N° 1924

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 novembre 2023

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

En application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION
sur l’aménagement et le développement durables du territoire en Guyane

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Jean-Marc ZULESI

Président, Corapporteur,

 

M. Jean-Victor CASTOR, Mme Clémence Guetté
et M. Gérard LESEUL,

Corapporteurs,

Députés.

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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos de m. Jean-marc Zulesi, prÉsident

Introduction

I. un territoire à dÉvelopper

A. une dÉmographie dynamique

1. Une fécondité élevée

2. Densité moyenne, densité réelle et conséquences pour l’aménagement du territoire

3. Niveau de vie et éducation

4. Un bassin de population commun au plateau des Guyanes et au Brésil

5. Les flux migratoires influant sur l’aménagement du territoire

B. la protection de la forÊt, volonté quasi intangible de la politique territoriale de l’État

1. La forêt amazonienne en Guyane

2. 1898 : Terra nulla, donc propriété d’État

3. Une valorisation économique prudente

C. la question foncière

1. Des collectivités territoriales sans réserves foncières

a. L’État, principal propriétaire

b. Les conséquences du difficile déblocage du foncier

2. L’objectif d’un développement économique endogène

a. Un tissu diversifié d’entreprises

b. Accélérer la cession de foncier agricole

3. Quelle place pour les populations autochtones ?

a. Un renouveau démographique

b. La difficile conciliation du droit international et du droit français sur la notion de peuple autochtone

c. Une restitution foncière inséparable de la défense de la forêt

4. Bilan de la cession du foncier prévu par l’accord de Guyane

D. les conséquences d’un amÉnagement anarchique du territoire

1. L’habitat informel

2. Une agriculture en partie informelle

3. L’orpaillage clandestin ou le saccage du territoire

a. L’activité aurifère légale au risque du déclin

b. Un saccage organisé du territoire

c. Empreinte spatiale de l’orpaillage clandestin

II. enclavement, fracture spatiale et dÉsenclavement

A. un rÉseau de transports lacunaire

1. Un réseau routier essentiellement sur le littoral

2. Des fleuves très utilisés, aux risques et périls des usagers

3. L’Ouest, l’Est et le centre : une dépendance excessive à l’égard du transport aérien

B. une extension du réseau Routier fortement attendue par la population

1. Tenir compte de l’expansion démographique et économique de l’Ouest, de l’Est et du centre guyanais

2. Veiller aux conséquences écologiques et sociologiques de nouvelles routes

3. Quelle solution si le réseau routier n’est pas étendu ?

a. La position actuelle de l’État

b. Peu d’alternatives en dehors du transport aérien

C. mettre fin à l’enclavement en AmÉrique latine

1. Un marché économique trop étroit

2. Le poids du Surinam dans la vie quotidienne

3. Intégrer la Guyane dans son environnement régional

III. la perspective de l’autonomie énergétique

A. 100 % d’énergies renouvelables : une perspective réaliste

1. Des conditions de production et de distribution particulières

2. Des coupures d’électricité trop fréquentes

3. Répondre aux enjeux d’aménagement du territoire et de développement durable

B. Pétrole : mirage ou réalité ?

1. Des États voisins producteurs de pétrole

2. Le pétrole serait-il utile à la Guyane ?

3. La Guyane peut-elle abandonner l’objectif de développement des énergies renouvelables ?

IV. que faut-il aménager prioritairement ?

A. Cinq prioritÉs

1. Les suites de l’accord de Guyane

2. Cinq actions prioritaires

a. Rétablir la sécurité

b. Mettre fin à la fracture spatiale par des infrastructures de transports et d’énergie

c. Développer l’agriculture pour une meilleure autonomie du territoire

d. Poursuivre les efforts d’éducation

e. Agir pour le bien-être de la population, en concentrant les efforts sur le logement et la santé

3. Impact potentiel sur la forêt

B. Un amÉnagement relevant du partenariat entre personnes publiques

1. La compétence générale de la collectivité territoriale de Guyane

2. Un fort engagement financier de l’État peinant à se concrétiser sur le terrain

3. La fragilité financière des communes

4. L’adaptation des normes nationales à la Guyane ou la prise en compte de réalités plurielles dans la République

a. L’application du droit national en Guyane, entre automaticité et prise en compte des particularités locales

b. Permettre une action politique et administrative plus efficace

CONCLUSION

Propositions

Examen du rapport en commission

dÉroulement de la mission

Liste des personnes auditionnÉes

 

 


   Avant-propos de m. Jean-marc Zulesi, prÉsident

Est-il possible de développer socialement et économiquement la Guyane, département en plein essor démographique, sans défricher de manière raisonnée une partie la plus réduite possible de la forêt amazonienne ? Telle est la question que s’est posée la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire (CDDAT), en envoyant une délégation sur place et à laquelle le présent rapport s’efforce de répondre.

L’idée de ce rapport est née des travaux d’une mission d’information de la CDDAT, portant sur l’adaptation de la forêt au dérèglement climatique ([1]). En incluant la forêt guyanaise, la plus vaste et la plus riche de France, dans le champ de leurs réflexions, les membres de la mission ont réalisé que la gestion en était l’exact inverse de la forêt hexagonale. À la différence de cette dernière, administrée depuis le Moyen-Âge de manière à garantir l’équilibre entre renouvellement des arbres et exploitation du bois et constituée aux trois-quarts de propriétés privées, la forêt guyanaise appartient essentiellement à l’État et se trouve placée sous protection en raison de son extraordinaire biodiversité. Elle couvre près de 97 % du territoire. En conséquence, aucun projet d’aménagement ne peut voir le jour sans une procédure complexe de cession du foncier ou de location de terrain à l’Office national des forêts.

Aménager un territoire dans un tel contexte s’avère difficile, d’autant que les besoins de la Guyane sont spécifiques. La plupart des questions d’aménagement du territoire dans l’Hexagone sont propres à un pays développé : modernisation des réseaux, connexion des modes de transport, relations entre logements et formes de mobilités, part du train et de l’avion dans les transports de longue distance, offre de santé... Elles ont peu de résonance en Guyane où il n’existe pas de réseau routier desservant les villes du centre et de l’Ouest, malgré les demandes des élus, où l’offre de santé est inégale, etc. La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et travaille dans l’économie informelle, ce qui limite la base fiscale dont disposent les collectivités territoriales. La vie quotidienne est émaillée de problèmes aussi divers que les coupures d’électricité ou l’accès difficile à l’eau dans certains villages... Un débat sur la place de l’avion par rapport à d’autres modes de transport n’y rencontre aucun écho, puisque les villes de l’intérieur (Camopi, Grand Santi, Maripasoula, Saül) dépendent quasi exclusivement d’une desserte aérienne. Il en est de même pour la limitation de l’artificialisation des sols. Le besoin de logements, d’espace pour les écoles, les hôpitaux, les entreprises, les voiries, milite en faveur du défrichement, sans compter les demandes de terre des agriculteurs.

La Guyane n’est pas encore aménagée. Elle est sous-aménagée.

Le Bureau de la CDDAT a en conséquence décidé, le 21 juin 2023, l’envoi d’une délégation en Guyane. Composée de M. Jean-Victor Castor (GDR), Mme Clémence Guetté (LFI), M. Gérard Leseul (SOC) et de votre président, elle s’est rendue du 16 au 22 septembre en Guyane, en commençant par Maripasoula et deux villages en bord du Maroni, accessibles uniquement par pirogue, pour comprendre la réalité de l’enclavement. Elle a ensuite tenu de nombreux entretiens à Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni, Sinnamary, Kourou et Petit Saut avec les représentants de l’État, des élus territoriaux et communaux, les représentants des chefs coutumiers, des responsables économiques, en résumé avec un maximum de personnes qui exercent des responsabilités en Guyane et réfléchissent à son avenir (cf. déroulement de la mission en annexe).

Même si la teneur des entretiens a varié, les membres de la délégation ont constaté des éléments communs chez leurs interlocuteurs, dont une certaine et douce ironie à l’égard d’un « énième rapport » ([2]), une défiance vis-à-vis de l’État, en raison de promesses considérées comme non tenues et souvent perçu comme un prescripteur de normes plutôt que comme le partenaire de projets. Enfin, la plupart des personnes interrogées ont appelé à l’accélération des procédures pour le transfert de ressources foncières aux collectivités territoriales.

Après le retour de la délégation à Paris, le Bureau de la CDDAT a accepté le 2 octobre dernier qu’elle se constitue en mission d’information en application de l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, afin qu’elle publie un rapport, au lieu de se limiter à un simple compte rendu de son déplacement.

L’importance de la forêt ne posait guère de problème lorsque la Guyane comptait 23 000 habitants en 1946, année où elle a pris le statut de département. Il en va différemment de nos jours, avec une population qui s’élevait officiellement à 285 000 personnes au 1er janvier 2020, mais en réalité sans doute plus de 300 000. La dynamique démographique se poursuit, avec une forte natalité, une faible mortalité en raison de la jeunesse de la population, et une immigration soutenue en provenance du Brésil et du Surinam, dont la Guyane est frontalière, d’Amérique latine et des Caraïbes, et de manière croissante du Moyen-Orient.

La Guyane a donc besoin de l’ensemble des équipements qui servent à la vie quotidienne, ainsi que de terres agricoles, tant sa dépendance est grande à l’égard de l’Hexagone, du Brésil et du Surinam pour nourrir sa population. Or toute activité humaine nécessite de l’espace. La situation actuelle, celle d’une population concentrée sur l’axe littoral, ne peut perdurer, alors que l’Ouest guyanais (SaintLaurent, Apatou, Grand Santi, Maripasoula), le centre et l’Est (SaintGeorgesdel’Oyapock et Camopi) sont en forte croissance démographique et que Saül est riche de perspectives touristiques et agricoles.

Face à cet impératif d’aménagement, se trouve la plus emblématique de toutes les forêts primaires. Avec 5 millions de kilomètres carrés (550 millions d’hectares), 390 milliards d’arbres répartis en 16 000 espèces, soit 13 % des arbres de notre planète, la forêt amazonienne englobe 70 % de la biodiversité mondiale. Elle produit 5 % de l’oxygène de notre planète et subit les menaces de la déforestation, de l’orpaillage clandestin et du dérèglement climatique. Depuis 1970, 18 % de sa surface a disparu, notamment au Brésil.

La forêt guyanaise représente moins de 1 % de l’ensemble de la forêt amazonienne, mais avec 1 300 essences d’arbres recensées (dix fois plus que dans l’Hexagone) et 400 000 espèces animales et végétales connues, elle confère à la France la responsabilité de la protéger. Le Parc amazonien de Guyane est le plus vaste de la France et de l’Union européenne.

Comment, à l’heure où les Conférences des Parties (COP) sur le climat et sur la biodiversité s’efforcent de limiter l’élévation des températures et de sanctuariser des terres vierges de toute présence humaine, assurer un équilibre entre le développement de la Guyane et la protection de sa forêt ? Cette question se retrouve désormais dans tout projet d’aménagement, mais elle revêt un caractère d’urgence en Guyane en raison des projections démographiques. De 280 000 à 300 000 habitants actuellement, le département pourrait en compter 600 000 en 2040.

La question peut-elle également être envisagée sous un autre angle qu’un conflit entre économie et environnement ? Les Amérindiens de Guyane rappellent qu’ils ont toujours vécu dans la nature, de la nature et en harmonie avec elle, et les Bushinengés ([3]) et les dits créoles en font de même. La notion de développement durable n’existe pas dans les langues amérindiennes puisqu’il va de soi que les habitants de la forêt en sont les garants. La plupart des Guyanais affirment, quelles que soient leurs origines ([4]), qu’ils vivent avec et au contact de la forêt et qu’ils savent la préserver. Les principaux destructeurs de celle-ci sont pour eux les orpailleurs illégaux, qui empoisonnent les cours d’eau.

Le défi posé aux pouvoirs publics est clair : réussir à planifier le développement de la Guyane de manière concertée, ou subir un aménagement spontané et informel, faisant peser un risque de destruction graduelle de la forêt et obligeant les élus à agir en réaction à la croissance démographique, non en anticipation. Il n’est pas évident à relever tant il existe d’obstacles et il prend l’apparence d’une course contre la montre.

 


   Introduction

Prenons au hasard une commune française de 11 000 habitants, située dans l’Hexagone. Elle ne disposerait d’aucune route pour la relier aux autres villes du département, ni de voie ferroviaire. Ses communications avec l’extérieur, les possibilités d’entrée et de sortie de ses habitants, ses approvisionnements en marchandises utiles à la vie quotidienne dépendraient d’une part d’une liaison aérienne, assurée dans le meilleur des cas trois fois par jour par des avions de 17 places, si les conditions météorologiques le permettent ; d’autre part, d’un trafic fluvial sur une voie d’eau plus ou moins navigable selon les saisons.

Cet isolement aurait les conséquences suivantes : à peine une centaine de personnes pourraient entrer et sortir de la ville quotidiennement, soit 1 % de la population. Connaissant cette situation, les personnels enseignants et de santé hésiteraient à y accepter un poste, sachant par exemple qu’ils n’auraient aucune certitude de pouvoir la quitter quand surviendraient leurs périodes de vacances. Le coût de la vie serait bien plus élevé que dans le reste du territoire, en raison des difficultés d’approvisionnement. Un litre d’eau minérale coûterait entre 4 et 8 euros ; un paquet d’un kilo de lessive pourrait dépasser 20 euros.

Cette commune serait en outre sujette à des coupures d’électricité, obligeant les administrations, écoles, hôpitaux, entreprises et habitants à s’équiper en groupes électrogènes. Ne pouvant accoucher dans des conditions sûres, les femmes enceintes seraient contraintes de la quitter vers le septième mois de leur grossesse pour se rendre dans la ville où siège la préfecture, plus grande, moins sujette à des coupures d’énergie. Ce séjour de deux mois environ les éloignerait de leur famille à une période cruciale de leur vie et représenterait une charge financière conséquente.

Notre exemple pourrait viser indifféremment Barentin, Canet‑en‑Roussillon, Fontenay-le-Comte, Gravelines, Lannion, Le-Puy-en-Velay, Longwy, Oloron-Sainte-Marie, Orsay, Porto-Vecchio, Riedisheim, Vernouillet, parmi les 550 communes en France dont la population oscille entre 10 000 et 20 000 personnes.

Cette situation provoquerait bien légitimement la colère des habitants. Les élus locaux feraient « remonter le dossier à Paris », selon l’expression consacrée, députés et sénateurs protesteraient lors des séances de questions au Gouvernement et in fine, celui-ci promettrait de dégager des crédits pour désenclaver la commune et son territoire, et y moderniser les services publics de base.

Politique fiction ? Malheureusement non... Plusieurs communes de Guyane vivent quotidiennement cette situation, à commencer par Maripasoula – 11 000 habitants officiellement recensés – la plus vaste commune de France, située sur le Maroni, à la frontière avec le Surinam, ainsi que Camopi (2 000 habitants environ) riveraine de l’Oyapock, en face du Brésil. Elle touche non seulement ces communes, mais la plupart des villes et villages de l’Ouest et du centre de la Guyane, qui souffrent d’enclavement et d’un approvisionnement en énergie plus ou moins régulier.

Une anecdote illustre cette réalité : lorsque la délégation s’est déplacée à Maripasoula, elle souhaitait, comme il est de tradition, que M. Davy Rimane, député de la circonscription où se trouve cette ville, participe aux réunions et visites, d’autant que son équipe avait préparé par des prises de contact cette venue. M. Rimane n’a malheureusement pas trouvé de place disponible dans le vol d’Air Guyane et faute de route, n’a pu s’y rendre.

La Guyane n’est pas le seul département français dont des communes sont isolées. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) les définit comme « situées hors des grandes aires urbaines, des moyennes aires et des petites aires, et qui ne sont pas multipolarisées ». Certaines sont en zone de montagne ou dans de petites îles et sont logiquement difficilement accessibles, mais on en trouve dans des territoires en déprise démographique, le plus souvent après désindustrialisation. Ces communes perdent des services publics, résultant par exemple de fermetures de classes ou d’équipements ([5]) comme des maternités et ne bénéficient pas toujours des investissements publics ou privés – elles espèrent souvent l’installation d’une grande entreprise – leur permettant de se redresser. Mais du moins disposent-elles a minima d’une ou de deux liaisons de transport fiables, dont une route. Tel n’est pas le cas de plusieurs villes guyanaises.

L’examen d’une carte du département permet de comprendre la situation. La Guyane est couverte sur 97 % de son territoire par une forêt dense. La plupart des villes sont situées sur la côte atlantique ou le long des deux fleuves qui délimitent les frontières avec le Surinam et le Brésil. Une route longe le littoral de part et d’autre de Cayenne et la relie notamment à Saint-Laurent-du-Maroni, considérée comme la capitale économique et comme le cœur d’un Ouest guyanais en pleine mutation. Quelques tronçons de routes permettent de desservir de petites communes de l’intérieur. Le reste des transports s’effectue par avion ou par pirogue.

Au total, l’on compte 1 340 kilomètres de routes, dont 440 kilomètres de routes nationales, très majoritairement à une voie dans chaque sens et non éclairées, (ce qui est faible pour un département dont la superficie est celle de pays d’Europe comme l’Autriche ou le Portugal), 370 kilomètres de routes départementales et 530 kilomètres de routes communales. Le transport aérien ne compense pas la faiblesse de l’équipement routier puisqu’il ne fonctionne pas régulièrement, entre les pannes mécaniques et les intempéries, notamment en saison des pluies, et qu’en outre, la seule compagnie avec une mission de service public, Air Guyane, a fait faillite en août 2023. Le tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre en a prononcé la liquidation judiciaire le 29 septembre dernier, obligeant la collectivité territoriale et la préfecture à mettre en place des solutions d’urgence pour éviter l’isolement total de Maripasoula et des communes qui en sont proches, comme Papaichton, ou au Sud, celui de Camopi.

La Guyane est en réalité dans une situation unique en France, s’agissant d’un département non insulaire. Aucune collectivité n’est couverte à 97 % par une forêt. Plusieurs points de son territoire sont enclavés physiquement, et lorsqu’une liaison aérienne existe, elle n’est pas financièrement accessible à chaque habitant, une grande partie des Guyanais vivant sous le seuil de pauvreté. L’isolement d’une commune s’accompagne souvent, comme vos rapporteurs ont pu le constater, d’un sentiment psychologique d’enfermement de ses habitants, par le fait de ne pouvoir aller et venir librement pour satisfaire ses besoins essentiels, pour son travail ou pour ses loisirs quand on le souhaite d’un point à l’autre du territoire, comme dans le reste de la France, parce que les moyens de transport n’existent pas.

L’on peut au demeurant autant parler d’enclavement que de fracture territoriale. Plusieurs Guyanais vivant dans les villes du littoral ont indiqué à vos rapporteurs qu’ils n’étaient jamais allés à Maripasoula ou à Camopi.

Absence de transports et de certaines infrastructures de base, sentiment d’isolement... Les Guyanais notent avec un humour grinçant qu’ils n’ont pas toujours l’électricité et qu’internet ne passe pas sur une partie de leur territoire, alors que le centre spatial de Kourou abrite les technologies les plus sophistiquées du monde. Ils en retirent l’impression qu’ils ne bénéficient pas, loin s’en faut, de la présence d’un des atouts de la puissance économique française. Cette remarque illustre une série de paradoxes.

La coexistence de zones très modernes comme la base de Kourou et des habitats de fortune constitue le premier d’entre eux. C’est une situation que l’on observe dans les pays en développement, et la plupart des élus guyanais sont confrontés à des réalités que l’on constate dans ces pays : démographie dynamique, habitat spontané, économie informelle... Il n’est donc pas étonnant que la Guyane soit éligible aux actions de l’Agence française de développement (AFD), comme d’ailleurs l’ensemble des collectivités d’outre-mer.

Le deuxième paradoxe est que la Guyane dispose d’un vaste territoire par rapport à sa population. La densité moyenne de population y est très basse, mais en raison de la protection de la forêt, l’offre foncière y est rare. Le coût du foncier est en conséquence élevé et obtenir un terrain pour lancer une activité économique exige des démarches de plusieurs mois. C’est une réalité vécue par l’ensemble du tissu économique guyanais.

Le troisième paradoxe découle du deuxième. Bien que disposant de nombreuses richesses naturelles, la Guyane les valorise difficilement. La rareté de l’offre foncière, la protection de la forêt, l’étroitesse d’un marché local peu connecté au bassin de population plus large que forment avec elle le Surinam, le Guyana et le Nord du Brésil limitent le développement économique. Lors d’une visite du port de Cayenne, vos rapporteurs ont constaté le déchargement des containers approvisionnant la Guyane, avant d’apprendre que le navire repartirait quasiment à vide. La Guyane produit pour son marché local mais exporte peu. Le déficit de sa balance commerciale s’est établi à 1,6 milliard d’euros en 2021.

Ces paradoxes sont en fait le fruit d’une contradiction qu’il devient urgent de résoudre pour ce territoire. D’un côté, une démographie dynamique ; de l’autre, un territoire peu aménagé car juridiquement peu aménageable. « De 23 000 personnes au moment de la départementalisation en 1946, le nombre d’habitants en Guyane française a atteint 191 000 en 2005 (...) et 200 000 en 2007. La densité démographique a franchi le seuil de deux personnes par km² puisque la superficie de la Guyane est de 84 000 km². Mais la population ne dispose en principe que de 10 % de cette étendue car 90 % du territoire appartient au domaine de la forêt dense amazonienne qui est la propriété privée de l’État. L’augmentation continue de la population est consécutive au solde naturel positif (forte natalité associée à une mortalité relativement faible) mais aussi aux flux migratoires qui apportent à la Guyane française près du tiers de sa population totale » ([6]). L’Insee indiquait une population de 285 000 personnes au 1er janvier 2020 mais la plupart des élus locaux l’évaluent à plus de 300 000 personnes.

L’absence de données statistiques démographiques précises montre la difficulté de planifier l’aménagement de la Guyane, car toute politique en ce sens se fonde préalablement sur la connaissance de la population, de son effectif à son état social en passant par sa répartition sur le territoire. Elle illustre quelque part l’urgence devant laquelle est placée la Guyane, dont la population augmente constamment. Les pouvoirs publics – et notamment les maires – agissent en réaction et non en anticipation, face à un urbanisme anarchique ou au besoin d’ouvrir des classes. Peu de communes en France sont confrontées au défi de Saint-Laurent-du-Maroni, quasiment obligée de construire une école ou un collège tous les dix mois, afin d’y accueillir sans distinction d’origine des jeunes guyanais et surinamiens. Les maires sont conscients de cette situation mais ne peuvent faire autrement avec les moyens dont ils disposent.

Comment faire de ce dynamisme démographique un atout au lieu d’une contrainte ? Il pourrait être un facteur décisif de la construction d’une Guyane prospère, mais constituer également son frein, car l’accès à l’éducation et à la formation n’est pas optimal, le taux d’échec scolaire étant élevé. Or comme partout en France, la Guyane a besoin de personnes qualifiées. Il existe également une tradition d’économie informelle dans les villages reculés et le long du Maroni et de l’Oyapock, entre populations pour lesquelles ces fleuves n’ont jamais constitué une frontière mais au contraire un lien, des bassins de vie.

« Aménager le territoire pour ne pas qu’il soit occupé de façon spontanée ou anarchique », tel est le leitmotiv que vos rapporteurs ont souvent entendu durant leur déplacement. Des pistes tracées à travers la forêt par les orpailleurs clandestins en passant par l’habitat informel bâti par ceux qui gagnent les villes, nombreux sont les exemples d’une utilisation de l’espace par l’homme, qui n’a été ni planifiée, ni concertée, ou n’a pas fait l’objet d’une stratégie publique. La difficulté d’accéder au foncier ralentit en outre la plupart des efforts que les élus locaux veulent conduire.

L’État, principal propriétaire de la forêt guyanaise, qu’il gère via l’Office national des forêts (ONF), a le devoir d’apporter une réponse à cette situation, notamment en raison des principes et des dispositifs des différentes lois d’aménagement du territoire. À l’origine, cette politique visait « la recherche dans le cadre géographique de la France, d’une meilleure répartition des hommes, en fonction des ressources naturelles et des activités économiques (…) dans la constante préoccupation de donner aux hommes de meilleures conditions d’habitat, de travail, de plus grandes facilités de loisirs et de culture » ([7]).

La Guyane était peu concernée par la conception originelle de l’aménagement du territoire. Elle l’a été beaucoup plus par les lois qui ont suivi. La loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (dite « loi Pasqua ») présente en son article 1er cette politique comme concourant « à l’unité de la nation, aux solidarités entre citoyens et à l’intégration des populations ». Le troisième alinéa de cet article dispose en outre qu’elle assure « l’égalité des chances entre les citoyens en garantissant en particulier à chacun d’entre eux un égal accès au savoir et aux services publics sur l’ensemble du territoire et réduit les écarts de richesse entre les collectivités territoriales par une péréquation de leurs ressources en fonction de leurs charges et par une modulation des aides publiques ».

Cette loi a été la première à poser un principe selon lequel tout citoyen, en tout point du territoire, a droit à un accès à un socle minimal de services. La loi n° 2000-1208 relative à la solidarité et au renouvellement urbains du 13 décembre 2000 a ensuite mis en place les schémas de cohérence territoriale, documents de planification stratégique à long terme visant à développer les territoires de manière équilibrée en tenant compte des besoins en logements, équipements publics ou de transports. Enfin, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, en introduisant le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), a mis l’accent sur l’équilibre et l’égalité des territoires, le désenclavement des territoires ruraux et le développement des transports.

Il est clair, comme vos rapporteurs l’ont constaté sur place, que ces principes sont peu ou mal appliqués en Guyane. La géographie physique du territoire constitue certes un obstacle et la biodiversité exceptionnelle de la forêt impose qu’on en protège les richesses naturelles. C’est une responsabilité de notre pays devant la communauté internationale, à l’heure où le bassin amazonien fait l’objet d’une déforestation. La présence de populations amérindiennes, implantées depuis des siècles sur le territoire, exige de conduire un développement économique en accord avec elles, y compris en consultant le Grand conseil coutumier de Guyane. Les objectifs et méthodes utilisées dans l’Hexagone ne sont pas non plus intégralement transposables en Guyane, l’aménagement du territoire ne pouvant abolir toutes les disparités spatiales. Le principe d’égalité entre les citoyens ne peut par ailleurs gommer toutes les différences dues aux obstacles naturels, mais il reste que la Guyane accuse trop de retard dans des domaines essentiels – transport et énergie notamment – pour que l’action publique ne s’exprime pas avec plus de volontarisme. Si l’on souhaite « hisser la Guyane au rang de carrefour mondial d’excellences » comme l’affirme la collectivité territoriale, la première étape est d’établir (et non de rétablir puisqu’ils n’existent pas toujours) des équipements de base. Véritable nœud gordien, la question d’un réseau routier digne de ce nom devra notamment être tranchée et expliquée, quel qu’en soit le sens.

Vos rapporteurs sont venus en Guyane sous le sceau de la modestie. Ils ont écouté de multiples interlocuteurs, se sont déplacés le plus possible et ont essayé de saisir la complexité des réalités guyanaises. Leur travail vise à dégager les axes afin d’assurer la conciliation difficile d’un développement nécessaire et attendu, et la protection d’une forêt primaire. Ils ne sont pas les premiers à y réfléchir : le schéma d’aménagement régional, le contrat de convergence et de transformation, l’action quotidienne des maires, les réflexions des scientifiques portent tous cette question. Un regard extérieur, en l’espèce celui de trois députés de l’Hexagone, combinant leur perception à celle d’un élu guyanais, peut toutefois infirmer ou confirmer les priorités à dégager.

Il est néanmoins certain pour vos rapporteurs qu’au-delà des stratégies existantes, l’objectif de l’aménagement de la Guyane ne doit pas se limiter à l’équiper. Il s’agit surtout de réunifier un territoire à la fois enclavé et spatialement fracturé, de le relier à ses voisins d’Amérique latine, de redresser l’ensemble d’une situation sociale... En résumé, œuvrer à la construction d’une Guyane où chacun puisse vivre mieux.

 

 


Résumé du rapport

La Guyane, dont la superficie est proche d’un pays comme le Portugal, est un territoire sous-équipé alors que sa croissance démographique est six fois plus importante en moyenne que le reste de la France. Une moitié de sa population vit sous le seuil de pauvreté et travaille dans le secteur informel.

97 % de sa surface est couverte par la forêt amazonienne, la plus grande forêt primaire de la planète, dont l’État est très largement le propriétaire et qui est gérée pour son compte par l’Office national des forêts (ONF). L’ONF a la double mission d’en préserver la riche biodiversité et de l’exploiter avec un impact minimum. La collectivité territoriale de Guyane et les communes disposent de peu de réserves foncières en propre, malgré un processus récent de cession de terres. Tout projet de développement, qu’il s’agisse d’une infrastructure, d’un parc de logements sociaux ou de l’implantation d’une entreprise, doit le plus souvent passer par une procédure de cession, qui dure de plusieurs mois à plusieurs années.

La présence de la forêt induit par ailleurs une répartition spatiale de la population sur trois axes : le long du littoral, et le long de deux grands fleuves, le Maroni et l’Oyapock. Ces trois espaces sont mal reliés entre eux. Le réseau routier national ne couvre que la zone littorale et en conséquence, de nombreuses communes dépendent exclusivement d’un réseau aérien profondément perturbé ces derniers mois, quasiment interrompu à ce jour. L’enclavement des communes de l’Ouest guyanais et de l’intérieur est une réalité qui a des conséquences concrètes pour des milliers d’habitants : coût de la vie très élevé (le prix d’une bouteille de gaz est deux à trois plus élevé que la moyenne nationale), accès difficile aux services publics essentiels, obligation pour les femmes de se rendre à Cayenne ou à Saint-Laurent pour accoucher, sentiment d’enfermement, pour ne citer que quelques exemples.

La plupart des débats ayant cours dans l’Hexagone sur l’aménagement du territoire et le développement durable n’ont pas ou peu de résonance en Guyane, voire sont considérés comme décalés par rapport à la réalité guyanaise, comme le « zéro artificiallisation nette ». Peuplée officiellement de 285 000 habitants en 2020, elle pourrait compter de 450 000 à 600 000 habitants en 2050. Elle a donc besoin d’une politique d’aménagement qui rattrape ses retards en équipements de base, tienne compte de l’essor démographique de l’Ouest et l’insère mieux dans son environnement régional, qui connaît un profond bouleversement avec l’exploitation de pétrole au Nord du Brésil, au Surinam et au Guyana. Cette politique est de la responsabilité conjointe de l’Etat et de la collectivité territoriale de Guyane.

Si une politique visant à répondre aux besoins vitaux des populations n’est pas conduite, le risque est que la Guyane s’aménage spontanément, par les occupations sans titre de personnes en quête de logements ou de terres agricoles. Il s’agit déjà d’une réalité très prégnante, qui a des conséquences écologiques et sociales négatives, et intégrer le secteur informel dans les circuits formels de l’économie n’est pas le moindre défi pour les pouvoirs publics.

Le présent rapport, rédigé à la suite d’une mission de vos rapporteurs en Guyane, du 16 au 22 septembre 2023, s’attache à décrire les problèmes d’aménagement que connaît ce territoire, leurs conséquences économiques et sociales et propose de concentrer l’action publique sur cinq priorités, la principale étant de la doter d’un réseau de transport. C’est une condition de base pour que les Guyanais puissent tirer parti des atouts de leur territoire.

 

 


Guyane française: carte des communes (municipalités)

 


I.   un territoire à dÉvelopper

La Guyane comptait 23 000 habitants en 1946. Elle en recensait officiellement 285 000 au 1er janvier 2020 mais l’Insee admet lui-même une marge d’erreur dans cette statistique.

La population se concentre sur trois axes : le littoral et les communes de l’intérieur situées le long des deux grands fleuves que sont le Maroni et l’Oyapock, la forêt couvrant 97 % du territoire. La politique visant à l’aménager doit donc tenir compte de cette croissance démographique et de la rareté de l’espace disponible pour les activités humaines.

Alors que ce département dispose d’espace, d’importantes ressources naturelles, notamment minières, et d’une façade maritime, il est l’un des plus pauvres de France. Le manque d’infrastructures notamment ne permet pas de répondre aux besoins vitaux de la population alors qu’il lui faut tenir compte d’une croissance démographique parmi les plus élevées de France.

A.   une dÉmographie dynamique

La Guyane est la région de France hors Mayotte où la croissance démographique est la plus forte : elle s’est élevée en moyenne de 2,1 % par an entre 2014 et 2020. Le temps est loin où le géographe Jean Hauger écrivait « le bouclier guyanais et ses bordures sédimentaires constituent une des régions les moins peuplées du monde » ([8]).

1.   Une fécondité élevée

La vigueur démographique est quasi exclusivement portée par le solde naturel. La moitié de la population a moins de 25 ans, ce facteur s’expliquant par une fécondité élevée (3,53 enfants par femme contre 1,80 au niveau national). L’Ouest, l’Est et le centre sont les principaux moteurs du dynamisme démographique. Avec 151 887 habitants, la Communauté d’agglomération du Centre Littoral est la plus peuplée, suivie de celle de l’Ouest guyanais (96 306 habitants).

Selon les projections, la Guyane compterait 428 000 habitants au 1er janvier 2050, soit 184 000 de plus qu’en 2013. La population restera majoritairement jeune, et il faudra l’accompagner (éducation, logement, emploi) mais les seniors seront également cinq fois plus nombreux qu’en 2013.

Ce chiffre de 428 000 est une hypothèse médiane. La réalité pourrait conduire à 528 000 habitants, voire à dépasser 600 000. À plus long terme, selon une étude de l’Insee portant sur les projections démographiques des régions françaises en 2070, la Guyane fait partie, avec Mayotte et La Réunion, des trois seuls départements français dont la population augmentera nettement.

Taux de natalité des régions françaises

Source : Insee (2020).

2.   Densité moyenne, densité réelle et conséquences pour l’aménagement du territoire

La densité moyenne de la population est très basse, 3,4 habitants par km². Ce taux peut laisser entendre que la Guyane, dont la superficie est celle du Portugal ou de l’Autriche, est peu peuplée. Il faut immédiatement le tempérer par la part du territoire couverte par la forêt amazonienne, de l’ordre de 97 %. L’existence de cette forêt conditionne l’ensemble de la vie des Guyanais et toutes les politiques publiques.

La densité moyenne n’est pas un indicateur utile pour la politique d’aménagement du territoire du plus vaste département de France, bordé de deux fleuves à ses frontières ([9]). La répartition spatiale est nettement plus pertinente. La population vit principalement le long des trois axes précités, en bordure de la forêt et des fleuves, et sur le littoral.

Autour des principales communes, se trouvent des centaines de villages dont la population est très clairsemée. Elle vit le long des cours d’eau.

Peu importante en valeur absolue, la population guyanaise connaît en réalité les mêmes problèmes que les territoires à forte densité démographique puisqu’elle vit sur une bande côtière et deux bandes fluviales étroites, à proximité d’une forêt dont la plus large part est protégée. D’où le problème foncier, leitmotiv que vos rapporteurs ont entendu tout au long de leur déplacement, qui conditionne l’accès au logement, la disponibilité de terres agricoles et l’implantation des infrastructures, des industries et des commerces. Ce premier problème est si important qu’il constituait l’un des volets de l’accord de Guyane, à la suite du mouvement social de 2017.

La deuxième contrainte tient à ce que la Guyane est vaste. Les habitants se concentrent certes sur trois axes, mais ceux-ci font plusieurs centaines de kilomètres de long. En outre, une partie de l’habitat est très dispersée, le nombre de villages avoisinant 200. Comme tout être humain, les habitants de ces villages ont droit à des services publics de base, éducation, santé, eau potable, électricité, mais la majorité en est encore dépourvue. Il est difficile et souvent coûteux de les implanter, d’autant que de nombreuses villes et villages ne disposent d’aucune route. L’absence d’eau potable pour 18 % de la population est un étrange paradoxe sur le plus grand bassin d’eau douce du monde... La pirogue est souvent le seul moyen de parvenir à destination. L’enclavement de nombreuses communes et donc de la population qui y vit, constitue une réalité quotidienne très prégnante.

3.   Niveau de vie et éducation

Le présent rapport n’a pas pour objet de dresser l’état social de la population guyanaise. Néanmoins, vos rapporteurs tiennent à rappeler deux éléments : le nombre considérable de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et le taux important de décrochage dans l’éducation. Les deux facteurs sont souvent liés. Ils limitent les possibilités de croissance économique du territoire, empêchent souvent de faire profiter les habitants des créations d’emplois quand ces derniers exigent des qualifications – en ce cas, la main-d’œuvre vient de l’Hexagone – et forment les conditions d’un secteur économique informel. Celui-ci permet à des milliers de personnes de subsister, crée des liens de solidarité mais ne permet pas de garantir à toutes et tous une vie digne.

Une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté ([10]) et les inégalités sont plus fortes qu’ailleurs. La pauvreté touche particulièrement les personnes sans emploi, les personnes peu ou pas diplômées ainsi que celles nées à l’étranger. Les familles monoparentales et les ménages jeunes cumulent ces difficultés et souffrent davantage de pauvreté. Les prestations sociales restent la principale composante du revenu disponible des ménages les plus modestes.

Niveau de vie moyen dans les régions

Source : Insee (2020)

Plus de la moitié des habitants n’a pas ou peu de diplôme. La scolarisation est plus courte que dans le reste de la France, en raison de contraintes de mobilité ou de manque d’offre de formation sur le territoire. S’y ajoute un départ vers l’Hexagone des néo-bacheliers, ce qui conduit statistiquement à des niveaux de diplômes plus faibles. Pour les personnes détentrices d’un diplôme, l’accès au marché du travail est en revanche plutôt aisé.

Dans la mesure où l’aménagement du territoire doit créer les conditions permettant à un département ou une région d’exploiter au mieux ses atouts humains et naturels, cette brève analyse de l’état social de la population montre l’importance de planifier pour la jeunesse guyanaise les conditions de l’accès et surtout du maintien dans le système éducatif. La Guyane est dans la situation paradoxale d’être bien classée à l’indice de développement humain, compte tenu de l’existence de services publics, tout en ayant la natalité et pour une partie de la population, le niveau de vie d’un pays dit en développement. Or, c’est la combinaison d’infrastructures de transport et d’énergie couplées à un système éducatif et de santé performants qui crée les bases d’une économie en mesure de répondre aux besoins humains.

Diplômes délivrés en Guyane en comparaison des autres régions

Source : Insee (2020)

4.   Un bassin de population commun au plateau des Guyanes et au Brésil

Les géographes appellent plateau des Guyanes un massif de montagnes et de plateaux commun à la Guyane et à cinq pays d’Amérique latine : Colombie, Venezuela, Guyana, Surinam et Amapa, État fédéré du Brésil. Le plateau est recouvert par la forêt amazonienne, dont la forêt guyanaise fait partie.

La Guyane jouxte le Surinam à l’Ouest et le Brésil au Sud, le Maroni et l’Oyapock servant théoriquement de frontière. « D’aucuns considèrent le fleuve comme un obstacle. Son franchissement demeurant problématique, il induit une rupture spatiale. Les États y ont souvent adossé leur frontière. Le transit transfluvial nécessitant pont, bac, passage à gué facilite les contrôles. Cette représentation et utilisation du fleuve correspondent surtout à une vision et une pratique régalienne occidentalisée. Au sein d’autres cultures, dans d’autres lieux, le fleuve se vit différemment. De coupure, il devient couture. C’est le cas notamment pour les fleuves amazoniens qui sont considérés par les populations locales comme des routes, des pénétrantes dans la forêt, parfois seuls axes de circulation, souvent bien plus praticables que les voies terrestres complexes à emprunter dans l’épais couvert forestier. Pour les peuples amérindiens, les fleuves, loin d’être des ruptures, sont des axes de transport qui structurent de rive à rive, des bassins de vie plus ou moins étendus. Dans certains cas, les pratiques transversales des bassins fluviaux amazoniens peuvent se heurter à l’instrumentalisation longitudinale du fleuve lorsque ce dernier coïncide avec une limite frontalière. C’est le cas de la frontière orientale de la Guyane française, scindant le bassin versant du bas-Oyapock » ([11]).

En Amazonie, les fleuves sont plus souvent un lien qu’un obstacle et les dynamiques humaines ne coïncident pas avec des frontières héritées de plusieurs vagues de colonisation. Celles-ci ont fixé des limites de territoire mais les groupes linguistiques amérindiens sont souvent les mêmes de part et d’autre des fleuves. Il en est de même pour les Bushinengés. Le Maroni et l’Oyapock sont des axes, des territoires de transition et de jonction plutôt que des frontières et de part et d’autre de chaque rive, les habitants sont accoutumés depuis des siècles à commercer et se rendre des services mutuels. Ils tiennent peu compte des frontières.

« Avec plus de 700 kilomètres, l’Oyapock constitue la plus longue frontière terrestre de la France. Elle sépare la France du Brésil, plus précisément la collectivité territoriale de Guyane et l’État fédéré de l’Amapá. Frontière la plus longue mais paradoxalement l’une des plus faiblement peuplées et l’une des plus méconnues, cette marge des territoires français et brésilien restera longtemps hors champs des préoccupations principales de ces États. Loin de Paris et de Brasilia, le bas-Oyapock a développé un mode de fonctionnement spatial fondé sur la réciprocité des échanges entre les rives française et brésilienne. Cependant, depuis une dizaine d’années, sous l’impulsion des travaux de construction amorcés en 2009 et l’ouverture du pont international sur l’Oyapock en mars 2017, soit 6 ans après la fin des travaux, la fonction frontalière du fleuve a été réactivée. Cette réinscription des souverainetés nationales s’est traduite par une augmentation des contrôles et une perturbation des pratiques quotidiennes des populations locales bien peu prises en compte dans le processus de construction de cet artefact terrestre entre la France et le Brésil » ([12]).

Le Maroni joue le même rôle à l’Ouest que le bas-Oyapock au Sud. Il « forme historiquement un bassin de population plutôt qu’une frontière hermétique. Cette situation s’est renforcée lors de la guerre civile au Surinam dans les années 1990, durant laquelle une partie de la population s’est réfugiée du côté français pour échapper aux massacres et aux exactions. En conséquence de quoi, les familles ont été séparées. En changeant de rive, des communautés amérindiennes entières ont trouvé du côté guyanais la sécurité que l’État surinamien n’était plus en mesure de leur assurer » ([13]).

Les familles et communautés villageoises vivent indifféremment de part et d’autre du Maroni, et indépendamment de toute appartenance nationale. Vos rapporteurs ont constaté en naviguant sur le fleuve et en s’entretenant avec les habitants que des Surinamiens envoient leurs enfants à l’école française et bénéficient des services de santé français, tout en utilisant le réseau de téléphone surinamien parce qu’il passe mieux. Les riverains guyanais utilisent de leur côté le même réseau et vont faire leurs courses au Surinam, où les produits de base sont moins chers. L’essence qui alimente les véhicules individuels, collectifs et de travaux à Maripasoula est livrée depuis la rive surinamienne par pirogue, puisqu’il n’existe pas de route permettant d’en acheminer par camion-citerne vers cette ville. Les Surinamiens résidents du côté français n’ont pas forcément de papiers d’identité mais ils peuvent en faire la demande et obtenir la nationalité française s’ils rentrent dans des critères définis par les autorités préfectorales. Enfin, de nombreux Bushinengés n’ont pas eu d’état-civil pendant des siècles. Ceux qui sont nés en Guyane n’ont la citoyenneté française que depuis 1964, soit vingt ans après les autres habitants du territoire, sachant qu’il reste des habitants apatrides, par défaut de jugements déclaratifs de naissance.

« Un réseau met de la proximité dans la distance, une frontière est une construction territoriale qui met de la distance dans la proximité » ([14]). Il convient de rappeler que le tracé définitif de la frontière entre la France et le Surinam n’a été acté que récemment, par un accord bilatéral du 15 mars 2021 réglant un contentieux de plus d’un siècle. L’établissement d’une frontière ferme doit permettre la coopération des deux États pour lutter contre l’orpaillage clandestin et le trafic de drogue, qui prospère entre Albina, à l’Est du Surinam, et Saint-Laurent-du-Maroni. Il y a urgence : plus de 1 000 trajets en pirogue sont effectués chaque jour entre les deux villes, sans réel contrôle ; il est donc aisé d’y faire passer aussi des pains de cocaïne. Au-delà des politiques de sécurité publique, elle doit renforcer une coopération interétatique que les populations pratiquent spontanément de longue date.

La coopération transfrontalière entre la Guyane et le Brésil a été formalisée par l’accord franco-brésilien du 28 mai 1996. La Commission mixte de coopération transfrontalière qui en est issue et où siègent, du côté français, le préfet, l’ambassadeur de France au Brésil, l’ambassadeur délégué à la coopération régionale Antilles-Guyane, le président de la collectivité territoriale de Guyane, le député dont la circonscription comprend Saint-Georges-de-l’Oyapock et le président du Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengés a ainsi débattu de l’amélioration de la circulation et des échanges sur le pont de l’Oyapock, de la création d’une ligne de cabotage maritime, de la criminalité transfrontalière, de la coopération des services d’urgence médicaux, de la politique migratoire et de l’enseignement de la langue française dans les écoles brésiliennes proches de la frontière.

La coopération entre la France et le Surinam est moins formalisée, ce qui n’empêche nullement les réunions bilatérales sur les questions d’environnement, de sécurité et d’ordre public.

Les dynamiques humaines sur le plateau des Guyanes sont structurées depuis longtemps autour des réseaux fluviaux plutôt qu’en référence aux logiques des États. Parmi les cinq objectifs principaux du schéma d’aménagement régional (SAR) publié en 2016 ([15]), figure l’intégration de la Guyane dans son environnement régional sud-américain et caribéen. Au-delà d’une logique fonctionnelle avec des coopérations techniques comme le lancement de la fibre optique dans plusieurs pays du plateau, l’aménagement de la Guyane s’inscrit dans la prise en compte des bassins de population dont elle fait partie de part et d’autre des deux fleuves.

Or, en tant que département français, la Guyane exerce une attractivité et génère un flux migratoire en son sein qui ne peut être ralenti que si l’ensemble des Guyanes et le Nord du Brésil se développent. Si l’écart des niveaux de vie, déjà important (la différence est de 1 à 5 entre le Surinam et la Guyane) s’accroît, les migrations continueront à séparer des familles et à priver ces pays de leur jeunesse.

5.   Les flux migratoires influant sur l’aménagement du territoire

Un tiers de la population guyanaise est composé d’immigrants. Ce taux est peut-être passé à 37 %, mais l’Insee admet ne pas disposer de toutes les données. Cette réalité a des conséquences pour l’aménagement du territoire car les pouvoirs publics ne connaissent pas, en fin de compte, le nombre précis de personnes en Guyane, donc le dimensionnement des équipements nécessaires. Le seul constat que l’on peut opérer est qu’au regard de sa croissance démographique, la Guyane est sous-équipée.

Pour les maires, l’addition de la natalité et des migrations induit la présence d’une population très jeune et les projette dans une course contre la montre pour que soient bâtis des équipements éducatifs, comme l’ont constaté vos rapporteurs. Peu de maires en France sont dans la situation de Saint-Laurent-du-Maroni, où la commune et la collectivité territoriale de Guyane sont quasiment contraintes de sortir de terre une école ou un collège tous les douze, voire tous les dix mois.

La question est d’autant plus complexe que la Guyane est depuis longtemps une terre d’immigration. Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, à l’époque des colonisations européennes, la France a tenu à y implanter une population d’origine européenne pour défendre le territoire face aux revendications néerlandaises tandis que parallèlement, la traite négrière amenait des populations africaines dans les plantations. L’apport planifié d’un peuplement a été considéré comme une condition du développement du territoire et s’est poursuivi au XXe siècle avec l’installation de différentes communautés (Indiens, Haïtiens, Réunionnais, Antillais, Péruviens, Colombiens, réfugiés Hmongs du Laos), au gré des projets de peuplement ou pour des campagnes spécifiques (construction du barrage de Petit Saut, campagnes Ela 2 et Ela 3 d’Arianespace).

À cette politique s’est ajoutée une immigration non planifiée en provenance d’Amérique latine et des Caraïbes. Les richesses aurifères ont dès le XIXe siècle attiré des aventuriers venus tenter leur chance, tandis que les crises économiques et politiques survenues en Haïti, au Surinam, au Guyana et au nord du Brésil, tout au long du XXe siècle, ont amené des personnes en quête de survie ou de sécurité.

Malgré son dynamisme, la démographie de la Guyane reste faible en valeur absolue ; le nombre d’habitants équivaut à celui des personnes vivant dans les Xe et XVe arrondissement de Paris. Mais comme le souligne un démographe, « en termes quantitatifs, si la Guyane n’est concernée que par des flux résiduels issus de ces pays (par comparaison aux mouvements vers la Hollande ou les États-Unis par exemple), au regard de sa faible population, cet apport représente une proportion de 20 à 30 % d’immigrés à partir de 1985, introduisant des mutations dans la structure démographique (croissance par immigration nette, rajeunissement de la population par des taux de natalité élevés) » ([16]).

Les flux migratoires en Guyane sont assez difficiles à analyser et divergent largement des schémas connus en Europe. Il peut s’agir de Brésiliens ou de Surinamiens venus travailler quelques mois ou quelques années, sans leur famille, qui regagnent ultérieurement leur pays ; ou de personnes qui, comme les Comoriens à Mayotte, cherchent à faire naître leur enfant en France pour qu’il bénéficie du droit du sol. L’on constate également des formes de migration sanitaire ou d’éducation, au sens où des personnes vivent près de la frontière pour que leurs enfants soient scolarisés en Guyane ou qu’eux-mêmes et leurs familles bénéficient de soins médicaux. La porosité des frontières favorise une immigration mal connue, de courte ou de longue durée.

Depuis le début des années 2020, l’immigration suscite quelques manifestations. Cette période a coïncidé avec le confinement dû au covid, et les Guyanais ont été surpris que des personnes demandent l’asile politique en franchissant des frontières supposées fermées. S’il était habituel de recevoir des Vénézuéliens, des Cubains et des Haïtiens, la présence de Syriens et d’Afghans transitant par le Brésil était inhabituelle. La place Auguste Horth, anciennement place des Amandiers, de Cayenne ([17]), lieu traditionnel de promenade, est devenue un camp de réfugiés, des incidents se sont produits entre riverains et soixante-dix migrants près de la rue Payée, etc.

Les flux migratoires en Guyane portent un triple problème social, économique et d’aménagement du territoire. Si la Guyane a toujours été une terre d’asile ou d’escale, il n’est plus sûr que l’accueil de migrants soit aussi serein que par le passé. En raison de sa situation économique, la Guyane ne peut absorber la venue de nouveaux habitants par la création équivalente d’emplois car c’est l’emploi public qui prédomine sur le territoire. Les trois fonctions publiques occupent 44 % des salariés et forment 50 % de la masse salariale. La population immigrée ne peut y avoir accès en raison de l’exigence de la nationalité française et faute le plus souvent de qualification. La croissance du secteur privé n’est pas assez soutenue en raison d’un marché trop étroit et du manque d’infrastructures, objet du présent rapport.

Cette réalité conduit à la formation d’un secteur informel important, condition de survie pour les migrants et seul moyen pour eux d’intégrer la société guyanaise, où ils sont dans un premier temps une variable économique d’ajustement. Sur place, ils cherchent logiquement à se loger, ce qui génère un habitat spontané en périphérie des principales villes, Saint-Laurent-du-Maroni notamment, compte tenu du dynamisme de la capitale de l’Ouest guyanais. Les maires, assistés de travailleurs sociaux et d’urbanistes, cherchent ensuite à « raccrocher » cet habitat à leur ville en viabilisant le terrain où il se situe et en l’équipant, comme vos rapporteurs l’ont constaté dans le quartier de Chekkapaty, à la limite de Saint-Laurent-du-Maroni. Il apparaît nettement que les migrants survivent dans des conditions de vie indignes de notre pays.

La combinaison de la natalité et des flux migratoires conduit à une double incertitude : en premier lieu, sur le nombre exact de personnes vivant en Guyane ; or la connaissance précise de la démographie est le préalable de toute politique publique. En second lieu, concernant la planification des équipements à lancer. Comme l’indiquait Mme Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni, à vos rapporteurs, « Saint-Laurent compte officiellement 50 000 habitants, mais 20 000 enfants y sont scolarisés ».

Ce seul exemple montre la difficulté que rencontrent les pouvoirs publics pour parvenir à anticiper les besoins d’aménagement de la Guyane. Les projections démographiques donnent une idée générale de la population guyanaise à moyen terme, mais les fourchettes d’hypothèses sont larges.

Plusieurs élus, notamment à la collectivité territoriale de Guyane (CTG), voient dans l’immigration une chance de développement de la Guyane et souhaitent que les personnes sans papiers soient régularisées. Ils estiment qu’un territoire plus peuplé sera mieux écouté par le Gouvernement. Philosophiquement, ils ne font pas de différence entre les expatriés venus de l’Hexagone et les enfants nés en Guyane de parents étrangers, qui y vivent, fréquentent les écoles et les clubs de sport et représentent une force de travail pour l’avenir. Ils ne posent jamais la question de l’origine des enfants. Ils plaident en conséquence pour la mise en place de mécanismes d’intégration et d’une augmentation de la dotation globale de fonctionnement versée aux communes, car le montant de celle-ci ne correspond pas à l’évolution de la démographie.

B.   la protection de la forÊt, volonté quasi intangible de la politique territoriale de l’État

La forêt a longtemps constitué un paramètre dont les pouvoirs publics ne savaient que faire. Tant que le territoire était très peu peuplé, elle suscitait des impressions contradictoires au sein de la population d’origine européenne : source de richesse grâce à l’extraction minière, elle était surtout considérée comme un endroit inhabitable. Mais pour les trois composantes de base de la société guyanaise, Amérindiens, population première du territoire, Bushinengés et afro-descendants, elle a toujours constitué le cadre indispensable à leur vie.

Avec la croissance démographique et les exigences environnementales, la forêt guyanaise est devenu un enjeu. Elle est l’une des rares parties préservées de l’Amazonie, un sanctuaire de biodiversité, et est aussi perçue comme une ressource à exploiter de manière raisonnée pour disposer de bois de construction et de biomasse. Peut-être est-elle l’avenir de la pharmacopée... Mais son emprise sur 97 % du territoire conduit à une question : est-elle un obstacle au développement en raison du foncier qu’elle occupe ou un atout écologique et économique doté d’une grande valeur ?

1.   La forêt amazonienne en Guyane

La forêt amazonienne s’étend sur 7,9 millions de kilomètres carrés sur plusieurs pays : Brésil, Colombie, Pérou et plateau des Guyanes (Guyana, Surinam, Venezuela et Guyane). La Guyane en comprend donc un peu plus de 1 %. Par le biais de cette forêt primaire, la France est le seul pays européen à assumer une responsabilité en Amazonie, dont le bon état est crucial pour l’ensemble de la planète.

À la différence de l’Hexagone où la forêt, depuis des siècles, est administrée pour assurer un équilibre entre préservation et production de bois, la politique de gestion de la forêt guyanaise porte plus sur sa préservation comme espace de biodiversité ou de tourisme, que sur le repeuplement (il n’existe pas de pépinière, par exemple). L’ONF, dans une plaquette présentant son action ([18]), indique que l’enjeu majeur est de « préserver l’incroyable richesse écologique des milieux tout en accompagnant un développement raisonné de la filière-bois ». C’est donc une approche qui est quasiment l’inverse de celle observée depuis Colbert pour les forêts françaises, jusqu’à l’inscription récente dans le code forestier des impératifs environnementaux. De fait, la production de bois en Guyane est très modérée comparée à la disponibilité de la ressource : 80 000 mètres cubes récoltés annuellement. Elle sert à la construction locale, aux industries cannières pour alimenter les chaudières ainsi qu’aux centrales à biomasse ; une partie est également exportée.

Ainsi que le rappelait le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, interrogé par la récente mission d’information sur la forêt et le dérèglement climatique, « les modalités de gestion y sont radicalement différentes de celles observées sur le reste du territoire : la gestion forestière en Guyane obéit aux principes de l’exploitation à faible impact, qui peut se définir comme une opération d’exploitation forestière intensément planifiée, précautionneusement mise en œuvre et contrôlée, afin de minimiser son impact sur le peuplement et les sols forestiers (FAO, 2004). Ce mode d’exploitation, spécifique à la forêt tropicale guyanaise, constitue le standard de certification de gestion durable PEFC obtenu par l’ONF en 2012. Ces standards définissent l’intensité et les modalités des prélèvements ainsi que la durée de rotation entre massifs forestiers susceptibles d’exploitation. Ce modèle, plus proche de la cueillette, n’est pas comparable avec l’exploitation forestière et la sylviculture telles que développées dans l’Hexagone ; en dehors de quelques expérimentations, il n’y a pas de forêt de plantation en Guyane ».

Cette approche inverse de la gestion forestière en Guyane conduit à un constat : la faible récolte de bois n’entraîne pas de valorisation économique et financière de la forêt. Mais sa valeur environnementale est immense, et l’on retrouve le classique problème, toujours en suspens, de la rémunération des services rendus par la nature. Pilier de la politique climatique française, la forêt guyanaise rapporte économiquement peu au territoire où elle se situe.

La Guyane est sans nul doute le territoire sur lequel il faudrait expérimenter toutes les pistes de recours intelligent aux services rendus par la nature. En ce domaine, le savoir des Guyanais est irremplaçable, et il est utilement complété par les expertises scientifiques. Les données de terrain démontrent l’importance des cours d’eau, le rôle essentiel de la forêt qui fournit la pharmacopée, l’alimentation et les matériaux de construction ou encore la fonction nourricière des poissons des fleuves. Mais il reste à apprécier l’apport naturel du territoire. Il existe en effet, de manière générale, depuis de nombreuses années, un débat sur la mesure de la valeur de la nature et en l’espèce, ce débat est largement transposable en Guyane pour le stockage de carbone qu’assure la forêt, pilier de la politique française de lutte contre le dérèglement climatique.

La gestion de l’ONF en Guyane est déficitaire car en contrepartie des recettes tirées de la vente de bois (5 à 6 millions d’euros par an), les dépenses de desserte par pistes (4 à 5 millions) et d’entretien (4,8 millions) sont plus élevées. Sans les subventions du Fonds européen agricole pour le développement rural et des régions dont l’exploitation forestière est excédentaire, l’ONF en Guyane ne pourrait pas équilibrer son budget.

Le principal problème qui affecte la forêt guyanaise et, au-delà, la société guyanaise dans son ensemble, est l’orpaillage illégal, aussi appelé « garimpo », dont l’actualité est tragique ([19]). Entre 1988 et 2018, environ 28 000 hectares de forêt auraient été détruits par l’orpaillage illégal, notamment au cours de la dernière décennie. Premier facteur de dégradation environnementale, cette activité impacte non seulement les forêts, mais aussi les cours d’eau, contaminés par le mercure qui sert à extraire l’or. L’orpaillage a également des conséquences sur la santé des populations locales (sans suivi médical adapté) et l’économie (affectant certaines activités humaines comme la pêche et les activités touristiques).

Un rapport réalisé par WWF France en 2018 estime que 7 à 10 tonnes d’or sont produites illégalement en Guyane chaque année (pour 1 à 1,5 tonne légalement) par 6 000 à 10 000 orpailleurs illégaux. Or, un kilogramme d’or extrait équivaudrait à 1,3 kilogramme de mercure rejeté dans le milieu aquatique. En outre, il est difficile d’appréhender et de quantifier exactement tous les sites illégaux d’orpaillage qui se situent principalement en forêt profonde.

2.   1898 : Terra nulla, donc propriété d’État

L’État est devenu, par le décret du 15 novembre 1898, le principal propriétaire foncier de la Guyane, considérant qu’aucun autre occupant ne pouvait faire valoir de titre (cf. infra).

La forêt guyanaise occupe près de 8 millions d’hectares. 6 millions d’hectares relèvent du domaine privé de l’État, dont la gestion est confiée à l’Office national des forêts (ONF) en application de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative aux territoires ruraux.

Cette forêt est classée en cinq zones :

1. Zone littorale : 782 000 hectares. L’État y détient 400 000 hectares de forêts placées sous la gestion de l’ONF et classées au SAR de Guyane en espace à vocation naturelle. Le solde a été aliéné au profit d’agriculteurs ou au profit de projets d’intérêt général conduits par les communes.

2. Domaine forestier permanent : l’État en est le propriétaire et l’ONF gère la totalité de la superficie, soit 2 400 000 hectares.

3. Zone intermédiaire : sa superficie est de 1 600 000 hectares. Cette zone renvoie à la partie située entre la limite Sud du domaine forestier permanent et la zone de libre adhésion au Parc amazonien de Guyane (PAG). L’État en est propriétaire et l’ONF en assure la gestion.

4. Zone d’adhésion du PAG : elle représente 1 400 000 hectares, dont la propriété relève de l’État et dont la totalité est sous la gestion de l’ONF.

5. Cœur du PAG : 2 000 000 d’hectares dont l’État a affecté l’espace à l’établissement public du PAG, sous gestion de cet établissement, en application de l’article 26 du décret n° 2007-266 du 27 février 2007 créant le parc national dénommé « Parc amazonien de Guyane » ([20]).

Il existe également au sein de ces espaces des zones de droits d’usage collectifs (ZDUC). Elles sont accordées aux populations tirant traditionnellement leur subsistance de la forêt. L’État en est le propriétaire mais les populations sont attributaires de droits d’usage, comme la chasse, la pêche, l’agriculture sur de petites parcelles, la cueillette. Les ZDUC couvrent 740 000 hectares dans toute la Guyane, dont près de 400 000 sur le littoral et le domaine forestier permanent. L’ONF a conservé la gestion de certaines ZDUC et applique les critères de gestion durable PEFC en signant progressivement des chartes de cogestion avec les populations concernées.

3.   Une valorisation économique prudente

Ayant la charge de préserver la forêt, l’ONF la gère économiquement avec prudence, selon le principe de l’exploitation à faible impact. Celle-ci tient compte de l’état des sols, pauvres en matières organiques comme l’azote, le potassium ou le phosphore, parce que lessivés depuis des millions d’années par les pluies tropicales ; les travaux sur ces sols n’ont donc lieu qu’en saison sèche. L’ouverture de la canopée ne doit pas dépasser 30 % sur la parcelle sélectionnée pour les coupes. Au total, la récolte est de 25 à 30 mètres cubes à l’hectare, soit un rendement qui équilibre à peine l’investissement. La parcelle est ensuite laissée, l’ONF analyse le reboisement spontané qui survient, et ne peut être exploitée à nouveau avant soixante ans.

L’exploitation forestière est volontairement limitée car si elle était plus importante, la forêt guyanaise perdrait son caractère primaire et deviendrait secondaire. Elle perdrait tout son rôle biologique pour des milliers d’espèces végétales et animales.

Toute exploitation de bois fait l’objet d’une programmation à long terme (quinze à vingt ans) au sein du domaine forestier permanent, en concertation avec la CTG, les habitants des communes concernées et les professionnels du bois. La plupart des acteurs politiques et administratifs guyanais sont représentés au sein du comité régional bois-forêt : CTG, direction générale des territoires et de la mer, Grand conseil coutumier de Guyane.

Cette gestion raisonnée atteint incontestablement son objectif. Un survol de la forêt guyanaise permet de voir qu’elle ne subit pas de mitage, à la différence de l’Amazonie au Surinam ou au Brésil, où les exploitants reviennent sur les parcelles après trente ans. Mais l’office se trouve maintenant devant une problématique économique nouvelle, celle d’un besoin du triplement de la production de bois pour fournir la filière du bâtiment, et l’alimentation des centrales à biomasse en matière première par les connexes d’exploitation ([21]). Mais en raison du manque de pistes, du déclin des scieries et du manque d’attractivité des métiers du bois, l’ONF n’est pas certain que cet objectif puisse être atteint.

L’ONF réfléchit depuis 2018 au développement de plantations forestières. Cette idée est intégrée dans le programme régional forêt-bois 2019 – 2029 (PRFB). Elle vise à répondre aux contraintes liées à l’exploitation du bois en forêt naturelle (qualité incertaine de la récolte, coût des pistes) et à augmenter les volumes de bois d’œuvre en sélectionnant les essences intéressant l’industrie.

Le PRFB fixe un objectif de 5 000 hectares vers 2029, à localiser autant que possible près des sites de transformation dont la plupart sont situés en zone littorale. À plus long terme, 20 000 hectares sont envisagés, produisant 6 millions de mètres cubes de bois d’œuvre et 6 millions de tonnes de bois-énergie.

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Contrairement à une idée reçue, l’espace considérable occupé par la forêt amazonienne en Guyane est protégé, mais il n’est pas sanctuarisé. Sa superficie est telle qu’en pratique, il n’est de toute manière pas contrôlable. L’exploitation forestière y est effectuée avec une grande prudence, la gestion durable se fondant sur la coupe d’arbres précisément identifiés.

L’exploitation forestière conduit à des éclaircies en forêt mais non à des défrichements importants, à l’exception dans le passé des terrains utilisés pour bâtir le barrage de Petit Saut et le Centre spatial. La répartition de la population sur le territoire a en conséquence peu évolué dans l’histoire guyanaise, concentrée le long du littoral, défriché depuis des siècles, et le long du Maroni et de l’Oyapock, qui traversent la forêt. Quelques portions y sont défrichées par les villageois amérindiens et par quelques carbets touristiques. La majorité de la population est urbaine.

Autre conséquence : la part de la population que l’on classifierait comme rurale dans l’Hexagone – c’est-à-dire vivant de l’agriculture ou dans un espace principalement dévolu à l’agriculture – s’élève en Guyane à 7,15 % de la population totale. C’est peu pour un territoire faiblement industrialisé et disposant de grandes potentialités, mais ce taux s’explique par la lenteur des procédures d’attribution de terrains.

La question foncière est donc centrale pour l’aménagement du territoire en Guyane. La ressource appartient à l’État et les autres personnes publiques ayant des compétences d’aménagement en application du code général des collectivités territoriales – CTG, communes – n’ont aucune maîtrise en ce domaine. Il en est de même pour les porteurs privés de projets, industriels, aménageurs, commerçants, une part infime du territoire guyanais relevant de la propriété privée. Cette situation est unique en France, et elle est contestée par les élus et acteurs sociaux guyanais.

Un dernier point doit être souligné : les populations amérindiennes se considèrent depuis plusieurs années comme actrices de l’aménagement du territoire et ont émis des revendications précises sur l’usage des sols. Elles ne rejettent pas les projets d’aménagement et ne se cantonnent pas à un mode de vie précolonial, mais elles sont au cœur de plusieurs problèmes. Elles sont en premier lieu les principales victimes de l’empoisonnement des cours d’eau par les orpailleurs clandestins. Elles subissent également les problèmes liés à la carence de services publics et leurs enfants, pour diverses raisons, sont les premiers à décrocher du système scolaire. Leurs villages sont parfois très proches de grands projets d’aménagement sur lesquels elles souhaitent donner leur avis ; ainsi en est-il du chantier de la centrale électrique de l’Ouest guyanais, à proximité du village de Prospérité et dont vos rapporteurs ont rapidement visité une partie du chantier en quittant Saint-Laurent. Les tensions sont fortes sur un espace que les Amérindiens considèrent comme une terre de chasse, de pêche et abritant des sites sacrés.

C.   la question foncière

La question foncière en Guyane comporte deux aspects : l’attribution de terres appartenant à l’État aux collectivités et la revendication des Amérindiens, pour lesquels la terre constitue l’élément central de leur reconnaissance en tant que peuple.

1.   Des collectivités territoriales sans réserves foncières

Lorsque les premiers Français sont arrivés en Guyane vers 1500, ils ont rencontré des populations pour lesquelles la notion de propriété privée, au sens cadastral du terme, n’existait pas. Il y avait bien en revanche des usages ancestraux que les Amérindiens ont longtemps invoqués pour défendre leurs terres.

Avec la conquête coloniale, la Guyane est devenue la propriété domaniale de la Couronne. Après la Révolution française, la propriété des terres coloniales est passée de la Couronne à la Nation, donc sous la responsabilité de l’État. Néanmoins, l’ordonnance du 17 août 1825 a fait abandon à la colonie de toutes les propriétés, à l’exception des bâtiments militaires. Il y a donc eu transfert de propriété du domaine de l’État vers les autorités coloniales locales, confirmé par le décret du 23 décembre 1878 lorsqu’un Conseil général a été mis en place. Parallèlement, dans les années 1880, des contestations foncières éclataient en Nouvelle-Calédonie. L’État a craint que ce phénomène touche les autres colonies françaises et a décidé, par le décret du 15 novembre 1898, être propriétaire de droit de tous les biens domaniaux de Guyane. Les terres vacantes et sans maître ont été considérées comme faisant partie du domaine de l’État.

a.   L’État, principal propriétaire

L’État est le premier propriétaire de la Guyane, avec une emprise foncière de 7,777 millions d’hectares, soit 93,66 % des surfaces cadastrées (données de 2021). Cette situation résulte du décret du 15 novembre 1898 précité, remplacé depuis par l’ancien article D. 33 du code du domaine de l’État, devenu le code général de la propriété des personnes publiques, qui disposait que « les terres vacantes et sans maître du département de la Guyane, ainsi que celles qui n’ont pas été reconnues comme étant propriétés privées individuelles ou collectives en vertu des dispositions du décret n° 46-80 du 16 janvier 1946, font partie du domaine de l’État ».

À qui appartient le reste de la Guyane ? Les propriétaires privés disposent de 1,26 % des surfaces cadastrées, avec 104 445 hectares ; suivent ensuite les établissements publics avec 83 294 hectares (dont 65 977 pour le Centre national des études spatiales) ; puis les communes, avec 0,22 %, soit 18 040 hectares, et la collectivité territoriale de Guyane, avec 0,10 % (8 243 hectares).

On notera que le cadastre n’est pas toujours à jour, ce qui pose des problèmes de constructibilité ou de rénovation quand plusieurs personnes se déclarent propriétaires du même terrain ou bien immobilier.

Le constat est clair : tout aménageur, qu’il soit public ou privé, doit obtenir une cession de terrain de l’État ou en louer une portion. C’est la clé, le clivage affirmeront certains, de l’aménagement de la Guyane.

Comme l’indiquait un document de juin 2021 de l’agence d’urbanisme et de développement de la Guyane, « en matière d’aménagement, la propriété foncière constitue un point d’achoppement récurrent, à tel point que certains ont pu la qualifier de clé de l’aménagement. De fait, comment penser l’organisation de l’espace sans passer par une réflexion sur la propriété ? Qui sont les propriétaires avec lesquels il va bien falloir composer ? Le nouvel atlas de la propriété foncière se justifie d’autant plus à l’heure où l’accent est mis sur la mise en œuvre des Accords de Guyane de 2017 prévoyant la cession gratuite de 250 000 hectares du domaine privé de l’État à la Collectivité territoriale de Guyane et aux communes, auxquels s’ajoutent 400 000 hectares aux peuples autochtones. De plus, même si l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) introduit dans le cadre du projet de loi « Climat et Résilience » se révèle comme une équation à plusieurs inconnues, il n’en demeure pas moins une impérieuse nécessité de promouvoir une gestion économe de l’espace. Cela devant passer par des opérations d’aménagement restant largement tributaires des propriétaires privés de Guyane. L’étude des propriétaires fonciers prend alors tout son sens pour connaître comment et vers qui se tourner pour agir sur le foncier. La maîtrise et la connaissance du foncier par commune sont de fait des éléments essentiels au bon pilotage des opérations d’aménagement ou des décisions publiques en termes de stratégie foncière ». ([22])

 


Part de foncier détenu par l’État dans les principales collectivités territoriales de Guyane

Collectivités

Part de foncier détenu par l’État

Communauté d’agglomération du Centre Littoral

82,36 %

Cayenne

12,36 %

Macouria

31,27 %

Matoury

28,74 %

Montsinéry - Tonnégrande

72,34 %

Rémire Montjoly

21,69 %

Roura

90,60 %

Communauté des communes des Savanes

79,42 %

Iracoubo

96,91 %

Kourou

7,04 %

Saint Élie

100 %

Sinnamary

78,86 %

Communauté des communes de l’Est guyanais

94,19 %

Camopi

100 %

Ouanary

84,13 %

Regina

88,80 %

Saint-Georges-de-l’Oyapock

98,26 %

Communauté des communes de l’Ouest guyanais

98,78 %

Apatou

96,06 %

Awala Yalimapo

87,94 %

Grand Santi

99,95 %

Mana

96,77 %

Maripasoula

99,94 %

Papaïchton

99,82 %

Saint-Laurent-du-Maroni

96,06 %

Saül

99,98 %

Source : Agence d’urbanisme et de développement de la Guyane, d’après la direction régionale des finances publiques – Données de 2020.

Le tableau ci-dessus montre la prédominance de l’État sur les ressources foncières en Guyane. Sa lecture doit néanmoins tenir compte du facteur suivant : les territoires de plusieurs communes sont occupés par la forêt dont l’État est juridiquement le propriétaire. Plus la surface de forêt est importante, plus la part de surface communale détenue par l’État l’est également. Ceci explique les taux constatés pour de grandes villes comme Saint-Laurent et Maripasoula, ou de petites villes comme Saül. Mais dans plusieurs cas, l’État possède également le foncier des zones à urbaniser dans les plans locaux d’urbanisme (PLU). Ainsi détient-il 30 % à Saint-Laurent, 49 % à Mana et 73 % à Maripasoula. À l’inverse, la présence de l’État est moindre dans les communes du littoral, défrichées de longue date et où la propriété privée est plus fréquente.

b.   Les conséquences du difficile déblocage du foncier

Le fait que l’État détienne la majeure partie des réserves foncières ne signifie pas qu’il en maîtrise complètement l’usage, notamment dans l’Ouest. Les habitants de cette région, traditionnellement faiblement administrée car située sur l’ancien territoire de l’Inini (cf infra), ont toujours vécu sur des parcelles sans titre d’occupation. En 2015, la part du bâti spontané – construction sans autorisation d’urbanisme – à Saint-Laurent-du Maroni dans le bâti total était de 59 %. Cette part monte à 60 % à Mana et est bien plus élevée encore dans les communes de l’intérieur. La croissance du bâti spontané est corrélée à la croissance démographique.

Ce phénomène a une double conséquence : le freinage de l’installation d’entreprises formelles et les difficultés à construire des logements collectifs. Dans les deux cas, trouver en pratique des terrains disponibles est un parcours semé d’obstacles. Or l’habitat spontané irrégulier a un effet d’autant plus néfaste qu’il affecte des zones à forts enjeux de développement, classées en opérations d’intérêt national (OIN), zones d’activités économiques (ZAE), nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ou zone d’aménagement concerté (ZAC). En matière de logement social, une telle situation aboutit dans l’Ouest guyanais à la non-application des droits, faute d’offre : 211 logements sociaux ont été attribués en 2017, alors que le nombre de demandes s’élevait à 1 459.

2.   L’objectif d’un développement économique endogène

La totalité des interlocuteurs que vos rapporteurs ont rencontrés, qu’ils ressortent de la sphère publique ou privée, ont évoqué la cession du foncier parmi les actions à mettre en œuvre. Deux inconvénients majeurs résultent de la rareté de l’offre foncière :

a.   Un tissu diversifié d’entreprises

Les acteurs économiques ne vivent pas cette contrainte de la même manière. Aucun énergéticien n’a fait part à vos rapporteurs d’une quelconque difficulté pour louer ou acquérir une part de foncier de l’État. Dès lors que les projets sont structurants et que les investissements en jeu sont importants, il est loisible de supposer que la procédure est plus rapide.

Cette situation entrave le développement des très petites et des petites et moyennes entreprises (TPE / PME). Or, le premier facteur de la création d’emplois sur un territoire est la densité des TPE et PME ainsi que la variété des secteurs dans lesquels elles opèrent. Elles permettent la création et le maintien de richesses sur un territoire et contribuent à y maintenir l’emploi. Si en effet une PME ferme ses portes, il est relativement facile d’aider un salarié à en retrouver un dans une entreprise voisine. Les départements de Bretagne et la Vendée ont ainsi, depuis des années, un taux de chômage autour de 5 %, largement inférieur à la moyenne nationale, grâce à un tissu d’entreprises très diversifiées, allant de l’agro-alimentaire à la construction navale de plaisance en passant par la cosmétique et la mécanique de précision.

Un réseau d’entreprises dense favorise également la création d’entreprises, notamment par les participations d’entrepreneurs déjà installés à des projets émergents. La Vendée précitée a enregistré plus de 7 600 nouvelles entreprises en 2022.

Plusieurs dispositifs de l’État, notamment un meilleur accompagnement financier de BPI France et le mécanisme d’exonération d’impôt en zone de revitalisation rurale ([23]) ont permis en 2022 aux départements et régions d’outre-mer de créer plus de 34 000 entreprises, un record pour l’Insee, La Réunion et la Guadeloupe venant en tête. Mais avec plus de 3 000 créations, la Guyane a montré qu’elle disposait en son sein de nombreux porteurs.

Ce chiffre porte à l’optimisme, même s’il convient de noter que la moitié des créations est sous statut de micro-entrepreneur. Il témoigne d’un esprit d’initiative que l’État, les établissements publics, notamment la chambre de commerce et d’industrie, et les banques doivent accompagner.

Rappelons également que de nombreuses entreprises sont dans le secteur informel, pour les services de la vie courante (commerce alimentaire, coiffure, taxis) ou le bâtiment, de la fourniture de matériel de chantier à la main-d’œuvre. Elles constituent le seul moyen d’existence pour une population qui n’a pas accès au circuit bancaire ou qui se trouve en situation irrégulière, souvent sans parler la langue française. Les inconvénients d’un secteur informel sont connus, notamment parce qu’il consomme illégalement des réserves foncières, mais en l’espèce, son existence démontre que la Guyane dispose de milliers de personnes capables d’organiser un circuit économique, qui plus est sans subvention.

L’enjeu pour la Guyane de la cession du foncier est plus large que l’octroi d’espace à des activités. Il est de favoriser un développement économique endogène, de mettre fin à une situation absurde qui fait dépendre de la sphère publique les emplois du territoire et ses revenus respectivement à des taux de 44 % et de 50 % sans que le poids de cette sphère se justifie comme outil redistributeur de la valeur ajoutée dégagée localement. La Guyane a certes droit aux mécanismes de la solidarité nationale et à la péréquation entre régions, mais son caractère d’économie de transfert la fait vivre exagérément sous perfusion. Ce système génère peu de création de richesse et ne garantit même pas des conditions de vie dignes aux habitants, nécessaires à la paix sociale, la Guyane étant régulièrement le théâtre de mouvements sociaux. Les traitements de la fonction publique ne bénéficient que partiellement à l’économie locale, en dehors du secteur de la distribution, puisque la grande majorité (80 %) des produits de consommation sont importés.

Or la Guyane dispose d’atouts. Même si la vision du présent rapport est souvent négative puisqu’il met en lumière les conséquences d’un défaut d’aménagement et d’investissements, il convient de rappeler que ce territoire dispose d’un aéroport international, d’un port, ce dernier ayant été récemment modernisé, et d’un centre spatial. Il n’est pas dépourvu d’équipements, mais leur nombre est insuffisant par rapport à la croissance démographique et ne répond pas toujours aux besoins de la population.

Les atouts naturels sont nombreux, à commencer par les richesses minières. Celles-ci sont situées en forêt, parfois dans des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) et seule une exploitation raisonnée et respectueuse des impacts sur l’environnement et les populations locales est envisageable. Mais à l’heure où l’approvisionnement en métaux est sous tension à travers le monde, que certains d’entre eux présentent un caractère stratégique pour nos industries, il est étrange qu’aucune programmation n’existe pour un développement du secteur minier en Guyane, respectueux de l’environnement, alors qu’elle compte dans son sous-sol de nombreux métaux et des terres rares.

L’agriculture est la première « victime » du manque de disponibilité foncière, alors qu’elle peut atténuer la dépendance alimentaire de la Guyane. Elle constitue également la base des industries agro-alimentaires et là encore, il n’y a aucune raison que la Guyane ne puisse assurer localement la transformation de produits. L’exemple de la mise en route, en septembre 2022, de l’usine Yana Wassaï, à Montsinéry, le prouve. Cette usine transforme des plantes et fruits comme le wassaï (ou açaï), l’awara et le cupuaçu ([24]) produits localement, certains en agroforesterie. Elle donne des débouchés à des pratiques agricoles compatibles avec la préservation de la forêt.

La richesse biologique de la Guyane est également source de promesse. Elle peut alimenter une industrie cosmétique en pleine évolution vers des ingrédients naturels ou l’industrie pharmaceutique, à la fois par la recherche de principes actifs déjà reconnus dans certaines plantes (composés biophysiques, huiles essentielles, enzymes) ou l’exploitation de « niches », comme le recueil de venin de serpent, tant pour la fabrication de sérum que pour l’extraction de protéines qui traitent le cancer, la douleur, l’hypertension artérielle ou les accidents vasculaires cérébraux. Ce potentiel peut apporter des ressources aux populations amérindiennes, s’il est veillé à une stricte application de la procédure prévue par l’article L. 412-8 du code de l’environnement sur l’accès et le partage des avantages (APA) prévu par le Protocole de Nagoya (2010) à la Convention sur la diversité biologique.

Le Protocole précité a pour objet d’établir un consentement préalable et un partage contractuel entre fournisseurs de produits et industries transformant les produits, afin de lutter contre la « biopiraterie ». Or, la richesse biologique de la Guyane en fait un terrain favorable à cette pratique, des dépôts de brevet par de grandes marques de pharmacopée ou de cosmétique françaises utilisant l’huile de carapa ou le bocoa ayant fait l’objet de contestations dans les années 2010.

Comme vos rapporteurs l’évoqueront infra, le potentiel en énergie renouvelable de la Guyane est considérable et lui permettra vraisemblablement d’être autonome dans la prochaine décennie en production d’énergie. Le problème central réside surtout dans la fiabilité de la distribution.

Avec une façade maritime, une population jeune – mais inégalement éduquée et formée – des ressources naturelles, la Guyane détient de multiples atouts pour développer les activités diversifiées qui fondent la richesse d’un territoire. Il résulte clairement des entretiens de vos rapporteurs avec les élus territoriaux et communaux et les acteurs économiques que ceux-ci ont la volonté de ne pas le voir cantonné à une réserve naturelle. Une politique volontariste d’investissements structurants – réseau de transport, énergie, éducation, santé – et de cession foncière devrait favoriser le décollage de son économie. Il convient également que l’État et la collectivité territoriale de Guyane travaillent conjointement à la manière d’intensifier les échanges avec les pays voisins, dont les économies sont stimulées par le début de l’exploitation pétrolière.

b.   Accélérer la cession de foncier agricole

Au vu du constat de la dépendance alimentaire de la Guyane, la CTG a lancé des Assises de l’agriculture en décembre 2020, dans le cadre d’une concertation nationale. Comme dans beaucoup de secteurs, il est apparu que l’agriculture guyanaise souffrait de handicaps spécifiques, notamment la raréfaction du foncier, le mitage de terres agricoles, une société d’aménagement foncier et d’établissement rural qui a mal fonctionné à sa création et des procédures complexes et longues de cession du foncier. La feuille de route de l’agriculture guyanaise, publiée conjointement en avril 2023 par l’État, la collectivité territoriale de Guyane et la chambre d’agriculture de Guyane, après plusieurs années de concertation, prévoit des volets d’action, dont un observatoire du foncier.

L’attribution de terres détenues par l’État est lente, à raison de 21 119 hectares à 1 004 agriculteurs entre 2000 et 2016, puis un transfert de 10 000 hectares à l’établissement public d’aménagement de Guyane, lequel a rétrocédé 6 000 hectares aux agriculteurs.

L’on constate certes une accélération actuellement, la cession de 250 000 hectares aux communes et à la CTG changeant la donne. Des communes comme Mana ont annoncé vouloir développer des parcelles agricoles, mais l’attribution de terres aux agriculteurs répond plus à des demandes qu’à une stratégie d’ensemble, et la procédure est longue. Les agriculteurs évaluent sa durée à cinq ans, de la demande initiale au passage en commission d’aménagement foncier. De jeunes agriculteurs qui déposent des dossiers se tournent en conséquence par lassitude vers d’autres métiers.

3.   Quelle place pour les populations autochtones ?

Cette question renvoie à une histoire tragique et à un présent encore difficile, et elle est directement liée à l’émergence dans les années 1980 des autochtones comme force politique en Guyane, avec le discours en 1984 de M. Félix Tiouka.

La place des autochtones est un élément de la question foncière, mais il serait erroné de la réduire à la dévolution d’un espace à des communautés. Les revendications qu’expriment les Amérindiens et les Bushinengés portent en effet sur l’ensemble des problèmes que traverse la Guyane et au travers de celles-ci, c’est leur reconnaissance en tant que peuples qu’ils avancent. Leur vie est indissociable de la forêt. Les droits attachés à l’usage de la terre leur importent encore plus.

L’État a pour l’heure reconnu un droit de jouissance. Plutôt que d’attribuer des parcelles du territoire aux Amérindiens, les autorités leur ont reconnu un droit de jouissance implicite sur le domaine de l’État où ils vivent de manière itinérante. Ce droit de jouissance, non formalisé dans des textes officiels, est sans doute dû à la difficulté d’accès au territoire de la part des colons ainsi qu’aux conflits qui ont eu lieu pendant la colonisation avec les Amérindiens ([25]). Un décret du 27 décembre 1948 a formalisé la notion de droits d’usage collectifs sans conférer aux Amérindiens un droit de propriété, l’article 3 du décret disposant que « cette jouissance ne confèrera toutefois aux tribus qui en bénéficieront aucun droit nouveau susceptible d’être opposé à l’État ».

La forêt est au cœur de la vie amérindienne et bushinengé. Sa protection et son exploitation raisonnée, sans recourir à des lois, sont une évidence pour ceux qui y vivent depuis des siècles et qui la considèrent, comme l’a indiqué à vos rapporteurs M. Bruno Apouyou ([26]), « comme leur supermarché et leur pharmacie ». Ils rappellent pour le reste qu’ils connaissent les mêmes difficultés que les autres Guyanais pour l’accès à certains services publics. Autre problème, le nombre de suicides est hélas très important dans cette communauté ([27]). Ils demandent également à être consultés sur tous les projets d’aménagement dès lors qu’ils touchent à la forêt. En résumé, leurs revendications interrogent le présent et l’avenir de la société guyanaise.

La réflexion sur la place des autochtones en Guyane est inséparable d’un mouvement plus large, entamé depuis un demi-siècle aux Nations Unies et à l’Organisation internationale du travail. C’est via les principes affirmés par le droit international que leur situation évolue.

a.   Un renouveau démographique

Les Amérindiens étaient au nombre d’environ 30 000 au XVIIe siècle avant d’être décimés par des maladies importées. Vers 1930, leur nombre était estimé à 3 000, les Tekos étant par exemple proches d’un seuil d’extinction, avec une cinquantaine de membres seulement. Depuis cette période, ils connaissent un renouveau démographique. Leur nombre est évalué à 9 000 actuellement, soit un peu moins de 5 % de la population guyanaise.

 

Groupe

Nombre

Zone géographique

Famille linguistique

Kali’na

3 000

Littoral

Caribe

Lokono

200 / 400

Littoral

Arawak

Palikur

550

Est

Arawak

Teko

3 000

Sud

Tupi Guarani

Wayapi

400 / 600

Sud

Tupi Guarani

Wayana

1 000

Sud

Caribe

Apalai

nc

 

Caribe

Les Bushinengés sont issus du marronnage des XVIIe et XVIIIe siècles, mais également de la fuite d’esclaves des plantations brésiliennes et surinamiennes, lorsque l’esclavage fut aboli en France. En 2018, les données démographiques, retracées ci-après et réunissant la Guyane et le Surinam, s’établissaient ainsi :

 

Groupe

Population totale

En Guyane

Au Surinam

États-Unis / Europe

Boni / Aluku

11 600

9 800

500

1 300

Saamaka

115 500

35 500

70 000

10 000

Pamaka

11 000

6 900

2 100

2 000

Djuka

115 000

46 500

58 000

10 500

Kwinti

1 200

-

1 050

150

Matawai

8 500

-

8 100

400

Total

262 800

98 700

139 750

24 350

Pendant plus d’un siècle, la faiblesse démographique des Amérindiens et leur isolement sont allés de pair avec l’absence de leur reconnaissance juridique. En 1930, le principe de respect de leur mode de vie fut invoqué par l’État pour mettre en place une structure administrative autonome, le Territoire de l’Inini. La Guyane était alors divisée en deux entités administratives distinctes. Le but affiché était de protéger sanitairement les populations résidant dans l’Inini pour éviter qu’elles ne disparaissent. Il s’agissait d’une forme de séparation spatiale. La loi de départementalisation conserva le cadre administratif de 1930. Ce n’est qu’en 1969 qu’il fut finalement supprimé, entraînant la départementalisation de l’ensemble du territoire guyanais et l’octroi de la citoyenneté française aux Amérindiens.

b.   La difficile conciliation du droit international et du droit français sur la notion de peuple autochtone

Les peuples autochtones forment 5 % de la population mondiale, soit 370 millions de personnes. C’est par le droit international que leur existence juridique a vu le jour. La première prise en compte de cette question aux Nations Unies est due au rapport de M. Hernan Santa Cruz, en 1971, sur la discrimination économique, sociale et culturelle des minorités. Ce juriste, d’origine chilienne, n’envisageait pas au départ de traiter les populations autochtones de manière spécifique, mais sa démarche évolua à la lumière de la politique de Salvador Allende, sensible aux revendications des droits fonciers des Indiens au Chili. Les travaux qu’il a conduits avec M. Auguston Willemsen-Diaz, fonctionnaire guatémaltèque de l’ONU, forment le socle du droit des minorités.

Aucune définition formelle de la notion d’autochtone n’existe en droit international. Les peuples autochtones eux-mêmes se sont opposés à l’adoption d’une définition officielle, en soulignant qu’il était nécessaire de respecter le droit de chaque peuple de se définir lui-même en tant que tel. M. José Martinez Cobo, rapporteur en 2017 de la sous-commission des droits de l’homme des Nations Unies, est parvenu à un relatif consensus autour d’une « définition de travail » comportant une pluralité de critères. « Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s’estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques ».

Les Nations Unies considèrent que la définition proposée par M. José Martinez Cobo s’applique dans la République française à deux peuples : les Kanaks de Nouvelle-Calédonie et les Amérindiens de Guyane. Elles précisent que la reconnaissance de l’identité propre des peuples autochtones constitue une exception, fondée sur leur spécificité culturelle, et non un précédent qui remettrait en cause les principes d’indivisibilité de la République et d’universalité des droits de l’homme et risquerait d’entraîner de nouvelles discriminations.

La reconnaissance des Amérindiens en tant que peuple spécifique de Guyane implique préalablement la réforme de la Constitution et explique le refus par la France de ratifier la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) ([28]) malgré la demande des organisations représentant les populations amérindiennes de Guyane.

La France a toutefois reconnu à plusieurs époques que des populations, au sein de la République, n’ayant pas le même passé ou les mêmes références culturelles et historiques, se trouvaient dans des situations économiques et sociales différentes, ce qui exigeait, comme elle l’a indiqué le 13 septembre 2007 devant les Nations Unies, lors de l’adoption de la Déclaration des peuples autochtones, que devaient être conduits « des programmes de soutien à leur développement économique et social dans un cadre adapté à leurs spécificités ».

Le terme d’autochtone est également manié avec prudence par les autorités françaises dans les instances internationales comme dans les débats nationaux. Lors de la discussion de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, qui permettait la ratification du Protocole de Nagoya ([29]), des amendements se référant aux communautés autochtones ont été rejetés au profit du terme de communautés d’habitants. On relèvera néanmoins qu’au début des années 2000, sur instruction expresse du Président Jacques Chirac, la diplomatie française a admis l’usage du mot autochtone dans les négociations internationales, ce qui constituait une première reconnaissance. Le terme ne se retrouve toutefois pas dans le code général de la propriété des personnes publiques, dont les articles R. 5143-1 à R. 5143-6, relatifs au domaine privé de l’État en Guyane, se réfèrent à des communautés d’habitants.

c.   Une restitution foncière inséparable de la défense de la forêt

Au vu des éléments développés supra, la question de l’attribution d’une part du foncier détenu par l’État en Guyane aux populations amérindiennes est une question nationale, mais prenant place dans un débat international. Il est d’autant plus vivace, s’agissant de la Guyane, que la France envisage d’adhérer à l’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA) ([30]). Cette adhésion engagerait encore plus notre pays contre la déforestation de l’Amazonie.

Or, comme dans l’ensemble de l’Amazonie, la revendication des Amérindiens de Guyane se fonde sur le fait qu’ils constituent, par leur mode de vie, les principaux garants de la défense de l’environnement et que celui-ci fait partie des intérêts fondamentaux de la nation, comme le prévoit le préambule de la Charte de l’environnement ([31]). Si la France devait reconnaître soit devant les Nations Unies, soit devant l’OTCA, soit encore dans un texte à portée juridique le rôle des communautés autochtones du bassin amazonien dans la défense de leur forêt, il lui serait difficile de dénier cette reconnaissance collective aux Amérindiens de Guyane.

La question foncière est au cœur des revendications des Amérindiens et des Bushinengés, devenus en tant que force politique des interlocuteurs des pouvoirs publics. L’article 75 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle en outre-mer a inséré les articles L. 7124-11 et suivants au sein du code général des collectivités territoriales (CGCT), relatifs à l’institution et au fonctionnement d’un Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengés de Guyane, afin « de défendre leurs intérêts juridiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux ». Il est communément appelé Grand conseil coutumier de Guyane (GCCG) ([32]). En application de l’article L. 7121‑1 du CGCT, il est l’un des organes qui assiste l’assemblée de Guyane et son président.

Vos rapporteurs ont tenu une réunion avec des membres du GCCG, d’où il ressort que la revendication foncière est très vive. Les Amérindiens demandent la restitution de terres au nom de la morale, comme la réparation d’une injustice historique, comme l’élément du maintien de leur identité, de leur spiritualité et de la transmission de leurs savoirs. Ils appellent sur ce sujet à l’émergence d’une troisième catégorie de propriété, s’ajoutant au domaine public et à la propriété privée : celle de terre coutumière, où la propriété serait collective, en application d’un adage amazonien ([33]) très ancien selon lequel « une forêt ne se vend pas, on vit avec ». S’ils disposent de ZDUC, ils revendiquent avant la gestion de leur espace foncier.

Les membres du GCCG précisent que leur revendication foncière n’a rien de passéiste et qu’ils ne veulent pas empêcher le développement de la Guyane. Ils souhaitent qu’il s’effectue en harmonie avec la nature. Les populations qu’ils représentent sont concernées au même titre que tous les Guyanais par les problèmes d’enclavement, de transports, d’accès à l’énergie et à l’eau potable et d’éducation. Ils demandent à être associés à la détermination des grands projets d’infrastructures qui se multiplient, notamment dans le domaine de l’énergie, parce que ces derniers s’implantent à proximité de la forêt ou induisent le défrichement de parcelles.

Leurs relations avec les pouvoirs publics ont semblé quelque peu ambivalentes à vos rapporteurs, mais le poids de l’histoire peut l’expliquer. Ils estiment qu’ils ont peu d’écoute de la part des maires ; quant à l’État, ils souhaitent son arbitrage sur de nombreux dossiers mais considèrent qu’ils n’ont pas d’effort à accomplir ou de preuve à fournir en matière d’environnement puisqu’ils ne sont pas responsables de sa destruction. Ils rappellent à ce titre que les trois projets qui ont entraîné le plus de défrichage en Guyane sont le barrage de Petit Saut, le Centre spatial et l’orpaillage illégal, et qu’ils n’en sont nullement à l’initiative. Ils demandent enfin une législation adaptée à la situation guyanaise, notamment en matière de chasse, considérant que l’Office français de la biodiversité applique des règles inadaptées à la gestion de la forêt amazonienne.

4.   Bilan de la cession du foncier prévu par l’accord de Guyane

À la suite des deux grandes marches du 28 mars 2017 à Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni, l’État, le président de la CTG, les parlementaires de Guyane, le président de l’association des maires de Guyane et le collectif « Pou Lagwiyann dékolé » ont signé le 21 avril 2017 l’accord de Guyane, document qui prévoyait un plan d’urgence pour la Guyane, engageant le Gouvernement en matière de sécurité et de justice, de santé, d’éducation, de foncier, d’équipement et d’aménagement, de soutien aux collectivités locales et dans le domaine économique, soit 25 actions représentant un peu plus d’un milliard d’euros de crédits.

L’un des points de l’accord portait sur le foncier, l’État s’engageant à céder gratuitement à la CTG et aux communes 250 000 hectares. En outre, le groupe de travail Communautés amérindiennes et bushinengés a prévu la cession gratuite de 400 000 hectares de terres aux communautés amérindiennes, en exonération de taxes foncières.

S’agissant des 250 000 hectares à céder aux communes, une mission de l’État a centralisé depuis le 1er janvier 2020 les demandes des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il s’avère que leurs demandes ont été en-deçà des prévisions, comme le montre le tableau ci-après.

Si à l’évidence les services de l’État travaillent avec prudence et donc avec une relative lenteur sur les dossiers (la cession de plus de 89 000 hectares était encore en cours d’instruction en octobre 2022), le nombre des demandes des collectivités territoriales n’a rien eu d’excessif. Le maire d’Apatou a souhaité obtenir plus de 87 000 hectares pour les consacrer à l’agriculture, les autres communes ayant envoyé des dossiers sur des surfaces largement inférieures. Certains maires, comme celui de Matoury, M. Serge Smock, ont estimé qu’ils n’avaient pas besoin de cette démarche et qu’il leur suffisait de s’adresser à France Domaine lorsqu’un besoin d’aménagement se présentait. Pour sa part, M. Michel‑Ange Jérémie, maire de Sinnamary et actuel président de l’Association des maires de Guyane, a invoqué l’absence de cadrage de la procédure, notamment le sort fiscal des équipements résultant de la rétrocession de terres : « Quel type de foncier... Pour quel projet et quid de la fiscalité ? L’État et l’ONF ne paient pas de fiscalité sur le bâti et le non-bâti mais les communes sont assujetties à ces taxes ». ([34])

 


Bilan, À octobre 2022, des cessions gratuites
aux collectivités de Guyane depuis 2017

Collectivité territoriale

Nb demande complète

En cours d’instruction

Surface demandée (en ha)

Nb accords favorables

Surface accordée depuis 2017 (en ha)

Apatou

2

1

87 083

1

3,50

Awala Yalimapo

0

0

0

0

0

Camopi

3

1

0

2

3,4

Cayenne

0

0

0

0

0

Grand Santi

12

1

0,21

11

10,15

Iracoubo

4

1

90

3

260,55

Kourou

0

0

0

0

0

Macouria

6

2

5,30

4

1 188,03

Mana

9

1

29

7

319,33

Maripasoula

2

0

0

2

32,79

Matoury

0

0

0

0

0

Montsinéry Tonnegrande

2

1

400

1

66,44

Ouanary

0

0

0

0

0

Papaïchton

2

0

0

2

48,52

Regina

1

0

0

1

51,35

Remire Montjoly

5

4

12,73

1

1,52

Roura

0

0

0

0

0

Saint Elie

1

0

0

1

677

Saint Georges

7

0

0

6

26,82

Saint Laurent

21

2

1 908

19

101,48

Saül

2

1

1,10

1

0,40

Sinnamary

2

0

0

2

16,68

Ensemble EPCI : CCAL, CCDS, CCEG, CCOG

5

1

0

3

56,88

CTG

6

0

0

6

9,31

Total

81

15

89 529,34

64

3 074,15

Comme la cession du foncier est un processus continu, ce tableau doit être actualisé : il restait, à la date du 23 novembre 2023, 102 324 hectares à instruire pour 121 640 hectares cessibles au premier trimestre de 2024. 23 871 hectares ont été cédés.

Les concessions ou des cessions de terres pour les communautés amérindiennes sont prévues par les articles R. 5143-1 à R. 5143-6 du code général de la propriété des personnes publiques. Depuis 1991, une trentaine d’arrêtés préfectoraux ont reconnu les droits d’usage des Amérindiens.

Les élus de la CTG ont acté à l’unanimité, le 23 novembre 2021, la création d’un établissement public de coopération culturelle et environnementale (EPCCE), prévue par la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, en charge de la rétrocession des 400 000 hectares promis aux populations amérindiennes. Un protocole d’accord politique portant sur sa gestion a été signé le 10 mars 2022 entre la CTG et le Grand conseil coutumier de Guyane. La plus grande part du travail de cession est à mettre en œuvre, à commencer par la délimitation des espaces qui seront cédés.

D.   les conséquences d’un amÉnagement anarchique du territoire

En face de la rareté du foncier, les demandes de surfaces pour les infrastructures et les activités économiques augmentent en permanence. La lenteur des procédures d’instruction conduit parfois au découragement des porteurs de projets, qui y renoncent. Le cas est fréquent chez les agriculteurs.

Si la politique d’aménagement du territoire ne parvient pas à se calquer sur la croissance démographique du territoire, le risque est d’accentuer un aménagement anarchique dommageable pour les populations... Accentuer, car l’aménagement informel existe de longue date, par exemple avec les pistes tracées par les orpailleurs clandestins, qui constituent des voies de pénétration de la forêt. Mais il est surtout sensible pour l’urbanisme et le logement, et pour l’installation des entreprises.

1.   L’habitat informel

Il est logique que des personnes présentes sur un territoire, en situation régulière ou non, économiquement solvables ou non, cherchent à s’y loger. Si elles n’ont pas accès aux logements sociaux ou aux logements sur le marché immobilier, il ne leur reste que la possibilité de constituer un habitat informel ou précaire.

« Beaucoup de qualificatifs caractérisent les quartiers dits « précaires », « informels », « illégaux », ou « spontanés » dans le monde. L’ensemble de ces dénominations ne tient pas compte de la diversité des situations existantes, en termes urbanistiques, sociaux ou fonciers. Les conditions de vie dans ces quartiers sont certes extrêmement pénibles : enclavement, exposition à divers risques, services publics défaillants, logements précaires, pollutions, insécurité, promiscuité, violences. Pourtant, nés des initiatives populaires, auto-construits et aménagés progressivement par leurs habitants, ils possèdent de nombreux atouts : forte identité, liens sociaux solides, densité, proximité des zones d’emploi et de services, déplacements à pied, usage économe des ressources, recyclage des déchets, mixité des fonctions résidentielle et économique ». ([35])

L’habitat spontané, fait d’autoconstruction, est une tradition amérindienne et bushinengué, communautés dans lesquelles chacun construit sa maison. Dans les villes, l’autoconstruction est dynamique, avec le développement de quartiers entiers, comme celui de Chekkapaty, visité par vos rapporteurs. Elle alimente une activité informelle puisque des entreprises non déclarées, basées en Guyane ou au Surinam fournissent des matériaux et parfois de la main-d’œuvre journalière pour construire à bas coût un logement simple en moins d’un mois, plutôt de bonne qualité.

Ce type d’habitat constitue également une réponse à la pénurie de logements, mais il l’accentue ensuite en occupant des terrains. Il est évalué à 40 000 « maisons sauvages », dont le nombre augmenterait de 5 % par an. Les occupants de ces logements sont autant des Guyanais que des étrangers n’ayant pas financièrement accès au logement, en raison de ressources insuffisantes. Il faudrait construire 4 000 logements neufs chaque année pour le circonscrire, un objectif non encore atteint.

Cet habitat informel ne ressemble pas à un bidonville tel qu’on l’imagine en se référant aux grandes villes d’Afrique ou d’Asie. Il s’agit de quartiers peu denses, où les maisons sont entourées de végétation. Le bâti se situe rarement en zone insalubre, mais il peut se trouver sur des terrains à risque. Les habitants se coordonnent pour y gérer les espaces collectifs comme les chemins ou de petits ponts enjambant des portions de territoire ; ils conçoivent des systèmes d’évacuation des eaux et pour peu que des certains d’entre eux aient quelques compétences techniques, ils mettent en place des câbles électriques. Le raccordement à l’électricité et à l’eau potable est parfois possible grâce à un voisin qui vit dans un habitat formel, via des revendeurs, ou par des branchements électriques sauvages sur le réseau public. En revanche, il est rare que le réseau de transports publics atteigne les quartiers informels. Les habitants se rendent à pied en centre-ville, en deux-roues s’ils ont les moyens d’en acheter, ou par un taxi (également informel, une course coûtant 4 euros en moyenne).

Vos rapporteurs décrivent ici une occupation anarchique de l’espace, au sens littéral du terme. Elle se déroule sans les pouvoirs publics. Il s’agit d’aménagements effectués par des occupants, en raison de l’indisponibilité de logements, non de squat mais de construction spontanée, une forme d’auto-aménagement de l’espace par des populations qui y organisent une partie de leur vie.

Ce constat donne la mesure du défi posé aux pouvoirs publics pour l’aménagement de la Guyane. Dans toute région de France, un aménagement obéit à une planification territoriale, à la dévolution des espaces à une fonction précise (naturelle, agricole, industrielle, commerciale, sociale), à la construction d’infrastructures, à un financement, etc. Tel n’est pas le cas dans une partie de la Guyane où c’est a posteriori, par des solutions locales, parfois originales (comme la dissociation du foncier et du bâti pour l’habitat individuel) que les pouvoirs publics parviennent à intégrer dans la sphère formelle, dans le tissu urbain, des espaces aménagés sans leur consentement, hors des délibérations de conseils élus.

2.   Une agriculture en partie informelle

Le problème ne se résume pas au logement. On le retrouve dans l’agriculture. Dans l’Ouest guyanais sont décomptées un peu moins de 600 exploitations déclarées alors qu’un recensement montre que leur nombre dépasse 4 600. Les exploitations formelles sont principalement localisées sur la commune de Mana. La différence entre les deux chiffres provient de la culture sur abattis, traditionnellement pratiquée par une partie des agriculteurs et par les Amérindiens et Bushinengés, chez qui ce mode est ancestral. Si les vertus de ce type d’agriculture sont reconnues, il exige en contrepartie de laisser un terrain en jachère pendant longtemps. Or la croissance démographique modifie cette pratique. L’on observe une forte diminution des temps de jachère à l’échelle de toute la Guyane, directement liée à la sédentarisation des populations. L’augmentation du temps d’exploitation d’une parcelle, passant d’une moyenne de deux ans à trois voire quatre ans, entraîne une augmentation de l’emprise spatiale des abattis et/ou une surexploitation des terroirs agricoles. Progressivement, les parcelles d’abattis sont fixées, mettant fin au caractère itinérant de cette pratique.

La conséquence principale est la dégradation des conditions agro-écologiques des parcelles et de leur fertilité. La saturation progressive de l’espace agricole et la réduction des périodes de jachère vont de pair avec l’augmentation progressive de la surface des abattis.

*

*     *

D’autres exemples, pris dans l’artisanat ou l’industrie témoignent d’une utilisation spontanée de l’espace, que les pouvoirs publics constatent a posteriori et cherchent ensuite à régulariser. Le nombre de navires pratiquant la pêche en mer est par exemple largement supérieur à celui déclaré en préfecture, et le produit de la pêche fluviale, qui constitue une ressource alimentaire importante, est commercialisé dans des marchés au poisson tout aussi informels. Toute une partie de l’espace guyanais est occupée par des activités non déclarées, mais sans lesquelles une large partie de la population ne pourrait vivre.

3.   L’orpaillage clandestin ou le saccage du territoire

Vos rapporteurs n’ont pas centré leur mission sur l’orpaillage illégal, dans la mesure où deux rapports parlementaires récents ([36]) et de nombreuses études ont déjà fait le point sur cette question. Elle doit néanmoins être évoquée car elle ne se limite pas en effet au caractère clandestin d’une activité mais présente de manière croissante les caractéristiques d’un saccage organisé du territoire, dont les facteurs sont complexes mais dans lequel des mafias prennent de plus en plus de place.

a.   L’activité aurifère légale au risque du déclin

Rappelons que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) considère dans une étude de 2017 que le potentiel minier de la Guyane est considérable. Il se divise en deux parties :

– Or ;

– Autres minerais : tantale, bauxite, cuivre, plomb, zinc, nickel, manganèse, et des découvertes de diamants, ces derniers situés dans des zones difficiles d’accès.

À ce jour, une quarantaine de titres miniers (concessions, permis d’exploitation et permis exclusifs de recherche) plus une soixantaine d’autorisations d’exploitations sont en cours sur le territoire. Une dizaine de sites concerne l’or, employant chacun environ une cinquantaine de personnes. La majorité des entreprises sont artisanales et s’adonnent à une production alluvionnaire ([37]).

La filière aurifère légale réalise un chiffre d’affaires proche de 50 millions d’euros (environ 1 % du PIB guyanais). Le nombre d’emplois directs, proche de 550, représente environ 1,5 % du nombre des emplois au sein d’entreprises privées en Guyane. L’or constitue environ 20 % des exportations guyanaises. La filière est composée de trois types d’entreprises :

– une quarantaine de petites entreprises – dites « artisanales », même si elles utilisent toutes aujourd’hui des pelles mécaniques. Leur nombre d’employés va de quelques unités à environ 20 ou 25. Elles extraient aujourd’hui la majorité de l’or exploité légalement en Guyane, en travaillant exclusivement sur des gisements alluvionnaires ;

– un petit nombre d’entreprises de taille moyenne, qui emploient jusqu’à 70 ou 80 salariés. Ces entreprises sont détentrices de titres miniers, et parfois aussi d’autorisations d’exploitation (AEX). Leurs activités d’exploitation sont principalement dans des gisements alluvionnaires, avec les mêmes modes d’exploitation que les entreprises artisanales ;

– plusieurs grands groupes internationaux ou sociétés minières, qui mènent des travaux d’exploration de gisements primaires, le plus souvent en partenariat avec des entreprises de taille moyenne évoquées ci-dessus, en vue de mettre en place à moyen ou long terme des projets miniers de nature industrielle. Ces travaux d’exploration représentent un montant de dépenses substantiel, de l’ordre de 10 millions d’euros par an.

Après avoir atteint 4 tonnes annuellement au début des années 2000, la production légale d’or est de l’ordre de 1,1 à 1,5 tonne par an, en raison du renforcement du cadre administratif, de l’interdiction du mercure et de l’entrée en vigueur en 2011 du schéma départemental d’orientation minière, qui a introduit un zonage du territoire et des mesures de protection de l’environnement.

En comparaison, l’orpaillage illégal extrait nettement plus d’or. Il représente 10 tonnes d’or annuellement, soit huit fois plus que la production légale. Comme l’a relevé la mission de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire qui s’est rendue en Guyane en 2019 pour examiner le projet dit Montagne d’or, cette situation génère des frustrations dans la population guyanaise et chez les acteurs économiques, qui s’irritent de voir une richesse naturelle échapper au territoire.

L’activité aurifère légale a considérablement amélioré ses pratiques pour diminuer son impact sur la forêt, notamment avec l’interdiction de l’usage du mercure depuis 2005. Le déboisement induit par une exploitation – 20 à 25 hectares – est suffisamment mesuré pour rétablir le couvert végétal deux ans après la fermeture d’une exploitation. En revanche, le retour au bon état écologique des cours d’eau est plus difficile. « Réhabiliter la morphologie d’un cours d’eau de façon à ce qu’il puisse, aussi rapidement que possible, retrouver des situations d’équilibre avec la nappe phréatique et l’hydrologie souterraine, et avec les sols et la végétation qui l’entourent est un sujet délicat ». ([38])

L’amélioration des pratiques n’empêche toutefois pas des tensions et des délais accrus de gestion des projets aurifères en raison des règles de protection de la forêt. Le tribunal administratif de Cayenne a par exemple annulé en novembre 2019, après saisine de Guyane Nature Environnement, un arrêté d’exploitation du préfet parce que le dossier préparatoire n’incluait pas l’accord écrit de l’ONF.

b.   Un saccage organisé du territoire

Malgré l’intensification des opérations des forces de l’ordre, l’orpaillage clandestin continue de s’exercer sur le territoire guyanais : 500 sites environ existeraient mais le plus grave est qu’ils s’étendent au cœur du Parc amazonien de Guyane (PAG). Celui-ci compterait 140 exploitations illégales.

Ce phénomène est un fléau pour la société guyanaise et altère toutes les politiques publiques : atteinte à la sécurité des personnes, banditisme (avec des pratiques de coupeurs de route), pollution des eaux, dégradation de la santé et l’habitat des Amérindiens et Bushinengés, et in fine manque de confiance dans l’État, confronté à des réelles difficultés pour contenir, au péril de la vie de ses agents, une pratique qui existe depuis le XIXe siècle, mais dont le caractère n’est plus sporadique. Économiquement et budgétairement, la lutte contre l’orpaillage illégal coûte 70 millions d’euros par an à l’État tandis que le manque à gagner pour l’économie locale et les finances publiques est de 500 millions.

De tout temps, les garimperos du Brésil ont cherché à échapper à la misère du Nordeste en tentant leur chance dans la forêt guyanaise au péril de leur vie. Certains se sont installés en Guyane et eux ou leurs descendants ont pris la nationalité française. Mais la forte extension de l’orpaillage illégal démontre que l’on est passé de démarches individuelles à une organisation sophistiquée. Cette mutation est due à l’implication d’acteurs chinois, non seulement en Guyane ou au Surinam, mais également au Mali, au Sénégal et au Ghana.

La division du travail est la suivante : les garimperos brésiliens extraient l’or en forêt guyanaise et surinamienne, mais la logistique et la commercialisation de la production sont assurées par environ 120 comptoirs chinois le long du Maroni, depuis les villages surinamiens face à Antecume-Pata jusqu’à New Albina et Albina, face à Maripasoula et Saint-Laurent-du-Maroni. Il en est de même à l’Est, sur l’Oyapock, avec Vila Brazil. Un comptoir s’entend d’une installation qui comprend la vente de matériel d’orpaillage, l’emballage de l’or avant son expédition, des commerces pour les produits de la vie quotidienne et des restaurants, hôtels et bars. Des comptoirs se sont même installés en Guyane mais ont été démantelés par les forces de l’ordre ([39]).

D’après la Fondation pour la recherche stratégique, l’orpaillage illégal en Guyane est un élément d’une politique plus large de sécurisation par la Chine, par toute méthode possible, légale ou illégale, de l’approvisionnement de son marché en matières premières. Un téléphone portable de 100 grammes contient par exemple 25 milligrammes d’or. En Amazonie brésilienne, le phénomène a d’ailleurs plus d’ampleur puisque plus d’un millier d’aérodromes clandestins ont été recensés et que des trafiquants se sont même approprié une piste utilisée par les services de santé du Gouvernement intervenant auprès des indiens Yanomanis.

La Guyane ne fait donc plus face à une activité clandestine artisanale mais à un pillage en règle de ses ressources, planifié et organisé, et contre lequel, outre les actions de destruction de sites sur le territoire, il faut que la France agisse par voie diplomatique, puisque le soutien à cette activité est en territoire surinamien ou brésilien. Il ne faut pas dissimuler la difficulté de cette tâche puisque le produit financier de la commercialisation de l’or imprègne profondément de nombreux circuits économiques.

c.   Empreinte spatiale de l’orpaillage clandestin

L’orpaillage clandestin présente la particularité, outre son aspect criminel, de remettre en cause les politiques de gestion de l’espace mises en place par l’État et la CTG. Les réseaux adoptent des modes de travail s’insérant dans un système économique et social, au demeurant très souple, ce qui complique la tâche des forces de l’ordre.

Cette empreinte spatiale ([40]) des garimperos comprend des bases logistiques, des réseaux de pénétration, le plus souvent les affluents perpendiculaires du Maroni et de l’Oyapock, des chaînes logistiques qui contournent les sauts fluviaux par des porteurs de charge, soit autant de chemins et points du territoire où ils défient la souveraineté de l’État.

L’orpaillage clandestin met en péril l’ensemble des dispositifs de gestion du territoire guyanais, centrés sur la protection de la forêt : concessions forestières et minières, zones de droits d’usage pour les Amérindiens, zones de stricte protection. Il s’agit littéralement d’un mitage spatial de ces dispositifs puisqu’aucune région de Guyane n’est épargnée. C’est l’ensemble du schéma d’administration du territoire qui est contesté par un autre schéma d’aménagement, parallèle et nuisible tant à la santé des habitants qu’à leur environnement.

En résumé, et c’est ce qui est le plus grave, l’orpaillage illégal met en lumière l’absence réelle de contrôle de l’État sur une partie du territoire, ce qui a pour conséquence immédiate l’inapplication de plusieurs de ses politiques territoriales, voire d’une résignation, puisque la France a abandonné le principe de l’éradication au profit d’un objectif (plus atteignable ?) visant à contenir l’orpaillage illégal.

Deux solutions pourraient être conjointement dégagées : la première est d’ordre sécuritaire, avec un renforcement des moyens de police ou de gendarmerie, afin d’éradiquer l’orpaillage clandestin. La seconde est d’ordre économique, et consisterait à relancer la production légale d’or, dont le mode d’exploitation, qui ne recourt pas au mercure, est infiniment moins dommageable pour l’environnement. La relance de l’activité aurifère légale serait plus réaliste qu’une politique de répression de l’orpaillage illégal, dont tous les observateurs soulignent les limites. Elle bénéficierait à la société guyanaise et à son économie, notamment si la plus grande attention est accordée à un partage de la valeur à destination de la collectivité territoriale et des communes de Guyane. Notons sur ce sujet que les députés de Guyane ont pris l’initiative d’un processus de concertation, qui réunit les services de la préfecture et les exploitants miniers.

II.   enclavement, fracture spatiale et dÉsenclavement

Le géographe Jean Hauger relevait en 1957 que la Guyane comptait 150 km de routes goudronnées, ainsi que 200 km de chemins et routes empierrées desservant uniquement l’île de Cayenne et la côte sous le vent « pour les électeurs influents ». Constatant par ailleurs le peu d’investissements en ports, canaux, fermes agricoles au regard du potentiel du territoire, il en concluait que « la Guyane peut accueillir de très nombreux émigrants à condition que, au début du moins, ceux-ci consentent à vivre en économie à peu près fermée ».

La question de l’enclavement intérieur de la Guyane est toujours posée. Certes, la situation a bien évolué depuis les années 1950 – la route du littoral a notamment été construite – mais avec une population huit fois plus importante, elle a pris plus d’acuité.

Or, toute politique visant à satisfaire les besoins de la population au XXIe siècle dépend d’un réseau de transport. Les activités s’implantent près des axes de communication pour recevoir leurs matières premières et expédier leurs produits finis. Il faut des routes pour commercialiser des récoltes de fruits et légumes frais, etc. Même le développement d’un écotourisme respectueux de la forêt nécessite un minimum d’axes de communication.

L’enclavement intérieur de la Guyane constitue l’un des obstacles à son développement. Les interlocuteurs de vos rapporteurs, qu’il s’agisse des élus de la CTG ou des communes, ou des membres de la chambre de commerce et d’industrie considèrent la résolution de cette question comme prioritaire.

A.   un rÉseau de transports lacunaire

L’analyse de la consommation énergétique finale de la Guyane montre les particularités de ce territoire. L’utilisation d’énergie pour le chauffage est évidemment quasi inexistante en raison du climat ; le recours à la climatisation est en revanche plus fréquent. 62 % de la consommation concernaient les transports, à raison de 33 % pour les transports aériens internationaux et intérieurs (kérosène) et maritimes (gazole), 55 % pour le transport routier, principalement sur la route du littoral et 10 % pour le transport fluvial. On notera que la consommation énergétique fluviale dépasse celle du fret maritime car son efficacité énergétique est très faible, de l’ordre de 40 litres pour 100 km par tonne transportée.

Ces chiffres reflètent la répartition des déplacements en Guyane : un trafic de fret maritime peu dense au port de Degrad Des Cannes ; un trafic routier sur la route littorale ; l’importance fondamentale des fleuves pour le transport des personnes et des marchandises et la place de l’avion, seul moyen de desserte. Camopi, Ouanary, Saül, Saint-Elie, Papaïchton, Grand Santi et Maripasoula ne sont accessibles qu’en pirogue ou que par avion.

1.   Un réseau routier essentiellement sur le littoral

La Guyane dispose d’un peu plus 440 km de routes relevant du réseau routier national. La RN 1 relie Saint-Laurent-du-Maroni à Cayenne et la RN 2, Saint-Georges-de-l’Oyapock à Cayenne. Il s’agit d’un réseau qui longe essentiellement le littoral. Au réseau national, s’ajoutent 370 km de routes départementales, 530 km de routes communales, 100 km de pistes agricoles et environ 1 260 km de pistes forestières. Les pistes clandestines des orpailleurs n’entrent pas en compte dans ce total.

C’est très peu pour un territoire dont la superficie équivaut à celle du Portugal. La route est en outre dans un état variable selon les secteurs, parfois en excellent état, parfois nécessitant des réparations, à deux fois deux voies seulement à la sortie de Cayenne et à deux voies sur le reste du réseau. Cette route est ponctuée de 80 ouvrages d’art. À l’Ouest, à l’Est et au centre, quelques tronçons sont asphaltés, et les habitants comptent plutôt sur leur réseau de pistes, dont l’état est variable.

En comparaison, la Nouvelle-Aquitaine, dont la superficie est légèrement plus étendue que celle de la Guyane et dont la surface forestière n’est pas négligeable (3 millions d’hectares) dispose de près de 2 900 km de routes nationales, concédées ou non, complétées par 56 400 km de routes départementales et communales. Certes, l’importance de sa population – 5,987 millions d’habitants – et surtout le nombre de ses communes (4 503) expliquent l’écart avec la Guyane, mais celui-ci montre clairement ce qui sépare la Guyane d’un territoire bien irrigué par des routes... D’autant qu’il faut ajouter près de 1 500 km de voies ferrées pour le transport express régional, alors que la Guyane ne dispose pas d’une offre de transport suffisamment diversifiée pour s’engager dans une politique de multimodalité.

Cette comparaison contient certes une limite : la protection de la forêt amazonienne conduit à ce que le réseau la borde le long du littoral mais ne la traverse pas. L’Aquitaine n’est pas confrontée à une contrainte analogue, les routes départementales traversant la forêt des Landes de Gascogne.

Comme le reconnaît la direction générale des territoires et de la mer de Guyane, « le territoire étant dépourvu de réseau ferré et le cabotage maritime étant quasi inexistant, l’essentiel des transports et des déplacements sur le littoral de la Guyane est supporté par le réseau routier national. Par ailleurs, du fait de l’inexistence de maillage du réseau secondaire, toute coupure intervenant sur le réseau routier national provoque de très graves perturbations des activités sociales et économiques. La fiabilisation et la sécurisation du réseau routier national sont donc des enjeux majeurs pour le territoire. Le réseau routier national, élément essentiel de l’économie du territoire, doit accompagner le développement de la population de la Guyane, en très forte progression ».

Les anciennes RN 3 et RN 4, plus courtes, sont devenues des routes départementales.

  (nouvelle fenetre)

En se concentrant sur une seule partie du territoire, le réseau routier le fragmente au lieu de l’unir. C’est le contraire de la mission que l’on lui assigne généralement. Les conséquences de cette situation sont connues.

En premier lieu, la localisation des principales activités s’effectue sur le littoral, au lieu de se répartir plus harmonieusement sur l’ensemble du territoire. Elle prive d’activités les populations des territoires et communes mal desservis.

Les communes de l’Ouest, de l’Est et du centre ne bénéficient pas en second lieu des moyens de communication qui leur sont nécessaires alors qu’elles sont en plein essor démographique en raison du double effet de la natalité et de l’immigration. Il en résulte une fracture spatiale au point de se référer parfois au concept de « deux Guyanes ». En l’absence de liaisons terrestres, de nombreux habitants vivant sur le littoral ne se sont jamais rendus dans l’Ouest. Pour les habitants de l’Ouest, cet enclavement est très problématique car certains services administratifs ou de médecine spécialisée ne se trouvent que sur le littoral, à Cayenne notamment.

Cet enclavement empêche le développement de la vie économique, alors même que la Guyane ne manque pas de personnes prêtes à créer ou développer leur entreprise. Une société comme Biostratège, auditionnée par vos rapporteurs et spécialisée dans la valorisation des plantes pour la pharmacopée et la cosmétique, implantée à Matoury, sur le littoral, a un accès très malaisé aux ressources végétales de l’intérieur de la Guyane. Outre ce problème, elle ne peut intensifier comme elle le souhaiterait ses partenariats avec des agriculteurs ou des cueilleurs, en raison de la difficulté à acheminer vers ses laboratoires les plantes dans un délai préservant leurs qualités.

Les capacités d’emport de fret par les avions assurant les lignes intérieures sont limitées. Seule la voie fluviale permet d’acheminer des équipements lourds vers les villes de l’Ouest, comme ceux des chantiers.

Le coût du fret aérien étant plus élevé que celui du fret terrestre, les prix des produits de la vie quotidienne sont très élevés dans les communes enclavées, dans des proportions inimaginables pour les personnes vivant dans l’Hexagone. Vos rapporteurs ont relevé, témoignage des habitants à l’appui, 16 euros pour un pack d’eau minérale, 30 euros pour 2,5 kilos de lessive ou 30 euros pour 20 steaks hachés congelés. Il est donc courant que les habitants de l’Ouest traversent le Maroni ou l’Oyapock pour faire leurs achats au Surinam et au Brésil, dont les villes frontalières sont mieux approvisionnées, étant pour leur part moins isolées que les communes guyanaises grâce à la présence de routes. Ils bénéficient en outre du taux de change avantageux de l’euro par rapport au dollar du Surinam. Il est même parfois plus rentable pour les personnes bénéficiant du tarif aérien intérieur de faire leurs courses à Cayenne, à plus de 200 km, en prenant l’avion.

Les répercussions sociales et sociologiques de cette situation doivent enfin être rappelées : de nombreux agents de l’éducation et des services de santé hésitent à accepter des postes dans des communes enclavées ; les prestations de santé sont souvent limitées aux soins de base, ce qui oblige les habitants à se rendre à Cayenne pour les autres prestations (obstétrique, ophtalmologie, audition...). Une très large majorité des Maripasouliens sont nés à Cayenne et les femmes doivent réserver un billet d’avion vers le sixième ou septième mois de leur grossesse pour s’assurer d’accoucher à Cayenne, en milieu médicalisé. L’accès à la culture est limité à quelques bibliothèques et médiathèques.

En résumé, les Guyanais des communes enclavées se retrouvent parfois dans des situations d’urgence inédites sur le territoire français pour des actes de la vie quotidienne. L’absurdité n’est pas loin : un habitant de Maripasoula qui a absolument besoin d’utiliser son véhicule pour aller à Cayenne traverse le Maroni, utilise le réseau routier surinamien en direction du Nord, puis bifurque vers Albina et Saint-Laurent-du-Maroni pour revenir en territoire guyanais et gagner Cayenne par la route du littoral.

Psychologiquement, beaucoup d’habitants ressentent une situation d’enfermement et s’interrogent sur leur avenir. M. Philippe Dekon, président du Collectif Apachi, association qui milite pour le désenclavement routier de la Guyane, a indiqué à vos rapporteurs que son mouvement faisait le pari de la République, mais que beaucoup de Guyanais s’interrogeaient sur la considération que celle-ci leur porte quand ils comparent le réseau routier du Surinam et le leur.

Cette interrogation doit être prise très au sérieux par les pouvoirs publics. En 2006, M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire, avait promis que la route entre Saint-Laurent et Maripasoula figurerait parmi quinze grands projets d’itinéraires nationaux qu’il proposerait, mais il n’y a pas eu de suites. Il en a été de même ultérieurement pour des projets de pistes (comme Belizon – Saül). En octobre 2017, le Président de la République, en visite à Maripasoula, a annoncé ne pas vouloir de route entre Maripasoula et Saül pendant son mandat, mais n’a pas écarté l’idée de la route du fleuve.

Ces annonces, sur un sujet qui suscite de fortes attentes, minent la confiance des Guyanais dans l’État quand elles ne sont pas suivies d’effets.

Comme l’a rappelé M. Serge Anelli, maire de Maripasoula, se déplacer est aisé dans l’Hexagone. En Guyane, les habitants doivent mettre au point de véritables stratégies et passent ainsi un temps considérable de leur vie dans les transports. Un résident de Papaïchton souhaitant se rendre à Cayenne doit d’abord accomplir un trajet d’une heure en pirogue à moteur, puis se rendre à l’aérodrome de Maripasoula où le trafic aérien était très irrégulier depuis la fin du printemps.

En l’absence de route dans l’Ouest et le centre, les fleuves sont largement utilisés. Mais ce qui apparaît pittoresque pour un touriste l’est moins pour les Guyanais car les pirogues chavirent. Un chef d’entreprise est mort en transportant des bouteilles de gaz avant l’arrivée de vos rapporteurs et lors de leur présence en Guyane, un chef coutumier a disparu dans le Maroni. « L’enclavement tue », comme l’ont rappelé plusieurs conseillers territoriaux et maires lors de la réunion à la collectivité territoriale de Guyane.

2.   Des fleuves très utilisés, aux risques et périls des usagers

Le Maroni et l’Oyapock sont longs de 1 500 km en Guyane. Le nombre de riverains oscille entre 70 000 et 80 000. Ces deux voies fluviales sont empruntées quotidiennement par des pirogues : des milliers d’enfants et d’adolescents les utilisent pour se rendre à leur école et collège ; 1 000 trajets sont recensés quotidiennement entre les « villes jumelles » de Saint-Laurent-du-Maroni et Albina, au Surinam, pour le transport de personnes, de denrées et marchandises diverses, y compris des équipements lourds ; les militaires y naviguent pour des opérations civiles ou de sécurité ou d’ordre public (lutte contre l’orpaillage). La préfecture de Guyane évalue à 15 000 tonnes de fret et 4 millions de litres de carburant le trafic sur le seul fleuve Maroni ([41]).

En l’absence de routes, les fleuves servent de voie de transport principale. Ainsi, la distance entre Saint-Laurent-du-Maroni et Maripasoula (205 km) se parcourt entre 12 heures et plusieurs jours, selon la motorisation de la pirogue. Ce mode de transport ne présente néanmoins pas un caractère régulier toute l’année car le débit des fleuves varie et la Guyane subit la modification du régime des pluies, due au dérèglement climatique.

Les piroguiers sont le plus souvent des Amérindiens ou des Bushinengés ayant une remarquable connaissance des fleuves. Ils exercent soit à leur compte, sans capacité professionnelle officielle, soit sont employés par les collectivités territoriales. En ce cas, ils ont le plus souvent le statut d’ouvrier civil.

L’utilité des fleuves guyanais a été reconnue par l’État puisque la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles pour l’outre-mer a ouvert droit à compensation pour la collectivité territoriale de ses dépenses de transport fluvial scolaire. Celle-ci est prévue par l’article L. 4611-3 du code des transports. Mais – et il s’agit d’un autre paradoxe en Guyane – ces voies de communication fondamentales pour la vie quotidienne ne sont pas répertoriées dans la nomenclature des voies navigables et fluviales. Autrement dit, elles sont en pratique navigables, mais la navigation n’est pas couverte par les compagnies d’assurances, ce qui signifie que les personnes qui les empruntent le font à leurs risques et périls et qu’en cas de dommage corporel ou matériel, aucune personne et aucun bien ne sont assurés.

Or le fleuve est très utilisé. Il existe par exemple 39 lignes de piroguiers recensés par la CTG, qui se consacrent au transport scolaire, autour d’Apatou, Camopi, Saint-Laurent, Grand Santi, Papaichton, Maripasoula et Saint-Georges. Les pirogues transportent toutes sortes de marchandises et d’équipements, y compris des véhicules des services publics (gendarmerie, pompier) ou des engins de travaux publics, voire des hélicoptères.

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Transport de véhicule de pompier par pirogue – Photo de la collectivité territoriale de Guyane

Le site de la préfecture de Guyane résume la règlementation applicable : « Aucun fleuve de Guyane ne permet la navigation d’un bateau emportant 50 tonnes ; les fleuves de Guyane qui sont restés naturels et n’ont jamais fait l’objet d’aménagement pour garantir des chenaux et des gabarits de navigation, n’entrent pas en l’état actuel dans aucune classe de gabarit de voies navigables. Si les fleuves de Guyane ne sont inscrits dans aucune classe de gabarit de la nomenclature des voies navigables, cela n’empêche pas leur navigabilité qui peut se pratiquer partout aux risques et périls des usagers : c’est-à-dire en toute connaissance de cause du conducteur, qui doit veiller à ce que les caractéristiques de son embarcation soient bien compatibles avec les conditions de navigation rencontrées ».

La préfecture ne peut être tenue responsable de cette très étrange application du droit, qui conduit à mettre juridiquement en danger des milliers de personnes lorsqu’elles accomplissent un acte quotidien très banal. La législation devrait plutôt être modifiée. Mais le Conseil d’État a considéré que l’adaptation des textes nationaux aux caractéristiques des fleuves guyanais modifierait trop substantiellement lesdits textes et qu’une législation spécifique à la Guyane était nécessaire.

Ce problème est quelque peu irritant pour vos rapporteurs, qui certes, n’en dénient pas la complexité, puisque, comme ils l’ont constaté en recourant à une pirogue pour se rendre à Antecume-Pata et Tahluen-Twenké, la navigabilité du fleuve au sens du droit français exigerait sans doute des aménagements. Les parlementaires de Guyane, comme Mme Christiane Taubira le 10 décembre 2009, le soulèvent régulièrement par des questions orales et écrites.

Pour les membres du GCCG, le fleuve est parfaitement navigable et un texte adaptant les normes actuelles à la situation guyanaise permettrait de remédier au problème juridique. La plupart des riverains guyanais et surinamiens ne souhaitent pas de travaux qui, en aménageant les sauts des fleuves ou en faisant sauter des rochers, en modifieraient l’équilibre écologique (certains rochers revêtent également un caractère sacré et ils veulent leur maintien). En tout état de cause, la situation ne peut rester en l’état. Il est primordial d’assurer la sécurité juridique des professionnels qui vivent du fleuve et de leurs passagers, en créant notamment une attestation de capacité professionnelle, après une concertation réelle. La mise en place d’une telle attestation a déjà été tentée, mais sans être pérennisée, faute d’une discussion préalable prenant en compte la réalité guyanaise.

3.   L’Ouest, l’Est et le centre : une dépendance excessive à l’égard du transport aérien

Il existe, comme indiqué supra, tout un réseau de pistes qui relient entre elles l’ensemble des localités de la Guyane. Mais elles sont peu commodes et impraticables en saison des pluies. En l’absence de route autre que littorale, l’avion est le seul moyen d’atteindre les villes de l’Ouest, de l’Est et du centre (Maripasoula, Grand Santi, Saül et Camopi), à partir desquelles il est possible ensuite de se rendre par les pistes ou le fleuve vers les petites localités qui en sont proches (Papaïchton, Apatou, Clément, etc.). Le transport aérien revêt pour elles un caractère vital.

Il convient de rappeler que la CTG dispose de la compétence en matière de continuité territoriale intérieure, mais le transport aérien est si important pour les communes enclavées que la Guyane est le seul territoire où l’aide de l’État à la continuité territoriale s’applique à des trajets intérieurs ([42]) à un département. L’État vient en appui à la collectivité territoriale de Guyane, principal financeur.

Jusqu’en 2021, la collectivité territoriale de Guyane apportait une aide par passager avec un plafond de 42 000 passagers par an. Le trafic ayant doublé entre 2009 et 2021, preuve de l’importance du transport aérien en Guyane, la collectivité territoriale de Guyane et l’État ont fait passer la délégation de service public (DSP) de 4,5 millions d’euros par an à 10 millions, dont 90 % sont assurés par la collectivité précitée.

Comme l’a indiqué à vos rapporteurs M. Zadkiel Saint-Orice, conseiller territorial aux infrastructures routières et aux aérodromes, « peu de Guyanais, dans de telles conditions, peuvent dire qu’ils sont allés dans l’ensemble de leur territoire, faute de moyens de transport. C’est une grande différence avec le reste de la France. On lance des satellites à 10 milliards pour observer l’espace où personne ne vit mais on empêche des personnes qui se connaissent de communiquer ou de se déplacer ».

Avant la faillite d’Air Guyane en septembre 2023, il existait cinq liaisons aériennes depuis Cayenne, vers Saint-Laurent, Grand Santi, Maripasoula, Saül et Camopi, et deux liaisons au départ de Saint-Laurent vers Grand Santi et Maripasoula. À l’exception donc de Cayenne et de Saint-Laurent-du-Maroni reliées entre elles par la route, les autres grandes communes (hors celles du littoral) de Guyane dépendent de l’avion. Une fois l’atterrissage effectué, les passagers vivant dans les villes plus petites ou villages doivent encore emprunter des pistes ou utiliser la pirogue pour rentrer chez eux. Il faut ainsi 8 heures de pirogue depuis Camopi pour gagner le village de Trois-Saut (trois à quatre jours en saison sèche).

L’on peut aisément qualifier d’excessive la dépendance à l’égard du transport aérien, d’autant que mis à part les problèmes fréquents de régularité du service dus aux intempéries ou à des problèmes de sécurité sur les pistes des aérodromes, les avions sont de petite capacité : 17 places pour la desserte entre Cayenne et Maripasoula. Dans le meilleur des cas, avec trois dessertes par jour, 51 personnes peuvent entrer à Maripasoula et 51 personnes peuvent en sortir. Les capacités de fret sont très limitées. Sans le Surinam de l’autre côté du fleuve, l’accès des habitants des communes de l’Ouest à des produits de première nécessité ne serait pas assuré.

Cette dépendance fracture spatialement le territoire, au point de créer dans la réalité deux Guyanes. De Saint-Georges à Saint-Laurent-du-Maroni, la route, dont l’état varie selon les tronçons, permet d’assurer la circulation des hommes et des biens. Cette même circulation est entravée dans l’Ouest et le centre, alors que ces deux secteurs sont en plein essor économique et démographique. Les liens entre le littoral, le centre et l’Ouest sont ténus, faute de capacité aérienne plus importante.

Il convient de rappeler que le transport aérien est une industrie de grand volume à faible marge. Toute ligne de petite capacité est rarement rentable et ne peut fonctionner que par un appui financier public. Tel est le cas des lignes d’aménagement du territoire, et bien évidemment des lignes intérieures guyanaises. L’apport de la CTG à Air Guyane dépassait légèrement 9 millions d’euros par an, l’État apportant un complément d’un peu plus d’un million d’euros.

La faillite du groupe CAIRE ([43]) souligne plus encore les difficultés quotidiennes de nombreux Guyanais pour se déplacer. Le service d’Air Guyane a été largement perturbé pendant l’été 2023 – vos rapporteurs peuvent en témoigner puisqu’il leur a été impossible de réserver un vol – et les élus locaux, en lien avec l’Union des travailleurs guyanais ([44]) s’organisaient quelques jours avant sa liquidation pour proposer une offre de transport aérien. Pour les habitants de l’Ouest et du centre, ne pas pouvoir se rendre à Cayenne signifiait :

– un accès impossible à des biens et surtout des services qu’on ne trouve que sur le littoral ;

– l’impossibilité pour les élèves, lycéens et étudiants de rentrer chez eux pendant leurs vacances ;

– des difficultés à accéder à des soins ne relevant pas de la médecine générale (chirurgie dentaire, obstétrique, ophtalmologie...) ;

– une complication des commandes, approvisionnements et démarches administratives pour les chefs d’entreprise.

Dès le 26 juillet dernier, la CTG a décidé de mesures d’urgence pour acheminer du fret alimentaire, des médicaments et le courrier vers les villes enclavées. Après la décision de liquidation judiciaire, la préfecture et la collectivité territoriale de Guyane ont mis en place des mesures d’urgence, avec l’organisation de vols dont le caractère était indispensable (notamment pour le fret) et une DSP pour la financer. Deux hélicoptères ont été déployés pour assurer les urgences sanitaires.

Le Président de la collectivité précitée, M. Gabriel Serville, a mis à l’étude l’installation d’une nouvelle compagnie sur le territoire, « autour des intérêts des habitants de la Guyane ». À ce jour, deux compagnies ont fait acte de candidature pour reprendre le réseau d’Air Guyane, ce qui est encourageant à au moins un titre : le territoire guyanais est attractif pour des investisseurs, même si en l’espèce une DSP est indispensable.

Au-delà de ces mesures d’urgence, vos rapporteurs rappellent que les faillites sont fréquentes dans le transport aérien. En Europe, la pandémie de covid a fait disparaître en 2021 Voldirect (France), Atlantis Armenian Airlines (Arménie), Great Dane Airlines (Danemark), Stobart Air (Irlande) et en 2020, 23 compagnies ont cessé leur activité faute de rentabilité, dont 9 étaient européennes comme Adria (Slovénie), Aigle Azur et XL Airways (France). Toutes avaient en commun un réseau relativement réduit et donc une fragilité particulière à tout retournement de conjoncture. À la différence des très grandes compagnies dont la faillite provoquerait un risque systémique, ni les États ni les banques ne leur apportent de soutien en cas de difficulté.

La succession d’Air Guyane nécessitera quelques semaines de délai avant de devenir effective pour les passagers. Outre la vérification des formalités de base que sont la licence et le certificat de transport aérien, la collectivité territoriale de Guyane et la compagnie retenue devront bien dimensionner les opérations de service public, ce qui joue sur la composition de la flotte de cette compagnie. Tant la direction générale de l’aviation civile, auditionnée par vos rapporteurs, qu’un récent rapport du Sénat ([45]) estiment que la DSP avec Air Guyane était conçue de manière trop rigide et qu’elle ne laissait pas la liberté minimale à la compagnie aérienne d’adapter l’offre à la demande.

Les infrastructures aéroportuaires intérieures ont en outre la particularité de ne pouvoir accueillir tous les avions. Les pistes de latérite ne sont accessibles qu’aux Twin Otter et aux LET et pour faire atterrir un ATR, l’un des meilleurs aéronefs pour le transport régional, il faut une piste asphaltée, ainsi que, dans l’aérodrome, des procédures de sécurité de contrôle des bagages. C’est tout l’enjeu des travaux sur la piste de l’aérodrome de Maripasoula et il faudrait, plus largement, mettre l’ensemble des aérodromes guyanais aux normes de l’Organisation internationale de l’aviation civile.

Le cas d’Air Guyane et le niveau d’équipement des aérodromes montrent qu’à l’exception de territoires insulaires éloignés, comme les différents archipels de Polynésie, l’aménagement d’un territoire ne peut dépendre exclusivement de liaisons aériennes. En l’espèce, la faillite de cette compagnie a provoqué l’isolement de localités entières et un pénible sentiment d’abandon dans la population. L’État et la CTG ont à nouveau apporté un appui financier à une solution temporaire.

*

*     *

La conclusion de vos rapporteurs est triple : dans l’immédiat, la succession d’Air Guyane doit être résolue au plus vite, et il en est de même pour la question de la couverture par les compagnies d’assurance de la navigation sur les fleuves. À terme le plus rapproché possible, l’aménagement de la Guyane et le droit des Guyanais d’aller et venir, comme tout citoyen français, passe par un réseau routier reliant Cayenne à Maripasoula et Maripasoula à Saint‑Laurent‑du‑Maroni. Il s’agit d’une action prioritaire.

B.   une extension du réseau Routier fortement attendue par la population

L’extension du réseau routier guyanais est une question politique avant d’être financière et technique. La Guyane souffre actuellement d’un déséquilibre : son littoral est irrigué par un réseau routier alors que les régions de l’Ouest (très dynamique démographiquement), de l’Est et du centre sont enclavées. Les élus locaux demandent de longue date la construction d’un véritable réseau routier, les états-généraux du désenclavement, qui se sont tenus à Sinnamary le 28 octobre dernier, constituant la dernière manifestation sur ce sujet. Organisés par le collectif Apachi, ils ont réuni le président et plusieurs élus de la collectivité territoriale, les députés et sénateurs de Guyane, de nombreux maires et des élus consulaires.

Pour vos rapporteurs, le lancement de deux liaisons routières entre Cayenne et Maripasoula (avec un crochet vers le sud en direction de Camopi) et entre Maripasoula et Saint-Laurent-du-Maroni est prioritaire et connecterait les trois principales villes. Complétées par la rénovation du réseau de pistes, ces liaisons amélioreraient grandement la vie quotidienne des Guyanais.

Or ces liaisons ne sont actuellement pas mises à l’étude. La question se pose donc de leur alternative.

1.   Tenir compte de l’expansion démographique et économique de l’Ouest, de l’Est et du centre guyanais

L’extension du réseau routier vers l’Ouest et le centre de la Guyane vise à supprimer la fracture spatiale qui existe de facto entre le littoral et le reste du territoire. Cette fracture est particulièrement dangereuse en raison de l’accroissement démographique de la Guyane, particulièrement dans l’Ouest.

Rappelons que les communes de l’Ouest, la plupart regroupées dans la CCOG, sont réparties sur 40 956 km², soit 49 % de la superficie de la Guyane. L’Ouest est plus vaste que huit régions de l’Hexagone. La population, majoritairement composée de bushinengés, a quadruplé en trente ans sous l’effet de la natalité et de l’immigration.

Le Maroni structure la vie de cette région. La plupart des villes et villages en sont proches. Le fleuve sert donc d’axe de transport, mais il n’est pas aisément navigable toute l’année. La régularité du transport des hommes et des marchandises n’est donc pas assurée, à la différence du service que peut rendre une route.

La population, très jeune, donnera à court terme une génération nombreuse de personnes en âge de travailler. Si les faiblesses de l’offre de formation locale persistent, si l’économie formelle et le marché du travail ne se développent pas, ils contraindront au chômage ou à l’activité informelle une large partie de la population. Or l’économie informelle est déjà majoritaire dans cette région, pour au moins deux raisons : la majorité des habitants n’est pas francophone et la division du travail n’a que faiblement cours dans la société bushinengée ; ses membres ont plusieurs occupations pour gagner leur vie.

L’analyse est peu ou prou similaire dans les zones proches de la frontière du Brésil.

À l’exception de Saint-Laurent-du-Maroni, relié par la route à Cayenne, le risque est qu’une zone entière passe dans un mode de vie informel, avec un habitat sans titre de propriété, des activités économiques non déclarées. Sans doute ce type d’organisation a-t-il une logique pour les personnes qui en sont membres en créant des liens de solidarité, d’autant qu’elles disposent de peu de ressources, mais il génère une pression sur les services publics (éducation et santé notamment) auxquels ces personnes ont droit, mais auxquels elles ne peuvent contribuer.

L’existence de routes peut également renforcer les économies locales en retenant les jeunes qualifiés. Faute d’investissements du secteur privé, la plupart des jeunes diplômés cherchent un travail dans les villes du littoral ou dans l’Hexagone. La présence d’une route génèrerait de tels investissements et renforcerait la part de l’économie formelle.

Dans l’Ouest, le tracé d’une route serait parallèle au Maroni, qui structure la vie de l’ensemble de cette région. La liaison entre Cayenne et Maripasoula pourrait suivre pour sa part un tracé rectiligne ou desservir les villes plus au Sud, selon les options retenues.

Si une seule route devait être bâtie, il faudrait privilégier celle de l’Ouest, entre Saint-Laurent et Maripasoula. Elle bénéficierait à plus de personnes que dans le centre. Mais elle opèrerait un basculement du centre de gravité de la Guyane, actuellement à Cayenne, vers Saint-Laurent-du-Maroni, celui-ci devenant le point de jonction de deux routes.

Enfin, vos rapporteurs n’ont pas besoin de s’étendre sur les bénéfices pour la vie quotidienne des Guyanais du lancement de routes. Ils sont l’exact opposé des inconvénients posés par l’enclavement.

Quelle que soit la décision prise, ces routes répondraient à un intérêt national au sens de l’article L. 121-1 du code de la voirie routière, car elles relieraient les principales villes de Guyane. Leur construction serait financièrement à la charge de l’État.

2.   Veiller aux conséquences écologiques et sociologiques de nouvelles routes

Il n’est pas évident de tracer une ou deux routes dans un écosystème sensible sans susciter de protestations. Il est également illusoire de penser qu’en l’espèce, il est possible de lancer une infrastructure sans dommage pour l’écologie. Une trouée de 100 mètres d’empattement sur plusieurs centaines de kilomètres, s’accompagnant de dessertes latérales (même sous forme de pistes) entraîne forcément la destruction de milliers d’arbres. Les élus et associations qui plaident pour ce projet mettent en avant l’immense couvert forestier de la Guyane et considèrent qu’il est nécessaire d’y porter un peu atteinte.

En l’espèce, les études d’impact sur l’environnement prendront du temps compte tenu de la diversité biologique présente en Guyane. Il faudra notamment tenir compte de la nécessaire continuité écologique nécessaire à la vie de certaines espèces. Une large concertation impliquant toutes les populations et leurs représentants sera indispensable à la mise en œuvre d’un tel projet.

Les conséquences sociologiques devront aussi être étudiées, ce qui impliquera sans doute une réflexion utile de la notion même de développement. Si les routes envisagées permettent d’améliorer les conditions de vie des habitants, elles revêtiront une grande utilité. Si elles assurent juste une connexion sans développement local, cette utilité sera moindre. Rappelons que la liaison routière entre Cayenne et Saint-Georges n’a pas pour l’instant généré de projets économiques significatifs, en raison de la faiblesse du tissu économique.

Par ailleurs, une route passant à travers la forêt guyanaise peut induire de profondes mutations dans les communautés amérindiennes et bushinengées. Un précédent au moins le montre : quand une route a desservi Apatou, à partir de 2010, le comportement de la population locale s’est modifié. Les cultures sur abattis sauvages se sont multipliées ; de nouveaux types de commerce sont apparus, et un conflit est apparu entre les habitants qui revendiquaient des occupations d’espace au nom du droit coutumier et les services publics qui se référaient au cadastre. De tels projets peuvent également générer des troubles sociaux, culturels, voire identitaires, qu’il faut anticiper en y associant la population.

Les membres du GCCG, lors de leur entretien avec vos rapporteurs, ont mis en avant toutes ces questions. L’irruption d’infrastructures aux abords ou dans la forêt a un prix écologique et sociologique. Certains membres du Grand conseil se sont ainsi interrogés sur le type de développement qu’un tel équipement apportait. Il est aisé de comprendre que s’ils acceptent les évolutions de notre temps, ils ne sont pas prêts à entériner la disparition de la forêt, placée au cœur de leur identité. Ils exigent d’être consultés et veulent des retombées positives pour les populations qu’ils représentent.

3.   Quelle solution si le réseau routier n’est pas étendu ?

a.   La position actuelle de l’État

Les crédits que consacre l’État au réseau national routier en Guyane placent ce territoire au deuxième rang des régions qu’il soutient. Néanmoins, les représentants du ministère des transports, auditionnés par vos rapporteurs, ont été clairs : ces crédits, inscrits dans le contrat de convergence et de transformation 2019 – 2022, sont dirigés vers la modernisation des RN 1 et RN 2 et aucun projet d’extension du réseau national vers Maripasoula depuis Cayenne et / ou depuis Saint-Laurent n’est pour l’heure à l’étude. Les crédits sont principalement destinés à l’achèvement du pont du Larivot et à divers projets (entrées de Cayenne et de Saint-Laurent, reconstruction de ponts sur la RN 1, etc).

Le contrat de convergence et de transformation avec la Guyane, pour la période allant de 2019 à 2022, a prévu une dotation de 200 millions d’euros pour l’amélioration du réseau routier national. 140 millions d’euros sont toutefois consommés par une grande opération, à savoir le doublement du pont du Larivot. Le prochain contrat (2024 – 2027) prévoirait 140 millions d’euros en faveur des routes, ce qui placerait à nouveau la Guyane au deuxième rang des régions soutenues en ce domaine (13 % des crédits alloués par l’État), après la Nouvelle-Aquitaine. Une série de travaux sont programmés tout au long des RN 1 et RN 2, tels la reconstruction de ponts à l’Ouest de Kourou pour autoriser le passage de poids lourds ou rénover les voies d’approche de Saint-Laurent.

Le lancement de nouvelles liaisons vers le centre, l’Est et l’Ouest est pour l’heure écarté par l’État. Celui-ci estime qu’il doit concentrer les crédits de transport routier sur la partie du territoire où vit la majorité de la population, d’où le choix de privilégier la zone littorale. Il rappelle également que le domaine routier national, en application de l’article L. 121-1 du code de la voirie routière, « est constitué d’un réseau cohérent d’autoroutes d’intérêt national et européen », ce qui s’entend de liaisons entre grandes agglomérations. Or Maripasoula n’est pas considérée comme une grande ville. La législation actuelle n’est donc pas adaptée à la situation de la Guyane.

L’État avance également la nécessité de faire face aux contraintes budgétaires et de concentrer les crédits sur les politiques bénéficiant à la majeure partie de la population. Son choix d’orienter la politique routière sur le littoral en est la conséquence. Il invoque enfin la protection de la forêt comme argument à l’encontre de ces deux chantiers.

La position de l’État est nettement moins recevable dans une logique d’aménagement du territoire, surtout si l’on reconnaît à la Guyane une double spécificité : sa superficie et l’emprise spatiale de la forêt, qui sépare des communautés humaines entières et en isole une large partie. Or la politique d’aménagement a pour objectif d’assurer le développement équilibré des territoires et l’égalité des chances entre citoyens. Les liaisons routières demandées en Guyane par une large majorité de la population visent à unifier un espace fracturé et à mettre fin à tous les inconvénients résultant dans la vie quotidienne de l’enclavement.

Il est en conséquence logique de vouloir relier par la route Cayenne et Saint-Laurent, respectivement les première et deuxième villes de Guyane par la population, à Maripasoula, qui occupe le troisième rang. Ce projet est d’autant plus fondé que l’Ouest guyanais est en plein essor démographique et que dans vingt ans, Maripasoula aura dépassé 25 000 habitants et Saint-Laurent en comptera sans doute 100 000. Les activités économiques et sociales de ces territoires doivent être planifiées dès maintenant, plutôt que de devoir travailler dans l’urgence en 2043. La position de l’État est donc difficilement défendable au regard de l’essor démographique de la Guyane.

Même si la superficie des Hautes-Alpes est nettement inférieure à celle de la Guyane, serait-il imaginable que Gap, la préfecture (40 111 habitants, comme Cayenne) ne soit pas reliée par la route à la deuxième ville du département, Briançon (10 780 habitants, comme Maripasoula) ? Non seulement la route existe mais les deux villes sont également joignables par un TER qui se prolonge jusqu’à Valence, dans la Drôme. Les plus petites communes du département sont également irriguées par un réseau routier, y compris en zone de montagne, où les coûts de construction et d’entretien sont élevés, qu’il s’agisse de Chorges, de Guillestre ou de l’Argentière-la-Bessée (respectivement 3 077, 2 291 et 2 078 habitants). Ce réseau permet d’assurer une activité économique reposant sur deux piliers, l’agriculture et le tourisme, et d’envisager sa diversification. La diversité des réseaux de communication rend ce territoire attractif.

La demande des Guyanais d’un réseau routier plus développé doit être analysée à l’aune des effets d’un aménagement équilibré de la Guyane, plutôt que sous le seul angle budgétaire. Ce département connaît et continuera de connaître un essor démographique qu’il faut anticiper.

b.   Peu d’alternatives en dehors du transport aérien

Si le réseau routier n’était pas étendu, la Guyane ne disposerait que de peu de solutions pour désenclaver l’Ouest et l’intérieur de son territoire.

Les fleuves ne peuvent aller au-delà de leurs fonctions actuelles, leur navigabilité dépendant du tirant d’eau saisonnier. Lorsque leur débit diminue, leur capacité d’emport en fret diminue également. La préfecture de Guyane considère toutefois que l’intensification des transports sur les fleuves serait envisageable. Dont acte, mais il convient de rappeler que le bassin de population allant de Maripasoula à Grand Santi comprend 20 000 habitants, auxquels s’ajoutent au Nord les 50 000 habitants de Saint-Laurent-du-Maroni. Et de rappeler également que les enfants des villages aux environs de Papaïchton ou de Grand Santi se lèvent à 4 heures du matin pour se rendre à l’école, en raison du trajet en pirogue.

Les liaisons aériennes peuvent le cas échéant être intensifiées si une compagnie succède à Air Guyane. Mais sur des lignes qui par nature sont déficitaires parce que le nombre de passagers demeure étroit, quelle dotation budgétaire la CTG, à titre principal, et l’État sont-ils prêts à allouer, au-delà des 10 millions d’euros actuels, au titre de la délégation de service public ? Cette question s’étend au fret car il faut pouvoir approvisionner de manière conséquente en produits de la vie quotidienne les villes enclavées, afin que le coût de la vie diminue pour leurs habitants.

Cette question du fret reste entière en l’absence de route. Certains élus de la CTG fondent des espoirs sur le projet de dirigeable de la compagnie Flying Whale, dont le premier modèle pourrait emporter 60 tonnes de charge utile, mais le premier modèle ne sera pas fabriqué, dans le meilleur des cas, avant 2026, et devra passer les stades de la certification aérienne.

Au demeurant, l’intensification du trafic aérien ne peut porter uniquement sur les liaisons existantes mais aussi sur leur multiplication. La Guyane compte sept aéroports et aérodromes, tandis que le Surinam et le Guyana en comptent respectivement cinquante-deux et quarante-deux pour leurs liaisons intérieures.

L’absence d’extension du réseau routier pourrait déboucher sur une division économique et territoriale de la Guyane. L’Ouest guyanais se tournerait de manière croissante vers le Surinam pour sa vie économique, surtout si ce pays devient producteur de pétrole, de la même manière que la ville de Blagovechtchensk, en Russie, frontalière de la Chine au bord du fleuve Amour, entretient des liens très étroits avec la ville de Heihe.

Il n’existe pas pour l’heure de perspective à court terme de changement de position de l’État. Un comité de haut niveau sur les mobilités devrait prochainement être institué, réunissant l’État, la CTG et la Communauté d’agglomération Centre Littoral, le seul EPCI à avoir pris la compétence d’autorité organisatrice de la mobilité. L’échéance la plus rapprochée est l’élaboration du prochain contrat de convergence.

Si la décision prise conduit au renoncement de l’extension du réseau routier, la justification de celle-ci reposera principalement sur l’État, la CTG étant largement en faveur d’un tel projet. La frustration d’une partie de la collectivité risque d’être très grande. L’argument financier – 2 milliards d’euros au minimum, sans compter les frais ultérieurs d’entretien – est certes recevable, mais chaque fois que la nécessité le justifie, l’État est capable d’allouer les dotations nécessaires, qu’il s’agisse du soutien à l’économie lors de la pandémie du covid, des réparations dans les vallées de La Vésubie et du Tinée après la tempête Alex ou de la construction de la route du littoral à La Réunion.

C.   mettre fin à l’enclavement en AmÉrique latine

À l’enclavement de certaines villes guyanaises, s’ajoute le relatif isolement de la Guyane en Amérique latine, alors que ce territoire a une histoire commune avec ses voisins continentaux et des Caraïbes. L’aéroport de Cayenne dessert seulement Paris, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre et la ville amazonienne de Belem, au Brésil, une fois par semaine.

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1.   Un marché économique trop étroit

Cette situation tient au fait que la Guyane, malgré sa croissance démographique, est un marché trop petit. En 2021, les importations s’élevaient à 1,8 milliard d’euros et les exportations à 156 millions. À titre de comparaison, l’Île‑de-France enregistrait 101,5 milliards d’euros d’exportations et 160 milliards d’euros d’importations, et la Bretagne 11,5 milliards au titre des exportations et 13,1 milliards pour les importations. Le tourisme a représenté 147 702 visiteurs en 2021, soit un nombre peu important.

La répartition des partenaires commerciaux explique également la faible insertion de la Guyane dans son environnement régional : le partenaire principal est l’Hexagone (72 % des exportations et 57 % des importations en 2020), suivi des autres pays de l’Union européenne, pris globalement. Viennent ensuite les États voisins (Brésil, Surinam), les États-Unis et enfin la Martinique et la Guadeloupe.

Seule la diversification et l’expansion de l’économie guyanaise peuvent modifier cette situation. Pour l’heure, la Guyane dépend pour la moitié de ses revenus de l’emploi public.

2.   Le poids du Surinam dans la vie quotidienne

Les statistiques du commerce extérieur ne prennent pas en compte le secteur informel. Or il semble considérable si l’on en croit une étude de l’Institut d’émission d’outre-mer (IEDOM) ([46]), qui dépend de la Banque de France, et il génère un commerce soutenu avec le Surinam : « (...) la région du Maroni est une zone tampon, dans laquelle des flux continus de personnes et de biens peuvent transiter de manière informelle. Le trafic est évalué à 1 000 pirogues par jour, pour la seule ville de Saint-Laurent ; il est permis par la libre circulation en vigueur sur le Maroni. En outre, les centres de douane des deux rives sont aisément contournables. L’informalité est ainsi favorisée à l’intérieur d’un espace économique comprenant les deux côtés du fleuve : le Maroni joue le rôle de voie de communication, et de pivot à cet ensemble économique enclavé ».

C’est en fin de compte à un petit pays de 163 270 km², à l’histoire et à la démographie similaires (600 000 habitants), classé comme l’un des plus pauvres du monde, marqué par une guerre civile très dure à la fin du XXe siècle que l’Ouest de la Guyane doit de pouvoir s’approvisionner. Le réseau routier, largement financé par la coopération européenne, y est plus développé qu’en Guyane et arrive jusqu’à la ville frontalière d’Albina. Les habitants de l’Ouest guyanais s’y approvisionnent en produits divers et en carburant. Sans cette soupape, la vie quotidienne de milliers de Guyanais serait plus difficile.

Avec le règlement en 2021 du différend frontalier, le Surinam aspire à intensifier ses liens avec la France, comme l’a déclaré son Président le 14 septembre 2022. Outre la construction d’un pont, il a proposé la création d’une zone franche dans le Nord du Surinam et de la Guyane et souhaite que les entreprises françaises nouent des partenariats avec leurs homologues surinamiennes.

La situation est similaire à la frontière brésilienne. Il existe par exemple peu de distributeurs de billets à Saint-Georges et lorsque les habitants ne peuvent retirer de liquidités en territoire guyanais, ils vont en chercher au Brésil. Dans les deux cas, les pays frontaliers de la Guyane rendent de multiples services, qui pallient involontairement les conséquences de l’enclavement.

3.   Intégrer la Guyane dans son environnement régional

L’exemple de la Commission de l’Océan Indien (COI), organisation intergouvernementale dont la France est membre, au titre de La Réunion et de Mayotte, pourrait être mis en avant pour mieux intégrer la Guyane dans son environnement régional. Ce sont des élus et des fonctionnaires réunionnais et mahorais qui le plus souvent y siègent et représentent notre pays.

La politique étrangère de la France est logiquement très centralisée – c’est la nature même de cette politique – et il n’est pas aisé pour le ministère des affaires étrangères de concevoir que d’autres services que ceux de l’État central puissent s’en occuper. L’exemple de la COI montre que notre pays prend toutefois mieux la mesure de l’utilité des collectivités d’Outre-mer dans la politique étrangère, d’autant qu’un grand nombre de problématiques sont d’ampleur internationale. Aux Caraïbes comme en Guyane, lutte contre le trafic de drogue, dérèglement climatique, pêche, développement sont des préoccupations partagées.

Cette réflexion n’est pas nouvelle. S’adressant aux élus et à la population guyanaise à Cayenne le 12 septembre 1985, François Mitterrand soulignait : « De par votre situation géographique, vous représentez, en même temps, pour nous tous une ouverture considérable sur le monde extérieur, d'abord sur le continent américain. La décentralisation dont vous venez de bénéficier doit permettre de plus en plus aux élus régionaux et départementaux d'accéder à la responsabilité dans la discussion internationale pour les problèmes qui vous concernent. Sachez que c'est une idée que je nourris depuis déjà plusieurs décennies et qu'il faudra bien mettre en pratique pour que la Guyane tout en étant intimement la France, soit elle-même dans sa spécificité ».

Vos rapporteurs n’ont pas eu l’occasion de débattre de cette question avec leurs différents interlocuteurs, ni avec le ministère des affaires étrangères, mais rappellent que la France, au titre des départements antillais, a un statut d’observateur au sein de la Communauté caribéenne (Caricom), dont le Guyana est membre, et qu’elle réfléchit à une adhésion à l’Organisation du traité de coopération amazonienne. L’exemple de La Réunion au sein de la COI montre l’intérêt pour une collectivité d’outre-mer de nouer des relations politiques avec des États voisins, ne serait-ce qu’en raison de parentés linguistiques, historiques ou culturelles. Le développement des échanges humains permet aussi de stimuler le commerce. 15 % des exportations réunionnaises étaient dirigées vers les pays de la COI en 2020.

Un autre élément joue en faveur d’une plus grande intégration régionale, comme l’a fait remarquer le préfet de Guyane à vos rapporteurs : la Martinique et la Guadeloupe sont entrées en déclin démographique et le centre de gravité de la France dans l’Atlantique-Sud pourrait devenir la Guyane plutôt que les Antilles. Aussi serait-il intéressant pour la Guyane de suivre la même démarche que la Martinique, qui, avec l’appui de l’État, deviendra prochainement membre associé de la Caricom, afin d’obtenir le même statut au sein de cette organisation.

Il revient au Gouvernement, de concert avec la CTG et en impliquant les Guyanais, d’amplifier une action une action régionale plus important pour la Guyane. Actuellement, les commissions bilatérales avec le Surinam et le Brésil, où les délégations françaises sont conduites par le préfet ou le sous-préfet, parfois également par la directrice en charge de l’Amérique et des Caraïbes du ministère des affaires étrangères, fonctionnent à intervalle plus ou moins régulier. Au-delà de l’ordre du jour de ces commissions, qui porte souvent sur des questions administratives, il existe bien une prise en compte d’intérêts communs de part et d’autre de l’Oyapock et du Maroni, la lutte contre la pauvreté étant une préoccupation centrale.

Pour les habitants du Surinam et du Nord du Brésil, la France exerce une attractivité certaine. Les programmes de coopération aux frontières dans les domaines de la santé, de l’éducation, de reconnaissance comparable des cultures des Wayampi auprès de l’Unesco ou de circulation des personnes sont des exemples de développement partagé et de reconnaissance d’un bassin commun de population.

III.   la perspective de l’autonomie énergétique

L’aménagement d’un territoire est indissociable d’un approvisionnement en énergie fiable et à prix compétitif, et ce dans un contexte de transition énergétique, grâce à un recours croissant aux énergies renouvelables.

La Guyane, comme l’ensemble des collectivités territoriales françaises, dispose d’une feuille de route par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui lui est consacrée. Les PPE concernent l’Hexagone et les zones dites non interconnectées (ZNI), à savoir la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. La PPE pour l’Hexagone est préparée par le Gouvernement tandis que les PPE des ZNI sont élaborées par l’État et les collectivités territoriales.

Le décret n° 2017-457 du 30 mars 2017 relatif à la PPE de la Guyane a été publié à une période où la situation de l’approvisionnement énergétique de la Guyane était la suivante :

– 80 % des ressources énergétiques consommées étaient importées ;

– 56 % de la consommation finale d’énergie était représentée par les transports ;

– le réseau électrique est organisé le long du littoral depuis Saint-Laurent-du-Maroni jusqu’à Cayenne. Les communes de l’intérieur disposent en revanche de systèmes indépendants et isolés les uns des autres, dont la puissance n’excède pas 2 mégawatts ;

– le réseau du littoral guyanais n’est pas connecté à celui des pays voisins.

La part des énergies renouvelables dans la production d’électricité atteignait déjà 64 % en 2014 et est passée à 73 % à la fin de 2022, soit un taux largement supérieur à celui de l’Hexagone. La Guyane est le département le moins dépendant des énergies fossiles. Les capacités de production doivent néanmoins être développées et le réseau modernisé car les coupures d’électricité sont trop fréquentes par rapport à la moyenne nationale. En outre, 48 % des logements des communes de l’intérieur ne reçoivent pas l’électricité.

Cette situation oblige les entreprises, les établissements de santé, les administrations, les écoles et les particuliers à s’équiper de groupes électrogènes consommateurs de fuel pour faire face aux coupures. Elle exaspère la population, d’autant que les coupures perturbent l’approvisionnement en eau. Mais les investissements en cours pourraient permettre à la Guyane d’être le premier département français à atteindre l’autonomie énergétique par des énergies renouvelables en totalité, dès 2028 d’après Électricité de France (EDF), ou au milieu de la décennie 2030. À court ou moyen terme, les problèmes de coupure évoqués infra pourraient donc être résolus. Compte tenu par ailleurs des objectifs de développement économique, la transition énergétique constitue à la fois un défi pour le département, mais surtout un levier d’autonomie.

A.   100 % d’énergies renouvelables : une perspective réaliste

La Guyane se caractérise encore par un bilan énergétique très dépendant des hydrocarbures pour sa consommation finale, ceux-ci étant principalement utilisés dans les transports et la production d’électricité. Mais les deux tiers de l’électricité sont fabriqués à partir d’énergies renouvelables. La PPE vise au développement équilibré du territoire en permettant à tous les acteurs d’accéder à des ressources énergétiques dans des conditions techniques, économiques et environnementales satisfaisantes.

Avec cet objectif, il s’agit de rétablir l’équilibre entre la Guyane et le reste de la nation pour l’accès à un service public essentiel. Rappelons que le premier alinéa de l’article L. 121-1 du code de l’énergie prévoit que « le service public de l’électricité a pour objet de garantir, dans le respect de l’intérêt général, l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national », tandis que le troisième alinéa lui assigne comme mission de concourir « à la cohésion sociale, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l’environnement... ».

1.   Des conditions de production et de distribution particulières

La production d’électricité en Guyane suit la répartition de l’habitat. En raison de l’importance de la forêt, les zones d’habitat sont les communes du littoral et celles de l’intérieur, à l’Ouest, à l’Est et au centre. La production d’électricité correspond à la répartition spatiale démographique.

Deux types de producteurs interviennent sur le littoral : d’une part, EDF, grâce à la centrale hydroélectrique de Petit Saut et de centrales thermiques ; d’autre part, des producteurs indépendants qui développent des centrales ou des moyens de productions individualisés ou collectifs à partir de sources renouvelables, comme la société Voltalia, dont la délégation a visité la centrale à biomasse de Kourou.

La situation diffère pour les communes de l’intérieur : Maripasoula, Papaïchton, Grand Santi, Apagui, Saül ont confié leur compétence en matière d’énergie à la Communauté de l’Ouest guyanais, devenue l’autorité concédante. À Saint-Georges, Camopi, Ouanary et Regina, la commune reste l’autorité concédante. Dans ces communes isolées – la plupart n’ont pas de véritable route – l’approvisionnement en électricité est assuré à partir de systèmes électriques autonomes exploités par EDF. Les communes et les villages aux alentours sont le plus souvent alimentés par des moyens de production autonomes thermiques diesel construits par les communes et dont l’exploitation est confiée à EDF. Plusieurs communes ont toutefois pris le virage des énergies renouvelables, comme Saint‑Georges avec la centrale hydroélectrique de Saut Maripa, Saül avec les générateurs photovoltaïques ou Regina avec la centrale hybride photovoltaïque-diesel de Kaw.

Les coûts de production de l’électricité dans les ZNI sont en moyenne cinq fois plus élevés que dans l’Hexagone. La Guyane ne fait pas exception, bien que dans son cas, ce territoire abrite à la fois des barrages hydroélectriques dont l’amortissement est lissé sur 75 ans et des centrales thermiques dont le coût de fonctionnement dépend du cours des hydrocarbures. Mais il faut ajouter à la caractéristique technique de chaque mode de production un facteur propre à la Guyane, lié à sa géographie : les communes sont éloignées les unes des autres, notamment dans l’intérieur. Les coûts de production y sont plus élevés et il en est de même pour ceux de l’approvisionnement.

La distribution d’électricité se trouve également dans une situation particulière. D’une part, elle n’est pas assurée par Réseau de transport d’électricité (RTE) mais par EDF ; d’autre part, le réseau n’irrigue pas tout le territoire mais suit les axes de communication autour desquels se répartit la population. Un premier réseau dessert les communes situées le long du littoral guyanais. Il est structuré autour de lignes à haute tension à partir de plusieurs points de production (centrale électrique de Petit Saut, centrale thermique de Dégrad Des Cannes, etc.). Le second réseau porte improprement ce nom puisqu’il est composé de « mini systèmes » électriques desservant chacun un site dans des zones enclavées du territoire, qu’il s’agisse de communes importantes ou de villages du Haut-Maroni, comme Taluen.

Le coût de distribution est accentué par la structure de l’habitat. Les Guyanais apprécient de vivre en partie à l’extérieur en raison du climat et habitent des immeubles avec peu d’étages (deux ou trois, au maximum) ou des maisons. L’étalement urbain qui en résulte rend ce coût plus élevé.

2.   Des coupures d’électricité trop fréquentes

La Guyane est confrontée à des coupures d’électricité plus fréquentes que dans l’Hexagone, souvent plus longues et elles peuvent toucher une large partie de la population, une ville entière et non simplement un quartier. Outre des incidents sporadiques, l’on recense des coupures majeures ces trois dernières années :

– 27 août 2023 : en raison de la défaillance simultanée de lignes à haute tension passant par Petit-Saut, 80 % du réseau des villes du littoral a été hors d’état de fonctionner de 11 heures à 23 heures 30 ;

 depuis le 1er janvier 2023 : Saint-Laurent-du-Maroni a enregistré une soixantaine de coupures, d’une durée de 15 minutes à 24 heures selon les quartiers ; ([47])

– du 7 au 13 novembre 2022 : coupures répétées à Saint-Georges-de-l’Oyapock, affectant les villages voisins comme Espérance, au point que le maire, M. Georges Elfort, avait publié un communiqué de presse contre la gestion d’EDF ;

– de fin septembre à début octobre 2022, plusieurs coupures ont affecté l’approvisionnement de Maripasoula, Grand Santi et Papaïchton, provoquant des manifestations parfois violentes, notamment à Maripasoula ;

– 9 août 2022 : panne quasi générale analogue à celle du 27 août 2023 ;

– 4 décembre 2021 : coupure d’électricité à Saint-Georges-de-l’Oyapock ;

 Octobre 2021 : coupures d’eau à Grand Santi en raison d’une panne d’électricité.

Il est inutile d’insister plus longuement sur les effets de coupures d’électricité. En Guyane, département faiblement industrialisé, les ruptures d’approvisionnement pèsent surtout sur les services publics et les habitants. Elles conduisent par exemple à fermer les écoles ou à interrompre l’approvisionnement en eau potable, empêchent les communications téléphoniques, rompent la chaîne du froid, sont dangereuses dans les établissements de santé et obligent EDF à faire parvenir en urgence des groupes électrogènes, parfois par pirogues, quand la hauteur de l’eau leur permet de naviguer.

3.   Répondre aux enjeux d’aménagement du territoire et de développement durable

Il n’existe pas encore de bilan de la PPE 2016-2018 et 2019-2023, mais certains élus font remarquer que des projets, comme ceux prévus autour de Maripasoula, n’ont pas vu le jour, faute de financement ou de maturité suffisante. Se déplaçant en Guyane en mars 2023, Mme Emmanuelle Wargon, ancienne ministre et actuelle présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), a indiqué que les arbitrages sur la prochaine PPE, dont la révision a été lancée en mai 2021, étaient différés au début de 2024 au lieu d’être tranchés en 2023.

Celle-ci devra tenir compte de facteurs permanents, à savoir l’omniprésence de la forêt et la répartition spatiale de la population. Mais les facteurs d’évolution sont nombreux, à commencer par la démographie, qui à son rythme actuel conduit à un doublement de la population tous les vingt ans.

Le projet de PPE pour la période 2024-2030 se fonde sur une augmentation de la production d’électricité, actuellement de 444 mégawattheures (MW), qui passerait à 546 MW en 2030.

 


Perspectives de production d’ÉlectricitÉ en Guyane

Source

Puissance existante et projets prochainement en service (en MW)

PPE 2030 (en MW)

Grande hydraulique

114

114

Petite hydraulique

4,5

34,5

Biomasse solide

32,9

61,7

Biomasse liquide

120

120

Photovoltaïque avec stockage

36

45

Photovoltaïque sans stockage

92

60

Éolien avec stockage

0

30

Déchets

1,3

13

Puissance garantie Ouest

23,9

48

Puissance garantie Est

19,5

20

Total

444

546

Source : EDF Guyane  – Le tableau anticipe la fermeture de la centrale thermique de Degrad Des Cannes et la mise en service de celle du Larivot, à biomasse liquide, mais le fonctionnement de la centrale de Degrad pourrait en réalité être prolongé.

Le tableau ci-dessus montre le virage important que la Guyane opèrerait vers les énergies renouvelables, par les investissements des principaux opérateurs (EDF, Voltalia), ainsi que la construction (certes juridiquement contestée) de la centrale du Larivot et la rénovation du barrage de Petit Saut. D’autres projets devraient permettre de tester en Guyane de nouvelles technologies à partir de la biomasse ou d’hydrogène ([48]). Le développement de la biomasse doit cependant être organisé avec vigilance, en étant un maillon de la filière du bois.

Schématiquement, le mix énergétique de la Guyane lui a permis de respecter la PPE 2016-2023 sur le passage aux énergies renouvelables. La hausse de la production n’a en revanche pas suivi l’augmentation démographique.

Parallèlement à la production, la distribution de l’électricité constitue le problème majeur à résoudre pour aménager le territoire guyanais et assurer la fiabilité de la fourniture en énergie, ce qu’EDF appelle « un enjeu de spatialisation de la production au plus près de la consommation » : Cayenne, zone de consommation principale, importe son énergie de l’Ouest, ce qui sature les réseaux. Petit Saut, zone de production principale avec le barrage, ne peut exporter plus de courant, malgré le doublement de la ligne à haute tension. Tout site de production supplémentaire sur cette zone aggrave le risque de mode commun ([49]) qu’ont vécu les communes du littoral en 2022 et en 2023.

L’implantation de capacités nouvelles de production hors de Petit Saut et la rénovation et l’extension du réseau de transport d’électricité visent à sécuriser l’approvisionnement en électricité. Le schéma directeur prévoit les modifications de postes source pour le raccordement de grands producteurs ([50]) comme d’autres producteurs en énergies renouvelables. L’Ouest guyanais fait l’objet d’une attention particulière, puisque la pointe de consommation, actuellement de 16 MW, pourrait passer à 46 MW en 2038, alors que la zone n’est alimentée que par une seule ligne à haute tension. Les équipements arrivent à saturation et les avaries sont nombreuses, obligeant EDF à louer des groupes électrogènes de secours pour 20 MW de puissance. Aussi a-t-elle enclenché, en accord avec la CRE, une stratégie en deux temps : d’une part, la reconstruction d’un poste source à Margot, à achever au plus tard en 2026, accompagné du développement d’énergie renouvelable localement ; d’autre part, le doublement de la ligne à haute tension vers l’Ouest, planifiée pour 2032. Cet ouvrage de 170 km, principalement bâti le long du littoral, sera précédé de concertations pour son acceptation sociétale et son impact sur l’environnement.

La situation des communes de l’intérieur est plus complexe. Les systèmes électriques de Camopi, Grand Santi, Maripasoula, Ouanary, Papaïchton, Régina, Saint-Georges-de-l’Oyapock et Saül sont autonomes et ne sont pas connectés au réseau du littoral. Il existe en outre environ 200 écarts dans le long du Maroni et de l’Oyapock. Il s’agit de hameaux éloignés des communes précités, certains accessibles uniquement en pirogue, qui pendant longtemps n’ont pas eu accès à l’électricité. Leurs habitants sont au nombre de 4 000.

Les besoins en électricité y croissent d’environ 2,3 % par an. L’enjeu est donc de faire face à la demande des principales communes et des écarts, en créant dans ces derniers des systèmes électriques autonomes, de limiter la dépendance au fioul qui alimente les groupes électrogènes pour préserver l’environnement et de moderniser des réseaux qui sont parfois défaillants.

Plusieurs projets de production sont à l’étude ou en cours de réalisation, comme la centrale hybride de Saül, qui doit sécuriser une fourniture d’électricité jusqu’ici très défaillante et permettre à la commune de réaliser son projet d’écotourisme. À Saint-Georges-de-l’Oyapock, actuellement alimenté par une centrale hydraulique et des groupes électrogènes fonctionnant au diesel, il est prévu que la production soit quasiment assurée à partir d’énergies renouvelables, grâce à une centrale à biomasse adossée à une scierie, tandis qu’un système de gestion d’énergie intelligent (smart grid) piloterait la centrale en fonction des besoins, ajusterait la production de la centrale à biomasse et démarrerait les groupes électrogènes de secours en cas de défaillance. Si ce projet aboutit, il fera de Saint‑Georges la ville de France dont la gestion de l’électricité sera la plus moderne.

EDF admet en revanche jouer une course contre la montre pour Maripasoula. La démographie exceptionnelle de cette ville exige des projets d’infrastructures (collège et lycée, rénovation de l’aérodrome) et plusieurs investissements hydroélectriques et phovoltaïques devraient voir le jour, mais pas avant quelques années.

Pour les écarts de l’Ouest, la CCOG a porté avec l’appui de l’État, de la CTG et d’EDF la mise en place de centrales de production hybrides associant des panneaux photovoltaïques, des batteries de stockage et un moteur diesel d’appoint, pour les six villages de Talhuen-Twenké, Antecume-Pata (la délégation s’est rendue dans ces deux villages), Elahé, Cayodé et Pidima, tous à « proximité » de Maripasoula (il faut plusieurs heures de pirogue pour les rejoindre).

Dans les écarts, les investissements en cours et à venir devraient permettre l’accès au service public de l’électricité à plusieurs milliers de Guyanais, sachant que d’autres services comme l’eau potable et les communications sont étroitement liés à la fourniture d’énergie. L’éducation primaire dans les villages dépend également d’un bon approvisionnement en électricité. En résumé – et il convient de saluer l’ensemble des acteurs publics et des énergéticiens qui œuvrent pour fournir de l’énergie dans des zones reculées, souvent difficiles d’accès – l’ensemble de la vie sociale devrait connaître une notable amélioration dans les communes de l’intérieur à moyen terme.

Il reste que la géographie physique de la Guyane, avec la présence de la forêt, ne permettra pas de connecter les réseaux des communes de l’intérieur avec le réseau du littoral. Les systèmes électriques particuliers à chaque commune demeureront, ce qui n’écartera pas totalement le risque de rupture ponctuelle.

Vos rapporteurs notent en conclusion que les investissements en cours devraient permettre à la Guyane d’atteindre son autonomie en électricité, à partir d’énergies renouvelables, vers le milieu de la prochaine décennie. Si cet objectif est respecté, il créera des centaines d’emplois dans le secteur de l’énergie et donnera aux acteurs économiques la sécurité qu’ils attendent pour développer leurs entreprises. Il convient cependant de le planifier en accord avec les populations, notamment en prenant en compte leurs propositions et projets alternatifs, comme ceux des habitants du village Prospérité pour la centrale électrique de l’Ouest guyanais.

B.   Pétrole : mirage ou réalité ?

Le débat sur l’autonomie énergétique de la Guyane est ponctué par une interrogation : y a-t-il du pétrole au large de la Guyane ? La question n’est pas irrationnelle : le Brésil s’apprête à exploiter des champs au Nord de son territoire, près de la frontière guyanaise, tandis que le Guyana et le Surinam en commencent l’exploitation.

Il est certain que des hydrocarbures sont présents au large de la Guyane puisqu’un forage conjoint de Total et de Shell en avait découvert le 9 septembre 2011, à 2 000 mètres de profondeur en mer, sur un puits dénommé Zaedyus, à 150 km au nord-est de Cayenne. Les géologues présumaient à cette époque que les réserves étaient considérables – de l’ordre de celles détenues par le Kazakhstan – car le sous-sol de la côte est de l’Amérique latine est similaire à celui du golfe de Guinée. Il convenait toutefois de conduire plusieurs autres forages afin d’avoir confirmation d’un potentiel exploitable. Mais après huit ans de recherches, Total a annoncé en février 2019 arrêter les forages exploratoires. Pour autant, l’espoir que l’annonce de 2011 avait suscité perdure dans une partie de l’opinion publique guyanaise, en raison de la mise en exploitation de champs pétroliers dans les pays voisins.

1.   Des États voisins producteurs de pétrole

À environ 540 km de l’embouchure de l’Amazone, au Sud de la frontière avec la Guyane, se trouve une parcelle d’océan dénommée FZA-M-59 ([51]). D’après le président de la Banque brésilienne de développement, M. Aloizion Mercadante, elle pourrait produire de 10 à 30 milliards de barils de pétrole, soit l’équivalent de 10 à 30 % des réserves estimées aux Émirats Arabes Unis.

À 700 km de Cayenne, le Guyana, l’un des pays les plus pauvres de la planète (800 000 habitants), est en passe de devenir un important producteur d’hydrocarbures, depuis les découvertes en 2015 de plusieurs champs au large des côtes, recelant environ 7 milliards de barils. Depuis 2020, la production a atteint 120 000 barils par jour, avec l’objectif de 125 000 barils en 2025.

Voisin de la Guyane, le Surinam (600 000 habitants) a la certitude depuis 2021 de disposer de pétrole et a envisagé avant même d’en avoir confirmation de construire un port pétrolier, pour un montant de 100 millions de dollars. Située à Suzanaasda, près de l’estuaire du fleuve Surinam, cette infrastructure est conçue pour être la base arrière des plateformes offshore qui seront déployées. Elle nourrit également une ambition régionale, puisqu’il y est prévu d’y acheminer le pétrole du Guyana.

L’accord signé entre le Surinam et Total, le 13 septembre 2023, a non seulement été souligné par la presse économique hexagonale, mais a également fortement retenti en Guyane ([52]). Le montant des études de développement s’élève à 9 milliards de dollars, avec une perspective de production de 200 000 barils par jour, dans une zone immédiatement voisine de celle d’Exxon au Guyana. La décision finale sera prise fin 2024. Les attentes du Surinam sont très fortes, compte tenu de l’inflation que subit ce pays et de sa forte dette extérieure.

Peu importe que le projet brésilien, porté par la compagnie nationale Pétrobras, ait fait dans un premier temps l’objet d’oppositions de scientifiques brésiliens en raison des risques qu’il fait peser sur l’écosystème marin corallien et de mangroves, tant sur les côtes brésiliennes que guyanaises ; peu importe également que Total, un temps intéressé, s’en soit dégagé, devant le risque de protestations : pour beaucoup de Guyanais, le fait que du pétrole se trouve en abondance dans les pays voisins signifie qu’il y en a forcément sur leur territoire. Une partie de l’opinion publique guyanaise a mal reçu le fait que Total, qui a cessé ses forages de recherche en 2019 ([53]), se soit tourné vers le Surinam, à une période où des élus locaux envisageaient de revenir sur la « loi Hulot ». Beaucoup de Guyanais établissent un lien entre Total et l’État et sont persuadés que Paris entrave le développement de leur économie, le pétrole suscitant des rêves de prospérité.

La production de pétrole au Guyana et au Surinam modifiera vraisemblablement à terme plusieurs des circuits économiques du plateau des Guyanes et des Caraïbes. Actuellement, les principaux pays producteurs y sont le Venezuela, qui conserve sa place de premier détenteur de réserves d’hydrocarbures au monde, et Trinidad-et-Tobago, avec du pétrole en mer et du gaz en son sous-sol. Trinidad disposait d’une raffinerie jusqu’en 2018, ce qui en faisait une plaque tournante du commerce pétrolier, mais celle-ci a fermé en 2018, en raison de sa vétusté et de surcapacités. La construction d’une raffinerie au Surinam pourrait faire jouer à ce pays le rôle dévolu à Trinidad et y permettre la création de plusieurs milliers d’emplois.

Pays très pauvres et parmi les derniers pour leur indice de développement humain, le Guyana et le Surinam pourraient exercer à court terme une forte attractivité sur leur voisinage, par la création de milliers d’emplois et l’implantation d’entreprises liées à la production et la transformation du pétrole. Il est fort possible que des Guyanais y émigrent à terme si le marché de l’emploi n’est pas assez porteur en Guyane.

2.   Le pétrole serait-il utile à la Guyane ?

Alors que la Guyane s’engage dans une série d’investissements en faveur des énergies renouvelables, la question des effets de l’exploitation du pétrole sur son économie et sa société mérite d’être posée. L’irruption du pétrole bouleverse plus souvent les sociétés qu’elle ne les fait évoluer harmonieusement ([54]) et rares sont les États, comme la Norvège, qui ont su investir leur rente dans un fonds souverain dont les dividendes sont le plus souvent consacrés à des investissements publics.

La protection de l’environnement pourrait constituer le premier et principal argument à l’encontre de la protection pétrolière. La côte guyanaise, comme la forêt, est en effet unique au monde. Comme l’écrit le chercheur Antoine Gardel, spécialiste des systèmes naturels amazoniens, « pour décrire le littoral, on pourrait sans exagérer parler de côte de tous les records tant il est fluctuant. Côte vaseuse la plus étendue au monde, côte la plus instable, hyper-sédimentation des eaux côtières, dynamique exceptionnelle de la mangrove sont autant de traits uniques qui la caractérisent. Sur cette côte se succèdent bancs de vase et mangroves associées, plages de sable, cheniers et estuaires revêtant de nombreuses formes. (...). Les volumes sédimentaires annuels rejetés par l’Amazone varient entre 750 millions et un milliard de tonnes. Si environ 80 % de cette charge sédimentaire alimentent le delta subaquatique de l’Amazone et les fonds océaniques, 15 à 20 % s’accumulent sous la forme d’un long banc de vase le long de la côte dans la région dite « des caps », au nord du Brésil et dans l’est de la Guyane française » ([55]).

La côte guyanaise est autant un riche site de pêche, notamment pour des populations amérindiennes implantées depuis des millénaires, qu’un sanctuaire biologique incomparable pour la faune marine et aviaire. Une marée noire y serait plus catastrophique que sur une plage car il est impossible de nettoyer une mangrove. Avec les sites d’exploitation ouverts en mer dans les pays voisins, la Guyane vit désormais sous la menace d’une marée noire venue de ses voisins pétroliers.

L’examen des effets du pétrole sur une économie montre en outre qu’un État peut ne pas retirer tout ce qu’il escompte des revenus pétroliers. Le Guyana en constitue un exemple. Certes, son PIB a bondi depuis l’entrée en exploitation des premiers puits, passant de 6,6 milliards de dollars en 2019 à 8,6 milliards en 2020 ; les exportations ont augmenté de 76 % et le taux de dette par rapport au PIB a évolué sur ces deux années de 40 % à 37 %. Le Gouvernement a annoncé la création de 1 700 emplois liés au pétrole et indiqué que les revenus qu’il en tire seraient réinvestis dans l’agriculture, des programmes sociaux et le développement des infrastructures. Mais le déficit budgétaire s’est creusé en raison des recettes trop faibles. Le Fonds monétaire international a estimé que la redevance de 2 % versée par ExxonMobil au Guyana était trop faible et a incité le pays à rehausser ce taux lors de la renégociation des concessions. Le Guyana a d’ailleurs rejoint l’Initiative pour la transparence du secteur des industries extractives, qui vise à aider les pays qui le souhaitent dans la gestion pétrolière.

Les effets d’une exploitation pétrolière en Guyane seraient nombreux, mais ils ne seraient pas forcément ceux qu’en attendent les Guyanais. La venue d’une compagnie pétrolière, de ses équipementiers et sous-traitants et l’augmentation de l’activité portuaire créeraient des emplois. Mais rappelons que l’un des grands problèmes éducatifs de la Guyane est le décrochage scolaire. Le risque que les emplois les plus qualifiés reviennent à des personnes provenant de l’extérieur est réel et serait source de tension dans la société car cela ajouterait à la disparité des revenus. Seule une vigoureuse politique de « guyanisation des emplois » pourrait prévenir cette situation, à condition d’être planifiée très en amont.

Il est indéniable en revanche que la Guyane bénéficierait de financements pour ses infrastructures et de manière générale, de revenus qui amélioreraient le niveau de vie de sa population... À la condition de négocier la part de sa rente avec l’État, car c’est celui-ci qui dispose d’un droit d’expropriation automatique dès que le sous-sol recèle la moindre richesse minérale. Le pétrole qui se trouverait au large de la Guyane appartient à l’État, non à la collectivité territoriale. En 2011, un communiqué commun de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie et du développement durable, de M. Éric Besson, ministre de l’industrie et de l’énergie, et de Mme Marie-Luce Penchard, ministre de l’outre‑mer, avait montré que le Gouvernement était conscient du débat qu’une telle exploitation impliquerait, en indiquant que « si une exploitation d’hydrocarbures s’avère possible, l’État veillera tout particulièrement à ce que les collectivités, les entreprises locales et plus généralement la population de la Guyane bénéficient des retombées économiques ».

3.   La Guyane peut-elle abandonner l’objectif de développement des énergies renouvelables ?

Le dernier élément du débat provient du fait que la France est engagée dans une politique de neutralité carbone, qu’il lui faut atteindre en 2050. L’article 1er de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fixé des objectifs précis qui forment une feuille de route pour l’action du Gouvernement.

Le 23 novembre 2023, plusieurs scientifiques ont publié un rapport sur l’état du climat, mettant en avant « la férocité des évènements climatiques extrêmes de 2023 et les souffrances massives qui en résultent », en raison des canicules, des feux massifs de forêts, des inondations meurtrières... Pour faire face au plus grand défi de notre siècle, notre pays s’efforce de conduire des coalitions dans les Conférences des parties sur le climat et sur la biodiversité. Se lancer dans la production d’hydrocarbures serait peut-être une excellente nouvelle pour l’économie française et pour sa balance commerciale, mais irait à rebours de la politique que la France conduit et de ses engagements internationaux. Elle ferait également peser une menace sur des milieux biologiques sensibles que l’État veut protéger.

Il serait tentant, au vu des découvertes au Surinam, de relancer une campagne de recherches, mais la condition préalable serait de modifier la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement. Cette loi est l’un des outils de l’engagement de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle prévoyait à la date de sa publication l’interdiction immédiate de la délivrance de nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures et la fin des concessions pétrolières et gazières sur le territoire français (essentiellement Lacq) en 2040.

Revenir sur cette loi serait symboliquement et politiquement difficile. Comment justifier ensuite les autres politiques telles que l’encouragement aux transports collectifs et individuels décarbonés ou le programme de développement des énergies renouvelables ? Il serait inconcevable qu’un département se détache de la politique nationale de transition énergétique (au demeurant, il ne le peut pas juridiquement), même si la tentation est aisément compréhensible dans le cas de la Guyane.

La Guyane pourrait être la première collectivité locale française à atteindre l’autonomie énergétique en se passant quasiment des énergies fossiles. Elle ne peut donc pas abandonner l’objectif de développement des énergies renouvelables et peut respecter l’objectif assigné par le troisième alinéa précité de l’article L. 121-1 du code de l’énergie. Elle pourrait même être source d’inspiration en démontrant que le recours aux énergies renouvelables est viable économiquement et permet à nos concitoyens de vivre dans un environnement préservé. L’Agence de la transition écologique (Ademe) rappelle par ailleurs que la construction et l’exploitation des installations d’énergies renouvelables peuvent générer d’ici à 2030 en Guyane environ 500 emplois, et que l’exploitation de la biomasse créerait 300 emplois d’ici à 2028 (bûcherons, forestiers, conducteurs d’engins, chauffeurs routiers).

Les élus locaux de Guyane ont néanmoins une autre position. Ils ne souhaitent pas abandonner le développement des énergies renouvelables, qui garantirait un approvisionnement énergétique pérenne à la population, mais ne veulent pas bloquer l’exploitation d’énergies fossiles – pétrole et gaz – si elles sont présentes sur le territoire. Ils y voient en effet une chance pour financer rapidement les infrastructures et équipements dont la Guyane a besoin. Leurs aspirations s’opposent sur ce point au choix de la politique nationale.

IV.   que faut-il aménager prioritairement ?

À la différence de l’Hexagone, où la majeure partie des zones géographiques bénéficie des infrastructures nécessaires à la vie sociale et où la croissance démographique était de 0,3 % en 2022, 0,4 % en 2021 et 0,3 % en 2020, la Guyane est à la fois sous-équipée et sous-aménagée alors que sa population augmente en moyenne de 2,1 % par an. L’aménagement dans ce territoire obéit à une autre logique, celle d’implanter des infrastructures nouvelles, notamment dans l’Ouest et l’intérieur.

La densité d’industries, d’agriculture intensive, d’infrastructures et l’importance des espaces artificialisés conduisent dans l’Hexagone à considérer désormais chaque problème sous le prisme de la protection de l’environnement. Autrefois marginal dans le débat public, le développement durable en devient le cœur. En Guyane, la nature est largement dominante et les Guyanais considèrent qu’ils l’ont de tout temps préservée. Élus et population aspirent avant tout au développement et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Une enquête sociologique effectuée en 2012 en Guyane et au Brésil, auprès des riverains de l’Oyapock, montrait que si 90 % d’entre eux pouvaient sans problème définir le développement durable, ils attendaient avant tout de ce développement une amélioration des conditions de vie et qu’il arrive dans les lieux les plus éloignés et les plus pauvres ([56]). Et certains doutaient sérieusement d’en bénéficier un jour, considérant qu’ils vivaient « à la périphérie de la périphérie ».

La Guyane est à l’évidence dans une situation différente des régions de l’Hexagone pour toutes les raisons décrites précédemment. Ses élus ne sont pas dans la situation où ils arbitrent entre route et rail, éolien et solaire, zone à aménager et espaces naturels. Leur territoire est trop inégalement pourvu pour que la première priorité de son aménagement ne porte pas sur les infrastructures de base que sont les réseaux de transports et d’énergie, l’agriculture, l’éducation et la santé, à la condition première de rétablir la sécurité publique.

Ce sont les cinq priorités dégagées par vos rapporteurs, celles sur lesquelles il faut concentrer les crédits publics pour avoir un maximum de conséquences positives sur la vie sociale. Elles n’ont rien d’original : elles constituent les conditions de base du développement économique et social d’un territoire.

Elles sont également en droite ligne avec les options des acteurs en charge de l’aménagement du territoire, à commencer par les élus de la CTG, celle-ci disposant de la compétence pour promouvoir « (...) l’aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des communes », en application de l’article L. 7151‑1 du code général des collectivités territoriales. La réunion à la CTG a bien montré la volonté des conseillers territoriaux et des maires de développer leur territoire, la priorité absolue étant pour eux l’extension du réseau routier.

L’État est, compte tenu de son poids financier, également un partenaire majeur, dont les relations avec la CTG et les EPCI sont régies par un plan et des contrats de convergence, en application de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle en outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

Ces documents ont pour objectif de réduire l’écart de développement entre la Guyane et l’Hexagone. Le contrat de convergence 2019-2022, enrichi par les réflexions des assises des outre-mer, des conclusions des États généraux organisés par la CTG en 2018 et de l’accord de Guyane d’avril 2017, comprenait 496 millions d’euros d’investissements, à raison de 295,99 millions par l’État, 196,77 millions de la CTG et 4,7 millions de la part des EPCI.

L’enjeu économique est de sortir la Guyane d’une situation trop connue dans les territoires ultramarins : la dépendance excessive des entreprises à l’égard de la commande publique. Si la Guyane dispose de bonnes infrastructures de base, les entreprises seront en mesure de développer leurs différents marchés. De nombreux élus ont mis en avant, lors de la réunion à la CTG, le fait que la Guyane avait avant tout besoin d’industries et d’activités connexes, et qu’elle savait préserver parallèlement son biotope.

Les membres de la chambre de commerce et d’industrie ont émis le même avis, après avoir mis en avant les nombreux obstacles au développement et le potentiel industriel et touristique considérable du territoire. Ils rappellent que les expressions « or vert, or bleu, or jaune » sont toutes applicables en Guyane et que si les entreprises disposaient des infrastructures nécessaires, elles seraient en mesure de se développer dans tous les secteurs, de l’extraction minière à l’agriculture en passant par l’écotourisme ou encore des spécificités propres à la Guyane comme la production de venin pour fabriquer des sérums.

Les forces vives de la Guyane ont la forte volonté de la développer et sont conscientes que celle-ci est engagée dans une course contre la montre. Il lui faut une politique qui permette un aménagement équilibré de son territoire, dimensionne les services publics essentiels à la hauteur de sa population et ramène les entreprises informelles dans les circuits de l’économie formelle.

Ce processus, s’il est mené à bien, prendra plusieurs années et exigera un travail social parallèlement au lancement d’investissements. Il ne suffit pas en effet d’équiper un territoire pour parvenir à y intégrer tous ses habitants. Les Guyanais les plus éloignés de Cayenne disposent de peu d’opportunités professionnelles et comptent sur l’économie informelle. La majeure partie des immigrants ne parle pas français, cherche avant tout à échapper à la grande pauvreté et s’autogère en petites communautés. Ils n’entrent pas spontanément en contact avec les pouvoirs publics, sauf quand il s’agit d’envoyer leurs enfants à l’école.

L’aménagement du territoire guyanais n’est donc pas juste une affaire de planification spatiale. Il s’agit d’un travail avec et sur l’ensemble de la société. C’est la raison pour laquelle si l’objectif final est logiquement connu – des chances et des conditions de vie égales à celles de l’Hexagone – le rythme pour y parvenir reste incertain.

Faut-il voir par ailleurs dans la préservation de la forêt un obstacle au développement ? La réponse doit être clairement négative. Sacrifier l’environnement à l’économie équivaut à détruire la planète et la Guyane est située sur l’une des trois zones forestières les plus sensibles avec Bornéo et le Congo. La France ne peut se dérober au devoir de la préserver, à moins d’entrer en contradiction avec elle-même, si l’on se rappelle la réaction du Président de la République aux incendies massifs en forêt amazonienne, le 22 août 2019, qui appelait le Brésil à mieux la protéger. Bien gérée, la forêt est une source permanente de richesse et l’un des objectifs généraux de l’aménagement du territoire est la préservation de l’environnement et de la biodiversité.

A.   Cinq prioritÉs

L’action des pouvoirs publics en Guyane en matière d’aménagement du territoire résulte, comme pour toute collectivité locale, d’un dialogue entre l’État et les collectivités territoriales. Ce dialogue se déroule actuellement à la suite d’un important mouvement social qui traduisait une forte demande de la population de services et d’équipements publics.

1.   Les suites de l’accord de Guyane

Le mouvement social qu’a connu la Guyane en mars 2017 a donné lieu à la signature d’un accord le 21 avril de la même année. Cet accord, signé dans une situation de crise et d’urgence, a été soumis au conseil des ministres et publié au Journal officiel du 2 mai 2017. Il constitue une réponse politique à une population en demande de développement et de dignité et plusieurs de ses points portent sur des questions évoquées par vos rapporteurs.

Les mesures prévues par cet accord portent sur un montant de 1,86 milliard d’euros de concours de l’État pour la construction de routes, lycées, collèges, d’une cité judiciaire, d’une prison ; quelques-unes concernent directement la CTG, notamment des aides d’urgence et la cession de foncier. Une convention entre la CTG et l’État relative à la mise en œuvre d’un plan d’urgence a été approuvée par l’assemblée de la CTG le 23 octobre 2017.

La Cour des comptes a rendu le 19 juin 2019 un rapport sur la mise en œuvre des clauses financières de ce plan d’urgence, par lequel elle a souligné la faiblesse de la capacité d’autofinancement de la CTG et a suggéré de conditionner l’accompagnement de l’État à la réalisation d’un contrat de performance entre l’État et la CTG, engageant celle-ci sur une trajectoire pluriannuelle en dépenses et en recettes.

2.   Cinq actions prioritaires

Si l’on considère que la Guyane est un territoire en développement – les documents précités signés par l’État, la CTG et les EPCI évoquent bien un écart à combler – l’action des pouvoirs publics doit être centrée sur les facteurs essentiels qui lui permettent de décoller et d’apporter les services essentiels à la population. Ceux-ci sont au minimum au nombre de cinq :

– rétablir la sécurité ;

– mettre fin à la fracture spatiale par des infrastructures de transports et d’énergie ;

– développer l’agriculture pour une meilleure autonomie du territoire ;

– poursuivre les efforts en matière d’éducation ;

– agir pour le bien-être de la population, en concentrant les efforts sur le logement et la santé.

a.   Rétablir la sécurité

Le rétablissement de la sécurité est un préalable à toute politique ambitieuse d’aménagement. Vos rapporteurs ont rappelé supra qu’outre les dommages écologiques et économiques, l’orpaillage clandestin altérait la confiance de la société guyanaise en elle-même et prenait la forme d’un pillage des ressources du territoire par des réseaux organisés. À l’orpaillage s’ajoute le trafic de drogue, cocaïne notamment, qui prend des proportions alarmantes et conduit à une insécurité rarement connue jusqu’à présent.

Un territoire vaste comme la Guyane, peu peuplé et aux frontières poreuses est difficilement contrôlable à moins d’y multiplier considérablement les effectifs des forces de l’ordre à un coût budgétaire très élevé. Aussi faut-il s’interroger sur le type de réponse qu’apporte l’État. Le caractère international du fléau de l’orpaillage clandestin doit impérativement impliquer des coopérations avec le Surinam et le Brésil. Nos intérêts partagés pour la défense de la forêt amazonienne sont un point d’appui.

b.   Mettre fin à la fracture spatiale par des infrastructures de transports et d’énergie

La forêt guyanaise, par sa superficie, concentre la population sur les trois axes précités qui sont peu et mal connectés. Comme indiqué précédemment, plusieurs communes ne sont accessibles que par pirogue ou avion. La circulation des hommes et des marchandises entre ces espaces est considérablement altérée lorsqu’elle n’est pas inexistante et rend difficile la vie quotidienne de milliers d’habitants.

Si le littoral est à peu près irrigué par la route, l’Ouest, l’Est et le centre accusent une dépendance excessive à l’avion. Elle ne peut être infirmée que par le lancement d’une liaison routière au minimum – prioritairement celle allant de Maripasoula à Saint-Laurent – mais il serait préférable qu’il y en ait deux (de Cayenne à Maripasoula). Ces liaisons mettraient fin progressivement à la fracture spatiale de la Guyane et devraient permettre de localiser de nombreuses activités sur les parties peuplées du territoire.

En l’absence de nouvelles liaisons routières, la question reste entière d’un accroissement du trafic aérien.

c.   Développer l’agriculture pour une meilleure autonomie du territoire

L’agriculture occupe environ 0,47 % de la surface de la Guyane (50 % dans l’Hexagone) et ne couvre pas les besoins alimentaires du territoire. Si le maraîchage assure 80 % des approvisionnements locaux, l’élevage couvre seulement 20 % des besoins en viande bovine, 5 % en viande caprine et ovine et 0,1 % en poulet de chair, massivement importé du Brésil. La riziculture s’était développée dans le passé mais a quasiment disparu, malgré un riz de qualité, laissant place à environ 131 000 tonnes d’importation annuelle, en provenance des États‑Unis (72 %), d’Inde (14 %) et du Brésil (11 %), le solde provenant principalement du Surinam, dont le riz pousse avec des intrants interdits dans l’Union européenne. Cette dépendance aux importations rend la population guyanaise très vulnérable en cas de hausse des cours mondiaux des denrées alimentaires, qui se répercutent sur les prix.

En l’état actuel des disponibilités foncières, il est illusoire d’envisager une autonomie alimentaire totale de la Guyane (aucune région de l’Hexagone n’est d’ailleurs autosuffisante) mais l’agriculture est un facteur clé d’un développement économique endogène, qui constitue l’un des cinq objectifs de schéma d’aménagement régional. Les agriculteurs que vos rapporteurs ont reçus estiment que les besoins de la Guyane pourraient être satisfaits à hauteur de 20 % par les productions locales.

D’après l’avis de plusieurs ingénieurs agricoles, l’autonomie alimentaire du territoire serait toutefois possible si :

– les terres fertiles du pays étaient reclassées en zone agricole, au lieu d’être classées en zone naturelle ou zone de développement forestier ;

– les périmètres agricoles bénéficiaient d’aménagements d’ensemble (route, réseaux d’eau, téléphone et électricité) ;

– l’accompagnement technique et en ingénierie des agriculteurs et des organisations professionnelles agricoles était renforcé ;

– le rythme d’attribution du foncier était accéléré ;

– les aménagements ruraux étaient mis en cohérence avec le développement des centres urbains ;

– chaque famille disposait d’une parcelle de terre pour sa production personnelle.

Si l’on se fonde sur l’hypothèse qu’un hectare peut nourrir de quatre à six personnes, la Guyane aurait besoin actuellement de 75 000 hectares de terres cultivables, soit moins de 1 % de sa surface. Cet objectif n’est donc pas inatteignable en théorie, surtout si les moyens sont mis en œuvre pour respecter l’objectif du schéma d’aménagement régional d’arriver à 70 000 hectares de surface agricole utile à l’horizon de 2030. Pour tenir cet objectif, il faudrait déployer un plan d’investissement et de soutien à l’agriculture de l’ordre de 1,4 milliard d’euros sur sept ans.

L’attribution de terres détenues par l’État est lente : 21 119 hectares à 1 004 agriculteurs entre 2000 et 2016, puis un transfert de 10 000 hectares à l’établissement public d’aménagement de Guyane, lequel a rétrocédé 6 000 hectares aux agriculteurs.

L’on constate certes une accélération actuellement, la cession de 250 000 hectares aux communes et à la CTG changeant la donne. Des communes comme Mana ont annoncé vouloir développer des parcelles agricoles, mais l’attribution de terres aux agriculteurs répond plus à des demandes qu’à une stratégie d’ensemble, et la procédure est longue. Les agriculteurs évaluent sa durée à cinq ans, de la demande initiale au passage en commission d’aménagement foncier. De jeunes agriculteurs qui déposent des dossiers se tournent en conséquence par lassitude vers d’autres métiers.

Les agriculteurs font en outre face aux contraintes du défrichement, très difficile en forêt tropicale. S’ils veulent acquérir plus de 19 hectares sur des forêts, il leur est demandé une étude environnementale d’impact, dont le coût est de 30 000 euros. Le coût du défrichage de 15 hectares est évalué à 50 000 euros, soit une somme difficile à réunir pour de jeunes agriculteurs ne disposant pas de trésorerie. Le désenclavement d’une parcelle passe par la création de pistes dont le coût varie entre 150 000 et 300 000 euros par kilomètre. Au final, la valorisation agricole n’est possible que sur environ 40 % des terres attribuées. Pour faire face à de tels coûts, les agriculteurs recourent le plus souvent à l’entraide familiale.

En outre, un ensemble de facteurs rend difficile l’exercice des professions agricoles. Les saisons des pluies – cinq à six mois de durée totale – abîment le matériel en raison de l’humidité et rendent difficile l’accès aux parcelles par des pistes détrempées. L’état très variable de ces pistes oblige en outre les agriculteurs qui vendent leurs produits sur les marchés à de longues heures de trajet, en pleine nuit, pour pouvoir installer à temps leur étal. Enfin, les prédateurs des troupeaux ne sont pas les loups mais les jaguars. Or cet animal (protégé) ne figure pas sur la liste des prédateurs dont les dégâts donnent droit à indemnisation.

Les agriculteurs estiment que plusieurs normes légales ou règlementaires du code rural sont difficilement applicables en Guyane. Ils souhaiteraient que des textes adaptés à la Guyane soient adoptés, afin par exemple que soit autorisé l’élevage d’espèces endémiques, en se fondant sur des études de faisabilité qui ont porté sur le cabiaï (mammifère rongeur) et sur l’atipa (poisson d’eau douce).

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les revenus agricoles permettent la survie plus qu’ils ne représentent un revenu décent, et les agriculteurs ne pourraient continuer leur activité sans les aides européennes et nationales versées au titre du Programme d’option spécifique à l’éloignement et à l’insularité (Posei) dont bénéficient les régions ultra-périphériques. Les revenus mensuels sont inférieurs au Smic et sont parfois abondés par l’agrotourisme.

Malgré ces conditions difficiles, les quatre écoles de formation aux métiers agricoles reçoivent beaucoup d’élèves. Mais 60 à 70 % d’entre eux n’exerceront pas de profession agricole et entrent majoritairement dans l’administration.

Les attributions se sont réparties sur les deux principaux pôles économiques du territoire : la Communauté d’agglomération du Centre/Littoral et la Communauté de communes de l’Ouest guyanais. Depuis 2013, les surfaces attribuées sont localisées à plus de 50 % sur les communes de Roura et de Mana, principalement en production maraîchère et fruitière. Pour autant, la typologie des demandes se répartit différemment entre ces deux communes : à Roura principalement pour des extensions d’exploitations et à Mana majoritairement en installation d’exploitations de plus petite taille et de type vivrier.

Les concertations entre le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et l’ensemble des parties prenantes du secteur agricole ont permis de dégager une feuille de route territoriale de l’agriculture guyanaise valant plan de souveraineté alimentaire en avril 2023, qui comprend une vingtaine d’actions, mais tout dépend in fine de l’accès des agriculteurs à des terres.

Un travail considérable doit être accompli afin de mettre sur pied en Guyane une agriculture qui permette de subvenir au maximum aux besoins de la population et d’assurer un revenu digne pour les agriculteurs. Compte tenu de la croissance démographique, le marché des produits agricoles va doubler d’ici à 2040. Il est donc important de soutenir les filières à fort potentiel sur le marché local, tel que l’élevage de porc ou l’agroforesterie, ainsi que des cultures à haute valeur ajoutée, tant pour le marché local que l’exportation, comme la vanille, le wassaï, les plantes médicinales ou aromatiques.

d.   Poursuivre les efforts d’éducation

Le niveau d’éducation générale et de formation professionnelle est l’une des conditions de base pour développer un territoire. Comme indiqué supra, la Guyane partage avec Mayotte le taux de diplômés le plus bas de France et le taux le plus élevé de décrochage scolaire, pour des raisons aisément compréhensibles, notamment les difficultés de communication à l’intérieur du territoire.

En matière d’éducation, la Guyane est confrontée à un double défi : la croissance démographique et la présence d’élèves non francophones, en proportion d’un tiers à 80 % des effectifs dans certaines zones d’après la Cour des comptes. Chaque année, le nombre d’élèves à scolariser augmente de 3 % en moyenne, et de 4,7 % dans l’Ouest. La rentrée scolaire de septembre 2023 portait sur l’accueil de 90 762 élèves, chiffre incluant les jeunes en alternance et en centre de formation d’apprentis. Dans ce contexte, le taux de remplissage des écoles dépasse 100 % dans la quasi-totalité des établissements, d’après Mme Annie Robinson-Chocho, vice‑présidente de la collectivité territoriale de Guyane en charge de l’éducation ([57]).

L’effort des communes et de la CTG est considérable : une commune comme Saint-Laurent bâtit une école primaire nouvelle tous les dix à douze mois, et trois collèges et quatre lycées doivent ouvrir d’ici à 2025, soit pour la CTG un investissement de 470 millions d’euros. Ils permettront un rattrapage indéniable, mais incomplet, des besoins par rapport à la démographie.

Le problème du décrochage touche les enfants des communes enclavées. Après leur scolarité en école primaire, les élèves doivent quitter leur village pour aller étudier, la plupart du temps dans les communes du littoral, et ne retournent que rarement dans leurs familles en l’absence de routes. La création de nouveaux établissements dans les communes éloignées, comme la cité scolaire de Saint‑Georges-de-l’Oyapock, était en conséquence très attendue.

Le lien entre transports et éducation est plus aigu qu’en n’importe quel point du territoire français. L’évaluation de jeunes décrochant de l’école pour des raisons d’enclavement tournerait autour de plusieurs milliers, mais le chiffre est difficile à vérifier. L’enclavement explique également le nombre insuffisant d’enseignants, qui devient chronique. Ceux-ci hésitent à postuler dans des villes où ils craignent de se sentir isolés et dans des écoles qui, faute de ressources financières des communes et d’approvisionnement en matériaux, sont pour une partie d’entre elles mal entretenues. Le recours à des enseignants contractuels se produit à chaque rentrée scolaire.

Aussi l’État doit renforcer son action pour assurer des recrutements rapides d’agents publics, notamment locaux, et une augmentation conséquente des budgets nécessaires à la réduction du nombre d’élèves par classe et à la construction d’établissements scolaires.

e.   Agir pour le bien-être de la population, en concentrant les efforts sur le logement et la santé

La course contre la montre que vit la Guyane en matière scolaire se retrouve dans la politique du logement. Le territoire doit accélérer la construction de bâtiments pour loger dignement ses habitants, mais il se heurte au rythme de sa démographie. Il doit veiller parallèlement à la qualité des programmes, qui doivent tenir compte du dérèglement climatique, assurer la cohésion sociale et de bonnes conditions de vie. L’effort de construction s’élève à 4 400 logements par an dans la période actuelle, puis doit passer à 5 200 d’ici à 2040, qu’il s’agisse de logements sociaux ou de logements intermédiaires et privés, dont le besoin est estimé à 1 500 par an.

La construction de logements est freinée par la faible disponibilité du foncier, et elle subit en outre la concurrence de l’habitat informel qui met à mal les plans d’urbanisme et occupe des terrains à proximité immédiate des villes. 60 % des constructions ne font pas l’objet d’un permis de construire sur certaines portions du territoire. L’habitat informel s’étend d’autant plus facilement que les communes ont des territoires très étendus et un personnel en nombre insuffisant pour les contrôler.

La société guyanaise comprend les raisons de ce phénomène, qui est fondamentalement dû à l’insuffisance de ressources de milliers d’habitants et à l’insuffisance d’offre. Elle tente de le gérer au mieux, de la manière la plus humaine au demeurant à l’égard des personnes en situation illégale. Lors des Assises du logement et de l’habitat de Guyane, le 2 décembre 2022, M. Jean-Aubéric Charles, deuxième adjoint au maire de Kourou, a rappelé que « l’auto construction d’habitations traditionnelles n’est pas considérée comme étant compatible avec les normes françaises et européennes. Ce qui rentre dans les normes et qui est proposé, c’est le programme des logements sociaux. On remet souvent en cause les projets initiés par les habitants. On le constate, on n’a pas réellement d’évolution sur cette problématique récurrente. L’auto construction du logement traditionnel permettrait le maintien des connaissances traditionnelles, pérennisation des savoirs ancestraux, gestion et préservation des ressources. Il faut normaliser les architectures traditionnelles ». L’habitat traditionnel, outre le fait qu’il est facile et peu coûteux à construire, est bien adapté au mode de vie des Guyanais et ses caractéristiques architecturales et techniques, recourant par exemple à la ventilation naturelle, en font une bonne réponse au réchauffement climatique.

Le manque de disponibilités foncières est responsable d’un déficit annuel de 1 200 logements neufs. Les terrains pouvant servir à la construction sont, d’après les professionnels du logement, souvent situés dans des zones à risque d’inondation ou de mouvement sismique, quand ils ne sont pas classés inconstructibles ou consacrés à l’agriculture. Il en résulte inévitablement une spéculation foncière autour des terrains aisément constructibles.

L’établissement public foncier et d’aménagement de la Guyane (EPFAG) en est conscient, qui se fixe de dégager des terrains pour construire 21 000 logements en quinze ans (soit un chiffre toutefois inférieur aux besoins, sachant que le corollaire de 20 000 logements est de bâtir des équipements connexes, comme quatre lycées, dix collèges, quarante écoles, pour ne citer que les équipements scolaires).

La pression foncière est également due au fait que l’offre se concentre sur les communes les plus peuplées de Guyane, comme Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni, ou situées sur l’axe routier du littoral. L’absence de routes rend peu attractives les villes de l’intérieur riveraines des fleuves, qui ne parviennent pas à attirer les agents publics et dans lesquelles les entreprises du secteur privé peinent à trouver de la main-d’œuvre. Les bailleurs ne s’y trouvent pas, ou peu, et la seule réponse au besoin de logement est l’habitat informel. L’on mesure mieux par cet exemple que la réduction du réseau routier au littoral empêche un aménagement équilibré du territoire. Il semble même que des fonctionnaires travaillant à Saint-Georges soient obligés d’habiter de l’autre côté du fleuve, au Brésil, en raison du manque de logements.

Il existe enfin d’après les bailleurs un problème de coordination de la planification globale du territoire guyanais. Les plans locaux d’urbanisme n’évoluent pas assez vite au regard de l’essor démographique, par manque d’ingénierie locale, et ne sont pas harmonisés avec le SAR. Ils ne tiennent pas toujours compte de la règlementation environnementale. Les normes de construction, applicables en Guyane comme dans tout département, ne sont pas toujours adaptées à l’habitat guyanais.

Parmi les solutions proposées, figure la création d’un établissement public foncier local qui serait complémentaire à l’EPFAG et serait commun à la CTG, aux EPCI et aux communes. Il permettrait de créer un plan foncier local, à la condition toutefois de disposer d’une vision plus précise de l’aménagement du territoire guyanais. Mais au-delà de la disponibilité foncière, il apparaît que de nombreuses règles de construction et d’urbanisme sont peu ou mal appliquées en Guyane, ou ne correspondent pas aux modes d’habitat. Or l’évolution de la démographie impose de rattraper les retards de l’offre de logements et de leurs équipements connexes, et de réfléchir aux aspects sociaux de la politique du logement. Loger les personnes avec peu de revenus, éviter la concentration de population sur trois ou quatre villes, résorber l’habitat informel, permettre à un maximum de Guyanais d’accéder à la propriété sont des défis qui ne sont relevés que lentement compte tenu de la pénurie foncière et de l’ensemble des démarches administratives à conduire. Il conviendrait en conséquence d’élaborer une législation et une réglementation d’urgence pour doter le territoire des logements dont il a besoin, avant de revenir ultérieurement, au droit applicable dans le reste de la France.

S’agissant de la santé, la Guyane rencontre des problèmes qui sont soit dus à un aménagement insuffisant du territoire, soit résultent de problèmes qui lui sont propres comme l’empoisonnement de l’eau des rivières par les orpailleurs clandestins ou le taux de suicide élevé des adolescents amérindiens.

18 % des Guyanais n’ont pas encore accès à un réseau d’eau potable, particulièrement dans les communes de l’intérieur. Si l’ensemble des communes et bourgs du littoral est desservi par des réseaux d’eau publics qui délivrent de l’eau aux populations raccordées, certains secteurs d’habitat spontané dans les villes de Cayenne, Rémire-Montjoly, Matoury, Saint-Georges de l’Oyapock ou encore Saint‑Laurent-du-Maroni ne sont pas alimentés par des réseaux publics. En effet, les habitants qui n’apportent pas de preuve d’une occupation régulière ne peuvent pas être raccordés au réseau de distribution d’eau. Ils sont alors contraints de s’organiser pour s’alimenter à des bornes fontaines monétiques (BFM) distribuant l’eau du réseau public, ou de récupérer l’eau de pluie, l’eau de puits privés, ou encore de puiser de l’eau de rivière, d’après l’agence régionale de santé (ARS).

On relèvera que le coût du contrôle de la qualité des eaux, assuré par l’ARS, est très élevé lorsqu’il s’exerce dans les communes enclavées. L’hélicoptère, puis la pirogue, sont parfois le seul moyen d’arriver rapidement sur un point du territoire.

L’assainissement est l’un des grands problèmes de la Guyane. Les infrastructures sont inégalement réparties sur le territoire et se concentrent sur les communes du littoral et le long du Maroni. Le parc d’assainissement a une capacité de traitement équivalente à 200 000 habitats, et 60 000 habitants produisent des eaux usées qui ne sont traitées par aucun dispositif public ou privé. Ces eaux se retrouvent ensuite dans les eaux souterraines ou de surface, incluant des zones de baignade dans les rivières ou en mer.

Le troisième problème, l’un des plus graves, est la contamination de la chaîne alimentaire fluviale par le mercure utilisé par les orpailleurs clandestins. Une fois au contact de l’eau, il se transforme en methylmercure (MeHg) et passe des créatures les plus petites (planctons, invertébrés) jusqu’aux grands prédateurs, par bioaccumulation. Certains poissons piscivores en détiennent dans leur corps une concentration supérieure à 107par rapport à l’état naturel. Or, le poisson des fleuves est une ressource alimentaire en Guyane, consommé sur les lieux de pêche par les Amérindiens et Bushinengés, mais également présent sur les marchés des villes le long du Maroni et de l’Oyapock. Le MeHg a des effets neurotoxiques sur les fœtus en cas d’exposition in utero et provoque l’altération des fonctions psycho-cognitives (vision, analyse de l’espace).

L’État s’est préoccupé de cette question à partir de 1994 avec de premières enquêtes épidémiologiques, qu’il a poursuivies lors des années 2000. Si l’information de la population, avec des réunions publiques, a été effectuée autant que possible sur un territoire aussi vaste, les solutions sont difficiles à trouver car le poisson est souvent la principale source de protéines pour les populations des fleuves. Le remplacer par d’autres aliments déséquilibrerait leur régime.

L’ARS cherche à mettre en œuvre des programmes pour y remédier, mais se heurte à des obstacles précédemment mis en évidence :

– une géographie contraignante qui réduit fortement l’accès à certaines populations très défavorisées ; on retrouve dans le domaine sanitaire les conséquences de l’enclavement de milliers de personnes ;

– le morcellement de la société avec des groupes ethniques très hétérogènes, ce qui complexifie l’accessibilité aux groupes sociaux ;

– la croissance démographique et une économie trop dépendante de l’Hexagone ;

– la coexistence d’une alimentation traditionnelle ou importée, déséquilibrée, entraînant obésité et diabète et d’une sous-alimentation en zone isolée et/ou en situation urbaine défavorisée ;

– l’absence de données de terrain sur l’ensemble du territoire.

Cinquième grand problème, la santé périnatatale est une source de préoccupation dans le département qui se situe au deuxième rang en France pour le taux de fécondité. Trois chiffres montrent un écart avec l’Hexagone : le taux de malformation congénitale à la naissance est de 1,35 % en Guyane et de 0,53 % dans le reste de la France ; celui de mortalité périnatale (mort in utero) et d’enfants morts‑nés est de 13,5 pour mille, soit un niveau proche, mais légèrement supérieur à la moyenne nationale. Enfin, le taux de mortalité maternelle est en Guyane de 41,7 décès de femmes pour 100 000 naissances : il est quatre fois plus élevé que dans l’Hexagone et touche des femmes qui n’accèdent pas aux services de santé ou ont reçu des soins hors du système sanitaire. La moitié des décès concerne des femmes étrangères (surinamiennes, brésiliennes, haïtiennes) et 16 % de femmes encore mineures.

Si la densité de gynécologues et de sages-femmes est similaire à celle de l’Hexagone, plusieurs difficultés ont été relevées par les personnels de santé : des difficultés d’accès aux droits et aux soins, en particuliers pour les femmes migrantes ; des délais importants, de trois à cinq mois, pour obtenir les consultations en gynécologie, trois mois pour grossesse pathologique et deux mois pour une échographie ; un défaut de ressources humaines dans les communes isolées de Guyane...

Dernier problème qu’il convient de mettre en avant, le suicide des jeunes constitue un vrai problème culturel et social. Si la moyenne des suicides dans le territoire ne diffère guère du reste de la France, il est trois fois plus élevé chez les jeunes Amérindiens de 15 à 29 ans, et huit fois dans les zones les plus isolées. L’éloignement lié à la scolarisation et souvent les conditions mêmes d’internat confrontent les lycéens, et surtout les filles, à des difficultés d’adaptation et de rupture vis-à-vis de leurs traditions.

La description de certaines des pathologies qui affectent les Guyanais est la conséquence de l’ensemble des problèmes économiques et sociaux de la Guyane. Le sous-équipement du territoire et l’enclavement de zones entières se retrouvent comme explication de certaines maladies et troubles psychologiques. La pauvreté et l’absence de couverture par une mutuelle de santé expliquent qu’un tiers des Guyanais ont déclaré dans une enquête de l’Insee avoir renoncé à un soin médical.

L’offre de praticiens est inférieure à celle de l’Hexagone. La Guyane compte 218 médecins pour 100 000 habitants, à comparer à 340 dans l’Hexagone. L’écart est plus important pour les spécialistes, à raison de 87 pour 100 000 habitants contre 187 dans l’Hexagone. Comme dans les autres secteurs, cette offre est inégalement répartie sur le territoire : les habitants de Cayenne sont en moyenne à 16 minutes d’un système de soin ; ceux de Saint-Georges à plus d’une heure. 20 % de la population est à plus de 30 minutes d’un service d’urgence et pour les habitants les plus isolés, pirogue puis avion sont les seuls moyens pour être évacués.

L’achèvement de la construction de l’hôpital de Saint-Laurent témoigne de progrès dans les infrastructures de santé, mais les recrutements de personnels sont insuffisants, faute de candidats. Comme sur d’autres sujets, l’enclavement et les risques d’isolement dissuadent les candidats de prendre des postes dans les communes de l’intérieur. En outre, d’autres hôpitaux seraient nécessaires, par exemple à Cayenne, comme l’ont demandé à l’unanimité les élus de la collectivité territoriale.

Ainsi, des plans de recrutement et de formation locaux doivent être mis en œuvre de toute urgence, de même que la construction des hôpitaux nécessaires et demandés par la population, comme à Maripasoula. L’accent doit être également mis sur la prévention. Une action résolue contre le suicide des jeunes Amérindiens doit être conduite en s’appuyant sur les 37 propositions du rapport du 30 novembre 2015 précité. En matière de droit à l’eau, un vaste plan de dépollution doit être mis en place.

3.   Impact potentiel sur la forêt

La recherche d’un développement équilibré du territoire nécessite d’évaluer la part de forêt qui doit être défrichée pour les activités économiques. Il ne peut s’agir que d’un essai d’évaluation, car il n’existe pas de prévision sur les besoins en surface des collectivités territoriales de Guyane.

Le premier indicateur est donné par la surface représentée par la promesse de cession de terres de l’État aux collectivités territoriales, à savoir 250 000 hectares. Cette superficie représente 2,94 % de la Guyane. Comme l’indique le tableau des demandes et de réalisation de cessions, les surfaces transférées aux collectivités étaient loin d’atteindre 250 000 hectares en octobre 2022.

La construction de deux routes dont les longueurs cumulées seraient de 500 km de long avec 100 mètres d’empâtement, dans l’hypothèse où elles seraient en ligne droite, correspond à 5 000 hectares. Cette surface représente 0,06 % de la Guyane.

Ces indications ne tiennent pas compte des conséquences écologiques comme la rupture de la continuité du couvert végétal ou l’impact d’une déforestation, même partielle, sur l’ensemble du biotope, ni des conséquences sociétales qu’un réseau routier créerait à l’échelle de la Guyane, et qui ferait de toute manière l’objet des différentes phases d’enquête publique et de consultation des citoyens. Mais elles montrent, dans un débat où la protection de la forêt est mise en avant pour interdire toute évolution de la Guyane, que la part de surface à aménager est minime. Deux routes ne détruiront pas la forêt guyanaise.

B.   Un amÉnagement relevant du partenariat entre personnes publiques

1.   La compétence générale de la collectivité territoriale de Guyane

L’article L. 7151-1 du code général des collectivités territoriales, inséré dans ce code par la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, prévoit que l’assemblée de Guyane a compétence « pour promouvoir (...) l’aménagement de son territoire (...) ». Cette compétence générale a conduit à l’élaboration d’un schéma d’aménagement régional (SAR) à l’horizon de 2030. Le SAR tient compte du défi démographique du territoire, qu’il qualifie d’immense, et poursuit cinq objectifs majeurs :

– garantir la cohésion sociale et l’équilibre territorial de la Guyane ;

– rendre les infrastructures et services accessibles au plus grand nombre ;

– créer les conditions d’un développement économique endogène ;

– préserver et valoriser l’environnement et la biodiversité remarquables du territoire ;

– enfin, favoriser l’intégration de la Guyane dans son environnement régional sud-américain et caribéen.

Le SAR a été approuvé par le décret n° 2016-931 du 6 juillet 2016. Sa procédure de révision a commencé en septembre 2021 avec un vote de l’assemblée territoriale afin de tenir compte de l’implantation de la centrale électrique du Larivot.

Le SAR identifie les projets d’intérêt régional en matière de transports (aérodromes, ports fluviaux et maritimes, réseau routier), d’activités culturelles et touristiques, d’énergies renouvelables, de technologies de l’information et de communications, d’éducation et de formation. Ce contenu montre la tâche considérable qui est celle de la CTG pour aménager de manière équilibrée le territoire guyanais.

Dans un rapport d’observations définitives du 7 mars 2023 portant sur les exercices de 2015 à 2021, la chambre régionale des comptes de Guyane a jugé que la situation financière de la CTG était bonne et a mis en avant deux points sur la politique d’investissements : d’une part, ceux-ci sont fortement financés par l’État et l’Union européenne ; d’autre part, leur taux d’exécution est le plus souvent inférieur aux prévisions, ce que la CTG justifie, en réponse à la chambre, par l’insuffisance du tissu économique, qui n’est pas toujours en mesure de répondre aux appels d’offres, et par de multiples facteurs décrits dans le présent rapport, notamment le poids du secteur informel.

En l’absence de ressources fiscales importantes, les compétences d’aménagement de la CTG ne peuvent en pratique s’exercer qu’en partenariat avec l’État.

2.   Un fort engagement financier de l’État peinant à se concrétiser sur le terrain

L’État poursuit depuis 2017 une politique de convergence des différentes collectivités d’outre-mer avec celles de l’Hexagone en application de la loi du 28 février 2017 précitée. Il finance une part importante de leurs investissements publics, à raison, en 2021, de 20,9 milliards d’euros en dépenses budgétaires et 6,9 milliards d’euros en dépenses fiscales.

Sur ce total, qui concerne les douze collectivités d’outre-mer, la part de la Guyane a évolué ainsi :

(en millions d’euros)

 

AE loi de finances

CP loi de finances

Taux exécution AE

Taux exécution CP

2018

2 102,78

2 022,84

2 747,65

2 613,06

2019

2 817,05

2 542,34

2 637,75

2 568,44

2020

2 859,53

2 497,93

2 742,83

2 572,64

Évolution 2018 / 2020

36,02 %

23,49 %

-0,18 %

-1,55 %

Source : Cour des comptes, d’après le document de politique transversale

Le tableau ci-dessus permet de constater l’effort budgétaire de l’État à la suite de l’accord de Guyane. Mais la question centrale demeure, comme pour toutes les collectivités d’outre-mer, de déterminer la part relevant d’une vision de développement de celle issue de la réponse à des crises. Depuis 2017, l’État a en effet multiplié les plans d’urgence et mesures de soutien aux économies et aux collectivités locales ultramarines. Outre les réponses aux cataclysmes naturels nombreux chaque année en zone tropicale, il a apporté, par le mécanisme du contrat de redressement outre-mer (Corom) un soutien aux communes ayant besoin d’assainir leur situation financière et de réduire les délais de paiement à leurs fournisseurs, en contrepartie d’un engagement à redresser leur situation budgétaire. Cayenne et Iracoubo ont ainsi signé un Corom avec l’État le 27 mai 2021.

Outre les communes, l’État accompagne les départements et régions, avec en Guyane un soutien spécifique à la CTG à partir de 2022 pour l’aider à rétablir sa capacité d’autofinancement. Dans les deux cas, il s’agit de dispositifs de contractualisation par des objectifs et des moyens, par lesquels les services de l’État assistent une collectivité pour qu’elle rétablisse ses capacités d’investissement et de gestion.

On notera que l’État compense régulièrement les retards constatés en matière d’équipements scolaires dont la compétence relève des communes, départements et régions. Le programme 123 de la mission outre-mer s’est ainsi élevé en loi de finances pour 2022 à 15 millions d’euros en autorisations d’engagement et 14,5 millions d’euros en crédits de paiement pour les communes de Guyane, tandis qu’un accompagnement de la CTG, compétente pour la construction des collèges et des lycées, a été inscrit dans le plan d’urgence à hauteur de 50 millions d’euros par an pendant cinq ans.

Les dispositifs financiers de l’État pour les collectivités d’outre-mer sont diversifiés, mais force est de constater que les projets se concrétisent souvent avec retard dans les territoires. Ce constat se vérifie dans toutes les collectivités d’outre‑mer mais pour la Guyane, plusieurs facteurs expliquent cette situation :

– l’indisponibilité de ressources foncières bien identifiées ;

– la faible capacité du tissu économique à répondre aux appels d’offres ;

– le faible effectif de la plateforme d’appui aux collectivités territoriales, à savoir trois agents destinés à des accompagnements de proximité, soit un nombre insuffisant pour les 22 communes de Guyane. Ils jouent néanmoins un rôle appréciable dans la relance de projets que les communes ne pouvaient porter seules, comme une école à Saül ou le stade de football de Grand Santi. Cette plateforme a été complétée par une cellule d’ingénierie aux communes de l’intérieur (CICI) par le Parc amazonien de Guyane ;

– et parfois, le manque de connaissance par les communes des dispositifs qui leur sont proposés.

3.   La fragilité financière des communes

Les communes de Guyane sont dans la même situation que celles des autres collectivités d’outre-mer. Leurs ressources financières se caractérisent par la part prépondérante de la fiscalité indirecte et une faible fiscalité directe. Alors qu’elles doivent assurer des services publics performants, la faiblesse de leur capacité d’investissement les empêche de répondre pleinement aux attentes de leurs administrés.

Le produit de l’octroi de mer, ressource indirecte, est principalement attribué aux communes. Il forme en Guyane plus d’un tiers des recettes. En y ajoutant une autre ressource indirecte, la taxe spéciale sur les carburants, qui apporte environ 5,4 % des recettes de fonctionnement, ce sont près de 40 % des recettes qui proviennent de la fiscalité indirecte. À l’inverse, la fiscalité directe provenant des impôts locaux offre un rendement moindre, de l’ordre d’un tiers. Outre les exonérations parfois décidées par les communes pour attirer des investisseurs, la pauvreté est le principal facteur du faible rendement des impôts locaux. Le potentiel fiscal par habitant est en effet de 366 euros en Guyane, à comparer à 640 euros en Guadeloupe, 710 euros en Martinique, 735 euros à La Réunion et 980 euros dans l’Hexagone.

La fiscalité reflète l’ensemble des problèmes économiques et sociaux de la Guyane. Faute d’un tissu d’entreprises plus denses évoluant dans l’économie formelle, la part importante de la population sous le seuil de pauvreté explique par ricochet les faibles capacités d’action des collectivités territoriales.

Il en résulte une généralisation des difficultés budgétaires et de trésorerie qui affecte tous les champs de la vie sociale, à commencer par le fonctionnement des services publics. Il manque en Guyane des écoles de proximité malgré la réelle préoccupation des communes d’accueillir tous les enfants en âge d’être scolarisés, des équipements sportifs, et la distribution d’eau est parfois défaillante.

La Guyane, comme d’autres collectivités d’outre-mer, se trouve écartelée entre l’obligation de conduire des politiques publiques volontaristes, en particulier dans les infrastructures et les services publics de proximité, alors que les difficultés budgétaires des communes laissent peu de place aux budgets d’investissement. En conséquence, la majorité des recettes d’investissement hors emprunt provient d’autres personnes publiques, régions et surtout Union européenne et État.

Dans un tel contexte, les communes guyanaises mènent un combat permanent pour être des forces motrices de l’aménagement du territoire. Les maires ont l’immense mérite de se dévouer avec peu de moyens financiers et peu de ressources humaines. En première ligne pour faire face aux besoins de leur population, ils ont parfaitement conscience des enjeux de développement de la Guyane. Un renforcement en Guyane de la fonction publique territoriale, même par mutualisation du personnel entre plusieurs communes, serait d’une grande utilité pour les assister.

4.   L’adaptation des normes nationales à la Guyane ou la prise en compte de réalités plurielles dans la République

À de nombreuses reprises pendant leur déplacement en Guyane, vos rapporteurs ont eu à connaître de difficultés de conduite de certaines politiques publiques en raison, entre autres, de l’inadaptation de normes nationales à la réalité guyanaise. Plusieurs de leurs interlocuteurs ont souhaité que les lois et règlements soient mieux adaptés à leur territoire ou que celui-ci dispose d’un pouvoir d’adaptation. Ce fut le cas lors des réunions avec les associations de chasseurs, les représentants du secteur agricole ou encore devant le Grand conseil coutumier de Guyane, sur la navigabilité des fleuves.

Ce sujet renvoie au droit applicable en outre-mer. Celui-ci présente la particularité de ressortir du droit national, mais avec des volets spécifiques. L’idée d’un particularisme de la législation provient du constat que les réalités physiques, sociologiques, économiques ou culturelles diffèrent dans des territoires situés à plusieurs milliers de kilomètres de l’Hexagone, en l’espèce plus de 7 000 entre Paris et Cayenne. Il faut en conséquence laisser aux pouvoirs publics la faculté de légiférer en fonction des situations locales. « La summa divisio distingue les régimes dits d’identité législative et de spécialité législative, mais les réalités ne sont jamais tranchées, et présentent toujours un assemblage des deux tendances dont seule la dominante varie » ([58]).

a.   L’application du droit national en Guyane, entre automaticité et prise en compte des particularités locales

L’article 73 de la Constitution prévoit que les lois et règlements s’appliquent directement dans les départements et régions d’outre-mer, et qu’ils peuvent y faire l’objet d’adaptations tenant à leurs caractéristiques et contraintes particulières. La législation nationale s’applique en Guyane, celle-ci étant un département, mais connaît en pratique de nombreuses spécificités.

S’agissant de la Guyane, cette situation est historiquement antérieure à l’article 73 précité, introduit dans la Constitution par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. Les règles de droit s’y sont souvent distinguées de l’Hexagone, mais également des autres colonies devenues des départements en 1946. La distinction plus notable fut la création par le décret du 6 juin 1930 du Territoire de l’Inini, devenu par une loi du 14 septembre 1951 l’Arrondissement de l’Inini, destinée à soustraire les populations de la forêt de l’administration du conseil général pour les placer sous la protection de l’État. Quand il fut mis fin en 1969 à l’administration directe de cet arrondissement par l’État et que les Amérindiens et Bushinengés qui y vivaient se virent attribuer la nationalité française, les pouvoirs publics pensèrent que les lois et règlements s’y appliqueraient rapidement, ce qui ne fut pas le cas. L’administration fut même obligée d’établir des aménagements de pur fait, sans base légale, comme la non-levée des impôts locaux, l’absence de sanction à l’encontre des parents d’enfants non scolarisés ou le droit de conserver des règles coutumières soumises à l’arbitrage des chefs en cas de litiges sur la famille ou les biens, soit des règles totalement contraires à celles en vigueur dans les départements français.

Trois Présidents de la République, à des époques différentes, ont d’ailleurs publiquement considéré que les caractéristiques propres de la Guyane fondaient non seulement l’existence d’une législation adaptée mais également le droit à l’autonomie de la décision, dans le cadre des institutions de la République. Charles de Gaulle partait d’un point de vue pragmatique en 1960 : « Il est conforme à la nature des choses qu'un pays, qui a son caractère aussi particulier que le vôtre et qui est en somme éloigné, ait une sorte d'autonomie proportionnée aux conditions dans lesquelles il doit vivre ». François Mitterrand se référait plus à l’histoire et à la réalité humaine de la Guyane en déclarant : « Même si vous vous sentez très éloignés et parfois isolés - peut-être avez-vous parfois le sentiment d'être oubliés - même si votre densité démographique est faible comparée à tant d'autres, vous savez bien et, en tout cas, j'en ai la conviction, et je veux vous la communiquer, que vous représentez en tant que telle une réalité qui est vous par elle-même, qui ne peut pas être assimilée aux autres. Elle est complémentaire des formes d'expression qui font la France un peu partout dans le monde ». Emmanuel Macron reprenait une approche pragmatique en ouvrant les Assises de l’outre-mer : « Nous devons profondément repenser le cadre d’action de l’État régalien (...) ; nous devons repenser les règles, adapter les règles pour la lutte contre l'orpaillage clandestin, la lutte contre l'immigration clandestine, la lutte contre les trafics de stupéfiants ; nous ne pouvons pas demander à nos fonctionnaires de police, à nos gendarmes, à nos militaires, de travailler avec des contraintes procédurales et des délais qui sont ceux de l'Hexagone. Ça n'est pas vrai parce que les réalités ne sont pas celles de l'Hexagone » ([59]).

La plupart des codes – et si nécessaire les lois et règlements – prévoient des dispositions propres aux différentes collectivités d’Outre-mer. Pour citer un exemple récent, le décret n° 2021-1235 du 25 septembre 2021 relatif à l’adaptation à l’outre-mer des seuils prévus à l’article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime concernant la composition des repas servis dans les restaurants collectifs a reporté les délais prévus par la loi dite Egalim dans plusieurs départements d’outre-mer, après saisine, pour la Guyane, de son assemblée le 12 avril 2021.

Par ailleurs, l’article L.O. 7311-1 du code général des collectivités territoriales, pris pour l’application de l’article 73 de la Constitution et inséré dans le code précité par la loi organique n° 2011-883 du 27 juillet 2011, prévoit que les assemblées de Guyane et de Martinique peuvent être habilitées à adapter sur le territoire de leur collectivité les lois et règlements dans les matières où s’exercent leurs compétences. La demande d’habilitation est adoptée par une délibération de l’assemblée.

Cette disposition est une faculté intéressante, mais l’Assemblée de Guyane ne s’est jamais saisie de cette compétence, considérant que la procédure prévue aux articles L.O. 7311-2 à L.O. 7311-9 du code précité, est très complexe.

Or, le besoin d’ajuster les normes nationales aux réalités guyanaises est fortement demandé par les élus de la collectivité territoriale de Guyane, et il semble rencontrer l’écoute du Gouvernement. Lors du Conseil interministériel des Outre-mer (Ciom), qui s’est déroulé le 18 juillet 2023, la Première ministre a validé 72 mesures, dont quelques-unes sont regroupées sous l’objectif de « garantir un environnement normatif adapté aux spécificités d’Outre-mer ». Le document issu du Ciom reconnaît que l’adaptation des lois et règlements aux spécificités ultramarines est un enjeu permanent pour l’efficacité des politiques publiques qui y sont conduites, appelle à anticiper dans chaque législation en préparation les adaptations nécessaires aux territoires ultramarins et propose de donner des marges de manœuvre aux collectivités, en particulier en matière d’aménagement du territoire, pour adapter à leur niveau les textes ou organisations en charge de l’exercice d’une compétence.

Dans la situation actuelle de la Guyane, marquée par plusieurs défis d’aménagement du territoire à résoudre rapidement, la question n’est plus seulement d’adapter la norme aux spécificités du territoire, mais de permettre au droit de jouer à plein son rôle : être l’outil qui organise efficacement les relations entre les diverses composantes d’une société, en accord autant que possible avec l’ensemble de celles-ci. Or, il a semblé à vos rapporteurs que ce n’était plus le cas, au moins en certains domaines qu’ils ont abordés lors de leur déplacement, parmi lesquels le logement et l’agriculture. Aussi, plus qu’une habilitation comme la prévoit l’article L.O. 7311‑1 du code général des collectivités territoriales, la Guyane aurait besoin de mécanismes permettant soit à la CTG, soit au préfet, de prendre rapidement des décisions. Il s’agit plus d’une question politique que juridique, avec comme objectif d’atteindre la plus grande efficacité des politiques publiques.

b.   Permettre une action politique et administrative plus efficace

Ce n’est pas faire injure à l’État que d’affirmer qu’il est difficile de bien administrer un territoire situé à 7 000 kilomètres de la capitale de la France, surtout quand les problèmes qu’il rencontre diffèrent de ceux connus dans le reste du pays. L’expérience de quarante ans de décentralisation, depuis les premières lois de décentralisation, montre à la fois les bénéfices et les limites que l’on peut attendre de la démocratie et des libertés locales, ainsi que de la proximité d’une administration et des citoyens.

Le droit ne peut toujours être identique partout sur le territoire français face à des réalités qui varient. La recherche de l’égalité entre citoyens ne signifie pas qu’il doit y avoir une uniformité des règles, si cette uniformité ne règle pas les problèmes que traverse une société.

Il est indéniable que les défis rencontrés par la Guyane nécessitent qu’elle dispose d’une législation différenciée, afin d’aboutir à une plus grande efficacité de l’action publique. Par « efficacité », vos rapporteurs entendent plus de rapidité dans la prise de décision, des normes qui prennent bien en compte les réalités locales et une délimitation claire des domaines dans lesquels il est urgent que la législation soit adaptée.

Ce constat sous-tend la demande du congrès des élus de Guyane, exprimée à l’unanimité le 26 mars 2022, « d’une concertation soutenue avec le Gouvernement dans le cadre d’un processus de changement statutaire », ayant comme finalité l’insertion dans la Constitution d’un statut spécifique pour la Guyane.

Compte tenu des propos tenus par leurs différents interlocuteurs et des réalités qu’ils ont observées, vos rapporteurs identifient au minimum six domaines dans lesquels la législation devrait tenir compte des spécificités guyanaises : agriculture et pêche ; chasse ; énergie ; déchets ; logement ; navigabilité des fleuves. Il s’agit dans la plupart des cas d’aboutir à des législations expérimentales ou dérogatoires du droit national, ou les deux, soit pour que le droit corresponde à la réalité guyanaise (par exemple, pour la chasse ou la navigabilité des fleuves), soit pendant une période correspondant au temps dont la Guyane a besoin pour rattraper son retard de développement.

L’adaptation du régime de la chasse aux traditions amérindiennes, la possibilité d’élever des animaux qui ne sont pas inclus dans la nomenclature des produits de l’agriculture, de la chasse, de la sylviculture et de la pêche, la navigabilité des fleuves relèvent d’une dérogation permanente, justifiée par les spécificités de la Guyane. L’énergie, les déchets et le logement n’ont pas vocation à se placer en permanence sous un régime dérogatoire, mais celui-ci doit permettre de simplifier et d’accélérer les procédures pour que des équipements et des logements sortent de terre plus rapidement. Sous la XVe législature, la proposition de loi n° 3838 d’adaptation et de simplification des normes applicables en Guyane en matière de logement et d’aménagement du territoire, présentée par M. Gabriel Serville, prévoyait ainsi une dizaine de mesures pour amplifier les effets des opérations d’intérêt national en Guyane et permettre aux pouvoirs publics de maîtriser la construction de logements et d’équipements connexes, dans un contexte d’installation incontrôlée de l’habitat informel. 

La méthode pour parvenir à adapter les normes dépendrait de leur catégorie. S’il s’agit d’un décret, il pourrait être envisagé de doter le préfet de Guyane d’un pouvoir d’adaptation fondé sur les problématiques spécifiques du territoire. Par sa connaissance des règles de la République, l’expérience acquise dans divers postes préfectoraux, ses relations de travail avec les élus de Guyane, le préfet est l’autorité la mieux placée pour que la norme de la République tienne compte des réalités locales, en concertation avec les élus précités et si nécessaire le Grand conseil coutumier.

L’adaptation de la législation nécessite obligatoirement une procédure précise car on ne peut donner délégation à un fonctionnaire pour adapter un acte voté par le Parlement. Or la procédure de mise en œuvre de l’article 73 de la Constitution, prévue par les articles L.O. 7311-2 à L.O. 7311-9 du code général des collectivités territoriales est restée lettre morte en Guyane. L’une des pistes consisterait à la réformer, mais il faudrait voter une loi organique.

Il est toujours possible de recourir aux ordonnances pour adapter la législation nationale aux spécificités des collectivités d’outre-mer. Ce recours est au demeurant très fréquent ([60]). S’il est pratique pour l’action publique, il prive le Parlement de débats sur les réalités vécues par les collectivités locales d’outre-mer. Or, ces réalités constituent des questions nationales, et non simplement locales, et il est important que les 550 députés élus dans l’Hexagone et les départements de Corse en aient connaissance plus fréquemment. Leur vision des Outre-mer, de leur histoire et de leurs réalités sociales, serait modifiée et il percevrait mieux les réalités plurielles de la République.

Vos rapporteurs rappellent par ailleurs que la faculté d'adaptation de la législation française est très réduite dans certains domaines régis par le droit communautaire, parmi lesquels figure le droit de l’environnement, dont l’application est importante en Guyane compte tenu de la place de la forêt et de ses dispositions sur la chasse. La Guyane est en effet une région ultrapériphérique dans le droit européen. La spécificité des régions ultrapériphériques est certes reconnue par le droit européen, qui prévoit l'adaptation du droit primaire (les traités) ou secondaire (les règlements ou directives communautaires, ou les politiques communes) en fonction des contraintes liées à leur éloignement, à l'insularité, à leur faible superficie, au relief et aux aléas climatiques, ainsi qu'à l'exiguïté des marchés locaux et à la faible diversification de l'économie. Mais il revient au Conseil de l'Union européenne (et non aux États membres), sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, d'arrêter ces mesures spécifiques.

À court terme, vos rapporteurs espèrent que l’une des mesures du dernier Ciom, à savoir accorder plus d’attention à l’application des textes aux outre-mer dès leur élaboration, sera suivie d’effet. L’idée du dépôt d’un projet de loi portant diverses dispositions relatives à la Guyane, si l’État et la CTG y voient un intérêt, ne doit pas non plus être écartée, si elle permet la résolution de problèmes évoqués dans le présent rapport, notamment pour le logement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


   CONCLUSION

Longtemps sous-peuplée, la Guyane connaît avec son dynamisme démographique des mutations plus rapides qu’elle n’en a jamais enregistrées dans sa longue histoire. Elle a onze fois plus d’habitants qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale.

La traditionnelle répartition de la majorité de la population sur l’axe littoral et la dissémination de la minorité dans les communes des fleuves et dans les écarts n’a plus lieu d’être. Les villes le long des fleuves sont en pleine croissance et il se pourrait qu’à terme rapproché, la ville-centre de la Guyane devienne Saint-Laurent-du-Maroni, en raison de sa croissance démographique et économique et de sa proximité avec un Surinam en pleine expansion pétrolière.

La protection de la forêt conduit à ce qu’une large part du territoire guyanais demeure peu peuplée et que la population se concentre sur le littoral et les fleuves. Une première conclusion s’impose : le nécessaire rééquilibrage des équipements publics en faveur des communes le long des deux fleuves et leur désenclavement. Les Guyanais font preuve de grande patience face à l’enclavement, mais on ne peut leur faire subir les conséquences qu’il emporte sur le coût de la vie, la localisation des activités et l’accès aux services publics essentiels. Les pouvoirs publics doivent donner une perspective temporelle claire sur ce dossier. C’est une question de respect envers nos concitoyens.

Il n’est pas aisé de planifier le développement d’un territoire dont la démographie évolue rapidement. Les services publics se retrouvent vite sous-dimensionnés. La coopération régionale, voire l’idée d’une stratégie commune de développement aux États du plateau des Guyanes, serait la meilleure manière d’y faire face – les commissions bilatérales sont actives – mais cette idée est rarement évoquée. Or, tant que la Guyane, par les perspectives qu’offre la nationalité française et par son système social, sera en décalage avec le niveau de vie du Brésil, du Surinam et d’Haïti, elle continuera d’exercer une force d’attraction irrésistible. Quelques dizaines de fonctionnaires ne peuvent contrôler 510 km de frontières avec le Surinam et 730 km avec le Brésil, dans un environnement où les affluents des fleuves ont toujours constitué des liens, non des séparations.

La politique d’aménagement du territoire en Guyane ne peut ressembler à aucune de celle à l’œuvre dans l’Hexagone. Sous-équipée, la Guyane a besoin de rattrapages dans de nombreux domaines. Vos rapporteurs proposent de concentrer les investissements publics sur ceux qui ont un impact sur le développement économique et social : transports, énergie, agriculture, logement, éducation et santé. Il s’agit de transformer la croissance démographique en atout, et non de la subir comme une difficulté.

La condition préalable est de disposer de ressources foncières en portant le moins possible atteinte à la forêt primaire. Cette question est difficile et certaines aspirations, comme la construction de routes, ne pourront faire l’objet de compromis. Il faudra trancher dans un sens précis, sans oublier que si cette forêt appartient à l’État et qu’il peut en céder des parties aux collectivités guyanaises, tous en sont les dépositaires et doivent au maximum la préserver... Ce que, au demeurant, les Guyanais ont toujours fait.

L’urgence de ce rattrapage exige sans doute des adaptations de la législation. À plusieurs reprises, les interlocuteurs de vos rapporteurs, notamment les élus de la collectivité territoriale de Guyane, leur ont fait part de la difficulté à adapter les normes d’un pays européen à la réalité guyanaise. De l’éducation à la navigabilité des fleuves en passant par le « zéro artificialisation nette », l’agriculture, les droits des populations amérindiennes ou encore de la chasse, nombreuses ont été les remarques sur ce point, qui rejoignent l’idée centrale d’un rapport précité du Sénat de 2020, « pour une grande loi Guyane ».

Cette démarche n’a rien de révolutionnaire. La plupart des codes contiennent des dispositions spécifiques aux collectivités territoriales d’outre-mer et parfois, un seul article concerne un territoire aussi petit que Saint-Barthélémy. Elle se justifie pleinement pour garantir des conditions de vie dignes aux Guyanais, d’autant que la préparation des textes induirait un dialogue nourri entre l’État, la CTG, les EPCI et les communes autour d’une revue des secteurs qui justifieraient l’adoption d’une législation spécifique.

Les Guyanais ont une vision très claire des problèmes de leur territoire. Ils sont prêts à s’appuyer sur leur fort potentiel. La base économique des communes est en revanche trop étroite pour leur permettre de dégager les ressources fiscales suffisantes à la conduite de projets. L’apport financier et en ressources humaines de l’État est nécessaire. Il lui revient de se comporter en partenaire à l’écoute des élus et de la population et non de se limiter à la prescription de normes. Aménager ne signifie pas seulement administrer, surtout dans un contexte humain, social et culturel aussi diversifié que celui que l’on observe en Guyane.

La Guyane est engagée dans une course contre la montre. Nul ne peut affirmer avec certitude en combien de temps elle peut accéder à un plein développement. Un échec serait dramatique car il aggraverait la paupérisation et le délitement social. Les problèmes sont néanmoins bien identifiés. Les solutions apparaissent plus difficiles à mettre en œuvre mais si elles le sont avec méthode, il n’y a aucune raison que la Guyane ne puisse parvenir à l’égalité économique et sociale à laquelle elle aspire.

 

 


   Propositions

Les problèmes auxquels la Guyane est confrontée sont multiples et complexes. Pour vos rapporteurs, les priorités absolues d’un aménagement équilibré de son territoire sont les suivantes :

  • accélérer la restitution du foncier ;
  • désenclaver le territoire par un réseau routier équipé d’ouvrages d’art ;
  • à très court terme, rétablir et améliorer les liaisons aériennes intérieures ;
  • développer la multimodalité des transports sur le territoire en résolvant le problème juridique de la navigabilité des fleuves ;
  • garantir l’accès de la population à l’ensemble des services publics de base (eau potable, électricité, éducation, santé, sécurité) ;
  • mieux intégrer la Guyane dans son environnement institutionnel régional ;
  • valoriser une exploitation raisonnée de la forêt : filière bois, biodiversité, etc ;
  • poursuivre le développement des énergies renouvelables et moderniser le réseau de distribution d’électricité ;
  • renforcer les mesures d’éradication de l’extraction illégale et accompagner la relance de l’extraction légale de l’or et des autres filières minières à la condition que les projets emportent l’adhésion des populations et des institutions locales et respectent la législation environnementale ;
  • poursuivre le processus d’adaptation des normes européennes et nationales à la Guyane et d’évolution statutaire, conformément à la volonté exprimée par le congrès des élus de Guyane ;
  • inscrire à l’ordre du jour une loi de programmation sur la Guyane.

 

 

 

 


   Examen du rapport en commission

Lors de sa réunion du 28 novembre 2023, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information sur l’aménagement et le développement durables du territoire en Guyane.

À l’issue de la réunion, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a autorisé la publication du rapport d’information.

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*     *

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/lGcriJ

 

 


   dÉroulement de la mission

La mission de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est déroulée du 17 au 22 septembre 2023 et a donné lieu aux réunions suivantes :

Dimanche 17 septembre 2023

Maripasoula

M. Serge Anelli, maire de Maripasoula, accompagné de M. Joseph Sylvestre, deuxième adjoint au maire et Mme Valérie Lingué, conseillère municipale

Collectif Apachi : M. Philippe Dekon, président, Mmes Apayaca Belsi, Marie-Brigitte Biron, Rosiane Agesilas et M. Patrick Valiest

Antecume – Pata

Entretien avec le Grand Man

Cayenne

M. Olivier Tostain, président du conseil régional du patrimoine naturel de Guyane

Lundi 18 septembre 2023

Cayenne

Mme Catherine Latreille, directrice de l’ONF Guyane et M. Stéphane Guittet, adjoint à la directrice

M. Matthieu Barthas, président de Guyane Nature Environnement

M. Antoine Poussier, préfet de Guyane, M. Mathieu Gatineau, secrétaire général de la préfecture et M. Ivan Martin, directeur général des territoires et de la mer

Grand conseil coutumier de Guyane : M. Bruno Apouyou, président, chef coutumier du village Boni de Kourou, M. Sylvio Van der Pijl, vice-président du collège amérindien, chef coutumier du village de Balaté, M. Jean-Philippe Chambrier, secrétaire général, M. Michel Aloike, chef coutumier du village de Taiwen, M. Roland Sjabere, chef coutumier du village de Prospérité, M. Pierre Christophe, de l’association Jeunesse autochtone de Guyane, M. Damien Davy, membre désigné par le ministère de l’outre-mer, ingénieur de recherche au CNRS, et Mme Flora Viau, chargée de mission

Mme Sandra Trochimara, maire de Cayenne, et M. Laurent Yawalou, maire de Camopi

Mardi 19 septembre 2023

Cayenne

Collectivité territoriale de Guyane : M. Gabriel Serville, président, ancien député, M. Chester Leonce, délégué à l’aménagement du territoire, au désenclavement et aux transports, M. Zadkiel Saint-Orice, délégué aux aérodromes et aux infrastructures routières, Mme Karine Cresson-Idris, déléguée à la formation et à l’emploi, M. Raymond Deye, délégué à l’égalité, Mme Sherly Allan, conseillère territoriale, Mme Mirta Tam, déléguée à la coopération, M. Jules Deye, maire de Papaïchton, Mme Véronique Jacaria, maire de Saint-Elie et Mme Tracy Timane, deuxième adjointe au maire de Saül.

Chambre de commerce et d’industrie : Mme Carine Sinaï-Bosson, présidente, accompagnée de plusieurs élus de la chambre.

M. André Barrat, président du Conseil régional l’Ordre des architectes, M. Jean-Jacques Stauch, président de la Simko et de la Siguy, Mme Laurie Gourmelen, directrice à la Siguy, deuxième adjointe au maire de Remire-Montjoly, Mme Keena Perlet-Léonce, conseillère territoriale déléguée au logement et au cadre de vie, présidente de l’Agence d’information sur le logement de Guyane (ADIL), et Mme Valérie Véronique, directrice

Mercredi 20 septembre 2023

Saint-Laurent-du-Maroni

Mme Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni, présidente de la Communauté de communes de l’Ouest guyanais, et Mme Bénédicte Fjeke, deuxième adjointe au maire, cheffe coutumière de Terre Rouge

Équipe des travailleurs sociaux du quartier de Chikkapaty

Près de Prospérité

Visite du chantier de la centrale de l’Ouest guyanais

Sinnamary

M. Michel-Ange Jérémie, maire de Sinnamary, président de l’association des maires de Guyane, M. Christian Clet, premier adjoint au maire, Mme Lauriane Dechesneu, conseillère municipale et M. José Guillou, directeur du cabinet du maire

Kourou

M. Raphaël Stobinski, président de l’association agricole Wayabo, Mme Charlotte Hovel, secrétaire générale du Groupement régional des agriculteurs de Guyane, secrétaire de la chambre d’agriculture, M. Johnny Yang, président des Jeunes agriculteurs de Guyane et deuxième vice-président de la Safer, et M. Mitch Tonguet, président des Jeunes agriculteurs du Centre-Littoral

Jeudi 21 septembre 2023

Kourou

Centrale à biomasse de Voltalia : M. Arnaud Flament, directeur de Voltalia Guyane

Petit Saut

Projet Triton Timber

Électricité de France : M. Martin Voisin, directeur d’EDF en Guyane, M. Valentin Castan-Roi, chef du pôle hydraulique et chef de la centrale de Petit Saut, M. Didier Jacob, chef de service production et Mme Maïwen Bingue, chargée de communication

Degrad Des Cannes

Visite du port autonome

Cayenne

Visite de la place des Amandiers avec Mme Sandra Trochimara, maire de Cayenne

M. Maurice Réunif, vice-président de la chambre d’agriculture, M. Henri-Georges Hidair, directeur du centre d’économie rurale de Guyane et Mme Charlotte Hovel, secrétaire de la chambre d’agriculture

Vendredi 22 septembre 2023

Cayenne

Office français de la biodiversité : M. Mathieu Entraygues, délégué territorial, et M. Raphaël Trunkenwald, chef adjoint du service départemental

Conférence de presse

Représentants d’associations de chasseurs : M. Éric Louis, chef coutumier du village Kuwano, M. Firmin Madère, président de l’association de chasse de Guyane et affilié à l’association Dent de sabre, M. Rodrigues da Silva, association Dent de Sabre, M. Achille Roger, vice-président de l’association territoriale des chasseurs et de l’association Dent de Sabre, M. Tisserand.

 

 

 


   Liste des personnes auditionnÉes

M. Emmanuel Vivet, sous-directeur à la direction générale de l’aviation civile

Mme Sandrine Chinzi, directrice de la mobilité et des routes

M. Thibault Gensollen, conseiller en charge des parlementaires et des élus du ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports

Mme Mariana Royer, fondatrice et présidente de la société Biostratège

 

 


([1]) Rapport d’information n° 1178 de la mission sur l’adaptation au changement climatique de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers, 2 mai 2023 – Mme Catherine Couturier, présidente, et Mme Sophie Panonacle, rapporteure.

([2]) Les rapports parlementaires sur la Guyane n’ont pas manqué ces dernières années, signe de l’intérêt que suscite le département. À l’Assemblée nationale : rapport de la commission d’enquête sur la lutte contre l’orpaillage illégal (2021), rapport d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux Outre-mer. Au Sénat : Rapport d’information sur les forces armées en Guyane (2021), rapport d’information pour une grande loi Guyane (2020), rapport d’information sur le trafic de cocaïne en Guyane (2020). Mais les élus guyanais déclarent tous attendre des mesures à la suite des constats exposés par ces rapports.

([3]) Descendants d’esclaves ayant fui les plantations depuis le XVIIIe siècle pour se réfugier en forêt. Qu’ils soient Djuka, Saramaka, Matawai, Kwinty, Paramaka ou Boni (Aluku), ils ont développé une identité collective à partir d’éléments culturels d’Afrique de l’Ouest, d’où la plupart étaient déportés, et amérindiens.

([4]) Le présent rapport ne porte pas sur la répartition ethno-linguistique des Guyanais mais à titre de rappel, les Amérindiens, population première répartie en six groupes linguistiques, forment 5 % de la population ; la population d’origine africaine ou afro-européenne s’élève à 60 % de la population, celle des Européens à 15 % et celle des Asiatiques à 8 %. Le métissage est important. Le solde est représenté par l’immigration, avec une approche des chiffres qui se doit d’être prudente. L’immigration est mal comptabilisée mais il est aisé de la constater de visu.

([5]) Hugo Soutra, « Banlieues enclavées, rural isolé : SOS territoires en détresse », Le courrier des maires et des élus locaux, mai 2018.

([6]) Moïse Tsayem Demaze « Croissance démographique, pression foncière et insertion territoriale par les abattis en Guyane française », Open Edition, 2008.

([7]) Eugène Claudius-Petit, ministre de la reconstruction et de l’urbanisme, 1950.

([8]) Jean Hauger, Annales de géographie, 1957.

([9]) Les Guyanais apprécieraient que les manuels scolaires indiquent que la France ne compte pas cinq fleuves, mais sept, et qu’ils mentionnent le Maroni et l’Oyapock.

([10])  On notera en outre une tendance à l’aggravation de la pauvreté, sachant que le seuil en est fixé en Guyane à 600 euros par mois, à comparer à 1 128 euros par mois et par personne dans l’hexagone.

([11]) Sylvie Letniowska-Swiat et Valérie Morel, Le bas-Oyapock, un fleuve, une frontière, des frontières ? Confins, revue franco-brésilienne de géographie, 2021.

([12]) Ibid.

([13]) Patrick Biancodini, La frontière Surinam-Guyane française, géopolitique d’un tracé qui reste à fixer. Géoconfluences, 2019.

([14]) Christiane Arbaret-Schulz, Frontières, Ellipses, 2020.

([15]) Les articles L. 4433-7 à L. 4433-24-3 du code général des collectivités territoriales confèrent aux conseils régionaux de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion le soin d’adopter un SAR qui fixe les orientations fondamentales en matière de développement, de mise en valeur du territoire et de protection de l’environnement.

([16]) Frédéric Piantoni, La Guyane ou la chronique d’une mondialisation migratoire, Centre Population et Développement de l’Université de Paris, 2014.

([17]) Vos rapporteurs ont visité ce camp en compagnie de Mme Sandra Trochimara, maire de Cayenne.

([18]) L’ONF en chiffres, direction de la communication de l’ONF, février 2023.

([19]) Décès par balle d’un gendarme du GIGN le 25 mars 2023 dans une opération.

([20]) Le PAG est un des onze parcs nationaux français, avec la Vanoise, Les Écrins, le Mercantour, les Pyrénées, les Cévennes, Port-Cros, les Calanques, les Forêts et La Réunion. Il est le plus vaste de France.

([21]) Arbres abattus ou abîmés lors de l’ouverture de pistes d’exploitation forestière. Les connexes d’exploitation ne sont pas les seules ressources des centrales à biomasse, qui recourent également aux déchets des scieries et aux arbres non valorisables en l’état du marché, issus de défrichements.

([22]) Agence d’urbanisme et de développement de la Guyane, Propriété foncière, atlas cartographique 2020, juin 2021.

([23])  Article 44 quindecies du code général des impôts.

([24]) Soit respectivement des fruits réputés pour leur saveur et leur vertu énergétique, que la Guyane souhaite exporter sur les marchés mondiaux, et une plante utilisée en cosmétique.

([25]) Sur l’histoire foncière en Guyane, cf. Charline Stiefvater, Droits autochtones et politiques foncières en Guyane, une analyse par la dépendance au sentier, mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, juin 2021.

([26]) Président du Grand conseil coutumier de Guyane.

([27]) Il s’agit d’un problème aigu. Mmes Aline Archimbaud (NI), sénatrice et Marie-Anne Chapdelaine (SOC), députée, nommées parlementaires en mission, ont remis des propositions au Premier ministre, le 30 novembre 2015.

([28])  Il s’agit jusqu’à présent d’une position constante du Gouvernement, rappelé par le ministère des affaires étrangères en réponse à une question écrite n° 10 266 du Sénat, sous la XVe législature.

([29]) Le Protocole de Nagoya comprend un volet sur la brevetabilité du vivant, qui porte sur les moyens de préserver les savoirs ancestraux des peuples vivant directement au contact de la nature.

([30]) Signé le 3 juillet 1978, ce traité a donné lieu à la création en 1995 d’une organisation dont le siège est à Brasilia, et dont les membres sont les États signataires : Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Surinam et Venezuela. Grâce à la Guyane, la France est un État amazonien et peut donc y demander son adhésion.

([31]) Alexis Tiouka, Le soutien du président Macron aux peuples autochtones est important et attendu, Le Monde, 19 septembre 2023.

([32])  Le GCCG a succédé au Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengués créé en 2008.

([33]) Adage que l’on retrouve également chez les Indiens d’Amérique du Nord.

([34]) France Info, La rétrocession du foncier en Guyane, les collectivités à la peine, 12 novembre 2022.

([35]) Renaud Colombier, Bérangère Deluc, Virginie Rachmuhl et Clarisse Piantoni, Relever le défi de l’habitat spontané en Guyane, in Territoire en mouvement, 2017.

([36]) Rapport n° 4404 du 21 juillet 2021 de l’Assemblée nationale, au nom de la commission d’enquête sur la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane (M. Gabriel Serville, rapporteur) et rapport d’information n° 337 du 19 février 2020 de la commission des lois du Sénat (MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Jean-Luc Fichet, Mme Sophie Joissains, M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteurs).

([37]) Extraction peu profonde, essentiellement dans le lit d’une rivière.

([38]) Développement d’une filière aurifère responsable en Guyane, Conseil général de l’environnement et du développement durable et Conseil général de l’économie, rapport établi par M. Bernard Larrouturou, novembre 2021.

([39]) Cf. Simon Menet et Antoine Bondaz, Comptoirs et réseaux transnationaux chinois, moteurs de l’orpaillage illégal en Guyane française, Fondation pour la recherche stratégique, septembre 2023.

([40]) Expression de M. François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche au CNRS et à l’université d’Arizona, in Le système garimpero et la Guyane : l’orpaillage clandestin contemporain en Amazonie française, cahiers d’outre-mer, 2020.

([41]) Il n’existe pas de station-service à Maripasoula alors qu’on y trouve des voitures pour les trajets locaux. L’essence est acheminée par pirogue depuis New Albina, la ville surinamienne située en face.

([42])  Rares sont les lignes d’aménagement du territoire internes à une région. En dehors de la Guyane, il en existe en Polynésie, compte tenu de sa superficie, et une dans l’Hexagone, entre Brest et l’île d’Ouessant, dont le financement est intégralement assuré par la région Bretagne.

([43]) Compagnie Aérienne Inter Régionale Express (CAIRE) était un groupe composé de deux marques et sociétés, Air Guyane et Air Antilles. Le groupe a été placé en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité le 2 août 2023. Le tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre a ensuite prononcé le 29 septembre dernier la liquidation d’Air Guyane, avec cessation d’activité et licenciement des 78 salariés, tandis qu’Air Antilles a trouvé un repreneur.

([44]) Syndicat constitué en 1935 comme union territoriale affiliée à la CGT, avant de devenir un syndicat autonome en 1964.

([45]) Rapport n° 488 de M. Guillaume Chevrollier et de Mme Catherine Colonna au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la continuité territoriale outre-mer.

([46]) IEDOM, L’Ouest guyanais, un enjeu économique et social majeur pour l’avenir de la Guyane, décembre 2019.

([47]) La ville dispose de 16 groupes électrogènes pour prendre le relais en cas de coupure.

([48]) Aurélie Barbaux, La Guyane, l’improbable laboratoire de l’autonomie énergétique, L’Usine nouvelle, mai 2023.

([49]) Un risque est dit de mode commun s’il rend simultanément indisponible deux systèmes ou matériels redondants.

([50]) Principalement le projet de centrale d’EDF au Larivot et le projet Maya de Total (centrale photovoltaïque).

([51]) Benjamin Milkoff, Brésil, inquiétude autour d’un projet pétrolier au large de l’embouchure de l’Amazone, Les Échos, 27 juillet 2023.

([52]) Mo News, 6 septembre 2023 – France-Guyane, 19 octobre 2023.

([53]) Jessy Xavier, Pétrole en Amazonie : entre résistance et euphorie, France Info, 20 septembre 2022 – Véronique Le Billon, Pétrole : Total tire un trait sur la Guyane, Les Échos, 28 février 2019.

([54]) Cf. l’ensemble des évènements géopolitiques et des guerres civiles provoqués par l’exploitation du pétrole dans Or noir, de Matthieu Auzanneau, éditions La Découverte, 2016.

([55]) Antoine Gardel, Oyapock et Maroni, portraits d’estuaires amazoniens, éditions Quae, 2021.

([56]) Raimundo Nonato Junior, La France et le Brésil de l’Oyapock, quels enjeux bilatéraux entre développement et durabilité ? Confins, revue franco-brésilienne de géographie, 2015.

([57]) Témoignage dans Maire Info, revue de l’Association des maires de France, septembre 2022.

([58])  Jean-Yves Faberon, La France et son outre-mer, un même droit ou un droit différent ? Pouvoirs, 2005.

([59]) À l’occasion de leurs discours respectifs des 30 avril 1960, 12 septembre 1985 et 28 octobre 2017, à Cayenne.

([60]) Ainsi récemment ont été publiées l’ordonnance n° 2022-537du 13 avril 2022 relative à l’adaptation outre-mer du code minier, l’ordonnance n° 2022-1521 du 7 décembre 2022 étendant aux collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie les dispositions de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, et l’ordonnance n° 2023-15 du 18 janvier 2023 portant extension outre-mer de certaines dispositions de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.