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N° 2108

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 janvier 2024.

 

 

RAPPORT D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

 

 

en conclusion des travaux de la mission d’information
sur l’apprentissage de la lecture

 

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

Mme Annie GENEVARD et M. Fabrice LE VIGOUREUX,

 

Députés.

 

——


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Les failles du système d’éducation français

A. Un système inefficace et inégalitaire

1. Les résultats médiocres des élèves français font apparaître des lacunes et des inégalités

a. Des outils d’évaluation précis et nombreux

b. Des résultats concordants et alarmants

c. Un système qui reproduit les inégalités sociales alors que la pédagogie peut l’emporter sur la sociologie

d. Des disparités géographiques importantes

e. Des disparités marquées entre filles et garçons

f. Le cas des enfants allophones : une réalité qui devrait être davantage évaluée et prise en compte

2. Les performances de la France sont inférieures à celles des autres pays européens et de l’OCDE

3. Une stabilisation récente

B. Des causes multiples qui témoignent de difficultés structurelles malgré un relatif consensus sur les méthodes

1. La querelle des méthodes n’a plus lieu d’être mais elle a laissé des traces

a. Un consensus scientifique depuis une vingtaine d’années

b. Une volonté politique se traduisant dans les programmes et instructions officielles

c. Une absence de consensus pédagogique qui conduit à la persistance de pratiques à l’efficacité variable

2. Une formation initiale des enseignants trop courte et insuffisamment ciblée

3. Des manuels parfois anciens, inadaptés, peu ou mal utilisés

a. L’utilisation inégale des manuels de lecture par les enseignants

b. Une grande variété de manuels

c. Des pratiques enseignantes très diverses

4. Le risque d’une perturbation des apprentissages par le numérique

a. L’emprise croissante du numérique sur la vie quotidienne des enfants et ses conséquences sur la santé et les apprentissages

b. Les écrans envahissent aussi l’école…

c. …alors que les apports du numérique dans le domaine éducatif sont, dans le meilleur des cas, modestes

5. Le poids excessif de certains enseignements annexes en cycle 2, au détriment des savoirs fondamentaux

C. Les mesures adoptées pour améliorer l’enseignement de la lecture demeurent insuffisantes

1. Les évaluations nationales doivent devenir un véritable instrument de pilotage

a. Une appropriation croissante des évaluations…

b. …mais des difficultés persistantes

2. Le dédoublement des classes en REP et REP+ présente un bilan mitigé et doit être mieux accompagné

3. Le plan Français de formation continue constitue une avancée intéressante qui reste à approfondir

II. Les voies d’un enseignement de la lecture rÉnovÉ

A. Repenser l’ensemble des modalités de l’entrée des élèves dans la liTtératie

1. Prioriser l’apprentissage du décodage en CP

a. Le CP : année charnière

b. La nécessité d’un enseignement explicite, spécifique, soutenu et ordonné des correspondances graphèmes-phonèmes.

c. Affirmer la priorité accordée à l’enseignement de la lecture

2. Renforcer la complémentarité des enseignements de lecture et d’écriture

3. Travailler la compréhension orale et écrite en particulier avant et après le CP

a. Le rôle crucial de la maternelle pour développer un « bain de langage »

b. Un travail sur la compréhension en CP principalement sur des supports et des temps distincts de ceux consacrés à l’apprentissage du décodage

c. L’importance de l’enseignement de la compréhension tout au long de la scolarité pour une maîtrise effective de la lecture

4. Poursuivre et faire évoluer la prise en charge des élèves en difficulté

B. Pour une véritable politique des manuels d’apprentissage de la lecture

1. L’importance des manuels dans la démarche pédagogique, en particulier pour les enseignants en début de carrière

2. Engager un processus de labellisation des manuels d’apprentissage de la lecture

a. L’exemple vertueux du Portugal

b. Une labellisation qui devrait reposer exclusivement sur des critères de qualité en matière d’apprentissage de la lecture

c. Préserver le temps nécessaire pour élaborer des manuels adaptés et convaincre les enseignants de les utiliser

3. Renouveler les manuels grâce à une action volontariste et à une aide financière de l’État

C. Refondre la formation initiale et continue des enseignants

1. Renforcer la formation initiale des enseignants à l’enseignement de la lecture

2. Développer la formation continue et l’adapter aux besoins des enseignants et des élèves

3. Conforter le rôle pivot des inspecteurs de l’Éducation nationale

D. Réaffirmer la place et la modernité du livre à l’ère du tout-numérique

1. Multiplier les pratiques de lecture des élèves tout au long de leur parcours

a. « Il faut quasiment deux décennies pour faire un lecteur » : de la nécessité d’entretenir et développer les compétences de lecteur

b. Mettre en valeur des dispositifs ayant fait leurs preuves, en partenariat avec les associations et les collectivités territoriales

c. Promouvoir l’objet livre à travers une littérature de jeunesse d’une grande richesse

2. Développer les bibliothèques d’école et le prêt d’ouvrages

a. Des structures déjà anciennes qui ont joui d’une reconnaissance variable selon les époques

b. Un regain d’intérêt récent qui doit être confirmé par un soutien renforcé

c. Les bibliothèques d’école peuvent jouer un rôle fondamental en matière de soutien à la lecture

3. Accroître la place de la famille dans l’éveil au plaisir de lire, dès le plus jeune âge et tout au long de la scolarité

a. Le rôle fondamental de la lecture partagée

b. Inciter les parents à accompagner davantage leurs enfants dans la découverte de la lecture

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Liste des propositions

ANNEXE : Liste des personnes entendues par les rapporteurs

 


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   Introduction

 

« Tant que la lecture est pour nous l’initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. » (Marcel Proust, Sur la lecture.)

« [L]e livre […] est la seule forme qui permet de dire certaines choses qu’il serait vain de vouloir communiquer, même à son meilleur ami, dans l’intimité la plus propice aux confidences. » (Manuel Ortega y Gasset, Qu’est-ce que lire ?)

 

À l’origine de cette mission d’information sur l’apprentissage de la lecture, il y a le constat sur lequel s’ouvre le rapport – à savoir celui de la grande médiocrité des performances des élèves français –, et la consternation face à cette situation, compte tenu de l’importance des compétences dans ce domaine dans tous les aspects de la vie – personnelle, professionnelle et citoyenne. La lecture est une compétence clé, qui détermine pour une large part la réussite dans l’ensemble des apprentissages ; on peut même considérer qu’elle est le fondement de tous les autres enseignements. Au-delà des compétences scolaires, elle constitue également le socle de l’essentiel des compétences sociales.

Les rapporteurs espèrent que le « choc des savoirs », promis par Gabriel Attal le 5 octobre quand il était ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, et alors que les rapporteurs avaient déjà entamé leurs travaux, se produira. En effet, les résultats des enquêtes nationales et internationales demeurent extrêmement préoccupants, et ce dans toutes les disciplines – car, si le rapport est centré sur l’apprentissage de la lecture, les constats valent assez largement pour l’ensemble des autres savoirs.

Le constat suscite d’autant plus d’amertume que les dysfonctionnements ne sont pas récents et que la France a consenti des efforts importants, notamment depuis 2012, pour redresser la barre : révision des programmes afin de bannir la « méthode globale », investissement dans le premier degré, dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 en REP et REP+, plafonnement des effectifs de ces classes hors éducation prioritaire.

Quelles sont les causes de cet échec ? Si la question des moyens financiers accordés à l’école est importante, elle ne peut, pour les rapporteurs, expliquer la faiblesse des résultats. L’échec des politiques menées qui reposaient sur le seul postulat du manque de moyens conduit en effet à douter que là réside l’origine du problème.

La complexité de la langue française et de son orthographe peu « transparente », parfois mise en avant pour expliquer les différences avec les autres pays, bien que ne pouvant être éludée, ne saurait être une cause suffisante pour expliquer l’ampleur du problème, ainsi que les spécialistes entendus par la mission l’ont indiqué : une langue comme l’anglais rend l’apprentissage du code écrit encore plus difficile, sans que les élèves des pays anglophones présentent systématiquement des résultats aussi médiocres ([1]).

L’une des clés de la question réside dans ce qui se passe dans la salle de classe, à savoir les outils utilisés et les méthodes employées, qui dépendent beaucoup de la manière dont les enseignants ont été formés. Pendant trop longtemps, ces dimensions du problème ont constitué un point aveugle de la réflexion et de l’action publique. On ne saurait non plus nier la responsabilité d’un ministère dont les préconisations se sont succédé à un rythme effréné ces trente dernières années, sans qu’il leur soit laissé le temps de porter leurs fruits, dans un domaine où, par nature, les effets des changements ne peuvent être perçus de manière immédiate.

Le 5 décembre, quelques heures après la publication des résultats de l’édition 2022 de l’enquête PISA ([2]), le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse a détaillé un plan d’action fondé sur le travail de la mission « Exigence des savoirs », coordonnée par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et le Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN). S’agissant de l’apprentissage de la lecture, les rapporteurs rejoignent le constat qui a été dressé par cette mission et partagent assez largement ses préconisations, même s’ils souhaitent aller plus loin sur certains points, en particulier dans le domaine de la formation et de l’accompagnement des enseignants, et s’ils préconisent d’adopter une démarche sensiblement différente en ce qui concerne la certification des manuels de lecture en CP.

Insuffisance de la formation des enseignants du premier degré aux spécificités de l’apprentissage de la lecture ; nécessité de les encadrer davantage et de systématiser le travail en réseau ; révision des manuels mais aussi – et surtout – des méthodes mises en œuvre dans les classes ; implication plus grande des familles et promotion plus large de la lecture auprès d’elles : les analyses et les propositions des rapporteurs se fondent sur le consensus scientifique et sur les observations des acteurs de terrain, qu’ils ont eu à cœur d’entendre. Si le constat est extrêmement préoccupant, une évidence s’impose aux rapporteurs : il est possible d’agir, il est urgent de le faire. Cela suppose un engagement de l’ensemble de la communauté nationale et la détermination à déployer les solutions efficaces. Les rapporteurs espèrent que leur travail y contribuera.

 

 

 

 


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I.   Les failles du système d’éducation français

A.   Un système inefficace et inégalitaire

1.   Les résultats médiocres des élèves français font apparaître des lacunes et des inégalités

a.   Des outils d’évaluation précis et nombreux

Depuis une vingtaine d’années, de nombreux outils nationaux et internationaux ont été créés pour évaluer la performance des élèves. La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) en est le principal maître d’œuvre ([3]). Le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse dispose de trois principaux types d’études : les évaluations nationales exhaustives, les enquêtes nationales et les enquêtes internationales, présentées schématiquement ci-dessous.

Les évaluations nationales exhaustives

C:\Users\bledrezen\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\371AFF2E.tmp

Les enquêtes nationales sur échantillon

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Les enquêtes internationales sur échantillon

C:\Users\bledrezen\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\8B0636C.tmp

 

Source : Depp

Ces études n’ont ni les mêmes objets, ni les mêmes méthodes, ni la même temporalité. Elles ne présentent pas non plus le même intérêt en ce qui concerne la question spécifique de l’apprentissage de la lecture. En effet, les années charnières s’agissant de l’acquisition des règles du langage écrit sont celles qui vont de la grande section de maternelle soit la fin du cycle 1 ; les enfants sont alors âgés de 5 à 6 ans et se familiarisent, notamment, avec le principe alphabétique à la fin du CM2, l’étape cruciale étant, bien entendu, la classe de cours préparatoire (CP) (6-7 ans).

Les rapporteurs se sont ainsi concentrés sur les résultats des évaluations nationales exhaustives, qui ont lieu en début et milieu d’année scolaire de CP, en première année de cours élémentaire (CE1) et à l’entrée en sixième, ainsi que sur les conclusions du cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon (Cedre), qui porte sur des échantillons d’élèves de cours moyen deuxième année (CM2) – c’est-à-dire en fin d’école primaire – et de troisième, et repose sur une alternance entre les disciplines ([4]) (compréhension, lexique, etc.).

En « bout de chaîne », les résultats des tests de lecture réalisés dans le cadre de la Journée défense et citoyenneté (JDC) sont également précieux, car ils concernent l’ensemble d’une classe d’âge – la JDC doit être suivie par tous les jeunes de nationalité française âgés de 16 à 24 ans –, y compris donc des personnes ayant quitté le système scolaire, et qui n’entrent plus dans le champ des autres tests.

Les enquêtes internationales PIRLS et PISA sont elles aussi menées sur des échantillons. Elles présentent un intérêt majeur pour le sujet, mais visent des cibles différentes et n’ont pas la même périodicité.

Le programme international de recherche en lecture scolaire – ou Progress in International Reading Literacy Study (PIRLS) –, mené par l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement (IEA), réalise tous les cinq ans une étude portant sur la compréhension de textes écrits et concernant des enfants en fin de quatrième année de scolarité obligatoire, c’est-à-dire le CM1 pour la France, dans 70 pays et provinces (entités infranationales). La dernière étude a été conduite en 2021 ; ses résultats ont été publiés en 2022. Les enfants testés étaient âgés de 9 à 10 ans et étaient en CP en 2017.

Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), organisé sous la responsabilité de l’OCDE, se concentre pour sa part sur les enfants de 15 ans et mène ses enquêtes tous les trois ans. Il évalue la compréhension écrite ([5]), les compétences en mathématiques et la culture scientifique. L’enquête dont les résultats ont été publiés le 5 décembre a ainsi été menée en 2022 – l’objectif initial était de le faire en 2021, mais la pandémie de covid-19 a contraint à décaler l’échéance. Ses résultats concernent des adolescents qui étaient en classe de CP en 2013.

La lecture des résultats de ces différentes enquêtes doit prendre en compte le fait qu’elles reflètent, pour une part, des dysfonctionnements intervenus en amont – en l’occurrence en CP, lorsque les élèves sont insuffisamment entrés dans la lecture, ou bien au cours des années suivantes : certains élèves ont « désappris » à lire durant la suite de leur scolarité. Comme le souligne le sociologue Jérôme Deauvieau, du département de sciences sociales de l’École normale supérieure, il y a un « effet boule de neige » : les performances en lecture au CP sont déterminantes pour la suite de la scolarité en élémentaire et dans le secondaire ([6]).

L’« effet classement » attire davantage l’attention sur les résultats des enquêtes PISA que sur ceux des évaluations nationales, et il est vrai que la comparaison avec les performances d’autres États est de nature à provoquer une prise de conscience. Ce fut le cas en Allemagne, lors de la publication des résultats de la première enquête PISA, en 2001, qui donna lieu à ce que l’on a appelé un « choc PISA », que l’on attend toujours. L’enquête de 2022 a suscité un émoi en France et les mesures annoncées par le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse le jour même révèlent une prise de conscience dont les rapporteurs espèrent des résultats à la hauteur des préoccupations.

Le « choc PISA » en Allemagne

Jusqu’à la publication, en 2001, des résultats de la première enquête PISA, menée en 2000, les responsables politiques allemands, comme les citoyens, étaient persuadés que leur système éducatif était robuste et performant. Or l’enquête fit apparaître que le pays se classait 21e (sur 31 pays participants à l’époque) en compréhension écrite. Ce fut l’occasion d’une remise en cause profonde, qui permit de corriger la tendance. Alors que le système éducatif était largement décentralisé, conformément à la logique de l’autonomie des Länder, un programme national fut lancé. Il était fondé notamment sur des critères communs d’évaluation et le renforcement de l’accompagnement des élèves défavorisés. Les résultats ne se firent pas attendre : le pays enregistra des progrès importants lors des vagues suivantes de l’enquête et il se situa de nouveau dans la moyenne dès 2009. Toutefois, une rechute s’amorça en 2018. Les derniers résultats confirment la tendance, que certains observateurs expliquent notamment par la longue fermeture des établissements scolaires durant la pandémie de la covid, l’arrêt des réformes éducatives et l’intégration dans le système scolaire d’enfants immigrés lors de la crise des réfugiés en 2015.

b.   Des résultats concordants et alarmants

Dans une note datée de juin 2023, présentant les résultats des tests de lecture effectués lors de la JDC de 2022, la Depp a dressé un constat éloquent s’agissant des jeunes âgés de 16 à 25 ans, c’est-à-dire ayant appris à lire entre 2004 et 2012, et dont la scolarité était soit terminée soit quasiment achevée ([7]).

En 2022, 11,2 % des jeunes participant à la Journée défense et citoyenneté rencontraient de grandes difficultés dans le domaine de la lecture ; 4,9 % pouvaient même être considérés comme se trouvant en situation d’illettrisme ; 78,9 % des lecteurs étaient dits « efficaces » – autrement dit, plus d’un sur cinq ne l’était pas.

Les profils de lecteurs à la JDC 2022

Source : Depp, Note d’information n° 23.22

Du reste, la méthodologie de l’étude conduit à penser que la situation est encore plus préoccupante : les jeunes classés dans le groupe 5c présentent en réalité, comme le précise la Depp, « des déficits importants des processus automatisés impliqués dans l’identification des mots ». Ils compensent ce handicap en relisant les textes et en maintenant une attention soutenue. Si leur environnement professionnel et social les éloigne de la fréquentation de l’écrit, le risque est « que l’érosion de la compétence les entraîne vers une perte d’efficacité importante dans l’usage des écrits ». Autrement dit, il s’agit d’une catégorie de lecteurs extrêmement fragiles. Quant aux lecteurs « médiocres » des catégories 5a et 5b, un sur trois n’a pas automatisé le déchiffrage, et l’ensemble présente des déficiences de vocabulaire. On ne saurait se satisfaire du résultat de l’apprentissage qu’ont suivi tous ces jeunes au cours de leur scolarité. Seuls 65 % possèdent ce que l’on peut considérer comme étant des acquis suffisants.

Entre 1987 et 2021, des élèves de CM2 ont été soumis au même test de dictée. Les résultats sont sans appel : sur le long terme, on constate une hausse continue du nombre moyen d’erreurs.

Répartition du nombre d’erreurs
à la dictée

Source : Depp, Note d’information n° 22.37

Non seulement la maîtrise de l’orthographe a connu un recul constant et majeur, mais surtout la proportion de très mauvaises copies a été quasiment multipliée par quatre : la part d’élèves commettant plus de vingt-cinq fautes au test est passée de 6,9 % en 1987 à 27,5 % en 2021. Du reste, le texte servant de support est court – soixante-sept mots et seize signes de ponctuation, soit quatre-vingt-trois items – et « ne présente pas difficultés linguistiques particulières », comme le souligne la Depp. Le voici : « Le soir tombait. Papa et maman, inquiets, se demandaient pourquoi leurs quatre garçons n’étaient pas rentrés. Les gamins se sont certainement perdus, dit maman. S’ils n’ont pas encore retrouvé leur chemin, nous les verrons arriver très fatigués à la maison. Pourquoi ne pas téléphoner à Martine ? Elle les a peut-être vus ! Aussitôt dit, aussitôt fait ! À ce moment, le chien se mit à aboyer. »

Les résultats aux évaluations PIRLS de 2021 – concernant donc des enfants ayant fait leur CP en 2017 – témoignaient également d’un niveau des élèves français bien inférieur à la moyenne de l’OCDE dans le domaine de la compréhension écrite, malgré une relative stabilisation voire amélioration entre 2016 et 2021 : le score obtenu était de 511 points pour la compréhension de textes informatifs et de 516 points pour la compréhension de textes narratifs, quand la moyenne européenne s’établissait, en 2021, respectivement à 528 et 530 points. Les élèves français obtenaient 519 points pour les processus « prélever et inférer » (stable par rapport à 2016) et 510 points pour les processus plus complexes « interpréter et apprécier » (en hausse de 9 points par rapport à 2016), lorsque les scores des élèves européens s’établissaient, en moyenne, à 529 et 528 points.

Évolution du score moyen de la France à l’évaluation PIRLS en fonction du type de textes

Source : Depp, Note d’information n° 23.21

Évolution du score moyen de la France à l’évaluation PIRLS en fonction des processus de compréhension

Source : Depp, Note d’information n° 23.21

Les résultats de l’enquête PISA 2022, publiés le 5 décembre, qui se rapportent à des enfants ayant suivi leur année de CP en 2013, corroborent ce constat : ils font état d’un nouveau recul des performances des élèves français par rapport à 2018 : le score moyen en mathématiques accuse une baisse de 21 points et celui en compréhension de l’écrit de 19 points (474 points). Ces résultats confirment ceux de plus long terme : les scores des élèves français ont baissé de 32 points en compréhension de l’écrit durant la décennie écoulée. L’OCDE note que « le déclin s’est amorcé autour de 2012 », alors que les performances « étaient restées stables sur la période 2000-2012 ». En outre, par rapport à 2018, la proportion d’élèves « peu performants » (ceux ayant obtenu des résultats inférieurs au niveau 2 de l’enquête) a augmenté de 5,9 points en compréhension de l’écrit. Dans le même temps, la proportion d’élèves très performants (niveau 5 ou 6 sur l’échelle PISA) a baissé de 2,1 points de pourcentage. Le constat de l’OCDE est sans appel : « Dans l’ensemble, les résultats de 2022 sont parmi les plus bas jamais mesurés par l’enquête PISA dans les trois matières en France. »

Proportion d’élèves aux bas et hauts niveaux en compréhension de l’écrit en 2000, 2009, 2018 et 2022

(en %)

Source : Depp, Note d’information n° 23.49

Comme le relève le syndicat FSU-SNUipp, « les analyses de la Depp des derniers tests de la Journée défense et citoyenneté confirment de manière claire que c’est d’abord le niveau en compréhension de l’écrit (traitements complexes) qui distingue les jeunes ayant des difficultés de ceux qui n’en ont pas » ([8]).

La fluence, ou fluidité de lecture, renvoie à « la capacité à lire correctement un texte continu, au rythme de la conversation, et avec une prosodie appropriée » ([9]). L’épreuve de fluence, intégrée aux évaluations nationales en début de CE1 et en début de sixième, mesure le nombre de mots lus par minute. En 2021, 47 % des élèves en début de CE1 n’atteignaient pas le seuil des 50 mots par minute, qui est l’objectif attendu en fin de CP.

L’évaluation nationale des élèves de sixième menée en 2022 a conclu que seule un peu plus de la moitié des élèves intégrant cette classe atteignait les attendus en fluence en fin de CM2 ; 16 % n’atteignaient pas les niveaux attendus en fin de CE2. Or, selon les mots d’Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO), lors de son audition, l’absence de maîtrise de la fluence au moment de l’entrée au collège est un gage de difficultés importantes pour le reste de la scolarité et fait « des élèves malheureux ».

Répartition des élèves par groupe de maîtrise en fluence entre 2022 et 2021
et par caractéristique en 2022

(en %)

Source : Depp, évaluation exhaustive 2022 – début de sixième

c.   Un système qui reproduit les inégalités sociales alors que la pédagogie peut l’emporter sur la sociologie

Si l’on observe les résultats dans le détail, s’impose le constat selon lequel, de manière générale, les différences de performance en lecture sont corrélées à l’indice de position sociale (IPS) des établissements.

La corrélation entre résultats scolaires et inégalités sociales est évidente et sans cesse mise en avant par la Depp, mais les rapporteurs tiennent à mettre en garde contre un certain fatalisme qui pourrait gagner les responsables politiques aussi bien que la communauté enseignante. Les rapporteurs ont la conviction absolue que la pédagogie peut battre en brèche les inégalités sociales. L’enquête PISA montre d’ailleurs qu’il est possible de lutter contre le déterminisme social, car certains pays réussissent mieux que le nôtre dans ce domaine. Jérôme Deauvieau le soulignait en 2013 : « Un enseignement efficace ne supprime pas l’impact des inégalités culturelles, mais le réduit sensiblement » ([10]). En se fondant sur les résultats positifs de certains établissements, Édouard Geffray a pour sa part résumé de la manière suivante un constat que les rapporteurs reprennent volontiers à leur compte : « On est capables de démontrer par A + B que la pédagogie est plus forte que la sociologie. » Il importe de garder cette réalité présente à l’esprit lors de l’analyse des résultats des études.

L’indice de position sociale

Afin de mesurer les effets des inégalités sociales au sein du système éducatif, la Depp a élaboré un « indice de position sociale » (IPS), qui consiste à appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents. Cet indicateur permet d’apprécier le niveau social d’un établissement scolaire, à travers le calcul de l’indice moyen, ou encore les disparités sociales au sein de l’établissement. Pour déterminer les valeurs de l’indice pour chaque PCS, la Depp prend en compte la moyenne pondérée de caractéristiques décrivant les conditions de vie des élèves – l’indice d’une PCS est le résumé quantitatif d’un certain nombre d’attributs socio-économiques et culturels liés à la réussite scolaire.

Le graphique ci-après, réalisé par la Depp à partir des premiers résultats de l’évaluation en début de sixième menée à la rentrée 2023, repose sur un classement des collèges en fonction de l’IPS de l’établissement. Les collèges ont été répartis en cinq groupes : les 20 % les moins favorisés sont situés dans le groupe d’IPS 1, et les 20 % les plus favorisés dans le groupe d’IPS 5.

évolution du score moyen en français
selon le profil social du collège

Source : Depp, évaluations exhaustives 2023 – début de sixième

La France fait partie des pays où la relation entre la performance en compréhension de l’écrit et l’origine socio-économique et culturelle est la plus forte (avec un indice de 47 points contre 39 points en moyenne pour les pays de l’OCDE). Lors de son audition par les rapporteurs, Éric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation de l’OCDE, a ainsi souligné que le poids des inégalités sociales dans le système éducatif était « particulièrement inquiétant » ; « les inégalités commencent dès le plus jeune âge et ont tendance à s’aggraver au fur et à mesure que la scolarité avance », ce qui laisse à penser que le système éducatif n’a pas su répondre aux besoins scolaires des enfants issus des classes sociales les plus défavorisées.

De même qu’il existe un lien entre le niveau d’études atteint par une personne et son origine sociale, les performances en lecture progressent avec le niveau d’études : plus de 50 % des jeunes qui n’ont pas dépassé le niveau du collège ont des difficultés de lecture, selon l’enquête menée en 2022 dans le cadre de la JDC.

Alors que 47 % des élèves en début de CE1 n’atteignaient pas le seuil des 50 mots par minute, ce taux atteint 60 % pour les élèves qui étudient dans des écoles à recrutement social populaire. Au-delà de la fluence, dans le domaine de la compréhension – aussi bien à l’écrit qu’à l’oral –, les différences sont également très marquées entre les établissements classés en éducation prioritaire et les autres, comme le montrent les résultats des évaluations nationales de 2022 à l’entrée en CE1.

Écarts de performance en français en CE1
entre élèves scolarisés dans le secteur public
en éducation prioritaire (EP) et hors EP

Source : Depp, Note d’information n° 23.01

La pandémie de covid-19 s’est traduite par un accroissement de l’écart entre ces deux catégories d’établissements. Plus préoccupante encore est sa stabilité dans le temps. C’est le cas, en particulier, dans le domaine de la compréhension orale, où il est de l’ordre de 25 points de pourcentage.

Toutefois, à IPS égal, certains établissements présentent des performances meilleures que d’autres, avec parfois 10 points d’écart, comme l’a relevé le DGESCO. L’explication sociologique des difficultés rencontrées dans le domaine de la lecture n’est donc pas suffisante. Le document suivant témoigne de cette réalité : lorsque l’on confronte les résultats des collèges à ceux que l’on pourrait attendre compte tenu de l’IPS moyen de leurs élèves, des différences significatives apparaissent, constituant ce que la Depp appelle la « valeur ajoutée » des établissements.

Collèges selon la valeur ajoutée de la note moyenne
aux épreuves écrites du DNB (série générale)
et l’IPS moyen des candidats au DNB, session 2022

Source : Depp, Note d’information n° 23.16

Des collèges aux profils sociaux proches présentent des résultats différents. Ainsi, parmi les collèges dont l’IPS est compris entre 100 et 110, un quart présente un taux de réussite au DNB inférieur à 85 % et un quart un taux supérieur à 95 %. Les collèges dont la valeur ajoutée est positive sont représentés aussi bien parmi les collèges ayant un IPS plutôt faible que parmi ceux dont l’IPS est élevé.

d.   Des disparités géographiques importantes

Les jeunes des départements et régions d’outre-mer sont particulièrement concernés par les difficultés de lecture : selon les résultats issus de la JDC en 2022, le pourcentage des jeunes qui connaissent de telles difficultés s’élève à 30,4 % en Guadeloupe, 28,9 % en Martinique, 26,4 % à La Réunion, 51,8 % en Guyane et 55,7 % à Mayotte.

Si chacun de ces territoires rencontre des difficultés spécifiques, la situation à Mayotte est particulièrement alarmante, ce qui a conduit à un plan d’action évoqué plus loin. Lors de son audition, le recteur de l’île a ainsi rappelé que, selon les données issues de la JDC, 43 % des jeunes y étaient en situation d’illettrisme. À la rentrée 2021, moins de 24 % des élèves de CE1 étaient en mesure de lire 30 mots par minute. En ce qui concerne les élèves de sixième, seuls 12,6 % d’entre eux avaient un niveau satisfaisant au test de compréhension de l’écrit ; 20 % ont le niveau attendu en fluence ; 1 000 élèves ne sont pas capables de lire dix mots par minute. Comme le soulignait le soulignait le recteur, « apprendre à lire et à écrire est un défi à Mayotte ».

En France métropolitaine, c’est dans les départements du nord du territoire ou entourant l’Île-de-France que les difficultés de lecture sont les plus fréquentes. La part des jeunes en difficulté de lecture s’élève ainsi à 15,7 % dans l’Aisne, 13,2 % dans la Somme et 12,8 % dans l’Aube. Elle atteint aussi 14,5 % dans la Nièvre et 14,4 % dans l’Yonne. En Île-de-France, la part des jeunes en difficulté varie de 6 % à Paris à 15,5 % en Seine-Saint-Denis.

Pourcentage de jeunes en difficulté
de lecture selon le département

Source : Depp, Note d’information n° 23.22

Lors de leur audition, les représentants de la Depp ont souligné que la carte des difficultés scolaires était quasiment superposable à celle des IPS moyens des départements, ce qui accrédite l’idée selon laquelle le système éducatif français échoue à corriger les inégalités, notamment en matière d’apprentissage de la lecture.

e.   Des disparités marquées entre filles et garçons

À l’instar des évaluations nationales, les enquêtes internationales font apparaître des différences significatives de niveau entre les filles et les garçons s’agissant de la lecture et de l’écriture. Les résultats des évaluations de 2023 à l’entrée au CE1 confirment le fait que les garçons connaissent des difficultés plus marquées.

Répartition des élèves dans les groupes
selon le domaine évalué en français
en début de CE1 à la rentrée 2023, selon le sexe

Source : Depp, évaluations exhaustives 2023 en début de CE1.

f.   Le cas des enfants allophones : une réalité qui devrait être davantage évaluée et prise en compte

Enfin, il convient de garder à l’esprit que ces données, déjà alarmantes, sont très probablement sous-estimées, dès lors que les élèves allophones arrivés en France depuis moins d’un an ne sont pas soumis aux évaluations nationales exhaustives. Ceux-ci sont pourtant en nombre non négligeable – 35 573 enfants à l’école élémentaire en 2021–2022, et 31 826 en collège, en augmentation de 23 % par rapport à l’année scolaire précédente ([11]). La difficulté pour les enseignants à prendre en charge ces enfants et les intégrer dans la dynamique d’apprentissage de la classe ne saurait être sous-estimée.

Au-delà du travail de collecte statistique effectué chaque année dans le cadre de l’enquête sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés, la situation, les conditions de scolarisation et les progrès de ces élèves devraient être évalués plus précisément, de manière à renforcer leur prise en charge.

2.   Les performances de la France sont inférieures à celles des autres pays européens et de l’OCDE

Non seulement les résultats des élèves français en lecture et compréhension écrite sont médiocres en valeur absolue, mais, sans surprise, ils font apparaître une position très fragile par comparaison avec les autres pays développés, en particulier les pays d’Europe.

Il est vrai que plusieurs pays comparables au nôtre, notamment l’Allemagne, enregistrent de mauvaises performances dans la dernière enquête PISA, dans un contexte marqué par les suites de la crise de la covid-19, mais on ne saurait manquer d’observer que, même dans ces circonstances, l’écart avec les pays de tête continue à se creuser : Singapour, pays le plus performant globalement, perd 7 points en compréhension de l’écrit mais en a gagné 12 durant la décennie écoulée. En moyenne, les 81 pays ayant participé à l’étude ([12]) ont perdu 10 points en compréhension écrite, quand la France en perdait 19, ce qui montre que notre pays continue à décrocher.

Les élèves les plus performants et les moins performants
en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences

Source : OCDE, données PISA 2022.

En 2000, les élèves français de 15 ans obtenaient un score moyen de 505 et notre pays se classait 15e. En 2003, le score moyen s’établissait à 496, et le pays était 17e. En 2006, le score de nos élèves était de 488 et la France se situait au 23e rang.

Après une embellie dans les classements de 2009 et de 2012 (ce dernier marquait un retour au score moyen de 505 points), le décrochage est continu : 499 points en 2015 (20e), 493 points en 2018 (23e) et 474 points en 2022 (25e). Ce résultat situe notre pays légèrement en dessous de la moyenne de l’OCDE (476 points), quand les pays les plus performants en matière de compréhension de l’écrit, à savoir l’Irlande, le Japon, la Corée et l’Estonie, enregistrent un score dépassant les 510 points.

L’analyse détaillée fait apparaître que, par rapport à 2018, la proportion d’élèves « peu performants » (ceux ayant obtenu des résultats inférieurs au niveau 2 de l’enquête) a augmenté de 5,9 points en compréhension de l’écrit (contre 3,3 points pour la moyenne de l’OCDE) ; dans le même temps, la proportion d’élèves très performants (niveau 5 ou 6) a baissé de 2,1 points (1,4 point en moins pour la moyenne de l’OCDE).

3.   Une stabilisation récente

On l’aura compris, les résultats de l’enquête PISA 2022 et ceux de la JDC organisée la même année sont une photographie de jeunes déjà très avancés dans leur parcours scolaire, voire sortis du système scolaire. Seules les évaluations nationales exhaustives les plus récentes sont en mesure de fournir des indications susceptibles de refléter le résultat des politiques menées ces dernières années et des informations relatives aux performances des élèves ayant appris à lire très récemment. À cet égard, les données publiées en novembre par la Depp ne sont pas de nature à rassurer.

Le graphique suivant retrace l’évolution, depuis 2019, des performances en lecture et écriture des élèves en début de CE1.

Proportion des élèves dans les groupes satisfaisants
(au-dessus du seuil 2) dans les domaines comparables
en français en début de CE1 depuis 2019

Source : Depp, évaluations 2023 Repères CP, CE1.

Les effets de la pandémie de covid-19 apparaissent très nettement, avec une chute des performances des élèves ayant accompli leur année de CP en 2019-2020, en particulier en ce qui concerne l’écriture (‑ 4,5 points) et la lecture de mots à voix haute (‑ 4,3 points). Le rebond attendu a bel et bien eu lieu en 2021, mais, contre toute attente, il a été suivi d’un nouveau décrochage, ou dans le meilleur des cas d’une stagnation par rapport à 2019. La médiocrité des compétences de lecture à voix haute, testées depuis 2022, est particulièrement alarmante : un peu plus de deux élèves sur trois seulement maîtrisent ce savoir essentiel à l’issue de leur année de CP.

La situation en 2022 pour quelques catégories d’âge

Au-delà des évolutions intervenues depuis plusieurs décennies et des différences liées à la localisation géographique, à l’origine sociale ou encore au sexe, il est utile de disposer d’une vue d’ensemble des difficultés rencontrées par les enfants et les jeunes de notre pays à un moment donné. Les données de l’année 2022 permettent d’obtenir un instantané complet.

● En début de CE1, les élèves (âgés de 7 ou 8 ans) n’étaient que 68 % à pouvoir lire de manière satisfaisante un texte à voix haute, moins de 75 % à savoir écrire correctement des mots et 77 % à être en mesure de comprendre des mots énoncés oralement (sans le secours d’un contexte).

● En début de sixième, les élèves (âgés de 11 ou 12 ans) étaient à peine plus de 55 % à atteindre le niveau attendu en fluence à la fin du CM2 ; 16 % ne dépassaient même pas le niveau attendu en fin de CE2.

● Les jeunes de 15 ans testés dans le cadre de l’enquête PISA affichaient des lacunes plus marquées que les élèves testés lors de la vague prédédente en compréhension de l’écrit (474 points, en baisse de 19 points). Sur la décennie, la baisse est de 32 points. En outre, par rapport à 2018, la proportion d’élèves « peu performants » a augmenté de 5,9 points en compréhension de l’écrit ; dans le même temps, la proportion d’élèves très performants a baissé de 2,1 points.

● S’agissant des jeunes de 16 à 25 ans testés lors de la JDC, seuls 65 % possédaient des acquis réellement solides ; 11 % rencontraient de grandes difficultés de lecture et près de 5 % pouvaient être considérés comme illettrés.

B.   Des causes multiples qui témoignent de difficultés structurelles malgré un relatif consensus sur les méthodes

1.   La querelle des méthodes n’a plus lieu d’être mais elle a laissé des traces

a.   Un consensus scientifique depuis une vingtaine d’années

Deux méthodes d’apprentissage de la lecture sont, essentiellement depuis les années 1970, fréquemment opposées :

– la méthode dite syllabique, qui repose sur un apprentissage rapide et systématique des correspondances graphèmes-phonèmes, c’est-à-dire des lettres et des sons (dit « décodage »), puis un assemblage progressif des lettres en syllabes et en mots ;

– la méthode dite globale, née dans les années 1970, assise sur la reconnaissance visuelle des mots. Cette méthode repose sur l’idée selon laquelle une approche idéovisuelle permettrait un accès direct au sens du texte, serait plus motivante et plus adaptée aux élèves les plus fragiles ([13]).

Depuis plus de vingt ans, toutefois ([14]), la méthode syllabique est reconnue comme plus efficace pour l’apprentissage de la lecture et garantit les meilleures chances de réussite, un véritable consensus scientifique ayant émergé sur ce point. De fait, les sciences cognitives donnent des informations précises et incontestables sur le fonctionnement du cerveau lors du processus d’apprentissage et de décodage, qui conduisent les rapporteurs à être convaincus qu’il convient de valider sans réserve cette méthode.

 

Comment le cerveau apprend à lire
et comment la lecture le transforme

« L’écriture est une invention trop récente dans l’histoire de l’humanité pour avoir pu influencer l’évolution de notre cerveau. Notre patrimoine génétique ne comprend pas d’instructions pour lire ni de circuits dédiés à la lecture », souligne Stanislas Dehaene (1). Apprendre à lire suppose donc nécessairement d’utiliser, de développer et de réagencer des zones cérébrales préexistantes. Ainsi, une partie des aires du langage et des aires visuelles se spécialise dans la reconnaissance des graphèmes et des phonèmes.

L’apprentissage de la lecture stimule en particulier le développement, dans l’hémisphère gauche, d’une région du cortex visuel considérée comme l’aire de la forme visuelle des mots – Stanislas Dehaene utilise l’expression éclairante de « boîte aux lettres du cerveau » : mieux on sait lire, plus cette aire répond, « sans doute parce qu’un nombre croissant de neurones se spécialise pour les lettres, les suites de lettres et les morphèmes les plus fréquents ». De plus, certaines aires bien précises dédiées au langage sont concernées par l’apprentissage de la lecture. À cet égard, le fait d’attirer l’attention des enfants vers les phonèmes prépare efficacement à la lecture car « lorsque nous prêtons attention aux sons de la parole, nous orientons le traitement cérébral vers les aires cérébrales du langage oral qui servent à la lecture ».

Vers l’âge de 3 ou 4 ans, un enfant peut d’ores et déjà être considéré « comme un linguiste expert ». Toutefois, « pour apprendre à lire, il faut prendre conscience des structures du langage oral : les mots, les syllabes, les phonèmes », que la lecture rend accessibles par la voie de la vision. Cette opération demande du temps et des efforts, surtout au début : « Dans la première année d’école primaire, la lecture demande à l’enfant un immense effort d’attention ».

Or la science a montré que certaines stratégies étaient plus efficaces que d’autres. Un jeune enfant a tendance à traiter chaque objet comme un tout. Or déchiffrer l’écriture alphabétique suppose d’orienter l’attention vers l’intérieur des mots afin d’y repérer leurs briques élémentaires, à savoir les lettres. Il faut donc modifier en profondeur le fonctionnement de la « boîte aux lettres », ce qui requiert de l’application, de la constance et une démarche systématique : « Exposer l’enfant à des lettres ne suffit pas : ce qui transforme vraiment le circuit cortical de la lecture, c’est l’enseignement systématique des correspondances entre les lettres et les sons du langage. » C’est ainsi que, chez un bon lecteur, la région de la « boîte aux lettres » code « non seulement les lettres isolées, mais aussi les combinaisons de lettres qui correspondent à des graphèmes, à des syllabes et à des morphèmes ».

Une expérience a montré que, lorsqu’une personne sachant lire apprend un nouvel alphabet, la qualité de l’apprentissage varie considérablement selon que son attention est distribuée de façon globale ou se concentre sur les lettres : si on lui explique que les mots sont constitués de lettres, elle apprend rapidement à lire ce nouvel alphabet et l’imagerie cérébrale montre une activation normale de l’aire de la forme visuelle des mots. Si on lui présente les mots comme des formes globales, elle n’apprend que très peu car sa mémoire est saturée. Surtout, elle active une zone inadéquate dans l’hémisphère droit. Ainsi, la stratégie d’attention globale interdit tout apprentissage efficace. C’est ce qui permet à Stanislas Dehaene d’écrire : « Abandonner la lecture globale et prêter attention aux composants élémentaires des mots, un par un, dans un ordre bien précis, est une étape essentielle de l’apprentissage. »

Un apprentissage efficace aboutit à une automatisation de l’encodage. Au début du processus, le cerveau utilise un « réseau de régions très étendu », débordant celui d’un adulte sachant lire : certaines d’entre elles sont associées aux mouvements des yeux, ou encore à la mémoire et à l’attention. Il en va de même du réseau du langage oral. « Au fur et à mesure que la lecture s’automatise, la mobilisation de ces régions décroît. L’automatisation de la lecture est donc un objectif essentiel de l’apprentissage. Elle seule permet de libérer les aires génériques du cortex afin de les utiliser pour d’autres activités. »

L’automatisation s’accompagne « d’un passage d’un mode sériel à un mode parallèle de lecture » : chez un lecteur expert, les neurones de la « boîte aux lettres » travaillent en même temps sur différentes parties de la chaîne de lettres, ce qui a conduit certains scientifiques à penser, à tort, que le cerveau reconnaissait la forme globale du mot.

Par ailleurs, l’enfant accède progressivement à la « seconde voie de la lecture », qui permet de passer directement de la chaîne de lettres au sens du mot, sans l’intermédiaire de la prononciation (orale ou mentale).

Pour toutes ces raisons, apprendre à lire « induit de très profondes modifications de l’anatomie et de l’activité cérébrale, tout au long de la chaîne qui relie la vision au langage parlé ».

(1) Stanislas Dehaene, Apprendre à lire. Des sciences cognitives à la salle de classe, Odile Jacob, 2011. Les citations suivantes sont tirées du même ouvrage.

Les travaux du Conseil scientifique de l’Éducation nationale ([15]) s’en font l’écho : « Les données internationales sur les stratégies d’enseignement de la lecture dans des écritures alphabétiques sont convergentes […]. Ces données indiquent que l’apprentissage rapide et systématique des correspondances graphème-phonème, par une méthode dite “phonique”, garantit les meilleurs résultats, aussi bien en lecture orale qu’en compréhension […]. La recherche montre que les correspondances graphème-phonème gagnent à être enseignées rapidement […] et dans un ordre rationnel, fondé sur leur fréquence et leur régularité dans la langue. » ([16])


De fait, un grand nombre de recherches internationales sont concordantes sur ce point depuis plus de vingt ans, telles que celles de Morais et al. en 1998 ([17]), de Ehri et al. en 2001 ([18]), de Castles et al. en 2018 ([19]) ou encore de Sprenger-Charolles et al. en 2018 ([20]). La supériorité de la méthode syllabique est établie même en anglais, où les correspondances graphèmes-phonèmes sont pourtant moins transparentes qu’en français ([21]).

L’efficacité supérieure de la méthode syllabique est d’autant plus élevée que le niveau à l’entrée de l’élève est faible, que celui-ci souffre d’un trouble de l’apprentissage de la lecture ou vienne d’un milieu socialement défavorisé. En effet, par l’utilisation rigoureuse d’un code auquel tous les élèves ont accès, elle conduit à effacer les inégalités de départ dans la maîtrise du vocabulaire, la familiarité avec les livres ou avec les écrits de manière générale. La Fédération française des dys indique ainsi qu’il est particulièrement souhaitable pour les élèves dyslexiques, de « se concentrer, lors de la phase d’apprentissage de la lecture, sur la correspondance graphème/phonème et de limiter à deux ou trois l’utilisation des mots-outils » (cf. infra([22]).

La direction générale de l’enseignement scolaire a, dès lors, élaboré un « guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », dit « guide orange », à destination des cadres – inspecteurs de l’Éducation nationale et conseillers pédagogiques – et des formateurs, qui présente les principales avancées de la recherche et les traduit en recommandations pour l’apprentissage de la lecture. Ces recommandations portent, en particulier, sur l’enseignement progressif et explicite de la lecture, le rôle de l’écriture dans l’apprentissage de la lecture, le choix d’un manuel adapté ou encore la réponse aux difficultés de lecture. Une première version, publiée en août 2019, a été rééditée en 2021 ([23]). Pour les représentants des inspecteurs de l’Éducation nationale de l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa), auditionnés par les rapporteurs, le guide, qui n’a pas reçu l’accueil qu’il mérite, est une « mine » qui « fait date dans l’histoire de l’enseignement de la lecture ». Si certains chercheurs ont pu émettre quelques nuances ponctuelles sur l’un ou l’autre des éléments de ce guide ([24]), les rapporteurs soulignent l’importance cruciale de ce document, dont la diffusion et l’appropriation doivent être renforcées.

b.   Une volonté politique se traduisant dans les programmes et instructions officielles

Ce consensus scientifique semble désormais avoir atteint la sphère institutionnelle et politique et se traduit, de manière très nette, dans l’évolution des programmes et des instructions officielles. Si la dimension « scientifique » ne préside pas à l’élaboration des programmes, processus par essence politique, le président du Conseil supérieur des programmes (CSP), entendu par les rapporteurs, indiquait que celui-ci tenait naturellement compte de l’état de la recherche et des recommandations scientifiques.

Avant l’adoption de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, dite « Fillon », qui consacre la liberté pédagogique des enseignants ([25]), les programmes et instructions officielles étaient paradoxalement assez ouverts et autorisaient les enseignants à choisir librement leur méthode. Ainsi, les instructions relatives à l’enseignement du français à l’école élémentaire de 1972 indiquaient que « des résultats également bons peuvent être obtenus par des démarches différentes et, en voulant suivre une même démarche, certains maîtres échoueront alors que d’autres réussiront à merveille. Les enfants sont trop différents les uns des autres pour qu’une même méthode soit la meilleure pour tous ; mais pour tous, les pires méthodes sont celles qui découragent le désir de lire. » Selon le programme de 1977, « plusieurs méthodes d’apprentissage peuvent être utilisées, dont l’efficacité semble, à l’expérience, tenir surtout aux conditions dans lesquelles elles sont pratiquées et à la façon dont elles font droit à un certain nombre d’exigences », quand celui de 1985 précisait que « quelle que soit la méthode utilisée, l’objectif est de conduire chacun, dès l’école et pour toute la vie, à savoir lire, vouloir lire et aimer lire » et celui de 1995 qu’« il n’y a pas de méthode imposée d’apprentissage de la lecture ».

L’année 2002 marque, selon le président du Conseil supérieur des programmes, « le début d’un frémissement » : le programme pour le cycle 2 des apprentissages fondamentaux élaboré cette année-là dispose que « certaines méthodes proposent de faire l’économie de l’apprentissage de la reconnaissance indirecte des mots (méthodes globales, méthodes idéo-visuelles) de manière à éviter que certains élèves ne s’enferment dans cette phase de déchiffrage réputée peu efficace pour le traitement de la signification des textes. On considère souvent aujourd’hui que ce choix comporte plus d’inconvénients que d’avantages. »

Depuis 2005, et malgré la consécration de la liberté pédagogique dans le code de l’éducation, les programmes sont paradoxalement beaucoup plus directifs. Ainsi, les programmes d’enseignement de l’école primaire de 2008 disposent que « dès le CP les élèves s’entraînent à déchiffrer », ce qui implique de « distinguer entre la lettre et le son qu’elle transcrit ; connaître les correspondances entre les lettres et les sons dans les graphies simples et complexes ; déchiffrer des mots irréguliers inconnus, etc. ». Le programme pour les cycles 2, 3 et 4 de 2015 prévoit que « au CP est dispensé un enseignement systématique et structuré du code grapho-phonologique et de la combinatoire, en ménageant tout le temps nécessaire aux entraînements pour tous les élèves ».

Enfin, le programme d’enseignement du cycle des apprentissages fondamentaux (cycle 2) de 2020, actuellement en vigueur, est particulièrement précis et semble aller sur le terrain de la méthode, au-delà des compétences classiques du CSP : « Au CP, les élèves pratiquent, de manière concentrée dans le temps, des activités sur le code de l’écrit dont ils ont eu une première expérience en grande section. Il s’agit pour les élèves d’associer lettres ou groupes de lettres et sons, d’établir des correspondances entre graphèmes et phonèmes. L’apprentissage systématique de ces correspondances est progressivement automatisé à partir de phrases et de textes que les élèves sont capables de déchiffrer. Ces activités de lecture, menées conjointement aux activités d’écriture, doivent être régulières et structurées. Ce sont des "gammes" indispensables pour parvenir à l’automatisation de l’identification des mots à la fin de l’année. L’automatisation du code alphabétique doit être complète à la fin du CP. » Pour l’élaboration de ce dernier programme, le « guide orange » a manifestement été pris en compte.

c.   Une absence de consensus pédagogique qui conduit à la persistance de pratiques à l’efficacité variable

● La prédominance des méthodes mixtes

De l’avis général, les méthodes globales, qui ont connu leur paroxysme dans les années 1970 et 1980, ne sont plus appliquées, et tous les enseignants, de même que les manuels, introduisent un enseignement du décodage dans leurs leçons. Beaucoup intègrent cependant une dose, variable, de reconnaissance globale de mots non déchiffrables, employant ainsi des méthodes dites « mixtes ».

Ces méthodes reposent sur l’utilisation, en plus du décodage, de plusieurs stratégies d’identification des mots qui s’en écartent : reconnaissance globale, déchiffrage partiel, utilisation du contexte ou appui sur un dessin. Un grand nombre d’enseignants utilisent, par exemple, des mots dits « outils », choisis en raison de la fréquence de leur utilisation dans la langue française ou de leur irrégularité (« dans », « est », etc.), que les enfants doivent mémoriser sans nécessairement apprendre à les déchiffrer. Il s’agirait de permettre aux enfants de lire ou de construire des phrases structurées, plus cohérentes, chargées de sens et donc « motivantes » dès le début de l’année scolaire.

Photographie de la porte d’une classe de CP au début du mois d’octobre

Source : Jérôme Deauvieau, « Pratiques enseignantes et inégalités scolaires à l’entrée dans l’écrit », 24 mai 2023, Collège de France

Les méthodes mixtes, entendues au sens large, sont aujourd’hui les plus répandues en France. D’après une enquête conduite sous la direction de Jérôme Deauvieau, menée auprès de 9 342 enseignants répondant à un questionnaire en ligne en janvier 2021 ([26]) :

 seuls 6 % des professeurs n’utilisent pas de mots-outils, quand 56 % d’entre eux en font mémoriser plus de 20 entre la rentrée de CP et les vacances de Noël ;

– seuls 3,4 % des enseignants proposent à leurs élèves des textes 100 % déchiffrables, quand plus de 90 % ont recours à la mémorisation globale de mots non déchiffrables.


MÉmorisation des mots-outils entre la rentrÉe en CP
et les vacances de Noël

(en % des enseignants de CP interrogés)

Source : Enquête Formalect

 

DÉchiffrabilitÉ des textes donnÉs À lire aux ÉlÈves

(en % des enseignants de CP interrogés)

Source : Enquête Formalect

Au total, si 68,1 % des enseignants utilisent une méthode reposant sur des textes déchiffrables bien qu’incluant éventuellement des motsoutils, 31,9 % utilisent encore des textes intégrant des mots non déchiffrables, parfois de manière assez fréquente, incorporant, dans ce dernier cas, une dimension idéovisuelle forte.

Les méthodes mixtes sont pourtant peu efficaces : apprendre à lire avec une méthode mixte (mêlant décodage et reconnaissance visuelle, à plus ou moins haute dose), plutôt qu’avec une méthode syllabique, fait baisser de 10 à 15 % d’écart-type le nombre de mots lus en une minute par les élèves et de 12 à 17 % d’écart-type la compréhension écrite. Les résultats sont encore plus prononcés pour les élèves fragiles à l’entrée du CP, issus en grande majorité de milieux défavorisés (respectivement 10 à 18 % et 18 à 25 %) ([27]). Cela tient au fait que ces méthodes reposent sur plusieurs stratégies d’identification des mots (décodage, reconnaissance globale, déchiffrage partiel, utilisation du contexte et appui sur un dessin) ; aussi, lorsque les élèves sont invités à lire, « il leur faut chercher la stratégie d’identification des mots qui leur paraît la mieux appropriée à chaque mot. La connaissance des correspondances graphème-phonème se trouve alors en concurrence avec les autres choix d’identification auxquels les élèves sont confrontés et perd de son efficacité. L’attention au code est affectée, les hésitations, les imprécisions, les erreurs, les confusions se multiplient. » ([28])

Le « guide orange » avance également que l’introduction de mots-outils n’est pas indispensable ; des phrases déchiffrables, intéressantes et « motivantes » pour les élèves peuvent tout à fait être construites sans y avoir recours.

De même, pour Jérôme Deauvieau, « les données statistiques indiquent que ces pratiques minoritaires (100 % déchiffrables sans mots outils) sont systématiquement plus efficaces que toutes les autres. Elles révèlent à quel point les marges de progression dans l’efficacité de l’enseignement du lire-écrire en France sont considérables, tout particulièrement pour les élèves des milieux populaires. » ([29])

● La résistance de pratiques anciennes : la légitimité scientifique à l’épreuve de certaines pratiques

Comme le mentionne Jérôme Deauvieau, « les études réalisées dans plusieurs pays indiquent que les principes de l’approche idéo-visuelle perdurent dans la culture professionnelle enseignante » ([30]). L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) mentionne pour sa part dans un rapport de 2023 sur l’appropriation des évaluations de CP et de CE1 ([31]) que « dans 16,3 % des classes visitées, la lecture n’est pas enseignée par une entrée "principalement graphémique", ce qui déroge aux recommandations du Conseil scientifique de l’Éducation nationale et, au-delà, de la recherche en éducation ».

Pour quelles raisons, dès lors, ces méthodes mixtes prévalent-elles et l’application d’une méthode syllabique rigoureuse n’est-elle pas systématiquement retenue ?

La plupart des syndicats enseignants perçoivent la méthode syllabique comme faisant obstacle à l’accès aux « beaux textes » ou au travail sur la compréhension, dès lors que les textes déchiffrables seraient, notamment en début d’année, pauvres en contenu. Ainsi, le souci de la motivation des élèves et de leur plaisir à lire des textes stimulants conduit encore beaucoup d’enseignants à proposer, dès le début de l’année, des exercices de mise en lecture riches de sens. Ils font dès lors apprendre un nombre important de mots-outils dans les premières semaines ou donnent à lire des textes qui ne sont pas intégralement déchiffrables par leurs élèves, sans remettre en question cette pratique qu’ils estiment nécessaire. Les mots-outils utilisés ne sont, d’ailleurs, pas nécessairement des mots irréguliers, mais des mots introduits dès le début de l’année, avant que les correspondances n’aient été enseignées.

Ainsi, le syndicat des directeurs et directrices d’école (S2DE) indique que, parmi les enseignants interrogés, la plupart de ceux qui n’utilisent pas la méthode syllabique au sens strict le font parce qu’ils considèrent cette méthode trop « pauvre en contenu », le décodage ne donnant pas accès aux textes porteurs de sens ou suffisamment stimulants. Cela se retrouve dans la manière dont la Fédération syndicale unitaire (FSU) considère les évaluations nationales et les instructions officielles : « Les évaluations nationales et les prescriptions qui ont cours depuis 2017 ne conçoivent l’apprentissage de la lecture que dans une démarche étapiste : lettres/syllabes/mots, puis lecture de phrases et de textes 100 % déchiffrables. Les démarches d’observation qui forment les élèves à s’interroger sont écartées. De ce fait, l’appui sur les unités de sens est effacé des pratiques pédagogiques. »

Comme l’explique Jérôme Riou, maître de conférences en sciences du langage et auteur d’ouvrages consacrés à la lecture ([32]), « d’une manière générale, les écrits hautement déchiffrables permettent aux élèves de réinvestir leurs connaissances et de mémoriser les correspondances graphèmes-phonèmes étudiées. Cependant, ils sont constitués d’un ensemble de mots restreints, ce qui présente des inconvénients majeurs. En effet, ils rendent difficile le maintien de l’intérêt et de la motivation des élèves. Par ailleurs, ils ne permettent pas d’atteindre des objectifs plus larges de construction du vocabulaire et de culture générale. »

Bien que les rapporteurs perçoivent la nécessité de poursuivre des objectifs de compréhension et de plaisir à la lecture de textes, il leur semble qu’il y a là une erreur d’approche méthodologique : le décodage est, en effet, le préalable indispensable à l’accès aux textes stimulants qui ne peut se faire qu’une fois que celui-ci est maîtrisé. En outre, comme l’indique la DGESCO dans son « guide orange », « l’apprentissage de la lecture au CP ne signifie pas l’abandon de la lecture de beaux textes riches faite par le professeur, bien au contraire, il est important de poursuivre cette lecture. Tant qu’ils ne peuvent pas encore lire par eux-mêmes, les élèves ont besoin de cette lecture pour continuer d’entendre de l’écrit d’un niveau de langue plus exigeant que celui de l’oral » ([33]). Il importe cependant de différencier les supports – textes déchiffrables pour l’apprentissage du décodage ; textes riches lus par l’enseignant pour le travail sur la compréhension et le vocabulaire – et les moments d’apprentissage (cf. infra).

Par ailleurs, un certain nombre d’enseignants, ou de formateurs d’enseignants, s’en remettent à la légitimité de la pratique ou de l’expérience, qu’ils estiment supérieure à la légitimité scientifique ou à l’autorité de « l’Institution ». Pour le syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN), « le "guide orange" est perçu par de nombreux collègues comme une atteinte à leur liberté pédagogique. Ils ont déjà les instructions officielles, les programmes comme texte de référence, et aucunement besoin d’un guide qui en fait des exécutants dans leur classe. Ce guide laisse croire qu’il y a une solution magique unique qui serait efficace pour tous les élèves dans tous les contextes. Faire croire cela est une imposture remise en cause par les recherches en didactique. » ([34])

Au-delà de ces contestations, il semble que, pour certains enseignants, la difficulté ne vienne pas tant de l’identification de la méthode la plus adaptée que de la manière de la mettre en pratique, la formation reçue ne leur permettant pas de disposer de l’ensemble des connaissances ou compétences nécessaires (cf. infra). À titre d’illustration, quand bien même la méthode syllabique serait acceptée par les enseignants, le rythme ou l’ordre idéal d’introduction des correspondances peut être complexe à identifier, parfois contre-intuitif. Ainsi, alors que certains enseignants craignent qu’un rythme trop rapide ne crée une charge d’apprentissage excessive pour leurs élèves, la recherche montre que l’enseignement des correspondances graphèmes-phonèmes doit être particulièrement soutenu en début d’année. Ceci peut conduire à des maladresses qui nuisent à l’apprentissage sans que les enseignants en aient conscience ou que cela résulte du choix délibéré de leur part d’une méthode plutôt qu’une autre. De fait, certains, persuadés de mettre en place une méthode syllabique conforme aux recommandations les plus récentes, s’en écartent en réalité sans le savoir.

2.   Une formation initiale des enseignants trop courte et insuffisamment ciblée

L’une des causes principales de la faiblesse des résultats des élèves français en lecture tient à la faiblesse de la formation de leurs enseignants.

De fait, la formation est en France très courte, en particulier si l’on considère que les trois années de licence disciplinaire peuvent être éloignées des sujets propres à l’enseignement dans le premier degré et que les candidats au concours de recrutement des professeurs des écoles ne suivent pas systématiquement un master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (Meef).

Pour ceux qui suivent effectivement ce type de master, la formation est particulièrement dense, sur une durée très restreinte : ainsi, les futurs enseignants du premier degré doivent se former, au cours des deux années de master, à l’enseignement de l’ensemble des matières – français, mathématiques, sciences, etc. – et pour l’ensemble des niveaux, de la maternelle à la classe de CM2, sur une durée comprise entre 800 et 850 heures, dont 55 % consacrées aux savoirs fondamentaux.

Le référentiel de formation de juillet 2019

Le référentiel de formation de juillet 2019 (1) prévoit que la formation s’attache à réserver, en ménageant une certaine perméabilité entre les ensembles, au moins 55 % du temps à la construction du cadre de référence et à l’enseignement des savoirs fondamentaux à l’école. Cela recouvre la lecture, l’écriture, l’étude de la langue (grammaire, conjugaison, vocabulaire, orthographe), la didactique et la pédagogie du français à l’école, mais aussi la numération, le calcul, la didactique et la pédagogie des mathématiques à l’école, ou encore les enjeux et connaissances du système éducatif français et de ses acteurs, des valeurs de la République et de leur transmission et des droits et obligations du fonctionnaire. 20 % du temps de formation doit être consacré à la polyvalence et à la pédagogie générale et au moins 15 % à l’initiation à la recherche et à l’exploitation de travaux de recherche pour analyser des situations professionnelles.

S’agissant spécifiquement de l’enseignement du français, le référentiel prévoit que l’objectif de la formation des enseignants est de former à une pratique experte de l’apprentissage du langage, oral et écrit, et de l’enseignement de la lecture et de l’écriture :

– consolidation des connaissances et notions et construction des savoirs didactiques pour les cycles 1, 2 et 3 dans les domaines de l’étude de la langue, de la lecture et de l’écriture, de l’oral, de la littérature ;

– l’oral comme moyen d’expression, de communication et d’élaboration de la pensée pour les cycles 1, 2, 3 ; l’évaluation des compétences linguistiques et langagières ;

– les enjeux de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture : construction du langage, décodage, compréhension, stratégies d’interprétation, rédaction, travail sur la norme orthographique et grammaticale, évaluation ;

– les modalités d’intervention pédagogique-didactique en lecture-écriture : la construction du langage, l’approche grapho-phonémique en lecture, le diagnostic et le suivi des compétences des élèves en français, la prise en compte des besoins de tous les élèves : lecteurs rapides, faibles lecteurs, dyslexiques, dysorthographiques, les stratégies de compréhension en lecture et de l’expression de la pensée ;

– l’entrée dans l’écrit, l’accès à la littératie et ses modalités didactiques en contexte plurilingue : éléments de didactique du plurilinguisme (langue étrangère / langue seconde / langue de scolarisation).

() https://www.devenirenseignant.gouv.fr/referentiel-de-formation-former-aux-metiers-du-professorat-et-de-l-education-au-xxieme-siecle-1277.

Dans ce contexte, la formation spécifique à l’apprentissage de la lecture ne peut constituer, comme l’indiquait le réseau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), que la « portion congrue » de la formation, « noyée » dans la formation plus large à l’enseignement du français – entre 140 et 180 heures selon ce réseau –, qui inclut l’orthographe, la grammaire, la compréhension, etc. En outre, cette formation doit préparer au métier, mais aussi aux épreuves du concours, les attendus et exigences n’étant pas nécessairement identiques dans l’un et l’autre cas. Ceci entraîne une forme de concurrence pour les étudiants qui, s’ils veulent se préparer à leur métier futur, ont pour objectif premier – y compris au plan chronologique – de réussir leur concours.

L’année de stage, réalisée après l’obtention du concours, ne permet pas de compléter cette formation initiale lacunaire, en particulier pour les enseignants recrutés sans être passés par le master Meef, pour qui elle constitue l’intégralité de la formation reçue et débute alors même qu’ils ont déjà la responsabilité d’une classe et d’élèves. Comme l’indique le SGEN, « la formation initiale des enseignants en la matière est très insuffisante. Il convient tout d’abord de ne pas oublier que cette formation initiale pendant l’année de stage est passée en quinze ans de 450 heures d’enseignement à 250 heures et que, parallèlement, le volume de stage a augmenté de 50 %. » ([35])

La formation initiale des enseignants du premier degré à l’étranger

L’IGESR, pour les besoins de son rapport de septembre 2022 sur la formation initiale des enseignants du premier degré (1), a étudié les modalités de formation des enseignants dans cinq États. Pour des raisons de proximité culturelle et de transférabilité des pratiques, elle a arrêté son choix sur les cinq pays suivants : Allemagne, Irlande, Italie, Pays-Bas et Portugal. Le rapport indique qu’ « une caractéristique commune à l’ensemble des pays visités est l’existence d’un parcours pour devenir professeur des écoles, proposé à la suite du baccalauréat, et long de quatre à cinq années. Selon les cas, le parcours est structuré en un unique bloc, sous forme d’un bachelor de quatre années, comme en Irlande, aux Pays-Bas ou en Suisse, ou d’un master en cinq ans, comme en Italie, ou bien il est organisé en deux étapes, une licence suivie d’un master, préparés dans un même établissement et conçus comme un tout, à l’instar du Portugal. »

Elle précise que, « pour les différents interlocuteurs de la mission entendus à l’étranger, ces quatre ou cinq années sont indispensables, en termes de durée, pour faire acquérir aux étudiants l’ensemble des connaissances et des compétences nécessaires à l’enseignement de toutes les disciplines de la maternelle à la fin de l’école élémentaire. Il est à noter que les acteurs du système éducatif irlandais, où un parcours en quatre années est organisé, ont fait part à la mission de leurs interrogations, ou plutôt de leur souhait, de voir se mettre en place un parcours en cinq ans face aux difficultés rencontrées pour former les étudiants en quatre ans. »

(1) IGESR, La formation initiale des professeurs des écoles en France : une évolution nécessaire à l’aune des standards européens, un enjeu pour la réussite des élèves, Ollivier Hunault, Marie-Hélène Leloup, septembre 2022.

Au-delà de la seule formation à l’enseignement de la lecture, l’IGESR pointait également, dans son rapport de septembre 2022, les lacunes de la formation initiale des enseignants du premier degré dans les domaines propres aux pratiques pédagogiques en classe : « Par exemple, pour la mise en pratique de leur enseignement dans toutes les matières, seuls 34 % des professeurs des écoles français se considèrent bien ou très bien préparés alors qu’ils sont entre 65 % et 85 % dans les autres pays. Ce sentiment de manque de préparation concerne aussi des gestes professionnels pédagogiques transversaux comme la gestion de l’hétérogénéité, pour lesquels seuls 17 % des enseignants français se disent bien préparés contre 30 % à 68 % dans les autres pays […] ». Conséquence directe, « 47 % des enseignants faisaient part d’un besoin important de formation dans le domaine de l’enseignement aux élèves à besoins spécifiques d’éducation, quand ils ne sont qu’entre 5 % et 29 % dans les autres pays où l’enquête a été menée ».

Un facteur explicatif du décalage entre le contenu de la formation reçue et les besoins exprimés par les enseignants peut tenir au fait que le ministère recruteur, le ministère chargé de l’Éducation nationale, a peu la main sur les maquettes de formation en vigueur au sein des Inspé, qui relèvent de la seule compétence du ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Le ministère de l’Éducation nationale, qui conçoit les épreuves du concours de recrutement, ne peut que se contenter d’adapter les épreuves pour que, par rétroaction, les modules de formation soient ajustés à ces nouvelles épreuves, mais cela présente des limites.

C’est pourquoi le Conseil scientifique laissait paraître son inquiétude et sa frustration dans une note d’alerte publiée en octobre 2022 ([36]) : « En l’absence de formation, certains enseignants adoptent des pédagogies à départ global totalement inacceptables au regard des connaissances scientifiques actuelles […]. Il est inquiétant de voir perdurer cette approche alors que le texte du CSEN et le "guide orange", qui datent de plus de trois ans, en mentionnent explicitement le caractère contre-productif. 2Interrogés, les enseignants expliquent n’avoir pas reçu de formation préalable à l’entrée en CP, ignorer donc l’existence de ces documents, et avoir choisi cette méthode en raison de sa gratuité sur internet » Le réseau des Inspé nuance ce propos : si les inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) et les formateurs ont bien lu les publications de la DGESCO et du CSEN – le DGESCO a d’ailleurs indiqué aux rapporteurs que les guides portant sur l’enseignement au primaire ont été remis cette année à tous les nouveaux professeurs des écoles et à leurs formateurs en Inspé et peuvent, par ailleurs, aisément être consultés sur Éduscol – c’est bien l’insuffisance du temps de formation qui rend impossible de consacrer le temps nécessaire à l’enseignement de la lecture.

Enfin, la crise d’attractivité structurelle que connaît la profession d’enseignant contribue à la moindre sélectivité des concours – certaines académies ayant moins de candidats que de postes à pourvoir et fixant des barres d’admissibilité bien en dessous de la moyenne –, ce qui conduit à un affaiblissement net du niveau exigé et constaté des jeunes enseignants.


3.   Des manuels parfois anciens, inadaptés, peu ou mal utilisés

Les manuels scolaires constituent un enjeu essentiel pour l’apprentissage de la lecture mais également un symbole pour beaucoup d’enseignants, lié à la liberté pédagogique, qui a pu cristalliser par le passé des débats idéologiques fortement marqués.

a.   L’utilisation inégale des manuels de lecture par les enseignants

À l’issue des auditions et des recherches menées par les rapporteurs, il semble qu’aucune étude d’ensemble n’ait été menée sur la question. Ainsi, il paraît complexe de dresser un état des lieux de l’utilisation des manuels scolaires dans les classes. Néanmoins, on peut déplorer que, dans de nombreux cas, il y ait mésusage des manuels.

Un nombre sans doute non négligeable d’enseignants n’utilisent pas de manuels, sans qu’il soit possible de l’établir précisément, faute de données disponibles. Le 5 décembre 2023, lors de la présentation de son plan d’action, Gabriel Attal a affirmé : « 60 % des élèves n’en bénéficient pas en CP » ([37]). Par extrapolation, on peut en déduire qu’il considère que seuls 40 % des enseignants de CP en utilisent.

Sur son échantillon de 131 classes, Roland Goigoux avait pour sa part relevé qu’un peu plus de 63 % des enseignants en utilisaient.

Lors de leur audition, Les Éditeurs d’éducation ont déclaré que, selon leurs estimations, 70 % des classes en étaient dotées.

En 2021, les réponses au questionnaire de Jérôme Deauvieau amenaient celui-ci à considérer que 85 % des enseignants avaient recours à au moins un manuel – car certains en utilisent plusieurs…

Lorsque l’IGESR a mené son enquête relative à l’appropriation des évaluations nationales, elle a constaté que, dans les 103 circonscriptions qui avaient été retenues, 95 % des enseignants en utilisaient ([38]). Même si l’échantillon sur lequel l’IGESR a fondé son rapport est trop restreint pour que l’on puisse en tirer un enseignement de portée générale, la cheffe de l’inspection générale a indiqué, lors de son audition, que « de moins en moins de professeurs n’utilisent pas de manuels ».

Il n’en demeure pas moins que, selon d’autres témoignages, notamment celui des représentants de l’Association des maires de France (AMF), certains professeurs, même quand ils ont des manuels à leur disposition, préfèrent ne pas les utiliser, soit parce qu’ils ont été choisis par l’un de leurs prédécesseurs et qu’ils ne se sentent pas à l’aise avec la méthode sur laquelle ils reposent, soit parce qu’ils préfèrent concocter leur propre méthode.

b.   Une grande variété de manuels

Les enseignants utilisant un manuel sont, par ailleurs, confrontés à une très grande diversité de l’offre. Dans leur réponse au questionnaire des rapporteurs, Les Éditeurs d’éducation, organisme représentatif des acteurs du secteur, ont avancé le chiffre de « 17 méthodes de lecture commercialisées et conformes aux programmes de 2016 ».

L’étude de 2019 du CSEN évoquait pour sa part l’« extraordinaire pluralité de manuels » ([39]) commercialisés en France, et même « la pléthore de manuels proposés par les éditeurs » ([40]), avançant le chiffre de 35 ouvrages.

Du reste, ce chiffre ne reflète pas entièrement la réalité, car certains manuels anciens sont toujours en circulation. Lors de son audition, Mark Sherringham, président du Conseil supérieur des programmes, a ainsi déclaré : « Le problème avec les manuels de lecture tient aussi au fait qu’ils ne sont pas régulièrement remplacés dans les classes de CP ou de CE1. » Dans le cadre de leur enquête de 2021, Jérôme Deauvieau et Paul Gioia ont ainsi identifié 83 manuels utilisés par les enseignants, même s’il convient de préciser que 34 d’entre eux représentent 95 % de l’ensemble, et que « trois manuels stars » se détachent particulièrement : ils sont utilisés par un peu plus d’un enseignant sur deux ([41]). La référence aux quelque 83 manuels n’en est pas moins intéressante dans la mesure où il reflète la grande variété des pratiques pédagogiques employées. Or l’hétérogénéité des méthodes d’apprentissage n’est sans doute pas étrangère aux mauvais résultats des écoliers français.

Le renouvellement assez lent des manuels s’explique à la fois par le fait que certains enseignants expérimentés sont attachés à celui auquel ils sont habitués et par les modalités d’achat et de financement. En effet, ce sont les collectivités territoriales, en l’occurrence les municipalités, qui en assument la charge ([42]). Or celles-ci ne sont pas toujours sensibilisées à l’intérêt de la dépense, et un grand nombre recule devant le coût – car si l’achat d’un manuel et de ses compléments (cahier d’exercices, notamment) ne représente pas en soi une charge insupportable, il n’en va pas de même si l’on considère que l’opération doit être réalisée dans toutes les classes de la commune, pour toutes les matières et pour chaque niveau. Interrogée sur le sujet, l’AMF a déclaré qu’elle ne possédait pas de statistiques fiables relatives au rythme de renouvellement des manuels de lecture, tout en soulignant que celui-ci était à l’évidence insuffisant.

L’état des lieux dressé par le CSEN en 2019 fait ainsi ressortir que « les manuels disponibles dans les écoles sont souvent relativement anciens (remontant parfois jusqu’à 2001) » ([43]). Par définition, il est à craindre que de nombreux manuels antérieurs à 2016 soient très largement inadaptés car ils ne correspondent pas aux nouveaux programmes et aux préconisations du « guide orange ». Les Éditeurs d’éducation ont confirmé cet état de fait : « Force est de constater, avec le CSEN, que l’on trouve aujourd’hui dans les classes des manuels très anciens dont certains ne sont plus commercialisés, alors même que nos nouveautés sont toutes conformes au dernier programme. Les manuels présents dans les classes ne reflètent pas la réalité de l’offre actuelle du marché. » ([44]) Lors de l’audition du Syndicat des directrices et directeurs d’écoles, l’un de ses représentants a ainsi déploré la persistance, dans la circonscription où se trouve son établissement, d’une méthode « identifiée comme inadaptée et inefficace », et pourtant utilisée par 5 % des professeurs des écoles.

Si les éditeurs se félicitent du fait que leurs manuels récents soient parfaitement conformes aux programmes officiels, tous n’appliquent pas les prescriptions du « guide orange », comme l’ont reconnu lors de leur audition les représentants du secteur. Or ce document tend à s’imposer de plus en plus. Selon les résultats de l’enquête de Jérôme Deauvieau et Paul Gioia, les manuels entièrement syllabiques (présentant plus de 95 % de déchiffrabilité et ne supposant l’apprentissage d’aucun mot-outil) ne représentent que 5 % de l’ensemble de ceux qui sont utilisés par les enseignants – tout en sachant, par ailleurs, que le taux de déchiffrabilité des manuels varie de 40 % à 100 % ([45]). La plupart des manuels, y compris ceux qui sont estampillés « méthode syllabique », apparaît donc en décalage par rapport à la méthode d’apprentissage qui semble la plus efficace.

Enfin, même quand une école propose des manuels à ses élèves, il n’est pas rare que, d’un niveau à l’autre, les livres n’appartiennent pas à la même série ou collection, c’est-à-dire que les élèves de CP travaillent avec un manuel élaboré par un éditeur et que leur professeur de CE1 se fonde sur un manuel publié par une autre maison. Or la différence d’approche de la lecture entre les ouvrages peut perturber les élèves, en particulier ceux dont les acquis sont les plus fragiles.

c.   Des pratiques enseignantes très diverses

Un autre écueil tient au mauvais usage que certains enseignants font des manuels. Comme le soulignait le CSEN en 2019, les « documents d’accompagnement (livres du maître, fiches, etc.) sont assez peu consultés et suivis et décalés par rapport aux programmes en cours ». Par ailleurs, « les enseignants adaptent considérablement les activités et les exercices issus des manuels, au point que les fondements théoriques ou les intentions initiales de leurs auteurs se trouvent parfois perdus » ([46]). Le CSEN a ainsi dénoncé une tendance de certains enseignants à pratiquer un « montage hétéroclite de documents qui interroge la structuration et la cohérence des apprentissages des élèves […] et la façon dont l’élève entre dans le savoir et la culture pour cette première année d’école élémentaire » ([47]).

Ce constat rejoint celui de Roland Goigoux, selon lequel, même lorsque les enseignants utilisent des manuels, ils ne se limitent pas à cela – ce qui, selon lui, est une bonne chose : « Les manuels restent moins utilisés, en moyenne de temps et dans un plus petit nombre de classes, non seulement que les fiches, mais aussi que les albums de littérature de jeunesse. » ([48]) Certains enseignants combinent même plusieurs manuels, en complétant le cas échéant par des éléments trouvés sur internet. Enfin, même ceux qui ont recours à des manuels syllabiques sont nombreux, selon Jérôme Deauvieau, à faire apprendre par ailleurs des mots-outils en trop grand nombre à leurs élèves.

Le constat dressé par le CSEN en 2019 était sévère, et il ne semble pas que la situation ait fondamentalement changé depuis : « Globalement, on a donc affaire à des documents onéreux, assez souvent obsolètes, peu consultés et dont l’adéquation aux missions qui pourraient leur correspondre est faible. » ([49])

4.   Le risque d’une perturbation des apprentissages par le numérique

a.   L’emprise croissante du numérique sur la vie quotidienne des enfants et ses conséquences sur la santé et les apprentissages

Le numérique a pris une place considérable dans notre monde, y compris dans les écoles, au détriment du livre.

Selon une étude menée sur la cohorte Elfe (étude longitudinale française depuis l’enfance) ([50]), le temps d’écran quotidien est en moyenne de 56 minutes à 2 ans, 1 h 20 à 3 ans et demi et 1 h 34 à 5 ans et demi ([51]). Les auteurs de l’étude rappellent que des « effets délétères de l’usage d’écran dans l’enfance et la petite enfance ont été mis en évidence dans la littérature. Des études font notamment état d’un risque accru de surpoids et d’obésité, et de difficultés dans le développement du langage et du développement cognitif associés à l’usage des écrans. »

Comme le souligne Flore Guattari-Michaux, psychologue, à l’âge de 2 ans, un enfant n’est pas capable de conserver son attention plus de 15 minutes. Il n’est pas non plus en mesure de se détourner de l’écran car les images attirent l’œil : « l’enfant va bloquer dessus et ne se dira jamais : ça fait trop longtemps, j’arrête, alors que sur toute autre activité, au bout d’un moment, il va stopper de lui-même, que ce soit la peinture, la lecture, la pâte à modeler, etc. » ([52]) Selon Michel Desmurget, un élève de maternelle passe ainsi 1 000 heures devant un écran, soit plus que le volume horaire d’une année scolaire ; 2 400 heures pour un lycéen, soit 2,5 années scolaires. Exprimé en fraction du temps quotidien de veille, cela représente un volume de 25 % à 40 % selon l’âge de l’élève ([53]).

Les risques des écrans pour la santé sont désormais documentés. Outre l’obésité liée à la sédentarité et la perturbation de l’attention, il convient de citer les troubles du sommeil. En 2018 déjà, 88 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans s’estimaient en manque de sommeil et 39 % avaient des difficultés à s’endormir. Or, dans le même temps, 83 % déclaraient regarder des écrans avant de se coucher et y passer en moyenne 1 h 08 ([54]). La science a mis en évidence le mécanisme qui est à l’œuvre : la lumière contrôle la sécrétion de mélatonine et agit différemment en fonction de l’heure. Une intensité lumineuse, même faible – par exemple celle des écrans – peut agir sur l’horloge biologique en entraînant un retard de phase et freiner la sécrétion de mélatonine ([55]).

La perturbation du sommeil a des conséquences sur la mémorisation : c’est pendant le sommeil que le cerveau « va stabiliser ce qu’il évalue comme important dans ce qu’il a enregistré la veille et effacer le reste. C’est le moment du tri sélectif. Le sommeil est de fait absolument nécessaire à la consolidation des souvenirs et donc à la stabilisation des apprentissages. » ([56]) Le sommeil joue ainsi un rôle fondamental dans la mise en mémoire : « Il est observé que la consolidation de la mémoire se fait d’abord dans les quarante-huit heures suivant l’apprentissage puis qu’un renforcement survient cinq à sept jours après. Le sommeil est donc essentiel à la plasticité cérébrale qui accompagne la réorganisation des circuits nécessaires à la mise en mémoire. […] On n’apprend pas en dormant mais on retient en dormant. » ([57])


b.   Les écrans envahissent aussi l’école…

L’école a suivi le mouvement, s’évertuant à faire entrer, elle aussi, les écrans dans la salle de classe.

Le législateur y a contribué en instaurant le service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance, à travers la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ([58]). L’objectif de ce nouveau service était d’enrichir l’enseignement dispensé et non se substituer à ses modalités traditionnelles : il s’agissait notamment de :

«  Mettre à disposition des écoles et des établissements scolaires une offre diversifiée de services numériques permettant de prolonger l’offre des enseignements qui y sont dispensés, d’enrichir les modalités d’enseignement et de faciliter la mise en œuvre d’une aide personnalisée à tous les élèves ;

«  Proposer aux enseignants une offre diversifiée de ressources pédagogiques, des contenus et des services contribuant à leur formation ainsi que des outils de suivi de leurs élèves et de communication avec les familles ;

«  Assurer l’instruction des enfants qui ne peuvent être scolarisés dans une école ou dans un établissement scolaire, notamment ceux à besoins éducatifs particuliers. Des supports numériques adaptés peuvent être fournis en fonction des besoins spécifiques de l’élève ;

«  Contribuer au développement de projets innovants et à des expérimentations pédagogiques favorisant les usages du numérique à l’école et la coopération. »

Le projet était ambitieux et se voulait porteur de progrès. En réalité, de véritable adaptation pédagogique, il n’y eut point, comme le relevait la Cour des comptes en juillet 2019 : « la transformation pédagogique n’a pas été au cœur de la conduite de cette nouvelle politique, l’évaluation des pratiques des enseignants et des effets sur les résultats des élèves est restreinte et tardive ([59]) ». Les écrans ont envahi les écoles au nom de la modernité et de l’attractivité des nouveaux supports pour les enfants. Les maires n’ont pas été en reste, éprouvant une certaine fierté quand ils réussissaient à équiper leurs écoles de tablettes ou de tableaux numériques. L’AMF a d’ailleurs relevé, à ce propos, « l’insuffisante formation des enseignants pour la bonne utilisation des outils et des ressources », ainsi que la sous-utilisation des équipements acquis à grands frais ([60]).

En outre, le temps d’utilisation des écrans à l’école s’ajoute à celui qui tend déjà à envahir la vie extérieure à l’établissement, sans que les effets de cette surexposition aient été envisagés. Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, avait ainsi appelé à un « sursaut collectif » contre la surexposition aux écrans, qu’il avait qualifiée de « catastrophe sanitaire et éducative » ([61]). Lors de leur audition, les représentants du Syndicat des directrices et directeurs d’école ont tenu à faire part aux rapporteurs de leur inquiétude face à l’omniprésence des écrans dans la vie des élèves.

Des parents d’élèves, eux aussi inquiets, ont créé un collectif visant à lutter contre l’invasion numérique de l’école (Coline). Ses fondatrices dénoncent la généralisation des espaces numériques de travail, la « distribution progressive de terminaux individuels aux élèves, et ce dès la maternelle », ce qui peut entrer en contradiction avec l’intention des parents eux-mêmes de limiter l’accès de leurs enfants aux écrans. Dans une lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale publiée récemment, elles s’interrogent en ces termes : « Que peuvent comprendre parents et enfants de cette injonction à utiliser à l’école des écrans auxquels vous reconnaissez par ailleurs une réelle nocivité ? » ([62])

c.   …alors que les apports du numérique dans le domaine éducatif sont, dans le meilleur des cas, modestes

Au regard des effets potentiellement délétères d’une exposition incontrôlée, quels bénéfices éducatifs peut-on espérer des écrans ? Selon une étude du Cnesco, la plus-value des outils numériques est limitée ; leur effet serait même légèrement négatif ([63]). Dans un avis publié en avril 2022, le Conseil supérieur des programmes a estimé pour sa part que « certains outils utilisés dans le cadre ordinaire de la classe p[ouvaient] s’avérer profitables pour des élèves à besoins particuliers » ([64]) – par exemple ceux ayant des déficits visuels ou auditifs. Pour les autres élèves, en revanche, il recommandait « avant l’âge de six ans, [de] ne pas exposer les enfants aux écrans et d’une manière générale à l’environnement numérique », et, de 6 à 10 ans, de « privilégier l’accès aux ressources offertes par le livre, le manuel scolaire imprimé, notamment ; sensibiliser les parents et les enseignants aux dangers d’une exposition précoce ; participer à la définition d’un code d’usage scolaire et domestique (pas de recours au numérique lorsque d’autres solutions existent ; préserver la chambre d’enfant de la présence d’écrans ; éviter la fréquentation de contenus excitants avant l’école, le matin, ou avant l’endormissement, le soir) » ([65]).

Le CSP insiste également sur le fait que des pays comme le Royaume-Uni, l’Australie ou la Suède, qui ont massivement investi pour numériser leur système éducatif, n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit. Il concluait même : « L’utilisation des ordinateurs à l’école n’entraîne une amélioration des performances en écriture et en lecture, traditionnelle et numérique, qu’en dessous d’un certain seuil d’utilisation. Au-dessus de ce seuil, non seulement les performances ne s’améliorent pas, mais elles s’aggravent. » ([66]) Ainsi, un nombre croissant d’élèves utilise les outils numériques « à des fins de contournement des difficultés d’expression écrite puisque des élèves fragiles sur ce point ont pris l’habitude de dicter des textes, qui sont ensuite directement retranscrits par un logiciel de reconnaissance vocale. Une telle pratique accélère la perte du geste graphique et l’amoindrissement de capacités cognitives qui s’y rattachent. » ([67])

Dans la lignée de l’avis publié en juin 2022 par le CSP, Mark Sherringham a redit, lors de son audition : « Il faudrait aussi s’interroger sur l’intérêt pédagogique réel de l’introduction des tablettes numériques à l’école primaire et sur ses conséquences pas forcément positives dans le domaine de l’apprentissage de la lecture et du goût pour la lecture. »

5.   Le poids excessif de certains enseignements annexes en cycle 2, au détriment des savoirs fondamentaux

Au fil des révisions des programmes et de l’émergence de nouvelles préoccupations liées à l’actualité, l’école s’est vue attribuer un nombre de fonctions croissant, alors que le temps global dévolu à l’enseignement n’a pas augmenté. Ainsi, lui ont été progressivement conférées les missions de l’éducation à la sécurité routière, à la santé, au développement durable, à la vie affective et sexuelle, etc.

Sans remettre en cause l’importance de ces différents enseignements, les rapporteurs estiment qu’ils ont conduit à réduire le temps consacré à l’apprentissage des enseignements fondamentaux. Il est vrai que ce temps reste, en France, supérieur à celui que l’on observe en moyenne dans les États de l’OCDE, et la question se pose bien sûr en termes « qualitatifs » tout autant que « quantitatifs ». Néanmoins, il semble aux rapporteurs que le cycle 2 en particulier, qui est celui des « apprentissages fondamentaux », doit se concentrer sur cette mission, qu’il n’est déjà pas facile de mener à bien, comme en témoignent les résultats médiocres des écoliers français. Il convient, en tout état de cause, de prioriser ces enseignements par rapport aux autres.

Ainsi, il est permis de s’interroger sur l’intérêt de l’éducation aux médias et à l’information (EMI), qui « n’est pas une matière à part » mais « doit être intégrée à tous les enseignements ». Son objectif est défini de la manière suivante : « À l’heure des médias de masse et des réseaux numériques, garantir à tous les élèves la maîtrise de ces compétences contribue à la réduction des inégalités culturelles et sociales ([68]). » Les rapporteurs considèrent pour leur part que le plus sûr moyen de favoriser le développement de ces compétences est de s’assurer que les élèves automatisent le décodage et affinent leur capacité globale de compréhension, laquelle est déterminante pour trouver sa place dans le monde.

C.   Les mesures adoptées pour améliorer l’enseignement de la lecture demeurent insuffisantes

1.   Les évaluations nationales doivent devenir un véritable instrument de pilotage

a.   Une appropriation croissante des évaluations…

Un certain nombre de mesures ont été prises pour résorber les faibles performances des élèves français en lecture mais n’ont pas, à ce stade, permis d’atteindre les objectifs affichés.

Ainsi, depuis la rentrée 2019, ont été développées les évaluations nationales à l’entrée en CP et en CE1. Celles-ci viennent compléter un dispositif très fourni d’outils de différentes natures, permettant aux enseignants d’estimer le niveau de leurs élèves, de repérer les élèves les plus en difficulté et, dans le meilleur des cas, de proposer des dispositifs de remédiation ou de rattrapage. Ainsi, comme l’indique la DGESCO dans le « guide orange », « au CP, l’apprentissage de la lecture doit s’évaluer tout au long de l’année dans la mesure où l’acquisition du code alphabétique peut s’acquérir à des rythmes différents » ([69]).

Alors que ces évaluations nationales ont, pendant les premiers mois et années après leur mise en place, été fortement contestées, elles semblent aujourd’hui en voie d’appropriation. Comme l’a indiqué le président du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, ce qui a constitué un véritable « cheval de bataille » serait désormais admis par la plupart des enseignants.

La Depp le confirme et constate une appropriation croissante des évaluations par la communauté éducative. Alors que seulement 18 % des enseignants indiquaient que les évaluations de mi-CP leur avaient permis de déceler des difficultés en 2019, ils étaient 42 % à l’affirmer en 2023. De manière plus significative encore, deux tiers des enseignants estiment aujourd’hui que ces évaluations sont susceptibles d’avoir une influence sur leur pratique de classe dans la mise en place de groupes de besoins, contre un tiers seulement en 2019. Les mêmes constats peuvent être dressés s’agissant des évaluations repères de CP et de CE1 pour l’année 2022 : 57 % des enseignants estiment qu’elles leur ont permis de déceler des difficultés et 68 % qu’elles sont susceptibles d’avoir une influence sur leur pratique de classe.

De même, l’IGESR indiquait, dans son rapport de 2023 sur l’appropriation des évaluations ([70]), que « les résultats aux évaluations nationales de CP, CE1 et 6° constituent une base fondamentale d’analyse et de diagnostic partagée avec les équipes pédagogiques. 88 % des IEN interrogés affirment que les résultats aux évaluations ont changé leur manière de piloter […]. Si l’on fait abstraction des résultats aux évaluations nationales de 6°, le constat est bien celui d’une appropriation générale des résultats des évaluations nationales de CP et de CE1 par l’ensemble des professionnels concernés. »

Correctement exploitées, ces évaluations nationales exhaustives pourraient constituer des outils de pilotage fin : réalisées quasiment en temps réel, elles permettent à la fois d’avoir une vision d’ensemble des performances du système éducatif – ou, en l’occurrence, de ses défaillances – et de connaître la situation de chaque académie voire de chaque établissement. Elles permettent également à des enseignants parfois isolés dans leur salle de classe, qui se comparent peu, de mieux se situer.

b.   …mais des difficultés persistantes

Ces évaluations, pourtant, souffrent encore de plusieurs difficultés.

Ainsi, le Conseil d’évaluation de l’école estime, pour sa part, que l’utilisation des évaluations n’est pas naturelle pour les enseignants, ni même pour les directeurs, dont la culture des « indicateurs » est encore trop faible, et l’interprétation tirée de ces indicateurs pour en faire des pistes d’actions pédagogiques plus faible encore.

Par ailleurs, les syndicats demeurent très critiques vis-à-vis de ces évaluations, qu’ils jugent, pour certains, chronophages (en raison, notamment, des tâches de secrétariat associées), source d’anxiété pour les élèves et leurs parents (en raison de l’introduction d’une contrainte de temps, voire d’un chronomètre), inutiles (les enseignants ayant toujours su repérer les élèves en difficulté) et insuffisamment robustes (dès lors que la manière dont elles sont mises en œuvre par les enseignants dans chaque classe n’est pas suffisamment encadrée : certains enseignants, par exemple, laisseraient davantage de temps aux élèves ou reformuleraient des consignes). Les niveaux choisis, tout comme le calendrier des évaluations, font également l’objet de reproches : certains enseignants estiment qu’elles arrivent trop tôt dans l’année, quand les oublis de l’été n’ont pas pu être compensés, d’autres qu’il est déjà trop tard et qu’ils se sont déjà fait une idée fine du niveau de leurs élèves. Le poids accordé au critère de la fluence au détriment de la compréhension du texte lu, en particulier dès lors que l’intonation (ou prosodie) n’est pas prise en compte, est aussi contesté. Enfin, certains regrettent un mode d’évaluation binaire, qui ne permet pas d’introduire de nuances dans les résultats ou de prendre en compte une réussite partielle.

Surtout, alors que ces évaluations ont pour objet de situer les élèves, de manière à proposer un accompagnement spécifique à ceux qui sont le plus en difficulté, elles n’atteignent pas leurs objectifs dans la mesure où il n’existe pas ou peu de temps à consacrer à cet accompagnement, en particulier depuis la réforme des rythmes scolaires en 2013 ([71]). En effet, comme l’indiquait l’Inspection générale de l’Éducation nationale, en 2015, dans son rapport sur l’efficacité de la réforme des rythmes scolaires ([72]), « depuis la réforme de 2008, 60 heures annuelles étaient consacrées à de l’aide personnalisée (AP) au bénéfice des élèves rencontrant des difficultés dans leurs apprentissages et au temps d’organisation proportionné correspondant ([73]). Le décret du 24 janvier 2013 a abrogé les dispositions relatives à l’aide personnalisée et instauré les activités pédagogiques complémentaires (APC), pour un horaire annualisé de 36 heures ([74]) au bénéfice des élèves ». Si ces heures peuvent bien être employées à des fins de soutien, de remédiation, d’aide aux élèves en difficulté – principalement en français et en mathématiques – ou de soutien méthodologique, elles peuvent aussi être employées de manière très différente, pour des activités prévues par le projet d’école. En tout état de cause, le nombre d’heures qu’il est possible d’y consacrer a été divisé par près de deux.

En outre, ces évaluations ont peu d’effet sur l’évolution des pratiques en classe des enseignants. Cela s’entend : une évaluation non accompagnée ne suffit en rien à modifier les pratiques pédagogiques. Ainsi, pour l’IGESR, si les évaluations constituent le plus souvent un facteur déclencheur de dispositifs hors la classe (activités pédagogiques complémentaires, RASED ([75]), ateliers inter-classes, etc.), il est beaucoup plus rare qu’elles entraînent une réflexion sur les pratiques quotidiennes en classe, les enseignants pouvant avoir du mal à prendre du recul, à questionner leurs pratiques, et n’étant pas suffisamment accompagnés sur ce point ([76]).

Enfin, ces évaluations devraient également pouvoir être utilisées pour identifier non pas uniquement les élèves, mais également les classes ou les établissements plus en difficulté, afin de proposer des formations à leurs enseignants. Si les résultats des évaluations sont transmis au IEN, aux directeurs académiques des services de l’Éducation nationale (Dasen) et aux recteurs, l’IGESR indique que « pour 87 % [des IEN], ces évaluations ont permis d’ajuster leurs formations mais seulement 8 % d’entre eux disent se servir des évaluations pour choisir les écoles qu’ils souhaitent visiter ou accompagner ». L’IGESR estime que « ce chiffre est très significatif du travail qu’il reste à mener pour faire des évaluations des leviers pour déterminer des objectifs communs et les modalités pour les atteindre » ([77]).

2.   Le dédoublement des classes en REP et REP+ présente un bilan mitigé et doit être mieux accompagné

Amorcé à la rentrée 2017, le dédoublement des classes de CP et de CE1 de réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+) puis de REP a été achevé à la rentrée 2020 et a mobilisé 10 800 postes. Le dédoublement des classes de grande section en éducation prioritaire, débuté pour sa part à la rentrée 2020, se poursuit à la rentrée scolaire 2023 et sera achevé à la rentrée 2024. En parallèle, hors réseau d’éducation prioritaire, les effectifs des classes de grande section, de CP et de CE1 ont été progressivement plafonnés à 24 élèves depuis 2020 afin de créer de meilleures conditions de scolarisation en faveur des apprentissages fondamentaux.

La Depp a mené une première étude des effets de ces dédoublements, sur une cohorte de 15 000 élèves suivis du début de CP à la fin de CE1 dont les résultats ont été comparés à ceux d’élèves proches d’un point de vue socio-économique mais n’ayant pas bénéficié de la mesure. Cette étude, qui porte sur les années 2017-2018 et 2018-2019, a montré des résultats statistiquement significatifs, mais « modérés », en particulier en français. Ainsi, le dédoublement permet de réduire l’écart de score entre les élèves des classes dédoublées et les autres de 16 % en français et de 38 % en mathématiques, sans pour autant assurer un rattrapage des uns par les autres. L’impact est positif au début, surtout au CP, puis se stabilise au cours du CE1 : le dédoublement ne contribue alors plus à réduire davantage les écarts de résultats entre les élèves de REP et les autres.

La modestie de ces résultats peut être expliquée : en effet, pour la majorité des personnes auditionnées, notamment le président du Conseil supérieur des programmes, la diminution de la taille des classes ne produit pas de résultats spectaculaires si l’on n’adapte pas la méthode utilisée : les effectifs réduits doivent être saisis comme une occasion de développer de nouveaux outils d’enseignement. L’OCDE le confirme : aucune réforme « quantitative » ne peut fonctionner sans être associée à des éléments de nature plus « qualitative », liés à l’accompagnement pédagogique en particulier.

Or il semble qu’il n’y ait pas eu de modifications significatives des pratiques pédagogiques dans les classes dédoublées. Le SGEN le confirme, « les retours montrent que peu d’enseignants ont modifié leurs méthodes pédagogiques et qu’ils reproduisent ce qu’ils faisaient auparavant mais avec un effectif moindre. Ils ont souvent été peu accompagnés pour cela, faute de temps et de personnels pour les accompagner et les former. » La Depp nuance cependant ce propos dans les conclusions de son étude sur les effets du dédoublement ([78]), indiquant que près de six enseignants de REP sur dix estiment avoir reçu un accompagnement soutenu de la mesure en 2018-2019, au travers de visites ou de réunions organisées par la circonscription pour la « prise en main » de leur classe de CP dédoublée.

Pour les rapporteurs, le dispositif du dédoublement ne peut constituer une fin en soi mais doit-être accompagné par des formations spécifiques et des pratiques pédagogiques repensées.

Enfin, des mesures de ce type sont ciblées sur une minorité d’élèves – autour de 20 % pour les classes dédoublées ([79]) – ce qui explique la faible amélioration des résultats globaux des élèves français. L’allocation des moyens vers les élèves de REP et REP+, si elle se justifie sans difficulté, peut également comporter une part d’injustice dès lors qu’elle implique des effets de seuil et écarte certains élèves ou établissements qui pourraient légitimement y prétendre.

Proposition n° 1 : Former les enseignants aux pratiques pédagogiques adaptées aux classes dédoublées.

3.   Le plan Français de formation continue constitue une avancée intéressante qui reste à approfondir

Des dispositifs de formation continue ont été mis en œuvre et progressivement renforcés pour diffuser auprès des enseignants en exercice les apports de la recherche et de la pratique en matière d’enseignement de la lecture, en particulier en CP.

Un plan de formation continue, le plan Français, a ainsi été mis en œuvre à la rentrée 2020, pour compléter la formation continue des professeurs des écoles, notamment s’agissant de l’enseignement de la lecture. Ce plan articule le besoin des enseignants de consolider leur niveau académique avec l’apprentissage des meilleurs moyens de transmettre le savoir : il a pour ambition de revenir sur le substrat académique nécessaire, tout en travaillant sur la façon de l’enseigner aux élèves. L’objectif est d’offrir à tous les professeurs des écoles, au terme d’une période de six ans, cinq jours de formation intensive en français (et la même durée en mathématiques). L’ensemble des enseignants devra avoir été formé avant 2026. Près de 130 000 enseignants ont ainsi été formés dans chaque discipline depuis 2019, dont 44 000 en 2022-2023. Au total, 54 % des enseignants ont déjà suivi le plan Français, dont deux des quatre temps de formation nationale sont spécifiquement consacrés à la lecture.

Ce plan développe la méthode dite des « constellations », et permet ainsi à des petits groupes de pairs d’échanger et d’observer les pratiques en classe des uns et des autres, sous le regard d’un conseiller pédagogique qui les guide. Ces conseillers pédagogiques disposent eux-mêmes d’une formation solide pour accompagner le déploiement du plan Français.

Cette méthode, très neuve en France, est appréciée des enseignants formés, malgré les réticences initiales de certains à ouvrir leur classe.

Selon l’IGESR, comme pour la plupart des personnes auditionnées, ce plan fonctionne bien, en particulier parce qu’il combine des apports théoriques de qualité et une approche très pragmatique : « De façon générale, les constellations sont plébiscitées par les professeurs et les formateurs, qui y voient un espace professionnel favorisant les échanges de qualité, la formation par les pairs, sans injonction de la part de l’autorité hiérarchique. » ([80])

Les directeurs d’école estiment également que ce plan est nécessaire pour expliquer l’intérêt de méthodes plutôt que d’autres, mais aussi pour que les enseignants se confrontent aux pratiques de leurs collègues et pour rompre l’isolement dans leur salle de classe, qui peut les conduire à perpétuer des pratiques inefficaces. S’il a pu y avoir une appréhension initiale des enseignants à laisser un autre adulte les observer, ceux qui ont participé aux formations en ont retiré une grande satisfaction.

Quelques difficultés persistent néanmoins. La première d’entre elles réside dans la possibilité pour les enseignants de bénéficier de ces formations, ce qui met en jeu notamment les capacités de remplacement des académies. Ainsi, pour le SGEN, « dans de très nombreux cas, les observations se voient limitées par le manque de remplacement possible des professeurs des écoles engagés dans ces constellations » ([81]). Par ailleurs, selon le syndicat des directeurs et directrices d’école, « le plan Français est intéressant pour les enseignants débutants mais paraît redondant pour les collègues expérimentés » ([82]).

En dehors du plan Français, l’offre de formation proposée sur les 18 heures annuelles obligatoires de formation des enseignants du premier degré peut varier selon les académies, et être plus ou moins adaptée aux besoins des enseignants ou aux résultats aux évaluations. Pour le SGEN, « la formation continue se limite aux 18 heures d’animation pédagogique, qui sont aujourd’hui plutôt d’ailleurs de l’information institutionnelle que de la formation. Ce temps est très insuffisant pour permettre un questionnement sur ses pratiques pédagogiques. » ([83]) Cependant, certaines académies ont pu mettre en place des actions de formation continue particulièrement intéressantes.

Des plans de formation continue spécifiques à certaines académies

En parallèle du plan Français, plusieurs académies ont également mis en place des actions de formation continue. C’est le cas, notamment, de l’académie de Paris, qui a instauré un plan spécifique à la lecture dès 2018, pour accompagner les professeurs des écoles de REP+ puis de REP, en grande section, CP et CE1.

C’est le cas également de l’académie d’Amiens qui, poussée par les faibles résultats de ses élèves (dont le niveau d’illettrisme est le plus élevé de France métropolitaine, aux tests de la Journée défense et citoyenneté), a mis en place un programme de formation de sept journées dispensées par des formateurs de haut niveau avec les ressources de l’académie de Paris. Cela a permis aux enseignants de travailler sur la méthode graphémique, l’identification de bons manuels, etc.

Les deux recteurs, entendus par les rapporteurs, mentionnent une très grande adhésion des enseignants formés, qui ont constaté les effets positifs sur leurs élèves. À Amiens, en particulier, les évaluations ont montré une forte réduction de l’écart de résultats par rapport aux attendus nationaux à la suite de la mise en œuvre de ce plan de formation. Alors que les résultats en lecture des élèves de REP ont régressé, ceux des élèves de REP+ ont augmenté en 2022. La seule variable entre les deux groupes d’élèves, le nombre de jours de formation continue (trois jours de plus pour les enseignants des classes de REP+), témoigne de l’influence que peut avoir cette formation continue sur la réussite des élèves.

À Mayotte enfin, un plan de formation continue des enseignants de CP, d’une durée de 6 à 8 mois, a également été lancé en 2021, dont les résultats sont très nets : alors qu’en 2019, seuls 30 % des élèves étaient entrés dans la lecture aux évaluations de mi-CP, ils étaient 50 % en 2023.


II.   Les voies d’un enseignement de la lecture rÉnovÉ

A.   Repenser l’ensemble des modalités de l’entrée des élèves dans la liTtératie

L’OCDE a défini la notion de « littératie » comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités » ([84]).

Cette aptitude doit faire l’objet d’un apprentissage continu, qui débute avant et se poursuit au-delà du CP, mais s’élargit aussi au-delà des seules compétences de décodage. En effet, si l’apprentissage de la lecture trouve son point culminant en classe de CP, il est bien sûr indispensable de le préparer en amont, notamment en maternelle, et de le poursuivre en aval, tout au long de l’enseignement primaire. En outre, si le décodage tient une place à part et doit être enseigné en tant que tel, il ne peut être décorrélé d’autres éléments essentiels de la maîtrise de la lecture, que sont la compréhension écrite d’une part, et l’écriture d’autre part.

1.   Prioriser l’apprentissage du décodage en CP

L’année du CP doit impérativement rendre prioritaire l’apprentissage du décodage et en faire sa mission première.

a.   Le CP : année charnière

Le CP constitue, en matière d’apprentissage de la lecture, une classe charnière, celle au cours de laquelle on gagne – ou on perd – la partie.

Le déterminisme est absolu : un élève qui sort de CP en ne maîtrisant pas le décodage de manière satisfaisante sera en très grande difficulté, probablement pour le reste de sa scolarité, et aura le plus grand mal à rattraper son retard. Selon l’Institut Montaigne, qui cite une étude française de 2007 ([85]), « un élève qui a du retard en lecture à la fin du CP a 90 % de risques d’être en difficulté à la fin de l’école primaire […]. Il faut donc faire de l’apprentissage de la lecture une priorité absolue durant les premières années de scolarisation et affirmer qu’il ne peut y avoir d’épanouissement personnel et d’intégration sociale réussie sans une maîtrise absolue de la lecture. » ([86])

Nous ne saurions nous satisfaire des résultats actuels  28 % des élèves qui ne maîtrisent pas de manière satisfaisante la compétence « lire à haute voix des mots » à l’entrée en CE1 en 2022 ([87]) particulièrement lorsqu’il est établi que l’ensemble des enfants de cet âge ont les capacités intellectuelles d’accéder à cette compétence. Comme l’indique la DGESCO, « les raisons pour lesquelles la réussite de tous, dès cette classe, est possible se situent du côté des enfants qui, à partir du moment où ils sont des êtres de langage, disposent des ressources langagières nécessaires pour entrer dans l’écrit. Excepté pour les cas d’enfants, très minoritaires, dont les difficultés ne sont pas du ressort de la pédagogie, la réussite massive de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture repose sur un principe parfaitement réaliste » ([88]). M. Jérôme Deauvieau le confirmait lors de sa conférence au Collège de France en mai 2023 : tous les enfants entrant au CP disposent « des outils essentiels de la pensée humaine que sont la capacité d’abstraction, d’analyse réflexive et le raisonnement logique ». Les échecs ne peuvent donc être imputés qu’à « l’incapacité du système scolaire à mobiliser les capacités intellectuelles des élèves en difficulté » ([89]).

b.   La nécessité d’un enseignement explicite, spécifique, soutenu et ordonné des correspondances graphèmes-phonèmes.

L’année du CP doit faire de la maîtrise et de l’automatisation du code son objectif premier.

Certes, pour certains enseignants, le temps consacré à l’enseignement rigoureux des correspondances graphèmes-phonèmes et au déchiffrage parfois austère l’est au détriment de l’accès à des textes riches de sens et du plaisir de lire. Pour les rapporteurs, c’est au contraire la maîtrise robuste du décodage qui permet d’accéder par la suite, sans réserve et sans retour en arrière possible, à la joie de la lecture. De même qu’un musicien ne peut espérer jouer un beau morceau avant d’avoir travaillé ses gammes, un lecteur doit passer par l’apprentissage méthodique des correspondances graphèmes-phonèmes pour découvrir ensuite, de façon autonome, la beauté des textes. L’apprentissage du décodage doit se faire d’autant plus vite qu’il constitue le préalable au travail sur la compréhension écrite, qui, pour sa part, s’opère sur le temps long, au cours de l’ensemble de la scolarité.

Stanislas Dehaene, aujourd’hui président du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, l’exprimait très justement en 2007 : « Paradoxalement, l’apprentissage explicite des correspondances graphèmes-phonèmes est le seul à offrir à l’enfant la liberté de lire, car lui seul donne accès à de nouveaux mots. On a bien tort d’opposer la liberté de l’enfant à l’effort et la rigueur de l’enseignement. Conquérir sa liberté de lecteur demande certes à l’enfant des efforts, mais ceux-ci sont rapidement payés en retour lorsqu’il découvre, pour la première fois qu’il parvient à lire des mots qu’il n’a jamais appris en classe. » ([90])

Cela passe par un enseignement spécifique du décodage, qui ne peut être intégré à la transmission d’un autre savoir dans le cadre d’une autre matière.

Cet enseignement doit être explicite, c’est-à-dire guidé par l’enseignant, assis sur une démonstration et des exemples, en procédant par étapes précises et ordonnées ([91]) et non implicites : ce n’est pas à l’élève de « construire son savoir », de percevoir une régularité et de tirer une règle de la fréquence avec laquelle il constate un phénomène – par exemple la correspondance entre un son et des lettres écrites – de manière non intentionnelle, sans conscience de ce qui a été appris.

Il doit organiser l’introduction rapide, dès le début de l’année scolaire, d’un grand nombre de correspondances. Les chercheurs s’accordent sur le nombre d’une quinzaine, à enseigner avant les vacances d’automne, ce que les éditeurs de manuels semblent avoir pris en compte. Ainsi, comme l’indique Roland Goigoux, « certains professeurs pensent qu’il est préférable de progresser lentement pour ne pas submerger les élèves fragiles. Or, ces derniers pâtissent d’un tempo trop lent car la combinatoire tourne à vide sur un nombre trop restreint d’unités dénuées de sens. Cela ne leur permet pas de comprendre comment elle fonctionne et à quoi elle sert. C’est un peu comme si on leur donnait quelques briques de Lego pendant plusieurs semaines : ils n’auraient pas suffisamment d’éléments pour bâtir des édifices stimulants et persévérer. » ([92])

Par ailleurs, l’ordre d’enseignement des correspondances présente également une grande importance. Comme l’indique Jérôme Riou, « l’ordre d’enseignement des correspondances graphème-phonème est une variable didactique aussi importante que la vitesse. En effet, c’est en étudiant des correspondances fréquentes en français que les enseignants offrent aux élèves la possibilité de déchiffrer des mots écrits qu’ils ne connaissent pas. Il est donc essentiel de sélectionner avec attention les correspondances à étudier en priorité […]. En effet, en mémorisant prioritairement ces correspondances, les élèves acquerront rapidement une grande autonomie de déchiffrage, autrement dit le pouvoir de déchiffrer seuls une proportion importante des écrits qui leur seront proposés en lecture. » ([93])

Sur ce point, les programmes de 2020 semblent suffisamment clairs et le « guide orange » de la DGESCO donne un grand nombre d’éléments permettant leur mise en œuvre concrète. Il importe de continuer à rappeler aux enseignants l’existence de ce guide et de les accompagner dans l’appropriation et l’application de ses recommandations, notamment grâce au travail pédagogique des inspecteurs de l’Éducation nationale (cf. infra).

c.   Affirmer la priorité accordée à l’enseignement de la lecture

Il convient par ailleurs, pour accorder à l’enseignement fondamental de la lecture le temps qui lui est nécessaire, de réduire, durant le cycle 2, ou à tout le moins en classe de CP et de CE1, celui consacré aux « enseignements à » – la sécurité routière, la santé, etc. – qui se sont multipliés ces dernières années. Si ces enseignements peuvent être justifiés et légitimes, ils ne sauraient empiéter sur le temps nécessaire à l’acquisition de la lecture, en particulier dans les classes cruciales pour la maîtrise de cette compétence. L’allègement des programmes de ces niveaux scolaires permettrait, en outre, d’accorder davantage de temps à l’accompagnement individualisé des élèves en difficulté, avant que leurs difficultés ne soient trop installées pour qu’ils puissent rattraper leur retard (cf. infra).

 

Proposition n° 2 : Réaffirmer la fonction première du CP de conduire l’ensemble des élèves à la maîtrise complète du décodage par un enseignement explicite, spécifique, soutenu et ordonné des correspondances graphèmes-phonèmes ; réduire le temps consacré aux « enseignements à » au profit de l’enseignement de la lecture.

2.   Renforcer la complémentarité des enseignements de lecture et d’écriture

L’attention portée au décodage ne doit pas conduire à négliger le fait que celui-ci se construit fortement à partir des activités d’« encodage » ([94]), c’est-à-dire d’écriture : on apprend mieux à lire lorsque l’on apprend à écrire en même temps. Encoder est ainsi le moyen le plus puissant pour comprendre le principe alphabétique et pouvoir décoder par la suite. Écrire permet, en outre, d’éduquer l’œil et la mémoire à l’orthographe et à la syntaxe.

Différentes études soulignent ainsi que l’écriture tient une place centrale dans l’apprentissage de la lecture et l’imagerie cérébrale a permis de prouver que le fait d’associer le geste de l’écriture à la vue permet d’obtenir de meilleurs résultats. Comme l’indique la DGESCO dans le « guide orange », « il a en effet été montré que la production manuscrite des lettres permet une meilleure mémorisation des mots écrits et aussi une meilleure reconnaissance en lecture, la mémoire sensorimotrice venant assister la mémoire visuelle » ([95]). La DGESCO précise, dans ce même guide, que « l’apprentissage du geste de l’écriture améliore l’apprentissage de la lecture et le simple tracé de lettres avec les doigts y contribue dès la maternelle. Le geste d’écriture va permettre à l’élève de s’orienter dans l’espace et de comprendre le sens de lecture mais aussi favoriser le déchiffrage de la lecture manuscrite […]. Le geste répété va également permettre au cerveau de désapprendre la ressemblance des lettres miroirs (b, p, d, q). » ([96])

C’est pourquoi un apprentissage et un entraînement rigoureux sont nécessaires pour bien tenir un crayon, bien former les lettres, les inscrire correctement dans l’espace des lignes et de la page. Cet apprentissage « doit absolument se maintenir sans rien céder au clavier, comme cela devient tentant parfois » ([97]).

Si les programmes de 2020 accordent une place importante à l’écrit, et à la nécessaire complémentarité entre les activités d’encodage et de décodage ([98]), il semble pourtant que l’écriture soit une activité trop peu pratiquée tout au long de l’école élémentaire. Comme le mentionne l’IGESR dans son rapport sur l’appropriation des évaluations de CP et de CE1 ([99]), la pratique de l’écrit s’étiole autant que celle de la lecture orale, en raison du recul de la prise de notes, de la place croissante des photocopies ou encore de l’usage excessif des textes à trous. Ainsi, « l’apprentissage de l’écriture reste à consolider […]. Les activités de mémorisation orthographique et grammaticale, notamment par des exercices de dictées, sont moyennement fréquentes en dépit d’une recommandation officielle qui prescrit une dictée quotidienne ([100]). La mission observe l’usage massif de photocopies et de fichiers qui, outre leur impact environnemental, réduit considérablement le temps d’écriture des élèves dans toutes les disciplines et empêche certains de bien automatiser la graphie ainsi que les règles de la langue. Ce moindre recours à l’écriture des élèves exerce également un effet négatif sur la mémoire. »

En conséquence, les compétences en orthographe diminuent d’année en année. Comme l’indique la Depp ([101]), les élèves évalués dans le cadre d’une dictée en CM2 en 2021 ont de moins bons résultats en orthographe que ceux évalués en 1987, 2007 et 2015. En 2021, les élèves faisaient en moyenne 19,4 erreurs contre 18 en 2015, 14,7 en 2007 et 10,7 en 1987. Plus grave encore, comme indiqué par le directeur général de l’enseignement scolaire lors de son audition, certains élèves arrivent en sixième en n’étant pas capables d’écrire quelques lignes ou de faire une « connexion entre la lecture et l’écriture ».

C’est pourquoi il est nécessaire de rappeler le rôle essentiel de la pratique de l’écrit à l’école primaire, qu’il s’agisse de l’association étroite entre le décodage et l’encodage en classe de CP et de CE1, ou de l’entraînement régulier tout au long de la scolarité primaire.

 

Proposition n° 3 : Renforcer la pratique de l’écrit à l’école primaire, en associant étroitement décodage et encodage en CP et en CE1 puis en promouvant des exercices d’écriture fréquents tout au long de la scolarité primaire.

3.   Travailler la compréhension orale et écrite en particulier avant et après le CP

La lecture est le produit de deux compétences : le décodage, d’une part, et la compréhension, d’autre part. Un élève qui saurait décoder sans comprendre ce qu’il énonce ne pourrait être considéré comme un lecteur à part entière ; a contrario, un élève qui comprendrait ce qu’on lui lit sans être capable de lire lui-même ne le serait bien sûr pas davantage. Le Conseil scientifique l’exprime ainsi ([102]) : « Un faible niveau de décodage entraîne une faible compréhension écrite, même si la compréhension orale est bonne ; un faible niveau de compréhension orale entraîne aussi un faible niveau de compréhension écrite, même si le niveau de décodage est bon ».

Les chercheurs s’opposent parfois sur la nécessité de dispenser ces deux enseignements de manière successive ou simultanée. Pour les rapporteurs, le travail sur la compréhension doit essentiellement avoir lieu en amont du CP, à l’école maternelle, pour ce qui concerne la compréhension orale et l’accès au vocabulaire, et en aval, tout au long de la scolarité, pour ce qui concerne la capacité à interpréter un texte et à y déceler les informations pertinentes. Les exercices de compréhension effectués en CP doivent rester subordonnés à l’apprentissage prioritaire du décodage et, le cas échéant, être principalement organisés sur des supports et à des moments distincts.

a.   Le rôle crucial de la maternelle pour développer un « bain de langage »

Le rôle de la maternelle est fondamental, car c’est bien elle qui donne aux enfants la possibilité future d’apprendre à lire, en leur permettant d’accéder à la compréhension du vocabulaire, mais aussi de développer une conscience phonologique. De même, pour le professeur Dehaene, il est impossible d’apprendre à lire sans vocabulaire.

Or les évaluations d’entrée en CP permettent de constater que les élèves de fin de maternelle ont des déficits lexicaux très marqués, en particulier lorsqu’ils sont issus de catégories socioprofessionnelles peu favorisées : ainsi, l’écart de pratique familiale du langage atteint, à quatre ans, près de 1 000 heures selon le milieu social et le différentiel de mots maîtrisés à six ans s’élève à 1 000 à l’avantage des enfants issus de milieux favorisés ([103]). De plus, comme l’indique l’Institut Montaigne dans sa note d’action sur les inégalités scolaires ([104]), « lorsqu’ils entrent au CP, beaucoup trop d’élèves n’ont pas suffisamment conscience que la langue se décompose en sons (la conscience phonologique) et ne maîtrisent pas suffisamment de mots de vocabulaire. Dans ce contexte, il est dès lors difficile, tant pour les professeurs de CP d’enseigner la lecture dans les temps impartis, qu’aux enseignants de CE1 d’enseigner les bases grammaticales. »

C’est pourtant au cours de ces premières années de scolarisation que le vocabulaire des enfants, leur connaissance d’un nombre important de mots, de tournures de phrases, et leur ouverture sur le monde, doivent être renforcés. Cela est particulièrement important pour les enfants allophones. Comme l’indique le professeur Roland Goigoux, « l’enseignement de la lecture ne commence pas au CP mais en maternelle. Négliger cette première étape et ne pas harmoniser leurs objectifs constitue une erreur. C’est à l’école maternelle que les élèves découvrent le principe alphabétique, font leurs premiers essais d’écriture, se familiarisent avec la langue et la culture écrite. » ([105]) L’Institut Montaigne le confirme dans sa note d’action précitée : « L’abaissement de l’instruction obligatoire à trois ans, instaurée par la loi pour une école de la confiance, promulguée le 28 juillet 2019, a permis de mettre en exergue le rôle indispensable des enseignants de l’école maternelle. Cette loi invite désormais à penser la petite section de maternelle comme "le vrai début de la scolarité". » ([106])

C’est pourquoi la maternelle ne doit pas constituer un cycle clos, mais bien être une propédeutique de l’école primaire, dont la vocation principale doit être de préparer l’entrée en CP. Cela passe, notamment, par la mise en œuvre d’un travail important sur le langage, les sons et les lettres, la maîtrise de la chaîne anaphorique, mais également la compréhension d’histoires orales. Le rapport de synthèse du CSEN sur l’acquisition du vocabulaire à la maternelle ([107]) indique ainsi que « le travail sur les sons de la langue à travers comptines, jeux d’intrus, etc. sert et le développement du langage oral et, plus tard, l’apprentissage de la lecture. La lecture de livres à haute voix enrichit fortement ce bain de langage car elle expose l’enfant à des concepts, un vocabulaire et des tournures grammaticales plus riches et plus variées. » ([108])

Selon le Conseil scientifique, des améliorations sensibles pourraient être apportées à l’enseignement en maternelle, mais requièrent d’établir des lignes directrices claires sur les objectifs recherchés et la manière de les atteindre. Sur ce point, il est intéressant de noter que le recteur de Créteil de 2018 à 2023, Daniel Auverlot, avait délibérément choisi d’orienter les formations en constellations du plan Français en priorité sur les enseignants de maternelle, qui présentaient une importance particulière pour la maîtrise de la langue française, puis de la lecture, pour les élèves scolarisés dans cette académie.

La DGESCO a, à ce titre, publié en février 2020 un guide spécifique pour préparer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à l’école maternelle ([109]). Ce guide précise que « dès l’école maternelle, l’élève doit développer des habiletés langagières et cognitives pour entrer efficacement dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture au moment où cet enseignement formel lui sera dispensé au cours préparatoire. Une solide conscience phonologique, la connaissance des lettres et la connaissance du principe alphabétique sont des prédicteurs de la réussite ultérieure en lecture-écriture. » Le guide donne des pistes pour développer les habiletés phonologiques (« de la conscience phonologique vers la conscience phonémique » ; « organisation et modalités de cet enseignement » ; « quelle progressivité envisager ? ») et avancer vers la découverte du principe alphabétique (« pourquoi est-il si important d’apprendre les lettres ? » ; « comment mettre en œuvre cet enseignement ? »).

Le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse a annoncé, en décembre 2023, la refonte des programmes de maternelle pour la rentrée 2024. Cette occasion doit être saisie pour, d’une part, clarifier les attendus de la maternelle s’agissant de la préparation de l’apprentissage de la lecture et, d’autre part, regrouper en un même cycle les niveaux de grande section, CP et CE1, tant ces trois niveaux scolaires sont liés les uns aux autres et doivent constituer un continuum, une progression continue pour l’apprentissage de la lecture.

Proposition n° 4 : Clarifier les attendus de la maternelle en ce qui concerne la préparation de l’apprentissage de la lecture dans le cadre de la refonte des programmes annoncée pour la rentrée 2024.

Proposition n° 5 : Regrouper en un même cycle les niveaux de grande section, CP et CE1 pour une nécessaire continuité entre ces niveaux concernés par l’apprentissage de la lecture.

b.   Un travail sur la compréhension en CP principalement sur des supports et des temps distincts de ceux consacrés à l’apprentissage du décodage

Pour plusieurs chercheurs, interrompre le travail sur la compréhension en CP pour consacrer pleinement cette année au décodage présenterait des risques, en particulier pour les enfants issus de milieux défavorisés.

Ainsi, selon Jérôme Riou, « à ce jour, aucune étude scientifique n’a permis d’accréditer la thèse selon laquelle il faut utiliser des écrits entièrement déchiffrables au CP, tout miser sur le décodage et délaisser ne serait-ce que momentanément l’enseignement de la compréhension » ([110]). De même, pour la FSU, « le lire-écrire est conçu dans une logique étapiste, faisant de la maîtrise du décodage des textes un préalable à l’accès à leur compréhension, alors que les travaux en didactique montrent une imbrication du déchiffrage et des activités intellectuelles relevant de la compréhension, particulièrement pour une langue française écrite où l’orthographe des mots intègre des marqueurs de sens (accords, etc.) » ([111]).

Pour les rapporteurs, qui entendent ces remarques, lorsque des activités de compréhension sont organisées en CP, elles doivent l’être sur des supports distincts de ceux employés pour l’apprentissage du décodage – lesquels doivent être déchiffrables – et sur des temps également distincts. Cela rejoint les recommandations du professeur Roland Goigoux, qui indiquait qu’« il semble néfaste, pour les enfants issus de milieux sociaux défavorisés, d’interrompre pendant deux ans (CP et CE1) le travail amorcé au cours des trois années d’école maternelle. Il serait préférable de poursuivre le travail sur la compréhension des textes écrits en parallèle de celui du code […]. [Cette] position est conforme au programme en vigueur, celui de 2015, qui précise que l’enseignement de la compréhension ne doit pas être interrompu mais doit s’exercer sur d’autres supports que ceux utilisés pour étudier le code alphabétique. » ([112])

Cette compétence peut, notamment, être exercée à partir de lectures effectuées par l’enseignant, sur des textes dits « résistants », qui ne livrent pas leur sens facilement, dans la continuité du travail effectué en maternelle. Cela permet en effet de développer un grand nombre d’aptitudes : la mémoire auditive et les capacités de concentration et d’écoute ; l’imagination ; l’acculturation au langage écrit avec la construction des connaissances lexicales et syntaxiques ; les compétences langagières ; la découverte de la littérature, etc.

Le CSEN le confirme : « Tant que l’élève ne sait pas lire (en maternelle et en début de CP), les activités autour de la compréhension doivent être abordées à partir de textes lus par l’enseignant » ([113]).

Au fil de l’année, dès lors que l’acquisition du décodage progresse, l’élève peut également travailler à la compréhension des textes lus en autonomie, sans pour autant que cela conduise à revenir sur le caractère strictement déchiffrable de ces textes. Ainsi, le « guide orange » précise : « Au cours préparatoire, dès que l’élève est en mesure de déchiffrer, c’est avec le texte sous les yeux, guidés par le professeur, que les élèves apprennent véritablement à accéder au sens […]. Les élèves prennent l’habitude de porter leur attention sur chacun des mots, d’en interroger le sens, de prendre des indices éclairant la compréhension, tels que les marqueurs grammaticaux et la ponctuation. » Progressivement, le travail de compréhension sur des textes entendus peut ainsi être réduit au profit de la compréhension de textes déchiffrés par l’élève lui-même.

Proposition n° 6 : Dispenser l’enseignement de la compréhension et celui du décodage, en classe de CP, sur des supports et des temps d’apprentissage clairement distincts, jusqu’à ce que l’élève soit en mesure de déchiffrer seul des textes complets.

c.   L’importance de l’enseignement de la compréhension tout au long de la scolarité pour une maîtrise effective de la lecture

Au-delà de la maternelle et du CP, le travail sur la compréhension doit se poursuivre tout au long de la scolarité, tant elle constitue à la fois la « seconde jambe » sur laquelle repose la lecture, et la finalité de celle-ci. C’est sur ces compétences de compréhension, essentielles pour réduire les inégalités sociales et scolaires, que les résultats des élèves français aux évaluations internationales sont les plus faibles (cf. supra) et témoignent d’un lien persistant entre inégalités sociales et capacités de compréhension de l’écrit. Comme l’indique le « guide orange » de la DGESCO, « sans que cela remette en cause la nécessité de changements importants dans la conduite de l’apprentissage du déchiffrage, les résultats de l’enquête PIRLS (2016) montrent, avec d’autres, que la compréhension de l’écrit doit faire l’objet, en France, d’une attention nettement plus soutenue ».

Le rôle de l’école s’agissant de l’enseignement de la compréhension de l’écrit est fondamental, particulièrement pour les élèves les moins favorisés socialement. Selon le professeur Roland Goigoux, « les inégalités se perpétuent si l’école délègue aux familles une part du travail qui lui incombe […]. La compréhension des textes lus ou entendus requiert diverses compétences que l’école doit toutes enseigner pour espérer jouer un rôle compensatoire. Elle doit le faire de manière précoce et continue (cycles 1, 2 et 3) compte tenu de l’ampleur des besoins » ([114]). De même, selon la FSU, « il est essentiel au cycle 3 d’acculturer les élèves à l’ensemble des dimensions de l’écrit, dont les dimensions culturelles, qui sont fonction des disciplines. Quand ces aspects sont évincés de la classe, seuls les élèves qui ont accès à ces dimensions dans leur cadre familial peuvent les mobiliser pour affiner leurs compétences de lecteur, ce qui participe d’une augmentation des inégalités scolaires. » ([115])

Pourtant, comme l’indique la Depp, l’enseignement de la compréhension écrite est moins développé en France que dans d’autre États de l’OCDE : « Les professeurs français sont moins nombreux que leurs collègues européens à déclarer proposer à leurs élèves de manière quotidienne ou hebdomadaire des activités susceptibles de développer leurs stratégies et leurs compétences en compréhension de l’écrit » ([116]). En moyenne, l’écart sur l’ensemble de ces activités est de 15 points au détriment des professeurs français, et supérieur pour les activités relevant des processus de compréhension les plus complexes. Par ailleurs, ces compétences sont travaillées plus tôt dans le cursus des autres États de l’Union européenne.

En outre, la compréhension de la langue française écrite, déjà trop peu travaillée, l’est, le plus souvent, sur la base de questionnaires basiques qui ne permettent ni de mener une réflexion ou une étude en profondeur ni de développer une véritable méthode ou stratégie de compréhension. L’IGESR regrette ainsi, dans un rapport d’avril 2022 sur l’enseignement en cours moyen, que « le travail engagé sur la compréhension relève en réalité davantage de l’évaluation, par questionnaire à réponses courtes ou QCM le plus souvent, que de l’enseignement. Les traces écrites d’une "méthodologie", de la compréhension sont extrêmement rares » ([117]). Pourtant, l’enseignement explicite de stratégies de compréhension est la méthode d’enseignement la plus favorable aux progrès de l’élève ([118]). Parmi ces stratégies, figurent par exemple l’attention aux relations entre les mots, aux connaissances grammaticales, aux liens entre les phrases, à la ponctuation ou encore la capacité à effectuer des inférences (relations logiques entre deux actions, identification du personnage auquel renvoie un pronom, etc.). Pour la DGESCO, « ce sont ces différentes dimensions de la compréhension qui doivent pouvoir être identifiées, explicitées et enseignées, en relation avec les différents types de textes et de documents qu’un élève est susceptible de rencontrer au cours de sa scolarité » ([119]).

Pour les rapporteurs, le travail sur la compréhension écrite doit impérativement se poursuivre tout au long de la scolarité, en particulier en fin de cycle 2 et au cycle 3, et faire l’objet d’un enseignement explicite, reposant sur une méthodologie robuste. La refonte des programmes annoncée par le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse pour la rentrée 2024 pour les classes de CP, CE1 et CE2 et pour la rentrée 2025 pour les classes de CM1 et CM2 peut être l’occasion de poursuivre cette réflexion.

Proposition n° 7 : Accentuer le travail sur la compréhension écrite au cycle 3 sous la forme d’un enseignement explicite et d’une méthodologie robuste.


4.   Poursuivre et faire évoluer la prise en charge des élèves en difficulté

L’accompagnement des élèves en difficulté doit faire l’objet d’une attention particulière, s’agissant des difficultés de lecture. En effet, si la difficulté de lecture n’est pas une fatalité, il ne s’agit pas non plus d’une difficulté scolaire comme une autre : des élèves qui savent lire rattraperont éventuellement un retard en histoire ou en sciences tandis que le déficit d’apprentissage de la lecture sera irrattrapable, d’autant plus que les programmes scolaires des années de primaire, notamment du CE1, sont chargés et ne permettent pas de revenir sur ce qui n’aurait pas été acquis auparavant. Le directeur général de l’enseignement scolaire le confirmait : si une difficulté de lecture s’installe en CP, il est presque déjà trop tard.

Pourtant, les enseignants ne perçoivent pas toujours cette difficulté comme « plus grave » que les autres. Par ailleurs, ils sont formés pour faire cours à un public « moyen » mais non à des élèves individuels de niveaux différents, et ne s’estiment pas toujours en capacité de prendre en charge la difficulté scolaire : leur première demande de formation, de manière générale, concerne la gestion de l’hétérogénéité d’une classe.

Le SGEN le confirme : « L’hétérogénéité des classes est source de difficulté pour beaucoup d’enseignants, qui n’ont pas appris à la gérer. Un enseignant est aujourd’hui le plus souvent seul face aux difficultés d’apprentissage d’un élève et n’a souvent personne pour l’aider dans la démarche de remédiation. » ([120])

L’IGESR l’indique également ([121]) : « L’école reste encore peu adaptée à la diversité des élèves et peine à s’emparer de l’hétérogénéité dans les classes pour en faire une composante de la réussite de tous les élèves. Les méthodes pédagogiques frappent parfois par leur caractère répétitif, sans souci d’une diversification des démarches susceptibles de s’adapter à tous les profils d’élèves […]. Une hétérogénéité trop importante, lorsque les difficultés ne sont pas résolues au fur et à mesure qu’elles se présentent, devient au fil du temps impossible à gérer pour un enseignant ordinaire dans une classe ordinaire. »

À ce titre, la prise en charge et l’accompagnement des élèves atteints d’un ou plusieurs troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage – dont la dyslexie –, qui représentent 6 % à 8 % des enfants d’une classe d’âge, constitue un enjeu particulièrement important et difficile à traiter (cf. encadré ci-dessous). De la même manière, l’inclusion pose aux enseignants des défis nouveaux, que tous ne se sentent pas en mesure de relever. C’est en particulier le cas lorsque les élèves en situation de handicap présentent des troubles du comportement qui peuvent perturber leurs apprentissages et ceux de leurs camarades de classe.

La prise en charge des élèves dyslexiques

La prise en charge de la dyslexie représente un enjeu particulièrement important pour l’apprentissage de la lecture par le plus grand nombre d’élèves.

Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) dits troubles « dys » (dysphasie, dyslexie, dyscalculie, dyspraxie, etc.) touchent environ 6 à 8 % des enfants d’une classe d’âge et 19,6 % des élèves reconnus en situation de handicap par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Ils sont caractérisés par des difficultés significatives et persistantes dans l’apprentissage des compétences scolaires, incluant la lecture, l’écriture ou les mathématiques, qui affectent la performance des élèves et les conduisent à avoir des résultats en deçà de ceux attendus pour leur âge et leur niveau intellectuel. Parmi ces troubles, ceux qui concernent spécifiquement la lecture – et constituent donc la dyslexie au sens strict – se manifestent dans la précision de la lecture de mots, la fluence ou encore la compréhension.

Selon la Fédération française des Dys, ces troubles sont repérés très tardivement car les enseignants ne sont pas formés à identifier les signes d’alerte ni à proposer une pédagogie adaptée qui permettrait aux enfants d’accéder au contenu de l’enseignement donné, malgré leurs difficultés.

La Fédération française des Dys formule plusieurs recommandations pour la bonne prise en charge des élèves concernés dans le système scolaire, en particulier s’agissant de l’apprentissage de la lecture :

– former tous les enseignants à identifier les signes d’alerte, ce qui requiert de connaître les mécanismes mentaux sur lesquels reposent les apprentissages ;

– mettre en place un dépistage systématique des troubles dys pour chaque élève, dès l’école maternelle, idéalement entre la moyenne et la grande section de maternelle, puis au CP ;

– agir dès le CP et pendant toute la scolarité, notamment selon l’exemple du dispositif PTAL (prévention des troubles de l’apprentissage langagier) de « Paris Santé Réussite » qui a été évalué et pourrait être généralisé dans les établissements scolaires ;

– se concentrer, lors de la phase d’apprentissage de la lecture, sur les correspondances graphèmes-phonèmes et limiter à deux ou trois les mots-outils utilisés. Il est possible que pour certains enfants « dys », l’identification des mots-outils soit plus difficile et doive être soutenue par une mise en gras ou une colorisation spécifique ;

– adapter les manuels, en retenant une police sans serif, de grosse taille (20 au minimum), avec un double interligne, en évitant les textes ou phrases en écriture cursive, l’italique et les images décoratives et en adoptant une présentation simple et aérée.

Certes, les enseignants consacrent davantage de temps que la moyenne européenne aux activités de langue (8 heures 30 hebdomadaires de français contre 6 heures ailleurs, dont 4 heures 30 pour la lecture contre 3 heures 30 ailleurs), mais ils sont moins nombreux à adopter des mesures de différenciation pédagogique : 16 % en France contre 36 % ailleurs ([122]).

De plus, si les évaluations permettent d’identifier les élèves en difficulté, ou contribuent à le faire, elles ne permettent pas d’ajouter des heures de classe aux semaines déjà très chargées. Alors que, dans le modèle anglo-saxon, il est courant que l’enseignant puisse consacrer trois à quatre fois par semaine trente à quarante‑cinq minutes d’accompagnement aux élèves en difficulté, les deux heures d’aide personnalisée, qui existaient en France avant 2013, ont été supprimées lors de la réforme des rythmes scolaires et remplacées par le dispositif des activités pédagogiques complémentaires, à la fois moins spécifiquement axé sur le soutien aux élèves en difficulté, et pour un volume horaire près de deux fois inférieur (trente-six heures et non plus soixante). Le système français, en particulier par les évaluations, permet ainsi le repérage des élèves en difficulté ou fragiles, et donne l’injonction de faire particulièrement attention à ces élèves, sans pour autant fournir les moyens de les prendre en charge de manière spécifique. Ainsi, alors que le Cnesco recommandait, dans les conclusions de la conférence de consensus de 2016 ([123]), de poursuivre l’étude des correspondances graphèmes-phonèmes tant que l’élève connaît des difficultés de décodage, tout au long du cycle 2 voire du cycle 3, cette recommandation semble aujourd’hui impossible à mettre en œuvre en pratique, faute de temps.

C’est pourquoi les rapporteurs recommandent de réorienter les missions de la réserve citoyenne de l’Éducation nationale, pour permettre à des volontaires – par exemple des enseignants retraités – de venir, une ou deux heures par semaine, épauler un enseignant dans sa classe et lui offrir la possibilité de se consacrer aux élèves les plus en difficulté en mettant en place un accompagnement plus individualisé de ces élèves. Cela ne nuirait en aucune manière aux autres, qui bénéficieraient ponctuellement d’un temps d’enseignement – et pourquoi pas de lecture partagée – par un autre adulte ayant, le cas échéant, exercé dans le domaine de l’éducation.

Cette réserve citoyenne existe depuis 2015, au sein de chaque académie : elle permet aux équipes éducatives des écoles et établissements scolaires, publics et privés, de faire appel plus facilement à des intervenants extérieurs pour illustrer leur enseignement ou leurs activités éducatives. Le site institutionnel du ministère de l’Éducation nationale précise que cette réserve a essentiellement pour objet de « permettre à l’École de trouver parmi les forces vives de la société civile des personnes qui s’engagent aux côtés des enseignants et des équipes éducatives pour la transmission des valeurs de la République », notamment en matière de laïcité, d’égalité hommes-femmes ou de lutte contre les discriminations, et précise que la sollicitation peut se faire « dans le cadre des programmes, des différents parcours (parcours citoyen, parcours avenir, parcours éducatif de santé, parcours éducatif artistique et culturel) mais aussi dans le cadre d’actions éducatives mises en place par l’école ou l’établissement : 8 mars, semaine de la persévérance scolaire, semaine de la presse, etc. ». La réserve est ouverte à toutes les personnes majeures ([124]).

Il convient de réorienter cette réserve notamment vers l’amélioration des compétences des élèves en lecture, par un appui aux professeurs des écoles permettant à ceux-ci de mettre en place un enseignement plus individualisé, en particulier pour les élèves les plus en difficulté.

Proposition n° 8 : Réorienter la réserve citoyenne de l’Éducation nationale sur les compétences des élèves en lecture, par un appui aux professeurs leur permettant de proposer ponctuellement un enseignement plus individualisé aux élèves en difficulté.

Par ailleurs, lors de ses annonces de décembre 2023 formulées dans le cadre du « choc des savoirs », l’alors ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, M. Gabriel Attal, a mentionné la nécessité de « sortir d’une doctrine de passage quasi systématique en classe supérieure », dès l’école élémentaire. Les rapporteurs abondent en ce sens et estiment que le passage en CE1 d’un élève qui ne maîtrise pas la lecture peut lui porter préjudice pour le reste de sa scolarité. Le dossier de presse du « choc des savoirs » ([125]) indique ainsi que seulement 4,5 % des élèves de fin de primaire ont redoublé au moins une fois dans leur scolarité, contre près d’un tiers des élèves à la fin des années 1980. Cela ne témoigne pas d’une amélioration du niveau des élèves, mais bien d’une évolution de la doctrine du redoublement, rendu « exceptionnel » et conditionné à l’accord des parents en 2014, sans pour autant que des dispositifs alternatifs de remise à niveau ne soient proposés. Ainsi, « si 98 % des élèves passent aujourd’hui chaque année du CP au CE1, 15 % ne maîtrisent pas la compréhension des textes à l’oral et 8 % ne lisent pas correctement des nombres entiers » ([126]). Loin d’être stigmatisant, un redoublement doit être, en ce cas, perçu comme la simple prise en compte objective du fait que certains élèves, en particulier les plus jeunes, peuvent avoir besoin de davantage de temps que d’autres pour acquérir certaines compétences et, de fait, la recherche scientifique montre qu’il peut être efficace s’il intervient dès les petites classes ([127]). Consacrer une année d’enseignement supplémentaire serait alors tout sauf une « punition », mais bien une manière « d’investir plus pour ceux qui en ont le plus besoin ».

Le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse propose, dans un premier temps, et dès la rentrée scolaire prochaine, la mise en œuvre de différents dispositifs de remédiation pour les élèves dont les tests de positionnement de début et mi-année montreraient la nécessité d’un rattrapage. « Dès le mois de février, les professeurs pourront proposer à ces élèves un parcours renforcé en temps scolaire et des stages de réussite durant les vacances scolaires ». Si ces périodes de remise à niveau ne sont pas suffisantes, « l’élève ne maîtrisant pas la lecture en fin de CP redoublera son année dans le cadre d’un parcours adapté, par exemple dans une classe à deux niveaux ou avec des aménagements horaires », sans que la famille puisse avoir le dernier mot sur ce point, l’équipe pédagogique étant seule en mesure de déterminer si les difficultés d’un élève lui font courir un risque excessif d’échec en cas de passage dans le niveau supérieur.

Les rapporteurs approuvent sans réserve ces mesures, dont les résultats devraient rapidement pouvoir être estimés : les évaluations de CE1, puis de CM1 et de sixième permettront ainsi de mesurer l’élévation du niveau de lecture des élèves qui en découlera.

B.   Pour une véritable politique des manuels d’apprentissage de la lecture

1.   L’importance des manuels dans la démarche pédagogique, en particulier pour les enseignants en début de carrière

Les rapporteurs considèrent que les manuels d’apprentissage de la lecture sont des supports pédagogiques déterminants.

Les professeurs des écoles frais émoulus des Inspé sont mal préparés à prendre en charge une classe. La plupart n’ont eu que quelques heures de formation consacrées à l’apprentissage de la lecture. Or on ne saurait trop insister sur la spécificité et l’importance de la fonction d’alphabétisation. La responsabilité des enseignants de CP est colossale : « On demande à ces pauvres collègues de prendre la responsabilité de faire entrer une cohorte entière dans l’écrit », a ainsi déclaré Jérôme Deauvieau lors de son audition.

Faute d’avoir été suffisamment accompagnés, beaucoup pensent bien faire en se documentant de leur côté et en piochant ici des renseignements, là des exercices, notamment sur internet, en photocopiant des extraits de plusieurs manuels, en se fondant sur des documents partagés par d’autres collègues. Le risque d’une telle approche, particulièrement quand les enseignants ont peu d’expérience devant une classe de CP, est un manque de cohérence et de progressivité de l’enseignement. Un manuel, même s’il présente des insuffisances, a le mérite de proposer une progression pensée, un cheminement pédagogique répondant à une certaine logique. Comme l’a souligné Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, lors de son audition, « mieux vaut un mauvais manuel que pas de manuel du tout ». Mélanger plusieurs méthodes d’apprentissage peut en effet se révéler contre-productif. En outre, l’utilisation d’un manuel permet d’être sûr que l’on suit une progression réfléchie, organisée, et que l’on n’occulte pas un élément important de l’apprentissage.

Il convient, d’abord, de restaurer la place des manuels dans les instructions officielles. Les programmes de 2008 indiquaient : « L’appui sur un manuel de qualité est un gage de succès pour cet enseignement délicat. » Dans les programmes actualisés en 2020 : l’« utilisation des manuels ou/et des outils élaborés par la classe, notamment comme aides pour écrire » est évoquée parmi les « exemples de situations, d’activités et d’outils pour l’élève » illustrant la compétence « Identifier des mots de manière de plus en plus aisée ». Il faut insister, dans le respect de la liberté pédagogique, sur l’intérêt pour les enseignants de CP de construire la progression de l’élève en se fondant sur un manuel, gage d’une démarche raisonnée.

Dans leur réponse au questionnaire des rapporteurs, Les Éditeurs d’éducation ont expliqué : « Les éditeurs scolaires proposent des guides pédagogiques de plus en plus "clé en main", véritables outils de formation, afin d’améliorer les pratiques des enseignants et les accompagner au mieux dans la prise en main et la compréhension de la démarche. Nous essayons de proposer ainsi aux enseignants tous les outils dont ils pourraient avoir besoin directement dans la méthode : cahier de code, cahier d’écriture, supports numériques, matériel, supports de différenciation, etc. » Cette démarche est effectivement de nature à permettre aux enseignants de guider les élèves de façon efficace dans la découverte de l’écrit.

La grande majorité des professionnels et spécialistes entendus par les rapporteurs se sont déclarés convaincus de l’utilité d’un manuel, en particulier pour les jeunes enseignants. Jérôme Deauvieau a lancé en 2021 une enquête en ligne intitulée « Formalect », à laquelle ont répondu 9 342 enseignants de CP – soit près de 20 % de l’ensemble –, apprenant à lire à près de 140 000 élèves. Les résultats de cette vaste enquête, qui devraient être publiés en janvier 2024, semblent confirmer l’intérêt que présente l’utilisation d’un – bon – manuel.

Roland Goigoux, tout en étant très mesuré quant à l’importance de l’« effet manuel », a concédé que l’utilisation d’un manuel pouvait présenter un intérêt pour un jeune enseignant : « Les enseignants débutants ont besoin de manuels pour enseigner et pour apprendre à le faire en se nourrissant de l’expérience accumulée par leurs aînés. Les manuels portent la trace sédimentée de cette expérience, sauf lorsqu’ils sont conçus en laboratoire sans interaction avec les professionnels. » ([128]) Comme l’a indiqué la cheffe de l’IGESR lors de son audition, le manuel « est un garde-fou pour des enseignants faiblement formés en formation initiale ».

Outre le fait qu’il offre un cadre sécurisant à l’enseignant, le manuel propose une progression cohérente et raisonnée facilitant l’entrée dans l’écrit. En outre, il a l’avantage de permettre aux parents de suivre l’apprentissage de leur enfant, voire de l’accompagner. Enfin, les rapporteurs considèrent que l’on ne saurait sous-estimer l’importance de l’objet en lui-même : le manuel peut être le compagnon d’apprentissage de l’enfant, dont le souvenir reste souvent vivace, même après de nombreuses années.

Tout en rappelant que ce n’est pas le manuel qui enseigne, mais bien l’enseignant, le Conseil scientifique indique que « la formation des enseignants est insuffisante sur leur intérêt, leur existence, leur choix et leur utilisation […]. On peut craindre qu’un manuel mal conçu puisse induire, notamment chez les enseignants débutants, des pratiques peu efficaces » ([129]). C’est précisément pour cette raison qu’il est indispensable de s’assurer de la qualité des ouvrages proposés. Par ailleurs, ce constat conduit à souligner le fait que la formation dispensée dans les Inspé aux futurs professeurs des écoles doit comprendre la construction d’une réflexion sur la pertinence relative d’un manuel par rapport à un autre.

L’« objet manuel » en lui-même est important. À cet égard, l’ouvrage se suffit à lui-même, et il n’est pas utile de le compléter par une interface numérique. Les Éditeurs d’éducation ont ainsi déclaré : « Nous tenons […] à réaffirmer l’importance du livre et du format relié pour un élève et ses parents. Il nous semble aussi important de ne pas déstabiliser les enfants avec une multitude de formats différents : la stabilité de la forme des activités est rassurante, sans charge cognitive lourde ; l’enfant sait ce qu’il a à faire et il peut ainsi se concentrer sur les contenus, c’est-à-dire les apprentissages. »

Compte tenu de l’importance que revêtent les manuels de lecture, il paraît légitime que la puissance publique s’assure de leur qualité, tout en préservant la liberté éditoriale et le choix des enseignants. C’est pourquoi les rapporteurs recommandent d’envisager leur labellisation.

Proposition n° 9 : Affirmer dans les instructions officielles l’importance des manuels d’apprentissage de la lecture en CP et CE1.

Proposition n° 10 : En attendant la labellisation des manuels, rendre obligatoire, dans la formation des professeurs des écoles, un module consacré aux critères de choix des manuels de lecture.

2.   Engager un processus de labellisation des manuels d’apprentissage de la lecture

a.   L’exemple vertueux du Portugal

En 2006, le Portugal a décidé de se doter d’un système de certification des manuels scolaires ([130]). Le professeur Nuno Crato, ancien ministre de l’Éducation et de la science du Portugal, auditionné par les rapporteurs, a expliqué le sens de la démarche.

Jusqu’à la fin du régime de Salazar, le pays était soumis à un système de manuels uniques. La Révolution des œillets (25 avril 1974) a entraîné la libéralisation de la publication, avec comme contrepartie une grande hétérogénéité de la production, y compris du point de vue de la qualité. Pendant de nombreuses années, la question d’une labellisation des manuels scolaires a donc agité le débat public. Le dispositif fut finalement adopté en 2006. La nécessité de se doter de manuels de qualité – et non la volonté d’imposer un manuel unique – est à l’origine de la décision. Il s’agissait aussi d’accompagner les établissements et les enseignants dans le choix de ces manuels, lequel pouvait s’avérer complexe tant l’offre était importante.

La labellisation, qui concerne toutes les disciplines et tous les niveaux, a été mise en œuvre progressivement, tant l’opération est lourde et complexe : année après année, le ministère de l’Éducation portugais a entrepris la labellisation d’une matière ou d’une autre, pour un niveau ou pour un autre. Le label est attribué pour six ans, soit la durée pendant laquelle le programme scolaire est réputé stable.

Le ministère commence par sélectionner la catégorie de manuels (par discipline ou par niveau) à labelliser durant l’année à venir et l’annonce vingt mois à l’avance. En parallèle, le ministère ouvre un concours parmi les sociétés scientifiques, les associations de professeurs ou encore les départements des universités, afin de sélectionner les organismes qui deviendront autorités de certification et seront en mesure d’attribuer le label. Les membres des entités certificatrices doivent remplir des conditions précises, énumérées dans la loi : compétence professionnelle, expérience d’enseignement, titres universitaires, etc. ([131]). Ces autorités de certification – plusieurs pouvant être sélectionnées conjointement – engagent leur réputation et leur responsabilité dans l’attribution des labels. Elles exercent donc cette mission de manière extrêmement sérieuse.

Si ce mécanisme peut sembler complexe, il a fait ses preuves : non seulement les résultats des élèves portugais se sont améliorés, mais en plus, aux dires de M. Nuno Crato, la mesure a été accueillie très favorablement par les enseignants.

Bien que les éditeurs aient exprimé quelques réticences initiales, il semble que peu d’entre eux aient en réalité pâti de la mesure : un grand nombre de manuels étaient de bonne qualité et ceux qui ne l’étaient pas avaient préalablement été retirés du marché pour être remplacés par des manuels davantage conformes aux exigences. De plus, le processus est itératif et permet d’effectuer des corrections ou des modifications tout au long de la démarche de labellisation.

Les manuels labellisés ne sont en rien uniformes : ils présentent des propositions pédagogiques différentes. Il existerait une dizaine de manuels par discipline et par niveau, un chiffre tout à fait raisonnable et limité davantage, semble-t-il, par le petit nombre d’éditeurs portugais que par la labellisation elle-même.

Jusqu’en 2019, l’achat des manuels était à la charge des familles, moyennant une aide pour les personnes défavorisées ; il est désormais assumé par l’État.

Les rapporteurs considèrent que la France gagnerait à s’inspirer de cette expérience positive, sans pour autant essayer de la reproduire à l’identique.

b.   Une labellisation qui devrait reposer exclusivement sur des critères de qualité en matière d’apprentissage de la lecture

L’objectif principal d’une labellisation serait de s’assurer de la qualité des manuels et non d’instaurer un « manuel unique » et encore moins un « manuel officiel ». À cet égard, il importe de distinguer clairement « labellisation » et « autorisation » : les éditeurs resteraient entièrement libres de publier les ouvrages de leur choix, de la même manière que les enseignants seraient libres de les utiliser ou pas.

Le second objectif d’une labellisation, tout aussi important, consiste à aider les enseignants. Ces derniers aspirent à la réussite de tous leurs élèves. Or un grand nombre savent, surtout en début de carrière, qu’ils ne disposent pas de tous les éléments nécessaires pour exercer de manière éclairée leur liberté pédagogique. L’attribution d’un label à certains manuels jugés particulièrement efficaces permettrait aux enseignants de les choisir en toute confiance.

Établir la confiance suppose qu’aucune idéologie, quelle qu’elle soit, n’ait de place dans un processus de labellisation : il importe de tenir les outils pédagogiques à l’abri des caprices et des querelles de chapelle. Seul sera jugé le respect des préconisations scientifiques, en matière d’apprentissage de la lecture, faisant l’objet du consensus le plus large possible.

Les rapporteurs ont la conviction que le rôle premier d’un manuel d’apprentissage de la lecture n’est pas de sensibiliser les enfants à la littérature. Sa fonction est d’apprendre le décodage. Pour ce faire, il doit être aussi syllabique et déchiffrable que possible. Cela n’implique nullement, d’ailleurs, que son contenu soit pauvre et ennuyeux : le talent de l’auteur consiste justement à savoir créer, quelles que soient les contraintes.

La labellisation doit s’accompagner d’une clarification des enjeux et d’une simplification des références : entre les nombreux manuels existants, les programmes, le « guide orange », les ressources disponibles sur Éduscol, celles proposées par les académies et les différents plans annoncés, les enseignants sont perdus et risquent de continuer à se passer de manuel.

Afin de marquer la spécificité et l’importance de l’année de CP, la labellisation devrait se limiter, dans un premier temps, à ce niveau et à l’apprentissage de la lecture.

Les documents du CSEN établissent des critères de sélection qui pourraient inspirer le futur cahier des charges de la labellisation ([132]) :

– l’enseignement des correspondances graphèmes-phonèmes doit être systématique ;

– chaque leçon doit introduire une ou plusieurs correspondances, en allant du graphème au phonème, en proposant une progression rationnelle, du plus simple au plus complexe, établie selon la fréquence et la régularité des phonèmes ; l’apprentissage du « code » doit être intensif dans les premières semaines du CP (14 ou 15 correspondances étudiées pendant les neuf premières semaines) ;

– la lecture de textes doit être proposée intensément et les textes à lire doivent être décodables ([133]) – c’est-à-dire contenir une forte proportion de mots réguliers composés de relations graphèmes-phonèmes qui ont déjà été enseignées 
–, d’une complexité et d’une longueur progressives, variés et attrayants ;

– une place importante doit être accordée aux activités de décodage accompagnées d’activités d’encodage (exercices d’écriture en parallèle avec la lecture) ;

– le manuel doit faciliter l’accès à un vocabulaire riche, voire ambitieux, travaillé d’abord à l’oral, puis à la fois à l’oral et à l’écrit et constituer un support de qualité pour enseigner le vocabulaire (morphologie des mots, catégorisation et dérivation) ;

– le manuel doit favoriser l’enseignement explicite de la morphologie flexionnelle (par exemple marques de genre et de nombre les plus fréquentes).

En revanche, un manuel doit éviter :

– l’insistance sur le nom des lettres (« r » se dit [aire]) plutôt que sur leur prononciation, qui risque de semer la confusion chez l’enfant ;

– la récitation de l’alphabet : l’ordre alphabétique ne joue aucun rôle dans la lecture ;

– l’utilisation de l’alphabet phonétique, source de confusion ;

– l’utilisation de contre-exemples ;

– le repérage du contour d’un mot et, dans la mesure du possible, l’utilisation de « mots-outils » ;

– l’observation de textes dans d’autres écritures (alphabet cyrillique ou arabe) ;

– la présence excessive d’illustrations ou d’autres éléments surchargeant les pages.

Ces critères clairs et précis, fondés sur l’état des connaissances scientifiques, posent les jalons d’une labellisation des manuels, idée d’ailleurs promue par le CSEN lui-même, dont c’est « l’un des combats », comme l’a souligné Stanislas Dehaene lors de son audition.

Dans le cadre du déploiement du plan Lecture dans l’académie de Paris, en 2017-2018, le groupe de travail du CSEN avait sélectionné cinq manuels en partant de ces critères, puis deux après des échanges avec les enseignants ([134]). Depuis lors, la pratique a essaimé dans les académies de Mayotte et d’Amiens.

À titre d’exemples, on trouvera ci-après la progression proposée par l’un des manuels retenus par le plan Lecture, ainsi que trois images des supports servant à l’apprentissage. Ces documents démontrent sans aucun doute possible, selon les rapporteurs, qu’un manuel répondant aux critères énoncés peut être tout à la fois efficace et agréable pour les enfants et proposer des textes riches et intéressants.

Table des matières d’un manuel de CP

Source : Je lis, j’écris.


Leçons 6, 16 et 46 d’un manuel d’apprentissage de la lecture de CP

 

Source : Je lis, j’écris.

Quelles que soient les expériences déjà menées, il conviendra, pour la définition des critères retenus, de mener une concertation aussi large que possible, de manière à dissiper toute crainte d’arbitraire. La participation du Conseil scientifique de l’Éducation nationale au processus s’impose, mais il faudra associer les enseignants et leurs représentants. Les critères de sélection retenus doivent être fondés sur la science. La labellisation participe du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant : un manuel doit refléter les méthodes d’apprentissage les plus efficaces possibles.

Selon les premiers résultats de l’étude Formalect, menée par Jérôme Deauvieau et Paul Gioia, la méthode d’apprentissage de la lecture la plus efficace serait celle qui consiste à utiliser un manuel 100 % phonémique et déchiffrable et n’introduisant aucun mot-outil, tandis que les enseignants s’imposent le respect des mêmes règles lors des leçons. Si ces résultats étaient confirmés et validés par les autorités scientifiques, il conviendrait d’en tenir compte à la fois pour la sélection des manuels et pour l’enseignement dans les classes. Afin de vérifier l’efficacité de la méthode sur le terrain, mais aussi de convaincre les enseignants par l’exemple, une expérimentation pourrait être conduite dans des établissements sélectionnés pour leur représentativité, avec des professeurs des écoles volontaires, sous le regard de chercheurs.

La nature et les modalités de désignation des instances chargées de délivrer le label devront, elles aussi, être soigneusement pensées afin de garantir leur neutralité et leurs compétences tant au regard de la discipline elle-même que de la manière de l’enseigner.

c.   Préserver le temps nécessaire pour élaborer des manuels adaptés et convaincre les enseignants de les utiliser

Les éditeurs de manuels, nécessairement inquiets à l’idée de se voir imposer des contraintes supplémentaires, insistent notamment sur l’importance de convaincre les premiers utilisateurs, à savoir les enseignants : « Sans emporter la conviction des enseignants, une labellisation n’aurait que peu d’effets, voire des effets inverses. » Les rapporteurs souscrivent entièrement à cette préoccupation. Une labellisation ne doit pas non plus avoir pour objectif de faire disparaître autant de manuels que possible. Il convient donc de convaincre les éditeurs du bien-fondé de la démarche et d’opérer les modifications nécessaires.

À cet égard, les annonces Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, laissent entrevoir un calendrier très serré : les programmes de l’école primaire devraient être « simplifiés », c’est-à-dire probablement réécrits, dans les prochains mois, et les manuels de lecture en CP labellisés dès la rentrée 2024. Or il y a loin d’un nouveau programme à un nouveau manuel : une fois que le CSP a publié son projet de programme, la DGESCO prend le relais et organise une consultation des professeurs, des associations et des organisations syndicales concernés. La DGESCO présente ensuite le projet de programme, éventuellement remanié ou précisé, au Conseil supérieur de l’éducation. Après le passage devant le CSE et avec l’accord du cabinet, le programme est publié au Bulletin officiel de l’Éducation nationale (BOEN). Ce n’est qu’ensuite que les éditeurs peuvent commencer leur travail. Mark Sherrigham, président du Conseil supérieur des programmes, l’a indiqué clairement lors de son audition : « Il convient également de laisser suffisamment de temps aux éditeurs pour publier de "bons" manuels. » Or la création d’un manuel « est un processus long et itératif qui passe par une phase de relecture par des experts (formateurs, IEN…) et de tests en classe » ([135]). Les Éditeurs d’éducation considèrent que ce processus prend au moins deux ans. Il importe de ne pas gâcher la chance que pourrait représenter la création d’une labellisation en imposant sa mise en œuvre à la hâte.

3.   Renouveler les manuels grâce à une action volontariste et à une aide financière de l’État

Même si tous les anciens manuels ne sont pas nécessairement inadaptés, il paraît souhaitable aux rapporteurs d’engager un plan national pour le renouvellement des manuels de lecture en CP et CE1, sous la responsabilité de l’Éducation nationale, en liaison avec les communes et les éditeurs.

Si l’on veut s’assurer que le mouvement n’est pas entravé par les difficultés financières des collectivités, la labellisation doit s’accompagner d’un financement de l’État, qui pourrait être soit intégral, comme le propose le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, soit de l’ordre de 75 %, le reste étant à la charge des municipalités. La seconde option permettrait aux maires de s’associer à cette opération de renouvellement. Les élus sont fiers quand ils équipent leurs écoles d’un tableau numérique ou de tablettes : pourquoi ne le seraient-ils pas également parce qu’ils ont acheté de bons manuels pour les classes de leur commune ?

Dans l’hypothèse où l’État prévoirait une compensation des charges afférentes pour les collectivités, il faudrait qu’un engagement à moyen terme soit pris : comme l’a souligné l’AMF lors de son audition, les maires ont besoin de visibilité. Si un partenariat avec l’État était conclu, il devrait durer au moins autant qu’un mandat municipal, soit six ans.

En tout état de cause, dès lors que les écoles sont de la responsabilité des maires, il paraît inenvisageable que l’État ne noue pas un dialogue soutenu avec les élus locaux – ce qui n’est pas toujours le cas, tant s’en faut. L’AMF a ainsi déclaré aux rapporteurs : « La problématique du renouvellement illustre bien, pour l’AMF, toute la complexité des relations entre l’Éducation nationale et les communes en matière scolaire, les élus ayant le sentiment d’être souvent perçus par le ministère comme de simples financeurs et non comme des acteurs de cette politique. Si la définition des programmes scolaires relève bien des compétences de l’Éducation nationale, les maires regrettent de ne pas avoir de visibilité suffisante sur les orientations décidées par le ministère et de ne pas être concertés au préalable. »

Un partenariat avec les municipalités pour le renouvellement des manuels doit d’autant plus être envisagé qu’il aurait des effets vertueux dans les territoires en favorisant les librairies et commerces locaux.

Plus encore, et dans la mesure où le manuel de lecture doit être pour chaque enfant un véritable compagnon d’apprentissage, l’élève doit en être pleinement possesseur, le ramener à la maison le soir et le garder à la fin de l’année. Cela donnerait la possibilité aux parents qui le souhaitent de s’investir davantage dans l’accompagnement de cet apprentissage.

Une prise en charge par l’État permettrait d’assumer cette dépense, du reste modeste : à raison de 25 euros par enfant, même si l’État en payait la totalité, la somme engagée ne dépasserait pas 20 millions d’euros par an ([136]). Au regard de l’enjeu crucial que représente la capacité pour une cohorte d’entrer chaque année dans l’écrit, la somme semble tout à fait raisonnable.

Engager ce partenariat financier avec les collectivités territoriales serait un moyen fort de faire comprendre que la priorité est donnée à cette compétence fondamentale qu’est la lecture. Comme le souligne l’AMF, il est étonnant qu’il existe des aides de l’État pour financer les tableaux numériques interactifs mais pas pour les manuels de lecture.

Avant même l’annonce par le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse d’une prise en charge par l’État des manuels de CP et CE1 dès la rentrée 2024, une mesure de cet ordre, quoique de portée plus restreinte, avait été inscrite dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 : 3,1 millions d’euros de crédits d’intervention sont ainsi prévus dans le cadre du programme 140 afin d’acquérir des manuels scolaires pour en doter les élèves des classes de CP et CE1 des quartiers prioritaires de la ville. L’équipement était censé être intégral à la rentrée 2024, pour tous les niveaux et en une seule fois ([137]).

Proposition n° 11 : Labelliser les manuels de lecture de CP et de CE1. La définition des critères et des modalités de sélection résulterait d’une concertation avec les parties prenantes, en particulier les organismes scientifiques, les enseignants et les éditeurs d’éducation.

Proposition n° 12 : Engager un plan national de renouvellement des manuels de lecture de CP et de CE1, en partenariat avec les collectivités territoriales. L’État prendrait en charge la plus grande partie, voire la totalité du coût de l’opération. Celle-ci privilégierait la fourniture auprès des libraires locaux. Les élèves seraient propriétaires des manuels, ce qui suppose par la suite un renouvellement annuel.

Proposition n° 13 : Sensibiliser les enseignants à l’importance, pour la réussite des élèves, d’utiliser ces manuels labellisés.

Proposition n° 14 : En fonction de la validation scientifique des résultats de l’étude Formalect, engager une expérimentation, dans plusieurs académies, de l’apprentissage de la lecture fondée sur les principes suivants : 100 % phonique, 100 % déchiffrable et zéro mot-outil.

C.   Refondre la formation initiale et continue des enseignants

1.   Renforcer la formation initiale des enseignants à l’enseignement de la lecture

Les rapporteurs en sont convaincus : la différence dans la réussite scolaire viendra principalement de la formation des enseignants.

La formation initiale des enseignants doit impérativement être repensée, pour leur permettre de dispenser de manière sûre un enseignement efficace de la lecture. Cela requiert un travail étroit entre le ministère recruteur – celui de l’Éducation nationale et de la jeunesse – et le ministère formateur – celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Si la place des Inspé au sein des universités se justifie pleinement, tant les apports de la recherche doivent irriguer la formation dispensée, il importe également que celle-ci puisse répondre aux attentes de l’institution « Éducation nationale », et lui permettre d’atteindre ses objectifs, notamment en matière de réussite des élèves. Le dialogue entre les deux ministères sur la maquette de formation des Inspé doit être renforcé et le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, futur recruteur des étudiants, doit pouvoir disposer d’un pouvoir de prescription sur le contenu de la formation.

La spécialisation de la formation pour les enseignants selon les classes qu’ils auront à prendre en charge n’apparaît pas adaptée au modèle français, où la polyvalence est recherchée. En outre, comme l’a souligné le syndicat Unsa des inspecteurs de l’Éducation nationale, l’apprentissage de la lecture n’est pas un processus qui s’arrête à la fin de la classe de CP, et tous les enseignants doivent y être formés, d’autant plus que l’affectation future de chacun n’est pas connue au moment de sa formation initiale. Isoler des enseignants pour un niveau spécifique apparaît dès lors peu aisé à mettre en œuvre pour une efficacité incertaine. Des enseignements spécifiques, de plus longue durée, doivent en revanche être consacrés à la lecture, tant cet enseignement constitue le socle sur lequel reposent tous les autres. Une durée minimale pour ces enseignements devrait être fixée pour l’ensemble des Inspé. Des éléments de formation relatifs aux sciences cognitives, en particulier aux processus d’apprentissage et de mémorisation de l’enfant, devraient y être intégrés.

De manière plus structurelle, un recrutement des futurs enseignants à la fin de la licence (bac +3) – qui validerait la maîtrise des connaissances académiques –, suivi de deux années de formation professionnalisante centrées sur la pédagogie, permettrait de consolider leurs connaissances disciplinaires mais aussi leurs compétences professionnelles, alors que le recrutement à bac +5 les a, au contraire, éloignés des apprentissages « utiles » selon le professeur Dehaene. Une telle réforme permettrait de les former sur le temps long à l’apprentissage du métier – nécessité qui fait consensus – au cours des cinq années précédant leur titularisation. Elle contribuerait à apporter une réponse à la crise d’attractivité de la profession d’enseignant, et permettrait, par une plus grande sélectivité du concours, de rehausser le niveau des jeunes lauréats.

Elle ouvrirait enfin la possibilité de faire des stages de manière plus précoce et plus intensive, en tant que professeur-stagiaire ou étudiant alternant. Dans ce cadre, il devrait être rendu obligatoire pour les étudiants reçus au concours d’effectuer, au cours de leurs deux années de formation initiale, un stage en classe de CP. Cette obligation n’existe pas aujourd’hui : le plus souvent, les différents Inspé imposent simplement, pour les stages de première année de master, une période d’observation dans chacun des trois cycles de l’école primaire – cycle 1 (maternelle) ; cycle 2 (CP-CE1-CE2) et cycle 3 (CM1-CM2) ([138]) – ou bien un changement de cycle entre les stages de M1 et ceux de M2 ([139]). Beaucoup d’interlocuteurs auditionnés ont pourtant souligné l’importance cruciale des stages : l’observation de quelques jours ou semaines en classe de CP pourrait, à ce titre, être particulièrement bénéfique pour les futurs enseignants.

Proposition n° 15 : Donner au ministère de l’Éducation nationale, futur recruteur des professeurs, un pouvoir de prescription sur la maquette de formation des Inspé, par un dialogue renforcé avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Proposition n° 16 : Allonger la durée des modules de formation sur l’enseignement de la lecture et leur fixer une durée minimale, commune à l’ensemble des Inspé. Associer à ces modules des éléments de formation sur les processus d’apprentissage et de mémorisation de l’enfant.

Proposition n° 17 : Mettre en œuvre un recrutement des futurs professeurs des écoles en fin de licence, suivi de deux années de formation initiale professionnalisante.

Proposition n° 18 : Rendre obligatoire la réalisation d’un stage en classe de CP au cours des deux années de formation initiale des étudiants reçus au concours.

2.   Développer la formation continue et l’adapter aux besoins des enseignants et des élèves

Si les dispositifs tels que le plan Français semblent porter leurs fruits, ceux-ci doivent être renforcés et organisés de telle sorte que les enseignants puissent y participer effectivement.

En outre, les effets du plan Français doivent être mesurés et évalués de manière précise. À ce titre, l’évolution des résultats des élèves dans les circonscriptions particulièrement en avance dans le déploiement de ce plan – certaines ont formé 70 % de leurs enseignants – doit être mesurée. De même, les résultats à l’entrée en sixième des élèves qui sont entrés en CP après la mise en œuvre du plan Français devraient faire l’objet d’une attention particulière, en ce qu’ils permettront d’analyser la pérennité des effets positifs éventuellement observés à l’issue du CP ou en CE1.

En parallèle, un effort ciblé de formation continue doit être dirigé sur les jeunes enseignants affectés en CP et en CE1, qui doivent faire l’objet d’un accompagnement et d’un suivi spécifiques, par leur inspecteur de circonscription ou leur conseiller pédagogique. Cette formation doit être adaptée aux besoins recensés sur le terrain, par les évaluations comme par les visites des IEN, dont le rôle est stratégique.

Il pourrait également être envisagé que les enseignants nouvellement affectés en CP, y compris en milieu de carrière, reçoivent avant la rentrée une formation de quelques demi-journées consacrée à l’enseignement de la lecture, dans les écoles académiques de formation continue. Par ailleurs, tout enseignant affecté pour la première fois en CP – ou pour la première fois depuis un certain nombre d’années – devrait recevoir le « guide orange » de la DGESCO en format papier, pour qu’il puisse le feuilleter tout au long de l’année. Cela doit, en particulier, être le cas pour les enseignants qui n’ont pas exercé en CP depuis 2019, date de publication de la première édition du « guide orange ». Si ce guide est, aujourd’hui, distribué aux nouveaux enseignants, il ne l’est pas nécessairement aux nouveaux enseignants de CP.

Proposition n° 19 : Mesurer les effets du plan Français sur les résultats des élèves dans les circonscriptions les plus en avance dans son déploiement puis à l’entrée en sixième des premiers élèves dont les enseignants ont été concernés.

Proposition n° 20 : Effectuer un effort ciblé de formation continue et de suivi des jeunes enseignants affectés en CP et CE1.

Proposition n° 21 : Proposer aux enseignants nouvellement affectés en CP, y compris en milieu de carrière, une formation de quelques demi-journées consacrée à l’enseignement de la lecture, dans les écoles académiques de formation continue ; adresser à ceux qui n’ont pas exercé en CP depuis 2019 le « guide orange » de la DGESCO, en format papier.

3.   Conforter le rôle pivot des inspecteurs de l’Éducation nationale

Enfin, le pilotage au plus près du terrain doit être renforcé. Il importe ainsi de mettre l’accent, avec les enseignants, sur les pratiques pédagogiques les plus efficaces, celles-ci étant en mesure de dépasser le poids des déterminismes sociaux. Comme en témoignent les résultats différents obtenus par des élèves de milieux sociaux comparables, ainsi que les résultats identiques obtenus par des élèves de milieux sociaux très éloignés, l’« effet maître » est fondamental et, selon les termes du directeur général de l’enseignement scolaire, « la pédagogie peut dépasser la sociologie ».

Comme le résume l’IGESR, « avant tout autre paramètre, la qualité pédagogique est donc le levier majeur de progrès du système scolaire » ([140]). Selon l’Institut Montaigne également ([141]), l’effet maître, très puissant, est « susceptible de contrebalancer en grande partie voire intégralement le poids des autres effets exogènes tels que l’origine sociale des élèves […]. Durant les premières années de scolarisation, l’effet maître affecte la performance scolaire dans son ensemble, mais ce sont les élèves les plus en difficulté qui en sont les plus grands bénéficiaires. Ainsi, si les élèves les plus faibles étaient confiés durant leurs premières années de scolarisation aux enseignants les plus efficaces, ils obtiendraient presque les mêmes résultats que les meilleurs élèves. »

À ce titre, la liberté pédagogique ne doit pas être considérée comme un obstacle, mais comme un levier, et aucune méthode ou « bonne pratique » ne doit être imposée de manière stricte et autoritaire. Le président du Conseil supérieur des programmes recommandait lui-même, en audition, de ne pas « tomber dans une dérive caporaliste », tandis que le recteur de Paris estimait que le « pilotage par la circulaire » avait montré ses limites.

Il ne s’agit pas de donner aux enseignants des instructions radicales, en partant du principe que l’inertie du ministère est telle que les directives ne peuvent tolérer de nuances sous peine de ne pas être efficaces – le professeur Roland Goigoux donnait l’exemple d’un paquebot auquel on donnerait un coup de barre très fort pour avoir une chance de faire dévier sa trajectoire de quelques degrés. Au contraire, c’est en les convaincant, en ayant confiance dans leur intelligence collective et individuelle et leur capacité à identifier le bon dosage entre décodage, encodage et compréhension pour faire réussir leurs élèves – objectif qu’ils partagent tous sans exception – qu’il sera possible de les « embarquer ». De fait, comme l’indique le CSEN, le sentiment de savoir-faire des enseignants vient de l’efficacité de leur méthode et beaucoup sont conscients des limites de celle qu’ils utilisent, ce qui nuit à leur sentiment d’épanouissement et de réussite professionnelle, donc à leur bien-être et à celui de leurs élèves.

Sur ce point, le rôle des inspecteurs de l’Éducation nationale est capital, pour donner accès aux enseignants aux connaissances les plus récentes et aux expériences les plus prometteuses. Ces 1 400 inspecteurs constituent véritablement l’échelon-clé de la transmission des meilleures pratiques pédagogiques, notamment par leur connaissance fine du terrain et de ses particularités. C’est ce maillon qu’il importe, en priorité, de convaincre et de former aux modalités les plus efficaces de l’enseignement de la lecture pour en permettre la diffusion auprès de chaque enseignant.

Ainsi, comme l’indique l’IGESR, « le caractère central de la pédagogie plaide donc pour positionner pleinement les inspecteurs comme les pilotes pédagogiques de leur circonscription et pour affirmer leur présence dans les écoles et les classes, particulièrement celles dont les résultats aux évaluations révèlent des faiblesses » ([142]).

À titre d’illustration, l’académie d’Amiens a explicitement demandé aux IEN de travailler à partir des résultats des évaluations pour mettre en place un pilotage adapté, en particulier en ciblant les écoles dont les résultats étaient plus faibles que ceux obtenus par d’autres écoles à IPS comparables, et en dessous des résultats nationaux. De même, l’académie de Paris a missionné les IEN pour identifier les écoles ou classes « atypiques », présentant des résultats particulièrement bons ou mauvais, afin d’en tirer des enseignements ou de proposer un mécanisme de remise à niveau.

Pour généraliser ce point, qui apparaît encore trop peu partagé – seuls 8 % des IEN disent se servir des évaluations pour choisir les écoles qu’ils souhaitent visiter ou accompagner – l’IGESR recommandait que les lettres de mission des IEN prévoient, de manière systématique, un pilotage ciblé sur les écoles dont les résultats aux évaluations sont inférieurs à la moyenne des résultats des écoles de sociologie comparable. Les rapporteurs partagent également la recommandation de l’IGESR d’assurer un meilleur accompagnement des professeurs des écoles en augmentant le nombre de visites dans les classes afin de veiller à la qualité didactique et pédagogique des enseignements.

Cela nécessite de recentrer les missions des IEN sur le conseil pédagogique et la présence dans des établissements, dont ils semblent s’être éloignés, notamment en raison de la lourdeur croissante de leurs charges administratives et du nouveau « parcours professionnel, carrière et rémunération » (PPCR). En effet, le mécanisme des rendez-vous de carrière à échéances fixes (trois fois dans la carrière, aux échelons 6, 8 et 9) conduit à fixer aux inspecteurs un programme de visites de manière presque « automatique », qui ne leur permet pas – en théorie – d’aller voir un enseignant de moins de sept ans d’ancienneté, ou d’aller voir plus fréquemment un enseignant qui en aurait davantage besoin. En pratique, cependant, les IEN ne s’interdisent pas de le faire, sous réserve que les missions administratives qui leur incombent – et qui sont de plus en plus nombreuses – le leur permettent. Ainsi, l’IGESR estime que la mise en œuvre du PPCR a diminué le nombre moyen de visites de classes effectuées ([143]). Le rapport indique également le poids croissant pris par les charges administratives, au détriment des missions pédagogiques : « Un grand nombre d’inspecteurs déclarent eux-mêmes ne plus être en mesure d’assumer pleinement leur mission de pilotes pédagogiques ». Elle estime que la circonscription est ainsi devenue un échelon de pilotage administratif plus qu’un territoire d’inspection pédagogique, ce qui présente le risque d’éloigner les inspecteurs de leur cœur de métier : l’accompagnement et le contrôle de la qualité des enseignements. Avec l’inspection générale, les rapporteurs concluent qu’il est plus que jamais nécessaire de « positionner l’inspecteur en pilote de la pédagogie de sa circonscription ».

Proposition n° 22 : Prévoir de manière systématique, dans les lettres de mission des IEN, un pilotage ciblé sur les établissements dont les résultats aux évaluations sont inférieurs à la moyenne des résultats des établissements comparables.

Proposition n° 23 : Recentrer les missions des inspecteurs de l’Éducation nationale sur le conseil pédagogique pour un meilleur accompagnement des professeurs de la circonscription en augmentant le nombre de visites dans les classes.

D.   Réaffirmer la place et la modernité du livre à l’ère du tout-numérique

1.   Multiplier les pratiques de lecture des élèves tout au long de leur parcours

a.   « Il faut quasiment deux décennies pour faire un lecteur » : de la nécessité d’entretenir et développer les compétences de lecteur

La fréquentation de l’écrit, particulièrement sous la forme du livre, doit être entretenue chez les élèves, avant et après l’apprentissage du décodage. Il y va de la consolidation de leurs compétences de lecteurs. Cela suppose de multiplier les pratiques de lecture tout au long du parcours scolaire, en classe et à la maison.

Victor Hugo a résumé dans une formule célèbre l’importance de la lecture pour l’esprit : « Lire, c’est boire et manger. L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas » ([144]). Ce constat d’ordre spirituel est corroboré sur le plan cognitif par les résultats de la recherche en neurosciences : un cerveau qui ne lit pas suffisamment risque de « désapprendre » la lecture. Comme l’écrit Hervé Chneiweiss, « apprendre, c’est d’abord consolider régulièrement un souvenir. Une leçon apprise mais jamais revue disparaîtra en quelques semaines. Réactivée régulièrement, elle ira se renforçant » ([145]). À cette réalité dont chacun a fait l’expérience s’ajoute ce que l’on pourrait appeler une « capacité d’oubli active » : le cerveau efface « ce qui ne sert pas ou ne sert plus » ([146]). En effet, contrairement à ce que le sens commun pourrait conduire à penser, l’oubli n’est pas seulement un mécanisme passif : « Notre cerveau gère activement les souvenirs : certains sont activement stabilisés, d’autres activement effacés. » ([147])

La compétence de lecteur se travaille bien au-delà de la phase d’apprentissage du décodage : il ne suffit pas, pour devenir et rester un lecteur performant, d’avoir été correctement alphabétisé à l’école par un bon enseignant utilisant un manuel adéquat. La capacité à lire doit être entretenue par une pratique soutenue en dehors des heures strictement consacrées à son apprentissage. Comme l’a souligné Michel Desmurget lors de son audition, « on sous-estime le volume de pratique nécessaire ». En effet, le cerveau établit en quelque sorte des statistiques lui permettant de reconnaître les mots. « Le lecteur expert ne passe plus par la voie phonologique ». Or « il faut quasiment deux décennies pour faire un lecteur ». Le volume de lecture a également des conséquences sur la vitesse. Les lecteurs adultes et experts atteignent un rythme de 300 mots par minute, voire davantage. On n’approche de ce niveau qu’à l’extrême fin du lycée, voire à l’université. Ce constat assoit la nécessité de multiplier aussi tôt que possible les occasions de lire. C’est l’une des clés pour éviter la « déperdition » de la capacité de lecture de nombreux élèves entre le CE1 et la sixième qu’a soulignée le DGESCO lors de son audition.

Dans la mesure où un enfant, durant la période de l’école primaire, passe 9 % de son temps en classe ([148]), le développement de la lecture personnelle revêt une importance cruciale.

b.   Mettre en valeur des dispositifs ayant fait leurs preuves, en partenariat avec les associations et les collectivités territoriales

Pour renforcer le goût et la pratique de la lecture, le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse a lancé l’opération « Un livre pour les vacances », qui bénéficie chaque année à tous les élèves de CM2. D’abord cantonnée aux académies d’Aix-Marseille, Nantes et Lille en 2017, elle a été généralisée dès 2018. À la fin du mois de juin, les enseignants distribuent à leurs élèves un ouvrage adapté à leur niveau et illustré. Ils sont invités à présenter l’œuvre à leurs élèves pour leur donner envie de la lire pendant les vacances. Conformément à la logique de cycle, les professeurs de français de sixième reçoivent eux aussi un exemplaire de l’ouvrage et peuvent en proposer l’étude au début de l’année scolaire.

De fait, la période des grandes vacances risque de fragiliser les acquis dans le domaine de la lecture pour les enfants rencontrant des difficultés. Or, par définition, les élèves entrés récemment dans la lecture sont également ceux pour lesquels cette longue coupure est susceptible d’être le plus préjudiciable. Les rapporteurs considèrent donc qu’il serait utile non seulement de pérenniser l’opération « Un livre pour les vacances », mais aussi de l’étendre aux élèves de CP, CE1, CE2 et CM1.

Dans les écoles, les dispositifs tels que le « quart d’heure lecture », développé depuis octobre 2018 sur l’initiative de Jean-Michel Blanquer ([149]), doivent être encouragés. Il s’agit d’un temps de lecture personnelle quotidien, partagé collectivement, ayant vocation à être organisé dans toutes les écoles élémentaires et les collèges. La lecture personnelle est un « temps constitutif des apprentissages », rappelait également une note de service d’avril 2018 ([150]). Chaque élève choisit librement le texte. Toutefois, il doit s’agir prioritairement d’œuvres de fiction ou de réflexion, plus à même de favoriser la lecture prolongée d’œuvres d’une certaine envergure et de développer le goût de la littérature.

L’association Silence, on lit ! œuvre depuis plusieurs années pour répandre cette pratique qui constitue à la fois un instrument de développement du plaisir de lire et un moment de cohésion pour la classe ou le groupe. L’instauration de ce rituel permet aux enfants de comprendre que le temps alloué à la lecture est important, singulier et leur ouvre un espace de liberté.

Silence, on lit !

Cette association a été créée, entre autres, par Danièle Sallenave  ([151]) Elle propose d’accompagner les collectivités qui souhaitent mettre en place la pratique d’un temps de lecture, lequel n’a pas vocation à se limiter à l’école. Les principes de la démarche sont les suivants :

– faire le silence : « Le silence est une denrée rare et précieuse dans notre monde pollué y compris au niveau du son […] se retrouver ensemble dans le silence est une forme de communication apaisée et profonde. C’est pourquoi le temps de lecture commence par le silence » ;

– lire tous les jours : « Il est important de faire de cette activité un acte quotidien, une gymnastique mentale, une pause relaxante, un moment de silence où l’on s’extrait du monde. C’est par cette quotidienneté que les livres deviennent des compagnons que l’on a toujours avec soi ou que l’on retrouve tous les jours » ;

– choisir le bon moment : « Il ne s’agit pas de lire chez soi, en fin de journée, mais d’arrêter tous ensemble notre activité pour faire le silence et pour lire. Ces quelques minutes sont donc prises sur le temps scolaire, de travail ou d’activité. Il s’agit de faire une pause dans la journée où souvent nous ne répondons qu’aux urgences. […] Cette pratique doit avoir lieu tous les jours à la même heure » ;

– choisir la bonne durée : « Il ne s’agit pas de casser la journée de travail avec une pause trop longue. Donc la durée du temps de lecture est relativement courte. En même temps la durée doit être assez longue pour que les lecteurs puissent sortir du monde réel et entrer dans une histoire, suivre un raisonnement, se concentrer sur un sujet pendant un moment suffisamment important. Cette durée semble pouvoir être déterminée entre 10 et 20 minutes » ;

– avec la participation de tous : « La lecture doit bénéficier à tous et l’idée est de faire participer tout le monde à cette pratique, même et surtout ceux qui n’ont pas l’habitude de lire, que la lecture rebute, ou qui pensent ne pas en avoir le temps ni en trouver l’utilité. Dans un établissement scolaire ce seront donc aussi bien les élèves que les professeurs, les membres de l’administration, le personnel de l’entretien ou des cuisines, sans hiérarchie, sans classe, sans barrières, sans préjugés » ;

– lire des livres : « Il ne s’agit pas de lire pour lire ni de lire n’importe quoi. Il s’agit de lire des textes littéraires, de préférence des fictions ou des essais qui sortent le lecteur de son quotidien et l’amènent ailleurs. Il s’agit d’une lecture qui se prolonge sur plusieurs jours et non pas d’une consommation immédiate et furtive. […] Il s’agit de réintroduire le temps et la complexité dans la pensée. Il s’agit donc de lire des livres. Sur quel support ? Des livres papier assurément » ;

– en toute liberté : « Pour que la lecture soit un plaisir, il faut pouvoir lire librement, sans programme […], sans interrogation, sans notation, sans contrainte, dans la langue que l’on veut… Cela exclut les manuels scolaires comme tout autre ouvrage religieux ou de propagande. Cela permet à qui aime la BD, la science-fiction, la littérature classique ou les polars de lire les uns ou les autres, de passer des uns aux autres. Cela permet aussi de communiquer sur ce que l’on aime en affirmant nos goûts, en les explicitant pour les partager. »  ([152])

 

En 1999, l’association Lire et faire lire a vu le jour, sur l’initiative d’Alexandre Jardin. Soutenue par un comité d’écrivains, elle rassemble des bénévoles âgés de plus de 50 ans qui, environ une fois par semaine, vont à la rencontre d’enfants dans des écoles, des centres de loisirs, des crèches et des bibliothèques. D’autres associations, soutenues notamment par la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), développent des programmes de promotion de la lecture dans des cadres très variés : l’association ACCES – Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations –, l’agence Quand les livres relient, l’association Lecture Jeunesse, le Centre de promotion de la littérature jeunesse, le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ), ou encore l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) ([153]). Chaque école devrait se fixer pour ambition de développer des activités autour de la lecture en liaison avec l’une de ces associations.

Rien ne remplace le contact direct avec le livre. Toutefois, le « livre audio », qui connaît un essor modeste mais continu depuis plusieurs années – il ne représente que 1 % à 2 % du marché – pourrait constituer un outil de transition intéressant vers le livre, en particulier pour les élèves manifestant la plus faible appétence pour l’écrit. « Le livre audio est une production qui vient donner vie à une œuvre écrite. Il rend son approche plus immersive grâce à la lecture effectuée par des comédiens professionnels et à l’ajout d’effets sonores », selon la définition donnée par l’entreprise Audible ([154]). Le livre audio, dans la mesure où il permet de contribuer à familiariser les élèves aux spécificités de la langue écrite, a sa place dans la gamme des outils des professeurs des écoles.

Le développement de partenariats avec les collectivités territoriales est également une piste fructueuse. Celles-ci sont déjà engagées sur le terrain pour compléter l’action de l’école. Dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, l’AMF a souligné les initiatives qui existent d’ores et déjà dans ce domaine : « Si la pédagogie est dispensée par les enseignants durant les heures d’enseignement, les communes peuvent cependant intervenir durant les heures scolaires par l’organisation d’activités de lecture en lien avec la bibliothèque municipale, voire durant les activités périscolaires par du soutien scolaire (en lien souvent avec des enseignants volontaires) ou par des ateliers lecture ou écriture par exemple. Les activités d’éducation artistique et culturelle déployées par les communes durant les temps scolaire et/ou périscolaire peuvent également contribuer à la maîtrise de la lecture et de l’écriture. »

c.   Promouvoir l’objet livre à travers une littérature de jeunesse d’une grande richesse

En dépit du développement exponentiel des usages numériques, qui n’ont pas épargné les pratiques de lecture – comme en témoigne l’usage des tablettes et liseuses –, les rapporteurs sont convaincus que l’objet livre a encore un avenir, notamment auprès des enfants, qui sont particulièrement sensibles à la beauté d’un livre illustré, qu’il est agréable de manipuler et de toucher.

En outre, et au-delà des difficultés liées à l’usage non régulé des outils numériques, surtout pour les jeunes enfants, que les rapporteurs ont détaillées précédemment, il convient de prendre conscience des spécificités de l’objet livre, en particulier pour la structuration de la pensée. Michel Desmurget en a souligné quelques-unes dans une interview récente : « Plus un texte est exigeant, plus la supériorité du papier sur l’écran est grande. Plusieurs études ont montré qu’il était plus facile de se concentrer sur le papier. En outre, le livre a une unité spatiale qui fait défaut aux liseuses et tablettes et qui aide notre cerveau à organiser et mémoriser les informations. Quand on évoque le passage d’un cours ou d’un roman, on a tendance à se rappeler l’endroit du texte où il se situe. On pourrait dire, en quelque sorte, que le livre "spatialise" le temps et l’organisation de l’histoire. Cela facilite la création d’une représentation globale des éléments textuels et, in fine, favorise la compréhension. » ([155])

Compte tenu des dangers de la surexposition aux écrans, en particulier en raison de ses conséquences en matière d’apprentissage, il convient d’engager un plan de sensibilisation des parents à cet enjeu.

La promotion des livres auprès de la jeunesse n’est pas vouée à l’échec, comme en témoigne la vivacité du secteur des livres de jeunesse, que matérialise la tenue chaque année du Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil, ou encore la Fête du livre de la jeunesse à Morteau, parmi de très nombreux événements partout en France. Selon les chiffres du Syndicat national de l’édition, en 2022, avec « un chiffre d’affaires de 378,1 millions d’euros, l’édition de jeunesse est le troisième segment en valeur » ([156]). Près d’un livre sur quatre vendus en France est destiné à la jeunesse, et plus de 1 300 titres ont été publiés en 2022.

La production est très diverse, sans parler du patrimoine de la littérature pour la jeunesse constitué au fil du temps. Chaque enfant, quel que soit son âge, est susceptible de trouver des livres qui lui sont adaptés. Les enseignants, ainsi que les parents, peuvent tirer profit des « listes de référence » établies par le ministère de l’Éducation nationale pour chaque cycle, consultables sur Éduscol ([157]).

Proposition n° 24 : Développer à grande échelle les initiatives du type « quart d’heure de lecture », en partenariat avec des associations ou en mobilisant la réserve citoyenne de l’Éducation nationale.

Proposition n° 25 : Pérenniser l’opération « Un livre pour les vacances » et l’étendre aux enfants des classes de CP, CE1, CE2 et CM1.

Proposition n° 26 : Organiser un plan de sensibilisation des parents à la nocivité, en particulier pour les apprentissages, d’une surexposition aux écrans.

2.   Développer les bibliothèques d’école et le prêt d’ouvrages

Parmi les lieux favorisant les pratiques de lecture, les bibliothèques d’école revêtent une importance particulière. Dans de nombreuses écoles qui en sont dépourvues, des bibliothèques de classe pallient le manque. Cette pratique vertueuse, fondée sur la bonne volonté et l’enthousiasme des enseignants, doit certes être encouragée, mais elle ne saurait remplacer un lieu dédié, équipé en conséquence et accessible à l’ensemble des écoliers ainsi qu’à leurs parents.

a.   Des structures déjà anciennes qui ont joui d’une reconnaissance variable selon les époques

Les bibliothèques d’école ont une longue histoire, mais les ressources existantes sont mal connues. L’IGESR, dans un rapport récent, relevait ainsi : « Il n’existe pas de recensement national des bibliothèques d’école ni de comptabilisation annuelle de leur activité » ([158]). La pratique consistant à créer des bibliothèques d’école est pourtant très ancienne, et la première instruction officielle visant à la systématiser date de 1862 : Gustave Rouland, alors ministre de l’Instruction publique, décida que chaque école primaire publique devait se doter d’un espace affecté à cet usage ([159]). À la fin du xixe siècle, les bibliothèques d’école, au-delà de leur objectif immédiat – à savoir permettre aux enfants de lire – étaient devenues des instruments d’éducation populaire permettant aux parents d’accéder plus aisément à la culture ([160]).

Les bibliothèques d’école, telles que nous les connaissons, sont issues de la circulaire no 84-360 du 1er octobre 1984, signée conjointement par le ministre de l’Éducation nationale et par celui de la Culture, qui organisa les « bibliothèques – centres documentaires » (BCD). Depuis 2008, les BCD sont de nouveau dénommées « bibliothèques d’école », mais les objectifs qui leur étaient assignés restent d’actualité. La circulaire précisait ainsi que la création de la BCD devait « s’insérer dans le projet pédagogique de l’école et dans le projet local de développement de la lecture ». La BCD se caractérisait « par une mise en situation autonome et active de l’enfant dans son rapport à l’écrit et par l’insertion de l’école dans la vie culturelle du quartier et de la ville ». Il devait s’agir d’« un lieu central de l’école où tous les enfants peuvent accéder seuls ou avec la classe » et proposant de nombreuses activités : « lecture sur place, moment poésie, heure du conte, auditions, gestion et choix des ouvrages, club lecture, exposés, recherches individuelle ou collective de documentation, présentation de livres, prêt à domicile, etc. »

La finalité de ces lieux était définie de la façon suivante : « La BCD modifie l’enseignement de la lecture, car elle introduit une multiplicité d’écrits dans l’école, elle affirme l’existence des liens entre apprentissage et pratiques de lecture, elle offre à tous la possibilité non seulement de savoir lire mais d’aimer lire ». Plus encore, la nécessité d’une ouverture par rapport à l’environnement immédiat, y compris aux parents, y était affirmée avec force, « par la présence des parents d’élèves et autres partenaires à l’action éducative à différents moments de son fonctionnement (accueil, ateliers, animations...) ; par l’ouverture sur le quartier : fréquentation de la BCD par les parents pendant et/ou en dehors des horaires scolaires […] ; par les relations que la BCD permet entre l’école et les bibliothèques de lecture publique ».

Les programmes officiels sont venus rappeler régulièrement, quoique de manière plus ou moins appuyée, l’importance des bibliothèques d’école. Ceux de 2007 étaient particulièrement clairs à cet égard. Ils précisaient, s’agissant du cycle 2 de l’époque, qui regroupait la grande section, le CP et le CE1 : « Les lectures en classe doivent être complétées par des lectures personnelles dans la BCD ou au domicile familial. L’emprunt à la BCD ou dans la bibliothèque de quartier doit devenir une habitude et un besoin. Les enseignants expliquent aux parents le rôle de médiateur qu’ils peuvent eux aussi jouer entre le livre et l’enfant. »

Les programmes actuels, au contraire, paraissent négliger singulièrement cet instrument essentiel pour le développement du plaisir de lire, condition sine qua non d’une inscription durable de l’enfant dans la culture de l’écrit. La bibliothèque n’y est mentionnée que comme un des « outils pour apprendre » et des lieux permettant de trouver des informations : « Savoir apprendre une leçon ou une poésie, utiliser des écrits intermédiaires, relire un texte, une consigne, utiliser des outils de référence, fréquenter des bibliothèques et des centres de documentation pour rechercher de l’information, utiliser l’ordinateur, etc., sont autant de pratiques à acquérir pour permettre de mieux organiser son travail. » Aux yeux des rapporteurs, les prochains programmes devront consacrer avec davantage de conviction le rôle que doivent jouent les bibliothèques d’école dans la vie des élèves.

b.   Un regain d’intérêt récent qui doit être confirmé par un soutien renforcé

Toutefois, il importe de souligner que le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse a conscience de l’intérêt des bibliothèques scolaires. Ainsi, la DGESCO a lancé en 2018 un « plan bibliothèques », pluriannuel, visant à encourager leur implantation ou la dynamisation des espaces existants, et un vademecum a été publié en 2020 afin de donner aux personnels intéressés les outils leur permettant de créer de telles structures et de les faire vivre ([161]). En octobre 2021, l’IGESR relevait que plus de 6,5 millions d’euros avaient été consacrés au plan bibliothèques, servant notamment à la constitution ou à l’enrichissement de fonds de collections ([162]). Lors de son audition, Édouard Geffray a indiqué que, depuis le début de ce plan, plus de 1 million d’ouvrages avaient été acquis pour le premier degré. La clé du développement de ces structures est en effet de réussir à mobiliser des moyens pour l’achat régulier de livres. Trop souvent, « le budget de la bibliothèque n’est qu’une variable d’ajustement au sein de l’école et de nouveaux livres ne sont achetés chaque année que s’il reste encore de l’argent une fois toutes les autres fournitures achetées » ([163]). Or l’enrichissement et le renouvellement permanents des collections sont indispensables pour soutenir l’intérêt des jeunes lecteurs. Une bibliothèque d’école qui n’évolue pas est condamnée au déclin, voire à la disparition.

D’une façon générale, l’IGESR a identifié quatre éléments fondamentaux conditionnant la possibilité des usages attendus d’une bibliothèque d’école : des locaux bien positionnés et suffisamment vastes ; un aménagement mobilier adéquat ; des ressources humaines disponibles et formées ; des collections étoffées.

Les mécanismes de financement de ces structures sont très variables : il peut arriver qu’une ligne spécifique soit prévue dans le budget alloué par la mairie. Parfois, la coopérative de l’école consacre une partie de ses moyens à l’achat de livres. Il arrive également que les écoles lancent des appels aux dons de livres auprès des parents. Quoi qu’il en soit, il est très difficile d’assurer la pérennité de ces structures : cela représente un défi considérable que les enseignants, les directeurs d’école et les parents d’élèves ne sauraient relever seuls.

Les contrats territoire-lecture, créés en 2010, ont pour vocation de faciliter les partenariats entre les collectivités territoriales et l’État autour de projets de développement de la lecture. Leur cadre est assez souple, ce qui permet de les adapter à des contextes territoriaux divers. Ils reposent sur un cofinancement des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et d’une ou plusieurs collectivités. Ils sont orientés en priorité vers les territoires les moins bien dotés, en particulier les quartiers de la politique de la ville (QPV) ([164]). Les CTL comportent un volet consacré aux partenariats avec l’institution scolaire. Les rapporteurs recommandent que chaque contrat prenne en compte les écoles maternelles et élémentaires du territoire concerné. La conclusion de CTL doit, par ailleurs, être encouragée.

Plus généralement, compte tenu des faiblesses des dispositifs actuels, les rapporteurs considèrent qu’il convient d’élaborer une stratégie nationale d’équipement des écoles en bibliothèques, conjointement avec les collectivités, mettant l’accent sur la nécessité de procurer à ces lieux des ressources pérennes.

Il est d’autant plus difficile de faire vivre dans de bonnes conditions les bibliothèques d’école que la fonction de bibliothécaire d’école n’existe pas officiellement et n’est adossée à aucun statut ni à aucun concours, contrairement au métier de professeur documentaliste, qui s’exerce après obtention du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes). Dans son rapport de 2021, l’IGESR recommandait, à cet égard, de développer la formation des personnels bénévoles et de reconnaître leur engagement en rémunérant leurs activités dans les bibliothèques d’école sous la forme d’heures supplémentaires. Les rapporteurs font leurs ces propositions.

c.   Les bibliothèques d’école peuvent jouer un rôle fondamental en matière de soutien à la lecture

Dès lors qu’une bibliothèque d’école existe, l’équipe qui l’anime devrait mettre en place un système de prêt hebdomadaire pour tous les élèves : chacun d’entre eux doit prendre l’habitude d’emprunter un ou deux livres chaque semaine, de façon à ce que leur usage devienne naturel.

Le développement des bibliothèques d’école devrait s’accompagner d’un renforcement des liens entre ces structures et les autres bibliothèques du territoire, afin d’engager des synergies positives allant au-delà de la simple visite de début d’année qui est souvent organisée. D’une part, les bibliothèques des collectivités territoriales peuvent servir de centres de ressources pour les bibliothèques d’école. D’autre part, les actions de coopération entre les équipes enseignantes et le personnel des bibliothèques doivent être encouragées. Il faut développer les activités des classes dans les bibliothèques alentours. On pourrait envisager que tous les élèves de CP se voient offrir, à la fin du premier trimestre, une carte de lecteur dans la bibliothèque la plus proche de leur domicile.

Il paraît également souhaitable aux rapporteurs de multiplier, au sein des bibliothèques, les événements associant les parents, car ces derniers détiennent l’une des clés les plus importantes pour l’entrée des élèves dans le monde de l’écrit. Non seulement les enfants tireront un profit immédiat d’un développement des pratiques de lecture de leurs parents, mais ces derniers en profiteraient également : les rapporteurs sont convaincus que ce serait là un moyen de renouer avec la conception de la bibliothèque d’école comme instrument d’éducation populaire.

 

Proposition n° 27 : Faire un état des lieux complet des bibliothèques d’école pour identifier les besoins.

Proposition n° 28 : Équiper toutes les écoles de bibliothèques, en partenariat avec les collectivités, et procurer à ces lieux des ressources pérennes.

Proposition n° 29 : Encourager les partenariats entre bibliothèques d’école et bibliothèques des collectivités.

Proposition n° 30 : Rendre systématique la prise en compte des écoles maternelles et élémentaires lors de la conclusion de contrats territoire-lecture.

Proposition n° 31 : Reconnaître l’engagement des enseignants dans les bibliothèques d’école en rémunérant les activités exercées à ce titre sous forme d’heures supplémentaires.

Proposition n° 32 : Offrir à tous les élèves de CP, à la fin du premier trimestre, une carte de lecteur dans la bibliothèque la plus proche de leur domicile.

3.   Accroître la place de la famille dans l’éveil au plaisir de lire, dès le plus jeune âge et tout au long de la scolarité

a.   Le rôle fondamental de la lecture partagée

La communauté éducative doit prendre davantage conscience de l’importance de la lecture partagée. Les parents ou les grands-parents doivent s’impliquer dans ce processus très utile dès le plus jeune âge de l’enfant.

Le professeur José Morais a consacré des développements éclairants à cette pratique. « Lorsque maman et papa éteignent la télévision et s’assoient dans le salon à lire un livre, l’enfant se dit – à raison – que le livre est une valeur plus haute. Et il veut faire de même. S’il ne sait pas encore lire, il va leur demander qu’on lui apprenne. Dans la lecture partagée, l’adulte lit à voix haute pour l’enfant, et le livre est le centre de leur attention convergente. La lecture partagée fait partie des expériences qu’on vit avec autrui. […] En général, le partage conduit à une amplification des jugements positifs et négatifs, et ces affects peuvent influencer les acquisitions cognitives. » ([165])

En outre, la lecture n’est réellement partagée que si elle suscite des interactions entre l’enfant et les parents, qu’il s’agisse d’échanges verbaux ou non verbaux. José Morais rappelle à cet égard les résultats d’une étude conduite aux États-Unis. Outre les effets très positifs de la lecture partagée sur l’entrée dans la littératie, cette étude démontre que l’intérêt de l’enfant est étroitement corrélé aux « énoncés méta-langagiers » du parent. Autre résultat frappant, l’intérêt manifesté par l’enfant à 18 mois permet de prédire sa connaissance des lettres à 42 mois. Morais conclut : « Les enfants sont des agents très actifs de leur propre développement. Pour l’enfant, la lecture n’a pas de valeur utilitaire, elle est un jeu et un éveilleur de sa curiosité pour la langue et pour les réalités » dont ses parents lui parlent ([166]).

Le rapport de la commission d’experts sur les 1 000 premiers jours de l’enfant a confirmé l’intérêt de la lecture partagée : « De nombreuses études démontrent notamment les effets positifs de la lecture à voix haute impliquant les parents et les jeunes enfants. » Dans la mesure où le Gouvernement a fait de cette période des 1 000 premiers jours de vie l’une de ses politiques prioritaires, il importe de développer les actions relatives à la lecture partagée dans le cadre de ce plan d’action.

La lecture parentale est un enjeu de société, car elle se révèle décisive par la suite, lors de l’apprentissage de la lecture en CP. Elle contribue puissamment à la réduction des effets des inégalités sociales. Enfin, elle constitue une des clés du développement du plaisir de lire.

Proposition n° 33 : Organiser une campagne de sensibilisation aux bénéfices de la lecture partagée afin de développer la pratique, surtout dans les milieux défavorisés.

b.   Inciter les parents à accompagner davantage leurs enfants dans la découverte de la lecture

Au-delà des bienfaits de la lecture partagée, les spécialistes s’accordent sur l’importance, pour la réussite scolaire des enfants, d’une implication de leurs parents. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture : il est utile que les parents suivent et accompagnent la progression de l’élève. Cette démarche, naturelle dans certains milieux socio-culturels, l’est beaucoup moins dans d’autres. Il appartient au reste de la communauté éducative d’encourager la prise de responsabilités des parents dans ce domaine. Les représentants du Syndicat des directrices et directeurs d’écoles ont souligné le rôle de la famille dans la consolidation de l’apprentissage de la lecture : « L’école apprend à décoder, la maison apprend à lire. »

Comme le notait une étude de l’organisme britannique EEF – Education Endowment Foundation –, les « stratégies d’engagement parental sont généralement plus efficaces auprès des parents de très jeunes enfants ». « Il est important de prendre en compte la question du soutien à apporter aux parents pour que l’apprentissage à la maison soit de bonne qualité. Fournir des stratégies pratiques à travers des conseils, un soutien et des ressources pour faciliter l’apprentissage à la maison peut produire de meilleurs effets que de distribuer simplement un livre aux élèves ou demander aux parents de fournir une aide générale à leurs enfants. » ([167])

Un dispositif comme celui de « la mallette des parents » peut constituer un modèle. Cette initiative avait été menée pendant l’année scolaire 2008-2009 dans 37 collèges de l’académie de Créteil ([168]). Le programme, qui consistait à organiser des réunions avec des parents volontaires, souvent des immigrants récemment arrivés, avait fait la preuve de son efficacité : il s’était traduit par une amélioration des résultats des enfants et de leur comportement en classe. Il s’agissait de faire passer les messages suivants : tous les parents peuvent aider leurs enfants, quel que soit leur niveau de familiarité avec l’école ; le travail à l’extérieur de l’école est extrêmement important pour la réussite scolaire ; les parents devraient s’impliquer dans les devoirs de leurs enfants ; les enfants ont besoin de sentir que leurs parents comprennent le fonctionnement de l’établissement et qu’ils adhèrent aux demandes des professeurs et de l’administration.

S’agissant des élèves et des parents allophones, le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » (OEPRE) doit être renforcé. Conduit en partenariat entre le ministère de l’Intérieur et le ministère chargé de l’Éducation nationale, il a pour objet de favoriser l’intégration des parents d’élèves primo-arrivants, immigrés ou étrangers hors Union européenne volontaires, notamment en les impliquant dans la scolarité de leur enfant. Des formations gratuites, d’une durée comprise entre 60 et 120 heures annuelles, sont proposées à des groupes de 8 à 15 personnes environ au sein d’écoles, de collèges ou de lycées. Elles sont organisées pendant la semaine, à des horaires permettant d’accueillir le plus grand nombre possible de parents.

Ces formations ont pour objectif, entre autres, d’accélérer l’acquisition du français – comprendre, parler, lire et écrire – et la connaissance du fonctionnement et des attentes de l’école vis-à-vis des élèves et des parents. Elles sont assurées majoritairement par des enseignants, pour l’essentiel formés à l’enseignement du français seconde langue ([169]). Les inscriptions ont lieu au sein de l’école ou de l’établissement fréquenté par l’enfant. Si les écoles et les associations de parents d’élèves peuvent utilement diffuser l’information, il semble que le dispositif demeure encore trop peu connu des familles, alors même qu’il peut être particulièrement utile pour aider des parents à accompagner leur enfant dans l’apprentissage de la lecture.

De tels dispositifs doivent être encouragés et leur promotion renforcée. Dans les zones où le nombre d’enfants allophones ou issus d’un milieu familial allophone est élevé, il convient de généraliser le dispositif OEPRE.

Proposition n° 34 : Faire la promotion des dispositifs favorisant l’implication des parents dans les activités de lecture des enfants.

Proposition n° 35 : Généraliser le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » (OEPRE) dans les zones comptant de nombreux enfants allophones ou dont la famille est allophone.

*

*     *

L’ensemble des actions recommandées dans cette partie permet d’enclencher puis d’entretenir ce que l’Éducation nationale appelle le « cercle vertueux du bon lecteur », détaillé dans le schéma ci-après.

Le « cercle vertueux du bon lecteur »

https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/styles/embed_image/public/imported_files/image/Mobilisation-livre-lecture-740x397_802773.jpg?itok=qvmrKwqD

Source : site du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, « Mobilisation en faveur du livre et de la lecture »



  1 

   Conclusion

En matière d’apprentissage de la lecture, il apparaît clairement que certaines méthodes sont plus efficaces que d’autres. Elles sont, en particulier, plus profitables pour les élèves les plus en difficulté et ceux dont le capital culturel de départ est le moins fourni. L’école est donc en mesure de casser les déterminismes – ce qu’elle était capable de faire par le passé. Lui permettre de le faire de nouveau est une question de volonté politique et pédagogique, dont la mise en œuvre doit se traduire dans l’évolution de la formation des enseignants, leur accompagnement, la labellisation des manuels ou encore la réhabilitation de l’objet « livre ».

Enseignement fondamental au sens premier du terme, dès lors qu’il sert de fondement à tous les autres apprentissages mais aussi à bien des compétences sociales, le socle que constitue la lecture doit être fermement établi pour que les enseignants accomplissent pleinement leur vocation, celle de pouvoir déclarer, selon la formule fameuse d’un personnage de Rabelais : « Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes. » ([170])


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles et de l’éducation s’est réunie le mercredi 24 janvier 2024 pour examiner le rapport d’information présenté par Mme Annie Genevard et M. Fabrice Le Vigoureux, rapporteurs, en conclusion des travaux de la mission d’information relative à l’apprentissage de la lecture.

 

Cette réunion n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit ; elle est accessible sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : https://assnat.fr/Y5dmuW

 

À l’issue de sa présentation, en application du 7e alinéa de l’article 145 du Règlement, la commission a autorisé la publication du rapport d’information.

 


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   Liste des propositions

Proposition n° 1 : Former les enseignants aux pratiques pédagogiques adaptées aux classes dédoublées.

Proposition n° 2 : Réaffirmer la fonction première du CP de conduire l’ensemble des élèves à la maîtrise complète du décodage par un enseignement explicite, spécifique, soutenu et ordonné des correspondances graphèmes-phonèmes ; réduire le temps consacré aux « enseignements à » au profit de l’enseignement de la lecture.

Proposition n° 3 : Renforcer la pratique de l’écrit à l’école primaire, en associant étroitement décodage et encodage en CP et en CE1 puis en promouvant des exercices d’écriture fréquents tout au long de la scolarité primaire.

Proposition n° 4 : Clarifier les attendus de la maternelle en ce qui concerne la préparation de l’apprentissage de la lecture dans le cadre de la refonte des programmes annoncée pour la rentrée 2024.

Proposition n° 5 : Regrouper en un même cycle les niveaux de grande section, CP et CE1 pour une nécessaire continuité entre ces niveaux concernés par l’apprentissage de la lecture.

Proposition n° 6 : Dispenser l’enseignement de la compréhension et celui du décodage, en classe de CP, sur des supports et des temps d’apprentissage clairement distincts, jusqu’à ce que l’élève soit en mesure de déchiffrer seul des textes complets.

Proposition n° 7 : Accentuer le travail sur la compréhension écrite au cycle 3 sous la forme d’un enseignement explicite et d’une méthodologie robuste.

Proposition n° 8 : Réorienter la réserve citoyenne de l’Éducation nationale sur les compétences des élèves en lecture, par un appui aux professeurs leur permettant de proposer ponctuellement un enseignement plus individualisé aux élèves en difficulté.

Proposition n° 9 : Affirmer dans les instructions officielles l’importance des manuels d’apprentissage de la lecture en CP et CE1.

Proposition n° 10 : En attendant la labellisation des manuels, rendre obligatoire, dans la formation des professeurs des écoles, un module consacré aux critères de choix des manuels de lecture.

Proposition n° 11 : Labelliser les manuels de lecture de CP et de CE1. La définition des critères et des modalités de sélection résulterait d’une concertation avec les parties prenantes, en particulier les organismes scientifiques, les enseignants et les éditeurs d’éducation.

Proposition n° 12 : Engager un plan national de renouvellement des manuels de lecture de CP et de CE1, en partenariat avec les collectivités territoriales. L’État prendrait en charge la plus grande partie, voire la totalité du coût de l’opération. Celle-ci privilégierait la fourniture auprès des libraires locaux. Les élèves seraient propriétaires des manuels, ce qui suppose par la suite un renouvellement annuel.

Proposition n° 13 : Sensibiliser les enseignants à l’importance, pour la réussite des élèves, d’utiliser ces manuels labellisés.

Proposition n° 14 : En fonction de la validation scientifique des résultats de l’étude Formalect, engager une expérimentation, dans plusieurs académies, de l’apprentissage de la lecture fondée sur les principes suivants : 100 % phonique, 100 % déchiffrable et zéro mot-outil.

Proposition n° 15 : Donner au ministère de l’Éducation nationale, futur recruteur des professeurs, un pouvoir de prescription sur la maquette de formation des Inspé, par un dialogue renforcé avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Proposition n° 16 : Allonger la durée des modules de formation sur l’enseignement de la lecture et leur fixer une durée minimale, commune à l’ensemble des Inspé. Associer à ces modules des éléments de formation sur les processus d’apprentissage et de mémorisation de l’enfant.

Proposition n° 17 : Mettre en œuvre un recrutement des futurs professeurs des écoles en fin de licence, suivi de deux années de formation initiale professionnalisante.

Proposition n° 18 : Rendre obligatoire la réalisation d’un stage en classe de CP au cours des deux années de formation initiale des étudiants reçus au concours.

Proposition n° 19 : Mesurer les effets du plan Français sur les résultats des élèves dans les circonscriptions les plus en avance dans son déploiement puis à l’entrée en sixième des premiers élèves dont les enseignants ont été concernés.

Proposition n° 20 : Effectuer un effort ciblé de formation continue et de suivi des jeunes enseignants affectés en CP et CE1.

Proposition n° 21 : Proposer aux enseignants nouvellement affectés en CP, y compris en milieu de carrière, une formation de quelques demi-journées consacrée à l’enseignement de la lecture, dans les écoles académiques de formation continue ; adresser à ceux qui n’ont pas exercé en CP depuis 2019 le « guide orange » de la DGESCO, en format papier.

 

Proposition n° 22 : Prévoir de manière systématique, dans les lettres de mission des IEN, un pilotage ciblé sur les établissements dont les résultats aux évaluations sont inférieurs à la moyenne des résultats des établissements comparables.

Proposition n° 23 : Recentrer les missions des inspecteurs de l’Éducation nationale sur le conseil pédagogique pour un meilleur accompagnement des professeurs de la circonscription en augmentant le nombre de visites dans les classes.

Proposition n° 24 : Développer à grande échelle les initiatives du type « quart d’heure de lecture », en partenariat avec des associations ou en mobilisant la réserve citoyenne de l’Éducation nationale.

Proposition n° 25 : Pérenniser l’opération « Un livre pour les vacances » et l’étendre aux enfants des classes de CP, CE1, CE2 et CM1.

Proposition n° 26 : Organiser un plan de sensibilisation des parents à la nocivité, en particulier pour les apprentissages, d’une surexposition aux écrans.

Proposition n° 27 : Faire un état des lieux complet des bibliothèques d’école pour identifier les besoins.

Proposition n° 28 : Équiper toutes les écoles de bibliothèques, en partenariat avec les collectivités, et procurer à ces lieux des ressources pérennes.

Proposition n° 29 : Encourager les partenariats entre bibliothèques d’école et bibliothèques des collectivités.

Proposition n° 30 : Rendre systématique la prise en compte des écoles maternelles et élémentaires lors de la conclusion de contrats territoire-lecture.

Proposition n° 31 : Reconnaître l’engagement des enseignants dans les bibliothèques d’école en rémunérant les activités exercées à ce titre sous forme d’heures supplémentaires.

Proposition n° 32 : Offrir à tous les élèves de CP, à la fin du premier trimestre, une carte de lecteur dans la bibliothèque la plus proche de leur domicile.

Proposition n° 33 : Organiser une campagne de sensibilisation aux bénéfices de la lecture partagée afin de développer la pratique, surtout dans les milieux défavorisés.

Proposition n° 34 : Faire la promotion des dispositifs favorisant l’implication des parents dans les activités de lecture des enfants.

Proposition n° 35 : Généraliser le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » (OEPRE) dans les zones comptant de nombreux enfants allophones ou dont la famille est allophone.


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   ANNEXE :
Liste des personnes entendues par les rapporteur
s

(par ordre chronologique)

 

       Conseil scientifique de l’Éducation nationale – M. Stanislas Dehaene, président

       Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – M. Éric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation

       Conseil supérieur des programmes – M. Mark Sherringham, président

       Direction de l’évaluation, de la prospection et de la performance (Depp)  Mme Magda Tomasini, directrice, et M. Thierry Rocher, sous-directeur des évaluations et de la performance scolaire

       Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) – M. Édouard Geffray, directeur général

       Conseil d’évaluation de l’école – M. Daniel Auverlot, directeur, et M. Bertrand Sécher, expert

       Réseau des Inspé – Mmes Nathalie Catellani, vice-présidente du réseau et directrice de l’Inspé de l’académie d’Amiens, et Anne-Lise Rotureau, déléguée générale

       Syndicat des directrices et directeurs d’écoles (S2DÉ)M. Thierry Pajot, secrétaire général, Mmes Amélie Saint-Paul, référente pour le département 41, et Florence Sczewczyk, secrétaire adjointe

       Syndicat de l’inspection de l’Éducation nationale  MM. Sébastien Collet, secrétaire général adjoint chargé du secteur 1er degré, et Patrick Roumagnac, secrétaire général

       Les Éditeurs d’éducation* – M. Samuel Cette (Éditions Sedrap, Éditions Sed), Mmes Noëmie Coquet (Belin Éducation), Delphine Deveaux (Hachette Éducation), Céline Lorcher (Éditions Retz), Laurence Michaux (Éditions Magnard), Valérie Perthue, (Éditions Hatier), et Jessica Petrou-Freling (Les Éditeurs d’Éducation)

       M. Nuno Crato, professeur de mathématiques et de statistiques à l’université de Lisbonne, ancien ministre de l’Éducation et des sciences du Portugal

       M. Roland Goigoux, professeur des universités émérite

       Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) – Mmes Caroline Pascal, cheffe de l’IGESR, et Catherine Mottet, inspectrice générale

       Association des maires de France (AMF) – Mme Delphine Labails, maire de Périgueux et co-présidente de la commission éducation de l’AMF, M.  Sébastien Ferriby, conseiller culture et éducation, et Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement

       Table ronde des syndicats d’enseignants du premier degré du public :

 Fédération syndicale unitaire (FSU) – Mme Rachel Schneider, secrétaire nationale

 Syndicat général de l’éducation nationale CFDT (SGEN-CFDT) – M. Dominique Bruneau, secrétaire fédéral

 CGT Educ’action – M. Jérôme Sinot, secrétaire national en charge du premier degré

 Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC) – MM. Sébastien Vieille, secrétaire national, et Xavier Perinet-Marquet, membre du Bureau national

 Sud Éducation – M. Benjamin Bauné et Mme Nara Cladera, co-secrétaires fédéraux

       Table ronde des syndicats des associations de parents d’élèves :

 Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL nationale) – M. Christophe Abraham, secrétaire général, et Mme Laure Coquelet, membre du Bureau national

 Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) –Mme Marie Aude Duhamel, coordinateur pédagogique

 Union nationale des associations autonomes de parents d’élèves (UNAAPE) – M. Patrick Salaün, président, et Mme Helen Montagne, administratrice

       Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) – M. André Tricot, co-responsable

       MM. Jérôme Deauvieau, professeur de sociologie à l’École normale supérieure, et Paul Gioia, doctorant à l’École normale supérieure et à l’Institut national d’études démographiques (INED)

       Table ronde des syndicats d’enseignants du privé :

 CSPELC (Syndicat professionnel de l’enseignement libre catholique) – M. Éric Simonin, ancien professeur des écoles en CP, et Mme Hélène Viel, professeur des écoles en CP

 SNEC (Syndicat national de l’enseignement chrétien) – CFTC – Mmes Anne Cabaret, et Laurence Talon, professeurs des écoles

 CGT-Enseignement privé (CGT-EP) – Mmes Laetitia Djeuga-Bouchet, professeur des écoles en IME-ITEP, et Marie Troadec, professeure des écoles en élémentaire

 FEP-CFDT – Mme Jessica Bertrand-Drula, secrétaire nationale, professeur des écoles, et M. Pascal Bartkowski, secrétaire fédéral

       Table ronde des recteurs d’académie :

 Rectorat de Paris – M. Christophe Kerrero, recteur

 Rectorat de Mayotte – MM. Jacques Mikulovic, recteur, Thierry Denoyelle, IA-DAASEN, Ollivier Hunault, IGESR, André Canvel, IGESR, Mme Sylvie Malo, DRAIO, MM. Philippe Lefebvre, DRAFPIC, et Aurélien Dupouey-Delezay, DRAAC

 Rectorat d’Amiens – M. Hervé Sébille, IA-DASEN de l’Oise, et Mme Sylvie Delobelle, conseillère technique premier degré

 Rectorat de Rennes – MM.  Emmanuel Ethis, recteur, et Adrien Wallet, professeur des écoles et à l’Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle (INSEAC), et Mmes Camille Dappoigny, directrice de l’école académique de la formation continue, et Françoise Le Brozec, inspectrice de l’éducation nationale adjointe au DASEN des Côtes-d’Armor

       M. Michel Desmurget, docteur en neurosciences, auteur de Faites-les lire !

       Fédération française des dys (FFDys)  Mmes Nathalie Groh, présidente, et Ahlam Marque, présidente de l’association APEDA Dys France

       Contribution écrite de l’association Étapes lecture

       Contribution écrite de l’entreprise Audible

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Dans les systèmes d’écriture alphabétiques, la relation entre les sons et les lettres permettant de transcrire ces derniers n’est pas toujours systématique et régulière – autrement dit, un son n’est pas forcément corrélé à une lettre ou à un ensemble de lettres. Les langues « transparentes » sont celles qui se rapprochent le plus d’une correspondance exacte, les langues « opaques » celles présentant une plus grande variété : un même phonème peut être transcrit de diverses manières, tandis qu’un même graphème donne lieu à des prononciations différentes. L’italien et l’espagnol sont considérés comme des langues transparentes, tandis que l’anglais est très opaque : 62 phonèmes et 1 120 graphèmes, quand le français en compte respectivement 36 et 130 (Claude Hagège, Contre la pensée unique, Odile Jacob, 2012).

([2]) Programme international pour le suivi des acquis des élèves, dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

([3]) La Depp est à la fois une direction du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse et le service statistique ministériel chargé d’établir des statistiques en matière d’éducation. À ce titre, elle est soumise au règlement (UE) 2015/759 du 29 avril 2015 modifiant le règlement (CE) no 223/2009 relatif aux statistiques européennes et doit donc respecter les principes d’objectivité, d’impartialité, de pertinence et de qualité des données.

([4]) Chaque cycle dure six ans, une ou plusieurs disciplines étant évaluées chaque année. En ce qui concerne la « maîtrise de la langue », qui inclut la lecture et l’écriture, les échantillons d’élèves de CM2 ont été testés en 2003, en 2009, en 2019 et en 2021. Voir : https://www.education.gouv.fr/cycle-des-evaluations-disciplinaires-realisees-sur-echantillon-cedre-en-fin-d-ecole-et-fin-de-2870.

([5]) Trois dimensions principales sont testées : localiser des informations pertinentes à l’intérieur d’un texte, comprendre le sens d’un texte, évaluer sa qualité et sa crédibilité.

([6]) Jérôme Deauvieau, « Pratiques enseignantes et inégalités scolaires à l’entrée dans l’écrit », 24 mai 2023, Collège de France : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/grand-evenement/apprentissage-de-la-lecture-et-ses-difficultes/pratiques-enseignantes-et-inegalites-scolaires-entree-dans-ecrit-0.

([7]) Depp, « Journée défense et citoyenneté 2022 : plus d’un jeune Français sur dix en difficulté de lecture », https://www.education.gouv.fr/media/155711/download.

([8]) Contribution écrite envoyée aux rapporteurs.

([9]) https://eduscol.education.fr/document/31165/download. Elle n’est pas un gage de compréhension du texte mais sa maîtrise en est une des conditions, dans la mesure où elle permet de mesurer le degré d’automatisation du décodage auquel l’élève est parvenu.

([10]) Jérôme Deauvieau (avec la collaboration d’Odile Espinoza et Anne-Marie Bruno), « Lecture au CP : un effet-manuel considérable », rapport de recherche, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, novembre 2013.

([11]) « Repères et références statistiques 2023 ».

([12]) L’OCDE compte 38 membres, mais les études menées sont plus larges, et à géométrie variable : 31 pays avaient participé à la première enquête.

([13])  *Comme l’indique Stanislas Dehaene, « La méthode globale est issue d’une idée généreuse : refuser le "dressage" des enfants, que l’école primaire est parfois accusée de transformer en petites mécaniques à ânonner "pa, pe, pi, po, pu, papa a le tutu de Lili". Récusant la primauté de la mécanique, elle souhaite replacer le sens au centre de la lecture en donnant d’emblée aux enfants des textes censés les intéresser, leur laissant le plaisir d’y trouver eux-mêmes les phrases, puis les mots, puis les règles orthographiques. Ne redonne-t-elle pas ainsi l’initiative aux enfants ? À eux de construire leur propre apprentissage, en découvrant par eux-mêmes les règles de la lecture. Et tant pis si, au départ, l’enfant joue aux devinettes et lit : "Le minou a très soif" au lieu de : "Le chat boit du lait" – il est sur la bonne voie, prétendent certains partisans de la lecture globale, car il grandit en autonomie et découvre d’emblée le plaisir du sens. » (Les Neurones de la lecture, Odile Jacob, 2007)

([14]) En témoigne la conférence de consensus organisée en 2003 par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) sur le thème de la lecture dont les conclusions portaient, en sous-titre, « Lire ce n’est pas deviner. Plus le lecteur est expert, moins il devine ». Les recommandations précisaient que l’apprentissage initial devait permettre le déchiffrage et la reconnaissance des mots écrits, ce qui nécessite la compréhension du principe alphabétique : comprendre que les mots sont composés d’unités plus petites et sans signification, et qu’à leur forme orale (phonèmes) correspondent des formes écrites (graphèmes).

([15]) Le Conseil scientifique de l’Éducation nationale a été installé par M. Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, le 10 janvier 2018. Il est composé de 29 chercheurs compétents dans les domaines de la psychologie cognitive, des sciences cognitives, des mathématiques, de l’informatique, de l’économie expérimentale, de la linguistique, de la philosophie et des sciences de l’éducation. Il fait la synthèse des recherches et des expérimentations existantes et les diffuse par différents moyens : notes, conférences internationales, etc.

([16]) Groupe de travail Pédagogie et manuels scolaires du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, en collaboration avec l’académie de Paris, « Pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ? ».

([17]) Morais, J., Robillart, G., Bentolila, A., Buser, P. (1998), Apprendre à lire au cycle des apprentissages fondamentaux (GS, CP, CE). Analyses, réflexions et propositions, Odile Jacob.

([18]) Ehri, L. C., Deffner, N. D., & Wilce, L. S. (1984), « Pictorial Mnemonics for Phonics », Journal of Educational Psychology.

([19]) Castles, A., Rastle, K., & Nation, K. (2018), « Ending the Reading Wars: Reading Acquisition from Novice to Expert », Psychological Science in the Public Interest.

([20]) Sprenger-Charolles, L., Desrochers, A., & Gentaz, É. (2018), « Apprendre à lire-écrire en français », Langue française, n° 199.

([21]) Landerl, K. (2000), « Influences of Orthographic Consistency and Reading Instruction on the Development of Nonword Reading Skills », European Journal of Psychology of Education.

([22]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([23]) https://eduscol.education.fr/document/1508/download?attachment.

([24]) En particulier s’agissant des recommandations de ne présenter aux élèves que des textes 100 % déchiffrables, d’éviter les raisonnements par analogie ou de mettre en place une étude allant des graphèmes aux phonèmes.

([25]) Cette loi crée, en son article 48, un nouvel article L. 912-1-1 du code de l’éducation, ainsi rédigé : « Art L. 912-1-1.  La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté. »

([26]) Enquête Formalect, conduite sous la direction de Jérôme Deauvieau, menée auprès de 9 342 enseignants répondant à un questionnaire en ligne en janvier 2021, soit près de 20 % des enseignants de CP en France. Les données recueillies ont porté sur les caractéristiques des enseignants (ancienneté, niveau de diplôme, etc.), leurs pratiques d’enseignement de la lecture et les résultats des 139 310 élèves aux évaluations nationales à l’entrée au CP, mi-CP et à l’entrée au CE1.

([27]) Jérôme Deauvieau, « Pratiques enseignantes et inégalités scolaires à l’entrée dans l’écrit », 24 mai 2023, Collège de France.

([28]) Direction générale de l’enseignement scolaire, Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP, édition d’août 2019, réimpression de juin 2021.

([29]) Jérôme Deauvieau, « Pratiques enseignantes et inégalités scolaires à l’entrée dans l’écrit », 24 mai 2023, Collège de France.

([30]) Ibid.

([31]) IGESR, Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré, Matthieu Lahaye et Catherine Mottet, janvier 2023.

([32]) Jérôme Riou, Enseigner la lecture : lecture, écriture, compréhension, Éditions Retz, septembre 2023.

([33]) Direction générale de l’enseignement scolaire, Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP, édition d’août 2019, réimpression de juin 2021.

([34]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([35]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([36]) Conseil scientifique de l’Éducation nationale, note d’alerte « De nouveaux signaux d’alerte sur l’enseignement de la lecture en CP », octobre 2022, https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/Note_alerte_CSEN_01.pdf.

([37])  https://www.education.gouv.fr/choc-des-savoirs-une-mobilisation-generale-pour-elever-le-niveau-de-notre-ecole-380226.

([38]) IGESR, Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré, janvier 2023. L’échantillon ne comptait que 189 professeurs des écoles.

([39]) Ibid.

([40]) Ibid.

([41]) Il s’agit de Taoki et compagnie, Lecture Piano et Pilotis.

([42]) L’AMF a souligné, dans sa réponse au questionnaire des rapporteurs, que « les manuels scolaires ne relèvent pas des dépenses de fonctionnement obligatoires pour les collectivités, car relevant in fine de la propriété exclusive de l’élève ». Néanmoins, « une proportion importante de communes semble accompagner depuis longtemps les familles, notamment les plus en difficulté, dans l’acquisition de ces manuels ».

([43]) Pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ?, op. cit.

([44]) Réponse au questionnaire des rapporteurs.

([45]) Pratiques enseignantes et inégalités scolaires à l’entrée dans l’écrit, op. cit.

([46]) Pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ?, op. cit.

([47]) Ibid.

([48]) Roland Goigoux, Lire et écrire, Université de Lyon, Institut français de l’éducation, ENS de Lyon, 2016.

([49]) Pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ?, op. cit.

([50]) Cette étude au long cours, pilotée par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), porte sur 18 000 enfants nés en France métropolitaine en 2011. Cent cinquante chercheurs appartenant à plusieurs disciplines scientifiques s’intéressent à la santé, à la scolarité, à l’alimentation ou encore à la vie familiale et sociale des enfants appartenant à la cohorte. Voir : https://www.elfe-france.fr/.

([51]) Jonathan Y. Bernard, Lorraine Poncet, Mélèa Saïd Shuai Yang, Marie-Noëlle Dufourg, Malamine Gassama  et Marie-Aline Charles, « Temps d’écran de 2 à 5 ans et demi chez les enfants de la cohorte nationale elfe », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2023, n° 6.

([52]) Citée par La Montagne, 12 avril 2023, « « 56 minutes à 2 ans, c’est colossal » : pourquoi le temps d’écran des jeunes a tant augmenté ».

([53]) Audition de Michel Desmurget devant le Conseil supérieur des programmes. Voir : Conseil supérieur des programmes, Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques, avril 2022.

([54]) OpinionWay, « Le sommeil des jeunes (15-24 ans) », 2018.

([55]) Académie des sciences, Académie de médecine, L’enfant, l’adolescent, la famille, les écrans, appel à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques, 9 avril 2019.

([56]) Hervé Chneiweiss, Notre cerveau, L’Iconoclaste, Paris, 2019, p. 195.

([57]) Ibid., p. 206.

([58]) L’article 16 modifia l’article L. 131-2 du code de l’éducation.

([59]) Cour des comptes, « Le Service public numérique pour l’éducation. Un concept sans stratégie, un déploiement inachevé », rapport public thématique, juillet 2019.

([60]) Réponse au questionnaire des rapporteurs.

([61]) Interview à Madame Figaro, 30 novembre 2023 : https://madame.lefigaro.fr/enfants/education/gabriel-attal-je-veux-rehabiliter-la-notion-de-culture-generale-20231130.

([62]) Julie Perel et Audrey Vinel, au nom du collectif Coline, lettre ouverte à Gabriel Attal, publiée sur le site internet de Marianne le 30 novembre 2023 : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/ecole-numerique-m-attal-vous-devez-agir-contre-la-catastrophe-sanitaire-et-educative-qui-se-joue.

([63]) Cnesco, « Numérique et apprentissages scolaires », André Tricot et Jean-François Chesné, octobre 2020.

([64]) Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques, op. cit. Parmi ces outils, on peut citer Ridisi, traitement de texte en ligne destiné aux professeurs des écoles qui permet d’ajouter des aides à la lecture dans les textes proposés aux élèves. L’enseignant peut ainsi décider de mettre en évidence les syllabes, ou encore d’insérer au-dessus de certaines syllabes des « pictogrammes » pour aider les élèves à identifier un phonème. L’outil est intéressant dans la mesure où les professeurs des écoles peuvent adapter la présentation des textes en fonction du niveau des élèves, soit de manière individuelle soit en les classant par groupes. En outre, Ridisi facilite l’adaptation de la police de caractères de façon à aider les enfants dyslexiques. Voir : https://ridisi.fr/.

([65]) Ibid.

([66]) Ibid.

([67]) Ibid.

([68]) https://eduscol.education.fr/document/327/download.

([69]) Direction générale de l’enseignement scolaire, « Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », édition d’août 2019, réimpression de juin 2021.

([70]) IGESR, « Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré », Matthieu Lahaye et Catherine Mottet, janvier 2023.

([71]) Décret 2013-77 du 24 janvier 2013 et circulaire 2013-17 du 6 février 2013.

([72]) Inspection générale de l’Éducation nationale, « Rapport sur l’efficacité de la réforme des rythmes scolaires », juin 2015.

([73]) Décret 2008-775 du 30 juillet 2008 : « Les cent huit heures annuelles de service mentionnées à l’article 1er sont réparties de la manière suivante : 1° Soixante heures consacrées à de l’aide personnalisée ou à des interventions en groupes restreints auprès des élèves rencontrant des difficultés dans leurs apprentissages et au temps d’organisation proportionné correspondant ».

([74]) Décret 2008-775 du 30 juillet 2008 dans sa version aujourd’hui en vigueur : « Les cent huit heures annuelles mentionnées au 2° de l’article 1er sont réparties de la manière suivante : 1° Trente-six heures consacrées à des activités pédagogiques complémentaires organisées dans le projet d’école, par groupes restreints d’élèves, pour l’aide aux élèves rencontrant des difficultés dans leurs apprentissages, pour une aide au travail personnel ou pour une activité prévue par le projet d’école ».

([75]) Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.

([76]) IGESR, « Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré », Matthieu Lahaye et Catherine Mottet, janvier 2023.

([77]) Ibid.

([78]) Depp, note d’information n° 20.15, « Dédoublement des classes de CP en éducation prioritaire : exploitation des enquêtes auprès des enseignants après deux années de déploiement », avril 2020.

([79]) Les réseaux d’éducation prioritaire scolarisaient 20,7 % des élèves du premier et du second degrés à la rentrée 2022. Dans le premier degré, 60 % de ces élèves étaient scolarisés en REP et 40 % en REP+.

([80]) IGESR, « Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré », Matthieu Lahaye et Catherine Mottet, janvier 2023.

([81]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([82]) Ibid.

([83]) Ibid.

([84]) https://web-archive.oecd.org/fr/2012-06-15/133681-39438013.pdf.

([85]) Morlaix S., Suchaut B., « Évolution et structure des compétences des élèves à l’école élémentaire et au collège : une analyse empirique des évaluations nationales », Cahiers de l’Irédu, n° 68, mai 2007.

([86]) Institut Montaigne, « Inégalités scolaires : agir à la racine », Baptiste Larseneur, septembre 2023.

([87]) Depp, évaluations repères 2022 de début CE1 : https://www.education.gouv.fr/evaluations-reperes-2022-de-debut-de-cp-et-de-ce1-des-resultats-comparables-ceux-de-2021-l-exception-344224.

([88]) Direction générale de l’enseignement scolaire, « Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », édition d’août 2019, réimpression de juin 2021. Ce n’est pas seulement de vocabulaire qu’il s’agit ici : sauf déficience neurologique, le cerveau des jeunes enfants est très vite apte à comprendre et utiliser le langage oral (voir supra).

([89]) Jérôme Deauvieau, « Pratiques enseignantes et inégalités scolaires à l’entrée dans l’écrit », 24 mai 2023, Collège de France.

([90]) Stanislas Dehaene, Les Neurones de la lecture, op. cit.

([91]) « L’enseignement explicite se caractérise par une série de soutiens ou d’étayages, par lesquels les élèves sont guidés tout au long du processus d’apprentissage, au moyen d’énoncés clairs sur l’objectif et les raisons d’apprendre la nouvelle compétence, d’explications claires et de démonstrations de l’objet à acquérir, ainsi que d’une pratique guidée par des feed-back jusqu’à ce qu’une maîtrise autonome soit atteinte », Archer & Hughes, 2011.

([92]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([93]) Jérôme Riou, op. cit.

([94]) Jérôme Riou définit l’encodage de la manière suivante : « L’encodage consiste à produire de l’écrit à l’aide d’un code, autrement dit à transcrire une chaîne sonore que l’on a soi-même imaginée ou qui est dictée par autrui. Concrètement, il s’agit d’écrire un mot, une phrase, un texte en choisissant les phonogrammes appropriés et en veillant à ne pas oublier d’éventuelles lettres muettes. C’est l’exercice inverse de celui de la lecture. Pour lire, il faut décoder, déchiffrer à l’aide d’un code. Pour écrire, il faut encoder, "chiffrer" à l’aide de ce code. » (op. cit.)

([95]) Direction générale de l’enseignement scolaire, « Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », édition d’août 2019, réimpression de juin 2021.

([96]) Ibid.

([97]) Direction générale de l’enseignement scolaire, « Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », édition d’août 2019, réimpression de juin 2021.

([98]) « L’identification des mots écrits est soutenue par un travail de mémorisation de formes orthographiques : copie, restitution différée, aptitude à transcrire les sons en lettres. Écrire est l’un des moyens d’apprendre à lire, en lien avec le vocabulaire, la grammaire, l’orthographe et la compréhension. La multiplicité des entraînements, sous diverses formes, conduit à une automatisation progressive. »

([99]) IGESR, « Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré », Matthieu Lahaye et Catherine Mottet, janvier 2023.

([100]) Ce point a fait l’objet d’une note adressée aux recteurs par M. Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, en janvier 2023. La recommandation concerne les élèves de CM1 et de CM2.

([101]) Depp, « Les performances en orthographe des élèves de CM2 toujours en baisse, mais de manière moins marquée en 2021 », note d’information, n° 22.37, 2022.

([102])  Conseil scientifique de l’Éducation nationale, « Apprendre à lire : du décodage à la compréhension », Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler, octobre 2022.

([103]) Vers le Haut, « La lecture, b.a-ba de la relation, idées et initiatives pour une hospitalité littéraire », Nathanaël Mion, octobre 2022.

([104]) Institut Montaigne, Inégalités scolaires : agir à la racine, Baptiste Larseneur, septembre 2023.

([105]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([106]) Institut Montaigne, Inégalités scolaires : agir à la racine, Baptiste Larseneur, septembre 2023.

([107]) Conseil scientifique de l’Éducation nationale, Comment faciliter l’acquisition du vocabulaire à l’école maternelle ?, synthèse de la recherche et recommandations, septembre 2023.

([108]) Conseil scientifique de l’Éducation nationale, Apprendre à lire : du décodage à la compréhension, Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler, octobre 2022.

([109]) https://eduscol.education.fr/document/301/download?attachment.

([110]) Jérôme Riou, op. cit.

([111]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([112]) Ibid.

([113]) Conseil scientifique de l’Éducation nationale, « Apprendre à lire : du décodage à la compréhension », Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler, octobre 2022.

([114]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([115]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([116]) Depp, « PIRLS 2021 : la France stabilise ses résultats contrairement aux autres pays européens majoritairement en baisse », note n° 23.21, mai 2023.

([117]) IGESR, « L’enseignement en cours moyen : état des lieux et besoins », Ollivier Hunault, Yves Poncelet, avril 2022.

([118]) Voir notamment « La compréhension : cela s’apprend et s’enseigne… vers un enseignement explicite », dans Comment enseigner la compréhension en lecture ?, Maryse Bianco et Laurent Lima (dir.), Hatier, 2017.

([119]) Direction générale de l’enseignement scolaire, « Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », édition d’août 2019, réimpression de juin 2021.

([120]) Contribution écrite adressée aux rapporteurs.

([121]) IGESR, mission prospective sur l’illettrisme, Renaud Ferreira de Oliveira, Catherine Mottet, mai 2022.

([122]) Depp, « PIRLS 2021 : la France stabilise ses résultats contrairement aux autres pays européens majoritairement en baisse », note n° 23.21, mai 2023.

([123]) Cnesco, Conférence de consensus, « Lire, comprendre, apprendre : comment soutenir le développement des compétences en lecture », mars 2016 ;
https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/04/Lecture_dossier_synthese.pdf.

([124]) En pratique, lorsqu’un enseignant souhaite bénéficier d’un appui particulier (témoignage, éclairage technique dans une discipline, etc.) dans le cadre d’un projet pédagogique, il se rend sur le portail spécialisé pour effectuer une recherche parmi les différents profils de réservistes puis sélectionne celui qui correspond le mieux à son projet et contacte le réserviste. Il doit s’assurer au préalable de l’accord de son directeur d’école.

([125]) https://www.education.gouv.fr/choc-des-savoirs-une-mobilisation-generale-pour-elever-le-niveau-de-notre-ecole-380226.

([126]) Ibid.

([127]) Comme mentionné par le dossier de presse associé aux annonces portant sur le « choc des savoirs » de décembre 2023, « une publication de Jacob et Lefgren (2004) conclut que le redoublement présente un impact positif sur le parcours scolaire lorsqu’il intervient dès les petites classes à l’école primaire. Ces résultats sont confirmés par ceux publiés par Dong (2010), ainsi que ceux de Diaz et alii (2021) qui montrent que le redoublement au primaire peut réduire les risques de redoublement dans le second degré. Une revue de littérature de Draelants (2018) rappelle que le redoublement peut aussi éviter des orientations futures non désirées et offrir une seconde chance à un élève en difficulté scolaire en investissant une année d’enseignement supplémentaire dans son parcours. Une publication de Goos et alii (2021) montre également que l’existence du redoublement renforce la motivation intrinsèque des élèves, qui élèvent leur seuil d’exigence scolaire pour prévenir leur redoublement, ce qui contribue à leur réussite. »

([128]) Réponse au questionnaire des rapporteurs.

([129]) « Pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ? », op. cit.

([130]) Loi n° 47/2006 du 28 août 2006 définissant un régime d’évaluation, de certification et d’adoption des manuels pour les élèves du primaire et du secondaire, ainsi que les principes et objectifs auxquels doivent se conformer les dispositifs d’accompagnement socio-éducatifs pour l’acquisition et le prêt de manuels scolaires : https://www.dge.mec.pt/sites/default/files/ManuaisEscolares/2006_lei_47.pdf.

([131]) Ibid., article 9.

([132]) Voir en particulier : « Pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ? », op. cit.

([133]) La plateforme Anagraph, élaborée par Jérôme Riou au sein de l’Institut français de l’éducation, en partenariat avec le laboratoire ACTé – Activité connaissance transmission éducation – de l’université Clermont-Auvergne, permet de mesurer le niveau de déchiffrabilité des textes proposés aux élèves : http://anagraph.ens-lyon.fr.

([134]) Il s’agissait de Lecture piano ; Je lis, j’écris ; Pilotis ; Taoki et compagnie et Tu vois je lis. Seuls les deux premiers ont finalement été retenus. En 2023, les ouvrages recommandés par l’académie de Paris étaient les suivants : Néo. Je décode ; Timini ; Calimots ; Lire au CP avec Fil et Lulu ; Le Voyage de Lili et Paco.

([135]) Les Éditeurs d’éducation, réponse au questionnaire des rapporteurs.

([136]) Pour évaluer la dépense, les rapporteurs se sont fondés sur deux éléments : d’une part, le nombre d’enfants par classe d’âge, soit 800 000 environ, et, d’autre part, le coût d’une méthode de lecture avancé par les éditeurs eux-mêmes. Lors de leur audition, ils ont déclaré que l’on pouvait estimer l’investissement, pour la première année, à 500 euros par classe de 20 élèves, comprenant à la fois les livres des élèves – ce que les rapporteurs, suivant l’usage ordinaire, appellent « manuels » – et les cahiers d’exercices. En supposant que les élèves ne conservent pas les livres à la fin de l’année scolaire, l’école se contente, à la rentrée suivante, d’acheter des cahiers d’exercices, ce qui représente de l’ordre de 200 euros pour une classe de 20 élèves.

([137]) Avis présenté au nom de la de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi de finances pour 2024, n° 1781 (XVIe législature), tome III – Enseignement scolaire.

([138]) Exemple à l’Inspé de Bordeaux : « Les étudiants réalisent trois stages d’observation et de pratique accompagnée (SOPA) de deux semaines en première année de master pour découvrir les trois cycles de l’école primaire » https://www.inspe-bordeaux.fr/formations/professeur-des-ecoles.

([139]) Exemple à l’Inspé de Versailles : « Vous changerez de cycle entre le stage de M1 et le stage de M2 (maternelle / élémentaire) » https://inspe.ac-versailles.fr/wp-content/uploads/2023/03/presentation_master_meef1.pdf.

([140]) IGESR, « Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré », Matthieu Lahaye et Catherine Mottet, janvier 2023.

([141]) Institut Montaigne, « Inégalités scolaires : agir à la racine », Baptiste Larseneur, septembre 2023.

([142]) IGESR, « Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré », Matthieu Lahaye et Catherine Mottet, janvier 2023.

([143]) Ibid.

([144]) Victor Hugo, Faits et croyances.

([145]) Hervé Chneiweiss, Notre cerveau, op. cit.

([146]) Ibid.

([147]) Ibid.

([148]) Selon les données de l’OCDE : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/1c624896-fr/index.html?itemId=/content/component/1c624896-fr.

([149]) Lettre de la DGESCO du 3 octobre 2018 aux recteurs d’académie : https://www.silenceonlit.com/wp-content/uploads/2018/10/Silence-on-lit-181003-Note-Dgesco-sur-la-lecture.pdf.

([150]) « Lecture : construire le parcours d’un lecteur autonome », note de service no 2018-049 du 25 avril 2018, BO spécial no 3 du 26 avril 2018.

([151])  Écrivain, membre de l’Académie française.

([152])  https://www.silenceonlit.com/temps-de-lecture.

([153]) https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Les-bibliotheques-publiques/Developpement-de-la-lecture-publique/Les-politiques-de-lecture-publique-en-direction-de-la-jeunesse.

([154]) Contribution écrite envoyée aux rapporteurs.

([155]) « Michel Desmurget sur les écrans : "Notre système scolaire est en train de s’effondrer, il est grand temps que les politiques agissent" », Le Figaro, 1er décembre 2023.

([156]) Syndicat national de l’édition, « Les Chiffres de l’édition – Synthèse –2022-2023 ».

([157]) https://eduscol.education.fr/114/lectures-l-ecole-des-listes-de-reference.

([158]) IGESR, « Les bibliothèques d’écoles : état des lieux, usages pédagogiques, pratiques de lecture des élèves », rapport no 2021-190, octobre 2021.

([159]) Arrêté du 1er juin 1862.

([160]) Selon Denis Pallier, il y avait 14 400 bibliothèques scolaires en 1870 et 50 000 en 1915, sans compter les « bibliothèques circulantes ». Après cette phase d’essor, l’institution entra en déclin. (Denis Pallier, Les Bibliothèques, Presses universitaires de France, 2010).

([161]) https://eduscol.education.fr/document/865/download?attachment.

([162]) IGESR, « Les bibliothèques d’écoles », op. cit.

([163]) Ibid.

([164]) Au 31 décembre 2020, près de 179 contrats avaient été mis en œuvre (ibid.).

([165]) José Morais, Lire, écrire et être libre. De l’alphabétisation en démocratie, Odile Jacob, 2015.

([166]) Ibid.

([167]) « L’engagement des parents. Boîte à outils pour l’enseignement et l’apprentissage ».

([168]) https://www.povertyactionlab.org/fr/evaluation/la-mallette-des-parents-une-campagne-de-sensibilisation-pour-les-parents-deleves-de.

([169]) Le financement du dispositif est assuré par des crédits du programme 104 Intégration et accès à la nationalité française du ministère de l’Intérieur et des crédits du programme 230 Vie de l’élève du ministère chargé de l’Éducation nationale.

([170]) François Rabelais, Le Tiers Livre.