N° 2434

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 avril 2024

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques

 

sur l’évaluation des politiques publiques
en faveur de la mobilité sociale des jeunes

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Louise Morel et CÉcile Untermaier

Députées

——


 


SOMMAIRE

___

Pages

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURES

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE : UN ÉTAT DES LIEUX DE LA MOBILITÉ SOCIALE DES JEUNES

I. UNE CERTAINE STAGNATION DEPUIS UNE VINGTAINE D’ANNÉES

A. LA MOBILITÉ SOCIALE SUR LA LONGUE DURÉE

B. MAIS L’ASCENSEUR SOCIAL S’EST ENRAYÉ

1. Cinquante ans de mobilité ou de stabilité sociale ?

2. Une trajectoire professionnelle loin d’être toujours ascendante

3. La mobilité sociale mesurée à l’aune des revenus : des constats comparables

4. Les signes d’une panne internationale de l’ascenseur social

C. LA QUESTION MAJEURE DE LA PRÉCARISATION DE LA JEUNESSE

II. DES INÉGALITÉS PERSISTANTES QUI DÉTERMINENT L’AVENIR DES JEUNES

A. LE POIDS DE L’ORIGINE SOCIALE DANS LE PARCOURS SCOLAIRE

1. Des trajectoires scolaires qui doivent peu au hasard

2. Jusque dans l’enseignement supérieur

B. LA MARQUE DE LA REPRODUCTION SOCIALE DANS L’INSERTION PROFESSIONNELLE

1. Une entrée dans la vie active socialement marquée

2. Des mobilités néanmoins diverses

C. LES DISPARITÉS TERRITORIALES

DEUXIÈME PARTIE : L’INTROUVABLE POLITIQUE EN FAVEUR DE LA MOBILITÉ SOCIALE DES JEUNES

I. LA JEUNESSE COMME PRIORITÉ POLITIQUE

A. LA MOBILITÉ SOCIALE DES JEUNES, AU CŒUR DU PACTE RÉPUBLICAIN

B. UNE PRÉOCCUPATION CONSTANTE

1. Le Livre blanc de la commission Charvet

2. Le Livre vert du haut-commissariat à la jeunesse

C. DE PLAN D’ACTION EN PLAN D’ACTION

1. « Agir pour la jeunesse »

2. « Priorité jeunesse »

3. « 1 jeune 1 solution », un coup d’accélérateur au secours de la jeunesse

4. Le Conseil national de la refondation

II. UNE ACTION PUBLIQUE EN MANQUE DE COHÉRENCE ET D’EFFICACITÉ

A. DES DISPOSITIFS MULTIPLES ET DES MOYENS CONSÉQUENTS

1. Les observations récurrentes du CEC

2. Le décompte de France Stratégie

3. Des moyens conséquents

B. DES DISPOSITIFS À DÉFAUT D’UNE POLITIQUE

1. La problématique de la multiplicité des dispositifs

2. Les effets délétères de la dispersion

a. Une moindre efficacité

b. Des effets contreproductifs

3. Des mesures malgré tout utiles

4. Des changements qui tardent souvent à s’imposer

5. Des occasions manquées

III. DES ACTEURS EN MANQUE DE COORDINATION

A. ÉVANESCENCE DE L’INTERMINISTÉRIALITÉ

1. Un impératif non discuté

2. Pourtant aujourd’hui oublié

a. Les recommandations sans effet de la Cour des comptes

b. La faiblesse institutionnelle de la coordination

B. SUR LE TERRAIN, LE CHEF-DE-FILÂT CONFIÉ AUX RÉGIONS PEINE À PRENDRE SON ESSOR

1. Le dispositif en vigueur

2. Une architecture complexe

3. Des pratiques très variables

4. Les constats de vos rapporteures

a. Ce qu’en disent les collectivités territoriales

i. L’exemple de la Bretagne

ii. La région Grand-Est

b. Et leurs partenaires

TROISIÈME PARTIE : FOCUS SUR LES DISPOSITIFS EN FAVEUR DE L’ÉDUCATION ET DE L’INSERTION PROFESSIONNELLE

I. LA MIXITÉ SOCIALE ET SCOLAIRE DE MOINS EN MOINS UNE RÉALITÉ

A. PROBLÉMATIQUES DE LA MIXITÉ

1. Nécessité de la mixité

2. La mixité sociale dans le système scolaire français

a. L’enquête du CNESCO

b. Les conclusions identiques du CEC

B. UNE ACTION PUBLIQUE INSUFFISANTE ET EN MANQUE DE COHÉRENCE

1. L’action du ministère de l’éducation nationale

a. Une priorité continûment affichée

b. Les moyens consacrés à la mixité

c. Des mesures intéressantes mais insuffisantes

2. Le point sur les expérimentations en cours

a. Les secteurs multi-collèges

b. Un regard sur le contexte parisien

C. LA QUESTION CENTRALE DE L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ

1. La surreprésentation croissante des classes favorisées dans l’enseignement privé

2. Une administration sourde aux recommandations

a. Des recommandations aussi nombreuses que sans effet

b. Ingénuité de l’administration ?...

II. LES DISPOSITIFS TOURNÉS VERS L’ACCÈS À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

A. ENTRE AUTOCENSURE ET IGNORANCE, L’ORIENTATION NE REBAT TOUJOURS PAS SUFFISAMMENT LES CARTES

1. Les mêmes déterminants socioculturels à l’œuvre

2. Une politique publique de l’orientation ?

a. Un dispositif peu en accord avec les objectifs qui lui sont fixés par la loi

b. Une organisation complexe au fonctionnement peu efficace

3. Les mêmes causes produisant les mêmes effets…

B. LES EFFETS MODESTES DES MESURES DE SOUTIEN POUR L’ACCÈS À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

1. Un système de bourses à questionner

a. Le mécanisme des quotas de boursiers

i. Les modalités

ii. Un bilan modeste

b. La diminution régulière du nombre de boursiers sur critères sociaux dans l’enseignement supérieur

2. Les dispositifs en faveur de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur

a. Une situation d’inégalités enracinée depuis des décennies

b. L’engagement fort et soutenu des établissements d’enseignement supérieur

c. Parmi les dispositifs mis en œuvre ces dernières années

i. La modulation des frais de scolarité

ii. L’accompagnement des lycéens pour réduire l’autocensure

iii. L’accompagnement vers la réussite

d. Quels bilans pour ces dispositifs ?

i. Des actions aussi nombreuses que variées

ii. Mais un impact relatif sur les inégalités d’accès

3. Le développement de l’apprentissage

C. CONFORTER LES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT

III. LES FREINS À LA MOBILITÉ DESCENDANTE : LES POLITIQUES DE LA DEUXIÈME CHANCE

A. LES POPULATIONS CONCERNÉES

1. Les sortants précoces du système scolaire

2. Les jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET)

3. Les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)

B. L’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES EN GRANDE DIFFICULTÉ

1. Les dispositions au cœur du dispositif

a. L’obligation de formation

b. Le droit à l’accompagnement

2. De la Garantie jeunes au Contrat d’engagement jeune

a. La Garantie jeunes, une expérimentation concluante

b. Le Contrat d’engagement jeune

i. Le dispositif principal

ii. À la recherche des « invisibles »

iii. Quelques éléments de bilan

c. Parmi les autres dispositifs pour les publics jeunes en grande difficulté

QUATRIÈME PARTIE : PERMETTRE AUX JEUNES DE PRENDRE LEUR DESTIN EN MAIN

I. POUR UNE APPROCHE GLOBALE FAVORISANT L’ÉMANCIPATION ET L’AUTONOMIE DES JEUNES

A. UN AXE TOUJOURS DÉFENDU, JAMAIS CONCRÉTISÉ

1. Les conditions d’une véritable autonomisation des jeunes

2. L’alternative

B. LES EFFETS DE L’ABSENCE D’AUTONOMIE

C. PLAIDOYER POUR UNE POLITIQUE EN FAVEUR DE L’AUTONOMIE

1. Les demandes initiales des jeunes

2. Une analyse partagée

D. UNE ARCHITECTURE PLUS LISIBLE ET MIEUX ÉVALUABLE

1. La possibilité d’un guichet unique

2. Des objectifs mieux évaluables

a. La question de l’évaluation budgétaire

b. La nécessité d’évaluations d’impact

II. UNE POLITIQUE POUR LES JEUNES, AVEC LES JEUNES

A. LES JEUNES, CO-ACTEURS DU CHANGEMENT

1. Conforter les instances participatives sur le terrain

2. Améliorer le fonctionnement des instances nationales de dialogue

B. PÉRENNISER LE CONSEIL D’ORIENTATION DES POLITIQUES DE JEUNESSE

EXAMEN PAR LE COMITÉ

ANNEXE N° 1 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

ANNEXE N° 2 : TABLEAU DE BORD DE LA MOBILITÉ RELATIVE SUR DIFFÉRENTES DIMENSIONS

ANNEXE N° 3 : LES MULTIPLES CONDITIONS D’ÂGE DANS LA LÉGISLATION FRANÇAISE

CONTRIBUTION DE FRANCE STRATÉGIE

 


 

   PROPOSITIONS DES RAPPORTEURES

Proposition n° 1 : Appliquer les dispositions du décret n° 82-357 du 30 avril 1982 relatives à la réunion biannuelle du comité interministériel de la jeunesse.

Proposition n° 2 : Réévaluer l’intérêt du chef-de-filât des régions dans les politiques de jeunesse.

Proposition n° 3 : Systématiser les accords entre autorités académiques et établissements d’enseignement privé sous contrat et conditionner les moyens qui leur sont alloués au respect des engagements de promotion des mixités sociale et scolaire.

Proposition n° 4 : Garantir un parcours d’orientation effectif aux collégiens et lycéens, notamment en dédiant réellement les 54 heures annuelles prévues à des activités d’orientation dans tous les établissements, par leur inscription dans les emplois du temps et leur prise en compte dans la dotation horaire globale.

Proposition n° 5 : Pérenniser les financements des dispositifs de soutien à la réussite des étudiants, en particulier à l’université.

Proposition n° 6 : Engager un débat national en vue de l’adoption d’une loi de programmation des politiques de jeunesse permettant de poser le cadre des réformes à entreprendre.

Proposition n° 7 : Harmoniser les droits et prestations dont peuvent bénéficier les jeunes.

Proposition n° 8 : Expérimenter la mise en place de guichets uniques d’aides et de services pour les jeunes.

Proposition n° 9 : Donner un caractère prospectif au document de politique transversale obligatoirement annexé au projet de loi de finances annuel.

Proposition n° 10 : Réaliser des évaluations d’impact des dispositifs d’ouverture sociale et d’accompagnement à la réussite des études institués dans le cadre de la politique d’égalité des chances.

Proposition n° 11 : Conforter la représentation des jeunes dans les instances en charge des politiques les concernant et améliorer les modalités de leur participation.

Proposition n° 12 : Conférer un statut législatif au Conseil d’Orientation des politiques de jeunesse.


   SYNTHÈSE



   INTRODUCTION

Lors de sa réunion du 20 octobre 2022, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a inscrit à son programme de travail une évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, demandée par le groupe Socialistes et apparentés, et a désigné Mmes Louise Morel (Démocrate) et Cécile Untermaier (Socialistes et apparentés) comme rapporteures.

Au cours de cette même réunion, le comité a sollicité l’assistance de France Stratégie, sur le fondement de l’article 3 du décret n° 2013-333 du 22 avril 2013 portant création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective.

M. Gilles de Margerie, commissaire général de France Stratégie, a présenté son étude au CEC lors de sa réunion du 27 septembre 2023. Les rapporteures remercient France Stratégie pour la qualité de cet apport à leurs travaux ainsi que pour la réactivité et la disponibilité dont les experts de France Stratégie ont fait preuve lors de leurs recherches.

Cette étude très complète a nourri leur analyse et servi à l’organisation de la quinzaine d’auditions et tables rondes qu’elles ont tenues entre octobre 2023 et février 2024 dont elles remercient les participants.

C’est la seconde fois que le CEC se penche sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes. En décembre 2013, un premier rapport avait été présenté par MM. Régis Juanico (SOC) et Jean-Frédéric Poisson (UMP), dont ils avaient assuré le suivi un an plus tard, en janvier 2015.

Les conclusions qu’ils avaient présentées mettaient en évidence le ralentissement de la mobilité sociale des jeunes, malgré les moyens importants qui y étaient consacrés. Les rapporteurs présentaient les caractéristiques de ce modèle français qui semblait s’essouffler, marqué par un empilement de dispositifs sans véritable gouvernance d’ensemble ni coordination entre les nombreux acteurs. Compte tenu de l’importance cruciale de l’éducation et de la formation dans une perspective de mobilité sociale, leurs propositions ciblaient avant tout l’orientation des jeunes, qu’ils appelaient à refonder, la lutte contre le décrochage scolaire, la réussite des études supérieures et les mesures en faveur de l’autonomie des jeunes.

Plus de dix ans plus tard, force est de reconnaître que les constats de vos rapporteures ne sont pas fondamentalement différents.

 


   PREMIÈRE PARTIE : UN ÉTAT DES LIEUX DE LA MOBILITÉ SOCIALE DES JEUNES

Dans le rapport d’information qu’ils avaient présenté au nom du CEC ([1]) en 2013, Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson constataient que le modèle français de mobilité sociale avait désormais tendance à se gripper et que, malgré la mobilisation de moyens importants, la mobilité sociale des jeunes ralentissait. Les données statistiques de l’INSEE montraient en effet des situations de reproduction sociale importantes. Dix ans plus tard, le panorama n’a pas changé, et la panne de l’ascenseur social obéit en fait à des causes structurelles profondes.

I.   UNE CERTAINE STAGNATION DEPUIS UNE VINGTAINE D’ANNÉES

Avant d’étudier les politiques publiques qui y concourent, il convient de préciser ce que l’on entend par mobilité sociale des jeunes et de présenter un rapide état des lieux de la question.

Ainsi que le souligne France Stratégie dans son étude, la mobilité sociale présente plusieurs facettes. La mobilité intergénérationnelle permet de comparer la position sociale des enfants par rapport à celle de leurs parents, cependant que la mobilité intragénérationnelle compare la position d’une même personne à plusieurs moments de sa vie. La mobilité sociale peut être ascendante, descendante ou horizontale, et la mesure qui en est faite peut reposer sur différents critères complémentaires d’analyse – professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) –  ou revenus.

A.   LA MOBILITÉ SOCIALE SUR LA LONGUE DURÉE

De nombreux facteurs peuvent influer sur les destins sociaux des individus et expliquer, pour partie, la mobilité sociale. L’évolution générale de la structure des emplois, la désindustrialisation et la tertiarisation de l’économie sont parmi les facteurs qui ont augmenté mécaniquement la part des emplois de cadres et d’employés et favorisé de ce fait la mobilité.

Sur la longue durée, les changements dans la société française ont été majeurs, l’économie et la structure de l’emploi ont connu des bouleversements qui l’ont fait passer en quelques décennies d’une situation où « dans les années 1950, les trois secteurs d’activité (à savoir l’agriculture, l’industrie et les services) occupaient une place d’importance quasi-équivalente, à une société où, dans les années 2010, les trois quarts de l’emploi total sont fournis par le seul secteur des services » ([2]).

RÉpartition de l’emploi total par secteur d’activitÉ

Source : Marta Veljkovic, op. cit., page 80

Ces profonds changements ont continué de transformer la société française à la fin des Trente Glorieuses, marquée par la poursuite de ce mouvement de déclin de l’emploi agricole, d’essor du salariat et de tertiarisation de l’économie.

Pour Camille Peugny, professeur de sociologie à l’université de Versailles-Saint-Quentin ([3]), ce regard sur le long terme permet de distinguer de gros progrès en termes de mobilité sociale : « Les raisons de cette évolution sont avant tout structurelles. Les natifs des années quarante bénéficient d’un double mouvement favorable : tirant profit d’une première explosion scolaire s’accompagnant d’une réelle démocratisation qualitative, ils arrivent en outre sur le marché du travail pendant la période des Trente Glorieuses caractérisée par la diffusion massive du salariat moyen et supérieur qui accompagne la tertiarisation de l’économie. Au total, les risques de mobilité intergénérationnelle descendante sont faibles pour les enfants de cadres, et plus généralement, les chances de mobilité ascendante pour les enfants d’employés ou d’ouvriers sont grandes. À l’inverse, les générations nées à partir de la fin des années cinquante se heurtent à une dévalorisation des titres scolaires et surtout à un marché du travail nettement dégradé, la crise économique entrecoupée de brèves périodes de reprise se traduisant par l’apparition du chômage de masse. Pour les enfants de cadres, les trajectoires descendantes deviennent un risque marqué. » ([4])

C’est ce qui a été mis en évidence dans de nombreux pays, dont la France, au cours des dernières décennies, comme le résume notamment l’analyse rétrospective de France Stratégie pour le CEC.

Quelques définitions

La fluidité sociale mesure, par un rapport des chances relatives, l’égalité des chances d’accéder à une catégorie socioprofessionnelle plutôt qu’à une autre pour les personnes issues de ces milieux sociaux. Plus il est proche de 1 et plus origines et destinées sociales sont indépendantes l’une de l’autre, et donc plus il y a égalité des chances.

L’immobilité sociale correspond aux situations où l’individu appartient au même groupe social que le parent auquel il est comparé. Elle est souvent qualifiée de « reproduction sociale ».

La mobilité ascendante, ou ascension sociale, correspond aux situations où la catégorie socioprofessionnelle de l’individu est considérée supérieure, ou socialement plus valorisée, à celle du parent auquel il est comparé.

La mobilité descendante, ou déclassement social, correspond aux situations où la catégorie socioprofessionnelle de l’individu est considérée inférieure, ou socialement moins valorisée, à celle du parent auquel il est comparé.

La mobilité non verticale correspond aux situations de mobilité sociale entre catégories socioprofessionnelles difficilement hiérarchisables.

La mobilité sociale désigne les situations où la catégorie socioprofessionnelle de l’individu est différente de celle du parent auquel il est comparé.

La mobilité sociale entre parents et enfants est désignée comme la mobilité intergénérationnelle. On parle de mobilité intragénérationnelle quand le revenu et la position sociale d’un individu évoluent au cours de sa vie.

Source : INSEE, France, portrait social, édition 2019, page 58 et OCDE, « L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale », 2019, page 29

Elle constate notamment que la période 1983-2019 a été marquée par l’élévation de la structure de l’emploi et que, « au sein de la population composée des jeunes actifs sortis de formation initiale depuis cinq à huit ans, la part des CPIS ([5]) a doublé chez les jeunes hommes, passant de 10 % à 20 %, tandis qu’elle a plus que triplé parmi les jeunes femmes, passant de 5 % à 18 %. L’ensemble CPIS et professions intermédiaires atteint en 2019 50 % pour les femmes, contre 24 % au début des années 1980, et 45 % pour les hommes (27 % en 1983). » ([6])

Comme l’illustre le graphique ci-après, les jeunes hommes de toutes les catégories sociales ont vu leur probabilité d’occuper une position de CPIS ou de profession intermédiaire augmenter : la proportion de fils d’ouvriers qui ont accédé à un emploi de CPIS ou de profession intermédiaire, cinq à huit ans après la fin de leurs études initiales, est ainsi passée de 15 % en 1983 à 26 % en 2019.

Évolution de la proportion de cpis + PI parmi les hommes en fonction de l’origine sociale (1983-2019)

Source : France Stratégie, op. cit., page 62

Pour les jeunes femmes, comme le montre le second graphique, cette évolution est nettement plus marquée.

Évolution de la proportion de cpis + PI parmi les femmes en fonction de l’origine sociale (1983-2019)

Source : France Stratégie, op. cit., page 63

La proportion de filles d’ouvriers dans ce cas est en effet passée de 14 % à 34 %. Concernant les enfants de cadres, les tendances sont similaires : la proportion des fils de cadres ayant accédé à un emploi de CPIS est passée de 66 % à 73 % sur la période considérée, celle des filles de cadres passant dans le même temps de 57 % à 77 %.

Pour Louis-André Vallet, directeur de recherche au CNRS ([7]), cette évolution des destins sociaux des jeunes des années 1980 aux années 2010 est fortement conditionnée à l’évolution générale de la structure des emplois.

Ce que nous savons des tendances de la mobilité entre générations et de la fluidité sociale en France

« Au début des années 1950, un homme ou une femme sur deux appartenait à une classe sociale différente de celle de leur père. Au début des années 1990, c’est le cas de deux hommes sur trois et trois femmes sur quatre. En 2003, la mobilité observée est encore légèrement plus forte. À chaque enquête, la mobilité ascendante est plus fréquente que la mobilité descendante bien que, depuis 1985 et parmi les hommes, le rapport de la première à la seconde soit devenu moins favorable. Cette croissance de la mobilité observée a résulté pour l’essentiel des transformations structurelles de la France, passée d’une société largement agricole à une société industrielle, puis post-industrielle. Un tel mouvement a augmenté la dissimilarité entre la distribution de classe des hommes et des femmes et celle de leurs pères, ce qui a fait croître les taux absolus de mobilité entre générations. Deuxièmement, l’essor de la mobilité observée a aussi son origine dans une lente augmentation de la fluidité sociale, c’est-à-dire dans une légère réduction de la distance intergénérationnelle entre classes sociales. (…) Par exemple, en 1977 et parmi les hommes âgés de 35 à 59 ans, les chances d’être cadre ou profession intellectuelle supérieure plutôt qu’ouvrier étaient 92 fois plus fortes pour les fils originaires de la première classe sociale que pour ceux de la seconde. En 2003, le même odds ratio (rapport de chances) s’élève à 29, ce qui dénote une inégalité des chances sociales plus faible, bien qu’encore importante. »

Source : Louis-André Vallet, « Mobilité entre générations et fluidité sociale en France, le rôle de l’éducation », Revue de l’OFCE, 2017/1, n° 150, page 35

L’augmentation de la part des emplois de cadres et des professions intermédiaires a été un fait structurel et une opportunité dont les jeunes de toutes les origines sociales ont pu profiter, bien qu’à des degrés divers, compte tenu de l’inégalité des chances. Celle-ci a toutefois diminué sur la période, comme le remarque aussi France Stratégie qui souligne que, si en 1983, les fils de cadres avaient 12,4 fois plus de chances que les fils d’ouvriers d’exercer un emploi de cadre ou une profession intermédiaire plutôt qu’un emploi d’ouvrier ou d’employé, ce rapport des chances était encore de 7,9 en 2003 et 8,2 en 2019 ([8]). L’inégalité de chances perdure, mais l’avantage des fils de cadres sur les fils d’ouvriers est donc désormais inférieur.

B.   MAIS L’ASCENSEUR SOCIAL S’EST ENRAYÉ

Les constats de l’édition 2019 du portrait social de l’INSEE ([9]) qui comportait d’importants développements sur les évolutions de la mobilité sociale en France entre 1977 et 2015 sont à ce propos édifiants.

1.   Cinquante ans de mobilité ou de stabilité sociale ?

Les auteurs de l’étude indiquent en effet que, durant les quatre dernières décennies, depuis la fin des années 1970, par rapport à leur père la mobilité sociale des hommes âgés de 35 à 59 ans est restée globalement stable. S’il a été « en légère hausse entre 1977 et 1993 (+ 3 points, de 64 % à 67 %), le taux de mobilité sociale intergénérationnelle des hommes français âgés de 35 à 59 ans, actifs occupés ou anciens actifs occupés, ayant ensuite diminué de manière modérée (– 2 points) pour revenir à un niveau très proche de 1977 : en 2015, 65 % des hommes relevaient d’une catégorie socioprofessionnelle différente de celle leur père. » ([10]) S’agissant des femmes, leur mobilité sociale a progressé par rapport à celle de leur mère, malgré un ralentissement constaté à partir de 1993 : ainsi, en 2015, 71 % des femmes âgées de 35 à 59 ans relevaient d’une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur mère en emploi ou l’ayant été. Elles n’étaient que 59 % dans ce cas en 1977. Avec ces évolutions, le taux de mobilité intergénérationnelle féminine dépasse de 6 points le taux masculin en 2015, alors qu’il lui était inférieur de 5 % quarante ans plus tôt.

dÉcomposition de la mobilitÉ sociale observÉe entre 1977 et 2015

Source : « France portrait social », INSEE-Références – Édition 2019, page 44

Ces mobilités, tant pour les hommes que pour les femmes, sont dues pour partie à l’évolution de la structure des emplois. Comme le précisent les auteurs, « pour s’adapter aux évolutions de la structure du marché de l’emploi au cours du temps (certains emplois déclinent tandis que d’autres ne relevant pas de la même catégorie socioprofessionnelle se développent), une partie des femmes et des hommes actifs sont amenés à occuper une position sociale différente de celle de leurs parents et se retrouvent ainsi en situation de mobilité sociale. » ([11])

Au long des quarante dernières années, ces modifications ont perdu en intensité et la structure des emplois des hommes s’est progressivement rapprochée de celle de leurs pères, de sorte que « depuis la fin des années 1970, la mobilité sociale des hommes est de moins en moins liée à l’évolution de la structure des emplois entre leur génération et celle de leurs pères » ([12]), l’évolution intergénérationnelle des emplois féminins étant en revanche plus modeste.

Évolution de la structure des emplois selon le sexe entre 1977 et 2015

Source : « France portrait social », op. cit., page 45

2.   Une trajectoire professionnelle loin d’être toujours ascendante

France Stratégie indique que, en 2019, 24 % des flux de mobilité intergénérationnelle correspondent à des mobilités ascendantes et 32 % à des mobilités descendantes. Les trajectoires sociales peuvent également être horizontales, lorsque les individus changent simplement de statut.

Selon les données de l’INSEE, la mobilité verticale masculine reste aujourd’hui majoritairement ascendante, même si elle a diminué depuis le début des années 2000 : « De 1977 à 2003, les hommes en ascension sociale étaient environ 3 fois plus nombreux que ceux dont la trajectoire a été descendante ; en 2015, ils ne sont plus que 1,8 fois plus nombreux » ([13]). Dans le même temps, le taux de mobilité descendante des hommes a été multiplié par 2 entre 1977 (7 %) et 2015 (15 %). Cela étant, les recherches montrent des inégalités jusque dans les trajectoires de mobilité descendante : en premier lieu parce que, même si « le déclassement, soit la mobilité sociale descendante, semble désormais de plus en plus partagé, y compris pour les plus dotés socialement », « la mobilité sociale ascendante des jeunes d’origine modeste s’accompagne souvent d’un déclassement, nettement plus fréquent pour eux que pour les plus dotés en capital social. » En second lieu, parce que « les jeunes de classes sociales supérieures acceptent moins un déclassement par rapport au diplôme synonyme de mobilité sociale descendante. Ils développent alors des stratégies qui les prémunissent davantage du déclassement à travers la formation postscolaire continue, notamment. » ([14])

Les femmes, elles, sont 3,4 fois plus nombreuses à avoir connu une mobilité ascendante que descendante par rapport à leur mère et, même ralentie, la progression de leur mobilité ascendante reste forte par rapport à leur mère : 40 % en 2015 contre 17 % en 1977 et 25 % en 1985. Le taux de mobilité descendante des femmes a doublé, comme celui des hommes, passant de 6 % en 1977 et 1985 à 12 % en 2015.

3.   La mobilité sociale mesurée à l’aune des revenus : des constats comparables

En complément de l’analyse des évolutions des professions et catégories socio-professionnelles (PCS) des enfants par rapport à leurs parents qui ont été très étudiées dans une approche sociologique, les économistes proposent désormais une approche complémentaire permettant de mesurer la mobilité intergénérationnelle en comparant les revenus des enfants par rapport à ceux de leurs parents. Ces travaux se fondent sur l’échantillon démographique permanent (EDP), produit par l’INSEE et la direction générale des finances publiques. Selon les conclusions recueillies par vos rapporteures lors de leurs auditions, ces analyses confirment celles en termes de PCS.

Ainsi, pour Michaël Sicsic ([15]) (INSEE), parmi les enfants des 20 % de familles les plus pauvres, 12 % sont parmi les 20 % les plus aisés de leur génération ([16]). Ces chiffres montrent cependant qu’il y a une certaine reproduction des inégalités : dans le même temps, les enfants issus des 20 % des familles les plus riches ont trois fois plus de chance d’être à leur tour dans les 20 % les plus aisés que les enfants issus de familles pauvres, et même 25 % à se retrouver au sommet de l’échelle des revenus.

De la même manière, cette analyse met en lumière les phénomènes de mobilité descendante. Michaël Sicsic constate par exemple que 25 % des enfants des familles les plus riches se retrouvent dans les 40 % des revenus les plus bas. Enfin, ces travaux montrent une forte inertie sur la durée et que « en suivant les personnes âgées de 25 à 49 ans en 2003, l’étude révèle que la position des individus dans l’échelle des revenus en 2019-2020 est fortement corrélée (0,71) à la position en 2003-2004. L’inertie est particulièrement forte aux extrémités de la distribution : parmi les 20 % les plus aisés et les 20 % les plus modestes, près des deux tiers des individus restent dans la même catégorie 16 ans plus tard. » ([17])

Pour des raisons méthodologiques, les résultats des travaux de Gustave Kenedi et Louis Sirugue ([18]) (IPP), sont légèrement différents mais ils confirment ces constats, qui montrent l’étroite corrélation entre le niveau de revenu des parents et celui de leurs enfants. Dans le graphique ci-dessous, la pente croissante souligne la corrélation entre les revenus des enfants et les revenus des parents : un enfant né dans une famille aisée aura en moyenne des revenus plus élevés qu’un enfant né dans une famille pauvre – la corrélation rang-rang ([19]) de 0,303 signifiant qu’en moyenne quand le revenu des parents augmente de 1 décile, le revenu des enfants augmente de 0,3 décile.

corrÉlation entre revenus des parents et revenus de leurs enfants

Source : Gustave Kenedi et Louis Sirugue ; document remis aux rapporteures

Le diagramme ci-dessous montre la probabilité des individus d’atteindre un certain niveau de revenus en fonction du niveau de revenus de leurs parents. Les parents sont ici classés en cinq groupes : des 20 % les plus pauvres aux 20 % les plus riches. La probabilité, pour un enfant né dans l’une des familles des 20 % les plus pauvres, d’atteindre le niveau de revenu des 20 % les plus riches, est inférieure à 10 % : 9,7 % des enfants issus des 20 % des familles les plus pauvres feront partie des 20 % les plus aisés à l’âge adulte alors que 38,4 % des enfants issus des 20 % des familles les plus aisées feront partie des 20 % les plus aisées à l’âge adulte. La probabilité des enfants issus des 20 % des familles les plus pauvres d’accéder au sommet de l’échelle des revenus est donc quatre fois moins importante que celle des enfants issus des 20 % des familles les plus aisées.

Mesurer la mobilitÉ intergÉnÉrationnelle par la matrice de transition

Source : Gustave Kenedi et Louis Sirugue, ibid.

Ces éléments – qui montrent que, même si cela est difficile, une certaine proportion d’enfants de classes défavorisées arrive à figurer à l’âge adulte parmi les plus aisés – incitent certains économistes comme Clément Dherbécourt ([20]) à juger préférable d’aborder les problématiques en termes d’inégalités des chances plus que de déterminisme social, qui sous-entend des trajectoires immuables, prédéfinies par le milieu d’origine. Les choses sont plus complexes car l’inégalités des chances, réelle et mesurable, n’empêche pas une réelle mobilité sociale. En conséquence, si la France ne fait pas partie du groupe des bons élèves de la mobilité sociale, formé par les pays scandinaves, il est exagéré d’en faire pour autant un mauvais élève compte tenu des perspectives existantes que montre l’analyse en termes de revenus.

4.   Les signes d’une panne internationale de l’ascenseur social

Constater la relative faiblesse de la mobilité intergénérationnelle en France est certes intéressant mais insuffisant au regard de l’objectif d’évaluer les politiques publiques y concourant. Un regard porté sur l’international est de ce point de vue indispensable, le fait que l’OCDE ait pu titrer une importante étude « L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale » ([21]), laissant en effet entendre que les constats concernant la France sont partagés.

De fait, il apparaît par exemple que « sur le plan professionnel, un tiers environ des enfants dont les parents sont ouvriers sont ouvriers eux-mêmes. Par ailleurs, la mobilité absolue a diminué dans la moitié des pays considérés et n’a pas évolué dans l’autre moitié, notamment parce que les jeunes générations ont aujourd’hui moins de chances que leurs parents d’accéder à des emplois plus qualifiés. » Sur un autre plan, « si deux tiers des personnes dont les parents ont des revenus modestes parviennent à accéder à des revenus supérieurs, cette mobilité ascendante en termes de revenu se limite, pour près de la moitié d’entre eux, à la tranche immédiatement supérieure. » ([22]) Raison pour laquelle, estime l’OCDE, en moyenne quatre à cinq générations seraient nécessaires « pour que les enfants situés dans le décile inférieur des revenus se hissent au niveau du revenu moyen. »

De la même manière, l’OCDE remarque que « depuis les années 90, on observe une tendance générale vers une plus grande immuabilité au sommet et au bas de l’échelle de distribution des revenus. Cela se traduit à la fois par un amoindrissement des chances d’ascension pour ceux qui se trouvent en bas, et par une diminution des risques de déclassement pour ceux qui se trouvent en haut. Les inégalités de revenu se sont creusées depuis, mais cela n’a pas été compensé par un accroissement de la mobilité sur l’échelle des revenus » ([23].

Ce sont donc des tendances lourdes et durables qui sont à l’œuvre au niveau international et se traduisent par un ralentissement général de la mobilité sociale. Pour autant, des différences existent et caractérisent la situation des pays : si en moyenne, quatre à cinq générations seraient nécessaires aux enfants du décile inférieur pour se hisser au niveau du revenu moyen, il en faudrait six dans le cas de la France et de divers pays de l’Europe continentale, mais seulement deux dans le cas des pays d’Europe du nord ([24]).

Surtout, l’analyse montre que, « à quelques exceptions près, la mobilité sociale des cohortes nées après le milieu du 20e siècle n’a pas augmenté » ([25]) : dans la moitié des pays, l’OCDE constate une stabilité générale dans le temps, et dans l’autre moitié, une diminution de la mobilité pour la cohorte la plus récente, comme le montre le graphique ci-dessous. Certains pays, en majorité nordiques (Danemark, Norvège, Suède), enregistrent un recul de 3 points ou plus de la mobilité absolue. La France et les États-Unis en font partie. Cette baisse peut s’expliquer, dans le cas des pays nordiques, « par l’effet combiné d’une plus forte diminution de la mobilité ascendante et d’une augmentation plus limitée de la mobilité descendante ». Dans d’autres (Hongrie, États-Unis), elle est causée par la réduction de la mobilité descendante.

Évolution de la mobilitÉ de classe absolue

Source : OCDE, ibid., page 206

Les économistes sont partagés quant au positionnement de la France en termes de mobilité sociale par rapport aux principaux pays industrialisés. Pour Michaël Sicsic, notre pays se situe dans une position intermédiaire. Il conclut d’une revue de la littérature que « le taux de mobilité ascendante en France serait un peu inférieur à la moyenne de certains pays de l’OCDE, mais resterait très largement supérieur à celui aux États-Unis et en Allemagne. » ([26]) Les travaux de Gustave Kenedi et Louis Sirugue tendent à montrer en revanche un positionnement nettement en dessous de la moyenne des pays considérés. Même si la comparaison qu’ils proposent n’est qu’indicative, compte tenu de questions de méthodologie et de définition, les données suggèrent « que la France se distingue par une forte persistance des revenus entre générations. Elle est du même ordre de grandeur qu’en Italie et un peu plus faible qu’aux États-Unis, mais plus élevée que dans d’autres pays européens tels que l’Espagne ou les pays nordiques, ainsi que l’Australie ou le Canada. » ([27])

corrÉlation rang-rang en comparaison internationale

Source : Gustave Kenedi et Louis Sirugue, IPP, op. cit.,

C.   LA QUESTION MAJEURE DE LA PRÉCARISATION DE LA JEUNESSE

On ne peut limiter le constat au ralentissement structurel de la mobilité sociale sans aborder l’aspect complémentaire de la précarisation croissante des jeunes.

Les auteurs du rapport du CEC de 2013 avaient déjà souligné le fait que les jeunes étaient plus touchés par la pauvreté et la précarité que les autres classes d’âge dans notre pays. Ainsi, depuis au moins 1996 et jusqu’en 2010, le taux de pauvreté – entendu comme concernant les personnes disposant d’un revenu inférieur à 50 % du revenu médian – des jeunes de moins de trente ans était continûment supérieur à celui de toutes les autres classes d’âge et l’écart s’accroissait considérablement depuis le milieu des années 2000.

Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson relevaient que « en matière de pauvreté, les jeunes sont donc confrontés à une situation plus dégradée que l’ensemble de la population, dans des proportions accrues de façon alarmante depuis un peu moins de 10 ans » ([28]), et ce, d’autant plus que leur situation était aussi légèrement moins bonne que celle des jeunes européens. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ce constat global : accès plus tardif à un premier emploi, dû à l’allongement des études, y compris pour ceux qui sortent du système scolaire non diplômés, par rapport aux générations précédentes ; chômage plus important, précarité sociale et professionnelle accrue.

Pour Camille Peugny, « la montée des inégalités entre générations » ([29]) date de la fin des années 1970, qui ont vu tripler la part des chômeurs parmi les jeunes sortis de formation initiale depuis moins d’un an. Depuis cette époque, la situation n’a cessé de s’aggraver pour les jeunes jusqu’à aboutir à des tableaux très sombres quant aux perspectives qui leur sont offertes dans les années 1990 et 2000, par rapport à ceux qui les ont précédés, avec des trajectoires où se cumulent montée du chômage, précarisation du travail et baisse des salaires. Les analyses montrent par exemple que « lorsqu’ils sont issus des classes populaires et que leurs parents exercent des emplois subalternes, la probabilité de connaître une promotion sociale tangible est plus faible que pour leurs homologues nés vingt ans auparavant. À l’inverse, lorsqu’ils sont nés dans des milieux favorisés, dans des familles où les parents sont cadres ou exercent des professions intellectuelles supérieures, les risques de déclassement sont assez fortement accrus. » ([30])

Cette situation est telle qu’au terme de son analyse, Camille Peugny estime qu’« une génération du déclassement semble succéder à une génération de la promotion sociale » ([31]) : si les individus nés dans les années 1940 ont pu bénéficier d’une dynamique historique de mobilité sociale, portée par le contexte économique des Trente Glorieuses et de la première explosion scolaire, articulée avec celles de la diffusion du salariat qualifié et de la tertiarisation de l’économie, ceux des années 1960 ont été confrontés à un tout autre contexte, celui du chômage de masse. Si, pour les générations suivantes, nées dans les années 1970, 1980 et depuis, la situation est encore différente, elle n’est pas meilleure pour autant : « toutes les cohortes qui ont à s’insérer sur le marché du travail depuis les années 1980 le font dans un contexte où la part des emplois précaires augmente rapidement pour les actifs les plus jeunes, sans que ce retard pris en début de parcours professionnel soit rattrapé par la suite, ce qui fragilise l’existence d’une part croissante des individus nés dans les cohortes les plus récentes. » ([32])

II.   DES INÉGALITÉS PERSISTANTES QUI DÉTERMINENT L’AVENIR DES JEUNES

Les trajectoires de mobilité sociale des jeunes sont diverses et dépendent en grande partie des inégalités. Le poids de l’origine sociale pèse lourdement sur les destins individuels. Il est particulièrement visible dans les parcours scolaires des jeunes qui déterminent leur insertion professionnelle.

A.   LE POIDS DE L’ORIGINE SOCIALE DANS LE PARCOURS SCOLAIRE

Si la mobilité sociale a été une réalité générale, elle est néanmoins toujours restée étroitement dépendante de la situation sociale d’origine des individus. Comme le souligne le rapport de France Stratégie, les chances pour les jeunes d’occuper une position sociale donnée dépendent étroitement de celle de leurs parents.

« La France fait partie des pays développés les moins inégalitaires en termes de niveaux de vie, grâce notamment à son système de redistribution socio-fiscal. Elle est beaucoup moins bien classée pour l’égalité des chances entre individus d’origine sociale différente, dans le domaine éducatif comme sur le marché du travail. La France constitue donc un contre-exemple à la règle générale selon laquelle inégalité de niveau de vie et inégalité des chances dans une société sont liées. 

Dans les générations qui ont aujourd’hui entre 30 et 45 ans, l’accès à un niveau de vie élevé comme le risque d’être en situation de pauvreté varient fortement selon l’origine sociale. Cet effet s’avère beaucoup plus déterminant que l’origine migratoire, le sexe ou l’âge de l’individu. Cet effet s’explique largement par l’influence de l’origine sociale sur le niveau de diplôme atteint par les individus : l’inégalité des chances éducatives contribue pour moitié aux écarts de niveau de vie moyen entre enfants d’ouvriers et enfants de cadres et pour moitié également à l’écart de chances entre eux de faire partie des 20 % des ménages les plus aisés. »

Source : Clément Dherbécourt, « Nés sous la même étoile ? Origine sociale et niveau de vie », France Stratégie, note d’analyse n° 68, juillet 2018

1.   Des trajectoires scolaires qui doivent peu au hasard

Toutes les études montrent que les inégalités d’apprentissage débutent dès les premières années de la vie des enfants : « Les inégalités d’apprentissages commencent à se former avant l’entrée à l’école, notamment dans l’acquisition du langage. Dès l’âge de 2 ans, des écarts importants dans l’acquisition du vocabulaire sont ainsi constatés selon le diplôme des parents et leur revenu. » ([33])

« Il faut avoir conscience que le système français présente des caractéristiques particulières qui conduisent à ce que les effets s’amplifient depuis le début de la vie jusqu’à l’âge adulte. La boutade selon laquelle, tout se joue dès l’accès à la maternité, lui-même conditionnant le lieu de résidence des futurs parents n’est qu’une semi boutade. Rappelons d’abord que la sous-représentation des enfants modestes se retrouve dès la crèche (5 % des enfants de familles pauvres ont accès à la crèche, contre 22 % des enfants issus de familles aisées)…. Dans des proportions comparables donc à l’enseignement supérieur (mesure prise en compte dans le plan pauvreté de 2018). Le système français, avec ses modalités de sélection-orientation ne pardonne guère le faux-pas, le pas de côté, le pas plus lent, le ‟pas comme tout le mondeˮ. Il amplifie, à chaque étape, les écarts et les faiblesses. Il fonctionne sur l’orientation-sélection, peu sur la réorientation. Il est organisé essentiellement par tamis, pas par passerelles. »

Source : « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur », Rapport du comité stratégique à la ministre de l’enseignement supérieur, 8 décembre 2020

Pour ne prendre qu’un exemple, le graphique ci-dessous montre les différences considérables dans les résultats des élèves en français et en mathématiques à l’entrée en sixième selon le milieu social de leurs parents.

score moyen des ÉlÈves À l’entrÉe en sixiÈme selon le milieu social des parents, rentrÉe 2022

Source : DEPP, « L’état de l’école », octobre 2023, page 68

Cette inégalité de compétences ne fait que perdurer dans la suite de la scolarité à l’entrée en seconde et ultérieurement, et singularise la France qui est parmi les pays dans lesquels elle est la plus forte.

L’ensemble des études sociologiques et économiques montrent en effet que le choix des parcours de formation scolaire et supérieure obéit en grande partie à des critères sociaux. En d’autres termes, que le poids des déterminismes sociaux y est fort. Comme le montre par exemple le tableau de l’INSEE ci-dessous, « 92 % des jeunes de 17 ans dont le binôme parental est à dominante cadre sont scolarisés en lycée général ou technologique, contre 49 % de ceux dont le binôme parental est à dominante ouvrière. » ([34]) Inversement, seuls 16 % des jeunes scolarisés en lycée professionnel appartiennent aux catégories favorisées, contre 38 % des catégories défavorisées. De la même manière, 16 % des jeunes dont les parents sont inactifs sont sortis du système scolaire à 17 ans, contre seulement 4 % pour l’ensemble.

situation scolaire des jeunes de 17 ans en 2022 selon la PCS de leur binÔme parental

Source : INSEE, page 23

Le diagramme ci-après précise cette réalité en montrant la part de moins en moins importante occupée par les élèves d’origine modeste à mesure qu’ils se rapprochent de l’enseignement supérieur qui sont, dès la seconde, plutôt orientés vers les filières technologiques et professionnelles. C’est même dès la sixième qu’une différenciation nette peut être observée, puisque 19,4 % accusent d’ores et déjà un retard, 4,4 % étant affectés en section adaptée (SEGPA), contre respectivement 8,3 % d’élèves issus de classes favorisées en retard et 0,3 % seulement en SEGPA.

trajectoires comparÉes des ÉlÈves de sixiÈme À l’enseignement supÉrieur, par origine sociale

Source : Johanna Barasz et Peggy Furic, « La force du destin : poids des héritages et parcours scolaires », France Stratégie

Comme le relèvent Johanna Barasz et Peggy Furic ([35]), le système fonctionne comme une fabrique progressive d’inégalités scolaires et l’accès à l’enseignement supérieur prolonge les inégalités de parcours scolaires qui se sont construites par des mécanismes de sédimentation et de stratification. L’impact des inégalités sociales sur la situation scolaire des jeunes porte en outre sur les résultats, les choix de filières – comme on le verra plus loin – et le niveau de diplôme atteint : comme le souligne le rapport de France Stratégie, les ressources culturelles et économiques des familles, les conditions de vie ont des effets plus ou moins favorables sur la scolarité des enfants. Le graphique ci-dessous est de ce point de vue particulièrement éclairant.

part de non-diplÔmÉs et de diplÔmÉs de bac +5 selon l’origine sociale (en %)

Source : France Stratégie, op. cit., page 123

Il montre d’une part les différences considérables entre les enfants de familles favorisées et défavorisées. Il met aussi en évidence que la proportion d’enfants diplômés bac + 5 est au moins cinq fois plus importante – jusqu’à 27 fois ! – pour les binômes de cadres, que celle des non-diplômés. Dans les PCS à dominante ouvrière ou inactifs, la proportion de non-diplômés est toujours supérieure à celle de diplômés bac + 5.

Les travaux du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) donnent un certain nombre de renseignements complémentaires essentiels pour comprendre cette situation.

Au cours de leur audition ([36]), Dominique Épiphane et Elsa Personnaz, co-auteures de l’étude « Parcours scolaires et insertion professionnelle : l’implacable effet de l’origine sociale », demandée au Céreq par France Stratégie dans le cadre de la préparation de son rapport pour le CEC, ont présenté aux rapporteures quelques résultats significatifs qui confirment que l’origine socioculturelle est toujours fortement prédictive des diplômes atteints par les élèves en fin de scolarité. Ainsi, les jeunes d’origine sociale modeste connaissent-ils des parcours beaucoup plus difficiles dans l’enseignement secondaire : ils sont moins souvent orientés en seconde générale à l’issue de la troisième et plus souvent inscrits par défaut dans des filières qu’ils n’ont pas choisies. Comme le montre le tableau ci‑dessous, au terme de leur scolarité dans l’enseignement secondaire, seuls 5 % des élèves dont les deux parents sont cadres n’obtiennent pas le baccalauréat (colonne de gauche), contre un tiers de ceux issus de familles à dominante ouvrière et même 40 % d’inactifs.

Inversement, seul un quart des enfants issus de familles modestes sont titulaires d’un bac général contre 80 % des enfants de deux parents cadres. Parmi les bacs généraux, le bac S, nécessaire (jusqu’à la réforme du bac) pour accéder aux filières les plus prestigieuses, était très clivant : près de la moitié des enfants de deux parents cadres sont titulaires d’un bac S contre un dixième seulement des enfants d’ouvriers.

le poids des origines sociales dans l’accÈs aux diplÔmes

Source : Dominique Épiphane et Elsa Personnaz, Céreq, document remis aux rapporteures

2.   Jusque dans l’enseignement supérieur

Logiquement, le poids des origines sociales perdure ensuite et conditionne l’accès à l’enseignement supérieur, les enfants d’origine modeste y accédant moins souvent que les autres. Comme le soulignent par exemple Philippe Lemistre et Fanette Merlin ([37]) ,les trajectoires d’études sont diverses, genrées et socialement marquées. Le tableau précédent (troisième colonne) montre même des différences extrêmes : 88 % des enfants de cadre accèdent à l’enseignement supérieur, contre un peu plus de 40 % seulement des enfants d’origine défavorisée. La colonne de droite du tableau confirme s’il en était encore besoin ces inégalités en mesurant le taux d’échec dans l’enseignement supérieur, fortement différencié : entre un quart et un tiers des jeunes d’origine modeste quittent l’enseignement supérieur sans diplôme contre environ 13 à 14 % des enfants de familles favorisées.

niveau de diplÔmes des 25-34 ans selon la catÉgorie socioprofessionnelle des parents en 2021 (en %)

Source : « L’état de l’école », DEPP, octobre 2023, page 81

Diverses raisons expliquent en effet les sorties de l’enseignement supérieur sans diplôme, notamment le manque de soutien économique de leur entourage : près de la moitié de ces jeunes d’origine modeste déclarent en effet avoir arrêté leurs études pour des motifs extra-scolaires  difficultés financières, temps de transport trop important entre le domicile et le lieu d’études, problème d’accès au logement étudiant, etc. – contre seulement un quart des jeunes d’origine favorisée. En d’autres termes, le capital économique des parents revenus et patrimoine – a aussi une importance, comme celui du capital culturel, qui influe très tôt et durablement ([38]).

Les mécanismes de reproduction des inégalités

« (…) si la massification scolaire a démocratisé l’accès aux biens scolaires, elle n’a pas réduit l’impact de l’origine sociale et culturelle des élèves sur leurs performances et leurs carrières scolaires. Plus encore, cette sociologie met en évidence un mécanisme social plus profond, à savoir que ce n’est pas seulement ‟l’argentˮ qui fait la différence, mais plus encore les ressources culturelles des familles et leurs investissements dans l’éducation scolaire. La sociologie de l’éducation des années 1960 montre que la massification scolaire engendre une démocratisation ‟absolueˮ puisque les taux de scolarisation secondaire et supérieure s’élèvent, mais elle démontre surtout que les inégalités sociales déterminent les carrières scolaires au sein-même de l’école de masse. »

Source : François Dubet, « Inégalités scolaires : structures, processus et modèles de justice », Revue européenne des sciences sociales, 2019/2 (57-2), page 117

En outre, comme le montre le diagramme ci-dessous, les aspirations des jeunes en matière d’éducation apparaissent également très corrélées à la situation économique de leur famille : les aspirations à effectuer des études supérieures jusqu’à bac + 5 ou plus sont inférieures au moins de moitié chez les enfants appartenant à une famille dont les revenus sont dans les deux premiers déciles par rapport à ceux appartenant à la catégorie la plus aisée.

aspirations Éducatives des jeunes de 18-19 ans selon le revenu des parents

Source : Cécile Bonneau et Sébastien Grobon, « Accès à l’enseignement supérieur : des différences marquées en fonction du revenu des parents », Conseil d’analyse économique, Focus n° 76-2021, décembre 2021, page 4.

B.   LA MARQUE DE LA REPRODUCTION SOCIALE DANS L’INSERTION PROFESSIONNELLE

L’effet déterminant de leur origine sociale sur la mobilité sociale des jeunes continue d’être mis en évidence, étape après étape, par la manière dont est ensuite conditionnée leur trajectoire d’insertion professionnelle.

1.   Une entrée dans la vie active socialement marquée

Pour reprendre la formule de France Stratégie, les inégalités de parcours scolaire et universitaire amènent ensuite les jeunes à entrer « diversement armés dans la vie active ».

Le tableau ci-dessous montre que, « en 2019, plus de 80 % des enfants nés dans des familles à dominante cadre exercent, cinq à huit ans après la fin de leurs études initiales, un emploi de cadre ou de profession intellectuelle supérieure (CPIS) ou profession intermédiaire (PI), tandis que 69 % des enfants issus d’une famille à dominante ouvrière exercent un emploi d’ouvrier ou d’employé. La probabilité d’accéder au statut de CPIS augmente avec l’origine sociale, depuis 7 % pour les jeunes issus d’une famille à dominante ouvrière jusqu’à 50 % pour leurs pairs nés dans une famille à dominante cadre. À l’inverse, la probabilité d’exercer un emploi d’ouvrier non qualifié ou d’employé non qualifié décroît à mesure que s’élève l’origine sociale : cette position concerne seulement un jeune né dans une famille à dominante cadre sur vingt mais plus d’un jeune sur quatre issu d’une famille à dominante ouvrière. » ([39])

table de mobilitÉ sociale en 2019

Source : France Stratégie, op. cit., page 56

En premier lieu, parce qu’ils sortent de formation initiale très diversement diplômés selon leur origine sociale, comme le met en évidence le tableau ci-après, issu de la dernière enquête « Générations » du Céreq qui montre que parmi les titulaires d’un diplôme d’ingénieur ou d’une école de commerce, seuls 1 % sont issus d’une famille ouvrière ou inactive, contre 10 % d’une famille dont les deux parents sont cadres. Leur domination est également écrasante parmi les diplômés de l’enseignement supérieur long : près de la moitié d’entre eux sont issus de familles à dominante cadre, 55 % ayant deux parents cadres, contre environ 10 % d’enfants d’ouvriers. Inversement, les enfants de classes défavorisées sont proportionnellement plus nombreux à obtenir des diplômes de type BEP, CAP, bac pro, que les enfants de classes favorisées.

rÉpartition par plus haut niveau de diplÔme selon l’origine sociale (%)

Source : France Stratégie, op. cit., page 79

Par ailleurs, les graphiques suivants mettent en évidence que la situation sur le marché du travail des jeunes en sortie de formation initiale varie considérablement selon le niveau de diplôme atteint, qui a un effet majeur sur le taux de chômage ou d’emploi à durée déterminée.

taux de chÔmage et part des emplois en cdd ou intérim des personnes sorties de formation initiale depuis 1 À 4 ans

Source : INSEE, op. cit., page 141

Il en est de même sur la catégorie socioprofessionnelle atteinte par les jeunes diplômés.

Catégorie socioprofessionnelle des personnes sorties de formation initiale depuis 1 À 4 ans selon le niveau de diplôme (en %)

Source : INSEE, ibid., page 141

Enfin, l’origine des jeunes diplômés s’insérant dans la vie active est aussi socialement différenciée, dans la mesure où, selon les constats du Céreq, les enfants de deux parents cadres sont ceux qui connaissent les trajectoires les plus favorables, à savoir un accès rapide et durable à l’emploi à durée indéterminée : ils sont près de 40 % dans ce cas, contre seulement un quart des enfants d’ouvriers. Inversement, seuls 7 % des enfants de deux cadres sont aux marges de l’emploi, contre 17 % des enfants d’ouvriers. Dans le même ordre d’idées, trois ans après la sortie des études, en 2020, 80 % des enfants de cadres sont en emploi et 10 % au chômage, alors que les enfants issus de familles à dominante inactive sont en emploi à 57 % seulement, plus du quart étant au chômage.

les trajectoires en début de vie active

Source : Dominique Épiphane et Elsa Personnaz, Céreq

Ces nombreux éléments ne peuvent que conforter les constats de Camille Peugny évoqués plus haut : dans un contexte économique qui s’est traduit sur les dernières décennies par des modifications structurelles considérables qui ont notamment entraîné une précarisation de l’emploi, les possibilités de mobilité sociale pour les jeunes des classes défavorisées, qui se heurtent à des plafonds infranchissables, sont aujourd’hui, et sans doute de manière durable, plus réduites.

Au final, pour certains chercheurs, tout laisse à « penser que, entre les années 1970 et 2015, on aurait assisté en France à une évolution des flux de mobilité de classe en cours de carrière, mais aussi à un maintien des barrières, qui séparent durablement les perspectives professionnelles des individus des différents milieux sociaux, mais également celles des hommes et des femmes. De ce point de vue, une reconfiguration importante des inégalités sociales ne semble pas avoir eu lieu au cours des cinquante dernières années en France. » ([40]) Et ce, malgré la mise en œuvre de nombreux dispositifs publics.

Cette situation invite d’autant plus à renforcer l’efficacité des politiques publiques qui lui sont dédiées.

2.   Des mobilités néanmoins diverses

Outre le ralentissement de la mobilité sociale sur les quarante dernières années, l’INSEE souligne deux aspects et relève que « les évolutions de la mobilité sociale des hommes au cours des quatre dernières décennies ont été d’autant plus favorables que leur père se situe bas dans l’échelle sociale. Les ascensions sociales des fils d’employés et ouvriers qualifiés sont 4 fois plus fréquentes que les déclassements en 2015, contre moins de 3 fois plus en 1977. À l’inverse, les déclassements pour les hommes issus de professions intermédiaires sont 1,3 fois plus fréquents que les ascensions, en 2015 comme en 1977. » ([41])

Évolution des mobilitÉs ascendantes et descendantes selon l’origine sociale entre 1977 et 2015

Source : « France portrait social », INSEE-Références – Édition 2019, page 49

L’INSEE précise que les forts déclassements pour les hommes, ont progressé sur les quarante dernières années et sont même de moins en moins rares pour les fils de cadres et de professions intermédiaires, ce qui témoigne d’une certaine dégradation des destinées sociales en haut de l’échelle sociale. Pour autant, en termes de fluidité, et donc de chances relatives d’accéder aux différentes catégories sociales selon son origine, on constate que les inégalités d’accès aux professions de cadres restent très élevées. Si la fluidité sociale a fortement progressé entre tous les groupes sociaux, la réduction des inégalités a essentiellement eu lieu entre 1970 et 1990. Elles tendent à stagner depuis et sont toujours fortes en 2015 et les frontières entre groupes sociaux demeurent relativement étanches.

Évolution de la fluiditÉ sociale entre les cadres et autres catÉgories de salariÉs entre 1977 et 2015

Source : INSEE, France portait social, op. cit., page 54

C.   LES DISPARITÉS TERRITORIALES

La dimension territoriale est un des facteurs dont les effets sur les trajectoires scolaires des jeunes et, consécutivement, sur leurs possibilités de mobilité sociale, sont particulièrement nets. Les inégalités de destin tiennent aussi, et fortement, à la géographie : une étude de France Stratégie ([42]) avait ainsi montré que les chances d’ascension sociale des individus d’origine populaire (enfants d’ouvriers et d’employés) variaient du simple au double selon le département de naissance, et que l’ascenseur social fonctionnait bien en Île-de-France, en Bretagne ou en Midi-Pyrénées, mais mal en Picardie, en Hauts-de-France ou en Poitou. Cela était lié en partie à l’accès à l’offre d’éducation.

Comme le montre la DEPP, il existe des disparités territoriales importantes qui impactent les parcours et les résultats scolaires et viennent se cumuler avec les inégalités présentées jusqu’ici. La DEPP souligne par exemple que la carte de la réussite scolaire reflète assez nettement celle des disparités socio-économiques, et elle explique que « cette corrélation est notamment le résultat du fort lien existant en France au niveau individuel entre le milieu social et les résultats scolaires. Ainsi, des scores élevés aux évaluations en mathématiques sont atteints dans l’ouest de la France, dans les départements alpins et dans l’Ouest francilien » ([43]), comme le montre les cartes ci-dessous qui mettent en évidence la similitude entre IPS et niveaux des collégiens en mathématiques.

Indice de position sociale moyen des familles de collÉgiens à la rentrÉe 2022

Score moyen des ÉlÈves en mathÉmatiques en dÉbut de 6e à la rentrÉe 2022

Source : DEPP, « L’état de l’école », page 74

Parmi les facteurs qui ont un rôle important figure le degré d’urbanisation qui induit des disparités dans l’offre scolaire et, consécutivement, joue sur les aspirations des élèves et leurs parcours. On remarque par exemple que l’orientation en seconde générale est plus fréquente dans les départements où les élèves résident majoritairement dans des communes urbaines denses ou très denses.

Par contrecoup, cette situation favorise les aspirations à des études longues, dans la mesure où l’offre d’enseignement supérieur est à la fois plus importante, diverse et proche. Inversement, relève aussi la DEPP, dans les territoires éloignés des grandes villes, l’orientation des élèves, à IPS et résultats équivalents, les amène plus fréquemment vers des filières plus courtes, faute d’une offre de proximité suffisamment développée : la perspective d’un déménagement, de coûts de déplacement, sont autant de freins à la mobilité géographique des jeunes, qui conditionnent leur parcours d’études.

La mobilité sociale des jeunes natifs des départements et régions d’outre-mer impactée par des difficultés spécifiques

Selon la synthèse présentée par France Stratégie, le potentiel de position sociale élevée est globalement plus faible pour les jeunes nés dans les DROM que pour ceux nés en France métropolitaine : à sexe, origine sociale, âge et année d’observation comparables, les jeunes natifs des DROM sont moins souvent diplômés de l’enseignement supérieur que ceux nés dans l’hexagone. Le taux de diplômés du supérieur des jeunes Antillais est ainsi inférieur de 28 %. Ces perspectives peuvent s’expliquer par le contexte économique : l’accès à l’emploi est nettement plus difficile pour les jeunes nés aux Antilles et à La Réunion, et à sexe, origine sociale, âge, diplôme et année d’observation comparables, le taux d’emploi est inférieur de 26 % aux Antilles, de 29 % à La Réunion. Enfin, les jeunes natifs des DROM sont, à origine sociale et niveau de diplôme identiques, moins souvent cadres.

La pénalité des jeunes natifs des DROM en termes de position sociale dépend aussi de leur origine sociale qui, par comparaison avec les jeunes natifs de l’hexagone, pèse plus fortement sur l’accès à l’emploi et à un diplôme du supérieur. Cela dit, les inégalités d’accès à une position sociale élevée semblent plus faibles dans les DROM que dans l’hexagone, mais le risque de n’avoir jamais travaillé est plus élevé.

Les Antilles et La Réunion présentent deux caractéristiques socioéconomiques a priori défavorables à la mobilité sociale : un taux de chômage des jeunes actifs âgés de 15 à 24 ans beaucoup plus élevé qu’en France métropolitaine : environ 40 % des jeunes actifs antillais et réunionnais sont au chômage contre 19 % en moyenne en France (hors Mayotte). La part d’inactifs y est également un peu plus élevée. Surtout, parmi les jeunes de 25-34 ans sans activité professionnelle, les chômeurs n’ayant jamais travaillé sont beaucoup plus nombreux aux Antilles et à La Réunion (33 %) que dans l’ensemble du territoire national (13 % en France hors Mayotte). En conséquence, la porte d’entrée dans la mobilité sociale que constitue l’insertion dans l’emploi est souvent fermée pour les jeunes natifs des DROM.

Les configurations familiales représentent une autre caractéristique défavorable à la mobilité sociale des jeunes : la monoparentalité est une caractéristique majeure aux Antilles : 60 % des jeunes Antillais nés entre 2005 et 2009 ont vécu au moins une situation de monoparentalité entre 0 et 10 ans contre 22 % en France métropolitaine. Cette situation peut freiner la mobilité sociale en entravant les parcours professionnels des jeunes femmes qui assument seules la charge familiale, sachant aussi qu’avoir grandi dans une famille monoparentale réduit la probabilité de mobilité sociale ascendante. En outre, la parentalité, plus précoce et plus fréquente que dans l’Hexagone, augmente la difficulté d’insertion des femmes sur le marché du travail.

La migration vers l’hexagone modifie considérablement les trajectoires de mobilité sociale des jeunes nés dans les DROM. Il s’agit d’un phénomène important, surtout chez les jeunes Antillais, qui voient leur destinée se rapprocher de ceux des natifs de l’hexagone, étant entendu que la stratégie de migration est très corrélée à l’origine sociale : c’est très majoritairement le fait de jeunes d’origine favorisée.

Source : France Stratégie, rapport au CEC, chapitre 3

D’une certaine manière, la panne de l’ascenseur social est sans doute aussi multifactorielle que peut l’être la mobilité sociale elle-même, compte tenu des multiples déterminants qui y concourent, comme France Stratégie le met en évidence avec le graphique ci-dessous.

dÉterminants et politiques en faveur de la mobilitÉ sociale

Source : France Stratégie, rapport au CEC, page 141

 


   DEUXIÈME PARTIE : L’INTROUVABLE POLITIQUE EN FAVEUR DE LA MOBILITÉ SOCIALE DES JEUNES

Comme le rappelle France Stratégie, « (…) il n’existe pas de politiques publiques affichant aujourd’hui comme objectif explicite la mobilité sociale » ([44]). Comme le faisait remarquer Clément Dherbécourt ([45]), il y a dans notre pays des politiques en faveur de l’égalité des chances, mais l’objectif de mobilité sociale n’a en fait jamais été posé, à la différence par exemple de la massification scolaire.

Il n’existe d’ailleurs pas non plus de politique de jeunesse à proprement parler. Que ce soit en faveur de la mobilité sociale ou pour d’autres problématiques qui intéressent les jeunes, alors même qu’elle est depuis longtemps au cœur de la réflexion et du discours politiques, la jeunesse ne bénéficie pas d’une politique publique unique. C’est un patchwork de dispositifs multiples, additionnés au fil du temps, qui constitue le corpus des mesures qui lui sont destinées. Certaines, notamment celles qui visent à l’égalité des chances, favorisent plus particulièrement la mobilité sociale. La cohérence et l’efficacité de cette action publique désordonnée en direction de la jeunesse, qui mobilise des moyens conséquents, doivent être évaluées au regard de ses résultats.

I.   LA JEUNESSE COMME PRIORITÉ POLITIQUE

La jeunesse est une priorité constante à laquelle les pouvoirs publics portent une attention particulière, avec fréquemment l’égalité des chances comme fil rouge. Les différents présidents de la République y ont tous attaché une importance majeure. Cela s’est également traduit par la présentation de rapports importants et la définition d’axes stratégiques dont certains se sont voulu fondateurs.

A.   LA MOBILITÉ SOCIALE DES JEUNES, AU CŒUR DU PACTE RÉPUBLICAIN

Comme le rappelle le rapport de France Stratégie pour le CEC, la mobilité sociale correspond à la circulation d’individus entre différentes positions sociales. Elle comporte plusieurs aspects, peut être intergénérationnelle, lorsqu’elle renvoie à la comparaison de la position sociale des enfants par rapport à celle de leurs parents, ou intragénérationnelle, quand elle s’intéresse à la position d’une personne à différents moments de sa vie. Consécutivement, elle peut être verticale, et dans ce cas, soit ascendante, soit descendante, ou horizontale, quand le changement de catégorie sociale ne se traduit pas par une évolution dans la hiérarchie sociale. Il peut enfin y avoir immobilité dans le cas des individus reproduisant la situation sociale de leurs parents.

Ces caractéristiques renvoient à l’essence d’une société démocratique et de progrès social. Raison pour laquelle il n’est pas un président de la République qui n’ait placé l’avenir de la jeunesse de notre pays au centre de ses priorités, avec l’égalité des chances, et donc la mobilité sociale, pour horizon. Cette question ne concerne pas seulement l’avenir des jeunes mais celui de la démocratie de notre pays.

Ainsi, le président Jacques Chirac déclarant devant le congrès des conseils d’enfants et de jeunes ([46]) que « l’égalité des chances suppose aussi que tous les citoyens français aient les mêmes droits. Il n’y a plus de démocratie si, pour certains, les ‟dés sont pipésˮ dès le départ pour quelques raisons que ce soit ». Il ajoutait que notre société est en danger lorsque cette clef de la justice sociale, également moteur d’une société qui se transforme et première condition de la croissance et du progrès, n’est plus assurée. Plus tard, à l’occasion du débat national sur l’avenir de l’école, il répètera que « l’égalité des chances est au cœur du débat » et que « le moment est venu, je pense, pour notre pays de se rassembler autour de ce qu’il désire pour sa jeunesse et de renouveler le pacte qui le lie à son école. » ([47])

Quelques années plus tard, c’est également sous cet angle que son successeur, Nicolas Sarkozy, présentait les axes d’une politique de la jeunesse ([48]) : « Nous avons tous parlé de l’égalité des chances, mais qu’est-ce qu’il en est de la réalité ? », lorsque la crainte du déclassement social étreint les jeunes confrontés à des difficultés d’insertion sociale que n’a pas connues la génération précédente, à des taux de chômage, de précarité, de pauvreté supérieurs à celui du reste de la population, lorsque le marché du travail, l’école et la protection sociale sont à deux vitesses. Il est urgent pour le pays de tendre la main à la jeunesse et de trouver les moyens d’une politique qui ne soit pas de l’assistanat, mais permette à chaque jeune de se construire un avenir de façon autonome, dans un monde en crise dont ils ne sont en rien responsables. Le président de la République indiquait alors qu’il entendait tourner la page de décennies pendant lesquelles « notre pays n’a pas offert à sa jeunesse les perspectives auxquelles elle aspire », pour bâtir enfin une politique structurelle « permettant de donner une chance à chaque jeune quelle que soit son origine, quels que soient ses talents, quelles que soient ses inspirations. » L’autonomie des jeunes est le projet autour duquel « une politique de jeunesse digne de ce nom » doit s’inscrire, ajoutait-il, pour que chacun, et notamment les plus défavorisés d’entre eux – « La priorité n’est-elle pas de répondre d’abord aux besoins des jeunes qui ont le plus de difficultés ? » – puisse avoir les moyens de choisir sa propre vie.

Continuité encore avec le président François Hollande qui indiquera à son tour avoir « fait de la jeunesse la première priorité du quinquennat » ([49]), car si la crise frappe indistinctement, « ce qui est sûr, c’est qu’elle touche d’abord la jeunesse. C’est elle qui est la génération, je n’ose pas dire sacrifiée, mais punie par la crise » : chômage, pauvreté, stabilité tardive de l’emploi, accès difficile au logement, questions de santé, frappent toujours les jeunes plus durement que les autres tranches d’âge. L’égalité des chances est encore un fil rouge, aucun jeune – et ses parents non plus – ne devant « avoir le sentiment que son destin est inscrit avant même qu’il n’ait eu le moindre diplôme, que sa vie n’est pas déterminée à l’avance et qu’il a donc toutes ses chances. » Tout au contraire, « il faut qu’il y ait aussi de la mobilité, qu’il n’y ait aucun déterminisme, aucune fatalité qui fasse que dès la 6e, le parcours soit connu. » Pour le président de la République, en aidant la jeunesse, il s’agit non seulement de lui permettre de retrouver une espérance mais aussi de donner un horizon à toute la France, à toute la société : « Parce que quand un pays peut donner cette certitude que la génération qui vient va vivre mieux que la précédente, alors ce pays avance. Mais inversement, quand il n’est plus capable d’assurer cette promesse, il décline. »

Toutes choses égales par ailleurs, c’est encore les mêmes thématiques et préoccupations qui ressortent des propos du président Emmanuel Macron, qui, évoquant la dette collective morale vis-à-vis de la jeunesse à laquelle beaucoup de sacrifices ont été imposés pendant la crise sanitaire, évoquera la nécessité de débloquer la société, de lutter contre les inégalités à la racine : « Peu importe le lieu où l’on naît, le nom que l’on porte, le milieu d’où l’on vient : dans la France de demain, la réussite doit être possible pour tous. » ([50]) Cela dit, il ne s’agit pas tant d’avoir une politique spécifique pour la jeunesse que de « simplement essayer de faire le maximum pour que la jeunesse puisse choisir son avenir » ([51]).

Démocratie, justice sociale, égalité des chances, déclassement, autonomie, aspirations, déterminisme, fatalité, dette morale… Les mots choisis sont forts. Ils questionnent directement la manière dont l’État assume ses missions, notamment relatives à l’éducation des jeunes, dont le rôle en matière d’égalité des chances et d’inégalités sociales – et donc en faveur de la mobilité sociale – est particulièrement identifié dès le premier article du code de l’éducation : « L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. » ([52])

Ce que ces discours portent de critiques de l’État – et donc des politiques publiques qu’il met en œuvre pour la jeunesse – est d’autant plus justifié que l’ampleur de la mobilité sociale est au final relative, compte tenu du ralentissement de l’ascenseur social.

B.   UNE PRÉOCCUPATION CONSTANTE

Au-delà des discours présidentiels, plusieurs documents de réflexion politique ont été produits ces deux dernières décennies pour poser les bases et axes de ce que devrait être une politique nationale de la jeunesse, considérée comme cruciale à plusieurs égards.

On peut notamment mentionner deux rapports importants qui ont tracé les contours toujours d’actualité d’une véritable politique de la jeunesse.

1.   Le Livre blanc de la commission Charvet

En 2001, intitulant son Livre blanc « Jeunesse, le devoir d’avenir » ([53]), la commission du commissariat au Plan présidée par Dominique Charvet plaçait son analyse et ses propositions sous l’angle de l’importance pour la société et la démocratie de la question de l’égalité et de la nécessité, pour les politiques publiques, de « dépasser leur fonction d’accompagnement voire de soulagement face aux distorsions que crée l’aventure collective – à laquelle elles se sont souvent trouvées réduites - pour porter des ambitions de restructuration et de rééquilibrage en réintroduisant le sens de l’avenir et de l’Autre qui sont nécessaires au projet démocratique dont la plupart des jeunes sont en attente. » ([54])

La commission revenait sur les vingt-cinq dernières années du XXe siècle pour constater « l’extension et la diversification considérables des interventions publiques en direction des jeunes » ([55]) dans un contexte de crise marqué par un chômage qui les touche de manière très importante. Extension qui s’est traduite au long de cette période par une « institutionnalisation » de la jeunesse, qui s’est allongée, voyant la proportion des 16 à 25 ans relevant d’une intervention de la puissance publique passer de 25 % en 1975 à 75 % en 2000. Constat qu’abondera quelques mois plus tard le rapport de la commission nationale pour l’autonomie des jeunes qui estimera que « les interventions publiques en direction des jeunes de 16 à 25 ans constituent un ensemble complexe qui résulte d’une démarche d’aménagements progressifs de dispositions qui relèvent de politiques publiques diverses : politique éducative, politique de l’emploi, politique familiale, politique fiscale, politique d’aide sociale, politique du logement... » ([56])

Le rapport soulignait que le dernier quart de siècle avait notamment vu une véritable inflation de politiques publiques, les institutions ayant constamment amplifié leurs interventions en direction des jeunes, traduisant la priorité qui leur est accordée. L’amplification considérable de l’effort financier, en était une autre, les dépenses publiques en faveur de l’emploi et de la formation des jeunes ayant presque triplé entre 1985 et 1997 ([57]), tout comme le nombre de bénéficiaires passé dans le même temps de 2 millions de jeunes en 1975 (scolaires, chômeurs, service national) à près de 6 millions, auxquels doivent s’ajouter les 40 % de jeunes actifs relevant d’emplois aidés.

La commission constatait encore la diversification importante de l’action publique en direction des jeunes, mise en évidence par les nouvelles formes d’intervention, les nouvelles missions, aux plans culturel, judiciaire, social ou éducatif, et le fait que la priorité donnée à la jeunesse n’était plus le seul fait de l’État mais impliquait progressivement de nouveaux acteurs, notamment les municipalités, pour lesquelles elle devenait également l’une des premières cibles.

Cela dit, avertissait la commission Charvet, cet ensemble semblait être en décalage avec l’évolution de la société et ne plus répondre aux besoins : « Le foisonnement des interventions en direction des jeunes, outre le fait qu’il contribue à rendre peu lisible l’action publique, participe à la production d’une image brouillée des jeunes et de la jeunesse. Échappant difficilement à la tendance ancienne d’une vision homogénéisante de la société mais s’efforçant de prendre en compte la diversité croissante des situations, des comportements et des sorts qui caractérise une société aujourd’hui plus complexe, l’action publique en direction des jeunes, par la segmentation de ses modes d’intervention, aboutit à segmenter la jeunesse. Ces évolutions, comme les critiques qu’elles suscitent, renvoient sans doute à une incapacité collective à penser politiquement la jeunesse dans une société en panne de projet, donc d’avenir, ce qui est tout autre chose que de vouloir définir et mettre en œuvre une improbable politique ‟globaleˮ de la jeunesse. » ([58])

Il était donc urgent, au-delà de l’importance accordée à la jeunesse, de donner de nouvelles perspectives, de fonder le renouvellement des politiques publiques, notamment articulées sur un droit effectif à l’éducation et à la formation « tout au long de la vie », sur de nouvelles relations entre les jeunes et les institutions en perte de légitimité compte tenu de l’inefficacité des politiques publiques en vigueur, et sur la place d’acteurs du changement à accorder aux jeunes. Éducation, droits et démocratie constituaient en conséquence les idées-forces de ces propositions.

2.   Le Livre vert du haut-commissariat à la jeunesse

Intitulé « Pour une nouvelle politique de jeunesse », le rapport de la commission mise en place par le président Nicolas Sarkozy et pilotée par Martin Hirsch, haut-commissaire à la jeunesse, chargé à ce titre de préparer et mettre en œuvre la politique du gouvernement en faveur de la jeunesse et du développement de la vie associative ([59]), considère que « La société a légué aux jeunes d’aujourd’hui ses dettes. Elle doit maintenant honorer la sienne à leur égard et leur permettre de prendre leur place sans délai et sans parcours du combattant », et l’une des premières priorités est que l’État anime une nouvelle politique permettant à notre pays de mobiliser tout son potentiel pour sa jeunesse.

D’une certaine manière, le Livre vert trace ainsi les axes que devrait suivre l’action publique en direction des jeunes, en donnant à la fois des objectifs et une méthode. Pour cela, en effet, « il est nécessaire que notre pays adopte une politique nationale de jeunesse à long terme, qui soit fondée sur un consensus de toutes les forces sociales et politiques du pays, visant à créer dès maintenant et pour la prochaine génération, une jeunesse qui soit autonome, solidaire, responsable et engagée. Une telle politique doit être intégrée : elle s’adresse à toutes les organisations de jeunesse dans le pays et à tous les ministères. Cette ambition doit avoir pour épine dorsale la volonté de développer l’autonomie des jeunes c’est-à-dire leur capacité à pouvoir assumer intellectuellement et financièrement leur propre existence tout en contribuant à la dynamique de la société. Les politiques publiques doivent être construites pour renforcer les capacités des jeunes à être les acteurs de leur vie dans la société. » ([60])

Pour le Livre vert, les défis à relever sont nombreux. Ils portent en premier lieu sur la demande d’autonomie qui traverse toute la jeunesse. Elle est protéiforme, suppose notamment un emploi stable, un logement indépendant, des revenus propres, et l’on constate que les enchaînements pour les atteindre sont de plus en plus complexes, que les jeunes sont en moyenne de moins en moins autonomes : « Un quart des jeunes nés au début des années cinquante a accédé à l’ensemble des attributs de l’indépendance avant 22 ans. Cette proportion a décru à partir des années soixante, pour ne plus concerner que 8 % des générations nées au début des années soixante-dix. » ([61])

Les autres défis que présente le Livre vert déclinent l’exigence d’autonomie et mettent notamment l’accent sur les difficultés d’accès à l’emploi des jeunes, principal obstacle à l’autonomie, sur la dévalorisation des diplômes pour la première génération de la démocratisation scolaire et universitaire, sur le dispositif d’orientation à la peine, ou encore sur l’arrêt de l’ascenseur social, qui génère aujourd’hui une désillusion croissante des jeunes après que la démocratisation scolaire a eu en moyenne des effets positifs sur la mobilité sociale. Le bilan est tel que les jeunes Français ont aujourd’hui une faible confiance dans le respect de la promesse d’égalité des chances, souligne le rapport, 22 % d’entre eux estimant avoir une liberté et un contrôle total sur leur propre avenir, contre 29 % en Espagne, 39 % en Allemagne ou 45 % au Danemark. Seuls les jeunes Japonais sont moins confiants de ce point de vue : 16 % sont de cet avis. On rejoint ainsi les inquiétudes réitérées par les différents présidents de la République quant au risque de délitement du tissu social et à l’importance de la question de l’avenir de la jeunesse pour la démocratie et la confiance dans les institutions.

C.   DE PLAN D’ACTION EN PLAN D’ACTION

Cette priorité politique accordée à la jeunesse se traduit dans les plans successifs qui ont été adoptés ces dernières années par le gouvernement.

1.   « Agir pour la jeunesse »

En septembre 2009, le président Nicolas Sarkozy présenta ainsi le plan « Agir pour la jeunesse », qui reprenait pour l’essentiel les propositions du rapport qu’il avait chargé la commission pilotée par le haut-commissaire à la jeunesse d’élaborer. La mise en place d’un service public de l’orientation, la lutte contre le décrochage scolaire, l’alignement du statut des apprentis sur celui des étudiants, la réforme des stages, la relance du service civique, y figuraient, considérés comme urgents pour aider les jeunes à accéder à l’autonomie, cœur du projet présidentiel.

Le président de la République déclinait les quatre piliers sur lesquels reposerait cette action :

– l’éducation, avec une réforme des lycées et de l’orientation, pour qu’elle soit performante et contribue à l’égalité des chances ;

– l’insertion professionnelle, avec une priorité centrale : ne pas laisser sur le bord du chemin les quelque 100 000 décrocheurs annuels et pour cela, réformer profondément le système pour que les 16-18 ans ne disparaissent pas des radars ;

– le soutien financier, avec l’extension du RSA pour les moins de 25 ans ayant travaillé ;

– enfin, l’engagement, via le développement du service civique.

2.   « Priorité jeunesse »

Le plan « Priorité jeunesse », présenté en février 2013 par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, a ensuite mis sur le métier des mesures qui sont aujourd’hui encore considérées, selon certains interlocuteurs de vos rapporteures, comme ayant changé le paysage des politiques de jeunesse.

Après avoir décidé d’un certain nombre de mesures d’urgence au cours des mois précédents, l’ambition du premier gouvernement du quinquennat de François Hollande a été en effet de sortir de la seule logique curative sur laquelle vos rapporteures reviendront.

Après un travail interministériel d’analyse des dispositifs existants, cinq mois de consultation avec les partenaires – associations, collectivités territoriales, experts – le gouvernement proposait donc « un plan d’ensemble qui s’adresse à toute la jeunesse de France (…) permettant d’agir dans la durée ». Treize axes, déclinés en quarante-sept mesures, étaient alors adoptés par le comité interministériel, traduisant, selon le Premier ministre, la convergence des diagnostics et des objectifs défendus par les jeunes, notamment par le Forum français de la jeunesse :

 Orientation (créer un service public d’information, d’accompagnement et d’orientation qui réponde à la diversité des besoins des jeunes) ;

– Décrochage scolaire (promouvoir la réussite de tous les jeunes en luttant contre le décrochage scolaire) ;

– Santé (améliorer la santé des jeunes et favoriser l’accès à la prévention et aux soins) ;

– Logement (faciliter l’accès des jeunes au logement) ;

– Emploi (favoriser l’accès à l’emploi des jeunes) ;

– Insertion (sécuriser les parcours d’insertion sociale et professionnelle des jeunes) ;

– Réinsertion (favoriser le parcours de réinsertion des jeunes détenus ou faisant l’objet d’une mesure judiciaire) ;

 Sport, art et culture (favoriser l’accès des jeunes aux sports, à l’art, à la culture et à une offre audiovisuelle et numérique de qualité) ;

 Culture numérique (développer la culture numérique et l’accès des jeunes aux nouveaux métiers de l’Internet) ;

 Mobilité (accroître et diversifier la mobilité européenne et internationale des jeunes) ;

 Engagement (promouvoir et valoriser l’engagement des jeunes) ;

 Participation citoyenne (renforcer la représentation des jeunes dans l’espace public) ;

 Institutions et lutte contre la discrimination (conforter le lien entre les institutions et les jeunes et lutter contre les discriminations).

En outre, ce plan d’action visait à la transformation de l’action publique selon « quatre fondamentaux » :

 Favoriser le droit commun pour l’accès aux droits sociaux, pour rompre avec « des dispositifs ciblés qui se succèdent et s’accumulent sans toujours atteindre leur cible alors que la plupart des situations devraient être traitées par le droit commun » ;

 Viser l’autonomie et la sécurisation des parcours dans leur globalité, depuis la formation jusqu’à l’emploi, en prenant en compte l’accès au logement, à la santé, aux ressources, aux loisirs, à la culture, et à la mobilité ;

 Lutter contre les inégalités et les discriminations ;

 Encourager la participation des jeunes et la co-construction des politiques publiques.

Force est de constater que, pour être exprimées différemment et formuler des pistes de réformes variées, ces quelques « fondamentaux » ne sont pas très éloignés de l’esprit des propositions du Livre blanc, des objectifs défendus par le Livre vert, ou encore des axes du Plan « Agir pour la jeunesse » que le président Sarkozy avait présenté sur cette base moins de quatre ans plus tôt. L’idée de donner corps à une politique de long terme, l’ambition de travailler pour une jeunesse autonome, solidaire, responsable et engagée se retrouve systématiquement. Les modalités concrètes diffèrent en revanche, comme une étude a pu le montrer il y a quelques années ([62]).

3.   « 1 jeune 1 solution », un coup d’accélérateur au secours de la jeunesse

La crise de la Covid-19 a donné l’occasion au gouvernement de prendre des mesures pour tenter de compenser le choc que les jeunes avaient pris de plein fouet, que ce soit au niveau de leurs études interrompues ou de leurs projets d’insertion professionnelle stoppés net. Pour le Premier ministre Jean Castex, les jeunes sont les premières victimes de la crise et c’est vers eux que doit se diriger l’effort du pays. Cela justifie d’y consacrer un volet important du plan de relance. Trois priorités ont structuré le plan « 1 jeune 1 solution » présenté en juillet 2020 :

– Faciliter l’entrée dans la vie professionnelle ;

– Orienter et former 200 000 jeunes vers les secteurs et métiers d’avenir ;

– Accompagner 300 000 jeunes éloignés de l’emploi en construisant des parcours d’insertion sur mesure.

Si le premier volet a surtout permis à des entreprises de recruter des jeunes qu’elles n’auraient pas pu embaucher sans des aides de diverses natures, les deux autres se sont directement adressés à des jeunes plus en difficulté. Les jeunes sans qualification de moins de 25 ans ont ainsi pu accéder à des offres de formation qualifiantes, adaptées à leurs besoins et intégralement financées sur fonds publics, grâce au Plan d’investissement dans les compétences. Les destinataires étaient donc en priorité des jeunes sortis du système en situation d’échec auxquels des possibilités nouvelles ont été proposées, notamment dans des secteurs d’avenir, tels que le numérique. Un programme spécifique a été dessiné pour 35 000 jeunes décrocheurs de 16 à 18 ans, avec l’ambition de leur donner, grâce à des parcours personnalisés, la capacité de se projeter en leur faisant découvrir des métiers pour imaginer et construire leur avenir professionnel, leur redonner confiance et les guider vers l’autonomie.

Le troisième axe du Plan a consisté à renforcer les dispositifs préexistants d’inclusion durable dans l’emploi. Plusieurs instruments ont été mobilisés : le Parcours emploi compétences (PEC), porté de 20 000 bénéficiaires à 80 000, pour proposer aux jeunes une mise en situation professionnelle dans le secteur associatif ou public, avec un accompagnement et un accès facilité à la formation. Le Contrat initiative emploi (CIE), permettant d’aider à l’embauche de jeunes en difficultés particulières d’insertion sociale ou professionnelle de s’engager dans une expérience professionnelle dans le cadre d’un CDD ou d’un CDI, suivi par un référent.

En complément, des dispositifs d’accompagnement vers l’emploi, la Garantie jeunes (GJ) et le Parcours d’accompagnement contractualisé vers l’emploi et l’autonomie (PACEA), ont été considérablement renforcés, leurs objectifs étant respectivement augmentés de 50 000 places supplémentaires et de 80 000 nouveaux parcours ([63]).

Il en est de même de l’Accompagnement intensif jeunes (AIJ), porté de 70 000 à 140 000 personnes, ou du dispositif Sesame, plus modeste, pour accompagner les jeunes dans le domaine du sport. Le diagramme ci-après montre les évolutions parfois considérables du nombre de bénéficiaires des différents dispositifs, grâce à l’effet de levier du plan gouvernemental.

EntrÉes dans les principaux dispositifs du plan « 1 jeune 1 solution »,
avant et aprÈs le plan

Source : Mathieu Sigal, « Qui sont les jeunes entrés dans le Plan ‟1 jeune 1 solutionˮ ? », DARES, Focus n° 36, juillet 2022

4.   Le Conseil national de la refondation

La jeunesse était loin d’occuper une place centrale dans les soixante politiques publiques ([64]) retenues comme prioritaires par la Première ministre Élisabeth Borne en septembre 2022. Seuls étaient en effet mentionnés « Améliorer le taux d’emploi des jeunes et des séniors », « Faciliter à chaque jeune l’accès à la culture, au patrimoine et à la création contemporaine », « Faire du sport un levier d’émancipation de la jeunesse et favorable à la santé des Français ». Autant de mesures certes louables, mais dans l’ensemble – mise à part la première – moins déterminantes que d’autres dans un objectif de mobilité sociale.

De même, dans le « Baromètre des résultats de l’action publique : bilan et poursuite du pilotage de l’action publique 2017-2022 », publié en janvier 2023 ([65]), était-il simplement fait état du dédoublement des classes en réseau d’éducation prioritaire en primaire, du pass Culture ainsi que du développement de l’apprentissage.

En revanche, le gouvernement a profité du lancement du Conseil national de la refondation pour inscrire la jeunesse parmi les sept thématiques proposées à la consultation publique par le président Emmanuel Macron en octobre 2022 ([66]), qui visait à instaurer une nouvelle méthode dans « un esprit de dialogue et de responsabilités partagées dans le débat public » en réunissant des représentants des forces politiques, des partenaires sociaux, des élus locaux, des représentants du monde économique et associatif.

Une consultation en ligne a tout d’abord été lancée, qui a reçu un total de plus de trois cent mille contributions, dont près de trente-six mille ont porté sur la thématique de la jeunesse. Selon la synthèse publiée par le gouvernement ([67]), « un large éventail de problématiques et défis sont partagés dans les contributions, comme la précarité, l’éducation, l’égalité des chances ou le lien social. » Elles mettent en évidence le ressenti d’un avenir incertain, la précarité étudiante et la question de l’éducation et de la formation.

Précisément, « pour les participants, les futures politiques en faveur de la jeunesse doivent donner la priorité aux objectifs suivants : l’aide, accompagnement et soutien, première des doléances pour l’avenir ; le renforcement de la qualité du système d’éducation et de formation ; l’écoute et l’implication de jeunes (au-delà d’un simple dialogue, les notions de co-construction et de décisions collectives transparaissent) ; l’égalité des chances et l’inclusion, notamment à travers le renforcement des bourses ; l’éducation civique et le service civique ; la recréation du lien social et collectif. » ([68]) Il est précisé que le tiers des contributions abordent la réforme de l’Éducation nationale, sous l’angle de la refonte du programme scolaire, de l’augmentation des moyens et la pratique d’activités physiques, l’accompagnement des jeunes sur le marché de l’emploi, notamment par l’amélioration des dispositifs d’orientation et d’insertion professionnelle, la mise en place d’un revenu universel pour les moins de 25 ans, la généralisation du service civique et/ou militaire et le sujet de l’engagement politique, sont parmi les autres thématiques les plus fréquemment avancées par les contributeurs. Le tableau ci‑après résume l’essentiel des propositions.

« si vous aviez une premiÈre proposition concrÈte À faire pour rÉpondre aux attentes de notre jeunesse, quelle serait-elle ? »

Source : CNR, synthèse de la première consultation

Le 21 juin 2023, après cinq « rencontres jeunesse » échelonnées entre janvier et avril, Élisabeth Borne, rappelant que depuis six ans le gouvernement avait fait de la jeunesse une priorité, présentait la feuille de route construite au terme de ce processus de consultation pour répondre directement aux préoccupations des jeunes et réunies sous six rubriques différentes :

 Vie quotidienne (permis de conduire à 17 ans, aide au permis pour les élèves de lycée professionnel, réhabilitation des résidences universitaires, complément de bourses outre-mer, cartes de réduction pour les jeunes engagés) ;

 Engagement citoyen (éducation aux médias, Pass train) ;

 Avenir professionnel (découverte des métiers dès la cinquième) ;

 Transition écologique (évaluation des savoirs verts, formation obligatoire pour tous les étudiants de premier cycle) ;

 Égalité des chances (vers le droit au mentorat) ;

 S’y ajoutait enfin la lutte contre le harcèlement scolaire.

Dans cet ensemble de mesures, on ne peut que remarquer que de discours en discours, de plan en stratégie, les mêmes diagnostics, les mêmes axes politiques, les mêmes objectifs, la même affirmation d’une méthode participative, se retrouvent de manière immuable. Sans doute faut-il y voir l’une des raisons pour lesquelles en lieu et place d’une politique unique, de multiples dispositifs s’empilent indéfiniment.

II.   UNE ACTION PUBLIQUE EN MANQUE DE COHÉRENCE ET D’EFFICACITÉ

La persistance durable des situations d’inégalité sociale et de précarité de la jeunesse, malgré la priorité qui lui est accordée depuis des décennies et la qualité des diagnostics et des orientations qui en ont été tirées, invite à interroger l’action publique, notamment quant à l’architecture des dispositifs et à leur efficacité.

A.   DES DISPOSITIFS MULTIPLES ET DES MOYENS CONSÉQUENTS

Nombreuses sont les analyses qui se sont intéressées à l’organisation des politiques en faveur de la jeunesse et ont regretté l’éparpillement des dispositifs.

Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait par exemple présenté les conclusions du conseil interministériel de la jeunesse de février 2013 en indiquant que les cinq groupes de travail avaient « recensé les dispositifs qui existent déjà mais qui fonctionnent parfois mal, ils sont souvent inefficaces ». Le constat est récurrent, nombre d’experts et de rapports n’ont cessé de le formuler.

1.   Les observations récurrentes du CEC

Les conclusions du rapport du CEC en 2013 attiraient l’attention. En se fondant sur l’analyse détaillée du document de politique transversale annexé au projet de loi de finances, les rapporteurs avaient identifié pas moins de 51 dispositifs différents alors en vigueur. Le titre du chapitre qu’ils consacraient à ce thème était éloquent : « Les politiques publiques concourant à la mobilité sociale des jeunes : un empilement de dispositifs sans gouvernance d’ensemble. » ([69])

Nos collègues soulignaient encore que dans le budget de l’État la transversalité de la mobilité sociale des jeunes était mise en évidence par le fait que pas moins de 17 programmes budgétaires relevant de 9 missions différentes étaient impliqués. Les missions les plus concernées étaient celles-ci :

 Enseignement scolaire, avec notamment, en plus du volet enseignement, les dispositifs d’orientation, de soutien aux décrocheurs et les bourses ;

– Recherche et enseignement supérieur : les rapporteurs relevaient en particulier les dispositifs d’orientation et de bourses, les aides au mérite, les CROUS ;

– Sport, jeunesse et vie associative, cette mission assumant notamment le financement du service civique, le soutien aux associations de jeunesse et d’éducation populaire ainsi que l’INJEP ;

– Travail et emploi, notamment pour le financement des missions locales, des CIVIS, du Fonds d’insertion professionnelle des jeunes, ainsi que d’autres dispositifs plus spécialement destinés aux jeunes les plus en difficulté – écoles de la deuxième chance, EPIDE ;

– Égalité des territoires, logement et ville, pour les programmes de réussite scolaire, d’internats d’excellence et autres cordées de la réussite, principalement.

l’empilement des mesures d’aide à l’emploi des jeunes

Source : Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, rapport d’information n° 2535, page 12

Ultérieurement, dans leur rapport de suivi publié en 2015, ils relevaient entre autres exemples que « depuis 1977, plus de 80 dispositifs de la politique de l’emploi ont été mis en œuvre en direction des jeunes. » ([70])

2.   Le décompte de France Stratégie

France Stratégie s’est livré pour le CEC à un décompte des principales politiques publiques qui concourent aujourd’hui à la mobilité sociale des jeunes. Le résultat est tout aussi impressionnant qu’il y a dix ans, puisque ce sont désormais près d’une soixantaine de dispositifs différents qui ont été identifiés, que présente le tableau ci-dessous.

Les dispositifs ciblés de l’État en faveur de la mobilitÉ sociale des jeunes selon leur parcours de l’Éducation À l’emploi, 2022

Source : France Stratégie, rapport au CEC, page 193

Comme on le voit, nombre d’entre eux relèvent en premier lieu du secteur de l’enseignement, scolaire ou supérieur, et portent sur des aspects très variés, mais globalement ciblés sur les questions touchant au devenir des enfants de familles défavorisées – bourses, fonds sociaux, éducation prioritaire – voire très défavorisées (petits déjeuners). Quelques mesures dérogatoires ont pour objectif le renforcement de la mixité sociale.

France Stratégie identifie d’autres dispositifs au niveau de l’enseignement supérieur, également d’ordre social – divers systèmes de bourses, restauration –ou visant à faciliter l’accès à l’enseignement supérieur de publics défavorisés, telles les cordées de la réussite.

Les autres dispositifs ressortissent du secteur de l’insertion professionnelle et de l’emploi. Ils sont souvent destinés à des publics très défavorisés, décrocheurs, jeunes sans formation, pour lesquels des instances dédiées – missions locales, EPIDE, PACEA, cadets, etc. – mettent en œuvre des mesures d’accompagnement spécifiques, telles que le contrat d’engagement jeune aujourd’hui.

Les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, dans le cadre de leur mission de service public pour l’emploi, ont pour objet d’aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d’accueil, d’information, d’orientation et d’accompagnement à l’accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi. Elles favorisent la concertation entre les différents partenaires en vue de renforcer ou compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle et sociale. Elles contribuent à l’élaboration et à la mise en œuvre, dans leur zone de compétence, d’une politique locale concertée d’insertion professionnelle et sociale des jeunes.

Source : COJ, « « Les jeunes au cœur du service public de l’insertion », op. cit.

Comme l’analyse France Stratégie, ces dispositifs ont été mis en œuvre par vagues successives. Le rapport distingue ainsi les années 1975-1995 au cours desquelles ont été instituées des politiques destinées à réduire les inégalités d’accès à l’éducation ; les politiques de soutien en faveur de territoires afin de réduire les inégalités de performances scolaires, qui ont commencé à être instaurées au début des années 1980. S’y sont ajoutées des politiques d’insertion professionnelle et d’emploi, à partir des années 1985, en direction des jeunes les moins diplômés. Plus récemment sont apparus des dispositifs tels que le PACEA, la Garantie jeunes puis le CEJ, aujourd’hui l’obligation de formation de 16 à 18 ans. France Stratégie souligne aussi celles en faveur de territoires ou de zones d’éducation particuliers – REP et REP+, instaurées à partir de 2006.

Plus récemment, depuis 2013, ont été institués des objectifs de réduction des inégalités d’accès et de performance scolaire, comme le reflète le code de l’éducation, notamment l’article L. 111-1 aux termes duquel « pour garantir ce droit [à l’éducation] dans le respect de l’égalité des chances, des aides sont attribuées aux élèves et aux étudiants selon leurs ressources et leurs mérites. La répartition des moyens du service public de l’éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique, territoriale et sociale. »

3.   Des moyens conséquents

Depuis longtemps le constat est fait que les moyens que notre pays consacre à sa jeunesse sont importants.

Le Livre blanc mettait ainsi en avant les dépenses publiques en faveur de la formation et de l’emploi des jeunes avaient quasiment triplé en une douzaine d’années, passant de 7,8 à 21 milliards de francs entre 1985 et 1997. Il s’agissait notamment de dépenses d’aides à la formation ou à l’emploi, directes ou indirectes, c’est-à-dire soit servies aux jeunes, soit à destination des employeurs dans le cadre des dispositifs spécifiques « jeunes », ou encore de la part des jeunes bénéficiant des dispositifs d’emplois aidés dans le secteur non marchand ([71]). Le Livre blanc signalait que de nouveaux dispositifs avaient consacré 25 milliards de francs supplémentaires à l’emploi des jeunes avec la mise en place du « Nouveaux services emplois-jeunes ». L’effort public était donc déjà important au tournant du siècle en matière d’enseignement et d’accès à l’emploi et nettement orienté à la hausse.

Le rapport de la Commission nationale pour l’autonomie des jeunes publié juste après, en avril 2002, confirmera que l’« effort de la collectivité a connu quantitativement et qualitativement des évolutions importantes. Ainsi, sur la seule décennie 1990-2000, le montant des bourses a été plus que doublé (de 480 millions d’euros à 1,15 milliard d’euros) ; les dépenses liées à l’emploi et à l’insertion professionnelle ont également connu une évolution significative (de l’ordre de 4 milliards d’euros en 1990 à 7,9 en 2000) ; de même pour les aides au logement avec le ‟bouclageˮ de l’ALS. Pour les seuls 18-25 ans, les dépenses collectives, y compris les dépenses éducatives, peuvent être estimées à 31,57 milliards d’euros » ventilés en « cinq grands postes : les dépenses éducatives, 16 milliards d’euros (105 milliards de francs) ; les dépenses pour l’emploi et l’insertion professionnelle, 7,92 milliards d’euros (52 milliards de francs) ; les aides à la famille, 4,45 milliards d’euros (29,3 milliards de francs) ; les aides aux étudiants, 1,72 milliard d’euros (11,5 milliards de francs) ; les aides au logement, 1,48 milliard d’euros (9,7 milliards de francs). » ([72])

Le Livre vert s’était également livré au chiffrage global des dépenses en faveur de la jeunesse et était arrivé à un total de près de 56,5 milliards d’euros en 2013, dont l’essentiel, plus de 31,5 milliards, étaient des dépenses d’éducation, suivies des dépenses sociales – insertion, aide au logement, prestations familiales et aides fiscales aux familles, aides aux étudiants – représentant quelque 23 milliards. Les autres postes étaient plus modestes, un peu moins de 2 milliards, répartis entre les dépenses de jeunesse des collectivités locales et la promotion des actions en faveur de la jeunesse.

En resserrant la focale sur les seuls dispositifs qui concourent plus spécifiquement à la mobilité sociale des jeunes, France Stratégie détermine une enveloppe globale de plus de 12 milliards en 2022 pour les 15 plus importants d’entre eux, répartis selon le tableau ci-après :

Les 15 dispositifs ciblés de l’État en faveur de la mobilitÉ sociale des jeunes dont les dÉpenses dÉpassent 100 millions d’euros en 2022 (m€)

Source : France Stratégie, op. cit., page 200

B.   DES DISPOSITIFS À DÉFAUT D’UNE POLITIQUE

La question des dispositifs empilés crise après crise pose des questions de nature diverse. Celle de la cohérence de l’action publique, celle de la lisibilité des mesures mises en œuvre ou encore celle de leur efficacité. Les avis des différents acteurs que vos rapporteures ont entendus ne sont pas unanimes et justifient que soient présentés ici les éléments du débat. In fine, le sujet renvoie à la question initiale et fondamentale de ce que la société souhaite et entend mettre en œuvre pour sa jeunesse.

1.   La problématique de la multiplicité des dispositifs

L’architecture des mesures en faveur de la jeunesse laisse perplexes beaucoup d’experts et d’acteurs. Certains avaient d’ailleurs exprimé leurs inquiétudes bien avant le premier rapport du CEC en 2013 ou les propos tenus par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui n’aura finalement pas réussi à inverser la tendance malgré le souhait qu’il avait exprimé.

« Érigée en priorité pour la France, la jeunesse se veut au centre des préoccupations du gouvernement. Pourtant, au-delà de la question des moyens, même si la démarche interministérielle autour des questions de jeunesse doit être saluée, il n’en ressort toujours pas une politique ambitieuse globale et cohérente pour la jeunesse qui mette fin à l’empilement et au cloisonnement des dispositifs, pourtant dénoncés dans le rapport. »

Source : Communiqué de la Fédération des acteurs de la solidarité, en réaction à l’annonce du plan « Priorité jeunesse », 25 février 2013 ([73])

Ainsi, le Livre blanc de la commission Charvet avait-il analysé ce phénomène en 2001 comme résultant de la diversification des missions de l’action publique au profit des jeunes, qui s’était « accompagnée d’une multiplication des dispositifs. Celle-ci a été d’autant moins maîtrisée que le sentiment qu’avec le ‟malaise de la jeunesseˮ on se trouvait face à une crise conjoncturelle a favorisé la mise en place de mesures ‟temporairesˮ et partielles. » ([74])

Le rapport Charvet touchait ici la question du caractère essentiellement curatif des dispositifs instaurés en faveur de la jeunesse. Il jugeait en effet que les interventions publiques en direction des jeunes tout au long des vingt-cinq dernières années avaient été polarisées par des « préoccupations de réparation » ([75]) et précisait que « la construction de politiques destinées à la jeunesse, malgré des ambitions maintes fois réitérées et des efforts importants, porteurs d’avancées notables, en particulier aux plans éducatif et culturel, n’a pas correspondu à une stratégie délibérée répondant à une lecture de notre expérience historique mais s’est laissée entraînée à une multiplication de dispositifs segmentés, commandée par le court terme, voire le sentiment de l’urgence. » ([76]) Il est résulté de cette lacune une « prolifération d’actions, de programmes, de dispositifs s’accumulant et se succédant dans le temps et l’espace, au fur et à mesure de l’émergence de problèmes inédits et de la prise en compte de demandes sociales pluralistes dans une société démocratique en mutation » ([77])

Quelques années plus tard, le Livre vert estimait qu’atteindre les objectifs qu’il proposait supposait la réunion de trois conditions : la responsabilisation des différentes institutions ayant un rôle à jouer dans les politiques de jeunesse, pour garantir le succès des actions entreprises ; le développement de mécanismes incitatifs pour amener les jeunes à tirer le meilleur profit des dispositifs mis en œuvre ; enfin, la mise en œuvre d’une politique cohérente sur la durée : « Dès lors qu’elle ne repose pas sur des dispositifs spécifiques, c’est une politique cohérente dans son discours, dans ses instruments juridiques, dans son partage entre les acteurs et dans sa programmation financière qui doit être conduite sur plusieurs années. Ce sont donc des objectifs de moyen terme qui devront être fixés et suivis. » ([78])

De fait, ce message est aussi celui que tient notamment le collectif d’associations « Pour un big-bang des politiques jeunesse » ([79]), qui réunit depuis 2012 un ensemble de 85 associations, fédérations, mutuelles, mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, structures d’insertion, d’hébergement ou de santé. Préoccupé par le fait que, malgré la priorité en faveur de la jeunesse sans cesse réitérée, rien ne change en profondeur, ce collectif appelait à l’occasion de l’échéance présidentielle à rompre avec la logique de dispositifs curatifs prévalant depuis 35 ans en matière de politiques de jeunesse.

En vain. En effet, deux ans plus tard, le collectif constatait avec amertume que, malgré les promesses du plan Priorité jeunesse à l’élaboration duquel il avait été étroitement associé, les choses étaient restées en l’état et que « le plan priorité jeunesse s’est métamorphosé en un catalogue mettant au même niveau mesures ciblées et ambitions généralistes, sans que l’on puisse y lire une ligne d’horizon, un projet de société dans lequel les jeunes pourraient s’inscrire. » ([80])

C’est le même constat auquel se livrent encore aujourd’hui les associations de jeunesse. William Feys, délégué général du Forum Français de la Jeunesse, regrettait ainsi devant vos rapporteures ([81]) qu’on ne puisse toujours pas parler de politique de la jeunesse et rappelait à son tour que les associations ne cessaient de dénoncer depuis des années l’empilement de dispositifs curatifs, instaurés les uns après les autres sans cohérence pour répondre à des problématiques sans qu’il y ait jamais de réflexion de fond sur ce que devrait être une politique structurelle, systémique.

Le rapport du CEC de 2013 ne disait pas autre chose : au terme de leur recensement, les rapporteurs avaient jugé que « l’action publique en faveur de la mobilité sociale des jeunes manque d’objectifs clairs et d’une définition de l’effort collectif souhaitable en direction de la jeunesse » ([82]), d’autant plus que certains dispositifs apparaissent segmentés, partiels, certains d’entre eux manquent de stabilité et se révèlent complexes, au point de dégrader la crédibilité de l’action publique.

2.   Les effets délétères de la dispersion

Comme les autres aspects déjà évoqués par vos rapporteures, les conséquences néfastes de la dispersion des dispositifs ont fait l’objet d’analyses aussi nombreuses que convergentes. La multiplicité des dispositifs n’est jugée positive que par un nombre très restreint d’acteurs.

a.   Une moindre efficacité

La dispersion des dispositifs amène de nombreuses critiques, partagées par des acteurs très différents.

Elle est en premier lieu vue comme entraînant une moindre efficacité de l’action publique. Sur ce sujet, le Livre blanc constatait non seulement que les inégalités fortes perduraient, voire s’accentuaient, sur la longue durée malgré les dispositifs, mais que, par ailleurs, « les décisions prises en matière de politique familiale ont renforcé la dépendance financière des jeunes à l’égard de leur famille », à rebours de l’objectif d’autonomisation poursuivi. Plus généralement, les « réformes de fond comme de nombreux dispositifs n’ont pas permis de contenir des évolutions préoccupantes concernant la situation des jeunes : la précarisation des parcours, la différenciation des sorts sociaux, le renforcement des inégalités face aux changements et enfin, pour une fraction d’entre eux, l’exclusion professionnelle durable. » ([83])

La multiplicité des dispositifs, source d’inefficacité

« Ce ‟millefeuilleˮ de dispositifs devient progressivement illisible, pour les jeunes comme pour les professionnels du secteur. La crise sanitaire que nous traversons en a donné une illustration saisissante : à chaque annonce d’urgence du gouvernement, il fallait plusieurs jours aux observateurs pour comprendre comment ces nouvelles dispositions s’articulaient aux dispositifs existants et quelles sous-catégories de jeunes pouvaient y prétendre. »

Source : Camille Peugny, op. cit. page 88

En outre, estimait la commission Charvet, si elle n’a pas permis de solutionner les problèmes pour lesquels ils ont été instaurés les uns après les autres, « l’inflation des dispositifs a sans nul doute favorisé le découpage de la population jeune en catégories de plus en plus spécifiques. » ([84]) La diversification des problématiques a entraîné celle des catégories-cibles, puis des acteurs, jusqu’à dessiner un paysage complexe. « Pourtant, concluait-il, il est permis de se demander si ce développement de la prise en charge de la jeunesse par les institutions publiques n’est pas le signe d’un désarroi : la profusion et l’empilement d’actions parfois redondantes ne sont-ils pas contreproductifs ? Ces actions ont-elles été à la mesure des enjeux ? » ([85]) Pour vos rapporteures, poser ainsi la question est évidemment y répondre.

Cette question de l’efficacité, et donc aussi de l’efficience, de la politique publique de la jeunesse, était par ailleurs posée dans le rapport de suivi de nos collègues Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson. Constatant la persistance de la reproduction des inégalités sociales dans notre pays, malgré les moyens importants dédiés aux mesures en faveur des jeunes, ils jugeaient que « la performance des politiques publiques est affaiblie par le foisonnement des acteurs et l’empilement des dispositifs, avec aussi un ciblage parfois insuffisant sur les jeunes les plus en difficulté d’insertion. La complexité compromet la pertinence du pilotage de l’action publique, souvent dans l’impossibilité de mesurer la valeur ajoutée de telle ou telle disposition, et a fortiori de ‟corriger le tirˮ au fil de l’eau. L’efficacité des différents dispositifs apparaît inégale et insuffisamment évaluée en dépit de progrès réels dans certains domaines. » ([86])  

À ce propos, Philippe Lemistre, directeur-adjoint du CERTOP et directeur du centre Céreq de Toulouse, insistait particulièrement ([87]) sur le fait que la multiplicité des dispositifs induit des difficultés d’évaluation. Raison pour laquelle, par exemple, les expérimentations sont également difficiles à évaluer de manière rigoureuse, les résultats n’étant pas forcément généralisables, comme ont pu le montrer les évaluations du PIC qui concluent à la nécessité d’une approche globale.

b.   Des effets contreproductifs

Au-delà de la moindre efficacité qui leur est reprochée, la multiplicité et l’empilement des différents dispositifs sont aussi porteurs d’effets considérés comme néfastes en regard des objectifs qui sont poursuivis.

Marie Caillaud, présidente du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ), insistait précisément sur ce point ([88]) en indiquant que la question de la multiplicité des dispositifs et de leur cohérence était un fil rouge des travaux du conseil pour qui il est essentiel de viser une action structurelle, universelle. En effet, expliquait-elle, l’empilement de dispositifs renvoie à la multiplicité des statuts – étudiant, apprenti, volontaire, stagiaire, demandeur d’emploi, etc. – qui caractérisent la situation des jeunes dans notre pays. Antoine Dulin, président de la commission de l’insertion des jeunes du COJ, illustrait cet aspect en indiquant ([89]) avoir présenté un rapport sur un choc de simplification dans lequel 238 critères d’âge ont pu être identifiés dans la réglementation française pour définir ce qu’est un jeune, dans les domaines les plus variés : droit du travail, droit électoral, droit pénal, droits sociaux, défense, etc. ([90]) Comme le remarque ce rapport, « au-delà de la variété des thèmes, ce qui frappe c’est surtout le nombre de conditions d’âge et la variété des âges justement retenu pour considérer un individu comme jeune ou comme adulte. La grande majorité de ces conditions d’âge (entre 16 et 30 ans) sont situées aux âges de 16 ans, 18 ans, 21 ans, 25 ans et 30 ans (…) » et « c’est uniquement lorsqu’un jeune a 19, 27 ou 29 ans qu’il n’a pas à se préoccuper d’une éventuelle évolution de ses droits. Et il ne s’agit là que de conditions d’âges fixées par l’État (hors fonction publique, qui compte également un certain nombre de conditions d’âge pour l’accès à certains grades). Les collectivités territoriales peuvent elles-mêmes en définir, tout comme les entreprises, à l’instar de la SNCF et de sa carte jeune 18-27 ans. À tous les âges de la jeunesse ou presque, le droit le considère tour à tour comme jeune ou comme adulte. » ([91])

En découlent inévitablement des questions tenant à la visibilité et à la lisibilité des dispositifs, qui touchent particulièrement les publics les plus fragiles, en décrochage scolaire et, consécutivement, en grande difficulté d’insertion professionnelle, comme le faisaient remarquer Nicolas Duvoux, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), et Cécile Tagliana, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté ([92]), pour qui la multiplication des dispositifs n’est cependant pas un problème en soi. Le véritable sujet, concernant surtout les destinataires les moins armés, tient aux problèmes de compréhension dus au manque de lisibilité des dispositifs, et consécutivement, de sécurité dans leur accès aux droits. Cela justifie de poursuivre l’objectif d’un accès simplifié au droit commun, pour rompre avec l’incertitude que soulignait aussi Léa Lima, sociologue, professeure au CNAM ([93]). L’évolution permanente des dispositifs dans le temps n’étant d’ailleurs pas sans poser de problèmes d’appropriation aux professionnels.

Le fait qu’un jeune puisse ainsi relever de divers statuts à différents moments ou en fonction de différentes situations est aussi susceptible d’entraîner des difficultés pour les intéressés, certaines situations pouvant coexister, entraînant une pluralité de possibilités, certaines pouvant d’ailleurs coïncider et se cumuler. En outre, les allocations et les rémunérations variant en fonction des statuts et des dispositifs, les bénéficiaires peuvent être amenés à choisir la plus rémunératrice à court terme, et non la plus adéquate par rapport à leurs problématiques. Inversement, il est aussi possible que le jeune ne corresponde à aucun statut existant, se retrouvant ainsi dans une situation dite « atypique », même si de nombreux jeunes sont en fait concernés.

Sur un autre plan, cette logique statutaire complique aussi la situation des jeunes car elle les considère comme des ayants droit en fonction des critères variables qu’ils remplissent à tel ou tel moment de leur parcours de vie plutôt que comme des sujets de droit. Une telle situation amène des changements d’interlocuteurs, de nouvelles démarches, selon les statuts, et est à souvent à l’origine de ruptures dans le parcours des jeunes. En d’autres termes, un tel système, dans lequel les dispositifs sont ainsi empilés, successifs, dépendant des statuts divers, contribue directement à la précarisation de la jeunesse, en risquant d’induire des phénomènes de « stop and go », comme l’ont mis en évidence plusieurs rapports du COJ.

C’est la raison pour laquelle, pour la présidente du COJ, il est au contraire nécessaire d’apporter une réponse structurelle aux problématiques des jeunes, et non parcellaire, segmentée, discontinue et variable. La préconisation du conseil est de construire une politique de jeunesse qui ne réponde pas seulement à une urgence mais offre une réponse globale.

On touche ici directement à la question de la manière dont une politique publique, dont l’objectif est de mener à l’autonomisation des jeunes, peut réellement y contribuer, sur laquelle vos rapporteures reviendront.

3.   Des mesures malgré tout utiles

Ces critiques formulées, il convient toutefois de ne pas oublier les progrès qui sont intervenus et l’utilité des dispositifs en vigueur. Il ne saurait être question de porter une condamnation définitive et indiscriminée de l’action publique vis‑à‑vis de la jeunesse.

En premier lieu, comme le soulignait le rapport de Foucauld en 2002, l’investissement collectif important qu’ont représenté ces interventions a permis de relever le niveau culturel et de qualification des nouvelles générations, de contenir le chômage et de favoriser, malgré tout, leur insertion professionnelle dans une période fortement marquée par une pénurie d’emplois.

Dans le même ordre d’idées, le regard critique de France Stratégie quant à l’efficacité des politiques publiques qu’il analyse pour le CEC ne le conduit pas à oublier qu’en matière d’éducation et d’emploi, globalement, les politiques publiques ont donné des résultats positifs jusqu’à la fin des années 1990, même si les constats faits depuis en matière de mobilité sociale invitaient à s’interroger sur leur efficacité et leur efficience pour relancer l’ascenseur social.

En outre, juge Antoine Dulin ([94]), les mesures d’accompagnement des jeunes en difficulté d’insertion sont une chance pour les intéressés – notamment les différents dispositifs tels que l’EPIDE, les écoles de la deuxième chance, ou autres – ils sont efficaces en termes de soutien aux jeunes en difficulté et répondent à des besoins, des situations sur les différents territoires. Leurs modalités différentes sont aussi une richesse, de ce point de vue, dans la mesure où les acteurs sur le terrain sont capables de s’adapter à la situation de chaque jeune, de changer lorsque ça ne marche pas.

Dans le même esprit, les administrations chargées de la politique de jeunesse ne partagent pas les réserves quant à la multiplicité des dispositifs. Elles soutiennent que les mesures conduites en faveur de la jeunesse visent l’accompagnement des jeunes vers leur émancipation et leur autonomie et leur intégration professionnelle et sociale et favorisent leur engagement dans la société ([95]). Et précisément, pour Thibaut de Saint-Pol, directeur de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) ([96]), cet accompagnement des jeunes vers leur autonomisation suppose une multiplicité de types et de domaines d’intervention, répondant à des difficultés également multiples, impliquant la participation d’une pluralité inédite d’acteurs et d’échelles d’intervention, susceptibles de jouer un rôle dans la lutte contre les inégalités sociales et spatiales, dans un contexte de profondes mutations.

En d’autres termes, la multiplicité des dispositifs répond à celle des situations des jeunes, dont les besoins sont très divers. Elle correspond aussi, souligne Augustin Vicard, directeur de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), à la répartition des compétences entre les niveaux nationaux et territoriaux. Si un travail doit être mené en faveur d’une plus grande accessibilité et d’une meilleure lisibilité, l’hétérogénéité des situations et des besoins explique la multiplicité des dispositifs. Cela dit, l’articulation en faveur d’une politique plus globale pourrait avoir plus de sens dans le cas de sous‑thématiques, par exemple la politique de l’engagement de la jeunesse, qu’il pourrait être utile de coordonner en interministériel autour de dispositifs efficaces.

4.   Des changements qui tardent souvent à s’imposer

Enfin, peut-être convient-il aussi de porter un regard distancié sur l’ensemble du dispositif et prendre en compte une certaine inertie de l’appareil administratif et politique. À tout le moins, de constater la lenteur avec laquelle les préconisations émises dans les rapports, notamment ceux que vos rapporteures ont cités à plusieurs reprises, sont traduites en mesures effectives par les pouvoirs publics. Il se passe souvent des années entre l’idée et sa mise en œuvre.

Le cas de l’orientation des élèves est sans doute emblématique et un nouveau retour sur le Livre vert est intéressant, qui avait décliné ses nombreuses propositions en douze axes différents, dont les trois premiers étaient directement consacrés à la réforme du système d’orientation qui devait « être revu de fond en comble », cette réforme étant considérée comme une priorité de la nouvelle politique de jeunesse.

Le premier axe visait à « Soutenir l’autonomie à travers l’information et le libre choix dans l’orientation », et comportait trois propositions différentes :

– Faire de l’éducation « au choix » une mission prioritaire de l’école, en faisant de l’orientation un projet porté par l’établissement en : réservant du temps à l’orientation dans l’emploi du temps des élèves ; créant un dispositif d’accompagnement personnalisé mobilisant les équipes éducatives et les professionnels de l’orientation ;

– Modifier les pratiques professionnelles de l’orientation pour les inscrire dans l’environnement familial et extrascolaire des jeunes, en encourageant des formes diversifiées d’échanges avec le monde professionnel et en impliquant les parents ;

– Reconnaître un droit de tous les élèves, apprentis et étudiants à une information impartiale et homogène sur les débouchés.

Le deuxième axe ambitionnait de « Dédramatiser l’orientation scolaire et professionnelle », au travers de quatre actions différentes : mieux préparer les transitions ; revaloriser les filières technologique et professionnelle en travaillant sur les perspectives qu’elles offrent ; garantir les réorientations en cours d’année dans les moments clefs de l’orientation ; créer un livret des compétences, support d’une orientation positive.

Enfin, le troisième axe dédié à l’orientation était le suivant : « Organiser tous les étages d’un service public de l’orientation territoriale (SPOT) qui ne soit plus une ‟sous-partieˮ de l’Éducation nationale ». Cela supposait de : partir de l’identification des services à fournir pour repenser, au niveau national, l’architecture des opérateurs de l’orientation ; créer une instance régionale de pilotage du service public d’orientation territorialisé ; garantir une organisation locale rendue lisible et visible pour les jeunes.

Compte tenu de l’urgence de ces réformes, identifiées après un travail collectif de diagnostic long de seize semaines, le rapport de la commission du Livre vert proposait un agenda, échelonné sur la période 2010-2015, et préconisait une stratégie volontariste.

De fait, certaines réformes se virent traduites rapidement dans les faits. Le code de l’éducation était par exemple complété dès 2009 et 2010 par l’ajout d’articles permettant un meilleur suivi des élèves décrocheurs, instituant notamment une obligation nouvelle vis-à-vis des jeunes de seize à dix-huit ans sans diplôme ni emploi. ([97]) Les plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD) étaient ensuite créées en 2011 ([98]), pour permettre de systématiser le coordination des acteurs locaux de la formation, de l’orientation et de l’insertion des jeunes.

Cela étant, alors même que nombre des sujets avaient été considérés comme d’importance majeure dans des rapports antérieurs qui avaient souligné avec une force identique la nécessité des réformes, on ne peut que constater la lenteur avec laquelle beaucoup de ces recommandations sont concrétisées et appliquées sur le terrain.

Ainsi, comme le rappelaient l’an dernier nos collègues Thomas Cazenave et Hendrik Davi dans leur rapport pour le CEC sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur ([99]), le service public régional d’orientation a été introduit dans la loi en 2014 ([100]), mais ce n’est qu’en 2019 qu’un « cadre national de référence » a été conclu entre l’État et les régions pour préciser leurs rôles respectifs et les principes guidant l’action des régions vis-à-vis des établissements scolaires. Près de dix ans après l’adoption de la loi, les choses sur le terrain restaient encore souvent à parfaire, de l’avis de nombreux interlocuteurs des rapporteurs. Sur ce sujet, on peut aussi rappeler que dix ans avant le Livre vert, parmi les « cinq actions à conduire en priorité » le rapport de la Commission nationale pour l’autonomie des jeunes avait déjà identifié et tracé les contours de « la nécessaire reconfiguration du système d’orientation et d’aide au choix pour les jeunes », reconfiguration au terme de laquelle le jeune participerait activement à son orientation scolaire, serait bien mieux informé des filières, dans laquelle le service public de l’orientation serait nettement plus développé au niveau des collectivités territoriales, etc.

Dans le même ordre d’idées, les recommandations visant à « faire de l’orientation un projet porté par l’établissement » et à réserver du temps d’orientation dans l’emploi du temps des élèves, tardent pour le moins à être concrétisées, si l’on rappelle que, selon un rapport de la Cour des comptes ([101]), 50 % des établissements n’ont pas formalisé leur projet, ou que les 54 heures annuelles dédiées à l’orientation dans l’emploi du temps des lycéens sont, de l’avis de très nombreux acteurs, très souvent théoriques et dédiées à compléter les retards de programme, faute d’être budgétées.

De même, le « livret de compétences » recommandé en 2009 dans le Livre vert ([102]) a pour sa part pris forme l’an dernier : auditionnée en mai 2023, la directrice générale de l’ONISEP indiquait en effet aux rapporteurs Thomas Cazenave et Hendrik Davi qu’un « référentiel de compétences à s’orienter » avait été validé en juin 2022 et commençait à être utilisé dans les académies.

Des commentaires similaires pourraient encore être faits en ce qui concerne la recommandation du Livre vert d’affirmer « l’obligation de tous les jeunes de 16 à 18 ans de se former ou, à défaut, de préparer leur entrée dans la vie active », puisque ce n’est qu’à partir de la rentrée 2020 que cette disposition a commencé à être effective, avec difficultés, après avoir été introduite dans le code de l’éducation par la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.

5.   Des occasions manquées

Tout a donc été dit depuis longtemps, les objectifs identifiés, les diagnostics posés, les propositions formulées. Et les engagements, parfois, pris.

L’examen attentif de ces questions laisse pourtant le sentiment d’un défaut de portage politique qui, outre le fait qu’il participe sans doute de la lenteur avec laquelle sont mis en œuvre les dispositifs dont la pertinence n’est pas discutée, conduit aussi à perdre des occasions.

Ainsi en est-il des décisions qui auraient pu être prises au début du siècle en faveur de l’autonomie des jeunes. Il n’est pas inutile de rappeler que le parlement avait examiné en juillet 2001 une proposition de loi relative à la mise en place d’une allocation d’autonomie pour les jeunes de 16 à 25 ans, dont l’article unique avait porté création de la Commission nationale pour l’autonomie des jeunes ([103]), dont vos rapporteures ont eu l’occasion d’évoquer les travaux. Ce sujet essentiel, entre autres fil rouge des propositions du Livre blanc, avait également été l’objet des travaux de la conférence de la famille, notamment en mai 1998 et en juin 2001, comme il le sera de nouveau ultérieurement, en 2004 ou en 2006.

La Commission dessina aux termes de ses travaux les contours des actions prioritaires devant fonder l’autonomisation des jeunes : orientation, allocation, actions en matière d’éducation, de logement, de mobilité, d’engagements civiques, sociaux, culturels, de couverture sociale. 

Près de vingt-cinq ans plus tard, les mêmes thématiques sont toujours sur la table. Comme on le verra, ce sont précisément celles-ci qui ont été instituées dans les pays dans lesquels les jeunes bénéficient des politiques considérées comme les plus pertinentes et efficaces pour contribuer, non seulement à leur autonomie, mais aussi à la mobilité sociale.

III.   DES ACTEURS EN MANQUE DE COORDINATION

À la multiplicité des dispositifs, s’ajoute un nombre important d’acteurs institutionnels. Leur coordination est considérée comme cardinale pour garantir la cohérence de l’ensemble, mais la dimension interministérielle de l’action publique n’est, à l’évidence, pas prioritaire.

A.   ÉVANESCENCE DE L’INTERMINISTÉRIALITÉ

Dans notre pays, la dimension interministérielle de l’action publique, pourtant jugée essentielle, a nettement perdu en intensité depuis quelques années.

1.   Un impératif non discuté

Pour prioritaire qu’elle soit au plus haut niveau, la jeunesse ne figure cependant pas aux premiers rangs du débat politique. En suggérant que le parlement se prononce au moins tous les cinq ans autour d’une loi d’orientation et de programmation sur les objectifs et moyens de la politique de jeunesse, sur les réformes engagées, le Livre vert observait en 2009, que la dernière fois que le Parlement avait débattu de la politique de la jeunesse remontait à 1994… ([104]) Dans le même ordre d’idées, il constatait que la dimension interministérielle de la politique de jeunesse était absente, malgré les organes prévus à cet effet, le comité interministériel pour la jeunesse (CIJ), créé en 1982, ne s’étant pas réuni pendant 18 ans : avant d’être réactivé en janvier 2009, sa dernière convocation datait de 1990…

Depuis lors, les choses ne se sont pas vraiment améliorées.

Le 21 février 2013, Jean-Marc Ayrault relançait l’interministérialité de la politique de jeunesse en insistant sur le fait qu’« il n’y a pas d’action publique cohérente, efficace dans ce domaine comme dans d’autres (…) sans un travail collégial de tous les ministères concernés. » ([105])

Le Premier ministre mettait en avant le travail préparatoire considérable effectué en six mois par plus d’une vingtaine de ministères pour diagnostiquer les maux de la jeunesse, recenser les dispositifs existants, considérés comme souvent inefficaces, et consulter les associations de jeunes, les collectivités locales et les personnalités qualifiées. Ce travail avait permis l’élaboration du plan « Priorité jeunesse », qui venait d’être adopté. Vingt-quatre ministères étaient engagés, onze devaient piloter la mise en œuvre des mesures et tous devaient participer à la remontée d’informations et à l’élaboration des points d’étape réguliers, préparatoires aux réunions interministérielles de coordination. Une application, le « Système d’information du plan d’action du gouvernement pour la jeunesse » (SIPAJ), était mise en service au niveau des administrations centrales et prévue pour être étendue aux administrations déconcentrées en 2014. Une instruction ministérielle était adressée en juin 2013 aux préfets de région pour les déclinaisons territoriales du plan et l’animation des services déconcentrés. De même était-il décidé de poursuivre le dialogue avec les organisations de jeunes, qui avaient été étroitement associées au travail préparatoire, tant au niveau central que dans les territoires.

Le Premier ministre prenait aussi l’engagement de réunir le CIJ au moins une fois par an, avec la mission d’évaluer les décisions, le cas échéant d’adopter de nouvelles mesures, d’en corriger certaines ou d’abandonner celles qui se seraient révélées inefficaces, sur la base d’indicateurs fiables. À cet effet, il indiquait que l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) produirait chaque année un rapport sur l’état de la jeunesse, servant de base aux travaux du comité, au dialogue avec les associations, ainsi qu’« au discours que je prononcerai chaque année sur l’état de la jeunesse. »

De fait, deux réunions du comité interministériel se sont ensuite tenues. La deuxième eut lieu le 4 mars 2014. Elle a permis au CIJ de tirer un premier bilan des actions entreprises et de constater que plus de la moitié – 27 – avaient été initiées, portant notamment sur les emplois d’avenir, la Garantie jeunes, un meilleur encadrement des stages, des contrats de génération, la garantie universelle, la caution locative étudiante ou la stratégie nationale de santé. De nouveaux objectifs étaient fixés pour qu’« aucun jeune ne soit sans solution à l’horizon 2017 ».

La réunion suivante eut lieu le 3 juillet 2015 ([106]), à Besançon, sous la présidence de Manuel Valls, nouveau Premier ministre. Le bilan soulignait notamment des avancées en matière de bourses étudiantes, de logement, concernant le Service civique, les emplois d’avenir, la Garantie jeunes, l’accès d’un million de jeunes à la future Prime d’activité, le droit au retour à la formation jusqu’à 25 ans ou encore la mise en place de la Grande École du Numérique. De nouvelles actions étaient annoncées, portant notamment sur la participation citoyenne des jeunes ou la possibilité d’une année de césure dans les études.

La dynamique interministérielle semblait donc s’être enfin enclenchée.

2.   Pourtant aujourd’hui oublié

Malheureusement, à ce jour, la réunion du 3 juillet 2015 reste la dernière, le comité interministériel de la jeunesse n’ayant plus été convoqué depuis maintenant près de neuf ans.

a.   Les recommandations sans effet de la Cour des comptes

C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes, soulignant que, depuis sa création en 1982 ([107]), le CIJ n’avait en tout et pour tout été réuni que sept fois, pouvait à son tour conclure en janvier 2020 ([108]) que « malgré quelques tentatives de globalisation, la politique de la jeunesse est demeurée un ensemble de politiques sectorielles peu coordonnées. Deux plans successifs, en 2009 et en 2013, ont tenté de donner une feuille de route commune aux différents ministères. Au fil du temps, le suivi global de leurs mesures a été perdu de vue même si certaines actions, telles que celles contre le décrochage scolaire, ont fait l’objet de beaucoup d’attention. »

Dans la foulée de sa conclusion, la Cour des comptes recommandait au ministre en charge de la politique de jeunesse de donner explicitement au délégué interministériel à la jeunesse la responsabilité de la coordination interministérielle du SNU et à la DJEPVA les moyens d’en piloter le déploiement ([109]).

À l’époque, la fonction de délégué interministériel à la jeunesse était en effet assumée depuis 2014 par le directeur de la DJEPVA et la Cour estimait ce positionnement et ses moyens insuffisants pour donner consistance à cette fonction essentielle. Elle jugeait que « la création, il y a cinq ans, d’un délégué interministériel à la jeunesse ne s’est accompagnée ni de la mise en place d’un service voué à la coordination interministérielle, ni de la recherche active d’une coordination entre les administrations. » À l’heure où de grands programmes nationaux visant l’engagement civique et citoyen des jeunes étaient lancés, une réelle évolution s’imposait. La Cour recommandait en conséquence le rattachement direct du délégué interministériel au Premier ministre, comme c’était le cas quelques années plus tôt, entre 2009 et 2010, lorsque le haut‑commissaire à la jeunesse Martin Hirsch avait piloté l’élaboration du Livre vert.

La Cour a été suivie dans ses recommandations près de trois ans plus tard. Un décret ([110]) du 30 novembre 2022 a en effet révisé le décret de 1982 et rattaché effectivement le délégué interministériel au Premier ministre. La disposition selon laquelle le délégué « assure la préparation des délibérations et le suivi des décisions du comité interministériel de la jeunesse », n’a pas été modifiée, non plus que celle qui prévoit que le comité « se réunit en tant que de besoin et au moins deux fois par an ». Le délégué « coordonne la mise en œuvre des actions menées par les différents ministères en faveur des jeunes en veillant à y associer l’ensemble des acteurs et des partenaires y contribuant. » Il est encore précisé que « pour l’exercice de ses missions, il peut faire appel aux services relevant des ministres membres du comité interministériel de la jeunesse. »

Un an et demi plus tard, les choses sont cependant au point mort. Le comité interministériel n’a pas encore été réuni et le sujet semble être tellement hors d’actualité que le résultat de la recherche « comité interministériel de la jeunesse » sur le site « jeunes.gouv.fr » laisse vos rapporteures perplexes…

(Recherche effectuée le 21 février 2024)

Sans forcer le trait, on peut donc poser la question de la valeur ajoutée du changement qui a été opéré, dans la mesure où, de facto, le portage des politiques de jeunesse relève encore à ce jour de la DJEPVA. Cette direction a certes une expertise historique incontestable sur ces différents sujets mais son pilotage n’est évidemment qu’administratif et technique. C’est la raison pour laquelle la Cour invitait le gouvernement à dissocier les rôles et à rehausser le positionnement du délégué interministériel ([111]) en le rattachant au Premier ministre, d’autant que l’examen des actions de la DJEPVA mettait en évidence son « manque de moyens pour coordonner des politiques sectorielles largement autonomes » ainsi que, dans certains cas, un manque d’arbitrage stratégique. La Cour invitait en conséquence la DJEPVA à modifier son approche.

b.   La faiblesse institutionnelle de la coordination

L’interministérialité en matière de politiques de jeunesse fonctionne donc aujourd’hui au plus haut niveau au ralenti.

Il convient néanmoins de souligner le rôle important du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ). Créé à l’époque où l’interministérialité était encore jugée comme d’un intérêt majeur, il réunit, au sein de plusieurs collèges, les administrations centrales, les organisations de jeunes, les collectivités territoriales, les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, les partenaires sociaux, les organisations de l’insertion professionnelle, des membres associés et autres personnalités qualifiées ([112]).

Selon le décret constitutif, le COJ « contribue à la coordination et à l’évaluation des politiques publiques relatives à la jeunesse de 16 à 30 ans, à l’éducation populaire et au dialogue entre les acteurs concernés par ces politiques. » Il se réunit en formation plénière pour se prononcer sur les questions d’intérêt commun relatives à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques de jeunesse, d’éducation populaire et d’insertion des jeunes et formuler des propositions qu’il adresse au gouvernement.

Le COJ est donc avant tout un espace de dialogue entre les acteurs des politiques de jeunesse et d’insertion ainsi qu’un pôle d’expertise des politiques publiques dont il contribue à l’évaluation. C’est aussi une force de proposition et d’expression sur des questions d’intérêt général qui touchent la jeunesse, ou encore sur les projets de loi et de règlements en préparation sur son champ de compétences.

Pour autant, ce n’est qu’un organe consultatif sans poids effectif sur les acteurs décisionnaires. Il souffre, en outre, d’une certaine fragilité, dans la mesure où il a été créé par décret, renouvelé pour une période unique de cinq ans jusqu’en 2026, date à laquelle il ne pourra être reconduit.

Vos rapporteures tiennent à souligner cette situation et à inviter le gouvernement à prendre en compte les alertes réitérées quant à l’importance d’un dispositif institutionnel efficace, unanimement souligné.

À ce propos, elles rappellent les recommandations de l’OCDE, selon laquelle « Un cadre institutionnel solide est essentiel pour assurer la mise en œuvre et la coordination efficaces des objectifs des politiques jeunesse. Celui-ci exige une répartition claire des mandats et des responsabilités entre les portefeuilles ministériels et les différents échelons de l’administration publique. Il plaide aussi en faveur d’une approche holistique, qui peut solliciter la participation du centre du gouvernement, des organismes publics chargés des politiques de la jeunesse, des ministères d’exécution, des organismes de collecte et de production de données, ainsi que des instances de surveillance indépendantes et divers acteurs non gouvernementaux. » L’OCDE ajoutait encore que « les politiques publiques et les services des jeunes ne peuvent être traités isolément les uns des autres. De solides mécanismes de coordination entre les acteurs publics et les acteurs non gouvernementaux sont indispensables pour éviter une prestation fragmentée entre les domaines d’action (coordination interministérielle ou horizontale) et pour favoriser la participation des collectivités infranationales (coordination verticale). » ([113])

Cette question prend un relief supplémentaire, dans la mesure où depuis l’adoption de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, l’exigence de coordination entre les acteurs a été renforcée avec l’introduction d’un dispositif spécifique au niveau territorial en faveur des régions auxquelles a été confié un rôle de chef de file en matière de politique de jeunesse. Cela peut paraître paradoxal dans un paysage où, au niveau central, le sujet est en déshérence.

Proposition n° 1 : Appliquer les dispositions du décret n° 82-357 du 30 avril 1982 relatives à la réunion biannuelle du comité interministériel de la jeunesse.

B.   SUR LE TERRAIN, LE CHEF-DE-FILÂT CONFIÉ AUX RÉGIONS PEINE À PRENDRE SON ESSOR

Sur le terrain, la loi a également organisé la coordination entre les différents acteurs qui interviennent au bénéfice de la jeunesse. Il n’est pas certain que ce dispositif soit des plus opérationnel.

1.   Le dispositif en vigueur

Plusieurs dispositions sont concernées, qui ont été adoptées ces dernières années, qui semblent quelque peu contradictoires.

L’article 54 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a complété l’article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales pour confier aux régions le chef-de-filât en matière de politiques de jeunesse. Aux termes de cette disposition, la région est donc « chargée d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics » en la matière, comme c’est aussi le cas pour de nombreuses autres politiques publiques.

Pour le gouvernement, il s’agissait de « renforcer la capacité de travail en commun entre acteurs locaux et entre régions et services déconcentrés de l’État » ([114]), et de clarifier l’exercice des compétences au niveau territorial sans pour autant donner à l’échelon régional de compétence exclusive. À ce propos, le ministre indiquait dans les débats « faire confiance à l’esprit de responsabilité des élus locaux pour parvenir à une coordination efficace et éviter que des politiques redondantes soient menées d’un territoire à l’autre, d’une collectivité à l’autre. » ([115])

Ce même article 54 de la loi « Égalité et citoyenneté » a en outre prévu, sans que cela soit codifié, que « les politiques publiques en faveur de la jeunesse menées par l’État, les régions, les départements, les communes et les collectivités territoriales à statut particulier font l’objet d’un processus annuel de dialogue structuré entre les jeunes, les représentants de la société civile et les pouvoirs publics. Ce débat porte notamment sur l’établissement d’orientations stratégiques et sur l’articulation et la coordination de ces stratégies entre les différents niveaux de collectivités territoriales et l’État. »

Enfin, l’article L. 1111-4 du code général des collectivités territoriales prévoit par ailleurs que « les politiques publiques en faveur de la jeunesse menées par l’État, les régions, les départements, les communes et les collectivités à statut particulier peuvent faire l’objet d’un débat au sein de la conférence territoriale de l’action publique mentionnée à l’article L. 1111-9-1. Ce débat porte notamment sur l’articulation et la coordination de ces politiques entre les différents niveaux de collectivités et l’État. »

Entre la coordination confiée aux régions, le processus annuel de dialogue structuré sur les orientations stratégiques et, enfin, la possibilité d’un débat au sein de la conférence territoriale sur l’articulation et la coordination des politiques, le dispositif manque singulièrement de clarté pour que l’objectif que poursuivait le gouvernement en 2016 soit aisé à atteindre. On ne s’étonne pas que, de l’avis des observateurs comme des collectivités territoriales elles-mêmes, la pratique soit assez chaotique.

2.   Une architecture complexe

Les analyses qui ont été faites de ce dispositif traduisent une certaine perplexité.

Pour l’INJEP, notamment, cette architecture donne au conseil régional une compétence de chef d’orchestre se traduisant, sous la forme d’un pilotage partenarial, par l’organisation d’un cycle de dialogue portant sur les différentes thématiques du processus.

Cela étant, dès lors que les politiques de jeunesse, dans notre pays, ne constituent « pas un secteur d’action publique unifié institutionnellement mais renvoient plutôt à une juxtaposition de différentes politiques sectorielles (éducation, insertion, citoyenneté/engagement, prévention sanitaire, action socioculturelle et sportive, etc.), qui se déclinent territorialement par le biais de multiples acteurs (missions locales, foyers de jeunes travailleurs, BIJ/PIJ, établissements scolaires, collectivités, associations, etc.) », on pouvait « s’interroger sur la capacité du mouvement de territorialisation à reconfigurer le contenu des interventions en direction des jeunes et, plus spécifiquement, à favoriser l’émergence de politiques territoriales dites ‟intégréesˮ, c’est-à-dire construites selon une logique intersectorielle. » ([116]) L’INJEP faisait notamment remarquer que l’un des enjeux de la réforme consistait à voir dans quelle mesure, avec quels moyens et selon quelles modalités, les conseils régionaux se saisiraient de ce nouveau rôle. Compte tenu des questions sous-jacentes – quoi intégrer, quelles stratégies d’actions partagées mettre en œuvre, quels moyens et quelles modalités de pilotage y consacrer ? – la formulation des politiques de jeunesse devrait pour ce faire articuler des approches intersectorielles et interterritoriales, tant verticales (entre différents niveaux de collectivités) qu’horizontales.

3.   Des pratiques très variables

Les observateurs n’ont pas tardé à voir dans la pratique des différents conseils régionaux confirmation de leur perplexité initiale. La manière dont les conseils régionaux se sont saisis des questions de jeunesse est en effet très variable.

Selon une autre étude de l’INJEP ([117]), les dispositions législatives relatives au chef-de-filât et au dialogue structuré se sont traduites de trois manières : dans certains cas – Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Hauts-de-France – on a assisté à la mise en place de véritables démarches de co-élaboration des orientations stratégiques en matière de politique de jeunesse, impliquant beaucoup d’acteurs : le conseil régional, les autres niveaux de collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’État, ainsi que de nombreux partenaires institutionnels ou associatifs. Dans ces quelques régions, « la loi égalité-citoyenneté va ainsi être saisie comme une fenêtre d’opportunité pour amorcer, ou pour relancer, une dynamique de concertation partenariale en matière de politique de jeunesse. » ([118])

Ailleurs, notamment dans la région Grand-Est, le conseil régional a pu endosser son rôle de chef de file en bâtissant un cadre stratégique d’action traduisant surtout la volonté de définir et de rendre visibles les priorités d’action de la collectivité en direction des jeunes, tout développant des liens avec les acteurs de la jeunesse à l’échelle du territoire.

Dans d’autres régions, enfin, le rôle de chef de file n’est pas assuré par le conseil régional qui ne s’est pas saisi des dispositions législatives, souvent car « le domaine de la jeunesse n’a pas été d’emblée positionné comme un axe prioritaire de l’action régionale » ([119]).

Consécutivement, la portée du dispositif inscrit dans le code général des collectivités territoriales reste encore limitée. Un rapport récent du Sénat ([120]) juge les mécanismes de coordination inefficaces et notamment que les conférences territoriales de l’action publique ont échoué à générer une réelle dynamique de coopération entre collectivités territoriales, la majorité des élus, départementaux ou régionaux, n’en percevant pas l’utilité. Quant à l’espoir que le rôle de chef de file conféré aux régions concourrait à clarifier l’action publique locale et à rationaliser l’exercice des compétences partagées en respectant le principe de non-tutelle d’un niveau sur l’autre, il a été largement déçu. Le rapport juge qu’aucun échelon territorial n’est parvenu à s’approprier le dispositif, d’autant qu’il apparaît dépourvu de réelle portée. Dans le même ordre d’idées, Patricia Loncle, professeure de sociologie à l’EHESP, relève de son côté ([121]) que les régions dans lesquelles le dispositif s’est finalement enraciné sont des régions qui ont une forte tradition d’intervention en direction des jeunes, accompagnée d’une réflexion sur la complémentarité de l’action par rapport à celle de l’État, le mécanisme ne fonctionnant que s’il y a un véritable volontarisme de la part des conseils régionaux.

Ce bilan l’amène à s’interroger sur le fait de savoir si la région est finalement le bon échelon auquel confier ce chef-de-filât, dans la mesure où, historiquement, les départements et les municipalités ont été les plus investis sur ces questions relatives à la jeunesse. Conclusion que partage d’une certaine manière le Sénat, dont le bilan de l’analyse conduit l’auteure du rapport à recommander de substituer aux conférences territoriales de l’action publique des instances de coopération moins formelles, de réformer le chef-de-filât et de promouvoir une coopération de projets entre collectivités territoriales ([122]).

4.   Les constats de vos rapporteures

a.   Ce qu’en disent les collectivités territoriales

Vos rapporteures ont souhaité savoir comment les choses se passaient sur le terrain. Elles ont demandé à plusieurs collectivités territoriales quelles étaient leurs pratiques et leur appréciation de l’architecture institutionnelle en vigueur.

i.   L’exemple de la Bretagne

Pierre Pouliquen ([123]), vice-président de la région Bretagne, chargé du portefeuille « Jeunesse, égalité des droits, sport et vie associative », rappelle tout d’abord que le dialogue structuré a pris la forme d’une conférence jeunesse entre 2018 et 2020, associant tous les acteurs, qui a permis de construire et d’acter collectivement un « Plan breton de mobilisation pour les jeunesses », visant à améliorer les politiques en concertation avec les acteurs et les jeunes. La conférence se réunit désormais une fois par an pour assurer le suivi et le partage de l’état d’avancement des seize chantiers qui ont été définis. La place des jeunes est centrale dans ce processus qui recherche leur participation et contribution dans chacune des actions entreprises, moyennant une multiplicité d’outils et de dispositifs : conseil régional des jeunes, bourses d’engagement des jeunes, valorisation et diffusion de la parole, etc.

Pour Pierre Pouliquen, le rôle de chef de file confié par la loi Égalité et citoyenneté donne à la région une légitimité « pour proposer une animation et une coordination des politiques publiques de jeunesse aux collectivités du territoire régional », structurer les réseaux et partenariats autour de la jeunesse afin de « dépasser les logiques de superposition et de concurrence entre la multiplicité des acteurs impliqués et des dispositifs existants. Il s’agit déjà donc bien d’un rôle ‟palliatifˮ visant à répondre à une difficulté issue de l’éclatement des interventions en faveur des jeunesses. Pour y parvenir, il faut réussir à articuler le niveau global et les dynamiques locales, ce qui passe par plusieurs étapes clés : la connaissance ou savoir ‟qui fait quoiˮ, la reconnaissance ou la capacité à s’accorder collectivement sur les objectifs et enjeux du chef-de-filât, et l’interconnaissance ou la création de relations de confiance entre les différents partenaires. » Pour ce faire, la région a notamment entrepris un travail sur la connaissance des actions en faveur de la jeunesse, mené par les conseils départementaux et les intercommunalités, avec une action pédagogique d’explicitation du chef-de-filât. Trois axes de travail ont été définis : le développement et le partage de l’expertise sur la jeunesse ; le soutien en termes d’ingénierie pour travailler sur des thèmes rassembleurs pour les politiques de jeunesse et faciliter leur mise en œuvre ; l’animation partenariale pour dynamiser et stabiliser les relations. Ainsi ont été mis en œuvre :

-         Un « Observatoire breton des jeunesses », visant à mettre à disposition des collectivités infrarégionales la capacité de la région en matière de données territorialisées, afin de les conforter dans leur propre capacité à élaborer des diagnostics territoriaux sur les enjeux de la jeunesse ;

-         La plateforme numérique « Jeunes en projet », pour soutenir et valoriser les projets portés par des jeunes, en mettant à leur disposition dans un espace unique toutes les aides et dispositifs bretons pertinents ;

-         Le guide « Vers un dialogue jeunes/élus », pour faciliter une démarche de dialogue autour de l’action publique.

Cela étant, pour Pierre Pouliquen, si les démarches engagées permettent de commencer à lutter contre les empilements de dispositifs et de rechercher une meilleure cohérence, « il convient cependant d’être lucide sur l’aspect ‟ palliatifˮ du chef-de-filât, qui revient à essayer de combler l’absence d’une réelle politique d’État de soutien aux jeunes générations ». En outre, la dynamique de dialogue structuré et le chef de filât, qui supposent un diagnostic global, un pilotage politique et une animation technique, doivent s’inscrire sur le temps long, et nécessitent une grande stabilité, notamment législative, ainsi qu’une réaffirmation régulière de l’ambition, dans un contexte où « il est également important de rappeler que cette nouvelle compétence (…) ne s’est accompagnée d’aucun transfert financier de l’État. »

ii.   La région Grand-Est

La situation se présente un peu différemment dans la région Grand-Est, selon les informations qu’a communiquées la première vice-présidente Valérie Debord qui souligne que les évolutions du paysage institutionnel au cours des dernières années ont engendré quelques difficultés dans la conduite des politiques publiques et que le processus de recomposition a touché l’ensemble des acteurs, y compris les services déconcentrés, et a tardé à se mettre en place.

S’agissant de la manière dont le chef-de-filât est assumé, le conseil régional indique que l’objectif est la recherche d’opérationnalité et que la gouvernance repose sur une logique d’affirmation du rôle de la région. Les partenariats et projets sont mis en œuvre sur la base d’un cadre stratégique défini par la région. Cela dit, le dialogue annuel structuré prévu par la loi, est plutôt considéré comme un concept et n’a pas lieu sous la forme dans laquelle il est prévu. Il n’est pas jugé très utile en termes opérationnels et la région lui a préféré d’autres modalités, à savoir l’organisation de concertations ad hoc, à l’échelle des projets qu’elle se propose de mettre en œuvre, avec les différents partenaires impliqués. En outre, un conseil régional des jeunes a été institué, auquel a notamment été confiée la gestion d’un dispositif de soutien aux initiatives jeunes, « Expérience de jeunesse », à savoir l’instruction des demandes et l’étude collective des projets.

Pour le conseil régional Grand-Est, une clarification du rôle de chef de file serait opportune, ainsi que de la notion de dialogue structuré, compte tenu de l’enchevêtrement des compétences entre les niveaux de collectivités territoriales ([124]).

b.   Et leurs partenaires

Du côté des interlocuteurs des collectivités territoriales, le constat est identique et traduit un certain scepticisme.

C’est par exemple le cas des missions locales, dont Ahmed El Khadiri, délégué général de l’Union nationale des missions locales, ([125]) pour qui le chefdefilât fonctionne lorsqu’il y a un dialogue entre l’État et les régions et une réelle coordination. C’est cela qui est déterminant et lorsque cela n’est pas assumé, les acteurs de terrain en subissent les difficultés. Le sujet est d’autant plus sensible pour les missions locales qu’elles ont précisément été créées sur l’idée que l’articulation des compétences des différents acteurs locaux pourrait aider à l’organisation d’un parcours pour les jeunes en difficulté d’insertion et qu’un espace de gouvernance partenariale pouvait exister pour cela, réunissant les compétences de l’État, des régions, en charge de l’orientation et la formation professionnelle, des départements, chargés de la solidarité et des municipalités, pour le logement. En pratique, il s’avère que les choses ne sont pas toujours fluides, le dialogue parfois difficile, chacun des acteurs jouant surtout la carte de son dispositif, sa propre partition en l’absence d’une stratégie jeune interministérielle partagée qui permettrait de niveler les logiques concurrentielles à l’œuvre.

Sur un autre plan, c’est aussi ce qui ressort des appréciations formulées par Marc Gurgand, professeur à l’École d’économie de Paris et président du comité scientifique d’évaluation du plan d’investissement dans les compétences (PIC) ([126]) qui soulignait devant vos rapporteures la multiplicité des programmes créés dans le cadre du plan, dont certains sont en concurrence les uns avec les autres, et la coordination lacunaire entre les acteurs.

Si le bilan quantitatif est plutôt positif, comme le relevait le rapport de France Stratégie pour le CEC, la coordination entre les instances déconcentrées de l’État – les DREETS – et les services régionaux, et autres dispositifs, notamment les missions locales, est effectivement insuffisante, comme le confirment nombre d’études de terrain effectuées dans le cadre des évaluations annuelles du PIC ([127]). Plusieurs raisons jouent dans cet état de fait : problème de ressources humaines sur le terrain, changements organisationnels ou structurels, complexité des dispositifs, objectifs parfois divergents entre acteurs.

Proposition n° 2 : Réévaluer l’intérêt du chef-de-filât des régions dans les politiques de jeunesse.

 


   TROISIÈME PARTIE : FOCUS SUR LES DISPOSITIFS EN FAVEUR DE L’ÉDUCATION ET DE L’INSERTION PROFESSIONNELLE

Parmi les déterminants de la mobilité sociale, le niveau de diplôme est toujours l’un des principaux, comme le rappelle le rapport de France Stratégie. La politique éducative est donc de celles qui ont un rôle crucial à cet égard, souligné dès le premier article du code de l’éducation.

Dans les limites de ce rapport d’information, vos rapporteures souhaitent analyser plus particulièrement celles des actions publiques qui peuvent avoir un impact reconnu sur les perspectives de mobilité.

I.   LA MIXITÉ SOCIALE ET SCOLAIRE DE MOINS EN MOINS UNE RÉALITÉ

Depuis de nombreuses années, la mixité sociale, apparue dans le cadre des politiques de la ville, a pris une importance croissante dans le débat public au point d’être au cœur de certains dispositifs, comme aujourd’hui le service national universel.

Elle est aussi devenue un sujet de préoccupation majeure en matière d’éducation. Cela avait amené le CNESCO ([128]) et le CEC ([129]) à s’y pencher, il y a huit ans, et à y consacrer des rapports importants. 

A.   PROBLÉMATIQUES DE LA MIXITÉ

À l’heure d’évaluer les politiques publiques concourant à la mobilité sociale des jeunes, il est indispensable de revenir sur ce sujet. On peut en effet supposer que la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, qui a précisément confié au service public de l’éducation comme nouvelle mission celle de veiller à la mixité sociale des publics scolarisés dans les établissements d’enseignement ([130]), a produit quelques effets en dix ans et que les expérimentations que le ministère lançait dans 17 départements à la rentrée 2016 ont apporté quelques enseignements utiles. En outre, des réformes ont été entreprises dans l’académie de Paris, dont les enseignements sont des plus intéressants.

1.   Nécessité de la mixité

L’intérêt majeur de la mixité sociale n’est pas contesté. Les travaux de l’OCDE ([131]) l’ont souligné depuis longtemps, ceux du CNESCO se sont conclus sur une tonalité alarmiste, eu égard à la position de la France de ce point de vue, et ceux de France Stratégie, qui synthétisent les recherches les plus récentes, confirment l’importance de prendre cette dimension en compte dans les politiques scolaires.

Il ne s’agit pas tant d’en espérer des bénéfices à court terme pour les résultats scolaires des élèves, notamment les moins favorisés, que de participer de l’indispensable cohésion sociale. Ce que soulignait Nathalie Mons, présidente du Centre national d’étude des systèmes scolaires (CNESCO) en 2015 – encadré ci‑après – notamment confirmés par les évaluations des expérimentations en cours.

Les effets dévastateurs de la ségrégation sociale sur la cohésion nationale

« Cette ségrégation sociale et scolaire avérée n’est pas anodine. Les recherches internationales, menées dans des contextes internationaux variés USA, Angleterre, Irlande, pays nordiques, Inde… et synthétisées par le Cnesco et le CSE québecois dans le rapport de cette Conférence, mettent en évidence des effets puissants et dévastateurs sur les attitudes citoyennes des jeunes, la vie en collectivité et les apprentissages scolaires. La ségrégation sociale dans les établissements est associée à une série large d’indicateurs sociétaux négatifs en termes d’attitudes citoyenne, civiques, de croyance dans les institutions, de capacité de communication, de tolérance et même de santé dont la consommation de stupéfiants… Les séparatismes scolaire et social nuisent également aux apprentissages des élèves en difficulté. La ségrégation sociale est une bombe à retardement pour la société française. Ce séparatisme social et scolaire à l’école explique les difficultés de l’éducation prioritaire depuis 30 ans. Malgré les moyens, tout à fait nécessaires, distribués dans le cadre de cette politique de compensation territorialisée, malgré l’implication des équipes pédagogiques, ces établissements qui concentrent les élèves à risque sont affectés de plein fouet par les effets dévastateurs de la ségrégation scolaire. »

Source : Nathalie Mons, présidente du CNESCO, « Mixité sociale, scolaire et ethnoculturelle à l’école : chiffres clefs et analyse scientifique ; Dossier de synthèse », 2015 ; http://www.cnesco.fr/fr/mixites-sociales/

S’il n’y a pas d’effets majeurs de la mixité sociale sur les résultats des élèves – les bons ne voient pas leurs résultats se dégrader et les moins bons ne voient pas les leurs vraiment s’améliorer – les recherches montrent en revanche des impacts significatifs sur les compétences psychosociales, non cognitives, et le vivre ensemble, grâce à ses effets sur la composition des classes. En d’autres termes, il s’agit, en promouvant la mixité, de ne pas laisser aux marges de l’école, et donc in fine, de l’insertion sociale, ceux des élèves que les déterminants tendent à destiner à des trajectoires courtes, voire au décrochage.

Néanmoins, comme le souligne une étude récente de l’Institut des politiques publiques ([132]), « ses effets à long terme sur l’obtention d’un diplôme du secondaire et sur l’accès à l’enseignement supérieur peuvent être importants, notamment pour les élèves issus de milieux sociaux défavorisés ou scolarisés dans des contextes de forte ségrégation scolaire. Pour réconcilier les résultats observés à court et long terme, il convient de tenir compte du fait que les trajectoires scolaires d’un élève ne dépendent pas uniquement de son niveau scolaire, mais également de ses aspirations éducatives, que les camarades de classe sont susceptibles de modifier par des effets de mimétisme et de transmission d’informations sur le système éducatif. »

Sur ce dernier aspect, les recherches semblent montrer un effet positif, et « concluent que la composition socio-économique ou scolaire des pairs a une influence sur les résultats scolaires des élèves », sans doute plus forte à l’échelle de la classe que de l’établissement. En outre, il apparaît que les effets sont divers et que « les élèves de niveaux plus faibles, ou dont le contexte familial est moins favorable à la réussite scolaire, sont les plus sensibles à la composition de leur établissement ou de leur classe. » En d’autres termes, « être scolarisé dans une école parmi les plus favorisées socialement, plutôt que parmi les plus défavorisées, produit un impact deux à trois fois supérieur pour des élèves qui sont parmi les plus faibles que pour ceux les plus performants à l’entrée au CP » ([133]), l’effet d’une hausse du niveau scolaire des pairs étant même cinq fois supérieur pour les élèves initialement les plus faibles des classes de terminale.

En promouvant la mixité scolaire, il s’agit de contribuer à l’intégration sociale, professionnelle, des élèves défavorisés, et partant, de conforter la cohésion nationale en remettant l’égalité des chances au centre des préoccupations. Le rapport de France Stratégie cite des travaux de recherche montrant « que pour les élèves de milieu social défavorisé, une augmentation de 10 % des pairs d’origine sociale favorisée induit une hausse de 10 % de leur probabilité de s’inscrire à une formation de l’enseignement supérieur, alors que cela n’a pourtant pas d’effet sur leurs performances scolaires. » ([134]) La mixité sociale peut en conséquence contribuer à la mobilité sociale en incitant les élèves d’origine défavorisée à entreprendre des études supérieures.

À cela s’ajoute le fait que les recherches ont également montré les effets de la mixité sociale sur le fonctionnement même du système scolaire, « notamment parce que la composition sociale et scolaire des établissements détermine leur capacité à attirer des enseignants qualifiés et expérimentés, et à les retenir en leur sein. » ([135])

2.   La mixité sociale dans le système scolaire français

Deux rapports, complémentaires, ont été publiés en 2015, qui dressaient tous deux des constats sans appel.

a.   L’enquête du CNESCO

Le CNESCO a mené avec le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) du Québec une enquête ([136]) au terme de laquelle il a retenu quatre grands constats : le phénomène puissant de ségrégation dans les établissements français ; le quasiimmobilisme, en France, depuis quarante ans dans les politiques publiques sur la mixité sociale à l’école ; les effets très nocifs de la ségrégation à l’école sur les apprentissages et les comportements des élèves ; le fait, enfin, que des politiques ambitieuses de mixité sociale à l’école soient entreprises dans certains pays de l’OCDE.

S’agissant de la situation de la France, le CNESCO soulignait plus particulièrement que la ségrégation sociale était forte entre les établissements scolaires français, un élève de PCS très favorisée ayant presque deux fois plus de camarades aisés dans son établissement qu’un élève de classe moyenne ou populaire. Le rapport du Conseil mettait en évidence « des phénomènes de ségrégation puissants dès le collège, l’existence de ghettos scolaires ainsi que la présence de classes de niveau dans près de 50 % des collèges. » La ségrégation scolaire était deux fois plus importante au lycée qu’au collège et concentrée dans un nombre limité d’établissements.

De fortes différences géographiques étaient constatées, la ségrégation pouvant ainsi être dix fois plus importante dans certains départements que d’autres, les départements ayant une forte ségrégation sociale ayant également une forte ségrégation scolaire.

sÉgrÉgation sociale entre les Établissements (classes de 3e),
par dÉpartement

Source : CNESCO/CSE, dossier de synthèse, page 13 (plus un département est violet foncé, plus la ségrégation sociale dans les collèges est forte)

Le CNESCO soulignait aussi que la moitié de la ségrégation scolaire provenait de la composition des classes, donc de pratiques internes aux établissements – alors même que la mise en œuvre de mesures de ségrégation active, les classes de niveau, est interdite depuis la loi Haby de 1975 sur le collège unique, rappelait le CNESCO – ou autre. Cet état de fait laisse entendre que c’est au niveau du terrain qu’il convient sans doute d’activer des leviers pour inverser ces tendances.

Sur la ségrégation interne aux établissements

« Les explications de la ségrégation entre classes d’un même établissement sont variées. Il faut tout d’abord noter qu’au collège, 75 % de la ségrégation sociale et 55 % de la ségrégation scolaire s’expliquent simplement par le hasard : constituer les classes aléatoirement mène en effet à des niveaux de ségrégation comparables à ceux observés. À l’inverse, on identifie donc 25 % à 45 % d’établissements dont la politique de composition des classes ségrègue activement les élèves. Cette ségrégation ‟activeˮ est en partie le résultat de l’affectation des élèves dans les classes en fonction de leurs options, comme le parcours bilangue en sixième-cinquième, le latin à partir de la cinquième ou la section européenne à partir de la quatrième. Ces options, qui ne sont pas proposées de manière homogène sur tout le territoire, donnent lieu à un regroupement partiel des élèves par classes au sein des établissements, ce qui génère une hiérarchie sociale et scolaire entre ces classes. »

Source : Son Thierry Ly et Arnaud Riegert, « Comment l’école amplifie les inégalités sociales et migratoires ? mixité sociale et scolaire et ségrégation inter- et intra-établissement dans les collèges et lycées français », CNESCO, septembre 2016, page 46

Le CNESCO formulait plusieurs préconisations. Compte tenu de l’urgence sur certains territoires, il appelait tout d’abord à mener des actions immédiates : engager une action d’urgence dans les cent collèges les plus ségrégués ; intégrer des objectifs de mixité sociale lors de la création de tout nouvel établissement ; autoriser et évaluer des expérimentations locales ; assurer une statistique des mixités à l’école. En complément, le CNESCO proposait d’impliquer tous les acteurs : former les personnels de l’éducation pour favoriser la mixité ; créer un bonus à l’orientation pour les élèves des « établissements de nouvelle mixité » ; engager le secteur privé dans les politiques de mixité, par une politique budgétaire incitative ; accompagner les parents. Enfin, le CNESCO proposait d’informer, comprendre et analyser, par une campagne de sensibilisation du grand public, de développer des recherches sur les ségrégations et de mutualiser les bonnes pratiques des établissements.

b.   Les conclusions identiques du CEC

Quelques mois plus tard ([137]), nos collègues Yves Durand et Rudy Salles confirmaient dans leur rapport le haut degré de ségrégation du système scolaire français, supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE. L’école française restait profondément inégalitaire, malgré les obligations légales introduites dans la loi de 2005. Cela se traduisait par une surreprésentation des élèves défavorisés dans les établissements socialement défavorisés, ces mêmes élèves étant inversement peu présents dans les établissements socialement mixtes.

On constatait en outre un accroissement de la ségrégation à l’encontre des élèves défavorisés dans certains établissements publics davantage fuis par les classes moyennes en raison du label attaché à l’éducation prioritaire et à l’assouplissement de la carte scolaire. Enfin, les rapporteurs considéraient que quelque 10 % des établissements étaient de véritables ghettos scolaires, fortement typés sur le plan social et ethnique : 70 % des élèves issus de l’immigration étaient scolarisés dans le quart des établissements affichant la plus forte proportion de cette population.

Les facteurs de ségrégation étaient nombreux et puissants, ancrés dans une longue tradition de séparatisme scolaire, remontant à la Troisième République : affectation des élèves d’origine modeste dans des structures particulières, de ceux d’origine très favorisée dans des structures d’excellence ; recherche de l’entre-soi et stratégies d’évitement de la carte scolaire ; dualisme du système éducatif, avec un système privé bénéficiant d’un double avantage concurrentiel (sélection possible des effectifs et non soumis à la carte scolaire).

L’école républicaine de la Troisième République

« ‟L’école de Jules Ferryˮ affirme le droit à l’éducation de tous par la scolarité obligatoire, et le droit à la même école par des programmes nationaux et une pédagogie ‟nationaleˮ mise en œuvre par des instituteurs formés dans les mêmes Écoles normales. Cette école est soudée par un ensemble de valeurs et de principes visant à produire des citoyens éclairés, compétents et partageant le même imaginaire national, les mêmes conceptions de la culture, de la science et du progrès.

Mais en même temps que cette école est portée par un projet universel, elle reste profondément divisée en fonction des sexes et des classes sociales. (…) À côté de l’école du peuple, l’école de la République, se maintient l’école des élites sociales et scolaires, celles des petits lycées préparant aux études longues et celles des collèges alors relativement élitistes. La bourgeoisie forme les futures élites dans des écoles distinctes et (…) il convient de bien distinguer l’école primaire, les lycées et les écoles ‟spécialesˮ, c’est-à-dire les écoles professionnelles. Au fond, le projet universaliste de l’école républicaine se coule dans une société des classes dont elle épouse les clivages sociaux. Elle adhère aussi aux clivages de sexes en séparant les filles et les garçons. Les pères fondateurs de l’école républicaine ne parlent guère d’égalité sociale et moins encore d’égalité des chances. (…)

L’école de la République ne veut pas seulement instruire le peuple et former des citoyens, elle a aussi pour objectif de sélectionner les ‟sous-officiersˮ de la République, les employés, les fonctionnaires et les professionnels dont l’État et l’économie ont besoin. Avec l’élitisme républicain, le maître doit distinguer les enfants du peuple les plus vertueux, les plus doués et les plus travailleurs, afin qu’ils accèdent à l’École normale et au collège où, grâce au brevet élémentaire, ils deviendront les fonctionnaires de la République. L’élitisme républicain n’est donc pas l’égalité des chances, il repose sur la sélection précoce des élèves qui accèderont aux fonctions intermédiaires dont la nation a besoin. Même si quelques-uns finiront par rejoindre l’élite de l’élite, il reste que ‟l’ascenseur socialˮ montait d’autant plus que bien peu d’élèves l’empruntaient. »

Source : François Dubet, « Inégalités scolaires : structures, processus et modèles de justice », op. cit., pages 112-114

Pour les rapporteurs, la ségrégation était protéiforme et porteuse d’effets délétères, en renforçant les inégalités d’apprentissage entre élèves. Ils formulaient un certain nombre de recommandations : une meilleure connaissance de la mixité sociale et scolaire pour mieux l’évaluer ; une mobilisation des équipes pédagogiques, promouvant notamment une organisation pédagogique propice à la mixité scolaire, en faisant de l’hétérogénéité sociale et scolaire le principe clef de l’organisation pédagogique des établissements, en redéployant les moyens alloués à l’enseignement privé en faveur de ceux souscrivant des engagements de promotion sociale et scolaire et en accompagnant les collectivités territoriales. D’autres propositions portaient sur la carte scolaire, notamment en matière d’implantation d’établissements et de sectorisation, ainsi que visant à répartir de manière plus équitable l’offre d’enseignements et à instituer un dispositif d’évaluation des établissements.

B.   UNE ACTION PUBLIQUE INSUFFISANTE ET EN MANQUE DE COHÉRENCE

Comme vos rapporteures l’ont rappelé, l’article L. 111-1 du code de l’éducation donne à l’enseignement scolaire la mission de contribuer à l’égalité des chances, de lutter contre les inégalités sociales et territoriales et de veiller également à la mixité sociale. Cela dit, la DEPP relève que « à l’échelle nationale, la mixité sociale entre collèges a relativement peu varié entre 2003 et 2022 » ([138]). Rien n’a vraiment changé depuis les travaux du CNESCO et du CEC, dont les recommandations sont restées en grande partie lettre morte.

Des expérimentations intéressantes ont néanmoins été lancées, soit à l’initiative du ministère, soit d’autres acteurs. Les résultats incitent à s’interroger sur l’importance réellement attachée à la mixité.

1.   L’action du ministère de l’éducation nationale

Depuis plusieurs années, le ministère de l’éducation nationale a fait de la mixité sociale et scolaire l’une de ses priorités. En témoignent par exemple les circulaires de rentrée dans lesquelles les ministres tracent la feuille de route annuelle du système scolaire et déclinent leurs objectifs. La question de la mixité y est traitée avec plus ou moins de détails.

a.   Une priorité continûment affichée

La circulaire de rentrée 2024 précise par exemple que « (…) la recherche d’une plus grande mixité sociale et scolaire doit s’imposer comme une évidence », et le ministre Pap N’Diaye poursuit : « Je demande donc aux recteurs de veiller, dès cette rentrée, à utiliser l’ensemble des outils à disposition pour renforcer la mixité sociale et scolaire à compter de la rentrée 2024 : ouverture de nouveaux dispositifs pédagogiques attractifs (sections internationales, classes bilangues, classes à horaires aménagés, etc.) ; accompagnement des collectivités territoriales dans les démarches de re-sectorisation ; politique volontariste en matière de dérogation à la carte scolaire pour les élèves boursiers, indépendamment de leur niveau scolaire. Les établissements privés sous contrat, dans le cadre, pour l’enseignement catholique, d’une convention signée avec le ministère de l’éducation nationale et de la Jeunesse, participeront également à ce nécessaire effort collectif. » ([139])

La précédente circulaire mentionnait l’ouverture de nouveaux internats d’excellence, l’implantation de cursus d’excellence dans les établissements les moins favorisés et l’accueil d’élèves boursiers dans les établissements les plus favorisés. Le ministre précisait que 43 nouvelles sections internationales ouvriraient dans des collèges parmi les plus défavorisés, et que 94 lycées et 230 collèges parmi les plus favorisés étaient engagés dans une stratégie de plus grande ouverture aux élèves boursiers. En outre, des objectifs de réduction des écarts sociaux entre collèges et entre lycées, concertés avec les équipes éducatives et les collectivités territoriales, devaient être fixés dès cette année dans chaque académie, en tenant compte des différences de situation entre les territoires ([140]).

Quelles que soient les formulations employées, le sujet est central pour les différents ministres qui insistent sur la nécessité de toujours faire plus et mieux en matière d’égalité des chances. Jean-Michel Blanquer, rappelant ce qui avait été mis en œuvre depuis trois ans dira ainsi dans la circulaire qu’il signera pour la rentrée 2021 que « ces mesures, si elles ont fait la preuve de leur efficacité, ne suffisent cependant pas. Il nous faut renforcer la mixité sociale des établissements pour permettre à nos élèves de faire l’expérience de leur communauté de destin », avant de détailler les décisions prises pour ce faire, au profit d’élèves boursiers, en matière de multi-sectorisation ou d’attractivité des établissements les moins favorisés ([141]).

Sous le quinquennat précédent, d’autres mesures avaient été mises en œuvre par la ministre Najat Vallaud Belkacem, notamment le lancement de vingt projets expérimentaux en 2016, puis de 80 autres en 2017, sur la base de diagnostics‑territoriaux, conçus de manière partenariale, notamment avec les collectivités, et bénéficiant d’un accompagnement scientifique pour mesurer les effets des solutions retenues ([142]).

b.   Les moyens consacrés à la mixité

Bruno Chiocchia, sous-directeur de la performance et des politiques éducatives territoriales au sein de la DGESCO, resituait la question en indiquant ([143]) que le ministère de l’éducation et de la Jeunesse déployait différents dispositifs dans le cadre d’une action globale et cohérente visant à élever le niveau général des élèves et garantir l’égalité des chances, c’est-à-dire réduire l’impact des déterminismes sociaux, géographiques, culturels.

S’agissant des sections internationales, qui étaient massivement implantées dans les collèges favorisés – et au sein desquels ce sont aussi les élèves les plus favorisés qui y participent – Bruno Chiocchia rappelait la création de sections internationales en REP à la rentrée 2022, suivie de quinze autres à la rentrée 2023. Une dizaine de projets devraient voir le jour dans les établissements à l’IPS le plus faible à la rentrée 2024. Il ajoutait qu’une réponse a priori négative est faite aux propositions d’ouverture dans les établissements favorisés. Aujourd’hui, 22 % des sections internationales sont implantées en éducation prioritaire, et ces efforts en faveur de l’implantation de sections attractives présentent un intérêt en terme de mixité sociale car ces classes sont à recrutement ciblé c’est-à-dire hors sectorisation.

Selon d’autres précisions données par le ministère ([144]), la politique de renforcement de la mixité sociale et scolaire vise à l’augmenter de 20 % d’ici à 2027 selon quatre axes prioritaires développés à la rentrée scolaire 2023, accompagnés par le déploiement de moyens supplémentaires. Il s’agit de :

 Diversifier l’offre de formation des établissements les moins favorisés. 45 sections internationales – cursus d’excellence jusqu’alors majoritairement implantés dans des collèges favorisés – ont été implantées dans des collèges défavorisés à la rentrée 2022, suivies de quinze nouvelles sections à la rentrée 2023. Cela contribue à l’enrichissement de l’offre pédagogique dans les établissements les moins favorisés, mis en œuvre aussi par l’implantation de l’enseignement optionnel français et culture antique en 6ème, de classes à horaires aménagés (musique, danse, théâtre, etc.), de sections sportives ou encore de classes bilingues ;

 Garantir l’égalité des chances en renforçant la mixité sociale et scolaire. 230 collèges et 94 lycées publics favorisés se sont vus attribuer en 2021 et 2022 des objectifs de progression de leur taux de boursiers adaptés à leur capacité d’accueil et au contexte local. Cette mesure a été étendue en 2023 à 300 autres établissements publics favorisés qui peuvent notamment s’engager à renforcer les dispositifs existants – cordées de la réussite, soutien, tutorat/mentorat, École ouverte, mobilisation des fonds sociaux, etc ‑ à réaliser des actions de communication, d’accompagnement et de sensibilisation des familles et des établissements d’origine. Ils peuvent aussi accompagner la mobilité des élèves scolarisés en éducation prioritaire ou résidant dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) ou en territoires ruraux, avec la proposition d’intégrer des internats d’excellence ;

 Agir sur l’affectation des élèves en collège et en lycée. Le ministère encourage et accompagne la constitution de secteurs multi-collèges ou multi-lycées afin de rééquilibrer le recrutement social. Ainsi, en 2022, la sectorisation multi-collèges mise en œuvre dans 41 départements répartis dans 25 académies, concernant 115 collèges et près de 9 000 élèves, (alors que quelque 760 000 élèves sont affectés en 6e chaque année). De même, des secteurs multi-lycées sont mis en œuvre dans les centres-villes de grandes agglomérations, identifiés localement par les recteurs d’académie, en concertation avec les collectivités (communes et régions) ;

– Poursuivre l’effort budgétaire pour accroître la mixité sociale et scolaire. Plusieurs dispositifs visant à accroître la mixité sociale et scolaire font l’objet d’un financement inscrit en loi de finances, 40 M€ étant notamment consacrés à l’effort d’extension ou de réhabilitation des internats d’excellence, en vue de labelliser 3 000 places. Cet effort poursuit les opérations engagées qui portent sur près de 4 400 places. Une centaine d’emplois supplémentaires ont été délégués aux académies pour appuyer les sections internationales des collèges défavorisés. Le ministère indique en outre la contribution du Fonds d’innovation pédagogique à l’objectif de mixité à travers les projets choisis et financés.

c.   Des mesures intéressantes mais insuffisantes

Ces mesures sont certes positives mais selon les observateurs, elles sont loin de pouvoir régler le problème.

Le sociologue Pierre Merle juge par exemple que cet ensemble de mesures visant au rééquilibrage du recrutement des élèves en collèges est finalement cosmétique : au mieux, cela concernera en effet moins de 4 % des 5 300 collèges publics. Il s’agit en conséquence plus d’une « expérimentation élargie que d’une véritable politique susceptible de réduire significativement la ségrégation scolaire. » ([145]) Dans le même ordre d’idées, il souligne que seules seize sections internationales devraient être ouvertes en 2023, ce qui est symbolique, « faute de repenser l’ensemble de l’offre pédagogique (sections européennes et bilingues, options linguistiques, artistiques, etc.), beaucoup plus étoffée dans les collèges et lycées favorisés. » Pour leur part, au terme de leur évaluation sur les expérimentations en cours à Paris, les analystes de l’IPP ([146]) jugent également « illusoire » d’espérer résoudre le problème de la mixité par des mesures telles que les multi-collèges et invitent à inclure dans la réflexion l’enseignement privé, financé à 75 % sur fonds publics.

En effet, le déséquilibre très fort entre établissements de l’enseignement privé et de l’enseignement public, enjeu crucial s’il en est, ne devrait pas être atténué par ces mesures.

2.   Le point sur les expérimentations en cours

La politique de mixité sociale au collège menée par le ministère depuis quelques années a fait l’objet d’une évaluation récente par le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) ([147]).

a.   Les secteurs multi-collèges

En 2015, la ministre de l’éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem, a lancé une initiative nationale en faveur de la mixité sociale au collège qui visait à favoriser la cohésion sociale et à promouvoir une plus grande égalité des chances en réduisant la ségrégation sociale entre les établissements scolaires. L’initiative a mobilisé des rectorats, des directeurs académiques départementaux, des conseils départementaux et des chefs d’établissement pour imaginer des solutions adaptées à chaque territoire. 22 sites, comprenant entre deux et six collèges publics chacun, pour un total de 56 collèges publics situés en France métropolitaine, se sont engagés.

Plusieurs approches ont été combinées. Une première approche a consisté à mettre en place des secteurs multi-collèges ([148]). Une deuxième approche a consisté à créer des secteurs multi-collèges sans mise en place d’une procédure de choix régulé. Une troisième approche a modifié la sectorisation des collèges, pour essayer de rééquilibrer la composition sociale de leur bassin de recrutement ([149]). Une quatrième approche a consisté en la fermeture ou l’ouverture d’établissements, de manière à reconfigurer les secteurs des collèges environnants pour favoriser une plus grande mixité sociale. Enfin, une cinquième approche a été d’implanter des sections à recrutement spécifique (sections musique, sections bi-langues, sections européennes, sections internationales) dans des collèges socialement défavorisés, afin de rendre ces établissements plus attractifs auprès des familles favorisées et de faire reculer l’évitement vers le privé.

Le bilan, selon l’étude du CSEN, montre un impact global limité sur la mixité sociale. Si en moyenne, les taux d’exposition ont augmenté dans les 56 collèges pilotes de manière statistiquement significative par rapport aux 56 collèges témoins, cette progression a toutefois été limitée : le taux d’exposition des élèves défavorisés aux élèves favorisés est passé de 31 % à 34 % en trois ans, tandis que le taux d’exposition des élèves favorisés aux élèves défavorisés est passé de 52 % à 57 % ([150]). Les actions engagées ont donc légèrement rapproché les collèges concernés d’une situation hypothétique de parfaite mixité sociale sur l’ensemble du territoire.

Les données montrent aussi que les effets sur la mixité sociale au sein des classes d’un même collège sont du même ordre de grandeur qu’au niveau du collège. Les actions mises en œuvre pour réduire la ségrégation sociale entre les collèges des sites pilotes n’ont donc pas eu pour effet de renforcer la ségrégation interne à ces établissements.

Enfin, on ne constate pas d’effet d’évitement vers le privé, les proportions d’élèves inscrits dans le secteur privé ou dans un collège public situé en dehors du site n’ont pas varié de manière significative dans les sites pilotes par rapport aux sites témoins suite à la mise en œuvre des actions en faveur de la mixité sociale.

b.   Un regard sur le contexte parisien

Paris présente en effet un profil particulier puisque l’offre scolaire privée y concerne 35 % des collégiens et accueille sept fois moins d’élèves issus de milieux sociaux défavorisés que les établissements publics. Cette situation unique la met en position d’être aussi « la capitale de la ségrégation sociale au collège. » ([151]) Un certain nombre de facteurs expliquent cette spécificité, notamment les caractéristiques sociales de certains quartiers parfois en partie reproduites par la sectorisation, l’offre scolaire différenciée en fonction des collèges ainsi que les stratégies d’évitement de certains établissements au profit d’autres bénéficiant d’une image plus positive.

Les services académiques et la ville de Paris se sont dotés d’un outil, « l’Observatoire parisien de la mixité sociale et de la réussite éducative » (OPMIRE), créé en février 2018, qui a pour première mission d’étudier le phénomène de ségrégation scolaire pour en avoir une meilleure connaissance, au niveau inter et intra établissement. Il est également chargé de proposer des pistes pour lutter plus efficacement contre la ségrégation au sein des établissements scolaires parisiens et d’accompagner les efforts déjà engagés : les secteurs multi-collèges mis en place à partir de 2017, le dispositif « Tous mobilisés » ([152]), ou encore, les dotations pédagogiques. Depuis 2020, les collèges publics et privés sous contrat parisiens voient leur dotation à l’élève modulée selon trois indicateurs de niveau social et scolaire : le taux d’élèves boursiers au sein de l’établissement (quel que soit l’échelon), l’indice de position sociale moyen au sein de l’établissement et la moyenne des notes aux épreuves écrites du brevet ([153]).

recrutement social des collÈges publics et privÉs à Paris, rentrÉe 2019

Source : Julien Grenet et Youssef Souidi, op. cit., page 33

Une expérimentation a été lancée à la rentrée 2017 pour tenter de réduire la ségrégation sociale entre les collèges de la capitale. Elle est conduite par la Ville et l’Académie de Paris, via un dispositif de secteurs multi-collèges, consistant à définir des secteurs communs à plusieurs collèges géographiquement proches mais présentant des compositions sociales contrastées, dans le but de rééquilibrer leur recrutement social.

Au terme d’une première phase, l’évaluation est jugée positive et encourageante. Les auteurs constatent que certaines des modalités de l’expérimentation se sont traduites par une mixité en forte progression, au point que les objectifs ont été atteints, même si les résultats sont moins flagrants pour d’autres modalités. Pour positive que soit la démarche, qu’ils jugent utilement reproductible dans les grandes agglomérations – comme Bordeaux, Lille, Marseille ou Toulouse – où la configuration urbaine est comparable, les auteurs estiment toutefois qu’« il serait illusoire de croire que l’objectif de mixité sociale puisse être réalisé par le seul moyen des secteurs multi-collèges. » ([154])

Une analyse tout à fait comparable peut être faite en ce qui concerne le bilan de la réforme d’Affelnet à Paris, entrée en vigueur en 2021. Aux quatre grands secteurs antérieurs qui divisaient Paris et entraînaient de forts effets d’évitement et de ségrégation dans certains établissements traditionnellement défavorisés, a été substitué un dispositif aux termes duquel chaque collège a été associé à un secteur de cinq lycées, dans lesquels tous les élèves de ce collège sont assurés d’avoir une place, permettant de rapprocher des lycées côtés différemment – très bons, intermédiaires, moins bons.

Le troisième bilan montre une nette évolution de la ségrégation sociale entre 2019, avant la réforme, et la rentrée 2023, trois ans après la réforme.

Évolution de la sÉgrÉgation sociale À Paris entre 2019 et 2023

Source : Rectorat de Paris, comité de suivi Affelnet, mars 2023

Ces changements importants laissent entendre que les mesures qui ont été prises sont positives, d’autant que le comité de suivi n’a pas constaté d’évitement, à savoir de fuite vers le privé. Les auteurs soulignent en effet que la proportion de collégiens du public qui s’inscrivent dans un lycée GT privé est faible (3 % à 4 % par an) et ce flux reste inférieur à celui des collégiens du privé qui s’inscrivent dans un lycée public. Malgré cela, la part de l’enseignement privé continue d’augmenter considérablement, du fait de la baisse démographique en cours depuis quelques années, qui laisse penser que d’ici dix ans, elle pourrait être supérieure dans les collèges à celle du public à Paris.

Les pistes d’amélioration en débat selon France Stratégie

– L’amélioration de la mixité sociale dans l’enseignement comme priorité nationale ;

– Le renforcement de l’attractivité des établissements les plus défavorisés ;

– Une action sur la sectorisation pour diversifier la composition sociale au collège et au lycée ;

– La redéfinition des critères d’affectation pour y inclure des objectifs de mixité ;

– Une plus grande contribution du secteur privé sous contrat.

Vos rapporteures souscrivent entièrement à ces recommandations et invitent à les entreprendre ou à conforter les travaux d’ores et déjà entamés.

C.   LA QUESTION CENTRALE DE L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ

Il est important de relever l’écart social grandissant entre l’enseignement public et l’enseignement privé et la part très insuffisante que l’enseignement privé assume dans la politique en faveur de la mixité.

Le contraste social entre les collèges publics et les collèges privés qui apparaît par exemple sur la figure ci-dessous est en effet saisissant : les collèges parisiens qui accueillent le moins d’élèves de PCS défavorisées sont presque tous privés (à gauche sur le graphique), les collèges les plus défavorisés étant exclusivement des collèges publics (à droite sur le graphique).

Proportion d’ÉlÈves des PCS dÉfavorisÉes par collÈge À paris, rentrÉe 2019

Source : Julien Grenet et Youssef Souidi, op. cit., page 34

1.   La surreprésentation croissante des classes favorisées dans l’enseignement privé

Selon les dernières données publiées par la DEPP, « l’écart entre les secteurs public et privé s’est creusé, le privé devenant de plus en plus favorisé socialement ». On constate en effet que si, sur l’ensemble des collégiens, la répartition des élèves de classe défavorisée est à peu près similaire à celle des élèves de classe favorisée – 38 % et 36 % respectivement – en revanche, « les établissements du secteur privé sous contrat scolarisent davantage d’élèves d’origine sociale favorisée ou très favorisée (56 %) que ceux du secteur public (31 %). » ([155]) En outre, cette surreprésentation des classes favorisées dans les établissements privés s’accroît sur la longue période : en 2022 la part de catégories sociales très favorisées avait augmenté de 11 points de pourcentage dans les collèges privés par rapport à 2003, contre 2 points dans les collèges publics. Inversement, la proportion des élèves d’origine défavorisée dans les collèges privés est passée dans le même temps de 27 % à 18 %, comme le met en évidence le diagramme ci-dessous.

Évolution des Écarts de composition sociale entre collÉgiens du secteur public et du secteur privÉ parmi les entrants en sixiÈme (en points de %)

Source : DEPP, note n° 23.37, juillet 2023

Cet accroissement semble en outre être désormais plus rapide : la DEPP indique qu’à la rentrée 2022, 41,7 % des élèves du secteur privé sous contrat sont de milieu social très favorisé ; ils étaient 40,1 % à la rentrée précédente. En parallèle, à la rentrée 2022, 16 % des élèves du secteur privé sous contrat sont de milieu défavorisé, contre 18,3 % à la rentrée 2021 ([156]).

RÉpartition des collÉgiens selon leur origine sociale aux rentrÉes 2003, 2012 et 2022 (en %)

Source : DEPP, op. cit., page 17

En d’autres termes, la proportion des élèves de milieux très favorisés ne cesse d’augmenter dans l’enseignement privé – plus 1,6 % entre 2021 et 2022 –tandis que celle des élèves de milieux défavorisés décroît, et cet écart ne cesse de progresser.

Évolution des proportions de PCS dans le second degrÉ depuis 2000

Source : Cour des comptes, « L’enseignement privé sous contrat », page 63

Le sociologue Pierre Merle indiquait ([157]) que ses recherches sur la période 2017-2022 sur l’évolution de la mixité en termes d’indice de position sociale (IPS) ([158]) montraient que celui des lycées privés est supérieur à celui des lycées publics, quelle que soit la catégorie de lycée, et que l’écart s’est creusé entre 2017 et 2022.

L’indice de position sociale (IPS)

L’indice de position sociale (IPS) permet d’appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents. La première version de l’IPS, publiée en 2016, a été actualisée en 2022.

L’IPS d’un établissement est un indicateur qui résume les conditions socio-économiques et culturelles des familles des élèves qu’il accueille. Il permet de rendre compte des disparités sociales existantes entre établissements, ainsi qu’à l’intérieur d’entre eux.

Concrètement, les valeurs de référence de l’indice pour chaque PCS, ou couple de PCS, sont déterminées grâce à l’analyse de données d’enquêtes statistiques : les panels d’élèves de la DEPP. Ces panels sont des dispositifs de suivis de cohortes composées de plusieurs milliers d’élèves représentatifs des élèves scolarisés en France. Ils permettent notamment, via des enquêtes auprès des familles des élèves, de recueillir des informations très précises sur les conditions socio-économiques et culturelles des familles, telles que les niveaux de diplômes, les conditions matérielles, les pratiques culturelles, etc. Ces caractéristiques sont synthétisées par PCS au moyen d’une analyse factorielle. L’IPS d’une PCS donnée est ainsi le résumé quantitatif d’un certain nombre d’attributs socio-économiques et culturels favorables à la réussite scolaire, que l’on retrouve en moyenne pour cette PCS. L’IPS permet ainsi d’attribuer un ‟scoreˮ aux PCS en fonction de multiples dimensions favorables à l’apprentissage.

Source : DEPP, « L’indice de position sociale, un outil statistique pour décrire les inégalités sociales entre établissements », note d’information n° 23-16, mars 2023

Pour les lycées d’enseignement général et technologique, en cinq ans, l’IPS des lycées privés est passé de 122 à 126, cependant qu’il restait stable (113) dans les lycées publics. Pour les lycées polyvalents, l’augmentation de l’IPS des lycées privés a été de 13 points (de 106 à 119) contre 7 points pour les lycées publics (de 99 à 106). Pour les lycées professionnels, l’IPS des lycées privés a augmenté de 17 points (de 86 à 103) alors que celui des lycées publics est stable (86) sur la même période.

Une analyse plus fine lui permet également de montrer que dans les 10 % de lycées les plus défavorisés, en 2017, 22 % étaient privés et 78 % publics. Inversement, dans les 10 % de lycées les plus favorisés (IPS supérieur à 137), 74 % étaient privés et 26 % publics. En 2022, seuls 6 % des lycées privés figurent dans le premier décile des établissements les plus défavorisés, 94 % étant publics. Cela traduit en seulement cinq ans une forte évolution de la composition sociale des lycées privés, que Pierre Merle analyse comme un processus de déprolétarisation et d’embourgeoisement.

Le phénomène observé est encore plus flagrant pour les collèges, puisque, en 2017, parmi les 10 % de collèges les plus défavorisés, 6 % étaient privés et 94 % publics. En 2022, il n’y avait plus que 0,5 % d’établissements privés parmi les plus défavorisés, soit concrètement, une quarantaine d’établissements sur les 700 relevant de cette catégorie. Ces données confirment le déséquilibre important dans la composition des lycées publics et privés que la Cour des comptes a critiqué dans un rapport récent ([159]).

2.   Une administration sourde aux recommandations

Il y a longtemps que des alertes sont lancées sur ce déséquilibre important et que de nombreuses recommandations sont faites au gouvernement pour amener l’enseignement privé à assumer ses obligations légales en matière de mixité.

a.   Des recommandations aussi nombreuses que sans effet

Les analyses du CNESCO comme du CEC étaient de ce point de vue sans ambiguïté.

Le CNESCO soulignait l’inefficacité des politiques publiques en France, se traduisant par une situation figée depuis quarante ans, en matière de sectorisation ou d’affectation. « L’enseignement privé sous contrat doit contribuer à l’objectif national de mixité à l’école », concluait-il et parmi les solutions proposées, il invitait les pouvoirs publics à mener une politique budgétaire incitative liant les ressources de l’enseignement privé « dont les moyens d’enseignement, avec les efforts accomplis en matière de mixité sociale dans ses établissements. Ses efforts sont notamment évalués au regard de la composition sociale et scolaire des élèves accueillis dans les établissements privés. »

Cela faisait aussi partie des propositions des rapporteurs du CEC, tout aussi fermes dans leur analyse. Ils estimaient que l’engagement de l’enseignement privé en faveur de la mixité devait être formalisé dans une politique partenariale, suivant en cela les recommandations formulées par Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, et soutenu par une démarche incitative, les établissements volontaires recevant des moyens supplémentaires prélevés sur ceux des autres établissements privés. Leur proposition n° 5 consistait en conséquence à « redéployer les moyens alloués à l’enseignement privé sous contrat en faveur des établissements qui souscrivent à des engagements de promotion des mixités sociale et scolaire, dans le cadre d’accords conclus avec les autorités académiques » ([160]).

En complément, les rapporteurs proposaient une politique incitative pour encourager les implantations d’établissements privés sous contrat dans les quartiers défavorisés, afin de favoriser les mixités sociale et scolaire, via un accompagnement par les collectivités territoriales en partenariat avec l’État, au moyen des aides financières octroyées dans les limites fixées par la loi, et sans déstabiliser les établissements publics existants ([161]).

Vos rapporteures peuvent encore citer l’IPP qui attirait récemment l’attention sur le fait que, dans la mesure où quelque 75 % de ses ressources sont publiques, il y a une certaine légitimité à exiger que l’enseignement privé prenne toute sa part à cet effort essentiel. Les auteurs concluaient en effet leur étude sur la mixité dans les établissements parisiens en jugeant notamment que « le renforcement de la mixité sociale dans les collèges parisiens ne peut notamment faire l’économie d’une réflexion sur les moyens d’associer l’enseignement privé à cette démarche. L’enseignement privé représente en effet un obstacle considérable au renforcement de la mixité sociale dans les collèges publics, dans la mesure où les comportements d’évitement vers ces établissements (qui scolarisent plus d’un tiers des collégiens à Paris) expliquent près de la moitié de la ségrégation sociale observée, alors que ces établissements sont subventionnés à hauteur de 75 % par l’État et les collectivités locales. » ([162]) Dans cet ordre d’idées, un auteur comme Pierre Merle estime également qu’« une dotation budgétaire variable selon le profil social des élèves serait une incitation pour les établissements privés, mais également pour les établissements publics au recrutement aisé, à scolariser davantage d’enfants d’origine populaire. Il est aussi possible de baisser la dotation des établissements dont le recrutement social est le plus aisé. » ([163])  

Cette position est enfin partagée depuis des années par la Cour des comptes. Dans le rapport thématique qu’elle a présenté en juin 2023 ([164]), elle rappelle qu’en 2018, elle avait déjà recommandé « d’associer les établissements privés sous contrat concernés aux processus d’évolution de la carte scolaire et les inciter à scolariser des élèves qui reflètent mieux les caractéristiques sociales et scolaires de la population de la zone de recrutement », étant entendu « qu’aucune réforme de la carte scolaire ne parviendrait à limiter les inégalités scolaires et à favoriser la mixité si les établissements privés sous contrat d’association n’étaient pas associés au processus » ([165]).

Or, cinq ans plus tard, la Cour constatait que « le MENJ, dans sa stratégie pour améliorer la mixité scolaire, n’a pas encore sollicité les établissements privés sous contrat, bien que leur situation soit de plus en plus déséquilibrée à cet égard. Ainsi, les expérimentations sur la mixité sociale au collège engagées depuis 2016 dans 12 départements, dont Paris, n’ont pas concerné d’établissement privé sous contrat, même s’ils ont été associés à la réflexion dans certains territoires, comme Paris, ou encore Redon. Seuls les établissements publics sont concernés par les nouvelles mesures déployées pour favoriser la mixité scolaire dans la circulaire de rentrée 2022 où pourtant cet objectif apparaît comme prioritaire. » ([166]) Logiquement, parmi les recommandations qu’elle formule figure en conséquence celle d’« intégrer, dans les modèles d’allocation des moyens aux établissements privés sous contrat, des critères tenant compte du profil des élèves scolarisés, des caractéristiques spécifiques de l’établissement, notamment géographiques, en s’appuyant sur un contrat d’objectifs et de moyens signé par chaque établissement privé sous contrat, le rectorat et éventuellement la collectivité territoriale de rattachement. »

Proposition n° 3 : Systématiser les accords entre autorités académiques et établissements d’enseignement privé sous contrat et conditionner les moyens qui leur sont alloués au respect des engagements de promotion des mixités sociale et scolaire.

b.   Ingénuité de l’administration ?...

« Depuis plusieurs années, le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) développe, en lien avec le ministère, une politique active en faveur de la mixité sociale et scolaire, en dotant chaque année son plan en faveur des réussites de plusieurs dizaines d’emplois, en créant une dotation spécifique permettant de soutenir la délocalisation ou la création d’établissements en vue d’améliorer la mixité sociale et scolaire des établissements catholiques d’enseignement, ou encore en attribuant aux établissements les plus actifs en matière de mixité d’une dotation horaire complémentaire. » ([167]) À en juger par les travaux de recherches des experts et les statistiques de la DEPP, force est de constater que les résultats de cette politique sont pour le moins modestes.

En mai 2023, le ministre de l’éducation nationale et le secrétariat général de l’enseignement catholique ont signé un « protocole d’accord relatif au plan d’action favorisant le renforcement des mixités sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement privé associés à l’État par contrat relevant de l’enseignement catholique. »

Le texte considère que la « diversité, d’origines et de niveaux, est un facteur majeur de réussite individuelle et collective », raison pour laquelle le ministère engage un plan d’action structuré et concerté avec l’ensemble des acteurs concernés, mobilisant l’ensemble des leviers disponibles au niveau national, académique et départemental, portant sur le renforcement de l’attractivité des établissements publics, notamment ceux situés dans des zones défavorisées, ou accueillant principalement des élèves issus de familles moins aisées, mais aussi en renforçant la mixité sociale et scolaire dans l’enseignement privé sous contrat. Objectif de mixité que l’enseignement catholique déclare partager, « déjà la réalité de nombre de ses établissements et dont il a fait l’un des programmes stratégiques de sa démarche prospective », qu’il met en œuvre via une politique active depuis plusieurs années avec le ministère. Néanmoins, les deux parties partagent le constat de la différence persistante et trop importante de composition sociale et scolaire dans les mêmes secteurs géographiques entre les établissements d’un même réseau ou entre établissements publics et privés.

Le protocole de mai 2023 se décline en plusieurs axes : la constitution d’une base d’informations partagées ; le renforcement de la mixité sociale pour la réussite de tous les élèves, essentiellement en jouant sur le coût de la contribution des familles, afin de ne pas pénaliser les familles défavorisées ; une plus grande attention portée à la mixité scolaire des établissements, en renforçant notamment l’accueil des élèves à besoin éducatifs particuliers ; la question de l’implantation des nouveaux établissements est également abordée.

Pour opportunes que paraissent ces orientations, il convient de les remettre dans leur contexte, qui montre que les pratiques tant du ministère que de l’enseignement catholique sont assez éloignées de ce qu’affirme le protocole.

Dans son rapport de juin 2023 ([168]), la Cour des comptes pouvait ainsi s’étonner de la manière dont sont parfois appliquées certaines des dispositions du code de l’éducation, lequel prévoit, entre autres, les conditions nécessaires à la conclusion des contrats entre les établissements de l’enseignement privé et l’État, en particulier le « besoin scolaire reconnu », en regard des plans régionaux, étant entendu que ces conditions, « portent notamment sur le respect des règles et critères retenus pour l’ouverture et la fermeture des classes correspondantes de l’enseignement public, toutes conditions de fonctionnement étant égales » ([169]).

En pratique, la Cour constate cependant que les choses se passent de manière très différente puisqu’elle indique : « Ainsi, bien que théoriquement responsables de la répartition des moyens dans leur académie, certains rectorats sont contraints d’accepter des ouvertures de classes proposées par le réseau catholique ou d’autres réseaux, qui leur paraissaient parfois difficilement compréhensibles au regard de l’évolution des effectifs globaux d’élèves. Dans un second temps, les rectorats doivent en effet procéder en théorie à un dialogue de gestion avec les représentants des réseaux afin de répartir les moyens académiques et décider localement des ouvertures et des fermetures de classes, en dehors des moyens spécifiquement fléchés. Par ailleurs, les moyens des autres réseaux, compte tenu de leur taille, restent gérés au niveau central et font l’objet d’une discussion avec les responsables des réseaux concernés. Dans plusieurs rectorats visités au cours de l’enquête, des personnels auditionnés ont regretté certaines ouvertures de classes, en particulier dans des zones urbaines où les collèges publics présents pouvaient scolariser sans difficulté l’ensemble des élèves alors que ces moyens d’enseignement auraient pu servir à conforter la situation d’établissements privés sous contrat plus en difficulté sociale. » ([170])

Contacté pour savoir où en était la mise en œuvre de ce protocole, le ministère de l’éducation nationale a indiqué à vos rapporteures qu’il n’était pas prévu de point d’étape avant la rentrée prochaine et ne pas disposer d’éléments susceptibles de leur apporter de précisions.

Quoi qu’il en soit, on peut s’interroger et se demander si les dispositions de ce protocole sont réellement à la hauteur de l’enjeu et de nature à faire en sorte que l’enseignement privé participe réellement à ses obligations.

II.   LES DISPOSITIFS TOURNÉS VERS L’ACCÈS À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

L’égalité des chances et la lutte contre les inégalités sociales et territoriales auxquelles le service public de l’éducation nationale doit contribuer pour favoriser la réussite scolaire et éducative des élèves supposent que l’action publique se consacre à contrebalancer le poids des déterminants socioculturels.

L’impact négatif de ces déterminants sur les ambitions des jeunes conditionnent leurs choix, leurs parcours et leurs réussites scolaires et universitaires. En ce sens, comme le soulignait Louis-André Vallet ([171]), il est indispensable que les politiques publiques ciblent les enfants et les jeunes des milieux les plus défavorisés et concentrent sur eux les efforts dans le domaine de l’éducation. Parmi les nombreux sujets, trois sont emblématiques, qui touchent à l’orientation des collégiens et lycéens, à l’accès à l’enseignement supérieur et enfin à la réussite des étudiants.

A.   ENTRE AUTOCENSURE ET IGNORANCE, L’ORIENTATION NE REBAT TOUJOURS PAS SUFFISAMMENT LES CARTES

L’orientation des élèves des collèges et des lycées est fortement conditionnée par les facteurs identifiés pour leur impact sur la mobilité sociale.

« La problématique de l’égalité des chances et de la faible diversité est accrue en France par le système d’orientation ou d’orientation-sélection, tout au long de la scolarité, et par une importance forte accordée aux parcours linéaires : absence de passerelles ; difficultés de réorientation, faible prise en compte de critères non académiques ; appréciation portée sur certains critères. En d’autres termes, notre système ne valorisant que très peu la « différenciation » ne favorise pas les diversités. Peu ouvert aux diversités de parcours et de trajectoires, il est donc peu ouvert aux diversités tout court. »

Source : Rapport du comité stratégique « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur », op. cit.

1.   Les mêmes déterminants socioculturels à l’œuvre

Tous les travaux de recherches mettent en évidence depuis des années le poids des origines socioculturelles dans le processus d’orientation des élèves. Plusieurs facteurs expliquent cet aspect, parmi lesquels le fait que plus des trois quarts d’entre eux échangent de préférence avec des membres de leur proche famille sur leur projet d’orientation, bien plus qu’avec les professionnels de l’orientation du système éducatif, CPE ou psy-EN. Il s’agit d’une constante, immuable, que le baromètre de la campagne 2023 de Parcoursup confirme une nouvelle fois.

Les acteurs avec lesquels les ÉlÈves ont échangÉ pour obtenir des conseils sur leur projet d’orientation

Source : Baromètre Parcoursup 2023, septembre 2023

Le fait que les membres de l’entourage immédiat soient ainsi les premiers prescripteurs en matière d’orientation influe fortement, et de diverses manières, sur les ambitions des lycéens : les familles sont en effet loin d’avoir toutes le même degré d’implication, le même niveau de connaissances des processus d’orientation, des différentes filières de l’enseignement supérieur et des perspectives et débouchés qu’elles offrent. Tous ces éléments, essentiels à la détermination du choix des élèves, varient considérablement selon le niveau socioculturel des intéressés.

Le graphique ci-après montre sans surprise que plus de neuf enfants de cadres, chefs d’entreprise ou enseignants sur dix demandent une orientation en seconde GT, contre à peine la moitié des enfants d’ouvriers non qualifiés. Comme le précise une note récente de la DEPP, indépendamment du fait que sur les dernières années, les demandes d’orientation vers une seconde GT ont progressé dans toutes les classes sociales, à l’exception des enfants d’agriculteurs, « si le passé scolaire joue un rôle prépondérant dans le déroulement de l’orientation en fin de troisième, l’origine sociale et l’environnement familial (notamment l’origine sociale et le revenu des parents) restent des marqueurs forts dans la construction du choix des familles » ([172]), et les écarts se maintiennent. Pour le CNESCO, « c’est la détermination et la constance dans les aspirations des familles les plus favorisées qui est fortement en lien avec l’orientation future de leurs enfants. Ces inégalités dans les choix d’orientation n’ont pas régressé sur les 15 dernières années. » ([173])

Souhaits d’une orientation en seconde gt, selon le milieu social et les notes obtenues au contrÔle continu du brevet

Source : DEPP, « L’état de l’école », 2022 (éd. web)

Dans le même ordre d’idées, ces inégalités sociales et culturelles jouent fortement sur les projections des élèves et de leurs familles : près des deux tiers des cadres souhaitent ainsi que leur enfant ait un diplôme au moins égal à bac + 5, contre seulement 1 % des ouvriers. Au total, les cadres sont 79 % à viser un diplôme de l’enseignement supérieur pour leur enfant – entre bac + 2 ou 3 et bac + 5 – soit exactement la même proportion que les ouvriers envisageant pour leur enfant un CAP ou au maximum le baccalauréat. Seuls 7 % des cadres sont dans ce cas.

DiplÔme souhaitÉ par les familles pour leur enfant selon la situation À l’entrÉe au lycÉe (en %)

Source : DEPP, « L’état de l’école », 2023, page 70

Enfin, on relèvera encore que les freins sont divers et nombreux qui pèsent sur les aspirations des élèves et de leurs familles. Ils sont également socialement différenciés, comme le met en évidence le diagramme ci-dessous.

freins qui peuvent empÊcher l’ÉlÈve de rÉaliser son projet d’orientation d’aprÈs la famille (en %)

Source : DEPP, op. cit., page 71

À cela s’ajoutent d’autres critères dont l’effet est également sensible sur d’autres problématiques :

 Le genre, en premier lieu, les filles ne choisissant pas les mêmes filières que les garçons.

Les écarts de genre dans l’accès aux grandes écoles

« Les écarts dans les taux d’accès sont également importants selon le genre des élèves. Alors que 7,2 % des garçons de la cohorte considérée ont accédé à une CPGE ou à une école post-bac, cette proportion n’était que de 5,8 % parmi les filles, soit un écart relatif d’environ 20 %. Les écarts sont encore plus marqués lorsqu’on considère les taux d’accès aux grandes écoles de niveau bac + 3/5 : 6,9 % des garçons ont accédé par une grande école à ce niveau d’études contre 4,9 % des filles, soit un écart relatif de 30 %. Ce différentiel est fortement déterminé par la plus faible propension des filles à suivre une formation en école d’ingénieurs (1,5 % contre 3,9 % parmi les garçons), qui n’est compensée qu’à la marge par leur plus forte propension à s’inscrire en école de commerce ou en IEP. »

Source : IPP, « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », page 159

 Le territoire de résidence, de manière très forte, dans la mesure où la proximité de l’offre d’enseignement supérieur par rapport au domicile familial, et la perspective pour le futur étudiant d’avoir à déménager, avec celle des coûts afférents, conditionnent les ambitions et les projections.

L’inégalité géographique dans l’accès aux grandes écoles

« Les inégalités d’accès aux formations sélectives ont également une forte composante géographique. Les élèves parisiens de la cohorte étudiée ont eu une probabilité deux à trois fois plus élevée d’accéder à une CPGE ou à une école post-bac que les élèves non franciliens (15,1 % contre 5,8 %) et les écarts sont du même ordre de grandeur lorsqu’on considère les taux d’accès aux grandes écoles de niveau bac + 3/5 (13,9 % contre 5,1 %). Comme pour les inégalités sociales, les inégalités territoriales sont plus prononcées pour les écoles de commerce, les ENS et les IEP que pour les écoles d’ingénieurs. »

Source : IPP, « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », page 161

La mobilité inter-académique est de manière très nette socialement déterminée, le choix d’une université géographiquement proche étant déterminant pour les jeunes défavorisés. Avant même que les disparités territoriales ne jouent sur les choix d’orientation, les écarts de parcours sont significatifs entre jeunes selon le territoire où ils habitent : la DEPP souligne ainsi l’importance du territoire en termes de caractéristiques sociales, de réussite et de parcours scolaire. Ainsi que le relevait un récent rapport du CEC ([174]), l’orientation vers la voie générale et technologique est moins fréquente dans les zones rurales par rapport aux communes urbaines denses, au point que, selon la DEPP, « à niveau scolaire et caractéristiques sociodémographiques équivalents, le fait de résider dans le rural éloigné ou dans le rural périphérique peu dense diminue respectivement, de 17 points et de 12 points la probabilité d’aller en seconde générale et technologique par rapport à un élève issu de l’urbain très dense ». Des différences sont également visibles entre régions académiques : en Bretagne ou en Pays de la Loire, par exemple, les communes urbaines denses présentent des caractéristiques sociales et scolaires très favorables ; inversement, dans les Hauts-de-France et la région Grand Est, ce sont les zones périphériques qui semblent les plus favorisées.

Cet ensemble de déterminismes a un effet cumulatif sur les choix formulés par les élèves et leurs familles et l’orientation se trouve de ce fait marquée par des phénomènes d’autocensure aux effets considérables sur les parcours des jeunes, et consécutivement, sur leurs possibilités ou probabilités de mobilité sociale.

Limiter les freins d’ordre socioculturel et psychologique

« Indépendamment de leur niveau de performance scolaire, la différenciation des choix d’orientation des élèves en fonction de leur milieu social, de leur origine géographique ou de leur genre tient au fait que leurs préférences sont façonnées par l’environnement dans lequel ils évoluent. Les travaux de recherche en psychologie, en sociologie et en économie de l’éducation ont notamment mis en évidence le rôle joué par les mécanismes d’autocensure et de conformité sociale par rapport aux pairs pour expliquer qu’à niveau scolaire comparable, les élèves de milieux sociaux défavorisés se détournent des filières sélectives. De même, la vision stéréotypée des rôles masculins et féminins qui est transmise par l’environnement familial et scolaire participe à la perpétuation d’une forte ségrégation entre les sexes dans les formations d’enseignement supérieur, particulièrement dans les classes préparatoires et les grandes écoles scientifiques.

(…) la recherche a montré que certaines formes d’intervention pouvaient atténuer l’influence des stéréotypes associés à l’origine sociale sur les choix d’orientation des élèves, qu’il s’agisse des politiques visant à renforcer l’estime de soi et le sentiment d’efficacité des élèves d’origine modeste ou, pour lutter contre la sous-représentation des filles dans les filières scientifiques, d’interventions s’appuyant sur des role models féminins. En France, les dispositifs de cette nature demeurent rares. »

Source : IPP, op. cit., pages 261-262

2.   Une politique publique de l’orientation ?

Comme pour la mobilité sociale des jeunes, ce développement pourrait s’intituler « L’introuvable politique de l’orientation ».

a.   Un dispositif peu en accord avec les objectifs qui lui sont fixés par la loi

En effet, plutôt que d’une véritable politique unifiée, pilotée, coordonnée, le paysage de l’orientation est plutôt celui d’un ensemble morcelé dans lequel nombreux sont les acteurs intervenant chacun pour jouer sa partition selon son propre agenda, nombreux sont les dispositifs dont les effets restent à ce jour très en-deçà des attentes des publics concernés, en termes d’information sur les filières et leurs débouchés, ou sur l’organisation des études, mais surtout d’accompagnement. Divers facteurs se conjuguent pour faire de l’orientation un parcours du combattant stressant  notamment dans sa dernière étape, celle de la formulation des choix sur la plateforme Parcoursup ([175]) – inefficace et frustrant pour l’ensemble des intéressés et, en premier lieu, pour les plus défavorisés d’entre eux, fortement désavantagés ici comme ailleurs.

La situation est telle que le président de la République Emmanuel Macron avait eu des mots très forts en août 2022 en présentant le projet de réforme du lycée professionnel, qualifiant l’orientation de « gâchis collectif », fustigeant un système qui conduit à contraindre de trop nombreux lycéens, et prioritairement ceux socialement défavorisés, à suivre des formations qu’ils n’ont pas choisies.

Ici encore, force est de constater l’ampleur du hiatus entre la loi et son application. L’article L. 313-1 du code de l’éducation, introduit par la loi du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, dispose en effet que « le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements, sur l’obtention d’une qualification professionnelle sanctionnée dans les conditions définies à l’article L. 6211-1 du code du travail, sur les professions ainsi que sur les débouchés et les perspectives professionnels fait partie du droit à l’éducation », étant entendu que le droit à l’éducation est par ailleurs « garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. » ([176])

Le code de l’éducation définit l’orientation comme « le résultat du processus continu d’élaboration et de réalisation du projet personnel de formation et d’insertion sociale et professionnelle que l’élève de collège, puis de lycée, mène en fonction de ses aspirations et de ses capacités » ([177]), étant précisé que l’orientation et les formations qui sont proposées à l’élève tiennent compte du développement de ses aspirations et aptitudes, des perspectives de débouchés professionnels et des besoins de la société.

Les témoignages et les travaux de recherches sont innombrables pour souligner que la réalité est bien éloignée de ce tableau, notamment pour les enfants de classes défavorisées ou scolarisés en zones d’éducation prioritaires. Cela a par exemple un impact direct sur la manière dont les études sont vécues, et consécutivement, des effets importants, comme le montrent les diagrammes ci‑dessous.

Attitude À l’Égard de l’orientation en fonction du niveau d’Études

Part de l’effectif trouvant les Études difficiles

Source : Olivier Galland et Marc Lazar, « Une jeunesse plurielle, enquête auprès des 18-24 ans », Institut Montaigne, février 2022

Telle qu’elle fonctionne, pour de nombreux chercheurs, l’orientation est souvent plus subie que choisie et loin de contribuer à ouvrir des perspectives pour les jeunes selon leurs possibilités et leurs désirs, elle a pour effet de renforcer les inégalités sociales.

« Pour remédier à la sous-représentation des étudiants issus de milieux socioéconomiques défavorisés dans l’enseignement supérieur, surtout dans les universités sélectives ou prestigieuses, des actions d’information des élèves s’imposent dans le deuxième cycle de l’enseignement secondaire. Mal renseignés et disposant de moyens limités, certains jeunes optent pour une filière post-secondaire plus courte ou un établissement moins exigeant qui leur donnera rapidement accès à un emploi de premier échelon, mais leur offrira des perspectives professionnelles moins engageantes. Les informations, les conseils et les orientations influent considérablement sur les choix des élèves, et ceux issus de milieux socioéconomiques modestes risquent d’être moins bien renseignés par leurs parents, leurs réseaux et leurs écoles quant aux filières de l’enseignement supérieur. »

Source : OCDE, « L’ascenseur social est-il en panne ? », op. cit., page 333

b.   Une organisation complexe au fonctionnement peu efficace

Les causes des déficiences du système de l’orientation ont été depuis longtemps identifiées. De multiples recherches et rapports concluent de manière unanime.

En premier lieu, de très nombreux acteurs interviennent dans l’accompagnement des élèves. Un rapport du CEC présenté il y a quelques années ([178]), avait évoqué le maquis de l’orientation en répertoriant leur multiplicité, qu’ils soient publics – au sein des rectorats de région, d’académie, au sein des établissements scolaires, au niveau national (ONISEP), régional (SPRO) ou infra-départemental (CIO), voire universitaires – ou privés, où se côtoient les organisateurs de salons, les coaches et autres start-up ([179]), qui viennent pallier les insuffisances de l’accompagnement offert par l’Éducation nationale.

Pour ne se limiter qu’au seul système éducatif, le panorama des acteurs de terrain apparaît très éclaté entre les professeurs principaux, les professeurs référents, introduits dans le dispositif en 2021, les psychologues de l’Éducation nationale – qui devraient occuper le premier rôle, eu égard à leur formation et leurs compétences, mais sont en nombre très insuffisant – ainsi que l’ensemble des personnels enseignants, chaque enseignant étant tenu d’assurer « les missions liées au service d’enseignement qui comprennent (…) l’aide et le suivi du travail personnel des élèves, leur évaluation, le conseil aux élèves dans le choix de leur projet d’orientation en collaboration avec les personnels d’éducation et d’orientation, les relations avec les parents d’élèves, (…). » ([180])

Dans les faits, l’accompagnement des élèves, dans ce processus d’orientation qui devrait être continu, se révèle très hétérogène pour de multiples raisons qui tiennent en grande partie aux acteurs eux-mêmes et à leur implication, les établissements et les enseignants ayant toute liberté pour développer les actions pertinentes. Divers facteurs sont identifiés : la formation des personnels, nombre d’enseignants – y compris de professeurs principaux – se déclarant en manque de compétence et de connaissance du monde de l’enseignement supérieur ; leur disponibilité ; le manque de moyens des établissements, que ce soit en termes de ressources humaines (cf. le manque de psy-EN) ou de budgets, les 54 heures annuelles n’étant pas financées. À ce propos, certains responsables universitaires faisaient remarquer ([181]) que durant un temps, les PSY-EN avaient été positionnés à mi-temps au rectorat et dans les universités, ce qui leur permettait d’être au contact des deux mondes et de bien connaître l’offre de formation supérieure. Cela a malheureusement disparu et la moindre connaissance se traduit par un resserrement de l’éventail des possibilités présentées aux lycéens. Force est de constater que cette question, qui ne semble pas vraiment avancer, tant de la part des enseignants du secondaire que des responsables de l’enseignement supérieur, est aussi l’une de celles qui sont le plus rebattues, qui avaient par exemple fait l’objet de recommandations dans les « Propositions pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur » ([182]) pour, entre autres, développer les liens entre les secondaire et le supérieur et former les enseignants du second degré à la connaissance des différentes filières post-bac et aux dispositifs d’orientation…

Comme l’indiquaient certains chefs d’établissement à nos collègues l’an dernier, « l’architecture du dispositif a donc mené à une impasse et relève plus de l’incantation qu’autre chose, dès lors qu’aucun moyen n’a été fourni. » ([183]) Dans le même temps, les représentants de l’enseignement supérieur entendus par vos rapporteures ([184]) considèrent que les enseignants-chercheurs devraient pouvoir davantage présenter les formations et les métiers pour que les jeunes soient orientés de la meilleure manière possible, concrète. Il conviendrait pour cela de travailler avec les établissements d’enseignement scolaire, mais les représentants de l’enseignement supérieur soulignent recevoir finalement peu de sollicitations de leur part.

Réduire les asymétries d’information en matière d’orientation

« Les défaillances du processus d’orientation des élèves contribuent directement au déterminisme social des trajectoires éducatives. Elles ne pourront être corrigées qu’en réaffirmant le rôle central des équipes pédagogiques dans l’accompagnement des choix d’orientation des élèves et en améliorant considérablement la lisibilité de l’information qui leur est fournie sur les filières de l’enseignement supérieur. De ce point de vue, il semblerait judicieux de fournir aux lycéens une information transparente sur les perspectives professionnelles associées aux différentes formations proposées après le baccalauréat, sur la base de statistiques calculées à partir des sources administratives très riches dont on dispose aujourd’hui, de manière à améliorer leur connaissance des taux d’emploi et des rendements salariaux associés à chaque formation. À l’étranger, ce type d’intervention a démontré sa capacité à réorienter une partie des étudiants de milieux défavorisés vers les filières sélectives offrant de meilleures perspectives d’insertion professionnelle. »

Source : IPP, op. cit., page 263

De sorte que les actions en matière d’orientation varient fortement d’un collège à l’autre, d’un lycée à l’autre, que les horaires dédiés y sont effectivement consacrés ou pas. On ne sera pas étonné de constater de fortes différences de ce point de vue dans la manière dont les établissements se saisissent de ce sujet : ceux dans lesquels une attention soutenue, anticipée, est portée à l’orientation sont principalement les établissements favorisés, ainsi que ceux du secteur privé, l’orientation ne devenant en revanche que très tardivement une préoccupation dans l’agenda des lycées défavorisés, parfois seulement au moment de l’ouverture de la procédure Parcoursup.

Comité éthique et scientifique de Parcoursup

Recommandation n° 20 :

Garantir la qualité de l’accompagnement des lycéens vers les études supérieures.

a. En mettant en place des outils efficaces et des moyens horaires permettant de proposer à tous les élèves, dès la classe de seconde, un accompagnement personnalisé à l’orientation.

b. En organisant des formations systématiques et régulières pour les professeurs principaux de lycée – avec l’appui des établissements du supérieur – afin d’harmoniser les pratiques inégales d’accompagnement à l’orientation.

Source : CESP, 6e rapport au Parlement, mars 2024

 

Proposition n° 4 : Garantir un parcours d’orientation effectif aux collégiens et lycéens, notamment en dédiant réellement les 54 heures annuelles prévues à des activités d’orientation dans tous les établissements, par leur inscription dans les emplois du temps et leur prise en compte dans la dotation horaire globale.

À cela s’ajoute la mise en œuvre encore très variable de leurs compétences par les régions, dont l’action est de ce fait diversement perçue, et le dialogue parfois compliqué avec les autorités académiques.

L’accompagnement des lycéens vers les études supérieures : une mission importante pour les universités des Hauts-de-France

« Toutes les universités des Hauts-de-France sont engagées dans l’information et l’accueil des néo-bacheliers (…) Les universités de proximité effectuent un travail remarquable d’information et d’accompagnement de leurs étudiants et de communication sur leur territoire. (…)

Région et universités déploient dans les Hauts-de-France des projets d’envergure, des actions multiples pour informer les élèves sur l’orientation post-bac, pour leur donner de l’ambition, les encourager à la mobilité quand celle-ci est nécessaire à leur réussite. Ces actions multiples montrent l’engagement des universités dans la phase d’orientation préalable à l’émission des vœux des futurs bacheliers. Ces nombreuses initiatives et ces grands projets sont indispensables, mais leur impact est difficile à évaluer. D’autres actions, plus modestes, ne doivent pas être oubliées : le CESP a constaté, cette année dans les Hauts-de-France comme l’an dernier en région PACA, que les rencontres entre professeurs de lycée et d’université restent très peu nombreuses, ce que beaucoup d’enseignants de lycée regrettent. Il n’y a effectivement que peu d’échanges pédagogiques et didactiques entre enseignants du secondaire et du supérieur, ce qui permettrait pourtant de consolider l’articulation Bac-3/Bac+3. »

Source : CESP, op. cit.

3.   Les mêmes causes produisant les mêmes effets…

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nul ne se hasarderait à dire aujourd’hui que l’orientation prend effectivement la part qui lui revient dans la contribution du système éducatif à l’égalité des chances et à la réduction des inégalités sociales et territoriales.

Les analyses du Céreq confirment la persistance des inégalités sociales au travers de ce processus d’orientation non satisfaisant : « Les parcours scolaires ne correspondent pas toujours aux souhaits initiaux des jeunes. Le pourcentage de ceux qui estiment avoir connu une orientation subie ou contrariée (c’est-à-dire non conforme à leur premier vœu) est plus élevé parmi les catégories moins favorisées. La non-conformité peut concerner la voie de formation ou sa spécialité. 19 % des jeunes ont connu une orientation en décalage avec leur souhait initial ; cela ne concerne que 10 % des enfants de ménages de deux cadres et deux fois plus ceux de ménages d’origines modestes. Un tiers auraient souhaité suivre une seconde générale ou technologique, ce qui laisse supposer que l’autre partie, soit les deux tiers des ‟professionnels contrariésˮ, suivent une formation dans une spécialité qu’ils n’avaient pas choisie. » ([185]) Cela est confirmé par les analyses statistiques de la DEPP qui relève de son côté que « les taux de satisfaction des demandes d’orientation en seconde professionnelle et en CAP sont par ailleurs toujours inférieurs à ceux des demandes d’orientation en seconde GT. Les élèves de troisième du panel 2011 n’ayant pas obtenu satisfaction suite à une demande initiale d’orientation en seconde GT sont orientés pour 70 % d’entre eux vers une seconde professionnelle, 2 % vers un CAP et 28 % vers un redoublement. » ([186])

Agnès van Zanten : « L’orientation subie est un échec vécu de façon très violente »

Après dix années passées à l’école et au collège, comment ces jeunes vivent-ils l’heure de l’orientation, en fin de 3e ?

« C’est un moment couperet, celui du grand partage entre ceux qui vont pouvoir être orientés dans l’enseignement général et technologique et les autres, qui année après année ont accumulé un retard académique et seront orientés vers l’enseignement professionnel. Le plus souvent contre leur gré, même s’il existe quelques orientations volontaires vers ces filières.

Nombre de ces adolescents mal orientés n’ont pas de grosses lacunes dans leur apprentissage, mais ils se sentent dévalués parce que placés dans une classe poubelle. L’orientation subie est un échec vécu de façon très violente, et cela peut entraîner une posture de résistance à l’égard du système scolaire, engendrer de l’indiscipline. Dans certaines classes, les rappels à l’ordre sont constants, au point que les temps d’enseignement sont réduits à quinze ou vingt minutes sur les cinquante- cinq attendues d’un cours. Cela ajoute encore de la difficulté dans l’acquisition de compétences, puis au moment de l’insertion. »

Source : Le Monde ; 19 octobre 2023

Il résulte aussi de cette situation, souligne le Céreq, que si 80 % d’une génération obtient désormais le baccalauréat, signe d’une démocratisation réelle, celle-ci reste très imparfaite, de fortes différences étant visibles au niveau des parcours vers lesquels les élèves ont été orientés : « Parmi les enfants de cadres, les non-bacheliers constituent l’exception, alors qu’un tiers des enfants de ménages à dominante ouvrière ne sont pas titulaires du sésame, et jusqu’à 40 % de ceux de ménages à dominante inactive. Il existe par ailleurs une hiérarchie entre les baccalauréats, plus ou moins implicite et qui ne se limite pas à la distinction bac professionnel/technologique/général. Celle-ci se répercute dans leur répartition par origine sociale : 80 % des enfants de cadres sont bacheliers généraux et près de la moitié (47 %) sont titulaires d’un bac S, pour moins du quart des enfants d’ouvriers. Plus prestigieux, nécessaire pour accéder à certaines filières, elles aussi prestigieuses et sélectives, le bac S est clivant, même au sein des catégories favorisées. Sur cet indicateur, 13 points séparent les enfants de deux cadres des enfants des ménages à autre dominante cadre, soit l’écart le plus important observé. Ce résultat est une des illustrations de la spécificité des parcours scolaires des enfants des ménages les plus favorisés, à leur avantage si l’on adopte le système de valeur en cours dans le système éducatif français. Les enfants de ménages à dominante ouvrière sont proportionnellement les plus nombreux à détenir un bac pro (27 % pour 19 % toutes origines confondues), quand ceux de ménages à dominante employée privilégient le bac technologique, mais dans une moindre proportion (20 % pour 16 % toutes origines confondues). Pour ce dernier type de bac, les écarts sont plus faibles entre origines sociales. Seules celles situées aux deux extrêmes de la hiérarchie sociale sont moins concernées. » ([187])

Classe suivie après la classe de troisiÈme (%)

Source : Céreq, op. cit., page 11

Réduire les asymétries d’information en matière d’orientation

« La différenciation des choix d’orientation des élèves est par ailleurs amplifiée par leur accès inégal à l’information sur les filières de l’enseignement supérieur et leurs débouchés. À bien des égards, les classes préparatoires et les grandes écoles apparaissent comme un monde réservé aux ‟initiésˮ. L’extrême complexité, voire l’opacité, de l’offre de formation proposée par ces filières crée un fossé culturel entre les familles disposant d’une bonne connaissance du système et les familles plus ‟éloignéesˮ de l’école. L’une des conséquences les plus perverses de l’étroitesse de la base sociale et géographique de recrutement des grandes écoles est qu’en limitant considérablement la circulation de l’information sur ces filières et leurs débouchés, elles favorisent la reproduction des élites. Si les dispositifs d’accompagnement à l’orientation qui ont été mis en œuvre dans le cadre du programme national des Cordées de la réussite ont pu contribuer à réduire certaines inégalités d’accès à l’information, ces programmes restent trop parcellaires pour espérer avoir un impact détectable sur le recrutement social des classes préparatoires et des grandes écoles. En effet, ces dispositifs ne concernent chaque année qu’environ 80 000 collégiens et lycéens, soit moins de 1,5 % des élèves scolarisés dans le second degré. »

Source : IPP, op. cit., pages 261-262

Tel qu’il fonctionne, le système se traduit à la fois par un accompagnement insuffisant et une orientation trop précoce pour les collégiens les moins favorisés. « L’orientation est ainsi un chantier majeur à la fois au niveau inférieur au baccalauréat et au niveau de l’entrée dans le supérieur », avait estimé le Livre blanc de l’enseignement supérieur et de la recherche ([188]).

Comment l’école amplifie les inégalités

« L’objectif fixé de 80 % d’une classe d’âge possédant le niveau baccalauréat masque la  réalité d’inégalités sociales de diplomation. Il existe une hiérarchie entre les voies générale, technologique et professionnelle et au sein des voies, entre les filières se joue aussi la hiérarchie. Ainsi, 90 % d’enfants de cadres et d’enseignants obtenaient un baccalauréat en 2002 (dont 40 % obtiennent un baccalauréat scientifique) contre 40 % d’enfants d’ouvriers non-qualifiés (dont seuls 5 % obtenaient un baccalauréat scientifique). Ces écarts ont connu quelques évolutions depuis 30 ans, mais la hiérarchie entre les trois voies, et surtout dans la voie générale, entre les filières, s’est maintenue sur les 30 dernières années, avec des conséquences sur la poursuite d’études. (…) dans le cadre de la massification de l’enseignement secondaire, les inégalités horizontales historiques dans les parcours scolaires - tous les élèves n’atteignent pas le niveau du baccalauréat - se sont transformées en inégalités horizontales, incarnées par la hiérarchie des baccalauréats et des voies d’enseignement, car toutes les filières ou spécialisations de baccalauréat ne mènent pas aux mêmes poursuites d’études dans l’enseignement supérieur ou aux mêmes positions sociales. »

Source : CNESCO, « Inégalités sociales et migratoires, comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? », op. cit.

B.   LES EFFETS MODESTES DES MESURES DE SOUTIEN POUR L’ACCÈS À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Preuve s’il en était besoin de l’échec des dispositifs en vigueur dans l’enseignement scolaire, la discrimination sociale poursuit ses effets au-delà de l’enseignement secondaire, et comme le montre le diagramme ci-dessous, si en moyenne près de 60 % des bacheliers accèdent à l’enseignement supérieur, la différence est considérable entre ceux d’origine modeste et ceux issus de PCS favorisées : plus de deux fois plus d’enfants de cadres s’inscrivent dans une formation d’enseignement supérieur que d’enfants d’ouvriers. Les études sont nombreuses qui mettent en évidence les facteurs économiques, sociaux et culturels conduisant à cette situation, sans qu’il soit nécessaire d’y revenir.

Part de jeunes ayant accÉdÉ À l’enseignement supÉrieur (en %)

Source : Céreq, « Parcours scolaires et insertion professionnelle », op. cit.

Vos rapporteures souligneront toutefois que, comme l’indiquent entre autres des analyses de l’INSEE ou du Conseil d’analyse économique (CAE), malgré les différences de contexte institutionnel, le niveau d’inégalité d’accès à l’enseignement supérieur des jeunes en France est tout à fait comparable à celui constaté aux États-Unis. La courbe ci-après montre par exemple que « aux États-Unis, lorsque le revenu parental augmente d’un décile, la proportion de jeunes accédant à l’enseignement supérieur augmente de 6,7 points, contre 5,7 points en France. » ([189])

Au-delà du constat, peut-être inattendu, les auteurs de l’étude du CAE soulignent que « l’enjeu est important car ces inégalités contribuent vraisemblablement à expliquer le faible niveau de mobilité sociale en France, malgré des frais d’inscription limités et des inégalités de revenu relativement plus faibles que dans d’autres pays développés. »

AccÈs À l’enseignement supÉrieur en France et aux États-Unis, selon le revenu avant impÔt du ou des mÉnages des parents en 2014

Source : Cécile Bonneau et Sébastien Grobon, op. cit.

Cela appelle inévitablement l’attention sur l’efficacité des politiques publiques dédiées à ces questions, d’autant qu’un certain nombre de dispositifs ont été instaurés ces dernières années afin de tenter d’améliorer l’accès des jeunes de milieux défavorisés à l’enseignement supérieur.

1.   Un système de bourses à questionner

Deux dispositifs sont en vigueur, dont l’un a récemment été introduit, dans le but précis de favoriser l’accès des élèves d’origine défavorisée à l’enseignement supérieur.

a.   Le mécanisme des quotas de boursiers

La loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, loi « ORE » ([190]), a institué une mesure de discrimination positive destinée à corriger les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur.

L’instauration de quotas de boursiers vise directement à renforcer la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur, eu égard à l’importance du frein économique. Elle doit permettre de rehausser la présence des étudiants défavorisés dans les établissements d’enseignement supérieur et se décline selon plusieurs axes.

i.   Les modalités

En ce qui concerne les filières non sélectives, lorsque le nombre de candidats est supérieur aux capacités d’accueil d’une formation, le recteur « fixe un pourcentage minimal de bacheliers retenus bénéficiaires d’une bourse nationale de lycée, en fonction du rapport entre le nombre de ces bacheliers boursiers candidats à l’accès à cette formation et le nombre total de demandes d’inscription dans cette formation. » ([191]) Ce quota a été fixé par décret à 5 %. Consécutivement, toutes les formations dont la part de lycéens boursiers parmi les candidats était inférieure à ce niveau doivent désormais l’appliquer.

Comme le rappelle le rapport de France Stratégie, « cette obligation a été étendue aux formations des autres ministères, aux établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général (EESPIG), ainsi qu’aux formations privées (hors BTS et classes préparatoires aux grandes écoles). Ainsi, à une disposition qui bénéficiaient aux élèves de tous les lycées, boursiers ou non, s’est substitué un quota ouvert à tous les boursiers du territoire. En 2022-2023, le taux de boursiers au lycée est de 26 %. Il est plus élevé dans l’enseignement technologique (31,5 %) et dans l’enseignement professionnel (36,1 %) et plus faible dans l’enseignement général (18,8 %). »

En ce qui concerne les filières sélectives, le recteur « fixe un pourcentage minimal de bacheliers retenus bénéficiaires d’une bourse nationale de lycée ».

ii.   Un bilan modeste

Cette mesure de discrimination positive sur critères sociaux en faveur de lycéens boursiers permet à des jeunes bacheliers d’accéder à des formations de l’enseignement supérieur qui, sans cela, n’auraient pu y prétendre. Le Comité éthique et scientifique de Parcoursup a souligné son intérêt et sa montée en puissance année après année, après un démarrage modeste dû à la nouveauté du dispositif. Selon les dernières informations disponibles, « on estime à près de 14 580 le nombre de lycéens boursiers pour lesquels les taux boursiers ont été décisifs dans leur admission en 2023. Ces lycéens se sont inscrits dans une formation pour laquelle ils n’auraient vraisemblablement pas eu de proposition en phase principale sans l’application des taux minimum de boursiers. » ([192]) Ce chiffre est en augmentation par rapport à la session 2022 de Parcoursup où 12 300 lycéens boursiers en avaient bénéficié. On relèvera néanmoins qu’un peu plus de 143 000 boursiers avaient alors reçu une proposition d’admission, contre un peu moins de 141 000 aujourd’hui, 115 531 l’ayant acceptée.

Rapporté au nombre d’étudiants inscrits chaque année en première année, ce chiffre reste objectivement très modeste, puisque cela ne représente que 2,2 % des néo-bacheliers,  672 400 en juin 2023 ([193])  à comparer avec les quelque 26 % de lycéens boursiers. S’il traduit une démarche positive, celle-ci reste insuffisante pour bousculer les immobilismes et changer véritablement la donne. « C’est bien mais ce n’est pas une révolution », souligne Julien Grenet qui estime que « le quota de boursiers est un levier qui nécessite que les comportements des candidats changent. Or, il y a des freins financiers, mais aussi psycho-sociaux, tels que l’autocensure, l’absence d’information sur certaines filières lorsqu’elles ne sont pas proposées localement, et parfois les enseignants ou familles rétives devant la prise de risque, faute d’exemples de réussite dans l’entourage. » ([194])

b.   La diminution régulière du nombre de boursiers sur critères sociaux dans l’enseignement supérieur

Pour autant, cet effet salutaire ne doit pas faire oublier qu’un certain nombre d’inégalités persistent et que le nombre de boursiers dans l’enseignement supérieur régresse depuis plusieurs années.

Comme le souligne une note récente du SIES, « durant l’année universitaire 2022-2023, dernière année avant la mise en œuvre de la réforme des bourses de la rentrée 2023, 665 000 étudiants ont perçu une bourse sur critères sociaux (BCS) du MESR, soit une baisse de 7,6 % en un an. » ([195]) Pour le SIES, cette baisse s’explique en partie par la diminution du nombre d’étudiants dans les filières éligibles : - 8,6 % notamment en section de technicien supérieur (STS) et - 9,9 % en institut universitaire technologique (IUT). Cette baisse est liée à la forte hausse de l’apprentissage (+ 14,1  en STS) qui n’ouvre pas droit aux bourses ([196]).

Cela dit, il est aussi précisé que « la part de boursiers au sein des formations ouvrant droit aux bourses a, quant à elle, diminué de 1,4 point pour atteindre 36,3 %, niveau le plus bas depuis 2012. Cette baisse poursuit celle déjà constatée l’année précédente. La diminution progressive de la part des boursiers dans les formations sélectives, comme les formations d’ingénieurs et les écoles de commerce, a été continue depuis dix ans. » ([197])

Le SIES relève entre autres aspects des variations importantes de taux de boursiers selon les filières d’enseignement supérieur, confirmant la différenciation sociale observée dans les différents niveaux de l’enseignement secondaire, dont c’est la continuité : « Plus de la moitié des étudiants en STS sont boursiers (52,6 %), soit presque deux fois plus qu’en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE, 26,5 %). La part des boursiers dans les formations d’ingénieurs diffère selon qu’elles soient universitaires (33 %) ou non (22 %). Les écoles de commerce sont les formations qui accueillent le moins d’étudiants boursiers (11 %). Par ailleurs, les boursiers en STS, qui sont déjà les plus nombreux, sont aussi les plus précaires. En STS, quatre boursiers sur dix appartiennent aux échelons les plus élevés. C’est deux fois plus que dans les filières d’ingénieurs, qu’elles soient universitaires ou non. Les filières d’ingénieurs sont d’ailleurs celles qui accueillent la plus faible part de boursiers des échelons 5 à 7, suivies par les établissements universitaires privés et les CPGE. »

Dans le même ordre d’idées, sans que cela soit non plus surprenant, les établissements publics d’enseignement supérieur accueillent une part deux fois plus importante de boursiers sur critères sociaux que les établissements privés.

Évolution du nombre et de la part de boursiers en dix ans

Source : SIES, note n° 20

Les racines historiques de la sélection par l’école

« L’école française est ‟tropˮ inégalitaire pour des raisons historiques et culturelles. Il importe de rappeler le poids d’une tradition révolutionnaire et surtout impériale confiant à l’école le devoir de sélectionner les élites de la culture et de l’intelligence qui devaient se substituer aux anciennes aristocraties de la naissance. Ce fut là le rôle des ‟Grandes Écolesˮ, des classes préparatoires et des concours. S’il va de soi que tous les systèmes scolaires visent à dégager une élite, l’école française se distingue par le fait que la production de l’élite détermine tout le système : programmes ambitieux, notation de 0 à 20 qui classe plus qu’elle n’évalue, juxtaposition des Grandes Écoles et des universités, passions pour les concours, orientation négative vers l’enseignement professionnel, etc. Paradoxalement, chacun ayant le droit d’accéder à l’élite, le modèle de l’élite s’impose à tous comme une norme centrale. À cette caractéristique, il convient d’ajouter la forte emprise des diplômes sur l’accès à l’emploi et les niveaux de rémunération. »

Source : François Dubet, « Inégalités scolaires », op. cit., page 125

2.   Les dispositifs en faveur de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur

Depuis le début des années 2000, des dispositifs ont été institués afin de renforcer la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur, notamment dans les filières sélectives. Les établissements se sont pour certains montrés particulièrement proactifs par rapport aux souhaits exprimés par les pouvoirs publics pour tenter de contrebalancer le poids des déterminants sociaux, géographiques ou de genre, qui continue de se révéler aussi considérable qu’intangible.

a.   Une situation d’inégalités enracinée depuis des décennies

Les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur et spécialement aux grandes écoles sont anciennes et profondément enracinées. Des recherches, qui ont étudié la variation de l’inégalité des chances scolaires de onze cohortes de naissance entre 1918 et 1984 ([198]), ont certes mis en évidence que sur la longue durée l’inégalité sociale en termes d’accès aux diplômes de l’enseignement supérieur avait tendance à diminuer, y compris en ce qui concerne les établissements les plus sélectifs, néanmoins d’autres analyses montrent l’importance et la permanence de la reproduction intergénérationnelle perpétuée sur des décennies : Augustin Vicard, directeur de l’INJEP, indiquait ([199]) ainsi que des travaux universitaires avaient mis en lumière qu’un jeune avait 330 fois plus de chance de faire l’ENA si son père a lui-même fait l’ENA et 296 fois plus de chances d’entrer à Polytechnique si son père était lui-même polytechnicien ([200]) !

Aux inégalités sociales s’ajoutent des inégalités géographiques, les élèves parisiens ayant quasiment trois fois plus de chances d’accéder à une grande école que les non-franciliens, ces inégalités étant plus marquées dans le cas des écoles de commerce, des ENS, des IEP que dans celui des écoles d’ingénieurs.

Pour tenter d’y remédier, le gouvernement a conclu en 2005 avec plusieurs institutions de l’enseignement supérieur – la Conférence des présidents d’université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des directeurs d’écoles et formations d’ingénieurs – une « Charte pour l’égalité des chances dans l’accès aux formations d’excellence » ([201]), traduisant la préoccupation des ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de l’emploi et de la cohésion sociale, d’« offrir une orientation valorisante et ambitieuse aux élèves scolarisés dans les territoires de l’éducation prioritaire et des zones urbaines sensibles ».

À l’époque, de nombreux partenariats avaient déjà été mis en œuvre entre des grandes écoles et des établissements situés en ZEP/REP et diverses expérimentations étaient menées par le ministère. La charte entendait aller plus loin et les signataires s’engageaient à promouvoir auprès de leurs membres toute initiative permettant le rapprochement entre les universités, les grandes écoles et les lycées accueillant des élèves issus de zones d’éducation prioritaire. Les conférences apportaient également leur soutien à l’orientation de jeunes vers des études supérieures par une information sur les métiers et un accompagnement régulier.

b.   L’engagement fort et soutenu des établissements d’enseignement supérieur

Laurent Champaney, directeur général de l’École nationale supérieure d’arts et métiers, président de la Conférence des grandes écoles (CGE), soulignait ([202]) que les 250 grandes écoles françaises – aux deux-tiers publiques malgré leur image d’élitisme – ont toutes, et depuis longtemps, des engagements en termes d’ouverture sociale.

Un groupe « Ouverture sociale », existe au sein de la Conférence des grandes écoles qui mène une activité soutenue depuis maintenant le début des années 2000. Ses travaux ont débouché sur la publication en 2010 d’un premier bilan de huit ans de pratiques d’ouverture sociale ([203]). Ce « Livre blanc » résumait les quatre leviers sur lesquels l’effort avait été porté : l’amont, en premier lieu, en allant à la rencontre de collégiens et lycéens de milieux populaires, grâce à la mobilisation de nombreux étudiants tuteurs ; en 2010, quelque 10 000 lycéens devaient ainsi bénéficier de tutorat et un total de près de 100 000 être touchés via des actions diverses. Le deuxième levier portait sur le recrutement, pour permettre aux jeunes qui souhaitent faire une grande école de réussir les concours d’entrée, que ce soit par les classes préparatoires ou par les autres modes d’admission : directe, voie parallèle... Le troisième volet portait sur l’accompagnement des étudiants, une fois le parcours d’excellence entamé. Il était précisé que, à cet effet, « pour qu’ils réussissent à aller au bout de leur cursus et à obtenir le diplôme, les grandes écoles, comme certaines CPGE, adaptent leurs pratiques pédagogiques pour prendre en compte la plus grande hétérogénéité des étudiants désormais accueillis. » Enfin, le quatrième volet avait trait au développement des aides matérielles pour « rendre les grandes écoles accessibles à tous les revenus, en rendant progressivement les concours d’entrée gratuits pour les boursiers, en développant les aides au financement des études (bourses sociales internes, prêts d’honneur ou prêts à taux préférentiel), en multipliant les formations par la voie de l’apprentissage. »

Au terme de ce premier bilan, la CGE présentait un certain nombre de préconisations pour amplifier l’effort, afin d’« aider les jeunes à oser les CPGE et les grandes écoles », en renforçant l’égalité des chances dans la réussite scolaire pour les élèves de milieu modeste et dans les lycées dits « défavorisés », en améliorant l’aide à l’orientation dans le secondaire. La CGE se proposait de compléter également ses actions sur un second axe, pour « aider les jeunes à réussir », en travaillant à rattraper les écarts scolaires entre le niveau à la sortie du bac et les attendus en grande école, en adaptant les modalités des concours d’entrée pour diversifier les connaissances évaluées et tester des compétences et les potentiels, en amplifiant la diversification des filières d’accès aux grandes écoles pour y attirer des profils variés, notamment en termes d’origine sociale, et en levant les handicaps matériels.

En 2015, la CGE publiait un « Baromètre de l’ouverture sociale », réédité en 2019.

Le baromètre de l’ouverture sociale de la CGE

Le baromètre de l’ouverture sociale mesure le taux d’étudiants issus de milieux modestes, mais également l’évolution des dispositifs et initiatives mis en œuvre par les Grandes écoles répondant à un quadruple objectif sociétal :

– assurer une meilleure diversité sociale et territoriale des étudiants dans les Grandes écoles, y compris les plus sélectives

– accompagner les étudiants de milieux moins favorisés ou en situation de précarité dans nos écoles en leur apportant des solutions sociales, financières et pédagogiques pour s’assurer de leur réussite

– favoriser l’accès à l’enseignement supérieur et contribuer à l’égalité des chances pour toutes et tous et dans tous les territoires, en accompagnant plus de 80 000 collégiens et lycéens vers les études supérieures notamment via les cordées de la réussite et d’autres dispositifs régionaux

– développer la conscience sociétale de tous les étudiants dans le cadre de leur formation et de leurs expériences étudiantes, pour en faire des futurs manageurs et dirigeants responsables et conscients des atouts de la diversité. C’est l’enjeu du tutorat, du service civique et d’autres modalités d’engagement sociétal désormais très nombreuses.

Source : https://www.cge.asso.fr/liste-actualites/louverture-sociale-dans-les-grandes-ecoles-un-engagement-fort-et-continu/  

Il en a été tiré un second Livre blanc ([204]), en février 2022, qui présente les actions menées, propose un état des lieux actualisé et définit les enjeux de la diversité sociale pour les grandes écoles. Une analyse comparée des pratiques des grandes écoles à l’étranger est également présentée.

Laurent Champaney précisait que parmi les pistes encore à mettre en œuvre, un travail restait à fournir pour favoriser l’accroissement de l’offre de logement, proposée par les écoles, en particulier pour les premiers entrants.

PrÉsentation synthÉtique des actions des grandes Écoles

Source : « Ouverture sociale et territoriale des grandes écoles », op. cit.

c.   Parmi les dispositifs mis en œuvre ces dernières années

Les dispositifs instaurés par les grandes écoles et autres établissements d’enseignement supérieur depuis maintenant plus de vingt ans en faveur de l’ouverture sociale sont de diverses natures.

i.   La modulation des frais de scolarité

Sciences Po Paris, qui a rejoint la CGE, a mis en place des mesures fortes à destination des publics défavorisés. Elles se traduisent en premier lieu par une modulation importante des droits de scolarité en fonction du revenu des parents. Myriam Dubois-Monkachi, directrice de la scolarité et de la réussite étudiante, et Karine Aurélia, directrice déléguée à l’égalité des chances, précisaient que si le coût de la formation peut être de quelque 17 000 euros l’an, acquittés par une famille disposant de revenus supérieurs à 200 000 euros annuels, des étudiants défavorisés peuvent être inscrits en n’acquittant que cent euros par an. Il s’agit en conséquence d’une mesure forte en faveur de l’égalité des chances qui permet de facto à un étudiant issu d’un milieu économiquement défavorisé de ne pas être pénalisé pour des raisons financières. Dans le même esprit, des bourses internes importantes – « bourses Émile Boutmy » – sont proposées, y compris pour les étudiants internationaux, présents en grand nombre à Sciences Po, sachant que les étudiants boursiers du CNOUS sont par ailleurs exonérés de droits de scolarité ([205]).

ii.   L’accompagnement des lycéens pour réduire l’autocensure

Sur un autre plan, directement dans l’esprit de la charte de 2005, Sciences Po a mis en place dès 2001 un système de conventions d’éducation prioritaire, dans le but de permettre à des lycéens issus de zones d’éducation prioritaire de candidater par une voie d’admission spécifique. Concrètement, il s’agit d’aider les lycéens de milieux défavorisés à lutter contre l’autocensure et de leur permettre d’envisager de tenter l’entrée dans un établissement prestigieux.

quelques exemples de dispositifs en amont

Source : « Ouverture sociale des grandes écoles », op. cit.

Diverses modalités sont utilisées. Une préparation interne qui prend la forme d’ateliers hebdomadaires – les ateliers « premiers campus » – au cours desquels les lycéens travaillent à développer des compétences transversales pour réussir dans l’enseignement supérieur, notamment des compétences expressives, méthodologiques et socio-comportementales. En outre, leur sont proposés des ateliers d’écriture, des journées d’immersion sur les campus de Sciences Po, la possibilité de participer à des cours magistraux, à des conférences, des rencontres avec des entreprises partenaires avec des ateliers dédiés à l’orientation, à la rédaction de lettres de motivation, de CV, à l’entraînement à l’oral.

Quelques exemples de nouvelles modalitÉs de recrutement et d’accompagnement

Source : « Ouverture sociale des grandes écoles », ibid.

D’une certaine manière, ces actions s’apparentent aux Cordées de la réussite, très soutenues par les universités, comme l’indiquait Lamri Adoui, président de l’université de Caen, membre du conseil d’administration de France Universités. Ce dispositif repose sur un partenariat entre une tête de cordée (un établissement d’enseignement supérieur ou un lycée avec des classes préparatoires) et des établissements encordés (collèges ou lycées pour des élèves des voies générale, technologique ou professionnelle). L’objectif est également d’offrir aux jeunes qui en sont bénéficiaires un horizon sur la diversité des formations, en se voyant présenter l’éventail des formations, longues et courtes, sélectives ou non, en apprentissage ou sous statut étudiant. Le but est d’ouvrir le champ des possibles, d’essayer de réduire les biais sociaux, géographiques et de genre en amont de la procédure d’accès à l’enseignement supérieur. Le dispositif des Cordées a connu un coup d’accélérateur important : en l’espace de deux ans, le nombre d’élèves encordés est passé de 80 000 à plus de 160 000, avec un objectif fixé à 200 000 pour l’année 2023-2024. Comme de nombreuses autres mesures, c’est un dispositif qui reste à évaluer, comme le CESP le souligne dans son dernier rapport qui, tout en saluant son grand intérêt et la satisfaction générale des élèves qui participent aux Cordées, recommande d’en faire un bilan « en mesurant comment les établissements du supérieur en tiennent compte et en vérifiant leur efficacité comme ‟levier d’égalité des chancesˮ. » ([206])

La Conférence des grandes écoles et la Conférence des écoles d’ingénieurs mènent des actions comparables, afin de renforcer leur ouverture sociale via diverses modalités, internes ou en partenariat, notamment avec les collectivités territoriales, afin de développer de nouvelles implantations dans des villes moyennes ou petites pour rapprocher l’offre de formation des élèves et contribuer à résoudre ainsi les difficultés éventuelles tenant au logement, au transport, ou au financement des études. Pour les établissements, l’important est de se rapprocher de certains jeunes, éventuellement grâce à des dispositifs qui ne seraient pas adaptés aux zones urbaines.

Le plan « Diversité sociale » de l’École normale supérieure (ENS)

Adopté en juillet 2021 par le conseil d’administration de l’École normale supérieure, ce plan se décline selon quatre ensembles de mesures complémentaires :

En amont : simplifier, communiquer, promouvoir, notamment sur les différentes voies d’accès, les procédures, les aides complémentaires ;

En amont : identifier des lycéens et étudiants à fort potentiel et mobiliser la communauté normalienne pour les accompagner jusqu’à l’ENS ; action en direction de petites CPGE partenaires, au sein de l’université PSL et des lycéens des établissements encordés ; engagement en faveur de la diversité sociale ;

Au seuil de l’école : attribution de points de bonification pour les candidats boursiers dans la phase d’admissibilité des concours CPGE d’entrée dans les ENS ;

En aval : accompagner et intégrer les étudiants issus de la diversité sociale et/ou les normaliens en situation de fragilité.

Source : https://www.ens.psl.eu/sites/default/files/2021-11_plan_diversite_sociale.pdf

iii.   L’accompagnement vers la réussite

Faciliter l’accès des jeunes des classes défavorisées ne suffit pas à assurer le succès dans leurs études et les établissements d’enseignement supérieur mettent en œuvre des dispositifs complémentaires destinés à les soutenir en cours de cursus. Cela étant, la relative fragilité des mesures en question invite à une réflexion sur la manière de les consolider.

Il ne suffit pas, « pour promouvoir l’égalité des chances, de s’intéresser à l’accès (et d’ailleurs aussi aux conditions matérielles d’accès qui peuvent pénaliser la mobilité territoriale), mais aussi à la scolarité elle-même. L’accompagnement est nécessaire après l’admission, qu’il s’agisse des classes préparatoires, des universités ou des grandes écoles. Sinon, il peut y avoir des échecs de l’égalité des chances qui outre qu’ils pénalisent les jeunes concernés, décrédibilisent, pour de mauvaises raisons, les politiques d’égalité des chances. »

Source : Rapport du comité stratégique « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur », op. cit.

La loi ORE a introduit dans le code de l’éducation des dispositions visant spécifiquement à contribuer à la réussite des étudiants.

L’article L. 612-3 du code de l’éducation prévoit désormais que l’admission d’un candidat à une formation de l’enseignement supérieur peut être subordonnée à son acceptation « du bénéfice des dispositifs d’accompagnement pédagogique ou du parcours de formation personnalisé proposés par l’établissement pour favoriser sa réussite. » Il est tenu compte « d’une part, des caractéristiques de la formation et, d’autre part, de l’appréciation portée sur les acquis de la formation antérieure du candidat ainsi que sur ses compétences ».

Il est également précisé que ces dispositifs d’accompagnement pédagogique et parcours de formation personnalisés sont mis en place au cours du premier cycle et tiennent compte de la diversité et des spécificités des publics étudiants accueillis.

Comme le faisait remarquer Lamri Adoui, vice-président de France Universités ([207]), le dispositif instaure une forme de contrat pédagogique sur la réussite étudiante qui précise les mesures d’accompagnement destinées à favoriser la réussite de chaque étudiant. Il est plus particulièrement destiné aux bacheliers technologiques et professionnels dont on sait que le taux de réussite en licence générale est faible.

À ce jour, quelque 1 700 formations sont entrées dans le dispositif, et proposent des mesures d’accompagnement ad hoc, très diversifiées d’un établissement à l’autre, tant sur la forme que sur le fond, comme nos collègues Thomas Cazenave et Hendrik Davi l’avaient remarqué dans leur rapport l’an dernier. ([208]) Selon les indications données à vos rapporteures, certains établissements proposent à leurs étudiants de faire une licence en quatre ans au lieu de trois, d’être accompagnés par du tutorat, de suivre des enseignements complémentaires, etc. En termes d’efficacité, deux tendances semblent d’ores et déjà se dégager selon les dires des responsables entendus : l’amélioration de l’assiduité et la baisse de l’abandon au cours de la 1ère année universitaire étant précisé que la procédure des « oui si » a concerné quelque 27 500 nouveaux étudiants dans le cadre de la procédure Parcoursup 2023 ([209]).

Des incertitudes persistent néanmoins sur le dispositif, notamment quant à sa perception par les étudiants auxquels il est proposé, qui jouent sur son efficacité. Les remarques que nos collègues avaient formulées restent d’actualité, au point que le CESP y consacre cette année une recommandation : « Faire un bilan du dispositif des « oui si » au regard du positionnement proposé aux étudiants dans le cadre des contrats pédagogiques de réussite. Faire circuler les pratiques concernant les positionnements prévus pour les étudiants en début de première année universitaire. » ([210])

Dans cet ordre d’idées, Sciences Po indiquait à vos rapporteures mener une action au long court dans le prolongement de celle entamée au lycée auprès des élèves relevant des CEP. En premier lieu, un programme « booster » est organisé pendant une semaine au mois de juillet pour les aider à aborder sereinement la rentrée (accompagnement par des tuteurs étudiants, remise à niveau en mathématiques, participation à des conférences, accompagnement quotidien avec des étudiants de Sciences Po pour démystifier la rentrée). Ensuite, dès le mois de septembre, l’accompagnement se prolonge avec du tutorat par des élèves de master qui les aident tout au long du semestre dans l’organisation du travail, dans l’intégration. Enfin, cette voie d’admission spécifique leur permet de bénéficier d’un accompagnement qui se poursuit deux ans. S’ils passent les mêmes épreuves que les autres candidats, leurs dossiers sont évalués séparément et ils continuent d’être accompagnés tout au long de leur scolarité grâce aux dispositifs déployés par le Pôle égalité des chances ([211])

d.   Quels bilans pour ces dispositifs ?

Plusieurs lectures peuvent être faites de ces dispositifs quant à leur effet sur l’accès des jeunes publics défavorisés à l’enseignement supérieur et spécialement aux filières les plus sélectives.

i.   Des actions aussi nombreuses que variées

Sur un plan quantitatif, en premier lieu, on peut juger que leur impact est modeste sur les publics qu’ils visent. Pour intéressantes qu’elles soient, les conventions d’éducation prioritaire mises en œuvre par Sciences Po ne touchent finalement qu’un nombre très limité d’étudiants : ce sont aujourd’hui un peu moins de deux cents lycéens qui sont admis via cette procédure, provenant des quelque 198 établissements partenaires qui y préparent certains de leurs élèves de première et terminale. Rapporté au nombre total d’admis – un peu plus de 4 500 par an – le taux de réussite est de 4,4 %. Le site de Sciences Po ([212]) indique que depuis 2001, année de la création des CEP où 17 élèves avaient été reçus, plus de 15 000 lycéens se sont engagées dans le dispositif via les ateliers de préparation, dont 2 800 ont été admis, et plus de 1 500 ont finalement été diplômés. Objectivement, le dispositif ne bouleverse donc pas la donne et n’a pas d’effet en profondeur sur la sociologie de l’établissement, même si l’on peut supposer qu’il a eu une certaine utilité même pour les élèves non admis.

Dans le bilan que propose le Livre blanc de la CGE en 2022, certaines avancées sont indéniables.

Ainsi, sur le volet « Égalité des chances », à savoir « les actions des écoles en direction de collégiens ou lycéens pour favoriser l’accès à l’enseignement supérieur des élèves les plus modestes, en agissant sur l’information, le témoignage, le développement des soft skills ou encore l’aide aux choix d’orientation », le Livre blanc insiste sur la forte implication des grandes écoles dans les cordées de la réussite, l’importance du tutorat-étudiant, ces actions s’inscrivant « dans une démarche de moyen ou long terme visant à augmenter le nombre de candidats d’origine modeste, une démarche collective puisque les écoles travaillent pour l’enseignement supérieur dans son ensemble, sans viser spécifiquement leurs propres formations. » Il est précisé que 78 % des écoles du baromètre 2019 se disent engagées dans des actions de cette nature.

Éléments de bilan des Cordées de la réussite

Quantitatif :

Pour l’année scolaire 2022-2023, les nombres de structures et d’élèves concernés sont les suivants : 954 cordées et 831 têtes de cordées ; 2 219 collèges et 1 348 lycées publics et privés encordés (soit 31,2 % du total d’établissements publics et privés) ; plus de 160 000 élèves encordés.

Qualitatif :

D’une enquête ([213]) auprès des établissements d’enseignement supérieur « têtes de cordée », il ressort qu’ils investissent fortement dans le dispositif (implication de l’équipe de direction, parfois abondement du budget), et peuvent développer entre eux des coopérations, notamment dans le cadre de cordées mutualisées. Les relations entre têtes de cordées et établissements encordés sont de grande qualité, chacun dispose d’un interlocuteur auprès de son partenaire et les objectifs fixés par chaque cordée sont globalement atteints. Des partenaires extérieurs aux établissements d’enseignement supérieur participent souvent à la dynamique, et certains d’entre eux contribuent financièrement. La contribution des étudiants est déterminante, et leur recrutement, leur disponibilité et la valorisation de leur engagement constituent des enjeux forts. Reste à mener une évaluation du dispositif sur le parcours des élèves.

Quatre objectifs rassemblent des retours très positifs (pour environ 80 % « totalement ou plutôt atteints ») : « Élever l’ambition des élèves » (83%) ; « Aider à l’orientation des élèves » (83 %) ; « Faire découvrir aux élèves votre établissement/votre formation » (79 %) ; « Réduire l’autocensure des élèves » (78 %).

Source : DGESCO et DGESIP

En ce qui concerne la diversité sociale des recrutements, le Livre blanc souligne que les actions portent sur la diversification des voies d’accès – voies parallèles, alternance, partenariats, nouvelles filières –  ainsi que sur les adaptations des modalités actuelles de recrutements pour les ouvrir socialement : divers programmes d’accompagnement à l’intégration des étudiants pendant un cursus préalable, par exemple, pour aider les jeunes boursiers à préparer les concours d’entrée en voie parallèle, ou concernant les épreuves, les compétences, la formation des jurys, sont en cours. 56 % des écoles du baromètre 2019 portent des initiatives de cette nature.

DiversitÉ sociale des Étudiants admis en grande école

Source : « Ouverture sociale et territoriale des grandes écoles », op. cit.

Les initiatives en faveur de l’accompagnement des étudiants boursiers concernent 81 % des grandes écoles. Cela se traduit par de l’aide au financement, du mentorat, de l’aide sociale et/ou psychologique, de la remédiation pédagogique, de la facilitation dans les liens avec le monde professionnel. Enfin, 83 % des grandes écoles s’attachent à développer la conscience sociale de tous les étudiants pour favoriser l’inclusion de tous les élèves et prendre en compte, notamment, la diversité sociale.

ii.   Mais un impact relatif sur les inégalités d’accès

Pour remarquable que soit l’engagement des établissements d’enseignement supérieur et notamment des grandes écoles dont il faut saluer les initiatives, l’impact des mesures qui sont mises en œuvre paraît encore modeste, si l’on en croit les résultats d’une importante étude réalisée par l’IPP. ([214])

Portant sur les quelque 234 grandes écoles recensées en France en 2016‑2017, elle met en évidence que « les inégalités d’accès aux CPGE et aux grandes écoles selon l’origine sociale sont très marquées. Les élèves issus de PCS très favorisées (qui représentaient 21 % de la cohorte) ont un avantage considérable sur le reste de la population : avec des taux d’accès de 17,5 % aux CPGE ou écoles post-bac et de 16 % aux grandes écoles de niveau bac +3 à bac +5, leur probabilité était deux à trois fois plus élevée d’accéder à ces formations sélectives que les élèves issus de PCS favorisées (15 % de la cohorte), 4 fois plus élevée que les élèves issus de PCS moyennes (27 % de la cohorte), et neuf à dix fois plus élevée que les élèves issus de PCS défavorisées (37 % de la cohorte) – moins de 2 % de ces derniers ayant accédé à une grande école de niveau bac +3/5. Ces inégalités sociales d’accès apparaissent toutefois plus prononcées pour les écoles de commerce, les ENS et les IEP que pour les écoles d’ingénieurs. » ([215]) D’une certaine manière, ces données sont en cohérence avec les constats du SIES évoqués précédemment. Pour Cédric Hugrée, chargé de recherche au CNRS ([216]), cette situation aboutit à ce paradoxe étonnant que jamais autant de jeunes n’ont été diplômés de l’enseignement supérieur – la France est même de ce point de vue extrêmement bien positionnée par rapport aux autres pays européens – mais jamais non plus la transmission des savoirs n’a été aussi inégalitaire, compte tenu de l’« intensification radicale » de l’utilisation des classes préparatoires par les familles appartenant aux classes supérieures, liée à celle de la compétition scolaire et à la dévalorisation des premiers cycles universitaires, notamment impactés par la dégradation des conditions d’accueil dans un contexte de croissance forte de leurs effectifs.

Taux d’accÈs aux CPGE et aux grandes Écoles, ÉlÈves de troisiÈme en 2005-2006

Source : IPP, ibid., page 160

Cédric Hugrée souligne aussi que les jeunes des classes défavorisées sont le plus pénalisés par cette situation : le taux d’échec en premier cycle universitaire est passé de 20 % à 28 % sur les vingt dernières années et ce sont les moins dotés qui sont les premiers affectés, comme le met en évidence le graphique ci-dessous.

échec dans l’enseignement supérieur (plus haut diplôme = bac)

Source : Céreq, « Parcours scolaires et insertion professionnelle », Étude 51, 2023

Comme le résumait Julien Grenet ([217]), les dispositifs d’ouverture sociale mis en place pour certains il y a maintenant plus de vingt ans par les grandes écoles n’ont pas atteint leurs objectifs. Les différences de taux d’accès, considérables, selon les milieux sociaux d’origine des étudiants, le genre ou les origines géographiques, restent invariantes. Comme vos rapporteures l’ont souligné s’agissant des Conventions d’éducation prioritaire de Sciences Po, le nombre d’admis est par exemple extrêmement faible chaque année et reste très modeste depuis 2001. Pour l’IPP, les raisons tiennent à l’importance des inégalités en amont des grandes écoles, notamment quant à l’accès aux formations qui y préparent, les CPGE et les écoles post-bac, dont la sélectivité est très élevée : les premières accueillent 12 % d’élèves de classes défavorisées, les secondes 7 %, sachant par ailleurs qu’entre le quart et le tiers des admis sont issus d’un lycée francilien. Dans la mesure où les écoles post-bac et les CPGE ont un rôle déterminant dans le recrutement des grandes écoles, la base de recrutement de celles-ci reste très étroite et n’évolue pas, quel que soit le point de vue.

S’il y a eu une forme de « démocratisation quantitative », via l’augmentation des effectifs des grandes écoles au cours de la dernière décennie, il n’y a pas eu de changement qualitatif : « ces institutions d’élite sont restées largement fermées aux élèves issus de milieux sociaux défavorisées, les filles y demeurent sous-représentées et la part des étudiants non franciliens n’a pas progressé » ([218]) et « depuis le milieu des années 2000, moins de 10 % des étudiants des grandes écoles sont issus de milieux sociaux défavorisés (enfants d’ouvriers ou de personnes sans activité professionnelle) et moins de 18 % sont issus de catégories sociales moyennes (employés, agriculteurs, artisans, commerçants), alors que ces groupes représentent respectivement 36 % et 27 % de la population. »

Dans le même temps, alors que les PCS très favorisées ne sont que 23 % de la population, elles représentent les deux tiers – 64 % exactement – des étudiants des grandes écoles. Cette situation se retrouve dans toutes les catégories d’écoles et notamment les 10 % d’entre elles les plus sélectives, dans lesquelles la proportion est de 80 % d’étudiants issus de PCS très favorisées, pour seulement 5 % d’étudiants issus de classes défavorisées. S’agissant des différences de genre, la proportion de filles ne progresse pas non plus, elles représentent moins de 25 % des effectifs des écoles d’ingénieurs, mais en moyenne 55 % des formations d’enseignement supérieur de niveau bac+3 à bac+5. En termes géographiques, Julien Grenet rappelait que l’étude de l’IPP montrait que près d’un étudiant sur deux de l’École polytechnique, l’ENS Ulm, HEC et l’IEP Paris a obtenu son baccalauréat en Île-de-France, entre 20 % et 30 % ayant même effectué leurs études secondaires à Paris ([219]).

3.   Le développement de l’apprentissage

L’apprentissage constitue aux yeux de nombreux observateurs et acteurs un véritable outil d’ascension sociale et d’un levier pour la poursuite d’études et l’insertion professionnelle. Il apparaît avoir un réel effet pour la démocratisation de l’enseignement supérieur et pour l’accélération de la mixité sociale au sein des formations, tant au niveau des universités que des grandes écoles. Les étudiants montrant une appétence importante pour ce dispositif, certains directeurs de formation sont incités à développer l’alternance. Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles, indiquait ainsi que de nombreux établissements étaient désormais sollicités pour implanter des campus en régions pour apporter des formations en alternance au plus près de la résidence des jeunes.

Le Céreq et Ahmed el Khadiri, délégué général des missions locales, attirent toutefois l’attention sur la question du ciblage du dispositif, dont la finalité première n’était pas en direction des étudiants de l’enseignement supérieur, mais de l’enseignement secondaire, pour permettre à des jeunes lycéens n’ayant pas accès à l’enseignement supérieur de s’insérer plus rapidement après la fin de leur cursus, comme le met en évidence le diagramme ci-après.

C:\Users\mdoublet\Pictures\vlcsnap-2023-12-15-15h47m04s960.png

Source : Céreq

C.   CONFORTER LES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT

Ces dispositifs et les modalités d’accompagnement des étudiants restent pour l’heure relativement fragiles.

En premier lieu, car subsiste une inconnue quant à leur efficacité qui n’a pas été évaluée et se révèle difficile à l’être. Évaluer la réussite d’un étudiant est en effet complexe, soulignent les interlocuteurs de vos rapporteures, car la réussite repose sur des facteurs multiparamétriques et l’on peut considérer que cet objectif de réussite doit s’adapter au contexte, à la réalité socioéconomique du territoire de l’université, comme au projet personnel de l’intéressé.

En d’autres termes, les critères d’évaluation d’un dispositif donné sont aussi variés que le sont les différentes actions mises en œuvre dans le processus. Sciences Po indique avoir mis en place en 2021 un Observatoire de la réussite étudiante pour mesurer l’impact des dispositifs d’accompagnement, qui ont de plus en plus pour objectif de personnaliser l’accompagnement plutôt que de simplement l’individualiser.

À cette première dimension, s’ajoute celle du financement de ces dispositifs qui reste pour l’heure non pérenne et d’autant plus problématique que la baisse du taux d’encadrement des étudiants est une réalité depuis de nombreuses années. En conséquence, l’accompagnement des étudiants défavorisés vers la réussite peut difficilement faire l’économie d’une réflexion sur cet aspect.

Évolution de la dÉpense d’enseignement supÉrieur par Étudiant depuis 2000

Source : Gabrielle Fack et Elise Huillery, « Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace », CAE, novembre 2021

Selon les informations qui ont été communiquées à vos rapporteures, l’application des dispositifs prévus par la loi ORE est effectivement une charge importante dans le contexte actuel, à laquelle les établissements ont fait face dans un premier temps moyennant des financements d’impulsion, spécifiques, qui finissent par s’éteindre. Certaines universités, comme celle de Caen, ont pu bénéficier de crédits obtenus dans le cadre de l’appel à projets France 2030, pour une période de dix ans, mais cela reste incertain et intervient dans un contexte de forte baisse des taux d’encadrement, l’université ayant connu une croissance de ses effectifs de 10 000 étudiants depuis 2014.

Indépendamment de cet aspect, vos rapporteures soulignent l’inconvénient majeur du mode de financement par appel à projet : non seulement les ressources que les établissements d’enseignement supérieur peuvent y consacrer ne sont pas pérennes, mais la modalité les contraint, à défaut de puiser dans leurs fonds propres, à une mise en concurrence aberrante, l’accompagnement des étudiants vers la réussite étant une de leurs obligations légales. 

La problématique du financement de la promotion de la diversité et de l’égalité des chances avait été traitée de manière approfondie par le comité stratégique réuni à la demande de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal.

Le rapport insistait à ce sujet sur la nécessité d’un « financement pérenne et à la hauteur des besoins », en évoquant notamment le financement du mentorat, du tutorat et de l’accompagnement ; celui de politiques plus spécifiques telles que le logement et les internats et enfin, la question des « barrières financières qui existent en France, malgré la quasi-gratuité des études universitaires et le système de bourses », ces barrières ayant des incidences sur les études longues, sur les classes préparatoires, incompatibles avec un emploi étudiant, sur l’accès à certaines écoles aux frais de scolarité élevés, souvent privées, et enfin, spécialement sur les étudiants qui ont besoin d’un soutien à l’université.

Proposition n° 5 : Pérenniser les financements des dispositifs de soutien à la réussite des étudiants, en particulier à l’université.

III.   LES FREINS À LA MOBILITÉ DESCENDANTE : LES POLITIQUES DE LA DEUXIÈME CHANCE

Comme le faisait remarquer Léa Lima, professeure au CNAM ([220]), ces politiques n’ont pas tout à fait le même objectif que celles visant la mobilité sociale. Il ne s’agit pas de mobilité intergénérationnelle mais d’essayer de rattraper ce que l’école n’a pas réussi à faire. La mobilité sociale n’étant pas un phénomène uniquement positif, il convient de s’intéresser aussi à ces politiques publiques et aux dispositifs instaurés dans le but de soutenir les jeunes qui se trouvent à un moment de leur vie dans une situation critique, pour lesquels des « amortisseurs » sont indispensables.

A.   LES POPULATIONS CONCERNÉES

Plusieurs catégories de jeunes se trouvent dans des situations sociales difficiles, qui requièrent un soutien particulier. Ce sont notamment ceux qui sont sortis précocement du système scolaire, qui ne sont ni en emploi ni en formation, les « NEET », ainsi que ceux qui sont sortis de l’aide sociale à l’enfance.

1.   Les sortants précoces du système scolaire

Dans la stratégie de Lisbonne, l’Union européenne s’était fixée un objectif de réduction de sorties précoces du système scolaire de moins de 10 % à l’horizon de 2020. Réévalué entretemps, il a été ramené à 9 % pour 2030. Cet indicateur « mesure la proportion de jeunes de 18-24 ans qui n’étudient plus et n’ont pas terminé avec succès l’enseignement secondaire supérieur et qui n’ont pas suivi de formation (formelle ou non) au cours des quatre dernières semaines. En France, il s’agit des jeunes de cette classe d’âge qui ne poursuivent plus ni études ni formation et n’ont ni CAP, ni BEP, ni diplôme plus élevé. » ([221])

« La baisse du décrochage scolaire est essentiellement portée par la baisse des élèves sortis sans diplôme. Elle établit qu’un tiers de cette baisse s’explique par des évolutions structurelles, notamment la hausse du niveau de diplôme de la mère et l’augmentation des cadres parmi les chefs de famille. (…) certaines politiques éducatives, qui ont permis de fluidifier les parcours scolaires, ont également pu contribuer à la réduction des sorties sans diplôme. Plusieurs classes spécialisées au collège ont progressivement été fermées au début des années 2000, notamment les classes de quatrièmes et troisièmes technologiques, les quatrièmes de soutien et les troisièmes d’insertion. La baisse des redoublements, qui ont des effets délétères sur les trajectoires scolaires sans lutter efficacement contre les difficultés scolaires, commencée au milieu des années 90 s’est fortement accélérée. Enfin, la réforme du baccalauréat professionnel de 2009 a aligné la durée d’étude sur celle des voies générales et technologiques (trois ans au lieu de quatre auparavant dont deux années de BEP) et permis aux collégiens de s’engager dans cette voie professionnelle dès la sortie du collège. (…) Globalement, les constats réalisés pour la génération entrée en sixième en 1995 se retrouvent pour la génération entrée en sixième en 2007 : le niveau scolaire, le sexe de l’élève, la catégorie socioprofessionnelle du chef de famille, le diplôme de la mère, le revenu sont toujours très significatifs pour expliquer la sortie sans diplôme. »

Source : Luc Masson, « La baisse des sorties sans diplôme », DEPP, série Études, Document de travail n° 23-E04, juillet 2023

Selon les dernières données publiées par l’INSEE, en 2022, en France, 7,6 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans ont quitté leurs études initiales sans diplôme ou avec seulement le diplôme national du brevet et ne sont pas en situation de formation. Au cours des années précédentes, de 2014 à 2018, ce taux était resté stable, avant de commencer à diminuer en 2019.

Sorties prÉcoces du systÈme scolaire des 16-24 ans, en France

Source : INSEE, op. cit., page 24

Les jeunes hommes restent proportionnellement plus nombreux à quitter les études initiales sans diplôme, 9,2 % contre 6 % pour les jeunes femmes. Dans l’ensemble de l’Union européenne, on constate des écarts importants et une moyenne supérieure à celle relevée en France.

2.   Les jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET)

À la problématique des sorties précoces du système scolaire, s’ajoute celle des jeunes qui sont en outre sans emploi ni formation.

Répartition des NEET en France selon leur situation

Source : COJ, « Les jeunes au cœur du futur service public de l’insertion », juillet 2020

La France se distingue de beaucoup de pays européens par une proportion plus importante de jeunes inactifs, qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, comme le montre le diagramme ci-dessous.

Les jeunes Français et les moyennes europÉennes

Source : DARES

Comme l’indiquait Michel Houdebine, directeur de la DARES, lors de son audition ([222]), le taux d’activité des 15-24 ans est d’environ 40 % en France, dans la moyenne européenne, même si les différences peuvent être considérables, puisque plus de 80 % des jeunes de cette tranche d’âge sont en activité aux Pays‑Bas et un peu plus de 15 % en Italie. La part de chômeurs parmi les 15-24 ans est d’environ 7 % en France contre un peu moins de 6 % pour la moyenne de l’UE. Enfin, la part des NEET parmi les 15-24 ans est d’environ 10 % en France contre moins de 10 % pour la moyenne de l’UE. Elle est plus élevée dans quelques cas, comme en Italie, où près de 16 % des jeunes sont dans cette situation.

Part de jeunes de 15 à 29 ans ni en emploi, ni en Études, ni en formation (NEET) dans l’Union europÉenne en 2021

Source : INSEE, Focus n° 285, janvier 2023

Si l’on étend légèrement la fourchette d’âge, on remarque que la part des NEET parmi les jeunes de 15 à 29 ans ([223]) dans notre pays reste proche de la moyenne européenne : 12,8 %, face à 13,1 % pour l’Europe à vingt-sept et 13 % pour la zone euro. D’autres pays font beaucoup mieux : 9,2 % pour l’Allemagne, 8,3 % pour le Danemark – et hors Union européenne, entre 7,7 % et 6,2 % en Suisse. Parmi les grands pays européens, seules l’Espagne et l’Italie font clairement moins bien que la France ([224]).

Le diagramme ci-dessous met en évidence une tendance globale sur les vingt dernières années, orientée à la hausse – de moins de 11 % en 2003 à plus de 12 % à la fin 2023 – indépendamment du fait que, hormis le pic extraordinaire dû à la crise sanitaire, la courbe est plutôt baissière depuis 2015, où elle a atteint un sommet à plus de 14 % ([225]).

Part des NEET en % des 15-29 ans - tendance sur les 20 derniÈres annÉes

Source : DARES

En général, les NEET sont souvent des personnes très peu qualifiées, mais il y a aussi dans cette catégorie des personnes qualifiées cherchant un emploi adapté à leurs compétences ou en transition entre deux emplois.

Des trajectoires et des freins divers À l’emploi

Source : DARES

Le diagramme ci-dessus montre que les NEET inactifs vivent plus souvent avec des enfants, sont moins souvent diplômés du supérieur, sont plus souvent limités dans leurs activités en raison d’un problème de santé que les NEET chômeurs et les NEET dans le « halo du chômage » ([226]). Les NEET inactifs sont aussi plus nombreux à n’avoir jamais travaillé que les autres NEET.

Source : COJ, « Les jeunes au cœur du futur service public de l’insertion », juillet 2020

Les personnes en emploi sont à l’inverse très peu concernées par une limitation dans leurs activités en raison de problèmes de santé, sont beaucoup plus souvent diplômées du supérieur et vivent moins souvent avec des enfants que les NEET.

3.   Les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)

Parmi les jeunes en situation possiblement problématique pour leur avenir, ceux qui ont été accompagnés par l’Aide sociale à l’enfance constituent une catégorie particulière, cumulant souvent des difficultés de plusieurs natures.

Le nombre de mineurs et de jeunes majeurs accueillis à l’ASE augmente continûment

« Au 31 décembre 2021, 204 000 mineurs et jeunes majeurs sont accueillis à l’ASE. Après avoir légèrement diminué entre 1998 et 2002, ce nombre a continûment augmenté : + 46,3 % entre 2002 et 2021, alors que la hausse de la population âgée de moins de 21 ans n’a été que de 1,2 % au cours de cette période. La part d’enfants et de jeunes accueillis à l’ASE a ainsi sensiblement augmenté, passant de 8,5 pour 1 000 habitants de moins de 21 ans au début des années 2000 à 12,2 pour 1 000 fin 2021.

Le nombre de jeunes accueillis progresse de 2,4 % en 2021, après + 1,4 % en 2020 et une hausse annuelle moyenne de 4,7 % entre fin 2015 et fin 2019. L’ampleur de cette dernière s’explique par l’importante augmentation du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) au cours de cette période (+ 30 % par an en moyenne), les accueils des enfants et jeunes non-MNA continuant aussi à se développer. La part des MNA et de ceux devenus majeurs dans l’ensemble des enfants accueillis à l’ASE passe ainsi de 1 sur 10 à 1 sur 5 entre fin 2015 et fin 2019. La crise sanitaire survenue en 2020 et la forte chute des flux migratoires qui en a découlé, combinées aux difficultés rencontrées par les départements pour la prise en charge des MNA au cours de cette même année, expliquent la légère diminution observée, en 2020, du nombre de ces jeunes pris en charge par les services de l’ASE (- 1 %). En 2021, leurs effectifs diminuent encore (- 6 % en un an) pour atteindre un peu moins de 39 000 en fin d’année. Comme en 2020, la progression du nombre total de jeunes accueillis à l’ASE en 2021 est portée par la hausse du nombre d’accueils provisoires de jeunes majeurs (+ 11 % en un an), mais dans une moindre mesure que l’année précédente.

Source : « L’aide sociale à l’enfance, édition 2023 », Les dossiers de la DREES, n° 115, octobre 2023

Un récent rapport de l’Assemblée nationale ([227]) rappelait ainsi que selon le Défenseur des droits, 17 % des enfants de l’ASE présenteraient un handicap physique ou mental reconnu par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), contre 2 % dans la population générale des enfants, certaines données estimant que ce serait même le cas du tiers des jeunes placés. Cela étant, à 17 ans, près du quart des enfants de l’ASE ne sont plus scolarisés dans une formation diplômante, contre 9,6 % pour l’ensemble des jeunes du même âge. Enfin, le risque d’être sans domicile fixe est accru pour les ex-enfants de l’ASE : 30 % des utilisateurs de services d’hébergement temporaire et de restauration gratuite nés en France ou y étant arrivés avant l’âge de 18 ans, sont en effet des anciens de l’ASE, sachant que le quart des personnes de moins de 25 ans sans domicile ont été placées en foyer ou en famille d’accueil. D’après un rapport de la Fondation Abbé Pierre cité par le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale, « parmi les personnes qui ont connu la rue après l’ASE, 21 % l’ont connue moins d’un an après leur sortie, tandis que 39 % l’ont subie plus de 10 ans après ».

À ces constats, s’ajoutent, pour compliquer les perspectives de ces jeunes, un certain nombre de difficultés – changements fréquents de familles d’accueil ou de foyers, troubles de santé, absence de soutien familial ou manque de ressources financières – qui ont un impact direct sur leur scolarité et affectent leur capacité à obtenir un diplôme et ultérieurement à trouver un emploi stable et rémunérateur.

Un récent rapport du COJ souligne à ce propos que beaucoup connaissent une scolarité morcelée et des situations de décrochage scolaire : seuls 41 % n’ont jamais redoublé et 39 % ont redoublé avant même l’entrée au collège, ce qui obère leurs possibilités de poursuivre des études supérieures ou de s’engager dans des formations qualifiantes. Leur situation est telle que « les jeunes pris en charge par l’ASE sont majoritairement orientés vers des études courtes : seulement 13 % des jeunes de 17 ans placés préparent un bac général (vs 51 % en population générale du même âge) ; 23 % préparent un bac professionnel (vs 24 % en population générale) et 40 % un CAP contre seulement 11 % en population générale. De nombreuses études montrent que cette situation procède bien, en amont de la sortie des dispositifs, d’une réelle difficulté des services à soutenir la réussite scolaire des enfants confiés à l’ASE. » ([228])

Si, comme vos rapporteures l’ont montré, les déficiences du système d’orientation constituent un sujet de préoccupation majeure pour l’ensemble des jeunes, la manière dont les choses se passent pour ceux sortant de l’ASE entraînent des difficultés insurmontables. Selon le COJ, ces jeunes « témoignent d’une orientation souvent subie, d’un manque de soutien familial et institutionnel. Ils évoquent le sentiment de ne pas avoir été assez entendus, compris ou associés aux décisions. Ceci est également la conséquence d’une injonction dès 15 ans à l’autonomie avec le risque de ne plus pouvoir être accompagné par les pouvoirs publics au-delà des 18 ans. Il en est de même pour ceux qui n’ont pas rencontré de difficultés scolaires. Certains mettent l’accent sur le fait qu’ils sont poussés vers la sortie et sur des formations courtes professionnalisantes alors qu’ils aspiraient à un autre projet scolaire/universitaire. Il existe ainsi un décalage entre leurs attentes et les propositions qui leurs sont offertes. » ([229])

La sortie de l’ASE signifie une transformation dans la composition des ressources des jeunes dans la mesure où la prise en charge incluait celle du logement et les conditions de subsistance quotidiennes. Alors que pendant leur placement, huit jeunes sur dix perçoivent de l’argent des représentants de l’ASE (les éducateurs, la famille d’accueil ou une allocation de l’ASE), une fois sortis de placement, six jeunes sur dix à 18-19 ans et quatre jeunes sur dix à 21-22 ans n’ont plus aucun revenu provenant de la sphère institutionnelle.

La situation scolaire et la sortie de placement sont très dépendantes l’une de l’autre. L’obtention d’un contrat jeune majeur est principalement liée à la poursuite d’études et, inversement, la fin d’une prise en charge est liée à la fin d’un cycle scolaire.

Près d’un jeune sur deux sorti de prise en charge à 18-19 ans n’est ni en étude, ni en emploi ou en formation (NEET), contre 15 % en population générale et 25 % dans les milieux populaires. Pour les jeunes sortants, il s’agit en grande majorité d’une période d’attente : les trois quarts sont en recherche d’emploi à 18-19 ans et neuf sur dix le sont à 21-22 ans. Tous âges confondus, deux jeunes sur dix ont un enfant et c’est le cas d’un tiers des filles. Le fait d’attendre un enfant ou de l’élever est la première raison évoquée par les filles pour être ni en formation, ni en emploi au moment de l’enquête.

La poursuite d’études au-delà de la prise en charge touche deux fois moins de jeunes sortant de l’ASE qu’en population générale du même âge. À 18-19 ans, 31 % des jeunes sortants poursuivent leur scolarité ou leurs études. À 21-22 ans, 23 % sont en formation. Continuer l’école hors du dispositif de protection de l’enfance nécessite soit un soutien de l’entourage, soit d’être boursier ou de choisir une formation rémunérée, soit enfin de travailler en parallèle.

Source : Isabelle Fréchon, Lucy Marquet et Pascale Breugnot, « Ressources des jeunes à la fin de leur parcours de lacement à l’Aide sociale à l’enfance », INJEP, rapport n° 2023/06, juillet 2023, synthèse

C’est un avis que partage Cécile Tagliana, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, qui indiquait ([230]) que pour tenter d’y remédier, les missions locales participent désormais à l’entretien des 17 ans pour évoquer le projet professionnel des jeunes avant leur sortie, l’idée étant de mieux anticiper la période post-ASE, étant entendu que le manque de ressources et l’accompagnement peu personnalisé contribuent au fait que les éducateurs de l’ASE orientent souvent les jeunes vers les mêmes parcours. Rien ne participe vraiment de la construction d’un véritable projet professionnel.

B.   L’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES EN GRANDE DIFFICULTÉ

Quelles que soient leurs différences de parcours et de situations, ces catégories de publics se rejoignent sur le risque d’exclusion auquel elles doivent faire face. Les mesures qui sont mises en œuvre pour l’éviter appellent quelques commentaires. Comme d’autres, elles sont nombreuses et font appel à de multiples intervenants.

« Depuis plus de trente ans, tout un ensemble d’initiatives interviennent, soit en amont du marché du travail pour prévenir l’échec scolaire et les sorties précoces du système éducatif, soit en aval, pour favoriser l’embauche des jeunes. Parmi les premières, on peut citer par exemple les dispositifs relais (1998), les micro-lycées (2000) ou les missions de lutte contre le décrochage scolaire pour les lycéens (2013). Parmi les secondes figurent les contrats emploi-solidarité (1990), les emplois-jeunes (1997) ou les emplois d’avenir (2012). Ces mesures s’empilent et côtoient parfois des dispositifs d’accompagnement comme le Contrat d’insertion dans la vie sociale (2005), la Garantie jeunes (2013) ou le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (2016)… La dégradation de l’emploi des jeunes durant la pandémie vient raviver les débats sur la pertinence d’une ‟garantie jeune universelleˮ et soutenir le développement de nouvelles aides à l’embauche ou de parcours d’insertion pour les plus éloignés de l’emploi. » ([231])

« Les jeunes sont la cible d’une multitude de dispositifs qui leur sont principalement dédiés – Garantie jeunes, remplacée par le Contrat d’engagement jeunes en 2022, Promo 16/18, Service militaire adapté, service civique, Contrat initiative emploi (CIE), Parcours emploi compétences (PEC), Établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), Ecoles de la deuxième chance (E2C), Prépa apprentissage et apprentissage, Accompagnement intensif des jeunes (AIJ) –  tout en étant également éligibles à l’offre de formation des conseils régionaux. Certains programmes régionaux ont ainsi souffert du développement de la Garantie jeunes, notamment suite à l’assouplissement des modalités d’entrée (c’est le cas par exemple du programme Prépa projet en Bretagne). »

Source : 4e rapport du comité scientifique de l’évaluation du plan d’investissement dans les compétences, page 48

1.   Les dispositions au cœur du dispositif

Deux principes régissent l’accompagnement des jeunes en grande difficulté.

a.   L’obligation de formation

La loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a institué une nouvelle obligation pour les jeunes NEET de 16 à 18 ans, en décrochage scolaire ou non, diplômé ou non. Aux termes de l’article L. 114-1 du code de l’éducation, « la formation est obligatoire pour tout jeune jusqu’à l’âge de sa majorité. À l’issue de l’instruction obligatoire (…), cette obligation est remplie lorsque le jeune poursuit sa scolarité dans un établissement d’enseignement public ou privé, lorsqu’il est apprenti ou stagiaire de la formation professionnelle, lorsqu’il occupe un emploi ou effectue un service civique ou lorsqu’il bénéficie d’un dispositif d’accompagnement ou d’insertion sociale et professionnelle. »

Ce dispositif permet d’identifier les jeunes qui, à partir de l’âge de seize ans, ne se trouvent pas en situation de scolarité, d’apprentissage, en stage, employé, ou hors de tout dispositif d’accompagnement ou d’insertion. Il s’agit d’une mesure destinée à faciliter leur repérage et à prévenir leur basculement vers une situation critique, prélude à une possible marginalisation.

« Tous droits ouverts » et « Ambition emploi »

Afin d’amplifier les bons résultats concernant le décrochage scolaire, une nouvelle démarche de prévention coordonnée, intitulée « Tous droits ouverts » (TDO), a été mise en place à compter de la rentrée scolaire 2023 pour soutenir l’action des équipes éducatives et pédagogiques auprès des élèves les plus fragiles, à partir de 16 ans, éventUellement 15, en priorité issus de lycée professionnel.

Elle s’appuie sur la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la formation et de l’emploi, et consiste à développer des missions de prévention, de détection, d’accompagnement des élèves en risque ou en voie de décrochage exercées par les enseignants volontaires. Il s’agit d’ouvrir de nouvelles perspectives en permettant la mobilisation d’acteurs et de services extérieurs à l’Éducation nationale notamment les missions locales, de garantir les droits des élèves liés à leur statut en priorisant les mesures les plus protectrices et d’assurer l’accompagnement des élèves décrocheurs par le système éducatif et une démarche de formation qualifiante.

La démarche entend mettre en place des conditions de l’accès à une qualification pour les élèves en risque de décrochage ou en décrochage avéré, au moment de la transition entre l’obligation d’instruction jusqu’à 16 ans et l’obligation de formation pour les 16-18 ans. TDO s’inscrit dans l’écosystème de chaque jeune et encourage des hybridations entre parcours scolaires et dispositifs d’insertion.

Depuis la rentrée 2023, le parcours « Ambition emploi » accueille en outre les élèves ayant achevé leur formation au lycée professionnel et sans solution d’emploi ou de poursuite d’études. Personnalisé autour de leur projet, ce parcours permet de les accompagner pendant quatre mois au plus dans leur établissement ou dans toute structure concourant à la formation ou à l’insertion des jeunes. Au terme de cette période, les jeunes bénéficiaires peuvent bénéficier d’un CEJ.

Source : Circulaire DGESCO du 18 juillet 2023 et « Analyse du système de prévention et de lutte contre le décrochage en France », IGÉSR/IGAS, octobre 2023

Pour Ahmed El Khadiri ([232]), il s’agit surtout pour le jeune lui-même d’être mobilisé pour son avenir, quel que soit son parcours, et pour les institutions, d’une obligation de s’occuper des jeunes qu’elles risquent de perdre de vue : un jeune qui a eu seize ans doit être pris en charge et le croisement de divers éléments doit permettre de le situer, grâce à l’articulation entre les acteurs de terrain – missions locales, plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD), CIO – qui sont alors en mesure, le cas échéant, de contacter les familles et d’engager si besoin des actions de remobilisation en temps utile.

b.   Le droit à l’accompagnement

Le principe est posé par l’article L. 5131-3 du code du travail : « Tout jeune de seize à vingt-cinq ans révolus en difficulté et confronté à un risque d’exclusion professionnelle a droit à un accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, organisé par l’État. »

Il est précisé que cet accompagnement peut « prendre la forme d’un parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie conclu avec l’État, élaboré avec le jeune et adapté à ses besoins identifiés lors d’un diagnostic. » ([233])

Concrètement, l’article R. 5131-5 du code du travail précise que c’est aux missions locales qu’incombe la mise en œuvre de ces dispositifs : elles « mettent en œuvre le droit à l’accompagnement, en lien avec l’ensemble des organismes susceptibles d’y contribuer ». Il s’agit pour elles de mobiliser l’ensemble des acteurs locaux de l’éducation, de l’information, de l’orientation, de la protection de l’enfance, de l’insertion, de la formation et de l’emploi.

Le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) est présenté comme « le cadre contractuel unique de l’accompagnement des jeunes, à ajuster et graduer en fonction de la situation et des besoins de chaque jeune. Il vise à mettre fin à l’empilement des dispositifs et à repenser l’offre de service dans sa globalité afin de centrer l’action des missions locales sur la construction des parcours des jeunes, selon leurs besoins » ([234]) Mis en place le 1er janvier 2017 ([235]), le parcours contractualisé (PACEA) constitue en quelque sorte le « chapeau » général des différentes mesures envisageables. Il prévoyait notamment que la Garantie jeunes, instituée en 2013, en devenait une modalité spécifique.

Selon les indications données à vos rapporteures par Michel Houdebine, directeur de la DARES ([236]), l’articulation des deux dispositifs a eu un effet accélérant dans la mesure où l’accompagnement est majoritairement individuel pour les jeunes en PACEA sans Garantie jeunes, alors que celui des bénéficiaires de la Garantie jeunes, qui avaient des activités en ateliers et recevaient des informations collectives, est à la fois plus long et plus intensif, y compris au niveau du suivi individuel, comme le met en évidence le diagramme ci-après.

accompagnement des jeunes en pacea

Source : DARES

2.   De la Garantie jeunes au Contrat d’engagement jeune

Le Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté en janvier 2013, a créé la Garantie Jeunes, destinée aux jeunes NEET en situation de grande précarité sociale. Il s’agissait de proposer à ses bénéficiaires un accompagnement renforcé, assorti d’une garantie de revenu.

a.   La Garantie jeunes, une expérimentation concluante

Venant après plusieurs dispositifs lancés dans les années précédentes qui s’étaient révélés décevants, la Garantie jeunes a d’abord été expérimentée dans une dizaine de territoires correspondant à 41 missions locales sur les 442 que compte le réseau, puis peu à peu étendue à l’ensemble du territoire à partir de janvier 2015. Fin 2016, toutes les missions locales volontaires, 80 % de l’ensemble, en faisaient partie, avant que le dispositif soit systématisé par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

L’extension progressive de la Garantie jeunes

Source : DARES

Elle est alors devenue un droit pour tout jeune éligible : « La garantie jeunes est un droit ouvert aux jeunes de seize à vingt-cinq ans qui vivent hors du foyer de leurs parents ou au sein de ce foyer sans recevoir de soutien financier de leurs parents, qui ne sont pas étudiants, ne suivent pas une formation et n’occupent pas un emploi et dont le niveau de ressources ne dépasse pas un montant fixé par décret, dès lors qu’ils s’engagent à respecter les engagements conclus dans le cadre de leur parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie. »

Les bilans qui en ont été faits ont très vite montré l’intérêt des innovations introduites par le dispositif, notamment la dynamique collective et la coopération introduite entre les jeunes participants au cours des six premières semaines, avant que le processus d’accompagnement ne devienne individuel et personnalisé. ([237])

Marc Gurgand, professeur à l’École d’économie de Paris, président du comité scientifique d’évaluation du plan d’investissement dans les compétences (PIC), a coprésidé avec Emmanuelle Wargon la commission qui a proposé au Premier ministre la préfiguration du dispositif. Il estimait ([238]) que, dans la dynamique du parcours des jeunes, la Garantie jeunes était l’un des outils de politiques publiques les plus intéressants et volontaristes, dont l’efficacité a tenu en grande partie à l’accompagnement intense. L’effet de cohorte, très inhabituel dans le fonctionnement des missions locales auparavant, a joué un rôle positif en matière d’engagement des jeunes dans un groupe, de même que l’utilisation massive de l’immersion professionnelle.

Selon l’évaluation d’impact de la DARES, le dispositif augmentait d’environ dix points le taux d’emploi des bénéficiaires onze mois après leur entrée en Garantie jeunes, et ils gagnaient aussi en autonomie. Au final, 29 % des bénéficiaires étaient en emploi huit mois après l’entrée dans le dispositif, et 41 % au bout de 19 mois. Des évaluations ultérieures confirmaient ces tendances et indiquaient que « durant l’année qui suit leur entrée dans le dispositif, une grande partie des jeunes sont encore suivis, la Garantie jeunes pouvant durer un an. Durant cette période, leur situation professionnelle n’est pas affectée par le passage par le dispositif. Par contre, au cours de la deuxième année, celle qui suit pour la plupart des jeunes la sortie du dispositif, les jeunes bénéficiaires ont un taux d’emploi de 54 %, soit 21 points de plus en moyenne que celui des jeunes comparables suivis en mission locale, mais qui n’ont pas bénéficié de la Garantie jeunes. Cet effet positif très fort, estimé dans le contexte de déploiement du dispositif, confirme les premiers travaux d’évaluation menés durant sa phase expérimentale. Cet effet sur l’emploi s’explique principalement par des contrats à durée déterminée et par l’intérim. » ([239])

b.   Le Contrat d’engagement jeune

Le Contrat d’engagement jeune (CEJ) a remplacé la Garantie jeunes à compter du 1er mars 2022.

i.   Le dispositif principal

Réservé antérieurement aux jeunes NEET de 16 à 25 ans en situation de précarité, le nouveau dispositif est également ouvert aux NEET sans conditions de ressources ainsi qu’aux jeunes en emploi précaire et à ceux qui sont handicapés jusqu’à 29 ans révolus, autant d’évolutions que le COJ, entre autres, a saluées ([240]), notamment car les jeunes NEET vulnérables avaient jusqu’alors peu accès à la Garantie jeunes, comme il avait eu l’occasion de le souligner, cette situation l’amenant à formuler des recommandations en ce sens.

Mis en œuvre par Pôle emploi – aujourd’hui France travail – et les missions locales, le CEJ prévoit aussi un dispositif d’accompagnement personnalisé intensif, de 15 à 20 heures hebdomadaires, pour une durée maximale de douze mois, sauf exception, mais sans durée minimum. Enfin, l’allocation mensuelle qui est servie est comparable à celle de la Garantie jeunes, jusqu’à 528 euros mensuels selon les conditions de ressources, à condition de respecter les engagements souscrits au contrat.

ii.   À la recherche des « invisibles »

En complément, un volet spécifique, destiné aux jeunes « en rupture » a été développé. Il s’adresse à un public spécifique, notamment les jeunes sortant de l’ASE, ou suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), sortant de prison, mineurs non accompagnés (MNA) ou bénéficiaires d’une protection internationale (BPI), etc. Ce public cumule en outre certaines difficultés : l’absence de logement stable et un niveau de qualification très faible, souvent en situation d’illettrisme/illectronisme, ou de faible maîtrise de la langue, des problèmes d’addiction, de santé, ou autres. Des appels à projets régionaux sont lancés en direction de structures associatives pour sélectionner sur l’ensemble du territoire des projets proposant un accompagnement spécifique et renforcé à destination de ces jeunes en rupture, afin de leur proposer des modalités d’accompagnement global incluant les différentes problématiques auxquelles ils font face, dont le logement et la santé.

Les jeunes « invisibles »

On désigne par l’expression « jeunes invisibles » les jeunes NEET ne bénéficiant d’aucune forme d’aide ou d’accompagnement institutionnel et ne fréquentant aucune structure d’accompagnement, de formation ou d’insertion.

La catégorie des jeunes « invisibles » constitue ainsi une catégorie imbriquée au sein des NEET et une population prioritaire, car elle recouvre les NEET les plus éloignés de l’action publique.

Source : COJ, « Les jeunes au cœur du futur service public de l’insertion », op. cit.

Comme le précisait Cécile Tagliana ([241]), il s’agit d’avoir une démarche proactive d’« aller vers » ces jeunes « invisibles » pour les repérer, alors qu’ils ne vont pas spontanément vers les institutions envers lesquelles ils n’ont plus confiance. Les associations peuvent au contraire aller à leur rencontre, sur leur lieu de vie, ou de manière dématérialisée, pour leur proposer d’entrer dans le dispositif du CEJ, le cas échéant de manière plus souple, adaptée à chaque cas, notamment quant à l’exigence d’une activité travaillée de 15 à 20 heures par semaine que certains ne sont pas en mesure d’assumer.

Les caractÉristiques diverses et cumulatives des jeunes sans solution

Source : DITP

Cela passe concrètement par un travail de maraudes et un travail de rue, et par des maraudes numériques sur les réseaux sociaux, comme par exemple le dispositif « Déclic » d’Emmaüs connect. L’idée est de donner une réponse immédiate au jeune, qui n’a pas le temps d’attendre et s’évapore très vite.

Le répérage des jeunes en rupture

« Ces actions peuvent être de différentes natures : des projets ‟hors les murˮ, dans des lieux où vivent les jeunes qui ne se présentent pas spontanément aux opérateurs du SPE, au moyen de divers véhicules par exemple (truck, minibus…) ; un repérage des jeunes par d’autres jeunes, la relation de pairs étant susceptible d’instaurer une relation de confiance plus facilement ; la mise en place d’activités sportives et culturelles, attractives pour les jeunes et qui permettent une approche plus ludique et moins institutionnelle des jeunes, etc. »

Source : circulaire interministérielle n° 2022/117 du 22 avril 2022 relative à la mise en œuvre du contrat d’engagement pour les jeunes en rupture

Cécile Tagliana rappelait que l’objectif initial, lors des deux premières années du CEJ, était de repérer 20 000 jeunes dans cette situation et que depuis le lancement du dispositif, début 2023, les associations en avaient repéré 10 000, dont le tiers avaient signé un CEJ. Ceux qui ne l’ont pas fait ont parfois trouvé un emploi, parfois se sont dirigés vers un autre dispositif plus adapté ou encore sont partis en formation directement. Les résultats sont plutôt positifs même s’il reste des problématiques : plus de garçons ont été repérés que de filles par exemple. Le public visé semble le bon car les jeunes déclarent des difficultés dans leur insertion (mobilité, logement…). Le problème d’accès aux droits (santé…) est plus important que ce qu’on aurait imaginé.

La démarche en direction des publics dits « invisibles »

« Les modes usuels d’accompagnement proposés ne sont pas adaptés à ces jeunes en grande difficulté, notamment parce qu’ils peinent à s’adapter à un programme, à respecter des règles dans la continuité, mais aussi à cause de leurs réticences vis-à-vis des institutions : le Pacea, la Garantie jeunes, l’inscription à Pôle emploi représentent des contraintes trop fortes pour eux. Il apparaît nécessaire d’engager une démarche active envers eux pour les faire entrer dans les dispositifs d’accompagnement et d’insertion. Cette problématique commence à être prise en compte. Dans le cadre du PIC, un premier appel à projets en faveur du ‟repérage des invisiblesˮ, doté de 60 M€, a financé 237 projets. Le ministère chargé du travail en a fait l’une de ses priorités, qu’il encourage auprès des missions locales. Certaines collectivités locales mettent en œuvre des actions ‟hors les mursˮ, avec l’appui de missions locales et d’associations implantées dans les quartiers où vivent ces jeunes. De plus, un effort important en direction des décrocheurs scolaires, dont le flux peut alimenter ces ‟invisiblesˮ, a été initié depuis quelques années, et la Cour en a déjà souligné les succès et les limites dans un rapport de janvier 2016. Pour autant, l’investissement en direction des ‟invisiblesˮ est très variable selon les territoires. »

Source : Cour des comptes, « L’insertion des jeunes sur le marché du travail », 2021

Le Pacte des solidarités 2023-2027, entré en vigueur le 1er janvier dernier, amplifie les possibilités de ce dispositif spécifique, et prévoit de toucher quelque 50 000 jeunes en très grande difficulté ([242]), sachant que, selon Cécile Tagliana, une étude préalable de la DITP sur les jeunes en rupture, réalisée avant la mise en œuvre du Contrat d’engagement jeune = Jeunes en ruptures (CEJ-JR), avait évalué le public cible à 200 000 jeunes.

iii.   Quelques éléments de bilan

Les évaluations de la Garantie jeunes étaient positives. Elles montraient qu’elle atteignait ses cibles, et que les modalités de l’accompagnement de longue durée par les missions locales se révélaient très utiles. Étaient par exemple soulignés « la dimension collective de l’accompagnement (…) particulièrement appréciée par les jeunes, et perçue comme un apport très important du dispositif. Son effet de re-socialisation semble primordial, que ce soit pour redonner confiance, ou, dans un registre plus normatif, pour inculquer les règles du marché du travail et/ou aussi parfois aider à abandonner des conduites déviantes »  ([243]), ainsi que l’effet sur l’emploi des bénéficiaires, malgré une mise en œuvre diverse par les missions locales.

Le COJ, saisi par le ministère du travail, évalue le nouveau dispositif depuis son lancement et ses appréciations sont également positives. Il s’est notamment très tôt félicité du bon démarrage ([244]), confirmé depuis, comme en témoigne le tableau ci-dessous qui met en évidence une progression spectaculaire en un an et demi, le nombre de contrats signés étant passé de 70 000 à plus de 540 000 entre avril 2022 et novembre 2023 !

Évolution du nombre de contrats signés depuis le lancement du CEJ

Source : COJ, « Le contrat d’engagement jeune, suivi et évaluation de sa mise en œuvre dans les territoires », 2e rapport d’étape, février 2024

Il insiste néanmoins sur un certain nombre de points sensibles pour que la logique du dispositif aille à son terme et permette de toucher le maximum de personnes pouvant y prétendre.

En outre, selon le COJ, le volet spécifique concernant les jeunes en rupture reste à parfaire, notamment au niveau du repérage encore insuffisant, de nombreux jeunes restant sous le radar. De même, les assouplissements introduits à divers niveaux pour ces publics mériteraient d’être approfondis pour que les acteurs soient mieux à même de répondre à des situations très difficiles.

c.   Parmi les autres dispositifs pour les publics jeunes en grande difficulté

Un certain nombre d’autres dispositifs coexistent avec ceux-ci, destinés à prendre en charge et à accompagner des publics également marginalisés.

Les jeunes en situation de précarité peuvent se voir proposer des modalités d’accompagnement très variées et faisant appel à divers opérateurs. Ainsi, les Écoles de la deuxième chance (E2C), les EPIDE, voire le SMV ou le SMA, peuvent-ils être proposés aux jeunes concernés, si l’une ou l’autre de ces structures paraît plus pertinente en fonction des besoins identifiés au terme d’un diagnostic effectué en mission locale. À ce propos, certaines missions locales estiment qu’un travail de réparation des jeunes est parfois nécessaire avant d’envisager une orientation vers une formation ou un emploi.

Les Écoles de la deuxième chance ([245]), réunies en réseau depuis maintenant vingt ans, accueillent chaque année quelque 15 000 jeunes sans qualification ni emploi pour les accompagner vers une intégration sociale, citoyenne et professionnelle durable. Ce sont des jeunes qui dans leur très grande majorité n’ont ni expérience professionnelle (89 % sont dans ce cas), et n’ont pas non plus de diplôme équivalent à un CAP ou un BEP (91 % des cas). Les E2C les accompagnent dans un parcours d’une durée moyenne de six mois, qui peut aller jusqu’à dix-huit mois, concrétisé par trois volets : le premier permet aux jeunes de développer et acquérir des nouvelles compétences adaptées à leur projet professionnel ; le deuxième d’acquérir de l’expérience dans le monde professionnel par des mises en relation et des immersions en entreprise, le dernier d’accompagner individuellement chaque jeune tout au long de son parcours vers une insertion sociale, citoyenne et professionnelle.

Sur un modèle différent, puisqu’ils accueillent les jeunes en internat, les EPIDE (Établissement pour l’insertion dans l’emploi) ([246]), proposent également aux jeunes NEET de 17 à 25 ans, volontaires et au maximum titulaires du baccalauréat, un accompagnement très encadré, d’inspiration militaire, destiné à les aider à faire des choix d’orientation, de stages, de formations, et à lever les freins leur permettant une insertion sociale et professionnelle.

Le service militaire volontaire (SMV) ([247]) propose à des jeunes de profil comparable un parcours d’accompagnement militarisé, leur offrant une formation complémentaire de plusieurs mois, suivie d’une formation professionnelle et un accompagnement tutoré destinés à leur permettre une insertion professionnelle à l’issue d’une période d’engagement de huit à douze mois. Le SMA – service militaire adapté – propose le même genre de parcours pour les jeunes ultramarins. ([248])


   QUATRIÈME PARTIE : PERMETTRE AUX JEUNES DE PRENDRE LEUR DESTIN EN MAIN

La mobilité sociale des jeunes ne fait pas l’objet d’une politique publique en tant que telle et en faire l’évaluation est de ce fait malaisé. C’est la raison pour laquelle vos rapporteures ont plus particulièrement centré son analyse sur quelques‑uns des nombreux dispositifs qui y concourent – mixité sociale, orientation, accès à l’enseignement supérieur, accompagnement des étudiants, obligation de formation et deuxième chance pour les 16-18 ans, quotas de boursiers, apprentissage dans le supérieur.

D’autres axes auraient pu être retenus, la politique de la jeunesse regroupant « l’ensemble des actions concourant à l’accompagnement des parcours de jeunes vers l’autonomie, notamment par l’éducation, la formation, l’insertion sociale et professionnelle, le logement, la santé, la sécurité, les loisirs éducatifs, sportifs et culturels, la mobilité, l’engagement, et ce dans une perspective de réduction des inégalités, qu’elles soient sociales ou territoriales » ([249]), selon les documents budgétaires qui précisent que « favoriser cette autonomie implique d’agir sur tous les leviers permettant aux jeunes d’être acteurs de leur parcours, de subvenir à leurs besoins et de se réaliser en tant qu’individus. Il s’agit de favoriser leur indépendance financière et résidentielle, en même temps que leur capacité à prendre individuellement et collectivement les décisions qui les concernent. Ces éléments, conditionnés pour une large part par une orientation scolaire et professionnelle adaptée, nécessitent pour certains jeunes un accompagnement renforcé. »

Cette amplitude thématique interdit l’exhaustivité à vos rapporteures qui souhaitent surtout inviter à une réflexion sur l’adéquation des dispositifs à l’objectif central d’autonomisation des jeunes qui est ainsi poursuivi.

I.   POUR UNE APPROCHE GLOBALE FAVORISANT L’ÉMANCIPATION ET L’AUTONOMIE DES JEUNES

Comme vos rapporteures l’ont montré, de rapport officiel en plan gouvernemental, la même antienne est inlassablement ressassée depuis des décennies, mais quelles que soient les avancées, indiscutables, qui ont été apportées, il reste encore à définir les contours et objectifs d’une véritable politique pour une jeunesse autonome, terreau de la mobilité sociale.

A.   UN AXE TOUJOURS DÉFENDU, JAMAIS CONCRÉTISÉ

Au risque de la répétition, vos rapporteures observent que, pour l’essentiel, les dispositifs les plus importants instaurés ces dernières années ne sortent pas d’une logique de rattrapage : de la Garantie jeunes au Contrat d’engagement jeune, il s’agit avant tout d’empêcher les jeunes les plus en difficulté de glisser sur le toboggan de l’exclusion. D’une certaine manière, ces dispositifs, centrés sur les NEET, viennent tenter de rattraper « l’échec de la prise en charge de la famille et celui des différents dispositifs favorisant l’accès à l’emploi. » ([250])

En revanche, les recommandations unanimes sur les mesures qui pourraient véritablement jouer en faveur de l’autonomisation de l’ensemble de la jeunesse sont restées lettre morte et le bilan de cette question est des plus mince.

Au long de plus de vingt ans de réflexion sur les politiques de jeunesse, il n’est pas un rapport ni un discours qui n’ait posé l’autonomisation des jeunes comme horizon unique et qui n’ait tracé le chemin pour l’atteindre, à savoir l’égalité des droits entre les jeunes et les autres.

Ce sont ces axes qu’ont défendus le Livre blanc en 2001 et le rapport de la commission de Foucauld en 2002, le Livre vert et le président Nicolas Sarkozy en 2009, ou encore le plan Priorité jeunesse et le président François Hollande en 2013. Tous ont considéré que la politique de jeunesse avait pour fonction principale l’accompagnement des jeunes adultes vers cette finalité, l’autonomie et la responsabilité.

Néanmoins, aucune des mesures prises ensuite n’a vraiment osé aller au bout de cette logique et les jeunes adultes restent aujourd’hui encore, pour l’essentiel, des enfants à charge, sans droits propres.

1.   Les conditions d’une véritable autonomisation des jeunes

Vos rapporteures ont évoqué à ce propos les travaux de la Commission nationale pour l’autonomie des jeunes, créée par la loi en 2001, dont les conclusions ont été enterrées, en tout cas oubliées, à la faveur de l’alternance politique de 2002 qui a immédiatement suivi sa publication.

Auparavant, le Livre blanc de 2001 avait souligné que la création du RMI en 1988 et son renouvellement en 1992 avaient traduit la « prise de position forte de la collectivité » vis-à-vis de la jeunesse en fixant à 25 ans la limite d’âge pour pouvoir y prétendre. Par le fait même, une majorité sociale avait été instituée, distincte et beaucoup plus tardive que la majorité civile et politique, en raison d’une possible « désincitation » au travail et d’un encouragement précoce à l’assistance. Caler cette limite d’âge sur la législation fiscale pouvait avoir sa justification, mais par le fait même laissait nombre de jeunes dans un quasi-vide juridique, « si l’on est, avant cet âge, privé du recours familial, quelles qu’en soient les raisons, c’est-à-dire ni étudiant, ni actif employé ou indemnisé » ([251]. Ce « déni de droit » mettait les jeunes de France dans une position singulière en comparaison de ceux de la plupart des pays européens ([252]) où, à l’exception de l’Italie et du Luxembourg, l’âge limite de versement des prestations familiales et d’ouverture du droit individuel à un revenu minimum est celui de la majorité civile, 18 ans. En d’autres termes, dans les autres pays européens, « les jeunes majeurs sont titulaires de droits propres, non de droits dérivés, ils ne sont pas seulement des ‟donnant droit à la famille.ˮ » ([253])

C’est pour ce motif que quelques années plus tard le Livre vert de la commission Hirsch, regrettant qu’« il existe encore de très nombreuses situations dans lesquelles l’âge est un critère discriminant pour l’accès à un droit ou à une protection, y compris pour des jeunes majeurs », plaidera pour « garantir l’accès de tous les jeunes au droit commun avant d’envisager des dispositifs spécifiques » et posera le principe selon lequel « une nouvelle politique de la jeunesse doit avoir pour objectif d’organiser l’accès de droit commun pour tous les jeunes aux droits fondamentaux : droits du citoyen, à l’éducation et la formation, à la santé et au logement, à la dignité de la personne… »

Malgré tout, rien n’a fondamentalement changé depuis, malgré les prises de position au plus haut niveau, telle celle du président Nicolas Sarkozy précisant, en présentant les grands axes d’une politique pour la jeunesse précisément basée sur le Livre vert qu’il avait commandé : « Je n’accepte pas l’idée que parce qu’on est jeune, on a moins de droits sociaux que quand on est adulte. » ([254])

2.   L’alternative

De ce point de vue, comme le résume Tom Chevalier, chargé de recherche au CNRS, ([255]) il y a deux grands modes d’intervention de l’État pour faciliter l’accès des jeunes à l’autonomie.

En premier lieu, les aider à entrer sur le marché de l’emploi, étape essentielle pour l’accès à l’indépendance financière, et à cet égard les politiques d’éducation sont déterminantes.

De ce point de vue, Tom Chevalier distingue deux groupes de pays en Europe : ceux qui visent à l’acquisition par tous les jeunes d’un niveau minimal de compétences qui leur permettront d’occuper des emplois de qualité. Ces pays mettent fortement l’accent sur la lutte contre le décrochage et sur les dispositifs de formation tout au long de la vie, sur la deuxième chance, la formation professionnelle pour les jeunes peu qualifiés, etc. Dans d’autres pays, en revanche, dont la France, la tradition est plutôt celle d’un fort élitisme ([256]) et l’objectif n’y est pas tant de garantir un haut niveau minimal de compétences à tous que d’identifier une élite. Cela se traduit ultérieurement par de fortes inégalités de salaires et d’emplois, mais avant cela, par plus d’inégalités scolaires, de décrochages, de difficultés d’insertion sur le marché du travail pour les moins qualifiés, et s’accompagne d’une politique de l’emploi qui entérine cet état de fait : mesures d’exonérations de charges, accent mis sur l’abaissement du coût du travail des jeunes, etc., avec pour effet une dualisation du marché de l’emploi dont les jeunes les moins qualifiés sont les victimes, par comparaison avec les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ([257]).

Le second mode d’intervention de l’État contribuant à l’indépendance financière des jeunes repose sur des aides publiques, directes ou non. Ces filets de sécurité suivent également deux modalités principales : celle qui considère toujours les jeunes comme les enfants de leurs parents, dans laquelle les politiques sociales sont familialisées et dont les parents sont les bénéficiaires directs, via des mesures fiscales – demi-parts, notamment – ou des limites d’âge élevées. C’est dans ce groupe de pays que se situe la France, cf. l’âge plancher de 25 ans pour l’accès au RSA ou le barème différencié des bourses selon les revenus des parents. Ailleurs, notamment dans les pays nordiques, les mesures ont en revanche pour destinataires directs les jeunes eux-mêmes, dès leurs 18 ans. Ils ont un statut individuel dès leur majorité et les politiques mises en œuvre en leur faveur ne sont pas conditionnées à la situation de leur famille. Cela se traduit par des politiques de revenus minimum dès 18 ans, par des bourses plus importantes, auxquelles peuvent prétendre la quasi-totalité des étudiants, indépendamment des revenus des parents.

Même si des inflexions, notamment en matière d’aide au logement, ont été introduites ces dernières années, qui tendent à introduire une certaine hybridation dans le système, tout cela a des conséquences sur la vie des jeunes, précise encore Tom Chevalier, qui juge qu’ils sont en France des « citoyens de seconde zone » ([258]) et partage avec de nombreux auteurs l’idée que cette situation a d’importants effets sociaux, voire politiques, en termes de confiance envers l’État et les institutions.

B.   LES EFFETS DE L’ABSENCE D’AUTONOMIE

Certains chercheurs voient dans la forte augmentation de la précarité qui touche les jeunes en France un effet direct de la structure des politiques sociales qui leur sont destinées.

Pour Camille Peugny, par exemple, la jeunesse est « un âge de la vie modelé par des politiques publiques lourdes de conséquences sur les inégalités » ([259]) et si le temps de la jeunesse s’allonge partout en Europe, l’analyse comparée montre comment les politiques publiques « font système » et comment le degré de citoyenneté économique et sociale accordée aux jeunes y contribue. Camille Peugny juge qu’« une citoyenneté sociale familialisée, qui se traduit notamment par des barrières d’âge pour pouvoir bénéficier d’un certain nombre de prestations sociales, favorise des taux de pauvreté élevés chez les jeunes : c’est ainsi le cas en France, où les conditions drastiques d’obtention du revenu de solidarité active (RSA) avant l’âge de 25 ans créent dans les faits d’importantes poches de pauvreté chez les jeunes. La comparaison européenne permet également d’éclairer la structure des inégalités entre les différentes fractions de la jeunesse. En effet, les inégalités ne se transmettent pas avec la même intensité dans tous les pays. » ([260])

Or, cette situation s’inscrit dans un contexte dans lequel, sur la longue durée, les indicateurs économiques se dégradent de manière continue depuis une trentaine d’années. La précarisation de l’emploi, particulièrement marquée chez les moins de 25 ans, a triplé en trente ans chez les jeunes, affectant notamment la frange la moins qualifiée d’entre eux ([261]). Couplée à l’élitisme du système éducatif, la familialisation des prestations les rend dépendants de la solidarité familiale. Cela impacte leur possibilité d’autonomie, leur insertion et, in fine, de mobilité sociale en entretenant la reproduction des inégalités, l’accès à l’enseignement supérieur étant fortement conditionné par la situation sociale des parents.

Comme Camille Peugny l’ajoutait devant vos rapporteures ([262]), cet état de fait est d’autant plus visible en France que l’on est dans une société dans laquelle l’école et le diplôme sont déterminants dans la mobilité sociale : la massification scolaire a certes été fortement encouragée, mais le système élitiste oriente et classe très tôt, et les études supérieures sont filiarisées, favorisant la reproduction des inégalités.

C.   PLAIDOYER POUR UNE POLITIQUE EN FAVEUR DE L’AUTONOMIE

En écho à ces analyses, les jeunes expriment de leur côté leur insatisfaction quant à la manière dont les politiques publiques qui leur sont destinées sont décidées et conduites. Les mesures engagées par les gouvernements successifs ces dernières années sont loin de les avoir convaincus et ils n’ont de cesse d’alerter sur l’impératif de remettre à zéro l’ensemble de ces dispositifs.

De ce point de vue, le « big-bang des politiques jeunesse » synthétise le mieux ce que les jeunes pensent et demandent.

1.   Les demandes initiales des jeunes

Comme vos rapporteures l’ont indiqué, les associations du collectif « Pour un big-bang des politiques jeunesse » plaident pour des changements en profondeur, pour rompre avec l’incapacité des pouvoirs publics depuis trente-cinq ans à répondre aux défis auxquels les jeunes font face. Dans cette optique, les associations proposent de « passer à une logique de droit » et de rompre avec celle de dispositifs curatifs prévalant depuis plusieurs décennies. Elles plaident pour que les politiques s’inspirent de dispositifs qui existent dans plusieurs pays du nord de l’Europe, « qui traduisent très explicitement le choix qu’on fait ces pays d’investir dans l’avenir en faisant le pari de la jeunesse, de l’éducation et de la recherche. »

« Les limites de 35 ans d’intervention publique »

« Face à la montée du chômage, et tout particulièrement du chômage des jeunes, les pouvoirs publics ont développé à partir du milieu des années 70 des interventions importantes autour de deux grands axes. Une nouvelle étape de la démocratisation et de la massification de l’enseignement et des dispositifs nombreux et diversifiés pour favoriser l’insertion des jeunes dans l’emploi, reposant pour l’essentiel sur des actions de formation, l’assouplissement du droit du travail, l’abaissement du coût du travail pour l’entreprise. L’ouverture du RMI à partir de 25 ans et l’allongement de la durée de versement des allocations familiales, ont traduit par ailłeurs le choix de faire supporter par les familles ‟l’allongement de la jeunesseˮ consécutif à la prolongation des études et aux difficultés d’insertion professionnelle et de stabilisation dans l’emploi.

Cette politique a contribué à un relèvement rapide du niveau de qualification des jeunes générations. Mais ce progrès indéniable n’a débouché, malgré l’ampleur des mesures d’insertion, ni sur une réduction significative et durable du chômage ([263]), ni sur une amélioration de l’accès et de la stabilisation dans  l’emploi. Les dispositions adoptées pour favoriser l’insertion professionnelle ont même participé au développement de la précarité qui est devenue l’expérience collective des nouvelles générations. La précarisation de l’emploi et le renvoi  des jeunes adultes à la charge des familles se sont traduits  par un accroissement rapide de la pauvreté. La catégorie des 16-25 ans est ainsi celle de la population qui a le taux de     pauvreté le plus élevé (près de 20 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté contre 13 % de l’ensemble de la population). Tout cela débouche pour les jeunes sans soutien familial sur des situations de survie qui correspondent à de véritables dé nis de droit dans un des pays les plus riches du monde.

Comment la société peut-elle agir ainsi ? Comment peut-elle accepter de laisser les jeunes à la porte du monde du travail ? Comment peut-elle laisser les familles seules devant ce phénomène ? Comment peut-elle inventer chaque année des dispositifs pour les jeunes toujours moins favorables que le droit commun ? Comment peut-elle imaginer bâtir un avenir collectif en laissant de côté les jeunes ? »

Source : « Pour un big-bang des politiques de jeunesse », Plateforme pour l’élection présidentielle de 2012

C’est en ce sens que le collectif s’était félicité des ambitions du plan Priorité jeunesse qui « proposait d’aborder les situations de jeunesse au travers d’une approche globale et transversale, ce qui constituait une petite révolution en soit. » La désillusion des associations était rapide cependant et, en réponse au premier rapport d’étape publié par le gouvernement, elles présentaient un rapport alternatif deux ans plus tard, résumant leurs principales propositions pour « un droit pour tous à construire son parcours et à vivre dignement », dans lequel figurait notamment la « clef pour une vie décente », à savoir le versement d’une allocation sans référence aux ressources parentales, en lieu et place des diverses aides versées aux familles, ce qui traduirait « le choix de considérer qu’à compter de sa majorité, chaque jeune, responsable civilement et pénalement, est titulaire de l’ensemble de ses droits sociaux. » 

2.   Une analyse partagée

Le regard que porte la plateforme sur les politiques de jeunesse est toujours aussi critique.

Les propositions que les associations de jeunes ont formulées à l’occasion de la campagne présidentielle de 2022 ne différaient en rien de celles qu’elles avaient faites dix ans plus tôt, à savoir « permettre aux jeunes d’accéder au droit commun et de bénéficier de politiques transversales intégrant le logement, la santé, les aides sociales ».

Cette exigence est partagée par plusieurs des interlocuteurs de vos rapporteures, dont Antoine Dulin ([264]),pour qui ce sujet est LA question prégnante, et qui estime qu’on n’avancera pas tant qu’on ne sortira pas de la problématique de la familialisation des mesures en faveur des jeunes.

Quoi que l’on fasse, estime le président de la commission de l’insertion des jeunes du COJ, on ne se pose pas la véritable question et même si l’on avance un peu de dispositif en dispositif, on en reste encore et toujours en France à de l’assistanat, et l’on ne fait que reproduire les inégalités sociales.

« Réclamer une vraie politique de la jeunesse, ce n’est donc pas prétendre que l’État ou les collectivités locales ne font rien, en particulier pour les jeunes les plus vulnérables, qui sont au contraire en contact avec de multiples institutions et peinent à trouver leur chemin dans un ‟maquis de droitsˮ. Ce qu’il manque, en revanche, c’est une conception politique, voire philosophique, de la jeunesse, à laquelle pourrait s’adosser une réelle politique de la jeunesse, par la construction d’un système plus simple et plus universel reposant sur quelques grands principes. Pour le dire de manière plus prosaïque, il reste à débattre de ce que devrait représenter individuellement et collectivement le temps de la jeunesse. »

Source : Camille Peugny, op. cit. page 89

L’essentiel serait de travailler sur les objectifs que l’on se donne pour les jeunes de 16 à 18 ans. Or, le système de dépendance dont nous ne sortons pas, induit une différence fondamentale entre ceux que leurs familles peuvent aider et les autres. Le fait qu’ils soient ayants droit et non sujets de droits marque durablement leur destin.

À cette dépendance des jeunes à leurs parents, Marie Caillaud ([265]) ajoute la multiplicité des statuts, qui complexifie leur situation : ils peuvent être étudiant, chômeur, stagiaire, en service civique ou autre, et à ces positions différentes correspondent des interlocuteurs différents, des allocations ou rémunérations différentes, des démarches et procédures complémentaires, qui ne sont pas pour rien dans les ruptures de parcours que l’on constate chez les plus défavorisés d’entre eux, ainsi que dans les stratégies que certains mettent parfois en œuvre, non dans leur intérêt à long terme, mais de manière pragmatique pour un bénéfice financier immédiat ([266]). Y correspondent aussi parfois, des situations de cumuls de statuts qui ne sont plus rares aujourd’hui, un jeune pouvant être à la fois étudiant et salarié, pour ne prendre que cet exemple simple.

C’est la raison pour laquelle le COJ, avec les jeunes, avec nombre de chercheurs, plaide fortement pour une universalité des droits, avec une individualisation de l’accompagnement sans condition d’âge ni de statut particulier. À ce premier principe, Marie Caillaud ajoutait celui de la garantie d’une allocation pour les jeunes précaires et sans soutien familial.

Compte tenu de l’amplitude des problématiques, de leur complexité et du nombre de dispositifs concernés, il n’est pas possible à vos rapporteures de formuler des préconisations plus précises dans les limites de leur analyse. Il ne leur appartient pas non plus de tracer des lignes directrices de ce que serait la future politique de la jeunesse. Mais l’unanimité entre les positions des associations de solidarité, les institutions et les travaux de recherche comparés, les incite à proposer l’ouverture d’un large débat national sur la politique que notre pays entend mener en faveur de sa jeunesse. En ce sens, les pistes de réforme que suggèrent certains chercheurs et institutions d’un accompagnement contractualisé de tous, indépendamment de leur situation personnelle, étudiants ou en voie d’insertion professionnelle, paraissent de nature à favoriser de manière effective leur parcours.

Proposition n° 6 : Engager un débat national en vue de l’adoption d’une loi de programmation des politiques de jeunesse permettant de poser le cadre des réformes à entreprendre.

Quoi qu’il en soit, elles sont convaincues que, comme cela a été dit et écrit depuis longtemps, on ne peut désormais plus faire l’économie d’une réflexion collective qui traite de ce que notre société envisage pour sa jeunesse et lui propose, qui aborde et remette à plat l’ensemble des sujets qui conditionnent son avenir.

Les cinq axes complémentaires et indissociables du « big-bang »

Une proposition : un droit pour tous à construire son parcours et à vivre dignement. Cinq axes complémentaires :

– éduquer pour s’insérer durablement : un droit à l’éducation-formation tout au long de la vie. Chaque jeune disposerait à l’entrée dans le système scolaire d’un capital de formation de vingt ans garanti par l’État, utilisable en formation initiale ou ultérieurement, permettant de réduire les inégalités entre les jeunes en ouvrant plus largement à chacun, quelles que soient les ressources de ses parents, le choix d’un parcours de formation, et de rendre effectif la seconde chance ;

– accompagner l’émancipation : la mise en place d’un service public de l’information, de l’orientation et de l’accompagnement, pour aider les jeunes dans leur parcours d’autonomie et d’insertion professionnelle et sociale ;

– garantir des ressources : une clef pour une vie décente ; le versement d’une allocation sans référence aux ressources parentales, en lieu et place des diverses aides versées aux familles, traduira « le choix de considérer qu’à compter de sa majorité, chaque jeune, responsable civilement et pénalement, est titulaire de l’ensemble de ses droits sociaux. » ;

– peser sur l’emploi pour que chacun prenne sa place, et tirer les conséquences de 35 années de mesures  qui n’ont pas permis de réduire le chômage et particulièrement le chômage des jeunes mais qui ont généré une précarité croissante ;

– les jeunes, acteurs du changement ; pour le collectif, la participation des jeunes à la vie collective constitue un levier essentiel dans leur parcours d’émancipation, en même temps qu’une ressource indispensable pour élaborer et mettre en œuvre les politiques publiques et construire une société où toutes les générations ont leur place ; « faire le pari du renouvellement des politiques jeunesse, c’est aussi faire le pari de la confiance dans les capacités individuelles et collectives des plus jeunes ».

Source : « Pour un big-bang des politiques jeunesse, ouvrons les possibles, créons les conditions de l’émancipation », plateforme pour l’élection présidentielle de 2012

Il paraît certain, en tout cas, qu’il est nécessaire que notre pays intègre les jeunes dans le droit commun comme l’ont d’ores et déjà fait de nombreux pays voisins. L’exclusion des jeunes du droit commun, la multiplicité des critères d’âge, des statuts, sont sources de complexités aussi inutiles et inefficaces que préjudiciables.

Proposition n° 7 : Harmoniser les droits et prestations dont peuvent bénéficier les jeunes.

D.   UNE ARCHITECTURE PLUS LISIBLE ET MIEUX ÉVALUABLE

Indépendamment des améliorations sensibles apportées aux publics destinataires, cette révision serait aussi porteuse de plusieurs bénéfices accessoires.

1.   La possibilité d’un guichet unique

L’empilement des dispositifs a fini par produire un maquis complexe et illisible, facteur d’effets pervers, tel que le non-recours aux droits, grandement favorisé par l’impossibilité dans laquelle sont les jeunes, notamment les plus défavorisés qui en ont le plus besoin, d’avoir accès à l’information, de comprendre à quels dispositifs successifs ils peuvent prétendre, de savoir vers qui se tourner, d’être en capacité d’entreprendre les démarches nécessaires.

Chacun comprend que, a contrario, à elles seules, la suppression des multiples critères d’âge et l’uniformisation des dispositifs faciliteraient la communication des informations sur leurs droits par les institutions responsables, ainsi que leur compréhension par les bénéficiaires. En ce sens, la création d’un guichet unique d’accès aux droits serait un point à envisager, à l’instar de ce que les établissements d’enseignement supérieur, par exemple, commencent à mettre en œuvre.

Lamri Adoui, président de l’université de Caen, indiquait à ce propos ([267]) que nombre de services universitaires qui travaillaient auparavant en silo – chargés des inscriptions, du sport, de la culture, du handicap, de la santé, etc. – tendent désormais à se coordonner pour offrir aux étudiants un point d’entrée unique et mutualiser leurs services lorsque cela est possible, quitte à ce qu’un chef de file assure une centralisation si besoin. Philippe Depincé, représentant de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), jugeait également que la mise en place d’un guichet unique des aides serait un point important, qui permettrait de simplifier de nombreuses situations, en donnant la possibilité aux étudiants d’avoir toute l’information disponible sur les aides possibles dès le début de la procédure de sélection et de pouvoir en conséquence faire des choix d’orientation éclairés et de manière anticipée.

De son côté, la Cour des comptes, étudiant les dispositifs en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes, estimait que « les défauts récurrents de la coordination des acteurs pourraient aussi être surmontés par une organisation visant à proposer un ‟guichet uniqueˮ » ([268]) et que ce serait un facteur de simplification pour les usagers. Elle reprenait ainsi une suggestion plusieurs fois formulée par l’OCDE qui invite à renforcer la coopération entre les acteurs et plaide pour des services intégrés pour travailler en faveur de l’insertion des jeunes, soit via un réseau unique, soit par des partages d’information et des prestations de services coordonnées entre réseaux. Pour la Cour des comptes, si près de la moitié des pays de l’Union européenne ont opté pour un guichet unique, qui permet aux jeunes de trouver une réponse à leurs besoins en un seul endroit, « à l’inverse, en France, la dualité des réseaux est source de coûts de coordination élevés et de complexité pour les usagers. »

Cela étant, les acteurs de terrain peuvent se montrer plus réservés sur l’éventualité d’un guichet unique. C’est ce qu’a pu constater madame la rapporteure Louise Morel, interrogeant à ce sujet les responsables d’une mission locale dans sa circonscription.

Proposition n° 8 : Expérimenter la mise en place de guichets uniques d’aides et de services pour les jeunes.

2.   Des objectifs mieux évaluables

Outre la complexité de l’architecture, la multiplicité des dispositifs en faveur de la jeunesse renforce les exigences d’évaluation. La Cour des comptes a traité le sujet à maintes reprises, et s’est par exemple interrogée sur les mesures en faveur de l’insertion des jeunes sur le marché du travail, le repérage de certains publics ou le manque de coordination des acteurs.

a.   La question de l’évaluation budgétaire

Dans cet ordre d’idées, en 2013 les rapporteurs du CEC s’étaient inquiétés du manque de lisibilité des documents budgétaires en matière d’évaluation des performances des dispositifs ainsi que de la dispersion de l’expertise. Vos rapporteures reprennent cette impression à leur compte.

D’une manière générale, les informations que le gouvernement donne au parlement sont relativement parcellaires. En témoigne par exemple la disparition – inexplicable et regrettable – pendant deux ans du document de politique transversale (DPT) « Politiques de jeunesse », subrepticement supprimé par la loi de finances pour 2023 ([269]) avant d’être heureusement rétabli dans celle pour 2024 ([270]), alors que cette politique est de celles qui sont par nature le plus interministérielles. Le dernier DPT a été rédigé à l’automne 2021 et ce n’est qu’en annexe du PLF pour 2025 que les parlementaires pourront de nouveau en disposer. Il n’y a certes pas de loi de programmation de la jeunesse mais l’on peut se demander à cette occasion s’il ne serait pas opportun que les documents budgétaires donnent à la représentation nationale quelques indications sur les évolutions envisagées : la priorité qui est donnée à la jeunesse laisse en effet entendre qu’un horizon est dessiné, qui aille au-delà de la cible prévisionnelle d’un ou deux ans que donne le DPT en matière de dépenses.

Proposition n° 9 : Donner un caractère prospectif au document de politique transversale obligatoirement annexé au projet de loi de finances annuel.

b.   La nécessité d’évaluations d’impact

De même, sans nier la complexité du sujet, il semble légitime de souligner le manque d’évaluation qualitative des dispositifs et la nécessité d’un renforcement. Quelques exemples suffiront à expliciter ce propos, dans le domaine de l’éducation.

Ainsi, les ministères de l’éducation nationale et de l’Enseignement supérieur soulignent à raison le nombre croissant de jeunes issus de quartiers défavorisés encordés et la croissance régulière des partenariats entre établissements secondaires et d’enseignement supérieur. Les acteurs de l’enseignement supérieur qui y participent sont enthousiastes. La montée en puissance du dispositif des Cordées de la réussite est effectivement positive, en ce qu’elle participe du renforcement de la cohésion sociale, mais aucune donnée n’est encore disponible sur les bénéfices réels, concrets, à moyen et long termes, pour les jeunes qui ont suivi ce parcours : que sait-on, seize ans après le lancement des premières Cordées de la réussite en 2008, de la scolarité dans l’enseignement supérieur, puis en termes d’insertion professionnelle, des jeunes qui ont été encordés ? À la connaissance de vos rapporteures, rien. Pour les responsables de l’enseignement supérieur que vos rapporteures ont rencontrés, ce type de mesures, comme par ailleurs le dispositif des « oui si », se traduit par une meilleure assiduité des jeunes étudiants ainsi que des abandons moins fréquents en première année ([271]). Néanmoins, certaines estimations semblent plus mitigées, en termes de bénéfices. Ainsi, une évaluation des Cordées de la réussite de l’École normale supérieure « a montré que l’effet était positif pour certains élèves (ceux qui avaient les meilleures notes), mais négatif pour d’autres élèves (ceux qui avaient les moins bonnes notes), dont la situation pouvait se détériorer en rentrant dans le dispositif des cordées de la réussite. » ([272])

Les évaluations de la Garantie jeunes

L’exemple de la Garantie jeunes illustre l’intérêt des évaluations d’impact. La mise en place d’un comité scientifique d’évaluation sous l’égide de la DARES a permis, dès son institution, de suivre la mise en place, la montée en puissance du dispositif et d’en assurer un suivi régulier permettant d’en analyser les retombées tant en termes quantitatifs que qualitatifs.

En d’autres termes, au-delà des satisfecit et des conclusions quantitatives au demeurant modestes, comme vos rapporteures l’ont montré – cf. le nombre de reçus et de diplômés issus des conventions d’éducation prioritaire de Sciences Po depuis 2001 ([273]) – il est nécessaire d’entreprendre des évaluations plus rigoureuses sur le plan méthodologique. Les informations qu’elles permettraient de recueillir seraient de la plus haute utilité quant à la définition des outils les plus pertinents pour contribuer à la mobilité sociale des jeunes, pour lesquels il reste encore des incertitudes et cela est d’autant plus important que les principaux facteurs qui y concourent sont précisément du domaine de l’éducation et de la formation.

À ce propos, le rapport du Comité stratégique « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur » ([274]) relevait également que le manque de coordination et de pilotage de ces dispositifs conduisait « paradoxalement à une ‟inégalité des chances face au mentorat/tutoratˮ ». Sans proposer d’uniformiser les initiatives et de les couler dans un modèle unique, ce qu’il jugeait contreproductif, le comité invitait en revanche à une politique publique d’évaluation de ces actions et soulignait l’enjeu à définir un cadre pour les initiatives de mentorat et de tutorat, insistant « sur l’importance de la recherche et de l’évaluation en appui de la politique d’égalité des chances, pour avoir une politique ‟fondée sur la preuveˮ », pour éviter que chaque organisme fasse sa propre évaluation de l’action qu’il conduit. Vos rapporteures souscrivent à cette recommandation.

Proposition n° 10 : Réaliser des évaluations d’impact des dispositifs d’ouverture sociale et d’accompagnement à la réussite des études institués dans le cadre de la politique d’égalité des chances.

II.   UNE POLITIQUE POUR LES JEUNES, AVEC LES JEUNES

À une époque où la co-construction des politiques publiques est devenue la règle, l’implication des jeunes eux-mêmes à l’élaboration de celles qui leur sont consacrées est un impératif qui doit aller au-delà des simples positions de principe. Cette exigence démocratique s’impose d’autant plus dans un contexte de défiance des jeunes vis-à-vis des institutions.

A.   LES JEUNES, CO-ACTEURS DU CHANGEMENT

Renouveler les politiques en faveur de la jeunesse est une entreprise qui ne peut se faire sans eux.

En 2001, le Livre blanc attirait déjà fortement l’attention sur la relation souvent problématique entre les jeunes et les institutions, d’autant que la prégnance de celles-ci augmentait dans leur vie alors même leur légitimité était contestée. La crise de l’action publique appelait à travailler en profondeur en direction d’une démocratie participative.

Ces alertes avaient été entendues : dès 1997, d’ailleurs, et pendant plusieurs années, de nombreuses réunions se sont tenues sous l’égide de l’INJEP, pour débattre et valider de mesures concrètes en faveur des jeunes. ([275]) Un Conseil permanent de la jeunesse avait été institué ainsi que des conseils départementaux de la jeunesse (CDJ), avant qu’une loi ([276]) ne crée le Conseil national de la jeunesse (CNJ) qui se réunira plusieurs années de suite.

Aujourd’hui, il semble possible d’améliorer la situation.

1.   Conforter les instances participatives sur le terrain

Au niveau départemental, l’association des jeunes à l’élaboration des politiques publiques n’est pas encore une réalité majoritaire, comme en témoigne l’étude réalisée par l’INJEP dont sont tirés les diagrammes ci-après ([277]), même si elle tend à se développer.

L’association des jeunes aux politiques départementales

Les auteurs de l’étude constataient en revanche qu’au niveau régional, la participation des jeunes est plus institutionnalisée : en 2020, au-delà des différences de fonctionnement, des types de publics représentés et participant, sept conseils régionaux de la jeunesse existaient et poursuivaient trois types d’objectifs : la contribution aux politiques régionales, l’éducation à la citoyenneté et le développement d’une communication institutionnelle portée par les jeunes ([278]).

Selon des indications qui ont été par exemple communiquées à vos rapporteures ([279]), en Bretagne, la place des jeunes est centrale dans le plan de mobilisation pour les jeunesses, et l’idée est de « faire ‟avec et pour les jeunesˮ et de rechercher leur participation et leur contribution dans chacune des actions entreprises. Pour ce, la région et ses partenaires mobilisent une multiplicité d’outils et de dispositifs visant à permettre aux jeunesses, dans toutes leurs diversités, de s’exprimer et de s’engager : animation d’un conseil régional des jeunes, soutien au recueil de la parole des jeunes et au parlement libre des jeunes (CRAJEP), bourse d’engagement des jeunes, dispositif de promotion de la santé des jeunes par les pairs, valorisation et diffusion de témoignages de jeunes sur les stéréotypes de sexe dans l’orientation professionnelle, organisation de rencontres régionales par et pour les jeunes sur les transitions écologiques… »

Néanmoins, le sentiment prévaut qu’il y a souvent une grande différence entre les intentions affichées et la réalité. Un travail universitaire réalisé sous la direction de Patricia Loncle estime ainsi que les jeunes sont les premiers intéressés mais souvent les grands absents de la construction des politiques publiques qui les concernent ([280]). Il souligne la nécessité de relancer une dynamique de ce point de vue, et invite à des échanges de bonnes pratiques, à une réflexion sur des « modalités plus innovantes, au plus près des jeunes, en complémentarité du Conseil Régional des Jeunes, qu’il faudrait d’ailleurs plus impliquer ».

2.   Améliorer le fonctionnement des instances nationales de dialogue

Si les choses semblent progresser, même difficilement, sur le terrain, au niveau national, la situation est peut-être moins favorable, au point que les jeunes estiment l’organisation du dialogue institutionnel déficient et avoir du mal à se faire entendre. Comme si leur présence était plus un passage obligé, une façade, qu’une réelle association en vue d’une participation à la construction des politiques.

William Feys, délégué général du Forum français de la jeunesse ([281]), faisait ainsi remarquer que, sur le papier, les espaces de représentation des jeunes se multipliaient : COJ, conseil interministériel de la jeunesse, CNR Jeunesse, ainsi que diverses commissions dans différents espaces ministériels. Il y a désormais une multitude d’espaces destinés à la participation des jeunes mais ils y sont cependant peu entendus ([282]). Ainsi, certaines décisions annoncées dans le cadre de réunions de concertation ne sont-elles en fait pas débattues, telle une annonce sur le permis de conduire présentée à la fin du CNR jeunesse, jamais discutée avec les organisations de jeunesse.

Inversement, la reprise des propositions du COJ ou du CESE, instances auxquelles les associations de jeunes participent également, n’est pas toujours totale. Les associations de jeunes expriment de ce fait un sentiment mitigé et estiment que, au lieu de créer de nouveaux espaces de représentation et de consultation, les pouvoirs publics devraient plutôt s’attacher à mieux faire fonctionner ceux qui existent.

Améliorer le dialogue et la co‐construction

« La mise en œuvre d’une politique jeunesse implique de reconsidérer la place et le rôle des jeunes et de leurs organisations dans la définition et la mise en oeuvre des politiques publiques. Si le Gouvernement a affiché sa volonté de travailler en concertation avec la société civile, les modalités proposées jusqu’à présent n’ont pas permis de créer les conditions d’une véritable co-construction, tout au mieux une certaine consultation. Une nouvelle étape doit donc être franchie : il s’agit d’associer plus étroitement et durablement les jeunes et les associations qui agissent avec et pour eux à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques.

Au-delà d’être entendues, nous demandons que nos propositions soient véritablement prises en compte et discutées aux niveaux techniques et politiques. »

Source : « Pour un big-bang des politiques jeunesse ! Rapport alternatif au Plan priorité jeunesse », juin 2015

Cela passe aussi par la formation et l’accompagnement des jeunes qui y participent, ainsi que par une meilleure organisation, que ce soit en termes d’agendas – les réunions ne prennent pas toujours en compte les impératifs des jeunes – ou de prise en charge des déplacements, les réunions étant souvent présentielles.

Proposition n° 11 : Conforter la représentation des jeunes dans les instances en charge des politiques les concernant et améliorer les modalités de leur participation.

B.   PÉRENNISER LE CONSEIL D’ORIENTATION DES POLITIQUES DE JEUNESSE

Dans cet ordre d’idées, il est indispensable aux yeux de vos rapporteures de garantir la pérennité des instances de consultation qui existent.

À ce propos, leur attention est attirée sur le fait que le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse a initialement été créé pour une durée de cinq ans ([283]). Il a été renouvelé en 2021 ([284]) pour une nouvelle durée de cinq ans, soit jusqu’en octobre 2026.

Cette base juridique confère au COJ une certaine fragilité que vos rapporteures considèrent problématique. Même si un nouveau renouvellement est évidemment possible, il reste conditionné à un accord gouvernemental. Compte tenu de la qualité de ses travaux et de son rôle clef, il serait pertinent de garantir d’ores et déjà son existence, comme cela a pu par exemple être fait par le passé pour d’autres commissions et de prévoir en conséquence le vote d’une disposition législative en ce sens.

Proposition n° 12 : Conférer un statut législatif au Conseil d’orientation des politiques de jeunesse.

 


EXAMEN PAR LE COMITÉ

Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors de sa réunion du mercredi 3 avril 2024 et a autorisé sa publication.

Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14960809_660d42af8e454.-comite-d-evaluation-et-de-controle-des-politiques-publiques--evaluation-des-politiques-publiques-e-3-avril-2024

 

 


 

   ANNEXE N° 1 :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

  1. Tables rondes :

        M. Louis-André Vallet, sociologue, directeur de recherche du CNRS ;

        M. Clément Dherbécourt, économiste, adjoint au sous-directeur des synthèses, des études économiques et de l’évaluation, Direction des études, de l’évaluation et des statistiques.

        M. William Feys, délégué général du Forum français de la jeunesse (FFJ)* ;

        M. Arthur Sabatier, délégué général de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF)* ;

        Mme Lina Bouhadj, secrétaire nationale à la démocratie lycéenne de la Voix lycéenne.

        Mme Marie Caillaud, présidente du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) ;

        M. Thibaut de Saint Pol, directeur de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) ;

        M. Augustin Vicard, directeur de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP).

        M. Pierre Merle, sociologue ;

        M. Olivier Monso, expert sur l’analyse des inégalités scolaires, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse.

        Mmes Myriam Dubois-Monkachi, directrice de la scolarité et de la réussite étudiante, et Karine Aurélia, directrice déléguée à l’égalité des chances, Sciences Po Paris ;

        M. Lamri Adoui, président de l’université de Caen, membre du conseil d’administration de France Universités ;

        M. Philippe Dépincé, directeur de Polytech Nantes, président de la commission « Formation et société » de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI)*.

        M. Laurent Champaney, directeur général de l’École nationale supérieure d’arts et métiers, président de la Conférence des grandes écoles (CGE)*, accompagné de Mme Sophie Odone, référente diversité.

        M. Marc Gurgand, professeur à l’École d’économie de Paris, président du comité scientifique d’évaluation du plan d’investissement dans les compétences (PIC) ;

        Mme Cécile Tagliana, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté ;

        M. Nicolas Duvoux, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).

-       M. Tom Chevalier, politiste, chargé de recherche au CNRS ;

-       Mme Patricia Loncle, professeur de sociologie à l’EHSESP, présidente de la commission « Jeunesse et politiques de jeunesse » du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) ;

-       M. Camille Peugny, professeur de sociologie à l’université Versailles-Saint-Quentin.

-       M. Ahmed El Khadiri, délégué général de l’Union nationale des missions locales (UNML) ;

-       Mme Léa Lima, professeure de sociologie au Cnam, auteur de « Pauvres jeunes. Une enquête au coeur de la politique sociale de jeunesse » (2016) ;

-       M. Antoine Dulin, président de la commission de l’insertion des jeunes du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ).

-       M. Julien Grenet, économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris (PSE), co-responsable de la chaire « Politiques éducatives et mobilité sociale », directeur-adjoint de l’Institut des politiques publiques ;

-       M. Cédric Hugrée, sociologue, chargé de recherche au CNRS.

  1. Auditions :

        M. Michaël Sicsic, économiste, chercheur associé à Paris II, INSEE, spécialiste de la mobilité intergénérationnelle (18 octobre 2023).

        M. Gustave Kenedi, post-doctorant à la London School of Economics, et M. Louis Sirugue, doctorant à l’École d’économie de Paris.

        M. Bruno Chiocchia, sous-directeur de la performance et des politiques éducatives territoriales à la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) (22 novembre 2023).

        M. Thomas Couppié, chef du département « Entrée et évolution dans la vie active », Mmes Dominique Épiphane et Elsa Personnaz, co-auteures de l’étude « Parcours scolaires et insertion professionnelle : l’implacable effet de l’origine sociale », et M. Philippe Lemistre, directeur-adjoint du Certop et directeur du centre associé Cereq de Toulouse.

        M. Michel Houdebine, directeur de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), accompagné de M. Michaël Orand, chef de la mission « Analyse économique », et de Mme Mathilde Gaini, sous-directrice « Suivi et évaluation des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle » (13 décembre 2023).

        Audition de Mme Carlotta Balestra, économiste, responsable de l’unité « Inégalités », Centre pour le bien-être, l’inclusion, la soutenabilité et l’égalité des chances (WISE), OCDE, en charge de la coordination des travaux de l’Observatoire sur la mobilité sociale et l’égalité des chances, M. Guillaume Cohen, analyste politique, statisticien, Observatoire sur la mobilité sociale et l’égalité des chances, et M. Olivier Thevenon, chef de l’unité sur le bien-être des enfants, WISE (14 février 2024).

  1. Contributions écrites

        M. Guillaume Huet, responsable de l’Observatoire parisien de la mixité sociale et de la réussite éducative (OPMIRE).

        Mme Valérie Debord, première vice-présidente du conseil régional Grand-Est, chargée du portefeuille « Emploi, formation, orientation et apprentissage ».

        M. Pierre Pouliquen, vice-président jeunesse, égalité des droits, sport et vie associative du Conseil régional de Bretagne.

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 

 


   ANNEXE N° 2 :
TABLEAU DE BORD DE LA MOBILITÉ RELATIVE
SUR DIFFÉRENTES DIMENSIONS

Source : OCDE, ibid., page 45

 

 


   ANNEXE N° 3 :
LES MULTIPLES CONDITIONS D’ÂGE
DANS LA LÉGISLATION FRANÇAISE

– En droit du travail, l’accès à certains dispositifs (contrat de professionnalisation pour les 18‑25 ans sortant de formation initiale, contrat d’apprentissage jusqu’à 25 ans) ou l’interdiction de certaines tâches aux plus jeunes (par exemple pour effectuer des travaux à la main) ou encore les modalités de désignation de représentants dans la sphère professionnelle (à partir de 21 ans pour être éligible aux prud’hommes) ;

– En matière électorale, les conditions permettant d’être électeur mais également d’être éligible (à partir de 24 ans pour un sénateur) ;

– Le domaine pénal, où l’âge de la responsabilité pénale anticipe sur certains points l’âge de la majorité civile. Les mineurs de 13 à 18 ans peuvent subir des sanctions pénales et, avant 18 ans, les mineurs « capables de discernement » sont pénalement responsables. L’ordonnance du 2 février 1945 donne la faculté au juge d’assimiler certains mineurs de plus de 16 ans à des majeurs sur le plan pénal, cette possibilité ayant été progressivement assouplie ;

– De nombreux droits de la vie quotidienne : permis de conduire (16, 18, 21 et 24 ans selon les permis), permis de chasse (à 16 ans) ;

– Et enfin des droits sociaux : éligibilité au revenu de solidarité active à partir de 25 ans sauf dérogation, prime d’activité à partir de 18 ans, allocation adulte handicapé à partir de 20 ans, fin du contrat jeune majeur l’année de ses 21 ans…

– La fin de l’obligation scolaire à partir de 16 ans coïncide avec le début de l’autonomisation des jeunes par le droit ; c’est particulièrement frappant en matière de droit du travail, le Code du travail posant ainsi le principe d’une interdiction « d’employer des travailleurs de moins de 16 ans » ; c’est par exemple dès 16 ans qu’est ouverte la possibilité de bénéficier du nouveau compte personnel d’activité. Les différentes autorisations données à partir de 15 ans sont pour leur part dérogatoires à ce principe, notamment en matière d’apprentissage ;

– L’atteinte de la majorité civile ensuite, revêt évidemment un caractère fondamental ; la liste exhaustive des conditions d’âge y renvoie en effet fréquemment, soit explicitement (« 18 ans ») soit en renvoyant à la « majorité civile » ;

– L’importance accordée dans la législation française à l’âge de 21 ans revêt deux aspects : il peut d’abord s’agir de l’âge limite (en plus de conditions de ressources) pour qu’un jeune soit considéré comme ayant-droit de ses parents ou rattaché à leur foyer fiscal (sauf s’il est étudiant). De 20 à 21 ans, le jeune n’est considéré "à charge" que pour deux prestations : le complément familial et l’aide au logement (aide personnalisée au logement ou allocation logement familial). Cette borne correspond également à un héritage du passage de la majorité civile de 18 à 21 ans en 1974, par exemple pour l’éligibilité à certaines fonctions, comme celle de candidat comme conseiller prud’homal ou pour la fin des mesures de protection de l’enfance ;

– La présence de limites fixées à 25 ans est elle surtout liée à l’existence de dispositifs spécifiques aux jeunes en matière d’insertion sociale et professionnelle – comme les emplois d’avenir – ceux-ci étant d’autant plus nécessaires que les jeunes ne sont pas, on l’a dit, éligibles au revenu de solidarité active avant 25 ans ;

– Enfin, l’atteinte des 30 ans conduit à l’extinction d’un nombre très variés de dispositifs réservés aux jeunes : foyers de jeunes travailleurs, contrat de génération et volontaire en service civique pour les personnes en situation de handicap. Inversement, ce n’est qu’à partir de trente ans que certaines fonctions très spécifiques peuvent être exercées, comme celle de juge d’un tribunal de commerce ou d’inspecteur d’une chambre de métiers en Alsace-Moselle ;

– Certains dispositifs d’accompagnement professionnels prennent fin à l’âge de 26 ans, comme le contrat de génération c’est aussi l’âge auquel il est possible d’être éligible comme assesseur dans les tribunaux paritaires des baux ruraux ;

– Il faut avoir 23 ans pour pouvoir être candidat au diplôme professionnel de « meilleur ouvrier de France » mais également pour que soit délivré l’agrément d’exploitant d’établissement de formation à la conduite et à la sécurité routière ;

– Pour être sénateur il faut avoir 24 ans, c’est également l’âge qu’il faut atteindre avant d’obtenir les permis de conduire D et DE permettant notamment la conduite de véhicules de transport de plus de huit personnes ;

– La jeunesse peut enfin s’achever administrativement à 28 ans, âge limite pour effectuer un volontariat international et d’affiliation à la sécurité sociale étudiante ainsi que comme ayant-droit à certains régimes spéciaux de Sécurité sociale ; c’est également l’âge limite retenu pour bénéficier de la nouvelle aide à la recherche d’un premier emploi. Autre manifestation juridique du passage à l’âge adulte, en matière de parentalité, il est possible d’adopter à partir de 28 ans seulement.

Source : Célia Vérot et Antoine Dulin, « Arrêtons de les mettre dans des cases ! Pour un choc de simplification en faveur de la jeunesse », rapport au Premier ministre, mars 2017, pages 54-55

 

 


 

 

 

 

 

 

 

CONTRIBUTION DE FRANCE STRATÉGIE

 

Cette contribution peut être consultée sur le site de France Stratégie à l’adresse suivante :

https://www.strategie.gouv.fr/publications/politiques-publiques-faveur-de-mobilite-sociale-jeunes.


([1])  Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, « Rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes », Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, Assemblée nationale, rapport n° 1613, 5 décembre 2013

([2]) Marta Veljkovic, « Mobilité sociale en cours de carrière et trajectoires de classe : une contribution à l’étude de la stratification sociale en France entre 1970 et 2015 », thèse de doctorat de sociologie, Institut d’études politiques de Paris, 2022, page 113

([3]) Table ronde du 17 janvier 2024

([4]) Camille Peugny, « La mobilité descendante et ses conséquences politiques : recomposition de l’univers de valeurs et préférence partisane », Revue française de sociologie, 2006/3, page 445

([5])  Cadres et professions intellectuelles supérieures  

([6])  « Les politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes », France Stratégie, octobre 2023, page 60

([7])  Audition du 25 octobre 2023

([8]) Pour les filles, le rapport des chances était de 8,5 en 1983, de 4,4 en 2003 avant de remonter à 7,3 en 2019.

([9])  Marc Collet et Émilie Pénicaud, « La mobilité sociale des femmes et des hommes : évolutions entre 1977 et 2015 », France, portrait social, édition 2019, pages 41-59

([10])  Op. cit., page 43

([11])  Ibid., page 44

([12])  Ibid., page 45

([13])  Ibid., page 46

([14])  Philippe Lemistre, « Déclassements et reclassements selon le diplôme et l’origine sociale », Céreq, Working paper n° 4, juillet 2017

([15])  Audition du 18 octobre 2023

([16])  Voir aussi Michaël Sicsic, « Qui est mieux classé que ses parents dans l’échelle des revenus ? Une analyse de la mobilité intergénérationnelle en France », INSEE, Économie et statistiques, août 2023

([17]) Tristan Loisel et Michaël Sicsic, « La mobilité des individus selon l’échelle des revenus en France sur la période 2003-2020 », Documents de travail, n° 2023-19, septembre 2023

([18]) Audition du 15 novembre 2023

([19]) La corrélation « rang-rang » correspond à la corrélation entre le centile de revenu des enfants et le centile de revenu de leurs parents. Le centile d’un individu correspond à sa position dans la distribution des revenus lorsqu’on la partitionne en 100 groupes de taille égale. Ainsi, un individu situé au 75e centile de la distribution des revenus se situe à la limite du seuil de revenu qui marque l’entrée parmi les 25 % des individus les plus aisés. La pente de la droite de régression entre le centile de revenu des enfants et celui de leurs parents (appelée corrélation « rang-rang ») permet alors de mesurer la persistance du niveau de revenu d’une génération à la suivante. Plus cette corrélation est élevée, plus la mobilité intergénérationnelle est faible. (Gustave Kenedi et Louis Sirugue, « La mobilité intergénérationnelle des revenus en France : une analyse comparative et géographique », note IPP n° 95, octobre 2023)

([20])  Audition du 25 octobre 2023 ; voir aussi Clément Dherbécourt, « La mobilité sociale en France, que sait-on vraiment ? », France Stratégie, Point de vue, 1er septembre 2020

([21]) « L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale », OCDE, 2019

([22]) OCDE, op. cit. , page 17

([23]) Ibid., page 18

([24]) Vos rapporteures rappellent toutefois que ces estimations, avancées avec prudence par l’OCDE elle-même, qui a indiqué qu’il s’agissait d’estimations fondées sur des simulations, ont reçu quelques critiques d’ordre méthodologique qui invitent à les relativiser, notamment pour l’utilisation d’un indicateur théorique. Cf. par exemple Michaël Sicsic, « La France est-elle LE pays de la reproduction des inégalités entre générations ? », mai 2022

([25]) Ibid., page 205

([26])  Michaël Sicsic, « La France est-elle LE pays de la reproduction des inégalités entre générations ? », op. cit.

([27])  Gustave Kenedi et Louis Sirugue, IPP, op. cit.

([28])  Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, op. cit., page 60

([29])  Camille Peugny, « Pour une politique de la jeunesse », Le Seuil, janvier 2022, page 40

([30])  Camille Peugny, ibid., page 42

([31])  Ibid., page 58

([32])  Ibid., page 59

([33])  « L’état de l’école », octobre 2023, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), page 68

([34])  INSEE, ibid., page 22

([35])  France Stratégie, « La force du destin », op. cit.

([36])  Audition du 6 décembre 2023

([37])  Philippe Lemistre et Fanette Merlin, « À diplôme égal, le parcours scolaire pèse sur l’insertion », in « Enseignement supérieur, nouveaux parcours, nouveaux publics », Céreq, « Essentiels », 2021

([38])  Cf. France Stratégie, op. cit., pages 128-129

([39])  France Stratégie, op. cit., pages 55-56

([40])  Marta Velkovij, op. cit., page 429

([41])  INSEE, ibid., page 49

([42]) Clément Dherbécourt, « La géographie de l’ascension sociale », France Stratégie, note d’analyse, n° 36, novembre 2015

([43])  DEPP, « L’état de l’école », op. cit., page 74

([44])  France Stratégie, « Les politiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes », op. cit., pages 30-31

([45])  Audition du 25 octobre 2023

([46])  Bordeaux, 28 octobre 2002

([47])  Palais de l’Élysée, 20 novembre 2003

([48])  Discours prononcé à Avignon, 29 septembre 2009

([49])  Déclaration sur les efforts du gouvernement en faveur de la jeunesse, Grenoble, 23 janvier 2013

([50])  Message à l’occasion de la journée internationale de la jeunesse, 12 août 2020

([51])  Discours sur les défis de la jeunesse française et européenne, Amiens, 21 novembre 2019

([52])  Article L. 111-1

([53])  Commissariat au Plan, Rapport de la commission présidée par Dominique Charvet, mars 2001

([54])  Ibid., page 15

([55])  Ibid., page 99

([56])  Jean-Baptiste de Foucauld et Nicole Roth, « Pour une autonomie responsable et solidaire, rapport au Premier ministre », Commissariat général du plan, 1er avril 2002, page 50

([57])  De 7,8 milliards de francs à 21 milliards en francs courants, et même 25 milliards ensuite

([58])  Op. cit., page 170

([59])  Décret n° 2009-57 du 16 janvier 2009 ; ce portefeuille ne sera pas prolongé après mars 2010

([60])  Livre vert, juillet 2009, page 9

([61])  Ibid., annexe 1, « Les défis à relever »

([62])  Tom Chevalier, « l’État-providence et les jeunes », 2012

([63]) Pour des programmations de 100 000 initialement pour la Garantie jeunes et de 340 000 PACEA

([64])  Circulaire n° 6373/SG du 19 septembre 2022 https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45366

([65])  https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=2A6EC898-A6E2-4509-B21A-CB107B3619A9&filename=DP_PPG_VEDEF.pdf  

([66])  Les six autres étant : climat et biodiversité ; logement ; futur du travail ; souveraineté économique ; numérique ; bien vieillir.

([67])  Conseil national de la refondation, synthèse de la première consultation, 15 décembre 2022

([68])  Op. cit., page 10

([69])  Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, op. cit., pages 66 et suiv.

([70])  Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, rapport d’information n° 2535 du 29 janvier 2015 sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 1613) du 5 décembre 2013 sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, page 27

([71])  Qui représentait quelque 5 milliards de francs

([72])  Op. cit., pages 50-51

([73])  https://www.federationsolidarite.org/actualites/comite-interministeriel-de-la-jeunesse-a-quand-une-veritable-politique-globale-de-la-jeunesse/

([74])  Livre blanc, op. cit., page 102

([75])  Ibid., page 325

([76])  Ibid., page 20

([77])  Ibid., page 170

([78])  Livre vert, op. cit., page 19

([79])  www.bigbangjeunesse.fr  

([80])  Pour un big-bang des politiques jeunesse, rapport alternatif au plan Priorité jeunesse, juin 2015

([81])  Table ronde du 2 novembre 2023

([82])  Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, op. cit., page 75

([83])  Op. cit., page 197

([84])  Ibid., page 102

([85])  Ibid., page 103

([86])  Op. cit., page 27

([87])  Audition du 6 décembre 2023

([88])  Table ronde du 8 novembre 2023

([89])  Table ronde du 31 janvier 2024

([90])  Célia Vérot et Antoine Dulin, « Arrêtons de les mettre dans des cases ! Pour un choc de simplification en faveur de la jeunesse », rapport au Premier ministre, mars 2017, pages 4 et 53 et suiv. Voir annexe III

([91])  Op. cit., pages 54-55

([92])  Table ronde du 20 décembre 2023

([93])  Table ronde du 31 janvier 2024

([94])  Table ronde du 31 janvier 2024

([95])  Cf. par exemple, Thibaut de Saint-Pol, « Quelles politiques en faveur de la jeunesse ? », Les Cahiers  français, juillet-août 2023, dossier « Place aux jeunes », pages 32 et suiv.

([96])  Table ronde du 8 novembre 2023

([97])  Articles L. 313-7, introduit par la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 et L. 313-8, introduit par la loi n° 2010-241 du 10 mars 2010

([98])  BOEN, du 10 février 2011, « Organisation et mise en œuvre des articles L. 313-7 et L. 313-8 du code de l’éducation »

([99])  Thomas Cazenave et Hendrik Davi, « Rapport d’information sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 3232) du 22 juillet 2020 sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur », n° 1406, 20 juin 2023

([100])  Article 18 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel

([101])  « Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement », Cour des comptes, rapport public thématique, janvier 2023.  

([102]) Obligatoire, ce livret devrait permettre de valoriser les compétences de l’élève, ses potentialités et capacités et d’enregistrer ses acquis, ses découvertes professionnelles. « Ce passeport devrait également comprendre un volet orientation qui regrouperait les souhaits de l’élève, les étapes de sa réflexion et tous ses contacts avec le monde professionnel (stages, rencontre, entretiens...) obligatoire et permettant de valoriser ses compétences, ses potentialités et capacités et d’enregistrer ses acquis, ses découvertes professionnelles. Ce passeport devrait également comprendre un volet orientation qui regrouperait les souhaits de l’élève, les étapes de sa réflexion et tous ses contacts avec le monde professionnel (stages, rencontre, entretiens...) »

([103])  Loi n° 2001-582, du 4 juillet 2001

([104])  À l’exception toutefois du débat sur la proposition de loi instituant la commission nationale pour l’autonomie des jeunes, remarquent vos rapporteures

([105])  Déclaration sur les priorités du gouvernement en direction de la jeunesse, 21 février 2013

([106])  https://www.gouvernement.fr/argumentaire/3e-comite-interministeriel-de-la-jeunesse-2537  

([107]) Décret n° 82-367 du 30 avril 1982 portant création d’un comité interministériel de la jeunesse  

([108])  Cour des comptes, « L’action de la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative », référé S2020-0142 du 24 janvier 2020

([109])  Op. cit., recommandation n° 4

([110])  N° 2022-1493

([111]) Par ailleurs, vos rapporteures n’ont jamais eu de réponse de la part du délégué interministériel à leurs demandes réitérées et regrettent en conséquence de n’avoir pu entendre Mathieu Maucort en audition.

([112]) Décret n° 2016-1377 du 12 octobre 2016 portant création du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse

([113])  « La gouvernance au service des jeunes, de la confiance et de la justice intergénérationnelle, des politiques adaptées à toutes les générations ? », OCDE, 2021, pages 50 et 53

([114])  Exposé des motifs sur l’article 16 du projet de loi  

([115])  Intervention de Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, Assemblée nationale, séance publique du 30 juin 2016

([116])  Jordan Parisse, « Réforme territoriale et réorganisation de l’État : quels enjeux pour les politiques de jeunesse ? », INJEP, Analyses et synthèses n° 21, février 2019

([117])  Maëlle Moalic et Jordan Parisse, « Les politiques de jeunesse des conseils régionaux : politiques sectorielles, dynamiques transversales et gouvernance partenariale », INJEP, Notes et rapports, INJEPR-2022/09, mai 2022

([118])  Op. cit., page 60

([119])  Op. cit., page 71

([120])  Cécile Cukierman, sénatrice, « Quel rôle, quelle place, quelles compétences des départements dans les régions fusionnées aujourd’hui et demain ? » Rapport d’information n° 706, 15 septembre 2020

([121])  Table ronde du 17 janvier 2024

([122])  Op. cit., pages 96-97

([123])  Contribution écrite adressée aux rapporteures

([124]) Vos rapporteures regrettent de n’avoir obtenu aucune réponse de la part du conseil régional de Bourgogne-France-Comté ni du conseil départemental de Saône-et-Loire, non plus que de la collectivité européenne d’Alsace, malgré leurs demandes réitérées.

([125])  Table ronde du 31 janvier 2024

([126])  Table ronde du 20 décembre 2023

([127]) « La mise en œuvre  des projets s’est confrontée à la concurrence de dispositifs connexes (notamment des missions locales) alors que la coordination entre les différents acteurs a manqué dans un contexte marqué par la réforme de l’apprentissage », quatrième rapport du comité d’évaluation scientifique du plan d’investissement dans les compétences.

([128])  « Mixité sociale et scolaire, ségrégation inter- et intra-établissement dans les collèges et lycées français », étude Ly-Riegert, CNESCO, juin 2015

([129])  Yves Durand et Rudy Salles, « Rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’Éducation nationale », n° 3292, du 1er décembre 2015

([130])  Article L. 111-1 du code de l’éducation  

([131])  Par exemple, OCDE, « Réformes économiques : objectif croissance », chapitre 5 : « Une affaire de famille : la mobilité sociale intergénérationnelle dans les pays de l’OCDE », page 202

([132])  Pauline Charousset, Marion Monnet et Youssef Souidi, « Ségrégation sociale en milieu scolaire : appréhender ses causes et déterminer ses effets », note IPP, n° 97, novembre 2023

([133])  Olivier Monso, Denis Fougère, Pauline Givord et Claudine Pirus, « Les camarades influencent-ils la réussite et le parcours des élèves ? Les effets de pairs dans l’enseignement primaire et secondaire », Éducation et formations, n° 100, décembre 2019, pages 35-36

([134])  France Stratégie, op. cit., page 210

([135])  IPP, op. cit.

([136])  « Mixités sociales et scolaire à l’école : agir, impliquer, informer ; les préconisations du CNESCO » ; juin 2015

([137]) Yves Durand et Rudy Salles, op. cit.

([138])  « L’état de l’école », op. cit., page 16

([139])  Circulaire de rentrée 2023, 6 juillet 2023

([140])  Circulaire de rentrée 2022, 29 juin 2022

([141])  Circulaire de rentrée 2021, 23 juin 2021

([142])  Circulaire de rentrée 2017, 9 mars 2017

([143])  Audition du 22 novembre 2023

([144])  Réponses du ministère au questionnaire budgétaire adressé par l’Assemblée nationale en prévision de l’examen du PLF 2024

([145]) Pierre Merle, « La politique de mixité sociale proposée par Pap Ndiaye aura des effets négligeables, voire contre-productifs », tribune, Le Monde, 20 mars 2023

([146]) Voir infra

([147])  Julien Grenet, Élise Huillery et Youssef Souidi « Mixité sociale au collège : premiers résultats des expérimentations menées en France », Note du CSEN, n° 9, avril 2023

([148])  À savoir la réunion des secteurs de plusieurs collèges en un seul, en affectant les élèves au moyen d’une procédure de choix scolaire régulé : les familles formulent des vœux d’affectation pour les différents collèges dont les secteurs ont été fusionnés, le rectorat définit des règles de priorité et l’affectation tient compte des vœux exprimés et des priorités relatives dans la limite de la capacité d’accueil de chaque collège.

([149])  Par exemple en retirant des quartiers défavorisés du secteur de collèges en éducation prioritaire pour les intégrer au secteur de collèges proches mais plus favorisés socialement

([150])  À l’échelle nationale, la proportion d’élèves de milieu défavorisé est de 64 %, tandis que la proportion d’élèves de milieu favorisé est de 36 %.

([151])  Julien Grenet et Youssef Souidi, « Renforcer la mixité sociale au collège : une évaluation des secteurs multi-collèges à Paris », Rapport IPP n° 31, février 2021

([152]) « Tous mobilisés pour les écoles et collèges prioritaires », est une opération de la Ville en partenariat avec le rectorat qui a pour but de répondre aux facteurs de fragilité causés par des établissements scolaires enclavés, des difficultés scolaires, des conditions de travail difficiles, un déséquilibre de mixité sociale ou un lien distendu avec les familles. 29 écoles et 12 collèges sont concernés. Une large concertation avec tous les acteurs locaux (enseignants, personnels municipaux, parents et élèves) permet sur chaque site d’établir un diagnostic partagé de la situation et d’identifier les besoins de chaque établissement et de son environnement.

([153]) Il s’agit de viser un double objectif de péréquation et d’incitation valorisant les collèges parisiens qui contribuent à la mixité sociale.

([154])  Ibid. page 173

([155])  DEPP, op. cit., page 17

([156])  DEPP, notes d’information n° 22.26 (juillet 2022) et n° 23.37 (juillet 2023)

([157])  Audition du 23 novembre 2023

([158])  L’indice de position sociale (IPS) permet d’appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents. https://www.education.gouv.fr/indice-de-position-sociale-ips-actualisation-2022-377726

([159])  Cour des comptes, « L’enseignement privé sous contrat », rapport public thématique, juin 2023

([160])  Yves Durand et Rudy Salles, op.cit., pages 170-171

([161]) Proposition n° 6, page 187

([162])  Julien Grenet et Youssef Souidi, op. cit., page 173

([163])  Pierre Merle, « Comment réduire la ségrégation scolaire ? », Germinal, 2021/2, n°3, page 216

([164])  Cour des comptes, « L’enseignement privé sous contrat », juin 2023

([165])  Ibid., page 95

([166])  Ibid., pages 95-96

([167])  Réponses du ministère au questionnaire budgétaire adressé par l’Assemblée nationale en prévision de l’examen du PLF 2024

([168])  « L’enseignement privé sous contrat », Cour des comptes, rapport public thématique, juin 2023

([169])  Code de l’éducation, articles R. 442-33, L. 442-13

([170])  Cour des comptes, op. cit., page 94

([171])  Audition du 25 octobre 2023

([172])  DEPP, « L’orientation en fin de troisième reste marquée par de fortes disparités scolaires et sociales », note n° 23.40, septembre 2023

([173])  CNESCO, « Inégalités sociales et migratoires, comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? », rapport scientifique, septembre 2016

([174])  Thomas Cazenave et Hendrik Davi, « Évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur », rapport d’information n° 1406, juin 2023

([175])  Même si le taux de satisfaction des usagers semble progresser d’année en année, 83 % des lycéens qualifient la procédure Parcoursup de stressante ; source : baromètre Parcoursup 2023 (https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-10/barom-tre-parcoursup-2023-29424.pdf)

([176])  Article L. 111-1 du code de l’éducation  

([177])  Article D. 331-23 du code de l’éducation  

([178])  Régis Juanico et Nathalie Sarles, « Accès à l’enseignement supérieur : pour une orientation choisie plutôt que subie », rapport d’information n° 3232, CEC, juillet 2020

([179])  Voir à ce propos Thomas Cazenave et Hendrik Davi, rapport d’information n° 1406, op. cit., pages 33 et suiv.

([180])  Décret n° 2014-940 du 20 août 2014

([181])  Table ronde du 29 novembre 2023

([182])  Sophie Béjean et Bertrand Monthubert, « Pour une société apprenante – Propositions pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur », septembre 2015

([183])  Thomas Cazenave et Hendrik Davi, op. cit., pages 61 et suiv.

([184])  Table ronde du 29 novembre 2023

([185])  Gaëlle Dabet, Dominique Épiphane et Elsa Personnaz, « Parcours scolaires et insertion professionnelle : l’implacable effet de l’origine sociale », Céreq, Études Générations, 51, 2023

([186])  DEPP, note n° 23.40

([187])  Céreq, op. cit., page 12

([188])  « Construire la France de 2025, op. cit., 2017

([189])  Cécile Bonneau et Sébastien Grobon, « Enseignement supérieur : un accès inégal selon le revenu des parents », Conseil d’analyse économique, Focus n° 076-2021, décembre 2021

([190])  Loi n° 2018-166 du 8 mars 2018

([191])  Loi ORE, article 1er, V.

([192])  Parcoursup, bilan de la procédure d’admission 2023  

([193])  DEPP, note d’information n° 23.33, juillet 2023

([194])  « Parcoursup 2024 : les quotas imposés ne font pas leur preuve », Le Monde, 11 mars 2024

([195])  « Les boursiers sur critères sociaux en 2022-2023 », note flash du SIES, n° 20, septembre 2023

([196])  « Les boursiers sur critères sociaux en 2021-2022 », note flash du SIES, n° 23, septembre 2022

([197])  Note n° 20, septembre 2023

([198])  Notamment citées par Louis-André Vallet, audition du 25 octobre 2023

([199])  Table ronde du 8 novembre 2023 ; les travaux cités sont ceux de Stéphane Benveniste, « Les grandes écoles au 20ème siècle. Le champ des élites françaises : reproduction sociale, dynasties et réseaux ». L’auteur a constitué une base de quelque 375 000 diplômés admis dans douze grandes écoles entre 1886 et 2015.

([200])  De la même manière, parmi les jeunes accédant à ces écoles, ceux ayant des parents occupant des positions de pouvoir auront plus de chance d’en occuper eux-mêmes.

([201])  https://media.education.gouv.fr/file/81/9/3819.pdf

([202])  Table ronde du 29 novembre 2023

([203])  « Ouverture sociale des grandes écoles, Livre blanc des pratiques, premiers résultats et perspectives »,

([204])  « Ouverture sociale et territoriale des grandes écoles, Livre blanc des pratiques en faveur de l’égalité des chances dans l’accès aux études supérieures »

([205])  Le site de Sciences Po indique que 35 % de ses étudiants sont aidés, 33 % étant exonérés de droits. L’établissement consacre 11,5 M€ aux aides sociales.

([206]) CESP, op. cit., Recommandation n° 21, page 99

([207])  Table ronde du 29 novembre 2023

([208])  Op. cit., pages 163 et suiv.

([209])  Bilan de la procédure 2023, op. cit.

([210]) CESP, op. cit., page 68

([211])  À noter que l’insertion professionnelle des jeunes diplômés étant aussi socialement discriminée, les moins dotés en capital culturel hérité parviennent à des niveaux d’emploi plus faibles, quels que soient le niveau et la filière de formation. Les aides à l’insertion proposées par les établissements d’enseignement supérieur sont de ce point de vue utiles, mais les recherches montrent que les jeunes dont les deux parents ne sont pas diplômés du supérieur y accèdent ou y recourent moins fréquemment. Philippe Lemistre et Boris Ménard, « À qui profitent les aides à l’insertion de l’université ? », Céreq BREF, n° 349/2016

([212])  https://www.sciencespo.fr/fr/a-propos/en-un-coup-oeil-chiffres/  

([213])  https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2022-06/cord-es-de-la-r-ussite-enqu-te-aupr-s-des-tablissements-t-tes-de-cord-es---2022-18848.pdf

([214])  Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet et Julia Thebault, « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », rapport IPP n° 30, janvier 2021

([215])  Op. cit. page 159

([216])  Audition du 7 février 2024

([217])  Audition du 7 février 2024

([218])  IPP, op. cit., page 257

([219])  Le vivier est d’autant plus restreint que 17 % des lycées fournissent à eux seuls la moitié des effectifs des grandes écoles. S’agissant des 10 % des grandes écoles les plus sélectives, la moitié de leurs effectifs proviennent de seulement 8 % des lycées généraux et technologiques.

([220])  Table ronde du 31 janvier 2024

([221])  INSEE, « Les nouveaux indicateurs de richesse, indicateurs statistiques, chiffres détaillés », page 23, février 2024

([222]) Audition du 13 décembre 2023

([223]) « La France est confrontée à un problème de comptabilisation des NEET. Certains calculs et études s’arrêtent à 25 ans et d’autres à 29 ans. De plus, selon la définition d’Eurostat, les jeunes ni en emploi ni en études ne sont plus considérés comme NEET dès lors qu’ils pratiquent une activité non formelle comme des cours de sport, ou des cours liés à des activités culturelles ou de loisirs. Cette définition est plus restrictive que celle de l’OCDE qui ne prend pas en compte la formation non formelle. Cela explique les différences de comptabilisation observée. Par exemple, en 2018, 16,1 % des jeunes étaient des NEET selon la définition de l’OCDE. » COJ, « Les jeunes au cœur du futur service public de l’insertion », op. cit., page 17

([224])  Bernard Gazier, « Les ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) en France : un défi qui reste à relever », Le Monde, 21 août 2023

([225])  Vos rapporteures attirent l’attention sur le fait que les comparaisons sont incertaines, dans la mesure où certaines données concernent une population de NEET de 15 à 24 ans, d’autres de 15 à 29 ans.

([226])  Le halo du chômage concerne les personnes qui ne sont pas considérées comme actives au sens du BIT mais sont proches du marché du travail et mobilisables à court terme.

([227])  Perrine Goulet, « Rapport d’information sur l’aide sociale à l’enfance », n° 2110, du 3 juillet 2019

([228])  « Laissez-nous réaliser nos rêves ! L’insertion sociale et professionnelle des jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance », Commission de l’insertion des jeunes, COJ, juin 2023, page 12

([229])  Ibid.

([230])  Table ronde du 20 décembre 2023

([231])  « Chemins vers l’emploi et la vie adulte : l’inégalité des possibles », Céreq, Essentiels 04, 2022

([232])  Table ronde du 31 janvier 2024

([233]) Article L. 5131-4 du code du travail  

([234])  Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, Instruction n° DGEFP/SDPAE/2018/124 du 17 mai 2018 relative à la mise en œuvre du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) et de la Garantie jeunes

([235])  Décret n° 2016-1855 du 23 décembre 2016 relatif au parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie et à la garantie jeunes

([236])  Audition du 13 décembre 2023

([237])  Marine Guillerm et Solène Hilary, « La Garantie jeunes : quels jeunes et quel bilan après cinq ans ? », DARES Analyses, n° 18, avril 2019

([238])  Table ronde du 20 décembre 2023

([239]) Francesco Filippucci, « Quels effets de la Garantie jeunes sur l’insertion professionnelle de ses bénéficiaires ? », DARES Analyses, n° 3, janvier 2023

([240])  COJ, « Les conditions de réussite du contrat d’engagement jeune », avis rendu le 10 décembre 2021

([241])  Table ronde du 20 décembre 2023

([242])  https://solidarites.gouv.fr/sites/solidarite/files/2023-09/Pr%C3%A9sentation_Pacte%20des%20solidarit%C3%A9s_Lutte%20contre%20la%20pauvret%C3%A9_2023.09.18.pdf

([243])  Rapport final d’évaluation de la Garantie jeunes, Jérôme Gautier, président du comité scientifique

([244])  COJ, « Le contrat d’engagement jeune, suivi et évaluation de sa mise en œuvre dans les territoires », 1er rapport d’étape, décembre 2022

([245])  https://reseau-e2c.fr/formation-alternance-et-accompagnement

([246])  https://www.epide.fr/

([247])  https://www.le-smv.gouv.fr/

([248])  https://www.outre-mer.gouv.fr/ministere/le-sma-service-militaire-adapte

([249])  Document de politique transversale, « Politique en faveur de la jeunesse », projet de loi de finances pour 2022, page 11

([250]) Tom Chevalier et Sébastien Grobon, « Où va la politique de jeunesse en France ? », Revue française des affaires sociales, 2019/2, page 59

([251])  Livre blanc, op. cit., page 139

([252])  Alors que la situation des jeunes a connu des évolutions semblables en termes d’extension de la scolarité ou de difficultés d’emploi

([253]) Ibid., page 142

([254])  Discours prononcé à Avignon, 29 septembre 2009

([255])  Table ronde du 17 janvier 2024

([256]) Cf. les analyses en termes équivalents de François Dubet, supra, page 105

([257])  Tom Chevalier, « Les jeunes, ces citoyens de seconde zone », https://laviedesidees.fr; 21 février 2017

([258])  Tom Chevalier, ibid.

([259])  Camille Peugny, « Générations, jeunesses et classes sociales, un quart de siècle d’analyse des inégalités », Agora, Débats/jeunesses, n° 86, 2020/3, page 18

([260])  Ibid., page 20

([261])  Camille Peugny, « Jeunesses et classes sociales, Apports et angles morts de la lecture générationnelle des inégalités », in Tom Chevalier et Patricia Loncle, « Une jeunesse sacrifiée ? », PUF, octobre 2021, pages 13 à 27

([262])  Table ronde du 17 janvier 2024

([263])  Vos rapporteures rappellent que si cette affirmation était fondée en 2012, époque où le taux d’emploi diminuait continûment depuis plusieurs années, le chômage des jeunes a depuis lors baissé, comme pour l’ensemble de la population. S’il reste toujours élevé, l’INSEE souligne que le taux d’emploi des 15‑24 ans a notamment fortement augmenté après la crise sanitaire, (+3,4 points en 2021). En 2022, le taux d’emploi des jeunes augmente de nouveau fortement, plus modérément toutefois qu’en 2021 : +2,6 points en moyenne sur l’année, pour atteindre 34,9 %, son plus haut niveau depuis 1990. L’alternance et les stages contribuent pour moitié à la hausse de 2022 et les emplois à durée indéterminée (CDI, fonctionnaires) pour l’autre moitié. (INSEE, https://www.insee.fr/fr/statistiques/6966932#titre-bloc-5

([264])  Table ronde du 31 janvier 2024

([265])  Table ronde du 8 novembre 2023

([266])  La Cour des comptes partage cet avis, qui estime par exemple que « Le choix de l’orientation vers la Garantie jeunes est souvent principalement guidé par la motivation du jeune et par ses difficultés financières, et non par l’ampleur objective des difficultés auxquelles il est confronté », in « L’insertion des jeunes sur le marché du travail », décembre 2021

([267])  Table ronde du 29 novembre 2023

([268])  Cour des comptes, « L’insertion des jeunes sur le marché du travail », décembre 2021

([269]) Article 164 de la loi de finances pour 2023, n° 2022-1726 du 30 décembre 2022

([270]) Article 257 de la loi de finances pour 2024, n° 2023-1322 du 29 décembre 2023

([271])  Table ronde du 29 novembre 2023

([272])  Rapport du Comité stratégique « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur » à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, 8 décembre 2020

([273]) Supra, pages 145 et suiv.

([274])  Op. cit.

([275])  Conseil national de la jeunesse, rapport d’activité, Propositions et avis au Parlement, juin 2002-juin 2003

([276])  Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001

([277])  Maëlle Moalic et Jordan Parisse, « Les politiques de jeunesse des conseils départementaux », rapport d’étude, juin 2022

([278])  Maëlle Moalic et Jordan Parisse, « Les politiques de jeunesse des conseils régionaux », études et recherches, n° 37, août 2020

([279])  Contribution écrite adressée aux rapporteures par Pierre Pouliquen, vice-président de la région Bretagne

([280])  Marion Audren, « Le chef de filât en matière de politiques jeunesse, un rôle à prendre au sein d’un écosystème complexe », Master 2, université de Rennes, septembre 2023

([281])  Table ronde du 2 novembre 2023

([282])  Indépendamment du fait que certaines instances, comme le comité interministériel, ne fonctionnent pas, comme vos rapporteures l’ont rappelé.

([283])  Article 15 du décret n° 2016-1377 du 12 octobre 2016

([284])  Décret n° 2021-1301 du 7 octobre 2021