N° 1938
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2023
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146-3, alinéa 8, du Règlement
PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques
sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 1014)
du 31 mai 2018 sur l’évaluation de l’action de l’État
dans ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Christine DECODTS et M. StÉPHAne PEU
Députés
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Pages
A. UN DÉPARTEMENT QUI CONSERVE SON DYNAMISME DÉMOGRAPHIQUE, ÉCONOMIQUE ET URBANISTIQUE
2. Un département en pleine mutation urbanistique
b. La gentrification de Pantin et de Montreuil
e. Le nord et le centre du département concentrent les fragilités sociales
g. Des incertitudes liées à l’extinction des zones franches urbaines en décembre 2023
B. UN TERRITOIRE OÙ PERSISTENT DES DIFFICULTÉS SOCIALES MAJEURES
1. En hausse, le taux de pauvreté est quasiment deux fois plus élevé qu’à Paris et en Île-de-France
2. Le niveau de vie médian le plus faible d’Île-de-France
4. Une dépendance forte d’une part importante de la population envers les prestations sociales
II. L’ACTION DE L’ÉTAT MISE À L’ÉPREUVE D’UNE RÉALITÉ SINGULIÈRE
A. UN DÉPARTEMENT QUI DEMEURE LE PLUS CRIMINOGÈNE DE FRANCE HEXAGONALE
b. Endémique, la délinquance déstabilise le tissu économique et social
i. Le trafic de stupéfiants : 200 points de « deal » en Seine-Saint-Denis
ii. Un proxénétisme dont les auteurs comme les victimes sont souvent très jeunes
iii. Le blanchiment, la non-justification de ressources et le recel
v. Les violences intrafamiliales et les viols
B. UNE JUSTICE DÉGRADÉE DANS LA DEUXIÈME JURIDICTION DE FRANCE
1. Un fossé béant entre l’inflation du nombre de dossiers à traiter et les effectifs alloués
ii. La promotion de la médiation et de modes alternatifs de règlement des différends
i. Une forte augmentation du nombre de dossiers
2. Une dégradation inéluctable du service rendu aux justiciables
a. Un allongement de la durée des procédures sans commune mesure avec le reste de l’Île-de-France
b. Une extrême lenteur dans l’exécution des peines
3. Une maison d’arrêt suroccupée mais où la violence est en baisse
i. Un taux d’occupation de 183 %
ii. De lourdes conséquences sur les conditions de vie et de travail
d. Deux projets d’extension du parc pénitentiaire du département
C. UNE SANTÉ FRAGILE DANS LE PREMIER DÉSERT MÉDICAL DE FRANCE
1. Une population jeune mais un nombre croissant de personnes de plus de 75 ans
3. Des publics aux pathologies spécifiques
4. Une espérance de vie inférieure à la moyenne régionale
5. Des besoins accrus en équipements médico-sociaux pour les personnes handicapées
D. UNE ÉCOLE EN CRISE QUI PEINE À TENIR LA PROMESSE RÉPUBLICAINE
b. Des difficultés similaires en CE1
e. Un taux de jeunes de 16 à 25 ans non diplômés qui régresse et tend vers la moyenne nationale
2. Des difficultés scolaires corrélées à la situation des parents d’élèves du département
b. De fortes inégalités entre établissements de Seine-Saint-Denis
III. UN ÉTAT QUI SE VEUT « PLUS FORT » MAIS QUI ÉCHOUE À ATTIRER ET À FIDÉLISER LES AGENTS PUBLICS
A. UN EFFORT CONSÉQUENT EN FAVEUR DES INFRASTRUCTURES DES SERVICES PUBLICS
1. Le plan « État plus fort » : un accélérateur pour plusieurs projets
b. La nette amélioration du taux d’équipements médicaux lourds soumis à autorisation
c. L’abondement à la dotation de soutien à l’investissement local
d. La constitution de l’Institut de cancérologie multi-sites public-privé
2. Plusieurs projets d’infrastructures ont pris un retard important
b. Un retard de deux ans des travaux d’extension du tribunal de Bobigny
3. Des incertitudes et des craintes pèsent sur le projet hospitalo-universitaire Grand Paris Nord
5. Le département de France, après Paris, le moins doté en équipements sportifs
a. Un département sous-doté dans une région également sous-dotée
b. Plusieurs plans d’équipement sont en cours en Seine-Saint-Denis
6. Les points d’accueil du public à l’épreuve de la dématérialisation des services publics
b. Des acteurs tels que la caisse primaire d’assurance maladie ont adopté une démarche d’aller vers
B. UN BILAN MITIGÉ DES POLITIQUES PRIORITAIRES
1. Une politique d’éducation prioritaire aux effets contrastés
i. Un bilan quantitativement positif
ii. Un dispositif trop récemment mis en place pour être évalué à ce stade
b. Un dispositif complété par des mesures relevant de la politique de la ville et du cadre national
i. Les mesures relevant de la politique de la ville
ii. Les mesures d’ordre national
c. Dans le premier degré, une relative réduction des écarts en début de CE1
e. La toute petite enfance, âge clef non encore pris en charge par l’éducation prioritaire
a. Une augmentation pérenne des effectifs dans les quartiers de reconquête républicaine
C. DES SERVICES PUBLICS AUX RESSOURCES HUMAINES TOUJOURS INSTABLES
1. La persistance d’un manque d’effectifs expérimentés et du « turnover » des agents
a. Police : des effectifs en hausse mais manquant d’expérience
ii. Des effectifs de sécurité publique en hausse de 5,29 %
iii. Un service départemental de police judiciaire qui reste sous-doté
iv. Des effectifs souvent peu expérimentés
i. Le siège : un effort gouvernemental notable mais qui doit encore être poursuivi
ii. Le parquet : un effort conséquent, indispensable au vu du stock de dossiers
iii. Des effectifs de greffe qui n’ont pas suivi l’évolution du siège et du parquet
iv. Un manque d’effectifs qui affecte aussi les agents de police du dépôt
v. Une juridiction qui subit les conséquences de son manque d’attractivité
vi. La sécurité et la sûreté des personnels à l’audience, sujet de préoccupation majeure
c. Éducation : des ressources humaines à la peine
i. Un recours très important aux contractuels pour combler le manque d’effectifs titulaires
ii. Un taux d’encadrement légèrement supérieur à la moyenne nationale
iii. Des enseignants qui demeurent souvent jeunes et peu expérimentés
iv. Un « turnover » en baisse mais qui demeure supérieur à la moyenne nationale
vi. Un absentéisme qui perdure
d. Santé : une offre insuffisante
ii. Près d’un quart des Séquano-Dionysiens est sans médecin traitant
iii. Une offre sanitaire publique qui reste peu attractive
iv. Une offre de soins psychiatriques en réelle difficulté
v. Une forte sous-dotation en établissements médico-sociaux par rapport au reste de l’Île-de-France
vi. Un sous-équipement en offre de soins pour les personnes en situation de handicap
2. Un manque de ressources humaines stables qui s’explique notamment par un déficit d’attractivité
a. Une crise des vocations certes nationale mais exacerbée en Seine-Saint-Denis
ii. … mais exacerbé en Seine-Saint-Denis
b. Un déficit d’image dans l’éducation nationale
i. Le seuil d’admission le plus bas au concours de recrutement de professeur des écoles
ii. Un certain sentiment d’abandon voire de manque de considération des enseignants
iii. Un désarroi partagé par les parents d’élèves
iv. Un plan gouvernemental très pauvre en matière d’éducation
c. Une charge de travail très lourde pour les personnels judiciaires et les directeurs d’école
i. Des heures supplémentaires non rémunérées au tribunal judiciaire de Bobigny
d. Une médecine scolaire nettement sous-dotée qui risque d’accentuer les inégalités
e. Des difficultés d’accès au logement pour l’ensemble des fonctionnaires
IV. DE MULTIPLES LEVIERS À ACTIONNER POUR RENFORCER L’ATTRACTIVITÉ DE L’EMPLOI PUBLIC
A. LE LEVIER DU RECRUTEMENT DANS L’ÉDUCATION NATIONALE
1. Le recrutement local : un dispositif à renforcer par la reconstitution d’écoles normales
a. Le pré-recrutement d’étudiants comme enseignants : une mesure louable mais insuffisante
b. Reconstituer à titre expérimental des « écoles normales » au profit des bacheliers du département
b. La ségrégation scolaire, phénomène lié à la question du logement
2. Une mesure jugée insuffisante par les uns…
3. … mais qui semble insuffisamment connue…
5. … et dont les contours sont en cours d’évolution
6. Un doublement de l’indemnité d’enseignement en REP+ qui fait la preuve de son efficacité
1. Renforcer la formation des policiers
2. Renforcer la formation initiale et continue des enseignants
D. LE LEVIER DU LOGEMENT : FAVORISER L’ACCÈS AU LOGEMENT SOCIAL FRANCILIEN POUR LES AGENTS PUBLICS
3. Un dispositif qui ne porte que modérément ses fruits…
4. … en raison de l’insuffisance du parc de logements sociaux proposés au regard des besoins
5. Un dispositif interministériel complété par une action ministérielle, s’agissant des policiers
6. Une action concertée de l’État pour garantir aux soignants l’accès à un logement abordable
1. Recréer du lien de proximité entre la police et la population
2. Renforcer la sécurité des agents de la police nationale aux abords de leur lieu de travail
ANNEXE N° 1 : TABLEAU DE SUIVI DES PROPOSITIONS DU RAPPORT DU 31 MAI 2018
ANNEXE N° 2 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
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Le 31 mai 2018, MM. François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo publiaient un rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, intitulé Une République à reconstruire, couvrant les thèmes de l’éducation, de la sécurité et de la justice et assorti de 14 propositions. L’objectif de ce rapport était de s’interroger, à travers trois politiques publiques, « sur l’efficacité de l’action de l’État en Seine-Saint-Denis ». Les deux auteurs soulignaient que « le 9-3 est (…) un territoire de forts contrastes entre des sièges sociaux flamboyants et une pauvreté réelle, entre une démographie dynamique et jeune et des problèmes sociaux et économiques endémiques ». Déplorant l’inefficacité – voire la contre‑productivité – de politiques prioritaires jugées stigmatisantes dans les domaines éducatif et sécuritaire, nos collègues estimaient que l’une des raisons majeures de l’impuissance publique dans le département résidait dans la méconnaissance qu’avaient l’État et ses services statistiques de la population séquano-dionysienne, et en particulier du nombre d’étrangers en situation irrégulière vivant dans le département. Selon eux, cette méconnaissance explique que les moyens dévolus par l’État au département soient en décalage avec la réalité et ne permettent pas d’endiguer les problèmes majeurs auxquels est confronté ce territoire. Jugeant difficile le dialogue entre services déconcentrés et administration centrale et défaillante la gestion des ressources humaines étatiques, les deux rapporteurs préconisaient une refondation de l’action publique dans le département.
Ce rapport d’information a donné lieu à une rencontre avec le Premier ministre Édouard Philippe puis à l’instauration de groupes de travail thématiques sous l’égide du préfet de Seine-Saint-Denis et d’un débat en séance publique à l’Assemblée nationale le 5 février 2019. À la suite de ces travaux, le Premier ministre précité a présenté le 31 octobre 2019 un plan gouvernemental intitulé « L’État plus fort en Seine-Saint-Denis », assorti de 23 mesures dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité et de la justice.
Le 31 janvier 2022, l’Assemblée nationale a tenu, à la demande du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, un débat en séance publique sur l’évaluation de ce plan gouvernemental, entendant à cette occasion aussi bien des représentants syndicaux que la ministre déléguée chargée de la ville.
En application de l’article 146-3 du règlement de l’Assemblée nationale, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a constitué lors de sa réunion du 20 octobre 2022 une mission de suivi de cette évaluation. Compte tenu du lancement du plan gouvernemental précité et de la période inédite de la crise sanitaire – particulièrement aiguë en Seine-Saint-Denis –, les rapporteurs Christine Decodts et Stéphane Peu ont décidé, d’une part, d’étendre le champ de leur rapport de suivi à la santé et, d’autre part, d’évaluer non seulement la mise en application des préconisations du rapport des députés Cornut-Gentille et Kokouendo mais aussi de ce plan gouvernemental.
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Créé par la loi du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne, le département de Seine-Saint-Denis, d’une superficie de 236,2 km2 est essentiellement urbain et peu touristique malgré plusieurs atouts. Des atouts historiques, tout d’abord, avec la Basilique de Saint-Denis ou le Mémorial de Drancy, par exemple. Un réseau de transports développé, ensuite, le département accueillant deux aéroports internationaux – Roissy-Charles de Gaulle et Le Bourget –, les autoroutes A1 et A4, le boulevard périphérique de Paris, les autoroutes urbaines A3, A86, A103 et A104, 6 lignes de tramway, 3 lignes de transilien, 3 lignes de RER et 8 lignes de métro. Des pôles économiques modernes tels que la Plaine Saint-Denis, les zones aéroportuaires de Paris-Charles de Gaulle et du Bourget, les parcs des expositions de Villepinte et du Bourget et des pôles tertiaires franciliens de premier plan complétant le paysage.
La Seine-Saint-Denis conserve son dynamisme démographique, économique et urbanistique (A). Elle constitue aussi un territoire où persistent des difficultés sociales majeures (B).
Avant de présenter les particularités de la démographie séquano-dionysienne, les rapporteurs souhaitent revenir sur trois propositions formulées dans le rapport d’information du 31 mai 2018 des députés Cornut-Gentille et Kokouendo relatives à l’exactitude du recensement de la population, d’une part, et, d’autre part, au statut ainsi qu’à l’indépendance de l’Insee.
Nos prédécesseurs affirmaient qu’« à l’origine des blocages en Seine-Saint-Denis [se trouve] la méconnaissance du territoire et de ses habitants ». Ils estimaient que « l’État ignore le nombre d’habitants vivant dans le département », notamment parce que « les méthodes statistiques actuelles de recensement de la population déployées par l’Insee n’appréhendent pas » la réalité de la présence en nombre important de personnes en situation irrégulière. En outre, ils formulaient plusieurs propositions relatives au statut de l’Insee.
Les auteurs du présent rapport ont interrogé le directeur général de l’Insee, M. Jean-Luc Tavernier, à ce sujet. Il ressort de cet entretien :
– que la méthode de recensement utilisée par l’Insee tend à prendre en compte l’ensemble de la population, indépendamment de son statut administratif et que ce recensement est en cours d’amélioration (i) ;
– que l’indépendance de l’Insee et sa disponibilité à l’égard du Parlement ne sont pas en question et qu’en outre, le statut de cette instance est conforme tant à la réglementation de l’Union européenne qu’aux standards des pays partenaires de la France (ii).
Interrogé sur les constats et propositions formulés dans le rapport d’information du 31 mai 2018 précité, le directeur général de l’Insee a indiqué que ce document « comport[ait] des constats erronés sur le recensement de la population » et que l’une des erreurs était d’affirmer que les enquêtes de recensement ne prennent pas en compte les personnes étrangères en situation irrégulière : « partant de là, [explique le directeur général de l’Insee], [la mission] en conclut que les estimations de populations issues du recensement de l’Insee sous-estiment le nombre d’habitants du département. Ce raisonnement est faux : le recensement de la population concerne l’ensemble des personnes vivant sur le territoire français, indépendamment de leur situation administrative. Le décompte des habitants comprend donc les personnes en situation irrégulière. »
Qui plus est, il semble que l’adhésion de la population à l’enquête soit plus forte en Seine-Saint-Denis que dans la plupart des autres départements d’Île-de-France : le taux de non-réponse en Seine-Saint-Denis lors de l’enquête de 2023 s’élève à 6,4 %, soit un meilleur résultat que ceux que l’on peut constater dans les autres départements de la région parisienne ([1]).
Les rapporteurs prennent acte de ces éléments de rectification. Ils notent aussi que les méthodes de recensement de l’Insee sont en cours d’évolution, ce qui devrait permettre d’appréhender plus précisément la démographie séquano-dionysienne et, par conséquent, les besoins en services publics de la population du département. Le co-rapporteur Stéphane Peu rappelle que le recensement de la population effectué par l’Insee sert de base de calcul à l’établissement du montant de la dotation globale de fonctionnement des communes et qu’à ce titre, il se doit d’être le plus précis possible. Le maire de Pierrefitte-sur-Seine, Michel Fourcade, a mené une campagne de sensibilisation sur le sujet en octobre 2021, estimant que 6 000 habitants de sa commune n’avaient pas été pris en compte dans le recensement – une omission entraînant selon lui une perte de dotation qu’il a estimée à 28 millions d’euros pour la commune depuis 2006 ([2]).
Tout d’abord, l’Insee et les communes responsables de la collecte des informations sur le terrain déploient des efforts pour garantir la qualité du recensement pour toutes les catégories de population, quels que soient leur situation administrative, leur type d’habitat et leur mode de vie. Ces efforts portent sur toutes les étapes du processus : l’exhaustivité et l’actualisation du répertoire des immeubles, socle du calcul de population ; la formation et l’accompagnement des agents recenseurs afin qu’ils n’oublient personne ; la communication, y compris en langues étrangères, auprès des habitants ; l’accompagnement des habitants ayant des difficultés à répondre au questionnaire, que ce soit sur internet ou sur papier ; les contrôles postérieurs à la collecte sur le terrain, notamment à l’aide de sources administratives ; l’estimation du nombre d’habitants dans les logements qui ont refusé de répondre et les dispositifs spéciaux pour les personnes sans abri ou vivant dans des habitations mobiles ou dans des institutions.
Ensuite, l’ajout de questions dans le recensement de la population est actuellement discuté au sein du Conseil national de l’information statistique (CNIS) pour prendre en compte les nouveaux besoins de données des acteurs économiques et sociaux. À ce jour, aucune demande n’a été adressée pour appréhender le nombre d’immigrés en situation irrégulière par le moyen du recensement de la population. Il n’est donc pas prévu d’évolution du recensement ayant pour but de connaître la situation administrative des personnes étrangères. En revanche, des évolutions ont déjà été apportées en 2015 sur le statut conjugal et les modes de transport et en 2018 sur les liens de parenté. Il est aussi prévu que le bulletin individuel de recensement comporte à partir de 2025 trois nouvelles questions : sur le lieu de naissance des parents, sur la santé et le handicap et sur le télétravail. Par ailleurs, plusieurs questions existantes seront modifiées comme celles sur la nationalité, le temps de travail, le diplôme et l’emploi. En cours de rédaction, le décret prenant en compte les modifications nécessaires pour introduire ces nouvelles questions a été soumis à l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à l’été 2023.
Enfin, l’Insee est conscient des enjeux associés à la « fraîcheur » des données du recensement ([3]). Ainsi des discussions ont-elles été engagées depuis mai 2023 dans le cadre de la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population (CNERP), à la demande de son président, sur les avantages et les inconvénients que pourrait avoir un calcul anticipé d’un an des populations légales par rapport à la situation actuelle. Une telle évolution, si elle était jugée souhaitable et décidée, ne pourrait pas être appliquée avant 2027 ([4]).
S’agissant de l’idée, évoquée dans le rapport Cornut-Gentille-Kokouendo, d’introduire des registres de population en France, les rapporteurs notent que les registres existant dans d’autres pays d’Europe ont d’abord une finalité administrative. Leurs données peuvent aussi être utilisées à des fins statistiques mais ce n’est pas leur objectif premier. Si l’Insee procède déjà à de tels travaux avec le répertoire des entreprises (Sirene), le répertoire électoral unique (REU) et le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), ces répertoires ne contiennent pas les informations suffisantes à un dénombrement exhaustif et localisé de la population.
L’Insee estime que pour être utile, un registre doit être exhaustif, sans doublon et à jour. Une utilisation à un niveau local ajoute une quatrième condition : la localisation des personnes à un seul endroit à un instant T. Remplir ces conditions sur le champ de l’ensemble de la population vivant en France n’est pas aisé. Cela implique en général une centralisation de la base de données, l’application de règles de gestion assez strictes et une charge de travail très conséquente pour les autorités locales chargées de ces registres. L’appréhension de la mobilité géographique des personnes ou de leur multirésidence nécessite aussi des moyens importants de suivi qui peuvent requérir l’imposition à la population d’obligations légales de déclaration.
Par ailleurs, afin de garantir la bonne qualité du registre, il est indispensable que les personnes aient intérêt aussi bien à s’inscrire qu’à se désinscrire dudit registre. Dans les pays où les registres sont fiables, l’inscription est légalement obligatoire préalablement à l’accomplissement de certaines démarches de la vie quotidienne – ouverture d’un compte bancaire, inscription à l’école, etc. Même dans ces situations, l’inscription des personnes en situation irrégulière sur les registres, si elle est parfois possible, n’est absolument pas garantie. Or, ces personnes doivent être comptabilisées dans la population.
In fine, l’Insee n’est pas certain que la création de registres de population se justifie au regard des seules préoccupations statistiques : son intérêt, son coût et ses risques devraient être soigneusement documentés avant de prendre toute initiative législative en ce sens.
Dans leur rapport du 31 mai 2018, les rapporteurs Cornut-Gentille et Kokouendo estiment que « les chiffres [statistiques] prolifèrent mais ne se croisent pas. Les services centraux et déconcentrés de l’État travaillent peu en réseau, entre eux comme avec les producteurs locaux de données. (…) La décentralisation s’est traduite par un “ratage statistique” dans la mesure où les données [des collectivités territoriales] sont difficiles à consolider et par conséquent peu comparables et peu exploitables. L’absence d’interconnexion entre les fichiers des droits sociaux et les données des communes contribue à “brouiller” la connaissance des territoires et de leur population, tout comme la vision sectorielle des services (…). » Les députés proposaient (proposition n° 4) de « mutualiser, dans le cadre d’un observatoire, les données collectées par les services de l’État, les collectivités territoriales, les organismes sociaux, les associations, les chercheurs et certains opérateurs (régies de transport et bailleurs sociaux par exemple) ».
Or il semble que la mise en relation de données produites par des organismes différents reste techniquement toujours compliquée pour plusieurs raisons.
En premier lieu, le rapprochement de données à caractère personnel nécessite de respecter le cadre juridique correspondant à la nature des données et aux finalités du traitement qui les a produites, au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD) ([5]).
En deuxième lieu, il convient de s’assurer de la cohérence des définitions des objets mesurés. La population est un bon exemple de la diversité des champs qui peuvent être couverts dans des bases de données communales ([6]). La population comptabilisée par le recensement répond à la définition du décret n° 2003‑485 du 5 juin 2003 mais il n’est pas garanti que cette définition soit appliquée dans des bases de données communales.
En dernier lieu, l’appariement de deux fichiers nécessite de pouvoir faire correspondre exactement les individus communément recensés dans les deux fichiers : cela requiert que des informations parfaitement identiques puissent être rapprochées, ce qui n’est pas toujours le cas. Dans le cas des enquêtes annuelles de recensement, pour assurer la confidentialité des données personnelles, tout élément identifiant est supprimé des bases de données dès qu’il n’est plus nécessaire au processus d’administration et d’exploitation de l’enquête. En particulier, si les noms et prénoms sont demandés pour éviter de comptabiliser deux fois les mêmes personnes, ces éléments sont rapidement supprimés des bases de données pour ne conserver que des informations permettant une exploitation statistique, sans permettre la ré-identification. Depuis 2023, l’Enquête annuelle de recensement comporte un code statistique non signifiant qui devrait permettre d’étendre à l’avenir les possibilités d’appariement, dans le respect du RGPD et exclusivement par l’Insee ou les services statistiques ministériels pour des besoins de connaissance statistique générale.
La proposition n° 2 du rapport du 31 mai 2018 visait à « évaluer les dispositifs de recensement pour affirmer ou infirmer leur viabilité » : elle n’a donné suite à aucune nouvelle mesure car la CNERP assure déjà, en lien avec les collectivités locales, une évaluation du recensement de la population. S’agissant plus spécifiquement de la Seine-Saint-Denis, un échange réservé aux caractéristiques de ce département a été organisé avec les élus communaux le 10 avril 2019. Présidé par le président de la CNERP de l’époque, le sénateur Claude Raynal, cet échange a été l’occasion de partager les difficultés qui pouvaient être rencontrées par les communes du département lors des enquêtes de terrain.
En complément de ces démarches d’évaluation fondées sur les échanges avec les élus, l’Insee procède aussi à des évaluations de nature statistique. Un des sujets qui concerne plus particulièrement la Seine-Saint-Denis porte sur l’estimation du nombre d’habitants d’un logement calculée en cas de non‑réponse à l’enquête. Une étude détaillée a montré que malgré la taille des ménages en Seine-Saint-Denis plus importante qu’en moyenne, la méthode d’estimation de la non-réponse ne remettait pas en cause la fiabilité des résultats.
Le rapport d’information du 31 mai 2018 formulait aussi l’idée (proposition n° 3) de « placer l’Insee sous l’autorité du Premier ministre pour assurer un meilleur pilotage statistique des politiques publiques ».
Interrogé à ce sujet par les auteurs du présent rapport, le directeur général de l’Insee a rappelé que le positionnement de cet institut en tant que direction générale du ministère de l’économie et des finances est principalement le fruit de son histoire. D’après M. Jean-Luc Tavernier, ce positionnement assure aujourd’hui un fonctionnement satisfaisant de l’Insee qui produit les statistiques utiles à l’éclairage du débat public en toute indépendance de l’autorité politique.
Cette indépendance professionnelle de la statistique publique est prévue par le règlement (CE) n° 223/2009 révisé, qui dispose notamment (article 2(1), point (a) : « Les statistiques doivent être développées, produites et diffusées d’une manière indépendante, notamment ce qui concerne le choix des techniques, des définitions, des méthodologies et des sources à utiliser, ainsi que le calendrier et le contenu de toutes les formes de diffusion, et ces tâches sont accomplies sans aucune pression émanant de groupes politiques, de groupes d’intérêt, d’autorités nationales ou d’autorités de l’Union. ».
Le positionnement administratif actuel de l’Insee a été jugé, lors de la revue par ses pairs en 2021, conforme dans les faits, si ce n’est en droit, au règlement (CE) n° 223/2009 révisé. Selon le directeur général de l’Insee, la Commission européenne serait très critique vis-à-vis d’une évolution allant dans le sens de la proposition n° 3 du rapport Cornut-Gentille-Kokouendo : elle est déjà intervenue par le passé lorsqu’elle estimait que l’institut national statistique d’un État membre était trop proche institutionnellement du pouvoir politique, comme dans le cas de la Grèce en 2009.
Dans leur proposition n° 13, les rapporteurs Cornut-Gentille et Kokouendo suggéraient d’accorder au Parlement le droit de demander des enquêtes statistiques directement auprès de l’Insee. Or, l’Insee considère qu’en tant qu’usager des statistiques publiques comme en tant que membre du CNIS, le Parlement a déjà la possibilité d’exprimer ses besoins en matière d’enquêtes statistiques auprès de l’Insee ou du service statistique public dans son ensemble ; il peut également demander au sein de ce Conseil des explications sur les méthodologies utilisées par la statistique publique.
Au 1er janvier 2020 ([7]), la Seine-Saint-Denis comptait 1 655 422 habitants. Ayant augmenté de 14 000 habitants (+ 0,9 %) par an entre 2014 et 2020, la démographie du département est la plus dynamique de France métropolitaine. Ce dynamisme est d’autant plus marqué qu’il contraste avec le reste de la région parisienne : au cours de la même période, l’Île-de-France n’a vu sa population augmenter que de 0,3 % par an quand Paris perdait au contraire 0,6 % ([8]) de sa population chaque année. Au 1er janvier 2023, selon les estimations provisoires de l’Insee, la Seine-Saint-Denis comptait 1 682 806 habitants soit 27 384 de plus par rapport à 2020 ce qui représente une augmentation d’environ 9 128 habitants par an. La tendance constatée entre 2014 et 2020 semble donc ralentir.
Comme l’illustre le diagramme ci-dessous, la croissance de la population du département s’explique principalement par la contribution du solde naturel ([9]), très élevé en raison de la jeunesse de la population.
Évolution de la population (en %)
Source : Insee, recensement de la population exploitation principale, 2013-2019.
Département le plus jeune de France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis comptait en 2020 42,6 % d’habitants de moins de 30 ans contre 35,2 % en France métropolitaine et 5,2 % d’habitants de plus de 75 ans contre 9,6 % en France métropolitaine. L’âge médian était de 34 ans en Seine-Saint-Denis et de 41 ans en France métropolitaine.
Comme le rappelle l’Insee ([10]) qui qualifie le département de « cosmopolite », « les Trente Glorieuses se sont accompagnées d’une forte immigration de travail » puis « les grands programmes de logement menés entre le milieu des années 1960 et la fin des années 1970 ont contribué (…) à accueillir les familles dans le cadre du regroupement familial. Entre 1968 et 1982, le département est ainsi passé du 9e au 2e rang de France métropolitaine pour la proportion d’immigrés. Depuis, cette proportion a presque doublé pour atteindre 30 % en 2016, soit le premier rang national, hors Mayotte. En 2016, les immigrés – dont près de la moitié est originaire de sept pays (Algérie, Maroc, Portugal, Tunisie, Turquie, Italie et Espagne) – représentent 57 % des ouvriers et 39 % des employés du département. »
Au 1er janvier 2019 ([11]), parmi les 39 communes de plus de 10 000 habitants comptant plus de 30 % de personnes immigrées ([12]) sur le territoire national, 18 se trouvaient en Seine-Saint-Denis. Rappelons qu’au sens de l’Insee, un immigré se définit comme une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. On peut donc être immigré et avoir acquis la nationalité française.
Communes de Seine-Saint-Denis comptant plus de 30 %
de personnes immigrées au 1er janvier 2019
Aubervilliers |
46 % |
La Courneuve |
45,1 % |
Pierrefitte-sur-Seine |
41 % |
Le Bourget |
39,6 % |
Clichy-sous-Bois |
38,6 % |
Saint-Denis |
38,4 % |
Bobigny |
37,8 % |
Villetaneuse |
36,4 % |
Blanc-Mesnil |
34,5 % |
Épinay-sur-Seine |
33,7 % |
Sevran |
33,6 % |
Stains |
33,4 % |
Drancy |
33,1 % |
Bondy |
33,0 % |
Bagnolet |
31,1 % |
Saint-Ouen-sur-Seine |
30,9 % |
Aulnay-sous-Bois |
30,4 % |
Pantin |
30,2 % |
Source : Insee.
En outre, 62 % des jeunes séquano-dionysiens de moins de 25 ans ont au moins un parent immigré contre 43 % d’entre eux en Île-de-France. À Aubervilliers et La Courneuve, cette proportion atteint 79 %.
Du Grand Paris Express (a) aux travaux nécessaires à la tenue des jeux olympiques et paralympiques de 2024 (b) en passant par la rénovation urbaine des quartiers prioritaires de la ville (c), la Seine-Saint-Denis est la principale bénéficiaire des projets urbanistiques menés en Île-de-France, projets qui vont modifier en profondeur la physionomie du département.
Projet d’amélioration du réseau de transports en commun francilien structuré autour de 4 nouvelles lignes de métro automatique (15, 16, 17 et 18) et de l’extension des lignes 11 et 14 – dont les financements s’élèvent à environ 42 milliards d’euros (euros 2023) ([13]) –, le Grand Paris Express ([14]) fera, à terme, de la gare de Saint-Denis Pleyel la station la plus interconnectée du nouveau réseau, desservie qu’elle sera par les lignes 14, 15, 16, 17 et par des liaisons piétonnes assurant une correspondance avec la ligne 13 et le RER D ([15]). Avec 250 000 voyageurs par jour ([16]), cette gare sera le principal point nodal ou « hub » du Grand Paris Express. Elle devrait être opérationnelle en 2024 ([17]).
Les deux cartes ci-dessous illustrent le tracé du Grand Paris Express :
Source : Société du Grand Paris.
25 des 27 nouvelles gares du réseau du Grand Paris Express situées en Seine-Saint-Denis devraient l’être dans des communes comportant des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
En plus des travaux directement liés au réseau de transport, le projet du Grand Paris Express prévoit aussi de nouveaux aménagements urbains – logements, commerces et services – autour des gares.
Parallèlement au Grand Paris Express, la Seine-Saint-Denis sera la principale bénéficiaire des travaux réalisés en vue de la tenue des jeux olympiques et paralympiques de 2024 puisque quatre des cinq plus grands chantiers d’infrastructures nouvelles menés par la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) se situent en Seine-Saint-Denis. Seule l’« Adidas Arena », porte de la Chapelle, sera hors du département. Bobigny accueillera un complexe sportif handisport, le Pôle de référence inclusif sport métropolitain (Prisme) ([18]). Quant à La Courneuve, au Bourget et à Dugny, ils accueilleront le village des médias. La principale opération d’aménagement dont bénéficiera le département est celle du village olympique dans les communes de Saint-Denis, de Saint-Ouen et de L’Île-Saint-Denis. Enfin, le Centre aquatique olympique (CAO) sera également à Saint-Denis.
Point mis en avant par les porteurs du projet, ce dernier prévoit des opérations de reconversion des infrastructures sportives précitées au profit des territoires ayant accueilli les Jeux. Ainsi la construction du village des médias devrait-elle permettre la restructuration urbaine des infrastructures nouvellement construites à La Courneuve, au Bourget et à Dugny : cet ensemble comptera 1 300 logements après les Jeux. Environ 500 emplois pourraient être créés grâce à l’activité de ce nouveau quartier. À Dugny et au Bourget, deux écoles devraient être reconstruites et un groupe scolaire et une crèche, financés. Par ailleurs, la reconversion du village olympique devrait contribuer à la création de deux groupes scolaires (écoles maternelles et élémentaires) ([19]), de deux crèches, d’une passerelle de franchissement de la Seine ainsi qu’à la rénovation du lycée Marcel Cachin et du gymnase Pablo Neruda. L’héritage du village olympique devrait apporter 2 807 logements et 100 000 m² de bureaux et services, susceptibles d’accueillir 6 000 habitants et 6 000 salariés. Enfin, dans le cadre de la reconversion de la ZAC de la Plaine Saulnier, la métropole du Grand Paris a fait inscrire dans le cahier des charges du contrat de concession une obligation de service public censée bénéficier aux écoles du quartier qui disposeront de créneaux horaires spécifiques dans le Centre aquatique olympique.
Aménagements dont la Seine-Saint-Denis devrait bénéficier
à l’issue des jeux olympiques et paralympiques de 2024
Source : Plaine Commune.
(1) Village des athlètes, nouveau quartier de ville ; (2) Centre aquatique olympique et futur quartier Plaine Saulnier ; (3) Modernisation du Stade de France ; (4) Transformation du canal Saint-Denis ; (5) Nouveau parc des sports à Marville ; (6) Nouveau centre aquatique à Aubervilliers ; (7) Agrandissement du parc Georges-Valbon.
En complément des ouvrages sportifs, des travaux d’aménagement ont été menés pour construire des passerelles et des ponts franchissant la Seine et les axes routiers, pour doter les bords de Seine de pistes cyclables et de voies piétonnes, pour enfouir les lignes à haute tension, pour construire un mur antibruit au sud de l’autoroute A86, etc.
D’après la Cour des comptes ([20]), la Seine-Saint-Denis bénéficie de 80 % du financement public de Solideo. Sur les 1,711 milliard d’euros de fonds publics alloués à Solideo – dont 75 % apportés par l’État –, 1,1 milliard sont investis en Seine-Saint-Denis ([21]).
Troisième élément de mutation urbanistique d’ampleur, en Île-de-France, la Seine-Saint-Denis sera la principale bénéficiaire du nouveau projet de renouvellement urbain (nouveau PNRU) ([22]) qui bénéficie aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
Sur les 1 436 quartiers prioritaires situés en France métropolitaine ([23]), 63 se trouvent en Seine-Saint-Denis, soit près de 5 % des QPV de France métropolitaine. En mars 2022, 602 054 Séquano-Dionysiens résidaient dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, soit 39 % de la population du département ([24]). Parmi les 40 communes de Seine-Saint-Denis, 32 comptent des QPV ([25])([26]). Le QPV le plus peuplé, à l’échelle régionale comme nationale, est celui du Franc‑Moisin‑Cosmonautes-Cristino Garcia-Landy : s’étendant sur les communes d’Aubervilliers, de La Courneuve et de Saint-Denis, il compte un peu plus de 126 000 habitants ([27]). Avec plus de 45 000 habitants, le QPV des Beaudottes – situé dans les communes d’Aulnay-sous-Bois et de Sevran – est le deuxième QPV le plus peuplé de France.
Part de la population vivant en QPV par commune
où au moins un QPV est présent en 2018 dans la Métropole du Grand Paris
Source : Insee (2022).
Le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ([28]) prévoit la rénovation urbaine de 35 quartiers en Seine-Saint-Denis sur les 480 quartiers concernés ([29]) parmi les 1 436 QPV de France métropolitaine, pour un investissement total de 12 milliards d’euros ([30]) : plus de 55 % des QPV de Seine‑Saint-Denis seront rénovés par le NPRNU ([31]). 2 milliards d’euros ont été alloués aux 32 premiers projets validés en octobre 2021, ce qui fait de la Seine‑Saint-Denis le plus gros bénéficiaire du NPNRU d’Île-de-France.
Les trente-trois projets de quartiers validés en 2021
Source : Agence nationale pour la rénovation urbaine.
À l’occasion du dernier Comité interministériel des villes le 27 octobre dernier, le Gouvernement a annoncé, parmi ses axes de travail, l’« élaboration de nouveaux contrats de ville 2024-2030, sur une géographie prioritaire actualisée ([32]) ». Aucun calendrier n’a néanmoins été précisé quant à la nouvelle cartographie des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Le territoire de Seine-Saint-Denis jouit d’une expansion économique qui contraste avec les fragilités sociales caractéristiques de la majorité de ses habitants. La progression de la part des emplois de cadre dans l’emploi total profite majoritairement aux non-résidents du département, disposant du niveau de qualification adéquat. Le taux de pauvreté du département demeure le plus élevé de France métropolitaine. En outre, au sein même du département, le territoire est marqué par des contrastes importants ([33]) :
– l’ouest du département se rapproche économiquement parlant de la métropole parisienne (a) ;
– le sud du département « se gentrifie » (b) ;
– le sud-est est tourné vers le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne (c) ;
– le nord-est est quant à lui tourné vers l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle (d) ;
– enfin, le nord et le centre de la Seine-Saint-Denis concentrent les difficultés sociales (e).
Ces contrastes se ressentent dans l’évolution de la ségrégation résidentielle depuis quinze ans (f). Enfin, l’évolution économique du département est marquée par l’extinction à venir des zones franches urbaines (g).
Zonage économique de la Seine-Saint-Denis établi par l’Insee
Source : Insee, dossier Île-de-France n° 6, janvier 2021.
Selon les analyses fournies aux rapporteurs par l’Insee, l’ouest de la Seine‑Saint-Denis est marqué par des transformations économiques importantes, en particulier à Saint-Denis et à Saint-Ouen. Concentrant dès 2016 22 % de l’emploi du département pour 10 % de la population, ces deux communes sont devenues un véritable pôle tertiaire métropolitain grâce à leur positionnement géographique : proximité de la capitale et présence d’un réseau de transports en commun dense et diversifié (métro, RER, bus, train) constituent des atouts indéniables pour ces territoires. La mutation économique de ces communes est particulièrement visible à la Plaine et à la ZAC des Docks.
Le dynamisme de cette partie du département s’explique par la tertiarisation de l’économie : la part des emplois de cadre atteint 38 % de l’emploi de la zone ([34]). Cependant, les retombées de cette évolution économique ne profitent que partiellement aux habitants du département. Le taux de pauvreté est particulièrement élevé dans cette zone du territoire : en 2016 ([35]), il était de plus de 31 % à Saint Denis contre moins de 19 % à Tremblay-en-France. Car si la part des emplois de cadre a considérablement augmenté, elle concerne majoritairement des non-résidents : en 2016, 73 % des cadres employés en Seine‑Saint-Denis ne résidaient pas dans le département, classé au 1er rang des départements de France métropolitaine pour la part des emplois de cadre occupés par des non-résidents ([36]).
Au sud du département, les communes de Pantin, du Pré-Saint-Gervais, des Lilas, de Bagnolet et de Montreuil – limitrophes de Paris – et celle de Romainville forment un ensemble en voie de gentrification ([37]). Ce phénomène est particulièrement visible aux Grands Moulins de Pantin, réhabilités en bureaux. Concentrant 20 % de l’emploi départemental (+ 24 % entre 1999 et 2016), ce territoire regroupe des populations disposant de niveaux de vie et d’emplois très différents. Si le potentiel de rénovation de l’habitat ancien de ces communes contribue à ce phénomène de gentrification, le taux de pauvreté y reste élevé (26 %). D’autre part, encore une fois, s’il y a autant d’emplois que d’actifs dans ces communes, 50 % de ces emplois sont occupés par des non-résidents. Ce territoire pourrait donc connaître dans les prochaines années une forte fragmentation socio‑spatiale.
Au sud-est de la Seine-Saint-Denis, l’établissement public territorial Grand Paris Grand Est forme un ensemble tourné vers les départements voisins du Val-de-Marne et de Seine-et-Marne. Essentiellement résidentielle, cette zone accueille un quart de la population départementale, une faible concentration de l’emploi (62 emplois pour 100 actifs) et la proportion la plus forte de personnes âgées du département (13 % de 65 ans ou plus). Elle présente moins de fragilités sociales que d’autres zones du 93 : près de 53 % des ménages y sont propriétaires ([38]), 21 % d’entre eux vivent en logement social et le taux de pauvreté est de 20 %. Toutefois, les écarts de niveau de vie y sont également importants : ainsi, entre la commune de Clichy-sous-Bois et celles du Raincy ou de Gournay‑sur‑Marne, beaucoup plus aisées.
Au nord-est du département, la proximité de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle contribue au dynamisme des communes de Tremblay-en-France et Villepinte. Cette zone concentre plus d’emplois que de résidents, souvent issus des classes moyennes et majoritairement propriétaires.
Ces communes regroupent 4,5 % de la population de Seine-Saint-Denis et enregistrent un taux de natalité inférieur à la moyenne départementale. Cependant, la proportion d’actifs sans baccalauréat est importante (supérieure à 46 %) et cette zone est davantage touchée par le chômage que le sud du département. En outre, les familles nombreuses constituent 20 % de l’ensemble des ménages et la progression de la part des familles monoparentales est plus rapide que dans le reste de la Seine-Saint-Denis.
Formant l’ensemble territorial le plus peuplé du département avec 44 % des habitants du département, le nord et le centre de la Seine-Saint-Denis se caractérisent avant tout par leur fragilité socio-économique. Ainsi, la part des ménages locataires du parc social dépasse les 40 % à Bobigny alors qu’elle est inférieure à 23 % au Raincy ([39]).
Deux pôles économiques sont implantés dans cette partie du département : Le Bourget et le pôle administratif de Bobigny. On compte 75 emplois pour 100 actifs et 6 emplois sur 10 occupés par des résidents du département. Toutefois, ce territoire reste avant tout une zone d’accueil pour la population précaire : 37 % des habitants de ce territoire ont moins de 25 ans et près d’une personne sur trois y est immigrée. Dans ces communes, la part des familles nombreuses est la plus élevée du département. Le taux de pauvreté atteint 34 %.
Si à l’échelle de la métropole du Grand Paris, 37 % de la population vit dans un quartier pouvant être qualifié de « mixte » ([40]), dans l’établissement public territorial (EPT) « Plaine Commune » ([41]) la mixité sociale est faible : plus de 50 % des quartiers de cet établissement public figurent parmi les plus ségrégués et moins de 15 % d’entre eux, parmi les plus mixtes alors que la ville de Paris compte près de 50 % de quartiers considérés parmi les plus mixtes et moins de 15 % parmi les plus ségrégués.
Répartition de la population de la métropole du Grand Paris
selon le niveau de mixité du quartier de résidence en 2019
Source : Insee, Filosofi, 2019.
Les contrastes du département apparaissent également dans l’évolution de la mixité résidentielle : selon l’Insee, depuis quinze ans, la ségrégation tend à diminuer dans certains quartiers au sud de Saint-Denis et d’Aubervilliers. À l’inverse, la ségrégation augmente dans d’autres quartiers au nord de ces communes : à Dugny, à Sevran, au Blanc-Mesnil et à Stains, la ségrégation, déjà élevée en 2004, s’est intensifiée.
Sur les 100 zones franches urbaines existantes ([42]), 26 sont en Île-de-France et 10 en Seine-Saint-Denis ([43]). Les entreprises qui s’y installent peuvent bénéficier d’une exonération d’impôt sur les bénéfices pendant cinq ans, dégressive les années suivantes (60 % la sixième année, 40 % la septième et 20 % la huitième) ([44]). L’exonération est plafonnée à 50 000 euros par période de douze mois et à 200 000 euros pour trois ans. Le plafond peut être majoré de 5 000 euros par nouveau salarié employé à temps plein et résidant dans la ZFU pendant au moins six mois. En outre, les entreprises peuvent bénéficier d’une exonération de cotisations patronales d’assurances sociales, d’allocations familiales, de fonds national d’aide au logement et, le cas échéant, de versement mobilité.
Trois générations de ZFU en Seine-Saint-Denis
ZFU créées au 01/01/1997 réactivées au 01/01/2003 |
ZFU créées au 01/01/2004 |
ZFU créées au 01/08/2006 |
Bondy : quartier Nord Clichy-sous-Bois : grands ensembles du haut et du bas Clichy et de Montfermeil |
Aulnay-sous-Bois : La Rose des Vents, Cité Emmaüs, Les Merisiers, les Étangs Épinay-sur-Seine : Orgemont La Courneuve : Les 4 000 Le Blanc-Mesnil-Dugny : Quartiers Nord Sevran : les Beaudottes Stains : Clos Saint-Lazare, Allende |
Drancy : Étoile, Grémillon, Pont de Pierre, Les Courtillières Neuilly-sur-Marne : Les Fauvettes |
Source : CCI Paris Île-de-France.
En 2020 ([45]), la Cour des comptes dressait un bilan mitigé des mesures à destination des entreprises pour l’attractivité des quartiers de la politique de la ville ([46]). Ce dispositif devrait s’éteindre le 31 décembre 2023.
Une mobilité résidentielle qui complique la caractérisation
de la population séquano-dionysienne