mis en œuvre. 3 311 transferts ont été effectués par la France en 2022, ce qui représente 7 % des saisines et 13 % des accords obtenus. Au niveau de l’ensemble des pays européens, le taux de transfert est d’environ 11 %.

Les difficultés de mise en œuvre de ces transferts résultent d’un ensemble de facteurs qui sont en parties semblables aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre d’autres mesures d’éloignement. D’une part, les demandeurs d’asile qui ne souhaitent pas retourner dans leur pays de première entrée tentent de se soustraire à la mesure de transfert. D’autre part, les pays responsables, lesquels font souvent déjà face à une forte pression migratoire, sont réticents à accepter les demandes de reprise en charge.

La présence d’un nombre important de demandeurs d’asile, dit « dublinés », en France est la source d’une grande inefficacité de la politique migratoire nationale.

Tout d’abord, cela contribue à un engorgement des services de l’État par des demandes qui en vertu du droit européen ne relèvent pas de leur responsabilité. L’absence de mise en œuvre du mécanisme de transfert conduit également à maintenir dans la précarité ces demandeurs d’asile, qui perdent souvent leur droit aux conditions matérielles d’accueil en se soustrayant à leur transfert. Ils se trouvent ainsi en situation d’errance, sur les campements de fortune ou dans les hébergements d’urgence.

B.   Des taux d’exÉcution des mesures d’Éloignement À un niveau historiquement bas

Alors même que les arrivées irrégulières connaissent une nouvelle hausse, la politique migratoire nationale pâtit de la très faible exécution des mesures d’éloignement. Cette faible exécution conduit les étrangers en situation irrégulière à se maintenir sur le territoire, privant d’effet les décisions de rejets de demande d’asile ou de refus de séjour. Un rapport de la Cour des comptes estimait en 2015 que 96 % des déboutés du droit d’asile demeuraient sur le territoire après le rejet de leur demande ([3]).

Le faible taux d’exécution de mesures d’éloignements est dénoncé de longue date mais tend tout de même à se dégrader. Le nombre de mesures d’éloignement exécutées en 2022 s’élevait à 15 400. Si ce chiffre constitue une augmentation vis-à-vis des années 2020 et 2021, lesquelles ont été fortement touchées par l’impact de la crise du Covid-19, il demeure bien en deçà du niveau constaté en 2019 (23 746 éloignements) ou en 2018 (19 957).

Surtout, la baisse du nombre de mesures d’éloignements exécutées est à mettre au regard de l’augmentation parallèle du nombre de mesures prononcées. Il en résulte une dégradation globale du taux d’exécution des mesures d’éloignement. Comme le mettait en lumière un rapport du Sénat, « La politique d'éloignement se caractérise actuellement par un effet ciseau, où le nombre de mesures prononcées augmente continuellement tandis que le volume d'exécution ne cesse de se dégrader » ([4]). Le rapport estimait ainsi qu’en 2021 le taux d’exécution des mesures d’éloignement s’élevait à 9,3 %.

Ce taux d’exécution des mesures d’éloignement est faible dans l’ensemble des pays européens. Alors même que 681 200 personnes en situation irrégulière ont été recensées sur le territoire de l’Union, seules 342 100 mesures d’éloignements ont été prononcées. Selon les données fournies par Eurostat, 21 % des 342 100 personnes qui ont fait l’objet d’une décision de retour au sein de l’UE ont été effectivement éloignées en 2021. Ainsi, la France se situe en deçà de la moyenne européenne en termes de taux d’exécution mais demeure l’un des pays à avoir éloigné le plus d’étrangers en volume.

Les causes de la faible exécution des mesures d’éloignement sont multiples et connues. Elles tiennent à une accumulation de difficultés tout au long de la chaîne procédurale permettant l’éloignement : identification des personnes, manœuvres dilatoires mises en œuvre par les étrangers pour empêcher l’éloignement, multiplication des recours contentieux…

Toutefois, l’une des difficultés majeures réside dans la faible coopération des pays tiers pour la réadmission de leurs ressortissants. En effet, lorsqu’un étranger en instance d’éloignement ne présente aucun passeport, ou aucun autre document l’autorisant à regagner le pays dont il possède la nationalité ou lui ayant octroyé un droit au séjour, la préfecture en charge de l’exécution de la mesure d’éloignement doit solliciter un laissez-passer auprès des autorités du pays de destination. En 2021, seule la moitié des demandes de laissez-passer consulaire adressées par la France a donné lieu à une réponse positive dans les délais utiles à l’éloignement (53,7 %).

En outre, la coopération des pays tiers en la matière dépend largement de la qualité des relations diplomatiques entretenues et varie sensiblement selon les nationalités. En 2021, le taux de délivrance des LPC dans les délais sollicités par la France n’était que de 5,8 % pour l’Algérie contre 101,2 % pour l’Albanie avec laquelle des accords ont été conclus au niveau européen.

C.   Une situation intenable À Calais

La situation à Calais se distingue de celle du reste du territoire national dans la mesure où les personnes en situation irrégulière qui y sont présentes ne souhaitent pas se maintenir sur le territoire de l’Union européenne mais espèrent rejoindre le Royaume-Uni.

Les migrants, le plus souvent anglophones mais pas seulement, souhaitent rejoindre le Royaume-Uni afin de rejoindre la diaspora déjà présente ou sont attirés par les perspectives économiques.

Ce phénomène ancien a conduit à la conclusion d’accords bilatéraux franco‑britanniques d’autant que le Royaume-Uni, jusqu'à son départ de l'Union européenne, le 1er janvier 2021, n'avait pas intégré l'espace Schengen et que depuis la sortie du pays de l’Union, la frontière entre les deux États constitue désormais une frontière extérieure de l’Union.

Le traité du Touquet signé en 2003 et complété par le traité de Sandhurst de 2018 fixe les règles de coopération en matière de surveillance de la frontière commune et de lutte contre l'immigration irrégulière.

Ces accords prévoient que le contrôle des personnes en partance pour le Royaume - Uni doit être effectué au départ, c’est-à-dire sur le sol français. Dans ce cadre, les deux pays peuvent créer des bureaux à contrôles nationaux juxtaposés dans les zones de contrôles des ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays. Ces accords conduisent ainsi à transférer la frontière du Royaume‑Uni à Calais en bloquant les migrants en France, cette dernière devant empêcher les flux irréguliers à destination du Royaume-Uni.

Cela a pour effet d’alimenter la crise dans la région de Calais, en y concentrant les candidats à l’immigration irrégulière souhaitant rejoindre l'autre côté de la Manche. La « jungle » de Calais démantelée en 2016, comptait ainsi environ 10 000 occupants. Toutefois, bien que les pouvoirs publics mènent une politique volontariste pour éviter la reconstitution de campements, la préfecture estime que 400 à 600 migrants sont recensés quotidiennement dans la ville de Calais ([5]).


De plus, le renforcement des contrôles aux frontières au niveau de Calais, et notamment les travaux de sécurisation des points de passage routiers, a conduit à une mutation des méthodes des passeurs. Désormais, les passeurs privilégient les traversées par la mer via les « small boats ». Selon les chiffres de la préfecture, 45 700 migrants ont réussi à rejoindre la Grande-Bretagne par la mer en 2022, soit 30 fois plus qu’en 2019. Cette situation conduit à la multiplication de drames humains engendrés par les naufrages et met sous forte pression les services de l’État en charge des opérations de recherche et de sauvetage en mer. De plus, la lutte contre les départs depuis Calais engendre une recomposition des points de départ avec une expansion des zones de départ à toute la côte.

Votre rapporteur est ainsi favorable à la réintroduction du délit de séjour irrégulier dans une bande littorale le long des côtes de la Manche, afin de permettre l’interpellation immédiate des étrangers en séjour irrégulier qui stationnent à proximité des points de départ des bateaux. Cela aurait pour effet de rendre très difficile le travail des passeurs et d’éviter les traversées mortelles.

Recommandation n° 1 : Rétablir le délit de séjour irrégulier sur une bande littorale le long de la Manche Mer du Nord

 


   DeuxiÈme partie : Face À ce constat, un projet de loi qui n’est pas à la hauteur des enjeux

I.   Un ÉNIÈme projet de loi qui ne modifie le cadre juridique existant qu’a la marge

Le projet de loi présenté par le Gouvernement constitue le huitième texte réformant le droit des étrangers depuis la création du code du séjour des étrangers et du droit d’asile, il y a seize ans, comme le relève le Conseil d’État dans son avis sur le projet. Il s’agit même du 29e texte en la matière depuis les années 1980.

Déposé par le Gouvernement sur le bureau du Sénat le 1er février 2023, le texte entend concilier des mesures de fermeté visant à favoriser l’éloignement des étrangers troublant l’ordre public et des mesures en faveur de la régularisation des étrangers en séjour irrégulier occupant un emploi.

A.   Des mesures tendant à favoriser les Éloignements qui restent au milieu du guÉ

Le Titre II du projet présenté par le Gouvernement rassemble les dispositions visant à favoriser l’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public. Il vise en particulier à réduire le champ des protections accordées à certaines catégories d’étrangers contre les différentes mesures d’éloignement.

En l’état actuel du droit, les étrangers présentant une menace grave pour l’ordre public peuvent faire l’objet d’une expulsion. Toutefois, certaines catégories d’étrangers bénéficient de « protections » qui peuvent faire obstacle au prononcé d’une décision d’expulsion au regard de leur situation personnelle ou familiale en France. Ces protections peuvent toujours être levées mais exigent alors un seuil de gravité de la menace à l’ordre public particulièrement élevé.

Cela est le cas des étrangers mentionnés à l’article L.631-2 du CESEDA ([6]) qui ne peuvent être expulsés que dans le cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ou pour lesquels les protections peuvent être levées s’ils ont fait l’objet d’une condamnation définitive à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq and ou s’ils vivent en état de polygamie.

En outre, les étrangers mentionnés à l’article L. 631-3 du CESEDA ([7]) font l’objet d’un seuil de protection encore plus élevé dès lors qu’une mesure d’expulsion ne peut être prononcée à leur encontre qu’en cas de comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou lié à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence. Les protections dont ils bénéficient peuvent également être levées s’il est établi qu’ils vivent en état de polygamie ou, pour certains d’entre eux, lorsqu’il est établi qu’ils se sont rendus coupables de violences intrafamiliales.

Le projet de loi permet la levée des protections bénéficiant aux étrangers de l’article L. 631-2 CESEDA, lorsque leur comportement constitue toujours une menace grave pour l’ordre public alors qu'ils ont déjà fait l'objet d'une condamnation définitive pour des crimes ou des délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement. Ce ne serait ainsi pas le quantum de la peine effectivement prononcé qui serait pris en compte, mais le maximum encouru, ce qui aurait pour effet d’élargir sensiblement le nombre d’étrangers potentiellement concernés. Le projet de loi prévoit en outre possibilité de lever les protections lorsque les faits à l’origine de la condamnation ont été commis à l’encontre du conjoint ou des enfants de l’intéressé comme cela existe pour les étrangers mentionnés à l’article L.631-3 CESEDA.

S’agissant des d’étrangers protégés mentionnés à l’article L. 631-3 du CESEDA, ils pourront faire l’objet d’une mesure d’expulsion lorsque leur comportement constitue toujours une menace grave pour l’ordre public alors qu'ils ont déjà fait l'objet d'une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de dix ans ou plus d’emprisonnement ou de cinq ans en réitération de crimes ou délits punis de la même peine.

En deuxième lieu, le projet de loi favorise le prononcé de mesures d’interdiction judiciaire du territoire (ITF). L’interdiction judiciaire du territoire français constitue une peine principale ou complémentaire qui peut être prononcée par le juge lorsque le texte d’incrimination le prévoit expressément. De même que pour les mesures d’expulsion, certaines catégories d’étrangers bénéficient de protection faisant obstacle au prononcé d’une telle peine à leur encontre ou nécessite une motivation spéciale du juge pénal.

Le projet de loi entend ainsi étendre les situations dans lesquelles le juge n’est pas tenu de procéder à une motivation spéciale des ITF prononcées en matière correctionnelle à l’encontre d’étrangers protégés en y incluant l’étranger déclaré coupable d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et l’étranger déclaré coupable d’un délit commis à l’encontre de son conjoint ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale.

Le projet de loi supprime également l’interdiction absolue de prononcer une peine complémentaire d’ITF dans deux nouvelles situations : lorsque l’étranger est déclaré coupable d’un délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes tel que prévu à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et lorsque l’étranger est déclaré coupable d’un crime ou d’un délit puni d’au moins dix ans de réclusion ou cinq ans en état de récidive. Enfin, le projet de loi élargit la possibilité de prononcer une peine complémentaire d’ITF à plusieurs nouvelles infractions.

Enfin, le projet de loi procède à une réduction similaire du champ des protections en matière d’obligations de quitter le territoire (OQTF). En l’état actuel du droit, des dispositifs de protection existent pour neuf catégories d’étrangers. La seule exception permettant de lever les protections étant la situation de polygamie. Le projet de loi ajoute une exception à ces protections lorsque le comportement de l’étranger constitue une « menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État ».

Ces mesures, si elles sont adoptées, permettront d’accroître le nombre de mesures d’éloignements prononcées par l’autorité administrative (expulsion ou OQTF) ou judiciaire (ITF). Toutefois, elles ne permettront pas de lever les obstacles à l’exécution de ces mesures, ce qui demeure la principale limite à la mise en œuvre de la politique migratoire nationale. Ainsi, de manière paradoxale, ces mesures conduiront probablement à une dégradation du taux d’exécution des mesures d’éloignement.

De plus, si la réduction des protections accordées aux étrangers troublant l’ordre public est bienvenue, elles n’auront sans doute qu’un effet limité sur les étrangers pouvant être éloignés. En effet, la levée de ces protections ne dispensera pas de l’examen par le juge de la conformité de la mesure d’éloignement au regard des éléments relatifs à la vie privée et familiale de l’étranger ou aux risques encourus dans son pays, tels qu’exigé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.


La jurisprudence des cours européennes en matière d’éloignement des étrangers

L’éloignement des étrangers fait l’objet d’un encadrement juridique strict par le droit international.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prohibe l’éloignement des étrangers lorsqu’une telle mesure porterait notamment atteinte au droit à la vie inscrit à l’article 2 de la Convention ou au droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants protégé par l’article 3.

Ainsi, quelle que soit la base juridique de l’éloignement ou sa raison, dès lors qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’étranger, si on le renvoyait dans le pays de destination, y courrait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à ces articles, les États parties à la Convention doivent s’abstenir d’exécuter la mesure d’éloignement.

Ces droits étant dits « absolus », la circonstance que l’intéressé se soit rendu coupable de troubles à l’ordre public est sans incidence sur l’appréciation de la conventionalité de la mesure. La CEDH contrôle ainsi le respect de cette exigence s’agissant des éloignements vers les pays tiers mais également dans le cadre des transferts « Dublin ». La CEDH a ainsi jugé que les autorités belges n’auraient pas dû, sur le fondement du règlement « Dublin » transférer un demandeur d’asile vers la Grèce, où il risquait d’être détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes et compte tenu des défaillances des structures d’accueil dans ce pays (CEDH, 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce).

La CEDH contrôle également la conventionalité des mesures d’éloignement ainsi que le regroupement familial au regard du droit à la vie privée et familiale garantie par l’article 8 de la Convention. La Cour a par exemple conclu à la violation de l’article 8 à raison du délai de trois ans pendant lequel un ressortissant syrien qui s’était vu accorder une « protection temporaire » au Danemark en 2015, avait dû attendre avant de pouvoir introduire une demande de regroupement familial avec son épouse (CEDH, 2021, M.A c. Danemark). Le droit à la vie privée et familiale est également susceptible de faire obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement. La Cour tient alors compte d’un ensemble de critères au terme d’une « mise en balance » entre la nature et la gravité de l’infraction commise par le requérant et l’intensité des liens personnels et familiaux qu’il entretient dans le pays dont il doit être expulsé (CEDH, 2006, Üner c. Pays-Bas).

Le corpus juridique de l’Union européenne a également été enrichi par l’intégration aux traités de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par la reconnaissance par la CJUE de l’acquis jurisprudentiel de la CEDH. La CJUE a ainsi jugé qu’il incombe aux États membres de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’État membre responsable de l’examen de la demande, lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la charte (CJUE, 2011, N.S. contre Secretary of State for the Home Department).

 

 

B.   Un risque d’appel d’air des mesures en faveur de l’immigration légale

Tout en affichant l’objectif de mieux lutter contre l’immigration illégale, le projet de loi introduit des dispositions tendant à favoriser l’immigration légale. Certaines de ces dispositions entrent profondément en contradiction avec l’objectif affiché de fermeté puisqu’elles instaurent une incitation à enfreindre la loi en permettant la régularisation de travailleurs sans papiers.

En effet, les dispositions du titre I visent à « assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue » et prévoient l’introduction de plusieurs nouveaux titres de séjour.

Tout d’abord, le projet de loi crée deux nouveaux types de cartes de séjour pluriannuelles « Talent » pour les professions médicales et de la pharmacie. En premier lieu, les praticiens diplômés hors Union européenne (PADHUE) en qualité de médecin, de sage-femme, de chirurgien-dentiste ou de pharmacien non encore lauréats des « épreuves anonymes de vérification des connaissances » (EVC) pourraient être autorisés à venir exercer en France sous couvert d’un titre de séjour « Talent » d’une durée maximale de 13 mois dans la perspective de passer avec succès ces épreuves. En second lieu, le projet de loi ouvre aux PADHUE ayant réussi les EVC, occupant un emploi dans un établissement public ou privé à but non lucratif de santé, social ou médico-social et justifiant du respect d’un seuil de rémunération, la faculté de se voir délivrer, ainsi que leur famille, une carte de séjour pluriannuelle « Talent » d’une durée maximale de 4 ans.

L’article 3 du projet entend également créer, à titre expérimental et jusqu’au 31 décembre 2026, un nouveau titre de séjour « travail dans des métiers en tension ». D’une durée de validité d’un an, il serait délivré aux personnes exerçant une activité professionnelle figurant sur la liste des métiers et zones géographiques caractérisées par des difficultés de recrutement.

Les étrangers souhaitant bénéficier de ce nouveau titre, devront justifier de deux conditions : d’une part, exercer et avoir exercé pendant au moins huit mois, consécutifs ou non, sur une période de vingt-quatre mois une activité professionnelle salariée dans un métier ou une zone géographique en tension et, d’autre part, avoir résidé de manière ininterrompue en France pendant au moins trois ans.

Cet article est susceptible de favoriser l’immigration irrégulière en permettant la régularisation de travailleurs sans papiers au bout d’une période de seulement 8 mois et ce, alors même que l’emploi d’un étranger sans titre constitue une infraction passible de sanctions pénales.


De plus, le dispositif proposé est bien plus favorable que les dispositifs déjà existants. En effet, les étrangers en situation irrégulière bénéficient d’ores et déjà d’une possibilité de régularisation lorsqu’ils exercent un emploi via l’admission exceptionnelle au séjour ([8]).

Toutefois, les conditions de résidence, d’emploi et d’ancienneté professionnelle sont plus exigeantes que le nouveau dispositif envisagé par le Gouvernement. De plus, les préfets disposent d’un pouvoir d’appréciation sur la délivrance d’un titre de séjour à ce titre afin de pas créer en faveur de l’étranger en situation irrégulière un droit au séjour « opposable ».

Le projet de loi entend également permettre l’accès immédiat de certains demandeurs d’asile au marché du travail. En l’état actuel du droit, les demandeurs d’asile ne peuvent bénéficier d’une autorisation de travail qu’au terme d’une période de 6 mois après l’introduction de leur demande d’asile. Les dispositions du projet de loi permettraient que les demandeurs d’asile ressortissants de pays bénéficiant d’un taux de protection internationale élevé en France puissent y avoir accès dès la présentation de leur demande.

L’effet de ces dispositions sur l’attractivité de la France pour les demandeurs d’asile, qui comme indiqué supra, fait déjà l’objet d’importants mouvements secondaires est incertain. Une telle disposition serait plus favorable que les exigences requises par le droit européen. La directive « Accueil » exige en effet seulement que « les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale lorsqu’aucune décision en première instance n’a été rendue par l’autorité compétente et que le retard ne peut être imputé au demandeur » ([9]).

II.   Une occasion manquÉe d’anticiper les réformes europÉennes À venir

A.   Un projet de loi qui intervient alors qu’une profonde rÉvision du cadre europÉen est sur le point d’aboutir

La politique migratoire est une compétence partagée de l’Union européenne et des États membres qui fait l’objet d’une législation communautaire importante. Depuis le traité de Lisbonne, l’article 67§2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne stipule ainsi que l’Union « développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers ».

Les dispositions du projet de loi entrent ainsi dans le champ d’application de plusieurs directives européennes qui s’imposent au législateur. De plus, la présentation du projet de loi intervient alors même que ce cadre européen fait l’objet d’une profonde révision à travers la négociation du Pacte sur l’asile et la migration.

Le Pacte sur l’asile et les migrations est un ensemble de texte présenté par la Commission européenne en septembre 2020 afin de répondre aux défaillances du régime d’asile européen commun révélées par la crise qui a touché l’Europe en 2015.

Le Pacte est composé d’une communication générale et de cinq propositions législatives : trois nouveaux règlements (règlement « pour la gestion de l’asile et des migrations » ; règlement sur les situations de crise et de force majeure ; règlement sur la procédure de « filtrage » à l’entrée de l’Union européenne) et deux profondes révisions de textes existants (règlement relatif à la procédure d’asile et règlement Eurodac). Ces nouveaux textes s’ajoutent également à la réforme d’autres instruments : directive « qualification », directive « accueil », directive « retour ».

Conformément à l’accord institutionnel signé en septembre 2022 entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, l’adoption des différents textes du Pacte devrait avoir lieu d’ici février 2024 avec des premiers accords en trilogue attendus dès la fin de l’année 2023.

L’une des principales innovations du Pacte consiste en la révision des critères du règlement Dublin et la mise en place d’un mécanisme obligatoire mais flexible de solidarité entre États membres.

La proposition de règlement « pour la gestion de l’asile et des migrations » se substituerait au règlement Dublin III et aurait pour objet d’alléger le poids du critère de pays de première entrée pour déterminer l’État membre responsable des demandes d’asile au profit de d’autres critères. Le critère de première entrée serait toutefois maintenu dans les cas où aucun État membre ne peut être désigné responsable de la demande au regard des critères familiaux, de délivrance de visa et de diplôme, prévus comme prioritaires par le projet de règlement.

La portée de cette révision devrait en pratique être très limitée dans la mesure où des critères alternatifs existent déjà dans le règlement Dublin III mais sont rarement mis en œuvre.

La proposition de règlement prévoit également un allongement du délai pendant lequel un État membre demeure responsable d’une demande d’asile. Ce délai qui peut actuellement être au plus de 18 mois serait porté à 3 ans. De plus, la demande de reprise en charge lorsqu’un État juge un autre État responsable d’une demande d’asile, serait remplacée par une simple notification, ce qui permettrait de simplifier la mise en œuvre du mécanisme de transfert.

Le règlement « pour la gestion de l’asile et des migrations » et le règlement sur les situations de crise et de force majeure prévoient également la mise en place d’un mécanisme de solidarité entre États membres dont les modalités et le caractère plus ou moins contraignant varieraient selon les situations de pression ou de crise migratoire.

La solidarité entre États membres est dite « flexible » dans la mesure où elle serait susceptible de prendre différentes formes :

– opérations de relocalisation à partir d’une clé de répartition fondée sur la taille de la population et sur le PIB ;

– parrainages en matière de retour, c’est-à-dire contribution par un État membre, au nom de l’État membre aidé, à une opération de retour de migrants en
situation irrégulière dans leur pays d’origine via un soutien logistique ou par un dialogue politique avec les pays tiers ;

– mesures de soutien sous forme de renforcement logistique des capacités d’accueil ou d’aide financière.

Conformément à l’accord obtenu au Conseil le 8 juin dernier et sous réserve des négociations en trilogue, le nombre annuel minimum de relocalisations réalisées par les États membres serait fixé à 30 000, tandis que le montant minimal pour les contributions financières serait fixé à 20 000 euros par personne non relocalisée.

Conformément au règlement « crise », ce mécanisme obligatoire de solidarité serait renforcé en cas de situation de crise migratoire. L’État membre pourrait solliciter la Commission, laquelle examinerait l’existence d’une telle situation sur la base des rapports de Frontex et de l’Agence de l’Union pour l’asile. Si la Commission, ou le Conseil, selon la proposition finale qui sera retenue, constatait une situation de crise migratoire, elle établirait un plan de solidarité obligatoire.

En l’état actuel du règlement, le terme de crise désignerait une situation exceptionnelle d’arrivées de ressortissants de pays tiers ou « un risque imminent d’une telle situation » qui, proportionnellement à la population et au PIB de l’État membre concerné, rendrait son système d’asile et d’accueil « inopérant » et aurait de « graves répercussions » sur le système d’asile européen.

Le second élément important introduit par le Pacte est la mise en place d’une procédure aux frontières homogène pour toute personne entrant irrégulièrement sur le territoire de l’Union européenne. Celle-ci reposerait sur deux instruments : une procédure de filtrage, « règlement screening », et une procédure d’asile à la frontière, « règlement procédure » dit APR.

La procédure de filtrage, dit « screening », aux frontières extérieures d’un État membre s’appliquerait aux ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, aux personnes débarquées après avoir été secourues en mer et à celles qui déposent une demande d’asile à l’occasion d’un contrôle. La procédure débuterait par un contrôle préalable à l’entrée qui doit être réalisé sous cinq jours (contrôle d’identité, de santé et de sécurité, relevé des empreintes digitales). À l’issue de la procédure de filtrage, les ressortissants de pays tiers contrôlés seraient orientés vers la procédure applicable à leur situation, à savoir :

− la procédure de retour, lorsque la personne n’a pas demandé la protection internationale ou si le filtrage a démontré qu’elle ne remplissait pas les conditions d’entrée ;

− lorsque la personne a demandé la protection internationale, la procédure d’asile normale ou, le cas échéant, menée à la frontière ;

− la relocalisation dans le cadre du mécanisme de solidarité.

La procédure d’asile à la frontière, qui existe déjà de manière facultative, deviendrait obligatoire pour les personnes provenant de pays ayant un taux de reconnaissance inférieur à 20 %. Elle serait également obligatoire pour les personnes entrées irrégulièrement y compris après avoir été secourues en mer, mais seulement dans les cas où elles représenteraient un danger pour la sécurité et l’ordre public.

De plus, en situation de crise migratoire, la procédure d’asile à la frontière pourrait être généralisée et les délais d’instruction des demandes allongés.

B.   Une anticipation incertaine de l’impact de cette réforme sur le droit national

L’adoption du Pacte sur l’Asile et la migration est susceptible de nécessiter une profonde adaptation des dispositifs nationaux d’instruction des demandes d’asile et des moyens de contrôle des frontières. Sans qu’il soit possible à ce stade de lister la totalité des adaptations du cadre juridique qui seront nécessaires pour la mise en œuvre des nouvelles dispositions européennes, il est possible de prendre comme exemple l’introduction de la procédure de filtrage et la généralisation des procédures d’asile à la frontière.

Ces procédures, qui nécessitent des mesures de restriction de la liberté de circulation des personnes, impliqueraient le déploiement de structures d’accueil aux frontières extérieures de l’Union européenne. Elles s’apparentent aux zones d’attente prévues par le droit français qui permettent de placer « en zone d’attente » un étranger se présentant à la frontière pendant la durée nécessaire à l’autorité administrative pour décider de son admission ou non sur le territoire. Pendant toute la durée de son placement, l’étranger n’est pas considéré comme étant entré sur le sol de l’État membre, ce qui n’est pas dénué d’effets juridiques. De plus, la procédure de maintien en zone d'attente est encadrée juridiquement et limitée à 26 jours maximum et des voies de recours spécifiques sont prévues.

Il existe aujourd’hui 30 zones d’attente situées sur le territoire métropolitain et 11 dans les collectivités ultramarines. Le placement en zone d’attente a concerné 5 000 personnes en 2021.

L’articulation entre ce dispositif national et la nouvelle procédure intégrée à la frontière prévue par le droit européen est ainsi incertaine. Si la France pourrait prendre appui sur les dispositifs prévus dans le cadre des zones d’attente, il serait sans doute nécessaire de procéder à de nombreuses adaptations en matière de délais de placement, de recours contentieux ainsi qu’au déploiement de moyens supplémentaires conséquents à la généralisation de cette procédure.

Ainsi, il est regrettable que soit présenté au Parlement un énième projet de loi sur l’immigration sans que soient évoqués les effets de l’adoption prochaine du Pacte sur l’asile et la migration alors même que cette réforme est susceptible d’avoir d’importantes conséquences sur la politique migratoire nationale et son cadre juridique, voire de nécessiter l’adoption d’un nouveau projet de loi.


   TroisIÈme partie : La politique migratoire de l’union europÉenne doit PERMETTRE DE renforcer la souverainetÉ des États membres

I.   ASSURER QUE le droit europÉen ne constitue pas un frein à la mise en œuvre d’une politique migratoire efficace

A.   Un cadre europÉen contraignant qui restreint les marges de manœuvre du lÉgislateur

La politique nationale est fortement encadrée par le corpus juridique européen qui s’impose au législateur. L’Union européenne a en effet produit un nombre important de textes de droit dérivé sur le fondement de sa compétence en matière d’asile et d’immigration.

En matière d’immigration légale, la directive n° 2003/86/CE affirme le droit au regroupement familial des ressortissants des pays tiers possédant un titre de séjour d’au moins un an et ayant une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour permanent. La directive encadre les critères qui peuvent être retenus par les États membres pour fonder l’octroi ou le refus de l’exercice au regroupement familial, et qui comprennent une condition de résidence ne pouvant pas être supérieure à deux ans ainsi que des conditions de ressources stables et de logement. Les États membres peuvent également prévoir des critères d’intégration dans la société qui ne s’appliquent toutefois pas aux personnes réfugiées.

En matière d’asile, l’instauration du régime d’asile européen commun a conduit à l’adoption de plusieurs textes de droit dérivé afin d’harmoniser entre États membres les conditions d’octroi et d’examen d’une protection internationale. La directive « procédure » du 1er décembre 2005 modifiée par directive du 26 juin 2013 fixe de normes communes s’agissant de l’instruction des demandes d’asile. Cela comprend notamment des délais maximaux d’instruction ou encore des garanties minimales pour les demandeurs d’asile tels que l’instruction individualisée de leur demande.

La directive « accueil » du 27 janvier 2003 modifiée par une directive du 7 juin 2013 prévoit les conditions matérielles d’accueil que les États membres doivent garantir aux demandeurs d’asile pendant l’instruction de leur demande lesquelles comprennent notamment le logement, la nourriture et l’habillement, fournis en nature ou sous forme d’allocation financière.

En matière d’éloignement, la directive « retour » de 2008 prévoit des normes minimales et des procédures communes applicables dans les États membres au retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Cette directive exige notamment que les États membres octroient un délai de départ volontaire au ressortissant en situation irrégulière faisant l’objet d’une décision de retour. La mesure d’éloignement ne peut être exécutée durant ce délai qui peut aller de sept à trente jours. Il n’est toutefois pas applicable si l’étranger présente une menace pour l’ordre public. La directive encadre également les conditions de recours aux mesures de rétention administrative. Elle prévoit que la durée du placement ne peut en principe excéder 6 mois, renouvelable dans la limite de 12 mois supplémentaires.

Dans le cadre de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pratiquée par certains États membres, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, sur renvoi d’une question préjudicielle du Conseil d’État, que les garanties de la directive « retour » en matière de délai de départ volontaire étaient applicable à la situation d’un étranger en situation irrégulière, appréhendé à une frontière intérieure d’un État membre et faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée sur la base du code frontières Schengen ([10]).

Cette décision pourrait avoir pour effet de priver d’une large partie de son utilité l’adoption d’une telle décision de refus d’entrée et la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures. En effet, la directive « retour » s’applique, en principe, dès qu’un ressortissant de pays tiers est, à la suite de son entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre, présent sur ce territoire sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence, et se trouve donc en séjour irrégulier.

Ainsi, lorsque le refus d’entrée est opposé aux frontières extérieures de l’Union européenne, les garanties de la directive retour ne trouvent pas à s’appliquer dès lors que le ressortissant n’est pas considéré comme ayant séjourné sur le territoire de l’État membre, ce qui permet son éloignement immédiat.

La Cour de justice de l’Union juge donc que ce mécanisme n’est pas applicable dans le cadre du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Si elle admet la possibilité pour un État membre ayant réintroduit le contrôle à ses frontières intérieures de « prononcer des refus d’entrée à l’encontre d’étrangers qui ne satisfont pas aux conditions d’entrée et de séjour », elle annihile dans le même temps l’effet utile d’une telle décision, l’étranger ne pouvant plus faire l’objet d’un éloignement direct ou d’un placement en rétention sauf motifs d’ordre public.

Il revient désormais au Conseil d’État de déterminer les conséquences en droit interne de la décision de la Cour de justice de l’Union. Cette décision est susceptible d’avoir d’importantes conséquences sur l’efficacité de la politique de contrôle des frontières menées à la frontière franco-italienne dans le contexte d’une augmentation tangible des tentatives de franchissements irréguliers.

B.   La France doit pleinement utiliser les clauses de flexibilitÉ permises par l’Union europÉenne

Dans le contexte d’une forte reprise des flux migratoires, il convient que les autorités françaises utilisent pleinement les marges de manœuvre accordées par le droit de l’Union européenne.

En premier lieu, dans ce domaine, encore plus que dans les autres, il convient de lutter contre la surtransposition des directives, en n’introduisant pas des normes plus contraignantes que celles exigées par le droit dérivé de l’Union européenne.

À cet égard, l’article 12 du projet de loi qui a pour objet d’interdire le placement en rétention des mineurs de 16 ans va plus loin que ce qui est exigé par le droit de l’Union européenne dans la mesure où l’article 17 de la directive « retour » permet le placement en rétention de mineurs isolés. L’introduction d’une telle mesure, qui ne répond pas à une exigence conventionnelle ou constitutionnelle, apparaît contradictoire avec l’objectif de fermeté affiché par le Gouvernement. De surcroît, elle pourrait avoir des effets particulièrement délétères en faisant obstacle au placement en rétention d’étrangers majeurs dès lors qu’ils seraient accompagnés d’un mineur de seize ans afin de ne pas briser l’unité familiale.

La France se situe en deçà des possibilités prévues par le droit européen dans un certain nombre d’autres domaines, à l’instar des délais de placement en rétention. Ce délai fixé à 90 jours maximum par la loi du 10 septembre 2018, dite « asile et immigration » demeure bien en deçà des 18 mois permis par le droit de l’Union européenne.

En deuxième lieu, la France doit pleinement utiliser les marges de flexibilité offertes par le droit de l’Union.

Le maintien des contrôles aux frontières intérieures doit constituer une priorité pour la France dans le contexte d’une pression migratoire accrue aux frontières extérieures de l’Union.

La réintroduction des contrôles aux frontières intérieures est prévue sur le fondement du Code Frontières Schengen (CFS). L’article 25 du CFS permet une réintroduction des contrôles pour une période de 30 jours renouvelable dans la limite de 6 mois en cas de menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.

L’article 28 du CFS permet, quant à lui, de faire face à une menace urgente en autorisant les États membres, lorsqu’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre exige une action immédiate, à réintroduire immédiatement le contrôle aux frontières intérieures, pour une période limitée n’excédant pas dix jours et renouvelable dans la limite de deux mois.

À la suite de la crise migratoire de 2011, les États membres ont demandé l’introduction d’une nouvelle clause de sauvegarde permettant le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sur une plus longue durée. Cette clause a été introduite en 2013 à l’article 29 du CFS. Elle permet en cas de « circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures, et dans la mesure où ces circonstances représentent une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures » le rétablissement des contrôles pour une durée de 6 mois renouvelable dans la limite de 2 ans.

Son activation doit en revanche faire l’objet d’une décision du Conseil de l’Union sur proposition de la Commission européenne.

Certains États membres, dont la France, ont ainsi réintroduit successivement depuis 2015 des contrôles aux frontières en se fondant sur les différentes clauses du code frontières Schengen. Cette situation a donné lieu à un contentieux devant la CJUE sur la légalité du renouvellement des clauses.

Dans une décision de grande chambre du 26 avril 2022 ([11]), la Cour a considéré que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvait pas dépasser une durée totale maximale de six mois. La Cour précise toutefois que l’État membre peut appliquer de nouveau une telle mesure, même directement après la fin de la période de six mois, lorsqu’il est confronté à une nouvelle menace grave affectant son ordre public ou sa sécurité intérieure, qui est distincte de celle initialement identifiée, ce qui doit être apprécié par rapport aux circonstances et événements concrets.

L’exigence d’une menace nouvelle et distincte de celle initialement identifiée pour permettre l’activation des clauses de sauvegarde a fait l’objet d’une interprétation souple par les juridictions françaises. Le Conseil d’État a ainsi considéré qu’une menace peut être regardée comme nouvelle, soit lorsqu'elle est d'une nature différente de celles des menaces précédemment identifiées, soit lorsque des circonstances et événements nouveaux en font évoluer les caractéristiques dans des conditions telles qu'elles en modifient l'actualité, la portée ou la consistance ([12]).

Toutefois, la conformité au droit de l’Union de cette interprétation est incertaine et la validité des mesures de contrôle aux frontières intérieures pourrait être remise en cause. La Commission européenne entend ainsi initier un dialogue approfondi avec les États membres de l’Union, dont la France, pratiquant des contrôles.

Dans ce cadre, il est particulièrement important de faire valoir, dans le cadre de la réforme en cours du code frontières Schengen et des trilogues à venir, le dispositif issu de l’orientation générale adoptée par le Conseil de l’Union le 10 juin 2022 qui permettrait de maintenir les contrôles aux frontières intérieures au-delà d’une période de deux ans et six mois en cas de circonstances particulières.

 


Recommandation n° 2 : Maintenir la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures et soutenir dans le cadre de la révision en cours du code frontières Schengen une clause de sauvegarde élargie permettant le maintien de ces contrôles sur une période supérieure à deux ans et demi en cas de circonstances particulières

De même, la directive « retour » fait l’objet d’une procédure de révision entamée en 2018, qui vise à améliorer le taux d’exécution des mesures d’éloignement des ressortissants des pays tiers.

Le mandat adopté en mai 2019 par le Conseil de l’UE prévoit notamment de laisser la possibilité aux États membres de raccourcir les délais donnés aux personnes concernées par une décision de retour pour partir de manière volontaire et de ne pas accorder un délai de départ volontaire lorsqu'un ressortissant de pays tiers a déjà déposé une demande de séjour, qui a été rejetée comme étant frauduleuse, manifestement dénuée de fondement ou irrecevable. Le Conseil souhaite également fixer une période maximale de rétention ne pouvant pas être inférieure à trois mois.

Il convient ainsi de soutenir l’avancée des négociations sur la révision de la directive « retour » actuellement bloquées au Parlement européen.

II.   Tirer pleinement profit des coopÉrations possibles au niveau europÉen

A.   Renforcer l’utilisation des outils europÉens de coopÉration en matiÈre d’Éloignement

L’Union européenne peut intervenir afin de favoriser l’éloignement des ressortissants des pays tiers sur le fondement de sa compétence en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

Face au taux très bas d’exécution des mesures de retour dans l’ensemble des États membres, la Commission européenne a présenté, le 14 mars 2023, une communication ainsi qu’une recommandation sur la stratégie pour la gestion européenne intégrée des frontières invitant les États membres à renforcer la coopération en matière de reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement et à accélérer les retours. La Commission européenne encourage également les États membres à utiliser des programmes d’aide au retour volontaire dans la mesure où ils représentent actuellement seulement 27 % de l’ensemble des départs de l’Union.

En outre, il convient d’utiliser pleinement les outils fournis par l’agence européenne Frontex pour la mise en œuvre des retours. En effet, dans le cadre du renforcement de ses missions, le mandat de l’agence a été étendu à toutes les dimensions du retour, qu’il s’agisse du retour volontaire, du retour forcé, de l’identification, de la réadmission, de l’affrètement des vols ou de la mise à disposition d’escortes.

L’agence fournit un soutien opérationnel aux États membres à toutes les étapes de la procédure d’éloignement, que ce soit via la coopération avec les pays tiers pour identifier les ressortissants en séjour irrégulier ou via un soutien logistique dans l’organisation des vols.

Frontex est ainsi susceptible de soutenir les États membres dans l’organisation de vols « charters » mais aussi en ce qui concerne les éloignements réalisés sur des vols commerciaux. L'agence facilite la réservation et l'achat de billets d'avion par le biais d'un outil informatique dédié, fournit un service d'assistance, prend directement contact avec les transporteurs aériens et peut déployer des agents pour soutenir ces retours.

Les États membres peuvent également organiser des opérations de retour conjointes. Si un État membre organise une opération vers un pays spécifique, il peut partager des sièges sur son vol avec d'autres États membres. Frontex sert alors de centre d'information et de coordinateur pour les pays impliqués.

En 2022, Frontex a apporté son concours à l’éloignement de 24 850 personnes. Si ce chiffre est supérieur à celui de 2021 (18 300), il demeure modeste au regard du nombre de personnes faisant l’objet d’une décision d’éloignement dans l’Union.

Il apparaît ainsi nécessaire de renforcer l’incitation des États membres à recourir aux services de Frontex pour la mise en œuvre des mesures d’éloignement.

Recommandation n° 3 : Accroître le recours aux moyens de l’Agence Frontex pour faciliter les opérations d’éloignement des étrangers en situation irrégulière dans l’Union.

B.   AccroÎtre les mesures d’incitation À l’Égard des pays tiers

La dimension externe de la politique migratoire européenne a fait l’objet d’un renforcement important à compter de la crise de 2015 afin de lutter contre les causes profondes de la migration et réduire les flux à destination de l’Europe.

Dans la communication présentée avec le Pacte sur l’asile et la migration, la Commission européenne soulignait la nécessité de développer des partenariats globaux avec les pays tiers. Les partenariats pour la mobilité (PPM) constituent le cadre de dialogue migratoire bilatéral le plus poussé : réservés principalement à certains voisins de l’UE (Arménie, Moldavie, Maroc Tunisie notamment), ces partenariats incluent un projet de facilitation ou de libéralisation des visas en contrepartie d’un accord de réadmission.


L’Union européenne conclut ainsi des accords de réadmission qui définissent les procédures et les conditions opérationnelles par lesquelles un pays tiers s’engage à réadmettre ses propres nationaux en séjour irrégulier dans l’UE. Aujourd’hui 24 accords de réadmission ont été conclus avec des pays tiers.

L’Union européenne a modifié en 2019 le code des visas afin de pouvoir utiliser le traitement des visas comme levier dans son dialogue avec les États tiers qui ne respecteraient pas leur engagement en la matière. Il revient au Conseil d'adopter une décision d'exécution appliquant des mesures restrictives en matière de visas sur proposition de la Commission européenne en cas de constat de coopération insuffisante d’un pays tiers. L'adoption de telles mesures a été proposée par la commission en juillet 2021 à l'encontre de l'Irak, du Bangladesh et de la Gambie. Toutefois, le processus n'a été mené à son terme que pour cette dernière. Lors de l’examen annuel 2022, la Commission européenne a proposé l’adoption de mesures restrictives à l’égard du Sénégal et a procédé à l’augmentation des frais de visas à l’égard de la Gambie compte tenu de son manque persistant coopération.

Il conviendrait de recourir de manière beaucoup plus ferme à ce dispositif. Si la France a pu s’engager, de manière bilatérale, dans une politique similaire, son efficacité serait décuplée si elle était mise en œuvre par l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Recommandation n° 4 : Encourager l’utilisation beaucoup plus fréquente de la suspension des facilités de visa à l’égard des pays tiers ne respectant par leurs engagements en matière de réadmission.

De plus, l'Union dispose actuellement d'un régime d'exemption de visa avec 61 pays tiers. L'Union peut suspendre les accords d'exemption de visa ou les accords visant à faciliter la délivrance des visas lorsqu'un pays tiers ne remplit plus les conditions de l'accord. À l'heure actuelle, de tels accords sont suspendus avec trois pays : la Russie (suspension totale de l'accord de facilitation), la Biélorussie (suspension partielle de l'accord de facilitation) et le Vanuatu (suspension totale de l'accord d'exemption).

La Commission européenne a adopté le 30 mai dernier une communication sur le contrôle des régimes d'exemption de visa de l'UE dans laquelle elle examine le fonctionnement des régimes d'exemption de visas que l'UE octroie aux pays tiers afin de renforcer le mécanisme de suspension de l’exemption de visa.

En outre, l’Union européenne s’engage progressivement dans la mise en œuvre d’une conditionnalité accrue de ses financements à la bonne coopération en matière migratoire. Le Cadre financier pluriannuel 2021-2027 a fusionné dans un seul instrument plusieurs fonds qui relevaient de la politique de développement et de voisinage de l’UE au sein du Nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale « Europe dans le monde » NDICI. Cet instrument doté de 79,8 milliards d’euros prévoit que 10 % des financements seront consacrés à la gestion et la gouvernance des migrations ainsi qu’aux causes profondes de la migration irrégulière.

De plus, la proposition de règlement sur la gestion des migrations et de l’asile présentée dans le cadre du Pacte prévoit d’élargir la gamme des instruments susceptibles d’être mobilisés afin d’inciter les pays tiers à coopérer. En effet, son article 7 prévoit que la Commission puisse identifier toutes les mesures qui pourraient permettre l’amélioration de la coopération d’un pays tiers en matière de réadmission en tenant compte de l’ensemble des relations que l’Union entretient avec ce pays, dans le domaine y compris, par exemple, via les préférences commerciales.

Recommandation° 5 : Conditionner l’ensemble des relations extérieures de l’Union européenne avec les pays tiers, y compris la politique commerciale, à des objectifs de coopération en matière migratoire.

 

 

 


   Conclusion

 

Le constat est unanime et sans appel : la France et l’Europe font face à une recrudescence importante des flux migratoires.

Cette situation appelle des mesures fortes qui ne sont hélas pas au rendez‑vous du projet de loi présenté par le Gouvernement. La migration est un phénomène mondial et complexe qui touche tout le continent européen. C’est pourquoi la réponse nationale doit nécessairement s’inscrire dans un cadre européen renforcé permettant aux États membres de conserver la maîtrise de leurs frontières qui sont aussi celles de l’Union.

Par ailleurs, la portée d’un projet de loi visant à faciliter l’application des mesures d’éloignement sera nécessairement extrêmement limitée sans une nouvelle articulation entre le droit national et le droit européen dans ce domaine, par exemple en réformant la Constitution afin de faire prévaloir le droit français en matière migratoire.

En matière migratoire, l’Europe ne doit pas constituer qu’un espace de contrainte : elle est aussi porteuse d’opportunités à condition de se saisir pleinement des outils qui sont offerts par le projet européen.


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 15 novembre 2023, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. D’ici quelques semaines notre Assemblée débutera l’examen du projet de loi dit « Immigration », déposé par le Gouvernement sur le bureau du Sénat il y a presque un an. Ce texte vient ainsi s’ajouter à la longue liste de textes législatifs adoptés depuis des années en matière de droits des étrangers : il s’agit du 29ème projet de loi sur l’immigration déposé depuis 1980 et de la 58ème loi en la matière depuis 1945. Si notre droit national nécessite assurément d’être réformé, la succession de ces textes, dont aucun n’est parvenu à provoquer un infléchissement de la dynamique migratoire, démontre que les mesures entreprises ont été insuffisantes.

Le constat est en effet clair : la France et l’Europe connaissent une hausse durable des flux migratoires.

Depuis la crise de 2015, les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne n’ont jamais été aussi élevés. Ils ont plus que doublé depuis 2020, passant de 125 000 entrées illégales enregistrées en 2020 par Frontex à plus de 300 000 en 2022. La dynamique constatée sur l’année 2023 n’est guère meilleure : Frontex a décompté 280 000 franchissements irréguliers entre le 1er janvier et la fin du mois de septembre, ce qui laisse présager d’un nouveau record.

Hélas, le projet de loi qui nous est présenté ne comporte aucune mesure à même d’infléchir cette dynamique. Les dispositions proposées en matière d’éloignement ne constituent que des ajustements à la marge du cadre juridique existant. Elles ne permettront pas d’améliorer le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et autres mesures d’éloignement, qui ne cesse de se dégrader. Il y a d’ailleurs un paradoxe : en multipliant le nombre de personnes qui pourront être destinataires d’une OQTF sans pour autant y adjoindre de mesures qui permettent d’en augmenter l’application, le risque d’une nouvelle dégradation du taux d’exécution de ces OQTF est élevé. Je rappelle que ce taux est un indicateur de performance dans les programmes d’action et de performance budgétaires, toute comme dans les analyses du gouvernement et du ministère de l’Intérieur sur le sujet. Pour mémoire, à peine 10 % des mesures prononcées sont effectivement exécutées. Ce taux atteint tout juste 20 % au niveau européen, avec des disparités extrêmement importantes entre les États. Certains pays dépassent ainsi la barre des 50 %.


Pire encore, le projet de loi prévoit d’autoriser la régularisation de certains travailleurs sans papiers en créant une prime à la fraude à la législation du séjour des étrangers et au Code du travail. En encourageant les étrangers en situation irrégulière et les employeurs à se maintenir dans l’illégalité, il y a une incohérence avec la volonté affichée par le gouvernement de limiter les flux illégaux et de les transformer en flux légaux, en particulier en flux de travail.

En tant que rapporteur pour observations de la commission des affaires européennes, je souhaiterais attirer plus particulièrement votre attention sur le contexte européen dans lequel s’inscrit ce projet de loi. Trois éléments me semblent particulièrement importants :

Le premier est l’articulation des mesures nationales proposées avec le cadre tracé par l’Union européenne. Cela constitue en effet un enjeu majeur de l’efficacité de la politique migratoire. L’immigration est une compétence partagée de l’Union européenne et des États membres qui fait l’objet d’une législation communautaire foisonnante. À cet égard, la présentation du projet de loi intervient alors même que les négociations sur le Pacte sur l’Asile et la migration, qui réformera de manière substantielle les règles migratoires européennes, sont en cours d’achèvement.

L’adoption du Pacte est susceptible de nécessiter une profonde adaptation des dispositifs nationaux d’instruction des demandes d’asile et des moyens de contrôle des frontières. Ainsi, il est regrettable que soit présenté au Parlement un énième projet de loi sur l’immigration sans que soient évoqués les effets de l’adoption prochaine du Pacte, qui aura des conséquences majeures pour notre politique migratoire. Nous prenons le risque de devoir discuter d’un nouveau projet de loi une fois le pacte adopté, dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

Le deuxième point que je souhaite aborder concerne les contraintes imposées par le droit de l’Union européenne. Les défaillances de la politique migratoire européenne sont susceptibles d’avoir des conséquences non négligeables sur chacun des États membres comme l’a montré la crise de 2015. De plus, les dispositions du projet de loi entrent dans le champ d’application de plusieurs directives européennes qui s’imposent au législateur.

C’est pourquoi, dans le contexte d’une forte reprise des flux migratoires, il est indispensable que les autorités françaises utilisent pleinement les marges de manœuvre accordées par le droit de l’Union européenne. Dans ce domaine, plus encore que dans les autres, il convient de lutter contre la surtransposition des directives, en n’introduisant pas des normes plus contraignantes que celles exigées par le droit dérivé de l’Union européenne.

En outre, plusieurs jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union européenne sont récemment venues fragiliser le dispositif français mis en place pour contrôler nos frontières intérieures. Il conviendra d’être particulièrement attentif aux conséquences de ces décisions sur l’efficacité de la maîtrise des flux migratoires sur notre sol.

Bien souvent, les jurisprudences des cours européennes font également obstacle à l’exécution des éloignements. Ainsi, tous les efforts déployés par le Gouvernement dans ce projet de loi pour réduire les protections accordées aux étrangers troublant l’ordre public n’auront sans doute qu’un effet limité. En effet, nos juridictions devront examiner la conformité de la mesure d’éloignement au regard des dispositions de la convention européenne des droits de l’homme, en particulier concernant le respect de la vie privée et familiale. La portée d’un projet de loi visant à faciliter l’application des mesures d’éloignement sera donc extrêmement réduite sans une nouvelle articulation entre le droit national et le droit européen dans ce domaine, par exemple en réformant la Constitution afin de faire prévaloir le droit français sur le droit international en matière migratoire.

Enfin, l’Union européenne ne doit pas constituer qu’un espace de contraintes : elle est aussi porteuse d’opportunités à condition de se saisir pleinement des outils qui sont offerts par le projet européen. On peut par exemple penser aux vols affrétés par Frontex pour faciliter les expulsions, que la France n’utilise pas assez. Face au phénomène migratoire, qui est mondial et complexe, l’Europe peut constituer l’échelon approprié pour maîtriser les frontières extérieures du continent et mener un dialogue coordonné avec les pays tiers.

C’est pourquoi, la France et l’ensemble des États membres doivent pleinement utiliser les outils d’incitation à l’égard des pays tiers. La mise en œuvre du dispositif permettant de conditionner la délivrance des visas à la bonne coopération en matière de réadmission pourrait être effectuée de façon beaucoup plus ferme et systématique. La conditionnalité de l’accès aux financements de l’Union européenne par les pays tiers à l’ensemble à des objectifs migratoires apparaît également indispensable.

L’Europe s’est fixé, à travers les traités, l’objectif de bâtir un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». La réussite de ce projet nécessite de s’appuyer sur des États forts disposant de la maîtrise de leurs frontières. La souveraineté européenne ne se construira pas sans États souverains.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

Mme Joëlle Mélin (RN). Je ne peux que regretter la célérité dans la législation sur un sujet aussi grave. Avec les dispositions européennes prévues par pacte asile et immigration européenne, que vous souhaitez imposer à notre pays, vous prenez les mêmes risques et les mêmes responsabilités que tous ceux qui, au fil des siècles, ont développé de manière chaotique la présence européenne et française en Asie, au Moyen et Proche Orient, et en Afrique.

Rappelons-nous la manière inconsidérée dont se sont déroulées depuis plus de 60 ans toutes les indépendances des pays qui sont aujourd’hui concernés par l’immigration. Nous en payons aujourd’hui le prix fort par une immigration légale et illégale massive. L’immigration légale, sur fond de laxisme de beaucoup d’États Membres européens et du blocage d’autres, est surtout le fait du raz-de-marée de 2015-2016 voulu par la chancelière Merkel. L’immigration légale est aussi le fait de la multiplication des filières ouvertes en Europe, comme le confirme d’ailleurs encore aujourd’hui le pacte asile et immigration.

Il s’agit aussi d’une immigration illégale dans des conditions parfois dramatiques entretenue par des réseaux mafieux structurés et par les dispositifs Dublin qui sont assez inopérants. Aujourd’hui, à vouloir régler le problème du droit des étrangers dans l’émotion et la précipitation, vous allez aggraver les choses comme vos prédécesseurs. Ce n’est guère que la 118e loi française sur l’immigration depuis 1945. C’est bien là la preuve d’une erreur majeure de stratégie.

Comme nous le proposons depuis 40 ans, il faut nous aligner sur des pays qui maîtrisent leur immigration avec des critères d’accueil stricts et renforcer le contrôle aux frontières de l’Union européenne, mais aussi aux frontières des États membres. Le climat terroriste nous l’impose d’ailleurs actuellement. En sus des multiples mesures sécuritaires et administratives que nous proposons depuis longtemps, nous pensons qu’il faut développer les partenariats culturels pour pouvoir contrôler la filière étudiante. Il nous faut développer des partenariats économiques et écologiques en réponse à la migration climatique. Nous solliciterons évidemment au maximum nos ambassades et consulats.

Bien plus, la rigueur absolue est de mise face à une menace islamiste infiltrée depuis 20 ans et qui brouille gravement les données, tout en nous donnant hélas raison dans nos analyses posées il y a bien longtemps. Nous nous sommes opposés au Parlement européen au Pacte Asile et Immigration et nous serons très attentifs à la loi à venir. Ma question est simple : comment comptez-vous intégrer les leçons de l’histoire dans les stratégies à venir ?

Mme la Présidente Marietta Karamanli. Le projet de loi traite d’une question sensible, économique et sociale qui fait souvent l’objet d’une instrumentalisation idéologique. Je partage votre position selon laquelle le projet de loi n’évoque pas assez l’articulation avec le droit européen. Toutefois, je ne partage pas toutes les analysées proposées par le rapport.

Comme le rapporteur, je considère que la situation migratoire actuelle en France et dans les autres États membres est mauvaise. En effet, on dénombrait 330 000 arrivées irrégulières en Europe en 2022, soit une augmentation de 100 000 arrivées. De plus, seulement 16 % des décisions de retour dans les États membres sont suivies de demande de réadmission dans les pays tiers dans lesquels ils devraient retourner.

Mon analyse diverge de celle du rapporteur pour trois raisons. Premièrement, cette crise migratoire se prolonge depuis l’annonce de la fin du règlement de Dublin par la présidence de la Commission, et le Pacte sur la migration et l’asile censé le remplacer a tardé à voir le jour. Cette crise empêche également l’Europe d’examiner sereinement les sujets d’élargissement qui ont pourtant une portée stratégique et pourrait même remettre en cause les règles de la liberté de circulation au sein de l’Union. Enfin, cette crise conduit les États membres à traiter séparément les questions migratoires. À partir de ce constat, il aurait été utile d’évoquer dans le rapport la situation des demandes d’asile et d’accueil des personnes de nationalité ukrainienne.

Il faut également insister sur l’annonce par l’Allemagne d’une loi assouplissant les conditions d’entrée des étrangers sur le territoire allemand. En effet, il ne sera à terme plus nécessaire de parler la langue ou de présenter un contrat de travail pour s’installer dans le pays.

L’Espagne, l’Italie, la Bulgarie ou encore la Roumanie ont besoin du soutien du reste de l’Europe pour contenir les flux migratoires irréguliers alimentés par le trafic des êtres humains. Ces États d’entrée sont donc la source des mouvements internes à l’Union. Ainsi, ce qui se passe dans nos frontières à des effets dans notre pays.

Aujourd’hui, la solidarité entre les États membres est faible et l’effort d’accueil mal réparti entre eux. De plus, les procédures nationales sont longues et complexes, pouvant parfois créer des étrangers en situation irrégulière tandis que les pays tiers refusent d’accueillir leurs ressortissants. Faute d’orientation commune, les Européens laissent s’accumuler des situations problématiques au regard des droits fondamentaux. La majorité des États s’accorde à formuler une réponse visant l’augmentation des retours de migrants plutôt que la recherche d’une solution globale, ce que le groupe socialiste regrette. Votre proposition appelle à un regain de souveraineté alors qu’il nous faut un grand débat européen sur le sujet, puisque ce dernier ne peut être traité efficacement qu’à l’échelle européenne.

Mme Constance Le Grip (RE). Il nous semble que la teneur générale de ce projet de rapport d’information reste très politique et dépasse donc le cadre d’un rapport d’information. Les rapports d’information de cette commission, et notamment ceux portant sur des projets de loi, ont pour objectif de remettre les dispositions nationales dans leur contexte européen. Toutefois, ils ne doivent pas se transformer avis politiques ou en tribunes, même si les opinions politiques sont parfaitement légitimes. Ainsi, le groupe Renaissance considère que ce projet de rapport d’information a une tonalité politique qui va au-delà de ce que l’on peut attendre d’un rapport d’information de la commission des affaires européennes.

L’ancien article 3, désormais article 4 bis du projet de loi est particulièrement ciblé par le rapport à la page 19. Cependant, nous n’avons pas pris un risque inutile de provoquer un appel d’air par l’adoption mesures en faveur de l’immigration légale. Nous tenons donc à rappeler que cet article a été travaillé substantiellement et voté par la majorité sénatoriale.

Le projet de rapport doit être rendu plus cohérent et plus clair, tout en faisant un point plus précis sur l’avancement des négociations européennes sur le pacte asile et migration.

Mme Elisa Martin (LFI-NUPES). La responsabilité à laquelle nous sommes confrontés en tant que parlementaires français est de savoir si nous voulons dire la vérité sur les sujets migratoires. Pour cela, il faut remettre en question l’idée selon laquelle la France serait confrontée à une vague migratoire importante. Cela est faux actuellement du point de vue des chiffres, mais aussi au regard de la posture de la France qui a suspendu les accords de Schengen et réintroduit les contrôles aux frontières dans le contexte post-attentat de 2015.

La deuxième question à se poser porte sur la nécessité de dégrader considérablement le droit des étrangers : est-ce une stratégie efficace et pertinente pour résoudre la question des migrations ? Notre groupe ne le croit pas. On peut prendre l’exemple de la suppression de l’aide médicale d’État (AME), récemment décidée par le Sénat, alors que ce dispositif favorise la qualité de l’accueil de ces personnes. Un autre exemple est celui de l’augmentation de la durée de rétention au sein des centres de rétention administrative (CRA), établissements pour lesquels la France a été condamnée à de nombreuses reprises par des instances européennes pour des motifs liés au respect des droits humains.

Le dernier élément à propos duquel nous devons nous interroger est le suivant : sommes d’accord, en tant que peuple français en partie issue de l’immigration, pour nous situer en rupture avec l’héritage de la convention de Genève de 1951 ? Voulons-nous tourner le dos à la mise sous protection des personnes via le statut d’asile, compte tenu de la tradition de la France et de la composition de son peuple.

M. Vincent Seitlinger (LR). Le grand mérite de ce rapport est de rappeler pourquoi notre politique migratoire est fortement dépendante de celle de nos voisins européens. Le 7 novembre 2023, le chancelier allemand a annoncé un durcissement de la politique migratoire, s’appuyant sur un large consensus des partis de gauche et de droite. On peut donc s’attendre à un phénomène de report, certaines personnes préférant migrer vers la France plutôt que vers l’Allemagne, dont le discours politique est désormais plus ferme. D’où la nécessité d’une Europe forte pour coordonner les politiques de délivrance de visas et éviter que des pays tiers ne profitent de politiques migratoires divergentes.

Nous saluons en particulier votre cinquième recommandation, qui vise à conditionner l’ensemble des relations extérieures de l’Union européenne avec les pays tiers à des objectifs de coopération en matière migratoire. Il n’est en effet pas concevable que nous continuions à coopérer avec des pays qui ne remplissent pas eux-mêmes leurs engagements en matière migratoire.

M. Henri Alfandari (HOR). Le projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration apporte des évolutions bienvenues. Il permettra de mieux intégrer les étrangers par la langue et le travail. Il renforcera aussi l’arsenal législatif en matière d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public. Le groupe Horizons et apparentés soutient ce projet de loi.

Il reste qu’il serait déraisonnable et incomplet de penser la question migratoire à l’aune des seules frontières françaises, alors que nous faisons partie d’un espace économique commun avec nos partenaires européens, favorisant la liberté de circulation des personnes.

Comme vous le rappelez à juste titre dans votre rapport, il est nécessaire de remettre en perspective le contexte plus large des politiques de migration et d’asile au niveau européen. Le groupe Horizons et apparentés se félicite donc de l’avancée des débats au Parlement européen et au Conseil sur les différents projets de textes du nouveau Pacte européen sur la migration et l'asile. Ceux-ci prévoient notamment la mise en place de procédures d’asile et de filtrage aux frontières extérieures de l’Union. Ils doivent aussi permettre de mieux répartir l’effort d’accueil et de traitement des demandes – qui pèse encore excessivement sur les pays de premier accueil – en facilitant notamment les relocalisations et en renforçant les mécanismes de solidarité en temps de crise.

Plusieurs vérités ont été énoncées lors de cette réunion. La première est que nous avons en France un stock de demandes d’asile dont la gestion devrait être améliorée. La seconde est que nous devons nous préparer aux flux qui seront, bientôt, causés par les migrations liées au changement climatique. La future loi devra répondre à ces enjeux.

Vous proposez dans votre rapport des évolutions dans la droite ligne du nouvel article 4 bis, qui vous donnera donc probablement satisfaction. Vous regrettez par ailleurs que le nouveau Pacte européen sur la migration et l'asile n’ait pas été pris en compte plus en amont dans l’élaboration du projet de loi, pour anticiper ses conséquences sur la politique migratoire française. Or, vous indiquez dans le même chapitre que ces conséquences sont difficiles à anticiper. Plus fondamentalement, la politique migratoire est une compétence partagée entre l’Union et ses États membres. Il ne faudrait donc pas que notre agenda législatif dépende des discussions interinstitutionnelles européennes. Dès lors, n’est-il pas légitime de travailler dès à présent sur les « migrations de masse » – pour reprendre les mots de votre groupe – pour réformer en profondeur notre politique d’accueil et d’intégration, quitte à adapter à la marge ces nouveaux dispositifs au droit européen adopté ultérieurement ? Cela serait même en parfait accord avec la flexibilité que vous réclamez vis-à-vis des règles européennes.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Je répondrai tout d’abord à Joëlle Mélin. Je relève que le Rassemblement National entend promouvoir les migrations étudiantes en France, ce qui augmentera les flux puisqu’il s’agit là de la première source de délivrance de titres de séjour. La première source d’immigration illégale dans notre pays provient en effet de l’immigration légale : elle procède par exemple de la délivrance de visas pour les touristes qui se maintiennent sur le territoire national à l’expiration de leur visa touristique, ou du maintien illégal d’étudiants sur le territoire national à l’issue de leurs études.

Dès lors, la question est plutôt de savoir à quel type d’étudiants ces visas devraient être accordés. Je suis favorable à la conclusion de partenariats avec des filières d’excellence des pays francophones, pour des raisons stratégiques et d’influence. Le Secrétaire général de la présidence du Cameroun m’indiquait récemment que Saint-Cyr n’offrait que trois places par an aux étudiants camerounais, alors que la Russie et la Chine finançaient de nombreuses formations militaires rubis sur l'ongle. Ainsi, la démarche devrait être proactive : les établissements français d’élite pourraient rechercher de très bons profils dans les pays francophones, et un système pourrait être mis en place afin de les accompagner dans leur parcours en France. Le système serait « gagnant-gagnant » : les liens noués avec la France par les futurs médecins, officiers ou ingénieurs seraient de nature à contribuer au développement des entreprises françaises à l’étranger, en consolidant la croissance des pays d’origine. Pour parler franchement, lorsque l’on évoque l’immigration étudiante, il faut être précis et reconnaître que son utilité serait limitée pour les pays d’origine et pour la France si elle se dirigeait vers des études de sociologie ou des gender studies.

Une autre question évoquée par notre collègue du Rassemblement National a trait au Pacte européen sur la migration et l'asile. Ce Pacte vise à introduire une procédure de filtrage – dite de screening – aux frontières extérieures de l'Union. Les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui s’expliquent par la très faible exécution des mesures d’éloignement des demandeurs d’asile déboutés. La procédure de demande d’asile aux frontières de l’Union est donc un moyen efficace pour limiter la future clandestinité des déboutés de demandes d’asile au sein des pays européens. Le Pacte européen sur la migration et l’asile contribuera donc au contrôle de l’immigration, afin que celle-ci soit choisie et non plus subie.

Une logique purement nationale ou étatique ne pourrait pas fonctionner. Force est de constater que l’immigration illégale atteint des niveaux inédits au Royaume-Uni depuis sa sortie de l’Union européenne. Ceci est la preuve qu’un meilleur contrôle de l’immigration passe d’abord par un resserrement des règles au niveau européen, même si des ajustements politiques au niveau national restent bienvenus, la politique migratoire étant une compétence partagée. La gestion des flux et les contrôles aux frontières ne peuvent se faire uniquement aux frontières nationales, au risque d’entraîner la disparition de l’espace européen partagé.

Marietta Karamanli, vous avez évoqué les quatre millions de demandeurs d’asile de nationalité ukrainienne. Leur accueil est un excellent exemple de coopération européenne, mais procède d’un mécanisme de protection temporaire, dispositif plus souple offrant une protection aux personnes déplacées issues de pays en guerre.

La longueur des procédures nuit à l’exécution des mesures d’éloignement. L’examen de la demande d’asile d’un étranger peut prendre environ deux ans, entre l’examen de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et le recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le manque d’avocats spécialisés, et les difficultés pour trouver des traducteurs, en sont autant de raisons. Au cours de ce délai, les demandeurs ont pu développer une vie privée familiale, ce qui rend inopérante l’éventuelle décision de renvoi. Notre politique migratoire est donc marquée par une forme d’impuissance, en dépit des textes votés par les représentants du peuple et des décisions des juges. Si les mesures du projet de loi devraient conduire à accroître le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF), elles ne seraient pas efficaces si les obstacles à l’exécution de ces mesures n’étaient pas levés.

J’en viens aux remarques de Constance Le Grip. J’assume la nature politique de ce rapport, qui n’en reste pas moins étayé par des chiffres objectifs des instances européennes et de la direction générale des étrangers en France (DGEF). Si nous ne faisons pas de politique à l’Assemblée nationale, nous n’en ferons nulle part ! Sur un sujet qui divise la société, il est sain que plusieurs points de vue puissent s’exprimer au sein de notre Assemblée.

Vous appelez par ailleurs à la cohérence au sujet de l’article 4 bis. Je note que vos collègues sénateurs du parti présidentiel ont voté l’ensemble du projet de loi modifié par le Sénat. J’espère donc que, conformément au principe de cohérence auquel vous êtes attachée, les députés du groupe Renaissance ne supprimeront aucune des dispositions lors de l’examen en commission des Lois.

Enfin, un rapport d’information de la commission des Affaires européennes relatif à l’Union européenne face au défi migratoire, confié à Benjamin Haddad et Gabriel Amard, abordera la question du Pacte européen sur la migration et l’asile.

Notre collègue Élisa Martin défend les positions de La France Insoumise, ce qui est parfaitement cohérent. Le texte adopté au Sénat prévoit la suppression de l’Aide médicale d’État (AME), qui serait transformée en une aide médicale d’urgence destinée à sauver la vie des personnes gravement menacées tout en mettant fin aux dérives constatées. Il existe en effet un tourisme médical dont profitent des étrangers en situation régulière ou irrégulière, conduisant à la prise en charge par l’AME de certaines prothèses ou de rhinoplasties et gastroplasties. L’objectif est de préserver et sauver des vies. Le contribuable français ne doit pas pour autant assumer une charge indue et contraire à la logique assurantielle de la Sécurité sociale. Un étranger, d’autant plus clandestin, ne peut pas avoir davantage de droits qu’un Français.

Sur la question des centres de rétention administrative (CRA), le droit français devrait éviter toute surtransposition.

Avec ce projet de texte, nous sommes en train d’inscrire dans la loi une jurisprudence du juge administratif français relative à l’interdiction des mineurs de moins de seize ans dans les CRA, alors que rien n’est prévu sur ce sujet dans la directive « Retour ». Si on interdit les mineurs de moins de seize ans dans un CRA, cette mesure concernera indifféremment les mineurs isolés et les mineurs avec une famille : ainsi, la famille d’un mineur de moins de seize ans ne pourra pas être renvoyée, puisque la quasi-totalité des expulsions se fait à partir d’un CRA. Cette disposition pose ainsi une question quant à l’effectivité de la mesure d’éloignement.

Je suis d’accord avec Vincent Seitlinger qui souligne que notre politique migratoire est dépendante de nos voisins européens. Il s’agit par exemple des flux rebonds : 14 % des premières demandes d’asile viennent de personnes qui ont déjà demandé l’asile ailleurs en Europe. Il y a ainsi une question d’harmonisation entre États membres qui se pose, notamment sur l’alignement de l’allocation pour demandeur d’asile en fonction du niveau de vie des différents pays.

Pour répondre à la question des contraintes mises sur le laissez-passer consulaire, il faut effectivement ce document pour renvoyer un étranger dont on ne peut pas déterminer la nationalité. Il faut mettre des contraintes sur les États de départ pour les inciter à délivrer les laissez-passer consulaires, en utilisant comme levier la délivrance de visas ou l’aide publique au développement. Je crois que l’Agence française de développement (AFD) n’est pas assez politique, que les ambassadeurs devraient pouvoir flécher les investissements en direct.

La question que vous évoquez M. Alfandari porte sur le type d’immigration que nous souhaitons. Comment passer d’une immigration familiale, subie et sous-qualifiée, à une immigration de travail, choisie et surqualifiée ? Aujourd’hui, ceux qui viennent en France ne viennent pas avec un titre de travail, mais le plus souvent avec un titre de séjour familial. 40 % des immigrés en France ont le niveau du brevet des collèges, et occupent un emploi sous-qualifié. Dans les pays de l’OCDE, l’immigration économique est de 30 à 40 %, là où nous sommes à 15 % en France. L’immigration crée donc assez peu de valeur ajoutée, ce qui fait une différence majeure avec les autres pays de l’OCDE.

La question n’est pas seulement de faire venir des immigrés sur le territoire national : il faut pouvoir les accueillir dignement. À quel niveau ne réussissons-nous pas l’intégration en France ? C’est l’œuf ou la poule : faut-il définir les moyens par rapport au nombre de personnes entrées sur le territoire, ou définir le nombre de personnes à accueillir en fonction des moyens disponibles ? Nous en débattrons en commission des Lois et en séance.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport portant observations sur le projet de loi en vue de sa publication.

 


   Recommandations du rapporteur

 

Recommandation n° 1 : Rétablir le délit de séjour irrégulier sur une bande littorale le long de la Manche Mer du Nord

 

Recommandation n° 2 : Maintenir la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures et soutenir dans le cadre de la révision en cours du code frontières Schengen une clause de sauvegarde élargie permettant le maintien de ces contrôles sur une période supérieure à deux ans et demi en cas de circonstances particulières

 

Recommandation n° 3 : Accroître le recours aux moyens de l’Agence Frontex pour faciliter les opérations d’éloignement des étrangers en situation irrégulière dans l’Union.

 

Recommandation n° 4 : Encourager l’utilisation beaucoup plus fréquente de la suspension des facilités de visa à l’égard des pays tiers ne respectant par leurs engagements en matière de réadmission.

 

Recommandation° 5 : Conditionner l’ensemble des relations extérieures de l’Union européenne avec les pays tiers, y compris la politique commerciale, à des objectifs de coopération en matière migratoire.

 

 


([1]) Données du recensement de population 2021, Insee, champ « France, hors Mayotte ».

 

([2]) Déclaration devant la commission des lois du Sénat le 2 novembre 2022.

([3]) Cour des comptes, L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile, 2015.

([4]) François-Noël Buffet, Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité, 2022.

([5])  Billant, Jacques. « La frontière franco-britannique à Calais : des évolutions opérationnelles permanentes pour faire face aux enjeux internationaux », Administration, vol. 279, no. 3, 2023, pp. 21-24.

([6]) 1° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371‑2 du Code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;             
2° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;
3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ;             
4° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

([7]) 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;             
2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; 
3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage ;
4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du Code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;             
5° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

([8]) article L. 435-1 du Ceseda et circulaire du 28 novembre 2012 dite « circulaire Valls ».

([9]) article 15 de la directive.

([10])  CJUE, 21 septembre 2023, ADDE e.a, C-143/22.

([11]) CJUE, 26 avril 2022, C-368/20 et C-369/20.

([12])  CE, 27 juill. 2022, n° 463850, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers et autres.