N° 2215

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 février 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la souveraineté alimentaire européenne,

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Rodrigo ARENAS et M. Charles SITZENSTUHL,

Députés

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  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, M. Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL, secrétaires ; M. David AMIEL, Mme Lisa BELLUCO, MM.°Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Fabien DI FILIPPO, Grégoire DE FOURNAS, Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Mmes Brigitte KLINKERT, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, Béatrice PIRON, MM. Christophe PLASSARD, Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, François RUFFIN, Alexandre SABATOU, Mme Lætitia SAINT-PAUL, MM. Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Danielle SIMONNET, Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, M. Nicolas THIERRY , Mmes Sabine THILLAYE, Aurélie TROUVÉ, Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : SI notre souverainetÉ alimentaire n’est pas menacÉe en europe et en France, notre modÈle souffre de fragilitÉs À ne pas nÉgliger

I. la souverainetÉ alimentaire, concept portÉ par la France, implique de maÎtriser durablement nos systÈmes agricoles et alimentaires en europe

A. la souverainetÉ alimentaire dÉpasse, dans un contexte gÉopolitique dÉgradÉ, la seule sÉcuritÉ alimentaire

1. La souveraineté alimentaire, théorisée par la sphère altermondialiste, constitue désormais une priorité politique portée par la France en Europe

a. La souveraineté alimentaire, un droit humain revendiqué par la société civile internationale à partir des années 1990

b. La souveraineté alimentaire, une composante de l’autonomie stratégique européenne portée par la France

2. L’Union européenne, si elle s’est toujours affirmée comme une puissance agricole mondiale, a insuffisamment maîtrisé ses dépendances externes

B. LA MILITARISATION DES ENJEUX ALIMENTAIRES DÉMONTRE LA PERTINENCE D’UNE APPROCHE EN TERMES DE SOUVERAINETÉ

1. Les questions alimentaires sont au cœur des tensions et des rivalités internationales

2. La souveraineté alimentaire européenne repose, à terme, sur une meilleure articulation des enjeux liés à l’alimentation et à la sécurité

II. LA FRANCE ET L’EUROPE, SI ELLES SONT GLOBALEMENT AUTOSUFFISANTES, DEMEURENT DÉPENDANTES DES MARCHÉS INTERNATIONAUX

A. MESURER LA souverainetÉ alimentaire de l’europe, une Évaluation difficile

1. Les politiques de souveraineté alimentaire exigent une information fiable sur nos dépendances externes, aujourd’hui complexe à obtenir

2. L’approche retenue par les rapporteurs, conscients des limites de l’exercice : le taux d’autoapprovisionnement

a. Une contribution à l’analyse de notre souveraineté alimentaire qui présente des limites bien identifiées

b. Un diagnostic nécessaire, qui doit faire l’objet d’un travail technique au niveau européen

B. la souverainetÉ alimentaire europÉenne est aujourd’hui globablement assurÉe

1. Les dépendances externes de la France et de l’Union sont globalement maîtrisées, malgré des fragilités spécifiques

a. La situation des produits agricoles

b. La situation des intrants agricoles

2. L’autonomie protéinique de l’Union, une fragilité localisée sur les coproduits agricoles riches en protéines

III. LES SYSTÈMES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES EUROPÉENS, PREMIÈRES VICTIMES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, SOUFFRENT DE L’EXPLOITATION NON DURABLE DE NOS RESSOURCES

A. L’agriculture face au CHANGEMENT climatique

1. Une contribution perfectible à l’atteinte de nos objectifs climatiques

2. Le choc du changement climatique sur les systèmes agricoles et alimentaires européens

B. Les terres AGRICOLES, une vocation nourriciÈre À prÉserver face À la dÉgradation de la santÉ des sols

1. Les sols agricoles européens, un bien commun sous pression

2. La protection européenne des sols agricoles, un réveil tardif à confirmer

IV. Les consÉquences DE LA CRISE SANITAIRE ET DE LA GUERRE EN UKRAINE, UN RÉVÉLATEUR DES VULNÉRABILITÉS ET DE LA RÉSILIENCE DE l’UNION EUROPÉENNE

A. LA CRISE SANITAIRE, UN CHOC EXOGÈNE SUR LES CHAÎNES D’APPROVISIONNEMENT

1. Un choc exogène qui a révélé les vulnérabilités de l’Union européenne

2. Un choc exogène qui a également révélé la rapide adaptation de l’Union européenne à la crise

B. LA GUERRE EN UKRAINE A FORTEMENT PERTURBÉ LES FILIÈRES AGRICOLES, SANS TOUTEFOIS PROVOQUER DE CRISE ALIMENTAIRE EN EUROPE

1. L’agression de la Russie contre l’Ukraine, deux greniers à grains du monde, a fortement affecté les filières européennes

2. L’Union et ses partenaires ont été réactifs pour déverrouiller les exportations agricoles de l’Ukraine, au bénéfice de la sécurité alimentaire mondiale

a. L’Initiative céréalière de la mer Noire, un accord fragile sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU)

b. Les corridors de solidarité, une initiative de la Commission européenne dans laquelle la France a joué un rôle actif

3. Les États membres ont pleinement exploité les flexibilités d’urgence offertes par la Commission européenne

DEUXIÈME PARTIE : LA TRANSITION AGROALIMENTAIRE, ENGAGÉE DANS LE CADRE DU PACTE VERT, exige UNE ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE COMMERCIALE EUROPÉENNE

I. LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE VERT, aujourd’hui FRAGILISÉE, NÉcessite UN ACCOMPAGNEMENT RenforcÉ des agriculteurs

A. L’AGRICULTURE EUROPÉENNE, LA PLUS EXIGEANTE AU MONDE EN MATIÈRE ENVIRONNEMENTALE, DOIT poursuivre SA TRANSITION DANS LE CADRE DU PACTE VERT

1. L’évaluation de l’incidence du Pacte vert sur la production agricole est encore lacunaire et doit s’appréhender dans sa globalité

a. L’utilisation du modèle CAPRI, un modèle qui comporte des limites

b. L’étude du département américain de l’Agriculture, une analyse non dénuée d’arrière-pensées commerciales

2. L’absence de mise en œuvre du Pacte vert pourrait avoir des effets délétères sur la production agricole

a. Une baisse de la production attendue sans transition agroécologique

b. Une baisse de la production attendue sans mise en œuvre du Pacte vert

B. LA RÉUSSITE DU PACTE VERT REPOSE SUR UNE ÉVOLUTION PROGRESSIVE ET CONCERTÉE DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE DE PRODUITS ALIMENTAIRES

1. Les initiatives législatives du Pacte vert pour l’Europe gagneraient à aboutir

a. Les initiatives qui portent sur l’offre de produits agricoles et alimentaires : l’exemple du règlement « SUR »

b. Les initiatives qui portent sur la demande de produits agricoles et alimentaires : l’exemple de la législation-cadre « SAD »

2. Le difficile alignement des structures institutionnelles de l’Union sur les enjeux de la transition agricole

C. DES ÉVOLUTIONS CIBLÉES DE LA PAC ET DE LA PCP : LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE SUR SES DEUX JAMBES, TERRESTRE ET AQUATIQUE

1. Renforcer, au sein de la PAC, les aides contribuant à un triple objectif de redistribution, de transition agroécologique et d’autonomie stratégique

a. Une programmation budgétaire 2021-2027 fragilisée par l’inflation

b. Le renforcement des aides qui favorisent l’emploi et le travail en agriculture

c. Le renforcement de l’ambition environnementale de l’écorégime à la française

d. La contribution insuffisante des aides de la PAC à la réduction des dépendances externes de l’Union : le cas des protéines végétales

2. Renforcer la durabilité et la compétitivité des filières de la pêche et de l’aquaculture, alors que la demande pour les produits de la mer augmente

3. Retrouver les fleuves européens, des voies économiques et écologiques durables

II. L’AGRICULTURE EUROPÉENNE EST AUJOURD’HUI FRAGILISÉE PAR UNE CONCURRENCE INTERNATIONALE DÉLOYALE : POUR UNE RÉVISION DE LA POLITIQUE COMMERCIALE EUROPÉENNE

A. L’EUROPE PRIVILÉGIE DÉSORMAIS DES ACCORDS BILATÉRAUX, INSUFFISAMENT PROTECTEURS POUR LES PRODUCTEURS ET LES CONSOMMATEURS EUROPÉENS

1. Le commerce international des produits agricoles contribue, à première vue, à la sécurité alimentaire européenne

2. Sans renoncer aux dispositions protectrices du système multilatéral, l’Europe se tourne vers des accords de libre-échange préjudiciables à son secteur agricole

a. La libéralisation encadrée des échanges commerciaux de produits agricoles, dans le cadre de l’OMC

b. La multiplication des accords de libre-échange de l’Union, au risque du désarmement agricole

3. Un accord de libre-échange topique : l’accord entre l’Union et le Mercosur, des efforts substantiels mais insuffisants en l’état

a. Un accord asymétrique, qui pénalise les filières agricoles européennes

b. L’impossible ratification, en l’état, de l’accord

B. assurer une concurrence loyale au niveau international, en soumettant LES PRODUITS IMPORTÉS À DES RÈGLES DE RÉCIPROCITÉ ET À UN PRIX DU CARBONE

1. L’introduction de clauses et de mesures « miroirs »

2. L’élargissement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aux produits agricoles

a. Un dispositif bienvenu pour préserver la compétitivité de l’industrie européenne

b. Une extension envisageable, sous conditions, aux produits agricoles

3. La transition agricole des pays tiers, qui ne saurait être imposée par les seules règles de réciprocité, doit être accompagnée

C. RemÉDIER AUX DISTORSIONS DE CONCURRENCE SUR LE MARCHÉ INTÉRIEUR : le cas des NÉONICOTINOÏDES

TROISIÈme PARTIE : LE REDRESSEMENT DE LA « FERME EUROPE » REPOSE SUR UNE DOUBLE STRATÉGIE, OFFENSIVE ET DÉFENSIVE

I. UN VOLET OFFENSIF AMBITIEUX, QUI DOIT FAVORISER LE RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET L’INVESTISSEMENT DANS L’OUTIL DE PRODUCTION ET DE TRANSFORMATION

A. L’AGRICULTURE DU FUTUR : POUR UNE APPROCHE EUROPÉENNE DU RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS

1. La formation des agriculteurs dans l’Union européenne

2. La politique foncière agricole en soutien de l’installation, de la transmission et de la conversion des exploitations

a. Le portage du foncier agricole

b. L’aide à l’installation via le diagnostic de l’activité agricole

c. La surveillance et la collecte de données sur les marchés fonciers agricoles dans l’Union

C. LA CONSOLIDATION DES FILIÈRES AGRICOLES ET INDUSTRIELLES : POUR UN CHOC DE RECHERCHE ET D’INVESTISSEMENT DANS LA PRODUCTION ET LA TRANSFORMATION

1. Le soutien à la recherche et l’innovation en agriculture

2. La modernisation de l’appareil de production et de transformation

II. UN VOLET DÉFENSIF ROBUSTE, fondÉ sur l’anticipation des crises et sur le CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS extraeuropÉens

A. ANTICIPER ET SÉCURISER LES RISQUES D’APPROVISIONNEMENT, EN EUROPE et en france

1. La mise en place, par l’Union européenne, d’un plan d’urgence et d’un mécanisme permanent pour les crises de sécurité alimentaire est prometteuse

2. Le cas de la Finlande : l’Agence nationale d’approvisionnement d’urgence (NESA), illustration de l’esprit finlandais de résilience et de défense

3. La sécurité de l’approvisionnement alimentaire en France, une priorité à renforcer en interministériel et à décliner dans les territoires

B. RENFORCER la PROTECTION DES ACTIFS STRATÉGIQUES dans le secteur agricole et agroalimentaire

Conclusion

PROPOSITIONS DES rapporteurs

PROPOSITION DE M. RODRIGO ARENAS

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

 


   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Les chocs provoqués par la crise sanitaire et par la guerre en Ukraine ont rappelé que la capacité des États membres de l’Union européenne à satisfaire, en toutes circonstances, les besoins alimentaires de nos concitoyens ne devait pas être tenue pour acquise. Plus structurellement, les conséquences du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité sur nos systèmes agricoles et alimentaires nécessitent de modifier nos modèles de production et nos habitudes de consommation.

Ces changements, s’ils doivent intervenir à moyen terme en accompagnant les acteurs de la chaîne de valeur agricole, sont appréhendés différemment par les rapporteurs. Le rapporteur Charles Sitzenstuhl est favorable à une évolution progressive des pratiques agricoles afin d’en garantir l’acceptabilité, en conformité avec le principe « pas d’interdiction sans solution ». Le rapporteur Rodrigo Arenas plaide pour une transformation profonde et urgente du modèle productif vers l’agroécologie.

Les revendications portées par le monde paysan dans plusieurs pays européens, et qui s’expriment avec force en France au début de l’année 2024, indiquent à quel point l’agriculture demeure une question politique fondamentale. L’Europe ne sera pas en mesure de conserver son rang et sa souveraineté alimentaire si les agriculteurs et les pêcheurs qui la nourrissent ne parviennent pas à vivre dignement de leur métier, dans une logique de développement durable de l’espace, des terres et des paysages ruraux. Cette exigence a guidé les travaux de vos rapporteurs, du diagnostic partagé de l’état de la souveraineté alimentaire européenne à la formulation de recommandations largement transpartisanes.

Le constat est, en premier lieu, celui d’une souveraineté alimentaire européenne préservée. L’Union produit sur son territoire une grande partie des denrées brutes et de première transformation consommées par nos concitoyens. C’est un succès de la politique agricole commune (PAC). L’approche du taux d’auto-approvisionnement retenue par vos rapporteurs, si elle est perfectible, démontre que nos indicateurs de bilan sont majoritairement au vert. La dépendance aux importations en provenance de pays tiers est en revanche importante pour les protéines végétales utilisés aux fins de l’alimentation animale, pour les intrants agricoles, en particulier l’énergie et les engrais, et pour les produits de la mer. L’échelon européen est aujourd’hui le plus pertinent, le plus protecteur, pour apprécier, contrôler et corriger nos dépendances externes.

Les crises du climat et de la biodiversité, qui augmentent les vulnérabilités de nos filières agricoles, représentent la principale menace à court et moyen termes. L’agriculture est confrontée à un double défi : s’adapter, tout en atténuant son incidence sur le changement climatique. L’inaction en la matière serait préjudiciable. Dans sa grande majorité, le monde agricole est conscient d’être parmi les premières victimes de la crise environnementale.

En ce sens, l’ambition du Pacte vert pour l’Europe et de la stratégie « De la ferme à la table » est une priorité de l’Union. Si le cap dont se dote l’Union en matière de transition des systèmes agricoles et alimentaires est clair, il convient d’en assurer la mise en œuvre effective, tout en veillant à l’acceptabilité de ces mesures par le monde paysan.

À cet égard, vos rapporteurs prennent acte de l’annonce, le 6 février 2024, du retrait de la proposition de règlement « SUR » sur les pesticides par la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen. Ils s’accordent sur la nécessité pour l’Union d’œuvrer à la réduction de l’utilisation des pesticides en raison notamment des risques qui y sont associés, particulièrement sur la santé des agriculteurs. Cet objectif doit figurer parmi les priorités de la prochaine Commission sur la période 2024‑2029. Le rapporteur Rodrigo Arenas, favorable à l’initiative législative « SUR », regrette une occasion manquée pour transformer la politique agricole, environnementale et de santé publique de l’Union. Le rapporteur Charles Sitzenstuhl estime que le retrait du texte marque l’opportunité de renouveler les efforts européens pour une utilisation durable des produits phytopharmaceutiques. Vos rapporteurs considèrent que le renforcement des moyens budgétaires, techniques et humains consacrés à la recherche, au développement et au déploiement de solutions alternatives, en particulier non chimiques, conditionne l’acceptabilité de la future législation de l’Union en la matière. Les agriculteurs ne doivent pas être démunis face aux mesures de réduction des substances actives les plus nocives.

La souveraineté alimentaire européenne, indissociable de la soutenabilité de nos modes de production et de consommation, ne pourra être confortée qu’en soutenant la compétitivité de nos filières agricoles. À cet égard, la PAC, acquis majeur de la construction européenne, gagnerait à être davantage orientée vers le soutien aux filières déficitaires, telles que les protéines végétales. Les rapporteurs soulignent que la mise en œuvre des objectifs de la PAC doit tenir compte de la diversité des pratiques et des modèles agricoles nationaux et locaux, conformément au principe de subsidiarité.

Le rétablissement d’une concurrence loyale à l’égard des pays tiers doit être une priorité stratégique de la politique commerciale commune. Les produits agricoles servent trop souvent de variable d’ajustement dans les accords de libre-échange conclus par l’Union, alors même que les conditions de production y sont plus encadrées et vertueuses que chez nos partenaires.

Enfin, vos rapporteurs appellent à une meilleure prise en compte de la dimension intergénérationnelle de la souveraineté alimentaire. La transmission du savoir-faire et du capital productif doit être facilitée au niveau de l’Union et des États membres pour enrayer le déclin de la démographie agricole et conforter les métiers de la terre et du vivant, véritables filières d’avenir.

Les leviers d’action identifiés par vos rapporteurs, dont une partie peut faire l’objet de mesures opérationnelles à court et moyen termes, doivent permettre à l’Union d’exploiter durablement ces principaux atouts : la richesse et la résilience de son patrimoine agricole ; ses standards de durabilité élevés ; son vaste marché intérieur, instrument d’influence et de négociation à l’égard des pays tiers. Le « dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture », initié par la Commission européenne en 2024, est un cadre propice pour engager ces réformes.

 

 

 

 


   PREMIÈRE PARTIE : SI notre souverainetÉ alimentaire n’est pas menacÉe en europe et en France, notre modÈle souffre de fragilitÉs À ne pas nÉgliger

 

I.   la souverainetÉ alimentaire, concept portÉ par la France, implique de maÎtriser durablement nos systÈmes agricoles et alimentaires en europe

A.   la souverainetÉ alimentaire dÉpasse, dans un contexte gÉopolitique dÉgradÉ, la seule sÉcuritÉ alimentaire

1.   La souveraineté alimentaire, théorisée par la sphère altermondialiste, constitue désormais une priorité politique portée par la France en Europe

a.   La souveraineté alimentaire, un droit humain revendiqué par la société civile internationale à partir des années 1990

La notion de « souveraineté alimentaire », désormais omniprésente dans le débat public, est promue par la société civile internationale à partir des années 1990. Le mouvement paysan Via Campesina adopte une déclaration en marge du Sommet mondial de l’alimentation qui se tient à Rome en novembre 1996. Cet évènement est organisé à l’initiative des Nations Unies afin de rappeler l’engagement de la communauté internationale à éradiquer la faim et la pauvreté.

Ladite déclaration de Rome de Via Campesina rappelle que « se nourrir est un droit humain de base » et définit la souveraineté alimentaire dans les termes suivants : « La souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité culturelle et agricole. Nous avons le droit de produire notre propre alimentation sur notre propre territoire. La souveraineté alimentaire est une condition préalable d’une véritable sécurité alimentaire. » ([1])

Le travail de définition et de promotion du concept se poursuit à l’occasion de l’Appel de Dakar des organisations agricoles et paysannes en 2003, ainsi que lors du Forum de Nyélini (Mali) en 2007. La souveraineté alimentaire renvoie alors à un ensemble de droits politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Elle doit consacrer la capacité des populations à mener de manière autonome et durable des politiques agricoles et alimentaires qui soient conformes à leurs normes et spécificités propres. À cet égard, la souveraineté alimentaire implique non seulement le droit à une alimentation saine et nutritive, mais également le droit aux ressources et aux moyens permettant d’atteindre la sécurité alimentaire. Cette dernière renvoie à une situation dans laquelle l’accès physique et économique des populations à une alimentation de quantité et de qualité suffisantes est garanti.

Les pays en développement et les pays les moins avancés portent une attention ancienne aux conditions de leur sécurité alimentaire, en renforçant dans la mesure du possible leurs capacités de production locales pour satisfaire les besoins alimentaires de leur population. Le rapporteur Rodrigo Arenas estime que les enseignements de l’expérience cubaine, présentés par M. Otto Vaillant Frías, Ambassadeur de la République de Cuba en France à l’occasion de son audition, apportent un éclairage utile en la matière.

Cuba, le défi de la souveraineté alimentaire

Les systèmes agricoles et alimentaires de Cuba constituent une forme de laboratoire contraint de la souveraineté alimentaire. La dissolution de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) provoque une grave crise économique à Cuba dans les années 1990, officiellement dénommée « Période spéciale ». Le produit intérieur brut (PIB) cubain recule de 37 % entre 1990 et 1993. L’île, dont l’agriculture est peu productive, perd son principal fournisseur d’intrants agricoles (engrais, pesticides, semences, machines, etc.) et se convertie massivement à l’agriculture biologique, tout en développant l’agriculture urbaine.

Le système des organopónicos, qui couvre aujourd’hui une surface de 2 000 hectares, assure ainsi près de 90 % de la production cubaine de fruits et de légumes (carottes, betteraves, concombres, tomates, etc.). Ce réseau d’exploitations maraîchères urbaines est composé d’espaces hors sol bâtis dans de bas murs de béton remplis de matière organique. Les pouvoirs publics soutiennent le développement des organopónicos, en finançant notamment l’installation de puits ou de dispositifs de micro-irrigation. La production, destinée à des consommateurs situés à proximité (écoles, maisons de retraite, etc.), est commercialisée dans le cadre de circuits courts.

Interrogé sur les épisodes de pénuries alimentaires qui frappent régulièrement l’île, l’Ambassadeur de la République de Cuba en France avance trois facteurs à l’origine de ces difficultés.

L’embargo commercial et financier imposé depuis 1962 par les États-Unis à Cuba perturbe fortement l’approvisionnement de l’île en produits alimentaires et limite les investissements dans la modernisation de son système agricole. Si les restrictions américaines à l’importation de produits alimentaires ont été levées en 2000, les conditions défavorables appliquées par les exportateurs américains (paiements en avance et en espèces) contraignent Cuba à se fournir sur des marchés géographiquement éloignés et génèrent d’importants surcoûts. La France est ainsi le premier fournisseur de blé tendre de Cuba. L’entreprise publique spécialisée dans l’importation de produits alimentaires, Alimport, voit ses activités entravées par la réticence des investisseurs à financer les opérations d’approvisionnement ou d’investissement nécessaires. Par ailleurs, les autorités cubaines font état de difficultés à accéder à certains intrants essentiels (combustibles, machines). L’extraterritorialité du droit américain, en particulier la loi dite Helms-Burton de 1996, affecte l’ensemble de la chaîne de valeur, dont les entreprises de transformation et de transport.

Ensuite, le changement climatique menace fortement l’archipel cubain, fragilisé par son caractère insulaire, l’intensité de l’activité cyclonique et la fréquence des épisodes de sécheresse. La montée des eaux et l’érosion côtière devraient ainsi entraîner un recul du trait de côte de 800 à 1 500 mètres d’ici à 2050. Ces défis ne sont pas propres aux Caraïbes et rappellent les nécessaires transformations qui doivent être menées en Europe afin d’adapter l’agriculture à la hausse des températures et améliorer la gestion de la ressource en eau.

Enfin, les chocs de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine ont fragilisé les chaînes d’approvisionnement de l’île. Les autorités cubaines n’ont pas été en mesure de maintenir les mêmes niveaux d’importation de denrées alimentaires face aux restrictions à l’export des pays fournisseurs et à l’asséchement des rentrées de devises du pays ([2]).

La réponse cubaine à ces vents contraires, si elle traduit une situation inédite et comprend des mesures peu applicables en Europe, témoigne d’un fort esprit de résilience. L’île importe toujours près de 70 % de ses denrées alimentaires pour un coût dépassant les 2 milliards de dollars par an, mais a progressé « sur la voie de l'élimination de la pauvreté et de la faim » selon le Programme alimentaire mondial (PAM) ([3]). La mise en place effective du Plan national pour la souveraineté alimentaire et l’éducation nutritionnelle (Plan « SAN »), adopté en juillet 2020, conditionnera largement les progrès réalisés par Cuba dans les prochaines années.

Les parties prenantes internationales, dont le PAM et l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), gagneraient à maintenir leur appui financier, technique et humain. Les projets financés par la France, notamment par l’intermédiaire du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), gagneraient également à être poursuivis et renforcés.

b.   La souveraineté alimentaire, une composante de l’autonomie stratégique européenne portée par la France

La souveraineté alimentaire constitue désormais une priorité politique portée par de nombreux pays en Europe et dans le monde face aux conséquences dramatiques de la crise sanitaire et de l’agression russe contre l’Ukraine. Ces chocs exogènes ont provoqué des tensions d’approvisionnement et ont donné lieu à une instrumentalisation géopolitique des flux agroalimentaires à l’origine d’une prise de conscience générale.

Dès son discours de la Sorbonne de septembre 2017, le Président de la République, Emmanuel Macron, appelle ainsi à restaurer la souveraineté alimentaire de l’Europe pour faire face « aux grands aléas ». La pandémie de la Covid-19 et la guerre en Ukraine relèvent indiscutablement de cette catégorie.

À partir de mai 2022, le ministre français de l’Agriculture est également celui de la « Souveraineté alimentaire », une première dans l’histoire de la République. Le décret fixant les attributions du ministre précise qu’il est responsable « de la politique de renforcement de la souveraineté alimentaire » ([4]). L’Italie assure un portage politique et administratif similaire depuis octobre 2022 à travers un ministère chargé de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et des Forêts. Vos rapporteurs estiment que ces changements sémantiques témoignent d’un changement progressif de paradigme en Europe.

En effet, la souveraineté alimentaire européenne désigne la capacité de l’Union européenne à satisfaire, en toutes circonstances, les besoins alimentaires des consommateurs européens en quantité, en qualité et en variété. Cette notion ne marque pas un quelconque repli sur soi de l’Europe ou une quête d’autosuffisance alimentaire, mais renvoie à sa faculté de défendre ses intérêts vitaux, non pas seule, mais sans dépendances excessives ou indésirables. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont provoqué des tensions d’approvisionnement et ont donné lieu à une instrumentalisation géopolitique des flux agroalimentaires, à l’origine d’une réaction ferme de l’Europe. À cet égard, la souveraineté alimentaire européenne est une application concrète du concept d’autonomie stratégique, initialement envisagé en matière de défense ([5]), aux enjeux agricoles et alimentaires.

L’échelon européen est, selon vos rapporteurs, particulièrement pertinent pour conduire une politique de réduction de notre dépendance aux produits importés, qu’il s’agisse des produits agricoles finis (protéines végétales, fruits et légumes, etc.) et intermédiaires (graisses et huiles végétales, etc.) ou d’intrants critiques (engrais, etc.). C’est le sens de la déclaration dite de Versailles, adoptée le 11 mars 2022 sous présidence française du Conseil, à l’issue d’un sommet informel des chefs d’État et de Gouvernement. L’ensemble des États membres s’y accorde pour « prendre de nouvelles mesures décisives en vue de construire notre souveraineté européenne, de réduire notre dépendance et d’élaborer un nouveau modèle de croissance et d’investissement pour 2030. » La résolution du Parlement européen du 14 juin 2023 appelant à « garantir la sécurité alimentaire et la résilience à long terme de l’agriculture de l’Union » s’inscrit dans la même dynamique ([6]).

En premier lieu, l’objectif de souveraineté alimentaire prolonge les politiques ambitieuses menées par l’Union pour satisfaire les besoins alimentaires de nos concitoyens et assurer des revenus suffisants à nos agriculteurs. Cette exigence se trouve au cœur de la construction européenne. La politique agricole commune, entrée en vigueur en 1962, compte parmi les plus anciennes politiques communautarisées de l’Union. Elle représente toujours le premier poste de dépenses du budget européen, à hauteur de 386,6 milliards d’euros de crédits d’engagement entre 2021 et 2027, en intégrant 8,1 milliards d’euros de financements du plan de relance NextGenerationEU. La France bénéficie d’une allocation de 66,2 milliards d’euros courants au titre de la PAC sur la période 2021‑2027, soit 18 % des enveloppes pré-allouées ([7]). Notre pays est le premier bénéficiaire de la PAC devant l’Espagne (12 %) et l’Allemagne (11 %). Par conséquent, les dépenses annuelles de la PAC bénéficient en premier lieu à la France à hauteur de 9,3 milliards d’euros, suivie de l’Espagne (6,4 milliards d’euros) et de l’Allemagne (6,1 milliards d’euros).

En deuxième lieu, le commerce des produits agricoles et alimentaires entre pays européens cré des dépendances d’une autre nature que les dépendances à l’égard de pays tiers. Ces dernières doivent être traitées prioritairement. Le marché unique créé un espace ouvert et intégré, régi par des règles communes assurant la stabilité des échanges. Le commerce intra-européen est prépondérant en matière agricole : les exportations françaises de produits agricoles et agroalimentaires sont destinées à 57,4 % aux autres États membres, tandis que la part des importations françaises en provenance de l’Union atteint 66,5 %. Parmi les dix principaux fournisseurs de la France, deux pays seulement n’appartiennent pas à l’Union : le Brésil (9e) et le Maroc (10e) ([8]).

En troisième lieu, la mise en place de mesures communes à l’ensemble des vingt-sept États membres garantit une taille critique pour assurer la transition écologique de nos systèmes agroalimentaires et lutter contre les pratiques déloyales des pays tiers. L’accès à un marché intérieur de 448 millions de consommateurs offre des débouchés important à nos producteurs, tout en renforçant le pouvoir de négociation et d’influence de l’Union.

Vos rapporteurs sont conscients que nos partenaires européens, s’ils sont sensibles à ces enjeux, ne s’approprient pas tous le terme de « souveraineté alimentaire européenne ». L’approche portée par la France n’est toutefois pas incompatible avec l’autonomie stratégique « ouverte », vocable de compromis inscrit dans la nouvelle stratégie de politique commerciale dévoilée par la Commission en février 2021. Certains États membres de tradition libérale et libre‑échangiste, tels que le Danemark, le Luxembourg et les Pays-Bas, se concentrent sur la sécurité des chaînes d’approvisionnement plutôt que sur le renforcement des capacités de production européennes. Ces pays, fortement insérés dans le commerce international, sont spécialisés sur des secteurs compétitifs pour lesquels il existe un fort potentiel à l’export. À l’inverse, la production agricole est plus diversifiée dans le Sud de l’Europe.

Ces divergences apparentes ne doivent toutefois pas masquer une tendance de fond, favorable au renforcement de la souveraineté alimentaire européenne sur deux piliers : d’une part, le développement de capacités de production compétitives et soutenables, en parallèle d’une évolution des habitudes de consommation ; d’autre part, la mise en place de partenariats durables avec les pays tiers, dans les secteurs pour lesquels la production européenne n’offre pas d’opportunités de substitution satisfaisantes.

2.   L’Union européenne, si elle s’est toujours affirmée comme une puissance agricole mondiale, a insuffisamment maîtrisé ses dépendances externes

L’Union européenne s’est affirmée comme une puissance agricole mondiale grâce à la mise en œuvre de la politique agricole commune. Toutefois, l’approche productiviste des débuts de sa mise en œuvre a accentué ses dépendances externes.

Selon les statistiques établies par Eurostat, l’Union européenne est la première puissance mondiale en termes de production agricole rapportée à la surface agricole utilisée (SAU), devant la Chine et les États-Unis. La SAU des États-Unis représente 364 millions d’hectares (Mha) en 2017, soit deux fois celle de l’Union européenne. La production agricole de l’Union atteint en valeur près de 415 milliards d’euros en 2020, dont la France est le premier pays contributeur (76 milliards d’euros, soit 18,5 % du total).

Selon les données de la Commission ([9]), les exportations agroalimentaires, de l’Union représentaient 180 milliards d’euros en 2020. À titre de comparaison, les exportations agroalimentaires américaines ne représentaient que 136 milliards d’euros et celles du Brésil, 77 milliards d’euros.

Le marché intérieur est un véritable atout pour affermir cette réussite. Ce succès indéniable est le résultat de la PAC, dont la mise en œuvre à partir de 1962 a permis à l’Union européenne d’être autosuffisante pour une part importante de sa consommation, avant de devenir la première puissance exportatrice mondiale.

Toutefois, la réussite de la PAC porte en germes, dès sa conception, une ambivalence qui explique en partie les dépendances externes actuelles. Conçue lors de la conférence de Stresa, en 1958, la PAC doit « garantir la sécurité des approvisionnements » ([10]) – même si cette approche en termes de sécurité alimentaire ne s’est pas faite en opposition à une intégration dans les règles du libre‑échange – pour rendre l’Europe indépendante des importations américaines, notamment en produits agricoles bruts, dans le contexte de la reconstruction de l’après-guerre. Pour rappel, les derniers tickets de rationnement alimentaire ne disparaîtront, en France, que le 1er décembre 1949.

Or l’objectif de sécurité des approvisionnements, couplé à celui de « stabilisation des marchés » ([11]), pour rendre l’Europe autosuffisante en termes de production agricole, a eu pour corollaire le développement d’une politique agricole commune de soutien aux prix agricoles afin d’assurer des revenus décents aux agriculteurs. En conséquence, la PAC adopte, dès sa conception, une approche productiviste sans réflexion sur la soutenabilité à long terme du modèle, ni les autres types de dépendances externes, en particulier en termes d’intrants, que le soutien indistinct à la production agricole développe.

Dès 1970, l’Europe atteint l’autosuffisance alimentaire et la Communauté économique européenne (CEE) devient exportatrice nette de sucre, de viande et de produits laitiers.

La part excessive des excédents conduit la Commission à proposer une réforme d’envergure de la PAC, l’autosuffisance alimentaire étant assurée, sans pour autant adopter une véritable stratégie en termes de souveraineté alimentaire au regard des dépendances externes. En effet, l’instauration de quotas laitiers, en 1984, la réforme de 1992, dite « Mac Sharry » du nom du Commissaire qui l’a portée, ont essentiellement eu pour objectif de réduire les productions excédentaires. La fin des subventions aux exportations, qui se traduit davantage par une subvention aux revenus agricoles, ne permet pas de construire une telle dynamique.

La prise en compte de considérations environnementales, dès l’Agenda 2000, se traduit par une part des crédits de la PAC consacrés au développement rural, futur second pilier de la PAC ([12]). Toutefois, si l’objectif de « verdir » la PAC a progressivement complété l’approche productiviste, il ne répond que partiellement aux enjeux de souveraineté alimentaire, même si la protection des terres et des sols ainsi que la réduction de l’usage des pesticides pour protéger les insectes pollinisateurs et la biodiversité peuvent y répondre en partie.

La dernière réforme de la PAC ne satisfait pas davantage à l’impératif de souveraineté alimentaire même si certaines améliorations pourraient permettre sa mise en œuvre. La « nouvelle PAC » repose sur trois règlements, un règlement instaurant des plans stratégiques nationaux ([13]), un règlement réformant l’organisation commune des marchés dans le secteur agricole ([14]), un règlement relatif au financement, à la gestion ainsi qu’au suivi de la politique agricole commune. ([15])

L’instauration de plans stratégiques nationaux (PSN) ne répond, en effet, que partiellement au double enjeu de souveraineté et de sécurité alimentaires. Si la nouvelle PAC affiche un objectif réel de transition vers l’agroécologie, le risque d’une renationalisation de la PAC à travers vingt-sept PSN différents existe avec, pour corollaire, le risque d’accroître les disparités internes au sein du marché intérieur et les dépendances externes de l’agriculture européenne, en l’absence d’un soutien coordonné à des filières déficitaires.

À titre d’exemple, si le PSN français reprend la stratégie nationale pour les protéines végétales, ([16]) lancée le 1er décembre 2020, formalisée par le plan France 2030, force est de constater que cela ne résulte pas d’une obligation communautaire, mais de la seule volonté française de faire figurer la souveraineté alimentaire comme une priorité de sa politique agricole.

B.   LA MILITARISATION DES ENJEUX ALIMENTAIRES DÉMONTRE LA PERTINENCE D’UNE APPROCHE EN TERMES DE SOUVERAINETÉ

1.   Les questions alimentaires sont au cœur des tensions et des rivalités internationales

Dans la dernière publication du Club Demeter, M. Sébastien Abis, chercheur, affirme « que le réarmement agricole du monde est une bonne nouvelle ».([17]) En effet, le « réarmement agricole de l’Europe » est une occasion de (re) donner à l’alimentation la place qu’elle mérite tout en soulignant le retour de la militarisation des enjeux alimentaires.

L’utilisation de la menace agricole dans un contexte de tensions internationales n’est pas nouvelle. La guerre en Ukraine a fait craindre une exacerbation des tensions internationales ainsi qu’un retour des « émeutes de la faim » en particulier dans les pays fortement dépendants des importations céréalières, dont le blé (Égypte, Machrek et Maghreb). Si le pire n’a finalement pas eu lieu, la réticence de certains pays pour imposer des sanctions à la Russie en réponse à la guerre en Ukraine n’a pas été sans lien avec leurs craintes de voir se réaliser les menaces russes d’une rupture des chaînes d’approvisionnement pour leurs importations vitales (céréales, gaz, etc.).

En ce sens, la prise de conscience par l’Union européenne d’un retour de la militarisation des enjeux alimentaires est une « bonne nouvelle » pour réarmer l’Europe agricole, car « l’alimentation est aussi une arme massive pour la paix ». ([18])

Ainsi, le 6 novembre 2022, le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, soulignait-il dans un entretien à Ouest-France, « le retour de la haute intensité en Europe » induit par la guerre russo-ukrainienne avec pour corollaire un « chantage aux matières premières alimentaires », rappelant dès lors, « l’intrication des enjeux de défense et des enjeux de sécurité alimentaire ». ([19]) Dans ce contexte, il est regrettable que le rapport annexé à la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 ([20]), qui fixe les objectifs de la politique de défense, ne fasse aucune mention des enjeux stratégiques et de défense liés à la sécurisation des ressources alimentaires.

Les travaux du think tank The Hague Centre for Strategic Studies révèlent que la militarisation des enjeux agricoles peut prendre différentes formes ([21]). L’utilisation de l’alimentation comme arme de guerre consiste dans un premier temps à limiter les capacités de production, notamment par l’accaparement des terres agricoles, la réduction de l’accès à certaines ressources vitales pour la production dont l’eau, ainsi que le contrôle technique et la brevetabilité du vivant.

Moins manifeste, la déstabilisation des marchés agricoles avec pour conséquence une forte inflation des denrées de première nécessité répond au même objectif, qu’il s’agisse de l’utilisation de restrictions commerciales, d’embargos sur les produits agricoles, de subventions excessives à l’agriculture voire de manipulation des cours des marchés par l’utilisation stratégique de stocks alimentaires. Pour rappel, les Printemps arabes, en Tunisie, Égypte et Lybie, sont en partie la conséquence d’une forte inflation des denrées agricoles.

L’accès au ravitaillement alimentaire est également une arme protéiforme. Les embargos sur certains produits, blocages des voies d’accès, militarisation de l’aide alimentaire, sont autant d’exemples que la récente guerre en Ukraine a mis en exergue. Même si l’utilisation de l’agriculture en tant qu’arme dans un conflit est selon le Statut de la Cour pénale internationale (CPI), un crime de guerre, la Russie n’a pas hésité à l’utiliser comme telle au début de la guerre en Ukraine via la destruction des stocks, des capacités de production ukrainienne et les restrictions aux exportations de céréales. ([22])

Selon la direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées (DGRIS), certains États tels que la Russie ou la Chine ont mis en place des stratégies de long terme d’utilisation de l’arme alimentaire à des fins de puissance ([23]) Raison pour laquelle, sécuriser les ressources agricoles demeure un enjeu stratégique à mettre en œuvre au plus vite, dans la mesure où la sécurité alimentaire est un levier de puissance et que son absence est cause de tensions et de conflits.

La militarisation des enjeux agricoles rend dès lors pertinente une approche en termes de souveraineté alimentaire, la sécurité alimentaire n’étant que l’une des dimensions de la souveraineté alimentaire. Pour vos rapporteurs, il est évident que la souveraineté alimentaire repose, à terme, sur une meilleure articulation des enjeux liés à l’alimentation et à la sécurité.

2.   La souveraineté alimentaire européenne repose, à terme, sur une meilleure articulation des enjeux liés à l’alimentation et à la sécurité

La France est l’un des premiers États membres à avoir pris conscience de la dimension essentielle de la souveraineté alimentaire et de la nécessité de lier alimentation et sécurité en termes d’enjeux. Sa longue tradition de défense et de participation à des opérations de maintien de la paix (OMP) sur des théâtres extérieurs n’y est pas étrangère.

Aux termes du code de la défense, l’alimentation est désignée parmi les douze « secteurs d’activités d’importance vitale » (SAIV) identifiés en France ([24]). Ces derniers regroupent les activités qui ont trait à la production et la distribution de biens ou de services indispensables et difficilement substituables, concourant à des objectifs d’intérêt général (satisfaction des besoins vitaux des populations, fonctionnement de l’économie, etc.). Le secteur alimentaire relève du groupe « activité humaine », qui comprend également la gestion de l’eau et la santé. Le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, chargé du SAIV « alimentation », désigne les opérateurs d’importance vitale (OIV) tenus de prendre les mesures nécessaires d’évaluation des risques et de protection des sites. La liste des OIV est classifiée au titre de la protection du secret de la défense nationale.

Les réponses apportées par l’Union européenne et l’ensemble des États membres demeurent disparates. Néanmoins, force est de constater que depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine aucun État membre ne demeure insensible à cette question. Le modèle de sécurisation des ressources alimentaires, en réponse à la militarisation des enjeux agricoles, prend diverses formes. Les rapporteurs ont étudié, en particulier, le modèle néerlandais ainsi que le modèle finlandais.

Les Pays-Bas ont intégré l’agriculture dans leur stratégie nationale de défense, publiée en avril 2023. Les autorités néerlandaises travaillent de manière étroite avec l’ensemble des acteurs du secteur privé pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement alimentaire. Pour nos partenaires néerlandais, tant leur participation à la PAC qu’aux accords internationaux en matière de libre-échange leur semble être, pour l’heure, une réponse suffisante à apporter à la militarisation des enjeux alimentaires. ([25])

La Finlande, en revanche, a adopté un système plus centralisé. La Finlande dispose d’une entité pour sécuriser l’approvisionnement alimentaire et gérer les stocks stratégiques constitués par les opérateurs économiques (céréales, semences), l’Agence nationale d’approvisionnement d’urgence (National Emergency Supply Agency, NESA). D’autres pays du Nord de l’Europe ont adopté une approche similaire. La Suède dispose d’une agence similaire, la Swedish Civil Contingencies Agency (MSB) dont le rôle est de maintenir des stocks alimentaires stratégiques ainsi que d’autres approvisionnements essentiels. La Norvège dispose également d’une agence, le Norwegian Directorate for Civil Protection (DSB), afin de réagir aux situations d’urgence dont celle de l’approvisionnement alimentaire.

La prise de conscience de la militarisation des enjeux alimentaires, qui s’appuie notamment sur la déclaration de Versailles adoptée sous la présidence française du Conseil, n’a pas encore permis d’apporter une réponse satisfaisante à l’échelle de l’Union. Elle se limite, à ce jour, à intégrer les enjeux de défense et de sécurité dans son analyse des menaces pesant sur la souveraineté alimentaire. En janvier 2023, la Commission a publié en ce sens un document de travail intégrant le facteur « conflits » parmi les déterminants de la sécurité alimentaire afin de construire un cadre intellectuel pour de futures propositions d’actions en la matière ([26]). La communication conjointe de la Commission et du Haut représentant sur le lien entre climat et sécurité, présentée en juin 2023, se borne à établir des objectifs généraux sans aborder directement les enjeux alimentaires ou proposer de mesures opérationnelles ([27]).

Surtout, la « boussole stratégique pour renforcer la sécurité et la défense » de l’Union, adoptée par le Conseil européen des 24 et 25 mars 2022, comporte une importante lacune en ce qu’elle n’inclut pas l’agriculture et la sécurité alimentaire dans cette doctrine ([28]). Ce document constitue pourtant le premier véritable livre blanc de la défense européenne, articulé autour de quatre piliers : agir, protéger, investir et coopérer. Il fixe des objectifs clairs dans le domaine de la sécurité et de la défense de l’Union à l’horizon 2030, les moyens d'atteindre ces objectifs et des échéances spécifiques permettant de mesurer les progrès réalisés. Or les dépendances stratégiques sont uniquement appréciées à l’aune des technologies militaires et des intrants industriels.

Pour vos rapporteurs, cette lacune est préjudiciable à l’objectif de résilience européenne. Aussi proposent-ils que le texte fasse l’objet d’un réexamen et soit amendé lors d’un prochain Conseil européen, afin de redonner le poids politique et stratégique que la prise en considération des enjeux alimentaires nécessite. Le pilier « Protéger » de la Boussole stratégique, qui comprend d’ores et déjà un objectif intitulé « Renforcer la résilience face au changement climatique, aux catastrophes et aux situations d'urgence », en constitue le support idoine.

Proposition n° 1

Compléter l’analyse des menaces et les objectifs de la Boussole stratégique adoptée par le Conseil européen, à travers un volet prospectif sur les enjeux agricoles et alimentaires, incluant la dimension externe et les mécanismes internes de coordination et de solidarité entre régions.

II.   LA FRANCE ET L’EUROPE, SI ELLES SONT GLOBALEMENT AUTOSUFFISANTES, DEMEURENT DÉPENDANTES DES MARCHÉS INTERNATIONAUX

L’analyse des taux d’approvisionnement des principaux produits agricoles permet aux rapporteurs d’affirmer que la souveraineté alimentaire de la France et de l’Europe n’est pas menacée à ce jour. En revanche, la guerre en Ukraine a révélé des fragilités majeures sur l’approvisionnement en intrants consommables, en particulier pour les engrais et les coproduits agricoles riches en protéines.

A.   MESURER LA souverainetÉ alimentaire de l’europe, une Évaluation difficile

1.   Les politiques de souveraineté alimentaire exigent une information fiable sur nos dépendances externes, aujourd’hui complexe à obtenir

Vos rapporteurs ont pu apprécier, au cours de leurs travaux, la difficulté à définir le concept de souveraineté alimentaire et, plus encore, à en mesurer le niveau par le biais d’indicateurs objectifs robustes. La souveraineté alimentaire ne signifie pas l’autosuffisance ou l’autarcie alimentaire, mais implique de maîtriser de manière satisfaisante nos dépendances externes. À cet effet, nos dépendances aux importations de produits alimentaires en provenance de pays tiers doivent pouvoir être :

-         mesurées et contrôlées – nos dépendances sont-elles identifiées, sur l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire et à l’égard de l’ensemble des acteurs publics et privés ?

-         caractérisées – nos dépendances sont-elles consenties ou subies ?

-         corrigées – nos dépendances peuvent-elles être réduites ou supprimées, sous quelles conditions et quelle temporalité ?

Les méthodes et les données permettant d’apprécier notre souveraineté alimentaire étaient globalement lacunaires jusqu’à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine. En cohérence avec ses missions, la FAO se concentre sur l’état de l’insécurité alimentaire et de la faim, par exemple via l’indicateur de prévalence de la sous-alimentation. L’analyse la plus fine était proposée par la société The Economist Intelligence Unit (EIU), rattachée au groupe qui détient le magazine éponyme. Le Global Food Security Index (GFSI) établit chaque année depuis 2012 un score agrégé pour 113 pays, qui repose sur une série de quatre critères : le caractère abordable, la disponibilité, la qualité et le caractère soutenable des produits alimentaires. La Finlande obtient le meilleur score agrégé (83,7 sur 100), la France étant classée 4e (80,2 sur 100). Cet indicateur composite est un outil utile, dont la robustesse a été évaluée favorablement par le Centre commun de recherche (CRC) de la Commission européenne ([29]). Le GFSI présente toutefois des limites puisqu’il ne permet pas d’isoler les déterminants de la résilience de la production et de la sécurité de l’approvisionnement. Par ailleurs, il est indispensable que les organismes publics soient en mesure de produire des données officielles.

Vos rapporteurs se félicitent, dès lors, de la prise de conscience des pouvoirs publics français et européens, qui ont réalisé un important travail d’analyse et de diagnostic.

Au niveau français, l’établissement public FranceAgriMer a dressé, en avril 2023, un état des lieux de la souveraineté alimentaire française depuis dix ans ([30]). Cette étude mobilise quatre indicateurs de bilan complémentaires :

-         le taux d’auto-approvisionnement, calculé comme le ratio production/consommation, permet de mesurer notre capacité d’autosuffisance apparente ;

-         le taux de couverture de la consommation intérieure par la production nationale, calculé comme le ratio (production– exportations)/consommation, exclut la part de la production exportée à l’étranger ;

-         la capacité d’exportation, calculée comme le ratio exportations/(production + importations), témoigne de la puissance exportatrice de la ferme France et, en creux, de sa dépendance aux débouchés à l’export ;

-         la dépendance aux importations, calculée comme le ratio importations/consommation, signale les filières pour lesquelles les produits sont majoritairement importés.

Au niveau européen, la Commission a lancé un tableau de bord sur l’approvisionnement et la sécurité alimentaire en décembre 2022, à l’occasion de la conférence sur les perspectives agricoles de l’Union. Cette initiative avait été annoncée dans le cadre du « Plan d’urgence » sur la sécurité alimentaire en temps de crise, dévoilé en novembre 2021 par la Commission – avant même la guerre en Ukraine ([31]). Vos rapporteurs, s’ils regrettent que le tableau de bord en ligne soit uniquement accessible en anglais, saluent la complétude des données fournies. Parmi les indicateurs clés disponibles, les taux d’auto-approvisionnement, de dépendance aux importations et de diversification de l’approvisionnement sont indiqués. La décomposition est suffisamment fine pour appréhender à la fois les produits agricoles (viandes, céréales, etc.) et certains intrants clés (protéines végétales, énergie).

2.   L’approche retenue par les rapporteurs, conscients des limites de l’exercice : le taux d’auto‑approvisionnement

Vos rapporteurs, qui reconnaissent la diversité des approches méthodologiques, ont fait le choix de privilégier le calcul des taux d’autoapprovisionnement pour évaluer au plus près l’état de notre souveraineté alimentaire. Cette méthode répond à des critères de simplicité et de disponibilité des données sur la production et la consommation alimentaires. Les acteurs interrogés sur ces aspects de méthode ont dans l’ensemble conclu que le taux d’auto‑approvisionnement constituait un indicateur pertinent, même s’il n’épuisait pas tous les enjeux liés à la souveraineté alimentaire.

a.   Une contribution à l’analyse de notre souveraineté alimentaire qui présente des limites bien identifiées

Le calcul du taux d’auto-approvisionnement en produits alimentaires et en intrants présente des limites. Les contraintes et les imperfections inhérentes à l’exercice ne doivent pas être sous-estimées.

En premier lieu, il s’agit d’un indicateur « aveugle », c’est-à-dire indifférent à la durabilité et à la qualité des produits alimentaires et non-alimentaires échangés. La souveraineté alimentaire n’est pas seulement affaire de flux. L’Union importe ainsi des volumes croissants de viande bovine tout en demeurant autosuffisante pour cette production. Or près de 50 % des importations européennes de viande bovine provient des pays du Mercosur : le Brésil (87 000 tonnes) et l’Argentine (63 000 tonnes) sont respectivement les deuxième et troisième pays tiers d’origine en 2022, derrière le Royaume-Uni (142 000 tonnes) ([32]). Or le bilan carbone des systèmes d’élevage varie sensiblement selon les régions de production. La viande de bœuf émet 413 kilogrammes équivalent CO2 par kilogramme de protéine produit en Amérique latine, contre 104 kilogrammes en Europe de l’Ouest. Cette différence est principalement imputable à la déforestation due au pâturage du bétail et la conversion des forêts en terres cultivées pour la production du soja, lui‑même destiné à l’alimentation animale ([33]). L’incidence environnementale de la dépendance aux importations, qui doit être intégrée dans notre prise de décision en matière agricole, n’est pas illustrée par les indicateurs de bilan.

En deuxième lieu, le taux d’auto-approvisionnement ne tient pas compte de la nature des relations établies par la France et l’Union avec des pays partenaires. Or « toutes nos dépendances ne se valent pas » selon l’expression du rapport de FranceAgriMer. Dans le cas de la France, la dépendance aux importations en provenance de pays tiers ne peut être assimilée à celle qui nous lie aux autres pays du marché unique, avec lesquels nous entretenons des relations de proximité, d’interdépendance et partageons des éléments de souveraineté. Dans le cas de l’Union, la stabilité des échanges agricoles avec les pays extra‑européens est susceptible de varier selon qu’il s’agit d’alliés, de concurrents ou de rivaux. La qualification géostratégique de nos dépendances est essentielle.

Le tableau de bord de la Commission fournit utilement des informations sur le degré de concentration de l’approvisionnement, mais uniquement au niveau de chaque État membre et non de l’Union. À titre d’exemple, la production européenne d’engrais est importante, à hauteur de 40,2 millions de tonnes en moyenne entre 2019 et 2021 ([34]). Or la fabrication de ces produits fertilisants nécessite d’importer massivement trois types de matières premières, l’azote (N), le phosphore (P) et le potassium (K), dont les gisements sont très concentrés. L’Union a importé environ 26 millions de tonnes de nutriments en 2021, dont 3,4 millions de tonnes de potasse. Ces flux entrants, qui couvrent 85 % de la consommation européenne de potasse, proviennent à 65 % de Russie et de Biélorussie. L’agression de l’Ukraine a rappelé la fragilité des marchés mondiaux en la matière. En effet, la Russie et la Biélorussie ont mis en place des restrictions quantitatives à l’exportation d’engrais en réaction aux sanctions prises par l’Union, qui a interdit concomitamment les importations de potasse et de chlorure de potassium en provenance de ces deux pays.

En troisième lieu, le taux d’auto-approvisionnement est pertinent pour appréhender les flux de produits agricoles « bruts », mais tiennent imparfaitement compte des produits semi-finis et transformés. Or l’Union peut tout à fait être autosuffisante pour certaines matières premières, exporter une partie de ces surplus et importer les produits transformés des filières concernées depuis des pays tiers. Cette dépendance est paradoxale et renvoie à la perte de compétitivité de notre industrie agroalimentaire.

Vos rapporteurs ont ainsi été sensibilisés à la situation de plusieurs filières françaises confrontées à ces difficultés. À titre d’exemple, la France est le deuxième producteur européen de blé dur derrière l’Italie, avec près de 1,5 million de tonnes pour la campagne 2021-2022 ([35]). Les grains de cette espèce de blé, trop durs pour être réduits en farine, sont utilisés pour la fabrication de semoule (première transformation) et de pâtes alimentaires (seconde transformation). La France exporte plus de 73 % de sa production de blé dur (1,1 million de tonnes), dont 8 % hors de l’Union. En retour, la France importe près 63 % de sa consommation de pâtes et 34 % de sa consommation de semoule. L’importance des flux de produits frais exportés vers le reste de l’Europe pour être réimportés sous forme de produits transformés témoigne de l’intégration du marché intérieur. Cette dynamique peut toutefois susciter des inquiétudes, renforcées dans le cadre des échanges réalisés avec des pays tiers, au regard des risques de perturbation des chaînes logistiques et des externalités environnementales négatives associées au transport des denrées alimentaires.

b.   Un diagnostic nécessaire, qui doit faire l’objet d’un travail technique au niveau européen

Au regard de ces réserves méthodologiques, vos rapporteurs encouragent les autorités européennes à bâtir une série d’indicateurs de souveraineté alimentaire qui soient à la fois robustes, représentatifs et opérationnels. Une approche en trois étapes pourrait être adoptée.

D’abord, les indicateurs de bilan envisagés par France AgriMer gagneraient à être calculés de manière harmonisée au niveau de l’Union et des États membres.

Ensuite, ces indicateurs « bruts » seraient pondérés au regard d’un ensemble de facteurs déterminants pour notre souveraineté alimentaire. Les auditions menées par vos rapporteurs ont permis d’identifier des critères quantitatifs et qualitatifs importants, tels que la durabilité des produits importés, le potentiel de substitution nutritionnelle des aliments dans l’assiette des consommateurs, le degré de concentration des importations et les risques associés de rupture des chaînes d’approvisionnement (climatique, politique, logistique, etc.).

Enfin, cette analyse pourrait être synthétisée dans le cadre d’un indicateur composite de souveraineté alimentaire par filière – produits alimentaires et intrants – et par échelon – Union et États membres. Ce travail serait réalisé de manière ouverte et transparente, dans le cadre d’un processus associant l’ensemble des parties prenantes institutionnelles, scientifiques, économiques et associatives. Le Centre commun de recherche de la Commission fait partie des acteurs susceptibles de piloter ces travaux.

Proposition n° 2

Établir un indicateur composite de souveraineté alimentaire au niveau de l’Union européenne, fondé sur une série d’indicateurs de bilan pondérés par des facteurs d’opportunité et de risque.

B.   la souverainetÉ alimentaire europÉenne est aujourd’hui globablement assurÉe

1.   Les dépendances externes de la France et de l’Union sont globalement maîtrisées, malgré des fragilités spécifiques

a.   La situation des produits agricoles

Selon l’expression utilisée dans le rapport de FranceAgriMer, l’analyse des taux d’approvisionnement de la France et de l’Union relève une « forte dominance verte ». La majorité des produits alimentaires déclinés dans les tableaux 1 et 2, présentés ci‑dessous, se caractérise par une situation d’autosuffisance ou de quasi‑autosuffisance.

Sans prétendre à une approche exhaustive, il convient de souligner les grandes tendances suivantes pour la France (tableau 1) :

-         la France est globalement autosuffisante en produits carnés, œufs et féculents, des produits qui sont notamment source de protéines ;

-         le taux d’auto-approvisionnement se dégrade pour l’ensemble des produits agricoles entre 2012 et 2021, à l’exception de trois filières :

o       le blé, en dépit du recul de la production de blé dur ;

o       les orges, en raison de la baisse de la consommation française au profit d’autres céréales fourragères – en particulier du maïs ;

o       les fèves de soja, du fait de la hausse de la production française ;

-         la dégradation des taux d’approvisionnement est plus marquée pour les légumes secs et le maïs, sous l’effet de l’augmentation de la consommation nationale, tandis que la filière avicole est confronté à un « effet ciseau » – baisse de la production nationale, affectée par l’épidémie d’influenza aviaire en 2021, et forte progression de la consommation de poulets, principalement sous l’effet de la restauration hors domicile (sandwichs, fastfood) ;

-         le cheptel et la production nationale de viande ovine, parmi les plus chères en boucherie, demeurent structurellement faibles ;

-         le déficit pour les fruits et légumes se creuse aussi bien pour les produits exotiques que pour les produits tempérés, en raison de la diminution des surfaces cultivées et du nombre d’exploitation – entre 2000 et 2020, les surfaces en légumes ont diminué de 10 % (– 22 200 hectares) et les surfaces en cultures fruitières ont baissé de 7 % (– 4 000  hectares) ([36]).

Au niveau européen, les taux d’auto-approvisionnement atteints pour la même sélection de produits agricoles sont satisfaisants (tableau 2). Ils sont en progression ou relativement stables, à l’exception des fruits et du maïs. En revanche, les productions excédentaires sont moins « sécurisantes » qu’en France, en particulier pour les grandes cultures. Si l’Union est excédentaire en blé et en orge, la guerre en Ukraine a confirmé son déficit pour le maïs. Enfin, la situation des filières fruits et légumes est plus favorable en Europe qu’en France ([37]). La France se situe à la première place des producteurs européens pour une seule catégorie de légumes, les petits pois frais (31,7 % de la production), et se situe dans le trio de tête pour un seul fruit, les pommes (13,2 % de la production). La production de légumes est ainsi dominée par l’Espagne (salades, concombres, brocolis), l’Italie (tomates) et la France, qui représentent respectivement 24,2 %, 20,6 % et 9,3 % du volume de production européen. La Pologne (19,7 %), l’Italie (19,3 %) et l’Espagne (17,8 %) sont les principaux producteurs de fruits.

Le champ des produits agricoles traités par les rapporteurs est incomplet. Il se fonde sur les seules filières recensées dans la base de données en ligne de la FAO (FAOSTAT) et permettant une comparaison des résultats à périmètre constant entre, d’une part, 2012 et 2021, et, d’autre part, la France et l’Union. D’autres sources permettent utilement d’éclairer nos dépendances, dont le rapport de FranceAgriMer qui recense quelques indicateurs de taux d’auto‑approvisionnement à l’échelle des 27 États membres – en moyenne sur les périodes 2018-2020 ou 2019-2021 ([38]) :

-         filière porcine : 103 % en France, contre 124 % dans l’Union ;

-         fromages : 120 % en France, contre 112 % dans l’Union ;

-         beurre : 78 % en France, contre 111 % dans l’Union.

b.   La situation des intrants agricoles

Une présentation exhaustive des dépendances externes de l’Union impliquerait d’élargir l’analyse des indicateurs de bilan aux intrants agricoles. Or les sources officielles et professionnelles en la matière sont lacunaires, à l’exception des engrais.

Les gisements des matières premières utilisées dans la production d’engrais (N, P, K) sont essentiellement localisés hors d’Europe et importés depuis les pays tiers pour être transformés en produits finis. Les importations en provenance de pays tiers représentent ainsi respectivement 30 %, 68 % et 85 % de la consommation d’azote, de phosphate et de potasse dans l’Union ([39]). La France importe quant à elle 67 % de sa consommation d’azote, soit 4,8 millions de tonnes brutes, 100 % de sa consommation de phosphate et 100 % de sa consommation de potasse ([40]).

Une évaluation similaire gagnerait à être menée pour les autres intrants agricoles consommables, tels que les produits phytopharmaceutiques et les semences. La France dispose d’atouts importants en la matière, en tant que premier exportateur mondial de semences de grandes cultures devant les États-Unis et l’Allemagne. S’agissant des intrants en capital, l’Union s’appuie sur un secteur industriel solide pour la production de machines agricoles. Les échanges mondiaux d’agroéquipements ont atteint 73,8 milliards d’euros en 2021. Les cinq principales puissances exportatrices sont l’Allemagne (13,2 milliards d’euros), la Chine (8,9 milliards d’euros), les États-Unis (8,1 milliards d’euros), l’Italie (5,1 milliards d’euros) et la France (3,9 milliards d’euros). Les pays européens s’approvisionnent essentiellement au sein du marché intérieur, à la manière de la France, deuxième importateur mondial de machines agricoles : les importations françaises proviennent à 75 % de l’Union, principalement d’Allemagne (tracteurs, moissonneuses-batteuses) ([41]).

Taux d’auto-approvisionnement : méthodologie et grille de lecture

Les tableaux 1 et 2, ci-dessous, présentent les taux d’auto-approvisionnement d’une sélection de produits agricoles, mesurés au regard des volumes de consommation et de production domestiques de 2012 et de 2021 (milliers de tonnes). Les données sont issues de la base de données FAOSTAT, dans laquelle la consommation française d’œufs en 2021 n’est pas précisée (non-déterminée, ND).

Les tableaux présentent des indicateurs statiques – le taux d’auto-approvisionnement en année N – et dynamiques – l’évolution du taux d’auto‑approvisionnement entre 2012 et 2021, calculée en points de pourcentage (pp).

Un code couleur simplifie la lecture des tableaux : vert pour les filières dont le taux d’auto‑approvisionnement est supérieur à 100 % ; jaune (entre 80 et 100 %) ; orange (entre 60 et 80 %) ; rouge (inférieur à 60 %).

Il convient de recourir avec prudence aux comparaisons entre les taux d’autoapprovisionnement français et européen. Le commerce intra-européen est exclu des calculs européens, alors que le taux d’auto-approvisionnement française ne distingue pas les importations européennes des importations en provenance de pays tiers. À titre d’exemple, les importations françaises de fruits, qu’ils soient tempérés ou exotiques, sont concentrées depuis l’Espagne, tandis que le soja importé en France provient essentiellement du Brésil. Les indicateurs de bilan français pour les fruits et le soja seront également dégradés, alors même que l’origine de la dépendance diffère.

Source : commission des affaires européennes, à partir des données FAOSTAT.

 

 

 

 

 


Tableau 1 –Taux d’auto-approvisionnement alimentaire de la France (2012 et 2021, milliers de tonnes)

 

 

 

FRANCE

 

 

2012

2021

Évolution du taux d'auto-approvisionnement

Produit

Production

Consommation

Taux d'auto-approvisionnement

Production

Consommation

Taux d'auto-approvisionnement

Bétail et viande

Viande bovine

1 493,86

1 408,82

106,0 %

1 424,32

1 347,98

105,7 %

0,3 pp

Viande ovine

113,40

211,77

53,5 %

81,79

149,94

54,5 %

1,0 pp

Viande de volaille

1 766,88

1 615,82

109,3 %

1 616,31

1 823,83

88,6 %

20,7 pp

Œufs

845,30

898,77

94,1 %

896,00

ND

ND

ND

Fruits et légumes

Fruits

7 978,80

11 115,87

71,8 %

7 951,52

11 973,78

66,4 %

5,4 pp

Légumes

4 990,81

6 560,79

76,1 %

5 435,98

7 264,85

74,8 %

1,2 pp

Pomme de terre

6 376,06

4 796,38

132,9 %

8 987,22

6 978,54

128,8 %

4,2 pp

Grandes cultures

Blé

37 885,74

21 701,58

174,6 %

36 559,45

20 732,67

176,3 %

+ 1,8 pp

Maïs

15 393,50

9 528,52

161,6 %

15 358,30

11 623,57

132,1 %

29,4 pp

Orge

11 341,19

6 780,26

167,3 %

11 321,32

4 843,61

233,7 %

+ 66,5 pp

Fèves de soja

103,94

713,19

14,6 %

439,35

820,71

53,5 %

+ 39,0 pp

Riz

124,09

128,31

96,7 %

62,34

66,88

93,2 %

3,5 pp

Cultures sucrières brutes

33 077,40

32 199,43

102,7 %

34 365,39

34 365,99

100,0 %

2,7 pp

Légumineuses sèches

875,95

397,23

220,5 %

1 000,33

879,50

113,7 %

106,8 pp

tABLEAU 2 – TAUX d’AUTO-approvisionnement alimentaire de l’union europÉenne (2012 et 2021, milliers de tonnes)

 

 

UNION EUROPÉENNE

 

 

2012

2021

Évolution du taux d'auto-approvisionnement

Produit

Production

Consommation

Taux d'auto-approvisionnement

Production

Consommation

Taux d'auto-approvisionnement

Bétail et viande

Viande bovine

6 826,32

6 735,11

101,4 %

6 882,07

6 740,73

102,1 %

+ 0,7 pp

Viande ovine

609,31

730,91

83,4 %

521,26

565,77

92,1 %

+ 8,8 pp

Viande de volaille

11 250,12

9 963,66

112,9 %

12 998,71

10 893,83

119,3 %

+ 6,4 pp

Œufs

5 925,03

5 769,92

102,7 %

6 467,58

6 333,51

102,1 %

0,6 pp

Fruits et légumes

Fruits

59 901,07

63 583,10

94,2 %

65 942,93

74 880,49

88,1 %

6,1 pp

Légumes

58 383,30

54 613,47

106,9 %

57 339,96

53 283,30

107,6 %

+ 0,7 pp

Pomme de terre

50 251,06

50 097,78

100,3 %

50 444,27

51 153,53

98,6 %

1,7 pp

Grandes cultures

Blé

121 346,61

110 158,61

110,2 %

138 079,33

114 771,32

120,3 %

+ 10,2 pp

Maïs

59 608,42

63 297,17

94,2 %

72 987,92

82 035,26

89,0 %

5,2 pp

Orge

49 487,10

45 863,84

107,9 %

52 092,10

44 773,70

116,3 %

+ 8,4 pp

Fèves de soja

962,04

11 863,05

8,1 %

2 712,90

17 770,78

15,3 %

+ 7,2 pp

Riz

3 159,89

3 161,98

99,9 %

2 639,00

2 667,29

98,9 %

1,0 pp

Cultures sucrières brutes

107 753,66

107 720,56

100,0 %

113 319,33

112 828,64

100,4 %

+ 0,4 pp

Légumineuses sèches

2 636,31

3 181,02

82,9 %

4 475,46

5 256,01

85,1 %

+ 2,3 pp


2.   L’autonomie protéinique de l’Union, une fragilité localisée sur les coproduits agricoles riches en protéines

La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont rappelé avec force la dépendance protéinique de l’Union à l’égard des pays tiers. Les concentrés protéiniques sont largement utilisés par nos éleveurs en complément de la ration fourragère, moins riches en protéines, afin de couvrir les besoins du bétail. La crise de la vache folle, provoquée par l’utilisation de farines animales dans l’alimentation des bovins, a conduit l’Union à restreindre l’utilisation de protéines animales pour nourrir les animaux d’élevage au début des années 2000 ([42]). Or la production européenne de protéines végétales est toujours insuffisante pour satisfaire les besoins de nos systèmes d’élevage. Les déficits élevés de l’Union en matière de graines et de tourteaux oléoprotéagineux (colza, tournesol, etc.) concernent principalement le soja, dont la production a souffert de la réduction des barrières commerciales. En effet, les États-Unis ont obtenu, en contrepartie de la mise en place de la PAC, la suppression des droits de douane sur le soja à l’occasion des négociations du GATT, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Dillon Round, 1960-1961).

Le tableau 3, ci-dessous, indique le taux d'autonomie protéinique de l'élevage pour chaque source de protéine végétale utilisée dans l’alimentation animale. Les données présentées sont issues du bilan (balance sheet) de la Commission, publié en novembre 2022. Ce tableau de bord de notre souveraineté protéinique permet de mesurer notre taux d’auto‑approvisionnement au regard de la production et de la consommation européennes de protéines végétales destinées à l’élevage, mais également de la teneur en protéines des aliments.

Vos rapporteurs soulignent que l’Union atteint des niveaux d’autosuffisance satisfaisants pour l’ensemble des sources de protéines végétales, à l’exception des tourteaux d’oléagineux. Ces coproduits, qui permettent de valoriser les graines oléagineuses, sont riches en protéines puisqu’ils se caractérisent par des taux de protéines supérieurs à 30 %. Les importations européennes de graines et de tourteaux oléagineux ont atteint près de 42 millions de tonnes lors de la campagne 2021-2022, principalement depuis l’Ukraine pour le colza et le tournesol, et depuis le Brésil et l’Argentine pour le soja. Vos rapporteurs insistent sur le caractère préjudiciable de ces dépendances, qui exposent l’Union à des chocs externes et contribuent à la déforestation importée. Le fourrage demeure toutefois la principale source de protéine végétale dans l’alimentation du bétail.

Notre autonomie protéinique est globalement préservée et progresse depuis une décennie. L’ensemble des produits utilisés pour l’alimentation animale affichent des taux d’auto-approvisionnement supérieurs ou stables par rapport à la campagne 2011-2012, à l’exception du maïs grain qui recule de 90 % à 77 %. Les insuffisances persistantes invitent non seulement à examiner les leviers susceptibles de renforcer la production d’oléagineux et de légumineuses en Europe et de sécuriser nos approvisionnements, mais plus globalement à identifier des substituts aux produits importés.

Les données communiquées à vos rapporteurs par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire démontrent que la dépendance protéinique est plus marquée en Europe qu’en France  ([43]). Le taux d’auto‑approvisionnement en protéines végétales à destination de l’élevage est équivalent dans l’Union et en France, entre 75 % et 80 %. En revanche, les produits dont la teneur en protéine est supérieure à 15 % sont davantage importés dans l’Union (autonomie de 40 %) qu’en France (autonomie de 50 %).

Tableau 3 – Consommation et autonomie protÉique de l’Élevage
en europe (2021-2022)Tableau protéines 2022

 

 

Source : commission des affaires européennes, à partir des données de la Commission européenne (DG AGRI), EU Feed Protein Balance Sheet, novembre 2022.

 

 

III.   LES SYSTÈMES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES EUROPÉENS, PREMIÈRES VICTIMES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, SOUFFRENT DE L’EXPLOITATION NON DURABLE DE NOS RESSOURCES

Les travaux menés par vos rapporteurs ont permis d’identifier les enjeux environnementaux comme le principal déterminant de la souveraineté alimentaire européenne à moyen et long termes. La principale menace sur la souveraineté alimentaire européenne est inhérente au modèle agricole développé depuis les années 1960 dans le cadre de la PAC, car le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité altèrent d’ores et déjà les conditions et le volume de la production agricole.

Si les acteurs auditionnés diffèrent dans les solutions proposées, force est de constater que la durabilité et la résilience au changement climatique des systèmes agricoles font l’objet d’une inquiétude et d’une attention partagées. Les facteurs « biophysiques et environnementaux » sont cités en premier par la Commission dans son rapport sur les déterminants de la sécurité alimentaire ([44]), qui recense la pollution de l’environnement, la biodiversité, la gestion des ravageurs et des maladies, le changement climatique et la santé des sols. Au regard de l’ampleur des phénomènes identifiés, les rapporteurs se sont intéressés aux deux derniers facteurs : le changement climatique et la santé des sols.

Les interactions entre les systèmes agricoles et alimentaires, d’une part, et les crises du climat et de la biodiversité, d’autre part, sont toutefois soumises à des dynamiques mutuelles et auto-entretenues. À cet égard, vos rapporteurs regrettent que la stratégie « De la ferme à la table », qui constitue le volet agricole du Pacte vert, méconnaisse cette ambivalence. La communication de la Commission rappelle ainsi que « les systèmes alimentaires restent fondamentalement l’un des principaux facteurs du changement climatique et de la dégradation de l’environnement », sans préciser que le secteur agricole est, en retour, particulièrement vulnérable à leurs conséquences ([45]). Une stratégie européenne de souveraineté alimentaire efficace impose d’appréhender globalement les interactions entre l’agriculture et l’environnement.

A.   L’agriculture face au CHANGEMENT climatique

1.   Une contribution perfectible à l’atteinte de nos objectifs climatiques

L’agriculture européenne représente 11,4 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union, contre 1,3 % du produit intérieur brut (PIB) et 4,2 % de l’emploi total ([46]). L’agriculture – hors activités de transformation – est relativement plus émettrice en France, où elle représente respectivement 21 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, 1,4 % du PIB et moins de 3 % de l’emploi total. L’élevage, qui représente environ 36 % de valeur de la production agricole brute, contribue à lui seul à 70 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole européen. Les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture n’ont pas pour principale origine la consommation d’énergie, mais sont liées à des processus biologiques diffus.

Les principales sources d’émissions agricoles de gaz à effet de serre, mesurées en équivalents CO2, dessinent autant de leviers d’atténuation ([47]).

-         50 % des émissions agricoles sont dues à l’élevage, dont 38 points liés à la digestion des animaux d’élevage et 12 points liés au stockage des effluents. Il s’agit principalement du méthane (CH4). La filière bovine est particulièrement concernée, puisque 77 % des émissions de l’élevage sont issues des bovins laitiers et à viande. Les émissions dues à l’élevage sont globalement stables entre 2010 et 2018, seules la Grèce, la Croatie et la Lituanie enregistrant une trajectoire à la baisse significative.

-         33 % des émissions agricoles sont produites par les nutriments du sol, appliqués via l’épandage d’engrais chimiques et d’effluents d’élevage ou obtenus par les déjections des animaux en pâturage. Il s’agit principalement du protoxyde d’azote (N2O). Les émissions imputables aux nutriments du sol ont augmenté de 5 % entre 2010 et 2018, en lien avec le recours accru aux engrais chimiques.

-         14 % des émissions agricoles résultent de l’utilisation des terres, par exemple par l’assèchement des tourbières et leur exploitation à des fins agricoles. Il s’agit principalement du dioxyde de carbone (CO2). Ces émissions, dites nettes, tiennent compte des absorptions dues aux terres cultivées et aux prairies, qui demeurent des puits de carbone permettant de séquestrer le CO2. Les émissions dues aux changements d’affectation des sols ont été stables entre 2010 et 2018.

-         3 % des émissions résultent d’autres variables d’activité, telles que la consommation de carburant par les engins agricoles et le chauffage des bâtiments et des serres agricoles.

Les tourbières vierges, des biotopes à protéger

Les tourbières sont un type de zones humides riches en matière organique, recouvrant environ 24 millions d’hectares et stockant près de 25 % de l’ensemble du carbone séquestré dans les sols européens. Les tourbières sont particulièrement répandues dans les pays du Nord de l’Europe, dont la Finlande (30 % de la superficie du territoire). Ces surfaces gorgées d’eau sont des puits de carbone importants, qui présentent un potentiel de stockage supérieur aux forêts et aux zones boisées.

Or la conversion de tourbières vierges en terres agricoles émet des quantités importantes de CO2, tout en augmentant les risques de crues et d’inondation. La conquête de terres agricoles par l’assèchement des sols organiques peut paradoxalement conduire à la perte de terres productives. Les tourbières représentent 8 % de la superficie de l’Union, mais 50 % d’entre elles sont drainées.

Vos rapporteurs se félicitent que l’Union agisse en faveur de la restauration des tourbières drainées, en saluant le maintien des objectifs chiffrés de restauration des écosystèmes agricoles figurant à l’article 9 de la proposition de règlement sur la restauration de la nature ([48]). Les négociations interinstitutionnelles ont abouti en novembre 2023. Ces dispositions ont été conservées dans le texte, alors que le Parlement souhaitait les supprimer. Les États membres seront tenus de mettre en œuvre des mesures de restauration sur au moins 50 % de la superficie des sols organiques utilisés en agriculture qui sont des tourbières drainées d’ici à 2050 – contre 70 % dans le projet de la Commission. La flexibilité offerte aux États membres est suffisamment équilibrée afin de garantir un usage productif durable des tourbières. Par ailleurs, 12 des 27 États membres ont inclus des mesures de protection des tourbières dans leurs plans stratégiques nationaux.

Vos rapporteurs, qui se sont intéressés à la situation finlandaise, appellent toutefois à ne pas sacrifier les pratiques agricoles afin de restaurer les tourbières. La tourbe, soumise à des régimes fiscaux avantageux, est principalement utilisée comme combustible pour la production d’électricité dans certains États membres ([49]). À tire d’exemple, 90 % de la tourbe produite en Finlande est utilisée comme source d’énergie. Les usages agricoles ne doivent pas supporter, seuls, les mesures de protection des sols organiques.

Les émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole ont reculé de 25 % entre 1990 et 2010. Cette baisse importante est principalement liée à la réduction de l’emploi des engrais et à la décapitalisation des cheptels. La Cour des comptes européenne relève toutefois que « les émissions n’ont plus baissé depuis 2010 ». Cette stabilité est due en partie à la moindre réduction de la taille du bétail au cours de la dernière décennie. Si les cheptels porcin, bovin, ovin et caprin ont baissé de 11,5 % entre 2001 et 2021, de 326 à 289 millions de têtes, la tendance est globalement moins négative depuis 2010 ([50]).

La trajectoire de décapitalisation est principalement liée au vieillissement de la population des éleveurs et à la rentabilité insuffisante des exploitations selon l’interprofession française du bétail et de la viande ([51]). En tout état de cause, toute réduction non concertée et non pilotée des cheptels serait préjudiciable à notre souveraineté alimentaire en l’absence de changement dans les habitudes de consommation. À titre d’exemple, la consommation de viande progresse en France en 2021 et en 2022 alors que les cheptels baissent, conduisant à une augmentation de 11,5 % de la viande importée – majoritairement en provenance de pays européens ([52]). Au niveau européen, la dégradation de nos capacités d’autosuffisance conduirait à un double phénomène préjudiciable : d’une part, l’augmentation des produits importés depuis les pays tiers (effet d’éviction) et, d’autre part, la croissance des émissions de gaz à effet de serre dans les pays tiers moins ambitieux en matière environnementale (fuites de carbone).

Vos rapporteurs rappellent que la réduction de la production animale, qualifiée de « tendancielle » et « subie » par la Cour des comptes dans le cas français ([53]), ne constitue pas une solution miracle pour atteindre nos objectifs climatiques, surtout si elle n’est pas accompagnée au même rythme d’une réduction de la consommation. Toute politique d’atténuation des conséquences de l’activité agricole sur l’environnement doit faire l’objet d’une réflexion globale, intégrant les effets secondaires non désirés.

Cette exigence vaut également au regard de la répartition mondiale des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole. Selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Europe – intégrant la Russie – contribue à 10 % des émissions agricoles dans le monde, contre 35 % pour l’Asie, 24 % pour l’Afrique (+ 18 % par rapport à 2000), 20 % pour l’Amérique du Sud et 6 % pour l’Amérique du Nord ([54]). Les efforts de transition des filières agricoles doivent être partagés au niveau mondial afin de prévenir tout phénomène de passager clandestin, sans préjudice des principes d’équité prévus par le droit international ([55]).

2.   Le choc du changement climatique sur les systèmes agricoles et alimentaires européens

Le changement climatique affecte gravement la capacité de nos systèmes alimentaires à satisfaire durablement les besoins de la population européenne. En 2022, la température européenne moyenne a ainsi été supérieure d’environ 2,3 C à la moyenne préindustrielle (1850-1900), laquelle est utilisée comme référence par l’Accord de Paris sur le climat. Dans son analyse des facteurs de la sécurité alimentaire, la Commission s’appuie sur les projections concluant que la température augmentera encore de 2 °C à 5 °C en Europe dans les prochaines décennies, et ce dans un scénario de réchauffement planétaire de 1,5 °C d’ici à 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. Or le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime désormais que la trajectoire des politiques climatiques déployées par la communauté internationale rend « probable » (likely) le dépassement du scénario à 1,5 °C ([56]).

Les conséquences du changement climatique sur les mondes agricoles européens sont d’ores et déjà visibles. La production agricole est extrêmement sensible à l’évolution des conditions physiques et environnementales, qu’il s’agisse de la température, des précipitations ou de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. L’Agence européenne de l’environnement alerte sur ces effets directs, mais également sur les « effets en cascade » qui en résultent, tels que le développement d’espèces nuisibles et invasives ([57]).

À titre d’exemple, la France est confrontée à la stagnation des rendements de certaines grandes cultures depuis le milieu des années 1990. Les rendements du blé tendre ont ainsi fortement progressé entre 1960 et 1996, d’environ 25 à 70 quintaux par hectare (q/ha). L’augmentation du rendement annuel s’établit à près de 1,2 q/ha/an sur cette période, alors que les rendements moyens sont restés compris entre 63 et 78 q/ha depuis 1996 en France. Selon la FAO, les rendements ont atteint 66,8 q/ha en 2020 et 69,2 q/ha en 2021.

La recherche agronomique conclut que le changement climatique est le principal facteur explicatif du plafonnement des rendements ([58]). Les accidents de croissance du blé peuvent intervenir à plusieurs stades de son cycle biologique :

-         hausse du déficit hydrique pendant la montaison de la céréale ;

-         augmentation des jours d’échaudage thermique, durant lesquels la température atteint 25 °C, au cours de la phase remplissage des grains.

 

Figure 1 – Évolution des rendements du blÉ tendre en France entre 1961 et 2021

 

Source : commission des affaires européennes, d’après les données FAOSTAT, Crops and livestock products.

Note de lecture. Le graphique orange retrace l’évolution des rendements du blé tendre, mesuré en quintaux par hectare de culture, sur la période 1961-2021. Les rendements moyens stagnent à partir des années 1990 et se situent sous la courbe de tendance linéaire à partir du début des années 2000.

 

La problématique de l’autonomie fourragère de l’élevage

Dans ses réponses écrites, la FNSEA rappelle que « le réchauffement climatique impacte évidemment la dépendance française aux viandes, fruits et légumes importés ». L’organisation précise que les épisodes de sécheresse et de canicule affectent principalement la production d’herbe des prairies permanentes françaises et l’autonomie fourragère des élevages français.

Les données statistiques agricoles confirment ce phénomène, alors que la pousse cumulée des prairies permanentes en France était, en août 2023, inférieure de 4 % à la moyenne de la période 1989-2018 ([59]). Les campagnes sont particulièrement défavorables dans certaines régions françaises, dont le bassin méditerranéen, l’Alsace et la Bourgogne.

Or l’alimentation protéique des troupeaux de ruminants (bovins, ovins, caprins) et, dans une moindre mesure, d’animaux monogastriques (porcins, volailles) repose largement sur les fourrages produits localement dans les prairies. Les élevages de ruminants atteignent une autonomie protéique de près de 75 % en France, en particulier du fait de l’herbe conservée ou pâturée.

L’ampleur et la fréquence des épisodes de stress thermique vont croître dans les prochaines années. L’incidence du changement climatique est susceptible de varier fortement selon les régions considérées. Cette nouvelle donne devrait ainsi dégrader la productivité et la qualité des systèmes de culture et d’élevage des pays du Sud de l’Europe, dont une large partie de la France. Les rendements de l’agriculture sèche, qui ne nécessite aujourd’hui pas d’irrigation, pourrait reculer de près de 50 % ([60]) dans certaines filières (maïs grain, blé, betterave sucrière) entre 2021 et 2050 par rapport à la période 1981-2010. En parallèle, la perte de valeur du foncier agricole pourrait atteindre 80 % dans certains territoires, particulièrement en Italie. À l’inverse, les pays du Nord pourraient connaître une hausse des rendements agricoles, de la variété des cultures et des surfaces agricoles cultivables du fait de l’augmentation des températures et des précipitations. Ces projections sont toutefois incertaines alors que les pays du Nord, qui ont généralement des terres moins fertiles, devront s’adapter à la variabilité croissante de la disponibilité des ressources en eau selon les saisons.

Vos rapporteurs mettent en garde contre les implications politiques de la distribution spatiale du changement climatique, susceptible de créer une opposition artificielle entre les « gagnants » et les « perdants ». Tous les pays européens seront à terme perdants du fait de l’incidence du changement climatique sur les débouchés à l’export ou sur l’accès aux intrants importés.

 

 

Figure 2 – Évolution PROJETÉE des rendements agricoles sur la pÉriode 20212050 par rapport À la pÉriode 1981-2010

 

 

 

 

 

Source : AEE, Climate change adaptation in the agriculture sector in Europe, n° 04/2019, septembre 2019, p. 46.

Note de lecture. Les cartes illustrent l’évolution des rendements agricoles pour des produits en culture irriguée (à gauche) et en culture sèche (à droite) : maïs (maize), betterave sucrière (sugar beet) et blé (wheat).

 

B.   Les terres AGRICOLES, une vocation nourriciÈre À prÉserver face À la dÉgradation de la santÉ des sols

1.   Les sols agricoles européens, un bien commun sous pression

Les sols, qu’ils soient organiques ou minéraux, sont une ressource non renouvelable dont la bonne santé est indispensable à la durabilité agricole. Ils servent de support aux cultures et fournissent les éléments nécessaires à la production agricoles : l’eau, l’oxygène et les nutriments, tels que l’azote et le phosphore. Or la Commission estime que 60 à 70 % des sols de l’Union sont en mauvaise santé du fait de mauvaises pratiques – notamment agricoles – de gestion des sols ([61]). La dégradation de la santé des sols réduit les rendements potentiels des cultures et leur résilience à des épisodes météorologiques extrêmes, tels que les crues soudaines et les sécheresses.

La surface agricole utilisée (SAU) de l’Union couvre 157 millions d’hectares, soit près de 38,5 % du territoire européen. La France (27,4 millions d’hectares) et l’Espagne (23,9 millions d’hectares) présentent les SAU les plus importantes ([62]). Il s’agit d’un patrimoine commun à préserver.

À l’occasion d’une table ronde réunissant des scientifiques, Mme Josette Garnier, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a souligné que la « grande accélération » consécutive à la Seconde Guerre mondiale a favorisé la spécialisation et l’intensification des systèmes agricoles. Si les pressions exercées sur les sols agricoles européens sont de natures variées (salinisation, tassement, etc.), vos rapporteurs alertent sur deux menaces en particulier : la pollution et la perte de terres agricoles productives.

En premier lieu, l’usage abusif des engrais et la mauvaise gestion des effluents d’élevage contribuent aux émissions de gaz à effet de serre et à la pollution des eaux de surface et des eaux souterraines. À terme, l’accumulation des nutriments conduit à la croissance excessive des plantes et des algues, dont l’accumulation est à l’origine de l’eutrophisation des milieux aquatiques. Le recours aux fertilisants permet d’apporter les nutriments nécessaires à la croissance des plantes, qui n’ont pas la propriété de fixer l’azote dans l’air – à l’exception des légumineuses fourragères, telles que le trèfle et la luzerne. Or les terres agricoles européennes connaissent un excédent de nutriments (nutrient surplus), évalué par la Commission à 50 kg par hectare pour l’azote (N) et à 2 kg par hectare pour le phosphore (P) ([63]). Concrètement, les nutriments apportés aux sols dépassent les besoins nutritionnels des plantes : les entrées de nutriments sont supérieures aux sorties de nutriments, par exemple à l’occasion des récoltes. L’excédent de nutriments, outre son incidence négative sur l’environnement, représente un surcoût évitable pour l’agriculteur.

L’utilisation massive de pesticides est également une source importante de pollution, qui affecte la santé humaine et la biodiversité des sols. En France, une étude menée par le CNRS et l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) dans la plaine céréalière de Chizé (Deux‑Sèvres) conclut que la contamination, par les pesticides, des sols et des vers de terre qu’ils abritent est excessive ([64]). La quasi-totalité des échantillons de sols (90 %) et la majorité des échantillons de vers de terres (54 %) contient un mélange d’au moins un insecticide, un fongicide et un herbicide. Les résidus identifiés contaminent aussi bien les surfaces cultivées en agriculture conventionnelle que des terres non traitées (haies, prairies, cultures en agriculture biologique). Ces substances, en particulier les néonicotinoïdes, présentent un risque de toxicité chronique pour les vers de terre et nuisent à leur reproduction, alors même que ces organismes contribuent à la fertilité des terres agricoles et à la lutte contre l’érosion des sols.

En second lieu, la réduction du potentiel agricole de nos territoires est liée à la fois à l’érosion et à l’artificialisation des sols.

D’une part, l’érosion de sols conduit à la perte de terres productives sous l’effet de multiples facteurs (eau, vent, labour, etc.). Les données du Centre commun de recherche de la Commission révèlent que près de la moitié des terres arables de l’Union (110 millions d’hectares) sont vulnérables à un ou plusieurs facteurs d’érosion ([65]). L’érosion hydrique, principale menace identifiée, conduit ainsi à d’importantes pertes en terre lorsque les capacités d’infiltration sont réduites. À titre d’exemple, le labour pratiqué dans le sens de la pente ou l’absence de couverture végétale des champs en hiver sont de nature à fragiliser les sols.

D’autre part, l’artificialisation conduit à une couverture, souvent irréversible, des sols au détriment des espaces agricoles et de notre souveraineté alimentaire. Au niveau des vingt-sept États membres, l’artificialisation des sols représente une perte nette de 13 000 km2 entre 2000 et 2018, dont 78 % étaient des terres agricoles. En France, la déprise des terres agricoles atteint 7,7 % (– 2,4 millions d’hectares) entre 1982 et 2018, alors que les surfaces artificialisées bâties et non bâties (routes, parcs, terrains de sport, etc.) augmentent de 72 % (+ 2,1 millions d’hectares) ([66]).

Vos rapporteurs sont conscients de la nécessité pour l’État et les collectivités territoriales de réaliser des opérations d’aménagement afin de satisfaire les besoins en logement et de créer de nouveaux pôles d’activités. Force est toutefois de constater que la pression foncière a dégradé le potentiel de notre territoire puisque l’étalement urbain tend à consommer des terres agricoles extrêmement fertiles, tels que le plateau de Saclay en Île-de-France. Les acteurs agricoles et scientifiques auditionnés ont ainsi appelé à conforter l’objectif d’atteindre « zéro artificialisation nette » (ZAN) à l’horizon 2050, inscrit dans la loi du 22 août 2021 dite Climat et Résilience ([67]). Il convient de souligner le caractère pionnier de la législation française en matière de lutte contre l’artificialisation des sols. Une étude du droit comparé réalisée par le Sénat précise que « l’inscription dans la loi d’un objectif de réduction de l’artificialisation des sols apparaît comme une exception française » au regard des cadres en vigueur en Allemagne, en Italie, en Espagne et aux Pays-Bas ([68]). Ces pays ne prévoient pas d’objectifs juridiquement contraignants (Allemagne, Italie) voire ne sont pas dotés d’objectifs (Espagne, Pays-Bas).

2.   La protection européenne des sols agricoles, un réveil tardif à confirmer

Vos rapporteurs se félicitent de la prise de conscience et des initiatives transversales engagées par l’Union pour assurer la bonne santé des sols. Les terres agricoles et les écosystèmes agronomiques en seront des bénéficiaires importants.

Dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, la Commission a présenté en novembre 2021 sa stratégie pour la protection des sols à l’horizon 2030 ([69]). Celle‑ci repose sur des instruments complémentaires :

-         le renforcement des capacités de surveillance et d’analyse des sols, par la création en décembre 2020 d’un Observatoire européen des sols (EUSO), adossé au Centre commun de recherche de la Commission ;

-         le financement de la recherche dans le cadre de la mission « Un pacte pour les sols sains en Europe » du programme Horizon Europe pour la période 2021-2027, qui a par exemple alloué 90 millions d’euros à 17 nouveaux projets de recherche en septembre 2023 ([70]) ;

-         la mise en place d’un cadre juridique européen pour l’utilisation durable des sols, qui complète les législations sectorielles existantes sur l’eau et sur les déchets.

Sur ce dernier volet de la stratégie de la Commission, vos rapporteurs émettent des réserves sur la proposition de directive sur la surveillance des sols présentée en juillet 2023 ([71]). Le choix de l’instrument juridique – directive plutôt que règlement – se justifie par la grande variété d’états et d’utilisations des sols dans l’Union, ainsi que par la volonté de garantir une flexibilité de mise en œuvre aux pays européens. Cette solution d’équilibre vise en partie à limiter l’opposition des États membres, soucieux de préserver leurs prérogatives territoriales face à la désignation de zones protégées et l’imposition de procédures de décontamination des sols. En témoigne l’échec de la proposition de directive-cadre sur la protection des sols ([72]), présentée par la Commission en 2006, adoptée par le Parlement européen en 2007 et retirée en 2014 face à l’hostilité de plusieurs pays – dont la France.

L’attention portée par la proposition de directive à l’évaluation de la santé de sols est bienvenue. Les États membres seront notamment tenus de mettre en place un cadre de surveillance dédié à l’artificialisation des terres et de veiller autant que possible à l’atténuer conformément à la séquence « éviter-réduire-compenser ». En revanche, il est regrettable que la Commission ait renoncé à l’inscription d’un objectif contraignant de « zéro artificialisation nette » (ZAN) à l’horizon 2050, contrairement aux orientations fixées dans sa stratégie de 2021. Les États membres sont uniquement soumis à une obligation – légère – de moyens alors même que l’exemple français démontre que la lutte contre les pertes de sols doit s’inscrire dans un cadre exigeant et concerté, assorti de mesures d’accompagnement. La France se retrouve de nouveau mieux-disante en matière de réglementation environnementale, créant une concurrence déloyale vis-à-vis des autres États membres qui peuvent aménager et attirer sans restriction de nouveaux pôles de vie et d’activité. Il ne s’agit pas de se résigner à un nivellement par le bas des normes de protection de l’environnement, mais au contraire de promouvoir un alignement par le haut.

Vos rapporteurs recommandent, dès lors, d’inscrire un « objectif ZAN » contraignant à l’horizon 2050 dans le cadre des négociations qui s’ouvrent au Conseil de l’Union et au Parlement européen. L’ambition du texte évoluerait de la simple surveillance à une véritable protection des sols. Les États membres conserveraient le choix des moyens pour atteindre cet objectif, conformément à la logique de la directive. À défaut, les réticences prévisibles des États membres à court terme pourraient justifier d’établir un « objectif ZAN » à l’occasion de l’évaluation et du réexamen de la directive sur la surveillance des sols, prévus six ans après son entrée en vigueur. La France gagnerait à engager dès à présent un travail d’influence et de conviction dans les formations pertinentes du Conseil de l’Union (Agriculture et pêche, Environnement) afin de lever les réticences de ses partenaires.

Proposition n° 3

Inscrire un objectif contraignant de « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans la future directive sur la surveillance des sols en s’appuyant sur l’expérience française, dans le cadre des discussions qui s’ouvrent ou à l’occasion de son réexamen.

IV.   Les consÉquences DE LA CRISE SANITAIRE ET DE LA GUERRE EN UKRAINE, UN RÉVÉLATEUR DES VULNÉRABILITÉS ET DE LA RÉSILIENCE DE l’UNION EUROPÉENNE

A.   LA CRISE SANITAIRE, UN CHOC EXOGÈNE SUR LES CHAÎNES D’APPROVISIONNEMENT

La crise sanitaire a été un premier signal d’alerte mettant en évidence les risques liés à la fragilité des chaînes d’approvisionnement, notamment alimentaires, en raison tant de l’interdépendance mondiale que de la tentation du repli sur soi.

1.   Un choc exogène qui a révélé les vulnérabilités de l’Union européenne

Dans un premier temps, la réponse, non coordonnée, de l’ensemble des États à l’émergence de la pandémie, a été de confiner leur population et de fermer les frontières. La limitation de la circulation des biens et des personnes a eu pour corollaire de réveiller la peur ancestrale de manquer, phénomène contre-intuitif au regard de la puissance agricole européenne. À cet égard, le grand historien Jean Delumeau, dans son histoire de la peur en Occident, ([73]) démontre à quel point la peur alimentaire a pu structurer les mentalités occidentales à une période où les rendements agricoles étaient très dépendants des aléas climatiques, de l’apparition de pandémies ainsi que des invasions militaires.

La tentation du repli sur soi s’apparente dès lors à un réflexe, qui explique en partie l’absence de concertation initiale des États membres et l’émergence de pénuries auto-entretenues par le comportement des consommateurs (stockages des denrées de première nécessité telles que la farine, le beurre et le sucre).

La Cour des comptes a mis en évidence dans son rapport public annuel de 2022 ([74]) que la sécurité des approvisionnements alimentaires avait été globalement assurée lors de la pandémie, malgré l’impréparation des acteurs à une telle crise. Les pénuries temporaires observées au commencement de la crise étaient essentiellement dues à la désorganisation de la chaîne logistique.

2.   Un choc exogène qui a également révélé la rapide adaptation de l’Union européenne à la crise

En dépit de l’absence de stratégie nationale formalisée de sécurisation des approvisionnements alimentaires, ni de service spécifiquement consacré à cette fonction, la crise due à la Covid-19 a mis en évidence la résilience tant de la France que de l’Union européenne.

Au niveau national, l’État a su apporter de l’aide à un secteur essentiellement composé d’acteurs privés. Ces soutiens publics ont pu prendre diverses formes : soutien aux filières, occupations temporaires de l’espace public pour permettre, notamment, de nouveaux circuits de distribution, remise gracieuse de loyers aux marchands de gros du marché centralisé de Rungis. Un courrier des ministres de l’Économie et de l’Agriculture et de l’Alimentation, du 17 mars 2020, à l’attention des acteurs de l’alimentation a rappelé notamment le caractère essentiel de leurs missions. Toutefois, l’absence de stratégie nationale dédiée, si elle n’a pas eu de conséquences délétères sur les chaînes d’approvisionnement, devrait être corrigée.

Pour vos rapporteurs, la résilience de la France est en partie due à la réactivité de l’Union européenne, qui a su, en application du principe de solidarité entre États membres, ouvrir les frontières à des fins logistiques dès mars 2020, et autoriser des dérogations en matière d’aides d’État ainsi qu’aux règles de la PAC : relèvement du plafond des aides dites de minimis, aides au stockage privé pour soutenir les prix des produits en surproduction tels que le lait, réduction des contrôles sur place.

La Commission a également donné des orientations pour remédier aux blocages menaçant la chaîne d’approvisionnement, telles que les lignes directrices pour la libre circulation de travailleurs essentiels au sein de l'Union européenne des 30 mars et 16 juillet 2020.

Toutefois, pour vos rapporteurs, la résilience européenne et nationale constatée lors de cette première crise ne doit pas faire oublier la nécessité d’adopter une stratégie nationale pour gérer les situations critiques relatives à l’approvisionnement alimentaire ainsi qu’une stratégie européenne complète en termes de souveraineté alimentaire pour réduire drastiquement nos dépendances externes.

B.   LA GUERRE EN UKRAINE A FORTEMENT PERTURBÉ LES FILIÈRES AGRICOLES, SANS TOUTEFOIS PROVOQUER DE CRISE ALIMENTAIRE EN EUROPE

1.   L’agression de la Russie contre l’Ukraine, deux greniers à grains du monde, a fortement affecté les filières européennes

L’Ukraine et la Russie occupent une place centrale sur les marchés mondiaux des produits agricoles, en particulier de céréales et d’oléagineux, et des intrants consommables (engrais, hydrocarbures, etc.). Sur la période comprise entre les campagnes 2016-2017 et 2020-2021, l’Ukraine et la Russie représentent ensemble 13 % de la production mondiale de blé, tout en assurant respectivement 10 % et 20 % des exportations mondiales ([75]). Les deux pays sont également des acteurs majeurs de la production mondiale de maïs (5 %), d’orge (20 %) et de graines de tournesol (50 %).

Si l’agression perpétrée contre l’Ukraine depuis février 2022 affecte en premier lieu les populations locales, la guerre peut menacer également la sécurité alimentaire mondiale. De nombreux pays en développement en situation d’insécurité alimentaire sont dépendants des importations de produits agricoles en provenance d’Ukraine et de Russie. À titre d’exemple, le Soudan importait plus de 90 % de sa consommation de blé entre 2018 et 2020, dont près de 90 % provenaient des deux pays belligérants. Si les cours mondiaux du blé et du maïs sont désormais stabilisés, les prix ont dépassé 500 dollars la tonne pour le blé et 350 dollars la tonne pour le maïs en mai 2022.

La guerre en Ukraine a fragilisé la souveraineté alimentaire européenne par plusieurs canaux, dans un contexte de forte augmentation du prix des denrées alimentaires et des intrants consommables :

-         baisse de la production agricole ukrainienne du fait de la perturbation des cycles de semis et de récolte des cultures : destruction de matériels et d’infrastructures, spoliation des terres agricoles dans les zones occupées, pénurie de main d’œuvre agricole, etc. ;

-         entraves à l’exportation de produits agricoles ukrainiens, la mer Noire représentant un débouché quasi-exclusif (95 %) avant le déclenchement du conflit ;

-         crise énergétique, qui renchérit les coûts de production des filières amont et aval en Europe – par exemple, dans le cadre de la fabrication d’engrais azotés, dont 80 % du coût est lié au gaz naturel, et du fonctionnement d’installations énergivores (abattoirs, ateliers de transformation, serres, etc.).

2.   L’Union et ses partenaires ont été réactifs pour déverrouiller les exportations agricoles de l’Ukraine, au bénéfice de la sécurité alimentaire mondiale

Vos rapporteurs saluent la mobilisation de l’Union et de la communauté internationale afin de sécuriser l’approvisionnement mondial en céréales et en engrais. L’indice des prix des produits alimentaires de la FAO, qui mesure la variation mensuelle d’un panier de denrées de base, s’est ainsi établi à 121,5 points en septembre 2023, en recul de 38,3 points (– 24 %) par rapport au pic de mars 2022 ([76]). L’Initiative céréalière de la mer Noire et les corridors de solidarité ont également soutenu l’économie ukrainienne, les produits agricoles représentant 53 % des exportations du pays en 2022 – contre 40 % en 2023.

a.   L’Initiative céréalière de la mer Noire, un accord fragile sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU)

Le 22 juillet 2022, la Russie et l’Ukraine ont signé un accord visant à ouvrir un corridor humanitaire maritime sûr en mer Noire afin de faciliter les exportations de céréales et d’engrais depuis trois ports ukrainiens (Odessa, Chornomorsk et Yuzhny/Pivdennyi). Cette initiative a été conclue sous l’égide des Nations Unies et par l’intermédiaire d’une médiation turque.

Les données collectées par le Centre conjoint de coordination, basé à Istanbul et chargé d’inspecter les navires, soulignent le succès de l’opération. Près d’un millier de navires transportant près de 33 millions de tonnes de denrées alimentaires, composées à 50 % de maïs et à 27 % de blé, ont quitté l’Ukraine de juillet 2022 à juillet 2023. En particulier, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies a affrété des navires afin d’exporter près de 725 000 tonnes de blé à l’appui de ses opérations humanitaires en Afghanistan, en Éthiopie, au Kenya, au Soudan, en Somalie et au Yémen.

L’accord initial, d’une durée de 120 jours, a été renouvelé en novembre 2022, puis en mars et en mai 2023. Les rapporteurs condamnent la décision unilatérale de la Russie de mettre un terme à l’Initiative céréalière de la mer Noire, le 17 juillet 2023, en suspendant sa participation. S’ils sont conscients que la reconduction de l’accord est conditionnée à l’évolution de la situation diplomatique et militaire, les rapporteurs appellent à la poursuite des discussions sous la médiation de la Turquie. La prochaine réunion biannuelle de la Communauté politique européenne (CPE), prévue au Royaume-Uni au printemps 2024, pourrait être l’occasion d’examiner les perspectives de l’Initiative céréalière de la mer Noire en présence de l’Ukraine et de la Turquie.

b.   Les corridors de solidarité, une initiative de la Commission européenne dans laquelle la France a joué un rôle actif

Suite à l’agression russe, la Commission européenne a adopté le 12 mai 2022 une communication relative à la mise en place de « corridors de solidarité » entre l’Union et l’Ukraine ([77]). L’objectif est de faciliter les exportations agricoles de l’Ukraine par plusieurs voies alternatives et d’améliorer les capacités de stockage des récoltes. De nombreux obstacles, techniques, administratifs et règlementaires ont été identifiés, par exemple la différence d’écartement des rails entre l’Ukraine et l’Europe et l’engorgement des points de contrôle frontaliers. La France a concentré son action sur le « corridor roumain », le plus important parmi les cinq corridors mis en place, notamment en appuyant la Roumanie sur le dispositif de transbordement des céréales entre les wagons et les navires dans le port de Galati.

Le bilan des corridors de solidarité est également positif. Entre mars 2022 et septembre 2023, plus de 51,5 millions de tonnes de céréales, d’oléagineux et de produits connexes ont quitté l’Ukraine grâce aux corridors de solidarité – soit 60 % des exportations de céréales ukrainiennes depuis le début de la guerre, contre 40 % au titre de l’Initiative céréalière de la mer Noire.

En revanche, l’efficacité des corridors de solidarité a mis la solidarité européenne à l’épreuve des marchés agricoles, sous l’effet du renforcement des chaînes logistiques et de la suspension des droits de douane pour certains produits alimentaires ukrainiens, dont les céréales. L’afflux de céréales ukrainiennes bon marché dans les pays limitrophes a provoqué, en l’absence de capacités de réexportation suffisantes, la saturation des silos de stockage et la baisse du prix de marché domestique. Le contrecoup déstabilisateur des corridors de solidarité a conduit la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie à imposer des restrictions unilatérales pour interdire la commercialisation de certaines denrées ukrainiennes sur le territoire national.

Face aux goulets d’étranglement constatés, la Commission a activé, entre le 2 mai 2023 et le 15 septembre 2023, des mesures exceptionnelles au titre de la clause de sauvegarde prévue par le règlement européen octroyant des préférences commerciales autonomes supplémentaires à l’Ukraine ([78]). Durant cette période, la mise en libre pratique du blé, du maïs, du colza et des graines de tournesol a été autorisée dans l’ensemble de l’Union, à l’exception des cinq États membres limitrophes confrontés à des distorsions de marché. Ces derniers s’engageaient toutefois à permettre le transit des denrées visées. Par ailleurs, la réserve de crise agricole, créée lors de la dernière révision de la PAC, a été mobilisée en juin 2023 pour apporter 100 millions d’euros de financements européens en faveur de la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Slovaquie, afin que ces pays soutiennent les agriculteurs produisant des céréales et des oléagineux.

Seules la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie maintiennent leurs restrictions unilatérales à ce jour, malgré les mesures de soutien prises par la Commission. Ces mesures non-coordonnées nuisent à l’effort de solidarité européenne en faveur de l’Ukraine. Les négociations plurilatérales en cours dans le cadre de la « plateforme de coordination » associant les parties prenantes gagneraient à aboutir rapidement. Les mesures proposées par l’Ukraine – dont la mise en place d’un système de licences d’exportation – sont de nature à rassurer les pays limitrophes concernés.

À cet égard, la Commission a proposé le 31 janvier 2024 de prolonger, sous conditions, les concessions commerciales applicables aux produits ukrainiens d’une année supplémentaire, jusqu’au 5 juin 2025. La proposition de règlement, qui sera examinée par le Conseil de l’Union et par le Parlement européen, comprend notamment une mesure de sauvegarde automatique pour les œufs, la volaille et le sucre. Concrètement, la Commission pourra rétablir les contingents tarifaires aujourd’hui suspendus si les quantités importées dépassent la moyenne du volume importé depuis l’Ukraine en 2022 et 2023.

Ce dispositif protecteur est bienvenu, mais pourrait couvrir davantage de produits, dont les céréales. Par ailleurs, le seuil d’activation de la mesure de sauvegarde automatique gagnerait à tenir compte de la moyenne des importations sur la période 2021-2022. Les dates de référence proposées par la Commission, auxquelles les importations en provenance d’Ukraine avaient déjà sensiblement augmenté, ne correspondent pas à des circonstances normales permettant d’apprécier correctement l’évolution des importations.

L’adhésion de l’Ukraine à l’Union : vers un big bang agricole ?

Le 15 décembre 2023, le Conseil européen a décidé l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine ([79]), après lui avoir octroyé le statut de candidat le 23 juin 2022. L’élargissement à l’Ukraine, s’il ne constitue pas une perspective de court terme, représente un défi considérable pour les systèmes agroalimentaires européens. En tout état de cause, vos rapporteurs estiment que l’accord d’association entre l’Union et l’Ukraine a vocation à être approfondi. La suspension des droits de douane au bénéfice des produits agricoles et transformés ukrainiens devra être réexaminée au moment opportun, mais un retour à la situation antérieure paraît difficilement envisageable au regard de l’ampleur du rapprochement opéré.

La puissance agricole de l’Ukraine repose sur des conditions pédoclimatiques favorables. La SAU du pays couvre 42 millions d’hectares, contre 27,4 millions d’hectares pour la France, premier pays de l’Union en termes de superficie agricole. Les terres agricoles ukrainiennes sont composées à 30 % de tchernozioms, « terres noires » en russe, des sols stables et fertiles, caractérisés par une minéralisation intense des matières organiques. La production céréalière de l’Ukraine, constituée pour moitié de maïs, a fortement augmenté en 30 ans pour atteindre 64 millions de tonnes en 2020, contre 58 millions de tonnes pour la France. Par ailleurs, l’Ukraine bénéficie d’une situation géographique favorable pour exporter sa production, confortée par les investissements réalisés dans les installations portuaires (Odessa, Mykolaïv, etc.), les embranchements ferroviaires et les silos de stockage ([80]).

L’adhésion de l’Ukraine à l’Union, si elle renforcerait de fait le potentiel agricole global de l’Europe, est également de nature à déstabiliser les filières des États membres actuels. Vos rapporteurs identifient une série de points de vigilance qu’il conviendra d’anticiper et de traiter, le cas échéant, dans le cadre des négociations d’adhésion ultérieures. Ils appellent les autorités nationales à sensibiliser dès à présent les autorités ukrainiennes à la difficulté à venir des discussions agricoles.

En premier lieu, il convient d’envisager dès aujourd’hui l’avenir de la PAC. Si ses règles et son budget demeurent inchangés, l’Ukraine deviendrait le premier bénéficiaire des aides de la PAC, qui sont principalement attribuées par hectare ou par animal. Dans l’Union, 20 % des plus grandes exploitations perçoivent en moyenne 81 % des aides aujourd’hui – contre 51 % en France, dont la répartition du foncier agricole est plus équilibrée. Or la taille moyenne des exploitations ukrainiennes dépasse 1 000 hectares, contre 17,4 hectares dans l’Union. Par ailleurs, près de deux tiers des exploitations européennes ont une superficie inférieure à 5 hectares. Les aides de la PAC qui favorisent l’emploi en agriculture plutôt que la superficie, telles que le paiement redistributif, sont insuffisantes. Le mécanisme de dégressivité et de plafonnement des aides de base au revenu, prévu à l’article 17 du règlement établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC, est facultatif. À titre d’exemple, la France a décidé de ne pas y recourir dans son PSN.

En second lieu, les agriculteurs européens doivent bénéficier de conditions de concurrence équitables. Le secteur agricole ukrainien repose sur un modèle productiviste organisé autour de près de 200 entreprises de grande taille, les « agro-holdings ». Le prix coûtant d’une tonne de blé ukrainien était compris entre 80 et 110 dollars la tonne avant la guerre, soit près de deux fois moins que les coûts de production des agriculteurs européens. L’afflux de produits agricoles dans les pays limitrophes de l’Ukraine a également suscité des inquiétudes en termes de sécurité sanitaire des aliments. La Slovaquie et la Hongrie ont ainsi détruit, en avril 2023, des céréales ukrainiennes suspectées de contenir des pesticides et des organismes génétiquement modifiés (OGM) interdits dans l’Union. La Commission a dénoncé ces mesures unilatérales, en précisant que « rien n’indique » à ce stade que les contrôles sanitaires doivent être renforcés sur les importations ukrainiennes de céréales ([81]). En tout état de cause, ces alertes appellent une vigilance particulière des autorités nationales et européennes, mais également des pouvoirs ukrainiens afin de corriger les irrégularités éventuelles.

3.   Les États membres ont pleinement exploité les flexibilités d’urgence offertes par la Commission européenne

La Commission a fait un plein usage de son pouvoir d’exécution en autorisant les États membres à déroger à une partie de la conditionnalité des aides de la PAC en 2022 et 2023. Cette faculté est prévue par le règlement établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC, qui habilite la Commission à adopter les actes d’exécution « qui sont à la fois nécessaires et justifiés en cas d’urgence » pour résoudre des problèmes spécifiques ([82]).

Le principal assouplissement a consisté dans la dérogation, au titre de l’année 2023, aux normes dites BCAE 7 et BCAE 8 afin de conserver le potentiel de production alimentaire agricole de l’Union ([83]). Ces règles relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres agricoles (BCAE) portent sur la rotation des cultures (BCAE 7) et sur le maintien des particularités topographiques favorables à la biodiversité (BCAE 8). Les dérogations relatives aux BCAE 7 et 8 ont été appliquées respectivement par vingt-six et par vingt-quatre États membres.

Comme une large majorité de ses voisins, la France a fait usage des deux dispositifs ([84]). Concrètement, les agriculteurs français ont bénéficié des flexibilités suivantes pour la campagne 2023 :

-         au titre des BCAE 7, suspension de l’obligation rotation sur 35 % des terres arables cultivées de l’exploitation ;

-         au titre des BCAE 8, la fauche, le pâturage, ainsi que la mise en culture des jachères sont autorisés – à l’exception des semis de maïs et de soja, ces cultures étant essentiellement utilisées pour l’alimentation animale.

Les rapporteurs estiment que les dérogations autorisées au titre des campagnes 2022 et 2023 étaient justifiées par les perturbations constatées sur les marchés agricoles et par la menace pensant sur la sécurité alimentaire mondiale.

Ils analysent toutefois différemment l’assouplissement de la norme BCAE 8 pour la campagne 2024. Cette nouvelle dérogation, initialement proposée par la France en vue d’une « application partielle » de la norme BCAE 8 ([85]), figure dans le projet de règlement d’exécution présenté par la Commission le 31 janvier 2024. Il est probable que cet acte d’exécution bénéficie de l’avis favorable des États membres dans le cadre de la procédure de comitologie. Concrètement, le respect par l’exploitation d’une part minimale des terres arables consacrée aux éléments favorables à la biodiversité pourrait reposer sur les seules cultures dérobées et fixatrices d’azote, sans que l’exploitant ne soit tenu de maintenir des terres en jachère.

Le rapporteur Rodrigo Arenas émet trois réserves quant à l’opportunité de cette nouvelle dérogation aux règles de conditionnalité des aides PAC. D’abord, les agriculteurs ont d’ores et déjà débuté les semis d’automne et, face à l’incertitude du droit applicable en 2024, préparé leur assolement conformément aux règles de conditionnalité. Ensuite, l’Union a démontré sa résilience face à la guerre en Ukraine et semble davantage confronté à des excédents localisés du fait de l’afflux de céréales ukrainiennes qu’à des pénuries. Enfin, l’application partielle de la norme BCAE 8, qui vise à protéger les éléments topographiques favorables à la biodiversité, est contre-productive et accroît la « dépendance au sentier » (path dependency) des agriculteurs, par un effet de verrouillage de pratiques agricoles qu’il conviendra nécessairement de modifier à moyen terme.

À l’inverse, le rapporteur Charles Sitzenstuhl estime que cette dérogation ciblée contribue au maintien du potentiel de production des exploitations agricoles européennes, sans fragiliser l’ambition environnementale de la conditionnalité. Il souligne que le taux d’éléments topographiques favorables à la biodiversité, maintenu à 7 % des terres arables dans le règlement d’exécution, demeure supérieur au seuil du paiement vert de la PAC sur la période 2014-2022, qui inspire la norme BCAE 8 pour la programmation actuelle. En effet, un exploitant devait déclarer une surface d’intérêt écologique (SIE) représentant au moins 5 % de sa surface arable pour pouvoir bénéficier du paiement vert à taux plein lots de la précédente programmation.

 


   DEUXIÈME PARTIE : LA TRANSITION AGROALIMENTAIRE, ENGAGÉE DANS LE CADRE DU PACTE VERT, exige UNE ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE COMMERCIALE EUROPÉENNE

I.   LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE VERT, aujourd’hui FRAGILISÉE, NÉcessite UN ACCOMPAGNEMENT RenforcÉ des agriculteurs

L’Union européenne s’est distinguée sur la scène internationale par l’ambition portée avec le Pacte vert ([86]) – devenir le premier continent neutre pour le climat, d’ici à 2050 – dont la stratégie « De la ferme à la table » est la déclinaison agricole et la stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, la déclinaison environnementale ([87]). La stratégie « De la ferme à la table » ambitionne une transition agroécologique durable, d’ampleur ([88]). En effet, outre l’objectif affiché de consacrer 25 % de la SAU à l’agriculture biologique, elle envisage l’agriculture dans une approche holistique, qui prend en compte tant la production agricole que l’alimentation. Agriculteurs et consommateurs sont pensés comme un ensemble pour (re) construire une agriculture plus respectueuse de son environnement.

La guerre en Ukraine a toutefois perturbé cette ambition, en renforçant la peur d’une baisse de la production agricole et d’une augmentation de la dépendance aux importations si les stratégies « De la ferme à la table » et « Biodiversité » étaient mises en œuvre. Plusieurs études avaient déjà mis en évidence une baisse de la production agricole qui ne serait pas sans conséquences en termes de souveraineté alimentaire, l’Union devenant à nouveau dépendante aux importations de produits de première nécessité. Cette crainte a suscité la mise en œuvre de nombreuses dérogations temporaires aux règles de conditionnalité de la PAC, qu’il s’agisse de l’obligation de rotation sur 35 % des terres arables cultivées ou de la mise en culture des jachères pour sécuriser les volumes de production dans un contexte d’incertitude sur la capacité l’Ukraine à exporter ses céréales.

L’acmé de cette crise se trouve dans le rejet du règlement relatif à la restauration de la nature, lors de son examen le 23 mai 2023 par la commission de l’agriculture et du développement rural (AGRI) du Parlement européen, saisie pour avis. Ce vote a révélé les dissensions politiques au sein du Parlement européen sur l’aspect agricole de la mise en œuvre du Pacte vert. L’argument productif a été opposé à l’ambition de couvrir 20 % des aires terrestres et marines par des mesures de restauration de la biodiversité d’ici 2050. Même si le parcours législatif du texte se poursuit, et qu’un accord a été trouvé entre le Parlement et le Conseil de l’Union, ce rejet a clairement mis en évidence la fragilité du consensus sur le volet agricole du Pacte vert. Son adoption n’est d’ailleurs pas assurée d’ici la fin de la mandature de la Commission et de la 9e législature du Parlement européen en 2024.

En effet, l’approche de nouvelles élections européennes rend difficile la recherche de compromis sur des textes sensibles, menaçant de fait la mise en œuvre d’une partie conséquente des initiatives du Pacte vert. Ainsi, la législation-cadre relative à des systèmes alimentaires durables (SAD), inscrite dans la stratégie « De la ferme à la table », devait prendre en compte l’ensemble de la chaîne alimentaire de l’étiquetage aux marchés publics, en passant par la lutte contre le gaspillage. Le texte, annoncé pour la fin de l’année 2023, ne figure même pas dans le programme de travail pour la Commission pour l’année 2024. M. Maros Sefcovic, a confirmé à demi-mot que l’avenir de l’initiative était incertain lors de son audition devant le Parlement européen dans le cadre de sa nomination comme vice-président exécutif chargé de la mise en œuvre du Pacte vert ([89]).

Si la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a, lors du dernier discours sur l’état de l’Union, le 13 septembre 2023 ([90]), essayé de réconcilier l’ambition environnementale et la politique agricole de l’Union en annonçant le lancement d’un « dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture », celui-ci n’a pas encore fait l’objet d’une feuille de route précise.

Pour vos rapporteurs, la transition agroécologique est la condition à la fois d’un niveau de production satisfaisant et d’une véritable souveraineté alimentaire européenne. En effet, l’exploitation non durable des ressources nécessaires à la production agricole, telles que les sols et l’eau, est préjudiciable pour les rendements à moyen terme. Cette approche ne signifie toutefois pas que l’Union doive renoncer à nourrir nos concitoyens en quantité et en qualité suffisantes.

A.   L’AGRICULTURE EUROPÉENNE, LA PLUS EXIGEANTE AU MONDE EN MATIÈRE ENVIRONNEMENTALE, DOIT poursuivre SA TRANSITION DANS LE CADRE DU PACTE VERT

Le Pacte vert est ambitieux : il vise à faire de l’Union européenne le premier continent neutre pour le climat d’ici 2050, avec pour objectif intermédiaire une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre, d’ici 2030. La stratégie « De la ferme à la table » et les initiatives législatives afférentes le sont tout autant. Outre le règlement relatif à la restauration de la nature, la stratégie doit notamment être déclinée par une loi-cadre sur des systèmes alimentaires durables, un règlement sur l’utilisation durable des pesticides, (règlement « SUR ») ainsi qu’un règlement sur les nouvelles techniques génomiques (NGT).

Toutefois, plusieurs études, dont une publiée par le département américain de l’Agriculture (USDA), ont décrédibilisé cette initiative en concluant que la mise en œuvre du Pacte vert se traduirait pour l’Union par une baisse de la production agricole de l’ordre de 15 à 20 %, ce qui renforcerait l’insécurité alimentaire dans le monde, et mécaniquement impacterait notre souveraineté alimentaire, avec pour corollaire une baisse substantielle du revenu des agriculteurs. La guerre en Ukraine n’a fait qu’amplifier ces craintes légitimes en révélant les vulnérabilités ainsi que les fragilités de notre système de production agricole.

Pour autant, les conclusions de ces études sont à nuancer d’autant que, sans transition agroécologique, la diminution de la production agricole serait inéluctable. Le renforcement de notre souveraineté alimentaire nécessite de pouvoir retrouver la maîtrise de l’ensemble des chaînes de valeur, donc de réduire également notre dépendance aux intrants agricoles produits dans les pays tiers.

Le rapporteur Rodrigo Arenas s’inquiète en particulier que la situation tragique du conflit ukrainien et les pressions du marché global ne servent de prétexte général pour suspendre le Pacte vert, voire en renverser les acquis.

Les rapporteurs regrettent que la Commission européenne n’ait pas fourni suffisamment en amont les études d’impact examinant l’incidence agronomique et économique des initiatives législatives du Pacte vert. En réponse à une demande d’expertise complémentaire des États membres, la Commission a par exemple déterminé que les études concluant à une incidence négative du règlement « SUR » sur les rendements agricoles se fondaient sur des hypothèses pessimistes, négligeaient la diversité des systèmes de culture existants dans l’Union, illustrative d’un potentiel de réduction, et négligeaient les externalités positives liées à la réduction de l’utilisation des pesticides ([91]). Ces contributions scientifiques auraient facilité la tenue d’un débat apaisé sur les objectifs et les instruments du Pacte vert.

  1.   L’évaluation de l’incidence du Pacte vert sur la production agricole est encore lacunaire et doit s’appréhender dans sa globalité
    1.   L’utilisation du modèle CAPRI, un modèle qui comporte des limites

La publication d’un rapport par le Centre commun de recherche de la Commission ([92]), le 29 juillet 2021, analysant les effets sur la production agricole de la mise en œuvre des volets agricole et environnemental du Pacte vert a mis en évidence une baisse de la production agricole de l’ordre de 10 à 15 % pour la plupart des produits agricoles d’ici 2030.

Les productions les plus affectées seraient les céréales, les oléagineux, la viande bovine et porcine. Cette baisse de la production se traduirait mécaniquement par une augmentation des prix et des importations en particulier pour la viande et les produits laitiers, menaçant dès lors la souveraineté alimentaire européenne mais également la sécurité alimentaire mondiale.

Ont notamment été mesurés les effets sur la production agricole des quatre objectifs de la stratégie « De la ferme à la table », à savoir :

-         réduire de 50 % l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ;

-         réduire de 50 % les pertes de nutriments ;

-         atteindre 25 % de la SAU en agriculture biologique ;

-         atteindre 10 % de surface d’intérêt écologique.

Le Centre commun de recherche est le service scientifique interne de la Commission européenne, la publication de ce rapport étant dès lors perçue par nombre d’observateurs comme une étude d’impact du Pacte vert. Il s’agit davantage de l’analyse des résultats d’un outil de modélisation, le modèle CAPRI (Common Agricultural Policy Regional Impact). Celui-ci comporte deux modules, l’un décrivant la situation agricole au niveau européen, l’autre simulant le fonctionnement des denrées alimentaires au niveau mondial. Une étude de l’université de Kiel ([93]), publiée un mois plus tard, présente des résultats convergents. Elle anticipe une baisse de 20 % de la production bovine, de 6,3 % de la production laitière mais également une baisse de 21,4 % de la production de céréales ainsi qu’une baisse de 20 % de la production de graines oléagineuses.

L’utilisation de la même modélisation emporte donc les mêmes effets, mais aussi les mêmes limites méthodologiques qu’il convient de rappeler. En effet, ces résultats sont d’autant plus à nuancer que les auteurs du rapport du Centre commun de recherche reconnaissent eux-mêmes les limites de leur approche.

Parmi ces dernières, les auditions ont permis de relever que le « bouclage » des effets du Pacte vert sur le secteur agricole européen était incomplet :

-         le modèle ignore une partie des initiatives portées par le Pacte vert, en particulier au titre de la moindre demande – et de son incidence sur la production – qui résulterait de la réduction du gaspillage alimentaire ;

-         les variables utilisées ne révèlent ni la diversité des pratiques agronomiques, ni les comportements observés sur le terrain ;

-         les pertes de rendement sont simulées sans tenir compte des bénéfices individuels et collectifs associés à la transition de notre modèle agricole, par exemple via la restauration de la biodiversité, la meilleure allocation des terres agricoles et la réduction des dépenses de santé « cachées » du fait d’une évolution des régimes alimentaires (obésité, diabète, pesticides, etc.) ;

-         les coûts économiques, sociaux et politiques liés à une transition contrainte et soudaine, par exemple en cas d’épuisement des sols ou de rupture des approvisionnements en intrants, ne sont pas intégrés ;

-         les effets adverses documentés par l’étude sont malheureusement d’ores et déjà à l’œuvre, tels que le recul de la démographie agricole et la difficulté pour les exploitants de générer un revenu décent, en raison de dynamiques structurelles malaisées à isoler.

De manière plus stratégique, une politique de souveraineté alimentaire implique nécessairement une réflexion sur les productions aujourd’hui excédentaires. Dans ses réponses écrites, M. Marc Dufumier, agronome, se montre favorable à cette approche : « Une moindre production de ce dont nous sommes aujourd’hui, en France, largement excédentaires (blé, sucre, poudre de lait, etc.), ne serait pas néfaste, du fait que les formes d’agricultures alternatives inspirées de l’agroécologie scientifique sont beaucoup moins consommatrices d’intrants coûteux en énergie fossile ». À titre d’exemple, il est opportun de renforcer l’association des céréales (blé, orge, etc.) et des protéagineux au regard de l’utilisation complémentaire et différée des ressources (eau, lumière, nutriments). La diversification intraparcellaire tend à générer un rendement total supérieur au mode de culture mono-spécifique, même si la production des seules céréales est inférieure.

Si des limites apparaissent clairement dans le modèle CAPRI, les rapporteurs sont conscients qu’une baisse de la production n’est pas à exclure, en particulier durant la transition entre deux modèles agronomiques. Pour compenser cette éventuelle baisse de la production, la transition agroécologique ne saurait se faire sans un accompagnement significatif des exploitants agricoles. Cela suppose une refonte des principes en vertu desquels les fonds de la PAC sont aujourd’hui distribués.

  1.   L’étude du département américain de l’Agriculture, une analyse non dénuée d’arrière-pensées commerciales

En réponse à la publication des stratégies « De la ferme à la table » et « Biodiversité », une étude du département américain de l’Agriculture (USDA), publiée en novembre 2020, a présenté des résultats particulièrement inquiétants quant à la baisse de la production agricole ([94]).

Outre des conclusions similaires aux études postérieures précitées quant à une baisse de la production agricole européenne de l’ordre de 12 %, une hausse d’environ 17 % des prix alimentaires, et une baisse du revenu des agriculteurs européens de 16 %, cette étude met surtout en exergue les risques que la mise en œuvre du Pacte vert feraient peser sur la production agricole mondiale. La diminution brutale de 20 % des exportations européennes aurait pour corollaire une augmentation de l’insécurité alimentaire pour 22 millions de personnes supplémentaires.

L’USDA porte la simulation plus loin, en extrapolant la mise en œuvre de cette stratégie à l’échelle planétaire. Outre une baisse de la production mondiale de 11 %, les prix alimentaires augmenteraient de 89 % favorisant toutefois une hausse de 17 % du revenu des producteurs, dont 15 % au sein de l’Union européenne. Toutefois, l’insécurité alimentaire serait d’autant plus aggravée puisqu’elle concernerait, dès lors, 187 millions de personnes.

La publication d’une telle étude, en réponse à la stratégie de l’Union de diminuer sa dépendance aux intrants, notamment de ceux en provenance des États-Unis, et de promouvoir un modèle agroécologique particulièrement vertueux, souligne combien les choix politiques européens remettent en cause le modèle dominant et ses principaux bénéficiaires.

En effet, l’Union européenne, au regard de la surface agricole utilisée, est la première puissance agricole mondiale, devant les États-Unis. Son modèle agricole, largement perfectible comme l’envisage la mise en œuvre du Pacte vert, est davantage vertueux sur le plan de la santé humaine et environnementale – utilisation de moins d’intrants, de produits vétérinaires, d’antibiotiques – que le modèle américain tout en offrant une productivité supérieure. L’Union est un concurrent agricole majeur des États-Unis, qui ont contesté à plusieurs reprises les barrières commerciales européennes devant l’OMC ([95]). Les motivations qui ont prévalu à l’élaboration de cette étude sont susceptibles de comporter une dimension commerciale.

Au regard de l’état d’avancement du Pacte vert, il convient avant tout de s’interroger sur les conséquences que ferait peser sa non-mise en œuvre sur la souveraineté alimentaire européenne. Le coût de l’inaction est trop important.

  1.   L’absence de mise en œuvre du Pacte vert pourrait avoir des effets délétères sur la production agricole
    1.   Une baisse de la production attendue sans transition agroécologique

À la demande des États membres, une étude d’impact complémentaire relatives aux conséquences sur la production agricole d’une mise en œuvre du règlement « SUR » a été présentée par la Commission le 5 juillet 2023 ([96]). Ses conclusions sont claires, si une baisse de la production agricole – moindre que celles présentées dans les études précitées – est attendue, l’absence de diminution de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur les sols aurait des conséquences tout aussi dommageables voire supérieures sur la production agricole.

Vos rapporteurs considèrent que l’absence de transition serait plus dommageable sur la production agricole à long terme que sa mise en œuvre. Les informations communiquées à vos rapporteurs sur l’état de la dégradation des sols, de la baisse de la biodiversité et notamment des insectes pollinisateurs est là pour le démontrer. Sans transition agroécologique, une partie de la production agricole baissera de manière inéluctable.

  1.   Une baisse de la production attendue sans mise en œuvre du Pacte vert

Le Gouvernement a soutenu, dans le cadre du programme « Investissements d’avenir », les travaux de l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI) relatifs à une modélisation des conséquences de la mise en œuvre du Pacte vert pour une transition agroécologique. ([97]) Ce document de propositions, publié en 2021, conclut que la transition agroécologique renforcerait la sécurité alimentaire mondiale et non l’inverse. Par transition agroécologique il faut entendre, selon cette étude, « la combinaison des principes de l’agriculture biologique avec le redéploiement des prairies naturelles et l’extension des infrastructures agroécologiques (haies, arbres, étangs et habitats pierreux) ».

Se fondant sur un scénario dit TYFA (Ten Years For Agroecology), l’étude de l’IDDRI estime que les leviers de l’agroécologie constituent des solutions pour répondre au défi climatique, préserver la biodiversité tout en améliorant la souveraineté alimentaire à l’horizon 2050, en France, comme à l’échelle de l’Union européenne.

Les principaux résultats de l’étude de l’IDDRI divergent radicalement des projections du Centre commun de recherche de la Commission européenne et du département américain de l’Agriculture. La réduction totale des calories consommées, en particulier par la végétalisation des régimes alimentaires, et la relocalisation de la production de protéines végétales, complétée par un abandon des importations de soja, permettraient en l’espèce à l’Union de satisfaire sa consommation domestique sans accroître l’utilisation de terres agricoles.

Vos rapporteurs ont pris connaissance avec intérêt des nombreuses publications concluant à l’opportunité et à la faisabilité de la généralisation des pratiques agroécologiques, à la manière de l’étude réalisée par des scientifiques du CNRS pour une transformation des systèmes alimentaires à l’horizon 2050 ([98]). Ces travaux reposent sur des hypothèses ambitieuses, dont l’étude de l’IDDRI rappelle à juste titre l’ampleur des « changements politiques, économiques et sociétaux » associés.

Sans se prononcer sur le réalisme « biophysique » des évolutions envisagées, ils reconnaissent la difficulté à mener simultanément ces transformations structurantes sur une période de moins de trente ans. Du fait de la complexité de l’exercice, les scénarios présentés ne font pas l’objet d’une évaluation globale du coût budgétaire et économique de la transition du secteur agricole. Les investissements publics et privés nécessaires à l’adaptation des filières agricoles sont conséquents et peuvent entrer en concurrence avec les politiques de verdissement de nombreux secteurs (logement, transport, etc.).

Enfin, les hypothèses relatives à l’évolution des pratiques et des régimes alimentaires supposent des instruments à la fois incitatifs et contraignants, dont l’usage peut apparaître comme une restriction illégitime de la liberté de choix des consommateurs. Le gaspillage alimentaire, qui atteint près de 59 millions de tonnes par an dans l’Union, est ainsi généré pour plus de moitié par les ménages. M. Yves Madre, directeur du think tank FarmEurope, a indiqué aux rapporteurs que les résultats de la lutte contre le gaspillage faisaient généralement l’objet d’un chiffrage optimiste afin de « boucler » l’équilibre des politiques agricoles et alimentaires. La volonté et la possibilité pour les consommateurs de payer un prix plus élevé pour acheter des produits agroalimentaires « écologiquement intensifs », selon l’expression retenue dans l’étude de l’IDDRI, est également difficile à appréhender.


B.   LA RÉUSSITE DU PACTE VERT REPOSE SUR UNE ÉVOLUTION PROGRESSIVE ET CONCERTÉE DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE DE PRODUITS ALIMENTAIRES

L’originalité du Pacte vert réside dans les transformations systémiques qu’il prescrit. En effet, pour permettre une véritable transition agroécologique, il s’avère nécessaire de prendre en compte l’ensemble de la chaîne de valeur agricole. Sans mutation de la demande pour une offre plus qualitative, l’offre ne pourra suivre. À titre d’exemple, l’agriculture biologique souffre depuis la crise due à la Covid-19 d’une désaffection des consommateurs, qui peut s’expliquer en partie par l’inflation des prix.

En conséquence, en France, certains agriculteurs ont fait le choix d’abandonner leur conversion pour privilégier un retour à l’agriculture conventionnelle. Si l’État, en France, a fait le choix d’apporter un important soutien financier pour permettre de traverser ces difficultés temporaires, force est de constater que sans demande, l’offre agricole ne peut pas suivre.

L’abandon apparent des ambitions relatives à la loi-cadre sur des systèmes alimentaires durables n’est donc pas de bon augure, dans la mesure où cette initiative devait porter sur l’ensemble de la chaîne de valeur, et en particulier la demande, avec les volets relatifs à la commande publique, à l’étiquetage ainsi qu’à l’économie circulaire.

1.   Les initiatives législatives du Pacte vert pour l’Europe gagneraient à aboutir

a.   Les initiatives qui portent sur l’offre de produits agricoles et alimentaires : l’exemple du règlement « SUR »

Le premier pilier de la stratégie « De la ferme à la table » repose sur une modification des conditions de production des denrées agricoles et alimentaires, afin de réduire nos dépendances aux importations tant en termes d’intrants que de protéines. Plusieurs initiatives législatives ont été lancées en sens. Vos rapporteurs se sont particulièrement intéressés au règlement concernant une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatible avec le développement durable, dit règlement SUR, ([99]) dans la mesure où il se trouve être la pierre angulaire nécessaire à une véritable transition agroécologique. Toutefois, ces changements ne peuvent intervenir sans une acceptation professionnelle et sociale du monde agricole.

Les rapporteurs prennent acte de l’annonce du retrait de la proposition de règlement « SUR » par la Commission européenne. S’exprimant devant le Parlement européen le 6 février 2024, la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, a affirmé que le texte poursuit « le but louable de réduire les risques des produits phytopharmaceutiques », mais qu’il est devenu « un symbole de polarisation ». L’avenir du texte était fortement compromis après son rejet, le 22 novembre 2023, par le Parlement européen, le rejet d’une proposition de la Commission par le Parlement européen au stade la première lecture étant exceptionnel.

La proposition de règlement « SUR » visait à remplacer la directive instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, dite directive SUD ([100]). Ce dernier texte incitait les États membres à réduire leur consommation d’utilisation de produits phytopharmaceutiques par l’adoption d’un plan national, sans que toutefois les objectifs affichés n’emportent d’effets contraignants. Le recours à l’instrument de la directive donnait également une marge de manœuvre supplémentaire à chaque État membre à l’occasion de sa transposition.

Le texte, dans sa version initiale, proposait ainsi de réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des risques associés de 50 % d’ici à 2030 par rapport à la période de référence 2015-2017, avec une trajectoire à la baisse plus marquée pour les produits phytopharmaceutiques les plus dangereux. Il prévoyait également leur interdiction dans les « zones sensibles ». Ces dernières, définies largement, incluaient notamment toute zone utilisée par le grand public, les zones Natura 2000 et les espaces considérés comme « écologiquement sensibles ». Il ambitionnait par ailleurs de faciliter l’homologation des produits de biocontrôle comme un substitut aux pesticides et de financer la mise en œuvre de son application par les fonds de la PAC, en intégrant les mesures contraignantes dans les plans stratégiques nationaux des États membres.

Si vos rapporteurs s’accordent sur le fond, la nécessité d’une réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques pour renforcer la durabilité de nos systèmes agricoles et alimentaires, ils portent une appréciation différente de la temporalité et des modalités de mise en œuvre de cette trajectoire.

Pour le rapporteur Charles Sitzenstuhl, cette pause règlementaire est bienvenue. Le texte initial de la Commission européenne présentait des lacunes importantes, qui nuisaient à son caractère acceptable et applicable. Il prenait insuffisamment en considération les efforts réalisés par chaque État membre et les différences d’intensité d’utilisation constatées au niveau européen.

Pour le rapporteur Rodrigo Arenas, le retrait de la proposition « SUR » marque une occasion manquée pour transformer les pratiques agricoles en Europe, qui souffrent aujourd’hui de l’épuisement des ressources. Les agriculteurs sont les premières victimes des défaillances de la réglementation européenne en matière de protection de l’environnement et de la santé publique.

Les rapporteurs invitent la prochaine Commission européenne à présenter un texte de compromis à l’issue des élections européennes de 2024 et des conclusions du « dialogue stratégique sur l’agriculture ». S’ils préconisent des approches distinctes, les rapporteurs reconnaissent conjointement la pertinence des points de vigilance formulés par plusieurs États membres et membres du Parlement européen à l’occasion de l’examen de la proposition de règlement « SUR ». La diminution de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques est nécessaire à moyen terme et ne peut se faire qu’à l’échelle européenne pour éviter toute forme de concurrence intra‑communautaire. Il s’agit d’une politique prioritaire de l’Union pour poursuivre la transition des systèmes agricoles et alimentaires.

 En tout état de cause, les rapporteurs soutiennent la position de la commission AGRI de rejeter l’utilisation des financements de la PAC pour la mise en œuvre d’une réglementation sur les pesticides. Le budget de la PAC, fortement fragilisé dans un contexte d’inflation, ne doit pas servir de variable d’ajustement à une transition agroécologique pour laquelle les agriculteurs doivent être largement accompagnés, en sus des financements propres à la PAC (éco-régimes, BCAE, etc.). En effet, la PAC ne peut pas – à budget constant – financer d’autres mesures utiles à la transition agroécologique que celles déjà mises en place. L’ampleur des moyens alloués à l’accompagnement des agriculteurs, en particulier au titre de la recherche et du développement de solutions alternatives aux intrants chimiques, sera déterminant.

Vos rapporteurs soutiennent également l’une des propositions formulées par M. Dominique Potier, député, dans le rapport de la commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale ([101]). Il préconise notamment d’adopter un indicateur de risque harmonisé (Harmonised Risk Indicator, HRI) au niveau de l’Union pour mesurer la réalisation des objectifs de réduction de l’usage des pesticides. Cette disposition figurait dans la proposition de règlement « SUR » et gagnerait à être réintroduite dans le nouveau texte susceptible d’être présenté par la Commission.

L’indicateur HRI évalue les risques associés aux substances actives

Dans le cadre de la proposition de règlement européen pour une utilisation durable des pesticides (règlement « SUR »), la Commission proposait d’utiliser l’indicateur HRI, qui combine les quantités et les risques de chaque substance active. Cet indicateur vise à harmoniser de manière transparente les méthodes de calcul des efforts des États membres en matière de réduction des pesticides.

Les produits utilisés pour la protection des cultures seraient ainsi classés en quatre catégories :

– classe 1 (coefficient 1) : les produits peu préoccupants ou produits de biocontrôle, avec un impact sur le milieu jugé faible ;

– classe 2 (coefficient 8) : les produits de synthèse homologués en raison d’un impact soutenable sur le milieu, mais qui présentent plus d’incidences que les produits de biocontrôle car ils tuent ;

– classe 3 (coefficient 16) : les produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), qui se divisent en une classe 1, plus préoccupante, et une classe 2, sachant que les produits peuvent passer de la classe 2 à la classe 1 au fil des évaluations qui sont réalisées. S’y ajoutent les perturbateurs endocriniens, dont une grande partie sont reprotoxiques ;

– classe 4 (coefficient 64) : les produits autorisés à titre dérogatoire, en vertu de la procédure d’autorisation temporaire prévue par le droit de l’Union ([102]).

En appliquant les coefficients susmentionnés aux tonnages des produits achetés, on obtient une valeur HRI. Cet indicateur serait applicable à l’échelle d’un État mais pas d’une exploitation agricole. Il ne pourrait donc être utilisé pour piloter une exploitation.

Source : rapport de la commission d’enquête précitée.

Proposition n° 4

Demander à la Commission européenne de présenter, au début de la 10e législature du Parlement européen, une nouvelle proposition de règlement sur la réduction de l’utilisation des pesticides, qui garantisse notamment l’accompagnement du monde agricole via des financements européens dédiés et la mise en place d’un indicateur de risque harmonisé.

b.   Les initiatives qui portent sur la demande de produits agricoles et alimentaires : l’exemple de la législation-cadre « SAD »

L’autre volet de la transition des systèmes alimentaires et agricoles réside dans la nécessité de réorienter la demande, donc les choix du consommateur, pour une agriculture plus qualitative. Les difficultés de l’agriculture biologique ont démontré, s’il en était besoin, la nécessité d’une demande forte et assurée pour que ces transformations soient pérennes.

Les déterminants démographiques de la sécurité alimentaire

La Commission estime que les tendances démographiques ont une incidence sur la « sécurité alimentaire à long terme » ([103]), mesurée à l’aune de la disponibilité des produits alimentaires – sans réflexion sur la localisation de la production. La hausse et le vieillissement de la population mondiale ainsi que l’urbanisation devraient conduire à une augmentation de la demande alimentaire et à une évolution de sa composition, notamment par la hausse de la consommation de calories d’origine animale.

Ces défis nécessitent de maintenir la production agricole européenne et mondiale à un niveau satisfaisant, tout en veillant au caractère soutenable des régimes alimentaires. Les initiatives de l’interprofession française du bétail et de la viande, qui promeut une consommation de viande de qualité « en juste quantité » ([104]), y contribuent.

Lors de son audition par les rapporteurs, M. Gilles Pison, démographe, a rappelé que la croissance démographique décélère. La population mondiale a franchi le seuil des 8 milliards d’habitants en novembre 2022, contre seulement 1 milliard d’habitants en 1800. Elle pourrait atteindre 10 milliards d’habitants à la fin du XXIe siècle. La population européenne – au sens large, en incluant la Russie – devrait reculer légèrement à 600 millions d’habitants en 2100, contre 745 millions d’habitants aujourd’hui.

À cet égard, une stratégie de souveraineté alimentaire équilibrée implique notamment de lutter contre le gaspillage alimentaire et d’assurer une alimentation saine et durable au plus grand nombre. Dans ses réponses écrites, M. Gilles Pison conclut que « la question n’est donc pas tant le nombre des humains que leur mode de vie ».

L’ajournement, si ce n’est l’abandon, de la présentation par la Commission de la législation-cadre relative à des systèmes alimentaires durables, dite SAD, est préjudiciable à la transition des modes de consommation, indispensables à la sécurisation de débouchés viables pour les producteurs européens.

Vos rapporteurs appellent la Commission européenne à ne pas renoncer à cette initiative importante, qui contribue à l’équilibre de la stratégie « De la ferme à la table ». Le texte est susceptible de couvrir un large champ de mesures portant sur l’alimentation durable, dont l’étiquetage et la lutte contre le gaspillage. Il gagnerait à figurer parmi les priorités de la prochaine Commission sur la période 2024-2029. Les organisations de producteurs entendues par vos rapporteurs ont notamment souligné l’importance du levier de la commande publique.

À cet égard, il est souhaitable d’introduire une obligation générale d’approvisionnement en denrées durables dans les institutions publiques dans le droit de l’Union.

La législation française pourrait utilement inspirer les futures normes européennes ([105]), qui fixeraient un taux minimum de produits de qualités et durables dans la composition des repas servis dans la restauration collective publique. Un délai de mise en conformité de cinq ans après l’entrée en vigueur de l’acte législatif européen pourrait être prévu afin de permettre aux acheteurs publics d’adapter leur organisation et aux producteurs d’ajuster leur offre. Les rapporteurs anticipent d’ores et déjà de vives discussions au Conseil de l’Union et au Parlement européen sur le périmètre des produits comptabilisés au titre des cibles d’approvisionnement en denrées durables. Les produits éligibles au dispositif français, tels que les produits issus de l’agriculture biologique et les produits certifiés au titre des signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) reconnus par l’Union, devront naturellement être inclus.

Une réflexion plus large pourrait être menée sur la faisabilité et l’opportunité d’introduire des critères relatifs au caractère « local » ou « de proximité » des produits alimentaires. Le droit de l’Union, qui consacre les principes d’égalité et de non-discrimination ([106]), prohibe à ce jour la préférence géographique dans l’attribution des contrats de la commande publique. La Commission pourrait notamment faciliter le recours aux outils alternatifs de nature à favoriser l’approvisionnement en « circuits courts », tels que les critères relatifs à la rapidité d’intervention du prestataire ou à la fraîcheur et à la saisonnalité des produits.

Proposition n° 5

Demander à la Commission européenne de présenter, au début de la 10e législature du Parlement européen, une proposition ambitieuse de législation‑cadre relative à des systèmes alimentaires durables, qui comprenne notamment un volet dédié à la commande publique.

2.   Le difficile alignement des structures institutionnelles de l’Union sur les enjeux de la transition agricole

Dans le cadre de leur déplacement à Bruxelles, les rapporteurs ont constaté que les politiques publiques et les services administratifs concourant à l’objectif de souveraineté alimentaire faisait l’objet d’une coordination lacunaire voire défaillante.

Plusieurs commissaires et directions générales de la Commission interviennent dans la détermination et la conduite des politiques agricoles et alimentaires, sans même compter des entités scientifiques clés telles que le Centre commun de recherche et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Il convient en particulier de relever le désarmement du commissaire européen en charge de l’agriculture et des services administratifs sous son autorité, réunis dans la direction générale de l’agriculture et du développement rural (DG AGRI). La lettre de mission adressée à M. Janusz Wojciechowski par la présidente de la Commission en 2019 précise que le commissaire en charge de l’agriculture œuvre sous la supervision (« under the guidance ») du vice-président exécutif chargé du Pacte vert pour l’Europe ([107]).

Cette articulation est manifestement insuffisante pour assurer un pilotage cohérent des initiatives ayant une incidence sur l’agriculture. Les enjeux relatifs à la promotion du bien-être animal et à la régulation des produits phytosanitaires relèvent de la compétence de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG SANTÉ), tandis que la direction générale de la concurrence (DG COMP) assure le suivi des aides d’État visant à soutenir les filières agricoles. Or cette dernière direction appuie, non pas les travaux du vice-président exécutif en charge du Pacte vert, mais l’action de Mme Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive, dont le portefeuille comprend la politique de concurrence.

L’éclatement des compétences est préjudiciable à la coordination des politiques européennes visant à renforcer notre souveraineté alimentaire. Les consultations interservices menées par le secrétariat général de la Commission européenne, prévues à l’article 21 de son règlement intérieur ([108]), ne pallie pas ces difficultés. Les rapporteurs ont accueilli avec intérêt la demande formulée par cinq États membres de procéder à la nomination, en 2024, d’un vice-président exécutif de la Commission chargé de l’autonomie stratégique ouverte. Celui-ci serait compétent pour coordonner les politiques portant sur la compétitivité et la résilience économique de l’Union. Il convient également de tendre vers une meilleure articulation des initiatives ayant pour objet ou pour incidence de modifier la capacité de l’Union à satisfaire les besoins alimentaires du continent.

Sans nécessairement préconiser la désignation d’un nouveau vice-président exécutif « thématique », chargé de la souveraineté alimentaire européenne, les rapporteurs recommandent de renforcer le pilotage, le suivi et l’évaluation des politiques de souveraineté alimentaire au sein de la Commission. Cet objectif peut être atteint par la mise en place de structures transversales pérennes ou ponctuelles. La Commission a d’ores et déjà démontré son aptitude à innover en matière organisationnelle, par exemple via la Taskforce commune à la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG CONNECT) et à la DG COMP, chargée de l’application du règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA).

Proposition n° 6

Renforcer les moyens et le rang du commissaire européen chargé de l’agriculture, ainsi que la capacité des services de la Commission européenne à assurer un pilotage cohérent des initiatives susceptibles d’avoir une incidence sur la souveraineté alimentaire de l’Union, notamment en expérimentant la mise en place de structures administratives transversales.

C.   DES ÉVOLUTIONS CIBLÉES DE LA PAC ET DE LA PCP : LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE SUR SES DEUX JAMBES, TERRESTRE ET AQUATIQUE

1.   Renforcer, au sein de la PAC, les aides contribuant à un triple objectif de redistribution, de transition agroécologique et d’autonomie stratégique

Les rapporteurs ont procédé à un examen sélectif des instruments de la PAC contribuant à la souveraineté alimentaire européenne. De manière transversale, il convient d’envisager une augmentation du budget la PAC à l’occasion de la révision à mi-parcours du CFP 2021-2027 pour sécuriser les financements associés dans un contexte inflationniste.

a.   Une programmation budgétaire 2021-2027 fragilisée par l’inflation

L’ambition budgétaire de la PAC est fragilisée par le contexte inflationniste actuel. La valeur réelle du budget alloué à la PAC au titre du cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union sur la période 2021-2027, qui s’élève à 386,6 milliards d’euros, diminue en conséquence. Si les négociations du CFP 2021‑2027 ont été conduites en euros constants 2018, les montants sont effectivement engagés et décaissés en euros courants, sur la base d’un déflateur fixe de 2 % par an. Selon les estimations du think tank FarmEurope, la valeur réelle du budget des paiements directs sur la période 2021-2027 pourrait ainsi diminuer de près de 85 milliards d’euros par rapport à 2020 (– 32 %) ([109]).

Les rapporteurs prennent acte de l’absence de volet agricole dans les propositions de la Commission tendant à la révision à mi-parcours du CFP 20212027, dont les marges de manœuvre budgétaires sont limitées. La Commission propose une « révision ciblée » afin de permettre à l’Union « d’atteindre tous ses objectifs » ([110]). Au total, le budget pluriannuel serait abondé de 65,8 milliards d’euros de moyens supplémentaires entre 2024 et 2027. Ces derniers financeraient principalement les politiques européennes d’asile et d’immigration, ainsi que la mise en place de la facilité pour l’Ukraine et de la plateforme « Technologies stratégiques pour l’Europe » (STEP), un ersatz de fonds de souveraineté européen destiné à promouvoir les investissements dans les technologies critiques (biotechnologies, deep tech, etc.).

Le réexamen intermédiaire du CFP 2021-2027, orienté vers le financement des objectifs stratégiques de l’Union, gagnerait à rétablir les moyens budgétaires de la PAC. Il est regrettable que l’appel formulé en ce sens par M. Janusz Wojciechowski, commissaire en charge de l’agriculture ([111]), n’ait pas été entendu par le collège des commissaires, les États membres et le Parlement européen. Les rapporteurs ont pleinement conscience des obstacles politiques à une augmentation du budget de la PAC, alors que les États membres ont rappelé à plusieurs reprises leur opposition à la proposition de la Commission d’augmenter de 65,8 milliards d’euros les moyens du CFP 2021-2027 ([112]). Or l’adoption et la révision du CFP reposent sur une procédure législative spéciale, qui requiert l’unanimité au Conseil de l’Union, après approbation du Parlement européen ([113]). Une révision mieux‑disante du CFP 2021-2027 qui comporterait un volet agricole est par conséquent hautement improbable, compte tenu des réserves exprimées par les États membres et faute de progrès significatifs sur l’introduction de nouvelles ressources propres permettant de financer le budget de l’Union – à moins que la crise agricole européenne ne fasse prendre conscience de la nécessité de sécuriser les revenus des agriculteurs.

La « démonétisation » du budget de la PAC, selon l’expression du think tank FarmEurope, n’en constitue pas pour autant une fatalité. Les rapporteurs sont favorables à un ajustement partiel du budget de la PAC au niveau de l’inflation, au minimum pour compenser la perte de valeur associée aux projections d’inflation de la Banque centrale européenne sur la période 2024-2027. Le renforcement des crédits alloués à la PAC ne doit pas être indiscriminé, au risque de renforcer l’effet de verrouillage du système agricole.

Il convient au contraire de renforcer la redistribution des aides PAC vers les petites exploitations, de soutenir les pratiques favorables à la lutte contre le réchauffement climatique et à la protection de la biodiversité, à la protection des ressources naturelles et au renforcement de l’autonomie stratégique de l’Union.

Proposition n° 7

Augmenter le budget de la PAC à l’occasion de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel de l’Union sur la période 2021-2027.

b.   Le renforcement des aides qui favorisent l’emploi et le travail en agriculture

Les rapporteurs estiment que la mise en œuvre de la PAC doit nécessairement contribuer au renforcement de la solidarité entre les acteurs et les territoires agricoles, à la viabilité économique des agriculteurs, ainsi qu’à la protection de la diversité des modèles agricoles nationaux et régionaux.

L’essentiel des soutiens de la PAC prend aujourd’hui la forme d’aides par hectare ou par animal, qui favorisent beaucoup les grandes exploitations. Plusieurs dispositifs contribuent au rééquilibrage de la répartition des aides entre bénéficiaires, tels que l’aide redistributive complémentaire au revenu payée sur les premiers hectares de terre en faveur des agriculteurs ayant droit à l’aide de base au revenu ([114]). Ce dispositif bénéficie aux petites et moyennes exploitations qui, en proportion de leur surface, sont plus intensives en main d’œuvre.

En l’absence de disposition européenne obligatoire([115]), les États membres ont également la faculté de réorienter les aides de base au revenu via un mécanisme national de plafonnement et de dégressivité. La France a décidé de ne pas intégrer cette mesure dans son PSN, estimant que les seuils fixés dans le règlement européen « ne sont pas adaptés à la structure des exploitations françaises » ([116]). Les aides directes de la PAC sont mieux réparties en France que parmi nos voisins : 20 % des plus gros bénéficiaires perçoivent 51 % des aides directes, contre 81 % en moyenne dans l’Union. Le déséquilibre reste préjudiciable à une majorité d’agriculteurs et n’est pas sans lien avec la crise sociale actuelle du monde agricole.

Au regard de ces disparités, les rapporteurs invitent les États membres à se saisir des dispositifs existants susceptibles de favoriser une répartition équilibrée des aides directes. Les conditions et les modalités d’une véritable démarche « péréquatrice », qui renforcerait les aides au bénéfice des petites et moyennes exploitations, gagneraient à être examinées en vue de la prochaine programmation de la PAC, au-delà de 2027.

Proposition n° 8

Renforcer la démarche péréquatrice de la PAC et les aides qui favorisent l’intensité en emplois agricoles dans le cadre de la prochaine programmation de la PAC, en complément de l’activation des leviers de redistribution existants.

c.   Le renforcement de l’ambition environnementale de l’éco‑régime à la française

Le développement de l’agriculture biologique, qui favorise une meilleure utilisation des ressources, réduit la dépendance aux intrants agricoles et préserve la vitalité des sols, est un levier de souveraineté alimentaire. Aux termes de la stratégie « De la ferme à la table », l’Union a pour objectif d’affecter au moins 25 % de la SAU européenne à l’agriculture biologique d’ici à 2030, contre 9,9 % en 2021 ([117]).

La Commission a présenté un plan d’action en faveur du développement de la production biologique en ce sens en 2021. Un examen à mi-parcours des 23 actions identifiées sera conduit en 2024. Les rapporteurs appellent d’ores et déjà la Commission à analyser la tendance inquiétante au fléchissement de la consommation de produits biologiques ([118]), qui contraint les agriculteurs à des déconversions ou à des cessations d’activités. Le renoncement possible de la Commission sur la législation-cadre relative à des systèmes alimentaires durables, dont la présentation d’ici à la fin de la 9e législature du Parlement européen est improbable, constitue un signal négatif. En effet, l’action n° 3 du plan d’action prévoyait d’instaurer une obligation d’approvisionnement en produits biologiques dans les marchés publics pour la restauration collective ([119]). Face aux difficultés de la filière biologique, il est urgent que la Commission présente un cadre législatif favorable à la demande de produits biologiques en restauration collective.

Par ailleurs, les rapporteurs ont été alertés par le collectif Nourrir et plusieurs agronomes sur le caractère insuffisamment incitatif du dispositif français de l’éco-régime pour accompagner la transition des systèmes agricoles. L’éco-régime, qui remplace le paiement vert à compter de 2023, est un paiement découplé surfacique d’un montant fixe au niveau national versé sur tous les hectares admissibles de l’exploitation. Il représente, en France, 25 % du budget des aides relevant du premier pilier de la PAC, soit 1,68 milliard d’euros par an. Les exploitations éligibles peuvent bénéficier d’une aide correspondant au « niveau de base » ou au « niveau supérieur » selon le degré d’exigence environnementale de leurs pratiques.

En France, l’éco-régime se décline en trois voies d’accès non cumulables entre elles :

-         la voie des pratiques de gestion agroécologique des surfaces agricoles, qui rémunère notamment la diversification des cultures et le maintien de prairies permanentes non labourées ;

-         la voie de la certification environnementale, qui rémunère les exploitations certifiées en agriculture biologique (AB), en haute valeur environnementale (HVE) ou atteignant le deuxième niveau de la certification environnementale (CE2+) ;

-         la voie des éléments favorables à la biodiversité, qui rémunère la présence d’éléments ou surfaces favorables à la biodiversité (haies, mare, bosquet, etc.).

La certification Haute valeur environnementale (HVE)

La Haute valeur environnementale (HVE) est le troisième niveau – le plus élevé – de la certification environnementale des exploitations agricoles. Cette mention valorisante, prévue par l’article L.640-2 du code rural et de la pêche maritime au même titre que « produit de montagne » ou encore « produit à la ferme », est une démarche volontaire.

La certification environnementale est construite en trois niveaux permettant aux exploitants de s’engager dans une démarche de progrès de leurs pratiques agricoles en matière de respect de la biodiversité, de stratégie phytosanitaire, de gestion de la fertilisation et de gestion de la ressource en eau.

1er niveau : sensibilisation aux prérequis règlementaires et autodiagnostic de leur exploitation au regard du 2e et / ou du 3e niveau ;

2e niveau : mise en œuvre de bonnes pratiques agroécologiques répondant à des objectifs de moyens, qui fait l’objet d’une certification de droit privé ;

3e niveau (HVE) : atteinte d’une combinaison d’objectifs de résultats mesurés grâce à des indicateurs de performance environnementale.

Le label HVE garantit que les pratiques agricoles mises en œuvre sur l'ensemble de l’exploitation préservent les écosystèmes et limitent les pressions sur l'environnement (sol, eau, biodiversité, etc.). Il n’interdit toutefois pas le recours aux engrais et pesticides de synthèse, contrairement à la certification en agriculture biologique (AB).

Au 1er janvier 2023, 36 225 exploitations françaises bénéficient de la mention Haute valeur environnementale. Les exploitations certifiées peuvent apposer le logo « Haute valeur environnementale » sur leurs produits.

Source : ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

La France a privilégié des conditions d’accès à l’éco-régime peu contraignantes. S’exprimant devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 12 juillet 2023 ([120]), M. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, revendique un « effet de massification » dans le cadre d’une « stratégie d’inclusivité ». Près de 90 % des exploitants français bénéficie de l’éco‑régime, dont 100 % des éleveurs de ruminants et 80 % des céréaliers. L’afflux de demandes a mécaniquement conduit à une baisse des montants unitaires servis, du fait de l’enveloppe limitative ([121]). Une étude de l’INRAE avait anticipé ce phénomène, concluant à « la faible ambition climatique et environnementale du niveau standard CE2+ » ([122]). Selon cette étude, la quasi-totalité (99,6 %) des exploitations françaises attendraient le niveau CE2+ sans modifier leurs pratiques agricoles, tandis que respectivement 35,5 % et 4,8 % auraient accès aux niveaux HVE et AB à trajectoire constante.

L’intervention des pouvoirs publics en matière de transformation des systèmes agricoles se situe sur une ligne de crête, entre le maintien des exploitations existantes et l’incitation à une orientation structurelle vers les pratiques agronomiques vertueuses. La France a partiellement tenu compte des observations de la Commission européenne ([123]). Le PSN en vigueur depuis le 1er janvier 2023 différencie les niveaux de rémunération de l’agriculture biologique et de la certification HVE conformément à la demande la Commission. Par ailleurs, la voie d’accès simplifiée à la certification HVE a été supprimée pour relever le niveau d’exigence dudit label.

Les rapporteurs estiment que la priorité, à court terme, consiste à consolider la filière biologique déjà existante et à limiter les risques de déconversion via des aides au maintien. La France et l’Allemagne se situent au niveau de la moyenne européenne, avec près de 10 % de la SAU cultivée en agriculture biologique en 2021 – loin derrière l’Autriche (25,7 %) et l’Estonie (23 %) ([124]). Au regard de l’importance de sa superficie agricole, la France est toutefois le principal contributeur aux superficies consacrées à l’agriculture biologique dans l’Union – à hauteur de 17,3 %, devant l’Espagne (16,5 %). La situation dégradée de la filière bio en France, en comparaison avec nos voisins européens, démontre qu’il existe une marge de progression substantielle. Les rapporteurs reconnaissent tous deux la complémentarité entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle.

De manière complémentaire, le rapporteur Rodrigo Arenas recommande de renforcer l’ambition de l’éco-régime à la française pour garantir son caractère transformateur. Le dispositif doit inciter les exploitations à modifier les pratiques agricoles actuelles, en complément de la conditionnalité appliquée à l’ensemble des aides couplées et découplées du premier pilier de la PAC. L’approche proposée par M. Marc Dufumier et Mme Cécile Détang-Dessendre à l’occasion de leur audition par les rapporteurs consiste à faire de l’éco-régime une véritable rémunération du travail supplémentaire exigé en échange de la fourniture de services environnementaux. Les critères rénovés d’accession à l’éco-régime devront être définis en lien avec les représentants du secteur agricole pour prévenir l’effet inverse d’une surrèglementation insuffisamment attractive. L’Allemagne a ainsi annoncé une révision de son système d’éco-régime, dont l’enveloppe financière est aujourd’hui largement sous-consommée du fait de la difficulté pour les agriculteurs d’accéder aux aides ([125]).

Enfin, le rapporteur Rodrigo Arenas appelle à renforcer l’incitation financière à la conversion vers l’agriculture biologique. Il relève que l’incidence négative de l’introduction du label HVE sur la dynamique et donc la viabilité économique de l’agriculture biologique a été fortement soulignée, aussi bien par plusieurs experts ([126]) que par les acteurs de la filière biologique. Le différentiel de rémunération entre la certification HVE et la certification AB, qui s’établit à 20 euros par hectare, est aujourd’hui insuffisamment attractif. Il lui semble opportun de mieux différencier la rémunération entre les voies d’accès à l’éco-régime selon le bénéfice environnemental associé à chacune d’entre elle. L’INRAE a ainsi estimé que la voie de la certification environnementale était moins contraignante que la voie des pratiques pour satisfaire les exigences de base de l’éco-régime, alors même que le PSN français précise que l’approche retenue doit assurer la « rémunération d’un degré d’effort consenti par chaque bénéficiaire eu égard à son système de production » ([127]). Le réseau européen de la PAC, visé à l’article 116 du règlement établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC, pourrait être sollicité par la France pour bénéficier d’un éclairage sur les meilleures pratiques instaurées par ses partenaires.

Les mesures proposées par le rapporteur Rodrigo Arenas peuvent être mises en œuvre à court terme, via la procédure de modification des PSN prévue à l’article 119 du règlement établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC. Le PSN peut en principe être révisé une fois par an, ainsi que trois fois supplémentaires sur la période 2023‑2027, soit huit fois maximum. Les modifications sont dûment motivées auprès de la Commission, qui doit les approuver par un acte d’exécution.

Les mesures envisagées par M. Rodrigo Arenas sont de nature à limiter l’effet de saupoudrage aides. Elles peuvent être mises en place à budget constant ou en augmenter la part des financements alloués à l’éco-régime. En tout état de cause, il convient d’examiner préalablement les résultats de la campagne 2023, en particulier les voies d’accès choisies par les agriculteurs français. La révision de l’éco-régime pourraient ainsi se déployer à partir de 2025.

Proposition n° 1 de M. Rodrigo Arenas

Relever le niveau d’ambition environnementale de l’éco-régime français à partir de 2025, à l’occasion de la révision à mi-parcours du plan stratégique national de la France, et augmenter significativement les aides à l’établissement, à la conversion et au maintien de la filière biologique.

d.   La contribution insuffisante des aides de la PAC à la réduction des dépendances externes de l’Union : le cas des protéines végétales

Les PSN élaborés par les États membres doivent contribuer à la réalisation d’un ensemble d’objectifs « généraux » et « spécifiques » assignés à la PAC, parmi lesquels « le développement d’un secteur agricole […] garantissant la sécurité alimentaire sur long terme » et « la résilience du secteur agricole dans l’ensemble de l’Union » ([128]). Les rapporteurs regrettent que l’autonomie stratégique et la réduction des dépendances externes ne figurent pas explicitement parmi les objectifs de la PAC et des PSN.

Certaines dispositions permettent toutefois aux États membres de soutenir les filières agricoles critiques, pour lesquelles l’Union dépend des approvisionnements en provenance des pays tiers. À titre d’exemple, les protéines végétales peuvent être valorisées dans le cadre des obligations de diversification des cultures ouvrant droit aux éco-régimes. Plusieurs États membres, dont l’Allemagne, la Belgique et la France, valorisent les légumineuses dans la diversité des assolements requise par l’éco-régime, au-delà des exigences minimales prévues par les règles de conditionnalité. Par ailleurs, le budget des aides couplées, destinées à soutenir spécifiquement les exploitations générant un certain productif agricole, est en principe plafonné à 13 % du total des paiements directs du premier pilier. Une dérogation permet aux États membres d’octroyer des financements représentant deux points de pourcentage supplémentaires pour la production de protéines végétales ([129]), ce qui porte à 15 % le taux maximum d’aides couplées. La France a soutenu la mise en place de cette flexibilité dans la PAC 2023-2027 et l’utilise en cohérence dans son PSN. L’enveloppe française des aides couplées aux protéines végétales sera portée de 137 millions d’euros en 2020 à 236 millions d’euros en 2027 afin de contribuer à la réduction du déficit protéique de l’Union ([130]).

Les rapporteurs se félicitent de la possibilité pour les États membres de recourir aux aides couplées aux protéines végétales au bénéfice de la souveraineté alimentaire européenne. Dans ses réponses écrites, M. Marc Dufumier, agronome, estime que la mesure contribue à la « souveraineté protéinique » de l’Union et à sa « moindre dépendance à l’égard des importations d’énergie fossiles ». L’augmentation des surfaces implantées en légumineuses présente le triple avantage de pouvoir se substituer aux protéines animales, plus émettrices en CO2, d’améliorer le rendement des cultures par la fixation de l’azote atmosphérique et de réduire les importations de produits issus de la déforestation, tels que les tourteaux de soja.

L’utilisation des aides couplées aux protéines végétales, qui demeure facultative, devra être évaluée en temps voulu par la Commission. Les premières analysées réalisées par la Commission ([131]) et le Parlement européen ([132]) ne documentent pas les mesures prises par les États membres en la matière. L’examen des dépendances stratégiques de l’Union, que les rapporteurs proposent de renforcer à travers un indicateur composite de souveraineté alimentaire, pourrait justifier à terme de doubler et d’élargir l’enveloppe additionnelle « 2 % » réservée à la production de protéines végétales. Le budget des aides couplées pourrait ainsi être porté à 17 % des paiements directs, tandis que d’autres filières agricoles stratégiques – dont les indicateurs de bilan sont dégradés au niveau de l’Union – pourraient bénéficier d’un relèvement supplémentaire du taux maximum d’aides couplées.

Proposition n° 9

Évaluer l’efficacité de la contribution des aides couplées à la production de protéines végétales et, le cas échéant, relever le taux maximum d’aides couplées et étendre son bénéfice à d’autres filières agricoles stratégiques.

Si la révision du dispositif des aides couplées pourra être inscrite dans la programmation de la PAC après 2027, il convient dès à présent de recourir activement aux instruments existants qui permettent de soutenir la production de cultures riches en protéines. Les rapporteurs s’étonnent du manque de réactivité de la Commission, qui tarde à présenter une véritable stratégie européenne sur les protéines végétales. La France et l’Autriche ont, avant même la guerre en Ukraine, invité la Commission à faire des propositions en ce sens ([133]). La Commission a initialement émis des réserves à la mise en place d’une stratégie européenne, avant de se rallier à cette approche au printemps 2022. Les travaux de la Commission, dont le contenu n’est pas connu, devraient se poursuivre en 2024. Le Parlement européen a formulé de premières recommandations opérationnelles ([134]), en appelant notamment la Commission à présenter un « document d’orientation » recensant les instruments de la PAC susceptibles d’être mobilisés à l’appui de la production de protéines végétales. Vos rapporteurs partagent cette proposition de court terme, qui doit être complétée par la présentation des programmes européens de recherche et développement auxquels les organismes de recherche, les universités et les entreprises peuvent recourir dans le domaine des protéines végétales. Les acteurs interrogés par les rapporteurs, dont la représentation permanente de la France auprès de l’Union (RPUE), ont rappelé que le soutien public à la recherche et à l’innovation a surtout été concentré sur les céréales au cours des dernières décennies.

Proposition n° 10

Demander à la Commission européenne de présenter dans les meilleurs délais une stratégie européenne sur les protéines végétales, qui recense notamment les interventions de la PAC et les programmes de recherche susceptibles d’être mobilisés.

2.   Renforcer la durabilité et la compétitivité des filières de la pêche et de l’aquaculture, alors que la demande pour les produits de la mer augmente

La demande pour les produits de la mer augmente, alors que les ressources halieutiques demeurent sous pression. La Commission européenne souligne que « le nombre de stocks halieutiques surexploités est désormais plus réduit » en raison des mesures de gestion durable de la pêche, conduisant à une amélioration globale de l’état des ressources ([135]). Si des progrès substantiels ont été réalisés pour l’ensemble des stocks présentant un intérêt pour l’Union, il apparaît que les captures de poissons sont toujours supérieures à la capacité de reproduction annuelle des stocks dans certaines zones, en particulier en Méditerranée et en mer Noire. La pression sur les écosystèmes marins a de graves conséquences économiques et sociales pour nos pêcheurs, confrontés à une réduction des quotas de pêche voire à l’interdiction de pêcher certaines espèces dans l’attente d’une reconstitution des stocks, telles que les anguilles durant une période de fermeture de six mois en 2023 et en 2024 ([136]). Pour répondre de manière soutenable à la demande en produits de la mer, renforcer la durabilité et la compétitivité des filières de pêche maritime paraît un préalable.

La dépendance du marché européen de la pêche aux importations en provenance de pays tiers s’est accrue depuis dix ans. Les données figurant ci‑dessous, extraites du dernier rapport de l’Observatoire européen des marchés des produits de la pêche et de l'aquaculture (EUMOFA) de la Commission ([137]), démontrent que les taux d’auto-approvisionnement de l’Union au titre des produits de la pêche et de l’aquaculture sont nettement inférieurs aux indicateurs obtenus pour les produits agricoles. Le taux de couverture de la consommation intérieure par la production intérieure s’élève à 38,2 % en 2021, soit le niveau le plus bas de la dernière décennie. Cet indicateur, qui atteignait 45,9 % en 2014, a décroché à partir de 2018, du fait d’une baisse de la production européenne et d’une augmentation des importations.

Tableau 4 –Taux d’auto-approvisionnement de l’union
en produits de la pÊche et de l’aquaculture (2012-2021)

 

Source : EUMOFA, Le marché européen du poisson, édition 2023, novembre 2023, p. 37.

 

La situation de dépendance de l’Union est doublement paradoxale. L’Union s’appuie sur le plus grand domaine maritime du monde et dispose d’une flotte de 74 635 navires de pêche ([138]), mais représente seulement 2 % de la production mondiale issue des captures et de l’aquaculture, soit la huitième place ([139]). Les principaux États membres en termes de volume de pêche sont l’Espagne, le Danemark, la France et les Pays-Bas.

Vos rapporteurs préconisent de renforcer la compétitivité et la durabilité du secteur de la pêche professionnelle maritime à travers une évolution ciblée de la politique commune de la pêche. Celle-ci s’est progressivement autonomisée de la politique agricole commune (PAC), jusqu’à devenir l’une des politiques communautaires les plus intégrées. L’article 3 du TFUE ([140]) confère à l’Union européenne une compétence exclusive en matière de conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche : il appartient ainsi au Conseil de l’Union de définir les taux de capture admissibles (TAC), en fonction des propositions de la Commission fondées sur des avis scientifiques émis sur la durabilité de la ressource, principalement par le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) et le Conseil scientifique, technique et économique des pêches (CSTEP).

Les TAC autorisés pour 2024

Le 12 décembre 2023, le Conseil de l’Union a fixé les limites de pêche autorisées en 2024 pour les États membres. La définition des totaux admissibles de capture (TAC) correspond aux limites des prises autorisées annuellement pour plus de deux cents espèces halieutiques, soit à des quotas de pêche. Pour la première fois, des TAC pluriannuels ont été définis dans une logique de prévisibilité et de stabilité pour la filière pêche. En ce qui concerne les eaux de l’Atlantique et de la mer du Nord, la décision fixe également les limites de capture pour 2025 pour neuf stocks halieutiques. Deux de ces stocks, la sole et le plie, seront également concernés pour l’année 2026.

Atlantique et mer du Nord

Compte tenu des avis scientifiques positifs et de l'amélioration de l'état des stocks, le Conseil a décidé d’augmenter les limites de capture pour les stocks suivants :

– cardines (11 %) et baudroies (7 %) dans les eaux de la péninsule ibérique ;

plie dans le Kattegat (19 %) ;

– merlu dans le sud du golfe de Gascogne, les eaux de la péninsule ibérique et autour des Açores (10 %) ;

– chinchard dans les eaux de la péninsule ibérique (5 %) ;

Afin de préserver les stocks sur la base des avis scientifiques et de trouver un équilibre ayant des implications socio-économiques, la Conseil a décidé de réduire les limites de capture pour les stocks suivants :

– merlan dans le golfe de Gascogne : 41 % ;

– plie dans les eaux de la péninsule ibérique : 20 % ;

– langoustine dans les eaux portugaises et aux Açores : 20 % ;

– sole dans les zones 8c à 8e, 9 et 10 h 17 %.

Compte tenu de l'état critique persistant de l’anguille d’Europe, le Conseil a décidé de maintenir la période de fermeture de six mois pour toute activité de pêche commerciale de l'anguille et d'interdire la pêche récréative.

Mer Méditerranée et mer Noire

Le Conseil a décidé de réduire l’effort de pêche – mesuré par le nombre de jours passés en mer – pour les chalutiers en Méditerranée occidentale de 9,5 % afin de protéger les stocks démersaux, soit les espèces profondes.

Le Conseil renouvelle le mécanisme de compensation qui a été mis en place pour la première fois en 2022, en allouant jusqu'à 6 % de jours de pêche supplémentaires aux chalutiers éligibles qui satisfont à des exigences de conservation spécifiques.

Le Conseil est en outre convenu de réduire de 5 % les limites maximales de capture pour la crevette rouge dans les sous-zones 1, 2, 5, 6 et 7, de 3 % pour la crevette rouge dans les sous‑zones 8, 9, 10 et 11, et de 3 % pour la crevette rouge en Méditerranée occidentale dans les sous-zones 8, 9, 10 et 11 par rapport aux niveaux de 2023.

En mer Noire, le Conseil est convenu de reconduire les TAC pour 2024 dans le cas du turbot et de maintenir la période de fermeture de la pêche au turbot du 15 avril au 15 juin.

Source : communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne, formation « Agriculture et pêche », 21 décembre 2023.

Le règlement (UE) n° 1380/2013 relatif à la politique commune de la pêche ([141]) pose les principes relatifs aux objectifs d’une pêche durable : une gestion pluriannuelle fondée sur les écosystèmes ; le respect des rendements maximaux durables (RMD), à savoir l’ajustement de la capacité de pêche aux possibilités de pêche ; l’interdiction des rejets. Pour sa mise en œuvre, la politique commune de la pêche est dotée d’un outil financier, le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA). Le FEAMPA est doté de 6,1 milliards d’euros pour la période 2021-2027. L’Espagne en est le premier bénéficiaire, suivi de la France (567 millions d’euros).

Afin de renforcer la contribution de la politique commune de la pêche aux objectifs environnementaux de l’Union, la Commission a présenté, le 21 février 2023, un ensemble de quatre mesures visant à améliorer la durabilité et la résilience du secteur de la pêche et de l'aquaculture au sein de l’Union européenne :

-         une communication sur la transition énergétique dans le secteur de la pêche et de l'aquaculture de l’Union européenne ;

-         une communication sur la politique commune de la pêche aujourd'hui et demain ;

-         un rapport sur l'organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture ;

-         un plan d'action pour la protection et la restauration des écosystèmes marins en faveur d'une pêche durable et résiliente, qui encourage les États membres à adopter des feuilles de route pour supprimer progressivement le chalutage de fond dans les zones marines protégées (ZMP) d’ici à 2030.

Les rapporteurs prennent acte de l’opposition d’une large majorité des États membres et des membres du Parlement européen à la recommandation de la Commission sur l’interdiction de la pêche mobile de fond. La pression sur la biodiversité des marins doit être maîtrisée en cohérence avec les objectifs de l’Union en matière d’autonomie de la production alimentaire. L’opposition de la France à une interdiction générale de la pêche au chalut de fond dans les ZMP, qui ne tiendrait pas compte des spécificités de chaque zone et des techniques de pêche utilisée, est compréhensible à ce titre. Si le plan d’action ne constitue pas un acte juridiquement contraignant, les rapporteurs regrettent qu’il ne soit pas accompagné d’une analyse d’impact évaluant les incidences environnementales et socio‑économiques de l’interdiction du chalutage de fond. Or l’accord institutionnel « Mieux légiférer » du 13 avril 2016, par lequel le Conseil de l’Union, le Parlement et la Commission s’engagent à améliorer la qualité de la législation européenne, prévoit que la Commission procède à une analyse d’impact de ses « initiatives législatives et non législatives » susceptibles d'avoir « une incidence économique, environnementale ou sociale importante » ([142]). Tel est le cas de l’évolution des techniques de pêche proposée par la Commission. À cet égard, le Parlement européen rappelle dans une résolution récente que « les captures réalisées à l’aide d’engins de pêche de fond mobiles représentent 25 % du total des captures européennes » ([143]), toute interdiction non concertée étant susceptible d’entraîner une hausse des importations de produits de la mer en provenance de pays tiers.

Les mesures tendant à renforcer le caractère durable et résilient de la pêche doivent faire l’objet d’une évaluation ex ante robuste et s’appliquer de manière harmonisée à l’ensemble des États membres, pour éviter des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur. Par conséquent, la stratégie de la Commission consistant à renvoyer l’interdiction de la pêche de fond mobile dans les ZMP à des « mesures nationales » semble inopérante ([144]).

Si les rapporteurs n’ont pas eu l’occasion d’examiner en profondeur les enjeux de la refonte de la politique commune de la pêche, ils constatent que les recommandations formulées par leurs collègues Jean-Pierre Pont et Didier Quentin lors de la précédente législature ne sont que partiellement mises en œuvre ([145]). Il convient de généraliser la programmation pluriannuelle des totaux admissibles de captures, à la manière de la décision prise par le Conseil de l’Union européenne le 12 décembre 2023 pour plusieurs stocks de l’Atlantique et de la mer du Nord. Par ailleurs, les propositions de la Commission et les décisions du Conseil tendant à fixer des TAC supérieurs aux avis scientifiques doivent être précisément justifiées afin de renforcer la transparence et la légitimité des contingents autorisés. Or les travaux de plusieurs organisations non gouvernementales, dont ClientEarth ([146]), concluent que près d’un tiers des TAC mis en œuvre pour le ressources halieutiques exclusives et partagées de l’Union excède les avis scientifiques.

En outre, la lutte contre la pêche illégale doit être renforcée afin de permettre une gestion des ressources au plus près de la réalité des stocks et du respect des écosystèmes. Le renforcement de la lutte contre la pêche illégale permettra, en effet, de faciliter le renouvellement des prises, voire d’augmenter les TAC au regard des possibilités de pêche admises.

3.   Retrouver les fleuves européens, des voies économiques et écologiques durables

Les espèces d’eau douce représentent environ 5 % de la production européenne de la pêche et de l’aquaculture en 2020, soit 0,21 million de tonnes sur un total de 4,05 millions de tonnes ([147]). Le taux d’autosuffisance des poissons d’eau douce, calculé comme le rapport entre la production et la consommation intérieures, progresse. Il atteint 45 % en 2022, en hausse de 20 points par rapport à 2011, et dépasse largement le taux d’auto-approvisionnement européen pour l’ensemble des produits de la pêche et de l’aquaculture. Ce dernier s’élève à 38,9 % en 2020, en recul de 3 points par rapport à 2011.

Au sein de la pêche continentale, les rapporteurs estiment que la pêche fluviale doit être considérée comme un complément pertinent à l’élevage et à la culture des poissons d’eau douce. Ils regrettent que le potentiel nourricier des fleuves européens demeure un impensé des actions de l’Union en matière d’approvisionnement alimentaire. La politique commune de la pêche se concentre sur les ressources halieutiques issues des pêches de capture maritime et de l’aquaculture marine. Par ailleurs, les stratégies macro-régionales ignorent largement les enjeux économiques et environnementaux associés à la pêche fluviale. Ces cadres d’action sont pourtant propices à la coordination transnationale des parties prenantes sur des sujets d’intérêt stratégique, qui ne peuvent être traités correctement au niveau national ou au niveau de l’Union. Parmi les quatre stratégies macro-régionales de l’Union, la stratégie pour la région du Danube présentée en 2010 et actualisée en 2020 ([148]) est un support particulièrement pertinent pour développer les infrastructures fluviales, soutenir la pêche artisanale et protéger les espèces confrontées à la surexploitation des stocks, telles que l’esturgeon. En effet, le Danube traverse ou longe le territoire de sept États membres de l’Union et de trois pays dont l’avenir est intimement européen (Serbie, Moldavie, Ukraine). Si la première édition de la stratégie macro-régionale se contentait d’appeler à la sauvegarde des populations viables d’esturgeon d’ici à 2020, notamment face aux espèces invasives, le document révisé en 2020 comporte une action dédiée à la restauration de la migration des poissons.

Cette évolution est aujourd’hui circonscrite au rôle de coordination exercé par la Commission dans la région du Danube, dans le cadre de la stratégie macro‑régionale correspondante. Elle témoigne plus largement d’une prise de conscience bienvenue, que les rapporteurs souhaitent prolonger en appelant la Commission à définir une stratégie européenne sur la préservation et la valorisation des fleuves de l’Union.


La pêche professionnelle sur le Rhin :
une activité à développer, une vocation à encourager

Les rapporteurs ont eu l’occasion d’entendre M. Adrien Vonarb, présenté de manière erroné par certains médias comme le « dernier pêcheur du Rhin » avant son décès soudain en mai 2023. Force est de constater que l’activité professionnelle de pêche sur le Rhin a toutefois fortement décru, en raison notamment de la difficulté pour les pêcheurs d’assurer un revenu suffisant.

L’épuisement du fleuve n’est pas inéluctable. Il est aujourd’hui possible et souhaitable de redonner au Rhin, axe économique majeur de l’Union, une vocation nourricière. Les initiatives attendues relèvent davantage de la coopération intergouvernementale que de l’approche communautaire, mais pourraient utilement être promues dans le cadre de la stratégie fluviale européenne que les rapporteurs appellent de leurs vœux.

Parmi les mesures opérationnelles susceptibles de renforcer les opportunités économiques de la pêche professionnelle sur le Rhin, il convient en priorité d’harmoniser les réglementations nationales sur la pêche (attestations de compétence et permis de pêche, périodes de fermeture de la pêche, tailles et poids minimaux de capture).

Par ailleurs, la limitation des conflits d’usage sur le Rhin est une priorité. Les investissements destinés à assurer la libre circulation des espèces piscicoles présentes sur le fleuve (saumon, truite, anguille, etc.) doivent être poursuivis. Il s’agit en particulier de doter l’ensemble des centrales hydroélectriques entravant la continuité piscicole sur le Rhin de passes à poissons.

Le programme « Rhin 2024 » de la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR), qui rassemble la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la Suisse, gagnerait à assurer le portage politique, financier et technique nécessaire. En complément, les Assises rhénanes de l’eau – organisées pour la première fois en 2023 – pourraient être organisées sur une base annuelle afin d’identifier les mesures d’adaptation nécessaires pour préserver la ressource halieutique face au changement climatique.

Au regard des auditions menées par les rapporteurs, en particulier du Comité national de la pêche professionnelle en eau douce (Conapped), la stratégie fluviale de l’Union gagnerait à inclure un volet « pêche ». Celui-ci examinerait en particulier l’opportunité et la faisabilité des deux leviers d’action suivants.

En premier lieu, la création d’un Conseil consultatif pour la pêche dans les eaux intérieures pourrait être envisagée sur le modèle du Conseil consultatif pour l’aquaculture, créé en 2013 lors de la réforme de la politique commune de la pêche ([149]). Cette instance assurerait une représentation équitable de l’ensemble des parties prenantes, dont les filières professionnelles, les organisations environnementales et les associations de consommateurs. Le Conseil apporterait une expertise bienvenue à la Commission européenne pour mettre en œuvre le volet « pêche » de la stratégie proposée.

En second lieu, la valorisation des espèces exotiques envahissantes, telles que les écrevisses de Louisiane (Procambarus clarkii), gagnerait à être favorisée par la réglementation européenne. Les effets dévastateurs de ces espèces sur les écosystèmes aquatiques, dont la disparition de la faune native par prédation, sont documentés. Pour les espèces les plus répandues, une approche limitée à la capture et à la destruction semble peu efficiente. Les règles en vigueur au niveau européen sont fixées par le règlement du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l'introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes ([150]). Les spécimens vivants appartenant aux espèces invasives identifiées par un acte d’exécution de la Commission, dont l’écrevisse de Louisiane, ne peuvent pas être transportés ou vendus vers, depuis ou au sein de l’Union. Ces restrictions entravent la commercialisation de l’écrevisse de Louisiane, qui doit être cuisinée immédiatement après sa mort pour conserver ses qualités gustatives – reconnues dans plusieurs pays, notamment en Allemagne. Le rapport de M. Thierry Boisseaux sur le développement de la pêche professionnelle en eau douce, établi avant l’entrée en vigueur du règlement européen de 2014, préconisait d’autoriser le transport de l’écrevisse de Louisiane « en dehors des zones où elles sont pêchées afin d’en faciliter la commercialisation » ([151]). Le droit de l’Union pourrait être modifié afin d’autoriser des opérations de valorisation encadrées et ciblées pour les spécimens vivants appartenant à des espèces envahissantes répandues et présentant des garanties suffisantes en termes de sécurité sanitaire. L’élevage et la remise à l’eau des espèces concernées demeureraient strictement interdits.

 

Proposition n° 11

Définir une stratégie européenne sur la préservation et la valorisation alimentaire des fleuves de l’Union, proposée et mise en œuvre par la Commission.

II.   L’AGRICULTURE EUROPÉENNE EST AUJOURD’HUI FRAGILISÉE PAR UNE CONCURRENCE INTERNATIONALE DÉLOYALE : POUR UNE RÉVISION DE LA POLITIQUE COMMERCIALE EUROPÉENNE

S’ils saluent les efforts réalisés par l’Union pour accélérer la transition de son modèle agricole, les rapporteurs alertent sur la nécessité d’assurer une concurrence loyale au niveau international. La politique commerciale commune peut, sous certaines conditions, constituer un instrument clé pour prévenir la substitution de la production européenne par l’importation de produits agricoles et alimentaires issus de pays tiers.

Par ailleurs, le rétablissement d’une concurrence loyale avec les pays tiers suppose de corriger en parallèle les distorsions au sein du marché intérieur, comme le relève la réglementation des néonicotinoïdes.

A.   L’EUROPE PRIVILÉGIE DÉSORMAIS DES ACCORDS BILATÉRAUX, INSUFFISAMENT PROTECTEURS POUR LES PRODUCTEURS ET LES CONSOMMATEURS EUROPÉENS

1.   Le commerce international des produits agricoles contribue, à première vue, à la sécurité alimentaire européenne

Les rapporteurs ont acquis la conviction, à l’issue de leur cycle d’auditions, que le commerce international des produits et des intrants agricoles ne devait pas être opposé par principe à l’objectif de sécurité alimentaire européenne, composante de notre souveraineté alimentaire. Mais de fortes incohérences subsistent, qui exigent de repenser les principes de cette politique.

À titre liminaire, il convient de rappeler le poids prépondérant des échanges intra-communautaires. Selon les données fournies par Eurostat ([152]), les importations de biens appartenant à la catégorie élargie des « produits alimentaires, boissons et tabac », réalisées par les États membres en provenance d’autres pays européens, représentent une valeur de 393,6 milliards d’euros en 2022, contre 128,6 milliards d’euros en 2002. Les importations de ces mêmes produits en provenance de pays tiers représentent une valeur de 147,1 milliards d’euros en 2022, un total deux fois inférieur aux importations intra-européennes.

Le commerce international joue un rôle clé de « stabilisateur » en cas de choc localisé sur l’offre et la demande de produits et d’intrants agricoles. Il contribue à la continuité de l’approvisionnement alimentaire européen. Les participants entendus à l’occasion de la table ronde sur les enjeux du commerce international ont ainsi unanimement souligné que les fluctuations du marché mondial sont moins fortes que celles d’un pays en autarcie ([153]). À titre d’exemple, la guerre en Ukraine a provoqué une recomposition des flux européens d’approvisionnement en engrais. Les importations d’urée, substance qui entre dans la composition de certains engrais azotés, en provenance d’Égypte, d’Oman, des États-Unis et du Nigéria, ont fortement cru entre le second semestre 2021 et le second semestre 2022 ([154]).

Par ailleurs, le développement des chaînes de valeur mondialisées (CVM) renforce l’interdépendance des économies nationales en raison de la répartition géographique des différentes étapes de la production des marchandises. Une part croissante de la valeur des produits agricoles et agroalimentaires exportés par un pays donné est imputable à des biens et services produits par d’autres pays, importés en raison de prix plus compétitifs. Les statistiques les plus récentes au niveau mondial démontrent qu’un tiers environ de la valeur ajoutée agroalimentaire exportée provenait, en 2015, d’une chaîne de valeur comprenant au moins trois pays ([155]). Pour le secteur agricole, la participation aux CVM s’élève à 33 %, principalement du fait de ses liaisons « aval » : l’utilisation des produits agricoles comme intrants de base dans l’industrie agroalimentaire de transformation, par exemple pour la fabrication de jus de fruits, représente 22 % de la valeur des exportations brutes. Les liaisons « amont » représentent 12 % de la valeur des exportations brutes, en raison des importations d’intrants agricoles et de produits intermédiaires (protéines, engrais, semence, etc.) ainsi que du recours croissant aux services dans le processus de production (prestations de logistique et de stockage, services financiers, etc.). Le secteur de l’alimentation et de la boisson, qui recouvre les produits transformés, comprend inversement plus de liaisons en amont en raison de l’importation des matières premières agricoles : les liaisons « amont » sont à l’origine de 22 % de la valeur des exportations brutes, contre 11 % pour les liaisons « aval ».

Par conséquent, l’insertion des secteurs agricoles et agroalimentaires dans les CVM contribue à leur compétitivité, notamment à l’export. Or les conséquences d’une érosion de la compétitivité de nos filières sont connues : elle dégrade les revenus dégagés par les agriculteurs et les industriels et peut, plus structurellement, nuire à « la capacité de notre système alimentaire à relever d’autres défis, comme la transition écologique, la lutte contre le dérèglement climatique, le renouvellement des générations, et la contribution aux dynamiques territoriales » ([156]).

2.   Sans renoncer aux dispositions protectrices du système multilatéral, l’Europe se tourne vers des accords de libre-échange préjudiciables à son secteur agricole

a.   La libéralisation encadrée des échanges commerciaux de produits agricoles, dans le cadre de l’OMC

L’agriculture a initialement été exclue du système commercial multilatéral issu de la Seconde Guerre mondiale, qui visait à réduire les droits de douane. Les dérogations issues de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947 ont toutefois fait l’objet de vives critiques, notamment au regard de l’incidence des subventions à l’exportation sur le cours des matières premières agricoles. Les négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay ont finalement abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, dont l’accord sur l’agriculture libéralise les échanges de produits agricoles sans interdire formellement les subventions à l’exportation.

L’accord sur l’agriculture de 1994 a contribué à ouvrir l’accès aux marchés et à réduire la protection douanière des produits agricoles, sous l’effet de trois mécanismes. Tout d’abord, les États parties ont abaissé unilatéralement leurs tarifs douaniers en réduisant leurs droits « NPF », du nom de la clause de la nation la plus favorisée. Ce principe de non-discrimination prévoit que tout avantage accordé à un produit importé en provenance d’un pays déterminé doit être attribué aux produits similaires en provenance d’autres membres de l’OMC. Ensuite, les pays se sont engagés à maintenir leurs droits de douane en dessous d’un certain niveau de « droits consolidés », étendu à un nombre croissant de lignes tarifaires. Enfin, les pays ont conclu des accords commerciaux préférentiels. Ces derniers recouvrent les traités régionaux ou bilatéraux par lesquels les parties peuvent fixer des tarifs inférieurs aux droits « NPF » par exception au principe général de la nation la plus favorisée.

Le secteur agricole se caractérise par une situation douanière ambivalente. Les produits agricoles ont connu les plus importantes baisses de droits de douane, tout en demeurant davantage protégés que d’autres produits. Entre 1996 et 2021, la moyenne mondiale des droits « NPF » appliqués, pondérée en fonction des échanges et hors accords préférentiels, a chuté de 7,1 % à 3,7 % pour l’ensemble des produits échangés ([157]). La baisse est plus marquée pour les produits agricoles que pour les produits industriels. À titre d’exemple, les droits appliqués aux produits carnés ont reculé de 37,4 % à 17,5 %. La même dynamique vaut pour les céréales (de 39,9 % à 21,8 %), les fruits et les légumes (de 17,6 % à 9,5 %) ainsi que les produits laitiers (de 29,7 % à 14,5 %). Dans le même temps, les droits de douane moyens ont baissé de 11,7 % à 7,6 % pour le textile et de 5,1 % à 1,3 % pour les appareils électriques.

La moyenne des droits « NPF » appliqués hors contingents tarifaires par l’Union à l’entrée des produits agricoles dans le marché unique a suivi la même trajectoire. Sans appliquer la pondération liée à la structure des échanges, ils s’élèvent à 11,7 % dans l’Union en 2021, contre 15,9 % au Canada, 5,2 % aux États-Unis et 1,2 % en Australie ([158]). Certains produits font l’objet de pics tarifaires afin de protéger les producteurs européens, tels les produits laitiers (39,5 %) et le sucre (24,3 %).

Or le blocage des négociations multilatérales, plus de 20 ans après l’ouverture du cycle de Doha en 2001, a conduit l’Union à multiplier les accords commerciaux préférentiels. Il semble malheureusement illusoire d’espérer des avancées majeures à l’occasion de la treizième Conférence ministérielle (CM13) de l’OMC, qui se tient du 26 au 29 février 2024 à Abou Dhabi (Émirats arabes unis).

b.   La multiplication des accords de libre-échange de l’Union, au risque du désarmement agricole

L’Union européenne dispose d’une compétence exclusive en matière commerciale en application de l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Les négociations des accords multilatéraux et bilatéraux avec les pays tiers sont conduites par la Commission au nom des États membres, sur la base du mandat de négociation adressé par le Conseil de l’Union.

Face au blocage du cadre multilatéral, l’Union a noué le plus important réseau d’accords de libre-échange au monde afin de soutenir la compétitivité des producteurs européens à l’export. Elle est partie à 42 accords commerciaux préférentiels regroupant 74 pays partenaires ([159]). Les accords de libre-échange favorisent l’accroissement des échanges entre l’Union et la partie signataire en organisant la diminution des barrières tarifaires et non tarifaires. La littérature économique conclut que les accords préférentiels ont des effets positifs sur les filières exportatrices, via la réduction des coûts du commerce international et la sécurisation des débouchés, et sur les consommateurs, qui ont accès à une plus grande diversité de denrées et bénéficient de gains de pouvoir d’achat ([160]). Les producteurs domestiques sont notamment contraints de s’aligner sur le prix des biens importés afin de préserver leur compétitivité prix.

Ces considérations sont au cœur de la politique commerciale commune de l’Union, en dépit du réexamen stratégique opéré par la Commission en 2021 afin de définir une approche « ouverte, durable et ferme » ([161]). La balance commerciale agroalimentaire de l’Union, qui s’établit à 58 milliards d’euros en 2022, est largement et structurellement positive ([162]). Elle recule de 10 milliards d’euros par rapport à 2021, dans un contexte de croissance inédite du prix des produits agricoles et alimentaires. Les trois principaux secteurs excédentaires sont les céréales et les préparations à base de céréales (+ 18,1 milliards d’euros), telles que la farine et la semoule, les produits laitiers (+ 17,9 milliards d’euros) et le vin (+ 16,4 milliards d’euros). À l’inverse, l’Union est nettement déficitaire au titre des oléagineux et protéagineux (– 23,3 milliards d’euros), des fruits et des noix (– 16,2 milliards d’euros) ainsi que du café, du thé et du cacao (– 14,6 milliards d’euros). La part de marché mondial de l’Union en matière de produits agricoles et agroalimentaires s’élève à 37 %, dont 4,5 points de pourcentage pour la France.

Les rapporteurs prennent acte de l’important travail d’évaluation – et de conviction – mené par la Commission européenne. Une étude de 2021 du Centre commun de recherche propose une modélisation des effets économiques cumulés d’ici à 2030 de douze accords de libre-échange, qu’ils soient entrés en vigueur, en cours de finalisation ou en cours de négociation ([163]). Les effets attendus sur le secteur agricole européen sont globalement positifs aux termes du rapport, avec une augmentation d’un milliard d’euros de la balance commerciale de l’Union. Les opportunités à l’export bénéficieraient en particulier aux secteurs des produits laitiers, de la viande porcine ainsi que des vins et spiritueux. En revanche, les filières de la viande bovine, de la volaille, du sucre et du riz seraient confrontées à la dégradation de leur balance commerciale et à la baisse des prix domestiques. À titre d’exemple, la production européenne de viande bovine reculerait de 0,3 % et la réduction des prix de vente atteindrait 2,4 % sous l’effet d’une augmentation des importations. Le choc commercial, constitutif d’un afflux de 85 000 à 120 000 tonnes supplémentaires, déstabiliserait une filière aujourd’hui autosuffisante au niveau européen.

Sans contester le chiffrage macroéconomique présenté par la Commission, les rapporteurs estiment que la multiplication des accords de libre-échange contrevient à l’objectif de souveraineté alimentaire européenne. Ils relèvent en particulier que l’incidence des accords préférentiels est uniquement appréciée à l’aune de la balance commerciale, c’est-à-dire sous l’angle du potentiel d’exportation et d’importation. Sans surprise, il n’est fait aucune référence à l’évolution des indicateurs de bilan pertinents en matière de souveraineté alimentaire. Par ailleurs, la distribution géographique des effets des accords préférentiels sur les filières agricoles des États membres n’est pas expertisée.

Sans prétendre à un bilan exhaustif des accords de libre-échange, les rapporteurs sont en mesure de formuler les observations suivantes au terme de leur cycle d’auditions :

-         les produits agricoles et alimentaires servent trop souvent de monnaie d’échange ou de variable d’ajustement dans les accords de libre‑échange, sur lesquels l’Union accepte des concessions afin de promouvoir ses intérêts « offensifs » dans l’industrie et les services ;

-         la libéralisation des lignes tarifaires bénéficie essentiellement aux produits agricoles à haute valeur ajoutée et donne lieu à la reconnaissance – partielle – des indications géographiques et des appellations d’origine, notamment dans le cadre des fabrications laitières et des vins et spiritueux ;

-         en dépit des contingents tarifaires, les filières sensibles sont mises en concurrence avec des modèles de production moins-disants en matière sanitaire, environnementale et sociale, alors même que la mise en œuvre du Pacte vert est de nature à dégrader la compétitivité prix de l’agriculture européenne ;

-         les clauses de sauvegarde invocables en cas de perturbations sectorielles ne sont pas destinées à protéger spécifiquement les filières sensibles et, le cas échéant, produisent tardivement des effets ou peuvent être détournées au détriment des intérêts « défensifs » de l’Union ([164]) ;

-         les prescriptions sanitaires et environnementales applicables aux produits importés dans l’Union n’encadrent pas les conditions de production « amont » et leur respect fait, en tout état de cause, l’objet d’un contrôle hétérogène de la part des États membres ;

-         les chapitres des accords destinés au renforcement des obligations environnementales des parties ne sont pas soumis à des mécanismes juridictionnels et à des dispositifs de sanction effectifs ;

-         l’incidence des accords de libre-échange successifs sur le secteur agricole européen n’est pas analysée globalement, minorant de fait les conséquences cumulées de concessions qui, prises individuellement, sont a priori soutenables.

3.   Un accord de libre-échange topique : l’accord entre l’Union et le Mercosur, des efforts substantiels mais insuffisants en l’état

a.   Un accord asymétrique, qui pénalise les filières agricoles européennes

Les rapporteurs ont été sensibilisés à plusieurs accords de libre-échange, signés récemment, par exemple avec la Nouvelle-Zélande en juillet 2023, ou en cours de négociation, en particulier celui avec l’Australie, susceptibles de fragiliser la souveraineté alimentaire européenne.

Le calendrier institutionnel européen conduit les rapporteurs à concentrer leur analyse sur le volet commercial de l’accord d’association entre l’Union et le Mercosur, la communauté économique sud-américaine réunissant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay ainsi que deux pays associés, la Bolivie et le Chili. Les priorités de la présidence espagnole du Conseil, qui se déroulait du 1er juillet au 31 décembre 2023, portait notamment sur la nécessité « d’avancer de manière décisive et définitive » sur l’accord avec le Mercosur ([165]). Les négociations, initiées en l’an 2000, ont finalement abouti à un accord de principe le 1er juillet 2019. Celui‑ci est aujourd’hui bloqué, sans perspectives de signature et de ratification à court terme.

S’ils partagent l’objectif de renforcer la coopération et le dialogue politique avec les pays du Mercosur, les rapporteurs rappellent que les insuffisances du volet commercial de l’accord sont documentées. Le rapport de la commission d’experts présidée par M. Stefan Ambec conclut ainsi que l’accord « représente une occasion manquée pour l’Union d’utiliser son pouvoir de négociation pour obtenir des garanties solides répondant aux attentes environnementales, sanitaires, et plus généralement sociétales de ses concitoyens » ([166]).

Les parties s’engagent à respecter l’Accord de Paris de 2015 sans toutefois en assurer la déclinaison opérationnelle et contraignante. À titre d’exemple, la hausse de la seule production de viande bovine due à l’accord nécessiterait des surfaces agricoles supplémentaires en Amérique du Sud, à l’origine d’une accélération des tendances de déforestation comprise entre 5 et 25 % au cours des six premières années de mise en œuvre. Par ailleurs, les normes sanitaires et phytosanitaires apparaissent moins contraignantes dans les pays du Mercosur. Ces derniers ne disposent pas systémiquement de législations fondées sur le principe de précaution et imposant la maîtrise des risques sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, de la production à l’acte d’achat par le consommateur. La progression des cultures destinées à l’alimentation animale a ainsi conduit à une augmentation importante de l’utilisation de pesticides au Brésil, dont 27 % des ingrédients actifs utilisés en 2020 étaient interdits dans l’Union (amicarbazone, atrazine, etc.) ([167]).

L’accord entre l’Union et le Mercosur, résumé sous l’expression « viandes contre voitures » par certains observateurs ([168]), est fortement asymétrique au regard de la structure des échanges entre les deux blocs : en 2017, les produits agricoles et alimentaires représentaient 42 % des biens et services importés par l’Union depuis le Mercosur. Les rapporteurs sont particulièrement vigilants aux intérêts « défensifs » des filières agricoles européennes, qui seraient fragilisées selon le rapport de la commission « Ambec ». L’Union libéraliserait 82 % de ses importations de produits agricoles, le reliquat faisant l’objet d’une protection douanière sous la forme de contingents tarifaires à l’importation. Les importations en provenance du Mercosur augmenteraient sensiblement pour l’ensemble des secteurs sensibles analysés (volaille, viande bovine, sucre, miel) par la commission « Ambec ». Il convient de relever, par exemple, la saturation anticipée des nouveaux contingents tarifaires de viandes bovines réfrigérées (54 450 tonnes) et congelées (45 550 tonnes), dont les droits intracontingentaires seraient abaissés de 20 % à 7,5 % aux termes de l’accord de libre-échange.

b.   L’impossible ratification, en l’état, de l’accord

La France a adopté une position ferme, en conditionnant son soutien à l’accord entre l’Union et le Mercosur au respect de l’Accord de Paris par la partie sud-américaine. Les stipulations du projet « d’instrument conjoint » en cours de discussion entre la Commission et les pays du Mercosur ([169]), qui prend la forme d’une déclaration interprétative, ne sont pas de nature à rehausser de manière significative l’ambition environnementale de l’accord et présentent une portée contraignante incertaine.

Les rapporteurs appellent la France à maintenir, en l’état des négociations, un véto sur l’accord avec le Mercosur. Il s’agit d’un accord mixte, qui couvre des domaines relevant des compétences partagées entre l’Union et les États membres. L’accord avec le Mercosur devra être à la fois formellement conclu par l’Union et ratifié par chaque État membre, selon ses procédures constitutionnelles. En l’espèce, les dispositions de l’accord ne pourront entrer en vigueur sans que la France ne le ratifie conformément à la procédure prévue aux articles 52 et 53 de la Constitution, ce dernier prévoyant l’adoption d’une loi autorisant la ratification par le Parlement. Le Conseil de l’Union rejette à ce stade toute scission de l’accord ([170]), qui permettrait l’adoption du volet commercial sur la seule base d’une décision du Conseil de l’Union statuant à la majorité qualifiée, sous réserve de l’approbation préalable du Parlement européen ([171]).

Proposition n° 12

S’opposer, en l’état des négociations, à la signature et à la ratification de l’accord d’association entre l’Union et le Mercosur, ainsi qu’à toute tentative de revenir sur le caractère mixte de celui-ci.

Les rapporteurs sont conscients que l’accord entre l’Union et le Mercosur ne pourra faire l’objet que d’ajustements ciblés, sauf à compromettre la conclusion de tout partenariat à moyen terme. L’Union doit choisir ses combats et la préservation de nos filières agricoles constitue une priorité stratégique pour conforter la souveraineté alimentaire du continent.

Ils préconisent d’établir une clause de sauvegarde verte, qui conditionnerait la mise en œuvre du volet commercial de l’accord avec le Mercosur au respect – par les deux parties – des dispositions relatives à la transition des systèmes agricoles et alimentaires. Concrètement, le dispositif garantirait le caractère progressif et réversible de l’abaissement des droits de douane sur les produits agricoles et de l’ouverture des contingents tarifaires pour les filières sensibles, dont le déploiement est aujourd’hui programmé sur six ans. Les effets préférentiels de l’accord pourraient faire l’objet d’une suspension ciblée et temporaire au cours d’une période transitionnelle de six ans, en cas de non-respect des obligations relatives à l’agriculture durable. Les engagements envisagés dans l’accord, par exemple sur la lutte contre la déforestation et l’usage responsable des antibiotiques dans la production animale, pourraient être complétés afin de garantir largement des conditions de concurrence équitables entre les producteurs européens et sud‑américains.

Proposition n° 13

Engager une révision ciblée du volet commercial de l’accord d’association entre l’Union et le Mercosur, en instaurant une clause de sauvegarde verte qui conditionne l’abaissement des droits de douane et l’ouverture des contingents tarifaires au respect des stipulations relatives à l’agriculture durable.

Cet instrument équilibré semble davantage acceptable à court terme pour les parties prenantes européennes et sud‑américaines que l’introduction d’un dispositif de sanctions. À l’avenir, les accords préférentiels de l’Union gagneraient toutefois à prévoir systématiquement l’application de sanctions commerciale en cas de violations graves du chapitre consacré aux systèmes alimentaires durables. Le recours aux sanctions est prévu dans le cadre du mécanisme de règlement des différends de l’accord entre l’Union et la Nouvelle‑Zélande, en cas de comportements contraires aux normes fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou « à l’objet et au but » de l’Accord de Paris ([172]). Le déploiement concret des accords commerciaux dits de troisième génération, mainte fois reporté, constitue un motif de satisfaction pour l’agriculture européenne.

B.   assurer une concurrence loyale au niveau international, en soumettant LES PRODUITS IMPORTÉS À DES RÈGLES DE RÉCIPROCITÉ ET À UN PRIX DU CARBONE

1.   L’introduction de clauses et de mesures « miroirs »

Les clauses et les mesures dites miroirs visent à remédier au différentiel de normes de production entre les produits européens et les marchandises importées en provenance de pays tiers. Dans une logique de réciprocité, les dispositifs « miroirs » subordonnent l’accès au marché intérieur au respect des normes européennes en matière d’environnement, de santé ou de bien-être animal.

Une première approche consiste à introduire des « clauses miroirs » bilatérales dans les accords de libre-échange conclus par l’Union. Lesdites clauses, qui régissent les seules relations bilatérales entre les deux parties, doivent ainsi faire l’objet d’un compromis dans le cadre des négociations commerciales. Pour produire des effets significatifs, les clauses miroirs devraient être intégrées dans les accords commerciaux en vigueur, qui ne peuvent être amendés que si les parties en conviennent, et aux futurs partenariats conclus par l’Union. Par ailleurs, la nature essentiellement asymétrique des accords signés par l’Union – dans une logique d’avantages comparatifs « viandes contre voitures » – signifie que les clauses miroirs relatives aux questions agricoles pèsent de manière disproportionnée sur l’une des parties. Les clauses miroirs s’apparentent dès lors à une solution peu opérationnelle. Il convient toutefois de se féliciter que de telles concessions puissent être consenties par la partie concernée, telle que la Nouvelle-Zélande dans l’accord signé avec l’Union en juillet 2022. Le contingent tarifaire applicable à la viande bovine (10 000 tonnes) donne lieu à une baisse des droits intracontingentaires de 20 % à 7,5 % sur une période de sept ans. Les produits issus de bovins nourris à l’herbe sont les seuls éligibles à ces droits réduits, critère qui écarte les animaux issus des parcs d’engraissement industriels et intensifs (feedlots).

Une seconde approche consiste pour l’Union à adopter des « mesures miroirs » unilatérales dans le cadre de la législation européenne. Ces dispositions s’appliquent de la même manière à toutes les importations agroalimentaires en provenance de l’Union, mais doivent présenter un caractère non-discriminatoire et proportionné pour être conforme au droit de l’OMC. Un « lien suffisant » entre la ressource menacée et les intérêts de l’Union doit également être démontré pour se prévaloir des exceptions prévues à l’article XX du GATT ([173]), au bénéfice de « la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux », de « la préservation des végétaux » ou de « la conservation des ressources naturelles épuisables ». Invitée en ce sens par le Conseil et le Parlement européen, la Commission a expertisé les options normatives et techniques dont dispose l’Union pour prendre des mesures miroirs unilatérales. Les conclusions sont encourageantes en ce qu’elles confirment la possibilité d’appliquer des normes de production aux importations, sous réserve d’une « analyse au cas par cas » ([174]).

Cette dernière voie est à la fois plus rapide, opérationnelle et contraignante selon les rapporteurs. L’Union recourt de longue date aux mesures miroirs dans le secteur agricole, par exemple en interdisant les hormones de croissance dans les produits animaux ([175]) et en soumettant les produits animaux importés aux règles européennes relatives à l’abattage ([176]). L’interdiction de mise sur le marché européen de produits issus de la déforestation constitue une nouvelle étape en ce sens ([177]), alors que notre continent joue un rôle non‑négligeable dans la dégradation des forêts au niveau mondial. Les projections sur la période 2020-2030 s’élèvent, à scénario constant, à 258 219 hectares de déforestation importée en raison de la consommation européenne de produits agricoles ([178]). Le règlement sur la déforestation importée du 31 mai 2023 est perfectible, aussi bien au titre de son champ d’application que des standards de traçabilité, et nécessite la mobilisation effective des services d’inspection des États membres pour contrôler les importations à risque. Il n’en constitue pas moins une avancée majeure, qu’il convient d’élargir à l’ensemble des législations sectorielles pertinentes de l’Union.

Le paquet législatif sur le bien-être animal, qui devait être dévoilé par la Commission européenne d’ici à la fin de l’année 2023, représente un premier test en la matière. Les rapporteurs regrettent que la Commission tarde à présenter l’ensemble des initiatives législatives annoncées et s’inquiètent que le programme de travail de la Commission pour l’année 2024 n’en fasse aucune mention. L’approche globale initialement envisagée, qui reposerait sur des textes couvrant les conditions d’élevage, de transport et d’abattage des animaux, ainsi que sur l’étiquetage des produits, doit être préservée.

En tout état de cause, les rapporteurs se félicitent que la France porte une position offensive sur l’introduction de mesures miroirs dans la législation sur le bien être-animal. Dans la continuité des initiatives engagées sous la présidence française du Conseil, ils appellent le Gouvernement à poursuivre ses efforts pour convaincre la Commission et les partenaires européens de la France de l’urgente nécessité de développer les mesures miroirs.

Proposition n° 14

Introduire des mesures miroirs dans l’ensemble des législations sectorielles pertinentes de l’Union européenne, en débutant par la future révision de la législation sur le bien-être animal.

Proposition n° 15

Prévoir et renforcer les moyens techniques et humains de contrôle pour veiller à la bonne application des législations européennes de régulation du commerce, telles que le règlement sur la déforestation importée.

2.   L’élargissement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aux produits agricoles

a.   Un dispositif bienvenu pour préserver la compétitivité de l’industrie européenne

Les rapporteurs saluent la mise en œuvre, à partir du 1er octobre 2023, du règlement établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF, ou CBAM pour Carbon Border Adjustment Mechanism) ([179]). Il s’agit d’un texte clé du Pacte vert pour l’Europe, sur lequel les États membres étaient parvenus à un accord lors de la présidence française du Conseil.

Le MACF doit renforcer l’efficacité des politiques climatiques européennes, tout en préservant la compétitivité de nos filières industrielles. Il s’agit d’un outil de réduction des « fuites de carbone », qui résultent notamment des délocalisations d’entreprises vers des pays-tiers moins-disants. Concrètement, l’importateur devra acquérir des « certificats MACF » au moment où le bien franchit la frontière du marché intérieur. Les certificats MACF constituent un prix du carbone calculé sur la base des émissions de gaz à effet de serre contenues dans le bien importé, c’est-à-dire générées lors de la production des marchandises. Ils sont établis sur le prix moyen des quotas vendus aux enchères dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission de l'Union (SEQE-UE).

Le MACF s’applique aux secteurs industriels énergo-intensifs et présentant des risques de fuite de carbone, soit l’acier, le ciment, le fer, l’aluminium ainsi que l’électricité et l’hydrogène. Le secteur agricole est indirectement concerné par l’intermédiaire des engrais azotés, dont les quotas gratuits seront progressivement supprimés en parallèle. La mise en place du MACF est progressive afin de fiabiliser le calcul des émissions importées, donnant lieu à une phase de transition dite à blanc du 1er octobre 2023 au 31 décembre 2025. Les importateurs devront s’acquitter des certificats MACF à partir de la phase opérationnelle, qui débutera le 1er janvier 2026.

Les rapporteurs estiment que l’opportunité d’intégrer les produits agricoles dans le périmètre des produits couverts par le MACF doit être examinée à l’occasion de l’évaluation du dispositif, prévu à l’issue de la période de transition. Cette proposition, soutenue par les principales organisations professionnelles européennes (Copa-Cogeca), a été mentionnée – sans être approfondie – dans un rapport sénatorial sur la souveraineté économique de la France ([180]).

b.   Une extension envisageable, sous conditions, aux produits agricoles

L’extension du MACF aux produits agricoles se heurte à trois difficultés significatives, qui devront être traitées en priorité dans le cadre des travaux d’évaluation de la Commission.

En premier lieu, le dispositif doit être compatible avec les règles de l’OMC. Pour ce faire, il est nécessaire d’assurer le même niveau de tarification carbone des produits quelle que soit leur origine et de poursuivre un objectif exclusivement climatique, à peine de sanctions commerciales de la part des partenaires de l’Union. Si le secteur agricole n’est pas soumis per se au mécanisme de « cap-and-trade » du SEQE-UE, les producteurs d’intrants agricoles, en amont, et les industries agro­alimentaires, en aval, sont d’ores et déjà concernés. Une étape supplémentaire afin de satisfaire le premier critère pourrait consister à appliquer une « taxe carbone » aux émissions agricoles, mesure peu soutenable qui affecterait la compétitivité des filières. La seconde condition est plus aisée à réunir, tant la mise en œuvre des mesures du Pacte vert est susceptible de dégrader la compétitivité des filières européennes et de provoquer des fuites de carbone en l’absence de soutien approprié et d’effort multilatéral pour accélérer la transition du secteur agricole ([181]).

En second lieu, il existe un risque de perte de compétitivité des secteurs « aval » en cas d’extension du MACF aux produits agricoles, du fait de la substitution de produits finis aux produits agricoles importés. Le MACF porterait a priori sur les matières premières agricoles, soit des denrées brutes. L’industrie agroalimentaire européenne, dont les produits de première ou de seconde transformation intègrent des intrants importés depuis des pays tiers, verraient de fait leur compétitivité dégradée.

En troisième lieu, le défi technique de la fiabilisation de l’information sur l’intensité carbone des produits importés devra être relevé. Les importateurs devront remplir, à partir de 2027, une déclaration MACF indiquant le niveau des « émissions intrinsèques totales » des marchandises importées ([182]). Les producteurs, en particulier les éleveurs, ne sont aujourd’hui pas soumis à des exigences de déclaration des émissions de gaz à effet de serre liées à leurs activités. Les travaux de la FAO sur le bilan carbone des systèmes d’élevage par région du monde offrent une première source d’information en la matière (Global Livestock Environmental Assessment Model, GLEAM).

Proposition n° 16

Envisager, au terme de la phase transitoire, l’extension du périmètre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aux matières premières agricoles.

3.   La transition agricole des pays tiers, qui ne saurait être imposée par les seules règles de réciprocité, doit être accompagnée

L’évolution de la politique commerciale recommandée par les rapporteurs ne s’apparente pas à un néoprotectionnisme aveugle, qui aurait pour objectif de transformer l’Union européenne en forteresse agricole. Si un changement de paradigme est indispensable en matière de commerce international, il convient en parallèle d’accompagner les pays tiers dans la transition de leurs systèmes agroalimentaires. La sécurité alimentaire mondiale est un bien commun, qui bénéficie directement à la souveraineté alimentaire européenne.

À cet égard, les rapporteurs appellent la Commission et les colégislateurs à veiller au respect de l’article 208, paragraphe 1, du TFUE. Ce dernier stipule que l’Union « tient compte des objectifs de la coopération au développement dans la mise en œuvre des politiques qui sont susceptibles d'affecter les pays en développement ». Les mesures commerciales proposées par les rapporteurs sont susceptibles de dégrader les capacités d’exportation des pays en développement dont les modes de production ne sont pas conformes aux objectifs environnementaux de l’Union. Cette incidence doit être évaluée et, dans la mesure du possible, atténuée au cours de la préparation et de la discussion des propositions législatives. C’est le sens du module n° 34 de la boîte à outils pour une meilleure régulation européenne (Better Regulation Initiative), qui vise notamment les mesures susceptibles de « constituer des barrières commerciales non tarifaires involontaires aux exportations directes/indirectes de denrées alimentaires vers l’Union en provenance des pays en développement ». Les rapporteurs appellent dès lors la Commission, le Conseil et le Parlement européen à la vigilance pour assurer la cohérence des politiques en faveur du développement, dit principe PCD, en faisant un usage actif du module n° 34.

Au-delà de l’aide humanitaire d’urgence apportée par l’Union en cas de crise alimentaire, il convient de renforcer les initiatives tendant à renforcer la soutenabilité des systèmes agricoles et alimentaires dans le monde. La stratégie « Global Gateway » de la Commission européenne, présentée en décembre 2021 ([183]), est un instrument prometteur pour réduire le déficit d’investissement dans les infrastructures durables auquel est confrontée une partie des régions du monde. Abondé de 58 milliards d’euros de financements européens sur la période 2021‑2027, il repose sur deux enveloppes : d’une part, 40 milliards d’euros de garanties de prêt sont mis à disposition par le Fonds européen pour le développement durable Plus (FEDD +) et, d’autre part, 18 milliards d’euros de crédits sont issus des autres programmes d’aide extérieure de l’Union. Ces fonds doivent permettre de mobiliser jusqu’à 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés, à raison d’un effet de levier estimé à 5,15. Les rapporteurs considèrent que les structures de gouvernance de la stratégie « Global Gateway », en particulier le comité directeur (Global Gateway Board) présidé par la présidente de la Commission, gagneraient à inscrire les enjeux agricoles et alimentaires parmi leurs priorités stratégiques. Les délégations de l’Union dans les pays tiers et le réseau diplomatique des États membres seraient également chargés d’identifier les besoins et les projets susceptibles d’être soutenus sur le terrain.

Proposition n° 17

Accompagner la transition des systèmes agricoles et alimentaires des pays tiers en atténuant dans la mesure du possible l’incidence des mesures commerciales favorables à l’agriculture européenne et en mobilisant les instruments de la politique de développement de l’Union, en particulier la stratégie « Global Gateway ».

C.   RemÉDIER AUX DISTORSIONS DE CONCURRENCE SUR LE MARCHÉ INTÉRIEUR : le cas des NÉONICOTINOÏDES

Le rétablissement de conditions de concurrence équitable avec les pays tiers implique, en parallèle, de corriger les distorsions constatées au sein du marché intérieur. La réglementation européenne relative à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes en constitue un exemple éloquent. Ces substances, utilisées pour tuer les insectes ravageurs et protéger les plantes, ont des effets néfastes sur les écosystèmes et la biodiversité. Les néonicotinoïdes sont particulièrement nocifs pour les pollinisateurs, indispensables à la production agricole.

La Cour de Justice de l’Union a jugé, le 19 janvier 2023, que les États membres ne pouvaient pas déroger aux interdictions expresses de mise sur le marché et d’utilisation de semences traitées à l’aide d’insecticides contenant des néoonicotinoïdes ([184]). Le « paquet pesticides » de 2009 permet aux États membres, dans des circonstances exceptionnelles, de mettre sur le marché pour une période de 120 jours des produits phytopharmaceutiques n’ayant pas fait l’objet d’une autorisation préalable ([185]). Selon le juge européen, ce régime dérogatoire d’urgence, dit dérogations 120 jours, ne peut être invoqué pour les produits faisant l’objet d’une interdiction expresse par le droit de l’Union. Si la France a prévu une interdiction générale de l’utilisation des néonicotinoïdes à partir du 1er septembre 2018 ([186]), une dérogation provisoire a toutefois été introduite pour le traitement des betteraves sucrières sur le fondement des dérogations 120 jours. Cette mesure était destinée à soutenir la filière betteravière, gravement fragilisée en 2020 par une épidémie de jaunisse. Le Gouvernement a ainsi accordé une autorisation d’emploi des produits à base de néonicotinoïdes pour l’enrobage des semences de betteraves sucrières des campagnes 2021 ([187]) et 2022 ([188]), à l’exclusion de toute pulvérisation foliaire (vaporisation des substances). La quasi-totalité des surfaces betteravières en France ont ainsi été plantées à partir de semences enrobées, avec un taux d’utilisation représentant 91 % des surfaces en 2021 et 83 % des surfaces en 2022 ([189]). Tirant les conclusions de la décision de la Cour de Justice, le Gouvernement a renoncé à renouveler la dérogation autorisant l’utilisation des néonicotinoïdes pour les semences de la campagne 2023.

Les rapporteurs reconnaissent que les betteraviers français peuvent être confrontés à une concurrence déloyale du fait de l’usage persistant et inégal des néonicotinoïdes en Europe. La Commission européenne a utilement précisé son interprétation de la décision de la Cour ([190]), qui interdit l’utilisation des néonicotinoïdes aussi bien par enrobage que par pulvérisation. En revanche, le cadre juridique applicable connaît deux défaillances préjudiciables aux producteurs français :

-         l’organisation non gouvernementale Pesticide Action Network (PAN Europe) a révélé que des néonicotinoïdes interdits par l’Union ou dont la demande d’autorisation de mise sur le marché a été rejetée sont susceptibles d’avoir bénéficié de dérogations de la part de plusieurs États membres ([191]) ;

-         parmi les cinq substances actives appartenant à la famille des néonicotinoïdes et utilisées dans l’agriculture, l’acétamipride est interdit en France tout en faisant l’objet d’une approbation par la Commission européenne jusqu’en 2033 ([192]). Les producteurs de plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et l’Espagne, l’appliquent en pulvérisation sur les semences.

Il convient d’engager dans les meilleurs délais une harmonisation par le haut de la réglementation européenne applicable à l’utilisation des néonicotinoïdes en tant qu’insecticides. Il ne s’agit aucunement de rétablir l’autorisation de mise sur le marché de substances nocives, mais de veiller à l’application uniforme des standards sanitaires et environnementaux de l’Union et de doter la Commission des moyens adéquats pour faire respecter les normes communes sur tout le territoire européen. La persistance de réglementations hétérogènes nuit à notre souveraineté alimentaire, alors même que l’Europe et la France ne disposent aujourd’hui pas de marges d’autosuffisance au titre des cultures sucrières brutes ([193]). Leur taux d’auto‑approvisionnement s’élève respectivement à 100,4 % et à 100 % en 2021.

En premier lieu, les rapporteurs appellent la Commission à exercer son pouvoir de surveillance et de contrôle prévu par la législation européenne relative à la sécurité des pesticides. Les services de la Commission sont habilités à procéder aux « inspections générales et spécifiques » nécessaires dans les États membres en vue de vérifier la robustesse des contrôles officiels dont ils ont la responsabilité ([194]). Ces enquêtes pourraient être diligentées en urgence pour s’assurer de la conformité des dérogations contestées.

En second lieu, les rapporteurs invitent la France à demander le réexamen de l’approbation de l’acétamipride par la Commission européenne en vue de son interdiction. Cette procédure, prévue à l’article 21 du règlement du 21 octobre 2009 encadrant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, permettra à la France de mesurer la volonté réelle de ses partenaires européens de favoriser une transition juste et soutenable des systèmes agricoles.

 

Proposition n° 18

Rétablir les conditions d’une concurrence équitable au sein du marché intérieur, en débutant par l’harmonisation mieux-disante de la réglementation européenne relative à l’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.

Proposition n° 19

Renforcer les moyens de la Commission et des agences de l’Union en matière de surveillance et contrôle de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

 


  TROISIÈme PARTIE : LE REDRESSEMENT DE LA « FERME EUROPE » REPOSE SUR UNE DOUBLE STRATÉGIE, OFFENSIVE ET DÉFENSIVE

I.   UN VOLET OFFENSIF AMBITIEUX, QUI DOIT FAVORISER LE RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET L’INVESTISSEMENT DANS L’OUTIL DE PRODUCTION ET DE TRANSFORMATION

Les rapporteurs se réjouissent de la mise à l’agenda politique, en France et dans l’Union, des enjeux relatifs à la transformation démographique, organisationnelle et technologique des exploitations agricoles. Ils appellent la Commission européenne à examiner ces défis dans le cadre du « dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture » annoncé le 13 septembre 2023 par sa présidente, Mme Ursula von der Leyen. Ils regrettent toutefois que calendrier, les contours et les objectifs de cette initiative n’aient été présentés qu’en janvier 2024. Il est légitime de s’interroger sur la plus-value à long terme du dialogue stratégique, alors que l’année 2024 est marquée par les élections au Parlement européen et par le renouvellement du collège des commissaires. En tout état de cause, le Parlement européen a adopté en octobre 2023 une résolution contenant de premières propositions intéressantes sur la formation des agriculteurs, l’aide à l’installation et la régulation du marché foncier agricole ([195]).

La souveraineté alimentaire européenne est indissociable de la pérennité des exploitations agricoles, de la transformation des pratiques et du renouvellement des générations. Or l’ensemble des États membres de l’Union est confronté au vieillissement de la population agricole et à la réduction importante du nombre d’exploitations, liée à la dynamique de concentration des exploitations restantes. Selon la résolution du Parlement européen susmentionnée, seuls 12 % des exploitants agricoles ont moins de 40 ans en 2020 dans l’Union, alors que le nombre d’exploitations agricoles a reculé de 37 % entre 2015 et 2020. Si la PAC doit plus largement contribuer à assurer un revenu digne et équitable aux agriculteurs, notamment au titre de la rétribution des services environnementaux, il convient en parallèle de mobiliser les leviers de la formation et de l’aide à l’installation dans l’Union et dans les États membres.

A.   L’AGRICULTURE DU FUTUR : POUR UNE APPROCHE EUROPÉENNE DU RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS

1.   La formation des agriculteurs dans l’Union européenne

L’ensemble des acteurs auditionnés par les rapporteurs a souligné la nécessité de renforcer le niveau de formation initiale et continue des agriculteurs, en particulier au regard des nouvelles compétences associées aux pratiques agronomiques d’adaptation au changement climatique ou à la numérisation du secteur agricole. Les politiques d’éducation et formation relèvent prioritairement des États membres, l’Union ne disposant que d’une compétence d’appui en la matière aux termes de l’article 6 du TFUE. Il est toutefois souhaitable de développer les initiatives existantes, dans le respect du principe de subsidiarité, afin de renforcer l’échange de bonnes pratiques entre étudiants et enseignants des formations agricoles.

En premier lieu, la création d’un véritable « Erasmus agricole » est de nature à développer les mobilités entre les établissements européens d’enseignement agricole. Le programme Erasmus +, doté de 26,3 milliards d’euros sur la période 2021-2027, ne comporte pas de priorités sectorielles. Les domaines « tournés vers l’avenir », dont le numérique et le changement climatique, sont simplement mentionnés de manière imprécise dans le règlement établissant le programme Erasmus + ([196]). Les rapporteurs appellent la Commission européenne à se saisir du jalon de l’évaluation intermédiaire de la programmation 2021-2027, qui doit intervenir au plus tard le 31 décembre 2024, pour identifier les projets les plus prometteurs et les freins éventuels à la mobilité ou à la coordination entre pays partenaires. Le bilan de la participation des établissements de l’enseignement agricole français à la précédente programmation Erasmus +, sur la période 2014‑2020, est encourageant : les établissements sous tutelle du ministère de l’agriculture ont bénéficié de 97 millions d’euros, soit 8,4 % des financements attribués à la France, alors que l’enseignement agricole ne représente que 3 % des effectifs nationaux ([197]). Le déploiement de l’Erasmus agricole pourrait intervenir à partir de 2027, au terme de la programmation actuelle. Il implique de renforcer la priorité donnée aux questions agricoles et agroalimentaires, le cas échéant en introduisant des actions sectorielles dédiées au sein des « actions clés » déclinées par le règlement établissant le programme Erasmus +. Par ailleurs, les programmes de travail des agences nationales chargées de la mise en œuvre d’Erasmus + dans chaque État membre ([198]), qui doivent être validés par la Commission préalablement à la mise à disposition des fonds européens, gagneraient à inclure systématiquement un volet dédié à l’enseignement agricole.

En second lieu, le dispositif des académies européennes des compétences pourrait être étendu aux questions agricoles et agroalimentaires. L’Union déploie utilement des académies thématiques pour répondre aux besoins en main-d’œuvre qualifiée dans plusieurs secteurs industriels, tels que les technologies « zéro net » indispensables à la production d’énergie renouvelable ([199]). Il est opportun de développer des programmes et des contenus d’apprentissage équivalents pour les techniques agricoles, par exemple pour accompagner la reconversion en agriculture biologique ou le perfectionnement des connaissances agronomiques utiles à la diversification des cultures.

Les rapporteurs regrettent que les enjeux de formation agricole ne figurent pas dans la stratégie « De la ferme à la table » et dans les propositions d’acte législatif qui en découlent. La baisse de l’utilisation des produits phytosanitaires et la protection des sols, qui font l’objet d’initiatives dédiées, nécessitent pourtant des connaissances et des qualifications spécifiques.

Proposition n° 20

Renforcer l’éducation et la formation aux métiers agricoles dans l’Union, en déployant un véritable « Erasmus agricole » et en créant des académies des compétences spécialisées dans la transition des systèmes agricoles.

2.   La politique foncière agricole en soutien de l’installation, de la transmission et de la conversion des exploitations

Au regard des nombreux freins de nature à entraver les projets contribuant au renouvellement des générations et à la transition des systèmes agricoles, les rapporteurs ont concentré leurs travaux sur les conditions d’accès au foncier. Outre la nécessité de réguler l’artificialisation des sols pour prévenir la mise en concurrence des agriculteurs pour l’accès aux ressources foncières existantes, il convient de lutter contre la concentration excessive des terres agricoles.

Les terres agricoles sont une ressource rare, qui représente à la fois une valeur refuge pour les investisseurs privés, un facteur de production dont les exploitants veillent à optimiser la performance et un bien commun à protéger. De manière générale, l’augmentation de la taille des exploitations – et son corollaire, la concentration des terres agricoles – permettent de dégager des économies d’échelle, notamment en simplifiant les assolements et les méthodes de traitement. La surface agricole utilisée est quasiment stable en Europe entre 2005 et 2020 (+ 0,3 %), alors même que le nombre d’exploitations a fortement reculé de 37 % sur la même période ([200]).

La situation est contrastée entre les pays européens, la France se distinguant par un marché foncier rural globalement plus favorable à la transmission des exploitations agricoles. La dynamique de concentration vaut également en France, bien que la part de SAU détenue par le dernier quintile des exploitations françaises y soit inférieure à la moyenne européenne : les 20 % des plus grandes exploitations détiennent 52 % de la SAU, contre 83 % en moyenne dans l’Union selon le diagnostic réalisé par les autorités françaises en préparation du PSN ([201]). Par ailleurs, le prix du foncier agricole demeure abordable en France par rapport à nos partenaires européens. Le prix de vente moyen d’un hectare de terre arable, qui peut être labouré et cultivé, varie de 71 225 euros aux Pays-Bas (données 2020) à 3 661 euros en Croatie (données 2021) ([202]). La France compte parmi les pays dans lesquels le prix du foncier agricole est relativement maîtrisé, aussi bien à l’achat qu’à la location. La robustesse des règles et des instruments d’accès au foncier contribue à « la valeur généralement abordable des terres en France », selon la formule retenue dans le rapport de la Cour des comptes sur la politique d’installation des nouveaux agriculteurs ([203]). Le parangonnage réalisé par le Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne confirme cette appréciation. Il souligne le caractère protecteur des baux ruraux pour les locataires ainsi que la portée des prérogatives reconnues aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) ([204]), qui disposent d’un droit de préemption pour acheter et rétrocéder certains bâtiments ou terrains agricoles aux fins d’installation, de réinstallation ou de maintien des agriculteurs.

Les leviers susceptibles d’être mobilisés au niveau européen pour réguler la concentration des terres agricoles et faciliter l’accès au foncier agricole sont relativement limités. Invitée en ce sens par le Parlement européen, la Commission a publié une communication interprétative rappelant qu’il n’existe pas de droit européen dérivé traitant de l’acquisition des terres agricoles et que « les États membres ont compétence et liberté pour réglementer leurs marchés fonciers » ([205]). Les rapporteurs prennent acte de la diversité des modèles d’exploitations et des législations nationales régissant l’acquisition et la vente de terres. Au regard de la sensibilité des enjeux relatifs au foncier agricole pour les États membres, il semble préférable d’introduire des instruments européens ciblés afin de favoriser la mobilisation de capitaux pour l’accès au foncier, ainsi que le diagnostic et la surveillance des terres agricoles.

Les rapporteurs ont identifié trois leviers d’action de nature à renforcer le bon fonctionnement des marchés fonciers agricoles nationaux.

a.   Le portage du foncier agricole

En premier lieu, le développement des solutions de portage du foncier agricole dans l’Union doit permettre de réduire, au bénéfice de l’exploitant, la charge financière que constitue l’actif foncier. La dissociation du foncier et de l’exploitation repose sur plusieurs arguments convaincants ([206]), parmi lesquels figurent la nécessité de favoriser les transmissions hors du cadre familial face à l’augmentation du nombre de candidats à l’installation non issus du monde agricole, la disponibilité de nouvelles sources de financement à la recherche d’investissements « à impact », ainsi que l’urgence d’orienter les investissements des agriculteurs vers d’autres actifs que la terre, en particulier pour la modernisation et la transition des outils de production.

Le financement de l’acquisition du foncier agricole pèse sur le revenu des agriculteurs, y compris en France. Les dispositifs de portage foncier temporaire – avec rachat obligatoire par l’exploitant – proposés par les SAFER afin de permettre l’acquisition différée des terres et les initiatives associatives destinées à mobiliser l’épargne citoyenne, dont Terre de Liens, ont une capacité d’intervention limitée sur le marché national.

Les rapporteurs recommandent ainsi la mise en place de fonds de souveraineté agricole dans les États membres, chargés d’investir, via une activité de fonds de fonds, dans des fonds d’investissement sous‑jacents aux niveaux national et régional. Ils permettraient de générer un effet levier pour la mobilisation de financements privés aux fins de soutien à l’installation et à la transmission d’entreprises agricoles, par exemple en abondant les foncières existantes dans le cadre de leurs levées de fonds. Les activités de portage à long terme, de 20 à 30 ans, seraient privilégiées afin d’apporter des capitaux extérieurs aux preneurs, avec possibilité d’acquisition du foncier agricole par l’exploitant bénéficiaire. La mise en œuvre de ces fonds de souveraineté agricole serait confiée à des groupements publics nationaux dans une logique de subsidiarité, tels que la Banque des territoires en France. La mise en place en France d’un fonds « Entrepreneurs du vivants » doté de 400 millions d’euros, annoncée par le Président de la République en 2022, pourrait constituer un dispositif pilote au niveau de l’Union. Les comités d’investissement des fonds nationaux de souveraineté agricole gagneraient à associer les représentants du monde agricole. L’instauration d’une structure européenne sur le modèle du fonds InvestEU a également été envisagée par les rapporteurs pour exploiter les garanties budgétaires de l’Union. Elle a toutefois été écartée au regard de la nécessaire territorialisation des décisions d’investissement et de la difficulté, pour les États membres, à s’accorder sur l’inscription de dépenses supplémentaires au budget de l’Union.

Proposition n° 21

Encourager la création de fonds de souveraineté agricole dans les États membres afin de générer un effet levier favorable à la mobilisation de capitaux privés pour l’accès au foncier agricole des candidats à l’installation, tout en restreignant l’accès à la propriété des terres arables pour les acteurs industriels.

b.   L’aide à l’installation via le diagnostic de l’activité agricole

Les rapporteurs appellent à la généralisation des dispositifs d’accompagnement à l’installation des porteurs de projet en agriculture. En France, les régions ont utilement mis en place des aides financières permettant aux candidats de bénéficier d’un diagnostic pré-installation et d’un suivi post‑installation auprès d’opérateurs agréés. Ces subventions bénéficient de cofinancements du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) dans le cadre du second pilier de la PAC, conformément à l’article 78 du règlement instaurant des plans stratégiques nationaux. Celui-ci autorise les États membres à octroyer des aides en faveur de l’échange de connaissances et de la diffusion d’information ([207]).

Les propositions tendant à l’accompagnement des cédants et des repreneurs se multiplient aux niveaux français et européen. La Cour des comptes recommande ainsi le déploiement d’un « bouquet transmission » articulant les dispositifs existants en France ([208]), tandis que le Parlement européen suggère aux États membres d’élaborer « un parcours d’installation avec une évaluation de l’exploitation et un suivi » ([209]). L’expertise technique dispensée aux porteurs de projet est nécessaire afin de garantir la viabilité de l’installation, notamment en objectivant le potentiel agronomique des terres agricoles concernées.

À cet égard, les rapporteurs préconisent d’instaurer un dispositif protecteur de certification du potentiel agronomique des sols faisant l’objet d’une location ou d’une cessation aux fins de maintien de l’activité agricole. Le certificat de santé des sols permettrait de sécuriser l’opération de transmission en limitant l’asymétrie d’information entre le cédant et le repreneur : le premier valorise son patrimoine, tandis que le second peut s’engager avec confiance dans le projet à l’aune du diagnostic agronomique. Un tel outil s’inspire du certificat de performance énergétique prévu par le droit de l’Union, qui prend la forme du diagnostic de performance énergétique (DPE) en France. La directive européenne du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments, dite PEB, impose ainsi aux États membres d’exiger que « lors de la construction, de la vente ou de la location d’un bâtiment ou d’une unité de bâtiment, le certificat de performance énergétique ou une copie de celui-ci soit montré au nouveau locataire ou acquéreur potentiel et soit transmis à l’acquéreur ou au nouveau locataire » ([210]). Il est proposé l’extension de ce principe à la transmission des terres agricoles via la délivrance d’un certificat de santé des sols par des autorités agréées aux niveaux national et européen. La Commission gagnerait à soumettre cette proposition aux parties prenantes à l’occasion du dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture afin de définir un dispositif proportionné, limitant les coûts administratifs et de gestion pesant sur les cédants et les porteurs de projet. Le cas échéant, une disposition portant création d’un certificat de santé des sols pourrait être introduite dans la proposition de directive sur la surveillance des sols examinée par le Conseil de l’Union et par le Parlement.

 

Proposition n° 22

Établir une cartographie de l’état de dégradation des sols agricoles européens à l’échelle des exploitations et suivant un indicateur de santé harmonisé. Sur cette base, développer un instrument incitatif à la régénération des terres agricoles pour encourager les pratiques de restauration et d’amélioration de leur santé.

Proposition n° 23

Développer les dispositifs d’accompagnement à l’installation en agriculture, en prévoyant notamment la délivrance d’un certificat de santé des sols.

c.   La surveillance et la collecte de données sur les marchés fonciers agricoles dans l’Union

L’analyse des marchés fonciers agricoles gagnerait à reposer sur des données quantitatives et qualitatives robustes au niveau de l’Union. Les rapporteurs sont favorables à la création d’un Observatoire européen des sols agricoles, proposée par le Parlement européen dans sa résolution du 19 octobre 2023 sur le renouvellement des générations dans les exploitations agricoles ([211]). Cet outil de transparence permettrait d’étudier l’évolution du prix des terres agricoles, la distribution des régimes de propriété et de location des terres, ainsi que les dynamiques de concentration des exploitations et d’artificialisation des sols agricoles.


Les activités et le mode de fonctionnement de l’Observatoire européen des sols agricoles devront être articulés avec les travaux existants des directions générales compétentes de la Commission (Eurostat, DG AGRI), ainsi que des offices statistiques nationaux. Les missions susceptibles d’être attribuées à l’Observatoire européen des sols agricoles ne semblent pas redondantes avec celles de l’Observatoire rural, institué en janvier 2023 par la Commission. Ce dernier a publié une série de « tendances » et d’« analyses » portant sur les territoires ruraux, sans traiter spécifiquement des enjeux agricoles. En revanche, les synergies entre l’Observatoire européen des sols agricoles, dont la création est proposée par vos rapporteurs, et l’Observatoire européen des sols (EUSO), déployé depuis décembre 2020 par le Centre commun de recherche de la Commission, pourraient utilement être précisées dans le cadre d’une convention entre les deux entités.

Enfin, l’Observatoire européen des sols agricoles pourrait exercer une mission spécifique d’évaluation des risques associés à l’investissement extraeuropéen dans les terres agricoles. Il n’existe aujourd’hui pas de données officielles au niveau européen. Les transactions foncières demeurent un phénomène largement national, en dépit d’opérations fortement médiatisées conduisant à la prise de contrôle de terres arables par des entreprises issues de pays tiers ([212]). Un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), publié en 2017, indique que « les investissements étrangers concernent en France moins d'1 % des transactions », sans distinguer les investisseurs issus de l’Union des investisseurs extra-européens ([213]). Les rapporteurs appellent toutefois à maintenir un haut niveau de vigilance pour prévenir tout transfert de propriété préjudiciable aux intérêts européens à l’avenir, dont l’accaparement des terres au profit de pays tiers.

Proposition n° 24

Inscrire la propriété foncière agricole dans les domaines stratégiques de l’Union à préserver des accaparements extra-communautaires et des concentrations financières.

Proposition n° 25

Créer un Observatoire européen des sols agricoles, chargé de surveiller les dynamiques foncières agricoles dans l’Union.


C.   LA CONSOLIDATION DES FILIÈRES AGRICOLES ET INDUSTRIELLES : POUR UN CHOC DE RECHERCHE ET D’INVESTISSEMENT DANS LA PRODUCTION ET LA TRANSFORMATION

1.   Le soutien à la recherche et l’innovation en agriculture

La complexité du financement européen de la recherche et de l’innovation en agriculture nuit à sa diffusion et à sa mobilisation par les porteurs de projet, aussi bien scientifiques, consulaires que professionnels. En effet, les rapporteurs ont identifié au minimum trois dispositifs contribuant au financement de programmes et de projets de recherche agricole via des fonds européens :

-         le programme-cadre de l’Union pour la recherche et l’innovation sur la période 2021-2027, dit Horizon Europe, soutient la recherche appliquée dans les systèmes d’alimentation par l’intermédiaire d’un pôle thématique « Alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agricultures et environnement » et d’une mission dédiée « Santé des sols et alimentation » ;

-         le partenariat européen pour l'innovation pour une agriculture productive et durable (PEI-AGRI) finance la mise en place de « groupes opérationnels » par l’intermédiaire des crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), soit des équipes de projet multidisciplinaires qui expérimentent de nouvelles pratiques ou technologies dans le cadre d’appels à projets (protection intégrée des cultures, système de polyculture-élevage, etc.) ;

-         le programme de l’Union pour l’environnement et l’action pour le climat, dit LIFE, qui comprend des sous-programmes « Nature et biodiversité » et « Atténuation du changement climatique et adaptation », soutient par exemple le développement de « puits agricoles » pour le stockage du carbone.

S’il est difficile de dresser un bilan consolidé des financements européens abondant les programmes de recherche et d’innovation agricoles, force est de constater que la troisième révolution agricole souffre moins du manque de moyens publics que d’un accompagnement technique et humain lacunaire.

Les rapporteurs sont favorables à la mise en place d’une logique de guichet unique. À titre de comparaison, ce rôle est joué par le Conseil européen de l’innovation (CEI) auprès des entreprises éligibles au troisième pilier du programme Horizon Europe. La mobilisation des fonds européens s’apparente à une véritable course d’obstacles, préjudiciable à la transformation des systèmes agricoles. Les autorités de gestion, chargées de la mise en œuvre des programmes européens de soutien à l’innovation agricole, sont alternativement – en France – les régions pour le Feader et la Commission pour les programmes Horizon Europe et LIFE. Par ailleurs, il semblerait que l’onglet « Opportunités de financement » du site Internet du réseau européen de la PAC, dont la raison d’être affichée est d’« optimiser les flux d’information sur la politique agricole et rurale au sein de l’UE » ([214]), ne soit plus à jour des derniers appels à projets.

La création d’un point de contact unique en matière de financement européen de la recherche et de l’innovation en agriculture, sur le modèle du dispositif existant pour le programme Horizon Europe, serait un facteur de lisibilité et d’accessibilité. Celui-ci pourrait être situé au niveau national ou régional, et serait chargé d’orienter les porteurs de projet vers les solutions de financement adaptées et d’apporter une assistance dans le montage des projets. La révision à mi-parcours du programme Horizon Europe, qui doit intervenir d’ici au 31 décembre 2024 sur la base des travaux d’un groupe d’experts désigné par la Commission ([215]), offre un cadre adéquat pour simplifier ce paysage complexe.

En tout état de cause, les domaines d’intervention prioritaires gagneraient à être identifiés en concertation avec le monde agricole. Les auditions menées par les rapporteurs ont permis d’identifier plusieurs axes forts, tels que la numérisation des exploitations pour développer l’agriculture de précision et l’accélération de l’innovation variétale afin de réduire l’utilisation d’intrants agricoles. Plus spécifiquement, la trajectoire de réduction de l’utilisation des pesticides engagée par l’Union implique de soutenir les travaux de recherche portant sur les méthodes et les solutions alternatives aux pesticides de synthèse.

Proposition n° 26

Encourager et développer la recherche européenne sur les alternatives aux intrants chimiques, en particulier les produits phytosanitaires de synthèse, pour faire émerger et systématiser les alternatives économiquement viables aux pratiques actuelles.

2.   La modernisation de l’appareil de production et de transformation

Le secteur agricole et agroalimentaire est aujourd’hui confronté à un mur d’investissement, qui menace la capacité de nos filières à renforcer leur compétitivité tout en réduisant leur incidence sur l’environnement.

Le déficit de financement (financial gap) des entreprises agricoles et agroalimentaires atteint 62,3 milliards d’euros en 2022, en hausse de 33 % par rapport à 2017, selon la dernière enquête « fi-compass » de la Commission et de la Banque européenne d’investissement (BEI) ([216]). Les représentants des industries de transformation auditionnés par vos rapporteurs ont alerté sur le coût important des initiatives tendant à la décarbonation des procédés industriels et à un meilleur usage de l’eau. Or les demandes de financement orientées vers les investissements qualifiés de « verts » (efficacité énergétique, robotisation économe en intrants, etc.) ne sont pas mieux accueillies par les créanciers. Le déficit de financement pour cette catégorie d’investissements atteint 20,2 milliards d’euros en 2022 selon l’enquête « fi-compass », soit près du tiers des besoins non pourvus.

La mobilisation efficace des financements publics et privés constitue dès lors un impératif. Les propositions formulées par les rapporteurs sur le renforcement du budget de la PAC ([217]) et sur la création de fonds de souveraineté agricole, qui pourraient financer des investissements productifs hors acquisitions foncières, sont de nature à satisfaire une partie des besoins financiers. De manière complémentaire, les aides et financements régionaux, nationaux et européens doivent faire l’objet d’un travail de simplification similaire à celui recommandé pour la politique de recherche et de développement.

Par ailleurs, les annonces de dispositifs et de plans sectoriels tendent à se multiplier, sans vision d’ensemble voire sans mise en œuvre concrète. À titre d’exemple, le fonds d’investissement dédié aux PME de la filière agroalimentaire annoncé par le Gouvernement français en mars 2023, dont l’objectif est de lever 300 millions d’euros de financements privés, n’est toujours pas opérationnel.

Par conséquent, les rapporteurs appellent la Commission, les autorités nationales compétentes et les représentants du secteur agricole et agroalimentaire à réaliser une cartographie des dispositifs de financement public existants au niveau de l’Union et des États membres. Ces travaux pourraient utilement conduire, à terme, à installer des points de contact uniques chargés d’orienter les porteurs de projet et de les accompagner dans leurs démarches.

II.    UN VOLET DÉFENSIF ROBUSTE, fondÉ sur l’anticipation des crises et sur le CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS extra‑europÉens

Les initiatives visant à transformer nos filières agricoles et agroalimentaires ne peuvent prospérer, à long terme, qu’en renforçant la capacité d’anticipation et de réaction de l’Union et des États membres face aux menaces pesant sur la souveraineté alimentaire européenne. Celles-ci se matérialisent par des tensions sur les chaînes d’approvisionnement alimentaire voire, plus marginalement, par des prises de participation dans le capital d’entreprises agricoles en provenance de pays tiers.

A.   ANTICIPER ET SÉCURISER LES RISQUES D’APPROVISIONNEMENT, EN EUROPE et en france

1.   La mise en place, par l’Union européenne, d’un plan d’urgence et d’un mécanisme permanent pour les crises de sécurité alimentaire est prometteuse

Les rapporteurs accueillent favorablement les efforts de la Commission européenne pour renforcer la capacité de réaction de l’Union face aux crises fragilisant nos chaînes d’approvisionnement.

Le « Plan d’urgence » sur la sécurité alimentaire en temps de crise, dévoilé en novembre 2021 par la Commission, contribue à l’émergence d’une véritable stratégie européenne de souveraineté alimentaire ([218]). Celui-ci fixe une doctrine d’action en cas de crise et institue un mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire (European Food Security Crisis Preparedness and Response Mechanism, EFSCM). Le mécanisme EFSCM se voit attribuer une mission d’anticipation et de suivi des risques, ainsi que de coordination des acteurs publics et privés en cas de crise avérée. Il s’appuie sur un groupe d’experts composé de représentant des États membres et d’organisations professionnelles, qui s’est réuni pour la première fois en mars 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les experts réunis par la Commission européenne ont d’ores et déjà formulé des recommandations sur la diversification des approvisionnements ([219]) et sur les bonnes pratiques en matière de communication de crise ([220]). Ces exercices gagneraient à être conduits sur une base bisannuelle ou annuelle afin que les pouvoirs publics et les parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire disposent d’une évaluation actualisée des risques et des dispositifs mobilisables en cas de crise.

Le tableau de bord sur l’approvisionnement et la sécurité alimentaire, mis en place par la Commission en décembre 2022, complète cette architecture européenne. Les rapporteurs se félicitent de la complétude du tableau de bord, composé de trois modules : suivi ; alerte (bulletins météorologiques, plateforme dite ADIS d’analyse des maladies animales, etc.) et évaluation qualitative de l’état de sécurité alimentaire dans l’Union. Si la Commission a tardé à présenter ses travaux pour ce dernier module, la publication d’une première évaluation qualitative en novembre 2023 est bienvenue ([221]). Le rapport présente des conclusions attendues sur le « niveau élevé des taux d’autosuffisance » de l’Union pour une sélection de produits agricoles et alimentaires, conformément à l’approche par les indicateurs de bilan retenue par les rapporteurs.

2.   Le cas de la Finlande : l’Agence nationale d’approvisionnement d’urgence (NESA), illustration de l’esprit finlandais de résilience et de défense

Les rapporteurs, conscients que le concept de souveraineté alimentaire est en partie spécifique à la France, ont souhaité étudier les approches et les pratiques de nos voisins européens.

À cet égard, la Finlande, pays frontalier de la Russie, a fait de l’autonomie une priorité stratégique et constante de sa politique agricole et alimentaire. Cet objectif prévaut encore aujourd’hui, alors que l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne en 1995 lui a ouvert l’accès au marché intérieur, un important facteur de résilience de l’approvisionnement. Du fait de sa situation géographique septentrionale, la Finlande possède une saison végétative courte et des coûts de production élevés, grevant les rendements agricoles. La surface agricole ne représente que 7 % du territoire finlandais (2,3 millions d’hectares en 2022), soit la deuxième proportion la plus faible par rapport à la superficie nationale au sein de l’Union – derrière la Suède ([222]).

En dépit de ces conditions pédoclimatiques défavorables, la Finlande parvient à satisfaire une partie conséquente des besoins alimentaires du pays au moyen de la production agricole nationale. Selon les informations communiquées aux rapporteurs par la direction générale du Trésor, le taux d’autosuffisance moyen « est de 80 % pour les catégories de produits récoltés en Finlande. Il atteint 100 % pour les céréales dites « à pain », et ce pays est même excédentaire pour certains produits carnés et laitiers. » ([223]) Par ailleurs, la Finlande détient la première place du Global Food Security Index (GFSI), avec un score agrégé de 83,7 sur 100. Les spécificités de l’agriculture finlandaise contribuent à l’autonomie alimentaire du pays. Ainsi, l’alimentation animale repose largement sur l’ensilage herbe, un fourrage produit localement, l’avoine et l’orge, sans recourir intensivement au maïs et au soja. Par ailleurs, les produits phytosanitaires sont relativement moins utilisés que dans l’Union, en raison d’un long hiver froid qui ralentit le développement des nuisibles.

Le modèle finlandais de sécurité alimentaire et l’attention portée à la sécurité de l’approvisionnement sont illustrés par l’action de l’Agence nationale d’approvisionnement d’urgence (National Emergency Supply Agency, NESA), créée en 1993. La NESA est une organisation gouvernementale rattachée au ministère finlandais de l’économie et de l’emploi, dont le conseil d’administration est notamment composé de représentants des ministères de l’agriculture et de la défense. La NESA fait office de plateforme de coordination, chargée d’animer les opérations de prévention et de préparation aux crise dans un ensemble de secteurs, dont l’agriculture, l’énergie et les transports. Les entreprises et les fédérations professionnelles des filières concernées sont représentées auprès de la NESA, à la manière de la Confédération finlandaise des producteurs agricoles et forestiers (MTK), principal syndicat agricole finlandais.

Dans une démarche de résilience, la NESA supervise la constitution, la gestion et le renouvellement de stocks stratégiques afin de limiter le choc des ruptures d’approvisionnement. Les objectifs de stockage portent sur plusieurs produits alimentaires et intrants critiques pour la continuité de l’activité, tels que les céréales, les semences, les carburants et les médicaments. La NESA a ainsi engagé, en décembre 2022, une trajectoire d’augmentation des réserves de céréales dans un contexte de crise du marché céréalier mondial. Les stocks de céréales assuraient une autonomie de neuf mois à la Finlande en février 2023 ([224]). La coopération entre la NESA et le secteur privé, qui prend la forme d’accords de partenariat, repose sur une base volontaire. Les missions de la NESA comprennent également l’organisation de formations auprès des entreprises et des fédérations professionnelles, ainsi que la conduite d’exercices et de simulations de crise pour sensibiliser et entraîner les acteurs concernés.

La démarche partenariale d’anticipation et de résilience portée par la Finlande pourrait utilement inspirer les États membres de l’Union, dont la France.

3.   La sécurité de l’approvisionnement alimentaire en France, une priorité à renforcer en interministériel et à décliner dans les territoires

La mise en place d’un mécanisme européen de gestion de crise nécessite, en parallèle, la mobilisation des États membres afin de renforcer leurs capacités de préparation et de réaction aux tensions sur les chaînes d’approvisionnement alimentaire. La France gagnerait à établir une organisation nationale et territoriale exemplaire en la matière afin de porter de manière crédible les enjeux de souveraineté alimentaire auprès de ses voisins européens.

Au niveau national, le rôle du secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), service du Premier ministre, gagnerait à être conforté en matière de planification et de gestion des crises de sécurité alimentaire.

Les rapporteurs regrettent que les enjeux de sécurité des approvisionnements alimentaires ne soient pas plus explicitement intégrés dans les priorités de la stratégie nationale de résilience (SNR), préparée par le SGDSN et validée par le Premier ministre le 21 avril 2022. Ils se félicitent toutefois que le Gouvernement se fixe désormais pour objectif de « développer les réserves et les stocks stratégiques » dans plusieurs domaines, dont l’alimentation ([225]).

En effet, les produits alimentaires et les intrants agricoles critiques ne donnent aujourd’hui pas lieu à la constitution de stocks stratégiques pilotés par l’État ou à la mise en place obligatoire de plans de gestion de pénuries par les acteurs de la chaîne agroalimentaire. La Cour des comptes constate ainsi que l’alimentation, contrairement aux produits énergétiques et de santé, « ne fait pas l’objet de tels stocks publics, ni même d’une stratégie nationale de sécurisation des approvisionnements » ([226]). Les ministères de l’agriculture et de l’économie sont aujourd’hui chargés du suivi des flux d’approvisionnement et des capacités de production. Un véritable pilotage interministériel est nécessaire, à la manière de la NESA en Finlande, afin de conforter l’agriculture et l’alimentation comme secteur d’importance vitale. Le SGDSN pourrait être chargé d’animer des travaux interministériels d’identification des fournisseurs critiques et d’évaluation des risques d’approvisionnement.

La constitution de stocks stratégiques en matière alimentaire, destinés à garantir la couverture des besoins nationaux sur une période donnée, doit être envisagée en concertation avec les acteurs de la chaîne agroalimentaire, de la production agricole à la distribution. La gestion opérationnelle des stocks serait confiée à des opérateurs économiques préalablement agréés, selon une logique inspirée du dispositif finlandais. Une disposition législative serait nécessaire afin de sécuriser juridiquement l’organisation de stocks stratégiques, à la manière du système en vigueur pour la sécurité de l’approvisionnement en produits pétroliers ([227]).

Au niveau territorial, les rapporteurs soutiennent le développement des projets alimentaires territoriaux (PAT), créés par la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ([228]). Les PAT contribuent à la reterritorialisation des systèmes agricoles et alimentaires, en fédérant les services de l’État, les collectivités territoriales, les associations et les agriculteurs, par exemple à travers le soutien aux circuits-courts. Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire indique que près de 430 PAT étaient labellisés sur l’ensemble du territoire national au 1er avril 2023. L’audition de M. Stéphane Linou, consultant, pionnier du mouvement « locavore » en France, a permis d’identifier plusieurs axes de progression au titre de la gouvernance et des actions menées par les PAT. Le renforcement du rôle d’animation des établissements publics territoriaux de coopération intercommunale (EPCI) et la systématisation du diagnostic de territoire (production locale, flux entrants et sortants, vivier de consommateurs, etc.), ainsi que l’articulation du PAT avec les documents de planification territoriale (sécurité civile, aménagement, etc.) sont indispensables. Il ne s’agit aucunement de promouvoir une conception autarcique ou localiste de la souveraineté alimentaire, mais de veiller à la durabilité et à la résilience de nos modes de production, de distribution et de consommation.

Proposition n° 27

Instaurer une organisation nationale et territoriale robuste en matière de sécurité de l’approvisionnement alimentaire en France, fondée sur le pilotage interministériel du SGDSN et déclinée localement par les projets alimentaires territoriaux.

B.   RENFORCER la PROTECTION DES ACTIFS STRATÉGIQUES dans le secteur agricole et agroalimentaire

Les risques pour la sécurité et l’ordre public liés aux investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur agricole et agroalimentaire sont relativement circonscrits dans l’Union. La Commission indique ainsi, dans son rapport annuel pour 2021, que les IDE dans le secteur agricole en provenance de pays tiers ne représentent que 0,7 % du volume total d’IDE dans l’Union, soit la proportion la plus faible parmi les 17 secteurs examinés ([229]). Il convient toutefois de souligner que les IDE dans le secteur agricole ont augmenté de 56 % entre 2019 et 2021, soit l’augmentation sectorielle la plus forte.

Les rapporteurs estiment que le cadre européen pour le filtrage des IDE, entré en application le 11 octobre 2020 ([230]), doit être complété. S’il contribue à l’émergence d’une culture partagée de la sécurité économique, ce mécanisme se contente d’instaurer une procédure de notification à la Commission et de coopération entre les États membres dès lors qu’un pays européen filtre un IDE en provenance d’un pays tiers. La législation européenne n’harmonise en aucun cas les systèmes nationaux de contrôle des IDE, les États membres demeurant « seuls décisionnaires de la mise en place d’un mécanisme de contrôle des investissements étrangers et de la décision qui est prise pour autoriser ou refuser un investissement étranger sur leur territoire » ([231]). Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 1, du règlement établissant le cadre européen pour le filtrage des IDE dresse une liste de secteurs susceptibles de faire l’objet d’un filtrage, parmi lesquels figure la sécurité alimentaire. Cette liste est seulement indicative et ne préjuge pas de l’inclusion du secteur agricole et agroalimentaire parmi les filières visées par les dispositifs nationaux. Tel est le cas de la France, dont le mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) soumet à autorisation préalable certains IDE conduisant à une prise de participation dans la chaîne de valeur agricole ([232]). Sont concernées les activités relevant de « la production, la transformation ou la distribution de produits agricoles énumérés à l'annexe I du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lorsque celles-ci contribuent aux objectifs de sécurité alimentaire nationale » ([233]).

À cet égard, il est regrettable que près d’un tiers des États membres ne disposent pas d’un mécanisme de contrôle des IDE en 2022 ([234]). Si une dynamique de diffusion et de convergence des pratiques de filtrage est constatée, celle-ci demeure partielle et fragilise l’architecture européenne de sécurité. La direction générale du Trésor souligne, dans ses réponses écrites, que « le fait que tous les États membres ne soient pas dotés, à date, d’un mécanisme de filtrage est à l’évidence le principal facteur d’inefficacité du cadre européen ». Cette couverture partielle ne permet pas, dans les pays concernés, d’identifier et de maîtriser les risques pour la sécurité publique d’un IDE dans le secteur agricole.

Par conséquent, les rapporteurs se réjouissent de la présentation, en juin 2023, d’une stratégie européenne en matière de sécurité économique par la Commission. Le paquet législatif subséquent, dévoilé en janvier 2024, comprend une proposition de règlement imposant aux États membres de se doter d’un mécanisme de contrôle des IDE ([235]). Cette évolution est bienvenue, même si les rapporteurs ne sous-estiment pas les réticences des États membres à voir l’Union adopter des actes législatifs en la matière.

Ils s’inquiètent toutefois du caractère restrictif des secteurs dans lesquels les investissements seront obligatoirement soumis à autorisation préalable en vertu de la proposition de règlement. Le secteur agricole et agroalimentaire n’y figure pas, de même que les enjeux de « sécurité alimentaire » visés par cadre européen existant ([236]). Les entreprises cibles qui sont destinataires de fonds européens, par exemple au titre de la PAC, pourraient en revanche être couvertes par le mécanisme aux termes de la proposition de règlement ([237]). En pratique, ce périmètre indéfini et extensif semble difficile voire impossible à contrôler. L’exclusion a priori des entreprises agricoles et agroalimentaires des secteurs contrôlés est peu compréhensible. Elle serait préjudiciable à la capacité de l’Union et des États membres de protéger les opérateurs critiques de prises de participation hostiles ou opportunistes, même si le volume d’opérations dans ces filières est aujourd’hui modéré.

Face à l’appréhension incertaine des activités agricoles et agroalimentaires par le mécanisme proposé, le Conseil de l’Union et le Parlement européen gagneraient à amender le texte à l’occasion de la procédure législative ordinaire. Les États membres devraient toutefois conserver une marge de manœuvre substantielle pour définir les conditions d’activation du contrôle des IDE (seuils des droits de vote, etc.).

Proposition n° 28

Amender la proposition de règlement sur le filtrage des IDE dans l’Union, en intégrant le secteur agricole et agroalimentaire parmi les secteurs dans lesquels les investissements en provenance de pays tiers sont soumis à autorisation préalable au titre des mécanismes nationaux de contrôle des IDE.

 

 

 


   Conclusion

 

L’Europe est aujourd’hui capable de se nourrir, en quantité et en qualité. La souveraineté alimentaire européenne, appréciée à l’aune du taux d’approvisionnement de l’Union en produits agricoles et alimentaires, n’est pas menacée à court terme.

Les vulnérabilités identifiées par vos rapporteurs, notamment au titre de l’alimentation animale, peuvent être corrigées en mobilisant les instruments réglementaires et financiers dont disposent l’Union, au premier rang desquels la politique agricole commune.

En revanche, la résilience de nos systèmes agricoles et alimentaires est structurellement fragilisée par les limites agronomiques inhérentes aux pratiques agricoles des dernières décennies, renforcées par les conséquences du réchauffement climatique et de la concurrence déloyale subies par les producteurs européens.

Une stratégie transversale de souveraineté alimentaire est dès lors indispensable au niveau européen, en se fondant sur cinq axes clés : l’accompagnement de la transition écologique des modes de production et de consommation alimentaires ; la protection des intérêts commerciaux défensifs de l’Union en matière agricole ; le renforcement des dispositifs nationaux et européens d’éducation, de recherche et d’installation en agriculture, afin de faciliter le désendettement des agriculteurs et le renouvellement des générations ; le meilleur suivi des chaînes d’approvisionnement et la refonte des dispositifs de réaction aux crises alimentaires.

 


   PROPOSITIONS DES rapporteurs

 

Proposition n° 1

Compléter l’analyse des menaces et les objectifs de la Boussole stratégique adoptée par le Conseil européen, à travers un volet prospectif sur les enjeux agricoles et alimentaires, incluant la dimension externe et les mécanismes internes de coordination et de solidarité entre régions.

 

Proposition n° 2

Établir un indicateur composite de souveraineté alimentaire au niveau de l’Union européenne, fondé sur une série d’indicateurs de bilan pondérés par des facteurs d’opportunité et de risque.

 

Proposition n° 3

Inscrire un objectif contraignant de « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans la future directive sur la surveillance des sols en s’appuyant sur l’expérience française, dans le cadre des discussions qui s’ouvrent ou à l’occasion de son réexamen.

 

Proposition n° 4

Demander à la Commission européenne de présenter, au début de la 10e législature du Parlement européen, une nouvelle proposition de règlement sur la réduction de l’utilisation des pesticides, qui garantisse notamment l’accompagnement du monde agricole via des financements européens dédiés et la mise en place d’un indicateur de risque harmonisé.

 

Proposition n° 5

Demander à la Commission européenne de présenter, au début de la 10e législature du Parlement européen, une proposition ambitieuse de législation cadre relative à des systèmes alimentaires durables, qui comprenne notamment un volet dédié à la commande publique.

 

Proposition n° 6

Renforcer les moyens et le rang du commissaire européen chargé de l’agriculture, ainsi que la capacité des services de la Commission européenne à assurer un pilotage cohérent des initiatives susceptibles d’avoir une incidence sur la souveraineté alimentaire de l’Union, notamment en expérimentant la mise en place de structures administratives transversales.

 

Proposition n° 7

Augmenter le budget de la PAC à l’occasion de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel de l’Union sur la période 2021-2027.

 

Proposition n° 8

Renforcer la démarche péréquatrice de la PAC et les aides qui favorisent l’intensité en emplois agricoles dans le cadre de la prochaine programmation de la PAC, en complément de l’activation des leviers de redistribution existants.

 

Proposition n° 9

Évaluer l’efficacité de la contribution des aides couplées à la production de protéines végétales et, le cas échéant, relever le taux maximum d’aides couplées et étendre son bénéfice à d’autres filières agricoles stratégiques.

 

Proposition n° 10

Demander à la Commission européenne de présenter dans les meilleurs délais une stratégie européenne sur les protéines végétales, qui recense notamment les interventions de la PAC et les programmes de recherche susceptibles d’être mobilisés.

 

Proposition n° 11

Définir une stratégie européenne sur la préservation et la valorisation alimentaire des fleuves de l’Union, proposée et mise en œuvre par la Commission.

 

Proposition n° 12

S’opposer, en l’état des négociations, à la signature et à la ratification de l’accord d’association entre l’Union et le Mercosur, ainsi qu’à toute tentative de revenir sur le caractère mixte de celui-ci.

 

Proposition n° 13

Engager une révision ciblée du volet commercial de l’accord d’association entre l’Union et le Mercosur, en instaurant une clause de sauvegarde verte qui conditionne l’abaissement des droits de douane et l’ouverture des contingents tarifaires au respect des stipulations relatives à l’agriculture durable.

 

Proposition n° 14

Introduire des mesures miroirs dans l’ensemble des législations sectorielles pertinentes de l’Union européenne, en débutant par la future révision de la législation sur le bien-être animal.

 

Proposition n° 15

Prévoir et renforcer les moyens techniques et humains de contrôle pour veiller à la bonne application des législations européennes de régulation du commerce, telles que le règlement sur la déforestation importée.

 

Proposition n° 16

Envisager, au terme de la phase transitoire, l’extension du périmètre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aux matières premières agricoles.

 

Proposition n° 17

Rétablir les conditions d’une concurrence équitable au sein du marché intérieur, en débutant par l’harmonisation mieux-disante de la réglementation européenne relative à l’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.

 

Proposition n° 18

Renforcer les moyens de la Commission et des agences de l’Union en matière de surveillance et contrôle de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

 

Proposition n° 19

Renforcer l’éducation et la formation aux métiers agricoles dans l’Union, en déployant un véritable « Erasmus agricole » et en créant des académies des compétences spécialisées dans la transition des systèmes agricoles.

 

Proposition n° 20

Encourager la création de fonds de souveraineté agricole dans les États membres afin de générer un effet levier favorable à la mobilisation de capitaux privés pour l’accès au foncier agricole des candidats à l’installation, tout en restreignant l’accès à la propriété des terres arables pour les acteurs industriels.

 

Proposition n° 21

Établir une cartographie de l’état de dégradation des sols agricoles européens à l’échelle des exploitations et suivant un indicateur de santé harmonisé.

Sur cette base, développer un instrument incitatif à la régénération des terres agricoles pour encourager les pratiques de restauration et d’amélioration de leur santé.

 

Proposition n° 22

Développer les dispositifs d’accompagnement à l’installation en agriculture, en prévoyant notamment la délivrance d’un certificat de santé des sols.

 

Proposition n° 23

Inscrire la propriété foncière agricole dans les domaines stratégiques de l’Union à préserver des accaparements extra-communautaires et des concentrations financières.

 

Proposition n° 24

Créer un Observatoire européen des sols agricoles, chargé de surveiller les dynamiques foncières agricoles dans l’Union.

 

Proposition n° 25

Encourager et développer la recherche européenne sur les alternatives aux intrants chimiques, en particulier les produits phytosanitaires de synthèse, pour faire émerger et systématiser les alternatives économiquement viables aux pratiques actuelles.

 

Proposition n° 26

Instaurer une organisation nationale et territoriale robuste en matière de sécurité de l’approvisionnement alimentaire en France, fondée sur le pilotage interministériel du SGDSN et déclinée localement par les projets alimentaires territoriaux.

 

Proposition n° 27

Amender la proposition de règlement sur le filtrage des IDE dans l’Union, en intégrant le secteur agricole et agroalimentaire parmi les secteurs dans lesquels les investissements en provenance de pays tiers sont soumis à autorisation préalable au titre des mécanismes nationaux de contrôle des IDE.

 

 


   PROPOSITION DE M. RODRIGO ARENAS

 

Proposition n° 1

Relever le niveau d’ambition environnementale de l’éco-régime français à partir de 2025, à l’occasion de la révision à mi-parcours du plan stratégique national de la France, et augmenter significativement les aides à l’établissement, à la conversion et au maintien de la filière biologique.

 


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 14 février 2024, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. En introduction, je voudrais rendre hommage à Robert Badinter, auditionné par notre commission il y a près de dix ans, le 11 février 2014. Il ouvrait son propos avec ces mots : « je suis un Européen convaincu, car j’avais 15 ans sous l’Occupation et je sais ce que sont le nationalisme, le populisme et la volonté de domination qui ont conduit l’Europe au désastre. Aussi insatisfaite et inachevée soit-elle, cette Union, quand bien même elle pose des problèmes nouveaux, est par rapport à l’ordre ancien qui nous a conduits à deux guerres mondiales, un accomplissement prodigieux ». Je crois que ces mots et ces combats résonnent aujourd’hui. Je tiens à saluer la mémoire de cette grande conscience française, et résolument européenne, en ce jour d’hommage national. Ces mots trouvent un écho particulier eu égard aux défis nombreux que nous avons à affronter en Europe. Je pense évidemment au défi de l’indépendance et de l’autonomie de notre continent, notamment en matières agricole et alimentaire.

Nos collègues Charles Sitzenstuhl et Rodrigo Arenas vont nous présenter les conclusions de leurs travaux dans quelques instants. Nous devons être capables d’assumer cette souveraineté en matière alimentaire, et d’en faire un objectif stratégique et politique premier de notre Union. Il s’agit de permettre à nos agriculteurs de produire pour nourrir les Européens. Je tiens à saluer la qualité des travaux et surtout l’esprit qui les ont guidés, puisque ce n’est pas un mystère, vous n’appartenez pas à la même famille politique, vous n’avez pas les mêmes convictions, mais vous avez su travailler dans le même sens, pour la souveraineté alimentaire.

M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur. Malgré les orientations politiques très différentes de Rodrigo Arenas et moi-même, nous avons travaillé dans un esprit constructif, en cherchant au maximum à trouver des points de convergence, et en respectant aussi les points de divergence que nous pouvions avoir. Ceux qui ont lu le rapport de façon extensive verront que nous formulons parfois des avis qui sont plus personnels.

La question à l’origine de ce rapport est simple : l’Europe est-elle souveraine sur le plan alimentaire ? La crise sanitaire, en 2020, et la guerre en Ukraine en 2022 avaient fait vaciller plusieurs certitudes à ce sujet. Une crainte revenait : et si l’Europe venait un jour à manquer de nourriture ? L’actualité récente, marquée par des mouvements sociaux d’agriculteurs dans plusieurs pays européens, y compris en France, depuis l’hiver 2023-2024, confirme que l’agriculture reste un enjeu éminemment politique. Il mérite une attention particulière des responsables politiques, notamment français, car sur la scène agricole mondiale, la France n’est pas n’importe quel pays. La voix agricole française compte beaucoup. Sans être exhaustif sur le contenu du rapport, et pour laisser place au débat, je mettrai seulement quatre points en avant.

Tout d’abord, à la question fondamentale que nous posions – « l’Europe est-elle souveraine en matière alimentaire ? » –, la réponse est oui, globalement oui. L’Europe est en capacité de nourrir ses habitants en quantité et en qualité. C’est une réussite de l’Union européenne, c’est une réussite de la politique agricole commune (PAC) depuis soixante ans. Je veux ainsi tordre le cou aux mensonges qui circulent depuis quelques semaines de la part de certains partis à ce sujet, qui accusent l’Union européenne de tous les maux. Nous pouvons être fiers du fait que la PAC nourrisse les Européens, assure la sécurité alimentaire du continent, et nous donne un levier de puissance considérable à l’exportation. L’Union européenne est la première puissance agricole d’exportation au monde, à hauteur de 180 milliards d’euros d’exportations agroalimentaires en 2020. Nous avons essayé d’objectiver la situation, en travaillant sur la base du taux d’auto-approvisionnement, qui correspond au ratio de la production européenne sur la consommation européenne. Comme tout indicateur, il a ses limites, mais il donne une photographie intuitive. Nous voyons par exemple que l’Union européenne est souveraine sur la viande bovine, la viande de volaille, les œufs, les légumes, le blé, l’orge et les cultures sucrières. L’Union européenne est proche de la souveraineté sur les viandes ovines, les fruits, les pommes de terre, le maïs, le riz et les légumineuses sèches, pour ne s’arrêter qu’à ces cultures. Cette situation globale à l’échelle de l’Union comporte bien sûr des variations d’État à État. Le cas français l’illustre bien, puisque nos résultats sont meilleurs que la moyenne européenne en ce qui concerne la viande bovine, les pommes de terre, les légumineuses sèches, et surtout, pour les grandes cultures, le blé, le maïs et l’orge. En revanche, nous décrochons, et cela s’est beaucoup ressenti dans le débat que nous avons eu cet hiver, dans les secteurs de la viande de volaille, des fruits et légumes. Ce sont des secteurs en grande souffrance.

J’aborderai désormais mon deuxième point, qui est un point d’alerte. La dépendance extérieure de l’Union au titre de l’alimentation des animaux à base de protéines végétales est l’une des grandes faiblesses européennes. La production européenne de graines et tourteaux de soja, de colza et de tournesol est clairement insuffisante. L’autonomie de l’Europe en protéines progresse, mais un effort résolu doit être poursuivi. Nous formulons une recommandation pour que la prochaine Commission et la prochaine PAC renforcent les aides en faveur de la production de protéines végétales. Nous avons besoin d’une véritable stratégie européenne sur les protéines végétales, et je tiens à rajouter que cela avait été l’un des combats de Julien Denormandie lorsqu’il était ministre de l’Agriculture. La France a, sur ce sujet également, pris les devants en Europe.

En troisième lieu, la PAC doit être préservée. Il est de l’intérêt de l’Europe, mais aussi de l’intérêt national de la France d’avoir une PAC à l’échelle européenne. La France est la première puissance agricole du continent et la première bénéficiaire des fonds de la PAC. Ceux qui veulent sortir de la PAC affaibliront l’agriculture française. La PAC est une réussite européenne, même si, comme toutes les politiques publiques, elle a des imperfections et des limites qui doivent sans cesse être corrigées. La crise actuelle montre la souffrance des exploitations de petite taille et de taille intermédiaire, particulièrement en France. L’uniformisation des exploitations à l’échelle du continent n’est pas souhaitable, il faut que la PAC protège mieux la diversité des modèles agricoles dans tous les pays d’Europe, ainsi qu’au sein des pays européens. Il convient d’instituer plus de solidarité entre les grandes et les petites exploitations. Le chiffre est bien connu, mais je le rappelle de nouveau : 20 % des plus gros bénéficiaires de la PAC perçoivent 80 % des aides directes à l’échelon européen, même si ce chiffre est un peu plus tempéré en France. Ces ordres de grandeur démontrent bien que la majorité des fonds de la PAC bénéficient aux plus grandes exploitations. Nous appelons à ce que la prochaine PAC renforce la péréquation, la solidarité et les aides qui favorisent l’emploi en agriculture.

Enfin, l’Europe doit sortir de la naïveté sur la question commerciale. L’agriculture ne peut pas être une monnaie d’échange dans le cadre des accords de libre-échange. Je ne suis pas opposé par principe au libre-échange, mais j’y suis favorable lorsqu’il se fait entre des zones économiques aux standards sociaux et environnementaux comparables. Ainsi, le traité signé avec le Canada a bénéficié au secteur agroalimentaire européen. En revanche, c’est l’inverse dans le cas des négociations avec le Mercosur : les standards sud-américains sont bien inférieurs aux standards européens. Dès lors, l’ouverture de nos marchés aux produits agricoles du Mercosur serait constitutive d’une concurrence déloyale. Nous nous sommes accordés sur ce point avec Rodrigo Arenas. Un tel accord serait un danger pour l’agriculture européenne, l’accord entre Union européenne et le Mercosur n’est donc pas acceptable.

M. Rodrigo Arenas, rapporteur. Je me réjouis de la présentation de ce rapport, qui est le fruit d’une collaboration constructive avec mon co-rapporteur. Il prouve, que par‑delà nos évidentes différences politiques, il est possible d’établir des diagnostics partagés et de soutenir des propositions communes dans l’intérêt de la France, des Françaises et des Français, mais aussi de l’Europe.

Comme dans tous les épisodes de crise, nous sommes confrontés à un moment crucial, à un enjeu civilisationnel. D’Athènes à Varsovie, de Madrid à Berlin, de Paris à Bruxelles, la colère et la détresse du monde agricole s’expriment à travers toute l’Europe. Les causes sont très différentes à chaque fois, mais les manifestations convergent : nos agriculteurs veulent pouvoir vivre de leur travail. Ces hommes et ces femmes se sont donné la mission noble et vitale de nous nourrir. Ils produisent les céréales de nos pains, les fruits de nos tables, le lait de notre enfance. Ils sont essentiels, mais dans leur grande majorité, ils souffrent. En 2023, les revenus agricoles ont diminué à cause de l’augmentation spectaculaire des charges, en particulier l’énergie et le prix des engrais. En outre, leurs prix de vente sont à la baisse, alors que les prix des consommateurs augmentent et que les marges des grandes entreprises, elles, explosent. C’est la crise de toute une chaîne, dont ces hommes et ces femmes ne sont que des maillons, fortement endettés, prisonniers d’un système industriel et financier qui leur échappe et les écrase. Tous les acteurs ne sont pas concernés, puisque le monde agricole est extrêmement divers et inégalitaire. Les aides européennes, essentielles à l’équilibre financier de nombreuses exploitations, vont en majorité écrasante vers une petite minorité. C’est une injustice de plus à laquelle nous devons faire face.

Les auditions et les conclusions de notre rapport sont claires. Les indicateurs de souveraineté alimentaire européenne sont au vert, pour le moment. Après soixante ans d’existence, la PAC a rempli sa mission : notre continent exsangue et affamé au sortir de la guerre est aujourd’hui autosuffisant et se permet même de nourrir le monde par l’exportation de ses surplus. Mais cette puissance est fragile, hautement intégrée aux marchés mondiaux et fortement dépendante des importations d’intrants chimiques, mécaniques et caloriques. Notre agriculture européenne et française est aujourd’hui un colosse aux pieds d’argiles. Les agronomes, les pédologues, les climatologues nous indiquent que menace qui pèse le plus fortement sur notre souveraineté alimentaire réside dans le modèle même. Le ver est dans le fruit. La fuite en avant du productivisme et du rendement agricoles menace les revenus des agriculteurs, les jette dans des spirales d’endettement et les mène aux faillites et à commettre des gestes désespérés. Toujours plus de pesticides, d’engrais de synthèse, de chimie et d’exportations. Travailler plus pour gagner de moins en moins, à mesure que s’épuisent les sols et les ressources de la nature.

Ce rapport nous invite à porter un autre regard sur notre souveraineté alimentaire en France et en Europe. L’épuisement de la terre constitue la plus grande menace. Et comme chacun le sait, « la terre, elle, ne ment pas ». Nous assistons à la fin des sols lessivés, épuisés, dopés aux engrais ; à l’effondrement de la biodiversité, éradiquée à coups de pesticides ; à l’eutrophisation de nos rivières, étouffées par les pollutions agricoles et l’épuisement des hommes. En effet, une catastrophe sociale se dessine à côté de la catastrophe écologique qui est en marche. Le vieillissement de nos agriculteurs et l’absence de successeurs ressemblent à un grand plan social, lent et culturellement dévastateur, qui vide nos campagnes et accélère la concentration des terres aux mains de l’agro-industrie et des puissances financières. Nous sommes à un moment crucial, où se joue l’avenir de notre souveraineté alimentaire. Qui va nous nourrir ? Les grands groupes agro-industriels, qui veulent « ubériser » les paysans, privatiser l’eau et accaparer la terre, ou l’agriculture paysanne ? Contrairement à ceux qui exploitent les détresses pour leurs propres gains électoraux, nous ne devons pas abandonner la transition vers l’agroécologie. Par ailleurs, nous ne devons plus conclure de traités de libre-échange sans clauses miroirs, où l’alimentation est réduite à une variable d’ajustement. Nous devons rétablir la justice dans la distribution de la PAC, nous devons accompagner financièrement et administrativement nos agriculteurs, faciliter le remplacement des générations, ainsi qu’encourager les installations et le renouvellement des pratiques. La qualité et la pérennité de notre alimentation en dépendent.


L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

Mme Nicole Le Peih (RE). La souveraineté alimentaire est un sujet d’actualité à l’heure où les agriculteurs européens font part de leur mécontentement. C’est également un sujet législatif puisque le futur projet de loi d’orientation et d’avenir agricole devrait inclure des mesures sur la souveraineté alimentaire. Des dispositions réglementaires devraient également être prises dans la matière.

Dans votre rapport, vous évoquez la question du renouvellement des générations et de leur formation. C’est un défi pour la souveraineté alimentaire de notre pays mais également pour l’Europe. Il nous faut enrayer le déclin de la démographie agricole et renforcer l’activité des métiers de la terre et du vivant. Il s’agit d’installer une nouvelle génération de professionnels de la terre, conscients du rôle que doit jouer l’agriculture dans la transition écologique. Cela passe notamment par la formation, le partage des connaissances, et surtout par les compétences. C’est également un des objectifs du projet de loi d’orientation et d’avenir agricole qui sera bientôt discuté. La moitié de ce texte est consacrée à la formation, à l’orientation et à la recherche.

Concernant votre proposition d’un Erasmus agricole, les établissements français d’enseignement agricole ont parfaitement compris l’importance de ce programme. Plus de 38 000 étudiants ont pu parcourir, grâce à Erasmus, des écoles agricoles et des exploitations à travers toute l’Europe sur une période de dix ans. Pensez-vous, même si je trouve votre proposition intéressante, qu’il soit opportun d’intégrer des priorités sectorielles dans le programme Erasmus ? Ce qui est bénéfique pour la France ne l’est pas nécessairement pour d’autres pays.

Par ailleurs vous soulignez les efforts de la Commission européenne pour renforcer la capacité de réaction de l’Union face aux crises qui fragilisent nos chaînes d’approvisionnement. Le plan d’urgence sur la sécurité alimentaire en temps de crise est un excellent outil qu’il est nécessaire de déployer territorialement.

Votre rapport semble indiquer que la Finlande fait figure de bon élève en la matière, mais que la France l’est un peu moins. En quoi vos propositions relatives à la constitution de stock stratégique en matière alimentaire consistent-elles, et quelle serait la place des instances publiques et privées dans cette démarche ?

M. Grégoire de Fournas (RN). Votre rapport indique que le cadre européen serait aujourd’hui le plus pertinent pour apprécier et corriger notre dépendance externe. Vous me donnez aucune explication à ce choix, qui entre en contradiction totale avec la définition de la souveraineté alimentaire figurant dans le rapport. Celle-ci est définie comme le droit dont dispose chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de production et de produire son alimentation. Si la souveraineté alimentaire européenne est importante, elle est évidemment subordonnée à l’indispensable souveraineté nationale. Ce choix idéologique a des conséquences graves car la souveraineté alimentaire européenne pourrait être satisfaite sans l’agriculture française. Cela aggraverait au passage le déficit de la balance commerciale, qui ne se calcule pas au niveau européen, mais bien au niveau national.

Vous soulignez, dans votre rapport, que la souveraineté alimentaire de la France n’est pas menacée à ce jour sur la base de statistiques des Nations unies. Pourquoi aller chercher des chiffres si loin, et par ailleurs totalement fantaisiste au regard des chiffres du ministère de l’Agriculture ? Vous faites état d’une quasi-stagnation de la production française entre 2012 et 2021, alors que l’Agreste, organe statistique du ministère de l’Agriculture, indique que le nombre de têtes est passé d’un peu moins de 5 millions en 2012 à un peu moins de 4,3 millions en 2022. Cet effondrement concerne également d’autres secteurs. Un tiers des fruits et légumes, la moitié du poulet et le quart de la viande porcine sont importés en France, pour ne prendre que quelques exemples.

Contrairement à ce que vous dites, la souveraineté alimentaire française est bien menacée. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, a lui-même donné un entretien le mois dernier à Valeurs actuelles, intitulé « Retrouver la souveraineté alimentaire » – ce qui sous-entend bien qu’elle a été perdue.

En matière environnementale, nous sommes en désaccord total avec votre présentation de la stratégie « Farm to Fork ». Il ne s’agit pas d’un outil de transition environnementale mais de décroissance agricole, contraire à la souveraineté alimentaire. Son étude d’impact envisage en effet une baisse de la production européenne de 11 %. Par ailleurs, la proposition de règlement sur l’utilisation durable des produits phytopharmaceutiques, dit SUR, a été retirée. Dès lors, pourquoi s’obstiner avec le plan Écophyto, qui en est sa déclinaison nationale ? Je rappelle que le Premier ministre s’est engagé à mettre fin aux surtranspositions alors que ce plan va précisément créer une distorsion de concurrence majeure. Le mot « surtransposition » est d’ailleurs absent de votre rapport, ce qui est problématique si l’on veut parler de souveraineté alimentaire.

Ce rapport, pur produit de l’idéologie macroniste, réalisé avec le soutien curieux de La France insoumise, est une vaste tromperie sur l’état actuel de notre souveraineté alimentaire et ne rend pas service à l’agriculture française.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). La souveraineté alimentaire est, à l’évidence, devenue une priorité brûlante. Nous sommes confrontés à une situation d’explosion sociale en France, mais aussi dans toute l’Europe, mais aussi à un risque d’explosion écologique et environnementale.

Je suis satisfaite de constater que vingt-sept recommandations du rapport ont été portées en commun et qu’elles reprennent des éléments que nous défendons depuis toujours.

Notre collègue Rodrigo Arenas a insisté sur le sort des agriculteurs et sur la dimension sociale de l’agriculture. Les agriculteurs étaient 5,5 millions en 1955. Aujourd’hui, ils sont moins d’un demi-million. Il y a deux suicides par jour et plus d’un quart des agriculteurs vit sous le seuil de pauvreté. D’où mon soutien à la recommandation du rapport visant à augmenter les moyens de la politique agricole commune.

Il faut aller plus loin à l’échelle nationale, en augmentant à la fois le salaire et la retraite agricoles et en instaurant des prix plancher. C’est une proposition défendue par La France insoumise, qui visait à encadrer les marges des grands industriels et qui a malheureusement été rejetée à six voix près en novembre dernier.

La santé est un deuxième sujet important du rapport. Vous indiquez qu’il est urgent de légiférer pour interdire l’usage des pesticides au niveau européen. Nous sommes tout à fait d’accord : il convient également d’agir au niveau français afin de faire cesser à la fois l’épuisement des terres et l’empoisonnement de la population.

Enfin, il faut mettre un terme aux accords de libre-échange qui créent un dumping social et un abaissement des normes écologiques, tout en étant nuisibles à la santé de notre population. Il faut aussi lutter contre les distorsions de concurrence à l’intérieur de l’Union européenne, pas uniquement à l’extérieur de ses frontières. J’apprécie donc également la proposition appelant à mobiliser la politique de développement de l’Union.

Je salue, à titre personnel, votre dernière recommandation qui vise à instaurer un filtrage des investissements directs étrangers dans le secteur agricole. Je porte la même proposition à propos du logement, c’est une mesure qu’il convient d’appliquer à plusieurs secteurs pour retrouver notre souveraineté.

En définitive, ce rapport propose des recommandations qui sont fidèles à la vision portée par La France Insoumise sur l’Union européenne : transition écologique, soutien massif au bio, harmonisation et protectionnisme.

Mme Louise Morel (Dem). La sécurité alimentaire de nos concitoyens ne doit pas être tenue pour acquise, et il nous faut être en permanence vigilants. Votre propos introductif permet de dresser un bilan de notre souveraineté, de rappeler les points de vigilance et de rappeler le rôle central de la PAC, trop souvent décriée par un certain nombre de responsables politiques alors qu’elle est une chance pour notre pays. La France est bien le premier pays bénéficiaire de la PAC.

Les fragilités de notre approvisionnement en intrants consommables ont été révélées par la guerre en Ukraine. Quelles actions concrètes l’Union européenne peut-elle prendre pour la sécurité de cet approvisionnement, notamment sur le long terme puisque la guerre en Ukraine se prolonge ?

Au regard de la crise agricole actuelle, nous comprenons que les différents pays de l’Union européenne sont confrontés à des défis convergents. Avez-vous pu les étudier plus en détail et, dans ce cas, en quoi les revendications du monde agricole français divergent-elles de celles des autres pays européens ? La moitié des agriculteurs français partira à la retraite dans les dix prochaines années. Comment les autres pays européens font‑ils face au renouvellement des générations ?

Mme Marietta Karamanli (SOC-NUPES). Ce rapport a une double actualité. D’une part, il interroge le modèle économique de l’agriculture européenne dans un contexte de mondialisation et de tensions internationales. D’autre part, il pose la question du modèle de production, alors qu’il existe parfois des tendances divergentes selon les produits.

L’enjeu de la sécurité alimentaire européenne est déjà présent de longue date, notamment dans les traités européens, en particulier à l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ce dernier précise que la politique agricole commune vise à garantir l’accès à « l’alimentation à des prix raisonnables pour les consommateurs », et renvoie également aux notions de stabilité et de durabilité dans le contexte de la sécurité alimentaire européenne. Les crises économiques, sanitaires et internationales successives ont montré qu’il pouvait exister un risque de dépendance, sans que des mesures adaptées ne soient nécessairement prévues.

La durabilité du système alimentaire européen implique en particulier qu’il soit plus économe en intrants agricoles, tout en intégrant des facteurs biophysiques de long terme comme le climat et la biodiversité. Elle dépend également des politiques de consommation, qui doivent évoluer vers plus de santé par l’alimentation et donc la lutte contre le gaspillage.

S’agissant du sujet clé de la recherche, la mobilisation des politiques de recherche, de développement et d’innovation dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation ne devrait-elle pas être une priorité nationale, mais également européenne ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas mieux valoriser la place et le rôle des consommateurs dans les évolutions de la production ?

Enfin, la souveraineté alimentaire implique d’aborder la sécurité des territoires, et entre autres, celle des routes d’approvisionnement. Nous avons mené des travaux en ce sens dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), à propos de l’Ukraine.

Mme Julie Laernoes (Ecolo-NUPES). L’actuelle escalade du prix des matières agricoles, exacerbée par le conflit en Ukraine, représente une menace sérieuse pour la sécurité alimentaire européenne et mondiale. Le rapport met en lumière les défis cruciaux auxquels l’Europe est confrontée, dont le changement climatique, la perte de la biodiversité ainsi que les crises sanitaires et géopolitiques.

Qu’est-ce qui, aujourd’hui, menace notre souveraineté ? Notre dépendance aux engrais russes et au soja brésilien. Nous surproduisons des protéines animales : sur les 65 millions de tonnes de maïs produites par l’Union européenne entre 2020 et 2021, 60 millions de tonnes ont été utilisées pour l’alimentation animale. Certaines voix, qui préconisent une intensification de la production au mépris des normes environnementales, s’élèvent pour remettre en question la stratégie de la « Fourche à la Fourchette ». C’est non seulement une vision myope mais également contre-productive. La hausse des prix, nourrie par l’interruption des importations de gaz et l’augmentation de son coût, a impacté le prix des fertilisants azotés et fragilise le système alimentaire mondial. À court terme, la première question à se poser est la capacité de résilience des systèmes les plus vulnérables à faire face à cette flambée des prix. Nous, écologistes, sommes conscients de l’urgence d’une transition profonde et durable. Nous applaudissons l’appel du rapporteur à une réforme de la politique agricole commune pour soutenir davantage la transition vers l’agroécologie, la protection de la biodiversité et la garantie d’une alimentation saine et accessible à tous.

Le rapporteur Charles Sitzenstuhl préconise une évolution progressive des pratiques agricoles et part du principe « pas d’interdiction sans solution ». Les solutions existent, cela s’appelle l’agriculture biologique et il y a 60 000 exploitations en France qui la pratiquent. Affirmer « pas d’interdictions sans solution », c’est nous maintenir dans une trajectoire insoutenable retardant les changements nécessaires face à l’urgence climatique et écologique. Pour cela, il faut réorganiser notre système alimentaire et réduire notre dépendance aux importations de soja et de tournesols à destination de l’élevage industriel. En favorisant des exploitations à taille humaine, plus autonomes et économes, nous pouvons devenir exportateurs nets de calories tout en réduisant notre empreinte carbone et notre dépendance aux énergies fossiles. Comme le souligne le rapporteur Rodrigo Arenas, des éco-régimes ambitieux doivent permettre de financer la transition agro-écologique, et pas le label Haute valeur environnementale (HVE) dont les bénéfices n’ont pas été démontrés. En France, la différence de rémunération entre les certifications HVE et la conversion à l’agriculture biologique est actuellement trop faible, elle doit être revue pour refléter le bénéfice environnemental réel et encourager une transition vers l’agriculture biologique. La transition est indispensable, car même si l’on veut maintenir un système de production industriel, les limites naturelles et écologiques nous obligeront, certainement trop tard, à en changer brutalement.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Cet enjeu, dont vous prenez les problématiques à bras-le-corps, devrait être une priorité nationale et européenne. Je vais présenter deux réflexions générales.

Concernant le titre et la première partie, le principe même de la souveraineté alimentaire fait l’objet d’une intense bataille idéologique. Plutôt que de changer de logiciel devant les effets désastreux de leur propre politique de libéralisation des marchés, imposée depuis trente ans par les accords de Marrakech de 1994, et la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les libéraux européens travaillent au détournement intellectuel de la dimension systémique et transformatrice du concept de souveraineté alimentaire. Ce travail se traduit en France par l’utilisation, à tout va, de ce concept, dans les discours, dans les projets ministériels, avec pour principal objectif de le vider de sa signification première, à savoir, la capacité donnée aux peuples de conduire démocratiquement leur propre politique agricole alimentaire et de déterminer les moyens et outils pour assurer le développement de leur autonomie et de leur modèle durable de production et de distribution.

J’ajouterai l’exigence d’une coopération internationale : le concept de la sécurité alimentaire est un concept soluble dans un libéralisme parfaitement compatible avec la multiplication des accords de libre-échange. Je suggère de substituer à la première recommandation des rapporteurs une véritable évaluation des conséquences de trente années de libéralisation des échanges agricoles sur l’accroissement des déséquilibres alimentaires internationaux et sur les dépendances ainsi que sur les effets induits par les spécialisations agricoles et la compétition internationale. La transformation profonde des agrosystèmes permettra-t-elle de répondre demain aux enjeux alimentaires, sociaux, environnementaux dans chaque pays, y compris au plan européen ?

Ma seconde remarque porte une conviction : la crise agricole européenne ne fera que croître, sans une reconstruction véritable de la politique agricole et alimentaire commune que j’appelle la PAAC et que nous devons construire ensemble. Je conclurai toutefois par une note positive : la recommandation portant sur l’avenir de nos sols agricoles, qui mérite véritablement d’être approfondie.

Mme Constance le Grip (RE). Je veux m’attacher tout particulièrement à la proposition numéro 11 qui concerne les fleuves. Celle-ci défend l’idée de mettre en place une véritable stratégie européenne pour la préservation et la valorisation alimentaire des fleuves de l’Union européenne. Mettre en lumière les fleuves européens et appeler à leur valorisation est quelque chose qui m’est particulièrement cher. Vous défendez le rôle des fleuves en tant que voies économiques et écologiques durables, ce qui mène intuitivement au sujet de la pêche en eaux douces. En effet, vous souhaitez voir cette source d’alimentation comme une source nourricière conséquente dans le cadre de la souveraineté alimentaire. Quel rôle donneriez-vous à nos grands fleuves au sein de cette ambition affirmée de souveraineté alimentaire ?

M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur. Concernant le projet de loi que va présenter le ministre de l’Agriculture, je suis effectivement heureux de la prise en compte de la souveraineté alimentaire. À l’origine, la seule question de la transmission devait être abordée, la crise agricole sociale française a montré la nécessité d’ajouter dans le projet de loi, un chapitre sur la souveraineté alimentaire. Certes, les intitulés ministériels ne sont que des mots. Toutefois, le fait, qu’en 2022, pour la première fois, le ministre de l’Agriculture soit également ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire témoigne de l’importance que prend la réflexion autour de cet enjeu. Pour répondre à Nicole Le Peih, sur la question des stocks stratégiques, la Finlande a mis en œuvre cette expérience intéressante, en tant que pays limitrophe de la Russie : on comprend aisément son avance sur le sujet. Une agence gouvernementale, la NESA (National Emergency Supply Agency), travaille avec des opérateurs privés agréés pour définir des stocks stratégiques. En France, nous en sommes loin même si nous considérons que l’État doit être pionnier sur cette question qui relève de la compétence du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Nous n’en avions pas parlé lors du vote de la loi de programmation militaire, mais ce sujet devra être abordé.

Notre collègue du Rassemblement national n’est plus présent pour entendre notre réponse. Nous avons bien compris qu’il était contre tout. Le débat sur la souveraineté à l’échelle européenne oppose notre vision de l’Europe à celle du Rassemblement national. À titre personnel, je considère que la PAC est globalement une réussite, qu’elle renforce la souveraineté nationale en permettant une complémentarité au niveau européen ainsi qu’une politique intégrée.

Sur la question des produits phytosanitaires, le règlement « SUR » a été rejeté par le Parlement européen, en novembre 2023, et la proposition de règlement vient d’être retirée par la Commission européenne il y a quelques jours. Toutefois, on ne pourra pas à l’avenir continuer d’utiliser le même niveau de produits phytosanitaires. À ce titre, les agriculteurs français sont plutôt plus vertueux que leurs homologues en Europe. Paroles d’agriculteurs français, l’avenir nécessitera un usage plus raisonné des produits phytosanitaires. La prochaine Commission européenne devra donc proposer une nouvelle initiative en ce sens car la situation des sols agricoles en Europe l’exige.

Mme Sophia Chikirou, je vous remercie d’avoir mis en avant nos recommandations relatives aux investissements étrangers. Il s’agit d’une réflexion qui manque au niveau européen. La France est, là aussi, un pays précurseur : nous sommes plus interventionnistes que libéraux par rapport aux autres pays de l’Union européenne. Le décret de surveillance des investissements étrangers en France (IEF), lancé par Dominique de Villepin, a été un modèle du règlement de filtrage des investissements étrangers. Pour avoir échangé avec la Direction générale du Trésor, sujet sur lequel nos conclusions convergent, si l’on considère l’alimentation comme un enjeu de souveraineté, l’État doit avoir les moyens pour pouvoir intervenir, et empêcher des puissances étrangères hostiles d’accaparer des sols. Il faut en être conscient au niveau européen, ce clivage idéologique oppose interventionnistes et libéraux. La France doit pouvoir contourner la bataille idéologique.

Mme Louise Morel, concernant la comparaison entre les manifestations agricoles françaises et celles en cours dans les autres pays de l’Union, nos travaux ont essentiellement porté sur la première moitié de l’année 2023, antérieure à ces crises. Toutefois, des préoccupations très nationales se manifestent dans ces crises. Par exemple, aux Pays-Bas, il y avait des sujets spécifiquement néerlandais, en France aussi d’ailleurs, concernant les filières fruits et légumes, qui est un point d’alerte. La question des légumes est moins présente au niveau européen car une spécialisation par pays existe et donc une concurrence très forte sur le marché des fruits et légumes.

En France, il faut tirer la sonnette d’alarme concernant les filières des fruits et des légumes. Le maraîchage en France souffre, parole de député alsacien. La question du revenu, des inégalités entre grandes exploitations et petites exploitations a une dimension européenne, mais elle se pose également dans chaque État membre. La réponse à la crise, quant à elle, a une dimension très nationale. Nous faisons des propositions pour la prochaine Commission européenne et la prochaine législature du Parlement européen parce qu’aux crises nationales, il faut apporter des réponses européennes pour préserver la PAC. Sur la question générationnelle, au-delà du salaire, le déficit d’attractivité du métier d’agriculteur demeure un enjeu en Europe. Les pouvoirs publics, les syndicats et les agriculteurs en sont conscients et doivent pouvoir y apporter des solutions. La recherche et l’innovation sont des sujets qui se sont imposés auxquels nous n’avions pas pensé au commencement de nos travaux. Beaucoup de spécialistes et certains praticiens nous ont dit que les avancées de la recherche dans le domaine agricole se sont faites il y a un siècle ou plusieurs décennies et qu’aucune novation récente est à relever.

La dégradation des sols en Europe doit devenir une priorité des pouvoirs publics et faire davantage l’objet de recherches sur les mécanismes qui sont à l’œuvre, incluant les impacts sur les produits phytosanitaires, le labour et le traitement de la terre. Il faut être en mesure de proposer des alternatives, parce que le fameux « pas d’alternative, pas d’interdiction », traduit, en fait, la volonté des agriculteurs qui souhaitent utiliser moins de produits phytopharmaceutiques en ayant une solution alternative. Cette demande est légitime et se manifeste dans toutes les colères agricoles aujourd’hui. Pour qu’il y ait des solutions, il faut de la recherche. Ceci doit être une priorité de l’Europe, du budget de l’Union européenne et de la PAC.

Sur le principe du « pas de solution, pas d’interdiction », je pense qu’il ne faut pas opposer les agricultures entre elles : ce message est à tenir auprès des agriculteurs. Il existe différents types d’agriculture, du point de vue des filières et des pays. L’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle sont deux agricultures qui coexistent, elles sont complémentaires, se renforcent et apprennent l’une de l’autre. Il ne faut pas culpabiliser les agriculteurs qui ont fait le choix de rester dans l’agriculture conventionnelle et qui ne veulent pas faire la transition vers l’agriculture biologique.

Sur le concept de souveraineté alimentaire, je comprends votre point de vue. Le concept de souveraineté alimentaire, porté par le Président de la République, Emmanuel Macron, provient des mouvements altermondialistes, dans les années 1990.

Enfin, quand on parle d’alimentation, on pense à la terre, mais il ne faut pas oublier ce qui provient de la mer dont les poissons et les coquillages. Sur les produits en provenance de la mer, la situation au niveau européen est préoccupante : nous sommes très dépendants de l’extérieur, pour nos importations. Parce que je connais bien le Rhin, j’ai souhaité que l’on travaille également sur la pêche fluviale. Aujourd’hui, de mémoire, en Alsace, il ne reste qu’un ou deux pêcheurs, car les fleuves, dont le Rhin, ont également pâti de l’industrialisation à outrance. Des programmes européens existent pour re-naturer les fleuves et reconstituer des biotopes diversifiés avec des espèces. J’ai conscience que nous sommes dans une stratégie de long terme qui manque de dimension européenne afin de considérer les fleuves comme des gisements et des sources d’alimentation.

M. Rodrigo Arenas, rapporteur. Je ne vais pas répondre dans le détail aux différentes questions qui m’ont été posées. Mais si vous me le permettez, j’aimerais intervenir sur une note plus personnelle. Charles Sitzenstuhl et moi-même avons chacun participé à cette mission d’information avec notre propre histoire et nos aventures personnelles. Je vais bientôt avoir 50 ans et je fais partie de cette génération qui a été bercée dans sa jeunesse par We Are the World et SOS Éthiopie. Ceux qui pensent que la réponse aux problèmes globaux de souveraineté alimentaire peut uniquement être hexagonale sont soit des menteurs soit des cyniques. Ce n’est pas ainsi que s’est écrite l’histoire de l’humanité ni celle de la France ni celle de l’Europe.

Je rappelais ce matin en conférence de presse que j’ai eu la chance de naître et de grandir sur un autre continent, au Chili. Charles Sitzenstuhl faisait allusion à l’instant à son expérience intime du fleuve du Rhin. Je me souviens pour ma part des images d’Épinal qui illustraient nos manuels scolaires et qui ont marqué mes années passées sur les bancs de l’école républicaine. Ces images représentaient des bateliers ou encore des pêcheurs qui étaient au cœur d’un système économique certes, mais surtout d’une histoire et d’une culture. Je pense que c’est ce que transmet l’école. Je pense que les députés que nous sommes doivent être les garants de cette histoire.

Lorsque nous proposons un Erasmus agricole, il s’agit de favoriser les échanges de pratiques et de savoir-faire. Mais il s’agit aussi de répondre à la question : qui doit nous nourrir ? Les grands complexes agroalimentaires ou le monde paysan ? Pour ce qui nous concerne, la question est tranchée. L’injuste rémunération de ceux qui nous nourrissent est un choix de civilisation. Nous pensons que le problème de la sous-alimentation, celui de la famine, sont des questions politiques. Souhaitons-nous comme dans le film L’Aile ou la cuisse, être nourris par une usine ou par des agriculteurs ? Nous avons pu le constater en nous rendant en Hollande : il est aujourd’hui possible de produire certains légumes sans terre, mais est-ce souhaitable ? Doit-on prendre cette direction ? Dans l’hypothèse où les recherches actuelles nous permettraient d’atteindre un niveau de production suffisant hors-sol, est-ce le chemin que nous voulons emprunter ? C’est un enjeu culturel global.

Certains ont parlé de patriotisme alimentaire. Or la logique de fermeture est une logique de courte vue qui n’a pas d’avenir. N’en déplaise à M. de Fournas, si nous rompons nos relations avec le Maroc, comment aurons-nous accès aux fertilisants dont nous avons besoin ? Nous devons au contraire œuvrer à la juste échelle, au niveau européen et mondial, afin de veiller à ce que nos modes de vie ne soient pas dépendants de marchés ultra-libéraux et ne contribuent pas à la destruction des cultures vivrières de nos partenaires. Doit-on continuer d’exporter des poulets au Sénégal ? Je pose la question. À l’échelle hexagonale, doit-on laisser la grande distribution prendre la main sur la production agricole ? Ce sont des questions de civilisations auxquelles nous allons devoir répondre, collectivement, sur tous les bancs de cette assemblée.

Sur la PAC, on entend un certain nombre de contre-vérités auxquelles j’aimerais apporter quelques réponses. La politique agricole commune a permis de nourrir tout un continent à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il faut le rappeler. Personne ne peut dire le contraire. Mais aujourd’hui il nous faut repenser un système de financement qui privilégie les grandes exploitations au détriment des petites exploitations. Il n’y a pas aujourd’hui de modèle agricole qui fonctionne sans le soutien de la puissance publique : nous devons simplement déterminer le modèle dont nous voulons.

Lorsque je parle d’ubérisation de l’agriculture, je pense aussi à la nécessité d’éduquer les populations. Nous devons nous rappeler qu’il n’y a pas de production agricole magique. Il y a des hommes et des femmes derrière ce que nous commandons et mangeons.

Je regrette aussi le mépris envers notre monde agricole. Je note que les filières agricoles ne dépendent pas de l’Éducation nationale mais du ministère de l’Agriculture. Cela en dit beaucoup sur la façon dont nous considérons les gens qui nous nourrissent. Cette organisation du système éducatif alimente une forme de mépris social.

Enfin, j’aimerais souligner l’importance de l’orientation de nos politiques publiques et la diversité des défis auxquels le monde agricole doit faire face au niveau national et européen. Le même instrument de politique publique peut être utilisé à des fins différentes. Par exemple, la PAC aujourd’hui permet à l’Autriche de développer près de 26 % d’agriculture biologique. En Roumanie, nous avons ouvert un corridor économique qui permet d’importer des produits agricoles qui ne respectent pas les normes européennes. En Espagne, c’est la question de l’eau qui est aujourd’hui centrale et doit trouver une solution. L’Erasmus que nous proposons doit aussi permettre de soutenir la recherche, d’apporter des solutions aux problèmes qui se tiennent devant nous et de mesurer les enjeux communs au monde agricole. Nous ne pouvons laisser dire des contre-vérités sur l’agriculture en France et en Europe.

Pour conclure, oui nos terres vont mal. Entre 60 et 70 % des terres françaises sont épuisées. Oui, nous avons des problèmes de souveraineté sur les intrants, sur l’eau. Oui, nous avons des problèmes de sécurité alimentaire et de défense de la biodiversité et du vivant. Voulons-nous d’un monde où les usines de traitement déversent leurs déchets dans nos fleuves et où on élève des saumons dans des bacs en plastique ? Enfin, plus de 40 % de nos excédents en céréales sont exportés vers la Tunisie, le Maroc et l’Algérie. En remettant en question cette exportation vous ne rendez service ni à la France ni à nos partenaires. Les explications sont également géopolitiques. Nous ne souhaitons pas que dans ces pays-là, des régimes portent atteinte à la sécurité de notre pays et à l’esprit des valeurs de la République. Lorsque nous n’avons pas de pain dans l’assiette, la démocratie est en danger.

Comme je le disais en préambule, « la terre elle ne ment pas » et quand elle est épuisée nous avons le devoir de la réparer.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 

 


   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

 

AUDITIONS RÉALISÉES EN FRANCE

RESPONSABLES INSTITUTIONNELS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS

Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire

Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, direction générale du Trésor

Ambassade de Cuba en France

 

SYNDICATS ET ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES

Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Collectif Nourrir

Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV)

Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL)

Terres Univia

Interprofession des fruits et légumes frais (INTERFEL)

Association nationale interprofessionnelle des fruits et légumes transformés (ANIFELT)

Intercéréales

Union des industries de la fertilisation (UNIFA)

Table ronde sur l’aquaculture et la pêche en eau douce :

 

CHERCHEURS ET EXPERTS

 

Table ronde sur les aspects commerciaux de la souveraineté alimentaire européenne :

Table ronde sur la protection des sols agricoles :

Table ronde sur les conséquences de la guerre en Ukraine :

 

DÉPLACEMENT AUX PAYS-BAS

Ministère de l’Agriculture, de la Nature et de la Qualité de l’alimentation (LNV)

Association professionnelle néerlandaise de l'industrie laitière (NZO)

The Hague Centre for Strategic Studies (think tank)

Université de Wageningen

 

DÉPLACEMENT À BRUXELLES

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

FarmEurope (think tank)

Commission européenne, direction générale de l’Agriculture et des Affaires rurales

FoodDrinkEurope :

 

CONTRIBUTIONS ET RÉPONSES ÉCRITES

 

 


([1])  Via Campesina, Déclaration de Rome pour la souveraineté alimentaire, novembre 1996.

([2])  Direction générale du Trésor, « La Lettre économique Pour le Mexique, l’Amérique Centrale et les Caraïbes », n° 19, juillet 2020.

([3])  PAM, Plan stratégique de pays — Cuba (2021-2024), WFP/EB.A/2021/8-A/1, juin 2021.

([4])  Décret n° 2022-840 du 1er juin 2022 relatif aux attributions du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

([5])  Conclusions du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, EUCO 217/13.

([6])  Résolution du Parlement européen du 14 juin 2023, Garantir la sécurité alimentaire et la résilience à long terme de l’agriculture dans l’Union, 2022/2183(INI).

([7])  Annexe au projet de loi de finances pour 2024, Jaune budgétaire « Relations financières avec l’Union européenne », p. 118.

([8]) FranceAgriMer, Compétitivité des filières agroalimentaires françaises, juin 2021, p. 29.

([9]) Commission européenne, Nourrir l’Europe : 60 ans de politique agricole commune, 2022.

([10]) L’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) rappelle les cinq objectifs initiaux de la PAC : accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique et en assurant un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main d’œuvre ; assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs ; stabiliser les marchés ; garantir la sécurité des approvisionnements ; assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

([11]) Article 39 du TFUE.

([12]) La PAC est aujourd’hui organisée en deux piliers. Le premier pilier, financé intégralement par l’Union au moyen du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), soutient les marchés et les revenus agricoles à travers des paiements directs. Le second pilier, cofinancé par l’Union par l’intermédiaire du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et des fonds nationaux et régionaux, est un instrument d’orientation et d’accompagnement du développement rural.

([13]) Règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) n° 1305/2013 et (UE) n° 1307/2013.

([14]) Règlement (UE) n° 2021/2117 modifiant les règlements (UE) n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles, le règlement (UE) n° 1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, (UE) n° 251/2014 concernant la définition, la description, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des produits vinicoles aromatisés et (UE) n° 228/2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union.

([15]) Règlement (UE) horizontal n° 2021/2116 relatif au financement à la gestion et au suivi de la politique agricole commune.

([16]) Communiqué de presse du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 1er décembre 2020.

([17]) Sébastien Abis, « Le réarmement agricole du monde est une bonne nouvelle », Le Demeter, Agriculture et alimentation, la durabilité à l’épreuve des faits, 2023.

([18]) Sébastien Abis, « Le réarmement agricole du monde est une bonne nouvelle », Le Demeter, Agriculture et alimentation, la durabilité à l’épreuve des faits, 2023.

([19]) Marine de Guglielmo Weber, Les ressources agricoles face aux changements climatiques : enjeux de défense et de sécurité, Observatoire Défense et Climat (DGRIS et IRIS), janvier 2023.

([20]) Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([21]) Réponses écrites de Mme Laura Birkman, analyste stratégique au The Hague Centre for Strategic Studies (HCSS).

([22]) Conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2022, EUCO 31/22.

([23]) Marine de Guglielmo Weber, Les ressources agricoles face aux changements climatiques : enjeux de défense et de sécurité, Observatoire Défense et Climat (DGRIS et IRIS), janvier 2023.

([24]) Arrêté du 2 juin 2006 fixant la liste des secteurs d'activités d'importance vitale et désignant les ministres coordonnateurs desdits secteur.

([25]) Réponses écrites de Mme Laura Birkman, analyste stratégique au The Hague Centre for Strategic Studies (HCSS).

([26]) Commission européenne, document de travail sur les facteurs de la sécurité alimentaire, SWD(2023) 4 final, 4 janvier 2023.

([27]) Commission européenne, Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, communication conjointe sur le lien entre climat et sécurité, document de travail sur les facteurs de la sécurité alimentaire, JOIN(2023) 19 final, 28 juin 2023.

([28]) Conseil de l’Union européenne, Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense – Pour une Union européenne qui protège ses citoyens, ses valeurs et ses intérêts, et qui contribue à la paix et à la sécurité internationales, 7371/22, 4 mai 2022.

([29])  Anne-Claire Thomas et al., The use of the Global Food Security Index to inform the situation in food insecure countries, JRC Technical Reports, 2017.

([30])  FranceAgriMer, Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan, avril 2023.

([31])  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Plan d'urgence visant à garantir l'approvisionnement et la sécurité alimentaires en période de crise, COM(2021) 689 final, 12 novembre 2021.

([32])  Commission européenne, Situation du marché de la viande bovine, Observatoire du marché de la viande, juin 2023.

([33])  Rapport dit Ambec de la commission d’évaluation des dispositions et des effets potentiels de la partie commerciale de l’Accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable, avril 2020, p. 141.

([34]) Annexe II de la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Garantir la disponibilité et le caractère abordable des engrais, COM(2022) 590 final, 9 novembre 2022.

([35]) Réponses écrites de l’interprofession Intercéréales.

([36]) Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes, mai 2023.

([37]) Eurostat, Key figures on the European food chain, édition 2022, p. 27.

([38]) FranceAgriMer, Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan, avril 2023, p. 40.

([39]) Annexe II de la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Garantir la disponibilité et le caractère abordable des engrais, COM(2022) 590 final, 9 novembre 2022.

([40]) Réponses écrites du cabinet de M. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

([41]) Axema, Rapport économique 2022, p. 62.

([42]) Règlement (CE) n° 999/2001/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 fixant les règles pour la prévention et l’éradication de certaines encéphalopathies spongiformes transmissibles, dit « Feed Ban ».

([43]) Réponses écrites du cabinet de M. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

([44]) Commission européenne, document de travail sur les facteurs de la sécurité alimentaire, SWD(2023) 4 final, 4 janvier 2023.

([45]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l'environnement, COM(2020) 381 final, 20 mai 2020, p. 3.

([46]) Eurostat, Key figures on the European food chain, édition 2022, p. 40.

([47]) Cour des comptes européenne, Politique agricole commune et climat, rapport spécial 16/2021, 2021, p. 6.

([48]) Commission européenne, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la restauration de la nature, 2022/0195(COD), 22 juin 2022.

([49]) OCDE, Examens environnementaux de l’OCDE : Finlande 2021, 13 décembre 2021, p. 11.

([50]) Eurostat, Key figures on the European food chain, édition 2022, p. 30.

([51]) Réponses écrites de l’interprofession Interbev.

([52]) Agreste et FranceAgriMer, La consommation de viande en France en 2022, Synthèses conjoncturelles, n° 412, juillet 2023.

([53]) Cour des comptes, Observations définitives sur les soutiens publics aux éleveurs de bovins (2015-2022), mars 2023.

([54]) FAO, Emissions due to agriculture. Global, regional and country trends. 2000-2018, FAOSTAT Analytical Brief, mars 2021, p. 8.

([55]) L’article 3 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNU), adoptée au sommet de la Terre de Rio de Janeiro de 1992, stipule que les Parties doivent préserver le climat « sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilité communes mais différenciées et de leurs capacités respectives ».

([56]) GIEC, Synthèse du 6e rapport d’évaluation, 20 mars 2023, p. 23.

([57]) AEE, Climate change adaptation in the agriculture sector in Europe, n° 04/2019, septembre 2019, p. 19.

([58]) Philippe Gate et al., « Les causes du plafonnement du rendement du blé en France : d’abord une origine climatique », comptes rendus de l’Académie de l’Agriculture de France, volume 96, pp. 17-23, 2010.

([59])  Agreste, Une pousse d’herbe inférieure de 4 % à la normale fin août, Prairies permanentes productives vues par Isop, août 2023, n° 2023.

([60]) Ces projections, issues du rapport précité de l’AEE, sont basées sur le scénario le plus pessimiste d’évolution des émissions et de concentration de gaz à effet de serre, dit business as usual (Representative Concentration Pathway 8.5). Le GIEC a développé de nouveaux scénarios dits Shared Socioeconomic Pathways (SSP), plus précis, pour remplacer les RCP à l’occasion de son dernier rapport d’évaluation.

([61]) Commission européenne, Caring for soil is caring for life, Mission Board for Soil Health and Food, 2020.

([62]) Eurostat, Key figures on the European food chain, édition 2022, p. 10.

([63]) Eurostat, Bilan brut des éléments nutritifs sur les terres agricoles par élément nutritifs, 2020.

([64]) Céline Pelosi et al., « Residues of currently used pesticides in soils and earthworms: A silent threat? », Agriculture, Ecosystems & Environment, volume 305, janvier 2021.

([65]) Pasquale Borrelli et al., « Policy implications of multiple concurrent soil erosion processes in European farmland », Nature Sustainability, janvier 2023.

([66]) Agreste, L’occupation du sol entre 1982 et 2018, Les dossiers, n° 3, avril 2021.

([67]) Article 191 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

([68]) Sénat, Note de législation comparée sur les politiques de réduction de l’artificialisation des sols, septembre 2023.

([69]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon 2030, COM(2021) 699 final, 17 novembre 2021, p. 11.

([70]) Les nouveaux projets lauréats mobilisent des opérateurs de recherche et des entreprises issues de 32 pays, dont la France. C’est le cas du projet FENIX qui vise à produire un biofertilisant performant à partir du biogaz issu de la digestion anaérobie (AD) et auxquelles participent les sociétés françaises TerraWatt et Eurofins Agroscience Services.

([71]) Commission européenne, proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance et à la résilience des sols, COM(2023) 416 final, 5 juillet 2023.

([72]) Commission européenne, proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection des sols et modifiant la directive 2004/35/CE, COM/2006/0232 final, 22 septembre 2006.

([73]) Jean Delumeau, La peur en Occident,(XIVe-XVIIIe siècles), 1986.

([74]) Cour des comptes, La sécurité des approvisionnements alimentaires, rapport public annuel 2022.

([75]) OCDE, Effets de l’agression russe contre l’Ukraine sur les marchés agricoles et conséquences pour l’action publique, 8 août 2022.

([76]) FAO, Indice des prix des produits alimentaires, 10 octobre 2023.

([77]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Plan d'action relatif à la création de corridors de solidarité UE-Ukraine en vue de faciliter les exportations agricoles de l'Ukraine et le commerce bilatéral avec l'UE, COM(2022) 217 final, 12 mai 2022.

([78]) Article 4 du règlement (UE) 2022/870 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022, dit règlement sur les mesures commerciales autonomes.

([79]) Conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023, EUCO 20/23.

([80]) Réponses écrites de M. Jean-Jacques Hervé, président honoraire de l’Académie d’agriculture de France.

([81]) Question parlementaire – E-001516/2023(ASW), réponse donnée par M. Dombrovskis, vice-président exécutif au nom de la Commission européenne, 25 juillet 2023.

([82]) Article 148 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC.

([83]) Règlement d’exécution (UE) 2022/1317 de la Commission du 27 juillet 2022 prévoyant des dérogations au règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l’application des normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres (normes BCAE) 7 et 8 pour l’année de demande 2023.

([84]) Décret n° 2022-1755 du 30 décembre 2022 relatif aux aides du plan stratégique national de la politique agricole commune.

([85]) Conseil Agriculture et pêche du 20 novembre 2023, Note de la délégation française sur l’application partielle de la norme n° 8 relative aux bonnes conditions agricoles et environnementales pour la campagne 2024, 15188/1/23 REV 1.

([86]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Le Pacte vert pour l’Europe, COM (2019) 640 final, 11 décembre 2022.

([87]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon 2030, COM(2021) 699 final, 17 novembre 2021.

([88]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement, COM (2020) 381 final, 20 mai 2020.

([89]) Audition du vice-président exécutif de la Commission européenne, M. Maros Sefcovic, devant la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) du Parlement européen, 3 octobre 2023.

([90]) Discours sur l’état de l’Union de Mme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, devant le Parlement européen, 13 septembre 2023.

([91]) Réponse de la Commission européenne à la décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2022, relative aux conséquences de la mise en œuvre du règlement « SUR », 5 juillet 2023. La réponse de la Commission, uniquement disponible en anglais, comprend l’observation suivante : « The assumption that continuing the pesticide dependent production practices of the last decades may safeguard the EU’s food and feed security in the long run is a considerable fallacy. A reluctance to change the current system-design would instead likely continue to contribute to the downward spiral that led to the degradation of natural resources in the first place; and very likely result in serious risks to food and feed security. » (p. 38).

([92]) Jesus Barreiro-Hurle et al., Modelling environmental and climate ambition in the agricultural sector with the CAPRI model, JRC Technical Reports, 29 juillet 2021.

([93]) Christian Henning et al., Studie zur Folgenabschätzung des Green Deal, Université de Kiel, 13 septembre 2021.

([94]) Jayson Beckman et al., Economic and Food Security Impacts of Agricultural Input Reduction Under the European Union Green Deal’s Farm to Fork and Biodiversity Strategies, USDA, novembre 2020.

([95]) Parmi les contentieux notables, l’Organe d’appel de l’OMC a conclu en 1998 que la prohibition de l’importation de produits carnés traités aux hormones décidée par les Communautés européennes était contraire au droit de l’OMC, faute de preuves scientifiques suffisantes (affaire DS26, Communautés européennes – Hormones).

([96]) Réponse de la Commission européenne à la décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2022, relative aux conséquences de la mise en œuvre du règlement « SUR », 5 juillet 2023.

([97]) Michele Schiavo et al., Atteindre les objectifs de la stratégie « De la ferme à la fourchette » et au-delà : impacts d’une Europe agroécologique sur l’utilisation des terres, le commerce et la sécurité alimentaire mondiale, IDDRI, document de propositions n ° 06/21, 2021.

([98]) Gilles Billen et al., Reshaping the European agro-food system and closing its nitrogen cycle: The potential of combining dietary change, agroecology, and circularity, One Earth, 18 juin 2021.

([99]) Commission européenne, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatible avec le développement durable et modifiant le règlement (UE) 2021/2115, COM(2022) 305 final, 22 juin 2022.

([100])  Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

([101])  Assemblée nationale, Rapport n° 2000 fait au nom de la commission d’enquête les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, 14 décembre 2023, p. 53.

([102]) Article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

([103]) Commission européenne, document de travail sur les facteurs de la sécurité alimentaire, SWD(2023) 4 final, 4 janvier 2023.

([104]) Interbev, Aimez la viande, mangez-en mieux, dossier de presse pour le Salon international de l’agriculture 2019, p. 2.

([105]) Dans le cas français, il convient notamment de citer l’article 24 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite EGALIM, et l’article 257 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience.

([106])  Article 18 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.

([107]) Lettre de mission de Mme Ursula von der Leyen à M. Janusz Wojciechowski, commissaire désigné en charge de l’agriculture, 10 septembre 2019.

([108]) Article 21 du règlement intérieur de la Commission, C(2000) 3614, 8 décembre 2000.

([109]) FarmEurope, Le budget de la PAC se rétrécit rapidement, cassant tout levier d’investissement pour le Green Deal, billet de blog, 13 octobre 2022. Les perspectives d’inflation sous-jacentes aux estimations de FarmEurope ne sont pas précisées, le think tank se contentant de faire référence aux « données de la BCE ». Les projections macroéconomiques de la Banque centrale européenne de décembre 2023 concluent que le taux de variation annuel de l’inflation dans la zone euro s’établirait à 5,4 % en 2023, 2,7 % en 2024, 2,1 % en 2025 et 1,9 % en 2026. Cette trajectoire est comparable aux projections établies par le BCE en septembre 2022, soit les dernières données disponibles à la date de publication des estimations de FarmEurope.

([110]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2021-2027, COM(2023) 336 final, 20 juin 2023.

([111]) Audition de M. Janusz Wojciechowski, devant la commission de l'agriculture et du développement rural (AGRI) du Parlement européen, 9 janvier 2023.

([112]) La volonté des États de membres de limiter l’ampleur de la révision du CFP 2021-2027 a été rappelé lors de la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023, durant laquelle un « cadre de négociation » a été adopté (EUCO 23/23).

([113]) Article 312 .

([114]) L’article 97, paragraphe 2, du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC autorise une dérogation. Le budget alloué aux éco-régimes peut être inférieur à 25 % des paiements directs (premier pilier) si la part budget du second pilier consacrée à l'environnement, au climat, à l'agriculture biologique et au bien-être des animaux dépasse 30 %.

([115]) Bernard Bourget, La politique agricole commune 2023-2027. Le changement dans la continuité, Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n° 607, 20 septembre 2021, p. 4.

([116]) Plan stratégique national de la France pour la PAC 2023-2027, 2023, p. 31.

([117]) Eurostat, Key figures on the European food chain, édition 2023, p. 18.

([118]) La part des produits biologiques dans le panier des ménages a ainsi reculé de 6,4 % en 2020 à 6 % en 2021 en France, selon les données de l’Agence bio (Panorama 2022, juin 2023).

([119]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions concernant un plan d’action en faveur du développement de la production biologique, COM(2021) 141 final/2, 19 mai 2021, p. 9.

([120]) Audition de M. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, 12 juillet 2023.

([121]) L’arrêté du 3 octobre 2023 fixant le montant unitaire du programme volontaire pour le climat et le bien-être animal dit « écorégime » pour la campagne 2023 établit les montants unitaires suivants : 45,46 euros par hectare pour le niveau de base, 62,05 euros pour le niveau supérieur et 92,05 euros pour le niveau spécifique à l’agriculture biologique. Ces montants diffèrent sensiblement des prévisions du PSN français, qui anticipait des montants respectifs de 60 euros par hectare, de 80 euros par hectare et de 110 euros par hectare.

([122]) Marie Lassalas et al., L’accès à l’éco-régime français de la PAC par la voie de la certification environnementale, Économie rurale, 2023/2, n° 384, pp. 59-76.

([123]) Lettre d’observations de la Commission européenne sur le plan stratégique de la PAC de la France, 31 mars 2022.

([124]) Eurostat, Key figures on the European food chain, édition 2023, p. 18.

([125]) Communiqué de presse du ministère fédéral allemand de l’Alimentation et de l’Agriculture, « Neue GAP: Förderung gut angenommen, Zurückhaltung bei Ökoregelungen », 1er juin 2023, n° 72/2023.

([126]) Plusieurs scientifiques se sont exprimés en ce sens durant les auditions, dont Mme Josette Garnier, biologiste, et M. Marc Dufumier, agronome.

([127]) Plan stratégique national de la France pour la PAC 2023-2027, 2023, p. 363.

([128]) Articles 5 et 6 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC.

([129]) Article 96 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC.

([130]) Plan stratégique national de la France pour la PAC 2023-2027, 2023, p. 256.

([131]) Rapport de la Commission au Parlement et au Conseil, Synthèse des plans stratégiques relevant de la PAC pour la période 2023-2027: effort conjoint et ambition collective, COM(2023) 707 final, 23 novembre 2023.

([132]) Parlement européen, Analyse comparative des plans stratégiques relevant de la PAC et de leur contribution effective à la réalisation des objectifs de l’Union, direction général des politiques internes (DG IPOL), juin 2023.

([133]) Conférence franco-autrichienne sur les protéines végétales, 1er décembre 2021.

([134]) Résolution du Parlement européen du 19 octobre 2023 sur une stratégie européenne en matière de protéines, 2023/2015(INI).

([135]) Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Pêche durable dans l’Union européenne : état des lieux et orientations pour 2024, COM(2023) 303 final, 14 juin 2021.

([136]) Règlement (UE) 2024/257 du Conseil du 10 janvier 2024 établissant, pour 2024, 2025 et 2026, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union, et modifiant le règlement (UE) 2023/194.

([137]) Commission européenne, Le marché européen du poisson, EUMOFA, édition 2023, p. 37.

([138]) Commission européenne, La politique commune de la pêche en chiffres. Données statistiques de base, 2022.

([139]) Commission européenne, Le marché européen du poisson, EUMOFA, édition 2023, p. 23.

([140]) Article 3, paragraphe 1, d, du TFUE.

([141]) Règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de pêche.

([142]) Article 8 de l’accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union et la Commission européenne « Mieux légiférer » du 13 avril 2016.

([143]) Résolution du Parlement européen du 18 janvier 2024 sur le plan d’action de l’Union « Protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente », 2023/2124(INI).

([144])  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Plan d'action de l'UE : Protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente, COM(2023) 102 final, 21 février 2023, p. 13.

([145]) Assemblée nationale, Rapport d’information n° 2175 présenté par MM. Jean-Pierre Pont et Didier Quentin sur une pêche durable pour l’Union européenne, 17 juillet 2019.

([146]) ClientEarth, Taking stock 2022 – Are TACs set to achieve MSY ?, octobre 2022.

([147]) Commission européenne, Le marché européen du poisson, EUMOFA, édition 2022, p. 35.

([148]) Commission européenne, Stratégie de l’Union européenne pour la région du Danube, document de travail SWD(2020) 59 final, 6 mai 2020.

([149]) Article 43 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche.

([150]) Règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 sur la prévention et la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes.

([151]) Thierry Boisseaux, Propositions pour une politique de maintien et de développement de la pêche professionnelle en eau douce, CGEDD, décembre 2015.

([152]) Eurostat, International trade in goods for the EU – an overview, août 2023.

([153]) Table ronde sur les aspects commerciaux de la souveraineté alimentaire européenne, réunissant MM. Pierre-Marie Aubert, Jean-Christophe Bureau et Mme Marion Jansen.

([154]) Réponses écrites de l’Union des industries de la fertilisation (UNIFA).

([155]) FAO, La situation des marchés des produits agricoles, 2020, p. 38.

([156]) FranceAgriMer, Compétitivité des filières agroalimentaires françaises, juin 2021, p. 13.

([157]) Monia Snoussi-Mimouni et Edvinas Drevinskas, Les droits de douane appliqués par les membres de l'OMC ont presque diminué de moitié depuis 1996, billet de blog de l’OMC, 13 avril 2023.

([158]) OMC, World Tariff Profile 2022, 2022, p. 16.

([159]) OMC, Examen des politiques commerciales - rapport de l’Union européenne, WT/TPR/G/442, 11 avril 2023, p. 12.

([160]) Cecilia Bellora et Jean Fouré, Évaluation des accords commerciaux : petit guide à l’usage de ceux qui veulent comprendre, dans L’économie mondiale 2020, CEPII, Éditions La Découverte, 2019.

([161]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Réexamen de la politique commerciale – une politique commerciale ouverte, durable et ferme, COM(2021) 66 final, 18 février 2021.

([162]) Commission européenne, Monitoring EU Agri-Food Trade. Developments in 2022, mars 2023.

([163]) Emanuele Ferrari et al., Cumulative economic impact of trade agreements on EU agriculture, JRC Science for Policy Report, 2021.

([164]) À titre d’exemple, la clause de sauvegarde spéciale, applicable au secteur agricole en vertu du droit de l’OMC, a été activée par l’Union à partir de 1995 pour renchérir les importations européennes de produits avicoles congelés (règlement (CE) n° 1484/95 de la Commission du 28 juin 1995). Les producteurs de pays tiers, notamment du Brésil et de Thaïlande, ont substitué l’application d’une saumure artificielle à la congélation pour contourner la tarification douanière. Un surcroît de 336 000 tonnes équivalent carcasse (téc) de viandes de volaille saumurées a été importé en provenance de ces pays entre 1996 et 2001.

([165]) Programme de la présidence espagnole du Conseil de l’Union, « L’Europe, plus proche », 2023.

([166]) Rapport dit Ambec de la commission d’évaluation des dispositions et des effets potentiels de la partie commerciale de l’Accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable, avril 2020, p. 4.

([167]) Institut de l’élevage, Économie de l’élevage, dossier Viande bovine – Mercosur, n° 533, octobre 2022.

([168]) Fondation pour la Nature et l’Homme, Institut Veblen, Interbev, UE-Mercosur : les dangers d’une ratification de l’accord de commerce en l’état, mars 2023.

([169]) Commission européenne, projet d’instrument conjoint EU-Mercosur, mars 2023.

([170]) Conclusions du Conseil sur la négociation et la conclusion d’accords commerciaux de l’Union, 8 mai 2018.

([171]) Article 218 du TFUE.

([172]) Article 19.3, paragraphe 3, et article 19.6, paragraphe 3, de l’accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande.

([173]) Contribution écrite du think tank Europe Jacques Delors, en référence à l’affaire « Crevettes » de l’OMC (rapport de l’Organe d’appel, États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/T, 12 octobre 1998).

([174]) Commission européenne, Rapport au Parlement européen et au Conseil sur l’application des normes sanitaires et environnementales de l’Union aux produits agricoles et agroalimentaires importés, COM(2022) 226 final, 3 juin 2022, p. 26.

([175]) Directive 96/22/CE du Conseil du 29 avril 1996 concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances à effet hormonal ou thyréostatique et des substances ß-agonistes dans les spéculations animales.

([176]) Règlement (CE) n° 854/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant les règles spécifiques d’organisation des contrôles officiels concernant les produits d’origine animale destinés à la consommation humaine.

([177]) Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023, dit RDUE, relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts.

([178]) Service de recherche du Parlement européen, An EU legal framework to halt and reverse EU-driven global deforestation, septembre 2020, p. 24.

([179]) Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

([180]) Sénat, Rapport d’information n° 755 présenté par Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé sur la souveraineté économique de la France, 6 juillet 2022.

([181]) Stefan Frank et al., « How much multilateralism do we need? Effectiveness of unilateral agricultural mitigation efforts in the global context », Environmental Research Letters, n° 16, 2021.

([182]) Article 6 du règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

([183]) Commission européenne, Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, communication conjointe sur la stratégie « Global Gateway », JOIN(2021) 30 final, 1er décembre 2021.

([184]) CJUE, 19 janvier 2023, Pesticide Action Network Europe ASBL c/ État belge, affaire C-162/21.

([185]) Article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

([186]) Article 125 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

([187]) Arrêté du ministre de la Transition écologique et du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation du 5 février 2021 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam.

([188]) Arrêté du ministre de la Transition écologique et du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation du 31 janvier 2022 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam et précisant les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivantes.

([189]) Assemblée nationale, Rapport d’information n° 1530 présenté par Mme Hélène Laporte et M. Stéphane Travert sur l’évaluation de la loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, 12 juillet 2023, p. 43.

([190]) Audition de M. Pierre Bascou, directeur chargé des marchés de la DG AGRI de la Commission européenne, par la commission AGRI du Parlement européen, 29 juin 2023.

([191]) PAN, courrier adressé à Mme Stella Kyriakides, commissaire européenne en charge de la santé et de la sécurité alimentaire, 19 juillet 2023.

([192]) Règlement d'exécution (UE) 2018/113 de la Commission du 24 janvier 2018 renouvelant l'approbation de la substance active « acétamipride » conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et modifiant l'annexe du règlement d'exécution (UE) n° 540/2011 de la Commission.

([193]) La production des cultures sucrières brutes, telle que mesurée par la FAO, porte sur les récoltes de betteraves et de cannes – et non sur les débouchés de la filière (sucre brut et raffiné, éthanol).

([194]) Article 68 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

([195]) Résolution du Parlement européen du 19 octobre 2023 sur le renouvellement des générations dans les exploitations agricoles de l’UE de l’avenir, 2022/2182(INI).

([196]) Le règlement (UE) 2021/817 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 établissant Erasmus+, le programme de l’Union pour l’éducation et la formation, la jeunesse et le sport, et abrogeant le règlement (UE) n° 1288/2013, prévoit trois objectifs transversaux déclins en « actions clés ». Aux termes de l’annexe I du règlement, l’action clé n° 1 « Mobilité à des fins d’éducation et de formation » soutient notamment les mobilités dans les « domaines tournés vers l’avenir ».

([197]) Agence Erasmus + France et ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, Bilan 2014-2020 : Erasmus + pour l’enseignement agricole, décembre 2020, p. 11.

([198]) En France, l’agence nationale visée à l’article 26 du règlement établissant Erasmus + est l’Agence Erasmus + France, groupement d’intérêt public (GIP) créé en 2000.

([199]) Commission européenne, article 23 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement d’un cadre de mesures en vue de renforcer l’écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net », COM(2023) 161 final, 16 mars 2023.

([200]) Eurostat, Farms and farmland in the European Union – statistics, novembre 2022.

([201]) Plan stratégique national de la France pour la PAC 2023-2027, 2023, p. 31.

([202]) Eurostat, Prix ​​des terres agricoles par région, décembre 2022.

([203]) Cour des comptes, La politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, Communication à la commission des finances du Sénat, avril 2023, p. 79.

([204]) Liesbet Vranken et al., Agricultural land and market regulations in the EU Member States, JRC Technical Reports, 2021, p. 44.

([205]) Communication interprétative de la Commission sur l’acquisition de terres agricoles et le droit de l’Union européenne, (2017/C 350/05), 18 octobre 2017, p. 5.

([206]) CGAAER, Évolution des modes de portage du foncier, février 2023, p. 10.

([207]) Article 78 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC.

([208]) Cour des comptes, La politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, Communication à la commission des finances du Sénat, avril 2023, p. 86.

([209]) Résolution du Parlement européen du 19 octobre 2023 sur le renouvellement des générations dans les exploitations agricoles de l’UE de l’avenir, 2022/2182(INI).

([210]) Article 12 de la directive 2010/31/UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments.

([211]) Résolution du Parlement européen du 19 octobre 2023 sur le renouvellement des générations dans les exploitations agricoles de l’UE de l’avenir, 2022/2182(INI).

([212]) Le rapport de M. Jean-Bernard Sempastous sur la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (12 mai 2021, XVe législature) fait état d’une prise de conscience récente : « En France, les craintes quant à un accaparement des terres ont été révélées par l’achat de 1 700 hectares de terres arables en 2016 dans le département de l’Indre par un consortium chinois. Cet achat n’est pas isolé : d’autres acquisitions ont eu lieu sur des terres céréalières et, depuis plusieurs années, plusieurs centaines de vignobles dans le Bordelais et récemment en Bourgogne sont devenus la propriété d’investisseurs, souvent étrangers. » (p. 8).

([213]) CGAAER, Foncier agricole : accaparement ou investissement ? La nécessaire évolution des outils de régulation, avril 2017, p. 28.

([214]) Site Internet du réseau européen de la PAC.

([215]) Article 52 du règlement (UE) 2021/695 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon Europe » définissant ses règles de participation et de diffusion, et abrogeant les règlements (UE) n° 1290/2013 et (UE) n° 1291/2013.

([216]) Fi-compass, Survey on financial needs and access to finance of EU agricultural enterprises, 2023, p. 11. Les données sur les besoins de financement ont été recueillies au sein de 24 États membres (hors Chypre, Luxembourg et Malte). Le déficit de financement est défini largement comme la demande de financement non satisfaite émanant d’exploitations agricoles économiquement viables et de PME du secteur agro-alimentaire, incluant les demandes de prêts rejetées, les propositions de financement rejetées par l’emprunteur potentiel et les prêts non demandés par crainte d’un refus du créancier.

([217]) Les États membres peuvent soutenir les investissement des agriculteurs dans des actifs corporels et incorporels, par exemple pour l’acquisition de matériels ou la construction de bâtiments, dans le cadre d’une aide aux investissements productifs « on farm » financée par le Feader (article 73 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques relevant de la PAC).

([218]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Plan d'urgence visant à garantir l'approvisionnement et la sécurité alimentaires en période de crise, COM(2021) 689 final, 12 novembre 2021.

([219]) EFCSM, Recommendations on Ways to Improve the Diversity of Sources of Supply, juillet 2023.

([220]) EFCSM, Guidelines for Crisis Communication on Food Supply and Food Security, juillet 2023.

([221]) Commission européenne, State of Food Security in the EU. A qualitative assessment of food supply and food security in the EU within the framework of the EFSCM, n° 1, novembre 2023.

([222]) Eurostat, Key figures on the European food chain, édition 2023, p. 14.

([223]) Réponse écrite du service économique régional d’Helsinki.

([224]) Réponse écrite du Ministère de l'Agriculture et des Forêts de Finlande.

([225]) SGDSN, document de référence interministériel sur la stratégie nationale de résilience dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale – « Tenir dans la durée, collectivement et en profondeur face à la crise », 2022, p. 15.

([226]) Cour des comptes, La gestion publiques des risques. Mieux coordonner les actions, faire émerger une vision d’ensemble, rapport public thématique, juin 2023, p. 90.

([227]) Article L. 642-2 du code de l'énergie et article D. 1336-47 du code de la défense.

([228]) Article 39 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Le III de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime précise que les PAT « visent à rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs et à développer l'agriculture sur les territoires et la qualité de l'alimentation. »

([229]) Commission européenne, deuxième rapport annuel sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union, SWD(2022) 219 final, 1er septembre 2022, p. 7.

([230]) Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.

([231]) Réponse écrite de la direction générale du Trésor.

([232]) L’ensemble des IDE n’est pas soumis à autorisation préalable. Seuls sont visés les investissements répondant à trois conditions cumulatives : une condition tenant à la provenance de l’investissement (article R. 151-1 du CMF), une condition tenant à la nature de l’opération envisagée (article R. 151-2 du CMF), et une condition tenant à la nature de l’activité de la société cible (article R. 151-3 du CMF).

([233]) Le 9° du II de l’article R. 151-3 du code monétaire et financier renvoie à l’annexe I du TFUE, qui comprend une liste conséquente de produits alimentaires relevant des organisations communes des marchés (OCM) de la PAC.

([234]) Commission européenne, deuxième rapport annuel sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union, SWD(2023) 590 final, 19 octobre 2023, p. 8.

([235]) Commission européenne, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au filtrage des investissements étrangers dans l’Union, COM(2024) 23 final, 24 janvier 2024.

([236]) Commission européenne, article 4, paragraphe 4, b), de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au filtrage des investissements étrangers dans l’Union, COM(2024) 23 final, 24 janvier 2024. Les technologies, actifs et secteurs économiques visés sont listés en annexe II de la proposition de règlement.

([237]) Commission européenne, article 4, paragraphe 4, a), de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au filtrage des investissements étrangers dans l’Union, COM(2024) 23 final, 24 janvier 2024.