N° 2040

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

sur l’avenir de l’industrie spatiale européenne

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Cécile RILHAC et M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

LISTE DES RECOMMANDATIONS

INTRODUCTION

PREMIèRE PARTIE :  Des atouts nombreux qui ont garanti à la France et à l’Europe des succès remarquables dans le domaine du spatial, compensant en partie seulement des lacunes qui persistent

I. Des atouts nombreux et indéniables qui font la force du spatial français et européen

A. Les acteurs publics nationaux et européens du spatial

1. Les agences spatiales européennes

a. L’agence spatiale européenne (ESA)

b. L’agence de l’Union européenne pour le spatial (EUSPA)

2. Le Centre national des études spatiales (CNES)

3. Les autres acteurs publics

4. Des centres et organismes de recherche d’excellence

a. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

b. Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

c. L’Office national de la recherche aérospatiale (Onera)

d. L’Association nationale pour la recherche technologique (ANRT)

e. L’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria)

5. Les acteurs privés

B. Une industrie française à la pointe de l’Europe spatiale

1. Une politique spatiale européenne largement portée par l’industrie spatiale française.

2. Des infrastructures historiques et une réelle capacité d’adaptation face à la « nouvelle donne spatiale »

3. Ne pas « s’endormir sur ses lauriers » pour garder une position stratégique sur les différents segments de marché

C. Un centre spatial de renommée mondiale : le centre spatial guyanais (CSG)

D. Un cadre juridique robuste, qui a permis de sécuriser les activités spatiales en France et en Europe

1. Un « droit de l’espace » historiquement élaboré au sein des instances internationales

a. Un traité fondateur fixant les grands principes du droit de l’espace

b. Quatre autres traités approfondissant et déclinant ces principes.

c. Un droit international de l’espace qui s’appuie également sur des sources variées de droit souple.

2. Un cadre juridique national plus récent unanimement reconnu

II. Les succès des grands programmes SPATIAUX européens

A. Dans le domaine de l’observation de la Terre et la navigation satellitaire

1. Copernicus : un programme qui fait de l’Europe le premier fournisseur mondial des données relatives à l’observation de la Terre

a. Un programme qui repose sur une constellation de satellites d’observation

b. Un véritable succès industriel et commercial

c. Des données qui bénéficient à un ensemble large de services

d. Des évolutions à venir pour rester « à l’état de l’art »

2. Galileo : la navigation par satellite la plus précise au monde

a. Un programme développé après le célèbre GPS américain

b. Un outil de précision sans égal indispensable pour les citoyens et les entreprises européennes

c. Des évolutions à venir pour rester « à l’état de l’art »

B. Dans le domaine des lanceurs

1. Le programme Ariane a garanti à l’Europe un accès souverain à l’espace pendant plusieurs décennies

2. Un lanceur fiable, qui a su progressivement monter en charge

3. Un lanceur qui a longtemps dominé le marché mondial

C. Dans l’exploration spatiale et les missions scientifiques

1. Le rayonnement de grandes aventures scientifiques portées par des programmes français ou européens

a. La mission Juice

b. La mission Euclid (ESA Cosmic Vision M2)

c. MicroCarb

2. La France et l’Europe, des partenaires solides et fiables des grandes missions d’exploration internationale

a. La station spatiale internationale (ISS)

b. Le programme Artemis

c. Le télescope spatial James Webb (JWST)

d. La mission SVOM (Space Variable Objects Monitor)

III. Une ambition qui ne se dément pas mais en manque d’un « récit fédérateur », d’incarnation et de moyens

A. Un budget consacré au spatial bien inférieur à celui des États-Unis et possiblement à celui des autres concurrents de l’UE.

1. Une logique d’efficacité et « d’économie de moyens » faute d’un budget pouvant rivaliser avec celui des États-Unis.

2. Des financements privés moins disponibles qu’outre-Atlantique

3. Un soutien public et privé indispensable dans un contexte de concurrence croissante

B. Des évolutions du marché spatial qui doivent être anticipées pour éviter de perdre des parts de marché

C. Une absence d’incarnation européenne de l’aventure spatiale problématique

DEUXIEME PARTIE :  Une « nouvelle donne » avec le « New Space »,  qui rebat les cartes et révèle des fragilités  au sein du modèle spatial européen

I. Un changement de paradigme avec l’émergence du « New Space » qui modifie en profondeur les « règles du jeu » dans le domaine spatial

A. Le New Space : un changement de paradigme

B. Des évolutions majeures sur le marché commercial du spatial.

1. Le marché des satellites et de la connectivité

2. Le marché des lanceurs

3. Le marché des services en orbite

4. Le marché des données spatiales

C. Des marchés émergents, qui restent néanmoins en partie incertains

II. Une europe spatiALE qui TENTE DE s’adapter SANS cÉder aux sirÈnes du déclinisme

A. Une adaptation par la hausse des budgets institutionnels

1. En Europe

2. En France

B. Une adaptation par des évolutions institutionnelles

1. Des réformes régulières visant à renforcer l’articulation de l’action de l’agence spatiale européenne avec la Commission européenne et le programme spatial européen.

2. Des évolutions institutionnelles importantes en France pour mieux intégrer les acteurs du New Space et réorienter la politique spatiale davantage vers les enjeux commerciaux.

C. Une adaptation qui doit néanmoins se faire sans céder au « déclinisme »

III. Un contexte inédit, qui doit être pleinement « intégré » afin de prendre les bonnes décisions

A. Le sommet de Séville : un résultat équilibré entre les États membres

1. Un compromis raisonnable sur le financement d’Ariane 6, Vega C et de la prochaine génération de lanceurs

2. Un consensus autour de la nécessité pour l’Europe de se doter d’un cargo spatial

3. Une priorisation des investissements relatifs à l’environnement dans le cadre des programmes d’observation de la Terre

B. Des investissements dans le spatial militaire plus que jamais nécessaires

1. En Europe

2. En France

C. Des enjeux diplomatiques forts pour l’industrie spatiale française et européenne.

TROISIEME PARTIE :  Des évolutions indispensables pour être à la hauteur de nos ambitions et rester une nation clef de l’aventure spatiale

I. Une clarification indispensable des objectifs et de la gouvernance de notre politique spatiale pour gagner en efficacité et en agilité

A. Une stratégie nationale qui doit gagner en clarté et établir de véritables priorités

B. Une gouvernance du spatial qui doit être simplifiée et plus agile

C. Des interrogations légitimes, en Europe, sur le rôle de l’ESA et de l’EUSPA

II. AmÉliorer l’efficacitÉ du soutien destinÉ aux acteurs du spatial pour garantir un haut niveau d’investissement dans les technologies critiques

A. Un soutien incontestable et ambitieux des pouvoirs publics pour garantir le financement des technologies de rupture

B. Des faiblesses vis à vis de la disponibilité des financements, qui doivent être corrigées

1. Une accélération indispensable pour engager les crédits du plan France 2030

2. Certaines modalités de mise en œuvre du plan France 2030 sont à revoir

3. Des financements privés, qui manquent encore à l’appel

C. Une dynamique d’innovation qui ne se limite pas aux acteurs du New Space

D. Une vigilance qui doit être maintenue pour éviter les « fuites technologiques » et toutes formes de concurrence déloyale

III. Des réformes indispensables pour garantir l’efficacité de la politique spatiale européenne

A. Une règle de « retour géographique », qui doit évoluer

B. Une Space Law souhaitable, qui pourrait s’inspirer du modèle français de la loi sur les opérations spatiales (LOS)

C. Créer un vrai principe de préférence européenne pour protéger les intérêts européens dans le domaine spatial

D. Œuvrer à sortir de la dépendance européenne vis-à-vis des composants critiques pour le spatial

E. Faire de l’Europe un acteur clef des constellations en orbite basse

IV. Une culture du spatial qui doit être largement diffusÉe pour susciter des vocations et nourrir le « rêve d’espace » européen

A. Le spatial : un message d’avenir pour l’humanité et un levier fort de diplomatie scientifique pour l’Europe

B. Une « culture du spatial » qui doit néanmoins être mieux valorisée

C. Plusieurs pistes pour une vraie politique culturelle du spatial

EXamen en commission

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Auditions réalisées dans le cadre des déplacements

 

 


   LISTE DES RECOMMANDATIONS

 

  1. Clarifier la stratégie spatiale française et adapter son pilotage à la « nouvelle donne spatiale ».

Recommandation n° 7 : Définir une stratégie spatiale nationale reposant sur des priorités clairement définies afin de parer au double risque d’éparpillement des ressources et d’illisibilité.

Recommandation n° 8 : Créer un document de politique transversale intégré en annexe du projet de loi de finances relatif à la conduite de la politique spatiale française.

Recommandation n° 9 : Créer un Conseil national de l’espace (CNE) associant l’ensemble des acteurs du spatial afin de renforcer les synergies existantes, d’appuyer l’élaboration d’une stratégie nationale et d’en assurer sa bonne déclinaison.

Recommandation n° 21 : Maintenir un haut degré d’expertise technique au sein des grands organismes nationaux de recherche, tout en renforçant leur expertise et prérogatives en matière de programmation et de stratégie.

Recommandation n° 17 : Engager une réflexion stratégique sur les futures technologies de rupture du secteur spatial à soutenir dans les programmes succédant à France 2030.

Recommandation n° 2 : Accompagner administrativement et financièrement la transformation du Centre spatial guyanais (CSG) pour l’adapter à la nouvelle donne des lanceurs et à la transition énergétique.

Recommandation n° 2 bis de M. Aurélien Lopez-Liguori : Ne pas sacrifier à des règles environnementales excessivement restrictives la bonne conduite de projets spatiaux stratégiques, tels que le réaménagement des pas de tirs, sur la base de Kourou.

Recommandation n° 1 : Poursuivre les réformes engagées au sein du Centre national d’études spatiales (CNES) en faveur d’un modèle davantage porté sur le risque et le soutien aux acteurs du New Space.

 

  1. Soutenir l’innovation et la compétitivité des entreprises spatiales françaises et européennes.

Recommandation n° 12 : Maintenir un niveau d’investissement élevé à destination des technologies spatiales civiles et militaires pour permettre à nos entreprises et à nos forces armées de rester « à l’état de l’art ».

Recommandation n° 14 : Accélérer l’engagement des crédits du volet spatial du plan France 2030 pour éviter de prendre, à nouveau, du retard dans certains domaines critiques, notamment au regard des décisions de Séville.

Recommandation n° 15 : Recentrer la deuxième phase de France 2030 sur les objectifs et priorités définis au sein d’une politique spatiale nationale redéfinie.

Recommandation n° 23 : Étudier la réorientation d’une partie des crédits engagés dans le cadre du plan France 2030 au profit des PME et des ETI, sous-traitants indispensables de la filière spatiale.

Recommandation n° 13 : Étudier les voies et moyens de raccourcir le traitement administratif et la mise à disposition des fonds du plan France 2030 pour s’aligner avec la dynamique du secteur.

Recommandation n° 16 : Garantir l’absence d’effets de substitution entre les crédits engagés en faveur du financement du secteur spatial dans le cadre du plan France 2030 et les crédits budgétaires ministériels classiques.

Recommandation n° 22 : Tenir compte des spécificités du tissu économique du spatial français dans l’application des recommandations européennes concernant la définition des micros, petites et moyennes entreprises.

Recommandation n° 11 : Engager des synergies entre les acteurs du spatial et du numérique pour faire émerger une filière française et européenne de l’économie de la donnée

Recommandation n° 19 : Sensibiliser les grandes entreprises françaises à l’impact de l’essor des données et applications spatiales sur leurs activités pour créer une « prise de conscience » et favoriser le financement des spacetech françaises.

Recommandation n° 18 : Étudier les voies et moyens d’orienter les grands investisseurs vers le financement des entreprises technologiques françaises afin de renforcer la disponibilité du capital-risque pour ces dernières.

Recommandation n° 24 : Assurer un niveau de commande publique exemplaire pour soutenir la compétitivité et la croissance de notre écosystème industriel spatial.

Recommandation n° 25 : Maintenir une vigilance accrue vis-à-vis des risques d’espionnage industriel et de captation technologique concernant les entreprises françaises du spatial.

 

  1. Construire une politique spatiale souveraine et ambitieuse.

Recommandation n° 27 : Réfléchir à faire évoluer la règle du retour géographique au profit du « fair return » pour gagner en efficacité et en compétitivité sur les projets spatiaux économiques et industriels soutenus par l’ESA.

Recommandation n° 31 : Mener une revue des règles relatives à l’ouverture des données collectées dans le cadre des programmes spatiaux européens pour garantir une réelle primauté des États membres sur leur exploitation.

Recommandation n° 33 : Assurer le caractère résilient et souverain de la constellation Iris2 en particulier concernant le stockage des données produites et collectées.

Recommandation n° 35 : Assurer le financement et le déploiement de la constellation Iris2 avant la fin de la décennie.

Recommandation n° 6 : Renforcer les moyens capacitaires de EU SST (European Union Space Surveillance and Tracking) pour garantir à l’Union une autonomie stratégique en matière de surveillance de l’espace.

Recommandation n° 5 : Réaffirmer pour l’Europe une ambition forte d’un accès autonome et souverain à l’espace.

Recommandation n° 5 bis : Relancer dès aujourd’hui les réflexions sur le lanceur lourd européen successeur de Ariane 6.

Recommandation n° 32 : Promouvoir un principe de préférence européenne pour l’ensemble des lancements institutionnels menés par les pays membres de l’Union européenne.

Recommandation n° 26 : Réfléchir à des évolutions du droit européen afin d’éviter des effets de distorsion favorables aux entreprises extra-européennes du secteur spatial, notamment en conditionnant la fourniture de service au respect des règles l’Union.

Recommandation de Mme Cécile Rilhac n° 28 : Doter l’Union européenne d’une véritable législation sur l’espace, inspirée de notre législation nationale, pour garantir à l’Europe une capacité de soft power maximale sur les activités spatiales internationales.

Recommandation de Mme Cécile Rilhac n° 30 : Engager l’adhésion de l’Union européenne aux principaux traités et convention internationaux sur l’espace extra-atmosphérique

Recommandation n° 10 : Réfléchir à faire évoluer le rôle de l’agence spatiale européenne (ESA) ainsi que les règles relatives aux projets spatiaux soutenus par cette dernière pour gagner en efficacité.

Recommandation n° 34 : Maintenir un niveau d’ambition élevé pour assurer une réelle autonomie européenne sur les composants critiques du spatial.

Recommandation n° 34 bis de M. Aurélien Lopez-Liguori : Assurer une vigilance accrue sur l’extraterritorialité de certains droits extra-européens (type ITAR) pouvant entraver les projets spatiaux européens.

 

  1. Fédérer autour de l’aventure spatiale européenne.

Recommandation n° 36 : Faire de l’espace un outil de « soft power » pour la France et l’Union européenne.

Recommandation n° 3 : Réaffirmer l’ambition de l’Europe dans le domaine de l’exploration spatiale et du vol habité, qui constituent deux éléments cardinaux dans la construction d’un récit spatial européen fédérateur.

Recommandation n° 20 : Augmenter les crédits destinés au financement de l’enseignement et de la recherche dans le domaine spatial.

Recommandation n° 4 : Promouvoir la convergence des États membres sur les ambitions de la politique spatiale européenne tout en restant lucide vis-à-vis de la « nouvelle donne » à l’œuvre sur les lanceurs.

Recommandation n° 37 : Donner une nouvelle ampleur à la politique de valorisation des activités spatiales en France afin de développer une vraie « culture spatiale » nationale.

Recommandation n° 38 : Créer un événement national à destination du grand public permettant de nourrir le récit de l’aventure spatiale française et européenne.

Recommandation n° 39 : Renforcer la communication autour des métiers du spatial, en soutenant une diversification des profils attirés.

Recommandation  40 : Étudier la possibilité de créer une mention/spécialité spécifique au secteur spatial au sein des formations professionnelles et techniques pour mieux flécher les parcours vers les métiers de l’économie de l’espace.

Recommandation n° 29 : Maintenir une vigilance élevée vis-à-vis de la durabilité des activités spatiales.

 

 

 

 


   INTRODUCTION

L’industrie spatiale européenne est un levier de souveraineté majeur pour la France et l’Europe. Ses succès prennent appui sur l’excellence de la recherche ainsi que sur des infrastructures et des savoir-faire reconnus internationalement. Vecteur de croissance et d’emploi, elle permet à l’Union européenne d’être une puissance spatiale de premier plan. La France en est le cœur battant, avec plus de 40 % des emplois européens dans le spatial, et des fleurons industriels qui permettent à notre pays d’être positionné sur toute la chaîne de la valeur spatiale.

Ces succès, nombreux, ne doivent néanmoins pas effacer les bouleversements profonds qu’a connus le monde du spatial depuis 20 ans, avec l’essor du New Space. L’arrivée de nouveaux acteurs, de nouvelles technologies et l’évolution du rôle de la puissance publique dans ce domaine sont en train de rebattre les cartes. La baisse des coûts et les progrès technologiques ont démocratisé l’espace, suscitant de nombreux appétits, à la fois de nouveaux acteurs, parfois verticalisés, souhaitant asseoir des positions dominantes sur certains marchés (Space X, Starlink par exemple), et de certains États souhaitant se hisser au meilleur niveau dans un secteur d’activité par nature souverain (Chine, Inde). De l’essor des constellations de satellites, à l’émergence de mini et de micro-lanceurs, en passant par l’ensemble des applications spatiales liées au marché de la donnée, ces évolutions impliquent que la France et l’Europe prennent les bonnes décisions dans un domaine où leurs positions historiques sont remises en cause.

Face à ce constat, et dans un contexte marqué par des tensions, au niveau européen, sur l’avenir de la politique spatiale, il était indispensable d’interroger l’efficacité de notre politique spatiale et de réfléchir aux changements nécessaires pour rattraper certains retards (Ariane 6) et consolider des succès scientifiques et industriels construits au fil des décennies.

C’est dans cette perspective que vos rapporteurs ont abordé cette mission. Alors que ce secteur d’activité est habituellement cantonné aux approches géopolitiques ou de défense, le présent rapport rappelle la dimension fondamentalement économique et industrielle du spatial. Les succès passés et à venir dépendront en effet d’abord de la capacité de notre écosystème à rester soudé, à trouver des financements à la hauteur des ambitions affichées et enfin à innover, encore et toujours, pour conserver une longueur d’avance sur nos principaux concurrents.

Vos rapporteurs ont donc souhaité questionner la politique spatiale française et européenne à l’aune d’interrogations simples. Quelles sont, dans la situation actuelle, les forces et les faiblesses de notre industrie spatiale ? Comment doit-on faire évoluer nos modes d’intervention publics pour lui assurer un soutien le plus efficace possible pour rester « à l’état de l’art » ? De quelle façon, enfin, peut-on porter une ambition européenne forte dans ce domaine, en conservant un équilibre entre l’unité nécessaire des Européens et les velléités de certains d’entre eux d’avancer vers davantage de concurrence ?

S’appuyant sur plus de cinquante auditions et trois déplacements, vos rapporteurs dressent un constat simple : pour assurer l’avenir de l’industrie spatiale européenne, des changements importants doivent être mis en œuvre. Restructurer une politique spatiale trop éclatée et insuffisamment lisible, accélérer significativement le déploiement des crédits du plan France 2030, améliorer le financement des innovations et soutenir l’acculturation du grand public, sont autant de pistes à suivre. Vos rapporteurs formulent, à cet effet, plus de quarante propositions opérationnelles pour nourrir le débat et permettre à notre pays de faire les bons choix, dans un paysage économique en mutation rapide.

 

 

 

 


   PREMIèRE PARTIE :
Des atouts nombreux qui ont garanti à la France et à l’Europe des succès remarquables dans le domaine du spatial, compensant en partie seulement des lacunes qui persistent

I.   Des atouts nombreux et indéniables qui font la force du spatial français et européen

La France et l’Europe disposent d’atouts majeurs qui ont fait leur succès sur l’ensemble des composantes du secteur spatial, autant en matière de recherche fondamentale, que dans le domaine des satellites et des lanceurs. Cette puissance spatiale repose sur une architecture institutionnelle robuste favorisant la coopération des États autour de la politique spatiale européenne, ainsi que sur des infrastructures et des compétences reconnues internationalement.

A.   Les acteurs publics nationaux et européens du spatial

La France et l’Union européenne se sont dotées d’une architecture institutionnelle spécialement consacrée à la politique spatiale.

Au niveau européen, deux agences ont des compétences pour mettre en œuvre la politique spatiale européenne : l’agence spatiale européenne (ESA) et l’agence de l’Union européenne pour le spatial (EUSPA).

1.   Les agences spatiales européennes

a.   L’agence spatiale européenne (ESA)

L’agence spatiale européenne a été créée en 1975 pour favoriser la coopération entre les États européens dans le domaine spatial. Il s’agit, en droit, d’une organisation intergouvernementale dont la mission est « d’assurer et de développer, à des fins exclusivement pacifiques, la coopération entre États européens en élaborant et en mettant en œuvre une politique spatiale européenne à long terme » ([1]).

Elle compte 22 membres que sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Suède, la République Tchèque et la Suisse.

Elle intègre, en outre, quatre membres associés (Slovaquie, Slovénie, Lettonie et Lituanie), ainsi que cinq membres « coopérants », c’est-à-dire participant à des coopérations ponctuelles dans le cadre de certains programmes (Canada, Bulgarie, Croatie, Chypre et Malte).

L’agence spatiale européenne assure pour le compte de ses membres la gestion de plusieurs types de programmes :

– des programmes obligatoires, que les États membres définissent et financent proportionnellement à leur puissance économique ;

– des programmes optionnels, dans lesquels des États membres choisissent de s’engager, d’investir ;

– des programmes spatiaux de l’Union européenne, tels que Copernicus ou Galileo.

La composition de son budget pour 2023 témoigne de ces différents engagements.

Répartition du budget de l’ESA en 2023 par domaine d’activité

Source : ESA

Les règles de fonctionnement de l’ESA sont définies au sein de sa convention de création ([2]). Le financement des programmes compétitifs répond à un principe de « retour géographique » garantissant que les États puissent bénéficier d’un retour proportionnel à leurs investissements. Ce principe, appelé « répartition géographique des contrats » est défini au sein de l’article IV de l’annexe V à la convention précitée, qui est consacrée à la politique industrielle.

L’agence spatiale européenne est indépendante de l’Union européenne. L’ESA et l’UE ont en effet des compétences distinctes, leurs États membres ne sont pas tous les mêmes et leurs règles et procédures dont différentes. Cela ne les empêche pas de collaborer de façon étroite ([3]) sur le fondement d’un accord-cadre de partenariat financier (FFPA) régulièrement révisé.

La mise en œuvre du volet spatial de l’UE est ainsi officiellement confiée à l’ESA. L’accord-cadre précité garantit à l’ESA un niveau d’autonomie nécessaire pour développer et mettre en œuvre efficacement ces programmes.

b.   L’agence de l’Union européenne pour le spatial (EUSPA)

L’agence de l’Union européenne pour le programme spatial a été créée en 2021 afin de prendre la suite des activités de l’agence pour les systèmes globaux de navigation par satellites européens (AGSSN) créée par le règlement du Conseil du 12 juillet 2004 pour assurer la mise en œuvre d’une nouvelle génération de systèmes de radionavigation par satellite.

Son action s’articule principalement autour de trois missions :

– l’exploitation et la fourniture de services satellitaires. L’agence intervient ainsi dans le cadre de la mise en œuvre des programmes Galileo et Egnos ([4]) en temps réel, ce qui inclut les opérations sur les satellites concernés, leur maintenance, ainsi que l’amélioration et l’évolution des services fournis par leur exploitation. Lors de son audition, le directeur exécutif de cette agence a précisé, en outre, à vos rapporteurs, que l’EUSPA participait, dans ce cadre, avec la Commission européenne, aux programmes Govsatcom et IRIS2. L’EUSPA est également responsable de la surveillance de l’espace et du suivi des objets en orbite ;

– les enjeux de sécurité. L’agence assure ainsi la sécurité opérationnelle de Galileo, et elle assure aux États membres la fourniture de services comme le service public réglementé pour Galileo (et les services de même nature à venir pour Govsatcom) ;

– la promotion des services et de la valeur économique des marchés spatiaux relatifs à ces services auprès des différents acteurs économiques de l’Union. Cette action se traduit notamment par un travail d’analyse de l’impact de l’économie de la donnée satellitaire sur l’ensemble des principales filières économiques existantes (agriculture, numérique, industrie etc.).

2.   Le Centre national des études spatiales (CNES)

Le Centre national des études spatiales (CNES), créé en 1961, est le principal acteur et coordonnateur de la politique spatiale française. Il dispose d’une double compétence d’agence de programmes et de centre technique. Il met en œuvre les principaux programmes nationaux et européens dans le domaine spatial, en lien avec l’agence spatiale européenne, et les acteurs institutionnels français compétents. Le CNES représente d’ailleurs la France au sein de cette agence.

Le CNES intervient sur les cinq grandes thématiques du spatial français et européen à savoir :

– la politique des lanceurs, qui doit garantir à la France et à l’Europe une autonomie d’accès à l’espace. Il suit à cet égard le développement des programmes d’Ariane 6, de Vega, ainsi que l’exploitation d’Ariane 5 et de Vega. Il assure également le suivi des programmes portant l’avenir des lanceurs européens, qu’il s’agisse de micro et de mini-lanceurs, en lien avec les entreprises en charge de leur développement industriel. Le CNES assure par ailleurs la tutelle du Centre spatial guyanais (CSG) ;

– les programmes relatifs aux sciences de l’univers et son exploration. Le CNES participe dans ce cadre aux grandes missions du programme scientifique obligatoire de l’ESA et aux programmes d’exploration robotique du système solaire, notamment aux missions martiennes menées dans le cadre de l’ESA ou en coopération avec la NASA ;

– les programmes d’étude et d’observation de la Terre. Le CNES suit à ce titre les nombreux programmes à l’œuvre dans ce domaine, tels que Jason (océanographie), IASI (météorologie), Calipso (aérosols), Megha-Tropiques (atmosphère), ainsi, entre autres, que les missions du programme européen Copernicus, Vénus, CFOSat ;

– les programmes intervenant dans le domaine des télécommunications, à savoir Galileo (navigation), Argos (collecte de données), Angels (collecte de données sur nanosatellites, dits nanosat), PPS 5000 (propulsion électrique des satellites). Le CNES travaille également sur les projets CASTOR (Processeur bord générique), SpaceInspire et OneSat (satellites flexibles innovants), POLLUX (technologies charges utiles), PEGASE (technologies plateformes) et DYSCO (télécommunications optiques), Kineis (internet des objets) et il accompagnera l’initiative européenne de constellation spatiale de connectivité sécurisée (ESSCS) ;

– les programmes spatiaux liés à la défense, avec un double objectif de soutenir des projets militaires et duaux pour maintenir la base industrielle et technologique de défense (BITD), et d’installer le commandement de l’espace (CDE) au sein de son centre situé à Toulouse, avec un transfert de compétence progressif sur la gestion des satellites militaires en faveur de cet organe récent. Les programmes concernés sont, entre autres, Pléiades, Hélios, CSO, et Syracuse 4, ainsi que YODA.

Au total, le périmètre d’action du CNES concerne plus de quarante projets en développement, vingt en exploitation et une dizaine de démonstrateurs technologiques.

Le CNES est financé par les programmes 191 « Recherche duale », 193 « Recherche spatiale » du budget de l’État ainsi que par des recettes propres issues des programmes menés pour le compte de ses partenaires (direction générale de l’armement, agence spatiale européenne, organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques principalement). En 2023, son budget était de 2,598 milliards d’euros (Md€) ([5]).

Recettes et dépenses du CNES pour l’année 2023

Source : CNES

L’observatoire du spatial : un outil de prospective permettant de suivre les évolutions des marchés de l’espace.

L’observatoire du spatial est une sous-direction créée par le CNES en 2022 qui a pour missions de porter la prospective du CNES et de produire l’ensemble des données et analyses technico-économiques alimentant la stratégie.

Cet observatoire repose sur deux structures principales :

 Space’ibles, qui est un observatoire de prospective, rassemblant 60 organismes partenaires dont deux tiers sont issus de secteurs économiques variés (agriculture, transports, gaming, assurances etc.) ;

– l’observatoire de l’économie spatiale (OES) qui mène des travaux d’intelligence économique à court et moyen terme. Ce dernier réalise un important travail de veille et d’analyse sur les évolutions en cours et à venir concernant les acteurs économiques, les entreprises, les marchés, ainsi que de leurs impacts sur l’écosystème spatial national, européen et international. Il acquiert des éléments d’information sur l’évolution des marchés auprès de cabinets de consulting et fait réaliser des études ciblées pour aider à orienter les actions de l’État et du CNES pour positionner au mieux les acteurs nationaux compte tenu des enjeux du secteur.

Par un dialogue régulier avec les acteurs majeurs et les nouveaux entrants de l’écosystème spatial national, l’observatoire de l’économie spatiale est au plus proche de la connaissance de la situation économique des entreprises, qu’elle fait connaître au CNES et à ses ministères de tutelle via un bulletin mensuel confidentiel.

Source : CNES.

D’une façon plus récente, le CNES a fait l’objet d’évolutions importantes, visant à faire évoluer son positionnement davantage vers le monde économique. Ces réformes en cours doivent être poursuivies et soutenues pour s’adapter aux nouveaux enjeux du spatial.

Recommandation n° 1 : Poursuivre les réformes engagées au sein du Centre national d’études spatiales (CNES) en faveur d’un modèle davantage porté sur le risque et le soutien aux acteurs du New Space.

3.   Les autres acteurs publics

Trois ministères interviennent principalement dans le domaine de la politique spatiale française :

– le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR), à travers l’action, en particulier de la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI). Cette direction a pour mission de piloter la stratégie nationale de recherche et donc d’en décliner la dimension spatiale. Elle est associée à la définition de la politique spatiale et joue un rôle important d’orientation des enjeux liés à la science spatiale et à l’innovation. Ce ministère assure notamment la tutelle du CNRS ;

– le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et spatiale (MEF), à travers l’action de la Direction générale des entreprises (DGE). Cette direction assure un suivi précis des entreprises du spatial, et, depuis 2020, de la politique spatiale, ce qui correspond à un transfert de cette compétence originellement attribuée à la DGRI. Dans ce cadre, la DGE assure la cotutelle du CNES, joue un rôle de chef de file vis-à-vis des ministères, et conserve un lien étroit avec les industriels, dans le cadre du Cospace. Elle assure enfin le pilotage et la mise en œuvre de projets à fort impact pour la filière et sa transformation : France 2030, préparation des conférences ministérielles de l’ESA, négociations européennes (lanceurs, IRIS², EU Space law, etc.) ;

– le ministère des armées, principalement à travers l’action de la direction générale de l’armement (DGA) et l’action du commandement de l’espace (CDE). Ce ministère porte les différents programmes militaires liés à l’espace, en lien avec le CNES, et assure la tutelle ou la cotutelle de certains organismes de recherche spatiale spécialisés, tel que l’Office national d’études et de recherche aérospatiales (tutelle) ainsi que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (cotutelle).

La compétence de ces trois ministères est complétée de trois façons :

–  par l’intervention du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), placé auprès du Premier ministre, chargé de piloter le plan France 2030 et son volet spatial (1,5 Md€) ;

– par l’action du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui assure la fonction de coordinateur interministériel de la sécurité des programmes spatiaux européens (Galileo, Copernicus, Egnos), contrôle les données d’origine spatiale, en plus de sa mission d’animation du dialogue spatial avec nos partenaires ;

–  par l’action des autres ministères, en particulier du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dans leurs champs de compétences respectifs. Ce dernier intervient en effet au sein des échanges entre États membres sur le sujet et pilote avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) le dialogue spatial global entre la France et les États-Unis. En outre, il intervient en soutien du Ministère de l’Économie pour définir la position française à Bruxelles et échanger avec la Commission européenne ;

4.   Des centres et organismes de recherche d’excellence

Sous la tutelle des ministères précités, plusieurs organismes de recherche jouent un rôle majeur dans le domaine du spatial.

a.   Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Créé en 1939, le CNRS est un établissement public à caractère administratif à vocation généraliste orienté vers la recherche fondamentale. Il est organisé sous la forme d’instituts de recherche répartis sur l’ensemble du territoire national.

Les travaux menés par le CNRS en lien avec l’espace concernent essentiellement l’observation de la Terre et les sciences de l’univers. Son domaine le plus actif concerne les recherches dans et depuis l’espace menées au sein de son Institut national des sciences de l’univers (INSU).

Les recherches menées ont d’ailleurs des liens parfois importants avec les entreprises. Lors de son audition, le CNRS a ainsi indiqué à vos rapporteurs avoir identifié 23 sociétés appartenant au groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) ayant des liens avec des laboratoires du CNES, à travers des laboratoires communs (une quinzaine dans le spatial), des contrats « CIFRE » (convention industrielle de formation par la recherche), des contrats de partenariat, de sous-traitance ou de prestation, et avec les acteurs émergents (environ 26 startups du spatial en lien avec ses laboratoires).

b.   Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Créé en 1945, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives mène des recherches par nature liées au domaine spatial. Il collabore avec l’ESA et les acteurs de la recherche autour des enjeux énergétiques dans l’espace et du développement de capacités technologiques permettant de mieux comprendre l’univers et les phénomènes climatiques sur Terre.

Les recherches menées au sein du CEA en lien avec le spatial sont de plusieurs ordres :

– des missions en collaboration avec le CNES pour la science de l’univers et l’observation de la Terre. On peut citer la mission EUCLID de l’ESA dont le satellite a été lancé en 2023 et qui vient de donner ses premières images. Le CEA a été à l’origine de cette mission et a assuré la responsabilité de la vision système au niveau global ainsi que la réalisation d’éléments clés en particulier le plan focal d’un des deux instruments ;

 le développement d’instruments spatiaux, en travaillant sur la charge utile des satellites, depuis la R&D amont en lien avec le CNES ou l’ESA jusqu’à la maîtrise d’œuvre d’instruments, de systèmes de réfrigération ou du segment sol de traitement des données. Ces travaux ont conduit à l’élaboration, à titre d’exemple, de la caméra infra-rouge MIRIM embarquée sur le télescope spatial JWST (James Webb Space Telescope) de la NASA, lancé en décembre 2021 depuis Kourou, ou de la mission franco-chinoise SVOM sous PI-ship CEA qui assure la maîtrise d’œuvre de deux instruments et du segment sol ;

– la fourniture de certaines technologies spatiales dans le domaine de la défense, pour répondre à des besoins souverains. Dans cette optique, la direction des applications militaires du CEA mène des études thématiques spécifiques comme les risques de collision des satellites avec des débris spatiaux, la rentrée atmosphérique, la tenue des composants aux rayonnements ou les armes à énergie dirigée ;

– l’énergie pour le spatial. C’est le cas du nucléaire spatial, qui fait l’objet de travaux depuis plus de 50 ans au sein de cet organisme. Dans sa contribution écrite, le centre relève d’ailleurs que le lancement « d’un programme nucléaire spatial d’envergure [ne peut être envisagé] en France sans une volonté politique forte et un financement dédié dans la durée qui nécessite des investissements allant bien au-delà des budgets récurrents actuels alloués au domaine spatial par les organismes de recherche » ([6]).

– les technologies numériques ainsi que les nano et micro technologies. Ces domaines sont en effet de nature à améliorer les performances des technologies spatiales. Le CEA participe notamment, dans ce cadre, au projet SAGA.

c.   L’Office national de la recherche aérospatiale (Onera)

L’Onera est un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1946, à la fin de la seconde guerre mondiale, afin de permettre à la France de rattraper son retard sur l’Allemagne dans le domaine aéronautique.

Son activité est organisée autour de 29 feuilles de routes, dont 12 concernent directement le secteur spatial. L’Onera mène ainsi des recherches dans le domaine de la surveillance de l’environnement naturel et opérationnel, de la conception de systèmes de systèmes, des technologies permettant de garantir un accès performant, durable et sûr de l’espace. L’Onera se positionne également sur le segment de recherche concernant les nouveaux moyens de simulation.

Lors de son audition, son président-directeur général a indiqué à vos rapporteurs que l’Onera contribuait pleinement à la politique spatiale française et européenne en apportant son expertise technologique dans des domaines clefs, tels que la mesure des flux thermiques (sur le pas de tir d’Ariane 5), les technologies optiques (l’instrument SPHERE est doté d’une optique adaptive conçue par l’Onera) et gravitationnelles (accéléromètres), en étroite collaboration avec les acteurs mondiaux ayant des besoins dans ces domaines.

d.   L’Association nationale pour la recherche technologique (ANRT)

Créée en 1953, l’association nationale pour la recherche technologique se définit comme un réseau intersectoriel public-privé de la recherche française. Elle contribue à nourrir la réflexion sur les sujets technologiques, notamment dans le domaine spatial.

L’ANRT dispose en son sein d’un groupe de travail, « Objectif Lune », fondé en 2019, dont l’ambition est de développer une réflexion autour de l’exploration et l’installation humaine sur la lune. Pour ce faire, ce groupe réunit les acteurs du spatial et du non spatial afin de fédérer et d’insuffler un nouvel élan dans la perspective de missions cislunaires et lunaires.

Dans ce cadre, l’ANRT a conduit de nombreux travaux depuis 2019, plaidant pour une ambition lunaire européenne, notamment dans le domaine des constellations satellitaires, en lien avec le lancement du programme Moonlight de l’ESA. Selon le GT Objectif Lune de cette association, pour l’Europe spatiale, il faut s’engager sur un projet tel que Moonlight afin de « mettre au service de la Lune un savoir-faire européen historique, reconnu et complet d’observation de la Terre, de navigation, de géolocalisation et de télécommunication » ([7]).

Ces réflexions sont synthétisées dans un livre blanc « L’ambition lunaire, défi stratégique pour l’Europe du XXIe siècle », publié en février 2022 ([8]), et ont été prolongées par plusieurs approfondissements thématiques, notamment juridiques : « Préparer le droit spatial français aux nouvelles ambitions lunaires. Encadrer l’utilisation des corps célestes » (novembre 2023).

e.   L’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria)

Créé en 1967, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique est un organisme de recherche spécialisé dans les technologies numériques. Placé sous la double tutelle des ministères chargés de la recherche et de l’industrie, il est composé de 220 équipes-projets, impliquant près de 3 500 scientifiques, dont la moitié est en provenance des grandes universités de recherche françaises.

Lors de son audition, le président-directeur général de l’INRIA a indiqué que si le secteur spatial n’entrait pas, a priori, dans le champ de compétences de l’INRIA, ce dernier était néanmoins amené à travailler sur des projets en lien direct avec ce domaine, tant l’imbrication entre technologies numériques et technologies spatiales est forte. Les recherches menées par l’INRIA concernent notamment la simulation numérique des trajectoires des engins spatiaux (jumeaux numériques).

5.   Les acteurs privés

Les entreprises appartenant au secteur de l’économie spatiale ont connu une forte diversification en lien avec les évolutions du marché spatial. En effet, aux côtés des grandes entreprises industrielles telles que Thales, Airbus ou Safran, fleurons de l’industrie spatiale française, on retrouve un nombre croissant des PME, d’ETI et surtout de startups, c’est-à-dire des acteurs émergents qui tentent de prendre position sur des marchés spécifiques à l’appui d’une innovation technologique.

Ces entreprises sont regroupées au sein de différentes fédérations professionnelles qui portent leurs intérêts auprès des pouvoirs publics :

– le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), fédération historique, qui regroupe actuellement 452 sociétés françaises – des maîtres d’œuvre et systémiers jusqu’aux PME et startups. Si la composante spatiale de cette fédération n’est pas majoritaire, au regard des différences de taille entre les secteurs de l’aéronautique et du spatial (195 000 emplois pour ses adhérents dont 20 138 au sein de ce dernier secteur d’activité), elle est néanmoins en croissance en termes d’effectifs (+ 11 % entre 2021 et 2022, sous l’effet de l’intégration de nouvelles startups). Cette hausse correspond à la tendance observée par l’observatoire de l’économie spatiale, dont les chiffres indiquent, en France, la création de 140 entreprises entre 2010 et 2022 et une dynamique de levée de fonds favorable depuis quelques années (doublement des fonds levés entre 2020 et 2022) ;

– l’alliance New Space, fondée en 2021, sous la forme d’une association (« loi de 1901 »), qui regroupe une quarantaine de startups et PME françaises du spatial, réparties sur l’ensemble du territoire et dans les différents secteurs d’activité du spatial (amont et aval). Sa création répond à la nécessité de structurer l’écosystème français du NewSpace, conformément à la demande du ministre de l’économie lors du Cospace de février 2022.

D’autres regroupements ont émergé au sein de ce secteur dynamique d’activité, comme en témoigne la tenue récente d’Assises du New Space, rassemblant acteurs publics et privés du spatial, dans le but de renforcer les synergies et de formuler des recommandations à destination des pouvoirs publics. Ces différents cercles (clubs, associations professionnelles, think tank etc.) témoignent du dynamisme de ce secteur d’activité et du renouvellement en profondeur des « règles du jeu » de l’économie de l’espace (infra).

Ces différents regroupements doivent être mis en perspective avec les organismes publics de recherche et structures de recherche qui nourrissent la création de nouvelles pousses. En effet, nombre de startups innovantes sont des spin-off ([9]) d’instituts de recherche publics, comme le CEA, l’INRIA ou l’ONERA. Lors de leur déplacement à Toulouse, vos rapporteurs ont pu constater la force des interactions entre acteurs publics et acteurs privés, par exemple via l’action du pôle de compétitivité d’Aérospace Valley, ainsi qu’entre les entreprises du spatial elles-mêmes, via la mise en place d’accélérateurs de startups internes aux grands groupes. Ce constat témoigne de l’importance, pour l’innovation, de la localisation géographique des activités : c’est la proximité des infrastructures majeures des grands industriels et des grands centres de recherche et d’animation de la recherche à Toulouse qui permet, avec l’appui des collectivités, de nourrir des échanges continus et fructueux.

L’écosystème spatial toulousain : le cœur battant de la France spatiale

La France spatiale s’incarne géographiquement dans une région, l’Occitanie et plus spécifiquement dans une ville et sa proximité immédiate : Toulouse.

La ville de Toulouse rassemble en effet 12 000 emplois liés au spatial et 400 entreprises, ce qui en fait la capitale du spatial français mais aussi européen puisque près d’un quart des effectifs du spatial européen y est localisé.

On y retrouve ainsi l’ensemble des maillons de l’écosystème spatial français à savoir :

– des centres et organismes de recherche de premier plan : le CNES, l’ONERA, l’IRT Saint-Exupéry et nombre d’autres laboratoires de cette nature ;

– des sites industriels majeurs des grands industriels, qu’il s’agisse de Thales Alenia Space ou d’Airbus Defense and Space ;

– les locaux du commandement de l’espace (CDE), branche de l’armée de l’air consacrée aux enjeux spatiaux.

– un ensemble d’entreprises du New Space, soutenues par les acteurs publics locaux (pôle de compétitivité) et regroupées entre autres au sein de la NewSpace Factory ;

– des infrastructures consacrées à la valorisation de l’aventure spatiale française et européenne, tels que la cité de l’espace.

Ces éléments garantissent de fortes interactions entre acteurs publics et privés.

Source : auditions et déplacement à Toulouse.

B.   Une industrie française à la pointe de l’Europe spatiale

1.   Une politique spatiale européenne largement portée par l’industrie spatiale française.

L’Europe reste un leader dans le domaine spatial grâce à une base industrielle efficace, compétitive et innovante, positionnée de longue date sur l’ensemble des segments du spatial.

Au niveau européen, l’industrie spatiale comprend environ 57 000 emplois, pour un chiffre d’affaires d’environ 8 milliards d’euros ([10]). La tendance générale est marquée à la fois par une reprise des activités après la crise liée à l’épidémie de la Covid-19, mais aussi par un recul du chiffre d’affaires par rapport à 2021, dans un contexte de concurrence renforcée.

En France, l’observatoire du spatial du CNES estime que l’industrie spatiale française compte 32 000 emplois répartis au sein de 260 établissements et réalise un chiffre d’affaires consolidé de plus de 3 Md€.

Ces chiffres ne comptabilisent toutefois ni les opérateurs (Arianespace, Eutelsat…), ni l’ensemble des acteurs en aval de la filière qui développent des applications et services sur la base de données spatiales. Ces derniers constituent un écosystème en faveur d’acteurs du numérique nombreux et diversifiés (Kayrros, Preligens, QuantCube…) plus difficiles à quantifier. L’observatoire du CNES estime qu’ils représentent jusqu’au double de l’industrie spatiale.

Au-delà du seul périmètre de l’industrie, l’écosystème spatial français rassemble, en intégrant le secteur académique, les laboratoires scientifiques, les organismes institutionnels, l’industrie et les services découlant du spatial, près de 70 000 personnes, 1 700 entreprises pour un chiffre d’affaires global de près de 11 milliards d’euros.

L’écosystème du spatial en France

Source : CNES

La France dispose donc de la première industrie spatiale en Europe, avec près de 40 % des emplois de ce secteur d’activité. Le poids de l’industrie française se traduit logiquement dans les ventes finales liées au secteur spatial en Europe, puisque les ventes finales de la France représentaient, en 2022, 39 % de celles-ci (Gifas). Les acteurs français sont ainsi leaders ou en pointe sur les principaux programmes européens, ainsi qu’au sein des programmes menés conjointement avec nos partenaires extra-européens.

Chiffres clé de la filière spatiale française entre 2012 et 2022

Source : GIFAS à partir des données d’Eurospace.

2.   Des infrastructures historiques et une réelle capacité d’adaptation face à la « nouvelle donne spatiale »

La force de l’industrie spatiale française, en Europe, repose sur son positionnement sur la totalité de la chaîne de valeur du spatial : des lanceurs aux applications en passant par les systèmes satellitaires pour l’observation du climat, l’exploration ou les télécommunications. Certaines entreprises françaises ont établi des positions de leaders dans leur domaine comme Arianegroup dans le domaine des lanceurs, Airbus, Thales et Safran s’agissant de la production de satellites ou CLS pour le traitement de la donnée spatiale.

L’industrie spatiale française dispose en effet, historiquement, de nombreux atouts qui expliquent son positionnement en Europe :

– une base industrielle constituée de longue date et reposant sur la meilleure expertise, grâce à la qualité du système de formation français, et au développement d’infrastructures de premier plan ;

– une capacité à nouer des partenariats internationaux et à exporter ses produits partout dans le monde. En effet, si le marché du spatial est un marché essentiellement souverain (72 % d’achats souverains au niveau mondial), la France se singularise par un poids quasi identique entre soutien de la commande publique et marché commercial ;

– des liens approfondis avec les acteurs publics, fruits de la prise de conscience, de longue date, que l’industrie spatiale est un élément de souveraineté nationale indispensable pour notre pays ;

– une adaptation aux nouvelles conditions du marché de l’espace, grâce à une orientation plus favorable vis-à-vis des petits acteurs innovants du spatial (startups) et à des synergies avec le versant « services » du marché de l’espace.

3.   Ne pas « s’endormir sur ses lauriers » pour garder une position stratégique sur les différents segments de marché

Les auditions menées font apparaître que le positionnement stratégique de l’industrie spatiale française et européenne s’inscrit dans un contexte de concurrence accrue, qui implique de faire preuve d’une forte vigilance afin que ces positions ne s’érodent pas.

Les facteurs de fragilisation possible de cette position sont les suivants :

– une compétition internationale renforcée soutenue par des commandes étatiques fortes, évidemment des États-Unis, de la Chine, mais également de pays membres de l’Union Européenne comme l’Allemagne ou de l’Italie ([11]) ;

– une accélération historique des cycles d’innovation nécessitant des investissements importants en R&D, ce qui engendre un risque accru de décrochage technologique si les investissements utiles ne sont pas effectués dans « le bon tempo » ;

– un marché commercial émergent, notamment sur les services, pour lequel un soutien à la croissance est encore nécessaire ;

– les conséquences des crises successives (covid, Ukraine) qui se traduisent par des tensions sur l’approvisionnement des composants et une inflation qui touche l’ensemble de l’industrie et tout particulièrement la supply-chain.

Vos rapporteurs partagent, en outre, les points de vigilance soulevés par la direction générale des entreprises du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique concernant la verticalisation croissante des concurrents extra-européens des industriels français (Space X, Kuiper/Blue Origin). Cette verticalisation vise en effet à se mettre en capacité de dominer plusieurs marchés en pratiquant des prix inférieurs aux coûts de leur production dans la durée. Cette vigilance doit concerner tout particulièrement la transformation des systèmes spatiaux vers les constellations (télécommunications et observation de la Terre), dans le domaine des lanceurs ou celui du segment sol (terminaux utilisateurs grand public pour l’accès à Internet par satellites).

Vos rapporteurs considèrent donc que le soutien à la filière industrielle spatiale française est plus que jamais d’actualité afin de permettre une stabilisation de l’érosion structurelle des positions françaises et un positionnement sur les segments nouveaux porteurs de forte valeur ajoutée. Ils relèvent, en outre, que ces investissements impliquent d’investir dans les technologies de rupture liées à l’intelligence artificielle et au quantique.

C.   Un centre spatial de renommée mondiale : le centre spatial guyanais (CSG)

La France et l’Europe disposent, en plus d’une industrie de pointe, d’un centre spatial de renommée mondiale permettant de garantir un accès autonome à l’espace, avec le centre spatial guyanais.

Créé en 1968 pour permettre à la France de poursuivre ses lancements après les accords d’Évian, le centre spatial guyanais offre des conditions idéales pour le lancement d’engins au sein de l’espace extra-atmosphérique.

Le centre spatial guyanais (CSG) : court historique d’une base de lancement au cœur de la puissance spatiale française et européenne

1959 : création d’un comité des recherches spatiales.

1961 : création par la loi du Centre national des études spatiales (CNES) avec, comme objectif, la recherche et la construction d’une nouvelle base de lancement pour les activités spatiales françaises.

1962 : indépendance de l’Algérie.

1964 : début des travaux relatifs à la construction d’un centre spatial à Kourou, en Guyane.

1968 : premier lancement d’une fusée (Véronique) depuis le CSG.

1975 : création de l’agence spatiale européenne.

1980 : le CSG devient un port spatial avec la création d’Arianespace.

1988 : premier lancement d’Ariane 4.

1997 : premier lancement d’Ariane 5.

Source : CSG.

Comme l’ont rappelé les représentants du CSG lors de l’audition, ce centre bénéficie de plusieurs facteurs très favorables au lancement d’objets dans l’espace extra-atmosphérique, à savoir :

– une large ouverture sur l’océan Atlantique, qui rend possible tout type de mission spatiale, permettant des lancements aussi bien vers l’Est que vers le Nord avec un minimum de risque pour la population et les biens alentour ;

– une proximité avec l’équateur, qui maximise l’effet de fronde lors du lancement, ce qui réduit mécaniquement les coûts de ce dernier ;

– un environnement permettant de limiter les risques, en raison d’une faible densité de population et de construire des infrastructures de grande taille grâce à l’espace disponible ;

– une localisation à l’abri des événements climatiques de nature à perturber les activités spatiales (cyclones, tremblements de terre), et qui, en termes de climat, reste très supportable.

Initialement financé par la France, le CSG est désormais financé par l’Agence spatiale européenne et ses 22 membres, dans le cadre de l’accord de Kourou conclu entre l’ESA et le gouvernement français en 2008.

Cet accord prévoit que l’ESA finance deux tiers des coûts fixes du maintien en conditions opérationnelles de l’ensemble des infrastructures de soutien au lancement et que la France prend en charge directement le dernier tiers. En pratique, c’est la France, compte tenu de sa contribution au budget de l’ESA, qui assure plus de la moitié du financement du centre (55 %), sans compter, par ailleurs, le « support des FAG (Forces Armées de Guyane) qui contribue au bon fonctionnement de la base » ([12])  comme le relève le CSG dans sa contribution écrite.

Véritable port spatial de l’Europe, le CSG sert de base non seulement aux lanceurs Ariane et Vega mais également à d’autres lanceurs étrangers, ce qui marquait, jusqu’à peu, son internationalisation croissante.

De nombreux programmes et satellites européens remarquables ont rejoint l’espace depuis le CSG parmi lesquels figurent notamment Rosetta (2004), Galileo, Copernicus (satellite Sentinelle) ou encore James Webb, le plus puissant télescope spatial. Au total, plus de 240 lancements ont été effectués depuis ce port spatial depuis 1990.

Au-delà de son existence, en propre, le CSG est surtout au cœur d’un écosystème local du spatial puisqu’il comprend, en plus des lanceurs, un ensemble d’infrastructures (usines de production, antennes radars, etc.) qui permettent de produire un certain nombre d’éléments indispensables aux activités spatiales directement sur place. Cette activité est majeure en Guyane, puisqu’elle représente 12,6 % du produit intérieur brut de ce territoire, pour environ 1600 personnes employées directement sur place et 4500 emplois indirects et induits en 2019 ([13]).

Les infrastructures du centre spatial guyanais (CSG)

Loin de se résumer aux seuls ensembles de lancement, le centre spatial guyanais intègre plusieurs types d’infrastructures :

– des usines de production, permettant notamment la fabrication des boosters d’Ariane 5, ainsi que ceux de Vega C et d’Ariane 6 (le P 120C). Ces usines permettent aussi la production de propergol, d’azote et d’hélium ;

– des sites d’accueil et de préparation pour les satellites ;

– une station météo ;

– des antennes et des radars ;

– une salle de contrôle unique, Jupiter.

Source : audition du centre spatial guyanais.

Enfin, le centre spatial guyanais est amené à se moderniser régulièrement pour tenir compte des évolutions technologies et politiques dans le domaine spatial.

Face à l'émergence de nouveaux besoins concernant la base de lancement, trois projets de modernisation ont récemment été engagés.

D’abord, le projet CSG-NG (New Generation) du CNES (2019-2025), financé avec un budget de 140 M€ alloué par l’ESA, au titre du maintien en conditions opérationnelles du site (Core Launch Range Renewal, CLRR). Son périmètre comprend notamment une nouvelle station radar – AMAZONIE 2 –  et un nouveau centre des opérations (CDO), afin d’enchaîner au besoin des tirs tous les 3 jours, dès 2026.

Ensuite, le projet « Flexible Digital & Sustainable/Carbon Neutral » (2022-2027), avec un budget de 104 M€. Il vise, outre la transformation digitale et la transition énergétique de la base, à permettre une meilleure agilité et de nouveaux services pour tous les types de satellites, du géostationnaire au Cubesat.

Enfin, le projet de reconversion du site Diamant en Ensemble de lancement multilanceurs (ELM) permettra prochainement d’accueillir notamment les expérimentations du véhicule réutilisable Callisto et l’exploitation des microlanceurs.

 

 

Historique des evolutions relatives aux pas de tirs du CSG

DÉVELOPPEMENT

DATE

DESCRIPTION

Pad pour le lanceur Europa-II

Années 1960-1971

Initialement construit comme Base Équatoriale du CECLES pour le lanceur Europa-II. Échec du lancement en 1971 entraînant l'annulation du programme.

Reconstruction pour Ariane

1971-1989

Reconstruit comme ELA (Ensemble de Lancement Ariane), plus tard ELA-1, pour les lancements d'Ariane 1, 2 et 3 jusqu'à sa retraite en 1989.

ELA-2 pour Ariane 4

1986-2003

Construit pour les lancements d'Ariane 4 ; opérationnel de 1988 à 2003.

ELA-3 pour Ariane 5

Depuis 1996

Dédié aux fusées Ariane 5, opérationnel depuis 1996.

Modernisation pour Vega (ELV)

2001-2012

ELA-1 modernisé pour le lanceur Vega, renommé ELV (Ensemble de Lancement Vega), avec le premier lancement de Vega en 2012.

Complexe de lancement Ariane 6

2015-2021

Construction du complexe de lancement Ariane 6, y compris l'infrastructure pour l'assemblage et le lancement.

Modernisation et mises à jour

En cours

Mises à jour continues des installations, notamment dans le cadre des plans CSG-NG, Flexible Digital & Sustainable/Carbon Neutral et la reconversion du site Diamant en ELM-Diamant.

 

Source : CSG.

 Les échanges conduits avec les représentants du CSG indiquent que certains de ces projets ont pris du retard, en raison notamment de contraintes administratives parfois problématiques. Vos rapporteurs souhaitent donc insister sur la nécessité d’accompagner administrativement et financièrement la transformation du centre spatial guyanais (CSG) pour l’adapter à la nouvelle donne des lanceurs et à la transition énergétique.

Recommandation n° 2 : Accompagner administrativement et financièrement la transformation du Centre spatial guyanais (CSG) pour l’adapter à la nouvelle donne des lanceurs et à la transition énergétique.

Recommandation n° 2 bis : Ne pas sacrifier à des règles environnementales excessivement restrictives la bonne conduite de projets spatiaux stratégiques, tels que le réaménagement des pas de tirs, sur la base de Kourou.

D.   Un cadre juridique robuste, qui a permis de sécuriser les activités spatiales en France et en Europe

1.   Un « droit de l’espace » historiquement élaboré au sein des instances internationales

La qualité du cadre juridique encadrant les activités spatiales en France est enfin un atout de poids pour assurer le développement des activités spatiales, afin de garantir la protection des intérêts nationaux, la sécurité juridique des opérations mises en œuvre avec les acteurs économiques, et d’offrir un régime de responsabilité permettant d’indemniser les victimes éventuelles des conséquences possibles de ces opérations.

Historiquement, le cadre juridique applicable aux activités spatiales est essentiellement issu du droit international élaboré entre la fin des années 1960 et des années 1970. La montée des tensions entre les deux principales puissances spatiales, les États-Unis et la Russie, pendant la guerre froide a en effet conduit à l’élaboration d’un corpus d’engagements visant d’abord à éviter une militarisation accrue de l’espace.

Le comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (CUPPEA), organe de l’Assemblée des Nations Unies (ANU) mis en place dès 1958, est à l’origine de l’élaboration du cœur historique de la régulation des activités spatiales.

Cinq traités majeurs en sont issus et ont fixé les règles applicables, encore à ce jour, aux activités intervenant au sein de l’espace extra-atmosphérique.

a.   Un traité fondateur fixant les grands principes du droit de l’espace

Le traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique y compris la Lune et les autres corps célestes conclu et entré en vigueur en 1967, constitue le traité fondateur du droit de l’espace extra-atmosphérique.

Ce traité fixe les principes essentiels applicables au sein de l’espace extra‑atmosphérique, à savoir le principe de la liberté de recherche au sein de l’espace extra-atmosphérique (article Ier), l’exclusion de toute forme « d’appropriation nationale [de cet espace] par proclamation de souveraineté » (article II), la soumission des activités spatiales au droit international, et en particulier à la charte des Nations Unies (article III), et enfin l’utilisation de cet espace à des fins exclusivement pacifiques (article IV) dont découle l’engagement des États parties de ne pas mettre en orbite autour de la Terre des armes nucléaires ou de destruction massive.

Ce traité définit également les obligations d’assistance et de secours visà-vis des astronautes, un principe de responsabilité internationale des États parties au traité vis-à-vis des activités spatiales, dont découle une obligation d’autorisation et de surveillance des activités spatiales menées par les entités non gouvernementales par les États concernés, ainsi que les modalités de coopération entre les États dans cet espace. Au-delà de sa dimension juridique, ce traité consacre la dimension profondément humaniste du droit spatial, en définissant l’espace extra-atmosphérique comme « l’apanage de l’humanité » et les astronautes comme « envoyés de l’humanité ».

b.   Quatre autres traités approfondissant et déclinant ces principes.

Quatre autres traités sont intervenus pour fixer le cadre juridique afférent à l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, à savoir :

 l’accord sur le sauvetage des spationautes, le retour des spationautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (1968) ;

 la convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux (1972) ;

 la convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (1975) ;

 l’accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (1979).

Ces traités fixent plusieurs principes complémentaires ou corollaires du traité fondateur de 1967, tels que l’obligation de secours et d’assistance aux spationautes, la responsabilité internationale des États vis-à-vis des activités spatiales ainsi que les modalités d’utilisation de la Lune.

c.   Un droit international de l’espace qui s’appuie également sur des sources variées de droit souple.

Le droit international de l’espace s’appuie, en outre, sur un ensemble de sources variées venant compléter les traités précités :

– des accords internationaux multilatéraux (pour l’exploitation de la station spatiale internationale, par exemple), dont certains ont un impact sur le droit spatial (charte des Nations Unies) ;

– des accords bilatéraux entre États et organisations internationales, des accords instituant des organisations internationales spécialisées dans certains domaines en lien avec le spatial (convention constitutive de l’ESA, convention EUMETSAT) ;

– un droit « dérivé » issu des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, ainsi que les éléments de droit souple produits par les organes internationaux (lignes directrices du CUPEEA ([14]), recommandations du COSPAR ([15]) etc.).

2.   Un cadre juridique national plus récent unanimement reconnu

Le cadre juridique des opérations spatiales en France a été fixé en 2008 par la loi sur les opérations spatiales (LOS).

Cette loi, prise à l’initiative du Gouvernement et à l’appui des travaux menés par le Conseil d’État sur ce sujet ([16]), avait pour objectif de faire pièce à une situation paradoxale et préjudiciable. Paradoxale, dans la mesure où la France, puissance spatiale de premier plan, ne disposait d’aucun texte régissant ce type d’activités. Préjudiciable, car l’absence de base juridique mettait en risque les acteurs économiques intervenant dans ce secteur d’activité, ainsi que l’État au regard des engagements internationaux pris consécutivement à la ratification des traités précités.

Dans ce contexte, la loi sur les opérations spatiales a largement décliné les engagements internationaux pris par la France en formalisant les procédures permettant leur mise en œuvre.

Cette loi fixe, d’abord, un ensemble de définitions, en particulier concernant la notion d’activités spatiales, qui recouvre le lancement, la maîtrise et le retour de l’espace extra-atmosphérique d’objets spatiaux.

Elle établit également le cadre dans lequel les opérateurs doivent solliciter une autorisation auprès de l’autorité administrative. Sont ainsi concernés tous les opérateurs procédant à des activités spatiales depuis le territoire national, ainsi que les opérateurs français opérant depuis l’étranger, personnes physiques ou morales. Les opérateurs doivent pour ce faire obtenir des licences justifiant de leurs « garanties morales, financières et professionnelles » de l’opérateur concerné. Ces autorisations et licences sont assorties de préconisations de sécurité visant à protéger la sécurité des personnes, des biens, ainsi que la santé publique et l’environnement face au risque de prolifération des débris spatiaux.

Les opérations menées à l’initiative du Centre national d’études spatiales (CNES) sont exemptées de ce régime d’autorisation.

Cette loi fixe, enfin, un régime de responsabilité pour les opérateurs d’activités spatiales, ainsi que les modalités de contrôle du respect des leurs obligations légales et réglementaires pour ces derniers, ainsi que le régime de sanction afférent.

Les auditions menées par vos rapporteurs ont confirmé l’intérêt de cette législation, dont l’efficacité et la qualité apparaissent largement reconnues audelà de nos frontières. Les acteurs auditionnés ont en effet salué la clarté des règles applicables et l’instruction satisfaisante des demandes par le CNES. Ce cadre juridique constitue une base solide pour les réflexions engagées au sein de l’Union européenne, à l’initiative de la Commission européenne, dans la perspective de développer une « Space Law ». Ils appellent néanmoins les pouvoirs publics à rester vigilant pour maintenir à jour la LOS face aux évolutions rapides des usages du secteur spatial et saluent à ce titre les ajouts apportés par la dernière loi de programmation militaire sur les constellations et les lanceurs réutilisables.

Vos rapporteurs relèvent, par ailleurs, que le cadre juridique français constitue un atout reconnu non seulement pour lui-même, mais aussi en raison de la qualité de sa mise en œuvre par les acteurs spécialisés dont cela est la mission.

Au-delà de l’opérateur historique, le CNES, ils relèvent que le rôle de l’Agence nationale des fréquences (Anfr) est également essentiel dans cette perspective. Il est en effet indispensable de disposer d’un acteur agile capable de traiter les demandes dans des délais satisfaisants et de défendre les droits des ressortissants français. L’essor des constellations de satellites en orbite basse va mécaniquement générer un risque croissant de brouillage, au sein de l’orbite basse et avec les orbites hautes, qu’il faut gérer au mieux afin d’éviter les privations de service. La dynamique de démocratisation de l’espace, en outre, va renforcer ce risque, avec la capacité d’un nombre croissant de pays « entrants » de disposer de satellites, grâce à la baisse des coûts et au progrès technique.

Les auditions menées font apparaître que cette agence apporte un service de qualité dans ce domaine, en garantissant les droits des acteurs français et le respect de notre droit, qui doit être appliqué avec la même rigueur, tant pour nos ressortissants que pour les acteurs étrangers. Elles relèvent, en outre, qu’il n’existe pas de risque de saturation de l’action de cette agence face à la hausse forte en cours, et à venir, du nombre de satellites à immatriculer, puisque le processus conduit les acteurs à immatriculer l’ensemble des satellites d’une même constellation, et non chaque satellite. Le seul point de vigilance qui peut être relevé concerne les risques de brouillage intentionnels, dont le niveau peut varier en fonction du contexte géopolitique.

L’Agence nationale des fréquences (ANFR) : un acteur clef dans le cadre de l’utilisation des fréquences spatiales.

L’Agence nationale des fréquences radioélectriques est un établissement public à caractère administratif créé le 1er janvier 1997.

Elle a pour mission « d’assurer la planification, la gestion et le contrôle de l’utilisation, y compris privative, du domaine public des fréquences radioélectriques […] ainsi que des compétences des administrations et autorités affectataires de fréquences radioélectriques ». Elle prépare, en outre, la « position française » dans ce domaine et coordonne « l’action de la représentation française dans les négociations internationales » relevant de son champ de compétences (article L. 43 du code des postes et des communications électroniques).

Elle est donc chargée, au niveau national, de veiller à la bonne applicable du règlement international de l’Union internationale des télécommunications (UIT), ce qui se traduit par les missions suivantes :

– elle déclare, au nom de la France, l’assignation de fréquence correspondante à l’Union internationale des télécommunications et engage la procédure prévue par le règlement des radiocommunications (article L. 97-2 du code des postes et des communications électroniques) ;

– elle instruit pour le compte de l’État les demandes d’autorisation pour les assignations de fréquence relatives aux systèmes satellitaires (article L. 43 du code des postes et des communications électroniques) ;

– elle collecte les redevances correspondant aux coûts de traitement du dossier déclaré à l’Union internationale des télécommunications (article L. 97-2 du code des postes et des communications électroniques) ;

– elle recherche et constate, enfin, les infractions au titre de ce règlement (article L. 97-3 du code des postes et des communications électroniques).

Source : Agence nationale des fréquences radio.

II.   Les succès des grands programmes SPATIAUX européens

L’Europe a connu, depuis plusieurs décennies, des succès remarquables sur l’ensemble des segments du spatial. Ces derniers constituent un socle solide sur lequel il est possible de s’appuyer pour continuer d’occuper une position favorable au sein de la compétition spatiale mondiale.

A.   Dans le domaine de l’observation de la Terre et la navigation satellitaire

L’Union européenne dispose d’un programme spatial de grande qualité faisant intervenir conjointement, l’agence spatiale européenne (ESA), la Commission européenne, l’agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA) et les agences nationales compétentes.

Missions et composantes du programme spatial de l’Union européenne

Source : Agence spatiale européenne

Ce programme a conduit à deux succès remarqués que sont Galileo dans le domaine de la navigation par satellite et Copernicus pour l’observation de la Terre. Ces succès scientifiques ont également été des succès commerciaux. L’EUSPA estime ainsi qu’en 2021, « le marché en aval du GNSS et de l’OT a généré plus de 200 milliards d’euros de recettes et devrait atteindre près d’un demi-milliard d’euros au cours de la prochaine décennie » ([17]).

1.   Copernicus : un programme qui fait de l’Europe le premier fournisseur mondial des données relatives à l’observation de la Terre

a.   Un programme qui repose sur une constellation de satellites d’observation

Le programme européen Copernicus a été lancé en mai 1998, sous l’acronyme GMES (Global monitoring for Environmental and Security). En combinant les données collectées dans l’espace et celles recueillies par l’intermédiaire du segment sol, il est rapidement devenu une référence mondiale en matière de données relatives à l’observation de la Terre.

Copernicus repose sur une constellation qui comptera jusqu’à 30 satellites en 2030 (Sentinel 1 à 6) opérés par l’ESA, parfois en coopération avec EUMETSAT ([18]) (Sentinelles 4 et 5, destinés aux programmes météo). Cette couverture garantit un accès fiable et continu à un ensemble large de données indispensables pour comprendre l’état de notre planète et les principaux phénomènes environnementaux qui l’affectent.

Les budgets alloués à ce programme sont estimés à 4,3 milliards d’euros dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Ils atteignent 5,8 milliards d’euros sur la période 2021-2027, soit un budget annuel de 800 millions d’euros ([19]).

b.   Un véritable succès industriel et commercial

Le succès de ce programme est manifeste au regard du volume d’informations journalières fournies en accès libre et souvent gratuit : 16 térabits de données par jour sont mis à la disposition de la communauté d’utilisateurs, faisant de Copernicus le premier fournisseur mondial de données et d’informations spatiales. Ce programme génère ainsi une matière première de premier plan qui favorise l’aide à la décision dans de nombreux domaines d’application grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle et à l’analyse de larges flux de données.

Les informations fournies par les études de marchés commandées par l’agence de l’Union européenne pour l’espace (EUSPA), permettent d’avoir une première mesure des retombées économiques de ce programme. Il apparaît en l’occurrence que 60 % des entreprises européennes exerçant dans le domaine de l’observation de la Terre, utilisent les données fournies par Copernicus. De même, l’industrie européenne détient plus de 41 % de parts du marché mondial en aval de l’observation de la Terre.

c.   Des données qui bénéficient à un ensemble large de services

Les données produites par Copernicus bénéficient principalement aux domaines d’activité suivants : la surveillance du milieu atmosphérique, du milieu marin, des terres et le suivi du changement climatique. Elles sont également indispensables pour garantir une efficacité maximale de l’action des services d’intervention d’urgence et d’un ensemble de services liés à la sécurité.

Grâce à Copernicus, l’Europe s’est donc dotée d’un outil stratégique et indépendant qui s’est aujourd’hui imposé comme la première source ouverte et gratuite de données et d’informations spatiales en termes d’observations de la terre. Lors des auditions menées par la mission, plusieurs acteurs ont indiqué que ces données revêtent une importance critique dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. C’est la raison pour laquelle elles nourrissent très largement les rapports présentés chaque année par le GIEC : plus la moitié des indicateurs suivis par cet organisme international proviendraient des données issues de Copernicus ([20]). Le service européen Copernicus sur le changement climatique (C3S) établit également chaque année un rapport sur le changement climatique en Europe ([21]).

d.   Des évolutions à venir pour rester « à l’état de l’art »

Pour prendre en compte l’évolution des besoins des utilisateurs et préserver la renommée mondiale de l’UE en matière d’observation de la terre, un renouvellement des infrastructures de Copernicus et de ses services est prévu. Des satellites « Sentinelles nouvelles générations (Sent NG) et des satellites Sentinelles expansion viendront renouveler la flotte existante. Le lancement de ces six satellites, doit intervenir entre 2026 et 2028.

Ces nouveaux satellites assureront les missions suivantes :

–  une mission de surveillance des émissions de CO2 d’origine anthropique : (CO2 M) ;

–  une mission de surveillance de la température à la surface du sol : (LSTM) ;

–  une mission de topographie des glaces et neiges polaires : (CRISTAL) ;

–  une mission de radiomètre imageur hyperfréquences : (CIMR) ;

–  une mission d’imagerie hyperspectrale : (CHIME) ;

–  une mission d’observation SAR.

Ces missions spécifiques seront complétées par des missions de données contributrices qui intègreront les données provenant des constellations commerciales européennes, afin de répondre à des besoins plus ciblés en améliorant la revisite, la résolution ou encore la réactivité d’obtention de la donnée.

2.   Galileo : la navigation par satellite la plus précise au monde

a.   Un programme développé après le célèbre GPS américain

Galileo est le programme de l’Union européenne de navigation et de positionnement par satellite. Ce système de géolocalisation garantit à tout utilisateur situé à n’importe quel point du globe et muni d’un récepteur adéquat, à l’image d’un smartphone, l’assurance de recevoir les signaux émis par un minimum de quatre satellites Galileo, lui permettant de déterminer à la fois sa position et l’heure précise.

Ce programme a été développé après le système américain GPS, dont le développement est intervenu dès la fin des années 1970.

Le GPS (Global Positioning System)

Le système de géolocalisation le plus connu par le grand public reste toutefois le système américain GPS (Global Positioning System).

Son développement a débuté à la fin des années 1970 sous l’impulsion du département de la Défense américain pour des besoins militaires. Sa mise en œuvre se traduit par le placement en orbite d’un premier satellite dès 1978. Il comprend aujourd’hui 31 satellites.

Ce système de navigation est pleinement opérationnel depuis 1995 et accessible depuis cette date aux utilisateurs civils avec toutefois une moindre précision en raison d’une dégradation intentionnelle du signal du GPS décidée par les autorités américaines. Cette dégradation volontaire a cessé en mai 2000 pour permettre au GPS d’offrir des services avec une précision à 10 m près.

Initié en 1999, le programme Galileo a conduit à la mise en orbite de plusieurs satellites à partir de 2011. Il n’est devenu pleinement opérationnel qu’en 2016, garantissant l’indépendance de l’Union européenne dans ce domaine.

Constitué d’une constellation d’une trentaine de satellites opérationnels complétés par des capteurs et centres de contrôle au sol, Galileo est financé par la Commission européenne tandis que l’agence spatiale européenne reste le maître de l’architecture globale complète du système depuis la conception jusqu’à l’intégration et la validation.

b.   Un outil de précision sans égal indispensable pour les citoyens et les entreprises européennes

Grâce à ce programme, et au complément apporté par EGNOS, l’Europe dispose désormais d’un système de géolocalisation nettement plus précis que les systèmes concurrents. Sa précision peut aller jusqu’à 20 cm.

Le rapport annuel 2022 précité d’analyse du marché pour l’observation de la Terre et la navigation d’EUSPA donne des indications pour saisir davantage les retombées économiques du système de navigation européen. L’EUSPA estime ainsi que plus de 2,5 milliards de smartphones sont aujourd’hui compatibles avec Galileo et le nombre d’équipements compatibles avec la réception des signaux GNSS devrait atteindre 10 milliards à horizon 2031.

L’impact économique de ce programme est majeur en termes de retombées économiques et de souveraineté, puisque 10 % du PIB de l’Union européenne dépend de la navigation par satellite. Quant à EGNOS, utilisés pour des besoins de sauvegarde de la vie dans l’aviation, près de 426 aéroports et héliports de 32 pays l’utilisent pour permettre des atterrissages y compris dans des conditions extrêmes.

Les applications de Galileo sont nombreuses dans la vie courante et devraient fortement croître avec l’essor de l’économie de la donnée. Ce système de navigation très précis est indispensable pour la conduite autonome et les drones commerciaux. Il contribue au développement de l’agriculture de précision en offrant aux agriculteurs la possibilité « d’améliorer les rendements de 10 % et de diminuer de plus de 20 % leur consommation d’engrais, de carburant et de pesticides ».

c.   Des évolutions à venir pour rester « à l’état de l’art »

Vos rapporteurs ont enfin noté l’ambition portée par la Commission européenne d’accélérer le déploiement en cours de la deuxième génération des satellites Galileo afin d’améliorer ses performances et sa robustesse pour offrir « un positionnement à l’échelle du décimètre ». Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space, assureront la production de ces 12 satellites dits de nouvelle génération. Thales a été en outre sélectionné pour fournir les services de cyber sécurité de ce système de navigation européen et de son segment sol.

B.   Dans le domaine des lanceurs

Les difficultés européennes actuelles sur les lanceurs ne doivent pas occulter plusieurs décennies de succès de son lanceur phare de la famille Ariane. Si l’Europe est encore une puissance de lancement aujourd’hui, dotée d’une industrie de pointe, il n’en a pas toujours ainsi. Comme pour les deux programmes présentés ci-avant, l’histoire du programme européen de lanceurs spatiaux constitue aussi le récit d’un rattrapage technologique réussi par les Français et les Européens sur les deux grandes puissances spatiales de la période de la guerre froide : les États-Unis et l’ex-URSS.

1.   Le programme Ariane a garanti à l’Europe un accès souverain à l’espace pendant plusieurs décennies

La France a fortement convaincu ses partenaires européens, au début des années 1970, de la nécessité de se doter d’une capacité souveraine de mettre en orbite ses propres satellites. Cet intérêt stratégique s’est traduit en politique interétatique européenne à travers la mise en place de l’agence spatiale européenne et sa décision lors de la conférence ministérielle de juillet 1973 de lancer le programme Ariane sous leadership français.

Malgré plusieurs années de retard dans le démarrage de ses activités par rapport aux lanceurs concurrents, Ariane 1 réussit son premier lancement en décembre 1979. Dès lors, l’Europe a disposé d’un accès à l’espace indépendamment des États-Unis et de la Russie. Grâce à une gamme de lanceurs de la famille Ariane, l’Europe a su combiner innovation technologique et un modèle économique habile pour s’imposer sur le marché des lanceurs.

2.   Un lanceur fiable, qui a su progressivement monter en charge

Un élément clé de la réussite du projet spatial européen dans la conquête du marché de transport commercial repose sur le choix effectué par la France et l’Europe de la création d’une société commerciale, Arianespace, à qui elle a confiée la commercialisation des services de lancement. L’expérience développée par Ariane dans son offre de lancement, la qualité du service proposé couplé au respect des délais prévus ont rapidement constitué un atout de premier plan.

Le succès du lanceur Ariane s’explique aussi par sa capacité à monter en charge. Ce lanceur a en effet connu une amélioration constante, progressive et non discontinue des poids lancés dont la valeur est passée de 1,8 tonne avec Ariane 1 à 10,7 tonnes avec Ariane 5 ECA.

Hausse de la performance des lanceurs Ariane en quarante ans
(en nombre de kilos pouvant être lancés en orbite GTO)

https://www.senat.fr/rap/r19-131/r19-1313.png

Source : manuel d’utilisation d’Ariane 6

Les lanceurs de la famille Ariane se caractérisaient tout autant par leur grande fiabilité que par leur modularité. En 2019, sur un total cumulé de 250 lancements, les fusées Ariane enregistraient un taux de réussite de plus de 95 %, démontrant leur grande fiabilité. Le lanceur Ariane 5 disposait d’ailleurs d’une fiabilité encore supérieure, estimée à 98,4 % par le CNES.

Selon Pierre Mézard, chef de service sureté de fonctionnement des systèmes de transport spatial au CNES, « en comparaisons internationales, Ariane 5 représentait ce qui se fait de mieux dans le monde sur des lanceurs lourds d’une telle complexité ».

Ce dernier lanceur bénéficiait, il faut l’avouer, de l’expérience accumulée pendant des décennies sur la filière Ariane. Cette fiabilité a contribué à ériger ce lanceur européen comme l’un des meilleurs dans la catégorie des lanceurs lourds avant l’arrivée sur le marché de lanceurs proposés par les acteurs du New Space, dont SpaceX.

3.   Un lanceur qui a longtemps dominé le marché mondial

Ces raisons expliquent la domination du lanceur Ariane sur le marché des lanceurs pendant plusieurs décennies. Le rapport parlementaire Lanceurs spatiaux : restaurer l’ambition spatiale européenne présenté devant le Sénat en 2019 par les sénateurs Sophie Primas et Jean-Marie Bocquel ([22]) souligne à raison la domination du lanceur Ariane 5 sur le marché commercial accessible des satellites géostationnaires sur la décennie 2009 - 2018.

Sur cette période, en effet, Ariane détenait la moitié du marché commercial accessible des satellites géostationnaires. Si les évolutions à l’œuvre sur le marché des lanceurs et le retard pris par Ariane 6 rebattent les cartes, ces succès technologiques constituent un point d’appui solide pour que l’Europe retrouve rapidement un accès à l’espace autonome.

C.   Dans l’exploration spatiale et les missions scientifiques

Les succès remarqués de l’aventure spatiale européenne ne se limitent pas qu’aux satellites et aux lanceurs. Des succès notables sont également intervenus dans le domaine de l’exploration spatiale et des missions scientifiques lointaines où l’Europe a réussi à se faire une place de premier plan.

Ses exploits ont tantôt relevé de missions voulues et portées principalement par l’Europe et parfois l’Europe ou la France s’est engagée dans des missions de grandes coopérations scientifiques avec d’autres puissances spatiales.

1.   Le rayonnement de grandes aventures scientifiques portées par des programmes français ou européens

Les sciences de l’univers constituent un volet important du programme spatial du CNES et de l’Europe. De nombreuses missions en cours ou à venir montrent la solidité et la robustesse des missions scientifiques européennes.

a.   La mission Juice

La sonde spatiale Juice lancée le 14 avril 2023 à bord d’un lanceur Ariane 5 pour explorer les lunes glaciaires de Jupiter à la recherche de la vie sur cette planète constitue la première grande mission du programme « Cosmic Vision 2015‑2025 » de l’ESA.

Des équipes scientifiques de quinze pays européens ont fourni le panel de 10 instruments ([23]) qui équipe la sonde.

Cette mission européenne se caractérise par sa complexité en raison des contraintes spatiales fortes qui pèsent sur son déroulement (qualité des mesures électromagnétiques prises dans l’environnement de Jupiter).

Son objectif est de détecter la présence des océans liquides sous la surface de trois des quatre lunes galiléennes afin d’apporter un éclairage nouveau sur les structures géologiques de cette planète. La perspective d’une découverte de la vie sur Jupiter représente une opportunité scientifique majeure pour l’Europe.

b.   La mission Euclid (ESA Cosmic Vision M2)

Cette mission scientifique a pour objectif de cartographier l’univers (répartition et évolution des grandes structures) et de mieux comprendre l’accélération de son expansion depuis dix milliards d’années (énergie noire). Elle s’appuie à cet effet sur un satellite lancé le 1er juillet dernier, positionné au point de Lagrange L2 à 1,5 million de km de la Terre. Ce satellite permet aux scientifiques d’observer ainsi les galaxies lointaines dans le domaine visible et proche infrarouge (550 à 2000 nm), pour déterminer leurs décalages spectraux vers le rouge (redshifts).

La France assure la responsabilité de la mission qui mobilise 13 laboratoires français dont le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) qui est représenté au sein du consortium Euclid à la fois au sein du comité de pilotage (ECL) et comme membre du comité international de coordination (ECB). Le CEA a en effet fortement contribué à l’élaboration des deux instruments embarqués au sein de ce satellite (caméra visible VIS et spectrophotomètre proche infrarouge NISP).

c.   MicroCarb

La mission MicroCarb est pilotée par le CNES et financée par le programme des investissements d’avenir (PIA) dans le but de renforcer nos connaissances sur le mécanisme du réchauffement climatique. À horizon 2025, le CNES lancera en conséquence un microsatellite MicroCarb permettant d’étudier la concentration atmosphérique en CO2 pour suppléer le satellite OCO-2 de la NASA.

Les objectifs spécifiques assignés à ce microsatellite sont les suivants :

– cartographier, à l’échelle planétaire, les sources et puits de CO2 pour une meilleure connaissance des flux de carbone ;

– améliorer la connaissance des mécanismes d’échange, leur variabilité saisonnière et leur évolution en lien avec le changement climatique ;

– identifier les paramètres qui contrôlent les échanges de carbone ;

– valider et améliorer (en réduisant leur incertitude) les modèles du cycle de vie du carbone.

Ce microsatellite témoigne dans sa conception de l’excellence industrielle et scientifique française. Il embarque en effet sur une plateforme Myriade du CNES, un spectromètre à réseau (proche infrarouge) développé par Airbus Defense & Space pour des mesures de précision.

2.   La France et l’Europe, des partenaires solides et fiables des grandes missions d’exploration internationale

L’exploration spatiale est le domaine dans lequel la coopération internationale a atteint un degré de maturité exceptionnelle au bénéfice de nouvelles découvertes repoussant de façon continue les limites de la connaissance humaine.

La France et l’Europe ont pris part à de nombreuses missions scientifiques internationales qui ont fait avancer fondamentalement la science, construisant par la même occasion une solide réputation à la recherche scientifique européenne grâce, notamment, aux projets évoqués ci-après.

a.   La station spatiale internationale (ISS)

La station spatiale représente la plus grande construction humaine placée en orbite autour de la Terre et constitue le plus grand projet scientifique international à date. Elle symbolise la réussite de la coopération scientifique internationale dans le domaine spatial. Sous l’impulsion de la NASA, elle regroupe autour d’un seul projet la plupart des puissances spatiales actuelles : États-Unis, Russie, Canada, Japon et Europe.

Cette structure placée en orbite autour de la terre à 400 km d’altitude, permet tout à la fois d’observer la Terre, de mener des recherches dans l’espace et de préparer les futures missions d’exploration humaine du système solaire.

L’Europe est un partenaire important de ce projet. Deux éléments majeurs reflètent la contribution européenne à cette station : le laboratoire de recherche Columbus (module européen de la station spatiale) et le véhicule de transfert automatique (ATV) qui permet de ravitailler l’ISS en fret. Accessoirement, il convient également de mentionner un bras robotique permettant d’exécuter des activités d’assemblage des équipements. Le récent séjour ([24]) effectué par Thomas Pesquet à bord de la station lors de la mission Alpha a constitué un fort moment d’engouement du public français pour les questions spatiales.

La question de la fin de vie de l’ISS se pose désormais. Dans un rapport remis au Congrès américain et publié le 31 janvier 2022, la NASA annonce en effet planifier la retraite de l’ISS pour le mois de janvier 2031. À cet horizon, la station sera désorbitée et ses débris devront terminer leur course, sous surveillance, dans une zone reculée de l’océan Pacifique Sud.

b.   Le programme Artemis

Le programme Artemis de la NASA, nouveau chapitre de l’histoire de l’exploration de la Lune, vise à développer une présence durable autour et sur la Lune. Pour ce faire, d’ici 2025, les États-Unis auront déjà dépensé plus de 100 Md€ dans ce programme.

Au titre de ce projet de partenariat international réunissant plusieurs puissances spatiales, l’agence spatiale européenne a signé un contrat de partenariat avec la NASA portant notamment sur la fourniture du module de service de l’engin spatial Orion. Ce module assure notamment des fonctions vitales en fournissant aux astronautes tout ce qui est nécessaire à leur survie (l’eau, l’oxygène).

Selon M. David Parker, directeur de l’exploration humaine et robotique de l’ESA, ce contrat permettra de renforcer « l’engagement de l’Europe à fournir l’équipement vital pour que l’humanité puisse retourner vers la Lune avec Orion. De plus, les éléments que nous construisons pour la station orbitale lunaire Gateway [vont nous permettre] de garantir des vols pour les astronautes de l’ESA afin d’explorer notre système solaire, tout en assurant des emplois de haute technicité et un savoir-faire technologique à l’Europe ».

L’objectif des trois missions qui composent le programme est de faire atterrir des astronautes sur la Lune à l’horizon 2027.

La programmation des étapes devant conduire à la réalisation de cet objectif est la suivante :

– Artemis I, le premier vol d’essai sans équipage du vaisseau spatial Orion, lancé avec le Space Launch System (SLS) le 16 novembre 2022 ;

– Artemis II, le tout premier vol d’essai habité d’Orion, dont le lancement est prévu pour novembre 2024 au plus tôt ;

– Artemis III, dont le lancement est prévu pour 2025 au plus tôt. Lors de cette mission, la première femme et la première personne de couleur se poseront sur la Lune.

Ce programme présente la perspective à terme de la mise en place d’une station lunaire afin de permettre une exploitation plus avancée de la Lune.

Une vingtaine de pays participent actuellement à ce programme ([25]) .

c.   Le télescope spatial James Webb (JWST)

Programme phare des deux prochaines décennies dans le domaine de l’astrophysique, le télescope spatial James Webb est l’observatoire spatial le plus complexe et puissant jamais construit. Développé par la NASA en coopération avec l’agence spatiale européenne (ESA) et l’agence spatiale canadienne (ASC), le JWST observera l’univers dans l’infrarouge. Il a été lancé par une fusée Ariane 5 ECA depuis le centre spatial de Kourou en Guyane.

L’Europe est un partenaire fort dans cette aventure scientifique exceptionnelle. Certains équipements de pointe embarqués par James Webb ont été fournis par des équipes de recherche françaises. C’est le cas, par exemple, de la caméra infra-rouge MIRIM, embarquée sur le télescope conçue et réalisée par le CEA. Ce télescope a vocation à fournir une quantité inédite d’images de galaxies lointaines, d’étoiles et de systèmes extrasolaires en formation ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche en astrophysique

Pour son exploitation scientifique, la communauté française des astronomes et des astrophysiciens pourra s’appuyer sur le centre d’expertise (MICE) qui a été mis en place au département d’astrophysique du CEA, avec la collaboration de l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS), du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA) de l’observatoire de Paris et du laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM). En raison de sa forte implication dans le consortium qui a construit l’instrument MIRI (Mid InfraRed Instrument) du JWST, la France bénéficie d’un temps d’observation garanti (GTO).

d.   La mission SVOM (Space Variable Objects Monitor)

À l’inverse des autres missions présentées ci-dessus, cette mission SVOM présente la particularité d’être le fruit d’une coopération entre l’agence spatiale chinoise (CNSA) et le CNES.

Elle porte sur l’observation de l’univers transitoire et violent. La mission est dans sa phase de préparation de lancement, ce dernier étant prévu en 2024.

Dans ce cadre, une fusée chinoise placera en orbite à 625 km de la Terre, un satellite affecté à l’observation des sursauts gamma qui sont des phénomènes parmi les plus énergétiques de l’univers (explosion d’étoiles massives, noyaux actifs, fusion d’objets compacts…).

Le SVOM sera un lanceur d’alerte pour observer ces phénomènes transitoires, à travers différentes longueurs d’onde (visible), différents messagers (neutrinos, ondes gravitationnelles), en étant capable de mobiliser rapidement des moyens d’observation terrestres et spatiaux complémentaires.

Le satellite est doté de quatre instruments dont deux conçus et réalisés par la France (maîtrise d’œuvre du CNES, responsabilité scientifique CEA) :

– une caméra à masque codé X et gamma, ECLAIRS, qui détectent et localise le sursaut en temps réel et lance une alerte automatique du satellite vers la Terre par VHF ; pour laquelle le CEA-IRFU a réalisé le logiciel du module de gestion et de traitement (UGTS, qui est un dispositif clé de la mission parmi les plus complexes embarqués), et les circuits microélectroniques de lecture de la caméra ;

– un télescope à rayons X de basse énergie (0,2 et 10 keV), MXT (Microchannel X-ray Telescope) équipé de CCD de 256 x 256 pixels, conçu et réalisé par l’institut de recherche sur les lois fondamentales (IRFU) du CEA, pour l’analyse et le positionnement précis (dizaine de secondes d’arc) de la source détectée.

Le CEA-IRFU est également très impliqué dans le segment sol (GS) pour la gestion et l’analyse des données de la communauté française, la réception des données et la gestion du réseau d’alerte et le centre de contrôle de l’instrument MXT. Après l’expédition en Chine des deux instruments français en mars 2023, les activités d’intégration sur le site de Shanghai se poursuivent.

III.   Une ambition qui ne se dément pas mais en manque d’un « récit fédérateur », d’incarnation et de moyens

Ces atouts et ces succès ne doivent pas cacher certains désavantages structurels constitutifs de l’action de la France et de l’Europe dans le domaine spatial, qu’il convient de compenser autant que possible.

A.   Un budget consacré au spatial bien inférieur à celui des États-Unis et possiblement à celui des autres concurrents de l’UE.

1.   Une logique d’efficacité et « d’économie de moyens » faute d’un budget pouvant rivaliser avec celui des États-Unis.

La première faiblesse de l’Europe spatiale réside dans la logique d’économie de moyens qui doit être la sienne, par définition, face aux budgets consacrés à cette politique par ses principaux concurrents.

Cette problématique budgétaire existe de longue date. La création d’une agence européenne du spatial, en 1975, et l’intégration de la politique spatiale européenne au sein des compétences de l’Union européenne, en 2008, visaient déjà à répondre à cet enjeu. La France ne dispose pas seule, en effet, des capacités financières nécessaires pour financer un secteur industriel où les investissements productifs doivent être massifs, dans un contexte marqué à la fois par l’ouverture et la diversification de ce marché.

L’Europe dispose actuellement du deuxième budget spatial mondial, avec 14,5 Md€ prévus en 2019 et une hausse notable en 2022, avec 16,9 Md€ pour 5 ans. Ces chiffres sont bien plus faibles que le budget spatial de l’agence spatiale américaine, comme l’a rappelé récemment un rapport sénatorial consacré à l’exploitation des ressources spatiales, en des termes auxquels souscrivent vos rapporteurs : « le budget annuel de l'ESA, en y incluant la contribution du budget de l'Union Européenne (28,4 % du total), s'élève à 6,5 milliards de dollars en 2022 : c'est à peu près dix fois moins que le budget spatial américain (62 milliards de dollars dont 27 Md€ pour la NASA en 2024), qui représente à lui seul près de 60 % du total mondial (103 milliards de dollars). Malgré, la récente augmentation qui porte le budget à 7,08 Md€, le budget européen reste presque deux fois moins élevé que celui de la Chine estimé environ entre 12 et 15 Md de dollars et dont la progression est exponentielle. Même en combinant l'ensemble des budgets publics européens, on n'arrive guère au-delà de 9 milliards d'euros par an, soit toujours sept fois moins que les États-Unis » ([26]) .

Au sein de l’Union européenne, la France, ainsi que l’ont rappelé plusieurs industriels auditionnés par vos rapporteurs, occupe néanmoins une place de choix avec le premier budget européen attribué au spatial. La France investit en effet sur trois ans 9 Md€, avec environ 2,598 Md€ alloués au CNES en 2023 ([27])  et sur la même période une contribution à hauteur de 3,25 Md€ à l’ESA décidée lors de la dernière conférence ministérielle de novembre 2022 ([28]). La France se situe toutefois en seconde position dans le budget de l’ESA pour 2023, en contribuant à hauteur de 20,4 % de son budget (environ 1 Md€) contre 21,4 % pour l’Allemagne (1,046 Md€) mais conserve le premier budget spatial en Europe.

Budget de l’Agence spatiale européenne pour l’année 2023

ESA budget 2023

Source : ESA

Ces chiffres indiquent que la France maintient sa position de second contributeur au budget de l’ESA, derrière l’Allemagne, après avoir été historiquement le premier contributeur à cette agence. La France reste néanmoins en Europe le premier budget spatial toutes catégories confondues.

2.   Des financements privés moins disponibles qu’outre-Atlantique

L’Europe se trouve également dans une situation moins favorable en matière de disponibilité du capital-risque, pourtant indispensable pour financer l’innovation. En dépit des progrès réalisés sur ce sujet, depuis le rapport Tibi publié en 2019, et la mise en place d’outils de financement dédiés par Bpifrance, les auditions conduites par vos rapporteurs ont fait apparaître qu’il est toujours difficile, pour des entreprises innovantes, de se financer en Europe, faute d’harmonisation du marché financier européen. S’ajoute, à cette problématique, en France plus particulièrement, la faible appétence des grands investisseurs pour le secteur spatial, perçu parfois comme incertain car reposant sur des technologies complexes.

Vos rapporteurs constatent plusieurs tendances dans ce domaine :

  une hausse continue des investissements, en particulier, en capital-risque à destination des spacetech. Les chiffres fournis par l’étude « Space Venture Europe 2022 », réalisé par l’ European Space Policy Institute (ESPI)[29] indiquent en effet des investissements dans ce domaine à hauteur de 1 Md€ en 2022, en hausse de 23 % par rapport à 2021. Sans surprise, c’est le segment « orbite basse » qui a suscité le plus l'intérêt des investisseurs. Cette hausse est forte et continue depuis 2014, comme l’indique le graphique ci-dessous ;

ESPI_trend

Source : ESPI

  des difficultés néanmoins persistantes pour les entreprises technologiques européennes face aux besoins de financement et aux anticipations de croissance des marchés de l’espace. Ces difficultés sont liées à la nature des activités concernées mais aussi à une concurrence croissante entre acteurs pour obtenir ces financements. En Europe, la France maintient néanmoins sa position de leader parmi les nations de l'Union européenne comme l’indique le graphique ci-dessous, mais reste encore éloignée cependant du Royaume-Uni.

Leveées de fonds au Royaume-Uni, en Allemagne et en France au premier semestre 2022 et au premier semestre 2023

Ey_comparaison_pays

Source : EY

– une année 2023 qui apparaît moins bonne en termes de capital-risque Comme le rapporte le baromètre EY du capital-risque en France (septembre 2023), au premier semestre 2023, 395 sociétés françaises ont levé 4,3 milliards d’euros, soit une baisse en valeur de 49 % et une augmentation en volume de 9 %. Par ailleurs, les levées de fonds importantes subissent elles aussi une baisse massive : par rapport au deuxième semestre 2022, -78 % pour les levées de fonds supérieurs à 100 M€, et disparition des levées supérieures à 300 M€. D’après l’étude précitée : « Les raisons de ce ralentissement sont multiples et ne sont que la confirmation de ce qui est perceptible dans la French Tech depuis l’été 2022 : la hausse des taux et les incertitudes macroéconomiques ont mis un frein à un système qui s’était un peu emballé. En réaction, les sorties en bourse se sont arrêtées aux États-Unis et les valorisations se sont effondrées. La plupart des investisseurs ont décidé de temporiser entraînant dans leur sillages une contraction des volumes d’investissements, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe » ([30]) ;

Evolution du financement en capital-risque des startupS en France entre 2018 et 2023

EY_VC

Source : EY

Les entreprises technologiques du spatial rencontrent donc toujours des difficultés pour accéder à un niveau satisfaisant du capital-risque, en dépit des progrès réalisés. Ces difficultés persistantes ont été signalées à vos rapporteurs à de nombreuses reprises par les acteurs auditionnés. Lors de son audition, et dans sa contribution écrite adressée à la mission, le Gifas regrettait ainsi, à raison, que « les grandes fortunes nationales ne sont pas tournées vers le spatial, qui n’est pas identifié comme un secteur attractif » au contraire « d’autres pays dans le monde comme les États-Unis, mais également Allemagne, où les midcap ([31]) sont aussi largement financées par des fonds privés » ([32]).

Répartition des emplois au sein des entreprises du spatial en fonction de la taille de l’entreprise – comparaison entre la France et l’Allemagne

Source : GIFAS

3.   Un soutien public et privé indispensable dans un contexte de concurrence croissante

Face à ce constat, il apparaît essentiel à vos rapporteurs d’insister sur quelques éléments clefs permettant, autant que possible, de limiter la portée de cette faiblesse financière européenne.

Il convient, d’abord, d’essayer de continuer de faire de cette limite financière, autant que possible, une force. Ce différentiel de moyens n’a en effet pas empêché les Européens d’obtenir de brillants succès en matière scientifique et de disposer, jusqu’à récemment, d’un accès parfaitement autonome à l’espace avec Ariane 5. L’Europe dispose d’infrastructures et de programmes remarquables et doit s’appuyer sur ses succès (Galileo, Copernicus), pour prendre des positions maîtresses sur les segments de marché à venir, qui impliqueront fortement l’usage des données spatiales et le numérique. Cela peut impliquer, en revanche, de faire le point sur le partage et la maîtrise des données spatiales produites, pour s’assurer qu’une forme de préférence européenne puisse jouer à plein en faveur des entreprises européennes.

Vos rapporteurs estiment, ensuite, que cette contrainte budgétaire doit inciter la France et l’Europe à mieux hiérarchiser leurs priorités et à prendre conscience de la nécessaire unité européenne qui doit prévaloir en matière de spatial. Il convient donc de prioriser les gains de compétitivité, comme ce doit être le cas pour Ariane 6, et d’assurer une unité autour du projet économique européen du spatial. La dispersion des moyens, le manque de lisibilité sur les priorités de l’Union ou de solidarité entre États membres ne peut être une option.

Enfin, l’effort d’investissement public et privé vers le spatial doit être renforcé au sein de l’Union, à condition de mettre des moyens sur des priorités clairement définies. De ce point de vue, le soutien obtenu lors du sommet de Séville concernant le lanceur Ariane 6 était indispensable, de même que le positionnement de l’Europe sur le marché des constellations. La commande publique doit continuer d’être un levier fort de la politique spatiale, en France et en Europe, en particulier pour les industriels afin de permettre à ces derniers de pouvoir asseoir leurs investissements à la fois sur le marché souverain et sur le marché commercial. Cela signifie, concrètement, que les moyens publics engagés dans ce domaine doivent s’accroître. En ce qui concerne les investissements privés, un vrai effort de réorientation doit être entrepris pour garantir une priorisation du financement du secteur technologique.

B.   Des évolutions du marché spatial qui doivent être anticipées pour éviter de perdre des parts de marché

Le marché du spatial bénéficie de perspectives de croissante fortes qui motivent des investissements importants. D’après les estimations disponibles, sa valorisation économique pourrait atteindre 1 100 Md de dollars en 2040, soit un triplement par rapport à sa valeur actuelle, estimée autour de 300 Md de dollars (2018).

On observe en conséquence une mondialisation de ce marché : la baisse des coûts sur certains de ses segments, actuelle et à venir, qu’il s’agisse des petits lanceurs ou des nanosatellites, permet à des acteurs de faible taille mais disposant de compétences technologiques de se positionner au sein de sa chaîne de valeur, pour proposer de nouveaux services. C’est d’ailleurs la principale tendance à l’œuvre : une forte diversification des services proposés et à venir, à l’appui de la démocratisation de l’accès à l’espace et de l’essor des nouvelles technologies.

L’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux marchés constitue à la fois un risque pour les acteurs européens, historiquement établis, mais aussi une source d’opportunités. Elle rend, en tout état de cause, nécessaire d’être très vigilant vis-à-vis des ruptures technologiques, face à l’accélération des cycles d’innovation.

L’exemple d’Ariane 6 illustre bien cet enjeu. L’absence de réactivité de l’Europe face au virage du lanceur réutilisable, conjugué à un équilibre constamment recherché entre efficacité technique et impératifs socio-économiques, sont à l’origine des difficultés actuellement connues par l’Europe sur le marché des lanceurs, aggravées ensuite par les conséquences de la guerre en Ukraine d’un point de vue opérationnel (suspension par l’agence spatiale russe, Roscosmos, des lancements Soyouz).

Les auditions menées par vos rapporteurs confirment que les acteurs du spatial français ont pleinement conscience de ces enjeux. Les grands industriels auditionnés ont en effet effectué de réels efforts pour développer l’innovation, qui doit désormais s’appuyer autant sur leurs ressources internes qu’externes, à l’appui des technologies développées par les deeptech. Thales Alenia Space, Airbus Defense and Space, mais aussi les acteurs publics les plus sensibles (ministère des armées pour le spatial de la défense) ont opéré à raison un virage dans cette direction, en mettant en place des accélérateurs de startups et/ou des laboratoires d’innovation dont l’objet est d’assurer une veille des technologies présentes sur le marché, pour en faire le meilleur usage.

Lors de son audition, l’Inria a d’ailleurs fortement insisté sur l’apport des technologies numériques aux besoins du spatial : capacités de calcul, algorithmes de clarification de données spatiales, pour ne citer que ces deux exemples, constituent autant de moyens indispensables pour les technologies spatiales. Du point de vue des services, les marchés liés au spatial et au numérique se confondent, comme en témoigne la compétition autour des constellations en orbite basse, qui seront capables d’apporter de la connectivité aux territoires non couverts par les réseaux terrestres, dans des conditions de qualité variables.

Ces éléments de constat permettent d’insister sur un point : sans soutien au développement de l’innovation sur les technologies critiques, comme l’IA et le quantique, la dynamique d’innovation sur le marché de la donnée spatiale ne peut être soutenue. Ce soutien est d’autant plus indispensable que certains acteurs extra-européens majeurs du spatial prennent appui sur ces deux marchés, dans une approche verticale, pour se positionner de façon plus favorable que leurs concurrents. Maintenir une vraie capacité d’innovation est également le préalable pour permettre aux acteurs européens d’offrir leurs services aux nouveaux entrants (pays africains), qui souhaitent se doter de leurs propres capacités dans ce domaine.

Si la démocratisation de l’accès à l’espace et la multiplication des données produites permettront au marché aval de croitre de façon importante, vos rapporteurs rappellent l’impérieuse nécessité d’investir également fortement sur l’amont tant sur le segment sol que spatial pour disposer d’infrastructures souveraines de pointe. Ces infrastructures lourdes dont les coûts sont amortis sur plusieurs décennies nécessitent toujours un soutien institutionnel fort, malgré les progrès technologiques.

C.   Une absence d’incarnation européenne de l’aventure spatiale problématique

L’absence de réelle incarnation politique de la politique spatiale en Europe constitue également une faiblesse, dans un secteur d’activité qui doit pouvoir bénéficier d’un effet d’entraînement bien au-delà des acteurs directs appartenant à cet écosystème.

Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de personnalité politique incarnant la politique spatiale européenne et encore moins de récit spatial européen. Cette absence s’explique par la diversité des acteurs et des enjeux concernés, qui conduisent à ce que chacun s’interroge sur l’acteur le plus légitime pour porter pareille responsabilité.

Le spatial demeure ainsi une compétence parmi les compétences du « ministre chargé du spatial », c’est-à-dire du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Les instances publiques existantes, en dépit de leur ouverture, passent malheureusement encore largement « sous les radars » et sont pour ainsi dire méconnues du public. Les enjeux diplomatiques liés au spatial restent malheureusement bien trop peu évoqués dans le débat public.

La situation est différente aux États-Unis. Si le spatial n’est pas associé à une personnalité politique en propre, le narratif américain continue de jouer « à plein », en s’adaptant à la nouvelle donne spatiale. Ainsi, des entrepreneurs comme Elon Musk, qui viennent tracer des perspectives en vue du vol habité vers Mars, prennent le relais de l’action de communication de l’agence spatiale américaine (NASA) que l’on ne présente plus. L’Agence spatiale européenne demeure pour sa part largement inconnue du grand public en France, qui associe davantage l’espace à l’astronaute français Thomas Pesquet, preuve que le vol habité est un élément dont il n’est pas possible de faire l’économie pour « faire rêver » avec l’espace.

En définitive, l’Europe ne semble pas disposer d’un récit porteur et fédérateur autour du spatial alors que ce domaine est par excellence le reflet de ses valeurs et de son engagement scientifique humaniste. La politique spatiale européenne manque de visibilité sur la question du vol habité, faute, pour l’agence spatiale européenne, de trop rester « dans l’ombre » de la NASA.

Recommandation n° 3 : Réaffirmer l’ambition de l’Europe dans le domaine de l’exploration spatiale et du vol habité, qui constituent deux éléments cardinaux dans la construction d’un récit spatial européen fédérateur.

Le récit européen du spatial s’est écrit par touches, de façon discontinue, en « dents de scie » autour des succès précités, mais sans réelle durabilité. Cette réalité est une lacune en matière de « soft power », certes, mais également en matière économique, puisqu’elle influence l’attractivité du secteur spatial envers les meilleurs profils et pour les sources de financement des entreprises.

 


   DEUXIEME PARTIE :
Une « nouvelle donne » avec le « New Space »,
qui rebat les cartes et révèle des fragilités
au sein du modèle spatial européen

I.   Un changement de paradigme avec l’émergence du « New Space » qui modifie en profondeur les « règles du jeu » dans le domaine spatial

A.   Le New Space : un changement de paradigme

Le New Space correspond historiquement à une évolution du rôle de la puissance publique dans le domaine spatial. Cette nouvelle conception de la répartition des rôles entre commande publique et marché est apparue aux États-Unis. Elle correspond en pratique, à la rencontre entre « les intérêts de la puissance publique qui préférait acheter des services pour ne pas avoir à supporter l’intégralité des coûts de développement et des acteurs privés qui voyaient dans cette approche la possibilité de valoriser sur un marché commercial des capacités également financées par des programmes institutionnels » ([33]). Il s’agit donc, pour la puissance publique, de réaliser davantage à budget équivalent tout en soutenant l’innovation par l’élargissement de la taille du marché accessible à l’industrie spatiale.

Cette nouvelle approche s’inscrivait dans un contexte historique spécifique aux États-Unis. La chute de l’Union soviétique et la fin de la course à l’espace impliquaient en effet une reconversion de l’appareil industriel américain, afin de l’adapter à la mondialisation, comme l’a rappelé M. Xavier Pasco lors de son audition. Dans ces conditions, cette nouvelle approche a permis aux États-Unis de continuer, via ce nouveau « partage des rôles », de disposer d’un haut niveau d’investissements dans le domaine spatial et de lier fortement développement des technologies spatiales et des technologies numériques.

Cette politique a produit des résultats très favorables pour la puissance américaine. Initiée par la NASA, elle a ainsi favorisé l’apparition de nouveaux acteurs innovants sur le marché, dont le plus connu est évidemment Space X pour le marché des lanceurs. Elle a offert, par la même occasion, des opportunités importantes à l’ensemble des acteurs de la supply chain spatiale (de la PME, des groupes équipementiers ou systémiers jusqu’ aux donneurs d’ordre) et permis « de renforcer les liens technologiques et économiques avec le secteur dit aval (sol, téléphonie, …) et d’attirer vers le spatial d’autres secteurs (aéronautique, défense, numérique, …) » comme le relève le Gifas dans sa contribution écrite ([34]). Elle a enfin eu un impact fort sur l’investissement privé dans le spatial, tant en termes quantitatifs (capital-risque, investissements des grands acteurs), que qualitatifs (open-innovation, création d’accélérateurs etc.).

Ces bons résultats expliquent la diffusion de cette « nouvelle donne » comme modèle dominant. Elle a bouleversé les fondamentaux de l’économie spatiale, par la baisse des coûts et l’accélération des cycles d’innovation. Elle explique les évolutions du marché des lanceurs, des satellites (essor de l’orbite basse). Elle est également particulièrement bien adaptée au développement de la donnée numérique, et de sa valorisation économique, comme le relève le Gifas, permettant à « un champ d’applications suscitées par les technologies du digital d’apparaître pour donner des accès spatiaux à la génération et à l’exploitation de la donnée numérique, et exploiter au maximum le potentiel technologique et économique des synergies issues de ce rapprochement du digital et du numérique dans et par l’espace » ([35]).

Cette nouvelle donne, qui fait reposer l’innovation spatiale sur un lien plus équilibré entre financements publics et privés, ne signe pas pour autant le retrait de la puissance publique du domaine spatial. Le marché de l’espace, au niveau mondial, reste en effet très majoritairement souverain. Elle traduit plutôt une nouvelle coopération entre puissance publique et secteur privé, dont Space X est le meilleur exemple. Cette entreprise, leader en matière de lanceurs réutilisables, repose en effet massivement sur la commande publique américaine (prix des lancements trois fois plus élevés sur le marché institutionnel que sur le marché classique), ainsi que sur des transferts de technologies publiques (moteurs Merlin, développés par la NASA). Elle tente de construire une position dominante par une stratégie de verticalisation elle aussi fortement soutenue par les États-Unis pour des raisons évidentes de souveraineté.

B.   Des évolutions majeures sur le marché commercial du spatial.

Les principaux marchés spatiaux connaissent des évolutions importantes qui rebattent les cartes entre les principales puissances spatiales.

1.   Le marché des satellites et de la connectivité

Il est possible d’identifier cinq tendances structurelles à cet égard qui vont modifier la donne en profondeur :

– le passage de la télévision linéaire à la vidéo à la demande, qui nécessite un surplus important de capacité de connectivité ;

– la forte croissance du haut débit grand public en orbite terrestre basse (principalement sous l’impulsion d’acteurs verticalement intégrés, qui créent leur propre demande captive, comme SpaceX) ;

– le développement de nouveaux cas d’utilisation dans l’observation de la Terre ;

– l’émergence de cas d’utilisation dans la mobilité (direct to device, internet des objets (IoT) et le « backhaul » par satellite) ;

– l’amélioration technologique des satellites.

En outre, ainsi que le relèvent ArianeGroup et Arianespace dans leur contribution écrite, « de nouvelles applications spatiales vont sans doute apparaître et se développer, accroissant encore la demande d’accès à l’espace [comme] les services de transfert orbitaux, aussi appelés « last mile to orbit », l’extension de vie et la maintenance des satellites en orbite, ou le traitement des débris spatiaux critiques, notamment ceux menaçant des infrastructures critiques comme des constellations » ([36]).

Cette évolution du marché des satellites et de leurs usages s’explique par la forte baisse des coûts de lancement et le progrès technologique, qui permet de concevoir des composants dont la taille et le poids sont de plus en plus faibles. La standardisation des satellites (Cubesat) a également renforcé la possibilité pour des acteurs dotés de fonds limités, de se positionner dans ce secteur d’activité. Le différentiel de coût de lancement d’un satellite entre un petit satellite et un satellite classique est majeure. Les données fournies à vos rapporteurs indiquent en effet que le coût moyen d’un smallsat est de l’ordre de 20 000 euros par kilogramme contre 60 000 euros par kilogramme pour un satellite classique.

Cette nouvelle donne, associée à l’essor des technologies numériques, est à l’origine de l’essor des constellations de satellites, qui vont se positionner en orbite basse et fournir un ensemble de services variés, au premier rang desquels figurent la connectivité. Le positionnement de ces satellites en orbite basse permet en effet de réduire la latence offerte et de fournir des solutions de connectivité à des acteurs situés au sol mais non connectés aux autres moyens de fourniture de connectivité pour des raisons diverses (localisation géographique complexe, absence de réseau etc.). En outre, l’augmentation du nombre de satellites dans l’espace et la tendance structurelle vers une autonomisation de leur fonctionnement devraient conduire à des besoins de connectivité renforcés dans l’espace lui-même, que ces constellations pourront satisfaire.

Le marché est donc actuellement investi par de nombreux acteurs émergents, qui proposent ou envisagent de proposer des services nouveaux. Leurs activités couvrent un champ extrêmement large, depuis les solutions de mobilité devant permettre aux satellites de se déplacer plus facilement dans l’espace, au développement de constellations de nano-satellites permettant d’observer la Terre, en passant par un ensemble de solutions permettant de lutter contre la présence de débris spatiaux en orbite. Au-delà de ces acteurs commerciaux (Downstream), un réseau d’équipementiers innovants (comme Anywaves) se structure également et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) équipementiers plus traditionnels redéfinissent leurs activités (comme Comat). Ces acteurs permettent de proposer des nanosatellites à bas coût et ont obtenu des contrats avec le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Agence de l’innovation de défense (AID).

2.   Le marché des lanceurs

Le secteur des lanceurs est confronté à une profonde mutation du marché satellitaire avec une distinction claire entre le segment géostationnaire (GEO) et le segment non-géostationnaire, qui évoluent à deux vitesses différentes :

– le marché géostationnaire (GEO) est en déclin. Il n’est plus au cœur de l’activité comme cela a été le cas par le passé et devrait néanmoins se stabiliser à hauteur d’une quinzaine de satellites par an en moyenne dans les dix prochaines années ;

– le marché en orbite basse (LEO) connait, quant à lui, une croissance importante, poussée par les nombreux projets de constellations en orbite basse qui représentent la moitié des revenus accessibles pour les lanceurs lourds durant les prochaines années, c’est le segment porteur en nombre de lancements et rémunérateur : près de 5 000 satellites à lancer sur la décennie (sans compter Starlink).

Le marché des services de lancement fait aujourd’hui face à une concurrence accrue de la part de SpaceX en raison d’une offre très compétitive sur le segment commercial, largement favorisée par un modèle américain déséquilibré par rapport au modèle européen.

Comparaison de la commande publique européenne et américainE dans le domaine des lanceurs

(1) Report de missions institutionnelles initialement prévues sur Soyouz après l’invasion de l’Ukraine.

Source : Contribution écrite d’ArianeGroup et Arianespace.

Par ailleurs, l’émergence du New Space en Europe a favorisé l’entrée prochaine sur le marché de micro-lanceurs développés par de nouveaux acteurs, pour des capacités de lancement entre quelques dizaines de kilogrammes et plus d’une tonne – pour rappel, la capacité d’une Ariane 64 est de plus de 20 tonnes en orbite basse, et la capacité d’un lanceur moyen comme Vega C est de 2.3 tonnes. La multiplication de ces projets favorise une compétition intra-européenne dans un marché institutionnel bien moins important qu’aux États-Unis et dont la puissance financière pour soutenir les développements est limitée.

3.   Le marché des services en orbite

L’accroissement du nombre de satellites dans l’espace favorise également l’émergence d’un nouveau marché consacré aux services en orbite. Les services offerts par les entreprises qui se positionnent dans ce domaine sont de plusieurs ordres : inspection ponctuelle des satellites ou débris spatiaux, opérations de remorquage, ravitaillement ou maintenance en orbite permettant d’améliorer la durée de vie des satellites, gestion de la fin de vie des satellites etc. Les chiffres disponibles font état, en 2021, d’une cinquantaine de projets engagés en ce sens, avec une répartition de la valeur fortement orientée vers l’orbite basse. Le cabinet de conseil North Sky Research estime ainsi que ce marché pourrait représenter 3,2 milliards de dollars d’ici 2030, dont 83 % de la valeur serait produite sur l’orbite basse, avec 230 satellites clients potentiels. Dans le cadre du plan France 2030, un appel à projets spécifique pour ce marché a d’ailleurs été lancé, en partenariat avec Bpifrance et le CNES. Ces services pourraient, à moyen terme, s’étendre à l’exploitation de ressources spatiales, ce qui devrait mettre cette question au cœur du débat juridique dans les prochaines années.

4.   Le marché des données spatiales

Concomitamment à la montée en puissance du New Space, la valorisation de la donnée spatiale est largement influencée par le dynamisme du secteur numérique. C’est ainsi tout un ensemble d’applications innovantes qui se déclinent, via l’exploitation de ces données désormais plus largement accessibles à un spectre large, allant du grand public aux multinationales, en passant, bien-sûr, par les États eux-mêmes. Les services et produits proposés, combinant données issues de missions privées, de satellites scientifiques institutionnels, et de données in situ offrent ainsi de bonnes perspectives commerciales auprès de clients tant publics que privés.

À cet égard, ayant pris conscience que l’essor des données spatiales devrait conduire à l’émergence d’un ensemble de services nouveaux dans les années à venir, les pouvoirs publics ont placé leur valorisation au cœur de la stratégie spatiale. En effet, les données satellitaires constituent la brique élémentaire pour assurer les retombées terrestres des systèmes spatiaux. C’est la raison pour laquelle le programme France 2030 fait du développement d’un écosystème d’applications et de services exploitant les données spatiales une priorité stratégique. Dans ce cadre, un appel à projet portant sur la valorisation des données spatiales est d’ailleurs en cours de finalisation ([37]), de façon à mobiliser les acteurs de la recherche spatiale sur les technologies liées au traitement des données spatiales, en ayant le cas échéant recours à l’intelligence artificielle. Les usages potentiels ou éprouvés, s’étendent du suivi d’émissions de polluants à la caractérisation d’ilots de chaleur, en passant par l’intelligence économique et financière (Quantcube([38]) la mobilité digitalisée (CLS) ou encore la cartographie 3D (Geosat).

Par ailleurs, la combinaison entre les infrastructures existantes « sous-exploitées » (Copernicus, Galileo, Spot, Pléiades…) et la disponibilité de technologies fortes basées sur l’IA (intelligence artificielle) pour l’exploitation de la donnée satellitaire permet d’ores et déjà de tirer vers le bas le coût d’accessibilité à ces données pour tous. La commodité d’accès à une donnée satellitaire de qualité et qualifiée/segmentée à moindre coût grâce à l’IA (CS Group, INRIA…) permet d’adresser de nouveaux marchés, et, in fine, la création de nouveaux métiers/emplois.

C.   Des marchés émergents, qui restent néanmoins en partie incertains

Si le spatial offre des perspectives économiques fortes, les marchés concernés continuent de souffrir d’une forme d’incertitude. Les auditions menées par vos rapporteurs font apparaître que les solutions proposées par les acteurs innovants pourraient rencontrer des difficultés pour « trouver leur marché ». Cela signifie, très concrètement, que la phase d’essaimage des deeptech dans le domaine du spatial pourrait être suivie d’une phase plus compliquée en cas d’absence de maturité de certains usages.

Cette tendance est propre aux marchés technologiques et se retrouve, par exemple, sur le marché des innovations technologiques numériques. Le marché de la 5G en est un bon exemple : si chacun s’accorde sur la révolution à venir permise par cette nouvelle technologie (véhicule autonome, réseaux autonomes, transformation de secteurs économiques entiers), les expérimentations mises en œuvre dans ce cadre, à l’initiative des pouvoirs publics, ont été en partie décevantes, en raison du fort aléa concernant la durée nécessaire pour qu’un marché se stabilise et les risques élevés afférents.

La difficulté pour les investisseurs publics et privés réside donc dans la juste évaluation de la qualité de l’innovation et de la probabilité de constitution d’un marché « ferme ». En effet, il est impératif de distinguer le soutien indispensable à des acteurs innovants n’ayant pas encore de marché, mais devant passer le cap de la rentabilité, des acteurs qui n’ont pas vocation à survivre. Les efforts de veille et de prospective économique, engagés en France notamment via l’action de l’observatoire de l’économie spatiale du CNES, et, au niveau européen, par l’action de l’agence européenne pour le programme spatial (EUSPA), doivent donc se poursuivre. Lors de son audition, le commandant de l’espace a confirmé à vos rapporteurs toute l’importance de permettre à des acteurs technologiques intéressants de « passer le cap » de la constitution d’un marché lorsque les conditions économiques présentes ne permettent pas une rentabilité immédiate.

II.   Une europe spatiALE qui TENTE DE s’adapter SANS cÉder aux sirÈnes du déclinisme

Face à ces évolutions, la France et l’Europe ont fait évoluer, avec retard, les fondamentaux du modèle spatial européen pour s’adapter à ce nouveau contexte afin de limiter l’érosion de leurs positions au sein du marché commercial spatial.

A.   Une adaptation par la hausse des budgets institutionnels

1.   En Europe

Les budgets consacrés par l’Europe au spatial ont connu une augmentation importante ces dernières années, à la suite de la prise de conscience d’un risque de déclassement face aux investissements consentis par les États-Unis et les puissances spatiales émergentes.

Le budget de l’agence spatiale européenne a connu une augmentation importante de l’ordre de 17 %, avec 16,9 Md€ consacrés au spatial sur trois ans, contre 14,5 Md€ consacrés à cette thématique sur la période précédente.

En outre, l’Union européenne (UE) dispose aussi d’un programme spatial, doté de 14,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027, ce qui représente un peu moins de 2 milliards d’euros par an.

Ces budgets en hausse se situent néanmoins loin derrière les États-Unis, d’une part (62 Md$) et l’Europe pourrait voir sa position se dégrader face à la montée en puissance d’acteurs comme la Chine ou l’Inde. En effet, alors que les budgets institutionnels annuels des États-Unis, de la Chine, et de l’Inde, ont augmenté de plus de 70 % entre 2016 et 2022, le budget de l’UE n’a cru que de 44 % sur cette période. L’avance conservée en termes de masse financière risque donc de s’éroder progressivement, en dépit des efforts budgétaires consacrés par la récente conférence ministérielle au mois de novembre 2022.

Une compétition internationalE qui s’accélère

Source : audition de Thales Alenia Space

Ainsi que le relève ArianeGroup, dans sa contribution adressée à la mission, si « les investissements de la Chine dans le spatial sont difficile à évaluer en raison du manque de transparence », le secteur du spatial chinois « connait une forte dynamique avec de nombreux programmes de grande ampleur et à forte connotation duale ». Le succès du lancement, le 24 juillet 2022, par la Chine, du deuxième des trois modules que doit contenir sa propre station spatiale Tiangong, et le développement d’un lanceur Longue-Marche 9 devant disposer de capacités similaires à celles du Starship de Space X, en constituent deux signaux notables.

2.   En France

Le budget consacré par la France au spatial a fortement augmenté ces dernières années. Il est composé, pour mémoire, à la fois d’un budget piloté par le Centre national des études spatiales (CNES), qui contribue aux programmes mis en œuvre dans le cadre du programme spatial européen et à l’action de l’agence spatiale européenne, et d’un budget d’investissement regroupé au sein des Investissements d’avenir.

Le budget du CNES, d’abord, a connu une hausse importante depuis plusieurs années, en lien avec les hausses décidées au niveau de l’Union européenne. Depuis 2016, les ressources attribuées au CNES sont en effet en croissance continue, en dépit d’un léger recul constaté pendant la période de la crise sanitaire.

Ressources du CNES sur la période 2016 - 2022

Source : Cour des comptes

Entre 2016 et 2022, ces ressources ont en effet augmenté de 500 millions d’euros, pour atteindre 2,5 Md€ en 2022. Cette hausse a essentiellement été portée par le programme 193 du budget de l’État, qui finance la contribution française à l’ESA. Les ressources consacrées au programme national ont, pour leur part, évolué dans une moindre mesure (+ 125 millions d’euros sur la période), ce qui est cohérent avec l’action, en parallèle, des Investissements d’avenir gérés par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI).

Cette hausse des ressources du CNES a permis de soutenir la contribution de la France à l’ESA dans le cadre de la conférence ministérielle de 2019 de ’l’agence spatiale européenne, et d’éteindre la dette française vis-à-vis de cette dernière, à la fin de l’année 2020, comme l’a relevé la Cour des comptes dans son rapport consacré au CNES, publié au mois de janvier dernier ([39]).

Cette hausse devrait se poursuivre et s’accélérer conformément aux ambitions fixées au sein de la loi du 24 décembre 2020 de programmation pour la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur et au contenu du contrat d’objectifs et de performance signé entre le CNES et l’État pour la période 2022-2025.

Evolution programmée des crédits du programme 193 (hors remboursement de la dette à l’ESA) sur la période 2021-2030

(en millions d’euros)

Source : Cour des comptes

Au-delà du CNES, le budget spatial français est porté, en matière d’investissements stratégiques, par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) dans le cadre des Investissements d’avenir.

Le plan France 2030 consacre en effet 1,55 Md€ d’investissements au volet spatial. Ce plan vise à renforcer le New Space français par un soutien bénéficiant pour deux tiers aux acteurs émergents, afin d’assurer le positionnement de la France sur des marchés en forte croissance, favoriser l’investissement dans les technologies de rupture en articulant davantage recherche spatiale et innovations industrielles et enfin, réorienter les investissements sur les besoins avérés des utilisateurs et les marchés porteurs.

Son volet spatial comprend à la fois une intervention via des subventions (appels à projets opérés par Bpifrance) et de la commande publique (appels d’offres opérés par le CNES).

Cette stratégie d’investissement massif est construite autour de trois grands axes stratégiques.

Le premier axe concerne l’accès autonome à l’espace. Il doit permettre à la France et à l’Europe de participer pleinement à la course aux alternatives privées qui rythme aujourd’hui la scène internationale. Il se traduit par un soutien important au secteur français des micro et mini-lanceurs.

Le second axe porte sur le développement des constellations et la préparation de l’industrie française spatiale aux innovations en cours et à venir au sein de l’orbite basse (observation de la Terre, connectivité etc.).

Le troisième et dernier axe, enfin, concerne plus spécifiquement le soutien aux acteurs du New Space français. Il vise à leur apporter l’appui financier nécessaire pour leur permettre de se positionner sur les marchés émergents en levant les barrières financières liées aux spécificités du secteur spatial.

Deux ans après son lancement, le volet spatial de France 2030 apporte un soutien à plus de 200 projets déposés par plus de 240 partenaires, pour un montant de crédits de 200 M€ engagés par la puissance publique.

Dans sa contribution écrite adressée à vos rapporteurs, la direction générale des entreprises a indiqué que le déploiement de ce volet spatial était en cours de forte accélération. Cette accélération, nécessaire au regard du montant relativement faible de crédits engagés à ce stade, semble en effet se traduire dans les faits, à la fois par une hausse des dépôts de projets et d’offres de la part des candidats aux appels d’offres ([40]), d’une part, et par la montée en maturité des projets déposés ([41]), d’autre part.

B.   Une adaptation par des évolutions institutionnelles

L’essor du New Space a également conduit à des réformes d’ordre institutionnelles afin de renforcer l’articulation des compétences entre les différents acteurs de la politique spatiale française et européenne.

Au sein de l’Union européenne, plusieurs réformes sont intervenues depuis les années 2000 pour renforcer la politique spatiale et l’adapter à l’émergence d’enjeux et d’acteurs nouveaux.

1.   Des réformes régulières visant à renforcer l’articulation de l’action de l’agence spatiale européenne avec la Commission européenne et le programme spatial européen.

Ces réflexions ont été engagées dès les années 1990 avec la chute de l’Union soviétique et la nécessité d’améliorer le fonctionnement de la politique spatiale européenne. Certains éléments de constat formulés actuellement concernant l’articulation entre les acteurs européens du spatial figuraient ainsi déjà au sein des documents de travail de la Commission européenne à cette période.

Le document de travail intitulé « Renforcer la cohérence de l’approche spatiale européenne » publié par la Commission en 1999 mentionnait en effet déjà ces difficultés dans les termes suivants : « l’Europe fait montre d’un déficit de consensus entre les principaux acteurs du secteur spatial, ce qui a entraîné des retards dans la conception, le financement et le lancement de projets novateurs ou d’applications ».

En 2000, la Commission européenne et l’ESA élaboraient dans un document conjoint une stratégie européenne pour l’espace visant à résorber les difficultés rencontrées par les acteurs européens du spatial.

Le rapprochement de ces deux organes a ensuite été consacré en 2003 par l’adoption d’un accord-cadre permettant d’harmoniser la politique spatiale européenne et de la réorienter vers une approche plus transversale et davantage portée vers le marché commercial.

La séparation des activités de l’ESA et de la Commission européenne en matière de politique spatiale a été confirmée en 2007, avec la publication d’un document commun présentant la « nouvelle politique spatiale européenne », l’ESA étant chargée du segment amont du spatial et la Commission européenne du segment aval. La même année, le traité de Lisbonne est venu consacrer la politique spatiale comme ressortissant des compétences de l’Union.

Au début des années 2010, plusieurs réflexions ont été engagées par les institutions européennes dans le but de résorber « des disparités en ce qui concerne la réglementation financière qu’elles appliquent, leur composition et les droits de vote de leurs membres ainsi que le traitement des questions de sécurité et de défense ». Néanmoins, face à la volonté des États membres de garantir l’indépendance de l’ESA, peu d’évolutions sont intervenues quant au statut de cette agence.  Aucune révision de l’accord-cadre n’est intervenue depuis lors.

Enfin, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 couronne ces évolutions par l’établissement du programme spatial de l’Union et la création d’une agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA).

2.   Des évolutions institutionnelles importantes en France pour mieux intégrer les acteurs du New Space et réorienter la politique spatiale davantage vers les enjeux commerciaux.

Ces évolutions sont principalement de trois ordres :

– la création d’un espace de dialogue et de concertation avec les industriels de la filière spatiale, élargi ensuite aux acteurs du New Space : le Cospace.

– la mise en œuvre d’une politique volontariste de soutien à ces acteurs, via une banque publique d’investissement disposant d’outils spécifiques : Bpifrance ;

– une évolution dans les instances de pilotage et de tutelle des principaux organismes chargés de porter la politique spatiale européenne, au profit d’un rôle croissant du ministère de l’économie et des finances, aussi bien en ce qui concerne le Cospace que la tutelle du Centre national des études spatiales (exercé par ce même ministère depuis 2020 à la suite du transfert de la compétence « Espace » vers ledit ministère).

Le Cospace : un lieu de concertation et d’échanges avec les industriels et les entreprises technologiques du spatial

Le Cospace, comité de concertation entre l’État et l’industrie dans le domaine spatial, a été créé en 2013. Il regroupe tous les acteurs de la filière spatiale française (les ministères concernés, le CNES, la communauté scientifique, le Gifas et les industriels, des maîtres d’œuvre aux startups et PME) avec l’objectif de développer pleinement l’ensemble des capacités d’un secteur d’excellence de l’industrie française. Il intègre depuis 2019 des startups représentant la dynamique New Space.

Source : direction générale des entreprises (DGE)

C.   Une adaptation qui doit néanmoins se faire sans céder au « déclinisme »

L’histoire de la politique spatiale européenne a fait la démonstration de la capacité des Européens à surmonter les difficultés pour continuer de rester en position favorable sur l’ensemble des segments du spatial. S’il est un message que vos rapporteurs souhaitent porter, c’est que l’adaptation de notre modèle aux enjeux nouveaux du marché spatial doit être considérée moins comme un risque que comme une opportunité pour l’industrie spatiale européenne de gagner des parts de marché et de promouvoir son savoir-faire.

Dans cette perspective, vos rapporteurs considèrent qu’il convient de regarder la situation « dans son ensemble ». Les difficultés passagères indiscutables sur les lanceurs ne doivent pas cacher les succès européens et les efforts consentis par les acteurs économiques pour prendre des positions sur les nouveaux marchés.

Dans ces conditions, il convient de se garder de deux écueils principaux :

– un premier écueil consisterait à vouloir copier le modèle américain, très spécifique, à l’appui du succès supposé de Space X. En effet, pour les raisons évoquées précédemment, la réussite de cet acteur tient d’abord à sa stratégie de verticalisation et au soutien de la puissance publique américaine. Il convient dans ces conditions d’en tirer les bonnes leçons, à savoir que le soutien public au secteur spatial est indispensable. Si les modalités de la politique d’innovation européenne doivent évoluer en faveur de plus de souplesse et d’un modèle davantage orienté vers la commande de services, il convient néanmoins de ne pas bouleverser excessivement les équilibres et pratiques actuels. Les acteurs européens savent innover et ont pris le tournant du New Space. Un renforcement du soutien public aligné sur une politique spatiale nationale en cohérence avec la politique spatiale européenne devrait permettre de combler le retard pris dans certains domaines ;

– un second écueil consisterait à vouloir promouvoir une compétition accrue et maximale entre les États membres au risque d’affaiblir la solidarité européenne en matière spatiale. De ce point de vue, les décisions prises lors du sommet de Séville apparaissent équilibrées, garantissant le financement du lanceur Ariane 6 et davantage de compétition sur les micro-lanceurs. Il est nécessaire de s’accorder sur le soutien unanime des États membres à l’issue de cette compétition, afin de préserver une unité européenne sur le spatial et d’éviter une renationalisation excessive des politiques spatiales.

Recommandation n° 4 : Promouvoir la convergence des États-membres sur les ambitions de la politique spatiale européenne tout en restant lucide vis-à-vis de la « nouvelle donne » à l’œuvre sur les lanceurs.

III.   Un contexte inédit, qui doit être pleinement « intégré » afin de prendre les bonnes décisions

A.   Le sommet de Séville : un résultat équilibré entre les États membres

Le sommet spatial de Séville, tenu au moins de novembre 2023, a permis de lever certaines difficultés rencontrées, en particulier, dans le domaine des lanceurs. Les États membres sont parvenus à un accord ménageant des intérêts nationaux parfois divergents autour des trois thématiques majeures que sont les lanceurs, l’exploration spatiale et les enjeux relatifs à l’observation de la Terre.

1.   Un compromis raisonnable sur le financement d’Ariane 6, Vega C et de la prochaine génération de lanceurs

Le sommet de Séville a permis aux Européens de trouver un compromis concernant le financement du lanceur Ariane 6. Ce dernier, qui devait être opérationnel en 2020, a en effet pris un retard significatif pour des raisons d’ordre techniques et politiques. Face à cette situation, au succès de Space X et à l’évolution du marché des lanceurs, certains États membres avaient envisagé de « tourner la page Ariane » au profit d’un recours accru aux solutions extra-européennes offertes sur le marché.

Il convient de rappeler ici qu’Ariane a fait la fierté de l’Europe et garanti pendant des décennies son accès autonome à l’espace. Les tensions géopolitiques récentes, par ailleurs, ont prouvé que l’autonomie de lancement européenne était un prérequis indispensable pour rester une puissance spatiale souveraine. Il n’en demeure pas moins que les retards pris doivent être résorbés puisqu’ils ont des impacts massifs sur l’ensemble des lancements envisagés, tant sur le plan civil que militaire ([42]).

Les lanceurs européens : une réussite durable en dépit des difficultés récentes

La réussite de l’industrie européenne des lanceurs au cours des 40 dernières années est avant tout l’histoire d’une coopération soutenue entre pays européens. Cette coopération continue de prendre aujourd’hui corps avec :

 le programme Ariane 6, qui fédère 13 États membres de l’ESA (également États membres de l’UE, à l’exception de la Suisse et de la Norvège) ;

 le programme Vega C, qui fédère 10 pays européens (tous États membres de l’UE, à l’exception de la Suisse et de l’Ukraine) ;

 la déclaration d’exploitation des lanceurs (Launcher Exploitation Declaration, 2017), signée par 18 États européens, confiant à Arianespace l’exploitation des lanceurs Ariane et Vega, développés par l’ESA depuis le Centre spatial guyanais. Cette déclaration devra être révisée à l’aune des décisions du sommet de Séville.

La coopération européenne a été renforcée avec le lancement des programmes Ariane 6 et Vega C en 2014, qui ont été pensés en forte synergie avec des éléments technologiques communs : le moteur à propergol solide P120-C est commun aux deux lanceurs, Ariane 6 l’utilisant comme propulseur d’appoint et Vega-C comme étage principal.

Source : contribution écrite adressée à la mission.

Sur ce sujet, vos rapporteurs considèrent que le soutien fort affiché à Ariane dans le cadre de l’accord obtenu à Séville est un excellent signal. Ariane 6 bénéficiera en effet d’un financement public de 340 M€ par an, sous forme de subventions, du 16ème au 42ème vol afin d’assurer sa viabilité économique et sa compétitivité. Ces chiffres correspondent dans les faits aux lancements prévus dans l’intervalle de temps de 2026 à 2030. L’équilibre financier des quinze premiers vols avait fait l’objet d’un accord précédent, qui était insuffisant pour garantir la pérennité du lanceur jusqu’en 2030.

Vos rapporteurs saluent également la subvention accordée pour soutenir le lanceur Vega-C, qui pourra atteindre 21 millions d’euros par an en cas de besoin du 26e au 42e vol. Avio, le constructeur italien du lanceur moyen européen Vega C commercialisera désormais lui-même ses vols qui étaient jusqu’alors exploités par Arianespace.

L’agence spatiale s’est par ailleurs vu attribuer le rôle de « client de référence » des lanceurs européens et s’engage à acheter quatre vols institutionnels par an à Ariane 6 et trois à Véga C/E pour mettre en orbite des satellites européens.

Assurer le futur des deux lanceurs européens disponibles était une nécessité pour continuer de rester crédible sur la scène spatiale internationale. Il est néanmoins indispensable de préparer le futur en réfléchissant également dès maintenant au futur lanceur lourd européen.

Recommandation n° 5 : Réaffirmer pour l’Europe une ambition forte d’un accès autonome et souverain à l’espace.

Recommandation n° 5 bis : Relancer dès aujourd’hui les réflexions sur le lanceur lourd européen successeur de Ariane 6.

En contrepartie de ces financements, deux accords ont été obtenus :

– un engagement ferme des industriels à réduire leurs coûts, afin que les lanceurs soutenus soient compétitifs sur le marché mondial. Cet engagement correspond à une réduction des coûts de l’ordre de 11 % ;

– une concurrence ouverte entre États membres sur la prochaine génération de lanceurs de petite taille, à savoir les mini et micro-lanceurs.

Vos rapporteurs souhaitent formuler plusieurs remarques sur ces deux points.

En premier lieu, les gains de compétitivité demandés apparaissent équilibrés et indispensables pour garantir la crédibilité des lanceurs européens. Cette contrepartie doit inciter les industriels concernés à redoubler leurs efforts pour s’assurer d’un positionnement optimal sur le marché des lanceurs à terme. Ils souhaitent toutefois rappeler qu’obtenir ces gains ne sera pas chose facile alors même que les règles du retour géographiques limitent fortement le choix des sous-traitants et donc de facto les possibilités de négocier des réductions de coûts.

En second lieu, la concurrence ouverte sur les mini et micro-lanceurs ne doit pas fracturer de façon excessive les Européens. Il convient de faire de cette situation une opportunité, ainsi que l’a rappelé le Président de la République dans le cadre du premier bilan du volet spatial du plan France 2030 ([43]). Il est néanmoins important que les Européens restent unis autour de la politique spatiale, et que les intérêts nationaux puissent être articulés de façon raisonnable avec la nécessité de conserver une réelle autonomie spatiale européenne. Sans celle-ci, de sérieuses difficultés se feront nécessairement jour à moyen terme. Cette unité implique de ne pas favoriser des acteurs extra-européens qui viennent concurrencer nos propres acteurs.

Enfin, pour soutenir le marché des nouveaux lanceurs, l’agence spatiale européenne a créé une compétition portant sur un contrat d’achat de services de missions européennes à bord d’un lanceur moyen. Les acteurs privés sélectionnés à l’issue de la compétition bénéficieront d’un financement de 150 millions d’euros.

2.   Un consensus autour de la nécessité pour l’Europe de se doter d’un cargo spatial

Le sommet de Séville a également permis aux Européens de porter une ambition forte autour d’une plus grande autonomie européenne en matière d’exploration humaine et robotique de l’espace. Là aussi, un changement de modèle s’observe en faveur de la nouvelle approche d’achats de services à des acteurs privés du spatial.

Le premier jalon de l’autonomie européenne passera par l’orbite basse. Un appel d’offres va être lancé prochainement à destination d’industriels pour une offre de service de transport de cargo vers la station spatiale internationale et de retour de fret sur Terre à horizon 2028. À terme, l’objectif serait que ce véhicule de fret puisse évoluer vers une version habitée pouvant desservir au-delà de l’orbite basse si les États membres le souhaitent. S’agissant de cette seconde phase, des propositions seront soumises à la prochaine session du Conseil de l’ESA au niveau ministériel en 2025.

3.   Une priorisation des investissements relatifs à l’environnement dans le cadre des programmes d’observation de la Terre

Enfin, prenant compte de la place fondamentale des moyens spatiaux dans la construction d’un avenir vert, durable et sûr sur la Terre, les États membres de l’ESA se sont engagés à donner la priorité des investissements futurs au domaine de l’observation de la Terre pour le climat. À travers les données provenant des satellites d’observation de la Terre, ’l’agence est invitée à soutenir les efforts déployés aux niveaux national et européen pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

B.   Des investissements dans le spatial militaire plus que jamais nécessaires

L’essor des activités spatiales militaires et les tensions internationales rappellent combien l’espace est un enjeu de souveraineté.

Lors de son audition, le commandant de l’espace, général de division aérienne Philippe Adam, a fortement insisté sur ce point ([44]), en soulignant que ce contexte avait présidé à la définition par la France d’une stratégie spatiale de défense en 2019 et à la création d’un commandement de l’espace (CDE) au sein de nos armées, initiative suivie actuellement par plusieurs de nos partenaires européens. La création d’Ariane au sein de l’histoire spatiale française et européenne procède également de ce choix de souveraineté face aux contraintes que souhaitaient imposer aux Européens, les États-Unis en matière de lancements.

En effet, si l’on tient compte de la destruction par la Chine d’un de ses propres satellites en 2007 ou de la guerre en Ukraine, qui a débuté par une opération de brouillage du signal GPS et d’attaque cyber sur les infrastructures du segment sol ([45]), il est évident que l’espace est incontestablement devenu une cible privilégiée pour un attaquant. C’est d’ailleurs dans cet esprit que plusieurs pays ont fait la démonstration de leur capacité balistique à intervenir dans l’espace. L’Inde, la Chine et la Russie ont ainsi, à titre d’exemple, procédé à la destruction de leurs propres satellites, afin de faire la démonstration de leur maîtrise dans ce domaine.

L’action des forces armées sur les théâtres d’opération reposent en effet de plus en plus sur les services fournis par le spatial, qu’il s’agisse du renseignement indispensable pour agir efficacement, ou des services offerts en matière de guidage balistique et de communications entre opérateurs.

Dans cette matière, la France et l’Europe se sont dotées de capacités reconnues qui leur permettent de disposer de réelles capacités opérationnelles. Les capacités spatiales militaires européennes interviennent néanmoins essentiellement en appui des capacités souveraines, en raison de la sensibilité de ces enjeux.

1.   En Europe

Au niveau européen, les enjeux militaires du spatial sont traités dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), composante de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Les États membres se sont engagés, en outre, à remplir un certain nombre d’objectifs de gains de capacité militaire dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP) ([46]). L’Union européenne soutient, enfin, le spatial militaire via l’action du Fonds européen de la défense (FEDEF).

Plusieurs pays européens ont développé leurs propres systèmes de télécommunication par satellite à des fins militaires. La France dispose de Syracuse, l’Allemagne de Satcombw, l’Italie de Sicral et l’Espagne de Secomsat. Toutefois, les efforts pour définir des besoins et exigences communs en matière de sécurisation des communications n’ont pas conduit à un système partagé, en raison notamment de la diversité des zones géographiques d’intervention militaire. Une exception doit être notée : le satellite Athena-Fidus, mis en orbite en 2015 et exploité conjointement par la France et l’Italie ([47]). À l’échelle de l’UE, la Commission a établi GOVSATCOM, un système par satellites pour les communications gouvernementales sécurisées des États membres.

En ce qui concerne les satellites de reconnaissance et de renseignement, il existe une grande dispersion des efforts européens, qui traduit une approche traditionnellement nationale de ces activités, combinant une culture de gestion du renseignement peu encline à la coopération et la protection des intérêts industriels nationaux. La France coopère dans ce domaine avec l’Italie et l’Allemagne, en échangeant de l’imagerie optique contre de l’imagerie radar.

Le centre satellitaire de l’Union européenne (EU SATCEN) joue néanmoins un rôle crucial entre les États membres. Transféré à l’UE depuis le 1er janvier 2002, SATCEN fournit des renseignements basés sur des images satellites pour soutenir diverses missions, notamment la gestion des frontières de l’UE, la lutte contre la piraterie et le trafic d’’armes illégal, et la réponse aux urgences humanitaires. Du fait de sa mission ciblée sur les besoins de défense et de sécurité, il ne dépend pas de la Commission européenne mais du Conseil européen, opérant ainsi dans une approche intergouvernementale.

Il existe également une coopération internationale renforcée, notamment au sein de l’OTAN et avec d’autres alliés. Toutefois, cette coopération fait face à des défis majeurs, notamment la tendance à privilégier le développement d’infrastructures spatiales nationales pour soutenir les industries nationales, entraînant une prolifération de moyens spatiaux non coordonnés et financés par des budgets nationaux tendus.

Bien que des projets ambitieux soient en cours, il manque encore une stratégie cohérente pour garantir la résilience européenne en matière de défense. Cette lacune est en train d’être comblée, comme en témoignent les conclusions du Conseil sur la stratégie spatiale de l'UE pour la sécurité et la défense du 14 novembre dernier, qui ont validé le principe d’une stratégie européenne spatiale de défense.

À cet égard, l’Allemagne et l’Italie, qui ont créé leurs commandements spatiaux en 2021, sont des partenaires clés. Le partenariat franco-allemand est crucial tant politiquement qu’économiquement, et peut servir de catalyseur pour l’Europe. L’Italie est également un partenaire important, déjà impliquée dans des programmes comme Athéna-Fidus et Sicral 2. Le traité du Quirinal renforce par ailleurs cette coopération.

En termes opérationnels, le programme Galileo permet de fournir un ensemble de services gouvernementaux utilisables notamment par les militaires, via le service public réglementé de l’espace (PRS), dont la France est l’une des autorités responsables ([48]). Les données fournies par le programme Copernicus peuvent également être utilisées à des fins de sécurité par les États membres.

2.   En France

En France, le « spatial de défense » fait l’objet d’une stratégie spécifique, élaborée en 2019, de la création d’un commandement dédié, qui relève organiquement de l’armée de l’air devenue armée de l’Air et de l’Espace en 2021. Des moyens importants y sont consacrés à la suite de l’adoption de la loi de programmation militaire (LPM), qui prévoit un investissement de 6 milliards d’euros entre 2024 et 2030.

La France dispose de sept satellites militaires (huit si l’on inclut le lancement à venir d’un nouveau satellite CSO), qui couvrent l’ensemble du spectre des besoins des armées en matière de renseignement (CERES), d’observation (CSO) et de communication (SYRACUSE IV). Sur le segment sol, elle dispose également du radar Graves, qui lui permet de disposer de capacités autonomes de surveillance de l’espace.

Les satellites militaires français

Source : revue Esprit Défense, n° 9, automne 2023

Ces moyens de défense sont mis en œuvre par le ministère des armées, via l’action du commandement de l’espace (CDE), de la direction générale de l’armement (DGA), ainsi que par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Leur utilisation mobilise un ensemble de directions plus large (direction du renseignement militaire, direction générale de la surveillance extérieure), qui utilisent les données produites. La France dispose d’une académie spatiale de défense qui assure des formations dans ce domaine.

La France s’est également dotée de moyens d’investissements conséquents dans l’innovation, à travers l’action de l’agence de l’innovation de défense (AID) et d’un laboratoire d’innovation (DGA Lab, devenu Défense Lab) d’une part, et d’outils spécifiques de financement, comme le fonds Déf-Invest, d’autre part. Elle mène en outre des exercices spatiaux de défense avec ses partenaires (AsterX).

Enfin, la France, en tant que puissance spatiale, disposant de capacités couvrant la plupart des opérations spatiales, est un partenaire privilégié des États-Unis. En tant que membre du Combined Space Operations (CSpO) ([49]), elle joue un rôle majeur dans l’’évolution des normes spatiales militaires et le développement des partenariats essentiels pour renforcer sa résilience et celle de l’Europe dans le domaine spatial.

Face à la dualité du spatial, vos Rapporteurs sont convaincus que les États membres doivent renforcer leurs investissements en matière de surveillance de l’espace. La capacité de détecter des objets en orbite est indispensable pour assurer la sécurité des infrastructures spatiales européennes et des États membres (gestion du trafic et surveillance des satellites espions).

Pourtant, l’Union européenne dispose aujourd’hui d’une capacité de surveillance estimée à environ 5 % de la capacité des États-Unis, en raison d’investissements et de moyens capacitaires bien inférieurs. Cette situation de dépendance stratégique n’est pas satisfaisante pour l’Union européenne, ce d’autant que la localisation de certains objets n’est pas rendue publique dans le catalogue américain pour des raisons d’ordre stratégique.

Il convient tout particulièrement d’accroître les moyens capacitaires engagés dans le cadre du programme de surveillance spatiale et de suivi des objets spatiaux européens (EU-SST) ([50]).  

Recommandation n° 6 : Renforcer les moyens capacitaires de EU SST (European Union Space Surveillance and Tracking) pour garantir à l’Union une autonomie stratégique en matière de surveillance de l’espace.

Sur ce point, votre rapporteur, M. Aurélien Lopez-Liguori, souhaite insister sur le fait que ce renforcement capacitaire doit se faire en garantissant la souveraineté française dans un esprit de collaboration avec les États tiers.

C.   Des enjeux diplomatiques forts pour l’industrie spatiale française et européenne.

Les enjeux géopolitiques et diplomatiques sont majeurs dans le spatial, au regard de sa dimension stratégique et souveraine. Sa dimension duale en fait en effet un outil de partenariat ou, à l’inverse, de pression entre États.

Les auditions menées conduisent vos rapporteurs à insister sur plusieurs points.

En premier lieu, le spatial va devenir, avec l’arrivée de nouveaux pays souhaitant intégrer le club des puissances spatiales, un enjeu diplomatique de plus en plus prégnant. Si cette donnée est évidente au niveau européen, à la vue des tensions pouvant exister entre partenaires, elle est d’autant plus forte vis-à-vis des pays émergents, nouveaux venus sur le marché spatial.

À cet égard, ainsi que le relève le professeur de droit public et directeur de l’Institut du droit de l’espace et des télécommunications (IDEST) M. Philippe Achilleas dans sa contribution écrite, si « les risques de saturation des orbites basses sont documentés depuis les années 80 », la situation actuelle, marquée par « le lancement des constellations et la multiplication des cubesats rend le débat incontournable ». M. Achilleas estime, en conséquence, qu’il sera indispensable d’adopter des réglementations techniques permettant d’encadrer davantage le déploiement de satellites. En outre, le caractère fini de l’orbite basse, qui a pour conséquence de ne permettre que la mise en orbite d’un nombre réduit de constellations (six), risque logiquement de créer des tensions entre les États historiques, qui disposent d’une avance dans le domaine, et les États émergents. Il est en effet raisonnable de considérer, qu’à terme, ces derniers souhaiteront disposer d’une autonomie pleine dans ce domaine.

En second lieu, le spatial va être un enjeu de diplomatie économique de premier ordre puisque les fleurons des puissances spatiales tentent déjà de se positionner au sein des « nouveaux » pays du spatial. L’actualité récente démontre, s’il le fallait, les liens entre géopolitique et économie du spatial, à travers le choix du Maroc de privilégier un acteur économique israélien au lieu de Thales Alenia Space pour la fourniture d’un satellite.

Dans sa contribution écrite à la mission, M. Laurent Dusseau, directeur du centre spatial universitaire de Montpellier (CSUM), a indiqué à vos rapporteurs que l’Europe ne devait pas tarder à se positionner sur les marchés des émergents, en particulier en Afrique, où l’on observe des prises de position de la Chine et de la Russie. L’Inde apparaît également en pointe sur les marchés des pays émergents, tandis que la Chine entreprend actuellement une tentative d’implantation africaine.

Vos rapporteurs considèrent donc qu’il est impératif que le spatial soit pleinement intégré comme élément de diplomatie économique par les acteurs publics, avec une vision de la défense des intérêts français et européens.

Mme Cécile Rilhac, rapporteure, considère, en outre, que le spatial constitue plus que jamais un levier pour réaliser des progrès vers une Europe de la défense. Des coopérations existent déjà entre États membres dans certains domaines, et devraient être amenées à se renforcer. La mise en place d’une préférence européenne en matière de spatial est indispensable, dans cette perspective, pour constituer un socle commun autour de cet outil. Si le spatial ne peut permettre, seul, l’émergence d’une Europe de la défense, il ne sera pas possible, en revanche, de construire une Europe de la défense sans Europe spatiale.

M. Lopez-Liguori estime, pour sa part, que la défense d’une France spatiale souveraine est également un enjeu diplomatique interne au sein de l’Union européenne. La France doit assumer d’avoir une vision propre sur la souveraineté de l’espace, qui se caractérise à la fois par une volonté de garder un accès à l’espace autonome et d’en disposer par le truchement d’acteurs fortement liés à l’État.  L’exemple récent de l’action  de l’entreprise Starlink en Ukraine témoigne de l’importance de défendre une souveraineté institutionnelle dans l’espace, afin d’éviter que des entités privées ne s’arrogent des parcelles de souveraineté et viennent jouer en conséquence un rôle proto-étatique, qui n’est pas le leur.

 


   TROISIEME PARTIE :
Des évolutions indispensables pour être à la hauteur de nos ambitions et rester une nation clef de l’aventure spatiale

I.   Une clarification indispensable des objectifs et de la gouvernance de notre politique spatiale pour gagner en efficacité et en agilité

A.   Une stratégie nationale qui doit gagner en clarté et établir de véritables priorités

Contrairement à d’autres puissances spatiales, qui disposent d’une stratégie nationale du spatial clairement définie et de la fixation d’objectifs et de priorités clairs, en France la vision stratégique du secteur spatial est formalisée dans plusieurs documents distincts. Il s’agit notamment du contrat d’objectifs et de performance du CNES pour 2022-2025, de la stratégie spatiale de défense élaborée en 2019 et du volet spatial du plan France 2030.

En outre, certaines collectivités disposent, par elles-mêmes, de stratégies spatiales spécifiques. C’est le cas, en particulier, de la région Occitanie, qui va engager 30 millions d’euros pour soutenir un écosystème largement installé à Toulouse. Les échanges conduits avec la métropole de Toulouse et la région Occitanie ont permis à vos rapporteurs d’observer combien la stratégie spatiale se décline aussi au niveau des politiques locales.

La stratégie spatiale de la région Occitanie

La région Occitanie a adopté en 2023, une feuille de route sur la période 2023-2027 visant à maintenir et développer son positionnement de région leader du spatial en Europe. Dotée d’un budget de 30 millions d’euros, cette stratégie se décline en quatre axes et 24 actions.

Ces axes sont les suivants :

– un axe « Compétitivité » pour accompagner les entreprises de la région vers l’excellence industrielle et faciliter leur accès à de nouveaux marchés ;

– un axe « Innovation responsable » pour accompagner les innovations technologiques par le développement des pratiques plus durables et responsables ;

– un axe « Formation », qui doit permettre d’anticiper les compétences de demain par la proposition de nouveaux parcours de formation et une sensibilisation renforcée aux métiers du spatial ;

– un axe Communication, qui correspond à l’organisation d’un salon de dimension internationale à compter de 2026.

Cette stratégie repose une gouvernance tripartite (comité de pilotage, comité technique et comité stratégique) permettant d’entretenir des liens étroits avec les acteurs de la filière en vue de répondre aux besoins nouveaux identifiés.

La feuille de route a été élaborée dans démarche partenariale portée par la région Occitanie et l’association des services de l’État, le CNES, le pôle de compétitivité Aerospace Valley et les acteurs du spatial.

Source : audition des représentants de la région Occitanie

Les auditions menées font apparaître un sentiment, de la part de certains acteurs, d’une forme d’éparpillement des stratégies, ce que ne facilite la dimension européenne de la politique spatiale.

Vos rapporteurs observent donc qu’il est plus approprié aujourd’hui de parler des stratégies françaises du spatial dès lors qu’un document unique, indiquant clairement la direction que l’État souhaite faire prendre à l’ensemble de la filière française du spatial, semble faire défaut.

Il apparait également primordial qu’une déclinaison territoriale de la politique spatiale nationale puisse être pensée, afin notamment de mieux répartir les pôles d’excellences et compétences sur le territoire et éviter « les doublons ».

Le caractère pleinement dual, civil et militaire, des industries du spatial interroge pourtant sur l’absence d’une stratégie tout aussi duale qui fixerait des priorités fortes, déclinées à minima en feuilles de routes pour chaque segment de marché. Sur ce sujet, le Gifas note dans sa contribution écrite l’importance capitale pour la filière d’une vision partagée de long terme, à travers des feuilles de route (notamment technologiques) partagées. Il fait observer qu’une telle visibilité facilite les choix technologiques, rend possible des partenariats entre acteurs, et permet aux grands industriels de préparer et renforcer plus sereinement la supply chain, notamment en terme de sécurisation et de souveraineté. Une telle visibilité est de nature à faciliter l’obtention du soutien financier bancaire pour les acteurs industriels.

Interrogée sur ce point, la direction générale des entreprises (DGE), qui assure un rôle de chef de file de la politique spatiale française, en charge depuis 2020 de proposer et de mettre en œuvre la politique spatiale civile de la France, a indiqué à vos rapporteurs dans sa contribution écrite que des réflexions étaient en cours sur la possibilité et l’opportunité de publier de grandes orientations pour la transformation du secteur spatial en France.

Vos rapporteurs souhaitent insister sur l’impératif de définir rapidement une stratégie spatiale nationale reposant sur des priorités clairement définies, afin de parer au double risque d’éparpillement des ressources et de manque de lisibilité. Cette stratégie globale implique à la fois les champs de la recherche, de l’économie et de la défense pour créer des synergies entre les acteurs sur des feuilles de route technologiques répondant aux priorités nationales.

Recommandation n° 7 : Définir une stratégie spatiale nationale reposant sur des priorités clairement définies, afin de parer au double risque d’éparpillement des ressources et d’illisibilité.

En outre, la production, par exemple, d’un document spécifique relatif à cette politique, qui serait annexé au projet de loi de finances annuel apparaît également souhaitable pour faciliter le travail de contrôle du Parlement dans ce domaine.

Recommandation n° 8 : Créer un document de politique transversale intégré en annexe du projet de loi de finances relatif à la conduite de la politique spatiale française.

B.   Une gouvernance du spatial qui doit être simplifiée et plus agile

L’absence d’une stratégie unifiée se traduit, au niveau de la gouvernance, par l’absence d’une personnalité politique clairement identifiée comme ayant la charge de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique spatiale française. En conséquence, aujourd’hui, la gouvernance de la politique spatiale nationale fait intervenir un nombre important d’acteurs institutionnels et non institutionnels.

Si la DGE est désignée comme chef de file de cette politique spatiale depuis 2020, cette gouvernance s’exerce tout de même à plusieurs niveaux.

Elle s’exerce, d’abord, par la voie classique des échanges interministériels, à l’issue des échanges conduits au sein du Cospace avec les acteurs économiques de la filière. Le Cospace reste toutefois essentiellement une instance consultative. Elle a néanmoins fait l’objet d’adaptations salutaires pour intégrer des acteurs émergents et recentrer ses travaux sur des thématiques prioritaires (innovation, affaires européennes, réduction de l’empreinte environnementale).

Elle s’exerce également de manière opérationnelle, entre la DGE, la DGA et à la DGRI, à travers notamment l’exercice de la tutelle du CNES, du volet spatial de France 2030, en lien avec le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) ou d’autres projets stratégiques (conférence ministérielle de l’ESA, programmes européens, etc.). Les organes de gouvernance du CNES et des grands organismes de recherche (CNRS, ONERA, ANRT, CEA, etc.) jouent également un rôle important dans ce domaine, en cohérence avec les contrats d’objectifs et de performance signés avec l’État.

Enfin, la France s’est dotée de coordinateurs interministériels pour assurer le suivi des principaux programmes de l’Union européenne (Galileo, Copernicus, Iris2) et promouvoir les intérêts français.

Cette multiplication des acteurs dans le domaine du spatial nuit à la lisibilité et à l’incarnation d’une politique spatiale cohérente pour la filière. Vos rapporteurs ont acquis la conviction que cette organisation institutionnelle devait évoluer, pour gagner en efficacité, en lisibilité et en visibilité vis-à-vis du grand public. Ils recommandent, en conséquence, de créer un Conseil national de l’espace, qui puisse regrouper l’ensemble des acteurs concernés et dont le rôle serait de coordonner les travaux d’élaboration de la stratégie nationale et de veiller à la mise en œuvre de cette stratégie.

Pour garantir l’efficacité de ce conseil permanent, il pourrait être doté de moyens financiers propres permettant d’assurer la viabilité et la récurrence de ses travaux. Il pourrait notamment s’inspirer du fonctionnement du Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile, bien que son champ soit plus large.

Ce conseil aurait vocation à inclure, en outre, davantage les collectivités territoriales compétentes, pour harmoniser la stratégie spatiale nationale, et à mieux intégrer la dimension diplomatique des enjeux spatiaux, qui reste, semble-t-il, insuffisamment prise en compte à ce stade.

Pour mémoire, de tels organes existent dans de nombreux pays. Aux États-Unis, par exemple, il existe le National Space Council, qui relève directement de la Maison blanche et dont la présidence est assurée par le vice-président. D’autres pays comme l’Italie, le Royaume-Uni et le Japon ont institué des organes similaires.

Des acteurs auditionnés ont fait part, auprès de vos rapporteurs, en outre, du caractère dommageable de l’absence au sein de la DGE d’un responsable chargé des questions spatiales, par exemple sous-forme d’un directeur général adjoint chargé des questions spatiales. Le volume trop important du portefeuille à gérer amène nécessairement cet acteur à prioriser ses actions, parfois au détriment de sujets qui revêtent pourtant le caractère stratégique pour le pays.

Au regard de la nouvelle donne qui bouleverse l’industrie, il est fondamental que la gouvernance de ce secteur revête davantage d’agilité, désormais une qualité première pour réussir dans l’industrie spatiale.

Recommandation n° 9 : Créer un Conseil national de l’espace (CNE) associant l’ensemble des acteurs du spatial, afin de renforcer les synergies existantes, d’appuyer l’élaboration d’une stratégie nationale et d’en assurer sa bonne déclinaison.

C.   Des interrogations légitimes, en Europe, sur le rôle de l’ESA et de l’EUSPA

Tout comme la gouvernance nationale peut paraitre foisonnante en termes d’acteurs impliqués, la gouvernance de la politique spatiale européenne est encore plus éclatée, faisant intervenir tour à tour des agences nationales ou d’autres représentants des pays membres dans les organes de gouvernance des programmes européens : la Commission européenne, l’agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA) et l’agence spatiale européenne (ESA). S’agissant de ces deux dernières agences, des interrogations réelles subsistent quant à la pertinence de leur coexistence.

Ce rappel, quoi qu’utile, n’épuise pas les difficultés des acteurs du spatial à identifier le bon interlocuteur sur les programmes européens.

Par ailleurs, les critiques de la Commission européenne adressées à l’ESA sur ses difficultés de gouvernance des lanceurs témoignent des limites actuelles du modèle européen de gouvernance du spatial. En effet, le commissaire européen Thierry Breton a dénoncé dans la presse la « défaillance de gouvernance, programmatique et financière » des lanceurs par l’ESA et appelé clairement à la reprise de cette gouvernance par la Commission européenne : « Il nous faut un portage politique, programmatique, industriel et européen clair. C’est pourquoi je pense qu’à l’avenir, il faut que la politique des lanceurs soit définie et pensée dans le cadre de l’Union comme nous avons pu le faire pour IRIS² ».

Par ailleurs, au regard du rôle de l’ESA, cette agence doit gagner en agilité compte tenu de la nouvelle structure de l’économie du spatial européen qui s’est renforcée d’acteurs émergents et de petite taille. Des réformes pour s’adapter à ces nouveaux entrants paraissent indispensables. Le directeur général de l’ESA, M. Josef Aschbacher, dans son intervention devant le club Galaxie ([51]) à Toulouse le 22 novembre dernier, a annoncé que des réformes sont en cours au sein de l’ESA pour mieux adapter ses marchés aux spécificités des acteurs du New Space et au besoin d’agilité qui l’incarne. Ces réformes annoncées iraient globalement dans le sens de la simplification des exigences contenues dans les cahiers des charges des appels d’offre de l’ESA pour des marchés de montants faibles ainsi que d’une réduction drastique du délai de traitement entre l’émission de l’appel d’offre et l’attribution du marché.

Il convient néanmoins de tempérer, en partie, ces critiques, et de ne pas imaginer que seule la cause institutionnelle serait à l’origine de toutes les difficultés actuelles. L’accord-cadre qui régit l’EUSPA définit une répartition des rôles assez claire : la Commission européenne définit et gère le programme spatial, l’ESA prend en charge la recherche et le développement des technologies et l’EUSPA traite le segment aval (exploitation de Galileo/EGNOS, sécurité et développement d'applications en aval pour toutes les composantes du programme spatial). Si des évolutions sont souhaitables, elles ne doivent pas conduire à remettre totalement en cause l’existence d’une agence dont la compétence est reconnue.

Votre rapporteur, M. Aurélien Lopez-Liguori, estime, par ailleurs, que le modèle de gouvernance de l’ESA basé sur une coopération d’états doit rester le modèle privilégié pour bâtir notre autonomie spatiale.

Recommandation n° 10 : Réfléchir à faire évoluer le rôle de l’agence spatiale européenne (ESA), ainsi que les règles relatives aux projets spatiaux soutenus par cette dernière pour gagner en efficacité.

II.   AmÉliorer l’efficacitÉ du soutien destinÉ aux acteurs du spatial pour garantir un haut niveau d’investissement dans les technologies critiques

La croissance du marché spatial s’accompagne d’un regain d’intérêt, tant des investisseurs privés que de la puissance publique, pour le financement des activités spatiales. Si l’investissement dans les technologies de pointe constitue une nécessité afin de ne pas prendre de retard par rapport aux cycles d’innovation qui se succèdent, ce sont des efforts soutenus envers le développement de technologies clefs/de rupture qui permettront d’être à la pointe de l’innovation, de façon durable.

A.   Un soutien incontestable et ambitieux des pouvoirs publics pour garantir le financement des technologies de rupture

La veille technologie et l’investissement dans les technologies de rupture sont deux éléments clefs pour rester « à l’état de l’art » dans le domaine spatial.

La direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) a indiqué à vos rapporteurs qu’un exercice d’identification des technologies de rupture clefs pour la recherche spatiale était actuellement en cours dans le cadre de la préparation du séminaire de prospective scientifique du CNES. Ses résultats sont attendus dans le courant de l’année prochaine et devront permettre d’orienter les actions de R&T du CNES et les efforts des labos.

À l’heure actuelle, vos rapporteurs notent une réelle volonté d’investissement au sein des secteurs technologiques critiques, via les crédits destinés au secteur spatial portés au sein du programme 193 du projet de loi de finances annuel et des financements portés dans le cadre du plan France 2030. Plusieurs briques technologiques ou capacitaires ont ainsi été identifiées en ce sens et font l’objet d’un soutien renforcé dans ce cadre, autour des quatre chantiers majeurs suivants :

 la simplification des lanceurs et le développement de la réutilisabilité des lanceurs. En effet, la configuration actuelle d’Ariane 6 repose sur trois moteurs différents, ce qui peut être une faiblesse face à ses concurrents comme Falcon 9, dont le fonctionnement ne repose que sur un seul moteur, ce qui génère des gains de compétitivité évidents. Dans les domaines des micro-lanceurs, la France dispose de plusieurs acteurs susceptibles de gagner le pari des micro-lanceurs, tels que Maia, Latitude, Sirius Space ou encore Dark. Elle n’est pas le seul pays européen positionné sur ce segment néanmoins, puisque l’Allemagne dispose d’acteurs comme Rocket Factory, Isar Aerospace et Hyimpulse, et l’Espagne de PLD Space ;

 les communications optiques, inter-satellites et entre les satellites et la Terre permettront d’accroître les capacités de transfert de données et de limiter les dépendances à des stations d’ancrage en dehors du territoire national ou européen. Il s’agit également de souveraineté spatiale puisque la sécurisation des communications est un élément clef de la défense spatiale ;

 les terminaux pour constellations de connectivité en orbite basse. L’objectif est de permettre aux opérateurs de satellites français et européens de ne plus avoir besoin de s’approvisionner en terminaux non européens dès lors qu’il s’agit de servir un marché de masse (entreprises ou consommateurs) ;

– les nouvelles capacités d’observation de la Terre (radar, infrarouge…). Celles-ci doivent compléter les moyens optiques sur lesquels la France dispose d’un leadership certain ;

– les services en orbite, en particulier s’agissant de la logistique (amarrage, ravitaillement, extension de durée de vie…).

En outre, les auditions menées par vos rapporteurs mettent en avant la nécessité d’investir davantage vers les technologies relatives à la gravimétrie quantique. Comme le relève en effet la direction générale de la recherche et de l’innovation dans sa contribution écrite, il est impératif d’investir dans cette technologie afin « de se préparer aux futures missions gravimétriques qui fourniront des mesures de transfert de masse aux échelles globales nécessaires à l’observation du système Terre (climat, océan, cycle de l’eau, risque sismique…) ». Un effort budgétaire en ce sens permettrait, selon la DGRI, « de gagner en maturité technologique et de positionner l’industrie française […] sur ce marché prometteur dans le cadre de l’European Green Deal » ([52]).

Vos rapporteurs relèvent, enfin, un dernier domaine, très large, dans lequel les investissements doivent se poursuivre : l’intelligence artificielle et le quantique. Ces technologies concernent directement, entre autres, les satellites. Ces derniers seront en effet amenés à être de plus en plus autonome dans l’espace, et à devoir composer avec un nombre croissant d’objets spatiaux, ce qui nécessitera des capacités avancées dans ces deux domaines.

L’intrication renforcée entre technologies numériques et spatiales plaide en faveur de synergies renforcées, afin de faire émerger des champions européens, en particulier dans le domaine de l’économie de la donnée.

Recommandation n° 11 : Engager des synergies entre les acteurs du spatial et du numérique pour faire émerger une filière européenne de l’économie de la donnée.

Recommandation n° 12 : Maintenir un niveau d’investissement élevé à destination des technologies spatiales civiles et militaires pour permettre à nos entreprises et à nos forces armées de rester « à l’état de l’art ».

B.   Des faiblesses vis à vis de la disponibilité des financements, qui doivent être corrigées

En dépit d’un niveau d’investissement important, reconnu par les acteurs entendus par vos rapporteurs, plusieurs points de faiblesse se font jour qui doivent être corrigés.

1.   Une accélération indispensable pour engager les crédits du plan France 2030

Il apparaît, d’abord, que le niveau d’engagement des crédits du plan France 2030 concernant le spatial est décevant. À date, en effet, seuls 200 millions d’euros ont été engagés sur les différents projets soutenus. Il s’agit comparativement d’un des taux d’engagement les plus faibles par rapport aux autres volets du plan France 2030. Ce constat apparaît par ailleurs largement partagé par la plupart des acteurs auditionnés par vos rapporteurs.

Les raisons de ce retard semblent diverses. Cette situation semble tenir, en effet, à la fois à des éléments structurels (phase de lancement des financements, expertise nécessaire des dossiers etc.) mais aussi à une certaine lenteur dans le processus d’évaluation et, surtout, dans le processus de prise de décision de financement une fois les premières étapes passées.

Auditionnée par vos rapporteurs, la direction générale des entreprises a indiqué qu’une phase d’accélération du plan était à l’œuvre depuis le début de l’année. La DGE a ainsi observé que la grande majorité des réponses aux dispositifs qu’elle suit ont été déposées en 2023 (140 réponses sur les 200 reçues au total depuis le lancement du programme). Elle relève également, au sein de sa contribution écrite que « le montant moyen investi par projet déposé sur l’appel à projets mini-micro lanceurs est passé de 2M€ en 2022 à 9M€ en 2023 » et que « cette accélération est aujourd’hui portée par les appels d’offres qui viennent consacrer cette récente maturité des projets développés dans le cadre des premiers appels à projets du programme ».

Face à ce constat, vos rapporteurs estiment indispensable d’étudier les leviers permettant de débloquer la situation, en raccourcissant les différentes phases de validation nécessaires. Le délai d’instruction des dossiers, qui est en moyenne de 6 mois, doit être réduit, de même que les délais relatifs au paiement des tranches de crédits après validation du soutien apporté au projet concerné.

Recommandation n° 13 : Étudier les voies et moyens de raccourcir le traitement administratif et la mise à disposition des fonds du plan France 2030 pour s’aligner avec la dynamique du secteur.

2.   Certaines modalités de mise en œuvre du plan France 2030 sont à revoir

En outre, plusieurs demandes sont formulées par les acteurs industriels afin de faire évoluer les contours du plan France 2030 :

– rééquilibrer les crédits du plan en faveur des acteurs autres que les startups. Pour mémoire, ces crédits sont massivement destinés aux startups (deux tiers des financements) ;

– augmenter les taux de soutien prévus au sein des appels à projets, qui sont, selon les acteurs industriels, bien inférieurs aux pratiques des pays voisins. En effet, les différents appels à projets du plan France 2030 font apparaître des subventions à hauteur de 25 à 50 % qui nécessitent un apport de financement important pour ces entreprises déjà confrontées à des montants d’investissement privés relativement faibles sur le marché européen et à des difficultés d’accès aux financements ;

– assurer un meilleur soutien vis-à-vis des transferts de technologie et les dualités technologiques entre les différentes stratégies d’accélération, en valorisant notamment les moyens industriels du spatial par l’ouverture de leur champ applicatif ;

– augmenter la part du plan consacrée à la commande publique pour financer à 100 % des démonstrateurs conséquents sur des nouveaux domaines (comme les services en orbite).

Les échanges conduits semblent indiquer que des recommandations adressées par certains acteurs au Secrétariat général pour l’investissement sont en cours d’examen et doivent donner lieu à des ajustements. Vos rapporteurs considèrent que ces derniers doivent intervenir rapidement afin de ne pas brider la dynamique des investissements engagés.

Recommandation n° 14 : Accélérer l’engagement des crédits du volet spatial du plan France 2030 pour éviter de prendre, à nouveau, du retard dans certains domaines critiques, notamment au regard des décisions prises à Séville.

Dans l’hypothèse de la mise en place d’un Conseil national de l’espace, il conviendra de réorienter la deuxième phase de France 2030 sur les objectifs et priorités définis par la nouvelle politique spatiale nationale.

Recommandation n° 15 : Recentrer la deuxième phase de France 2030 sur les objectifs et priorités définis par la nouvelle politique spatiale nationale.

Il convient également, à cet effet, que les ministères, sur leurs crédits usuels, soutiennent les investissements dans le spatial par l’achat de services, par exemple, et d’éviter l’apparition de phénomènes de substitution de crédits.

Recommandation n° 16: Garantir l’absence d’effets de substitution entre les crédits engagés en faveur du financement du secteur spatial dans le cadre du plan France 2030 et les crédits budgétaires ministériels classiques.

Enfin, il semble important à vos rapporteurs d’anticiper d’ores et déjà l’après plan France 2030 en engageant une réflexion stratégique sur les futures technologies de rupture du secteur spatial à soutenir dans la prochaine décennie.

Recommandation n° 17 : Engager une réflexion stratégique sur les futures technologies de rupture du secteur spatial à soutenir dans les programmes succédant à France 2030.

3.   Des financements privés, qui manquent encore à l’appel

Au-delà du soutien public, le secteur du spatial a besoin de financements privés, c’est-à-dire de pouvoir disposer d’un niveau de capital-risque suffisant. Là aussi, le constat d’un déficit de disponibilité du capital-risque, en France et en Europe a fait consensus lors des auditions menées.

En Europe, une dynamique est engagée sur ce sujet, par le biais du lancement de l’initiative Cassini (2021-2027), qui vise à encourager la maturation des acteurs du New Space en facilitant, entre autres, l’accès aux fonds privés.

 

 

 

Initiative Cassini (2021-2027)

Cassini est l’initiative globale de la Commission européenne visant à soutenir les entrepreneurs, les jeunes pousses/startups et les PME dans l’industrie spatiale, y compris le New Space, au cours de la période 2021-2027. Elle a été officiellement lancée par le commissaire Thierry Breton le 25 janvier 2022, en collaboration avec le Fonds européen d’investissement (EIF).

Elle vise à encourager le développement de l’industrie spatiale de l’Union européenne, en soutenant les entreprises qui développent des technologies spatiales (amont) et celles qui commercialisent des applications numériques utilisant des données spatiales (aval), à différents stades de croissance, de la phase d’amorçage à la phase de capitalisation moyenne.

Cassini est gérée par la direction générale de l’industrie de la défense et de l’espace (DG DEFIS) de la Commission européenne, et fait partie intégrante des objectifs stratégiques du programme spatial de l’UE. À ce titre, l’initiative Cassini fonctionne en collaboration avec l’agence spatiale européenne (ESA) et l’agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA).

Le principal atout de Cassini est la facilité d’investissement (« Cassini Facility ») d’un total d’un milliard d’euros (1 Md€), dont le Fonds européen d’investissement (EIF) est chargé de la mise en œuvre. Par son biais, l’objectif est de canaliser des capitaux vers les fonds de capital-risque (VC) orientés vers le spatial, afin d’encourager l’investissement dans les entreprises européennes du spatial, pour des tickets allant par exemple d’1 à 50 millions d’euros.

En parallèle, l’initiative est force motrice de plusieurs programmes, notamment « Cassini Business Accelerator ». Lancé en janvier 2023, il s’agit du plus grand accélérateur de startups spatiales d’Europe, offrant un programme de six mois axé sur l’accompagnement commercial et l’investissement, la formation et les événements de mise en réseau. À son issue, les startups peuvent notamment accéder à un bon d’amorçage de 75 000 €.

L’initiative Cassini a également débouché sur la création d’« Helios Space », le premier indice boursier chargé d’évaluer les performances de l’industrie spatiale européenne. Il a été lancé le 24 janvier 2023 par Euronext en coopération avec la Commission européenne, l’ESA et Promus Ventures.

En France, le soutien public passe par l’action de la Banque publique d’investissement et d’acteurs de soutien à l’innovation de défense (agence de l’innovation de défense etc.).

La principale difficulté pour les entreprises du spatial français reste toutefois de trouver des financements privés, en dépit du soutien apporté par la banque publique d’investissement ([53]). Bpifrance partage d’ailleurs ce constat, en relevant « qu’alors qu’aux États-Unis, il est facile de trouver des fonds privés en l’occurrence de nouveaux family offices avec une appétence pour le spatial (Paypal), les fortunes françaises ont, pour leur part, des priorités différentes, de même que les corporate ventures » ([54]).

De fait, les opérations de seed et les séries A sont aujourd’hui aisément finançables pour les startups du New Space, mais les séries B et C pour les « scale-ups » sont très difficilement accessibles et certaines « pépites » européennes sont à risque d’être captées par des fonds étrangers ([55]).

Cette réalité a notamment été étayée par Way4Space, dans sa réponse écrite adressée à vos rapporteurs : « On observe que durant les cinq dernières années, les nouveaux entrants du spatial en France ont levé un total de 422 M€. Si on relève que plus de 150 M€ sont à mettre à l’actif de 3 champions comme Exotrail, The Exploration Company et Latitude, on mesure la faiblesse des investissements captés par les quelques 70 à 80 autres nouveaux entrants. Après deux, trois belles années de financement de la « tech » par des investisseurs, 2023 marque le pas, tous secteurs technologiques confondus en Europe, de 82 Md$ en 2022 à 45 Md$ en 2023, soit – 45 %. Il n’y a pas un problème de financement spécifique au spatial, les très bons projets sont financés mais il faut reconnaître que les modèles d’affaires du spatial ne permettent pas des retours sur investissement très attractifs pour les Venture Capitalist [VC]et donc, que l’argent qui se raréfie va vers d’autres secteurs plus facilement » ([56]).

Cette réalité est étayée par plusieurs témoignages de « nouveaux entrants » adressés à vos rapporteurs. L’un d’eux leur a ainsi indiqué avoir « caché sa vision de long terme afin de lever des fonds, en ne mentionnant que la technologie spatiale en développement à court terme, qui reposait sur une technologie bien connue » ([57]) afin de rassurer les investisseurs privés. Un autre a salué l’appui d’amorçage du CNES via un projet BASS ([58]) , sans lequel l’obtention de financements privés n’aurait pas été possible, dans les termes suivants : « Nous étions initialement spécialisés en statistiques, et la confiance du CNES pour créer de nouvelles applications économiques et financières via un accès à des financements et à des expertises en interne nous a permis de franchir des barrières à l’entrée qu’aucun fonds VC n’aurait accepté de prendre en terme de risque » ([59]).

Ces difficultés à accéder aux financements privés font peser un réel risque sur l’industrie spatiale européenne du point de vue de la souveraineté. En effet, un point de vigilance concerne le risque de perte d’identité européenne des meilleures startups dans leur recherche de financement. Des précédents ont eu lieu, comme la société d’origine italienne D-Orbit (dont le cœur de métier est l’Active Debris Removal) qui est passée sous pavillon américain par le truchement d’un SCAC (Special Purpose Acquisition Company) en 2021. Il en va de même de la société de micro-lanceurs RFA, filiale d’OHB à l’origine, en Allemagne, dont 85 % du capital est détenu par un fond d’investisseurs américains depuis un an.

Cette situation ne peut être résolue par la seule intervention croissante des investissements et de la commande publics. Les acteurs auditionnés apparaissent d’ailleurs satisfaits de l’engagement des pouvoirs publics, qui viennent combler une faille de marché et dé-risquer leurs investissements. Ces derniers ont salué, par exemple, l’utilité du fonds French Tech et de l’accélérateur aéronautique et spatial mis en place en collaboration avec le Gifas. Les marges de progression apparaissent donc plus forte sur le secteur privé en lui-même, en particulier du côté des grands investisseurs et des grands industriels français.

Vos rapporteurs estiment qu’il est indispensable que ces derniers, au-delà du secteur du spatial, prennent conscience de l’impact des technologies spatiales sur leur propre secteur d’activité et engagent les investissements en conséquence. L’impact du spatial, en particulier des données spatiales, sur les principales filières économiques de notre pays (agriculture, énergie, santé etc.) n’était que trop faiblement perçu par les acteurs auditionnés par vos rapporteurs. Une prise de conscience est nécessaire, pour ne pas dire indispensable, afin de leur permettre de réaliser des gains de compétitivité et d’apporter leur soutien à la base technologique nationale.

Recommandation n° 18 : Étudier les voies et moyens d’orienter les grands investisseurs vers le financement des entreprises technologiques françaises afin de renforcer la disponibilité du capital-risque pour ces dernières.

Recommandation n° 19 : Sensibiliser les grandes entreprises françaises à l’impact de l’essor des données et applications spatiales sur leurs propres activités pour créer une « prise de conscience » et favoriser le financement des spacetech françaises.

C.   Une dynamique d’innovation qui ne se limite pas aux acteurs du New Space

La dynamique de l’innovation ne saurait se limiter au soutien des acteurs du New Space, sans manquer en partie sa cible. En effet, l’écosystème du spatial repose également sur d’autres acteurs clefs, de la recherche fondamentale à l’écosystème d’ETI et de PME du spatial, en passant par les acteurs historiques que sont les grands industriels français.

Les auditions menées font apparaître qu’il est essentiel, d’abord, de ne pas négliger le rôle de la recherche fondamentale au sein du processus d’innovation. Dans sa contribution écrite, M. Thomas Borel, responsable des affaires juridiques au sein du Centre national pour la recherche scientifique (CNRS), a insisté avec raison sur ce point, en rappelant, en particulier, que « l’innovation est avant tout le fruit de découverte et d’invention souvent issues de la recherche fondamentale, mais elle peut également être créatrice de nouvelles découvertes à partir du moment où elle est accessible à la recherche fondamentale » ([60]).

Vos rapporteurs sont convaincus du fait que l’innovation est d’abord un continuum et que la recherche fondamentale y joue un rôle important. De ce point de vue, le plan France 2030 apparaît malheureusement difficile d’accès pour ces acteurs, son volet spatial étant priorisé sur le soutien de la valorisation économique d’innovation de haut TRL ([61]). Si cette configuration est logique au regard des objectifs fixés, et que la recherche fondamentale spatiale bénéficie de crédits dans le cadre d’autres programmes budgétaires, il apparaît utile néanmoins d’étudier les voies et moyens permettant de mieux soutenir l’apport de la recherche fondamentale dans ce cadre.

Recommandation n° 20: Augmenter les crédits destinés au financement de l’enseignement et de la recherche dans le domaine spatial.

Au-delà de cet enjeu budgétaire, M. Borel a surtout rappelé un élément essentiel, que vos rapporteurs ont pu observer in situ lors de leur déplacement à Toulouse : il n’est pas d’innovation sans une localisation géographique commune des chercheurs, des industriels et des institutions publiques. Les politiques menées en ce sens, avec la création de pôles de compétitivité spécifiques consacrés au spatial, apparaissent très positives, de l’aveu de l’ensemble des acteurs entendus. Il convient donc de mettre les moyens pour maintenir un haut degré d’expertise technique au sein des grands organismes nationaux de recherche tout en renforçant leur expertise en matière de programmation et de stratégie.

Recommandation n° 21 : Maintenir un haut degré d’expertise technique au sein des grands organismes nationaux de recherche tout en renforçant leur expertise et prérogatives en matière de programmation et de stratégie.

Le soutien à l’innovation implique de soutenir, par ailleurs, en sus des startups, les autres entreprises du spatial, à savoir les PME, ETI ainsi que les grands industriels qui permettent à la France de disposer d’une base industrielle efficace.

Concernant les PME, les échanges conduits font apparaître que les critères relatifs au régime d’exemption aux aides d’État pourraient pénaliser les PME françaises. En effet, conformément aux recommandation de la Commission du 6 mai 2003 (2003/361/CE), la définition d’une PME repose sur les trois critères : l’effectif (moins de 250 salariés employés), le chiffre d’affaires (n’excédant pas 50 M€ ou un total du bilan annuel n’excédants pas 43 M€) et l’autonomie (parts ou droits de vote détenus par une autre entreprise inférieurs à 25 %).

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Comme en atteste les chiffres de l’Insee (2016), en appliquant les critères définis par l’Union européenne, environ 90 % des ETI et 50 % des PME françaises sont de facto exclues des aides d’État. Le tissu économique français du spatial, fortement lié aux grands acteurs historiques est particulièrement impacté par ces critères, contrairement à d’autres États membres dont les petites et moyennes entreprises sont majoritairement des entreprises familiales. 

Vos rapporteurs considèrent donc que les règles appliquées par la Commission européenne dans ce domaine doivent être adaptées aux spécificités du tissu entrepreneurial des différents États membres.

Recommandation n° 22 : Tenir compte des spécificités du tissu économique du spatial français dans l’application des recommandations européennes concernant la définition des micros, petites et moyennes entreprises.

 

Concernant les ETI et les grands industriels, au-delà des mécanismes de soutien à l’innovation, parmi lesquels le crédit impôt recherche joue un rôle majeur, il est important d’insister sur le maintien d’un niveau élevé de commande publique, en particulier dans le domaine militaire, où certains acteurs ont indiqué faire face à « une fin de cycle » consécutive à la transition entre la fin des grands projets engagés et l’amorçage des nouveaux projets de défense envisagés.

Les chiffres fournis par l’ESA sur ce sujet sont sans appel sur le retour sur investissement offert par le spatial : 1 euro engagé au sein du programme Copernicus crée 1,40 euro de richesse pour la collectivité qui investit. De même, 1 euro investi au sein des programmes relatifs aux lanceurs européens a eu un effet multiplicateur sur le produit intérieur brut des États concernés de l’ordre de 3,20 euros par euro investi ([62]).

Recommandation n° 23 : Étudier la réorientation d’une partie des crédits engagés dans le cadre du plan France 2030 au profit des PME et des ETI.

Recommandation n° 24 : Assurer un niveau de commande publique exemplaire pour soutenir la compétitivité et la croissance de notre écosystème industriel spatial.

D.   Une vigilance qui doit être maintenue pour éviter les « fuites technologiques » et toutes formes de concurrence déloyale

Le secteur spatial est historiquement un secteur dual, au sein duquel les technologies développées sont souvent à double-usage, et peuvent aussi bien bénéficier à des applications civiles que militaires, indépendamment du statut de l’industriel chargé de la manufacture. Cette dualité est l’une des principales forces motrices de son développement rapide, qui a permis d’atteindre des niveaux d’innovation technologique sans commune mesure.

Néanmoins, il convient de souligner que cette utilisation duale des moyens spatiaux est également source de risques, notamment liés à l’espionnage économique et industriel. Par exemple, le regroupement d’acteurs français, européens et internationaux au sein de pôles de compétitivité sur le territoire national, tel qu’Aerospace Valley (Toulouse), ne peut se faire qu’au prix de procédures strictes et d’une vigilance sur les structures d’actionnariat des entreprises impliquées.

Plusieurs acteurs auditionnés ont souligné à vos rapporteurs l’aspect crucial d’une articulation raisonnée, entre New Space et souveraineté spatiale. Le CEA recommande, notamment, dans sa contribution écrite, d’accompagner le développement des startups par des politiques de protection appropriées, comme le contrôle des capitaux, et en les adossant à de grands groupes français et européens biens établis. Cet organisme ajoute que la protection de la propriété intellectuelle est aussi un enjeu clef qui passe à la fois par une sécurisation juridique des innovations nationales et une politique d’attractivité pour garder sur le sol national et européen les meilleurs talents.

Les échanges conduits font apparaître une forte vigilance vis-à-vis de ces risques. Ainsi que l’ont rappelé à vos rapporteurs les représentants de la direction générale de l’armement, une structure pilotée par la direction générale du Trésor, s’assure spécifiquement de cette question : le comité de contrôle des investissements étrangers en France (CCIEF). Les services du ministère des armées sont ainsi associés à cette action.

Le rapport annuel publié par la direction générale du Trésor pour l’année 2022 ([63]) fournit les chiffres suivants :

– 325 dossiers ont été instruits par les services de la direction générale du Trésor (chiffre stable par rapport à 2021) ;

– 131 opérations d’investissements étrangers dans des sociétés françaises sensibles ont été autorisées par le ministre, tandis que 70 autorisations ont été conditionnées pour préserver les intérêts nationaux ;

– 44 % des dossiers présentant une sensibilité particulière à l’échelle de l’UE concernaient l’industrie manufacturière avec, au sein de cette catégorie, une répartition à parts égales des secteurs de l’énergie, de la défense, des semi-conducteurs et de l’aérospatial. Les technologies de l’information et de la communication représentaient quant à elles 32 % des dossiers sensibles, une proportion qui a doublé par rapport au précédent rapport annuel.

DÉroulÉ de la procédure de contrÔle des investissements Étrangers

Source : rapport annuel IEF, 2023

Dans le détail, les arbitrages conduits dans ce domaine peuvent être complexes. Les échanges menés font apparaître des liens forts entre politique d’investissement national et contrôle des investissements étrangers. Les acteurs entendus ont ainsi indiqué à vos rapporteurs que, dans certaines situations, il était parfois préférable d’accepter un investissement respectant la procédure de contrôle des investissements étrangers plutôt que de voir disparaître une future pépite française, faute d’investissement.

M. Aurélien Lopez-Liguori, rapporteur, s’inscrit néanmoins en faux par rapport à cette assertion : le soutien public doit être au rendez-vous pour éviter ce type de situations. Il estime que les efforts conduits doivent être renforcés quand de telles situations se présentent. Aucun investissement étranger pouvant menacer les intérêts stratégiques du pays ne doit échapper au contrôle des pouvoirs publics.

En outre, l’existence d’investissements étrangers ne signifie pas nécessairement le transfert de toute la propriété intellectuelle détenue par l’entreprise concernée. Enfin, la puissance publique dispose d’outils pour permettre le meilleur équilibre dans ce domaine. Il est par exemple possible d’assortir les autorisations d’un droit de rachat dans les conditions si l’investisseur envisage de délocaliser.

Vos rapporteurs considèrent que le cadre applicable dans ce domaine et son application par les pouvoirs publics sont satisfaisants, après leur renforcement important ces dernières années (loi Pacte de 2019). Ils souhaitent néanmoins qu’une vigilance accrue soit maintenue dans ce domaine, et d’une façon générale, en matière d’espionnage et de captation technologique. Le renforcement de la concurrence entre États dans le domaine spatial risque en effet de se traduire par une hausse de ce type de pratiques.

Recommandation n° 25 : Maintenir une vigilance accrue vis-à-vis des risques d’espionnage industriel et de captation technologique concernant les entreprises françaises du spatial.

Vos rapporteurs estiment également qu’il convient de s’assurer que l’application des règles du droit de l’Union européenne ne désavantage pas les acteurs européens au profit des acteurs étrangers. La fourniture d’une offre Starlink au même tarif que celle d’un opérateur européen, alors que les conditions de formation de cette offre reposent sur un soutien public massif dont bénéficie cet acteur du spatial verticalisé interroge sur les moyens de protection dont dispose l’UE dans ce cadre.

Recommandation n° 26 : Réfléchir à des évolutions du droit européen afin d’éviter des effets de distorsion favorables aux entreprises extra-européennes du secteur spatial, notamment en conditionnant la fourniture de service au respect des règles l’Union.

III.   Des réformes indispensables pour garantir l’efficacité de la politique spatiale européenne

L’Europe spatiale n’a cessé de se réformer depuis l’émergence du New Space pour s’adapter au mieux aux nouveaux enjeux du spatial. Plusieurs priorités peuvent être définies dans cette perspective afin de renforcer l’autonomie spatiale de l’Union européenne et de permettre à ses acteurs de bien se positionner sur les marchés concernés.

A.   Une règle de « retour géographique », qui doit évoluer

La règle du « retour géographique » ou dite du « juste retour » de l’agence spatiale européenne (ESA) est un principe de répartition des contrats proportionnellement à l’investissement des États parties aux programmes de l’ESA. Elle est définie à l’article IV de l’annexe 5 à la Convention portant création d’une agence spatiale européenne (ESA), texte fondateur de l’ESA, conclue à Paris le 30 mai 1975.

Vos rapporteurs ont conscience des débats qui existent sur l’opportunité de faire évoluer cette règle. Celle-ci garantit en effet à la fois une motivation pour les États membres qui financent les programmes de l’ESA, mais, en même temps, une source de complexité lorsqu’il s’agit de porter des programmes très fortement soumis à la concurrence internationale. Le cas d’Ariane 6 en est l’exemple le plus parlant, puisque la mise en œuvre de cette règle est un des éléments expliquant les retards observés.

Lors de son audition, Mme Géraldine Naja, directrice commercialisation, industrie et contrats de l’agence spatiale européenne, a rappelé, en outre, que l’ESA mettait en œuvre cette règle de façon différenciée en fonction des programmes concernés pour intégrer cette dimension. Elle a cité, à titre d’exemple, le cas des programmes relatifs aux satellites de télécommunications au sein desquels un retour garanti est promu. Elle a indiqué, en outre, observer que cette règle reste « un outil formidable pour inciter les pays à prendre part à des programmes », relevant que « la contribution aux programmes spatiaux de l’ESA reste fortement conditionnée, pour certains pays, à ce principe ».

Vos rapporteurs sont néanmoins convaincus que des ajustements permettraient de lever certaines difficultés, sans remettre en cause fondamentalement le principe même d’un retour pour les pays participants. Cela pourrait être le cas, en particulier, en phase d’exploitation pour Ariane 6, cette règle contraignant ArianeGroup dans le choix de ses fournisseurs et limitant ses capacités de négociations. Une réflexion autour d’une notion plus adaptée, le retour juste ou « fair return » pourrait être utilement mise à l’ordre du jour, notamment en distinguant les programmes industriels des programmes scientifiques.

Mme Géraldine Naja a d’ailleurs indiqué à vos rapporteurs qu’une réflexion était en cours au sein de l’ESA sur l’adaptation du principe de retour géographique pour l’ajuster à la compétition, notamment en spécialisant les États sur les programmes pour lesquels ils détiennent l’industrie la plus compétitive, avec comme objectif de « réconcilier retour sur investissement et compétitivité en élargissant l’assiette retour ».

Recommandation n° 27 : Réfléchir à faire évoluer la règle du retour géographique au profit du « fair return » pour gagner en efficacité et en compétitivité sur les projets spatiaux économiques et industriels soutenus par l’ESA.

B.   Une Space Law souhaitable, qui pourrait s’inspirer du modèle français de la loi sur les opérations spatiales (LOS)

Dans le cadre de son programme de travail, la Commission européenne a pris l’initiative de lancer une consultation autour de l’élaboration d’une réglementation européenne sur le spatial (European Union Space Law).

Cette loi européenne sur le spatial pourrait reposer sur les trois piliers suivants :

–  un pilier « Sécurité », visant à assurer un trafic satellitaire sûr, en luttant contre le risque croissant de collisions et de dommages causés par les débris spatiaux ;

– un pilier « Résilience », visant à protéger de manière cohérente les infrastructures et les biens spatiaux de l’Union européenne et des États membres contre les menaces nuisibles (cyberattaques) ;

– un pilier « Durabilité », devant assurer la soutenabilité à long terme des opérations spatiales.

Les auditions menées par vos rapporteurs indiquent que les acteurs du secteur sont favorables à cette proposition, dans son esprit, face aux évolutions fortes que connaît le spatial. Ils estiment, à cet égard, que la loi sur les opérations spatiales adoptée en France en 2008 et actualisée depuis lors, doit constituer un élément d’inspiration majeure dans ce cadre.

Votre rapporteure, Mme Cécile Rilhac, partage cette position, qui s’inscrit, en termes de temporalité, en lien avec les dernières évolutions de la LOS ([64]). Elle soutient la mise en œuvre d’une loi européenne sur l’espace dont l’objectif doit être de promouvoir des comportements responsables dans l’espace, dans le respect des prérogatives nationales et au service de l’autonomie européenne. L’adoption par la commission des affaires européennes d’une résolution sur ce sujet, portée par votre rapporteure, est un signal positif à cet égard.

Recommandation de Mme Cécile Rilhac n° 28 : Doter l’Union européenne d’une véritable législation sur l’espace, inspirée de notre législation nationale, pour garantir à l’Europe une capacité de soft power maximale sur les activités spatiales internationales.

Recommandation n° 29 : Maintenir une vigilance élevée vis-à-vis de la durabilité des activités spatiales.

Votre rapporteur, M. Lopez-Liguori, n’est pas défavorable à une législation de cette nature, à condition qu’elle respecte la souveraineté de la France et qu’elle soit construite en coopération avec les autres États membres.

En outre, dans une logique de montée en puissance de l’Union européenne sur la scène diplomatique, il est nécessaire d’engager l’adhésion de l’Union européenne aux principaux traités et convention internationaux sur l’espace extra-atmosphérique.

Recommandation de Mme Cécile Rilhac n° 30 : Engager l’adhésion de l’Union européenne aux principaux traités et convention internationaux sur l’espace extra-atmosphérique

C.   Créer un vrai principe de préférence européenne pour protéger les intérêts européens dans le domaine spatial

La mise en place d’un principe de préférence européenne peut constituer une piste de réforme pertinente afin de mieux défendre les intérêts européens dans ce domaine.

Les auditions menées par vos rapporteurs indiquent que plusieurs champs de l’activité spatiale pourraient être utilement favorisés par la mise en œuvre d’un tel principe :

– la production des données spatiales via les programmes européens, en particulier concernant le programme Copernicus. Il apparaît en effet que les données du programme Copernicus sont très largement ouvertes et disponibles gratuitement pour les pays européens et extra-européens. Cette situation, qui est courante dans le monde scientifique, apparaît néanmoins préjudiciable pour nos acteurs économiques, en raison de l’exploitation, par des entreprises non européennes, de ces données. Au regard de l’importance de ces données dans le monde de la recherche scientifique, notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique, il apparait primordial de distinguer les règles applicables d’accès à ces données entre les entreprises et le chercheurs ou organisations non gouvernementales. ;

Recommandation n° 31 : Mener une revue des règles relatives à l’ouverture des données collectées dans le cadre des programmes spatiaux européens pour garantir une réelle primauté des États membres sur leur exploitation.

– les lanceurs, via une préférence donnée par les États membres en faveur de lanceurs européens. Si la situation est par nature compliquée en raison des difficultés d’Ariane et de Vega, ce principe est indispensable au sein de l’UE, pour soutenir l’écosystème spatial européen ;

Recommandation n° 32 : Promouvoir un principe de préférence européenne pour l’ensemble des lancements institutionnels menés par les pays membres de l’Union européenne.

Un principe de préférence européenne pourrait également être pertinent concernant le choix des technologies numériques retenues au sein des projets, en particulier en matière d’hébergement des données. Il s’agit, en l’espèce, de garantir la souveraineté de la constellation Iris2, projet porté par la Commission européenne.

Recommandation n° 33 : Assurer le caractère résilient et souverain de la constellation Iris2, en particulier concernant le stockage des données produites et collectées.

IRIS²

Le projet de constellation européenne de satellites de télécommunication dénommé IRIS² (Infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellites) vise à fournir une connectivité sécurisée à l’Europe.

Ce troisième grand programme satellitaire de l’Union a pour ambition de doter les États membres d’un réseau de communication hautement sécurisé, autonome et souverain. Son usage sera double : il sera affecté aux gouvernements pour des missions de communications, de surveillance des frontières et de gestion des crises, d’une part, et assurera la couverture de zones blanches, mal connectées à internet à haut débit, d’autre part.

Son financement relève d’un partenariat public-privé. La Commission européenne a lancé dans ce cadre un appel d’offres en mars 2023 pour sélectionner un ou des acteurs privés européens capables de garantir des investissements communs dans la conception, le développement, le déploiement et l’exploitation des infrastructures gouvernementales et commerciales de la nouvelle constellation.

Le budget initial envisagé par la Commission est estimé à 6 milliards d’euros dont 2,4 milliards de contribution de l’UE au projet et 750 millions d’euros de l’ESA, le reste étant financé par le secteur privé.

Un consortium de plusieurs industriels de l’industrie spatiale et des télécommunications s’est constitué pour soumettre une offre. Pour l’heure, ce consortium ouvert sera gouverné par Airbus Defence and Space, Thales Alenia Space, Eutelsat, Hispasat, SES. Le consortium s’appuiera sur l’équipe de base d’entreprises composées de Deutsche Telekom, OHB, Orange, Hisdesat, Thales et Telesapzio.

Le projet soumis par ce consortium prévoit une constellation de satellites basée sur une architecture multi-orbitale, dont 170 en orbite basse à lancer entre 2025 et 2027. Cette constellation pourrait être interopérable avec l’écosystème terrestre.

En termes de délais, la Commission ambitionne la signature d’un contrat au début de l’année 2024 et la fourniture d’une capacité opérationnelle totale pour les services gouvernementaux est attendue pour 2027.

Source : mission.

D.   Œuvrer à sortir de la dépendance européenne vis-à-vis des composants critiques pour le spatial

Enfin, il ne peut y avoir de souveraineté spatiale européenne sans une sortie progressive de l’Europe de sa forte dépendance vis-à-vis des composants technologiques critiques pour le spatial, tels que les composants électroniques et non électroniques. Ce point a été rappelé par les principaux industriels auditionnés et continue de constituer un vecteur de risque important. Thales Alenia Space a ainsi indiqué à vos rapporteurs que la France et l’Europe devaient impérativement mettre en place des chaînes d’approvisionnement nationales et européennes autonomes et lancer de grands projets spatiaux opérationnels afin de maintenir les compétences techniques de ses industriels

Cette situation n’est pas nouvelle. Elle touche d’une façon plus générale l’ensemble des industries technologiques européennes. Elle nécessite des investissements importants, comme ceux qui sont consentis pour favoriser l’installation d’infrastructures de production de semi-conducteurs, domaine dans lequel la France dispose de fleurons.

Vos rapporteurs souhaitent que les initiatives engagées en ce sens au niveau de l’Union européenne (European Chips Act – projets importants d’intérêt européen commun) et en France (plan France 2030) soient poursuivies et amplifiées.

Recommandation n° 34 : Maintenir un niveau d’ambition élevé pour assurer une réelle autonomie européenne sur les composants critiques du spatial.

Votre rapporteur, M. Aurélien Lopez-Liguori, souhaite également que l’Europe réfléchisse à la meilleure façon de préserver l’industrie spatiale européenne des conséquences de la réglementation ITAR. L’extraterritorialité des lois américaines obligent en effet tout industriel non américain à s’y conformer dès lors qu’il gère l’approvisionnement et la réexportation de produits soumis aux ITAR (International Traffic in Arm Regulations) ou aux EAR (Export Administration Regulations).

Recommandation n° 34 bis de M. Aurélien Lopez-Liguori : Assurer une vigilance accrue sur l’extraterritorialité de certains droits extra européens (type ITAR) pouvant entraver les projets spatiaux européens.

E.   Faire de l’Europe un acteur clef des constellations en orbite basse

Le développement d’une constellation européenne est indispensable pour garantir une souveraineté européenne en matière de connectivité.

Comme indiqué précédemment, l’orbite basse fera rapidement face à un risque de saturation, et ne pourra intégrer, en conséquence, qu’un nombre limité de constellations. Du fait des besoins renforcés de connectivité des satellites, et pour éviter que l’Europe ne se retrouve dans une situation de dépendance vis-à-vis d’un acteur extra-européen verticalisé, il convient d’assurer le financement et le déploiement de la constellation Iris2 avant la fin de la décennie.

Recommandation n° 35 : Assurer le financement et le déploiement de la constellation Iris2 avant la fin de la décennie.

La décision de fusion d’Eutelsat et de Oneweb est également de nature à positionner favorablement l’Europe dans ce domaine.

IV.   Une culture du spatial qui doit être largement diffusÉe pour susciter des vocations et nourrir le « rêve d’espace » européen

A.   Le spatial : un message d’avenir pour l’humanité et un levier fort de diplomatie scientifique pour l’Europe

Le spatial constitue un domaine « à part », qui ne saurait être résumé aux seuls enjeux de souveraineté et à la compétition économique internationale : il s’agit également, dans une approche plus large, d’un enjeu de civilisation et d’avenir pour l’humanité. La recherche permet en effet de mieux comprendre le fonctionnement des mécanismes naturels terriens et de cheminer vers des questions existentielles profondes concernant la place de l’Homme dans l’Univers.

Vos rapporteurs considèrent qu’il est indispensable de faire du spatial un outil de cohésion des citoyens européens mais aussi un instrument d’influence en faveur de la diffusion des valeurs de progrès et de science historiquement au cœur de la civilisation occidentale et portés par l’Europe. Les succès européens en matière scientifique dans ce domaine – des progrès réalisés dans la compréhension de l’univers à la construction d’outils d’exploration complexes – doivent permettre à l’Europe de porter un message fort sur la scène internationale en faveur de la science.

Dans ce cadre, plus que jamais, le spatial doit être une composante à part entière du « soft power » de l’Union. Le retentissement d’événements scientifiques majeurs, comme celui de la mission de la sonde spatiale Rosetta et le succès du « posé » du robot Philae sur la comète Tchouri doivent servir d’appui à cette ambition. En matière de sciences spatiales, la recherche et les questionnements sont en effet par nature partagés et la qualité des résultats obtenus fruit du meilleur travail partenarial avec l’ensemble des pays souhaitant participer à ces travaux.

Vos rapporteurs souhaitent donc insister pour que l’Union européenne et la France portent ce message universaliste dans le cadre de leur action diplomatique et à destination du public, le spatial étant, par sa nature scientifique et sa profondeur métaphysique, un outil d’unité et de solidarité entre les nations.

Recommandation n° 36 : Faire de l’espace un outil de « soft power » pour la France et l’Union européenne.

B.   Une « culture du spatial » qui doit néanmoins être mieux valorisée

Les nombreuses auditions menées par vos rapporteurs les amènent à un constat relativement simple et partagé : si la France et l’Europe se distinguent dans le domaine spatial, la valorisation de ce secteur d’activité auprès du public reste malheureusement insuffisante.

Cette situation est d’autant plus étonnante que l’écosystème du spatial est extrêmement dynamique. Vos rapporteurs ont pu le constater, en particulier, lors de leur déplacement à Toulouse. Il existe, en effet, des liens forts et réguliers entre les différents acteurs publics et privés, ainsi qu’un grand nombre d’événements culturels de toute nature qui s’adressent tantôt à un public plus spécialisé (colloque, réunions de clubs spatiaux etc.), tantôt au grand public.

De ce point de vue, l’existence d’institutions dédiées comme la Cité de l’espace à Toulouse, ou la mise en place d’une semaine de l’espace, à Paris, est une excellente chose pour vulgariser le spatial et informer le public. Vos rapporteurs n’oublient pas, en outre, les nombreux événements organisés partout en France, dans le domaine de l’astronomie.

La Cité de l’espace à Toulouse

La Cité de l’espace, à Toulouse, a été créée pour promouvoir l’aventure spatiale. Elle expose, sur une surface de plus de 4 000 m², 250 éléments en lien avec l’aventure spatiale, notamment la fusée Ariane 5 en taille réelle, une capsule Soyouz et une pierre de Lune rapportée par Apollo 15.

La Cité de l’espace est un excellent vecteur de vulgarisation scientifique et d’acculturation au spatial auprès du grand public. Elle constitue également une vitrine des activités spatiales françaises et européennes. Elle totalise en 2023 plus de 8 millions de visiteurs depuis son ouverture en 1997, soit près de 400 000 visiteurs par an.

Source : Cité de l’espace

En dépit de ces initiatives, le « spatial » semble souffrir, en France, de deux difficultés qui ont été souvent abordées lors des échanges menés par la présente mission :

– une appréhension excessive du public vis-à-vis de la complexité prêtée à ce secteur d’activité. Il apparaît ainsi que de nombreux étudiants hésitent à s’inscrire dans des formations liées à ce domaine, le percevant comme peu accessible. Cette situation est préjudiciable et tient aussi au caractère encore parfois trop confidentiel des formations et métiers proposés en son sein. En outre, les fleurons industriels français ne sont pas forcément connus auprès du grand public, pour leurs activités pourtant essentielles dans le spatial ;

– une valorisation du spatial qui ne fait pas suffisamment lien avec les succès français et européens. En dépit de leurs efforts, les institutions du spatial restent encore trop peu connues des Français et des Européens. Dans le même temps, le « soft power » américain, continue de jouer à plein, qu’il s’agisse de la fascination suscitée par l’agence spatiale américaine, ou par l’aventure entrepreneuriale d’Elon Musk.

C.   Plusieurs pistes pour une vraie politique culturelle du spatial

Face à ce constat, vos rapporteurs souhaitent porter plusieurs recommandations, issues des échanges conduits avec les représentants de ce secteur d’activité.

Il convient, d’une façon générale, de donner une nouvelle ampleur à la politique de valorisation des activités spatiales en France afin de développer une vraie « culture spatiale » nationale.

Recommandation n° 37 : Donner une nouvelle ampleur à la politique de valorisation des activités spatiales en France, afin de développer une vraie « culture spatiale » nationale.

Vos rapporteurs proposent, à cet effet, de réfléchir à la création d’un événement national de grande ampleur à destination du grand public permettant de nourrir le récit de l’aventure spatiale française et européenne. Il conviendrait que cet événement bénéficie d’un portage politique important et soit d’une durée suffisamment longue pour avoir un véritable impact sur le public. Sur le modèle des grands salons français, un salon spécifiquement consacré à l’espace pourrait ainsi être organisé en France.

Recommandation n° 38 : Créer un événement national à destination du grand public permettant de nourrir le récit de l’aventure spatiale française et européenne.

Ils estiment également qu’il convient de mieux communiquer sur la filière professionnelle du spatial pour améliorer son attractivité.

En pratique, les échanges menés font apparaître qu’il existe deux facteurs clés pour l’attractivité d’une filière économique : le niveau de rémunération, dans un domaine par nature technologique où les talents sont disputés entre les pays, et la question de la perception de ce secteur par la population.

Sur le premier point, les tables rondes organisées par vos rapporteurs indiquent que des progrès significatifs ont été effectués pour contrer le phénomène de « fuite des cerveaux » : la tendance observée par les industriels et organismes de recherche entendus est plutôt au reflux, grâce, notamment à des niveaux de rémunération qui sont satisfaisants.

Sur le second point, en revanche, si la quête de sens plaide en faveur du spatial, ce secteur d’activité reste trop méconnu et victime de préjugés. Il s’agit pourtant d’un domaine où les besoins de recrutement seront massifs. Lors de son audition, le Gifas a confirmé à vos rapporteurs que « l’attractivité des jeunes diplômés est un sujet pour notre secteur dans un contexte de forte croissance ». Ils leur ont indiqué avoir pris, en conséquence, des initiatives en ce sens pour valoriser la filière (opération L’aérospatial recrute au salon du Bourget), et travailler, aux côtés de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) et des instances de l’État pour anticiper l’identification des métiers en tension sur le moyen et le long terme. Cette prise d’initiative est bienvenue dans un secteur d’activité fortement technologique et concurrentiel où le capital humain est majeur pour conserver un niveau d’innovation le plus élevé.

En outre, il convient de noter que, d’une part, l’ensemble des métiers seront concernés, loin de l’idée reçue consistant à résumer le spatial au profil « ingénieurs », et que, d’autre part, ces métiers vont se diversifier, sous l’effet de l’intrication entre spatial et numérique. Ce point est relevé à raison par le Gifas dans sa contribution écrite adressée à la mission, dans les termes suivants : « Si le spatial a des besoins spécifiques notamment en ingénieurs bureau d’étude/ingénieurs système, les efforts de formation et de recrutement attendus rejoignent [également] ceux de l’aéronautique notamment concernant l’électronique, la cybersécurité spécifiquement mais aussi tous types de profils moins experts dont la filière a besoin et qu’elle doit savoir attirer ».

Parmi les pistes abordées, figurent, pour vos rapporteurs, la mise en place d’une campagne de communication sur les métiers du spatial, qui doit aussi permettre de diversifier un recrutement pour l’heure fortement masculin, et offrir l’opportunité de mieux orienter certaines formations professionnelles du secondaire et de l’enseignement supérieur vers l’économie du spatial, par exemple via la création d’une mention dédiée.

Recommandation n° 39 : Renforcer la communication autour des métiers du spatial, en soutenant une diversification des profils attirés.

Recommandation  40 : Étudier la possibilité de créer une mention/spécialité spécifique au secteur spatial au sein des formations professionnelles et techniques pour mieux flécher les parcours vers les métiers de l’économie de l’espace.

 

 


EXamen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 20 décembre 2023, la commission des affaires économiques a examiné le rapport d’information sur l’avenir de l’industrie spatiale européenne.

Ce point de l’ordre du jour n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/ln92FT.

La commission a approuvé la publication du rapport d’information sur l’avenir de l’industrie spatiale européenne.

 

 

 


LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Par ordre chronologique

Fondation pour la recherche stratégique (FRS)

M. Xavier Pasco, directeur

Start-up « Prométhée »

M. Olivier Piepsz, président-directeur général

Agence nationale de la recherche (ANR)

M. Arnaud Torres, directeur des grands programmes d’investissement de l’État

Mme Cécile Schou, conseillère responsable des relations institutionnelles

Institut français des relations internationales (IFRI)

M. Éric-André Martin, secrétaire général du Comité d’études des relations franco‑allemandes (CERFA)

Secrétariat général pour l’investissement (SGPI)

Mme Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe.

M. Massis Sirapian, responsable du pôle « nouvelles frontières »

Bpifrance*

Mme Sophie Remont, directrice de l’expertise et des programmes au sein de la direction de l’innovation

M. Abdelkader Berkane Krachai, directeur sectoriel Industrie

M. Pierre Cejka, chargé des relations institutionnelles

Centre national d’études spatiales (CNES)*

M. Philippe Baptiste, président

M. Pierre Tréfouret, directeur du cabinet du président

M. Jean-Marc Astorg, directeur de la stratégie

Alliance NewSpace France

M. Stanislas Maximin, chief executive officer

M. Samuel Mamou, coordinateur de l’Alliance

Eutelsat*

Mme Eva Berneke, directrice générale

Mme Astrid Bonte, directrice des affaires institutionnelles et internationales

Arianegroupe* et Arianespace*

M. Martin Sion, président exécutif d’ArianeGroup

M. Stéphane Israël, président directeur-général d’Arianespace

Ridespace

M. Valentin Benoit, président directeur général

The Exploration Company

M. Pierre Faucoup, chief space and defense business officer

Share My Space

M. Romain Lucken, président-directeur général et co-fondateur

M. Théophile Rousselle, analyste opérationnel

QuantCube

M. Thanh-Long Huynh, président-directeur général

Way 4 Space

M. Philippe Troyas, directeur

Agence spatiale européenne (ESA)

Mme Géraldine Naja, directrice commercialisation, industrie et contrats

Agence nationale des fréquences radio (ANFR)

M. Gilles Brégant, directeur général

M. Christophe Digne, directeur général adjoint

M. Amar Saidani, expert en règlementation spatiale

Direction générale des entreprises (DGE)

M. Colin Ducrotoy, directeur de projets « Espace »

Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI)

Mme Claire Giry, directrice générale

M. Brice Lamotte, chef du département « politique spatiale et défense »

Cysec

M. Yacine Felk, directeur opérationnel et cofondateur

Table ronde « données et industries »

Mme Clotilde Jolivet, directrice des affaires publiques du groupe Sanofi*

M. Alexandre Duret-Proux, vice-président stratégie, études économiques et advocacy branche gaz, renouvelables et électricité de TotalEnergies*

Caïlabs*

M. Jean-François Morizur, président directeur général

Mme Alexia Goloubtzoff, directrice générale

Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS)*

M. Baptiste Voillequin, directeur R&D, Espace et Environnement

Mme Marie-Catherine Lejard, chargée de mission « Espace »

M. Jérôme Jean, directeur des affaires publiques

Audition commune de chercheurs – spécialistes du droit de l’espace.

M. Philippe Achilleas, directeur de l’Institut du droit de l’espace et des télécommunications (IDEST)

M. Lucien Rapp, professeur, directeur de la chaire SIRIUS, université Toulouse-Capitole

Table ronde « start-up et spatial »

M. Clyde Laheyne, président directeur général de Dark

Mme Luisa Buinhas, co-fondatrice & Chief Program Officier de Vyoma

Audition commune de chercheurs – spécialistes de l’espace

M. Thomas Garnier, ingénieur, spécialiste de l’espace et responsable de trois masters « Espace » (CentraleSupelec, ESTACA, Université Paris-Saclay)

M. Laurent Dusseau, directeur du centre spatial universitaire de Montpellier

Centre spatial Guyanais (CSG)

Mme Marie-Anne Clair, directrice

M. Philippe Lier, futur directeur

Service européen de l’action extérieure (SEAE)

Mme Carine Claeys, directrice « Espace »

Table-ronde « Espace – Recherche – Innovation »

M. Bruno Sportisse, président directeur général de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA)

M. Philippe Chomaz, directeur scientifique et des programmes de la direction de la recherche fondamentale du commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)*

Mme Clarisse Angelier, déléguée générale de l’association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT)*

M. Alban Guyomarc’h, coordinateur d’Objectif Lune.

Table ronde « Espace et droit »

Mme Cecile Gaubert, juriste au sein de l’entreprise Exotrail

M. Willy Mikalef, avocat en droit de l’espace

M. Alain de Boisesson, responsable des affaires juridiques au centre national d’études spatiales (CNES)

M. Eloi Petros, responsable des affaires publiques, ArianeGroup

Direction générale de l’armement (DGA)

Mme Eva Portier, adjointe « Espace » du délégué général

M. Olivier Lecointre, ingénieur général, chargé des orientations industrielles

Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA)

M. Rodrigo da Costa, directeur exécutif

Air Liquide*

Mme Delphine Roma, vice-présidente big science et spatial

M. Bertrand Baratte, directeur du marché spatial

M. Antoine Latif, responsable affaires publiques

M. Pierre Cavelan, directeur affaires publiques

Avio

M. Giulio Ranzo, président-directeur-général (PDG)

M. Stefano Stefanile, directeur des relations institutionnelles.

CNRS

M. François Leblanc, directeur de recherche au LATMOS (Laboratoire Atmosphères, Observations Spatiales) et délégué scientifique en charge des Affaires Spatiales au sein de l’Institut nationale des sciences de l’univers (CNRS-INSU)

M. Thomas Borel, responsable des affaires publiques 

ONERA

M. Bruno Sainjon, président-directeur général

Commandement de l’Espace (CDE)

M. Philippe Adam, général de division aérienne, commandant de l'espace

Mme Laura Rajosefa, lieutenant-colonel, membre du cabinet

OHB

M. Alain Bories, senior vice-president Business Development and Political Affairs

Assises du New Space

M. Pierre-José Billotte, créateur

 


   Auditions réalisées dans le cadre des déplacements

Toulouse

Airbus Defence and Space *

M. Olivier Masseret, directeur des relations institutionnelles d’Airbus

M. Rémy Lambertin, directeur des relations institutionnelles d’Airbus Defence and Space

Thales Alenia Space*

M. Benoit Hancart, directeur des affaires publiques

Mme Nathalie Font, directrice de site

M. Riadh Cammoum, vice-président en charge des relations institutionnelles

Toulouse Métropole

Mme Agnès Plagneux-Bertrand, adjointe au Maire chargée des relations avec les acteurs économiques et Vice-Présidente de Toulouse Métropole en charge des secteurs de l’aéronautique et du spatial

M. Hervé Petton, directeur Campus et Enseignement supérieur

M. Sandy Sagnard, chargé de mission auprès de la Métropole

Région Occitanie

M. Thierry Cotelle, vice-président de la région, président de l’association

Aerospace Valley*

M. Eric Giraud, directeur général

Mme Catalina Rodriguez, directrice déléguée « Espace »

M. Laurent Velut, responsable de la Newspace Factory

Exotrail

M. Maxime Jambon, vice-président « Affaires publiques »

M. Mikael Fillastre, vice-président « Missions »

Mme Pauline Seon, responsable « éthique et compliance »

Cité de l’Espace

M. Jean-Baptiste Desbois, président de la Cité de l’espace

Bruxelles

Représentation permanente de la France auprès de l’Union Européenne (RPFUE)

M. Charles Bouland, conseiller Affaires spatiales

Direction Générale de l'Industrie de la Défense et de l'Espace (DG DEFIS, Commission Européenne)

M. Guillaume de La Brosse, Head of Unit - Innovation and NewSpace

Parlement Européen

M. Christophe Grudler, député européen

Commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE), à l’occasion d’une audition de Joseph Aschbacher (directeur de l’ESA).

Vernon

MAIA Space

M. Yohann Leroy, CEO

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


([1]) Article 2 de la convention de l’Agence spatiale européenne.

([2]) Convention portant création d’une agence spatiale européenne.

([3]) L’agence spatiale européenne a par exemple signé un accord avec l’UE pour une constellation, baptisée “Iris2”, visant à favoriser un accès autonome de l’Europe à internet. Elle a également conçu et développé des éléments du programme spatial de l’UE, comme les satellites de Galileo.

([4]) Service Complémentaire Européen de Navigation par Satellites Géostationnaires.

([5]) Ce montant inclut la contribution française à l’ESA, 1,079 milliards d’euros, le programme national, 848 millions d’euros, les ressources propres, 507 millions d’euros, France 2030, 84 millions d’euros, le plan de relance, 59 millions d’euros, et le PIA, 21 millions d’euros.

([6]) Contribution écrite du CEA adressée à la mission.

([7]) Source : page de présentation du GT Objectif Lune : https://www.anrt.asso.fr/fr/objectif-lune-32335

([8]) Livre blanc - L’ambition lunaire, défi stratégique pour l'Europe du XXIème siècle

([9]) On désigne par ce terme une start-up technologique développée dans le prolongement de recherches menées par des organismes de recherche (laboratoire universitaire etc.).

([10]) Chiffres Eurospace (ventes finales hors interactions entre les acteurs industriels eux-mêmes).

([11]) L’Italie a contractualisé 2 Md€ au premier semestre 2023 sous forme de commandes publiques dans les domaines de l’observation, des services en orbites et de l’industrie 4.0 pour le spatial (programme « Space Factory 4.0 »)

([12]) Contribution écrite du centre spatial guyanais adressé à la mission.

([13]) Insee, L’impact de l’activité spatiale dans l’économie guyanaise en 2019, 2022.

([14]) Comité des utilisations pacifiques de l'espace extra-atmosphérique.

([15]) Comité de la recherche spatiale.

([16]) Conseil d’État, Pour une politique juridique des activités spatiales, étude adoptée par l’Assemblée générale du Conseil d’État le 6 avril 2006.

([17])  EUSPA, communiqué de presse, 2022.

([18]) EUMETSAT, European organisation for the exploitation of meteorological satellites, organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques fédérant 30 États membres dont la plupart des États membres de l’UE.

([19]) Cadre financier pluriannuel 2021-2027.

([20]) Les données de Copernicus sont également utilisées dans le cadre d’opérations de sauvetage lors des inondations, incendies, tremblements de terre et ouragans. Elles permettent également d’assurer un suivi de la qualité de l’air et des rayons UV qui ont un impact sur la santé.

([21]) Sa dernière édition, qui date de 2022, établit une année record en termes de concentrations de gaz à effet de serre, en termes de températures extrêmes, de feu de forêt et de (déficit de) précipitations, qui tous ont eu des impacts notables sur les écosystèmes et les communautés à travers le continent.

([22]) Rapport d’information n° 131 (2019-2020), déposé le 19 novembre 2019 de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

([23]) La sonde est équipée de caméras, des analyseurs de particules, de spectromètres, d’un système de radio‑science

([24]) Séjour de 6 mois effectué par l’astronaute français Thomas Pesquet, à compter d’avril 2021.

([25]) Ces pays sont les suivants : l’Arabie saoudite, l’Australie, Bahreïn, le Brésil, le Canada, la Colombie, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, les États-Unis, la France, Israël, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexique, le Nigeria, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, le Rwanda, Singapour et l’Ukraine.

([26]) Rapport d'information n° 668 (2022-2023), L’exploitation des ressources spatiales, 1er juin 2023.

([27]) Ce montant inclut la contribution française à l’ESA, 1,079 milliard d’euros, le programme national, 848 millions d’euros, les ressources propres, 507 millions d’euros, France 2030, 84 millions d’euros, le plan de relance, 59 millions d’euros, et le PIA, 21 millions d’euros.

([28]) Cette contribution est inclue au sein du budget du CNES.

[29] « Space Venture Europe 2022 » : European Space Policy Institute (ESPI).  Publié le 10 Mai 2023 : https://www.espi.or.at/reports/space-venture-europe-2022/

([30]) Baromètre EY du capital risque en France - 1er semestre 2023 : https://www.ey.com/fr_fr/fast-growing-companies/barometre-ey-du-capital-risque-les-resultats-au-1er-semestre-2023

([31]) On désigne par midcap les PME et ETI à fort potentiel. Un fonds destiné à ces acteurs, le fonds Mid Cap Equity de Bpifrance, a d’ailleurs mis en place.

([32]) Contribution écrite du Gifas adressé à la mission.

([33]) Contribution écrite de la direction générale des entreprises adressée à la mission.

([34]) Ibid.

([35]) Ibid.

([36]) Contribution adressée par ArienGroup et Arianespace à la mission.

([37]) Contribution adressée par la direction générale de la recherche et de l’innovation à la mission.

([38]) « Ainsi, en estimant que l’analyse de données satellitaires correspond à près de 35 % de la valeur ajoutée dans les indices macroéconomiques et sectoriels, nous pouvons estimer que cette partie pourrait se chiffrer entre 1Md€ et 1.2 Md€ » (Contribution écrite de Quantcube).

([39])  Observations définitives de la Cour de comptes Le Centre national d’études spatiales (CNES) – hors centre spatial de Toulouse – exercices 2018 et suivants, publié en 2023.

([40]) La DGE mentionne ainsi dans sa contribution écrite que sur les 200 réponses aux différents dispositifs de France 2030 déposées depuis le début du programme, environ 140 ont été déposées en 2023.

([41]) Le montant moyen investi par projet déposé sur l’appel à projets mini-micro lanceurs est passé de 2M€ en 2022 à 9M€ en 2023.

([42]) C’est le cas en particulier pour le programme Galileo. Sans le lancement de deux satellites de remplacement d’ici l’année prochaine, le signal risque d’être détérioré. Il en va de même pour les lancements militaires qui restent en attente.

([43]) Les propos tenus ont été les suivants : « Alors je vais être simple. Nous, on s’est battu pendant des mois et des mois en disant, la souveraineté européenne, c’est l’unité européenne. Malheureusement, on a certains de nos partenaires historiques qui sont devenus des compétiteurs qui ont dit : “ Non, on a décidé, on va y aller. " Donc je vais être simple, on va y aller au carré pour être les meilleurs. À un moment, il faudra qu’on se retrouve autour de la table parce qu’il faudra de toute façon un acteur européen, parce que face aux Indiens, aux Chinois, aux Américains, on va devoir être sérieux entre Européens. Sinon, ce sera de l’autophagie. Et on n’a aucune envie de ça. Donc, il faudra reconsolider. Mais là, je vais vous dire une chose, on va se battre, on sera les meilleurs et on consolidera autour de nous, sur les lanceurs comme sur les constellations ».

([44]) Dans son entretien publié au sein de la revue Esprit Défense (n° 9,  automne 2023), le commandant de l’espace résume cet enjeu en ces termes : « La supériorité spatiale est cruciale pour préserver la liberté d’action dans les autres milieux ».

([45]) Le cas de l’Ukraine donne à voir de quelle façon la dynamique du New Space vient percoler la question de la souveraineté des États. La dynamique des opérations sur le terrain a en effet été modifiée par un acteur privé, Starlink, qui est alternativement venu en appui de l’Ukraine, via la fourniture de connectivité venant entraver l’action russe de réduction des capacités ukrainiennes dans ce domaine le 24 février 2022, puis en sa défaveur, huit mois plus tard, lorsque cette entreprise a coupé ses liaisons pendant quelques jours dans le nord-est du pays, lors de la contre-offensive engagée par les forces de Kiev.

([46]) Ces projets sont les suivants : EURAS (radionavigation), EU-SSA-N (surveillance spatiale militaire) et TWISTER (alerte précoce et interception dans l’espace).

([47]) Pour mémoire, il s’agit du satellite qui avait fait l’objet d’une approche par un engin russe, dénoncé par la ministre des armées de cette époque, Mme Florence Parly.

([48]) Cette responsabilité est mise en œuvre par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

([49]) Ce groupe comprend les pays des Five Eyes (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni), la France et l’Allemagne.

([50]) Cette proposition découle notamment des travaux conduits par votre rapporteure, Mme Cécile Rilhac, dans le cadre de son rapport relatif à la proposition de résolution européenne en faveur d’une loi européenne sur le spatial.

([51]) Ce club est basé à Toulouse et regroupe des dirigeants d’entreprises, des acteurs publics ainsi que des spécialistes du spatial.

([52]) Contribution écrite de la DGRI adressée à la présente mission.

([53]) Cette dernière intervient en effet comme co-investisseur minoritaire sur les projets les plus intéressants.

([54]) Contribution écrite de Bpifrance adressée à la mission.

([55]) Les lettres A, B et C désignent le niveau de maturité de l’entreprise : série A pour la phase de financement du lancement de son projet, série B pour financer sa consolidation et série C pour son passage à l’échelle.

([56]) Contribution écrite de Way4Space.

([57]) Acteur entendu dans le cadre des travaux de la mission d’information.

([58]) BASS – Business Applications and Space Solutions (part of ARTES 4.0)

([59]) Contribution écrite de QuantCube.

([60]) Contribution du Centre national de la recherche scientifique adressée à la mission.

([61]) Technology readiness level. Il s’agit d’un outil de mesure du niveau de maturité d’une technologie.

([62])  Agence spatiale européenne, Business with ESA, « Evaluation of the Launchers Programme »,2016.

([63]) Direction générale du trésor (DGT), Contrôle des investissements étrangers en France, rapport annuel, 2023

([64]) Pour mémoire, en France, une première révision de cette loi était intervenue en 2022 pour prendre en compte les activités relevant de la défense et de la sécurité nationale, puis avec l’adoption de la loi de programmation militaire (LPM) qui avait permis d’introduire dans le champ de la loi les constellations ainsi que la récupération d’étages de lanceurs. L’entrée en vigueur d’une nouvelle version des textes réglementaires associés à la LOS et, en particulier, de la réglementation technique est escomptée au 1er semestre 2024.