N° 2338

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mars 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la protection européenne du consommateur,

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Richard RAMOS

Député

——

 

  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Gabriel AMIEL, Rodrigo ARENAS, Mme Lisa BELLUCO, M. Pierrick BERTELOOT, M. Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Fabien DI FILIPPO, Grégoire DE FOURNAS, Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mmes Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Mmes Lysiane MÉTAYER, Naïma MOUTCHOU, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, MM. Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes  Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 

 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : MALGRÉ L’URGENCE À AGIR, LES INITIATIVES EUROPÉENNES EN MATIÈRE DE POLITIQUE NUTRITIONNELLE SONT ENLISÉES

I. LE PLAN « DE LA FERME À LA TABLE » PRÉVOYAIT UN SYSTÈME D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL OBLIGATOIRE HARMONISé

A. LE CARACTèRE OBLIGATOIRE DE L’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL, DONT L’EFFICACITé EST ÉTAYÉE SCIENTIFIQUEMENT, DÉPEND DE LA RéVISION DU RÈGLEMENT « INFORMATION DU CONSOMMATEUR »

1. La Commission européenne s’était engagée à proposer un système d’étiquetage nutritionnel obligatoire simplifié

a. Une révision du règlement « INCO » est nécessaire à cette fin

b. En l’état du droit européen, seules des initiatives fondées sur le volontariat sont autorisées

2. L’utilité d’un étiquetage nutritionnel obligatoire sur le modèle du NutriScore est démontrée par de nombreuses études expérimentales

B. LE PROJET D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL HARMONISÉ À L’ÉCHELLE DE L’UNION A ÉTÉ REPORTÉ SINE DIE

1. La Commission européenne a reporté à plusieurs reprises la présentation de sa proposition sur l’étiquetage nutritionnel

2. Le report de la révision de la directive INCO s’explique notamment par l’opposition de plusieurs États membres, coalisés autour de l’Italie

a. La France a porté des positions volontaristes pour améliorer l’information des consommateurs, aux côtés de cinq autres États membres

b. Le gouvernement italien, fermement opposé au Nutri-Score, est parvenu à rallier à sa cause plusieurs États membres

II. SI LE CADRE EUROPÉEN PERMET UNE RÉGULATION PLUS AMBITIEUSE DE LA PUBLICITÉ ALIMENTAIRE, LES INITIATIVES DES ÉTATS MEMBRES RESTENT TROP TIMIDES

A. LA LÉGISLATION EUROPÉENNE AUTORISE UNE RÉGULATION PLUS STRICTE DE LA PUBLICITÉ POUR LES PRODUITS NOCIFS

1. Le cadre européen permettrait de réguler plus strictement le marketing alimentaire

2. Les engagements volontaires, peu efficaces, sont pourtant trop souvent privilégiés

3. La France accuse un certain retard par rapport à plusieurs de ses voisins européens

a. La loi Gattolin et les quelques dispositifs déployés à l’échelle nationale ont une efficacité très limitée

b. Certains États de l’Union ont mis en place une réglementation sensiblement plus contraignante afin de mieux lutter contre la « malbouffe »

4. La définition des profils nutritionnels, attendue depuis 2009, est plus que jamais indispensable

B. LA RÉVISION DE LA POLITIQUE DE PROMOTION DES PRODUITS AGRICOLES A ÉTÉ À NOUVEAU REPORTÉE

DEUXIÈME PARTIE : L’ABANDON DU NUTRI-SCORE, OU LE SUCCès d’UNE OPéRATION DE LOBBYING AU DéTRIMENT DE LA SANTé PUBLIQUE

I. LES DÉBATS AUTOUR DE L’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL DES PRODUITS SE SONT ÉLOIGNÉS DES DONNÉES SCIENTIFIQUES

A. LE DISCOURS DE LA SCIENCE A ÉTÉ DÉTOURNÉ AU NOM DE LA DÉFENSE DU PATRIMOINE CULINAIRE

B. LES REPRÉSENTANTS DE L’AGRO-INDUSTRIE MÈNENT UN LOBBYING EFFICACE AU SEIN DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

1. Un projet d’étiquetage nutritionnel européen avait déjà dû être abandonné en 2011

2. Un combat à armes inégales : le phénomène de lobbying recouvre des réalités très diverses au sein des institutions européennes

II. UN accueil GLOBALEMENT réservé DES INDUSTRIELS SUR LE PRINCIPE DE L’étiquetage nutritionnel simplifié

1. La consultation publique a permis de recueillir des réponses de parties prenantes variées

2. Les contributions du secteur industriel et commercial sont globalement réservées sur le principe même de l’étiquetage nutritionnel

3. Parmi les contributions les plus hostiles au projet figurent celles des industriels et producteurs de denrées par nature défavorisées par l’étiquetage nutritionnel

III. UNE PROPOSITION DE TYPOLOGIE DES STRATÉGIES DE LOBBYING DÉPLOYÉES À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE CONTRE LE NUTRI-SCORE

A. UN LOBBYING INTENSE ET COORDONNé CONTRE LE PROJET D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL SIMPLIFIé

1. L’industrie agro-alimentaire a obtenu un nombre relativement important de rendez-vous auprès des services de la Commission européenne

2. Les interlocuteurs de la Commission européenne sont caractérisés par leurs positions largement défavorables au Nutri-Score

3. Le secteur industriel et le gouvernement italiens ont additionné leurs efforts à des étapes décisives du calendrier

B. QUELQUES EXEMPLES DE STRATÉGIES DÉPLOYÉES CONTRE LE NUTRI-SCORE DANS L’UNION

1. Les conférences destinées à orienter les débats ou à décrédibiliser le Nutri-Score

2. La commande de travaux de recherche visant à contrer le Nutri-Score : l’exemple du Nutrinform Battery

TROISIÈME PARTIE : POUR PRÉSERVER LA SANTÉ PUBLIQUE, LES DÉCIDEURS PUBLICS EUROPÉENS DOIVENT PRENDRE DES DÉCISIONS COURAGEUSES ET FONDÉES SUR LA SCIENCE

I. LA POLITIQUE NUTRITIONNELLE EUROPÉENNE DOIT FAIRE PRIMER LA SCIENCE POUR PROTÉGER LES CONSOMMATEURS ET PRÉSERVER LA CONFIANCE DANS L’ACTION PUBLIQUE

A. EN MATIÈRE DE POLITIQUE NUTRITIONNELLE, LES ENJEUX DE SANTÉ PUBLIQUE DEVRAIENT TOUJOURS PRÉVALOIR SUR LES CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES

1. Le tropisme excessif en faveur des intérêts économiques fragilise la politique de santé publique européenne

2. Le volontariat ayant montré ses limites, une réglementation plus contraignante doit être envisagée

B. LES ÉTATS MEMBRES DOIVENT PROMOUVOIR UN SYSTÈME D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL COLORIEL, QUI POURRAIT TENIR COMPTE DE L’ULTRA-TRANSFORMATION, excluant les produits sous sigle

1. Promouvoir un étiquetage des produits coloriel simple informant les consommateurs sur le degré de transformation des aliments et excluant les produits sous sigle

2. Mettre à l’étude un étiquetage « national » à la condition que 90 % des produits proviennent du pays

II. LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS DE L’UNION DOIVENT BÉNÉFICIER D’ACTIONS ÉDUCATIVES ET D’UN ENVIRONNEMENT NUTRITIONNEL SAIN

A. LA REVISION DU PROGRAMME DE L’UNION EN FAVEUR DE LA CONSOMMATION DE FRUITS, DE LÉGUMES ET DE LAIT EST ATTENDUE AVANT 2024

1. Depuis 2017, un programme de l’Union favorise la consommation de fruits, de légumes et de lait à l’école

2. La révision de ce programme, attendue avant 2024, doit tirer les enseignements de sa mise en œuvre

3. Les campagnes européennes de sensibilisation pourraient être intensifiées

B. LES PROGRAMMES SCOLAIRES DEVRAIENT MÉNAGER SUFFISAMMENT DE TEMPS POUR ÉDUQUER LE GOÛT ET LA PRATIQUE CULINAIRE

III. LES ÉTATS MEMBRES DEVRAIENT MOBILISER L’OUTIL FISCAL POUR AMÉLIORER L’OFFRE ALIMENTAIRE, TOUT EN SUBVENTIONNANT EN PARALLÈLE DES PRODUITS SAINS

A. DANS LES PAYS DE L’UNION, LA TAXATION DES DENRÉES NOCIVES DEVRAIT ÊTRE ÉLARGIE

1. La fiscalité nutritionnelle se limite aujourd’hui essentiellement à la taxation des boissons sucrées

2. Le champ de la fiscalité nutritionnelle devrait viser les aliments ultra-transformés et contenant des additifs nocifs

3. Un étiquetage obligatoire harmonisé à l’échelle européenne pourrait servir de base pour une taxation fondée sur la qualité nutritionnelle des produits

B. PROMOUVOIR une sécurité sociale alimentaire DURABLE AUX ÉCHELLES NATIONALE PUIS EUROPÉENNE, AFIN DE favoriser DES PRODUITS SAINS

1. À l’échelle nationale, la piste d’une sécurité sociale alimentaire durable est à étudier

2. À terme, la mise en œuvre d’une forme de sécurité sociale alimentaire pourrait faire l’objet d’un programme européen dédié

ConClusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

annexe  2 : Recensement des répondants opposant un avis défavorable aux deux affirmations relatives au nutri-score

 


   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

Dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table », présentée en mai 2020, et du « plan européen pour vaincre le cancer » de 2021 ([1]), la Commission européenne s’était engagée à déployer plusieurs outils pour faciliter l’adoption de régimes alimentaires sains et améliorer l’environnement nutritionnel dans l’Union européenne.

Toutefois, à l’approche des élections au Parlement européen, force est de constater que la plupart des engagements en matière de protection des consommateurs de denrées alimentaires ne seront finalement pas honorés.

Une résolution adoptée par le Parlement européen le 18 janvier 2024 ([2]) regrettait – entre autres sujets – le report sine die de la proposition de révision du règlement sur l’information des consommateurs (« INCO ») ([3]), nécessaire au projet d’étiquetage nutritionnel harmonisé obligatoire au niveau européen. D’autres projets inscrits dans la stratégie « de la ferme à la table » ont été reportés sine die, à l’instar de la définition par la Commission des profils nutritionnels des produits, attendue depuis 2009, et nécessaire pour réguler les allégations nutritionnelles et restreindre la promotion des aliments trop salés, trop sucrés ou trop gras.

Ces blocages entravent les efforts de protection des consommateurs, dans un contexte où les maladies chroniques liées à l'alimentation ont explosé, et où 53 % de la population européenne est en surpoids. Un avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) publié le 19 avril 2022 alertait aussi sur les apports alimentaires excessifs en acides gras saturés, en sodium et en sucres dans la plupart des populations européennes ([4]).

L’information nutritionnelle est devenue un enjeu fondamental de santé publique. L’abandon du projet de « Nutri-Score européen » est une occasion ratée pour aider les consommateurs à faire des choix alimentaires plus sains. L’hypothèse de sa généralisation obligatoire à l'échelle européenne – qui était au demeurant la deuxième des « mesures phares » du quatrième Programme national nutrition santé (PNNS) ([5]) – a cristallisé les oppositions de certains industriels. Devenu un véritable « objet politique », le Nutri-Score a été la victime d’un intense lobbying, dont les ressorts feront l’objet d’une analyse dans ce rapport.

La proposition de révision du règlement INCO, attendue avant le 31 décembre 2022, a été reportée indéfiniment. En mai 2023, 320 scientifiques et experts de la santé avaient pourtant appelé les autorités européennes « à faire le choix de la santé publique (…) face aux manœuvres des lobbies » ([6]).

Les systèmes d’étiquetage sur le modèle du Nutri-Score ont été la cible d’une offensive d’acteurs au plus haut niveau politique dans certains pays et de groupes d’intérêts usant de techniques de lobbying éprouvées. Le Bureau européen des consommateurs (BEUC) et Foodwatch, après avoir eu communication de documents concernant les rendez-vous des groupes d’intérêts auprès des services de la Commission européenne ([7]), ont dénoncé cette campagne qui a mis en échec le projet d’étiquetage nutritionnel simplifié.

Comme le relevait le récent rapport sénatorial relatif à la lutte contre l’obésité, le domaine de la politique nutritionnelle apparaît décidément comme un « terrain de jeu pour la captation de l’expertise et l’exercice de l’influence » ([8]), menaçant in fine la confiance démocratique et risquant d’accentuer les inégalités sociales.

Compte tenu des limites de l’autorégulation des fournisseurs, une protection efficace des consommateurs suppose une action politique résolue à l’échelle européenne. Le présent rapport proposera ainsi des pistes reposant notamment sur les piliers de l’éducation, de la régulation de la publicité ciblant les plus jeunes, et de l'étiquetage nutritionnel des aliments, ou mettant en jeu des dispositifs innovants tels que les chèques alimentaires ciblant les produits sains.

 


   PREMIÈRE PARTIE : MALGRÉ L’URGENCE À AGIR, LES INITIATIVES EUROPÉENNES EN MATIÈRE DE POLITIQUE NUTRITIONNELLE SONT ENLISÉES

À l’orée des élections européennes, cette partie dresse le bilan – pour le moins mitigé – de la mise en œuvre des initiatives prévues par la stratégie « de la ferme à la table » ([9]) en matière de protection des consommateurs de denrées alimentaires.

I.   LE PLAN « DE LA FERME À LA TABLE » PRÉVOYAIT UN SYSTÈME D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL OBLIGATOIRE HARMONISé

La proposition d’étiquetage nutritionnel harmonisé obligatoire, qui aurait pu s’inspirer du système du Nutri-Score introduit de manière facultative dans six États membres de l’Union, a été reportée sine die.

A.   LE CARACTèRE OBLIGATOIRE DE L’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL, DONT L’EFFICACITé EST ÉTAYÉE SCIENTIFIQUEMENT, DÉPEND DE LA RéVISION DU RÈGLEMENT « INFORMATION DU CONSOMMATEUR »

1.   La Commission européenne s’était engagée à proposer un système d’étiquetage nutritionnel obligatoire simplifié

a.   Une révision du règlement « INCO » est nécessaire à cette fin

L’article 169 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ([10]) prévoit que l’Union contribue, entre autres objectifs, à la protection de la santé des consommateurs, ainsi qu’à la promotion de leur droit à l’information. Une politique nutritionnelle de santé publique efficace implique que les consommateurs puissent faire des choix diététiques en connaissance de cause.

À cette fin, dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table » présentée le 20 mai 2020, la Commission européenne avait prévu de présenter avant la fin de l’année 2022 une proposition de logo synthétisant, sur la face avant des aliments, leur valeur nutritionnelle. Depuis 2016 ([11]), des tableaux de déclarations nutritionnelles figurent obligatoirement au dos de la grande majorité des emballages de denrées alimentaires emballées, mais ceux-ci sont essentiellement descriptifs. D’où la pertinence d’un système d’étiquetage nutritionnel simplifié et interprétatif ([12]), améliorant l’accès à l’information et l’interprétation des données nutritionnelles par les consommateurs.

À l’occasion du Conseil « Agriculture et Pêche » des 15 et 16 décembre 2020, les États membres avaient invité la Commission à entamer les travaux sur une proposition législative visant à réviser le règlement sur l’information des consommateurs relative aux denrées alimentaires (dit « INCO »([13]).

Cette proposition de révision du règlement « INCO » était initialement envisagée au quatrième trimestre 2022 et devait concerner l’étiquetage nutritionnel et de l’origine des produits ([14]). Victime d’une intense campagne de lobbying, dont les ressorts sont analysés dans la deuxième partie de ce rapport, et faute d’accord entre les États membres, l’initiative ne pourra finalement pas être présentée avant les prochaines élections au Parlement européen.

b.   En l’état du droit européen, seules des initiatives fondées sur le volontariat sont autorisées

Le « Nutri-Score » est la principale initiative volontaire en matière d’étiquetage nutritionnel sur la face avant des emballages. Ce système repose sur une échelle de couleurs (du vert au rouge) et des lettres allant de A à E. Son algorithme synthétise les données du tableau nutritionnel du produit sous forme d’une note globale compréhensible en un coup d’œil.


Échelle des couleurs et des lettres du Nutri-Score

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Source : Santé publique France

La conception du Nutri-Score, qui remonte à plus de dix ans ([15]), est le fruit du travail des équipes de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Après avoir surmonté de nombreux obstacles et les oppositions de certains industriels, ([16]) le logo a été déployé en France à partir d’octobre 2017 ([17]). Quelques mois auparavant, un rapport sur l’étiquetage nutritionnel simplifié ([18]), publié par le comité de pilotage de l’évaluation en conditions réelles d’achat, et fondé sur près de 3 millions d’observations obtenues auprès de plus de 190 000 clients, concluait à l’impact positif du Nutri-Score sur la qualité nutritionnelle du panier alimentaire.

Ce logo permet aux consommateurs de comparer la qualité nutritionnelle d’un même produit de différentes marques, ou de produits différents utilisés dans des conditions similaires. Ainsi que le relevait le rapport sénatorial relatif à la lutte contre l’obésité ([19]), son objectif est double : il vise, d’une part, à « encourager les consommateurs à faire des choix plus sains au moment de leur acte d’achat » et, d’autre part, à « inciter les industriels de l’agroalimentaire à reformuler leurs produits ».

À ce jour, six États membres de l’Union (France, Allemagne, Belgique, Espagne, Luxembourg et Pays-Bas), ainsi que la Suisse, ont fait du Nutri-Score leur système d’affichage nutritionnel officiel, qui reste néanmoins facultatif.

Depuis janvier 2021, des représentants et scientifiques issus de ces sept pays participent à la gouvernance transnationale du Nutri-Score. Un comité de pilotage et un comité scientifique indépendant ont été institués, avec pour principale mission de mettre régulièrement à jour l’algorithme du Nutri-Score.

L’algorithme du Nutri-Score a été mis à jour au 1er janvier 2024

La dernière évolution de l’algorithme du Nutri-Score ([20]) permet de l’adapter aux recommandations nutritionnelles les plus récentes, et de corriger certaines de ses limites ([21]). Le sucre, le sel et les mauvaises graisses sont davantage pénalisés, tandis que la présence de fibres est mieux valorisée.

Synthèse des dernières évolutions de l’algorithme du Nutri-Score

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Source : Santé publique France

Concrètement, ces modifications aboutissent à :

- un abaissement global des notes attribuées aux céréales de petit-déjeuner (seuls les mueslis sans sucre restent classés A ([22])), aux plats prêts-à-manger ou encore aux pizzas industrielles. Les boissons contenant des édulcorants sont rétrogradées, de même que les laits aromatisés et les yaourts à boire sucrés et aromatisés (désormais majoritairement classés dans les catégories D ou E) ;

- une amélioration des notes de certains fromages à pâte pressée, tels que l’emmental, en raison de leur faible teneur en sel et en graisse saturée (passage des catégories D à C). Les boissons peu sucrées et non édulcorées obtiennent de meilleures notes ;

- les pâtes et les pains complets, riches en fibres, sont désormais mieux notés (A) que leurs homologues raffinés (B ou C) ;

- les huiles riches en oméga-9 et en oméga-3 (huile d’olive, huile de colza et huile de noix), jusqu’alors classées C, sont désormais notées B.

 

 

Des systèmes d'étiquetage nutritionnel moins exhaustifs ont été mis en place dans d’autres pays de l'Union européenne. C’est notamment le cas du système des « verrous verts » (ou "Keyhole"), actuellement utilisé au Danemark et en Suède ([23]). En comparaison des produits appartenant à une même catégorie, l’attribution de ce logo indique que le produit ainsi identifié se distingue par certains critères de composition nutritionnelle, tels que des quantités réduites de graisses, de sucre et de sel, ou une plus grande proportion de fibres alimentaires et de graines.

Logo du Keyhole, présent au Danemark et en Suède

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Source : The Keyhole, Design Manual

Le système des « verrous verts » est peu contraignant, puisqu’il valorise les nutriments favorables à la santé, sans émettre d’avertissement sur ceux qui doivent être consommés avec modération. L’influente confédération FoodDrinkEurope, qui fédère la majorité des industriels du secteur, s’est montrée favorable à ce système ([24]).

Comme le concluait la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’alimentation industrielle ([25]), en l’absence de caractère obligatoire, ces initiatives ne peuvent jouer pleinement leur rôle de levier de transformation de l’offre alimentaire.

Dans le cas du Nutri-Score, le nombre de producteurs s’inscrivant dans cette démarche est certes croissant. Près de 60 % des produits du marché agroalimentaire sont désormais couverts en France et en Allemagne. L’apposition du logo doit englober l’intégralité des gammes de produits d'une marque participant à cette initiative (ainsi, un fabricant ne peut pas sélectionner les produits sur lesquels il entend apposer le Nutri-Score).

Néanmoins, plusieurs grands groupes – à l’instar de Coca-Cola, Lactalis, Ferrero ou Mondelez – refusent toujours de participer à cette démarche, ce qui a pour effet de priver les consommateurs d’un outil pour équilibrer leur alimentation.

2.   L’utilité d’un étiquetage nutritionnel obligatoire sur le modèle du Nutri‑Score est démontrée par de nombreuses études expérimentales

Le système du Nutri-Score, s’il n’a bien sûr pas vocation à se substituer à la mise en œuvre d’une politique publique complète de nutrition, n’en reste pas moins un pilier efficace dans la lutte contre la « malbouffe » ([26]).

Un modèle semblable au Nutri-Score aurait dû être instauré comme le logo obligatoire en matière d’étiquetage nutritionnel dans l’Union. En mars 2021, plus de 270 scientifiques et une vingtaine d’associations avaient lancé un appel invitant la Commission européenne à proposer « dès que possible » aux colégislateurs européens la généralisation de ce système d’étiquetage nutritionnel ([27]).

Lors de son audition par votre rapporteur, le Professeur Serge Hercberg, l’un des concepteurs du Nutri-Score, a insisté sur les fondements scientifiques de l’étiquetage nutritionnel simplifié. Plus de quarante publications dans des revues scientifiques ont examiné son efficacité. C’est ainsi que la Direction générale de la Santé (DG Santé) de la Commission européenne envisageait initialement un étiquetage nutritionnel fondé sur une approche similaire à celle du Nutri-Score ([28]).

Cette option était corroborée par l’étude publiée le 9 septembre 2022 par le Centre commun de recherche de l’Union ([29]), dont les conclusions mettaient en avant les effets positifs des étiquettes nutritionnelles simples, colorées et évaluatives.

 

L’étude du Centre commun de recherche du 9 septembre 2022 ([30])

Publiée dans le but d’éclairer la proposition de législation de la Commission européenne sur l’étiquetage nutritionnel harmonisé, l’étude du Centre commun de recherche (CCR) tire un bilan de 245 publications scientifiques. Elle analyse les résultats d’études expérimentales portant sur une grande variété d’étiquetages nutritionnels, parmi lesquels le Nutri-Score et le Keyhole, ainsi qu’aussi des logos créés par les acteurs privés, à l’instar du Nutrinform italien ou du Système d’étiquetage nutritionnel simplifié « SENS » créé par Carrefour.

Le CCR rappelle en toute rigueur que le « comportement des consommateurs est largement variable et influencé par de multiples facteurs », notant également que les méthodologies des publications scientifiques analysées peuvent différer, compliquant ainsi l'interprétation des données.

Néanmoins, plusieurs conclusions intéressantes peuvent être tirées, qui confortent le choix d’une approche similaire au modèle du Nutri-Score :

-          les systèmes prescriptifs ou directifs, tels que le Nutri-Score, apparaissent plus efficaces que les systèmes descriptifs, comme le NutrInform ;

-          le fait de comparer systématiquement des produits sur une base de 100 grammes aboutit à une « meilleure compréhension » qu’une comparaison fondée sur des portions ;

-          les logos coloriels sont plus facilement compréhensibles et stimulent l’attention ;

-          les logos coloriels sont parmi les plus « efficaces pour aider les consommateurs de niveau socio-économique plus faible à identifier l’option la plus saine ».

À l’occasion de leur audition par votre rapporteur, les représentants de l’UFC-Que Choisir ont présenté les conclusions de leur récente étude, démontrant que l’efficacité du Nutri-Score pour améliorer les recettes était bridée par son caractère optionnel ([31]).

Les catégories d’aliments affichant les teneurs les plus élevées en graisses saturées, en sucre ou en sel sont également celles dont la fréquence d’affichage du Nutri-Score est la plus faible. Ainsi, les rayons des biscuits et gâteaux, des barres et goûters chocolatés, des glaces et sorbets, ou encore des sauces condimentaires, se caractérisent par une faible adhésion à la démarche du Nutri-Score. Les qualités nutritionnelles des produits exposés dans ces rayons, analysées sur la période de 2015 à 2022, ont stagné. En revanche, les qualités nutritionnelles des produits arborant le Nutri-Score s’étaient améliorées au cours de la même période (à l’instar des barres céréalières, des céréales du petit-déjeuner et des pains spéciaux).

Il est particulièrement regrettable que l’opacité entourant l’information nutritionnelle concerne la plus grande partie de l’offre alimentaire déséquilibrée. Pour reprendre la formule de l’UFC-Que Choisir, « sans affichage du Nutri-Score, la malbouffe prospère ».

Évolution du Nutri-Score pour sept catégories d’aliments entre 2015 et 2022

Source : UFC-Que Choisir, avril 2023

Cependant, en contraste avec le ton largement positif des auditions menées par votre rapporteur, les représentants de l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES) ont rappelé les conclusions de leur avis ([32]) sur les systèmes d’information nutritionnelle destinés aux consommateurs, publié en février 2017. L’ANSES avait conclu que la mise en œuvre d’un système d’étiquetage nutritionnel tel que le Nutri-Score ne pouvait être vue que « comme une mesure d’accompagnement, dans le continuum nécessaire entre actions d’éducation, d’information et d’encadrement réglementaire », étant donné que l’influence de ces systèmes d’étiquetage sur les comportements des acheteurs apparaissait contrastée.

B.   LE PROJET D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL HARMONISÉ À L’ÉCHELLE DE L’UNION A ÉTÉ REPORTÉ SINE DIE

Les négociations sur l’étiquetage nutritionnel harmonisé se sont enlisées, entraînant l’abandon du projet au détriment de la protection de la santé des consommateurs.

1.   La Commission européenne a reporté à plusieurs reprises la présentation de sa proposition sur l’étiquetage nutritionnel

Attendue au quatrième trimestre 2022, la présentation de la proposition de révision sur l’étiquetage nutritionnel et l’origine des produits a d’abord été repoussée au début de l’année 2023. Le format de l’étiquetage nutritionnel harmonisé était loin de faire l’unanimité entre les différents services de la Commission européenne. La direction générale de l’Agriculture de la Commission européenne (DG Agri) semblait ainsi s’inquiéter d’un possible arbitrage de la DG Santé en faveur du Nutri-Score, et appelait à une « discu(ssion) au niveau politique » sur la « formule pour calculer le score des produits » si cette option était sélectionnée ([33]).

La DG Santé de la Commission européenne faisait finalement savoir en septembre 2022 qu’elle travaillait à une synthèse de plusieurs systèmes d’étiquetage nutritionnel présents sur le continent européen. Les adversaires de l’étiquetage nutritionnel harmonisé venaient de remporter une bataille : la mise au point d’un nouvel indicateur scientifiquement étayé aurait en effet nécessité plusieurs années ([34]).

Inquiets, 19 eurodéputés diffusaient en mars 2023 une lettre à l’attention de la Commission européenne, la priant « instamment de présenter sans plus tarder une proposition forte en faveur d’un système d’étiquetage nutritionnel harmonisé, favorable aux consommateurs et obligatoire à l’échelle de l’Union européenne » ([35]). Quelques jours plus tard, au cours de son audition au Parlement européen ([36]), la Commissaire Stella Kyriakídou déclarait seulement que la Commission « continu[ait] à collecter des informations ».

En octobre 2023, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) dressait un constat amer. Plus de trois ans après la publication de la stratégie « de la ferme à la table », en effet, la « Commission européenne n’a[vait] pas tenu sa promesse ».

La proposition relative à l’étiquetage nutritionnel est reportée sine die, et votre rapporteur ne peut que regretter ce renoncement, alors qu’une telle initiative était de nature à améliorer l’information des consommateurs dans l’Union.

2.   Le report de la révision de la directive INCO s’explique notamment par l’opposition de plusieurs États membres, coalisés autour de l’Italie

Les adversaires du Nutri-Score s’opposent notamment aux évaluations des denrées alimentaires fondées sur une note globale.

a.   La France a porté des positions volontaristes pour améliorer l’information des consommateurs, aux côtés de cinq autres États membres

La France a défendu – à l’instar de la Belgique, de l’Allemagne et des Pays‑Bas – la mise en place d’un étiquetage nutritionnel en face avant de l’emballage, harmonisé et obligatoire, fondé sur un code couleur.

Pour convaincre ses voisins européens, la France a soutenu le lancement d’une réflexion pour tenir compte des quantités représentatives de la réalité de la consommation ([37]). Selon les autorités françaises, la généralisation du système d’étiquetage nutritionnel obligatoire coloriel était en effet compatible avec une réflexion pour tenir compte des quantités représentatives de la réalité de la consommation.

Alors ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie se prononçait en 2021 en faveur de la généralisation d’un Nutri-Score européen, et contre l’exemption des fromages ou des huiles d’olive. Les produits sous « signes de qualité » –relevant des appellations d’origine protégée (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) – garantissent certes un savoir-faire reconnu, et la conformité à un cahier des charges spécifique, mais n’intègrent pas pour autant de considérations relatives à la « qualité nutritionnelle » ([38]).

b.   Le gouvernement italien, fermement opposé au Nutri-Score, est parvenu à rallier à sa cause plusieurs États membres

Comme le relevaient les membres du cabinet du ministre de l’Agriculture auditionnés par votre rapporteur, l’initiative sur l’étiquetage nutritionnel est devenue un véritable « objet politique ». Au moins sept États européens, coalisés autour de l’Italie, ont manifesté leur opposition à un logo de type Nutri-Score.

Le gouvernement italien s’est fermement opposé à l’étiquetage nutritionnel harmonisé en face avant des emballages, en raison de son impact jugé défavorable sur sa gastronomie et ses produits traditionnels. L’Italie a défendu une approche volontaire du dispositif, ainsi qu’un étiquetage descriptif sans note globale ni code couleur, incarné par une proposition alternative dite du « NutrInform » (voir infra, partie II., pour une présentation de ce système peu étayé scientifiquement).

Le gouvernement italien est parvenu à rallier à sa cause une coalition d’États suffisante pour constituer une minorité de blocage au Conseil de l’Union. La Grèce, la République tchèque, Chypre, la Lettonie, la Roumanie et la Hongrie ont endossé l’argumentaire italien en s’associant à une note informelle diffusée à l’occasion de la réunion du Conseil des ministres de l’Agriculture et de la Pêche du 21 septembre 2020 ([39]).

Outre ces sept États opposés au Nutri-Score, au moins quatre États membres défendaient l’exemption des produits sous signes de qualité. À l’occasion du Conseil des ministres de l’Agriculture et de la Pêche du 15 décembre 2020, par exemple, la Slovénie, la Lituanie, Malte et la Pologne avaient défendu de telles dérogations pour les produits sous signes de qualité, les produits traditionnels et les produits mono-ingrédients.

II.   SI LE CADRE EUROPÉEN PERMET UNE RÉGULATION PLUS AMBITIEUSE DE LA PUBLICITÉ ALIMENTAIRE, LES INITIATIVES DES ÉTATS MEMBRES RESTENT TROP TIMIDES

Le projet d’un étiquetage nutritionnel obligatoire ne dispense naturellement pas d’une réflexion plus globale sur l’environnement nutritionnel. Dans son « plan européen pour vaincre le cancer », la Commission européenne encourage ainsi les États membres à réduire la pression publicitaire pour les enfants et les adolescents ([40]).

Pourtant, comme le relevait le rapport sénatorial sur la lutte contre l’obésité, « l’impact sur les enfants de la publicité pour les aliments de faible qualité nutritionnelle est si bien documenté (…) qu’on peine à s’expliquer l’inaction publique en la matière » ([41]).

A.   LA LÉGISLATION EUROPÉENNE AUTORISE UNE RÉGULATION PLUS STRICTE DE LA PUBLICITÉ POUR LES PRODUITS NOCIFS

1.   Le cadre européen permettrait de réguler plus strictement le marketing alimentaire

Une politique plus ambitieuse – soit un encadrement rigoureux de la publicité relative à la « malbouffe » à destination des enfants – est à la fois nécessaire et possible en l’état du droit européen. La hiérarchie européenne des normes n’y fait pas obstacle, puisque la directive « Services média audiovisuels » (SMA ([42])) de 2010, qui régit les communications commerciales audiovisuelles, est d’harmonisation minimale. Les États membres devraient donc adopter des normes plus strictes, afin notamment de se conformer aux recommandations convergentes des experts, dans la lignée des recommandations formulées par l’OMS.

La directive SMA a été révisée en 2018 avec, entre autres objectifs, celui « d’étendre efficacement (…) l’environnement publicitaire réglementé à de nouveaux services en ligne » ([43]). Ont notamment été signalées comme inappropriées les « références relatives à des produits alimentaires ou boissons contenant des nutriments et des substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique, notamment ceux tels que les graisses, les acides gras trans, les sucres, le sodium ou le sel, dont l'apport excessif dans l'alimentation générale n'est pas recommandé., dans des programmes audiovisuels destinés aux enfants ».

L’un des enjeux affichés par le plan européen de lutte contre le cancer est de « réduire l’exposition des jeunes à la commercialisation en ligne de boissons alcoolisées en contrôlant la mise en œuvre de la directive « Services de médias audiovisuels » ([44]).

2.   Les engagements volontaires, peu efficaces, sont pourtant trop souvent privilégiés

Les États membres de l’Union – et singulièrement la France – continuent de s’appuyer sur des chartes volontaires (dites de « co-régulation »). Pourtant, ainsi que le relevait la Cour des comptes dans son rapport sur la prévention et la prise en charge de l’obésité ([45]), les engagements volontaires de l’industrie agroalimentaire pour limiter l’exposition des enfants ne sont pas efficaces.

 

Les limites de la démarche de l’EU Pledge

L’EU Pledge est une charte européenne initiée en 2008, au travers de laquelle de grands groupes des secteurs de l’alimentation et des boissons – tels que Burger King, Coca-Cola, Danone, Ferrero, Mars, Mondelez, Nestlé ou encore Unilever – ont pris des engagements « volontaires » à rendre leur marketing plus « responsable ».

Quelque 23 entreprises – représentant plus de 80% des dépenses publicitaires de leurs secteurs dans l’Union – en sont aujourd’hui signataires. Ceci vaut engagement à ne plus faire de publicité pour les enfants de moins de 13 ans, sur tous les supports, sauf pour les produits répondant aux critères nutritionnels d’un « Livre blanc » établi par les entreprises dans le cadre de ladite charte ([46]).

Au regard des critères fixés par l’OMS, toutefois, la carte de l’EU Pledge a pu être qualifiée de « laxiste » ([47]). Surtout, aucun mécanisme de contrôle ni de sanctions n’est assorti au non-respect des engagements. En outre, la limite d’âge de 13 ans fixée dans l’EU Pledge est trop peu exigeante : l’OMS et de nombreux experts estiment que les restrictions devraient s’appliquer sur les publicités destinées aux enfants jusqu’à 18 ans.

Une étude ([48]) menée en 2018 sur les effets de l’EU Pledge faisait état de résultats très limités. Plus récemment, l’association Foodwatch a conclu – à partir d’un échantillon de 228 produits – que près de 86 % des produits analysés et commercialisés par les 23 marques signataires de l’EU Pledge à destination des enfants étaient déséquilibrés ([49]).

 

Une régulation normative de la publicité est dès lors indispensable pour protéger efficacement les consommateurs, et tout particulièrement les enfants et les adolescents. Les représentants de l’association de défense des consommateurs Foodwatch, auditionnés par votre rapporteur, jugent indispensable d’« encadrer la publicité et le marketing qui ciblent les moins de 16 ans pour les produits alimentaires trop sucrés, trop gras, trop salés », alors que les enfants sont aujourd’hui « surexposés à un marketing et à une publicité alimentaires agressifs, qui les incitent à consommer des produits trop gras, trop sucrés, trop salés, entraînant la prise d’habitudes alimentaires mauvaises pour leur santé ».

Une récente publication ([50]) de Foodwatch confirme que les engagements volontaires n’ont pas permis de limiter l’exposition des enfants à la publicité et au marketing. L’association estime que « les autorités ont sciemment choisi de se laisser bercer par la douce musique des lobbies », ignorant au demeurant les recommandations répétées des parlementaires et de l’OMS ([51]). L’étude de Foodwatch montre que les industriels rivalisent d’ingéniosité pour influencer les choix de consommation des enfants, au travers de diverses stratégies marketing. Les partenariats avec des influenceurs, les placements de produits sur les réseaux sociaux, ou encore les jeux mêlant aspects ludiques et publicitaires (« advergames ») ont « envahi le quotidien numérique des plus jeunes et sont souvent hors du radar des parents et des régulateurs » ([52]). Ceci est d’autant plus alarmant que les plus jeunes consommateurs manquent du recul critique nécessaire pour distinguer un contenu informatif d’un contenu commercial ([53])

L’urgence à agir est clairement établie, alors que le surpoids et l’obésité ont considérablement augmenté chez les plus jeunes, et tout particulièrement parmi les classes sociales les moins favorisées ([54]).

3.   La France accuse un certain retard par rapport à plusieurs de ses voisins européens

a.   La loi Gattolin et les quelques dispositifs déployés à l’échelle nationale ont une efficacité très limitée

En matière de régulation de la publicité, la France accuse un certain retard, y compris vis-à-vis de certains de ses partenaires européens. Les dispositifs prévus à l’échelle nationale sont largement insuffisants pour fonder une stratégie efficace en matière de politique nutritionnelle.

En effet, le seul dispositif contraignant est prévu par la loi dite « Gattolin » du 20 décembre 2016 ([55]), qui dispose que les « programmes des services nationaux de télévision [...] destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages génériques pour des biens ou services relatifs à la santé et au développement des enfants ou des campagnes d’intérêt général. » Cette restriction doit être observée « durant la diffusion de ces programmes ainsi que pendant un délai de quinze minutes avant et après cette diffusion » et s’applique « également à tous les messages diffusés sur les sites internet de ces mêmes services nationaux de télévision qui proposent des programmes prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans ».

La régulation française de la publicité souffre donc de sévères lacunes, puisqu’elle ne concerne ni les chaînes privées ni les programmes tous publics, pourtant majoritairement regardés par les enfants ([56]). Dans un rapport publié en 2020 ([57]), Santé Publique France jugeait ainsi que l’impact de la loi « Gattolin » était « extrêmement limité ». L’interdiction prévue ne concerne en moyenne que 1 % du temps passé par les 4-17 ans devant la télévision ([58]).

La loi sur la santé publique du 9 août 2004 a prévu par ailleurs que les annonceurs devaient intégrer des messages sanitaires incitant à des comportements sanitaires sains en matière d’alimentation et d’activité physique dans les publicités promouvant des produits trop gras, trop sucrés, trop salés.

Une incitation à l’autorégulation – dite « Charte d’engagement visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusées à la télévision » ([59])  – a également été promue en 2009 sous l’égide du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Les limites de cette Charte ont toutefois été relevées par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’alimentation industrielle ([60]), précisant que les efforts de reformulation observés sont insuffisants pour conclure à l’existence de réels progrès nutritionnels. Un rapport de Santé Publique France publié en juin 2020 regrettait également la « faible efficacité » de la Charte, s’expliquant tant par son caractère non contraignant que par le fait que « rien n’e[st] inscrit pour limiter l’exposition des enfants à la publicité » ([61]) .

 

La Convention Citoyenne pour le Climat avait appelé à une forte restriction de la publicité des produits alimentaires nocifs

La Convention citoyenne pour le climat avait explicitement recommandé d’interdire la publicité pour les produits proscrits par le Programme National Nutrition (PNNS).

À cette occasion, l’industrie alimentaire – au travers de l’action de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) – avait milité contre cette mesure de santé publique ([62]). Dans une lettre envoyée à quatre ministres, l’ANIA arguait que la préconisation de la Convention Citoyenne pour le Climat visant à « interdire la publicité pour les produits proscrits par le PNNS » ne « répondait pas au mandat » de la Convention. Les représentants de l’industrie déclaraient être « convaincus que la co-régulation des acteurs est plus efficace que des mesures d’interdiction inscrites dans la loi », et ce en dépit des limites bien connues, et citées plus haut.

Le sujet n’a pas été repris dans le projet de loi climat et résilience. Un amendement déposé par le député Matthieu Orphelin, dont l’objectif était de réguler les publicités sur la malbouffe, a été jugé irrecevable.

De nombreuses associations de santé, à l’instar de la Fédération Française des Diabétiques, ont regretté profondément l’absence de disposition en faveur d’un meilleur encadrement du marketing alimentaire.

b.   Certains États de l’Union ont mis en place une réglementation sensiblement plus contraignante afin de mieux lutter contre la « malbouffe »

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a adopté des recommandations pour une réduction des techniques de marketing ayant un rôle néfaste sur les comportements alimentaires. Les autorités publiques devraient en effet protéger les consommateurs, en particulier les enfants et les adolescents, d’une surexposition au « marketing de la malbouffe ».

Les diverses techniques de marketing alimentaire
ciblant les enfants selon Foodwatch

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Source : Foodwatch, « Les enfants, cibles du marketing de la malbouffe : l’heure de l’action politique », septembre 2023, p. 6

C’est dans cet esprit que, parmi les États membres de l’Union européenne, la Suède et l’Irlande ont décidé de limiter la publicité pour des aliments malsains visant les enfants.

Présentation synthétique des dispositions relatives à la régulation de la publicité
en Suède et en Irlande

 

I/. En Suède, la loi sur la radiodiffusion et la télédiffusion de 1991 vise à régir les publicités et à renforcer la protection des jeunes consommateurs. Les pratiques de marketing sont réglementées par la loi sur les pratiques commerciales de 2008 ([63]). Ainsi, des règles spécifiques s'appliquent à la publicité télévisée et radiophonique d'une part, et au marketing diffusé via des médias non radiodiffusés d'autre part.

La législation suédoise interdit la publicité télévisée ciblant les enfants faisant la promotion des produits riches en graisses, en sucre ou en sel avant, pendant et après les programmes télévisés destinés aux enfants de moins de 12 ans.

Les publicités en ligne, y compris celles diffusées sur les réseaux sociaux, doivent être clairement identifiables comme telles et ne doivent pas encourager une alimentation malsaine. Lorsqu’une publicité est émise par un organisme établi dans un autre État de l’Espace économique européen et que la publicité est principalement voire entièrement destinée à la Suède, l’autorité de régulation suédoise peut demander à l’organisme émetteur de la publicité de se conformer à la législation nationale.

Pour réguler les techniques de marketing, la loi sur la radiodiffusion de 1991 interdit aux annonceurs d’utiliser des personnages de dessins animés ou des personnages populaires chez les enfants pour promouvoir des produits alimentaires non sains à la télévision, sur le télétexte et dans les publicités à la demande. Cependant, aucune disposition n'interdit l'utilisation de méthodes susceptibles d'exploiter la naïveté naturelle et l'attachement émotionnel des enfants.

Ces lois établissent également une interdiction d'envoyer des courriers promotionnels directement à des enfants de moins de 16 ans. Le code d'autorégulation vient compléter ces dispositions législatives afin de garantir que le marketing numérique respecte les normes internationales.

La Cour du marché est chargée, en Suède, de contrôler la conformité des publicités ([64]). Certaines limites ont pu être identifiées dans cette régulation, telles que l’absence de seuils d’âges standardisés des publics protégés.

 

II/. En Irlande, le Code des communications commerciales s'adressant aux enfants, révisé en 2013, réglemente les publicités télévisées ciblant les enfants de moins de 18 ans, notamment celles promouvant des produits alimentaires à forte teneur en gras, en sucre et en sel.

Les publicités visant les enfants sont interdites dans les programmes télévisés où plus de 50% de l'auditoire a moins de 18 ans. Les restrictions s'appliquent également au parrainage publicitaire, au téléachat et au placement de produits alimentaires malsains.

La publicité pour les produits à teneur élevée en gras, en sucre et en sel est limitée à un maximum de 25% du temps publicitaire vendu et à un rapport d'une publicité sur quatre.

En outre, aucune publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans ne doit contenir d'allégations nutritionnelles ou en matière de santé, ni l'utilisation de personnages sous licence.

Les produits alimentaires sont soumis à une réglementation d'étiquetage visant à informer les consommateurs de tous âges sur la composition et la valeur nutritionnelle des produits.

Les promotions alimentaires et les stratégies mises en œuvre par la grande distribution devraient être strictement encadrées, afin d’inciter les consommateurs à acheter des produits moins gras et moins sucrés.

Le rapport sénatorial relatif à la lutte contre l’obésité recommandait de suivre l’exemple du Royaume-Uni ([65]) en interdisant, en grande distribution, les promotions commerciales et les stratégies marketing pour une liste de produits trop sucrés, salés ou gras.

Il appelait surtout « à une adoption sans détour des recommandations faites par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ([66]) en matière de publicité et de marketing destiné aux enfants. » Votre rapporteur se prononce ainsi favorablement à l’interdiction de tous supports publicitaires à destination des moins de 16 ans pour des aliments classés D ou E selon le Nutri-Score, ainsi qu’à l’interdiction des dispositifs marketing ludiques visant à capter l’attention des enfants (jeux promotionnels, concours, mascottes).

4.   La définition des profils nutritionnels, attendue depuis 2009, est plus que jamais indispensable

La stratégie « de la ferme à la table » a réaffirmé la nécessité de définir des profils nutritionnels afin de restreindre la commercialisation et la promotion d’aliments malsains au moyen d’allégations nutritionnelles et de santé ([67]).

Or, ainsi que le relevait une résolution du Parlement européen en date du 18 janvier 2024, « les consommateurs continuent d’être exposés à des allégations nutritionnelles ou de santé positives sur les denrées alimentaires riches en graisses, en sel ou en sucre, ce qui est incompatible avec l’objectif d’une protection rigoureuse des consommateurs. » ([68]). Les stratégies de promotions alimentaires devraient en effet être réservées aux produits ayant un intérêt nutritionnel marqué.

En 2018, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’alimentation industrielle avait déjà exigé que la définition des profils nutritionnels soit effective, afin de réguler les allégations nutritionnelles. Afin d’éviter que « les consommateurs ne soient induits en erreur lorsqu’ils s’efforcent de faire des choix sains dans le cadre d’une alimentation équilibrée », le règlement n°1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires prévoyait – au plus tard le 19 janvier 2009 – l’établissement de profils nutritionnels.

Votre rapporteur ne peut que regretter que, « du fait de la résistance de certains États membres et des résistances de l’industrie agro-alimentaire » ([69]), la proposition de la Commission sur les profils nutritionnels – attendue depuis 2009 et qui était finalement prévue pour 2022 dans le cadre de la révision du règlement INCO – n’ait toujours pas été présentée. La présence en ligne d’allégations nutritionnelles et de santé non autorisées et trompeuses rend pourtant cet enjeu plus pressant que jamais.

B.   LA RÉVISION DE LA POLITIQUE DE PROMOTION DES PRODUITS AGRICOLES A ÉTÉ À NOUVEAU REPORTÉE

Dans la lignée du plan de lutte contre le cancer, et comme envisagé dans la stratégie « de la ferme à la table », une révision du règlement n°1144/2014 relatif à des actions d’information et de promotion concernant les produits agricoles devait être présentée par la Commission avant le 31 décembre 2020, avant d’être reprogrammée (en vain) pour début 2022.

L’objectif affiché était d’aboutir à la révision de la politique de promotion des produits agricoles, qui désigne les programmes européens de promotion finançant des campagnes de publicité sur le marché intérieur et auprès de pays tiers. Le budget des programmes de promotion est de l’ordre de 200 millions d’euros par an.

La Commission avait indiqué vouloir réviser la politique de promotion pour qu’elle « contribue davantage à une production et à une consommation durables, en adéquation avec l’évolution des régimes alimentaires ». Une révision du règlement n°1144/2014 ([70]) était envisagée pour exclure de la politique de promotion la viande rouge et/ou transformée, ainsi que l’alcool ([71]). Si la réflexion sur la politique de révision renferme une légitimité certaine sur le plan scientifique, un nombre important d’États membres y étaient opposés.

 


Le plan européen pour vaincre le cancer

Présenté en 2020, le plan européen de lutte contre le cancer part du constat que, sans action décisive, les cas de cancer devraient augmenter de 18 % d’ici à 2040 ([72]), ce qui en ferait la principale cause de décès dans l’Union européenne.

Le plan européen pour vaincre le cancer bénéficie d’un financement de 4 milliards d’euros d’ici à 2030, dont 1,25 milliard provenant du programme « L’Union européenne pour la santé ».

Le plan repose sur les piliers suivants :

-          la prévention des cancers (sachant qu’environ 40 % des cancers pourraient être évités) ;

-          la détection précoce du cancer (en 2025, au moins 90 % de la population de l’Union remplissant les conditions requises pour participer au dépistage du cancer du sein, du cancer du col de l’utérus et du cancer colorectal devraient se voir proposer un tel dépistage) ;

-          l’égalité d’accès au diagnostic et au traitement du cancer (mise en place d’une plateforme de l’UE visant à améliorer l’accès aux médicaments anticancéreux et à soutenir les professionnels de l’oncologie au moyen d’un programme de formation interspécialités) ;

-          améliorer la qualité de vie des patients atteints d’un cancer et des personnes ayant survécu à un cancer

Le 21 février 2022, à l’initiative de la Pologne, les ministres de l’Agriculture de 19 pays ([73]) de l’Union européenne avaient demandé à la Commission de ne pas exclure le vin et les viandes de la future politique de promotion des produits agricoles européens. Lors du Conseil Agriculture du 23 octobre 2023, l’Italie avait également insisté pour que la politique de promotion des produits agricoles de l’Union pour 2024 ne « stigmatise » pas la consommation de viandes rouges et transformées ainsi que d’autres aliments associés à des risques de cancer tels que les boissons alcoolisées.

Si, pour reprendre les termes de la Direction générale de l’agriculture (DG Agri) ([74]), la révision de la politique de promotion apparaît comme « bloquée », il n’en reste pourtant pas moins nécessaire d’œuvrer pour trouver un point d’équilibre, compatible avec la protection de la santé des consommateurs de denrées alimentaires et le soutien aux agriculteurs.

 


Les objectifs du programme de promotion des produits agricoles
de l’Union pour 2024

Le programme de promotion des produits agricoles de l’Union européenne pour 2024 a été adopté en novembre 2023 (décision d’exécution de la Commission européenne du 14 novembre 2023, relative au financement d’actions d’information et de promotion concernant les produits agricoles réalisées sur le marché intérieur et dans les pays tiers et à l’adoption du programme de travail pour 2024).

La Commission européenne allouera 185,9 millions d'euros en 2024 à des initiatives visant à promouvoir les produits agroalimentaires durables et de qualité supérieure de l'Union, tant au niveau national qu'international (soit un budget stable par rapport à 2023 et 2022).

L'un des objectifs majeurs de la politique de promotion pour 2024 est de renforcer la notoriété du logo biologique de l'Union européenne auprès des consommateurs européens, tout en stimulant la consommation de produits biologiques conformément au plan d’action de l’Union pour la production biologique. Un deuxième volet de cette stratégie vise à accroître la visibilité des systèmes de qualité de l'Union et des produits enregistrés sous des indications géographiques. En parallèle, la promotion de la consommation de fruits et légumes frais dans le cadre d'une alimentation équilibrée demeure un axe central de la politique de promotion de l'Union européenne.

*

Force est de constater que le calendrier d’application de la stratégie « de la ferme à la table » pour la protection des consommateurs n’a pas été tenu, et que les promesses en la matière ont dès lors été largement déçues.

 

 


   DEUXIÈME PARTIE : L’ABANDON DU NUTRI-SCORE, OU LE SUCCès d’UNE OPéRATION DE LOBBYING AU DéTRIMENT DE LA SANTé PUBLIQUE

La campagne menée contre la généralisation du Nutri-Score est un cas d’étude édifiant des stratégies de lobbying déployées au détriment de la santé publique.

Les stratégies d’influence des acteurs du secteur de l’agro-alimentaire pénalisent l’élaboration d’une politique de santé publique européenne cohérente et risquent plus largement d’alimenter la crise démocratique de nos sociétés.

I.   LES DÉBATS AUTOUR DE L’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL DES PRODUITS SE SONT ÉLOIGNÉS DES DONNÉES SCIENTIFIQUES

Le Nutri-Score est devenu un véritable objet politique. Son procès a été instruit par des acteurs industriels, avant que leurs arguments ne soient largement relayés dans l’espace public européen. Il est particulièrement préjudiciable que les débats sur les questions de santé publique « reposent de moins en moins sur des données scientifiques » ([75]).

A.   LE DISCOURS DE LA SCIENCE A ÉTÉ DÉTOURNÉ AU NOM DE LA DÉFENSE DU PATRIMOINE CULINAIRE

Selon ses détracteurs, le Nutri-Score procéderait d’une vision « hygiéniste » et « discriminerait » le régime méditerranéen. L’information scientifique se trouve noyée sous un flux de considérations étrangères à la préservation de la santé ([76]).

L’Italie, en particulier, s’est vigoureusement opposée à la généralisation de l’étiquetage nutritionnel simplifié obligatoire ([77]), au nom de la protection de ses traditions culinaires ([78]). Le ministre de l’Agriculture italien, Francesco Lollobrigida, accusait injustement le Nutri-Score de favoriser les produits transformés au détriment des produits italiens.

L’information scientifique se trouve ainsi noyée sous un flux de considérations étrangères à la préservation de la santé ([79]). Ces accusations sont de surcroît inexactes : l’UFC-Que Choisir a par exemple conclu, en s’appuyant sur 588 références de produits traditionnels, que 62 % des aliments du terroir obtiendraient des notes favorables. De plus, le Nutri-Score fournit un signal pour les aliments défavorablement notés, qui ont leur place dans une alimentation diversifiée et équilibrée, sous réserve de les consommer en quantités modérées et à des fréquences raisonnables ([80]).

S’il est bien sûr légitime de vouloir protéger la production alimentaire italienne, l’un des atouts industriels transalpins, cet effort ne saurait se faire au détriment de la transparence et de l’examen scientifique des problèmes. L’étiquetage nutritionnel simplifié n’a pas pour objectif de diaboliser certains produits, mais vise bien à « traduire » des informations nutritionnelles figurant déjà au dos des emballages, en un score aisément compréhensible. Pour convaincre ses voisins européens, la France avait soutenu le lancement d’une réflexion sur le traitement des produits sous signes de qualité. Selon les autorités françaises, la généralisation du système d’étiquetage nutritionnel obligatoire coloriel était en effet compatible avec une réflexion pour tenir compte des quantités représentatives de la réalité de la consommation.

B.   LES REPRÉSENTANTS DE L’AGRO-INDUSTRIE MÈNENT UN LOBBYING EFFICACE AU SEIN DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

1.   Un projet d’étiquetage nutritionnel européen avait déjà dû être abandonné en 2011

Dans le cadre des discussions sur la proposition initiale de règlement « INCO », la généralisation d’un système d’étiquetage nutritionnel coloriel – sous la forme de feux tricolores – avait été envisagée. En mars 2010, la commission Environnement du Parlement européen s’était prononcée, à une courte majorité de deux voix, en défaveur de ce système d’étiquetage coloriel, et qui n’avait finalement pas été retenu dans le règlement adopté en 2011.

Comme l’ont rappelé les représentants de Foodwatch à l’occasion de leur audition par votre rapporteur, cette proposition avait déjà cristallisé les oppositions des représentants du secteur agro-alimentaire. Entre 2006 et 2011, un milliard d’euros auraient ainsi été engagés ([81]) par la Confédération des Industries Agro‑Alimentaires de l'Union européenne (CIAA) dans une opération de lobbying victorieuse. Des eurodéputés de différents bords avaient en outre dénoncé les méthodes particulièrement offensives déployées, se traduisant par exemple par le dépôt de tracts sur les bureaux des députés européens pour les appeler à voter contre certains amendements à la proposition de règlement INCO ([82]).

2.   Un combat à armes inégales : le phénomène de lobbying recouvre des réalités très diverses au sein des institutions européennes

En 2021, plus de 12 500 organisations étaient recensées au registre de transparence, représentant quelque 50 000 lobbyistes ([83]) à Bruxelles ([84]), dont 1 600 disposant d’un accès au Parlement européen.

La nature de ces organisations et des intérêts qu’elles représentent sont certes très variés, qu’il s’agisse de syndicats, d’associations d’entreprises, d’Organisations non gouvernementales, ou encore de think tanks. Néanmoins, la défense des intérêts privés – en particulier ceux des entreprises du secteur agro-alimentaire – est particulièrement bien structurée. C’est notamment ce que relevait Joan Cortinas Muñoz, co-auteur de l’ouvrage Des lobbys au menu, lors de son audition par votre rapporteur, sur la base des constats qu’il avait pu établir à l’échelle nationale.

La notion de lobbying implique aussi bien un travail d’étude des dossiers qu’un effort de persuasion interpersonnelle, supposant une professionnalisation ([85]). Seule la partie émergée de cette activité est observable, faute d’outils de recensement efficaces.

 

Le registre de transparence de l’Union européenne

Le registre de transparence de l’Union européenne est une base de données répertoriant les organisations qui cherchent à influencer le processus législatif et de mise en œuvre des politiques européennes. Elle résulte de la fusion, en 2011, du registre de lobbyistes du Parlement européen (créé 1995) et de celui de la Commission européenne (initié en 2008).

Cette base de données doit répondre aux objectifs posés à l’article 11 du Traité sur l’Union européenne, tenant à l’établissement d’un cadre favorisant des relations transparentes et éthiques entre les institutions et les responsables politiques européens, la société civile et les associations représentatives.

 

Si la base de données du registre de transparence donne un aperçu des actions de lobbying, elle ne constitue que la partie émergée des actions visant à influencer les décisions publiques. Afin que les actions visant à influencer les décisions publiques s’inscrivent dans un cadre plus transparent, les obligations de déclaration et les sanctions associées gagneraient à être renforcées ([86]). Plus spécifiquement, comme le suggère Joan Cortinas Muñoz, les moyens que les entreprises agroalimentaires engagent au titre de leurs activités politiques pourraient être soumis à déclaration publique obligatoire.

II.   UN accueil GLOBALEMENT réservé DES INDUSTRIELS SUR LE PRINCIPE DE L’étiquetage nutritionnel simplifié

Dans le cadre de la proposition de révision des règles du règlement INCO, la Commission européenne a organisé une consultation publique ([87]). L’un des objectifs était de recueillir les contributions des parties prenantes intéressées sur le projet d’étiquetage alimentaire en face avant des emballages. Quelques enseignements peuvent en être tirés en première analyse.

1.   La consultation publique a permis de recueillir des réponses de parties prenantes variées

Quelque 3 224 réponses ont été recueillies lors de cette consultation. Près de 65 % émanent de citoyens de l’Union, tandis qu’un peu plus de 35 % sont issues de « groupes d’intérêts » variés, répondant peu ou prou au champ des « représentants d’intérêts » au sens de la loi « Sapin II » ([88]). Parmi les répondants, les contributeurs non-particuliers étaient en majorité des groupes d’intérêt du secteur industriel et commercial.

Nous nous intéresserons ici aux 924 réponses de ces « groupes d’intérêt », dont nous proposerons la classification ci-après :

Proposition de classification de groupes d’intérêt ayant participé à la consultation et nombre de réponses par catégorie

Source : travaux du rapporteur, à partir des données de la consultation publique de la Commission européenne

2.   Les contributions du secteur industriel et commercial sont globalement réservées sur le principe même de l’étiquetage nutritionnel

Deux des affirmations sur lesquelles les répondants étaient invités à se prononcer intéresseront cette section. Elles constituent en effet les marqueurs les plus pertinents pour évaluer la réaction des représentants d’intérêts – commerciaux et associatifs – au projet d’étiquetage nutritionnel à l’échelle européenne.

La première affirmation soumise aux contributeurs était la suivante : « L’étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages est un outil important pour améliorer les habitudes alimentaires de la population ». L’objectif était ici de recueillir les avis des acteurs sur la pertinence même de l’étiquetage nutritionnel.

La seconde affirmation était comme suit : « Les consommateurs devraient avoir accès à la même étiquette nutritionnelle sur le devant de l’emballage partout dans l’Union ». Il s’agissait cette fois d’explorer les perspectives d’harmonisation d’un tel dispositif à l’échelle européenne.

Les représentations graphiques proposées ci-dessous s’intéressent spécifiquement aux catégories de répondants « entreprises » et « groupes d’entreprises ». Elles montrent que, si le projet d’harmonisation de l’étiquetage des produits recueille un avis favorable, le principe même de l’étiquetage nutritionnel est en revanche accueilli plus froidement.

Répartition des réponses selon une échelle de préférence de 1 à 5 pour les deux affirmations sélectionnées, pour les répondants du secteur industriel et commercial

Source : travaux du rapporteur, à partir des données de la consultation publique de la Commission européenne

Les deux affirmations étudiées ne sont pas nécessairement corrélées : un producteur défavorable au principe d’un étiquetage nutritionnel peut soutenir parallèlement un dispositif européen harmonisé, dès lors qu’il y voit un moyen de renforcer l’interopérabilité de ses produits dans l’Union. Surtout, l’affirmation n° 2, qui pose le principe de l’harmonisation de l’étiquetage et recueille un avis très favorable, ne détaille en rien les modalités concrètes d’une telle harmonisation, pas plus que les critères sur lesquels se fonderait un Nutri-Score européen.

3.   Parmi les contributions les plus hostiles au projet figurent celles des industriels et producteurs de denrées par nature défavorisées par l’étiquetage nutritionnel

Si l’on s’intéresse à présent aux entreprises ou associations d’entreprises les plus radicalement opposées au projet d’étiquetage nutritionnel (s’étant déclarées « très défavorables » aux deux affirmations) on retrouve une surreprésentation de producteurs ou d’associations de producteurs de vins, de produits laitiers transformés (fromages, sauces laitières) et de denrées alimentaires dont l’impact nutritionnel pourrait obtenir une note défavorable en cas de généralisation d’une note harmonisée simplifiée.

On relèvera également la franche opposition de la centrale agricole italienne Coldiretti, qui revendique près d’1,5 million de membres parmi les entrepreneurs agricoles en Italie et en Europe. L’organisation a produit par ailleurs de nombreux communiqués contre le Nutri-Score.

III.   UNE PROPOSITION DE TYPOLOGIE DES STRATÉGIES DE LOBBYING DÉPLOYÉES À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE CONTRE LE NUTRI-SCORE

Une intense opération de lobbying a été menée pour contrer le projet d’un étiquetage nutritionnel simplifié. Le débat public européen a été pénétré par des arguments trompeurs, résultant de stratégies éprouvées, au détriment des politiques de santé publique.

Cette section propose une typologie sommaire des interventions des groupes d’intérêt qui ont influencé les débats sur l’étiquetage nutritionnel simplifié.

A.   UN LOBBYING INTENSE ET COORDONNé CONTRE LE PROJET D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL SIMPLIFIé

L’intensité du lobbying contre le Nutri-Score a été mise à jour par une enquête menée par deux associations ([89]), révélant que les groupes d’intérêt de l’industrie agro-alimentaire avaient obtenu de nombreux rendez-vous auprès des services de la Commission européenne.

Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) et Foodwatch ont obtenu communication de documents relatifs aux réunions des différents groupes d’intérêt auprès des services de la Commission européenne, alors que se poursuivait la réflexion sur le projet d’étiquetage nutritionnel simplifié. L’analyse proposée dans cette section tire quelques enseignements quantitatifs et qualitatifs, en s’appuyant sur ce corpus documentaire.

 


Champ et limites du corpus recueilli par l’enquête du BEUC et de Foodwatch

Le BEUC et Foodwatch ont effectué un travail de collecte à la faveur d’une demande formelle d’accès aux documents ([90]) adressée aux services de transparence des institutions européennes. Ainsi, les deux associations ont eu accès aux échanges de courriels ainsi qu’à de brefs comptes rendus des réunions entre les membres de la DG SANTÉ et de la DG AGRI de la Commission européenne et leurs interlocuteurs.

Le corpus rassemblé se compose d’une trentaine d’échanges de courriels et de documents relatant les rencontres tenues au cours de l’année 2022 entre, d’une part, la DG SANTÉ ou la DG AGRI de la Commission et, d’autre part, différents interlocuteurs (industriels, associations, représentants d’États).

Pour chacun des rendez-vous mentionnés, les documents obtenus par le BEUC et Foodwatch prennent généralement la forme d’un cours récapitulatif des principaux points abordés par les différents interlocuteurs. Si ces points permettent d’appréhender le positionnement général des parties prenantes, ils se bornent néanmoins souvent à reprendre les questions posées aux services de la Commission. La teneur précise des échanges ainsi que de nombreuses autres données restent donc indisponibles, faute de comptes rendus exhaustifs ou plus explicites.

Malgré ces limites, l’identité des interlocuteurs des services de la Commission, la teneur générale des échanges, et le calendrier dans lequel ceux-ci se sont inscrits fournissent d’importantes indications sur les rapports de force et le cadre dans lequel les discussions se sont inscrites.

1.   L’industrie agro-alimentaire a obtenu un nombre relativement important de rendez-vous auprès des services de la Commission européenne

Le premier enseignement du corpus constitué par les deux associations tient au profil des interlocuteurs de la Commission.

Comme le résument les deux graphiques ci-dessous, l’industrie agroalimentaire est nettement surreprésentée parmi les acteurs ayant sollicité et obtenu un rendez-vous auprès de la DG AGRI et de la DG SANTÉ au cours de l’année 2022, afin d’aborder la question de l’étiquetage nutritionnel simplifié. Les représentants de syndicaux sectoriels, tels que ceux de la volaille, de l’huile d’olive, ou encore des céréales, ont pu obtenir un nombre important de rendez-vous auprès de la DG SANTÉ.

 

Répartition des interlocuteurs des services de la Commission européenne lors des négociations sur l’étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires en 2022

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Remarque : La catégorie « Autre » regroupe des acteurs ne pouvant pas être rattachés à l’industrie agroalimentaire, mais qui en partagent dans les faits parfois les intérêts ([91]).

Source : travaux du rapporteur, à partir des données collectées par le BEUC et Foodwatch

Votre rapporteur regrette le fort déséquilibre entre le nombre de rendez-vous obtenu, d’une part, par les représentants des groupements d’intérêts et, d’autre part, par les représentants de la société civile ([92]).

Les ministres du gouvernement italien ou les membres de la représentation permanente de l’Italie – meneuse de la fronde contre le projet d’étiquetage nutritionnel – sont nettement surreprésentés parmi les interlocuteurs institutionnels de la Commission, même si des représentants de la Finlande, de l'Autriche et de l'Islande (membre de l’Espace économique européen ([93])) ont également été entendus.

2.   Les interlocuteurs de la Commission européenne sont caractérisés par leurs positions largement défavorables au Nutri-Score

Sur la base des échanges de courriels – et tout en gardant à l’esprit les limites méthodologiques exposées supra –, une évaluation de l’opinion globale des interlocuteurs des deux directions générales (DG SANTÉ et DG AGRI) à l’égard du projet d’étiquetage nutritionnel simplifié peut être établie.

Nous faisons ici le choix de classer selon quatre catégories la tonalité des réunions :

 

-         « Favorable » : lorsque l’interlocuteur de la Commission soutenait expressément un projet d’étiquetage des denrées alimentaires de type Nutri‑Score au niveau européen, avec de potentielles réserves résiduelles tenant au calendrier ou à des considérations pratiques.

-         « Réserves » : dans le cas où l’interlocuteur soulevait des réserves substantielles sur ce projet, en exigeant par exemple que le système favorise certaines denrées par rapport à d’autres, ou en suggérant une méthodologie de classement différente.

-         « Défavorable » : lorsque l’interlocuteur s’opposait catégoriquement au principe même d’un étiquetage nutritionnel, ou bien émettait des réserves d’une telle importance qu’elles auraient conduit à vider l’initiative de son sens.

-         « Données indisponibles » : si la réunion n’a pas fait l’objet d’un compte rendu, ou que les données ne sont pas suffisamment étayées pour établir avec certitude une opinion.

Sur cette base, on constate (cf. représentations graphiques ci-dessous) une nette prééminence des avis défavorables ou assortis d’importantes réserves parmi les opinions entendues par la Commission européenne sur la question de l’étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires. Les seules réunions dont la tonalité était favorable étaient celles des associations de défense de consommateurs, ainsi que des représentants de la Finlande et de l’Islande.

Recensement des opinions des interlocuteurs de la Commission sur l’initiative d’étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires (FOPNL)

 

Remarque : il n’a été comptabilisé qu’une seule position pour les États membres interrogés par la DG AGRI. Toutes les réunions ont eu lieu avec des interlocuteurs liés au gouvernement italien.

Source : travaux du rapporteur, à partir des données collectées par le BEUC et Foodwatch

3.   Le secteur industriel et le gouvernement italiens ont additionné leurs efforts à des étapes décisives du calendrier

L’intensité du lobbying italien, notamment à des moments clefs du projet de Nutri-Score européen, est un autre enseignement des documents obtenus par le BEUC et Foodwatch.

D’un point de vue quantitatif, tout d’abord, on constate l’addition des efforts du secteur industriel et des pouvoirs publics italiens pour obtenir l’abandon du projet d’étiquetage nutritionnel simplifié.

D’une part, la Représentation permanente de l’Italie a obtenu deux rendez-vous avec la DG AGRI, ainsi qu’un entretien avec la DG SANTÉ. Le ministre italien de l’Agriculture s’est entretenu parallèlement avec des membres de la DG AGRI. D’autre part, la centrale céréalière Coldiretti – déjà active au stade de la consultation publique (cf. supra) – et le syndicat du vin italien ont rencontré des représentants de la DG SANTÉ pour signifier leur opposition au projet de Nutri-Score européen.

Ensuite, alors que la présentation de la proposition de réforme du règlement INCO était attendue pour la fin de l’année 2022, le lobbying italien s’est intensifié à compter d’octobre 2022, notamment auprès de la DG AGRI.

Des représentants de Federalimentare, une centrale représentant l’industrie italienne de l’alimentation et de la boisson, et de la chancellerie italienne auprès de l’Union européenne ont ainsi obtenu, le 27 octobre 2022, un premier rendez-vous avec la DG AGRI et le chef de cabinet du Commissaire européen à l’Agriculture. Ainsi que le relève le bref compte rendu de cette réunion, l’objectif des représentants italiens était de rappeler l’opposition de leur pays au Nutri-Score, tout en soutenant que ce système était dépourvu de base scientifique et en mobilisant des arguments étonnants (ainsi, le mauvais classement des produits à base de cacao risquerait-il de nuire aux pays tiers producteurs et d’accroître la pression migratoire dans l’Union) ([94]). Dès le 28 octobre 2022, la représentation permanente italienne et Federalimentare obtenaient un nouvel échange – cette fois à distance – avec la DG AGRI pour réitérer leurs arguments contre le Nutri-Score.

Le 4 novembre 2022, le directeur de cabinet du Commissaire à l’Agriculture adressait une note à l’attention du cabinet de la Commissaire à la Santé, exprimant les réticences de la DG AGRI au modèle du Nutri-Score ([95]). Cette note appelait à privilégier une amélioration de la visibilité des informations nutritionnelles déjà inscrites sur les denrées alimentaires, en ajoutant par exemple de la couleur sur les tableaux nutritionnels.

C’est ainsi que le BEUC croit déceler un lien très clair entre l’activité de lobbying des industries et des pouvoirs publics italiens et la mise à l’arrêt du projet de Nutri-Score européen, ce dont la Commission européenne se défend toutefois ([96]). En tout état de cause, force est de constater qu’au terme d’une « infatigable campagne de lobbying contre le Nutri-Score en Italie et à Bruxelles », le gouvernement italien est parvenu à faire bouger « les plaques tectoniques de la diplomatie alimentaire » ([97]).

B.   QUELQUES EXEMPLES DE STRATÉGIES DÉPLOYÉES CONTRE LE NUTRI-SCORE DANS L’UNION

Une abondante littérature sociologique a mis en exergue les efforts déployés par les lobbyistes pour orienter les politiques publiques nutritionnelles à l’échelle nationale ([98]).

Ainsi que le relevait le Professeur Serge Hercberg au cours de son audition par votre rapporteur, la production de « faux cognitif », le discrédit jeté sur les partisans du Nutri-Score et les mises en cause ad hominem, ou encore les propositions d’alternatives peu étayées scientifiquement sont autant de stratégies qui ont également été déployées dans l’Union contre l’étiquetage nutritionnel simplifié.

Nous présenterons ici un échantillon de ces méthodes en revenant, d’une part, sur l’organisation d’événements et conférences destinés à orienter les débats et, d’autre part, sur la commande de travaux de recherche visant à contrer le Nutri-Score.

1.   Les conférences destinées à orienter les débats ou à décrédibiliser le Nutri-Score

Diverses conférences, « souvent à charge, et souvent parrainées par le secteur agroalimentaire » ([99]) ont été l’occasion de relayer des arguments pour minimiser l’impact de l’environnement alimentaire en insistant sur la responsabilité propre des consommateurs, ou encore pour s’inquiéter des risques que ferait peser l’étiquetage nutritionnel sur certaines traditions culinaires.

Nous citerons ainsi – en guise d’exemple – trois conférences tenues dans la dernière « ligne droite » du calendrier initial de présentation de la proposition de révision du règlement INCO :

-         le 10 novembre 2022, la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne organisait une conférence en présence, notamment, de CopaCogeca ([100]) et d’industriels du secteur. À cette occasion, le Vice-ministre de l’Agriculture tchèque reprenait à son compte les principaux arguments mobilisés contre le Nutri-Score, accusé d’être trop simple, trompeur et discriminant ([101]) ;

-         le 16 novembre 2022, l'Agence italienne du commerce extérieur (ICE) organisait au Parlement européen un débat sur le thème du régime méditerranéen ([102]). Cet événement, destiné notamment à « promouvoir les traditions régionales » fut également l’occasion de diffuser des arguments défavorables au Nutri-Score ;

-         le 29 novembre 2022, une conférence sponsorisée par le think tank italien Competere était organisée par le média Euractiv. Le communiqué de presse ([103]) diffusé en conclusion concluait sans ambages que le débat avait « révélé la confusion et l’absence de consensus sur l’approche de l’Union concernant sa proposition d’étiquetage alimentaire, qui est au point mort ». Ce même communiqué citait certes les positions très favorables au Nutri-Score des eurodéputées Véronique Trillet-Lenoir (Renew) et Michèle Rivasi (Verts/ALE) – invitées à s’exprimer à cette occasion – tout en suggérant que leurs arguments ne faisaient que « repr[endre] la ligne gouvernementale répétée à l’envi par les scientifiques, les associations de consommateurs et les médias français ».

Au-delà de ces enceintes de débats, les campagnes de communication ont trouvé un terreau fertile sur les réseaux sociaux (au travers, par exemple, du hashtag #NoNutriscore).

2.   La commande de travaux de recherche visant à contrer le Nutri-Score : l’exemple du Nutrinform Battery

Annoncé en février 2022 par le gouvernement italien, le système NutrInform est un logo essentiellement descriptif dont la vocation est de concurrencer le Nutri-Score. Le communiqué de présentation du ministère des Affaires étrangères italien indique que ce système, élaboré en coopération avec Federalimentare, concilie des « principes incontournables : la promotion de régimes alimentaires sains, la sauvegarde des traditions gastronomiques locales, la production durable, la liberté de choix du consommateur » ([104]).

Le NutrInform retrace les valeurs nutritionnelles d’un produit alimentaire au travers d’un design en batterie représentant le pourcentage de certains nutriments par rapport aux quantités journalières recommandées.

Exemple d’affichage du Nutrinform battery

 

https://nutriscoreblog.files.wordpress.com/2021/03/image.png?w=490

Contrairement au Nutri-Score, le NutrInform n’attribue ainsi aucune note globale aux produits et ne repose pas non plus sur un code couleur. Plus généralement, son interprétation a pu être qualifiée de contrintuitive : un « niveau de charge » élevé des batteries signifie que les aliments devraient être consommés en quantité réduite pour respecter les apports journaliers.

Si le communiqué officiel précité assure que le NutrInform a été « conçu et réalisé par un groupe de travail composé d’experts de quatre ministères (santé, agriculture, affaires étrangères, développement économique), de scientifiques de l’alimentation et de représentants de l’agriculture, de l’industrie et des consommateurs », ses fondations scientifiques n’en restent pas moins fragiles. Deux publications ([105]) issues du département de marketing d’une université italienne détonnent certes en vantant les mérites du NutrInform pour aider les consommateurs dans leurs achats. Toutefois, outre qu’elles reposent sur des échantillons relativement modestes, la crédibilité de ces études a été remise en question ([106]).

Ces études, en diffusant des données présentées comme contradictoires et défavorables au Nutri-Score, jouent sur l’état d’incertitude propre à la recherche scientifique, et peuvent avoir pour effet de retarder d’autant l’action des décideurs publics ([107]).

*

Les interventions du secteur agro-alimentaire contre le Nutri-Score sont un exemple du caractère systémique du lobbying déployé au profit de la défense d’intérêts économiques privés. L’accès à une information fiable et transparente, qui est un pilier incontournable de la protection des consommateurs européens, est mis à mal par un ensemble de stratégies qui risquent, à terme, de miner la confiance dans les institutions politiques.

 


   TROISIÈME PARTIE : POUR PRÉSERVER LA SANTÉ PUBLIQUE, LES DÉCIDEURS PUBLICS EUROPÉENS DOIVENT PRENDRE DES DÉCISIONS COURAGEUSES ET FONDÉES SUR LA SCIENCE

I.   LA POLITIQUE NUTRITIONNELLE EUROPÉENNE DOIT FAIRE PRIMER LA SCIENCE POUR PROTÉGER LES CONSOMMATEURS ET PRÉSERVER LA CONFIANCE DANS L’ACTION PUBLIQUE

A.   EN MATIÈRE DE POLITIQUE NUTRITIONNELLE, LES ENJEUX DE SANTÉ PUBLIQUE DEVRAIENT TOUJOURS PRÉVALOIR SUR LES CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES

1.   Le tropisme excessif en faveur des intérêts économiques fragilise la politique de santé publique européenne

Au sein de la Commission européenne, les sujets relevant de la santé des consommateurs devraient relever de la compétence exclusive de la DG Santé, alors que celle-ci apparaît aujourd’hui concurrencée par la DG Agri.

À l’échelle nationale, les sujets relevant de la Santé publique doivent être traités par le ministère de la Santé plutôt que par le ministère de l’Agriculture. Le modèle luxembourgeois, où a été créé en 2013 un ministère autonome dédié à la Protection des consommateurs, directement chargé de la politique de protection juridique des consommateurs et de la sécurité alimentaire pourrait aussi être testé.

2.   Le volontariat ayant montré ses limites, une réglementation plus contraignante doit être envisagée

Les invitations à l’auto-régulation sont évidemment positives, mais elles connaissent des limites évidentes. Le rapporteur estime qu’il est aujourd’hui nécessaire de fixer par voie législative ou réglementaire les teneurs maximales en acides saturés et sucres ajoutés des produits en s’appuyant sur les recommandations de l’Anses et du Haut Conseil pour la santé publique.

 

 

 

B.   LES ÉTATS MEMBRES DOIVENT PROMOUVOIR UN SYSTÈME D’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL COLORIEL, QUI POURRAIT TENIR COMPTE DE L’ULTRA-TRANSFORMATION, excluant les produits sous sigle

1.   Promouvoir un étiquetage des produits coloriel simple informant les consommateurs sur le degré de transformation des aliments et excluant les produits sous sigle

La consommation de nourriture ultra-transformée provoque une augmentation du risque des pathologies, des maladies cardiovasculaires, de diabète, d’hypertension, des cancers comme le montrant de nombreuses études. ([108])

Le projet de « Nutri-score 2.0 » élaboré par l’équipe de chercheurs de M. Serge Hercberg ([109]) , étude publiée en juin 2023) concilie la simplicité du Nutri-score et la nécessité d’informer du degré de transformation des aliments (sur les aliments ultra-transformés, le logo originel du Nutri-score serait entouré d’un bandeau noir).

 

En outre, les eurodéputés se sont prononcés de manière consensuelle pour que l’étiquetage nutritionnel pénalise les produits ultra-transformés.

Il pourrait donc être envisagé de faire évoluer l’algorithme et l’affichage du Nutri-score afin de mieux prendre en compte les aliments ultra-transformés.

Les outils digitaux, tels que Yuka, sont très utiles mais ne permettent pas de lutter contre les fractures numérique et alimentaire entre consommateurs. C’est à la puissance publique de prendre ses responsabilités.

Enfin, les produits sous sigle devraient être exclus de l’étiquetage des produits.

2.   Mettre à l’étude un étiquetage « national » à la condition que 90 % des produits proviennent du pays

Le rapporteur estime qu’il conviendrait de mettre à l’étude la possibilité d’un étiquetage « national » des produits, à la condition que 90 % de ces produits proviennent bien du pays en question. Ainsi les produits du terroir seraient bien valorisés et protégés.

II.   LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS DE L’UNION DOIVENT BÉNÉFICIER D’ACTIONS ÉDUCATIVES ET D’UN ENVIRONNEMENT NUTRITIONNEL SAIN

Outre la régulation de la publicité ciblant les enfants, qui constitue un impératif pour un environnement nutritionnel plus sain, les programmes scolaires devraient être adaptés afin de sensibiliser les jeunes, d’éduquer le goût et la pratique culinaire.

A.   LA REVISION DU PROGRAMME DE L’UNION EN FAVEUR DE LA CONSOMMATION DE FRUITS, DE LÉGUMES ET DE LAIT EST ATTENDUE AVANT 2024

1.   Depuis 2017, un programme de l’Union favorise la consommation de fruits, de légumes et de lait à l’école

Au sein de l’Union européenne, 19 millions d’enfants ont bénéficié de ce programme en 2019/2020, avec pour objectifs d’« améliorer la distribution de produits agricoles et les habitudes alimentaires des enfants ».

2.   La révision de ce programme, attendue avant 2024, doit tirer les enseignements de sa mise en œuvre

La révision du programme, prévue à ce stade au dernier trimestre 2023, pourrait conduire à certaines améliorations.

Le rapporteur soutient la proposition de la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen qui appelle la Commission européenne à accroître le budget alloué à ce programme, à consacrer au moins 10 % des fonds à des mesures éducatives, et à revoir la liste des aliments éligibles.

3.   Les campagnes européennes de sensibilisation pourraient être intensifiées

L’Union européenne conduit parfois des campagnes pour promouvoir des modes de vie plus sains. Il serait judicieux de dresser le bilan de la campagne « HealthyLifestyle4All », lancée en septembre 2021, dont l’objectif était de promouvoir des modes de vie sains en associant sport et alimentation saine.

B.   LES PROGRAMMES SCOLAIRES DEVRAIENT MÉNAGER SUFFISAMMENT DE TEMPS POUR ÉDUQUER LE GOÛT ET LA PRATIQUE CULINAIRE

Les modules de formation au goût et à la pratique de la cuisine pourraient par exemple être (ré-)introduits dans les programmes scolaires, comme le préconisait déjà l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et techniques dans ses travaux sur l’alimentation ultra-transformée.

Le ministère de l’éducation nationale pourrait se voir confier la conception d’un module de formation obligatoire au goût et à la pratique de la cuisine dès l’école primaire. ([110])

III.   LES ÉTATS MEMBRES DEVRAIENT MOBILISER L’OUTIL FISCAL POUR AMÉLIORER L’OFFRE ALIMENTAIRE, TOUT EN SUBVENTIONNANT EN PARALLÈLE DES PRODUITS SAINS

L’OMS suggère de recourir à l’outil fiscal pour améliorer l’offre alimentaire. Elle prône des droits d’accises sur les aliments transformés à la composition nutritionnelle trop sucrée, grasse ou salée.

A.   DANS LES PAYS DE L’UNION, LA TAXATION DES DENRÉES NOCIVES DEVRAIT ÊTRE ÉLARGIE

Si l’Union peut adopter des mesures harmonisées en matière de fiscalité indirecte (TVA, droits d’accises) dans le cadre de la réalisation du marché intérieur, la politique fiscale reste soumise au vote à l’unanimité, ce qui entrave sa capacité à harmoniser les législations fiscales nationales (Article 113 du TFUE). La fiscalité nutritionnelle relèverait donc pour l’essentiel de l’action des États.

1.   La fiscalité nutritionnelle se limite aujourd’hui essentiellement à la taxation des boissons sucrées

Au-delà des boissons, les taxes ciblant des aliments à faible qualité nutritionnelle n’existent que ponctuellement, notamment en Hongrie (taxe sur certains produits sucrés et salés) et au Danemark (taxe sur certains produits sucrés en plus des boissons).

En France, la fiscalité nutritionnelle se limite aux contributions sur les boissons sucrées et édulcorées. En outre, le régime de TVA appliqué aux boissons sucrées (taux réduit à 5,5 %) manque de cohérence.

Il conviendrait de mettre fin aux incohérences fiscales, liées notamment à la TVA, au regard des caractéristiques nutritionnelles des denrées alimentaires.

2.   Le champ de la fiscalité nutritionnelle devrait viser les aliments ultra-transformés et contenant des additifs nocifs

Sur la base d’une définition reconnue des aliments ultra-transformés, une taxation spécifique pourrait être créée.

Pour limiter les effets régressifs de la fiscalité nutritionnelle, son produit servirait à soutenir les ménages les plus modestes et à financer des programmes de sensibilisation.

Dans une note de juillet 2023 ([111]), le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) recommande aussi d’étudier l’extension du champ de la fiscalité nutritionnelle au-delà des boissons en ciblant les produits sucrés ou contenant des additifs nocifs pour la santé.

3.   Un étiquetage obligatoire harmonisé à l’échelle européenne pourrait servir de base pour une taxation fondée sur la qualité nutritionnelle des produits

Une taxation fondée sur la qualité nutritionnelle des produits permettrait la prise en compte globale de la qualité des produits et limiterait les effets de substitution.

B.   PROMOUVOIR une sécurité sociale alimentaire DURABLE AUX ÉCHELLES NATIONALE PUIS EUROPÉENNE, AFIN DE favoriser DES PRODUITS SAINS

1.   À l’échelle nationale, la piste d’une sécurité sociale alimentaire durable est à étudier

La mise en œuvre d’une sécurité sociale alimentaire est une piste dont la faisabilité est étudiée ([112]). Elle pourrait prendre la forme d’une carte de paiement acceptée par les professionnels équipés d’un terminal électronique ;

Il pourrait être envisagé d’expérimenter cette solution dans plusieurs départements.

2.   À terme, la mise en œuvre d’une forme de sécurité sociale alimentaire pourrait faire l’objet d’un programme européen dédié

La France devrait soutenir la mise en œuvre d’une sécurité sociale alimentaire européenne, via un soutien financier apporté aux ménages les plus modestes.

 

 


   ConClusion

 

Ce rapport a été porté par trois convictions profondes.

La première est que sans information et sans éducation adéquates des consommateurs, c’est la malbouffe qui s’impose, au détriment de la santé de nos concitoyens et notamment des plus jeunes.

La deuxième conviction est que la protection de la santé des consommateurs et celle de la production agricole de nos terroirs ne sont pas incompatibles.

La troisième et dernière conviction est que l’accès à une alimentation saine, équilibrée et de qualité est un droit fondamental qui doit être garanti par la puissance publique et qui ne doit pas dépendre de notre pouvoir d’achat ou notre catégorie socio-professionnelle.

Malgré les ambitions affichées, de trop nombreuses occasions ont été manquées ces dernières années d’améliorer l’information et l’éducation des consommateurs au sein de l’Union européenne. Les recommandations formulées par ce rapport visent à garantir le droit à des produits de qualité tout en préservant nos traditions alimentaires. Le rapporteur fait le vœu que la France porte au niveau européen ces propositions et veille à ce que les intérêts économiques des grands groupes agro-industriels ne priment pas sur la santé des consommateurs.

 


RECOMMANDATIONS

 

Recommandation n°1 :

Le tropisme excessif en faveur des intérêts économiques fragilise la politique de santé publique européenne. Au sein de la Commission européenne, les sujets relevant de la santé des consommateurs devraient relever de la compétence exclusive de la DG Santé, alors que celle-ci apparaît aujourd’hui concurrencée par la DG Agri.

Recommandation n°2 :

Au niveau national, le modèle luxembourgeois où a été créé en 2013 un ministère autonome dédié à la protection des consommateurs, directement chargé de la politique de protection juridique des consommateurs et de la sécurité alimentaire, pourrait aussi être testé.

Recommandation n°3 :

Les invitations à l’auto-régulation sont évidemment positives, mais elles connaissent aussi des limites évidentes. Le rapporteur estime qu’il est aujourd’hui nécessaire de fixer par voie législative ou réglementaire les teneurs maximales en acides saturés et sucres ajoutés des produits alimentaires, selon les recommandations des chercheurs et des agences de santé publiques.

Recommandations n°4 :

Les États membres doivent promouvoir un étiquetage des produits simple et informant les consommateurs sur le degré de transformation des aliments. Il pourrait par ailleurs être envisagé de faire évoluer l’algorithme et l’affichage du Nutri-score afin de mieux prendre en compte les aliments ultra-transformés. Il conviendrait d’exclure les produits ayant des signes de qualité (SIQO) de l’étiquetage des produits.

Recommandation n°5 :

Il conviendrait de mettre à l’étude la possibilité d’un étiquetage « national » des produits, à la condition que 90 % de ces produits proviennent bien du pays en question.


Recommandation n°6 :

La France pourrait inviter la Commission européenne à accroître le budget alloué au programme consacré à promotion de la consommation de fruits, de légumes et de lait, et à consacrer au moins 10% des fonds à des mesures éducatives, et à revoir la liste des aliments éligibles.

Recommandation n°7 :

Il serait judicieux de dresser le bilan de la campagne « HealthyLifestyle4All », lancée en septembre 2021, dont l’objectif était de promouvoir des modes de vie sains en associant sport et alimentation sains.

Recommandation n°8 :

À l’échelle européenne, il est urgent de plaider pour l’interdiction de tous les supports publicitaires à destination des moins de 16 ans pour des aliments classés D ou E sur l’échelle du Nutri-Score, ainsi que pour l’interdiction des dispositifs marketing ludiques. À l’échelle nationale, il conviendrait d’appliquer les recommandations du Haut-Conseil de la santé publique (HCSP) en matière de publicité et de marketing destiné aux enfants. La commande publique doit en outre favoriser les produits sains et durables au sein des cantines scolaires.

Recommandation n°9 :

Il conviendrait de mettre fin aux incohérences fiscales, liées notamment à la TVA, au regard des caractéristiques nutritionnelles des denrées alimentaires. Sur la base d’une définition reconnue des aliments ultra-transformés, une taxation spécifique pourrait être créée pour cette catégorie.

Recommandation n°10 :

La mise en œuvre d’une forme de sécurité sociale alimentaire pourrait être expérimentée au niveau national et sa mise en œuvre proposée à l’échelle européenne.

 

 


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 6 mars 2024, sous la présidence de M. PieyreAlexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

M. Richard Ramos, rapporteur. Nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de la protection des consommateurs et de leur droit à l’information. Cette question peut sembler technique, elle est en réalité hautement politique.

A l’heure actuelle, vous le savez, les maladies chroniques liées à l'alimentation ont explosé, et 53 % de la population européenne est en surpoids. Un avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments publié le 19 avril 2022 alertait aussi sur les apports alimentaires excessifs en acides gras saturés, en sodium et en sucres chez la plupart des populations européennes, notamment chez les jeunes. C’est face à ce constat qu’a émergé la question de la protection de la santé des consommateurs et de leur droit à l’information.

Ce rapport a été porté par trois convictions profondes. La première est que sans information et sans éducation adéquates des consommateurs, c’est la « malbouffe » qui s’impose, au détriment de la santé de nos concitoyens et notamment des plus jeunes. La deuxième conviction est que la protection de la santé des consommateurs et celle de la production agricole de nos terroirs ne sont pas incompatibles. La troisième et dernière conviction est que l’accès à une alimentation saine, équilibrée et de qualité est un droit fondamental qui doit être garanti par la puissance publique et qui ne doit pas dépendre de notre pouvoir d’achat ou notre catégorie socio-professionnelle. L’absence d’information nutritionnelle, qu’est-ce que c’est ? C’est la « malbouffe » et l’inégalité sociale dans l’assiette. L’absence d’obligations harmonisée, c’est aussi la concurrence déloyale en Europe pour nos produits traditionnels et les géants de l’agro-industriels qui gagnent.

Dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table », présentée en mai 2020, et du « plan européen pour vaincre le cancer » de 2021, la Commission européenne s’était engagée à déployer plusieurs outils pour faciliter l’adoption de régimes alimentaires sains et améliorer l’environnement nutritionnel dans l’Union européenne.

Toutefois, à l’approche des européennes, et si nous devons dresser le bilan des actions entreprises, force est de constater que la plupart des engagements en matière de protection des consommateurs de denrées alimentaires ne seront finalement pas honorés.

Tout d’abord, la stratégie « de la ferme à la table » de protection des consommateurs de denrées alimentaires prévoyait un système d’étiquetage nutritionnel obligatoire, simplifié et harmonisé qui a été reporté sine die faute d’accord entre les États, et du fait d’un lobbying intense de certains industriels. En l’état du droit, seules les initiatives basées sur le volontariat sont autorisées, telles que le Nutri-score, qui a d’ailleurs été largement porté par la France et l’Institut national de santé et de recherche médicale et a fait ses preuves en termes de santé publique. Mais il reste facultatif, n’existe que dans 6 pays européens et de grands groupes comme Coca-Cola ou Lactalis refusent d’y participer. En l’absence de caractère obligatoire, ces initiatives ne peuvent jouer leur rôle de levier de transformation de l’offre alimentaire. La France a porté des positions volontaristes pour améliorer l’information des consommateurs, aux côtés de cinq autres États membres. Mais les négociations sur l’étiquetage nutritionnel harmonisé se sont enlisées, entraînant l’abandon du projet au détriment de la protection de la santé des consommateurs. Je vous renvoie au détail de mon rapport mais je regrette que la balance ait penché davantage du côté des intérêts économiques des grands groupes industriels plutôt que du côté de la santé des européens. Je précise également que je propose d’exclure les produits signés de qualité de l’étiquetage des produits.

Par ailleurs, le projet d’un étiquetage nutritionnel obligatoire ne dispense pas d’une réflexion plus globale sur l’environnement nutritionnel et l’éducation culinaire. Dans son « plan européen pour vaincre le cancer », la Commission européenne encourage les États membres à réduire la pression publicitaire pour les enfants et les adolescents. L’impact sur les enfants de la publicité pour les aliments de faible qualité nutritionnelle est si bien documenté qu’on peine à s’expliquer l’inaction publique en la matière. C’est un sujet auquel j’accorde une importance particulière, nous devons mieux éduquer et informer la jeunesse pour éviter des désastres sanitaires dans le futur. La France et l’Europe doivent davantage s’engager en matière de régulation de la publicité adressées aux enfants et aux jeunes.

Le rapport formule dix propositions pour améliorer la santé des consommateurs autour du tryptique : information ; éducation ; droit à une alimentation équilibrée pour tous. Elles sont toutes guidées par la conviction qu’un tropisme excessif en faveur des intérêts des grandes groupes agro-industriels fragilise la politique de santé publique européenne mais aussi les producteurs.

Sur l’information des consommateurs, les États membres doivent promouvoir un étiquetage des produits qui informe les consommateurs sur le degré de transformation des aliments. Il pourrait par ailleurs être envisagé de faire évoluer l’algorithme et l’affichage du Nutri-score afin de mieux prendre en compte les aliments ultra-transformés. Enfin, il conviendrait de mettre à l’étude la possibilité d’un étiquetage « national » des produits, à la condition que 90 % de ces produits proviennent bien du pays en question.

Sur le volet éducation, la France pourrait inviter la Commission européenne à accroître le budget alloué au programme consacré à la promotion chez les enfants de la consommation de fruits, de légumes et de lait, et à consacrer au moins 10 % des fonds à des mesures éducatives, et à revoir la liste des aliments éligibles. Il faut aussi dresser le bilan de la campagne « HealthyLifestyle4All », lancée en septembre 2021, dont l’objectif était de promouvoir des modes de vie sain en associant sport et alimentation saine. Enfin, à l’échelle européenne, il est urgent de plaider pour l’interdiction de tous supports publicitaires à destination des moins de 16 ans pour des aliments classés D ou E sur l’échelle du Nutri-Score, ainsi que pour l’interdiction des dispositifs marketing ludiques. Nous devons cependant faire une exception pour les produits sous signes de qualité qui protègent nos savoir-faire et nos produits du terroir, tels que la bonne charcuterie ou nos fromages.

Enfin, sur le volet de l’égalité d’accès à une alimentation saine, je propose que l’on expérimente un chèque alimentation durable ciblant les ménages les plus modestes pourrait être expérimenté dans plusieurs départements au niveau national et sa mise en œuvre proposée à l’échelle européenne. La santé du consommateur doit être garantie qu’il soit riche ou pauvre, quel que soit son pouvoir d’achat. Nous le savons, avec la montée de l’inflation, les habitudes alimentaires de certaines catégories socio-professionnelles ont changé, parfois pour le pire pour les humbles. C’est inacceptable.

Malgré les ambitions affichées, de trop nombreuses occasions ont été manquées ces dernières années d’améliorer l’information et l’éducation des consommateurs au sein de l’Union européenne. Les recommandations formulées par ce rapport visent à garantir le droit à des produits de qualité tout en préservant nos traditions alimentaires. Je fais le vœu que la France porte au niveau européen ces propositions et cette voie d’équilibre et veille à ce que les intérêts économiques des grandes groupes agro-industriels ne priment pas sur la santé des consommateurs.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

Mme Laurence Cristol (RE). Nous sommes face à une bombe à retardement sanitaire liée à la multiplication des maladies chroniques et à la sédentarité. Le niveau d’ambition des pouvoir publics doit être rehaussé en matière de prévention. Notre groupe partage les constats établis dans ce rapport. En ce sens, nous soutenons l’établissement d’un étiquetage nutritionnel des produits alimentaires sous la forme d’un Nutri-score européen. Concernant cette mesure, nous soutenons avec force la position de la France au plan européen. Certes, le Nutri-score est perfectible, mais il constitue la méthode la plus efficace pour améliorer la qualité de l’information relative aux achats du consommateur. Il permet également d’inciter les marques à modifier la composition de leurs produits. Il faut aussi questionner l’idée selon laquelle l’information des consommateurs suffit à se prémunir contre des modes alimentaires peu sains. Au-delà de l’interdiction des publicités destinées aux plus jeunes et d’une réforme des programmes scolaires, il me semble nécessaire d’évaluer la multiplication de nos actions au niveau national et européen afin de redonner de la cohérence à notre action.

M. Thibault François (RN). La crise agricole que traverse notre pays rappelle une fois de plus la nécessité de préserver notre système agricole et alimentaire. Nous continuerons donc de demander l’inscription dans la loi du principe d’intérêt général de l’agriculture française, au même titre que d’autres intérêts de la nation. Notre mouvement souhaite favoriser le localisme et le bon sens, ainsi qu’un modèle écologique fondé sur les produits locaux. Ceci nécessite l’adoption de lois valorisant la production française et le patriotisme économique. Nous souhaitons mettre en place ces mesures dès notre arrivée au pouvoir.

Par ailleurs, nous souhaitons rappeler la qualité de la production agricole de notre nation. Il est également important de dénoncer l’inflation législative en matière écologique que l’Union européenne veut nous imposer. L’agriculture française est déjà impactée par la stratégie « de la ferme à la table » qui prévoit une réduction des rendements agricoles de 15 à 20 %. Les agriculteurs subissent également une multiplication des normes contraignantes de la part de la Commission européenne avec un soutien du Président de la République.

Enfin, nous continuerons de nous opposer aux accords de libre échange qui nuisent à notre agriculture Je me dois de rappeler, à ce titre, que les députés issus de la majorité ont voté en faveur de ces traités alors même qu’ils sont néfastes à notre modèle agricole. Je souhaiterais d’ailleurs connaitre les initiatives que la Commission compte mettre en place afin de garantir notre souveraineté alimentaire face aux accords de libre change. De plus, je souhaiterais en savoir d’avantage sur le contrôle de la qualité des produits de nos partenaires, dans le cadre de ces accords de libre-échange.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Ce rapport est un plaidoyer auprès des élus afin qu’ils prennent la défense des consommateurs. Comme vous le rappelez, la politique nutritionnelle est essentielle pour répondre aux enjeux de santé publique. Le consommateur ne peut être le dindon de la farce en achetant des produits qui risques de l’empoisonner.

Il est vrai, la Commission européenne a pris du retard sur ce sujet. Le poids des lobbys est tel qu’il s’apparente parfois à de la corruption des pouvoirs publics à Bruxelles. Certains exemples sont scandaleux, comme le démontre Food watch au sujet du milliard d’euro dépensé par les industries agro-alimentaires en 2011, visant à s’opposer à la mise en place d’un Nutri-score obligatoire sur les produits alimentaires. Dans le cadre de la révision du règlement dit « INCO » qui régit l’étiquetage alimentaire, l’industrie agroalimentaire a représenté la majeure partie des organisations représentées lors des consultations. Seules deux associations de consommateurs ont été auditionnées. Voici une illustration des problèmes que nous rencontrons lorsque nous tentons d’améliorer les politiques relatives à la santé publique.

Au sein de l’Union européenne, seuls six États disposent d’un système comparable au Nutri-score, qui demeure facultatif. Nous partageons donc votre volonté de revoir la stratégie fondée le volontariat des industriels. Cette méthode est inefficace à l’échelle européenne. Nous souhaitons la mise en œuvre d’une législation plus contraignante et la promotion d’un étiquetage nutritionnel obligatoire. Votre demande permettrait de passer du modèle « Bruno demande et Bruno souhaite » à un modèle plus contraignant qui serait beaucoup plus efficace. Par ailleurs, la création d’un ministère autonome dédié à la protection du consommateur est une mesure que nous soutenons depuis dix ans. Nous pensons qu’il faut protéger et planifier, et non se contenter de vœux pieux. La proposition permettant de fixer des taux maximaux de sucre, d’acide gras saturé et de sel dans les aliments transformés est également soutenue par notre groupe politique. L’application de ces mesures dans les territoires d’Outre-Mer, où l’application de la loi en matière de protection du consommateur est hélas presque inexistante, doit aussi être soutenue.

Enfin, la création d’un chèque alimentation durable, à titre expérimental, me rappelle la proposition de loi « Zéro Faim » de notre collègue Guillaume Garot, et est tout à fait pertinente. Nous soutenons donc les conclusions de votre rapport. Il pourrait être complété, comme vous le suggériez, par une recommandation relative à la commande publique dans les cantines, qui est un levier formidable de promotion de la santé publique.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). L’Union européenne doit se doter d’une politique alimentaire commune. Cette nouvelle politique européenne devrait disposer de moyens financiers à hauteur des enjeux. Elle devrait aussi se doter d’outils réglementaires efficaces tels que des étiquetages nutritionnels harmonisés. Des outils fiscaux peuvent également être mis en œuvre afin de favoriser la production et la consommation de produits frais et bruts. Enfin, une politique éducative en matière de nutrition ainsi que le soutien alimentaire aux personnes les plus vulnérable contribueraient à atteindre nos objectifs en termes de santé publique.

Nous avons besoin, à l’échelle de l’Union européenne, d’une analyse de la dégradation de la qualité nutritionnelle et organoleptique. Cette étude permettrait de cerner une crise qui concerne déjà des millions d’européens vivant sous le seuil de pauvreté, soit 17 % de la population européenne. Cette population vulnérable doit déjà faire face à la nécessité de recourir à l’aide alimentaire. Les contraintes budgétaires affectent la part des revenus consacrée à l’alimentation. Il existe une corrélation nette entre la pauvreté et la hausse de la consommation de produits transformés ainsi que la baisse de la consommation de fruits et légumes.

Il est également nécessaire de mener une bataille contre la transformation, parfois dans des proportions importantes, des produits agro-alimentaires. Non seulement cette transformation dégrade la qualité de l’alimentation des ménages, mais elle amoindrit la marge des agriculteurs dans la chaîne de valeur.

Enfin, la mise en place du chèque alimentaire me semble une urgence absolue au regard du pouvoir d’achat des ménages. La situation est dramatique pour les consommateurs mais aussi pour les producteurs agricoles, notamment les agriculteurs biologiques. En ce sens, il faudrait articuler ce chèque alimentaire avec le choix des produits achetés.

Mme Nicole Le Peih (RE). Dès 2014, le législateur a inséré à l’article L. 312‑17‑3 du code de l’éducation le principe d’une éducation à l’alimentation dispensée dans les établissements scolaires dans le cadre des enseignements ou du projet éducatif territorial. Les ministères de l’éducation et de l’agriculture ont ainsi mis en place des enseignements à destination de nos enfants. Dans le cadre de votre mission d’information, avez-vous pu obtenir un bilan de ces initiatives ?

Le défi qui se tient devant nous demain est celui du choix entre une alimentation atrophiée ou une alimentation conquérante. La croisée des chemins c’est maintenant.

M. Richard Ramos, rapporteur. Pour répondre à notre collègue Thibault François, il m’est arrivé dans cette législature de soutenir des propositions de loi votées à l’unanimité des groupes politiques. Pourquoi ? Parce que le travail parlementaire n’est pas un travail politicien. Quand vous me parlez d’Emmanuel Macron, c’est de la politique politicienne. Parlez-moi du projet qui est le nôtre pour la santé du consommateur et que je défends dans ce rapport. Et vous qui avez parlé du localisme, je pense que vous faites erreur quand vous parlez uniquement du monde agricole. Dans les années 1960, nous étions dans une logique dite « de la fourche à la fourchette ». Ce rapport cherche à montrer que ce paradigme a vécu. C’est pour cela que ce rapport est d’abord centré sur la santé du consommateur. Vous êtes très réducteur dans votre localisme quand vous voulez évoquez uniquement le monde agricole. Une carotte ne pousse ni râpée ni lavée : il faut donc la transformer. Je suis preneur de vos idées sur la façon de protéger la santé des consommateurs. Ce travail collectif est la nature même du travail parlementaire.

Pour répondre à Mme Sophia Chikirou, oui nous devons partir davantage du consommateur. En France, le monde des consommateurs n’est pas encore assez puissant. Vous évoquez Food Watch et en effet chez les anglo-saxons, les consommateurs sont bien plus puissants. Sur les produits dangereux ou ultra transformés il faut pouvoir donner la main au consommateur par des actions de groupe.

Ma collègue Mme Nicole Le Peih a parlé d’éducation. Je pense que c’est la clé. Le système actuel ne fonctionne pas véritablement. Permettez-moi de faire cinq minutes de politique. Nous avons la chance d’avoir une ministre, Mme Olivia Grégoire, qui va porter un texte sur le sujet. Les ministres de l’éducation se désintéressent souvent du sujet alors qu’il est essentiel. Faire de la cuisine c’est faire des grammages, apprendre à compter, apprendre à lire et apprendre à consommer. Nous n’apprenons pas à nos enfants à lire une étiquette alimentaire. Des actions seront menées dans les semaines qui viennent, et des moyens alloués à cette fin. Et si demain il y avait un Erasmus du goût ? L’éducation au goût c’est autre chose que de mettre des calories entre la lèvre supérieure et la lèvre inférieure. Raconter ce qu’on mange, c’est raconter une histoire. C’est aussi l’Europe. Chaque nation raconte une histoire par sa cuisine. Et nous créons ainsi une harmonie entre pays européens.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je souhaite réagir aux propos du rapporteur, relatifs à la nécessaire protection du consommateur. C’est évidemment important mais cela ne doit pas signifier que nous ne tenons pas compte de toute la chaine de valeur. Et si nous voulons garantir des prix rémunérateurs, il est indispensable de raisonner à partir de la production. Nous le savons, le prix de l’alimentation est la variable d’ajustement en cas de baisse du pouvoir d’achat d’un ménage. Il faut donc être attentif au prix d’une alimentation de qualité sans oublier qu’il y a des gens qui s’engraissent tout au long de la chaîne.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Je souhaite réagir au constat que vous faite, et que je partage, sur le soutien à apporter aux organismes de représentation des consommateurs. Je disais dans mon introduction que les consommateurs-citoyens nous font confiance et sont convaincus que nous adoptons des lois visant à les protéger. Il y a souvent une véritable ignorance des consommateurs au sujet des produits qu’ils consomment et qui peuvent poser des problèmes de santé publique. Nous devons prendre conscience de cette confiance et de cette responsabilité que nous avons. Nous avons des lois qui interdisent les nitrites et nous avons certains élus qui les défendent alors que nous connaissons les dégâts que cela occasionnent à la santé publique. Il y a une responsabilité de l’élu.

M. Richard Ramos, rapporteur. Monsieur le président Chassaigne, vous avez raison sur le fait qu’il faudrait avoir conscience de la juste rémunération sur l’ensemble de la chaine de valeur. Je suis heureux par ailleurs que vous souteniez cette idée de sécurité sociale alimentaire, même si un travailleur correctement payé ne devrait pas avoir besoin d’un chèque sociale alimentaire. Nous devons flécher des produits de qualité pour les plus humbles.

Mme Sophia Chikirou, vous avez parlé, et vous avez raison, de la responsabilité des élus. J’ai été défendre devant les tribunaux une start-up attaquée par des industriels. Elle avait perdu tous ses procès en première instance, elle a gagné tous ses procès en appel. J’ai été témoin dans ces procès. Il s’agit de l’entreprise Yuka. Là où vous avez raison Mme Chikirou c’est que lorsqu’une entreprise privée est plus vertueuse que l’État, alors les gens s’éloignent de la démocratie et vont vers les totalitarismes. L’un des combats de ma vie est de promouvoir le principe que l’élu doit protéger les citoyens. La beauté de la politique c’est quand les élus que nous sommes protégeons les plus faibles.

 

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 

 


   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

(par ordre chronologique)

– M. Serge HERCBERG, Épidémiologiste, Professeur à l’Université Sorbonne Paris Nord

– Mme Karine JACQUEMART, Directrice générale de Foodwatch France

– Mme Audrey MORICE, Chargée de campagnes de Foodwatch France

– M. Ludovic BUTEL, Secrétaire général adjoint (Secrétariat général des affaires européennes – SGAE)

– Mme Myriam CARPENTIER, cheffe du bureau Agriculture, alimentation et pêche

– Mme Ekaterina BLOCH, adjointe à la cheffe du bureau Agriculture ; alimentation et pêche

– Mme Fanny CODOL, adjointe à la cheffe du bureau Parlements

– Mme Mélissa CHEVILLARD, chargée de mission senior relations institutionnelles

– M. Olivier ANDRAULT, chargé de mission alimentation et nutrition

– M. Benjamin RECHER, chargé de mission relations institutionnelles

– M. Quentin MATHIEU, conseiller alimentation du cabinet du Ministre de l’Agriculture

– Mme Maud FAIPOUX, directrice générale de la DGAL

– Mme Claire THOLANCE, conseillère parlementaire du cabinet du Ministre de l’Agriculture

– Mme Julie CHAPON, Directrice générale de Yuka

– M. Joan Cortinas MUNOZ, Co-auteur du livre Des lobbys au menu et maître de conférences en sociologie

– Mme Irène MARGARITIS, Adjointe au directeur "Alimentation, santé animale et végétale", à la Direction de l’Évaluation des Risques de l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

 

– M. Aymeric DOPTER, chef d’unité à l’Évaluation des Risques liés à la nutrition de l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

– Mme Anne-Juliette SERRY, Responsable de l'unité Nutrition et activité physique chez Santé publique France

 


  annexe n° 2 : Recensement des répondants opposant un avis défavorable aux deux affirmations relatives au nutri-score

En vert sont surlignés les répondants dont l’analyse a été jugée particulièrement intéressante pour le rapport

 

 

 

 


([1]) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen intitulée «Plan européen pour vaincre le cancer» [COM(2021) 44 final].

([2]) Résolution du Parlement européen du 18 janvier 2024 sur la mise en œuvre du règlement (CE) no 1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (2023/2081(INI))

([3]) Règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires.

([4]) EFSA, 24 mars 2022, “Scientific advice related to nutrient profiling for the development of harmonised mandatory front-of-pack nutrition labelling and the setting of nutrient profiles for restricting nutrition and health claims on foods”

([5]) Cette mesure figurait en deuxième position des priorités du PNNS 4. Elle avait également été appelée de ses vœux par le Premier ministre Edouard Philippe, à l’occasion de son discours de politique générale du 12 juin 2019

([6]) France info, Marie Dupin, 11 mai 2023 : « Alimentation : 320 scientifiques européens demandent à la Commission européenne de rendre le Nutri-Score obligatoire »

([7]) Enquête du BEUC et de Foodwatch publiée le 9 octobre 2023, intitulée « Food Label Ambush: How intense industry lobbying halted EU plans »

([8]) Sénat, rapport d’information n°744 fait au nom de la commission des affaires sociales sur la lutte contre l’obésité, page 79

([9]) La stratégie « de la ferme à la table » (Farm to Fork), publiée le 20 mai 2020, est la déclinaison agricole et alimentaire du « Pacte vert pour l’Europe ». Elle regroupe 27 initiatives, articulées autour de 4 objectifs visant à réduire l’empreinte environnementale et climatique du système alimentaire de l’Union, à renforcer sa résilience en protégeant la santé des citoyens, et à garantir les moyens de subsistance des opérateurs économiques.

([10]) L’article 169 du TFUE est issu du traité de Maastricht, qui a fait de la protection des consommateurs une véritable politique communautaire et a introduit cette base juridique pour l’adoption de mesures de protection des consommateurs. Aux fins de protéger les consommateurs, l’Union européenne adopte, selon la procédure législative ordinaire, des mesures d’harmonisation dans le cadre de la réalisation du marché intérieur et des mesures d’appui et de complément de la politique des États.

([11]) Depuis le 13 décembre 2016 (révision du règlement européen dit « INCO »), la déclaration nutritionnelle est obligatoire sur les emballages alimentaires dans l’Union. Sous forme de tableau, elle indique la valeur énergétique des produits, la teneur en graisse, en acides gras saturés, en glucides, en sucres, en protéines et en sel pour 100 grammes ou 100 millilitres de produit.

([12])  The Conversation, « Nutri-Score : quand l’étiquetage des aliments devient prescriptif », 26 août 2019

([13]) Règlement n°1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires.

([14]) Le paquet sur l’étiquetage nutritionnel et l’origine des produits, victime de l’opposition d’un trop grand nombre d’États membres, était envisagé par la Commission européenne afin de permettre, outre l’introduction de l’étiquetage nutritionnel frontal obligatoire et harmonisé sur les denrées alimentaires, l’extension des informations obligatoires sur l’origine ou la provenance de certains produits et la révision des règles relatives à la mention des dates limites de consommation. Seule la proposition de révision des règles relatives à la date limite de consommation, sujet consensuel du paquet, a fait l’objet d’un examen au sein d’un groupe d’experts. La proposition visant à réduire le gaspillage alimentaire, présentée le 5 juillet 2023 et dont l’adoption en session plénière au Parlement européen est intervenue le 11 mars 2024 [à vérifier le moment venu], intègre en outre partiellement ce dernier enjeu.

([15])  Le rapport des professeurs Serge Hercberg et Arnaud Basdevant, intitulé « Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique » (2013), recommandait de « mettre en place un système d’information nutritionnelle unique sur la face avant des emballages » (proposition n°2). Une première version du Nutri-Score, logo nutritionnel de cinq couleurs, a été conçue par le Professeur Serge Hercberg en 2014.

([16]) Voir l’ouvrage du Professeur Serge Hercberg, Mange et tais-toi : Un nutritionniste face au lobby agroalimentaire, paru le 9 février 2022. Le logo du Nutri-Score a concentré l’opposition d’industriels de l’agroalimentaire, qui ont parfois mis au point des logos concurrents, à l’efficacité douteuse, à l’instar du système d’étiquetage nutritionnel simplifié (SENS) de Carrefour.

([17]) Arrêté ministériel du 31 octobre 2017 fixant la forme de présentation complémentaire à la déclaration nutritionnelle recommandée par l’État en application des articles L. 3232-8 et R. 3232-7 du code de la santé publique.

([18]) Rapport du comité de pilotage de l’évaluation en conditions réelles d’achat relatif à l’étiquetage nutritionnel simplifié, avril 2017.

([19]) Sénat, rapport d’information n°744 fait au nom de la commission des affaires sociales sur la lutte contre l’obésité, page 127.

([20]) Les changements s’appliquent depuis janvier 2024 sur les sites d’achat en ligne dans les sept pays ayant officiellement adopté le Nutri-Score. En revanche, les industriels disposent de deux ans à compter de cette date pour écouler leurs stocks avec les anciennes étiquettes.

([21]) Le Point, « Faut-il (vraiment) faire confiance au Nutri-Score ? », 1er juin 2023.

([22]) Le Monde, 31 décembre 2023, « Un Nutri-Score plus exigeant à partir du 1er janvier 2024 »

([23]) Mais aussi – en dehors de l’Union européenne – en Norvège et en Islande.

([24])  Le Monde¸ 26 mars 2022, « Étiquetage nutritionnel en Europe : une bataille explosive, entre nationalismes, lobbying et menaces »

([25]) Rapport d'enquête n°1266, commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’alimentation industrielle (tome I), page 17.

([26]) Ainsi, en 2020, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a recommandé l’adoption d’un logo concis, simple et intuitif pour faciliter les choix des consommateurs de denrées alimentaires.

([27]) Cet appel soulignait que le Nutri-Score était « le seul logo nutritionnel en Europe à avoir fait l’objet de nombreuses études scientifiques démontrant son efficacité, sa pertinence et son utilité pour les consommateurs et la santé publique ».

([28])  Contexte, « Étiquetage nutritionnel : la DG Santé penche vers un système similaire au Nutri-Score, malgré les réticences de certains États membres », 7 février 2023

([29])  Le centre commun de recherche (CCR) désigne le service de la Commission fournissant des connaissances scientifiques indépendantes.

([30])  « Front-of-pack nutrition labelling schemes: an update of the evidence », 9 septembre 2022

([31])  UFC Que-Choisir, Service des études et du lobbying, 12 avril 2023, « L’efficacité du Nutri-Score à améliorer les recettes bridée par son application volontaire »

([32])  ANSES, avis relatif à « l’analyse de la pertinence en matière de nutrition des systèmes d’information nutritionnelle destinés au consommateur », février 2017.

([33])  Selon Contexte, citant l’annexe d’une lettre datée de décembre 2022 adressée au commissaire à l'Agriculture et au Développement rural.

([34]) Contexte, « Comment le Nutri-Score a perdu les faveurs de la Commission », 21 novembre 2022, Juliane Barboni.

([35]) Lettre publiée le 23 mars 2023, signée par 19 eurodéputés des groupes S&D, Les Verts/ALE et La Gauche

([36])  Audition devant la commission Environnement du Parlement européen.

([37])  Les fromages vendus dans les fromageries, sur les marchés ou à la coupe en supermarché sont exemptés du Nutri-Score, réservé aux produits vendus emballés. Dès lors, moins de la moitié des volumes de la production de roquefort est aujourd’hui concernée par le Nutri-Score en France. Néanmoins, le journal Le Monde a mis à jour la stratégie du géant Lactalis, détenteur de 70 % des volumes de l’appellation d’origine protégée Roquefort, pour contrer le système d’étiquetage nutritionnel (v. Le Monde, octobre 2021, « Avec le roquefort, Lactalis veut contrer le Nutri-Score »).

([38])  Tribune parue dans Le Monde du 16 novembre 2021, « Lobbying contre le Nutri-Score : « Une fois de plus, la santé publique est confrontée à des intérêts économiques et politiques »

([39]) Euractiv, 23 septembre 2020, Sept pays de l’UE s’opposent au système d’étiquetage des aliments Nutri-Score. En septembre 2020, l’Italie a posé comme base de discussions l’exclusion des produits ayant un signe de qualité et de ceux à ingrédient unique, l’absence de code couleur et d’évaluation globale de la qualité nutritionnelle, ainsi que l’expression à la portion et non par 100 grammes.

([40])  Plan européen pour vaincre le cancer, {SWD(2021) 13 final}, page 12.

([41])  Sénat, rapport d’information n°744 fait au nom de la commission des affaires sociales sur la lutte contre l’obésité, déposé le 29 juin 2022, p. 91

([42])  Directive (UE) 2018/1808 modifiant la directive 2010/13/UE relative à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres concernant la fourniture de services de médias audiovisuels

([43])  Rapport sur la mise en œuvre de la directive révisée sur les services de médias audiovisuels, Commission de la culture et de l’éduction du Parlement européen, 12 avril 2023.

([44])  Annexe de la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil Plan européen pour vaincre le cancer {SWD(2021) 13 final, page 2.

([45])  Cour des comptes, décembre 2019, « La prévention et la prise en charge de l’obésité », page 12 : « Le principe de l’autorégulation en matière de publicité alimentaire à destination des enfants s’est révélé peu efficace »

([46]) EU Pledge, Nutrition Criteria, White Paper, Updated March 2023 https://eu-pledge.eu/wp-content/uploads/EU_Pledge_Nutrition_White_Paper.pdf

([47])  Storcksdieck Genannt Bonsmann S, Robinson M, Wollgast J, Caldeira S (2019), The ineligibility of food products from across the EU for marketing to children according to two EU-level nutrient profile models.. L’OMS prohibe strictement le marketing et la publicité ciblant les enfants pour plusieurs catégories de produits, pourtant considérées acceptables selon les critères de l’EU Pledge : les pâtisseries et les confiseries, le chocolat ou encore le soda. De même, alors que les édulcorants ne sont pas inclus dans la charte de l’EU Pledge, selon le profil nutritionnel de l’OMS-Europe, les boissons contenant des édulcorants ne devraient pas être commercialisées auprès des enfants. Par exemple, alors que seulement 20% des céréales pour petit-déjeuner sont jugées suffisamment équilibrées pour faire l’objet de marketing ou de publicité ciblant les enfants avec le modèle de l’OMS, plus de 60% satisfont aux critères nutritionnels de l’EU Pledge.

([48])  Université de Bonn, “Industry self-regulation of food advertisement to children: Compliance versus effectiveness of the EU Pledge”, Stefanie C. Landwehr et Monika Hartmann, 2018.

([49]) Ces aliments ont été évalués à l’aide du modèle de profil nutritionnel de l’OMS Europe, outil jugé le plus efficace pour estimer si un produit pourrait ou non faire l’objet de publicité et de marketing ciblant les enfants.

([50])  Étude de Foodwatch : « Les enfants, cibles du marketing de la malbouffe : l’heure de l’action politique » (septembre 2023)

([51])  Depuis 2010, l’OMS appelle à des politiques publiques fortes pour encadrer ces pratiques de marketing alimentaire afin de protéger la santé des plus jeunes.

([52])  Étude de Foodwatch, « Les enfants, cibles du marketing de la malbouffe : l’heure de l’action politique » (septembre 2023), page 12.

([53])  Les jeunes n’ont pas la maturité cognitive pour résister aux messages publicitaires, Interview du Professeur Didier Courbet, Nathalie Queruel, Didier Courbet, in La Santé en action, 2020, n°. 453, p. 53-54

([54])  Le Monde, 22 avril 2022, Mathilde Gérard, « Plus de petits en surpoids et en obésité : la crise sanitaire a eu un effet significatif sur la santé des enfants »

([55])  Loi n° 2016-1771 du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.

([56])  L’UFC-Que choisir a mesuré que les 100 programmes les plus regardés par les 4-10 ans sont à 77 % des programmes tous publics (100 % pour les adolescents), diffusés dans deux tiers des cas en première partie de soirée (dans 90 % des cas pour les adolescents).

([57]) Santé Publique France, 24 juin 2020, « Exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour des produits gras, sucrés, salés »

([58])  « L’impact de cette loi est extrêmement limité, le temps passé devant les programmes jeunesse (toutes chaînes confondues) représentant moins de 1% du temps de TV regardé par les enfants de 4-17 ans. ».

([59])  Dans sa dernière version, publiée en janvier 2020 et concernant la période 2020 à 2024, la Charte, élargie aux acteurs radiophoniques, à la publicité extérieure et aux acteurs du numérique, affiche parmi ses objectifs de « réduire efficacement l'exposition des enfants aux communications commerciales audiovisuelles relatives à des denrées alimentaires ou des boissons contenant des nutriments ou des substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique – notamment les matières grasses, les acides gras trans, le sel ou sodium et les sucres –, dont la présence en quantités excessives dans le régime alimentaire global n'est pas recommandée ».

([60])  Rapport d'enquête n°1266, commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’alimentation industrielle (tome I), page 17.

([61]) Santé publique France, 27 octobre 2020, « Santé publique France préconise d'interdire la publicité en direction des enfants et ados pour les produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle. »

([62])  Foodwatch, 11 novembre 2020, « Révélations : la lettre honteuse de l’industrie alimentaire à quatre ministres »

([63])  Loi suédoise Marknadsföringslag (2008:486) relative aux pratiques de marketing.

([64]) La Cour du marché juge par exemple que le simple fait qu’une publicité attire les enfants n’est pas suffisant pour la rendre inappropriée. Voir par exemple l’arrêt Konsumentombudsmanen contre Hemglass Sverige Marknadsdomstolen 2002 : le fait que l’entreprise ait utilisé des pingouins pour son annonce télévisée pour commercialiser des glaces n’a pas rendu la publicité illégale, car elle n’a pas été considérée comme destinée aux enfants.

([65])  Sénat, rapport d’information n°744 fait au nom de la commission des affaires sociales sur la lutte contre l’obésité, p. 132. Le Food (Promotion and Placement) (England) Regulations 2021, adopté par le Parlement britannique le 2 décembre 2021, vise à restreindre les promotions commerciales et les stratégies marketing sur les denrées alimentaires trop grasses, salées ou sucrées dans les entreprises de plus de 50 employés en Angleterre.

([66])  HCSP, « Pour une Politique nationale nutrition santé en France PNNS 2017-2021 », septembre 2017.

([67]) Concrètement, un produit qui, dans sa globalité, ne serait pas considéré comme sain selon les critères définis par les profils nutritionnels ne pourrait plus afficher des allégations du type « Sans matières grasses ajoutées » ou « Sans sucre ajoutés ».

([68])  Résolution du Parlement européen du 18 janvier 2024 sur la mise en œuvre du règlement (CE) no 1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (2023/2081(INI))

([69])  Nous reprenons ainsi les termes mêmes du rapport de la, commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’alimentation industrielle (tome I), page 177.

([70])  Règlement no 1144/2014 du 22 octobre 2014 relatif à des actions d’information et de promotion concernant les produits agricoles réalisées sur le marché intérieur et dans les pays tiers

([71]) Le plan européen de lutte contre le cancer relève ainsi que l’alcool est responsable de 15 % des morts causés par cancer chez les hommes, et 30 % chez les femmes. D’où l’appel à réduire la publicité, et l’exposition des plus jeunes à ces produits.

([72])  Source : Commission européenne, Europe’s Beating Cancer Plan: One year on, 2 février 2022.

([73])  Parmi lesquels l'Autriche, la Belgique, l'Irlande, l'Espagne, l'Italie, Chypre, la Finlande, la Roumanie et le Portugal. Au contraire, les Pays-Bas avaient défendu une révision visant à exclure « toutes les viandes » de la liste des produits pouvant bénéficier d'un soutien communautaire pour des mesures de promotion.

([74])  Contexte, 6 février 2023, « À la Commission européenne, la DG Agri passe en revue la « sensibilité politique » des initiatives de la stratégie De la ferme à la table ». employés dans une annexe à une lettre destinée au commissaire à l’Agriculture et datée de décembre 2022

([75])  Lettre publiée le 23 mars 2023, signée par 19 eurodéputés des groupes S&D, Les Verts/ALE et La Gauche

([76])  Le Monde, 10 janvier 2023, Nutri-Score : « Pour une information fiable et accessible dans le domaine de la nutrition et de la consommation d’alcool » (tribune de Bernard Basset, Amine Benyamina, François Bourdillon, Serge Hercberg et Mickaël Naassila).

([77])  Voir par exemple à ce sujet l’émission Report sur la RAI3 concernant la bataille du Nutri-Score en Italie, diffusée le 15 mai 2023 (La guerra delle etichette

([78])  Au demeurant, le caractère « traditionnel » de certaines spécialités est lui-même contestable. On pourra se référer à l’interview d’Alberto Grandi publiée le 23 mars 2023 dans le Financial Time: « Everything I, an Italian, thought I knew about Italian food is wrong », où l’on apprend par exemple que les panettones et les tiramisus seraient des créations récentes, et que le premier restaurant servant exclusivement des pizzas a ouvert ses portes en 1911 à New York.

([79])  Le Monde, 10 janvier 2023, Nutri-Score : « Pour une information fiable et accessible dans le domaine de la nutrition et de la consommation d’alcool » (tribune de Bernard Basset, Amine Benyamina, François Bourdillon, Serge Hercberg et Mickaël Naassila)

([80])  Tribune parue dans Le Monde du 16 novembre 2021, « Lobbying contre le Nutri-Score : « Une fois de plus, la santé publique est confrontée à des intérêts économiques et politiques »

([81])  Selon les chiffres avancés par le Corporate Europe Observatory, repris par les représentants de Foodwatch lors de leur audition par votre rapporteur. Ces montants sont toutefois contestés par la Confédération des Industries Agro-Alimentaires de l'Union européenne.

([82])  Corporate Europe Observatory, Food lobby bashes MEPs on labelling, 17 avril 2011

([83])  Le lobbying désigne une activité légale consistant à influencer la décision publique dans le but de défendre des intérêts sectoriels. La définition européenne du lobbying se trouve dans l'accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire.

([84])  Dont 24.700 travaillant à temps plein, selon les données de vie-publique.fr

([85])  Hélène Michel, « La « société civile » dans la « gouvernance européenne », Éléments pour une sociologie d’une catégorie politique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 166-167, n°1-2, pp. 30-37

([86])  Ainsi que le préconise, par exemple, l’ONG Corporate Europe Observatory (voir par exemple « The EU needs a compulsory register that targets all covert lobbying », 3 mai 2023).

([87])  Cette consultation, accessible via un formulaire en ligne, était ouverte entre décembre 2021 et mars 2022. Les contributions étaient consultables en ligne à l’adresse de la plateforme dédiée.

([88])  Article 25 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. La notion de « représentant d’intérêt » vise les personnes morales, les personnes physiques, les acteurs industriels et commerciaux pour l’essentiel, se livrant à une activité visant à influencer la décision publique. Dans le cadre de cette analyse, une interrogation pourrait subsister quant à savoir si les acteurs publics (autorités étatiques) et parapublics (centres de recherches publics, etc.) sont couverts par cette notion. Il est fait le choix de les y intégrer dès lors qu’ils défendent ici un intérêt propre.

([89]) Enquête du BEUC et de Foodwatch publiée le 9 octobre 2023, intitulée « Food Label Ambush: How intense industry lobbying halted EU plans ».

([90])  Les demandes formulées aux institutions européennes dans le cadre de ce travail de collecte ont été recensées sur une plateforme internet, ouverte et accessible en ligne.

([91]) Parmi les interlocuteurs de la catégorie « Autre » de la DG SANTÉ, on retrouve ainsi un cabinet de conseil spécialisé dans la défense des intérêts commerciaux en matière alimentaire, ou encore une branche administrative du ministère de l’Agriculture danois.

([92])  La DG SANTÉ et la DG AGRI ne se sont entretenues chacune qu’avec une seule association de défense des consommateurs (à savoir, respectivement, le SAFE Food Advocacy Europe, et le BEUC).

([93])  L’Espace Économique Européen étant également concerné par la potentielle réforme du règlement INCO.

([94])  Le compte rendu synthétique des échanges de cette réunion, obtenu par le BEUC et Foodwatch, peut être consulté à l’adresse suivante : https://urlz.fr/ptMb

([95])  La note, en date du 4 novembre, peut être consultée à l’adresse suivante : https://urlz.fr/ptMi

([96])  La Commission européenne impute le retard pris par la présentation de la proposition de règlement INCO aux circonstances extérieures, et en particulier à la charge de travail supplémentaire découlant des conséquences de la guerre en Ukraine.

([97])  Politico, “Italy claims it’s winning the war against French food labels”, 3 janvier 2022

([98])  Votre rapporteur a notamment auditionné Joan Cortinas Muñoz, co-auteur de l’ouvrage Des lobbys au menu, qui s’intéresse aux résistances opposées au Nutri-Score en France, et aux stratégies de lobbying déployées par les acteurs du secteur agro-alimentaire afin de le contrer.

Au terme de notre analyse, il apparaît que les stratégies de lobbying déployées à l’échelle de l’Union européenne contre le Nutri-Score correspondent en plusieurs points aux méthodes mobilisées à l’échelle nationale.

([99])  Pour reprendre la formule de l’article « Étiquetage nutritionnel en Europe : une bataille explosive, entre nationalismes, lobbying et menaces », publié le 26 décembre 2022 dans Le Monde (Mathilde Gérard, Allan Kaval et Virginie Malingre).

([100])  Copa-Cogeca est le premier regroupement européen de confédérations agricoles.

([101])  Par le passé, le ministère de l’Agriculture tchèque avait déjà fait valoir son opposition au système du Nutri-Score (v. Euractiv, 14 septembre 2021, « le nutri-score est discriminatoire envers les aliments traditionnels, selon le ministère de l’agriculture tchèque »).

([102])  Evento “La dieta mediterranea: convivialità, sostenibilità e innovazione" presso il parlamento europeo, Bruxelles, 16 novembre 2022.

([103])  Communiqué de presse publié sur le site de Competere en conclusion de l’événement du 29 novembre 2022 (« Front-of-pack labelling reform - is it fit for the future ? »).

([104])  Communiqué du ministère des Affaires étrangères italien « Nutrinform battery : l’étiquette qui vous aide à suivre un régime alimentaire sain », février 2022.

([105])  Deux études publiées en 2021 par Marco Francesco Mazzù, Simona Romani et Antea Gambicorti, intitulées respectivement “A cross-country experimental study on consumers' subjective understanding and liking on front-of-pack nutrition labels” et “Effects on consumers’ subjective understanding of a new front-of-pack nutritional label: a study on Italian consumers, International Journal of Food Sciences and Nutrition”.

([106])  Un documentaire de la chaîne italienne RAI 3, intitulé « La guerre des étiquettes » (2023), souligne que ces publications ont bénéficié au moins indirectement de financements de la Federalimente, et émanent d’une université dont la Confédération générale de l'industrie italienne est l’un des partenaires.

([107])  Marc-Olivier Déplaude, « Neutraliser des savoirs inconfortables : l’exemple du Comité des salines de France », Savoir/Agir, n°41, 2017, p.28 

([108])  Note scientifique n°35 de janvier 2023 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/media/16/organes/delegations-offices-cec/opecst/pdf/note-n-35-alimentation-ultra-transformee.

([109])  Srour B, Hercberg S, Galan P, et al Effect of a new graphically modified Nutri-Score on the objective understanding of foods’ nutrient profile and ultraprocessing: a randomised controlled trial BMJ Nutrition, Prevention & Health 2023.

 

 

([110])  Voir à ce sujet la proposition n°7 du rapport sénatorial précité sur le surpoids et l’obésité.  

 

([111]) Note du Conseil du prélèvements obligatoires n°5, juillet 2023 sur la fiscalité nutritionnelle.  

([112]) Rapport de l’IGAS et de l’IGF de 2022 sur le chèque alimentaire.