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N° 2435

 

——

 

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 avril 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

dÉposÉ

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])

 

sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle

de protection et de sécurité civiles

et prÉsentÉ par

Mme Lisa BELLUCO, Présidente,

et

M. Didier LEMAIRE, Rapporteur,

Députés

____

 

 

 

TOME II

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

 

 

La mission d’information, créée par la Conférence des présidents, sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles est composée de : Mme Lisa Belluco, présidente ; M. Didier Lemaire, rapporteur ; M. Jean-Marie Fiévet, Mme Marietta Karamanli, MM. Pierre Morel-À-L’Huissier, Éric Pauget vice-présidents ; Mme Emmanuelle Anthoine, MM. Philippe Berta, Benoît Bordat, Julien Rancoule secrétaires ; MM. Quentin Bataillon, Romain Baubry, Christophe Blanchet, Bertrand Bouyx, Florian Chauche, Yannick Chenevard, Mmes Catherine Couturier, Laurence Cristol, Julie Lechanteux, Gisèle Lelouis, M. Jean-François Lovisolo, Mme Alexandra Martin, MM. Damien Maudet, Davy Rimane

 


   comptes rendus des auditions

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Association des maires de France

Compte rendu de l’audition de M. Bastien Coriton, maire de Rives-en-Seine, maire-référent sécurité civile de l’Association des maires de France
(jeudi 7 septembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Pour notre première audition, nous accueillons les représentants de l’Association des maires de France (AMF), et plus particulièrement M. Bastien Coriton, maire de Rives-en-Seine et maire-référent sécurité civile, ainsi que M. Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule. Vous êtes accompagnés de Mmes Judith Mwendo, responsable du département Action et gestion communale, et Stéphanie Bidault, chargée de mission risques.

L’AMF, fondée en 1907, est une association reconnue d’utilité publique qui représente et porte la voix des communes. Forte de l’adhésion quasi-totale des maires et des présidents d’intercommunalités, elle est pleinement légitime à relayer, de manière transpartisane, les intérêts et les préoccupations des élus.

Notre mission, composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques, a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire.

Notre objectif est d’étudier, au plus près du terrain, l’organisation de la protection et de la sécurité civiles et les défis à relever, ainsi que d’imaginer les adaptations éventuelles de notre modèle.

Pour éviter de faire fausse route ou nous défaire d’idées préconçues, nous avons tenu à commencer nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations. Présents sur le terrain, les élus sont au plus près des opérations de prévention et des interventions menées par les forces de sécurité civile ; les maires sont des acteurs de premier plan lorsque des crises surviennent, de par leur compétence de police. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur leur propre expérience de ces situations et nous faire part de leur regard sur l’état et le fonctionnement actuel de notre système de sécurité civile.

Nous voulons faire progresser encore notre modèle de protection et de sécurité civiles. N’hésitez donc pas à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système, ainsi qu’à nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux.

M. Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule. Dans le cadre du groupe de travail dédié aux risques et crises de l’AMF que je co-préside avec Éric Ménassi, le maire de Trèbes, nous avons fait le tour des maires de France pour recueillir leur avis sur ce sujet qui nous préoccupe au plus haut point.

Nous saluons la création de la mission d’information et nous essaierons de vous faire part des expériences et des difficultés sur le terrain.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Il nous semblait important, après les nombreuses crises que nous avons vécues, de réfléchir aux capacités d’adaptation et d’anticipation de notre modèle de sécurité civile, qu’elles concernent les services de l’État, les régions, les départements ou les communes. Nous sommes intéressés par les retours du terrain de la part de vos adhérents.

Comment l’AMF participe-t-elle aux réflexions publiques sur l’évolution du modèle de protection et de sécurité civiles ? A-t-elle récemment élaboré des documents pouvant nourrir les travaux de la mission d’information ?

M. Bastien Coriton. La sécurité civile a donné lieu à une consultation des maires au début de l’année 2023. Je propose de vous transmettre le rapport qui en a été tiré en février 2023. Nos réponses au questionnaire que vous nous avez adressé viendront aussi compléter nos propos.

M. Sébastien Leroy. Nous avons établi plusieurs documents, en particulier à l’attention de la mission dite Falco sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs. Nous avons également eu de nombreux échanges avec les différents ministères – transition écologique, intérieur – sur les diverses crises auxquelles nous pouvons être confrontés. Nous vous les transmettrons bien volontiers, notamment les propositions législatives.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelles sont les idées-forces qui se dégagent de ces documents ?

M. Sébastien Leroy. Dans les réflexions du groupe de travail, reviennent systématiquement la nécessaire déconcentration, ainsi que l’importance du rôle du maire et du préfet sur le terrain. Quelle que soit la crise – sanitaire, naturelle ou de sécurité –, on note une contradiction entre les évolutions législatives et les solutions dont l’efficacité sur le terrain est avérée. En cas de crise, on a besoin de proximité, de logistique et d’organisation, lesquelles incombent au maire et à l’État, avec le soutien des départements et de la région. Or les évolutions récentes vont en sens inverse.

M. Bastien Coriton. Je partage pleinement ce qui vient d’être dit. Nous sommes frappés par le décalage entre la complexité des textes et la gestion concrète de la crise.

Ensuite, la culture du risque dans notre pays est insuffisante. Certains de nos voisins sont bien plus avancés que nous en la matière, en particulier s’agissant des exercices. Le porter à connaissance sur les risques de leur territoire reste problématique pour nombre de maires, malgré les progrès de la loi Matras, loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers comme des sapeurs-pompiers professionnels.

Enfin, le réarmement de l’État local est important, notamment pour venir en aide aux petites communes qui n’ont pas l’ingénierie nécessaire pour gérer les crises et s’y préparer ; les élus se retrouvent un peu seuls.

M. Didier Lemaire, rapporteur. La répartition des rôles entre le préfet et le maire dans la direction des opérations de secours est-elle assez claire ?

M. Sébastien Leroy. La répartition des rôles dans la gestion de la crise mériterait aujourd’hui d’être clarifiée. Bien souvent, elle se fait au cas par cas, selon la personnalité des acteurs. De même, en matière d’anticipation et de culture du risque, les politiques varieront d’un département à l’autre et au gré des personnalités.

Pour autant, et c’est l’un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés, il n’est pas possible d’imposer un modèle unique à 36 000 communes. Ainsi, le transfert de compétences aux communautés d’agglomération peut être vertueux pour les petites communes dans lesquelles les maires manquent de moyens, mais il peut être contre-productif dans d’autres territoires où les villes sont plus efficaces. Lorsqu’une crise survient, celui qui est sur le terrain, par définition, c’est le maire, et son interlocuteur privilégié, c’est l’État, à travers la personne du préfet. Il reçoit évidemment le soutien notamment du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) si les événements laissent le temps de s’organiser. Bien souvent, malheureusement, il n’y a pas d’alerte et c’est l’improvisation totale. Il faut redéfinir les rôles et les schémas de fonctionnement.

Il convient également de s’interroger sur les contradictions législatives auxquelles nous sommes confrontés au quotidien et dans tous les domaines : quand les textes ne vont pas à l’encontre de la protection des territoires, les objectifs qu’ils nous assignent sont souvent inconciliables – on peut vous demander en même temps de sururbaniser et de désurbaniser. Face au flou qui règne, il y a les maires qui ont déjà vécu une crise et savent comment anticiper, et les autres.

M. Bastien Coriton. En ce qui concerne la gestion de la crise, il est sans doute nécessaire de redéfinir les rôles – en particulier, pour savoir à quel moment le préfet prend la main dans la direction des opérations de secours. Quant à l’avant-crise, le réarmement de l’État local que nous appelons de nos vœux consiste aussi à arbitrer entre des injonctions contradictoires – densifier et désimperméabiliser par exemple – comme l’a dit M. Leroy. Sans orientation claire de la part de l’État, les maires peuvent se trouver bloqués pour aménager leur territoire.

M. Sébastien Leroy. Je donne un exemple très concret. Dans les plans de prévention des risques d’inondation (PPRI), c’est l’État qui définit le risque. Or dans de très nombreux territoires, l’État se contente d’élaborer le document sans organiser aucun suivi, alors qu’il devrait sensibiliser les maires, s’assurer que le risque a bien été pris en considération et porté à connaissance des habitants, mais aussi étudier, avec chaque maire, les mesures à prendre. Sans un tel suivi, le risque est ignoré jusqu’à ce que la crise survienne.

Il faut reconstruire une relation de travail entre le maire et les services de l’État – préfectures et directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Malheureusement, la grande pénurie d’agents les contraint à gérer l’urgence, sans avoir les moyens de faire de la prévention et d’anticiper. Dans de nombreux territoires, les dossiers prennent un retard considérable à cause du manque de personnels de l’État pour les suivre.

M. Bastien Coriton. Je prends l’exemple de la construction d’un centre de secours pour laquelle l’axe de ruissellement a changé quatre fois d’emplacement au gré des interlocuteurs, ce qui nous a fait perdre un an et demi !

M. Didier Lemaire, rapporteur. Notre modèle de financement, qui repose essentiellement sur les départements et les contributions de l’État, est-il pertinent ou doit-il être revu ?

M. Bastien Coriton. N’oublions pas que les communes sont un financeur important de la sécurité civile – elles contribuent à hauteur de près de 50 % au financement des SDIS.

L’AMF ne souhaite pas pour l’instant revoir le modèle de financement qui a été défini lors de la départementalisation au début des années 2000. Nous sommes attachés au principe selon lequel la contribution des communes ne peut pas augmenter plus que l’inflation. Nous l’avons dit au cabinet de la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité cet été, mais nous attendons de connaître le détail du projet de loi de finances.

Si le département reste la zone pertinente pour l’organisation de la sécurité civile, s’agissant des risques qui dépassent les limites départementales, notamment les incendies, peut-être faut-il envisager un financement régional ? Dans ce domaine, l’État a octroyé, par le biais du pacte capacitaire, des crédits supplémentaires permettant à tous les départements de se doter de colonnes de renfort.

Une réflexion est en cours sur la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), dont une fraction est attribuée aux départements pour être reversée aux SDIS.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Vous regrettez le flou sur le rôle des maires. Pourtant, la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 est très claire : le maire est le directeur des opérations de secours (DOS) dans sa commune ; si la crise dépasse ses compétences ou son territoire ou si le maire le lui demande, le préfet devient DOS. Un dépoussiérage de la loi pour clarifier encore davantage la fonction du maire et du préfet vous semble-t-il nécessaire ou est-elle dépassée ?

M. Sébastien Leroy. Notre constat est le suivant ; il y a, d’un côté, la théorie et, de l’autre, la pratique. Selon la première, nul n’est censé ignorer la loi ni le risque. Mais la multitude de documents qui se rapportent aux risques ne favorise pas la lisibilité. La carte d’une ville représentant ces documents, en particulier les zonages qui en découlent, est incompréhensible. Un travail de pédagogie est donc nécessaire. Pour ce faire, il faudrait rétablir un dialogue, qui, bien souvent, a disparu, entre la préfecture et l’élu qui prend ses fonctions pour qu’il comprenne bien les risques auxquels son territoire est exposé. Dans ce dialogue, l’élu pourrait aussi faire remonter les contradictions des textes et les difficultés nées de leur application uniforme à des territoires différemment exposés aux risques.

J’ai vécu des réunions au cours desquelles de neuf heures à neuf heures et demie on m’invitait à anticiper et renaturer, puis de neuf heures et demie à dix heures, on me demandait de construire plusieurs milliers de logements sous peine d’amende. Tous mes collègues connaissent cette situation.

Le risque est aujourd’hui trop complexe à appréhender. Il faut expliquer les données sur lesquelles repose son évaluation, et seul l’État peut le faire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Si je comprends bien, vous déplorez le manque de cohérence dans l’anticipation des risques et la préparation de la gestion de crise.

M. Sébastien Leroy. Il ressort des échanges avec les maires que nous avons tous le même souci : d’un côté, nous devons anticiper le risque. Encore faut-il pouvoir l’appréhender, d’autant qu’il évolue désormais de manière considérable dans des délais très courts – qu’il s’agisse d’inondations ou de feux de forêt, nous avons connu depuis quatre ans des phénomènes inédits, d’une intensité démultipliée.

De l’autre côté, les réglementations sont tellement lourdes et complexes qu’elles empêchent toute transformation des territoires : les procédures en matière d’environnement peuvent bloquer pendant plus d’une décennie des projets pourtant vitaux – et reconnus comme tels par l’État – pour la protection des biens et des personnes. Pour se préparer aux crises, le maire ne peut agir que sur les moyens logistiques.

Il n’y a pas de contrôle a posteriori. En revanche, du fait de l’addition des contrôles a priori, entre douze et quinze ans seront nécessaires pour réaliser un aménagement qui ne sera plus adapté lorsqu’il sera enfin achevé. C’est la dichotomie entre la théorie – on doit faire pour anticiper – et la réalité – on ne peut rien faire – que vivent tous les maires de France.

M. Bastien Coriton. On en revient au nécessaire arbitrage. Face à des injonctions contradictoires, l’État doit aider les maires à trouver un chemin. Sinon cela bloque et nous perdons du temps. M. Leroy a raison, le projet est dépassé lorsqu’il voit le jour, ce n’est pas cohérent.

Les préfets doivent arbitrer. Je comprends leur réticence puisqu’ils endosseront la responsabilité, mais ils doivent faire confiance aux maires : nous ne leur soumettrons pas des choix délirants, nous voulons aussi protéger nos populations.

Mme Stéphanie Bidault, chargée de mission risques auprès de l’AMF. L’AMF est très attachée à la loi de 2004 qui répartit clairement les rôles entre maire et préfet. Mais les textes adoptés depuis cette date sont venus brouiller la lisibilité du dispositif. Je pense à la compétence Gemapi instaurée au profit des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, ou à la création des plans intercommunaux de sauvegarde (PICS). L’arsenal législatif continue de promouvoir de nouveaux outils dont la gouvernance n’implique pas seulement le maire et le préfet. Il faut redonner du sens et clarifier l’organisation, pour que chaque acteur sache quel est son rôle dans la gestion de crise. En ce qui concerne les régions, l’AMF est favorable à leur implication dans le financement mais pas dans l’organisation des secours. L’abondance de nouveaux outils pour faire face aux crises nous éloigne de l’esprit de la loi de 2004 au risque de perdre la cohérence d’ensemble. Le binôme maire-préfet doit rester central.

M. Benoît Bordat (RE). J’ai bien compris vos remarques concernant le couple maire-préfet. Je relèverai simplement que le préfet, quant à lui, est formé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’État lui a confié cette mission. Les maires ne le sont pas toujours. Certains ont reçu une formation ou ont de l’expérience. D’autres, non. C’est par exemple le cas de ceux nouvellement élus en 2020. J’étais adjoint au maire de Dijon, au moment où il a fallu assurer son intérim dans la gestion d’événements majeurs. Nous n’avions pas tous le même niveau de formation, le même accès aux informations, et l’organisation du travail avec les pompiers et la préfecture fut parfois assez approximative. Il faut éviter que les maires ne se retrouvent dépassés par la situation, car cela complique et retarde la prise de décision, alors qu’il faut au contraire agir vite.

Il serait judicieux de prévoir un volet de formation, ne serait-ce que pour inculquer la culture du risque aux élus. Je le sais pour avoir été élu local : trop souvent, aucune formation n’est délivrée à l’élu qui se retrouve chargé d’un dossier qu’il ne sait comment aborder.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Si je comprends bien vos remarques, madame Bidault, vous ne contestez pas l’intérêt des dispositifs, mais vous regrettez leur surabondance en ce qu’elle amoindrirait leur efficacité. Par exemple, alors qu’il était demandé dans un premier temps aux communes d’établir un plan communal de sauvegarde, il est à présent prévu qu’elles adoptent également un plan intercommunal de sauvegarde – quand bien même les élus n’ont pas forcément compris comment définir le premier de ces deux plans. Selon vous, on ne devrait pas imposer de nouvelles obligations aux communes tant que les principes fondamentaux ne sont pas maîtrisés.

M. Sébastien Leroy. La multiplication des lois est un problème. Les élus doivent connaître les risques qu’encourt leur commune et maîtriser les moyens d’y répondre. C’est la base. Les plans communaux de sauvegarde, les plans intercommunaux de sauvegarde, la journée de sensibilisation, sont autant de dispositifs louables, mais ils ne suffiront pas si personne ne sait appliquer un plan communal de sauvegarde. Les nouveaux élus doivent être formés, c’est vrai, mais pour cela il faut surtout que l’État puisse échanger avec eux. Il arrive fréquemment qu’un élu ne rencontre jamais les services de la DDTM ni de la préfecture et n’évoque pas le sujet des risques pendant des années !

Certaines communes ont été dévastées par des inondations il y a deux ans, alors qu’elles n’avaient pas adopté de PPRI. Nous devons redéfinir la démarche autour du couple maire-préfet, qui est essentiel. En multipliant les acteurs, les intervenants, les textes, en transférant une grande partie des compétences aux communautés d’agglomération – ce qui peut être salutaire ou dévastateur selon les cas –, on perd la différenciation sur le terrain, la subsidiarité qui est essentielle à l’efficacité. Plus personne ne sait quel rôle il doit jouer, ce qui peut conduire à des situations inextricables lorsqu’un drame survient. Le premier à se retrouver sur le terrain, dans ces cas-là, c’est bien souvent le maire. C’est lui qui appellera la préfecture pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. C’est à lui que le préfet demandera des informations. Il faut redéfinir cette relation pour la clarifier. Quand on multiplie les responsables, finalement plus personne ne l’est. C’est pour cette raison que j’insiste sur le couple maire-préfet et sur la nécessité de permettre à ce dernier de mener des actions reposant sur des contrôles qui s’exerceraient a posteriori et non a priori. Aujourd’hui, le préfet est soumis à ses services et il arrive que les débats n’en finissent plus, par exemple avec la DDTM ou la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), autour de sujets qui n’ont plus rien à voir avec la protection, mais qui suffisent à tout bloquer.

M. Bastien Coriton. Le PICS ne fait que compléter le plan communal de sauvegarde, puisque le président ou la présidente de la communauté d’agglomération ou de la communauté de communes ne dispose pas de pouvoirs de police, sauf s’ils lui ont été délégués. Je ne sais pas s’il faut améliorer la procédure, mais une chose est certaine, il faut partager l’établissement du plan communal de sauvegarde avec les élus. C’est ce que j’ai fait dans ma commune. Si vous ne prenez pas le temps de leur expliquer comment est construit un tel plan, ni la manière dont il est déclenché, ou encore le rôle de chacun dans la gestion de la crise, il ne servira à rien.

La loi Matras prévoit que les SDIS puissent désigner des référents « sûreté et sécurité ». Je suis vice-président du SDIS en Seine-Maritime : nous avons organisé quatre réunions pour présenter à plus de 400 élus le rôle du référent. Toutes les communes ont l’obligation de prévoir des crédits dédiés à la formation dans leur budget. Les plus petites ne les consomment jamais. Si on se retrouve démunis face à une crise, c’est parce qu’on n’a pas été formés pour y faire face. J’ai suivi une formation à la gestion de crise au début de mon premier mandat : en six ans, je ne sais même pas si 5 % des maires auront été formés ! Je ne suis pas certain qu’il faille l’ériger en obligation, mais qu’au moins il soit établi un vrai schéma de formation en partenariat avec les SDIS car toutes les communes sont confrontées à au moins un risque.

Le porter à connaissance est un document qui peut s’avérer utile, mais il s’écoule parfois trop de temps entre les différents porter à connaissance. Dans l’intervalle, les risques ont évolué et le maire n’en est pas averti. Des exercices doivent également être prévus. Je ne parle pas d’un exercice type pour tout le département comme ceux qui ont lieu dans les écoles ! Il n’est pas forcément utile d’apprendre à gérer une inondation quand on vit sur une colline, ni un camion qui se renverse quand aucune route départementale ou nationale ne traverse la commune. Nous n’avons pas la culture de l’exercice et nous devons progresser en ce domaine.

La journée nationale de la résilience face aux risques naturels et technologiques est intéressante. Dans notre territoire, nous avons créé la Semaine de la sécurité, afin de sensibiliser le grand public, les professionnels et les établissements scolaires à la sécurité au sens large. Nous leur proposons des ateliers, des visites, des conférences.

Enfin, j’approuve l’idée d’une pause législative. La loi prévoit plusieurs mesures : laissons-leur le temps de s’appliquer et de produire leurs fruits. De nombreuses communes n’ont pas encore de plan communal de sauvegarde, faute d’avoir su ou pu l’adopter. Il faut les aider. Quant au document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim), je pense qu’il faut d’abord appliquer les mesures législatives avant d’aller plus loin.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Concernant le financement, le rapport Falco émet des propositions intéressantes. Qu’en pensez-vous ?

M. Bastien Coriton. La TSCA a été créée pour financer les SDIS, mais son affectation pose problème et nous en avons discuté avec le cabinet de la ministre chargée des collectivités territoriales cet été. Cela fait bien longtemps que les SDIS ne sont plus financés à parts égales par les départements et les communes, mais on ne peut pas aggraver encore davantage la charge des communes. Les budgets sont importants et il faut laisser aux territoires le soin d’organiser la répartition de la contribution. La définition de critères à l’échelle nationale pour le calcul de la contribution des communes a été envisagée, mais nous avons réussi à convaincre le Gouvernement que cette proposition était risquée. Les contributions des communes sont principalement fondées sur ce qu’elles payaient au moment de la départementalisation. Les simulations ont montré qu’en fixant des critères au niveau national, les contributions pouvaient exploser de plus de 1 000 % ou régresser jusqu’à moins 500 %. C’est une usine à gaz. Il est donc préférable de réfléchir à mieux répartir le financement des SDIS entre les départements et les communes. Par exemple, les départements ne reversent pas la totalité du produit de la TSCA qu’ils perçoivent. D’autre part, pourquoi ne pourrions-nous pas faire participer les entreprises qui génèrent des risques ? C’est vrai, elles paient des impôts locaux, mais cela ne suffit pas forcément à couvrir le risque important qu’elles font courir à la commune. Ainsi, nous avons défini avec EDF, lorsqu’une centrale nucléaire est installée sur la commune, un nouveau financement qui permettrait de renforcer le nombre de sapeurs-pompiers professionnels. C’est la même chose pour les communes qui comptent un grand port maritime. Les sociétés participent au financement des postes de sapeurs-pompiers professionnels pour couvrir le risque d’incendie des navires.

M. Sébastien Leroy. Nous l’avons répété à la mission Falco : si les régions étaient appelées à abonder financièrement, il faudrait que l’organisation reste au niveau du département, sinon ce sera une grande usine à gaz qui nous conduira à l’échec. D’autre part, il faut avoir conscience que le financement des SDIS par les communes ne se résume pas aux mesures à prendre pour protéger et préserver le territoire, il englobe tout ce qui a trait à l’aménagement, l’entretien, l’équipement – jusqu’aux véhicules d’intervention des polices municipales si elles se rendent dans des secteurs exposés. Or la situation financière des communes est extrêmement tendue.

M. Bastien Coriton. Je suis d’accord. Le principe d’un cofinancement peut être une bonne idée s’il se limite, par exemple, aux moyens aériens, à la lutte contre les feux de forêt, qui nécessitent un budget important, mais il faut s’en tenir à l’échelle de la zone de défense et de sécurité et au couple maire-préfet pour la gestion du risque, sinon on risque la cacophonie ! Surtout, évitons de remanier à nouveau les conseils d’administration au sein desquels l’équilibre est plutôt préservé entre les communes et le département. Il y a bien sûr des exceptions mais, en général, il est possible d’y discuter des financements et des besoins.

Les pactes capacitaires sont une bonne solution de financement pour permettre l’acquisition de matériels spécifiques. Il fut une époque où l’État finançait en partie les SDIS par l’intermédiaire d’un fonds d’aide à l’investissement, dont la dotation était annuellement répartie par zones de défense. Les enveloppes qui lui étaient allouées n’ont cessé de diminuer au fil du temps et ce fonds a aujourd’hui disparu. Le pacte capacitaire est un effort. Peut-être conviendrait-il de pérenniser l’effort d’aide à l’investissement pour les SDIS.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Il y a un an, le Président de la République s’était engagé à débloquer 150 millions d’euros pour aider les SDIS. C’est chose faite depuis quinze jours. Ainsi, le SDIS des Deux-Sèvres reçoit près de 2 millions d’euros, mais tous les SDIS de France auront été aidés par l’État cette année.

M. Bastien Coriton. C’est vrai. Et cette aide nous permettra d’acheter des véhicules.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Notre système de sécurité civile fait intervenir de nombreux acteurs publics et associatifs. Est-il lisible et cohérent ?

M. Bastien Coriton. Notre modèle repose sur le volontariat, ce qui nous rend dépendants de la capacité de nos concitoyens à donner de leur temps. L’enjeu managérial est réel. Comment recruter ? Comment faire pour que le temps que les sapeurs-pompiers sont prêts à donner soit librement consenti ? Nous devons aussi nous appuyer sur les associations de sécurité civile, les réserves départementales de sécurité civile qui sont en train de se constituer. La multiplicité des acteurs n’est pas forcément négative, dès lors qu’ils parviennent à se coordonner.

En Seine-Maritime, nous avons voulu fédérer, sous la houlette du SDIS, l’ensemble des acteurs de la sécurité civile. À condition de réussir à coordonner leurs actions, c’est un système préférable à la fusion, qui risque de décourager bon nombre d’acteurs et de les faire partir. Nous réfléchissons à organiser, chaque année, une journée d’assises, pour que les acteurs se rencontrent et puissent échanger. Le choix d’un numéro unique pour appeler les services de secours est également important. Il faudrait surtout que, sur le terrain, on parvienne à installer un outil unique pour les services de secours. Ce n’est pas pour tout de suite !

M. Sébastien Leroy. Le rôle des acteurs publics de la sécurité civile est bien défini et le dispositif est clair, même si nous pourrions encore l’améliorer. La situation est plus compliquée dès que des associations interviennent. Il faut gérer leurs éventuels conflits et rivalités. De surcroît, leurs dénominations entretiennent parfois la confusion avec des organismes publics, ce qui peut poser problème lorsqu’elles délivrent des formations ou prétendent établir des plans communaux de sauvegarde. C’est une vraie nébuleuse et les élus peuvent s’y tromper en pensant, en toute bonne foi, qu’ils ont affaire à des organismes publics agréés alors qu’il s’agit de sociétés privées. Il faudrait songer à clarifier ce système.

M. Bastien Coriton. C’est dans cet esprit que nous avons voulu fédérer les associations de sécurité civile. C’est d’ailleurs la première fois que nous avons réussi à faire signer tout le monde. La réserve départementale de la sécurité civile et la maison de la sécurité civile qui ouvrira bientôt ses portes sont les fruits de ce travail. Peut-être conviendrait-il de reproduire ce modèle au niveau national.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Il reste à savoir qui prendrait l’initiative d’une telle opération et qui coordonnerait les différents organismes.

M. Julien Rancoule (RN). Je souhaiterais aborder le sujet de l’entretien des cours d’eau, qui est souvent problématique pour les maires. Il relève théoriquement de la responsabilité du propriétaire ou de l’exploitant riverain. Dans les faits, la situation est plus complexe car les propriétaires sont multiples, des parcelles sont abandonnées, des propriétaires peuvent ignorer qu’ils le sont parce que le cours d’eau est entré dans leur famille des générations auparavant. Une taxe Gemapi, qui est une taxe facultative, a été créée pour les collectivités locales. Le système actuel vous semble-t-il pertinent ? Serait-il nécessaire de le simplifier, en donnant par exemple aux collectivités locales les outils qui leur permettraient de gérer elles-mêmes ces cours d’eau ? Faut-il légiférer pour rappeler leurs obligations aux propriétaires de ces parcelles ?

D’autre part, une partie de ces cours d’eau sont à la charge de l’État. C’est le cas de l’Aude, fleuve de mon département. L’État dédie-t-il suffisamment de moyens financiers et techniques à leur entretien ?

M. Sébastien Leroy. Le système n’est ni satisfaisant, ni efficace. Contrairement à ce qui est prévu pour l’entretien des terrains en vue de prévenir les incendies, aucune disposition légale ne permet aux collectivités locales d’entrer sur un terrain privé pour y faire réaliser les travaux dont le propriétaire ne s’acquitte pas et de lui présenter la facture ensuite. Aujourd’hui, la collectivité ne peut se substituer au propriétaire si elle n’a pas obtenu une déclaration d’intérêt général, ce qui prend cinq ou six ans. La procédure qui suit est très lourde, puisqu’il faut prévoir plusieurs envois de courrier en recommandé et des relances, selon un calendrier précis. Or, certains vallons comptent plus de 450 propriétaires, dont certains sont injoignables ou ont disparu. Le même problème se pose pour le débroussaillement des terrains. Nous avons essayé, avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR), de simplifier la procédure, qui prend entre six et huit mois et mobilise des agents à temps plein pour toutes les communes. Nous avons en partie réussi. Je pense qu’en l’espèce, il serait pertinent de recourir aux nouvelles technologies, en particulier les drones qui permettraient de détecter les cours d’eau ou les terrains non entretenus. Cette demande nous a été refusée, alors que nous gagnerions un temps considérable.

D’autre part, la loi relative à l’eau et diverses mesures de protection environnementale sont très contraignantes pour les collectivités locales. Ainsi, si le curage d’un cours d’eau n’intervient pas dans les quinze jours qui suivent une crue majeure ou une grave intempérie, il faut se lancer dans toutes les études que la loi prévoit pour garantir la protection de la biodiversité, ce qui peut prendre jusqu’à trois ans.

Le traitement et le stockage des sédiments retirés des cours d’eau sont un autre problème. Considérés comme des polluants, ils doivent en effet être apportés dans des décharges spécialisées, ce qui représente un coût faramineux pour les collectivités concernées.

Des mesures devraient être prises pour alléger les coûts et simplifier une réglementation dont la complexité ne se justifie pas.

M. Bastien Coriton. Ma commune compte quatre rivières et est traversée par la Seine. Je partage donc les inquiétudes de M. Rancoule. En Seine-Maritime ont été créés des syndicats mixtes de bassins versants qui gèrent le risque de ruissellement et détiennent la compétence sur les rivières. Les propriétaires paient une taxe qui permet d’entretenir la rivière. Le dispositif fonctionnait plutôt bien jusqu’à ce que les agences de l’eau considèrent que l’entretien des rivières ne leur incombe pas, ou est inutile, et décident d’arrêter de financer les postes d’agents d’entretien des rivières. C’est bien dommage. Nous avons créé un syndicat interdépartemental qui regroupe l’Eure, la Seine-Maritime, le Calvados et l’ensemble des EPCI. Il est chargé de la Gemapi, notamment de celle des bords de Seine. L’enjeu est colossal et coûteux, du fait du changement climatique et du risque grandissant de catastrophe naturelle suite à une montée des eaux, sans parler de l’absence de financement par l’État. Je suis assez inquiet. J’ai dû annoncer récemment à une entreprise que ce serait bientôt à elle de se protéger des risques de débordement du fleuve. La taxe Gemapi, c’est bien, mais cela reste une taxe supplémentaire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie. Nous aurons d’autres occasions d’échanger avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités autour des sujets que nous n’avons pas pu aborder.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour la richesse de vos réponses. Nous aurons sans doute intérêt à vous entendre de nouveau à la fin des travaux de notre mission.

 

 

 

 


Intercommunalités de France

Compte rendu de l’audition, de l’association Intercommunalités de France
(jeudi 21 septembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Régis Banquet, président de la communauté d’agglomération de Carcassonne, dite « Carcassonne agglomération », qui représente aujourd’hui l’association Intercommunalités de France et qui est en visioconférence, au même titre que le député M. Julien Rancoule. Nous recevons également, ici même, Mme Carole Ropars, qui occupe dans cette association les fonctions de responsable de pôle et conseillère urbanisme, mobilités et gestion des risques pour Intercommunalités de France, ainsi que Mme Montaine Blonsard, qui est responsable des relations avec le Parlement au sein de cette association.

Je rappelle qu’Intercommunalités de France promeut la coopération intercommunale et le dialogue territorial depuis sa fondation en 1989, à une époque où l’intercommunalité n’avait pas encore connu son essor actuel – on peut dire qu’elle est désormais généralisée. Votre association représente aujourd’hui près de 1 000 intercommunalités, regroupant des communes qui couvrent plus de 80 % de la population française.

Je précise, à l’attention de M. Banquet, que notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. J’ajoute que votre audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’objectif de notre mission est d’étudier, au plus près du terrain, l’organisation de la protection et de la sécurité civiles, ainsi que les défis à relever. Pour éviter de faire fausse route ou d’avoir des idées préconçues, nous avons tenu à débuter nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations. Les élus sont « sur le terrain » et sont donc, par définition, au plus près des opérations de prévention et d’intervention menées par les forces de sécurité civile. Ils sont des acteurs de premier plan lorsque des crises surviennent et que ces forces interviennent. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur leur propre expérience de ces situations et nous faire part de leur analyse sur l’état et le fonctionnement actuel de notre système de sécurité civile. Nous avons d’ailleurs rencontré jeudi dernier les représentants de l’Association des maires de France (AMF).

Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour partager avec nous l’expertise et l’expérience des conseillers communautaires sur ces enjeux, ainsi que la manière dont les élus coordonnent leurs efforts en matière de sécurité et de protection civiles à l’échelle de l’intercommunalité.

Nous voulons faire progresser encore notre modèle de protection et de sécurité civiles et l’adapter aux nouveaux enjeux. N’hésitez donc pas à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système, ainsi qu’à nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux. Avant de vous donner la parole, notre rapporteur, Didier Lemaire, va vous poser une première série de questions pour lancer notre discussion.

M. Didier Lemaire, rapporteur de la mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles. Nous nous rencontrons aujourd’hui pour évoquer le sujet de la sécurité civile. Monsieur Banquet, vous avez été destinataire d’un questionnaire. Participez-vous à la réflexion publique sur le fonctionnement du modèle français ? Souhaitez-vous apporter des éléments nouveaux sur les différentes lois existantes ? Dans le cadre de l’intercommunalité, comment vous positionnez-vous par rapport au rôle du maire et du préfet ? Nous souhaiterions connaître votre ressenti sur le sujet de la sécurité et de la protection civiles.

M. Régis Banquet, président de Carcassonne agglo. Je souhaite saluer en préambule M. Julien Rancoule, député de ma circonscription.

Intercommunalités de France n’a pas vocation à remettre en cause le rôle du maire, ni celui du préfet. En matière de protection civile, l’ensemble des lois qui ont été votées vont dans le bon sens. Cependant, nous estimons que la situation devrait progresser. À l’heure actuelle, la gestion du risque doit être décorrélée de son anticipation.

Les deux sujets doivent être abordés de manière différenciée, afin d’améliorer l’efficacité de la réponse lorsque l’événement survient. Tout le monde a sa place dans la chaîne de réponses que nous devons mettre en place dans les territoires, qu’il s’agisse du secours que nous pouvons porter à nos concitoyens ou des services que nous pouvons leur fournir, ainsi qu’aux communes qui sont touchées.

Afin de vous éclairer, je souhaite vous résumer la position d’Intercommunalités de France. Dans l’urgence, c’est-à-dire la survenue de l’événement, le rôle du maire est prépondérant. Il doit prendre les premières décisions et être le « référent », naturellement en relation étroite avec le préfet si l’événement dépasse le cadre de sa commune. Le couple maire-préfet est donc essentiel lors de la réponse immédiate à la crise.

Ensuite, une fois que la première urgence est passée, l’intercommunalité doit jouer un rôle dans l’accompagnement des communes et de nos concitoyens, qui ont besoin que les services qui leur sont dédiés soient remis en place le plus rapidement possible. Je pense notamment aux services d’eau et d’assainissement en cas d’inondations ou de rupture de canalisations.

Les accompagnements peuvent également être plus profonds. En 2018, lors des inondations que nous avons subies dans notre région, nous nous sommes rapidement rendu compte que les assurances n’allaient pas rembourser la totalité des dégâts qui avaient été causés aux habitations. En compagnie du préfet de l’époque, nous avons décidé de mettre en place un projet d’intérêt général (PIG) pour financer la différence entre le montant des travaux et le remboursement des assurances, afin que nos concitoyens soient remboursés pour l’ensemble des dégâts qu’ils avaient subis.

En résumé, le maire est le référent sur sa commune lors de la première urgence ; il prend les premières décisions, avec le représentant de l’État. Dans un deuxième temps, l’intercommunalité intervient pour soulager, accompagner et se mettre au service de la commune et de ses élus, mais aussi des habitants des communes, afin de remettre en place le plus rapidement possible les services qui leur sont dus.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Permettez-moi de résumer votre propos, pour m’assurer que j’ai bien compris. Dans le cadre d’une gestion de crise, il y a à la fois « l’avant », par exemple les alertes météorologiques, puis la gestion de l’urgence par le maire à travers son pouvoir de police lorsque l’événement survient et, ensuite, l’accompagnement des communes et le soutien à la population. Dans cette dernière phase, l’intercommunalité est particulièrement essentielle. Est-ce bien cela ?

M. Régis Banquet. Pas tout à fait. Dans l’avant-crise, il faut également intégrer les éléments relevant de l’anticipation, de la pédagogie, de la mémoire des crises passées, de la formation et de l’accompagnement des élus. L’intercommunalité y a aussi un rôle à jouer, puisqu’elle a notamment la charge de la collecte de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), pour la réalisation de travaux.

Cependant, le rôle de l’intercommunalité et celui des maires sont complémentaires : l’intercommunalité doit venir au service des maires, par exemple pour leur offrir de meilleures formations en matière de risque quel qu’il soit – comme le risque inondation ou le risque incendie – et avoir la capacité de proposer de meilleures réponses pour protéger les populations. S’agissant du risque incendie, une petite commune ne dispose pas forcément des moyens suffisants pour tracer les pistes à travers les massifs forestiers et faciliter le passage des pompiers. Dans ce cas, l’intercommunalité doit donc suppléer la commune pour effectuer les travaux nécessaires.

En résumé, l’intercommunalité est au service des élus, de la population et de l’État.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie. Vous avez fourni des éléments éclairants sur le rôle de l’intercommunalité, l’avant-crise et la prévention.

Ensuite, les différents plans de réponse aux crises vous paraissent-ils adaptés et suffisants ? Vos adhérents les connaissent-ils ? Faudrait-il en créer de nouveaux ? La formation des élus est essentielle, dans la mesure où, selon moi, la gestion de crise ne s’improvise pas. Pensez-vous qu’il faille aller plus loin ?

M. Régis Banquet. Il est assurément nécessaire d’aller plus loin. En effet, l’expérience est ici essentielle : seule la confrontation à une crise instruit. Lorsque l’on est un maire et qu’un événement majeur survient, on se sent parfois un peu seul ou isolé dans la prise de décision : tant que l’on n’a pas vécu une crise majeure, on n’est pas capable de répondre de manière pertinente à l’événement. En effet, dans ces circonstances, l’impréparation peut conduire à l’affolement et à la prise de décisions non optimales, sous l’effet du stress. C’est la raison pour laquelle je suis persuadé que la répétition d’exercices de simulation peut fournir une première expérience aux élus. Ensuite, lorsque la véritable crise interviendra, les élus auront réellement les moyens d’y répondre. Une circulaire d’instructions ne remplacera jamais le vécu sur le terrain.

En 2018, nous avons, dans notre département, été réveillés en pleine nuit par un orage terrible, qui a provoqué des inondations et a occasionné des morts toutes les heures. Face à une crise d’une telle ampleur, un maire ou un élu peuvent rapidement « perdre les pédales ». Pour éviter de s’affoler, ils doivent disposer d’une expérience préalable. Les pompiers commencent à travailler sur ces situations grâce à l’intelligence artificielle et des casques de simulations. De la même manière, il est possible de simuler une crise et de former l’élu pour lui fournir une expérience qui lui sera profitable le jour J. Après avoir affronté ces inondations en 2018, je suis convaincu que nous apporterions de meilleures réponses si un nouvel événement devait survenir. Nous savons aujourd’hui ce qu’il faut faire et ne pas faire. Mais cette expérience est difficile à retranscrire dans une loi ou une circulaire ; il faut la vivre.

Les textes doivent offrir un cadre. Je ne sais pas quelle sera la rédaction de la loi que vous souhaitez mettre en place. Mais au-delà de la loi, il est essentiel qu’une appropriation et qu’une acculturation des élus et des populations interviennent vis-à-vis de ces risques.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie pour la clarté et la franchise de vos propos, qui nous placent au cœur des objectifs de notre mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation. Je fais partie de ceux qui pensent que, dans une gestion de crise, la prévention demeure le meilleur atout. Vos propos le confirment. Vous avez raison de souligner la nécessité de se préparer avant qu’une crise n’intervienne. Face au constat que vous avez dressé, avez-vous mis en place des actions spécifiques pour préparer vos adhérents ou vos collègues ? Avez-vous le temps et les relais nécessaires ? La gestion de crise est en effet un exercice très particulier.

M. Régis Banquet. En tant que président d’Intercommunalités de France et de la communauté d’agglomération de Carcassonne, j’estime que l’essentiel consiste à organiser les services et la réponse de la collectivité.

À ce titre, je tiens à vous faire part de mon expérience. Lors des inondations de 2018, nous avons été réveillés en pleine nuit et nous avons essayé de parer au plus pressé. Vers six heures du matin, j’ai convoqué mes cadres à l’agglomération pour mettre en place une cellule de crise destinée à balayer tous les sujets, afin que l’intercommunalité puisse répondre aux besoins des maires et de nos concitoyens, qui n’allaient pas tarder à apparaître. Cette assistance concernait par exemple l’aide à domicile pour les personnes âgées ou le portage des repas à domicile. Cette cellule a été mise en place en une journée, puis nous avons décliné notre plan, qui a été forcément affecté par quelques erreurs et a nécessité des ajustements sur la durée. Globalement, cela s’est bien passé. À l’issue de cette crise, les maires de mon agglomération ont tous bien compris l’utilité de l’intercommunalité ; on peut même parler de révélation. Deux ans plus tard, lorsque nous avons dû faire face à la crise Covid, nous étions prêts. Nous savions comment organiser une gestion de crise et nous avons facilement pu remettre en place la cellule de crise.

Vous avez évoqué l’information et la formation des élus. Le vice-président de Carcassonne agglo est le maire de Trèbes, Éric Ménassi. Dans le cadre de sa vice-présidence, il est chargé de la gestion de crise de la résilience. À ce titre, il continuera de former et d’informer les élus et les communes, pour prévenir les événements de demain. Dans le Sud, nous ne nous posons plus la question de savoir si nous connaîtrons d’autres épisodes d’inondations. Elles se reproduiront. Les seules questions concernent le « où » et le « quand ». Nous nous y préparons, afin que la réponse des maires et de la collectivité dans son ensemble soit la meilleure possible pour protéger nos populations.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué les inondations survenues dans l’Aude en 2018. Pouvez-vous nous fournir de plus amples détails ?

M. Régis Banquet. En l’espace de quelques heures, il est tombé entre 300 et 400 millimètres d’eau au nord de l’agglomération de Carcassonne. Cette crue d’une violence inouïe a entraîné des destructions massives dans une douzaine de communes. Par exemple, l’ensemble des équipements publics (écoles, salle polyvalente, médiathèque) de la commune de Conques ont été détruits. Les communes de Trèbes, de Couffoulens ou de Villegailhenc ont également subi des dommages irréversibles. Des maisons, des ponts et des ouvrages d’art y ont été totalement détruits. Les dégâts se sont élevés à des centaines de millions d’euros. En outre, nous avons dû déplorer de nombreux blessés et seize décès.

Cet événement a surpris beaucoup de monde, puisque l’alerte météorologique n’était qu’au niveau orange et ne prédisait pas un événement aussi fort et aussi brutal. Celui-ci continue de nous marquer : les plaies ne sont pas encore refermées aujourd’hui.

Mme la présidente Lisa Belluco. Aujourd’hui, il est possible de mettre en place des plans intercommunaux de sauvegarde (PICS). Comment s’articule la gestion de ces PICS au sein de l’intercommunalité, dans la mesure où la compétence d’intervention revient au premier chef au maire de chaque commune ?

Ensuite, vous avez mis l’accent sur l’importance de l’expérience et du vécu. Comment transmettre ces expériences et conserver leur mémoire à plus long terme ? Disposez-vous d’outils pour transmettre ce que vous avez vécu ?

M. Régis Banquet. Je suis convaincu que les maires ont le devoir de disposer d’un plan communal de sauvegarde couvrant différents risques. Dans notre région, il peut s’agir d’inondations, de feux de forêt ou de risques liés aux produits dangereux. Chez nous, cette nécessité est largement acceptée : la plupart des communes possèdent ou sont en train de réaliser leurs plans de sauvegarde.

Au-delà, la réponse s’articule à deux niveaux. Le premier niveau est celui de l’urgence, face à laquelle le maire intervient grâce à son pouvoir de police. Le deuxième niveau concerne la « remise en ordre » du territoire. Dans ce cadre, je suis convaincu que le PICS de l’intercommunalité ne doit pas remplacer celui de la commune, mais venir en complément de ce dernier. Au sein de l’agglomération de Carcassonne, nous allons y travailler, afin de posséder un PICS avant la fin du mandat. Il s’agit de bien écrire, de cadrer et d’organiser la réponse de l’intercommunalité, en complément des plans communaux de sauvegarde.

Ensuite, comment transmettre l’expérience ? La transmission peut s’effectuer à travers la réalisation d’exercices. Dans le cadre du plan de prévention des inondations, le syndicat départemental gère les travaux de prévention. Ce syndicat organise des simulations d’événements sur plusieurs communes, afin de placer les maires en situation réelle. Cet exercice est réalisé en « grandeur nature » et permet de confronter les élus à la même situation de stress que celle qu’ils vivraient en cas de crise. Le maire s’habitue donc à surmonter ce stress, pour réagir de manière plus sereine lorsque l’événement arrive.

De la même manière que les pompiers effectuent des exercices, les élus devraient également en mener pour se former à la bonne réponse à apporter, dans un stress maximal et dans une situation de crise maximale.

M. Julien Rancoule (RN). Dans l’Aude, nous sommes confrontés à différents risques, qu’il s’agisse des feux de forêt ou des inondations. Ma question concerne le schéma intercommunal de défense extérieure contre l’incendie, outil complémentaire au PICS. Les communes disposent souvent d’un tel schéma, qui est particulièrement pertinent lorsque les massifs couvrent plusieurs communes. Malheureusement, il n’est sans doute pas suffisamment utilisé et développé. Quel est votre regard à ce propos ? Avez-vous une idée du nombre de schémas existants en France ?

M. Régis Banquet. Je ne connais pas les chiffres au niveau national. Ce schéma est nécessaire, dans la mesure où la réponse ne peut pas être communale lorsque les massifs forestiers dépassent le strict cadre de la commune, comme vous l’avez relevé. De notre côté, nous l’avons mis en place dans l’agglomération de Carcassonne.

La rédaction du schéma est relativement facile à effectuer, mais la réalisation des travaux associés est beaucoup plus compliquée, qu’il s’agisse de l’ouverture des pistes dans les massifs forestiers ou de la mise en place de réserves d’eau ou de retenues collinaires. Cependant, le problème de financement se présentera à un moment donné. Je tiens d’ailleurs à alerter les parlementaires à ce sujet : la mise en place de schémas intercommunaux de défense extérieure contre l’incendie va engendrer des coûts et l’intercommunalité ne pourra pas à elle seule financer la totalité des travaux nécessaires pour protéger les populations. Comment, collectivement, pouvons-nous trouver les moyens pour financer ce type de travaux ?

Chez nous, le massif d’Alaric est un massif à risque, qui a connu des incendies par le passé. Il y a deux ou trois années, un incendie y a détruit 1 000 hectares. Aujourd’hui, l’agglomération de Carcassonne a mis en place un schéma sur les quinze ou vingt communes de ce massif, afin de gérer le risque incendie : nous ouvrons des pistes et très prochainement, l’agglomération mettra en place une réserve d’eau de 600 mètres cubes pour les incendies, sur un domaine qu’elle possède. Sur le versant sud, nous réfléchissons avec l’État pour construire une retenue collinaire qui pourrait à servir à l’irrigation agricole et en cas d’incendie.

Nous essayons donc d’anticiper le plus possible ce risque, mais il s’agit d’une course contre la montre. Dans la réalisation des travaux, nous allons moins vite que le changement climatique et le risque incendie qui s’accroît d’année en année. Nous essayons de nous y atteler, mais une fois encore, la principale difficulté concerne le financement. Pour ouvrir certaines pistes, nous avons heureusement bénéficié d’un accompagnement de l’État. Nous travaillons également avec les associations de chasse, afin qu’elles nettoient les massifs forestiers et entretiennent les chemins.

Notre région connaît une crise viticole majeure et on nous demande de procéder à un arrachage massif des pieds de vigne. Or, si nous n’avons plus de vignes qui puissent œuvrer comme des coupe-feux, le feu peut partir de Carcassonne et courir jusqu’à la mer. Ce sujet concerne toutes les communes de ce périmètre et il devient urgent de le traiter.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie pour ce retour d’expérience. Je profite de cette occasion pour vous rappeler que vous pourrez compléter et enrichir vos réponses par écrit.

Monsieur le président, vous avez évoqué les PICS. Il existe par ailleurs une réserve communale de sécurité civile. Mais qu’en est-il de la réserve intercommunale ? Ensuite, il me semble important d’aborder la relation interservices à partir d’un exemple concret. Lors d’une crise naturelle majeure, que se passe-t-il en cas de rupture du réseau téléphonique, si vous devez joindre la cellule de gestion de crise de la préfecture ? Avez-vous connaissance de ces fameux téléphones satellites ? Seriez-vous dépourvus si vous étiez isolés, sans connexion, pour joindre les services extérieurs ?

M. Régis Banquet. Si une coupure des télécommunications devait intervenir, nous serions particulièrement démunis. Je ne pense pas qu’un grand nombre de communes ou d’intercommunalités soient équipées de ces téléphones satellites pour gérer la survenue d’une éventuelle crise.

Pendant les inondations, le réseau téléphonique fixe et mobile ne fonctionnait plus dans les communes touchées. Chacun se débrouillait donc comme il le pouvait pour communiquer et transmettre les messages. Un maire était, par exemple, obligé de parcourir plusieurs kilomètres en voiture pour se rendre sur une colline et enfin pouvoir appeler avec son téléphone mobile.

Vous avez aussi évoqué les relations interservices. Il s’agit surtout des relations entre les services des intercommunalités, ceux de l’État, les pompiers et le service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Je vous ai déjà parlé de notre cellule de crise au niveau de l’agglomération, mais il existe naturellement le centre opérationnel départemental (COD) au sein de la préfecture. En cas de crise, le COD rassemble ainsi tous les services de l’État (armée, gendarmerie, pompiers), mais également les collectivités concernées. Chacun peut ainsi apporter son éclairage sur les décisions qui doivent être prises. Par exemple, en 2018, nous avons siégé dans cette cellule pendant la période de crise, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et durant au moins une dizaine de jours.

Ensuite, je ne suis pas persuadé que de nombreuses communes disposent de réserves intercommunales. Si elles connaissent des organisations très variées, ces réserves sont néanmoins utiles et complémentaires avec les forces de secours. Par exemple, elles nous ont beaucoup aidés lors des épisodes d’inondations ou de feux de forêt et ont agi de manière solidaire. Les réserves communales sont ainsi intervenues dans d’autres communes pour donner un coup de main. Il serait donc dommage de ne pas s’en servir.

M. Philippe Berta (Dem). Je souhaite vous faire part d’une réflexion. Je suis député du Gard et de Nîmes, qui a connu la première « grande inondation » en 1998. Ce territoire combine de nombreux risques : le risque nucléaire – les centrales de Marcoule et du Tricastin sont proches –, le feu, le vent, le froid, le soleil, la salinisation des sols. Chez nous, la gestion du plan inondation, qui a été lancée en 1988, est toujours en cours et se traduit notamment par la construction de bassins de rétention.

La gestion du risque est une affaire de professionnels, car il est multidimensionnel. Il est donc nécessaire de former ces professionnels. Par ailleurs, des initiatives sont intervenues dès 2006 dans le sud de la France, mais leur vocation est nationale. Je pense ici au pôle national de compétitivité sur le risque Safe, qui réunit les acteurs publics et privés. Ce pôle pourrait proposer des formations pour les élus et les spécialistes du risque, lesquels seraient par exemple positionnés à l’échelon intercommunal, en coordination avec les directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (Drire).

Ensuite, une université que je connais bien a choisi d’accorder une attention toute particulière à la gestion du risque, dans toutes ses dimensions. Elle pourrait également constituer un point d’appui pour mieux former l’ensemble des acteurs, qu’ils soient élus ou techniciens.

M. Julien Rancoule (RN). M. le rapporteur a évoqué le sujet crucial des télécommunications, que M. Banquet connaît bien, en sa qualité de président du syndicat d’énergies en charge du service public de l’énergie et de l’aménagement numérique du territoire dans l’Aude (Syaden).

Récemment, dans notre département, une personne d’une commune rurale des Corbières est décédée d’une crise cardiaque car les secours n’ont pas pu être prévenus à temps. Ce drame pose effectivement la question du téléphone satellitaire dans les zones blanches ou les zones dans lesquelles le réseau de téléphonie subit régulièrement des coupures.

Lors de la précédente mandature, une loi a été votée afin que les opérateurs déploient une couverture mobile sur l’intégralité ou presque du territoire national. Il serait intéressant de creuser cette question, afin que les opérateurs mettent à disposition des moyens d’urgence le temps que le déploiement s’achève. Il pourrait, par exemple, s’agir d’un téléphone satellitaire ou d’une ligne sécurisée dans les communes mal couvertes. Un certain nombre de zones sont concernées en France par cette problématique.

M. Régis Banquet. En l’espèce, d’après les renseignements que nous avons obtenus, il est apparu que le défaut émanait de Bouygues : la panne affectant les antennes de téléphonie n’a pas été réparée à temps. Pour ma part, je souhaite vous alerter sur la situation de SFR. Cette entreprise est aujourd’hui en grande difficulté financière et devra liquider des actifs. J’ignore à qui la société vendra son réseau mobile et fibre. Selon moi, ce sujet relève de la souveraineté nationale. Si SFR vend son réseau à un opérateur étranger, il sera difficile d’exiger de lui qu’il remplisse une mission de service public.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie, monsieur Banquet, pour votre intervention. N’hésitez pas à nous transmettre une contribution écrite pour fournir des informations complémentaires.

 

 


Départements de France

Compte rendu de l’audition, de l’association Départements de France
(jeudi 21 septembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous accueillons aujourd’hui, en visioconférence, un représentant de l’association Départements de France (ADF), M. André Accary, président du département de Saône-et-Loire et président de la commission SDIS de l’ADF. Participent également MM. Jean-Baptiste Estachy, conseiller sécurité de l’ADF, et Brice Lacourieux, conseiller chargé des relations avec le Parlement pour cette association.

Je rappelle que l’ADF, fondée en 1946, réunit les présidents des 103 collectivités adhérentes, dont 95 départements et 8 collectivités territoriales à compétences départementales. En interaction avec l’ensemble des départements, elle souhaite porter la voix des départements, notamment concernant les problématiques rencontrées sur le terrain. Je précise, à l’attention de la délégation de l’ADF, que notre mission est composée de 25 députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Votre audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Notre objectif consiste à étudier, au plus près du terrain, l’organisation de la protection et de la sécurité civiles, ainsi que les défis à relever, avant de proposer d’éventuelles adaptations. Pour éviter de faire fausse route ou d’avoir des idées préconçues, nous avons tenu à débuter nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations. Nous avons ainsi débuté nos travaux, la semaine dernière, par l’audition des représentants de l’Association des maires de France (AMF). Les élus sont « sur le terrain » et sont donc, par définition, au plus près des opérations de prévention et d’intervention menées par les forces de sécurité civile. Ils constituent des acteurs de premier plan lorsque des crises surviennent et que ces forces interviennent. C’est d’autant plus vrai à l’échelon départemental, en raison de la participation, notamment financière, des départements à l’activité des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour partager avec nous l’expertise et l’expérience des élus départementaux sur ces enjeux. Nous voulons faire progresser encore notre modèle de protection et de sécurité civiles. N’hésitez donc pas à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système, ainsi qu’à nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux.

Avant de vous donner la parole, je laisse intervenir notre rapporteur, Didier Lemaire.

M. Didier Lemaire, rapporteur de la mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles. Vous avez été, pour la préparation de cette audition, destinataires d’un questionnaire. Le temps imparti à cette audition limitant nos échanges, n’hésitez pas à nous transmettre par la suite des compléments d’information ou suggestions que vous jugerez utiles.

Dans l’immédiat, nous souhaiterions que vous nous fassiez part du point de vue de l’Assemblée départements de France concernant notre modèle de sécurité et de protection civiles. Notre mission d’information a pour objet de conduire le bilan de nos capacités d’anticipation et d’adaptation, compte tenu des événements récents – je pense notamment à la crise sanitaire.

M. André Accary, président du département de Saône-et-Loire et président de la commission SDIS de l’association des Départements de France. Au nom de l’ADF et en compagnie de mon collègue Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde, nous avons réalisé une mission flash, notamment à la suite des feux de forêt qui ont eu lieu en France l’an dernier. Une autre mission est également en cours, consacrée aux risques naturels majeurs.

Le constat est unanime sur le modèle français de protection et de sécurité civiles : il tient, mais il fait face à deux fronts majeurs qui le remettent en question. Il s’agit d’abord de la tension opérationnelle quotidienne, qui est notamment liée au poids des secours aux personnes et aux difficultés sans précédent du système sanitaire français. Ce système sanitaire se dégrade de manière importante au fil des mois, induisant des conséquences pour nos pompiers. Ensuite, la multiplication dans le temps et dans l’espace des crises et des événements calamiteux met en tension notre modèle.

D’autres évolutions sociétales doivent également être mentionnées. Ainsi, le nombre de sapeurs-pompiers français volontaires au niveau national se maintient, mais leur disponibilité s’amoindrit. Nous pouvons le constater partout, en milieu rural comme en milieu urbain.

Par ailleurs, l’impact de la législation européenne pèse dans les missions et rend la formation de plus en plus exigeante.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les pompiers constituent la clef de voûte de notre système de sécurité et de protection civiles, notamment en matière de gestion de crise. Ma première série de questions porte sur notre modèle de sécurité civile au sens large. Il existe ainsi une très grande diversité d’associations agréées de sécurité civile, mais selon leurs moyens humains et matériels et selon leur situation géographique, elles n’apportent pas les mêmes degrés de réponse face aux sollicitations dont elles font l’objet. Quelle est votre opinion sur ces associations agréées ? De quelle manière travaillez-vous avec elles ? La répartition des rôles en cas de crise est-elle clairement établie ? Quel est votre point de vue sur les réserves communales ou intercommunales de sécurité civile ? Faudrait-il revoir l’ensemble de ce fonctionnement ?

M. André Accary. Les situations diffèrent en fonction des territoires. Le fonctionnement est plutôt très efficace dans certaines parties du territoire, dans le sud-est ou le sud-ouest notamment, qui sont fréquemment confrontées à certains phénomènes comme les feux de forêt. Dans celles-ci, l’organisation territoriale entre élus, pompiers et associations est assez efficace. Dans d’autres régions, comme en Bourgogne, ce dispositif n’existe pas. Cependant, des modifications voient le jour : de nouvelles organisations et de nouveaux modes de fonctionnement sont progressivement mis en place pour répondre aux défis.

M. Jean-Baptiste Estachy, conseiller sécurité. Le paysage des associations agréées de sécurité civile est effectivement assez disparate. Comme le soulignait le président Accary, dans les territoires qui sont habituellement très sollicités en matière de gestion de crise, la coordination se déroule plutôt bien. Le président Gleyze pourrait vous en parler plus en détail : d’après les travaux de la mission flash, le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Gironde et l’association Défense des foyers contre l’incendie (DFCI) ont l’habitude de travailler ensemble sur le sujet des feux de forêt.

Des points de vigilance ont néanmoins été soulignés. Par exemple, la DFCI n’apparaît pas dans le plan ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile) de la Gironde. À l’heure actuelle, les différents acteurs se connaissent bien, ce qui permet de passer outre ces difficultés. Mais en cas de changement de responsable, la coordination pourrait s’en trouver affectée, notamment en matière de planification.

En outre, dans de nombreux territoires, le tissu associatif n’est pas aussi dense, ni rodé. Par ailleurs, la répartition des missions n’est pas toujours très bien établie, ce qui entraîne parfois une « concurrence » entre le SDIS et les associations agréées, entre les volontaires et les bénévoles, qui peuvent être parfois moins rigoureux car les exigences de formation qui les concernent sont moindres. Les SDIS doivent donc s’efforcer de conserver leurs volontaires bien formés. Simultanément, il faut veiller à ne pas donner uniquement aux associations des missions « supplétives », afin de maintenir entière la motivation des bénévoles.

Il nous paraît difficile de tout régenter depuis Paris, compte tenu du caractère protéiforme de ce paysage.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous pointez du doigt la disparité des situations et des relations entre les SDIS et les associations agréées de sécurité civile, en fonction des territoires et des secteurs. Vous soulignez également que la répartition des missions ne semble pas toujours claire. Si j’ai bien compris vos propos, il semble nécessaire de pouvoir s’adapter à la diversité des situations sur le terrain.

M. Jean-Baptiste Estachy. Ce constat est effectivement consensuel. Comment pouvons-nous y remédier ? Le travail de planification et d’exercice constitue une piste de réflexion pertinente, de même que l’approfondissement de la réflexion sur la sauvegarde des populations. En effet, en matière de gestion de crise, nous nous apercevons que le SDIS ne peut pas et ne doit pas tout faire. Un certain nombre de tâches relèvent du soutien logistique ou de la sauvegarde des populations et elles peuvent être confiées à des associations ou à des réserves communales. L’essentiel consiste ici à bien planifier et à s’entraîner.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je souhaite revenir sur les missions de chacun. Vous avez souligné que les sapeurs-pompiers ne peuvent pas tout faire. Dans notre système de sécurité civile et de gestion de crise, le maire tient un rôle prépondérant, en raison de son pouvoir de police. Il gère l’avant-crise dans le cadre de la prévention ; pendant la crise, il mène une action propre, en complément de celles assurées par les SDIS ; et dans un troisième temps, il s’occupe du « retour à la normale », avec notamment l’accompagnement de la population. C’est dans ce cadre que le rôle des SDIS et des autres structures peuvent parfois se chevaucher, si j’ai bien compris le sens de vos propos.

S’agissant justement des SDIS, je souhaiterais vous interroger sur les lois les plus récentes. Selon vous, ont-elles entraîné des conséquences sur notre modèle de protection civile ? Je pense notamment à la loi du 25 novembre 2021, dite « loi Matras ». Cette loi, ainsi que les autres concernant le sujet de la mission d’information, vous paraissent-elles suffisantes ? Pensez-vous qu’il faille développer certains aspects ?

M. André Accary. La loi du 25 novembre 2021 a apporté des améliorations significatives, notamment en matière de coordination avec les services de santé. Dans les départements qui maintiennent un dialogue de qualité entre les acteurs de la santé et le SDIS, de bons résultats peuvent être obtenus. Dans ces cas-là, les pompiers retrouvent leurs véritables missions, bien au-delà du simple transport sanitaire, lequel mobilise du matériel et des hommes.

La loi a permis par ailleurs de réelles avancées sur le sujet du volontariat, mais elles demeurent insuffisantes. Un allégement bien encadré des charges fiscales des employeurs avait ainsi été envisagé pour favoriser la mobilisation des pompiers volontaires. Mais il n’a pas été retenu, ce qui est regrettable.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pouvez-vous évoquer le rôle des départements en matière de sécurité et de protection civiles ? Vous paraît-il clairement établi, avant, pendant et après la crise ? La coopération entre les différentes collectivités – communes, intercommunalités, départements – est-elle suffisante ? Faudrait-il prendre de nouvelles mesures pour éclaircir le rôle du département en la matière ?

M. André Accary. Le changement climatique entraîne une évolution des départements, qui réorientent des dépenses en direction de la formation et de l’achat de matériel. Un effort significatif a été produit par les départements en ce sens. En Saône-et-Loire, nous connaissions auparavant peu de feux de forêt. Par conséquent, il y avait peu de pompiers formés et de matériel adapté. Mais le département a modifié ses politiques en ce sens. À ce jour, près de 1 000 pompiers ont été formés sur les feux de forêt et des matériels spécifiques ont été achetés. Cette politique volontariste nous permet d’ailleurs d’envoyer en renfort des colonnes vers les départements du sud de la France, en cas de besoin.

À l’échelle locale, il existe une très bonne coopération entre les communes et les départements, comme l’ont prouvé les exemples récents de crises majeures en Gironde ou dans le Jura. Des hommes et du matériel ont ainsi été mis à disposition pour venir en appui des SDIS, sur le terrain. De multiples collaborations se mettent en place entre ces collectivités : je pense par exemple à la mise à disposition de cantines scolaires et de leurs cuisiniers.

M. Jean-Baptiste Estachy. Un axe d’amélioration demeure : en matière de planification, le rôle du département n’est pour le moment pas si prégnant. Dans les départements, en dehors du SDIS, les forces vives de l’État dans les départements pour apporter un soutien alimentaire et logistique sont surtout le fait des associations agréées. Je pense en particulier à des associations de radio amateur qui travaillent ainsi avec la préfecture pour retrouver des avions perdus, dans le cadre des plans de sauvetage aéroterrestre (SATER) notamment. La place du département en amont et en aval de la crise consiste surtout en un rôle de pilotage, qui est actuellement insuffisamment exercé. C’est la raison pour laquelle la Gironde expérimente en ce moment un plan départemental de sauvegarde.

En matière de sauvegarde des populations, la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile a mis en place les plans communaux de sauvegarde, impliquant directement les maires. La loi Matras du 25 novembre 2021 passe à l’échelon intercommunal. Mais puisqu’un grand nombre d’intercommunalités manquent de moyens, il semble que le département a une place prépondérante à tenir dans ce domaine. D’un point de vue juridique, il importe de poursuivre notre action sur ce sujet, sur lequel nous avons travaillé avec l’Institut des risques majeurs de Grenoble, qui partage notre analyse. En aval de la crise, le « retour à la normale » accorde une place majeure au département – notamment pour les réseaux routiers et numériques –, mais celle-ci n’est peut-être pas assez formalisée à ce jour. Le département des Alpes-Maritimes pourrait ainsi vous faire un retour d’expérience après la survenue de la tempête Alex.

M. André Accary. Il faut également souligner le rôle du département en matière de prévention, c’est-à-dire d’aménagement du territoire. Je pense notamment à la création de parcours de sécurité, mais aussi aux actions en matière d’information. La coordination peut ainsi se réaliser à l’échelle départementale. Par exemple, dans certains départements, un important travail de prévention est conduit avec les forestiers dans le cadre du changement climatique, coordonné par le département.

Je reviens d’un déplacement dans les Alpes-Maritimes. Lors de la tempête Alex, le rôle du département a été majeur pour coordonner les différentes collectivités et rétablir l’ensemble des réseaux, qu’il s’agisse des réseaux de communication terrestre, mais aussi des réseaux internet et téléphoniques. En outre, les départements fournissent des moyens humains et matériels.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Au vu des exemples que vous nous avez fournis, il semble nécessaire de réfléchir dans un cadre élargi en matière de protection civile, compte tenu de la pertinence de l’échelon départemental. Néanmoins, les départements ne sont pas toujours égaux face à ces risques pour la population, compte tenu notamment des différences de moyens disponibles.

Notre mission d’information s’efforce de s’approcher au plus près du terrain. À ce titre, il m’importe d’évoquer les réserves communales de sécurité civile, qui ne sont pas forcément très homogènes selon les territoires. Quel est votre regard sur ce dispositif ? Quels en sont les avantages et inconvénients ?

M. Jean-Baptiste Estachy. J’avoue ne pas avoir une vision très claire des réserves communales de sécurité civile. Elles représentent un axe de progrès plus qu’une ressource sur laquelle nous pouvons d’ores et déjà compter de manière majoritaire sur le territoire. Plusieurs départements nous ont parlé de l’intérêt d’inclure dans ces réserves des anciens pompiers volontaires, qui souhaitent encore rendre service tout en ayant un degré d’investissement plus modéré. Ce dispositif a par exemple été mis en place dans l’Allier après les tempêtes de grêle de juin 2022. Le réemploi de personnes compétentes trouve un cadre approprié avec les réserves de sécurité civile.

M. André Accary. Ces réserves d’anciens pompiers volontaires ou professionnels peuvent être effectivement très utiles. Dans le périmètre du département, de telles réserves se constituent, notamment en Bourgogne-Franche-Comté.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je ne suis pas sûre de bien avoir saisi le sens de votre réponse. Vous indiquez que ces réserves sont établies à l’échelle départementale et constituées d’anciens pompiers. Est-ce bien cela ?

M. André Accary. Ces créations de réserves s’effectuent dans le périmètre du département et comportent des anciens pompiers, qui réalisent des missions différentes, notamment de transport de matériel ou d’approvisionnement pour les pompiers en action. Cette réserve vient donc en appui des autres personnels mobilisés.

Nous évoquions tout à l’heure la question des actuelles inégalités entre les territoires. Permettez-moi de préciser que ces différences peuvent notamment s’expliquer par l’inégalité des moyens de l’État disponibles selon les territoires : qu’il s’agisse des moyens aériens – qui appartiennent essentiellement à l’État – ou des services de protection, des améliorations pourraient leur être apportées afin de parvenir à un traitement plus égal sur l’ensemble du territoire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Comment qualifieriez-vous le lien entre le département et la préfecture en cas de crise ? Son rôle amont, notamment en matière de prévention, est-il suffisamment clair ?

M. André Accary. Pendant la crise, la coordination est bonne et s’effectue en temps réel entre le préfet, le président de département et, le cas échéant, le président du SDIS. Ce travail est effectué en équipe, sous l’autorité du préfet. Dans mon département, soumis comme d’autres au changement climatique et donc aux feux de forêt, le travail de prévention se réalise également en parfaite coordination avec le préfet. Nous sommes d’ailleurs en train de mener un réel travail de fond à ce sujet. Il ne s’agit pas d’un exemple isolé : dans de nombreux départements, la même coopération est également à l’œuvre.

M. Jean-Baptiste Estachy. Le rôle du département est d’autant mieux accepté par tous que le service interministériel de défense et de protection civile de la préfecture (SIDPC) a réalisé au préalable le travail de préparation. Dans ce domaine, des disparités sont constatées selon les départements : dans les préfectures des départements les plus exposés aux risques, les SIDPC sont au plus près du terrain et organisent de nombreux exercices. Je pense notamment au département de la Haute-Savoie, où tous les acteurs participent au centre opérationnel départemental. Face à une crise, chacun parvient à se réunir et à travailler ensemble, mais la gestion de la crise est plus fluide lorsque le travail de prévention a été préalablement mené.

Mme la présidente Lisa Belluco. Les SIDPC ont-ils la charge du pilotage des exercices dans tous les départements ?

M. Jean-Baptiste Estachy. Oui, au titre des plans de prévention des risques que la préfecture identifie sur le territoire départemental.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous aimerions connaître votre regard sur les pratiques à l’œuvre chez nos voisins européens. Avez-vous un avis à nous fournir à ce sujet ? Je pense notamment à nos amis italiens, espagnols ou portugais, qui ont été durement touchés récemment par de graves crises.

M. André Accary. Je n’ai pas retour d’expérience particulier à vous transmettre concernant le fonctionnement de la sécurité civile dans les pays voisins du nôtre. En revanche, je peux évoquer l’envoi de renforts de la part de pays voisins qui ont notamment eu lieu l’année dernière, lors des incendies en Gironde, occasionnant par là-même quelques problématiques. À cette occasion, nos pompiers français n’ont pas été prévenus au préalable des moyens humains et matériels qui devaient être envoyés depuis l’étranger : ils ne les ont découverts que lorsque ceux-ci sont arrivés sur place. La coordination a fait défaut en amont, différant la mise en place d’une véritable stratégie.

M. Julien Rancoule (RN). Je souhaite aborder le sujet des hélicoptères bombardiers d’eau. Jusqu’à présent, ces derniers étaient financés par les SDIS, quand ils pouvaient se le permettre. Cette année, le Gouvernement a mis en place une dizaine d’hélicoptères bombardiers d’eau en location pour lutter contre les feux de forêt. Ces hélicoptères semblent avoir fait preuve d’une réelle efficacité. Selon vous, une réflexion sur le financement de ces hélicoptères doit-elle être menée ? Ce financement devrait-il être assuré au niveau étatique ?

M. André Accary. Ce sujet a été évoqué lors de la mission flash que nous avons conduite en collaboration avec mon collègue Jean-Luc Gleyze. Selon nous, cette mission régalienne doit relever de l’État. Si tel n’est pas le cas, les disparités entre les territoires seraient trop prononcées.

Ainsi, si le département des Alpes-Maritimes consacre 2 millions d’euros chaque année à la location d’hélicoptères, un grand nombre de départements ne sont pas en mesure de dépenser de telles sommes d’argent. C’est le cas du Jura par exemple. Les présidents de SDIS et les présidents de départements sont d’ailleurs unanimes à ce sujet. Les moyens supplémentaires alloués par l’État cette année à travers la location de moyens aériens, essentiellement les hélicoptères, se sont avérés très utiles. Ils ont permis de prépositionner sur d’autres territoires des moyens aériens supplémentaires et ainsi, de redoubler d’efficacité. Le traitement du feu naissant par les moyens aériens permet en effet d’éviter qu’il ne prenne de l’ampleur. J’espère que ces mesures pourront se poursuivre.

M. Julien Rancoule (RN). Dans mon département de l’Aude, confronté à un risque de feux de forêt élevé, le SDIS est de petite taille et n’a pas les moyens de financer ce type de dispositif. Il a pu bénéficier d’un hélicoptère cet été et le retour d’expérience semble effectivement très positif.

M. André Accary. Ce dispositif est très efficace. Dans les massifs montagneux, les moyens terrestres mettent trop de temps pour accéder aux incendies. Dans ce cadre, le prépositionnement d’hélicoptères peut s’avérer décisif, dans la mesure où leur efficacité est cruciale. Le département du Jura n’avait pas les moyens de louer des hélicoptères lors des incendies de l’été 2022. Heureusement, il a pu malgré tout bénéficier de ces moyens aériens, qui ont permis d’éviter que le feu ne se propage dans les villages et dans les bourgs centres.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Le financement actuel de notre modèle de SDIS repose essentiellement sur l’État et les départements. Ce modèle vous semble-t-il pertinent ? Si tel n’est pas le cas, existe-t-il une réflexion à l’échelle des départements de France dans ce domaine ?

M. André Accary. Je rappelle que le financement des SDIS est assuré à 90 % par les départements, les intercommunalités et les communes ; les 10 % restants étant réglés par l’État. Les départements mènent effectivement une réflexion sur ce sujet : une modification de la clef de répartition de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) est ainsi à l’ordre du jour. Parmi les autres propositions de financement, nous travaillons sur le concept de « valeur du sauvé ».

M. Jean-Baptiste Estachy. Nous vous ferons parvenir les résolutions que l’ADF a prises en bureau au printemps au titre des pistes de réflexion, qui ont été retenues par l’État. Elles consistent notamment à revoir le plafonnement de la contribution du bloc communal, qui est aujourd’hui limité par l’inflation, en essayant de nous concentrer sur des critères démographiques. Il s’agirait par exemple de mettre en place un déplafonnement pour les gros centres urbains, qui sollicitent davantage les SDIS. Cette idée a été retenue par le Gouvernement, mais pas de manière ciblée sur les contraintes opérationnelles et démographiques.

Nous menons par ailleurs un travail sur la répartition de la TSCA, qui est actuellement fondée sur les immatriculations, mais avec 2003 comme année de référence. Elle ne correspond donc plus aux besoins actuels. Le ministère de l’intérieur a réalisé un travail que nous trouvons intéressant sur une nouvelle répartition de cette taxe, prenant en compte les critères démographiques et de la pression opérationnelle. À partir de travaux sur la valeur du sauvé, nous souhaiterions accroître la ressource issue de la TSCA qui est consacrée au financement des SDIS.

Enfin, la taxe de séjour constitue une autre piste, qui permettrait de tenir compte de la pression opérationnelle endurée par les départements touristiques.

M. André Accary. Je souhaite apporter une précision. Comme je vous l’ai indiqué, le financement des SDIS repose à 90 % sur les collectivités. Au sein de ces dernières, la répartition s’effectue pour le moment de la manière suivante : 59 % pour les départements et 41 % pour le bloc communal. À l’heure actuelle, un grand nombre de départements ont été obligés d’augmenter leur contribution, compte tenu des risques grandissants. Dans mon département de Saône-et-Loire, j’ai ainsi accru de 29 % la contribution du conseil départemental.

M. Jean-Baptiste Estachy. J’ajoute que le pilotage stratégique du financement de la sécurité civile mériterait d’être chapeauté par un comité des financeurs pérennes.

M. André Accary. Avant qu’un travail d’amélioration du financement de la sécurité civile ne puisse se mettre en œuvre, il est en effet indispensable de coordonner les cofinanceurs, de manière à agir dans de bonnes conditions.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie de nous avoir fait part de votre point de vue et de vos pistes de réflexion. N’hésitez pas à nous transmettre une contribution écrite pour approfondir un certain nombre des questions que nous n’avons pas pu aborder aujourd’hui.

 

 

 


 

Association nationale des élus de la montagne

Compte rendu de l’audition de Mme Pascale Boyer, présidente de l’Association nationale des élus de la montagne
(jeudi 28 septembre 2023)

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. Bonjour. En tant que vice-président, je remplace Mme la présidente, qui arrivera avec un peu de retard, et lui laisserai ensuite ma place. Je précise que je suis député des Deux-Sèvres, membre de la commission de la défense et des forces armées et sapeur-pompier professionnel.

Poursuivons nos auditions et accueillons en visioconférence Mme Pascale Boyer, présidente de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM) et députée des Hautes-Alpes. L’ANEM a près de 40 ans d’existence, puisqu’elle a été créée en 1984 dans le contexte des travaux préalables à la loi dite « Montagne » promulguée en 1985. Cette loi a entériné la nécessité d’adapter les dispositions générales aux particularités de ces territoires. D’après nos informations, votre association compte environ 6 000 membres et regroupe aujourd’hui plus de 4 000 communes ou intercommunalités, 40 départements, 7 régions et 240 parlementaires. Elle a pour principale mission de faire connaître les particularités des territoires de montagne et de défendre leur cause, tant au niveau national qu’au niveau de l’Union européenne.

Je rappelle à l’intention de Mme Boyer que notre mission est constituée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques, a été créée à l’initiative du groupe Horizon et a pour rapporteur M. Didier Lemaire, ici présent. Votre audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale. Notre objectif est d’étudier au plus près du terrain l’organisation de la protection et de la sécurité civiles, ainsi que les défis que notre pays doit relever dans ce domaine. Pour éviter de faire fausse route ou d’avoir des idées préconçues, nous avons tenu à débuter nos travaux par des auditions consacrées aux élus et à leurs associations. Les élus sont sur le terrain et sont donc, par définition, au plus près des opérations de prévention et d’intervention menées par les forces de sécurité civile. Ils sont des acteurs de premier plan lorsque des crises surviennent et que ces forces interviennent. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur leur propre expérience de ces situations et nous faire part de leur regard sur l’état et le fonctionnement actuel de notre système de sécurité civile.

Je vous remercie, Madame Boyer, de vous être rendue disponible depuis Oslo pour participer à cette visioconférence et partager avec nous l’expertise et l’expérience des élus de la montagne sur ces enjeux. Vous êtes en effet en première ligne d’un ensemble de risques spécifiques, comme l’ont notamment montré en octobre 2020 les inondations de la vallée de la Roya et les difficultés d’accès à certaines vallées. Il nous paraît indispensable de bien prendre en compte dans nos travaux les contraintes particulières de la montagne pour la gestion de ces risques. Nous voulons faire progresser encore notre modèle de protection civile. N’hésitez donc pas à nous faire part de vos analyses critiques sur l’organisation actuelle de notre système, ainsi qu’à nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux.

Avant de vous donner la parole, notre rapporteur M. Didier Lemaire va vous poser une première série de questions.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Dans le cadre de cette mission d’information sur nos capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile, je vous propose de vous entendre rapidement. Vous avez été destinataire du questionnaire et vous pourriez peut-être nous proposer un propos introductif. Notre mission d’information consiste à obtenir un état des lieux sur des crises récentes et successives que nous avons pu traverser, qu’il s’agisse de crises technologiques, naturelles ou même sanitaires comme avec le Covid. Les élus de l’ANEM sont-ils associés aux réflexions sur la sécurité civile ? Si oui, de quelle manière ? Nous aimerions également avoir votre retour sur les difficultés auxquelles vous faites face et recueillir vos pistes d’amélioration.

Mme Pascale Boyer. Merci Monsieur Lemaire, merci chers collègues, merci d’auditionner l’ANEM. En tant qu’association d’élus de la montagne, l’ANEM regroupe 4 000 EPCI, soit environ 3 000 communes de montagne, toutes communes confondues, et non uniquement les stations de ski. Les risques en montagne sont très élevés et ces gigantesques terrains de jeu provoquent souvent des accidents pour les bons pratiquants comme les touristes qui peuvent méconnaître la montagne.

Les secours en montagne sont organisés autour de trois acteurs clefs. Tout d’abord, la gendarmerie nationale intervient avec les pelotons de gendarmerie de haute montagne (PGHM) dans les Alpes et les Pyrénées, et les pelotons de gendarmerie de montagne (PGM) dans les Vosges, le Jura, le Massif central et la Corse. En 2020, les effectifs étaient de 319 agents pour assurer la sécurité en montagne. La police nationale intervient également grâce aux sections spécialisées de montagne relevant des compagnies républicaines de sécurité (CRS de montagne). En 2020, les effectifs des six départements s’élevaient à 157 agents. Le groupe montagne de sapeurs-pompiers des services départementaux d’incendie et de secours est également présent sur nos territoires pour assurer la sécurité civile. En 2020, son effectif comptait 779 personnes. Des moyens héliportés de l’État dépendant de la gendarmerie et de la sécurité civile sont également mis à disposition des équipes de secours mobilisées en cas de besoin. De même, des personnels médicaux rattachés au SAMU ou au SMUR et des services d’incendie et de secours peuvent intervenir.

Précisons que les hélicoptères et la gendarmerie et de la sécurité civile sont répartis sur le territoire avec une double logique, de mission et de subsidiarité. Les deux flottes ont obligation de remplacer un hélicoptère en cas d’indisponibilité et d’exigence de mobilisation. Compte tenu de la multiplicité des acteurs et de la complexité de l’organisation des secours en montagne, la mise en œuvre relève de l’autorité des préfets départementaux, responsables de l’organisation et de l’affectation des dispositifs d’organisation de la sécurité civile.

Si ces explications vous suffisent, nous pouvons passer aux questions qui vous intéressent plus particulièrement. Vous me demandiez si l’ANEM avait été associée à la réflexion sur l’organisation des services de secours en montagne. Or nous ne sommes pas spécialement associés à cette organisation.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci beaucoup pour ce premier point concernant le secours en montagne et ses différents acteurs, gendarmerie, police, sapeurs-pompiers. Le risque technologique est peut-être moins présent en montagne que sur le reste du territoire et nos questions porteront donc plutôt sur le risque naturel. L’idée de notre mission est de comprendre, en tenant compte des particularités de l’ensemble de l’hexagone et de l’outre-mer, comment les communes peuvent s’organiser en cas de catastrophe naturelle ou sanitaire, et sur qui elles peuvent compter. Nous avons bien compris que les services de l’État étaient fondamentaux, mais, à l’échelle d’un territoire, en cas de crise majeure, l’organisation devient peut-être très compliquée. Les communes sont-elles sensibilisées à devoir se débrouiller en cas de rupture des réseaux de communication notamment ? Existe-t-il des associations de sécurité civile établies auprès de vos 4 000 EPCI ? De quelle manière êtes-vous organisés ? Les dispositifs vous semblent-ils suffisants ?

Dans son propos introductif, Monsieur le vice-président a parlé de la vallée de la Roya. Nous nous souvenons de la difficulté d’organisation pour des territoires quelque peu coupés du monde en matière de télécommunications ou de transport routier par exemple. Quel est votre avis sur le sujet ? Les dispositifs vous paraissent-ils suffisants ? Identifiez-vous des pistes d’amélioration ? Êtes-vous associées à ce genre de réflexions ?

Mme Pascale Boyer. Je répondrai tout d’abord à la dernière question. L’ANEM n’est pas spécialement associée aux réflexions en matière de télécommunication ou de transport routier que vous mentionnez. S’agissant des risques naturels, ils ne sont pas les mêmes en fonction du type de territoire. Les stations de ski présentent des risques qui ne sont pas nécessairement naturels. Les risques naturels sont en principe connus dans les stations. Des avalanches peuvent être déclenchées avant l’ouverture des pistes par exemple. Normalement, tout doit bien se passer pour la pratique du ski alpin. D’autres risques naturels sont moins contrôlés, notamment pour le ski de randonnée ou le hors-piste. Dans ces cas précis, des avalanches peuvent se déclencher et s’avérer parfois catastrophiques.

Outre les sports d’hiver, les sports de pleine nature pratiqués en été présentent également des risques. Le réchauffement climatique peut par ailleurs engendrer de nouveaux risques, tels que. les pluies torrentielles qui peuvent par exemple provoquer des dégâts et des crues au niveau des cours d’eau.. Dans ce cadre, l’entretien des cours d’eau est fondamental. Il faut notamment travailler sur la GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) et le financement des travaux. Au niveau de l’organisation des services, le plan ORSEC permet de gérer ces risques naturels. Cette gestion est à la main des préfets départementaux.

Cette organisation satisfait les élus, mais évidemment des améliorations restent toujours possibles. Dans l’ensemble, l’organisation fonctionne, car les différents acteurs sont coordonnés par les préfets. La principale amélioration concerne les moyens de communication, qui sont souvent peu performants en montagne. Certaines associations possèdent des radios pour basculer lorsque le réseau n’est plus disponible dans les stations. Cependant, ce système ne repose que sur du bénévolat et de l’associatif, même s’il fonctionne bien. Or nous connaissons tous les limites de l’association.

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. Est-ce que l’ANEM connaît tous les risques répertoriés dans les différentes communes qui la composent ? Vous nous parlez des risques liés aux glissements de terrain ou aux orages violents et nous en avons constaté il y a quelques semaines encore. Êtes-vous également informés des risques tectoniques ? En effet, les Alpes et les Pyrénées sont établies sur des failles tectoniques, à l’origine des montagnes, qui bougent régulièrement. L’ANEM est-elle réellement informée de tous les risques qui peuvent se produire ? Si un barrage se rompt en montagne, êtes-vous informés également ? L’ANEM est-elle vraiment prise en compte pour ce type de risque ?

Mme Pascale Boyer. Non, nous ne sommes pas pris en compte pour ce type de risques. Ce type de risque ne se matérialise pas tous les jours, et tant mieux. Nous ne sommes pas spécialement impliqués. En cas de catastrophe naturelle, quelle qu’elle soit, les circuits d’alerte sont déjà bien organisés sur le territoire. Nous intervenons en deuxième niveau et ne sommes donc pas nécessairement alertés pour tout ce qui peut survenir dans les territoires. La question peut donc se poser : l’ANEM ne devrait-elle pas au moins être informée ? L’essentiel reste que la catastrophe soit gérée en urgence sur le territoire alors que nous n’aurions pas forcément les moyens d’organiser la réponse.

Concernant le travail de gestion des risques, l’ANEM a mis en place un travail sur les risques sismiques dans les Pyrénées. Dans les Alpes du Sud notamment, nous constatons fréquemment des secousses sismiques. Quelques dizaines d’années auparavant, celles-ci avaient eu de graves conséquences dans les Alpes-de-Haute-Provence, mais, jusqu’à présent, ces risques demeurent assez limités.

Nous sommes également membres de l’Anena, association qui travaille sur la connaissance des avalanches. Nous travaillons avec eux pour porter des actions de sensibilisation dans les territoires de montagne auprès des pratiquants et pratiquantes de sports de pleine nature. Ce travail sur les risques d’avalanche dans nos territoires de montagne est fondamental.

Il existe également des risques liés à la fonte des glaciers : les territoires sont transformés et des lacs se mettent en place. Il s’agit de retenues collinaires qui se forment avec la fonte des glaces. De nouveaux risques apparaissent donc dans ces territoires et ne sont pas forcément connus des locaux. Il faut donc porter une grande attention à ces transformations de terrains. Les territoires de montagne sont dynamiques, toujours en mouvement, notamment avec le retrait des glaciers qui entraîne des glissements de terrain. En ce sens, l’organisation des secours en montagne est fondamentale. L’organisation est à la main des préfets, mais les maires se trouvent également au cœur du sujet. Ils sont en général très bien informés, car ils sont les premiers concernés par ces risques. Ils sont également au cœur de l’organisation en lien avec les préfets et les secours de montagne.

M. Didier Lemaire, rapporteur. En dehors du travail mené par l’association des élus de la montagne, pensez-vous que l’approche entre les différents massifs, les Pyrénées, les Alpes, le Massif central et bien d’autres, soit identique ? Pour des critères divers et variés, les communes sont classées en communes de montagne par exemple. Dans mon département, la présence des Vosges est clairement établie, puisqu’il s’agit de montagnes. D’autres communes situées tout au sud de ma circonscription dépendent quant à elles du Jura alsacien et sont également classées en communes de montagne. Or j’ai le sentiment que l’approche de gestion des risques n’est pas du tout la même. Pensez-vous que l’approche est identique, du moins l’attention sur la particularité des zones de montagne ? J’ai le sentiment que l’approche est différente, et peut-être que la connaissance est également différente chez les élus des territoires.

Mme Pascale Boyer. Comme vous venez de le dire, les risques ne sont pas tout à fait les mêmes entre de la moyenne et de la haute montagne. Les pratiques diffèrent également entre les différents massifs et les différentes altitudes.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Madame la présidente, toutes mes excuses, j’ai simplement oublié de préciser un point. J’entends vos propos sur les risques liés aux activités, notamment les avalanches en haute montagne, mais ma question porte plutôt sur les risques dits naturels. Vous parliez de tremblements de terre, et nous pouvons également parler de mouvements de terrain, d’inondations, ou autres. Ma question porte vraiment sur ces risques communs, pas forcément sur les risques plus spécifiques comme les avalanches en haute montagne.

Mme Pascale Boyer. Les communes doivent avoir un plan communal de gestion des risques. Elles possèdent un schéma qui leur permet de connaître les endroits où des risques naturels existent. Ensuite, que ce soit en montagne ou non, des risques naturels sont présents dans chaque commune. Les maires y sont bien évidemment très attentifs. Un maire de station de ski fait en sorte d’être toujours actif en cas de catastrophe naturelle. La gestion des risques n’est pas un sujet que nos élus nous font régulièrement remonter. Bien au contraire, à part le groupe de travail mis en place dans les Pyrénées, nous n’avons pas de retour majeur concernant l’organisation de la gestion des risques naturels. Le sujet est fondamental pour un maire, bien évidemment, mais, n’ayant pas de retour, nous pouvons supposer que la gestion est plutôt bien organisée dans les territoires.

Le sujet porterait plutôt sur le financement des SDIS. Les communes ont l’obligation de financer les SDIS à hauteur de 15 %, le département à 51 %, et les EPCI à 26 %. Nous connaissons tous les budgets communaux, qui diminuent. Les dépenses de fonctionnement augmentent et le financement des SDIS est plus compliqué à tenir. Ces 15 % rendent parfois difficile pour les communes de financer leurs secours, notamment les SDIS.

Du fait de l’évolution des risques naturels en raison du changement climatique, qui s’amplifient de plus en plus entraînant des catastrophes de plus en plus importantes, les élus n’ont plus forcément connaissance des outils scientifiques nécessaires. Il faudrait une mise à jour régulière de tous les risques encourus sur les territoires de montagne et les communes des élus. C’est un manque et il faudrait travailler le sujet pour que les élus aient les connaissances scientifiques nécessaires. Elles ne s’inventent pas et il faudrait les diffuser régulièrement pour informer les élus de l’évolution des risques.

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. En effet, avec le dérèglement climatique, nous constatons que les catastrophes changent. Les départements ou communes de basse, moyenne ou haute montagne ont à présent un risque de feux de forêt. Madame la présidente, vous vous trouvez actuellement à Oslo où, en 2018, ont eu lieu des feux de forêt très importants alors que les pompiers locaux n’étaient plus formés ou équipés pour maîtriser ce type d’incendie. En France, faudrait-il augmenter ou former différemment les SDIS dans les communes de moyenne montagne ou autre pour les risques de feux de forêt ou d’autres domaines ? Ces risques sont très présents aujourd’hui et il est important de revoir l’organisation des secours dans leur globalité au niveau des moyennes et hautes montagnes. Nous connaissons les risques actuels, mais anticipons-nous réellement ceux de demain ? Pour qu’une catastrophe ne survienne pas, la meilleure manière est de l’anticiper et de la prévoir.

Comme vous le dites, il est extrêmement important qu’on vous informe sur les risques éventuels dans vos communes. En parallèle, faudrait-il également former différemment les secours, les forces de l’ordre, la gendarmerie, la police nationale, les sapeurs-pompiers, mais aussi les associations de protection civile ? Ces dernières doivent également évoluer vers les risques de demain. Pensez-vous que l’État est au rendez-vous de ces enjeux ? L’ANEM en a-t-elle pris conscience ? Êtes-vous informés, après chaque catastrophe, du retour d’expérience concernant les risques et la réponse apportée ? Pour la Roya par exemple, les communes de moyenne montagne ont-elles été informées des risques ? Comment l’intervention a-t-elle été gérée ? Comment éviter les problématiques dues à des catastrophes imprévues ?

Mme Pascale Boyer. Les risques changent, et changent très vite. Les catastrophes surviennent et sont imprévues. Parfois, elles sont tellement imprévues que nous ne pouvions pas imaginer qu’elles puissent arriver. Pour la protection de nos concitoyens, l’idée est d’anticiper au maximum et de comprendre comment nos territoires peuvent évoluer avec le réchauffement climatique. Des catastrophes naturelles pourraient être prévisibles au sens où nous pourrions organiser des secours au cas où elles surviendraient. D’autres au contraire restent imprévisibles. Pour la vallée de la Roya, la catastrophe a été tellement violente que l’organisation des secours était compliquée. Lorsqu’un événement survient en montagne, il est parfois très difficile de mobiliser tous les secours en un temps donné. Le tout peut aboutir à des situations similaires à celle de la vallée de la Roya.

L’essentiel reste de sauver les populations. Comme je le disais dans mes propos liminaires, nous possédons une organisation correctement définie, avec différents types d’acteurs et un préfet coordonnateur. Les services de l’État possèdent tout de même des moyens. Bien évidemment, il est toujours possible de dire qu’il faudrait ajouter des agents dans les territoires, notamment dans les PGHM, les PGM et les CRS de montagne. Néanmoins, des moyens existent. Cette impossibilité à prévoir tous les risques implique que, même si d’énormes moyens étaient mis en place, toutes les catastrophes ne pourraient pas être gérées. En haute montagne par exemple, il faut pouvoir accéder aux endroits accidentés, ces terrains entraînent des risques y compris pour la protection même des secours.

Les maires sont les premiers à être touchés par ces catastrophes naturelles et le travail se concentre également sur les relations intercommunales, au-delà du sens administratif. Quand une catastrophe naturelle survient, toutes les communes de la vallée sont touchées. Une solidarité et un travail commun entre tous les élus concernés sont nécessaires. Les informations ne sont pas figées et évoluent. À Oslo, des inondations ont eu lieu au mois de juillet ou en août, cet été. Ils n’avaient jamais vu ça non plus. Dans les Hautes-Alpes, nous avons souffert de trois feux de forêt qui se sont succédé en quasiment moins d’une semaine. Nous n’avions jamais vu ça non plus. En général, nos pompiers vont aider ceux d’autres départements. Dans ce cas précis, ce fut l’inverse.

Face à ces évolutions rapides, il faut garder les effectifs et les moyens nécessaires, et peut-être mener un travail sur le financement des SDIS par les communes. En parallèle, il faut surtout diffuser les informations et comprendre comment la situation peut évoluer sur un territoire. Ce ne sont que les travaux scientifiques qui peuvent nous apporter ces connaissances.

Je ne sais pas si j’ai répondu à vos questions.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Absolument, vous avez répondu assez largement, je crois. Nous accueillons Mme la présidente, Lisa Belluco.

Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.

Mme la présidente Lisa Belluco. Bonjour, je prends le relais et en profite pour remercier mon collègue, M. Fiévet, pour avoir assuré l’intérim au pied levé.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Madame la présidente, je me permets de revenir sur le cœur de ce que recherche cette mission. J’ai bien entendu les exemples que vous nous donniez, notamment lorsque vous avez mentionné un préfet. Lorsque vous dites « nous », je ne sais si vous considérez les Hautes-Alpes ou les Pyrénées, ou si le fonctionnement est pour vous assez homogène sur l’ensemble du territoire, sans oublier les outre-mer. Le degré d’information des maires, qui ont un rôle prépondérant à travers leur pouvoir de police, et notamment sur l’accompagnement de leur population avant, pendant et après la crise, vous paraît-il suffisant ? Quelle que soit leur taille, de la plus petite à la plus grande, les communes sont-elles assez préparées face à ces nouveaux risques ? Sont-elles résilientes face à ces risques, quitte, même, à être coupées, comme la vallée de la Roya, pendant plusieurs jours de communication et de réseau routier ?

Au-delà des corporations que vous avez citées, gendarmerie, police, sécurité civile, les membres de l’ANEM ont-ils connaissance des réserves de sécurité civile sur le territoire ? Pensez-vous qu’elles répondent, en partie en tous les cas, aux objectifs ? Faut-il les développer ou les faire connaître un peu mieux ?

Mme Pascale Boyer. Pour ce qui concerne les services de l’État, nous possédons une vision précise des effectifs et des moyens. Les SDIS reposent quant à eux essentiellement dans nos territoires de montagne sur du bénévolat, puisqu’ils sont constitués de sapeurs-pompiers volontaires. Ensuite, certains départements possèdent une bonne dynamique en la matière alors que, dans d’autres, l’engagement diminue. Ces SDIS font partie de la sécurité civile apportée à nos concitoyens en cas de risque majeur, et chaque département n’est pas loti de la même manière. Tout dépend de son nombre de sapeurs-pompiers volontaires. Comme pour les associations, une crise de l’engagement et du bénévolat existe par endroits. Un travail d’attractivité de ces missions est donc nécessaire. Il faut pouvoir attirer les jeunes de nos territoires vers ces missions.

Les maires sont très attentifs et sensibilisés aux risques encourus par leur population. Cette information doit bien sûr leur être fournie. Le travail avec les préfectures est important. Nous savons bien que nos forces de sécurité travaillent main dans la main avec les élus. L’association maire-gendarmerie-pompiers dans les territoires et les stations fonctionne très bien. Les élus possèdent une réelle connaissance de leur territoire, mais le changement climatique fait que de nouvelles catastrophes naturelles interviennent. Il faut donc constamment informer les élus sur ces nouveaux risques dans leurs communes.

Les risques incendie touchent de plus en plus de territoires de montagne et de haute montagne. Ces territoires possèdent des forces de sécurité et des secours incendie fournis, mais la solidarité entre les départements et les territoires doit tout de même être renforcée. Il faut appréhender le fait qu’auparavant, les pompiers des territoires de montagne venaient aider les autres territoires, notamment ceux du sud de la France, plus exposés aux incendies, alors qu’aujourd’hui, la gestion peut s’inverser et n’entre plus dans la logique que nous connaissions. Les flux jusqu’à présent unilatéraux deviennent aujourd’hui davantage bilatéraux. Nos territoires seront de plus en plus confrontés à la sécheresse. Ils sont très exposés au changement climatique et à la hausse des températures, qui les impactera tout particulièrement.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci Madame la présidente. Nous l’avions évoqué avec l’Association des maires de France il y a quinze jours, nous ressentons bien cette disparité qui peut exister sur le territoire. Sur le fonctionnement de l’État, nous savons qu’en cas de crise et de risque naturel, les services peuvent se retrouver débordés dans leur mission de secours. Par ailleurs, que pensez-vous des réserves communales de sécurité civile qui dépendent directement du maire et de la commune où elles se trouvent ? Cet outil n’est pas forcément connu partout. Le système est-il bien établi, quel que soit le massif montagneux ? Fonctionne-t-il correctement ? Ou bien, d’après vous, reste-t-il méconnu et faut-il l’accentuer ? Lors d’un sinistre ou d’une crise, les secours se retirent une fois l’essentiel de leur mission effectuée, mais le retour à la normale et l’accompagnement des populations continuent. Ce travail reste ensuite à la charge du maire, peut-être de l’intercommunalité ou du département en fonction de l’ampleur du sinistre. Pensez-vous que cet outil est suffisamment connu dans les territoires de montagne ?

Mme Pascale Boyer. Nous n’avons pas de retour relatif à ces réserves de sécurité dans les territoires de montagne. Les maires ne se sont pas saisis de ces outils. Nous n’avons pas ce type de possibilité de gestion des risques. Nous bénéficions plutôt de l’engagement dans les sapeurs-pompiers volontaires, mais pas forcément de ces réserves communales de sécurité. Il ne faut pas généraliser, des communes en ont peut-être, mais pas la majorité. Ce n’est pas quelque chose d’ancré dans les territoires. Je n’ai aucun retour sur le sujet.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci Madame la présidente. Je vous rejoins. C’est pourquoi je vous faisais part de l’audition avec l’Association des maires de France. Même dans des territoires non montagneux, vos propos se vérifient. Des différences existent en fonction des territoires, des SDIS, de la culture en matière de sécurité civile, de l’appétence d’un maire ou de son équipe sur ces sujets. Une des réflexions de cette mission est de s’interroger sur les moyens d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile, au sens large. Nous devrons faire face à ces risques, qui seront de plus en plus fréquents malheureusement. Nous savons qu’ils arriveront, mais nous ne savons ni où ni quand. L’idée est de pouvoir y répondre, que l’on habite une petite ou une très grande commune, dans une plaine, à la montagne ou au bord de mer. C’est l’objet de cette mission. Je vous remercie pour la clarté de vos propos, ils rejoignent ce que les associations précédentes nous ont dit.

Mme Pascale Boyer. Il y a peut-être des pistes d’approfondissement avec les réserves communales. La population pourrait s’engager vis-à-vis de ces risques dans ce cadre, alors qu’être sapeur-pompier volontaire est beaucoup plus engageant. Ce peut être une piste de participation citoyenne à sa commune qui mériterait d’être approfondie. L’ANEM serait, si nécessaire, tout à fait partante pour participer à un groupe de travail. Cette piste paraît doublement intéressante : pour la gestion des risques sur le territoire, et pour favoriser l’engagement citoyen dans les communes.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’aurais une dernière question d’ordre technique, car la communication est fondamentale lors d’une gestion de crise, et ce quel que soit l’endroit où cette crise survient. Vous avez mentionné la radio, utile lorsque la téléphonie ne passe pas. Connaissez-vous d’autres moyens que la radio si ce système devait ne pas fonctionner pour diverses raisons ? De même pour la téléphonie, est-il possible d’avoir un réseau satellitaire dans ces moments, ou bien est-ce que rien n’est établi en la matière ?

Mme Pascale Boyer. Je prends l’exemple de l’avion qui s’était écrasé contre une falaise dans les Alpes-de-Haute-Provence. La catastrophe est intervenue durant la campagne des élections départementales où j’étais candidate, et les télévisions se sont focalisées sur l’événement. Elle a été marquée par un problème de communication énorme. Heureusement, ce genre de catastrophe n’arrive pas tous les jours. Même si elle n’était pas d’ordre naturel, cette catastrophe était considérable pour nos montagnes.

Le grand problème était le manque de communication. J’entends encore les médias me dire qu’ils n’avaient même pas d’accès internet pour diffuser l’information. C’était bien évidemment moins grave qu’un problème pour acheminer les secours, mais cet exemple montre le manque d’outils de communication. Pour aller récupérer les corps malheureusement coincés dans cette montagne, les secours ont été pénalisés par le manque d’outils de communication. Il existe donc bien un problème de communication en cas de catastrophe. Dans les territoires de montagne, il est déjà, en temps normal, parfois difficile d’avoir des moyens de communication efficaces. Il est peut-être donc effectivement utile de travailler pour développer des moyens de communication satellitaires. Encore faut-il se trouver dans des zones qui puissent les recevoir.

La radio souffre quant à elle des limites géographiques. Les réseaux de communication ne passent pas forcément, du fait de la topographie de certains territoires, ce qui représente effectivement un handicap dans la gestion des crises. Travailler sur le développement des réseaux satellitaires pour nos forces de secours représenterait, en effet, une piste d’amélioration.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci Madame la présidente. Il nous reste une minute, vous pouvez ajouter un mot de conclusion si vous souhaitez.

Mme Pascale Boyer. Je vous remercie d’avoir auditionné et pensé à l’ANEM pour cette mission. Si vous avez d’autres questions ou souhaitez des informations complémentaires, nous sommes naturellement à votre disposition et pourrons le faire par écrit. Nous sommes preneurs du rapport que votre commission aura produit. Merci.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup. N’hésitez pas à nous transmettre des réponses écrites au questionnaire si vous en avez la possibilité. Elles nous seront très utiles.


Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs

Compte rendu de l’audition de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs(Amaris)
(jeudi 28 septembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Messieurs les maires, Monsieur le rapporteur, chers collègues, nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir les représentants de l’association Amaris. M. Alban Bruno est maire de Gonfreville-l’Orcher et vice-président de la communauté urbaine Le Havre-Seine-Métropole, chargé des risques majeurs et de l’environnement industriel. M. Karim Ternati est adjoint au maire de Grand-Quevilly, chargé des risques industriels, de la sécurité civile et des bâtiments. Amaris, l’Association des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs, réunit depuis sa création en 1990 les communes, intercommunalités et régions accueillant sur leur territoire des activités industrielles ou des canalisations de transport de matières dangereuses.

Je rappelle à l’attention de nos auditionnés que notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Cette audition est filmée et accessible sur le site de l’Assemblée nationale. Notre objectif est d’étudier au plus près du terrain l’organisation de la sécurité civile ainsi que les défis à relever. Pour éviter de faire fausse route et d’avoir des idées préconçues, nous avons tenu à débuter nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations. Les élus sont sur le terrain et sont, par définition, au plus près des opérations de prévention et d’intervention menées par les forces de sécurité civile. Ils sont des acteurs de premier plan, et en particulier les maires, lorsque des crises surviennent et que ces forces interviennent. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur leur propre expérience de ces situations et nous faire part de leur regard sur l’état et le fonctionnement actuel de notre système de sécurité civile.

Votre association dispose d’une expertise particulière en matière de risques technologiques majeurs. Or, jusqu’à maintenant, nous avons beaucoup entendu parler de risques naturels au cours de nos auditions. C’est donc un autre pan des risques que nous allons aborder aujourd’hui. Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour partager avec nous l’expertise et l’expérience des collectivités qui connaissent de tels aléas.

Ces risques technologiques ont hélas pu aboutir, parfois, à des catastrophes industrielles représentant un défi important pour la protection de la population et notre sécurité civile, comme en 2001 avec AZF à Toulouse, ou en 2019, avec Lubrizol à Rouen. Cette audition permettra ainsi d’élargir notre réflexion sur la multiplicité des risques auxquels doivent être préparés les acteurs de la protection et de la sécurité civile sur l’ensemble du territoire national.

Nous voulons améliorer notre modèle de protection et de sécurité civile. Vous avez récemment publié un rapport dressant un bilan mitigé de certains outils de prévention en matière de risques technologiques. Aussi, nous ne doutons pas que vous saurez aussi nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système de sécurité civile, ainsi que nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux. Avant de vous donner la parole, je vais la laisser à mon collègue Didier Lemaire, rapporteur de cette mission, qui a un certain nombre de questions à vous poser pour lancer les débats.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci, messieurs, d’avoir répondu présent à notre invitation. Ainsi que l’a rappelé la présidente, nous avons, depuis le début du mois, essentiellement eu à connaître des risques naturels auxquels nos collectivités sont confrontées. Aussi est-il d’autant plus intéressant pour nous de pouvoir vous entendre ce matin, sachant que, malheureusement, les crises peuvent s’additionner, naturelles comme technologiques. Pourriez-vous d’abord nous présenter votre association, ses adhérents et son fonctionnement ?

M. Alban Bruneau. Notre association est avant tout un réseau de collectivités, de communes et d’intercommunalités. Elle existe depuis 1990 et compte actuellement quatre-vingt-cinq membres, tous concernés par la présence d’installations classées pour la protection de l’environnement et de sites Seveso – ma commune, Gonfreville-l’Orcher, située dans l’agglomération havraise, en compte d’ailleurs huit. Elle accueille la plus grosse raffinerie de notre pays. L’association regroupe également des communes accueillant des canalisations de matières dangereuses qui entraînent des risques accidentels ou chroniques.

Les profils des collectivités adhérentes sont assez variés. L’association compte des communes de petite taille, comme Grand-Puy en Île-de-France, qui accueille une raffinerie, et de grandes métropoles comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg ou Le Havre. Aussi différentes soient-elles, ces communes doivent faire face à des situations identiques et répondre aux mêmes obligations en matière de prévention des risques et de sauvegarde des populations. L’objectif d’Amaris est de représenter ces collectivités, de faire entendre leurs voix auprès des ministères et des différentes directions générales, des fédérations industrielles et des médias. Notre association organise également des échanges d’expérience entre ses membres, qui sont des moments importants pour les élus locaux. J’ai le plaisir de la présider depuis 2020, même si la collectivité dont je suis maire en est adhérente depuis ses débuts.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Participez-vous à la réflexion publique en matière de gestion de crise, notamment s’agissant des risques technologiques ? Si oui, de quelle manière ? Pensez-vous que cette réflexion soit suffisante ou au contraire qu’il faille accroître les efforts en la matière ?

M. Alban Bruneau. Nous participons effectivement aux réflexions publiques sur l’évolution du modèle de protection et de sécurité civiles. Nous sollicitons chaque année la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur, afin de lui faire part des difficultés que nous rencontrons et des propositions des membres de l’association, notamment sur tout ce qui concerne la sauvegarde des populations et les champs de compétences des collectivités. Nous représentons également la dimension « gestion de crise et risques industriels » dans les instances qui s’y intéressent. Mon collègue Karim Ternati représente d’ailleurs notre association au sein du Conseil national de la protection civile (CNPC). En revanche, Amaris n’est pas identifiée comme une association consultée pour les réflexions relatives à l’évolution de notre modèle de sécurité civile.

En 2022, nous avons établi une série de recommandations sur l’utilisation du cell broadcast de la plateforme FR-Alert. Le thème de l’alerte est crucial pour nos territoires, comme nous l’avons constaté avec le triste événement de Lubrizol. La responsabilité des maires est lourde en la matière. Le 19 septembre dernier, nous avons en outre produit un rapport sur l’impact des outils de prévention en matière de risques industriels rendus obligatoires par la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages.

M. Karim Ternati. Je suis adjoint au maire de Grand-Quevilly, qui est l’une des soixante et onze communes de la métropole Rouen-Normandie, une commune qui a été au cœur de l’incendie de Lubrizol survenu il y a quatre ans. Les populations ont besoin de connaître les risques qui existent sur leur territoire et il y a un besoin d’échanges entre les industriels et les communes. Dans le cadre de mes fonctions, je préside la cinquième commission « Sauvegarde des populations » au sein du CNPC. À ce titre, j’ai avec moi un guide que nous avons élaboré, avec les différentes associations agréées de sécurité civile. Nous y décrivons tout ce que ces associations peuvent apporter aux communes et au système de sécurité.

Mme la présidente Lisa Belluco. Pourriez-vous nous expliciter la façon dont se déroule la gestion de crise en cas d’accident industriel ? Quels sont les différents acteurs qui interviennent au fur et à mesure de la gestion de l’accident ?

M. Alban Bruneau. Les méthodes et façons d’agir différent d’un territoire à un autre, en fonction de la culture du risque et de la capacité à dialoguer en permanence avec les parties prenantes. Les crises sont mieux gérées dans les territoires ayant une culture de l’échange et du partage d’informations, dans ceux qui se préparent et s’exercent à faire face au risque. Les commissions de suivi de site sont, de notre point de vue, des outils intéressants pour développer cette culture. Dans les territoires qui les utilisent, les réponses en matière de gestion de crise et d’intervention sont plus efficaces, même si des avancées sont toujours possibles. À l’inverse, dans les territoires où cette culture et ce dialogue n’existent pas, le maire et les élus locaux se retrouvent parfois écartés de la gestion de crise. Le dialogue se fait alors uniquement entre la préfecture et les industriels concernés, et les maires sont « à la remorque ».

Mme la présidente Lisa Belluco. Dans le suivi des sites ou en matière de prévention en général, les maires et les élus ne sont-ils donc pas impliqués par la préfecture ? En dehors de la commission de suivi de site, qui donne lieu à une réunion annuelle – quand elle a lieu – d’autres dispositifs existent-ils pour que les élus des territoires concernés soient impliqués dans la connaissance des sites et les logiques de prévention ?

M. Alban Bruneau. D’un territoire à un autre, les commissions de suivi de site peuvent être très efficaces et vivantes, dès lors que la volonté de les animer existe. L’impulsion peut provenir de la préfecture ou de la sous-préfecture, qui doit, à mon sens, être le garant de l’animation et du bon fonctionnement de ces instances. Dans certains territoires, les élus locaux exigent, s’intéressent et se soucient du sujet, et font ainsi avancer ces instances de dialogue et de préparation. En revanche, dans d’autres territoires encore, cette dynamique n’existe pas et cela se traduit par une absence de préparation.

Nous recommandons que l’État puisse, par l’intermédiaire de son réseau de préfectures et de sous-préfectures accueillant des sites Seveso sur leur territoire, être le garant de l’animation des instances et du dialogue en associant l’ensemble des parties prenantes. Il faut développer l’acculturation aux risques, qu’ils soient naturels ou industriels, la formation, la prévention, et faire vivre les viviers associatifs qui peuvent participer à faire face à ces événements en complément des moyens de l’État et des moyens communaux.

Nous devons poursuivre nos efforts sur ces enjeux. Depuis deux ans, la journée nationale de la résilience a enfin été mise en place et nous disposons, avec FR-Alert, d’un outil technologique intéressant qui reste à conforter. Cependant, d’un territoire à un autre, soit les questions relatives aux risques industriels sont considérées et préparées, soit cela n’est pas le cas. Or, les enjeux sont forts, en matière de protection tant des populations que des installations et des travailleurs qui les font fonctionner, et nous avons besoin de progresser dans ces domaines.

M. Karim Ternati. En tant qu’élus locaux, nous avons besoin de la confiance des industriels. Par ailleurs, les habitants attendent que nous leur délivrions des informations sur les risques. Or, cet exercice de transparence passera seulement par la volonté de l’industriel. Il faut l’obliger à discuter et à impliquer les élus dans ses exercices, ses POI notamment.

Mme la présidente Lisa Belluco. Pourriez-vous expliciter ce qu’est un POI ?

M. Karim Ternati. Il s’agit des plans d’opération interne. Lorsque les industriels effectuent des exercices au sein de leur entreprise dans le cadre de ces plans, il faudrait ainsi que les élus locaux puissent déclencher leur plan communal de sauvegarde (PCS) et mettre en place leur poste de commandement, afin que tous les acteurs concernés puissent intervenir et s’entraîner ensemble. Un tel exercice conjoint permettrait d’être le plus efficace possible si une catastrophe devait malheureusement survenir. Obliger les industriels à être plus ouverts sur ces sujets et à nous convier à leurs exercices permettrait des avancées en la matière.

M. Alban Bruneau. Je partage parfaitement ces propos : dans certains territoires, cela se passe d’ailleurs dans de bonnes conditions. Nous demandons à ce que l’État puisse être garant de cette méthodologie pour élargir la capacité en France à disposer de moyens adéquats face aux risques et acculturer les populations et les parties prenantes pour faire face à la survenance d’une crise.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vos interventions soulèvent une question fondamentale, l’acculturation de nos populations en matière de sécurité civile. Si je ne me trompe pas, dans la commission de suivi des sites siège la commune concernée par le risque, mais il faut aussi prendre en compte l’environnement alentour car, bien souvent, le risque technologique emporte des conséquences bien au-delà des frontières de la commune. Merci, donc, pour vos précisions.

Pensez-vous que notre modèle de sécurité civile au sens large est adapté pour répondre à ces grands enjeux ? Quelles pistes d’amélioration envisageriez-vous ? Quelles sont les difficultés rencontrées en matière d’alerte aux populations ?

M. Alban Bruneau. Concernant le périmètre des commissions de suivi de site, les textes réglementaires en précisent la composition. Y siègent les industriels présents sur le territoire, ainsi que les élus locaux dont le territoire est susceptible d’être affecté par un événement industriel – la liste de ces territoires est généralement précisée dans le plan particulier d’intervention établi par les services de l’État, sur la base d’études de danger. Participent également à ces comités les représentants des associations de riverains ou de protection de l’environnement, ainsi que des personnalités qualifiées et l’ensemble des représentants du personnel et organisations syndicales qui œuvrent dans les industries concernées.

Certaines communes associées à ces commissions de suivi se sentent moins concernées par le risque industriel parce qu’elles n’ont jamais eu à subir d’événement majeur. Elles peuvent constater des nuisances relatives à l’activité industrielle sur leur sol, mais tant qu’elles ne sont pas concrètement victimes d’un événement, elles s’intéressent peu au risque. Un travail, certes compliqué, est nécessaire pour aller vers ces communes – dont j’observe que les élus sont en revanche souvent davantage sensibilisés aux risques naturels.

Notre modèle de sécurité et de protection civile est organisé autour de plans d’urgence, les plans particuliers d’intervention (PPI), consacrés à chaque structure, et établissant une répartition des responsabilités. Or, nous sommes confrontés à de nombreuses menaces : celles liées aux évènements extrêmes, que la crise climatique contribue à développer, ainsi que les menaces de cyberattaques. Ces menaces, de plus en plus complexes, nécessitent d’y apporter une réponse qui se décline en trois axes.

Le premier axe consiste à mobiliser les moyens nécessaires pour rendre opérationnelle la planification. Le rôle des SDIS dans l’accompagnement des collectivités, que ce soit en cas d’accident ou en matière de préparation, est crucial. Alors que les collectivités ont besoin d’une plus grande présence des SDIS à leurs côtés, nous constatons que ces derniers s’inquiètent – et le font d’ailleurs régulièrement savoir, tant au plan national que localement – d’un nombre insuffisant de recrutements, ainsi que d’un manque de moyens matériels ou vestimentaires. Ce constat est une source d’inquiétude des élus locaux.

Le second axe devrait nous amener à travailler sur l’organisation des structures en réaction à des situations exceptionnelles. Il faut aller au-delà de la seule planification d’urgence que j’évoquais à l’instant.

Enfin, le troisième axe d’amélioration consiste, à créer ou renforcer le collectif de travail au sein de chaque territoire, en intégrant l’ensemble des acteurs concernés, notamment les gestionnaires des réseaux. Ils jouent en effet un rôle important dans ces événements et nous avons pu constater que, dans certains cas, ils pouvaient constituer une source de difficulté en matière de gestion de crise.

M. Karim Ternati. Le modèle de sécurité repose sur trois piliers. Tout d’abord, il y a les moyens nationaux comme la BSPP, les personnels chargés du déminage, les unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), et les grandes instances nationales. Ensuite, le modèle de sécurité repose aussi sur les moyens territoriaux comme les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Enfin, on y intègre également le monde associatif, qui peut également apporter ses contributions. Comme le rappelait Alban Bruneau, l’important est que l’ensemble de ces acteurs travaille ensemble et partage la même culture du risque.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les associations agréées de sécurité civile sont-elles suffisamment nombreuses et leurs membres sont-ils assez formés ? En matière de soutien et d’accompagnement de la population, l’échelon de gestion de crise le plus cohérent reste-t-il l’échelon local ? Les réserves communales de sécurité civile constituent-elles, pour vous, une structure adaptée à la fois avant, pensant et surtout, après la crise ?

M. Karim Ternati. Nous avons la chance de constater que les habitants s’impliquent de plus en plus dans la vie de leur commune. Par exemple, pour ce qui concerne ma ville de Grand-Quevilly, nous avons créé une réserve communale il y a deux ans. Elle compte désormais quatre-vingt-dix volontaires, ce qui est considérable. Elle intervient dans les crises, mais pas uniquement : elle agit également en appui des services de secours. Il est donc important de travailler main dans la main avec les SDIS, les pompiers, et tout le panel associatif, pour que ces réservistes apprennent la bonne méthodologie. Ce sont en effet des habitants lambda qui se voient confier des missions de soutien. Il faut donc que cela reste cantonné à des missions de sauvegarde, et non de secours. Cependant, cette expérience peut également susciter des vocations, et les réservistes peuvent ensuite se diriger vers le volontariat ou un concours professionnel. Il peut s’agir d’un tremplin pour des jeunes qui sortent des études et ne savent pas trop où se placer.

Nous comptons énormément d’associations, peut-être parfois un peu trop. En tant qu’élus, l’on peut se demander à qui faire appel en cas de besoin. La protection civile, la Croix rouge, la Croix blanche, la Croix de Malte… Toutes ces associations sont agréées et nous les connaissons bien. Mais de nombreuses petites associations viennent de se créer, notamment pour du secourisme. Elles ne possèdent peut-être pas les agréments nécessaires et il est important de travailler sur le tissu associatif et d’informer toutes les communes. Nous avons produit un vademecum et l’avons transmis à toutes les communes autour de Grand-Quevilly. Celui-ci regroupe les associations agréées, avec qui nous avons l’habitude de travailler, qui sont reconnues et existent dans l’intérêt de la protection des biens et des personnes. Il est important de savoir où aller, et avec qui.

M. Alban Bruneau. Parmi son réseau, Amaris compte également des communes de la Martinique, et une vice-présidente de l’association est une élue locale de ce territoire. Nous sommes d’autant plus attentifs, notamment dans la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques, car le type de bâtis situé autour des industries concernées présente des difficultés plus importantes qu’en France métropolitaine.

Les réserves communales représentent un très bon outil pour traiter certains sujets. Cependant, je constate sur le terrain qu’elles nécessitent un travail d’animation dans la durée, avec les moyens financiers nécessaires. Leur bon fonctionnement dépend aussi de la volonté politique et des moyens de la collectivité. Or, depuis la création des intercommunalités, le lien économique entre l’industriel et la commune s’est distendu. Tandis que les intercommunalités captent les ressources fiscales, les communes, qui avaient un peu de moyens, notamment grâce à la taxe professionnelle, pour animer ces réseaux, se retrouvent en difficulté pour continuer à le faire. Elles font parfois le choix de renoncer à ces dispositifs. Il faut garder ces difficultés en tête.

En outre, il serait intéressant de restaurer des liens directs entre la commune et l’activité industrielle qui génère le risque. C’est ce travail d’acculturation qui nous fera progresser. Je tiens à souligner l’excellent retour d’expérience des classes de cadets de la sécurité civile dans les collèges. Dans ma commune, j’ai insisté pour qu’une telle classe s’ouvre dans le collège. C’est extrêmement intéressant pour travailler auprès des plus jeunes générations sur les risques au niveau global.

M. Jean-Marie Fiévet. Vous représentez, Monsieur le président, les communes sur lesquelles sont installés un ou plusieurs sites industriels à risque, classés Seveso, qu’ils soient seuil haut ou seuil bas. J’ai été interpellé par vos propos, selon lesquels certains élus ne seraient pas impliqués dans les manœuvres qui ont lieu, en théorie, une fois par an sur les sites. Il y a donc deux possibilités : soit les industriels et les organismes chargés de cette opération omettent de prévenir les élus, ce qui serait lamentable, soit le maire ne s’implique peut-être pas suffisamment, voire ne demande pas de lui-même à être impliqué dans les manœuvres. Je suis convaincu d’une chose : il faut participer pour comprendre comment la manœuvre fonctionne et comment le site fonctionne. Le problème se trouve peut-être des deux côtés : les industriels ne prennent peut-être pas suffisamment en compte les élus, mais, en parallèle, les élus font-ils la démarche réciproque, pour obtenir des informations complémentaires qui pourraient leur servir en cas de crise ?

M. Alban Bruneau. Tout dépend des personnes, élus comme industriels. Lors d’exercices de plans d’organisation interne, certains industriels ne vont pas convier les élus alors que d’autres le feront. Dans certains territoires, les élus rappellent à l’industriel qu’ils souhaiteraient participer à ces exercices. Puisqu’aucune obligation n’existe en la matière, cette participation doit être provoquée, soit par la volonté de l’industriel, soit par celle des élus locaux ou des services communaux. Notre association souhaiterait que l’État, les préfectures, les sous-préfectures, les DREAL, soient les garants de cette association et organisent ce dialogue. C’est en effet à travers ces exercices et ce dialogue que nous serons plus efficaces.

M. Karim Ternati. Les risques industriels et climatiques n’intéressaient pas grand monde auparavant et étaient plutôt laissés de côté. Aujourd’hui, face aux catastrophes d’envergure qui frappent le monde, les élus, dont les maires, s’impliquent de plus en plus et manifestent un besoin de savoir et de maîtriser ces risques, qui prennent de plus en plus de place dans les conseils municipaux et inquiètent les habitants. Les rencontres – que nous souhaitons régulières – avec les industriels sont fondamentales pour créer ce climat de confiance. Elles permettent à l’industriel, le jour où un exercice ou un incident intervient, de se souvenir de l’adjoint ou du maire impliqué, et de le solliciter. Il faut créer ce climat de confiance.

M. Julien Rancoule. J’ai une question complémentaire relative aux exercices et à la formation. Nous avons auditionné ces dernières semaines les représentants des collectivités, qui ont tous rappelé l’importance de la formation et de la sensibilisation de la population aux risques, notamment. Le cadre légal actuel en la matière vous paraît-il suffisant ? Avez-vous des suggestions pour, éventuellement, mettre en place un protocole de formation ou de sensibilisation des élus et de la population ? Quel serait d’après vous le portage de responsabilité entre l’industriel et les collectivités ? Quel doit être le rôle de chacun pour permettre de sensibiliser effectivement les élus et la population ?

M. Alban Bruneau. Sur ce sujet très important, la réglementation pose un cadre insuffisant. Tout dépend, dans les faits, des bonnes volontés des parties prenantes : d’un territoire à un autre, un industriel, une commune, une préfecture ou une DREAL peuvent se montrer volontaires et proactifs en la matière. Dans la communauté urbaine Le Havre-Métropole, l’intercommunalité met en place, depuis très longtemps, une formation à destination des techniciens des collectivités locales et des élus locaux chargés de la gestion de crise. Sur mon territoire, les industriels invitent régulièrement les élus et les techniciens en charge de ces sujets à des exercices de plan d’organisation interne. Dans le cadre des révisions des plans particuliers d’intervention, l’État organise des exercices grandeur nature, sous la responsabilité de la préfecture. Le dernier en date dans l’agglomération havraise concernait le risque attentat.

De même, dans le cadre de la révision du plan particulier d’intervention, nous réaliserons un exercice grandeur nature auquel nous associerons les populations, où nous testerons le dispositif FR-Alert, et où nous placerons les écoles en situation. À l’occasion de la journée de la résilience, les écoles pourront activer leur plan particulier de mise en sûreté. Tout dépend, en somme, de la volonté des acteurs et parties prenantes. L’association Amaris demande à l’État d’être garant de cette méthodologie de travail là où les sites industriels dangereux peuvent avoir des conséquences sur notre société, notamment dans certains territoires, où nous savons que de tels acteurs demeurent modestes, voire inexistants.

Mme la présidente Lisa Belluco. Pour être tout à fait transparente, j’étais dans une vie antérieure inspectrice des installations classées. Ma question porte précisément sur l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement. Quel rôle l’inspection joue-t-elle en termes de prévention ? Pensez-vous que ce rôle soit suffisant ? Avez-vous constaté des disparités entre les territoires, dans un contexte de réindustrialisation ? Vous n’êtes pas sans savoir que nous avons en effet voté un projet de loi visant la réindustrialisation de la France en juillet dernier. Dans ce contexte, y aurait-il besoin de renforcer l’inspection des installations classées et, plus largement, la présence humaine sur le terrain ?

M. Alban Bruneau. Nous constatons, dans le cadre des commissions de suivi de site, une certaine disparité sur le territoire. Nous sommes informés des recommandations et actions à mener pour les industriels à la suite des inspections. Les commissions départementales d’évaluation des risques sanitaires et technologiques (CoDERST) disposent également d’informations sur ce sujet. Ces commissions, qui se réunissent au niveau des préfectures, permettent aux élus locaux et associations de protection de l’environnement qui y siègent d’obtenir des informations pertinentes. Mais là encore, d’une préfecture à l’autre, le fonctionnement de ces instances est plus ou moins bon.

Les élus locaux souhaiteraient que les inspections soient plus fréquentes. C’est aussi le souhait des populations, qui attendent davantage de contrôles, et ont conscience que les choix des industriels font parfois passer la sécurité après d’autres considérations. Suite à l’incident de Lubrizol, le Gouvernement avait annoncé la création de cinquante postes au niveau national. Je ne sais pas où nous en sommes, mais, à l’époque, ce nombre représentait à peine un poste dans ma commune. Au regard de l’ensemble des sites Seveso du département, l’effort était assez réduit. Il faut aller plus loin.

Il nous faut davantage de contrôles, donc, mais aussi éventuellement davantage de sanctions. Nous venons de fêter le quatrième anniversaire de l’accident de Lubrizol et les associations s’émeuvent de la faiblesse des sanctions prises à l’encontre de l’entreprise, qui s’élèvent à quelques milliers d’euros. En montrant de tels exemples, nous distendons le lien de confiance entre le citoyen, l’industriel et les services de l’État.

Concernant le cadre réglementaire de la réindustrialisation, nous nourrissons là encore quelques inquiétudes. Pour ma part, je considère que la réindustrialisation est nécessaire pour notre pays. Nous avons besoin d’une industrie respectueuse de l’environnement et des salariés. Gardons-nous, en revanche, d’aller trop vite et de nous dispenser de garde-fous avant d’installer des sites potentiellement à risque.

Par exemple, dans la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, a été glissée, si je ne m’abuse, la possibilité d’installer un terminal méthanier dans le port du Havre pour faire face au manque de gaz dans notre pays. À l’époque où cette loi était débattue, la situation du pays du point de vue énergétique était inquiétante. L’installation a pu être réalisée très rapidement, avec des études de danger menées à la va-vite. Les riverains et élus locaux sont aujourd’hui inquiets. Nous souhaitons que les contrôles indispensables soient mis en œuvre préalablement à toute installation classée sur le territoire. Attention à la simplification des démarches administratives pour ce type d’activités.

M. Karim Ternati. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de contrôle. Cependant, ces contrôles dépendent des moyens humains mis à disposition. Les DREAL ont besoin de renforcer leurs équipes pour effectuer davantage de contrôles ou suivre l’application des recommandations. Des restrictions peuvent en effet être prononcées pour une industrie, mais il faut ensuite suivre les travaux qui seront menés par l’industriel afin d’obtenir la levée de la restriction. Je siège en commission de suivi de site en préfecture et les associations présentes sont largement demandeuses d’informations. Elles ne cessent d’interroger les industriels pour pouvoir, elles aussi, défendre les intérêts des citoyens dans les territoires. Elles observent précisément les réponses apportées par l’industriel et le suivi des sites réalisé par les DREAL.

Mme la présidente Lisa Belluco. Diriez-vous que l’inspection des installations classées a un rôle à jouer, voire que cette inspection joue déjà un rôle spécifique dans notre modèle de sécurité civile, d’une part en termes de prévention et d’autre part une fois que l’accident a lieu ? Estimez-vous que l’inspection des installations classées est suffisamment indépendante et a pleinement la possibilité d’informer les citoyens ou, du moins, les élus concernés, puisqu’un enjeu de sécurité industrielle peut se poser également ?

M. Alban Bruneau. Je considère que les inspecteurs ont un rôle important à jouer. Ils doivent pouvoir bénéficier de formations et être accompagnés pour faire correctement leur travail. Ils doivent aussi être suffisamment nombreux. Je constate dans mon département que le travail de contrôle réalisé par ces inspecteurs est remarquable et très pointu. La question porte plutôt sur la quantité que sur la qualité des contrôles.

Concernant leur indépendance, je considère que l’État doit en être le garant. Je ne pense pas que nous devrions tendre vers un modèle similaire à ce qui existe pour l’industrie nucléaire. J’estime que la parole de l’État doit être forte, et que celui-ci doit pleinement jouer son rôle de garant. Dans le cas inverse, comment instaurer un climat de confiance vis-à-vis des services de l’État ? Nous écarterions encore plus les citoyens en choisissant un tel système, alors que la défiance envers les services de l’État ne cesse d’augmenter. En parallèle, il faut que l’État, les préfectures et leurs fonctionnaires puissent travailler dans des conditions optimales, avec toutes les garanties de pouvoir exercer leur métier de la meilleure manière possible au service des populations, de la République, des départements, des instances, des élus locaux, etc.

M. Jean-Marie Fiévet. Je tiens d’abord à rappeler que le maire est le directeur des opérations de secours (DOS) de sa commune. C’est donc aussi à lui de s’impliquer. Vous parliez tout à l’heure des moyens mis en place : ils regroupent les moyens nationaux, avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) qui comprend les moyens aériens français, les canadairs et les bombardiers d’eau, le déminage, la formation, pour un total d’environ 2 500 hommes. S’ajoutent les moyens territoriaux par département, en particulier via les SDIS, puis le corps associatif – et je veux ici parler des associations de protection civile agréées, car d’autres associations ne le sont pas. Nous retrouvons en bout de chaîne les réserves communales, qui restent aujourd’hui peu mises en avant dans les communes. Est-ce un choix délibéré des municipalités, ou un manque de temps pour s’impliquer dans la création d’une telle structure ?

À Rouen, les travaux pour la création d’une première Maison de la sécurité civile débuteront dans quelques mois. Tous les acteurs de la sécurité civile seront regroupés en une seule entité. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais j'estime qu’il s’agit d’une réelle avancée. Je tiens d’ailleurs à saluer le directeur du SDIS, M. Stéphane Gouezec, qui a lancé cette idée, reprise d’un département précédent. Cette maison représente l’avenir de la sécurité civile. Vous pointiez d’ailleurs le manque de communication entre les associations : ce genre de regroupement permettra de créer un transfert de connaissances précieux.

La réserve communale n’est pas nouvelle. Nous constatons que le système fonctionne bien dans le sud de la France, dans le cadre des réserves communales forestières. En revanche, dans mon département de l’ouest de la France ou dans le vôtre, le système est peu développé et n’en est qu’à ses débuts. Dès lors, faut-il rendre obligatoire dans les communes la création d’une réserve communale ou bien seulement la conseiller et la mettre en avant ? Comme vous l’avez dit, au sein de ce vivier, certains bénévoles pourraient vouloir devenir pompiers volontaires, pompiers professionnels ou rejoindre d’autres domaines de la sécurité. Lorsque vous annoncez, M. Ternati, que la réserve communale de votre commune compte quatre-vingt-dix personnes, je ne peux que vous féliciter. Ces membres sont-ils impliqués dans des actions de terrain ? Sans cela, ils peuvent se démotiver au bon d’un certain temps. Pensez-vous qu’il faudrait rendre la création de la réserve communale obligatoire, ou bien seulement la conseiller et la mettre en avant ? L’idée d’une maison départementale de la sécurité civile est-elle importante à vos yeux ?

M. Karim Ternati. Je suis moi aussi sapeur-pompier volontaire depuis vingt-huit ans, au grade d’adjudant-chef dans la commune de Grand-Quevilly. Je suis vice-président d’une association interdépartementale des réserves communales. À l’arrivée du colonel Stéphane Gouezec, nous avons travaillé conjointement pour créer une réserve départementale qui a aujourd’hui vu le jour. Elle intègre tous les acteurs associatifs au sein d’une même entité gérée par le préfet et le SDIS. Tous les signataires ont accepté de faire partie de cette aventure. Il s’agit en réalité du deuxième dispositif de ce genre, puisque le colonel en avait déjà créé un dans son précédent département. Il s’agit ainsi d’une maison de la sécurité civile, qui intégrera notamment les réserves communales, les anciens sapeurs-pompiers aujourd’hui retraités et qui souhaitent encore aider, et tout ce qui concerne l’union départementale, comme les présidents des associations. Tous ces acteurs intégreront cette maison de la sécurité civile.

Pour ne rien vous cacher, demain, nous signerons avec la commune de Grand-Quevilly le transfert de notre réserve communale dans la réserve départementale. Heureusement, il n’y a pas de catastrophe tous les jours et il faut faire vivre ces réserves communales. Pour y parvenir, il faut qu’elles s’entraînent régulièrement, qu’elles aillent sur le terrain, qu’elles puissent également voir d’autres territoires que les seules frontières de la commune. En créant cette convention entre la réserve communale et la réserve départementale, nous pourrons travailler dans d’autres départements, avec d’autres matériels et d’autres personnes, pour apprendre et monter en compétences.

Rendre la réserve communale obligatoire serait compliqué pour les petites communes, car le dispositif réclame d’importants moyens financiers ou humains. Nous avons par exemple créé un poste dédié à cette réserve communale dans ma ville. Tout est pris en charge par le budget communal, nous ne recevons ainsi pas d’aide de l’État ou du département. Comme vous le disiez, une réserve de quatre-vingt-dix personnes paraît considérable, mais c’est également peu parfois : ces personnes ont par ailleurs un métier, même si quelques retraités sont également présents. Ainsi, ce vivier intègre tout type d’individus et les coordonner est extrêmement chronophage.

M. Jean-Marie Fiévet. Rendre la réserve obligatoire ne serait donc pas forcément une bonne idée.

M. Karim Ternati. Non, car les petites communes ne pourraient pas gérer leur réserve. En revanche, créer une maison départementale et une réserve départementale qui interviendrait sur tout le département pourrait pallier le manque de moyens de certaines communes.

M. Alban Bruneau. La rendre obligatoire mettrait effectivement certaines petites communes en difficulté. À ce titre, puisque nous parlons des risques naturels et technologiques, je voudrais préciser que les premiers font l’objet de financements, grâce aux programmes d’action et de prévention des inondations (PAPI) notamment, mais pas les seconds. Notre réseau a même constaté que certaines communes utilisent des crédits du PAPI pour réaliser des actions de prévention des risques technologiques.

Par ailleurs, développer les réserves départementales est très intéressant, mais il faut veiller à maintenir de la proximité, du maillage et de l’échange entre les réserves.

M. Jean-Marie Fiévet. Vous avez plusieurs fois cité le système FR-Alert, mis en place il y a quelques mois seulement. Nous n’avons pas encore de retour sur son efficacité. Le système est censé fonctionner même si nos réseaux de téléphonie sont saturés. Que pensez-vous de ce système ? Est-il réellement adapté ? Peut-il être amélioré ? Cette question intervient alors que la population a un besoin d’information et se tourne donc vers les chaînes de télévision, quand bien même une information officielle serait plus pertinente. Quelles informations faut-il intégrer prioritairement pour lancer une alerte ? Le système doit-il servir uniquement pour des alertes ponctuelles très importantes, ou faut-il intégrer d’autres informations, même si elles risqueraient de diluer le message ?

M. Alban Bruneau. Le sujet fait l’objet de nombreuses réflexions au sein du réseau. Tout d’abord, il n’existe pas un seul et unique système d’alerte. Je me réjouis que FR-Alert soit un système supplémentaire d’alerte. Les sirènes et systèmes locaux sont toujours utiles. De plus, il faut distinguer un système d’alerte et un système d’information. Ces outils doivent rester des outils d’alerte. Ils interviennent en cas de crise, avec des consignes très précises et simples à délivrer aux populations pour une mise à l’abri. Ces systèmes doivent uniquement être utilisés pour faire face à un événement et limiter l’impact sur les populations.

Des confusions existent sur le sujet. Parfois, lors d’événements dits mineurs qui ne nécessitent pas d’envoyer des messages de mise en sécurité des populations, certaines personnes nous disent qu’elles n’ont pas été informées, que le système d’alerte n’a pas été utilisé. Au contraire, en cas d’événement qui ne nécessite pas de comportement particulier, il faut informer de l’événement en cours, préciser par exemple que les secours sont sur place, éteignent le feu, etc. Il faut bien distinguer ces deux aspects du sujet. Quoi qu’il en soit, je me réjouis de ce dispositif supplémentaire qui s’impose sur les téléphones des populations d’une zone où un événement survient.

M. Karim Ternati. Il y a néanmoins un petit bémol avec FR-Alert : le maire est laissé de côté. Le déclenchement de l’alerte est en effet uniquement à la main du préfet. Lors des premiers travaux sur ce système, nous avions demandé que les maires soient un peu plus associés. Aujourd’hui, ceux-ci peuvent seulement demander au préfet de déclencher FR-Alert pour un événement, mais le système n’a pas encore été testé. Pour informer la population, il reste préférable d’utiliser les moyens à disposition dans les communes, comme le site internet de la ville ou les alertes SMS. Il faut garder FR-Alert pour les situations de danger et les mises à l’abri.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup messieurs. N’hésitez pas à nous faire parvenir une contribution écrite, notamment en réponse à notre questionnaire.

M. Alban Bruneau. Merci beaucoup, Madame la présidente, nous vous transmettrons bien sûr un document écrit. Permettez-moi en conclusion de transmettre trois messages clefs : la gestion de crise doit se préparer en amont entre l’ensemble des acteurs ; les crises se complexifient et demandent une adaptation de nos structures ; sans moyens, les collectivités ne peuvent assurer leurs compétences et des rôles à la hauteur de leurs ambitions. Merci pour votre accueil et d’avoir sollicité Amaris dans la tenue de vos travaux.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci pour cette conclusion très claire. N’hésitez pas, par ailleurs, à nous adresser toute la documentation évoquée lors de vos prises de parole.


Association des maires ruraux de France

Compte rendu de l’audition de M. Pierre Pantanella, maire de Saint-Rome-De-Cernon et membre du conseil d’administration de l’Association des maires ruraux de France (AMRF)
(jeudi 5 octobre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous achevons aujourd’hui notre première série d’auditions en accueillant M. Pierre Pantanella, maire de Saint-Rome-de-Cernon et membre du conseil d’administration de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), ainsi que Mme Catherine Leone, chargée de mission dans cette association.

Je rappelle que l’AMRF a été créée en 1907 et fédère près de 10 000 maires ruraux, afin de défendre et relayer les intérêts spécifiques des communes de moins de 3 500 habitants.

Monsieur Pantanella, je précise que notre mission est composée de députés appartenant à tous les groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Votre audition est filmée et accessible sur le site de l’Assemblée nationale.

Notre objectif consiste à étudier au plus près du terrain l’organisation de la protection et de la sécurité civiles, ainsi que les défis à relever. Pour éviter de faire fausse route, nous avons tenu à débuter nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations, à commencer par ceux du bloc communal.

La présence sur le terrain est un marqueur essentiel pour les élus des communes rurales. Ils sont donc, par définition, au plus près des opérations de prévention et d’intervention menées par les forces de sécurité civile. Le maire, en particulier, est appelé à tenir le rôle de directeur des opérations de secours dans certaines situations. Ces élus sont au premier plan lorsque des crises surviennent et que les forces de sécurité civile interviennent. Ils peuvent s’appuyer sur leur expérience de ces situations et nous faire part de leur regard sur notre système actuel de sécurité civile.

Les élus des communes rurales connaissent des défis spécifiques en matière de protection et de sécurité civiles, et ne disposent pas nécessairement de ressources équivalentes à celles des communes urbaines pour y faire face.

Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour partager avec nous l’expertise et l’expérience des maires de communes rurales sur ces enjeux. Nous voulons faire progresser notre modèle de protection et de sécurité civiles. Nous vous invitons donc à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système, et à nous livrer toute suggestion susceptible de contribuer à nos travaux.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Permettez-moi, tout d’abord, de vous exposer les motifs de ma demande de mission d’information, déposée au nom de mon groupe, Horizons. Elle est le fruit d’une longue réflexion. Avant d’être député, j’ai moi-même été sapeur-pompier volontaire puis professionnel pendant plus de trente ans, mais aussi adjoint au maire d’une ville de moins de 6 000 habitants. Eu égard aux crises que nous avons traversées, en particulier celle liée à l’épidémie de Covid-19, il m’a semblé important d’interroger notre modèle de protection et de sécurité civiles.

Monsieur Pantanella, je vous propose de nous faire part de vos réflexions sur le sujet, en tant que représentant de l’AMRF.

M. Pierre Pantanella, maire de Saint-Rome-de-Cernon et membre du conseil d’administration de l’AMRF. Merci de venir prendre le pouls des maires ruraux. Le fait est que nous sommes confrontés à divers problèmes. Par exemple, en Aveyron, nous faisons face à des inondations et à des feux de forêt. Nous nous efforçons de traiter ces risques par le biais de notre plan communal de sauvegarde (PCS).

Or, les communes très rurales ont des budgets particulièrement contraints – je suis maire d’une commune de 950 habitants, disposant d’un budget de 800 000 euros – et n’ont pas assez de ressources techniques ni de personnel pour établir ces plans en interne. Elles se trouvent donc dans l’obligation de confier cette tâche à des prestataires. Ces communes ont besoin de bénéficier d’aides, ainsi que d’un accès à des services d’ingénierie. J’ajoute que nous devons aussi améliorer les pistes dans les forêts et gérer les citernes d’eau, entre autres responsabilités.

Les obligations légales en matière de débroussaillement nous posent aussi de sérieuses difficultés, même si elles s’avèrent utiles pour lutter contre les feux de forêt, notamment en cas de sécheresse importante. Les contraintes d’organisation sont lourdes pour les petites communes, dont les moyens sont limités, et les exercices anti-incendie, efficaces pour la lutte contre les feux, sont très coûteux.

Le rapport Falco préconise la modernisation du système de sécurité civile, notamment des casernes de sapeurs-pompiers. Il aborde également la question de l’élaboration du PCS, qui est absolument indispensable. De nombreuses communes connaissent mal les consignes à suivre en cas de feu ou d’inondation. Personnellement, j’ai eu la chance de pouvoir faire appel à mon fils, pompier volontaire, qui a réalisé le PCS de notre commune à titre gracieux. À cette occasion, nous avons appris beaucoup, par exemple sur l’alerte des populations ou sur la fermeture de routes inondées. Cet exercice doit être renouvelé régulièrement. La loi nous impose d’ailleurs d’informer la population tous les deux ans, en cas d’inondations. Cette information, qui représente elle aussi un coût, peut prendre la forme d’organisation de réunions publiques ou d’animations à proximité de la rivière ou dans les écoles.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci beaucoup pour cette introduction. Notre mission d’information a pour objectif de mener une réflexion à l’échelon national, à la fois en métropole et en outre-mer. Dans ce cadre, nous nous intéressons à l’ensemble des risques auxquels nous pouvons être confrontés, entre autres les inondations et les feux de forêt.

Nos investigations concernent non seulement les grandes agglomérations, mais aussi les villes et les villages, que vous représentez à travers l’AMRF. Je souhaiterais savoir si votre association participe aux réflexions sur l’évolution de notre modèle de sécurité civile. Dans ce cadre, avez-vous élaboré des documents ou conduit des études sur cette thématique ? Enfin, j’ai noté que le coût de ces actions est une préoccupation pour les communes rurales. Pouvez-vous partager avec nous votre expérience d’élu sur la gestion de crise ?

M. Pierre Pantanella. Permettez-moi de préciser que j’ai été président de l’association des maires de l’Aveyron pendant six ans, et que j’en suis aujourd’hui le vice-président. Les préfets ont toujours associé l’AMRF aux réflexions sur la sécurité civile, comme sur d’autres sujets. Les comptes rendus de réunion sont envoyés à l’ensemble de nos adhérents, mais ne sont malheureusement pas lus de tous les maires.

Ma commune est traversée par deux voies départementales très importantes, ainsi qu’une voie ferrée. Elle est donc exposée aux risques chimiques, parmi d’autres risques. Or les élus ne sont pas toujours formés, ni même informés. Le plus souvent, le responsable désigné doit assister à une réunion par an, à laquelle il n’est pas forcément présent. L’AMRF s’attache à mobiliser ses adhérents sur la question du risque.

En tant que maire, j’ai dû faire face à deux événements majeurs touchant mon village. Le 28 novembre 2014, nous avons subi une inondation. Plusieurs personnes ont été secourues grâce au concours des pompiers, que nous devons féliciter. À ce propos, je voudrais mettre le Gouvernement en garde contre tout projet de réorganisation impliquant la fermeture de casernes de pompiers. Une telle décision risquerait de mettre en difficulté des habitants.

Face à un événement, c’est le maire qui porte la responsabilité dans sa commune. Il va de soi que celui-ci ne possède pas forcément les connaissances nécessaires pour gérer une crise. Si certains maires sont ingénieurs, d’autres sont plombiers ou agriculteurs. J’ai eu la chance d’être accompagné par le commandant du service départemental d’incendie et de secours (SDIS).

J’ajoute que nous avons aussi l’obligation de fournir aux pompiers leur repas. C’est un coût supplémentaire, mais lorsqu’il s’agit de sauver des vies, nous savons trouver l’argent nécessaire.

Je vous confirme donc que nous sommes associés aux réflexions sur la sécurité civile. Je constate néanmoins que le problème de communication auprès des mairies perdure. À cet égard, l’organisation de réunions avec les élus, sous la houlette des préfets et sous-préfets, constituerait une initiative intéressante. Cette mesure permettrait de mieux mobiliser les élus.

Par ailleurs, il serait bon que les communes soient aidées sur le plan technique pour l’élaboration des PCS. En outre, il faut impérativement inclure dans la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) une ligne budgétaire dédiée au financement de ces plans. J’appelle de nouveau votre attention sur les capacités budgétaires très limitées des petites communes rurales.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les sapeurs-pompiers, tant volontaires que professionnels, jouent un rôle reconnu dans le modèle français de sécurité civile.

D’après vous, notre dispositif de protection et de sécurité civiles au sens large est-il suffisant, et peut-il répondre aux enjeux présents et à venir ? Nous savons en effet que nous serons confrontés, dans les prochaines années, à des crises majeures.

M. Pierre Pantanella. Je ne suis pas devin… Ce n’est qu’une fois confronté à l’événement que nous découvrons si nous y avons été bien préparés. Pour autant, nous devons commencer par anticiper, évaluer la potentialité des risques et organiser des exercices pour se préparer à répondre au mieux à l’événement.

Que se passera-t-il demain ? Je l’ignore, bien que l’on annonce le retour de la sécheresse à l’avenir. En 2022, déjà, l’Aveyron a été confronté à des épisodes de sécheresse intense, qui ont causé des feux de forêt. Plus de 90 % des feux sont d’origine humaine.

Il faut former et informer les populations, notamment par des campagnes de sensibilisation dans les médias.

J’ai le sentiment que notre capacité de réaction aux différents risques est plutôt satisfaisante. Nous savons tirer le bilan des événements, de manière à en limiter les impacts sur la biodiversité. La démarche globale me paraît relativement positive. Sur le plan opérationnel, notre territoire est plutôt bien équipé. Cette année, nous avons posté des pompiers à même d’intervenir dès la détection de fumées.

En revanche, je ne peux me prononcer sur les événements auxquels nous pourrions être exposés à l’avenir. Nous subirons les premières crises, puis nous nous adapterons. L’expérience fait notre force.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je retiens de votre intervention qu’un effort est à mener sur l’accompagnement des élus, tant pour la formation que pour la mise en œuvre, et sur l’acculturation des populations. Elles doivent être aidées dans leur compréhension des risques et des gestes à suivre en cas de crise majeure.

Le financement de notre modèle de protection et de sécurité civiles repose essentiellement sur les départements et sur une contribution de l’État. Ce dispositif vous paraît-il pertinent ? Les communes rurales sont-elles associées à cet effort financier ?

M. Pierre Pantanella. Les SDIS sont effectivement financés par le département, avec une contribution des communes. À titre d’exemple, ma ville s’acquitte d’une somme de plus de 10 000 euros à ce titre, ce qui n’est pas négligeable.

De mon point de vue, la protection de la population devrait être gérée au niveau national. Auparavant, la taxe d’habitation nous permettait de recueillir une contribution des citoyens à la vie de leur collectivité. Il est regrettable d’avoir retiré ce « droit d’entrée ». En outre, il me semblerait justifié d’accroître la contribution de l’État au financement des SDIS, puisqu’il s’agit d’une problématique nationale. En tout état de cause, il est indispensable de préserver les services publics, essentiels dans la vie de nos concitoyens. Après avoir supprimé une partie de ces services, l’État recrée des structures de type France services. Mieux vaut conserver les services existants, plutôt que de réduire les impôts.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, les associations agréées de sécurité civile sont-elles adaptées aux besoins de l’ensemble des maires ruraux et, si tel n’est pas le cas, comment améliorer ce point ? Tous vos adhérents comprennent-ils le rôle de ces associations et le modèle de sécurité civile ?

M. Pierre Pantanella. Tous les élus n’ont pas connaissance de l’organisation départementale des secours. Ils en connaissent les grands acteurs (les pompiers et les gendarmes notamment), mais ne sont pas toujours informés de l’existence d’autres structures, telles que les associations agréées de sécurité civile. Les élus ne sont pas omniscients, et c’est pourquoi je recommande d’organiser des réunions d’information collectives sur l’organisation territoriale avec les préfets et les sous-préfets.

Cette action gagnerait à être réalisée au lendemain des élections. Étant élu depuis 2000 et maire depuis 2008, je suis désormais familier du fonctionnement des institutions. Mais les nouveaux élus sont souvent déboussolés. Je considère qu’une formation obligatoire des nouveaux maires serait tout à fait justifiée. À côté de la connaissance des institutions, les maires ont besoin d’être formés à l’élaboration d’un budget. Les communes connaissent souvent des difficultés financières en fin d’année, et les collectivités font face au même problème. Une piste à explorer serait la création d’un fonds de solidarité mutualisé entre différentes communes.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, les risques auxquels les communes rurales sont exposées pourraient-ils évoluer au cours des prochaines années, et sont-ils suffisamment anticipés par les pouvoirs publics ? Enfin, constatez-vous des disparités entre territoires dans ce domaine ?

M. Pierre Pantanella. Les maires ruraux ont pour rôle d’éveiller la conscience des autres élus sur les risques qu’ils pourraient avoir à traiter. Dans l’Aveyron, nous avons d’ailleurs organisé des réunions de travail avec nos adhérents sur le risque d’inondation.

Bien entendu, il existe de réelles disparités entre collectivités. Certaines, bien qu’exposées à des risques, n’ont toujours pas établi leur PCS, faute de moyens financiers ou techniques. Les revenus des communes sont aussi très hétérogènes, et c’est bien pour cette raison qu’un plan dédié doit être mis en place, sous l’autorité du préfet, à l’intention des communes en difficulté. Le PCS et le document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim) sont les meilleurs supports sur lesquels une commune peut s’appuyer pour prendre en compte les risques. Mis à disposition de la population, le Dicrim permet aussi d’organiser des réunions publiques et des animations. Je doute que toutes les collectivités remplissent leur obligation d’information bisannuelle de la population sur les risques.

J’ai le sentiment que certaines lois sont élaborées sans écouter les élus de terrain. Je vous remercie donc de m’avoir invité à cette audition et d’entendre, à travers moi, la voix de l’AMRF.

Les maires ruraux rencontrent des problèmes financiers, mais aussi techniques. Dans mon département, nous avons heureusement pu faire appel aux services d’Aveyron Ingénierie. C’est principalement en direction des nouveaux maires qu’il faut concentrer les efforts, notamment pour les former et les informer. Il faut aussi planifier des exercices. Ces actions, qui sont souvent relayées dans les médias, ont un effet d’entraînement sur les autres communes. Par exemple, nous avions réalisé un exercice simulant une collision entre un autocar et un train. Cet événement a suscité des discussions pendant plusieurs mois. En résumé, il existe des leviers pour réduire les disparités entre communes.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Cette mission entend être au plus près des réalités du terrain, qu’elles soient celles d’une grande ville, d’une petite commune ou d’un village.

Pensez-vous que vos collègues ont bien conscience du rôle du maire rural en cas de crise ? Trouvent-ils leur place dans le dispositif de protection et de sécurité civiles ? Si ce n’est pas le cas, quels seraient, d’après vous, les axes d’amélioration pour mieux faire connaître le rôle du maire auprès des communes adhérentes ?

M. Pierre Pantanella. Il est difficile de répondre à ces questions, car tout dépend du risque. Nous pouvons nous appuyer sur des professionnels de grande qualité. Face à un feu, le maire doit laisser les personnes compétentes intervenir – en l’occurrence, les sapeurs-pompiers. Face à une inondation, en revanche, le maire remplit un rôle de protection. Il condamne les routes inondées et ferme les espaces menacés. À Saint-Rome-de-Cernon, nous avons été pris de court par les inondations, car nous n’avons été alertés qu’à midi, alors que la crue avait débuté dès 8 heures.

Notre rôle est défini dans le PCS. Pour autant, il est essentiel que les élus participent à des exercices pour identifier toutes les difficultés potentielles.

Notre intervention est plus ou moins pertinente selon le type de risque. D’après le PCS, le maire est le chef des opérations. En réalité, nous ne sommes pas les acteurs les plus compétents dans le domaine de la protection. Dans la pratique, nous n’avons pas de mal à laisser les personnes compétentes faire leur travail.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous faites référence à la difficulté pour les maires de distinguer les responsabilités de directeur des opérations de secours de celles du commandant des opérations de secours.

À présent, je souhaiterais vous interroger sur les réserves communales de sécurité civile. Avez-vous connaissance de ce dispositif ? Quels en sont, d’après vous, les avantages et les inconvénients ?

M. Pierre Pantanella. J’ai eu connaissance de ce dispositif, mais je ne crois pas que ce sujet ait déjà été soulevé dans nos réunions de bureau ou avec nos adhérents. Je ne suis pas certain que beaucoup d’entre eux aient connaissance des réserves communales de sécurité civile.

Lorsque ma commune a dû affronter les inondations, de nombreuses personnes sont venues porter secours aux sinistrés. Aussi ronchons soient-ils, les Français sont solidaires – et les Aveyronnais peut-être davantage ! En cas de problème, nous pouvons compter sur cette solidarité. La réserve de volontaires se constitue donc tout naturellement, sans être forcément identifiée et numérotée. Il y aura toujours plus de personnes solidaires que de volontaires inscrits sur cette liste. D’ailleurs, je ne connais pas le rôle exact de ces équipes de réserve. La solidarité française me paraît beaucoup plus importante.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez raison de parler de solidarité, notamment dans le monde rural, qui sait faire preuve d’une certaine force dans les épisodes difficiles. Les réserves communales, placées sous l’égide du maire, sont implantées au plus près du terrain. De ce fait, elles peuvent aider à structurer la réponse au moment de la crise. C’est pourquoi j’ai voulu connaître votre avis sur ce dispositif.

J’ai noté que vous relevez une différence significative entre la préparation des anciens élus, avantagés par leurs expériences, leur vécu et leurs connaissances, et celle des jeunes élus, qui apprendront à gérer les crises lorsqu’elles se présenteront. Était-ce bien le sens de votre propos ?

M. Pierre Pantanella. C’est tout à fait cela. J’observe un manque de formation chez les jeunes élus. J’ai effectivement une certaine expérience liée aux crises que j’ai été amené à gérer. En résumé, rien ne vaut l’information, la formation et l’exercice pour apprendre à mieux réagir face aux difficultés. Celles-ci sont pour l’instant épisodiques, mais leur fréquence va s’accentuer. L’épisode de chaleur inhabituel que nous traversons en plein mois d’octobre laisse craindre le pire. Aujourd’hui, le changement climatique est une réalité incontestable. Vous avez parfaitement raison d’engager une réflexion nationale sur ces problèmes et de tenter d’identifier des solutions. Ces dernières peuvent être nationales, mais leur application au niveau local sera forcément diversifiée. Je crois qu’il faut laisser aux autorités locales telles que le préfet et le sous-préfet la possibilité de déroger à la règle nationale pour s’adapter aux spécificités locales et gagner en efficacité. L’efficacité me paraît prioritaire à l’application uniforme des lois. Il faut donc autoriser les aménagements locaux adaptés à la réalité locale.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour vos réponses extrêmement riches. Je voudrais vous poser une dernière question, en lien avec vos remarques sur les préfets et les sous-préfets. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont vos relations avec les services de l’État, notamment les préfectures et les sous-préfectures, sur la question spécifique du risque et de la sécurité civile ? Vous avez évoqué l’importance des exercices, et les préfectures peuvent être à l’origine de cette démarche. Cette situation s’est-elle déjà présentée dans votre commune ?

M. Pierre Pantanella. L’AMRF participe à des rencontres départementales, sous l’égide du préfet. Dans ma commune, un exercice simulant un accident lié à la collision entre un train et un bus a été organisé en associant le SDIS, la préfecture et la mairie.

Il pourrait être intéressant que la préfecture alerte les communes pour les inciter à réaliser des exercices. Ces derniers perdent de leur sens si leur programmation est entièrement connue à l’avance. Je pense que la participation des préfectures et des sous-préfectures à ces exercices serait tout à fait profitable. Je crois me souvenir que l’AMRF avait d’ailleurs présenté une contribution écrite relative à l’élaboration des PCS. Si cette information est confirmée, nous ne manquerons pas de vous transmettre ce document à l’issue de l’audition.

Mme Catherine Leone, chargée de mission à l’AMRF. Notre association a effectivement rédigé une contribution écrite sur les modalités d’élaboration des PCS. Celle-ci reprend les explications de Pierre Pantanella. Elle recommande aussi que les sites d’information contenant les modèles de PCS soient davantage portés à la connaissance des élus. L’AMRF veille déjà à diffuser ces modèles, mais il est préférable de doubler les canaux d’information. Je vous ferai parvenir ce document.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup. Si vous le souhaitez, vous avez aussi la possibilité de nous adresser une contribution écrite complémentaire, notamment si certains points ne vous semblent pas avoir été suffisamment approfondis aux cours de nos riches échanges de ce matin.

Nous pourrons par ailleurs vous transmettre le rapport de notre mission. Je vous remercie de vous être rendus disponibles.


M. François-Xavier Fort, enseignant-chercheur

Compte rendu de l’audition de M. François-Xavier Fort, enseignant-chercheur en droit public à l’Université de Montpellier
(jeudi 5 octobre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Bonjour, monsieur Fort. Nous vous accueillons pour cette deuxième audition de la matinée, et nous inaugurons avec vous un nouveau cycle de nos travaux. Dans les semaines à venir, nous convierons en effet des chercheurs et universitaires spécialisés dans les sujets intéressant directement notre mission d’information.

Au cours du premier cycle d’auditions, nous avons entendu de nombreuses associations nationales d’élus, dont les témoignages et expertises ont apporté des éclairages essentiels sur notre modèle de sécurité civile. Ces échanges nous ont d’ores et déjà permis d’identifier nos points forts et nos défaillances, et de dégager des pistes d’amélioration. Dans les prochains mois, nous continuerons à explorer toutes les dimensions de ce sujet crucial, en entendant l’ensemble des acteurs intéressés. Nous ouvrirons ultérieurement un autre cycle consacré aux acteurs de la société civile.

Monsieur François-Xavier Fort, vous êtes enseignant-chercheur en droit public à l’université de Montpellier. Je vous remercie de votre présence. Je suis convaincue que votre expertise en droit public, ainsi que l’ensemble de vos travaux sur le sujet qui nous réunit, enrichira notre compréhension et contribuera à nourrir utilement notre réflexion commune. Nous avons bien noté que vous interviendrez dans le cadre de vos compétences en tant que juriste.

Pour votre information, sachez que notre mission est composée de 25 députés de groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Je précise que notre audition est filmée et consultable sur le site de l’Assemblée nationale. Elle sera également retranscrite sous forme de compte rendu.

Nous espérons que votre audition nous aidera à mieux comprendre l’évolution de notre modèle de sécurité civile et les défis à relever pour renforcer son efficacité. Nous nous efforçons d’identifier ce qui doit être adapté ou consolidé pour mieux réagir aux crises majeures auxquelles nous pourrions être confrontés demain, telles que les catastrophes naturelles ou industrielles. Nous vous invitons à nous faire part le plus librement possible de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système et à nous livrer des suggestions qui pourront contribuer à nos travaux.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pour commencer, je voudrais revenir sur le contexte de cette mission d’information. Avant d’être député, j’ai été sapeur-pompier pendant plus de trente ans, en tant que bénévole puis professionnel. J’ai aussi été premier adjoint d’une commune de 6 000 habitants. De ce fait, j’ai dû faire face à la crise sanitaire et à d’autres difficultés.

Monsieur Fort, pourriez-vous nous présenter brièvement vos travaux relatifs à notre modèle de sécurité civile et les enseignements que vous en avez retirés ?

M. François-Xavier Fort, enseignant-chercheur en droit public à l’université de Montpellier. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie de m’avoir sollicité, car c’est pour moi un honneur de participer à vos travaux.

J’ai eu la chance de diriger une formation de master 2 « droit et gestion de la sécurité civile », en partenariat pendant quelques années avec l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Dans ce cadre, j’accueillais des étudiants en formation initiale, mais aussi des sapeurs-pompiers souhaitant compléter leur formation. Certains d’entre eux avaient le grade de capitaine, d’autres le grade de lieutenant-colonel. J’ai donc pu développer une forme d’expertise dans ce domaine, et j’ai été amené à diriger plusieurs thèses sur la thématique de la sécurité civile dans mon laboratoire de droit public de l’université de Montpellier.

Je vais être aussi bref que possible, de manière à laisser la place aux questions, mais je pourrai vous transmettre une contribution écrite. En tant qu’universitaire, mon indépendance est protégée. Ma personnalité m’incline à être très critique, et certains de mes propos risquent de vous déplaire, mais l’exercice est ainsi fait.

La sécurité civile constitue, à mon sens, une action fondamentale sur le plan social. Elle incombe à la puissance publique, avec pour objectif de protéger les populations contre les multiples risques auxquels elles peuvent être exposées. Cette préoccupation est apparue au XXe siècle. La loi du 8 avril 1935 évoque en effet pour la première fois la notion de défense passive. En 1951, un règlement d’administration publique relatif à l’organisation du ministère de l’intérieur institue une direction de la protection civile. Ce service national de la protection civile perdure jusqu’en 1975. Il est alors remplacé par la direction de la sécurité civile.

Il faut attendre la loi du 22 juillet 1987 pour que la sécurité civile reçoive un statut législatif, consacré par la loi de 2004. En 1987, le législateur se fonde sur les objectifs assignés à la sécurité civile et définit les mesures concourant à la réalisation de ces objectifs – à savoir, la protection des populations.

Il s’agit aujourd’hui d’instituer une protection générale de la population contre les risques de toute nature. La sécurité civile comporte trois missions, qui sont toujours d’actualité :

              la prévention des risques ;

              l’information, l’alerte et la préparation des populations ;

              la mise en œuvre des mesures et moyens de secours appropriés.

Nous vivons aujourd’hui dans une ère de sécurité : celle-ci est une motivation fondamentale de l’organisation de l’État et des pouvoirs publics. Ces derniers ont placé la sécurité, et notamment la sécurité civile, au cœur de leur action.

Il faut dire que l’environnement a beaucoup évolué au cours des cinquante dernières années. Nous sommes confrontés à des mutations globales qui, pour la plupart, ne sont pas achevées. Je pense notamment au risque d’attentat, au contexte international de plus en plus tendu (y compris sur le sol européen), au risque sanitaire, ainsi qu’au réchauffement climatique et à ses multiples conséquences, qui ne sont pas strictement environnementales.

Ainsi, la sécurité civile constitue désormais un enjeu national, voire régional. Jusqu’à une période récente, elle était envisagée uniquement au niveau local. Cette préoccupation a progressivement intégré la question plus large de la sécurité nationale et intérieure. Aujourd’hui, les crises majeures auxquelles nous pouvons faire face touchent à la fois à la sécurité intérieure et à la sécurité civile (risque technologique ou risque naturel).

La sécurité est un droit fondamental pour l’exercice des droits et libertés, et ce principe ne doit jamais être perdu de vue. Il n’existe en réalité qu’une sécurité, même si celle-ci comporte de multiples composantes.

Dans un premier temps, j’expliquerai comment l’organisation de la sécurité civile est partagée. Dans un second temps, je détaillerai les divers instruments permettant de mettre en œuvre la politique de sécurité civile.

La sécurité civile met en jeu de nombreux acteurs publics, intervenant à des niveaux différents. Cette situation est sans doute liée au fait que cette préoccupation, à l’origine locale, est devenue nationale. Chacun sait que notre millefeuille territorial est très critiqué pour sa lourdeur. Or, en matière de sécurité civile, les acteurs sont peu nombreux : le maire, d’une part, et la chaîne étatique, d’autre part.

Depuis 1884, le maire est une autorité de police, en charge de la sécurité, de la tranquillité, de la salubrité publique et de l’ordre. En cas d’aléa, il devient directeur des opérations de secours. Il se voit investi d’un pouvoir de police élargi, même si, en pratique, ce sont les sapeurs-pompiers qui commandent les opérations de secours.

Quant à la chaîne étatique, elle est beaucoup plus complexe, puisqu’elle va du préfet au Président de la République. Cela signifie que l’État est le garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la doctrine et coordonne les moyens.

Le préfet intervient lorsque l’incident dépasse la limite d’une commune, et s’étend sur deux communes au moins. Toutefois, cette capacité a été élargie : désormais, lorsqu’un risque est susceptible de dépasser les limites ou capacités d’une commune, le préfet peut se substituer au maire. Cette subtilité traduit une volonté de renforcer l’action de l’État. Au-dessus du préfet, le préfet de zone détient des pouvoirs assez larges.

Vient ensuite l’organisation centrale, composée de plusieurs entités. Tout d’abord, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, rattachée au ministère de l’intérieur, agit sous l’autorité du ministre de l’intérieur. Ensuite, le Premier ministre, conformément à l’article 20 de la Constitution, est lui aussi habilité à agir. En vertu du code de la défense, le Premier ministre « prépare et coordonne l’action des pouvoirs publics en cas de crise majeure ». La circulaire du ministre de l’intérieur du 26 septembre 2023 précise : « Pour la gestion des crises, les responsabilités sont dévolues au Premier ministre, en liaison avec le Président de la République. » Enfin, le Président de la République préside le Conseil de défense et de sécurité nationale.

S’agissant des moyens mis en œuvre, le premier acteur est le service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Son rôle a été confirmé et pérennisé par la loi de 1996. Les premiers appelés en cas de crise sont les sapeurs-pompiers. L’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales assigne au SDIS quatre missions : la prévention ; la préparation des mesures de sauvegarde ; la protection des personnes ; le secours, les soins d’urgence et l’évacuation. En matière de sécurité civile, le volontariat joue un rôle essentiel. Il existe en France 42 000 sapeurs-pompiers professionnels, mais ils ne représentent que 17 % de l’ensemble des sapeurs-pompiers. Il s’ensuit que la réponse à un événement de sécurité civile repose essentiellement sur le volontariat. Or, ce dernier n’est pas toujours bien considéré par les pouvoirs publics.

Une concurrence a émergé dans le volontariat avec la création de réserves multiples : à côté de la réserve militaire, il existe la réserve de la police nationale, la réserve de la gendarmerie, ou encore les réserves communales. Ces différentes réserves sont constituées de bénévoles, et même si certains d’entre eux peuvent être rétribués, ils sont animés avant tout par la volonté de servir.

En cas de crise majeure, toutes ces réserves seront mobilisées, ce qui pourrait poser des problèmes de coordination. De plus, nous constatons un phénomène de tension, car les volontaires ne peuvent pas appartenir à toutes les réserves. Ce point mérite réflexion. J’ajoute qu’une crise majeure impliquerait de nombreux autres acteurs : les secours médicaux tels que le Samu, les associations agréées de sécurité civile, la gendarmerie, la police nationale, éventuellement l’armée et les polices municipales. Il faut aussi se demander si, dans ce contexte, la sécurité privée pourrait être sollicitée. La réponse doit être graduelle.

Il existe de nombreux documents ou instruments juridiques organisant la sécurité civile. Ils permettent de recenser les risques et d’organiser les réponses en cas de réalisation de l’aléa, qu’il s’agisse d’un accident majeur ou d’une catastrophe. Il convient de distinguer deux catégories d’instrument : les instruments de planification, d’une part, et les instruments négociés relevant de la logique contractuelle, d’autre part.

Parmi les instruments de planification figure le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques. Ce dernier structure l’action des SDIS au niveau départemental, recense les risques et définit l’organisation de la réponse en cas de réalisation de ces risques. Les SDIS effectuent un véritable travail d’investigation sur le risque lui-même, mais aussi sur la conception de la réponse. La grande qualité de ce travail mérite d’être saluée.

Autre instrument de planification, le dossier départemental des risques majeurs s’inscrit dans une logique d’information préventive. Élaboré par les services de l’État, il vise à décrire les risques et leurs conséquences prévisibles.

Il existe aussi les plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde, ainsi que les multiples « plans réponses » élaborés par l’État. Ces derniers formalisent les opérations de secours susceptibles d’être mises en œuvre en cas de réalisation de l’aléa. Le plus connu est le plan d’organisation de la réponse de la sécurité civile, dit plan ORSEC, instauré au début des années 1950. Ce plan ORSEC a intégré les anciens plans rouges, aujourd’hui qualifiés de plans ORSEC Novi (nombreuses victimes). Il faut aussi mentionner les plans particuliers d’intervention, qui constituent un volet du plan ORSEC consacré à des établissements particuliers. Pour sa part, le plan Blanc est élaboré par chaque établissement. Quant au plan Bleu, il est apparu à la suite de la canicule de 2003, et tout établissement social ou médico-social se doit d’élaborer le sien. Enfin, les contrats territoriaux de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (Cotrrim) sont des instruments négociés. Mis en œuvre à titre expérimental en 2015, ils ont été consacrés par la loi de 2021. Ils associent, à l’initiative des représentants de l’État, tous les acteurs publics et privés concernés. Ils peuvent aboutir à l’établissement de pactes capacitaires, conclus entre l’État, les SDIS et les collectivités territoriales. Ils ont pour objectif de répondre aux fragilités capacitaires face à certains risques.

Pour conclure, je pense que les progrès à accomplir portent d’abord sur la rationalisation de la réponse, mais aussi sur l’information et la participation du public et des usagers. Nous constatons, en effet, que l’information sur les risques liés à la sécurité civile est très peu diffusée par les pouvoirs publics. Il faut aussi replacer le citoyen au cœur de la politique de sécurité civile, car il est le grand absent du dispositif. Je plaide pour une association plus large de la population, de manière à ce que la sécurité civile soit l’affaire de tous.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie pour la clarté de vos propos. Vous avez souligné l’importance du rôle du citoyen. Estimez-vous toutefois que le système existant est en capacité de répondre aux besoins futurs en matière de sécurité et de protection civiles ?

M. François-Xavier Fort. Pour préparer cette audition, j’ai sollicité différentes connaissances, notamment des sapeurs-pompiers. Tous m’ont apporté la même réponse, à savoir qu’ils savent faire ce qu’ils ont appris à faire. Il y a trois ans, nous avons réussi à faire face à la pandémie, qui était une crise majeure. Nous avons su mobiliser tous les acteurs, qui ont répondu présents, malgré des moyens parfois insuffisants. En dépit du plan Blanc, les hôpitaux ont été rapidement saturés, au point de devoir suspendre toutes les opérations chirurgicales. Je pense que nous pouvons compter sur les SDIS, qui possèdent une véritable expertise en la matière. Tout dépend de l’ampleur du phénomène et de sa localisation.

Jusqu’à présent, les moyens disponibles ont été suffisants. Cependant, face à certains incidents, les ressources humaines sont limitées. Je pense par exemple aux feux de forêt de l’été 2022. Mais comme le disent de nombreux sapeurs-pompiers, le feu finit par s’éteindre quand il n’y a plus rien à brûler.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, de quelle manière le changement climatique et l’évolution des modes de vie (en termes de vieillissement, d’urbanisation ou de mobilité) peuvent-ils conduire à une évolution des catastrophes auxquelles notre système de sécurité et de protection civiles devra faire face ?

M. François-Xavier Fort. Nous aurons à affronter des défis majeurs. Pour commencer, l’augmentation des températures entraîne une raréfaction de la ressource en eau. Elle a aussi des incidences sur notre habitat, qui n’est pas prévu pour cela. Il nous faudra évaluer les conséquences de ces changements. Par exemple, comment pourrons-nous éteindre les incendies si la ressource en eau diminue ? Certaines régions pourraient être confrontées à un manque d’eau potable. Ces catastrophes auront des impacts directs sur notre mode de vie.

La réponse à ces défis nécessite un travail de grande ampleur, qui n’en est encore qu’à ses prémices. Le fait est que nous n’avons pas identifié les conséquences des différents phénomènes en jeu, à commencer par le réchauffement climatique.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pensez-vous que les différentes crises, qu’elles soient sanitaires, technologiques, environnementales ou liées à des attaques terroristes, puissent être appréhendées au travers d’une même réflexion et d’une même réponse ?

M. François-Xavier Fort. De mon point de vue, d’une façon générale la réponse à ces différentes crises doit être la même. J’ai été très surpris de constater, lors de la pandémie, que l’ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics ont été respectées par une très grande majorité de la population, à la fois chez les acteurs et chez les citoyens. Cet exemple montre que nous pouvons compter sur leur civisme.

Il va de soi que la réponse concrète donnée à une crise sanitaire ne peut être identique à celle apportée à un attentat localisé ou à un feu de forêt gigantesque. Les moyens mobilisés varient également en conséquence. Dans le cas d’un attentat, la difficulté tient à la capacité à porter secours aux victimes et à les évacuer vers des structures hospitalières, avec une mobilisation concentrée sur un même lieu. En l’espèce, il faudrait peut-être affiner les plans existants.

Pour ce qui est d’un feu de forêt, la réponse est d’autant plus efficace qu’elle est rapide. Cela n’est cependant pas toujours possible, car les forces des sapeurs-pompiers dépendent de la population présente sur le territoire. Par conséquent, il est plus difficile d’élaborer une réponse proportionnée à la crise dans des zones rurales ou peu peuplées.

Il existe une profusion d’instruments, mais il serait judicieux de se doter d’un document de référence unique pour l’ensemble des acteurs. Un travail de rationalisation doit aussi être mené pour limiter le nombre de documents communs à l’ensemble des acteurs, tant en termes de prévision et d’identification des risques qu’en termes de réponse.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué à plusieurs reprises les sapeurs-pompiers, qui sont les premiers acteurs à intervenir lors d’événements touchant à la sécurité civile. En revanche, vous avez parlé assez peu des associations agréées de sécurité civile. Il me semble pourtant qu’elles occupent un rôle important dans le dispositif. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?

M. François-Xavier Fort. Les associations agréées de sécurité civile exercent un rôle et sont mobilisées lors d’événements de grande ampleur, réunissant de grandes populations. Cependant, les premiers acteurs appelés lors des catastrophes sont les sapeurs-pompiers. Les associations de sécurité civile, voire l’armée, sont sollicitées lorsque l’événement dépasse les capacités des services d’incendie ou de secours. Ces associations ne peuvent être considérées comme une force d’appoint, mais elles ne sont pas les premières sollicitées.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, les compétences des associations agréées sont-elles claires et pertinentes ? À défaut, comment pourrions-nous les améliorer ?

M. François-Xavier Fort. En cas d’événement grave, un directeur des opérations de secours et un commandant des opérations de secours sont nommés. Tous les acteurs se rangent sous la bannière de l’autorité désignée.

Au cours des deux dernières décennies, la formation des sapeurs-pompiers a connu une montée en compétences notable, à la fois pour les professionnels et pour les volontaires. C’est une évolution normale, car les formations sont financées par la puissance publique, et visent un haut degré d’expertise.

Les associations agréées de sécurité civile ne possèdent pas les mêmes moyens. Elles ne possèdent donc pas les mêmes compétences que les sapeurs-pompiers. Toutefois, dès lors que ces associations se trouvent placées sous l’autorité opérationnelle du commandant de secours, cette organisation fonctionne bien. N’étant pas présent lors des opérations, je ne connais pas les modalités opérationnelles de manière détaillée.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez mentionné la loi de 1987 et la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004. Je citerai également la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser l’engagement des sapeurs-pompiers et des sapeurs-pompiers professionnels. Ces mesures vous paraissent-elles suffisantes, ou faut-il aller plus loin dans le développement du volontariat ?

M. François-Xavier Fort. C’est un risque à prendre. J’observe qu’il y a de la bonne volonté. Force est de constater, néanmoins, qu’il est extrêmement difficile pour certains de conjuguer leur vie professionnelle et leur volontariat. À cet égard, la loi du 25 novembre 2021 marque une volonté vertueuse d’aller plus loin. Par ailleurs, la loi de 2023 ouvre deux perspectives sur la sécurité civile, avec la multiplication des exercices et la culture du risque. Le législateur, le Gouvernement et les pouvoirs publics ont pris conscience que nous pouvions être de plus en plus exposés aux risques.

Si l’on ne souhaite pas accroître la masse des fonctionnaires, il faudra donc développer le volontariat. Ce modèle finira tout de même par trouver ses limites, comme en témoignent l’augmentation du nombre de contentieux et les difficultés croissantes au sein des SDIS. Dans ces conditions, il convient de s’interroger sur les limites du recours au volontariat, sachant que 17 % seulement des sapeurs-pompiers sont professionnels. De surcroît, les volontaires n’ont évidemment pas la même disponibilité qu’un professionnel. En cas d’événement majeur, la réponse sera donc plus limitée si elle repose davantage sur les volontaires que sur les professionnels.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, existe-t-il dans d’autres pays des modèles de protection et de sécurité civiles dont nous devrions nous inspirer ? Sont-ils transposables en France ? À l’inverse, quels seraient les écueils à éviter, à la lumière des risques auxquels d’autres pays ont été exposés ?

M. François-Xavier Fort. Le droit comparé nous enseigne qu’il faut être très prudent dans l’exercice de transposition. Chaque pays possède sa propre histoire, et chaque organisation administrative est singulière et spécifique à un pays. Prenons l’exemple de l’Espagne. Dans ce pays, l’État remplit une mission de cohérence. Les villes de plus de 20 000 habitants disposent de leurs propres forces. Dans les villes plus petites, la compétence est gérée par les communautés autonomes. Vu depuis la France, ce système peut paraître incongru. Lorsqu’il est question de transposition d’un modèle d’un État à l’autre, les plus grandes précautions sont de rigueur.

Il serait intéressant de développer la coopération entre États, notamment sur les zones frontalières. Ainsi, dans les Pyrénées orientales, un hôpital transfrontalier a été construit. Il accueille des patients français et espagnols, et reçoit des secours de France et d’Espagne. Notre système est certes perfectible, mais il en est de même des autres systèmes.

Dès 2001, l’Union européenne avait engagé des réflexions sur une coopération entre États membres en matière de sécurité civile. Malheureusement, ces derniers ne se sont pas vraiment emparés de cette proposition, car la sécurité touche à leur souveraineté. C’est pourquoi les États sont assez réticents à l’idée de partager cette compétence. Je suis d’avis que ces réserves doivent être dépassées, car les catastrophes environnementales, sanitaires ou technologiques ne connaissent pas les frontières. La réponse aux nouveaux défis doit être construite de manière collective, puisque tous les États européens sont confrontés aux mêmes problématiques.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Souhaitez-vous aborder d’autres points ou compléter certains propos ?

M. François-Xavier Fort. L’amélioration du dispositif passe par un travail de simplification et par le développement du contrat. Les Cotrrim et les pactes capacitaires sont des instruments intéressants, dans la mesure où ils associent une multiplicité d’acteurs. Ils facilitent le partage d’expertise et la construction concertée de la réponse. Cette piste mérite d’être approfondie.

L’autre orientation à explorer consiste à faire participer les citoyens à l’identification des risques, par exemple le risque avalanche en montagne ou le risque de submersion maritime. Alors que les personnes vivant sur place connaissent bien les risques sur leur territoire, un ingénieur envoyé par l’État, malgré toute son expertise, n’est pas à l’abri d’un oubli. Il est essentiel de mutualiser la connaissance, à la fois pour l’identification du risque et pour la construction de la réponse. Celle-ci doit être construite avec le citoyen, qui est quelque peu délaissé dans le domaine de la sécurité civile.

Il me semble que ces pistes n’ont pas été suffisamment explorées.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour votre intervention, très claire et riche. N’hésitez pas à nous adresser une contribution écrite. Notre rapport devrait être publié autour du printemps 2024.

M. François-Xavier Fort. Merci beaucoup de votre attention. J’ai été honoré de vous exposer mes réflexions sur ce sujet.


M. Érik de Soir, Docteur en psychologie

Compte rendu de l’audition de M. Érik de Soir, docteur en psychologie, membre de l’Association européenne de psychologie des sapeurs-pompiers
(jeudi 5 octobre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette troisième audition vient clôturer notre session matinale. Monsieur de Soir, vous êtes docteur en psychologie et psychotraumatologie. Votre expertise dans la gestion des traumatismes et des situations de crise nous permettra de mieux comprendre les aspects psychologiques, et somme toute l’humanité, sur lesquels repose notre modèle de sécurité civile. Je vous remercie de votre engagement et de votre disponibilité pour participer à nos travaux.

Je précise que notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur le député Didier Lemaire. Votre audition est filmée, consultable sur le site de l’Assemblée nationale, et fera l’objet d’un compte rendu.

Notre objectif consiste à cerner le fonctionnement de notre système de sécurité civile dans ses diverses dimensions. Nous souhaitons identifier les aspects à adapter, renforcer et améliorer pour être en mesure de mieux réagir à toutes les crises majeures auxquelles nous pourrions être confrontés demain : catastrophes naturelles et industrielles, crises sanitaires, crises sécuritaires. Nous devons nous appuyer sur les expériences passées pour en retirer des enseignements utiles. Nous vous invitons à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système de protection et de sécurité civiles, et à nous livrer toute suggestion susceptible de contribuer à nos travaux. Nous sommes convaincus que vos analyses aideront à faire progresser notre organisation, au bénéfice de tous nos concitoyennes et concitoyens.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Monsieur de Soir, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation et accepté d’être auditionné.

Permettez-moi, tout d’abord, de vous exposer les motifs de ma demande de mission d’information, déposée au nom de mon groupe Horizons. J’ai été sapeur-pompier volontaire puis professionnel pendant plus de trente ans, mais aussi adjoint au maire d’une ville de près de 6 000 habitants. J’ai donc pu appréhender selon ces deux perspectives la gestion d’une crise sanitaire et d’autres situations difficiles.

J’aimerais que vous nous exposiez les principaux enseignements que vous avez tirés de vos recherches sur les modèles de sécurité civile.

M. Érik de Soir, docteur en psychologie, membre de l’Association européenne de psychologie sapeur-pompier (AEPSP). Je vous remercie pour votre invitation. C’est la deuxième fois que je suis convié dans le cadre de travaux parlementaires.

L’année 2023 revêt une importance particulière pour nous, car elle marque à la fois le trentième anniversaire de l’équipe belge d’aide collégiale pour les sapeurs-pompiers et le vingtième anniversaire de l’Association européenne des psychologues sapeurs-pompiers (devenue ensuite Association européenne de psychologie sapeur-pompier). Ces deux structures ont posé en Europe les fondations d’un modèle d’aide collégial pour les sapeurs-pompiers et pour toutes les catégories de sinistrés.

Mon travail avec les collègues sapeurs-pompiers français a débuté dans le département du Nord, dans le poste de Villeneuve-d’Ascq. Notre collaboration a donné lieu à la création d’un concept désormais connu sous le nom d’« unité de soutien psychologique pour les pompiers ».

Je constate qu’en France, le travail de soutien psychosocial et d’encadrement psychologique, avec une approche pluridisciplinaire, demeure assez difficile. Les relations entre les cinq principales disciplines – le repérage et le sauvetage des victimes, l’aide médicale et le secours sanitaire, les forces de l’ordre, la logistique et l’implication de l’armée, l’information du public – ne sont pas toujours bonnes.

La première discipline concerne essentiellement les pompiers, tandis que la deuxième implique les services de secours médicaux et les services d’ambulance. La troisième discipline mobilise surtout la police et la gendarmerie. Pour sa part, la quatrième discipline intéresse la protection civile et, en Belgique, l’armée (pour l’approvisionnement en matériel lourd). Enfin, la cinquième discipline fait intervenir les acteurs participant à l’information du grand public.

Lorsque j’ai commencé à travailler en France, dans des activités d’intervention de secours, de supervision ou de formation, j’ai découvert que l’accès des psychologues français à la littérature internationale était compliqué. De fait, peu d’entre eux maîtrisaient l’anglais. Il m’est donc souvent arrivé de défendre des positions promues par des sources internationales, mais peu connues en France. En France, la psychiatrie a longtemps été herméneutique, sous l’influence de psychiatres peu enclins à mener des recherches empiriques.

J’ai été confronté au même problème lorsque j’ai travaillé avec les forces armées. Dans l’armée, les psychologues étaient autrefois appelés « officiers d’environnement humain » pour éviter de les nommer. Nous avons connu une situation comparable en Belgique, quand notre pays a décidé d’envoyer des psychologues en mission humanitaire. Ils étaient dénommés « conseillers en opérationnalité mentale ».

Le premier enseignement essentiel, d’après moi, réside dans l’importance de la recherche empirique. Après tout événement majeur ou catastrophe de type plan Rouge, il convient de constituer immédiatement un comité d’experts en urgence médico-psychologique, chargé d’élaborer un modèle de suivi pour les victimes, les familles des victimes et les intervenants. C’est, à mon sens, la première recommandation à suivre. J’observe en effet qu’il y a beaucoup d’improvisation dans les premières heures et les premiers jours après la catastrophe. Pour prendre un exemple, la ville de Venise a récemment connu un terrible accident d’autocar : le véhicule a fait une chute d’une quinzaine de mètres, causant la mort de plus de vingt personnes. Dans un tel contexte, je conseillerais de réunir des experts reconnus, sélectionnés selon de solides critères, tels que la rédaction et la publication de travaux scientifiques. Le comité d’experts se voit confier la mission de dresser l’inventaire des recherches scientifiques consacrées à l’accompagnement de sinistrés dans le même type d’accident. À la lumière de ces travaux, il lui est demandé d’élaborer un modèle de suivi.

En 2012, la Belgique a connu, elle aussi, un accident d’autocar dramatique. Celui-ci transportait des enfants belges et néerlandais et a heurté de plein fouet une paroi d’un tunnel, à Sierre, ville suisse. Un collègue norvégien m’a immédiatement envoyé sa thèse de doctorat, qui portait sur un accident similaire survenu dans son pays. J’ai proposé aux dirigeants des services d’intervention et aux politiques de s’inspirer de ce travail, mais personne n’a voulu m’entendre. Après quatre ans, les actions menées dans le cadre de l’accompagnement psychologique de cet accident ont été reconsidérées comme un contre-exemple des décisions à prendre dans pareil contexte. Des groupes de victimes ont pris la parole dans la presse suisse, belge et néerlandaise pour exprimer leur mécontentement. Cette erreur est d’autant plus dommageable qu’il aurait été possible d’accomplir un travail exemplaire.

En cas d’événement majeur, il convient de s’appuyer sur un plan d’intervention préétabli au lieu de rechercher un mandat d’intervention psychologique et d’encadrement psychosocial. J’ajouterai que, dans de telles circonstances, l’aide ne doit en aucun cas être commercialisée. En effet, en France comme en Belgique, certains collègues proposent leurs services, après une catastrophe, à un prix très élevé.

En ce qui me concerne, je suis intervenu dans diverses situations de catastrophe. La première s’est déroulée en 1994-1995, suite à un incendie dans un grand hôtel d’Anvers ayant entraîné seize décès. J’ai été sollicité dans d’autres catastrophes, tant en Belgique qu’à l’étranger. J’ai aussi été impliqué dans l’accompagnement et la supervision de collègues lors d’attentats terroristes en France et en Tunisie.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci pour vos propos introductifs. En tant que membre d’une association européenne, vous disposez d’une vision d’ensemble sur les modèles de sécurité et de protection civiles en vigueur dans les différents pays. Quel est votre regard sur le modèle français ?

M. Érik de Soir. Le point fort du modèle français tient aux textes et référentiels, qui sont très détaillés. Les structures d’intervention françaises sont rapidement mobilisables et de nombreux corps en uniforme conservent un esprit assez militaire, voire militariste. Ces structures présentent donc une bonne discipline. En France, l’attitude militaire facilite le commandement ; ce dernier est parfois rigide, mais clair et bien structuré.

Le point faible du modèle français concerne la difficulté à faire face à une catastrophe potentielle avec des sinistrés de différentes langues. Par contraste, chaque Belge parle couramment quatre langues, ce qui simplifie la communication en cas d’accident touchant des personnes d’autres pays d’Europe. Il est primordial qu’à l’échelle de l’Europe, le système de protection et de sécurité civiles dispose d’un réseau de personnes ressources de référence, connues à l’avance. Trouver le bon interlocuteur dans un autre pays et entrer en contact avec lui est toujours délicat. Les centres de crise rattachés au ministère de l’Europe et des affaires étrangères disposent d’intervenants mobilisables, mais ces derniers n’ont pas toujours une bonne connaissance de la gestion des crises. Ainsi, lorsqu’un accident fait des victimes appartenant à dix pays différents, il est très compliqué de trouver, dans chacun de ces pays, la personne à contacter pour activer le plan catastrophe et les plans de contingence.

Si le système français paraît bien organisé en théorie, je doute que la rapidité d’activation soit équivalente dans tous les départements. La qualité et l’expérience des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) sur l’ensemble du territoire sont très disparates. Les ressources en zone rurale sont bien plus limitées que dans les grandes villes, ce qui est normal dans un grand pays tel que la France. Toutefois, j’ai le sentiment qu’une certaine rivalité perdure dans les grandes villes, entre les différents acteurs amenés à travailler ensemble. Je l’ai d’ailleurs constaté lors des attentats terroristes : certains professionnels voulaient être les premiers présents auprès des victimes.

Les attentats terroristes à l’aéroport de Bruxelles ont confirmé l’importance d’une approche pluridisciplinaire. En effet, les forces de police, les forces de l’ordre et l’armée belges n’avaient jamais eu l’occasion de travailler ensemble sur des événements de cette ampleur. Un inspecteur de police ayant trouvé un chargeur de fusil militaire avait ainsi lancé l’alerte, croyant qu’il s’agissait d’un chargeur de kalachnikov. Le peloton militaire qui patrouillait à l’aéroport revenait du Mali, où il avait assuré la protection des troupes françaises. Il a observé une réaction tout à fait appropriée à l’événement. Ce fait montre que les attitudes des policiers étaient très différentes de celles des militaires.

Pour améliorer la prise en charge des événements majeurs, il faut donc s’attacher à impliquer les différentes disciplines (services de secours, secours médicaux, pompiers, armée et police) dès la formation et les faire travailler ensemble. Ces services doivent être placés dans des situations de simulation très réalistes et être entraînés de manière collective.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pouvez-vous revenir sur les effets psychologiques des accidents ou catastrophes sur les sapeurs-pompiers, tels que l’état de choc, la dépression ou encore le burn-out ?

Par ailleurs, il existe en France des associations agréées de sécurité civile, qui interviennent également en cas de crise majeure. D’après vous, est-il envisageable de les associer aux actions d’accompagnement psychologique, dans la mesure où elles peuvent être exposées aux mêmes chocs que les sapeurs-pompiers, les gendarmes et les policiers ?

M. Érik de Soir. Mes propres recherches et les travaux de collègues de l’université de Liège et des Pays-Bas montrent que la prévalence de l’état de stress ou du syndrome de stress post-traumatique chez les pompiers est comparable à celle constatée chez les policiers. Cette prévalence est estimée entre 8 et 10 % du public total, soit une personne sur dix. Cependant, le taux de suicide est trois fois plus élevé chez les agents de police que chez les pompiers, sans doute parce que l’autorisation du port d’arme facilite le passage à l’acte chez les policiers. D’après une récente étude menée en Belgique, 8,74 % des 8 700 policiers composant l’échantillon présentent un syndrome de stress post-traumatique. Pour autant, ce résultat n’est pas nécessairement la conséquence du métier exercé par les pompiers, les agents de sécurité civile ou les pompiers. De fait, nous n’avons aucune connaissance sur la santé mentale des agents de sécurité civile à leur entrée en formation. À titre de comparaison, je rappelle toutefois qu’à l’échelle de toute l’Europe, on estime qu’entre une femme sur quatre et une femme sur cinq a subi des violences sexuelles.

Dans ma thèse de doctorat, soutenue il y a une dizaine d’années, j’ai établi que l’un des facteurs prédicteurs des états de choc et de stress post-traumatique, parmi les pompiers et les ambulanciers, est la dissociation péritraumatique. Celle-ci renvoie aux états de choc subis en situation d’intervention, et se manifeste par des phénomènes tels que la double conscience, la dépersonnalisation ou la déréalisation. Ces états, qui permettent de rester fonctionnels en situation d’intervention, aggravent par la suite le cheminement post-traumatique. Le manque d’aide et le manque de satisfaction envers l’aide reçue sont aussi des prédicteurs importants. J’ai pu montrer que le soutien social et psychologique de l’environnement des personnes concernées est essentiel. Néanmoins, des études conduites aux Pays-Bas ont relevé que ces différents prédicteurs s’effaceraient dans les modèles statistiques à condition de disposer d’une mesure spécifique, à savoir l’état de santé mentale de l’individu avant l’événement.

Sur la base de ces travaux, je formulerai la recommandation suivante. Les aspirants pompiers et policiers, dès leur admission, devraient faire l’objet d’une évaluation de santé mentale. L’objectif n’est pas de sélectionner, mais bien de dépister – c’est-à-dire de mesurer pour mieux accompagner par la suite. Cette action nous permettrait d’améliorer la résilience des aspirants pompiers et policiers dès leur parcours de formation, avant de les envoyer sur le terrain.

De nombreux pays d’Europe se sont dotés de lois sur la prévention du burn-out. L’employeur est tenu de prendre des mesures préventives contre ce syndrome. En réalité, je crois que le burn-out est surtout lié à des antécédents non connus de la vie personnelle des agents avant leur intervention sur le terrain. Encore une fois, il me paraît judicieux d’opter pour une approche préventive et de commencer par évaluer la santé mentale des aspirants pompiers et policiers, avant de les former et de les envoyer sur le terrain.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Si je comprends bien, les aspects psychologiques doivent être pris en compte avant l’engagement de ces personnels, dès leur formation.

M. Érik de Soir. Exactement. Il convient effectivement de prévoir des mesures durant la formation. Permettez-moi de vous rappeler la distinction entre prévention primaire, prévention secondaire et prévention tertiaire. La prévention primaire désigne les actions de soutien et de formation mises en place avant l’engagement sur le terrain. La prévention secondaire se rapporte aux actions déployées après l’événement, telles que le débriefing psychologique et la prise en charge individuelle ou collective. Enfin, la prévention tertiaire intervient lorsque la prévention primaire et la prévention secondaire ne sont pas suffisantes. Elle se traduit par le traitement individuel de la personne concernée.

C’est pourquoi il est très utile de pouvoir s’appuyer sur des experts. Les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) disposent d’unités de soutien psychologique. Composées de psychologues en uniforme, elles peuvent être sollicitées pour le recrutement, la formation et les interventions sur le terrain. Je précise que, sur l’ensemble du territoire belge, nous ne sommes que quatre ou cinq psychologues en uniforme chez les pompiers. La France compte de nombreux psychologues sapeurs-pompiers sur le terrain, et ce modèle se rencontre dans très peu de pays. Il est précieux de pouvoir mobiliser ces personnes ayant une formation de psychologue, et parfois aussi de pompier. Certains sont d’ailleurs actifs en tant que pompiers de terrain.

Je sais qu’un capitaine psychologue est basé en Andorre. Mais les Pays-Bas, les pays scandinaves et la Grande-Bretagne n’ont pas de psychologues en uniforme. L’AEPSP s’efforce justement d’influencer les dirigeants d’autres pays en leur montrant qu’il est crucial de pouvoir intervenir dans les moments les plus aigus d’une crise. Depuis la création de notre association, en 1993, la France est exemplaire pour la mise en place de soutien psychologique dans les corps en uniforme sur le terrain. Il y a quelques années encore, les services de gendarmerie disposaient de deux ou trois psychologues seulement pour l’ensemble du territoire. Ces intervenants étaient amenés à parcourir des distances considérables pour apporter leur aide. Heureusement, les effectifs se sont beaucoup étoffés au cours des dernières années. Cette évolution me semble tout à fait positive.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie. Je tiens à vous faire part de mon expérience sur le sujet. Avant d’être député, j’ai fait partie d’un SDIS qui avait fait le choix d’une politique de soutien psychologique. Je dois reconnaître qu’au début de cette aventure, nous considérions cette aide avec une certaine distance. Je vous rejoins complètement sur l’importance de pouvoir s’appuyer sur des psychologues portant le même uniforme que les sapeurs-pompiers. Aujourd’hui, il serait impensable de se passer d’eux. Leur contribution est primordiale.

Pouvez-vous nous présenter le réseau européen d’assistance et d’appui pour la gestion du stress traumatique pour les sapeurs-pompiers et les services médicaux d’urgence ? En quoi consiste-t-il, et dans quels pays est-il actif ?

M. Érik de Soir. Notre association, l’AEPSP, compte des membres installés en France, en Belgique, en Italie, en Andorre, en Grèce et au Luxembourg. Les pays plus nordiques, notamment les Pays-Bas et la Scandinavie, ne font pas encore partie de ce réseau. Ce fait s’explique par une différence de culture. La Belgique fait office de pont entre les pays du Nord et du Sud de l’Europe.

Le dispositif créé par notre association comporte d’abord un premier niveau d’aide par les pairs : les « pairs aidants ». Ceux-ci sont formés aux interventions de soutien immédiat, selon une approche monodisciplinaire. Les pairs aidants sont formés dans les différentes disciplines (les hôpitaux, les services de police, les services d’ambulance ou les sapeurs-pompiers) pour des interventions immédiates et directes auprès de leurs propres collègues. Le dispositif intègre ensuite un deuxième niveau d’aide, pluridisciplinaire. Dans le suivi psychologique, le bilan et la reconstruction de l’événement sont des étapes importantes, nécessitant l’apport des différentes disciplines. Il faut parfois réunir quarante ou cinquante spécialistes pour établir le bilan d’un événement, et cette démarche peut prendre plusieurs heures. Ce deuxième niveau de prise en charge est supervisé par un psychologue.

Pour illustrer ce point, j’évoquerai le drame familial récent survenu dans le nord-est de la Belgique : un père a tué ses deux enfants avant de se jeter dans un canal avec sa voiture. L’événement a mobilisé à la fois des pompiers, des plongeurs, des équipes de réanimation, des intervenants des Smur, trois médecins, des agents de protection civile et des forces de police. Dès que les pompiers peuvent quitter les lieux, ils sont pris en charge par des pairs aidants. Cette action relève du premier niveau d’aide. Le deuxième niveau prend place quelques jours après. Tous les intervenants présents sur les lieux sont alors réunis et bénéficient d’une prise en charge spécialisée. Nous restons ensuite en contact avec les personnes concernées, en mesurant leur état de choc selon trois dimensions : une dimension traumatogène (appréciée selon un code couleur vert, orange et rouge), une dimension dépressogène (réactions de deuil), une dimension d’épuisement. Pour ce faire, nous utilisons une matrice comprenant différents critères, sur une durée de quatre à huit semaines. Si le vert progresse, nous pouvons en conclure que l’intervention va dans le bon sens. En principe, le diagnostic d’état de stress post-traumatique peut être posé au bout d’un mois.

En résumé, notre dispositif est constitué d’un premier niveau de pair aidant, d’un deuxième niveau de débriefing pluridisciplinaire, et enfin d’un troisième niveau, celui du psychologue sapeur-pompier.

Comme je vous l’expliquais, les pays nordiques et anglophones ont une approche très différente, contraire à celle qu’ils avaient adoptée il y a une dizaine d’années. À cette époque, quand des événements graves survenaient, la situation était prise en charge immédiatement. Aujourd’hui, les pays anglo-saxons ont plutôt tendance à privilégier le watch through waiting, c’est-à-dire « attendre attentivement ». Aucune action n’est menée lorsque la crise se produit, et la situation est évaluée au bout d’un mois. Si les syndromes de stress post-traumatique perdurent, la personne est envoyée en thérapie individuelle cognitive. Il va de soi que nous ne soutenons pas ce modèle, qui revient à laisser les personnes sans aide pendant un mois.

En France, les formations des intervenants des unités de soutien psychologique sont dispensées à l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp), à Aix. Ce dispositif fonctionne très bien.

Pour sa part, la Belgique est divisée en dix provinces, et chacune d’entre elles dispose d’un institut provincial de formation, dans lequel les agents de police et de protection civile, ainsi que les pompiers et les ambulanciers, sont formés ensemble. Ils apprennent ainsi à se connaître.

Le point fort de ce modèle de prise en charge immédiate réside, à mon sens, dans sa validité scientifique. Il fait l’objet de travaux de master et de thèses de doctorat depuis plus de cinq ans. En matière de formation, mon collègue Sylvain Goujard dirige un diplôme universitaire en psychologie de l’urgence à l’université de Haute-Savoie. J’espère que d’autres cycles de formation permettront à des intervenants d’autres disciplines (médecins, psychologues, psychiatres, etc.) de se former à la psychologie de l’urgence à un niveau universitaire. Cela suppose qu’ils entreprendront des recherches de master.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci pour ces réponses complètes. Souhaitez-vous apporter des précisions ou des compléments en lien avec le sujet de cette mission d’information ?

M. Érik de Soir. J’espère que l’accès aux données sera facilité. Pour l’instant, le règlement général sur la protection des données (RGPD) complique beaucoup les choses. Or, il est très important de connaître l’état de la victime après l’intervention. Deux heures après les attentats à l’aéroport de Bruxelles, j’étais présent sur place. J’ai été confronté à des scènes d’horreur et d’atrocité. Le plus important, pour les intervenants, est d’obtenir des informations sur la santé des victimes. Je souhaiterais que nous puissions trouver le moyen de tenir les sauveteurs et secouristes informés des résultats de leurs actions. Ils se trouvent en effet submergés par un flot d’images traumatiques qu’ils n’ont pas les moyens d’intégrer s’ils ne connaissent pas l’issue de l’intervention. Tout au plus peuvent-ils se dire : « J’ai fait ce que je devais faire, mais je ne sais pas comment se porte la victime ».

À côté des événements majeurs, il ne faut pas oublier les accidents de tous les jours, qui sont des catastrophes microsociales. En tant que psychologue sapeur-pompier, l’accompagnement des familles des victimes est un aspect primordial de mon métier. Cet accompagnement assuré sur le lieu de l’intervention aide souvent à prévenir le deuil traumatique. Le pompier, le policier, l’ambulancier, et parfois le médecin du Smur lui-même, n’ont pas souvent conscience qu’ils sont les acteurs les plus importants dans la prévention du traumatisme des victimes et des familles des victimes.

Je voudrais aussi préciser que, depuis 2004, j’accompagne des victimes grièvement blessées, incarcérées dans des épaves de véhicules. Pour ce faire, je m’appuie sur la technique de stabilisation psychophysiologique des grands blessés, qui est bien documentée en France. Au sein de l’Otan, j’ai aussi développé une version de cette technique destinée à l’armée. Il s’agit d’une forme d’hypnose, qui permet de mener un travail sur l’anxiété, l’angoisse de mort, la dissociation. J’ai pu démontrer qu’en cas de situation extrêmement grave, auprès de polytraumatisés, cette approche conduit à une stabilisation des paramètres vitaux. C’est un travail qui peut être mené par des pompiers et des ambulanciers en situation de catastrophe.

J’explique souvent aux personnes que je forme qu’elles seront tôt ou tard amenées à utiliser cette technique auprès de collègues grièvement blessés ou brûlés lors d’une intervention.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci pour toutes vos réponses instructives et riches. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous transmettre une contribution écrite pour consolider vos propos ou apporter des éléments complémentaires. Je vous remercie pour votre disponibilité.

M. Érik de Soir. Ce fut un honneur et un plaisir d’être avec vous. Je vous souhaite bonne continuation dans vos travaux.


M. Laurent Alfonso, chargé de mission affaires européennes à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur et expert en protection civile pour l’Union pour la Méditerranée

Compte rendu de l’audition de M. Laurent Alfonso, chargé de mission affaires européennes à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur et expert en protection civile pour l’Union pour la Méditerranée
(jeudi 12 octobre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Je suis ravie de vous accueillir aujourd’hui pour cette nouvelle matinée d’auditions. Notre mission d’information a été créée dans le but de mieux comprendre et d’améliorer notre système de sécurité civile. Cela fait un peu plus d’un mois que nous avons débuté nos travaux.

Nous avons l’honneur de recevoir aujourd’hui M. Laurent Alfonso, qui est chargé de mission affaires européennes à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’intérieur, et expert en protection civile pour l’Union pour la Méditerranée (UPM). Son expérience, en tant qu’expert, et ses connaissances approfondies sur la protection civile en Europe pourront à coup sûr enrichir nos débats et nos réflexions. La protection civile est un enjeu crucial, surtout à l’échelle européenne, où la coopération et la coordination entre les États sont essentielles pour faire face aux crises de grande envergure que connaît désormais trop souvent notre continent.

Nous avons d’ailleurs commencé à réunir quelques informations sur les systèmes de sécurité civile existant dans d’autres pays, notamment chez certains de nos voisins européens. Nous avons également prévu de nous déplacer dans les prochains mois en Italie et au Portugal, afin de découvrir des organisations différentes et, peut-être, de trouver des sources d’inspiration pour améliorer notre système. Vous le voyez, notre réflexion sur ce sujet n’est pas seulement nationale. À ce titre, votre regard nous intéresse donc d’autant plus, compte tenu de votre connaissance de ces systèmes européens.

Monsieur Alfonso, nous vous remercions sincèrement de votre engagement et de votre disponibilité pour participer à nos travaux en tant qu’expert.

Avant de céder la parole au rapporteur, permettez-moi de préciser, à l’attention de notre auditionné, que notre mission est composée de vingt-cinq députés issus de différents groupes politiques et que cette audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pourriez-vous nous rappeler brièvement les missions qui sont les vôtres au sein du ministère de l’intérieur et de l’Union pour la Méditerranée ?

M. Laurent Alfonso, chargé de mission affaires européennes à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’intérieur et expert en protection civile pour l’Union pour la Méditerranée. Tout d’abord, je vous remercie de m’avoir convié à votre audition. Je suis officier sapeur-pompier et j’appartiens au service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du Gard. Je suis mis à disposition à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’intérieur.

À ce titre, je suis chargé de mission des affaires européennes et notamment du suivi réglementaire des travaux du mécanisme de protection civile, ainsi que des négociations. Représentant de la France dans plusieurs groupes d’experts, j’agis également en tant qu’opérationnel lors de déploiements, dans le cadre du mécanisme de protection civile de l’Union européenne (UE). Je participe en outre à des exercices et divers instruments, comme les revues de pairs. À ce titre, j’ai récemment participé à des revues de pairs en Roumanie et en Moldavie, au mois d’avril.

Je participe à tous les travaux du mécanisme et à ses différentes réunions, notamment les réunions de directeurs généraux, dans le cadre de chaque présidence tournante, tous les six mois. La prochaine aura lieu la semaine prochaine, sous présidence espagnole, à Valence. Je participe également aux différents ateliers, conférences ou séminaires qui peuvent être organisés dans ce cadre, et suis chargé de la préparation d’éléments de langage et de l’élaboration des positions françaises dans les groupes de discussion de la Commission comme le groupe protection civile (Prociv), en lien avec le secrétariat général des affaires européennes (SGAE).

Par ailleurs, depuis juillet 2022, je suis également mis à disposition par le ministère de l’intérieur auprès de l’Union pour la Méditerranée, dont le siège est à Barcelone. Au sein de cette organisation intergouvernementale, je suis le seul en charge de la protection civile. Par convention, je travaille donc la moitié du temps pour le ministère de l’intérieur et l’autre moitié pour l’UPM, dans une triangulation assez unique et innovante, puisque cela me permet à la fois de représenter la France en tant qu’État membre dans ce mécanisme de protection civile de l’Union européenne, d’être au plus près des pays du sud avec l’UPM et de travailler avec la direction générale de la recherche, de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes (DG ECHO) de la Commission européenne.

À ce titre, je travaille à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie de l’UE vers les pays du voisinage sud. J’ai notamment mis en œuvre l’année dernière une plateforme régionale de dialogue et, la semaine prochaine, nous organiserons pour la première fois la réunion des directeurs généraux du mécanisme de protection civile de l’UE et des représentants des États membres de l’UPM. L’objectif de cette réunion conjointe concernera, in fine, la présentation d’un cadre méditerranéen de protection civile qui viendra en extension de l’actuel mécanisme de protection civile de l’UE.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quel regard portez-vous sur le fonctionnement de notre modèle de protection civile français ? Face aux risques et aux crises qui se profilent lors des années à venir, pensez-vous qu’il soit assez efficace ? Faut-il au contraire envisager son évolution ?

M. Laurent Alfonso. Compte tenu de l’évolution de mes fonctions, mon regard est désormais plus aiguisé sur la coopération européenne et internationale et peut-être un peu moins sur le modèle français en tant que tel. Cependant, j’en suis issu et j’en suis relativement fier, parce qu’il fait référence en Europe et dans le monde. La France est ainsi le premier contributeur du mécanisme de protection civile de l’UE, en termes de capacité et de réponse opérationnelles.

Ce modèle ancien est résilient et il répond aux besoins de notre territoire, de notre société et de nos citoyens. Il convient de le valoriser, parce qu’il est capable de s’adapter aux crises sur le territoire hexagonal et dans les régions ultrapériphériques, qui sont riches d’enseignements. Je pense ainsi aux crises qui peuvent nous affecter en interne, mais aussi à celles qui peuvent être exogènes comme la Covid, par exemple. Nous sommes en mesure de traiter à la fois le risque courant, mais aussi des risques majeurs et nous avons la capacité d’intégrer des scénarios dimensionnels qui reposent sur la planification. C’est une particularité unique à la fois en Europe, mais aussi à l’international. Notre modèle présente en outre l’avantage de cultiver les réseaux avec nos voisins.

Naturellement, comme tous les modèles, il doit être en mouvement perpétuel et à l’écoute des évolutions en interne, mais également chez nos voisins, proches ou éloignés. Aujourd’hui, les modèles doivent être agiles et flexibles, afin de correspondre aux besoins de nos sociétés, dont les habitudes et cultures sont différentes. Le service de la sécurité civile en France est riche et repose sur des formations militaires de sécurité civile, des sapeurs-pompiers professionnels, des sapeurs-pompiers volontaires et des associations agréées de sécurité civile. Cet écosystème est riche et le rend d’autant plus résilient, lui permettant de compenser des faiblesses éventuelles sur l’un ou l’autre des piliers de notre modèle.

Madame la présidente, vous avez mentionné vos futures visites en Italie et au Portugal. Il s’agit là d’une bonne initiative ; il est toujours intéressant d’aller voir comment nos voisins envisagent les prochaines décennies dans le domaine de la gestion des crises et des désastres. Cette coopération doit être à la fois « montante » et « descendante ». De son côté, la France est reconnue pour sa culture du bilatéral et du multilatéral : elle propose et partage son modèle de sécurité civile, aussi bien dans les domaines de la gouvernance et de la procédure que dans celui des techniques opérationnelles. L’un des enjeux consiste aujourd’hui à recevoir d’autres pays et à identifier les bonnes pratiques dont nous pouvons nous inspirer. Il s’agit également de cibler nos propres mécanismes, pour intégrer ces bonnes idées, du cadre réglementaire jusqu’aux techniques opérationnelles, aux équipements et aux matériels.

Mme la présidente Lisa Belluco. Pouvez-vous évoquer le modèle européen de protection civile tel qu’il fonctionne actuellement ? Avez-vous identifié des pays ou des systèmes dont nous pourrions nous inspirer pour faire évoluer un certain nombre de piliers de notre propre système de sécurité civile ?

M. Laurent Alfonso. Il est intéressant de revenir effectivement sur les modèles, sans trop rentrer dans la sémantique : au niveau européen, on parle effectivement plus de protection civile que de sécurité civile. Le risque courant est parfaitement couvert en France et dans la plupart des pays européens. En revanche, les risques majeurs sont constitués par des crises complexes aux effets cumulatifs, « en cascade », qui ne manqueront pas de survenir dans le futur. À ce titre, il importe de maintenir une veille permanente à la fois sur notre modèle, mais aussi sur celui des autres pays.

Nous savons que les crises seront hybrides et qu’elles seront exacerbées par le changement climatique. À cet égard, un rapport sur l’adaptation de la sécurité civile face aux défis climatiques à l’horizon 2050 a été publié en juin 2023, à la suite des travaux de plusieurs groupes de travail, sous l’égide de la DGSCGC. Ce rapport évoque les risques naturels et technologiques actuels, tout en soulignant des éléments de prospective et la nécessaire coopération européenne et internationale.

Au niveau européen, le mécanisme de protection civile de l’UE correspond en réalité à une compétence de soutien et d’appui de la Commission européenne auprès des États. Créé en 2001, il a été activé à plus de 600 reprises, dont la plupart du temps à l’extérieur de l’UE. Initialement limité aux États membres, le mécanisme s’est progressivement ouvert à des participants extérieurs – aujourd’hui au nombre de neuf et bientôt dix avec l’entrée de la Moldavie dans le dispositif au 1er janvier 2024.

Ce mécanisme est également proposé au reste du monde, à chaque fois qu’une catastrophe apparaît, qu’un État voit ses capacités nationales dépassées et souhaite recevoir une assistance, d’une manière souveraine. Il est fondé sur deux niveaux de réponse : une réponse volontaire à l’aide d’une réserve européenne et une réponse fondée sur le protocole RescUE, qui a été créé en 2019. Évolutif, il s’adapte en tenant compte de la réalité de terrain et des retours d’expérience, et s’efforce d’anticiper l’avenir.

Il est cependant confronté à des problématiques de gouvernance. Le centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC) est situé à Bruxelles et a vocation à coordonner des moyens qui sont fournis par les États membres et participants. Cette coordination n’est pas réalisée de manière doctrinale à l’heure actuelle : il n’existe pas de stratégie opérationnelle du mécanisme de protection civile de l’UE. Aujourd’hui, le mécanisme et l’ERCC ne sont pas capables de prioriser leurs réponses, ce qui peut poser problème lors de crises simultanées. Dans certains cas, des ruptures capacitaires peuvent ainsi intervenir.

Le protocole RescUE est le plus récent dispositif du mécanisme, créé en réaction aux incendies survenus au Portugal et en Grèce, en 2017 et 2018. À cette occasion, nous avons en effet été confrontés à des ruptures capacitaires au sein du mécanisme. Les incendies étaient tellement nombreux que les États membres n’avaient plus la capacité d’apporter la réponse capacitaire nécessaire sur le simple fondement du pool volontaire.

Il a donc fallu trouver un système plus incitatif, fondé sur des financements à 100 % par le mécanisme de protection civile de l’Union sur son budget propre. En la matière, la France a initié le processus et a été le premier État à expérimenter le protocole. Depuis, il s’est développé sur d’autres modules opérationnels pour couvrir de nouveaux risques. Ce développement est intervenu après la crise Covid, à travers la création de stocks médicaux, ou de stocks relatifs aux menaces NRBC. Il concerne également l’évacuation médicale et portera demain sur les abris d’urgence et le domaine de l’énergie.

Les modules opérationnels vont ainsi être créés et financés à 100 % par le mécanisme de protection civile de l’Union, sur son budget propre. Ils seront mis en œuvre par les États membres et constitueront une charge très importante en matière de création et de maintien opérationnel. Près de 130 modules opérationnels sont intégrés dans le pool volontaire, contre plus d’une trentaine pour RescUE. Ce système est particulièrement contraignant pour les États membres ; il repose sur des modules nationaux, qui ont été améliorés et adaptés dans le cadre de ce mécanisme pour pouvoir être déployés en Europe et au niveau international.

Aujourd’hui, ce mécanisme couvre tout type de catastrophes, naturelles comme technologiques, mais aussi sanitaires : à l’occasion de la crise Covid, il a été étendu à des capacités de rapatriement de citoyens et a aussi été employé à l’occasion d’évacuations consulaires en Afghanistan. À l’heure actuelle, il est extrêmement utilisé pour l’envoi de matériels et d’équipements, notamment en Ukraine.

En résumé, la question du périmètre d’action du mécanisme de protection civile de l’UE se pose aujourd’hui. En effet, sa définition est quelque peu différente dans chacun des États membres. Cet aspect fera l’objet d’une discussion la semaine prochaine.

M. Yannick Chenevard (RE). Au début de votre propos, vous avez évoqué l’organisation de la sécurité civile en France, qui constitue un modèle bien particulier, qui ne coûte pas cher. Il est composé des formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC), des SDIS et des associations agréées de sécurité civile, ce qui représente en totalité environ 500 000 personnes. Mais, au sein de cet ensemble, seulement 40 000 sont des salariés permanents de la sécurité civile, le reste étant composé de 210 000 sapeurs-pompiers volontaires et de 250 000 bénévoles des associations agréées de sécurité civile.

Comment envisagez-vous un modèle de ce type à l’échelle de l’UE, qui permettrait de décupler la capacité d’intervention ? Les organisations comme le Technisches Hilfswerk (THW) allemand et la protection civile italienne ou belge sont différentes de la nôtre, mais partagent malgré tout un certain nombre de points communs avec notre modèle. Existe-t-il une réflexion permettant d’élargir très rapidement le vivier disponible pour remplir les différentes missions que vous avez évoquées ? Naturellement, les missions les plus lourdes seraient confiées aux professionnels de la sécurité civile. D’autres missions pourraient être assumées par les bénévoles de la sécurité civile ou par un vivier de volontaires.

M. Laurent Alfonso. Vous touchez du doigt la problématique à laquelle l’ensemble des États sont aujourd’hui confrontés et qui peut se résumer à la question suivante : sur quels piliers faire reposer les modèles de protection civile ?

À ce sujet, différents aspects doivent être distingués. Le premier concerne le volet capacitaire et organisationnel. Si les questions de gouvernance et de gestion des ressources ne sont pas clairement établies, il est impossible d’envisager l’avenir de manière sereine. Je ne suis pas toujours défenseur d’une approche du haut vers le bas mais, en l’espèce, il est nécessaire de se poser la question de l’agilité de la gouvernance. Celle-ci doit nous permettre de dessiner ce qui doit être mis en place sur les niveaux tactiques et opérationnels, en tenant compte de l’existant, de notre histoire et de notre culture.

La France est particulièrement attachée au concept de résilience, qui allie à la fois les actions des autorités, mais aussi des citoyens, à travers les organisations de la société civile au sens large. Aujourd’hui, il existe un paradoxe à vouloir faire reposer la protection de la population sur la population elle-même, puisqu’elle est à la fois la cible et celle qui est censée se secourir. Il importe donc de trouver un équilibre entre les deux, sans oublier les problématiques de coût. Historiquement, nous avons choisi de faire couvrir par les sapeurs-pompiers, qu’ils soient professionnels ou volontaires, un large spectre des besoins en matière de protection civile, ce qui rend notre modèle assez unique et assez facile à manœuvrer.

Afin d’essayer d’apporter des clefs de compréhension, il faut travailler à la mutualisation de cette palette de moyens dont dispose la France, la consolider et peut-être l’élargir. Ainsi, les associations agréées de protection civile constituent un vivier important, qui est peut-être sous-exploité aujourd’hui, au regard des besoins qui pourraient se faire sentir à l’avenir sur des crises complexes, hybrides et de longue durée. Peut-être convient-il également d’adopter une approche intégrant les ONG, comme le font d’autres pays. Elles présentent l’avantage d’être au contact permanent de la société et donc de pouvoir capter des signaux faibles ou des informations montantes.

Il est aussi pertinent de s’inspirer de bonnes pratiques. À titre d’exemple, la Roumanie a mis en place une plateforme nationale déclinée aux niveaux régional et local qui regroupe les différents acteurs. Ce système est très fédérateur et il fonctionne en permanence en temps de paix, mais également en temps de crise, car les acteurs ont l’habitude de travailler et de décider ensemble. L’approche du haut vers le bas est utile si elle est structurée, permanente, sincère, transparente et s’inscrit dans le long terme. Je considère que nous devons nous inspirer de ce modèle pour élargir la base et travailler à la résilience des sociétés, notamment grâce aux ONG, même si ce fonctionnement diffère de nos habitudes culturelles.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez évoqué la palette d’outils dont dispose la France à travers ses sapeurs-pompiers, qu’ils soient civils ou militaires, professionnels ou volontaires, mais également à travers les associations agréées de sécurité civile. Vous avez souligné à juste titre la nécessité d’une bonne imbrication et d’un fonctionnement fédérateur entre ces différents acteurs – mais aussi avec les réserves communales de sécurité civile. Je connais assez bien les modèles allemand et suisse, où l’engagement citoyen est très prégnant. De quelle manière la France peut-elle améliorer sa gouvernance pour faire face aux différents enjeux auxquels nous serons confrontés lors des crises futures, en associant l’ensemble des structures s’intégrant au modèle de sécurité civile ?

M. Laurent Alfonso. La gouvernance se décline à chaque niveau selon l’organisation administrative de chaque pays. Dans ce cadre, l’essentiel consiste à lier les différents niveaux en matière de responsabilité et de compétence, jusqu’au premier niveau, qui est celui du citoyen. À cet égard, les réserves communales de sécurité civile ne doivent pas être oubliées. Les plans communaux de sauvegarde sont extrêmement importants, dans la mesure où ils constituent le premier niveau de réponse lors des crises sur nos territoires. Les sapeurs-pompiers ont mis du temps à intégrer ces plans dans les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (Sdacr) ou dans les plans ORSEC, mais le dispositif fonctionne aujourd’hui. De même, les réserves départementales de sécurité civile constituent des initiatives intéressantes, qui doivent venir enrichir cette palette.

Il est aujourd’hui nécessaire de créer de nouvelles relations entre ces différents niveaux, qui n’ont pas été suffisamment explorées. Nos voisins allemands disposent d’un système doté de plus d’un million de volontaires, par exemple. En outre, il importe de traiter en parallèle la gestion de crise, pour pouvoir faire face, au moment requis. Nos modèles de gouvernance doivent intégrer ces différents aspects, mais également deux critères essentiels à mes yeux, c’est-à-dire les critères d’ordre spatial (à quel endroit, à quel moment et de quelle magnitude) et d’ordre temporel (la semaine ou le week-end ; la nuit ou la journée, l’été ou l’hiver).

Ces éléments conditionnent la réponse opérationnelle en termes de gestion des crises et nécessitent, par exemple, de prendre en compte les différentes catégories de la population, qui n’ont sans doute pas fait l’objet d’un travail spécifique en France. L’épidémie de Covid nous a, par exemple, fourni un grand nombre d’enseignements sur la prise en charge de populations vulnérables, comme les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et les enfants. En résumé, les différents publics nécessitent des réponses appropriées et singulières lors de la gestion de crises. De son côté, le secteur privé représente le poumon de notre économie, ce qui implique la mise en place de plans de continuité d’activité durables, pérennes et mis à jour.

Plus largement, il importe également de s’inspirer des expériences étrangères. Parmi les pays méditerranéens, certains sont ainsi habitués à travailler dans un mode qui peut être ici considéré comme « dégradé ». En réalité, ces pays parviennent à s’adapter et peuvent être des sources d’inspiration, puisque leurs modèles sont éprouvés. Au sein de l’UPM, je m’efforce de faire remonter les bonnes initiatives et les adaptations concrètes menées dans les pays du sud. En effet, ces dernières s’avéreront utiles pour gérer les futures crises qui seront exacerbées par le changement climatique.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie à nouveau pour la clarté de vos propos. Notre mission d’information devra s’interroger pour savoir si notre pays dispose des capacités et des moyens de travailler sur ces sujets, qui sont chronophages. Vous avez souligné, à juste titre, que nous avons traversé la « tempête » Covid, dont nous pouvons tirer un certain nombre d’enseignements.

Vous semble-t-il nécessaire de poursuivre le renforcement de la coopération à l’échelle européenne en matière de sécurité et de protection civile ? Si tel est le cas, de quelle manière est-il possible d’y parvenir ?

M. Laurent Alfonso. La France est aujourd’hui suffisamment outillée pour répondre aux crises majeures. Néanmoins, comme pour tous les modèles, il demeure une marge de doute sur la capacité à utiliser les moyens dont nous disposons en termes de gouvernance, de réponse capacitaire, de coordination et de durabilité, pour nous assurer que le modèle fonctionne en toutes circonstances.

Certains secteurs, notamment le secteur privé, travaillent à partir de stress tests. La France dispose d’une forte culture des exercices, qui est excellente, et que nous promouvons à l’étranger. Ces exercices doivent être plus inclusifs et faire partie de nos habitudes quotidiennes, en particulier dans les foyers, en veillant à conserver un équilibre afin de ne pas sombrer dans l’excès inverse, celui de la psychose. Ces outils permettent de dédramatiser les situations et d’éviter l’affolement.

Des marges d’amélioration subsistent également dans le rapprochement des services publics et de la communauté scientifique. En France, l’organisation de la sécurité civile présente l’avantage de disposer d’une pensée complexe de l’organisation et de la planification jusqu’au dernier kilomètre ; mais également de la mise en œuvre de guides doctrinaux et de référentiels. Le modèle français intégré et interopérable sur l’ensemble du territoire présente ainsi une véritable valeur ajoutée, qui n’est pas toujours présente dans d’autres pays européens, où les doctrines peuvent différer d’une région à l’autre.

Nous bénéficions en outre d’un écosystème avantageux de scientifiques, d’entreprises privées, de fondations et d’associations sur lesquels nous devons pouvoir nous appuyer. De même, nos politiques publiques doivent pouvoir se fonder sur la connaissance scientifique, qui nous permet à la fois de prendre le pouls de la société, mais aussi de nourrir une réflexion prospective. Tout le monde connaît aujourd’hui les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Au sein de l’UPM, nous disposons également d’un groupe d’experts, dans la mesure où cette zone présente la particularité de générer des phénomènes qui lui sont propres.

Il importe donc d’associer cette communauté scientifique. Le mécanisme de protection civile de l’UE s’y essaye avec la création récente d’un réseau de connaissances, qui débute, et se fonde sur deux piliers : un pilier scientifique et un pilier opérationnel. La France y contribue et je participe au groupe de travail associé dont le séminaire de travail annuel, que j’ai mentionné au début de mon audition, sera d’ailleurs organisé en fin d’année à Bruxelles. Nous aurons l’occasion d’évoquer à nouveau la question de la gouvernance dans cette instance, et notamment le sujet de l’intégration des scientifiques à nos réflexions. En résumé, nous sommes prêts, mais nous devons toujours être vigilants et nous assurer que notre modèle saura faire face et s’adapter à la prochaine crise à laquelle nous serons confrontés.

Le mécanisme de protection civile de l’UE vit aujourd’hui un moment clef. À l’heure actuelle, il est particulièrement tourné vers la réponse opérationnelle, qui absorbe plus de 90 % de son budget pour l’acquisition et la maintenance de modules, qu’il s’agisse des hôpitaux de campagne, des moyens aériens de lutte contre les feux de forêt ou de l’évacuation médicale. Désormais, un enjeu majeur consiste à travailler sur le cycle amont, c’est-à-dire la prévention et la préparation, afin d’économiser des capacités pour pouvoir les déployer à bon escient lors des crises.

Compte tenu du changement climatique, j’estime en effet que les crises seront de plus en plus sévères ; les phénomènes de plus en plus violents et nombreux. Face à la simultanéité de ces événements, le risque capacitaire s’accroît. Dès lors, il importe de mieux travailler sur les phases amont, afin d’essayer d’atténuer les conséquences de ces catastrophes et de préparer les populations et les infrastructures à y faire face. En résumé, prévention et préparation constituent désormais les maîtres mots du mécanisme de protection civile de l’UE.

Il s’agit enfin de travailler à l’harmonisation des modèles, afin de les rendre plus interopérables. Nos stratégies nationales doivent également intégrer le mécanisme européen, lequel a été utilisé en 2022 lors des incendies de Landiras et de La Teste-de-Buch. La sollicitation du mécanisme ne constitue pas un aveu de faiblesse, mais représente bien au contraire un signe de vitalité : le support de la capacité de protection civile de nos voisins nous permet d’apprendre énormément.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Vous êtes le seul représentant français au sein de l’UPM, et la DG ECHO ne compte qu’une seule représentante française, la colonelle Claire Kowalewski. Estimez-vous que vous êtes suffisamment nombreux pour témoigner de l’implication de la France dans la protection civile européenne et du bassin méditerranéen ? La France devrait-elle, à l’inverse, augmenter ses effectifs pour réellement peser dans ces deux instances ?

M. Laurent Alfonso. Au sein de l’UPM, je suis effectivement le seul représentant français, à mi-temps. La tâche est ardue, mais il convient de saluer l’initiative de la DGSCGC de financer ce demi-poste. Cette démarche témoigne ainsi de notre préoccupation de pouvoir interagir avec cette zone, mais également de bénéficier des bonnes pratiques des pays du sud. Il est toujours possible de considérer que cet effort est insuffisant, mais la France est le seul pays à s’être investi dans la protection civile au sein de l’UPM.

La colonelle Claire Kowalewski n’est plus experte détachée représentante de la France ; elle a désormais intégré directement la Commission européenne. Mais je vous rejoins : notre capacité d’influence est aussi liée au nombre de personnels mis à disposition ou détachés au sein des organisations internationales. Cette présence nous permet ainsi de transmettre un grand nombre de messages, mais aussi de nous imprégner des pratiques à l’œuvre dans d’autres pays, tout en faisant remonter aux autorités de tutelle l’ensemble des informations collectées, qu’il s’agisse de signaux forts ou de signaux faibles. Cependant, ces mises à disposition représentent naturellement des efforts financiers pour les autorités nationales. Simultanément, il est nécessaire de trouver des experts prêts à s’expatrier et à mettre parfois en suspens leur carrière professionnelle pour servir les intérêts nationaux.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Au mois de juin dernier, le commissaire européen Lenarčič s’est exprimé sur la plateforme X (ex-Twitter) pour indiquer que la sécurité civile roumaine était la plus professionnelle de l’Union européenne, loin devant les autres. Cette prise de position peut être interprétée de différentes manières, mais elle suggère que la France n’est plus la première force de protection civile européenne. Qu’en pensez-vous ?

Ensuite, lors des incendies de l’été 2022, la France a sollicité pour la première fois des moyens européens au sol. Cet exemple témoigne peut-être de l’incapacité de la France à déployer une gestion opérationnelle intégrale. Je précise qu’il ne s’agit pas d’un reproche de ma part. J’estime en effet qu’il faut encore accroître les moyens européens sur le sol français. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Enfin, dans le département de la Seine-Maritime, une maison de la sécurité civile sera mise en place dans quelques mois. Elle regroupera au sein d’une même entité les associations de sécurité civile issues de différents organismes. L’objectif consiste à permettre aux personnels de se rencontrer, d’échanger et de travailler ensemble sur différentes thématiques. Cette démarche vous paraît-elle constituer une solution d’avenir ?

M. Laurent Alfonso. La protection civile est devenue un outil diplomatique, non seulement en Europe, mais également dans le monde entier. La Roumanie l’a bien compris et utilise cet outil à bon escient. Du côté français, nous disposons d’un réel savoir-faire dans le domaine de la sécurité civile ; il convient désormais de mieux le faire savoir.

S’agissant de votre seconde interrogation, nous travaillons aujourd’hui sur le concept de host nation support, c’est-à-dire la capacité à recevoir de l’assistance internationale. Ce sujet ne doit pas faire l’objet de tabou : aucun pays ne doit se dévaloriser lorsqu’il intègre dans sa réponse nationale le mécanisme de protection civile de l’Union européenne. En effet, le momentum est extrêmement important et des échéances majeures interviendront en France en 2024. De plus, les crises peuvent se superposer les unes aux autres. Nous devons donc être capables d’y faire face, en intégrant la capacité de réponse de nos voisins dans notre propre système.

Enfin, les associations agréées de sécurité civile font naturellement partie de la palette de moyens disponibles. Plus nous irons puiser des ressources au sein de la société, plus nous impliquerons le citoyen dans sa propre sécurité et plus nous pourrons alléger notre système national de sécurité civile et mieux prioriser nos actions. En résumé, cette initiative d’une maison de la sécurité civile me semble particulièrement importante et pourrait éventuellement être déployée sur l’ensemble du territoire national.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour vos réponses. Si vous souhaitez nous fournir des informations supplémentaires, n’hésitez pas à nous adresser une contribution écrite.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je me joins aux propos de Mme la présidente pour vous remercier. Vos explications étaient particulièrement claires et nous ont permis de nourrir nos échanges. Nous serons peut-être conduits à nous revoir dans le cadre de cette mission d’information sur les capacités d’adaptation et d’anticipation de notre modèle de sécurité civile. Parmi les éléments que je retiens de votre intervention figurent en bonne place les enjeux en matière d’acculturation.

M. Laurent Alfonso. Je vous remercie de l’opportunité que vous m’avez donnée de transmettre un certain nombre de messages qui me semblent importants. Je n’hésiterai pas à vous faire parvenir une contribution écrite complémentaire.

 


M. Didier Lambert, fondateur du centre historique du monde sapeur-pompier de Thiers

Compte rendu de l’audition de M. Didier Lambert, fondateur du centre historique du monde sapeur-pompier de Thiers
(jeudi 12 octobre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Mes chers collègues, nous poursuivons la matinée avec une seconde audition, celle de M. Didier Lambert, fondateur du centre historique du monde sapeur-pompier de Thiers. Vous êtes, monsieur Lambert, un témoin privilégié de l’histoire et de l’évolution des sapeurs-pompiers en France. Votre engagement et votre dévouement pour préserver la mémoire et l’héritage de cette profession sont précieux.

Je tiens à vous remercier de vous être rendu disponible et de nous faire bénéficier de votre expertise. Nous avons retenu d’auditions précédentes que notre modèle de sécurité civile s’était progressivement mis en place surtout à partir du milieu du XXe siècle, à mesure qu’une importance croissante était accordée à ces questions de sécurité pour protéger la population de certains risques. Il a bien sûr connu diverses évolutions législatives au cours des dernières décennies, avec notamment l’essor de l’intercommunalité, le développement du volontariat et l’apparition de réserves de sécurité civile. Notre rapport collectif aux risques a certainement évolué, aussi, au fil des années et des crises survenues, qu’il s’agisse de risques naturels, industriels, sanitaires ou sécuritaires.

N’hésitez pas à partager votre analyse critique sur les évolutions intervenues dans l’organisation de notre sécurité civile et à formuler des recommandations. Elles pourront contribuer à l’améliorer, en particulier pour nos sapeurs-pompiers. Je vous rappelle que notre mission est composée de vingt-cinq députés de divers groupes politiques et que cette audition est enregistrée et accessible sur le site internet de l’Assemblée.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Notre mission d’information s’intéresse aux capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile. J’ai eu le plaisir et l’honneur de faire partie de cette belle maison des sapeurs-pompiers pendant plus de trente ans, d’abord en tant que sapeur-pompier volontaire et, ensuite, en tant que sapeur-pompier professionnel.

Il me semble ainsi important de pouvoir évoquer avec vous le monde des sapeurs-pompiers, qui constitue la pierre angulaire de notre modèle de sécurité civile. Avant de nous pencher sur l’évolution du métier des sapeurs-pompiers, qu’ils soient civils ou militaires, volontaires ou professionnels, pouvez-vous présenter en quelques mots le centre historique du monde sapeur-pompier de Thiers ?

M. Didier Lambert, fondateur du centre historique du monde sapeur-pompier de Thiers. Nous avons ouvert le centre historique en 2019, après avoir constitué une association en 2009. Celui-ci est conçu comme une vitrine sur l’histoire des sapeurs-pompiers à travers les âges, mais aussi à travers les pays au-delà de la France, comme le Japon ou les États-Unis. Nous organisons une visite guidée d’une durée de deux heures, qui évoque l’histoire des pompiers, de l’époque romaine à nos jours. Une collection privée est ainsi mise à disposition de l’association, qui gère le centre historique, lequel se déploie sur une surface de 1 500 mètres carrés.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, quelles ont été les premières étapes de la construction de notre modèle de sécurité civile ? De quelle manière ont évolué le matériel et les équipements mis à disposition des sapeurs-pompiers ?

M. Didier Lambert. Quelques grandes dates jalonnent l’histoire des pompiers en France. François Dumouriez du Perrier est considéré comme le premier pompier professionnel de France, après avoir découvert en Hollande les premières pompes à incendie et les avoir ensuite introduites en France. Jusque-là, les feux n’étaient pas éteints avec de l’eau, mais « sapés », c’est-à-dire cassés devant, derrière et sur les côtés, pour éviter les propagations des incendies. Cette manœuvre avait notamment été employée lors des grands incendies de Paris.

Ensuite, il convient d’évoquer l’époque napoléonienne. Napoléon Ier a en effet créé le bataillon des sapeurs-pompiers de Paris à partir d’un régiment du génie de la Garde impériale, après l’incendie de l’ambassade d’Autriche à Paris. Le modèle mis en place par Napoléon, qui mêle civils et militaires, a perduré à travers les âges. À titre d’exemple, les pompiers civils ou militaires portent toujours une tenue de type militaire et sont organisés par grades.

L’activité a ensuite été transformée par les innovations technologiques successives et, en premier lieu, l’arrivée des pompes à vapeur en provenance d’Angleterre. Pour la première fois, la force utilisée pour éteindre les feux n’était plus la force humaine. Des tuyaux ont ensuite été utilisés et l’usage des échelles s’est répandu. Les autopompes ont ensuite fait leur apparition au début du XXe siècle, avec le développement des moteurs à explosion.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Observez-vous une différence en termes d’organisation et de matériels selon les régions en France ? Existe-t-il des distinctions entre l’hexagone et l’outre-mer dans ces domaines ?

M. Didier Lambert. Il n’existe pas de grandes différences selon les départements. Naturellement, certains départements sont soumis à des risques spécifiques du fait de leur géographie et des activités qui existent sur leur territoire. Jusqu’à présent, les risques de feux de végétation étaient plutôt limités au sud du pays, mais le dérèglement climatique a modifié ce constat. Le matériel change également, puisque les échelles automatiques tendent à être remplacées par des bras élévateurs, qui permettent de monter plus haut.

Au-delà du secours d’urgence aux personnes (SUAP), la formation du personnel s’oriente davantage vers de nouveaux risques, comme les risques technologiques – notamment les produits radioactifs – ou les risques d’attentat. Lorsque j’ai commencé il y a près de cinquante ans, nous n’aurions pas imaginé intervenir avec un casque lourd et un gilet pare-balles. De fait, à travers les siècles, les sapeurs-pompiers français se sont toujours adaptés aux risques.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Dans ma région, en Alsace, et plus particulièrement dans le sud de l’Alsace, je constate que la population et notamment les sapeurs-pompiers sont particulièrement attachés à leur patrimoine. De quelle manière votre musée permet-il de valoriser ce patrimoine ? Contribuez-vous à des exercices de sensibilisation ou de formation, par exemple auprès des plus jeunes ? Êtes-vous en relation avec la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France ?

M. Didier Lambert. Il existe quatre-vingt-dix musées dédiés à la profession de sapeur-pompier en France, souvent portés par des associations. Ces dernières organisent des visites et sensibilisent, notamment dans le domaine de la formation au secours d’urgence aux personnes. Nous répondons également aux questions des jeunes, pour leur parler des métiers de la sécurité en général et notamment du rôle des jeunes sapeurs-pompiers (JSP). Nous intervenons également dans le domaine de la citoyenneté, avec des formations au porte-drapeau, en lien avec d’autres associations, dont le Souvenir français. En effet, lors des cérémonies patriotiques dans les communes, les sapeurs-pompiers sont souvent les seuls corps constitués présents.

Une problématique particulière apparaît dans les centres mixtes, qui regroupent pompiers professionnels et pompiers volontaires. Ces pompiers professionnels dépendent du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) et sont souvent de passage dans une commune, dont ils n’ont pas toujours la culture, à l’inverse des pompiers volontaires, qui sont généralement issus de cette même commune. Par conséquent, il peut manquer une forme de continuité dans le commandement.

Nous essayons également de transmettre l’histoire, même si nous éprouvons des difficultés à faire venir dans le musée les sapeurs-pompiers, qui sont parfois plus attachés au nouveau matériel à leur disposition. Grâce à la réalité virtuelle, nous avons reproduit une ancienne pompe à bras de 1820, afin de plonger nos visiteurs dans les conditions de l’époque.

Ensuite, vous m’avez demandé si nous travaillions avec la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Je vous le confirme, puisque j’ai la chance d’être le secrétaire de la commission « Histoire et musée » de la fédération. À ce titre, je m’occupe de cette thématique dans le département du Puy-de-Dôme et dans la région Auvergne. En partenariat avec mes homologues des autres régions, nous essayons de mener des actions de sensibilisation. Nous venons par exemple de publier une carte de France grand format qui répertorie toutes les associations et les musées dédiés aux sapeurs-pompiers, afin de les faire connaître au plus grand nombre. Dans la région Auvergne, nous avons essayé de faire venir les jeunes sapeurs-pompiers au centre, pour qu’ils s’approprient leur histoire. Malheureusement, cette action ne rencontre pas un succès à la hauteur des enjeux, ce que je regrette. Sur leurs quatre-vingt-dix heures de formation, nous aimerions qu’ils passent quatre heures avec nous. En effet, je pense sincèrement qu’il s’agit là d’un véritable apport pour leur métier ou leur engagement citoyen.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Monsieur Lambert, nous nous sommes rencontrés en 2020. J’ai eu le grand honneur de visiter votre très beau musée et je tiens à vous féliciter, ainsi que tous vos bénévoles qui contribuent à sa réussite. Comme vous l’avez souligné, vous présentez des matériels issus de différents pays, dont un beau camion américain.

Les premiers pompiers connus étaient les moines qui étaient chargés d’éteindre les incendies dans les maisons au Moyen Âge. Ensuite, seules les communes riches étaient dotées de pompiers, quand les communes pauvres en étaient dépourvues. Une révolution est intervenue en 1972, avec la création de la première départementalisation, qui n’est devenue obligatoire qu’en 1996. Cette organisation départementale me semble pertinente, dans la mesure où elle permet de venir en aide à tous les citoyens.

Cependant, malgré cette départementalisation, les moyens ne sont pas forcément identiques selon les départements, puisque chaque département présente des risques spécifiques. Compte tenu de votre longue expérience, pensez-vous qu’il serait important d’établir une véritable norme française en matière de matériel ? Par exemple, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) possède des tuyaux de 50 millimètres de diamètre, quand les services départementaux utilisent des tuyaux de 40 ou 70 millimètres de diamètre. Faudrait-il adopter une seule norme, que tout le monde devrait respecter, sans exception ? Au-delà de l’exemple des tuyaux, je pense également aux véhicules, aux casques, aux tenues de feu ou aux autres équipements.

M. Didier Lambert. L’établissement de normes a débuté en 1947, avec la première normalisation des fourgons d’incendie. Tous les fourgons étaient identiques à l’époque, avant qu’il en soit autrement par la suite. Je pense que chaque département et chaque Sdis éprouvent le besoin de mettre en avant sa spécificité pour se distinguer du voisin, pour le matériel ou les équipements. Par exemple, sur le principe, les tenues sont toutes les mêmes, mais leur couleur change. Il en va de même pour les casques : il existe un bon fabricant en France, mais certains départements préfèrent s’équiper avec du matériel allemand.

Je suis favorable à l’instauration d’une norme nationale, mais je ne suis pas certain que tout le monde la respecterait. Il faut également noter que certains corps de pompiers, comme celui de Paris et de Marseille, sont militaires et ont leur propre histoire. Ils disposent de moyens plus conséquents, qui leur permettent d’effectuer des essais de matériel plus nombreux. Par exemple, lors de l’incendie de la cathédrale de Paris, la BSPP a notamment utilisé des robots.

M. Didier Lemaire, rapporteur. En tant qu’ancien sapeur-pompier, je souhaiterais savoir quel regard vous portez sur le fonctionnement actuel de notre système français de protection civile. Le modèle actuel pourra-t-il répondre aux différents enjeux et crises qui se profilent ? D’après vous, comment celui-ci devrait-il évoluer ? N’hésitez pas à nous faire part d’exemples en provenance de nos voisins européens qui seraient transposables en France.

M. Didier Lambert. Il est possible de s’inspirer d’un certain nombre d’éléments émanant de pays étrangers. Par exemple, en Belgique, la fin de carrière n’est pas établie selon une date précise : dans ce pays, tant que le sapeur-pompier est apte, il peut continuer son activité. Ensuite, les collectivités locales pourraient libérer leurs sapeurs-pompiers volontaires, de la même manière que les entreprises privées doivent le faire. À titre d’exemple, sur une organisation comportant quatre postes, les collectivités locales pourraient recruter cinq personnes, afin qu’à tour de rôle, l’une d’entre elles soit systématiquement détachée à un centre de secours. Ce fonctionnement avait cours il y a plus de quarante ans, avec l’utilisation de pompiers dits permanents qui, par la suite, sont devenus professionnels. Mais, à l’époque, le volontariat était plus fréquent qu’à l’heure actuelle, où nous peinons à susciter des vocations et à attirer les jeunes.

Il faut également insister sur la formation et le sentiment d’appartenance. Quoi que l’on en dise, les jeunes sont sensibles à la reconnaissance qui leur est portée. Lors des journées portes ouvertes organisées en commun avec la police et la gendarmerie, nous constatons que ces deux institutions attirent plus de jeunes que la nôtre. En effet, les jeunes y partent en formation pendant une quinzaine de jours, période pendant laquelle ils éprouvent le sentiment d’appartenir à une famille. À la fin de celle-ci, ils se considèrent déjà comme gendarmes ou policiers. De notre côté, la formation est plus disparate, car ils ne participent pas tous ensemble aux exercices de secours et de lutte contre les incendies. Dès lors, ils n’ont pas l’impression de faire partie d’une même équipe. Je regrette donc que la formation des sapeurs-pompiers de base ne soit pas semblable à celle dispensée par l’armée. Il faudrait aussi s’inspirer des usages de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers, qui délivre des formations à l’issue desquelles les promotions portent le nom d’un ancien.

Ensuite, les chefs de centre devraient être plus reconnus et bénéficier d’une formation plus appropriée, en tant que cadres. La discipline peut également faire défaut chez les jeunes sapeurs-pompiers qui ont été biberonnés aux réseaux sociaux et ne savent pas toujours écouter et obéir aux consignes qui leur sont données. Pour certains d’entre eux, la vérité est celle des réseaux sociaux et non celle des casernes. Certaines avancées ont tout de même pu voir le jour. Au congrès national des sapeurs-pompiers de France qui s’est déroulé il y a quelques jours à Toulouse, des annonces positives ont été effectuées dans le domaine des trimestres de retraites et des crédits d’impôt. La fédération nationale des sapeurs-pompiers a également rédigé un Livre blanc du volontariat, assorti de soixante-quinze propositions.

Néanmoins, il serait nécessaire d’introduire une plus grande souplesse en matière d’engagement et surtout de management. Nous pourrions profiter de l’expérience de management d’un certain nombre de nos pompiers volontaires, qui sont chefs d’entreprise ou techniciens, ces derniers n’étant pas forcément écoutés comme ils devraient l’être. Enfin, je pense qu’il manque également une campagne nationale comme l’armée, la gendarmerie ou la police ont été capables d’en réaliser.

Par ailleurs, la suppression du service militaire nous a handicapés. En effet, le service militaire permettait de mélanger des jeunes issus de différents horizons et de leur apporter bien plus qu’une formation. Il permettait de mettre en avant le rôle de la nation, l’attachement au drapeau et l’importance de l’engagement citoyen, qu’il est de plus en plus difficile de transmettre. Certes, il existe aujourd’hui le service national universel, mais sa durée demeure trop courte. Je suis favorable à de plus nombreuses interventions de formation auprès des élèves des écoles, notamment sur les gestes qui sauvent, qui donneraient la possibilité d’être au contact des plus jeunes et de susciter des vocations. Malheureusement, dans certains endroits, les professeurs n’y sont pas favorables.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je souhaiterais revenir sur des éléments historiques. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les sapeurs-pompiers de Marseille et de Paris sont restés militaires ? De même, à quel moment sont apparues les autres composantes de la protection civile ? Je pense notamment aux associations agréées de sécurité civile.

M. Didier Lambert. Le corps des sapeurs-pompiers de Paris a été créé en 1811, à partir de militaires du génie. Par la suite, la Ville de Paris a souhaité maintenir leur statut militaire. La situation de Marseille est quelque peu différente. En 1938 a eu lieu l’incendie des Nouvelles Galeries, un grand magasin situé sur la Canebière. À l’issue de ce drame, le corps des sapeurs-pompiers municipaux a été dissous et remplacé par un corps militaire de marins-pompiers.

De leur côté, les unités de la sécurité civile (USC) ont été créées en 1976 et accueillaient initialement des réfractaires au service militaire, qui refusaient de porter des armes. Ces unités ont également fait appel à des harkis. Initialement dévolues aux feux de forêt, elles ont vu ensuite leurs missions évoluer. Par exemple, l’unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile de Nogent-le-Rotrou est spécialisée dans les catastrophes naturelles. Ces unités travaillent aussi bien en France qu’à l’étranger, lors de différentes catastrophes comme les séismes. En 1988, j’ai eu la chance de partir en Arménie en tant que maître-chien après le tremblement de terre. J’ai eu l’occasion de travailler avec ces unités.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Dans mon centre de secours, j’ai participé pendant plusieurs années aux processus de recrutement des pompiers volontaires. Lors des entretiens, nous demandions toujours quelles étaient leurs motivations. La réponse était toujours identique : ils voulaient éteindre des incendies, mission première des sapeurs-pompiers. Dans l’esprit des gens, l’image du métier est héritée du film Backdraft, où les pompiers sortent des flammes un enfant dans les bras.

Or, il faut savoir que les feux ne représentent aujourd’hui que 5 % des interventions des pompiers. Dès lors, utilisons-nous aujourd’hui à bon escient les sapeurs-pompiers ? Est-il vraiment nécessaire de solliciter des pompiers professionnels ou militaires pour s’occuper de personnes qui souffrent d’une entorse du genou ? Ne faudrait-il pas recadrer les interventions des sapeurs-pompiers ? Quel est votre avis à ce sujet ?

M. Didier Lambert. L’image du pompier est effectivement liée au cliché entretenu dans les films ou les séries, où des pompiers à la musculature impressionnante sauvent les enfants des flammes. Heureusement, nous menons des campagnes d’information pour montrer que tout le monde peut devenir sapeur-pompier. Mais il est vrai que nous avons parfois du mal à nous détacher de cette image qui nous colle à la peau, alors même qu’elle n’est pas justifiée.

S’agissant du secours aux personnes, nous disposions avant de véhicules de secours aux asphyxiés et blessés (VSAB). Désormais, ces véhicules sont utilisés pour tout type de victime. Des sapeurs-pompiers se lèvent toutes les nuits pour conduire des personnes à l’hôpital, ce qui n’est pas forcément très attractif. De même, les employeurs de pompiers volontaires sont prêts à aider leur commune, mais ils peuvent déchanter quand ils constatent que leurs salariés attendent parfois des heures dans les salles d’attente des hôpitaux puisque les ambulanciers manquent. Je suis d’accord avec vous : les pompiers ont vocation à s’occuper des urgences, pas des petits « bobos ». Si nous continuons de la sorte, nous allons dissuader l’ensemble des sapeurs-pompiers, qu’ils soient professionnels ou volontaires.

Un grand nombre de jeunes nous rejoignent pour porter secours et sauver leurs concitoyens. De fait, le sauvetage d’un enfant continue d’être le « Graal » pour tout sapeur-pompier. Cependant, il est également nécessaire de donner une autre image de notre activité. Si l’image des sapeurs-pompiers français continue à être dévoyée, nous n’y arriverons pas.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je partage votre point de vue. Je souhaite par ailleurs évoquer la question de la formation. Vous avez évoqué la formation initiale. Les jeunes sapeurs-pompiers (JSP) connaissent généralement des formations initiales d’une durée de quatre semaines. Cependant, il faut souligner qu’il est difficile pour un sapeur-pompier volontaire d’amputer ses jours de congé pour s’y consacrer.

De son côté, la formation continue, sur toute l’année, correspond à quarante heures par an. Pour ma part, j’ai commencé par des formations simples, où nous pouvions prendre le temps de discuter et échanger. Désormais, les formations sont beaucoup plus compliquées. Je pense notamment à la formation pour la mise en œuvre des lots de sauvetage, dans laquelle il existe cinq types de manœuvres, alors que nous ne nous servons en réalité que d’une seule. Est-il réellement utile de continuer à former sur ces cinq manœuvres ? Ne faudrait-il pas revoir et alléger les formations continues ? Il me semble plus pertinent de se concentrer sur des formations réellement importantes, adaptées aux départements et aux risques locaux. Quel est votre avis sur cet allègement des manœuvres ?

M. Didier Lambert. Je pense également qu’il convient d’opérer des changements. Généralement, ces formations sont établies à Paris, sans consulter l’avis des personnels locaux. De fait, les formations s’accumulent. À la formation initiale de quatre-vingt-dix heures viennent notamment s’ajouter la formation incendie ou la formation au secours d’urgence des personnes. Il convient en outre de mentionner les recyclages de spécialités, qui sont chronophages et empêchent les sapeurs-pompiers de partir en intervention. Je suis donc favorable à un allègement mais, pour y parvenir, il faut convaincre ceux qui prennent les décisions.

Aujourd’hui, la situation tend à devenir infernale. Au préalable, nous effectuions la « sortie du mois », qui nous permettait de faire le tour des communes et de manœuvrer l’échelle et le fourgon. Nous en profitions également pour solliciter les personnes sur le terrain. Désormais, cela n’est plus possible : les premiers dimanches du mois sont consacrés au recyclage. Mais, encore une fois, ces messages doivent plutôt être adressés en haut lieu. De notre côté, nous sommes déjà convaincus de leur pertinence.

Par ailleurs, il importe de trouver un juste milieu. Lorsque j’ai commencé, il y a cinquante ans, nous étions tout de suite plongés dans l’action, sans y être forcément préparés. Lorsque nous nous trompions, nous étions réprimandés, mais nous apprenions ainsi, sur le tas. Aujourd’hui, les nouveaux sapeurs-pompiers peuvent rester un an à la caserne sans partir en intervention, alors qu’ils sont venus pour s’engager.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je souhaite également revenir sur le secourisme. Aujourd’hui, il est important que les sapeurs-pompiers et l’ensemble des acteurs de la vie civile soient formés au secourisme. À ce titre, il faut former les jeunes durant leur scolarité, et j’estime que la période idéale serait celle de la classe de seconde, qui n’est pas sanctionnée par un examen de fin d’année. Une ou deux journées pourraient ainsi être consacrées à ces formations au secourisme, qui pourraient être assurées par des sapeurs-pompiers, mais également par les associations de sécurité civile ou des organismes privés. Je précise que cette proposition a déjà été soumise en haut lieu.

De même, ne faudrait-il pas revoir les modalités d’apprentissage du secourisme ? Il est essentiel que nos concitoyens sachent réaliser un minimum de gestes, mais le secourisme tel qu’il est enseigné aujourd’hui est-il judicieux ? Ne convient-il pas ici aussi d’alléger les procédures ? Par exemple, est-il vraiment essentiel de disposer d’un niveau infirmier pour être secouriste ?

M. Didier Lambert. Dans ce domaine, il est également nécessaire de faire un saut dans le passé. Il y a une trentaine ou une quarantaine d’années, les sapeurs-pompiers étaient préparés pour aller dans les écoles afin de former à leur tour aux gestes de secourisme. Mais, à un moment donné, l’éducation nationale n’a plus voulu que nous procédions de la sorte, sous prétexte que les pompiers n’étaient pas des enseignants.

Par ailleurs, le brevet national de secourisme a également évolué pour revenir à l’essentiel. À ce titre, les « gestes qui sauvent » constituent la base, pour apprendre à positionner la victime sur le côté et à maintenir en vie une personne, sur les plans ventilatoires et circulatoires. Les formations complémentaires gagnent ensuite en complexité, à travers les premiers secours en équipe de niveau 1 (PSE1) et les premiers secours en équipe de niveau 2, pour les intervenants de la sécurité civile.

Selon moi, il n’est pas possible d’alléger les gestes qui sauvent, mais il faudrait qu’ils soient enseignés à tous et, pourquoi pas, rendre cet enseignement obligatoire. À une époque, il me semble que le passage du permis de conduire nécessitait également l’apprentissage des gestes qui sauvent.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Il s’agissait d’une simple proposition, mais qui n’a pas été suivie d’effet.

M. Didier Lambert. Ceci est regrettable. Ensuite, je pense que votre proposition concernant les classes de seconde est pertinente. Il s’agit du bon âge pour apprendre et débuter un engagement chez les sapeurs-pompiers volontaires.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour votre intervention qui contribue à nourrir nos travaux. À cet égard, j’en profite pour vous indiquer que vous pouvez également nous adresser par écrit des éléments complémentaires que nous n’aurions pas pu évoquer aujourd’hui.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie à mon tour d’avoir pris le temps de nous faire part de vos réflexions. Je pense que nous serons également conduits à rencontrer la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Je crois également avoir relevé dans votre dernière remarque une invitation impérieuse à renforcer la culture de la sécurité et de la protection civile à tous les niveaux, à commencer par les citoyens, qu’ils soient ou non sapeurs-pompiers ou membres de sociétés agréées.


Table ronde, ouverte à la presse, sur le contexte et la gestion des incendies survenus en Gironde au cours de l’été 2022

Compte rendu de la table ronde sur le contexte et la gestion des incendies survenus en Gironde au cours de l’été 2022
(jeudi 19 octobre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de notre mission d’information en commençant une nouvelle série de tables rondes, qui réunissent des représentants de l’État et des élus de territoires ayant récemment connu des évènements majeurs du point de vue de la sécurité civile. Nous avons, pendant nos précédentes auditions, entendu les associations nationales d’élus ainsi que des chercheurs et universitaires spécialistes de la sécurité civile. Nous avons ensuite voulu organiser trois tables rondes thématiques, afin de revenir sur trois grandes catastrophes ayant récemment touché notre territoire.

La première de ces tables rondes nous permet d’aborder les incendies tragiques qui ont frappé la Gironde durant l’été 2022. Notre objectif est de bénéficier de connaissances de terrain et d’un retour d’expérience sur ce drame, afin de mieux comprendre le fonctionnement de notre modèle de sécurité et de protection civile en période de crise et de réfléchir à des mesures concrètes pour le renforcer.

Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Vincent Ferrier, sous-préfet de l’arrondissement de Langon, M. François Gros, chef d’état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest, M. Marc Vermeulen, directeur du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Gironde, et M. Bernard Lauret, président de l’Association des maires de la Gironde, maire de la commune de Saint-Émilion, qui participe en visioconférence.

M. Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde, et M. Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras, sont également invités et sont sur le point de nous rejoindre en visioconférence.

Nous vous remercions tous de vous être rendus disponibles pour partager avec nous votre expérience malgré vos agendas chargés. Notre mission d’information aura, par ailleurs, la chance de se déplacer bientôt en Gironde.

Nos questions porteront prioritairement sur le contexte et la gestion de la crise qu’a vécue le département, mais n’hésitez pas à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre modèle de sécurité civile et sur les possibilités de l’améliorer, notamment à la lumière de ce que vous avez pu constater et vivre.

Notre mission est composée de 25 députés de tous groupes politiques et elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons. Cette table ronde est filmée et accessible sur le site de l’Assemblée nationale. Elle fera également l’objet d’un compte rendu.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie, messieurs, d’avoir répondu à notre demande. Notre mission d’information porte sur notre capacité d’anticipation et de gestion de crises. Ayant moi-même été sapeur-pompier volontaire, puis professionnel pendant plus de 30 ans, ainsi qu’élu local, j’ai eu à faire face à diverses crises.

D’abord, j’aimerais vous entendre sur votre approche de la sécurité civile, que ce soit au niveau départemental ou en fonction de votre expérience sur d’autres postes.

M. Vincent Ferrier, sous-préfet de l’arrondissement de Langon. Je vous remercie d’organiser cette table ronde, qui nous offre l’opportunité de revenir sur la gestion des feux de 2022 en Gironde et sur les enseignements que nous en avons tirés. Pour ma part, en tant que sous-préfet de l’arrondissement de Langon, j’ai été particulièrement concerné par l’un des feux. En effet, deux feux principaux s’étaient déclarés, l’un dans le secteur du bassin d’Arcachon, à La Teste-de-Buch, et l’autre dans le secteur de Landiras, situé dans mon arrondissement et qui s’est étendu sur plusieurs communes, englobant un vaste massif forestier, à savoir les Landes de Gascogne.

J’ai été directement concerné par cet épisode intense et, avec un peu plus d’un an de recul, je constate que, malgré tous les retours d’expérience et les enseignements tirés, cette crise a révélé la résilience de notre territoire, de nos populations et de notre modèle de sécurité civile, ainsi qu’une capacité d’adaptation face à un phénomène hors normes à de nombreux points de vue, notamment en raison des conditions météorologiques dégradées. Le bilan affiche des éléments positifs, car il ne fait état d’aucune victime ou blessé grave. Ces opérations ont été menées dans un contexte difficile et en mobilisant d’importants moyens.

Cependant, comme dans toute gestion de crise, des enseignements sont à tirer, à la fois sur ce qui a bien fonctionné et sur les éléments d’amélioration. Notre modèle de sécurité civile a permis de faire face à cet évènement totalement hors normes. J’en retiens également des liens extrêmement forts entre tous les acteurs mobilisés pendant cette crise.

M. François Gros, chef d’état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest. Je n’étais pas présent au moment de cette crise, ayant pris mes fonctions en février de cette année. Je pourrai donc apporter un regard externe sur la manière dont elle a été gérée. Je rallie d’emblée les propos de M. le sous-préfet, en soulignant que ce modèle de sécurité civile, même soumis à des tensions et à des limites capacitaires, a résisté et s’est réinventé pendant la crise. Il a évolué vers des modèles qui ont connu aujourd’hui une consécration législative. Je me concentrerai sur la manière dont, sous l’impulsion du Président de la République et de son gouvernement, nous avons mis en œuvre diverses mesures pour compléter un dispositif déjà performant lors de ces feux, car nous pourrions faire face à des situations similaires, voire plus intenses et plus fréquentes, compte tenu des évolutions climatiques.

M. Marc Vermeulen, directeur du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Gironde. Je suis ravi de participer à cette commission et d’aborder un sujet aussi important que l’amélioration de notre système de sécurité civile. J’ai pris le commandement de la Gironde en octobre 2021 et, auparavant, j’avais commandé le département du Val-d’Oise ainsi que le département des Côtes-d’Armor. De plus, j’ai occupé le poste de chef de bureau à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Cette expérience m’a permis d’avoir une vision globale de la sécurité civile en France.

Notre système de sécurité civile a été malmené et nous avons peut-être atteint les limites de nos capacités, mais il a tenu, notamment par la solidarité interdépartementale et nationale, voire internationale, ainsi que grâce aux sapeurs-pompiers volontaires.

Trois domaines mettent en difficulté le modèle de sécurité civile français. Tout d’abord, il est nécessaire de mentionner le réchauffement climatique et l’augmentation de l’intensité ainsi que de la fréquence des évènements auxquels nous devons répondre. Ensuite, la sur-sollicitation de notre sécurité civile dans le cadre des secours d’urgence aux personnes consomme parfois des troupes, ce qui peut engendrer une perte de sens et une difficulté à répondre aux situations exceptionnelles. Enfin, la question de la pérennisation du financement des SDIS se pose.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je renouvelle ma question pour les personnes en visioconférence : pourriez-vous revenir sur ce que vous avez vécu et sur votre approche de notre modèle de sécurité civile ?

M. Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras. Je suis maire de Landiras depuis 2008 et, auparavant, j’ai fait carrière dans l’armée de l’air. En 2022, j’ai été le malheureux maire qui a vu la forêt brûler.

M. Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde. La question porte, plus largement, sur la résilience de notre pays en matière de sécurité civile. Ce que nous avons vécu a constitué une forme d’exercice réel et a permis d’évaluer le rôle de chacun, ainsi que l’articulation et la coordination entre les différents acteurs, qui sont divers quant à leur niveau d’intervention, leur structuration et leur capacité à intervenir. Nous pourrions d’ailleurs considérer d’autres départements de France qui ont vécu des incendies et qui ont parfois été confrontés à des difficultés que nous n’avons pas vécues.

Même si le système n’a pas rompu, nous avons connu nos propres difficultés et nous avons parfois approché de très près ce point de rupture. L’analyse qui peut être faite aujourd’hui doit notamment porter sur le rôle de chacun, sur l’articulation des acteurs et sur la manière dont nous anticipons, planifions, prévenons et garantissons une connaissance commune de nos rôles respectifs, pour être les plus efficaces possible lorsque la crise survient. Le travail que vous effectuez aujourd’hui, qui fait suite à d’autres travaux déjà réalisés, est fondamental. Il devrait nous permettre de mieux identifier la structuration de cette organisation et, à terme, de garantir que chacun soit prêt et à sa place lorsque les crises surviennent.

M. Bernard Lauret, président de l’Association des maires de la Gironde, maire de la commune de Saint-Émilion. En tant que président de l’Association des maires de la Gironde, je remarque le rôle très important que les maires, adjoints et conseillers ont joué lors de cette catastrophe. Les élus sont les premiers sur le terrain et sont nécessaires pour orienter les services de secours au moment des évacuations. Je remercie énormément le département, qui a ensuite pris la main sur l’organisation de l’intendance pour accueillir les personnels de secours. En tant qu’élus, nous n’avons pas l’habitude d’être confrontés à la gestion de crise et nous n’avons pas de formation sur le sujet. Nous organisons cependant des réunions pour parler du rôle du maire lors de tels évènements.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie pour ces propos introductifs. Le rôle de chacun est un enjeu important qui a été souligné pour la gestion de crise, car nous faisons face à des crises d’ordre naturel, technologique, sanitaire et, malheureusement, à des crises relatives au risque attentat.

Je vous propose maintenant d’évoquer la sécurité civile en Gironde, les incendies de l’été 2022 et des questions générales sur notre modèle de sécurité civile. À quels risques principaux le département de la Gironde est-il exposé ? Comment ont évolué ces risques ces dernières années ?

M. Jean-Marc Pelletant. Les risques sur notre commune correspondent en premier lieu aux incendies, et, en second lieu, aux inondations, puisque nous sommes placés sur un plateau versant. Par exemple, 70 maisons ont été inondées en 2020.

M. Marc Vermeulen. M. Gleyze a l’habitude de dire que nous sommes confrontés à tous les risques au sein du département de la Gironde, hormis le risque avalanche. Nous couvrons environ 1,6 million d’habitants et 5,7 millions de nuitées. De plus, la dynamique est très importante en termes d’augmentation de la population, avec de 15 000 à 20 000 habitants supplémentaires par an au cours des dernières années. La superficie à couvrir s’élève à 10 725 kilomètres carrés, faisant de la Gironde le plus vaste département métropolitain. Elle est en outre caractérisée par 126 kilomètres de littoral, 35 000 kilomètres de cours d’eau et 48 % de surface boisée. La majeure partie de cet espace correspond à une forêt exploitée et qui a été plantée par l’homme, à savoir le massif des Landes de Gascogne. Historiquement, la terre n’était pas exploitable et, grâce à la main humaine et à la plantation du pin maritime, le département a pris la forme que nous lui connaissons. Le département compte aussi 11 800 hectares de vignes, 135 000 établissements recevant du public, 473 installations classées pour la protection de l’environnement, 39 sites Seveso, un aéroport national, une centrale nucléaire et le laser Mégajoule. Ces caractéristiques nous amènent à couvrir de nombreux risques, relatifs aux feux de forêt, aux tempêtes, aux orages – qui peuvent d’ailleurs mettre le feu au massif –, à l’érosion, aux inondations, à la technologie et à la métropole bordelaise. En effet, la plantation de nouveaux arbres génère des problématiques d’accessibilité et de nombreuses constructions en bois.

En 2022, nous avons assuré 146 184 interventions et 80 % de notre activité concernaient les secours à personnes. La Gironde est, en outre, confrontée à la problématique des temps d’attente : les sapeurs-pompiers peuvent patienter dans les sites d’accueil des urgences jusqu’à huit heures avant que les victimes soient prises en charge, ce qui bloque les équipages. Cela peut représenter, en termes de temps d’attente, 80 ETP.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Monsieur Pelletant, nous souhaiterions vous entendre sur la manière dont vous avez vécu cette crise en tant que maire.

M. Jean-Marc Pelletant. Le feu de 2022 a pris vers 16 heures 15 et j’étais sur place à 17 heures, moment auquel les flammes et la chaleur étaient déjà très importantes. Je me suis tout de suite rendu compte que nous étions confrontés à un évènement extraordinaire. En effet, nous subissons des départs de feux tous les ans, ce qui nous confère une certaine expérience. Dans le cas qui nous occupe, j’ai immédiatement créé une cellule de crise avec les élus, en pensant que la nuit ne serait pas tranquille. Le feu a en effet parcouru 1 500 hectares en vingt-quatre heures et il a duré un peu plus d’un mois. J’ai personnellement perdu 6 kilos en raison de nombreuses nuits blanches. Le village a en outre été évacué, davantage par crainte de la fumée que du feu. Nous avons veillé, avec les gendarmes, à la sécurité des habitations isolées et 1 200 pompiers ont dû être hébergés au mois d’août. Notre principal rôle a été de nous occuper d’eux et d’assurer leur bien-être.

M. Didier Lemaire, rapporteur. S’agissant de votre appréhension de la gestion de crise, aviez-vous une appétence sur le sujet en tant que maire, ou une personne de votre équipe municipale était-elle déjà spécialisée dans le domaine ? Est-ce plutôt les évènements qui vous ont poussé à mettre en place cette cellule de crise ?

Vous êtes-vous retrouvé isolé – non pas du reste du monde, car les services et l’inter-service fonctionnent souvent très bien dans notre pays – au moment du départ de feu ? Aviez-vous une approche d’avant-crise, pendant la crise et d’après-crise ? En effet, les maires sont souvent confrontés à l’après-crise, notamment au sujet du relogement.

Vous êtes-vous doté d’une réserve communale de sécurité civile ou pouvez-vous vous appuyer sur des associations agréées ?

M. Jean-Marc Pelletant. J’ai travaillé 36 ans dans l’armée de l’air, ce qui m’a confronté à plusieurs problèmes de ce type. Je n’ai donc pas été tout à fait désorienté quant à l’organisation induite par cet évènement. J’ai mis en place une cellule de crise dans la soirée avec les élus et elle a perduré pendant près d’un mois. Nous avons commencé à travailler et à aménager les salles pour accueillir les personnes évacuées et, à 4 heures du matin, nous étions préparés à accueillir des habitants des villages voisins. Nous avons en outre accueilli les pompiers.

J’avais une grande expérience des cellules de crise grâce à ma carrière militaire et nous créons maintenant notre plan local de sauvegarde ainsi que la réserve communale. Nous avons travaillé en relation avec la défense des forêts contre l’incendie (DFCI), la gestion des volontaires et des bénévoles, ainsi que la gestion des dons qui nous parvenaient de partout. Je pense que nous avons fait ce qu’il fallait dans la mesure de nos moyens. L’ensemble de nos élus a d’ailleurs été sur le pont pendant près d’un mois.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Ces évènements ont amené à mener une réflexion plus poussée pour se préparer aux prochaines crises, notamment avec la mise en place de la réserve communale de sécurité civile et d’une cellule de crise à l’échelle communale. Selon vous, faut-il poursuivre les efforts en ce sens pour que les communes ne soient pas dépourvues lorsqu’elles n’ont pas de compétences en la matière ? Il arrive, en effet, que les conseils municipaux ne comprennent pas de personnes aguerries dans la gestion du risque. De plus, la solidarité que vous avez évoquée avec votre équipe municipale, et peut-être les habitants, demande sans doute à être structurée à l’avenir, notamment à l’échelon national.

M. Jean-Marc Pelletant. Nous n’avions pas de plan communal de sauvegarde (PCS) et celui-ci est maintenant pratiquement terminé. Nous allons l’envoyer aux autorités compétentes et nous avons déjà trouvé un certain nombre de personnes pour la réserve communale. Le nombre de volontaires demeure pour l’heure insuffisant, car nous voulons désigner un référent dans chaque quartier. La commune de Landiras se compose d’un bourg et de 18 quartiers, éloignés parfois de 9 kilomètres. Il nous faut un référent et un suppléant dans chaque quartier, avec des consignes pour qu’ils puissent intervenir de manière adéquate. Les élus de Landiras sont par ailleurs, pour certains, des propriétaires qui ont déjà été confrontés au feu.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pensez-vous que la population de votre commune et des alentours – voire la population au niveau national – est assez acculturée au sujet de la sécurité civile et de la protection des populations ?

M. Jean-Marc Pelletant. Ce n’est pas une question facile, mais il me semble que c’est le cas. Les élus et les habitants de Landiras sont des « hommes des bois », ayant vécu toute leur vie dans des bois. À part en 1949 et 1962, des feux de ce type ne se déclarent pas tous les ans, mais les habitants ont l’habitude des incendies et savent ce qu’ils doivent faire. Par exemple, ils ne comprenaient pas pourquoi ils étaient évacués, car habituellement, on leur demande de rester chez eux en cas de feu.

Mme la présidente Lisa Belluco. Quelles ont été les relations entre vous, les autres maires, le département et les services de l’État ? Ont-elles été fluides ? Comment avez-vous vécu cette crise ?

M. Jean-Marc Pelletant. Les relations ont été constantes. En tant que maire, j’étais sur le terrain avec mes autres collègues, M. le sous-préfet, la DFCI et le SDIS. J’étais aussi en relation téléphonique constante avec la cellule de crise, qui était dirigée par ma première adjointe. Je n’ai donc pas trop de commentaires à faire sur ce sujet. Les relations étaient constantes et précises, aussi bien avec les services de l’État qu’avec les collègues maires, les pompiers et les gendarmes. J’ai également eu les postes de commandement (PC) des gendarmes et des pompiers sur la commune.

Mme la présidente Lisa Belluco. Monsieur Gleyze, quel a été le rôle du département dans ce type de crise et quelles ont été vos propres relations avec les services de l’État et le maire de Landiras ?

M. Jean-Luc Gleyze. Je suis né en Gironde, et plus particulièrement dans le massif des Landes de Gascogne. Au fil des années, j’ai occupé des rôles de directeur général des services (DGS) dans des communes et j’ai pu observer divers évènements dans cette région, y compris des tempêtes majeures et des incendies, comme ceux dans le Médoc dans les années 1990 et dans la région de Saint-Jean-d’Illac en 2015. Ce dernier, bien que de moindre ampleur en termes de superficie brûlée, a marqué les esprits, car il s’est rapproché dangereusement de l’agglomération bordelaise.

Au fil du temps, j’ai observé une évolution dans la manière d’aborder les crises et les risques. À l’époque de la tempête Martin, nous n’étions pas du tout préparés à affronter un évènement d’une telle envergure. La désorganisation était très importante, avec des coupures d’électricité pendant un mois dans certaines communes, des problèmes de distribution d’eau et une organisation improvisée, parfois désordonnée, avec des communes se disputant les groupes électrogènes.

Aujourd’hui, il semble y avoir un niveau de préparation légèrement meilleur, mais les renouvellements électoraux entraînent des changements de maires. Être directeur des opérations de secours (DOS) dans sa commune ne fait généralement pas partie de la formation initiale des maires. Ils acquièrent donc cette conscience soit lors de la crise elle-même, soit en se préparant en amont, notamment en élaborant des plans communaux de sauvegarde. Dans notre petite commune de 1 300 habitants située dans le massif, nous disposons d’un plan communal de sauvegarde depuis plusieurs années. Celui-ci doit être testé régulièrement pour garantir son opérationnalité au moment où il sera utilisé.

Dans notre conseil municipal, nous avons la chance de compter un ancien pompier, dont l’expérience est inestimable pour nous aider à déployer notre plan communal de sauvegarde. Toutefois, il est essentiel que les maires prennent pleinement conscience de l’importance de ce plan et de la nécessité de le tester régulièrement.

Aujourd’hui, je constate que les maires dont les communes ont été touchées par des incendies sont évidemment beaucoup plus sensibles à l’utilité des plans communaux. Le travail effectué en collaboration avec l’Association des maires de Gironde (AMG) et le SDIS, qui propose des formations aux élus, vise à sensibiliser l’ensemble des élus. La dernière journée des maires du conseil départemental, qui s’est tenue il y a quelques semaines, portait justement sur la question des risques. Je considère que cette sensibilisation en amont est un élément essentiel à prendre en compte.

La question de la population est également importante, car elle se renouvelle et évolue régulièrement, y compris dans les milieux ruraux. Si les autochtones ont développé une culture du risque incendie et forestier dans le massif des Landes de Gascogne, de nombreux nouveaux habitants et touristes ne sont, cependant, pas toujours conscients de ces risques. Ils peuvent soit contribuer à créer des risques, soit devenir des victimes.

En ce qui concerne les relations entre les différents acteurs, je tiens à souligner – étant à la fois président de conseil départemental et président de SDIS –, l’excellente collaboration que nous avons entretenue avec Mme la préfète Buccio et les deux sous-préfets, à savoir Vincent Ferrier et Ronan Léaustic. Les évènements que nous avons vécus ont renforcé les liens entre les différents acteurs, que ce soit l’État, à travers la préfète et les sous-préfets, ou l’ensemble des organisations de sécurité civile sur le terrain. Ces incendies, que l’on peut qualifier d’historiques, ont resserré les rangs et ont montré l’importance d’une collaboration étroite entre toutes les parties prenantes. La relation entre le SDIS et la DFCI a également été très bonne, cette dernière ayant été un partenaire majeur de la défense contre ces incendies, parfois même au-delà de son périmètre officiel. La relation entre le SDIS et la DFCI est très structurée en raison des incendies d’après-guerre, la connaissance mutuelle entre les personnels permettant d’être rapidement opérationnel.

S’agissant des maires, nous avons essayé de les accompagner autant que possible, notamment en ouvrant les collèges pour accueillir les populations évacuées, en offrant un appui pour les personnes handicapées, ainsi que pour les personnes âgées en situation d’isolement, et en ouvrant un domaine départemental qui est une base de loisirs. Ce domaine a accueilli des pompiers, des militaires, la DFCI, la protection civile, des élus et des bénévoles départementaux, qui ont servi jusqu’à 2 000 repas matin, midi et soir, ainsi que la nuit. Nous avons également accueilli les troupes européennes. Ces actions nous ont inspiré l’élaboration d’un document qui sera inédit en France, à savoir un plan départemental de sauvegarde. Il s’incrémenterait entre l’organisation de la sécurité civile nationale et les plans communaux et intercommunaux de sauvegarde, afin de pouvoir jouer un rôle complémentaire pour face à ce type de crises.

M. Bernard Lauret. Nous pouvons remercier le travail important réalisé par le département pour aider les collectivités, notamment lorsqu’il a pris la main pour gérer l’accueil de ces centaines de pompiers et gendarmes. Mon rôle en tant que président de l’association des maires de Gironde consistait surtout à assurer l’interface. J’avais très souvent au téléphone la directrice de cabinet de la préfète, car il fallait trouver des quantités d’eau très importantes, des camions frigorifiques et des lits. Je me chargeais de la coordination, afin d’apporter tout ce matériel dans les centres d’accueil des petites communes. L’implication du département a été bénéfique pour tous les maires concernés par des déplacements de population et par la fourniture de nourriture. Le président du conseil départemental avait d’ailleurs mobilisé des cuisiniers des collèges du département, les conseillers départementaux et des bénévoles.

En 2015, j’ai connu l’accident grave d’un bus à Puisseguin, qui a fait 41 victimes. Le rôle de la communauté de communes a alors été manifeste, et j’avais mis à disposition mes policiers municipaux en renfort pour accueillir les familles des victimes. Tout le personnel de la communauté de communes a en outre permis de nourrir les gendarmes et pompiers qui étaient présents.

Nous travaillons par ailleurs sur des plans intercommunaux de sauvegarde, afin de fédérer les différents plans et de travailler ensemble sur un modèle unique. Il est judicieux de travailler à une échelle plus importante, car la Gironde compte 535 communes et, individuellement, nous sommes presque tous démunis.

Mme la présidente Lisa Belluco. Souhaitez-vous réagir aux propos des élus locaux ? Pouvez-vous nous parler du rôle de chacun et des relations entre les différents échelons dans ce type de crises ?

M. Vincent Ferrier. Je tiens également à saluer la très grande qualité des relations entre les acteurs de la crise, en particulier des relations avec les élus. Nous avions tous le sentiment profond de vivre une crise tout à fait exceptionnelle, ce qui justifiait des relations aussi fluides et efficaces que possible. Je crois que cet objectif a été atteint, même si tout est, par définition, perfectible. Nous avons fait de notre mieux pour coordonner nos efforts de manière optimale.

Nous faisons face à deux défis importants, dont le premier était l’ampleur du périmètre géographique. Deux grands feux ont débuté presque simultanément le 12 juillet, à deux heures d’intervalle. Le premier a principalement touché une commune, mais a entraîné des répercussions sur les communes environnantes, situées sur le bassin d’Arcachon, notamment La Teste-de-Buch. Le second incendie a commencé à Landiras et s’est rapidement propagé dès le premier soir vers Guillos, Origne, Louchats, etc. Au plus fort de la crise, 16 communes étaient concernées, soit directement par le feu, soit parce que leur population située en périphérie de la zone d’incendie était évacuée. La coordination entre tous les maires concernés constituait donc un enjeu majeur, en raison de l’ampleur géographique de l’évènement.

Le deuxième défi résidait dans le grand nombre d’acteurs impliqués, avec d’abord le SDIS de la Gironde, qui a été rapidement renforcé par des moyens des départements voisins, puis des moyens régionaux, nationaux et européens, auxquels se sont ajoutées les forces de sécurité civile au sens large. Les gendarmes et la police nationale ont également joué un rôle essentiel, de même que l’armée, qui est venue en renfort, la DFCI, les élus, leurs services et d’autres acteurs. Coordonner tous ceux-ci a constitué un défi considérable, mais nous y sommes parvenus.

La gestion logistique a été particulièrement complexe. Il a fallu organiser la logistique pour, d’une part, accueillir les renforts mobilisés et, d’autre part, prendre en charge les populations évacuées. Il a également fallu accueillir, nourrir et gérer ces populations, ce qui nécessite de mettre en adéquation l’ensemble des besoins et des ressources disponibles, qui étaient parfois trop nombreuses ou pas toujours au bon endroit.

Lorsqu’une telle crise survient, deux pôles d’activation entrent en jeu. Le premier est le centre opérationnel départemental (COD), qui a été activé dès le 12 juillet vers 18 heures ; le second est le poste de commande opérationnel (PCO), qui est situé au plus près de la crise et dont la base a été fournie par le SDIS. La particularité de cette crise réside dans le fait que deux PCO ont été mobilisés. Le premier avait été situé dans la commune de Landiras avant de se déplacer en suivant l’évolution du feu vers les communes de Villandraut et Langon. De plus, un PCO était installé à La Teste-de-Buch.

Quant à l’articulation des actions en cas de crise de cette ampleur, le maire de chaque commune joue le rôle de DOS. Lorsque la crise s’étend sur plusieurs communes et nécessite des moyens supplémentaires, le DOS devient alors l’autorité préfectorale, qui coordonne les actions nécessaires. L’articulation de la gestion de cette crise impliquait un DOS principal, en l’occurrence la préfète de la Gironde, et deux DOS de site, c’est-à-dire les deux sous-préfets, chacun sur leur site. Un commandement était enfin assuré par le SDIS. Les maires ont été très directement concernés et les décisions importantes, telles que l’évacuation des communes, ont toujours été prises en concertation avec ceux-ci, car il leur revenait de les mettre à exécution avec le soutien des gendarmes et d’autres acteurs.

La mise à jour des plans communaux de sauvegarde représente un enjeu très important. Beaucoup de communes sont devenues conscientes de cette nécessité, en particulier celles qui ont été directement touchées par la crise ou celles qui sont exposées à des risques particuliers. De plus, il est indispensable de se doter de plans intercommunaux de sauvegarde, articulés avec les PCS. L’autorité de police sur chaque commune reste le maire, mais le président de l’intercommunalité peut jouer un rôle essentiel, notamment en matière de soutien logistique.

En conclusion, les relations ont été les plus constructives possible et la communication a toujours été privilégiée. Nous pouvons saluer l’ensemble des maires, qui ont été présents sur le terrain jour et nuit. Le président du conseil départemental et d’autres acteurs ont également consacré beaucoup de temps.

M. Marc Vermeulen. Nous avons été confrontés à une situation inédite en termes de crise de sécurité civile, car nous avions deux incendies de grande ampleur sur le même département. De plus, nous ne disposions pas de fenêtres de tir pour les éteindre. Nous faisions face à des incendies qui gagnaient en puissance et, malgré toutes les tactiques mises en œuvre, les conditions météorologiques empêchaient leur extinction.

Nous avons alors rapidement maintenu les fondamentaux en termes de structuration du commandement, avec un DOS et un commandant des opérations de secours (COS). Nous avons toutefois adapté cette structure à la situation. En effet, tout n’était pas dans le manuel et, à plusieurs reprises au cours de ces mois d’été, nous avons pris des mesures extraordinaires. D’abord, Mme la préfète Buccio a pris la direction des opérations de secours, tandis que j’ai assumé le rôle de COS. Cependant, nous avions affaire à deux feux majeurs séparés par environ 50 kilomètres. N’ayant pas le don d’ubiquité, le commandant de terrain avait plus de latitude qu’un simple chef de secteur, mais des priorités devaient être établies entre les chantiers.

Ces priorités ont été définies et validées par Mme la préfète de manière très claire. Il fallait d’abord éviter les pertes humaines au niveau des deux incendies principaux, puis empêcher l’apparition d’un troisième incendie de grande ampleur. Sur les trois mois d’été, nous avons dû traiter 640 départs de feu. Nous devions donc conserver nos moyens pour les déployer sur les incendies qui survenaient, en particulier le 18 juillet, maintenant appelé le « lundi noir ». À ce moment-là, les deux incendies principaux ont atteint leur pic de virulence et nous avons dû traiter un troisième feu à Vendays, que nous sommes parvenus à « coiffer ». En parallèle, nous devions maintenir la réponse quotidienne en matière de sécurité civile, c’est-à-dire assurer 300 à 400 interventions journalières, dont 80 % représentaient des secours à des personnes.

Notre structuration a conduit à avoir deux DOS de terrain, qui connaissaient leur marge de manœuvre et rendaient compte régulièrement à Mme la préfète pour divers aspects de la gestion de la crise. Cette structure se retrouvait du côté des sapeurs-pompiers, avec des COS de terrain, bien que leur autonomie soit moins étendue que dans une opération classique. Ils devaient rendre compte et faire valider des idées de manœuvres ou de propositions.

Pour maintenir un lien avec les élus, les deux mêmes lieutenants-colonels étaient présents sur les PC, de même que les deux sous-préfets, tandis qu’une rotation était mise en place la nuit. La structuration très claire a permis que l’inter-service fonctionne avec aisance, évitant ainsi toute tension avec les forces de l’ordre, notamment lorsqu’il a fallu préparer des évacuations. Des réunions étaient tenues avec le sous-préfet, le COS de terrain et le correspondant de police ou de gendarmerie pour élaborer des stratégies en termes de temporalité et de zones géographiques à évacuer en priorité. Ce travail était partagé avec le maire, qui apportait sa connaissance du territoire.

Lorsque des innovations ont été nécessaires, nous avons mis en œuvre des techniques opérationnelles connues, mais que nous avons élevées à une échelle industrielle. Par exemple, les feux tactiques supposaient de mettre le feu à des parcelles appartenant à des propriétaires forestiers. Les sous-préfets, les maires et élus étaient d’ailleurs à nos côtés pour faire œuvre de pédagogie auprès des sylviculteurs. De plus, nous avons travaillé avec des coupes tactiques, qui représentent une nouvelle technique opérationnelle. Comme nous n’avions pas de point de rendez-vous dans des délais raisonnables, nous avons été amenés à couper du bois grâce à la DFCI en partenariat avec les sylviculteurs. Nous ne disposions alors d’aucune base légale, mais un travail a permis d’introduire cette mesure dans le code forestier. La directrice des opérations de secours a pesé de tout son poids, notamment parce que dans la loi de modernisation de la sécurité civile, tous les moyens réquisitionnés au profit du SDIS sont à la charge de l’établissement public. En effet, lorsque vous êtes confronté à une crise hors normes, il est nécessaire de faire appel à la solidarité nationale. C’était l’une des premières fois que nous avions été amenés à le faire et Mme Buccio s’était montrée très claire.

M. François Gros. J’ai tiré mes observations des retours d’expérience que j’ai pu consulter et des échanges réguliers avec les services d’incendie et de secours : la coordination au niveau départemental a été très efficace. L’état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité coordonne douze départements au sein de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest. En Gironde, six départements composent l’aire d’influence du pin maritime, et trois départements historiques englobent le Massif des Landes, d’une surface de plus de 1 million d’hectares : la Gironde, les Landes et le Lot-et-Garonne.

Notre mission consiste principalement à coordonner les actions de ces services et à mobiliser des renforts et des capacités lorsque les ressources d’un département sont dépassées. Lors de l’été 2022, la Gironde a enregistré trois feux hors normes, totalisant près de 28 000 hectares brûlés. Au niveau de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest, nous avons recensé 2 064 départs de feu, dont 640 en Gironde et le reste réparti dans d’autres départements, dont les Landes, la Dordogne, le Sud de la Charente et la Charente-Maritime. Certains de ces feux avaient le potentiel de devenir des feux hors normes, mais ont pu être maîtrisés malgré d’importantes surfaces brûlées, soit environ 3 500 hectares supplémentaires.

Cette réussite s’explique en grande partie par la stratégie française d’attaques massives des feux naissants, tant par des moyens terrestres qu’aériens. Cette attaque combinée est essentielle pour éviter le développement de feux catastrophiques. En effet, une fois que les incendies atteignent une certaine taille, ils deviennent une préoccupation majeure pour la sécurité civile, surtout dans un massif tel que celui des Landes de Gascogne quand il est soumis à des conditions météorologiques extrêmes.

En 2022, cette stratégie a impliqué près de 5 000 largages d’avions ou d’hélicoptères bombardiers d’eau. Les feux dans les Landes de Gascogne, en raison du terrain particulier, ont tendance à durer, s’enterrer et compliquer la lutte, notamment pour les équipes au sol, ce qui exige une attention constante. Huit à neuf appareils bombardiers d’eau ont d’ailleurs été alloués pendant la période des feux de forêt.

La zone se situe donc à un niveau supra-départemental, permettant de fournir des moyens zonaux, voire nationaux ou européens. Ces moyens zonaux sont d’ailleurs constitués par les moyens des SDIS, c’est-à-dire des prélèvements sur les moyens de départements qui ne sont pas nécessairement moins soumis aux risques. À ce moment-là, nous touchons aux limites de la réponse capacitaire lorsque plusieurs départements sont soumis à des risques similaires dans une même zone de défense.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Lorsque j’avais accompagné le ministre de l’intérieur à La Teste-de-Buch au premier semestre, j’avais pu échanger avec les différents élus et acteurs intervenus durant ces feux. Le résultat de ces interventions a été admirable grâce à la coordination entre les différents acteurs, qu’ils soient locaux, départementaux, nationaux, voire européens, sans oublier les élus. Monsieur le directeur départemental, une phrase m’a semblé particulièrement pertinente : « tout n’est pas dans le manuel ». Je partage cette vision, car la seule réalité qui compte est celle du terrain. Je comprends bien l’organisation des services d’incendie et de secours, notamment la mise en place d’un COD, de deux PCO et des COS.

Bien que nous parlions des feux de forêt, il est essentiel de prendre du recul et d’examiner la gestion de crise dans son ensemble, quelle que soit sa nature. L’acculturation des élus et des citoyens ainsi que les enjeux qui en découlent ont été abordés. La population évolue, avec des arrivées et des départs, et tout le monde n’est pas nécessairement acculturé au risque du département. On omet peut-être de parler de l’affluence touristique importante, alors que cette population est encore moins sensibilisée.

Toutefois, en gestion de crise, la prévention est toujours le meilleur atout. Au moment de la survenue d’une crise, les maires et les élus locaux sont souvent concernés au premier chef, en attendant l’arrivée des moyens départementaux, qui peuvent ensuite être interdépartementaux, zonaux ou nationaux. Je suis curieux de savoir si l’acculturation de la population a facilité la gestion de la crise et s’il est possible de développer cette sensibilisation pour soutenir les services d’incendie et de secours, ainsi que les associations agréées en sécurité civile.

Outre les feux de forêt et les risques courants, comment la crise que vous avez connue aurait-elle pu être gérée si un troisième évènement était survenu au même moment ?

M. Marc Vermeulen. En sortant d’une saison telle que celle que nous avons vécue, les défis opérationnels rendent humble. Il est vrai que le bilan est très positif, car aucune victime n’est à déplorer parmi la population et tous les sapeurs-pompiers ont pu rentrer chez eux, même si nous avons malheureusement dénombré quelques blessés, dont la vie n’a pas été mise en danger. Certes, nous comptons 20 habitations détruites, mais 10 000 bâtiments avaient été exposés. Nous avons d’ailleurs permis aux assureurs de réaliser des économies substantielles.

De plus, nous avons bénéficié du soutien des élus, de la population et des professionnels de la forêt. Ce soutien a pu se mettre en place en raison de la culture existante dans le massif des Landes de Gascogne, héritée des feux de 1949. Le législateur a imposé aux communes d’organiser la DFCI dans le cadre de la surveillance des feux, car le massif contient de la tourbe dans laquelle les feux peuvent s’enfoncer. Pour éviter la mobilisation des moyens sapeurs-pompiers pendant de nombreux jours, les communes forestières fonctionnent avec des bénévoles, qui apportent leur aide en surveillant le feu.

De manière concrète, j’ai mis en place un secteur bénévole, que j’ai placé sous l’égide de la DFCI. Sa mission englobait l’organisation de la traçabilité de tous les bénévoles qui étaient engagés sur le terrain. Parmi ces bénévoles, nous avions des agriculteurs venus apporter une aide précieuse, notamment en fournissant des tonnes à lisier pour remplir les camions, ou en nous aidant à traiter les lisières en raison du grand nombre de kilomètres à parcourir. Des entreprises ont également été réquisitionnées par la préfète dans le cadre des coupes tactiques.

Plus largement, je pense que l’encadrement des bénévoles et la synergie entre toutes les personnes doivent passer par plusieurs initiatives. Tout d’abord, il est essentiel de former les élus et de les sensibiliser. Le SDIS de Gironde s’est engagé à envoyer une vingtaine d’officiers en formation à notre école nationale, officiers que nous déployons sur l’ensemble de la Gironde et que nous mettons à disposition des élus. L’objectif est de permettre aux maires, en tant que DOS, de se positionner dans la gestion de crise et de savoir quand ils peuvent utiliser de manière autonome leur réserve communale de sécurité, ainsi que d’identifier les situations dans lesquelles ces réserves doivent passer sous le commandement du COS. De plus, nous souhaitons contribuer à la formation et à la sensibilisation de ces réserves communales, car nous savons qu’à un moment donné, elles seront à nos côtés et que le travail sera plus facile si nous nous connaissons.

Au sujet des associations agréées en sécurité civile, notamment en Gironde, nous devons aller plus loin et nous servir de toutes les possibilités de la loi Matras pour couvrir plus facilement le risque courant et concentrer les moyens de sapeurs-pompiers sur la crise, en lien avec ces associations.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez évoqué une sectorisation bénévole : les personnes la connaissent-elles ou l’avez-vous établie sur le terrain même ? De plus, en cas d’inondation importante, de tremblement de terre ou d’attentat, la préparation de la population doit-elle être la même ?

M. Marc Vermeulen. Je n’avais jamais eu connaissance, du moins dans la littérature des retours d’expérience, de secteur bénévole au niveau d’un incendie. Cependant, il existe un certain nombre de retours d’expérience dans le cadre de la gestion des pollutions des plages où l’accent est mis sur la manière de gérer les bénévoles, de les structurer et surtout d’assurer leur protection. Par exemple, les briefings de début de mission sont essentiels pour que tout se déroule dans de bonnes conditions. Ces pratiques, qui existaient déjà, ont été adaptées pour les feux de forêt.

S’agissant des autres crises de sécurité civile, je dirais que le niveau de préparation est commun à toutes les crises, car nous disposons de spécialistes et de matériel adapté. Nous avons également une structure de commandement claire et adaptable à différentes situations. Cependant, notre capacité à répondre dépendra de l’ampleur de l’évènement et de la simultanéité par rapport à d’autres incidents. Pendant l’été 2022, nous sommes arrivés à la limite de nos capacités en ce qui concerne les camions, alors que, depuis les incendies de 1949, les SDIS qui défendent le massif des Landes de Gascogne avaient toujours eu des moyens matériels suffisants.

M. François Gros. Au sujet de la préparation de la population à réagir en situation de crise, il existe aujourd’hui un arsenal juridique offrant divers moyens, notamment de sensibilisation. La journée nationale de la résilience a eu lieu le 13 octobre dernier et les ministères de la transition écologique et de l’intérieur ont uni leurs forces en mobilisant des crédits assez importants, dont le montant avoisine les 900 000 euros au niveau national. De plus, des appels à projets ont été lancés au niveau départemental pour mobiliser l’ensemble des acteurs de la sécurité civile, bien au-delà des forces de sécurité civile, notamment en impliquant les associations et en encourageant des initiatives.

Bien que cela doive être renforcé, multiplié, voire décuplé, nous nous sommes inspirés de ce qu’on a appelé à un moment donné la « journée japonaise », qui consiste à observer comment les Japonais se préparent à un tremblement de terre. Vis-à-vis d’une multitude de risques, il est nécessaire de se préparer en anticipant, en adoptant les bons comportements, en prenant les bonnes décisions et en s’intégrant dans un dispositif. Je pense que les moyens existent et il nous appartient maintenant de les faire connaître, de les promouvoir et de les utiliser.

M. Jean-Luc Gleyze. En comparant la situation dans le Jura avec les incendies dans le massif des Landes de Gascogne, nous avons élaboré un rapport à la suite de la mission flash des départements de France avec mon collègue André Accari. Il a évoqué le souvenir d’un incendie dans le Jura où des agriculteurs se sont spontanément mobilisés avec leurs tonnes à lisier pour contribuer à la défense contre l’incendie. Le Jura n’était pas préparé pour fédérer et coordonner ces bénévoles qui arrivaient spontanément, prêts à aider, mais sans garantie d’être réquisitionnés pour être protégés, assurés et éventuellement indemnisés. Parfois, ils se rendaient sur le site de l’incendie de manière spontanée, sans coordination, même si la défense incendie relevait du SDIS, et cet apport complémentaire devait être impérativement coordonné.

La grande différence, dans notre cas, réside dans le fait que la DFCI a été capable de jouer le rôle d’intermédiaire pour coordonner les bénévoles. Je me souviens, à Guillos par exemple, d’un entrepreneur forestier qui est arrivé avec un camion-citerne sans même avoir été réquisitionné et sans se préoccuper des étapes nécessaires pour garantir son assurance et son éventuelle indemnisation. La DFCI a directement repris la main et est parvenue à coordonner ces bénévoles. Ce type d’organisation mérite d’être étudié et potentiellement dupliqué ailleurs, car il est riche d’enseignements sur la structure de l’approche bénévole.

Par ailleurs, nous prenons un risque lorsque nous organisons spontanément l’appui aux forces présentes, en particulier en ce qui concerne le soutien logistique. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec des maires et j’ai moi-même vécu une situation similaire avec l’ouverture du domaine départemental d’Hostens, où nous avons dû accueillir et servir des repas à près de 2 000 personnes. Nous prenons en effet un risque sur le moment sans poser de questions, notamment si une épidémie de salmonellose circule au moment où nous servons ces repas.

En ce qui concerne le domaine départemental, nous avions la chance d’avoir une cuisinière sur place, connaissant les normes HACCP, même si je doute qu’elles aient été pleinement respectées au moment de l’incendie. Nous avons également bénéficié de l’aide de restaurateurs bénévoles. Tout cela a été organisé de la meilleure manière possible, avec la mise en place d’une sorte de supermarché local pour gérer les stocks, ainsi qu’une chaîne de restauration en self-service proposant des repas de qualité correspondant aux besoins des personnes mobilisées. Je tiens à souligner l’importance du bénévolat dans cette organisation, ainsi que la coordination nécessaire, assurée par la DFCI. Par ailleurs, les élus locaux, les bénévoles et la population agissent de manière très volontaire, mais il reste toujours cette part de risque.

Le contrôleur général a également évoqué les coupes tactiques, ce qui m’a rappelé les négociations avec les propriétaires forestiers. Je peux vous assurer que convaincre certains d’entre eux de couper leurs arbres pour prévenir la propagation de l’incendie a été un vrai défi. Nous devions anticiper en nous projetant un à deux jours dans l’évolution de l’incendie et la plupart des pare-feux créés à ce moment-là ont réellement limité la progression de l’incendie. Cependant, deux d’entre eux se trouvaient à l’extérieur du périmètre, mais étaient là à titre préventif, ce qui était compliqué à expliquer aux propriétaires. Depuis, la législation est venue faciliter le recours à ces procédés.

Lors des tempêtes Klaus et Martin, je me souviens que des personnes arrivaient avec des tronçonneuses à la mairie, prêtes à couper des pins. On les envoyait sur une piste forestière menant à une maison très isolée où une personne était sous respirateur et devait être évacuée de toute urgence. À ce moment-là, personne ne se posait la question de l’assurance ou du danger vis-à-vis de ceux qui intervenaient. Cet aspect est également important à prendre en considération. L’élan de solidarité est extraordinaire, mais il présente une part de risque.

M. Vincent Ferrier. Chaque type de risque a sa propre temporalité. En Gironde, nous sommes confrontés au risque d’inondation sur la Garonne, un phénomène beaucoup plus lent avec une montée graduelle des eaux. Nous avons donc davantage de temps pour nous organiser, mais il est important d’embarquer la population dans cette démarche pour réduire la vulnérabilité des territoires face aux risques.

La population doit à la fois être impliquée dans la prévention, afin d’éviter que la crise ne survienne, et dans l’adoption de bons réflexes en cas de crise. Des progrès sont encore à réaliser collectivement, malgré les mesures nationales. Localement, nous avons un rôle important à jouer, notamment avec les maires. Il serait bénéfique de mettre en place davantage d’exercices, car ils contribuent à une meilleure préparation. La culture du risque s’estompe en effet rapidement, surtout lorsque nous ne faisons pas face à des incidents pendant plusieurs années.

Les inondations de 2021 sur la Garonne ont, par exemple, constitué une redécouverte du risque. À la suite de celles-ci, nous avons positionné des repères de crue sur les bâtiments, ce qui participe à l’acculturation des nouveaux habitants. Les plans communaux de sauvegarde peuvent aussi permettre de communiquer sur ces sujets.

En outre, nous réfléchissons actuellement à la prise en compte de la présence de touristes, y compris de touristes étrangers. Au sein de trois départements concernés par le massif des Landes de Gascogne, nous avons un règlement interdépartemental de protection de la forêt contre les incendies qui datait de 2016 et dont la révision a été finalisée à l’été 2023. Les principales dispositions de ce règlement incluent des niveaux de risque codifiés par couleur, avec des prescriptions et des restrictions liées à chaque niveau de risque. Le défi relève maintenant de la communication. Nous avons commencé à élaborer des vignettes faciles à diffuser et nous nous interrogeons sur la meilleure façon de communiquer ces supports en collaboration avec les campings, les acteurs touristiques et les communes. En 2022, nous avons constaté que certaines personnes continuaient de bonne foi à se rendre en forêt sans être conscientes du risque, ce qui souligne la nécessité d’une communication efficace.

Celle-ci joue également un rôle crucial avant même qu’une crise ne survienne, en encourageant les populations locales et les vacanciers à adopter les bons réflexes. Les retours d’expérience que nous avons menés depuis l’été ont réellement contribué à améliorer la situation. L’objectif partagé est de réduire à la fois l’aléa et la probabilité que les risques se concrétisent.

Mme la présidente Lisa Belluco. Monsieur Lauret, vous souhaitez peut-être répondre au sujet de l’acculturation des populations, notamment en lien avec le rôle de l’AMF et des élus locaux.

M. Bernard Lauret. Nous travaillons avec le SDIS à l’organisation de formations envers les élus. Nous devons en outre communiquer vis-à-vis de nos populations, car nous accueillons 20 000 nouveaux habitants en Gironde chaque année. Ils ont besoin d’être formés, car ils ne sont pas toujours habitués aux contraintes relatives aux massifs forestiers. Nous menons par exemple des exercices d’évacuation dans les écoles et nous pourrions les élargir à un périmètre plus important. Dans ma commune de Saint- Émilion, j’ai un plan de prévention des risques de mouvements de terrain (PPRMT). Nous devons en effet informer les populations sur les risques liés aux carrières, aux massifs forestiers et aux submersions, sans tomber toutefois dans la psychose.

M. Didier Lemaire, rapporteur. L’aspect opérationnel est plus souvent mis en avant que l’aspect logistique. Le cas des services de repas constitue toutefois l’une des difficultés auxquelles on peut être confronté. Quel regard portez-vous sur le système d’alerte et d’information des populations ?

M. Vincent Ferrier. Le principal moyen utilisé pour diffuser de l’information institutionnelle de la part de l’État et établir une communication claire a été Twitter, avec la publication régulière de communiqués de presse. Trois communiqués par jour étaient en effet diffusés sur divers réseaux, tels que Twitter ou Facebook. Cette approche a constitué le vecteur institutionnel privilégié pour diffuser des informations actualisées.

Parallèlement, le relais médiatique a été très fort dès le début et l’objectif était de fournir une communication d’État claire, intelligible et aussi objective que possible. Des points presse réguliers ont été assurés par la préfète, les deux sous-préfets, le préfet d’Arcachon et moi-même. Les trois points presse quotidiens ont permis de communiquer sur l’évolution de la situation, les surfaces brûlées, l’état des évacuations et les perspectives pour la suite des opérations.

Nous avons évacué 16 communes en Sud Gironde. Lorsqu’une décision d’évacuation est prise, communiquer l’information n’est pas si simple en raison des différences d’accès à l’information en fonction des types de population. Ces décisions étaient relayées par les élus et maires par tous les moyens de communication à leur disposition. Ensuite, il était nécessaire de faire du porte-à-porte. L’outil FR-Alert désormais disponible devrait être déterminant à cet égard, car il permet d’envoyer un SMS à l’ensemble des populations concernées. Toutefois, il ne dispensera pas de porter l’information au plus près, car tout le monde ne possède pas nécessairement un téléphone portable.

M. Jean-Luc Gleyze. J’attire votre attention sur la nécessité d’une information régulière et spécifique. Lors de mes échanges avec les populations tout au long de l’évolution des incendies, qui ont perduré sur plusieurs semaines, j’ai constaté que les personnes évacuées, notamment celles accueillies dans les collèges, étaient souvent celles qui n’avaient pas de familles locales et peu de relations sociales locales. Ces individus se trouvaient généralement en situation de précarité et de difficulté. Au-delà de l’alerte et des mesures préventives pour l’évacuation, cette partie de la population, confrontée à des conditions d’accueil parfois précaires, exprimait de vives inquiétudes quant à la situation dans leur commune et à proximité de leur domicile. Je relayais ce que je voyais et je mettais en valeur les actions réalisées quotidiennement. Beaucoup de personnes m’ont ensuite remercié d’avoir communiqué très régulièrement et expliqué ce qu’il se passait.

Le retour médiatique était de nature très diverse, allant des chaînes d’information continue, plutôt superficielles et sensationnalistes, aux médias locaux, plus approfondis et représentatifs de la réalité. Cependant, ces médias ne suffisent pas toujours à rendre compte de la réalité du terrain. Par exemple, certaines personnes s’inquiétaient de la situation de leurs animaux de compagnie, y compris jusqu’au poisson rouge, ce qui montre l’importance d’une communication continue. Il est donc important de rassurer les populations confrontées aux risques. Je souhaitais ainsi souligner le caractère affectif de ces préoccupations, qui est souvent omis.

Mme la présidente Lisa Belluco. Pourriez-vous chacun aborder le bilan à tirer de cette expérience et les pistes à travailler ? Nous viendrons en outre vous rencontrer sur place d’ici quelques semaines lors d’une journée de travail, lors de laquelle nous pourrons poursuivre nos échanges.

M. Vincent Ferrier. Nous vous accueillerons avec plaisir et je pourrai vous remettre les retours d’expérience conduits en octobre 2022. Ils listent les points mis en œuvre en matière de prévention, de moyens, notamment aériens, et de questions qui ont débouché sur les états généraux de la forêt, demandés par le président Gleyze et plusieurs de ses collègues du massif forestier. Les conclusions initiales ont été évoquées en introduction, en relation avec le bilan de la résilience, mais le processus continue d’évoluer. De nombreuses leçons ont été tirées de cette expérience et elles peuvent servir au-delà du cas girondin.

Sur le plan organisationnel, la sécurité civile dispose de nombreux atouts et notre modèle fonctionne bien. Cependant, les années qui ne connaissent aucun évènement de ce type ne doivent pas laisser oublier le travail sur le sujet. L’organisation de points de rencontre réguliers sur nos principaux risques pourrait constituer une solution. Nous avons beaucoup travaillé dans la continuité de l’été 2022 sur ces questions, mais la nature humaine fait que si nous n’avons pas eu de feux pendant quatre ou cinq ans, l’attention risque de diminuer. Les rendez-vous doivent rassembler l’ensemble des acteurs concernés, à savoir l’État, les collectivités territoriales et toutes les forces essentielles qui concourent à la sécurité civile.

M. François Gros. En ce qui concerne la zone de défense, une mission cruciale d’intérêt général a été confiée à l’Office national des forêts (ONF), se traduisant concrètement sur le terrain par la mise en place de dispositifs permettant d’analyser l’état de la sécheresse et son impact sur la végétation vivante. De plus, le ministère de l’agriculture apporte un soutien très actif à travers une subvention particulière par la DFCI dans une logique de complémentarité. Le massif des Landes de Gascogne compte 92 % de surfaces privées et la DFCI permet de regrouper l’ensemble de ces 250 000 propriétaires. La logique adoptée est celle de la complémentarité, évitant la concurrence et favorisant plutôt la densification d’outils sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, des actions concrètes ont été entreprises en matière de préparation opérationnelle, telles que le renforcement de la présence de Météo-France dans les locaux du centre opérationnel zonal, qui offre une expertise partagée et complétée par les SDIS. Cette démarche combine les modèles mathématiques avec la réalité du terrain, afin d’avoir une connaissance fine du niveau de risque.

Une gestion différente a été mise en place, notamment en ce qui concerne les moyens aériens. Un centre national de coordination avancé a été instauré et a permis d’organiser près de 170 visioconférences au cours de la saison 2023. Il a produit plus de 100 bulletins quotidiens dans l’analyse des risques partagés avec les SDIS. Ces échanges couvrent un large spectre, allant de la météo au risque concret sur le terrain. La météo représente en effet l’une des composantes, mais il faut également considérer la pression incendiaire, les migrations estivales, les festivals et d’autres facteurs qui complètent la nature du risque.

De plus, le Président nous a tracé une feuille de route précise le 28 octobre 2022 au sujet de la lutte contre les incendies. Elle s’est traduite par la mobilisation exceptionnelle des SDIS, permettant au niveau de la zone Sud-Ouest la mobilisation de sept colonnes de renfort et d’un détachement d’intervention retardant à Mont-de-Marsan, composé d’une cinquantaine de personnels de la sécurité civile, qui, bien qu’inutilisé, était prêt à intervenir en cas de sinistres similaires à ceux de 2022. D’autres initiatives comprenaient l’allocation de moyens aériens, tels qu’un Dash pour 5,2 millions d’euros, quatre Air Tractor pour 6 millions d’euros et 10 hélicoptères bombardiers d’eau, dont un était basé dans la zone Sud-Ouest. Le ministre de l’intérieur a aussi rappelé, le 2 août dernier, l’implantation d’une unité d’intervention de la sécurité civile à Libourne. De plus, la nécessité de moderniser la flotte aérienne a été réaffirmée et devrait s’accompagner du passage de 12 à 16 Canadairs, incluant de nouveaux modèles d’avion.

Enfin, ce qui se passe après doit se préparer avant, c’est-à-dire avec une collaboration renforcée entre les acteurs du terrain, notamment la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des coupes tactiques, d’indemniser les propriétaires et de déterminer les prix auxquels le bois découpé pourra être vendu. Ce travail englobe également la recherche des causes et des circonstances des incendies, avec des actions déterminantes impliquant des forestiers, des sapeurs-pompiers et des forces de l’ordre. L’objectif est d’identifier plus précisément les causes des incendies, dont 90 % sont d’origine humaine. Une meilleure compréhension de ces causes permet une meilleure prévention, et une lutte plus efficace contre les développements catastrophiques. Je vous remercie pour votre invitation et me tiendrai à votre disposition lors de votre déplacement en Gironde.

M. Marc Vermeulen. Le premier aspect à considérer est celui de la prévention. Il est indéniable que les incendies les plus faciles à gérer sont ceux qui ne se produisent pas. Un vecteur sous-utilisé à cet égard est celui de la jeunesse, en particulier à travers l’éducation nationale. Actuellement, la sécurité civile n’irrigue pas suffisamment celle-ci.

La prévention doit également prendre en compte la structure de notre massif. Les professionnels de la sylviculture ont un rôle actif à jouer, en particulier dans le contexte des parcelles brûlées qui seront replantées. À la suite des deux tempêtes, nous avons observé une modification des pratiques, avec des parcelles plus denses et plus étendues. Nous devons donc nous interroger sur la manière de structurer le massif des Landes de Gascogne à l’avenir.

Je suis par ailleurs inquiet vis-à-vis de la tension et de la sollicitation du modèle de sécurité civile français. D’abord, nos sapeurs-pompiers, qu’ils soient professionnels ou volontaires, sont fatigués par la sollicitation constante et la perte de sens de leur mission. Nous avons réussi à mobiliser 3 000 sapeurs-pompiers en Gironde le 18 juillet, provenant en majorité du département, mais également d’environ 60 autres départements, car nous avons des sapeurs-pompiers volontaires. Cependant, l’effet cumulé de la sursollicitation, des temps d’attente aux urgences et de la fermeture de certains sites d’accueil conduit à une démobilisation de ceux-ci. Sans eux, nous ne parviendrons pourtant pas à couvrir les enjeux qui nous attendent.

Enfin, la question du financement des moyens nécessaires pour faire face à ces risques exceptionnels doit être considérée. Des efforts importants ont déjà été fournis sur les pactes capacitaires et le département de la Gironde n’a pas été oublié, avec une distribution et un soutien résultant d’un partenariat entre les efforts du conseil d’administration et ceux de l’État. Cette aide à l’investissement doit être pérennisée pour préparer l’avenir, en adaptant notre matériel aux nouveaux risques.

M. Jean-Luc Gleyze. Votre venue en Gironde est une bonne nouvelle et nous serons ravis de vous accueillir. L’acculturation aux risques concerne non seulement les populations, mais aussi les élus pour faire face à la multiplicité des risques. La réponse n’est d’ailleurs pas toujours uniforme, compte tenu de la variabilité, de la rapidité et de l’ampleur des risques. De plus, la planification, la préparation et les exercices sont essentiels. Des outils existent déjà, mais ils doivent être formalisés et partagés avec toutes les parties prenantes potentiellement impliquées au moment de la survenue du risque.

En termes de moyens de lutte contre les incendies, l’attaque au feu naissant est une doctrine essentielle, reconnue à tous les niveaux de la sécurité civile. Il est nécessaire de se doter des moyens ad hoc et je reconnais l’effort fourni par l’État en matière de moyens aériens, dont la permanence de la possibilité de déploiement sur le massif des Landes de Gascogne doit être maintenue. Nous avons également reçu un soutien via les pactes capacitaires sur le terrain.

La coordination et les partenariats doivent permettre à chacun de jouer son rôle à sa place. Il est fondamental d’éviter l’amnésie collective au fil du temps, c’est-à-dire lorsque les risques ne se concrétisent pas pendant quelques années. Cette amnésie peut conduire à une redécouverte des réalités, que ce soient des inondations, des incendies ou même des tempêtes.

Par ailleurs, certains SDIS connaissent de fortes évolutions démographiques, comme c’est le cas en Gironde, département qui compte 20 000 habitants supplémentaires par an. Il est donc impératif de déployer en permanence de nouveaux moyens adaptés à la réalité du territoire, que ce soit en termes de constructions nouvelles ou de besoins humains. Le recrutement périodique de nouveaux sapeurs-pompiers pour renforcer le corps girondin nécessite également des moyens financiers.

De plus, la valeur du sauvé, qui englobe tout ce que les sapeurs-pompiers réussissent à protéger, que ce soit en termes de vies sauvées ou de biens préservés, contribue à réduire les indemnisations dues par les assurances. Nous revendiquons, au niveau des départements de France, une évolution de la base de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) pour renforcer le financement des SDIS. Actuellement, le SDIS de la Gironde repose sur des contributions obligatoires du département, des intercommunalités et des communes, ainsi que sur une contribution volontaire, qui est renégociée tous les deux ans pour ajuster le budget à la hauteur des besoins. Cependant, cette solution fragile de financement n’est pas viable à long terme, et des mesures fortes doivent être mises en œuvre au niveau législatif pour garantir la consolidation du financement des SDIS par une mise à jour de la TSCA.

Cette préoccupation n’est pas propre à la Gironde, et de nombreux départements, tels que le Finistère ou le Jura, qui ont pris conscience du risque incendie sur leur territoire, demandent également des moyens supplémentaires.

M. Bernard Lauret. Tout a été pratiquement dit, et je rejoins les propos du président de notre département au sujet de la formation des élus. Je souligne également la nécessité d’une complémentarité entre les services de l’État et les élus, qui ont une réelle connaissance du terrain. Nous serons très heureux de vous accueillir dans notre département.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie tous pour votre participation à cette table ronde. Nous nous retrouverons en Gironde le 14 décembre prochain.


M. Jean-François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Compte rendu de l’audition de M. Jean-François Schmauch, docteur en sciences de gestion
(jeudi 19 octobre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Pour conclure cette matinée d’auditions, nous recevons à présent le colonel Jean-François Schmauch, auteur d’une thèse comparative sur l’organisation des services d’urgence et de nombreux travaux et ouvrages sur les sapeurs-pompiers, notamment de Nantes, et sur l’histoire des véhicules de pompiers.

Nous espérons que votre audition nous aidera à mieux comprendre l’évolution de notre sécurité civile et les défis qu’elle doit aujourd’hui relever pour progresser en efficacité, face aux crises majeures – catastrophes naturelles ou industrielles, crises sanitaires ou sécuritaires – que nous pourrions connaître demain.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci, monsieur Schmauch, d’avoir répondu à notre invitation. Pourriez-vous d’abord nous présenter vos travaux sur la sécurité civile en France et les enseignements que vous en avez tirés ?

M. Jean-François Schmauch, docteur en sciences de gestion. Avant d’être sapeur-pompier, j’avais reçu un diplôme d’ingénieur des Arts et métiers en cours du soir, ce qui m’a conduit à travailler dans les mines de fer, dans le secteur privé. J’ai ensuite intégré les pompiers en Moselle, puis en Loire-Atlantique. J’écris depuis toujours, et j’ai donc beaucoup écrit sur les services d’incendie et de secours (SIS), notamment sur leurs différences d’organisation d’un pays à l’autre, car je voyage beaucoup et je visite systématiquement les casernes de pompiers des pays où je me rends, pour en comprendre le fonctionnement. J’ai accumulé une importante bibliothèque sur les SIS, et je fais partie de commissions européennes traitant de l’histoire des sapeurs-pompiers, ce qui m’a permis de rencontrer de nombreux homologues. Je suis intervenu, durant deux ans, comme expert sur l’incendie du tunnel du Mont-Blanc, avant de préparer à l’université un doctorat en sciences de gestion sur l’organisation des sapeurs-pompiers européens et américains.

Je tire de l’ensemble de cette expérience le constat selon lequel notre système de sécurité civile ne constitue en aucun cas un « modèle », même si cette expression est souvent employée. Il est peu étudié, d’abord parce que les pays se comparent peu entre eux, sauf en cas de crise majeure. De plus, les services d’incendie et de secours sont généralement très mal comparés lorsqu’ils le sont, du fait de leurs différences profondes selon les pays, notamment aux plans financiers et humains. Des erreurs considérables ont ainsi été commises dans certains rapports, y compris de la Cour des comptes, qui confondaient les statuts, les structures ou les budgets des différents pays, mais qui ont été repris par la suite. Ma première étude, publiée dans les années 1990 par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, souffrait elle-même de nombreux défauts, que j’ai ensuite corrigés progressivement.

Une comparaison internationale des services d’incendie et de secours doit tenir compte, premièrement, des statuts des sapeurs-pompiers ; deuxièmement, des missions qu’ils assurent, en lien avec les structures qui leur sont associées. En Autriche, les SIS reposent pour moitié sur la Croix-Rouge, alors qu’en France, les secours médicaux sont assurés en grande partie par les sapeurs-pompiers.

En troisième lieu, il faut tenir compte des différentes logiques d’organisation de ces services. En France, les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (Sdacr) font 1 000 pages, quand leurs équivalents autrichien, allemand ou anglais n’en font qu’une (s’agissant des risques courants). Chaque département français doit en produire un, mais de manière indépendante : le fonctionnement des pompiers est laissé au libre choix de la collectivité, ce qui n’existe nulle part ailleurs en Europe.

Enfin, il faut tenir compte des moyens opérationnels, des budgets et des modes de financement dont les SIS disposent, et qui varient eux aussi de manière considérable. Pour connaître les budgets des pompiers allemands, il faut interroger les communes, les Kreis, les cantons, les Länder et l’État (dont le budget pour les pompiers se limite généralement au matériel technique et puissant). Un très ancien rapport de l’Assemblée nationale indiquait à tort que les pompiers n’assuraient aucun secours médical en Allemagne, parce qu’il s’appuyait sur le Land du Bade-Wurtemberg, où c’est en effet le cas. Entre ce Land et le reste de l’Allemagne, où les pompiers assurent ce secours, les budgets des pompiers sont donc très différents également.

J’ai comparé 30 pays européens, en incluant tous ceux de l’Union européenne, mais aussi la Norvège et la Suisse. Deux grands systèmes d’organisation des pompiers doivent d’abord y être distingués.

Le premier est celui des pompiers professionnels, qui est observé dans 17 de ces 30 pays, et qui est issu du système mis en place par James Braidwood en 1850 lors de la création des pompiers en Angleterre.

Le deuxième (qui est appliqué dans les 13 autres pays) est celui des pompiers volontaires, issu du système mis en place en Allemagne par le prince de Bade, à la même époque, pour officialiser les structures qui y existaient déjà. Au sein de cette deuxième famille, il faut encore distinguer entre les pompiers volontaires (qui touchent des vacations) et les pompiers bénévoles (qui n’en touchent pas). En Autriche, par exemple, les pompiers sont bénévoles.

Ces deux systèmes impliquent des gestions des hommes fondamentalement différentes, ce qui rend impossible de les comparer.

Sur les 2,9 millions de sapeurs-pompiers que comprennent ces 30 pays, 2,5 millions sont volontaires et 400 000 sont professionnels (dont 320 000 à temps plein et 80 000 à temps partiel).

Parmi les pays recourant aux sapeurs-pompiers volontaires, la France dispose de 45 sapeurs-pompiers pour 100 kilomètres carrés, contre 288 en Allemagne et 290 en Autriche ; et de 31 sapeurs-pompiers pour 10 000 habitants, contre 273 en Autriche.

Ainsi posée en termes scientifiques (plutôt qu’en termes affectifs, comme toujours depuis 1900), la problématique de la disponibilité des pompiers en France prend toute son acuité. Pour produire du fer, il faut interroger l’équipement requis dans les mines à cette fin. Les pompiers produisent de l’intervention : il faut donc interroger leurs besoins à cette fin.

Le problème s’aggrave encore si l’on considère leur charge opérationnelle. Sur les 13,4 millions d’interventions annuelles réalisées dans les 30 pays étudiés, 10,6 millions le sont par des pompiers volontaires. Cette disproportion tient au nombre d’interventions réalisées dans deux pays, l’Allemagne et la France, où les interventions médicales représentent environ 45 % de la charge opérationnelle assurée par les pompiers, alors qu’ils n’assurent pas le secours médical dans les autres pays. Ainsi, les sapeurs-pompiers français représentent 9,5 % des effectifs des SIS ayant principalement recours à des pompiers volontaires dans les 30 pays étudiés (et 8,5 % des effectifs des SIS de ces 30 pays), mais ils assurent 43 % de leurs interventions (34 % des interventions des SIS des 30 pays). La charge de travail des sapeurs-pompiers français est donc « infinie », ce qui, s’agissant de pompiers volontaires, pose des problèmes de disponibilité chez les employeurs, qui apprécient d’employer des pompiers tant qu’ils ne sortent pas.

En France, pour 10 000 habitants, on compte ainsi 39 sapeurs-pompiers, qui réalisent en moyenne 721 interventions au total, alors qu’en Autriche, ils sont 276 pour 279 interventions à réaliser en moyenne. Il en résulte un risque évident en France en cas de crise.

Trois missions sont communes à tous les SIS : la lutte contre les incendies ; la partie technique des secours routiers ; et certaines composantes de la lutte contre les pollutions. Toutes les autres interventions (réception et traitement des appels d’urgence ; partie médicale des secours routiers ; secours médicaux urgents ; transports d’organes et de sang ; transports sanitaires urgents et non urgents, etc.) sont, soit assurées par les SIS, soit partagées entre les SIS et d’autres structures associées, soit réalisées indépendamment des SIS. En Autriche, le prix des SIS n’est ainsi que de 45 euros par habitant et par an, mais il double si l’on y inclut les secours médicaux, et il triplerait si un salaire était versé aux sapeurs-pompiers. Du moins ces économies réalisées par l’absence de salaire versé sont-elles précisées dans le budget autrichien. De même, les Anglais, les Norvégiens et les Américains savent très bien évaluer les économies réalisées par les feux effectivement éteints. La France ne sait pas réaliser de telles mesures, car elle ne considère pas les pompiers comme un « business ». Lorsque j’étais en activité, j’écrivais aux élus locaux des notes économiques leur indiquant combien de milliers d’emplois et de millions d’euros avaient été sauvés en empêchant un paquebot de brûler, ce qui permettait d’ailleurs de facturer ces interventions aux chantiers concernés.

En France, les structures associées aux SIS incluent des SIS publics, des SIS privés (et non encadrés), le service d’aide médicale urgente (Samu), les structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et les unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC).

En Allemagne, le système, dépendant des Länders, est plus complexe, puisqu’il inclut, outre des SIS publics et des SIS privés (quant à eux très encadrés), la Deutsches Rotes Kreuz (DRK), mais aussi la Bayerisches Rotes Kreuz (BRK), etc., ainsi que le Technisches Hilfswerk (THW), le secours en montagne (réalisé soit par les pompiers, soit par une structure indépendante), et de très nombreux hélicoptères publics ou privés. L’Allemagne compte ainsi près de 800 corps de SIS privés, réunissant 32 000 sapeurs-pompiers, qui réalisent 184 200 interventions par an et disposent de 3 000 véhicules d’incendie et de secours. L’Université technique de Munich dispose ainsi de son propre corps de sapeurs-pompiers privés, qui est immensément riche, car, m’a-t-on expliqué, il s’agit de « protéger la recherche ». Les moyens privés et publics s’entraident néanmoins, de manière totalement automatisée.

La sécurité civile est assurée en France par la DGSCGC et, en Allemagne, par le THW, qui relèvent tous deux de l’État central ou fédéral. Toutefois, le THW, organe de défense civile qui a émané de l’armée du génie après la Seconde guerre mondiale, est extrêmement riche, puisqu’il compte 86 000 volontaires, dont 45 000 très spécialisés, et 8 000 véhicules, dont certains extrêmement puissants (130 scrapers, 60 pompes de 1 000 mètres cubes, 480 groupes électrogènes, etc.), qui peuvent intervenir en cas de crise majeure. La Deutsche Bundesbahn dispose également de trains de secours équipés pour dépanner en électricité une petite ville ou un hôpital complet.

Au total, les SIS représentent en France 70 000 professionnels à temps plein et 200 000 volontaires, contre 230 000 professionnels et 1,36 million de volontaires en Allemagne.

Bien que constituée majoritairement de volontaires, la Croix-Rouge autrichienne dispose également de moyens humains et techniques bien plus importants par habitant que les secours médicaux français.

Dans la plupart des pays étudiés, les textes organisant les SIS sont très anciens – ils datent de 1900 en Angleterre et de 1880 en Allemagne –, et sont restés stables, malgré le progrès des structures. Il s’agit surtout de textes très simples, structurants, précis et incontournables, qui imposent donc au moins une obligation de moyens. Cependant, dans les pays reposant sur le volontariat, les maires, qui assurent la réponse principale, se dotent généralement de bien plus de moyens que ce minimum obligatoire, afin d’être réélus.

Ces textes définissent les risques à couvrir, les délais d’intervention à ne pas dépasser, les moyens opérationnels à engager a minima, ainsi que le taux de réussite à respecter.

En France, les délais d’intervention sont laissés à la liberté des départements, ce qui conduit à des durées aberrantes, alors que ces délais sont censés être calculés sur des bases techniques et scientifiques. En Allemagne, des travaux de recherche sont conduits sur les incendies courants par des structures universitaires techniques, qui étudient : les vitesses de développement des incendies ; les délais d’installation des environnements très hostiles ; les délais de survenance des phénomènes thermiques de type flash-over ; les chances de survie des victimes soumises aux fumées – qui sont nulles après 16 minutes – ; et l’obligation faite aux sapeurs-pompiers de conduire des actions simultanées. L’État fédéral en a conclu une obligation en toutes circonstances de pouvoir engager en moins de 8 minutes un camion-citerne incendie (CCI), un fourgon pompe-tonne secours routier (FPT-SR), une échelle pivotante automatique de 30 mètres (EPA 30) et 11 pompiers ; et en moins de 13 minutes, en cas de besoin, le renfort d’un FPT-SR et de 6 pompiers. Chaque Land peut ensuite adapter ces obligations, mais aucun ne le fait en pratique, excepté à la marge.

En Angleterre, un seul texte s’applique partout.

Au Danemark, l’obligation est de pouvoir engager, en zone rurale, 9 pompiers avec différents véhicules en moins de 15 minutes ; dans les communes moyennes, 9 sapeurs-pompiers avec un FPT et une EPA 30 en moins de 10 minutes ; et davantage dans les grandes villes. La prévention interdit également les bâtiments élevés dans le monde rural, comme en Angleterre.

Les textes régissant les secours médicaux en Allemagne varient davantage en fonction des Länders. Le texte de base prévoit la mobilisation en 10 minutes d’une ambulance avec deux secouristes paramédicaux. Le Bade-Wurtemberg restreint ce délai à tous les lieux d’intervention accessibles par la route. En Schleswig-Holstein, il est porté à 12 minutes dans tous les cas. Ainsi, alors qu’en France, la règle est adaptée aux moyens, en Allemagne ce sont les moyens qui sont adaptés à la règle. Ils sont donc considérables. Tous secours médicaux confondus, les délais d’intervention des ambulances allemandes sur site sont en moyenne de 8,7 minutes, pour une durée de transport moyenne de 12,3 minutes et un délai moyen de réarmement de 20,1 minutes. Sachant qu’une ambulance est généralement engagée pour une heure, M. Schröder avait ainsi réalisé des calculs de probabilité pour déterminer le nombre d’ambulances nécessaires dans un secteur pour couvrir le risque. Certains centres médicaux – qui sont à Munich des casernes – sont ensuite fermés de nuit.

92 % des ambulances arrivent ainsi en moins de 10 minutes en Allemagne, contre des délais d’intervention moyens en France de 12 minutes en 2013, et de 13 minutes en 2017. Or, pour une détresse vitale, toute intervention après 10 minutes devient inutile.

Au Royaume-Uni, pour une détresse vitale avérée, chaque comté doit, de même, justifier en fin d’année de délais d’intervention de moins de 8 minutes pour 75 % des cas, et de moins de 19 minutes dans 95 % des cas. Les ambulances sont donc prépositionnées à cette fin sur le terrain (de manière mouvante en fonction des situations), et le délai moyen d’intervention total est de 8 à 9 minutes.

Au Canada, aux heures ouvrables des magasins, une voiture de police et une ambulance sont positionnées de chaque côté des rues principales. Elles ne sont plus présentes la nuit.

À Londres, 75 % des ambulances interviennent en moins de 8 minutes. Les pompiers de Londres n’assurent pas de secours médical. Il y a quelques années, un rapport, qui estimait que les pompiers de Londres coûtaient le même prix que les pompiers de Paris, passait sous silence cette différence, alors qu’elle représente pourtant un écart de 300 millions d’euros, de 5 000 personnes, 855 véhicules, 71 centres de secours paramédicalisés, etc.

Pour respecter un délai d’intervention de 10 minutes malgré un temps de rassemblement de 7 à 8 minutes, il faut des casernes partout. Pour 100 kilomètres carrés, en 2021, l’Allemagne disposait ainsi de 9,3 casernes (30 000 au total), l’Autriche de 6,3 (7 000 au total), et la France de 1,1. Or, ce chiffre est en diminution constante, puisqu’il était de 2,3 en 1975 et de 1,3 en 2016. En Loire-Atlantique, un vaste programme de fermetures de casernes se poursuit ainsi. Elles sont remplacées par des casernes à temps partiel, au détriment d’une réponse de proximité. En cas de crise majeure, il faut pourtant du monde et des moyens : le reste, « c’est de la littérature ».

En France, la dérive des Sdacr induit la fermeture d’un très grand nombre de centres d’incendie et de secours (CIS), le remplacement de pompiers professionnels par des pompiers postés, le non-remplacement des pompiers partant à la retraite, et la diminution drastique des effectifs de garde. La ville de Nantes n’aura bientôt plus que 9 ou 10 pompiers de garde la nuit, au moment où des violences urbaines sont en cours. En conséquence, certaines missions sont supprimées ou transférées à des structures privées. De plus, chaque département est libre de s’équiper en camions comme il le souhaite. Certains ne disposent plus que de 2 ou 3 FPT, quand il leur en faudrait 8.

À l’inverse, l’Autriche est le premier pays exportateur mondial de camions de pompiers, ce qui lui permet d’équilibrer très largement ses dépenses de secours. L’Allemagne et les États-Unis en sont les deuxième et troisième exportateurs : ces trois pays produisent à eux seuls 75 % des camions de pompiers dans le monde. Dans le monde entier, les échelles de pompiers sont allemandes. Or, une échelle coûte 1 million d’euros. L’Allemagne en exporte 150 à 200 par an. Les véhicules aéroportuaires, très coûteux également, sont dans le monde à 50 % américains et 50 % autrichiens.

Le système français est donc en train de s’effondrer d’une manière effrayante, quoi qu’on en dise.

Quelques solutions existent. J’ai écrit il y a quelques années un article sur les pompiers islandais, qui ont su s’adapter aux vastes déserts qu’ils ont à couvrir. Il en va de même dans le Montana aux États-Unis. Il ne s’agit pas d’y placer des pompiers en permanence, mais de savoir les y acheminer rapidement, avec les moyens adéquats.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci beaucoup, monsieur Schmauch, pour vos explications, qui nous ont fait entrer dans le vif du sujet, puisque cette mission vise à évaluer la capacité d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile.

Quel regard portez-vous sur ce modèle ? Comment devrait-il évoluer ? Répond-il selon vous aux enjeux d’aujourd’hui et de demain ?

M. Jean-François Schmauch. Il faudrait le faire évoluer en commençant par en dresser un état des lieux complet, pour ensuite rendre au pouvoir central la capacité d’imposer aux départements des normes minimales, notamment en matière de délais. Même au « fin fond » de la Suède, il existe encore des obligations de délais d’intervention et de moyens, alors même que ne s’y trouvent plus de pompiers volontaires.

Il faut environ 10 pompiers volontaires pour en avoir 1 disponible. Je suis depuis longtemps membre de l’amicale d’un petit corps de pompiers, qui réalise presque 530 interventions par an, soit près de 2 par jour. Or, ces pompiers sont payés par le maire, alors même que près d’une de ces interventions sur deux est réalisée sur la commune d’à côté.

Il reste toujours possible de recruter des professionnels. Toutefois, lorsqu’il n’y aura plus de volontaires pour gérer les crises, les masses salariales qui seront requises pour les remplacer par des professionnels vont « ruiner le pays ».

J’ajoute qu’il n’existe pas de « modèle » français, puisque personne ne le reproduit.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’un point de vue stratégique, les Sdacr ne répondent-ils pas aux impératifs de délais des villes et départements ?

Quelles sont les spécificités de la sécurité civile française ?

M. Jean-François Schmauch. Lors de la mise en place des Sdacr, j’ai participé à une commission de la direction de la sécurité civile. Avec plusieurs officiers supérieurs de sapeurs-pompiers, nous étions partisans de produire un Sdacr très rigide, impliquant une obligation de délais, de moyens et d’effectifs, et presque de résultats. Pour des raisons diverses, cela n’a malheureusement pas eu lieu. Pour éteindre un feu, il faut pourtant un camion, 8 pompiers et un délai de 10 minutes d’intervention : c’est pourquoi le Sdacr autrichien fait 2 pages et le Sdacr anglais une seule. Le Sdacr français fait plus de 1 000 pages, mais il laisse la liberté aux structures départementales de faire ce qu’elles veulent. Lorsque j’ai soutenu mon mémoire, j’avais analysé 54 Sdacr : il n’existait aucune corrélation (de moyens, de délais d’intervention, etc.) entre eux. Il en allait de même entre les différents Samu ou Smur. Il faut donc absolument reprendre la main sur le système, en imposant aux services incendie des objectifs de production minimaux.

En Allemagne ou en Autriche, la commune porte des obligations en moyens courants ; le Kreis ou canton l’aide s’agissant des moyens spéciaux ; le Land affecte les moyens très lourds qui ne servent presque jamais, et dont l’État fédéral passe commande. L’État fédéral allemand vient ainsi de commander près de 300 cellules mobiles d’intervention chimique (CMIC) et radiologique (CMIR) pour remplacer les équipements obsolètes du pays. Une hiérarchie des responsabilités existe donc, mais des règles minimales s’imposent à tous.

Il faut également recruter des volontaires pour que leur charge de travail diminue. Un corps de pompiers allemand, autrichien ou américain sort rarement plus de 100 fois par an. Lorsqu’en 1980, les Américains ont affecté le secours médical aux pompiers, le volontariat s’est « effondré », car le nombre de sorties avait considérablement augmenté. Une commission a donc été réunie, qui a mis en place une mesure financière et technique extrêmement simple pour résoudre le problème.

La crise est cependant inégale d’un département à l’autre. En Moselle, où l’organisation des pompiers reposait encore beaucoup sur des textes allemands à l’époque où j’y travaillais, les pompiers disposaient de moyens très conséquents. Lorsque je suis arrivé en Loire-Atlantique, j’ai découvert que ce département, pourtant de même population, de même superficie et de même tissu industriel (avec la sidérurgie et les mines en Moselle, et la construction de paquebots en Loire-Atlantique), disposait de moyens bien moindres. C’est ce qui m’a poussé à développer des analyses comparatives, pour finalement réaliser que le système français n’obéissait à aucune logique.

Ce constat n’est pas nouveau. Déjà, entre les deux guerres, le général Pouderoux, des pompiers de Paris, réclamait que des moyens minimaux soient imposés aux collectivités.

On sait bien qu’aujourd’hui le volontariat s’effondre. À effectifs constants, le nombre d’interventions est passé de 200 000 dans les années 1950 à 5 millions aujourd’hui. Il y a vraiment « péril en la demeure ».

Une différence importante doit être tracée entre les moyens à disposition et les moyens qui devraient être disponibles, au regard d’obligations de délais d’intervention (de 10 à 12 minutes pour les ambulances ou les autopompes, etc.).

La départementalisation ayant créé des frais de structure considérables pour les départements, dont les budgets sont contraints, 5 000 casernes de pompiers ont été fermées ces dernières années, pour tenir les budgets. De même, les matériels sont diminués et les plans d’équipements sont affaiblis, à 600 ambulances par an désormais, ce qui, de manière impossible, devrait porter leur durée de vie moyenne à 60 ans. Donc « on va dans le mur ».

M. Bertrand Bouyx (RE). Que pensez-vous des nombreuses réserves incendie qui se constituent sur nos territoires, et qui pèsent beaucoup sur les budgets communaux ou intercommunaux ? Si je me souviens bien, une réserve doit coûter 15 000 euros à une commune.

M. Jean-François Schmauch. Des réserves incendie existent dans le monde entier. Elles visent à fournir aux communes des moyens en eau, ce qui reste le meilleur moyen d’éteindre des feux. Toutefois, elles ne suffisent pas : encore faut-il disposer à temps de camions porteurs d’eau en nombre suffisant.

Éteindre un feu ou secourir quelqu’un repose sur des mathématiques assez simples. Une phrase souvent citée dit approximativement que « la première réponse consiste à engager les moyens immédiatement disponibles, même s’ils ne sont pas totalement adaptés ». Les élus se disent en ce sens qu’ils doivent au moins disposer de réserves en eau. Financièrement, cette politique atteint sans doute ses limites cependant.

Il fallait dimensionner le système lorsque c’était possible, c’est-à-dire lorsque l’économie était porteuse. Aucun texte français ne parle aujourd’hui de délais ou de moyens. Un texte de 1969 en ce sens a été dénoncé par la fédération des pompiers, puis annulé. Un autre a prévu en 1981 des délais, qui ont cependant été annulés en 1988. Cette spécificité ne se retrouve que dans deux ou trois autres pays dans le monde. D’après une publication récente sur les pompiers japonais dans une revue allemande, le délai moyen d’intervention des ambulances à Tokyo est de 7 minutes, conformément aux obligations qui sont imposées d’après des calculs de besoins.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que, rapportés à la valeur des biens qu’ils permettent de sauver, ces investissements en moyens de services incendie ne coûtent absolument rien. Lorsque j’étais encore en activité, j’avais calculé qu’à Nantes, le coût global annuel du service incendie du département représentait la valeur des biens sauvés dans le département au 15 janvier : le reste des biens sauvés dans l’année l’est de manière purement bénéficiaire. Lorsqu’à Nantes, on sauvait un paquebot, on sauvait 3 000 emplois directs et 3 000 emplois indirects. Cette logique intellectuelle n’appartient cependant pas aux pays de culture catholique. Les pays de culture plus protestante prévoient davantage de pompiers, précisément pour perdre moins d’argent.

Dans de nombreux pays, les secours sont donc financés en grande partie par les assurances, mais aussi grâce aux dons, qui peuvent être très élevés, même si chacun, à son niveau, y contribue également.

M. Didier Lemaire, rapporteur. De quels pays pourrions-nous nous inspirer en matière de sécurité civile ?

M. Jean-François Schmauch. Le « pays du volontariat » est l’Autriche. Il serait possible de lui demander comment il fait pour que ses volontaires le restent durant trente ans.

La solution est simple : il faut du monde, des camions et des délais. Le problème est que cela suppose des investissements considérables lorsqu’ils n’ont pas été engagés en continu.

Il serait possible également de considérer les moyens engagés par ce type de pays lors des crises majeures qu’ils ont rencontrées. Lorsque le train à grande vitesse Inter-City-Express (ICE) « Wilhelm Conrad Röntgen » a déraillé en Allemagne, 41 hélicoptères ont été engagés dans la demi-heure.

En situation de crise, en France, un autre problème tient au fait que tout le monde commande et personne n’obéit. En Allemagne, comme en Angleterre et aux États-Unis, le chef des pompiers est le chef suprême.

Parmi les questions posées dans votre questionnaire en figurait une consacrée aux associations de sécurité civile. Au cours de ma carrière, je n’ai jamais vu la Croix-Rouge ou la Croix-Blanche participer à une seule de mes interventions, parce qu’elles ne sont pas dimensionnées à cette fin. Elles pourraient cependant être incluses au système, en créant des centres de traitement de l’alerte (CTA) groupés, qui couvriraient l’ensemble des appels, pour y répondre à l’aide des moyens les plus proches, qu’il s’agisse de la Croix-Rouge, de la Croix-Blanche, ou d’ambulanciers privés. Il faudrait donc commencer par unifier cet ensemble, et par en dresser un état des lieux. Les moyens de la Croix-Rouge française sont aujourd’hui impossibles à trouver, alors que ceux de la Croix-Rouge islandaise sont immédiatement disponibles.

En somme, le système français est « féodal » : chaque département fait ce qu’il veut, sans la moindre contrainte. En Loire-Atlantique, le Sdacr de 2001 prévoyait la présence d’ambulances et d’autopompes à moins de 12 minutes. Dans celui qui sortira prochainement, ce délai est passé à plus de 20 minutes, afin que les budgets restent constants. Presque tous les départements suivent cette voie. Même l’Alsace-Moselle a fermé un grand nombre de casernes. Elle commence à le regretter, car l’essentiel en cas d’incendie ou de détresse vitale tient aux délais d’intervention. Il faut que le ministère de l’intérieur ait le courage d’imposer des minima aux départements.

Je vous ai envoyé hier une contribution écrite très complète, qui compare l’ensemble des systèmes. Elle contient seulement une petite erreur, car le Danemark, dont les pompiers sont pour moitié de statut privé (avec une délégation de service public mise en place en 1900), est, semble-t-il, en train de recommunaliser ses corps de pompiers.

M. Julien Rancoule (RN). Vous avez expliqué que le maillage des SIS en France était bien plus faible que celui de certains de nos voisins européens.

M. Jean-François Schmauch. Il est le plus faible d’Europe.

M. Julien Rancoule (RN). Vous avez également indiqué qu’il était en diminution depuis plusieurs décennies, pour des raisons budgétaires. Il me semble cependant que les petites casernes rurales ferment surtout par manque de volontaires. Comment expliquez-vous cette difficulté à trouver des volontaires dans les zones rurales, et que la France peine à trouver 200 000 volontaires alors que l’Allemagne en compte plus de 1 million ? Comment serait-il possible d’y remédier ?

M. Jean-François Schmauch. Il sera très difficile d’y remédier, car cette situation tient à des raisons culturelles, et au statut social des volontaires. Je reviens d’un colloque d’historiens aux frontières de la Pologne, où un corps de pompiers tchèque m’a été présenté : le statut social qui leur est offert permet très rapidement de comprendre que des volontaires y soient trouvés.

De plus, la charge de travail des pompiers est telle en France que les industriels (contraints par certains textes à les laisser partir) ne souhaitent plus en employer. Des calculs sont donc nécessaires à cet égard.

Les communes doivent être impliquées, pour recruter les chefs de corps dans les niveaux élevés de la société. Un texte anglais de l’entre-deux-guerres indiquait que le chef de corps volontaire (car il existait alors des pompiers volontaires en Angleterre) devait être le châtelain, le pasteur ou le directeur du collège, l’essentiel étant qu’il ait accès à des financements.

Dans de nombreux pays, lorsque les communes n’ont plus de pompiers, le service est obligatoire : en Allemagne, c’est le Pflichtfeuerwehr. Des pompiers sont nommés pour éteindre les feux. Ce ne serait pas possible en France, car ce système y serait perçu comme « totalitaire ».

En Angleterre, les territoires ont été classés de A à D en fonction du maillage des casernes disponibles, et chacun a accès à cette information. Lorsque vous installez une usine à 20 minutes d’une caserne de pompiers, on vous en avertit.

Au regard du faible nombre de volontaires disponibles en France, une solution consisterait peut-être à faire basculer le système vers le modèle anglais, avec des pompiers à temps partiel. Certains départements ont ainsi créé des pompiers volontaires postés, qui prennent des gardes à heures définies. La prochaine étape consistera à transformer les vacations en salaires, qui seront donc fiscalisés, ce qui finira de faire fuir les pompiers volontaires. Le système actuel atteint donc ses limites, car il n’a jamais vraiment été dimensionné pour garantir une capacité d’intervention minimale, malgré la soixantaine de textes existants sur les pompiers volontaires que j’ai pu dénombrer.

Il est possible de compenser le manque de volontaires par des moyens très lourds, comme le font notamment les Américains : fournir à deux pompiers un camion de 20 mètres cubes d’eau avec une grosse pompe leur permet au moins d’attendre les renforts.

Je crains néanmoins que la situation soit très grave. Plus on ferme de casernes, plus les volontaires s’en vont, car les volontaires sont socialement attachés à leurs communes, où ils ont besoin d’être connus. Dans les mois qui viennent, cinq casernes de sapeurs-pompiers volontaires vont fermer, sous l’effet de la crise. En Loire-Atlantique, le corps de 150 sapeurs-pompiers volontaires de Bouaye, disponible presque immédiatement, sera remplacé par une garde postée d’une dizaine de pompiers qui auront 3 000 sorties à effectuer par an : c’est perdu d’avance. J’ai écrit l’histoire de ce corps dans un livre qui sortira dans quelques jours. Il assurait dans 80 % des cas une réponse en 10 à 12 minutes sur les communes où il était stationné. Jamais ses membres n’accepteront de travailler dans d’autres communes. Les pompiers volontaires sont communaux dans le monde entier, ce qui n’empêche pas leur hiérarchie opérationnelle de couvrir un département ou une région. Cette perte d’ancrage local s’ajoute à une surcharge de travail. Certains corps de pompiers volontaires ont dépassé 1 000 sorties par an, ce qui occupe en Angleterre trois équipes à temps plein.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Notre système de sécurité civile est-il adapté aux crises naturelles, technologiques, sanitaires et terroristes auxquelles nous sommes confrontés ?

M. Jean-François Schmauch. Il peut paraître adapté tant qu’il n’est pas comparé aux autres. Les crises doivent être préparées par un dimensionnement. En cas de déraillement d’un train, il faut se demander en combien de temps les victimes pourront être évacuées et secourues. En cas d’inondation catastrophique, il faut des effectifs en grand nombre. En Loire-Atlantique (où les inondations sont fréquentes), 150 volontaires immédiatement disponibles pour prendre un véhicule, bâcher des toits et apporter une réponse sociale, sont remplacés par 10 pompiers postés.

Or, en l’absence de volontaires, il n’y a plus de gestion de crise possible. En Angleterre, où les pompiers sont professionnels, il manque toujours un peu de monde en cas de crise. En Allemagne et en Autriche, au contraire, les effectifs volontaires et les moyens engagés dans ces situations sont toujours impressionnants. Le THW peut construire un pont par jour pendant plusieurs jours, car il est équipé à cette fin.

Il faut également se préparer aux crises, en calculant les moyens locaux mobilisables, privés et publics, par exemple lors d’une crise d’ampleur et de durée moyennes, et en se demandant qui commandera les moyens mobilisés. La dilution des pouvoirs en France constitue un autre mode de fonctionnement surprenant. Lors de l’accident ferroviaire d’Eschede, le chef de corps volontaire des pompiers d’Eschede a pu engager des moyens blindés, afin que les chars puissent tirer les wagons.

Le système français me paraît à bout. J’ai lu un Sdacr qui garantissait la présence de 2 pompiers à 30 minutes pour gérer les incendies : il n’est alors même plus nécessaire de prévoir ces pompiers, car le délai d’un décès en cas d’incendie est de 17 minutes. En comptant les 7 minutes nécessaires à la découverte de l’incendie, il faut donc bien prévoir un délai d’intervention de 10 minutes maximum. En cas de déraillement d’un train, il faut des volontaires nombreux et des moyens lourds pour réaliser les découpes.

M. Julien Rancoule (RN). Vous avez déploré l’absence de corrélation entre les différents Sdacr. Faudrait-il créer un schéma national en complément de ces schémas départementaux ? Devrait-il alors relever de la DGSCGC ou d’un autre ministère que celui de l’Intérieur ?

M. Jean-François Schmauch. Cette question aurait dû être posée en premier lors de la départementalisation. En Allemagne comme aux États-Unis, un unique Sdacr s’applique à l’ensemble des comtés ou des États. Il suffirait de reprendre le texte américain, qui est très simple. À l’inverse, les Sdacr sont inutilement complexes. Pour éteindre un incendie, les moyens à mobiliser sont faciles à calculer. Il faudrait par exemple imposer aux départements de pouvoir mobiliser 8 pompiers et une autopompe en 12 minutes depuis le décroché de l’appel. Chaque département serait alors contrôlé et devrait avoir une réponse sérieuse à apporter pour expliquer les « zones blanches » sur son territoire. Les départements seraient enfin classés en fonction des délais d’intervention de leurs secours, comme en Angleterre.

Aux États-Unis, les assurances sont impitoyables avec les communes dont les délais d’intervention sont anormaux. La plupart des villes américaines affichent leurs budgets de pompiers volontaires et professionnels, avec les valeurs associées des biens sauvés et les niveaux d’impôts ainsi préservés. De même, les rapports autrichiens commencent toujours par un état des biens sauvés dans l’année.

Je suis encore correcteur des mémoires à l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. La plupart du temps, ils parlent du « modèle français » à chaque page, mais ne l’analysent pas, et ne comportent pas de bibliographie.

Il y a trente ans, une entreprise américaine de pharmacie est arrivée en Loire-Atlantique pour s’installer dans un port, mais y a renoncé, considérant que les moyens de protection opérationnels offerts n’étaient pas suffisants.

Lors du procès du tunnel du Mont-Blanc, un colonel suédois, interrogé à la barre, a indiqué qu’en tant que chef des pompiers, il avait le pouvoir de fermer un tunnel en cas de défaillance du système de détection. Lorsque les avocats et les experts auront compris les limites du modèle français, ils demanderont aux futurs accusés pourquoi leurs ambulances sont arrivées en 20 minutes, alors que toute la littérature spécialisée montre la nécessité de limiter ces délais à 12 minutes au maximum.

Il faut à cette fin un Sdacr unifié. C’est un choix politique. Lors d’une visite de caserne de pompiers, on m’a dit qu’elle avait été construite avant le gymnase, afin que des pompiers soient présents si le gymnase venait à brûler. On peut aussi choisir de faire le contraire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci, monsieur Schmauch, pour votre présence à notre mission d’information, et pour votre contribution écrite, que nous étudierons attentivement.


Table ronde sur le contexte, la gestion et les conséquences de l’incendie survenu à l’usine Lubrizol de Rouen le 26 septembre 2019

Compte rendu de la table ronde sur le contexte, la gestion et les conséquences de l’incendie survenu à l’usine Lubrizol de Rouen le 26 septembre 2019
(jeudi 26 octobre 2023)

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. Après une précédente table ronde, portant sur les incendies ayant eu lieu en 2022 en Gironde, nous poursuivons ce jour les travaux de notre mission d’information, en nous focalisant sur le grave incendie de l’usine Lubrizol, survenu en 2019 à Rouen et Petit-Quevilly.

Nous organisons cette table ronde en réunissant les représentants de l’État, les élus locaux et le SDIS du département, afin de bénéficier de leurs retours d’expérience et analyses sur cet événement majeur.

Cet incident a d’ailleurs fait l’objet d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, sous la précédente législature, ainsi que d’une commission d’enquête au Sénat.

Nous avons le plaisir d’accueillir Madame Charlotte Goujon, vice-présidente de la métropole Rouen Normandie, en charge de la transition écologique, de la santé et de la sécurité sanitaire et industrielle, et également maire de Petit-Quevilly, commune qui accueillait une partie du site de l’usine Lubrizol ; Madame Françoise Lesconnec, conseillère municipale de Rouen déléguée à la nature en ville et la politique environnementale ainsi que M. André Gautier, président du conseil d’administration du SDIS de la Seine-Maritime, qui est également vice-président du conseil départemental en charge de l’habitat, du logement et de la politique de la ville ; M. Clément Vivès, sous-préfet, directeur de cabinet du préfet de la région Normandie et du département de la Seine-Maritime, qui est chargé de le représenter aujourd’hui, et le Colonel Stéphane Gouezec, directeur du SDIS de la Seine-Maritime.

Nous vous remercions pour votre disponibilité et votre volonté de partager avec nous votre expertise et vos témoignages. Vos éclairages sont essentiels, non seulement pour nous aider à comprendre les événements et la gestion d’une telle crise, mais aussi pour réfléchir aux améliorations nécessaires de notre système de sécurité civile.

Nous aurons la chance de prolonger ces échanges précieux dans quelques semaines, lorsque notre mission d’information se déplacera en Seine-Maritime. Notre rapporteur et les membres de notre mission sont donc impatients de poursuivre ces échanges sur le terrain.

Nos questions porteront sur le contexte, la gestion et les conséquences de l’incendie de Lubrizol, sans oublier la gestion des suites de l’incendie lui-même.

Nous vous encourageons également à partager avec nous vos analyses critiques de l’organisation actuelle de notre système de sécurité civile, en mettant en lumière les leçons tirées de cet événement.

Notre mission, qui est composée de 25 députés, a été créée à la demande du groupe Horizon et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci d’avoir répondu à notre invitation pour évoquer ce sujet important, notamment sur la gestion de crise.

L’objectif de cette mission est de réfléchir sur la capacité d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile. De ce point de vue, il nous paraissait intéressant de pouvoir bénéficier de votre expérience au sujet de l’incident de Lubrizol.

Je vous propose, dans un premier temps, de vous présenter et de nous faire part de votre expérience dans le domaine de la sécurité civile ainsi que sur l’incident de Lubrizol.

M. Clément Vivès, sous-préfet, directeur de cabinet du préfet de la région Normandie et du département de la Seine-Maritime. Je n’étais pas personnellement en poste à Rouen, à l’époque de cet incendie il y a quatre ans. Toutefois, j’ai eu la chance, pendant près de deux ans, de travailler avec le préfet Durand, qui a directement vécu l’incident de Lubrizol.

Grâce aux équipes en place, nous avons bénéficié d’une mémoire, d’un historique de l’événement, mais surtout d’un énorme travail de retour d’expérience (Retex) local et national, auquel la préfecture a été associée.

Ce travail a été mené en parallèle d’une commission d’enquête sénatoriale, d’une mission d’information et d’une mission inter-inspections, qui ont permis d’apporter un éclairage sur un certain nombre d’éléments.

Des décisions ont été prises à la suite de cet événement, au niveau local et national. La loi Matras a probablement pris en compte un certain nombre d’enseignements de la crise Lubrizol.

En outre, les institutions du département apparaissent en avance sur le plan national. Ce constat est normal et logique, car la Seine-Maritime ressort comme le département français le plus exposé aux risques. Ce département regroupe deux centrales nucléaires, deux grands ports maritimes, ainsi qu’un grand nombre de sites Seveso (seuil haut, seuil bas).

De surcroît, le département est confronté à un nombre particulièrement important de phénomènes naturels graves, liés aux inondations, aux ruissellements ou encore aux marnières. Ce département est donc identifié comme un expert dans ces domaines.

Mme Françoise Lesconnec, conseillère municipale de Rouen déléguée aux risques majeurs. Le département est effectivement confronté à de nombreux risques et la ville de Rouen n’y échappe pas.

Notre préparation face à ces risques doit intégrer les apports de la connaissance scientifique, notamment ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), afin de tenir compte de l’augmentation inéluctable de certains phénomènes naturels, qui conduiront probablement à des mises en danger des installations.

Le traumatisme de l’incident de Lubrizol est encore présent. L’inquiétude des citoyens est ravivée très facilement, dès qu’une fumée est visible ou qu’une odeur suspecte apparaît.

Un incendie relativement grave a récemment eu lieu dans la ville de Rouen, concernant deux immeubles contenant notamment une grande quantité d’amiante, avec un risque environnemental réel. Cet événement a réactivité des peurs et des questionnements.

Nous pouvons affirmer, de manière globale, qu’un réel déficit de confiance s’est installé depuis l’incident de Lubrizol. Restaurer cette confiance sera probablement extrêmement difficile.

Les élus locaux se situent dans une proximité immédiate avec les citoyens, et reçoivent ainsi directement leurs interrogations. À titre d’exemple, alors que je participais récemment à une réunion publique sur des sujets de politique générale, une grande partie des échanges a finalement été consacrée aux risques et à la protection des populations.

Nous sommes témoins d’un sentiment de non-transparence sur la transmission d’informations. Bien que l’intervention remarquable du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) ait permis d’éviter une catastrophe de plus large ampleur lors de l’incident de Lubrizol, ainsi que lors du récent incendie de deux immeubles, la transmission de certains éléments d’information a pu toutefois faire défaut.

Nous ne devrions pas être réunis ce jour, si ce n’est en se plaçant dans une démarche enthousiaste d’amélioration continue. Néanmoins, l’incident de l’usine AZF qui a eu lieu en 2001 aurait déjà dû permettre une réflexion sur l’ensemble de ces questions Nous devons nous améliorer continuellement, face à l’évolution des processus industriels, de la densification des villes et du réchauffement climatique (et ses éventuelles incidences sur l’Axe Seine).

Je suis fière d’être présente ce jour et de participer à cette mission d’information, mais je ne m’inscris pas réellement dans une démarche enthousiaste.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je rappelle que cette mission d’information a vocation à étudier les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile. Nous essayons de comprendre comment une collectivité locale et les élus locaux font face à ces situations et apportent un soutien à la population avant, pendant et après la crise.

Il était donc intéressant pour nous de constituer un panel de représentation et de comprendre les enjeux de chaque partie, afin d’avoir une réflexion la plus juste possible.

M. André Gautier, vice-président du conseil départemental de la Seine-Maritime en charge de l’habitat, du logement et de la politique de la ville et président du conseil d’administration du SDIS de la Seine-Maritime. Je suis vice-président du conseil départemental de la Seine-Maritime depuis 2015 et conseiller municipal de Dieppe, une commune située entre deux centrales nucléaires (Paluel et Penly). Je suis également président délégué du SDIS depuis 2015.

J’ai suivi l’incident de Lubrizol depuis le centre de direction du SDIS. Au cours de cette journée, il est devenu évident que nous étions confrontés à un événement majeur, qui entraînerait des répercussions au niveau départemental et national, notamment au sujet de la gestion des risques.

La Seine-Maritime présente une grande variété de risques (naturels, industriels ou encore technologiques). Ces risques sont liés à l’histoire industrielle particulièrement riche de notre département. Il s’agit du premier département pour le raffinage du pétrole et des lubrifiants. De plus, nous disposons de deux grands ports autonomes, avec de nombreuses entreprises Seveso, manipulant des produits dangereux.

Je souhaite rappeler que l’incident de Lubrizol n’a fait aucune victime. Cet événement a néanmoins sensibilisé les élus et la population aux risques qui nous entourent au quotidien. Cette prise de conscience a suscité la volonté des élus locaux d’améliorer notre compréhension des risques et de mieux anticiper la communication auprès de la population.

En revanche, même si les habitants ont pris conscience des risques qui les entourent, je ne suis pas certain qu’ils réagissent de manière adéquate en cas d’activation des processus d’alerte et de confinement lors d’une prochaine crise. En effet, les exercices menés régulièrement auprès de la population ne mobilisent pas massivement les habitants. Les populations vivent à proximité des risques, mais n’ont probablement pas complètement saisi la dangerosité et les conséquences de ces dangers sur leur vie quotidienne et leur mobilité.

Mme Charlotte Goujon, vice-présidente de la métropole Rouen Normandie en charge de la transition écologique, de la santé et de la sécurité sanitaire et industrielle, maire de Petit-Quevilly. Je suis maire depuis le 2 juillet 2019 et l’incendie de Lubrizol a eu lieu de 26 septembre 2019, soit très peu de temps après ma prise de fonction.

Je suis donc attachée au sujet de la formation et de l’information des élus concernant les risques majeurs, ainsi que la gestion de crise. La question de l’information et de l’alerte aux populations est également essentielle, compte tenu de la sensibilité de notre métropole aux risques majeurs.

S’agissant de l’information de la population et de sa participation à la culture de la sécurité, nous avons constaté que de nombreux habitants ont pris conscience des risques qui les entourent seulement lors de la crise. Il est donc nécessaire d’anticiper cette question et de travailler sur des exercices impliquant la population, afin de promouvoir la culture du risque, qui avait quelque peu diminué dans notre métropole.

La question de la transparence vis-à-vis des habitants, concernant les activités des entreprises et de l’État, doit aussi être prise en compte. À ce titre, les rapports d’inspection sont disponibles en ligne, sur le site de la préfecture.

Des améliorations restent néanmoins à apporter à ce sujet. Il subsiste une certaine méfiance, voire des difficultés à croire en ce que les autorités, quelles qu’elles soient, peuvent communiquer lors d’événements majeurs.

Enfin, il semble important de discuter des moyens disponibles pour le SDIS et les inspections des installations classées.

M. le Colonel Stéphane Gouezec, directeur du SDIS de la Seine-Maritime. Je suis colonel hors classe et j’évolue dans le domaine de la sécurité civile depuis une trentaine d’années. J’ai commencé ma carrière à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris et suis officier des sapeurs-pompiers depuis 1997. J’ai occupé divers postes, notamment à Toulouse, en Haute-Garonne, puis en Ille-et-Vilaine pendant plusieurs années. Au fil du temps, j’ai progressé vers des postes de direction, d’abord dans la Nièvre, puis dans les Deux-Sèvres, et désormais en Seine-Maritime.

Je souhaiterais aborder divers sujets liés à la prévision, à la culture du risque, à l’éducation des populations et au lien avec la jeunesse, à la fédération des acteurs de la sécurité civile sur un territoire, à la formation des élus à la gestion de crise, aux missions de soutien aux populations et aux organisations publiques (telles que le SDIS), ainsi qu’aux réponses aux événements particuliers.

Nous constatons une progression continue dans ces domaines au cours du temps. Des textes législatifs ont été fondateurs sur ces questions, notamment les lois sur les risques majeurs et celles liées à l’organisation de la sécurité civile. La notion de culture du risque a également été revisitée à plusieurs reprises.

Cependant, des pistes restent encore à explorer pour renforcer ce système en constante amélioration. Je suis à votre disposition pour répondre à toutes les questions, en particulier sur la manière de fédérer cette constellation d’acteurs sur un territoire.

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. Le sujet de l’information à la population semble fondamental au regard de vos différentes interventions. Le rapport parlementaire de 2020 a également émis une proposition en ce sens.

Le système FR-Alert a été mis en service en juin 2022. Pensez-vous que ce système est adapté au risque industriel ? Doit-il être amélioré face aux enjeux de demain ?

M. André Gautier. Ce système d’alerte est efficace lorsqu’il est connu et que les populations sont informées et conscientes des réactions à adopter. Cela implique un devoir d’information de la part des collectivités locales, en particulier au niveau communal, où les relations et les informations de proximité jouent un rôle essentiel.

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. Je rappelle que le système FR-Alert permet de prévenir les personnes sur leur téléphone mobile, dans un périmètre donné, par rapport à un risque présent.

M. Clément Vivès. Ce système, qui existe déjà depuis un certain temps dans plusieurs pays, tels que les États-Unis et le Canada (sous le nom de « Cell Broadcast »), a été mis en œuvre en France à la suite de l’incident de Lubrizol. Ce système d’alerte est une réponse directe aux leçons tirées de cet événement.

L’incident a mis en évidence un problème important concernant l’alerte des populations, notamment en pleine nuit lors d’un incendie. Le manque de culture du risque conduit à des comportements inadaptés en cas d’alerte. Les populations ne savent pas comment réagir et peuvent même adopter des comportements dangereux.

Il est important de sensibiliser les populations sur la manière de réagir en cas d’alerte. Lorsque les sirènes retentissent, les personnes doivent connaître les actions à entreprendre, telles que rester à l’intérieur de son domicile, écouter les médias nationaux, ne pas aller chercher les enfants à l’école et encore ne pas utiliser son téléphone.

Or, quand les sirènes sont activées, nous constatons que les citoyens ont tendance à ouvrir les fenêtres afin de comprendre ce qui se passe, à aller chercher leurs enfants à l’école et à appeler leurs proches et les services d’urgence, afin d’obtenir des informations.

La décision de déclencher les sirènes en cas d’urgence relève du maire ou du préfet. Les sirènes n’ont pas été déclenchées lors de l’incident du Lubrizol, afin de ne pas créer un mouvement de panique en pleine nuit, alors que les personnes étaient à leur domicile et donc en sécurité.

Le choix a été fait par la suite de déployer le « Cell Broadcast ». Ce dispositif permet l’envoi d’un message, y compris sur les téléphones en veille. L’appareil mobile vibre fortement dans cette situation, en émettant un son particulièrement gênant. Ce système intrusif, de bout de chaîne, permet ainsi de faire passer des messages d’alerte, en cas d’urgence imminente et de risque à l’intégrité physique des personnes, avec un besoin impératif de donner des consignes précises.

À la suite de tests du dispositif, 90 % des personnes interrogées ont estimé que ce système faisait peur. Néanmoins, 70 à 80 % des personnes sont contentes d’avoir reçu ce message indiquant clairement les consignes à suivre.

À notre époque, la plupart des concitoyens reçoivent des alertes sur leur téléphone mobile pour tout et n’importe quoi, et souhaitent être informés de cette manière. Ce dispositif doit néanmoins rester exceptionnel, afin de préserver sa force de frappe et permettre la transmission d’un message d’alerte particulièrement puissant.

Mme Françoise Lesconnec. Ce système d’alerte se place effectivement en bout de chaîne. La question de l’anticipation est primordiale et ne se positionne pas uniquement en fonction des moyens mis en œuvre (système d’alerte, organisation interne dans les collectivités, etc.).

Ce sujet repose également sur la manière dont les différents acteurs se mettent en ordre de marche collectivement, chacun au sein de ses missions et fonctions. L’objectif est justement d’éviter d’utiliser ces systèmes d’alerte.

Les apports réglementaires et législatifs sont particulièrement importants sur la question de l’anticipation.

Mme Charlotte Goujon. FR-Alerte est un outil de qualité, permettant de transmettre des consignes à la population.

Néanmoins, l’utilisation de cet outil semble trop restrictive. En effet, ce dispositif ne permet pas d’informer la population lorsque le danger n’est pas imminent ni immédiat. L’incendie survenu au mois de septembre 2023 a mis en lumière cette problématique dans notre métropole, où la population est très attentive à la transmission d’informations.

Il semble souhaitable de décliner au niveau local différentes doctrines d’utilisation afin de tenir compte des sensibilités locales. FR-Alert a été utilisé sur le territoire national à quatre reprises depuis sa mise en place : pour une évacuation en Gironde à la suite de feux de forêt, pour un message de prévention des autorités lors d’un technival, concernant des morsures de vipères dans l’Indre au mois de mai 2023, pour une vigilance rouge concernant un orage en juillet 2023 dans l’est du territoire, et enfin pour une vigilance orange liée à un orage dans les Pyrénées-Atlantiques. Il semble donc exister une interprétation plutôt « extensive » de la doctrine par les autorités locales, par exemple pour le cas du technival et de la vigilance orange pour les orages.

Il n’existe donc pas véritablement de doctrine nationale dans ce domaine, puisque l’outil semble avoir été utilisé, au moins à deux reprises, à titre d’information. La question de la frontière entre l’information et l’alerte doit donc être posée.

Nous avons développé, sur le territoire de la métropole, un système d’alerte par SMS. Les personnes souhaitant bénéficier de ce service doivent s’inscrire à ce dispositif. 25 500 personnes se sont inscrites pour le moment, sur les 500 000 habitants que compte le territoire de la métropole. Cet outil a été utilisé à deux reprises, lors des incendies des mois de janvier et septembre 2023. Il ne s’agit néanmoins que d’un palliatif, la métropole milite plutôt pour adapter la doctrine nationale de l’outil FR-Alert aux sensibilités des territoires.

La question plus large de l’information aux populations doit également être traitée. Les habitants sont demandeurs d’un outil spécifique permettant de recevoir, de manière automatique, de l’information, sans devoir obligatoirement passer par un service nécessitant une inscription.

M. Clément Vivès. Il n’existe pas plusieurs doctrines de l’utilisation de l’outil FR-Alert. La Seine-Maritime a appliqué la doctrine officielle de l’outil. L’incendie en Gironde présentait un risque immédiat et des consignes ont donc été données. Concernant l’alerte du technival, des vipères avaient été repérées sur le territoire, avec une urgence d’informer la population face à un réel risque. Enfin, des consignes ont également été transmises lors des épisodes orageux. L’objectif principal est de pouvoir faire passer des consignes à la population en cas de risque. Aussi, tant que les acteurs tels que les SDIS et les ARS n’indiquent pas au directeur des opérations de secours des consignes immédiates face à des risques pour l’intégrité des personnes, le système d’alerte n’a pas à être activé. Le problème est sensible, mais il faut conserver une doctrine globale et uniforme.

M. le Colonel Stéphane Gouezec. L’objectif n’est pas simplement de mettre en place un outil, mais un écosystème complet. Le dispositif doit s’inscrire dans une culture globale, avec l’éducation des jeunes, l’esprit civique, la compréhension des enjeux, la prévention des risques de la vie courante, l’information préventive sur les comportements qui sauvent, l’information régulière des élus et de la population, ou encore la formation et l’accompagnement des élus.

FR-Alert constitue une importante avancée. Par rapport aux précédents dispositifs de la sécurité civile, cet outil permet un taux de pénétration bien plus important.

Néanmoins, FR-Alert ne peut pas être le moyen exclusif, puisque certaines personnes sont malades, malentendantes ou n’ont pas accès à leur téléphone portable.

Nous devons construire l’aventure humaine autour de la sécurité civile, avec l’ensemble de l’écosystème, comprenant l’éducation, l’information et la nécessité de renouer la confiance entre les services publics et la population, dans le cadre d’un travail de long terme. Ce travail permet par la suite d’envisager l’alerte et l’information aux populations.

Les deux canaux ne doivent pas être confondus. Le message d’alerte doit réellement être perçu comme un message d’alerte. La présence de canaux d’information reste néanmoins nécessaire.

L’information, pour être efficace, doit être multicanal, avec le téléphone, le porte-à-porte, les messages dans les boîtes aux lettres, ou encore le contact humain.

Dans le cadre des plans communaux de sauvegarde (PCS) ou de la démarche de l’organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC), l’ensemble de l’aventure humaine doit être travaillé. Ces paramètres doivent être approfondis, afin de pouvoir rendre plus harmonieuse cette capacité de réaction et de résilience.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Lorsque j’ai déposé cette mission d’information avec mon groupe, l’objectif était de pouvoir faire face à des crises majeures, d’ordre technologique, naturel, sanitaire ou liées à risque attentat.

Je prends notamment note de vos réflexions concernant l’acculturation de la population, qui constitue un enjeu majeur.

En matière de gestion de crise, le meilleur atout reste la prévention. Les crises doivent se préparer en amont.

FR-Alert représente un outil supplémentaire dans ce travail, mais d’autres canaux doivent également être mis en place.

Quel est votre regard sur le fonctionnement de notre modèle de sécurité et de protection civile ? Ce modèle doit-il évoluer ? Ce modèle est-il capable de répondre aux enjeux à venir ?

Mme Françoise Lesconnec. La question des moyens doit être prise en compte. Les réflexions et l’intelligence collective doivent être accompagnées de moyens suffisants.

Lors de l’incident de Lubrizol, certains éléments sont apparus clairement sous-dimensionnés. Ce constat renvoie, une fois de plus, à la question de l’anticipation. Les moyens humains sont également nécessaires, avec des femmes et des hommes formés, capables de se rendre sur le terrain.

L’organisation et les moyens financiers doivent ainsi être au rendez-vous, afin de permettre cette présence humaine et cette démarche de formation. En outre, ces personnes doivent être dotées d’équipements de protection individuelle (EPI) adaptés et de moyens plus lourds. La question des moyens logistiques et administratifs doit également être prise en considération.

M. André Gautier. Je pense que notre modèle de sécurité civile répond aux risques. Au sein du SDIS, l’organisation intègre des professionnels disposant de compétences parfois poussées en Seine-Maritime (risque radiologique, risque chimique, risque nautique, etc.), ainsi que de nombreux sapeurs-pompiers volontaires, qui détiennent cette culture du risque et qui se montrent particulièrement disponibles lors des événements majeurs.

Cette capacité de réaction de nos sapeurs-pompiers volontaires et cette compétence de nos sapeurs-pompiers professionnels permettent de répondre à un spectre de risques relativement large.

La question des moyens humains et financiers peut effectivement se poser. Néanmoins, les moyens financiers sont présents dans le département et les communes.

En outre, d’autres partenaires participent à ces moyens financiers. Nous disposons de générateurs de risques en Seine-Maritime qui participent à l’ensemble des équipements des sapeurs-pompiers, et des moyens humains.

Je suis plutôt optimiste sur notre capacité à pouvoir répondre à un événement majeur, et sur notre modèle de sécurité civile.

En revanche, ce modèle ne doit pas être remis en cause par d’éventuelles réglementations européennes. Les dirigeants français doivent pouvoir préserver notre modèle de sécurité civile.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les services de Gironde, entendus par la mission la semaine passée, nous rappelaient malheureusement que plusieurs crises peuvent parfois se conjuguer au même moment, en plus du risque courant. Ils nous ont ainsi indiqué être récemment arrivés à un point de rupture. Je tiens donc à souligner que des difficultés peuvent donc apparaître en fonction des régions.

M. André Gautier. Nous avons également cette capacité de pouvoir faire bloc avec l’ensemble des SDIS. Lors de l’incident de Lubrizol, nous avons par exemple pu mobiliser d’autres forces autour du SDIS de Seine-Maritime.

Cette capacité est forte et se constate avec les volontaires et la collaboration interdépartementale. Nous sommes souvent appelés à intervenir sur des théâtres d’opérations qui ne sont pas spécifiques au département, et nous répondons présents.

Mme Charlotte Goujon. Je rejoins ma collègue Mme Lesconnec sur la nécessité d’accorder des moyens supplémentaires aux SDIS, bien que la situation se soit améliorée concernant le SDIS en Seine-Maritime. Comme cela a été dit, notre département est particulièrement concerné par les risques, la construction d’un EPR est venue renforcer ce constat.

Au-delà des moyens, la question de l’attractivité des métiers au sein des services d’incendie et de secours doit également être évoquée. Le nombre de personnels sur le territoire doit être suffisant afin de pouvoir répondre aux enjeux qui sont les nôtres.

M. le Colonel Stéphane Gouezec. Notre modèle de sécurité civil mûrit relativement correctement depuis de nombreuses années. Les lois ont ainsi permis de solidifier ce dispositif.

Effectivement, la question des moyens, notamment humains, est au cœur de la façon dont les différentes missions, curatives ou préventives, sont menées. Ces deux aspects doivent être travaillés de façon parallèle.

Durant de nombreuses années, les SDIS se sont concentrés sur le curatif et donc sur l’intervention. La loi de 2004 n’a pas été complètement explorée, afin que les SDIS puissent devenir des acteurs de la formation et de l’éducation des jeunes à la sécurité civile.

Les citoyens ont profondément envie de s’engager. Lorsque les conditions de l’information, de l’éveil et de l’envie sont mises en place, nous provoquons cette capacité à renforcer nos effectifs. Le travail de ces paramètres nécessite une action sur l’éducation, notamment dans l’éducation nationale.

Nous sommes en train de construire un projet important en Seine-Maritime, avec des interventions planifiées annuellement dans les classes de quatrième, afin de réaliser de l’information préventive aux comportements qui sauvent et de déployer la culture du risque. Pour cela, la création d’une administration supplémentaire n’est pas nécessaire. Le préfet Durand rappelait l’importance de se méfier de l’institutionnalisation et de la création d’établissements publics supplémentaires qui viennent alourdir le système.

L’engagement citoyen, avec cette notion de réserve de sécurité civile (réserve citoyenne), a été un élément fort de la loi Matras et des lois précédentes concernant les réserves communales de sécurité civile. Ce cadre permet la construction de tels éléments, sous l’angle du bénévolat. De nombreux citoyens souhaitent participer à cette aventure de l’engagement, de la résilience et de l’entraide d’une communauté humaine, dans un quartier et un territoire. Pour parvenir à ce résultat, il est nécessaire d’agréger les compétences et les envies, en imaginant des systèmes qui relèvent davantage de la fédération des bonnes volontés.

En Seine-Maritime, nous avons plutôt imaginé une fédération d’intention, à laquelle un cadre plus structuré devra probablement être apporté. Une déclinaison pourrait être un conseil départemental de protection civile, fédérant les acteurs, dans le cadre d’une fédération d’intention, avec des objectifs partagés par les décideurs locaux, afin de fixer des axes permettant une complémentarité de ces réseaux d’acteurs.

Les associations agréées de sécurité civile sont des acteurs importants, qui travaillent sur la formation au secourisme de la population et sur les fonctions de soutien aux populations et de résilience.

17 associations, dont le SDIS, sous l’égide du préfet, ont signé cette fédération d’intention. L’idée est que ces associations agréées soient présentes pour réaliser un maillage citoyen. La réserve départementale intervient pour compléter ces actions et agréger les citoyens.

En créant cette organisation, nous constatons que les citoyens nous rejoignent, en ayant envie de participer à l’aventure de la communauté et à un appui aux services publics dans les missions de soutien aux populations. Dans ce cadre, le nombre de jeunes sapeurs-pompiers et de pompiers volontaires augmente, ainsi les membres des associations agréées de sécurité civile.

Ce modèle que nous devons inventer doit s’inscrire dans un partenariat construit, avec des textes adaptés, permettant de faire vivre cet écosystème, non pas comme une institution, mais comme une fédération d’acteurs ayant une volonté commune de répondre aux besoins des élus locaux et nationaux. Cette approche constitue une brique supplémentaire, et non une refondation, car la coordination des différents acteurs (communautés urbaines, métropoles, communautés de communes, communes, Conseil départemental, SDIS, etc.) permet la mise en place d’un front commun, afin d’être à la hauteur des enjeux de demain.

Nous bénéficions d’ailleurs de cofinancements croisés pour les infrastructures immobilières ou afin de mener à bien notre t projet de création d’une maison commune de la sécurité civile. Un texte devra donner du sens à cette fédération d’acteurs, afin d’éviter la dispersion des bonnes volontés au cours du temps.

M. Julien Rancoule (RN). Vous avez évoqué l’organisation d’exercices, grandeur nature, avec la population. Vous avez, à cette occasion, déploré le manque d’implication de la population dans le cadre de ces exercices.

Quelle est la nature précise de ces exercices ? Ces exercices sont-ils propres à votre département, décidés, organisés et dirigés uniquement par les acteurs locaux ? Comment expliquez-vous le manque d’implication de la population dans ce cadre ?

Par ailleurs, disposiez-vous, au moment de la crise, du maillage territorial impliquant la population, les associations agréées sécurité civile et les réserves communales ? Ce maillage s’est-il mobilisé pour cette crise ? Des associations se sont-elles greffées après la crise ?

M. André Gautier. Ces exercices sont systématiquement organisés par la préfecture, dans le cadre du Centre nucléaire de production électrique (CNPE). L’objectif de ces exercices est de tester la coordination de l’ensemble des services amenés à intervenir auprès des populations, ainsi que les dispositifs d’évacuation.

Je regrette, en effet, le manque d’implication des habitants dans ces exercices. La population semble avoir intégré le risque dans la vie quotidienne. Par ailleurs, ces exercices ont lieu en journée, lorsque les personnes sont au travail, et sur des sites non urbanisés, avec une population moins importante dans le périmètre de sécurité.

M. Clément Vivès. Tous les ans, la préfecture organise une demi-douzaine d’exercices à l’échelle départementale. Certains de ces exercices peuvent être d’ampleur nationale, notamment ceux relatifs aux centrales nucléaires, avec des scénarios en lien avec l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.

Dans le cadre de ces exercices, nous avons, de manière générale, un regret concernant le manque d’implication d’un certain nombre d’acteurs du territoire et de la population. Ce constat nous oblige à réfléchir à des modalités plus « ludiques », afin de faire intervenir des écoles, des agents et des structures.

Nous partons probablement de loin vis-à-vis d’autres pays dans ce domaine. Les Français n’aiment pas le risque. Nous ne souhaitons pas le voir ou nous considérons qu’il ne devrait pas exister. Or, cette manière de penser nuit à la gestion du risque lorsqu’il se produit.

Ce sujet est majeur lorsque des exercices sont organisés. Les élus locaux, les directeurs d’écoles et les habitants estiment que ces exercices sont particulièrement anxiogènes. Ce sujet est très « français ».

Cette année, 24 % des communes du département ont participé à l’exercice de mobilisation du plan communal de sauvegarde. Le taux de participation atteint 59 % dans la métropole de Rouen-Normandie.

La direction générale a lancé un certain nombre d’initiatives, notamment des exercices « flash », qui fonctionnent et sont adaptés aux risques spécifiques des communes.

Les plans communaux de sauvegarde ne sont pas tous réalisés. L’initiative évoquée par le Colonel Gouezec est centrale afin de renforcer l’acculturation de toute la population.

La journée de la résilience est née à l’issue d’un rapport. La deuxième édition a lieu cette année, avec la participation d’acteurs du territoire. La métropole de Rouen a, de son côté, consacré une semaine entière à cette question.

Cette journée, importante et symbolique, permet de sensibiliser quelques centaines d’enfants pour la métropole. Ce résultat n’est pas négligeable, mais l’enjeu est bien plus large. La cible est de toucher une classe d’âge entière, soit environ 14 000 enfants, qui auront la capacité de diffuser ces informations, notamment au sein de leur domicile. Cet objectif, qui est rempli à un tiers cette année, devrait être atteint en 2025.

Nous avons beaucoup de retard dans ce domaine, mais nous essayons de nous mettre en ordre de marche. La réserve départementale, qui nous aidera à conduire cette mission, s’appuiera sur le travail des bénévoles.

Les bénévoles des associations agréées de protection civile jouent un rôle majeur dans notre modèle. Nous ne pouvons pas les laisser de côté. Ces personnes travaillent quotidiennement avec les organisateurs de divers événements et les élus. Ces activités garantissent leur capacité à être présents et opérationnels lorsqu’une crise survient.

Les associations agréées de sécurité civile n’étaient pas engagées dans la crise de Lubrizol. Ces personnes ne sont pas réellement engagées au quotidien. Or, les bénévoles ont besoin de s’entraîner régulièrement, notamment afin de réaliser cette transmission et cette prévention, et de communiquer auprès des élèves.

La fédération de ces bonnes volontés est un élément majeur qui se met en place au sein du département, sans institutionnalisation ou obligation « verticale ». Cette fédération nécessite une convergence des volontés et des moyens.

À ce titre, le SDIS met à disposition deux personnels, à savoir le président et le directeur, afin de faire vivre cette réserve et cette maison.

M. le Colonel Stéphane Gouezec. L’objectif est de rendre visible la sécurité civile sur le territoire. Un objet peu utilisé dans ce domaine est le pavillon de sécurité civile. Il semble nécessaire de valoriser les communes qui font flotter le pavillon de sécurité civile, car cet élément fait le lien avec les exercices.

Afin de pouvoir faire flotter le pavillon de sécurité civile sur une commune, un certain nombre d’exercices doit être réalisé. Les territoires ayant exploré cette possibilité doivent répondre à certaines règles de culture, d’organisation de la commune, de gestion des plans communaux de sauvegarde et de réussite d’exercices dans lesquels le poste de commandement communal a été activé.

De plus, des niveaux de cotation existent pour ce pavillon qui permet de rendre visible cette notion de sécurité civile sur le territoire, ainsi que de valoriser l’action des élus qui s’engagent dans cette démarche.

Ce travail fait également le lien avec le correspondant incendie et secours, qui pourrait d’ailleurs parfaitement être renommé « correspondant sécurité civile ». Ce sujet doit être relié à la notion de sécurité civile. Ce pavillon constitue un élément de reconnaissance et de valorisation des acteurs, en particulier sur la culture des exercices.

Mme Françoise Lesconnec. Je participe à un certain nombre de commissions communales de sécurité et je rencontre souvent des préventionnistes. La question de l’engagement à long terme revient régulièrement, avec cette notion importante de l’attractivité.

Nous sommes également victimes de nos erreurs, notamment en matière de déficit de confiance. Lors de l’incident de Lubrizol, les informations transmises ont pu parfois paraître contradictoires. D’autres informations n’ont pas été transmises à la population, qui a pu avoir le sentiment que la vérité lui était cachée.

Retrouver la confiance des citoyens sera compliqué. Nous devons rester cohérents vis-à-vis des messages que nous envoyons et nous devons nous inscrire dans cette volonté d’acculturation au risque.

En outre, il semble nécessaire de ne pas dissocier la culture de la sécurité de celle du risque. Ces deux cultures sont totalement liées et dépendantes l’une de l’autre.

Des exercices, dans le cadre du plan particulier de mise en sûreté (PPMS), sont régulièrement menés au sein des écoles, avec différents scénarios (attentat, risque technologique, sanitaire, etc.). Les enfants sont ainsi entraînés à adopter les bons comportements, en fonction des situations.

L’acquisition de comportements réflexes est donc primordiale, le risque zéro n’étant pas envisageable. La population semble prête à s’investir dans ce domaine. Dans ce cadre, la notion de complémentarité des acteurs est fondamentale pour l’élaboration de l’ensemble nos stratégies locales, ainsi que celle de la coordination.

Je souligne, une fois encore, qu’il ne faut pas craindre d’effrayer la population et nos propres agents en anticipant et en informant sur les réponses à apporter aux risques.

M. André Gautier. Nous vivons dans une société numérique. Nous ne pouvons pas ignorer les réseaux sociaux et les images qui circulent sur internet.

L’incident de Lubrizol et l’ensemble des événements majeurs que nous avons pu connaître ont suscité une mobilisation particulièrement importante de la part des réseaux sociaux. Les messages diffusés sur ces plateformes peuvent être contradictoires et les images peuvent apparaître effrayantes.

Au sein du SDIS, deux experts sont mobilisés, lors d’événements majeurs, afin d’être en alerte sur les réseaux sociaux et de pouvoir apporter des réponses en temps réel.

Nous avons également créé un réseau de reporters d’images. Ce réseau fait remonter les images des différentes interventions, afin de permettre aux personnes en responsabilité, dans le cadre de la direction des opérations de secours (DOS), mais aussi aux médias, de diffuser l’information correcte et les bons conseils. Ces deux éléments importants doivent être pris en compte.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pourriez-vous apporter des précisions sur cette idée de fédération d’intention ? Cette démarche est-elle également mise en place dans d’autres départements ?

Par ailleurs, pouvez-vous mettre en lumière les différences qui existent entre la sécurité civile et la protection civile ?

De plus, le niveau de réponse et de connaissance est-il identique, quelle que soit la taille des communes ?

Enfin, quels sont les avantages et les inconvénients des réserves communales de sécurité civile, qui sont sous la responsabilité directe du maire ?

M. le Colonel Stéphane Gouezec. Les réserves communales sont un élément essentiel, puisque la solidarité humaine sur un territoire part, dans un premier temps, du lieu de vie et de la réalité des risques locaux. Ces réserves doivent faire le lien avec les élus locaux.

Le déclenchement des réserves communales est particulièrement rare, et nous rencontrons des difficultés à les faire vivre en continu, sur l’ensemble du territoire.

Il est possible, au travers de la réserve départementale, de rendre projetables les réserves communales. Une réserve communale de sécurité civile bien structurée existe sur la commune de Grand-Quevilly. Les acteurs de cette réserve peuvent ainsi être projetés, par exemple, dans le cadre d’une tempête, sur une autre partie du territoire.

Par convention, nous lions les réserves communales aux réserves départementales. La complémentarité de ce maillage, entre le tissu communal et le tissu départemental, renforce l’ensemble du dispositif et permet d’agréger des citoyens sur l’ensemble du territoire.

Ces deux paramètres nécessitent de penser l’appui et la formation à l’information des cadres des réserves communales. Ce point est développé dans le cadre de notre collaboration entre les associations agréées et les acteurs de la sécurité civile. La réalisation de la formation des cadres de ces réserves communales est nécessaire, afin qu’ils puissent comprendre l’environnement dans lequel ils se situent (dans le cadre de la démarche ORSEC) et les différences qui existent entre les missions de secours ou de soutien aux populations.

En effet, la bonne volonté d’acteurs non formés peut apparaître perturbatrice dans cette envie d’effectuer du secours. Ces éléments doivent être pris en considération.

L’un des objectifs de la maison de la sécurité civile sera de former nos cadres de réserve communale de sécurité civile, afin de pouvoir envisager la projection d’équipes de neuf personnes. Cette démarche globale doit être envisagée en partant de l’échelle communale, du quartier et de la zone d’habitation.

Par ailleurs, la question de l’appellation peut poser des difficultés, avec une constellation d’acteurs qui se complexifie. Actuellement, la « marque » protection civile ou sécurité civile n’est pas protégée, et des personnes ayant envie d’être utiles peuvent parfois créer des associations en y accolant le terme de « protection civile ».

Je pense qu’il faudra protéger cette capacité à utiliser ce terme de « protection civile » ou de « sécurité civile » à travers cette idée de fédération d’intention. La « tutelle » sur celle-ci pourrait être exercée par le service interministériel régional des affaires civiles et économiques de défense et de protection civiles (SIRACEDPC) ou le corps préfectoral, qui pourrait donner un agrément d’usage du nom, cette tutelle pouvant fonctionner éventuellement avec une codirection ou une direction adjointe du directeur du SDIS. L’idée est de promouvoir l’esprit de sécurité civile, sous la responsabilité du préfet, tout en réalisant une distinction avec son rôle de directeur d’établissement public.

M. Clément Vivès. Nous comptons 13 associations dans le département, pour plus de 3 000 personnes engagées. Certaines associations disposent d’un fonctionnement quasiment professionnel, avec un nombre de salariés particulièrement réduit.

Ces structures représentent des acteurs majeurs du quotidien pour l’ensemble des pouvoirs publics et permettent, auprès des élus et d’autres acteurs du territoire, de mener à bien des missions et d’accompagner des événements avec professionnalisme.

Par ailleurs, la Seine-Maritime, dans les domaines de la sécurité civile, connaît un déficit d’attractivité, dont j’ignore les causes, ces initiatives sont donc particulièrement utiles.

Ce déficit se retrouve dans le recrutement des sapeurs-pompiers. Le sujet de la fédération des bonnes intentions permet une reconnaissance et le partage d’un certain nombre d’éléments (uniformes, formations, cérémonies, etc.). Cette initiative permet de faire grandir l’envie et, indirectement, de faire grossir les rangs des candidats pour les concours de sapeurs-pompiers ou d’autres professions.

Le sujet de la réserve communale est important. Des communes s’engagent particulièrement dans ce domaine, ce qui implique des équivalents temps plein (ETP) pour gérer ces personnes et les former. Néanmoins, d’autres collectivités sont moins impliquées sur ces questions, pour diverses raisons (financières, politiques, etc.). Il s’agit d’un point majeur lorsque nous évoquons le sujet de la protection civile.

Le département est exposé à de nombreux risques, qui diffèrent en fonction de la localisation ; pour ces risques, les collectivités locales et les maires sont les plus à même de prendre des mesures. Le SDIS et le préfet ne peuvent pas imposer l’information à une population générale de la Seine-Maritime, au risque de se retrouver avec un document d’une centaine de pages, similaire au document départemental des risques majeurs (DDRM).

Le sujet est donc éminemment local. Le DDRM permet à chaque commune de connaître les risques qui lui sont propres, avec des fiches spécifiques qui doivent être présentées à la population tous les deux ans.

Dans ce domaine, l’appropriation n’est pas homogène. La loi Matras nous a offert un certain nombre de leviers. Nous avons pu accueillir, avec le directeur du SDIS et le président, 500 correspondants dans diverses réunions, afin de rappeler les obligations des maires en matière de réponse aux risques. La responsabilité pénale des maires et la responsabilité civile de la commune sont susceptibles d’être engagées dans ce cadre, mais certains maires n’ont pas conscience de cette responsabilité.

Certains territoires ont la chance d’avoir mis en place des équipes compétentes dans ce domaine, et cette organisation relève de choix budgétaires et financiers, impliquant des arbitrages. Or, certains sites peuvent afficher des retards en la matière. Le sujet majeur est celui de la compétence des collectivités locales, qui sont seules chargées de connaître le plan intercommunal de sauvegarde.

Concernant l’incendie de Lubrizol, tous les retours et les rapports des différentes commissions d’enquête ont été mis en ligne et sont donc disponibles de manière totalement transparente. Cet événement n’a fait aucun mort, ni aucun blessé. En outre, aucune conséquence n’a été constatée dans le cadre de la surveillance épidémiologique.

En revanche, les médias locaux et nationaux n’évoquent pas le décès, à Rouen, d’une femme de 40 ans, en juin 2022, à la suite d’un ruissellement dans une rue. Pourtant, ce drame aurait pu être évité et s’inscrit dans le cadre de la responsabilité collective en ce qui concerne le plan de prévention ou encore l’artificialisation des sols.

Par ailleurs, des câbles (internet et téléphonie) ont récemment été arrachés. À la suite de cet incident, une zone de trois communes n’a plus eu accès à la téléphonie fixe et mobile, ainsi qu’à internet. Des sapeurs-pompiers ont été déployés, ainsi que des patrouilles de police et de gendarmerie. L’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) a été prévenu, afin de demander aux autres communes l’activation de leur PCS. Or, les personnes chargées de cette mission se sont contentées d’envoyer des messages sur les téléphones d’astreintes, ainsi que des courriels, au lieu de dépêcher des individus directement sur place.

Cette organisation nécessite un travail quotidien de planification, une capacité à répéter les bons comportements à adopter en cas de crise, ainsi qu’une formation des élus. Les directeurs des opérations de secours doivent savoir écouter le SDIS et les services de l’État. Nous sommes néanmoins en avance dans ce domaine, au sein de notre département.

Mme Françoise Lesconnec. Ce sujet renvoie à la question de l’anticipation, par la formation et l’accompagnement des communes. Des interventions sont parfois effectuées dans les communes ou les conseils municipaux sur ces éléments de sécurité civile. La question de l’anticipation est majeure.

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. Pensez-vous que l’information des élus est importante dans le domaine de la gestion d’un risque ou d’une catastrophe ? Les élus devraient-ils être obligatoirement formés à cette gestion ?

M. Clément Vivès. Le code général des collectivités territoriales et le code de la sécurité intérieure rendent les maires et les préfets personnellement responsables sur ce sujet.

Les communes du département, pourtant particulièrement exposées aux risques, ne sont pas toutes dotées d’un PCS. Ce sujet, qui relève pourtant de la responsabilité du maire et de sa propre compétence, n’est pas suffisamment connu.

La question de l’obligation de formation peut en effet se poser, notamment pour le maire et, éventuellement, pour le maire adjoint en charge du sujet sécurité civile ainsi que du correspondant incendie et secours.

Ces personnes doivent avoir totalement conscience de ces sujets et de leur capacité à dégager des ressources internes. Les communes particulièrement exposées aux risques doivent pouvoir mettre en place un certain nombre de ressources humaines pour préparer et planifier ces situations.

Les maires qui ne s’intéressent pas à ce sujet peuvent malheureusement se retrouver un jour convoqués devant un tribunal ou mis en examen.

M. André Gautier. L’information et la formation sont essentielles. En outre, une information préventive semble également nécessaire pour ces personnes, avant l’acte de se présenter aux élections. Certains maires découvrent, une fois élus, qu’ils sont également agents de l’État.

Une information préventive, éventuellement sous la forme d’une charte ou d’un engagement, pourrait s’avérer particulièrement utile, afin que les candidats à une élection municipale prennent connaissance du poids de leurs responsabilités. Le maire est un agent de l’État et un exécutif local.

L’Association départementale des maires joue ce rôle d’information et se montre particulièrement efficace en Seine-Maritime sur ce sujet, avec plusieurs séances de formation des maires sur ces problématiques de sécurité civile. Néanmoins, un travail plus en amont semble également nécessaire dans ce domaine, afin de faire prendre conscience de cette responsabilité.

Mme Françoise Lesconnec. Le sujet de l’éducation des citoyens est également important, notamment dans le cadre des cursus scolaires.

En outre, la question de l’opérationnalité se pose dans les communes. La commune de Rouen est, par exemple, dotée d’un service dédié aux incendies et aux risques majeurs, composé de seulement trois personnes. Ce service est donc clairement sous-dimensionné et ne semble pas en capacité de répondre aux risques auxquels la ville est confrontée.

Une réflexion sur l’organisation des services, dans le cadre des mandatures, peut également être menée. Par exemple, est-ce réellement judicieux de rattacher ce service à celui des bâtiments ? Ce service devrait apparaître comme incontournable dans un certain nombre de réflexions ou de décisions au sein de la commune. L’organisation interne d’une commune aura forcément des incidences sur la capacité à apporter des réponses et à être opérationnels.

M. le Colonel Stéphane Gouezec. La structure évoquée précédemment est en train de répondre à cette démarche, avec l’objectif de rencontrer l’ensemble des correspondants incendie et secours deux fois par an.

Nous avons séparé le département en 17 bassins de vie qui correspondent à des bassins du territoire, permettant une sélectivité concernant les risques. Cette information, via un adjoint au maire, doit permettre de faire grandir cette culture de sécurité civile.

Nous avons commencé les premières séquences de formation des élus à la gestion de crise, afin que les maires et leurs représentants puissent être formés sur une période de six ans. Ainsi, 600 à 700 maires ou représentants de maires seront formés dans ce cadre.

La formation des élus à la gestion de crise ne correspond pas simplement à la connaissance des risques. Il s’agit de la capacité de ces personnes à tenir leur rôle de directeur des opérations de secours, et à pouvoir organiser leur poste de commandement communal.

L’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) a été à l’initiative de cette démarche de mallette pédagogique. Nous avons formé les premiers formateurs de formateurs, permettant la mise en place de ce réseau, dans le cadre de la réserve départementale. Les formations ne sont pas obligatoirement dispensées par des sapeurs-pompiers. Nous avons vu s’agréger, par exemple au niveau des citoyens, des ingénieurs de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), qui sont devenus réservistes de sécurité civile.

Cette formation est menée conjointement avec les services du SIRACEDPC sur l’ensemble des matières qui rejoignent l’aspect réglementaire et opérationnel.

M. Clément Vivès. Les efforts sur ce point sont majeurs, avec l’organisation des réunions et des formations. Même si nous connaissons les agendas denses des maires, nous essayons de convaincre les élus de sanctuariser des temps de formation sur ces sujets au cours de leur mandat.

Une réflexion sur cette notion d’obligation peut effectivement être menée. Actuellement, dans le département de la Seine-Maritime, cette formation existe et sera déployée.

M. Jean-Marie Fiévet, vice-président. Je tiens à préciser que la Seine-Maritime compte 59 établissements Seveso II, dont 39 seuils hauts. Il s’agit du département le plus risqué de France dans ce domaine.

Je tiens par ailleurs à rappeler l’existence du site gouvernemental « Georisques. gouv.fr », permettant d’obtenir un grand nombre d’informations sur les risques qui existent et les conduites à tenir en cas de besoin.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Ce sujet de la protection et de la sécurité civiles fait intervenir un grand nombre d’acteurs et apparaît transgénérationnel, impliquant l’ensemble de la population. Je vous remercie sincèrement pour votre participation.


Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP)

Compte rendu de l’audition du Général Joseph Dupré La Tour, commandant, et du Colonel Guillaume Trohel, chef d’état-major de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP)
(jeudi 2 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons nos travaux avec une nouvelle matinée d’auditions. Dans un premier temps, nous allons entendre deux représentants de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, la BSPP : le général Joseph Dupré La Tour, qui est le commandant de la brigade, et le colonel Guillaume Trohel, qui est son chef d’état-major.

Monsieur le général, monsieur le colonel, nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation à participer aujourd’hui aux travaux de notre mission d’information pour éclairer la représentation nationale.

La BSPP, force d’intervention essentielle dans notre capitale et sa périphérie, est une entité unique, en raison de son statut militaire et de son rôle majeur dans notre dispositif de sécurité civile.

L’objectif principal de nos échanges matinaux est de mieux comprendre le fonctionnement de la BSPP ainsi que ses spécificités, tout en vous entendant plus largement sur les grands enjeux de notre système de sécurité civile. La brigade, par sa particularité et son importance stratégique, offre sur ces sujets une perspective singulière qui sera utile à nos travaux.

Au préalable, je tiens à préciser que notre commission est composée de vingt-cinq députés représentant divers groupes politiques. Créée à l’initiative du groupe Horizons, elle a pour rapporteur le député Didier Lemaire. Cette audition est enregistrée et sera accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera l’objet d’un compte rendu.

N’hésitez pas à nous faire part de vos éventuelles critiques ou suggestions, afin d’améliorer l’organisation de notre système de sécurité civile : il s’agit non seulement de comprendre l’organisation actuelle, mais aussi d’identifier les axes de progrès, de manière à mieux faire face aux futurs défis.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Comme l’a précisé Mme la présidente, mon groupe a effectivement déposé une demande de mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles.

Avant d’être député, j’ai été durant plus de trente ans sapeur-pompier, volontaire et professionnel, mais aussi élu local, en tant que premier adjoint au maire de ma ville. Au cours de cette expérience, j’ai été confronté à différentes crises, et en particulier à celle liée à l’épidémie de Covid-19, à partir de 2020.

Pourriez-vous, tout d’abord, nous présenter l’organisation et les missions de la BSPP ?

M. le général Joseph Dupré La Tour, commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner et à vous faire part de ses réflexions sur la sécurité civile.

La BSPP a été créée par Napoléon Ier à la suite d’un événement tragique survenu en 1810 : lors d’un bal donné à l’occasion de ses fiançailles avec Marie-Louise d’Autriche, un feu se déclare, faisant des dizaines de victimes. Napoléon demande donc le lancement d’une commission d’enquête pour déterminer les causes de l’incendie. La commission d’enquête conclut à l’absence de quatre membres du corps des garde-pompes, alors dirigé par M. Ledoux. Elle pointe également l’absence de discipline, l’absence d’encadrement, l’absence de préparation opérationnelle (en d’autres termes, l’absence d’entraînement) et, enfin, l’absence de motivation.

Quelques mois après ce drame, en 1811, Napoléon décide de militariser le corps des sapeurs-pompiers. Celui-ci existe donc depuis 212 ans. À l’instar de mes prédécesseurs, je m’efforce d’œuvrer pour remédier à ces quatre manques et maintenir de la discipline, de la motivation, du temps de préparation opérationnelle et enfin un encadrement de qualité.

Six grandes caractéristiques définissent le fonctionnement de la brigade.

En premier lieu, la BSPP est bicentenaire. Au fil du temps, les centres de secours ont connu des évolutions architecturales. Ainsi, le secteur de l’Assemblée nationale est défendu par la 4e compagnie, qui possède deux centres de secours : une vieille caserne installée dans un ancien couvent, rue du vieux Colombier, dans le 6e arrondissement, et un centre de secours situé rue Ballard, dans le 7e arrondissement, construit entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Ces changements reflètent l’évolution des risques : face à l’agrandissement de Paris, les colonels dirigeant le bataillon puis le régiment ont immédiatement compris, avec leur préfet de police respectif, qu’il fallait s’approcher au plus près du risque. Dans notre métier d’urgence, le temps est un facteur clé de succès. C’est la raison pour laquelle des postes, puis des centres de secours, ont été bâtis progressivement, en forme d’escargot. Lorsque la brigade a pris en charge les départements de la petite couronne, dans les années 1960, des centres de secours encore plus modernes ont été construits.

La BSPP a pour deuxième caractéristique majeure d’être une brigade militaire, ce qui lui confère un statut particulier. Elle est régie par une discipline et soumise à la neutralité politique (pas de droit de grève ni de droit de retrait). Nos équipes ont d’ailleurs assuré des milliers d’interventions dès l’émergence de l’épidémie de Covid-19, malgré les doutes planant sur la dangerosité de cette maladie. Par ailleurs, la BSPP mène des activités de réflexion tactique et de planification opérationnelle. Enfin, sa moyenne d’âge est jeune, puisqu’elle s’élève à 30 ans – et 27 ans pour celle des militaires du rang. Cette jeunesse est l’un des premiers traits distinctifs de la brigade par rapport aux services d’incendie et de secours (SIS). D’après un rapport de la Cour des comptes de 2017, la moyenne d’âge dans les SIS est légèrement supérieure à 40 ans.

Les sapeurs-pompiers de la brigade sont principalement employés en contrat à durée déterminée (CDD) de cinq ans. Cette jeunesse nous est nécessaire, non seulement pour ses aptitudes physiques, mais aussi parce qu’elle nous amène à nous remettre continuellement en question. Nous nous devons de justifier nos décisions aux jeunes générations et de répondre à leurs interrogations. C’est un véritable défi intellectuel.

Par ailleurs, le taux d’encadrement à la BSPP est assez différent de celui que connaissent les sapeurs-pompiers professionnels. Il se compose de 5 % d’officiers, de 20 % de sous-officiers et de 75 % de militaires du rang. Ces derniers correspondent à peu près à la catégorie C, tandis que les sous-officiers sont rattachés à la catégorie B et les officiers à la catégorie A.

La BSPP est au service de la nation et défend les « intérêts supérieurs de la nation », pour reprendre l’expression du code de la défense. Dans la mesure où Paris concentre un certain nombre de risques propres à la nation, il est normal que la sécurité civile y soit assurée par des militaires.

J’en viens à la troisième caractéristique de la brigade, qui est une autre différence par rapport aux sapeurs-pompiers professionnels : l’interdépartementalité. Depuis les années 1960, la BSPP est implantée à Paris et dans la petite couronne. Elle détient une taille critique, avec 8 600 sapeurs-pompiers d’active, plus de 800 réservistes et entre 200 et 250 volontaires en service civique (VSC). Lors des manifestations à Paris, les engins de banlieue sont mobilisés en renfort. En retour, les engins de Paris se déplacent en banlieue pour épauler leurs frères d’armes. La BSPP possède donc une capacité de renfort massif, qui a été notamment mise à contribution lors de l’incendie de Notre-Dame : en l’espace d’une demi-heure, plus de 400 sapeurs-pompiers étaient présents sur le site.

La quatrième caractéristique de la brigade tient à son intégration dans la préfecture de police, avec laquelle elle est en liaison étroite. Cette intégration se manifeste dès l’appel : lorsqu’une personne compose depuis Paris le 17, le 18 ou le 112, la communication est orientée vers la plateforme d’appel d’urgence commune opérée par la police et les pompiers. C’est un fonctionnement unique en France. La plateforme est basée dans le 17e arrondissement. Sur le terrain, les pompiers sont en contact avec les policiers et le général commandant la brigade est en contact quotidien avec tous les directeurs des services actifs et avec le préfet de police – par message ou téléphone. En 2022, la brigade a reçu en moyenne 4 000 appels par jour, qui ont entraîné 1 360 interventions par jour. Chaque minute, un véhicule de secours est envoyé sur le terrain. Plus de 80 % de ces interventions concernent du secours aux victimes : environ 25 000 accidents de circulation et 12 000 feux sont dénombrés chaque année ; ces chiffres sont relativement stables.

Le centre d’appels est en liaison avec un état-major opérationnel. Ce dernier est armé dès que les opérations montent en puissance. En cas de manifestations importantes, le Samu et les associations agréées de sécurité civile viennent renforcer le dispositif. La BSPP est donc habituée à travailler en interservices.

Notre brigade se définit aussi par une cinquième caractéristique : elle dispose d’une division santé importante, comprenant trois services médicaux et soixante-dix médecins. Nous pouvons ainsi intervenir rapidement auprès de nos sapeurs-pompiers ou armer des ambulances de réanimation pour participer à la couverture de l’agence régionale de santé (ARS), en lien avec nos camarades des différents Samu. Ce fonctionnement nous permet d’orienter nos véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) : lorsqu’un véhicule est envoyé en intervention, il rend compte à notre coordination médicale, qui le dirige vers l’hôpital adéquat en fonction de la pathologie prise en charge.

En outre, grâce à notre équipe de médecins, nous sommes en mesure d’armer rapidement des ambulances de réanimation supplémentaires. Lors des attentats du 13 novembre 2015, nous avons pu armer plus de 20 ambulances de réanimation en l’espace d’une heure, contre 7 en régime habituel. Nos médecins et nos infirmiers sont logés dans les casernes. C’est donc un atout majeur en cas de crise grave. Enfin, nous entretenons aussi des liens très forts avec les quatre Samu de Paris et de la petite couronne. À titre d’exemple, le chef de notre division Santé est un professeur de médecine, ce qui lui permet de traiter d’égal à égal avec les Samu.

Pour terminer, la BSPP dispose d’un espace de manœuvre exceptionnel, ce qui constitue sa sixième caractéristique. Sa zone de responsabilité s’étend sur 800 km2 : un périmètre relativement restreint, mais qui réunit tous les centres de décision politiques, législatifs, médiatiques et économiques. Plus de 200 ambassades et consulats sont situés dans cette zone, qui accueille aussi des millions de visiteurs. Chaque année, des événements de grande envergure sont organisés à Paris. Récemment, les six derniers matches de la coupe du monde de rugby se sont disputés au Stade de France. Paris a aussi accueilli de multiples événements d’une portée internationale, tels que le centenaire de la Première guerre mondiale ou l’Euro 2016.

Paris est aussi le théâtre de grandes mutations urbaines, portées par des architectes de renommée mondiale, à l’instar de Jean Nouvel. Ces créations sont admirées par des millions de personnes. Cette zone de forte densité et enclavée est exposée à la fois aux risques urbains, aux risques de pandémie et aux risques climatiques. Au cours de l’été 2022, marqué par une très forte sécheresse, Paris a connu 600 départs de feu dans des espaces naturels, contre 150 en 2021. Grâce à nos 78 centres de secours, ces feux ont pu être éteints très rapidement.

Paris est aussi confrontée au risque social : ville de fêtes, c’est aussi le lieu de toutes les colères. C’est pourquoi nous avons acquis une solide expérience des manifestations (gilets jaunes, réforme des retraites de 2023 par exemple).

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez évoqué la jeunesse des personnels employés à la BSPP. Celle-ci est-elle confrontée à des difficultés de recrutement, comme c’est le cas pour les services de police et de gendarmerie ?

Par ailleurs, les interventions d’ordre sanitaire représentent entre 80 et 90 %, selon les secteurs, du nombre total d’interventions. En est-il de même pour votre brigade ?

De plus, j’ai compris que la BSPP est autonome dans la gestion et l’orientation de ses moyens, ce qui évite l’interopérabilité avec le Samu. Pouvez-vous nous confirmer ce point ?

Enfin, j’aimerais connaître votre avis sur les capacités de la brigade en personnel, en matériel, mais aussi en budget. Quelle a été l’évolution de ces trois types de ressources au cours des dix dernières années ?

M. le général Joseph Dupré La Tour. Notre population est en effet jeune, avec une moyenne d’âge globale de 30,5 ans. Parmi les militaires du rang, qui représentent 75 % de notre effectif, la moyenne d’âge est de 27 ans.

Le recrutement et la fidélisation constituent en effet deux préoccupations majeures pour la BSPP. Notre ambition est de recruter chaque année près de 1 200 jeunes, en raison du renouvellement élevé. Bon nombre des jeunes qui rejoignent la BSPP n’y restent pas. Ils intègrent ensuite les corps de sapeurs-pompiers départementaux.

Depuis deux ans, nous faisons face à un réel problème de recrutement. En 2022, nous n’avons recruté que 930 jeunes, au lieu des 1 000 attendus. Cette année, nous n’effectuerons que 1 050 recrutements, pour un objectif de 1 200.

Ces difficultés s’expliquent par plusieurs facteurs. Dans son enquête Les Français, l’effort et la fatigue, Jérôme Fourquet a demandé à un panel de 1 000 personnes d’indiquer les raisons pour lesquelles elles n’accepteraient pas un travail. Parmi la tranche des 18 à 25 ans, les principaux motifs évoqués étaient les suivants : trop d’efforts physiques, trop de stress, pas de télétravail. Il va de soi que le métier de sapeur-pompier ne répond pas à ces exigences. La génération Z pratique une certaine forme de chantage au télétravail auprès des recruteurs. À titre personnel, cette réalité me désespère quelque peu en ce qui concerne la générosité de notre jeunesse.

Un autre problème réside dans la perte d’attractivité de la région parisienne : où sont passés les Rastignac du XXIe siècle ? Les jeunes n’ont-ils plus envie de partir à la conquête de Paris ?

De plus, les jeunes ont tendance à vivre en couple bien plus tôt qu’il y a trente ans, et sont donc peu enclins à quitter leur commune ou leur département.

Se pose aussi la question de la fidélisation, à travers le renouvellement du premier contrat et les renouvellements ultérieurs. Après le renouvellement du premier contrat, le jeune est fidélisé et reste souvent cinq ans à la brigade. En revanche, il est difficile de garder les recrues après ce premier renouvellement. À ce propos, je tiens à appeler votre attention sur le concours de sapeur-pompier professionnel. En 2022, 800 jeunes ont passé ce concours, ce qui représente 10 % de l’effectif des sapeurs-pompiers de Paris. Sur les 500 lauréats, 350 ont déjà quitté la Brigade. Les 150 lauréats restants attendent de trouver une place dans leur département d’origine.

Le prochain concours aura lieu fin 2023. Près de 500 candidats y sont inscrits, et la plupart des lauréats voudront également quitter Paris pour rejoindre leur département. J’ai donc écrit à tous les patrons des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) pour leur demander de ne pas recruter de jeunes avant les Jeux olympiques. Le fait est que la BSPP a impérativement besoin de tout son personnel pour cet enjeu national.

Nous avons d’ailleurs souhaité instaurer une disposition empêchant les personnels recrutés, pendant les cinq années du premier contrat, de passer ce concours de la fonction publique. Malheureusement, il n’a pas été possible d’entériner cette règle.

Il est à noter que 30 % des sapeurs-pompiers de la BSPP sont des volontaires. Chaque année, entre 200 et 300 d’entre eux se reconvertissent en tant que professionnels. L’efficacité de la sécurité civile dépend du fonctionnement de la brigade. Or le recrutement et la fidélisation des jeunes constituent pour nous une problématique essentielle. L’ancienneté en service est de six ans, alors qu’elle devrait être de huit ans. Il est donc indispensable de parvenir à fidéliser les jeunes à l’institution à laquelle ils sont liés durant les cinq ans de leur premier contrat.

J’en viens à votre question sur les secours et soins d’urgence aux personnes (Ssuap). À ma connaissance, le taux de sollicitation de Ssuap à la BSPP est équivalent à celui constaté chez les sapeurs-pompiers territoriaux. Il se situe entre 80 et 84 %. Toutefois, il faut savoir que, parmi les 400 000 départs enregistrés chaque année, entre 60 000 et 100 000 ne sont pas des urgences. De fait, ces interventions ne nécessitaient pas l’envoi d’un véhicule franchissant les feux rouges, emportant trois professionnels très qualifiés et du matériel très coûteux et transportant les victimes aux urgences. C’est un sujet de fond.

En 2019, mes prédécesseurs ont passé un contrat de service avec le préfet de police, l’ARS et les Samu. Je constate que de réels progrès ont été accomplis. Les Samu ont plus de moyens. Lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), le ministre de la santé a indiqué qu’il avait augmenté les moyens des ARS pour leur permettre de déployer des ambulances supplémentaires en faisant appel aux associations de transports sanitaires d’urgence (Atsu). Ce service est moins coûteux, parce que les véhicules n’embarquent que deux personnes, mais il est soumis à un engagement moral d’intervention dans un délai de 20 à 30 minutes.

Il serait aussi souhaitable que les personnes prises en charge ne soient pas systématiquement emmenées aux urgences. Le passage d’un médecin de garde ou d’un infirmier permettrait de réorienter certains patients et de limiter le temps d’attente aux urgences. À Paris, nous avons la chance d’avoir de nombreux services d’accueil d’urgence. Les délais de prise en charge aux urgences y sont donc plus courts que dans d’autres secteurs. Nous disposons encore d’un solide maillage d’hôpitaux et de services d’accueil d’urgence qui sont ouverts en permanence.

Il existe en effet une interopérabilité entre la BSPP et le Samu. Lorsqu’une personne compose le 15, le Samu s’efforce d’apporter la réponse la mieux adaptée à la situation et d’orienter au mieux l’intéressé. Cependant, le Samu demande chaque jour l’intervention de 350 véhicules de service et d’assistance aux victimes (VSAV). Lorsqu’une personne compose le 18, ce sont nos opérateurs qui qualifient l’intervention et envoient si besoin un VSAV. Ils peuvent aussi diriger l’appel vers un opérateur du 15 tout en restant en ligne, sous forme de conférence à trois. Les deux dispositifs sont donc pleinement interopérables.

Enfin, pour ce qui est du budget de la BSPP sur les dix dernières années, je précise que le budget de 2013 s’élevait à 391 millions d’euros. Par comparaison, le budget alloué pour l’année 2023 représentait 505 millions d’euros, soit une hausse de 29 %. Cette progression, essentiellement liée à l’augmentation salutaire de 2023 (+ 9 %), résulte notamment de l’inflation et de l’accroissement des coûts de l’énergie. En 2022, nos dépenses d’électricité se montaient à 7,7 millions d’euros. En 2023, elles devraient atteindre 10,3 millions d’euros. Pour l’année 2024, nos coûts d’électricité sont estimés entre 11,5 et 12 millions d’euros. Cette évolution est d’autant plus frappante que, dans le même temps, notre consommation a diminué. En effet, j’ai lancé auprès de tous mes capitaines et colonels le défi de la compagnie la plus économe en énergie (eau, chauffage, gaz et électricité). Grâce à cette opération, nous sommes parvenus à réduire de 6 à 7 % notre consommation d’électricité dès 2023.

À cette hausse des prix de l’énergie s’ajoutent les coûts liés à la transition énergétique. Il faut savoir qu’un VSAV électrique coûte 170 000 euros, alors qu’un VSAV thermique est vendu à 100 000 euros.

Les pièces détachées subissent, elles aussi, une inflation importante (+16 %).

Enfin, il faut également tenir compte de l’augmentation de la masse salariale. Comme je vous l’ai expliqué, les militaires du rang représentent 75 % de notre effectif. Ils perçoivent de faibles salaires au regard de leur volume de travail. Ils travaillent en effet 3 040 heures par an, soit près du double des 35 heures par semaine, pour une rémunération mensuelle de 2 100 euros. En 2020, ils ne percevaient que 1 800 euros par mois. Cette revalorisation contribue à fidéliser ces personnels et les aide à supporter les coûts de l’inflation, autant de mesures qui renchérissent les coûts pour l’État et les contributeurs locaux.

En tout état de cause, le budget 2023 répondait précisément aux attentes de la brigade. De ce fait, nous n’avons pas eu besoin de mobiliser un complément de budget – y compris pour financer la revalorisation du point d’indice et la prime exceptionnelle versée dès septembre. Celle-ci a été attribuée à tous les personnels touchant un salaire de moins de 2 300 euros brut, soit 80 % des effectifs de la brigade.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci pour ces précisions.

Quel est le nombre d’associations agréées de sécurité civile avec lesquelles vous travaillez ? Collaborez-vous de manière régulière avec ces structures tout au long de l’année ?

Comme vous le savez, notre mission s’intéresse au modèle de protection et de sécurité civiles sur l’ensemble du territoire français, à la fois dans les milieux ruraux et les centres urbains, mais aussi dans les outre-mer. Or, je constate que les réponses diffèrent d’une zone à l’autre.

M. le général Joseph Dupré La Tour. Nous avons des liens très étroits avec les associations agréées de sécurité civile, contrairement à nos camarades en région. Dès les années 1990, la brigade a déployé des VSAV avec les associations de sécurité civile et a été la première à les utiliser. En tant que jeune officier, les compagnies où je servais recevaient régulièrement en renfort des personnels associatifs, le vendredi et le samedi soir, pour des missions de VSAV. Ces associations comprenaient notamment la Croix-Rouge française, la Fédération nationale agréée de protection civile (FNPC), la Croix blanche et l’Ordre de Malte France.

Dans 90 % des cas, ces personnels associatifs intervenaient en première intention. En cas d’attentat ou d’agression armée, les pompiers partaient en premier. Nos liens avec les associations agréées de sécurité civile ont donc toujours été très forts. Ces dernières communiquent par nos canaux radios et rendent compte à notre coordination médicale. Chaque année, elles assurent près de 10 000 interventions. Leur contribution est tout à fait significative pour les sapeurs-pompiers de Paris.

Les associations agréées de sécurité civile sont aussi chargées des dispositifs prévisionnels de secours (DPS). Le 31 décembre et le 14 juillet, en particulier, elles déploient quelque 250 bénévoles, ainsi que des postes médicaux et des ambulances. Bien que coordonné par la BSPP, le dispositif de sécurité repose à 95 % sur des bénévoles et des associatifs. J’ai d’ailleurs eu la chance de présenter le dispositif à la Première ministre le 31 décembre 2022. Nous pouvons compter sur l’esprit de solidarité de nombreux Français prêts à porter secours à leurs concitoyens, alors qu’ils pourraient festoyer en famille.

La Fédération nationale de protection civile possède des moyens complémentaires, notamment des bateaux, qu’elle peut mettre à disposition lors de crises majeures.

Je mentionnerai un exemple marquant, qui illustre l’action des associations agréées de sécurité civile. Après la dramatique explosion de la rue Saint-Jacques, le 21 juin 2023, 150 personnes ont été prises en charge par des personnels associatifs dans un local du boulevard de Port-Royal, grâce à un dispositif armé par les associations agréées de sécurité civile.

J’ajouterai que nous comptons aussi beaucoup sur ces acteurs pour organiser les DPS à l’intérieur des emprises olympiques des sites lors des Jeux de 2024. Je sais que les associations agréées de sécurité civile répondront présentes, et leur aide permettra à la BSPP de centrer son action sur les lieux publics.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous n’aurons pas le temps d’approfondir tous les sujets, mais n’hésitez pas à nous transmettre votre contribution écrite.

J’aimerais connaître votre point de vue sur notre modèle de sécurité civile, notamment sur l’articulation entre les services d’incendie et de secours, les associations agréées et les citoyens.

M. le général Joseph Dupré La Tour. Quand la brigade va bien, elle peut irriguer tout le dispositif de sécurité civile. Il est donc essentiel que l’État nous aide à maintenir nos effectifs, notamment en empêchant le passage du concours de sapeur-pompier professionnel dans les cinq ans suivant le recrutement à la BSPP.

En France, la sécurité civile est le fruit d’une succession de décisions historiques, dont celle, fondatrice, prise par Napoléon Ier. Si les situations sont hétérogènes à l’échelle de notre pays, c’est parce que les risques varient considérablement d’un territoire à l’autre. Si la présence de pompiers militaires se justifie à Paris, elle ne serait pas pertinente dans d’autres secteurs. L’organisation de la sécurité civile est donc adaptée aux risques de chaque secteur.

À mon sens, le volontariat constitue un point fort du dispositif de sécurité civile en France. À la BSPP, nous avons des réservistes, mais il est plus difficile de les fidéliser. Les volontaires attachés à leur commune sont l’incarnation de la France généreuse et la plus belle image de notre nation que la sécurité civile offre à nos concitoyens. Je suis heureux que le nouveau président de la FNSPF soit un sapeur-pompier volontaire : c’est un magnifique symbole. Je suis très attaché à la présence des bénévoles, qu’il s’agit de préserver par tous les moyens. Pour ma part, j’ai du mal à fidéliser les réservistes, mais cette difficulté est sans doute propre aux nouvelles générations. À ce propos, il est possible que le regroupement des centres de secours ait contribué à fragiliser le volontariat.

Je rappelle également que notre modèle de sécurité civile a été exporté dans certains pays d’Afrique. Nous avons formé 900 stagiaires africains en 2022. Il existe des écoles régionales à vocation nationale de sapeurs-pompiers dans plusieurs pays d’Afrique, dont une de grande importance à Ouagadougou. Nous avions donc l’habitude d’y envoyer régulièrement des formateurs pour former des sapeurs-pompiers.

Notre modèle de sécurité civile est performant et peut donc être exporté dans d’autres pays. Nous pouvons en être fiers. D’ailleurs, la BSPP a aussi des échanges avec le Chili, avec Singapour et avec le Japon.

La polyvalence entre le secours à victime et la lutte contre l’incendie est un enjeu essentiel. Je demande toujours à mes subordonnés de veiller à conserver cette polyvalence, car le secours à victime est l’école du commandement. Un jeune dirigeant une opération de secours à victime apprend à se repérer dans une ville embouteillée, en prenant des risques mesurés. Il apprend aussi à faire face à une situation inédite, car la situation réelle est toujours différente de la description transmise au 18. Il apprend également à tenir compte de l’environnement, à rendre compte, à demander des moyens et à donner des ordres. Cette expérience de secours à la victime est indispensable pour être un bon pompier face à un incendie. C’est une autre spécificité française. Par contraste, Londres dispose de deux services séparés : le London Homeland Security et le London Fire Brigade. En Israël, ces activités sont également opérées par deux entités différentes.

La polyvalence est une force pour notre modèle de sécurité civile, et nous devons tout faire pour la préserver. Cela implique de garder des gestes assez simples, et la technologie devrait nous y aider. Nous avons mis en place une fiche bilan électronique, l’e-FiBi, qui oriente les choix du secouriste en fonction des réponses aux questions posées.

Mme la présidente Lisa Belluco. D’après vous, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris entretient des relations étroites avec les associations agréées de sécurité civile. Le dispositif semble à la fois performant et bien intégré. Cette situation est très différente de celles décrites par les acteurs d’autres zones géographiques. Malgré tout, estimez-vous qu’il existe des dysfonctionnements dans l’organisation actuelle ?

M. le général Joseph Dupré La Tour. Je suis en contact avec quatre Samu, alors qu’il serait beaucoup plus simple de traiter avec une seule structure. Notre brigade est interdépartementale. Toutefois, le Samu de Paris remplit bien sa fonction de Samu zonal.

En prévision des Jeux olympiques, nous sommes convenus que le professeur Neys enverrait des équipes au centre opérationnel de la brigade pour la durée de cette manifestation. Nous aurons donc un assistant régulateur médical présent sur place, mais j’ignore si ce dernier sera envoyé par le Samu de Paris, par celui des Hauts-de-Seine ou par celui de la Seine-Saint-Denis.

Sur le plan des moyens comme des sollicitations, la situation de la BSPP est tout à fait favorable. Les contributeurs locaux, qu’il s’agisse de la ville de Paris, des trois départements ou des 123 communes du périmètre, nous témoignent une fidélité et un soutien indéfectibles. C’est une grande chance pour le général que je suis.

C’est aussi une chance pour moi d’être intégré aux effectifs de la préfecture de police. Je reçois ainsi par la direction régionale de la préfecture de police de Paris (DRPP) les informations sur l’ampleur et la nature des manifestations. En ce qui concerne la conduite de la manœuvre pendant la manifestation, nous sommes en lien avec la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC). Grâce à ce contact, je suis en capacité d’évaluer les moyens à déployer sur les lieux.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’ai bien noté les particularités de la BSPP, son mode de fonctionnement et ses relations avec ses différents partenaires (associations agréées de sécurité civile, Samu, SDIS). Je retiens cependant que même à Paris, vous comptez beaucoup sur le volontariat et sur l’engagement du citoyen.

M. le général Joseph Dupré La Tour. Les réservistes ne sont pas bénévoles. Seules les personnes intervenant pour le compte des associations agréées de sécurité civile sont bénévoles.

Nous avons lancé une démarche intitulée « Le Bon Samaritain » : toute personne formée aux gestes de premiers secours est invitée à télécharger l’application Staying Alive. Elle accepte d’être géolocalisée et de recevoir un SMS pour délivrer les gestes de secours à une victime se trouvant dans son environnement immédiat. Chaque jour, entre deux et trois « Bons Samaritains » sont ainsi mobilisés, et dans un tiers des cas, ils arrivent sur les lieux avant les secours. Sur la plaque parisienne, 10 000 personnes sont inscrites à ce dispositif.

Un travail est en cours avec la mairie de Paris pour équiper toutes les mairies d’arrondissement de défibrillateurs géolocalisés et dotés d’un système d’alerte sonore et lumineuse. Ces défibrillateurs pourront ainsi être retirés par des « Bons Samaritains » et apportés sur les lieux des secours.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Si je vous comprends bien, l’acculturation des citoyens est un processus essentiel.

M. le général Joseph Dupré La Tour. C’est fondamental. Je propose de prévoir des exercices de crise tels que « Paris 50 °C » et des opérations « gestes qui sauvent ». Tout citoyen est un acteur de la sécurité civile, conformément au principe de la loi Matras.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup.

M. le général Joseph Dupré La Tour. Je vous remercie, madame la présidente, monsieur le rapporteur. La brigade de sapeurs-pompiers de Paris vous est reconnaissante d’avoir été entendue par les élus de la nation.


Service d’aide médicale urgente (SAMU)

Compte rendu de l’audition des docteurs Marc Noizet, président, et Muriel Vergne, secrétaire générale du Service d’aide médicale urgente (SAMU)
(jeudi 2 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons notre série matinale d’auditions en recevant, en visioconférence, deux représentants du Service d’aide médicale urgente, le Samu : son président, le Dr Marc Noizet, et sa secrétaire générale, le Dr Muriel Vergne.

Le Samu, en tant que pilier de notre système de réponse médicale d’urgence, joue un rôle crucial dans la chaîne de secours et d’intervention, et complète ainsi les missions dévolues à nos sapeurs-pompiers. Cette audition nous permettra d’approfondir notre compréhension de son fonctionnement et de ses missions, et je vous en remercie par avance.

Au préalable, je rappelle que notre commission rassemble vingt-cinq députés issus de l’ensemble des groupes politiques représentés dans notre hémicycle. Créée à l’initiative du groupe Horizons, elle a pour rapporteur mon collègue Didier Lemaire. Cette audition sera enregistrée et consultable sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera par ailleurs l’objet d’un compte rendu.

Nous vous remercions de votre participation à nos travaux et vous invitons à nous faire part de vos éventuelles critiques ou suggestions, afin d’améliorer l’organisation de notre système de sécurité civile : notre objectif est d’identifier ce qui reste perfectible, afin de le faire encore progresser.

M. Didier Lemaire, rapporteur de la mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles. Docteur Noizet, Docteur Vergne, je vous souhaite la bienvenue. Je rappelle que vous avez reçu un questionnaire pour préparer cette audition. Si certains sujets ne peuvent pas être traités dans le temps imparti, n’hésitez pas à nous adresser une contribution écrite.

En préambule, pourriez-vous nous expliquer le rôle et le fonctionnement du Samu en France ?

Dr Marc Noizet, président du service d’aide médicale urgente (Samu). Merci de nous avoir invités à vous présenter l’organisation de l’aide médicale urgente et le rôle du Samu dans le dispositif de sécurité civile.

Le Samu est un dispositif hospitalier, investi de missions à la fois intra-hospitalières et extra-hospitalières. Il a été fondé il y a près de soixante ans par le professeur toulousain Louis Lareng. Les Samu ont pour mission de gérer l’aide médicale urgente sur le territoire français. Il existe un Samu dans chaque département, à quelques exceptions près : il arrive aussi que deux Samu soient implantés sur le même département.

Le Samu pilote la gestion des plateformes des centres 15. Il veille à la qualité des appels, qu’il priorise en fonction de leur degré d’urgence, et adapte les moyens nécessaires à l’appelant, depuis le simple conseil jusqu’à l’envoi de moyens de réanimation. Il organise également la suite de la prise en charge.

Depuis quatre ans, les services d’accès aux soins (SAS) sont en cours de déploiement : ils viennent juxtaposer aux centres 15 une plateforme de régulation dédiée aux soins non programmés. Cette plateforme est opérée en collaboration avec les collègues libéraux des différentes spécialités médicales.

À côté de ce premier rôle, les Samu sont aussi chargés de déployer sur le territoire français les moyens de réanimation, en l’occurrence les services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur). Composés d’un conducteur ambulancier, d’un infirmier et d’un médecin urgentiste, les Smur prodiguent des soins de secours sur l’ensemble du territoire. Grâce au maillage actuel, chaque victime se trouve en principe à moins d’une demi-heure d’une structure hospitalière dispensant des soins adaptés.

Un centre de formation et d’enseignement des soins d’urgence est adossé à chaque Samu. Il a pour mission de déployer sur le département des actions de formation autour de l’urgence. Ces formations peuvent être dédiées aux personnels de santé, ou bien destinées à tous les citoyens.

Par ailleurs, le Samu assure un rôle d’expertise dans la médecine d’urgence et l’aide médicale urgente. À ce titre, il est associé aux réflexions du préfet, notamment pour la préparation des dispositifs de sécurité et de soutien aux grandes manifestations, mais aussi pour l’opérationnel au quotidien. Ainsi, le Samu siège au centre opérationnel départemental (COD). Il apporte également son expertise aux agences régionales de santé (ARS), qui préparent et coordonnent les soins urgents à la population.

Le Samu est aussi mobilisé dans la gestion des situations sanitaires exceptionnelles présentant des risques technologiques, radiologiques ou encore biologiques. L’expertise déployée par la sécurité civile est, là encore, complétée par l’expertise médicale des Samu.

Enfin, il faut souligner que les Samu ont une dimension régionale, mais aussi nationale. En cas d’événement exceptionnel ou de réflexion de grande ampleur, un travail interdépartemental est lancé. Dans ce cadre, le Samu fait office de référent zonal pour l’organisation des secours à titre préventif ou opérationnel. Il existe en outre un dispositif national, animé conjointement par Samu-Urgences de France, par le Conseil national de l’urgence hospitalière (CNUH) et par les référents Samu de zone. Ainsi, une cellule de réflexion et d’appui peut être armée en tant que de besoin, comme ce fut le cas pendant la crise sanitaire de Covid-19. Cette cellule peut conduire des réflexions et faciliter le partage d’informations entre les Samu départementaux. Les référents Samu sont en contact avec différents organes de l’administration centrale, tels que la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l’offre de soins (DGOS) ou le ministère de la santé, mais aussi avec le ministère de l’intérieur et des outre-mer. Ils aident à préparer les plans de secours, réfléchir à la doctrine et veiller à la performance du dispositif.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Comment ces moyens ont-ils évolué au cours des dix dernières années ? Êtes-vous confrontés à des difficultés importantes ?

Dr Marc Noizet. C’est une bonne question. Comme de nombreux secteurs, le milieu hospitalier fait face à une crise démographique. Celle-ci touche les médecins, mais plus encore les infirmiers. Les hôpitaux sont en souffrance, et doivent composer avec une baisse drastique des moyens opérationnels. Entre 10 et 15 % des lits ont été fermés du fait de la crise démographique.

Au cours des dix dernières années, les moyens des Samu n’ont pas augmenté de manière proportionnelle à la croissance de l’activité. Le Samu exerce un rôle transversal, entre le secours préhospitalier et les missions régaliennes accomplies aux côtés des autres services de l’État. Le financement des Samu est assuré par une dotation, qui évolue très difficilement. Cela s’explique par les contraintes pesant sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et par le fait que la mission des Samu n’est pas jugée centrale dans les hôpitaux. De fait, la dimension préhospitalière est perçue comme étrangère à l’hôpital, et nous devons lutter pour obtenir les moyens nécessaires à notre fonctionnement.

L’enveloppe de fonctionnement d’un hôpital est issue de dotations, mais aussi de financement d’activités, et la ligne budgétaire allouée au Samu n’est pas nécessairement dédiée à son fonctionnement. J’en veux pour preuve le nombre d’assistants de régulation médicale et de régulateurs sur nos plateformes de régulation, qui n’a pas augmenté au même rythme que notre volume d’activité.

Depuis le début de la crise sanitaire, l’activité du centre 15 a enregistré une croissance de près de 20 %, malgré des disparités d’un département à l’autre. Pourtant, nos moyens n’ont pas été revus en conséquence.

Pour sa part, l’activité des structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) demeure relativement stable, puisqu’elle dépend de la taille de la population.

Enfin, nos compétences de gestion des situations sanitaires exceptionnelles, de prévention lors des grandes manifestations et d’expertise souffrent d’un manque de financement flagrant. Les enveloppes dédiées à ces activités sont souvent fongibles avec le budget de fonctionnement des hôpitaux, et peuvent donc être supprimées. Encore une fois, notre mission de soins n’est malheureusement pas reconnue comme une composante essentielle. Nos moyens humains sont insuffisants : nous manquons de médecins, d’infirmiers et d’agents techniques dédiés à la préparation de ces missions. Lors d’événements majeurs tels que des attentats ou des incendies, nous devons être en capacité de mobiliser rapidement des intervenants, et cela nécessite de l’entraînement. Les sapeurs-pompiers ont du temps, en dehors de leurs interventions, pour consolider leur dispositif, mais ce n’est malheureusement pas le cas à l’hôpital.

Vous l’aurez compris : le bilan est en demi-teinte. Bien que notre mission soit officielle, étant inscrite au code de la santé publique, elle peine à exister. Non seulement nos moyens financiers sont très contraints, mais le fléchage des crédits dédiés au Samu, aussi, n’est pas assez reconnu. Enfin, la prise en charge des situations sanitaires exceptionnelles (SSE) reste fragile, par manque de reconnaissance envers la mission du Samu.

Dr Muriel Vergne, secrétaire générale du Samu. Je voudrais préciser que les missions du Samu incluent aussi l’orientation et la filiarisation des patients, ce qui permet de gagner du temps dans la prise en charge de certaines pathologies. Bien souvent, c’est un véhicule de secours qui est le point d’entrée dans la filière ad hoc de soins médicaux. Le Samu a pour rôle d’orienter la personne au bon endroit et au bon moment.

J’ajouterai que l’aide médicale d’urgence est aussi délivrée en mer. En tant que responsable du Samu de coordination médicale maritime pour la Méditerranée, il me semble important de mettre en avant cet aspect. Il existe donc, tant en France qu’en outre-mer, un dispositif d’aide médicale en mer, à la fois pour le quotidien ou pour l’organisation d’événements.

Dr Marc Noizet. Le rôle du Samu dans l’orientation du patient est certes primordial. C’est la valeur ajoutée de l’analyse médicale. Tous les patients ne doivent pas être accueillis à l’hôpital de proximité. D’ailleurs, le Samu s’occupe aussi de l’orientation du patient à la sortie du poste médical avancé. Une antenne du Samu est systématiquement présente lorsqu’un dispositif de secours conséquent est déployé. Elle examine la typologie et la gravité de l’état de santé des victimes présentes à évacuer, et oriente chaque patient vers l’offre de soins la plus adaptée, selon le degré d’urgence et les moyens disponibles. Le Samu constitue donc la clé de voûte entre le travail préhospitalier au quotidien, la prise en charge de la victime et la préparation de son arrivée à l’hôpital. Pour gagner du temps, le Samu prévient les différentes spécialités qui seront sollicitées avant l’arrivée du patient. Chaque minute gagnée peut aider à préserver une partie du patrimoine neurologique du patient et à limiter les séquelles.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez déclaré que les interventions des Smur n’ont pas augmenté. Ce constat s’explique-t-il par le fait que d’autres acteurs apportent leur concours à cette mission ? Par ailleurs, quelles sont les relations entre le Samu et les différents acteurs de la sécurité civile ?

Dr Muriel Vergne. Nous constatons une forte augmentation du nombre de demandes de soins d’urgence qui ne relèvent pas véritablement d’une urgence vitale. Ces patients sont aussi pris en charge par les autres acteurs de la sécurité civile. En tout état de cause, la stabilité du nombre d’urgences vitales est un signal positif. La traumatologie routière a très fortement baissé. Lors de la création du Samu, son fondateur affichait son ambition d’amener la réanimation « au pied de l’arbre » : le nombre d’accidents de la route était effectivement très élevé dans les années 1960 et 1970. Les multiples campagnes de prévention routière ont permis de réduire significativement la traumatologie routière. En outre, diverses pathologies comme la décompensation cardiaque, l’insuffisance respiratoire ou les maladies cardiovasculaires sont désormais bien mieux prises en charge, grâce à une démarche de prévention. Même si la population a augmenté, le nombre d’urgences vitales a diminué.

En revanche, les demandes de recours à des soins perçus comme urgents sont en forte hausse. Or, bon nombre de ces situations ne relèvent pas, en réalité, d’une urgence vitale. Ce sont toutefois ces demandes qui accaparent beaucoup plus les acteurs de la sécurité civile.

Dr Marc Noizet. Ces précisions convergent avec le témoignage des représentants de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Ces derniers ont également mis en avant l’augmentation des soins non urgents et non programmés, qui tendent à engorger nos services d’urgence.

Les urgences vitales réelles génèrent environ 700 000 sorties Smur par an. Ce nombre reste relativement stable. À l’inverse, l’activité de régulation a enregistré une croissance annuelle de 10 à 15 % depuis l’épidémie de Covid-19. L’offre de soins étant insuffisante, de nombreux patients ont du mal à obtenir un rendez-vous pour être soignés, qu’il s’agisse d’un besoin urgent ou d’une pathologie chronique.

Nos liens avec le reste du dispositif de sécurité civile sont plutôt efficients dans l’opérationnel. Nos principaux interlocuteurs sont les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Dans de très nombreux départements, la coordination entre le Samu et les SDIS est tout à fait satisfaisante, avec une interrelation continue. Nous disposons d’une interface très dynamique, voire numérique, entre le Samu et les centres d’appels des SDIS. L’interrelation est aussi très forte pour les dispositifs de secours.

Nous sommes aussi en relation étroite avec les associations agréées de sécurité civile, dès lors que des dispositifs de prévention secours sont mis en place. Dans certains départements, ces associations peuvent également assurer des activités de transport sanitaire à titre exceptionnel, lorsque les transports sanitaires privés ne sont plus suffisants.

L’expérience du Covid-19 nous a appris à travailler en étroite collaboration avec ces acteurs. Ainsi, les secouristes bénévoles sont venus prêter main-forte dans les hôpitaux pour l’accueil, le tri et l’orientation des patients. Durant cette période, nous avons construit avec eux des relations de grande qualité. Les associations agréées de sécurité civile sont aussi très présentes dans les actions de formation de la population aux gestes de secours d’urgence, aux côtés des médecins des Samu.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous faisons face à un nombre croissant de crises, notamment en lien avec le risque de catastrophe naturelle. Comment appréhendez-vous ces phénomènes de crise, de nature variée (événements naturels, accidents technologiques, risque d’attentat, crise sanitaire, etc.) ? Estimez-vous être suffisamment outillés pour réagir à ces situations extrêmes ? Sinon, quelles seraient les améliorations à apporter au dispositif ?

Dr Marc Noizet. Chaque catastrophe pose des difficultés différentes. Par exemple, le nombre élevé de victimes peut nécessiter des adaptations de grande ampleur du système de santé. C’est la situation que nous avons vécue pendant la crise sanitaire. Le Haut-Rhin était au cœur de cette crise, et il a fallu mobiliser des moyens de transfert considérables pour répartir cette demande. L’afflux de victimes est donc le premier défi des catastrophes naturelles ou technologiques, d’autant plus que notre système de santé est fragilisé. Nous avons moins de moyens aujourd’hui pour réagir à de tels événements. Heureusement, nous pouvons compter sur le sursaut républicain pour parvenir à trouver des ressources humaines et matérielles en cas de crise majeure.

Par ailleurs, chaque type de risque s’accompagne de problématiques spécifiques, qu’elles soient chimiques, bactériologiques, radiologiques ou technologiques. Une expertise particulière est nécessaire pour traiter ces dommages. Nous nous appuyons souvent sur l’expertise des sapeurs-pompiers en matière de risques technologiques.

Même si chaque département recense les risques rencontrés sur son territoire et mène un travail à ce sujet, il reste une marge de progrès importante pour savoir s’adapter à ces situations. J’en veux pour preuve les derniers attentats que nous avons connus, et en particulier celui du Bataclan : nous n’étions pas préparés à une agression collective de cette nature, commise avec des armes de guerre. Suite à ces événements, nous avons engagé un travail avec différents corps et experts médicaux pour en tirer une doctrine. Celle-ci a été déployée à l’échelle nationale, et s’est traduite par la formation massive de médecins et chirurgiens au contrôle des dommages (damage control).

Je constate que cinq ans après les attentats, ce savoir n’est plus maintenu au quotidien. De nombreux chirurgiens ne pratiquent plus cette compétence, qui n’est pas nécessaire dans leur quotidien. Cela constitue une différence majeure entre le milieu hospitalier et les acteurs de la sécurité civile. Ces derniers ont pour mission de se préparer à ce type d’interventions et de maintenir l’expertise propre aux différents risques, tandis que le rôle des praticiens hospitaliers consiste à soigner au quotidien leurs patients. La difficulté consiste donc à préserver un haut niveau de compétences parmi les personnels médicaux et les soignants. Un urgentiste doit détenir des connaissances pointues sur les risques radiologiques, biologiques ou chimiques, mais aussi être capable d’intervenir pour des accidents de train ou de bateau.

Le Samu dispose aussi d’équipes engagées dans des milieux spécifiques comme la mer ou la montagne. Il est plus facile de maintenir ces compétences grâce à des exercices réguliers en milieu naturel.

Dr Muriel Vergne. Les personnels du Samu intervenant en milieu maritime suivent d’ailleurs une formation spécifique.

Même si l’hôpital présente des fragilités, de réelles avancées ont eu lieu dans la prise en compte des risques évoqués ci-dessus, notamment à la suite des attentats. Des réflexions ont été engagées et des plans ont été élaborés. Les budgets, s’ils ne sont pas suffisants, ont le mérite d’exister. Ils permettent de se procurer du matériel adapté et de dégager du temps pour organiser des entraînements, en coordination avec les autres acteurs de la sécurité civile.

Depuis huit ans, la reconnaissance du Samu s’est améliorée, et l’implication des médecins, des équipes et des infirmiers s’est renforcée. Pour autant, nous continuons à manquer de ressources humaines et de temps pour envoyer du personnel au bon moment et au bon endroit.

Mme la présidente Lisa Belluco. Notre mission a pour but de réfléchir aux moyens d’améliorer et d’adapter notre système de sécurité civile, dans un contexte où les crises et les risques sont diversifiés et tendent à survenir plus fréquemment. Quelle est votre appréciation du modèle français de sécurité civile dans son ensemble ?

Dr Marc Noizet. Je considère que nous n’avons pas à rougir de notre modèle de sécurité civile, qui dispose de moyens importants. Il existe une coordination de qualité à tous les échelons (départemental, zonal ou national), et les acteurs échangent beaucoup entre eux. Ils se connaissent et sont en capacité d’élaborer des doctrines et des règlements opérationnels pour gérer efficacement le quotidien opérationnel comme l’exceptionnel. Il est important de reconnaître ces éléments positifs. Le travail interministériel et interprofessionnel apporte une capacité opérationnelle de qualité.

C’est peut-être dans le domaine de la gestion de crise que notre organisation est plus fragile, et cela tient au fait que les situations de crise ne font pas partie de notre quotidien. Elles doivent être gérées par des experts. Je constate qu’il reste encore un long chemin à parcourir pour identifier les rôles respectifs des différents acteurs durant les crises.

Le Covid-19 a été une illustration marquante de la cacophonie régnant entre les services de l’État dans certaines dimensions. À titre personnel, j’ai perçu très nettement cette difficulté, car mon Samu a dû transférer 330 patients de réanimation intubés et ventilés, avec des équipes de réanimation, sur l’ensemble du territoire français et dans les pays frontaliers. Ces opérations se sont d’abord déroulées de manière très artisanale, par téléphone et en utilisant les réseaux de connaissances. L’appareil étatique s’est ensuite mis en branle, ce qui a entraîné des dissonances entre les différents services de l’État : les décisions de l’ARS ne convergeaient pas toujours avec celles des ministères et celles de la sécurité civile. Cette expérience a confirmé que la gestion de crise est un métier, qui nécessite des entraînements interservices réguliers. À l’échelle départementale, l’organisation est plutôt satisfaisante, mais dès que l’on franchit cette strate, des complications surviennent.

J’ajouterai qu’il est important de reconnaître la spécificité d’exercice de chaque intervenant. Il existe depuis longtemps des tensions entre les « rouges » et les « blancs », liées au positionnement des différents acteurs sur leur périmètre d’exercice. Dans l’audition précédente, le Général Joseph Dupré La Tour expliquait que le secours à la personne représentait 84 % des interventions de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Ce n’était pas le cas il y a une vingtaine d’années. Pourtant, je pense que chaque acteur doit s’en tenir à son domaine d’expertise, en s’appuyant sur le rôle et le périmètre des autres parties impliquées.

Les Samu restent les acteurs centraux et les spécialistes de l’aide médicale d’urgence. C’est notre mission première, et elle est inscrite dans le code de la santé publique. La régulation médicale est le point central de l’organisation, du déploiement des moyens, du suivi opérationnel et de l’orientation du patient.

Enfin, le concours des Smur pour les urgences vitales doit être reconnu et sanctuarisé dans l’équilibre des services. Il va de soi que des adaptations locales peuvent être opérées dans chaque département, en lien avec les problématiques démographiques, les crises hospitalières ou encore les difficultés de recrutement.

En résumé, nous pouvons nous féliciter de la performance de notre modèle de sécurité civile, mais nous devons veiller à préserver la mission et l’expertise de chaque acteur, en évitant les ingérences entre les différents services. Je pense au préjudice causé par certaines lois votées hâtivement, qui ont fragilisé nos organisations. L’intelligence collective doit l’emporter sur ces considérations. Pour cela, il faut que les lois maintiennent les blocs existants dans leurs missions pour l’État.

Dr Muriel Vergne. Il est important de connaître son terrain de compétences et les limites du rôle des autres acteurs. C’est à cette condition que l’opérationnalité peut être optimale.

Le secours et le soin sont des activités complémentaires, qui ne doivent pas être confondues. Dans cette perspective, le rôle de la régulation est essentiel. À titre d’exemple, un appel pour une difficulté respiratoire ne requiert pas forcément l’envoi immédiat d’un véhicule de secours. Après régulation médicale, il est possible d’identifier une situation de fin de vie ou un accès de stress qui ne justifie pas de mobiliser un véhicule de secours. La régulation médicale doit donc intervenir le plus tôt possible, de manière à optimiser les vecteurs du Samu et des sapeurs-pompiers. L’enjeu consiste à respecter les missions et le cœur de métier de chacun, tout en facilitant la complémentarité.

Mme la présidente Lisa Belluco. Docteur Noizet, pouvez-vous préciser à quels textes législatifs vous faisiez référence à propos de l’évolution de vos missions ou du fonctionnement du Samu ?

Dr Marc Noizet. Le texte le plus préjudiciable au Samu est la loi Matras, qui prévoit une évolution des missions des secours et des ambulanciers. Sur ce point, le texte est tout à fait positif, car il donne aux professionnels la capacité de délivrer des actes de soins qu’ils ne pouvaient pas effectuer jusqu’alors. Cependant, cette loi ouvre la porte à la possibilité d’intervenir sans le Samu, ce qui me paraît très contestable. C’est pourquoi j’ai insisté sur la nécessité de respecter le rôle de chacun. En l’état, le texte de loi précise que les interventions doivent être réalisées sous la coordination du Samu ou d’un médecin présent. Cette disposition suggère que la présence du Samu n’est plus systématique dans tous les territoires, et qu’un médecin sapeur-pompier peut prendre les décisions. Cela reviendrait à créer une seconde régulation, alors qu’il existe déjà un premier dispositif performant.

Une autre mesure prévue par la loi Matras me paraît aussi très fragile : l’expérimentation du numéro unique. Il s’agit d’une volonté présidentielle, qui fait l’objet de fortes tensions entre services interministériels. Toute la question est de savoir quel service doit être en charge d’un appel présentant une dimension sanitaire importante. Par exemple, un appel pour un arrêt cardiaque est réceptionné sur une plateforme unique. Or, le ministre de l’intérieur souhaiterait que cet appel soit reçu en première instance par les pompiers, qui ont la capacité d’intervenir plus rapidement. Pour notre part, nous considérons que toute situation d’urgence vitale présentant une dimension sanitaire évidente doit impérativement être dirigée en premier lieu vers les professionnels de santé. De fait, les assistants de régulation médicale sont à même d’identifier beaucoup plus rapidement l’urgence vitale, de la qualifier et de donner, s’il y a lieu, les conseils d’accompagnement sur les premiers gestes de secours. En outre, ils sont parfaitement capables de déclencher un départ rapide des pompiers.

Il faut savoir que la mise en place d’un numéro unique n’est pas forcément une réussite dans tous les pays. En tout état de cause, la régulation médicale est une spécificité du modèle français. Elle doit être impérativement préservée, pour éviter toute perte de chance pour le patient.

De prime abord, le texte de la loi Matras semble orienté vers la recherche d’une meilleure performance. Néanmoins, sa déclinaison locale pose problème quant au respect des expertises spécifiques des différents acteurs. Or, l’État n’a aucun intérêt à fragiliser la régulation médicale, ni l’expertise des structures de sécurité civile.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Docteur Noizet, vous avez beaucoup parlé du temps, qui est un paramètre important, en particulier pour la prise en charge des urgences vitales. Il est certain que le temps d’attente en ligne est très variable en fonction des territoires.

Pour terminer, j’aimerais connaître votre avis sur l’acculturation de la population et de nos élus à notre modèle de sécurité civile.

Dr Muriel Vergne. L’acculturation des élus passe aussi par des rencontres et par la préparation d’exercices. Je pense par exemple aux exercices nucléaires, organisés par le service interministériel de défense et de protection civiles de la préfecture, en présence des élus. Il existe aussi des actions de formation à l’intention des collectivités locales. En guise d’illustration, je prendrai le cas de la base navale de Toulon, qui possède un arsenal nucléaire. Des exercices sont organisés très régulièrement dans cette ville, et l’acculturation des élus fait partie de la démarche. Ces actions sont menées avec le Samu, les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers de l’arsenal de Toulon. Les élus sont systématiquement associés à la préparation et à la gestion de crise ; ils font pleinement partie du dispositif.

Dr Marc Noizet. Étant responsables de la sécurité de leurs concitoyens, les élus ont une sensibilité importante à l’égard de l’ensemble du dispositif de la sécurité civile. Toutefois, ils n’ont pas forcément une connaissance fine du dispositif, et ce point mériterait sans doute d’être abordé avec plus de pédagogie. Il serait donc judicieux, pour remédier à ce problème, de prévoir un module de formation destiné aux élus.

Pour la population, je rappelle que la prévention implique aussi la connaissance de l’urgence vitale et du dispositif de sécurité civile. Ces informations devraient être partagées avec l’ensemble de la population. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement de connaître le dispositif en place, mais aussi de le respecter. Comme vous le savez, les équipes de la sécurité civile et des Samu sont régulièrement la cible d’agressions. Une meilleure acculturation de la population contribuerait certainement à faire respecter davantage l’action des services de l’État. Les pays du nord de l’Europe sont d’ailleurs beaucoup plus avancés que nous dans ce domaine.

Dr Muriel Vergne. Je tiens à préciser que diverses actions visant à consolider cette culture citoyenne ont été mises en œuvre, depuis une quinzaine d’années, par le ministère de l’éducation nationale. Des programmes de sensibilisation ont ainsi pu être déployés dans les écoles primaires, les collèges et les lycées.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour ces échanges très intéressants et pour votre disponibilité. N’hésitez pas à nous adresser une contribution écrite. Je vous souhaite une bonne journée.


Amiral Lionel Mathieu, commandant le bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM), l’école des marins-pompiers de la Marine et la Marine à Marseille

Compte rendu de l’audition de l’Amiral Lionel Mathieu, commandant le bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM), l’école des marins-pompiers de la Marine et la Marine à Marseille
(jeudi 2 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous terminons notre cycle matinal d’auditions en accueillant en visioconférence le vice-amiral Lionel Mathieu, commandant du bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) et directeur de l’École des marins-pompiers de la marine, le capitaine de vaisseau Christophe Guillemette, commandant en second, et le capitaine de frégate David Gaidet, chef des opérations.

La formation d’élite qu’est le BMPM, à la croisée des mondes maritime et de la sécurité civile, occupe une place à part dans le dispositif de réponse aux urgences. La spécificité du BMPM, tout comme celle de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), réside à la fois dans ses missions et dans son statut d’unité des forces armées intégrées au dispositif de sécurité civile.

Permettez-moi de préciser, à l’attention de nos auditionnés, que notre mission, créée à l’initiative du groupe Horizons et apparentés, est composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale. Elle a débuté ses auditions au mois de septembre dernier. Je précise que l’enregistrement de cette audition sera disponible sur le site de l’Assemblée nationale et fera également l’objet d’un compte rendu annexé au rapport que nous rendrons dans quelques mois.

Son objectif est double : d’une part, mieux comprendre le rôle, l’organisation et les spécificités du BMPM et de l’École des marins-pompiers et, d’autre part, saisir les enjeux actuels et futurs de la sécurité civile à Marseille, en particulier autour de son port, qui est l’un des plus importants de la Méditerranée.

Monsieur le vice-amiral, je vous remercie de vous être rendu disponible aujourd’hui pour participer à nos travaux. Votre retour d’expérience et vos observations seront essentiels pour éclairer notre réflexion et affiner notre vision de la sécurité civile. N’hésitez pas à nous faire part de vos éventuelles critiques ou suggestions afin d’améliorer l’organisation de notre système de sécurité civile, pour Marseille comme pour l’ensemble du territoire national. Notre objectif est non seulement de comprendre l’organisation actuelle, mais aussi d’identifier ce qui peut être amélioré et d’anticiper les futurs défis de notre sécurité civile.

M. Didier Lemaire, rapporteur. En tant qu’ancien sapeur-pompier et élu local, je suis particulièrement sensible à la question de la capacité d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile dans le contexte de crises multiples que nous connaissons.

Dans un premier temps, je vous propose de présenter le BMPM et, éventuellement, de mettre en relief les différences entre votre unité et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

M. Lionel Mathieu, commandant du bataillon de marins-pompiers de Marseille. Le BMPM a pour spécificité d’être une unité militaire placée sous l’autorité d’un maire dans le cadre de ses attributions en matière de secours et de défense contre l’incendie. La BSPP est une unité militaire elle aussi, avec laquelle nous partageons les valeurs de réactivité, disponibilité et neutralité politique – je rappelle qu’il n’y a pas de syndicat dans les unités militaires –, mais elle est placée sous l’autorité du préfet de police de Paris et n’a donc pas un lien aussi direct que celui du BMPM avec la municipalité et son exécutif.

Le bataillon est la plus grande unité de la marine nationale. Il assure la défense d’une ville dont la superficie est deux fois plus étendue que celle de la capitale et qui cumule une gamme étendue de risques urbains, technologiques, maritimes, ainsi que ceux liés aux feux de forêt.

Ses missions varient selon le périmètre géographique considéré. En effet, si le bataillon agit très majoritairement pour la ville de Marseille, il agit également pour la zone de défense et de sécurité Sud et, en certaines circonstances, au niveau national et international. Pour répondre à la demande opérationnelle, le bataillon dispose aujourd’hui de dix-sept centres d’incendie et de secours intra-muros, dont la répartition géographique permet d’apporter une réponse opérationnelle en tout point de la ville en moins de dix minutes, et de quatre centres situés hors des frontières communales pour la défense de l’aéroport de Marignane, du port de Fos-sur-Mer et du site d’Airbus Helicopters.

96 % des 2 600 personnels du bataillon sont militaires et 80 % d’entre eux sont des marins-pompiers. Notre rythme de fonctionnement permet, en cas d’événement majeur, de compléter rapidement nos forces en faisant appel à des personnels d’astreinte. La situation en termes d’effectifs est globalement satisfaisante. Toutefois, nous faisons face, d’une part, à une tension opérationnelle pour certaines activités, notamment pendant la campagne des feux de forêt et, d’autre part, à une tension en gestion car, bien que le bataillon soit comme la BSPP une unité attractive, nous sommes confrontés à un flux de départs de personnels contractuels concernant les hommes du rang et les officiers mariniers. Nous sommes particulièrement attentifs à ce dernier point, qui est l’une des principales difficultés du bataillon.

Dans la commune de Marseille, près de 80 % des 128 000 interventions réalisées au cours de l’année 2022, avec en moyenne 350 interventions par jour, ont été consacrées au secours à personne. Marseille est en effet une ville où l’offre de soins est déficitaire et dont une partie de la population est défavorisée. Avec un taux de 141 interventions pour 1 000 habitants, alors que le taux moyen au niveau national est de 66 interventions pour 1 000 habitants, nous sommes en tête des services de secours en France. Notre activité courante est en hausse continue : l’année 2022, dont une partie a pourtant été marquée par la crise sanitaire, a connu une hausse de 2 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. J’anticipe la poursuite de cette hausse dans les années à venir, la ville de Marseille étant une destination de plus en plus attractive, à la fois pour de nouveaux résidents et pour des touristes.

Chaque année, nous intervenons en renfort une vingtaine de fois au profit de la zone de défense Sud. Dans le département des Bouches-du-Rhône, ces interventions sont régies par les dispositions communes du règlement opérationnel départemental et par la convention d’aide mutuelle entre le BMPM et le département. Dans les autres départements, le cadre général ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile), qui prévoit une mobilisation par les centres opérationnels des zones de défense et de sécurité, est applicable.

Notre stratégie de lutte contre les feux de forêts repose sur une attaque rapide et massive des feux naissants. Elle implique donc un effort conséquent de surveillance des massifs à risque, afin d’agir au plus vite sur le moindre départ et d’éviter toute propagation. Cette stratégie a été conçue en stricte application de la doctrine nationale, mais prend en compte le contexte particulier de la commune, sur le territoire de laquelle l’interface entre la forêt et les habitations s’étend sur 56 kilomètres. Tout départ de feu de forêt prenant de l’ampleur peut donc avoir des conséquences importantes pour la ville. La campagne des feux de forêt dure en moyenne trois mois. Pendant cette période, en plus des 350 marins-pompiers veillant normalement sur la ville, 170 militaires supplémentaires sont consacrés à l’armement du dispositif de lutte contre les feux de forêt, qui compte jusqu’à 47 camions pouvant être déployés au plus près des massifs, ainsi que deux hélicoptères bombardiers d’eau loués durant la période estivale. Nous pouvons mobiliser au pic de la saison estivale un effectif total de 668 marins-pompiers, dont 150 sous un délai d’une heure. Outre nos capacités propres, nous pouvons nous appuyer sur des moyens nationaux, notamment aéronautiques, mobilisables dans le cadre zonal et dans le cadre national, pour la détection et l’attaque des feux naissants par des guets aériens, ou pour l’attaque massive de feux déjà établis, avec un dispositif de lutte terrestre combinée à des avions de type Canadair.

Depuis quelques années, nous sommes confrontés à une évolution des paradigmes de la sécurité civile, dont les répercussions, aussi bien sur notre structure que sur l’emploi de nos moyens, sont majeures. En moins d’une décennie, nous avons connu l’intensification de la menace terroriste, une crise sanitaire sans précédent et le retour de la guerre aux frontières de l’Europe. Ces événements nous exposent à un ensemble de menaces protéiformes – menaces nouvelles ou menaces remises sur le devant de la scène – qui dépassent le cadre classique du secours et des incendies et imposent des réponses dimensionnées.

L’exercice Odoma (pour « ordre départemental opération menace attentats »), mis en place dès 2015, prévoit l’adaptation des postures en cas de survenance d’un attentat, notamment la montée en puissance des services de secours et d’aide médicale urgente. La Capinav (pour « capacité nationale de renfort pour l’intervention à bord des navires ») a été développée en 2016. Nous sommes chargés de la préparation opérationnelle de cette capacité mise à disposition des préfets maritimes pour les sinistres en mer et des préfets de département pour les navires à quai. Elle permet de répondre à de multiples situations : incendie, pollution ou collision entre navires, par exemple. Elle permet également de mener des opérations de contre-terrorisme maritime, avec ou sans volet nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC), et de répondre à divers besoins d’expertise. Cette capacité se matérialise par la projection en moins de deux heures d’une équipe de quarante marins-pompiers spécialistes des feux de navires, de l’urgence médicale ou des risques technologiques, aux niveaux local, zonal et national, dans les territoires métropolitains et ultramarins. Dans le cadre de ces deux dispositifs, le statut militaire des marins-pompiers et leur préparation opérationnelle leur permettent de mener des actions de secours d’urgence en milieu non permissif, c’est-à-dire soumis à une menace balistique ou d’une autre nature. Les marins-pompiers interviennent alors armés. Cette singularité dans le paysage de la sécurité civile, que nous partageons avec les forces d’intervention de la sécurité intérieure et les forces spéciales des armées, est une nécessité qui nous oblige à réaliser des opérations d’entraînement importantes.

Notre groupement nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC) a été créé en réaction à la crise sanitaire. Nous avons capitalisé sur des capacités militaires et de sécurité civile déjà éprouvées. Il nous permet de fournir à l’État une grande réactivité dans l’acquisition de réactifs adaptés à la surveillance de tout pathogène d’intérêt sanitaire détecté dans le monde. Notre laboratoire mobile offre une protection face aux pathogènes les plus dangereux et offre à la sécurité civile française une capacité souveraine dans la détection des agents biologiques, ainsi qu’un appui sur tout le territoire pour la biosécurisation d’un site ou la gestion d’une crise sanitaire.

L’accentuation de la menace nucléaire et énergétique avec la guerre en Ukraine impose une adaptation et une préparation des forces de sécurité civile. L’évolution rapide des technologies, notamment celles de propulsion, crée de nouveaux risques, comme celui représenté par les feux de batterie de véhicules électriques, auquel nous sommes particulièrement attentifs. Enfin, le changement climatique a déjà des répercussions sur notre quotidien. Nous avons pu le constater sur tout le territoire cet été et, surtout, l’été précédent. Le bataillon et les services d’incendie du Sud-Est sont préparés au risque de feux de forêt, mais les évolutions liées au changement climatique nous obligent à une vigilance nouvelle, doublée d’une nécessaire coopération zonale, voire nationale, car certains territoires, jusqu’alors peu ou pas concernés, sont désormais menacés par les feux de forêt.

L’adaptation de notre unité à ce contexte d’augmentation et de diversification des risques impose une évolution de nos moyens matériels – avec une augmentation du nombre d’engins, toujours plus spécialisés et plus coûteux – et humains, pour lesquels la formation et le maintien des acquis représentent un enjeu majeur. Elle demande également des moyens budgétaires pour leur financement. Face à cette évolution vers toujours davantage de moyens, la place du citoyen comme acteur de la sécurité civile et la prévention des risques de toute nature doivent être renforcées.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelles sont vos relations avec les pouvoirs publics et comment le BMPM se coordonne-t-il avec eux pour faire face à une crise dans votre zone d’activité ?

M. Lionel Mathieu. Notre action s’inscrit bien sûr dans le cadre défini par la loi. Pour la ville de Marseille, c’est le maire ou – si celui-ci ne s’estime pas en mesure de le faire – le préfet qui assure la direction des opérations de secours. Pour l’aéroport de Marignane et le port maritime de Marseille, la direction des opérations de secours est de la responsabilité du préfet. Nous entretenons donc avec ces deux autorités des relations dans le cadre des interventions et de leur préparation, mais, en temps normal, c’est avec le maire que nous entretenons le plus de relations, d’autant plus qu’il a la responsabilité du financement du bataillon. Nous sommes amenés à nous coordonner avec le préfet de département et avec la préfète de police pour la préparation des grands événements, comme les tests events des Jeux olympiques, la visite du Pape ou la coupe du monde de rugby, qui demandent l’engagement de moyens de secours et de sécurité.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quels sont les principaux risques auxquels le bataillon est confronté et de quelle manière les appréhendez-vous ? Comment ont-ils évolué ces dernières années ?

M. Lionel Mathieu. On a coutume de dire que la ville de Marseille est exposée à l’ensemble des risques recensés par la sécurité civile, à l’exception du risque d’avalanche. Les deux risques principaux sont ceux liés au secours à la personne, comme les accidents ou les pathologies, et ceux d’incendie, qui sont particulièrement élevés au vu de la configuration du bâti et des conditions de vie de la majorité des habitants.

Le socle de base de la formation des marins-pompiers comprend donc le secours à la personne et la lutte contre les incendies urbains, ainsi que – c’est une spécificité marseillaise – la lutte contre les feux de forêt et contre les feux de navires. Marseille étant le premier port de France et comptant 57 kilomètres de côtes, nous devons être préparés à faire face à une concentration importante de risques industriels et technologiques. Nos marins-pompiers sont donc spécialisés dans ces risques et dans les opérations de secours en mer. Ils sont également préparés à des opérations de sauvetage-déblaiement à la suite de l’effondrement de bâtiments, comme celles que nous avons menées au cours des événements dramatiques de la rue d’Aubagne et de la rue Tivoli. Le socle de base est complété par des spécialités, comme celle d’intervention armée ou celle relative aux risques NRBC.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Disposez-vous d’éléments chiffrés relatifs à la répartition de votre activité entre ces différents types d’intervention ? Certaines ont-elles pris plus d’importance ces derniers temps ?

M. Lionel Mathieu. Nous observons une relative stabilité de cette répartition. C’est aujourd’hui le secours à personne qui nous occupe le plus, puisqu’il représente environ 80 % de nos interventions. Mais nous constatons aussi une augmentation régulière du nombre total d’interventions, qui fait peser sur notre unité une pression de plus en plus forte : les effectifs du bataillon ont crû d’environ 3 % au cours des dix dernières années, quand le nombre d’interventions connaissait une hausse de 11 %. Cette augmentation concerne essentiellement le secours à personne et les interventions sur les incendies – les risques les plus courants à Marseille n’exigeant ni les compétences techniques les plus pointues, ni les dispositifs les plus importants. Il en résulte qu’il nous devient difficile, a contrario, de maintenir notre entraînement et notre niveau de préparation opérationnelle sur les risques les moins courants mais les plus complexes.

M. David Gaidet, chef des opérations. Parmi les équipes spécialisées les plus sollicitées, figure en premier lieu celle de secours en milieu périlleux et en montagne, qui intervient régulièrement dans le parc national des Calanques ; celui-ci attire en effet des randonneurs et grimpeurs de plus en plus nombreux, mais pas toujours préparés. Nous y intervenons environ 200 fois par an, avec l’hélicoptère de la sécurité civile. Vient ensuite l’équipe de secours nautique et de secours à plongeurs, qui intervient en mer 300 heures par an, en moyenne, pour secourir notamment les nombreux plaisanciers et plongeurs attirés par nos 54 kilomètres de littoral. La collision récente entre deux navires illustre l’une des réalités auxquelles nous faisons face. L’équipe de sauvetage et déblaiement intervient moins régulièrement sur le territoire marseillais, mais les événements survenus rue d’Aubagne et rue de Tivoli ont mis en lumière sa valeur ajoutée et l’impérieuse nécessité de son existence.

M. Didier Lemaire, rapporteur. À quelles difficultés principales faites-vous face dans vos interventions au quotidien ?

M. Lionel Mathieu. Le plus difficile est de rester concentrés sur notre vocation, celle de porter secours, alors qu’un certain nombre de nos interventions ne relèvent pas du secours d’urgence. Une autre difficulté, liée à la première, tient à la violence désinhibée dont font parfois preuve non pas les criminels, comme on pourrait le penser, mais les victimes et leurs familles. Ces faits restent anecdotiques, au regard de nos 128000 interventions annuelles, mais ils sont de plus en plus nombreux. En dehors de cela, nous ne rencontrons pas de réelles difficultés dans la conduite de nos opérations. Nos interventions se passent généralement bien et nous arrivons à absorber leur nombre, même si cela n’est pas toujours facile.

Outre la difficulté que j’évoquais tout à l’heure, celle de conserver du temps pour s’entraîner aux interventions les plus complexes, ce qui m’est le plus difficile aujourd’hui est de retenir les marins-pompiers au sein du bataillon. Le taux de fuite est trop important, pour de multiples raisons. Nous travaillons sur le sujet, mais aimerions aussi parfois être aidés pour que nos marins-pompiers restent huit à dix ans, plutôt que quatre à cinq ans comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Cette problématique soulève la question de notre capacité opérationnelle et de la prise d’expérience, c’est-à-dire de notre aptitude à faire face aux risques les plus critiques – dont nous pensons qu’ils vont augmenter.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelle vision avez-vous de notre modèle de sécurité civile à l’échelle nationale, s’agissant notamment de la collaboration avec des associations, avec les sapeurs-pompiers ou avec le Samu ? L’organisation des services répond-elle aux enjeux actuels et aux crises majeures auxquelles nous pourrions être confrontés à l’avenir ?

M. Lionel Mathieu. Il y a plusieurs façons d’envisager votre question, monsieur le rapporteur. Je soulignerai d’abord que, sur le plan local, le bataillon de marins-pompiers de Marseille a une culture du travail en coopération avec ses différents partenaires : avec les forces de sécurité intérieure pour la préparation des événements, mais aussi avec les associations agréées de sécurité civile dans le cadre des dispositifs prévisionnels de secours (DPS). Si nous ne pouvions nous appuyer sur ces dernières, nous ne serions d’ailleurs pas en mesure de faire face aux besoins, car le nombre d’événements est en croissance importante dans la ville de Marseille. Nous travaillons aussi en collaboration avec le SDIS des Bouches-du-Rhône. Surtout, nous avons depuis plus de trente ans une culture du travail en commun avec le Samu. Il y a quotidiennement sept ambulances de réanimation armées, à Marseille, dont trois le sont par des médecins, des infirmiers et du personnel de notre bataillon. Un médecin du bataillon se trouve d’ailleurs en permanence au centre 15 du Samu, où il participe à la régulation des soins. C’est ce travail de collaboration avec l’ensemble des associations et des services qui nous permet aujourd’hui de faire face à l’ensemble des besoins de Marseille ; nous serions bien en mal de le faire seuls.

Si l’on élargit le point de vue, il est évident que les besoins sont très différents au sein de l’Hexagone, selon que le cadre est urbain, rural, ou celui d’une grande métropole. Le modèle du volontariat me semble incontournable aujourd’hui, car il permet de doter notre pays d’un nombre important de forces d’intervention, acculturées à la question du risque en matière de sécurité civile – comme devraient l’être de plus en plus de citoyens pour nous permettre de faire face. Nous avons d’ailleurs lancé, à cet égard, des initiatives locales passant par l’organisation de conférences dans les classes primaires ou encore la diffusion de la culture du secourisme chez les 12 000 agents de la ville de Marseille.

Outre qu’elles défendent les deux plus grandes villes de France, les unités militaires apportent des compétences qui leur sont propres et qui sont utiles à la sécurité civile française. Celle-ci tire sa puissance de la diversité de ses forces vives – volontaires, professionnelles, militaires –  sur lesquelles elle s’appuie : elles peuvent en effet se compléter et éventuellement, en situation de crise, se compenser les uns les autres.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les difficultés qui se posent à l’échelle du territoire, et que vous avez raison de souligner, concernent également les outre-mer. Je reviens sur les associations agréées de sécurité civile : quel rôle ont-elles dans la coordination telle qu’elle s’organise à Marseille ou ailleurs ? Faut-il renforcer leurs responsabilités, ou bien le modèle actuel est-il parfaitement adapté aux crises majeures auxquelles nous pourrions avoir à faire face ?

M. Lionel Mathieu. Je souhaitais justement évoquer les territoires ultramarins. Lorsque nous avons été auditionnés par M. Hubert Falco dans le cadre de son rapport sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs, nous avons évoqué la nécessité probable de mieux nous préparer collectivement à soutenir ces territoires. Alors qu’ils sont confrontés à des crises de plus en plus nombreuses, principalement d’origine climatique, ils ne disposent pas en effet de la totalité des moyens nécessaires sur place pour y faire face. Peut-être faudrait-il avoir une réflexion plus poussée, au niveau national, sur la façon dont la sécurité civile devrait se préparer à leur apporter son aide.

M. David Gaidet. À Marseille, nous travaillons quotidiennement avec une dizaine d’associations agréées de sécurité civile, disposant de différents types d’agréments. Nous travaillons avec elles sur les DPS à l’occasion des événements planifiés – carnaval, 14 juillet, matchs au stade Vélodrome –, sur lesquels elles interviennent de façon récurrente. Cet été, nous avons dû faire davantage appel à elles sur les différents dispositifs mis en place pour la messe du Saint-Père et les six matchs de rugby qui se sont déroulés dans le cadre de la coupe du monde. Nous intégrons les associations à nos travaux dès la phase de préparation, pour les événements prévisionnels comme pour ceux qui seraient liés à l’occurrence de la menace ; elles sont donc à nos côtés lorsque nous organisons des exercices majeurs. C’est ainsi que nous préparons avec elles les dispositifs des Jeux olympiques de Paris 2024, à l’occasion desquels la ville de Marseille accueillera vingt épreuves en mer ou au stade Vélodrome. J’ajouterai enfin qu’elles sont évidemment intégrées aux planifications de sécurité civile réalisées par la préfecture au niveau départemental, par exemple aux exercices d’attentats multi-sites.

M. Lionel Mathieu. Nous recourrons fréquemment aux associations agréées de sécurité civile à Marseille, mais nous constatons qu’à mesure que les besoins augmentent, elles ont de plus en plus de difficultés à y répondre. Elles font face, en effet, à la même problématique de recrutement que nous.

M. Didier Lemaire, rapporteur. L’acculturation de la population et des élus vous semble-t-elle suffisante, ou doit-elle progresser pour que le modèle de sécurité civile de demain réponde le mieux possible aux enjeux ?

M. Lionel Mathieu. Les élus avec lesquels nous sommes en relation à Marseille sont relativement bien sensibilisés – notamment le maire, l’adjoint au maire en charge de la sécurité civile et celui en charge du bataillon. Il faut dire que nous entretenons des relations régulières : je rencontre ce dernier toutes les semaines, et il participe aux exercices. Je ne constate pas de déficit dans ce domaine.

S’agissant de la population, les choses sont plus compliquées. Marseille compte 850 000 habitants, bientôt près de 900 000, auxquels il faut ajouter les personnes travaillant dans la ville sans y résider. Les actions d’acculturation prennent, de fait, une autre dimension. Le bataillon fait beaucoup d’efforts pour diffuser l’esprit « sécurité civile », notamment dans les classes de cours moyen deuxième année (CM2) et au travers d’actions dans le domaine du secourisme. Nous avons beaucoup d’idées d’actions à mener dans les collègues et les lycées, par exemple, mais nous ne pourrons guère aller plus loin faute de temps. Sans doute devrions-nous réfléchir à une meilleure sensibilisation au risque et à la diffusion d’informations sur les bons gestes et les bons réflexes à avoir.

Nous avons également un travail à mener dans le champ de la prévention, notamment contre les incendies en milieu urbain. Aujourd’hui, nous sommes particulièrement attentifs aux établissements recevant du public et aux immeubles de grande hauteur, parce que la loi nous le demande et parce que nous avons dimensionné nos effectifs à dessein. Mais nous ne pouvons pas être partout et porter la même attention aux habitations, par exemple. Plus généralement, nous constatons dans la ville des transformations : les méthodes de construction et les matériaux employés évoluent, et le déploiement des nouvelles énergies entraîne l’électrification de la ville et du port. Cela implique que nous travaillions sur de nouvelles normes, qu’elles soient prescriptives ou non. Dans ce domaine, nous manquons encore de moyens et de travaux.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci pour la clarté de l’ensemble de vos réponses. Il est frustrant de conclure alors qu’il y a sans doute encore matière à échanger. N’hésitez surtout pas, si vous le souhaitez, à nous envoyer une contribution écrite répondant plus longuement aux questions qui vous ont été posées ou abordant d’autres sujets que nous aurions pu oublier ; elle pourra nourrir notre réflexion en vue de notre rapport. Nous vous remercions tous les trois, messieurs, pour votre temps et votre disponibilité.


M. Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l’École nationale supérieure des Officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP)

Compte rendu de l’audition de M. Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l’École nationale supérieure des Officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP)
(jeudi 9 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous commençons cette nouvelle matinée d’auditions par un échange en visioconférence avec monsieur Grégory Allione, inspecteur général et directeur de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Notre mission d’information a été constituée à l’initiative du groupe Horizons et est composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale. J’en assume la présidence et mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur.

Notre mission est guidée par un objectif commun. Il s’agit d’évaluer et de renforcer les capacités de notre pays à répondre aux situations d’urgence et de crise. À cet égard, la formation dispensée par l’Ensosp aux officiers de sapeurs-pompiers constitue un maillon central dans la compréhension générale de ces enjeux.

Cette audition est retransmise en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Elle sera également consignée dans un compte rendu qui sera publié sur la page de la mission et annexé au rapport que nous rendrons à l’issue de nos travaux. Je vous remercie d’apporter à notre mission votre expertise et vos connaissances en tant que directeur de l’Ensosp, même si je garde à l’esprit vos anciennes fonctions - pas si lointaines - de président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), que nous aurons bientôt le plaisir d’entendre.

M. Didier Lemaire, rapporteur de la mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles. Comme vous le savez, nous avons un point commun, puisque j’ai été sapeur-pompier volontaire, puis professionnel, pendant plus de trente ans. En tant qu’élu local, j’ai pu vivre différentes crises de chaque côté de la barrière. C’est avec ce regard que j’aborde les travaux de cette mission d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles.

Dans un premier temps, je vous propose de nous concentrer sur le monde des sapeurs-pompiers, y compris sur l’Ensosp. Dans un deuxième temps, nous aborderons des questions portant sur la sécurité civile au sens large du terme. En préambule, je vais vous laisser nous présenter l’Ensosp : son histoire, sa mission, son fonctionnement et éventuellement son budget.

M. Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). C’est un plaisir pour l’Ensosp que d’être auditionnée sur des enjeux de sécurité civile, qui font encore l’actualité en raison des alertes orange et rouges sur le territoire. Pendant très longtemps, la sécurité civile était citée de manière épisodique sur le plan médiatique. Dorénavant, on s’aperçoit que c’est beaucoup plus régulier. Il ne faut pas oublier le tronc commun de l’activité de sapeurs-pompiers et de la sécurité civile, qui représente 80 % de l’activité des sapeurs-pompiers au quotidien : le secours d’urgence aux personnes. On oublie trop souvent que les sapeurs-pompiers sont les premiers acteurs du pré-hospitalier. Ils assurent le secours de nos populations dans les territoires urbains ou reculés.

L’école nationale a été créée à Nainville-les-Roches en 1977. Ce n’est pas si vieux que cela au regard d’autres institutions, que ce soit la police nationale ou la gendarmerie nationale. Notre histoire est donc assez récente. L’école nationale existe à Aix-en-Provence depuis 2008, et ce, par un décret fondateur de 2004. En vingt ans d’existence sous la forme actuelle, nous avons pu accéder à un niveau intéressant pour affronter les défis et les menaces qui se font jour.

L’établissement que j’ai l’honneur de diriger est un établissement public de l’État, dont la gouvernance est partagée entre le ministère de l’intérieur, qui en assure la tutelle, et une présidence du conseil d’administration qui est assurée par la présidente Vassal, au titre de l’Assemblée des départements de France (ADF). Il y a un partage des équilibres entre les représentants du personnel, les représentants des employeurs, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l’ADF, ainsi qu’un conseil de perfectionnement qui nous permet, comme pour toutes les universités et les grandes écoles, d’établir la ligne pédagogique et d’animer la réflexion critique sur celle-ci au sein de notre institution.

L’essentiel des missions consiste en la formation des officiers de sapeurs-pompiers. Il y a trois branches, dont la formation de tous ceux qui y entrent en tant qu’officiers de sapeurs-pompiers. Au-delà de l’intégration, il y a la professionnalisation. Un officier qui intègre l’école va y venir régulièrement, afin d’acquérir des compétences managériales et opérationnelles. Il existe ensuite un cycle de spécialité, pour faire face aux nouveaux risques émergents ou aux nouvelles menaces. Je pense en particulier à la formation liée aux établissements recevant du public et à la prévention.

Lors de la création de l’école nationale, en 1977, nous étions en région parisienne. Nous sommes dorénavant dans le sud de la France, avec un positionnement à Aix-en-Provence, où est située toute l’activité pédagogique, administrative et de soutien. Tout l’intérêt du déménagement dans le sud de la France était d’avoir un autre site, qui se situe dans la commune de Vitrolles. Il s’agit d’un plateau technique qui permet de mettre en place énormément de simulations pour appréhender les différents risques et s’exercer en conditions quasi réelles. Il y a également un autre site en région parisienne, à Oudiné, que nous louons afin de permettre tous les cycles de formation liés à la prévention.

Par ailleurs, nous sommes en train de construire un site à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence, dans la commune de Gardanne, afin de faire toutes les mises en situation professionnelles. Et ce, avec un travail de coordination avec l’école d’application de la sécurité civile (Ecasc), qui forme notamment aux risques liés aux feux de forêt et aux autres risques industriels. Il s’agit de permettre des mises en situation professionnelles pour les directeurs et commandants d’opérations de secours, ainsi que pour la gestion de crise. Nous exploitons donc quatre sites.

La répartition des moyens dont nous disposons est assez simple. Entre 15 et 16 millions d’euros proviennent du CNFPT. Cela comprend un tronc commun provenant de la cotisation sur la masse financière des fonctionnaires territoriaux, et la fameuse sur-cotisation qui reposait sur la masse salariale des sapeurs-pompiers professionnels, contribuant au financement du budget de l’école. Tout cela constitue un ensemble d’environ 16 millions d’euros en budget initial pour l’année 2023. 16 autres millions d’euros proviennent de la facturation liée aux formations que nous dédions et aux services d’incendie de secours. Un peu moins d’un million d’euros est destiné au privé, c’est-à-dire aux entreprises qui viennent se former à la prévention ou à d’autres risques. En effet, outre le risque des feux de forêt, nous constatons l’émergence de risques nouveaux, parmi lesquels l’hydrogène et toutes les nouvelles matières utilisées dans le cadre de nouvelles économies ou de nouvelles carburations et que nous devons appréhender. Nous bénéficions également d’une participation de l’État à hauteur d’environ 5 millions d’euros pour la partie budget 2023. Ces montants contribuent non seulement au remboursement de l’emprunt qui a permis de créer les bâtiments, notamment à Aix-en-Provence, mais aussi au financement de la formation des élèves colonels, qui représentaient une grande promotion l’année dernière. La participation à cette formation va donc diminuer un peu.

En termes de personnel, l’école compte 205 personnes. En termes de budget et d’effectif, l’école était dimensionnée pouvoir assurer 80 000 journées stagiaires. Aujourd’hui, du fait de l’évolution opérationnelle sur le territoire, nous sommes à 100 000 journées stagiaires. Cela signifie qu’il y a une pression sur les charges et sur les dépenses de l’école afin de faire en sorte de répondre aux besoins. D’ailleurs, nous avons mis en place une comptabilité analytique afin d’être le plus efficace possible sur le plan financier. Il y a également une pression en matière de ressources humaines : compte tenu de la stabilité des effectifs et de l’augmentation significative du nombre des journées stagiaires, nous constatons un effet ciseau, qui engendre une pression certaine.

L’ensemble du personnel de l’école assure des séquences de face-à-face pédagogique, mission pour laquelle nous avons également recours à 900 intervenants externes. Ces derniers sont des professionnels de la sécurité civile, des sapeurs-pompiers, des élus, des cadres d’entreprises (GRDF, Enedis) ou de la fonction publique, dont l’expérience vient alimenter les réflexions en matière de ressources humaines ou de finances. Il s’agit donc d’une école très ouverte, qui fait partie de plusieurs grands réseaux.

En cohérence avec la volonté du Président de la République lors du Congrès de Marseille, la promotion des élèves colonels qui rejoint notre école depuis le 2 novembre intègre le tronc commun de l’Institut national du service public (INSP). Cette mesure permettra d’ouvrir le monde des sapeurs-pompiers à bien d’autres fonctions publiques, et inversement. Cette ouverture implique nécessairement un travail partenarial.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci, ces chiffres doivent en effet être gardés à l’esprit. Pour en revenir au cœur des missions de l’Ensosp, ses formations doivent-elles selon vous évoluer au regard des risques nouveaux et fréquents que vous avez évoqués ; et le cas échéant, de quelle manière ?

M. Grégory Allione. La saison estivale de l’année 2022 a été un choc pour les populations concernées par les feux de forêt. Nous souhaitons à présent tirer les conclusions de ces épisodes pour l’adaptation de nos formations. Notre formation était jusqu’à présent principalement tournée vers les questions managériales et les techniques administratives, et nos officiers étaient formés en s’appuyant sur des socles très techniques. Nos méthodes ont évolué afin de mieux former aux enjeux managériaux qui sont primordiaux et vis-à-vis desquels nous pouvons encore progresser. Les officiers sapeurs-pompiers professionnels doivent gérer une structure de ressources humaines spécifique, puisque leurs troupes sont constituées à 80 % de sapeurs-pompiers volontaires. Or, l’encadrement d’un sapeur-pompier volontaire n’équivaut pas à celui d’un sapeur-pompier statutaire, et nécessite une formation adaptée. Cette évolution est un enjeu central pour notre école.

Nos formations doivent également évoluer concernant l’appréhension des nouveaux risques, notamment les feux de forêt, les risques technologiques, chimiques et industriels.

Nous souhaitons également évoluer sur le sujet de la gestion de crise, en modifiant et renforçant la formation des élus et des décideurs territoriaux, des directeurs d’opérations de secours que sont les maires et les préfets, ainsi que des sapeurs-pompiers qui animent ces cellules de gestion de crise. C’est en ce sens que nous déployons le nouveau bâtiment de Gardanne.

Il y aura certainement d’autres évolutions à mener. Nous procédons à une innovation permanente. Les officiers de sapeurs-pompiers se forment depuis très longtemps à l’intelligence artificielle ou à la simulation. Nous avons des simulateurs et des lunettes à vision virtuelle afin de recréer des feux ou des environnements particuliers. L’intelligence artificielle nous permet par la suite de faire des règlements opérationnels départementaux. Nous intégrons donc toute cette gestion de l’innovation dans les nouveaux parcours de formation.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous recevrons très prochainement Jean-Paul Bosland, le président de la FNSPF. Vous avez été directeur de service départemental de service et de secours (SDIS), président de la fédération nationale et vous êtes maintenant directeur de l’Ensosp.

Nous constatons des difficultés de recrutement que nous ne connaissions pas auparavant, ni dans le monde professionnel, ni chez les sapeurs-pompiers volontaires. Pouvez-vous fournir des explications à ce phénomène ? Disposez-vous d’éléments plus positifs quant aux recrutements qui peuvent se faire par le biais de ces deux statuts ? Depuis le début de la mission, nous notons une disparité en fonction des territoires, y compris dans les territoires ultramarins.

M. Grégory Allione. À mon sens, le recrutement des officiers, des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, mais également l’hétérogénéité des dispositifs et des difficultés des territoires doivent nous interpeller.

Sur le recrutement des sapeurs-pompiers professionnels, et notamment des officiers, il y a réellement quelque chose qui est en train de se produire. L’ouverture de l’école et du monde de la sécurité civile doit se poursuivre. Aujourd’hui, les promotions de jeunes officiers et de lieutenants se caractérisent par une féminisation et des niveaux de cursus très importants ; ces évolutions contribuent à la richesse du corps des officiers.

Il faut poursuivre les efforts pour modifier cette image d’Épinal que le monde des sapeurs-pompiers pouvait avoir au regard de l’administration centrale ou des décideurs. Le sapeur-pompier n’est pas uniquement le villageois que l’on connaissait et qui était en charge d’une unité opérationnelle. C’est aujourd’hui un cadre supérieur, ou une personne ayant la capacité de le devenir.

Je rencontre aujourd’hui de jeunes gens, et notamment de jeunes filles, qui ont fait khâgne et hypokhâgne. Ils ont des cursus très importants. Certains ont réussi le concours de l’ÉNA ou sont ingénieurs de formation et souhaitent pour autant rejoindre le monde des sapeurs-pompiers. Je côtoie également des officiers qui intègrent la profession alors qu’ils sont âgés de 40 ans. Ils ont connu une première vie professionnelle dans le secteur privé, mais souhaitent désormais intégrer le corps des sapeurs-pompiers professionnels. Nous constatons l’existence de ces nouveaux profils dans notre école.

Nous entrons dans un nouveau mouvement de gestion de la ressource humaine des sapeurs-pompiers : on ne gère plus aujourd’hui les sapeurs-pompiers ou les officiers de sapeurs-pompiers comme on les gérait auparavant. Ce nouveau modèle doit prendre en compte la mobilité et de la transversalité des différents parcours. De nos jours, on n’entre plus officier ou sapeur-pompier professionnel pour y passer quarante années, mais on met à profit cette expérience professionnelle dans le cadre d’autres fonctions.

Cette réalité suppose d’adapter notre gestion managériale pour porter une attention accrue aux nouveaux profils ainsi qu’aux profils atypiques. Des évolutions statutaires seront nécessaires, non pas en termes d’indemnité ou de rémunération, mais surtout sur le plan de la gestion des carrières. Auparavant, on ne reconnaissait les officiers de sapeurs-pompiers que lorsqu’ils avaient vingt ans de botte à chaque pied. Dorénavant, il va falloir reconnaître les gens pour leurs compétences intrinsèques et leur faire confiance, même s’ils sont jeunes.

Par ailleurs, il faut désormais prendre en compte le fait qu’un sapeur-pompier professionnel ou un officier ne consacrera qu’une partie de sa vie à cette activité professionnelle. Il faut en ce sens réfléchir aux enjeux de retraite et de va-et-vient entre les différentes fonctions. Il s’agit peut-être de lui garantir une reconnaissance de sa vie professionnelle de sapeur-pompier avant de rejoindre une autre activité, qui pourra être, le cas échéant, dans le secteur lucratif. La loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique souhaitait aller dans ce sens, mais peine à s’appliquer pleinement dans le corps.

Troisièmement, nous devons améliorer les perspectives de carrière des officiers de sapeurs-pompiers. Lorsque vous êtes jeune officier de sapeurs-pompiers, que vous soyez lieutenant ou capitaine, il arrive un moment où l’espace territorial et fonctionnel qui est le vôtre ne suffit plus. Vous avez envie de vous nourrir de nouvelles expériences professionnelles. Avec nos structures, le SDIS, la direction générale de la sécurité civile, l’Ensosp et l’état-major de zone, il s’agit de permettre à certains cadres de rejoindre nos états-majors plus rapidement que d’autres. Aujourd’hui, nous n’y sommes pas encore préparés, mais ce sujet est compris dans la question de l’hétérogénéité et des évolutions structurelles à apporter.

Je souhaite également évoquer le sujet des sapeurs-pompiers volontaires. Selon moi, nous n’avons pas de difficultés à recruter, mais plutôt à fidéliser. Il y a bien évidemment des difficultés dans certains bassins ruraux ou urbains. D’ailleurs, le sujet des plannings et du recrutement est presque un « marronnier ». Nous devons mener une réflexion sur la manière de fidéliser les sapeurs-pompiers volontaires. Il y a de vrais sujets managériaux et de reconnaissance dans le monde des sapeurs-pompiers. L’une des difficultés essentielles tient au fait qu’on le considère trop souvent comme un monde territorial en dehors de toute politique publique centrale d’État.

Le député Fiévet a communiqué récemment sur le sujet du volontariat. Il a félicité la fédération nationale pour ses travaux, en particulier pour le livre blanc sur le volontariat qui a été remis. Je pense qu’il y a énormément de matière dans ce document-là pour développer des pistes favorisant le recrutement de sapeurs-pompiers volontaires et pour les fidéliser.

L’hétérogénéité des problématiques, de la gestion des politiques de ressources humaines et des politiques de sécurité civile au sein des territoires sont d’autres sujets cruciaux. Aujourd’hui, la force des SDIS est d’être des structures à taille humaine, avec un périmètre départemental, permettant de répondre aux enjeux de sécurité civile au quotidien. On l’a vu lors de la crise du Covid et on le voit en ce moment même dans le nord de la France. Cette échelle de gestion financière, humaine et opérationnelle constitue une véritable force.

Pour autant, elle peut parfois apparaître comme étant une faiblesse, du fait de l’hétérogénéité des politiques publiques sur le territoire. Il y a un sujet probablement structurel quant à l’animation des services départementaux d’incendie par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). C’est la tête de réseau des services d’incendie et de secours, mais elle n’a peut-être pas suffisamment de moyens humains et d’officiers de sapeurs-pompiers pour les armer.

Même si nous avons tous la volonté de contribuer au mieux, il est parfois difficile d’administrer ce réseau-là. À titre de comparaison, l’organisation du ministère de l’intérieur, plus pyramidale, peut paraître plus facile à animer. La direction générale de la sécurité civile n’a pas nécessairement la capacité réelle à impulser des politiques sur certains territoires.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Ces constats rejoignent des éléments que nous constatons également au sein du monde du travail, qu’il soit privé ou public. Les sapeurs-pompiers, longtemps préservés de ces phénomènes, rencontrent à présent ce type de difficultés. Avez-vous une estimation à l’échelle nationale et de l’outre-mer du nombre de recrutements qui serait nécessaire pour les années à venir ?

M. Grégory Allione. Lorsque j’étais président de la fédération, nous avions évoqué le chiffre de 250 000 sapeurs-pompiers volontaires dans nos références de travail, alors que nous disposons aujourd’hui de 200 000 sapeurs-pompiers volontaires. Avant la départementalisation, nous estimions avoir besoin de 220 000 sapeurs-pompiers volontaires, mais ce chiffre a été revu à la hausse pour faire face à l’accroissement des besoins.

Cette réserve opérationnelle constituée de citoyens engagés vient conforter les effectifs de sapeurs-pompiers professionnels lors des pics d’activités. En faisant une règle de trois, on obtient le nombre de pompiers professionnels, de cadres et de sapeurs-pompiers volontaires dont nous avons besoin pour le fonctionnement au quotidien.

L’émergence de nouveaux risques et l’accroissement de la sollicitation opérationnelle entraînent un besoin accru de moyens matériels, humains et financiers. Le rapport de l’inspection générale de l’administration (IGA) a permis d’identifier certaines pistes pour répondre à ces nouveaux besoins, tout comme les lois récemment examinées à l’Assemblée nationale, qui traitent également des enjeux financiers.

Je suis convaincu que notre modèle de sécurité civile représente l’assurance de nos territoires. Notre nation doit se demander si elle souhaite être assurée au tiers, tous risques ou pas du tout, et allouer des moyens, notamment financiers, en conséquence.

Je tiens à rappeler que des efforts considérables ont été faits pour la sécurité civile depuis 2017, mais l’actualité nous montre qu’il est nécessaire de poursuivre ce mouvement pour faire face aux besoins constants. Outre les inondations actuelles dans le nord de la France, une intervention a lieu toutes les sept secondes dans notre pays, et, dans 80 % des cas, ces interventions sont liées au secours d’urgence aux personnes. Le monde des sapeurs-pompiers et les collectivités locales doivent prendre en compte cette pression sur le secteur pré-hospitalier, qui suppose des moyens financiers et humains importants.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Que pensez-vous de notre modèle de sécurité civile, qui englobe également les partenaires que vous avez cités et les associations agréées en la matière ? Notre système de sécurité civile vous semble-t-il proportionné et adéquat pour faire face aux crises majeures qui se sont déjà produites ou qui pourraient intervenir lors des années à venir ? J’ajoute que nous nous allons devoir faire face à des crises de plus en plus importantes.

M. Grégory Allione. C’est une question fondamentale. La sécurité civile est un continuum : au-delà des sapeurs-pompiers, il y a les citoyens. Or, nous n’avons pas assez œuvré pour préparer nos concitoyens à la résilience de nos territoires, en les préparant à faire face aux risques majeurs comme aux risques du quotidien.

En février 2019, il y a eu dix morts dans le 16ème arrondissement de Paris, car les bâtiments n’étaient pas équipés de détecteurs de fumée. Certains de ces décès auraient probablement pu être évités si les normes avaient été respectées, et les consignes connues de tous. Il y a donc une réflexion à mener sur le continuum, qui suppose de miser sur l’attitude de nos concitoyens et de les former aux comportements et aux gestes qui sauvent.

Les citoyens formés auront par ailleurs moins recours au service public, qui est fortement sollicité. Nous constatons que certains citoyens sollicitent les services publics alors que ce n’est ni utile, ni urgent ; cela pourrait être atténué par l’éducation des citoyens et par le renforcement de la participation des associations agréées de sécurité civile.

Les réserves communales de sécurité civile peuvent contribuer à la résilience des communes. C’est un modèle qui est très déployé dans le sud de la France. Sa mise en place est en cours dans certains secteurs qui ont été touchés par les feux ou les inondations. Les plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde et la réserve communale de sécurité civile constituent donc des éléments essentiels.

Par ailleurs, il y a bien évidemment toutes les autres associations agréées de sécurité civile, dont la Croix-Rouge et l’association de protection civile. En plus des concitoyens, il y a énormément d’organismes qui peuvent concourir à cette résilience. Ensuite, il y a le monde des sapeurs-pompiers et de la sécurité civile. Le monde des sapeurs-pompiers englobe les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, ainsi que les formations militaires de la sécurité civile, qui s’appuient sur nos différents régiments disposés à travers le territoire national et sur la création de la quatrième unité de sécurité civile, située dans le sud-ouest de la France.

Nous avons effectivement besoin d’un continuum et de différents partenaires pour y parvenir. La direction des opérations de secours, assurée par le maire et le préfet, est une fonction essentielle, à la tête du dispositif de sécurité civile.

Il faut poursuivre les efforts afin de se former ensemble à la gestion des risques de manière partagée et collaborative. Nous avons besoin de la coopération de l’ensemble des partenaires sous la tutelle de nos maires et de nos préfets.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je rejoins vos propos. Je pense que le meilleur atout en matière de gestion de crise est la prévention. J’ai bien noté l’importance de l’acculturation de la population en matière de sécurité civile. Pensez-vous qu’il y ait des axes d’amélioration, notamment en matière de direction des opérations de secours ? Je souhaiterais également vous entendre sur le financement de notre modèle. La contribution principale est assurée par les départements, avec une participation de l’État. Est-ce que ce modèle vous semble suffisant, ou avez-vous des pistes d’évolution à suggérer en la matière ?

M. Grégory Allione. En ce qui concerne les améliorations qui pourraient être apportées au fonctionnement de notre modèle de sécurité civile, je pense en premier lieu à la formation de nos élus. L’Ensosp doit être mise à contribution pour la formation de plus de responsables qu’aujourd’hui.

L’école nationale doit-elle pour autant accueillir tout le monde ? Non, bien entendu. En revanche, elle est en mesure de former des officiers de sapeurs-pompiers et certains élus territoriaux afin qu’ils diffusent la parole dans leur territoire. Nous travaillons également à former des formateurs.

Nous devons également faire en sorte de nous former avec les autres. C’est tout l’esprit du bâtiment de mise en situation professionnelle. Il s’agit de se former avec les préfets et les cadres des territoires, afin d’améliorer notre résilience et l’information du public. Le décret ayant fondé l’école nationale a prévu la possibilité de former une pluralité d’acteurs, nous devons donner les moyens à l’institution d’agir en ce sens.

Quant au sujet du financement le rapport de l’IGA, paru à la suite de la promulgation de la loi Matras, a souligné les efforts à mener en matière de formation. Nous sommes en train de conduire un certain nombre de réformes afin d’être beaucoup plus efficaces sur ce point. Il s’agit d’optimiser la dépense en formant de manière plus performante. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une demande croissante en matière de sécurité civile et de sollicitations opérationnelles, alors que la capacité de financement ne croît pas en proportion. Sans constituer un effet ciseau, l’absence d’adéquation entre les moyens financiers et les besoins réels engendrent une pression sur nos moyens matériels, sur les casernements et sur le personnel.

Notre capacité à répondre tant aux sollicitations du quotidien qu’aux évènements exceptionnels est un véritable enjeu pour notre modèle de protection civile. Il nous faut développer une réponse innovante tant pour les financements que dans notre organisation, pour faire face aux nouveaux risques majeurs tels que le réchauffement climatique.

L’une des réponses à construire pourrait être l’instauration d’un service national universel (SNU) qui serait obligatoire et un peu plus long. Ce service permettrait à nos jeunes de s’initier à l’engagement citoyen, au bénéfice du monde de la sécurité civile. Ce serait une belle piste pour constituer un socle commun d’engagement de citoyens au travers de la sécurité civile, mais ce n’est pas la seule piste possible.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué à plusieurs reprises l’hétérogénéité des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires. J’aimerais donc vous entendre préciser votre analyse sur ce sujet.

M. Grégory Allione. Je l’ai effectivement évoqué de manière assez sibylline. Aujourd’hui, notre direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a énormément de dossiers à traiter. Elle rencontre des difficultés à s’armer pour permettre l’animation et la coordination du réseau des SDIS.

Comment un préfet est-il aujourd’hui informé des consignes données par le ministre de l’intérieur en matière de sécurité civile ? Malgré quelques courriers et circulaires, il n’y a pas de politique publique identifiée que les préfets devraient mettre en œuvre dans ce domaine, ni de résultat attendu en matière de recrutement de sapeurs-pompiers volontaires ou de réduction du nombre de décès dans des feux d’habitation individuelle.

L’autorité préfectorale est attendue, en matière de prévention, pour la réduction du nombre de morts sur les routes. Elle doit en ce sens œuvrer en matière de prévention et de sécurité routière. Ce parallèle vous montre que l’expression d’une politique de sécurité civile globale et harmonisée trouverait matière à guider l’action préfectorale au bénéfice des SDIS.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Comment pourrait-on avoir demain une véritable trame européenne de la formation des officiers de sécurité civile ? Comment valoriser les compétences propres de chaque pays ? L’expérience française en matière de prévention et de gestion du risque de feux de forêts est, par exemple, mondialement reconnue. Nous avions évoqué une formation dans laquelle les différentes écoles pourraient être en lien, afin de constituer une école européenne de la sécurité civile, composée d’îlots dans différents pays. La spécialisation de chacun permettrait d’avoir des échanges réels et concrets entre nos officiers, qui seront confrontés demain à des catastrophes et à des risques majeurs, que ce soit en France ou dans les autres pays de l’Union européenne.

Au-delà de l’Union européenne, ce modèle pourrait également concerner l’Union pour la Méditerranée. Le bassin méditerranéen est confronté à des crises majeures, comme cela a été rappelé récemment par les tremblements de terre en Turquie et au Maroc, ainsi que les feux de forêt catastrophiques en Grèce.

Les officiers de la sécurité civile de toute l’Union européenne et du bassin méditerranéen devraient donc travailler ensemble, avec une même formation et des pratiques identiques, afin que tout le monde puisse se comprendre. J’aimerais connaître votre vision de cette école européenne de la sécurité civile. Serait-il selon vous possible et intéressant de travailler sur cette thématique ?

M. Grégory Allione. Le Président Macron s’est impliqué sur ce sujet au cours de la présidence française de l’Union européenne (PFUE), au premier semestre 2022. Dans un premier temps, en tant que président de la fédération, j’ai eu l’impression de ne pas être entendu par l’administration sur la nécessité de mettre en avant les sujets de sécurité civile au cours de la PFUE. Le Président a finalement choisi d’agir sur cette thématique, à raison, dans un moment où nous faisions face à des événements majeurs et dramatiques en matière de feux de forêt sur notre territoire.

Nous renforçons de manière préventive le dispositif feux de forêt en Grèce depuis deux ans. Pour la première fois, des modules européens sont venus en France cet été. Je les ai accueillis à l’école nationale, qui fait office de porte-avions en termes de soutien et de renfort. Nos dispositifs d’hébergement et de restauration conséquents sur le plan pédagogique sont ainsi mis à disposition pendant certaines périodes opérationnelles. Ce sera notamment le cas lors des Jeux olympiques, qu’il s’agisse de nos cadres ou de nos bâtiments.

L’Union européenne est un élément très important sur le plan de la réponse opérationnelle. Le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, est en train de construire une flotte quasi européenne, en permettant le financement d’avions via l’Union européenne et en mettant à disposition la base aérienne de la sécurité civile de Nîmes. Ces efforts doivent être poursuivis sur le plan opérationnel et matériel.

En ce qui concerne la formation, je soumets à votre sagacité un Erasmus de la sécurité civile. Il s’agit du partage de connaissances au travers de la spécialisation et des spécialités de chaque territoire. Ce dispositif pourrait prendre toute sa place en permettant à nos cadres d’échanger. Vous avez également évoqué l’élargissement du dispositif à l’Union pour la Méditerranée, qui est selon moi une évidence. Il faudrait même penser ce dispositif à l’échelle mondiale.

C’est la première fois que des sapeurs-pompiers français partent au Canada afin d’éteindre des feux pendant plus d’un mois et demi. En ce moment, nous avons des experts en Australie. J’avais fait une mission en Australie en janvier 2020, à l’occasion de grands feux. Nous sommes partis au Chili en début d’année. Nous nous rendons dans l’ensemble du spectre du globe terrestre. Il n’y a pas une semaine qui se passe sans que se produise un événement dramatique à un endroit sur notre Terre.

Le dérèglement climatique constitue un sujet mondial, et la réponse en termes de protection civile l’est tout autant. L’Union européenne a su, par différents mécanismes, se mettre en position de répondre à ces enjeux-là. L’ONU doit, quant à elle, fournir un modèle de réponse plus efficace et plus opérationnel, afin de permettre des formations communes et d’apporter des réponses harmonisées aux sollicitations des différents pays.

Tous les pays ne pourront pas répondre aux conséquences du dérèglement climatique ; or si ces conséquences ne sont pas prises en charge par une réponse adaptée, elles engendreront des mouvements de population, comme nous en connaissons malheureusement pour d’autres raisons. Le sujet de la protection civile est donc un sujet de l’Union européenne, de l’Union pour la Méditerranée et, plus largement, un sujet mondial.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour ces échanges et vos réponses. N’hésitez pas à nous apporter une contribution écrite. Nous serons peut-être amenés à échanger à nouveau lorsque nous ferons le point sur toutes les auditions que nous aurons menées afin de rédiger notre rapport.

M. Grégory Allione. Je reste bien évidemment à votre disposition.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Cette mission d’information a débuté il y a un peu plus de deux mois. Nous avons pu toucher du doigt beaucoup de choses, mais certains sujets mériteraient d’être approfondis. Le monde des sapeurs-pompiers constitue une pierre angulaire de notre système. Vous avez également parlé de la formation des élus et des partenaires, ainsi que de l’acculturation de la population et de la citoyenneté. En fait, c’est un peu la raison d’être de cette mission d’information. Nul doute que nous aurons l’occasion d’en reparler. Je vous remercie.

 


Table ronde sur le contexte, la gestion et les conséquences de la tempête survenue en octobre 2020 dans les Alpes-Maritimes

Compte rendu de la table ronde sur le contexte, la gestion et les conséquences de la tempête survenue en octobre 2020 dans les Alpes-Maritimes
(jeudi 9 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons notre cycle d’auditions avec une série de tables rondes consacrées à des catastrophes naturelles ou industrielles récentes ayant particulièrement éprouvé notre système de sécurité civile. Nous voulons partir de l’expérience du terrain pour évaluer notre système de sécurité civile. Trois ans après la tempête Alex, qui a frappé avec une violence inouïe les vallées des Alpes-Maritimes, nous avons souhaité avoir ce temps d’échange pour réfléchir à cette épreuve qui a marqué ce département.

Nous sommes heureux d’accueillir monsieur Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, commune lourdement affectée, et conseiller départemental chargé de la reconstruction. Nous accueillons également monsieur Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende ; monsieur Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées ; madame Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles ; monsieur le contrôleur général René Dies, directeur du SDIS des Alpes-Maritimes ; et monsieur le colonel Sébastien Thomas, commandant du groupement de gendarmerie départementale. Je vous remercie de votre présence.

Je vous informe que cet échange est diffusé en direct sur le site de l’Assemblée nationale et qu’il sera consigné dans un compte rendu annexé à notre rapport, que nous espérons pouvoir rendre au printemps prochain. Notre mission est composée de 25 députés issus de tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale et a été initiée par le groupe Horizons. Mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur. Elle a pour but de mieux comprendre ce qui fait la force, mais aussi les faiblesses de notre modèle de sécurité civile. L’objectif de cet échange est d’aborder à la fois le contexte, la gestion et les conséquences de la tempête Alex, mais aussi plus largement de discuter de la protection et de la sécurité civiles de notre pays et de ses possibles évolutions.

N’hésitez pas à nous faire part de vos critiques. Il s’agit d’identifier ce qui va bien, mais aussi ce qui pose plus de difficultés et a moins bien fonctionné. C’est ainsi que vous nous aiderez à comprendre comment nous pouvons encore améliorer notre système, afin de faire face aux crises de demain dans les meilleures conditions possibles. J’ajoute qu’une délégation de notre mission d’information aura le plaisir de se rendre dans votre département au début de l’année prochaine. Cela nous permettra de prolonger ces échanges sur le terrain.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Il s’agit effectivement d’une mission d’information dont j’ai demandé, avec mon groupe politique, la création. J’ai eu la chance d’œuvrer au sein des sapeurs-pompiers pendant plus de 30 ans en tant que volontaire, puis professionnel. J’ai également été élu local en tant qu’adjoint au maire de ma ville. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai eu à gérer des crises de part et d’autre de la barrière.

Sur un sujet tel que la sécurité civile au sens large, c’est-à-dire la protection et le soutien aux populations, nous faisons face à des crises de plus en plus importantes, qu’elles soient d’ordre naturel, technologique, sanitaire ou autre. Ces sujets sont de plus en plus prégnants et sont régulièrement d’actualité. Nous le voyons encore aujourd’hui avec les inondations dans le nord de la France Pourriez-vous tout d’abord nous expliquer quels sont les risques principaux dans votre département et de quelle manière ils ont évolué ces dernières années ?

Mme Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles. Je représente la préfecture des Alpes-Maritimes et un service spécialisé en matière de prévention et de gestion de crise. Ce département est confronté à tous les risques majeurs. En ce qui concerne les risques naturels, il s’agit en fait de tous les risques possibles, à l’exception des cyclones et des volcans.

Cela inclut également des risques récurrents, tels que les inondations ou les feux de forêt, et des risques avec une occurrence plus faible, mais qui existent malgré tout : les séismes, les tsunamis et les avalanches. Notre beau département, qui est un territoire de contraste, comporte donc des risques de montagne et de littoral.

En ce qui concerne les risques technologiques, sans être le département le plus industrialisé, nous accueillons tout de même quelques sites Seveso. Cela implique donc un risque industriel, principalement lié à des industries situées dans le pays grassois. Il existe d’autres risques technologiques liés au transport de matières dangereuses ou radioactives, ainsi qu’un grand barrage situé dans le Var, pour lequel les conséquences d’un éventuel incident toucheraient notre département, principalement du côté de Cannes et de Mandelieu-la-Napoule.

Bien sûr, nous rencontrons aussi des risques sanitaires auxquels nous sommes tous confrontés, ainsi que des risques sécuritaires importants : nous avons été marqués à deux reprises par des attentats et des phénomènes de violence urbaine, en particulier cet été. Nous devons aussi régulièrement gérer des manifestations. Le panorama des risques est donc très vaste dans les Alpes-Maritimes.

Ces dernières années, nous avons connu des périodes d’inondations intenses et rapides. Nous avons également eu à gérer des problématiques liées à un afflux de déplacés ukrainiens. Nous avons donc été bien occupés en matière de gestion de crises.

M. René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes. Il existe également un risque qu’on pourrait qualifier de touristique, puisque la population du département double à cette période de l’année. Sur le risque courant au niveau des sapeurs-pompiers, l’activité est donc elle aussi multipliée par deux pendant l’été.

M. Didier Lemaire, rapporteur. De quelles capacités disposez-vous en termes de moyens humains et matériels pour répondre à ces différentes crises ? Je pense également au tissu associatif en matière d’associations agréées de sécurité civile.

M. René Dies. Concernant le SDIS, notre département est assez richement doté en termes de sapeurs-pompiers. Pour lutter contre les feux de forêt, nous disposons de trois hélicoptères bombardiers d’eau. Notre dispositif opérationnel de feux de forêt est composé de 200 personnes dédiées uniquement aux incendies de forêt. Nous avons une réponse opérationnelle qui existe pour tous les autres risques. Et ce, au niveau du corps départemental et pour toutes les spécialités qui ont été évoquées.

Ce modèle de sécurité civile fait que les départements sont solidaires les uns avec les autres. Il existe donc une aide qui vient de l’extérieur. Nous avons pu en bénéficier de dans le cadre de la tempête Alex et en l’occurrence, l’aide extérieure est arrivée très rapidement. Les autres SDIS et les IUT de sécurité civile nous ont donné un grand coup de main. Même si ce n’est pas toujours suffisant, nous avons donc à notre disposition des moyens conséquents qui peuvent être mobilisés pour répondre à nos besoins en cas de crise.

Mme Anne-Cécile Novella. En ce qui concerne les moyens associatifs que nous pouvons mobiliser, j’évoquerai en particulier les associations agréées de sécurité civile. 21 associations agréées sont recensées dans les Alpes-Maritimes. 9 d’entre elles disposent d’un agrément national, et les plus connues sont la Croix-Rouge et la protection civile. 12 de ces associations sont agréées au niveau départemental.

Depuis plusieurs années, nous travaillons de manière étroite avec elles afin de créer une complémentarité d’actions. Il s’agit de les sensibiliser et de les impliquer de manière régulière dans la gestion de crise. Pour ce type de crise comme pour la tempête Alex, nous avons un potentiel très important de bénévoles qui se mobilisent spontanément. On note au sein de la population un très grand élan de solidarité spontanée à chaque crise, que ce soit sur le terrain ou par des dons. Il est donc important de prendre en compte ce potentiel.

M. René Dies. Permettez-moi d’ajouter que le département des Alpes-Maritimes a une particularité très importante. Il s’agit de Force 06.

M. Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex. Le service Force 06 fait partie du conseil départemental. Il s’agit d’un service de sapeurs forestiers qui est utilisé pour intervenir sur les différentes catastrophes ou en prévention face aux risques naturels. Il est composé de 184 agents, répartis sur 13 bases dans les Alpes-Maritimes.

Il s’appuie sur un service de caméras pour repérer les départs de feu et sur des systèmes de tour de guet en période estivale. D’ailleurs, ce service est très souvent appelé pour des catastrophes se produisant en dehors du département. Il est notamment intervenu dans le Finistère, l’Aude et le Var, lors de la tempête Xynthia. Il constitue un très bel appui des forces du SDIS en cas de catastrophes naturelles, quelles qu’elles soient.

M. Sébastien Thomas, colonel et commandant du groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes. Le groupement de gendarmerie des Alpes-Maritimes est composé de 850 gendarmes d’active et d’une réserve opérationnelle de 600 personnes qui peut être mobilisée. Dans le cadre notre activité de gestion de crise, nous constatons rapidement que l’ampleur des dégâts et l’intensité d’une crise telle que la tempête Alex aboutit vite à dépasser les capacités du seul groupement de gendarmerie.

L’organisation de la gendarmerie pour gérer les crises consiste à alimenter un échelon de commandement local avec un ensemble de moyens et de capacités lui permettant de continuer à exercer ses missions principales en tout temps et en tout lieu. Il s’agit de missions d’alerte, de renseignement, de maintien de l’ordre, de sécurité publique, d’enquête judiciaire, de secours et d’assistance aux personnes. Dans le cadre de cette tempête Alex, le groupement de gendarmerie a ainsi reçu le renfort de moyens zonaux avec des hélicoptères légers qui étaient le seul type d’aéronefs à pouvoir se poser dans les vallées en raison de l’instabilité des sols.

Nous avons pu bénéficier de renforts immédiats de gendarmes mobiles afin de relever les unités qui avaient subi le premier choc de la tempête du 2 octobre. Au-delà, des moyens nationaux ont été mobilisés : pour l’enquête judiciaire, l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) s’est déplacé puisqu’un travail important de recherche des victimes a été engagé. En l’occurrence, 353 sépultures avaient été emportées ; il fallait ainsi procéder en urgence à l’identification des restes de sépultures et des personnes disparues.

Nous avons également mobilisé l’ensemble des pelotons de gendarmerie des hautes montagnes (PGHM) pour entamer des reconnaissances. Le regroupement n’est donc jamais seul. Des moyens zonaux et nationaux sont rapidement mobilisés. Tous ces effectifs ont été mis à la disposition d’un échelon de commandement unique, à savoir l’échelon territorial. La gendarmerie le décrit et le qualifie comme étant un système intégré.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nos travaux ont débuté voici un peu plus de deux mois et nous sommes conscients de la diversité des situations selon la géographie et les moyens disponibles. Ma question s’adresse particulièrement aux maires, à la lumière de l’expérience de la tempête Alex : d’après vous, les élus, notamment les maires, sont-ils préparés à ce type d’événement ? Sont-ils assez formés ? Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer pour faire face à cette tempête ? Vos retours d’expérience pourront contribuer à nous faire avancer vers l’élaboration de propositions visant à améliorer notre système de protection et de sécurité civiles.

M. Sébastien Olharan. Les élus, et en particulier les maires, ont effectivement de multiples outils qui leur permettent de se préparer à une situation de gestion de crise. Ceci étant, je pense qu’on ne peut jamais véritablement être préparé à une catastrophe du type de celle que nous avons vécue. Parmi les outils dont les mairies doivent se doter, figurent notamment les plans communaux de sauvegarde et les documents d’information contre les risques majeurs, qui nous obligent d’une certaine manière à nous projeter dans le scénario d’une catastrophe naturelle ou industrielle. Il s’agit de prendre en compte nos forces et nos faiblesses afin d’y faire face.

Des formations et des exercices nous sont régulièrement proposés. À titre personnel, je n’étais élu que depuis quatre mois lorsque la tempête Alex est survenue. Deux semaines avant cette tempête, un exercice d’inondation avait été organisé à l’échelle du territoire de la communauté d’agglomération de la Riviera française (CARF), et plus spécifiquement de la vallée de la Roya. Il s’agissait de la simulation d’une crue, qui était finalement assez proche de celle que nous avons connue lors de la tempête Alex.

Cet exercice a été organisé avec le Smiage, notre syndicat mixte qui s’occupe de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, en lien avec la préfecture, la CARF et toutes les entités du territoire. Finalement, lorsque la vigilance rouge est intervenue pour la tempête Alex, nous avons reproduit ce que nous avions fait deux semaines avant. Depuis lors, cet exercice a été décliné sur d’autres bassins versants du département. Même si les choses ne se sont pas passées exactement de la même façon, il a été néanmoins très salutaire pour nous.

M. Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende. Je suis un élu plus ancien puisque je suis conseiller municipal depuis 1977 et maire depuis 2001. Nous avions été relativement épargnés auparavant, lorsque la tempête Alex nous est venue nous « secouer ». Nous avions également effectué un exercice quelques semaines avant la tempête, en lien avec la préfecture. Dans ma commune, nous nous sommes retrouvés complètement isolés du monde pendant quarante-huit heures. Cela démontre que nous n’étions pas préparés assez sérieusement. Sans voie de communication terrestre ni de distribution d’eau, nous avons heureusement pu compter sur nos réserves en eau. Nous n’avions plus de routes, plus de trains, plus de moyens de communication, plus rien ! Heureusement que nous avions des réserves d’eau ! En sachant que la distribution normale de l’eau était totalement interrompue. Nous avons dû distribuer un demi-litre d’eau par personne pour boire et pour l’hygiène personnelle. 300 personnes vivaient dans un hôpital où il n’y avait plus d’eau, ni aucun moyen d’hygiène. En 2020, nous nous sommes donc retrouvés au Moyen Âge !

Heureusement, le Président de la République s’est rendu sur place, puis nous avons pu travailler avec M. le préfet Pelletier, qui nous a accompagnés d’une façon remarquable. Toutes les structures départementales et régionales se sont alors mises à l’œuvre pour répondre aux besoins. Nous avons su tirer les leçons de la tempête Alex. Le département est intervenu d’une manière remarquable, et l’État a agi pour la remise en état de nos routes. À ce jour, 57 kilomètres de routes ont été rétablis. C’est une véritable prouesse ! Nous avons fait preuve de résilience.

D’ailleurs, tout a très bien fonctionné lors de la tempête Aline. Nous avons travaillé avec la préfecture en permanence. Nous avons pu mettre en œuvre ce plan communal de sauvegarde dès le matin et ainsi contacter l’ensemble de la population. Tout le monde a été mis à l’abri et des salles ont été ouvertes. La gestion de crise s’est déroulée d’une manière remarquable. Bien évidemment, il y a encore des axes d’amélioration, mais cela a constitué un exercice en temps réel. Nous avons sensibilisé la population et elle a joué le jeu. Toutes les consignes que nous avons édictées ont été suivies à la lettre. Ceci étant, nous avons la chance que notre département dispose de moyens adéquats pour affronter ce genre de crise. Tout a été géré de façon humaine : c’est ainsi que l’on parvient à avancer.

Ma commune a été fortement impactée et poursuit sa reconstruction – le cimetière n’a pas encore pu être reconstruit à ce jour. Nous avons été très bien encadrés et accompagnés par les services de l’État, le département et la CARF. Dans le département des Alpes-Maritimes, et plus particulièrement dans la vallée de la Roya, la solidarité joue à tous les niveaux.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous évoquiez le rôle important de la commune, de l’intercommunalité, du département, de l’État, du SDIS, des associations agréées et de la gendarmerie. Est-ce que cette coordination a été d’emblée prise en main par la préfecture ? Comment s’est-elle déclinée des premières heures jusqu’au « retour à la normale » ?

M. Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées. Je crois que la clé de voûte est l’anticipation. Il s’agit d’être en mesure d’identifier les risques, puis de réagir de façon ordonnée. C’est la raison pour laquelle les plans communaux de sauvegarde sont absolument essentiels. Il faut tout d’abord les rédiger et les appréhender, mais il faut surtout les éprouver.

Il est bien évidemment préférable de ne pas expérimenter les réponses des plans communaux dans la fureur. La tempête Alex a représenté 500 à 600 millimètres d’eau en moins de dix heures sur des villages tels que Tende ou Saint-Martin-Vésubie, représentant 500 à 600 litres d’eau par mètre carré. Il faut ajouter la déclivité et l’encaissement de ces vallées de montagne. Au-delà du phénomène d’inondation, il y a eu les crues torrentielles, qui ont entraîné des flux hydrauliques extrêmement violents et accompagnés de matériaux, ce qui a bien sûr eu des conséquences pour les équipements et les infrastructures.

Lorsqu’on vit ce type d’événement, tout va très vite. En quelques heures, il n’y a plus d’eau, plus d’électricité ni de liaisons téléphoniques, qu’elles soient mobiles ou fixes. Il faut évacuer et mettre en sécurité la population. Ce qui compte, c’est la capacité à s’organiser rapidement, à bien réagir et à identifier les foyers qu’il faut prendre en considération. Le maire de Tende a dû faire évacuer un Ehpad en pleine nuit et sans lumière. Cela implique bon nombre de choses qui sont extrêmement difficiles à gérer si elles n’ont pas été anticipées ni éprouvées.

La coordination est bien évidemment essentielle, voire vitale. Pour ma part, j’ai géré la crise à partir du 16 octobre et jusqu’à la mi-avril. Certains hameaux des vallées sont restés isolés pendant des semaines, impliquant un ravitaillement par hélicoptères. Chacun a dû jouer sa partition.

Le préfet de département avait bien anticipé la crise, notamment à travers les alertes. Il avait décidé de fermer les écoles et d’évacuer les campings vingt-quatre heures avant. Il ne faut pas oublier que la tempête Alex s’est déclenchée un vendredi après-midi. Son intensité a commencé à être très forte le vendredi soir – au moment où les gens sont sur la route et les parents récupèrent leurs enfants à l’école – et pendant la nuit. Le préfet a joué son rôle d’animation du centre opérationnel départemental (COD) avec l’ensemble des forces.

La coordination a également été essentielle lors des jours, des semaines et des mois qui ont suivi. Il y a eu une très bonne coordination entre l’ensemble des acteurs : l’État, le conseil départemental, la métropole Nice Côte d’Azur et la CARF. Nous avons tous travaillé en parfaite entente et en parfaite coordination. C’est la raison pour laquelle nous avons pu rapidement, au regard du contexte et de l’ampleur des dégâts, rétablir les circulations ainsi que l’alimentation en électricité et en eau.

Mme Anne-Cécile Novella. En ce qui concerne les plans communaux de sauvegarde, nous apportons notre modeste contribution au travers de missions d’appui opérationnel que l’on mène depuis 2017 auprès de l’ensemble des maires. Nous proposons une mission d’assistance pluridisciplinaire qui est coordonnée par nos services. On y intègre des représentants des sous-préfectures concernées, du SDIS, des forces de sécurité intérieure et, depuis peu, des intercommunalités.

L’objectif est de répondre aux besoins particuliers des maires avec un accompagnement très opérationnel pour ce document, qui est fait par la mairie. Lorsqu’il est prêt à être approuvé, nous pouvons en faire une relecture avec des propositions d’amélioration. Il peut y avoir des remarques très concrètes, notamment sur l’annuaire ou le recensement de certains moyens, ou des remarques plus générales. Nous essayons, à chaque fois, d’apporter notre contribution inter-services. D’où l’importance de l’accompagnement à ces démarches.

La tempête Alex est intervenue dans un contexte local un peu particulier. Si le haut pays avait pu être épargné jusqu’à présent, ce n’était pas le cas du bassin littoral et de l’ouest du département qui a connu des épisodes de pluie intenses notamment en 2015, année où il y avait eu une vingtaine de victimes décédées, ainsi qu’en 2019, où nous avions été confrontés pour la première fois à deux vigilances rouges. Ce rappel vous explique le contexte et la culture opérationnelle que nous menons maintenant depuis plusieurs années.

À l’annonce de la tempête Alex, nous avions d’ores et déjà des liens très étroits avec les prévisionnistes de Météo-France. Je pense qu’il faut saluer la pertinence des modèles de prévision qui ont été réalisés dans ce cadre-là. Dès le mercredi, nous avions les premiers signaux d’un épisode intense annoncé. Pour autant, nous ne pouvions pas prévoir la localisation exacte. D’ailleurs, l’annonce concernait plutôt la bande littorale à ce moment-là. Cela a permis aux services d’organiser une montée en charge de l’état des prévisions, ainsi que les premières mesures par anticipation.

C’est la raison pour laquelle nous avons pu diffuser la vigilance orange à l’ensemble de nos partenaires : les maires et les services opérationnels. Les premières mesures ont été prises dès le jeudi après-midi, notamment avec la fermeture des écoles et des crèches du département. Nous avions prévu d’activer le centre opérationnel départemental, c’est-à-dire la cellule de crise préfectorale, le lendemain à 7 heures, en sachant que la vigilance orange débutait à 8 heures et la vigilance rouge à 12 heures. Nous étions donc tous présents en préfecture dès le matin, quelques heures avant le début de l’épisode puisque le pic était annoncé pour la journée du vendredi.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je souhaiterais revenir sur le mode opératoire de l’alerte lors de l’avant-crise, ainsi que l’information de la population pendant la crise et l’après-crise. Comment avez-vous appréhendé ce sujet ?

M. Jean-Pierre Vassallo. Pendant la crise, nous avons été complètement surpris. À partir de 19 heures le vendredi soir, nous avons été coupés du monde car toutes les communications étaient interrompues. Cinq hameaux étaient totalement isolés. Nous avons été oubliés pendant quarante-huit heures. Nous nous sommes retrouvés sous une pluie battante et sans électricité. À 23 heures, nous avons dû évacuer un Ehpad avec des personnes en fauteuil roulant sur trois étages. Toutes ces personnes ont été par la suite regroupées au CHU de Nice. Le premier hélicoptère est arrivé quarante-huit heures plus tard, afin d’amener un médecin du CHU de Nice.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Un retour d’expérience a-t-il été effectué pour analyser les difficultés rencontrées pendant les quarante-huit premières heures, qui ont effectivement dû vous paraître très longues ?

M. René Dies. Cet événement a entraîné une intervention hors normes parce que nous avons vécu un black-out pendant dix heures. Dans une société comme la nôtre, où la communication et l’information sont essentielles, nous avons tous été déstabilisés. Plus rien ne fonctionnait et la situation a été terrible. Nous avons d’ailleurs perdu deux hommes.

Ensuite, tout le monde s’est remis en ordre de marche. C’est en cela qu’une crise se différencie d’une urgence : lors d’une urgence, on sait ce qui va se passer et on s’organise en conséquence, alors que, lors d’une crise, il faut construire de nouvelles réponses. S’il y a vraiment une chose à retenir en termes de retour d’expérience, c’est l’anticipation et le confinement des populations. Le préfet des Alpes-Maritimes a pris des mesures essentielles, en s’appuyant sur des prévisions météorologiques qu’il savait fiables. La mobilisation de moyens et de forces humaines a été décisive Ainsi, lorsqu’une vigilance rouge est annoncée, il ne faut pas hésiter à confiner la population. Des moyens importants ont été déployés sur le terrain et cette stratégie s’est avérée payante.

Nous avons vécu trois phases. Il y a eu une phase d’anticipation, lors de laquelle nous nous demandions ce qui allait se passer. Elle a été suivie d’une phase de réflexe et d’application des mesures décidées précédemment, comme la fermeture des établissements et la réalisation de sauvetages. Grâce à nos mesures préventives, les besoins de sauvetage ont été limités. Le message et l’expérience que nous en retirons, c’est la nécessité d’anticiper et de prendre des mesures préventives de protection de la population. Malgré tout, il y a eu 18 morts, dont 8 disparus.

En l’occurrence, les sauvetages ont été limités parce que nous avions anticipé les conséquences de la crise. Si j’avais un message à faire passer, ce serait que dans de telles situations, il ne faut anticiper et pas hésiter à tout arrêter pour éviter ensuite les morts et les disparus, et même les sauvetages. Il faut être humble face à des événements comme ceux-là. On ne sait pas lutter contre une tempête, mais nous pouvons en anticiper les conséquences. Il faut donc confiner les gens. Si on a pu confiner les gens pendant trois mois lors de la crise du Covid, nous pouvons bien le faire pendant vingt-quatre heures…

M. Sébastien Olharan. Finalement, nous sommes bien préparés à gérer la crise en tant que telle et l’alerte en amont. D’ailleurs, la tempête Aline a été gérée sans qu’il y ait de conséquences sur les personnes. Cela s’explique en partie par le fait que nous sommes désormais bien rodés sur ces dispositifs d’alerte. En revanche, les maires ne sont pas du tout préparés au lendemain ; surtout quand les services fonctionnent en mode dégradé et sans moyens de communication.

Nous savons gérer les crises en théorie, mais lorsqu’il n’y a plus d’électricité, lorsque tout prend l’eau ou est inondé, nous ne sommes pas forcément préparés aux différents imprévus. Il s’agit également de gérer tous les moyens qui sont envoyés de l’extérieur. En tant que directeur des opérations de secours, le maire est habitué à coordonner les moyens locaux. En revanche, une fois que la catastrophe a frappé, des moyens très importants sont bien évidemment mobilisés, et le maire n’est pas du tout en mesure de coordonner des moyens aussi conséquents lorsqu’ils sont mobilisés sur place.

M. Jean-Pierre Vassallo. Pendant trois semaines, nous avons pu transférer le personnel hospitalier vers une commune voisine, qui compte également une maison de retraite. Avec mon adjoint, nous avons prêté nos quads à la gendarmerie, qui s’est occupée du transfert du personnel hospitalier entre Tende et La Brigue. C’est une anecdote, mais cela a permis au personnel hospitalier d’assurer le bon fonctionnement des établissements. Le vieil élu que je suis n’oubliera jamais l’accompagnement du préfet Pelletier, qui nous a permis de travailler dans des conditions remarquables.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous ressentons à travers vos propos les difficultés qui ont dû être les vôtres. Je pense que personne n’aurait voulu être à votre place. Je tiens à vous féliciter pour la gestion de crise que vous avez mise en œuvre les uns et les autres. Je suis ravi que nous soyons amenés à nous déplacer dans votre département, parce qu’il va nous falloir un peu plus de temps pour creuser certains sujets.

Vous parliez de black-out, et je crois que nous touchons là au cœur des problématiques étudiées par notre mission d’information. J’ai entendu ce que vous avez dit sur le rôle de chacun, et notamment des élus. Heureusement que vous étiez préparés, formés et intéressés sur ces sujets ! D’ailleurs, les premiers gestes partent souvent de l’échelon communal. Ensuite, il y a bien évidemment les services de l’État, les SDIS, la gendarmerie, le département et la métropole.

Je crois que nous n’avons pas évoqué le sujet de l’acculturation des citoyens à la sécurité civile. Monsieur le contrôleur général a évoqué tout à l’heure le confinement des populations. Pensez-vous que la population est le premier acteur en matière de sécurité civile et quel rôle joue cette acculturation ? Qu’en est-il des touristes, que vous évoquiez tout à l’heure ?

Mme Anne-Cécile Novella. Le sujet de la culture du risque s’est imposé après les intempéries d’octobre 2015. J’évoque beaucoup cet épisode, parce qu’il constitue un point de rupture important dans les Alpes-Maritimes. Il y a eu à cette occasion-là une prise de conscience collective, que ce soit de la part des autorités ou de la population, avec des enseignements collectifs importants.

Les intempéries de 2015 ont causé la mort de 20 victimes. La majorité de ces décès sont liés à de mauvais comportements. 8 personnes sont décédées dans le parking d’une résidence en essayant de récupérer leur véhicule. D’autres ont volontairement déplacé des panneaux de signalisation routière et ont malgré tout emprunté des routes inondées. Bien évidemment, ces différents épisodes ont donné lieu à des retours d’expérience, ce qui est important pour l’acquisition d’une culture du risque.

Ensuite, avec le préfet et son directeur de cabinet de l’époque, nous avons souhaité mener des actions de sensibilisation fortes, au-delà des cérémonies de recueillement et d’hommage aux victimes, lors de la date anniversaire de ces intempéries, le 3 octobre. Nous avons instauré une initiative qui était initialement locale : la journée départementale des risques majeurs. Elle est organisée chaque 3 octobre depuis l’année 2016.

Au début, nous mettions en avant des exercices effectués avec l’Éducation nationale, dans le cadre des plans particuliers de mise en sûreté. Des démonstrations étaient conduites par les services opérationnels. Depuis plusieurs années, grâce au concours des collectivités locales et au fonds Barnier, nous organisons des « villages inondations » destinés au public scolaire. Cette année, nous avons sensibilisé près de 400 élèves de CM1 et CM2 dans différentes communes, dont Nice. Ces exercices concernent également les thématiques des feux de forêt et des séismes. Il s’agit d’actions menées chaque année pour sensibiliser les plus jeunes, en complément de la journée de résilience pérennisée par le Gouvernement.

Nous avons été précurseurs, mais c’est maintenant intégré à cette démarche. Sans oublier toutes les actions d’information que l’on peut mener auprès du public. Les campagnes d’information sont bien adaptées aux risques de pluies intenses dans le département. Elles sont diffusées par radio, sur les réseaux sociaux et dans la presse écrite. Nous avons à cœur de développer ces actions.

En revanche, pour être un peu critique vis-à-vis de cette démarche, nous avons un peu plus de difficultés à toucher les plus grands. Nous avons essayé de faire des actions de sensibilisation, notamment à l’égard de salariés ou du grand public. Il en ressort qu’il est un peu compliqué de toucher cette partie-là de la population. C’est donc un point sur lequel nous devons travailler, pour répliquer ce qui fonctionne très bien auprès du public scolaire, qui est le meilleur ambassadeur pour parler des risques.

M. Xavier Pelletier. Les citoyens sont effectivement les premiers acteurs de la sécurité civile. Si nous ne les amenons pas à apprivoiser l’ensemble des risques qui se trouvent dans leur environnement, nous aurons beaucoup de difficultés à gérer ces épisodes, qui vont désormais être récurrents : les inondations, les crues torrentielles, voire les laves torrentielles, et les évènements dits ricochets tels que les glissements de terrain.

Plusieurs journalistes m’interrogeaient récemment sur la résilience ; c’est un sujet extrêmement important, notamment lors de la reconstruction. Par exemple, il ne faut pas mettre des parkings en zone inondable, puisqu’on sait très bien que les gens ont de mauvais réflexes : ils se mettent en danger pour sauver leurs véhicules, qui constituent ensuite des embâcles potentiels. Il est absolument essentiel de prendre en compte tous ces éléments, mais la résilience ne sera jamais absolue. Il existera toujours des parts de vulnérabilité que nous ne pourrons pas traiter.

Lors des premiers mois de la reconstruction, les gens ont considéré qu’on allait endiguer partout et qu’il n’y aurait à l’avenir plus aucune exposition aux risques. Or, c’est impossible. Tout d’abord, il y a une question de coût. Il s’agit également de notre capacité à mettre en œuvre des dispositifs qui ont, par ailleurs, un impact important sur la nature et les paysages, notamment. Il est donc essentiel de travailler sur la pédagogie.

Une campagne de la sécurité civile a été menée il y a quelques années. Il s’agissait de « Arlette, la tortue d’alerte ». Le premier réflexe était effectivement le confinement. En alerte rouge intempéries, on ne s’expose pas. Dans ce cas, il est important d’écouter la radio pour se tenir informé. D’ailleurs, à l’occasion des différents événements dramatiques que nous avons vécus dans les Alpes-Maritimes, les médias ont vraiment joué le jeu.

Je pense également aux plans communaux de sauvegarde et aux réserves citoyennes. C’est une stratégie qui consiste à mobiliser la population en lui expliquant comment réagir face aux différents types d’événement. Il s’agit notamment de renforcer les effectifs de la commune pour gérer les événements et veiller sur les plus faibles et les plus exposés. Cela implique certainement beaucoup plus d’efforts à faire, et je pense en particulier que la journée de la résilience est une bonne initiative. Pour autant, il faut intégrer l’ensemble de ces problématiques dans une appréhension plus globale des citoyens et des autorités publiques.

M. Sébastien Thomas. Malheureusement, la toute dernière tempête nous a démontré qu’en dépit d’informations parfois massives par les médias, il y a toujours des gens qui prennent des risques absolument démesurés. Nous avons dû dernièrement faire partir des gens qui venaient sur la côte pour voir les vagues s’écraser. Ce type d’intervention s’est reproduit lors de la tempête Aline. Il faudra donc toujours composer avec l’indiscipline de certains de nos concitoyens. Lors des phases d’alerte et pendant les crises, des gendarmes et d’autres acteurs doivent être déployés pour faire respecter les interdictions.

Au-delà de la résilience des citoyens, il y a la résilience individuelle des agents de l’État et des collectivités locales, à qui l’on demande de s’engager et d’intervenir en pleine tempête et, ainsi, de s’exposer à des risques importants. Lors de la tempête Alex, des gendarmes, des pompiers et des agents des voiries étaient sur le terrain alors que tout s’écroulait autour d’eux. Dans de tels cas, ces personnes sont alors en situation d’isolement, ce qui constitue pourtant le premier risque – sachant que lorsque la pluie tombe fort, les montagnes peuvent s’écrouler et couper les axes.

La gendarmerie insiste beaucoup sur la robustesse, la résilience, l’engagement, la solidarité et l’état d’esprit militaire lors des formations. C’est absolument essentiel puisque, contrairement à d’autres, nous devons être présents sur le terrain pendant les tempêtes, que ce soit pour protéger nos concitoyens ou pour leur porter secours. Cela nécessite une culture et une formation très spécifiques, qui s’acquièrent également par l’expérience des crises successives.

C’est la raison pour laquelle la formation de tous ceux qui interviennent sur le terrain est absolument essentielle. Au-delà des gendarmes et des pompiers, qui font finalement ce que l’on attend d’eux, cela concerne également tous les agents, notamment des collectivités locales, qui sont amenés à intervenir à nos côtés.

Il y a toujours une question théorique que l’on peut se poser. Les gendarmes vivent en caserne avec leurs familles, qui sont donc également exposées aux risques. Comment les gendarmes réagissent-ils si leurs biens disparaissent, si leur maison est emportée, si leur famille est menacée. ? Seront-ils toujours capables d’agir ? La tempête Alex, tout comme la tempête Irma survenue dans les Antilles, nous démontre que tel est le cas. Je pense que c’est révélateur d’un système d’information et de ressources humaines qui montre sa validité et qui tient le choc face aux crises majeures et soudaines. D’où l’importance de la formation initiale de tous les agents qui interviennent dans de telles crises.

M. Xavier Pelletier. Dans le cadre du sauvetage, lorsque des habitants refusent d’évacuer leur maison qui est exposée aux risques, il serait nécessaire que le législateur s’interroge sur la notion d’obligation de porter secours et d’évacuer des personnes qui ne prennent pas toujours en considération l’intensité de l’événement et le danger qu’il représente.

M. Sébastien Thomas. Cette question s’est posée lors de la tempête Aline. La gendarmerie a participé à l’évacuation d’environ 450 personnes, et elle a dû se montrer insistante. D’ailleurs, nous n’avons pas laissé le choix à certaines personnes résidant dans des zones que nous savions fragilisées depuis la tempête Alex. Par conséquent, nous avons dû mettre des personnes à l’abri contre leur gré. Cela s’est finalement bien passé, mais le recours à la force publique s’est avéré nécessaire afin qu’elles prennent conscience de leur exposition à des risques inutiles.

M. Jean-Pierre Vassallo. Nous avions constaté ce phénomène lors de la tempête Alex et cela s’est reproduit ensuite lors de la tempête Aline. La police municipale, accompagnée de la gendarmerie, a demandé à des gens de quitter leurs maisons, alors que ces derniers le refusaient. Pour mémoire, la gendarmerie n’a pas la possibilité de les évacuer manu militari. Du coup, que peut-on faire en cas de refus ? À Breil-sur-Roya, un couple a refusé de partir : ils ont été tous deux emportés, et on les a retrouvés à Vintimille.

M. René Dies. L’acculturation est la première étape pour l’amélioration de la gestion des crises. Dans les Alpes-Maritimes, nous avons par exemple un regroupement de la citoyenneté permettant la formation du grand public sur des sujets qui ne sont pas forcément propres au SDIS. C’est notamment ce que fait le Japon.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je voudrais revenir sur le sujet des réserves communales de sécurité civile. Il me semble que vous vous en êtes doté, monsieur Olharan. Pourriez-vous nous parler du rôle de cette réserve, de ses missions et de son ancienneté ? Il ressort de nos différentes auditions que l’existence et le développement de ces réserves, favorisant la réactivité au plus près du terrain, varient beaucoup en fonction des territoires – sachant qu’il peut aussi exister un écart entre la théorie et la pratique.

M. Sébastien Olharan. Permettez-moi d’apporter une précision concernant le couple de Breil-sur-Roya qui a été emporté avec sa maison. Il semblerait que ce soit un voisin qui leur ait proposé d’évacuer, et non une autorité véritablement constituée. Ces personnes, âgées respectivement de 80 et 100 ans, avaient forcément des réticences à quitter leur maison. D’ailleurs, la question est de savoir qui est censé le faire et ce que l’on entend par une proposition d’évacuation.

En ce qui concerne la réserve communale de sécurité civile, sur le territoire de la CARF, une seule commune en disposait au moment de la tempête Alex : Castellar. D’ailleurs, cette réserve communale de sécurité civile est venue à Breil-sur-Roya pour nous proposer son aide. J’avais eu l’occasion de les rencontrer deux mois avant la tempête Alex, d’où ma volonté de doter Breil-sur-Roya d’un tel dispositif.

Le 2 octobre 2020, c’est-à-dire le jour de la tempête Alex, j’ai envoyé une convocation pour une réunion du conseil municipal, dont l’ordre du jour comprenait un point portant sur la création d’une réserve communale de sécurité civile. Par conséquent, cette réserve n’était pas encore en place au moment de la tempête Alex. Elle a bien évidemment été créée depuis lors, et une vingtaine de personnes de la commune se sont portées volontaires pour en faire partie. L’expérience de la tempête Alex peut effectivement susciter des vocations et constituer de bonnes raisons de s’engager dans une réserve communale de sécurité civile, dont l’utilité est évidente pour tout le monde.

Nous avons eu l’occasion d’expérimenter le fonctionnement de la réserve lors de la tempête Aline. Son objectif est de venir en appui des forces de sécurité. Elle doit veiller à ce que certaines personnes ne puissent pas accéder à certains secteurs. Nos moyens de gendarmerie et de police municipale ne sont ni extensibles, ni mobilisables partout ; il s’agit donc de les positionner à certains endroits stratégiques, afin d’éviter que des gens se mettent en danger.

Les réservistes relaient les alertes auprès de la population. Ils s’occupent également de toutes les missions d’appui et de soutien aux populations, et notamment la gestion du centre d’hébergement d’urgence. Une équipe de la Croix-Rouge était montée de Saint-Laurent-du-Var lors de la tempête Alex. Il est vraiment utile pour nous d’avoir des forces locales, des personnes mobilisées et des moyens. Nous nous sommes d’ailleurs équipés pour héberger des populations. Lors de la tempête Alex, nous avons accueilli 86 personnes au centre d’hébergement d’urgence, grâce aux moyens que la Croix-Rouge a pu déployer sur place.

Lors de la tempête Aline, afin de démultiplier nos moyens, nous avons constitué des binômes composés d’un policier municipal et d’un bénévole de la réserve communale de sécurité civile. Ce fonctionnement nous a permis de multiplier par deux notre présence sur le terrain et nos patrouilles. J’ai pu constater qu’il était assez simple de mobiliser une réserve communale de sécurité civile, car les réservistes comprennent facilement leur rôle et trouvent leur place en cas de vigilances orange ou rouges.

En revanche, un travail très important est nécessaire pour la faire vivre. Il est facile de la créer, mais encore faut-il faire régulièrement des exercices et des formations, entretenir le lien humain et l’esprit d’équipe. Ce travail est plus compliqué à mener lorsque les contextes météorologiques ne le justifient pas. Lors de l’année 2024, nous allons faire en sorte que cette réserve communale vive, même lorsqu’il ne se passe rien.

Mme Anne-Cécile Novella. D’après les connaissances dont la préfecture des Alpes-Maritimes dispose, 27 réserves communales de sécurité civile sont recensées sur 163 communes. Il y a également une réserve intercommunale pour le pays de Grasse.

M. René Dies. Les réserves communales participent à l’acculturation des populations.

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous avons eu l’exemple de l’expérimentation d’une réserve départementale en Gironde. En tant que conseiller départemental, avez-vous réfléchi à cette possibilité, monsieur Olharan ?

M. Sébastien Olharan. L’intérêt de ces réserves communales est de disposer de forces localisées qui permettent vraiment d’aboutir à un maillage fin du territoire et de permettre une forme de proximité, une capacité à les mobiliser et à travailler localement. Je ne pense pas forcément qu’il soit souhaitable de créer une nouvelle structure à l’échelle départementale, puisque cela pourrait induire un maillage très imparfait.

Nous pourrions en revanche imaginer des réserves communales de sécurité civile dans le plus grand nombre de communes possible, voire dans toutes, tout en ayant une forme d’entité départementale en appui. Ceci dit, c’est déjà ce que fait la préfecture en les accompagnant, en les formant et en mutualisant tous les moyens. Je pense qu’il serait plus pertinent d’inciter à la création de réserves communales de sécurité civile et de travailler à leur coordination, plutôt que de développer un gros dispositif qui serait géré à l’échelle départementale.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous dites que la meilleure réactivité se trouve au plus près du terrain, grâce à la connaissance de leur commune et leur territoire dont disposent les habitants. Nous pourrions réfléchir à la possibilité qu’une convention ou un partenariat laisse la possibilité aux autres réserves communales de sécurité civile d’intervenir sur le territoire d’une commune touchée par une crise.

M. René Dies. Je partage totalement les propos et l’analyse de monsieur le maire de Breil-sur-Roya. Nous avons perdu la proximité depuis trop longtemps, et ce dans bon nombre de domaines. Il en va pourtant de l’efficacité de notre réponse face aux crises.

M. Sébastien Olharan. Cela est vrai surtout dans un territoire comme le nôtre, où toutes les communes peuvent être coupées les unes des autres : en l’occurrence, sur cinq communes de la vallée de la Roya, deux d’entre elles ne pouvaient être rejointes par la route pendant la crise. Si nous avions eu une belle réserve de sécurité civile couvrant la vallée de la Roya dans son ensemble, avec des agents résidant dans trois des cinq communes, il aurait été difficile de les mobiliser dans les communes isolées. La proximité a un sens particulier dans notre territoire, puisque les liens physiques et les infrastructures qui relient nos communes peuvent être eux-mêmes fortement touchés.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Avez-vous pu tirer des conclusions ou identifier des axes d’amélioration, même si l’on ne sait jamais de quelle ampleur pourrait être le prochain phénomène, qu’il soit naturel ou d’une autre nature ? D’une manière générale, un retour d’expérience sur ces crises a-t-il été mené à l’échelle du département ou de manière plus localisée ?

Mme Anne-Cécile Novella. Nous avons organisé un retour d’expérience au niveau départemental et celui-ci a été mené avec l’implication de toutes les communes concernées. Nous les avons également impliquées dans le cadre d’un plan d’action qui prévoit différentes mesures. Nous avons par ailleurs participé à un retour d’expérience menée par une mission inter-inspections entre l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD). Un rapport a également été rendu public sur cet épisode de pluie.

Nous avons pu tirer des enseignements de plusieurs ordres. Indépendamment de la gestion de crise, nous avons beaucoup réfléchi à la question des réseaux. La tempête Alex a frappé tous les réseaux : de communication, de transport, d’eau potable, etc. Nous nous sommes penchés sur la question de la dépendance de ces réseaux, notamment en termes d’énergie. Le black-out que nous avons connu s’explique principalement par les coupures d’électricité, qui ont duré un certain temps.

Pour autant, il convient de saluer Enedis, qui a tout de même rétabli certains réseaux assez rapidement, notamment grâce au déploiement massif de groupes électrogènes. Nous travaillons beaucoup sur les moyens dégradés en termes d’énergie. Indépendamment des sujets climatiques, il existe aussi des sujets liés au délestage électrique, qu’il s’agisse de la prise en compte d’abonnés prioritaires ou de moyens dégradés.

Nous avons tenté d’utiliser les téléphones satellitaires lors de la tempête Alex. J’en faisais beaucoup la promotion auprès de nos partenaires, et en particulier les maires, avant la tempête Alex. Je suis plus nuancée sur ce point aujourd’hui et je pense qu’il convient de trouver des solutions plus globales. Nous travaillons plutôt sur la mise en place d’antennes satellitaires, qui permettent ensuite de capter des réseaux Internet et d’avoir de la téléphonie plus simple.

Tout d’abord, même après une formation, il est difficile de faire fonctionner les téléphones satellitaires. Ils requièrent un branchement de leur batterie et sont très dépendants des conditions climatiques. Or, c’est justement lorsque le ciel n’est pas bleu qu’on en a besoin. Nous travaillons beaucoup sur la multiplication de ces outils avec les mairies, les intercommunalités, le Smiage et le SDIS.

Il y a également une solution novatrice que nous n’avons pas évoquée. Nous avons beaucoup parlé du black-out. Au sein du COD, nous ne disposions, pendant plusieurs heures, d’aucune remontée d’informations. En fait, le préfet Gonzalez a souhaité projeter sur le terrain un trinôme composé d’un gendarme, d’un pompier et d’un cadre de la préfecture, qui étaient les représentants respectifs de ces différents services. L’objectif était de les déployer au plus près des équipes municipales, afin de les aider dans la gestion des problématiques et l’identification des besoins à faire remonter au COD. L’objectif principal de cette organisation était de disposer ainsi d’un lien entre les postes de commandement communaux, les maires, la préfecture et le COD.

En l’occurrence, les cadres de la préfecture étaient des volontaires. Ils n’étaient pas forcément préparés à la gestion de crise. Certains sont venus avec des moyens primaires. Ils étaient justement équipés de téléphones satellitaires, afin d’assurer la liaison avec le centre opérationnel départemental. Nous avons essayé de pérenniser ce dispositif en complétant ce vivier. Je crois que l’aide de ces cadres volontaires a été utile pour les maires.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Ma question s’adresse aux maires. Pouvez-vous nous faire part de pistes de réflexion qui permettraient à une commune et à son maire de mieux fonctionner, lorsque les circonstances l’exigent temporairement lors de ce type de crise, avec une certaine autonomie ? Il faut bien sûr conserver à l’esprit que l’organisation doit s’adapter à la nature et à l’étendue de la crise, qui peut être localisée couvrir tout un département.

M. Sébastien Olharan. Nous avons effectivement essayé de tirer toutes les leçons de la tempête Alex, que ce soit dans la reconstruction ou dans nos modèles et nos outils de gestion de crise. Nous avons immédiatement remis à jour notre plan communal de sauvegarde à Breil-sur-Roya ; et ce, en tenant compte de ce qui s’était passé. Nous avons créé un nouveau document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim), qui a été diffusé à la population.

Nous avons renforcé nos moyens humains, en particulier avec la réserve communale de sécurité civile. Nous avons renforcé nos moyens matériels avec les stocks d’eau, de sacs de couchage et de lits Picot que nous nous sommes constitués. Nous avons beaucoup concentré nos efforts sur les moyens de communication, qui ont été notre principale entrave dans la gestion de crise, et nous avons acheté un téléphone satellitaire. Nous avons également développé des outils d’appel de masse, qui permettent notamment d’envoyer des SMS à la population.

À Breil-sur-Roya, nous nous sommes dotés de notre propre réseau de radiocommunication hertzien municipal autonome. Nous nous sommes rendu compte que nous faisions face à deux difficultés lors d’une catastrophe telle que la tempête Alex. La difficulté à communiquer avec l’extérieur est en partie résolue avec le téléphone satellitaire. Une boîte safety case a été développée par Orange, : elle permet d’établir une bulle Wi-Fi par satellite dans un rayon de cent mètres. Cet outil intéressant va sans doute être déployé sur le territoire de la Riviera française.

La deuxième difficulté est de communiquer entre nous pour organiser la gestion de crise au sein d’une même commune. Nos communes sont très étendues, avec des hameaux haut perchés et retirés par rapport au centre de la commune. Ce réseau de radiocommunication hertzien municipal autonome présente également l’avantage d’être alimenté par des panneaux solaires. En cas de rupture du réseau électrique, ce système continue ainsi de fonctionner et nous permet de communiquer entre nous. J’ajoute que son coût est très modeste, puisque ce dispositif a coûté 10 000 euros à la commune. C’est assez négligeable, comparé à l’appui qu’il peut apporter en matière de gestion de crise.

Des agents de la préfecture ont effectivement été déployés dans les postes de commandement communaux des différentes communes sinistrées. Pour autant, malgré le traumatisme de la tempête Alex, on constate que beaucoup de personnes ne prennent pas les vigilances au sérieux. Lors de la tempête Aline, des personnes continuaient à aller acheter leur pain en pleine vigilance rouge, ce qui est absolument inconcevable. On se demande comment il est possible d’être aussi inconscient, surtout après avoir vécu la tempête Alex il y a trois ans.

Il y a aussi un effet « trop de vigilance tue la vigilance ». Nous n’avions pas eu de vigilance rouge depuis la tempête Alex. C’était donc un argument pour prendre au sérieux une vigilance rouge. Pour autant, en période estivale, on est en vigilance jaune tous les après-midi et il y a notamment une vigilance particulière sur les vallées sinistrées par la tempête Alex ; si on relaie systématiquement ces vigilances jaunes sur les réseaux sociaux, les gens termineront par ne plus regarder ces informations. Il est donc important de savoir faire la part des choses et de déterminer ce qui mérite vraiment d’être relayé. D’où l’importance d’obtenir des informations plus précises sur ce qui se passe dans notre commune.

Cela constitue sans doute une grande marge d’amélioration en termes de gestion de crise pour les informations diffusées, afin de faire en sorte que la vigilance des populations ne baisse pas. Pour autant, il faudrait que des points météorologiques soient faits auprès des communes heure par heure. Cela nous permettrait de déterminer le degré de contraintes à mettre en œuvre quant aux déplacements, aux commerces qui doivent fermer, etc. Si l’on en fait trop, la population pourrait avoir l’impression que des vigilances sont diffusées sans vraie raison. Nous faisons remonter beaucoup d’informations à la préfecture, notamment avec des mains courantes informatiques. Nous aurions donc besoin de recevoir en retour des informations qui descendent vers les communes, que ce soit de la part de la préfecture ou d’une autre entité.

M. Jean-Pierre Vassallo. En ce qui concerne Tende, nous sommes également en train de créer une réserve communale avec les habitants. Elle nous permettra d’intervenir immédiatement. Il s’agit de conforter les pompiers et les gendarmes. Par ailleurs, le téléphone satellitaire n’apporte que peu de solutions, même si nous venons d’installer une antenne satellitaire dans la commune. Nous avons également créé notre propre réseau de radio : dans chaque hameau, un correspondant est doté d’une radio. Nous les testons une fois par semaine afin de vérifier que les correspondants sont bien en mesure d’entendre nos appels. Ces différents éléments vont conforter notre capacité à faire face aux risques au quotidien.

M. Sébastien Olharan. Lors de la tempête Aline, le dispositif FR-Alert a été déclenché. Je pense qu’il a été d’une efficacité redoutable : nous étions en séance du conseil municipal et tous les téléphones ont sonné au même moment. C’est donc un très bel outil, qui peut sans doute contribuer à sensibiliser les populations. Je pense qu’il serait même nécessaire de le faire sonner à intervalles réguliers tant que la vigilance n’est pas levée.

Mme Anne-Cécile Novella. Il est nécessaire de distinguer la vigilance et l’alerte, deux notions qui sont souvent confondues. La vigilance est faite en amont, auprès du plus grand nombre, tandis que l’alerte concerne toutes les personnes dont l’intégrité physique est directement menacée par un danger. Les moyens à employer ne sont donc pas forcément les mêmes selon qu’il s’agisse d’une vigilance ou d’une alerte.

Nous nous sommes aperçus qu’il y avait un phénomène de banalisation de la vigilance. Météo-France nous indique en moyenne trois à quatre vigilances orange pluies et inondations par an. En 2020, nous n’en avions eu qu’une seule, mais elle s’est transformée en rouge à l’occasion de la tempête Alex. En 2021, il n’y en a également eu qu’une seule, qui était la dernière jusqu’à la tempête Aline de 2023. Finalement, il y a donc eu peu de vigilances orange.

La préfecture diffuse beaucoup d’informations dès le niveau de vigilance jaune. Nous avons mis en place une procédure avec Météo-France en ce qui concerne plus particulièrement les vallées. Le niveau est réévalué pour informer nos partenaires. Ça donne peut-être le sentiment d’une surcharge d’informations. En sachant qu’il y a beaucoup d’orages en montagne l’été, ce qui engendre une vigilance jaune toutes les semaines ou encore plus fréquemment.

En termes d’ordre de grandeur, certains territoires sont effectivement plus concernés que d’autres. Je pense notamment au pays grassois, au haut pays et à la bande littorale. Pour défendre Météo-France, il est un peu compliqué, voire dangereux, de localiser un territoire plutôt qu’un autre en termes de paramètres pour les orages. C’est la raison pour laquelle la vigilance est départementale.

Il existe d’autres dispositifs au-delà des canaux que nous utilisons par ailleurs : les réseaux sociaux et les médias, notamment, et nous disposons également de sirènes. Lors de la tempête Alex, à défaut de sirènes, nous avions à notre main le système d’alerte et d’information des populations. Depuis lors, nous avons travaillé sur le raccordement de ces sirènes. Même si ce dispositif est un peu vieillissant et que bon nombre de personnes ne savent toujours pas ce qu’elles doivent faire en cas de déclenchement d’une sirène, ce sujet revient souvent lorsque je rencontre des élus, qui ont de fortes attentes dans ce domaine. Cela relève des services de l’État en ce qui concerne l’installation, la maintenance et le déclenchement. D’ailleurs, je pense que nous pouvons faire mieux en la matière.

FR-Alert a été déclenché pendant la tempête Aline, mais il n’existait malheureusement pas au moment de la tempête Alex. Ce dispositif a fait ses preuves. Nous l’avons déclenché à 20 heures, c’est-à-dire bien en amont, alors que la tempête était prévue vers 4 heures du matin. Nous ne l’avons arrêté qu’à la fin de la vigilance rouge. Autrement dit, toutes les personnes qui sont venues dans le département ont pu recevoir ces alertes de 20 heures à 10 heures le lendemain.

Nous avons également activé la cellule d’information du public. Il s’agit d’un numéro local que nous pouvons déclencher pour répondre à des demandes de particuliers non urgentes. Pendant la tempête Alex, les personnes qui n’avaient pas de nouvelles de leurs proches ont pu passer par la préfecture pour en obtenir. Il est donc important de souligner l’existence de ce dispositif, qui est ancien et efficace.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Il est effectivement difficile de parler de localisation exacte en cas d’orage ou d’autres événements, d’autant que de violents orages peuvent également se produire en dehors d’une vigilance. La technologie avance, mais en cas de black-out, ce sont souvent les fondamentaux qui fonctionnent. Vous évoquiez les sirènes, mais on peut penser que leur bonne utilisation suppose qu’ait été conduit tout un travail de sensibilisation, afin de bien faire comprendre à la population à quelles situations correspondent leurs sonneries.

Que pensez-vous du fonctionnement de notre modèle de sécurité civile ? Et ce, au sens large du terme : les sapeurs-pompiers, les associations agréées, les réserves communales de sécurité civile, etc. Pensez-vous que ce modèle est adapté et existe-t-il selon vous des axes d’amélioration pour faire face plus efficacement à des futurs événements ?

M. René Dies. Je le juge adapté, mais il convient de le protéger. Il sera adapté tant qu’il s’appuiera sur la population, d’où la question de l’acculturation. En l’occurrence, une partie de la population en défend une autre, sans oublier le renfort, la solidarité et toute l’organisation qui peut exister par ailleurs. C’est la raison pour laquelle je pense que nous disposons d’un bon modèle de sécurité civile. Pour ma part, un modèle de sécurité civile qui s’appuie sur la population me semble une réponse plus adaptée qu’un modèle qui reposerait uniquement sur de grandes forces professionnelles bien étoffées et bien organisées.

Il faut souligner que les risques sont de plus en plus importants, et que nous serons toujours débordés par de grands événements. D’ailleurs, la tempête Alex l’a démontré. Nous savons bien que le modèle des sapeurs-pompiers est menacé par la notion de travailleurs européens. Il s’agit donc de le garder, de le protéger et de le développer grâce à l’acculturation des populations, même si on ne peut pas, bien sûr, faire de chaque habitant un sapeur-pompier.

M. Didier Lemaire, rapporteur. On peut d’ailleurs rappeler que le rôle des citoyens est différent de celui des sapeurs-pompiers. Au-delà de la question de l’acculturation des citoyens, il faut également se pencher sur celle de l’articulation entre les différents acteurs de la protection et de la sécurité civiles. Les associations agréées ne sont pas toujours associées comme elles pourraient l’être, que ce soit par manque de temps ou d’acculturation.

Mme Anne-Cécile Novella. Je rejoins les propos du contrôleur général : notre modèle de sécurité civile a tout de même fait ses preuves. Nous avons montré une force d’action importante, et ce à tous les niveaux. Face à une gestion de crise, notre écho auprès des populations est très important, et bon nombre de personnes commentent et réagissent sur les réseaux sociaux. Il y a donc un vrai intérêt des populations lorsqu’elles sont face aux événements. En revanche, pour l’information préventive et la sensibilisation, la situation est beaucoup plus compliquée. Assez peu de personnes se montrent intéressées ou disponibles pour faire des réunions publiques afin de parler des risques. Il s’agit donc de trouver un moyen plus moderne, plus large et plus proche de nourrir cet intérêt de la population en dehors des catastrophes.

M. Xavier Pelletier. Je suis d’accord avec tout ce qui vient d’être dit. L’esprit et le mode d’organisation sont bons, mais ils nécessitent d’être approfondis. Un volet consiste effectivement à acculturer davantage les habitants. Je voudrais insister sur la technologie, que nous mobilisons de plus en plus pour détecter, identifier et alerter.

En 2019, le Gouvernement a lancé le pacte capacitaire, une démarche consistant à renforcer les services d’incendie et de secours à travers la France. Il s’agit notamment de les doter de moyens pour lutter contre les feux de forêt, les inondations et les crues torrentielles. Cela permet de mettre en place des dispositifs de détection en amont : au-delà de l’événement météorologique, on voit ainsi comment se comporte le bassin versant. Nous devons travailler davantage sur ces questions.

FR-Alert est un très bon outil. J’en dispose également en tant que préfet du Loir-et-Cher, où les risques d’inondation se caractérisent par une cinétique plus lente. Ceci étant, on est souvent focalisé sur la Loire, alors qu’en 2016, les inondations qui ont beaucoup touché le département du Loir-et-Cher provenaient des affluents de la Loire. En cas de fortes pluies, ce sont les affluents qui réagissent en premier lieu et, en l’occurrence, ils ont généré des inondations majeures. D’où un intérêt plus marqué pour la géographie.

Les experts météo insistent sur le fait que nous serons encore plus touchés demain et que les événements seront plus intenses. Nous aurons des difficultés à mieux anticiper les événements météorologiques qu’aujourd’hui, en particulier s’agissant de la détermination précise des zones qui seront touchées. La tempête Alex a frappé les vallées du haut pays niçois. Finalement, on dénombre peu de morts en regard de l’intensité de l’événement. En fait, c’est la rencontre de la tempête Alex et d’un événement méditerranéen qui a généré « une bombe météorologique », selon les météorologues.

Je pense qu’il y aurait eu beaucoup plus de victimes si le littoral avait été frappé. Il s’agit dès lors d’en avoir pleinement conscience et d’apprivoiser les aléas. Cela suppose d’être en mesure de bien réagir, notamment en mettant en place les dispositifs pour les autorités publiques. Il faut également que les citoyens concernés soient conscients des aléas auxquels ils sont exposés. Si toutes ces actions sont menées, nous aurons déjà fait beaucoup de progrès.

M. Jean-Pierre Vassallo. Je voudrais également évoquer les questions transfrontalières. Ma commune n’est séparée de l’Italie que par le col de Tende. Je peux vous dire que les Italiens admirent la France pour ce qu’elle a apporté et la réactivité dont elle a fait preuve lors de la tempête Alex. Certains d’entre eux me disent ouvertement que la vallée de Roya ne se serait jamais relevée de la tempête Alex si elle avait été italienne. Ils sont notamment admiratifs des fonds Barnier, sans lesquels cette vallée aurait connu une misère terrible. En l’occurrence, 50 maisons ont été perdues dans la commune de Tende. Le côté positif de l’Italie, ce sont les réserves de sécurité civile. Leur action donne aux personnes qui y habitent et qui interviennent au moment de l’événement la fierté d’œuvrer pour leur territoire.

M. Sébastien Olharan. En ce qui concerne l’organisation de notre modèle de sécurité civile, le conseil départemental pense que l’on dispose d’un bon modèle. Et ce, tant sur le plan institutionnel, grâce aux dispositifs de financement et à la répartition des compétences, que sur le plan opérationnel pour la mise en œuvre des actions. En outre, dans les Alpes-Maritimes, nous disposons d’outils supplémentaires et de moyens sans doute plus importants qu’ailleurs. Dans l’ensemble, nous sommes donc satisfaits du modèle de sécurité civile français.

Je pense que nous sommes bien préparés à la gestion de crises, y compris celles qui ont des conséquences à long terme. En revanche, il me paraît nécessaire de nous préparer à gérer des crises qui durent. Au-delà des premières quarante-huit heures, certaines communes sont restées coupées du monde pendant deux mois. C’est notamment le cas de Tende, où l’approvisionnement a dû être fourni par voie aérienne. Ce pont aérien a été maintenu pendant plusieurs semaines, jusqu’à la mise en place d’une sorte de navette ferroviaire, qui a été suivie du rétablissement de certaines routes.

Cela implique des moyens très conséquents, qui doivent être déployés très rapidement. Or, le temps d’attente est psychologiquement très dur pour les populations, car il donne le sentiment d’être oublié et abandonné. Il faut aussi pouvoir maintenir ces moyens-là dans le temps ; en effet, les moyens exceptionnels sont souvent militaires et ces derniers n’ont donc pas vocation à rester disponibles pour gérer une situation qui perdure. Pour autant, je pense que nous devons nous préparer à utiliser plus régulièrement au niveau local ces dispositifs qui sont souvent déployés à l’étranger.

Par ailleurs, on ne pense pas toujours à la gestion de la solidarité. Breil-sur-Roya a eu la chance de voir son accès routier rouvert à l’extérieur assez rapidement. Les dons ont afflué en grande quantité dans ma commune, d’autant plus qu’ils ne pouvaient pas être acheminés vers le reste de la vallée de la Roya. Nous avons donc fait office de base arrière et de pôle logistique, alors que nous étions nous-mêmes une commune sinistrée. En deux jours, le gymnase s’est rempli de dons jusqu’au plafond. Il fallait alors les charger sur des palettes, puis sur des trains ou avec des hélicoptères pour alimenter les autres communes.

Cela implique une logistique considérable, que nous ne sommes pas en mesure d’assurer. L’armée l’a fait pendant un certain temps, puis il a été demandé aux collectivités locales de prendre le relais. Or, quelles sont celles qui disposent d’un logisticien qui sache vraiment assurer toute cette gestion de stocks et cet approvisionnement ? En l’occurrence, la communauté d’agglomération a recruté quelqu’un en urgence pour s’en occuper. Toujours est-il que l’on voit bien que nous ne sommes pas préparés sur ce volet-là.

Il faut aussi gérer les bénévoles. Dans les premiers jours, cela ne pose aucun problème, puisque tout le monde sait quoi faire. Ensuite, lorsque le plus gros et le plus visible a été fait, comment peuvent-ils savoir où ils seraient utiles ? Cela nécessite un gros travail de coordination, même si cet appui est bien évidemment une chance inouïe. On ne sera jamais assez reconnaissant de toute l’aide que l’on a pu recevoir, quelle qu’en soit la forme. Pour autant, ce doit également être géré au niveau local. Certaines choses doivent donc encore être inventées pour se préparer à des catastrophes qui vont être de plus en plus nombreuses et qui vont provoquer des dégâts matériels de plus en plus importants. Cela impliquera d’assurer la gestion de la logistique et de coordonner les moyens matériels et humains.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’en arrive au sujet du financement de notre système de protection et de sécurité civiles. Actuellement, ce système repose essentiellement sur les départements, avec une participation de l’État. Vous semble-t-il adéquat ? Avez-vous d’autres pistes ?

M. Sébastien Olharan. Dans le département des Alpes-Maritimes, le problème financier est peut-être moins prononcé qu’ailleurs. En effet, notre conseil départemental dispose de bonnes ressources, ce qui nous permet de fonctionner en offrant une belle qualité de service, notamment au niveau du SDIS. Bien évidemment, nous sommes toujours preneurs de moyens supplémentaires, en particulier de la part de l’État. Le conseil départemental estime que le système de financement actuel nous permet de répondre aux besoins du territoire. Pour autant, il nous reviendra d’adapter notre organisation ou les dispositifs de financement en fonction de l’évolution des risques et des effets du dérèglement climatique.

M. Xavier Pelletier. Il me semble évident que la soutenabilité de notre dispositif va être très compliquée à assurer sur la durée. Nous allons avoir de plus en plus d’événements dramatiques à gérer ; et ce, avec des impacts considérables. Pendant un mois, nous avons bénéficié du concours de l’armée avec ses moyens aériens, mais le ministère des armées m’a ensuite fait comprendre qu’il était obligé de redéployer ces moyens. Par ailleurs, ces appareils vieillissants nécessitaient un suivi plus régulier en termes de maintenance.

Il a fallu que j’obtienne des crédits pour passer un marché avec une société d’hélicoptères, afin de continuer à alimenter en particulier l’hôpital de Tende. Du fait de la rupture des voies de communication, des troupeaux étaient isolés ; nous avons donc été obligés d’amener du fourrage et de l’alimentation. J’avais fait une note au Gouvernement pour lui faire part de la nécessité, pour les préfets qui gèrent la crise dans la durée, de disposer de crédits d’urgence opérationnels. Cela permet notamment de gérer ces questions, qui sont extrêmement importantes, voire vitales.

Nous avons évoqué tout à l’heure le problème des cimetières qui ont été en partie emportés. En l’occurrence, nous avons récupéré des morceaux de corps qu’il a fallu identifier. L’État s’est chargé de les réceptionner et de les conserver. Il a bien fallu que l’on mobilise ensuite un dispositif adéquat, qui a reposé notamment sur un laboratoire permettant d’analyser l’ADN. Tout cela a représenté un coût de près de 100 000 euros.

J’ai mis du temps à récupérer des crédits pour mettre en œuvre ce dispositif. D’ailleurs, je pourrais multiplier les exemples, d’autant que la dimension assurancielle est aussi liée à la gestion de crise. Il est nécessaire de revoir nos dispositifs de financement afin de les rendre plus pérennes et durables. Ce sujet est peut-être moins criant pour les Alpes-Maritimes, mais il est très important pour les départements dont les capacités financières sont plus contraintes.

Mme Anne-Cécile Novella. Les dépenses qui ont été engagées depuis le COD, qui ne représentaient pas la partie la plus importante du coût de la crise, portaient notamment sur des entreprises qui avaient été sollicitées en urgence. Il s’agissait notamment de locations d’autobus pour évacuer les gens, ou de locations de jerricans pour transporter du carburant destiné aux groupes électrogènes. Ce sont des choses très basiques, mais très utiles.

Le budget opérationnel de programme de la sécurité civile n’est pas prévu pour cela. J’ai été confrontée à des entreprises qui m’appelaient pour savoir quand elles allaient pouvoir être remboursées – je rappelle que les complexités financières pour les entreprises étaient d’autant plus importantes en période de Covid.

Des discussions ont lieu au niveau central et ministériel, mais elles prennent du temps. Il faut ensuite attendre l’arrivée des crédits. Je souligne les difficultés qui peuvent exister sur le terrzain ; il faudrait obtenir ces crédits de manière plus adaptée et plus rapide, car il en va de la crédibilité de l’État auprès de ses partenaires, ainsi que de son engagement pour les crises à venir.

M. René Dies. Un gros travail est en cours au niveau des services d’incendie. Il s’agit de la « valeur du sauvé ». Lorsque les sapeurs-pompiers interviennent, ils sauvent des vies et une partie des habitations. Il y aurait du sens à ce que les assurances participent davantage au financement des SDIS. C’est l’objet d’un débat. Le législateur a commencé à s’en saisir ; et ce, notamment à travers la fameuse taxe spéciale sur les conventions d’assurance. C’est une piste à explorer, même si ça existe déjà en partie puisque les départements perçoivent une partie de ces rémunérations.

M. Xavier Pelletier. Il faut bien évidemment intégrer la dimension de la reconstruction. Après des événements tragiques, il s’agit d’en tirer toutes les leçons et de mesurer ce qu’il convient de mettre en œuvre en termes de résilience des infrastructures, des équipements et du positionnement des ouvrages et des dispositifs. Cela permettra en outre de faire des économies pour l’avenir, compte tenu de la récurrence des événements. D’ailleurs, nous avons pu voir que tout ce qui était résilient a tenu, contrairement à tout ce qui était provisoire. Il est important de bien intégrer l’après-crise. Il convient, pour cela, de faire certaines choses de manière différente, en les appréhendant avec le souci de la durabilité des travaux.

M. Jean-Pierre Vassallo. Nous nous projetons maintenant vers l’avenir. Je dois dire que la tempête Alex a sauvé la ligne de chemin de fer, que l’État avait décidé de fermer alors qu’elle nous est totalement indispensable. En l’occurrence, la région a participé au financement du pont à arcatures de Fontan à hauteur de 30 millions d’euros. Sans la tempête Alex, ce prétexte aurait été pris pour fermer la ligne. Heureusement que le train italien a pu venir sur place lors de la tempête ! Nous n’avions plus aucun engin, et la commune a dû louer des engins de terrassement en provenance d’Italie. Je précise que nous préparons l’avenir en assurant la stabilité des voies routières et ferroviaires.


Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et Association nationale des directeurs des services d’incendie et de secours (ANDSIS)

Compte rendu de l’audition conjointe de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et de l’Association nationale des directeurs des services d’incendie et de secours (ANDSIS)
(jeudi 16 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) joue un rôle essentiel pour défendre et promouvoir les intérêts des sapeurs-pompiers. Elle représente les pompiers volontaires et professionnels, ainsi que les personnels administratifs, techniques et spécialisés qui travaillent à leurs côtés. Elle participe également à la prévention et à l’éducation aux risques des citoyens.

L’Association nationale des directeurs des services d’incendie et de secours (ANDSIS) rassemble les responsables des SDIS, les services départementaux d’incendie et de secours, qu’elle travaille à développer et à moderniser, en collaboration avec les institutions.

Cette audition est enregistrée et retransmise sur le site de l’Assemblée nationale ; un compte rendu sera publié et annexé à notre rapport.

Nous attendons de vous un éclairage sur les forces et les fragilités de notre modèle de sécurité civile, ainsi que sur les éventuelles réformes ou évolutions que vous estimez envisageables, voire nécessaires. Notre objectif est d’améliorer notre organisation, en tenant compte des expériences passées et des exemples étrangers. Il s’agit de nous donner tous les atouts pour améliorer l’efficacité de vos interventions quotidiennes, en prenant en considération vos contraintes et difficultés, afin notamment de se préparer à affronter les futures crises majeures liées au changement climatique.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Le spectre de la mission d’information est large. Je suis député du Haut-Rhin, et j’ai eu la chance et le plaisir d’être sapeur-pompier, volontaire puis professionnel, pendant plus de trente ans. J’ai également réfléchi à ces thèmes en tant qu’élu local : premier adjoint au maire d’Altkirch, j’ai dû affronter plusieurs crises, en particulier la crise sanitaire.

M. le contrôleur général Éric Flores, vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF). La FNSPF a été créée en 1882 ; elle descend des caisses de secours des sapeurs-pompiers, instituées lorsqu’il n’existait pas de sécurité sociale pour prendre en charge les suites des accidents du travail. Il s’agissait alors de défendre les intérêts de la profession et de travailler avec les pouvoirs publics pour organiser la sécurité civile. Elle a rédigé les premiers règlements des corps de sapeurs-pompiers, avant que le Gouvernement en reprenne la responsabilité, et a poursuivi l’action sociale des caisses de secours, en créant l’Œuvre des pupilles orphelins des sapeurs-pompiers, association jumelle de la Fédération.

Tout au long de son existence, elle a contribué à renforcer les relations avec le monde institutionnel, à savoir avec le Parlement et le ministère de l’Intérieur, dont nous avons suivi l’évolution. En 1990, la Fédération a ainsi contribué à la création d’une sous-direction des sapeurs-pompiers, grâce à de nouvelles lois relatives au statut ; entre 2011 et 2013, nous avons également œuvré à l’instauration de la direction des sapeurs-pompiers au sein de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).

La Fédération compte aujourd’hui 285 000 adhérents ; elle promeut la qualité de vie et les bonnes relations dans les centres de secours, grâce à son réseau de 7 000 amicales et de 100 unions départementales – l’emblématique campagne annuelle des calendriers en faveur des œuvres sociales va bientôt commencer. Elle a créé les « jeunes sapeurs-pompiers » pour constituer un vivier indispensable au recrutement. Enfin, elle a instauré la réserve citoyenne des anciens, définie par la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, afin de renforcer la continuité du service et de faire en sorte que les sapeurs-pompiers puissent bien vivre dans les casernes, quel que soit leur âge.

M. le contrôleur général Stéphane Morin, président de l’Association nationale des directeurs des services d’incendie et de secours. L’ANDSIS est plus modeste : nous représentons 220 adhérents – mais c’est un chiffre que nous n’avions encore jamais atteint. Créée en 1985, elle rassemble les directeurs et directeurs adjoints des SDIS, ainsi que les quelque trente titulaires des emplois supérieurs de direction affectés en administration centrale, à la DGSCGC et à l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (Ensosp) notamment. Le conseil d’administration compte quinze membres, élus pour trois ans parmi les membres actifs.

Depuis 1985, l’ANDSIS se consacre essentiellement à l’étude des organisations et des missions des services d’incendie et de secours, et de la sécurité civile en général. Elle apporte son expertise à la préparation des textes législatifs et réglementaires afférents. Enfin, elle veille à la sauvegarde des intérêts moraux et matériels et à l’évolution du cadre statutaire des titulaires des emplois supérieurs de direction.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Comment participez-vous à la réflexion sur l’évolution du modèle de sécurité civile ? Celle-ci rassemble de nombreux acteurs, comme les associations agréées. Quelles sont vos relations avec les services de l’État et vos autres partenaires ?

M. le contrôleur général Éric Flores. La DGSCGC est notre interlocuteur privilégié et nous entretenons de très bonnes relations de travail, qu’il s’agisse de la direction des sapeurs-pompiers ou des autres services du ministère de l’intérieur. Nous participons régulièrement aux missions parlementaires et avons ainsi contribué à l’élaboration de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, ainsi qu’à la loi visant à consolider le modèle de sécurité civile tout en valorisant le volontariat des sapeurs-pompiers du 25 novembre 2021, dite loi Matras, avec l’aide de la direction générale pour les aspects institutionnels. Cette collaboration a donc abouti à des avancées.

Nous travaillons également avec des associations, comme le Conseil national de la protection civile (CNPC), qui regroupe toutes les associations du secteur, y compris la nôtre, ainsi que la Croix-Rouge, la Fédération nationale de la protection civile, la Croix-Blanche et de nombreuses autres associations agréées. Évidemment, nous collaborons avec l’ANDSIS, dont je suis membre. Nos points de vue convergent souvent.

Notre travail institutionnel prend appui sur notre réseau d’unions départementales, dont les représentants rencontrent les élus sur le terrain, afin de comprendre leur vision de la sécurité civile et les aspects majeurs des textes en préparation, de leur faire connaître notre point de vue et de leur transmettre les éléments dont nous disposons.

M. le contrôleur général Stéphane Morin. L’ANDSIS est régulièrement auditionnée par le Parlement. Nos interlocuteurs privilégiés sont le ministère de l’intérieur, en particulier la DGSCGC, pour travailler le plus en amont possible à l’évolution des cadres statutaires, en particulier par voie réglementaire.

Nous participons à des instances essentielles pour la sécurité civile, comme la Conférence nationale des services d’incendie et de secours (CNSIS), lieu d’échange et d’orientation pour l’État et les collectivités territoriales, ou le conseil d’administration de l’Ensosp.

Nous entretenons également des liens avec les autres acteurs de la sécurité civile. Au niveau national, nous travaillons avec le ministère de l’intérieur, plus précisément avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Les moyens sont plus limités à l’échelle des zones, alors qu’il s’agit d’un échelon essentiel de notre organisation ; depuis quelques années, l’Association encourage les progrès en la matière. Le département constitue le cadre le plus pertinent pour organiser la sécurité civile, sous la responsabilité du préfet. À ce niveau, la coordination avec les autres acteurs, notamment les associations agréées, s’est renforcée au fil des crises, en particulier celle liée au Covid. Auparavant, les relations étaient plus distantes, consacrées à la préparation des gestions de crise, par exemple avec des exercices interservices. Il faut poursuivre l’effort pour mieux organiser la collaboration, car les intervenants sont nombreux – éducation nationale, collectivités territoriales, associations agréées notamment. La mission Falco sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs a émis des propositions pertinentes sur le pilotage à l’échelle du département, par exemple pour améliorer la résilience de la population.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les travaux de notre mission d’information pourraient se poursuivre jusqu’au printemps, mais les auditions montrent déjà que ces aspects seront essentiels.

Pourriez-vous apporter des précisions concernant le fonctionnement des SDIS : leur administration, leurs missions, les budgets alloués ? Ils ne sont pas tous identiques, mais souvent leur composition et leur fonctionnement sont semblables.

M. le contrôleur général Éric Flores. Le SDIS est un établissement public autonome. Il ne dépend pas du conseil départemental. Le président du conseil départemental en est président de droit, mais il peut déléguer la présidence. Le conseil d’administration est composé de représentants du département, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Leur participation respective au financement entre en compte pour la répartition des sièges. En moyenne, les versements du département sont proches de ceux des communes, mais on observe de fortes disparités : en Essonne, le département assume l’essentiel du financement ; c’est parfois l’inverse ailleurs. La répartition est souvent héritée de la situation qui précédait la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers, dite de départementalisation. En réalité, cette loi a mutualisé les moyens au niveau départemental, pour remédier aux fortes dissensions en matière d’organisation d’un département. L’établissement public ainsi créé donne les moyens de fonctionner au corps de secours, constitué de l’ensemble des centres.

Cette structure s’est adaptée aux différentes évolutions législatives, même à la tentative de subordonner le SDIS au conseil général, avec la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. La loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, qui définit l’organisation encore en vigueur, leur a rendu leur position initiale.

Cette organisation tire sa force de sa souplesse et de la proximité des élus locaux, en particulier des maires, premiers maillons de la gestion de crise dans les territoires. Le lien avec les élus est indispensable, en particulier à l’échelon communal, car ils constatent les difficultés que nous rencontrons au quotidien et peuvent donc adapter les budgets en conséquence. Ces dernières années, nous avons connu une évolution majeure : le nombre d’interventions de secours d’urgence aux personnes est passé de 2 à 4 millions ; les SDIS ont acheté plus de 1 000 ambulances et véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) supplémentaires pour s’adapter.

L’organisation doit encore gagner en cohérence. L’atomisation des moyens disponibles en 100 SDIS est une force, mais il manque une direction générale pour jouer le rôle de chef d’orchestre et des échelons intermédiaires.

M. le contrôleur général Stéphane Morin. Avant la loi de 1996, les services d’incendie et de secours étaient organisés au niveau communal et intercommunal. Avec un peu plus de vingt ans de recul, on constate que la création des SDIS a constitué un véritable progrès pour le service public, partout en France. La doctrine relative aux moyens humains et matériels, notamment les casernements, a été harmonisée, comme la formation des sapeurs-pompiers. Le satisfecit est général.

La loi prévoyait que les moyens devaient être transférés dans un délai de cinq ans au service départemental. La première phase qui a suivi, de 2000 à 2010 environ, a vu l’harmonisation des pratiques et l’augmentation des moyens ; de 2010 à 2020, on observe une stabilisation. Le rapport de l’inspection générale de l’administration (IGA) sur le financement des SDIS éclaire le processus.

Les SDIS sont des établissements publics atypiques parce qu’ils sont communs à différentes collectivités territoriales – départements, communes, EPCI – et parce qu’ils relèvent à la fois de la tutelle de ces derniers et de celle de l’État. La doctrine est nationale, mais le principe de subsidiarité offre la souplesse nécessaire pour bien s’adapter à chaque territoire, comme l’expérience de la crise sanitaire l’a montré. Ils peuvent réagir très vite, en accord avec le préfet et le conseil d’administration. La question s’est posée d’une organisation supradépartementale, mais l’organisation départementale a fait ses preuves.

M. Norbert Berginiat, médecin-colonel, vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Les sapeurs-pompiers se sont perfectionnés et professionnalisés, en particulier dans le domaine du secours à la personne et des soins d’urgence. La loi Matras l’a reconnu : ces activités constituent désormais leur mission prépondérante. Pendant la crise sanitaire, grâce à cette évolution et à l’organisation départementale placée sous l’égide du préfet, la grande majorité des Français ont pu être vaccinés. Toutefois, cela engendre des frais supplémentaires, comme l’achat de VSAV, et cela impose un renforcement de la formation.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous avons auditionné d’autres acteurs de la sécurité civile, comme l’Ensosp et des élus. Certains ont regretté les fermetures de casernes, ce qui peut sembler paradoxal, au regard de vos arguments.

M. le contrôleur général Éric Flores. Il est vrai que la départementalisation a amélioré la qualité du service. Néanmoins, selon les dernières statistiques de la DGSCGC, le nombre de centres de secours est tombé de 11 000 à 6 093. Cette diminution a plusieurs causes. D’abord, la Cour des comptes a, pendant un temps, recommandé d’assurer la rentabilité de toutes les structures, y compris des centres de secours, sans prendre en compte la valeur de ce qu’ils sauvent par leurs interventions. Un centre de secours de taille moyenne dans un département rural comme le Haut-Rhin, l’Aude, la Drôme ou la Vienne regroupe environ vingt pompiers, qui effectuent quelque 200 interventions par an, pour un coût allant de 50 000 à 70 000 euros. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évalue une vie humaine à 3 millions d’euros : en sauvant une seule vie, un tel centre assure une rentabilité de cinquante ans. Il faut développer la notion de valeur du sauvé, afin de fonder notre organisation sur le sens de nos missions. Malheureusement, les statistiques récentes révèlent que le délai d’intervention sur zone, entre la diffusion de l’alerte et l’arrivée du premier véhicule, a augmenté, passant de douze à quatorze minutes. Les médecins insistent sur l’importance de la Golden Hour, l’heure d’or, pour les victimes d’accident de circulation, et sur l’urgence des massages cardiaques ; or la rapidité de l’intervention dépend du maillage territorial. C’est vrai également lors d’un départ de feu de forêt, problème que le réchauffement climatique rend crucial.

Le maillage territorial est essentiel, et nous voulons le renforcer. La mutualisation était nécessaire mais, pendant un temps, on a perdu de vue cette dimension et on a trop conçu la départementalisation avec des chiffres et des tableaux de bord, ce qui a conduit à supprimer des centres de secours. Aujourd’hui, pour affronter le dérèglement climatique et s’adapter à l’évolution des missions, nous devons remobiliser nos effectifs et trouver de nouveaux sapeurs-pompiers volontaires. Sans le maillage territorial, nous n’y arriverons pas. Pour relancer le recrutement, il faut d’abord reconquérir nos territoires, pour être proches des élus et des interventions, à l’instar de la gendarmerie nationale, qui recrée des brigades. On parle d’éduquer la population : le pompier volontaire est le premier citoyen engagé, formé aux gestes de secours.

Lors du congrès de Chambéry, en 2013, le président de la République François Hollande avait proposé d’interdire la suppression de centres de secours sans l’avis de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours. Cela n’a pas été suivi d’effet. Nous demandons non seulement qu’aucun centre ne soit fermé, mais que l’on en recrée.

On parle de crise de l’engagement volontaire ; il est aisé de dire que l’on ne trouve plus personne. Bien sûr, recruter n’est pas facile : l’Aveyron, par exemple, compte 95 % de sapeurs-pompiers volontaires ; si on ne se bat pas tous les jours pour aller chercher les gens, pour leur demander de nous rejoindre, le centre de secours finira par mourir. Mais la crise du volontariat est surtout une crise de la disponibilité. On trouve des gens attachés à nos valeurs, à la citoyenneté ; il faut travailler avec les employeurs, avec les collectivités locales, pour libérer davantage nos sapeurs-pompiers volontaires.

Il faut aussi reconquérir le maillage territorial. Lors de la départementalisation, nous nous sommes coupés des élus locaux, notamment des maires, alors que, pour assurer le bon fonctionnement d’un centre de secours, le maire est indispensable ; il est souvent le premier sergent recruteur et, avec le chef du centre et le président de l’amicale, il met du lien dans l’organisation. C’est avec ce triptyque que l’on arrive à faire fonctionner des centres, même dans de toutes petites communes : je pourrais vous citer des centres de secours dans des communes de 100 habitants avec 20 sapeurs-pompiers volontaires. Quand on déploie l’énergie nécessaire, ça marche.

M. le contrôleur général Stéphane Morin. La diminution du nombre des centres d’incendie et de secours est bien réelle. L’ANDSIS n’a pas de position dogmatique sur le sujet, mais nous sommes d’accord avec la Fédération pour considérer que nous sommes arrivés à un seuil en dessous duquel il ne faut pas descendre, sans quoi nous risquerions d’avoir du mal à faire face à de nouvelles crises, mais aussi à toutes les demandes de secours aux personnes – qui sont de plus en plus nombreuses.

L’implantation des centres de secours est le résultat de l’histoire et de la volonté d’élus. Vous le savez bien, certains territoires en comportaient énormément, d’autres beaucoup moins. J’ai eu l’occasion de commander trois corps départementaux très différents les uns des autres : dans l’un, le nombre de centres était insuffisant ; dans un autre, les centres étaient nombreux au regard du bassin de population, et la charge opérationnelle des sapeurs-pompiers volontaires peu importante : il devenait alors difficile de les convaincre de se former pour un tout petit nombre d’opérations. Il faut donc écouter aussi les demandes de regroupements – qui partent souvent, d’ailleurs, de relations amicales. Il y a eu de vrais succès.

Pour autant, la population française continue d’augmenter, donc la charge opérationnelle, notamment du secours à personne, suit le même mouvement. On voit plutôt aujourd’hui une amélioration de la couverture, avec même des créations de centres d’incendie et de secours, ce que l’on ne voyait plus il y a dix ans. Je le redis, nous ne sommes pas dogmatiques : il arrive que l’organisation actuelle soit bonne ; parfois, il faudra la renforcer.

J’insiste moi aussi sur l’importance du maillage territorial. D’abord, cela permet d’assurer la proximité du service public – nos concitoyens y sont attachés – et une bonne qualité de service, en l’occurrence des interventions rapides. Mais c’est tout aussi important pour répondre aux grandes crises, aux tempêtes ou aux inondations de ces derniers jours par exemple. Le renforcement de notre présence partout sur le territoire est rendu possible par le volontariat ; or, un centre de secours, c’est un centre de recrutement : si nous voulons recruter, le maillage doit être très serré.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué une crise de disponibilité. Certains de nos interlocuteurs ont rappelé qu’en parallèle de la départementalisation, on a assisté à une rationalisation – disons-le comme cela – de l’implantation des services de santé, avec des fermetures de services, notamment des urgences, qui rallongent les trajets des pompiers qui amènent des victimes à l’hôpital. Cela affecte-t-il la motivation des sapeurs-pompiers volontaires, et le bon vouloir de leurs employeurs ?

M. le contrôleur général Éric Flores. Oui. En zone rurale, un sapeur-pompier volontaire qui n’a pas quatre heures devant lui ne se déclare pas disponible, car il est rare que le trajet entre le lieu de l’intervention et l’hôpital dure moins d’une heure.

Si un sapeur-pompier volontaire s’est senti utile, lors d’une intervention pour un accident de la circulation par exemple, le chef d’entreprise qui l’a libéré sera fier lui aussi d’avoir libéré son salarié, et celui-ci se déclarera à nouveau disponible. En revanche, un pompier qui a perdu quatre heures sur son temps de travail pour une intervention non urgente, due par exemple à la défaillance d’un transport sanitaire privé, peut perdre de vue le sens de sa mission, et son employeur lui reprochera plus facilement son absence.

Nous devons continuer à travailler avec le ministère de la santé pour organiser nos réponses d’urgence sur l’ensemble du territoire ; souvent, nous ne sommes pas traités comme des partenaires : nous subissons les réorganisations des services des urgences et la désorganisation du système de soins. Le centre d’incendie et de secours devient alors une rustine.

Inversement, les sapeurs-pompiers ont besoin d’intervenir, de sortir ; si on ne fait pas assez appel à eux, ils perdent aussi le sens de leur mission.

Nous devons tous – avec notre direction générale, avec le ministère de la santé, mais aussi localement avec nos centres hospitaliers – expliquer que le territoire n’est pas homogène. Tel centre de secours pourra faire telle intervention le dimanche, mais peut-être pas le lundi ; certaines missions pourront être assurées en ville, mais pas en zone rurale. Je ne remets nullement en cause l’organisation de la régulation, mais elle est conçue pour la ville, alors que nous nous occupons à 90 % du territoire rural.

M. le médecin-colonel Norbert Berginiat. J’appuie ces propos. Souvent, les agences régionales de santé (ARS) décident de l’implantation d’un plateau technique sans aucune concertation avec les sapeurs-pompiers, alors que c’est nous qui amenons à l’hôpital la majorité des victimes et des patients qui ont besoin de soins d’urgence. C’est l’une de nos demandes : nous souhaiterions être partie prenante des décisions des ARS et des conférences nationales des urgences, afin de pouvoir expliquer nos contraintes et montrer aux décideurs de la santé l’impact de leurs décisions sur notre organisation. Fermer tel ou tel service entraîne souvent des dysfonctionnements des services de secours.

M. le contrôleur général Stéphane Morin. Nous faisons le même constat d’un problème de fond en matière de gouvernance. La mission de secours à personne est partagée. La conférence régionale de la santé et de l’autonomie, réunie au niveau de chaque ARS, ne comporte qu’un représentant des SDIS de la région : c’est un problème. Nous sommes très peu impliqués, au niveau régional comme départemental, et nous n’avons pas l’occasion d’expliquer les effets de bord de telle ou telle décision. Notre apport ne tient qu’aux bonnes relations humaines que nous pouvons avoir avec les dirigeants de l’ARS.

En ce qui concerne notre pratique quotidienne, je voudrais soulever la question de la coordination en matière de secours aux personnes. Notre constat est le même que celui de la Fédération : nous sommes tout à fait satisfaits de la régulation médicale par le centre 15 et nous n’avons jamais demandé à ne plus y être associés. Nous pensons simplement que la gestion opérationnelle des demandes d’alerte n’est pas bonne : on pourrait, au lieu de séparer le 15 d’un côté et le 18 et le 112 de l’autre, gérer toutes les alertes sur une même plateforme, avec les mêmes interlocuteurs, afin de mieux savoir qui envoyer dans telle ou telle situation. Nous sommes aussi satisfaits des services d’accès aux soins mis en place par les hôpitaux : il y a une vraie demande d’accès à des soins non programmés. Mais j’insiste sur le fait qu’il ne faut pas mélanger l’urgent et le non urgent.

Mme Emmanuelle Anthoine. Vous avez parlé d’un manque d’échelons intermédiaires dans le fonctionnement des SDIS. Pouvez-vous développer ce point ?

M. le contrôleur général Éric Flores. Historiquement, les pompiers étaient communaux. Puis est intervenue la départementalisation. L’échelon départemental est cohérent et nous ne souhaitons pas le remettre en cause. En revanche, nous n’avons pas d’échelon régional et, à l’échelle de la zone, les états-majors de zone n’ont qu’un rôle de coordination opérationnelle. Au niveau national, nous disposons d’une direction générale.

Nous sommes favorables à une réflexion sur un échelon intermédiaire supplémentaire, peut-être au niveau de la zone, dont les attributions pourraient être élargies, par exemple à l’organisation des concours ou à la gestion des carrières des officiers.

Cela permettrait aussi une meilleure mutualisation des SDIS. Nous mutualisons déjà beaucoup, mais de notre propre initiative. Presque tous les SDIS réalisent par exemple leurs achats dans le cadre de groupements d’achats communs, mais il n’y a pas de directive nationale.

Dans la région Occitanie, les SDIS de l’ancienne région Languedoc-Roussillon sont plutôt tournés vers la mutualisation avec la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, quand les SDIS de l’ancienne région Midi-Pyrénées sont plutôt tournés de l’autre côté. Une meilleure coordination serait préférable, pour les achats d’ambulances par exemple. C’est ce que nous attendrions d’un échelon intermédiaire.

M. le contrôleur général Stéphane Morin. Je souscris à ce qui vient d’être dit. Un autre exemple : la formation des sapeurs-pompiers est assurée en régie à 90 %, SDIS par SDIS. Nous travaillons évidemment entre nous pour accueillir des stagiaires d’autres départements, mais une coordination zonale nous permettrait d’aller plus loin. Les achats ont été cités, mais on pourrait évoquer tous les services support d’un établissement public comme le nôtre. De gros états-majors ont été constitués, mais nous pourrions sans doute les optimiser en renforçant les moyens au niveau de la zone.

M. Didier Lemaire, rapporteur. La loi Matras répond, je crois, à certaines de ces demandes.

Vous parliez de l’explosion du secours à personne et de la nécessité de discuter avec le ministère de la santé. Pensez-vous qu’il faille redéfinir les missions des sapeurs-pompiers, peut-être pour les alléger ?

Quelles sont vos relations avec les autres acteurs de la sécurité civile, notamment avec les associations agréées ? Notre mission d’information vise aussi à mettre en lumière les disparités qui existent dans le territoire. Que pensez-vous par exemple des réserves communales de sécurité civile, dont le domaine n’est pas tout à fait le même que le vôtre ? Peuvent-elles vous appuyer, vous soulager ?

M. le contrôleur général Éric Flores. Les missions des sapeurs-pompiers n’ont jamais été définies, et tant mieux. Personne n’aurait pu prédire que nous vaccinerions à si grande échelle, que nous ferions des tests Covid dans les Ehpad, ou que nous pomperions 500 000 mètres cubes par heure, comme c’est le cas actuellement dans le Nord et le Pas-de-Calais. Nous nous adaptons en permanence aux évolutions de la société : en ce moment, des Apple Watch font résonner des alertes dans nos centres opérationnels départementaux d’incendie et de secours (Codis), et nous envoyons des ambulances, sans que personne ne nous ait appelés.

Certains risques augmentent considérablement, comme le risque électrique, avec les batteries – dans une maison peuvent se trouver les deux trottinettes des enfants et les deux vélos des parents, ce qui multiplie les risques d’incendie s’ils sont équipés de batteries.

Nous surveillons les massifs forestiers avec des caméras, et l’intelligence artificielle nous aide à détecter les fumées. Nous stockons aussi de l’eau, en raison des sécheresses dans les départements du Sud. Des travaux ont été réalisés, dans les Pyrénées-Orientales notamment, pour en stocker dans les caves coopératives. Parfois, nous apportons de l’eau potable à des habitants qui n’en ont plus. Quand il y a de la neige, nous sommes les seuls capables d’acheminer des médicaments partout. Cela, nous l’avons toujours fait. Avec le dérèglement climatique, nous faisons face aussi aux tornades, à des feux de forêts de plus en plus étendus géographiquement.

En somme, nos missions évoluent et la protection des populations n’a pas de limites. Nous nous en félicitons : nous sommes les soldats de la vie, les soldats du climat.

Nous avons bien sûr besoin d’un coup de main de l’État. Cela se concrétise avec les pactes capacitaires, qui permettront à certains SDIS d’acheter des équipements complémentaires dont ils ont besoin.

Cela a été dit, nous avons besoin d’être mieux intégrés à différents échelons, afin d’expliquer notre organisation et de mieux distinguer l’urgent et le non urgent. Sur le reste, nous devons rester les soldats de la protection des populations.

En ce qui concerne les associations agréées, le rapport Falco ouvrait la possibilité de transformer le directeur départemental des services d’incendie et de secours en directeur départemental de la protection civile. Ce serait une très bonne chose. Au cours de la crise sanitaire, nous nous sommes aperçus que les associations agréées avaient perdu un grand nombre de ressources. Nous les avons associées à notre action : elles ont participé à nos centres de vaccination, aux campagnes de dépistage… Une coordination départementale de l’ensemble de la protection civile serait donc très utile. Cela permettrait d’éviter les petites oppositions qui peuvent parfois se faire jour, comme sur le secours en spéléologie.

S’agissant des réserves communales de sécurité civile, elles nous semblent indispensables dans le cadre des plans communaux et intercommunaux de sauvegarde (PCS et PCIS). Dès lors qu’un PCS est déclenché, un grand nombre de SDIS envoient des officiers auprès du maire, premier garant de la sécurité civile : les réserves de sécurité civile nous soutiennent pour apporter une réponse à la population, immédiatement mais aussi à plus long terme, en aidant les gens à rentrer chez eux après des inondations, par exemple. La loi Matras prévoit qu’un « correspondant incendie et secours » est nommé dans chaque commune. Un directeur départemental de la sécurité civile pourrait aussi coordonner toutes ces missions, avec la formation de la population et des élus.

M. le contrôleur général Stéphane Morin. Je souscris à ces propos sur l’importance du lien avec la population et de la résilience.

S’agissant spécifiquement des missions de secours à personne, nous estimons, en tant directeurs de SDIS, que nous avons atteint la limite de nos possibilités. Il y a un enjeu social : la mission finit par perdre son sens aux yeux des sapeurs-pompiers eux-mêmes, professionnels comme volontaires. Depuis quelques années, le travail du sapeur-pompier a été dévoyé. Pour notre association, les sapeurs-pompiers sont d’abord là pour accomplir des missions d’urgence, en soins comme en secours – la loi Matras ayant enfin reconnu notre capacité à délivrer des soins d’urgence. Nous pensons que les urgences préhospitalières sont des missions de service public ; les SDIS réalisent d’ailleurs l’immense majorité des interventions d’aide médicale urgente (AMU).

Pour les autres missions, celles que l’on nous demande de plus en plus, il faut que le contrat soit clair. Il faut assurer un soutien aux populations, c’est certain. Si cette mission doit revenir aux services d’incendie et de secours, alors nous devons expliquer aux personnes que nous recrutons que cela fait partie de leurs missions et les former ; nous devons également avoir les moyens financiers d’assurer ces missions, ce qui n’est pas le cas. Aujourd’hui, les directeurs de SDIS se heurtent souvent à une impossibilité opérationnelle : les moyens stagnent, alors que le nombre des missions s’accroît. Je parle souvent en « heure sapeur-pompier » : évacuer une victime vers un centre hospitalier très éloigné est une charge complémentaire, que l’on mesure mal à l’échelle nationale. Sur ce point, il faut faire preuve de vigilance. Encore une fois, si nos missions doivent aller au-delà des urgences, les moyens qui nous sont alloués doivent être à la hauteur des besoins.

M. le colonel Emmanuel Ducouret, membre du conseil d’administration de l’ANDSIS. En ce qui concerne votre question sur les associations agréées de sécurité civile, je ne ferai que compléter ce qui a été dit : l’essentiel, c’est la cohérence des acteurs. L’urgence est au cœur de la mission des sapeurs-pompiers, mais le soutien en fait aussi partie. Celui-ci prend de plus en plus d’ampleur, comme on le voit ces jours-ci dans le Pas-de-Calais : les pompiers soutiennent les habitants, rassurent, sont les seuls à avoir les moyens d’aller vers la population. Cette mission de soutien doit être coordonnée, et l’idée d’un directeur départemental de la sécurité civile, qui assurerait la cohérence et l’animation des différentes actions, me paraît pertinente. Néanmoins, au quotidien, nous signons des conventions avec les associations agréées de sécurité civile, et il y a une entente ; en outre, il ne faut pas oublier l’action de l’État, qui a pour rôle de coordonner ces acteurs.

Mme la présidente Lisa Belluco. Cette audition touche à sa fin. Je vous remercie pour votre participation. N’hésitez pas à nous adresser, le cas échéant, une contribution écrite, notamment si vous souhaitez nous faire part de messages ou informations complémentaires.


Table ronde des organisations syndicales représentatives de sapeurs-pompiers

Compte rendu de la table ronde des organisations syndicales représentatives de sapeurs-pompiers
(jeudi 16 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous terminons notre matinée d’échanges avec une table ronde qui rassemble les représentants des organisations syndicales des sapeurs-pompiers.

Nous avons le plaisir de recevoir M. Stéphane Bardel, membre de la commission nationale des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) pour la Fédération CFDT-Interco, M. Xavier Boy, président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA-SPP-PATS), M. Charles Cosse, directeur de cabinet de l’UNSA-SDIS, M. Manuel Coullet, secrétaire général Sud-SDIS, M. Sébastien Delavoux, animateur du collectif CGT des agents des SDIS, M. Alain Laratta, secrétaire général d’Avenir Secours CFE-CGC, M. Frédéric Monchy, président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNSPP), M. Mickaël Pacanowski, vice-président de la CFTC-Sapeurs-pompiers et agents des SDIS (SPA-SDIS) et M. Christophe Sansou, secrétaire général de l’Union nationale FO des services d’incendie et de secours.

Notre objectif est de vous entendre sur les questions liées à la formation, aux missions et au statut des sapeurs-pompiers, mais aussi, plus largement, sur l’organisation de notre modèle de sécurité et de protection civiles. Notre mission d’information, composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques, a été créée à la demande du groupe Horizons et apparentés.

Cette table ronde est diffusée en direct et sera également accessible, ensuite, sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.

Nous attendons des informations sur les évolutions de votre métier, de vos conditions de travail et de votre organisation, ainsi que sur les difficultés que vous pourriez rencontrer. Nous le savons, vous êtes confrontés quotidiennement aux urgences des secours à la personne, mais vous intervenez aussi dans les situations de risques majeurs : risques naturels, comme les feux ou les inondations ; risques industriels, sanitaires ou sécuritaires. Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur les forces et les fragilités de notre modèle de sécurité civile, ainsi que sur les éventuelles réformes ou évolutions que vous appelez de vos vœux.

Nous avons voulu partir du terrain, en rencontrant notamment des élus locaux, mais aussi des professionnels, sans idée préconçue, afin de réfléchir à l’amélioration de notre organisation, tout en tenant compte des expériences passées et en étudiant l’organisation de la sécurité civile dans d’autres pays. La mission sera d’ailleurs amenée à se déplacer en France et à l’étranger au cours des prochains mois. Notre objectif est de regarder ce qui fonctionne bien, mais aussi ce qui est perfectible, afin que nous soyons plus efficaces face aux crises qui pourraient se produire, voire se multiplier en raison du changement climatique.

M. Didier Lemaire, rapporteur. En tant que sapeur-pompier volontaire puis professionnel pendant plus de trente ans et en tant qu’élu local, adjoint au maire, j’ai été amené à faire face à différentes crises.

Cette mission d’information est consacrée à l’étude de la capacité d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles et, comme telle, concerne l’ensemble du territoire : les outre-mer, la campagne, la ville, le milieu périurbain, la mer et la montagne.

Lors des auditions, nous avons entendu des élus, des associations agréées, des spécialistes de la sécurité civile et de la gestion de crise, des représentants des directeurs départementaux de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et de l’Association nationale des directeurs et directeurs adjoints des services d’incendie et de secours (Andsis). Il nous semblait donc important d’entendre aussi les représentants syndicaux que vous êtes afin de faire un point sur les difficultés que vous rencontrez en matière de recrutement ou de fidélisation, que vous soyez volontaires ou professionnels. Quels sont les principaux atouts et difficultés de cette profession ?

M. Frédéric Monchy, président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNSPP). Originaire du Pas-de-Calais, je souhaite tout d’abord vous faire part de l’organisation de la gestion de la crise que nous traversons. Ce département s’apprête à connaître une quatrième vague de tempêtes et devrait passer à nouveau en vigilance rouge. Depuis le 1er novembre, nous avons connu l’équivalent de six mois de précipitations. Les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires sont sur le terrain jour et nuit, épaulés par des colonnes de renforts militaires et extra-départementales. Cette crise est analogue à celle qu’a connue la Gironde avec les feux de forêts de 2022. Le 28 octobre, le Président de la République a fait un certain nombre de promesses, mais une véritable prise de conscience s’impose face à ce phénomène spécifique que sont les inondations et à la situation dans le Nord et le Pas-de-Calais en particulier.

Sur le terrain, la coordination est délicate entre les militaires et les sapeurs-pompiers venus d’autres départements, lesquels ne connaissent pas forcément le territoire, le matériel, la doctrine et les conditions d’engagement. Nous ne comprenons pas que la France ne fasse pas appel au mécanisme européen de sécurité et de protection civiles, alors que nous pourrions bénéficier de l’expertise de nos collègues des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Allemagne, dont les retours d’expérience sont riches d’une plus-value technique et opérationnelle essentielle. Une telle situation est regrettable à plus d’un titre et pénalise la population du département.

Je demanderai aux présidents des deux chambres du Parlement et au ministre de l’intérieur un retour d’expérience sur les conditions dans lesquelles nous faisons face à la crise actuelle. Je le dis sans ambages : nous ne sommes pas à la hauteur. J’espère que vous aurez l’occasion de mener des auditions sur cette crise, car il est possible de faire beaucoup mieux.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Cette mission d’information vise à étudier nos capacités d’adaptation et d’anticipation en matière de sécurité civile, en prenant évidemment en compte les phénomènes naturels, auxquels nous serons de plus en plus souvent confrontés, mais également les risques industriels, sanitaires, sécuritaires – avec d’éventuels attentats, par exemple. Quels sont donc les atouts et les difficultés de la profession qui expliquent qu’on la rejoigne ou qu’on la quitte ? Nous savons que, comme dans la gendarmerie ou la police, les effectifs se délitent parfois.

M. Alain Laratta, secrétaire général d’Avenir Secours CFE-CGC. La précédente mission d’information concernant notre métier date de quatorze ans. Je suis donc d’autant plus heureux de votre invitation.

Avenir Secours est le syndicat majoritaire de l’encadrement. Nous couvrons 95 % du territoire hexagonal et la totalité des outre-mer.

Je remercie les députés qui nous soutiennent par leurs conseils, leurs encouragements et leur suivi des dossiers : M. Jean-Marie Fiévet, M. Hervé Saulignac, M. Fabrice Brun, Mme Sandra Regol et M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Ils ont accompagné nos derniers combats, comme la revalorisation de la prime de feu et l’arrêt de la surcotisation à la caisse de retraite. Nous attendons la promulgation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour voir si les engagements des ministres Guerini et Darmanin seront tenus en matière de portabilité.

Si notre modèle de sécurité est original sur le plan européen, il a en partie atteint ses limites. Face à l’augmentation du nombre de catastrophes et des sollicitations, il est urgent de changer de braquet, car les pompiers professionnels et volontaires ainsi que les personnels de soutien sont en surchauffe. Chaque jour, nous réalisons un nombre colossal de missions, puisqu’une intervention a lieu toutes les sept secondes et que nous devons faire preuve d’une grande polyvalence technique. Nos matériels, également, doivent être modernisés.

Les sapeurs-pompiers, bien souvent, sont les grands oubliés des différentes réformes. Il n’est que temps d’y remédier, même si nous disposons de nombre d’atouts et de capacités d’action !

Sur le plan juridique, les principaux textes datent de 1938, 1955, 1983, 1987, 1996, 2004 et 2021, quatre lois essentielles ayant été votées en quatre-vingt-dix ans. La sécurité civile française mérite mieux. Les dernières évolutions statutaires ont simplement permis un rattrapage de quinze à vingt ans par rapport aux autres institutions régaliennes comme la police et la gendarmerie. Un statut des emplois supérieurs de direction, injuste, précaire et peu attractif, a été créé en 2016 sans être à même de répondre aux enjeux.

Nous relevons également des arbitrages systématiquement défavorables entre les ministères de l’intérieur et de la santé. Dans la majorité des territoires, nous sommes encore les supplétifs des SAMU.

Les disparités entre les territoires sont inacceptables, chacun se contentant d’une augmentation de 1,5 point du glissement vieillesse technicité (GVT) et d’augmentations microscopiques pour juger de l’amélioration de la sécurité. Cela ne suffira pas à rattraper d’immenses retards dans certains territoires, tout le monde n’ayant pas été sur la même ligne de départ.

Le grand public ne sait pas qui paie, qui contribue, qui commande, combien cela coûte. Les élus locaux méconnaissent leurs propres responsabilités et les élus nationaux, la réalité des territoires. Nous notons un manque de considération de la part de l’État et nous avons le sentiment d’être des enfants de parents divorcés qui ne s’entendent pas, l’État renvoyant à la gestion départementale et aux financements locaux, tandis que les collectivités critiquent l’État pour son désengagement et son manque d’ambition.

Nous pointons également un manque de transparence en ce qui concerne les coûts, les mécanismes de financement et l’évolution de la qualité du service rendu.

Sur un plan législatif, nous souhaitons depuis 2017 qu’un acte II de loi de modernisation de la sécurité civile (Mosc) soit discuté et voté. Sur un plan réglementaire, il convient de veiller à l’application des décrets de la loi de 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, et de la réforme des retraites.

Nous ne prétendons pas rédiger le sommaire de la loi Mosc 2 mais, selon nous, il est indispensable de créer un secrétariat général à la préparation des populations et à l’organisation de la réponse de sécurité civile, organisme supra ministériel visant à faire changer les arbitrages et à faire en sorte que nous puissions travailler à l’acculturation et à la formation du grand public. Il convient également de veiller à ce que le financement soit efficace pour la population et à replacer les administrés au cœur de la sécurité civile, en tant qu’acteurs et non en tant que consommateurs. Ce secrétariat général devra aussi produire des textes, des normes, anticiper les crises et les nécessaires adaptations.

Sans une évolution du périmètre budgétaire, toutes les solutions que nous pourrions envisager pour les sapeurs-pompiers et les acteurs de la sécurité civile seront vaines, comme nous l’avons vu en 1996 lors de la substitution du cadre communal au cadre départemental.

Quelques pistes doivent être étudiées.

Tout d’abord, la suppression de la TVA sur les carburants, comme pour les services d’État – tel est d’ailleurs déjà le cas pour le matériel flottant des sapeurs-pompiers. Ensuite, le fléchage de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) vers les SDIS, afin d’écarter le dumping auquel se livrent certains départements. Il conviendra d’accompagner cette disposition d’un système de contrôle. Un élu me disait récemment qu’un tel fléchage réduira mécaniquement la contribution départementale aux SDIS. Je songe aussi au dégel de la participation du bloc communal puis, dans un second temps, à l’attribution du financement des SDIS au bloc intercommunal des EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale. Dans le Calvados, par exemple, un apport supplémentaire serait possible. Les élus locaux, et en particulier communaux, pourraient bénéficier d’une meilleure lisibilité et de nouvelles ressources pour financer des réserves communales de sécurité civile et réaliser ainsi leurs plans communaux de sauvegarde.

La question du financement par les régions a été abordée dans le rapport Falco. Il ne serait pas raisonnable de modifier l’équilibre de la gouvernance des SDIS : la région doit pouvoir être un contributeur, notamment s’agissant de la formation.

Il faut également qu’une partie du produit de la taxe de séjour soit « fléché » en direction des SDIS, afin de souligner le lien entre accroissement de la population et augmentation des risques. L’ensemble de la population de la Lozère, au mois de décembre, ne remplirait pas le Stade de France, mais, en été, des millions de touristes visitent ce département. Il en est de même en Ardèche, où nous sommes contraints d’appliquer des dispositifs spécifiques pendant la période estivale.

Il importe de faire participer les assureurs au financement par le biais du coût du sauvé. Il est en effet inadmissible que l’amélioration de la qualité du service, depuis les vingt dernières années, n’ait pas été suivie par une part de financement assurantielle. Je rappelle que la TSCA, prélevée sur les contrats d’assurance automobile depuis 2003, n’est pas l’argent des assureurs, mais celui des assurés.

La pérennisation du pacte capacitaire dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) est une bonne chose. Enfin l’État met la main à la poche pour aider les collectivités ! Je me félicite également du retour du fonds d’investissement pour favoriser la péréquation et réduire les disparités entre les territoires.

Le volet concernant l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (Ensosp) me paraît fondamental. Cet organisme d’État est financé à hauteur de 16 millions par les collectivités et de 5 millions seulement par l’État. Dès lors, comment parler d’opérateur de l’État ? Un financement plus large permettrait de rehausser le niveau de formation et d’atteindre les objectifs fixés, alors que l’École ne dispose que de 205 équivalents temps plein pour réaliser 100 000 journées de stage. J’invite votre mission d’information à se renseigner sur les pratiques des autres écoles qui, elles, sont intégralement financées par l’État. J’ajoute que l’Ensosp doit avoir plus de moyens pour favoriser l’acculturation européenne de nos officiers et pour développer l’enseignement des langues étrangères. Les Erasmus « sécurité civile » existent déjà, mais les officiers sapeurs-pompiers sont limités par une méconnaissance de la langue anglaise. L’Ensosp doit organiser nos concours et nos examens. Renseignez-vous sur ce que paie l’État à la Fédération nationale des centres de gestion pour l’organisation de ces derniers, alors que l’École pourrait faire mieux tout en consommant moins de crédits ! Enfin, l’Ensosp pourrait être un pôle européen d’excellence en matière de feux de forêt, avec la proximité nîmoise de la base aérienne, du simulateur européen Secoas (Simulateur d’entraînement à la coordination des opérations aériennes de secours) et de l’École d’application de sécurité civile de Valabre.

La création d’un secrétariat général permettrait également de transformer notre direction générale en direction « métier ».

Sur un plan réglementaire, le ministère de la transformation et de la fonction publiques et la direction générale de l’administration et de la fonction publique doivent rapidement travailler à la réforme que nous demandons, en particulier pour le service de santé et de secours médical, qui est le plus mal loti.

Les problèmes d’attractivité s’expliquent en particulier par les procédures de fin de carrière. La bonification de l’ancienneté et la non-portabilité limitent les mobilités et les passerelles, de même que la non-reconnaissance des titres et des diplômes. L’attractivité est un champ de mission en raison, également, de la perte des repères.

Veillons à ce que le ministère de la santé ne favorise pas une concurrence entre les véhicules de liaison infirmiers, qui sont efficaces, et les unités mobiles pré-hospitalières (UMPH) !

L’essoufflement du volontariat s’explique par les sous-effectifs de professionnels. Il est temps d’agir !

Je vous invite à venir en Ardèche pour voir comment les choses se passent s’agissant des véhicules légers infirmiers et de la réponse aux obligations légales de débroussaillement.

Mme la présidente Lisa Belluco. N’hésitez pas à nous faire part, le cas échéant, de vos divergences. Je vous invite également à être un peu plus concis, autant que faire se peut, dans vos présentations liminaires.

M. Sébastien Delavoux, animateur du collectif CGT des agents des services départementaux d’incendie et de secours. Cette table ronde sera sans doute la moins « rassuriste » de toutes celles que vous avez organisées.

Notre système de sécurité civile n’est pas unique, puisqu’il compte environ treize équivalents en Europe, mais il se caractérise par deux particularités : une charge de travail supérieure à celle des autres pays et un coût inférieur. Malgré certaines manifestations d’autosatisfaction, il ne garantit plus au quotidien l’égalité de nos concitoyens en matière de secours d’urgence. Le seul indicateur, d’ailleurs modérément fiable, montre une augmentation de plus de 2 minutes du délai moyen de présentation du premier engin entre 2014 et 2020. Personne ne garantit qu’il s’agit du bon engin, que son équipement est complet et que son équipage dispose des compétences adéquates. Le volume urbain, très important sur de petites distances, ne permet plus d’égaler les actions que nous menons dans les milieux les plus ruraux.

Deux explications à cela : la baisse de la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires, ou de notre capacité à nous en saisir ; le budget des SDIS, dont l’équilibre en 2024 est encore incertain.

À propos de budget, j’ai entendu, au cours des auditions précédentes, trois affirmations que je tiens à rectifier. Tout d’abord, dire que l’État ne participerait qu’à hauteur de 10 % au budget de la sécurité civile revient à minorer beaucoup les chiffres. Ensuite, il est évidemment faux que toute la TSCA perçue par les conseils départementaux n’est pas reversée aux SDIS, car les flux de TSCA qui parviennent dans les conseils départementaux ne sont pas normés : chaque euro de TSCA touché par les conseils départementaux finit bien dans les budgets des SDIS, même si c’est insuffisant. Quant à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, son audition n’a pas évoqué le référé de la Cour des comptes de 2019, qui disait des choses très différentes de celles qui vous ont été dites ici.

Il faudrait se souvenir qu’en 2002, la participation du bloc communal était très différente d’un département à l’autre, par exemple entre le Loiret et l’Essonne. Ainsi, lorsque le conseil départemental a dû augmenter sa participation, il n’a parfois fait que rattraper celle du bloc communal. Lever l’interdiction d’augmenter la participation du bloc communal est parfaitement possible dans certains cas où les communes ne participent qu’à la marge, alors que, dans d’autres cas, ce sont encore elles qui continuent à assumer la majorité du financement des SDIS.

Quant aux concours, leur organisation se heurte d’abord à un problème démographique : alors que l’armée et la brigade de sapeurs-pompiers de Paris font de la publicité pour recruter, nos concours font l’objet de très peu de promotion. Sur un segment qui tend à se rétrécir, nous sommes donc en concurrence avec des institutions qui n’ont pas les mêmes armes que nous. Alors que la première épreuve du concours se déroulera le 21 novembre, la fin des inscriptions était, dans certaines zones, fixée au 15 février, si bien que, faute d’information, les candidats qui ne sont pas du sérail ne pouvaient pas s’inscrire. Nous verrons bien si nous avons assez d’inscrits pour atteindre le nombre de lauréats attendu, mais cette situation devrait tous nous interroger. La décorrélation des deux dates vise évidemment à diminuer le coût de l’organisation des concours, mais cela nous sera bientôt préjudiciable.

À l’issue du concours, le nombre d’inscrits sur les listes est lui aussi décorrélé du nombre de postes ouverts immédiatement ou ultérieurement. Lorsqu’on dit aux gens qui sont inscrits sur une liste qu’il faudra quatre ans pour que tous les postes correspondants soient ouverts, le délai est trop long : les lauréats se lassent et peuvent avoir des accidents de la vie ou choisir des employeurs qui leur proposent un emploi à une date ferme. À la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, si on vient avec son sac à la date prévue, on est recruté, tandis que, chez nous, on couche les noms des lauréats sur des listes et on laisse chacun d’entre eux écrire aux différents établissements, au risque de s’entendre répondre que le recrutement vient de s’achever et qu’ils sont invités à se porter candidats l’année suivante. Cela crée un sentiment pénible chez des gens à qui on n’a pas toujours expliqué le fonctionnement de la fonction publique territoriale.

Depuis 2013, nous alertons le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et les services organisateurs – car nous sommes tous co-organisateurs. De fait, les directeurs se plaignent que les lauréats ne sont pas à la hauteur, mais ce sont eux qui les choisissent.

Le suivi des listes de lauréats est très mauvais : le fait qu’un an et demi après l’établissement de ces listes, on ne soit plus capable de contacter les personnes qui y figurent ou qu’elles ne soient plus candidates signifie bien que nous devons progresser en matière d’organisation de concours, a fortiori au vu du coût des lauréats – 8 000 euros en Île-de-France ! Tout est faussé : nous inscrivons sur les listes des personnes qu’on ne recrute finalement pas, parce que nous tardons trop à le faire ou parce que les postes n’existent pas.

Je m’arrêterai là, mais nous pourrions aussi parler de l’attractivité du métier et de son sens.

M. Xavier Boy, président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA-SPP-PATS). Comme l’a dit Sébastien Delavoux, nous serons sans doute un peu plus « cash » que les autres personnes que vous avez auditionnées, car nous vous parlerons du terrain. Nous avons répondu par écrit à votre questionnaire et je vous remettrai à l’issue de l’audition ce document, dont je vais présenter un rapide résumé chapitre par chapitre.

Pour ce qui concerne, tout d’abord, la motivation et le recrutement, la Fédération autonome considère qu’il faut communiquer en direction des futurs candidats en montrant ce qu’est réellement le métier de sapeur-pompier, ou du moins ce que, pour de multiples raisons, il est devenu. La société a évolué et les services publics, d’une manière générale, se désengagent de leurs missions premières. C’est éminemment le cas des services de soins, mais cela vaut aussi pour les services de sûreté, les sapeurs-pompiers étant amenés à effectuer des missions de sécurité publique, notamment dans les situations d’ivresse manifeste. Le périmètre et le spectre de nos missions ont ainsi été modifiés : l’image du pompier sortant des flammes avec un enfant dans les bras, comme dans le film Backdraft, c’est beau pour l’affiche, mais ce n’est pas la réalité. Certains collègues qui nous rejoignent ne trouvent pas ce qu’ils pensaient trouver en venant exercer ce métier.

Nous revendiquons la professionnalisation et la séparation des missions réalisées par les techniciens du soin d’urgence et les techniciens du feu. Depuis la loi Matras, nous avons été autorisés, bien qu’il soit précisé que nous ne sommes pas des professionnels de santé, à pratiquer certains gestes techniques relevant de ces derniers, afin d’assurer une prise en charge plus efficiente des victimes. Comme nous l’écrivons dans la contribution que nous vous remettrons, cela ne doit pas avoir pour effet d’amplifier le désengagement des équipes médicalisées d’urgence des SAMU et des structures mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR). En effet, si pour lever le doute en cas de douleur thoracique pouvant indiquer un accident cardiaque, le médecin régulateur qui pilote les moyens des SDIS par l’intermédiaire du 15 décide d’engager un vecteur sapeurs-pompiers au lieu d’un SMUR pour pratiquer un électrocardiogramme, le pompier de terrain que je suis ne peut pas vous garantir que cela sera aussi bien fait que si le médecin du SAMU était venu le faire. Nous refusons ces gestes, afin de ne pas détériorer l’activité des SMUR.

Pour ce qui est de la formation, nous constatons depuis de nombreuses années qu’elle s’adapte à la disponibilité de sapeurs-pompiers volontaires, ce qui tire son niveau vers le bas, alors qu’elle devrait devenir plus technique pour faire face aux nouveaux risques que vous évoquiez, madame la présidente, comme les risques technologiques liés à l’arrivée des véhicules hybrides à énergies alternatives, notamment des véhicules électriques. Pour éteindre l’incendie d’un bus électrique ou d’une voiture Tesla – vous en avez certainement tous vu en vidéo –, il faut plusieurs heures, voire près d’une journée, faute de moyens adéquats. Or, c’est sur le terrain, une fois que nous sommes confrontés au risque, que nous découvrons que nous n’avons pas les moyens d’agir efficacement. Il faut donc une formation dans les domaines les plus spécifiques, qu’il s’agisse du soin, du feu, des crises naturelles majeures comme les cyclones et tempêtes, ou des maladies nouvelles qui nous viennent souvent d’outre-mer et sont encore mal connues en métropole, comme le chikungunya ou la dengue – autant de risques nouveaux, face auxquels nous devons être outillés.

Quant aux concours, je souscris pleinement aux propos de mon collègue de la CGT et me contenterai d’apporter quelques précisions. Les besoins annuels en termes de nouveaux sapeurs-pompiers professionnels au grade de caporal sont identifiés et annoncés par les SDIS. Or ces chiffres, purement déclaratifs car fixés en fonction du budget des SDIS plutôt que des besoins opérationnels, sont sous-estimés du fait du recours aux sapeurs-pompiers volontaires, pour qui l’engagement est une activité, et non pas un métier comme pour les sapeurs-pompiers professionnels, et que l’on peut donc ainsi ne pas considérer comme des travailleurs. Les emplois permanents identifiés par les SDIS et qui nécessiteraient des pompiers tous les jours, en tout temps et à toute heure, sont donc remplis par des sapeurs-pompiers volontaires en garde postée. Le besoin n’étant pas identifié comme un besoin de professionnels, le manque d’effectifs professionnels pousse à recourir à des sapeurs-pompiers volontaires, et cette professionnalisation du volontariat éloigne de nos rangs des sapeurs-pompiers volontaires qui ne s’étaient pas engagés pour cela.

Il faudrait par ailleurs inverser le calendrier des épreuves. En effet, l’expérience du dernier concours, où les épreuves écrites précédaient les épreuves sportives, a montré que les candidats qui avaient réussi l’écrit n’avaient pas les capacités physiques nécessaires pour accomplir les missions de sapeurs-pompiers. Ces épreuves ne sont, du reste, pas les plus pertinentes. Notre organisation syndicale a défendu au sein du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale l’idée qu’il ne fallait pas confondre l’accès à la filière sapeurs-pompiers, qui est un accès à la fonction publique, avec un accès aux métiers du feu. De fait, il devrait exister dans notre filière plusieurs métiers, ce qui permettrait également d’offrir des possibilités d’aménagement de fin de carrière pour de sapeurs-pompiers usés ou abîmés par le travail ou par la vie.

Le concours de caporal, qui est le premier concours de sapeurs-pompiers, est organisé à une date unique par des centres d’examens dans des zones différentes, de telle sorte que les candidats inscrits sur les différentes listes d’aptitude sont cantonnés à celle de leur zone et que les chances de réussite n’y sont pas égales. Ainsi, pour le dernier concours, le taux de réussite par rapport aux inscriptions était de 4,7 % à Bordeaux, pour la zone du Sud-Ouest, contre 1,9 % en région parisienne. Il y a là quelque chose à revoir, d’autant plus qu’un candidat ayant passé le concours à Montpellier ne pourra pas être candidat à un poste en Essonne, car il ne sera pas inscrit sur la liste d’aptitude ayant fait l’objet d’une convention entre son SDIS et l’organisateur. Pour éviter ces coûts supplémentaires, en effet, les recruteurs qui connaissent des vacances de postes ne recrutent pas dans des zones différentes de celle avec laquelle ils ont conclu un partenariat avec le SDIS. Les avis de vacance sont d’ailleurs très clairs à cet égard et indiquent d’emblée aux candidats issus d’autres zones qu’ils ne seront pas recrutés et ne doivent donc pas se présenter – ce qui est assez surprenant.

En outre, et comme cela a été dit, l’administration n’assure guère de suivi de la liste d’aptitude et n’est pas en mesure de dire si un lauréat a été recruté ou non.

Nos missions ont changé et nous sommes aujourd’hui des sauveurs de la détresse sociale. Nous constatons malheureusement la dégradation de la société et sommes victimes de violences. Des mesures sont prises pour nous protéger, comme des caméras-piétons ou des caméras installées à bord de nos engins, ainsi que des gilets pare-lame anti-agression, mais mieux vaudrait que nous ne soyons pas confrontés à ce genre d’interventions, du moins lorsque l’appel permet de déterminer le contexte que nous trouverons.

J’en viens à ce qui peut démotiver le sapeur-pompier une fois qu’il a été recruté. Au début, la DGSCGC nous expliquait que la jeune génération, dite « post-it », testait un peu tout. Nous, pompiers de terrain, nous rendons compte que ceux qui partent ne sont pas les jeunes sapeurs-pompiers qui viennent de rejoindre nos rangs, mais ceux qui ont perdu le sens de leur travail. Étant supplétifs de tous les services publics, nous ne voyons plus le sens de ce que nous faisons et sommes confrontés à des conflits de valeurs. On nous demande de faire des choses qui ne relèvent pas de nos missions, alors que nous savons en outre que si nous les faisons, nous ne serons plus disponibles pour répondre à une mission qui supposerait précisément que nous le soyons. C’est très difficile à vivre pour un pompier.

Ainsi – et ce n’est que l’un des plus éloquents des nombreux exemples que je pourrais citer –, pendant les deux à huit heures qu’elle passe à attendre avec son ambulance dans le sas d’un hôpital, une équipe de pompiers n’est pas disponible pour sauver une vie. Ce sont là des éléments de démotivation pour nos jeunes recrues. Je ne me considère pas comme étant très vieux, mais je constate une différence avec la jeune génération, marquée par l’immédiateté de l’« effet Amazon » et pressée de vivre tout de suite ce qu’elle désire. Lorsqu’ils deviennent sapeurs-pompiers professionnels, nos jeunes collègues prennent conscience qu’ils vont travailler avec des sapeurs-pompiers volontaires qui sont considérés de la même manière qu’eux, et qui même, alors qu’ils ne sont pas reconnus comme des travailleurs, les commandent parfois. Après avoir fait des efforts personnels et réussi un concours, tout s’arrête et ils constatent que s’ils étaient restés sapeurs-pompiers volontaires, ils s’épanouiraient sûrement mieux. Cette perte de sens contribue à la démotivation et à la perte de nos effectifs.

Pour ce qui est du statut et de la rémunération, nous avons demandé, lors d’une séance du CSFPT en juin 2021, la rénovation de notre filière pour la rendre novatrice et attractive, avec la création des différents métiers que j’évoquais tout à l’heure.

En matière de retraite, les sapeurs-pompiers devront accomplir deux années supplémentaires, ce qui, comme nous l’avons exposé devant les ministres chargés de ce dossier, relève du suicide. Pour un sapeur-pompier, en effet, c’est déjà beaucoup que de travailler jusqu’à 55 ans. Après 55 ans, c’est dangereux ; à 57 ans, c’est extrêmement dangereux et, au-delà de 57 ans, ce n’est plus possible. Puisqu’il n’existe pas plusieurs métiers, je pourrai être encore à 57 ans au poste de porteur de lance que j’occupe aujourd’hui, à 43 ans, et on me demandera encore de faire la même chose qu’à 20 ans. Il faut donc développer différents métiers au sein de notre filière.

Le temps de travail participe aussi à l’attractivité de notre métier. Vous n’ignorez pas que les sapeurs-pompiers professionnels sont les seuls fonctionnaires de France à qui on impose un régime d’équivalences permettant à un employeur de les faire travailler pendant vingt-quatre heures d’affilée en ne leur décomptant que dix-sept heures de rémunération. Ce temps de travail de vingt-quatre heures n’est pas seulement néfaste pour la santé des agents qui y sont soumis : il est aussi en totale contradiction avec tous les discours exaltant le pompier héroïque que nous entendons lors des commémorations de fin d’année, notamment à la Sainte-Barbe, ou lorsque nous sommes engagés sur des missions ou des catastrophes de grande importance. Plus que cette bienveillance, nous demandons une reconnaissance de chaque jour, qui suppose que l’on cesse de nous imposer ce temps de travail hors norme et dangereux.

À propos du financement, je ne souscris pas entièrement à la position de mon collègue d’Avenir Secours quant au « fléchage » de la TSCA, abordé par plusieurs des personnes que vous avez auditionnées. Quant à la taxe touristique, nous partageons le point de vue exprimé : lorsqu’un département reçoit beaucoup de touristes et crée donc des risques supplémentaires, une réflexion sur sa contribution s’impose.

Quant à savoir comment les sapeurs-pompiers collaborent avec les autres acteurs de la sécurité civile et quel regard nous portons sur la répartition des compétences entre ces acteurs, les organisations syndicales ne sont pas assez informées pour vous répondre à ce propos.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous confirme que nous recevons toutes vos contributions écrites et que nous en tiendrons compte. N’hésitez donc pas à nous les faire parvenir.

M. Charles Cosse, directeur de cabinet de l’UNSA-SDIS. Beaucoup de choses ayant déjà été dites, je n’y insisterai pas et je ferai donc parvenir notre contribution.

Je tiens toutefois à revenir sur les concours. Vous faisiez remarquer à juste titre, madame la présidente, que la représentation de notre profession devant votre commission était très masculine, et je ne suis pas certain que cela soit près de s’arranger, car la formule actuelle du concours est néfaste pour l’accès des femmes à la profession. Ces dernières sont intéressées par le métier et passent les épreuves écrites, mais au moment des épreuves sportives, c’est la catastrophe, n’en déplaise aux ayatollahs du sport – car il en existe chez nous. Tant qu’on ne se penchera pas sur les épreuves sportives du concours de caporal de sapeurs-pompiers professionnels, il restera difficile de recruter des femmes. Ce problème se pose depuis de nombreuses années et nous n’avons pas encore trouvé une oreille assez attentive à ce propos. Si nous voulons féminiser notre profession – ce que soutient bien évidemment l’UNSA – et élargir sa représentation, il faut déjà être en mesure de recruter des femmes, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.

Je souscris par ailleurs au constat alarmiste de mes collègues sur la capacité d’adaptation des SDIS, qui sont aujourd’hui, dans leur grande majorité, dans une situation de risque capacitaire, pour des raisons liées au premier chef à leur financement. De nombreuses pistes peuvent être évoquées et les propositions ne manquent pas. Plusieurs lois ont même évoqué de plus ou moins loin, ces dernières années, l’environnement des sapeurs-pompiers et de la sécurité civile, comme la loi Matras ou la dernière loi sur les risques d’incendie, mais elles n’ont jamais abordé l’essentiel, à savoir le périmètre et les modalités du financement des SDIS. Tant que nous tournerons autour du pot et n’examinerons pas réellement cette question, nous ne pourrons guère avoir une réflexion de fond sur la manière dont les services d’incendie et de secours peuvent faire face aux nombreux défis qui les attendent.

M. Mickaël Pacanowski, vice-président de la CFTC-Sapeurs-pompiers et agents des SDIS (SPA-SDIS). Feux de forêt, inondations, risques courants : le constat est là et nous sommes confrontés à la rupture capacitaire que vient d’évoquer M. Cosse. Il faut investir et recruter, et pas seulement des sapeurs-pompiers volontaires. Je n’ai rien contre ces derniers – bien au contraire, puisque je relève d’un SDIS où ils sont nombreux –, mais les espérances en termes de recrutement sont irréalistes. De fait, la dernière campagne évoquait un chiffre de 50 000 sapeurs-pompiers volontaires (SPV), mais on peine aujourd’hui à en recruter 50 par an pour maintenir les effectifs. Or c’est bien en journée que nous manquons de sapeurs-pompiers volontaires. Il faut donc cesser de faire du chiffre et adapter le recrutement aux besoins.

Il faut également arrêter de faire croire à l’égalité des secours sur l’ensemble du territoire, car ce n’est pas le cas – en campagne, les secours sont beaucoup plus longs. Dans le Haut-Rhin, que connaît bien M. Didier Lemaire, avec qui je travaillais voilà encore un an et demi, on a créé une petite usine à gaz qui porte le nom d’« effectifs complétés ». Selon ce mécanisme, on envoie les collègues au casse-pipe avec un petit véhicule : arrivés sur place, ils constatent qu’ils ne peuvent rien faire, faute de moyens d’incendie, jusqu’à ce que le véhicule approprié arrive, huit ou neuf minutes plus tard, avec des sapeurs-pompiers volontaires. On en est là ! Cela devient grave et triste.

Les villes sont favorisées en termes de présence de sapeurs-pompiers professionnels et de SPV en garde casernée et, dans les campagnes, les secours sont beaucoup plus longs et moins expérimentés. Les personnels ne sont pas fautifs et nous ne demandons pas que tout soit professionnalisé, mais les deux statuts sont complémentaires.

Le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires pâtit aussi des abus des SDIS, qui leur demandent trop d’heures, d’astreintes et de gardes casernées. Il faut donc réformer complètement la sécurité civile. La Lopmi a dégagé des millions d’euros pour les gendarmes et les policiers, mais sans prévoir aucun fléchage pour les SDIS ni pour les sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires.

Le secrétariat dédié à la sécurité civile qu’ont évoqué mes collègues permettrait de couvrir l’ensemble des services fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre et d’assurer une interconnexion entre ces services.

Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, les aspects positifs tiennent à la participation des casernes à la vie de la collectivité, à une forte cohésion et à un sens du service public. Nous exerçons un métier atypique qui ne connaît pas la routine, car nous ne savons jamais quelles seront nos missions, et qui jouit d’une image positive auprès de la population. Quant aux aspects négatifs, ils sont liés à une perte de sens, car nous accomplissons trop de missions non urgentes qui relèvent de plus en plus largement de l’assistanat. Les relevages en ambulance sont le quotidien, avec des délais d’attente dans les hôpitaux de plus en plus problématiques, car un sapeur-pompier volontaire ne peut pas se permettre, en journée, de passer trois heures en intervention pour la seule raison que l’hôpital ne peut pas prendre en charge la personne qu’il lui amène. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous perdons ces personnels. Face aux carences des autres services, entre les secours aux personnes ou aux animaux et les interventions sur les routes, les pompiers sont partout, donc aussi nulle part, car vient un moment où ils ne peuvent plus suivre.

M. Christophe Sansou, secrétaire général de l’Union nationale FO des services d’incendie et de secours. Nous remettrons nous aussi une contribution écrite. Tout a été dit, mais j’insisterai sur le fait que la formation des pompiers volontaires et celle des pompiers professionnels sont bien différentes. En effet, les pompiers professionnels suivent un parcours de formation bien plus long que celui des pompiers volontaires, mais on leur confie pourtant les mêmes missions. On en comprend les raisons, puisqu’un pompier volontaire n’est pas aussi disponible qu’un pompier professionnel, mais il y a là un vrai problème, en particulier lorsqu’on s’interroge sur la possibilité de prendre en compte une partie des formations acquises auparavant.

Les concours, tant pour l’entrée dans la profession que pour les postes d’encadrement, sont éloignés des besoins que l’on ressent sur le terrain. Une grande opacité règne en la matière. Le nombre de postes ouverts est défini par arrêté, mais les organisations syndicales n’ont aucun retour sur les besoins exprimés par les SDIS. Nous souhaiterions avoir connaissance de ces besoins pour vérifier que le nombre de postes proposé est adapté.

Concernant les SDIS, le système est à bout de souffle. La sécurité civile repose sur un effectif constitué à 80 % de pompiers volontaires, dont la disponibilité est aléatoire. Le potentiel opérationnel journalier, autrement dit les besoins en effectifs définis dans nos documents, qui sont signés par le président du conseil d’administration et adressés à la préfecture, n’est pas respecté. Faute de personnel, tel centre devra refuser des départs, ce qui conduira à appeler un autre centre, et donc à allonger les délais d’intervention. Pour armer un fourgon, il faut disposer de six pompiers. Il arrive qu’un centre fasse partir un fourgon en sous-effectif et que deux ou trois autres centres situés à proximité envoient une voiture pour assurer l’armement réglementaire du fourgon. Cela ralentit l’intervention et augmente les risques, car les premiers arrivés sont en effectifs insuffisants.

En outre, les SDIS sont les supplétifs des autres services. Au sein de notre organisation, nous présentons souvent les pompiers comme des couteaux suisses. Il est arrivé, lors des dernières élections, que des pompiers soient affectés à un centre de mise sous pli pour faire partir la propagande électorale à temps. Pendant la crise du Covid-19, on a aussi vu des pompiers apporter leur aide lors des campagnes de vaccination ou prendre la température des passagers descendant de l’avion. On utilise les pompiers pour toutes sortes de tâches, souvent au détriment des missions pérennes.

Par ailleurs, nous subissons les conséquences des difficultés de nos collègues hospitaliers : manque de lits, de personnel et allongement des délais.

Il faut réformer la sécurité civile et oser encadrer l’activité des sapeurs-pompiers volontaires. On ne peut pas dire qu’un sapeur-pompier volontaire qui assure une garde postée n’est pas un travailleur, alors que le pompier professionnel qui se trouve à ses côtés assume des missions et des contraintes identiques. Je n’ai évidemment nullement pour intention d’opposer les uns aux autres, mais je constate que le pompier professionnel bénéficie systématiquement du repos de sécurité obligatoire, alors que, pour un pompier volontaire, on ferme les yeux. Ce faisant, on court à la catastrophe. Il appartient aux SDIS – car l’État n’a pas la main sur ce sujet – d’engager un plan massif de recrutement de sapeurs-pompiers professionnels.

Le recul de l’âge de la retraite appelle l’aménagement de la fin de carrière. À cet égard, les pompiers professionnels perçoivent une prime de feu de 25 %, intégrée au calcul de la retraite, mais ils masquent parfois leurs difficultés pour ne pas perdre cet avantage. Il faut s’attacher à ce que ces aménagements soient réellement au bénéfice des pompiers.

M. Frédéric Monchy. Je ne reviendrai pas sur un certain nombre de constats que nous partageons, qu’il s’agisse du conflit de valeurs, de la perte de sens de la mission ou des problématiques de financement. Nous approuvons également certaines propositions qui ont été faites. Cela étant, il faut revenir aux principes de base et se demander ce que l’on attend de la sécurité civile française et quel est le sens de sa mission.

Vous évoquez, dans le questionnaire que vous nous avez adressé, plusieurs textes récents. Si elles ont réorganisé un certain nombre de sujets, ces lois se sont inscrites dans une logique de silos. Chacune des initiatives parlementaires qui a été prise a traité une thématique particulière, par exemple la défense des forêts contre l’incendie (DFCI). À présent il faut répondre, par un projet d’ensemble, aux enjeux de la sécurité civile et de son organisation. Il faut se demander quel service public de secours les Français sont en droit d’attendre et comment faire en sorte que nous soyons au rendez-vous. La proposition de loi de Fabien Matras s’est efforcée d’organiser une réponse et a modifié la définition de l’action des SDIS. Il faut aller plus loin et travailler sur le financement. Les effets de ciseau mettent en difficulté les budgets des SDIS et empêchent l’organisation d’une réponse cohérente sur l’ensemble du territoire.

Tandis que la sécurité privée se frotte les mains à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques, le service public de secours recule. Nous n’arrivons plus à assurer l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire. Une fois que l’on aura redéfini ce que l’on attend du service public de secours, il faudra y affecter les moyens, à commencer par les hommes, se pencher sur le statut des sapeurs-pompiers professionnels, volontaires et militaires, et travailler sur des notions telles que l’organisation, la planification, l’anticipation… Tout peut être discuté, mais il faut arrêter de traiter séparément les sujets au moyen d’initiatives parlementaires dont se saisit allègrement l’État.

Le Livre blanc de la sécurité intérieure ignore la sécurité civile. La Lopmi a détricoté le sujet. Dans le cadre de la concertation organisée avec le ministère de l’intérieur, lorsque nous avons évoqué la nécessité d’une loi d’ensemble pour moderniser la sécurité civile, on nous a répondu que les deux ans qui restaient avant la fin du premier quinquennat du Président de la République constituaient un délai trop court. Il est déjà presque trop tard pour commencer à travailler sur une nouvelle version de la loi de modernisation de la sécurité civile. Le Parlement doit se saisir sans tarder du sujet, au même titre que le Gouvernement.

Nous avons fourni plusieurs contributions, au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la mission de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur le volontariat dans le domaine de la sécurité civile, ou lors des travaux de la mission Falco de modernisation de la sécurité civile, à la suite des feux de forêt en Gironde. Nous vous fournirons d’ailleurs des réponses écrites à vos questions. Essayons de prendre de la hauteur et de réfléchir à un projet majeur dans le domaine de la sécurité civile.

M. Stéphane Bardel, membre de la commission nationale des SDIS pour la Fédération CFDT-Interco. On en est arrivé au point où la gestion des SDIS repose sur la dérogation – au temps de travail, à la formation, à l’âge… S’agissant du temps de travail, les gardes de vingt-quatre heures ne sont en principe exigées qu’en raison des nécessités de service, mais aucun SDIS ne peut indiquer quelles sont les nécessités qui l’amènent à déroger à la règle, si ce n’est les restrictions budgétaires. On ne prend jamais en compte la santé, ni la sécurité des agents. Les pompiers volontaires sont sollicités à l’excès ; sous prétexte que ce ne sont pas des travailleurs, ils subissent des dérogations au temps de travail. Ils doivent pourtant bénéficier des mêmes règles protectrices en matière de santé et de sécurité, à l’image du temps de repos.

Concernant l’âge, un nombre croissant de sapeurs-pompiers mineurs sont employés comme des sapeurs-pompiers professionnels et exposés aux mêmes risques. Lorsqu’ils sont volontaires, comme leurs aînés, ils sont moins bien formés que les pompiers professionnels. Par manque de connaissances ou naïveté, les jeunes sont sujets à des accidents qui peuvent se révéler mortels, comme cela s’est hélas produit cette année. Cela peut être dû à une chose aussi bête que le foudroiement d’un arbre. Les accidents de ce type s’expliquent souvent par l’ignorance des consignes de sécurité, car les formations n’abordent plus les conduites à tenir en pareil cas lors d’une intervention.

Sur tous ces sujets, la direction générale laisse aux SDIS les pleins pouvoirs au nom du principe de libre administration.

Concernant le financement, nous sommes favorables à l’uniformisation de la participation des communes, des EPCI et de l’État, ainsi qu’à la mention de l’imposition directe sur les avis d’imposition, pour que les gens aient conscience du coût de la sécurité civile et s’aperçoivent que tout le monde n’a pas droit à la même prestation malgré une contribution identique. Notre service public doit être accessible à tous : les gens ne doivent pas être tenus de payer des prestations privées.

La reconnaissance des biens sauvés, qui ne sont pas pris en compte par les assurances, pourrait être une piste budgétaire.

M. Manuel Coullet, secrétaire général, Sud-SDIS. Monsieur le rapporteur, vous parliez de métier, sans établir de distinction selon les statuts. Or, sapeur-pompier volontaire, ce n’est pas un métier. Pourtant, les pompiers volontaires sont employés de la même façon que les professionnels : c’est ce que nous dénonçons dans nos actions en justice. Nous demandons qu’enfin, on reconnaisse aux sapeurs-pompiers volontaires la qualité de travailleurs pour qu’ils puissent bénéficier de l’ensemble des règles relatives à la santé et à la sécurité au travail.

Nous regrettons que le métier soit l’objet d’un processus d’ubérisation, qui est préjudiciable à la santé des sapeurs-pompiers, volontaires comme professionnels, ces derniers étant confrontés, en outre, à une perte de sens de leur profession.

Pour répondre à votre question sur l’attractivité, le métier fait toujours rêver, notamment en raison du temps de travail, en particulier des plages de travail de douze heures, et de la sécurité de l’emploi – même si on pourrait discuter de ce dernier point. Les sapeurs-pompiers volontaires peuvent en outre inscrire leur engagement dans la continuité. Cela étant, avant même d’occuper ses fonctions, on découvre assez rapidement que le rêve peut se transformer en cauchemar. Il faut d’abord trouver le concours où l’on a le plus de chances de réussir, puis passer les épreuves. Ensuite, il faut écrire à l’ensemble des départements de la zone dans laquelle on a passé le concours pour espérer être recruté. On doit ensuite passer un deuxième concours, qui ne se résume pas à un simple entretien, mais qui comporte très souvent des épreuves sportives, écrites et orales.

Puis, une fois qu’on a la chance d’être admis, on se trouve placé sous le commandement de personnes dont ce n’est pas le métier, qui ont reçu des formations incomplètes. On découvre la fonction publique territoriale, qui présente de grandes spécificités dans les SDIS. On s’aperçoit que la carrière que l’on avait vue se profiler sera modifiée au gré des réformes et des ajustements qui ont lieu environ tous les dix ans. On voit que les interventions ne correspondent pas tout à fait à nos rêves. On est un peu un couteau suisse, on fait tout et rien : on voit encore des pompiers décrocher des banderoles et faire descendre des gens des arbres dans les manifestations.

En fin de carrière, les dispositifs de reclassement sont peu attractifs, la bonification disparaît et le congé pour raison opérationnelle (CRO) n’est pas correctement appliqué ou l’est dans une trop faible mesure.

Cette mission d’information est donc importante et doit déboucher, à notre sens, sur une réorganisation complète de la sécurité civile. Elle doit prendre en compte les propositions des organisations syndicales ainsi que des autres acteurs.

M. Christophe Sansou. Le CRO est un dispositif permettant aux pompiers professionnels de quitter leurs fonctions tout en conservant les bénéfices qui y sont attachés. Initialement, il était accessible à partir de 50 ans et cessait à 55 ans, soit à l’âge de la retraite. Depuis la réforme des retraites, on peut demander à bénéficier de ce congé cinq ans avant de faire valoir ses droits à la retraite. À terme, on pourra y prétendre à 54 ans, soit presque à l’âge où le CRO se terminait auparavant. Cela invite à revoir l’aménagement de la fin de carrière des pompiers professionnels.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je serai heureux de lire vos propositions, qui enrichiront notre réflexion. Nous souhaitons, comme vous, prendre de la hauteur sur notre modèle de sécurité civile considéré au sens large. Notre mission d’information se veut transpartisane et a un champ d’étude interministériel, puisque les sujets qu’elle aborde relèvent du ministère de l’intérieur, de la santé, de l’écologie, etc.

Pourriez-vous préciser votre position sur l’organisation du service public de secours : pensez-vous qu’elle doit être nationale, et non plus départementale ?

S’agissant du rôle des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, monsieur Coullet, j’emploie en effet le mot « métier ». La FNSPF parle au nom des sapeurs-pompiers volontaires, tandis que les organisations syndicales s’expriment au nom des sapeurs-pompiers professionnels et du personnel administratif.

Faut-il, selon vous, opérer une différenciation des missions ? Certains d’entre vous souhaitent revoir le fonctionnement ou les missions des sapeurs-pompiers : faut-il les redéfinir dans leur ensemble ? Le cas échéant, estimez-vous que les associations agréées et les réserves communales de sécurité civile (RCSC) peuvent venir en soutien pour soulager le monde des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires ?

M. Frédéric Monchy. S’agissant de l’organisation, il n’est pas souhaitable, à notre sens, de quitter le giron départemental. La départementalisation nous a conduits à nous éloigner de l’organisation communale et à perdre une part de proximité avec le terrain et les maires. De nombreux élus s’éloignent des SDIS car ils connaissent mal leur organisation. Les maires ignorent parfois qu’ils n’ont plus la main sur l’organisation de la lutte contre l’incendie et s’en aperçoivent lorsque survient un feu dans leur commune.

En revanche, toutes les strates territoriales doivent participer au financement des SDIS. La région perçoit des financements européens dont les SDIS pourraient bénéficier. Les textes qui ont redéfini les compétences territoriales, telle la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notre), n’ont pas bénéficié aux services d’incendie et de secours.

Notre organisation syndicale n’appelle pas tant de ses vœux une différenciation dans l’action qu’une clarification de ce que sont les SDIS et des bénéfices qu’ils apportent à la population. Il faut déterminer ce que l’on attend d’eux. On peut continuer à tout faire, mais il faut répartir les tâches. On peut envisager de développer l’installation de maisons médicales – où un médecin prend en charge les urgences – à proximité des casernes de sapeurs-pompiers. Dans certains territoires ruraux, les sapeurs-pompiers transportent les patients dans ces établissements.

Cela étant, si les SDIS doivent continuer à assurer les missions de soin et de secours d’urgence aux personnes, il faut leur en donner les moyens. À l’heure actuelle, nous participons à l’aide médicale d’urgence et à diverses actions qui devraient être financées par le ministère de la santé ; or ce dernier ne reverse pas un centime, en dehors des carences. Il est impératif de clarifier les choses. N’oublions pas que le maillage des SDIS leur permet d’être présents partout et en tout temps, même si cela se dégrade aujourd’hui. C’est le service public de dernier recours. Lorsqu’un cheval se promène sur la route, on appelle la gendarmerie, qui appelle le maire, qui alerte les pompiers. C’est à nous de faire le distinguo entre ce qui relève de la compétence des SDIS et ce qui n’est pas de son ressort. Certaines tâches sont partagées avec d’autres, ou sont déléguées, mais pas toujours financées. Les missions doivent être financées, adaptées et assumées par un personnel qui a vocation à les réaliser.

La différenciation des missions ne peut pas se traduire par une modification du statut des sapeurs-pompiers professionnels synonyme de régression sociale. À titre d’exemple, la prime de feu peut évoluer, mais elle doit rester une indemnité de sujétion spécifique aux missions des SDIS. On peut envisager l’institution d’une indemnité de sujétion, un peu sur le modèle de la police et de la gendarmerie, qui soit spécifique aux sapeurs-pompiers ayant vocation à effectuer plutôt du secours et du soin ou plutôt de la lutte contre l’incendie, mais cela ne peut évidemment pas se faire à moindre coût.

M. Xavier Boy. La mission de secours présente à nos yeux un caractère régalien. À ce titre, la politique de sécurité civile doit être conduite par l’État. On ne peut pas continuer à tolérer les atteintes au principe d’égalité de traitement que l’on connaît aujourd’hui. Cela étant, je ne suis pas certain qu’il soit souhaitable d’instituer une gestion nationale des services d’incendie et de secours. On note une distorsion entre ce qu’il se passe sur le terrain et les décisions prises par les responsables. Or le conseil d’administration des SDIS comprend des élus de proximité, en particulier des maires. Comme l’ont montré plusieurs de vos auditions, les maires ruraux souhaiteraient être davantage en contact avec le terrain, et recevoir une formation pour cela. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) demande la participation financière des intercommunalités et les présidents de département souhaitent que le financement des communes et des intercommunalités aille au-delà des limites actuelles.

On se cache toujours derrière le principe de la libre administration des collectivités territoriales pour déroger aux règles ou organiser les SDIS d’une manière inadéquate. Il faut se pencher sur cette question. Quelqu’un pourrait être chargé, au côté du préfet, de contrôler la gestion et l’organisation du SDIS d’une manière un peu plus approfondie que ce n’est le cas aujourd’hui. C’est sans doute cette mauvaise gestion qui nous conduit à nous interroger sur la pertinence de l’échelon départemental. Du point de vue du maillage territorial, le département constitue la bonne échelle. Le niveau communal permet d’être au plus près des réalités, mais n’oublions pas que le décideur est aussi le payeur.

S’agissant de la séparation des missions, notre fédération prône la professionnalisation de la filière. Nous estimons que les pompiers ne peuvent pas tout faire, car ils n’en ont pas les moyens. On pense généralement que les pompiers sont capables d’intervenir en tout temps et en toute heure, mais c’est de moins en moins vrai, car les territoires se vident de leurs pompiers volontaires. Vous pouvez recruter, demain, 200 000 personnes désireuses de s’engager dans la sécurité civile : si elles ne sont disponibles que de huit heures à midi et de quatorze heures à dix-huit heures, vous n’aurez pas plus de sapeurs-pompiers dans les véhicules. Ce n’est pas le chiffre qu’il faut accroître, mais la disponibilité. Lorsque les volontaires ne peuvent se rendre disponibles, il faut affecter des pompiers professionnels et investir autrement dans le secours.

Nous demandons la création d’une filière secours, gestes et soins d’urgence et d’une filière feu, qui englobent les opérations diverses menées aujourd’hui et les spécificités des milieux périlleux, du secours nautique et de la désincarcération. Nous proposons parallèlement de revoir l’organisation et les épreuves du concours, le niveau d’exigence pouvant être un peu moindre compte tenu de la spécialisation des tâches proposée.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je me permets de reposer ma question sur le rôle que peuvent jouer les associations agréées et les réserves communales de sécurité civile.

M. Mickaël Pacanowski. On risque de disperser les effectifs au sein de diverses associations qui n’assumeront pas nécessairement les tâches exercées par les pompiers. De surcroît, les budgets ne sont pas élastiques. L’État doit décider ce qu’il veut faire en matière de sécurité civile, concernant en particulier les financements et les moyens employés pour avoir des effectifs disponibles en journée. L’accroissement du rôle des associations risque de réduire davantage les effectifs de pompiers en journée.

M. Alain Laratta. Je ne sais pas si, derrière votre première question, monsieur le rapporteur, se cache l’idée d’une étatisation des sapeurs-pompiers. Peut-être suis-je un peu naïf de me poser encore la question… Ce n’est pas souhaitable, car l’échelon départemental est adapté en matière de gestion des risques, d’analyse et de couverture. Encore faut-il, toutefois, que l’on aille au bout de la logique de la loi du 3 mai 1996, dite de départementalisation. J’ai visité cinquante-quatre départements au cours de mon premier mandat, et 80 % des territoires d’outre-mer : les préfets sont les premiers témoins du fait que l’on n’assure pas la pleine application des lois.

Nous avions demandé à M. Darmanin la création d’un corps de l’État rassemblant les personnes travaillant au sein de la DGSCGC, de l’Ensosp et des états-majors de zone. On nous a répondu que ce n’était pas dans l’air du temps.

S’agissant des missions, c’est essentiellement la régulation qui crée la disparité entre les territoires. Or, celle-ci concerne 80 % de nos missions. C’est là que nous avons les plus grandes marges de manœuvre. On attend toujours le décret d’application de la loi Matras sur la mise en place des plateformes uniques de réception des appels.

De nombreuses actions pourraient être assurées par des associations agréées et des réserves communales de sécurité civile. On voit par exemple que, dans le Pas-de-Calais, des pompiers secouristes spécialistes de l’urgence sont mobilisés pour extraire des personnes coincées chez elles par les inondations. Ces structures pourraient s’en charger. En Seine-Maritime, l’information et l’assistance à la population sont assurées par les associations agréées de sécurité civile, ce qui est une excellente chose. Dans les Vosges, ces mêmes associations surveillent les massifs, face aux risques de feux de forêt, comme le faisaient les comités communaux feux de forêt sur l’arc méditerranéen voilà déjà trente ans.

Je ne crois pas que les associations épuiseront le vivier des sapeurs-pompiers. Les deux états d’esprit se complètent. La départementalisation a envoyé un mauvais message aux élus, en particulier aux maires, lesquels ont pris beaucoup de recul en matière de sécurité civile. On leur a même laissé entendre qu’ils ne dirigeraient plus les opérations de secours, ce qui n’est pas le cas.

Les préfectures ont également un rôle capital à jouer dans l’animation du réseau. J’ai moi-même participé l’été dernier à la création d’une réserve communale de sécurité civile en Ardèche. C’est le préfet et ses services qui, en l’occurrence, sont et doivent être à la manœuvre. Il n’y a pas concurrence, mais complémentarité.

M. Sébastien Delavoux. Le nombre de pompiers volontaires semble faire consensus, mais il est faux. Ils ne sont pas 200 000.

Un ministre de l’intérieur devenu ensuite Premier ministre a déclaré que la politique nationale de sécurité civile n’est pas la somme des politiques départementales. C’est excellent mais, là encore, c’est faux.

L’échelon départemental est le bon, mais il n’en reste pas moins qu’il est préférable de vivre dans un département urbain et riche que dans un département rural et pauvre.

L’État édicte des règles, mais il cherche aussi à organiser une situation préexistante sans y parvenir ; d’où les explications, ensuite, sur l’impossibilité de respecter ces règles, ce qui se vérifie même pour les plus anciennes, y compris celle de 1881, aux termes de laquelle chaque commune doit disposer d’un corps de sapeurs-pompiers. Les communes qui en avaient en disposent encore et celles qui n’en avaient pas s’en étant toujours passées, elles ne voient pas pourquoi il en serait différemment et les autres communes paient.

La région a des compétences économiques. Il y a quelques années, la Nouvelle-Aquitaine avait décidé d’investir dans un canadair, mais on lui a expliqué que ce n’était pas ses affaires. Pourtant, une région est parfaitement fondée à contribuer au financement des SDIS.

Les associations agréées de sécurité civile et les réserves ont un rôle à jouer mais, le plus souvent, elles servent à décharger les pompiers de certaines tâches. Or, elles devraient accomplir celles que ces derniers ne font pas.

De surcroît, il conviendrait d’éviter les doublons. Le plan Blanc des hôpitaux intègre également les personnels des services médicaux des pompiers du plan Rouge. Le premier qui appuie sur le bouton est servi, même s’il y a de grandes chances que si les pompiers appellent les premiers, l’employeur, in fine, réussisse à récupérer les agents. Compter les gens, c’est bien, mais, lorsqu’ils se trouvent dans chacune des boîtes, leur nombre ne signifie pas grand-chose, les doublons étant nombreux.

M. Charles Cosse. Nous considérons que le département est le bon échelon pour répondre aux risques, mais encore faut-il que ce principal contributeur des SDIS soit bien doté et que les indicateurs de financement, notamment s’agissant des contributions du bloc communal, soient actualisés.

Les associations agréées de sécurité civile sont certainement sous-utilisées. Elles devraient jouer un rôle différent, mais lequel, précisément ? Une clarification s’impose, qu’il appartient aux préfectures d’opérer. La loi Matras permet de mieux utiliser les associations, mais je ne sais pas quelles en ont été les conséquences dans les départements. Quoi qu’il en soit, leurs ressources humaines sont volatiles et nous ne pouvons jamais être certains qu’elles pourront remplir leurs missions.

De toute évidence, le volontariat est nécessaire si nous voulons maintenir notre maillage territorial, mais nous appelons de nos vœux un renforcement de l’ossature, c’est-à-dire du nombre de pompiers professionnels, ressource humaine spécialisée, qualifiée et immédiatement disponible. Vous connaissez les risques auxquels nous serons confrontés, vous savez ce qui s’est passé en Gironde et ce qui se passe dans le Pas-de-Calais. Renforçons donc les acteurs professionnalisés afin de mieux répondre aux risques et de favoriser une réponse égale sur tous les territoires !

M. Frédéric Monchy. Qu’attend-on du citoyen ? Qu’il soit un consommateur du service public de secours ou un acteur de la sécurité civile ? Si un gouvernement, demain, considérait la sécurité civile comme un enjeu fondamental et que l’éducation nationale est partie prenante dans la formation de nos enfants, comme cela est le cas aux Pays-Bas ou en Allemagne, nous aurions peut-être plus d’acteurs et moins de consommateurs.

M. Julien Rancoule (RN). Que pensez-vous du double statut pompiers professionnels-pompiers volontaires, étant entendu que les premiers peuvent avoir un double engagement, soit dans le même centre de secours, soit dans une autre caserne ?

M. Xavier Boy. Notre avis est très tranché. Le sapeur-pompier volontaire doit être reconnu comme étant un travailleur. Le respect des normes de santé et de sécurité au travail s’impose rapidement au sapeur-pompier qui a le double statut. Depuis de nombreuses années, nous demandons que le ministère de l’intérieur encadre le temps de travail des sapeurs-pompiers volontaires, encadrement qui s’appliquera donc à celui des sapeurs-pompiers professionnels. La loi dispose d’ores et déjà de bien des choses qu’il suffirait d’appliquer.

M. Alain Laratta. Je souscris à une partie des propos de Xavier Boy. Il se trouve que nous participons ensemble aux travaux de la Confédération européenne des syndicats indépendants, qui est un organisme européen, et que la question du temps de travail est proprement européenne. Dans la mesure où la loi définit l’activité de sapeur-pompier volontaire comme un engagement citoyen, je ne considère pas qu’un officier de sapeurs-pompiers, en tout cas un pompier professionnel, soit un sous-citoyen qui ne puisse pas jouir autant qu’un boulanger, un agent de préfecture ou un policier municipal de la possibilité de souscrire un contrat de sapeur-pompier volontaire.

Par ailleurs, même si la France s’acharne à ne pas vouloir faire entrer le statut de pompier volontaire dans le cadre de la directive européenne sur le temps de travail, les tribunaux administratifs français ont déjà tranché et le plafond de 2 256 heures s’impose déjà obligatoirement. Le département des Vosges a ainsi instauré un système de compteur, dans lequel un pompier professionnel qui accomplit 1 607 heures de service et s’engage dans une activité de volontaire incrémente un autre compteur : les chiffres se cumulent, mais le total ne dépassera pas le plafond de 2 256 heures fixé par la directive européenne sur le temps de travail.

M. Mickaël Pacanowski. Lorsque je suis arrivé dans le Haut-Rhin, tous les pompiers professionnels de ce département étaient obligés de signer un second contrat, sous le statut de sapeur-pompier volontaire. Si on supprimait cette pratique, de nombreux départements connaîtraient des difficultés. Le temps de travail est un problème qui se pose au niveau européen.

M. Frédéric Monchy. Le sapeur-pompier professionnel qui est aussi sapeur-pompier volontaire est une seule et même personne, qui exerce alternativement sous les deux statuts. Comme l’a dit Alain Laratta, on ne peut pas empêcher un sapeur-pompier professionnel d’avoir un engagement citoyen en qualité de sapeur-pompier volontaire, et ce serait d’ailleurs une ineptie que de l’interdire, mais cette activité doit être encadrée exactement comme elle l’est pour les sapeurs-pompiers volontaires qui ne sont pas professionnels.

M. Christophe Sansou. Notre organisation syndicale n’est aucunement opposée au double statut, mais elle l’est aux dérives du statut de sapeur-pompier volontaire, y compris dans le cadre du double statut. Il faut donc, je le répète, encadrer cette pratique. Certains accomplissent une activité de pompier volontaire en plus de leur activité de sapeur-pompier professionnel parce qu’ils résident dans de petites communes où il ne se justifierait pas d’affecter des sapeurs-pompiers professionnels. En revanche, comme je le disais tout à l’heure, un encadrement s’impose pour éviter les dérives.

Pour information, je signale que, jusqu’au 1er juillet de cette année, les pompiers professionnels engagés dans les colonnes de renfort organisées notamment pour lutter contre les feux de forêt devaient obligatoirement intervenir sous le statut de pompier volontaire, car c’est à ce titre que l’indemnisation était prévue. Une indemnité de mobilisation opérationnelle a été instaurée depuis le 1er juillet – sous réserve toutefois de délibération des SDIS, qui n’ont pas encore tous statué, car les conseils d’administration étaient passés. Même du point de vue national, donc, les pompiers professionnels sont corvéables à merci. Il faut vraiment encadrer tout cela.

M. Manuel Coullet. Monsieur le député Rancoule, de quel département êtes-vous ?

M. Julien Rancoule (RN). De Carcassonne, dans le département de l’Aude – je suppose que cela s’entend un peu à mon accent ! Ce département rural dispose d’un corps de 2 000 sapeurs-pompiers, dont 1 800 sapeurs-pompiers volontaires et 200 professionnels, lesquels devaient, comme dans le cas du Haut-Rhin évoqué par M. Pacanowski, s’engager comme pompiers volontaires, mais j’ignore si c’est encore d’actualité. Ils sont en tout cas souvent volontaires, que ce soit dans le même centre pour pallier le manque de professionnels ou, s’ils sont par exemple professionnels à Carcassonne, pour intervenir dans un petit centre qui effectue 300 opérations par an. Ce schéma est intéressant, car le professionnel apporte ses compétences aux volontaires de la caserne, par exemple en tant que formateur. Les facteurs à prendre en compte sont donc multiples.

M. Manuel Coullet. Je vous posais la question à cause de votre accent. En effet, dans de nombreux départements, notamment du Sud, on impose aux pompiers professionnels d’avoir en parallèle un statut de pompier volontaire, notamment pour faire face aux feux de forêt pendant la période estivale. C’est là une pratique que nous dénonçons. À titre d’exemple, dans le SDIS du Gard, où certains pompiers professionnels n’ont pas pu utiliser l’ensemble de leurs droits à congés durant l’année 2002, le directeur les a autorisés à poser sur l’année 2023 plus de congés qu’ils n’en avaient le droit pour venir travailler sous un statut volontaire. Voilà quelle est l’utilisation du double statut que nous dénonçons ; ce n’est pas celle, majoritaire, qui consiste à exercer une fonction de pompier volontaire dans une petite caserne pour rendre service à sa commune.

M. Stéphane Bardel. On observe même un triple statut, avec des sapeurs-pompiers volontaires, des sapeurs-pompiers professionnels et des sapeurs-pompiers en activité accessoire pour leur propre SDIS, pour de simples raisons budgétaires. On peut en effet placer ainsi un sapeur-pompier professionnel sous statut de sapeur-pompier volontaire – avec la rémunération afférente – pour dispenser des formations de maintien des acquis (FMA) ou des entraînements dans des spécialités lourdes supposant plus de 80 ou 100 heures d’entraînement à l’année, ce qui évite en outre de garder le personnel pour des gardes postées. Ceux qui ne sont pas volontaires sont placés en situation d’activité accessoire pour leur propre employeur, afin d’éviter de devoir rémunérer les heures supplémentaires – ce qui pose une question de légalité. Ce sont là des dérives du recours au double statut, qui serait beaucoup plus approprié, comme le disaient mes collègues, dans le cas d’un sapeur-pompier professionnel exerçant une activité de sapeur-pompier volontaire pour compléter les effectifs d’un petit centre de secours dans la commune où il réside.

M. Sébastien Delavoux. La CGT n’est pas opposée au double statut dans le cadre des règles existantes mais, dans certains départements, le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels programmé atteint déjà, à lui seul, le plafond de 2 256 heures. Le même employeur ne les empêche pas d’être sapeurs-pompiers volontaires – parfois même, il les y incite. Souvent, le statut de sapeur-pompier volontaire est utilisé par les sapeurs-pompiers ou par les employeurs pour déroger aux quelques règles de plafond qui s’imposent.

Les chambres régionales des comptes (CRC) ont transmis trente-quatre rapports, sollicités par la Cour des comptes en 2019 pour rédiger son propre rapport. Dans pratiquement tous ces rapports, elles soulignaient qu’il fallait encadrer le double statut, que ce soit dans le même centre de secours, pour des gardes postées ou pour dispenser uniquement de la formation et déroger aux interruptions de service. En effet, la lecture du droit que font aujourd’hui l’État et le législateur consiste à dire que les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas des travailleurs, et que la règle est donc qu’il n’y a pas de règles.

Aujourd’hui, donc, cette pratique est vraiment destinée à la dérogation. Les CRC ont ainsi relevé, selon les endroits, des taux de double statut de 97 % ou de 86 %, personnel administratif et technique compris. Dans certains centres, seuls le directeur et le directeur adjoint ne sont pas sous double statut. Dans les années 1990, on utilisait les vacations pour payer les heures supplémentaires. Ces pratiques ont changé de forme, mais n’ont pas totalement disparu.

M. Alain Laratta. Le double statut n’est pas l’apanage de l’arc méditerranéen, comme on l’a trop souvent cru. La région qui utilise le plus les doubles statuts et qui en abuse le plus est en effet la région Île-de-France, où il n’est pas rare qu’un pompier professionnel des Yvelines, par exemple, soit volontaire dans le département voisin. Nous sommes donc favorables à un encadrement, comme nous l’indiquons dans notre contribution écrite.

J’invite votre mission d’information à interroger la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), afin que nous ayons une meilleure visibilité sur ce sujet. La libre administration des collectivités territoriales s’impose, mais la DGSCGC peut aussi contrôler l’organisation et la gestion des volontaires dans les SDIS et il serait intéressant qu’elle produise des chiffres à ce propos.

M. Mickaël Pacanowski. Dans le Haut-Rhin, département qui n’est pas complètement départementalisé, on trouve un triple statut, avec l’ajout des sapeurs-pompiers communaux. Certains de mes collègues figurent sur les trois tableaux. Cela existe donc aussi.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour nos échanges sur ces questions, qui mériteraient toutefois plus de temps. Il vous est possible de nous adresser des contributions écrites.


Table ronde des services d’incendie et de secours (SDIS) métropolitains

Compte rendu de la table ronde des services d’incendie et de secours (SDIS) métropolitains
(jeudi 16 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous continuons notre troisième cycle d’auditions, consacré aux personnels et aux associations de sécurité civile, par une table ronde rassemblant les directeurs de plusieurs services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) répartis dans des zones de défense et de sécurité variées de notre territoire métropolitain, étant précisé que nous avons déjà reçu la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon de marins-pompiers de Marseille, et que nous avons prévu d’entendre bientôt des représentants de SDIS ultramarins.

Nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui M. le contrôleur général René Cellier au titre de la zone de défense Est, M. le contrôleur général Emmanuel Clavaud au titre de la zone de défense Sud-Est, M. le contrôleur général Éric Florès au titre de la zone de défense Sud, M. le colonel Stéphane Contal au titre de la zone de défense Nord et M. le colonel Franck Machingorena, au titre de la zone de défense Sud-Ouest.

M. le contrôleur général Jean-François Gouy, directeur départemental et chef de corps du SDIS du Morbihan, qui devait participer à notre échange au titre de la zone de défense Ouest, ne pourra finalement pas se joindre à nous en raison d’une contrainte imprévue – cela arrive, dans votre métier !

L’objet de cet échange est double. Nous souhaitons d’abord approfondir notre compréhension des défis auxquels vos services sont confrontés sur le terrain, mais aussi bénéficier de votre expérience pour nourrir notre réflexion sur l’organisation de notre modèle de sécurité et de protection civiles dans sa globalité. Notre objectif est d’identifier les marges de progression pour consolider ce modèle dans son fonctionnement quotidien, bien sûr, mais aussi face aux crises majeures, qu’elles résultent de risques naturels, industriels, sanitaires ou sécuritaires. Ces crises pourraient en effet se multiplier, du fait notamment du changement climatique.

Cette table ronde, comme toutes les auditions de notre mission d’information, est enregistrée et sera mise à disposition du public sur le site internet de l’Assemblée nationale. Le compte rendu dont elle fera l’objet sera annexé au rapport de la mission, que nous espérons rendre au printemps prochain.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie, messieurs, d’avoir accepté de participer à cette table-ronde. Nos échanges pourront porter sur le questionnaire que nous vous avons envoyé, mais aussi sur tout autre sujet sur lequel vous souhaiteriez appeler l’attention de la mission d’information. Je vous propose d’évoquer d’abord vos SDIS respectifs, puis le monde sapeur-pompier au sens large, et enfin notre modèle de sécurité civile. Nous cherchons à prendre en compte toute la diversité du territoire français, y compris d’outre-mer, en milieu rural ou urbain, en zone littorale ou de montagne.

Commençons donc par la présentation de vos SDIS respectifs et des contraintes et éventuellement des difficultés que vous rencontrez en termes de recrutement, de capacités ou de moyens, ainsi que de risques spécifiques auxquels vous faites face dans vos territoires.

M. René Cellier, contrôleur général, directeur départemental et chef du corps départemental, service d’incendie et de secours du Bas-Rhin. Merci de votre invitation, c’est toujours un honneur d’être reçu à l’Assemblée nationale.

Le service que je dirige est l’un de ceux qui ne sont pas un SDIS : il s’agit du service d’incendie et de secours (SIS) du Bas-Rhin, qui est présidé, comme le SIS du Haut-Rhin, par le président de la collectivité européenne d’Alsace. C’est un service relativement classique, composé de 4 500 sapeurs-pompiers volontaires et d’un peu moins de 900 personnels administratifs, techniques et sapeurs-pompiers professionnels. Le maillage territorial est très dense en Alsace, mais il existe une différence entre les deux départements : dans le Haut-Rhin, les corps communaux sont prééminents, alors que dans le Bas-Rhin, la totalité ont été intégrés au corps départemental. Je le précise, car ce point pourra être intégré à notre réflexion. Notre budget tourne autour de 100 millions d’euros en fonctionnement et 30 millions en investissement.

J’identifie à l’heure actuelle trois difficultés : la première, partagée par mes collègues, est relative au financement du service ; la deuxième est liée à la disponibilité de nos sapeurs-pompiers volontaires ; la troisième découle d’une perte de sens. La semaine dernière, l’un de nos véhicules de secours et d’assistance aux victimes a dû attendre six heures et demie sur le parking de l’un des centres hospitaliers de Strasbourg avant de pouvoir lui confier la personne qu’il avait prise en charge. Cette situation, qui n’a rien d’exceptionnel, pose la question du sens de notre mission : parfois, notre mission de secours d’urgence aux personnes (Suap) n’a rien d’urgent, ne relève pas du secours et consiste surtout en de l’assistanat – d’où des sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, qui nous disent qu’ils ne sont pas devenus sapeurs-pompiers pour faire le taxi. En outre, les temps d’intervention deviennent inacceptables, alors que la disponibilité de nos volontaires la journée en semaine est déjà fortement contrainte.

Il s’agit selon moi d’un abus de service public. Lorsque l’on demande à nos sapeurs-pompiers de quitter leur domicile ou leur employeur pour une intervention présentée comme urgente, on leur fait d’abord prendre des risques sur la route. Ensuite, arrivés sur les lieux de l’intervention, ils doivent parfois attendre quarante minutes avant d’obtenir une réponse du centre de réception et de régulation des appels du 15. Enfin, il arrive que la clinique privée vers laquelle ils ont été orientés refuse d’accueillir la personne prise en charge et les renvoie vers l’hôpital public – où ils attendent finalement six heures et demie ! Je caricature à peine. Cela soulève de vraies difficultés : alors que nous nous battons pour que les employeurs libèrent leur personnel, ils sont de moins en moins enclins à le faire, car lorsqu’un sapeur-pompier part en intervention, ils ne le voient plus de la journée, ce qui est tout de même regrettable pour les interventions qui ne relèvent pas de notre mission.

M. Emmanuel Clavaud, contrôleur général, directeur départemental et métropolitain, service départemental-métropolitain d’incendie et de secours du Rhône et de Lyon. Le service départemental-métropolitain d’incendie et de secours (SDMIS) a lui aussi un format singulier, car il est issu du redécoupage du département du Rhône et de la création de la métropole de Lyon. Étant commun aux deux collectivités, le service ne connaît pas que des problématiques urbaines. Au total, c’est une communauté de 6 800 hommes et femmes, dont 1 290 sapeurs-pompiers professionnels, 5 200 volontaires et 350 personnels administratifs et techniques. À cette liste, je tiens à ajouter les 1 200 jeunes sapeurs-pompiers. Depuis de nombreuses années en effet, nous avons fait le choix d’investir dans la jeunesse, non pas seulement pour disposer d’un vivier, mais aussi parce que cette expérience est une école de citoyenneté.

Le territoire sur lequel nous intervenons est contrasté, puisqu’il comprend à la fois la deuxième aire métropolitaine de France et de nombreux petits villages, dans des zones très rurales. Parmi nos 100 casernes, 21 sont mixtes, avec des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, et 79 ne sont armées que par des volontaires. La fréquence de sollicitation est élevée, avec 119 000 interventions par an, soit une toutes les 4 minutes 20 secondes. Nous sommes organisés pour faire face aux interventions quotidiennes comme aux situations exceptionnelles, liées aux problématiques particulières de notre territoire, le « couloir de la chimie », où se succèdent de nombreux sites Seveso à proximité de zones très urbanisées et de grandes voies de transport. Lyon étant une métropole européenne, les événements qui y sont organisés peuvent aussi susciter des menaces. Pour faire face à l’ensemble de ces risques, notre budget dépasse 200 millions d’euros.

Les difficultés que nous rencontrons sont proches de celles évoquées par mon collègue. Le volontariat, qui est essentiel, soulève de nombreuses interrogations. Alors que nous avons beaucoup misé dessus historiquement, en mettant en œuvre toutes les dispositions d’engagement différenciées et en le soutenant au maximum, nous constatons aujourd’hui une transformation sociologique qui nous donne le sentiment d’être à la croisée des chemins. Le problème n’est pas tant celui du recrutement que celui de la fidélisation. Surtout, nous observons depuis la crise du Covid-19 que nos sapeurs-pompiers ont d’autres activités, ce qui est bien normal mais rend leur engagement moins exclusif et réduit leur disponibilité. Il s’agit, je crois, d’une tendance sociétale forte, qui n’est pas spécifique au Rhône et qui préfigure des changements profonds pour les années à venir.

Nous avons clairement des difficultés sur le plan financier, le bouclage budgétaire devient compliqué.

Enfin, je voudrais souligner que le nombre des interventions de secours d’urgence aux personnes a doublé en vingt ans. Nos difficultés en la matière sont moins marquées que dans le Bas-Rhin, car nous avons la chance d’avoir des temps d’attente moins longs aux urgences, mais elles sont semblables. Nous travaillons en partenariat avec l’ensemble des acteurs de santé, avec lesquels nous avons développé des actions innovantes, mais nous sentons bien que le monde de la santé est en souffrance et en tension, dans la partie urbanisée comme dans les zones rurales. Je rejoins ce qui a été dit au sujet des temps d’immobilisation des sapeurs-pompiers, par exemple pour des transferts très longs, qui sont source de tensions avec les employeurs. Certains volontaires en viennent à renoncer à assurer leurs activités. L’excès de missions de Suap freine la disponibilité et l’engagement ; il démotive les volontaires comme les professionnels, qui estiment souvent que ces missions ne relèvent pas de l’urgence.

M. Éric Florès, contrôleur général, directeur départemental, SDIS de l’Hérault. Entre le littoral méditerranéen, les départements corses et l’ancienne région Midi-Pyrénées, la zone de défense Sud comprend différentes typologies territoriales. Elle se caractérise par l’arrivée d’un million de vacanciers chaque été, soit un quasiment doublement de la population qui touche non plus seulement le littoral mais aussi, désormais, l’arrière-pays. Le risque de feu de forêt atteint son paroxysme à la même période, tandis que nos sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires, souhaitent eux aussi partir en vacances. Entre la baisse de leur disponibilité et la hausse du nombre d’interventions, nous subissons un effet ciseau qui me semble être très caractéristique de notre activité. En outre, à la fin de la saison des feux de forêt, le département de l’Hérault est touché par les épisodes cévenols et méditerranéens. C’est ainsi celui qui a connu le plus grand nombre de mises en vigilance rouge depuis la création de cette alerte par Météo France.

Le SDIS de l’Hérault est un gros service de première catégorie : il compte 900 sapeurs-pompiers professionnels, 4 000 volontaires et 230 personnels administratifs, pour un budget de 105 millions en fonctionnement et 40 millions en investissement. Pourtant, 80 % des personnels qui interviennent sur les feux de forêt sont des sapeurs-pompiers volontaires. C’est pourquoi notre maillage territorial, composé de soixante-dix centres de secours, est essentiel : il nous permet de conserver suffisamment de sapeurs-pompiers disponibles pendant les congés d’été, et rend possible notre engagement opérationnel à la fois contre les feux de forêt et contre les épisodes cévenols.

Paradoxalement, c’est grâce au secours d’urgence aux personnes que vivent un certain nombre de nos centres de secours l’hiver, faute d’autre activité. Je partage entièrement les propos tenus par mes collègues au sujet du sens des missions. Cependant, dès lors qu'elles relèvent bien de l’urgence, les interventions de Suap sont bienvenues pour ces centres, car sans elles, certains pompiers s’interrogeraient sur l’opportunité de rester et nous manquerions de ressources l’été. En outre, la population a besoin de nous : compte tenu des fermetures de services publics dans les zones rurales, seul le volontariat permet de conserver un maillage de services de secours. Avec les infirmiers sapeurs-pompiers protocolés, qui sont très importants dans nos territoires, nous sommes en mesure d’apporter une réponse paramédicale.

J’insiste, nous apprenons parfois la fermeture du jour au lendemain d’un service d'urgence. Nous la subissons, en ayant l’impression que tout le monde a le droit de fermer en France, sauf nous – car si nous posons la question, on nous explique que nous, nous sommes indispensables. Pourquoi ne le dit-on pas aux autres ? Je comprends les arguments qui conduisent à fermer, pour raison de sécurité, des maternités qui ne réalisent pas plus de 200 ou 300 accouchements par an – parce que pour être bon, il faut pratiquer souvent. Mais alors, qui viendra réaliser les accouchements à domicile à deux heures du matin ? Les sapeurs-pompiers du centre de secours, qui sont très loin des 200 accouchements par an ! Personne ne se demande qui assurera les missions d’un service public qui ferme.

Le sujet du financement, enfin, est fondamental. Le dérèglement climatique rend d’autant plus prégnants les risques auxquels nous sommes confrontés. Lorsque j’ai commencé en tant que volontaire à l’âge de 17 ans, la saison des feux de forêt commençait le 14 juillet pour se terminer avec les premiers orages de la fin du mois d’août. Désormais, elle peut commencer dès le 1er mai, comme cette année, pour s’achever en novembre. Quant aux inondations liées aux épisodes cévenols, les dernières sont arrivées le 1er janvier, à Béziers, alors qu’elles survenaient autrefois fin août. Le dérèglement climatique est bien réel et nous impose de nous adapter. Le nombre de missions explose et nos concitoyens ont besoin, à juste titre, de services publics qui soient présents pour eux.

Le financement doit donc être adapté en conséquence. La révision de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, au sujet de laquelle l’association Départements de France a lancé une discussion, est un vrai sujet. La notion de « valeur du sauvé », qui se développe dans un nombre croissant de SDIS, nous permet de mettre en perspective notre action, entre nos financements et la valeur de ce que nous sauvons. Globalement, j’ai le sentiment que le système actuel touche à sa fin et qu’il va falloir réfléchir aux effets de l’absence de liberté financière des collectivités mères – communes, établissements publics de coopération intercommunale et départements – dont les ressources n’évoluent pas, alors que le nombre d’interventions de secours explose.

M. Stéphane Contal, colonel, directeur départemental, SDIS de la Somme. Le SDIS de la Somme est représentatif de ceux de nombreux départements de France, avec 400 sapeurs-pompiers professionnels, 100 personnels administratifs et techniques et environ 2 000 sapeurs-pompiers volontaires. Il possède une particularité intéressante, dans la mesure où il combine des territoires très ruraux, une façade maritime et une zone densément peuplée, celle de l’agglomération d’Amiens. Nous disposons, pour couvrir l’ensemble de notre territoire, de cinquante-six centres de secours, avec une vingtaine de corps communaux du côté de la Picardie maritime. Quarante-six de ces centres fonctionnent uniquement avec des astreintes de sapeurs-pompiers volontaires. Cet engagement citoyen sur le territoire samarien est particulièrement précieux et concourt à un beau modèle de sécurité civile.

Tout comme mes collègues, je crois que le problème ne concerne pas tant le nombre de volontaires que leur fidélisation et leur disponibilité, en jours-semaine notamment, c’est-à-dire du lundi au vendredi en journée. Nous organisons de plus en plus de gardes postées dans nos centres de secours les jours de la semaine. Et alors qu’auparavant, nous trouvions facilement notre lot de sapeurs-pompiers volontaires le week-end, nous avons plus de mal désormais à atteindre notre potentiel opérationnel journalier, surtout les week-ends estivaux et printaniers.

Contrairement à d’autres départements, nous n’avons pas de difficultés liées au sens de notre mission et au Suap. Nous avons des rapports très sains avec nos collègues du monde de la santé. Ces dernières années, nous nous sommes inquiétés, comme beaucoup, du nombre d’interventions pour carence d’ambulance privée. Le problème, néanmoins, a été en partie résolu par les gardes ambulancières organisées à la suite de la publication du décret portant réforme des transports sanitaires urgents et de leur participation à la garde. L’équilibre qui a été trouvé me paraît convenable pour nos sapeurs-pompiers. Il est vrai, en revanche, que nous sommes tributaires des fermetures de centres hospitaliers ou de services d’urgence, qui surviennent du jour au lendemain. Nos sapeurs-pompiers volontaires, difficilement disponibles en semaine, doivent consacrer deux ou trois heures à assurer des transferts : dans notre département, ce n’est pas l’attente à l’entrée des centres hospitaliers qui pose problème, mais le temps de transport.

Comme tous les départements français, nous observons une récurrence inquiétante des crises. Des risques auparavant aléatoires surviennent désormais tous les deux ou trois ans : alors que les feux de champ, de blé sur pied ou de récoltes n’ont jamais été un sujet d’inquiétude en zone Nord, nous avons dû assurer durant les étés 2019 et 2022 des engagements opérationnels très importants pour y faire face, allant jusqu’à deux tiers des personnels disponibles. Nous avons également connu des tempêtes et tornades particulièrement violentes. Pour résumer, l’intensité des événements s’est accrue. Notre fonctionnement atteint ses limites, et nous ne sommes pas à l’abri d’une rupture capacitaire. Ce qui plane, c’est la menace de la loi de Murphy. Les drames que vivent ces jours-ci nos collègues du Pas-de-Calais le montrent bien : si plusieurs territoires du Nord et de la Somme étaient confrontés simultanément à des crises de grande intensité, il nous serait très difficile d’y faire face.

Il me semble que, s’agissant du risque courant, et mis à part les questions complexes du Suap qui impliquent des rapports avec le monde de la santé, notre système de financement fonctionne et reste soutenable. En revanche, le coût de tout ce qui sort du domaine courant est beaucoup plus lourd. Ce sont des interventions sur des risques complexes, qui demandent l’engagement de matériels coûteux et des formations spécifiques, et qui font croître encore la polyvalence de nos missions. Sans aide de l’État, notamment pour le financement des investissements nécessaires grâce au pacte capacitaire, les collectivités auraient beaucoup de mal à financer ces coûts.

Enfin, les 400 jeunes sapeurs-pompiers de notre département constituent un vivier très précieux, puisqu’ils constituent la moitié des sapeurs-pompiers volontaires qui entrent chaque année, ce qui est notable. Les jeunes et les volontaires distillent une citoyenneté et une compréhension de la sécurité civile dans la population, même s’ils ne restent pas aussi longtemps que nous le souhaiterions. Ils donnent de la robustesse à notre fonctionnement et nous permettent de constituer des effectifs suffisants pour faire face aux crises.

M. Franck Machingorena, colonel, directeur départemental, SDIS de la Haute-Vienne. La zone Sud-Ouest et bien représentative de l’hétérogénéité à laquelle la sécurité civile doit faire face, aussi bien dans les risques que dans la taille des départements. Il est bien évident que les SDIS de la Creuse et de la Gironde n’ont pas la même capacité de réponse – alors que les exigences de la population sont les mêmes. Il faut donc mobiliser différemment ses ressources pour fournir une réponse identique. Quant aux risques, et donc aux besoins, ce ne sont pas du tout les mêmes non plus entre les Landes, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Vienne.

Il existe également des différences en termes d’effectifs et de répartition entre volontaires et professionnels. Le SDIS que je dirige, avec ses trente centres de secours, compte 900 sapeurs-pompiers volontaires et 200 professionnels, ce qui est assez restreint pour la réponse opérationnelle que nous devons fournir.

Concernant le volontariat, qui est très important chez nous donc, la difficulté est celle qui a été soulevée par mes collègues : la perte de sens. Il y a un changement de mentalité entre les générations, car si les sapeurs-pompiers volontaires de mon âge voient le volontariat comme une carrière, les jeunes le voient comme une activité temporaire. Cela se voit au moment même du recrutement. Il nous est donc difficile de renouveler nos effectifs. Un autre changement de mentalité, qui concerne toutes les générations celui-là, est particulièrement manifeste depuis la crise du Covid-19 : l’investissement dans les associations n’est plus le même. Désormais, les bénévoles sont disponibles de façon plus intermittente. Par exemple, on peut compter sur un volontaire pour tout un week-end d’astreinte où il s’investit à fond, mais pas pour le week-end suivant.

Dans mon département, nos effectifs sont en quantité suffisante et nous arrivons tant bien que mal à les maintenir. C’est pour la disponibilité que nous avons des difficultés, principalement en journée – et j’ai connu la même chose dans les Ardennes. Cela s’explique par le fait que la majorité de la population ne travaille plus sur son lieu de vie. Nous devons donc solliciter les jeunes sapeurs-pompiers et les employeurs, privés comme publics, des sapeurs-pompiers volontaires, afin qu’ils les libèrent ponctuellement en journée. Les employeurs publics libèrent sans doute plus facilement leurs employés, mais même chez eux, on sent une diminution : les effectifs doivent en effet être libérés pour une durée croissante – le temps d’intervention reste stable, mais les temps de trajet s’allongent – qui atteint souvent dans notre département une demi-journée pour une seule intervention. Les élus jouent le jeu et nous soutiennent, mais je constate que les maires s’éloignent peu à peu de leur rôle dans la gestion des effectifs. Je crois qu’il y a vraiment à y réfléchir avec les collectivités locales.

Pour pallier ces difficultés et maintenir nos conditions de fonctionnement, la question du financement est centrale. Augmenter les effectifs de sapeurs-pompiers volontaires est nécessaire, mais représente des moyens – en formation ou en habillement notamment – alors que nos coûts, comme ceux de toute organisation, sont déjà en augmentation.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Le risque de rupture capacitaire, définie comme une absence de réponse opérationnelle, était jusqu’à présent principalement évoqué à propos d’événements exceptionnels, comme les feux de forêts de grande ampleur. Il concerne désormais de plus en plus les risques courants. C’est d’autant plus préoccupant que les risques exceptionnels s’étendent : événements climatiques, risques sanitaires, risques technologiques, risque d’attentat. Cela pose la question de l’engagement des élus et des citoyens, mais également celles de la formation et des financements. Estimez-vous que vos personnels sont suffisamment formés à ces nouveaux risques, et que vos financements sont suffisants pour y faire face ? De façon générale, estimez-vous que le modèle de sécurité civile peut continuer à fonctionner tel qu’il existe aujourd’hui ?

M. René Cellier. La rupture capacitaire concerne effectivement les risques courants : quand nous n’avons personne dans un centre en journée, nous ne pouvons pas répondre aux sollicitations – sans même parler des feux de forêts qui brûlent désormais sur de longues durées. La baisse de la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires est manifeste. Elle s’est accentuée ces dernières années, et plus particulièrement à partir de la crise du Covid-19, qui a marqué un changement des mentalités. La rupture capacitaire pour les risques courants est donc une réalité, plus particulièrement marquée dans les territoires ruraux et les jours de la semaine. Pour maintenir la résilience de notre système dans ces conditions, nous nous posons la question, alors que nous n’avons plus assez de personnel pour assurer l’astreinte sur une commune ou un centre, d’envisager des gardes. Il faudrait alors autoriser les sapeurs-pompiers volontaires à y participer, ce qui soulève, autre problématique, le risque de voir le temps de garde être assimilé à du temps de travail. Mais c’est peut-être l’un des moyens de pouvoir continuer à répondre à toutes les sollicitations à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

M. Emmanuel Clavaud. La rupture capacitaire sur les missions quotidiennes est déjà une réalité, principalement en journée dans les territoires ruraux. Je le constate dans le Rhône, comme je l’ai fait en Savoie et dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il nous arrive d’avoir plusieurs centres dans l’incapacité de faire face – je parle bien des interventions courantes.

Nous travaillons avec l’ensemble de nos partenaires pour y remédier, mais les solutions valables pour un territoire ne le seront pas forcément pour un autre. Comme notre système est agile, je pense qu’il faut nous laisser un peu plus de souplesse pour inventer des solutions locales, dans le cadre d’un contrat de territoire impliquant tous les acteurs, plutôt que dans celui d’un contrat capacitaire global au niveau national avec des indicateurs généraux de performance. Avec le dérèglement climatique, la rupture capacitaire sera sans doute amenée à s’accentuer, face à des missions plus nombreuses et plus intenses. On sait que la saison des feux de forêts s’allonge – de trois mois il y a vingt ans, elle est passée à cinq ou six mois – et qu’elle enchaîne avec les tempêtes et inondations.

Notre système est robuste – il l’a démontré lors de la crise sanitaire, où il a été poussé à bout – mais je pense qu’il est arrivé en fin de cycle. Nous devons absolument préserver ses qualités, tout en nous efforçant de renforcer les effectifs et d’améliorer leur disponibilité. Il faut donc chercher d’autres viviers – les réserves ne doivent pas être un sujet tabou, mais pas non plus vues comme la solution miraculeuse. Il faut également mieux comprendre le volontariat. Je pense d’ailleurs qu’il n’y a pas un, mais des volontariats et qu’avant d’élaborer de grands plans nationaux ou départementaux, il serait bon de mener des enquêtes sociologiques pour comprendre qui sont les sapeurs-pompiers volontaires. J’ajoute que beaucoup de sapeurs-pompiers professionnels ont le double statut, car ils exercent en ville et sont volontaires aussi dans les territoires ruraux où ils habitent.

Ce dernier point fait émerger un sujet important : je pense que la réflexion sur l’évolution de notre modèle de sécurité civile doit prendre en compte l’ancrage territorial. La marque de fabrique d’un sapeur-pompier est sa connaissance du territoire. Cet ancrage doit se retrouver dans la doctrine d’emploi et dans la souplesse des outils mis à notre disposition pour trouver des solutions localement adaptées à la rupture capacitaire, car, si l’évolution des outils réglementaires nous a permis de nous adapter, cette capacité d’adaptation me semble aujourd’hui épuisée.

Il nous faut inventer autre chose. Cette réflexion devra être menée de façon globale avec tous les acteurs. Notre sécurité civile est hybride, polymorphe et intégrée, ce qui constitue la spécificité du modèle français et fait sa force. Nous pouvons aller chercher un spécialiste – pilote, démineur… – et le faire travailler avec les autres acteurs. Notre modèle peut être vu comme un agrégat de statuts, de métiers et de compétences, orienté par une politique cohérente, et structuré par une organisation hiérarchique régalienne, dont le préfet est à la tête.

Il faut réfléchir à l’ambition que nous avons pour l’avenir de notre modèle de sécurité civile. Nous donnons tous les jours, avec les élus, les préfets et les équipes, le meilleur de nous-mêmes pour éviter d’avoir à vivre ce cauchemar que nous avons tous de ne pas pouvoir répondre à une demande de secours – car, au-delà des chiffres, chaque demande est importante. C’est un gros défi pour l’avenir.

M. Éric Florès. La production d’un SDIS, c’est de faire face aux risques. Notre travail est donc d’assurer une capacité humaine et matérielle à assurer des interventions, qu’elles aient lieu ou non. La rupture capacitaire est aujourd’hui quotidienne ; elle intervient lorsqu’un centre n’est pas capable de répondre à une demande de secours. Elle peut s’expliquer par un manque de moyens humains, mais je voudrais souligner qu’il peut également s’agir d’un manque de moyens matériels. Les effets du dérèglement climatique se développent en effet plus rapidement que la capacité de financement de certains investissements. Les plans de financement d’équipements structurants mis en place par l’État doivent donc se poursuivre. Il serait aussi intéressant de créer un fonds de dotation spécifique financé par la valeur du sauvé, comme le suggère le rapport Falco : en effet, les disparités de moyens matériels entre les SDIS, qui ont résulté de la départementalisation, sont très importantes.

Au niveau des effectifs, la rupture capacitaire peut arriver tous les jours. Il suffit qu’un centre de secours engage trois personnes à 10 heures du matin pour qu’il soit incapable de faire face à un départ incendie. Et la demande de secours est croissante : en métropole, si on doublait le nombre d’ambulances, elles seraient immédiatement absorbées par la demande ! Nous devons donc faire comprendre à nos partenaires du Samu que nous ne pouvons pas mobiliser tous nos moyens pour le secours à la personne, car sinon, les feux ne seraient pas éteints. La gestion de la rupture capacitaire demande une forte coordination avec l’ensemble des partenaires, afin de mieux comprendre ce qui peut être différé. Cette coordination existe à certains endroits, mais pas du tout à d’autres ; en tous les cas, il faut la développer.

Quant au manque de moyens humains, on note que la directive européenne sur le temps de travail pèse lourd sur le volontariat. Il va falloir que la France se positionne clairement pour modifier cette directive, ou surtout pour promouvoir une directive sur l’engagement citoyen qui permettrait de développer les réserves de sécurité civile, d’augmenter le nombre de volontaires et de former le grand public. Seule cette formation permet de faire face, en cas de rupture capacitaire, à la notion fondamentale de l’impossible opérationnel. C’est ce que l’on a vécu par exemple à Trèbes lors des inondations de 2018 : l’eau est montée tellement rapidement qu’il n’était pas possible d’envoyer le moindre sapeur-pompier pour sauver les personnes, c’était trop tard. La formation du grand public nous permettra peut-être de différer cet impossible opérationnel, et aussi de modifier certaines habitudes. Ainsi, la population des villes fait plus appel aux secours que celle des campagnes et a développé une certaine habitude de consommation du service de secours à la personne.

Enfin, la formation des élus est, elle aussi, indispensable. N’oublions pas que le maire est le premier échelon de la gestion des crises : si nous arrivons à retravailler avec lui, il nous aidera à recruter des sapeurs-pompiers volontaires, il créera sa réserve communale de sécurité civile ; en somme, cela ne pourra que faire reculer la rupture capacitaire.

M. Stéphane Contal. Concernant les risques courants, je préfère employer l’expression de dégradation de la réponse plutôt que celle de rupture capacitaire. Elle décrit mieux la réalité : si mon camion est occupé quelque part quand la deuxième mission arrive, j’arriverai toujours à l’envoyer, mais dans des délais plus longs. La véritable rupture capacitaire arrive devant les crises, que notre monde a rendues hybrides et polymorphes et qui dépassent l’échelon départemental auquel les SDIS opèrent. Pour mieux faire face à de telles crises, il est nécessaire que nous puissions travailler avec tous les acteurs impliqués. La loi Matras (loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels), en créant le contrat territorial de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (Cotrrim), vise à nous préparer à ces ruptures capacitaires.

L’échelon départemental est le bon échelon pour faire face aux risques courants et à une grande partie des risques complexes, mais il a forcément vocation à être en rupture capacitaire pour ce qui sort de la norme. L’échelon zonal est celui qui permet de faire face aux crises hybrides : la planification financière doit être faite en collaboration avec les directions d’administration centrale, puisque ce ne sont pas les collectivités locales qui financent les moyens de sécurité civile à cet échelon. Je souligne que ces crises ont plusieurs dimensions : on l’a bien vu avec la pandémie de Covid-19, qui était d’abord une crise sanitaire, avec des implications pour la sécurité civile. Un outil comme le Cotrrim permet de prendre ces différentes dimensions en considération.

Il faut créer des espaces au niveau zonal qui favorisent la coordination entre les acteurs – associations agréées de sécurité civile, partenaires de la santé, préfets de zone et de départements… – afin qu’ils puissent se connaître et travailler à la planification. Tous les textes qui sortent depuis trois ans visent à raffermir cet échelon zonal et l’on voit émerger de tels espaces, mais cela reste encore embryonnaire, notamment dans le domaine financier.

M. le colonel Franck Machingorena. Les SDIS sont capables de s’adapter aux risques émergents en discutant entre eux, ce qui leur permet de faire très rapidement évoluer la doctrine sur la manière d’y faire face – par exemple en ce qui concerne les feux de batteries des véhicules électriques. Autre chose est ensuite de mettre en œuvre les solutions retenues : cela suppose de disposer des ressources nécessaires pour former les personnels.

Du point de vue statistique, les SDIS sont capables de répondre à tout risque, quel qu’il soit. Je veux dire par là que nous trouverons toujours des personnels disponibles, qu’ils soient de garde ou rappelés, pour fournir une première réponse. Mais la question est de savoir si l’on peut faire face en même temps à tous les risques au sein du département, quelle que soit leur ampleur. La réponse est non. Nous devons travailler avec nos collègues d’autres SDIS et recourir régulièrement à leur aide pour renforcer les secours.

Il faut aborder les risques particuliers à l’échelon national et zonal. Dans ce dernier cas, il existe des unités d’intervention de sécurité civile qui sont dimensionnées pour répondre à un certain nombre de cas en mobilisant du personnel. Développer ces unités ne serait pas complètement absurde. Une section de ce type va être créée dans la zone de défense Sud-Ouest, mais on pourrait aussi envisager de renforcer les capacités de ces unités dans le département.

S’agissant de la formation, il faut éviter de fixer trop d’obligations réglementaires. Restons-en à la doctrine et aux bonnes pratiques plutôt que d’élaborer des textes contraignants. Par exemple, concertant l’utilisation des drones qui se développe actuellement en France, il est nécessaire de disposer d’un permis pour les piloter, avec une formation d’une semaine. Il est inutile de prévoir une réglementation particulière pour les personnels chargés de la sécurité civile. On pourrait faciliter le fonctionnement des SDIS en limitant ce genre de contraintes réglementaires. M. Didier Lemaire, rapporteur. L’un des sujets essentiels, sans préjuger des conclusions de cette mission d’information, est celui du rôle et de la formation des élus, quelle que soit la taille de la commune, y compris en tant que directeurs des opérations de secours (DOS).

Les élus peuvent aussi s’appuyer sur des réserves communales de sécurité civile, même si elles sont inégalement réparties sur le territoire. Que pensez-vous de ces réserves ? Faut-il les développer ? Elles témoignent aussi de l’engagement des citoyens, qui doivent peut-être devenir les premiers acteurs de la sécurité civile – ce qui suppose de les former.

Que pensez-vous de la constellation des associations agréées de sécurité civile ? Sont-elles connues et reconnues ? Les côtoyez-vous et travaillez-vous régulièrement avec elles, ou bien sont-elles encore trop rares pour soulager les SDIS en assurant certaines de leurs missions ?

Cela nous amène à la vaste question de ce que doivent être les missions des sapeurs-pompiers, et notamment de savoir s’ils doivent seulement traiter l’urgence.

M. René Cellier. Les réserves et les associations de sécurité civile sont essentielles, mais il faut que chacun sache bien quelle est sa mission, autrement dit que les différents acteurs soient solidaires, mais qu’ils ne cherchent pas les uns à faire le travail des autres.

Comme l’a dit Éric Florès tout à l’heure, la préparation de la population et des élus est essentielle pour éviter que l’on abuse parfois des secours. Avec l’association des maires du Bas-Rhin, nous avons proposé aux élus de les former à la gestion de crise. La démarche est encore embryonnaire, mais ceux qui y ont participé ont trouvé cela très intéressant.

En ce qui concerne les moyens locaux de la sécurité civile, le code général des collectivités territoriales précise très clairement quel est le rôle des sapeurs-pompiers.

La réserve communale de sécurité civile est importante pour accompagner le maire dans sa gestion de la crise et de ses suites. Mais il faut veiller à ce que ces réserves n’assèchent pas le vivier de recrutement des sapeurs-pompiers volontaires. À l’inverse, elles pourraient accueillir ceux d’entre eux qui veulent se mettre un peu en retrait d’une activité de volontaire très exigeante en matière de formation et d’engagement. Encore faut-il que les périmètres d’activité respectifs des SDIS et des réserves soient bien délimités et que certains ne cherchent pas à empiéter sur celui des autres.

Les associations de sécurité civile constituent une troisième force, tout aussi essentielle pour la gestion de crise. Mais, encore une fois, elles ne doivent pas avoir envie de faire le travail des sapeurs-pompiers – c’est du vécu, pour ma part, dans le Bas-Rhin.

Il est également nécessaire de former le plus largement possible la population. Cela passe notamment par la formation des jeunes à l’école – ce que nous faisons dans beaucoup de départements.

M. Emmanuel Clavaud. Je suis complètement d’accord avec ce qui a été dit sur l’importance du rôle des élus. Lors d’un événement, le maire ou son représentant assurent la fonction de DOS. C’est donc un acteur clé de la réponse institutionnelle.

Dans le Rhône, en coopération avec l’association des maires du département, nous avons organisé une action qui s’appuie sur un travail réalisé à l’origine au sein de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Il s’agit d’un programme et de contenus destinés aux officiers qui doivent animer des sessions de formation à la gestion de crise à destination des élus. Nous avons dispensé cette formation pendant un an, et le retour des élus est excellent. Là encore, il s’agissait d’une première étape embryonnaire, mais nous allons en organiser à nouveau. Il s’agit de séquences de sensibilisation, suivies par des exercices de mise en situation – d’abord l’apport de connaissances, puis la mise en œuvre.

Nous souhaitons amplifier cette action, mais encore faut-il le pouvoir ! On en revient là au fait que les ressources ne sont pas les mêmes selon la taille des collectivités locales. Pourtant, le besoin est identique dans les territoires très ruraux – voire supérieur, car les délais d’intervention sont plus importants, puisqu’il est nécessaire de recourir à des aides extérieures.

Dans la formation des élus aussi donc, il y a une forme de rupture d’égalité. Il faut s’interroger sur ce point : puisqu’il est évident que leur rôle est important, leur formation ne peut pas reposer seulement sur les moyens dont nous disposons. Nous avons tous constaté l’intérêt des élus et le besoin qu’ils expriment, mais certains d’entre eux abandonnent, plus par manque de moyens que de volonté.

Je ne sais pas quel est le nombre de communes qui ont créé une réserve communale de sécurité civile, mais il est faible. Je n’en ai pas vu au cours de ma carrière, même si je sais qu’il y a des évolutions en Seine-Maritime. Il en existe sans doute, mais je pense que si les communes n’ont pas saisi en masse cette opportunité prévue par la loi, et qui était une bonne idée, c’est qu’il faut de nouveau étudier le dossier.

Il faut repartir du besoin, pour déterminer avant tout quels doivent être les missions de la réserve et son domaine d’activité. Une fois cela fait, on pourra réfléchir au vivier des acteurs qui peuvent l’assurer, et aborder la question du statut des personnels. Raisonner en ne se préoccupant que du statut, c’est prendre le problème à l’envers.

Par exemple, lorsque je dirigeais un SDIS du sud de la France, les sapeurs-pompiers retraités membres d’une association d’anciens venaient nous aider ; ils assuraient le soutien logistique afin d’accueillir les colonnes de renforts venant d’autres départements. Avoir ces personnes qui veillaient sur les équipes qui venaient prendre un temps de repos dans les casernes était extrêmement appréciable. En revanche, il s’agit de personnes plutôt âgées, dont la condition physique ne permet pas toujours qu’on les engage sur des missions même péri-opérationnelles.

Dans le cas des inondations dans le Pas-de-Calais, on pourrait par exemple considérer que le rôle des sapeurs-pompiers n’est pas d’aller remettre des médicaments ou de transporter des gens dans des zones sans risque pour éviter qu’ils se mouillent les pieds, et que cela pourrait être fait par d’autres acteurs. Voilà pourquoi il faut partir de la mission des sapeurs-pompiers.

La réserve communale de sécurité civile constitue un outil, mais elle ne permettra pas de répondre à l’ensemble des besoins et n’a, jusqu’à présent, pas été très utilisée. Elle pourrait pourtant faire partie des forces projetées dans la bataille contre les feux de forêt. Ainsi, même pour des missions de moindre intensité, comme l’extinction des lisières, on ne peut pas envoyer des gens qui ne sont ni formés, ni équipés – le citoyen lambda, armé de sa seule bonne volonté. En revanche, un citoyen un peu préparé et équipé peut être utile pour un spectre d’actions qui ne sont pas de haute ou de moyenne intensité.

Il nous manque une approche globale, qui permette d’organiser les choses et d’éviter que les actions menées par les uns et les autres se télescopent. L’expression de « constellation des associations » qui a été employée à juste titre correspond à la réalité de la sécurité civile. C’est une mosaïque, qui doit obéir à un schéma cohérent où chacun a sa place. Il faut que nous y réfléchissions davantage pour assigner à chacun la bonne mission au bon moment, car nous pressentons que les événements vont être de plus en plus intenses et que les missions vont exiger un soutien qui s’inscrira davantage dans la durée.

M. Éric Florès. J’ai déjà dit combien je suis convaincu que la formation des élus est nécessaire. Dans mon département, nous l’assurons depuis trois ans, en commençant par les risques naturels. Sur 340 communes, 220 ont déjà bénéficié d’une formation. Tous les ans, nous organisons pour les acteurs essentiels que sont les DOS des exercices simples, imaginés par l’Ensosp et que nous adaptons à chacun des territoires.

De nombreuses décisions relèvent du maire, qu’il s’agisse de confiner la population ou bien de l’évacuer lorsqu’il y a un risque d’inondations ou de feux de forêt. De telles décisions doivent être prises très rapidement. Donc, oui, les élus doivent se sentir concernés, ce qui leur permet également de comprendre l’intérêt de disposer de sapeurs-pompiers volontaires, d’une réserve communale de sécurité civile et d’un plan communal de sauvegarde qui soit opérationnel – plutôt que de confier à une entreprise le soin de le rédiger, sans ensuite jamais l’ouvrir. Dès que ce plan est déclenché, nous envoyons un officier de sapeurs-pompiers auprès de la commune.

Lorsque les réserves communales de sécurité civile sont créées dans des communes qui ont fait face à un événement ponctuel, on s’aperçoit qu’elles meurent de leur belle mort si le risque n’est pas récurrent et qu’il n’y a pas d’activité. C’est la raison pour laquelle les premières réserves ont été créées dans les communes qui subissent des feux de forêt : elles y sont bien vivantes, puisque ce risque revient chaque année. Nous avons besoin que des retraités – et désormais de plus en plus de jeunes – patrouillent en véhicule dans les forêts. Ils ne sont pas là pour éteindre les incendies, mais pour effectuer de manière visible des actions de prévention dans des massifs à risque.

Nous avons besoin de ces réserves communales de sécurité civile. Le maire de Montpellier a récemment souhaité en créer une, et le SDIS l’a bien entendu accompagné. Les grandes communes font face à de grands risques et il faut pouvoir y répondre.

S’agissant des autres associations agréées de sécurité civile, la loi Matras permet – à l’instar de ce qui se faisait à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris – de les engager de manière opérationnelle dans le cadre des missions des SDIS. La Croix-Rouge ou d’autres associations agréées vont ainsi intervenir à la place des sapeurs-pompiers. Dans mon département, des conventions ont déjà été signées avec la Croix-Rouge et la Protection civile car nous avons besoin d’elles, et que cela permet aussi de canaliser leur action dans certaines missions. Le SDIS doit jouer un rôle de coordonnateur de cette mosaïque d’associations. C’est aussi une manière de contribuer à la résilience de la population car, une fois que la tempête est passée, ces associations ont un rôle à jouer dans le retour à la normale, tandis que le SDIS recommence à se consacrer aux urgences.

M. Stéphane Contal. Je suis convaincu que l’une des missions des sapeurs-pompiers est précisément d’être au cœur de la formation des citoyens et des élus sur les risques de sécurité civile. Le rôle du DOS est en effet primordial dans les postes de commandement avancés, ou lors de n’importe quelle situation de crise. Ce n’est pas simple dans un département comme la Somme, où l’on compte 780 communes, ce qui fait autant d’interlocuteurs. C’est une question majeure pour les SDIS, et elle devrait d’ailleurs figurer comme telle dans leur fiche de missions.

S’agissant des associations agréées de sécurité civile et de la réserve communale, il faut relever que ces structures reposent sur l’engagement des citoyens, tout comme le volontariat. Le lien avec elles est précieux, mais aussi fragile. Ce qu’il nous manque, dans notre réflexion sur la manière dont nous générons les forces pour pouvoir répondre à des crises, c’est de le faire à une échelle qui dépasse le seul département. C’est dans ce cadre que l’on pourra tisser des liens avec les associations et se donner le temps et les moyens de préparer la manière dont elles agiront, notamment au sein des postes de commandement qui seront placés sous l’autorité de préfet en cas de crise. Cela suppose de faire des exercices pour mieux se connaître et apprendre à travailler ensemble.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Les auditions servent souvent à faire évoluer nos avis et à obtenir des éléments nouveaux. Celles qui ont eu lieu aujourd’hui ont surtout confirmé ce que nous savions déjà : il faut faire évoluer les modes de fonctionnement pour mieux anticiper, revoir les modes de financement et travailler véritablement sur l’attractivité – c’est-à-dire être honnête sur la réalité du métier de sapeur-pompier. Il faut aussi probablement examiner de nouveau les missions, afin de prendre en compte l’ensemble de celles qui sont nécessaires.

Cela nous donne des idées d’amendements pour les prochains projets de loi de finances, monsieur le rapporteur.

Mme la présidente Lisa Belluco. Ces discussions ont été très riches, à propos de l’engagement, du sens de la mission, des financements ou de la formation tant des élus que des citoyens. Mais il y aurait encore beaucoup à dire. N’hésitez pas à nous faire parvenir des contributions écrites. Vous pouvez le faire à partir du questionnaire qui vous a été adressé, en vous sentant libres d’ajouter ce que vous jugerez utile. Merci pour vos propos très denses.

M. Didier Lemaire, rapporteur. L’essentiel a été dit. Comme l’a indiqué Mme Regol, de nombreuses pistes sont apparues et nous avançons vite, en particulier sur le sujet prégnant de l’acculturation de la population et des élus – nécessaire pour faire fonctionner le mieux possible cette fameuse constellation d’acteurs.

Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour participer à nos travaux.


Table ronde de services d’incendie et de secours (SDIS) ultramarins

Compte rendu de la table ronde de services d’incendie et de secours (SDIS) ultramarins
(mercredi 22 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons ce troisième cycle d’auditions consacrées aux personnels et aux associations de sécurité civile par une table ronde réunissant les directeurs des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ultramarins de la Martinique et de La Réunion. Cette audition s’inscrit dans la continuité d’une table ronde organisée jeudi 16 novembre avec cinq SDIS métropolitains répartis entre cinq zones de défense et de sécurité de notre territoire. Nous recevons aujourd’hui le colonel Frédéric Leguillier, directeur du SDIS de La Réunion, et le colonel Patrick Tyburn, directeur du SDIS de la Martinique, que nous remercions pour leur présence.

L’objectif de cet échange est double. Nous souhaitons tout d’abord mieux comprendre les défis particuliers auxquels les SDIS ultramarins sont confrontés. Je pense notamment au risque naturel, à l’insularité ou à la gestion de la récente crise sanitaire. Par ailleurs, nous souhaitons recueillir votre avis sur l’organisation de notre modèle de sécurité et de protection civile, sur ses forces et ses faiblesses, sur les moyens disponibles et les difficultés rencontrées. Nous vous invitons également à proposer des pistes pour conforter ce modèle, en vous appuyant sur votre expérience de professionnels du terrain.

Notre mission d’information, composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes de l’Assemblée nationale, a été constituée au mois de juillet 2023 à la demande du groupe Horizons et apparentés. J’ai l’honneur de la présider et mon collègue M. Didier Lemaire en est le rapporteur. Cette table ronde est enregistrée et sera accessible au public sur le site internet de l’Assemblée nationale. Un compte rendu sera également établi et annexé au rapport publié à l’issue de nos travaux, c’est-à-dire au printemps 2024.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Ayant été sapeur-pompier volontaire et professionnel pendant plus de trente ans, mais aussi élu local, j’ai pu constater par moi-même les difficultés auxquelles nous sommes confrontés en termes de gestion de crise. Cette mission d’information a pour ambition d’examiner notre capacité d’anticipation et d’adaptation à ce type de situation. Il nous a paru important de vous entendre aujourd’hui, car les différences d’approche entre l’hexagone et les territoires ultramarins, quand bien même nous sommes dans le même pays, peuvent nourrir notre réflexion sur les capacités de résilience et d’adaptation de la population.

Je vous propose, messieurs, de nous présenter dans un premier temps vos SDIS respectifs, en évoquant leurs moyens budgétaires, leurs capacités humaines, ainsi que vos relations avec les différents services.

M. le colonel Frédéric Leguillier, directeur du SDIS de La Réunion. Le SDIS de La Réunion est un établissement public classique et similaire aux autres SDIS du territoire national, mais il présente certaines particularités. Il est composé de 870 sapeurs-pompiers professionnels, 1 500 sapeurs-pompiers volontaires et 240 personnels administratifs et techniques. Son budget s’élève à 116 millions d’euros.

La Réunion a ceci de particulier d’être une région isolée et monodépartementale, c’est-à-dire qu’elle n’est pas entourée d’autres départements proches. La situation de l’île est caractérisée par son exposition majeure à l’ensemble des risques naturels existant dans le spectre de la sécurité civile, à l’exception des avalanches. La Réunion est particulièrement exposée à des événements météorologiques extrêmes, tels que les cyclones, et à des éruptions volcaniques, puisque le piton de la Fournaise est l’un des volcans les plus actifs au monde.

Une autre spécificité réside dans notre éloignement par rapport au continuum opérationnel, puisque nous ne pouvons évidemment pas faire appel à des renforts de proximité à l’échelle régionale ou zonale. En situation de crise, nous devons par conséquent mobiliser des renforts nationaux. La difficulté de l’exercice réside dans notre aptitude à ne pas subir de rupture capacitaire avant la mobilisation de ces renforts nationaux, laquelle suppose un délai de constitution et d’acheminement des équipes. Aussi, l’une de nos préoccupations majeures est l’organisation d’un accueil des renforts en cas de crise, afin de se prémunir contre ce que l’on pourrait appeler une crise dans la crise.

M. le colonel Patrick Tyburn, directeur du SDIS de la Martinique. Le SDIS de la Martinique est un SDIS relevant de la catégorie C, qui comprend les départements de moins de 400 000 habitants. Avec 370 000 habitants en Martinique, nous sommes dans le haut de cette catégorie et notre territoire de 1 200 kilomètres carrés présente une forte densité de population, supérieure à 300 habitants par kilomètre carré. Cette réalité doit être prise en compte dans la gestion du risque courant. Celui-ci est couvert par un effectif de 1 200 sapeurs-pompiers volontaires, 290 sapeurs-pompiers professionnels et une cinquantaine de personnels administratifs et techniques.

Les missions du SDIS de la Martinique sont comparables à celles des SDIS de l’Hexagone et ultramarins. Nous sommes, comme nos collègues réunionnais, exposés à tous les risques du spectre de la sécurité civile. J’y ajouterais même les avalanches puisque, si nous n’avons pas de neige en Martinique, nous sommes confrontés au risque représenté par les lahars, des coulées torrentielles de cendres volcaniques et de blocs rocheux accumulés lors des périodes d’activité de la montagne Pelée. La commune du Prêcheur, sur la côte, est particulièrement concernée par ce phénomène, ce qui a conduit à la mise en place d’un dispositif d’alerte pour ce risque relativement prévisible quelques heures avant sa survenue.

La Martinique est également soumise au risque des tsunamis, aussi bien les tsunamis lointains, à l’image de celui de 1755 consécutif au séisme de Lisbonne, que les tsunamis régionaux provenant de l’intérieur du bassin caribéen, et que les tsunamis proches, notamment ceux dus à la subduction, puisque l’île se situe sur la conjonction de deux plaques tectoniques, la plaque Caraïbe et la plaque Atlantique.

Si ces risques sont bien identifiés, la capacité d’alerter les populations me semble perfectible, notamment en ce qui concerne les risques d’inondations. Une cellule de veille hydrologique a été mise en place à La Réunion, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas en Martinique, ni même dans les Antilles. Ce défaut n’est pas sans conséquences en termes d’organisation des secours en situation opérationnelle.

Le SDIS de la Martinique dispose d’un budget de 38 millions d’euros, un montant insuffisant à mon sens, et bénéficie de 6 millions d’euros d’investissements. Si des efforts de la part de la collectivité ont été produits récemment, le budget de notre SDIS se situe dans la moyenne des SDIS de catégorie C, alors que, comme je l’ai indiqué, nous sommes dans la fourchette la plus haute de cette catégorie C. Le retard structurel de notre SDIS n’est pas négligeable, puisque les plus anciens corps en Martinique datent des années 1950, tandis qu’en France métropolitaine, les plus anciens corps remontent au début du XXe siècle, voire plus tôt encore. Après l’entrée en vigueur de la loi du 3 mai 1996 relative aux services d’incendie et de secours, les communes ont mis à disposition des bâtiments qui n’étaient pas suffisamment adaptés à l’organisation d’une caserne. Un programme de construction d’un montant de 150 millions d’euros a été lancé, en construction neuve ou en rénovation, afin de tenter de rattraper ce retard structurel qui a des conséquences pour le fonctionnement quotidien du service.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’aimerais connaître votre sentiment à propos des différences que vous percevez entre le fonctionnement et la gestion des risques, courants ou exceptionnels, d’un SDIS métropolitain, et ceux d’un SDIS ultramarin. Quels leviers conviendrait-il d’actionner pour améliorer le fonctionnement de vos SDIS ?

M. le colonel Frédéric Leguillier. En ce qui concerne la gestion du risque courant, il me semble que le fonctionnement de notre SDIS est tout à fait comparable à celui des SDIS de l’Hexagone. Les secours d’urgence à la personne (Suap) représentent environ 90 % de l’activité de notre SDIS et les luttes contre les incendies environ 10 %. En revanche, et à la différence de l’Hexagone, nous pratiquons peu d’interventions dites diverses à La Réunion. La population a pour habitude de faire peu appel aux sapeurs-pompiers pour ce type d’interventions, y compris lors de passages de cyclones, pour lesquels l’organisation spontanée et l’entraide naturelle prévalent.

Une autre particularité de La Réunion est la répartition géographique de sa population, puisque 80 % de la population vit sur 20 % du territoire, en l’occurrence le périmètre de l’île. La topographie de l’île est remarquable par l’abondance des cirques montagneux, dont certains sont totalement inaccessibles par voie routière. L’acheminement des secours n’y est possible que par voie aérienne ou pédestre. Cela pose d’évidentes difficultés, dans la mesure où la sécurité civile de La Réunion ne dispose pas de moyens aériens. Les sauvetages en montagne sont assurés par les pelotons de gendarmerie de haute montagne (PGHM) et le service d’aide médicale urgente (Samu) peut intervenir par hélicoptère. Quant au SDIS, il s’en remet à un accord avec le secteur privé afin de disposer d’une réponse héliportée.

Les feux de forêt représentent bien entendu un risque majeur à La Réunion, où 85 % de la forêt est accessible uniquement par voie aérienne. L’État met à disposition un avion bombardier d’eau durant toute la période la plus favorable aux feux de forêt, ce qui implique un effort de formation important pour initier et entraîner les sapeurs-pompiers au détachement d’intervention héliportée.

Comme je l’indiquais précédemment, les renforts à La Réunion sont systématiquement de dimension nationale. Cela suppose, sur place, d’être aussi résilient que possible en s’appuyant sur des moyens locaux. Dans un certain nombre de domaines, une rupture capacitaire demeure possible, par exemple sur le risque technologique ou le risque chimique. Les sapeurs-pompiers sont des généralistes, mais ils doivent également travailler sur des spécialités. Or, cumuler toutes les spécialités pose des difficultés en termes de ressources humaines et en termes d’équipements. Il convient par conséquent d’ajuster notre réponse opérationnelle à nos ressources. Cet ajustement n’entre pas toujours dans les standards de préconisations imposés par les textes réglementaires.

M. le colonel Patrick Tyburn. De nombreuses caractéristiques de la situation en Martinique sont comparables, du fait de notre commune insularité, à ce qui vient d’être décrit. Sur le risque courant, la proportion est équivalente à celle de La Réunion avec 85 % d’interventions de Suap, la lutte contre les incendies représentant environ 4 % de l’activité du SDIS.

Nous sommes confrontés à des difficultés en matière de santé, notamment en raison des attentes prolongées de nos moyens d’intervention de secours à la personne, les véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV). Au niveau des urgences hospitalières, les moyens sont concentrés sur le plateau technique de l’hôpital Pierre Zobda-Quitman à Fort-de-France. Cette réalité est véritablement problématique dans une situation insulaire. Si une dizaine de SVAV sont bloqués devant les urgences et que survient un événement grave faisant de nombreuses victimes, il est certain que nous nous trouverions en difficulté.

Nous avons tenté de mettre en place des dispositifs avec l’hôpital pour pallier ce manque de ressources. Nous avons obtenu un retour d’expérience intéressant à propos de la mise en place d’un sas à l’entrée des urgences lors de la crise sanitaire, et nous avons proposé de pérenniser ce dispositif dès lors que plusieurs SVAV arrivent aux urgences. Néanmoins, ce dispositif peine à s’installer durablement. Nous sommes en quête de solutions pour faire face au problème quotidien de la distribution des secours, mais également pour nos personnels, qui acceptent de moins en moins ce type de situations. Il convient de rappeler également que cette problématique intervient dans un contexte de très forte tension aux urgences. En écoutant les collègues de l’Hexagone que vous avez auditionnés, j’ai pris la mesure des travaux menés avec des groupes de travail interministériels. Si des avancées sont notables, leur application uniforme sur le territoire reste lacunaire. Je précise toutefois que ces problématiques dépassent le cadre du SDIS qui, pour remplir ses missions et se montrer en capacité de répondre aux risques courants, me semble dimensionné.

Sur le risque particulier, nous avons développé une culture de l’anticipation, impérative sur un territoire insulaire. Nous sommes en effet à capacité dépassée par rapport à des événements naturels majeurs, quel que soit l’aléa, par exemple un ouragan ou un séisme. Les élus locaux et les représentants de la préfecture sont conscients de la nécessité d’anticiper, dans la mesure où ils savent, comme nous, que toute réponse à une demande de renfort suppose un délai. Nous préparons par conséquent des équipes dans tous les domaines, afin d’apporter autant que possible une première réponse à une situation de crise. L’une des conditions pour y parvenir est de garantir la protection de nos propres moyens. En cas de séisme par exemple, si les casernes de pompiers s’effondrent à la première secousse, notre capacité d’intervention sera évidemment très faible.

C’est la raison pour laquelle nous nous efforçons de disposer d’un parc immobilier capable de faire face au risque sismique. Le programme que j’évoquais précédemment est inscrit dans le cadre du plan séisme Antilles (PSA) et financé à 50 % par l’État. Sur les dix-neuf casernes de Martinique, douze nécessitent des travaux. Sept casernes ont déjà été rénovées et le programme va se poursuivre.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Avant d’aborder le volet opérationnel de vos activités, j’aimerais connaître votre avis sur le déploiement de notre modèle de sécurité et de protection civile, tant dans les départements ultramarins que dans les départements de la métropole. Par ailleurs, j’aimerais connaître votre sentiment sur l’évolution de ce modèle depuis votre point de vue ultramarin, et depuis la loi de 1996 relative aux services d’incendie et de secours, qui instaurait une départementalisation de ces services.

M. le colonel Frédéric Leguillier. La particularité du SDIS de La Réunion est que son service opérationnel fonctionne en service de garde, sans aucun sapeur-pompier volontaire en système d’astreinte. Notre SDIS ne peut en effet fonctionner avec un système d’astreinte, en raison de l’éloignement des habitations et des importantes problématiques de circulation. En revanche, nous nous efforçons de développer un système plus résilient, fondé sur la reconstitution d’effectifs. Mon collègue évoquait précédemment les délais d’attente à l’hôpital. Lorsqu’un SVAV est coincé à l’hôpital ou que son temps de trajet pour rejoindre la caserne est trop long, l’enjeu consiste à reconstituer des effectifs. Il s’agit là d’un travail de fond que nous menons spécifiquement pour La Réunion.

Outre cette particularité, qui n’est pas négligeable d’un point de vue organisationnel, je considère que notre modèle est souple et adaptable et, à la lumière de mon expérience professionnelle, j’ai le sentiment qu’il a toujours su répondre aux défis opérationnels. La solidarité nationale fonctionne en situation de crise. Le SDIS participe d’ailleurs lui-même à cette solidarité, par exemple à Mayotte où nous intervenons en renfort.

Enfin, je considère que l’échelon communal n’était plus pertinent pour le bon fonctionnement de nos services. Nous avions besoin de cette organisation départementale, dont le format me semble adapté et plus proche des réalités du terrain. D’ailleurs la population a totalement intégré cette organisation.

M. le colonel Patrick Tyburn. Je partage les propos de mon collègue. Durant ma carrière, je suis passé par la direction centrale où, chargé du retour d’expérience, j’ai eu l’occasion d’évaluer les réponses aux crises sur plusieurs territoires. Je considère que le modèle français de sécurité civile a fait ses preuves et continue de faire ses preuves. Nous avons pu bénéficier de ses dispositions en termes de montée en puissance lors de la pandémie de Covid-19, avec le renfort de collègues venus de l’Hexagone ou de la Guadeloupe.

Ce modèle s’inscrit de plus en plus dans le dispositif européen, et à ce titre la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane sont candidats à l’accréditation et la certification d’une unité légère d’intervention en cas de séisme. Le modèle français s’exporte, et nous avons eu l’occasion d’intervenir lors de plusieurs crises dans les Caraïbes, où notre capacité d’action est reconnue.

Toutefois, un point portant sur l’implication du citoyen dans sa propre sécurité, qui apparaissait explicitement dans la loi de 2004, n’a pas trouvé à mon sens sa pleine traduction sur le terrain. J’ai pu constater au Québec combien nos homologues locaux avaient su tirer parti du modèle européen, et français en particulier, et le combiner au pragmatisme anglo-saxon. Au Québec, on compte sur l’intervention de l’État, mais non moins sur soi-même, sur sa propre appréhension des risques. Il me semble que nous avons tendance, quant à nous, à perdre ce type de réflexe, autrement dit à se montrer moins proactif en matière de prévention des risques. Mettre en place des dispositifs permettant aux citoyens de se pendre davantage en charge me semble constituer un enjeu important. Nous nous y sommes d’ailleurs engagés dans le cadre de la journée nationale de la résilience (JNR). Par ailleurs, et en collaboration avec le rectorat, nous intervenons dans les écoles à travers des exercices d’évacuation et des formations sur les bons comportements en situation de crise. Comme la loi 2004 le rappelait, il convient de commencer l’apprentissage des réflexes utiles dès le plus jeune âge. Les enfants doivent être de bons ambassadeurs auprès de leurs parents et il est important de développer cette culture. Une plus forte résilience de nos populations est nécessaire pour compléter un dispositif de sécurité civile.

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous sommes, me semble-t-il, unanimes quant à la nécessité de développer ou redévelopper une culture et une sensibilité citoyennes à la question des risques. Cette proposition d’interventions dans les écoles nous a été soumise à plusieurs reprises. Des directeurs de SDIS nous ont signalé qu’ils souhaitent bénéficier de davantage de temps, de moyens et de personnels pour les mettre en œuvre sans empiéter sur leurs missions opérationnelles.

Monsieur le rapporteur et moi-même nous intéressons aux réserves communales de sécurité civile. Existent-elles dans vos territoires respectifs ? Peuvent-elles être selon vous un moyen de renouer un lien avec la population, d’impliquer les citoyens et de travailler sur cette culture commune du risque ?

M. le colonel Frédéric Leguillier. Nous partageons tous cet impératif de faire du citoyen un acteur de sa sécurité. J’aimerais détailler, à titre d’exemple, nos dispositions en cas de cyclone. Lorsqu’une alerte cyclonique est lancée à La Réunion, chacun est mobilisé à son niveau. Tous les employés communaux sont à leur poste, et il est procédé à un maillage du territoire, avec des points d’accueil dans chaque quartier, parfois en co-gestion avec les sapeurs-pompiers. Nous y mettons en place des postes de secours avancés pour pallier les éventuelles difficultés de circulation. Cette culture est acquise et, s’agissant des autres services publics ou opérateurs, la démarche de mobilisation est la même.

Cependant, le SDIS doit agir avec une certaine autonomie, dans la mesure où des sapeurs-pompiers conventionnés, que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public, ne pourraient pas être mobilisés s’ils le sont déjà par leur propre structure. Toutefois, je souligne une nouvelle fois la solidarité naturelle qui existe entre tous les opérateurs et les intervenants, et la logique d’entraide qui prévaut, même lorsque nous sommes à la limite de nos périmètres d’intervention respectifs.

Ces mécaniques se sont mises en place dans une logique territoriale, avec un maillage qui, me semble-t-il, est davantage en vigueur qu’en métropole. Le maillage territorial qui prévaut à La Réunion est combiné à une forte implication des sous-préfets, qui en situation de crise disposent immédiatement d’un poste de commandement opérationnel auquel nous participons. Son lien de proximité avec les maires permet une organisation pyramidale qui se met en place naturellement au moindre événement météorologique dangereux.

Je n’ai pas connaissance de l’existence de réserves de sécurité civile à La Réunion. Mais elles peuvent s’avérer un outil efficace, en effet, pour faire passer certains messages de prévention et de protection. Chacun peut y concourir, qu’il porte un uniforme ou non.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je précise que dans ces réserves, telles que nous en avons connaissance, peuvent être engagées de simples citoyens n’étant pas forcément agents de collectivités, d’opérateurs ou de services publics.

M. le colonel Patrick Tyburn. Ce dispositif est en place en Martinique du point de vue législatif et réglementaire. Quelques communes s’en sont emparées et se sont placées dans une dynamique de réserve au sens d’un engagement citoyen et d’un apport de compétences diverses. J’ai en tête quelques exemples dans lesquels ces dispositions fonctionnent très bien, avec une organisation comparable à celle décrite par mon collègue de La Réunion, notamment en matière de maillage territorial et de répartition de cette réserve dans les quartiers. Je pense par exemple à la commune du Lamentin, où a été constituée la toute première réserve en Martinique. Ces réserves résultent souvent de l’initiative d’élus, parfois du personnel administratif.

Toutefois, ce dispositif concerne une minorité de communes. Nous nous sommes souvent demandé comment aider ce type de démarche. Avec le service interministériel de la défense et de la protection civile (SIDPC), nous incitons les communes à y recourir, en demandant à celles qui l’ont déjà fait de communiquer avec leurs homologues et d’expliquer en quoi consistent les réserves. Il convient cependant de bien ajuster l’implication du SDIS, parce que, comme mon collègue l’a rappelé à l’instant, notre service doit conserver une capacité d’action autonome et ne pas voir ses effectifs dispersés dans les réserves. Nous faisons déjà face à l’attractivité, notamment pécuniaire, des associations agréées de sécurité civile, puisque dorénavant ce sont ces associations qui assurent les dispositifs prévisionnels de secours (DPS).

Dans un secteur où l’on compte une multiplicité d’acteurs, il faut prendre garde au risque de dispersion. Des collègues de la direction centrale m’ont rapporté que le SDIS de Gironde avait mis en place une réserve départementale en impliquant des sapeurs-pompiers retraités. Cela me semble être une initiative judicieuse, qui prend soin de se prémunir quant à ce risque de dispersion. Nous devons favoriser le principe de la réserve, qui peut s’avérer très utile, notamment en ce qui concerne cette partie dite de sauvegarde, en lien avec les maires. Mais il est évident que ces missions ne devraient pas être les nôtres, dans la mesure où nous sommes avant tout concernés par l’urgence. C’est quand celle-ci est maîtrisée que nous pouvons passer le relais à d’autres acteurs, par exemple des associations agréées de sécurité civile ou des réserves.

M. Didier Lemaire, rapporteur. La diversité de nos territoires et de nos départements appelle des réponses et des dispositions circonstanciées. Notre réflexion doit porter sur ces réponses adaptées, que l’on soit en ville, en milieu périurbain, à la campagne, à la montagne ou sur le littoral.

Vos remarques sur le danger d’une potentielle dilution des forces me paraissent intéressantes. Vous évoquiez des sapeurs-pompiers engagés dans des associations agréées de sécurité civile. Quel regard portez-vous sur cette constellation d’acteurs, aux moyens souvent très divers ? Quelles relations entretenez-vous avec ces partenaires associatifs ? Pensez-vous que les responsabilités des différents acteurs de la sécurité civile sont clairement et suffisamment établies ? Faut-il selon vous réviser les attributions de chacun ?

M. le colonel Patrick Tyburn. J’estime que nous entretenons de bonnes relations avec les associations agréées de sécurité civile. Celles-ci se sont développées, comme je l’indiquais précédemment, à la faveur des nouvelles dispositions sur les DPS. Ce transfert de compétences entre les SDIS et ces associations me semble sain.

Cependant, il me semble que la coordination entre nous n’est pas véritablement aboutie. Ainsi, je ne saurais vous dire aujourd’hui quels sont les objectifs fixés par les présidents de ces associations, et quels sont leurs axes de développement. Nous venons d’évoquer les réserves. Ces associations sont-elles disposées à s’y investir ? Je considère qu’il manque un échelon ou un rouage dans la mécanique de coordination. Lors de la préparation de la JNR, nous partagions le constat qu’il serait possible de faire mieux ensemble et davantage. Il ne s’agit, à mon sens, que d’une question d’organisation, dans la mesure où les compétences sont quant à elles avérées, de même que l’investissement de ces associations. Lorsque nous mettons en place des exercices départementaux, voire sur une échelle plus large comme l’exercice au niveau européen de 2017, l’implication de ces associations est un atout. En situation de crise majeure, il est évident que nous aurions besoin d’elles.

J’estime donc que cette coopération est perfectible. Peut-être le SIDPC pourrait-il l’améliorer. Pour les SDIS, s’investir sur ce sujet requiert des moyens, mais le problème se pose également pour ce service, qui naturellement a d’autres missions à conduire en matière de prévention. Lors du séisme de L’Aquila en 2009, j’ai pu constater l’apport des associations de protection civile italienne, qui ont déployé des moyens considérables et de haut niveau dans le domaine de la sauvegarde et de la mise en place de structures d’accueil et d’hébergement d’urgence.

M. le colonel Frédéric Leguillier. Sur la clarté des missions, je considère qu’il n’y a pas de confusion à propos du rôle du directeur des opérations de secours (DOS), qu’il soit dévolu au maire ou au préfet. Les associations sont quant à elles très impliquées dans le cadre des DPS, et cette répartition des rôles est désormais acquise. Cependant, je ressens un certain essoufflement des associations qui sont sursollicitées pour des DPS et qui, parfois, arrivent à la limite de la rupture capacitaire.

En ce qui concerne la coordination, il revient, de mon point de vue, à l’autorité préfectorale de l’assurer. Je n’ai pas le sentiment d’une incompréhension quant au positionnement des uns et des autres.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’une part, du point de vue du SDIS, les rôles du DOS et du commandant des opérations de secours (COS) sont clairement établis. Il convient cependant de s’assurer qu’il en va de même pour les élus, et que les responsabilités sont bien définies. D’autre part, vous dites l’un et l’autre que le rôle des associations agréées de sécurité civile est lui aussi bien défini, notamment dans le cadre des DPS déployés lors de grandes manifestations. Si j’ai bien noté que l’articulation entre les différents services était perfectible, j’aimerais savoir si vous pensez qu’en cas d’événement inattendu, de crise majeure, les multiples acteurs seraient capables de se coordonner efficacement pour fournir une réponse appropriée.

M. le colonel Frédéric Leguillier. La Réunion comptant seulement 24 communes, nous avons finalement assez peu d’interlocuteurs en comparaison de départements de l’Hexagone où le nombre de maires peut se compter en centaines. À La Réunion, les maires sont naturellement très bien identifiés, mais les territoires communaux sont très étendus. Les maires ont par conséquent un rôle à jouer en termes de déploiement local, mais ils maîtrisent bien cette configuration et détiennent une certaine culture de la gestion de crise et des événements majeurs. Je n’ai donc pas fait l’expérience de difficultés particulières dans la relation avec les maires.

Il existe à La Réunion, du fait des spécificités du territoire, un réflexe quasi instantané de se rapprocher de l’échelon de l’arrondissement et donc du sous-préfet, lequel est très proche de l’échelon local. Le SDIS met systématiquement en place un officier de liaison, ce qui permet au sous-préfet d’arrondissement de disposer d’un appui immédiat de sécurité civile. Par ailleurs, il y a autant de centres de secours que de communes, ce qui suppose une relation de grande proximité entre le chef du centre et le maire. En outre, les plans communaux de sauvegarde sont parfaitement intégrés et régulièrement déclenchés. Ce maillage territorial m’incite à penser que l’organigramme des secours serait adapté à la survenue d’un événement majeur.

Cet organigramme est en tout cas bien identifié, et nous nous efforçons d’améliorer constamment nos pratiques, puisqu’une démarche de retour d’expérience est systématiquement entreprise à l’issue de chaque événement, avec l’échelon zonal et avec le préfet.

M. le colonel Patrick Tyburn. Je rejoins ces observations en ce qui concerne la Martinique. Dans le cas des risques prévisibles tels que les ouragans, notre dispositif de montée en puissance et de gestion de crise autour du préfet me paraît rodé et bien identifié. Il se déploie en bonne entente avec les collectivités locales, avec un centre opérationnel départemental (COD) installé systématiquement, des postes de commandement opérationnel (PCO) autour des sous-préfets, et des maires qui mettent en place leur poste de commandement communal (PCC).

Vous formulez, monsieur le rapporteur, l’hypothèse d’un événement à cinétique rapide non prévisible, tel un séisme. Je reviens à l’exemple du séisme de L’Aquila : l’expérience a montré que, dans un certain nombre de communes de la région des Abruzzes, les autorités elles-mêmes ont été touchées. Un système pourtant rodé aux situations de crise a été pris au dépourvu, et les capacités venues de Rome ont dû reconstituer tout un dispositif opérationnel et administratif. Sur des territoires insulaires comme les nôtres, nous savons qu’il convient de prendre en compte des délais importants, c’est-à-dire des temps de trajet en avion depuis la métropole.

Cependant, dans le cas de la Martinique, nous pouvons compter sur la proximité avec la Guadeloupe, et les scénarios que nous avons étudiés n’intégraient pas l’hypothèse d’un séisme touchant simultanément et fortement les deux îles, sa probabilité étant infime. Par conséquent, nous pourrions espérer une montée en puissance rapide du fait de cette proximité, et ne pas faire face à une rupture capacitaire qui pourrait intervenir avec un séisme de magnitude 7 par exemple. Cet élément est capital, dans la mesure où, dans la gestion de crise, les premières heures sont cruciales. Aussi, dans le cas d’un sinistre majeur et d’affaiblissement des autorités sur place, l’autorité pourrait rapidement reprendre la main depuis la Guadeloupe, et se montrer capable de coordonner une stratégie adaptée.

M. Didier Lemaire, rapporteur. De quels moyens disposez-vous, en Martinique et à La Réunion, concernant les dispositifs d’alerte et de soutien à la population en cas de crise ? J’imagine qu’ils sont similaires à ceux existant actuellement en métropole, c’est-à-dire les téléphones par exemple. Mais j’aimerais savoir également ce qui est prévu en cas de blackout, c’est-à-dire avec dans une situation où les systèmes de communication ne fonctionnent plus.

M. le colonel Frédéric Leguillier. La Réunion n’est pas située dans un archipel, et l’île française la plus proche, Mayotte, est tout de même relativement éloignée. Nous disposons des moyens d’alerte nationaux, comme vous l’avez évoqué. Le dispositif FR-alert est opérationnel sur l’île de La Réunion, il a pu être testé lors d’exercices, mais aussi en situation réelle lors de la dernière éruption du Piton de la Fournaise. À cette occasion, il a démontré sa pertinence et sa fonctionnalité.

Nous avons conduit récemment, sous l’égide du préfet, un exercice en coopération avec tous les acteurs, les collectivités et les opérateurs privés et publics. Nous avons envisagé un scénario de cyclone majeur entraînant un blackout total et de fortes atteintes des centres de décision et des centres opérationnels, ce qui n’a rien d’hypothétique dans la mesure où, ces centres étant situés sur le littoral, ils peuvent être exposés à des vagues submersives, à l’image du centre opérationnel de la Préfecture. Dans ce scénario de rupture complète des communications, un travail autonome local doit être enclenché ; il doit être fondé sur des priorités définies à l’avance, à savoir le sauvetage des vies humaines et ensuite le rétablissement des voies de communication.

La Réunion pourrait en effet être victime d’un blackout total. L’Île est reliée à l’Hexagone par des câbles sous-marins qui peuvent subir des ruptures partielles. Nous l’avons constaté récemment, et nous avons perdu du débit Internet pour du fonctionnement courant. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’un incident majeur, sur lequel il convient de réfléchir en amont et d’envisager des solutions, comme le recours aux radioamateurs par exemple.

M. le colonel Patrick Tyburn. Nos moyens d’alerte et d’information de la population sont comparables à ceux développés dans l’Hexagone. Sur l’information de la population, un travail spécifique est mené avec les radios locales, parce que les Martiniquais ont pour habitude de les écouter lorsqu’un événement se produit. L’une d’elles ouvre son antenne et les gens peuvent téléphoner pour signaler des difficultés locales ou exprimer des demandes.

J’estime qu’il convient de renforcer certains dispositifs d’alerte, notamment sur le risque de tsunami. Il existe un système d’alerte au tsunami qui concerne 42 pays de la Caraïbe et s’appuie sur des capacités américaines, puisque le centre opérationnel est situé à Hawaï. Ce centre ne donne pas l’alerte, mais produit des informations d’alerte, chaque territoire devant ensuite les traduire en alerte pour sa population. Le système hawaïen est lui-même théoriquement très performant. Il garantit un délai inférieur à six minutes entre le moment où un séisme est susceptible d’avoir généré un tsunami et le moment où les informations sont diffusées à l’ensemble des territoires concernés. En réalité, ce délai est plus proche de la minute. Cependant, ce dispositif me semble trop vulnérable, dans la mesure où il dépend d’une chaîne d’information, ce qui est naturellement risqué. En effet, une fois l’information parvenue, sa traduction dépend de la capacité d’astreinte des services locaux et préfectoraux.

L’alerte concernant les tsunamis proches est gérée différemment, dans la mesure où ce sont les signes naturels qui prévalent. Nous devons d’ailleurs apprendre à la population à reconnaître ces signes et à se réfugier sur les hauteurs de l’île au cas où ils se produisent. Dans tous les cas, un tsunami proche, régional ou plus lointain suppose une évacuation massive puisque, comme à La Réunion, l’essentiel de la population est concentré en zone côtière. Notre capacité à alerter dans les meilleurs délais est donc cruciale.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je souhaite rebondir sur ce que vous disiez, monsieur le colonel Leguillier, à propos des radios amateurs. Il existe des associations départementales des radioamateurs au service de la sécurité civile (Adrasec), qui sont des associations agréées de sécurité civile intégrées aux dispositifs d’alerte. Dans mon département, la Vienne, l’Adrasec dispose d’une antenne sur la préfecture. Comment, dans vos départements, les radioamateurs sont-ils intégrés au dispositif d’alerte ? Participent-ils aux exercices ? Dans la Vienne, ces radioamateurs sont pour l’essentiel des retraités et il semble difficile d’intéresser les plus jeunes à cette activité, ce qui peut représenter un frein à la mobilisation de cette association.

M. le colonel Frédéric Leguillier. L’Adrasec réunionnaise existe, et elle est évidemment référencée à la Préfecture. Nous l’avons sollicitée pour le récent exercice que j’évoquais. Elle a démontré à cette occasion sa capacité à établir une communication entre La Réunion et l’Hexagone sans aucune difficulté et avec des moyens rudimentaires. Il s’agit donc d’un auxiliaire potentiellement précieux et très résilient. L’Adrasec est composée de passionnés, et en effet il me semble que la plupart sont des retraités. Le SDIS n’est pas en relation directe avec les radioamateurs : le contact passe plutôt par l’état-major de zone et les services de la préfecture.

M. le colonel Patrick Tyburn. Les radioamateurs sont, de même, présents dans les Antilles, en Martinique en particulier. Lorsque l’ouragan Maria a frappé en 2017, je me suis rendu en détachement en République dominicaine et j’ai pu constater leur utilité. Je ne connais pas leur moyenne d’âge, mais je sais qu’ils possèdent des équipements très modernes et sont capables de produire des données. Ils sont en lien avec le SIDPC et sont associés à tous nos exercices.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’aimerais savoir si vous rencontrez des difficultés en termes de recrutement. De quels avantages bénéficient les sapeurs-pompiers qui veulent rejoindre vos rangs, qu’ils soient volontaires ou professionnels ?

M. le colonel Frédéric Leguillier. Nous n’avons, à La Réunion, jamais rencontré de difficultés à recruter des sapeurs-pompiers volontaires, et je n’ignore pas que cette situation est atypique par rapport à celle de l’Hexagone. Je m’étais étonné lors de mon arrivée qu’il n’y ait pas de campagnes de communication pour le recrutement, et on m’avait déconseillé d’en entreprendre par crainte d’être submergé par les demandes. Les demandes d’engagement sont en effet très nombreuses et ne peuvent être toutes satisfaites, nos capacités de formation étant nettement inférieures aux sollicitations. Au-delà de la vocation, il convient également de prendre en considération un facteur social pour expliquer cette singularité. La Réunion est en effet exposée à la pauvreté, et la population est en quête d’activités rémunératrices. J’ajoute que, à l’image de la situation décrite par mon collègue martiniquais, nos difficultés résident dans la mise à niveau de nos infrastructures. La féminisation de nos effectifs est, à cet égard, freinée par l’insuffisance de locaux adaptés, ce qui nous vaut de perdre des vocations féminines.

Nous ne rencontrons donc aucun problème de recrutement de sapeurs-pompiers volontaires à La Réunion, bien au contraire. En revanche, nous éprouvons certaines difficultés de gestion des ressources humaines concernant le corps des officiers. Le nombre d’habitants à La Réunion s’élève à 870 000. Notre SDIS est donc tout proche du seuil de la catégorie A. Pourtant, le taux d’encadrement en officiers atteint à peine 10 %, quand il devrait se situer autour de 20 %. Il s’agit d’un handicap majeur pour le SDIS. Le recrutement des officiers est freiné par un problème de mobilité. En effet, un officier candidat pour une expérience de mobilité en métropole se heurte à l’incertitude quant à la possibilité de revenir plus tard à La Réunion. Il y a donc une grande réticence à la mobilité. Je pense qu’une réflexion doit être menée sur la mobilité des Ultramarins, parce que cette réticence à la mobilité peut ensuite les pénaliser dans leur parcours professionnel, étant donné qu’ils ont un défaut d’expérience par rapport à leurs homologues de l’Hexagone.

Par ailleurs, le coût des formations est extrêmement élevé pour le SDIS de La Réunion et l’affecte très fortement, puisque toutes les formations à l’école nationale, ainsi que les transports, sont à sa charge. En outre, les formations dispensées en métropole n’intègrent pas toujours les spécificités du terrain réunionnais, notamment en ce qui concerne les constructions, puisque les exigences de ventilation dans les bâtiments à La Réunion ne sont pas du tout les mêmes que dans l’Hexagone, ce qui entraîne des formes d’incendies radicalement différentes. Ces particularités nuisent à notre capacité de formation. Dans notre outil local de formation, nous ne pouvons former que 60 sapeurs-pompiers professionnels par an et 80 sapeurs-pompiers volontaires, alors que le nombre de candidatures peut s’élever à 300.

M. le colonel Patrick Tyburn. Nous ne rencontrons pas non plus de difficultés à recruter des sapeurs-pompiers volontaires en Martinique. Néanmoins, en tenant compte des futures conséquences du vieillissement important de la population martiniquaise, nous développons une promotion pour attirer de plus jeunes volontaires. Notre taux de féminisation est particulièrement élevé, sans avoir eu à produire un effort particulier dans ce domaine. Cette situation s’explique, comme à La Réunion, par un facteur social, puisque beaucoup de jeunes femmes ainsi que de jeunes hommes sont en quête d’une activité rémunératrice.

Nous fonctionnons en Martinique, comme à La Réunion, avec un dispositif de service de garde, et nous peinons grandement à convaincre de l’intérêt de l’astreinte du fait de leur indemnisation inférieure. L’activité de sapeur-pompier volontaire relève certes d’un engagement citoyen, mais l’aspect rémunérateur doit naturellement être pris en compte. À ce titre, si la directive européenne devait être appliquée strictement sur nos territoires, nous rencontrerions une difficulté de continuité de notre mission au service de la population.

Du côté des pompiers professionnels, nous faisons face au vieillissement de notre encadrement intermédiaire. Nous avons accompagné tous ceux qui étaient en capacité de réussir au concours d’officier, en particulier de lieutenant. Nous avons connu des réussites rassurantes, qui ne lèvent pas pour autant toutes les inquiétudes. Nous sommes également en sous-effectif d’encadrement, notamment d’encadrement supérieur, car les postes de chef de centre ou d’officier supérieur nécessitent un temps de formation long. Enfin, nous recevons de nombreuses demandes de collègues de l’Hexagone désirant connaître une expérience en mobilité chez nous. Nous accueillons bien entendu favorablement ces demandes, mais elles supposent des moyens managériaux pour les accompagner. De manière générale, nous éprouvons les mêmes difficultés que celles évoquées par mon collègue sur le management de nos personnels, afin de maintenir et développer nos ressources humaines, qu’elles soient volontaires ou professionnelles.

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous vous remercions vivement d’être venus nous apporter un éclairage précieux sur les particularités de vos territoires, dont il convient de tenir compte, et nous vous invitons à nous fournir une contribution écrite si vous le souhaitez.


Table ronde d’associations agréées de sécurité civile

Compte rendu de la table ronde d’associations agréées de sécurité civile
(mercredi 22 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, chers collègues, nous entamons aujourd’hui notre troisième cycle d’auditions, qui est consacré aux personnels et aux associations de sécurité civile. La présente séance nous permet de réunir, en une première table ronde, plusieurs associations agréées de sécurité civile. Nous organiserons également deux autres tables rondes similaires, en raison du nombre substantiel d’associations agréées.

Pour cette première discussion, nous avons le privilège d’accueillir M. Gilles Diaz, coordinateur national de l’Association nationale des premiers secours, ainsi que M. Patrice Dallem, expert secours à l’Association Bouclier Bleu France, qui supplée Mme Marie Courselaud, la présidente. Nous accueillons également M. Nicolas Tamic, directeur adjoint responsable des opérations du Centre de documentation, de recherche et d’expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE), M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française, et enfin, M. Florent Vallée, directeur d’urgence et des opérations de cette association. Nous vous remercions sincèrement pour votre présence et votre contribution précieuse à nos travaux.

Il est impératif pour nous de vous impliquer dans nos réflexions concernant le modèle français de sécurité civile, auquel vous participez activement. Votre expérience directe sur le terrain revêt une importance capitale, et nous sommes convaincus que votre contribution à nos travaux sera substantielle. Nous avons organisé nos auditions de façon à débuter par la collecte de retours d’expérience terrain, compte tenu de votre connaissance approfondie des besoins locaux et de votre expertise avérée de la gestion des risques. Ces informations sont cruciales pour étoffer notre analyse et orienter judicieusement nos travaux.

À mesure que nous avançons dans nos auditions, nous prenons pleinement conscience du rôle de premier plan joué par le secteur associatif dans le bon fonctionnement de notre système de protection et de sécurité civiles. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais partager avec vous quelques informations d’ordre administratif. Cette mission d’information rassemble 25 députés issus de tous les groupes présents à l’Assemblée nationale. Elle a été constituée à la demande du groupe Horizon et a débuté ses auditions en septembre dernier. Je préside cette mission et mon collègue Didier Lemaire m’accompagne en tant que rapporteur.

Je tiens également à vous informer que nos échanges seront enregistrés, conformément à la pratique habituelle, et qu’ils seront accessibles au public sur le site de l’Assemblée nationale. Un compte rendu détaillé sera également rédigé et annexé à notre rapport, que nous espérons pouvoir présenter au printemps prochain. Ceci étant dit, je tiens à souligner que cette échéance n’est en aucun cas contraignante, mais plutôt indicative.

Nous vous remercions chaleureusement pour votre engagement et votre participation. Je cède maintenant la parole à notre rapporteur, qui amorcera nos échanges par une première série de questions.

M. Didier Lemaire, rapporteur de la mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles. Merci infiniment, madame la présidente, mesdames et messieurs, chers collègues. Nous vous exprimons notre profonde gratitude d’avoir répondu présents à notre mission d’information, permettant ainsi un échange constructif sur vos rôles au sein de vos associations respectives. Permettez-moi de partager quelques réflexions sur cette mission d’information, en toute transparence sur mon parcours, fort de trente années d’expérience en tant que sapeur-pompier, tant en qualité de volontaire que de professionnel, et également en tant qu’élu local. Au cours de diverses crises, j'ai eu l’opportunité d’appréhender les enjeux des deux côtés de la barrière, de comprendre la manière dont ces situations se présentaient et de voir comment nos moyens s’organisaient.

Ce qui suscite notre intérêt au sein de cette mission d’information, c’est la capacité d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile dans son ensemble. Votre engagement au sein de vos associations joue un rôle crucial à cet égard. Depuis le début du mois de septembre, nous avons pu constater, parfois au travers de difficultés rencontrées, que ce soit au sein des sapeurs-pompiers ou d’autres organismes, votre implication significative, même face aux risques courants. C’est dans ce contexte que nous souhaitons échanger avec vous pendant une durée d’environ une heure et demie, afin de mieux comprendre le fonctionnement spécifique de chacune de vos associations.

À ce titre, ma première question est la suivante : pourriez-vous nous faire part de quelques éléments sur vos associations respectives et leur structure organisationnelle ? Nous pourrions peut-être débuter par M. Da Costa, si cela vous convient.

Mme la présidente Lisa Belluco. Permettez-moi d’apporter une précision d’ordre technique. Initialement, nous avions prévu pour cette table-ronde une durée de deux heures, mais si cela vous convient, je propose un léger ajustement de l’horaire, avec une séance raccourcie d’une dizaine de minutes. Monsieur Da Costa, je vous cède la parole.

M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française. Madame la députée, monsieur le député, madame la présidente, monsieur le rapporteur, je vous prie de bien vouloir accorder une attention particulière à notre réunion cet après-midi, au cours de laquelle nous entamerons une réflexion approfondie sur un sujet central. J’ai personnellement tenu à participer à cette audition, accompagné de mon directeur national, Florent Vallée, afin de souligner l’importance que nous accordons à cette activité au sein de la Croix-Rouge française. Je rappelle que nous célébrerons l’année prochaine les 160 ans de la Croix-Rouge française, une institution regroupant près de 100 000 personnes, dont 70 000 bénévoles, 20 000 salariés et 20 000 étudiants dans le secteur sanitaire, d’où nous puisons également une part de nos ressources. Nous aborderons ce sujet dans notre intervention technique, notamment en ce qui concerne la transposition des formations d’un secteur à l’autre.

Nous sommes profondément liés à l’histoire de notre pays, aux crises et aux événements tant nationaux qu’internationaux. Notre maillage territorial nous permet de couvrir l’ensemble du territoire national : les 108 départements et les territoires ultramarins. Lorsque nous sommes présents, nous nous engageons sur les trois océans et sur l’ensemble de l’Hexagone. En témoignage de cette capacité, nous déployons de nombreuses équipes de secouristes, une mission que nous aborderons plus en détail ultérieurement.

Cette capacité opérationnelle découle d’une stratégie élaborée depuis 1943, avec la création des équipes d’urgence, évoluant au fil de l’histoire pour accompagner et nourrir la politique de construction du modèle actuel, un modèle aujourd’hui essoufflé. Bien que ce modèle ait conféré à la France un rôle original en Europe et à l’échelle internationale, il repose en grande partie sur l’énergie des volontaires et des institutions. Nous saluons votre initiative parlementaire, mais constatons un véritable déficit de positionnement des associations de sécurité civile, une lacune que nos collègues présents ce soir souligneront sans doute.

Sortant d’une mobilisation exceptionnelle dans le Pas-de-Calais, dans le Nord et en Bretagne, nous avons mobilisé de nombreuses équipes pour faire face à cette crise. Cependant, au-delà de ces actions, nous nous engageons depuis 2019 dans une réflexion au sein de la Croix-Rouge française, baptisée « Résilience 2030 ». L’interrogation principale était de savoir si les Français sont préparés aux crises à venir, et la réponse est négative. Cependant, avec les moyens nécessaires, ils aspirent à être préparés et sont prêts à faire le nécessaire, pourvu que les conditions soient réunies.

Ainsi, notre stratégie repose sur trois piliers fondamentaux que nous aborderons plus en détail ultérieurement. Tout d’abord, la prévention et l’éducation constituent un pilier essentiel à nos yeux. Ensuite, nous pouvons citer la protection, où le secours à la personne joue un rôle important, voire essentiel. Enfin, nous pouvons évoquer le relèvement et le rétablissement du lien social, un pilier que nous observons de plus en plus dans nos interventions, avec nos collègues pompiers confrontés à des problématiques sociales qui peuvent être distinguées des urgences vitales.

La création du dispositif en 2006 a indéniablement fait progresser la structuration des acteurs de sécurité civile, mais le positionnement qui doit être le nôtre nécessite la création d’un nouveau paradigme. La crise sanitaire récente, bien que la Croix-Rouge française se soit engagée de manière exceptionnelle, a révélé une incapacité à réunir l’ensemble des acteurs autour de la table au lendemain de cette crise. C’est pourquoi, dans une démarche interministérielle et mobilisant tous les acteurs concernés, nous plaidons pour une préparation anticipée à la prochaine crise.

Notre participation à cette rencontre s’explique également par notre engagement au congrès des sapeurs-pompiers, nos échanges avec le député Matras et l’ensemble des acteurs, ainsi que par les initiatives positives des dernières années, dont la loi Matras constitue une avancée. Cependant, il est crucial de reconnaître que nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux. Les crises à venir seront plus nombreuses, plus conséquentes et nécessiteront davantage de moyens. La façon dont nous préparerons et accompagnerons la population, avec chaque acteur jouant son rôle, nécessitera un changement d’échelle significatif dans l’accompagnement. Ainsi, nous avons lancé un grand plan de relance secours avec nos moyens et nos supports, en vue notamment des Jeux olympiques.

En conclusion, je souhaite souligner que l’histoire a démontré que des citoyens ont pris conscience de la nécessité de s’engager au sein d’associations comme la nôtre pour permettre à notre pays de faire face à certaines crises. En tant que président de la Croix-Rouge française, je témoigne de cet engagement exceptionnel que vous avez pu constater dans vos deux arrondissements. Il s’agit d’une activité unique, allant du social au secours en passant par le médico-social et sanitaire, avec un niveau d’engagement et d’expertise exceptionnel, tant au niveau individuel qu’au sein de nos équipes sur le terrain.

Ces propos introductifs avaient pour seul objectif d’attirer votre attention et de souligner l’importance du sujet que vous avez choisi. Je suis accompagné de collègues d’autres associations, qui pourront approfondir les thématiques spécifiques. En conclusion, j’aborderai un dernier point essentiel : au-delà des aspects techniques que nous pourrons examiner, le véritable enjeu auquel nous sommes aujourd’hui confrontés est notre capacité à redéfinir le positionnement des associations de sécurité civile, notamment de la Croix-Rouge française, dans leur relation avec le ministère de l’intérieur et, de manière cruciale, avec le ministère de la santé. Historiquement, notre relation avec le ministère de la santé a toujours été présente, et il est essentiel de la rétablir dans une perspective interministérielle, impliquant également le ministère des armées et de la défense nationale. Nous sommes convaincus que l’avenir des associations de sécurité civile, en particulier de la Croix-Rouge française en tant qu’association humanitaire, se jouera dans la capacité à répondre à des crises multiples et diverses, en engageant un dialogue avec les différents ministères. Cela constitue la clé du futur.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup. Je saisis l’opportunité de prendre la parole une nouvelle fois afin de vous présenter mon collègue, ce que jai omis de faire précédemment. Il s'agit de M. Florian Chauche, député du Territoire de Belfort, qui est membre de cette mission d'information et participe à ses travaux.

M. Patrice Dallem, expert secours à l’Association Bouclier Bleu France. Le Bouclier Bleu France, fondé en 2001, trouve son origine dans la branche française du Blue Shield International, créé en 1995 à la suite des accords de La Haye de 1954 sur la protection du patrimoine en temps de conflit armé. Ces accords ont donné naissance à deux protocoles additionnels, le premier signé simultanément avec la convention de 1954 et le second en 1999, renforçant la protection du patrimoine lors des conflits armés.

En France, le Bouclier Bleu, érigé en institution en 2001, se consacre principalement aux catastrophes naturelles et technologiques, promouvant la prévention et la préparation face à de telles catastrophes, notamment celles affectant le patrimoine culturel. Des événements tels que les dégâts subis par le musée Cocteau à Menton à cause d’une vague scélérate ou l’inondation du musée de Montargis en 2016 soulignent l’importance de protéger le patrimoine identifié et recensé à travers un logiciel dédié aux catastrophes, ainsi qu’en collaboration avec le logiciel du ministère de la culture.

Au-delà des ministères évoqués précédemment par le président de la Croix-Rouge, le Bouclier Bleu collabore étroitement avec le ministère de la culture, conscient que la protection du patrimoine est intrinsèquement liée au droit international humanitaire, tel que spécifié dans les conventions de La Haye. Une convention avec la Croix-Rouge française est en cours de discussion, visant à renforcer cette dimension du droit international humanitaire et à faciliter la formation des équipes respectives.

La mission du Bouclier Bleu dépasse ainsi la protection des populations, confiée principalement aux pompiers et aux associations de sécurité civile. Elle s'étend à la préservation du patrimoine culturel lors de crises majeures, soulignant que la sauvegarde de la mémoire est indissociable de la protection de l’homme. L’association, constituée d’environ 350 membres, dont 150 membres institutionnels, œuvre à construire une réponse d’urgence opérationnelle. Des partenariats, récemment conclus avec la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, avec certains services départementaux dincendie et de secours (SDIS) et avec lassociation française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT) permettent un déploiement efficace, marquant un recentrage vers le secours au bien culturel en complément de l’expertise, qui constituait son axe principal par le passé. La nouvelle présidente, fraîchement élue, impulse ce changement de cap.

M. Nicolas Tamic, directeur adjoint et responsable des opérations du Centre de documentation, de recherche et dexpérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, je vous exprime tout d’abord ma gratitude pour avoir convié le CEDRE à cette réunion, d’une importance particulière pour nous. Permettez-moi de vous présenter brièvement notre organisation. Le CEDRE, créé en 1979, est une association régie par la loi de 1901. Son origine remonte aux conséquences désastreuses de la marée noire du mazout du pétrolier Amoco Cadiz en 1978, qui a souillé les côtes françaises avec 227 000 tonnes de fioul, affectant principalement les côtes du Finistère et de la Bretagne.

Notre association assume une mission de service public, disposant d’un budget d’environ 6 millions d’euros, principalement financé par l’État, notamment par les ministères de la transition écologique et de l’intérieur. Environ 50 % de notre financement provient de subventions étatiques, le reste provenant d’opérations commerciales, ce qui est inhabituel pour une association relevant de la loi de 1901. Nos activités sont principalement tournées vers des partenariats dits B2B (business to business) avec des groupes pétroliers ou des fabricants de produits de lutte contre la pollution, notamment.

Le CEDRE possède plusieurs agréments des ministères de la transition écologique, du secrétaire d’État chargé de la mer, du ministre de l’intérieur, ainsi qu’un agrément récent du ministère délégué chargé des collectivités territoriales et un agrément international délivré par le Nautical Institute, qui nous permet de donner des formations conformes au standard international. Nous sommes également engagés dans un processus de certification ISO 9001 : 4001 en gestion de la qualité environnementale, soulignant notre engagement envers le respect de l’environnement.

Notre particularité réside dans le fait que le CEDRE ne compte aucun bénévole, avec 52 employés permanents et une masse salariale d’environ 3,5 millions d’euros. Nous sommes basés à Brest et notre conseil d’administration est hybride, comprenant des représentants des ministères régaliens, tels que le service de la Première ministre, le ministère des armées, le ministère de l’environnement, le ministère des transports, le ministère de l’intérieur, ainsi que des organismes publics et des acteurs de l’industrie, dont l’agence de l’eau, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), les Industries françaises du pétrole et des énergies nouvelles, Météo France, Armateurs de France, le Comité national des pêches, et des représentants d’industries potentiellement polluantes, regroupées en syndicats comme France Chimie et l’Union française des industries du pétrole, dont Total Énergie fait partie. Enfin, une dernière particularité réside dans la présence à notre table des victimes potentielles d’une pollution. Vigipole, créé à la suite de la catastrophe de l’Amoco Cadiz, figure également parmi les participants. Je rappelle que Vigipole a été mis en place à la suite de cette catastrophe, pour intenter des actions en justice dans le cadre de la procédure complexe qui a trouvé son dénouement à Chicago – procédure qui a permis d’indemniser les municipalités sinistrées à la suite de la marée noire de l’Amoco Cadiz.

Les missions dévolues au CEDRE concernent l’urgence opérationnelle, dans le cadre de laquelle nous agissons en tant que bras armé des préfectures et des autorités nationales. Nous fournissons des recommandations en continu et tout au long de l'année pour lutter efficacement contre les pollutions, qu’elles aient pour origine des hydrocarbures, des produits chimiques ou, plus récemment, des plastiques. Par ailleurs, notre capacité d’intervention rapide est démontrée par notre déploiement dans des missions internationales, comme à l’île Maurice et aux Philippines en 2023, ainsi que dans des interventions nationales, notamment en Saône-et-Loire et sur les plages de Loire-Atlantique et des Landes, lorsqu’elles ont été touchées par des arrivées massives de granulés plastiques industriels.

Nous occupons également la fonction de point focal pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne en ce qui concerne les pollutions chimiques en mer. Ainsi, ces États peuvent nous solliciter dès qu’ils sont confrontés à ce type de pollution. Nous avons établi un contrat avec l’Agence européenne de sécurité maritime, ouvert non seulement aux États membres de l’Union européenne, mais également à ceux qui sont candidats à l’adhésion, ainsi qu’à ceux de l’AELE (Association européenne de libre-échange).

Notre service de planification accompagne l’État français dans l’élaboration opérationnelle des plans d’urgence pour les pollutions maritimes. Nous apportons également notre expertise aux industriels du pétrole dans ce domaine. Notre centre est unique au monde, car il est le seul capable de simuler le déversement de pétrole dans des conditions quasi réelles, disposant d’une véritable plage et d’eau de mer authentique. Bien entendu, nous veillons à ce que rien ne soit rejeté en mer, dans le respect des normes environnementales. Cette particularité explique l’afflux de stagiaires venant des quatre coins du monde, de Taïwan à l’Allemagne en passant par le Bénin. En effet, notre centre offre un environnement de travail exceptionnel pour des formations allant de l’initiation de base « les pieds dans le fioul », à des formations avancées en gestion de crise. Celles-ci profitent aux préfets et aux structures de gestion de crise, y compris les centres opérationnels départementaux.

Nous partageons notre savoir-faire en formant les pilotes d’État, notamment ceux de la marine nationale, des douanes et de la gendarmerie, pour la détection des pollutions en mer, compte tenu de leurs pouvoirs de constatation d’office judiciaire. Notre laboratoire d’analyses de grande envergure permet de déterminer la présence de polluants dans l’eau, les sédiments et les tissus. Il est également orienté vers la recherche appliquée, explorant les fiouls de nouvelle génération et les énergies nouvelles qui façonneront le transport maritime dans les années à venir.

En réponse à la demande du ministère de la transition écologique, nous avons développé un département spécialisé dans la gestion des déchets aquatiques, traitant plutôt une pollution chronique que des accidents ponctuels. Cette mission est effectuée au nom de l’État, en collaboration avec l’Ifremer et d’autres partenaires. Nous supervisons un réseau d’une soixantaine de plages tout au long de l’année, documentant régulièrement les débris plastiques que nous caractérisons. Ces informations sont intégrées aux bases de données de l’Union européenne et se traduisent ensuite par des directives européennes, transposées dans les droits nationaux, telles que l’interdiction des pailles en plastique et des cotons-tiges. Enfin, notre centre de documentation, ouvert au public, s’inscrit également dans notre mission de service public. Tout ce que nous produisons est mis à la disposition des élus, des étudiants, des chercheurs, ainsi que des services de secours, notamment les pompiers et les préfets maritimes.

En conclusion, le CEDRE, association relevant de la loi de 1901, s’engage fermement en faveur de la protection de l’environnement, de la réactivité et de l’expertise. Dans notre mission de service public, la neutralité est un principe fondamental qui guide notre accompagnement des opérateurs maritimes dans les secteurs éolien, pétrolier ou chimique notamment. Nous sommes également impliqués dans les eaux douces navigables de France. C’est dans cet esprit que nous partageons notre savoir-faire avec les différents acteurs, qu’il s’agisse des forces de l’ordre, des autorités maritimes, des industriels ou des élus.

M. Gilles Diaz, coordinateur national de lAssociation nationale des premiers secours (ANPS). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, au nom de l’Association nationale des premiers secours (ANPS), je tiens à vous exprimer notre gratitude pour l’organisation de cette table ronde. Nous sommes honorés de participer à cette discussion cruciale sur l’amélioration de notre sécurité civile. La présence de plusieurs associations de sécurité civile aujourd’hui souligne notre importance dans le système de sécurité civile français.

L’Association nationale des premiers secours, créée en 1936, avait pour vocation initiale la formation aux premiers secours, évoluant ensuite vers des missions opérationnelles. Actuellement, présente sur 67 territoires, nationaux et ultramarins, elle compte 2 500 bénévoles et seulement deux salariés. Au fil des années, notre association a ressenti le besoin de se professionnaliser, notamment en établissant des cadres permanents au niveau du siège. La période de la Covid-19 a mis en lumière cette nécessité, mobilisant massivement nos bénévoles et soulignant le manque de cadre permanent au sein de notre fédération.

Notre plan stratégique pour 2025 vise à professionnaliser l’ANPS, tout en mettant l’accent sur le développement de la prévention et de l’engagement citoyen, un axe fondamental pour nous. Nos 2500 bénévoles proviennent de divers horizons tels que l’enseignement, la boucherie, la cordonnerie et aussi des sapeurs-pompiers. Leur dévouement repose sur un engagement désintéressé, consacrant bénévolement leur temps à aider autrui, parfois en finançant eux-mêmes une partie de leur formation pour témoigner de leur engagement.

L’ANPS forme annuellement 35 000 personnes. Nous exigeons de nos formateurs et de nos équipiers secouristes, tout comme d’autres associations de sécurité civile, de se former régulièrement. Comme souligné par le président de la Croix-Rouge, il est crucial de reconnaître que ces associations peuvent atteindre un point de saturation, comme observé durant la crise de la Covid-19. Aujourd’hui, une réflexion approfondie s’impose au niveau des différentes fédérations et nous avons eu l’occasion d’en discuter avec d’autres députés lors de diverses commissions. Il est impératif d’envisager un soutien accru de l’État pour accompagner ces associations actrices de la sécurité civile.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je remercie chacun d’entre vous pour vos présentations. Je souhaiterais aborder la question des modalités d’agrément, en sachant qu’elles peuvent présenter des spécificités en fonction des secteurs d’activité ou des particularités propres à chaque organisation. Selon votre perspective, estimez-vous que ces modalités sont adaptées, ou nécessitent-elles une évolution ? En tout état de cause, quel jugement portez-vous sur ces différentes modalités ?

M. Philippe Da Costa. La Croix-Rouge française souhaite intervenir avec une présentation à deux voix, et Florent Vallée apportera un complément à mes propos. Permettez-moi de préciser les chiffres : nous comptons actuellement un peu moins de 10 000 secouristes formés au sein de la Croix-Rouge française. Notre plan de relance secours, récemment lancé, vise à amplifier nos effectifs, dans la perspective des Jeux olympiques, et à étendre notre présence. Nous assurons notamment environ 13 000 postes de secours lors de manifestations diverses à l’échelle nationale, mobilisant près de 70 000 personnes. Cette couverture nationale, étendue sur l’ensemble du territoire, soulève la question de l’agrément. En tant qu’association nationale, nous pouvons nous interroger sur la pertinence d’une logique préfectorale et suggérer la possibilité que les associations nationales disposent d’un agrément national unique. La logique préfectorale a indéniablement des avantages, comme démontré pendant la crise sanitaire. Nous attachons une grande importance à notre relation qualitative en tant qu’auxiliaire des pouvoirs publics, participant aux discussions au niveau départemental. Nous sommes convaincus du caractère essentiel de cette position.

Face aux crises nationales aux effets départementaux et régionaux, notre présence et notre réactivité se sont avérées cruciales. Par exemple, lors d’un entretien avec la ministre du travail à l’époque, devenu depuis Première ministre, nous avons dû accueillir rapidement des Ukrainiens dans les gares parisiennes. En l’espace d’une après-midi, une invitation a été lancée, et le soir même, cent présidents territoriaux de la Croix-Rouge française étaient en ligne avec l’équipe nationale. Le lendemain, ces présidents étaient directement en interface avec les préfectures pour coordonner l’action au niveau territorial. Mon propos souligne la nécessité d’un dispositif national sous l’autorité du directeur national de l’urgence et du secourisme, mais aussi l’importance du maillage territorial départemental. Cette interlocution est cruciale, et la crise sanitaire a révélé la dimension sociale de la Croix-Rouge française, au-delà de son rôle traditionnel en matière de santé. Dans mes déplacements en tant que président depuis deux ans, je constate que les préfectures ont pleinement identifié notre association et la considèrent comme un acteur indispensable.

Au-delà de la dimension technique évidente, notamment dans le cadre du SDIS et des feux de forêt où nous mobilisons les sapeurs-pompiers, la réalité essentielle réside dans la prise en charge des populations. C'est un véritable métier, où l’humanité et le bénévolat sont des marqueurs essentiels. En vue des Jeux olympiques, nous collaborons étroitement avec quatre autres associations, soulignant l’importance de la relation à différents niveaux, bien que les modalités varient sur le plan technique en matière d’agrément.

M. Florent Vallée, directeur de l’urgence et des opérations de la Croix-Rouge française. Bonjour à tous et à toutes et merci. Nous disposons de quatre agréments nationaux, ABCD, que vous connaissez bien. Ces agréments, propres à toute association nationale, s'étendent sur l’ensemble du territoire, formant ainsi un dispositif simple et unique. Il se caractérise par la gestion d’un seul dossier, la rédaction d’un rapport annuel et un renouvellement triennal. Ce dispositif, efficace dans son fonctionnement, mérite d’être préservé des dérives et des concurrences déloyales observées depuis longtemps.

La loi Matras a apporté des avancées significatives, mais leur mise en œuvre demeure insuffisante. Nous constatons, dans le domaine du soutien aux populations, l’intervention d’associations non agréées, comblant certes un besoin, mais opérant en concurrence avec des associations agréées qui investissent financièrement dans de la formation et du matériel, sans bénéficier de reconnaissance pour ces actions-là. L’agrément de formation, nécessitant une révision urgente, devrait être uniformisé au niveau national et départemental. Actuellement, le processus est coûteux en termes de temps bénévole. Une simplification administrative, avec un seul agrément couvrant l’ensemble du dispositif, serait beaucoup plus pratique.

Un agrément national, englobant les déclinaisons départementales et interdépartementales, faciliterait la collaboration entre associations locales, départementales et nationales. Il est impératif de faire évoluer les aspects purement techniques à l’intérieur de ces agréments, notamment le référentiel national de dispositif réel de secours datant de 2006. Des ajustements sont nécessaires, car certaines spécifications gravées dans le marbre ne correspondent plus à la réalité.

Cependant, ce travail doit être effectué de manière réfléchie, évitant toute précipitation, malgré l’échéance des Jeux olympiques dans six mois. En parallèle, l’obtention et le remplissage annuel de l’agrément génèrent un bilan détaillé, mais une publication ministérielle faisant état du monde des associations agréées de sécurité civile manque cruellement. Ces données, cruciales pour positionner et valoriser notre engagement citoyen au profit de l’État et de la société, font défaut.

En conclusion, il est primordial de préserver ces agréments solides, opérationnels, car nous sommes parfois confrontés à une concurrence déloyale. Ils sont essentiels pour faire vivre notre législation en matière de sécurité civile, qui place le citoyen au cœur de sa protection. Aujourd’hui, cet engagement citoyen mérite d’être pleinement reconnu et mis en avant, et c’est à travers nos associations que le citoyen peut réellement être au cœur de la protection. Nous devons faire vivre cette réalité.

M. Patrice Dallem. Le Bouclier Bleu France a obtenu son agrément le 2 juin dernier, une démarche qui a pris presque un an, malgré le dépôt du dossier un an auparavant. Il semble y avoir des problèmes au niveau de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) concernant l’instruction des dossiers et la réévaluation triennale des associations agréées. Actuellement, cette direction générale travaille sur un projet de logiciel de relevé de statistiques et sollicite la collaboration des associations de sécurité civile pour participer à ce travail.

Lors d’une réunion récente rue des Pyrénées, il a été révélé que les rapports annuels envoyés par les associations étaient à peine lus, en raison du nombre limité de personnels dédiés à cette tâche. Cela soulève des questions sur le processus d’obligation des associations de sécurité civile à produire des rapports annuels, même si ce processus a été partiellement automatisé au fil du temps. Le rapport, souvent volumineux et exigeant un temps considérable, comme celui de la Croix-Rouge, semble ne pas être pleinement exploité par la DGSCGC.

Le projet de logiciel statistique est susceptible d’être bénéfique, mais la situation actuelle est problématique. L’agrément pour les associations est inégalement appliqué en termes de critères d’analyse et de temps dédié à la délivrance. L’obligation pour les associations agréées de mettre en place un contrôle interne, visant à assurer la qualité de leurs actions, n’est pas toujours respectée, provoquant ainsi du ressentiment parmi certaines associations. Actuellement, 21 associations sont agréées pour le secours et 12 uniquement pour la formation. Cette distinction entre celles dédiées uniquement à la formation et celles impliquées dans le secours pourrait être modernisée. Il est essentiel de revoir et de repenser entièrement les critères et le processus d’agrément des associations.

M. Nicolas Tamic. Le CEDRE bénéficie d’un agrément national de catégorie A. Dans le cadre du renouvellement de notre agrément, le dossier que nous constituons est très formel ; il est ensuite examiné par le bureau des associations, parfois perçu comme légèrement éloigné de la réalité.

Récemment, nous avons obtenu un agrément temporaire de deux ans, surprenant du fait du motif invoqué : l’absence d’émetteurs-récepteurs VHF. Cela peut sembler étonnant, car notre organisation travaille intensivement avec des téléphones portables et des téléphones satellitaires, offrant une portée différente de celle des VHF. Malgré cela, nous nous sommes retrouvés avec un agrément temporaire, en raison du manque de matériel à courte portée, alors même que nous disposions de technologies de pointe permettant une communication mondiale.

En général, une fois que nous avons respecté ce formalisme, bien que chronophage, nous obtenons l’agrément. Ce qui s’avère plus complexe n’est pas l’agrément en lui-même, mais plutôt les conventions qui nous lient à la DGSCGC et au ministère de la transition écologique. Ces conventions pluriannuelles d’objectif nécessitent un temps considérable pour leur mise en place, avec de nombreuses validations, notamment sur le plan financier. En effet, ces conventions sont étroitement liées aux subventions de l’État. Au-delà de l’agrément, ce sont ces conventions qui mobilisent réellement les ressources en temps et en personnel administratif au sein de notre organisation, impliquant également le président et moi-même ; nous sommes donc grandement sollicités par ces démarches.

M. Gilles Diaz. En ce qui concerne l’Association nationale des premiers secours, elle détient les quatre agréments de sécurité civile depuis leur création. Je partage avec la Croix-Rouge le principe de ces agréments. Il s’agit d’un agrément national délégué aux différentes représentations territoriales. Cependant, chaque représentation départementale doit aussi solliciter un agrément au niveau de la préfecture spécifiquement pour la formation. Cette démarche peut s’avérer lourde pour des bénévoles, impliquant une charge administrative conséquente. Une amélioration serait d’obtenir un agrément national également pour la formation.

La DGSCGC nous demande beaucoup d’efforts, surtout lors des périodes de renouvellement d’agrément, impliquant une grande quantité de données. Je partage le ressenti de mon collègue concernant le fait que toutes les données remontées ne sont pas toujours intégralement étudiées, ce que l’on peut comprendre.

Certaines associations, dont l’Association nationale des premiers secours, ont investi dans des logiciels pour automatiser la remontée de leurs statistiques et faciliter l’édition de leurs documents. Il est également crucial, pour une fédération telle que la nôtre, de prendre ses responsabilités lorsqu’elle délègue son agrément de sécurité civile sur les territoires et dans les départements. Cela inclut la capacité à suspendre des organisations départementales en interne si les règles établies ne sont pas respectées. Sur ce point, nous collaborons avec la DGSCGC pour traiter les suspensions éventuelles dans certains départements.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup. En réalité, j’aurais une question à poser à monsieur Vallée. Vous avez brièvement mentionné la nécessité de faire évoluer le référentiel DPS, qui date de 2006, dans le cadre de la procédure d’agrément, tout en soulignant qu’il ne fallait pas le faire de manière précipitée en vue des Jeux olympiques. Ma question est la suivante : cette évolution précipitée est-elle une réalité actuellement, ou exprimez-vous seulement une crainte, et si oui, pourquoi ?

M. Florent Vallée. Ce projet émane de l’organisateur, qui souhaite réformer le référentiel actuel. Ce dernier impose divers éléments qui ont fait leurs preuves, notamment à la suite d’une étude scientifique conduite sur deux ans. Cette étude a permis la mise en place du ratio d’intervenants-secouristes. Remettre en question cette étude nécessiterait une nouvelle démarche scientifique approfondie pour déterminer les ajustements nécessaires.

Il est indéniable que des adaptations sont requises, et mes collègues partagent cette préoccupation. Cependant, il est crucial de procéder de manière réfléchie, en prenant le temps nécessaire et en reprenant les bases de ces études scientifiques. Bien que cette initiative soit soutenue par la demande de Paris 2024 et par certaines autorités préfectorales, elle apparaît risquée à l’heure actuelle, car introduire des exceptions dans ce contexte pourrait poser des problèmes à long terme.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie. Je propose d’aborder la question des bénévoles, étant donné que la plupart de vos organisations fonctionnent avec la participation d’un grand nombre de bénévoles. Si j’ai bien compris les différents discours déjà tenus ici, nous avons actuellement deux associations qui sont organisées de manière fédérale, avec des structures départementales, et deux autres qui opèrent de manière exclusivement nationale, à savoir le Bouclier Bleu et le CEDRE. Toutes ces associations font appel à des bénévoles. Pourriez-vous nous indiquer le nombre de bénévoles présents au sein de chacune de vos structures ? Comment parvenez-vous à les fidéliser sur le long terme ? Est-ce une problématique à laquelle vous êtes confrontés, et si oui, comment la gérez-vous ?

En ce qui concerne la question des indemnisations ou des dotations matérielles pour les bénévoles, pourriez-vous préciser si ces derniers bénéficient d’une quelconque forme de rétribution ? Comment sont pris en charge vos bénévoles, et de quelles ressources disposent-ils pour subvenir à leurs besoins ? Je vous remercie par avance pour vos réponses.

M. Philippe Da Costa. Tout d’abord, il convient de préciser une première chose : nous ne sommes pas une fédération, mais une association unique. Il n’y a qu’un conseil d’administration et un président à la Croix-Rouge française, qui assume la responsabilité en tant que tel. La logique de la Croix-Rouge française repose sur une structure d’association unique régie par la loi de 1901, avec une véritable vie associative et des systèmes d’élection au niveau local, remontant ensuite au niveau territorial. L’assemblée générale est composée des représentants de chaque département de France. Cette organisation est inscrite dans un processus totalement intégré dans nos statuts, avec un pilotage réel et une seule vraie responsabilité, qui est la parole de la Croix-Rouge française. Ainsi, une seule politique est mise en œuvre, avec un pilotage logique de mouvement.

En tant que société nationale de la Croix-Rouge en France, nous sommes également en lien avec 192 sociétés nationales dans le monde, portant la question du secours dans les catastrophes naturelles et les événements récents à l’échelle internationale. Un exemple récent est l’intervention au Maroc, où, au-delà des débats politiques, l’intervention de la France en termes d’action humanitaire a été rapide, grâce à notre partenaire, la société nationale sœur du Croissant-Rouge. Nos équipes ont pu intervenir et fournir un accompagnement directement sur le terrain.

Il est essentiel de souligner que nous sommes également dépositaires du centre mondial des premiers secours en France. Les premiers secours demeurent une activité majeure au sein du mouvement Croix-Rouge. Nous avons des réflexions sur l’évolution du secourisme, tant au niveau national, avec les agréments et les normes européennes, qu’au niveau international dans le cadre de la politique internationale. Le centre mondial des premiers secours nous permet de partager notre expertise avec les sociétés nationales sœurs du monde entier.

En tant qu’association de volontaires, je suis moi-même bénévole, tout en exerçant une activité professionnelle. Le volontariat et le bénévolat sont des marqueurs puissants de notre institution, inscrits dans son ADN. À la Croix-Rouge française, il n’y a aucune indemnisation des bénévoles. Le bénévole est celui qui offre son temps et sa compétence par un acte gratuit, motivé par la volonté de faire le bien.

Notre histoire a forgé un niveau d’exigence et de formation très élevé. Lorsque nos équipes de secouristes interviennent, par exemple, dans les Hauts-de-Seine ou à Paris, elles sont en phase avec les exigences du Samu et de l’urgence vitale. Mobilisées par les pompiers de Paris avec des ambulances équipées pour intervenir, nos équipes sont attendues par nos partenaires du Samu et des pompiers de Paris pour procéder à des gestes équivalents.

Certes, l’association investit de manière significative sur le plan budgétaire dans la formation, mais le véritable investissement provient des bénévoles en termes de temps, d’engagement et de parcours. Actuellement, nous sommes dans une phase de plan de relance secours liée aux Jeux olympiques, avec un triple investissement : recrutement via des campagnes autofinancées (26 millions d'euros), formation au PC1 et au PC2 en vue des Jeux, et renouvellement technique du parc, y compris l’évolution des équipements des ambulances.

Avec près de 10 000 secouristes, nous avons pour objectif de croître, mais une réflexion approfondie sur la reconnaissance de l’engagement des bénévoles est cruciale. Le bénévolat dans le secourisme n’est pas une tendance, il représente une exigence élevée. La mise en place de moyens de reconnaissance de l’engagement des bénévoles dans les années à venir est indispensable pour éviter de véritables difficultés. Il ne s’agit pas pour nous d’aborder la question de l’indemnité matérielle, laquelle est davantage associée aux sapeurs-pompiers.

Notre demande porte sur la facilitation de l’engagement en temps et sur la possibilité d’inscrire ce type de bénévolat dans la relation avec les employeurs. Lors des inondations dans le département du Pas-de-Calais, nous avons mobilisé 500 secouristes nécessaires à l’intervention. Ce besoin de mobilisation concerne les préretraités, les retraités qui consacrent leur temps, mais également les actifs qui peuvent être utiles.

Il est nécessaire que notre pays réfléchisse à la manière dont d’autres secteurs, comme celui des incendies, ont pu gérer ces situations. En tant que dirigeant d’un groupe de protection sociale, nous avons mis en place des mesures particulières dans l’entreprise pour soutenir ceux qui étaient sapeurs-pompiers. Ce que nous demandons aujourd’hui s’inscrit dans la lignée des politiques des années 1960 sur les congés cadres jeunesse ou dans d’autres domaines plus largement, tels que la jeunesse ou l’éducation populaire.

La clé réside dans la facilitation de l’engagement en temps et la reconnaissance de la compétence élevée de nos secouristes. Avec les crises de plus en plus présentes, le monde de l’entreprise et les administrations sont des terrains propices à ces passerelles. La simplification des processus, évoquée par mon directeur, est inéluctable. Il est crucial de poser les bases dans la réflexion sur les passerelles entre le monde de la formation des infirmiers, par exemple, et notre secteur du secourisme, en simplifiant les exigences sans compromettre la qualité des interventions.

En conclusion, le capital le plus précieux de notre association est le temps des bénévoles. Mon engagement à la Croix-Rouge française, initié dans les années 1980 en tant que secouriste, est différent de l'engagement actuel des bénévoles. L’acte gratuit et généreux demeure, mais il est essentiel de reconnaître et rééquilibrer le temps donné par les bénévoles par une reconnaissance appropriée de leur engagement. Ces dernières années, nous avons observé une augmentation significative du nombre de bénévoles, en particulier parmi les jeunes, qui s’engagent dans le secourisme et la maraude. Nous formons près de 50 000 personnes au PC1, un élément crucial de notre dynamique de formation.

M. Florent Vallée. Je souhaite revenir sur un point essentiel : nous ne déclinons pas l’agrément. En réalité, c'est l’État qui nous a contraints à refuser cet agrément, conformément au fonctionnement prévu par le texte. Cette déclinaison s’opère dans chaque département par le biais d’une délégation territoriale. Ce choix ne résulte pas de notre volonté, bien au contraire. Nous aurions préféré une intervention uniforme sur l’ensemble du territoire. Ainsi, la complexité du dispositif en place autorise néanmoins aux fédérations d’avoir un relais, tel que la MDS, et de disposer de leviers pour l’application de règles uniformes au sein de toutes les fédérations.

M. Patrice Dallem. Le Bouclier Bleu rassemble 350 adhérents, dont 150 institutionnels, comprenant des communes et organismes divers. Lassociation est également composée de 200 bénévoles, principalement des conservateurs du patrimoine, œuvrant dans des domaines tels que les musées, les bibliothèques, les archives ; nous comptons aussi des régisseurs d’œuvres, ainsi que des restaurateurs. Il est important de souligner que l’univers du Bouclier Bleu est étroitement lié au ministère de la culture, s’inscrivant ainsi dans un contexte culturel.

Concernant les conservateurs du patrimoine, ils sont tous bénévoles au sein du Bouclier Bleu, à l’exception d’un demi-ETP (emploi à temps plein) salarié. La mobilisation quotidienne présente certaines complexités, en raison de l’engagement intense de ces personnes dans leurs activités professionnelles. Toutefois, malgré ces contraintes, le réseau de bénévoles est animé de manière créative. Environ 20 % des bénévoles sont actifs de manière régulière, tandis que les autres contribuent ponctuellement à des projets spécifiques. Ils cherchent toutefois à intensifier leur mobilisation lors d’interventions significatives, comme récemment lors de l’inondation de l’École française du Moyen-Orient.

Cette mobilisation a nécessité l’intervention d’une quinzaine de bénévoles du Bouclier Bleu pour sauver des œuvres d’art à la suite d’une fuite d’eau. Cependant, ce type d’activité exige une infrastructure conséquente et, surtout, une base de repli – un aspect actuellement lacunaire dans le domaine de l’urgence. Il est essentiel de souligner que le Bouclier Bleu n’est agréé que pour l’assistance immédiate aux œuvres en cas de sinistre immédiat. Au niveau 1, l’intervention implique l’envoi d’experts sur demande des sapeurs-pompiers, offrant des conseils pour l’évacuation des œuvres sans les endommager.

Le modèle italien, par exemple, se distingue par des bases de repli significatives, mettant à disposition des hangars pour le stockage d’œuvres d’art. En Italie, les sapeurs-pompiers participent depuis longtemps au sauvetage des œuvres d’art, ajoutant une dimension importante à leurs missions traditionnelles de sauvetage des personnes en cas d’urgence.

M. Nicolas Tamic. En ce qui concerne le CEDRE, comme mentionné précédemment, nous ne comptons aucun bénévole, mais uniquement des salariés à temps plein. Cependant, nous les côtoyons régulièrement lors d’incidents de pollutions maritimes. Ces bénévoles se distinguent par le fait qu’ils ne sont pas organisés au sein d’une réserve communale ou d’une association spécifique. Il est souvent difficile de les intégrer directement sur le terrain. À cet effet, nous avons élaboré un guide destiné aux élus locaux, visant à les orienter sur la gestion de bénévoles intervenant de manière spontanée lors d’opérations de lutte anti-pollution. En tant qu’organisme œuvrant dans le domaine des composés organiques volatils et de substances chimiques potentiellement dangereuses pour la santé, nous fournissons des conseils essentiels.

Bien que nous soyons protégés par le statut de collaborateur occasionnel du service public, il n'est pas rare de voir ces bénévoles entreprendre à notre encontre des actions judiciaires pour réclamer des réparations en raison d’expositions non conformes aux normes de sécurité, notamment en l’absence de formation spécifique à la lutte contre la pollution. Ainsi, nous encourageons le recours à ces bénévoles plutôt pour des opérations en coulisses, en suggérant par exemple leur implication dans le soutien des bases logistiques, mais en évitant tout contact direct. La gestion des affaires liées à la lutte contre la pollution par les hydrocarbures et les produits chimiques requiert une expertise professionnelle, et il est délicat de les employer de manière alternative.

Malgré cela, nous avons établi des contrats spécifiques avec des associations de bénévoles, comme la Surfrider Foundation, pour la collecte de données sur la présence de plastique sur les plages. En tant qu’association de petite envergure avec 50 salariés, notre réseau de plages s’étend sur l’ensemble du territoire français, notamment dans les bassins hydrographiques intérieurs. Ainsi, ces associations de bénévoles, formées par nos soins, mènent ce travail en collaboration avec nous. Cependant, il est important de souligner que cette coopération s’inscrit davantage dans le cadre d’un soutien aux politiques publiques liées au ministère de la transition écologique. Ces bénévoles, spécifiquement formés et répondant à des critères stricts, peuvent être considérés comme des professionnels dans ce contexte particulier.

M. Gilles Diaz. En ce qui concerne l’Association nationale des premiers secours, il s’agit d’une fédération rassemblant 67 associations locales. Chaque association locale est placée sous l’égide de l’Union départementale des premiers secours, disposant d’une gouvernance locale composée d’un président, d’un secrétaire et d’un trésorier. Ces associations adhèrent ensuite à notre fédération. Dans le cadre de notre agrément, nous renforçons notre contrôle interne.

Sur l’ensemble du territoire, nous comptons 2 500 bénévoles, répartis au sein de représentations départementales pouvant varier de 20 à 200 bénévoles en fonction des territoires. Le renouvellement est significatif parmi ces bénévoles, car leur durée moyenne d’engagement est de 4 à 5 ans. Certains bénévoles, dont je fais partie, sont engagés depuis plusieurs années. En moyenne, l’investissement s’élève à 200 heures par an, bien que cette plage puisse varier entre 20 et 1 000 heures, selon les circonstances.

Cependant, il y a une frustration parmi certains bénévoles, ce qui a été rapporté, et cela inclut mon propre vécu il y a quelques années. En tant que formateur de formateurs en premiers secours, j’ai constaté l’absence de passerelle vers la GSU (gestionnaire de soutien d’urgence) relevant du ministère de la santé. J’ai dû suivre l’intégralité de la formation, alors qu'au quotidien, je formais des formateurs en premiers secours. Le manque de reconnaissance de cet engagement, particulièrement dans des contextes tels que les inondations, les incendies ou la pandémie de Covid-19, a parfois été frustrant.

Je tiens à souligner que les employeurs ne facilitent pas toujours le départ de nos bénévoles, car ils invoquent des considérations économiques. La question des jours de congé a été plus souple pendant la pandémie, mais cela n’est pas systématique pour d’autres événements majeurs. Ce qui serait crucial pour nous, en tant que fédération, c’est la facilité d’engagement lors d’événements majeurs et une reconnaissance plus marquée de l’engagement bénévole.

Bien que notre fédération adresse des félicitations et des récompenses, les jeunes bénévoles de 18 à 20 ans peuvent parfois espérer une reconnaissance plus significative, compte tenu du fait qu’ils ne reçoivent aucune rémunération et doivent parfois couvrir eux-mêmes les frais engagés, tels que les déplacements, selon les pratiques des représentations territoriales. L’indépendance financière est variable selon les départements.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Bien que vos propos introductifs aient été assez clairs, je souhaitais revenir sur les missions qui sont les vôtres, à la lumière de la discussion que nous avons eue sur votre rôle dans le cadre de la sécurité et de la protection civile. D’après vous, vos missions doivent-elles évoluer par rapport à ce qu’elles sont aujourd'hui ? Je comprends que les réponses peuvent différer en fonction de vos secteurs d’activité respectifs. Si tel est le cas, de quelle manière ? Quelles relations pourriez-vous entretenir les uns avec les autres, non seulement avec les associations agréées, mais aussi avec des structures telles que les sapeurs-pompiers ou d’autres corporations, dans le contexte de la sécurité civile ?

M. Philippe Da Costa. En préambule à vos propos, permettez-moi d’évoquer le projet stratégique de la Croix-Rouge, que nous avons entériné lors de notre assemblée générale de 2021. Dans son ensemble, ce projet vise à mobiliser la population autour de la culture de la préparation aux risques. Lorsque j’ai abordé précédemment les notions de prévention et d’éducation, il est indéniable que c’est précisément ce concept qui représente notre premier grand défi. Autrement dit, en tant qu’entité de confiance entre la population et ses enjeux, nous devons être en mesure de sensibiliser efficacement la population aux risques majeurs.

Cette sensibilisation revêt une importance capitale, comme en témoignent les situations que nous, engagés au quotidien dans les questions de sécurité civile, constatons lors de catastrophes naturelles. Ce que nous percevons comme évident dans notre engagement quotidien n’est pas toujours aussi clair pour nos concitoyens, notamment en ce qui concerne la présence de centrales nucléaires ou de cours d’eau susceptibles de déborder. L’anticipation de ces crises représente donc notre première mission majeure. À cet égard, nous disposons de conseillers techniques nationaux et d’un dispositif complet, incluant la recherche pédagogique, l’évolution et l’accompagnement.

Il est primordial de souligner notre volonté de sortir de la position qui nous confinerait à une relation exclusive avec le ministère de l’intérieur. Bien que nous soyons soucieux de préserver une relation de haut niveau et de qualité avec ce ministère, nous estimons que l’évolution des crises que nous traversons nécessite une approche interministérielle. Le ministère de la santé occupe une place prépondérante dans cette réflexion, tant historiquement qu’actuellement, notamment au regard de notre agrément initial, axé sur la santé.

Passons désormais aux missions proprement dites. Pour nous, elles se déclinent en trois phases distinctes : l’avant, le pendant et l’après crise. Lorsque j’ai mentionné précédemment que nous avons formé près de 10 000 secouristes – notre objectif étant d’atteindre les 10 000 supplémentaires d’ici les Jeux olympiques – il est essentiel de souligner que ce chiffre englobe des spécialistes disposant de tous les diplômes requis. Cependant, dans des situations d’urgence, les 70 000 bénévoles de la Croix-Rouge, répartis sur le territoire, sont également mobilisés, élargissant ainsi le champ de compétences techniques et d’intervention.

Dans l’évolution de nos missions, nous devons accorder une priorité incontestable à la question des populations et à leur accompagnement. Si le rôle des équipes du Samu dans les situations vitales est indéniablement crucial, notre réflexion s’oriente vers le pré-hospitalier, avec des propositions spécifiques. Il est impératif que les associations de sécurité civile, telles que la Croix-Rouge, soient perçues comme des partenaires complémentaires, et non comme des concurrents. Notre ambition est simplement d’apporter des réponses adaptées aux besoins des populations.

En ce qui concerne l’après-crise, je conclus en soulignant l’importance cruciale de la santé mentale et de l’accompagnement des populations. Des accords locaux déterminent souvent notre présence lors des évacuations, mais nous constatons une évolution significative vers une prise en charge plus complète, englobant les gestes qui sauvent, les comportements bénéfiques, et surtout la santé mentale et le bien-être psychosocial. Nous avons consenti d’importants efforts, notamment dans le domaine de l’initiation psychologique et de l’accompagnement à long terme, conscients que les traumatismes engendrés par les crises exigent une attention continue de la part de nos équipes.

M. Florent Vallée. Certains aspects techniques seront abordés en mettant particulièrement l’accent sur la reconnaissance et la valorisation de nos thèmes actuels. Pour illustrer votre interrogation, prenons comme exemple une convention signée dans les années 2010 avec la direction générale de la sécurité civile. Il convient de souligner que cette convention, en vigueur depuis plus de dix ans, n’inclut aucune dimension financière explicite. Sa déclinaison dans chaque département de France, à ce jour, concerne moins de soixante départements, ce qui illustre parfaitement la complexité de nos relations tant au niveau national, préfectoral, que lors des échanges avec les Samu et les préfectures.

Nous entretenons des relations variées avec ces différentes instances, mais leur mise en place est souvent disparate, complexe et laborieuse. La déclinaison des conventions, pour permettre un fonctionnement légal et coordonné de nos structures, constitue la principale complexité du système actuel. Lorsque l’on examine la situation dans le Pas-de-Calais, notamment lors d’inondations, nous sommes présents et nous nous efforçons d’établir une coordination. Toutefois, malgré l’existence de textes définissant la place des associations de sécurité, leur mise en œuvre reste rare et complexe à obtenir. La coordination et la répartition des secteurs, des éléments basiques, sont considérablement simplifiées lorsqu’elles se font en collaboration avec le commandant des opérations de secours ou les Samu, mais au quotidien, ces points constituent des complexités majeures.

Les textes existent, et bien qu’ils aient le mérite d’être en place, leur connaissance doit être davantage diffusée. À cet égard, en ce qui concerne les situations de pollution et les bénévoles spontanés intervenant dans ce contexte, l’agrément encadrant ces bénévoles existe, mais son utilisation demeure limitée en France lors de ce type d’événements. Les associations se sont constituées pour encadrer ces bénévoles, mais les demandes sont rares, et les cadres d’action sont souvent créés de manière différente à chaque fois. Par exemple, il existe un cadre permettant de lutter contre la concurrence déloyale de certains acteurs, mais il nest pas appliqué.

Aujourd’hui, il est plus simple d’opter pour une action citoyenne directe ou de rejoindre des associations non réglementées, créant ainsi un déséquilibre dans le système. Les dispositions mises en place en 2006 ont vieilli, et il est nécessaire de les réviser pour rétablir l’équilibre, notamment en repensant la complémentarité avec les réserves communales ou intercommunales de sécurité civile. Dans le contexte actuel de l’intercommunalité, une collaboration accrue avec ces réserves est essentielle. De plus, il faut revoir le système pour donner les moyens aux citoyens de se protéger, car la contribution du citoyen, sa place et son rôle clé dans la résilience doivent être renforcés. C’est sur ce point que nous devons concentrer nos efforts.

M. Patrice Dallem. Préalablement, j’exprimais que notre association est actuellement constituée d’experts. Cependant, notre objectif est de nous étendre et d’attirer des non-experts. En effet, pour mener à bien des actions concrètes, nous avons besoin de personnes physiques. Les membres du Bouclier Bleu, très engagés, représentent environ 20 % de notre effectif, et nombreux sont ceux qui se sont déjà mobilisés sur le terrain, en intervenant par exemple lors des inondations en Belgique, cette année.

Pour faire progresser nos initiatives, nous nous sommes étroitement rapprochés de la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. À la suite de l’incendie de Notre-Dame de Paris, des fonds de Renault ont sollicité les sapeurs-pompiers pour réfléchir à une amélioration des interventions lors d’incendies similaires. Les résultats de cette réflexion ont été présentés lors d’un colloque l’année dernière à Chantilly. Je vous encourage à consulter les actes de ce colloque, qui abordent des solutions propices à l’évolution de nos pratiques.

Il convient de noter que trois rapports importants, bien qu’ils soient un peu anciens, demeurent pertinents. Le rapport Sauzet de l’inspection générale de l’administration (IGA), datant de janvier 2012, le rapport de Sapin de 2010 et celui de l’Académie de Médecine, datant aussi de 2010, ont émis des conclusions et des recommandations qui sont toujours d’actualité. Il est regrettable de constater que, depuis une décennie, voire douze ans, très peu d’avancées ont été observées.

Le rôle essentiel du citoyen en tant que premier acteur de la sécurité civile, mis en avant par M. Vallée et le président de la Croix-Rouge, reste crucial. Malgré la modernisation de la sécurité civile en 2004, la sensibilisation des citoyens à leur propre intérêt dans ce domaine demeure un défi. J’ai mentionné précédemment le « poids mort » que constitue le citoyen non formé et non aguerri dans la prise en charge des victimes. Cette inertie complique les opérations de secours, nécessitant parfois la prise en charge dudit citoyen. Une évolution majeure consiste donc à engager un dialogue inter-organismes, englobant l’État, les collectivités territoriales, les associations, les citoyens et les réserves communales. Toutefois, il est essentiel d’harmoniser ces acteurs pour une coordination efficace, notamment en ce qui concerne les réserves communales, dont le nombre reste limité en France et qui sont placées sous l’autorité du maire. Cette harmonisation est cruciale pour s’assurer que tous convergent dans la même direction, même en temps de crise, où les intérêts du maire peuvent différer de ceux du préfet et du commandant des opérations de secours.

M. Nicolas Tamic. En ce qui concerne le CEDRE, dans le nouveau contexte, nous avons la chance d’être intégrés au sein des structures de gestion de crise. Ainsi, un dialogue opérationnel est instauré, opérant à divers niveaux, que ce soit avec le directeur des opérations de secours ou le commandant des opérations de secours, qu’il soit préfet maritime ou maire. Nous sommes donc étroitement engagés dans une collaboration active avec ces autorités. Il convient de souligner notre chance d’être encadrés par un texte qui régit notre mission, ce texte ayant en outre été révisé il y a un an. Cette instruction, émanant de la Première ministre, régule nos actions de lutte contre les pollutions marines. Cette régulation se concrétise grâce au dialogue permanent que nous entretenons avec nos autorités de tutelle, à savoir la direction de l’eau, de la biodiversité du ministère de la transition écologique, le secrétariat général de la mer (SGMer) et la DGSCGC. Tous ces acteurs sont des partenaires essentiels, avec lesquels nous collaborons tant au niveau opérationnel que sur le plan institutionnel.

Nous organisons des rencontres bisannuelles avec ces autorités, qui viennent à notre rencontre à Brest. Ces réunions permettent d’établir une feuille de route, que nous qualifions de comité stratégique, et de travailler sur l’évolution de nos activités pour les cinq années à venir. Cette approche, souple et adaptable, nous confère la capacité de nous ajuster en permanence en fonction des évolutions, comme l’illustre notre engagement récent dans le domaine de l’éolien en mer. Initialement hors de notre champ d’expertise, nous avons pu accompagner les industriels de ce secteur, répondant ainsi à leurs besoins, tout en respectant nos missions d’appui aux politiques publiques.

Cette proximité et cette capacité d’adaptation rapide résultent de notre statut d’ancien opérateur de l’État, opérant désormais sous une forme associative, ce qui confère à notre fonctionnement une nature hybride. En conséquence, cette approche nous permet de rester au plus près de la réalité et de réagir promptement aux nouvelles contraintes, qu’elles émanent du milieu maritime ou terrestre notamment.

M. Gilles Diaz. En ce qui concerne l’Association nationale des premiers secours, tout comme les autres associations de sécurité civile, nous collaborons étroitement avec la DGSCGC. Tel que souligné par la Croix-Rouge aujourd’hui, il existe une diversité des spécificités territoriales, variant d’une préfecture à une autre, d’une mairie à une autre, avec une intégration ou non du plan communal de sauvegarde qui constitue actuellement une problématique. Pour ma part, originaire d’une région non parisienne, mon récent établissement à Paris m’a permis de constater des disparités significatives entre ce que l’on expérimente en région et ce qui prévaut à Paris, notamment en termes de relations avec la préfecture ou le secrétaire général de la zone de défense de Paris. Les engagements des associations de sécurité civile varient considérablement d’un territoire à un autre, générant une complexité supplémentaire.

Il est manifeste que l’approche interministérielle est cruciale, comme en témoigne la progression des compétences des secouristes à travers la loi Matras sur la prise en charge des victimes. Ces compétences, initialement octroyées aux sapeurs-pompiers pour assurer une première réponse pré-médicale, seront également étendues aux ambulanciers. Néanmoins, les associations agréées de sécurité civile, faisant partie de cette réserve opérationnelle qui demeure aujourd’hui sous-estimée, ne sont pas nécessairement incluses dans cette innovation prometteuse. Le risque imminent réside dans l’émergence de deux fonctionnements distincts, reproduisant une situation que nous avons connue par le passé. À l’époque de la réforme de la formation des premiers secours, tous les secouristes, qu’ils aient été formés par la Croix-Rouge, les sapeurs-pompiers, l’Association nationale des premiers secours ou d’autres associations, bénéficiaient d’une formation similaire. Actuellement, il subsiste le risque de créer une disparité regrettable.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie, madame la présidente, et je tiens à exprimer ma gratitude envers vous tous. Dans vos réponses, vous abordez des sujets assez divers, ce qui nous permet d’explorer plusieurs thèmes simultanément. J’aurais, pour ma part, une dernière question. Je crois percevoir une certaine unanimité parmi vous sur le fait que, dans le cadre de la sensibilisation de la population, le citoyen doit être, ou devrait être, placé au centre de ces préoccupations, car il représente le premier acteur de la sécurité civile. Nous vous rejoignons sur ce point également au vu de l’avancement de nos travaux. La question de l’éventualité d’une crise imprévue a été soulevée tout à l’heure, ce qui conduit à s’interroger sur le soutien à la population, la diffusion d’informations et l’alerte à la population. Concernant cette constellation d’acteurs, englobant non seulement les associations agréées de sécurité civile, mais aussi, de manière plus générale, les acteurs de la protection civile, pensez-vous que ces acteurs se connaissent suffisamment dans leur rôle et leur fonction, notamment en situation de crise ?

M. Philippe Da Costa. C’est une excellente question, monsieur le rapporteur. Tout d’abord, permettez-moi d’indiquer que nous sommes à l’aube d’une époque nouvelle. Nous assistons à un changement de paradigme, notamment dans un monde caractérisé par la polarisation, la radicalisation, et surtout, la prédominance du numérique, dont l’intelligence artificielle générative s’impose face aux citoyens. L’État se trouve confronté à d’autres émetteurs de messages, une évolution qui, jusqu’à récemment, était symbolisée par la recommandation classique de prendre avec soi une radio à pile pour s’informer et connaître les gestes appropriés en cas de catastrophe, comme l’a souligné récemment Patrice Dallem. Cependant, nous devons admettre que nous ne sommes plus dans cette époque, qui est révolue.

Le véritable enjeu réside dans la lutte contre la désinformation, dans la manière dont le citoyen peut être influencé, entendre, ou percevoir différents messages. Nous faisons face à des guerres de l’information, des conflits dans lesquels des institutions comme la nôtre sont également attaquées. En tant que dirigeant d’une institution arborant l’un des emblèmes internationaux les plus prestigieux dans le domaine de l’action humanitaire, je suis témoin quotidiennement de cette réalité, que ce soit en Ukraine ou dans d’autres régions du globe. Il est indéniable que nous sommes immergés dans diverses situations complexes.

La première question qui se pose est de savoir si l’État entretient une relation, voire une relation anticipative, face aux crises. Comme je l’ai mentionné en ouverture de notre échange ce soir, la réponse est affirmative, mais nous pouvons indubitablement faire mieux. Si vos travaux peuvent contribuer à insuffler une logique d’anticipation des crises et à susciter une prise de conscience quant au changement de paradigme, de période, d’époque, et de monde, d’autant plus que la loi de 2006 n’est plus adaptée aux nouvelles crises à venir, cela serait hautement bénéfique. Aujourd’hui, la question ne se limite plus à une spécialisation technique ou à la maîtrise de gestes spécifiques. Elle implique de plus en plus une mobilisation citoyenne, notamment dans la manière dont nous établissons une relation avec la population.

À la tête d’une institution rassemblant 100 000 volontaires, salariés et bénévoles sur les territoires, nous constituons une force considérable. Cependant, il est impératif de construire, avec la puissance publique, la mobilisation de cette force. Dans nos choix d’investissement, nous sommes confrontés à des arbitrages difficiles. Il est parfois nécessaire de supprimer certaines activités pour en privilégier d’autres, en tenant compte du contexte actuel, une problématique à laquelle font face toutes les organisations et associations de sécurité civile. La question cruciale se pose : faut-il investir dans un parc d’ambulances ou dans un autre type de matériel pour faire face aux crises de demain ? La présence de nos ambulances contribue non seulement à l’attractivité auprès de nos bénévoles, mais aussi à un choix d’investissement immobilier significatif. En tant que secouriste à l’âge de 17 ans, j’ai conscience de l’importance d’avoir des moyens d’intervention à disposition à cet âge. C’est également une forme de reconnaissance que notre association soutient.

J’ai dépassé le cadre de votre question pour situer ce nouveau contexte. Évidemment, il est essentiel que les acteurs dialoguent davantage. Je suis particulièrement fier, par exemple, de la collaboration entre la fédération française de secourisme, l’ordre de Malte, lunion nationale des associations de secouristes et sauveteurs (Unass), la Croix Blanche, et la Croix-Rouge française pour répondre aux besoins liés aux Jeux olympiques. Ensemble, nous assumons les trois quarts de notre réponse aux exigences de cet événement, ce qui témoigne de notre volonté de décloisonner des frontières anciennes. Il fut un temps où une certaine concurrence existait entre les associations de sécurité civile, mais cela n’a plus lieu d’être. Nous devons dialoguer et construire ensemble, en respectant l’identité de chacun. Je suis convaincu, en tant que président de la Croix-Rouge française, que cela doit être notre première démarche.

Sur un autre plan, j’ai assisté au congrès des sapeurs-pompiers et j’ai eu l’occasion d’échanger sur la nécessité d’occuper une place différente. En observant le stand de la direction de la sécurité civile, j’ai pu constater que la position accordée aux associations de sécurité civile n’était pas à la hauteur de notre rôle au sein de l’ensemble du dispositif de la sécurité civile nationale.

Dans la relation avec les sapeurs-pompiers, nous sommes actuellement trop centrés sur les hommes, alors que cela devrait être une question d’institutions. Il est nécessaire de redéfinir la relation entre les SDIS de France et la Croix-Rouge française dans leurs rôles respectifs et dans l’accompagnement des populations. Par ailleurs, je dirais que, pour aborder certains sujets, il est crucial de se demander comment parvenir à un décloisonnement entre les acteurs de la sécurité civile. Si nous replaçons le citoyen et l’intérêt général au cœur de nos préoccupations, la Croix-Rouge est prête à jouer un rôle actif dans cette démarche. Vous avez parfaitement raison. Il est impératif que les acteurs acceptent de changer d’époque et tiennent compte des nouveaux risques qui sont, je le souligne, totalement existentiels pour nous tous. Les ruptures auxquelles nous faisons face aujourd’hui, en tant qu’institution de portée internationale, sont nombreuses, et bien que certaines soient mises en lumière, d’autres restent dans l’ombre, avec des répercussions sur le territoire national dans les mois et les années à venir.

M. Patrice Dallem. Il est impératif de mobiliser le citoyen. Depuis 2004-2006, nous avons tenté de le faire, mais nous nous sommes retrouvés bien seuls. Il n’y a pas eu de messages de campagne ayant un impact suffisant pour susciter l’engagement du citoyen. Aucun message de communication clair n’a été délivré pour éveiller son intérêt, alors qu’il est nécessaire de stimuler son imagination. Il faut que la personne puisse mentalement visualiser les scénarios possibles pour qu’elle commence à réagir. Il est crucial de faire prendre conscience aux individus que, dans une situation où des milliers de personnes sont confrontées à une urgence, les services d'urgence, tels que les pompiers ou le Samu, peuvent rapidement être dépassés.

Dans les années 1990, les gens étaient rassurés en pensant que l’État veillait sur eux. On leur disait de dormir tranquillement, car tout était sous contrôle. Ils pensaient qu’en cas de problème, ils pouvaient appeler le Samu ou les pompiers. Cependant, lorsque des milliers de personnes se trouvent dans une situation similaire, il peut arriver un moment où il n’y a plus assez de secours disponibles. Aujourd’hui, il est primordial de susciter une prise de conscience réelle. Il faut changer les mentalités, et cela prend du temps, souvent plusieurs décennies.

Il est essentiel de frapper l’imagination des individus. Grâce aux réseaux sociaux, il est envisageable de créer des jeux sérieux et des outils qui permettraient de sensibiliser et de répéter les messages nécessaires pour mobiliser la population. Dans notre domaine particulier, celui du Bouclier Bleu, nous avons la chance de ne pas être touchés par une concurrence quelconque. Nous bénéficions d’un statut international via le Blue Shield et des institutions telles que le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (Iccrom) ou la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (Ifla). Nous disposons d’un réseau d’experts et de personnes capables de se mobiliser pour intervenir, que ce soit au niveau national ou international.

Ce dialogue ne doit pas se limiter au niveau national : il doit également s’étendre au niveau international. Apprendre à mieux sensibiliser la population pour encourager son engagement, même à une échelle individuelle ou au bénéfice de son entourage, constitue un premier pas significatif. Un exemple concret de cette évolution se trouve dans la petite commune de Sommières, dans le Gard, qui, bien qu’étant inondée chaque année, a développé une résilience remarquable. Il est crucial de convaincre les individus non pas de subir, mais d’affronter les situations d’urgence.

M. Nicolas Tamic. Les acteurs se connaissent-ils réellement ? J’observe fréquemment, notamment lors de crises d’ampleur, un manque de coordination entre les différentes cellules de crise. En effet, il existe un cloisonnement manifeste entre la cellule préfectorale et la cellule locale, notamment au niveau municipal. Ce cloisonnement se traduit par un défaut de communication entre les autorités. Lorsqu’un préfet prend en main la situation, il prend le contrôle des opérations de secours, ce qui entraîne un nivellement par le bas des pouvoirs des maires. Ces derniers se sentent désorientés, et cette situation peut également se répercuter au niveau de la population, ainsi que chez les bénévoles, qui ne savent pas comment s’intégrer dans le système de gestion de crise.

Cette problématique peut expliquer la réticence de la population à s’engager dans une démarche de bénévolat. En comparaison avec le système allemand ou italien, où le bénévolat est intégré dès le plus jeune âge, la France présente une organisation très centralisée. Ces pays adoptent des approches décentralisées, avec des organisations fédérales régionales, ce qui leur permet de motiver et de fidéliser les bénévoles grâce à des moyens financiers adéquats.

En France, en revanche, le système d’organisation est plus rigide et fortement centralisé, principalement avec la DGSCGC. Cette structure centralisée complique considérablement l’adhésion de la population locale à un système de gestion de crise essentiellement national, conçu initialement pour répondre aux directives du préfet, mais moins adapté aux préoccupations et à la participation active des maires. Cette dynamique explique en partie le désintérêt parfois observé chez les potentiels bénévoles.

M. Gilles Diaz. En ce qui concerne la connaissance des acteurs, il est évident que sur le terrain, les différentes parties se connaissent. Cependant, le véritable point à améliorer, comme cela a déjà été mentionné, concerne la connaissance des personnes plutôt que sur celle des fonctions. J’ai eu l’occasion d’écouter la table ronde précédente, où les directeurs de SDIS ont démontré une connaissance approfondie des associations agréées de sécurité civile. Cependant, il est important de souligner que ce n’est pas le cas pour tous les SDIS sur le territoire, ce qui crée une disparité. Cette faiblesse peut s’expliquer en demandant à un individu lambda dans la rue de définir ce qu’est concrètement l’Association nationale des premiers secours, la Croix-Rouge, la protection civile, ou toute autre association en comparaison avec les sapeurs-pompiers. La complexité de notre système de secours rend difficile sa compréhension par le grand public. Cette complexité se manifeste également à travers les numéros d’urgence multiples en place. Les individus peuvent parfois s’y perdre, comme cela peut être observé lors de formations.

Cependant, il est essentiel de souligner que, malgré cette complexité, il y a de la place pour toutes les parties, y compris pour toutes les associations de sécurité civile, car il existe des besoins variés à satisfaire. Cependant, peut-être de manière préoccupante, notre système actuel repose trop sur des individus. Un simple changement de directeur de cabinet, de préfet, ou même d’une municipalité peut avoir un impact significatif sur les associations agréées de sécurité civile, qui sont fortement impliquées. Cette situation ne résulte pas d’une mauvaise volonté, mais plutôt d’une méconnaissance de ce qu’est réellement une association agréée de sécurité civile.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je propose de conclure notre échange à ce stade. Nous avons abordé divers sujets, et je tiens à exprimer ma gratitude pour vos contributions, qui se sont avérées très enrichissantes. Monsieur Dallem, il me semble que vous avez déjà soumis une contribution écrite, n’est-ce pas ? Je souhaite vous confirmer que nous la lirons attentivement et que nous y consacrerons le temps nécessaire, car nous avons les moyens de mener à bien cette mission. Les uns et les autres, je vous encourage vivement à nous faire parvenir vos contributions écrites, car nous prendrons le temps de les examiner soigneusement. Par ailleurs, n’hésitez pas à revenir vers nous si des points spécifiques nécessitent des éclaircissements ou si d’autres questions émergent. Merci infiniment pour votre investissement et votre temps.


Table ronde d’associations agréées de sécurité civile

Compte rendu de la table ronde d’associations agréées de sécurité civile
(mercredi 29 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, chers collègues, nous poursuivons notre troisième cycle d’auditions consacré aux personnels et associations de sécurité civile, avec une table ronde rassemblant plusieurs organisations agréées de sécurité civile.

La semaine dernière, nous avons eu la chance de recevoir l’association nationale des premiers secours, le Bouclier Bleu de France, le Cedre et la Croix-Rouge française. Pour cette deuxième table ronde, nous recevons M. Stéphane Voisin, vice-président de la Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS), M. François Richez, président, et M. François-Xavier Volot Delaunay, directeur aux affaires générales de la Fédération nationale de protection civile (FNPC), M. Jean-François Sergent, président de la Fédération nationale de radioamateurs au service de la sécurité civile (FNRASEC), M. Pierre Charzat, directeur délégué du secourisme, et M. Yann de Saint-Pol, administrateur et secouriste bénévole des Œuvres hospitalières françaises de l’ordre de Malte (OEHFOM) dit « ordre de Malte France ».

Je vous remercie tout d’abord pour votre présence. Comme je l’indiquais aux associations que nous avons reçues la semaine dernière, il nous a semblé important de vous associer à nos réflexions sur le modèle de sécurité civile, auquel vous prenez toute votre part. Votre expérience du terrain, votre connaissance des besoins locaux et votre expertise dans la gestion des risques sont précieuses pour nourrir notre analyse et orienter nos travaux. Je tiens d’ailleurs à insister sur ce point : nous souhaitons prendre pour point de départ le terrain. C’est pour cela que nous avons, lors de notre tout premier cycle d’auditions, tenu à écouter des élus locaux, et que nous poursuivons en auditionnant l’ensemble des associations agréées de sécurité civile. Nous avons pleinement conscience du rôle important joué par le secteur associatif dans le bon fonctionnement de notre système de protection et de sécurité civile, et cela ressort d’ailleurs clairement de nos premiers travaux.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais vous rappeler quelques informations. Cette mission d’information rassemble 25 députés, qui représentent l’ensemble des sensibilités politiques de l’Assemblée nationale. Elle a été constituée à la demande du groupe Horizons et a débuté ses auditions au mois de septembre. J’ai le plaisir de présider cette mission, et mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur. Je vous informe que nos échanges seront enregistrés et accessibles sur le site internet de l’Assemblée nationale. Un compte rendu sera également rédigé et annexé au rapport que nous rendrons dans les prochains mois.

Je vous remercie une nouvelle fois pour votre participation, et je cède maintenant la parole à notre rapporteur, qui amorcera nos échanges par une première série de questions.

M. Didier Lemaire, rapporteur de la mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles. Merci infiniment, madame la présidente, mesdames et messieurs, chers collègues. Nous vous remercions d’avoir accepté de vous prêter au jeu des auditions dans le cadre de cette mission d’information. Ainsi que le soulignait madame la présidente, cette commission a pour objectif non seulement d’ouvrir une réflexion sur nos capacités d’anticipation, mais également sur les capacités d’adaptation de notre modèle de sécurité civile dans son ensemble. Ce qui m’a amené à solliciter, à travers mon groupe, cette mission d’information, c’est à la fois mon expérience de trente-deux ans en tant que sapeur-pompier volontaire et professionnel, mais également mon passé d’élu local, qui m’ont appris à gérer les différents aspects d’une crise. Il nous paraissait, dans ce cadre, important de pouvoir vous entendre, et nous vous proposons de procéder en deux temps : tout d’abord en présentant les missions des associations agréées, dont vous êtes les représentants, puis en échangeant ensuite sur notre modèle de sécurité civile au sens large.

Ma première question sera donc la suivante : pouvez-vous nous présenter vos associations respectives, ainsi que les missions qui leur sont dévolues ?

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous propose, si cela vous convient, que nous procédions dans l’ordre dans lequel vous êtes assis. Je cède donc la parole à MM. Richez et Voisin.

M. Stéphane Voisin, vice-président de la Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS). Je vous remercie, madame la présidente, monsieur le rapporteur, pour cette opportunité qui m’est aujourd’hui donnée de venir partager avec vous les « retours terrain » de nos associations. Permettez-moi tout d’abord, pour répondre à la première question posée, de vous présenter notre fédération. La FFSS est une fédération sportive, délégataire conjointement du ministère des sports et de celui de l’intérieur, sur les agréments de sécurité civile et les formations aux premiers secours. Cette double tutelle est tout autant la source de notre richesse que celle de nos difficultés, puisque notre fédération peine parfois à être clairement identifiée par l’ensemble des acteurs.

Pour retracer l’historique de la fédération et rappeler ses origines, il faut revenir aux années 1800-1850 et à la création des toutes premières sociétés de sauvetage issues de décrets impériaux signés par Napoléon III. Ces sociétés se retrouvaient sur l’ensemble du territoire et plus spécifiquement dans les zones intérieures pouvant présenter un risque. C’est par exemple le long des fleuves, là où les phénomènes d’inondation étaient fréquents, que l’on trouvait les premières structures de sauvetage : sauveteurs de la Seine, de la Loire, etc. Bien que rudimentaires, ce sont ces premiers édifices qui ont ensuite donné naissance au secourisme et permis au premier réseau d’associations de se structurer. C’est dans ce contexte qu’est née, en 1899, notre fédération, juste avant les lois de 1901. Aujourd’hui, après plus de cent années d’existence, cette fédération, qui représente 75 000 licenciés toutes activités confondues et près de 300 salariés, forme 5 000 stagiaires aux métiers de l’eau (maîtres-nageurs, brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique (BNSSA), etc.). Je profite d’ailleurs de cet espace de parole pour vous rappeler, si nécessaire, que nous déplorons actuellement en France un manque de 5 000 professionnels dans ce domaine. Le secteur de la sécurité des publics est en tension, à la fois sur le volet qui dépend du ministère des sports et sur celui qui relève du ministère de l’intérieur, dans le champ de compétence des maires dans le cadre notamment des surveillances de baignades à accès gratuit. Cette tension risque d’ailleurs d’être accentuée par le retrait des maîtres-nageurs-sauveteurs CRS (CRS-MNS) pendant les Jeux olympiques de l’été 2024.

La création de nos associations trouve donc bien son origine dans les grandes catastrophes. Nous avons précédemment évoqué les inondations, les premiers gestes de secourisme face aux noyades qui visaient à sauver les personnes sorties de l’eau, et également les crues centennales, mais les premiers réseaux de secours se sont également structurés sur la route. Dans la mesure où il n’existait pas d’organisation dédiée, ce sont en effet les acteurs du milieu associatif qui sont les premiers intervenus sur les routes. Mais, pour en revenir à l’époque contemporaine et comme je l’évoquais précédemment, nous sommes donc une fédération agréée de sécurité civile présente sur plus de 80 départements et sur tous les territoires ultramarins.

M. François Richez, président de la Fédération nationale de protection civile (FNPC). Je vous remercie, madame la présidente, monsieur le rapporteur, messieurs les députés, chers amis, de nous recevoir. Notre fédération, la protection civile, est forte de 32 000 bénévoles, répartis sur l’ensemble du territoire national, qu’il soit ultramarin ou métropolitain. On compte également 103 représentations départementales et près de 500 représentations territoriales. C’est ce maillage dense qui nous permet de répondre de façon adéquate aux sollicitations des pouvoirs publics, à la fois des collectivités territoriales et des autorités préfectorales.

Nos actions se structurent autour du triptyque que vous connaissez bien : aider, former, secourir. Pour le secours, il s’agit tout autant des dispositifs dédiés que des actions menées à l’occasion d’incidents ou d’accidents d’envergure, et cela représente près de 20 000 dispositifs assurés à l’année par nos équipes. Pour vous donner un ordre d’idée sur l’importance de notre fédération, sachez que l’on compte un total d’environ 45 000 dispositifs de secours en France. Sur le volet « formation » au sens large, nous formons environ 150 000 personnes aux gestes de premier secours, sur les 550 000 qui bénéficient chaque année en France de cette formation, dans les milieux scolaires ou professionnels. La partie aide se réfère, quant à elle, aux maraudes et à notre action sociale.

Ce vaste panel d’activités s’appuie sur des équipes dynamiques et motivées, qui sont aussi bien les acteurs du quotidien que ceux des crises. Ces crises, ce sont celles que nous rencontrons de façon récurrente tout au long de l’année, et cela ne se limite pas aux dernières que nous ayons connues puisque nous avions auparavant dû faire face à Xynthia, et aux diverses marées noires et tempêtes qui nous ont frappés. Issus de la défense passive, nos bénévoles sont, depuis 1965, particulièrement engagés sur le terrain. Les différentes crises que nous avons connues dernièrement, qu’elles soient climatiques, sociales, technologiques ou sanitaires avec notamment celle de la Covid-19, dépassent le cadre de notre seule fédération et impactent l’ensemble des acteurs des associations agréées de sécurité civile. Fortement présents et engagés sur le terrain, ils ont su démontrer leur agilité et leur capacité à innover pour répondre de façon adaptée aux sollicitations des pouvoirs publics dans le cadre de missions qui n’étaient pas originellement les leurs. La crise ukrainienne mobilise de la même façon fortement les équipes de la protection civile, dont les bénévoles ont agi tout au long de l’année 2022 et continuent à le faire en 2023. Au travers de notre important maillage territorial, nous avons ainsi pu envoyer près de 8 000 tonnes de matériel (allant d’équipements d’hygiène à de lourds équipements de réanimation) que nous avons collectées en lien avec les élus, l’Association des maires de France et l’ensemble des collectivités. Cela fait de la protection civile le premier acteur dans l’envoi de matériel aux populations ukrainiennes, puisque l’État en a quant à lui envoyé environ 2 000 tonnes en 2022.

Cet engagement fort se poursuit, et je terminerai en ayant une pensée forte pour les bénévoles qui, après avoir été engagés dans l’Ouest lors du passage de la tempête Ciarán, se mobilisent depuis près de trois semaines pour venir en aide aux populations sinistrées du Nord et du Pas-de-Calais dans le cadre de l’aide au retour à l’habitabilité. Concernant le soutien aux populations sinistrées, qui est l’une des grandes missions historiques de la protection civile, je vous propose d’en faire l’objet d’un échange ultérieur plus spécifique, qui sera également l’occasion d’évoquer les besoins complémentaires qui en découlent.

M. Jean-François Sergent, président de la Fédération nationale de radioamateurs au service de la sécurité civile (FNRASEC). La FNRASEC représente 1 500 opérateurs répartis sur la totalité du territoire métropolitain et ultramarin. Notre mission, un peu particulière, se réfère à l’agrément A5 du ministère de l’intérieur, qui concerne les transmissions officielles. Elle consiste, en cas de shutdown, ou écroulement des transmissions, à prendre dans la mesure du possible le relais pour l’acheminement des transmissions officielles. De cette particularité découle la localisation de notre siège social, situé à Beauvau, et de nos bureaux qui sont installés juste à côté de la salle de crise. J’en profite pour ouvrir une rapide parenthèse : lundi dernier, nous avons reçu la visite de TF1 à l’occasion du tournage d’un reportage qui devrait pouvoir vous expliquer mieux que moi notre fonctionnement, et qui sera diffusé aux alentours du 16 décembre. Cette partie de notre activité nous amène d’ailleurs à travailler ponctuellement avec nos collègues ici présents, et notamment avec la FNPC dans le cadre de la crise ukrainienne, puisque nous effectuons les transmissions radios depuis l’Ukraine.

Une autre de nos missions, qui ne relève pas du ministère de l’intérieur, mais de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), consiste à rechercher les balises de détresse lorsqu’un aéronef se trouve en perdition ou en crash, afin de permettre aux secours l’intervention la plus rapide possible sur les lieux.

Voilà qui résume brièvement l’action de notre fédération.

M. Yann de Saint-Pol, administrateur et secouriste bénévole des Œuvres hospitalières françaises de l’ordre de Malte (OEHFOM) dit « ordre de Malte France ». Merci madame la présidente. L’ordre de Malte France est l’émanation opérationnelle de l’ordre souverain de Malte sur le territoire français. Je ne m’étendrai pas sur la présentation de l’ordre souverain de Malte, la plus ancienne des associations caritatives, dont la naissance remonte à 1048. Cette association est à l’origine de la création du premier hôpital dit « xhénodionne » destiné à accueillir les étrangers qui se rendaient à Jérusalem, quelle que soit leur religion et en accueillant tous les malades comme s’ils étaient le seigneur lui-même, c’est-à-dire en traitant le malade – et on imagine ce qu’était un malade à l’époque – comme s’il était un seigneur. Quant à l’ordre de Malte France, qui est le nom courant des Œuvres hospitalières françaises de l’ordre de Malte, il s’agit d’une association nationale, donc non fédérale comme d’autres associations peuvent l’être, qui a été fondée en 1927 et reconnue d’utilité publique en 1928. Nous agissons dans les domaines de la santé, du médico-social, de la sécurité civile, des actions de solidarité et de l’aide aux réfugiés et aux migrants. Nous agissons au travers de 102 délégations locales, généralement départementales, en France métropolitaine et en outre-mer. Au sein de ces délégations locales, nous avons 34 unités d’intervention, que nous appelons dans notre jargon « Udiom », unités départementales d’intervention de l’ordre de Malte, qui portent les agréments de sécurité civile. Nous gérons parallèlement 13 établissements sanitaires et médico-sociaux en France et 15 hôpitaux et dispensaires en Afrique et en Palestine, notamment la maternité de Bethléem. Notre fédération compte au total 2 000 salariés au sein des établissements sanitaires et sociaux, et 12 500 bénévoles, dont environ 1 500 secouristes et 5 000 bénévoles de solidarité. Au total, si l’on additionne les missions de solidarité et de secourisme pur, cela représente environ 6 500 acteurs potentiels de sécurité civile.

Permettez-moi, afin d’introduire nos échanges, de commencer par dresser ce constat. Il nous apparaît que le modèle actuel de sécurité civile semble dépassé par l’évolution des crises que nous avons vécues et auxquelles nous aurons à faire face dans le futur. Je vais m’appuyer ici sur quelques exemples concrets. Les attentats de 2015 nous ont notamment fait prendre conscience, au-delà de leur caractère dramatique, que la prise en charge des victimes doit aussi s’accompagner de la prise en charge des impliqués, notamment en termes de détection et de prise en charge psychologique. La Covid-19 nous a, quant à elle, fait entrer dans une crise sanitaire qui a été gérée par le ministère de la santé, et non plus par le ministère de tutelle qui était celui de l’intérieur. Cela a changé un certain nombre de paradigmes et nous a amenés à constater une évolution des pratiques, notamment dans la réalisation de gestes dits invasifs, qui n’étaient pas dans les référentiels de sécurité civile, comme les tests nasaux ou la pratique de la vaccination. Cette crise a donc entraîné un ensemble d’évolutions notables.

Nous avons conjointement dû faire face, à cette époque, à la problématique de la prise en charge des personnes de la rue, une crise qui s’inscrit peut-être pour la première fois dans une dynamique de long terme, alors que les attentats étaient sur des dynamiques courtes, voire très courtes. Nous faisons également face au problème du changement climatique, dont la prise en charge est plus vaste que celle du secours à personne. Cela nous fait évoluer vers le domaine du secours aux populations, qu’évoquait précédemment M. Richez. J’ajoute à cela la crise en Ukraine, qui nous montre que la coopération européenne devient véritablement indispensable. Nous avons pu envoyer des secouristes et des logisticiens en Pologne et en Hongrie pour aider à l’accueil des réfugiés, mais il faut avoir en tête qu’à l’inverse, des secouristes polonais ou hongrois ne pourraient pas venir en France car, à ce jour, les reconnaissances mutuelles de diplômes n’existent pas.

Nous constatons que les bénévoles sont présents, actifs, bien formés, et demandeurs, bien que l’on note un certain recul dans le recrutement depuis environ une année. Mais ils sont conscients que leur action ne se limite plus aux seuls gestes de secours, qu’il convient d’élargir le concept de secourisme à celui de sécurité civile, et qu’il nous revient de les soutenir dans leur engagement.

Alors, bien que par définition nous ne connaissions pas la nature des crises futures, nous devons les anticiper en extrapolant nos éléments de connaissance. Je conclurai donc en disant qu’il nous semble nécessaire de remettre autour de la table les différents acteurs impliqués. L’ordonnance de 1959, qui définit la défense comme quelque chose de global, doit nous inspirer en matière de sécurité civile, pour inscrire dans une même vision les représentants du ministère de l’intérieur, des préfets, des mairies (qui gèrent les réserves communales de sécurité civile), le ministère de la santé, le ministère de la défense, le ministère de l’éducation, ou encore le ministère de l’économie. Nous devons parvenir à une éducation globale à la sécurité civile. Notre système actuel, basé sur les gestes qui sauvent, auxquels il faut former la population, doit tendre vers un modèle de comportement citoyen et d’engagement républicain, dans lequel chacun serait appelé à se mettre au service de la Nation et de son prochain, selon la vision universelle de l’idéal de fraternité qui fonde notre pays.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie et je laisse le rapporteur poursuivre ses questions.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’adresse mes remerciements à l’ensemble des intervenants, et je remercie monsieur de Saint-Pol pour la diversité des sujets abordés. Nous y reviendrons ultérieurement, afin de laisser à chacun l’opportunité de détailler son propos, ce qui est important puisque je vous rappelle que cette mission d’information est publique.

Je poursuis donc avec ma question suivante. Monsieur Voisin, vous faisiez référence à votre rattachement au ministère des sports. Nous avons également évoqué le ministère de l’intérieur, celui de la santé, ou encore de l’écologie, ce qui démontre que la gestion de crise concerne un ensemble de ministères, y compris pour le fonctionnement de vos associations agréées.

Si j’ai bien compris la composition de vos associations, je souhaite maintenant entrer dans le vif du sujet en échangeant avec vous sur vos missions. Je souhaiterais notamment revenir sur ce qu’évoquait précédemment M. Richez concernant celles qui vous sont dévolues en temps de crise, qui dépassent le cadre de vos attributions et qui nécessitent que vous fassiez preuve d’adaptation. Ces missions, qui sont celles que vous effectuez au quotidien, mais également dans le cadre de situations qui s’inscrivent dans la durée, à l’exemple du Pas‑de‑Calais actuellement, et qui sont également celles déployées dans le cadre des gestions de crise sur l’ensemble du territoire, vous paraissent-elles répondre aux attentes et à la demande en matière de gestion de crises (qu’elles soient terroristes, sanitaires, naturelles ou autre), ou doivent-elles évoluer, et, le cas échéant, de quelle manière ?

Mme la présidente Lisa Belluco. Si personne ne souhaite modifier l’ordre des prises de parole, je vous propose de reprendre dans le même ordre et je laisse M. Voisin débuter.

M. Stéphane Voisin. Je vais tenter de répondre au mieux à cette longue question. Peut-être pourrait-on commencer par amorcer une réflexion sur la nécessité de faire, dans l’avenir, évoluer les agréments dont nous disposons afin de faire évoluer nos missions en ce sens. Sur la partie de nos missions qui dépend du ministère de l’intérieur, notre fédération est présente sur les quatre grandes thématiques des missions ABCD avec, en fonction de l’organisation territoriale et de la taille des structures, la couverture de l’ensemble des missions ou bien une spécialisation. L’agrément B, par exemple, qui est celui qui concerne le soutien à la population, n’existe que depuis 2004 avec la modernisation de la sécurité civile. Il s’inscrit donc dans un cadre récent. Mais les missions et les moyens effectifs qui en découlent sont étroitement liés, lorsqu’une crise survient, à l’environnement. En effet, lorsqu’un événement se déclenche sur un territoire communal avec une mission B de soutien à la population qui dépend de la compétence du maire, il peut arriver qu’elle en dépasse ensuite les frontières et implique plusieurs communes sans que les autorités préfectorales ne prennent le relais. Cela entraîne une confusion sur la question des moyens, du financement, du conventionnement, ou encore des réquisitions. Pour ces dernières, ce cadre flou nous met parfois dans des situations où l’on attend pendant des jours, des semaines, voire des mois, la signature de certaines réquisitions.

Les situations sont plus simples lorsque des conventions existent et qu’elles sont appliquées, mais tel n’est pas le cas partout. Ainsi, et même lorsque l’on dispose d’un agrément, on peut parfois faire face à des difficultés sur le terrain. Généralement, nos associations vont s’engager même sans ordre écrit, même lorsqu’elles ne disposent que d’un mail ou d’un simple accord oral du maire. Tout cela doit donc faire l’objet d’un travail de réflexion afin de poser un véritable cadre permettant à nos associations de travailler avec plus de sérénité.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je me permets, monsieur Voisin, de rebondir sur vos propos qui sont particulièrement intéressants. Doit-on comprendre que les actions, au moment des crises, manquent de précision, que les actions de secours soient dirigées par le maire ou par le préfet ? Si j’ai bien compris le sens de votre propos, les situations diffèrent selon les cas, et chacun connaît son rôle lorsqu’une convention existe, mais cela n’est pas toujours le cas. Je souhaite juste m’assurer d’avoir bien compris votre position sur ce sujet.

M. Stéphane Voisin. C’est exactement cela. On peut nuancer en disant que la situation n’est pas toujours celle-ci, mais on peut parfois se retrouver dans des cas où le centre opérationnel départemental (COD) demande aux associations d’intervenir pour faire suite à la sollicitation d’un maire. On attribue alors l’action à la mission de soutien aux populations dévolue au maire, sans pour autant savoir avec certitude qui est le donneur d’ordres. Les rôles sont en revanche bien établis et clairs pour ce qui concerne l’engagement et le financement.

On peut donc se poser la question suivante : nos bénévoles sont-ils des collaborateurs occasionnels de services publics – de celui qui a donné l’ordre, finalement ? Mais si l’ordre n’est pas clair au départ, des difficultés peuvent apparaître.

Concernant nos agréments, la loi Matras a introduit certains éléments intéressants, notamment sur le contrôle de nos associations. Il est désormais possible de poursuivre des structures qui exerceraient des missions sans bénéficier de l’agrément sécurité civile. L’évolution de la loi dans ce sens démontre la réalité de la problématique sur le terrain. L’introduction de cette notion de contrôle va, selon nous, dans le bon sens, puisqu’elle permet de renforcer le sérieux et la crédibilité de nos grandes associations nationales. Ce sont des difficultés que l’on pouvait rencontrer dans des petites structures départementales qui manquaient de structuration. L’évolution réglementaire est donc positive sur ce point.

Des travaux sont par ailleurs en cours sur les agréments de formation, qui diffèrent aujourd’hui de l’agrément de sécurité civile. J’espère qu’ils arriveront à leur terme, puisque cela permettrait à terme de rapprocher les modes d’agrément pour les harmoniser, et simplifier ainsi le suivi administratif qui pèse sur les dirigeants de nos associations. Cette volonté de simplification nous semble également aller dans le bon sens.

M. François-Xavier Volot Delaunay, directeur aux affaires générales de la FNPC. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, avant de revenir sur la question des réquisitions lors des interventions, permettez-moi de souligner que je rejoins totalement les propos de M. Voisin.

Pour revenir sur le sujet des agréments, vous savez que les associations agréées de sécurité civile sont, pourrait-on dire, plus que des associations. Nos missions sont importantes en ce que nous venons en aide aux gens, nous leur portons secours, nous pouvons être amenés à réaliser des massages cardiaques ou des gestes invasifs qui présentent un risque, et qui nécessitent en cela des agréments. Malheureusement, aujourd'hui, ces agréments, au sens de la protection civile, ne sont pas assez restrictifs. Pour mémoire, deux types d’agréments existent : les nationaux et les départementaux. Ces derniers sont directement remis par les préfectures à des associations locales. Les agréments nationaux, eux, sont remis à des fédérations ou des associations nationales dès l’instant où elles peuvent justifier d’une certaine étendue géographique ou d’un nombre de structures minimum. Or, les agréments nationaux sont, selon nous, trop simples à obtenir, et ne font pas suffisamment l’objet de contrôles. La loi Matras évoquée précédemment, et qui permet le contrôle des associations locales, va dans le bon sens, c'était d’ailleurs une demande de la protection civile. Nous ne souhaitons pas que survienne un jour un accident causé par un défibrillateur mal entretenu, qui nuirait à l’image de toutes et tous.

Les agréments départementaux présentent encore davantage de risques, puisqu’ils sont remis par les préfectures à des structures de toute petite taille, qui ne sont rattachées à aucune association nationale pouvant les contrôler. Nous évoquerons ultérieurement le modèle économique des associations, qui est fragile, mais avant même de devoir aborder la question du recours aux deniers publics, une piste qui pourrait être explorée est celle de la réduction du nombre d’associations à travers la suppression des agréments départementaux. Le montant à répartir reste constant à l’échelle d’un département. Comme vous le savez, nos associations se financent par les postes de secours et les formations. Aujourd’hui, on retrouve dans certains départements comme celui du Bas-Rhin un total de 17 associations agréées de sécurité civile. Or, il est impossible pour 17 associations d’avoir suffisamment de fonds à se partager pour vivre et se développer. Cela présente également, pour les services préfectoraux, des difficultés en matière de gestion en cas de survenue d’une crise importante, puisqu’ils auront alors à faire face à 17 interlocuteurs différents représentant de toutes petites associations. On le comprend bien, la gestion de crise n’est pas opérationnelle.

Une autre problématique se situe dans le modèle économique de ces agréments : l’État a confié aux associations, à travers la délivrance des agréments, la responsabilité de venir en aide et au secours du public dès l’instant où survient une crise, mais sans s’investir financièrement. En contrepartie, les associations ont bénéficié de marchés réservés à travers les postes de secours et les formations. Cela a conduit à des abus, et certaines associations ne sont aujourd’hui rien d’autre que des sociétés déguisées qui se positionnent uniquement sur les postes de secours ou les formations, voire les deux, mais qui n’effectuent aucune des missions coûteuses comme le soutien aux populations sinistrées. Cela cause, pour nous, un effet de dumping et de concurrence déloyale qui est délétère. La protection civile investit par exemple actuellement dans des véhicules de soutien aux populations, qui coûtent 250 000 ou 300 000 euros pièce. Ce sont des investissements qui sont effectués sur plusieurs années. Si, en face, on trouve des associations qui, elles, ne font que des postes de secours ou de la formation pour rémunérer deux ou trois dirigeants, l’effet est forcément néfaste.

J’en reviens maintenant aux propos de M. Voisin sur les problèmes de réquisition. On sait que des associations interviennent aujourd’hui de façon importante pour porter secours aux populations sinistrées, en Bretagne ou comme actuellement dans les départements du Pas‑de‑Calais et du Nord. La problématique ne réside pas dans le fait de trouver des missions, puisqu’elles nous sont confiées par les mairies ou les préfectures, mais dans le fait de légitimer nos interventions. Pour illustrer mes propos, je prendrais l’exemple de notre intervention actuelle dans le département du Pas-de-Calais : depuis environ trois semaines, ce sont jusqu’à 150 bénévoles qui sont mobilisés sur place, sans que nous n’ayons à ce stade reçu la réquisition. Nous savons qu’elle va arriver, mais pour l’obtenir, nous avons dû contourner les blocages locaux en faisant appel aux services du ministère de l'intérieur.

Je pense que chacune des associations autour de cette table pourra citer un exemple de difficulté d’obtention de réquisition, ce qui est dommageable pour l’intervention et finalement pour les citoyens. Nous sommes donc aujourd’hui face à deux options : intervenir sans attendre la réquisition, afin d’aider les populations, tout en prenant un risque financier et en faisant courir un risque à nos bénévoles, ou attendre. Mais si nous avions dû attendre, nous ne serions toujours pas dans le Pas-de-Calais aujourd'hui.

M. Jean-François Sergent. Notre première problématique est financière : les seules rentrées d’argent dont nous disposons sont les subventions ministérielles, qui sont limitées.

L'autre problème que nous rencontrons concerne également les réquisitions. Lorsque les communications se sont retrouvées coupées en Bretagne, dans le Finistère ou dans les Côtes d’Armor, nos membres n’ont rencontré aucune difficulté pour prendre attache auprès de la préfecture. En revanche, il semblerait que, dans le Morbihan, la tempête n’ait pas été anticipée, puisque nous n’avons pu obtenir aucune réponse de la préfecture. Le phénomène n’est pas nouveau : nous passons énormément de temps, moi le premier, à prendre le téléphone pour expliquer à des services interministériels de défense et de protection civiles de la préfecture (SIDPC) qu’il existe des associations agréées, entre autres la nôtre, pour les communications. Les préfets changent environ tous les trois ans, et les SIDPC avec eux, ce qui rend les actions complexes, puisqu’ils n’ont parfois jamais effectué ce travail et ne sont donc pas au courant des procédures. Nous sommes donc souvent contraints, lors des crises, de devoir nous présenter à nouveau et réexpliquer notre rôle.

Je rejoins également ce qui a été dit précédemment à propos des structures. La nôtre est bien organisée du point de vue des communications, puisque nous relayons l’ensemble des commandements des opérations de secours (COS) et des centres opérationnels départementaux (COD), par radio. En cas de rupture de communication, dans le cadre de la résilience, j’aime à dire que nous sommes des cabines téléphoniques, puisque nous pouvons être amenés à nous positionner en mairie ou en centre de secours. Dans ce cas, la radio locale vous informera sur les lieux dans lesquels se rendre en cas d’urgence, et sur l’acheminement des communications et demandes de secours.

Les différents niveaux liés aux plans communaux de sauvegarde génèrent d’autres problématiques. Il nous semble pertinent que le maire soit le directeur des opérations de secours, mais l’empilement des différentes structures qui s’associent aujourd’hui entre plusieurs communes, plusieurs départements et au niveau national fait naître des questionnements sur notre positionnement à ce jour. La question du commandement se pose et, comme je vous l’ai d’ailleurs écrit, on a l’impression que « celui qui paye commande ». Mon propos concerne l’échelon départemental et notamment la situation dans le département de la Seine-Maritime.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie. Avant que je ne donne la parole à l’ordre de Malte, M. Richez souhaite intervenir.

M. François Richez. Merci madame la présidente. Pour faire suite aux propos précédents, je vous renvoie aux nombreux rapports de l’administration sur la question, notamment le dernier rapport d’Hubert Falco. Ils soulignent combien il est essentiel que les associations de sécurité civile aient une place au plus haut niveau de l’État, c’est-à-dire au plus haut niveau du ministère de l’intérieur, donc auprès du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) en cas de crise. Cela nous permettra d’être beaucoup plus efficients et d’apporter une vision haute aux décisionnaires de l’État, qui pourra ensuite être relayée au niveau local. Pour prendre un exemple concret, je vous renvoie aux difficultés rencontrées l’année dernière en Gironde, au moment des feux de forêt. La préfecture de Gironde a été plusieurs fois sollicitée par l’ensemble des associations de sécurité civile mobilisées sur place pour engager des bénévoles sur des missions de secours à victime, mais, compte tenu probablement de la surcharge de travail, elle n’a pas pu donner suite aux demandes. Malgré nos nombreuses sollicitations, la préfecture de Gironde a donc fait le choix de privilégier la lutte contre le feu. À l’inverse, en Bretagne et dans le Pas-de-Calais, les équipes se sont naturellement positionnées en centre de secours à la place des sapeurs-pompiers, qui étaient engagés sur la mission d’urgence du moment, celle de la tempête. Il semble donc que les solutions émergent plus facilement lorsque la demande provient du plus haut niveau du ministère de l’intérieur et du Cogic. Ces solutions s’avèrent bien plus efficaces à la fois pour les pouvoirs publics locaux et pour les autorités préfectorales, mais également pour les populations.

M. Pierre Charzat, directeur délégué du secourisme des Œuvres hospitalières françaises de l’ordre de Malte (OEHFOM) dit « ordre de Malte ». L’ordre de Malte partage entièrement les propos tenus précédemment, notamment sur la question de la gestion de crise. Je me contenterai donc de les compléter.

Je souhaiterais auparavant revenir sur le sujet des agréments, précédemment abordé. Comme cela a été rappelé, coexistent aujourd’hui deux modes d’agréments distincts. L’agrément de sécurité civile pour des missions dites de type « A », « B », « C » et « D », dont l’ordre de Malte dispose au niveau national, est renouvelé tous les deux ou trois ans ; il fonctionne bien et nous permet de décliner nos actions au niveau départemental. En parallèle, on trouve les agréments de formation, qui sont délivrés par les préfectures et qui présentent, quant à eux, une certaine lourdeur administrative, en ce qu’ils nécessitent un important suivi pour nos associations. La différence entre ces deux modèles nous semble illogique. Nous plaidons donc pour une harmonisation, et pour tendre vers un agrément de sécurité civile équivalent à celui des formations, ce qui permettrait également de contrôler de façon plus efficace tous les instituts de formation qui, à travers leurs agréments, exercent une sorte de concurrence déloyale pour nos associations. Je le rappelle une nouvelle fois, les formations et les postes de secours sont aujourd’hui les seules missions qui nous permettent de nous financer.

Sur la question de la gestion de crise, je rejoins entièrement ce qui a été dit sur la coordination. En cas de crise, bien que nous sollicitions naturellement les mairies ou les préfectures, nous constatons des blocages dans la transmission des réquisitions. Comme expliqué précédemment, si nous décidons d’agir malgré cela, nous prenons donc à la fois un risque financier et le risque de faire intervenir nos bénévoles sans aucune protection. Si nous pouvons aujourd’hui nous féliciter qu’aucun incident ne soit à déplorer, se pose la question de la façon dont nous devrons agir et réagir le jour où il en surviendra un.

Pour poursuivre sur la gestion de crise, nous avons évoqué précédemment le Cogic, mais la question qui doit au préalable être posée est celle des acteurs, en fonction de la nature de la crise. En cas de crise sanitaire, nous avons pu constater que c’est le ministère de la santé qui était chargé d’intervenir. Dans le cas d’une crise comme celle qui est en cours dans le Pas‑de-Calais, ou comme récemment en Bretagne, la responsabilité incombe au ministère de l’intérieur. Or, en tant qu’associations de sécurité civile sous la tutelle du ministère de l’intérieur, nous rencontrons des difficultés à identifier les acteurs en charge de la coordination globale, ce qui rend complexe notre positionnement. J’ajoute néanmoins que les associations de sécurité civile ont le mérite de savoir travailler et fonctionner ensemble. En cas de crise majeure, nous saurons donc agir de concert, quel que soit l’acteur en charge de la coordination inter-associative.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie chers collègues. Avant de vous céder la parole, M. le rapporteur souhaite poser une question supplémentaire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Très rapidement, je souhaiterais plutôt formuler une remarque, afin de nous permettre de bien comprendre vos propos. En matière de gestion de crise, on sait que la prévention reste le meilleur des atouts. J’ai cependant le sentiment, à la lumière de vos témoignages, que vos associations respectives ne sont pas nécessairement bien connues ou reconnues par nos décideurs, notamment locaux, et que cela peut s’avérer problématique en cas de crises, car nous savons bien que celles-ci présentent le risque de s’additionner, ou d’être multifactorielles. Je souhaite donc m’assurer d’avoir bien compris vos propos : dans l’élaboration des plans, ou dans les exercices, qui sont très importants, au-delà du focus que vous pouvez faire dans vos territoires respectifs, je voudrais insister sur la réflexion qui est à l’œuvre sur l’ensemble de notre territoire national et en outre-mer. Or, vos associations ne sont pas forcément connues dans le dispositif, en fonction du lieu où survient la crise.

M. François-Xavier Volot Delaunay. Je vais apporter une réponse au nom de l’ensemble des participants. Le problème ne se situe pas tant au niveau de l’un ou l’autre de nos départements respectifs, mais plutôt dans le fait que les associations de sécurité civiles sont effectivement, globalement, peu connues dans certains départements. Les changements réguliers de personnels dans les SIRDPC n’aident pas à améliorer cette connaissance, ce qui nuit finalement à notre efficacité.

M. Yannick Chenevard (RE). Merci madame la présidente, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, messieurs les présidents et membres des associations agréées de sécurité civile. Pour faire suite aux propos de M. Volot Delaunay, j’ai le sentiment que les associations sont parfaitement connues dans les départements, mais par la population. Elles ne sont effectivement pas connues en préfecture, ce qui est différent.

En ce qui concerne la question des gestions de crise, des présences en COD, et le principe suivant lequel « qui réquisitionne paie », on peut légitimement estimer que, les autorités sachant que les associations agréées de sécurité civile vont intervenir et qu’elles seront de toute façon sur le terrain, personne, in fine, ne signe la réquisition par peur de devoir payer. Je l’analyse de cette façon du fait de mon expérience, et je pense qu’un certain nombre de personnes ici présentes l’ont vécu. Il y a donc un travail à mener au sein des sites PC et, plus globalement, au niveau de l’État décentralisé, pour faire en sorte que celles et ceux qui n’ont pas l’habitude de fonctionner avec les associations agréées de sécurité civile puissent le faire avec méthode.

Je souhaite également revenir sur un point abordé précédemment, qui est celui du financement de vos modèles, à travers une série de questions. Tout d’abord, avez-vous le sentiment que la naissance d’un pacte capacitaire associatif serait de nature à renforcer le lien avec l’État ? Car comme le rappelait le président Richez, ce lien est déjà très fort, et les actions sont souvent conduites en direct avec les services de l’État et avec Beauvau afin de pouvoir être ensuite déclinées plus finement. Ensuite, êtes-vous engagés dans l’opération Jeux olympiques ? Et le cas échéant, de quelle façon ? C’est une question intéressante en ce qu’elle permet de vérifier si les associations agréées de sécurité civile sont désormais impliquées dans cette immense opération. Je vous pose enfin, si vous le permettez, une troisième petite question. Vous avez évoqué la notion de fidélisation, qui est centrale. Rencontrez-vous des difficultés pour fidéliser ? Et pour finir, je crois que c’est vous, monsieur de Saint-Pol, qui avez évoqué le rappel à l'ordonnance de 1959, mais il existe également la loi de modernisation de sécurité civile de 2004 qui rappelle dans son préambule que le citoyen est le premier acteur de la sécurité civile.

Mme la présidente Lisa Belluco. Qui souhaite apporter une réponse ? Je propose de laisser commencer M. Richez, puis je vous donnerai ensuite la parole monsieur Sergent.

M. François Richez. Monsieur le député, si vous le permettez je vais regrouper en une seule question votre première et votre troisième interrogation, sur les sujets du pacte capacitaire et de la fidélisation, qui selon moi vont de pair. Je reste convaincu que les deux axes majeurs pour les associations agréées de sécurité civile dans les prochaines années se situent autour de la reconnaissance du bénévolat de sécurité civile, de la fidélisation, du recrutement, de la gouvernance de demain, et donc sur la capacité à mieux reconnaître pour mieux recruter, même si cela ne passe pas uniquement par une reconnaissance de la représentation nationale. Il me semble qu’en interne, en termes de fidélisation de nos bénévoles, le côté spectre multimissions va contribuer à améliorer notre capacité à capter de nouveaux bénévoles, à leur offrir de nouvelles missions, à la fois dans la phase de recrutement, mais aussi dans celle de la fidélisation tout au long de la vie du bénévole. Il faut imaginer une sorte de « parcours bénévole » qui leur permette de goûter à de nouvelles activités, avec également un caractère social. Ce sont des points sur lesquels nous nous devons de travailler, tout en préparant conjointement la gouvernance de demain, les cadres qui seront les nôtres. Ce sont les bénévoles à potentiel qui permettront aux structures de se développer, de se pérenniser et d’évoluer. Il est certain que concernant cette partie liée à la fidélisation, au recrutement et à la gouvernance de demain, une meilleure reconnaissance de notre bénévolat est nécessaire. En ce sens, je ne peux que souscrire à la proposition de loi « visant à reconnaître le bénévolat de sécurité civile » (n° 1146) qui a été déposée par le député Chenevard et qui vise à faciliter et à pérenniser l’engagement des bénévoles, à améliorer leur sens du bénévolat, à favoriser la montée en compétences des citoyens et également à renforcer la place et les moyens des associations de sécurité civile.

Cela amène naturellement à la question du financement, et me permet de basculer sur la première question posée concernant le pacte capacitaire associatif. Pouvons-nous donner un exemple concret ? Mon cher Jean-François, quelle est l’aide annuelle du ministère de l’intérieur pour la FNRASEC ?

M. Jean-François Sergent. Cette année, nous avons eu la surprise de voir l’aide diminuer. D’autres associations ayant vu le jour, nous nous sommes retrouvés plus nombreux à devoir nous partager les sommes allouées. Nous avons donc, cette année, perçu 18 000 euros. Cette somme nous sert à payer le matériel qui va servir pour les services de l’État, ainsi que nos cotisations. Et nous n’avons aucune autre rentrée.

Mme la présidente Lisa Belluco. Permettez-moi de vous demander une précision : la somme de 18 000 euros est-elle bien celle que vous recevez pour l’ensemble de vos délégations dans toute la France, en totalité sur une année ?

M. Jean-François Sergent. Oui, ainsi que pour l’outre-mer.

Mme la présidente Lisa Belluco. Très bien. Et nous pouvons dire que vous avez une mission de service public. Je cède la parole à M. Richez.

M. François Richez. Afin de compléter les propos de Jean-François Sergent, et j’ai tenu des propos similaires à l’ensemble des députés ici présents, je précise que l’enveloppe du ministère de l’intérieur pour l’ensemble des associations de sécurité civile est de 250 000 euros. Cette somme se décompose de la façon suivante : 150 000 euros pour l’œuvre des pupilles des sapeurs‑pompiers, et les 100 000 euros restants qui sont répartis entre nous toutes et tous, ainsi que nos collègues que vous avez auditionnés la semaine dernière. 100 000 euros pour 200 000 bénévoles : je pense que le constat est clair. Notre modèle d’association de sécurité civile doit s’adapter, mais si l’on souhaite être davantage présents sur des missions de soutien aux populations dans le cadre des différents sinistres que l’on rencontre tout au long des années, on se doit de le faire évoluer. Nous, protection civile, militons justement pour un pacte capacitaire, c’est-à-dire sur des projets structurants et ciblés d’investissements nécessaires à la réalisation de nos missions. Comme l’ont évoqué précédemment M. Volot ainsi que les représentants de l’ordre de Malte, 85 % de nos financements proviennent des formations et des postes de secours, et sont dévolus plutôt à ce type de missions. Afin de poursuivre l’objectif de développement des missions d’aide et de soutien aux populations, mais également celui, inévitable, de la digitalisation de ses activités, la protection civile estime son besoin à 400 000 euros par an. J’ai d’ailleurs évoqué ce besoin avec la Première ministre et le ministre de l’intérieur, ainsi que la nécessité de travailler sur un pacte capacitaire pour les associations de sécurité civile. De la même façon que pour nos collègues sapeurs-pompiers à l’occasion des feux en Gironde, il est nécessaire de concevoir une sorte de plan Marshall pour les assurances de sécurité civile.

Je terminerai sur le sujet des Jeux olympiques, pour lesquels la Protection civile est pleinement engagée. Environ 65 % des sites olympiques seront en effet couverts par notre structure, ce qui vient à nouveau souligner l’impérieuse nécessité de revoir le modèle économique de nos associations de sécurité civile.

M. Yann de Saint-Pol. Je vous remercie, madame la Présidente, et vais tout d’abord répondre à la question concernant la fidélisation. Pour commencer, nous constatons que les bénévoles s’autofidélisent, mais uniquement sur le moyen terme et non sur le long terme. Afin de fidéliser sur le long terme, il nous semble nécessaire de réfléchir à deux pistes. La première serait de permettre aux bénévoles de sécurité civile de bénéficier d’avantages similaires à ceux des réservistes de la garde nationale, par exemple, en termes de journées de disponibilité vis-à-vis des employeurs. Aujourd’hui, la garde nationale est limitée aux personnes aptes à défendre la nation de façon armée, ce qui n’est pas le cas de la sécurité civile. Une deuxième piste, totalement différente, mais qui avait déjà été envisagée dans des échanges datant d’environ sept ou huit ans, serait de proposer, en fonction du niveau d’engagement des bénévoles, des trimestres de cotisation sociale leur permettant de prendre leur retraite légèrement plus tôt.

Sur la question de la participation aux Jeux olympiques, je laisse Pierre Charzat, qui est pleinement mobilisé sur le sujet, répondre.

M. Pierre Charzat. De la même façon que la protection civile, l’ordre de Malte France sera engagé durant toute la période, au sein du groupement interassociatif qui a répondu présent, sur une grande partie des sites olympiques. Mais il s’agit, une fois encore, d’un engagement de long terme, et d’un vrai défi pour toutes les associations agréées de sécurité civile. Et l’enjeu sous-jacent, que nous évoquons à travers cette discussion, c’est celui de la fidélisation. Nos bénévoles vont ressortir de ces événements heureux, mais épuisés. Ils auront donné deux ou trois semaines pour les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques, et l’enjeu majeur pour nous tous est de continuer à assurer nos missions quotidiennes à l’issue de cette période. Nous avions connu une situation similaire à l’issue de la crise de la Covid-19, qui avait également nécessité un engagement quotidien. Aujourd’hui, les bénévoles attendent les Jeux, mais nous devons préparer le terrain pour poursuivre nos missions lorsqu’ils seront terminés.

M. Jean-François Sergent. Je souhaitais compléter mes propos concernant nos financements, en précisant qu’en plus des 18 000 euros évoqués, 36 000 euros nous sont alloués par la DGAC sur le volet « recherches des crashs d’avions ». Cela ne relève donc pas du ministère de l’intérieur.

Concernant les Jeux olympiques, sur la question de notre engagement, je répondrais que nous sommes plutôt dégagés, et je vais vous expliquer pourquoi. L’Agence nationale des fréquences avait 37 000 licences à distribuer et est allée chercher du côté des fréquences pour les radios amateurs. Nous disposons d’un grand nombre de fréquences pour effectuer l’ensemble des émissions de courte portée, ou de très longue portée, y compris satellites. Nos fréquences ont donc été prises et nous sommes passés en régime secondaire. J’ai sauvé quelques fréquences, notamment celles qui permettent, depuis le Cogic, de contacter les COS, mais nous n’en avons pas reçu davantage. J’ai néanmoins validé le principe auprès de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), dans la mesure où les fréquences accordées pour les Jeux olympiques sont de faible puissance tandis que les nôtres ont d’importantes puissances. Dans le cadre des Jeux olympiques, nous avons par ailleurs conclu une convention avec la préfecture de Police, qui nous demande de nous tenir prêts en cas de nécessité, bien que celle-ci soit placée, d’après mes informations, sous le commandement du Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo).

Sur le sujet de la fidélisation, il apparaît que nos bénévoles sont satisfaits de recevoir des demandes émanant des préfectures ou des SIDPC. Cela représente, d’une certaine manière, la rétribution de leur travail. À l’inverse, lorsque c’est le président du conseil départemental, voire le Président de la République qui donne l’ordre d’agir, sans que cela n’entraîne de reconnaissance de la part de l’État, nous peinons à fidéliser.

M. Stéphane Voisin. Sur la notion de fidélisation des bénévoles, des travaux sur le bénévolat au sens large sont en cours, auxquels aucune des associations de sécurité civile n’est conviée. En effet, contrairement aux associations culturelles ou sportives, qui sont bien connues et bien identifiées, celles de la sécurité civile restent bien souvent en retrait. Elles sont activement au service des populations et du ministère de l’intérieur, mais ne sont pas pour autant reconnues au même titre que d’autres familles associatives françaises. Les conclusions issues des travaux en cours, dont j’ai pu prendre connaissance pour partie, vont dans le bon sens et proposent des pistes sur lesquelles nous pourrons travailler, mais ne sont pas correctement adaptées aux associations de sécurité civile. Je rejoins d’autre part les conclusions de mes collègues à propos de la fidélisation.

La FFSS s’est par ailleurs regroupée avec d’autres associations dans le cadre des Jeux olympiques, ce qui lui procure déjà à ce jour une certaine visibilité. Le risque provient de la diversité des lieux d’accueil de grands événements sur l’ensemble des territoires, et sur leur simultanéité, qui n’était pas prévue à l’origine, sans que n’ait été prise en compte, dans cette organisation, la trop grande sollicitation que cela représentera pour les associations. Si le risque de rupture capacitaire n’est à ce stade pas avéré, nos bénévoles, qui travailleront avant, pendant et parallèlement aux Jeux, risquent de souffrir d’une importante usure, de nature à nuire à notre objectif de fidélisation. Une sollicitation trop importante de nos bénévoles, similaire à celle que nous avons connue au moment de la crise de la Covid-19 (qui a représenté pour notre association deux millions d’heures de bénévolat) peut présenter le risque d’engendrer des départs. Malgré le renouveau de nos bénévoles, nous devons donc faire preuve de prudence vis-à-vis de notre réseau. Nous ne connaissons pas, à ce stade, l’étendue de la mobilisation qui sera nécessaire pour répondre aux besoins de l’État, qu’il s’agisse des préfectures ou des agences régionales de santé (ARS), et nous manquons de visibilité sur nos engagements à venir dans le cadre du secours public lié aux Jeux olympiques.

Enfin, pour revenir sur notre système financier, si je n’irais pas jusqu’à dire qu’il est à bout de souffle, je pense malgré tout que l’on s’en approche. En 2004, lorsque les associations ont pris part à la signature de la loi de modernisation, l’État s’était engagé à réserver aux associations de sécurité civile les formations aux premiers secours et les dispositifs prévisionnels de secours (DPS), en échange d’une prise en charge du soutien à la population et du secours à personne, soit les agréments A et B. Si cela ne représentait pas, à l’époque, un nombre trop important de missions, vingt ans plus tard, nous sommes de plus en plus sollicités, du fait de nos actions, mais aussi d’une plus grande reconnaissance. Nous devons faire face à un plus grand nombre de catastrophes, de durées plus importantes, et le modèle économique qui avait été pensé dans le passé n’est plus suffisant dans la situation actuelle. Afin de permettre aux associations de répondre de façon complète à l’ensemble des sollicitations, il doit évoluer. À titre d’exemple, sur la partie de la FFSS qui est sous tutelle du ministère des sports, l’équivalent de six cadres d’État seront mis à disposition de notre fédération pour gérer les activités délégataires du sauvetage sportif, avec un budget supérieur à 300 000 euros. Si je mets en parallèle la subvention du ministère de l’intérieur, pour laquelle j’ai rempli le dossier récemment, le budget est de 2 000 euros.

Mme la présidente Lisa Belluco. Avant de céder la parole à M. Rancoule, je souhaiterais revenir sur vos propos afin d’en clarifier le sens, avant tout pour moi-même. Pendant la période des Jeux olympiques et des Jeux paralympiques, serez-vous dans l’impossibilité d’assurer l’ensemble des postes de secours que vous assurez traditionnellement dans les manifestations plus locales, de type fêtes de villages ou festivals ? Ou parviendrez-vous à assurer les deux ?

M. François Richez. La protection civile anticipe en effet une période de tension, comme cela peut être le cas pour toute autre sollicitation importante de type crise. Je ne dis pas que les Jeux olympiques sont une crise, la situation sera différente, mais elle ne génère pas d’inquiétude majeure sur notre capacité à assurer l’ensemble de nos dispositifs de secours. Dans le cadre de notre réponse à l’appel d’offres des Jeux olympiques, nous avons d’ailleurs dès le début, et notre réseau en a été clairement informé, fait le choix de donner la priorité aux dispositifs de secours locaux. Notre réponse à l’appel d’offres a donc été effectuée sur la base des ressources consacrées à nos activités classiques et habituelles. On anticipe donc bien évidemment des tensions, accentuées par la période estivale, mais ces périodes ne génèrent pas chez moi une trop grande inquiétude, dans la mesure où c’est le propre des associations de sécurité civile que d’être capables de se réinventer et d’être davantage performantes dans des phases de sollicitation intense. Je rejoins en revanche ce qui a été dit à propos de la période postérieure aux événements, qui est plus délicate à gérer du fait des phénomènes d’usure. Il faudra donc être attentifs et travailler en interne sur ce point, dans le cadre de notre fidélisation, afin d’éviter une trop grande accélération du turnover durant l’année qui suit les Jeux olympiques.

M. Yann de Saint-Pol. Je souhaite simplement apporter un complément aux propos qui viennent d’être tenus concernant l’aspect financier des Jeux olympiques et paralympiques. Nous pouvons effectivement anticiper des tensions. La bonne gestion des unités départementales, à laquelle nous veillons au niveau local, est susceptible d’être compromise en cas d’annulations de manifestations, synonymes de moindres rentrées. Elles seront peut-être compensées grâce aux Jeux olympiques, mais l’effet au niveau local, notamment sur le plan psychologique, pour la personne en charge de la gestion de l’unité départementale, devra également être pris en compte. Bien qu’il s’agisse là de cas très particuliers liés à la conjoncture, l’aspect psychologique ne doit pas être oublié.

Concernant la fidélisation des secouristes et des acteurs de la sécurité civile, je tenais également à souligner ce qui fonctionne bien, car si l’on peut déplorer les dysfonctionnements, il faut également mettre en lumière les réussites. Je pense notamment aux décorations qu’accordent ponctuellement le ministère de l’intérieur et celui de la jeunesse des sports et de la vie associative, de type médaille de la sécurité intérieure, médaille de la jeunesse, des sports et de la vie associative, voire médaille des ordres nationaux. Bien que les secouristes et les acteurs de la sécurité civile n’agissent pas dans l’objectif de l’obtention d’une décoration, lorsqu’un membre d’une unité départementale a l’honneur d’en être attributaire, c’est la globalité des équipes qui s’en trouve valorisée. Cela m’amène à me demander s’il ne conviendrait pas de pouvoir décorer, à titre collectif, une unité entière, de la même façon que le drapeau d’un régiment peut être décoré. À un niveau moindre, les secouristes valorisent également fortement les lettres de félicitations reçues de la part du corps préfectoral ou de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP).

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci. D’autres participants souhaitent-ils intervenir sur ce sujet ? Je cède la parole à M. Rancoule.

M. Julien Rancoule (RN). Merci madame la présidente. Je souhaitais initialement que ma première question concerne le modèle économique et les subventions d’État, mais je pense que nous avons tous compris quelle est la problématique sur ce sujet-là. Je passe donc directement à ma deuxième question, qui concerne la formation de la population aux premiers secours. Il me semble qu’un modèle de sécurité civile efficient doit en premier lieu garantir une intégration de la population et en faire le premier maillon de la chaîne de secours. Et vous êtes, en tant qu’associations agréées de sécurité civile, un acteur majeur dans la formation de la population. L’objectif fixé par le Président de la République pour 2022 de former 80 % de la population aux gestes de premiers secours étant loin d’être atteint, quels sont d’après vous les blocages et les freins qui vous empêchent de former davantage de personnes à ces gestes essentiels ? Avez-vous d’autre part détecté, au sein de la population, des blocages susceptibles de freiner leur volonté de faire appel à vous pour se former ? Avez-vous des pistes de réflexion pour atteindre un nombre convenable de personnes formées aux gestes de premiers secours en France ?

M. Stéphane Voisin. Si les freins sont toujours difficiles à identifier, nous pouvons en revanche garantir qu’environ 80 % des citoyens qui se rendent spontanément dans l’une de nos associations en vue d’être formés aux premiers secours le font par obligation. Ces personnes se trouvent être dans un parcours de vie particulier, elles souhaitent par exemple passer le concours de professeur des écoles, devenir éducateur sportif, obtenir un brevet fédéral sportif, etc. Il en va de même dans les cas où la prise en charge est assurée par l’employeur. Les moments de la vie où cette formation est un passage obligatoire sont pour beaucoup à l’origine des démarches. En revanche, même lorsque cette formation obligatoire est effectuée avec des préjugés négatifs de la part de la personne, près de 100 % des bénéficiaires en ressortent en ayant compris son sens, son utilité familiale, et repartent satisfaits. Se pose maintenant la question du développement, au-delà des parcours de vie, et du ciblage d’autres parcours sur lesquels nous devons peut-être faire preuve de plus de rigueur. À titre d’exemple, le projet de secourisme dans le cadre du permis de conduire a été réduit à quelques questions, probablement du fait d’une crainte quant à l’incapacité de former massivement. Nous devons donc faire preuve d’ingéniosité en proposant de nouvelles pistes, et agir sur les différents parcours de la vie. Je crois beaucoup dans le fait d’agir au moment des différentes étapes de la vie, à commencer par le parcours scolaire, et je salue notamment l’initiative qui a été prise de proposer cette formation aux jeunes retraités avant leur départ. Nous devons continuer à travailler sur ces parcours de vie et identifier d’autres leviers sur lesquels agir.

M. François Richez. Par rapport à vos propos, monsieur le député, je pense qu’il faut malgré tout noter la réelle amélioration, puisqu’après avoir stagné autour des 15 % pendant de nombreuses années, nous avons aujourd’hui atteint le chiffre de 30-35 %. Cette réussite est notamment due au développement de la formation au moment du cursus scolaire, et nous aboutissons actuellement à la formation de 575 000 personnes par an, tous secteurs confondus, éducation nationale, sapeurs-pompiers, associations de sécurité civile et autres milieux. Le problème se situe selon moi dans les flux et les stocks, et malgré la résolution de la problématique liée au flux d’une classe d’âge, le problème des stocks demeure. Ce terme peut apparaître comme péjoratif mais, pour atteindre l’objectif de 80 %, nous devons mener également un travail sur les individus sortis du système scolaire. Cela passe, d’une part, par le fait, à travers une sensibilisation plus importante, de donner envie à chaque citoyen de devenir acteur de sa propre sécurité ; cela passe, d’autre part, par la question des coûts de la formation, qui a depuis toujours représenté un frein. Il convient enfin de mener une action, qui paraît simple de prime abord, mais n’a pour autant jamais été entreprise, concernant la multitude des formations qui existent. Elles sont aujourd’hui d’une complexité si redoutable que même les acteurs autour de cette table, qui pourtant connaissent bien le secteur, peuvent ne pas réussir à les comprendre. Parmi les multiples formations, on compte notamment la prévention et secours civique (PSC1), la formation de sauveteur secouriste du travail (SST), les formations PS1 et PS2 qui concernent le ministère de l’intérieur ou de la santé, la formation aux gestes et soins d’urgence (FGSU)… Je dérive légèrement par rapport au sens de votre question qui concernait les formations grand public monsieur le député, afin de démontrer que cette multiplicité aboutit à la naissance de contraintes pour nos intervenants secouristes, qui se retrouvent dans l’obligation de reformer certains personnels dans l’unique but d’obtenir des passerelles dont on peut questionner l’utilité. Nous devons faire preuve d’un plus grand pragmatisme opérationnel.

M. Yann de Saint-Pol. Je partage entièrement les propos précédents, auxquels je souhaite simplement apporter un complément. Le parcours de vie me semble très important. Au sein des formations PSC1, nous constations à l’origine un grand nombre de collégiens. Aujourd’hui, la tendance au sein des collèges, dans le cadre de l’obtention du brevet, est plutôt celle des gestes qui sauvent. Le fait de passer en niveau PSC1 dans le cadre de l’obtention du baccalauréat me paraîtrait être une première marche qu’il serait intéressant de franchir. Il en va de même au moment des départs en retraite. Tout cela doit être considéré en gardant à l’esprit la problématique de désertification médicale dans certaines zones rurales. Peut-être est-il nécessaire de créer un troisième niveau, qui pourrait être appelé PSC2, visant à assurer une prise en charge par le citoyen des premiers niveaux d’urgence. Cela devrait pouvoir être effectué avec un minimum de matériel, celui que chacun peut avoir chez lui pour pas cher, c’est-à-dire un tensiomètre, un saturomètre, un indicateur de glycémie, etc. Cela permettrait de pouvoir passer un bilan réel et sérieux dans l’attente de la projection des moyens de secours. Proposer cette formation à des adultes nous permettrait, selon moi, de gagner en efficacité, de renforcer la citoyenneté et la fraternité, mais surtout de préserver nos concitoyens qui se trouvent de plus en plus éloignés d’une structure hospitalière. Même si les services d’incendie et de secours (SDIS), les pompiers ou les associations de sécurité civile (ASC), qui interviennent en complément des SDIS, peuvent se projeter, nous constatons qu’en région parisienne, l’arrivée des secours se fait en une dizaine de minutes, ce qui n’est pas le cas sur l’ensemble du territoire. La question se pose donc des moyens à mettre en œuvre pour améliorer le tout premier niveau de prise en charge dès le premier intervenant.

M. François-Xavier Volot Delaunay. Je souhaiterais apporter un complément, à travers deux propositions, dont la mise en œuvre me semble également facile. La première consisterait à pouvoir payer le brevet de sécurité routière (BSR) et le SST avec le compte personnel de formation (CPF), comme c’était le cas auparavant avant le retrait de cette mesure. La seconde, probablement plus complexe à mettre en œuvre, serait de rendre possible la déduction du PSC1 des impôts, ce qui permettrait aux personnes aux plus faibles revenus de récupérer une partie de ce coût.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous l’avez plusieurs fois évoqué, mais je souhaiterais que vous reveniez sur les impacts de notre organisation territoriale de santé, et sur l’impact de l’organisation de notre système de santé en général, sur vos missions. Pour expliciter mon propos, je précise que nous avons reçu plusieurs témoignages de la part des sapeurs-pompiers à propos des fermetures de services d’urgence ou de l’accroissement des temps d’attente, qui peuvent les mettre en difficulté. Bien que la plupart d’entre vous ne fasse pas, sauf erreur de ma part, de transport d’ambulance, excepté l’ordre de Malte, ces situations ont-elles, de façon plus générale, un impact sur vos missions et, si tel est le cas, de quelle manière ?

M. Stéphane Voisin. Nos associations, selon les territoires et notamment dans le cadre des dispositifs prévisionnels de secours (DPS), peuvent évacuer les victimes vers une structure hospitalière dans le cas où une convention tripartite existe sur le territoire.

Mme la présidente Lisa Belluco. Pouvez-vous, s’il vous plaît, détailler cette convention tripartite qui vous permet de faire du transport et qui est, me semble-t-il, la même pour vous tous ?

M. Stéphane Voisin. Elle émane du code de la sécurité intérieure. Sur un territoire, une convention tripartite doit être signée entre le Samu, le SDIS et l’association départementale. Leur nombre est en augmentation, puisque l’on n’en recensait qu’un petit nombre il y a dix ou quinze ans alors qu’aujourd’hui beaucoup de départements en sont dotés. Des blocages subsistent dans certains territoires, l’utilité des associations est bien comprise en ce qu’elles évitent de mobiliser des ambulances de garde ou des sapeurs-pompiers dans les manifestations. Concernant le système de réseau de secours, il existe des différences entre les territoires de la BSPP ou des Samu Ile-de-France. Du côté de la BSPP, le fonctionnement est optimal et le cadre réglementaire normalisé, ce qui n’est pas le cas pour les sollicitations auprès des Samu. C’est ainsi que certaines associations, bien que présentes depuis plusieurs années auprès des Samu, ne bénéficient d’aucun cadre réglementaire. Actuellement, et malgré la mobilisation quotidienne de nos associations, la loi ne le permet pas. Le fait que ce recours ait été utilisé et financé, au moment de la crise de la Covid-19, par l’ARS Ile-de-France, démontre que nous sommes reconnus dans cette activité. Pour autant, elle n’est à ce stade encadrée par aucun cadre réglementaire.

Nos associations ont également été sollicitées l’année dernière au moment des fêtes de Noël, dans le cadre des tensions hospitalières, pour intervenir en renfort. Nous avons été sollicités pour mettre en place, dans le cadre des accueils d’urgence, une phase de premiers secours et de premier bilan en attendant l’avis médical, et plus généralement pour aider les services d’urgences. Nos ambulances ont également été mobilisées dans le cadre des retours à domicile. Les difficultés à « vider » les urgences vers d’autres services entraînent en effet des phénomènes de blocages, face auxquels les associations viennent apporter leur aide.

La loi dite « Matras » de 2021, à laquelle je faisais précédemment référence, bien que bénéfique pour nos associations, a également créé un vide juridique en ne nous intégrant pas sur la partie télémédecine et soins d’urgence, si bien que certains gestes réalisés aujourd’hui par les secouristes des ASC ne sont plus encadrés réglementairement, et sont présents dans nos référentiels de formation sans pour autant pouvoir être utilisés de manière opérationnelle. Nous devons mener ce travail de façon urgente, car la situation fait peser une menace sur notre capacité à fidéliser nos bénévoles, qui ressentent de la frustration en ne pouvant plus réaliser ces gestes simples qu’ils connaissent. Devoir faire appel à une ambulance agréée ou aux sapeurs-pompiers génère du retard et représente donc également une perte de chance pour le patient. Ce point est donc à travailler, et je crois personnellement beaucoup à la télémédecine, qui pose un nouveau cadre réglementaire pour les associations, en leur permettant d’être un acteur supplémentaire. Elles pourraient ainsi répondre dans les territoires, et notamment dans ceux qui connaissent des difficultés, et agir pour la première prise en charge, le premier bilan, en étant les premiers yeux pour le régulateur du Samu. Nos associations pourraient apporter une aide précieuse.

M. François Richez. Les propos de M. Voisin étaient très complets, j’apporterai donc seulement quelques compléments. Si l’on prend pour exemple le domaine de la santé, et bien que cela soit moins vrai pour l’ordre de Malte, on constate que les ARS ont découvert l’existence des associations de sécurité civile au moment de la crise de la Covid-19. Les éléments remontés du terrain à cette époque témoignent d’un réel étonnement de la part de ces agences quant à nos capacités et à nos savoir-faire. Les associations ont néanmoins su, pendant cette période, être efficaces, s’adapter aux besoins et créer des liens forts qu’il est nécessaire d’entretenir. J’en reviens à ce qui a été dit au début de la réunion, pour bien souligner combien il est important pour nos associations d’entretenir ces liens essentiels avec les acteurs publics, qu’il s’agisse du ministère de l’intérieur ou de celui de la santé, à travers les préfectures et les ARS. Ainsi, et bien que cela puisse paraître incroyable, il y a bien eu une phase de découverte de nos associations pendant cette période, dont nous pouvons tous témoigner. S’en sont suivies des actions menées dans le cadre de la Covid-19, qui ont bien fonctionné et ont su démontrer notre grande efficacité. Par la suite, nous avons conduit plusieurs expérimentations, comme les retours à domicile ou les sas dans les urgences, qui se poursuivent aujourd’hui. Nos équipes sont par exemple engagées dans l’Aube sur ce type de missions. Un flou demeure néanmoins sur le modèle de ces activités.

L’année dernière à la même époque, et il est d’ailleurs à craindre que cela ne se reproduise cet hiver, l’épidémie de bronchiolite a amené les deux ministères à s’accorder subitement pour nous donner l’autorisation d’effectuer des missions de retours à domicile et de transferts de malades, notamment de jeunes enfants. Mais nous avons parallèlement, dans un grand nombre de départements comme ceux du Bas-Rhin, de la Gironde ou du Val-d’Oise, connu un recul. Pour prendre l’exemple d’un département qui vous est cher, monsieur le député, qui est celui du Bas-Rhin, nos missions auprès du Samu ont été récemment interrompues après quinze années de coopération, alors qu’elles concouraient grandement soit à amener des victimes, soit à vider les urgences. La situation est donc toujours un peu complexe. À côté de cela, dans les départements du Finistère et du Pas-de-Calais, nos équipes ont été sans difficulté engagées dans le cadre des gardes du Samu pendant deux semaines.

Il y a donc un réel travail à mener sur la clarification de notre lien, qui est véritablement nécessaire, avec le ministère de la santé. Nous devons travailler de concert, en mettant autour de la table le ministère de l’intérieur, le ministère de la santé et les associations de sécurité civile, à une définition précise du cadre opérationnel. Les exemples du terrain démontrent clairement la nécessité d’améliorer ce mode de fonctionnement.

M. Pierre Charzat. Je rejoins entièrement ce qui a été dit. Nous savons qu’en cas de crise, les associations de sécurité civile répondent systématiquement présent, comme elles l’ont toujours fait. La situation est plus complexe lorsque l’on sort de ce cadre de crise, en ce qu’elle manque de clarté, et l’exemple du lien avec les Samu en est une parfaite illustration. Nous pensions que la crise de la Covid-19 nous apporterait reconnaissance, soutien et financements, mais dès que l’on sort de ce cadre particulier, on constate que notre proximité avec les services de Samu n’est pas garante d’un réel cadre réglementaire.

Je souhaiterais également revenir sur le sujet des conventions tripartites, qui se mettent très lentement en place dans les départements. L’exemple parfait est celui de la préfecture de Police de Paris, qui n’a à ce jour aucune convention tripartite, ni avec les associations agréées de sécurité civile, ni avec les Samu, nous amenant à jouer sur un cadre légal ambigu. Il faut, d’autre part, savoir que les moyens d’évacuation ne sont pas pris en compte dans le dimensionnement du dispositif de secours : ils représentent un moyen supplémentaire. On peut donc avoir une demande qui émane de la préfecture alors que le paiement est à la charge de l’organisateur, qui refuse de l’effectuer et préférerait pouvoir profiter des services publics pour la prise en charge des évacuations. Je souhaitais souligner cette complexité.

M. Yann de Saint-Pol. Je souhaite apporter un complément aux propos de Pierre Charzat sur cette question des évacuations en prolongement des dispositifs prévisionnels de secours. La réforme du droit des contrats nous oblige à bien préciser dans l’offre quels sont les termes de notre intervention et à jouer ainsi notre rôle de conseil. Il est donc de notre responsabilité, lorsque l’on s’aperçoit que le DPS est très éloigné, de conseiller une mise à disposition, en surplus du dimensionnement du dispositif, d’un moyen d’évacuation. Libre ensuite à l’organisateur de suivre ou de ne pas suivre ce conseil. La difficulté réside dans le fait de faire comprendre aux organisateurs, qu’ils soient publics ou privés, que cette charge supplémentaire qu’ils doivent assumer est de première importance compte tenu de l’éloignement.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je voudrais vous interroger pour avoir une meilleure compréhension de la situation. Je rappelle tout d’abord, comme l’a fait madame la présidente au début de cette séance, que vous pourrez, en complément de cette table-ronde, contribuer de manière écrite sur les sujets précis qui vous tiennent à cœur, tels que vos budgets, vos équipements, la participation ou la fidélisation.

Nous sommes ici entre personnes possédant une expertise et un intérêt pour le sujet, mais celles et ceux qui nous entendent peuvent ne pas comprendre ce à quoi nous faisons référence, notamment les acronymes employés. Concernant le modèle de sécurité civile de demain, en complément de ce qui a déjà été dit notamment sur le Covid-19 ou la bronchiolite, quel est d’après vous le rôle de vos associations dans le dispositif ? Quelle reconnaissance opérationnelle pouvons-nous envisager ? Au vu de votre malaise, ou de votre incompréhension, que j’entends, comment mieux vous insérer dans ce dispositif ou dans cette reconnaissance, en matière opérationnelle, à la fois pour les risques courants, mais également pour les situations de gestion de crise ?

M. Stéphane Voisin. Dans les situations de gestion de crise, nos associations sont bien souvent des couteaux suisses. Dans les faits, lorsque survient une crise dans un territoire, le représentant du préfet se tourne vers les associations, qui bien souvent trouvent la solution. Cela démontre leur grande agilité.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pardonnez-moi cette interruption, monsieur Voisin, mais j’ai omis d’évoquer un sujet capital : celui du maillage territorial. Nous avons en effet à cœur de traiter aussi bien la campagne que la ville, la montagne que les littoraux, et d’introduire cette notion de réflexion à l’échelle du territoire.

M. Stéphane Voisin. Je vais donc rebondir directement sur cette question du maillage territorial. Nos associations sont généralement fortes de moyens humains et matériels, notamment là où l’activité en formations et en DPS est la plus importante, permettant d’investir dans du matériel de soutien à la population. Cela permet à la réponse des associations, dans les territoires de métropole, d’être efficace. C’est en revanche plus complexe dans les territoires ruraux, tels que les environs du Massif central, dans lesquels nos associations, plus petites et moins bien équipées en matériel, ne peuvent pas optimiser leurs investissements du fait des budgets réduits. Il peut donc être difficile de répondre aux besoins qui émergent dans ces territoires. On peut heureusement compter sur la coopération qui existe entre les associations, qui savent se parler et apporter une réponse commune, et sur la mutualisation de nos départements, où il existe une réelle solidarité entre nos structures. Grâce au soutien mutuel et à la concertation, nous sommes capables de faire face à toutes les situations de crise en trouvant toujours la réponse à donner. Nos capacités d’anticipation, notamment concernant les investissements, se trouvent en revanche amoindries par cette absence de « pack financier ». Dans les endroits où les investissements pourraient se justifier, tels que les territoires d’outre-mer, où les budgets sont réduits alors qu’il existe d’importants besoins en matière de soutien à la population, l’absence de plan d’investissement nous empêche d’apporter une réponse. À l’image de ce qui existe pour les pompiers, qui disposent de schémas départementaux, zonaux ou nationaux, il faudrait, pour préparer les futures crises, que de tels modèles existent pour nos associations. Une première piste de réflexion pourrait donc être de ne pas attendre la prochaine crise pour faire un état des lieux de l’équipement sur les différents territoires.

Une autre réflexion qu’il est indispensable de mener concerne le statut – bien qu’il conviendrait de substituer à ce mot un autre qui soit plus adapté et valorisant – des bénévoles, ainsi que leur engagement.

Il convient enfin d’entamer une réflexion réglementaire, car si l’on trouve, dans les situations d’urgence, une réponse aux demandes de réquisition, celle-ci n’est pas pérenne. La mobilisation doit être renouvelée dès lors qu’une nouvelle crise survient, parfois auprès de nouveaux acteurs, ce qui pourrait être évité grâce à un travail préalable.

M. François-Xavier Volot Delaunay. Sur le rôle des associations agréées dans la sécurité civile de demain, je vous propose plusieurs éléments visant à alimenter la réflexion, qui pourront être complétés.

Il faudrait, en premier lieu, nous permettre de pouvoir aller davantage vers la santé. Nous sommes aujourd’hui très liés au ministère de l’intérieur, alors que nous avons su démontrer durant la crise du Covid-19 notre capacité à intervenir quel que soit le besoin. Je rejoins Stéphane Voisin lorsqu’il emploie le terme de « couteau suisse ». Nous proposons ainsi d’aller vers des agréments de santé, qui permettraient de compléter nos missions actuelles et qui mettraient fin au vide juridique qui existe, notamment en ce qui concerne la garde Samu qu’évoquait le président François Richez.

Nous proposons également que les associations agréées aient une place permanente au Cogic, pour faire notamment face aux crises de demain, qui vont malheureusement se multiplier du fait du réchauffement climatique.

Concernant l’échelon intermédiaire, nous sollicitons, d’autre part, une obligation pour les centres opérationnels départementaux des préfectures de donner une place aux associations agréées. Les crises majeures passées nous ont démontré qu’une représentation des associations leur garantit de pouvoir intervenir facilement.

Cela va de pair avec la simplification des démarches administratives. Toute intervention doit aujourd’hui être effectuée sur la base d’une réquisition, qui permet notamment le remboursement des frais, et ce fonctionnement nous paraît trop complexe. Il nous semble nécessaire de simplifier ces éléments. La suppression des agréments départementaux, quant à elle, permettrait de rationaliser le nombre d’associations, et d’augmenter mécaniquement nos moyens sans toucher aux précieux deniers publics. Nous avons néanmoins besoin de ce pacte capacitaire qu’évoquait M. Richez, en ce qu’il nous permettrait d’investir sur l’avenir, et notamment sur la digitalisation de nos interventions, qui est un sujet essentiel. La protection civile développe actuellement un important logiciel visant à lui permettre d’intervenir plus rapidement auprès des individus, dont le coût, s’élevant à plusieurs millions d’euros, est difficile à assumer pour une association. Nous estimons donc que l’inspection générale de l’administration (IGA) doit instamment effectuer un rapport d’inspection sur le modèle de sécurité civile et sur les solutions qu’apporterait le pacte capacitaire.

La proposition de loi de M. Yannick Chenevard (n° 1146) précédemment évoquée, qui permettra d’améliorer la reconnaissance du bénévolat de sécurité civile, me permet de faire la transition avec les questions de la reconnaissance et de l’insertion, qui vont de pair. Nous avons évoqué les médailles, la retraite, mais avant même d’attendre plus de reconnaissance, il nous revient d’arrêter de faire certaines choses, et notamment de nous cacher. On constate que l’État, lorsque survient une crise, peut avoir du mal à admettre qu’il y ait besoin de bénévoles pour compléter l’action publique, alors que c’est justement notre rôle. Pour illustrer cela, je prends l’exemple, très dur, de la crise actuelle dans le Finistère. Lors de la visite du Président de la République, les associations ont été écartées de la délégation officielle de la préfecture, et cette image était terrible pour nos bénévoles, qui n’ont pas vu leurs référents aux côtés de M. le préfet et des pompiers. Un autre exemple qui montre que nous sommes cachés est celui de l’hébergement des Jeux olympiques, que nous avons précédemment évoqués. Nous sommes tous engagés, mais il nous a bien été signifié que la priorité était donnée aux secours publics, police, gendarmerie, pompiers et armée, et que nous prendrions les places restantes. J’étais en peine de faire savoir aux 900 bénévoles qui interviendront quotidiennement que leur hébergement serait situé à une heure quarante-cinq des sites olympiques et que nous résoudrions le problème avec des tickets de RER. Le travail à mener sur cette question de la reconnaissance est donc important, et il doit commencer par une meilleure mise en avant de nos associations. Si par exemple, concernant les formations, il était plus souvent fait référence aux associations agréées de sécurité civile, les citoyens pourraient avoir envie de nous rejoindre ou au moins de se former. Or, aucune communication n’est aujourd’hui faite sur les associations agréées, que ce soit sur les réseaux sociaux ou tout simplement à la télévision. Cette reconnaissance est d’autant plus importante qu’elle permettrait de nous renforcer, notamment pour la préparation des crises à venir, mais également de mieux nous insérer dans l’écosystème de sécurité civile et de santé grâce à une meilleure connaissance car, comme l’indiquait le député Chenevard, si le grand public nous connaît, il n’en va pas de même pour les acteurs de la santé et de la sécurité civile.

M. Yann de Saint-Pol. Je souhaiterais évoquer deux pistes, qui complètent celles qui viennent d’être présentées, concernant la place future des associations de sécurité civile.

Sur les territoires, au-delà des préfectures avec qui le maillage peut s’avérer parfois difficile administrativement, il me semble également important de consolider les relations avec les mairies. Cela peut être fait par le biais des réserves communales de sécurité civile, via le correspondant défense qui serait l’interlocuteur. Le rôle du correspondant défense, dont je rappelle qu’il est obligatoire bien que l’ensemble des communes ne s’en soit pas doté, pourrait être renforcé grâce à ce maillage entre les associations de sécurité civile et les réserves communales. Le recours à l’agrément C, qui permet d’encadrer des bénévoles, pourrait être une solution. Les associations peuvent fournir les cadres de certaines réserves communales, voire former les futurs cadres de réserves communales de sécurité civile, ce qui permettrait de disposer, à terme, d’un maillage plus efficace.

La deuxième piste concerne l’éducation nationale. Permettez-moi de faire un nouveau parallèle avec la défense, et avec les classes de défense qui existent aujourd’hui au sein des collèges et des lycées. Nous pourrions, de la même manière, imaginer des classes sécurité civile, qui permettraient d’intéresser des jeunes aux missions de la sécurité civile.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie. Monsieur Sergent, souhaitez-vous ajouter des éléments ?

M. Jean-François Sergent. En ce qui me concerne, je ne vais pas aborder le sujet de la santé. Peut-on évoquer un autre sujet ?

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous propose, si cela vous convient, de vous laisser plutôt le mot de la fin si vous n’avez rien à ajouter sur ce sujet, car mes collègues souhaitent encore poser un certain nombre de questions au cours des dix minutes qui nous restent.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous arrivons effectivement à la fin de notre échange, je serai donc bref. Je souhaiterais vous entendre, même brièvement, sur le sujet de l’acculturation de la population, que nous n’avons que très peu abordé. Nous évoquions tout à l’heure les plus jeunes dans les écoles, ainsi que les réserves nationales de sécurité civile ; plus généralement, l’acculturation de la population vous paraît-elle être une force pour notre système ?

M. François Richez. Vous avez raison, monsieur le député. Le fait de sensibiliser les citoyens, dès le plus jeune âge, au modèle de sécurité civile et au fait d’en être acteur, contribuera à une meilleure résilience de notre pays. Malgré les difficultés que l’on rencontre encore, la formation aux gestes de premiers secours se met en place et évolue, et même si l’adjonction permanente de modules renforce la complexité du système, cela pourrait passer par la mise en place d’un module supplémentaire. Mais pour espérer une acculturation complémentaire sur notre modèle de sécurité civile et sur l’idée d’être acteur de sa propre sécurité, et une meilleure connaissance de notre modèle de sécurité civile, nous devons commencer par le simplifier. Une bonne connaissance du milieu est à ce jour nécessaire pour comprendre l’ensemble des interactions et des acteurs.

M. Stéphane Voisin. Je prends, à titre de comparaison, l’exemple du milieu sportif et des classes bleues qui existent dans les écoles, financées par le ministère avec pour objectif de lutter contre les noyades. Ce modèle pourrait être appliqué sur la partie qui concerne le risque, d’autant que nos bénévoles ont l’envie d’effectuer ces actions et de les partager avec la jeunesse. Pour poursuivre sur la notion de parcours de vie, on peut penser qu’incorporer davantage de parcours autour de la préparation aux risques permettra d’améliorer la résilience en cas de crise.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je pense que nous en avons terminé sur ce sujet. Messieurs Rancoule et Chenevard ayant chacun une question, je vous propose de les poser l’un après l’autre, puis de laisser à chacun autour de la table un mot de la fin qui permettra à tous de répondre aux questions, et d’ajouter une intervention s’il le souhaite. M. Chauche souhaite également intervenir. Je vous demande de vous limiter chacun à une question, en commençant par M. Chauche qui n’a pas encore pris la parole.

M. Florian Chauche (LFI-NUPES). Je vous remercie et vous prie de m’excuser pour mon retard. Le manque de reconnaissance que subissent les associations agréées de sécurité civile se constate non seulement dans les financements de l’État, mais aussi à travers la sortie de certaines formations du CPF, qui permettaient d’entretenir votre modèle de financement, et également à travers l’émergence sur le marché d’organismes de formation peu scrupuleux. Les financements de l’État n’étant pas suffisants pour garantir votre bon fonctionnement, vous êtes dans l’obligation de compter sur les postes de secours et les formations. En tant que rapporteur spécial sur la sécurité civile j’ai, lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF), demandé que les financements soient doublés à titre exceptionnel et en témoignage de reconnaissance. J’ai également plaidé en faveur du pacte capacitaire que vous évoquiez, d’un montant de 10 millions d’euros, pour permettre aux associations, comme c’est actuellement le cas pour les SDIS, de bénéficier de budgets de financements plus importants. On constate aussi que vous devez vous conformer à certaines normes qui ne concernent pas les autres acteurs, tels que les sapeurs-pompiers pour ce qui concerne les véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV). Tous ces éléments sont autant de freins, mais les parlementaires, dans le cadre également de cette mission d’information, se mobilisent pour mettre le sujet sur la table et travailler à une amélioration. Ayant auditionné certains d’entre vous dans le cadre de mon rapport spécial, la plupart des sujets évoqués me sont familiers. Soyez assurés que nous serons attentifs, dans les propositions que nous formulerons, à faire ressortir de cette mission d’information des éléments dont la traduction reste encore à définir, mais qui pourront donner naissance, par exemple, à une proposition de loi. Nous souhaitons que les avancées soient réelles et que vous puissiez obtenir la reconnaissance qui vous est due.

M. Julien Rancoule (RN). Permettez-moi de commencer par une rapide parenthèse : j’avais proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances, des amendements qui visaient justement à augmenter le budget des ASC, pour lesquels M. le rapporteur spécial avait formulé un avis négatif. C’est regrettable, mais j’espère que nous pourrons malgré tout travailler ensemble de façon constructive et transpartisane.

Mme la présidente Lisa Belluco. S’il vous plaît, il ne nous reste que peu de temps.

M. Julien Rancoule (RN). Ma question s’adresse plus précisément à monsieur Sergent, et porte sur les technologies radio que vous utilisez. Quel est votre point de vue sur le réseau radio du futur qui fera prochainement son apparition ? Va-t-il selon vous entraîner un changement dans vos habitudes de travail ?

M. Yannick Chenevard. Merci madame la présidente, monsieur le rapporteur, mes chers collègues. Il ne s’agit pas d’une question, mais plutôt d’une information, afin de répondre à la proposition de M. de Saint-Pol sur les correspondants défense. La proposition de loi n° 1146, en cohérence avec la loi Matras qui créait les correspondants incendie secours, propose de s’appuyer sur l’existant pour créer des référents sécurité civile.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci. Il y a finalement peu de questions auxquelles répondre, je vous laisse donc apporter les réponses que vous souhaitez, puis chacun pourra formuler un mot de la fin.

M. Pierre Charzat. Je vais répondre au nom de l’ordre de Malte France, en commençant par vous remercier de nous avoir conviés aujourd’hui. Nous avons évoqué la question de notre modèle économique, je ne souhaite pas revenir sur le sujet des subventions étatiques que touchent nos associations, mais simplement indiquer que j’ai reçu, la semaine dernière, le courrier me notifiant de 1 000 euros de subvention.

Il est régulièrement demandé aux associations agréées de sécurité civile de mettre des moyens au service de la modernisation, des outils digitaux, pour ce qui concerne notamment la dématérialisation des fiches bilan. Ce type d’outils représente un coût excessif pour nous et nous sommes contraints d’effectuer ces investissements sans pour autant bénéficier de l’accompagnement financier adapté. Vous faisiez précédemment référence aux normes encadrant les véhicules de premiers secours à personne, qui nous contraignent également à renouveler notre parc de véhicules. Tous ces sujets démontrent que les associations ont besoin d’être mieux soutenues financièrement.

M. Jean-François Sergent. Je vais répondre à la question du député, qui nous concerne particulièrement, concernant le réseau du futur au sujet duquel j’ai participé à des tables rondes. Du point de vue de l’administration, il s’agit du réseau parfait, et il l’est effectivement en théorie. Mais j’estime modestement que nous conservons toute notre utilité en cas d’incident, comme peut le laisser penser la survenue récente de plusieurs événements au cours desquels la technologie s’est trouvée entravée. Le colonel Bertrand Kaiser, qui dirige le programme « réseau radio du futur », m’a indiqué, au cours d’un échange, que la partie résilience en cas de survenue d’une panne était prévue par l’appel d’offres. Nous nous tenons malgré tout toujours à disposition, avec un certain sourire.

M. François-Xavier Volot Delaunay. Ce sujet du réseau radio du futur apparaît comme un nouvel exemple du manque de reconnaissance à notre égard. La protection civile n’a en effet été informée ni sur les coûts, ni sur la question de la compatibilité ; or, nous avons également besoin du réseau radio et ce manque d’information est regrettable.

Je vous adresse tous mes remerciements pour cette invitation aujourd’hui, et je terminerai en reprenant les mots d’un ancien président de la protection civile, qui disait que nous sommes « les Kleenex de la République ». J’espère que grâce à votre travail, et je vous remercie une nouvelle fois de nous avoir accueillis, nous pourrons devenir plutôt les couteaux suisses de la République, ce que nous sommes dans les faits sans être encore reconnus comme tels. Nous avons la chance d’avoir, en France, un modèle qui fonctionne à plusieurs égards. Nous recrutons notamment chaque année 6 % de bénévoles supplémentaires, des personnes engagées, jeunes ou moins jeunes, provenant de toutes catégories socioprofessionnelles, et nous demandons seulement un peu plus de reconnaissance pour nous permettre de faire ce que nous savons faire, avec plaisir.

M. Jean-François Sergent. Vous nous avez précédemment interrogés sur les modèles étrangers qui pouvaient nous inspirer. La première prise de contact que nous avons effectuée auprès de nos homologues belges, anglais et italiens a été interrompue lorsque nous avons été informés par leurs autorités qu’une rencontre ne pourrait se faire que sous l’égide de nos États. Nous souhaitons donc vous demander d’organiser une rencontre. Les Allemands estiment par exemple que notre forte dépendance à l’État rend nécessaire le fait qu’il soit à l’origine d’une éventuelle entrevue. Nous souhaitons vivement qu’une telle rencontre puisse avoir lieu, car nous pourrions trouver des complémentarités au sein de nos différents modèles, bien qu’ils soient moins attachés que nous à un système pyramidal.

M. François Richez. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, messieurs les députés, je souhaite tout d’abord vous adresser mes remerciements pour cette audition. La sécurité civile, ce sont 450 000 personnes, dont 250 000 pompiers volontaires et professionnels et près de 200 000 bénévoles. Loin d’être distincts, ils sont les deux piliers qui concourent à cette belle maison qu’est la sécurité civile, et je ne peux que défendre l’impérieuse nécessité de pérenniser cet engagement citoyen qui est la clé de voûte de notre nation. Nous sommes, comme l’a dit M. Volot, les couteaux suisses de la République. Répondant présents à chaque crise, nous savons nous adapter, faire preuve d’agilité et d’innovation, et j’identifie trois axes majeurs qui nous permettront de continuer. Je pense tout d’abord aux actions flash, qui peuvent être menées à court terme autour de sujets tels que le CPF et le pacte capacitaire ensuite, autour des investissements structurants et innovants, avec une vision de long terme et, enfin, et c’est ce à quoi je suis le plus attaché, à la reconnaissance de nos bénévoles. Je vous remercie.

M. Stéphane Voisin. Je ne peux qu’approuver les propos qui ont été tenus concernant la reconnaissance de nos bénévoles, qui passe par l’action, par l’engagement et par des signaux forts de la part de la société. Il me semble fondamental de compléter ce parcours de vie, qui concerne les gestes qui sauvent, mais qui pourrait aussi concerner le fait de se préparer. Nous sommes conscients des évolutions sociétales et environnementales à venir et, en nous y préparant, nous créerons les conditions d’une société plus résiliente face aux crises. Nos bénévoles répondront toujours présents en ce qui concerne la prévention, la formation aux gestes qui sauvent, et pourront mettre un véritable parcours de résilience au service de la population.

M. Yann de Saint-Pol. Nous vous remercions tout d’abord pour votre écoute, et nous sommes certains d’avoir été entendus. Tout comme je l’ai fait dans mon propos liminaire, je souhaiterais étendre ma conclusion au niveau européen. Nous avons plusieurs fois été amenés à projeter des unités, ou des secouristes, sur des catastrophes survenues à l’étranger. Je pense au tremblement de terre en Italie, ou à d’autres grandes manifestations à l’étranger. Nous sommes aujourd’hui dans l’incapacité d’accueillir des secouristes étrangers, bien que nous ayons pu constater combien le secours de victimes étrangères lors de grandes manifestations, dans leur langue, améliore la prise en charge. Et si vous me permettez ce jugement de valeur, je pense que nous manquons une très belle opportunité avec les Jeux olympiques.

Mme la présidente Lisa Belluco. J’en prends note. Merci à vous six pour vos contributions. Je profite de cette conclusion pour rebondir sur la suggestion de comparaison entre les modèles européens, à laquelle nous attachons également de l’importance, et pour vous faire savoir que nous avons prévu de nous rendre prochainement au Portugal et en Italie afin d’échanger sur ces deux modèles. Nous avons notamment pu consulter, via le Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), divers parlements européens et même celui du Canada sur leurs modèles de sécurité civile. Il nous semble donc réellement important de comparer notre modèle à ceux qui existent en Europe, voire dans d’autres parties du monde.

Je vous adresse mes remerciements pour toutes vos contributions. Comme l’a indiqué le rapporteur, vous pouvez les enrichir par écrit, je crois d’ailleurs que certains l’ont déjà fait – vous l’avez indiqué, monsieur Sergent. Toutes vos contributions orales et écrites seront évidemment prises en compte pour la réalisation de notre rapport. Il me reste à vous souhaiter une bonne fin de journée.


Table ronde d’associations agréées de sécurité civile

Compte rendu de la table ronde d’associations agréées de sécurité civile
(mercredi 29 novembre 2023)

Mme la présidente Lisa Belluco. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, chers collègues, nous concluons cet après-midi d’auditions par une dernière table ronde regroupant des associations agréées de sécurité civile. Il s’agit de la troisième table ronde, marquant ainsi la fin de notre troisième cycle d’auditions consacré aux associations et aux professionnels de la sécurité civile.

Nous avons le plaisir d’accueillir M. Christian Amiet, référent urgence du Secours catholique ; M. Marc Sauvagnac, directeur général de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) ; M. Bernard Tourte, président de Spéléo secours français (SSF) ; M. Jean-Luc Buccino, président de l’Union nationale des associations des secouristes et sauveteurs (Unass), accompagné de M. Philippe Loubière, directeur des opérations, et de Mme Millet, secrétaire nationale ; Mme Élodie Boileau, présidente de l’Association des volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (Visov), accompagnée de Mme Julie Duchalais, qui en est vice-présidente.

Comme je l’avais indiqué aux représentants d’associations qui vous ont précédés, il nous a semblé important de vous associer à nos réflexions sur le modèle français de sécurité civile, auquel vous participez activement. Votre expérience sur le terrain, vos connaissances des besoins locaux et votre expertise dans la gestion des risques sont précieuses pour enrichir notre analyse.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de rappeler brièvement le cadre de fonctionnement de notre mission d’information. Celle-ci regroupe 25 députés représentant l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée. Mon collègue Didier Lemaire, présent à mes côtés, en est le rapporteur, et j’assume la présidence de cette mission. Je tiens à informer l’ensemble des participants que nos échanges seront enregistrés et disponibles sur le site internet de l’Assemblée nationale. De plus, un compte rendu détaillé sera rédigé et annexé au rapport final qui sera présenté dans les prochains mois.

Sans plus tarder, je cède la parole à notre rapporteur.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Dans un premier temps, pourriez-vous présenter vos associations respectives et évoquer les missions qui vous incombent, que ce soit dans le domaine de la sécurité civile, de la protection civile, voire des deux ?

M. Christian Amiet, référent urgences du Secours catholique. Je suis actuellement bénévole en tant que référent urgences au sein du Secours catholique. Notre association a pour vocation d’apporter assistance aux plus démunis. Dans le cadre des situations d’urgence, notre mission principale consiste à soutenir la population durant la phase post-urgence. Ainsi, notre action se déploie une fois que les populations sont en sécurité.

Nous collaborons étroitement avec les maires, qui jouent un rôle central dans le dispositif post-urgence. Concrètement, notre action se matérialise par des visites à domicile auprès des personnes sinistrées, où nous offrons notre écoute, notre réconfort, et éventuellement une assistance matérielle.

Le Secours catholique compte 70 délégations qui couvrent l’ensemble des départements. Au total, notre association mobilise 60 000 bénévoles, bien que tous ne soient pas impliqués dans les actions d’urgence. Un département d’urgence est spécifiquement dédié à ces questions ; il est dirigé par une salariée occupant la fonction de directeur du département. Les autres bénévoles sont mobilisés en fonction des besoins, et une cinquantaine de cadres ont été formés pour superviser nos différents dispositifs d’urgence.

M. Marc Sauvagnac, directeur général de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). La SNSM, fondée en 1967, résulte de la fusion de deux sociétés bénévoles créées au XIXe siècle, consacrées au sauvetage en mer. Elle exerce deux principales activités : la première d’entre elles est le sauvetage en mer, qui repose sur 208 stations réparties en métropole et en outre-mer, intervenant sous la coordination des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (Cross) et des préfets maritimes, opérant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, tout au long de l’année. Une deuxième activité est la surveillance des plages. Nous surveillons 20 à 30 % des plages françaises pendant la saison estivale grâce au recrutement de jeunes saisonniers.

La SNSM compte 9 000 bénévoles, répartis entre les stations de sauvetages et les 32 centres de formation qui disposent des agréments A, B, C et D. En contrepartie de ces agréments, la SNSM assure des dispositifs régionaux de secours lors de manifestations publiques. Ces interventions se présentent sous la forme de prestations, comme le font la plupart des organismes de sécurité civile. Il est à noter que notre effectif salarié est composé de 125 collaborateurs.

M. Bernard Tourte, président du Spéléo secours français (SSF). Le Spéléo secours français est constitué d’une commission technique relevant de la Fédération française de spéléologie, qui compte 7 200 adhérents. Le Spéléo secours français réunit 1 900 sauveteurs. Ces derniers, membres de la fédération, se sont engagés dans une formation spécialisée de sauveteur à l’échelon départemental. Au niveau départemental, nous disposons de 52 sections du Spéléo secours français, dirigées par un conseiller technique départemental, accompagné d’adjoints nommés par le préfet en tant que conseillers techniques. Ils coordonnent l’ensemble des opérations souterraines lorsqu’une intervention est déclenchée dans un département donné.

Notre commission mène également une action soutenue dans le domaine de la formation, avec la mise en place de divers stages. Par ailleurs, nous nous consacrons à des recherches visant à développer de nouvelles techniques, que ce soit dans le domaine de la communication ou des systèmes de civière spécifiques adaptés au milieu souterrain. Une particularité de notre agrément réside dans sa nature exclusive en tant qu’agrément de type secours, excluant toute activité commerciale, de prévention ou de formation. En conséquence, nos ressources sont extrêmement limitées, dépendant essentiellement du ministère de l’intérieur au niveau national, et des instances départementales.

Notre activité ne se limite pas au secours, mais s’étend également aux activités de la gendarmerie. Nous sommes en mesure d’intervenir dans le cadre d’opérations judiciaires pour apporter notre assistance dans des enquêtes souterraines ou dans la recherche d’éléments, notamment en cas de disparition de personnes. De plus, nous pouvons intervenir à la demande d’un procureur pour la récupération de corps, particulièrement dans des opérations de plongée souterraine.

M. Jean-Luc Buccino, président de lunion nationale des associations des secouristes et sauveteurs (Unass). Un bref historique s’impose pour comprendre notre origine. Notre association a vu le jour, sous une forme ancienne, en 1966, au sein de l’administration des Postes et télécommunications (PTT), symbolisée par la couleur orange associée à La Poste. Dans notre ancienne dénomination, notre objectif initial était de promouvoir le secourisme au sein de cette administration. Très rapidement, grâce à l’appui des directions de La Poste et des télécommunications de l’époque, ainsi que du ministère de tutelle, notre association a connu un essor notable. À cette époque, alors que le ministère des PTT existait toujours, nous avons ressenti la nécessité de créer une union nationale pour fédérer l’ensemble de ces associations.

Progressivement, nous avons élargi notre champ d’action, passant de la formation aux missions de sécurité civile. Nous avons également élargi notre public cible, passant des postiers et des télécommunications à tous les citoyens français. Aujourd’hui, l’Unass est une structure associative ouverte à tous, véhiculant des valeurs d’entraide et agissant quotidiennement, avec ses 3 000 bénévoles issus des 20 000 adhérents que nous comptons. Nous intervenons sur l’ensemble du territoire français, y compris les départements d’outre-mer, avec 55 délégations ou associations territoriales qui couvrent l’ensemble du territoire. Ces délégations peuvent être monodépartementales ou pluridépartementales, ce qui soulève parfois des problématiques liées à l’agrément formation.

Nous sommes agréés pour la formation au premier secours, certifiés Qualiopi, et nous formons et sensibilisons 25 000 personnes par an à la prévention des risques et aux gestes qui sauvent. En tant qu’acteurs de la sécurité civile, nous mobilisons nos équipes aux côtés des secours publics pour mettre en place des dispositifs prévisionnels de secours, participer aux opérations de secours aux personnes et intervenir dans des plans d’aide et de soutien aux populations.

Mme Élodie Boileau, présidente de lAssociation des volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (Visov). Notre association, créée en janvier 2014, est la première communauté virtuelle francophone de volontaires spécialisés dans la gestion d’urgence et de crise en matière de sécurité civile. Nous regroupons environ une centaine de bénévoles répartis sur l’ensemble du territoire de la France métropolitaine. Nos membres exercent des missions liées, ou non, à la gestion de crise.

Notre mission principale consiste à promouvoir activement l’utilisation accrue des médias sociaux dans le domaine de la gestion d’urgence – terme également connu sous l’acronyme MSGU. Il s’agit de la prise en compte des réseaux sociaux et de l’information dispensée sur ces plateformes par les gestionnaires de crise et les services d’urgence. Cette approche vise à faciliter le dialogue avec les citoyens et à recueillir des informations utiles en gestion de crise, contribuant ainsi aux outils d’aide à la décision.

En tant qu’association numérique, nous collaborons étroitement avec les préfectures, les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et les centres opérationnels institutionnels en France, ainsi qu’à l’échelle internationale dans la francophonie. Nous avons également établi des conventions en Belgique, au nombre de trois. Notre rôle consiste à apporter un regard expert sur l’utilisation des médias sociaux aux gestionnaires de crise, tout en assurant une liaison essentielle avec les citoyens qui peuvent parfois éprouver des difficultés à trouver des informations fiables parmi celles diffusées par les institutions. En offrant des conseils avisés, nous les orientons vers les sources d’information officielles et contribuons ainsi à l’adoption de comportements adéquats en situation de crise.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Disposez-vous d’une estimation du nombre de bénévoles engagés à l’échelle nationale, en prenant en compte également ceux qui sont présents dans les départements ultramarins ? Par ailleurs, pourriez-vous nous exposer les principales difficultés auxquelles vous faites face, que ce soit en matière de recrutement ou de fidélisation des bénévoles, et évoquer également les défis budgétaires qui s’imposent à vous ?

M. Christian Amiet. Abordons d’abord la question budgétaire, car le Secours catholique ne bénéficie d’aucune subvention. En effet, son financement repose entièrement sur des dons, ce qui constitue un avantage, mais aussi une contrainte. S’agissant de votre question sur le bénévolat, notre particularité réside dans le fait que tous les bénévoles du Secours catholique exercent par ailleurs des activités autres que l’urgence. En réalité, nos équipes sont mobilisées uniquement en cas de catastrophe, et ne se consacrent ainsi pas à des missions d’urgence au quotidien, telles que le dispositif prévisionnel de secours (DPS) ou le secourisme.

Il devient donc complexe de quantifier le nombre de bénévoles impliqués dans l’urgence, car cela peut varier considérablement. Actuellement, nous achevons un dispositif en Charente, mobilisant une vingtaine de personnes. Cependant, dans des contextes plus étendus dans le temps, comme cela a été le cas à Saint-Martin après le cyclone, où l’intervention s’est étendue sur trois ans, le nombre de participants a pu atteindre jusqu’à 150 personnes, voire davantage. Si l’on agrège l’ensemble de ces interventions sur des périodes prolongées, les chiffres peuvent paraître impressionnants. Toutefois, il convient de noter la difficulté à établir des comparaisons avec d’autres associations œuvrant spécifiquement dans l’urgence et l’aide au dispositif public.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Permettez-moi d’ajouter un élément à votre description. Pourriez-vous également, dans vos réponses, aborder le sujet du maillage territorial ?

M. Christian Amiet. J’ai évoqué précédemment nos 70 délégations, lesquelles étendent leur présence à la métropole ainsi qu’aux départements d’outre-mer. Tout comme d’autres associations, nos délégations peuvent soit couvrir un seul département, soit englober plusieurs départements. À un niveau supérieur, nous disposons d’échelons régionaux qui correspondent précisément aux régions économiques. Enfin, le siège et la direction centrale sont établis à Paris.

M. Marc Sauvagnac. Plusieurs interrogations ont été soulevées concernant le bénévolat au sein de la SNSM. Nous distinguons deux types de bénévolat : celui exercé dans les stations de sauvetage et celui des secouristes en général. En ce qui concerne le recrutement de bénévoles, nous ne rencontrons pas de difficultés particulières, surtout pour les sauveteurs embarqués. La spécificité de la SNSM réside dans le caractère hautement qualifié de son bénévolat, nécessitant des compétences spécifiques. Ces dernières années, nous avons œuvré à l’homologation de l’ensemble de nos parcours de formation, désormais intégrés au répertoire national des certifications professionnelles pour les sauveteurs embarqués. De même, pour les jeunes, un parcours comprenant six diplômes reconnus a été mis en place, facilitant leur recrutement.

Cependant, des défis administratifs et d’agrément pèsent sur nos associations. Les démarches administratives, notamment les dépôts des qualifications de premiers secours effectués au niveau départemental plutôt que national, représentent une complexité supplémentaire. Il serait avantageux d’avoir un dépôt national suivi d’une liste déposée dans chaque préfecture, évitant ainsi des démarches répétitives dans chaque département.

Concernant le recrutement de saisonniers, nous observons des inquiétudes, mais celles-ci vont au-delà du cadre de la sécurité civile. La fidélisation des jeunes bénévoles représente également un défi, et une reconnaissance accrue de leur engagement pourrait contribuer à améliorer cette situation.

En ce qui concerne la surveillance des plages, les années à venir suscitent des inquiétudes, notamment en raison du départ annoncé des CRS et des événements climatiques qui impactent les plages. Les Jeux olympiques de 2024 ont également mobilisé de nombreuses associations en réponse à l’appel d’offres du comité d’organisation.

Concernant le financement de la SNSM, 71 % proviennent du privé pour le fonctionnement, tandis que pour les investissements, cette proportion s’élève à environ 60 % de l’ensemble, avec une contribution importante des départements et des régions pour le financement des bateaux et des infrastructures.

M. Bernard Tourte. Je commencerais par le volet relatif à la fidélisation des bénévoles, un aspect que je n’ai pas abordé précédemment en détaillant notre organisation. Le démarrage de notre engagement dans le secours spéléo remonte aux années 1955, et depuis 1977, la Fédération détient un agrément du ministère de l’intérieur ; il s’agit d’un engagement que nous avons toujours tenu à préserver. Cette implication dans le secours et le sauvetage souterrains est profondément ancrée dans l’esprit de tous nos adhérents. Ils comprennent que demain, c’est peut-être l’un d’entre eux qui sera confronté à un accident et devra compter sur ses pairs pour être secouru. De plus, cette valeur ajoutée contribue à la compétence de tous nos pratiquants, et elle est cruciale pour maintenir l’accès libre aux cavités, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays européens, qui rencontrent des difficultés à organiser les secours en milieu souterrain.

Cependant, depuis une quinzaine d’années, nous éprouvons des difficultés dans notre relation avec les sapeurs-pompiers. Ces derniers ont développé des équipes spécialisées en milieu souterrain, générant des frictions dans certaines régions. Ce doublonnage, soulevé dans le rapport de la commission de l’inspection générale de l’administration (IGA) en 2012, persiste et s’intensifie. Cette situation a un impact sur la fidélisation de nos membres, qui commencent à s’interroger sur la pertinence de leur investissement bénévole.

Un autre défi est lié à la dualité financière avec les sapeurs-pompiers. Les directeurs de SDIS argumentent souvent qu’ils financent déjà une équipe de sapeurs-pompiers, ne justifiant pas un soutien financier supplémentaire à une association de sécurité civile. Actuellement, sur 52 départements où nous disposons d’un agrément de sécurité civile, seulement 14 ont une convention financière, laissant 36 départements sans ressource financière.

Sur le plan financier, nos bénévoles supportent eux-mêmes les coûts liés à l’acquisition et au renouvellement de leur matériel personnel, devenant onéreux avec la spécialisation accrue. Pour fonctionner au niveau national et départemental, nous estimons avoir besoin d’une enveloppe de 300 000 euros, mais actuellement, nous n’avons que 20 à 30 % de cette somme grâce au soutien de quelques départements.

Enfin, en ce qui concerne le maillage territorial, notre présence couvre la région Alsace, la zone alpine, les Cévennes, l’Aveyron, les Pyrénées et la Gironde, englobant toutes les zones à risque majeur. Nous intervenons également dans des zones minières du nord de la France et disposons d’équipes capables de fournir des conseils et de se déplacer.

M. Jean-Luc Buccino. Le recrutement et la fidélisation des bénévoles se révèlent de plus en plus difficiles. Globalement, nous avons enregistré une baisse d’environ 20 % de nos effectifs de bénévoles à la suite de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Malgré la forte mobilisation de nos bénévoles pendant cette période critique, nous avons donc essuyé des pertes. Dès lors, il devient impératif de concentrer nos efforts sur la fidélisation de nos bénévoles.

Nous avons mis en place divers dispositifs pour y parvenir, comme me fait de proposer des formations initiales ou continues gratuites. De plus, nous prenons en charge la tenue opérationnelle de nos bénévoles, estimant inopportun de leur imputer ces coûts. Certaines associations proposent des chèques déjeuner pour les bénévoles, remboursent les frais de repas durant les missions, et offrent des déductions fiscales ou des remboursements de frais de déplacement. Des initiatives telles que des chèques de Noël, des animations, et la participation à des événements attractifs ont également été instaurées.

Nous avons des accords avec des partenaires prestigieux, comme le circuit du Mans avec l’Automobile club de l’Ouest (ACO), pour couvrir d’importantes manifestations. Par ailleurs, nous serons présents aux Jeux olympiques, au sein d’un groupe comprenant la Croix-Rouge, la Croix-Blanche, l’Ordre de Malte et l’Unass, notre association mobilisant ainsi ses secouristes.

En outre, des distinctions internes, telles que l’étoile civique, sont décernées. Toutefois, aucun membre de l’Unass n’a été promu dans l’ordre national du mérite ou de la Légion d’honneur en raison de ses activités bénévoles au sein de l’association.

Nous appelons à de nouvelles mesures incitatives en faveur de la sécurité civile, en particulier l’octroi de trimestres de retraite supplémentaires, la réduction d’impôts, l’augmentation des contingents de décorations pour les associations de sécurité civile, la simplification des dossiers de candidature, et d’éventuelles incitations fiscales pour les entreprises libérant des salariés pour des missions de sécurité civile.

Concernant le financement de notre structure, nos recettes jusqu’à la fin de l’année proviennent principalement de deux sources : les prestations que nous vendons conformément à la loi de 2004 sur la modernisation de la sécurité civile et les subventions versées par notre administration de tutelle, en voie de disparition en 2024. Ce changement imposera une transformation majeure de notre modèle économique, d’autant plus que nous n’avons que très peu recours aux subventions, à l’exception d’une subvention de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) de l’ordre de 2 000 euros annuels ainsi que des subventions exceptionnelles reçues durant la période de la Covid-19.

En ce qui concerne le maillage territorial, nos associations, qu’elles soient monodépartementales ou pluridépartementales, ne rencontrent aucune difficulté dans le cadre de l’agrément de sécurité civile. En revanche, l’agrément formation, caractérisé par une double procédure d’agrément national puis départemental, pose des défis. Cette double démarche, outre son aspect redondant, complique le développement de formations au premier secours dans les départements où nous exerçons nos missions. Nous préconisons donc l’alignement de l’agrément formation sur les mêmes modalités que l’agrément de sécurité civile, garantissant une plus grande flexibilité et une réponse adaptée aux besoins territoriaux.

Mme Élodie Boileau. Pour répondre à votre question sur le recrutement, nous ne rencontrons pas de difficultés particulières dans ce domaine. Les missions que nous proposons sont en phase avec les tendances actuelles, attirant un nombre croissant de profils spécialisés. Nous observons même une augmentation des candidatures de personnes ayant approfondi la recherche en source ouverte des données de renseignement (Osint) et qui poursuivent leur engagement dans le domaine de la sécurité civile. L’émergence des médias sociaux dans la gestion d’urgence, la gestion de crise et la gestion des risques a également suscité l’intérêt de professionnels qui rejoignent nos rangs.

Nous accueillons tous les ans une dizaine de nouveaux membres, qui sont soumis à des tests de sélection rigoureux pour s’assurer de leurs compétences. Néanmoins, la fidélisation des bénévoles représente un défi, accentué depuis la crise de la Covid-19. Notre domaine d’activité, où l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle est prépondérant, peut conduire à une usure rapide, en particulier chez ceux qui peinent à « déconnecter ». Nous avons constaté une différence significative avant et après la pandémie, notamment lors des week-ends, jours fériés et vacances scolaires, où la question de la disponibilité des bénévoles est plus complexe.

Dans le but de remobiliser nos bénévoles, nous mettons en œuvre des actions motivantes. L’obtention de l’agrément de sécurité civile en juillet dernier a notamment redonné du sens à l’engagement de certaines personnes au sein de l’association. Nous encourageons également la motivation par la mise en place d’un maillage territorial avec des correspondants locaux agissant au niveau des zones de défense et de sécurité. Ces correspondants sont chargés d’établir le contact avec les préfectures, de répondre aux demandes de présentation sur le territoire, et d’organiser des exercices. Cette approche tangible renforce la motivation en offrant des résultats concrets.

En ce qui concerne les aspects budgétaires, notre financement repose principalement sur les cotisations de nos adhérents, avec une adhésion individuelle fixée à 20 euros par an. Pour les institutions partenaires, une adhésion facultative est proposée, équivalente à dix fois le montant de l’adhésion individuelle, soit 200 euros par an. Par ailleurs, nous bénéficions d’une subvention dans le cadre de nos missions de sécurité civile, délivrée par la DGSCGC. Cette subvention, alliée à notre approche pragmatique des dépenses, nous permet de développer des projets solides, tout en restant conscients de la nécessité de diversifier nos sources de financement.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous en êtes la démonstration même : les associations agréées au sein du modèle de sécurité civile français forment un panel varié. J’aurais souhaité recueillir vos impressions sur les relations que vous entretenez avec vos autres partenaires au sein de ce modèle.

M. Christian Amiet. Les relations en dehors des dispositifs de secours sont excellentes. Nous participons activement au Conseil national de la protection civile (CNPC), où nous collaborons avec des associations agréées de sécurité civile ainsi qu’avec des associations non agréées, mais qui peuvent intervenir dans le cadre des dispositifs de secours ou de soutien à la population. Sur le terrain, notre objectif est toujours d’assurer une coordination optimale de l’ensemble des associations présentes, en vue du soutien aux populations, sous l’autorité du maire, voire du préfet lorsque la cellule a été mise en place. Cette coordination vise à éviter les concurrences, car sur le terrain, rien n’est plus contre-productif. Chaque association a son domaine de prédilection, et il est essentiel de travailler dans le cadre défini. Je dois souligner qu’au niveau local, sur les gros dispositifs, nous n’avons aucun problème, et la collaboration fonctionne de manière efficace.

M. Marc Sauvagnac. En ce qui concerne la SNSM, sur le plan opérationnel, nous n’entretenons pas de relations particulières avec les autres associations de sécurité civile. Néanmoins, nous faisons partie du CNPC, avec lequel nous entretenons de bonnes relations. Nous ne sommes toutefois pas impliqués dans des réponses à des crises, sauf de manière ponctuelle dans le cadre de la pandémie, en fournissant un accompagnement aux personnes malades dans les TGV médicalisés ou en apportant une aide aux populations. Cependant, cela n’a pas nécessité une coordination sur le terrain, car notre domaine d’intervention est centré sur le sauvetage en mer à partir de nos stations, ainsi que sur la formation de nos jeunes pour l’expérience en milieu maritime. En ce qui concerne les prestations DPS, chacun opère indépendamment, et il n’y a pas de nécessité de coordination.

M. Bernard Tourte. Permettez-moi d’apporter un complément sur la question des finances, qui a été évoquée précédemment. J’ai omis de mentionner qu’au sein de la fédération et du Spéléo secours français, nous n’avons aucun salarié. Ainsi, notre organisation et notre fonctionnement reposent entièrement sur le bénévolat.

Un autre aspect financier qui a suscité notre stupéfaction concerne la période de la Covid-19, comme cela a été abordé par d’autres intervenants. Malgré le déblocage de fonds conséquents pour aider les associations de sécurité civile, nous avons mis à disposition, dans chaque département, des lots comprenant tous les équipements nécessaires pour nos sauveteurs en cas d’alerte liée à la Covid-19. Malgré cela, nous n’avons reçu aucune aide financière, ce qui a été particulièrement déconcertant.

Pour revenir aux liens avec les différents acteurs, au niveau national, notre principal interlocuteur demeure la DGSCGC, avec laquelle nous sommes conventionnés depuis 1977, sous l’égide du ministère de l’intérieur. Toutefois, depuis notre réaffectation sous la bannière du directeur des services de secours et d’incendie, nos problèmes se sont accentués. À chaque fois que nous faisons part de nos difficultés sur le terrain, la réponse récurrente est que les établissements autonomes ont une certaine latitude décisionnelle, limitant ainsi l’aide potentielle de la DGSCGC. C’est dans ce contexte que nous avons sollicité une entrevue avec M. Julien Marion, le nouveau directeur général, pour discuter de cette problématique. Nous espérons pouvoir échanger avec lui dans les prochaines semaines.

Nous sommes par ailleurs membres du CNPC. Nos liens sont variables en fonction des départements où nous exerçons notre activité opérationnelle. Évidemment, nos conseillers techniques entretiennent des relations plus ou moins étroites avec les SDIS, ainsi qu’avec les SAMU, régulateurs dans le cadre d’interventions nécessitant une médicalisation. Un lien est également établi avec la gendarmerie nationale, que ce soit dans des missions judiciaires ou dans le cadre d’opérations de secours et de déclenchement d’organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC). Selon les départements, des liens peuvent également être noués avec d’autres associations de sécurité civile. En Haute-Savoie, par exemple, nous collaborons avec la Croix-Rouge pour la mise en place de points médicaux avancés (PMA) lors de nos interventions. Dans les reliefs montagneux, l’association départementale des radioamateurs au service de la sécurité civile (Adrasec) facilite les communications de surface, toujours compliquées à mettre en œuvre.

Il arrive que des liens plus atypiques se forment, comme dans le cas de collaborations avec l’ARS en cas de problèmes de risque de pollution d’une réserve d’eau souterraine captée pour l’alimentation la population.

Ces trois dernières années, nos liens avec le service central des armes et des explosifs (SCAE), se sont intensifiés. Nous participons activement à la révision du certificat de préposé au tir, qui évoluera vers un nouveau titre comprenant un tronc commun et des spécialisations, dont une spécialité secours souterrain que nous organiserons.

Par ailleurs, nos relations avec la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) se concrétisent par une convention au niveau national. Ces diverses collaborations nous amènent à nous questionner sur la légitimité de notre place, notamment quant à notre rattachement à une simple direction des sapeurs-pompiers traitant essentiellement de l’aspect secours. En réalité, notre activité englobe un spectre bien plus large, incluant la prévention, la recherche, et le développement dans le domaine souterrain. Cette interrogation sera l’un des points que nous souhaiterions évoquer avec M. Marion.

M. Jean-Luc Buccino. À l’échelle nationale, nous collaborons étroitement avec l’ensemble des autres associations de sécurité civile, comme évoqué précédemment avec la Croix-Blanche, la Croix-Rouge et l’Ordre de Malte. Nous avons instauré le groupement solidaire dans le but de fédérer nos ressources, nos compétences, et de répondre aux besoins en DPS des Jeux olympiques de Paris 2024. Cependant, ce groupement aspire à aller au-delà de cet événement en développant des synergies entre nos associations.

Sur le terrain, nos associations territoriales travaillent depuis longtemps en collaboration avec d’autres, que ce soit dans le cadre de dispositifs mis en place par les préfectures ou lors de DPS liés à des événements d’envergure. Nous avons l’habitude de coopérer et de participer aux exercices de diverses natures, souhaitant que cette participation soit systématique et que nous soyons invités de manière régulière par les préfectures. Cette pratique s’avère cruciale pour maîtriser les dispositifs, comprendre les rôles des différents acteurs, et préparer chacun à collaborer efficacement en cas de crise. Il serait bénéfique de généraliser cette approche.

En tant que membres du conseil national de la protection civile, je siège au conseil d’administration aux côtés du préfet Gilles Barsacq et du général Joël Prieur, qui en est le secrétaire général. Côté pouvoirs publics, nous entretenons des relations régulières et fructueuses tant au niveau national, avec la DGSCGC, qu’au niveau territorial, avec les services déconcentrés de l’État, le préfet, les SAMU, et les élus locaux. Il est primordial de poursuivre et de renforcer ces relations, d’être présent sur le terrain, de se connaître mutuellement, afin de pouvoir agir de manière efficace en cas de crise et de mobilisation inter-services ou inter-associations.

Mme Élodie Boileau. Nous avons établi un partenariat significatif avec la Fédération nationale des radioamateurs au service de la sécurité civile (FNRASEC) en 2022, distinguant notre association par sa spécificité dans le domaine des réseaux numériques. La particularité de notre démarche réside dans notre anticipation en cas de défaillance de ces réseaux. Dans cette optique, nous avons mis en place un protocole spécifique pour les membres du conseil d’administration afin de garantir la continuité de nos activités, même en cas de perte de télécommunications. Par ailleurs, nous avons sensibilisé d’autres associations de sécurité civile (ASC) à la gestion d’urgence via les médias sociaux lors du congrès de la Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS) et de la protection civile. Notre objectif est de promouvoir la présence des ASC sur les réseaux sociaux, et nous encourageons cette doctrine au sein de notre organisation. À leur échelle, nos bénévoles, outre leur engagement sur le terrain avec des partenaires tels que la Croix-Rouge, la FNRASEC ou la protection civile, jouent un rôle numérique en utilisant leurs smartphones pour travailler en collaboration avec nous.

En ce qui concerne nos relations avec les organismes ministériels et autres, nous collaborons étroitement avec le Cogic, accédant directement à la salle de crise pour remonter les informations relatives aux réseaux sociaux et à la Cellule ministérielle de veille opérationnelle et d’alerte (CMVOA). Nous travaillons également en étroite collaboration avec les préfectures au niveau départemental, que ce soit en situation de crise ou lors d’exercices. Nos formations, notamment dispensées aux cadres du centre de traitement des appels (CTA), ciblent les risques associés aux réseaux sociaux. Nous soulignons l’importance de cette sensibilisation, comme illustré par l’exemple de la catastrophe de Brétigny en 2013, où la première photo a été diffusée sur les réseaux sociaux seulement trois minutes après l’appel au centre opérationnel départemental d’incendie et de secours (Codis).

L’évolution des pratiques sociales, comme observé avec l’incident de Lubrizol, nous a amenés à intégrer ces spécificités dans nos exercices, parfois sollicités par les préfectures. Nous simulons ainsi la pression sur les réseaux sociaux pour mieux appréhender ces situations particulières, renforçant ainsi notre expertise dans ce domaine spécifique.

Mme la présidente Lisa Belluco. Au cours de nos précédentes auditions, nous nous sommes beaucoup interrogés sur l’acculturation de la population à la sécurité civile et il semblerait que, de manière générale, elle ne soit pas suffisamment sensibilisée à cette question. Êtes-vous, dans le cadre de vos missions, en relation avec les citoyens et les élus ? Estimez-vous que ces deux catégories de personnes sont suffisamment formées et sensibilisées aux questions de sécurité civile ? Si ce n’est pas le cas, quels efforts pourraient être déployés pour améliorer leur niveau de préparation ?

M. Christian Amiet. Concernant les exercices de sécurité civile, notre particularité réside dans le soutien aux populations. Les préfectures nous sollicitent fréquemment, mais elles n’organisent jamais d’exercices consacrés spécifiquement au thème du soutien aux populations. Cette tendance s’explique par le fait que les exercices se focalisent toujours sur la phase secours, négligeant la phase suivante. Cette approche peut être comprise en termes d’organisation et d’impact sur les populations, mais nous considérons qu’il serait intéressant, dans le cadre de la sensibilisation des populations, de considérer la question du soutien aux populations. Nous constatons que les populations les mieux sensibilisées sont celles qui sont régulièrement exposées au risque, comme c’est le cas dans le sud-est avec les incendies de forêt et les inondations qui affectent certaines régions. Ces populations sont acculturées, ce qui n’est en revanche pas le cas des territoires où de telles catastrophes n’ont pas lieu.

En ce qui concerne les élus, nous collaborons principalement avec les maires. Nous constatons une situation similaire avec les élus, qui sont souvent peu familiers des plans communaux de sauvegarde, même dans des communes où le risque est identifié et où des catastrophes ont déjà eu lieu. Un exemple actuel est celui du Pas-de-Calais, où la plupart des élus ne sont pas bien informés sur ces plans. Il existe un réel besoin de sensibilisation dans ce domaine. Par ailleurs, certains élus préfèrent ne pas aborder des risques tels que le nucléaire, ce qui complique la recherche des leviers appropriés pour sensibiliser à la fois les élus et la population à ce risque spécifique.

M. Marc Sauvagnac. De notre perspective, j’ai l’impression que les choses ont progressé. Localement, nous nous efforçons d’organiser des journées portes ouvertes pour sensibiliser la population, ainsi que des tournées des plages l’été afin d’embarquer tous les jeunes, en réalisant des démonstrations de premiers secours. Nous avons également signé une convention avec le ministère de l’éducation nationale pour favoriser un meilleur échange entre nos structures locales bénévoles et les écoles, collèges, et lycées. L’organisation de DPS dans les manifestations publiques est également une démonstration de ces activités. Cependant, bien que nos jeunes aient été formés dans les collèges et aient passé le PSC1 (prévention et secours civiques de niveau 1), nous avons le sentiment qu’il manque un suivi régulier et une mobilisation constante autour de ces questions.

Au-delà des premiers secours, qui sont sans doute l’aspect le plus développé de l’organisation de la gestion des risques en France pour le grand public, d’autres aspects, notamment la gestion des risques eux-mêmes, restent largement inconnus. En ce qui concerne les élus, nous les côtoyons principalement sur les plages, et il est regrettable de constater que tous ne sont pas conscients de leurs responsabilités. Ainsi, la formation des élus, évoquée dans le questionnaire écrit que vous nous avez adressé, constitue indéniablement un sujet crucial qui englobe divers thèmes et mérite une attention approfondie malgré sa complexité. Il est impératif de faire des progrès dans ce domaine.

M. Bernard Tourte. De notre côté, nous sommes évidemment conscients que, s’agissant de spéléologie, moins nous évoquons l’accidentologie, mieux c’est pour nous. Ainsi, nous nous efforçons de diffuser des messages de sensibilisation de manière transversale, en évitant autant que possible de les associer aux opérations de secours, qui, bien sûr, peuvent ternir l’image de notre activité. Généralement, les élus possèdent une bonne culture et une solide connaissance des risques, soit parce qu’ils ont été directement impliqués dans une opération de secours dans leur secteur, soit en raison de leur proximité avec de telles interventions, ce qui les a amenés à comprendre les difficultés et les conséquences qui en découlent.

Nos conseillers techniques du Secours spéléo français, intervenant sur tous les terrains de pratique, sont en contact avec les élus, favorisant ainsi un partage efficace des connaissances et des procédures à mettre en œuvre. En cas d’accident ou d’intervention en spéléologie, c’est immédiatement le préfet qui prend en charge la situation à travers le dispositif de secours en équipe cynotechnique. Le préfet devient alors le directeur des opérations de secours et, en principe, le responsable de la communication. Cependant, de nos jours, nous constatons de plus en plus que sur le département, les sapeurs-pompiers disposent de véritables cellules de communication équipées de moyens pouvant être très importants, leur permettant parfois d’arriver sur les lieux d’intervention avant les premières équipes de secours.

Dans cette dynamique, nous remarquons que, malgré ce qui est stipulé dans le dispositif de secours en équipe cynotechnique, c’est souvent le SDIS qui influence la communication sur l’opération en temps réel. Nous faisons régulièrement part de cette problématique à la DGSCGC, soulignant qu’il n’est pas normal que la communication soit orientée en faveur des sapeurs-pompiers, au détriment des autres acteurs engagés dans l’opération. Nous pensons qu’il est essentiel que les préfets maintiennent un contrôle étroit sur cette dimension et soient plus attentifs à l’engagement des associations de sécurité civile dans ces domaines d’intervention, car une communication biaisée peut perturber et nuire à l’image de notre milieu.

M. Jean-Luc Buccino. En ce qui concerne l’Unass, nous accordons une grande importance à la sensibilisation et à la prévention des risques. Cela s’explique par notre élargissement de champ d’action à la prévention des risques en milieu professionnel. Nous constatons, en effet, une méconnaissance du grand public vis-à-vis de ces thématiques, notamment à travers les réactions des participants à nos formations Gestes qui sauvent (GQS) ou PSC1. Il existe plusieurs leviers sur lesquels nous pouvons agir.

Dans le cadre du PSC1, la première lettre correspond à « prévention ». Or, en analysant le programme du PSC1, il est évident que la dimension préventive est souvent négligée. Ainsi, il serait judicieux de développer cette facette dans ces formations de masse, afin de les rendre plus complètes.

Nous considérons également que les journées de la résilience, tout comme l’intégration systématique de la formation aux gestes de premiers secours et à la culture de prévention dans le service médical d’urgence (SMU), sont assurément des leviers complémentaires. En rejoignant l’avis de mes collègues, il est évident que partout où les risques sont importants, y compris en cas de risques naturels, la population est mieux formée et mieux informée, car elle se sent davantage concernée. Néanmoins, je crois que des efforts supplémentaires sont nécessaires, et nous devons explorer d’autres leviers, en plus de ceux que j’ai mentionnés précédemment.

Mme Élodie Boileau. Nous constatons régulièrement, lors de nos veilles, une méconnaissance chez les citoyens concernant ce qu’ils peuvent et doivent faire, ainsi que les bons réflexes à adopter en toute situation. La diffusion d’informations contradictoires sur les chaînes d’information n’apporte pas une clarification nécessaire sur le bon comportement à adopter. Nous réalisons que la communication peut être déroutante pour le grand public.

Par ailleurs, la méconnaissance de l’ensemble des acteurs impliqués dans la gestion de crise à tous les niveaux crée une confusion. Les citoyens ne savent pas où trouver la bonne information, car chaque intervenant communique de manière dispersée. En réponse à cela, nous sommes parfois amenés à créer des cartes collaboratives interactives, regroupant toutes les informations officielles en un seul endroit. Cela permet d’orienter efficacement les personnes vers une source fiable et centralisée lorsqu’elles sont désorientées.

Concernant notre participation aux journées nationales de la résilience, nous avons constaté cette année une sollicitation accrue pour des interventions de prévention et de sensibilisation. À titre d’exemple, nous avons répondu à la demande de l’université de Lille et avons pris part à un exercice de crise organisé par une association de Sciences Po Paris. Ces opportunités nous offrent une plateforme pour sensibiliser le public à la sécurité civile.

En ce qui concerne les élus, je laisse Julie Duchalais compléter mon propos.

Mme Julie Duchalais, vice-présidente de lassociation des volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (Visov). En effet, récemment, nous avons observé plusieurs améliorations, dont l’adoption de la loi Matras, l’introduction de la journée nationale de la résilience, qui sont autant d’évolutions allant dans la bonne direction. Il est toutefois nécessaire de laisser du temps à ces initiatives pour se développer pleinement, notamment avec la périodicité de cinq ans pour la réalisation des exercices de sécurité civile.

Il est crucial de parvenir à toucher un public qui soit réceptif à nos messages. En ce qui concerne les élus, étant moi-même impliquée dans une intercommunalité, je peux fournir un retour d’expérience issu du terrain. Il est essentiel que les élus se sentent concernés, car trop souvent, l’attitude est celle du « ça n’arrive qu’aux autres ». Bien que des actions, souvent gratuites, aient été entreprises à l’échelle nationale, cela peut créer un faux sentiment de sécurité. Cocher la case « exercice réalisé » ne suffit pas. Lors d’une crise, des problèmes pratiques peuvent survenir, tels que la recherche des clés de la salle communale ou la localisation des piles du mégaphone.

Il est impératif de pousser plus loin cette démarche et d’investir dans la technicité. Cependant, cela dépend également de la bonne volonté et des ressources budgétaires disponibles, en particulier dans les petites communes. Les nouvelles communes, obligées de mettre en place un plan communal de sauvegarde (PCS), font face à des choix difficiles d’allocation budgétaire. Les arbitrages entre un PCS opérationnel avec des exercices et la rénovation d’une cour d’école sont inévitables.

Je suis d’avis qu’il serait judicieux d’obtenir des dotations spécifiques pour l’axe de gestion de crise, notamment pour les exercices de sécurité civile. Ces derniers sont également une opportunité de former les secrétariats de mairie, qui jouent un rôle crucial dans la communication envers le grand public. Grâce aux exercices, la population peut prendre conscience des actions entreprises par sa commune et sait où chercher l’information en cas de besoin. Nous cherchons à développer cette approche et à sensibiliser davantage chaque fois que l’occasion nous est donnée. Il est crucial de créer des réflexes d’information et de toucher la population là où elle se trouve déjà. Les réseaux sociaux, par exemple, offrent une plateforme pour activer des notifications, renforçant ainsi cette démarche. Il est nécessaire de comprendre les mécanismes déjà en place et d’ajuster nos actions en conséquence.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Madame Duchalais, vous avez souligné – et je partage votre point de vue – que le rôle de chaque citoyen, mais aussi des élus, est fondamental. Avant d’aborder le sujet du plan intercommunal, peut-être devrions-nous nous concentrer d’abord sur le plan communal, car il semble que plus nous nous rapprochons du territoire, plus l’efficacité est notable, du moins c’est ce que je comprends à travers vos explications.

Je souhaitais revenir sur l’aspect « communication », un point que vous avez également abordé, monsieur Tourte. Vous avez évoqué la possibilité de centraliser la communication en cas de crise ou d’événement. Vous sembliez indiquer qu’un acteur spécifique devrait être chargé de cette tâche. Normalement, il existe une communication institutionnelle gérée par la préfecture, qui la déploie et l’organise en cas de crise. Pourriez-vous clarifier ce point ou donner d’autres exemples d’organisations à l’échelle du territoire, notamment en ce qui concerne l’utilisation des réseaux sociaux ?

Mme Élodie Boileau. Ayant travaillé dans la communication préfectorale, cette question me touche particulièrement. En réalité, il est essentiel d’établir une coordination, car le maire a également des responsabilités en tant que premier acteur de la gestion de crise. Ce qui peut parfois faire défaut, c’est cette coordination entre ces deux échelons. Lorsqu’elle est bien réalisée, la situation peut être gérée efficacement, chaque entité communiquant à son niveau et se coordonnant harmonieusement.

Cependant, comme cela a été mentionné précédemment, il existe des lacunes en matière de communication opérationnelle. Les sapeurs-pompiers, la police et la gendarmerie peuvent parfois rendre complexe la compréhension pour le citoyen qui n’a pas une connaissance approfondie du maillage institutionnel, chacun ayant sa propre communication opérationnelle. Pour ceux qui sont familiers du milieu, cela peut sembler plus simple, mais pour un observateur extérieur, il peut être difficile de s’orienter. Nous constatons également que les gens ont du mal à trouver l’information et ne savent pas toujours vers qui se tourner.

Dans certains cas, les citoyens affirment ne pas savoir qui contacter pour signaler une situation d’urgence, même s’ils sont conscients de l’existence du numéro d’urgence, le 18. Cet état de panique dans certaines situations conduit les individus à se sentir totalement perdus. En réalité, je pense que, dans ces moments-là, les gens ont davantage tendance à se tourner vers leur mairie et leurs élus locaux, qui sont les figures les plus proches qu’ils connaissent, plutôt qu’à rechercher directement la communication du préfet.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie pour votre réponse. Cela me permet de passer à la question suivante. J’aimerais recueillir votre avis sur notre modèle de sécurité civile et de protection civile. Ces deux entités, bien que complémentaires, se distinguent l’une de l’autre. À l’heure actuelle, estimez-vous nécessaire de les améliorer ? Si tel est le cas, comment envisageriez-vous cette amélioration ? L’objectif serait de trouver, tant pour vous que pour les autres acteurs qui y participent, une position qui réponde, ou puisse répondre, aux enjeux actuels et futurs auxquels ces modèles sont et seront confrontés.

M. Christian Amiet. Concernant le modèle actuel de la sécurité civile, qui pourrait s’étendre à la protection civile en raison de la spécificité française – la sécurité civile n’existe nulle part ailleurs – je pense que, tant du côté des secours que de la prise en charge des populations, il fonctionne plutôt bien. Il est encadré sous la responsabilité du préfet, et implique différents acteurs institutionnels et associatifs, qui coopèrent de manière efficace.

Cependant, à notre avis, la phase post-urgence ne fonctionne pas de manière optimale. Bien qu’elle soit présente dans tous les manuels, elle n’est plus réellement prise en compte, devenant davantage un problème relevant du maire. Tant que nous faisons face à des crises à impact limité, les maires parviennent à s’en sortir. Cependant, avec les défis climatiques à venir, susceptibles de générer d’importants déplacements de population, les maires pourraient se retrouver totalement dépassés, tant dans la gestion des déplacements que dans l’accueil des populations déplacées.

À notre avis, un effort significatif doit être déployé. Il ne s’agit pas de prendre le leadership du soutien aux populations post-crise, soyons clairs. Cependant, toutes les associations travaillant dans ce secteur, notamment celles consacrées à la sauvegarde des populations, constatent généralement que le centre opérationnel départemental (COD) de la préfecture est souvent fermé. Dans ces circonstances, on se tourne naturellement vers le maire, qui se trouve alors dans une situation de dénuement, malgré l’aide apportée par les services et d’autres échelons intervenants, tels que les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les représentants ministériels.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je me permets de rebondir sur votre intervention : je partage entièrement votre point de vue sur la phase post-crise, qui revêt une importance particulière, notamment en ce qui concerne le soutien à la population. Cependant, il est crucial de considérer cette dimension non seulement après une crise, mais également en amont, dans une perspective préventive, ainsi que pendant et après l’événement lui-même.

Permettez-moi donc d’ajouter une réflexion à ma question initiale. Une crise n’est pas toujours prévisible et certaines d’entre elles, à l’instar des tremblements de terre, sont impromptues, laissant peu de marge pour la préparation.

M. Christian Amiet. Les crises impromptues, comme celle que nous avons connue au mois de juin avec le séisme en Charente, représentent une surprise totale. Dans cette situation, la phase de secours n’a pas été très importante en termes de vies sauvées, mais les dégâts matériels ont été considérables. Cette catastrophe a entraîné un déplacement massif de population et des opérations de relogement. À cet égard, il est essentiel de saluer le travail remarquable des institutions, des préfectures et des maires qui ont été mobilisés. Cependant, depuis le mois de juin, la situation persiste, et les personnes touchées sont toujours hébergées dans des bungalows et des mobil-homes. La question cruciale qui se pose est celle de leur devenir pendant la saison hivernale. C’est à ce niveau que se situe le nœud du problème, selon notre analyse. Si les premières phases de gestion de crise semblent fonctionner de manière relativement efficace, des lacunes importantes se manifestent dans la période postérieure.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je me permets de vous interrompre un instant. Un vote sur une motion de censure aura lieu dans quelques minutes. Je suis contrainte de suspendre brièvement cette audition et vous remercie de votre compréhension.

La séance est suspendue pendant cinq minutes.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup, et mes excuses pour cette brève interruption. La parole est à vous, monsieur Sauvagnac.

M. Marc Sauvagnac. En tant que citoyen, je considère qu’il est crucial que la population soit mieux informée sur l’organisation de ces procédures. Une plus grande transparence et une meilleure compréhension des mécanismes de coordination et d’organisation des réponses pourraient encourager une implication personnelle. Actuellement, cette organisation n’est pas claire du tout. Il semble y avoir un mille-feuille complexe, qu’il soit opérationnel ou administratif, qui devrait être clarifié. Les citoyens se sentent souvent démunis en cas de crise. La méconnaissance de l’organisation et du rôle de chacun limite considérablement la capacité à réagir de manière appropriée. Parfois, cela peut même conduire à des actions contraires à ce qui est nécessaire.

M. Bernard Tourte. En observant le fonctionnement actuel du monde et ses évolutions, je reste principalement concerné par des aspects périphériques aux activités qui nous intéressent. Il est indéniable que nous sommes confrontés à une recrudescence de crises majeures, comme cela a été évident il y a deux ans avec les incendies de forêt, les inondations massives de départements entiers, et demain peut-être avec des événements climatiques violents touchant certaines zones des pays de l’Est. Dans toutes ces crises majeures, la force vitale initiale qui entre en action est sans conteste constituée par les services de secours et d’incendie, qui sont en première ligne dès le début.

À notre avis, ces situations devraient logiquement se traduire par un meilleur soutien aux associations de sécurité civile en parallèle. Cependant, j’ai précédemment évoqué la relation plutôt conflictuelle que nous entretenons avec les sapeurs-pompiers, une dualité qui n’est guère constructive et qui ne présage rien de positif pour l’avenir. Sur ce point, il est impératif de trouver des leviers d’action afin d’éviter l’autodestruction des associations, qui risquent de se sentir désabusées par le système.

Il est crucial de soutenir financièrement ces associations et de reconnaître leur rôle et leurs fonctions opérationnelles en les replaçant au cœur du système. Malgré les débats politiques et les intentions affirmées dans la loi Matras en faveur du soutien aux associations, la réalité montre qu’elles sont peu impliquées au quotidien. Nous constatons des problèmes de recrutement de volontaires et le manque de compensations comparables à celles dont bénéficient les sapeurs-pompiers volontaires.

Nous avons besoin d’un soutien concret pour renforcer notre dispositif et assurer sa place centrale dans le modèle de sécurité civile. Il est à noter que, avec des crises majeures se produisant de manière répétée et mobilisant tous les services étatiques, il est crucial d’anticiper et de coordonner les moyens, afin de faire en sorte que chaque acteur soit pleinement dans son rôle. En cas de crise majeure simultanée à une intervention importante en milieu souterrain, il est impératif de bien coordonner ces actions pour que chaque entité, y compris les associations comme la nôtre, trouve sa place et puisse contribuer efficacement.

M. Jean-Luc Buccino. Il est indéniable que, depuis la loi de 2004, le modèle de sécurité civile à la française a fait ses preuves, même s’il est perfectible. Les trois piliers qui le composent ont démontré leur efficacité. Le premier pilier repose sur les moyens nationaux, tels que les unités de secours, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), le bataillon des marins-pompiers de Marseille (BMPM), le détachement d’intervention et de service de déminage (DISD), les moyens aériens, etc. Le deuxième pilier concerne les moyens territoriaux, avec les 230 000 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Enfin, le troisième pilier auquel nous appartenons concerne les associations agréées de sécurité civile, regroupant environ 200 000 bénévoles, selon le recensement du CNPC, soit plus de 30 millions d’heures de bénévolat avec des intervenants qualifiés et formés.

Les ASC, comme vous l’avez souligné, apportent une grande souplesse et de nombreux atouts au dispositif, notamment en cas de crise imprévue. Elles sont agréées par l’État, garantissant le respect des valeurs républicaines, des compétences et des moyens nécessaires. Leur force réside dans leur ancrage territorial, leur mobilisation 24 heures sur 24 et leur capacité à répondre efficacement aux crises grâce à un savoir-faire diversifié. De plus, le rapport coût-efficacité est remarquable, car ces associations utilisent des bénévoles sans chercher à s’enrichir.

Du côté de l’Unass, nous constatons que la loi Matras a élargi les actes de soins pouvant être réalisés par un sapeur-pompier, même non professionnel de santé, sous réserve d’une formation préalable. Cela ouvre un champ d’intervention intéressant, et en tant qu’ASC, nous estimons souhaitable que ces évolutions soient étendues aux associations. Cela renforcerait leur périmètre technique et leur capacité opérationnelle, tout en améliorant l’attractivité de leur mission et en favorisant l’interopérabilité entre les acteurs de secours institutionnels et associatifs. Voilà les améliorations que nous pourrions souhaiter et envisager pour ce modèle de sécurité à la française.

Mme Élodie Boileau. Pour notre part, nous constatons que le modèle de sécurité civile devra incontestablement s’adapter aux défis du monde actuel et aux futures crises. La création de notre association participe de cette dynamique d’adaptation : en 2013, nous étions perçus comme des visionnaires un peu excentriques, en affirmant que de nombreuses informations cruciales pour la gestion de la crise circulent sur les réseaux sociaux. Nous soulignions également l’importance d’établir un lien avec les citoyens. Entre-temps, nos interlocuteurs ont réalisé l’importance de prendre en compte le citoyen dans la gestion de la crise. Nous sommes une sorte de baromètre sollicité pour mesurer les réactions des gens, comprendre comment ils perçoivent les actions entreprises et ajuster la communication en conséquence. Cette démarche vise à impliquer davantage les citoyens, les rendant ainsi plus responsables, car trop souvent, le citoyen se retrouve en simple spectateur de la gestion de la crise sans y participer activement, alors qu’il pourrait y contribuer.

Cependant, il est impératif de se préparer et d’anticiper les futures crises. Les récents événements, tels que les feux de forêts en Bretagne ou la distribution d’eau embouteillée dans les Vosges, démontrent que des crises inattendues peuvent survenir, même dans des régions où l’on ne les envisageait pas. Ces situations mettent en évidence la nécessité d’anticiper des crises aux cinétiques rapides, telles que des inondations soudaines ou même des séismes, qui sont des événements auxquels les gens ne pensent pas nécessairement, mais qui peuvent survenir chez eux. Nous devons être prévoyants à différents niveaux pour anticiper les scénarios possibles et éviter de subir passivement ces situations.

Mme Julie Duchalais. Pour approfondir la réflexion, il convient également d’aborder le volet civil. Lors des crues dans le Pas-de-Calais, la consigne adressée aux citoyens était de demeurer chez eux, mais nombreux sont ceux ayant des obligations professionnelles. Les fermetures d’écoles, parfois de plusieurs jours, compliquent également la situation, car tout le monde ne peut pas recourir au télétravail. Ainsi, bien que l’on parle beaucoup du citoyen, il n’est pas nécessairement pris en compte, et les employeurs ne sont pas non plus présents à la table des discussions.

Les crises impliquent des niveaux de vigilance et des recommandations comportementales, mais la réalité est que chacun n’a pas la possibilité de demeurer chez soi et de continuer à travailler. Il est essentiel de ne pas négliger cet aspect et de prendre en compte et de mobiliser les employeurs. Les consignes émises peuvent parfois être difficiles, voire impossibles à mettre en œuvre. Il est donc crucial de réfléchir à la faisabilité des directives, en prenant en considération des questions telles que l’octroi d’autorisations d’absence pour les étudiants ou les modalités de congé. Il est nécessaire d’explorer toutes ces dimensions et d’imaginer ensemble des solutions pratiques, y compris la possibilité d’un congé intempéries et la question de savoir comment une vigilance rouge serait compensée financièrement. Bien que je n’aie pas de réponse toute faite, je suis ici pour participer à ces questionnements collectifs.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’aimerais recueillir votre avis sur la pertinence de l’échelle d’intervention. Souvent, on évoque les échelons départementaux et régionaux en fonction des sujets. Cependant, j’aimerais connaître votre perspective concernant une approche plus communale et, plus spécifiquement, la réserve communale de sécurité civile. Quelle est votre opinion sur ce dispositif et son rôle potentiel en matière de communication ? Comme vous l’avez souligné, lorsqu’il y a une défaillance du réseau de communication, voire un black-out, les possibilités pour relayer l’information ou accéder à l’électricité sont limitées, comme cela a parfois été constaté dans notre pays.

M. Christian Amiet. En ce qui concerne les réserves communales de sécurité civile, cela fait presque dix ans que je suis impliqué dans des dispositifs d’urgence, et à l’exception des feux de forêt, je n’en ai jamais rencontré. Ce n’est pas une pratique courante, et cela est également lié au plan communal de sauvegarde, ainsi qu’à la considération du risque par nos élus locaux. Prendre en compte le risque est une chose, mais organiser et fédérer des bonnes volontés pour participer à ces réserves communales de sécurité civile, en harmonie avec les autres autorités, les sapeurs-pompiers, les associations, semble être un défi. J’ai l’impression que les municipalités hésitent à mettre en place ces réserves, peut-être par crainte de créer une concurrence avec d’autres services ou associations. Actuellement, cela ne semble pas être ancré dans la population, ni parmi nos élus de terrain, qui représentent, à mon avis, le premier maillon et un maillon essentiel en matière de sécurité civile.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Permettez-moi de préciser ma question. Je souhaite vous interroger sur la pertinence des réserves communales de sécurité civile, en lien avec la notion de citoyenneté que nous avons abordée au cours de cette audition.

M. Christian Amiet. Selon nous, l’instauration de réserves de sécurité civile au niveau communal constituerait un instrument particulièrement bénéfique, complémentaire aux associations. Toutefois, il est essentiel de collaborer afin de définir clairement les responsabilités de chacun. Il n’y a aucune objection de principe, et il y a beaucoup de place et de missions à répartir, surtout en période de crise.

M. Marc Sauvagnac. La coordination revêt une importance capitale pour éviter tout chevauchement d’actions. Du point de vue des associations, la création incessante d’organismes peut compliquer leur tâche. Bien que le bénévolat ne semble pas souffrir d’une pénurie, la rétention à long terme et l’engagement continu pour développer des compétences s’avèrent plus délicats. La solution ne semble pas être uniforme, mais plutôt dépendre largement de la coordination, en particulier à l’échelle communale. Le maire doit être informé des associations disponibles, de leurs domaines d’intervention, et décider desquelles mobiliser. Si des lacunes ou un potentiel d’engagement citoyen émergent au niveau communal, une réflexion sur leur coordination s’impose. Cette question semble davantage locale que nationale.

M. Christian Amiet. Un exemple probant est observé avec les comités communaux feux de forêt (CCFF). Ces comités sont particulièrement pertinents dans les régions exposées à ce type de risque, et complètent les interventions des sapeurs-pompiers, voire les précèdent. La coopération, tendue durant des années, a évolué grâce aux efforts concertés et à la bonne volonté de l’ensemble des acteurs. Cette collaboration fonctionne désormais de manière efficace, mais dans un cadre spécifique, coordonné par le maire, le préfet et d’autres acteurs. C’est un exemple isolé où l’on constate véritablement l’intérêt et l’émergence d’une réserve de sécurité civile tangible.

M. Bernard Tourte. La question qui se pose est de savoir s’il serait pertinent d’ajouter une couche supplémentaire à un mille-feuille déjà complexe, ou s’il ne vaudrait pas mieux renforcer, dès le départ, l’existence des associations de sécurité civile en leur fournissant réellement les moyens de fonctionner. Cela pourrait se concrétiser par des facilités pour leurs membres et sauveteurs, concernant leur vie quotidienne, tels que la disponibilité, les congés, et le remboursement des frais engagés.

Il y a de nombreuses associations de sécurité civile qui vont au-delà du simple bénévolat, s’engageant plutôt dans du mécénat, car elles mobilisent des ressources personnelles qui ne sont jamais remboursées à la hauteur de leur engagement. En fin de compte, nous sommes confrontés à une situation où le mécénat prévaut. L’idée d’ajouter une nouvelle couche, alors que nous avons déjà des difficultés à soutenir l’existant, semble complexe à soutenir. De plus, il nous semble utile et nécessaire que les schémas départementaux d’analyse et de couverture du risque (SDACR), outils d’analyse utilisés par les sapeurs-pompiers, ne restent pas exclusivement dans leur sphère, mais qu’ils impliquent également les associations de sécurité civile. Nous, en tant que spéléologues, avions été impliqués la première année des SDACR, mais par la suite, cet outil est devenu exclusivement « intra-muros » pour les sapeurs-pompiers. Pour analyser un risque départemental au service de l’autorité étatique, toutes les associations de sécurité civile susceptibles d’apporter des éléments à ce schéma d’analyse de risque devraient être autorisées à contribuer, ce qui n’est malheureusement pas le cas actuellement.

M. Jean-Luc Buccino. Il est évident que l’engagement de proximité des citoyens revêt probablement un caractère utile, faisant de chacun un acteur de sa propre sécurité, comme vous le rappeliez précédemment. Nous pouvons tous constater que les dispositifs de réserve communale demeurent très confidentiels et nécessitent probablement d’être développés. Il faut cependant réfléchir en termes de complémentarité des missions, et éviter ainsi de remplacer ou d’ajouter une nouvelle couche à un mille-feuille déjà dense et parfois indigeste, comme cela a déjà été évoqué.

Il est impératif – et je pense que cela ne peut se faire qu’en concertation et en adaptant les missions à chaque territoire – de définir des missions spécifiques qui peuvent varier d’un endroit à l’autre en fonction des moyens disponibles et des spécificités communales. De plus, les moyens de coordination sont essentiels pour permettre à tous de travailler et de s’engager. Il est également nécessaire de veiller à ne pas épuiser les uns pour satisfaire les autres. En effet, une personne ne pourra pas s’engager simultanément dans une association de sécurité civile, chez les sapeurs-pompiers volontaires et au sein des réserves communales. Ainsi, le vivier de personnes disponibles et mobilisables reste limité, et cela doit être pris en compte.

Mme Élodie Boileau. Je serai succincte, car je vais rejoindre les propos précédemment tenus. Il est indéniable que la situation concernant les réserves communales n’est pas du tout homogène. On constate que, sans un soutien politique adéquat, ces réserves demeurent largement méconnues. Les CCFF, quant à eux, occupent davantage l’espace médiatique. Personnellement, la seule réserve communale de sécurité civile que je connaisse est celle de Trèbes, car elle a été mise en œuvre lors des inondations survenues dans cette localité. Cependant, dans l’ensemble, les réserves communales demeurent plutôt confidentielles. Il convient donc de se poser la question de la coordination, des missions, et des disparités de moyens afin de permettre à ces réserves communales de pleinement exister. Cela favoriserait une complémentarité avec les structures déjà en place.

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous nous dirigeons progressivement vers la fin de cette audition et je vous remercie pour toutes les réponses enrichissantes déjà apportées. Je vous invite, si vous le souhaitez, à prononcer quelques mots de conclusion sur l’adaptation de notre modèle de sécurité civile.

M. Marc Sauvagnac. La sécurité civile est une question de résilience, d’engagement citoyen, de cohésion nationale, d’association de la jeunesse, et tout cela constitue une base fondamentale. À mon avis, tout cela requiert de la clarté et une coordination adéquate, ce que ne reflète pas tout à fait la situation actuelle – cela ressort d’ailleurs clairement lorsque l’on aborde le sujet des réserves communales. Il est évident que, à tous les niveaux, que ce soit administratif ou opérationnel, une coordination efficace est essentielle pour que chacun trouve sa place et puisse s’engager en toute sérénité.

Pour que les individus s’engagent, ils doivent comprendre la direction qu’ils prennent, afin de donner un sens à leur action. C’est un enjeu crucial qui mérite toute notre attention. Comme nous l’observons à la SNSM, le bénévolat exigeant, qualifié et chronophage, nécessite un équilibre délicat entre la vie professionnelle, la vie personnelle et l’engagement associatif. C’est un enjeu qui déborde du cadre de cette audition, et cela mérite une attention particulière.

M. Bernard Tourte. En conclusion, je soulignerais qu’il est instructif de chercher des exemples dans d’autres pays européens. Dans le domaine de la spéléologie, nous sommes un pays de référence à l’échelle mondiale. Seuls les Américains ont une approche légèrement différente de la nôtre en matière d’organisation des secours. Depuis que nous avons partagé notre modèle, initiant ce processus dès l’année 1977, de nombreux pays européens nous ont surpassés, notamment en termes de législation et de reconnaissance pleine et entière de cet écosystème associatif. Ils ont véritablement accordé aux associations les moyens de s’organiser et de prendre en charge pleinement cette spécialité. C’est le cas, par exemple, de la Slovénie, de la Roumanie, de l’Italie et de la Tchéquie. Nous étions précurseurs, mais nous sommes désormais en retard, avec des financements insuffisants pour assurer notre fonctionnement. Nous sommes contraints de réclamer un rôle et des compétences qui nous échappent, ce qui est une situation regrettable qui nous fait nous sentir exclus du système.

Cette situation se reproduit dans divers domaines, comme illustré par la loi Matras, qui met en avant les associations à plusieurs niveaux, mais avec des engagements qui ne vont pas jusqu’au bout. Même les grandes organisations de secours ne mettent pas suffisamment en avant ces associations. Lors du dernier congrès de la fédération nationale des sapeurs-pompiers à Toulouse – un événement prestigieux, au demeurant – le président de la fédération n’a même pas évoqué une fois le mot « association » dans son discours. Cette omission nous semble préoccupante, car il est crucial de reconnaître le rôle essentiel que nous jouons.

M. Jean-Luc Buccino. En conclusion, nous tenons à souligner la force et la polyvalence des associations agréées de sécurité civile, qui représentent le troisième pilier de notre modèle de sécurité civile. Bien que nous préservions les valeurs du bénévolat, il est essentiel de veiller à ce que le bénévolat ne devienne pas un privilège réservé à une élite.

Mme Julie Duchalais. Pour rebondir sur les propos déjà tenus, nous souhaitons mettre l’accent sur la prévention, particulièrement au niveau scolaire. Il est crucial d’intégrer véritablement un enjeu de citoyenneté, en enseignant les bons réflexes et en sensibilisant les élèves aux risques tels que les inondations et les incendies de forêt. À cet égard, nous avons déjà évoqué le rôle des différents ministères selon les types de risques, qu’il s’agisse du ministère de la transition écologique ou celui chargé de la sécurité intérieure. Nous aimerions mettre en avant le modèle néozélandais, où une agence nationale coordonne une stratégie complète de prévention. Cette agence se charge de sensibiliser le public, notamment les élèves, tout en identifiant les aléas, en évaluant les risques, et en mettant en place des dispositifs d’alerte, similaires à notre système français avec le dispositif « Alerte enlèvement ». Il pourrait être bénéfique d’avoir une approche globale et unifiée pour traiter l’ensemble du processus, de la sensibilisation à la gestion des crises.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie chaleureusement pour vos précieuses réponses. Toutes vos interventions d’aujourd’hui, ainsi que vos contributions écrites, seront prises en compte dans l’élaboration du rapport de notre mission. N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez répondre à d’autres questions que nous n’avons pas eu le temps d’aborder, ou si des clarifications vous semblent nécessaires à la suite de cette audition.


Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV)

Compte rendu de l’audition, ouverte à la presse, de MM. Samuel Mathis, secrétaire général, et Sylvain Trouvain, membre du bureau en charge de la communication du Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV)
(mercredi 13 décembre 2023)

M. Jean-Marie Fiévet, président. Nous achevons notre troisième cycle d’auditions consacré aux acteurs de terrain de la sécurité civile, qu’il s’agisse de professionnels, de volontaires ou d’associations agréées de sécurité civile. Après avoir entendu, le 16 novembre dernier, les représentants des organisations syndicales représentatives des sapeurs-pompiers professionnels, nous accueillons aujourd’hui monsieur Samuel Mathis, secrétaire général du Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV), et monsieur Sylvain Trouvain, membre du bureau du GSNSPV en charge de la communication. Je vous remercie, Messieurs, de vous être rendus disponibles pour cette mission d’information.

L’objectif de cette audition est de vous entendre sur le sujet de la formation et des conditions d’intervention des sapeurs-pompiers volontaires, ainsi que sur l’évolution de leurs effectifs et de leurs besoins. Plus largement, nous souhaitons aborder avec vous l’organisation de notre modèle de sécurité et de protection civiles, qui est confronté à des défis importants et repose sur ce que beaucoup ont qualifié de « constellations d’acteurs ». Nous avons souhaité partir du terrain, en rencontrant sans idées préconçues les élus locaux et les acteurs de la sécurité civile au quotidien, afin d’améliorer cette organisation. Dans ce cadre, nous avons souhaité tenir compte de leur expérience liée aux crises survenues au cours des dernières années. Nous étudions également l’organisation de la sécurité civile dans d’autres pays. Ainsi, notre mission s’est déplacée ces dernières semaines en France et à l’étranger et poursuivra ses déplacements au cours des prochains mois.

Les sapeurs-pompiers volontaires sont confrontés à des urgences de secours au quotidien, et interviennent également lors de crises majeures liées aux risques naturels, industriels, sanitaires ou sécuritaires. Vous nous informerez, Messieurs, au nom des sapeurs-pompiers volontaires, sur les évolutions de vos interventions et de votre organisation, notamment sur l’articulation entre votre volontariat et votre vie professionnelle, ainsi que les difficultés que vous rencontrez. Nous voulons être éclairés sur les forces et les fragilités de notre modèle de sécurité civile, ainsi que sur les éventuelles réformes ou évolutions que vous appelez de vos vœux. Notre objectif est d’appréhender ce qui fonctionne bien dans ce modèle, mais aussi ce qui reste perfectible pour faire face, dans les meilleures conditions possibles, aux crises majeures qui pourraient se produire à l’avenir, voire se multiplier en raison du dérèglement climatique.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Sapeur-pompier volontaire et sapeur-pompier professionnel durant trente ans, mais aussi élu local, j’ai pu mesurer à travers une crise telle que celle du Covid comment fonctionne notre modèle. Avant d’en discuter, pourriez-vous, messieurs, décrire dans quel contexte a été créé votre syndicat, quels sont ses objectifs et quelles sont ses caractéristiques ?

M. Samuel Mathis, secrétaire général du Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires. Nous tenons d’abord à vous remercier vivement de nous donner l’occasion de nous exprimer. Il s’agit, pour les sapeurs-pompiers volontaires, d’un événement historique, puisque c’est la première fois que nous sommes reçus en tant qu’organisation syndicale.

Les sapeurs-pompiers de France sont composés à 80 % de sapeurs-pompiers volontaires. Ils assurent 80 % des interventions et représentent 10 à 20 % des dépenses des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Le GSNSPV a été créé dans un contexte très particulier, sur la base du constat que les sapeurs-pompiers volontaires étaient la cible d’actes injustes et répétés. Un certain nombre d’entre nous étaient menacés, subissaient des pressions et voyaient parfois leur engagement non renouvelé. Cette situation était favorisée par la fragilité du statut de sapeur-pompier volontaire et la particularité de l’engagement quinquennal.

Les SDIS opposant le devoir de réserve à notre liberté d’expression, nous nous sommes naturellement tournés vers l’expression syndicale, d’abord sous la forme de sections départementales, puis d’une organisation nationale. Nous avons cependant dû solliciter le Conseil d’État pour obtenir, le 12 mai 2017, un arrêt reconnaissant notre droit à défendre nos intérêts, quand bien même nous ne sommes pas des sapeurs-pompiers professionnels.

Le GSNSPV a pour objet la défense des sapeurs-pompiers volontaires. Il a vocation également à formuler des propositions, tant au niveau départemental auprès des SDIS qu’à l’échelon supérieur. Dans l’écosystème des sapeurs-pompiers volontaires, nous estimons être la seule organisation parfaitement indépendante, non subventionnée par les SDIS, libre de sa parole, et à même de porter la voix des sapeurs-pompiers volontaires sur leur activité et leur avenir.

Représentant les sapeurs-pompiers volontaires et non professionnels, notre organisation n’est pas fléchée de la même manière que les organisations syndicales professionnelles ou de la fonction publique. Son activité n’est pas circonscrite par la loi
n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, ni par le code général de la fonction publique. Elle compte plusieurs milliers de sympathisants et une trentaine de sections départementales en France et dans les départements et territoires ultramarins.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je suis très heureux qu’une organisation de sapeurs-pompiers volontaires soit entendue pour la première fois à l’Assemblée nationale, et je ne doute pas que vous aurez d’autres occasions désormais de faire entendre la voix de ces femmes et ces hommes qui œuvrent tout au long de l’année. Quelles sont, selon vous, les principales motivations des personnes rejoignant le monde des sapeurs-pompiers volontaires ? Quelles sont les principales difficultés qu’elles rencontrent dans leur engagement et leur intégration ?

M. Samuel Mathis. Les motivations des sapeurs-pompiers volontaires ont sensiblement varié selon les époques. À l’exception des sapeurs-pompiers militaires de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, les corps de sapeurs-pompiers ont longtemps été constitués quasi exclusivement de sapeurs-pompiers volontaires. Les services d’incendie et de secours tels que nous les connaissons aujourd’hui se sont formés dans les années 1980 et 1990. Les sapeurs-pompiers professionnels ont été répartis selon les catégories A, B et C à la faveur de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, et de quatre décrets parus en 1990. Auparavant, les sapeurs-pompiers étaient tous volontaires. Ils sont devenus ensuite permanents lorsqu’ils ont été embauchés par les communes et enfin, depuis un peu plus de trente ans, professionnels. La professionnalisation est donc récente dans notre modèle de sécurité civile. Elle est venue combler les indisponibilités des volontaires, lesquels exerçaient souvent une activité professionnelle en parallèle de leur engagement.

L’une des premières motivations des sapeurs-pompiers volontaires fut de ne pas rester impuissants face au malheur de leurs concitoyens. Aujourd’hui, plusieurs profils cohabitent au sein d’un même centre de secours. Certains souhaitent porter l’uniforme pour les valeurs nobles qu’il représente, d’autres cherchent une occupation parce que leur vie professionnelle ou personnelle ne les satisfait pas tout à fait, d’autres encore, et il ne faut pas craindre de le reconnaître, cherchent avant tout un complément à leurs revenus.

La départementalisation des SDIS a peu à peu modifié le management des sapeurs-pompiers. Les sapeurs-pompiers ont longtemps évolué dans des petits corps, dirigés de manière extrêmement paternaliste par un chef de corps, et en lien avec un maire très présent. La départementalisation a inscrit la plupart des sapeurs-pompiers volontaires dans une forme d’anonymat. Nombre d’entre eux, c’est du moins ainsi qu’ils l’expriment, ont l’impression d’être un numéro de matricule, d’être gérés par un chef de service et non plus par un chef de corps, et de dépendre d’un service des ressources humaines au niveau départemental, même s’il existe dans certains départements des services de volontariat. J’estime que ce type de management a considérablement modifié la situation des sapeurs-pompiers volontaires.

Le recrutement s’est lui aussi sensiblement transformé. Plus qu’un examen, il consiste désormais en un concours où seuls les meilleurs sont retenus. Par conséquent, le recrutement est devenu plus difficile et la gestion quotidienne d’un sapeur-pompier volontaire se rapproche davantage de la gestion d’un salarié que de celle d’un bénévole. Par exemple, il est demandé à un sapeur-pompier volontaire de justifier une indisponibilité par un certificat médical, ce qui est une pratique commune dans le cadre d’une activité professionnelle, mais ne l’est pas dans le cadre du bénévolat.

Les traditions subsistent, mais les sapeurs-pompiers volontaires éprouvent souvent le sentiment d’intégrer anonymement l’institution et de la quitter dans un même anonymat, en ayant sacrifié une partie de leur vie de famille et de leur vie professionnelle – voire, pour certains d’entre nous, en ayant sacrifié leur vie tout court. Ils éprouvent, de plus en plus nettement, l’impression d’être devenus une variable d’ajustement dans un système motivé par l’objectif de réaliser des économies, l’impression également d’être tolérés comme exécutants dont on n’attend guère plus. Les compétences qu’ils ont développées dans leur vie professionnelle sont très souvent négligées. D’ailleurs, il leur est rarement demandé de présenter un curriculum vitae lors du concours.

Il est évidemment plus aisé de gérer des sapeurs-pompiers comme on gère des professionnels, mais leur recrutement, la gestion courante et la pérennisation de leur engagement réclament des compétences en termes de gestion, en termes de volonté, en termes d’énergie et en termes de constance.

Nous faisons le constat d’un manque de souplesse de l’organisation des SDIS vis-à-vis des sapeurs-pompiers volontaires. L’individu est sommé de s’adapter à l’institution, et non l’inverse. Je ne citerai comme exemples que les visites médicales et les formations dispensées en journée alors que les sapeurs-pompiers volontaires, le plus souvent, sont requis par leur travail en journée.

Pire encore, les sapeurs-pompiers volontaires subissent l’hostilité d’organisations syndicales souhaitant leur disparition, et se heurtent à un mutisme de leur hiérarchie laissant entendre, sinon une adhésion à ce souhait, du moins un consentement à l’idée que les sapeurs-pompiers volontaires puissent disparaître.

Ainsi, alors que les exigences sont de plus en plus fortes, la vocation, c’est-à-dire ce qui fait vibrer lorsque nous entrons pour la première fois dans un centre de secours, a peu à peu laissé place au désintérêt, à l’absence de reconnaissance, au sentiment d’anonymat et parfois, il faut le dire, à l’incompétence. Le désarroi est également lié à la fragilité du statut, puisque le propre de l’engagement quinquennal suppose qu’il puisse ne pas être renouvelé. Ainsi voit-on des volontaires quitter les rangs des sapeurs-pompiers après une simple mésentente avec un chef de centre.

L’idée même que notre existence puisse être remise en cause nous est insupportable, tant notre institution s’est construite à travers l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Certes les sapeurs-pompiers volontaires constituent une belle vitrine d’un point de vue national. Mais il est permis aujourd’hui de se demander si nos institutions souhaitent réellement pérenniser leur engagement.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Permettez-moi une petite rectification à propos des SDIS : ils ont été créés en 1972, et les premiers SDIS furent constitués dans cinq départements, dont les Deux-Sèvres, la Vendée et les Yvelines.

Je souhaite à présent connaître votre avis sur le thème de la formation. Ayant été moi-même sapeur-pompier volontaire puis professionnel, j’ai eu l’occasion de participer au recrutement et à la formation des volontaires. Les formations sont dispensées aux sapeurs-pompiers volontaires à raison de quarante heures par an, au rythme de dix sessions mensuelles de quatre heures. Ces formations sont-elles adaptées aux risques actuels ? Conviendrait-il de les compléter ou de les assouplir ? Je pense par exemple aux formations sur les lots de sauvetage. Est-il nécessaire de suivre toutes les formations sur les lots de sauvetage, de connaître par cœur toutes les procédures, alors qu’une seule ou deux seront concrètement utiles à un sapeur-pompier ?

M. Sylvain Trouvain, membre du bureau du Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires, en charge de la communication. Je précise que les formations de quarante heures sont en réalité des formations de maintien des acquis. Alléger le maintien des acquis suppose de travailler sur le socle de connaissance à acquérir. Ce socle a été largement travaillé et redimensionné. Il est censé être adapté aux risques locaux des départements, ce qui d’ailleurs freine la mutabilité d’un sapeur-pompier volontaire d’un SDIS à un autre. En effet, les SDIS proposent des formations différentes autour du tronc commun des secours d’urgence aux personnes (Suap), qui représente 70 % des interventions.

Vous avez choisi un exemple quelque peu particulier en évoquant le lot de sauvetage. Cet organe de sécurité nous impose ce maintien d’acquis, puisque le nombre croissant de tempêtes multiplie les interventions sur les toitures et donc l’utilisation de ce type de matériel. En revanche, les sapeurs-pompiers ne disposant pas d’un véhicule de secours routier dans leur centre de secours n’ont effectivement pas besoin d’un maintien d’acquis sur la partie cisaillement de véhicule, qui d’ailleurs deviendra prochainement une spécialité étant donné la difficulté spécifique de cette pratique.

La connaissance du socle de base me semble bien prise en charge par la formation. À mon sens, l’effort d’amélioration doit porter davantage sur l’aspect organisationnel, afin de mieux adapter les formations aux disponibilités des sapeurs-pompiers volontaires. Ainsi que l’a souligné monsieur Mathis, mettre en place des formations du lundi au vendredi, en journée, alors que la majorité des sapeurs-pompiers volontaires sont au travail, n’a guère de sens. Les volontaires, pour suivre ces formations, sont dans l’obligation soit de disposer d’une convention avec leur employeur, soit de poser plusieurs jours de congé.

Le monde des sapeurs-pompiers évolue très vite. Il n’évolue pas rapidement sur l’aspect technique, puisque les pratiques restent globalement les mêmes, mais il évolue au niveau des mentalités. On peut parler d’hyperprofessionnalisation des sapeurs-pompiers volontaires, au sens où il leur est demandé de s’inscrire dans le cadre du métier de sapeur-pompier. Un commandant sapeur-pompier professionnel a réalisé une magnifique thèse sur le système hybride, et son étude conclut que les sapeurs-pompiers volontaires sont des sapeurs-pompiers professionnels, puisqu’ils remplissent 80 % de l’activité opérationnelle des centres de secours. Ils se distinguent des sapeurs-pompiers professionnels par le seul fait de ne pas être salariés.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Vous avez raison, monsieur Trouvain, de distinguer la formation continue de la formation initiale.

M. Julien Rancoule (RN). Je vous prie de m’excuser pour mon retard. J’étais retenu dans l’hémicycle où j’ai adressé au Gouvernement une question sur le sujet des trimestres de retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires. La réponse que j’ai obtenue ne m’a pas satisfait. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) a exprimé son mécontentement, estimant n’avoir pas été écoutée au moment de la rédaction du décret. Le GSNSPV a-t-il été consulté dans la perspective de la rédaction de ce décret ? Il apparaît que celui-ci ne concernera qu’une minorité des sapeurs-pompiers volontaires, en particulier ceux n’ayant pas eu de carrière professionnelle complète. Il convient de se demander si cette mesure n’aura pas un effet contre-productif, en encourageant des sapeurs-pompiers volontaires à ne pas exercer une activité professionnelle. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Sylvain Trouvain. Le GSNSPV n’a pas été contacté, ni interrogé sur ces questions, ce que nous regrettons. Je rejoins votre opinion sur ce décret porteur d’effets contre-productifs. Un sapeur-pompier volontaire sans emploi peut rapidement devenir sapeur-pompier professionnel, au sens où son planning est comparable à celui d’un professionnel et qu’il remplit de nombreuses fonctions dévolues aux sapeurs-pompiers professionnels, ainsi que nous le constatons dans les casernes. Ce mécanisme opère au détriment de la profession des sapeurs-pompiers, et nous sommes convaincus qu’un poste tenu par un sapeur-pompier volontaire au chômage est contre-productif, car il dénature le volontariat.

Je vous rejoins également, monsieur Rancoule, à propos des trimestres de retraite. Le sapeur-pompier volontaire pâtit d’un manque de reconnaissance. Nous souhaitons qu’il bénéficie d’une récompense pour les efforts qu’il fournit au cours de son engagement, ainsi que pour les efforts fournis par ses proches, par son conjoint ou sa conjointe, par ses enfants, qui subissent ses absences. De même, la pénibilité et les risques de l’activité, notamment lors des interventions où le pompier est confronté aux fumées et aux produits chimiques, méritent récompense.

Les plans concernant les sapeurs-pompiers volontaires, au nombre d’une vingtaine et qui ne restent que des plans et non des lois – c’est-à-dire qu’ils ne sont appliqués que par ceux qui veulent bien les appliquer – n’abordent jamais le sujet des bonifications pour la retraite. Nous sentons qu’une solution est proche, et je pense que la majorité des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires sont satisfaits. Cependant il faudra aborder également la question des sapeurs-pompiers bénéficiant du double statut volontaire et professionnel.

M. Julien Rancoule (RN). J’aimerais m’arrêter sur le cas des sapeurs-pompiers volontaires qui prennent des gardes en caserne. Cette légère dérive existe. Quelle est votre position sur ces gardes postées pour les sapeurs-pompiers volontaires ? Les syndicats de sapeurs-pompiers professionnels, lors de leur audition, ont exprimé leur opposition à cette pratique.

M. Samuel Mathis. Il est difficile de vous apporter une réponse globale compte tenu de la grande disparité des besoins territoriaux. Certains centres de secours ne disposent pas d’autres possibilités que de recourir à ces gardes postées afin de garantir la promptitude des interventions. Il convient par conséquent de s’adapter aux besoins de chaque territoire. Les directeurs des SDIS sont légitimement les plus à même d’ajuster le potentiel opérationnel journalier (POJ), c’est-à-dire l’effectif quotidien disponible, et d’évaluer l’éventuelle nécessité de poster des sapeurs-pompiers volontaires.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pour revenir sur l’objet de notre mission d’information, j’aimerais vous entendre sur les évolutions qui vous semblent souhaitables, en particulier sur la question de la rémunération. Comment selon vous appréhender la reconnaissance et la valorisation du travail des sapeurs-pompiers volontaires ?

M. Samuel Mathis. Je vous répondrai, monsieur le rapporteur, en évoquant l’évolution des effectifs. Comme l’a indiqué monsieur Trouvain, une multitude de mesures prises au cours des trente dernières années se sont avérées anecdotiques. Nous sommes certes sensibles à un certain nombre de mesures sur le régime indemnitaire ou sur les bonifications pour la retraite. Elles représentent de véritables signaux de reconnaissance, même si nous constatons une certaine inertie lorsqu’il s’agit de les mettre en œuvre. Mais, comme je le disais en introduction, la préservation du modèle de sécurité civile ne repose pas exclusivement sur des mesures, mais sur un état d’esprit, sur des compétences et sur une volonté. Nous avons le sentiment que le bon diagnostic n’est pas posé.

Les multiples mesures prises depuis la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d’accident survenu ou de maladie contractée en service ne se sont guère montrées efficaces, si l’on considère l’évolution des effectifs. Sans doute convient-il de s’interroger, au préalable, sur la problématique de gestion des sapeurs-pompiers volontaires, afin de concevoir des mesures efficientes.

Il convient également de se demander si les effectifs répondent aux besoins des services d’incendie et de secours. Nous estimons qu’il s’agit avant tout d’une question de volonté des SDIS. La double gouvernance des SDIS, par les conseils départementaux et les préfectures, fait dépendre de l’orientation politique des conseils départementaux la définition des besoins. Ainsi s’expliquent les disparités territoriales, puisque d’un territoire à l’autre, la définition des besoins varie, et avec elle, par conséquent, la gestion des sapeurs-pompiers volontaires ou la volonté de procéder à des recrutements et de pérenniser les engagements.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Je voudrais vous entendre à nouveau, par souci de clarté, sur la question des gardes postées. Je vous le demande en référence à la jurisprudence Matzak, du nom de ce pompier belge qui a déposé un recours afin de faire reconnaître ses heures de garde comme du temps de travail devant être rémunéré. L’arrêt Matzak ayant conduit au remaniement intégral du système belge, je pense qu’il convient d’être très clair sur les termes que nous employons.

M. Samuel Mathis. L’épisode de l’arrêt Matzak confirme notre position sur la gestion des sapeurs-pompiers volontaires. Ceux-ci sont encadrés comme des professionnels. Dès lors, la question de la requalification de leur activité volontaire en activité professionnelle doit être posée. Si une juridiction devait se pencher sur ce sujet, la garde postée ne serait qu’un épiphénomène de cette gestion globale de type managérial. Je rappelle l’exemple que j’ai cité dans mon propos introductif sur les certificats médicaux d’absence, qui sont exigés des sapeurs-pompiers volontaires. En droit du travail, il s’agit d’un arrêt maladie. À force de réunir les critères de l’activité professionnelle, l’activité des sapeurs-pompiers volontaires finit par s’y assimiler… telle est la genèse de l’arrêt Matzak. Il n’est pas exclu qu’une situation comme celle de nos camarades belges se produise en France.

Encore une fois, et j’insiste sur ce point, la question centrale est celle de la volonté. Gérer des sapeurs-pompiers volontaires est un exercice exigeant. A-t-on la volonté de s’y plier ? En a-t-on les compétences et les moyens ?

M. Jean-Marie Fiévet, président. Les SDIS étant des services départementaux, les moyens et les financements mis à leur disposition varient considérablement d’un département à l’autre en fonction des spécificités et des besoins de chacun. Cette disparité pose-t-elle selon vous un problème d’équité ? Pensez-vous qu’un rééquilibrage est nécessaire ?

M. Samuel Mathis. En posant cette question, vous soulevez le problème de cette double gouvernance où l’un, le préfet, définit les missions régaliennes, et l’autre, le conseil départemental, paie et gère les sapeurs-pompiers. Comme je l’ai indiqué, cette organisation et les moyens qui lui sont alloués sont soumis aux orientations politiques et à la volonté des élus à la tête des conseils départementaux. Les budgets et les moyens diffèrent en effet, en termes de nombre de casernes, de maillage territorial, de véhicules, etc. Dès lors, la véritable réflexion à mener doit peut-être porter sur la pertinence d’une organisation nationale par rapport à des directions départementales.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Préconisez-vous une direction nationale gérant l’ensemble des moyens, à l’image de la gendarmerie par exemple ? Une telle organisation supprimerait les directions départementales, qui sont proches des citoyens et proches des pompiers.

M. Samuel Mathis. Une telle organisation aurait pour vertu de combler les disparités entre départements. Elle permettrait également de réaliser des économies d’échelle. Rationaliser au niveau national offrirait certainement la possibilité de procéder à une évaluation plus juste, plus équitable et parfois moins politique de la gestion des sapeurs-pompiers.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quels rapports les sapeurs-pompiers volontaires entretiennent-ils avec les autres acteurs de la sécurité civile ? Comment appréhendent-ils les actions de cette « constellation d’acteurs » évoquée par monsieur Fiévet dans son propos liminaire ? Les connaissent-ils ? Travaillent-ils avec eux ? Cela dépend-il du territoire, selon que l’on se trouve en milieu rural ou en milieu urbain, par exemple ?

M. Sylvain Trouvain. Le mot constellation me semble très adapté pour décrire l’univers de la sécurité civile. Le rapport aux associations agréées de sécurité civile est relativement analogue à celui qui lie les corps départementalisés de sapeurs-pompiers et ceux qui ne le sont pas. Les associations agréées de sécurité civile jouent un rôle essentiel, par exemple lors de grandes manifestations publiques ou lors de crises, comme on l’a vu récemment lorsqu’une tempête et des inondations ont frappé le Nord de la France. Les sapeurs-pompiers sont tenus de traiter l’urgence, et seulement l’urgence, en s’appuyant sur leur organisation éprouvée, le maillage territorial de leurs moyens et leur système d’astreinte. Les associations agréées de sécurité civile pourraient participer aux secours d’urgence et soutenir l’action des sapeurs-pompiers. Elles le font d’ailleurs dans certains territoires, en mettant à disposition des ambulances sur des créneaux horaires de disponibilité.

Je considère que cette complémentarité ne présente aucune difficulté, parce que les uns et les autres sont investis d’une même mission de protection des personnes et des biens. La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) entraîne tous les acteurs dans un même mouvement. Lorsque les interventions sont d’ampleur, il est nécessaire de mettre en place une coordination, et il revient aux centres opérationnels départementaux (COD) de s’y employer. Il serait toutefois utile, pour renforcer cette coordination, de procéder à davantage d’exercices en commun, afin que chacun puisse échanger avec les autres acteurs et mieux comprendre leurs rôles respectifs.

En résumé, les sapeurs-pompiers volontaires travaillent en bonne entente avec les associations agréées de sécurité civile. D’ailleurs, nous n’hésitons pas à leur adresser de potentielles recrues qui n’auraient pas le profil requis pour intégrer un corps de sapeurs-pompiers volontaires ou qui ne répondraient pas au test de la cotation SIGYCOP.

M. Julien Rancoule (RN). Je reviens sur vos propos portant sur l’idée d’une structure nationale. Celle-ci concernerait-elle uniquement la partie financière, en ayant pour vocation de compenser certaines inégalités territoriales ? Ou bien pensez-vous à une structure de politique publique ? Au Portugal, par exemple, un secrétariat d’État est dédié à la sécurité civile. En France, le sujet de la sécurité civile n’est pas restreint au cadre d’action du seul ministère de l’intérieur et concerne d’autres ministères, tels que le ministère de l’environnement, le ministère de la santé ou le ministère du logement. Quel modèle aurait votre préférence ?

M. Samuel Mathis. Il me semble qu’une véritable direction nationale serait à même de pallier le manque d’équité entre les départements. Lorsque les pompiers sont passés des corps communaux aux services départementaux, le mal était fait. Aujourd’hui, si l’on souhaite mettre fin aux inégalités en termes financiers et en termes de gestion, il convient certainement d’envisager une direction nationale gérant directement l’ensemble des pompiers et qui relève du ministère de l’intérieur.

M. Jean-Marie Fiévet, président. La durée d’engagement des sapeurs-pompiers volontaires a sensiblement diminué au fil du temps. À une époque, il n’était pas rare de voir des sapeurs-pompiers volontaires s’engager durant trente ou quarante ans. Aujourd’hui, la moyenne de la durée d’engagement est de sept ans et trois mois pour les hommes, et un peu plus de cinq ans pour les femmes. Que vous inspire cette évolution ? Avez-vous des propositions à formuler pour, au moins, stabiliser cette durée d’engagement ?

M. Sylvain Trouvain. La durée moyenne d’engagement est supérieure au chiffre que vous avez avancé, monsieur le vice-président, et se situe autour de dix ans. Néanmoins, elle a en effet diminué. Je considère que ce dont nous avons parlé précédemment explique cet affaissement, à savoir que le sapeur-pompier volontaire est géré non pas comme un bénévole, mais comme un salarié, sans toutefois le corollaire, c’est-à-dire les gratifications du salariat. Si le salarié d’une entreprise mène une belle et longue carrière, il peut espérer une reconnaissance, une gratification et la récompense de son ambition. Le sapeur-pompier volontaire ne peut rien espérer de la sorte.

Des sapeurs-pompiers volontaires atteignent une durée de service de plus de trente ans, comme monsieur Mathis et moi-même. Mais nous arrivons à bout de souffle parce que nous sentons une certaine hostilité de l’institution, qui voit en nous des gens qui se plaignent, à la différence des jeunes engagés. Les durées d’engagement inférieures à dix ans sont insuffisantes, en effet. Ces engagements courts représentent, en outre, des dépenses supplémentaires, puisque le roulement des engagements suppose de dispenser plus fréquemment des formations ou de renouveler la mise à disposition des tenues vestimentaires, par exemple. La fidélisation nécessite des moteurs, et il me semble que la reconnaissance est le premier d’entre eux.

M. Samuel Mathis. Lorsqu’il s’engage, un sapeur-pompier volontaire est fréquemment célibataire. Lorsqu’il s’installe dans une vie de famille, ou dans une vie professionnelle, sa disponibilité diminue. Or, il n’est pas rare de rencontrer des volontaires dans cette situation s’entendre dire par leur chef de centre qu’ils ne sont plus utiles en raison de leurs disponibilités moindres. Telle est l’une des raisons pour lesquelles je disais précédemment que l’institution doit s’adapter à l’individu, et non l’individu à l’institution.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Vous avez souligné plusieurs fois l’importance de la reconnaissance de l’engagement, et j’y souscris. Nous attendons impatiemment ce qui ressortira des discussions à propos de l’arrêt sur les retraites. Par ailleurs, la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) a considérablement évolué depuis un an. Tous les grades sont désormais ouverts aux sapeurs-pompiers volontaires, du caporal au colonel. Estimez-vous que ces dispositions suffisent ? D’autres mesures vous semblent-elles nécessaires afin de combler vos attentes en termes de reconnaissance et de fidéliser davantage les sapeurs-pompiers volontaires ?

M. Samuel Mathis. Je crois avoir répondu en partie. Nous sommes sensibles aux médailles, aux bonifications pour la retraite, au régime indemnitaire, mais il convient de souligner que les directives nationales, parfois, ne sont pas ou peu appliquées au niveau local. Surtout, ces dispositions ne démentent pas le sentiment partagé qu’en France, les sapeurs-pompiers volontaires ne sont plus désirés, ou ne le sont que comme simples exécutants. J’estime que notre modèle de sécurité civile s’effondrera si la volonté fait défaut de donner aux sapeurs-pompiers volontaires la place qu’ils méritent.

M. Sylvain Trouvain. Vous avez indiqué, monsieur le vice-président, que les grades sont désormais ouverts aux sapeurs-pompiers volontaires. C’est exact, mais cette disposition n’est pas tout à fait mise en œuvre en pratique. En consultant un rapport émanant de la DGSCGC datant de 2022, il apparaît que les sapeurs-pompiers professionnels comptent 1 904 officiers supérieurs, alors qu’ils ne représentent que 17 % des effectifs. Les sapeurs-pompiers volontaires, qui représentent 80 % des effectifs, ne comptent, eux, que 282 officiers supérieurs. Le déséquilibre est flagrant.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les sapeurs-pompiers sont impliqués dans la gestion de crise face à des risques multiples, climatiques, sanitaires, technologiques ou terroristes. J’aimerais recueillir votre avis sur les réserves communales de sécurité civile (RCSC). Celles-ci, naturellement, ne remplissent pas les mêmes missions que les sapeurs-pompiers, qui interviennent en situation d’urgence. Cependant, ces réserves jouent un rôle avant et pendant la crise, mais aussi après la crise, par le soutien qu’elles apportent à la population. Ce dispositif des réserves est-il bien identifié par les sapeurs-pompiers volontaires ? Un travail commun sur les missions des uns et des autres est-il mené ?

M. Sylvain Trouvain. Je considère que le dispositif des réserves communales est très méconnu et très peu développé. Il s’agit souvent d’anciens centres de première intervention (CPI) ayant changé de statut en raison d’un manque de moyens et d’un manque de formation. Les RCSC témoignent d’une volonté de maintenir des capacités de secours à l’échelon communal sans être bien identifiées par les maires et des élus locaux. Cependant, les dispositions de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, prévoient la désignation d’un correspondant incendie et secours dans les conseils municipaux des communes ne disposant pas d’élu chargé des questions de sécurité civile. Ce conseiller municipal, en se rapprochant du SDIS et en se formant à la culture de la gestion du risque, permettra d’accélérer l’identification par tous les élus des dispositifs tels que les réserves communales. À ce titre, j’estime que les SDIS ont un rôle à jouer en termes de formation et d’information des conseils municipaux.

M. Julien Rancoule (RN). Les sapeurs-pompiers volontaires bénéficient-ils d’heures sur leur compte engagement citoyen (CEC) ?

M. Sylvain Trouvain. Ce dispositif est très récent. Il permet de bénéficier, après cinq années de service, de 200 euros sur le compte engagement citoyen. Ce montant, très faible, ne permet pas de financer une formation. J’estime pour ma part que la finalité de cette disposition est de payer des formations aux SDIS par l’intermédiaire de nos CEC. Je pense que le compte personnel de formation (CPF) est un service bien plus significatif.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Il était très important, pour nous, d’entendre la voix des sapeurs-pompiers volontaires, et je vous invite, au cas où vous souhaiteriez compléter cette audition, à nous transmettre une contribution écrite. Nous vous remercions vivement, Monsieur Mathis et Monsieur Trouvain, pour votre disponibilité, bien naturelle après tout pour des sapeurs-pompiers par définition toujours disponibles.

 


Table ronde sur le thème « Sécurité civile et environnement »

Compte rendu de la table ronde sur le thème « Sécurité civile et environnement »
(mercredi 13 décembre 2023)

M. Jean-Marie Fiévet, président. Nous consacrons cette table ronde aux liens entre sécurité civile et environnement, parce qu’il nous paraît essentiel de réfléchir aux diverses influences de l’environnement sur l’organisation de notre sécurité civile. Il convient, dans ce domaine, de tenir compte des évolutions en cours et de les anticiper, ce souci d’anticipation étant au cœur de notre mission d’information, comme le suggère son intitulé.

Nous recevons aujourd’hui monsieur Lionel Suchet, directeur général délégué du Centre national d’études spatiales (Cnes), monsieur Pierre Tréfouret, directeur de cabinet du président du Cnes, monsieur Guillaume Mellier, directeur des programmes et de l’appui aux politiques publiques à l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), qui est accompagné de madame Marie-Agnès Scherrmann, cheffe du département gestion de territoire au service des partenariats et des relations institutionnelles de l’IGN, monsieur Benoît Thomé, directeur des relations institutionnelles à Météo France, monsieur Gilles Martinoty, directeur adjoint du Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom), et madame Isabelle Duvaux-Bechon, conseillère sénior de l’équipe des accélérateurs à la direction des affaires européennes, juridiques et internationales de l’Agence spatiale européenne (ESA). Nous vous remercions de vous êtes rendus disponibles pour participer à cette table ronde.

Nous avions également convié un représentant du Commissariat général au développement durable (CGDD) en raison de sa compétence transversale en matière environnementale, qui ne nous semble pas dépourvu de liens avec les questions qui nous intéressent. Nous regrettons qu’il n’ait pu se joindre à nous aujourd’hui, mais peut-être pourrons-nous envisager de l’entendre lors d’une audition ultérieure, puisque nous avons prévu d’auditionner au cours des prochains mois diverses administrations concernées par ce thème. De même, madame Anne Clerc, préfète et cheffe du pôle territorialisation et filières au Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), n’a pu se joindre à nous en raison d’une contrainte imprévue et nous prie de l’en excuser.

Mesdames et messieurs, vos domaines de compétence et d’expertise sont divers, cependant il nous a semblé intéressant de croiser vos regards et vos analyses, en vous associant à nos réflexions sur le modèle français de sécurité civile et sur les défis auxquels il est confronté du point de vue environnemental.

Afin de mener nos travaux, nous avons souhaité partir du terrain et mettre à profit l’expérience des élus locaux et des acteurs de la sécurité civile au quotidien, ainsi que les enseignements à tirer de l’observation des pratiques à l’étranger. Notre échange aujourd’hui doit vous permettre de nous informer sur vos domaines d’expertise et sur votre organisation, ainsi que sur votre coopération avec certains acteurs de la sécurité civile. Vous nous fournirez également les moyens de comprendre, anticiper et prévenir les crises à venir et leurs conséquences environnementales. Notre objectif est de gagner en efficacité et de faire face, dans les meilleures conditions possibles, aux crises majeures qui pourraient se multiplier à l’avenir, en raison notamment du dérèglement climatique et des évolutions de nos modes de vie.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je vous remercie à mon tour pour votre participation à cette table ronde. Notre mission d’information porte, comme vous le savez, sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile à différentes crises potentielles, qu’elles soient sanitaires, technologiques, naturelles ou terroristes. Nous nous intéressons plus particulièrement aujourd’hui au risque naturel. Je vous invite, pour commencer, à présenter les structures que vous représentez, leur organisation, leur budget et leurs effectifs, en précisant ce qui vous rapproche, de manière directe ou indirecte, de l’étude des enjeux environnementaux sous l’aspect de la protection des milieux naturels et des populations.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon, conseillère sénior de l’équipe des accélérateurs à la direction des affaires européennes, juridiques et internationales de l’Agence spatiale européenne. Je vous remercie pour votre invitation. Je précise que celle-ci était destinée à M. le général Pascal Legai, conseiller sécurité du directeur général de l’ESA, qui m’a demandé de le suppléer. L’Agence spatiale européenne, ou European Space Agency, est un organisme intergouvernemental, et non une agence de l’Union européenne, créée en 1975. Elle est l’héritière de deux agences, l’une pour les lanceurs et l’autre pour la science. Sa mission, pour citer l’article 2 de la convention, consiste à « assurer et développer à des fins exclusivement pacifiques la coopération entre États européens dans les domaines de la recherche et de la technologie spatiales, ainsi que leurs applications spatiales, en vue de leur utilisation à des fins scientifiques et pour des systèmes spatiaux opérationnels d’applications ». Nous développons des programmes pour les États membres, ainsi que pour des tiers tels que l’Union européenne, l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques (Eumetsat) ou encore des États désireux de déployer leurs moyens nationaux dans le domaine.

Nous nous distinguons des autres agences en ce que nous sommes actifs dans tous les domaines du spatial, c’est-à-dire l’astronomie, l’observation de la Terre, les télécommunications, le positionnement, les vols habités ou encore les lanceurs. Notre activité est financée aux trois-quarts par les vingt-deux États membres, dont dix-neuf sont également membres de l’Union européenne. Les trois autres États sont le Royaume-Uni, la Suisse et la Norvège, membres de plein exercice. Les États membres de l’Union européenne qui ne sont pas membres de l’ESA disposent d’accords de coopération ou de partenariat et peuvent, à terme, devenir États membres de plein exercice.

Le quart du financement restant est assuré en grande partie par l’Union européenne, qui demande à notre agence de développer ses programmes spatiaux. Des agences extérieures, telles que Eumetsat, complètent ce financement. Le budget de l’ESA est actuellement le plus élevé de son histoire. Il s’établit à 7,3 milliards d’euros, ce qui représente une dépense d’environ 12 à 13 euros par citoyen. L’Allemagne et la France sont les premiers contributeurs du budget, à hauteur d’environ un milliard d’euros chacun pour l’année 2023. Nos effectifs s’élèvent approximativement à 3 000 contractants à temps plein.

L’ESA est une organisation de recherche et développement, elle n’a donc pas de rôle politique, mais un rôle de mise en œuvre. Elle propose des programmes adaptés aux politiques de ses États membres, en échange constant avec eux, notamment à travers le conseil de l’ESA qui se réunit une fois par an. J’ai mentionné la convention de l’ESA, qui évoque sa finalité exclusivement pacifique. Cette disposition est tirée du Traité de l’espace extra-atmosphérique, ratifié par une centaine de pays. Ce texte est l’objet de diverses interprétations juridiques, notamment autour du mot « pacifique ». Nous nous accordons, à l’ESA, sur l’idée que pacifique ne signifie pas civil, mais non offensif. Autrement dit, si nous ne développons pas des moyens militaires purs, en revanche ce que nous développons est utilisable par les militaires. Le terme « pacifique » renvoie également au maintien de la paix, qui en France comme ailleurs peut être assuré aussi par les militaires. Il s’agit donc d’une notion importante, et aujourd’hui tous nos programmes ont une utilisation duale, à commencer par la météorologie. L’ESA, en somme, a vocation à s’adapter aux souhaits des États membres.

En ce qui concerne les enjeux environnementaux, l’ESA est impliquée dans les programmes de satellites d’observation de la Terre, qui sont soit des programmes optionnels financés par les États membres, soit des programmes cofinancés par les États membres et par l’Union européenne, par exemple le programme des sentinelles de Copernicus. Nous mettons également en œuvre des programmes nationaux financés par un État membre souhaitant bénéficier de l’expertise de l’ESA. Enfin, les programmes météo d’Eumetsat nous sont confiés.

L’ESA travaille également sur des services et des applications. Elle n’est pas opératrice de services, mais elle est en mesure de développer des applications et des services utiles sur les sujets environnementaux. En effet, la moitié des variables dont la mesure est essentielle pour appréhender le climat ne sont mesurables que par satellite. Il est, par conséquent, fondamental de disposer d’une flotte de satellites.

Je terminerai mon propos en indiquant que l’une des cinq priorités définies dans l’agenda 2025 de notre direction générale, publié en 2021, concerne le rôle du spatial dans le domaine de la sûreté et de la sécurité, reconnaissant ainsi que les satellites jouent un rôle dans l’amélioration de la sécurité sur Terre, avec des actions spécifiques.

M. Lionel Suchet, directeur général délégué du Centre national d’études spatiales. Je représente M. Philippe Baptiste, président du Cnes, qui est retenu, justement, par le conseil de l’ESA. Le Centre national d’études spatiales est à la fois une agence nationale, qui propose au Gouvernement la politique spatiale française et la met en œuvre, ainsi qu’un centre technique disposant de la capacité de soutenir et d’accompagner le développement de l’écosystème spatial français. Le Cnes a été créé en 1961 ; 2 400 personnes y travaillent et son budget, lui aussi en croissance, s’élève en 2023 à 2,6 milliards d’euros, dont un milliard correspond au budget de la souscription française à l’ESA – je rappelle que le Cnes représente la France dans les instances de pilotage de l’ESA.

Le contrat d’objectifs et de performance qui nous lie à l’État comporte quatre axes stratégiques. Le premier est le renforcement de l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe. Nous travaillons depuis notre création dans un modèle dual, puisque nous gérons des programmes militaires et des programmes civils. Le deuxième axe est la coopération scientifique et l’excellence scientifique française, grâce à notre communauté scientifique spatiale qui se situe au meilleur niveau mondial. Le troisième axe est la compétitivité économique ; notre champ d’activité s’est, en effet, élargi au-delà des deux pôles de défense et de science, et nous gérons de plus en plus d’activités économiques. Enfin, si les trois premiers axes sont liés à nos trois ministères de tutelle, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le ministère des armées et le ministère des finances, ce quatrième axe concerne quant à lui l’accompagnement du spatial pour le développement durable et la lutte contre le changement climatique. Nous sommes donc particulièrement impliqués sur ce sujet.

Le Cnes dispose de plusieurs types de moyens satellitaires contribuant aux enjeux de sécurité civile, au sens large : les satellites d’observation de la Terre, évoluant en orbite basse et couvrant l’intégralité du globe terrestre, les satellites de télécommunications caractérisés par leur résilience par rapport aux moyens déployés au sol, les systèmes tels que Cospas-Sarsat ou Argos, qui permettent de localiser des balises de façon inleurrable par rapport au GPS ou d’envoyer des signaux, et enfin les systèmes de navigation par satellite, tels le GPS ou Galileo, qui jouent également un rôle important au niveau de la sécurité.

Les satellites d’observation de la Terre concourent à la lutte contre le changement climatique selon quatre modalités. Premièrement, ils permettent de comprendre, en mesurant un grand nombre de paramètres, comment fonctionne le système Terre. Par exemple, l’élévation du niveau de la mer est mesurée par un système satellitaire qui est le fruit d’une coopération historique entre la France et les États-Unis, entre le Cnes et le Jet Propulsion Laboratory (JPL). Il s’agit de la mesure effectuée depuis l’espace la plus longue de l’histoire, puisqu’elle a été initiée il y a plus de trente ans. Cette mesure, qui sur trente ans atteint une moyenne de 3,2 mm par an, et qui est malheureusement en forte hausse puisque l’élévation est actuellement proche de 5,6 mm par an, est possible uniquement par l’intermédiaire d’un système satellitaire.

Deuxièmement, les satellites d’observation de la Terre permettent de montrer et de démontrer. Nous avons lancé un observatoire spatial du climat qui démontre l’impact local du changement climatique, en termes de risques d’inondations, de feux de forêt ou encore de désertification. Il s’agit d’un projet très concret montrant aux populations, aux décideurs et aux politiques l’impact réel du changement climatique sur des territoires très restreints.

Troisièmement, les satellites d’observation de la Terre concourent à la gestion des crises. Nous disposons à ce titre de certains moyens d’alerte, et de la possibilité de donner aux organisations de sécurité civile des outils d’intervention en situation de crise.

Quatrièmement, les satellites d’observation de la Terre forment un outil de contrôle. Il s’agit d’une réalité d’avenir, plus que du présent, mais dès aujourd’hui des systèmes sont développés pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre et ainsi contrôler le respect des réglementations en la matière.

M. Guillaume Mellier, directeur des programmes et de l’appui aux politiques publiques à l’Institut national de l’information géographique et forestière. L’Institut national d’information géographique et forestière est un établissement public à caractère administratif, fonctionnant sous la co-tutelle du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, d’une part, et du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, d’autre part. Il emploie 1 600 personnes et son budget s’élève à 180 millions d’euros.

L’Institut est issu de la fusion opérée en 2012 entre l’Institut géographique national (IGN) et l’Inventaire forestier national (IFN). L’IGN a pour vocation de produire et diffuser des données accessibles à tous, des représentations cartographiques et des références relatives à la connaissance du territoire national et des forêts françaises, ainsi qu’à leur évolution. Nous mettons de plus en plus l’accent sur ce dernier point, dans un contexte d’évolution du territoire marqué par l’action de l’homme sur son environnement et les enjeux de la transition écologique. Nous sommes passés d’une description relativement statique du territoire à l’observation en continu de son évolution.

La fonction première de l’IGN est de produire de la connaissance servant en premier lieu à l’identification et à l’anticipation des risques, à mettre en place des politiques de prévention et, le cas échéant et dans une moindre mesure, à orienter les politiques d’intervention.

Les données produites par l’IGN sont disponibles et interviennent dans les systèmes d’information des acteurs de la chaîne de sécurité civile. Je donnerai quelques exemples. Sur le risque d’incendie, l’IGN produit des bases de données sur les incendies de forêt et des cartes des obligations légales de débroussaillement. Nous développons également un service d’identification en amont du risque d’incendie, à la faveur d’une connaissance fine des essences forestières sur le territoire. En effet, il est crucial de connaître la composition d’une forêt afin d’anticiper le risque et la forme de la propagation d’un incendie. Sur le risque d’inondations, nous produisons des modélisations numériques de terrain permettant une connaissance fine de la topographie, afin de simuler et anticiper les effets de l’augmentation soudaine des volumes d’eau.

Au soutien de ces actions interviennent les programmes transverses de l’IGN, par exemple géoplateforme, qui vise à fournir à la puissance publique des outils mutualisés de gestion d’information géographique, ou le projet de jumeaux numériques du territoire pour renforcer les capacités de simulation. Les transformations induites par les enjeux de la transition écologique imposent en effet de gérer des éléments multithématiques, de croiser les enjeux et, par conséquent, d’être davantage en capacité de simuler la prévention ou la réaction face au risque.

M. Benoît Thomé, directeur des relations institutionnelles à Météo France. Météo France est un établissement public à caractère administratif présidé par Mme Virginie Schwarz, qui vous prie de l’excuser de ne pas avoir pu participer à cette table ronde, et que je représente. Météo France regroupe environ 2 500 agents, dont 500 prévisionnistes et 300 chercheurs, puisque notre service mène une importante activité de recherche. Son budget s’élève à environ 400 millions d’euros.

Les missions de Météo France sont fixées par son décret de création datant du 18 juin 1993. L’article 2 de ce décret stipule que « Météo France exerce les attributions de l’État en matière de sécurité météorologique des personnes et des biens. À ce titre, il assure, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur, et s’il y a lieu dans le cadre de conventions, la satisfaction des besoins exprimés, notamment par les services chargés en métropole et outre-mer de la sécurité civile, de la prévention des risques majeurs et de la sûreté nucléaire. Il exerce auprès de ces services un rôle d’expertise dans les domaines de sa compétence. Il contribue également, par ses informations et son expertise, à l’élaboration des politiques publiques en matière de changement climatique ». Nous voyons, à la lecture de ce décret, que Météo France se situe à la croisée des questions de sécurité civile et des questions de changement climatique qui nous réunissent aujourd’hui. Ces deux axes, la sécurité et le changement climatique, sont les deux premiers axes stratégiques du contrat d’objectifs et de performances de Météo France, qui couvre la période 2022-2026.

Sur l’axe sécurité, nous nous sommes donné comme objectif de contribuer de manière déterminante à l’exercice des responsabilités régaliennes de l’État, et en premier le lieu à la sécurité des personnes et des biens. Météo France travaille en étroite relation avec les acteurs de la sécurité civile au niveau national et au niveau des territoires. Nous produisons des bulletins d’information et de prévision, mais aussi de l’appui durant les périodes de crise. Le plus important et sans doute le plus connu de nos services est celui de la vigilance météorologique, qui s’adresse à la fois aux opérateurs de la sécurité civile et au grand public. Le dispositif de la vigilance météorologique est né en 2001, après l’épisode de la tempête de 1999, dont le bilan fut très lourd puisque 92 personnes avaient alors péri. Cette tempête avait été correctement prévue, mais le grand public n’avait pas été suffisamment averti de sa dangerosité. De cette expérience montrant l’importance de la communication à destination du grand public est née la vigilance qui, en cas de prévision de phénomènes à risque, informe et conseille sur les bonnes pratiques à observer. La vigilance météorologique ne cesse de s’améliorer, en lien avec nos commanditaires que sont la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’intérieur, et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui est notre ministère de tutelle.

Sur le thème du changement climatique, nous ambitionnons d’être l’acteur national de référence en matière de fourniture de données et de services en appui aux démarches d’adaptation au changement climatique. Météo France produit de la connaissance sur le suivi de l’évolution climatique et participe à la prise de conscience sur les conséquences du changement climatique, la nécessité de l’atténuer et, désormais, de s’y adapter. Afin d’accompagner les acteurs du territoire, les acteurs économiques et les acteurs de la sécurité civile, nous développons des services qui recouvrent notamment deux outils. D’abord le portail Drias, qui présente les projections des modèles climatiques validés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et s’adresse notamment aux bureaux d’études, afin de leur permettre de déduire des évolutions. Ensuite un produit s’adressant aux collectivités locales et notamment aux communes, Climadiag communes, qui permet très facilement d’obtenir une vision de ce que sera le climat dans une commune en 2050. Mettre l’accent sur les paramètres les plus problématiques en fonction du territoire incite les collectivités locales à une prise de conscience rapide et facile.

M. Gilles Martinoty, directeur adjoint du Service hydrographique et océanographique de la Marine. Le Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom) est un établissement public à caractère administratif depuis 2007. Auparavant service interne du ministère des armées, il est resté sous la tutelle de ce ministère. Son budget annuel s’élève à environ 70 millions d’euros et il emploie environ 550 agents. La mission du Shom est de connaître et décrire l’environnement physique marin, et de prévoir son évolution. Toutes proportions gardées, on peut dire que le Shom est en quelque sorte l’IGN des mers pour la partie connaissance et description, et le Météo France des mers pour la partie prévision.

Le Shom exerce ses missions d’une part pour une finalité militaire, en opérant un soutien opérationnel des forces et en menant une forte activité de recherche et développement pour les futures capacités militaires, et d’autre part pour une finalité civile. Ce second aspect est, en partie, une nouveauté introduite à la faveur de sa transformation en établissement public à caractère administratif.

Sur le plan civil, le Shom a pour mission historique de concevoir toutes les cartes, notamment les cartes électroniques, nécessaires à la navigation de surface. Depuis 2007, il vient également en appui aux politiques publiques en mer et sur le littoral. Il est donc amené à appréhender des enjeux environnementaux en lien avec les risques pour la sécurité et la protection civiles, et mène principalement trois activités.

La première est l’observation. Le Shom est l’opérateur d’un réseau très important de marégraphes numériques répartis sur l’ensemble des côtes françaises, servant à mesurer le niveau de la mer en temps réel et en continu. Cette observation est très importante et intervient à deux niveaux opérationnels, d’une part dans la vigilance vagues-submersion qui relève de la vigilance météorologique de Météo France, d’autre part dans la caractérisation des tsunamis, puisque la France dispose d’un réseau de détection de tsunamis en Atlantique et en Méditerranée.

La deuxième activité est la modélisation. Le Shom est l’un des acteurs techniques principaux, avec Météo France, de la modélisation de la circulation océanique, c’est-à-dire qu’elle produit des modèles de déplacement des courants ou de température dans l’océan. Ces modèles sont utilisés pour les bulletins d’alerte de vigilance vagues-submersion.

Enfin, le Shom a une activité d’expertise sur plusieurs sujets. L’un d’eux est le calcul et la mesure des niveaux extrêmes de la mer. Le Shom dispose en effet de la plus vaste archive de mesures marégraphiques, qui lui permet de produire des statistiques sur les niveaux extrêmes de la mer. Par ailleurs, le Shom intervient dans la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, notamment pour les communes du littoral victimes d’un événement extrême. En s’appuyant sur ses archives, il peut déterminer le caractère exceptionnel d’un phénomène.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Jusqu’à présent, notre mission a accueilli essentiellement des acteurs opérationnels. Or, il me semble crucial de parler avec vous d’innovation, de recherche et de stratégie, c’est-à-dire des domaines prépondérants en matière de gestion de crise. Vous avez évoqué l’identification, le contrôle et l’alerte. Sur ces trois aspects, j’aimerais savoir la nature de vos échanges avec les services de la sécurité civile, afin d’analyser les risques, de les prévenir et de faciliter leur gestion au cas où ils surviennent.

M. Benoît Thomé. Météo France est en relation directe et quasi quotidienne avec les services de la sécurité civile et les services de prévention des risques, et nous avons des accords conventionnels avec la DGPR et la DGSCGC, dont l’objectif est d’améliorer nos dispositifs en continu. Monsieur Martinoty évoquait la vigilance vagues-submersion. Ce dispositif a été mis en place après la tempête Xynthia qui, en février 2010, a surpris par son bilan humain très lourd, alors qu’elle avait été correctement prévue. Cependant, les services de sécurité civile se sont préparés à une tempête et les pompiers sont partis en intervention avec des tronçonneuses, imaginant trouver des arbres abattus sur la route. Or, ils sont arrivés sur des lieux d’intervention noyés sous deux mètres d’eau et ont dû repartir chercher le matériel adéquat pour sauver des personnes de la noyade. À travers cette expérience, nous nous sommes rendu compte qu’un simple avis de tempête manquait de précision. Une tempête est une dépression, c’est-à-dire que l’air exerce une pression moindre sur la mer, ce qui entraîne une surcote, un dépassement anormal du niveau de la mer. Cette surcote peut atteindre 1,5 mètre lors d’une tempête importante, et en cas de marée haute à fort coefficient, la mer déborde, comme lors de la tempête Xynthia. Nous avons donc ajouté cette vigilance vagues-immersion afin de mettre l’accent sur ce risque. La tempête Ciarán, en octobre dernier, s’est produite alors que les coefficients étaient faibles. Une semaine plus tôt, cette tempête aurait causé de considérables dégâts.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon. Le rôle de l’ESA est différent, puisque l’ESA est une agence de recherche et développement. 90 % de notre budget retourne aux industriels qui vont développer les programmes. Dès lors, les éventuels échanges avec les services se font par l’entremise des industriels développant des applications et des services financés ou co-financés par l’ESA. Nos futurs programmes s’appuieront davantage sur les besoins des utilisateurs ; c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place des initiatives sur les questions de sécurité, de façon à identifier les besoins, combler des trous capacitaires et mettre en réseau les outils existants. Par exemple, nous avons une initiative sur les accélérateurs de réponse en matière de gestion de crise, afin de mettre en réseau et en interopérabilité des outils et des instruments des États membres, de l’Europe ou du secteur privé.

M. Lionel Suchet. Le Cnes entretient des relations régulières avec les services de sécurité civile du ministère de l’intérieur, avec le ministère délégué chargé des outre-mer et avec le ministère de la transition écologique. Je citerai deux outils mobilisables par les services opérationnels. Le premier est la charte internationale espace et catastrophes majeures initiée par le Cnes et l’ESA en 2000, qui regroupe dix-sept organismes du monde entier et 270 satellites. Cette charte permet de dépêcher, dans les heures suivant une catastrophe, un chef de projet chargé de contrôler des satellites des pays signataires de la charte. Le chef de projet prend la main sur des satellites et réalise des images précises du lieu de la catastrophe. Ces images sont ensuite couplées avec un service de cartographie rapide situé à Strasbourg, le service régional de traitement d’image et de télédétection (Sertit). Des cartes sont alors transmises rapidement aux équipes de sécurité civile sur le terrain, leur indiquant les routes coupées, les inondations, les lieux où sont regroupées les populations, les zones plus ou moins accessibles, etc. Depuis 2000, cette charte a été activée 853 fois, malheureusement à un rythme de plus en plus soutenu. L’autre outil du Cnes est moins lié à la situation de crise qu’à la récupération des situations de crise. Il s’agit du Recovery Observatory, ou observatoire de la reconstruction, qui utilise l’imagerie par satellite pour aider à la reconstruction de zones sinistrées après une catastrophe naturelle, et permet de suivre dans le temps les reconstructions et les réaménagements.

De manière générale, le Cnes mène une importante activité de cartographie. Par exemple sur l’aléa des feux de forêt, puisqu’il est possible depuis l’espace de mettre en évidence la sécheresse des sols et les niveaux de végétation, ou sur le risque de ruissellement intense en couplant des modélisations 3D et des modèles météorologiques pour déterminer des zones inondables. Je citerai comme dernier exemple Kineis, un système en cours de développement de vingt-cinq satellites capables de suivre des petites balises émettant des informations. Nous étudions avec les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) la possibilité d’installer ces capteurs sur les arbres pour envoyer des alertes en cas d’élévation importante des températures, mais aussi sur les citernes des pompiers pour surveiller leur remplissage.

M. Guillaume Mellier. L’IGN intervient en appui des politiques publiques nationales. Il fournit des données, de la connaissance et des capacités d’analyse afin d’alimenter les politiques de prévention et d’intervention. Nous intervenons en premier lieu au niveau national avec les ministères. Par exemple, à propos du risque d’inondations, nous apportons à la DGPR des modèles numériques de terrain permettant d’alimenter les simulations d’inondations. Ce travail fait intervenir les services de prédiction des crues du ministère, ainsi que le service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations (Schapi). Nous réalisons des captations d’image au moment des pics de crue grâce aux photos aériennes prises par les avions de l’IGN, ce qui nous informe sur l’état de la crue et son évolution. Ces données sont injectées dans les retours d’expériences afin d’affiner les modèles de simulation.

En ce qui concerne les feux de forêt, nous disposons de la base de données sur les incendies de forêt en France (BDIFF), établie pour compte du ministère de l’agriculture, qui a en charge les forêts en lien avec la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), la DGPR, l’Office national des forêts (ONF), la DGSCGC et les SDIS. Cette base permet de capitaliser l’information remontée par les acteurs de terrain, les directions départementales et les SDIS, afin d’anticiper les risques à venir. Ces actions sont menées au niveau national, avec les ministères concernés, qui ensuite organisent des chaînes d’acteurs sur le territoire.

M. Gilles Martinoty. Le Shom lui aussi entretient des relations très régulières avec la DGPR et la DGSCGC, c’est-à-dire les deux grandes directions en charge de la prévention et de la gestion des risques. Nous rencontrons aussi régulièrement les opérateurs qui mettent en œuvre les différents dispositifs d’alerte et de vigilance dans le périmètre maritime, principalement le centre national d’alerte aux tsunamis (Cenalt), coordonné par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et Météo France sur le sujet du risque vagues-submersion.

M. Jean-Marie Fiévet, président. La sécurité civile travaille sur les crises et sur les catastrophes, tandis que vos différentes organisations travaillent sur le risque au niveau national. La France est un pays majeur en termes d’analyse et d’anticipation du risque. L’Union européenne dispose de la direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes de la Commission européenne (DG Echo). Certains pays en dehors de l’Union européenne sont-ils plus avancés en matière d’anticipation des risques et des catastrophes ?

M. Gilles Martinoty. Dans le périmètre de la Shom, l’expertise américaine est prépondérante et bénéficie de moyens très importants. La National oceanic and atmospheric administration (NOAA) américaine nous apparaît comme une référence en matière d’observation et de prévision de la circulation océanique. Nous entretenons des relations de proximité avec la NOAA. Ainsi, les modèles de circulation océanique sur les côtes françaises sont fondés sur des modèles américains adaptés. Cependant, le Shom développe désormais en interne de nouveaux modèles, que nous espérons cinq à dix fois plus performants.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon. Je considère que l’Europe est enviée pour ses moyens satellitaires, pour le nombre de satellites et la qualité des informations et des données qu’ils fournissent. La variété des satellites européens est un atout majeur, dans la mesure où de très nombreux paramètres sont mesurés. Chaque jour, les satellites européens recueillent vingt-cinq téraoctets de données pour la seule observation de la Terre. Sur ce point, j’estime que l’Europe n’a pas actuellement de véritable concurrent.

En revanche, l’enjeu porte sur l’utilisation de ces données. Celles-ci étant libres et gratuites, elles sont utilisées partout, y compris par des pays non européens afin de développer des applications et des services. L’Europe, quant à elle, possède une marge de progression dans ce domaine. Nous nous efforçons justement, sur le sujet de la gestion de crise, de bien comprendre les besoins, de façon à déterminer si nous ne possédons pas déjà les données nécessaires, qui n’auraient simplement pas été mises en forme, ou bien si certains types de mesures font défaut. Une concertation est menée, avec les États intéressés, le secteur des télécommunications et celui du positionnement avec le système européen Galileo, afin de tirer le meilleur parti des investissements publics réalisés dans ces domaines.

M. Lionel Suchet. J’estime également que l’Europe n’a pas à rougir par rapport à ses partenaires étrangers, qui disposent, pour certains, de moyens très supérieurs aux nôtres. Nous avons lancé, en 2022, le satellite Swot, qui ouvre une nouvelle page de l’océanographie et qui permet déjà de mesurer les niveaux d’eau douce sur les fleuves et les lacs du monde entier. Ce satellite est le fruit d’une coopération franco-américaine, qui montre bien que la France se situe au plus haut niveau mondial sur ces sujets.

Mais pour répondre plus précisément à votre question, je pense que le Japon, du fait de sa position géographique et de son exposition aux risques, a depuis longtemps développé une forte culture du risque vis-à-vis de la population, et fait figure de modèle dans ce domaine.

M. Benoît Thomé. Je rappelle que le dispositif de prévisions météorologiques et de vigilance est une invention française, et qu’il est désormais repris dans à peu près tous les pays. J’ajoute que la variété de nos territoires et la variété afférente des risques imposent à nos services de sécurité civile un champ d’action très large, ce qui place la France en bonne position sur ces sujets.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quel est, selon vous, le risque majeur auquel sera exposée la France dans les années à venir ?

M. Benoît Thomé. Le dérèglement climatique entraîne une hausse des risques dans de nombreux domaines. Je considère que l’augmentation de la température moyenne sur notre territoire, y compris en outre-mer, est particulièrement dangereuse, avec des épisodes caniculaires de plus en plus fréquents et un changement du régime de précipitations. En effet, on constate une augmentation des précipitations l’hiver et une diminution des précipitations l’été, ce qui induit des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus importantes l’été, et en hiver des périodes de fortes précipitations plus fréquentes, et par conséquent des crues.

Nous rencontrons une difficulté dans la modélisation de ces changements. En effet, le contraste entre le nord de l’Europe et le sud de l’Europe est assez net. Or, la France se situe entre ces deux zones, si bien que la précision des modèles n’est pas optimale. Nous savons avec certitude que le sud de la France rencontrera des problématiques de sécheresse et de très fortes précipitations. La probabilité que le nord du pays subisse des inondations est élevée, et d’ailleurs nous avons connu un épisode d’inondation très récent. Néanmoins, une incertitude demeure en raison de la situation géographique du territoire. Par exemple, nous rencontrons des difficultés à appréhender la problématique des tempêtes. Il est clair, en revanche, que l’augmentation générale la température et de la température des océans accroît l’énergie des cyclones tropicaux.

Après une année 2022 particulièrement catastrophique en matière de feux de forêt, les moyens ont été renforcés avec des achats d’avions et une organisation modifiée. Météo France, de son côté, a mis en place une météo des forêts, c’est-à-dire un dispositif de vigilance sur les feux de forêt qui s’adresse au grand public, de façon à éviter les conduites à risques. Cette météo des forêts identifie les zones à risque et avertit le grand public lorsque les conditions météorologiques sont particulièrement propices au déclenchement et à la propagation des feux.

Il me semble toutefois difficile de hiérarchiser les menaces, et je considère qu’il convient de se préparer à tous types de risques. En 2022, nous avons conduit avec la DGSCGC une étude qui a donné lieu à un plan d’adaptation de la sécurité civile. Nous avons évalué différents risques un par un, et la DGSCGC a analysé son organisation et ses moyens au regard des données que nous lui avons fournies. Je tiens ce rapport à votre disposition.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon. Nous rencontrons une difficulté avec les modèles, parce qu’ils sont à une échelle supérieure à celle qui intéresse le citoyen ou les services de protection civile. Nous travaillons sur des applications et des services centrés sur la détection du début de crise, chaque minute gagnée sur l’envoi des secours pouvant s’avérer cruciale. Nous cherchons également des solutions améliorant l’efficacité de la gestion de la crise.

J’estime que nous devons nous préparer à affronter différents types de crise sur l’ensemble des territoires. Il me semble périlleux d’identifier sur un territoire un seul type de crise susceptible de se produire dans le cadre du changement climatique. En revanche, il faut tenir compte des récurrences.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Pourriez-vous préciser quels sont les moyens d’alerte à la population dont nous disposons ? S’agit-il de numéros de téléphone dédiés, d’alertes sur les téléphones portables ? Par ailleurs, j’aimerais savoir ce qui est mis en place dans les collectivités ultramarines, par exemple en Nouvelle-Calédonie compte tenu de la proximité avec l’Australie. Enfin, j’aimerais quelques développements supplémentaires sur la coopération et la coordination en matière de sécurité civile au niveau de l’Union européenne et au niveau mondial.

M. Benoît Thomé. L’information à la population est un sujet fondamental. La vigilance de Météo France est diffusée le plus largement possible. Nous avons passé des accords avec les médias, et avec certains d’entre eux des accords réglementaires qui les obligent à diffuser l’information de la vigilance météorologique. Par ailleurs, il est désormais possible de s’abonner sur son smartphone et de recevoir des sms d’alerte de la vigilance. Nous disposons également, à destination des élus locaux, d’un système d’alerte pluies intenses, qui s’active lorsque les pluies dépassent un certain seuil et envoie un message au maire d’une commune afin qu’il mette en œuvre les mesures appropriées.

La tempête Ciarán a été l’occasion, très récemment, de recourir pour la première fois s’agissant d’une tempête, et peut-être même pour un événement météorologique en général, à FR-alerte. Ce dispositif, à la main des préfets, permet d’envoyer sur tous les téléphones portables d’une zone un message d’alerte. Cette nouveauté nous semble pertinente ; néanmoins, nous travaillons de concert avec la DGSCGC pour définir la doctrine de son usage, qui doit être parcimonieux.

La météorologie a une très longue tradition de coopération internationale, puisqu’elle repose par définition sur le partage de données et d’informations. L’Organisation météorologique mondiale (OMM), qui est un organisme rattaché à l’Organisation des Nations unies (ONU), est en charge de coordonner tous les services nationaux de météorologiques. Elle distribue des fonctions de responsabilité par grands secteurs. Ainsi, Météo France, à travers le centre météorologique de La Réunion, est responsable au niveau international de la prévision des cyclones sur l’océan Indien. Pour les Antilles, cette responsabilité revient à la NOAA américaine. Cette répartition et cette coordination par l’OMM permettent de mettre en commun des moyens et s’avèrent très bénéfiques pour tout le monde. De même, la Nouvelle-Calédonie que vous évoquiez, Madame Karamanli, bénéficie des informations du bureau australien d’observation météorologique.

Au niveau européen, l’Eumetsat constitue l’un de nos principaux outils. Les satellites sont absolument essentiels pour la météorologie, puisqu’ils fournissent 80 à 90 % des données absorbées et assimilées par nos modèles numériques de prévision. Nous sommes dépendants de moyens satellitaires, qui sont coûteux et qui, par conséquent, doivent reposer en grande partie sur des coopérations internationales. Eumetsat est un organisme intergouvernemental dans lesquels les pays gèrent ensemble des satellites, puisqu’il n’est pas nécessaire que chaque pays dispose de ses propres satellites météorologiques.

L’Union européenne s’est dotée d’un programme, Copernicus, qui développe de plus en plus de services pour l’ensemble de la météorologie. Météo France participe à ce programme en produisant des données et en pilotant l’un de ses volets, lié à la qualité de l’air. Copernicus contient d’ailleurs un programme spécifique à la sécurité civile, qui produit un certain nombre de services. Copernicus a pour vocation l’observation de la Terre, et ses données sont complémentaires avec nos propres observations locales. Il est remarquable par la célérité de sa production, comme il l’a démontré lors des récentes crues dans le Nord, où il a très rapidement produit des cartes satellitaires indiquant l’extension des crues, en complément des cartes de l’IGN.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon. Sur le sujet de l’alerte, j’indique l’existence d’un programme nommé Early warnings for all (EW4ALL), lancé en 2022 et qui vise, d’ici 2027, à permettre d’envoyer des alertes automatiques sur tous les téléphones portables dans une zone concernée par une alerte. Ce système est une initiative commune de l’OMM, du Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques des catastrophes (UNDRR), de l’Union internationale des télécommunications (UIT) et de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC). Nous sommes en contact avec ces quatre organismes, afin d’étudier la manière dont l’ESA pourrait coopérer à travers ses programmes, ses solutions et ses partenaires industriels.

La coopération entre l’ESA et l’Union européenne est quotidienne. Les satellites sentinelles sont co-financés par les pays membres de l’ESA et par l’Union européenne. Je précise que les pays membres de l’ESA financent chaque nouveau satellite et chaque développement technologique, quand l’Union européenne finance les lancements et les modèles récurrents afin d’assurer la continuité du service. Un certain nombre de services de Copernicus ont été développés par l’ESA et ses partenaires industriels, et sont mis à disposition des agences qui en seront les opératrices, c’est-à-dire des services d’urgence, des services maritimes, des services de qualité de l’air, etc.

Nous nous efforçons d’approfondir cette coopération pour les futurs programmes, parce que la perception du temps réel est perfectible. En effet, il est capital, lors d’une gestion de crise, de disposer de l’image de la veille de la crise, pour donner une vue d’ensemble. Mais il est tout aussi important, voire plus, de donner aussi une image rafraîchie de la crise en temps réel, afin de permettre de passer à l’étape ultérieure. Nous développons en ce sens un programme appelé Civil security from space, qui concerne cette question de l’orchestration et permettra de mettre en commun les informations, afin de fournir des données plus actualisées aux opérateurs de terrain.

M. Gilles Martinoty. En ce qui concerne la coopération européenne en matière d’océanographie, les organismes français ont été à l’origine de la création de la société Mercator Océan, qui est l’opérateur du Copernicus marine service, c’est-à-dire le service financé par l’Union européenne qui fournit notamment des modèles d’états de la mer à l’échelle européenne et mondiale. Ce service est indispensable aux opérations du Shom. La société Mercator Océan a été créée il y a d’une dizaine d’années, et ses actionnaires fondateurs sont Météo France, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Shom. Cette société s’est ouverte à des organismes européens et deviendra prochainement une organisation intergouvernementale.

M. Lionel Suchet. Copernicus est une constellation unique de satellites d’observation de la Terre, ; cet outil est sans équivalent dans le monde. Mais il est d’abord un programme dont l’objectif consiste à délivrer des services issus de l’ensemble de ces satellites. L’un d’eux, nommé service Copernicus de gestion des urgences, est très utilisé par la sécurité civile en complément de la charte internationale espace et catastrophes majeures que j’ai évoquée précédemment.

Sur le plan de la coopération internationale, je citerai le Space climate observatory (SCO), lancé depuis la France, mais à vocation mondiale, qui regroupe quarante organismes dans le monde entier et dans lequel 71 projets sont développés. Le SCO vise à mettre en œuvre des projets concrets et très localisés. Par exemple, nous avons mené un projet sur les risques d’inondation et de submersion à Palavas-les-Flots, pour lequel nous avons produit des simulations et des modélisations 3D afin d’expliquer aux responsables locaux ce qu’implique localement une élévation de la température moyenne mondiale de 1,5 degré. L’idée est de dupliquer ce type de travaux ailleurs dans le monde et de partager nos résultats. Ainsi les Chinois peuvent mener une étude similaire en Chine, les Américains aux États-Unis, et ensuite nous nous enrichissons mutuellement par le partage des informations. Cette coopération internationale s’avère très intéressante.

M. Guillaume Mellier. L’IGN n’est pas un acteur direct de la chaîne d’alerte ; il intervient plutôt en amont. Néanmoins, son rôle est important, puisque l’efficacité d’une alerte dépend aussi de la précision de la territorialisation. Plus on développe la pratique de diffusion des alertes en push, plus il convient de s’assurer que l’on ne sur-alerte pas, et que l’on n’émet pas de fausses alertes ; à cette fin, la capacité à territorialiser l’analyse est primordiale. Ceci est valable aussi bien pour le risque d’inondation que pour le risque d’incendie. En effet, lorsque la météo des incendies indique certains paramètres climatiques, tels que la température ou la sécheresse, il est important de les confronter à des bases de données assez fines sur les essences forestières, parce qu’elles influent très fortement sur l’ampleur du risque. Cette connaissance peut exister localement, mais il convient de la capitaliser afin d’augmenter la capacité à cibler les alertes.

Si l’observation spatiale est prépondérante dans la surveillance des milieux et l’anticipation des risques, certaines informations ne s’obtiennent pas depuis l’espace, et il est nécessaire de produire des données issues des territoires, ainsi que de développer les capacités de consolider collectivement des bases de données. Par exemple, un texte de loi datant de l’été 2023 prévoit que les départements établissent et mettent à jour des cartes des voies d’accès aux ressources forestières, notamment en direction des SDIS. Cela permet d’affermir la connaissance sur les voies d’accès forestières et de vérifier leur entretien et leur praticabilité. À cette fin, il est nécessaire de collecter des informations locales et de les partager collectivement. L’IGN s’emploie à développer les outils adéquats à ce partage des connaissances.

Je citerai un autre exemple de l’implication de l’IGN sur le sujet des capacités d’intervention. Nous avons besoin d’outils collectifs permettant de déterminer les moyens d’intervention les plus efficaces et les plus rapides. Les forces d’intervention demandent d’avoir la maîtrise de ce type d’outils, et de se dégager de toute dépendance à des outils qui ne soient pas uniquement dédiés à déterminer, par exemple, le chemin le plus efficace pour accéder au lieu d’intervention, les capacités de résistance des ponts, la hauteur disponible pour les véhicules, etc. Nous devons renforcer notre maîtrise de ces informations locales, afin de les agréger collectivement et de les redistribuer massivement.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon. Je voudrais rebondir sur les propos de monsieur Mellier. Concernant la gestion des crises et la prévention, il convient en effet de rappeler que les moyens spatiaux ne sont pas les seuls à disposition. J’évoquais précédemment l’interopérabilité. Celle-ci s’exprime également avec des données prélevées au sol, des données de médias sociaux ou d’internet des objets, des capteurs, etc. Le spatial n’est jamais la seule solution, il est l’un des éléments de la gestion des risques, souvent indispensable, mais jamais déconnecté des autres outils. Dès lors, il convient, si l’on souhaite bâtir un ensemble de dispositions cohérent, d’intégrer l’ensemble des éléments et des informations concourant à la solution.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Vous avez tous souligné, à juste titre et dans vos domaines respectifs, la nécessité d’anticiper afin que les risques ne se transforment pas en crise ou en catastrophe. Les acteurs de la sécurité civile sont également tenus d’anticiper sur les risques à venir, en termes de formation et d’équipement. Êtes-vous en mesure de vous projeter à dix, vingt ou cinquante ans pour informer de manière régulière les décideurs quant aux risques encourus, et leur permettre de préparer l’évolution des personnes et des moyens de protection civile ? Je vous interroge sur le très long terme, parce que les projections les plus pessimistes sur le réchauffement climatique évoquent le scénario d’une élévation de la température moyenne de quatre degrés à l’horizon 2100.

M. Benoît Thomé. Le scénario d’une élévation des températures moyennes de 4 degrés en France constitue ce que l’on nomme la trajectoire de référence à l’adaptation au changement climatique (Tracc). Il s’agit bien entendu d’un scénario du pire, mais le ministère de la transition écologique demande à chacun, par prudence, de se mettre en ordre de marche afin d’être en mesure de résister à cette hypothèse des quatre degrés en France, qui correspond à une élévation de la température moyenne mondiale de trois degrés. Nous avons donc reçu commande de nous assurer que nos infrastructures de transports, notre système de santé, notre agriculture, nos villes, etc., se trouvent en capacité de résister, ou à tout le moins de s’adapter à cette hypothèse. Cela suppose, pour Météo France, de mettre à jour tous nos services climatiques afin de tenir compte de la Tracc.

Cependant, en concertation avec la DGSC, nous avons choisi de travailler également à l’horizon 2050, c’est-à-dire un horizon où l’élévation des températures sera inférieure à quatre degrés, du moins nous l’espérons, mais qui présente certaines certitudes. En effet, les scénarios d’augmentation des températures en fonction des émissions de gaz à effet de serre montrent que les courbes restent très groupées jusqu’en 2050. Au-delà de cette date, des écarts significatifs apparaissent, selon que l’on soit ou non vertueux en matière d’émissions de gaz à effet de serre. 2050 représente par conséquent un horizon assez stable. Nous prévoyons avec quelque certitude quelles seront les températures en 2050. Ces températures seront peut-être constatées en 2040 ou en 2060, mais il est certain qu’elles adviendront, ce qui nous offre une solide base de travail.

Ces vingt-cinq années devant nous représentent également un horizon de travail qui a du sens pour réfléchir à l’adaptation de nos organisations et de nos systèmes, par opposition à l’horizon 2100, qui me semble trop éloigné. Personne aujourd’hui n’est prêt à investir à si long terme. En revanche, une échéance de vingt-cinq années est évocatrice. Certaines infrastructures que nous construisons aujourd’hui, les infrastructures de transports par exemple, seront toujours utilisées en 2050.

M. Lionel Suchet. Il me semble très important d’être capable de simuler de façon scientifique et sérieuse les conséquences concrètes, sur le terrain, d’une élévation des températures en fonction des hypothèses retenues. Il peut être utile de se placer dans l’hypothèse de la Tracc, c’est-à-dire dans l’hypothèse du pire, mais cette trajectoire n’est pas une fatalité. Il est nécessaire d’agir afin d’éviter ce scénario. Élaborer différentes hypothèses en termes de risques se révèle sans doute davantage motivant pour inciter à l’action sur le terrain, alors que se placer dans la perspective du pire relève d’une forme de résignation et n’incite qu’à se préparer à s’adapter. Il convient de montrer que l’action au présent peut dessiner d’autres trajectoires.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon. Nous travaillons en concertation avec des centres d’entraînement à la gestion de crise situés dans deux pays moteurs de cette initiative, la Belgique et la Pologne. La France, pour le moment, n’a pas souhaité s’associer à ce programme, mais pourrait le rejoindre à l’avenir. La Belgique et la Pologne ont formulé le souhait d’intégrer leurs centres de gestion de crise et d’entraînement à cette réflexion, afin de bâtir des modèles éventuellement applicables dans d’autres États.

Dans un autre cadre, pour répondre à votre question, monsieur le vice-président, sur les échéances décennales, je voudrais évoquer le projet des jumeaux numériques, qui aboutira à long terme. Les jumeaux numériques sont des modèles virtuels répliquant un objet ou un système et couvrant son cycle de vie. Nous travaillons sur l’amélioration des outils de modélisation de jumeaux numériques en anticipant l’intégration de calculs quantiques dans l’attente que les ordinateurs quantiques soient opérationnels. L’objectif consiste à obtenir des modèles d’évolution suffisamment puissants pour y intégrer des politiques publiques et en modéliser l’impact avant de la mettre en œuvre sur le terrain. Autrement dit, ce type d’outils permettrait, au lieu de décider de politiques publiques et de devoir attendre une décennie avant d’en mesurer l’impact, d’assister la décision publique par des outils de modélisation avancée dont le niveau de performance est largement supérieur à ce que nous avons à disposition aujourd’hui. Ce type de réflexion, menée avec tous les États membres de l’ESA, a pour objectif de définir à l’avance les politiques publiques permettant d’éviter, par exemple, un scénario tel que celui de la Tracc.

M. Guillaume Mellier. L’IGN est convaincu de la nécessité de développer une capacité de simulation multithématique. Aujourd’hui nous évoquons les risques en matière de sécurité civile, mais ce qui est effectué sur un thème de prévention, d’atténuation ou d’adaptation peut se répercuter sur d’autres thèmes. Aussi, pour améliorer nos capacités de simulation, il convient de mettre en commun l’ensemble des données issues de différentes thématiques.

Il est crucial, comme l’a rappelé madame Duvaux-Bechon, d’être en mesure de mesurer par anticipation les effets d’une politique publique, mais aussi de prévoir les conséquences d’une politique publique sur des enjeux connexes. Les systèmes sont de plus en plus liés, or la capacité de simulation est encore développée au cas par cas. Aujourd’hui l’IGN conduit avec le Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) un projet de jumeaux numériques des territoires, dont l’enjeu est de constituer une capacité générale, une capacité de socle, à manipuler les données et à accueillir des moteurs de simulations thématiques. Il est en effet nécessaire de développer des outils perfectionnés de simulation, sans pour autant devoir réinventer à chaque fois toute cette infrastructure. Le plan d’investissement France 2030, notamment, reflète cette logique de développement d’un socle de jumeaux numériques des territoires, afin d’accélérer nos avancées et de capitaliser sur ces sujets.

M. Gilles Martinoty. De nombreux travaux scientifiques doivent encore être menés pour anticiper les risques. Dans le périmètre du Shom, la question des projections statistiques des niveaux marins extrêmes, sous différents scénarios climatiques, n’est pas encore tout à fait réglée. Comme je l’ai indiqué précédemment, nous connaissons bien l’historique des niveaux marins extrêmes, mais nous devons élaborer des modèles de circulation et de submersion marine sous différents régimes climatiques. Nous travaillons avec Météo France et le Cerema à définir ce type de projet, de manière à être en mesure, dans quelques années, de modéliser localement des niveaux marins extrêmes et d’en tirer les conséquences en termes d’aménagement du littoral.

M. Didier Lemaire, rapporteur. La population vous semble-t-elle suffisamment au fait des enjeux de notre modèle de sécurité et de protection civile ? Menez-vous, dans vos organismes respectifs, des actions de sensibilisation auprès de la population ?

M. Benoît Thomé. La culture du risque est un sujet difficile, parce qu’elle requiert de maintenir en quelque sorte une pression d’information envers la population, qui oublie très vite. Des dispositifs tels que la vigilance et la météo des forêts participent à la diffusion d’une culture du risque, parce qu’ils incluent des conseils de comportement, mais je pense qu’il est nécessaire de maintenir une certaine notoriété publique des risques liés à la météo. Il s’agit d’un effort permanent.

Météo France a lancé récemment une campagne de notoriété sur la vigilance. Elle est cependant limitée à nos sites internet et à notre application, c’est-à-dire qu’elle vise des personnes qui visitent spontanément nos outils de communication et s’intéressent déjà à la météo. L’acquisition de minutes de publicité sur les grandes chaînes de télévision reste, quant à elle, hors de portée pour notre organisme. Cependant, notre site internet et notre application sont très consultés, puisqu’on dénombre presque un milliard de visites par an. Météo France a donc une fenêtre médiatique importante, et nous nous efforçons de la mettre à profit pour faire passer des messages.

Cette communication s’inscrit dans un contexte assez inquiétant, lié aux réseaux sociaux et à la montée en visibilité de petites entités s’investissant d’une mission d’alerte à la population, parfois en usant d’un catastrophisme qui risque d’atténuer, en le diluant, notre propre message de vigilance. Notre campagne de notoriété vise justement à rappeler que Météo France reste la référence en termes de vigilance.

M. Guillaume Mellier. L’IGN n’est pas un acteur direct de la sensibilisation. Néanmoins, l’institut apporte des outils au grand public et développe le partage de cartographies afin de diffuser de l’information locale. Par exemple, les obligations légales de débroussaillement représentent un enjeu important dans un climat sec favorisant le risque d’incendie. Or, si ce principe est clairement énoncé, en pratique ces obligations sont peu respectées, souvent par manque d’information et faute de cartes disponibles. Nous nous donnons donc pour mission de les faire appliquer en diffusant des informations cartographiques localisées, précisant les zones concernées.

M. Lionel Suchet. Plutôt que de sensibilisation, j’ai envie de parler d’éducation, et notamment des plus jeunes. Je pense que les populations ne sont pas assez sensibilisées aux questions qui nous occupent aujourd’hui, mais aussi aux questions liées au spatial. Nous œuvrons à améliorer cette sensibilisation à partir des quatre piliers de notre contrat d’objectifs et de performance, dont l’un est l’environnement. Nous nous rendons dans les écoles, dès le primaire, parce qu’il faut préparer la société future à appréhender les risques et les possibilités offertes par le spatial, grâce à la révolution numérique et au couplage avec des données recueillies au sol. Mais, de manière générale, j’estime que nous sommes largement perfectibles en matière de sensibilisation et d’éducation à ces sujets.

Mme Isabelle Duvaux-Bechon. L’ESA dispose d’un service qui développe des formations pour les enseignants et pour les étudiants, ainsi que des outils pédagogiques pour les classes. Par exemple, il existe un module espace et catastrophes majeures disponible en allemand, en anglais, en français, en espagnol et en italien. Le domaine spatial a toujours fait rêver les plus jeunes, et il convient d’en tirer profit et de s’appuyer sur un argument spatial pour faire passer un message. À titre d’exemple, j’ai rédigé un livre d’exercices de physique pour le lycée, dans lesquels les problèmes de fusées brûlant du combustible remplaçaient les problèmes de baignoires qui fuient.

M. Jean-Marie Fiévet, président. Je remercie chacun d’entre vous pour ce temps d’échange et je vous invite à nous transmettre des contributions écrites qui pourront alimenter le rapport de la mission.


Mme Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde

Compte rendu de l’audition de Mme Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde
(jeudi 18 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous reprenons ce matin les travaux de notre mission d’information en recevant Mme Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde, afin de revenir sur les incendies tragiques et très spectaculaires qui ont frappé ce département au cours de l’été 2022.

L’anticipation, la gestion de la crise et les leçons à en tirer ont déjà été abordées lors de la table ronde que nous avons tenue il y a quelques mois en présence d’élus locaux, de représentants de l’État et d’acteurs de la sécurité civile présents sur le terrain pendant l’été 2022. Une délégation de membres de notre mission d’information s’est par ailleurs rendue en Gironde, le 14 décembre, afin d’approfondir les échanges au sujet de ces événements.

Nous accordons une importance particulière aux témoignages de terrain et aux retours d’expérience sur ce drame, afin de mieux comprendre le fonctionnement de notre modèle de sécurité et de protection civiles en période de crise et de réfléchir aux mesures concrètes qui permettraient de le renforcer. Madame Delattre, vous étiez présente au moment des faits et avez été évacuée. Vous avez identifié, à la suite de ce drame, plusieurs pistes d’amélioration et formulé des recommandations que nous sommes très désireux d’entendre.

Nos questions porteront prioritairement sur le contexte et la gestion de la crise en Gironde pendant les incendies, mais nous sommes également intéressés par votre analyse critique de l’organisation de notre système de protection et de sécurité civiles et par vos propositions pour l’améliorer, à la lumière de votre expérience et des constats qui sont les vôtres.

Avant d’en venir aux questions, permettez-moi de rappeler que notre mission est composée de vingt-cinq députés appartenant à tous les groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur M. Didier Lemaire – lequel, étant souffrant, vous prie de bien vouloir excuser son absence.

Cette audition est enregistrée et accessible sur le site de l’Assemblée nationale. Elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.

Madame la sénatrice, pourriez-vous tout d’abord nous relater ce que vous avez vécu pendant l’été 2022, tant d’un point de vue personnel qu’en votre qualité d’élue ?

Mme Nathalie Delattre, sénatrice. Merci, Madame la présidente. Je vous ai fait parvenir la note que j’ai rédigée à la suite des incendies qui ont touché la Gironde. Ce document, que j’ai voulu très pragmatique, balaie différentes problématiques d’importance variable. La sécurité civile n’est pas mon métier, et je n’avais jamais eu l’occasion, avant l’été 2022, d’observer de près le travail des pompiers en situation de crise, dans le cadre de la défense des forêts contre l’incendie (DFCI).

Au Sénat, nous étions alors sur le point d’achever une mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie. Vous avez sans doute rencontré ses membres, qui sont de bien meilleurs connaisseurs de la question que moi. J’ai néanmoins souhaité rédiger cette note à la lumière de ce que j’avais vu, même si un parlementaire n’a aucun rôle à jouer dans le combat contre ce type d’incendies. En effet, lorsqu’un sinistre d’une telle ampleur se produit, c’est le préfet de région qui prend la main, en coordination avec le ou les maires concernés.

Il n’en demeure pas moins qu’après avoir été évacuée, je me suis d’abord rendue au PC sécurité qui se trouvait près de chez moi afin, comme beaucoup d’autres, de proposer mes services bénévolement. Étant sénatrice depuis 2017, je connais bien le territoire et ses élus locaux ; je suis donc restée sur les lieux. J’ai ainsi vécu le quotidien de l’ensemble des décideurs présents dans les PC sécurité girondins. Je me suis rendue dans la quasi-totalité d’entre eux, dans la mesure où trois départs de feu ont eu lieu presque simultanément : l’un dans le Médoc, un autre à Landiras et le dernier à La Teste-de-Buch.

Le 13 juillet 2022, j’ai accompagné en Gironde le ministre de l’intérieur, qui m’a proposé d’effectuer le déplacement en avion. J’ai ainsi rencontré le préfet Alain Thirion, alors directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. Ce dernier m’a informée des premières décisions prises par le ministre, qu’il avait la charge de faire appliquer. Le survol du territoire m’a permis de prendre la mesure de la situation. J’ai constaté que les incendies de Landiras et de La Teste étaient très rapprochés. On ne pouvait pas, à ce moment, exclure qu’ils se rejoignent. De fait, quand ils ont été maîtrisés, ils n’étaient séparés que par une faible distance.

Dès le lendemain de mon arrivée, nous avons été évacués. Le préfet m’a annoncé que je disposais de deux heures pour quitter mon domicile. J’ai alors mesuré à quel point nous étions peu préparés à ce type d’événements – si vous me permettez cette comparaison, lorsque vous partez à la maternité pour un accouchement, vous disposez d’une liste d’effets personnels à emporter dans votre valise pour le séjour. Dans ce contexte de crise, nous n’avons pas reçu de consignes et, pour ma part, je n’ai pas pris tout ce qu’il aurait été nécessaire d’emporter. Je me suis immédiatement rendue au PC sécurité de La Teste-de-Buch. J’y ai passé les journées qui ont suivi – tout en me rendant régulièrement à Landiras – et me suis déplacée avec le PC, puisque, face à la progression de l’incendie de La Teste-de-Buch, il a dû migrer trois fois pour être situé toujours au plus près du feu ; il en a été de même du côté de Landiras.

J’ai porté sur les événements un regard de citoyenne, en contact avec les décideurs. Le recul aidant, j’ai dressé dans ma note un certain nombre de constats. Le premier d’entre eux a trait à la résilience et à la recherche d’efficacité des personnes mobilisées. La coordination de l’action des différents acteurs m’a paru très bonne. La préfète de région a pris la mesure de la crise, a su déléguer à ses sous-préfets et interagir constamment avec eux, ainsi qu’avec le contrôleur général du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) et avec les élus locaux.

Des dysfonctionnements ont certes eu lieu, mais chacun a pu s’exprimer et la préfète – ainsi que, de manière plus générale, les représentants de l’État – ont fait preuve d’une grande proximité et se sont efforcés de répondre aux difficultés.

Il a fallu consacrer une attention particulière aux nombreux journalistes, qui ne respectaient pas toujours les consignes et pouvaient mettre en danger les sapeurs-pompiers.

Quant aux habitants, leur réflexe, humain, était de chercher à observer le déroulement des événements, par curiosité ou par souci de leurs biens ou de leurs animaux, lorsque ces derniers n’avaient pas été pris en charge. Personne n’imaginait que les incendies dureraient dix jours, et les conditions n’étaient pas toujours réunies pour que chacun ait pu mettre à l’abri son chat ou son chien, sans parler des animaux d’élevage.

De fait, les habitants se sont rapidement inquiétés pour leurs bêtes, et il a fallu envisager une manière de leur permettre de revenir chez eux pour les récupérer ou les nourrir, tout en préservant leur sécurité. Certains ont prétendu posséder des animaux pour pouvoir simplement récupérer leurs effets personnels. Des individus venant de l’extérieur ont tenté de commettre des vols ou des cambriolages.

Ces situations n’avaient pas été anticipées et posaient des problèmes inédits. Il a été décidé que la police escorterait les demandeurs un à un jusqu’à leur domicile pour vérifier qu’ils l’habitaient bel et bien. Cette procédure, particulièrement longue, a été d’autant plus difficile à appliquer que la police devait gérer concomitamment l’évacuation d’autres secteurs. Il a donc fallu renoncer à cet accompagnement individuel et inciter les propriétaires à évacuer le plus grand nombre d’animaux afin de réduire autant que possible le nombre de personnes ayant besoin de revenir chez elles.

Des entrepreneurs ont également souhaité revenir pour préserver leurs équipements ou leurs marchandises. Il a fallu évaluer les risques au cas par cas.

La plupart des personnes qui n’ont pu se rendre dans le périmètre de sécurité défini par l’arrêté préfectoral s’y sont résignées d’assez bonne grâce et sont restées relativement sereines, pour peu qu’une réponse ait été apportée à leurs questions – y compris les entrepreneurs, bien qu’ils aient perdu leur production ou une partie de leur chiffre d’affaires.

La note que j’évoquais au début de cette audition comprend trois chapitres. Le premier est consacré aux conditions de déploiement des forces et aux interrogations portant sur le matériel employé.

Une croyance locale, qu’entretenaient les pompiers eux-mêmes, voulait que la forêt de La Teste-de-Buch soit trop humide pour être la proie d’un incendie. Or, après deux semaines de canicule, il a suffi qu’un véhicule prenne feu pour qu’elle s’embrase rapidement. La zone où l’incident a eu lieu n’était pas couverte par le réseau téléphonique. Le conducteur du véhicule en flammes a donc perdu un temps précieux avant de pouvoir prévenir les autorités.

À leur arrivée, les pompiers n’ont pas demandé immédiatement l’intervention d’avions ou d’hélicoptères : ils pensaient pouvoir faire face au feu depuis le sol. C’est seulement en fin d’après-midi que la demande a été envoyée ; or, les avions ne décollent pas la nuit, faute de l’équipement nécessaire. Leur décollage a donc dû attendre l’aval du ministre, le lendemain matin. Une dizaine d’avions, soit la grande majorité de la flotte disponible, était déjà sur place à mon arrivée – il n’y avait en effet pas d’autre feu important sur le territoire national. Tous les moyens étaient donc mobilisés pour protéger la Gironde, mais le feu avait déjà considérablement progressé.

Des pompiers professionnels, venus d’autres territoires, sont venus appuyer les pompiers locaux, mais ils ne connaissaient pas nécessairement le terrain, ce qui allait occasionner des difficultés. Tous ont fait preuve d’une volonté de fer : ils perdaient des combats mais, malgré la fatigue, retournaient au feu sans relâche.

Un appel a rapidement été lancé aux pompiers volontaires, mais ceux-ci ont rencontré le même problème qu’une partie des élus locaux. Certains d’entre eux, en effet, sont salariés. Or, il est toujours difficile de faire comprendre à leur employeur que le mandat ou la fonction, en cas d’urgence, prime leur activité professionnelle. Leur présence est importante, car ils savent où résident les personnes fragiles ou isolées. La fine connaissance des élus locaux – qui, pour certains, n’ont pas dormi pendant plusieurs jours –, a permis d’éviter des décès. Nous devons améliorer le statut de l’élu local ou, à tout le moins, réfléchir aux relations entre l’élu local ou le sapeur-pompier volontaire et son employeur dans ces périodes particulières.

La contribution budgétaire des communes aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) est calculée à partir de la situation démographique que l’on connaissait en 2002. Or, depuis cette date, la population de la Gironde s’est accrue en moyenne de 20 000 habitants chaque année, dont un tiers au sein de la métropole, un tiers dans le bassin d’Arcachon et un tiers dans le reste du département. Pour pouvoir exercer son activité dans des conditions correctes, le SDIS a donc dû constamment marchander avec les élus, ce qui n’est pas tenable. Il convient de réévaluer les sommes qui lui sont accordées, tout en prenant en compte les préoccupations des communes qui, ayant perdu des habitants depuis 2002, craignent de voir leur situation se dégrader. Une période transitoire sera sans doute nécessaire.

Le président du département a rapidement mis en avant les problèmes que posaient la mobilisation et la répartition des moyens aériens du SDIS. Les difficultés de ce type doivent être analysées dans le cadre d’un retour d’expérience et non sur le moment, sous peine de créer des polémiques préjudiciables à la bonne gestion de la crise.

Il faut avoir en tête que les avions ne peuvent pas voler lorsque la fumée est trop épaisse et qu’ils doivent être répartis entre les différents territoires touchés. Il faut également assurer le ravitaillement en eau et la fourniture de produits retardateurs de feu. Le personnel spécialisé sait parfaitement ce dont il a besoin et à quel moment il en a besoin. Même si le président du département est aussi président du SDIS, il me semble que, dans ces périodes, nous devons laisser faire les professionnels.

Nous avons besoin d’avions capables de voler la nuit, équipés de détecteurs thermiques, et d’hélicoptères en mesure de faire des lâchers beaucoup plus précis. Immédiatement après les grands incendies, des réflexions ont été lancées sur la répartition des moyens. Je trouve très bienvenue la décision qui a été prise récemment de créer des bases « filles », qui abriteront un certain nombre d’avions et assureront une maintenance aéronautique légère, tandis que la maintenance lourde sera l’apanage de la base « mère », à Nîmes. Cette organisation me paraît de nature à répondre efficacement à des événements tels que ceux que nous avons connus. Lorsqu’on entre dans une période critique, il faut avoir des avions prépositionnés susceptibles d’intervenir rapidement sur des feux naissants. La base mère, quant à elle, nécessite des investissements très lourds et du personnel qu’il faut trouver au sein des armées ; or, le recrutement est rendu difficile par la concurrence des entreprises du secteur aéronautique. On constate de nombreux débauchages d’ouvriers de l’État par le secteur privé. Il est difficile, dans ces conditions, de multiplier les bases mères.

Il nous faut développer une culture commune à l’échelle de l’Europe qui nous conduise à appliquer les mêmes techniques de défense, adaptées à la nature du terrain. Nous devons disposer d’une flotte européenne pour pouvoir engager des actions massives. Les crédits européens devraient être mobilisés pour permettre l’achat groupé des matériels. Les Canadair ont répondu aux attentes à un moment donné, mais ils ne sont pas dotés des dernières innovations technologiques, tels que les détecteurs thermiques. De surcroît, ils sont construits à l’étranger. Pour satisfaire la demande d’achat rapide d’avions, j’appelle à ce que l’on se tourne vers les entreprises européennes. Airbus est disposé, si nous le souhaitons, à passer très rapidement d’une phase projet à une phase conceptuelle. Dassault a présenté au Bourget un projet d’avion bombardier d’eau qui est déjà entré dans une phase conceptuelle et pourrait être prêt très rapidement. Nous devons disposer d’un Buy European Act et développer notre propre filière. Il nous faut faire preuve de résilience et défendre notre souveraineté.

Les drones que la police a mis à disposition ont permis aux pompiers de prendre de bonnes décisions. On trouve des modèles de drones relativement performants pour un coût de 2 500 euros. Il conviendrait d’acquérir un plus grand nombre de ces matériels, qui assurent une veille nuit et jour et peuvent aller au plus près du feu en réduisant l’exposition de nos pompiers au danger.

J’en viens aux questions logistiques. L’armée est intervenue rapidement car elle se trouvait à proximité des feux. Le SDIS a été soutenu par un grand nombre de bénévoles qui ont préparé des sandwiches et des glaces, ce qui a contribué à soutenir le moral des pompiers, dont le nombre s’est élevé jusqu’à 3 000, au plus haut de l’activité. Les élus locaux ont dû trouver des endroits où les loger. L’armée, elle, est autonome et peut intervenir plus vite. Les pompiers de La Teste-de-Buch ont grandement apprécié de pouvoir boire froid grâce à la présence de la tour frigorifique de la criée, alors que cette ressource n’est en principe jamais disponible à proximité d’un grand incendie. L’une des problématiques, à laquelle on ne pense pas toujours, est de maintenir la fourniture aux pompiers de boissons fraîches.

Les bénévoles, engagés notamment dans la défense de la forêt contre les incendies (DFCI), ainsi que les chasseurs, ont proposé d’accompagner les pompiers venant d’autres régions afin de les faire bénéficier de leur connaissance du territoire. Si on les avait autorisés à le faire, cela aurait peut-être permis d’éviter que des véhicules ne se trouvent embourbés dans des terrains marécageux des Landes. Il faut réfléchir à la possibilité de permettre à ces personnes d’embarquer avec un équipage.

Pour ce qui est de la prévention, on constate que la transmission familiale ne se fait plus et que tous les enfants de France ne se promènent plus en forêt. On doit reparler de la prévention à l’école, mais aussi dans un cadre extrascolaire. Il faudra attendre plusieurs années avant que cette démarche ne produise ses effets. Cela étant, elle ne doit pas se limiter au jeune public, mais concerner la société dans son ensemble. Il serait souhaitable que les communes à risque tiennent des stands sur la prévention lors des fêtes municipales. Il faut multiplier les messages, car les gens ne connaissent plus les réflexes à adopter : un couple avait ainsi organisé un barbecue en forêt, à Sauternes, alors même que le mégafeu de Landiras était en cours.

En cas d’évacuation, il serait utile de fournir à la population une liste de recommandations, en particulier sur ce qu’il est indispensable d’emporter. Les gens devraient préparer une mallette contenant les papiers importants. Selon le temps dont ils disposent, ils devraient aussi penser à emporter des objets tels que les bonbonnes de gaz, qui peuvent se transformer en projectiles et propager le feu sur plusieurs centaines de mètres. Il faut aussi avoir les bons réflexes au sujet des animaux. On pourrait par exemple insérer ces recommandations dans les dépliants, distribués à la population, qui présentent les bonnes pratiques en matière de débroussaillement.

Lors du mégafeu de La Teste-de-Buch, l’hippodrome a constitué la dernière zone de repli du PC sécurité. Les propriétaires des 450 chevaux les ont évacués rapidement, de leur propre initiative, vers des haras ou d’autres hippodromes. Cela s’est fait plutôt sereinement.

Le zoo, quant à lui, a été un peu oublié. Le PC sécurité, installé un temps sur le parking du zoo, a été évacué. Les consignes données à ce moment-là n’ont pas été très claires. Au départ, aucune alerte n’a été donnée, ni aucune préconisation formulée. Même si l’on dispose d’un plan de prévention, on ne prend conscience de certaines réalités que lorsque l’événement survient. Pour évacuer un éléphant ou une girafe, il faut un camion spécifique qui se commande six mois à l’avance. Il a donc fallu protéger les animaux, sur place, contre le feu et la fumée. Toutefois, un certain nombre de zoos sont venus spontanément récupérer des animaux au moyen de leurs camions. Des singes sont morts au cours du trajet, sous l’effet de la chaleur, les camions ayant été pris dans les bouchons consécutifs à l’évacuation – la police avait d’autres priorités que de faire la circulation. Finalement, les vents ont tourné et le zoo a été épargné. Les choses n’ont pas été assez anticipées, même si des plans ont été signés avec l’État. On doit en tirer les leçons. Il conviendrait notamment de procéder à des mises en situation.

Sur un autre plan, le cendrier ne fait plus partie des équipements de série des voitures neuves. Or, le jet de mégot est la principale cause des feux de forêt. Un combat est à mener pour rendre les cendriers obligatoires, ce qui pourrait nous épargner quelques incendies – même si certains me rétorqueront que cela peut constituer une incitation à fumer.

Beaucoup d’entreprises n’ont pas été indemnisées parce qu’elles se trouvaient à plus de 300 mètres du feu. Or, les personnes concernées n’ont pas pu entrer dans le périmètre de sécurité et sauver leur production.

Mme la présidente Lisa Belluco. Que pensez-vous du recours à la technique des coupes tactiques ?

Mme Nathalie Delattre. Les pompiers des Landes et de la Gironde n’avaient pas la même doctrine d’intervention. Nous n’avons pas eu à déplorer de victime. Toutes les maisons ont été sauvées, à l’exception de quelques-unes situées au cœur de la forêt. Cela étant, on a assisté à des sautes de feu, inédites, de 1 kilomètre – de grosses « poches » vertes n’ont ainsi pas été touchées. Or, la largeur d’un coupe-feu classique excède rarement 300 mètres. Les coupes tactiques ont permis de rassurer la population et de se donner du temps. Il fallait éviter la jonction des feux de Landiras et de La Teste, et la propagation des flammes au massif forestier des Landes. La décision de recourir à une coupe tactique à ce moment-là m’a paru opportune.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie beaucoup pour vos explications et vos recommandations, madame la sénatrice.


Audition de M. Gilles Bachelier, président, et de M. Laurent Michel, directeur des affaires publiques du groupe Intériale

Compte rendu de l’audition de M. Gilles Bachelier, président, et de M. Laurent Michel, directeur des affaires publiques du groupe Intériale
(jeudi 18 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons ce matin les travaux de notre mission d’information en recevant les représentants du groupe Intériale, mutuelle des agents du service public, qui se présente comme la première pour les agents du ministère de l’intérieur et les personnels de sécurité civile. Nous sommes heureux d’accueillir M. Gilles Bachelier, son président, M. Laurent Michel, son directeur des affaires publiques, et M. Areski Mérabet, le directeur du collectif de la mutuelle. Messieurs les directeurs, je vous prie d’excuser l’absence de M. le rapporteur, Didier Lemaire, qui est souffrant.

Nous avons eu l’occasion d’aborder les questions relatives au recrutement et à la carrière des personnels, en recevant leurs organisations syndicales représentatives, ainsi que la direction de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp), ou en les rencontrant sur le terrain. Nous avons aussi reçu des directeurs de services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et des représentants du Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV), qui nous ont signalé des difficultés ou des inquiétudes relatives aux conditions de travail, à la reconnaissance, à la fidélisation dans la durée ou au statut de ces personnels. Compte tenu de votre connaissance de ces questions, il nous a semblé important de vous entendre également.

Vous pourrez nous rappeler la contribution d’Intériale au fonctionnement de notre système de protection et de sécurité civiles, de façon générale, mais aussi nous faire part de votre analyse critique sur son organisation actuelle et sur les possibilités de l’améliorer. Nous sommes notamment frappés par la diversité des acteurs intervenant dans ce domaine, ce qui appelle sans aucun doute un effort de coordination.

Permettez-moi de préciser que notre mission, créée à l’initiative du groupe Horizons, est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Cette audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée. Elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé à notre rapport, que nous espérons rendre au printemps.

M. Gilles Bachelier, président du groupe Intériale. C’est une fierté pour nous de pouvoir contribuer à vos travaux. Intériale est un groupe mutualiste, né en 2008 de la fusion de deux mutuelles du ministère de l’intérieur et de la MGPAT (mutuelle générale des préfectures et de l’administration territoriale). Elle protège environ 500 000 personnes. Nous sommes présents pour les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, mais nous représentons aussi le monde de la jeunesse, puisque nous avons intégré dans nos effectifs la LMDE, qui était sous plan de sauvegarde judiciaire en 2015 – ce qui représente plus de 35 000 jeunes adhérents à titre individuel.

Intériale est un groupe composé de plusieurs entités, dont la tête de pont est sa mutuelle santé et prévoyance. Elle couvre des agents de l’État, au ministère de l’intérieur, de la justice, des armées et de l’éducation nationale. Elle couvre également – il s’agit d’une spécificité que nous tirons de notre histoire – des agents des collectivités territoriales : les policiers municipaux, qui sont la troisième force de sécurité intérieure en France, et les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, dans le cadre de contrats individuels ou collectifs, sous forme de conventions de participation passées entre les collectivités locales et nous-mêmes pour assurer les risques de santé et de prévoyance, au-delà des aspects assurantiels purs. En notre qualité de mutuelle affinitaire, nous avons mis en place un programme d’accompagnement, afin d’aider nos collègues à exercer leur métier dans les meilleures conditions. Nous voulons être force de proposition pour contribuer aux évolutions de la force publique, mais également offrir des solutions pour faciliter l’accès aux métiers.

Le navire amiral est la mutuelle de livre II. Nous avons créé une mutuelle dédiée à la prévention, Prévention plurielle, il y a un peu moins de trois ans, afin de renforcer la prévention proposée dans le cadre de nos offres habituelles. Autofinancée à 100 %, elle vise à accompagner nos collègues, grâce à des programmes de prévention primaire, secondaire et tertiaire, sous forme digitale ou relationnelle, par le biais de conseillers formés au coaching motivationnel. Au-delà des programmes d’accompagnement de prévention classiques, ce sont des systèmes éprouvés, pilotés par nos équipes et qui ont fait l’objet d’une revue par notre comité scientifique. Nous avons notamment défini des programmes d’accompagnement relatifs aux risques psychologiques, qui sont de plus en plus prégnants. Le nombre de suicides est historiquement élevé depuis plusieurs années parmi les personnels du ministère de l’intérieur, et les situations sont également compliquées au sein de la population des agents de l’administration pénitentiaire, comme chez les sapeurs-pompiers. Nous avons formé des collaborateurs pour les accompagner aussi bien face aux risques corporels que psychologiques, qui se sont renforcés depuis la crise du Covid.

Nos dispositifs permettent aux personnels d’avoir des contacts privilégiés et de bénéficier de vraies bulles de confidentialité. Dans le cas d’un couple d’adhérents, nous sommes capables d’accompagner le fonctionnaire, son conjoint ou ses enfants en toute discrétion. Au ministère de l’intérieur, nous avons un dispositif qui a été mis en place par le SSPO, le service de soutien psychologique opérationnel. Nos dispositifs sont très complémentaires de ceux prévus par l’État, notamment parce que nous garantissons une confidentialité que ne ressentent pas forcément les fonctionnaires, qui peuvent avoir du mal à se confier, craignant peut-être que leur hiérarchie n’en soit informée.

Les retours sur notre plateforme d’accompagnement sont très intéressants. Nous savons que nous avons sauvé des vies, ce dont nous sommes très fiers. Au sein du ministère de l’intérieur, plus de 1 000 collègues sont suivis, pour des durées allant de six mois à deux ans. Nous accompagnons un parcours de vies – je tiens au pluriel : depuis l’entrée dans l’administration, en passant par la vie familiale et la retraite, jusqu’à la fin de la vie. Nous faisons très attention à conserver le lien social entre les personnes à la retraite qui ont servi l’État et nos concitoyens. Nous avons créé des dispositifs d’accompagnement pour qu’ils puissent devenir des passeurs. Des collègues retraités du GIPS (Groupe d’intervention protection prévention sauvetage et sécurité) sont ainsi très impliqués dans le recrutement et viennent répondre aux problèmes d’attractivité auxquels est confrontée la fonction publique en général.

À côté de cette mutuelle de livre III entièrement dédiée à la prévention – c’est le seul modèle de ce type en France, pour lequel nous avons d’ailleurs été primés par l’Argus de l’assurance en 2022 –, nous avons créé en mai 2021 un think tank, le Continuum Lab, afin de proposer aux acteurs de la sécurité intérieure et de la chaîne pénale, ainsi qu’au monde étudiant, de disposer d’un tiers-lieu, où chacun des métiers peut s’exprimer librement. Nous nous sommes appuyés sur des compétences très précieuses au sein du ministère de l’intérieur : l’Association des hauts fonctionnaires de la police nationale, l’École nationale supérieure de la police, l’Amicale des cadres de la police nationale et de la sécurité intérieure, ou encore l’Association des anciens combattants et résistants du ministère de l’intérieur. Nous avons souhaité accorder une place forte aux femmes, en proposant à l’association Femmes de l’intérieur de nous rejoindre. Le fonds de dotation Amichemi de l’ancien centre des hautes études du ministère de l’intérieur nous a également rejoints.

D’autres structures sont présentes en son sein : Orphéopolis, l’orphelinat mutualiste, l’association FLAG!, qui incarne la diversité, et l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) depuis octobre 2023. Les préfets ou les sapeurs-pompiers y sont, quant à eux, représentés pour des raisons d’indépendance. L’Association nationale des directeurs et directeurs départementaux adjoints des services d’incendie et de secours (ANDSIS) va nous rejoindre en ce début d’année.

La LMDE a été transformée en marque du groupe, qui est incarnée au sein de notre administration, puisque nous avons vingt-cinq administrateurs. J’ai tenu à ce que l’ensemble des métiers que nous représentons soient au tour de table, quels que soient les professions et les grades.

Mme la présidente Lisa Belluco. Avez-vous identifié des éléments qui pourraient expliquer la difficulté à recruter et à fidéliser les sapeurs-pompiers ?

M. Gilles Bachelier. Ces difficultés peuvent sembler paradoxales puisque, d’après une enquête que nous avons menée en 2022, sous l’égide d’Anne Muxel, une spécialiste de la jeunesse, les sapeurs-pompiers exercent le métier le plus apprécié de la jeunesse – 96 % du panel de 16 à 24 ans en avaient une bonne image.

Les collègues sont toutefois confrontés, depuis quelque temps, à des violences exacerbées. Ce n’est que depuis peu que l’on voit des personnes s’en prendre aux sapeurs-pompiers lors de manifestations. Dans le cadre des émeutes, ce n’étaient pas seulement les policiers qui faisaient l’objet d’une défiance, en tant qu’incarnation de l’État ; les sapeurs-pompiers étaient aussi pris à partie, parfois dans des guets-apens. Le fait qu’ils soient assimilés aux forces de l’ordre par certains constitue une nouveauté. La population reste très attachée aux sapeurs-pompiers, et il y a un vrai potentiel de développement. Le jour où les policiers iront vendre des calendriers, on aura fait un grand pas ! D’autres métiers souffrent d’un manque d’attractivité bien plus fort : seuls 2 % des jeunes connaissent celui d’agent pénitentiaire, par exemple.

Des évolutions doivent être apportées au niveau statutaire. Ce qui différencie les sapeurs-pompiers des autres fonctionnaires, c’est leur double rattachement : à la collectivité qui les finance et au préfet dans les situations de crise. Ce double rattachement est une occasion réelle de faire reconnaître le métier, mais il peut être une contrainte dans le mode de fonctionnement et l’organisation, notamment en termes de mutualisation des moyens. Le président de Départements de France a fait remarquer qu’il était très compliqué pour les collectivités de financer des actions importantes vis-à-vis des sapeurs-pompiers du fait du coût que cela représente. Le remplacement d’un camion peut coûter plus de 20 millions d’euros. Les choix sont compliqués, et les collectivités locales ne sont pas forcément capables de mutualiser des moyens au niveau régional.

Par ailleurs, les risques se sont accrus et iront en se renforçant. Les sapeurs-pompiers font face à des crises à répétition, liées au changement climatique. Ils sont également très sollicités pour une multitude de manifestations, comme les policiers.

Enfin, les familles acceptent peut-être moins l’impossibilité de séparer complètement vie professionnelle et vie familiale, ce qui commence à peser au sein de cette profession, comme chez les policiers – je le sais pour l’être moi-même.

M. Laurent Michel, directeur des affaires publiques du groupe Intériale. L’enquête réalisée en septembre 2022 sur l’attractivité et l’image des métiers de la sécurité et de la justice, avec un panel de 3 000 jeunes de 16 à 24 ans, toutes catégories confondues, sur l’ensemble du territoire, montre que ce sont les pompiers qui arrivent en tête, puisque 96 % des répondants en ont une bonne ou une très bonne image – il y a donc, en la matière, peu d’efforts nouveaux à réaliser. À la question de savoir s’ils souhaiteraient exercer ces métiers, ce sont les pompiers également qui arrivent en tête, avec 18 % des sondés qui y répondent favorablement et 37 % qui en auraient peut-être envie.

Les difficultés de recrutement s’expliquent aussi, en partie, par l’organisation départementale des pompiers. Chaque SDIS est autonome dans sa politique de recrutement, de gestion et de fidélisation. Si les instances nationales, comme la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), peuvent communiquer, il n’y a pas, sauf erreur de ma part, de grandes campagnes nationales, comme cela a été le cas pour la police nationale, l’administration pénitentiaire ou l’armée, afin d’attirer les jeunes vers ces filières. Les structures de formation sont également disséminées dans les départements. Il manque peut-être une impulsion nationale de promotion du métier.

Mme la présidente Lisa Belluco. Intervenez-vous dans la formation continue des sapeurs-pompiers ? Comment Intériale contribue-t-elle à l’adaptation de leurs compétences face aux nouveaux enjeux de sécurité civile ?

M. Gilles Bachelier. Nous n’intervenons pas directement dans la formation. Néanmoins, nous intervenons dans les écoles, pour promouvoir l’importance de prendre des garanties complémentaires. Nous essayons d’inciter les jeunes qui embrassent cette carrière à se protéger et profitons de ces rencontres pour mettre en avant des campagnes de prévention des risques. Les casernes sont particulièrement accidentogènes. Nous avons créé des programmes adaptés de renforcement musculaire, dispensés dans le cadre de Prévention plurielle, et permettons à ces fonctionnaires de se faire suivre par des ostéopathes tout au long de l’année. Nous avons également créé des dispositifs pour faciliter la pratique du sport, qui est déjà obligatoire, en remboursant les licences sportives. Nous essayons de les sensibiliser à tous les aspects de prévention, de nutrition, de récupération.

Nous essayons de les amener à réfléchir sur les perspectives de carrière, grâce au Continuum Lab. Il y a quelque temps, un séminaire s’est tenu dans nos locaux, au cours duquel nos collègues de l’Association des hauts fonctionnaires de la police nationale ont mené une réflexion sur l’attractivité du métier et la mobilité des hauts fonctionnaires, notamment des commissaires de police. Nous avons reçu des colonels de sapeurs-pompiers pour essayer de trouver des pistes d’évolution de leur métier. L’idée est de mettre en exergue les bonnes pratiques et d’échanger, de façon à ce que les fonctionnaires territoriaux puissent s’enrichir des belles expériences de l’État et inversement.

L’Ensosp devrait nous rejoindre au sein du Continuum Lab, si bien que les trois plus grandes écoles pourront continuer à échanger sur les bonnes pratiques. Nous avons plusieurs projets pour 2024 afin de continuer à renforcer l’attractivité de ces métiers.

M. Areski Mérabet. Pour favoriser le maintien dans l’emploi, nous intervenons moins en matière de formation que d’information, notamment par l’intermédiaire du document unique, qui est obligatoire, sur les aspects relatifs à la pénibilité. L’une de nos priorités est de mettre en avant la prévention, au service d’une protection sociale complémentaire.

La politique que nous défendons comprend trois niveaux : prévenir, protéger et réparer. La prévention, d’abord, permet de réduire l’absentéisme, la sinistralité, les risques physiques et psychologiques. Au niveau secondaire, on protège : par le biais de contrats collectifs pour la partie statutaire, et par des contrats individuels s’agissant de la partie complémentaire. Pour cela, il faut sensibiliser les chefs de centre à l’importance de mettre en place des couvertures – dans ce domaine, les sapeurs-pompiers sont souvent livrés à eux-mêmes. Si des mutuelles affinitaires comme la nôtre proposent des offres labellisées, d’autres assureurs vendent des couvertures qui ne sont pas adaptées à ce statut et risquent de ne pas correspondre aux besoins.

Mme la présidente Lisa Belluco. Travaillez-vous également avec les sapeurs-pompiers volontaires ? Avez-vous défini une offre spécifique ?

M. Gilles Bachelier. Nous gérons 54 000 pompiers, tous statuts confondus, mais de nombreux fonctionnaires que nous protégeons sont également sapeurs-pompiers volontaires. Nous offrons surtout des contrats de prévoyance, en lien avec différentes structures. Par ces couvertures assurantielles, nous essayons de promouvoir la prévention et de valoriser ces métiers.

La réforme de la protection sociale complémentaire (PSC), annoncée par Amélie de Montchalin il y a quelques années, nous offre une belle occasion de mettre en avant ces enjeux de prévention. Elle prévoit que la totalité des fonctionnaires, de l’État ou territoriaux, puisse bénéficier d’un accompagnement financier de l’État. Plusieurs ministères appliquaient déjà ce principe depuis plusieurs années, mais avec des dispositifs hétérogènes.

Selon le ministère de l’intérieur, la réforme sera mise en place prochainement. Certains ministères et les services du Premier ministre ont lancé des appels d’offres. Le ministère de la justice et les collectivités territoriales vont faire de même. L’objectif est de permettre à l’État et aux collectivités territoriales de participer à la couverture santé et prévoyance. Nous travaillons sur ces questions depuis près de trois ans et sommes prêts à répondre aux appels d’offres, ne serait-ce que pour fidéliser notre population.

Surtout, nous avons voulu que ce qui pouvait apparaître comme une contrainte – les appels à la concurrence peuvent conduire à perdre le marché – soit transformé en atout, pour accompagner les personnes, les protéger et répondre globalement à leurs besoins. Nous ne souhaitons pas que l’accent soit mis uniquement sur l’accompagnement financier. Au contraire, la réforme est l’occasion d’instaurer un accompagnement axé sur la prévention, non seulement par l’État employeur, sur le modèle du privé, mais aussi par des dispositifs complémentaires.

C’est la raison pour laquelle notre groupe s’est structuré de cette façon. Notre objectif est d’apporter notre expertise sur ces métiers, ces populations que nous protégeons depuis de nombreuses années ; d’intégrer cette vision de manière holistique, de protéger les assurés dans tous les champs de prévention, quels que soient les risques ; et de constituer des lieux d’échanges et d’attractivité pour renforcer l’image du groupe. Les structures créées nous permettent de relever tous ces défis.

Pour les collectivités territoriales, la réforme présente de forts enjeux financiers : de nombreuses structures tenteront de se positionner pour récupérer d’importants contrats, que piloteront les centres de gestion. Cela peut paraître un élément facilitateur, mais les SDIS, s’ils entrent dans ce schéma, risquent de souscrire des contrats ne satisfaisant pas nécessairement les besoins, alors qu’ils pourront leur être opposés. Les besoins des fonctionnaires territoriaux – ceux qui travaillent dans des bureaux, au service du public, ou qui accompagnent les personnes âgées ou en situation de handicap – n’étant pas les mêmes que ceux des sapeurs-pompiers, nous préconisons de lancer des appels d’offres spécifiques pour ces différentes catégories.

Cela a également un sens du point de vue actuariel. Compte tenu de l’absentéisme et de l’allongement des arrêts maladie dans la fonction publique territoriale, les coûts de la prévoyance augmentent. Ce n’est pas le cas pour les sapeurs-pompiers volontaires. Leur bon comportement ne doit pas les conduire à contribuer au bien commun pour des risques qui ne les concernent pas. Nous le disons aux collectivités locales qui nous ont accordé leur confiance. Il y a là un virage à ne pas manquer.

M. Areski Mérabet. On dénombrait 254 000 sapeurs-pompiers au 31 décembre 2022, dont 198 800 sapeurs-pompiers volontaires (SPV), soit 78 % des effectifs. Rattachés aux unions départementales, ces derniers perçoivent des indemnités, non des salaires. Nous couvrons le risque lié au décès, mais nous ne garantissons pas un complément de revenu, précisément parce que nous sommes une mutuelle affinitaire. Une telle couverture pourrait en effet conduire les sapeurs-pompiers volontaires à ne plus intervenir en cas d’arrêt de travail classique, ce qui mettrait en difficulté les sapeurs-pompiers professionnels.

M. Laurent Michel. La législation française sur les sapeurs-pompiers volontaires est critiquée par la Commission européenne. Elle est en effet dérogatoire au droit commun européen, dans la mesure où certains sapeurs-pompiers peuvent ne pas respecter l’obligation de repos quotidien. Apporter une garantie totale, statutaire, à l’activité volontaire, en dehors de la profession principale, viendrait fragiliser le modèle des secours. Cela n’exonère pas les sapeurs-pompiers volontaires de la nécessité de disposer d’une couverture du risque métier lié à leur activité. Celle-ci ne peut être assurée que par la partie statutaire, c’est-à-dire les SDIS.

Mme la présidente Lisa Belluco. Comment Intériale accompagne-t-elle les sapeurs-pompiers dans leur retraite ? Disposent-ils de dispositifs particuliers ?

M. Gilles Bachelier. Nous leur proposons des dispositifs sensiblement identiques à ceux des autres professions. Parce que le passage à la retraite peut être perturbant pour les personnes qui ne s’y sont pas préparées, nous avons instauré un dispositif permettant au retraité de s’offrir un avenir. Étant très attachés au lien intergénérationnel et à la transmission, nous avons créé un système de bénévolat, pour que les retraités, qui ont du temps à consacrer aux actifs, conservent le lien avec les personnes en activité.

En tant que mutuelle affinitaire, nous intervenons directement dans les services pour recruter des référents, relais de proximité qui nous tiennent informés aussi bien des problèmes de santé que des événements heureux que rencontrent les agents. En France, nous coordonnons ainsi 1 000 personnes, que nous avons formées et formons régulièrement. Elles sont spécialisées en matière d’action sociale, puisque nous accompagnons des collègues dans le besoin, tant pour financer l’achat d’un fauteuil roulant ou des travaux afin de pallier une situation de handicap que dans le cas d’une séparation. Des enveloppes significatives sont votées chaque année en assemblée générale pour ces dispositifs d’accompagnement dont les collègues font la promotion. Nous avons ainsi instauré des actions de prévention et d’information par les pairs, sur le modèle de la mutuelle des étudiants.

Nous avons donc spécialisé nos collègues retraités pour informer sur notre action sociale, notamment sur les garanties. Cela permet de s’assurer qu’eux-mêmes les utilisent car, bien souvent, elles ne sont pas connues : certains collègues hospitalisés ne nous sollicitent pas, alors qu’ils pourraient bénéficier de services de garde d’enfants et d’animaux ou de ménage.

Si nous assurons ainsi la promotion des services que nous avons mis en place, nous permettons surtout aux retraités de garder un lien social et de faire vivre l’esprit d’entraide et de fraternité qui nous caractérise. Outre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que nous incarnons en tant que mutuelle régalienne, nous voulons conserver la solidarité, dont notre société a tant besoin.

Nous y contribuons fortement, notamment par les travaux du Continuum Lab. L’étude réalisée à partir de l’enquête que j’ai citée nous a permis de disposer d’une photographie du ressenti de la population face à l’ensemble des métiers qu’exercent nos assurés. Souhaitant être force de proposition, nous avons transmis nos recommandations visant à renforcer le lien entre les jeunes et nos institutions à l’Élysée, à l’Assemblée nationale, à Matignon ainsi qu’aux ministères de l’intérieur, de la justice, de l’éducation nationale et de la fonction publique.

Certaines de nos idées seront mises en application : plusieurs maires se sont, par exemple, engagés à organiser une cérémonie citoyenne et à recevoir de jeunes majeurs, en présence de leurs parents, pour leur expliquer ce que représente le fait de devenir citoyen et leur remettre un livret résumant leurs droits et devoirs. Cet échange donnerait également l’occasion de promouvoir les différents métiers avec des représentants de la police, nationale et municipale, de la gendarmerie, de la justice et des sapeurs-pompiers volontaires ou professionnels. Une telle cérémonie constituerait une vitrine, pour bâtir une relation sur une image positive.

L’enquête le montre, la jeunesse témoigne d’une vraie appétence pour ces métiers. Pourtant, les établissements d’enseignement comptent des conseillers qui renseignent sur les parcours, les choix de vie, mais pas de référents sécurité intérieure. Faute de maintenir un lien dans la durée avec ces professions, on se trouve confronté à un problème d’attractivité : on manque de bras dans tous les ministères. Nous voulons contribuer à y remédier par cette dimension sociale et sociétale.

Nous venons ainsi de nouer un partenariat avec le collège Albert Camus de Brunoy et sa principale, Salima Goujdad. Nous avons proposé de créer des classes de sécurité intérieure sur le modèle des classes défense : plusieurs fois par mois, des représentants de forces de sécurité viennent expliquer leur métier à des jeunes de 14 ans, de façon à organiser une transmission dans le temps. Nous avons été reçus à l’Élysée sur ce thème et travaillons pour instaurer le dispositif au niveau interministériel. Nous vous ferons parvenir nos recommandations.

M. Laurent Michel. En 2022, avec le fonds de dotation Amichemi, nous avons organisé six réunions rassemblant des structures du continuum de sécurité, dont deux au sein de SDIS, dans des casernes du Doubs et des Yvelines. Pendant une journée, une quinzaine de jeunes de 16 à 20 ans, sollicités par des missions locales ou des acteurs locaux, ont découvert ces professions successivement avec des décideurs – colonel de gendarmerie, commandant de police, directeur de prison, capitaine d’administration pénitentiaire, représentant du corps préfectoral – et avec des pairs, âgés de 20 à 30 ans, qui ont exposé leur expérience depuis deux ou trois ans. En fin d’après-midi, près de la moitié de ces jeunes disaient avoir rencontré des métiers qu’ils ne connaissaient pas et émettaient le souhait de se renseigner pour intégrer l’une de ces filières.

Cela démontre la nécessité de mettre les jeunes en contact avec ces métiers. Sans les excuser, les violences envers les forces de l’ordre peuvent procéder d’une méconnaissance de ces professions et du ressenti qui en résulte.

M. Gilles Bachelier. Dans le cadre du Continuum Lab, nous avons aussi organisé la remise d’un Prix de mémoire de master distinguant des travaux universitaires relatifs à la sécurité intérieure et à la protection. Nous avons pris connaissance de travaux très intéressants : les jeunes font des constats remarquables sur la situation et sont également force de proposition.

Nous profiterons que l’ANDSIS nous rejoigne l’an prochain pour mettre en avant des thématiques liées aux sapeurs-pompiers. En faisant réfléchir les jeunes sur leurs problématiques, nous pourrons mettre à votre disposition des matériaux nouveaux, au fil du temps.

M. Laurent Michel. Nous vous convions également à la matinée de réflexion que nous organisons le 2 avril sur un thème qui rejoint vos préoccupations : « Le préfet comme organisateur et coordinateur du continuum de sécurité au niveau local dans les crises de sécurité civile ». Le récent cyclone à La Réunion a montré le rôle crucial qu’il joue. La conférence est placée sous l’égide du président du comité scientifique du Continuum Lab, Olivier Renaudie, professeur de droit public à Paris I, spécialiste de la sécurité civile et intérieure.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour votre invitation à cet événement. Toutefois, nos travaux devraient être achevés à cette date.

Pour conclure, souhaitez-vous nous faire part d’autres informations ou recommandations sur notre modèle de sécurité civile ?

M. Gilles Bachelier. La réforme de la protection sociale complémentaire constitue un levier fondamental pour intégrer les diverses problématiques qui concernent les sapeurs-pompiers. Nous devons concentrer nos efforts, car le moment est unique et historique : l’État va accompagner les ministères régaliens et les collectivités territoriales vers une meilleure protection des agents. Il a récemment augmenté sa participation à l’accompagnement de la prévoyance de 20 % à 50 %, ce qui signifie que les partenaires sociaux ont été entendus. L’État est au fait de la question et capable d’allouer des moyens. Cette prise de conscience constitue un véritable atout.

Il ne faut toutefois pas considérer seulement l’aspect financier. Nos partenaires sociaux, qui devront piloter ces contrats avec les employeurs, n’ont pas encore pris toute la mesure de l’enjeu, notamment du fait que les mutuelles remportant les appels d’offres deviennent des prestataires : ceux qui connaissent le métier sont pour ainsi dire relégués au second plan. Or, la force du dispositif réside dans sa faculté à créer des synergies entre l’ensemble des parties prenantes. Les baromètres santé réalisés depuis dix ans à partir des données des différentes populations que nous protégeons nous permettent d’établir des comparatifs entre les fonctions publiques d’État et territoriale, entre les différents métiers, les sexes, les âges, et la population nationale. La réforme nous donne l’occasion de mettre cette énorme masse d’informations au service d’un dispositif d’accompagnement au plus près des personnes.

Les déterminants de santé n’étant pas les mêmes selon les régions, nous devons cibler nos actions. On ne gère pas un contrat collectif depuis Paris. Or, ces contrats démarreront bientôt : dans les collectivités territoriales, les employeurs publics et les partenaires sociaux devront se les approprier, bien qu’ils aient de multiples dossiers à traiter – les Jeux olympiques et paralympiques, notamment. Il est nécessaire de sensibiliser les acteurs pour les aider à saisir cette chance, à avancer des solutions et à aller dans le sens d’une réforme de grande ampleur, qui soit véritablement vertueuse.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie.


Direction générale de la prévention des risques (DGPR)

Compte rendu de l’audition de Mme Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques à la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, M. Yoann La Corte, adjoint à la cheffe de service des risques naturels et hydrauliques, et Mme Delphine Ruel, adjointe au chef du service des risques technologiques et sous-directrice des risques accidentels à la DGPR
(jeudi 18 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Tout d’abord, je vous prie d’excuser l’absence de notre rapporteur, M. Didier Lemaire. Il est souffrant et n’a pas pu se joindre à nos travaux, mais je suis sûre qu’il regardera avec attention l’enregistrement vidéo de nos auditions.

Nous avons le plaisir d’entendre la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, représentée par Mme Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques au sein de cette direction, accompagnée de son adjoint, M. Yoann La Corte, et de Mme Delphine Ruel, adjointe au chef du service des risques technologiques et sous-directrice des risques accidentels.

Notre mission, qui a débuté ses travaux au mois de septembre, a souhaité partir du terrain : elle a déjà entendu les représentants des élus et ceux des professionnels, volontaires, experts et associations agréées de sécurité civile. À présent, nous passons à l’audition de représentants des différents ministères ou administrations concernés par ces questions d’anticipation et de gestion de crise en matière de protection et de sécurité civile. Tel est le cas du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, notamment de votre direction générale, que je connais particulièrement bien, qui est chargée des risques, qu’ils soient naturels ou d’une autre nature – nous souhaitons que vous puissiez nous parler notamment des risques industriels.

Nous avons tenu plusieurs tables rondes spécifiques. Nous avons aussi organisé des déplacements sur le terrain à la suite de catastrophes naturelles ou industrielles récentes, telles que les feux de forêts de l’été 2022 en Gironde, l’incendie de Lubrizol en Seine-Maritime, ou la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes, où nous allons nous rendre en février. Votre regard sur ces événements nous intéresse, parce qu’il s’agit de cas concrets et que le dérèglement climatique pourrait conduire à des crises plus fréquentes, mettant à l’épreuve notre système de sécurité civile.

Vous pourrez nous présenter, de façon générale, les moyens et le fonctionnement de la DGPR, ainsi que son rôle en matière de prévention, d’identification ou de gestion des risques. N’hésitez pas à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système de protection et de sécurité civile et à nous dessiner des pistes d’amélioration, notre objectif étant précisément de faire des propositions en ce sens.

Avant de passer aux questions, permettez-moi de rappeler que notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous les groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Cette audition sera accessible en vidéo sur le site internet de l’Assemblée, et fera l’objet d’un compte rendu annexé à notre rapport.

En premier lieu, pouvez-vous présenter la DGPR, rappeler quels sont ses moyens humains et budgétaires, et préciser comment cette direction intègre les enjeux de sécurité civile dans ses différentes activités ?

Mme Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques à la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Notre mission est d’identifier, de caractériser et surtout de quantifier les risques auxquels notre société est soumise – nous parlons ici de risques naturels, technologiques et sanitaires, l’environnement ayant des effets sur notre santé. Nous devons aussi jouer un rôle dans la prévention du gaspillage et la gestion de l'économie circulaire.

L’une de nos particularités est d’agir à la fois à court terme, sur la vie quotidienne de nos concitoyens, et à long terme, lorsqu’il s’agit, par exemple, de maîtriser l’urbanisation. Parmi les actions à court terme qui sont liées à l’économie circulaire, citons la limitation de l’usage du plastique ou les bonus réparation. En matière de risques naturels, je peux vous donner l’exemple de l’information des acquéreurs ou des locataires (IAL) de biens immobiliers, destinée à leur signaler l’existence de risques naturels, technologiques ou autres. S’agissant des risques technologiques, le porte-à-porte peut être utilisé pour inciter les gens à renforcer le vitrage de leur domicile, par exemple, quand ils habitent dans une zone soumise à un risque.

Nous œuvrons d’abord à sauver des vies humaines, ce qui nous lie fortement aux services de la sécurité civile, puis à réduire les dégâts matériels et à faciliter un retour aussi rapide que possible à la normale.

Nous travaillons avec de nombreuses parties prenantes, en particulier les collectivités territoriales, compétentes en matière d’urbanisme et dans d’autres domaines où nous cherchons à intervenir. S’agissant des risques technologiques, sur lesquels reviendra ma collègue Delphine Ruel, nous travaillons avec le monde industriel. Nous travaillons aussi, bien sûr, avec d’autres ministères et de nombreux acteurs de la société civile.

Si nous sommes une direction d’administration centrale, nos missions sont essentiellement exercées au travers des directions départementales des territoires (DDT) et des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

En ce qui concerne les risques naturels, nous avons une activité opérationnelle, qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept : la vigilance crues, Vigicrues. Les services des DREAL peuvent établir des prévisions de crues – ce qui nous a été bien utile lors des inondations récentes dans les Hauts-de-France – à partir des relevés d’hydromètres dont sont équipés les cours d’eau. Nous avons aussi une inspection des ouvrages hydrauliques qui garantit la sécurité des barrages et de tous les systèmes d’endiguement. Ces contrôles sont effectués par des inspecteurs intervenant au niveau de la DREAL, qui disposent d’un pôle d’appui national rattaché à mon service.

Mme Delphine Ruel, adjointe au chef du service des risques technologiques et sous-directrice des risques accidentels à la DGPR. La philosophie est la même pour les risques technologiques que pour les risques naturels et hydrauliques. Nous agissons dans le cadre du code de l’environnement, qui définit les intérêts à protéger, ce qui inclut la vie humaine et l’environnement. La DGPR et ses services déconcentrés régulent, réglementent, autorisent et contrôlent toutes les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), c’est-à-dire des installations « qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients » pour les intérêts protégés. Il s’agit d’éviter des accidents, de réduire les émissions et, plus globalement, de conduire l’industrie à adopter un mode de développement durable.

Le spectre de nos actions est assez large, touchant aussi bien des lieux tels que les stations-service, où tout un chacun peut se rendre fréquemment, que de très gros sites industriels, notamment ceux qui sont classés Seveso et manipulent de grandes quantités de matières dangereuses. Nous nous intéressons aux industries classiques du secteur de la chimie, mais aussi aux installations produisant des énergies renouvelables – éoliennes terrestres et méthaniseurs – ou des énergies nouvelles – distribution et stockage d’hydrogène, ou stockage stationnaire d’électricité en batterie.

Cette politique de prévention des risques technologiques repose sur quatre piliers. Premier pilier : la réduction du risque à la source – l’exploitant doit nous démontrer qu’il l’a réduit à son niveau le plus bas et qu’il le maîtrise. Deuxième pilier : la maîtrise de l’urbanisation autour des sites qui présentent des dangers et inconvénients. Troisième pilier : la gestion de crise et l’organisation des secours s’il se produisait malgré tout un accident. Quatrième et dernier pilier : l’information des citoyens sur les risques auxquels ils sont soumis.

Mme Véronique Lehideux. Je vous propose d’aborder à présent la question des moyens humains et matériels. Selon le programme 217 du ministère, les services centraux et déconcentrés disposent de 3 346 équivalents temps plein travaillés (ETPT). Quant au programme 181, Prévention des risques, de la loi de finances pour 2024, il prévoit 1,3569 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,3586 milliard en crédits de paiement, tous titres confondus.

Pour conduire nos missions, notamment en ce qui concerne la caractérisation du risque, nous nous appuyons beaucoup sur des opérateurs auxquels nous accordons des subventions pour charge de service public. Notre appui aux collectivités territoriales repose sur le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier. Nous exerçons aussi la tutelle de certains opérateurs tels que l’Agence de la transition écologique (Ademe), qui représente 65 % de ce budget. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous transmettre les tableaux permettant d’effectuer une comparaison entre 2023 et 2024.

Jusqu’en 2021, le fonds Barnier, de nature extrabudgétaire, était alimenté par la surprime qui finance le régime des catastrophes naturelles, et plafonné aux alentours de 131 millions d’euros. En 2021, ce fonds a été budgétisé, rattaché à l’action 14 du programme 181, et son montant a été porté à 205 millions d’euros, ce qui témoigne de la prise de conscience de la nécessité d’agir face au risque. Le fonds a bénéficié de deux apports supplémentaires pour faire face aux conséquences de la tempête Alex, qui a frappé les Alpes-Maritimes en octobre 2020 : 50 millions d’euros en 2021, puis 30 millions d'euros en 2022. Ces moyens supplémentaires ont notamment servi à financer l’expropriation de biens devenus inhabitables et la délocalisation des habitants hors des zones à risque. La loi de finances pour 2024 prévoit un budget de 225 millions d’euros, marquant la nécessité de prendre en compte les risques liés au changement climatique.

Les missions liées aux risques naturels et hydrauliques mobilisent 1 306 ETPT, dont 460 dans les réseaux Vigicrues.

Mme Delphine Ruel. En 2022, les effectifs techniques de l’inspection étaient de 1 277 ETPT, localisés à 86 % dans les DREAL et à 14 % dans les directions départementales de la protection des populations (DDPP) qui contrôlent certaines ICPE agricoles. Déjà renforcée de 25 postes en 2023, l’inspection va bénéficier de 100 nouvelles recrues en 2024. Ces renforts devraient lui permettre d’accompagner les orientations du Gouvernement : assurer une présence sur le terrain et instruire correctement les dossiers d’investissement industriels et agricoles qui s’inscrivent dans la dynamique de réindustrialisation. Il s’agit de garantir une bonne qualité technique d’inspection, tout en respectant des délais maîtrisés.

Mme Véronique Lehideux. Qu’en est-il de l’articulation de nos politiques publiques avec celles des services de la sécurité civile ? Pour nous, ces politiques sont totalement complémentaires et en interface : il existe un continuum de la prévention à la sécurité civile.

La DGPR participe à la caractérisation, puis à la surveillance des aléas. Nous contribuons à l’« alerte montante » grâce à notre réseau Vigicrues mais aussi par l’intermédiaire d’opérateurs tels que Météo-France, les observatoires sismiques et sismologiques, ou le Centre national d’alerte aux tsunamis (Cenalt), organisme que nous finançons avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). C’est le stade de la vigilance, qui précède l’alerte, durant lequel il s’agit d’informer les autorités de gestion de crise et le grand public.

Lorsque nous atteignons des niveaux de vigilance orange et rouge, nous avons des relations très étroites avec les autorités de gestion de crise, qui reçoivent l’information avant le grand public. Nous avons des liens directs avec le préfet, le commandement des opérations de secours (COS) et le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic). Nous qualifions alors la localisation et l’intensité du phénomène, mais aussi ses conséquences possibles grâce à un travail effectué en amont. Pour les crues, par exemple, nous avons cartographié des zones d’inondations potentielles en fonction de la hauteur d’eau mesurée en certains points, ce qui permet au gestionnaire de crise d’anticiper et d’évacuer les périmètres concernés. Yoann La Corte, qui a travaillé sur la météo opérationnelle des feux de forêt, pourra vous donner des exemples concrets dans ce domaine.

L’interface avec la sécurité civile se fait au moment de bascule entre l’alerte montante, qui correspond à la phase de vigilance et de surveillance, et l’alerte descendante, qui accompagne la phase de gestion de crise. Nous pouvons intervenir ponctuellement de manière croisée immédiatement après la crise, lors de la reconstruction : la sécurité civile est toujours présente, mais on nous demande déjà d’intervenir et de fournir des moyens par le biais du fonds Barnier. Enfin, nous travaillons ensemble au moment des retours d’expérience, systématiques lors des crises importantes qui donnent également lieu à des inspections générales. La DGPR et les services de la sécurité civile ont ensuite à se saisir, parfois en commun, des recommandations faites à l’issue de ces inspections concernant des catastrophes naturelles ou technologiques.

Comme évoqué par Delphine Ruel, nous nous retrouvons aussi avec la sécurité civile sur la thématique de l’information du citoyen. En décembre 2020, Mme Barbara Pompili, alors ministre de la transition écologique, avait lancé une mission visant à formuler des propositions pour renforcer la sensibilisation du grand public aux risques naturels et industriels, présidée par Fred Courant. Dans le cadre de l’application du plan Tous résilients face aux risques, résultant de cette mission, notre premier interlocuteur naturel fut le ministère de l’intérieur, avec la DGSCGC. Par la suite, la Journée nationale de la résilience, instaurée à cette occasion, est devenue une action pleinement interministérielle. Pour que le citoyen devienne acteur de sa propre sécurité, il doit être informé des risques, en prendre conscience et connaître les bons comportements avant, pendant et après la crise.

L’État est tenu à une information préventive qui passe du préfet aux collectivités locales pour arriver aux citoyens. La loi visant à consolider le modèle de sécurité civile tout en valorisant le volontariat des sapeurs-pompiers, dite loi Matras, a permis d’étendre le bénéfice de cette information préventive. Auparavant, seuls en disposaient les territoires concernés par un plan de prévention des risques (PPR) ou un plan particulier d’intervention (PPI). Même si ces plans couvrent une large partie du territoire, certaines zones pouvaient échapper à l’obligation d’information préventive alors qu’elles couraient des risques. Nous avons donc modifié ensemble les textes pour que l’obligation s’applique partout où il existe au moins un risque majeur. À cette occasion, nous avons aussi fait en sorte que l’obligation se traduise dans les plans communaux et intercommunaux de sauvegarde. Ces mesures sont entrées en vigueur par le biais de la loi Matras et du décret n° 2023-881 du 15 septembre 2023 pris pour l’application de l’article L.125-2 du code de l’environnement.

Mme Delphine Ruel. La réglementation ICPE et la sécurité civile protègent des intérêts qui sont en partie les mêmes. La convergence est donc assez évidente. En outre, le troisième des quatre piliers de la prévention des risques évoqués précédemment – l’organisation des secours et la gestion de crise – est assuré par la sécurité civile comme dans le cas des risques naturels. La réglementation ICPE prescrit à l’exploitant de se doter d’un plan d’organisation interne en cas d’accident. Quant aux secours, ils peuvent faire l’objet d’un PPI pour certains sites.

S’agissant de l’information des citoyens sur les risques auxquels ils sont soumis, j’aimerais apporter deux précisions. Premièrement, les sites Seveso font l’objet de campagnes d’information quinquennales, donc régulières. Deuxièmement, nous nous inscrivons dans la dynamique, décrite par Mme Lehideux, concernant le renforcement de l’information préventive et la participation à la Journée nationale de la résilience. Le nombre d’actions concernant le risque technologique a progressé entre 2022 et 2023, passant de 11 % à 38 %, ce qui montre que notre volonté de mobiliser les acteurs a porté ses fruits.

Mme la présidente Lisa Belluco. Auriez-vous des idées, recommandations ou propositions pour développer la culture du risque parmi les citoyens et les élus ?

Mme Véronique Lehideux. La Journée nationale de la résilience a d’abord été institutionnalisée par la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie. Comme pour toutes les journées de ce type, un travail de fond est effectué pour développer sa notoriété et en faire un temps fort, qui associe toutes les parties prenantes et inclut tous les risques. Au départ centrée sur les risques naturels, elle accorde désormais une place croissante aux risques technologiques.

Nous nous appuyons beaucoup sur notre « constellation » : les associations qui travaillent avec nous sur ces sujets. Entre la première édition et celle de cette année, le nombre d’actions a progressé de plus de 47 %, pour atteindre plus de 3 000 sur l’ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer, qui sont exposés à quasiment tous les risques naturels.

C’est satisfaisant, mais insuffisant : il faut faire en sorte que ces actions aient lieu tout au long de l’année, et que la journée du 13 octobre n’en soit que le temps fort. Nous voulons travailler avec le milieu scolaire, car nous croyons beaucoup à l’éducation des plus jeunes. Cette année, nous allons aussi développer des jeux, des quiz et des publications sur les feux de forêt dans Le Journal de Mickey, par exemple, pour toucher les jeunes avec d’autres médias.

Un travail de fond est effectué auprès des élus par les services déconcentrés et les associations. Pour encourager ces dernières à développer les modules de formation qu’elles ont mis en place, nous avons augmenté le montant des subventions accordées.

M. Yoann La Corte, adjoint à la cheffe du service des risques naturels et hydrauliques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Comme cela a été dit, nous sommes convaincus que la bonne information de nos concitoyens permettra de les rendre acteurs de leur sécurité et de la sécurité collective. Les campagnes qu’évoquait Mme Lehideux s’inscrivent dans cette logique.

L’une, créée en 2016 et consacrée aux pluies intenses et aux inondations, a été largement modernisée et amplifiée en 2022. Elle porte sur le pourtour méditerranéen, où interviennent parfois des phénomènes dits « cévenols » qui peuvent conduire à des crues soudaines et brutales, avec des risques importants pour les personnes et pour les biens. Cette campagne vise donc essentiellement à faire connaître les bons comportements et les sources d’information de référence – comme Vigicrues, service gratuit proposé à tous et destiné à anticiper ces phénomènes dangereux – et à informer nos concitoyens sur le kit d’urgence de soixante-douze heures, qui doit leur permettre de résister s’ils venaient à être bloqués longtemps chez eux avant que les forces de sécurité civile n’interviennent sur le terrain.

Nous envisageons d’étendre cette campagne à l’ensemble du territoire national, compte tenu notamment des événements qui se sont produits en novembre et en janvier dernier dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, en l’axant davantage sur l’ensemble des inondations. En effet, les crues lentes peuvent, elles aussi, avoir des conséquences dramatiques pour nos concitoyens.

Une autre campagne, consacrée aux feux de forêt, est portée par le ministère depuis 2018 et a été amplifiée en 2022 selon une approche de communication situationnelle. Il s’agit, là aussi, de faire prendre conscience à nos concitoyens des bons gestes – qui, en l’espèce, peuvent éviter les feux de forêt, lesquels sont, neuf fois sur dix, d’origine humaine, ce qui signifie que, théoriquement, on pourrait en éviter 90 %, le reste étant causé par la foudre. Cette campagne amplifiée touche l’ensemble du territoire, avec des surpressions de communication dans les zones les plus sensibles. Les feux intervenant durant la saison estivale, où le territoire national accueille de nombreux touristes, parfois étrangers, nous avons également traduit cette campagne en anglais et en espagnol. Pour la saison 2024, qui sera marquée par les Jeux olympiques, nous entendons l’amplifier encore, afin que chacun puisse connaître les bons comportements.

À la suite des incendies de l’été 2022, nous avons réalisé une campagne d’information visant moins que les deux précédentes à produire une information préventive, mais plutôt à faire connaître les obligations légales en matière de débroussaillement, leur intérêt pour les propriétaires concernés et la bonne manière de débroussailler. De fait, il ne s’agit pas là seulement d’entretenir son jardin ou son terrain, et ces travaux peuvent parfois être assez lourds. Nous avons mené dans ce cadre diverses actions, en collaboration étroite avec nos collègues du ministère de l’intérieur et du ministère de l’agriculture et des forêts.

Mme Véronique Lehideux. Nous préparons avec eux ces campagnes que nous finançons, et leur soumettons des maquettes et des stratégies de communication que nous validons ensemble.

Pour revenir à votre question relative au renforcement, j’évoquerai trois points.

Le premier porte sur la formation des élus, particulièrement importante au début de leur mandat. Nous devons utiliser tous les médias à notre disposition pour toucher le citoyen, et c’est notamment l’objet des campagnes visant le grand public, qu’a évoquées M. La Corte. En 2022, nous avons procédé à une refonte importante de Géorisques, plateforme open data très riche en données, dans un souci de pédagogie visant élus et citoyens, qui disposent désormais d’onglets dédiés. Les citoyens peuvent ainsi, en saisissant leur adresse, connaître tous les risques auxquels ils sont exposés près de chez eux, et avoir accès à des fiches d’informations. Ils peuvent même obtenir, moyennant une démarche en ligne, un dossier d’information prérempli destiné aux acquéreurs ou locataires. Un volet destiné aux élus offre également à ces derniers des documents types, de bons exemples et des vidéos.

Nous nous efforçons également d’enrichir nos outils sur le plan éditorial. Ainsi, depuis plus d’un an, Vigicrues, qui existait jusqu’alors sur internet, est disponible gratuitement sous la forme d’une application pour téléphone mobile : au lieu d’aller chercher l’information, on programme désormais des notifications et des avertissements de vigilance. Un autre outil, qui s’est révélé essentiel à l’occasion de la tempête Ciarán, est le dispositif FR-Alert, qui a joué un rôle s’apparentant à de la prévention en incitant la population à se protéger.

À cette occasion aussi, le relais des médias a été essentiel pour nous. Ce relais a, le plus souvent, été spontané, comme du reste lors du cyclone Belal. Dans ce domaine, nous menons un travail de fond, et des partenariats ont été créés pour réaliser des actions de formation, notamment avec le groupe Altice, pour BFM et RMC. M. La Corte et moi-même, ainsi que des collègues de la DGSCGC, avons formé des journalistes aux risques, aux phénomènes et à nos outils, lors de plusieurs sessions de formation. Il faut aussi citer, dans le cadre de la Journée de la résilience, le Résilience Tour, piloté par l’Institut des risques majeurs (Irma) et auquel ont participé de nombreuses associations, ainsi que le lancement, dans les locaux de France 3, d’un partenariat avec France 3 régions en vue du déploiement de ces actions. L’implication de ces acteurs qui touchent le grand public est en effet essentielle pour nous, et nous avons travaillé en ce sens avec nos collègues du ministère de l’intérieur et des outre-mer.

M. Yoann La Corte. La sensibilisation des élus est une forme de communication et d’information un peu différente de celles que nous venons d’évoquer. Nous nous sommes attachés à porter un message à destination des élus des territoires, et en premier lieu des maires, ce qui a donné lieu, par exemple, à des webinaires consacrés aux obligations légales de débroussaillement que nous évoquions tout à l’heure, en collaboration étroite avec l’Association des maires de France (AMF). Nous souhaiterions pouvoir renouveler ces initiatives.

Par ailleurs, dans le cadre de travaux sur la stratégie nationale de résilience pilotés par Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), nous collaborons avec ce dernier à la mise en place d’une formation de sensibilisation destinée aux élus sur les risques et menaces de toute nature, dont un volet important porte sur les risques naturels et le changement climatique. Ce travail est réalisé avec l’appui de l’Institut national du service public (INSP), qui construit des modules spécifiques à l’intention de nos élus.

Mme Véronique Lehideux. Nous attachons une attention particulière aux outre-mer et avons déployé, pour la première année, une campagne qui leur est spécifiquement consacrée, en recourant aux langues locales pour nous assurer de toucher tous les sites.

Mme la présidente Lisa Belluco. La campagne sur les obligations légales de débroussaillement a bien fonctionné, à en croire le bien que nous en disait ce matin la sénatrice Delattre, que nous auditionnions, en nous remettant le document relatif à cette obligation, à laquelle elle est soumise en tant qu’habitante de la Gironde.

Une question plus opérationnelle : quel est le rôle des agents de la DGPR – en particulier de ceux des services déconcentrés, mais aussi au niveau central – en cas de crise ? Sont-ils, par exemple, intervenus lors des inondations survenues dans le nord de la France ou lors de l’incendie de l’usine Lubrizol ?

Mme Véronique Lehideux. Les actions sont en effet plus ponctuelles au niveau central, même si j’ai participé à une cellule interministérielle de crise courant novembre 2023. Ce sont donc nos directions départementales des territoires qui sont sollicitées pour participer aux centres opérationnels départementaux (COD).

En matière de risques naturels, le réseau Vigicrues donne lieu à des relations à double niveau : les services de prévision des crues, qui travaillent plutôt selon des logiques de bassins ou de sous-bassins hydrographiques, sont en contact avec les préfets et les autorités de gestion compétentes selon les périmètres concernés, tandis qu’au niveau national, le Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations (Schapi), qui relève de mon service et agrège, tamponne et diffuse l’information, est en contact étroit avec le Cogic et veille à ce que l’autorité qui gère la crise dispose de cette information en amont, avant le grand public et avec la plus grande anticipation.

La modélisation des aléas prend là toute son importance, et ce sont là des travaux que nous menons en continu, afin d’anticiper au maximum la connaissance de l’intensité du phénomène à venir pour donner plus de temps à la gestion de crise.

Mme Delphine Ruel. Pour ce qui concerne les risques technologiques aussi, les interventions ont plutôt lieu au niveau des DREAL, et il est assez rare que la DGPR participe à la cellule interministérielle de crise. La différence avec la gestion des risques naturels est que les risques technologiques relèvent généralement d’un exploitant, qui est le premier responsable de la sécurité de son installation, y compris en cas d’accident. Le rôle d’un inspecteur d’ICPE en cas d’accident technologique est d’être l’appui technique du préfet – il s’agit en général du directeur des opérations de secours –, pour l’aider à comprendre la situation et ses évolutions possibles, en anticipant d’éventuels effets domino et la nécessité de réaliser des prélèvements dans l’environnement – là où se dirige le panache –, et en sollicitant, le cas échéant, des modélisations. Il s’agira donc d’anticiper l’évolution de l’événement et le post-accident, et d’apporter un appui technique au préfet pour gérer la situation.

Mme Véronique Lehideux. Nous intervenons souvent en amont, dans l’anticipation, mais, durant la crise, un référent départemental inondations participe à la cellule de crise. Un réseau animé par le Schapi réunit des référents régionaux et départementaux inondations, qui sont sollicités en cas de crise, où ils ont un rôle de décodeurs du vocabulaire technique et des cartes de zones d’inondations potentielles, afin de s’assurer que les autorités de gestion de crise en auront une bonne lecture.

Après des crises majeures où il est nécessaire de déclarer l’état de catastrophe naturelle, un acteur important pour apporter un appui aux collectivités locales est le référent catastrophe naturelle (Catnat), créé par la loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, dite loi Baudu. Ces référents interviennent très souvent en préfecture, mais nous sommes souvent sollicités pour faire le lien et renvoyer des acteurs que nous connaissons vers ces référents. Notre rôle est, dans ce cas, plutôt celui de facilitateur et de passeur d’information. Nous sommes en position d’expert technique, pour fournir les informations qui permettront au ministère de l’intérieur de caractériser le phénomène – par exemple de déterminer s’il s’agit ou non d’une crue décennale.

Mme la présidente Lisa Belluco. Quel regard portez-vous, de l’intérieur, sur le fonctionnement du modèle français de sécurité civile, et pouvez-vous formuler des recommandations ou des pistes d’amélioration de ce modèle, compte tenu notamment de l’évolution des risques ?

Mme Véronique Lehideux. La question est difficile, car il serait au-delà de notre compétence d’évoquer des dispositifs qui ne relèvent pas directement de notre sphère. En tout cas, je constate, depuis que j’occupe mon poste, qu’un certain nombre de choses fonctionnent bien. C’est notamment le cas des FR-Alert, que j’ai évoqués tout à l’heure, et des outils d’alerte précoce créés par le ministère, qui veille beaucoup à la manière dont ils seront appréhendés par les populations.

Un deuxième élément qui, abstraction faite des incendies de 2022, survenus dans un contexte climatologique très fort, me semble très bien fonctionner est la stratégie des feux naissants, qui a porté ses fruits. De fait, la comparaison entre les chiffres des années 1980 et ceux que nous avons connus avant les grands feux de 2022 fait apparaître une baisse très sensible du nombre d’hectares brûlés. L’action conjointe visant à impliquer les citoyens pour qu’ils deviennent acteurs de leur sécurité fonctionne bien.

Pour citer une expérience vécue, je venais de prendre mon poste lorsque l’incendie de la plaine des Maures a éclaté, en plein été. En procédant à l’évacuation d’environ 10 000 personnes, qui étaient en grande partie des vacanciers et ne connaissaient pas le territoire, nous avons constaté qu’il manquait des plans communaux de sauvegarde dans certaines des communes concernées. La DGPR soutient l’action de fond engagée par la direction générale de la sécurité civile pour développer ces plans de sauvegarde, et pour le faire à la bonne échelle, communale ou intercommunale.

Historiquement, il est exact que la sécurité civile est née et a trouvé ses racines dans des cellules ou des noyaux de citoyens volontaires et agissants. Selon les informations dont nous disposons, ces dispositifs sont mis en place assez facilement et avec une certaine souplesse par les maires, et sans doute leur nombre pourrait-il s’accroître, en particulier sur les territoires les plus ruraux et les plus exposés. Le changement climatique nous confrontera à la question de notre capacité à agir pour des territoires qui seront exposés à des risques plus longtemps et sur un périmètre plus étendu. L’adéquation entre l’extension des phénomènes et la capacité d’action risque d’être difficile. Pour prendre l’exemple très récent des inondations survenues dans les Hauts-de-France, nous avons fait appel au mécanisme de solidarité européen pour disposer de pompes. On peut imaginer un renforcement important des capacités de pompage pour renforcer des moyens matériels.

Il me semble toutefois délicat, je le répète, d’en dire plus sur l’organisation de questions qui ne relèvent pas directement de notre service.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez beaucoup évoqué vos relations avec le ministère de l’intérieur, qui semblent être bonnes.

Mme Véronique Lehideux. Elles sont très fluides et presque naturelles. Le ministère de l’intérieur est un interlocuteur du quotidien, avec lequel nous entretenons d’excellentes relations.

Mme la présidente Lisa Belluco. A-t-il une bonne appréhension de la totalité des risques que vous couvrez ? En effet, il semble que tout le monde ait désormais une bonne vision des feux de forêt, mais le risque technologique ou les risques de tempête, par exemple, sont-ils aussi bien appréhendés par le ministère de l’intérieur ? Faut-il développer des formations ou d’autres mécanismes interministériels d’acculturation des services, ou la situation actuelle vous paraît-elle satisfaisante ?

Mme Véronique Lehideux. Nous travaillons déjà ensemble dans de nombreuses instances. En matière de vigilance crues, par exemple, il existe un comité de pilotage interministériel, et nous élaborons les textes ensemble. Au-delà des questions actuelles, nous nous projetons aussi dans des évolutions pour l’avenir. La mission d’appui aux politiques de prévention des risques naturels outre-mer (Mapprom), que nous n’avons pas encore évoquée, est une instance relevant de M. Cédric Bourrillet en sa qualité de délégué aux risques majeurs, et qui travaille tant avec le ministère de l’intérieur et des outre-mer qu’avec le nôtre. Dans ce cadre, des feuilles de route ont été élaborées, prévoyant des actions à court terme, comme le plan séisme Antilles sur lequel nous travaillons actuellement, mais aussi, très souvent, un volet consacré au changement climatique, avec par exemple le Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima).

Ce sont là des projets que nous portons ensemble. Comme nous, le ministère de l’intérieur travaille toujours à court et à long terme. Ainsi, l’année dernière, il avait confié à Météo-France une étude pour la partie risques naturels, s’interrogeant sur le positionnement à adopter et sur les évolutions possibles compte tenu de l’ensemble des phénomènes, de leur extension et de leur nouveauté. Le ministère me semble donc prendre pleinement en compte les risques naturels.

Mme Delphine Ruel. C’est également le cas pour les risques technologiques, domaine dans lequel nous avons de nombreuses relations avec la DGSCGC au niveau central de la DGPR. De fait, lorsque nous rédigeons des prescriptions pour une activité, nous consultons toutes les parties intéressées, mais la DGSCGC est généralement l’administration avec laquelle nous avons les échanges les plus nombreux, car nos arrêtés comportent de nombreux points qui les concernent directement, comme la largeur des voies pour les engins et les moyens de défense incendie. Les relations sont donc bonnes au niveau central et nos interlocuteurs suivent parfaitement ces questions, auxquelles ils sont tout à fait sensibles au niveau local, puisque les services départementaux d’incendie de secours (SDIS) sont consultés sur les dossiers d’autorisation ou d’enregistrement. Parfois même, localement, certaines positions souhaiteraient aller plus loin que les prescriptions réglementaires établies après consultation d’experts, comme l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Le ministère est donc tout à fait sensible à ces questions.

Mme Véronique Lehideux. L’un des axes qui nous restent à explorer est celui des apports de nouvelles technologies, de nouveaux capteurs. Comment faire de la détection précoce ? On parle de l’internet des objets, et j’entendais hier évoquer une constellation de nouveaux satellites reliés qui fourniront des informations spécifiques. Quel sera également l’apport de l’intelligence artificielle ? Il y a là des nouveaux domaines, qu’il faudra travailler. Nous ne le faisons pas seuls et nous nous appuyons énormément sur nos opérateurs et sur des laboratoires de recherche, comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l’université Gustave-Eiffel. Nous travaillons également sur un appel à projets dans le domaine de la détection précoce.

M. Yoann La Corte. Nous travaillons en effet en relations étroites avec le ministère de l’intérieur, en particulier dans le cadre de projets visant à mieux utiliser les technologies spatiales ou offertes par les outils d’intelligence artificielle. Nous intervenons ainsi à ses côtés pour un premier appel d’offres qu’il pilote, portant sur la sécurité et la gestion de crise. Nous travaillons aussi, dans le cadre de France 2030, sur un appel d’offres visant à mieux utiliser l’imagerie satellitaire, afin de disposer d’outils permettant à la fois d’anticiper les phénomènes et de les caractériser sur des échelles de temps utiles pour les services opérationnels de gestion de crise. L’enjeu est donc de disposer d’informations fiables, géographiquement précises et rafraîchies sur des pas de temps très courts.

Plus largement, un autre enjeu pour répondre aux besoins opérationnels de nos collègues du ministère de l’intérieur consiste à modéliser les phénomènes naturels dangereux à des échelles géographiques de plus en plus fines, selon ce que nous appelons la « descente d’échelle ».

Mme Véronique Lehideux. Dans le cadre des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le monde est découpé en grandes zones géographiques, et la descente d’échelle est donc essentielle pour nous permettre de caractériser l’aléa et les phénomènes. Nous savons qu’il existe encore des incertitudes, à propos par exemple des pluies intenses – où passera la frontière entre les zones où il pleuvra moins et celles où il pleuvra plus ? S’agira-t-il de tempêtes de type hivernal, comme nous en avons connu, ou de phénomènes de type cévenol, marqués par un phénomène très violent sur une période très courte, succédant à de très longues périodes sans pluie – à la différence de ce qui s’est produit dans les Hauts-de-France, qui ont connu trente jours d’affilée de pluie ininterrompue ? Nous devons nous préparer à ce grand écart entre des phénomènes très différents.

Mme la présidente Lisa Belluco. Ma dernière question portait sur la recherche et l’innovation, mais vous m’avez devancée.

Je vous propose maintenant de vous laisser le mot de la fin : avez-vous encore quelque chose à ajouter ou une appréciation sur notre modèle de sécurité civile ? Vous pouvez également nous envoyer, si vous le souhaitez, une contribution écrite, qui nous sera très utile.

Mme Véronique Lehideux. Il me semble que nous avons évoqué l’ensemble des questions. Pour nous, le travail en complémentarité est essentiel. Nous savons que des travaux majeurs aboutiront pour l’année 2024 : le plan national d’adaptation au changement climatique, document fondateur pour nos politiques publiques, dont est chargé notre ministre, M. Béchu, ainsi que de nombreuses actions qui auront des conséquences sur les actions relevant du domaine de compétence du ministère de l’intérieur et des outre-mer. Nous sommes au début d’un travail encore un peu nouveau, dont la vocation est d’être de plus en plus opérationnel dans le domaine du changement climatique.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux.


Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

Compte rendu de l’audition de M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)
(jeudi 18 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Mes chers collègues, nous auditionnons M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui est placé sous l’autorité du Premier ministre.

Notre mission d’information a auditionné les représentants des élus, ceux des professionnels et des volontaires, des experts et les associations agréées de sécurité civile notamment. Elle entame aujourd’hui l’audition des représentants des ministères et administrations qui, sous une forme ou une autre, sont concernés par les questions de protection et de sécurité civile. Tel est le cas du SGDSN, qui joue un rôle essentiel et stratégique, à l’échelon national, en matière de sécurité civile, s’agissant de l’analyse des situations, de la prise de décision et de la coordination des actions, notamment en cas de crise majeure.

Notre mission a tenu plusieurs tables rondes et organisé des déplacements sur le terrain à la suite de catastrophes naturelles ou industrielles survenues récemment, notamment en Gironde, après les feux de forêt de l’été 2022, et en Seine-Maritime, après l’incendie de l’usine Lubrizol. Dans les Alpes-Maritimes, nous nous intéresserons aux conséquences de la tempête Alex. Nous ne négligeons pas les risques d’origine sécuritaire ou sanitaire qui, comme l’ont montré les très graves attentats de 2015 et la pandémie de Covid-19, peuvent représenter un défi important pour les forces de sécurité civile et les moyens de secours aux personnes.

Monsieur Arany, vous nous présenterez de façon générale les moyens et le fonctionnement du SGDSN, ainsi que son rôle d’impulsion et de coordination en matière de protection et de sécurité civile en cas de crise. N’hésitez pas à nous faire part de votre analyse critique de l’organisation de notre système et des possibilités de l’améliorer.

Pour votre bonne information, j’indique que notre mission est composée de vingt-cinq députés issus de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et apparentés. Son rapporteur, M. Didier Lemaire, est malheureusement souffrant et ne peut participer à nos travaux ce jour.

Cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera l’objet d’un compte rendu, qui sera annexé au rapport.

Je vous propose de commencer par présenter le SGDSN, en rappelant notamment sa création, son rôle et ses moyens humains et budgétaires, et par préciser de quelle manière il intègre les enjeux de sécurité civile dans ses activités.

M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Je remercie votre mission d’information d’associer le SGDSN à ses travaux. Si la sécurité civile incombe pour l’essentiel au ministère de l’intérieur, assisté de ministères chargés de politiques sectorielles, le SGDSN y est associé de façon surplombante. Son rôle consiste à arrêter la doctrine de gestion des crises majeures et à veiller à la bonne organisation des services du Gouvernement si elles surviennent.

La création du SGDSN remonte à l’entre-deux-guerres, sous l’appellation « Secrétariat général à la défense nationale ». Le général de Gaulle y fut affecté – il y a rédigé Le fil de l’épée. Du petit état-major qu’il était à l’origine – un livre récent intitulé Au cœur de l’État, dont je recommande la lecture, en retrace l’histoire et le présente comme un « ectoplasme administratif » –, le SGDSN a pris en charge un nombre croissant de missions.

Chargé de conseiller l’exécutif, il est composé d’un nombre restreint d’agents – une centaine à l’origine –, issus d’horizons militaires et civils très divers, et travaille en lien avec les services de renseignement. Il s’est récemment étoffé de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), qui compte plus de 500 agents. Chargée notamment de réagir en urgence aux cyberattaques dont la France est la cible, elle aide l’exécutif s’agissant de leur identification, de leur analyse et de leur gestion. Par ailleurs, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), créé en 2021, lutte contre les ingérences étrangères et la manipulation de l’information.

En résumé, le SGDSN conseille et appuie l’exécutif. Il prépare notamment les conseils de défense, qui sont à la main du Président de la République, et offre un éclairage sur la planification de défense et de sécurité nationale.

La sous-direction de la planification de sécurité nationale fait partie de la direction de la protection et de la sécurité de l’État, qui est la composante historique du SGDSN. Parmi ses missions figure la définition de la stratégie nationale de résilience, déployée depuis 2021. Le SGDSN est responsable de la planification gouvernementale relative aux risques et menaces susceptibles d’affecter la vie de la nation.

Il s’agit d’assurer la protection des populations, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République. Le SGDSN assure la coordination de la planification nationale, dont certains aspects sont classifiés, en lien avec les autres ministères, s’agissant des risques de sécurité civile importants tels que les risques naturels – par exemple une crue de la Seine –, les risques technologiques et industriels – par exemple un accident nucléaire ou radiologique majeur – et les risques sanitaires présentant un caractère particulièrement grave – par exemple une pandémie d’Ebola, de variole ou de grippe, relevant toutes d’un plan générique.

Le SGDSN est compétent sur environ quinze plans ministériels, en haut du spectre.

En matière nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC), le plan vise à pallier les difficultés des ministères dans des domaines exigeant un haut degré d’expertise. Il inclut un volet relatif aux explosifs. Le risque peut sembler faible, mais sa réalisation aurait des effets de sidération majeurs sur la population et induirait un nombre de victimes élevé.

Le plan Vigipirate, élaboré à la fin des années 1970, est activé en permanence. Il comporte une centaine de mesures socles, complétées par des mesures additionnelles en fonction du niveau de posture adopté – il en existe trois. Nous sommes récemment redescendus du niveau sommital « urgence attentat », auquel nous étions depuis l’attentat du 13 octobre dernier. Nous avons conseillé à l’autorité politique de laisser passer la période des fêtes et la date anniversaire des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher avant de faire évoluer la posture, d’autant qu’un remaniement du Gouvernement était en gestation.

Le SGDSN élabore la doctrine de planification et d’organisation de la gestion de crise par le Gouvernement. Le 23 janvier 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a signé la directive générale interministérielle (DGI) n° 320 relative à la planification de défense et de sécurité nationale. Elle offre une matrice d’organisation moderne, garantissant un certain degré de modularité et de subsidiarité dans le traitement des crises. Auparavant, nous fonctionnions selon le schéma « Une crise, un plan ». La crise du Covid-19 a montré que les crises sont de plus en plus protéiformes et transversales, ce qui exige un traitement agile. Elles sont aussi plus longues, de sorte qu’il n’est pas toujours nécessaire d’activer tous les plans en même temps. Ce qui importe est d’identifier un socle de mesures en fonction de la nature de la crise et d’activer des modules complémentaires selon sa spécificité.

Cette nouvelle matrice d’organisation identifie huit facteurs de crise majeurs, parmi lesquels trois risques – naturels, technologiques ou industriels et sanitaires – et cinq menaces – agression, attentat, troubles sociétaux graves, cyberattaque et hybrides –, ainsi que douze activités clés indispensables à la vie de la nation. Cet outil est très pratique pour identifier la nature exacte d’une crise et y remédier de la façon la plus efficace possible, en plaçant la sécurité civile au premier plan.

Par ailleurs, nous travaillons au déploiement de la plateforme Athéna, qui sera mise à la disposition de la cellule interministérielle de crise (CIC). Elle offrira un accès rapide aux fiches mesures associées aux grands plans gouvernementaux, grâce à une recherche par mots-clés, ce qui permettra d’identifier, dans les premières heures d’une crise, les mesures à prendre en priorité.

Le 26 septembre 2023, la Première ministre a promulgué la circulaire relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures. Elle vise à encadrer les interactions entre les multiples acteurs, notamment lors de l’organisation d’événements sportifs internationaux tels que la coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Elle est notre boussole.

Elle permet notamment d’organiser les échanges au sein de la CIC. Elle a offert l’occasion de valider les référentiels opérationnels de la CIC et du Centre national de commandement stratégique (CNCS), créé spécifiquement pour suivre le bon déroulement des JOP. Ces documents cadres sont utilisables à tout moment d’une crise, quelle que soit sa nature.

Le SGDSN apporte également un appui aux ministères dans l’organisation d’exercices de gestion de crise majeure. L’organisation successive de la coupe du monde de rugby et des JOP a offert l’occasion de tester l’articulation de la chaîne de commandement liant le CNCS et la CIC. Un exercice a été organisé les 5 et 6 décembre derniers. Nous travaillons sur des scénarios de rupture intégrant une dimension cyber et des manipulations de l’information, tant la communication et la sécurité civile sont des aspects fondamentaux de toute crise.

Par ailleurs, nous assistons les ministères dans la formation des personnels chargés de la gestion de crise. Depuis 2019, le SGDSN déploie un programme de professionnalisation des acteurs de la gestion de crise, qui a permis de former 900 personnes susceptibles d’être mobilisées dans le cadre du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC). Leurs profils correspondent aux compétences selon lesquelles est organisée la CIC – décision, analyse de situation, communication, anticipation. Leur formation leur a permis d’acquérir les réflexes de base, de sorte qu’ils savent comment gérer une crise et trouver dans les plans les façons d’y remédier.

On dit souvent du plan qu’il est la première victime de la crise. C’est malheureusement assez juste. L’analyse menée à froid n’en permet pas moins d’identifier les cas auxquels on peut être confronté, sans préjudice des effets de surprise, toujours possibles. La planification est de plus en plus pratiquée. Chacun a conscience de la nécessité de bien en maîtriser les outils. Nous menons des formations dans le cadre de l’Institut national du service public (INSP), de l’Institut des hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI) et du cycle des hautes études de service public (CHESP).

En matière d’anticipation, nous nous situons en haut du spectre. Depuis septembre 2021, le SGDSN anime le comité interministériel d’anticipation, qui travaille sur des scénarios classifiés d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Le plan Vigipirate, d’une certaine manière, est un outil d’anticipation permettant d’analyser la menace terroriste. Il est mis à jour tous les six mois et tient compte des vulnérabilités. Très documenté, il permet de définir le meilleur niveau de posture.

Quant aux directives nationales de sécurité (DNS), rédigées par chaque ministère pour son champ de compétence, nous les complétons en améliorant la documentation disponible en matière de planification. Ainsi, nous avons rédigé, dans le cadre de la DGI précitée, un référentiel interministériel dédié à l’anticipation opérationnelle. Composé de modèles faciles d’utilisation améliorant la recherche des informations clés et offrant une aide à la décision, il permet d’organiser la réflexion et le travail en situation de crise.

Mme la présidente Lisa Belluco. En quoi consiste la stratégie nationale de résilience (SNR) ? Comment le modèle français de protection et de sécurité civiles s’y intègre-t-il ? Des évolutions sont-elles prévues ou à l’étude dans ce domaine ?

M. Gabor Arany. À l’été 2021, au lendemain de la crise du Covid-19, le SGDSN a été mandaté par le cabinet du Premier ministre pour rédiger la SNR, que nous avons présentée le 21 avril 2022. Ce document permet de mettre en cohérence les dispositifs mis en œuvre par les ministères et ceux qui nécessitent une action interministérielle. Il permet aussi d’identifier les forces et les faiblesses des politiques publiques à cet égard.

Il s’agit en quelque sorte du tableau de bord des vulnérabilités et des travaux menés pour y remédier. À l’heure actuelle, les crises exigent de s’organiser pour tenir dans la durée, collectivement et en profondeur. Un travail d’identification, qui est en réalité un travail d’anticipation, est donc indispensable.

La résilience est une notion un peu galvaudée, à laquelle on peut tout faire dire. Elle est surtout appliquée au changement climatique. Outre ce domaine, nous avons identifié soixante-treize actions couvrant de nombreux sujets, de la transition écologique à la souveraineté alimentaire, en passant par les stocks stratégiques de produits sanitaires ou pharmaceutiques, ou de matériaux critiques tels que les métaux rares. Identifier ces vulnérabilités, recensées par le ministère des armées, ne vise pas à construire une usine à gaz, ni un outil de contrôle de ce que font les ministères, mais à énumérer des actions associées à des indicateurs très concrets et très opérationnels, pour obtenir des résultats et mesurer les progrès réalisés par les services de l’État afin d’en garantir la robustesse.

Il s’agit de s’assurer de la qualité de la réaction gouvernementale en situation de crise, y compris dans le domaine de la sécurité civile. Toutes les actions suivies par le ministère des outre-mer et par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) sont intégrées dans la SNR.

Chaque ministère est amené à rendre compte régulièrement au plus haut niveau, dans le cadre du comité interministériel de la résilience nationale, qui se réunit tous les six mois sous la présidence du directeur de cabinet du Premier ministre. Chaque cabinet ministériel compte désormais un référent résilience – en général le directeur de cabinet – chargé de répartir les tâches au sein du cabinet et de l’administration pour obtenir des résultats.

Il ne s’agit pas stricto sensu d’un outil bureaucratique de contrôle de l’action des ministères, mais d’une stratégie ayant vocation à être déclinée auprès des collectivités territoriales, des opérateurs économiques et des citoyens. Ce travail, en cours, est très enrichissant. Il nous prémunit de toute déconnexion avec le réel et nous permet de répondre véritablement aux attentes de nos concitoyens.

S’agissant plus spécifiquement de la sécurité civile, ses acteurs figurent dans la SNR au même titre que les membres des forces armées : en tant qu’acteurs essentiels contribuant à la résilience de la nation.

Il est fondamental que la SNR soit déclinée auprès des citoyens et comprise par eux, ce qui suppose un important travail de communication. Pendant la campagne électorale et dans ses vœux à la nation, le Président de la République a suggéré d’élaborer un plan de mobilisation civile. Nous nous inscrivons dans le droit fil de cette orientation. Il s’agit de créer de la robustesse et de savoir encaisser les chocs pour rebondir facilement, de construire une résilience permettant de tenir.

Mme la présidente Lisa Belluco. On entend souvent dire que le citoyen est le premier acteur de sa sécurité. Encore faut-il qu’il sache de quoi il s’agit et comment réagir. Dans le cadre de la SNR, quel déploiement de la communication est prévu pour assurer l’information des citoyens ?

M. Gabor Arany. De façon générale, l’État s’efforce de tenir un discours qui n’est pas anxiogène, permettant de prendre conscience de la nature des risques et des menaces tout en restant optimiste et en suscitant de l’espoir. L’objectif est bien de construire un monde meilleur.

La SNR n’est pas un outil figé. Elle peut être augmentée de nouvelles actions. J’en donnerai plusieurs exemples ayant trait à la communication.

Le SGDSN joue un rôle pilote dans la création du guide de la continuité d’activité, qui est un outil offrant concrètement aux collectivités locales et aux entreprises un mode d’emploi pour assurer la continuité de leurs missions ou de leurs prestations. Gratuit et aisément accessible, il servira en cas de nouvelle pandémie appelant des mesures hors normes. Le développement de l’éducation et du travail à distance montre que nous devons, dans de nombreux domaines, repenser nos façons de travailler et de faire société.

La continuité d’activité est essentielle à la protection des intérêts fondamentaux de la nation, s’agissant notamment des opérateurs d’importance vitale (OIV), visés par la directive européenne sur la résilience des entités critiques, dite directive REC, qui devra être transposée en droit interne des États membres au plus tard en octobre de cette année. Elle renforce certaines obligations auxquelles sont soumis les OIV, avec lesquels nous avons une relation quasi contractuelle.

La continuité d’activité est spécialement prise en compte dans les territoires ultramarins, qui cumulent les handicaps, au premier rang desquels l’éloignement de la métropole, et font l’objet d’un effort spécifique de planification dans le cadre de la mission d’appui à la prévention et à la gestion des risques naturels majeurs en outre-mer (MAPROM), à laquelle le SGDSN participe activement.

En matière d’actions de communication, le SGDSN a par ailleurs été mandaté pour fournir aux élus locaux et aux fonctionnaires territoriaux des outils de sensibilisation à la résilience. Depuis six mois, nous travaillons à la concaténation de la documentation disponible en sources ouvertes et à la déclassification de certaines informations, afin d’élaborer ce kit de survie permettant de définir correctement la notion de gestion de crise et d’en identifier les principaux acteurs, dont la cartographie est complexe. Dans une démarche excédant le champ de la sécurité civile, il s’agit d’expliquer en quoi consiste la gestion de crise et quels processus doivent être compris et suivis.

Les crises récentes ont montré – ce propos procède de l’esprit critique dont j’ai été invité à faire preuve – que la politique prend parfois le pas sur les raisonnements tenus à froid. On crée alors de nouvelles organisations, dans un pays dont on peut considérer qu’il est plutôt surorganisé. Un nouveau sujet n’appelle pas nécessairement la création d’une nouvelle organisation ou d’une nouvelle commission. Il est préférable de disposer d’outils de communication permettant d’utiliser un vocabulaire commun et de bien comprendre qui fait quoi, tout particulièrement dans la perspective de l’organisation prochaine des JOP. De façon générale, il arrive souvent, en cas de crise, que les gens ne sachent pas qui contacter – c’est pourquoi nous déployons des programmes formations.

Le document dont l’élaboration est en cours a vocation à être diffusé aussi largement que la boîte à outils des élus du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Il s’agit de déployer une communication à un haut niveau et de la diffuser par de nombreux canaux. Nous travaillons avec plusieurs organismes de formation, dont le Centre national d’enseignement à distance (Cned).

Un autre moyen de renforcer la communication est de simplifier l’accès aux sites gouvernementaux dédiés aux risques et aux menaces, par exemple grâce à un unique portail du Gouvernement incluant les informations relatives à l’engagement citoyen. Le service d’information du Gouvernement (SIG) travaille à l’amélioration du portail existant.

La DGSCGC a refondu le plan familial de mise en sûreté (PFMS), qui prend désormais la forme d’un document de quatre pages recto-verso, facile à transporter et à distribuer. Destiné à tous les publics, il vise à diffuser la culture de la résilience parmi les citoyens. Il sera décliné dans les territoires ultramarins au premier semestre de cette année. Il est d’ores et déjà disponible en version numérique. Il est disponible en plusieurs langues et dialectes.

En 2025, la DGSCGC développera une application agrégeant ce document avec les informations publiées sur le site Géorisques. Nous sommes très favorables à tout travail d’information du citoyen l’aidant à identifier les risques naturels auxquels il estime être confronté. Nous nous inspirons des kits de survie et des méthodes réflexes permettant de tenir dans les soixante-douze premières heures d’une crise, qui sont utilisés dans les pays scandinaves.

Il existe depuis 2022 une journée nationale de la résilience (JNR), intitulée « Tous résilients face au risque », programmée le 13 octobre et organisée par le ministère de l’intérieur avec la participation du SGDSN. Initialement centrée sur la sécurité civile, elle inclura désormais tout le spectre des menaces cyber. De façon générale, nous défendons la revalorisation de l’engagement citoyen. La refonte du service national universel (SNU) offre l’opportunité de le valoriser dans le cadre de la JNR, par le biais d’actions susceptibles de l’enclencher.

Le 20 décembre dernier, lors de la cérémonie de remise des prix de l’édition 2023 de la JNR, nous avons appris que 3 000 actions de sensibilisation aux risques naturels et technologiques ont été initiées en 2023, contre 2 000 en 2022. Le foisonnement des idées, avec la participation des élus locaux, est une évidence. La prochaine JNR devrait bénéficier d’un budget de 1,2 million.

Nous nous intéressons aux actions des autres pays européens – les pays scandinaves en particulier – pour éventuellement nous en inspirer. Il ne faudrait pas que la JNR connaisse le sort d’initiatives comparables, telles que la journée nationale de la sécurité routière. Elle doit être un moment fort permettant d’agir tout au long de l’année de façon concrète et de faire évoluer les mentalités.

Par exemple, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) a organisé au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, un peu dans l’urgence, des sessions d’apprentissage aux gestes qui sauvent, pour inculquer à la population francilienne les bonnes pratiques de prise en charge des victimes en cas de périple meurtrier. Le succès de cette initiative a amené à la généraliser à tout le territoire national. La créativité et la volonté d’agir ne manquent pas. L’enjeu est de les canaliser et de les organiser par le biais d’une communication adéquate pour agir au mieux.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué la cartographie assez complexe des acteurs de la sécurité civile. Quel regard portez-vous sur le modèle français de sécurité et de protection civiles ? Cette constellation d’acteurs vous semble-t-elle bien fonctionner ? Les relations entre eux vous semblent-elles fluides ? À défaut, comment les améliorer ?

M. Gabor Arany. La pluralité des acteurs fait la richesse de notre modèle de sécurité et de protection civiles, qui est à la fois très centralisé et très décentralisé. Il s’agit d’une force et d’une richesse, qui apparaît notamment lors de nos échanges avec nos partenaires étrangers, parmi lesquels notre modèle est plébiscité pour son efficacité.

Les sapeurs-pompiers français jouissent d’une excellente réputation. Les multiples projections de renforts français à l’étranger, dans le cadre du Mécanisme européen de protection civile (MEPC) et du Centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC) ou dans un cadre bilatéral, contribuent à l’entretenir.

Le modèle français de sécurité et de protection civiles permet de réagir efficacement aux risques identifiés à l’échelon national en garantissant l’économie des moyens. Nous avons environ 250 000 sapeurs-pompiers, dont 200 000 volontaires. C’est une force. Le passage d’une organisation communale à une organisation départementale à la fin des années 1990 a accru leur professionnalisation et leur spécialisation. La possibilité de faire appel à des renforts à l’échelon interdépartemental démontre notre capacité à mutualiser les efforts et à être efficaces.

Le nombre élevé d’associations agréées de sécurité civile démontre le fort engagement de nos compatriotes à œuvrer au bénéfice d’une cause. Les formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC) sont une force d’intervention à la main de la DGSCGC, capable d’intervenir dans tout le spectre des missions, en métropole et outre-mer ainsi qu’à l’étranger. Elles ont par exemple œuvré, dans le cadre du MEPC, à la lutte contre les feux de forêt en Gironde en 2022 – feux au lendemain desquels le Président de la République a annoncé la création d’une quatrième unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), qui verra le jour en décembre 2024 à Libourne.

Nous constatons qu’il existe une forte aspiration, dans une large part de la population, notamment au sein de la jeunesse, à servir et à se rendre utile en cas de crise. Nous constatons aussi que les populations ont des réactions spontanées de solidarité, dernièrement encore lors des mégafeux de forêt de l’été. Cette forte volonté de mobilisation irrigue les réserves communales et intercommunales, qui sont respectivement au nombre de 379 et de neuf, ainsi que les 230 comités communaux feux de forêt (CCFF).

Tout cela doit être renforcé. La difficulté à constituer ces réserves d’échelon local tient à des raisons statutaires. Organiser une délibération pour en établir le règlement n’est pas chose aisée pour les collectivités locales de petite taille. S’agissant de la rémunération des réservistes, aucun texte ne prévoit leur juste indemnisation. Quant à leur encadrement, les agents de la fonction publique territoriale n’y sont pas toujours formés.

Parmi les bonnes pratiques dont nous avons eu connaissance, je citerai la formation et l’encadrement de ses volontaires par la mairie d’Alfortville, assurés par la BSPP et la Croix-Rouge française. Elle mériterait de figurer dans votre rapport d’information. Certes, les effets de concurrence et d’éviction sont toujours possibles. Il arrive par exemple qu’un sapeur-pompier soit membre d’une association agréée de sécurité civile.

Il serait opportun de se doter d’un observatoire des réserves et des dispositifs de volontariat et d’engagement citoyen pour y voir clair, les structurer et en améliorer la lisibilité. L’examen du projet de loi relatif à la résilience, qui transposera la directive REC, la directive révisant la directive relative à la sécurité des réseaux et des systèmes d’information, dite directive SRI2, et le règlement sur la résilience opérationnelle numérique (dit DORA), en offrira l’occasion. Il s’agit de compléter la transposition de ces textes par une disposition améliorant l’organisation de la mobilisation civile et de l’engagement citoyen.

Ces réflexions ont été approfondies en mars dernier, à l’issue de la phase 2 de l’exercice interarmées ORION. La commission interministérielle de défense et de sécurité a été réactivée pour renforcer le dialogue civilo-militaire et améliorer la structuration des réserves. Un groupe de travail dédié a été créé en septembre 2023. Il travaille conjointement avec le secrétaire général de la Garde nationale et avec les responsables du SNU. Ce travail de réflexion permet d’identifier les dispositifs les plus prometteurs, tels que le volontariat du service civique (VSC).

Pour améliorer la mise en œuvre de dispositifs d’engagement citoyen mais aussi de dispositifs réglementaires, il serait judicieux, en deçà de la mise en œuvre de l’état d’urgence ou de mesures législatives ou réglementaires hors-norme, de renforcer les niveaux de posture de vigilance et leur adaptation aux niveaux de crise. Il s’agit, sur le modèle de Vigipirate, d’adapter la mobilisation à la nature des crises.

Concrètement, les préfets de zone de défense pourraient disposer à l’échelle zonale, grâce à l’Observatoire précité, d’une cartographie des compétences clés susceptibles d’être mobilisées en cas de crise. Il ne s’agit pas d’établir un fichier nominatif, mais d’identifier et de canaliser les bonnes volontés dans l’éventualité d’une crise.

De nombreux scénarios de crise de rupture, incluant notamment une pandémie, une mise à l’épreuve de notre système énergétique ou une vague de froid, exigent a minima un tel travail de planification de l’engagement des dispositifs de réserve et de volontariat, ainsi que de la mobilisation des services de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises, lesquelles sont aussi susceptibles d’accompagner l’effort.

Le SGDSN mène une réflexion approfondie sur les stocks stratégiques, qui ne se réduisent pas aux stocks de produits sanitaires, comme l’a récemment rappelé le Président de la République. Dans bien des cas, nous dépendons de pays compétiteurs. Nous travaillons donc à relocaliser certaines compétences et certaines industries essentielles. Il faut notamment imaginer à nouveau une politique de stockage maîtrisée.

Certes, tout stock a un coût, mais, après tant d’années passées à considérer que la « mondialisation heureuse » nous permettait de fonctionner sans aucun stock et en flux tendus, et que la diversification des filières d’approvisionnement nous permettrait de satisfaire tous nos besoins, nous prenons conscience qu’il faut au contraire créer ce que nous appelons de l’épaisseur stratégique. Il faut, pour encaisser les chocs et faire preuve de résilience, disposer de matières premières et d’une base industrielle permettant de réagir rapidement.

M. Julien Rancoule (RN). Auteur d’un rapport d’information sur les stocks de munitions pour la commission de la défense nationale et des forces armées, j’abonde en votre sens au sujet de la constitution de stocks. Une réflexion s’impose, d’autant que les crises internationales qui se sont succédé depuis la pandémie de Covid-19 ont induit une prise de conscience dans les ministères. Pénurie de médicaments essentiels, incapacité à fournir des masques sanitaires : les exemples sont légion.

S’agissant de l’engagement du citoyen, le Président de la République a fixé, en 2022, l’objectif de former 80 % de la population aux gestes qui sauvent avant la fin du quinquennat. Nous en sommes loin. Existe-t-il des pistes d’amélioration ? Le citoyen a certes la possibilité d’être formé, mais y est-il incité ?

En 2020, le législateur a créé le statut de citoyen sauveteur, tombé dans l’oubli faute d’avoir été mis en valeur. Ne mérite-t-il pas d’être relancé pour que le citoyen soit véritablement le premier maillon de la sécurité civile ?

M. Gabor Arany. Nous travaillons au renforcement de la communication à l’attention des citoyens. Les périodes électorales ne sont pas favorables à l’exercice, qui peut faire l’objet d’une instrumentalisation. Par ailleurs, il suscite au sein de la population un certain agacement, perceptible jusque dans la parole officielle, ce qui le rend d’autant plus difficile.

À titre personnel, j’ai le sentiment que les Français récusent nettement toute naïveté et toute infantilisation. Ils veulent entendre un discours de vérité. Ils ont besoin de connaître les risques et les menaces, et de savoir qu’il existe des moyens de s’organiser pour y faire face. Il n’est pas moins impossible pour l’État de leur dire : « À présent, débrouillez-vous, l’État n’est pas là pour vous protéger, il se retire ». Il faut trouver le bon équilibre entre un discours protecteur à l’ancienne et une conception minimaliste, voire ultralibérale, du rôle de l’État, qui n’a pas cours au SGDSN.

C’est ainsi qu’agit le pouvoir exécutif – le Président de la République lors de ses vœux, la Première ministre lors de ses interventions à ce sujet, les ministres dans leur champ de compétence.

S’agissant des dispositifs de soutien que vous avez évoqué, nous ne sommes pas compétents pour assurer la communication à leur sujet. Nous travaillons à donner, par le biais du portail du Gouvernement et des documents de sensibilisation, une grille de lecture, et à provoquer le déclic permettant de fédérer les énergies. C’est bien beau d’entretenir une solide connaissance de la gestion de crise et de parler de politique, mais ce qui compte, c’est de renforcer notre capacité à agir, de faire nation et de recréer des solidarités par le biais des engagements individuels et du travail collectif. Pour théorique que cette démarche puisse paraître, je suis profondément convaincu de sa nécessité.

Plusieurs lois ont été adoptées. Chacune tente d’améliorer notre modèle de sécurité et de protection civiles. Par ailleurs, elles permettent – ce n’est pas à des parlementaires que je l’apprendrai – d’éveiller le citoyen, notamment en offrant un temps de débat public.

La loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, prévoit de généraliser les plateformes communes de traitement des appels d’urgence, permettant, dès l’appel, une vision interservices de la situation. La loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie a permis d’augmenter les capacités de sécurité civile grâce au doublement des colonnes de renfort par rapport à 2022 et à la création d’une quatrième unité de ForMiSC. Le Parlement a toute sa place, aux côtés du Gouvernement, pour s’adresser aux citoyens.

Mme la présidente Lisa Belluco. Certains modèles étrangers de sécurité et protection civiles devraient-ils, selon vous, inspirer la France ?

M. Gabor Arany. Nous nous intéressons au modèle espagnol, qui comporte une unité militaire de sécurité civile par zone de défense. Nous avons l’équivalent sous la forme du contrat territorial de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (CoTRRiM), qui s’inscrivent dans un pacte capacitaire. Dans ce cadre, les préfets de zones de défense identifient les vulnérabilités et les menaces, ainsi que les besoins capacitaires correspondants et les fragilités. En matière de moyens aériens de la sécurité civile, par exemple, l’acquisition de nouveaux Canadair est difficile.

Quant aux pays scandinaves, ils mènent une réflexion approfondie sur la communication aux citoyens, en incluant les niveaux élevés de menace tels qu’un risque d’engagement militaire. L’exercice ORION3 visait à préparer un engagement majeur sous l’aspect de la capacité de la nation à soutenir durablement les efforts des armées, tout en résistant au déploiement de stratégies hybrides par nos compétiteurs. À l’échelon des collectivités locales, l’État réalise un important travail d’accompagnement dans le cadre des plans communaux de sauvegarde (PCS) et des plans intercommunaux de sauvegarde (PICS), pour qu’elles soient davantage associées aux exercices de gestion de crise.

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous vous remercions de vos réponses riches et instructives. N’hésitez pas à nous faire parvenir par écrit tout complément d’information qui vous semblerait utile à nos travaux.


Table ronde sur le thème « Sécurité civile et technologies de communication »

Compte rendu de la table ronde sur le thème « Sécurité civile et technologies de communication »
(jeudi 18 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. En conclusion de cette journée d’auditions, nous ouvrons à présent une table ronde consacrée aux liens entre sécurité civile et technologies de communication. Le rôle central de ces dernières dans la résolution de crises a en effet été évoqué par nombre d’acteurs auditionnés par notre mission d’information. Par ailleurs, ce sujet est marqué par de nombreuses évolutions et innovations.

Nous nous réjouissons donc de recevoir M. Guillaume Lambert, préfet, directeur de l’Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS), et M. Pierre Casciola, directeur de l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC). Nous vous remercions pour votre présence et votre participation à nos travaux. Nos questions porteront principalement sur les technologies de communication, sur leur utilisation au service de l’anticipation et de la réponse aux enjeux de sécurité civile, ainsi que sur leur évolution. Nous vous invitons également à nous faire part, plus largement, de vos analyses et de votre regard sur notre modèle français de protection et de sécurité civiles, ainsi que sur les défis auxquels il se trouve confronté. N’hésitez pas à vous montrer critiques : notre objectif est de proposer des évolutions et des adaptations de ce modèle.

Notre mission d’information, composée de vingt-cinq députés représentant la diversité politique de notre assemblée, a été créée à la demande du groupe Horizons et apparentés. Mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur ; je vous prie de bien vouloir excuser son absence car il est souffrant. Cette table ronde est enregistrée et sera accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera par ailleurs l’objet d’un compte rendu, lequel sera annexé au rapport que nous espérons rendre au printemps prochain.

Afin d’ouvrir nos échanges, pouvez-vous présenter les structures que vous dirigez ainsi que la manière dont elles contribuent à la protection et à la sécurité civiles ?

M. Guillaume Lambert, préfet, directeur de l’Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours. L’ACMOSS a été créée récemment, par un décret du 30 mars 2023 pris en application d’une mesure votée par le Parlement dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). Cette agence est un établissement public administratif de l’État dont l’objet est la mise en œuvre du programme Réseau radio du futur (RRF). Ce programme est au cœur de la transformation technologique des communications opérationnelles de l’ensemble des services qui participent au continuum de sécurité et de secours, à la gestion des crises et des catastrophes et, plus largement, à la protection des populations. C’est la première fois que l’État crée en son sein un opérateur de réseau mobile dédié au soutien des communications opérationnelles des services de sécurité et de secours.

Ce projet, géré par le ministère de l’intérieur, vise à remplacer les systèmes actuels de communication radio-opérationnelle fondés sur la technologie Tetrapol et développés au début des années 1990. Ces systèmes apparaissent désormais technologiquement trop anciens et fonctionnellement moins riches que les solutions plus modernes dans l’exécution des missions de sécurité et de secours. Il s’agit, somme toute, d’un investissement que l’État renouvelle après plus de trente ans et que la Lopmi permet de financer, puisque le déploiement de ce réseau, auquel nous travaillons au quotidien, représente un effort budgétaire de 700 millions d’euros sur cinq ans, étalé entre 2023 et 2027. L’ouverture des services est prévue cette année.

L’agence dispose, pour 2024, d’un budget initial de 134 millions d’euros et d’un effectif d’une cinquantaine de personnes. Son siège se trouve à Courbevoie, dans le quartier de La Défense.

M. Pierre Casciola, directeur de l’Agence du numérique de la sécurité civile. L’ANSC, que je dirige depuis environ dix-huit mois, a été créée par Guillaume Lambert, qui se trouve à mes côtés. Elle est principalement chargée de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un projet consistant à centraliser, uniformiser et fédérer les systèmes de gestion de l’alerte et des opérations. Je veux parler de tout ce qui se cache derrière le 18 et le 112, à savoir de la réception des alertes et de l’envoi des forces adéquates, avec les bons véhicules et les bonnes compétences, le plus rapidement possible. Historiquement, ce sont des éditeurs privés – quatre éditeurs principalement – qui se partageaient le marché au niveau départemental, les services d’incendie et de secours étant organisés à cet échelon et dépendants des conseils départementaux. Chaque département était souverain et avait d’ailleurs mis en place une solution quasiment unique, configurée de manière très particulière.

Ce projet d’ampleur, dénommé NexSIS 18-112, a vocation à transformer considérablement les outils, les métiers et la manière de travailler au sein des services d’incendie et de secours. Il permettra de façon native une entraide entre départements – certains sont aujourd’hui liés par des accords particuliers, mais sans réel partage d’outils numériques. Un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) pourra, par exemple, transférer un appel à un autre ou répondre à un appel au nom d’un autre. Peut-être aura-t-il même un jour la possibilité d’envoyer des secours pour le compte d’un autre département, mais cette perspective soulève d’autres problèmes, notamment de responsabilité.

M. Guillaume Lambert. Comme l’a rappelé Pierre Casciola, j’ai été à l’origine de l’ANSC et du projet NexSIS, dont la genèse remonte aux attaques terroristes de 2015. Cet événement a fait prendre conscience au gouvernement et au ministre de l’intérieur de l’époque de la fragilité du système de prise d’appel, qui a eu du mal à répondre, le soir du 13 novembre 2015, à l’ensemble des requérants. Tous les systèmes de traitement des appels d’urgence fonctionnaient comme des îles indépendantes les unes des autres ; ils apparaissent anciens et incapables de s’adapter à l’ère de la donnée. Le point commun de nos deux projets est d’ailleurs le passage au protocole internet, l’IP.

NexSIS permet non seulement de rationaliser le traitement des appels d’urgence et d’améliorer le service rendu à la population, mais également d’évoluer vers une approche omnicanale, multimédia, des communications. On ne traite plus simplement une signalisation, un appel téléphonique T2, mais des paquets de données IP permettant d’exploiter autre chose que de la voix. L’outil déployé par l’ANSC au profit des services d’incendie et de secours permet à des masses de données d’arriver nativement dans le système et de s’afficher avant même que l’opérateur décroche. On gagne donc du temps dans le service rendu à la population. Les appels d’urgence sont parfois passés dans des situations d’extrême détresse, où le requérant a du mal à expliquer ce qui lui arrive. Finalement, les innovations technologiques permettent de simplifier et de rendre plus direct l’établissement de la communication entre les personnes ayant besoin de secours et les opérateurs chargés de comprendre leur problème et d’y apporter une réponse opérationnelle forte et rapide.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez évoqué les grands défis actuels en matière de technologies de communication, puisque c’est l’objet de chacune de vos deux agences.

On nous a parlé de la tempête Alex, qui avait complètement coupé les télécommunications. Pouvez-vous nous donner d’autres exemples de situations de crise dans lesquelles les difficultés de communication ont posé problème ? En quoi vos projets permettront-ils d’apporter des solutions ?

M. Guillaume Lambert. Alors que les événements climatiques extrêmes deviennent plus fréquents, la question de leur impact sur les réseaux de communication doit être prise en compte dans notre réflexion sur le développement d’outils plus modernes de communication opérationnelle. Vous avez cité la tempête Alex, qui avait occasionné le déclenchement d’une alerte rouge. Les pluies torrentielles frappant l’arrière-pays des Alpes-Maritimes ont emporté des routes et coupé tant les flux d’approvisionnement énergétique que les réseaux de fibre optique enterrés sous ces routes, qui permettaient de relier les antennes des opérateurs de réseau mobile aux cœurs de réseau. Dans un tel cas, les technologies de communication sont hors d’usage.

Le point commun de toutes ces technologiques, anciennes comme nouvelles, est qu’elles utilisent de l’électricité. Aussi la question de la sécurisation de l’approvisionnement énergétique est-elle très importante. Elle renvoie à la notion de secteurs d’activité d’importance vitale, consacrée dans le code de la défense par la loi de programmation militaire (LPM). Des arrêtés sectoriels ont été pris, à juste titre, en la matière. Indépendamment des événements climatiques extrêmes, la fragilisation de la production d’énergie, l’hiver dernier, à l’occasion de la révision d’un certain nombre de centrales, a posé la question de l’impact que d’éventuels délestages, qui n’ont pas eu lieu, auraient pu avoir sur la chaîne de la sécurité civile, puisqu’ils auraient affecté tant la capacité de la population à émettre des appels d’urgence que la possibilité, pour les services de sécurité et de secours, d’utiliser les réseaux mobiles et leur réseau de radiocommunication. Le réseau de référence, en service dans l’attente du déploiement du RRF, est aujourd’hui un réseau Tetrapol, l’Infrastructure nationale partageable des transmissions (INPT). Cette infrastructure radio bas débit a besoin d’électricité pour fonctionner. Elle internalise naturellement une capacité de résilience, grâce à des batteries qui lui permettent de supporter une interruption de l’approvisionnement énergétique pendant une certaine durée, mais cette dernière n’est pas illimitée. Lors de la tempête Alex, les réseaux Tetrapol se sont arrêtés de la même façon que les réseaux mobiles.

L’ACMOSS effectue des retours d’expérience sur chaque événement climatique important. C’est notamment ce que nous avons fait après les tempêtes Ciarán et Domingos, qui ont récemment touché l’Ouest de notre pays. Nous avons voulu vérifier que les dispositifs de résilience prévus nativement dans le projet RRF en cours de déploiement auraient permis de maintenir la continuité des radiocommunications dans un tel contexte.

Je me souviens également des inondations qui avaient submergé la ville de Draguignan, à la suite de pluies torrentielles dans le Var, et mis hors d’état tant les réseaux mobiles que le centre de traitement de l’alerte (CTA) et le centre opérationnel départemental d’incendie et de secours (CODIS). On voit bien que de tels événements sont susceptibles de perturber le bon accomplissement des missions de sécurité civile. Il convient naturellement de tenir compte de cet aléa quand on réfléchit au déploiement de nouvelles technologies plus fiables et destinées à améliorer le service rendu à la population.

M. Pierre Casciola. Vous l’avez compris, le projet NexSIS concerne les CTA où les pompiers accueillent les appels des requérants et envoient des secours, tandis que le projet RRF sera déployé sur le terrain et permettra aux personnes en opération de communiquer entre elles et avec le central. L’un ne va pas sans l’autre : la continuité du service doit être appréhendée sur toute la chaîne. Quand plus rien ne fonctionne, les sapeurs peuvent toujours faire les choses à l’ancienne, sortir les camions et les porte-voix, mais si un CTA ne peut recevoir d’appels, il ne sert à rien. Si l’on ne sait pas gérer les opérations, il ne sert plus à grand-chose non plus.

Je serais curieux d’avoir un retour d’expérience sur la situation que vivent en ce moment nos compatriotes réunionnais et d’analyser les impacts du cyclone sur le monde de la sécurité civile.

Les enjeux de résilience sont à peu près les mêmes pour nos deux agences : il s’agit de pouvoir communiquer avec le terrain et de permettre au grand public de nous appeler. Beaucoup de choses dépendent aujourd’hui de la résilience des opérateurs de réseau mobile et de leurs antennes, 4G ou 5G, mais aussi évidemment de l’approvisionnement en électricité. Nous devons en outre être capables de sécuriser toutes nos bases de données et nos systèmes informatiques, de plus en plus hébergés par des tiers, des clouders plus ou moins sûrs. Nous devons pouvoir avoir la main sur nos systèmes et contraindre ces tiers à nous garantir une continuité de service allant au-delà du contrat, alors que certains opérateurs préfèrent payer des pénalités plutôt que d’engager des travaux trop importants. Dans toute la chaîne, le juste équilibre reste à trouver.

M. Guillaume Lambert. Je rebondis sur les propos de M. Casciola au sujet des liens qui nous unissent avec certains opérateurs contractuels. Dès lors qu’il s’agit de garantir des communications d’urgence, nous avons parfois besoin que le Parlement légifère pour créer des obligations légales.

C’est ce que vous avez fait dans le cadre de la Lopmi, dont l’article 11 a modifié le code des postes et des communications électroniques pour qu’y soient définies, notamment, les notions de « communication mobile critique à très haut débit », de « réseau de communications électroniques des services de secours et de sécurité » – cette expression désigne le RRF – et d’« opérateur de réseau de communications électroniques des services de secours et de sécurité » – autrement dit l’ACMOSS.

La loi est également venue modifier certaines obligations qui pèsent sur les opérateurs de communications électroniques, désormais tenus de faire droit aux demandes d’itinérance des utilisateurs du RRF sur leur réseau. Je précise que le RRF est fondé sur les technologies 4G et 5G, donc sur des technologies mondiales de téléphonie mobile, assorties de sécurités garanties par la loi. Concrètement, tout opérateur commercial a l’obligation d’accueillir sur ses réseaux mobiles les utilisateurs détenant une carte SIM RRF, ce qui nous assure la couverture la plus large possible. Cette disposition a toute son importance en matière de résilience, car on s’est aperçu que les événements climatiques extrêmes comme la tempête Alex ne touchaient pas de la même façon tous les opérateurs de réseau mobile ; or, il suffit qu’un seul réseau reste disponible pour garantir la continuité des communications.

Par ailleurs, nous avons fait voter une autre obligation légale, celle d’un accès prioritaire de nos communications à ces réseaux mobiles. Pour faire simple, il faut que nos données aient l’équivalent d’un gyrophare sur les véhicules de police ou de secours pour accéder aux réseaux et ne pas être victimes d’une congestion ou d’un ralentissement de la circulation. Si le projet RRF nous permet de passer de l’utilisation d’une infrastructure de réseau radio privée – celle que nous avons actuellement avec la technologie Tetrapol – à un transport de nos communications opérationnelles par des infrastructures publiques, c’est parce que le groupe international chargé de normaliser la téléphonie mobile, le 3GPP (3rd Generation Partnership Project), a adopté à partir de la 4G des spécifications techniques permettant de faire transiter des « communications pour missions critiques » par les réseaux mobiles. Concrètement, il a défini un certain nombre de paramètres techniques à intégrer dans les équipements du réseau, tant au niveau des antennes que dans les cœurs de réseau, qui permettent de différencier les communications provenant d’utilisateurs du RRF de celles émises par tout un chacun. Il s’agit là d’un autre élément de fiabilisation des nouvelles technologies et d’une condition sine qua non pour utiliser ces dernières dans un cadre de sécurité civile.

Présidence de M. Julien Rancoule, secrétaire.

M. Julien Rancoule, président. Je rebondis sur vos propos sur la résilience du RRF. Dans les territoires ruraux, les antennes sont souvent partagées entre plusieurs opérateurs. Lorsque l’une d’elles tombe en panne, ce sont donc tous les réseaux qui deviennent inaccessibles. C’est un cas de figure qui arrive régulièrement dans ma circonscription. Avez-vous prévu un plan B, tel que le recours aux satellites, à moins que certaines contraintes, notamment en matière de sécurité, n’y fassent obstacle ?

M. Guillaume Lambert. Dans le cadre du « New Deal mobile » – l’accord conclu entre l’État et les opérateurs de la téléphonie mobile –, le réseau 4G s’est significativement amélioré en France, en particulier dans les zones blanches, grâce au recours aux sites mutualisés auxquels vous faites référence. Le nombre de zones blanches diminue mais, vous avez raison, si l’équipement mutualisé vient à flancher, il n’y en a pas d’autre pour prendre le relais. Il faut en tenir compte et c’est ce que nous faisons dans le programme RRF. D’abord, nous devons nous assurer que les mécanismes de priorité et de préemption que j’ai évoqués s’appliquent bien sur les sites mutualisés. Cela concerne le cas dans lequel le site est le seul à couvrir une zone où affluent massivement les forces de sécurité et de secours.

Dans le cas que vous mentionnez, Orange et Bouygues Telecom sont tenus, au titre des contrats signés dans le cadre de RRF, de rétablir le service dans les zones où nous en avons besoin. Nous disposons d’un centre d’opérations réseau (NOC) qui nous permet de détecter en temps quasi réel tout incident sur l’intégralité du réseau d’Orange et de Bouygues Telecom dont les antennes relais forment le maillage pour les utilisateurs du RRF, nonobstant l’itinérance nationale.

Si nous détectons un incident sur un site mutualisé, nous déclenchons un ticket d’incident vers Orange et Bouygues pour qu’une unité de réparation soit envoyée sur le site ; nous prévenons immédiatement les services opérationnels de l’indisponibilité du réseau, donc du manque de couverture dans la zone concernée ; nous vérifions s’il y a des opérations en cours dans cette zone. C’est le dispositif immédiat de sauvegarde.

Ensuite, si une opération est en cours, si une catastrophe s’est produite, nous disposons, dans le cadre du marché RRF, de deux outils. D’une part, nous avons conclu avec Orange et Bouygues Telecom un contrat de service pour déployer ce qu’on appelle des véhicules de réponse rapide. À notre demande, partout en France, en moins de six heures, l’opérateur qui sera sélectionné – il s’agit d’un marché subséquent du programme RRF qui n’est pas encore attribué, mais devrait l’être au premier trimestre pour une mise en œuvre du dispositif à la fin de l’année 2024 – déploiera sur site une antenne relais, avec un groupe électrogène et une liaison transfert satellitaire, laquelle prendra temporairement le relais de l’émetteur défaillant.

D’autre part, les services de secours devront acquérir des relais véhiculaires. Ces dispositifs de connectivité à la demande embarqués dans les véhicules d’intervention – le marché en prévoit toute une gamme – permettront tout d’abord d’établir une liaison transfert pour suppléer l’émetteur mutualisé en panne, soit par un dispositif de connectivité renforcée vers un émetteur situé un peu plus loin, soit en utilisant des satellites en orbite basse. Ils permettront en outre de propager autour du véhicule un réseau local wifi – un LAN dans le jargon – ou PPDR (public protection and disaster relief) utilisant la bande 700 mégahertz – il s’agit d’une bande de fréquences dédiée au très haut débit mobile pour la gestion des crises et des catastrophes dont le ministère de l’intérieur est attributaire à titre exclusif. Son spectre n’étant pas très large, elle ne peut pas être notre bande principale d’usage, mais elle peut être utilisée pour propager autour des véhicules d’intervention une connectivité à la demande.

Le retour d’expérience sur la tempête Ciarán dans le département du Finistère montre que les pannes de réseau mobile étaient principalement dues à des ruptures d’approvisionnement énergétique – les réseaux aériens endommagés de distribution d’électricité. La tempête n’a pas eu d’effets importants sur les infrastructures de télécommunication elles-mêmes. L’itinérance nationale a assuré la continuité des communications dans une très grande partie du département. Nous aurions eu besoin de déployer seulement trois dispositifs de ce type pour garantir la continuité dans 100 % du département.

M. Julien Rancoule, président. Avez-vous déjà établi une cartographie de l’implantation de ces outils sur le territoire et un calendrier pour leur mise à disposition ?

M. Guillaume Lambert. Ces outils sont inscrits dans le contrat que je viens d’évoquer. Les relais véhiculaires devant être déployés dans un délai maximal de six heures, l’opérateur devra inévitablement les répartir dans plusieurs sites de stockage sur le territoire. En outre, ces outils nomades présentent l’avantage de pouvoir se déplacer au gré des besoins des services de secours et au fur et à mesure du rétablissement du réseau, garantissant une totale réactivité au plus près du terrain.

M. Julien Rancoule, président. Qui doit financer le déploiement du RRF dans les SDIS ? Les collectivités locales ou le ministère ? Le déploiement sera-t-il simultané sur l’ensemble du territoire ? Quels seront les acteurs concernés, outre les SDIS ?

M. Guillaume Lambert. Le projet RRF est financé par le ministère de l’intérieur pour ce qui concerne la construction du réseau et son déploiement, y compris le subventionnement du coût du service au départ.

Le RRF vise 300 000 abonnés mobiles sur toute la France dans les différents services éligibles. Notre mission est d’apporter des solutions de communication mobile opérationnelle très haut débit à l’ensemble des services de sécurité, de secours, d’aide médicale urgente, de protection d’une population et de gestion des crises et des catastrophes. Cela concerne donc, outre la sécurité civile – qui regroupe les moyens nationaux, les SDIS, des unités militaires et les services du déminage, par exemple –, l’ensemble des services déconcentrés de l’État impliqués dans les actions de gestion de crise, la police, la gendarmerie nationale, les Samu, les agences régionales de santé (ARS), les polices municipales, les douanes, ou encore les unités militaires qui contribuent aux opérations sur le territoire national, comme les unités Sentinelle.

Dans le modèle économique du RRF, le ministère de l’intérieur finance la création du réseau et supporte le coût initial du forfait mobile pour tous les abonnés – le point d’équilibre que nous avons évalué à 300 000 utilisateurs pour déterminer le coût du forfait, équipements et services intégrés compris, ne peut pas être atteint dès le départ. C’est un effort considérable de l’État. Aucune participation n’est demandée aux collectivités locales pour les polices municipales ou les SDIS souscrivant au RRF. En revanche, il leur est demandé, comme à tous les services utilisateurs, de payer une redevance en contrepartie du service fourni. Le financement sera donc assuré par les abonnés au fur et à mesure de leur utilisation du service.

M. Julien Rancoule, président. Qu’en est-il des investissements dans le matériel ?

M. Guillaume Lambert. Je vous présente un exemplaire : un smartphone doté de 4G et 5G, incassable, sur lequel est installée une application qui permet d’établir des communications grâce une poire déportée.

Le terminal est inclus dans le forfait, puisqu’il est paramétré spécifiquement. Pour les pompiers, il permet de réunir le terminal radio Antares et leur smartphone professionnel en un seul équipement qu’ils pourront utiliser comme un bureau mobile lors des opérations.

S’agissant des SDIS, ils pourront financer leur adhésion au service en partie sur leurs dépenses d’investissement, et pas uniquement de fonctionnement. La direction générale des finances publiques (DGFIP) et la direction générale des collectivités locales (DGCL) nous ont confirmé cette possibilité, les terminaux relevant des dépenses d’investissement, une part résiduelle étant financée en dépenses de fonctionnement.

M. Julien Rancoule, président. Les radios dans les véhicules et les bipeurs vont-ils disparaître au profit de smartphones, qui intégreront l’application NexSIS, pour chaque agent ?

M. Guillaume Lambert. Le terminal a vocation à fusionner les différentes applications. Nous travaillons, par exemple, avec les polices municipales pour que l’application de verbalisation électronique soit disponible sur le smartphone.

Il n’est pas indispensable de doter chaque agent. On peut envisager de conserver une dotation collective – pour le centre de secours – et les sapeurs-pompiers emportent le terminal lorsqu’ils partent en opération. Si les SDIS le souhaitent, l’équipement peut être individuel.

M. Pierre Casciola. NexSIS comprend évidemment une application mobile. Les perspectives d’évolution en la matière sont infinies.

Le sapeur-pompier est une espèce très particulière, très attachée aux systèmes hyper-résilients et hyper-efficaces tels que les bipeurs. Les réticences peuvent se comprendre : pour les remplacer par de la 4G ou de la 5G, encore faut-il avoir la garantie que le dispositif va biper au bon endroit, correctement. Il coulera un peu d’eau sous les ponts avant que nous parvenions à remplacer totalement ces réseaux hyper-fiables. En revanche, le sapeur-pompier adhère complètement à la démarche consistant à lui offrir, par le biais de l’application, une autre option que son bipeur. Cela lui permettra peut-être de prendre conscience du fait que cette solution fonctionne et pourrait remplacer le bipeur à une échéance plus brève. C’est un excellent levier. La convergence vers le terminal, qu’il s’agisse d’un smartphone ou d’une tablette, constitue également une opportunité pour mutualiser les coûts.

Il n’est pas question, à ce stade, d’équiper tous les sapeurs-pompiers, mais on verra comment les usages évoluent une fois que le système aura été déployé. En revanche, le remplacement des radios Antares peut s’envisager plus facilement. Tant que les nouveaux outils n’ont pas été utilisés dans les opérations, les services de secours ont du mal à se projeter.

M. Julien Rancoule, président. Je comprends que le déploiement sera progressif afin de faire évoluer la technologie, mais aussi les habitudes.

En ce qui concerne NexSIS, la possibilité de basculer les appels vers une plateforme représente à mes yeux une amélioration notable. Dans mon département, à la suite d’une coupure des télécommunications, le préfet a dû en urgence diffuser des numéros de portable sur les réseaux sociaux pour permettre aux habitants d’alerter les secours. Le transfert des appels au 18 est une grande avancée.

M. Pierre Casciola. À condition de pouvoir accéder au 18 !

Le système que nous construisons repose sur l’entraide interdépartementale. Après quelques années d’attente, NexSIS est opérationnel en Corse-du-Sud. Il est utilisé de façon ponctuelle dans d’autres départements.

Nous avons déjà expérimenté des scénarios d’entraide. Habituellement, un appel à destination du département de Seine-et-Marne qui ne peut aboutir, pour différentes raisons, est traité par ce que l’on appelle le « centre d’alerte des orphelins ». Jusqu’à présent, c’était la brigade de sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) qui assumait ce rôle sans qu’on le sache. Aujourd’hui, ces appels apparaissent sur les consoles de surveillance des opérateurs. L’entraide est complètement inhérente au système pour le volet téléphonique. Elle le sera, moyennant des ajustements dans les accords interdépartementaux, sur le volet opérationnel. Ce n’est pas pour tout de suite, mais il est important de la proposer dès le départ pour que l’usage lui donne la place qu’elle mérite. C’est une vraie révolution, qui répond à une attente des SDIS.

Les accords d’entraide actuels lient principalement des départements frontaliers. Or, en cas de tempête, deux départements frontaliers sont touchés de la même façon. Il serait donc plus pertinent que le département du Nord vienne en aide au département du Var en cas de sinistre important.

M. Julien Rancoule, président. NexSIS et RRF sont des systèmes franco-français. Existe-t-il une coopération européenne pour faciliter les communications et le travail en commun en cas de crise majeure ?

M. Guillaume Lambert. S’agissant du RRF, nous participons à l’initiative BroadNet, financée par la Commission européenne.

L’objectif est de créer un hub d’interconnexion de tous les réseaux radio de sécurité et de secours en Europe. Dans le monde entier, tous les réseaux radio professionnels mobiles (PMR), qui s’appuient sur la norme Tetra (Terrestrial Trunked Radio), vont basculer vers la technologie 4G LTE (Long Term Evolution) pour assurer les communications lors des missions critiques.

Des projets sont lancés au sein de l’Union européenne, en Belgique, en Finlande, en Espagne et en France – pays qui est le plus en avance dans cette transition. L’Union européenne a, dès le départ, anticipé l’intégration native d’une capacité de communication transfrontalière, grâce à un maillage entre les différents cœurs de réseau et serveurs d’application. L’ACMOSS est un opérateur de réseau mobile résilient, mais aussi l’exploitant d’une application de messagerie instantanée avec pédale d’alternat, qui correspond à ce que l’on appelle en anglais le MCPTT (Mission Critical Push to Talk). Il faut mettre en place des interfaces entre les serveurs d’applications (Application Programming Interface, API). Tel est l’objet du projet BroadNet – financé par la direction générale de la migration et des affaires intérieures – auquel nous participons et dans lequel nous jouons un rôle moteur.

M. Pierre Casciola. En ce qui concerne NexSIS, nous sommes conscients de la nécessité d’utiliser les standards technologiques les plus répandus pour permettre l’interopérabilité des différents systèmes. Nous allons observer les différents actes professionnels propres aux pompiers et à la sécurité civile, afin de retenir les bonnes pratiques. Nos centres d’alerte ont aussi vocation à répondre à des appels d’étrangers et à pouvoir les localiser. Nous allons introduire un peu d’intelligence artificielle pour aider les opérateurs à mieux comprendre des appels en langue étrangère. Il y a énormément à faire également en matière d’ouverture des données, d’interfaces de programmation d’applications et d’utilisation des standards, aussi bien pour mieux répondre à des étrangers qui appellent depuis la France que pour les appels qui émanent des zones frontalières. Nos projets intéressent notamment Monaco, le Luxembourg et la Suisse. Peut-être achèteront-ils un jour nos solutions. Mais, en tout cas, ils s’interrogent sur l’interopérabilité.

Nous disposerons toujours d’une capacité minimale permettant de transférer un appel vocal de part et d’autre d’une zone frontalière. Mais il serait intéressant d’en améliorer la qualité et d’y ajouter d’autres données. L’interopérabilité est donc un sujet très important, qui fait l’objet d’échanges réguliers avec nos partenaires, notamment dans le cadre de l’European Emergency Number Association (EENA).

Les SDIS discutent régulièrement avec leurs homologues de l’autre côté de la frontière. Celui des Alpes-Maritimes échange beaucoup avec les sapeurs-pompiers de Monaco, avec lesquels il a conclu des accords d’interopérabilité. Il sera difficile de les maintenir en l’état avec l’arrivée de NexSIS. C’est la raison pour laquelle des discussions sont en cours pour permettre de répondre au mieux aux demandes d’intervention dans la zone proche de la frontière.

M. Julien Rancoule, président. Par-delà la mise en service prochaine du RRF et de NexSIS, quelles sont selon vous les technologies qui mériteraient d’être explorées ? Vous avez mentionné l’intelligence artificielle, mais j’imagine que vous suivez aussi d’autres pistes. La base industrielle française propose-t-elle des solutions et est-elle à même de répondre aux nouveaux défis ?

M. Pierre Casciola. La France peut compter sur un écosystème de start-up très riche, qui travaille énormément sur le thème de la sécurité civile. Il faut que nous leur donnions accès aux données et aux API pour permettre de faire éclore des solutions – bien entendu dans le respect des règles, dont le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Depuis ma prise de fonctions, j’ai rencontré un certain nombre d’entreprises très dynamiques, qui recherchent par exemple la manière d’innover et d’être plus efficace en matière de détection des départs de feux de forêts ou d’incendies en ville grâce à l’analyse d’images, qu’elles soient obtenues par des satellites, des drones ou des caméras de surveillance. En Loire-Atlantique, on étudie des solutions qui permettent de détecter la présence de piétons sur le pont de Saint-Nazaire – qui est réservé aux véhicules –, voire de lancer l’alerte automatiquement.

Il faut donc que nous travaillions avec les écosystèmes privés et publics, mais aussi avec les différentes associations qui jouent un rôle fédérateur en matière d’accès aux données. Nous devons être ouverts afin de favoriser l’émergence d’innovations beaucoup plus rapidement que nous ne pourrions le faire par nous-mêmes. Il nous revient de mettre en place le cœur des infrastructures, mais l’accès aux données de nos applications permettra aux acteurs publics et privés de l’innovation d’apporter une valeur ajoutée le plus rapidement possible pour la sécurité civile. Et ce, avant même que le déploiement de NexSIS soit achevé dans l’ensemble des départements – lesquels se situent à des stades très différents.

M. Guillaume Lambert. En ce qui concerne la communication opérationnelle mobile à très haut débit destinée notamment aux acteurs de la sécurité civile, la modernisation des réseaux à travers le RRF fait appel à trois grands types d’innovations technologiques. Il s’agit tout d’abord de la 5G Stand Alone (5G SA), ensuite de la convergence des réseaux de communications terrestres avec ceux des satellites en orbite basse par le biais de la normalisation 5G et, enfin, de l’utilisation accrue des objets connectés utilisés pour les missions de sécurité civile (Massive Internet of Things – IoT).

Actuellement, nous employons une 5G non Stand Alone, c’est-à-dire des cœurs de réseaux 4G qui fonctionnent avec des antennes 5G. Lorsque ces cœurs seront passés à la 5G continue, nous bénéficierons de l’ensemble des avantages de celle-ci – dont les délais de latence très réduits et la capacité de traiter des grandes masses de données de manière très rapide. Cela permettra de nouveaux usages, dont il faut que nous mesurions l’intérêt pour la sécurité civile. En effet, la 5G a surtout été pensée comme un moyen de soutenir l’industrie 4.0, en particulier les processus de robotisation. Dans le domaine du secours, qui se caractérise par sa verticalité, les apports potentiels de cette nouvelle technique restent à évaluer.

La situation est plus claire s’agissant des réseaux non terrestres, ceux des satellites en orbite basse. La technologie est mature, et les médias ont abondamment relayé combien l’offre américaine de Starlink pouvait être disruptive. Comme je vous l’ai dit, cette technologie est intégrée dans le RRF pour les solutions de réponse rapide et les relais véhiculaires – tout en étant attentifs à la souveraineté des liaisons de transfert satellitaire. Nous autorisons à soumettre des offres seulement les acteurs qui apportent les garanties nécessaires pour avoir suffisamment confiance dans la qualité de leur service et de leurs infrastructures. Compte tenu du nombre de satellites, ces réseaux apportent un véritable complément pour les utilisateurs, sans aucune coupure. C’est assez impressionnant. Cela permet de couvrir davantage de zones, en complétant efficacement les réseaux terrestres.

En outre, ces réseaux satellitaires utilisent les mêmes normes 5G que celles des infrastructures des réseaux terrestres. Un même outil 5G permettra d’employer indifféremment les deux types de réseaux. Cela offrira aussi à la sécurité civile la possibilité d’envisager de communiquer en très haut débit avec ses moyens aériens. Actuellement, nous utilisons des interfaces entre les communications au sol en 4G et la VHF pour les moyens aériens. Les réseaux terrestres ne sont pas adaptés pour les communications vers le ciel, car leurs antennes sont tournées vers le bas et qu’un phénomène d’interférences en limite singulièrement l’usage au-dessus de 150 mètres. Nous pouvons donc seulement communiquer à la voix avec les aéronefs qui évoluent au-dessus de cette altitude. Les solutions apportées par les réseaux non-terrestres permettent d’envisager une communication à très haut débit de bout en bout avec les aéronefs, dès lors que la technologie sera pleinement arrivée à maturité.

La troisième grande innovation technologique concerne les objets connectés. Nous en utilisons déjà certains grâce à la 4G, comme ceux qui servent pour la télémédecine d’urgence. Mais l’enjeu sera d’utiliser un très grand nombre de données – issues par exemple de capteurs de santé ou de drones – en les transmettant de manière fiable vers des centres de traitement éloignés. Le RRF permettra, à cet égard, un usage plus large de ce type d’outils, dès lors bien entendu qu’ils sont pertinents.

En ce qui concerne l’écosystème industriel, le marché du RRF relève de la défense et de la sécurité, et les acteurs retenus sont exclusivement français ou européens. Les titulaires de l’accord-cadre de réalisation sont Orange, Bouygues Telecom Entreprises, Airbus Défense and Space, Capgemini et Eviden. Le projet RRF stimule de manière extrêmement forte l’écosystème industriel du secteur des télécommunications.

M. Julien Rancoule, président. J’aimerais que l’on aborde la question de l’alerte aux populations. Vous avez évoqué FR-Alert. Quelques essais de ce système ont été réalisés récemment et il a servi la semaine dernière à La Réunion. Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce dispositif ? Existe-t-il encore une marge d’amélioration ?

M. Guillaume Lambert. Nous ne sommes pas compétents pour parler de ce projet, qui est mené directement par le ministère de l’intérieur.

J’ai pour ma part suivi sa genèse. Le code des communications électroniques européen, adopté en 2018, a imposé aux États membres de mettre en place des dispositifs d’alerte géolocalisée au profit de la population. C’est ce qui a conduit au projet FR-Alert en France. Précédemment, l’alerte aux populations reposait sur le système d’alerte et d’informations aux populations (SAIP), qui utilisait les sirènes.

Le projet FR-Alert a été rapidement mené, puisqu’il est opérationnel depuis plus d’un an. Il fonctionne selon le principe de la diffusion cellulaire, c’est-à-dire qu’il utilise toutes les antennes relais de l’ensemble des opérateurs afin d’apporter une information aux populations pour les alerter. C’est un système extrêmement puissant – qui permet d’ailleurs à ceux qui reçoivent les messages de mesurer la qualité de la couverture multi-opérée du territoire. D’autres systèmes existent en Europe et ils ont vocation à être harmonisés pour répondre à l’obligation faite aux États membres.

Je vous invite à contacter le lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers Romain Moutard, chef du projet FR-Alert, qui pourra vous fournir des informations beaucoup plus précises.

M. Pierre Casciola. Ayant anticipé votre question, j’ai discuté avec lui ce matin afin de pouvoir vous fournir quelques chiffres, mais il se tient évidemment à votre disposition. Affecté à la direction de la transformation numérique du ministère de l’intérieur, il intervient beaucoup sur les sujets de sécurité civile. Il est en effet responsable du projet FR-Alert, mais aussi de l’expérimentation du numéro unique d’appel d’urgence, prévu par la loi du 25 novembre 2021, dite loi Matras. Nous échangeons régulièrement dans le cadre du projet NexSIS.

Hors tests, le système FR-Alert a été employé vingt-cinq fois pour répondre à des situations très variées – dont la tempête Ciarán et le cyclone Belal. Les retours des citoyens sont plutôt positifs. J’ai pour ma part reçu un message lors d’un test et j’ai trouvé cela assez surprenant, mais aussi rassurant.

M. Guillaume Lambert. Si je peux me permettre une digression, ce point montre qu’il faut aussi éduquer les populations.

Il se trouve que je me suis aussi occupé de l’alerte embarquée dans les véhicules (eCall). Désormais, en cas de déclenchement des airbags, un dispositif appelle automatiquement le 112 et une communication est établie dans l’habitacle. Même les gens qui sont au courant de l’existence de ce système ont du mal à savoir ce qu’il se passe en cas d’accident. Il faut donc sensibiliser les populations aux nouvelles technologies numériques mises au service de la sécurité civile. La seule finalité de ces transformations est de rendre un meilleur service à nos concitoyens, il ne faut donc pas les oublier dans la démarche.

M. Pierre Casciola. FR-Alert a été conçu comme un moyen complémentaire. Trois alertes ont été transmises à l’occasion du cyclone Belal, dont l’une avant l’arrivée de ce dernier. Le premier retour d’expérience montre que celles déclenchées pendant le cyclone ont été moins efficaces, car bien entendu un certain nombre d’antennes étaient hors service. Il faut donc utiliser aussi des moyens plus traditionnels, tels que les sirènes, mais également développer d’autres canaux d’information, tels que les réseaux sociaux. C’est prévu dans la feuille de route, même si cela pose un certain nombre de questions d’interconnexion qui nécessitent de développer des API. Il est également envisagé de passer par des messages diffusés sur les radios et les chaînes de télévision ainsi que dans les réseaux de transport, comme le fait le ministère de la justice pour les alertes enlèvement. Et inversement, ce ministère se renseigne sur la possibilité d’utiliser FR-Alert pour mieux diffuser ces dernières.

Afin d’améliorer sans cesse l’information des populations, des échanges sont aussi en cours avec certains acteurs semi-publics ou privés, comme la division production nucléaire et la division production ingénierie hydraulique d’EDF.

Les standards jouent un rôle clé, car ils permettent l’interopérabilité des différents systèmes dès l’origine.

FR-Alert a diffusé un million de SMS. Le système est certes en cours de déploiement, mais il est déjà massivement utilisé.

M. Julien Rancoule, président. Il est en effet important de souligner que FR-Alert n’est pas l’alpha et l’oméga, mais qu’il complète d’autres dispositifs en service – comme les sirènes du SAIP, assez vieillissantes. Il faudrait d’ailleurs se pencher sur ces différents dispositifs, car on peut s’inquiéter de leur état.

N’hésitez pas à nous transmettre des compléments écrits, notamment en répondant au questionnaire qui vous a été adressé. Ils pourront ainsi être pris en compte dans le rapport de la mission, dont la parution est prévue au printemps.

 

 

 

 

 

 


Table ronde sur le thème « Sécurité civile et grands évènements »

Compte rendu de la table ronde sur le thème « Sécurité civile et grands évènements »
(jeudi 25 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. L’organisation de la sécurité civile lors des grands événements nous intéresse au premier chef, puisque nous devrons relever des défis inédits en la matière à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), que nous aurons l’honneur d’accueillir dans quelques mois, notamment à Paris. Coordonner les acteurs de la sécurité civile pour assurer la protection de tous constitue un élément majeur de la réussite des Jeux. Nous nous réjouissons donc de consacrer un temps d’échange spécifique à ces enjeux.

Nous remercions nos invités pour leur présence et leur participation à nos travaux.

Nos questions porteront principalement sur la préparation des Jeux en matière de protection et de sécurité civile, et sur les enseignements à tirer des grands événements qui ont été organisés en France ces derniers mois ou ces dernières années, notamment la toute récente Coupe du monde de rugby. Nous vous invitons également à nous faire part, plus largement, de votre regard et de vos analyses sur le modèle français de sécurité civile et sur les défis auxquels il est confronté.

Cette table ronde est enregistrée et retransmise sur le site internet de l’Assemblée nationale ; un compte rendu sera annexé à notre rapport.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous avons déjà eu le plaisir et l’honneur d’entendre certains d’entre vous, mais il nous paraissait important de comprendre la préparation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024. S’agissant d’une manifestation mondiale, les enjeux en matière de sécurité et de protection civile sont majeurs. Dans un premier temps, je vous propose de nous présenter votre organisation et de vos services.

M. Thierry Mosimann, préfet, coordinateur national pour la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et les grands événements sportifs internationaux. La Coordination nationale pour la sécurité des Jeux olympiques 2024 (CNSJ) s’inscrit dans un cadre interministériel défini. Nous avons la chance d’accueillir les JOP ; il s’agit d’un événement planétaire qui mettra notre pays dans la lumière, avec 206 nations – davantage qu’à l’ONU –, 4 milliards de téléspectateurs, dont 1 milliard pour la seule cérémonie d’ouverture, et 15 000 athlètes. Au sein de l’appareil d’État, la délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP), dirigée par M. Michel Cadot, coordonne les nombreux acteurs mobilisés ; elle dispose de relais dans tous les ministères – la CNSJ, pour le ministère de l’intérieur et des outre-mer. Je suis donc placé sous l’autorité à la fois du ministre et de la DIJOP.

Créée en 2018, la CNSJ a été conçue de manière empirique. Elle intervient uniquement lorsqu’une coordination est nécessaire ; son rôle est donc subsidiaire. Elle intervient en matière de sécurité publique parce que celle-ci relève de deux directions générales : celle de la police nationale (DGPN) et celle de la gendarmerie nationale (DGGN). En revanche, la CNSJ s’occupe peu de sécurité civile, puisqu’il existe en la matière un référent clairement identifié au ministère de l’intérieur, à savoir le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Bien évidemment, cela ne signifie pas que les questions de sécurité civile ne concernent pas la CNSJ.

Avant les Jeux, la CNSJ a pour première mission de cartographier les risques. Il faut les identifier et les hiérarchiser, en fonction de critères – plausibilité, fréquence, incidence sur les personnes, les biens ou le déroulement des Jeux –, puis élaborer des contre-mesures. Ce travail a été confié au centre de renseignement olympique (CRO), adossé à la CNSJ, qui a élaboré l’ANR, l’analyse nationale des risques, organisée en onze familles. On identifie deux risques transversaux – manipulation de l’information et risques cyber ; cinq intentionnels – terrorisme, atteinte aux personnes, atteinte aux biens, atteinte aux chantiers liés aux JOP, atteinte au bon déroulement des JOP ; sont également identifiés quatre risques non intentionnels – naturels, sanitaires, industriels, accidentels. Pour chaque famille, on élabore des scénarios, désormais au nombre de 300, puis des contre-mesures, qui visent à anticiper la crise et à prévoir notre conduite pendant son déroulement. Ce travail, commencé en 2021, est en constante évolution : nous en sommes à la septième version de l’ANR, car il faut vérifier l’application des mesures d’anticipation et intégrer les nouveaux scénarios. Nous avons, par exemple, ajouté en cours de route la famille des risques liés à la manipulation de l’information. Enfin, il faut parfois décliner l’ANR pour des aspects plus spécifiques. Nous avons établi une analyse des risques liés au relais de la flamme, avec 75 risques identifiés, et une autre pour les sites, par catégories, comme les stades et les équipements sportifs semi-ouverts, et pour certains sites spécifiques.

La CNSJ a pour deuxième mission d’élaborer une doctrine de sécurité, fondée sur trois piliers. Le premier consiste à prévoir un niveau de sécurité maximal dès le départ. Concrètement, cela signifie que des périmètres seront instaurés autour de chaque site ; que de très nombreux sites feront l’objet d’inspections visant à éliminer les explosifs et les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) avant d’y positionner des équipes chargées de gérer les alertes ; que nous déploierons une couverture de lutte anti-drones (LAD) sur de nombreux sites ; que des forces d’intervention spécialisées seront prépositionnées près des sites pour assurer la protection des personnes –  les forces de recherche assistance intervention dissuasion (Raid), le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), la brigade de recherche et d’intervention (BRI). La loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a aussi étendu le champ des enquêtes administratives. Enfin, nous avons accordé une importance particulière à la robustesse des systèmes d’information, parce que le risque cyber est élevé.

Pour atteindre ce niveau maximal, nous avons mobilisé tous les préfets, chargés d’élaborer un plan Zéro délinquance en vue des JOP. Même lorsque leur territoire n’est pas directement concerné, des festivités peuvent y être organisées, comme des clubs Paris 2024 ou des fan zones n’ayant pas obtenu le label ; ils peuvent accueillir des centres de préparation ou se trouver sur le trajet d’équipes ; des spectateurs iront peut-être y faire du tourisme. Par ailleurs, certaines forces de sécurité territoriales seront envoyées à Paris.

Le deuxième pilier de la doctrine de sécurité consiste à prendre en considération l’expérience des spectateurs, pour assurer un bon accueil. Cela implique d’être partout où sont les spectateurs, dans les aéroports et les gares, dans les transports en commun et sur le trajet jusqu’aux stades, dans les fan zones. Pour cela, nous avons sollicité des patrouilles étrangères dans le cadre de la coopération internationale, pour que les gens retrouvent leurs forces de police nationale. Ensuite, il s’agit de bien gérer les flux d’entrée et de sortie des équipements sportifs – la Coupe du monde de rugby a montré que c’était essentiel.

Le troisième pilier concerne le Centre national de commandement stratégique (CNCS), dont je reparlerai.

Pour finir l’exposé du travail que la CNSJ accomplit avant les Jeux, je citerai quelques exemples de coordination. Il faut d’abord assurer les manœuvres en ressources humaines des forces de sécurité. Les enjeux de sécurité sont considérables, la région Île-de-France aura donc besoin d’effectifs nombreux. Nous mobiliserons prioritairement les unités de force mobile (UFM), mais cela ne suffira pas. Or, pour faire intervenir une partie des forces de sécurité intérieure (FSI), une coordination est nécessaire, notamment entre la police et la gendarmerie.

Deuxième exemple, les démineurs appartiennent plutôt à la DGSCGC, et les équipes cynotechniques relèvent plutôt de la police que de la gendarmerie. Là encore, nous savons que les besoins excéderont les capacités nationales. Une coordination est donc nécessaire au sein du ministère de l’intérieur, et il faut aller chercher des moyens supplémentaires, notamment auprès du ministère des armées, de l’administration pénitentiaire et des douanes. Enfin, nous ferons appel à la coopération internationale.

Le troisième exemple concerne la sécurité aérienne et la lutte anti-drones. Le ministère des armées est chef de file ; toutefois, le ministère de l’intérieur possède également des moyens, répartis entre la police et la gendarmerie, qu’il faudra coordonner.

Mon deuxième point concerne l’activité de la CNSJ pendant le déroulement des Jeux. Ce sera le temps du centre de commandement et de coordination. Dans les départements, l’organisation classique sera maintenue : le préfet est à la manœuvre avec son centre opérationnel départemental (COD) et un poste de commandement opérationnel (PCO) installé sur le site sportif, au plus près de l’organisateur. Le PCO sera situé au même endroit que le centre de sécurité du site, afin de fluidifier les échanges. Je laisserai Serge Boulanger expliquer l’organisation spécifique à l’Île-de-France, puisque la loi « olympique » prévoit que, pendant les JO, l’ordre public dépendra du préfet de police dans toute la région. Au niveau central, nous ne disposions pas d’une structure adéquate, comparable au COD, qui prend en charge aussi bien les crises que les grands événements. Par exemple, lorsque j’étais préfet du Calvados, nous ouvrions un COD pour le carnaval des étudiants, qui rassemble 35 000 personnes – en espérant qu’aucune crise ne survienne. Il existe une cellule interministérielle de crise (CIC), bien connue depuis la pandémie de Covid-19, mais pas de structure à même de gérer les grands événements. Nous avons donc créé le CNCS, qui doit assurer le bon déroulement des Jeux, et non gérer une crise – s’il en advenait une, il se transformerait en CIC. Sa mission consiste certes à résoudre les problèmes de sécurité qui peuvent survenir ici ou là, mais aussi les problèmes sanitaires ou liés aux transports, c’est-à-dire tout ce qui pourrait perturber la manifestation, sans atteindre la gravité d’une crise.

Le CNCS est donc une instance de supervision, et non une structure opérationnelle. Il recense le plus d’informations possible, les analyse et les restitue aux autorités politiques. On ne change pas le dispositif de sécurité civile : le préfet demeure responsable du domaine opérationnel, sur le terrain. C’est également une instance interministérielle, où des officiers de liaison représentent une quinzaine de départements ou de services.

Il a deux outils à sa disposition. Le premier, le centre de renseignement olympique, élabore l’analyse des risques. Mais cela ne suffit pas ; il faut ensuite anticiper la menace, ce qui suppose de la définir précisément. Le CRO produit donc régulièrement des états de la menace – état général de la menace sur les JOP, état de la menace sur le relais de la flamme, sur la cérémonie d’ouverture, par exemple. Il élabore ensuite systématiquement un bilan de la veille et une perspective à quarante-huit ou soixante-douze heures. L’anticipation des menaces est évidemment essentielle pour assurer la sécurité civile.

Le deuxième outil est un hyperviseur, c’est-à-dire un outil d’information. Il présente trois avantages. D’abord, il produit automatiquement des points de situation. C’est essentiel, car la gestion de l’information est primordiale ; or les centres de commandement consacrent 80 % de leur temps à recenser l’information et seulement 20 % à l’analyser. Nous voulons inverser ce rapport, en automatisant l’information. Nous y travaillons avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop), plusieurs départements ministériels et les directions métier du ministère de l’intérieur, afin que les informations arrivent directement dans l’outil, qui produira des points de situation. Ensuite, il fonctionne en source ouverte, afin de tirer parti des publications en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux. Par exemple, quand je suis arrivé, l’outil m’a donné la carte des stations-services en rupture de stock – cela n’a rien à voir avec les JOP, mais c’est très utile pour les préfets en administration territoriale. Enfin, il intègre une main courante partagée. Jusqu’à présent, on se contentait de projeter un tableau Excel ; désormais, tous les officiers de liaison ont accès au fichier partagé, qu’ils peuvent compléter et dont ils peuvent transmettre des informations à d’autres acteurs. Nous travaillons à l’installer dans les différents départements ministériels sans porter atteinte à la sécurité de l’outil.

Après les jeux viendra le temps des retours d’expérience (retex). Nous aurons certainement de nombreuses enquêtes et missions à mener, mais quatre questions se posent déjà. La première concerne ce que j’appelle la CIC 2.0 : il faudra définir comment la CIC pourra tirer parti du travail du CNCS, par exemple en utilisant l’hyperviseur pour automatiser des procédures. Deuxièmement, faudra-t-il envisager de pérenniser ce centre de commandement hors temps de crise et sous quelle forme ? Un centre de veille existe déjà au ministère de l’intérieur, mais dans un format bien moindre que celui du CNCS. Troisièmement, la CNSJ a été créée pour combler des failles en matière de coordination ; peut-être faut-il modifier certaines organisations pour remédier aux angles morts ainsi détectés. Dernier point, la Coupe de monde de rugby et les JOP ont été l’occasion d’élaborer l’ANR. Cet outil mérite d’être conservé ; il faut réfléchir à son évolution.

M. Edouard Donnelly, directeur exécutif des opérations du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop). Le Cojop est l’organisateur des Jeux olympiques et paralympiques, au sens légal et en pratique. Nous sommes responsables de l’ensemble des sites, ceux où se déroulera la compétition comme ceux qui accueilleront ses acteurs. Nous assurons la promotion et l’organisation des différentes manifestations sportives des Jeux olympiques, qui se tiendront du 26 juillet au 11 août, et des Jeux paralympiques, du 28 août au 8 septembre. Cela représente respectivement quelque 750 et 250 sessions sportives ; plus de 200 nations ; 10 500 et 4 400 athlètes ; 13 millions de billets, donc autant de détenteurs à acheminer, à accueillir, à sécuriser dans les sites de compétition, qu’il faudra animer. La plupart des sites se trouvent en Île-de-France, mais certains sont en province, par exemple à Châteauroux, et les épreuves de surf auront lieu à Tahiti.

Le Cojop est une association loi 1901, majoritairement administrée par le mouvement sportif, l’État et les collectivités territoriales impliquées. Nous sommes à 183 jours de la cérémonie d’ouverture. Certaines compétitions, comme le football ou le rugby, débuteront avant, parce qu’elles excèdent la durée comprise entre les cérémonies d’ouverture et de clôture. On essaie d’arrêter le temps, mais chaque jour l’échéance se rapproche, et la pression monte. Le Cojop emploie environ 2 000 salariés ; nous serons 4 500 pendant les Jeux. Nous avons presque finalisé le recrutement des 45 000 volontaires, les contrats avec les fournisseurs et les prestataires – en comptant ces entreprises, près de 180 000 personnes travailleront pour les JOP. Le Comité est donc la plateforme de coordination de tous les intervenants. Tous les jours, nous travaillons avec les acteurs ici présents pour nous répartir les missions. Le principe est assez simple : nous sommes responsables de la sécurité et des secours sanitaires dans le périmètre des sites de compétition ; les services de l’État prennent en charge l’extérieur, en particulier leurs abords.

M. Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris. Malheureusement, nos prédécesseurs de 1924 ne nous ont pas laissé de retex ! Plus sérieusement, parce que le monde a beaucoup changé, nous avons évalué les dispositifs des précédents pays organisateurs d’olympiades pour nous en inspirer et pour bien appréhender les aspects volumétriques. Nous sommes partis d’une copie blanche : tout était à construire.

Nous disposions quand même d’un constat : notre pays a éprouvé sa réactivité et sa capacité à affronter les crises de toute nature – sanitaire, sociétale, météorologique, par exemple – grâce à une organisation reposant sur les préfets de département, les préfets de zone et les instances nationales. En outre, nous bénéficions d’une solide expérience d’accueil de grands événements, même si l’échelle des JOP est singulière : vous avez évoqué la Coupe du monde de rugby ; les Jeux, c’est environ quarante-cinq Coupes du monde simultanées. Toutefois, quoi qu’en disent les campagnes de désinformation, notre pays a su, l’été dernier, organiser la Coupe du monde de rugby, répartie en plusieurs points du territoire, recevoir le roi Charles III, et accueillir le pape en même temps – trois événements certes différents, mais tous très sensibles.

Nous nous entraînons intensément. Depuis deux ans, nous avons organisé de très nombreux exercices en Île-de-France, et beaucoup sont encore prévus, afin de tester tous les dispositifs et de prévoir les incidents de toute nature. Tout ne relève pas du terrorisme ; un simple camion couché sur l’A4, voie olympique, nécessitera une intervention pour garantir la fluidité du transport.

Pour assurer la sécurité civile dans le cadre des JOP, nous avons élaboré un dispositif à trois niveaux, dont M. le général donnera le détail. En Île-de-France, le premier volet du plan de secours et de santé est conçu sur le modèle des risques courants aggravés, c’est-à-dire en considérant la vie normale de la région, avec une population supérieure. Il fait intervenir les services de secours existants – la brigade de sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ; le Samu et le secteur hospitalier ; les secouristes.

Le deuxième volet concerne tous les risques connus spécifiques aux Jeux, susceptibles d’intervenir dans les sites de compétition ou à leurs abords.

Enfin, on ne peut exclure les risques exceptionnels, qui exigeraient de mobiliser des moyens considérables. Il peut s’agir d’un acte terroriste majeur, comme malheureusement la France en a déjà connu, d’une canicule, d’un orage violent, d’une épidémie.

L’importance de l’événement oblige à concevoir des réponses organisées par secteur, et non par site, car cela entraînerait une consommation excessive de moyens, au détriment d’autres interventions éventuelles.

Notre organisation est éprouvée, mais elle a été renforcée pour les Jeux olympiques. Les dispositions législatives déjà évoquées seront prochainement complétées par des dispositions réglementaires, suivant le principe un territoire – l’Île-de-France –, un chef, un décideur. Pour la période des JOP, le Parlement a donc confié au préfet de police des compétences supplémentaires, relatives notamment à la circulation ; s’y ajouteront des transferts en matière de police administrative. Ces compétences concernent en particulier le domaine aérien : l’Île-de-France possède plusieurs aérodromes, et il importe que les autorités militaires et celles chargées de l’aviation civile disposent toutes d’un même interlocuteur. Ainsi, les autorisations et interdictions seront cohérentes et partout identiques.

Évidemment, nous avons les Jeux olympiques, mais pas seulement. Les trois aéroports, Roissy, Orly et Le Bourget, accueilleront les dignitaires, les délégations sportives et tous les touristes. Thierry Mosimann a évoqué l’expérience du spectateur : nous travaillons de l’accueil à l’aéroport jusqu’aux hôtels, jusqu’aux gares d’où certaines équipes partiront pour se rendre sur les différents sites du pays. Nous avons élaboré un plan Zéro délinquance pour les sites touristiques, ainsi qu’un plan Tourisme.

Le Président de la République a insisté récemment sur le fait qu’un mouvement populaire devait accompagner ce magnifique événement que nous avons la chance d’accueillir sur le territoire français. À ce mouvement populaire s’ajoute l’élan collectif de tous les acteurs qui participent, de près ou de loin, à l’organisation des Jeux olympiques.

Comme l’a indiqué Édouard Donnelly, cet événement nous donne l’occasion de travailler au quotidien avec le Cojop Paris 2024, matin, après-midi et soir parfois très tard, y compris le week-end. Il est normal que nous ayons une telle intensité d’échanges avec l’organisateur et l’État, mais nous travaillons aussi avec nombre d’acteurs privés, publics et associatifs. Nous échangeons tous les jours avec des chefs d’entreprise, par exemple, car nous devons faire en sorte que l’activité économique continue pendant les JOP, compte tenu de leur durée. Pour le citoyen et l’entreprise, la vie doit continuer, certes en supportant quelques contraintes.

L’élan collectif nous permet de surmonter les quelques difficultés historiques de relations entre services qui peuvent subsister. Pour les Jeux olympiques, tout cela est gommé, effacé. Je suis convaincu que ce bénéfice nous restera en héritage.

M. le général Joseph Dupré la Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. La BSPP, unité atypique dans le paysage des services d’incendie en France, est née en 1810 : cette année-là, l’incendie dramatique de l’ambassade d’Autriche poussa l’empereur Napoléon 1er à militariser le corps des gardes-pompes de Paris.

Je suis à la tête de la brigade, dont la compétence s’étend sur quatre départements : Paris et les trois départements de la petite couronne – les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. La BSPP est l’acteur clé des dispositifs existant en termes de prévention, protection et lutte contre les incendies. Elle exerce aussi une compétence partagée en matière de secours d’urgence lors des autres crises.

Elle est dimensionnée pour faire 450 000 interventions par an, autrement dit quelque 1 250 par jour, chiffre qui augmentera sans doute pendant les JOP. Elle compte théoriquement 8 700 sapeurs-pompiers, mais nous fonctionnons à 95 % de nos effectifs, soit environ 8 300 militaires. Fort heureusement, nous avons le renfort de 830 réservistes – ils seront 900 pendant les JOP – et de 250 volontaires en service civique, des jeunes qui montent dans nos ambulances comme équipiers.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Dans le cadre de nos travaux, nous avons déjà interrogé, notamment, des représentants d’associations agréées de sécurité civile, ainsi que des responsables du bataillon des marins-pompiers de Marseille, de la BSPP ou des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Dans les propos qu’ils nous ont tenus, nous avons parfois décelé l’expression d’un manque de liens en dehors des crises – en cas de crise, tout le monde se sent concerné. Comment cette constellation d’intervenants de la protection civile, dans laquelle j’inclus notamment la Croix-Rouge, est-elle intégrée dans le dispositif mis en place à la faveur des JOP ? Ces intervenants sont-ils associés d’emblée, intégrés au fur et à mesure ou en cas d’événements ? Sont-ils concentrés spécifiquement à Paris ?

M. Serge Boulanger. En matière de secours et de santé, nous travaillons avec la directrice générale de l’agence régionale de santé (ARS) et ses équipes, la BSPP, les quatre SDIS concernés, toutes les équipes d’intervention du secteur hospitalier, à commencer par celles du Samu, et toutes les associations de secourisme. Ces dernières font un grand nombre d’interventions, notamment pendant les week-ends et lors d’événements, participant ainsi au continuum de sécurité.

Elles sont déjà associées à nos travaux, sachant qu’elles apportent des réponses différentes selon les cas. Certains secouristes vont être engagés sur le terrain dans des postes appelés dispositifs prévisionnels de secours (DPS) – ceux de la Croix-Rouge, de la Fédération nationale de protection civile (FNPC) ou de la Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS) nous sont familiers. Ces secouristes vont intervenir notamment dans les secteurs où nous estimons que les spectateurs devront effectuer des déplacements un peu longs entre la gare et le site. Pour arriver sur le site de Vaires-sur-Marne, où se dérouleront les épreuves d’aviron et des épreuves en eau vive, les spectateurs devront parcourir entre 1,3 et 2 kilomètres depuis l’une des trois gares des environs. En cas de canicule, par exemple, il peut être utile que des secouristes soient disponibles avec des sacs à dos remplis de bouteilles d’eau. Voilà pour ceux qui seront déployés dans les postes avancés autour de certains sites. Après analyse très fine de la part des services opérationnels, nous avons identifié des sites qui ne nécessitaient pas un poste avancé, en raison de la proximité de la gare avec le site olympique ou parce que l’organisateur prévoit déjà des moyens.

Deuxième cas de recours aux secouristes : le renfort en casernement, que la BSPP pratique de longue date. Les secouristes viendront en renfort de la BSPP ou des SDIS dans les cas où l’activité sera jugée un peu supérieure à la normale : lorsque des épreuves se dérouleront simultanément au Parc des Princes et à Roland-Garros, ou alors au Stade de France et au centre aquatique. Nous ne les mettrons pas directement sur le terrain, car les interventions auxquelles nous devrons faire face ne concerneront pas forcément les sites olympiques. Il est donc plus important de les garder en caserne, pour faire notamment du secours à personne sur le territoire francilien, que de les positionner exclusivement aux abords des sites olympiques.

Je le répète, toutes les associations, qu’il s’agisse de l’Ordre de Malte, de la FFSS, de la Croix-Rouge, des associations départementales de protection civile (ADPC) ou d’autres associations, sont déjà associées à tous nos travaux.

M. Edouard Donnelly. En tant qu’organisateur, nous sommes en charge du dispositif de secours santé à l’intérieur des sites. Nous travaillons depuis longtemps avec les associations agréées de sécurité civile dans un cadre normé, le référentiel national des missions de sécurité civile de 2006, qui nous donne des indications concernant le nombre de DPS et de secouristes à prévoir. Le caractère exceptionnel et complexe du dispositif mis en place pour les JOP tient à sa dimension – nombre de sites à couvrir et nombre de personnels nécessaires.

Dans ces conditions, nous avons anticipé au maximum nos liens avec les associations agréées de sécurité civile et lancé un appel d’offres dès 2022. Le Cojop est soumis aux marchés publics, mais c’est aussi par souci de transparence que nous avons décidé de lancer cet appel d’offres en deux vagues, sachant qu’en l’occurrence le critère financier n’était pas le plus important : l’une pour les sites de compétition, l’autre pour les autres sites. Nous avons choisi six associations agréées de sécurité civile pour l’ensemble des dispositifs de Paris 2024 : la Fédération nationale de protection civile ; un groupement solidaire composé de La Croix Blanche, la Croix-Rouge française, la FFSS, l’Ordre de Malte et l’Union nationale des associations de secouristes et sauveteurs (Unass). Le premier marché a été attribué fin janvier 2023. Le second, qui l’a été courant 2023, portait sur la cérémonie d’ouverture, le « marathon pour tous », qui sera ouvert à des pratiquants amateurs, et les sites restant à attribuer.

Comme je l’indiquais, l’enjeu tient à la dimension de l’événement : les besoins de l’organisateur représentent les trois quarts des besoins globaux des Jeux. Nous pourrons avoir besoin de jusqu’à 1 500 secouristes en une seule journée, notamment lors du marathon pour tous qui aura lieu la veille de la cérémonie de clôture.

Cette planification en amont nous a conduits à travailler avec les associations, afin de les aider et de leur fournir notamment les éléments de communication dont elles avaient besoin pour lancer une campagne de recrutement en Île-de-France, mais aussi dans toute la France, étant donné que la période estivale n’est pas la plus propice pour mobiliser de nombreux secouristes. Ce travail s’est fait sous l’égide de Michel Cadot, le DIJOP, qui a réuni régulièrement un comité de pilotage constitué de tous les acteurs de la protection civile et des représentants de l’État. Si nos propres besoins en secouristes sont très normés et relativement faciles à déterminer, nous devions avoir l’évaluation la plus fine possible des besoins totaux, couvrant ceux des services de l’État, des dispositifs aux abords des sites, des collectivités locales, des opérations de promotion et de célébration de l’événement, etc. Ce travail a donc été effectué sous l’égide de la DIJOP, en lien avec les préfectures concernées.

Le dialogue permanent engagé depuis 2022 avec les associations de sécurité civile nous a permis d’anticiper les besoins, de mobiliser un nombre suffisant de secouristes et de répondre à des demandes spécifiques, notamment en matière de communication.

M. le général Joseph Dupré la Tour. Preuve de la confiance qu’elle leur accorde, la BSPP travaille depuis cinquante ans avec les associations agréées de sécurité civile. Leurs bénévoles sont présents dans nos centres de secours tous les week-ends et ils ont réalisé 10 000 des 500 000 interventions que nous avons faites l’an dernier.

Pour vous donner une idée du travail des associations dans les DPS, je vais prendre l’exemple d’un 31 décembre, quand 800 000 à 1 million de personnes sont sur les Champs-Élysées. Le DPS fonctionne avec 150 à 200 secouristes du milieu associatif, sous le commandement d’un officier de la BSPP et avec des moyens techniques de la brigade. Une association prend en charge le côté nord des Champs-Élysées, une deuxième s’occupe du côté sud de l’avenue, tandis qu’une troisième intervient au Trocadéro. Tout se passe bien avec elles le 31 décembre, comme d’ailleurs le 14 juillet. Nous sommes habitués à travailler ensemble. Notre centre opérationnel accueille alors un représentant des associations pour assurer la liaison avec le dispositif.

Nous sommes aussi amenés à travailler avec les associations lors des grosses interventions, comme l’explosion qui a eu lieu le 21 juin dernier au 277, rue Saint-Jacques. Il y a alors des urgences absolues et des urgences relatives. En l’occurrence, plus de 150 personnes se retrouvaient sans logement, leur appartement ayant été dévasté. La Croix-Rouge française a pris l’affaire en main et a fait un travail absolument remarquable lors de cette intervention, au cours de laquelle nous étions en lien permanent. C’est pourquoi je suis assez confiant dans notre capacité de coordination avec les associations agréées de sécurité civile.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous nous décrivez une spécificité parisienne que l’on ne retrouve pas forcément dans l’ensemble du territoire national et des outre-mer. Les crises, elles, peuvent s’additionner et concerner tout le territoire. Les sites des Jeux olympiques réclament une attention particulière compte tenu des risques d’attentat, d’accident ou autres. Mais, au même moment, il peut y avoir des feux de forêts comme nous en avons connu au cours des dernières années. Comment sera-t-il possible d’y réagir, étant donné le nombre de sapeurs-pompiers, secouristes, policiers et gendarmes déployés pour les Jeux olympiques ? Le risque d’addition de crises a-t-il été anticipé ? Les gens trouvent tout à fait normal que l’on envoie des forces sur les sites olympiques, mais ils peuvent s’inquiéter des capacités de leur département ou de leur région à faire face à une crise qui s’y déroulerait au même moment.

M. Thierry Mosimann. Les Jeux olympiques vont évidemment nécessiter beaucoup de ressources humaines, et nous allons mobiliser en région parisienne des forces venant des autres territoires. Nous avons demandé à tous les préfets de se préparer à une baisse de leurs capacités en termes d’unités de force mobile et d’effectifs de policiers et de gendarmes. Pour anticiper cette réduction, ils sont encouragés à engranger des succès en matière de délinquance, à faire place nette, et aussi à utiliser les leviers qui sont à leur disposition : faire appel aux réservistes, pour lesquels des budgets sont prévus ; décaler les congés, des négociations étant en cours sur ce point avec les organisations syndicales ; intensifier les renforts mutuels au niveau local – pendant la durée des Jeux, on oublie que policiers et gendarmes interviennent dans des zones différentes. Il faut optimiser l’emploi des ressources humaines et agir sur ces trois leviers.

Le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises pourrait vous dire ce qu’il en est pour la sécurité civile, mais j’imagine que la logique est similaire. Un effort va être demandé pour faire face à un afflux de population, et pas seulement en Île-de-France. Une cinquantaine de colonnes de renfort sera dédiée aux feux de forêt. Les JOP feront l’objet d’un dispositif particulier pour faire face à des risques spécifiques : les équipes habituelles seront étoffées et il sera fait appel à des renforts venant d’autres départements.

M. Serge Boulanger. Les préfets ne travaillent pas chacun dans leur coin pour la préparation de cet événement, et les démarches sont forcément coordonnées par l’échelon central – Thierry Mosimann a rappelé le rôle du DGSCGC.

Durant l’été 2024, l’Île-de-France sera ainsi dispensée de contribuer aux colonnes de renfort pour les feux de forêt, contrairement à la pratique habituelle : des renforts sont souvent envoyés pour combattre les incendies dans le Sud ou le Sud-Ouest, comme on a pu en envoyer récemment dans le Pas-de-Calais, confronté à des inondations récurrentes. Selon cette approche nationale, certains territoires vont donc fournir des renforts ou en bénéficier, en fonction de leur situation et du calendrier. La BSPP et les quatre SDIS précités vont bénéficier du renfort de 500 sapeurs-pompiers pour répondre aux besoins identifiés à ce stade.

Que se passerait-il s’il survenait un événement dans l’événement ? Nous l’avons anticipé, nous ne mettons pas tous nos œufs dans le même panier, pour reprendre une expression familière. Thierry Mosimann est à la tête du CNSJ et donc du CNCS, mais la CIC est activée en parallèle pour d’autres événements. De même, à la préfecture de police, une instance va gérer les Jeux olympiques : le centre de supervision zonal, placé directement sous l’autorité du préfet de police, qui va coordonner, faire la synthèse et anticiper les événements à l’échelle de l’Île-de-France. Mais nous gardons volontairement la disponibilité de notre structure habituelle de crise : le centre opérationnel de zone (COZ), qui fonctionne tous les jours vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui nous permettra de réagir le cas échéant, sans compromettre le bon déroulement des JOP.

Pas plus tard qu’hier, nous avons échangé avec le responsable d’une fédération de secouristes de Haute-Savoie. Il nous a expliqué qu’il allait nous envoyer des renforts, mais qu’il garderait des secouristes en réserve en été, pour faire face à l’arrivée des touristes et être en mesure de répondre à des demandes venant de Marseille ou de Nice. Chaque responsable organise la manœuvre de manière à garder des effectifs localement, que ce soit en matière d’ordre public, de sécurité publique ou de sécurité civile.

N’oublions pas non plus que la France ne vit pas repliée sur elle-même et qu’elle reçoit parfois l’appui de renforts internationaux, notamment dans le cadre du traité de Prüm, qui prévoit des accords de coopération. Durant les Jeux olympiques, nous allons bénéficier de renforts humains et matériels, ce qui va nous éviter la gabegie budgétaire que représenterait l’achat d’équipements dont nous n’aurions pas besoin de façon pérenne – nous pouvons, par exemple, emprunter ou louer des barrières. Les Jeux olympiques, c’est un collectif, une occasion d’échanges avec les Allemands, les Italiens, et même avec les Britanniques, qui ne sont plus partie au traité de Prüm.

Tout cela se fait de manière intelligente, avec une volonté d’objectiver la ressource et de n’être pas totalement focalisé sur les JOP. C’est l’élément majeur et moteur de notre organisation, mais la vie continue et il peut toujours survenir un événement dans l’événement.

M. le général Joseph Dupré la Tour. J’ai effectivement demandé 500 sapeurs-pompiers de province – en expliquant pourquoi, car je sais qu’ils manqueront à leur SDIS. Nous avons fait une analyse théorique qui distingue trois types de risque, comme l’a expliqué Serge Boulanger, et une analyse empirique.

Pour cette dernière, nous sommes partis de notre expérience de grands événements, notamment de la Coupe du monde de football de 2018. Elle se déroulait à Moscou, mais elle a été remportée par la France, ce qui avait provoqué quatre jours d’intenses rassemblements, les 13, 14, 15 et 16 juillet 2018 : 500 000 personnes se pressaient tous les jours dans les rues ou les fans zones pour voir le match, célébrer la victoire, accueillir l’équipe de France, reçue à l’Élysée. Pendant ces quatre jours, dont une journée à 31 degrés, nous avons fait entre 1 700 et 2 000 interventions quotidiennes.

Nous nous sommes interrogés sur l’opportunité d’appliquer ce modèle aux Jeux olympiques, sachant que les publics ne sont pas les mêmes, bien qu’il y ait aussi du football aux JOP, et que l’événement ne va pas durer quatre jours, mais quinze jours. En reprenant la météo des quatre derniers étés, nous avons relevé qu’ils avaient tous été marqués par des périodes de canicule de durée variable, parfois de seulement quatre ou cinq jours. Mais une courte période caniculaire peut tomber au mauvais moment, pendant les Jeux.

Nous en avons conclu que nous devions nous attendre à une tendance similaire pour le nombre d’interventions quotidiennes – 1 800 à 2 000 –, mais pendant une quinzaine de jours au lieu de quatre. Ne pouvant l’assumer seuls, nous avons demandé le renfort de 500 sapeurs-pompiers. Ils vont certes manquer à leurs départements, mais il faut rappeler que la France compte 200 000 sapeurs-pompiers volontaires et 40 000 sapeurs-pompiers professionnels. Quand j’en demande 500, je ne pille pas le vivier ; il en restera pour aller éteindre les feux de forêt. Le DGSCGC ayant agi avec la grande intelligence qui est la sienne, je pense que nos renforts viendront plutôt du Nord-Est que du Sud de la France. C’est pourquoi je suis plutôt serein quant aux capacités du dispositif de sécurité civile à faire face à la situation.

Qu’en serait-il si la région parisienne devait affronter plusieurs crises ? L’an dernier, nous avons vécu deux crises sociétales : le mouvement de protestation concernant les retraites, et les violences urbaines de la fin juin. Ces crises étant distinctes, les sapeurs-pompiers de banlieue sont venus éteindre les feux dans Paris lors des manifestations contre la réforme des retraites, tandis que leurs collègues du centre de Paris sont allés en banlieue au mois de juin. En 2022, nous avons eu des canicules. Pour l’instant, nous n’avons pas eu tout en même temps, mais il faut prévoir à la fois ceinture et bretelles pour faire face à ce genre de scénario.

M. Edouard Donnelly. Tout ce travail d’anticipation avec les associations permet de traiter les situations qui se présentent usuellement tous les étés. Nous disposons de centres opérationnels : la CIC pour l’État et le centre principal des opérations (Main Operation Center ou MOC) pour le Cojop. Le MOC possède une unité médicale baptisée Medoc – ce n’est pas une boutade française mais l’acronyme de Medical operations center. À partir de ce centre, où seront représentées toutes les associations agréées de sécurité civile avec lesquelles nous travaillons, nous coordonnerons l’ensemble de nos dispositifs médicaux. En cas de situation exceptionnelle nous conduisant à libérer certains secouristes, nous pourrions nous coordonner immédiatement avec les associations agréées de sécurité civile pour adapter nos dispositifs. Pour résumer, l’anticipation permet de traiter l’essentiel des situations qui sont connues à date, ce qui inclut tous les événements qui peuvent survenir en été, et les centres opérationnels permettent de s’adapter en fonction de toutes les situations inattendues – la coordination avec les associations étant la clé pour ce qui relève des secouristes.

M. le général Joseph Dupré la Tour. À la BSPP, personne ne sera en vacances pendant les JOP. Quelque 2 700 des 8 700 sapeurs-pompiers de Paris seront logés sur place. En cas de crise, ceux qui sont en repos sont rappelés, descendent de chez eux et montent dans des engins. Lors des attentats du Bataclan, nous avons ainsi rappelé les médecins et infirmiers qui étaient de repos. Au lieu des sept ambulances de réanimation que nous armons quotidiennement, nous en avons eu jusqu’à vingt-deux. En situation de crise exceptionnelle, nos effectifs maximums peuvent passer de 2 800 à plus de 3 000 si le besoin s’en fait vraiment sentir.

M. Florian Chauche (LFI-NUPES). Général, je remarque que le nombre de sapeurs-pompiers demandés en renfort correspond plus ou moins à l’écart entre l’effectif théorique et l’effectif réel de votre brigade. Pourquoi ce déficit de 400 personnes ? Si la brigade était au complet, les 500 sapeurs-pompiers auraient pu rester dans leur département ou contribuer à un effort supérieur.

M. le général Joseph Dupré la Tour. Les 400 manquants sont devenus pompiers professionnels… Non, je plaisante, même si nous sommes un peu siphonnés par nos camarades professionnels. Quand mes pompiers passent avec succès le concours de sapeurs-pompiers professionnels, qui est un concours de la fonction publique territoriale, je n’ai aucun droit de les empêcher de rejoindre ce corps.

Étant devant des députés de la nation, j’en profite pour faire une demande : pourriez-vous faire en sorte qu’un militaire ne puisse pas passer le concours de sapeurs-pompiers professionnels lorsque son premier contrat de cinq ans est en cours ? Ces gens-là sont utiles et ils ont signé un contrat de cinq ans comme militaires ; j’ai besoin d’eux et je m’engage à les garder pendant cinq ans. Alors qu’ils ne passent pas ce concours de sapeurs-pompiers professionnels et qu’ils restent avec moi, bon sang ! L’an dernier, 115 d’entre eux sont devenus sapeurs-pompiers professionnels avant la fin de leur contrat de cinq ans. Mon sous-effectif est dû en partie au siphonnage, sinon au pillage, de la ressource par les sapeurs-pompiers de province. Je n’ai aucun mal à le comprendre, puisque 70 % de mes jeunes arrivent de province et aspirent à y retourner après avoir acquis une bonne expérience professionnelle. Néanmoins, j’aimerais qu’ils restent cinq ans avec moi, qu’ils ne puissent donc pas passer ce concours ou qu’ils attendent pour en bénéficier.

Outre ce souci de fidélisation, j’ai aussi des difficultés de recrutement dont je vous ai parlé la dernière fois que vous m’avez fait l’honneur de me recevoir. J’attire moins que mes prédécesseurs pour des raisons qui, à mon avis, n’ont rien à voir avec ma personnalité. Alors que nous n’avions aucun problème à recruter 1 200 jeunes chaque année par le passé, l’an dernier nous en avons péniblement recruté 1 060. Nos portes sont pourtant ouvertes, nous faisons de la publicité, de la communication. Il y a beaucoup de jeunes Français qui sont généreux et veulent servir comme sapeur-pompier. Sont-ils des Rastignac désirant conquérir Paris ? J’en doute.

Pour ces deux raisons, mes effectifs ne sont pas au complet, vous avez raison de le souligner, monsieur le député. S’il y avait une loi nous permettant de garder nos jeunes pendant les cinq premières années de leur contrat, peut-être cela m’aiderait-il.

M. Serge Boulanger. Le général évoque le départ anticipé de certains de ses militaires, qui est peut-être spécifique, mais n’oublions pas qu’il existe une vacance frictionnelle permanente de 3 % à 7 % dans toutes les entités, qu’elles soient publiques ou privées. Dans les grosses structures, l’effectif n’est jamais au complet pour des raisons de départs en retraite, mutations et autres. Cela fait partie de la vie. Cette vacance frictionnelle pose plus de problème dans certaines circonstances – en l’occurrence, un événement exceptionnel – qu’en temps normal où il est possible de s’adapter.

M. le général Joseph Dupré la Tour. Je vais compléter pour rassurer nos camarades sapeurs-pompiers professionnels : ils seront « sur la photo » ; je ne vais pas les mettre au fin fond du Val-de-Marne où il n’y a aucune épreuve olympique. Ils seront dans les casernes proches des sites olympiques et dans des détachements prépositionnés en périphérie. De toute façon, il y aura beaucoup de monde dans les concerts, les spectacles, etc. Le colonel Roger Barreau, qui m’accompagne, est un peu le grand manitou des Jeux olympiques chez les pompiers de Paris. Je lui ai dit qu’il fallait que nos amis sapeurs-pompiers professionnels soient bien sur la photo et non pas relégués en deuxième division.

Quant aux directeurs des SDIS, ils me disent qu’il existe un vrai engouement des volontaires. Je ne sais pas si le DGSCGC me le confirmera, mais, pour l’instant, j’ai 80 % de volontaires attendus et 20 % de professionnels. Ils pourraient me donner davantage de volontaires, mais il est préférable de conserver un pourcentage suffisamment important de professionnels qui peuvent les conseiller.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Ces difficultés de recrutement dont vous nous aviez déjà fait part, général, nous les retrouvons à l’échelle nationale tant chez professionnels, que chez les volontaires, ainsi que dans le monde associatif.

Parlons des avancées technologiques. Pensez-vous qu’elles pourront être mises à profit afin de renforcer la sécurité et le secours à personne pendant les Jeux olympiques et, dans l’affirmative, de quelle manière ?

M. Serge Boulanger. Sur le plan opérationnel, je laisserai aux sachants le soin de vous répondre. L’intérêt des JOP réside aussi dans l’héritage qu’ils vont laisser, compte tenu des engagements pris en matière budgétaire ou de transition écologique – cette préoccupation accompagne chacune de nos démarches, de la construction des logements du village olympique jusqu’à la traduction opérationnelle.

Nous travaillons à l’élaboration de deux outils informatiques qui seront livrés dans les semaines à venir. L’un, le DPS, va permettre la remontée en temps réel du bilan victimaire. Actuellement, les nombreux postes de secours, déployés tous les week-ends lors d’événements se déroulant en Île-de-France, transmettent chacun leur bilan par des moyens classiques – radio ou téléphone. Lors de grands événements, nous avons constaté que la fiabilité de l’information laissait à désirer.

Avec ce nouvel outil, chaque entrée de patient dans un poste de secours sera intégrée en temps réel dans la base de données – dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de l’ensemble de la réglementation. Ces informations, non nominatives et ne comportant aucune donnée médicale, permettront de suivre en temps réel les bilans victimaires et ainsi de détecter les signaux faibles – par exemple, l’augmentation du nombre de victimes dans des DPS ou centres de secours situés à proximité les uns des autres.

Le deuxième outil, Polaris, est une application de gestion des flux de circulation et de transports collectifs. Nous avons pu constater, à l’occasion de la Coupe du monde de rugby, que les transports collectifs étaient le nerf de la guerre. Ils le seront d’autant plus durant les Jeux olympiques que le comité d’organisation s’est engagé à ce que les spectateurs puissent les emprunter pour se rendre sur l’ensemble des sites. Le contrat conclu entre la France et le Comité international olympique (CIO) nous impose par ailleurs des temps de déplacement maximums pour les athlètes ; 185 kilomètres de voies, complétés par des axes concourants alternatifs, leur seront ainsi réservés. L’application Polaris, en cours de développement, permettra d’informer le préfet de police de la fluidité de la circulation en surface, mais aussi dans les transports en commun. À l’heure actuelle, les opérateurs de transport ne sont pas en mesure de nous informer du nombre d’usagers présents sur les quais ou embarqués dans les rames. Or, une telle information est essentielle lorsqu’il s’agit d’évacuer une rame, comme nous avons eu à le faire récemment.

Ces deux outils opérationnels, que nous développons actuellement en régie, feront partie de l’héritage des Jeux. Ils seront extrêmement utiles aux structures en charge de la coordination des événements.

M. le général Joseph Dupré la Tour. L’arrivée de la lance diphasique constitue une avancée certaine, et une première en France : parce qu’elle projette un mélange d’air et d’eau, elle nous permettra d’utiliser environ 80 % d’eau en moins. Nous avons déjà un fourgon qui en est équipé et en aurons cinq au moment des Jeux.

Au-delà de cette avancée, je voudrais évoquer trois regrets. D’abord, j’aurais aimé que nous puissions organiser avant la fin du mois d’août la migration vers le futur système d’information opérationnelle de tous les sapeurs-pompiers de France, NexSIS, afin de pouvoir le roder avant les JOP. Malheureusement, le projet a pris du retard et cette migration ne pourra avoir lieu avant la fin de l’année 2024, voire le début de l’année 2025. Je reste néanmoins confiant dans le système actuel, Adagio, qui, en dépit de quelques signes de fatigue, a prouvé sa robustesse lors des violences urbaines de juin dernier : lorsque nous avons dû affronter 1 400 feux dans la nuit du 28 au 29 juin, il nous a permis d’envoyer les bons engins au bon endroit. Nous continuerons donc de l’utiliser le temps des Jeux.

Mon deuxième regret concerne Libellule, un projet de drone autonome doté d’une intelligence artificielle, capable de détecter les mouvements d’une personne se débattant dans l’eau et de lui envoyer une bouée. Ce drone ne pourra pas être utilisé pendant les Jeux olympiques, pour des raisons à la fois réglementaires et de financement. Je pense néanmoins que nous l’utiliserons à terme sur le bief parisien de la Seine, où nous intervenons une centaine de fois par an pour secourir des personnes tombées à l’eau.

Mon troisième regret, enfin, concerne le projet Intuition, qui consiste à faire analyser par une intelligence artificielle les sons enregistrés durant les treize secondes pendant lesquelles les appelants au 18 ou au 112 attendent avant de pouvoir parler à un opérateur. Les éventuels bruits ou hurlements peuvent en effet permettre d’identifier un arrêt cardiaque et de classifier l’appel en extrême urgence. Sachant qu’en prodiguant les soins une minute plus tôt, on augmente les chances de survie de 10 %, nous pourrions ainsi réduire le taux de mortalité des arrêts cardiaques. Malheureusement, nous devrons attendre, pour développer ce projet, la migration vers NexSIS, auquel il est très lié.

M. Thierry Mosimann. En matière d’équipement, l’héritage des Jeux olympiques sera triple. Il comprendra d’abord l’hyperviseur, mis en place au sein du CNCS, dont nous pourrons tirer profit lors de la prochaine cellule interministérielle de crise.

Il faudra également intégrer à l’héritage les programmes d’acquisition, prévus notamment dans le cadre du contrat capacitaire interministériel (CCI) de lutte contre le terrorisme. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) prévoit ainsi des investissements à hauteur de 26 millions d’euros pour acheter des équipements de lutte contre les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Il convient d’y ajouter le lancement du programme Réseau radio du futur (RFF), destiné aux forces de l’ordre et de secours.

Enfin, l’héritage des Jeux comprendra de nouveaux équipements – par exemple, les outils de vidéosurveillance augmentée, qu’il faudra évaluer au terme de l’expérimentation courant jusqu’en mars 2025. S’agissant des scanners à ondes millimétriques, qui sont utilisés dans les aéroports, les organisateurs ont fait le choix de ne pas les utiliser à l’occasion des Jeux, en raison de dysfonctionnements constatés par fortes températures.

Citons aussi les portiques Express, déjà utilisés à l’Accor Arena de Bercy, qui détectent les masses métalliques de façon très performante, tout en permettant un passage très rapide, et dont il nous restera à définir les règles d’emploi.

M. Édouard Donnelly. Je retiendrai, quant à moi, la digitalisation du pilotage des dispositifs de secours et de santé, rendue nécessaire par la dimension de l’événement. Cette digitalisation s’appuiera sur des technologies existantes. Des caméras installées dans l’ensemble des sites de compétition nous permettront de détecter les éventuels problèmes et, grâce à la géolocalisation, d’envoyer l’équipe la plus proche. Ces outils nous seront également utiles en termes de reporting et de monitoring. Nous disposerons, dans l’ensemble des centres opérationnels locaux et nationaux et notamment dans le Médoc, d’informations en temps réel relatives au nombre et à la typologie des interventions sur le terrain. Nous pourrons ainsi mieux réagir et mieux coordonner les réponses. Je précise, comme Serge Boulanger l’a fait avant moi, que ces données à valeur statistique seront anonymisées et ne comporteront aucun détail médical.

M. Thierry Mosimann. En tant qu’ancien préfet, je voudrais souligner à quel point la lance diphasique constituerait un progrès important dans l’équipement des forces de secours, en particulier en milieu rural et en ces temps de pénuries d’eau.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Selon leur nature, les crises mobilisent différents ministères. S’agissant des Jeux olympiques et paralympiques, il existe, à vous entendre, une parfaite entente interministérielle et interservices sur les sujets relatifs à la sécurité et à la protection civile. Ne devrions-nous pas nous inspirer de cette entente, à l’avenir ? Identifiez-vous à cet égard des pistes d’amélioration pour notre modèle de protection et de sécurité civiles ? Je précise que ma question englobe l’acculturation des citoyens aux questions de sécurité civile, qui demeure selon moi un enjeu important.

M. Édouard Donnelly. Notre priorité est de réussir l’organisation des Jeux et d’en faire une grande fête populaire, mais nous ne travaillons pas uniquement pour les quelques semaines de compétition : nous veillons également à laisser un héritage, sur ce sujet comme sur les autres, et à faire en sorte que les dispositifs soient prolongés au-delà des Jeux.

Lors des événements sportifs, le dispositif de secourisme est habituellement normé, voire très normé, mais il s’inscrit dans un cadre médical – médecins et infirmeries, pour les spectateurs comme pour les athlètes – qui l’est beaucoup moins. Cela peut provoquer des frictions : au sein du comité de pilotage mis en place par la délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP), des débats ont eu lieu avec les associations agréées de sécurité civile, notamment, qui ne travaillent pas systématiquement avec un médecin urgentiste sur les événements – il n’existe en effet pas de cadre en la matière. Il en ressort que la répartition des compétences et des missions entre les équipes médicales et les équipes de secourisme est floue.

Je n’irais jusqu’à dire qu’un cadre légal ou réglementaire devrait imposer la mise en place d’un dispositif médicalisé complet pour l’ensemble des événements, qui n’ont pas tous la même envergure. En revanche, l’articulation entre les différents dispositifs que nous avons définie au sein du comité de pilotage pourrait sans doute servir de guide aux organisateurs d’événements. Sur des sujets aussi sensibles que la santé et le secours, domaines dans les lesquels la barre est toujours placée très haut, leur tâche en serait facilitée. Cela éviterait aussi que les différents intervenants ne se marchent sur les pieds, entraînant parfois des complications dommageables pour la sécurisation des événements. Sans doute y a-t-il matière à progresser dans ce domaine.

M. Pierre Mauger, responsable des services médicaux du Cojop. La DIJOP a effectivement réuni les différents intervenants à plusieurs reprises, afin que nous puissions les contraintes liées aux obligations de médicalisation et de mise en place de DPS puissent faire l’objet d’une coordination. Des frictions sont apparues dès la constitution du dossier, et nous avons consacré plusieurs réunions à l’élaboration d’une matrice RACI (Responsible, accountable, consulted, informed – réalisateur, approbateur, consulté, informé) intégrant le chef du dispositif de secouristes et le médecin responsable du dispositif médical sur site. Sans doute pourrait-on, à l’avenir, s’inspirer de cette matrice qui a obtenu la validation de la DIJOP et de la DGSCGC.

J’ajouterai, pour compléter les propos d’Edouard Donnelly, qu’il n’existe aucune interconnexion entre le dispositif de secouristes, très réglementé, et le dispositif médical, moins réglementé – sachant toutefois que la société française de médecine d’urgence nous fait des recommandations. Aucun des deux ne tient compte de son voisin dans la définition du besoin. Il ne s’agit pas d’imposer la médicalisation de tous les événements en France, mais d’établir un référentiel commun médico-secouriste pour les DPS de grande envergure, afin de mieux répartir les rôles et d’optimiser les ressources – ce qui sera d’autant plus nécessaire à l’été 2024.

M. le général Joseph Dupré la Tour. Je voudrais d’abord préciser à M. le député Chauche que les 500 pompiers supplémentaires viendront avec leurs véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) et leurs engins-pompes.

J’en viens à la question du rapporteur au sujet de l’entente interservices et interministérielle. Rappelons, en premier lieu, qu’un centre opérationnel sert d’abord à collecter et analyser l’information, avant de la transmettre aux autorités et de la partager avec les autres centres d’information et de décision. Les centres de secours et de santé de la BSPP ont aussi pour rôle, plus spécifiquement, de s’assurer qu’en cas de crise, les engins sélectionnés se présentent bien sur le lieu où ils sont attendus en renfort. Enfin, leur troisième mission est importante aussi, même si elle est souvent oubliée : il s’agit de veiller au maintien d’une bonne couverture opérationnelle et de faire en sorte qu’en cas de crise, on trouve encore dans chaque secteur des pompiers ou secouristes pour intervenir sur une opération courante de secours à victime.

À l’occasion des JOP, le centre opérationnel de la BSPP, auquel la police est déjà intégrée puisque c’est un centre « 17-18 », va accueillir aussi les associations agréées de sécurité civile et, pour la première fois – c’est une révolution –, des équipes du Samu ainsi que des officiers de liaison des SDIS de la grande couronne. Le principe est que, pour ce qui concerne le secours santé, le centre reporte vers l’échelon zonal, à la préfecture de police. Il joue un rôle de renseignement et, en cas de crise à Paris ou en petite couronne, assure son rôle de commandement et veille au maintien de la couverture opérationnelle. Ce n’est pas encore un centre « 15-17-18 », comme celui qu’appelait de ses vœux le Président de la République en 2017, mais il accueille une division santé comptant soixante-quinze médecins et entretient des liens très forts avec les quatre Samu de la petite couronne. En intégrant un assistant de régulation médicale (ARM) et un médecin du Samu de Paris, il va franchir une nouvelle étape dans la coordination interservices.

Enfin, en plus des contacts que j’ai moi-même avec le ministère des armées, un officier de liaison de l’opération Sentinelle rejoint le centre opérationnel de la BSPP lors des grands événements, afin d’assurer la transmission d’informations dans les deux sens.

M. Serge Boulanger. Au cours des quarante années que j’ai passées au ministère de l’intérieur, j’ai vécu un certain nombre de réformes de l’État, ainsi que les vagues de décentralisation. Fort de cette expérience, je pense que notre organisation répond aux enjeux et aux exigences liées aux grands événements, quels qu’ils soient, qui se déroulent sur le territoire français – même si le dispositif doit sans doute faire l’objet de légères adaptations. Le rôle du préfet de police en tant que coordonnateur, pilote et chef des services de l’État au niveau local, au côté des préfets de département, prend toute son importance. Sa capacité à mobiliser les collectivités locales et le secteur associatif est essentielle également. Il a développé des relations avec l’ensemble des autorités judiciaires de la région – les deux procureurs généraux et chacun des procureurs de la République – au sein d’un comité de pilotage sécurité-justice, mais aussi avec la direction générale de l’ARS, avec les sapeurs-pompiers de la BSPP et des SDIS, avec les secouristes et, pour les problématiques de sécurité publique, avec les CRS, les gendarmes et la police. Quant aux collectivités locales, elles sont, elles aussi, très impliquées dans l’organisation des JOP, mobilisant leurs polices municipales et leurs services techniques.

Ce dispositif fonctionne. Il nécessite une immense implication de la part de chacun d’entre nous, car il faut penser à tout et travailler de façon collective. Le bilan que nous ferons à l’issue des Jeux démontrera certainement que ce n’est pas un big bang qui sera nécessaire, mais plutôt des améliorations – par exemple, une approche par périmètre plutôt que par site, s’agissant des associations de secouristes. Nous y travaillons d’ores et déjà avec le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. Il est plus facile d’évoquer une mobilisation de 100 % des moyens durant l’été lorsque l’on a pour interlocuteur le général Dupré la Tour que lorsque l’on discute avec quatre directeurs départementaux de SDIS, l’État n’étant pas l’employeur des sapeurs-pompiers. Il y a donc des pistes d’amélioration et, le moment venu, nous pourrons faire évoluer notre organisation, tant sur le plan humain que sur le plan matériel.

M. le général Joseph Dupré la Tour. La deuxième partie de la question du rapporteur portait sur la population. À la suite des attentats du 13 novembre 2015, nous avons mis en place une formation de deux heures aux gestes qui sauvent, dont nous organisons régulièrement des sessions, en lien avec les communes. Il faut avouer, néanmoins, que la dynamique s’essouffle un peu. Avec la mairie de Paris, nous prévoyons de former les volontaires des Jeux et, à plus long terme, nous travaillons à l’ouverture d’un centre dédié à la résilience de la population. Les publics scolaires et les adultes y seraient formés aux gestes qui sauvent et sensibilisés aux risques domestiques. Nous avons pu constater, lors de nos voyages, que les pays asiatiques étaient très en pointe sur ce sujet.

M. Thierry Mosimann. Notre modèle de sécurité civile repose sur la juxtaposition d’une force professionnelle et de volontaires, lesquels sont présents de façon très inégale selon les départements. Or, ce sont les volontaires qui nous permettent de couvrir l’ensemble du territoire, notamment les zones rurales dépourvues de professionnels, et de tenir dans la durée : lorsque l’on doit faire face à des inondations durant trois semaines, par exemple, on fait appel aux volontaires partout dans le département. Il serait intéressant de faire des Jeux de Paris un moment de célébration de l’engagement : j’aimerais que, de la même façon que l’on observe traditionnellement une augmentation du nombre de nouveaux licenciés dans les clubs de sport après les Jeux, on puisse constater une augmentation du nombre de volontaires dans les SDIS – à condition de bien les accueillir, pour qu’ils ne repartent pas un an plus tard !

S’agissant de ce que l’État pourrait retirer des Jeux, j’ai déjà évoqué dans mon propos introductif la CIC 2.0, l’instauration d’un Centre national de commandement stratégique pérenne en dehors des périodes de crise, la possibilité de remédier de façon structurelle aux angles morts en tirant parti des coordinations mises en place et, enfin, la cartographie des risques.

S’agissant de la résilience de la population, il conviendrait, selon moi, de donner plus d’écho à la Journée nationale de la résilience, instaurée récemment, et d’amplifier les actions organisées à cette occasion. Soyons clairs, au début, cela ennuie tous les services concernés ! Néanmoins, des actions très intéressantes ont été menées : des responsables d’entreprises classées Seveso sont allés parler du risque dans des écoles, par exemple. Pour améliorer la résilience de la population, rien de tel que de l’informer à l’occasion de moments symboliques, en veillant à associer les écoles.

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous vous remercions pour votre temps et pour ces échanges très riches, comme d’habitude. N’hésitez pas, si vous ne l’avez pas déjà fait, à répondre par écrit au questionnaire ou à nous envoyer toute autre information, en lien avec le sujet de notre mission, que vous jugeriez utile de nous transmettre.

M. le général Joseph Dupré la Tour. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, messieurs les députés, si vous souhaitez visiter le centre opérationnel de la BSPP, vous êtes les bienvenus !

M. Serge Boulanger. Le général m’a devancé ! Vous êtes également les bienvenus à la préfecture de police pour découvrir les différentes salles de commandement. Ce sera pour nous l’occasion de montrer que nous sommes une grande maison ouverte et, pour vous, l’opportunité de percevoir la réalité d’une salle où sont prises les décisions en matière de circulation, de sécurité publique et de secours.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci de votre invitation. Les déplacements participent de l’acculturation des citoyens que nous sommes au risque, et nous permettent de mieux débattre ensuite de ces sujets.


France nature environnement

Compte rendu de l’audition de M. Thierry Hubert, président Île-de-France, M. Guillaume Blavette, membre du réseau énergie, et Mme Malou Boisson, chargée des risques naturels de France nature environnement.
(jeudi 25 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Bonjour à tous, et bienvenu. Pour mémoire et sauf erreur de notre part, France nature environnement (FNE) a été fondée en 1968 afin d’agir pour la protection de la nature et de l’environnement, puis a été reconnue d’utilité publique en 1976. Elle regroupe aujourd’hui une équipe fédérale composée de 180 bénévoles et 45 salariés, et réunit plus de 47 associations.

Notre mission, qui a débuté ses travaux au mois de septembre et a souhaité partir du terrain, a déjà entendu les représentants des élus, ceux des professionnels et des volontaires, des experts et les associations agréées de sécurité civile, notamment ; votre audition vient utilement compléter nos travaux sur les liens entre enjeux environnementaux et sécurité civile.

Nous avons tenu plusieurs tables rondes et organisé des déplacements à la suite de catastrophes naturelles ou industrielles survenues récemment en Gironde (feux de forêt, notamment à l’été 2022), en Seine-Maritime (incendie de Lubrizol) ou dans les Alpes-Maritimes (tempête Alex). Votre regard sur elles nous intéresse, car il s’agit de cas concrets, et il nous semble que le dérèglement climatique pourrait conduire à des crises plus fréquentes mettant à l’épreuve notre sécurité civile.

Vous pourrez bien sûr nous présenter les moyens et les actions menées par votre association, ainsi que son rôle et son regard en matière de prévention et de réduction des risques environnementaux. N’hésitez pas non plus à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système de protection et de sécurité civile et sur les possibilités de l’améliorer.

Notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire.

Cette audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée ; elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pouvez-vous présenter sommairement votre association, ainsi que la manière dont elle contribue à l’étude des enjeux environnementaux pouvant avoir des conséquences sur les risques pour la sécurité et la protection civiles ?

Mme Malou Boisson, chargée des risques naturels au sein de France nature environnement. Tout d’abord, merci de nous avoir conviés à cette audition. Sur ce sujet, le dialogue est très important, et nous y sommes très attachés. Il est toujours intéressant pour nous de venir défendre nos positions auprès du Parlement.

France nature environnement est la fédération des associations pour l’environnement en France : nous en fédérons plus de 6 000 – les 47 que vous avez mentionnées sont les associations nationales, mais il faut y ajouter des associations locales sur tout le territoire, hexagonal et ultramarin – et nous comptons plus de 900 000 militants.

Les grands leviers que nous actionnons sont la mobilisation citoyenne et le plaidoyer institutionnel ainsi que le contentieux juridique ; nous faisons aussi de la formation et de la sensibilisation en matière d’éducation à la nature et à l’environnement et nous sommes représentés dans des instances. Il s’agit par exemple, concernant les risques, du conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, de la commission mixte inondation (CMI) et de tous les comités de bassin qui traitent des programmes d’action pour la prévention des inondations. Nous sommes également présents au sein d’instances plus locales, partout sur le territoire, comme les comités locaux d’information sur les risques industriels ou les commissions locales de l’eau.

Notre fédération s’appuie sur des expertises scientifiques. Nous comptons parmi nos associations adhérentes de nombreuses sociétés savantes. Nous sommes également porteurs d’une expertise citoyenne de terrain. Nous plaidons notamment pour l’utilisation et la valorisation des solutions fondées sur la nature : il s’agit de s’appuyer sur les écosystèmes et sur les services qu’ils nous rendent pour traiter des risques naturels. Par exemple, les zones humides, capables de stocker le carbone et d’épurer l’eau, sont nos meilleures alliées dans la lutte contre les inondations et les sécheresses.

M. Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement. J’ajoute que la fédération et toutes les associations peuvent être, et sont la plupart du temps, des interlocuteurs pour les institutions et qu’elles sont en contact avec la population.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelles sont selon vous les conséquences actuelles et prévisibles du dérèglement climatique sur la survenue de situations ou d’événements (sécheresse, incendies, inondations, tempêtes…) pouvant occasionner des crises pour nos services de sécurité et de protection civiles ?

M. Thierry Hubert. Je parlerai plus spécifiquement des risques et catastrophes naturels, et je laisserai Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement, développer la question des risques industriels.

Le dérèglement climatique est constaté depuis très longtemps par des associations qui en observent les impacts sur les milieux naturels, y compris localement, et les conséquences en matière de dégradation des systèmes environnementaux et des écosystèmes. Il est certain que le dérèglement climatique va induire des phénomènes climatiques plus violents et plus fréquents. C’est sur la résilience des territoires et sur la prévention qu’il faut agir : en matière de catastrophes naturelles, l’action ne peut pas venir uniquement des services de sécurité et de protection.

L’aggravation du changement climatique se traduit localement par la sécheresse, des incendies de forêt plus nombreux, des tempêtes inattendues et compliquées. Celles-ci sont observées depuis plusieurs années – nous pourrons reparler de Xynthia – et ont provoqué sur le littoral d’énormes conséquences, notamment des inondations littorales qui ont fait des victimes.

Les événements sont de plus en plus concentrés et violents. Auparavant, on pouvait espérer que, dans un environnement global à peu près équilibré, la nature régule les choses. Aujourd’hui, les différentes expertises, dont celles du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le disent : on assiste à des phénomènes inattendus, inconnus, qui surprennent non seulement par leurs conséquences, mais également lors de la crise que doivent gérer les services de sécurité et de protection. Les températures sont plus élevées, les inondations plus abondantes ; il n’y a peut-être pas plus d’eau de manière générale, mais les concentrations sont plus fortes, et peuvent provoquer des catastrophes même dans des zones qui ont connu des sécheresses : l’eau qui tombe sur des sols durs ruisselle directement dans des cours d’eau vite débordants, vu l’intensité des phénomènes, ce qui entraîne de très graves conséquences pour les villes et les villages, d’autant plus importantes quand les sols sont artificiels.

Les inondations actuelles dans le Nord n’ont pas encore été complètement analysées. Toutefois, on peut observer que la probabilité de dommages dépend de l’endroit où l’eau tombe – présence de biens, de villes – et du fait d’avoir ou non organisé le territoire en conséquence.

L’intensité de ces événements, si elle augmente, peut causer encore plus de dégâts aux biens, mais aussi accroître le nombre de victimes dans la population.

Tout cela nécessite de la prévention, pour que les secours puissent anticiper les événements.

Je reviens au littoral et à l’exemple de Xynthia. Cette tempête a entraîné les 27 et 28 février 2010 des montées des eaux et des submersions, en lien avec d’importants phénomènes de tempête qui ne se sont jamais reproduits ; plusieurs événements naturels s’étaient combinés. L’organisation des activités humaines doit absolument prendre en compte de tels événements. En l’occurrence, on avait construit dans une zone inondable en ne prévoyant pas une protection suffisante. L’événement, qui a dépassé les références en matière d’inondation, a fait 53 victimes, dont, à cause de la rupture d’une digue, 29 dans la seule commune de La-Faute-sur-Mer, sur un littoral pourtant protégé. Les juges ont eu l’occasion de traiter cette affaire.

Bref, les conséquences peuvent être graves ; nous en sommes conscients ; les associations le constatent et peuvent essayer d’apporter des solutions pour tenter d’atténuer ces conséquences.

M. Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement. En ce qui concerne le trait de côte, les services de l’État et les élus en Seine-Maritime sont dans l’embarras, car nos falaises patrimoniales – dont celles d’Étretat, classée au patrimoine mondial de l’humanité – sont en péril. Les effets du changement climatique percutent l’ensemble des politiques publiques et nous invitent à créer des solutions innovantes. C’est pour cette raison que le conseil régional de Normandie a créé un Giec normand, afin que scientifiques, associations et élus réfléchissent à des solutions adaptées. Personne ne possède en propre la solution : c’est par le dialogue environnemental que l’on avancera. Nous ne pouvons donc que vous inviter à regarder les bonnes pratiques en vigueur dans les territoires.

Par ailleurs, j’aimerais appeler votre attention sur les risques sanitaires. Le changement climatique entraîne des catastrophes, mais pose aussi des problèmes durables et très difficiles à gérer. Les épisodes de fortes chaleurs, l’été, accroissent la pollution de l’air dans les aires urbaines ; élus et préfets ne savent pas comment concilier activité économique et santé publique.

Je vis à Rouen, la ville de France où se trouve le plus gros service de pneumologie dans un CHU (centre hospitalier universitaire) ; nous sommes confrontés au problème des pollens, insoluble, qui affecte l’ensemble de la chaîne de soins, laquelle est pour le moins tendue. Cela pousse le corps médical à changer ses pratiques. Nous nous efforçons d’éduquer les gens à ces risques pollen, mais il s’agit d’un défi, car nous ne le faisions pas auparavant. Nous essayons de progresser vers l’élaboration de bonnes pratiques.

Je suis très heureux que le Parlement s’empare de ces questions, car c’est ensemble que nous trouverons les réponses adéquates.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les services de sécurité et de protection civiles vous semblent-ils suffisamment formés aux enjeux environnementaux et climatiques actuels et futurs ?

M. Guillaume Blavette. J’ai vécu de près l’accident de Lubrizol. Je vous invite à consulter à ce sujet le rapport de la mission d’information présidée par M. Damien Adam et celui de la commission d’enquête présidée par M. Hervé Maurey au Sénat. Il en ressort que, face à des événements de grande ampleur, très localisés, il faut souvent aller chercher des moyens à plusieurs dizaines, voire à plusieurs centaines de kilomètres. J’ai siégé très longuement au CoDERST (conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques) ; je reconnais la compétence de ses membres et leur conscience aiguë des enjeux, notamment chez les représentants des SDIS (services départementaux d’incendie et de secours), mais ils n’ont pas nécessairement les moyens d’intervenir. Le financement des SDIS est un problème majeur. La question de leur capacité à instruire des dossiers se pose également.

Parmi les risques industriels connus, celui que représentent les grands entrepôts a fait sensation dans mon territoire. Le SDIS a eu des difficultés pour instruire ce dossier, et son avis n’a été pleinement pris en compte que lorsque le président de la métropole a repris ses arguments, face à une préfecture qui cherchait à octroyer des autorisations pour le moins surprenantes.

L’État peut se féliciter d’avoir des agents experts et conscients de leurs tâches, mais ils n’ont pas toujours les équipements requis. Les problèmes de lutte contre les feux de forêt et les inondations montrent les difficultés d’une intervention efficace pour secourir les biens et les personnes.

M. Thierry Hubert. Les services de sécurité ont des formations très spécifiques, notamment dans le secours aux personnes, et disposent de matériels solides qu’ils maîtrisent très bien ; mais ils ne connaissent pas précisément tous les territoires, et leurs évolutions actuelles ne sont pas propices à un tel savoir. La connaissance de l’environnement et des cycles naturels n’est pas leur force. Ils sont très intéressés par ces sujets, notamment lorsqu’ils sont confrontés à des dommages aux biens dus à une non-prise en compte des milieux et des phénomènes naturels – inondations, mouvements de terrain sur le littoral ou le long des cours d’eau –, mais ils ne peuvent pas en devenir des spécialistes. Les scientifiques, les sociétés savantes locales, les travaux conduits dans les zones à risque sont donc indispensables à cette connaissance du territoire.

En ce qui concerne le changement climatique, ces services ont certainement aussi besoin d’une formation et sont très preneurs de solutions, mais ce ne sont pas eux qui peuvent les inventer.

Le point de vue que nous défendons au nom des associations et que nous tenons à souligner devant vous est que la prévention est indispensable à l’efficacité des services de sécurité et de protection.

Enfin, il ne faut pas oublier les effets complexes de la combinaison de différents phénomènes. Par effet domino, un phénomène naturel entraîne des conséquences sur des installations industrielles. L’exemple de Fukushima parle de lui-même. En France aussi, nous avons des installations implantées sur le littoral, la centrale nucléaire du Blayais est au bord de la Gironde, et des industries sont installées depuis très longtemps dans des vallées, donc exposées au risque d’inondation ou de mouvement de terrain. Dans ce contexte, une connaissance croisée et multirisques est souvent utile aux services d’intervention comme aux décideurs et aux populations.

M. Didier Lemaire, rapporteur. France nature environnement cherche-t-elle à sensibiliser la population aux différents risques que vous décrivez ?

M. Thierry Hubert. Comme l’a dit Malou Boisson, c’est en effet l’un de nos rôles. France nature environnement et toutes ses associations disposent d’une documentation sur la nature, le fonctionnement des écosystèmes et différents aléas – crues, inondations, autres phénomènes géologiques. Les associations peuvent l’approfondir et l’appliquer au niveau local.

La sensibilisation passe par des réunions, des interventions à la demande ou par des initiatives des collectivités. La fédération développe des programmes de formation et est disponible pour aider à la diffusion de ces connaissances.

Mme Malou Boisson. France nature environnement ne fait pas de sensibilisation aux gestes qui sauvent en cas d’inondation, par exemple. Notre action porte sur la nature et l’environnement ; il s’agit d’éducation à la nature.

Parce que nous croyons que la prévention – pour prendre l’exemple des inondations – passe par les solutions fondées sur la nature, nous insistons sur les moyens de rendre le territoire résilient : le rôle des zones humides, des mares, le fait que l’enjeu est de retarder l’eau, de laisser le lit de la rivière suivre son cours en respectant les méandres, en supprimant les canaux, en favorisant la pousse de la végétation et la désartificialisation des sols. Nous sensibilisons à ce que les écosystèmes permettent de faire pour prévenir les risques. C’est aussi une occasion de parler de ces derniers : sensibiliser la population à ces aspects et à sa propre capacité d’action sur les jardins et les paysages, par exemple en créant davantage de haies, appelle son attention sur les risques propres au territoire où elle vit. C’est important pour sa sécurité.

M. Thierry Hubert. La fédération régionale FNE Île-de-France a mené des travaux avec l’établissement public territorial de bassin Seine Grands Lacs, qui s’occupe des lacs-réservoirs. Les points de vue étaient au départ opposés. FNE considère que les ouvrages ne suffisent pas à traiter tout un bassin ; Seine Grands Lacs l’a reconnu et a beaucoup évolué. Cet établissement dispose d’ailleurs d’experts qui comprennent très bien cette idée de solutions fondées sur la nature. Nos réflexions et les exemples de terrain que nous leur avons donnés montrent qu’il vaut mieux, par exemple, protéger les zones d’expansion de crue que canaliser ou réaliser des ouvrages très lourds.

Vous connaissez sans doute le gros différend à propos de la zone de La Bassée. Seine Grands Lacs a cherché à atténuer autant que possible les effets des travaux sur la réserve naturelle ; mais la solution des pompages n’a pas convaincu les associations.

M. Guillaume Blavette. L’État, les régions, les départements ont fait de gros efforts depuis au moins une décennie en matière d’éducation à l’environnement et au développement durable : ainsi, il y a maintenant des éco-délégués dans les établissements scolaires. Je suis professeur et je peux témoigner que beaucoup de choses ont été faites, en partenariat avec des associations comme FNE, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ou des associations locales. Le niveau de connaissances des élèves comme des collègues a beaucoup progressé.

Mais il y a un parent pauvre : l’éducation au risque. On peut en prendre la mesure avec un exemple : chaque établissement scolaire dispose d’un plan particulier de mise en sûreté (PPMS), mais c’est un peu n’importe quoi. Je le dis depuis mon point de vue associatif : les gens, jusqu’aux personnels de direction, ne voient pas pourquoi on fait cela, ne comprennent pas les mesures envisagées. On évoque souvent l’exemple japonais ; à l’inverse, il nous manque une vraie démarche publique qui rassemble notamment les SDIS, les associations, les SIRACEDPC (services interministériels régionaux des affaires civiles et économiques de défense et de la protection civile) et les DREAL (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement), pour élever le niveau de compréhension des événements et ensuite amener les gens à développer de bonnes pratiques.

Je vous renvoie encore vers les différents rapports sur l’incendie de Lubrizol : je peux en témoigner, c’était la panique, les gens ne savaient pas ce qu’ils devaient faire. Il y a eu des mises en danger et, pire encore, de grandes différences dans les actions de l’État et des élus. Certains, plus au fait des sujets environnementaux et industriels, ont pris immédiatement les bonnes mesures – quelle que soit leur sensibilité politique : je remercie la maire de Mont-Saint-Aignan d’avoir immédiatement fermé les écoles ; elle n’est pas du tout écologiste, mais elle a le sens de l’État et savait devoir protéger ses concitoyens. Dans la commune d’à côté, les enfants faisaient la queue devant leurs écoles sous le nuage polluant.

Beaucoup d’idées ont été proposées, par exemple par des organismes comme l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), par des associations, par exemple à Grenoble. Il existe bien des experts du risque technologique, mais malheureusement cette culture ne se répand pas. Quand les préfets élaborent les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), on dirait qu’ils craignent que la diffusion des préconisations des experts et des associations n’inquiète la population. C’est le contraire ! La population est intelligente, elle a le souci de ses enfants et le droit de savoir. Notre pays a une marge de progression importante dans ce domaine.

En ce qui concerne plus spécifiquement le nucléaire, je veux citer le comité directeur pour la gestion post-accidentelle d’un accident nucléaire (Codirpa), qui se réunit depuis 2005 sous la présidence de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – c’est une garantie de sérieux. Je regrette que ses préconisations ne soient pas suffisamment prises en considération.

La culture du risque, qu’il s’agisse des risques industriels ou naturels, n’est donc pas assez diffusée. Je l’ai vu dans mon territoire, il y a des élus qui ne savent pas quoi faire lorsqu’il y a des pluies diluviennes. Bien sûr, certains – comme Christophe Bouillon à Barentin – savent accompagner la population. Mais les inégalités demeurent trop grandes : les retours d’expérience ne sont pas faits, les bonnes pratiques pas assez valorisées.

Vous pouvez compter sur FNE pour élever le niveau de connaissance et de compréhension des risques par la population en général comme par les services de l’État.

M. Thierry Hubert. Nous sommes à votre disposition pour vous exposer la multitude d’expériences qui existent en matière de formation et de sensibilisation. Il y a une grande expertise en ce domaine.

M. Didier Lemaire, rapporteur. L’acculturation est un sujet majeur pour notre mission d’information. Comment remédier à ce déficit de culture du risque ? Quelles actions de sensibilisation menez-vous, auprès des citoyens comme des élus ?

M. Thierry Hubert. Nous avons mis en place des programmes de sensibilisation pour les citoyens, en particulier pour nos adhérents. Dans la foulée de nos échanges avec Seine Grands Lacs, des actions ont été menées en direction des associations, à l’échelle départementale : nous avons ouvert les journées que nous organisions à tous ceux qui souhaitaient y assister. Il est difficile d’aller plus loin dans la sensibilisation sans s’appuyer sur d’autres partenaires. Des actions d’information du public sont en particulier conduites à l’initiative des élus.

Quelques associations s’occupent spécifiquement de formation aux risques. C’est le cas notamment des organisations des personnels de secours et de sécurité, comme les pompiers. Il y a un enjeu énorme : le rapprochement des formations, notamment pour des formations diplômantes. Il arrive aux associations d’être sollicitées pour intervenir dans ces cadres. Il existe un organisme de formation spécialisée, l’Institut de formation de l’environnement (Ifore), qui fait intervenir des experts, mais ses actions pourraient être plus développées. Il travaille avec différents partenaires et organise des formations avec France nature environnement dans tous les départements, dans tous les secteurs.

Nous devons nous demander comment cibler particulièrement les secteurs à risque élevé, ceux où des catastrophes naturelles graves peuvent survenir. Il faut non seulement informer sur les phénomènes naturels, mais aussi faire intervenir les services de sécurité et de protection, qui insistent sur l’importance de réduire le risque à sa source afin de faciliter leurs interventions. On l’a vu récemment dans le Nord : dans certains cas, les pompiers peuvent secourir, mais une fois que les dégâts sont là, il ne reste parfois plus qu’à déplacer les personnes.

Il est donc essentiel de dialoguer, d’échanger des informations, de mettre en place des formations communes.

Les institutions évoluent énormément sur ces sujets. Ainsi, à l’échelle des bassins, les programmes d’action pour la prévention des inondations (PAPI) permettent aux associations d’être associées aux réflexions. La commission mixte inondation accorde des financements spécifiques et les associations sont parfois invitées à présenter leurs réflexions. Dans ce cadre, nous avons demandé un dialogue entre les parties prenantes locales à propos des projets de prévention, qui visent à réduire les risques, donc à faciliter l’intervention des services de secours.

M. Guillaume Blavette. France nature environnement n’a pas de moyens spécifiquement dédiés à la sensibilisation et à l’information. Nous sommes une association agréée, et nous effectuons les missions pour lesquelles nous sommes financés. C’est un enjeu.

Nous contribuons à l’éducation, à la formation et à la sensibilisation dans le cadre des instances auxquelles nous participons.

Je pense en particulier aux commissions de suivi de site, qui comprennent en particulier des installations classées Seveso seuil haut : souvent, les responsables associatifs y sont très assidus, et insistent auprès des agents de l’État et des industriels sur l’adoption de bonnes pratiques. À Rouen, après l’incendie de Lubrizol, nous avons ainsi mis en place avec la chambre de commerce et d’industrie (CCI) un système appelé Allô industrie, qui permet à tout un chacun de disposer d’une information rapide et claire sur les événements survenus dans les industries du secteur – et, à Rouen, vous imaginez bien qu’ils ne sont pas rares.

L’un des gros travaux des commissions locales d’information (CLI), qui concernent le nucléaire – j’ai longtemps siégé à la CLI Paluel-Penly –, c’est justement la sensibilisation des élus, la préparation de périodiques, l’accompagnement de distribution de pastilles d’iode. La dernière distribution y a été ratée par l’exploitant nucléaire ; cela a été reconnu, et c’est l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) et les CLI qui sont venues à la rescousse, pour permettre à tout un chacun de disposer de ces substances indispensables en cas d’accident majeur.

Je voudrais enfin citer les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI). Ce sont les lieux d’échange et de débat pluraliste les plus intéressants pour développer les bonnes pratiques. Je vous invite à regarder le retour d’expérience dans le secteur du Havre ou dans le Nord de la France : certains S3PI fonctionnent vraiment bien. Ils n’existent malheureusement pas partout ; ainsi, à Rouen, en dépit de la catastrophe marquante de Lubrizol, nous n’en avons toujours pas. Il nous manque, de ce fait, un outil réglementaire d’information et de sensibilisation du public, mais aussi de dialogue entre la société civile et les exploitants. Or, sans dialogue, la population n’est pas rassurée. On touche là à la question de l’acceptation des risques technologiques.

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous connaissons mal les S3PI, pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Guillaume Blavette. Au Havre, chaque trimestre, nous rencontrons les industriels pour faire un état des lieux de ce qui se passe dans les installations ; ils nous présentent les réponses qu’ils apportent aux sollicitations de l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), et nous abordons cette question de l’information du public et de la prévention : comment favoriser les bonnes pratiques, mais aussi comment amener les gens à considérer les événements à leur juste mesure. Ainsi, le dégazage d’une raffinerie peut être extrêmement impressionnant, mais ce n’est pas grave. Dans le S3PI, l’industriel n’est pas seul à prendre la parole : on parle à trois voix, les associations expertes des risques technologiques, l’industriel et les services de l’État. Au Havre, Atmo Normandie, l’observatoire de la qualité de l’air, présente également la réalité des impacts et d’éventuels dépassements de seuils.

Le public attend des informations claires ; il n’aime pas qu’on lui mente ou qu’on lui présente des données qu’il ne considère pas comme robustes. De ce point de vue, beaucoup de choses pourraient être perfectionnées, en s’appuyant sur des expériences locales – je pense notamment aux amis de l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer, qui ont permis d’avancer vers de meilleures pratiques.

L’excellence environnementale est un argument concurrentiel pour les industriels français : montrer qu’ils savent bien gérer leurs impacts, informer, mener des concertations, établir des relations de confiance avec les riverains, c’est quelque chose qui est très valorisé. On ne peut pas traiter tous les industriels de la même manière.

Mme Malou Boisson. Concrètement, nous avons réalisé un ensemble de fiches intitulées « Que peut faire ma commune ? », dont trois concernent spécifiquement les risques : « Limiter les risques de submersion marine », « Lutter contre les inondations » et « Préserver des forêts résilientes ». Chacune de ces fiches tient en une feuille recto-verso et présente, à destination principalement des élus, des solutions concrètes, très principalement fondées sur la nature et qui permettent d’agir en amont, de prévenir : comment lutter contre le ruissellement en désimperméabilisant les sols, par exemple. Elles sont accessibles sur notre site internet, je vous ferai parvenir le lien.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci. C’est très intéressant en effet.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez insisté sur l’acculturation. Vous inspirez-vous d’autres pays, si c’est possible ? Connaissez-vous leurs démarches ?

M. Thierry Hubert. L’exemple français est très regardé par nos voisins, même si nous ne sommes pas absolument exemplaires. Les échanges avec les pays d’Afrique et du pourtour de la Méditerranée sont nombreux. L’expertise française est bien considérée.

Guillaume Blavette citait le Japon, qui a une grande culture du risque, notamment sismique. Les populations vivent avec ces phénomènes, les connaissent, s’entraînent.

Le système anglais est très naturaliste, insistant sur la préservation des milieux naturels. Ces pratiques sont tout à fait intéressantes pour nous.

On peut citer aussi les îles et les pays à grands littoraux, et même les États-Unis, avec lesquels nous échangeons. Il y a eu des inondations à La Nouvelle-Orléans et à Manhattan. On s’est aussi rendu compte des dangers de la destruction des mangroves, notamment dans les Antilles – c’est intéressant pour nos outre-mer. Tout cela a amené des évolutions importantes. Leurs actions ne sont pas forcément exemplaires, mais la prise de conscience est bien réelle et peut nous apprendre des choses.

Les points de convergence sont toujours les mêmes : il faut beaucoup de dialogue, une information bien diffusée, une acculturation. Informer les populations d’un risque d’accident, ce n’est pas faire preuve de catastrophisme ! Pourtant, dans notre pays, certains ont peur d’informer les populations. Mais les populations les plus réactives sont celles qui sont le mieux informées des risques auxquels elles sont exposées, celles qui savent si le risque vient et qui s’y sont préparées. On peut regretter, bien sûr, l’exposition à un risque, mais il doit toujours être connu pour pouvoir réagir. Ainsi, en région parisienne, on sait que l’inondation de 1910 peut se reproduire, une information est donnée. Certains territoires ne sont pas assez résilients et l’information doit porter aussi sur ce point.

S’agissant de résilience, les autres pays s’en préoccupent aussi. Aucun n’est exemplaire, mais il y a une importante coopération, même si nos territoires sont très différents les uns des autres. En matière d’inondations, nous avons ainsi beaucoup à apprendre du système hollandais et de leur culture très particulière des polders, comme ils peuvent apprendre de nous comment se protéger sans nécessairement se lancer dans la réalisation de très grands ouvrages. De la même façon, pour le littoral, nous pourrons consulter les Anglais, pour les séismes, les Japonais. Encore une fois, il n’y a pas une seule politique de prévention et de secours.

En matière d’incendies de forêt – sujet important, dont je vois que nous n’aurons pas le temps de l’aborder –, il y a de grandes discussions entre les différents pays. Les pays de l’Est préparent principalement des interventions d’équipements lourds, notamment des avions ; la France est organisée différemment, avec deux systèmes, le système provençal et le système aquitain – même si nous faisons aussi appel aux équipements lourds.

M. Guillaume Blavette. La France est un modèle au niveau international : beaucoup de pays nous regardent, en particulier dans le domaine du nucléaire. Après l’accident de Fukushima, M. Naoto Kan, Premier ministre du Japon, a reconnu l’excellence de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans la gestion de crise et l’information du public. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.

Il y a des expériences très intéressantes à l’étranger, par exemple en matière de protection de l’air, comme en Espagne avec les supermanzanas, des dispositifs très souples. FNE les a recommandés aux services de l’État, mais ceux-ci ont préféré les zones à faibles émissions – dont on voit bien qu’elles ne sont pas bien acceptées. Les exemples existent, les associations les connaissent, mais les services de l’État doivent nous entendre. Seul un dialogue dans la durée le permettra.

Mme Malou Boisson. Il y a beaucoup de bonnes idées en France, beaucoup de belles initiatives ; mais il faut leur donner assez de temps et de moyens pour se développer. Ainsi, pour nous, pour lutter contre les inondations comme contre les sécheresses, la clef, ce sont les sols : il faut réfléchir aux questions de ruissellement, d’infiltration et de stockage de l’eau dans le sol. À cet égard, le dispositif Zéro artificialisation nette est essentiel, car c’est en luttant contre l’artificialisation et en désartificialisant que nous aurons moins d’inondations et que les sols seront nos alliés pour lutter contre les sécheresses. Il nous paraît indispensable de le suivre et de le soutenir.

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Je vous remercie. N’hésitez pas à nous écrire pour nous apporter toute information complémentaire que vous jugerez utile.


Office national des forêts

Compte rendu de l’audition de Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale, et M. Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l’Office national des forêts (ONF)
(jeudi 25 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l’Office national des forêts (ONF), qui est accompagnée par M. Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels, et par M. Guillaume Peghaire, chef du département risques naturels à l’ONF.

La semaine dernière, en recevant Mme la sénatrice Nathalie Delattre, nous sommes revenus sur les très graves incendies qui ont frappé la Gironde au cours de l’été 2022. Lorsqu’on évoque le rôle de l’ONF dans la sécurité civile, c’est spontanément la lutte contre les incendies qui vient à l’esprit. Cette mission n’est pourtant que l’arbre qui cache la forêt, pour le dire ainsi, puisque votre établissement assume, plus largement, un rôle essentiel dans la prévention des risques naturels et la sensibilisation du public à ces enjeux. Il déploie en outre ses activités dans des situations et des environnements très différents, de la montagne aux zones littorales en passant par les territoires ultramarins.

Madame la directrice générale, nous sommes très désireux d’entendre vos analyses et vos éventuelles recommandations pour améliorer le cadre dans lequel l’ONF intervient, ses moyens pour prévenir les feux de forêt, ou encore la coordination entre ses agents et les autres acteurs intervenant en matière de protection et de sécurité. Cela nous permettra de compléter, sous cet angle spécifique, le vaste paysage de la sécurité civile que notre mission d’information, créée à l’initiative du groupe Horizons et composée de 25 députés appartenant à tous les groupes politiques, découvre depuis septembre.

Cette audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée. Elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Madame la directrice générale, pourriez-vous nous présenter l’Office national des forêts, en rappelant les principaux traits de son organisation, ses missions, ses moyens et les budgets qui sont à votre disposition ?

Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l’Office national des forêts (ONF). Nous sommes heureux de pouvoir vous présenter notre action en matière de sécurité civile. L’ONF, créé en 1966, est un établissement public industriel et commercial placé sous la double tutelle du ministère de l’agriculture, en charge des forêts, et du ministère de la transition écologique. Sa mission principale, qui lui est confiée par la loi, est la gestion durable de la forêt publique – tant de la forêt domaniale, propriété de l’État, que des forêts publiques des collectivités locales, principalement des communes forestières. En métropole, cela représente 1,7 million d’hectares pour la forêt domaniale et 2,9 millions pour les forêts des collectivités locales. L’ONF est donc gestionnaire de ces 4,6 millions d’hectares, auxquels s’ajoutent 6 millions d’hectares en outre-mer, principalement en Guyane.

Aux termes de la loi, l’ONF gère ces forêts publiques sous l’autorité du propriétaire, qui est, dans le premier cas, l’État et dans le second, le maire. Le régime forestier couvre 1 300 forêts domaniales et 15 000 forêts des collectivités locales. Depuis sa création, l’ONF assume plusieurs missions fondamentales : la surveillance, la protection et la préservation des forêts, leur gestion durable en vue d’assurer leur transmission aux générations futures, ainsi que la production de bois, qui était historiquement destinée à approvisionner la filière – ce qui reste vrai – mais qui contribue aussi, aujourd’hui, à la neutralité carbone.

Le budget de l’ONF se compose de recettes propres, principalement le produit du domaine, c’est-à-dire le produit des ventes de bois, et d’autres produits comme ceux procurés par les conventions d’occupation temporaire du domaine ou la location de lots de chasse. D’autres ressources propres proviennent des activités de services exercées, au-delà du régime forestier, pour les collectivités locales. Les recettes propres représentent environ 60 % du budget annuel de l’établissement, qui est compris entre 750 et 800 millions d’euros en fonction de la vente de bois. S’y ajoutent, de manière croissante, les crédits de l’État.

Historiquement, le soutien de l’État a pris la forme du versement compensateur, qui a vocation à couvrir la plus grande part du coût engagé par l’ONF au service des collectivités locales – lesquelles perçoivent, en tant que propriétaires, le produit de la vente de leur bois. Peu à peu, le soutien des ministères de l’agriculture et de l’écologie s’est accru pour assurer le développement de missions d’intérêt général, qui sont de l’ordre soit de la préservation de la biodiversité, soit de la gestion des risques. Parmi ces dernières figurent bien sûr la défense des forêts contre les incendies (DFCI), mais aussi d’autres missions un peu moins connues et plus anciennes, qui sont également essentielles pour les territoires : la restauration des terrains de montagne et la gestion du littoral dunaire – au titre du risque historique éolien et, aujourd’hui, du risque de submersion marine. Ces missions d’intérêt général représentent respectivement 28 millions d’euros pour la DFCI, 14,5 millions pour le risque montagne et un peu plus de 2 millions pour la gestion des dunes sur le littoral. Ces missions nous sont commandées par l’État ; l’ONF est rémunéré pour le service qu’il fournit.

S’agissant de l’organisation, l’une des forces de l’ONF est son réseau territorial, qui est réparti selon plusieurs niveaux. Il existe, tout d’abord, l’échelon des directions territoriales. On en dénombre six dans l’Hexagone, qui couvrent peu ou prou le périmètre des régions administratives, mais qui vont parfois bien au-delà – par exemple, la direction territoriale Centre-Ouest-Aquitaine englobe les régions Nouvelle-Aquitaine, Bretagne, Centre et Pays de la Loire. La Corse abrite également une direction territoriale. Enfin, compte tenu de l’importance des enjeux forestiers et de biodiversité, des directions territoriales ou régionales sont présentes dans chacun des départements d’outre-mer, étant précisé qu’une délégation est située à Mayotte.

L’échelon suivant est constitué par les directions d’agence, qui sont environ une cinquantaine en métropole, soit en gros une agence pour deux départements – avec des disparités selon la répartition de la surface forestière publique : nous avons deux agences dans les Vosges et, parfois, une seule pour quatre départements. Au sein du périmètre des agences, nous avons conservé un maillage au plus près des attentes des élus, grâce à nos 310 unités territoriales, qui représentent un peu plus de 3 000 personnes.

J’en viens à la contribution de l’ONF aux missions de sécurité civile, au sens large. En cas de sinistre grave dans les milieux forestiers qui nous sont familiers et qui sont placés sous notre gestion, nous pouvons bien sûr nous porter volontaires pour répondre aux demandes des pouvoirs publics concernant les opérations de secours ou de remise en état. L’ONF peut participer, sur réquisition ou mise à disposition, à plusieurs types d’opérations : construction d’infrastructures, rétablissement ou dégagement de lignes électriques ou de voies ferrées, en l’absence d’accident. On parle là d’actions non essentielles à la sécurité des personnes. Mais l’intervention principale de l’établissement se fait par la conduite des missions d’intérêt général – DFCI, risque montagne et restauration des dunes – qui lui sont confiées par les ministères de l’agriculture et de l’écologie, en vertu de conventions quinquennales déclinées annuellement.

S’agissant de la DFCI, l’ONF assure quatre missions principales. La première, qui n’était pas dans notre cœur de cible au départ, a été singulièrement renforcée à la suite des incendies de 2022 : il s’agit du contrôle des obligations légales de débroussaillement. La deuxième est le déploiement de patrouilles de surveillance sur le terrain pendant la période estivale, pour détecter les comportements à risque ou identifier les zones à risque dans la forêt. La troisième mission est assurée par les patrouilles de première intervention, qui parcourent les massifs pour détecter un incendie naissant, le porter à la connaissance des autorités compétentes et, le cas échéant, essayer de l’éteindre. La dernière mission consiste à apporter une expertise et un appui à la coordination sous l’autorité des préfets.

La DFCI a été considérablement renforcée à la suite des incendies de 2022. L’État demande désormais à l’ONF d’étendre son action au-delà de la zone historique du Sud, en direction du Sud-Ouest et même de l’ensemble du territoire national. Les crédits de l’État qui y sont consacrés s’élèvent à 28 millions et l’ONF y affecte 385 équivalents temps plein (ETP) annuels. Les patrouilles assurent la surveillance des massifs, informent le public et délivrent des messages à des fins préventives. Les agents rappellent aux usagers de la forêt les règles de sécurité incendie, mènent des actions de détection et d’alerte et, in fine, s’ils ne peuvent faire autrement, verbalisent les contrevenants. La patrouille de première intervention, quant à elle, assure essentiellement la surveillance des massifs, détecte les feux naissants et, le cas échéant, donne l’alerte afin de prévenir leur extension.

M. Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l’ONF. L’existence de deux familles de patrouilles est liée à la stratégie française en matière de sécurité civile. Elle part du principe qu’il faut essayer d’éviter le départ de feu : c’est le rôle des patrouilles de surveillance qui, en parcourant le terrain, réduisent la probabilité que des gens mettent le feu par accident ou par imprudence. Si malheureusement un feu s’est déclenché, il faut intervenir le plus rapidement possible pour essayer de le tuer dans l’œuf : c’est le rôle des patrouilles de première intervention, qui sont équipées d’une réserve de 600 litres d’eau.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Le système français de protection et de sécurité civiles repose sur de nombreux acteurs, publics ou associatifs. Comment cela se traduit-il au regard des enjeux propres à la forêt ? Cette constellation vous semble-t-elle adéquate d’un point de vue opérationnel ? La répartition des compétences entre les acteurs est-elle suffisamment claire et pertinente ? À défaut, comment pourrait-on l’améliorer ?

Mme Valérie Metrich-Hecquet. Le système français de protection et de sécurité civiles repose certes sur de nombreux acteurs mais, dans le domaine forestier, la répartition des rôles est claire entre les acteurs de l’État et les acteurs territoriaux. L’ONF se positionne sur le segment de l’expertise technique, qui est particulièrement bien illustrée par notre action de restauration de terrains de montagne. Sur le plan opérationnel, nous nous inscrivons plus dans une perspective de prévention que de gestion du risque. L’ONF n’a pas de compétences particulières en matière de gestion des risques : il faut laisser cela à ceux dont c’est le métier.

Notre politique de prévention se décline sous la forme d’actions de surveillance et d’assistance à la maîtrise d’ouvrage ou à la maîtrise d’œuvre – particulièrement pour la restauration de terrains de montagne. En matière de prévention, nous répondons à la commande des ministères de tutelle. Nous travaillons de concert, en amont des crises, avec des organismes qui détiennent, eux aussi, une forte expertise technique : l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière), le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Nous nous répartissons les rôles en fonction de nos savoir-faire.

M. Albert Maillet. La direction générale de la prévention des risques (DGPR) a adressé, il y a deux ou trois ans, aux pools d’organismes travaillant sur ces questions des feuilles de route, qui désignent un organisme référent pour chaque risque. L’ONF a été identifié comme référent ou coréférent pour l’incendie de forêt, le risque torrentiel et le risque d’avalanche. En revanche, concernant le risque gravitaire – par exemple les chutes de blocs –  ou les inondations en plaine, nous contribuons seulement aux travaux.

Si nous sommes référents en matière de risque incendie, c’est parce que nous en avons une connaissance très intégrée, depuis l’expertise en amont jusqu’à l’intervention opérationnelle en aval. De surcroît, nous disposons d’un maillage territorial, en particulier en milieu rural, qui a peu d’équivalents, hormis chez les pompiers : les autres organismes constituent des structures d’expertise plus concentrées.

L’INRAE conçoit des modèles, des méthodes et des techniques destinés à évaluer le niveau de risque, que nous transformons en dispositifs d’alerte et de prévention opérationnels. Bref, nous les faisons passer de la théorie à la pratique. L’IGN, lui, intervient quand il faut porter les données relatives à l’incendie de forêt, ou à d’autres risques bien sûr, à la connaissance du citoyen et des élus – elles ont toujours partie liée à l’aménagement du territoire. L’interface avec l’IGN est précieuse, compte tenu de son expertise dans l’élaboration des cartes et dans les nouvelles technologies, à l’image de la télédétection, laquelle prend une importance croissante dans l’évaluation et le suivi des risques. Le BRGM et le Cerema, quant à eux, ont des compétences dans des domaines complémentaires des nôtres, en particulier pour les mouvements gravitaires, ce qui nous est utile pour évaluer les risques littoraux ou en montagne.

D’une manière générale, nous nous efforçons d’articuler au mieux nos compétences et d’éviter toute redondance. Et, pendant les périodes de crise, au cours desquelles nous intervenons à deux ou à trois, la complémentarité devient synergie pour apporter le meilleur conseil possible au demandeur – préfet ou élus.

Mme la présidente Lisa Belluco. Avez-vous des chiffres à nous communiquer au sujet de votre activité d’extinction des feux naissants ?

M. Albert Maillet. Les chiffres varient beaucoup d’une année à l’autre, d’abord parce que le nombre de départs de feux est lui-même très variable, ensuite parce que, suivant la répartition géographique des patrouilles et des départs de feux, le nombre de départs détectés peut changer considérablement.

Ce qui, en revanche, est assez constant est la proportion des départs de feux détectés qui ont pu être éteints par la patrouille avant l’arrivée des pompiers. Elle se situe autour de 60 %.

Je précise que, dans tous les cas de figure, en France, la lutte contre les feux est du domaine exclusif des services d’incendie et de secours. Ainsi, quand une patrouille de l’ONF intervient sur un feu naissant, elle ne se substitue pas aux pompiers : elle les informe tout de suite. Si le feu est éteint avant que l’équipe du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) n’arrive, c’est autant d’économisé.

Mme Metrich-Hecquet. Le bilan de l’année 2023 relatif aux feux de forêt a été positif, notamment en raison des conditions climatiques. La surface brûlée est en baisse. Pourtant, le nombre des départs de feux, lui, est en hausse. Cela signifie sans doute, nonobstant cet effet des conditions climatiques, que les interventions ont été plus rapides, plus nombreuses et plus efficaces.

M. Didier Lemaire, rapporteur. En matière de gestion de crise, la prévention reste cruciale. L’ONF semble très actif dans ce domaine, en particulier s’agissant des feux naissants.

Puisque nous parlons d’innovation, quelles sont les attentes de l’ONF vis-à-vis des nouvelles technologies ?

Mme Metrich-Hecquet. Elles sont très importantes, dans tous les compartiments de notre activité, que notre contribution se limite à une expertise technique ou qu’il nous soit demandé d’agir – en raison de notre couverture du terrain ou de notre capacité opérationnelle, par exemple. Dans tous les cas, nous avons besoin des nouveaux outils technologiques, tout particulièrement pour accomplir nos missions d’intérêt général.

Pour ce qui est de nos missions opérationnelles par exemple, notre connaissance du terrain peut être valorisée par des dispositifs de saisie mobile. L’efficacité de nos agents sera renforcée s’ils peuvent, en forêt, saisir des données sur des appareils mobiles. À titre expérimental, des tablettes sont mises à disposition des patrouilles et permettent, grâce à la géolocalisation, d’assurer un meilleur suivi et de mieux faire remonter les événements en temps réel.

Depuis les incendies de 2022, les synergies se sont développées, mais nous pouvons encore aller plus loin, afin d’augmenter l’interopérabilité de nos équipes avec les réseaux de sécurité. Le mouvement est en cours et ne rencontre aucune réserve des parties impliquées : il faut juste le temps nécessaire à l’acquisition de ces technologies.

S’agissant de nos missions d’expertise de haut niveau, nous avons besoin, pour ce qui concerne les risques aussi bien que pour ce qui concerne l’adaptation de la forêt au changement climatique, de toutes les technologies qui peuvent aider au suivi et à la détection. Il peut s’agir de drones, de la télédétection par laser Lidar, que nous développons en partenariat avec nos collègues de l’IGN, ou encore de l’utilisation de données satellitaires, pour laquelle nous collaborons avec l’INRAE.

De façon plus générale, il est important d’éviter tout décrochage technologique, à la fois parce que l’ONF est un établissement public en période de renouvellement et qu’il y a une différence de compétence entre les nouvelles et les anciennes générations dans le maniement des nouvelles technologies, et parce que la maîtrise de ces nouveaux outils constitue un facteur d’attractivité qui facilite le recrutement.

Enfin, il est important de disposer des infrastructures nécessaires pour rassembler, stocker et gérer toutes les données que nous brassons et que nous devons mettre en relation les unes avec les autres – et, demain, exploiter grâce à l’intelligence artificielle.

L’ONF a donc de nombreux projets, qu’il propose à ses autorités de tutelle, en particulier dans le cadre de la dynamique France nation verte numérique.

M. Albert Maillet. Il existe plusieurs grandes familles d’outils technologiques. Certains permettent de mieux appréhender la réalité des territoires. Nous sommes là dans le domaine de la prévention pure, très en amont de l’incendie. Mieux nous connaissons un territoire, sa structure, sa sensibilité aux feux, sa composition, mieux nous pouvons préparer notre stratégie de lutte. C’est la télédétection par laser qui est ici en jeu. Pour disposer d’une information très fine sur de vastes étendues, elle doit être combinée avec les outils de modélisation développés par l’INRAE ou par l’IGN, qui permettent l’interprétation des données que produit la télédétection. Nous pouvons ainsi recueillir une photographie des territoires avant même la survenue d’un problème.

L’étape d’après, c’est d’améliorer les capacités opérationnelles. Pour détecter rapidement les départs de feux, ce qui est essentiel, nous devons d’abord nous appuyer sur la détection par l’œil humain, qu’il s’agisse des agents de l’ONF ou des citoyens. Nous commençons à déployer des systèmes permettant à ces derniers de lancer l’alerte de façon ordonnée et calibrée par le biais de leur téléphone portable. Nous devons aussi faire usage de technologies de détection automatique – capteurs, drones, etc. – qui sont en cours d’expérimentation.

Enfin, pour bâtir des politiques de prévention efficaces, il nous faut parvenir à dresser les diagnostics pertinents, retraçant les bons liens de causalité. Cela suppose d’engranger une quantité importante de données statistiques et de les traiter, grâce à un matériel informatique puissant et à des méthodologies qui le sont tout autant, pour les restituer aux décideurs sous une forme très compréhensible et susceptible d’être traduite sur le plan opérationnel. Nous nous efforçons de nous outiller dans ce but.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Sur le plan humain, quels enseignements avez-vous pu tirer des crises auxquelles notre pays a eu à faire face – les feux de forêt certes, mais aussi les inondations, tempêtes et autres ? Vous amènent-ils à envisager des évolutions, notamment pour ce qui est de la coordination des acteurs ? Nous avons en effet constaté, tant dans le cadre de nos auditions qu’en nous rendant sur le terrain, d’importantes disparités entre les territoires, en métropole ou en outre-mer, dans les milieux ruraux ou urbains, dans les zones de montagne ou littorales.

Mme Metrich-Hecquet. Le plus souvent, l’ONF est associé aux retours d’expérience (Retex) effectués à la suite de ce type d’événements, quelle que soit la nature du risque. Notre sentiment est que ces retours sont plutôt positifs. D’une part, les acteurs de la sécurité civile associent de plus en plus l’ONF à leurs actions. D’autre part, plus les risques s’accroissent, meilleure est l’association des partenaires. Cette évolution est encourageante.

Par exemple, dans le domaine de la DFCI, en plus des procédures internes à l’établissement, l’ONF a contribué aux Retex des zones de défense. La synthèse de ces derniers a fait l’objet d’une présentation à l’état-major de la sécurité civile en décembre 2023. L’ONF était représenté lors de cet événement, ce qui montre bien que les acteurs prépondérants de la sécurité civile prennent soin d’associer les experts qui gravitent autour d’eux.

Je le disais, l’année climatique 2023 a été favorable, avec beaucoup de départs de feux, mais moins de feux perdurant. Mais ce bon bilan est aussi dû, outre les phénomènes naturels, à l’approche de plus en plus intégratrice que les acteurs publics ont choisi d’adopter, qu’il s’agisse du renforcement de la coordination nationale, en associant tous les acteurs, ou de la coordination locale et territoriale.

Mais, c’est vrai, des améliorations restent possibles. La prise de conscience des risques progresse partout, mais elle demeure hétérogène suivant les territoires, ce qui est certainement dû au fait que certains d’entre eux, étant moins exposés, sont moins acculturés aux risques que d’autres.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’en viens à la prévention. Quels sont les moyens à votre disposition pour prévenir les risques d’incendie de forêt ? Vous semblent-ils suffisants ? Qu’en est-il de l’acculturation des citoyens et des élus ? Avez-vous des pistes d’amélioration à proposer ?

Mme Metrich-Hecquet. L’ONF s’est vu attribuer sa mission de prévention au titre de la DFCI à la fin des années quatre-vingt-dix, à la suite des grands incendies qui avaient eu lieu. Elle a été progressivement mise en œuvre pendant vingt ans. Nous avons connu un basculement du fait des incendies de 2022, lorsqu’il nous a été demandé d’étendre notre action à l’ensemble du territoire national, en fonction du risque propre à chaque territoire.

En deux ans, les moyens mis à notre disposition pour le risque incendie ont presque doublé, ce qui a bénéficié en particulier à l’intervention ou à la surveillance dans les territoires en période estivale. Cette mission d’intérêt général de l’ONF s’est vu consacrer 10 millions d’euros supplémentaires, qui nous ont permis, en période estivale, de multiplier par deux notre présence humaine sur le terrain.

Pour cela, il a été décidé de faire cesser la baisse des effectifs de l’ONF, en 2023 puis en 2024. Ce choix salutaire a permis à l’établissement de redéployer 120 ETP en deux ans vers ces nouvelles missions.

Un seul exemple de ce renforcement de nos moyens humains : si nous armions, avant les incendies de 2022, un peu moins de cent patrouilles de surveillance et d’intervention, chargées de détecter et d’éteindre les feux naissants dans la zone Sud, nous pourrons en 2024 doubler ce nombre, dans la France entière.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelle est votre appréciation du respect des obligations légales de débroussaillement (OLD) ? Auriez-vous des recommandations à formuler pour améliorer les choses ?

Mme Metrich-Hecquet. À l’origine, le contrôle du respect des OLD ne faisait pas partie du cœur des attributions de l’ONF. Toutefois, du fait de notre expérience en la matière, l’État nous a demandé de nous y consacrer davantage. Il est important de le mentionner, car cette activité de contrôle était nouvelle pour tout le monde, surtout dans certains territoires.

Nous nous sommes efforcés de jouer un rôle actif de communication, afin que le message passe bien. Ainsi, les agents chargés du contrôle ont d’abord fait œuvre de pédagogie, plutôt que de verbaliser immédiatement les infractions constatées. En accord avec le donneur d’ordres, à savoir le préfet, nous avons choisi cette approche, car elle nous paraît plus efficace que l’adoption d’une attitude d’emblée répressive.

Nous participons activement à une communication collective, plutôt qu’individuelle, autour des OLD et du risque incendie. Nos équipes de terrain participent aux diverses campagnes d’information, ou mènent des opérations d’accueil du public en forêt et de sensibilisation. Les agents de l’ONF ont aussi été particulièrement sollicités pour des entretiens dans les médias locaux, ce qui leur a permis de bien diffuser les règles de prévention élémentaires.

D’une manière générale et en particulier s’agissant des OLD, il nous paraît important de commencer par cette phase d’appropriation. Ensuite, en 2024, à mesure de l’abondement des moyens et lorsque nous aurons un peu plus de recul, un dispositif plus coercitif se mettra peut-être progressivement en place.

La loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie fixe des règles claires de calcul des surfaces devant être débroussaillées, qui nous simplifient la vie au quotidien. Cela contribuera à améliorer les choses. Cette loi prévoit également que les zones à risque incendie soient désignées par arrêté interministériel et non plus dans le code forestier, dans une démarche de souplesse et d’adaptation bienvenue. Nous attendons cet arrêté pour passer à la phase plus coercitive du contrôle du respect des OLD.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Souhaitez-vous encore aborder un sujet qui vous tiendrait particulièrement à cœur ?

Mme Metrich-Hecquet. Nous considérons que la succession des aléas et des épisodes extrêmes que nous connaissons engendre une prise de conscience collective et que le système de sécurité civile, proche de la constellation, selon votre terme, est en train de s’organiser.

Dans ce cadre, on peut imaginer que tous les systèmes d’information que renseignent chacun des acteurs, par exemple la base de données de l’ONF sur les feux de forêt en France, puissent être partagés, que toutes ces données puissent être croisées. La tâche est immense et l’apport de l’intelligence artificielle sera très utile, mais cela contribuerait largement à renforcer la politique de prévention.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour votre contribution. N’hésitez pas à nous faire parvenir tout élément qui vous semblerait important, le cas échéant hors du cadre du questionnaire qui vous a été adressé.


Table ronde sur le thème « Sécurité civile, logistique d’urgence et gestion de crise ».

Compte rendu de la table ronde sur le thème « Sécurité civile, logistique d’urgence et gestion de crise »
(jeudi 25 janvier 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons cet après-midi le cycle de tables rondes thématiques engagé en décembre 2023, avec un temps d’échange consacré à la sécurité civile, à la logistique d’urgence et à la gestion de crise.

Nous avons le plaisir d’accueillir des acteurs d’horizons différents, dont l’expérience est reconnue, en France et dans d’autres pays, en matière de réponse aux crises ou de logistique d’urgence, domaines essentiels pour l’évolution de notre modèle de protection et de sécurité civile.

Nous recevons Mme Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac) et Mme Julie Morin Gonzalez, juriste au sein de la Fenvac ; M. Thomas Alliot, président fondateur de l’Unité nationale de secouristes citoyens (UNSC) et M. Jean-Luc Wertenschlag, ambassadeur de cette association, président du collectif Citoyen du 13 novembre et auteur du livre Impacté 13 novembre, dans lequel il relate son intervention, avant même l’arrivée des secours, sur le lieu de l’un des attentats du 13 novembre 2015 à Paris ; le docteur Arnaud Derossi, enfin, directeur médical régional d’International SOS, chargé de l’assistance et du transport médical mondial.

Je tiens à souligner l’importance de cette table ronde pour approfondir notre compréhension des enjeux actuels de la sécurité civile et de la gestion des crises. Je vous remercie donc de votre présence et de votre participation à nos travaux.

Notre mission d’information, créée à l’initiative du groupe Horizons, est composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques ; mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur. Nos échanges seront enregistrés et accessibles sur le site internet de l’Assemblée. Ils feront l’objet d’un compte rendu, lequel sera annexé à notre rapport, que nous espérons rendre au printemps.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci d’avoir répondu à notre invitation pour évoquer une question qui nous tient à cœur : notre capacité à anticiper et adapter notre modèle de sécurité civile. Notre mission s’attache à toute la constellation des acteurs de la sécurité civile, car elle entend des représentants non seulement des corporations – sapeurs-pompiers, unités de sécurité civile – mais aussi des associations agréées et au-delà, puisqu’il est aujourd’hui question de citoyenneté et d’acculturation à la sécurité et à la protection civiles.

Dans un premier temps, chacun d’entre vous pourra présenter son organisation, en donner la date de création, les missions, la façon dont elle contribue à la sécurité civile ou à la protection de la population dans un contexte de crise, éventuellement le budget et les moyens dont elle dispose, et préciser si ceux-ci vous paraissent suffisants.

Mme Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs. La Fenvac a été créée en 1994 à la suite des carences et des non-réponses qu’ont révélées plusieurs accidents collectifs – l’effondrement de la tribune du stade de Furiani, la collision ferroviaire de la gare de Lyon, l’incendie des thermes de Barbotan. En 2011, Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats, a rejoint la Fenvac, ce qui a permis de lui adjoindre un pôle attentats, pôle dont elle est restée administratrice jusqu’en 2017.

Depuis 1994, notre fédération, pluridisciplinaire, a accompagné plus de 8 000 victimes dans différents domaines, de la prise en charge lors de l’événement jusqu’au procès et ses suites, en passant par le suivi judiciaire et social : l’accompagnement est ainsi mené pendant plus de dix ans. Tous les membres du conseil d’administration de notre fédération, c’est là sa particularité, sont victimes ou parents de victimes. Nous disposons donc d’un regard et d’une expérience, si je puis dire, qui nous a permis d’évaluer les failles des dispositifs. Cependant, nous ne cessons de le répéter, ces dispositifs ont évolué, et la prise en charge réalisée en France n’a pas d’équivalent dans d’autres pays. Lors de réunions à Bruxelles, j’ai pu constater que certains pays européens nous l’envient. Sur le terrain, toutefois, cela ne se passe pas toujours comme on le souhaiterait.

M. Thomas Alliot, président fondateur de l’association Unité nationale de secouristes citoyens. C’est un grand plaisir et un honneur de représenter les secouristes citoyens. Il me semble être le plus jeune participant à vos auditions : c’est une belle marque de confiance envers la jeunesse. Les jeunes ont un vrai rôle à jouer dans ce modèle de protection civile ; il faut leur faire confiance. C’est en toute humilité que j’interviens : les personnes que vous avez auditionnées ont placé la barre très haut, ce qui nous oblige à apporter des propositions concrètes, travaillées et pragmatiques.

J’ai créé l’Unité nationale de secouristes citoyens en 2015, à partir d’un club du foyer socio-éducatif au sein du collège Côte de Bétance à Muret, près de Toulouse. L’association a pour objet de promouvoir et de développer le secourisme et la citoyenneté dans les établissements scolaires. Investi dans le secourisme depuis quinze ans – je me suis formé aux premiers secours avant l’âge légal –, j’ai pu constater qu’il n’est pas si facile d’exercer le droit à une telle formation.

Au sein de mon collège, par exemple, la chaîne de secours était incomplète : hormis l’infirmière scolaire, aucun personnel adulte ne savait prendre en charge un élève rencontrant un problème de santé. Avec le soutien du principal, nous avons créé une équipe de secouristes citoyens, restée active pendant deux ans. L’attaque de Mohammed Merah dans un établissement scolaire en 2012, puis les attentats de 2015, ont conduit à une prise de conscience collective : les élèves ont mené une réflexion sur la manière de faire face à un tel événement alors que les services publics pouvaient être empêchés de pénétrer dans l’établissement, et les adultes occupés à gérer la crise. Ils en ont déduit qu’ils devaient se prendre entièrement en charge. Quelques semaines plus tard, après que j’ai eu à intervenir auprès d’une élève ayant tenté de mettre fin à ses jours dans l’établissement, j’ai été encouragé à trouver une solution pour permettre aux autres élèves de porter secours si ce type d’événement se reproduisait.

L’idée a alors été émise de structurer le concept de « secourisme citoyen », non seulement en formant les élèves au secourisme – un objectif déjà affiché par les politiques publiques –, mais aussi en leur permettant de s’entraîner, de se connaître et de développer leur citoyenneté par ce biais. Parallèlement, des réflexions étaient menées sur le harcèlement scolaire et la difficulté des jeunes à trouver leur place. Nous avons considéré qu’introduire la cause du secourisme dans l’établissement créerait un supplément d’âme susceptible de motiver les jeunes pour venir en cours.

Entre-temps, en 2012, j’avais rencontré le professeur Louis Lareng, qui m’a fait confiance et m’a accompagné. Il estimait qu’il fallait que chaque citoyen soit secouriste : les secouristes citoyens devaient être les protecteurs de vie, et les institutions partenaires, les garants de vie. Nous avons alors eu l’idée de créer dans les établissements scolaires des unités de secouristes citoyens ayant pour rôle la sensibilisation, la formation et l’entretien des gestes de premiers secours entre pairs. Qu’un jeune transmette ces gestes à ses camarades, dans des moments dédiés, crée en effet une dynamique. Les professeurs ayant adhéré à ce principe, nous nous sommes naturellement équipés d’outils pédagogiques pour remplir cette mission.

Une fois formés, les élèves ont été impliqués dans les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) prévus dans les établissements scolaires, ce qui n’était pas le cas auparavant. Or, il faut qu’ils aient un rôle à jouer dans ce cadre ; il faut les entraîner, les préparer.

Par ces missions, on donne aux jeunes toute leur place dans la citoyenneté et on favorise leur émancipation car, s’ils sont capables de porter secours dans leur établissement, ils pourront réagir et se structurer beaucoup plus rapidement le jour où ils seront témoins d’une crise dans leur commune. Cela tombe bien : la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, insiste sur les réserves communales de sécurité civile, que les jeunes pourraient rejoindre s’ils devaient prêter main-forte.

Bien que la crise du Covid-19 ait freiné son développement, l’Unité nationale de secouristes citoyens, jeune association de presque dix ans, a la volonté de se déployer dans les territoires pour attester de la pertinence de son modèle et prendre sa place dans le dispositif de sécurité et de protection civiles. Disposer de compétences en matière de secourisme est un droit fondamental pour les jeunes : ils doivent y avoir accès, pour pouvoir réagir et sauver des vies, si nécessaire.

M. Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 novembre. Le collectif Citoyen du 13 novembre a été créé par trois personnes qui étaient présentes sur la terrasse de La Belle Équipe le soir du 13 novembre 2015 : un commerçant du quartier, une jeune femme journaliste, formée aux premiers secours tactiques, qui disposait de matériel, et moi-même, qui ai décidé de porter assistance aux victimes en bas de chez moi. L’attaque a fait vingt et un morts : c’est le lieu où le nombre de victimes par rapport aux personnes présentes a été le plus élevé.

Nous n’étions pas de simples secouristes, chacun avait une histoire, un parcours, un vécu, qui l’ont conduit à décider de s’opposer aux conséquences de l’attaque. C’était un acte résistant, et non un acte résilient. N’étant pas des militaires, notre rôle n’était pas d’attaquer les attaquants. Nous avons montré ce que les civils sont capables de faire quand ils sont attaqués. C’est la place des civils, des citoyens, dans la constellation que vous avez évoquée, que nous avons voulu défendre par la suite, en fondant le collectif Citoyen du 13 novembre. Cette place est limitée – il n’y avait d’ailleurs aucun terme pour nous caractériser à l’époque. J’ai fait connaître celui d’aidant de première ligne, ou first liner. Les premières personnes qui viennent en aide aux victimes sont les voisins, les survivants, les témoins. Quelle place notre société leur accorde-t-elle ?

Les applications Staying Alive et Sauv Life ont donné la possibilité aux services de secours de faire intervenir des civils précocement. En favorisant cette action, on augmente les chances de survie des victimes. Il faut encourager cette démarche, que j’appelle « l’initiative citoyenne en cas d’urgence ». Elle traduit la place que les civils peuvent prendre en cas de crise, dans les premières minutes – les golden minutes –, ces moments vitaux pour stabiliser une personne avant l’arrivée des secours.

Je suis fier d’avoir rencontré Thomas Alliot quelque temps après : sa démarche est notre avenir. C’est en formant les jeunes le plus tôt possible, en les structurant, qu’on construira la base de la société que nous voulons. Dans un monde où prime le chacun pour soi, il est crucial de former les gens à aider l’autre. Je me bats depuis huit ans, aussi bien au sein de Life for Paris, l’association de victimes des attentats du 13 novembre, que seul, en essayant de faire bouger les choses. Je souhaiterais une évolution de la loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, qui n’existait pas en 2015 : cette loi est trop floue et trop ciblée sur l’arrêt cardiaque.

Il est également nécessaire de rendre accessibles des matériels permettant d’agir plus efficacement en cas de crise : lors d’un incendie, on est heureux d’intervenir avec un extincteur. Le 13 novembre, étant sans gants, sans protection, je n’ai pu traiter que deux personnes, Anne-Sophie Clément, avec la formation qu’elle avait reçue et sa trousse de secours, a secouru quatre à cinq victimes. C’est pourquoi j’ai demandé à une grande société française de développer une trousse à destination des établissements recevant du public : si l’on place du matériel à disposition, dans le boîtier du défibrillateur par exemple, le secouriste présent pourra agir avec de vrais outils, donnant ainsi plus de chances aux victimes.

M. Arnaud Derossi directeur médical régional d’International SOS, chargé de l’assistance et du transport médical mondial. Contrairement aux autres intervenants, je représente une entreprise privée, ce qui peut paraître paradoxal pour parler de la sécurité civile. Médecin-urgentiste de formation, j’ai longtemps travaillé pour le Samu, à Paris. J’y exerce encore partiellement, tout en étant directeur médical pour l’Europe d’International SOS.

Cette entreprise privée a été créée il y a presque quarante ans en Asie du Sud-Est par deux Français, dont un médecin. Ses deux fondateurs contrôlent toujours le groupe, qui s’est étendu dans le monde : l’entreprise dispose de bureaux dans 90 pays. Employant une vingtaine d’employés à Singapour dans le milieu des années 1980, elle compte à présent 14 000 salariés, dont 5 500 professionnels de santé, infirmiers, paramédicaux et 1 500 à 2 000 médecins. Ses clients sont des entreprises et, depuis une vingtaine d’années, des entités gouvernementales.

Au départ, l’entreprise était spécialisée dans les évacuations et rapatriements sanitaires vers nos centres d’excellence médicale ou vers le pays d’origine. Elle a fait évoluer son modèle pour devenir un gestionnaire de risques santé et sûreté au niveau international, ce qui inclut de plus en plus la prévention, c’est-à-dire la formation, notamment par formation en ligne, et la veille. Les alertes de nos relais locaux nous informent très rapidement en cas de crise : l’information, analysée et pertinente, permet de prendre des décisions et, si nécessaire, de déployer nos moyens d’intervention et nos équipes sur le terrain, voire de réaliser des rapatriements sanitaires. Au fil des ans, nous avons été confrontés à de nombreuses crises.

Sur le plan opérationnel, nous disposons de vingt-six plateaux d’assistance comprenant des médecins et des infirmiers. Nos centres de veille et de coordination sur tous les continents traitent des appels vingt-quatre heures sur vingt-quatre, après quoi nous intervenons sur le terrain en activant un réseau de 100 000 partenaires locaux accrédités. Ces partenaires sont le bras armé d’International SOS dans le monde.

Outre nos clients historiques – des entreprises du secteur minier, pétrolier, de la construction –, nous travaillons avec des sociétés des domaines aéronautique, automobile, informatique, hôtelier, bancaire, peu satisfaites de l’offre de soins des pays où elles sont implantées. Nous avons déployé un réseau d’une cinquantaine de cliniques, parfois dédiées à un seul client, soit un millier de sites dans le monde. Nous y apportons un niveau de soins de standard international.

Depuis une quinzaine d’années, des acteurs étatiques – gouvernements, ministères – ont trouvé intérêt à nouer des partenariats avec nous, en France et dans le monde, pour les aider à fournir des services variés lors d’une crise. Nous sommes une boîte à outils, où nos clients viennent chercher les solutions dont ils ont besoin – déploiement d’équipes, conseils, information, etc. Lors de la crise du Covid-19, nous avons par exemple fourni des moyens lourds d’évacuation au ministère de l’Europe et des affaires étrangères et au ministère de la santé.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Ces propos donnent une vision de l’importance de vos actions en tant qu’association, collectif ou entreprise, quand nous avons tendance parfois à accorder notre attention plutôt des corporations. C’est intéressant, car cela nous amène à nous interroger différemment.

Vous avez évoqué la protection de la population, avant, pendant et après la crise. Pour ce qui est des risques naturels, technologiques, sanitaires et des attentats, outre votre expérience, pourriez-vous revenir sur les retours que vous auriez reçus ou sur les axes qu’il conviendrait d’approfondir ?

Mme Marie-Claude Desjeux. Les structures qui ont été présentées répondent immédiatement aux événements, dans l’espace public ou dans les collèges. Notre fédération est également confrontée à l’enjeu d’une réponse immédiate : jusqu’en 2017, nous participions aux cellules de crise. J’ai ainsi intégré celles du 13 novembre 2015 et du 14 juillet 2016. Cela permettait à la Fenvac d’être présente dans les premiers instants, au plus près des familles – par l’intermédiaire des centres d’accueil des familles (CAF) –, et de créer immédiatement des liens avec les victimes, puis de les suivre.

Depuis l’arrivée du président Macron aux responsabilités en 2017, cette possibilité nous a été retirée. Les associations de victimes n’ont plus accès aux listes de victimes. Nous recevons donc ces personnes en deuxième intention. Or, pour accompagner le mieux possible une victime, il faut tisser des liens avec elle dès le départ. Sinon, faute de conseils, elle peut prendre de mauvais chemins et se perdre dans les méandres administratifs et judiciaires. Hier encore, en marge du procès de Trèbes-Carcassonne, des victimes du Super U m’ont confié qu’elles n’avaient pas été suivies comme elles auraient dû l’être et que de nombreuses personnes étaient restées sans relais.

L’immédiateté, le matériel, dont on a beaucoup parlé à l’époque des attentats, sont indispensables. Nous participons pleinement à cet accompagnement citoyen. Si nous n’utilisons pas les techniques de réanimation – nous pourrions toutefois être formés –, nous accompagnons les familles de victimes. Je l’ai vu à l’École militaire, le lendemain du 13 novembre, il s’agit véritablement de situations de crise. Je vous remercie donc de nous donner l’occasion de nous exprimer sur ce thème.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vous avez parfaitement raison : ce que vous venez de dire explique d’ailleurs que nous prenions en compte, dans nos travaux sur la gestion de crise, à la fois la prévention, la gestion de la crise immédiate et l’accompagnement du retour à la normale – je veux parler de ce qui se passe quand les caméras se retirent alors que la vie continue pour les victimes. Cela justifie d’ailleurs votre présence aujourd’hui.

Au-delà des corporations bien identifiées que j’évoquais tout à l’heure, nous sommes persuadés du rôle essentiel que joue le citoyen dans notre modèle de sécurité civile. Il est le meilleur acteur de sa propre sécurité. Quelle que soit la crise, avant l’intervention des services de secours, une mauvaise réaction ou un mauvais choix de sa part peut être dramatique. Dans le cadre de notre mission d’information, je parle beaucoup de la nécessaire acculturation du citoyen, au sens large. J’aimerais avoir votre avis à ce sujet.

M. Thomas Alliot. Il y a effectivement plusieurs enjeux liés à l’anticipation. Le premier a été relevé par M. Olivier Richefou, président de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours (CNSIS), qui réclame depuis au moins 2022 la création d’un ministère délégué ou d’un secrétariat d’État chargé de la préparation des populations. Une telle mesure serait intéressante, a fortiori si cette administration était placée auprès du Premier ministre, ce qui lui donnerait une dimension interministérielle. À l’échelle de l’État comme au niveau des citoyens, le plus difficile est aujourd’hui d’agir dans une optique interministérielle. Il conviendrait d’identifier tous les acteurs concernés, de les réunir autour de la table et de leur faire respecter ce triptyque militaire bien connu : un chef, une mission, des moyens.

Certaines structures nationales, certaines associations agréées de sécurité civile se montrent très ambitieuses et demandent des rallonges dans le cadre d’un pacte capacitaire. C’est très bien – je le dis d’autant plus que l’UNSC est une association agréée de sécurité civile –, mais chacun doit aussi savoir se recentrer sur ses missions propres et accepter que d’autres structures prennent part aux interventions en assumant des missions spécialisées. Lors de précédentes auditions, on vous a parlé du projet formidable qu’est la création de maisons de sécurité civile. Allons encore plus loin, en recensant les moyens de chaque acteur, en cherchant des complémentarités au sein des territoires et en envisageant une mutualisation de ces moyens, notamment des moyens lourds comme les vecteurs de transport, qui pourrait s’avérer intéressante en cas de catastrophe naturelle.

Le contrôleur général Emmanuel Clavaud a préconisé la réalisation d’une étude sociologique sur le profil des volontaires chez les sapeurs-pompiers. Là encore, allons plus loin, en nous demandant qui sont les acteurs de notre sécurité civile dans son ensemble. Ils sont très divers : il serait intéressant de chercher à les connaître et à les identifier. Je pense à une initiative très intéressante qui a vu le jour, à Toulouse, lors de la crise du Covid-19 : des citoyens venus de tous horizons se sont mis à la disposition d’une association, les Hussards blancs de la santé, encadrée par des sapeurs-pompiers, des militaires de réserve et des soignants, qui les ont accueillis et leur ont assigné un rôle. Ils ont ainsi réussi à mettre en place le plus grand centre de vaccination européen. Cette initiative formidable a permis à chacun de trouver sa place, au bon niveau d’action, les spécialistes de la sécurité civile – associations, sapeurs-pompiers, militaires et soignants – ayant un rôle d’encadrement.

Pour garantir la continuité de l’anticipation et construire une réponse collective, les temps de rencontre sont importants. Il y a deux ans, on a donné un nouveau souffle à la journée nationale de la résilience, un formidable temps de rencontre entre les différents partenaires. On s’est aperçu dans ce cadre de l’énorme investissement de nombreux acteurs privés au service de l’intérêt général et de la préparation des populations.

Un autre enjeu est celui de la formation au secourisme. Il est assez difficile d’obtenir l’agrément pour la formation aux premiers secours ; il s’agit d’une complexité voulue, conçue pour protéger une chasse gardée économique. Or, le rapport remis en 2016 par Patrick Pelloux et Éric Faure a montré que l’offre n’était pas au niveau de la demande de formation du grand public, et que le coût de ces formations était trop élevé – 60 euros par personne en moyenne pour le certificat de prévention et de secours civiques de niveau 1 (PSC1). Il n’est pas normal de faire payer un tel prix à des jeunes, qui n’ont pas de revenus et dont c’est souvent la famille qui doit supporter ce coût. L’accès à ce type de formation devrait être un droit fondamental. Soyons honnêtes : cette formation ne coûte pas 60 euros, même en tenant compte des investissements matériels. Abaissons-en le prix et plafonnons-le ! Intéressons-nous également à d’autres types de formations, qui pourraient dégager des recettes pour les associations agréées de sécurité civile si elles décidaient d’élargir le champ de leurs missions aux interventions auprès des mairies – c’est d’ailleurs ce que font aujourd’hui les services d’incendie et de secours, qui forment les élus à la gestion de crise. Il faut donc peut-être repenser le schéma des formations.

En lien avec ma remarque sur l’interministérialité, j’aimerais aussi poser la question des passerelles. Le système des équivalences entre le PSC1, la formation de sauveteur secouriste du travail (SST) et l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence de niveau 1 (AFGSU1) dans le secteur de la santé n’est pas complet. Il faut absolument tout remettre à plat. On ne parle pas d’un diplôme d’État d’infirmier ou d’un diplôme de médecine : il s’agit de sauver des vies par des gestes élémentaires.

Il me paraît en outre indispensable d’abaisser l’âge d’accès aux formations aux premiers secours en France. À l’époque, j’ai moi-même contourné la règle : je n’avais pas 10 ans quand j’ai voulu passer le PSC1, et j’ai eu la chance qu’avec l’accord de mes parents, une structure ait accepté de me faire une dérogation. J’ai travaillé au marché pour financer cette formation ; je l’ai suivie, ce qui m’a mis le pied à l’étrier et permis d’obtenir un petit diplôme officieux, puis je l’ai revalidée à mes 10 ans. Or, on s’aperçoit qu’il n’est pas nécessaire d’avoir 10 ans pour faire un massage cardiaque ou mettre quelqu’un en position latérale de sécurité (PLS). Ces gestes sont possibles dès 6 ans, et même avant ! Abaissons au moins à 6 ans l’âge minimal d’entrée dans cette formation : plus tôt on commence, mieux ce sera.

De même, les associations agréées de sécurité civile verront un intérêt à ce que l’on ramène à 14 ans l’âge d’accès aux formations de premiers secours en équipe de niveaux 1 et 2 (PSE1 et PSE2). Si l’âge minimal est actuellement fixé à 16 ans, c’est parce qu’il y est question de la mort ; pourtant, on sait très bien que les jeunes voient un certain nombre de choses sur les réseaux sociaux… Dans Corps et âme, le médecin-chef Nicolas Zeller explique que l’on veut cacher la mort, alors qu’il faudrait au contraire se préparer à la voir avant qu’elle nous tombe dessus de façon brutale. En fixant l’âge minimal de ces formations à 14 ans, on y donnera accès aux jeunes disponibles pendant leurs congés scolaires, avant qu’ils n’entament leurs études supérieures : cela créera un vivier supplémentaire de personnes formées au secourisme. Il est très simple de modifier ces seuils d’âge dans les décrets d’application : ce sera déjà une belle première mesure.

M. Arnaud Derossi. Je souscris entièrement aux propos de M. Alliot – je ne parle plus ici au nom d’International SOS, mais en tant que médecin et citoyen.

J’ai eu l’occasion de participer, en tant que bénévole, à des actions de formation dans des écoles maternelles. Il ne s’agissait pas de former aux gestes de premier secours, ce qui est difficile à cet âge, mais à la détection de l’urgence et à l’alerte. Le retour des enfants et des enseignants était enthousiaste.

J’ai également participé, en particulier dans des écoles des Hauts-de-Seine, à un programme appelé AVCM2, visant à former des élèves de CM2 à la détection des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Le retour a été tout aussi enthousiaste. Au début, nous avons fait un sondage et soumis les enfants à un test pour savoir ce qu’ils savaient des AVC et de la manière d’y faire face ; trois mois plus tard, nous leur avons posé exactement les mêmes questions, ce qui nous a permis de mesurer tout l’impact de ces formations pourtant relativement brèves – elles durent une demi-journée – et très ludiques. Ces résultats sont également confirmés par les équipes de pompiers, qui reçoivent désormais régulièrement des appels d’enfants pour des situations s’apparentant à des AVC.

Il est donc tout à fait possible d’agir au niveau des écoles très tôt, en tout cas beaucoup plus tôt que dans les formations de secourisme traditionnelles, très cadrées. Elles doivent certes être rigides pour garantir la transmission de connaissances, mais elles détaillent un peu trop certains aspects. Nous avons besoin de formations beaucoup plus simples, susceptibles d’avoir un impact sur des enfants beaucoup plus jeunes, qui n’hésiteront plus à intervenir en situation d’urgence, au moment où l’on peut faire quelque chose – c’est un message fondamental qu’il faut faire passer très tôt.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Des responsables de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) m’ont aussi fait part de ce manque d’acculturation des populations. L’une des propositions que je leur ai faite – et que je développe dans mon livre – est que les maires organisent des sondages pour savoir quels habitants de leur commune sont formés aux premiers secours. Ces personnes pourraient, sur la base du volontariat, constituer un vivier mobilisable en cas de crise, ou pour communiquer des informations à leurs proches, à leurs amis, à leur famille… Ce serait un ruissellement positif de la culture de la sécurité civile, de la prévention des risques et des premiers secours, sans faire preuve de violence ni susciter la peur, comme on me l’a souvent reproché.

Le plus important, c’est d’être prêt. Personnellement, je sais ce qui peut arriver, puisque je l’ai vécu, mais je ne vis pas dans la peur et la paranoïa. Je prends maintenant des précautions, car je ne peux plus me permettre d’être à mains nues comme je l’ai été. Je ne demanderai évidemment à personne de vivre l’expérience que j’ai subie, mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, le fait d’être prêt et capable d’intervenir est rassurant. Les gens ne craignent pas de savoir quoi faire si leur gamin avale quelque chose de travers ! J’ai moi-même expliqué sur une petite chaîne de télévision, à l’occasion des fêtes de fin d’année, ce qu’il fallait faire si l’on se plantait un couteau à huîtres dans la main. Je parle ici de gestes simples, basiques. De la même façon, il importe de savoir comment réagir dans une situation où quelqu’un peut perdre la vie. Il est rassurant de se dire que l’on pourra faire quelque chose.

Je constate avec beaucoup de tristesse que les gens sont plus enclins à filmer un accident qu’à intervenir. S’ils ne font rien, c’est aussi parce qu’ils ont peur et qu’ils ont en tête ce qui se passe dans les feuilletons américains. Pourtant, le code pénal est très clair s’agissant de l’intervention du secouriste, que la loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur est venue sécuriser encore davantage. Le citoyen sauveteur est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public. Dès lors, pourquoi devrait-il payer sa formation ? Il conviendrait d’en baisser le prix, de le rendre déductible des impôts et de trouver une autre incitation pour les foyers non imposables. Nous œuvrerons en faveur de la citoyenneté, en rappelant qu’il est important de venir en aide à autrui. Apprendre à le faire devrait être un droit.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Du point de vue logistique, de quels moyens disposez-vous pour remplir les missions que vous avez décrites ? De quelles innovations auriez-vous besoin ? Y a-t-il des choses auxquelles nous devrions réfléchir ou qui sont en voie de réalisation ?

M. Thomas Alliot. Effectivement, sans logistique, il n’y a pas de mission. Il n’en faut pas trop non plus : elle doit être bien dosée.

Devons-nous nous limiter à la formation réglementaire, à celle que nous connaissons – la formation aux gestes qui sauvent, le PSC1 puis les PSE1 et PSE2 –, ou décidons-nous d’ouvrir les yeux sur tous les modules de sensibilisation créés par les nombreux citoyens et organismes qui ont envie de s’impliquer dans ce domaine ? Un sapeur-pompier, Patrice Jupille, a reçu une médaille d’or au concours Lépine pour avoir créé le jeu Secouriste, accompagné d’un kit ludopédagogique. C’est cette superbe innovation que nous mettons entre les mains de nos jeunes, qui peuvent ainsi se former entre eux sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir un formateur. Certes, ce jeu n’est pas diplômant, ni certifiant, mais il permet d’entretenir et de développer ses compétences en vue d’obtenir, peut-être, par la suite, une certification.

Se pose aussi la question de l’hybridation des formations, qui n’est pas encore complète – le corpus actuel permet de faire de la formation ouverte et à distance (Foad), mais les modules restent assez simples. Un projet mené par l’université de Lyon et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) permettra de renforcer cette hybridation. Il importe de s’intéresser à ce concept et d’essayer d’aller encore plus loin dans la dématérialisation des formations et des temps de restitution. Pourquoi ne pas envisager de recourir à la réalité virtuelle, ou à des mannequins haute-fidélité, par exemple ?

Il paraît aussi nécessaire de créer des temps de rencontre entre les nombreux dispositifs existants. Nous avons beaucoup de chance d’avoir, par exemple, des jeunes sapeurs-pompiers et des cadets de la sécurité civile. Mettons tous ces acteurs déjà engagés en lien les uns avec les autres et faisons-leur partager leurs connaissances en dehors de leur temps de formation ! Cette innovation n’est pas forcément technologique, mais d’abord et avant tout humaine ; il n’en demeure pas moins qu’elle est peut-être au fondement de l’évolution de notre modèle de protection et de sécurité civiles.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Tout cela peut être réalisé pendant les temps extrascolaires, lorsque les municipalités ont accès aux établissements scolaires et peuvent y inviter des intervenants extérieurs.

Le jeu de société Secouriste, créé par un professionnel, est vraiment très simple : on peut y jouer en famille. Grâce à lui, il est amusant d’apprendre à porter secours.

Pour la réalisation de nos projets, nous utilisons aujourd’hui nos moyens propres. Le temps que je consacre à mes engagements est du temps personnel.

J’ai la chance d’avoir trouvé une société qui m’a compris et qui a développé, à partir de quelque chose qui existait déjà, une trousse civile équivalant à ce que portent les militaires à la jambe pour soigner leurs propres blessures ou celles des autres. Cet outil est tout aussi efficace en cas d’accident du travail. Je suis maintenant ergonome : mon métier consiste à aller voir dans les entreprises ce qui peut mettre en danger la vie des ouvriers, et je suis effaré lorsque je vois ce que contient le kit à utiliser en cas d’amputation de membre. Les éléments que l’on trouve dans la boîte ne sont utiles que si l’on s’est coupé un doigt ! En revanche, la trousse que j’ai créée contient le matériel permettant de faire face à une amputation : il y a notamment un garrot, un bandage compressif…

Je repense à l’attaque au couteau survenue récemment à Arras. Une plaie thoracique causée par une arme blanche doit être traitée, faute de quoi la victime va avoir un pneumothorax et son cœur va s’arrêter. Il faut donc de quoi faire une valve empêchant les rentrées d’air. Du reste, les soins à apporter à la suite de ces blessures et de ces agressions de plus en plus fréquentes – mais qui restent, heureusement, plus rares que les arrêts cardiaques – ne sont pas enseignés dans les formations de type PSC1. Évitons que des gens perdent la vie parce que nous n’avons ni la formation, ni le matériel adéquat – les deux sont complémentaires.

Ce type de trousse, disponible sur le catalogue du Resah, le réseau des acheteurs hospitaliers, est vendu à environ 70 euros l’unité, hors taxes. Tous les éléments qu’il contient sont homologués, certifiés et référencés par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) – il ne s’agit pas de matériel bas de gamme comme on pourrait en trouver dans une trousse à 15 euros. Nous avons mené un vrai travail de préparation afin de concevoir un outil utile et efficace, pour un usage civil. Ainsi, nous avons fait en sorte que le garrot soit visible : étant de couleur orange, il sera vu par les secours à leur arrivée, ce qui n’est pas forcément le cas d’un garrot noir posé sur une victime habillée en noir. Cette trousse permet de traiter efficacement tous les types de blessures, comme celle du jardinier ayant eu un accident de tronçonneuse, ce qui n’est pas le cas des outils existants – que feriez-vous avec les épingles à nourrice contenues dans la trousse de secours de la médecine du travail ? Il y a là une véritable réflexion à mener.

J’ai contacté la plus grosse compagnie de taxis, afin de faire équiper ses véhicules circulant à Paris. On m’a répondu que ces trousses pourraient être achetées par les chauffeurs… À quelques mois des Jeux olympiques, ne devrait-on pas délivrer ce type de matériel à tous les chauffeurs, dont je rappelle qu’ils ont passé le PSC1 et que leurs véhicules disposent de radios permettant de communiquer même en cas de panne du réseau GSM ? Certaines réflexions me semblent assez étranges – comme si une proposition ne venant pas d’en haut ne pouvait pas être une bonne idée…

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous en parlerons dans notre rapport, ne vous inquiétez pas.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Je vous remercie pour votre écoute ; le sujet, je dois le dire, est pour moi d’une telle importance !

Mme Marie-Claude Desjeux. À la Fenvac, la prévention fait aussi l’objet de réflexions très importantes. Il y a deux ans, nous avons élaboré un module destiné aux entreprises, car nous nous étions aperçus que certains salariés n’avaient jamais indiqué à leur employeur qu’ils avaient été victimes d’attentat, ce qui les mettait en difficulté au sein de leur entreprise.

M. Jean-Luc Wertenschlag. On l’a vu notamment lors d’exercices de simulation d’intrusion.

Mme Marie-Claude Desjeux. Il y a deux ans, nous avons ainsi commencé à travailler sur cette question avec Guillaume Pepy, qui nous a accompagnés très longtemps. Lorsque nous avons essayé de mettre ce module en pratique au sein des entreprises, nous nous sommes aperçus que les salariés avaient peur et n’avaient pas du tout envie que nous leur parlions de ces sujets. C’est dommage ! Il faudrait donc engager des actions de communication.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Il existe deux modèles de formation en secourisme émotionnel : le protocole israélien 6C, qui a été développé en premier, et la méthode américaine iCover, à laquelle je suis devenu formateur. Contrairement à ce que certains prétendent, ces deux modèles sont tout à fait équivalents et non opposables. Ils permettent de désamorcer en quelques minutes le choc subi par une personne qui vient de vivre un événement traumatique, qu’il s’agisse d’une prise d’otages ou d’une tentative de viol, par exemple. Ces méthodes devraient être à la portée de tout un chacun, dans la mesure où elles visent à éviter l’apparition d’importants syndromes post-traumatiques.

M. Arnaud Derossi. Depuis une quinzaine d’années, nous voyons se multiplier les incidents provoquant des traumatismes, voire des polytraumatismes. Le matériel et les formations en secourisme, qui n’étaient pas conçus pour répondre à ces situations, n’ont pas suivi. Ces dernières années, nous avons ainsi vu apparaître dans le domaine médical un nouveau concept, celui du damage control, avec des techniques et du matériel différents. Il faut maintenant que cette évolution majeure touche un public beaucoup plus large, notamment en matière de formation : nos concitoyens doivent apprendre comment réagir à l’amputation d’un membre, et non plus d’un doigt, ou comment soigner des plaies pénétrantes. La grande différence entre l’Europe et les États-Unis a longtemps été que nous ne voyions sur notre continent que des polytraumatisés fermés, par exemple des victimes d’accidents de voiture, alors que les Américains devaient aussi soigner des polytraumatisés ouverts, avec des plaies par balle ou par arme blanche. L’Europe est maintenant touchée de la même manière : nous devons donc réagir de façon différente, avec du matériel différent.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je reviens sur l’acculturation de la population. Quel peut être le rôle de l’éducation nationale ? Contrairement à ceux qui jugent anxiogènes les actions de prévention en milieu scolaire, il me semble que le fait de ne pas être préparé peut être source d’anxiété. Il faut évidemment savoir faire preuve de pédagogie. C’est un métier.

M. Thomas Alliot. Tout ce dont on ne parle pas est d’autant plus cause de stress post-traumatique. Les formations aux premiers secours psychologiques (PSP), qui sont le pendant du PSPO – premiers secours psychologiques en opérations – dans les armées, ont pour but de limiter l’état de stress aigu dans un premier temps, puis l’état de stress post-traumatique.

Je suis convaincu qu’il faut généraliser les unités de secouristes citoyens dans les établissements scolaires – je l’avais proposé à Prisca Thévenot lorsqu’elle était secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel ; elle était venue dans un établissement à Toulouse, en décembre dernier, pour constater l’efficacité de la transmission de jeunes à jeunes.

Cela ne coûte pratiquement rien, si ce n’est la fourniture des outils pédagogiques au départ. Ensuite, les jeunes s’entraînent régulièrement sur leur temps libre et ils se préparent entre eux. Cela crée une vraie effervescence, parce que cela va au-delà du secours : c’est ce que nous appelons le secourisme citoyen. Les élèves, qui viennent de classes et de filières différentes, se parlent, apprennent à se connaître, s’entraident, alors qu’ils ne l’auraient pas fait naturellement. Le harcèlement scolaire est un thème très présent. Depuis quelques années, mes équipes s’interrogent : comment peut-on sauver une vie en cas de harcèlement ? C’est une préoccupation très forte. Nous venons donner des clés, nous essayons de mobiliser des partenaires, et surtout nous mettons en avant l’idée selon laquelle les premiers gestes de secourisme dans ces moments-là consistent à écouter et à tirer la sonnette d’alarme.

La généralisation des unités de secouristes citoyens ne peut pas reposer sur les seules épaules de l’éducation nationale. Il faut créer des synergies avec les autres formes d’accompagnement. Ainsi, les jeunes sapeurs-pompiers peuvent jouer un rôle de référent dans leur établissement scolaire, rôle qui est d’ailleurs prévu dans le code de l’éducation. On peut aussi confier un rôle aux cadets de la sécurité civile.

Outre une contribution aux objectifs de développement durable de l’ONU, cette démarche de santé publique complètement renouvelée apporte des réponses à des problèmes du quotidien tels que l’encombrement des urgences et les difficultés d’accès aux soins. Si les jeunes sont formés, ils seront préparés à se poser des questions avant d’appeler les secours ou de se rendre à l’hôpital. Ce faisant, on diminue la pression sur les services de secours et le système hospitalier. C’est un engrenage vertueux que nous devons mettre en place. Nous le savons, cela fonctionne. Cette solution innovante, qui est une parmi d’autres, mérite d’être expérimentée à plus grande échelle.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Il y a quelques semaines, j’assistais avec ma fille à une fête de fin d’année dans son lycée. À cause d’un manque d’éclairage, une personne a raté une marche et a fait une chute. J’ai été le seul à pouvoir lui porter secours.

J’ai essayé de créer une unité nationale de secouristes citoyens au sein de l’établissement, sans succès. L’administration a procrastiné et je n’ai jamais reçu de réponse. Après cet accident, l’administration m’a dit : « On savait que vous étiez là et que ça allait bien se passer. » Non seulement c’est dommage de compter sur la présence d’une personne extérieure en cas d’accident, mais ma fille avait signalé le danger sans être écoutée.

Il est important d’écouter ce qu’ont à dire les élèves et de les faire participer, car ils se connaissent et connaissent l’établissement. Ils s’écouteront entre eux ; ils ne recevront pas les messages de la même manière s’ils sont portés par un adulte. Ce n’est pas par hasard que je suis devenu l’ambassadeur des unités nationales de secouristes : c’est une démarche à laquelle je crois et c’est une ressource importante pour l’avenir.

M. Thomas Alliot. C’est surtout un moyen de valoriser les jeunes. Le bénévolat ne leur parle pas forcément. Les jeunes ont besoin que les adultes les estiment, leur fassent confiance, notamment en leur reconnaissant un rôle. C’est la meilleure manière de les valoriser.

M. Arnaud Derossi. Je m’interroge sur le rôle des enseignants. Alors qu’ils sont souvent passifs dans les situations d’urgence, ne devraient-ils pas être acteurs dans ce domaine ? C’est peut-être charger un peu leur barque, qui l’est déjà beaucoup.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Ils doivent être acteurs pour leur propre sécurité, mais aussi pour la sécurité des enfants que nous leur confions. Il est triste de constater qu’à Arras, personne n’a été capable d’intervenir. On voit cette personne qui essaie de repousser l’agresseur avec une chaise, mais elle recule, tombe et se fait poignarder au sol. Comment se fait-il que personne, dans la communauté enseignante, n’ait été capable de faire quelque chose ?

Théoriquement, deux enseignants sont formés aux premiers secours – celui de sciences de la vie et de la terre (SVT) et celui d’éducation physique et sportive (EPS). Qu’en est-il à l’heure actuelle ? Il n’y a pas assez d’enseignants formés. Mais en ont-ils le temps et l’envie ? Il est vrai que leur barque est déjà bien chargée. Le fait d’avoir dans leur classe des jeunes qui sont capables d’intervenir est aussi un moyen de travailler sur la citoyenneté, l’engagement. Je suis d’accord, il faut faire confiance aux jeunes et aux citoyens.

M. Arnaud Derossi. Je crois, dans ce domaine, au ruissellement. On parle de cet effet dans une famille dont un enfant est formé. Mais cela vaudrait aussi dans les établissements scolaires dont les enseignants sont formés.

M. Didier Lemaire, rapporteur. L’idée du ruissellement me convient bien.

Au-delà des jeunes et des enseignants qui, en effet, ont déjà beaucoup à faire, tout le monde est acteur – c’est la citoyenneté.

J’ai évoqué la constellation des acteurs de la sécurité et de la protection civiles. D’après vous, cette constellation est-elle adaptée aux enjeux auxquels nous sommes confrontés ? Quelles sont vos relations avec les différentes structures qui la composent ?

Mme Marie Claude Desjeux. La Fenvac participe à presque tous les comités locaux d’aide aux victimes (CLAV). Ces comités élaborent le schéma départemental d’aide aux victimes, signé par le préfet et le procureur, qui recense tous les dispositifs de secours ainsi que leurs référents. Nous avons ainsi, dans chaque département, des interlocuteurs identifiés, qui nous servent souvent de relais.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Dans le cadre de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT), il m’arrive d’intervenir pour apporter mon témoignage sur l’acte citoyen. Je raconte ma soirée et ce que j’ai fait à des élèves de troisième, parfois dans des établissements scolaires difficiles, des endroits où l’imprégnation culturelle est forte.

Chaque fois, à l’issue de mon témoignage, des jeunes viennent me demander comment se former aux premiers secours. Or, moi qui suis formateur de sauveteur secouriste du travail, je n’ai pas le droit de les former.

Alors que la demande de formation dans les établissements scolaires est très forte, l’offre est verrouillée du fait de la mainmise des associations agréées.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Est-ce lié, selon vous, à l’organisation en silos entre les ministères ? Vous disiez que la sécurité civile mériterait peut-être une structure à part entière, plutôt qu’une organisation interministérielle.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Il est en effet nécessaire de rompre avec la logique des silos – l’éducation nationale, la protection civile, qui dépend du ministre de l’intérieur, la santé. L’absence de centralisation est regrettable. Nous en avons fait l’expérience lorsqu’existait un secrétariat à l’aide aux victimes. Les réponses étaient alors beaucoup plus opérationnelles – je pense notamment à la création d’un guichet unique. Mais ce gouvernement, peut-être parce qu’il n’y a pas été confronté directement, a de nouveau rattaché l’aide aux victimes au ministère de la justice. Or, la justice intervient très tard, alors que l’aide aux victimes commence dans les premières secondes.

Mme Marie Claude Desjeux. Nous avons vécu la création du secrétariat d’État, puis le retour de l’interministérialité depuis 2017.

L’interministérialité ne fonctionne pas bien. Chacun fait part de ses problèmes au guichet qui le concerne – la justice dans notre cas – mais les demandes ne sont pas répercutées et les réponses ne suivent pas. En ce qui concerne le guichet unique, c’est l’un des sujets sur lesquels travaille Alexandra Louis à la délégation interministérielle à l’aide aux victimes (DIAV).

Je vous donne un exemple. La DIAV, lorsqu’elle était dirigée par Elisabeth Pelsez, avait rédigé un rapport sur l’annonce des décès, un sujet qui devrait figurer dans les programmes de formation – en la matière, nous ne gardons pas de bons souvenirs du 13 novembre. Or, rien n’a été mis en place depuis lors.

M. Thomas Alliot. S’agissant de la constellation de la protection civile, ce qui fonctionne très bien et qu’il faut conserver, c’est l’organisation des secours autour d’un commandant des opérations de secours – un officier de sapeurs-pompiers – et d’un directeur des opérations de secours – le maire dans sa commune ou le préfet. Tout le monde ne peut pas s’en mêler, il y a des chefs qui sont formés pour cela.

En revanche, on peut sans doute améliorer l’information sur le rôle et les compétences de chacun des acteurs, ainsi que la coordination. Dans cette optique, il conviendrait de revivifier les services interministériels de défense et de protection civile (SIDPC) dans les préfectures. Ces services manquent sans doute de moyens pour réunir tous les acteurs régulièrement et échanger sur leurs capacités respectives, ainsi que sur les possibilités de mutualisation. On en revient à la nécessité, que j’évoquais précédemment, d’une étude permettant de savoir qui fait quoi, qui peut apporter quoi et comment on se complète.

Pour le reste, nous avons une belle maison de sécurité civile, qui fonctionne avec de grands talents aujourd’hui.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Pour aller dans le sens de la recentralisation, il est indispensable que le numéro d’appel d’urgence unique – le 112, auquel sont renvoyés les appels au 911, le numéro anglo-saxon – soit enfin mis en place. Pourquoi les Bleus, les Blancs et les Rouges veulent-ils avoir chacun leur numéro ? Il faut absolument mettre fin à la dispersion et faciliter les appels à l’aide.

M. Arnaud Derossi. Du point de vue du médecin urgentiste, la multiplicité des intervenants, notamment associatifs, rend l’organisation difficilement lisible. Une coordination opérationnelle unique est indispensable.

Du point de vue du responsable d’International SOS, l’entreprise joue un rôle d’agrégateur. L’exemple le plus récent est la crise du Covid-19, au cours de laquelle il nous a été demandé de gérer la coordination opérationnelle du pont aérien entre les Antilles françaises et la métropole. Notre expertise consiste à faire travailler ensemble de multiples acteurs qui n’en ont pas l’habitude.

Mme Marie Claude Desjeux. Dans le domaine de la réponse à l’urgence en France, il y a un problème de concurrence entre le secteur public et le secteur privé.

M. Arnaud Derossi. Dans la véritable urgence, les structures médicales privées interviennent relativement peu. C’est surtout l’apanage du service public.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Avec toujours un délai de latence. C’est la raison pour laquelle il faut donner une place aux citoyens. Le dernier rapport de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) montre une augmentation du délai d’intervention des équipes de secours : il est actuellement de plus de douze minutes, délai qui ne laisse aucune chance de survie en cas de plaie hémorragique.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vos actions appellent à l’humilité. J’aurais encore de nombreuses questions, mais le temps nous manque. Je vous laisse la parole pour résumer le message que vous voudriez faire passer à la mission d’information.

M. Jean-Luc Wertenschlag. Je veux d’abord vous remercier de m’avoir permis de prendre la parole devant votre mission. C’est d’une très grande importance pour moi.

J’ai besoin de partager ce que j’ai vécu le 13 novembre 2015 et d’être entendu. Mon livre, Impacté 13 novembre, porte ce titre pour faire comprendre qu’entre la victime et le témoin, il y a une place pour la personne impactée, celle qui est au plus près de l’épicentre de l’événement et qui intervient. Cette personne doit trouver sa place ; on doit lui en donner une.

M. Arnaud Derossi. Il est intéressant d’associer les entreprises privées qui ont des choses à apporter. Dans les trente dernières années, elles ont démontré qu’elles étaient capables de travailler aux côtés de l’État.

Je travaille chez International SOS depuis vingt-deux ans. Le tsunami dans l’océan Indien a eu lieu deux ans après mon arrivée. Pendant un an, nous avons assisté l’État et les organismes qui avaient été dépêchés sur place pour porter secours aux victimes, puis pour participer aux reconnaissances de corps.

Les entreprises privées ont un rôle à jouer auprès de l’État. La difficulté consiste, pour elles, à trouver le bon niveau de langage et le cadre juridique adéquat. Dans l’urgence, le modèle juridique pour travailler ensemble n’est pas facile à trouver, d’où la nécessité de le définir au préalable. On l’a vu pendant la crise du Covid-19 : nous n’étions pas un partenaire traditionnel du ministère de la santé ; lorsqu’il nous a sollicités, il a fallu un montage exotique impliquant le ministère des affaires étrangères pour pouvoir travailler avec lui.

Mme Marie Claude Desjeux. La lisibilité est vraiment très importante. Je prends l’exemple du guide sur les droits des victimes qui figure sur le site internet du ministère de la justice. Dans ce guide, seul le réseau France victimes est mentionné ; les associations de victimes, qui pourraient apporter beaucoup par leur regard complémentaire, n’apparaissent pas, même en tout petit. L’État veut absolument garder la main, alors que nous ne cessons de l’expliquer, l’aide aux victimes est un travail collectif, qui englobe la prévention, les secours, etc. C’est ce message qu’il faut rendre plus audible.

M. Thomas Alliot. Je vous remercie une nouvelle fois de vous intéresser à toutes les composantes de la sécurité civile. Votre travail est porteur d’espoir. On sent que l’État, le Gouvernement et les élus sont de plus en plus sensibles à ces questions, qui concernent tous les citoyens. Nous avons envie de continuer à jouer collectif, d’autant plus à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques. Malgré tout ce qu’on peut en dire, notre modèle de sécurité civile est sacrément solide et remplit ses missions régaliennes. Nous pouvons être contents de notre travail.

Mme la présidente Lisa Belluco. C’est un beau mot de la fin de la part de la jeunesse. Je vous remercie une nouvelle fois de votre venue. N’hésitez pas à nous envoyer une contribution écrite.

 


Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC)

Compte rendu de l'audition de M. le préfet Julien Marion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) au ministère de l’intérieur et des outre-mer
(jeudi 15 février 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous avons le plaisir d’accueillir ce matin M. Julien Marion, préfet, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) au ministère de l’intérieur et des outre-mer. Nous avons devant nous un temps d’échange assez long. Il constituera évidemment une étape essentielle à quelques semaines de l’achèvement de nos travaux. M. Marion est accompagné de M. Yves Hocdé, sous-directeur de la préparation, de l’anticipation et de la gestion des crises (SDPAGC), de Mme Gaëlle Lugand, sous-directrice des affaires internationales, des ressources et de la stratégie (SDAIRS), de M. Bertrand Vidot, sous-directeur des services d’incendie et des acteurs du secours (SDSIAS), et de sa directrice de cabinet, Mme Clémence Lecœur.

Nous avons entendu les associations d’élus, les acteurs et les experts de la sécurité civile, les universitaires qui ont travaillé sur ce sujet, ainsi que les principales structures administratives et gouvernementales compétentes en la matière. Nous avons par ailleurs effectué cinq déplacements, certains en France, notamment dans des départements ayant connu récemment des catastrophes, et d’autres à l’étranger. Nous souhaitions en effet avoir une vue d’ensemble des acteurs concernés, voir large sans négliger le terrain, afin que notre échange avec l’administration la plus directement concernée par nos travaux soit d’autant plus fructueux.

Monsieur le préfet, votre présence devant notre mission d’information est loin d’être purement symbolique. Nous en attendons beaucoup. Elle marque un point d’orgue de nos travaux, car la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) est le cœur du réacteur de la sécurité civile. Nous vous remercions d’ailleurs des éléments écrits que vous nous avez communiqués il y a déjà plusieurs semaines en réponse à nos questions.

Les risques sont multiples ; ils évoluent, notamment sous l’effet du dérèglement climatique, et il nous faut adapter notre modèle de sécurité civile pour anticiper les menaces et relever de nombreux défis. Les travaux de notre mission d’information pourront, nous l’espérons, y contribuer. Notre objectif est de formuler des recommandations aussi concrètes et opérationnelles que possible pour renforcer notre dispositif de sécurité civile, en nous appuyant sur les témoignages, les analyses et les retours d’expérience des acteurs clés de ce système, parmi lesquels la DGSCGC occupe une place prépondérante.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci, monsieur le préfet, d’avoir répondu à notre invitation après nous avoir communiqué des éléments écrits à propos du modèle français de sécurité civile, qui nous tient particulièrement à cœur.

Mon expérience d’élu local – j’ai eu à gérer la crise du Covid-19 dans ma commune – et la trentaine d’années que j’ai passées chez les sapeurs-pompiers m’ont permis d’avoir de nombreux échanges à ce sujet.

Comment évoluent les risques de crises majeures auxquels nous devrons faire face ? Quelles adaptations convient-il que nous apportions à notre modèle de protection et de sécurité civiles pour nous y préparer ?

M. Julien Marion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. J’aimerais faire quelques rappels historiques en introduction de mon propos, dont la réponse à votre question, monsieur le rapporteur, sera la conclusion logique. Pour comprendre les évolutions à apporter à notre modèle de sécurité civile, il est bon d’en connaître les fondements, les racines historiques, ce que j’appelle son ADN. Pour deviner où l’on va, mieux vaut savoir d’où l’on vient.

La sécurité civile est à la fois très bien identifiée par nos concitoyens – tout le monde connaît et aime les pompiers – et fort mal connue. Cela m’a frappé, tant dans l’exercice de mes responsabilités actuelles que dans mes fonctions précédentes au sein de cette belle direction. Si nous demandions par sondage à nos concitoyens quelles en sont les composantes, leurs réponses nous surprendraient sans doute. Une telle méconnaissance implique pour vous, parlementaires, et pour nous, acteurs de la sécurité civile, un devoir de pédagogie. À cet égard, cette mission d’information me semble bienvenue. C’est aussi pour cela que j’aimerais rappeler les fondements historiques de la sécurité civile en France, ce qui en constitue en quelque sorte le code génétique.

Historiquement, tout part de la lutte contre l’incendie. Très tôt, la civilisation a été confrontée à des incendies – sous la Rome de Néron ou à Rennes en 1720, par exemple. Chaque incendie majeur a rendu sensible la nécessité de s’organiser contre le risque du feu. Les premières démarches en ce sens vinrent de la population : confrontée à un risque immédiat, elle s’est organisée elle-même, indépendamment de toute directive venant d’en haut. Si Charlemagne prenait, dès 803, une ordonnance pour structurer la veille de nuit, ce n’est que beaucoup plus tard que les citoyens s’organisèrent véritablement pour assurer ce service. En tout cas, il s’agit toujours d’une chaîne de réponses partant du plus près du terrain.

On peut faire remonter aux XVIIe et XVIIIe siècles les premières démarches de structuration par la puissance centrale d’un embryon de service de sécurité civile, et ce autour d’un outil dont la découverte constitua un tournant : la pompe à incendie. Dès 1716 naissent les gardes pompes, organisés en compagnies en 1722. Au-delà de l’organisation, certains principes sont posés dès le début XVIIIe siècle, et ne seront jamais remis en cause. Je pense en particulier au principe de la gratuité des secours.

La Révolution française confirme cette dynamique. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avance d’ailleurs plusieurs principes qui valent toujours : la solidarité de la nation à l’égard des victimes d’accidents, de sinistres et de calamités ; la prise en charge des dépenses qu’occasionne l’organisation des secours par la collectivité, garante de leur gratuité.

La compagnie des sapeurs du génie de la garde impériale, qui deviendra la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), voit le jour en 1811, suivie une quinzaine d’années plus tard par les corps communaux de sapeurs-pompiers. On voit alors apparaître une dichotomie, ou plutôt une complémentarité, entre pompiers professionnels et volontaires, qui structure encore notre dispositif. Fait notable, seul le corps des sapeurs-pompiers volontaires survivra à la dissolution de la garde nationale dont il était issu, surmontant le soubresaut historique de 1871.

La suite découle assez logiquement des prémisses ainsi posées. Le XXe siècle est celui des guerres mondiales. L’État se dote d’une structure centralisée, dont l’organisation et la dénomination évolueront, mais qui reste chargée de la protection civile. Initialement rattachée au ministère de la guerre, elle rejoint rapidement le ministère de l’intérieur. La création de cette structure répond d’abord à la nécessité de protéger les populations contre les bombardements. C’est l’époque de la défense passive et de l’aménagement d’un réseau d’abris. Le XXe siècle voit ainsi la protection civile déborder de son cœur historique, la lutte contre l’incendie, pour assurer diverses missions de secours à personne et s’orienter vers la prévention.

Au début des années 1950 est créé un service national de la protection civile. Dans ces mêmes années, l’administration prend plusieurs initiatives et élabore notamment les plans d’organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec). De cette période datent aussi les premières associations agréées de sécurité civile, qui restent des acteurs majeurs. Les événements dictent souvent l’organisation. En 1959, la tragédie du barrage de Malpasset conduit le général de Gaulle à créer les colonnes de renfort, un dispositif entré depuis dans les usages et toujours très utile. En 1964 naît le corps des démineurs, suivi, en 1974, par les premières formations militaires de sécurité civile (Formisc), ces formations répondant à des besoins spécifiques bien identifiés. Parallèlement à ce foisonnement d’initiatives étatiques, l’organisation et la dénomination de notre direction évoluent : de direction de la sécurité civile, elle devient direction de la défense et de la sécurité civile avant la création, en 2011, de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). La lente structuration des initiatives citoyennes depuis l’échelon local atteint quant à elle ses limites, ce dont prend acte la loi du 3 mai 1996 relative aux services d’incendie et de secours, qui en organise la départementalisation.

Vous me pardonnerez ces rappels un peu longs, mais les services dont nous sommes dépositaires ont des racines très profondes dans notre histoire ; elles manifestent une remarquable capacité à s’adapter en élargissant sans cesse leur sphère d’intervention. Il faut prendre la mesure de l’originalité de la sécurité civile par rapport à d’autres services de l’État : née d’initiatives citoyennes, issue des territoires, elle a un ADN particulier. Cette sorte de code génétique explique que les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) fassent l’objet d’une gouvernance partagée entre l’État et les collectivités locales. L’arrière-plan historique doit nous faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un compromis de circonstances passé en 1996, mais de l’aboutissement logique d’une évolution de longue durée. L’ADN citoyen explique quant à lui qu’à côté des professionnels, employés par les collectivités territoriales ou par l’État – je parle des Formisc, des services de déminage ou des moyens aériens –, notre système repose avant tout sur des volontaires et des bénévoles. Nous devons préserver ce code génétique de la sécurité civile française, le faire évoluer, certes, mais en conservant cette caractéristique forte. Elle fonde sa singularité, manifeste dès qu’on regarde la façon dont s’organisent ces services dans les pays voisins du nôtre. Cette originalité assure sa capacité à s’adapter en permanence, sa souplesse, son agilité.

Dans l’orbite d’un ministère, qu’imprègne un principe hiérarchique, pyramidal, et presque napoléonien, qui fait aussi sa force, la DGSCGC occupe une place à part. Ceux qui agissent sur le terrain ne sont pas statutairement ses employés. Le ministère de l’intérieur emploie les policiers et les gendarmes dont il dirige l’action ; il n’emploie pas les sapeurs-pompiers. Cela crée une tension, salutaire, qu’il faut assumer, si peu naturelle soit-elle dans l’écosystème du ministère de l’intérieur. C’est une richesse et je constate que tout cela fonctionne.

Je vous épargne une présentation de l’organisation interne de la DGSCGC pour répondre plus directement à la question de monsieur le rapporteur : quelles décisions ont été prises récemment pour permettre à notre direction de relever les défis qui l’attendent ? La loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) définit trois priorités. Elle reprend plusieurs mesures annoncées par le Président de la République en octobre 2022, après une saison de feux de forêt particulièrement intenses.

Le premier volet consiste à adapter les moyens opérationnels à l’évolution, très dynamique, des risques. Nos moyens aériens sont renouvelés : les hélicoptères actuels, les fameux dragons (Eurocoptère EC145), seront remplacés par les hélicoptères H145 produits par Airbus. La flotte passera de trente-six à quarante machines. Le contrat ayant été signé fin 2023, les premières livraisons interviendront dès la fin de l’année en cours ; nous aurons une flotte d’hélicoptères entièrement renouvelée pour 2028. Indépendamment de la Lopmi, nous avons également engagé le renouvellement de nos avions, en faisant l’acquisition de huit appareils Dash 8-Q400 MR, dont le dernier a été livré en juin 2023. Quatre Canadairs supplémentaires, financés par la Commission européenne, devraient s’y ajouter entre 2027 et 2028. Nous renforçons également les capacités des Formisc. Trois de ces régiments de l’armée de terre sont déjà à la disposition du ministère de l’intérieur, et nous allons en créer un quatrième. Installée à Libourne, cette unité commencera à monter en puissance à partir de cet été pour atteindre son effectif nominal en 2027. Cela portera le nombre d’agents des Formisc à plus 2 000, contre 1 400 à ce jour. Nous augmentons aussi nos moyens de faire face aux risques NRBC et aux menaces terroristes. Les Jeux olympiques et paralympiques nous servent à cet égard de catalyseur. Voilà pour les moyens nationaux.

Les pactes capacitaires liant l’État, les collectivités territoriales et les SDIS organisent le cofinancement et l’acquisition de matériels lourds, comme les 1 096 camions de lutte contre les feux de forêts acquis fin 2023. Ces matériels ne sont d’ailleurs pas exclusivement destinés aux départements du Sud.

Deuxième axe : la modernisation de nos systèmes d’information, pour anticiper les changements liés au développement des nouvelles technologies. J’enfonce une porte ouverte : la gestion de crise passe par celle des données. Il nous faut donc rendre possible un bond qualitatif dans ce domaine. Tel est l’objet du projet NexSIS 18-112, qui prendra son envol en 2024 et permettra d’équiper les services d’incendie et de secours et les services de l’État partenaires, à savoir l’État-major interministériel de zone (EMIZ) et le centre opérationnel de gestion interministériel de crises (COGIC), du même outil de gestion opérationnel. Cela permettra d’être bien plus efficace dans l’analyse et le pilotage des crises. Nous déployons également de nouveaux vecteurs d’alerte des populations : je pense en particulier au dispositif FR-Alert, qui fait l’objet d’un exercice commencé aujourd’hui et qui se poursuivra demain, sous le contrôle de la préfecture. Ce dispositif fonctionne ; nous l’avons vérifié à l’occasion d’une crise réelle, quand la tempête Ciarán a frappé le Finistère, les Côtes-d’Armor et la Manche. Les préfets des trois départements ont pu coordonner à temps la diffusion de messages d’alerte. Même si, par définition, les vies sauvées ne se voient pas, cela a permis à des dizaines de personnes d’avoir la vie sauve. Notre ambition est donc d’achever le déploiement de FR-Alert et notamment de l’étendre aux territoires ultramarins.

Il s’agit, troisièmement, de renforcer la position centrale du ministère de l’intérieur et des outre-mer dans la gestion des crises. Cet objectif procède d’un constat simple, que nous pouvons tous partager : presque toutes les crises ont une dimension interministérielle. Il revient donc au ministère de l’intérieur d’assurer la coordination entre les ministères concernés. Pour lui permettre d’assumer cette responsabilité, la Lopmi prévoit la création d’une structure permanente. Une préfète chargée de mission auprès de ma direction conduit la réflexion en cours sur les arbitrages à opérer. Nous envisageons d’activer cette nouvelle structure d’ici à la fin de 2024, une fois les Jeux olympiques terminés. La gestion de la donnée sera d’ailleurs une des tâches centrales de cette future structure.

À quels risques majeurs devons-nous nous préparer ? Premièrement, nous sommes confrontés aux conséquences du dérèglement climatique, qui sont déjà une réalité. Nous devons collectivement nous habituer à voir l’exception devenir la norme. Les indicateurs météorologiques que nous utilisons pour préparer la saison des feux de 2024 n’ont rien à envier à ceux de 2022. C’était déjà le cas l’année dernière, mais les épisodes de pluie survenus fin mai et début juin dans le Sud-Est ont heureusement permis d’échapper à une nouvelle catastrophe. Sans pluies significatives, notamment dans le pourtour méditerranéen, nous pourrons nourrir des craintes sérieuses. Les saisons des feux seront de plus en plus longues et concerneront un territoire de plus en plus large. En 2022, plus de la moitié des départs de feu sont survenus au nord de la Loire, et nous avons été confrontés à des situations graves dans des départements que l’on pensait à l’abri, en particulier le Finistère, les Vosges et le Maine-et-Loire. Nous devons nous adapter. Des décisions ont déjà été prises afin de rehausser nos moyens, et nous devons poursuivre les efforts engagés.

Le dérèglement climatique entraîne également des inondations. Nous avons tous en tête celles qui ont touché le Pas-de-Calais en novembre et en janvier. Je me suis rendu sur place à plusieurs reprises avec le Président de la République et le ministre de l’intérieur et des outre-mer pour constater l’étendue de la crise. En novembre, nous assurions aux populations que l’État ne les abandonnait pas dans cette terrible situation. De fait, nous avons déployé des moyens considérables. Nous ajoutions qu’il s’agissait d’un épisode hors norme, que de telles inondations étaient décennales, voire centennales. Deux mois après, nous y retournions dans les mêmes conditions. Pour illustrer mon propos, j’ajoute que les moyens cumulés que la sécurité civile a déployés dans le Pas-de-Calais à l’occasion de ces deux épisodes d’inondations massives, notamment pour assurer le pompage, sont équivalents à ceux requis lors d’une saison de feux de forêts de moyenne intensité.

Je pourrais également évoquer le risque d’origine naturelle dans les territoires ultramarins. Nous nous sommes rendus il y a peu à La Réunion, après le passage du cyclone Belal, qui a heureusement dévié sa trajectoire, évitant d’atteindre l’île elle-même. À Mayotte, nous gérons une crise de l’eau qui est la conséquence directe du bouleversement climatique. Je suis fier de le souligner, la sécurité civile a élaboré une logistique de distribution d’eau potable dans toute l’île, qui fonctionne depuis le mois de novembre, parce que les réserves n’étaient plus suffisantes.

Un indicateur permet de mesurer objectivement la réalité du changement climatique : la projection des moyens de la sécurité civile hors des frontières hexagonales, donc en outre-mer et à l’étranger. Entre 2015 et 2020, nous avons engagé sept à huit détachements par an en moyenne, représentant environ 3 000 hommes-jour. En 2021 et 2022, nous avons engagé dix-huit détachements, soit environ 10 000 hommes-jour. En 2023, vingt détachements l’ont été, représentant au total l’équivalent de 46 000 hommes-jour. Je précise que l’unité hommes-jour inclut tous les moyens déployés – sapeurs-pompiers civils et formations militaires.

L’accélération des crises d’origine climatique constitue le premier risque auquel nous sommes confrontés, mais ce n’est pas le seul. J’appelle votre attention sur le secours à personne, qui représente entre 80 et 85 % de l’activité des sapeurs-pompiers – seules 5 à 7 % de leurs interventions concernent la lutte contre l’incendie. Il s’agit d’une tendance profonde depuis plusieurs années. En effet, des défis s’imposent au monde médical et la sécurité civile est confrontée aux conséquences, car les pompiers, et de plus en plus les bénévoles des associations agréées, accomplissent des missions de soutien au monde de la santé. Cela amène d’ailleurs à s’interroger sur ce qu’on attend de la sécurité civile. La crise liée au Covid-19 était exceptionnelle, mais je vous parle ici de la réalité quotidienne des services d’incendie et de secours. Je ne porte pas de jugement, je me borne à constater la situation. Les acteurs concernés, respectueux de leurs valeurs, assument leurs missions sans se dérober. Toutefois, le système est sous tension : il devient nécessaire d’encadrer davantage les rôles des différents acteurs, notamment ceux de la sécurité civile, dans les secours pré-hospitaliers. Des difficultés existent déjà pour répondre aux besoins ; il faut accompagner leur amplification.

Cette évolution est moins spectaculaire que les crises climatiques, mais il est tout aussi essentiel de s’en préoccuper. Tous nos concitoyens perçoivent ce risque. Tout le monde, je l’espère, ne sera pas confronté à une crise climatique ; en revanche, tout le monde peut être victime d’une chute ou d’un malaise cardiaque. Il s’agit d’un chantier majeur pour l’avenir de la sécurité civile. Au niveau central, nous dialoguons avec nos partenaires du ministère du travail, de la santé et de la solidarité.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci pour votre introduction historique : effectivement, pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient.

Nous sommes allés en Gironde. Vous avez évoqué les feux de forêt qui s’y sont produits ; les acteurs locaux nous ont exprimé leur crainte d’une rupture capacitaire. Pendant la crise, les moyens nationaux étaient engagés là-bas. Par chance, et grâce au savoir-faire français, les interventions ont pu être réduites dans les autres régions.

Comment avez-vous anticipé les saisons de 2022 et 2023 pour éviter une telle rupture, alors que les risques étaient élevés ? Vous avez expliqué qu’entre 2015 et 2023, on était passé, pour les effectifs engagés, de 3 000 à 46 000 hommes-jour. Avez-vous établi des prévisions en matière de besoins humains et matériels pour faire face aux feux de forêt dans les années à venir ?

M. Julien Marion. La Gironde est un très bon exemple. Nous avons tous en tête les images terribles des incendies à Landiras et à La Teste-de-Buch. Je vous rassure : ce sujet nous occupe constamment. Pour anticiper le risque de feux de forêt, il faut combiner de manière optimale les moyens et la doctrine d’intervention, afin d’être performant.

La saison des feux de 2022 a révélé l’accélération du risque. Le Président de la République a pris des décisions fortes, qu’il a annoncées dès le mois d’octobre suivant. Premièrement, les pactes capacitaires sont à jour : les conventions avec les SDIS, les services départementaux d’incendie et de secours, ont toutes été signées avant la fin de l’année 2023. Dans ce cadre, 150 millions d’euros serviront à acquérir près de 1 100 camions-citernes feux de forêt (CCF), pour accroître significativement la capacité d’intervention. Cela représente l’équivalent de quarante-six colonnes de renfort. Deuxièmement, nous avons plus que doublé le nombre de ces dernières. Dès 2023, le dispositif prévoyait la possibilité d’armer cinquante et une colonnes de renfort dans un département confronté à des incendies majeurs. Il sera reconduit en 2024, et les années suivantes. Troisièmement, nous avons créé une quatrième unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), dans la cadre des Formisc. Suivant le souhait du Président de la République, elle sera installée à Libourne. Elle entrera en fonction en format réduit dès cet été, puis elle montera en puissance jusqu’à atteindre son format définitif à l’été 2027, avec 650 militaires. Ils accompliront toutes les missions qui reviennent aux Formisc, notamment l’appui aux sapeurs-pompiers locaux en cas de feux de forêt. Positionnée dans le Sud-Ouest, elle sera complémentaire des trois premières.

Nous réfléchissons également à moderniser la flotte d’avions et d’hélicoptères. Certes, les capacités de largage des nouveaux H145 seront limitées, mais ils pourront intervenir de manière complémentaire dans la lutte contre les incendies. Par ailleurs, nous avons décidé de recourir à la location de moyens supplémentaires. Au cours de l’été 2023, nous avons loué dix hélicoptères et cinq avions bombardiers d’eau ; nous reconduirons ce dispositif en 2024 et les années suivantes, car il a prouvé son efficacité. En 2023, les départs de feux ont été plus nombreux qu’en 2022, mais 14 000 hectares seulement ont brûlé.

Cela prouve également que notre doctrine d’intervention est pertinente. Elle s’est construite progressivement, depuis les années 1990, autour du Bassin méditerranéen, où le risque était concentré. Tous nos partenaires ne la partagent pas. Le premier principe consiste à attaquer massivement les feux naissants, pour éviter qu’ils ne prennent de l’ampleur et deviennent hors de contrôle. Le second est d’organiser un guet aérien armé, en assumant de consacrer une partie de nos vecteurs aériens à la surveillance des zones à risque. Pendant la saison des feux, nous accueillons des prévisionnistes de Météo-France au ministère et dans les états-majors de zone, Sud et Sud-Ouest notamment. Avec eux, nous déterminons les zones les plus à risques à t + 24 heures. Des avions partent effectuer des rotations dans des périmètres définis, afin de détecter les départs de feux et d’intervenir immédiatement, en attendant des moyens complémentaires.

M. Didier Lemaire, rapporteur. J’ai eu le plaisir de me rendre l’été dernier à la base de Nîmes-Garons dans les Bouches-du-Rhône, alors en vigilance rouge. J’ai constaté en temps réel la réactivité en cas de feu naissant.

Nous sommes allés au Portugal et en Italie pour discuter de nos modèles respectifs de sécurité civile. Vous avez expliqué les grands projets de modernisation du modèle et de renforcement de la capacité d’anticipation. Sont concernés les ministères chargés de l’intérieur, de la défense, de l’écologie, de la santé parfois. Comment évolue la coordination interministérielle, notamment en lien avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ?

M. Julien Marion. Pour gérer les conséquences du changement climatique, la coordination interministérielle est permanente. Avec nos partenaires de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, nous effectuons un travail dense en matière de prévention des risques et d’éducation des populations. Nous menons ensemble de nombreux projets, en particulier pour anticiper les conséquences du changement climatique. Après une phase de diagnostic, nous engageons la mise en œuvre d’un plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) très détaillé. Nous travaillons par exemple sur la Journée nationale de la résilience, le 13 octobre, pour en faire un temps fort.

Le SGDSN conçoit et applique la stratégie nationale de résilience ; il garantit la cohérence interministérielle des actions. Nos travaux s’inscrivent naturellement dans le cadre des textes qu’il publie, puisque nous sommes l’un des acteurs de la stratégie. Par ailleurs, le SGDSN mène la politique interministérielle d’exercices. En effet, un entraînement régulier est indispensable pour gérer efficacement les crises. Chaque département ministériel concerné organise ses exercices, mais ceux qui sont effectués en commun sont de plus en plus nombreux. Actualité oblige, beaucoup de ces exercices, ces derniers temps, visaient à préparer les Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Ils ne sont pas étrangers à la sécurité civile, puisque nous réfléchissons notamment à la survenue d’un épisode climatique complexe pendant le déroulement des Jeux, qui mobiliseront largement les forces de sécurité. Il est bon d’anticiper le risque en s’exerçant à le surmonter dans des conditions fictives.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nos auditions ont montré qu’il fallait réfléchir au soutien de l’État envers les SDIS, qui connaissent des situations diverses. Évidemment, notre travail concerne tout le territoire, hexagone et outre-mer, ville, campagne, montagne et littoral. L’État envisage-t-il de soutenir les SDIS qui souffrent d’un manque de moyens ?

M. Julien Marion. Depuis la loi de 1996, les services d’incendie et de secours obéissent au principe de gouvernance locale : ce sont le département, puis le bloc communal, qui leur fournissent les moyens dont ils ont besoin. Il n’est pas prévu que l’État soutienne ces investissements de manière pérenne. Néanmoins, l’État agit. J’ai évoqué le pacte capacitaire, opération d’envergure mais ponctuelle. Il soutient également les investissements en participant à des projets structurants, comme NexSIS, qui vise à doter l’ensemble des SDIS d’un système de gestion des alertes et d’un système de gestion des opérations (SGA-SGO) unique. L’accompagnement financier de l’État se monte à 100 millions d’euros sur dix ans.

Je rappelle par ailleurs que l’investissement des SDIS était soutenu par l’État à travers le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), à hauteur de 117 millions d’euros en 2022. Sur le plan local, les préfets ont la possibilité de mobiliser des dispositifs tels que la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l’investissement local (DETR) et la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID) pour accompagner certains projets d’investissement des SDIS. Selon nos estimations, cela représente à peu près 10 millions par an, ce qui n’est pas anecdotique.

On considère que l’État contribue aux budgets des services d’incendie et de secours, de manière ou indirecte, notamment dans le cadre de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), et sans distinguer fonctionnement et investissement, à hauteur d’un quart du total.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Le couple maire-préfet est-il suffisamment bien établi en cas de crise ? Qu’en est-il de l’implication d’autres acteurs, comme les élus départementaux, les associations, les bénévoles et les médias ? Les rôles sont-ils assez bien identifiés ?

M. Julien Marion. J’ai le sentiment, même si c’est très impressionniste, que les responsabilités sont bien identifiées. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de réflexion à mener sur la manière dont on pourrait optimiser l’intervention de chacun.

S’agissant du couple maire-préfet, les responsabilités sont connues – elles sont prévues par les textes. Le maire a ainsi une responsabilité en matière de conduite de la gestion de crise. Je fais régulièrement des déplacements dans les départements : le sentiment que j’ai est que la responsabilité de chacun est bien identifiée et que, globalement, la chaîne de commandement en matière de sécurité civile fonctionne.

Les élus départementaux ont un rôle éminent en matière de gouvernance des services d’incendie et de secours, mais les textes ne prévoient pas qu’ils aient des responsabilités en ce qui concerne la conduite de la gestion de crise.

Pour ce qui est des associations agréées en matière de sécurité civile et, au-delà d’elles, du bénévolat spontané, de la manifestation de bonnes volontés à l’occasion de crises, le système fonctionne, et c’est heureux. Globalement, une complémentarité assez harmonieuse se met en place sous l’égide des maires et des préfets.

Je ne voudrais pas vous donner l’impression d’évoluer dans un univers de Bisounours – des questions, profondes, se posent, comme celle du modèle des associations agréées de sécurité civile, en particulier en matière de financement –, mais sur le terrain, en cas de crise, j’ai quand même le sentiment que notre système fonctionne bien. L’une de ses grandes forces, surtout en comparaison de ce qui existe dans d’autres pays, est qu’il n’y a qu’un seul patron pour gérer une crise à un moment donné et à un certain échelon territorial, ce qui est très important. L’absence de concurrence pour la direction de la gestion de crise facilite énormément le travail d’agglomération des efforts des différents acteurs ou contributeurs – les services de l’État, les sapeurs-pompiers, les moyens nationaux, le cas échéant, les bénévoles des associations, les élus locaux et les bénévoles spontanés.

Je ne sais pas s’il faut considérer les médias comme des acteurs de la gestion de crise, mais celle-ci se déroule, comme toute action publique, sous leur œil, ce qui est une bonne chose – nous devons rendre compte des actions qui sont menées. Il faut, et je crois qu’on le fait maintenant partout, intégrer la dimension médiatique et la communication dans toute conduite de gestion de crise.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Si j’ai cité les médias, c’est parce que nous avons eu des témoignages au sujet de difficultés de communication quand il s’agit de toucher l’ensemble de la population et du rôle que les médias peuvent jouer en matière d’alerte ou d’information en cas de crise.

Je reviens sur la constellation des associations agréées de sécurité civile. Leur existence est une force, mais nos auditions ont montré qu’il y avait parfois des difficultés de coordination avec les autres acteurs de la sécurité civile, notamment les sapeurs-pompiers. Avez-vous dans ce domaine des axes de travail ?

M. Julien Marion. Notre constat, que je crois partagé, est que les associations agréées de sécurité civile sont un acteur essentiel de la réponse et qu’il faut évidemment les conforter dans ce rôle.

Un encadrement existe, notamment grâce à un dispositif d’agrément, selon les types de missions. Une coordination a lieu au niveau central : les services de la direction des sapeurs-pompiers sont chargés de l’animation des acteurs du secours et, à ce titre, ils interagissent régulièrement avec les associations agréées de sécurité civile. Néanmoins, l’essentiel de la coordination se passe sur le plan local, dans le cadre de dynamiques territoriales.

Les textes prévoient des instances pour faire vivre cette coordination, en particulier le conseil départemental de sécurité civile. On pourrait se demander s’il est suffisamment vivant dans chaque département – je n’en suis pas totalement certain. Il y aurait peut-être lieu de réactiver un peu cette instance. En tout cas, c’est à ce niveau que la coordination doit avoir lieu. Au niveau central, nous traitons, par définition, de sujets systémiques. La coopération opérationnelle ne peut relever que de dynamiques territoriales.

Je pense, par ailleurs, qu’il faut admettre, comme je l’ai dit au sujet du secours à la personne, que les associations agréées de sécurité civile sont de plus en plus appelées à intervenir en complément des acteurs de santé. La loi Matras a commencé à apporter des réponses en matière d’encadrement, mais il faudra probablement aller plus loin afin de sécuriser les conditions d’intervention de ces associations. Cela relève de travaux au niveau central, que nous sommes tout à fait prêts à conduire.

Mme la présidente Lisa Belluco. Il semblerait que la procédure d’agrément des associations de sécurité civile soit complexe dans certains cas, notamment au niveau départemental. Le sujet est, par ailleurs, controversé, car certaines associations nationales souhaitent qu’il n’y ait pas de procédure supplémentaire d’agrément au niveau départemental. Pouvez-vous revenir sur le processus à suivre et les critères ? Existe-t-il des pistes en matière de simplification ?

M. Julien Marion. En effet, on peut probablement simplifier le processus de délivrance, notamment l’articulation entre les agréments délivrés au niveau national et ceux qui le sont au niveau départemental. Les premiers, renouvelables tous les trois ans, sont de différents types, en fonction des missions. Les agréments A concernent les opérations de secours ; les agréments B, les missions de soutien et d’accompagnement des populations, notamment l’accueil, l’écoute, le réconfort et le ravitaillement ; les agréments C sont délivrés pour tout ce qui relève de l’encadrement des bénévoles spontanés, non affiliés aux associations mais qui peuvent se manifester à l’occasion de crises ; l’agrément D, enfin, porte sur la tenue de postes de secours lors de grands rassemblements de personnes. Il existe aussi un agrément spécifique, qui ne relève pas de la sécurité civile, pour toutes les missions de formation au secourisme.

La délivrance de l’ensemble de ces agréments se fait selon des critères précis. On vérifie que l’association publie ses comptes, qu’elle a une gouvernance conforme aux règles du droit associatif, qu’elle respecte le contrat d’engagement républicain, etc. À cela s’ajoute, évidemment, la vérification de l’aptitude technique, parce que des compétences très pointues doivent être mobilisées.

L’instruction des agréments nationaux fait partie des missions de la sous-direction que dirige, au sein de la direction des sapeurs-pompiers, M. Bertrand Vidot. Nous délivrons par ailleurs les agréments interdépartementaux. Lorsque le champ est départemental, en revanche, c’est le préfet qui est compétent – il applique alors les mêmes principes.

On pourrait probablement travailler à une simplification des procédures pour faciliter la vie des associations en évitant des surcharges inutiles. Cela me semble tout à fait dans l’air du temps.

Mme la présidente Lisa Belluco. Ne pourrait-on pas se passer d’agréments départementaux ? Il semble que le cumul des deux niveaux d’agréments requis peut représenter une gêne pour certaines associations de sécurité civile.

M. Julien Marion. Le risque, si on allait dans cette direction, serait de se priver de compétences qui peuvent exister localement et qui répondent à des besoins. Il faut être en mesure de mobiliser ces compétences, même si elles n’existent qu’à l’échelle d’un territoire. Les effectifs d’activité, s’agissant des associations agréées, sont à peu près les mêmes que pour les autres acteurs de la sécurité civile : on observe un recours accru, assez dynamique, aux bénévoles. Je pense qu’il faut garder la capacité de mobiliser, dans un cadre réglementé – d’où l’existence d’un agrément –, des ressources précieuses qui peuvent exister uniquement à l’échelle locale. Je vous rejoins bien volontiers, en revanche, pour ce qui est de rechercher un peu de souplesse ou d’éviter des rigidités inutiles.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je reviens sur le lien avec les municipalités. Nous serons tous d’accord pour dire, me semble-t-il, que la gestion de crise ne s’improvise pas. Nous sommes allés, il y a quelques semaines, dans la vallée de La Vésubie, qui a été coupée du monde pendant un certain temps, aussi bien en matière de communications que de fourniture d’électricité. Des efforts sont-ils réalisés pour accompagner la mise en place de plans communaux de sauvegarde (PCS) ? Il nous a semblé, lorsque nous avons reçu les témoignages de l’Association des maires de France et de l’association Départements de France, que les élus étaient un peu démunis lorsqu’ils n’avaient pas dans leur équipe des gens déjà sensibilisés à la sécurité civile.

M. Julien Marion. Ce que vous demandez, monsieur le rapporteur, suppose de mobiliser plusieurs dispositifs.

L’obligation d’adopter un PCS existe, mais n’est pas encore mise en œuvre partout. Néanmoins, la situation est en voie d’amélioration. Les préfets savent qu’ils doivent absolument inciter les collectivités à agir, dans un cadre communal – ou intercommunal, si cela paraît plus adapté aux réalités du territoire ou du bassin de vie. Je mets une pression sur les préfets : chaque fois qu’un nouveau préfet est nommé, j’échange avec lui, en ayant les chiffres sous les yeux : je lui dis qu’il lui reste tant de communes à convaincre.

Par ailleurs, les préfets se tiennent à la disposition des élus qui ont besoin d’une aide méthodologique, qui peut passer par des réunions spécifiques ou la fourniture de modèles, pour l’adoption de plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde. On ne se contente pas d’aller voir un maire pour lui dire que sa commune doit être dotée d’un PCS, que c’est très important et que, sinon, on va lui tirer les oreilles : on ne le laisse pas tout seul face à une page blanche. On aide, on accompagne – c’est le rôle de l’État, que les préfets jouent très bien. La dynamique existante doit se poursuivre, afin que les zones dans lesquelles des plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde n’existent pas encore disparaissent peu à peu.

Une autre réponse à la question que vous avez soulevée repose sur les réserves communales de sécurité civile. Il en existe 639 : c’est bien, mais ce n’est clairement pas suffisant. Bien que les réserves communales de sécurité civile aient un fondement juridique, leur création est laissée à la libre initiative des élus. Notre constat est que certains d’entre eux se sont emparés de ce dispositif, ce qui est très positif – nous avons tous en tête des exemples dans lesquels la mobilisation de réserves communales de sécurité civile a joué un rôle déterminant dans la gestion d’une crise –, mais on peut clairement faire mieux dans un pays qui compte 36 000 communes. Je me demande, par conséquent, s’il ne faudrait pas réfléchir à la manière dont on pourrait être un peu plus incitatif, parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde et totalement conforme à l’ADN de notre sécurité civile.

Un autre domaine dans lequel nous devons nous améliorer, à mon avis, est celui de la formation proposée aux élus en matière de gestion de crise. Des choses se font, mais pas encore d’une manière suffisante. Nous essayons de structurer le travail d’accompagnement : la Journée nationale de la résilience (JNR) est un très bon catalyseur. Je pense néanmoins que nous devrions monter en puissance, de manière pérenne, pour ce qui est des dispositifs de formation des élus à la gestion de crise. Tout cela ne s’improvise pas. Si vous êtes maire d’une petite commune, qu’une catastrophe se produit et qu’on vous dit qu’il faut armer un PC communal, il y a des choses à savoir, des réflexes à avoir et des techniques à maîtriser.

Dans ce domaine, l’État n’a pas vocation à mener tout seul la réflexion : le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pourrait tout à fait être associé à la démarche, et je vois assez bien autour de quelles structures des dispositifs de formation pourraient être construits – l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) pourrait très bien voir ses missions élargies à ce type de formation, et l’Institut des hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI) pourrait également être mobilisé, ainsi que toute une série d’acteurs. Comme la gestion de crise va, malheureusement, devenir une réalité pour un nombre croissant d’élus, il faut s’organiser en conséquence.

M. Didier Lemaire, rapporteur. L’acculturation des élus me semble, en effet, très importante. Qu’en est-il de celle de la population ? Le premier acteur, c’est le citoyen. Y a-t-il des pistes à suivre en ce qui concerne son accompagnement ? Pensez-vous qu’il faudrait aller plus loin ? Nous avons vu combien l’acculturation de la population était essentielle chez nos amis portugais et italiens, qui travaillent sur cette question dès le plus jeune âge. Le ministère de l’éducation nationale pourrait peut-être jouer un rôle chez nous.

M. Julien Marion. Je voudrais compléter ma réponse précédente. Les élus sont associés de façon systématique à la politique d’exercices qui est menée au plan local, à l’initiative des préfectures. C’est aussi une manière de diffuser la culture de la gestion de crise.

Par rapport à certains voisins et partenaires, nous avons peut-être un déficit de maturité en matière d’éducation des populations aux risques et à la gestion de crise, pour de nombreuses raisons. Il faut en tirer les conséquences : vous avez parfaitement raison de dire qu’il faut mener un travail dès le plus jeune âge, en milieu scolaire.

Il est plutôt encourageant de constater, à cet égard, qu’une très belle dynamique est en train de se développer autour de la JNR, dont la deuxième édition s’est tenue en 2023. Nous en faisons le principal vecteur pour essayer de diffuser, sur le territoire national, l’éducation aux risques.

Cela permet de faire beaucoup de choses, mais ce n’est pas exclusif d’un travail au niveau central avec le ministère de l’éducation nationale pour toucher les jeunes publics. Le Service national universel peut aussi constituer un vecteur intéressant : je ne sais pas si c’est encore d’actualité, mais il était envisagé, à un moment, de renforcer la « brique » relative à l’éducation aux risques dans le cadre des séjours de cohésion, afin de toucher toute une classe d’âge.

Je tiens également à mentionner, même s’ils reposent sur le volontariat, des dispositifs qui permettent de proposer à des jeunes de s’engager dans le domaine de la sécurité civile et de devenir un peu des ambassadeurs de l’éducation aux risques, comme les classes de cadets de la sécurité civile, qui se développent. Là où elles existent, vous l’avez peut-être constaté lors de vos déplacements, se crée une dynamique très positive, très vertueuse, qui conduit un certain nombre de participants à devenir ensuite de jeunes sapeurs-pompiers, puis à s’engager comme sapeurs-pompiers volontaires, voire professionnels. C’est vraiment le genre de trajectoire dont j’aimerais voir la diffusion partout dans le territoire, car c’est aussi de cette manière qu’on acculturera de plus en plus la population aux risques.

M. Yves Hocdé, sous-directeur de la préparation, de l’anticipation et de la gestion des crises. Le code de l’éducation comporte des dispositions qui demandent aux établissements scolaires de mettre en place des sessions de sensibilisation et de formation des élèves. Il existe, par ailleurs, des plans particuliers de mise en sûreté, les PPMS, qui font l’objet d’exercices annuels pour permettre de se préparer à des événements naturels ou à des menaces de type terroriste. Ce sont des éléments majeurs pour l’acculturation des populations, sur lesquelles on s’appuie naturellement dans le cadre de la JNR afin de toucher les élèves. Un travail est mené, de plus, avec les directions générales du travail et des collectivités locales ainsi qu’avec l’Association des maires de France, pour faire en sorte que l’ensemble des employeurs privés et publics contribuent à la sensibilisation et à l’acculturation de la population.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Existe-t-il des pistes de réflexion en ce qui concerne la reconnaissance de l’action des bénévoles de la sécurité civile ? Devrait-on parfaire la situation en la matière ?

M. Julien Marion. La loi Matras a posé un principe important, qui est la reconnaissance du fait que les associations agréées de sécurité civile participent à l’exercice des missions de sécurité civile : cela consacre, en quelque sorte, leur rôle dans la chaîne des acteurs.

Un autre aspect de la réflexion en la matière concerne la reconnaissance accordée, sur un plan plus symbolique, aux bénévoles des associations agréées de société civile dans le cadre des récompenses et distinctions honorifiques. Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent avec dédain ou mépris l’octroi de distinctions honorifiques à ceux qui acceptent de mettre une partie importante de leur temps libre au service de la collectivité. J’ai donné des instructions pour qu’une place significative soit réservée aux bénévoles des associations agréées de sécurité civile lors des promotions dans les ordres nationaux et de l’octroi des médailles de la sécurité intérieure. Ce fut le cas lors des dernières promotions dans les ordres nationaux et j’espère qu’on pourra bientôt faire le même constat s’agissant de la médaille de la sécurité intérieure.

Cependant il faut aussi faire attention à ne pas brouiller les frontières entre les différents statuts. Un bénévole n’est pas un volontaire. Il faut se garder, même si les intentions sont forcément bonnes, de créer des dispositifs qui rapprocheraient insidieusement les bénévoles du statut de volontaire. Ce n’est pas la même chose. Et il faut également éviter qu’un processus similaire fasse glisser les volontaires vers le statut de travailleur…

M. Didier Lemaire, rapporteur. Il est aussi important d’évoquer la coopération européenne, dont vous nous avez dit quelques mots dans votre propos introductif.

D’après vous, quelle est la principale singularité du modèle français de sécurité civile ?

Certains aspects des modèles étrangers – portugais, italien ou autres – pourraient-ils nous inspirer ?

M. Julien Marion. Je ferai tout d’abord un constat dont je ne tire aucune conséquence particulière : le modèle français de sécurité civile s’exporte assez bien, si j’en juge par le nombre de demandes de missions d’appui ou de coopération technique ainsi que par le nombre des délégations étrangères que nous accueillons à la fois à Paris et dans nos grands établissements, comme l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (Ensosp), ou dans les SDIS. J’en déduis que ce modèle ne fonctionne pas trop mal.

Cela étant dit, il faut surtout être très humble et se garder de tout cocardisme déplacé – je le dis d’autant plus que c’est parfois une tentation française – et d’aller voir nos partenaires en estimant que nous avons tout à leur apprendre.

Chaque modèle, nous devons en être conscients, est le fruit de l’histoire et de la géographie. Le nôtre résulte d’une longue évolution historique, mais aussi des caractéristiques géographiques de la France, pays méditerranéen qui comprend des territoires ultramarins.

Qu’est-ce qui fait que notre modèle de sécurité civile suscite l’intérêt ? Ce sont avant tout quelques principes assez simples, que nous avons déjà évoqués au cours de cette audition : une organisation et une gestion intégrées de l’ensemble des composantes de la sécurité civile ; une chaîne de commandement unique – élément essentiel sur lequel on n’insistera jamais assez ; un maillage territorial d’une haute densité, hérité du passé mais que l’on a réussi à préserver ; une compétence très large dans de multiples secteurs, qui permet à notre modèle de sécurité civile de répondre tant aux risques courants qu’aux risques exceptionnels ; enfin, une doctrine de formation unifiée.

Même si les statuts des acteurs de la sécurité civile sont très différents, ils sont pour l’essentiel tous formés au même endroit – c’est en particulier le cas des officiers de sapeurs-pompiers avec l’Ensosp. De ce fait, des acteurs variés aux origines et statuts divers savent très bien travailler ensemble, car leurs modes d’organisation sont similaires et leurs systèmes interopérables.

Pour vous donner un exemple, j’ai accueilli hier le directeur général des affaires économiques et financières de la Commission européenne à la base aérienne de la sécurité civile à Nîmes. Je lui ai fait visiter le simulateur d’entraînement à la coordination des opérations aériennes de secours, qui dispose d’équipements assez extraordinaires. Des démineurs de la sécurité civile étaient en train d’y être formés au pilotage de drones. C’est une très belle illustration : des policiers et sapeurs-pompiers civils sont formés par des pilotes qui sont eux-mêmes d’anciens militaires. Notre grande force en cas de crise est d’arriver à agréger ces compétences et ces statuts différents pour construire une réponse appropriée, à un moment et à un endroit donnés. Dans le domaine de la sécurité civile, la diversité des profils n’est pas une contrainte. C’est une richesse et une force.

Quant à notre système de gestion de crise, il repose sur quelques principes assez simples : la subsidiarité et la solidarité. La subsidiarité consiste à laisser par principe l’échelon local gérer un événement et décider à son niveau. Quand il n’est plus en mesure de le faire, l’échelon zonal prend le relais. Et quand on atteint un stade encore supérieur d’intensité, c’est à l’échelon national que revient le pilotage. Tout cela fonctionne assez bien.

Voilà en quelques mots ce qui fait à mon avis la force de notre modèle, et donc suscite l’intérêt de nos partenaires étrangers

M. Florian Chauche (LFI-NUPES). Pour faire face à la crise du volontariat chez les sapeurs-pompiers, qui se traduit par moins de candidats et des engagements d’une durée plus réduite, avez-vous prévu des campagnes nationales de communication pour susciter des vocations – comme le font par exemple les armées et la gendarmerie ?

On sait que 85 % des interventions des sapeurs-pompiers concernent le secours aux personnes, la lutte contre les feux et les incendies en constituant seulement 7 à 8 %. Avez-vous entamé une réflexion sur notre organisation, en vous inspirant du modèle américain qui distingue les firefighters et les paramedics ? En effet, dans l’imaginaire collectif, le sapeur-pompier est un homme en bonne condition physique, alors que cela n’est pas forcément nécessaire pour secourir des personnes. Effectuer une distinction entre les missions permettrait d’attirer d’autres volontaires. Cela contribuerait en outre à limiter les frustrations liées au fait que les missions les plus fréquemment remplies ne consistent pas à désincarcérer des victimes d’accident d’automobile ou à lutter contre les incendies.

J’en viens aux matériels. On le sait, le risque d’incendie s’étend désormais au nord de la Loire, mais on ne peut guère y utiliser les Canadair faute d’étendues d’eau suffisantes pour écoper. Une réflexion est-elle conduite au sein de votre direction générale au sujet de l’acquisition d’hélicoptères lourds ? Actuellement, vous louez de tels engins. Ils sont capables d’emporter une charge importante de 4 000 litres d’eau – contre 6 000 litres pour les Canadair. Ces hélicoptères pourraient en outre être utiles pour d’autres missions, notamment pour évacuer des personnes lors d’évènements climatiques extrêmes, comme des inondations.

M. Julien Marion. Je vais répondre brièvement à ces trois questions, mais je m’engage à vous faire parvenir des éléments écrits plus détaillés.

De nombreuses campagnes de communication sont réalisées par les SDIS afin de recruter – car il revient normalement aux employeurs de le faire. Faut-il aller plus loin avec une campagne organisée par l’État ? Nous y réfléchissons et ça n’est absolument pas exclu. Je souligne que les dernières données disponibles montrent qu’on a réussi à inverser la tendance à la baisse du nombre de volontaires. Une hausse a été constatée en 2022, même si ce n’est pas dans des proportions spectaculaires. Il faut poursuivre nos efforts, parce que nous savons tous que les sapeurs-pompiers volontaires sont une ressource qui constitue le cœur de notre modèle – ne serait-ce que d’un point de vue quantitatif.

La distinction des missions est déjà rendue possible par les textes, grâce à ce que l’on appelle l’engagement différencié – c’est-à-dire la possibilité de s’engager sur certains types de missions et pas sur d’autres. Cette possibilité n’est pas suffisamment connue et mise en œuvre, mais elle existe. Je suis d’accord avec votre constat : quand 85 % des missions concernent le secours aux personnes, on n’a pas forcément besoin de recruter des sapeurs-pompiers ayant les mêmes aptitudes physiques que ceux qui vont aller éteindre des incendies dans des conditions extrêmement périlleuses. Ces missions étant différentes, elles ne requièrent ni les mêmes qualités, ni les mêmes compétences. Peut-être faut-il davantage de pédagogie autour de la possibilité, déjà offerte par les textes, d’un engagement différencié.

Les hélicoptères lourds ont prouvé leur utilité. Faut-il s’en doter en propre ? Nous y réfléchissons. Mais l’analyse doit croiser l’intérêt opérationnel – que personne ne conteste – et le paramètre budgétaire. Quelle est la solution optimale du point de vue budgétaire : louer ou acheter ? Si l’on achète, il faut ajouter au prix du matériel le coût du maintien en condition opérationnelle et celui des personnels volants et chargés de l’entretien. Le coût complet d’acquisition d’un hélicoptère ou de tout autre matériel aérien est donc beaucoup plus élevé que le seul prix d’achat brut. Notre analyse actuelle est que la location constitue plutôt la meilleure solution, du point de vue tant opérationnel que budgétaire. Mais la réflexion est ouverte en permanence.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour votre participation à nos travaux. Vous pourrez compléter les éléments écrits que vous nous avez déjà fournis.


Direction générale de l’enseignement scolaire

Compte rendu de l'audition de M. Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques, et Mme Stéphanie Gutierrez, adjointe au sous-directeur de l’action éducative à la DGESCO
(jeudi 15 février 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous poursuivons notre matinée d’auditions en accueillant M. Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, et Mme Stéphanie Gutierrez, adjointe au sous-directeur de l’action éducative au sein de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), pour un échange consacré à la formation et à l’implication des jeunes en matière de prévention des risques et lors de la survenance des crises. Cette audition nous permettra en particulier de mieux comprendre comment l’éducation nationale intègre l’acculturation aux risques et la promeut auprès des plus jeunes. Nous vous remercions, monsieur Geffray et madame Gutierrez, pour votre présence parmi nous.

Nous l’avons constaté tout au long de nos travaux, et singulièrement à l’occasion de nos déplacements dans les départements ayant connu de graves crises ces dernières années, l’acculturation aux risques représente un enjeu majeur pour notre modèle de sécurité civile. Celui-ci sera, en effet, confronté à l’avenir à davantage de catastrophes de toute nature, frappant l’ensemble de notre territoire, métropolitain comme ultramarin. À cet égard, la contribution de l’éducation nationale à l’acculturation des plus jeunes est particulièrement importante.

Notre mission d’information, composée de vingt-cinq députés issus de l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée, a été lancée par le groupe Horizons et a pour rapporteur M. Didier Lemaire. Elle a pour objet d’évaluer les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles, et elle rendra ses conclusions dans les prochaines semaines. Nous avons souhaité entendre les administrations à la fin de nos travaux, afin de pouvoir les interroger sur le fondement des observations recueillies auprès des acteurs de terrain.

Cette audition est enregistrée et sera disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fera l’objet d’un compte rendu qui sera annexé au rapport.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Pourriez-vous, monsieur Geffray, nous présenter les notions d’éducation à la sécurité civile inscrites au programme de chacun des cycles ? Dans quelle mesure les programmes scolaires ont-ils évolué pour améliorer la connaissance et la compréhension par les élèves des enjeux de prévention et de sécurité civile ? Nous avons pu constater, lors de nos déplacements et de nos précédentes auditions, le rôle majeur de l’acculturation des jeunes en la matière.

M. Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire. La formation des jeunes est structurée autour de trois enjeux : être protégé, notamment par les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) ; se protéger, ce qui implique de savoir identifier les risques quels qu’ils soient ; protéger les autres, enfin, en ayant les compétences de base nécessaires pour intervenir. Les formations sont dispensées par couches successives, certaines relevant de la sensibilisation, quand d’autres débouchent sur une certification sanctionnant l’acquisition des compétences – comme c’est le cas pour la sécurité routière.

La sécurité n’est pas une discipline en elle-même : les enseignements font partie d’un continuum éducatif visant à promouvoir une culture de la sécurité et une éducation à la responsabilité. Ils sont dispensés dès le cycle 1, en maternelle et jusqu’à la fin du collège, et se poursuivent de façon spécifique au lycée : dans les lycées professionnels, par exemple, ils portent sur la sécurité au travail.

Les règles générales de sécurité – prévention des risques, premiers secours – font l’objet d’une sensibilisation dès l’école primaire, l’objectif étant que l’intégralité des collégiens obtiennent le certificat PSC1 (prévention et secours civiques de niveau 1).

La mise en sûreté et en sécurité dans des circonstances particulières – PPMS attentat-intrusion, par exemple – est abordée dès l’entrée à l’école avec des mots et des procédures adaptés à l’âge de l’enfant. La sensibilisation aux gestes d’autoprotection et de protection collective s’approfondit progressivement jusqu’au lycée.

Des enseignements relatifs aux questions de sécurité et, ultérieurement, de défense, sont ventilés dans les programmes.

Enfin, la loi rend obligatoire l’enseignement des bases du code de la route. Celui-ci figure dans les programmes du premier et du second degré, où il est abordé de façon progressive : après une sensibilisation, il fait l’objet d’une première attestation, puis d’une seconde, l’attestation scolaire de sécurité routière (ASSR), obtenue actuellement par 98 % des élèves en fin de collège.

Au total, ces enseignements forment un parcours assez complet. Compte tenu de leur diversité, ils se concrétisent toutefois dans des lieux, des temps et des modes d’évaluation très différents les uns des autres.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelles sont les matières mobilisées pour dispenser ces enseignements ?

M. Édouard Geffray. Les notions relatives à la sécurité sont abordées dans certains enseignements : en premier lieu, dans le cadre de l’enseignement moral et civique (EMC), mais aussi en histoire-géographie, en éducation physique et sportive (EPS) ou encore en sciences – où il s’agit notamment d’appréhender le geste de sécurité précédant la manipulation.

Les questions relatives aux PPMS ou à la sécurité routière ne sont pas rattachées à une discipline, mais font l’objet d’actions éducatives ponctuelles au cours de l’année scolaire. Des opérations visant à promouvoir la sécurité routière sont organisées de façon systématique à l’école primaire : on reconstitue par exemple un circuit routier dans la cour de l’école, pour apprendre aux enfants à s’arrêter au feu rouge et à traverser lorsque le bonhomme est vert. De la même façon, la mise en place des PPMS se traduit, dans tous les établissements, par l’organisation d’exercices d’incendie et de secours ainsi que de mise en sécurité des élèves. Dans ce domaine, la cible est quasiment atteinte, tous les établissements organisant chaque année un voire deux ou trois exercices. Le but est de transformer en réflexes les comportements que les élèves s’habituent à adopter.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Vérifiez-vous l’acquisition des compétences par les élèves ? À quelle fréquence ces évaluations ont-elles lieu au cours de la scolarité ?

M. Édouard Geffray. La réponse à cette question dépend du type d’enseignement et de l’exercice associé. La prévention des risques majeurs et les PPMS donnent lieu chaque année à des exercices qui ne font pas l’objet d’une évaluation individuelle des élèves mais d’une appréciation chronométrée – évacuer dans un temps limité un établissement, par exemple ; tant que le standard n’est pas atteint, de nouveaux exercices sont organisés.

Il est d’autres enseignements dont on peut en revanche évaluer l’acquisition par chaque élève. En matière de sécurité routière, une attestation de première éducation à la route (Aper) est délivrée au cours moyen, puis deux ASSR le sont en classes de cinquième et de troisième. Celles-ci visent à sensibiliser les enfants en tant qu’usagers de la route – qu’ils soient piétons, cyclistes ou passagers d’un véhicule – et même en tant que futurs conducteurs. Aucune attestation spécifique n’est délivrée au lycée, mais des actions complémentaires sont organisées dans certaines formations dispensées par les lycées professionnels.

Nous évaluons aussi les élèves individuellement sur l’éducation aux premiers secours. Prévue par les textes, celle-ci se matérialise dans des actions pédagogiques menées dans l’école ou l’établissement. Le parcours commence par une sensibilisation des enfants aux gestes simples, avec le dispositif Apprendre à porter secours : savoir mettre une personne en position latérale de sécurité (PLS) ou connaître les principaux numéros de téléphone des services de secours.

Les élèves de collège, dotés d’une plus grande force physique et d’une meilleure conscience de leurs gestes, suivent une sensibilisation aux gestes qui sauvent, validée par le certificat PSC1. Notre objectif, à terme, est que 100 % d’entre eux obtiennent cette certification, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous devons y travailler, et j’ai d’ailleurs envoyé récemment un courrier à ce sujet aux recteurs et aux directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen). Cette situation s’explique par la baisse considérable du nombre de certifications au moment de la crise du Covid : durant les années scolaires 2019-2020 puis 2020-2021, seuls 25 % des élèves environ ont obtenu le PSC1, ce qui n’est clairement pas suffisant. Les premières remontées chiffrées de l’année 2022-2023 témoignent d’un rebond, qui demeure néanmoins trop faible. L’atteinte de la cible de 100 %, que nous visons toujours à terme, implique que nous mobilisions suffisamment de formateurs, même extérieurs le cas échéant.

Si les autres domaines de la sécurité, comme la prévention des accidents de la vie courante, ne font pas l’objet d’une certification, ils donnent toutefois lieu à des actions de formation dès les premières années d’école primaire.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous faites appel à des intervenants extérieurs pour assurer la sensibilisation aux questions de sécurité et aux risques en général, ainsi que pour les formations aux gestes qui sauvent. Les professeurs assurent-ils aussi de tels modules ? Ont-ils été formés à ces questions ?

M. Édouard Geffray. Nos personnels – professeurs, conseillers principaux d’éducation, médecins et infirmières scolaires – constituent notre premier vivier. La DGESCO est habilitée à former au secourisme. Nous avons donc notre propre réservoir de formateurs et tout membre de nos personnels peut devenir formateur à la prévention et au secours civiques. Je ne connais pas le nombre de professeurs habilités à former, mais je vous ferai parvenir cette information. Dans le premier degré, nous nous appuyons presque exclusivement sur les professeurs pour apprendre les premiers secours. En revanche, à partir du collège, notamment dans la perspective du PSC1, nous faisons appel à des organismes habilités par le ministère de l’intérieur, comme la Croix-Rouge, pour intervenir dans les établissements.

La qualité des formateurs demande une remise à niveau périodique. Avoir suivi une formation ne suffit en effet pas pour former les autres ad vitam aeternam. Après les années que nous avons connues, nous avons perdu une partie de notre vivier, mais nous l’avons reconstitué depuis, grâce à un rebond en 2023. Cette évolution s’est traduite par l’expiration de la validité de la formation de nombreuses personnes, qui devront donc être de nouveau formées. Ce travail de reconstitution de notre vivier est important pour couvrir, avec nos partenaires extérieurs, un maillage territorial de 55 000 implantations dans toute la France.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelles ressources sont mises à la disposition des enseignants et du personnel de la vie scolaire pour assurer l’éducation à la sécurité ?

M. Édouard Geffray. Éduscol, qui est un site très consulté de ressources à destination des personnels de l’éducation nationale, diffuse les référentiels internes de formations et de certifications relatifs aux premiers secours, des ressources pédagogiques sur l’enseignement des gestes qui sauvent et des éléments de documentation.

Nous mettons également à la disposition des professeurs et d’autres professionnels des ressources sur les PPMS. Notre cellule du bâti scolaire travaille avec les collectivités locales, puisque la sécurité du bâti relève de leur compétence.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Le dispositif des cadets de la sécurité civile a été lancé en 2015. Existe-t-il toujours ? Si oui, combien de classes étaient concernées lors de la rentrée 2023 ? Disposez-vous d’un bilan de l’engagement des jeunes pendant et après leur scolarité ?

M. Édouard Geffray. Ce dispositif fonctionne très bien. Le dernier bilan, réalisé en 2020-2021, recensait 370 classes de sécurité civile – 90 % au collège et 10 % au lycée. Comme nous ne pouvons obtenir ces informations que par enquête, nous ne les réalisons que tous les trois ans pour éviter de surcharger les chefs d’établissement et les professeurs. Nous devrions donc en effectuer une nouvelle cette année ou au début de l’année prochaine. Il peut être mis en relation avec les classes de défense et de sécurité globales, qui sont en lien avec des unités militaires au sens large – armée, police, gendarmerie et sapeurs-pompiers. Depuis 2019, leur nombre a doublé, passant de 300 à 750, grâce à l’action très volontariste que nous avons menée avec les ministères et les directions concernés. En cumulant ces deux dispositifs, qui participent d’une démarche de résilience collective, nous atteignons plus de 1 000 classes en interaction forte avec les services en charge de la sécurité, de la défense et de la protection de la population.

Le programme des cadets de la sécurité civile forme les élèves à la prévention et favorise la culture de la sécurité civile grâce à un lien renforcé avec les services de la protection civile. Il compte 370 classes, soit un peu plus de 6 000 élèves, dont 20 % en éducation prioritaire, ce qui est représentatif du poids de cette dernière à l’échelle de l’ensemble de notre système éducatif. Sa couverture territoriale est intéressante. Ce programme fonctionne très bien auprès des élèves.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les élèves ainsi formés distinguent-ils la sécurité civile de la protection civile ? Je constate en effet que de nombreux sujets sont abordés dans l’enseignement scolaire – premiers secours, PPMS, sécurité routière. Disposez-vous d’un suivi de l’engagement de ces élèves dans le domaine de la sécurité civile après leur cursus scolaire ?

M. Édouard Geffray. La réponse à votre première question est clairement positive. Les jeunes concernés disposent d’une connaissance assez fine des dispositifs et des services publics impliqués dans la protection des populations, grâce à la formation complémentaire qu’ils reçoivent en plus des cours. J’ajoute que les milliers de jeunes formés chaque année sont à même de diffuser la culture de la sécurité auprès de leur environnement familial : une plus grande partie de la population est ainsi sensibilisée à ces questions.

Si des enquêtes statistiques permettent d’observer les filières professionnelles choisies en fonction du type de bac obtenu, nous ne disposons pas de données sur le devenir de nos élèves. Nous ne pouvons donc pas vous dire si les élèves ayant suivi ce programme sont statistiquement plus intéressés que les autres par les métiers de la sécurité civile. Toutefois, il pourrait être intéressant d’interroger la sécurité civile pour savoir si, parmi leurs jeunes recrues des trois dernières années – le dispositif ayant été lancé en 2015, principalement à destination des classes de troisième, les premiers à avoir été formés ont donc aujourd’hui 22 ou 23 ans –, une partie d’entre elles ont suivi ce programme.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Comment la Journée nationale « Tous résilients face aux risques » – ou Journée nationale de la résilience – se déroule-t-elle dans les établissements scolaires ? Depuis quand existe-t-elle ? Combien d’établissements l’organisent ? Comment renforcer leur participation ?

Mme Stéphanie Gutierrez, adjointe au sous-directeur de l’action éducative à la DGESCO. Lors de la première Journée nationale de la résilience, en 2022, nous avons cherché à valoriser ce qui était déjà fait dans ce domaine par les établissements. Nous avons du mal à quantifier le nombre d’établissements, car la remontée des données n’est pas satisfaisante – elle ne motive pas les chefs d’établissements, qui peuvent être découragés d’avoir à accomplir une démarche pour chaque action mise en œuvre. Le chiffre de 800 actions dont nous disposons n’est donc pas révélateur de ce qui se passe dans les établissements. Nous travaillons avec le ministère de l’intérieur pour voir comment mieux valoriser l’ensemble des actions réalisées par les établissements, y compris les exercices réalisés en application du PPMS.

M. Édouard Geffray. J’observe, mais je ne peux la quantifier, une volonté croissante de la part des établissements de s’impliquer dans ces questions. La crise sanitaire a contribué à fortifier l’acculturation au risque. La résilience, qui n’était pas le premier sujet de préoccupation lorsque j’en parlais il y a quelques années, est devenue un enjeu majeur depuis 2021. Cette appropriation très nette concerne toutes les questions liées à la sécurité : les PPMS – la quasi-totalité des établissements en ont un –, la santé ou la sécurité environnementale, particulièrement outre-mer, où les territoires sont soumis à des risques spécifiques comme les cyclones. Nos outils de remontée sont malheureusement incomplets et ne nous permettent pas de connaître toutes les activités organisées dans nos 60000 implantations. Nous ne disposons donc que d’une vision partielle, mais j’observe une dynamique très forte depuis la crise sanitaire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quel est le pourcentage d’établissements disposant d’un PPMS ? Sont-ils incités à en établir un ?

M. Édouard Geffray. Les PPMS sont une obligation légale : l’article L. 411-4 du code de l’éducation prévoit en effet que « chaque école dispose d’un plan pour parer aux risques majeurs liés à la sûreté des élèves et des personnels ».

La configuration des établissements peut être différente entre les 3 200 écoles rurales à classe unique et les groupements scolaires accueillant 2 000 élèves. Les exigences doivent donc être adaptées. Une enquête exhaustive nous a permis de constater que presque tous les établissements avaient déployé un PPMS. Le 8 juin 2023, nous avons simplifié la procédure en unifiant les deux PPMS existants, l’un pour les risques majeurs, l’autre pour les attentats et les intrusions. L’existence de deux procédures constituait en effet une source de complexité, et certains établissements avaient mis en place l’un des deux PPMS, mais pas l’autre. L’unification des procédures s’est accompagnée de la mise à disposition de ressources d’accompagnement. Nous n’avons pas encore de retour sur le PPMS unifié, car il ne s’applique que depuis l’année scolaire en cours, mais la quasi-totalité des établissements ont un PPMS, unifié ou non.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les enjeux de la sécurité civile ne sont pas les mêmes en ville, à la campagne ou en montagne : dans quelle mesure les établissements scolaires s’associent-ils aux acteurs locaux de la sécurité civile ?

M. Édouard Geffray. Le sujet, polymorphe, est très dépendant de l’environnement territorial ; il doit donc être traité à l’échelle de l’établissement, et il n’appartient pas à la rue de Grenelle de définir ce qui doit être fait établissement par établissement. En effet, selon qu’un établissement est exposé à un risque de submersion, de séisme, d’ouragan ou est situé près d’une usine Seveso, la préparation des élèves ne sera pas la même. Au-delà de compétences universelles, qui, comme le massage cardiaque, font partie de la formation des professeurs, la prévention et la sensibilisation se font de manière contextualisée. Nous menons ces actions avec des partenaires publics, comme la gendarmerie, la police nationale ou la sécurité civile, au sein des territoires où ces acteurs interviennent.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les familles des élèves sont-elles en partie associées aux modules d’information et de prévention des risques ?

M. Édouard Geffray. En règle générale, les familles ne sont pas acculturées au risque par l’école. Notre rôle est de former les élèves, non leur famille, même si des initiatives locales peuvent conduire à la mise en place d’ateliers de sensibilisation avec des parents. En revanche, ces derniers sont associés à la définition de la politique de prévention à l’échelle de l’établissement et des actions menées, notamment dans le cadre des comités d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement (CESCE). Ces structures, qui réunissent des parents d’élèves élus par leurs pairs et les personnels de l’établissement, définissent les actions prioritaires à conduire auprès des élèves en matière de santé, de sécurité et de protection.

Par ailleurs, les parents sont informés des exercices menés dans le cadre des PPMS, ce qui participe d’une prise de conscience collective.

Enfin, un élève formé est parfois le meilleur ambassadeur des bons gestes à adopter auprès de sa famille et, plus largement, de son entourage, à qui il peut communiquer l’envie de se former.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Nous évoquons souvent l’importance de l’acculturation au risque et aux enjeux de la prévention et de la sécurité civile, ainsi que de l’engagement citoyen dans son ensemble. Avez-vous réfléchi à des évolutions possibles dans ce domaine à l’échelle de l’éducation nationale ?

M. Édouard Geffray. Tout l’enjeu, pour nous, consiste à faire en sorte que l’élève soit suffisamment outillé à chaque étape de son parcours, grâce à des enseignements adaptés à son âge. Cela concerne tous les sujets, y compris l’acculturation au risque et les gestes permettant d’en limiter la réalisation – ou les effets, si le risque survient.

Sur le plan des compétences, nous nous employons à massifier jusqu’au collège les actions existantes. Nous avons su le faire pour la sécurité routière et la PPMS, il nous faut le réaliser pour le PSC1. La priorité, à mes yeux, est d’atteindre un niveau de 100 % pour le PSC1 d’ici à la fin du collège.

En matière de culture, on peut penser à deux types de dispositifs. En premier lieu, la Journée nationale de la résilience et d’autres actions du même type visent à sensibiliser et à développer la prise de conscience des élèves. C’est en quelque sorte une piqûre de rappel à la suite des enseignements qu’ils ont reçus. Des actions de ce type soulignent que tel ou tel événement peut se produire à n’importe quel moment et qu’il faut avoir le bon réflexe pour se protéger et protéger les autres. Nous souhaitons massifier ces actions de sensibilisation.

En second lieu, il faut travailler sur la suite du parcours, après le collège, dans deux directions. La première concerne la sécurité au travail et les gestes professionnels. Nous menons en ce domaine une action très forte, que nous essayons constamment de parfaire, dans la voie professionnelle. C’est essentiel, car cela peut avoir des incidences sur l’accidentologie au travail et les risques pesant sur la santé des élèves et des futurs salariés. La difficulté tient au fait que certains travaux nécessitent d’avoir 16 ans. Les élèves plus jeunes peuvent s’entraîner grâce à des casques de réalité virtuelle utilisant la modélisation en 3D ; ils apprendront ainsi à effectuer des gestes qui deviendront des réflexes en situation réelle. Nous sommes en train de généraliser ces actions.

La seconde direction est le service national universel (SNU), qui a pour objet de répondre aux enjeux de résilience et de prévention des risques, tant par le séjour de cohésion que par la possibilité de participer à un projet d’engagement collectif. Nous avons lancé, à l’été dernier, les classes et les lycées engagés, dispositif visant à impulser une dynamique collective dans plusieurs domaines, parmi lesquels la résilience. Dans ce cadre, les jeunes se voient offrir la possibilité de faire un séjour de cohésion. En octobre, on comptait plus de 1 000 classes et lycées engagés, ce qui témoigne du développement d’une conscience collective. Tout ce qui participe à l’extension du SNU, dans la perspective tracée par le Président de la République lors de sa conférence de presse de janvier, contribue à l’acculturation collective au risque et à sa prévention.

Mme la présidente Lisa Belluco. Connaissez-vous les unités nationales de secouristes citoyens, qui ont notamment pour objet de former les jeunes au sein des établissements scolaires ? Leur fondateur, M. Thomas Alliot, prône la formation par les pairs – autrement dit, entre jeunes – en partant du constat qu’en cas de crise dans un établissement scolaire, les adultes sont fortement mobilisés et ne sont pas toujours en mesure d’intervenir dans tous les domaines. Il estime que le fait de former les jeunes les responsabilise et accroît la capacité de réaction à la crise. Serait-il envisageable de développer la formation par les pairs au sein des établissements ?

M. Édouard Geffray. Non, je ne connais pas ces structures. Ne peuvent intervenir en milieu scolaire, sur les questions de formation aux premiers secours, que les personnes relevant d’entités agréées par le ministère de l’intérieur. De manière générale, les intervenants au sein de l’institution scolaire doivent être considérés comme fiables par l’éducation nationale. Il ne saurait y avoir maldonne concernant ce type de gestes. Dans l’absolu, l’idée me paraît intéressante, mais une organisation doit d’abord obtenir un agrément attestant la qualité du service rendu et des intervenants. En effet, les mineurs dont nous avons la charge sont placés sous notre responsabilité exclusive. En cas de problème, la responsabilité du chef d’établissement peut être recherchée.

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur le fait que, dans une situation de crise paroxystique, la capacité de réaction individuelle de chacun est déterminante pour la bonne marche collective. L’objectif est que chacun adopte les bons réflexes et garde son sang-froid. Le fait de savoir effectuer les bons gestes au bon moment participe du sang-froid collectif.

Il y a quelques années, lorsque nous avons commencé à réaliser les exercices de PPMS, les élèves ne comprenaient pas toujours l’enjeu. À présent, on constate une discipline collective absolue, laquelle constitue un gage de protection.

Dans ce cadre, la transmission entre les pairs peut avoir du sens, car un élève est souvent sensible à ce que lui dit un autre élève. À titre personnel, toutefois, il me semble que ce dispositif devrait être mis au service de la sensibilisation plutôt que de la formation. Être sensibilisé par ses pairs, cela marche généralement très bien. Des élèves d’une classe de sécurité civile ou de défense peuvent ainsi faire part avec profit de leur expérience à leurs camarades – à l’image des témoignages des pompiers volontaires dans les lycées. En revanche, la formation à des gestes suppose, me semble-t-il, une expérience et une antériorité que n’ont pas les élèves.

Mme la présidente Lisa Belluco. M. Alliot avait également mis l’accent sur l’information et la sensibilisation.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Le Portugal et l’Italie ont institué un ministère en charge de la sécurité civile. Pensez-vous qu’un tel choix serait un atout pour notre pays, où la prévention et la gestion de crise relèvent des ministères de l’intérieur, des armées, de la transition écologique, de la santé et de l’éducation nationale ? Avez-vous des exemples de politiques menées chez nos voisins européens qui pourraient nous inspirer ?

M. Édouard Geffray. Je n’ai pas d’exemples à l’esprit. Nous pouvons demander à la délégation aux relations européennes et internationales et à la coopération de vous fournir un état des lieux de ce qui se pratique dans les autres systèmes éducatifs européens.

Mme la présidente Lisa Belluco. Volontiers. N’hésitez pas à nous envoyer des éléments écrits si vous souhaitez compléter nos échanges.

M. Édouard Geffray. Nous vous ferons parvenir les réponses écrites et les éléments d’analyse de la délégation aux relations européennes et internationales et à la coopération.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour votre contribution à nos travaux.


Table ronde sur le thème « Sécurité civile et risques sanitaires ».

Compte rendu de la table ronde sur le thème « Sécurité civile et risques sanitaires »
(jeudi 15 février 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Madame la directrice, monsieur le directeur, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, chers collègues, nous débutons cet après-midi d’auditions par notre avant-dernière table ronde thématique, organisée dans le cadre de notre mission d’information.

Après plusieurs temps d’échange consacrés à la question environnementale, aux technologies de communication, aux grands événements et à la gestion de crise, nous nous penchons sur les questions liées aux risques sanitaires.

En ouvrant cette table ronde, je tiens tout d’abord à saluer l’engagement sans faille de nos forces de sécurité civile, de nos soignants et de tous les acteurs impliqués dans la gestion de la crise sanitaire due au Covid-19. Cette crise sans précédent a évidemment beaucoup marqué nos concitoyens, en raison de l’inquiétude et des décès survenus, mais aussi des difficultés d’organisation rencontrées et des mesures prises en urgence, ainsi que des multiples conséquences de cette situation pour notre société. Cette crise sanitaire a d’ailleurs souvent été évoquée au cours de nos auditions comme lors de nos déplacements.

Nous avons l’honneur d’accueillir aujourd’hui Mme Anne Hegoburu, sous-directrice en charge de la régulation de l’offre de soins à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère du travail, de la santé et des solidarités, et M. Pierre Savary, chef du bureau premier recours au sein de cette direction générale, ainsi que le docteur Jean-Marc Philippe, conseiller médical à la direction générale de la santé (DGS) du ministère du travail, de la santé et des solidarités.

Nous accueillons également Mme Cécile Somarriba, directrice de la veille et de la sécurité sanitaire à l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France ; le docteur Romain Hellmann, conseiller médical de la directrice générale de l’ARS du Grand Est, et M. Laurent Dalmas, directeur de la qualité, de la performance et de l’innovation au sein de l’ARS du Grand Est ; et M. Samuel Pratmarty, directeur de l’offre de soins de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine.

Nous ne pouvions naturellement pas convier toutes les ARS à cette table ronde. Nous avons donc fait le choix de nous concentrer sur les établissements Grand Est, Nouvelle Aquitaine et Île-de-France, qui nous ont semblé refléter des problématiques complémentaires.

Nous remercions chacune et chacun d’entre vous pour votre présence, qui illustre la coordination administrative requise pour anticiper et préparer les crises sanitaires, ainsi que pour y répondre efficacement.

Cette table ronde vise à approfondir notre compréhension des risques sanitaires auxquels la France est exposée et à réfléchir au rôle que la sécurité civile peut jouer dans la prévention et l’identification précoce de ces risques, ainsi que dans la gestion des crises sanitaires. Il nous paraît essentiel d’identifier les synergies possibles entre les différents acteurs de la santé et de la sécurité civile pour optimiser notre réponse à ces menaces.

Avant de vous céder la parole, je rappelle rapidement que notre mission d’information est composée de députés issus de tous les groupes politiques. Elle a été constituée à l’initiative du groupe Horizons, dont fait partie notre rapporteur, Didier Lemaire. Cette audition, filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale, sera retranscrite sous forme de compte rendu. Ce dernier sera annexé au rapport, que nous espérons rendre public d’ici quelques semaines.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je tiens à préciser qu’avant d’être député, j’ai été élu local et sapeur-pompier. La crise sanitaire que nous avons traversée à partir de 2020 m’a incité à engager une réflexion sur nos capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de sécurité civile.

Pourriez-vous, tout d’abord, nous présenter votre direction ou votre agence, à travers ses missions et ses effectifs ? Par ailleurs, comment vos structures contribuent-elles à la sécurité sanitaire ou à la protection des populations dans un contexte de crise sanitaire ? Enfin, les moyens dont vos organisations disposent vous paraissent-ils suffisants et adaptés pour assurer ces missions ?

Docteur Jean-Marc Philippe, conseiller médical à la direction générale de la santé (DGS) du ministère du travail, de la santé et des solidarités. La DGS compte 280 agents, dont 85 % de cadres de catégorie A. Elle a pour mission de préparer la politique de santé publique et de contribuer à sa mise en œuvre. Quatre grands objectifs animent notre direction.

Premièrement, il lui appartient de protéger les populations contre les menaces graves. La DGS est chargée notamment de la politique de santé et de sécurité sanitaire découlant de l’article L. 1142 du code de la sécurité intérieure, qui définit les missions du ministre chargé de la santé – notamment en matière de veille, de prévention, de préparation du système de santé aux crises et de prise en charge des victimes ou malades.

Deuxièmement, la DGS est investie d’une mission de santé publique, consistant à préserver et améliorer l’état de la population.

Troisièmement, elle se doit de garantir la qualité et la sécurité de l’accès aux soins dans le système de santé, notamment par la politique du médicament.

Quatrièmement, la DGS travaille en interaction avec les agences sanitaires, qu’elle mobilise et coordonne.

Mme Anne Hegoburu, sous-directrice en charge de la régulation de l’offre de soins à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère du travail, de la santé et des solidarités. Près de 280 agents sont employés à la DGOS. Notre mission principale est d’organiser le système de soins et de piloter la gestion des ressources, qu’il s’agisse des ressources humaines ou des moyens de financement – en particulier ceux destinés aux établissements de santé.

Pour le ministère, la DGOS est en première ligne dans la gestion des crises sanitaires. Elle est donc mobilisée autant que de besoin sur ce périmètre de compétences par la DGS. Au sein de la DGOS, un poste de conseillère médicale est d’ailleurs dédié aux questions de sécurité sanitaire. Rattaché à la directrice générale, ce poste assure un lien privilégié entre notre direction et la DGS. Il est en capacité de mobiliser l’ensemble des ressources de la DGOS pour faire face aux crises sanitaires.

Mme Cécile Somarriba, directrice de la veille et de la sécurité sanitaire à l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France. L’ARS d’Île-de-France a pour mission la mise en œuvre de la politique de santé dans notre région, sur l’ensemble du champ visé (santé, prévention, soins ou secteur médico-social). Elle compte plus de 1 000 agents, et se compose de cinq directions métier, ainsi que de délégations implantées dans chacun des huit départements d’Île-de-France. Les cinq directions métier couvrent tous les champs d’intervention de l’agence : direction de l’offre de soins, direction de l’autonomie, direction de la santé publique, direction de l’innovation et du numérique, et enfin direction de la veille et de la sécurité sanitaire.

Cette dernière direction, dont je suis la directrice, comprend 70 agents. Notre objectif consiste à renforcer et faciliter la mission de surveillance et de réponse aux alertes. À cet effet, un point focal réceptionne l’ensemble des signalements et des alertes pour toute la région. La direction de la veille et de la sécurité sanitaire déploie aussi une approche transversale de la gestion des risques sanitaires, en répondant à la fois aux alertes de type infectieux, aux pathologies liées à l’environnement et aux risques induits par les prises en charge (événements indésirables ou graves et dysfonctionnements survenant dans les établissements sanitaires et médico-sociaux).

Nous recevons près de 10 000 signalements par an, qui sont traités selon une approche graduée. Il s’agit principalement d’alertes ponctuelles appelant des mesures de gestion, mais nous pouvons aussi être sollicités pour des situations sanitaires plus exceptionnelles. Au sein de la direction de la veille et de la sécurité sanitaire, un département travaille sur la préparation et la planification de ces situations. En cas de besoin, c’est lui qui conduit les opérations de gestion de crise.

Enfin, je tiens à souligner que notre direction s’appuie sur un réseau d’expertise national, animé notamment par les structures de vigilance et par les systèmes de soins.

Docteur Romain Hellmann, conseiller médical de la directrice générale de l’ARS du Grand Est. L’ARS du Grand Est est un établissement public administratif, avec un effectif de près de 700 agents et un siège implanté à Nancy. Chaque département est doté d’une délégation territoriale. Notre rôle consiste à mettre en œuvre la politique de santé, avec sa dimension territoriale, tout en respectant le cadre national. Pour ce faire, l’ARS du Grand Est exerce des missions de planification et de pilotage, d’appui, de contrôle, de veille et de sécurité sanitaire, et surtout de coordination des acteurs du monde sanitaire.

Ainsi que vous l’avez suggéré, monsieur le rapporteur, la crise sanitaire a occasionné une véritable rupture. Toutes les agences ont été affectées. À ce propos, je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues, qui ont lutté ensemble sur le terrain.

La crise ne connaît pas de frontières, et c’est pourquoi nous devons nous attacher à rassembler les différents acteurs pour avancer. La crise sanitaire nous a amenés à prendre conscience de la nécessité d’adopter d’autres manières de travailler. Les agences se sont transformées pour devenir plus opérationnelles, en s’efforçant de développer des synergies pour faire face aux crises.

M. Laurent Dalmas, directeur de la qualité, de la performance et de l’innovation de l’ARS du Grand Est. Pour compléter ces propos, je voudrais insister sur la résilience du système. Celle-ci repose non seulement sur l’organisation décrite par mon collègue, mais aussi sur la préparation des acteurs de santé. Chacun doit se doter d’un plan de gestion de crise, tout en s’inscrivant dans notre dispositif régional d’organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan). Il s’agit d’assurer la résilience de l’ensemble du système face aux crises.

Cette démarche se rencontre aussi dans le champ sanitaire avec le plan Blanc, et dans le domaine médico-social avec le plan Bleu. Elle fait partie d’un dispositif global de gestion des tensions hospitalières et événements sanitaires exceptionnels. J’ajoute qu’un plan Blanc est en cours d’élaboration pour la médecine libérale, impliquant les maisons de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

Le succès du dispositif résulte de la co-construction de la réponse et de la préparation (formations, exercices et retours d’expérience).

Notre agence dispose également d’un point focal recueillant l’ensemble des signalements au niveau régional. Il est tenu par cinq agents à temps plein et assisté par une équipe de veille sanitaire de dix personnes. Il reçoit également l’appui transversal de toutes les directions métier de l’agence.

Enfin, une équipe dédiée à la planification et à la gestion de crise se charge de la planification des exercices, des formations et des retours d’expérience et plans d’action associés.

Eu égard aux évolutions du contexte national et international (changement climatique, cyberattaques, risque terroriste), nous sommes mobilisés plus fortement pour ces situations exceptionnelles. De notre point de vue, il est urgent de professionnaliser les personnels de santé, ainsi que les agents de l’ARS Grand Est, tout en favorisant l’acculturation du grand public à ces situations.

M. Samuel Pratmarty, directeur de l’offre de soins de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine. Les missions de notre agence étant identiques à celles dévolues aux ARS d’Île-de-France et du Grand Est, permettez-moi de ne pas les répéter.

L’agence régionale de santé de Nouvelle Aquitaine comprend environ 750 agents, répartis sur l’ensemble du territoire. La moitié de l’effectif est située dans les trois implantations du siège, à Bordeaux, Poitiers et Limoges. L’autre moitié travaille dans les douze délégations départementales.

Les missions de veille, de sécurité sanitaire, de préparation et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles sont assurées par deux services dédiés, auxquels peuvent être agrégées des compétences et ressources supplémentaires issues des équipes métiers. En cas de situation exceptionnelle, comme lors de la pandémie de Covid-19, tous les agents peuvent être réaffectés sur de nouvelles missions.

Les deux services dédiés à la préparation et à la gestion des situations exceptionnelles sont, d’une part, la cellule de veille et de gestion des alertes, et, d’autre part, le département de préparation et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles.

La cellule de veille et de gestion des alertes a pour tâche de recevoir, qualifier et analyser l’ensemble des signalements. Le cas échéant, elle alerte l’ensemble de l’agence pour activer les comités internes. Pour sa part, le service de préparation et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles est chargé de rédiger l’ensemble des plans opérationnels Orsan pour le compte de la région, d’assurer la coordination avec l’état-major de zone et d’organiser des exercices.

Les moyens disponibles sont suffisants pour assurer l’essentiel des missions, mais des ressources supplémentaires permettraient naturellement d’aller plus loin. La cellule de veille et d’alerte est dotée d’une quinzaine d’agents, d’infirmières et de médecins. C’est une équipe pluridisciplinaire, en capacité d’appréhender toutes les situations. Quant à l’équipe dédiée à la gestion des situations sanitaires exceptionnelles, elle est constituée de quatre agents affectés au siège et de six équivalents temps plein répartis sur douze personnes.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci beaucoup pour cette présentation.

Quels sont les risques sanitaires majeurs auxquels la France est confrontée aujourd’hui ? De quelle manière s’articule le dispositif de veille et d’alerte dans vos structures ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Les risques sanitaires sont multiples. Pour commencer, nous devons répondre au risque infectieux, aussi appelé risque épidémique et biologique, en adoptant une approche « Une seule santé » (santé environnementale, santé animale et santé humaine). Des agents infectieux émergent ou réapparaissent, comme le montre l’épidémie de rougeole en Europe, qui est due pour partie à un déficit vaccinal. Nous observons aussi des zoonoses et des arboviroses, qui constituent une préoccupation majeure. Les arboviroses sont des maladies virales transmises par des moustiques, comme la dengue, le chikungunya ou le zika.

Il faut également mentionner le risque industriel et technologique, qu’il s’agisse du risque chimique ou du risque nucléaire, en passant par les pollutions, les incendies, les explosions et les accidents collectifs.

Par ailleurs, notre population peut être exposée aux risques environnementaux (catastrophe naturelle, événement climatique extrême).

À côté de ces risques sanitaires, nous devons aussi répondre aux menaces : le risque d’attentat par armes de guerre ou explosifs, la dispersion d’agents radiologiques, biologiques et chimiques, ou encore les cyberattaques d’infrastructures ou d’équipements de santé. Les grandes manifestations comme la Coupe du monde de rugby, les Jeux olympiques et paralympiques à venir ou les commémorations du Débarquement sont susceptibles de majorer les risques et menaces.

L’organisation est conçue pour mener un travail de veille. Il s’agit de surveiller l’émergence de nouveaux ennemis. Cette veille s’opère au plus près du terrain, avec les cliniciens et les biologistes. Les plateformes régionales de veille et d’alerte des ARS analysent les risques et prennent les mesures nécessaires au niveau local. Elles transmettent également les signalements au centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) du ministère de la santé.

Le Corruss analyse les signalements, apporte son appui aux agences et mobilise s’il y a lieu les agences nationales – et, plus largement, tout moyen d’expertise scientifique. Le Corruss assure donc une veille permanente sur les informations provenant non seulement du territoire national, mais aussi des organisations internationales. Le Corruss est en lien avec les centres opérationnels des autres ministères : le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic), le centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ou encore le centre de planification et de conduite des opérations (CDCO) du service de santé des armées.

Mme Cécile Somarriba. À l’instar des autres ARS, notre agence finalise la deuxième version du dispositif Orsan, qui distingue six risques majeurs : le risque d’accueil massif de nombreuses victimes (Amavi) ; le risque nucléaire, radiologique ou chimique ; le risque climatique, dont les risques liés aux événements climatiques stricto sensu ainsi que les inondations ; le risque épidémique ; le risque lié aux urgences médico-psychologiques (prise en charge des traumatismes) ; le risque de cyberattaques contre les établissements de santé ou médico-sociaux.

S’agissant du dispositif de veille sanitaire, nous nous efforçons de le rendre aussi large et transversal que possible. Pour ce faire, nous nous appuyons sur le point focal régional, qui centralise tous les signalements, quelle qu’en soit la nature. Cela implique une mise en alerte active de l’ARS par un professionnel de santé ou un établissement. Selon le type de réponse attendu, l’agence intervient avec la préfecture ou avec d’autres services de l’État.

En complément, nous recourons à des services de surveillance non spécifiques. Je pense, en particulier, aux systèmes de surveillance mis en œuvre par Santé publique France, avec l’aide de ses cellules régionales : en cas d’alerte, les codages des passages aux urgences font l’objet d’un suivi quotidien. Cette information nous permet de connaître le volume et la typologie des recours aux soins urgents dont les Franciliens ont besoin, de manière à pouvoir renforcer si nécessaire la surveillance.

Pour assurer sa mission de surveillance, notre agence est épaulée par un réseau de partenaires : Santé publique France, les observatoires régionaux des soins non programmés, mais aussi les centres de toxicovigilance, de pharmacovigilance ou d’addicto-vigilance.

M. Laurent Dalmas. Nous reprenons à notre compte l’ensemble des explications apportées par Cécile Somarriba. En complément, il me paraît opportun de rappeler l’existence du système d’information sanitaire des alertes et des crises (Sisac), qui nous permet d’alerter l’Agence nationale et les services de la préfecture. J’insisterai également sur l’interaction permanente entre le 15 et le 18 et sur la collaboration inter-service au sein de la préfecture.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelles sont les crises récentes auxquelles vos structures ont été confrontées ? Quelle mission avez-vous exercée dans ce contexte ? Enfin, avez-vous établi un bilan ou un retour d’expérience de ces crises ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Nous préférons parler de situation sanitaire exceptionnelle, car le terme « crise » est quelque peu galvaudé.

Je citerai bien entendu les épidémies de chikungunya à La Réunion et dans les départements français d’Amérique, la pandémie de Covid-19, qui nous a profondément marqués, ou encore l’épidémie de mpox (aussi connue sous l’appellation « variole du singe ») en 2022. Je mentionnerai aussi les attentats de 2015 en région parisienne, de 2016 à Nice ou de 2018 à Strasbourg. Enfin, j’évoquerai les épisodes climatiques majeurs, notamment le cyclone Irma qui a frappé les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy en 2017.

Face à une situation sanitaire exceptionnelle exigeant une grande coordination, des mécanismes interministériels entrent en action. Dans ce cadre, le Corruss est activement mobilisé. Il participe aux travaux de la cellule interministérielle de crise. Pour sa part, la cellule interministérielle d’information du public et d’aide aux victimes (Cipav) se charge d’informer les proches du lieu où sont prises en charge les victimes et d’élaborer un bilan victimaire.

Le retour d’expérience constitue une dimension majeure et consubstantielle au travail de préparation à la crise. De fait, il faut être capable de s’adapter en permanence face à une situation mouvante, comme l’a montré l’épidémie de Covid-19. La conduite de crise doit être évaluée à travers un retour d’expérience, et la direction générale de la santé a élaboré un guide méthodologique à ce sujet. D’ailleurs, le dispositif Orsan et le plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) donnent systématiquement lieu à un retour d’expérience.

M. Pierre Savary, chef du bureau premier recours à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère du travail, de la santé et des solidarités. En cas de crise, la DGOS intervient en appui du centre de crise et assure le lien avec les acteurs concernés. À titre d’exemple, la DGOS participe à la rédaction des doctrines nationales des fédérations hospitalières, en anticipation de la crise. Elle prend également part à la rédaction des retours d’expérience. Enfin, elle accompagne les éventuelles modifications réglementaires lorsque des mesures d’urgence doivent être engagées.

M. Samuel Pratmarty. La seule véritable crise sanitaire que nous avons connue au cours des dernières années est l’épidémie de Covid-19. Cependant, nous avons été exposés à plusieurs autres situations sanitaires exceptionnelles depuis lors. En mars et avril 2022, nous avons organisé la prise en charge sanitaire, somatique et psychologique des réfugiés d’Ukraine. Nous avons aussi fait face à l’épidémie de mpox, entre mai et août 2022, ainsi que l’a rappelé le docteur Philippe. Dans ce cadre, les agences ont assuré le traçage des personnes infectées, afin de prévoir leur vaccination préventive. Elles ont aussi organisé des campagnes de vaccination préventive et des campagnes d’information et de sensibilisation auprès des personnes à risque. Enfin, je voudrais aussi citer les mégafeux de l’été 2022, qui ont frappé particulièrement la Gironde et les Landes. Avec les services de la préfecture, nous avons analysé les conséquences des dégagements de fumée causés par ces feux. Nous avons aussi pris en charge l’évacuation et le relogement des résidents des Ehpad menacés.

M. Laurent Dalmas. Je retiendrai trois situations exceptionnelles en région Grand Est sur les dernières années. La première remonte à 2018 : il s’agit de l’attaque terroriste perpétrée à Strasbourg. Cet attentat a fait 5 morts et 11 blessés, mais plus de 1 000 personnes ont eu besoin d’aide psychologique. La cellule d’urgence médico-psychologique (Cump) du plan Orsan a donc été activée. Des personnels d’autres régions ont été envoyés en renfort pour maintenir une continuité dans la prise en charge des victimes. Nous avons aussi dû traiter la question du transport et de l’hébergement de ces personnes, en plein marché de Noël. Ce dispositif exceptionnel a fait l’objet d’un retour d’expérience : nous avons ainsi constaté la difficulté à faire accepter aux hôteliers des réservations de la part de l’ARS lors d’un pic de fréquentation, de surcroît sans possibilité de régler par carte de crédit. Cette expérience nous a amenés à nous doter de moyens de paiement.

Le deuxième événement que je tiens à signaler est l’incendie de Wintzenheim, en août 2023. Il s’est déclaré dans un gîte accueillant des personnes handicapées. Le centre opérationnel de décision de l’agence a été mobilisé, et une cellule interne a été mise en place. Ici encore, l’ARS s’est employée à organiser la prise en charge médico-psychologique et s’est efforcée de libérer des places dans les unités de traitement de grands brûlés.

J’évoquerai, enfin, l’immobilisation à l’aéroport de Vatry d’un avion transportant des personnes suspectées de se livrer à la traite d’êtres humains. En décembre 2023, 300 passagers ont ainsi été bloqués à l’aéroport. L’agence a été appelée à rejoindre le centre opérationnel départemental (COD) et une cellule de crise interne a été activée, afin d’assurer une présence médicale permanente et l’approvisionnement en médicaments. Pendant un week-end coïncidant avec les fêtes de fin d’année, la capacité à mobiliser l’ensemble des acteurs a été un véritable défi.

Docteur Romain Hellmann. La difficulté réside dans l’équilibre à trouver entre les situations sanitaires exceptionnelles et le quotidien. J’en veux pour preuve l’activation récente du plan Blanc territorial en Alsace, en réponse à la saturation des lits d’hospitalisation due à l’épidémie de grippe. Là encore, il nous a fallu activer des cellules territoriales de coordination et déprogrammer des opérations. La complexité inhérente à la gestion des situations exceptionnelles tient au fait qu’il faut, en parallèle, continuer à assurer la prise en charge des malades.

Mme Cécile Somarriba. Face aux situations exceptionnelles, il appartient à l’ARS d’organiser la réponse sanitaire, depuis la prévention jusqu’à la prise en charge et à l’adaptation du système de santé. À propos de l’épidémie de mpox, je rappellerai que l’Île-de-France a rapidement connu de nombreux cas, qui ont entraîné des besoins de vaccination importants. Nous avons pu travailler sur le dispositif de réponse dans le prolongement des travaux habituels, en partenariat avec les services de maladies infectieuses et les associations de prévention et de santé sexuelles. Ces dernières ont facilité la diffusion des messages de prévention et sensibilisé à l’utilité de la vaccination. Notre collaboration régulière nous a aidés à déployer des actions inhabituelles, adaptées à ce contexte exceptionnel.

Enfin, il me semble important de détailler le cas d’une cyberattaque ayant touché un établissement de santé. Je précise que les dommages causés aux systèmes d’information et sur le risque de contamination ou de divulgation ne relèvent pas de la compétence de l’ARS mais de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi). Cependant, l’ARS veille à la continuité des prises en charge. Elle accompagne donc l’établissement touché, déploie des moyens supplémentaires pour l’aider et s’assure de la réorganisation des circuits de prise en charge.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Lors d’un événement impliquant de nombreuses équipes, dans le contexte de tensions hospitalières que nous connaissons, quelles mesures déployez-vous pour éviter la saturation des établissements de soins ? À travers cette question, je pense notamment aux transferts de résidents d’Ehpad et aux problèmes posés par leur réintégration.

Docteur Jean-Marc Philippe. La DGS s’est dotée en 2014 d’un dispositif destiné à mobiliser de manière coordonnée les acteurs de l’ensemble du système de santé et à assurer la prise en charge des patients, victimes et blessés, quel que soit le type de situation sanitaire exceptionnelle. C’est l’objet du dispositif Orsan. Ce dernier est un cadre intégré pour la préparation et la réponse du système de santé. Il permet la montée en puissance des opérateurs de soins (établissements de santé, médecins de ville, établissements médico-sociaux), en s’appuyant sur trois composantes indissociables : la planification opérationnelle, la formation, et enfin le maintien opérationnel des moyens de soins.

Le dispositif Orsan est élaboré, dans chaque région, par l’ARS. Bien qu’inscrit dans un cadre national, il implique une co-construction à l’échelle régionale, avec l’ensemble des acteurs. J’ajoute qu’il est construit dans une logique de parcours de soins, avec le dispositif de prise en charge préhospitalière ORSEC. Dès lors que les patients quittent le poste médical avancé, ils intègrent le système de santé standard. Or, on ne peut exiger d’un établissement de santé fonctionnant à flux tendu qu’il accueille d’un coup cinq blessés graves et trente blessés légers. Il convient de mettre en place une organisation particulière, et c’est l’objectif du dispositif ORSEC.

Docteur Romain Hellmann. Pour être en capacité de bien agir lors d’une crise, il faut déjà bien agir au quotidien. Nul ne s’invente gestionnaire de crise. Les opérations que nous menons en période de crise sont déjà mises en œuvre au quotidien, à commencer par la gestion des capacités d’établissement au regard de l’accueil de malades graves. Les plans Blanc territoriaux sont donc utilisés à la fois en situation sanitaire exceptionnelle et en temps normal. À l’échelle du département, nous devons veiller à la bonne coordination de l’ensemble des acteurs. À l’échelle régionale, la coopération interdépartementale est essentielle, mais elle s’avère compliquée. La visibilité en temps réel sur les disponibilités en lits d’hôpital dans un territoire nécessite, par exemple, une connexion entre les systèmes d’information des établissements. Autant de mesures qui nous aident à répondre à un afflux important de malades.

Enfin, nous travaillons avec les établissements pour élaborer des plans de continuité d’activité (PCA), de manière à garantir la qualité et la sécurité de la prise en charge des malades en cas de difficulté imprévue. Il existe aussi des PCA de territoire. Ces nouveaux outils, conçus suite à l’épidémie de Covid-19, visent à mobiliser le collectif pour répondre aux crises.

M. Samuel Pratmarty. L’intervention des ARS est d’abord préventive. Dans le cadre du dispositif Orsan, la première tâche consiste à recenser l’ensemble des ressources disponibles pour avoir la meilleure connaissance des capacités quantitatives et qualitatives de l’ensemble du système de santé de la région. C’est une étape indispensable pour être en mesure de faire face à un événement inopiné.

Il faut également prépositionner un ensemble de moyens dits tactiques, qui ne seront déclenchés qu’en cas de situation sanitaire exceptionnelle : postes sanitaires en ville, équipements de protection individuelle, etc. Ces moyens sont prépositionnés pour l’essentiel auprès des établissements et des Samu, et font l’objet de contrôles réguliers pour s’assurer de leur disponibilité en cas de besoin.

Nous participons aussi, auprès des préfets, à l’animation d’exercices de crise, l’objectif étant de bien coordonner l’ensemble des intervenants.

En situation sanitaire exceptionnelle, notre rôle consiste à mobiliser l’ensemble de ces ressources et, le cas échéant, à faire appel à d’autres ressources. Il s’agit, en quelque sorte, de construire une chaîne de solidarité entre établissements. En cas de dépassement des capacités du système de soins, l’ARS intervient aussi dans la priorisation de ces capacités. Ainsi, elle peut être amenée à demander à un établissement de santé de déprogrammer certaines activités pour en privilégier d’autres, comme ce fut le cas durant l’épidémie de Covid-19.

Mme Cécile Somarriba. Les questions logistiques touchent à la fois aux capacités, aux ressources en ressources humaines et aux moyens (dispositifs de santé et médicaments). La démarche de planification est ici déterminante. Elle se traduit par la constitution de stocks tactiques et par l’identification du niveau de réponse par établissement pour les différentes composantes du plan Orsan.

Cette démarche de planification se décline au niveau régional, mais aussi à l’échelle de l’établissement, à travers le plan de gestion des tensions et des situations sanitaires exceptionnelles.

M. Didier Lemaire, rapporteur. En matière de gestion de crise, le maître-mot est « coordination ». Comment votre action se coordonne-t-elle avec celle des autres acteurs ? Cette coordination vous paraît-elle suffisante ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Dans une logique de parcours de soins, la coordination est effectivement primordiale. Le dispositif sectoriel sanitaire Orsan s’articule avec le plan ORSEC, qui est intersectoriel. Par exemple, le dispositif Orsan Amavi est le pendant du plan ORSEC Novi. Cette articulation se matérialise au travers de la régulation médicale, qui envoie dans les établissements des flux de patients en fonction de leurs lésions et des plateaux techniques d’accueil.

Lorsque les dispositions Orsan ne sont pas suffisantes, le préfet peut, à sa propre initiative ou à la demande du directeur général de l’ARS, mobiliser des moyens opérationnels ORSEC pour répondre à une mission sanitaire. Ce cas se présente notamment lorsqu’il faut évacuer un établissement de santé, lors d’opérations exceptionnelles de vaccination dans des centres dédiés, ou lors d’une distribution urgente à la population de produits de santé.

L’articulation entre les dispositifs Orsan et ORSEC est prévue dans le code de la santé publique comme dans le code de la sécurité intérieure.

La dernière loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) comprend un article permettant au préfet de zone d’habiliter le préfet de département à prendre toutes mesures nécessaires, et singulièrement à mobiliser l’ensemble des services et établissements publics de l’État, en cas de danger grave et imminent, de troubles à l’ordre public, ou encore de nécessité de préserver l’environnement ou la santé des populations.

Mme Cécile Somarriba. L’efficience de cette articulation est en effet cruciale. L’organisation de la coordination s’effectue surtout au moment de la planification de la réponse et lors de la survenance de l’événement. La préfecture – et au premier chef la préfecture de zone – est associée aux travaux de révision opérationnelle des volets Orsan, de manière à identifier les points d’articulation à décliner. En retour, la préfecture implique bien évidemment l’ARS dans l’élaboration des projets ORSEC.

Lorsqu’un événement survient, la coordination se prépare en centre opérationnel départemental ou en centre opérationnel de sécurité. Dans tous les cas, l’ARS participe à ces réunions.

Docteur Romain Hellmann. Je voudrais souligner que sur le terrain, la coordination opérationnelle se passe bien. Les acteurs dialoguent davantage qu’avant la crise du Covid-19.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Mme Somarriba, vous êtes associée auprès du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) à la gestion de crise et à l’élaboration des fiches de mesure mises à disposition de la cellule interministérielle.

Mme Cécile Somarriba. Au niveau zonal et non national, l’ARS Île-de-France est effectivement associée aux travaux de planification, dès lors qu’ils comportent un aspect sanitaire. Nous participons ainsi aux travaux sur l’ORSEC LAV (lutte anti-vectorielle).

Docteur Jean-Marc Philippe. Au niveau national, nous participons aux travaux interministériels, sous l’égide du SGDSN. Dans ce cadre, nous sommes associés aux réflexions sur la stratégie nationale de résilience, qui mobilise l’ensemble des ministères sur des thématiques diverses. La DGS est aussi impliquée dans la refonte de la planification de l’État. En déclinaison de ces travaux, nous produisons des doctrines, qui viennent alimenter la planification sanitaire et la planification Orsan. Celles-ci permettent d’élaborer des stratégies et de concevoir les tactiques mises en œuvre sur le terrain. La coopération interministérielle à l’échelon national est donc complétée par une déclinaison au niveau zonal et départemental, et la mise en œuvre sur le terrain s’opère avec les équipes, dans le cadre des planifications. La formation des acteurs des cellules interministérielles de crise est organisée grâce aux plans de formation dont nous sommes chargés avec le SGDSN.

M. Laurent Dalmas. Cette coordination est une réalité concrète que nous expérimentons lors des exercices sur le terrain qui sont pilotés par la préfecture, en partenariat avec l’ensemble des acteurs, dont les ARS.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Lors de la crise de Covid-19, quels ont été le rôle et les missions de vos organisations respectives ? Quel bilan en tirez-vous sur la coordination entre les acteurs sanitaires, mais aussi avec les pays voisins ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Tous les acteurs nationaux ont été fortement sollicités par cette crise sanitaire mondiale. Au départ, une organisation strictement sanitaire a été déployée. Elle a rapidement été élargie, avec la création d’une cellule interministérielle de crise.

La plupart des acteurs mobilisés ont élaboré un retour d’expérience sur cette situation inédite. Dans ce cadre, il s’est avéré que des mesures réputées impossibles ont pu, contre toute attente, devenir une réalité concrète. Je pense par exemple au doublement de la capacité de lits de réanimation, qui paraissait inconcevable.

Il s’agit de capitaliser le savoir-faire acquis durant cette crise pour enrichir le dispositif Orsan, qui ne cesse d’évoluer.

Mme Anne Hegoburu. La DGOS a été pleinement mobilisée tout au long de la crise Covid-19, pour organiser à la fois la prise en charge des patients contaminés, mais aussi celle de tous les autres patients. Pour ce faire, il a fallu édicter des consignes nationales, assouplir les cadres réglementaires pour donner plus de liberté aux établissements et aux ARS, simplifier le fonctionnement général du système, et enfin parvenir à trouver des ressources humaines, matérielles et logistiques. À l’instar des autres structures, la DGOS a dressé son propre retour d’expérience pour évaluer ses modalités de fonctionnement.

M. Samuel Pratmarty. La crise Covid-19 a connu différentes étapes, et le rôle de l’ARS a évolué en conséquence. Quatre grandes séquences peuvent être dégagées. Tout d’abord, les premières alertes sérieuses ont été émises en janvier et février 2020, ce qui a entraîné la mobilisation préventive d’un certain nombre de professionnels. Dans notre région, l’accueil du premier patient atteint du Covid-19 au CHU de Bordeaux remonte au 24 janvier 2020. Dans un premier temps, l’ARS a donc adopté une posture de veille, de préparation et d’attente, ignorant quelle serait l’évolution de la situation.

À partir de mars et jusqu’en juin 2020, les ARS ont été recentrées exclusivement sur des missions de gestion de crise, autour des priorités suivantes : réorganiser complètement les modalités de fonctionnement des établissements de santé et médico-sociaux, accroître les capacités de soins critiques, et enfin préparer les évacuations sanitaires entre régions, avec la cellule de crise du ministère et les autres ARS. Il se trouve que la région Aquitaine a accueilli le plus grand nombre de transferts, puisqu’elle conservait des capacités disponibles.

Entre juin 2020 et jusqu’au deuxième pic de contaminations, nous avons vécu une troisième phase délicate : tout en reprenant ses activités traditionnelles, notre ARS a dû faire face à un accroissement des besoins en soins critiques et à une nouvelle vague de transferts de patients entre régions.

Une quatrième étape a été l’organisation de la campagne de vaccination, qui nous a occupés plusieurs mois, à partir de janvier 2021.

Docteur Romain Hellmann. Il est vrai qu’au début de la crise, nous avions très peu d’informations sur l’épidémie. Malgré tout, il a fallu construire des scénarios pour tenter de répondre à ce défi sans précédent. Ensuite, le rôle des ARS s’est transformé. Jusqu’alors, nous exercions des missions de contrôle et d’appui à l’organisation au quotidien. Avec l’irruption de la crise sanitaire, les ARS se sont vu confier des tâches nouvelles, telles que la distribution des masques ou la gestion des appareils respiratoires. Les équipes ont dû se familiariser à ces nouveaux métiers en quelques semaines, voire en quelques jours. Nous nous sommes efforcés collectivement de garantir l’égalité des territoires vis-à-vis des dispositifs mis en place, notamment l’accès aux tests PCR et aux vaccins.

Mme Cécile Somarriba. L’accessibilité aux soins et aux actions de prévention (dépistage ou vaccination), en particulier en direction des publics les plus éloignés du soin, a été l’une de nos priorités. À cet effet, les ARS ont déployé des actions essentielles au plus près des populations. L’Île-de-France a d’ailleurs mené un travail spécifique sur les aéroports, lors de la reprise des échanges internationaux, pour que les voyageurs puissent être testés à leur arrivée sur le sol français.

M. Laurent Dalmas. J’ajouterai que le travail conduit auprès des aéroports a été initié par les ARS, qui ont été mobilisées en première ligne.

Je voudrais aussi souligner qu’à l’occasion de cette crise de Covid-19, les ARS ont été amenées à prendre en charge des activités qu’elles n’avaient jamais couvertes jusqu’alors : outre la distribution de masques, je citerai l’établissement massif d’arrêts de travail, ou encore le traitement d’un volume considérable d’appels téléphoniques. Dans le Grand Est, nous avons été rapidement débordés par l’afflux d’appels.

Les retours d’expérience nous ont conduits à faire évoluer notre dispositif téléphonique de gestion du point focal régional et à lancer un marché visant à sécuriser la mobilisation d’une plateforme téléphonique de secours.

Docteur Romain Hellmann. Nous avons d’ailleurs conservé certaines initiatives héritées de la crise de Covid-19. Je pense par exemple à la cellule de gestion des lits de soins critiques, qui a été créée par l’ARS Île-de-France et dupliquée dans d’autres régions. Un certain nombre de nouveaux métiers qui ont émergé pendant l’épidémie de Covid-19 ont été conservés. Il est indispensable de garder cette mémoire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Force est de constater qu’il a fallu réinventer le modèle de gestion de crise. Lorsque j’étais élu local, en tant qu’adjoint au maire, j’ai pu mesurer l’importance de la coordination avec l’ARS. Une relation de confiance s’est instaurée entre l’agence et les collectivités locales. D’ailleurs, ma ville d’Altkirch, qui compte 6 000 habitants, a accueilli un centre de vaccination occupant 300 bénévoles pendant plusieurs mois.

Ma question suivante porte sur les associations agréées de sécurité civile. Avez-vous une estimation du nombre de bénévoles impliqués dans cette crise ? Quels rôles ont-ils remplis ? Depuis l’épidémie de Covid-19, ces partenaires sont-ils mieux identifiés ? Un renforcement de la connaissance et du rôle de ces associations vous paraît-il utile, en prévision de futures crises sanitaires ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Je confirme que les associations agréées de sécurité civile ont accompli un travail considérable pendant la crise de Covid-19, et je tiens à saluer leur contribution. Ces associations se sont investies très activement dans les plateformes d’écoute à destination des personnes confinées, dans l’appui à l’aide médicale d’urgence, dans la mise en œuvre de la stratégie de lutte anti-Covid et dans les campagnes de vaccination. Elles ont aussi apporté leur soutien aux établissements de santé.

Nous n’avions pas attendu cette crise pour identifier les associations agréées de sécurité civile, qui contribuent au plan ORSEC. Elles sont d’ailleurs citées dans le guide méthodologique du dispositif Orsan comme des partenaires pouvant être mobilisés lors de situations exceptionnelles. Grâce aux conventions existantes, les cellules d’urgence médico-psychologique bénéficient souvent de l’appui de ces associations.

Mme Cécile Somarriba. En Île-de-France, les associations agréées de sécurité civile ont effectivement été un recours précieux pour de multiples actions. Le médiateur de lutte anti-Covid, par exemple, se déplaçait au plus près des populations pour porter des messages de prévention, faciliter les dépistages et contribuer aux opérations de vaccination. Pour illustrer ce propos, je rappellerai que le centre de vaccination du Stade de France était tenu par la Croix-Rouge 93. En parallèle, des associations agréées de sécurité civile apportaient leur concours à la vaccination des personnes âgées à domicile.

Je soulignerai que cette mobilisation a toujours été organisée en amont avec les préfectures. Au-delà de leurs capacités opérationnelles, les associations ont l’avantage d’être connues des populations et peuvent donc relayer efficacement les messages.

M. Samuel Pratmarty. Les associations ont aussi joué un rôle important et utile en Nouvelle Aquitaine pendant l’épidémie de Covid-19. Nous avions déjà l’habitude de travailler avec elles avant la crise, au cas par cas, mais ces besoins de coopération ont été décuplés par le Covid-19.

Les associations agréées de sécurité civile ont largement contribué, aux côtés des structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) et des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), à l’organisation des transferts de patients interrégionaux. Elles ont également apporté leur soutien à l’armement des sas sanitaires installés à l’entrée des Ehpad. Pour finir, elles ont participé activement à la montée en puissance des centres de vaccination, à compter de janvier 2021.

M. Laurent Dalmas. L’ARS du Grand Est souscrit entièrement à ces interventions. Nous saluons à notre tour la mobilisation des associations agréées de sécurité civile, et nous y sommes d’autant plus sensibles que nous avons fait appel à une équipe d’Île-de-France au tout début de l’épidémie pour intervenir sur des foyers identifiés dans la région Grand Est.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, est-il nécessaire d’approfondir la formation des bénévoles afin qu’ils puissent pratiquer des gestes médicaux ou paramédicaux en situation d’urgence ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Les formations de sécurité civile (PSE1 et PSE2) ont été enrichies de connaissances sur les risques infectieux et sanitaires. Il existe aussi des modules complémentaires dédiés à certaines typologies de risques.

Lorsque nous avons mis en œuvre la démarche « tester, alerter, protéger », nous avons dû former les acteurs à la prise en charge des dépistages. À cet effet, un parcours de formation en ligne a été élaboré à notre demande par l’École des hautes études en santé publique. Il a permis d’apporter les connaissances nécessaires aux personnes travaillant dans les centres de dépistage ou de vaccination. Il me paraît judicieux d’adapter continuellement les formations existantes pour améliorer leur efficacité dans la réponse aux crises.

Mme la présidente Lisa Belluco. Estimez-vous que les bénévoles des associations agréées de sécurité civile pourraient pratiquer, en cas de crise, des actes médicaux simples ? Ces derniers considèrent qu’ils seraient en capacité de le faire, sous la supervision à distance d’un médecin. Cette orientation vous paraît-elle souhaitable ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Les bénévoles ont été amenés à exécuter des prélèvements, qui constituent pourtant un geste médical invasif. Jusqu’alors, cette pratique n’était même pas autorisée à certains professionnels paramédicaux. Il a fallu commencer par généraliser l’autorisation à toutes ces professions paramédicales, avant de l’étendre à des non-professionnels. Cette démarche s’est accompagnée, bien entendu, d’un parcours de formation. En outre, les prélèvements ont été effectués avec la présence permanente d’un professionnel de santé susceptible d’intervenir.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Notre modèle de protection et de sécurité civile repose sur une multiplicité d’acteurs, publics ou associatifs. Cette constellation vous semble-t-elle adéquate et lisible ? La répartition des compétences entre ces différents acteurs, notamment entre les pompiers et les Samu pour les appels d’urgence, est-elle suffisamment claire et pertinente ? Si tel n’est pas le cas, comment pourrait-elle être améliorée ?

M. Pierre Savary. Nous partageons le constat que dans le champ de l’urgence préhospitalière, de nombreux acteurs sont formés pour mettre à disposition du patient leurs compétences. La coordination en temps de crise doit rejoindre celle du quotidien.

Il existe depuis 2008 un référentiel sur les secours aux personnes et l’aide médicale urgente. Nous sommes en relation avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) pour une éventuelle révision de ce référentiel.

Les acteurs de la santé se sont aussi beaucoup mobilisés autour des transports sanitaires urgents. La diminution des carences ambulancières est une réforme préparée de longue date avec l’ensemble des acteurs, notamment les transporteurs sanitaires. Déployée à partir de l’été 2022, elle est en cours d’évaluation. Les premières données disponibles sont positives, puisqu’elles mettent en évidence une diminution de 27 % des carences ambulancières. Un bilan qualitatif sera également réalisé.

S’agissant des numéros d’urgence, ils sont bien connus de la population. Cette organisation se transforme avec la généralisation des services d’accès aux soins. Ainsi, le 15 devient à la fois le numéro de l’accès aux soins de médecine d’urgence et celui de l’accès aux soins non programmés.

Par ailleurs, le ministère du travail, de la santé et des solidarités prend toute sa place dans les travaux sur l’expérimentation Matras, qui vise à explorer d’autres formes de coopération. Cette démarche donnera également lieu à une évaluation.

M. Samuel Pratmarty. La répartition des rôles et missions des différents acteurs est relativement claire. Il existe effectivement des zones de chevauchement, qui nécessitent une coordination fine, mais elles sont résiduelles.

Nous avons eu à cœur de garantir la meilleure coopération possible entre les services, dans l’intérêt de la population. À cet effet, nous avons instauré en 2019 une gouvernance partagée au niveau régional et départemental. Nous avons aussi engagé des chantiers communs, comme la réorganisation de la gare ambulancière. Cette action a permis de réduire de 50 % le nombre de carences, selon les dernières données disponibles.

Avec les services de sécurité civile, nous menons depuis quelques mois un travail sur l’ordre zonal d’engagement des hélicoptères de la sécurité civile. Cette démarche devrait être finalisée d’ici quelques semaines. De manière générale, nous associons volontiers les SDIS à nos travaux, et réciproquement. Nous faisons tout notre possible pour structurer et pacifier nos relations avec ces services, de manière à pouvoir résoudre conjointement les problèmes auxquels nous faisons face.

Docteur Romain Hellmann. Au quotidien, les acteurs connaissent bien les limites de leurs missions sur le terrain. Des situations conflictuelles peuvent se présenter, mais il en est ainsi dans toute organisation.

En tant que représentants des ARS, notre préoccupation consiste à choisir l’offre la mieux adaptée aux besoins du malade. Nous associons les SDIS à nos travaux, et nous partageons avec eux les règles et les protocoles.

En région Grand Est, l’enjeu relève davantage de la doctrine : comment construire une stratégie commune à moyen terme ? Nous avons identifié des pistes d’action qui nous aideraient à consolider ces progrès et à gagner en efficacité.

M. Didier Lemaire, rapporteur. L’acculturation au risque de notre population vous paraît-elle suffisante ? À votre sens, les jeunes générations sont-elles suffisamment impliquées ? Avez-vous l’occasion d’aborder ce sujet avec le ministère de l’éducation nationale ?

Docteur Jean-Marc Philippe. Vous soulevez là une question fondamentale : comment rendre notre nation plus résiliente aux crises, et particulièrement aux situations sanitaires exceptionnelles ? Cette problématique est prise en compte dans la stratégie nationale de résilience, qui a pour objet de renforcer la résistance aux chocs de l’ensemble des acteurs de la nation : les citoyens, les collectivités territoriales, mais aussi les entreprises.

Dans le milieu du travail, des ambassadeurs de lutte anti-Covid ont été désignés. Leur mission consistait à porter des messages de prévention auprès de leurs collègues. Dans l’éducation nationale, de nombreuses initiatives en ce sens ont aussi été déployées.

Selon moi, l’intégration de la notion de résilience dans les parcours de formation de type PSC1 mérite un débat interministériel.

Je rappellerai aussi qu’une journée « Tous résilients face aux risques » a été organisée en 2022 par le Gouvernement. Cette initiative s’avère très intéressante pour approfondir la connaissance du sujet. Seule la diffusion de la connaissance permet de contrer l’influence des réseaux de désinformation. En tout état de cause, notre ministère est très ouvert pour travailler sur ces différents sujets.

Mme la présidente Lisa Belluco. Vous avez mis en avant la nécessité d’une bonne coordination entre acteurs, ainsi que les dispositifs engagés pour répondre aux situations rencontrées. Plusieurs directeurs de SDIS nous ont rapporté que leurs ambulances devaient parfois patienter plusieurs heures aux urgences lors des pics d’affluence. Avez-vous examiné ce problème et identifié des pistes pour y remédier ?

M. Pierre Savary. Je vous confirme que cette préoccupation est bien détectée et fait l’objet d’échanges fréquents entre l’administration, les ARS, les représentants des urgentistes et tous les acteurs du ministère de l’intérieur. Cette question est appréhendée au travers de l’engagement présidentiel pour le désengorgement du système de soins.

Une réforme importante sur les autorisations de médecine d’urgence est entrée en action au moment des fêtes de fin d’année. Elle a permis de pérenniser plusieurs mesures des missions flashs du Docteur François Braun, qui ouvrent de nouvelles possibilités d’organisation pour les territoires. C’est l’une des solutions mises en œuvre pour réduire les pressions dans les urgences, et ses effets devraient aussi permettre de réduire les délais d’attente des ambulanciers et des sapeurs-pompiers.

M. Samuel Pratmarty. En Nouvelle Aquitaine, ce problème est bien identifié, mais il doit être relativisé. De fait, cette difficulté n’affecte que deux départements sur douze dans notre région. Si elle touche la Gironde de manière quasi permanente, elle affecte les Landes essentiellement en période estivale, du fait de l’afflux de population. En résumé, onze départements sur douze ne connaissent pas de problèmes chroniques d’engorgement des urgences. J’ajoute qu’en Gironde, le phénomène touche spécifiquement l’agglomération de Bordeaux, où les temps d’attente aux urgences sont historiquement élevés.

Les SDIS, la préfecture et les ARS ont pris la mesure du problème, et plusieurs actions ont été lancées. Dans plusieurs établissements, des bornes d’horodatage ont été installées, de manière à pouvoir quantifier les temps d’attente. En outre, des zones de dépose dédiées aux SDIS ou transporteurs sanitaires ont été aménagées. Certains établissements se dotent aussi de circuits de prise en charge dédiés aux sapeurs-pompiers ou transporteurs sanitaires. La combinaison de ces mesures a permis de réduire significativement la durée des temps d’attente et la fréquence des délais excessifs.

Des améliorations ont pu être constatées objectivement depuis quelques années, mais la situation reste perfectible. C’est d’ailleurs l’une des priorités de notre directeur général pour 2024. À cet effet, nous avons prévu de contractualiser avec les établissements de santé portant les services d’accueil d’urgence pour redoubler d’efforts sur la diminution des temps d’attente.

Docteur Romain Hellmann. Ce sujet fait aussi partie des priorités de l’ARS du Grand Est. En tant que médecin urgentiste en activité, je peux témoigner de la complexité de cette question. Il est à noter que la saturation des services d’urgences n’est pas une problématique propre à la France : tous les pays développés rencontrent la même difficulté.

Dans la région Grand Est, nous avons décidé d’inscrire à notre projet régional de santé (PRS) un objectif « zéro brancard » pour les patients en attente d’hospitalisation. En complément, nous prévoyons un investissement de 8 millions d’euros en 2024 pour aider les établissements à se doter de dispositifs internes. Il s’agit d’un travail structurel de grande ampleur, qui nécessite du temps.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci beaucoup pour cet échange. Si vous le souhaitez, n’hésitez pas à nous adresser vos contributions écrites, qui seront prises en compte dans notre rapport.

 


Table ronde sur le thème « Recherche et anticipation au service de la sécurité civile ».

Compte rendu de la table ronde sur le thème « Recherche et anticipation au service de la sécurité civile »
(jeudi 15 février 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Nous terminons cette après-midi d’auditions avec une dernière table ronde thématique : après avoir échangé, lors des précédentes tables rondes, sur les questions environnementales, les technologies de communication, les grands événements, la logistique d’urgence et, aujourd’hui même, sur les enjeux sanitaires concernant la sécurité civile, nous nous penchons enfin sur les questions de recherche et d’anticipation.

Cet enjeu se trouve au cœur de la mission d’information : c’est en anticipant l’avenir que nous parviendrons à faire évoluer notre modèle de sécurité civile afin de lui permettre de faire face aux grands enjeux de notre siècle – et il y a encore, en la matière, d’importants efforts à mener.

Nous avons l’honneur de recevoir M. Patrick Laclémence, professeur, titulaire de la chaire gestion de crise de l’université de Troyes ; M. Patrick Lagadec, chercheur spécialiste de la gestion de crise et du risque, qui est avec nous en visioconférence ; et M. Jérôme Dantan, enseignant-chercheur, docteur en informatique au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et spécialiste des systèmes de décision en univers incertain, également en visioconférence.

Je tiens à vous remercier pour votre présence et pour le temps que vous avez bien voulu nous accorder pour contribuer à nos travaux de contrôle et, ainsi, éclairer la représentation nationale sur la situation actuelle et les évolutions souhaitables pour notre modèle de protection et de sécurité civile.

Avant de vous céder la parole, je rappelle rapidement que notre mission d’information, composée de députés issus de tous les groupes politiques, a été initiée par le groupe Horizons, dont fait partie notre rapporteur, Didier Lemaire. Cette table-ronde, enregistrée et accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale, fera aussi l’objet d’un compte rendu qui sera annexé au rapport ; nous espérons que notre rapport pourra être rendu public au printemps.

M. Didier Lemaire, rapporteur de la mission d’information sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles. Cette mission m’a été inspirée par mon expérience d’élu local, notamment durant la crise sanitaire, et par mon ancien métier de sapeur-pompier. Il m’est apparu important d’engager une réflexion sur notre modèle de sécurité civile.

Messieurs, comment définiriez-vous les notions de crise et de gestion de crise ? Quels sont les principaux défis liés à ces situations pour les pouvoirs publics ?

M. Patrick Laclémence, professeur, titulaire de la chaire gestion de crise de l’université de Troyes. Avant de répondre à votre question, je voudrais préciser que notre chaire gestion de crise est codirigée par l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Au regard du sujet qui nous occupe, cette coopération trouve tout son sens.

Avant de définir la notion de crise, il faut commencer par comprendre dans quelle société nous vivons. Jamais l’homme n’a autant échangé, jamais il ne s’est autant déplacé qu’aujourd’hui. La continuité d’activité est devenue une obsession. Dans cet environnement, l’enjeu consiste à maintenir le décideur au centre du système. Il s’agit d’une problématique centrale du troisième millénaire.

En ce qui concerne la crise, toute la difficulté consiste à gérer la rupture et la minute d’après. Cette préoccupation a toujours habité l’être humain. La minute d’après est angoissante, traumatisante, et source de problèmes à résoudre. De fait, nous vivons constamment dans l’anticipation.

Nous sommes confrontés aujourd’hui à différents types de crise. Je distinguerai tout d’abord la crise « de rupture », qui nécessite de relier l’avant et l’après. C’est le cas par exemple de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. Il existe aussi une crise « de fracture », qui pose beaucoup plus de difficultés, car elle est liée à des phénomènes naturels. Au cours des vingt dernières années, les crises de cette nature se sont multipliées. Elles ont des coûts humains et financiers élevés. Par ailleurs, j’appellerai crise « de mémoire » les attentats terroristes, qui touchent la mémoire collective d’une société. Récemment, elle s’est matérialisée sous forme de « self terrorisme ». Enfin, avec le Covid-19, nous avons fait l’expérience d’un autre type de crise. Dans ce cas, nous sommes passés de la gestion de crise à la crise de gestion. Nous avons dû nous demander où positionner l’expertise, et le politique a repris la main.

La gestion de crise doit être temporaire, car dès qu’elle s’inscrit dans une échelle de temps plus longue, de nouveaux problèmes émergent. Personnellement, j’ai consacré ma thèse aux phénomènes de panique dans les stades. Contrairement à la peur, qui a un objet défini, l’angoisse est liée à une atmosphère. Il est donc essentiel d’apporter une réponse le plus rapidement possible, et c’est tout le principe de la gestion de crise. Pour cela, il faut trouver la bonne articulation entre les différents niveaux d’intervention.

M. Patrick Lagadec, chercheur spécialiste de la gestion de crise et du risque. Nous avons l’habitude de définir la crise à partir de l’accident. Néanmoins, la crise ne se confond pas avec l’urgence. L’urgence implique de mobiliser très rapidement des moyens pour faire face à une situation connue, empreinte d’une légère incertitude : il s’agit d’alerter, de mobiliser et de coordonner au mieux dans cet environnement.

Pour sa part, la crise survient lorsqu’il y a une destruction des références : les paradigmes habituels et les hypothèses appliquées en temps normal n’opèrent plus. Nous sommes obligés de passer d’un univers de réponses à un univers de questions. Comme le précisait un ministre américain de la santé en 1976 à propos de l’épidémie de grippe porcine : « Ce n’est pas que nous n’avions pas les réponses : nous n’avions pas les questions que nous aurions dû nous poser. »

Pour les décideurs, l’enjeu est bien de parvenir à passer d’un univers de réponses à un univers de questions très complexes. Cela implique deux exigences : l’excellence dans le connu, d’une part, et l’inventivité dans l’inconnu, d’autre part. Si la société est plutôt bien préparée aux grandes urgences, elle est très mal préparée à l’environnement de crise. Il est primordial de bien comprendre que nous sommes désormais confrontés à des scénarios de surprise de haute intensité, qui sont d’une nature radicalement différente des risques auxquels nous avions à faire face jusqu’alors.

M. Jérôme Dantan, docteur en informatique, enseignant-chercheur en informatique à l’Institut polytechnique UniLaSalle et spécialiste des systèmes de décision en univers incertain. Hippocrate décrivait la crise comme un moment où tout peut basculer, où tous les futurs sont possibles. Une crise est une situation exceptionnelle et imprévisible, et par conséquent inconnue de l’homme. La gestion de crise consiste à prendre des décisions visant à minimiser les conséquences négatives de la crise. Pour cela, il convient de s’appuyer sur l’anticipation et la prévention.

Pour les pouvoirs publics, la complexité et l’incertitude découlant de la crise sont des défis majeurs. Les technologies d’information et de communication sont déterminantes pour la prévention et la gestion de la crise.

M. Didier Lemaire, rapporteur. À la lumière de vos expertises respectives, quel regard portez-vous sur l’évolution des menaces et des crises des dernières décennies ? Quelles seraient les caractéristiques des crises des années à venir ?

M. Patrick Laclémence. Comme je vous le précisais, j’ai travaillé sur les phénomènes de violence et de panique dans les stades. En 1985, un mouvement de foule consécutif à des attaques de supporters, au stade du Heysel à Bruxelles, faisait 39 morts et plus de 400 blessés. La tragédie avait été retransmise en direct à la télévision. Margaret Thatcher avait alors engagé une politique très dure pour combattre le phénomène, qui représentait l’ennemi public numéro un et qui deviendra une véritable obsession. Cela n’empêchera pas la survenue d’un nouveau drame, quatre ans plus tard, à la suite d’un mouvement de foule. Cet exemple montre qu’il faut savoir trouver le bon équilibre entre la gestion du quotidien et des mesures ciblant des situations extrêmes, sans céder à l’angoisse permanente.

M. Patrick Lagadec. Le décideur doit tenir compte de deux dimensions, imbriquées en contexte de crise. D’une part, il lui faut répondre à l’événement et à ses potentiels effets systémiques rapides, en s’efforçant de s’adapter à l’inconnu et à des surprises de haute intensité. D’autre part, les socles sur lesquels le décideur ancre ses actions sont de plus en plus fragiles : la cohésion sociale, la crédibilité des experts et des responsables, la légitimité, la vérité des faits et la démocratie elle-même sont de plus en plus mises en cause. Il s’agit donc de composer avec des événements sortant des cadres, en s’appuyant sur des socles beaucoup plus friables. Cet environnement nécessite de revoir les liens entre les organes de décision et les organes d’expertise, et c’est l’un des grands défis de la gestion de crise aujourd’hui. À cet égard, la crise de Covid-19, au même titre que tous les grands événements récents, a révélé la difficulté à piloter les décisions dans un tel contexte.

Selon mes hypothèses, nous ne sommes pas préparés à ces situations. À mon sens, le grand danger serait d’améliorer notre capacité de réponse à des urgences limitées, que nous savons déjà traiter, alors que l’essentiel est ailleurs : nous devons apprendre à « fracturer nos univers mentaux », pour citer les propos du patron de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) après le passage de l’ouragan Sandy. Bien entendu, il est extrêmement difficile et angoissant de se préparer à des scénarios inconnus avec des acteurs que nous ne connaissons pas. C’est pourtant bien l’enjeu des crises que nous allons rencontrer, et si nous prenons du retard dans ce domaine, nous le paierons très cher. Il est donc urgent de s’atteler à répondre aux crises d’aujourd’hui, plutôt que de se préoccuper des crises d’hier.

M. Jérôme Dantan. Mes travaux de recherche confirment que les crises à venir auront des conséquences de long terme sur le système de sécurité civile. Nous prévoyons des pénuries de ressources énergétiques, des manques d’eau et une réduction des surfaces agricoles, dans un contexte d’augmentation de la population. Les impacts du changement climatique deviennent également plus significatifs.

Parmi les solutions envisagées, l’agriculture de précision devrait aider à ajuster les doses d’intrants au plus près des besoins, limitant ainsi les impacts sur l’environnement. En production animale, les technologies de l’information ouvrent des avancées en matière de bien-être animal, de santé et de sécurité sanitaire. Elles faciliteront notamment la prévention des pandémies.

L’aide à la surveillance environnementale est tout aussi fondamentale. Elle permet de lutter par exemple contre les feux de forêt, grâce à la prévention de la sécheresse.

Pour sa part, la robotisation réduira la pénibilité, améliorant du même coup les conditions de travail des agriculteurs. Cette thématique sera appréhendée dans notre institut par la future chaire « Agromachinisme et nouvelles technologies ».

À l’avenir, les services de sécurité civile seront certainement amenés à prendre en charge des opérations de logistique et à assurer l’approvisionnement en eau des régions en pénurie. Tous les outils et procédés permettant d’économiser la ressource en eau prendront une importance stratégique.

Par ailleurs, les attaques contre les systèmes d’information des hôpitaux, des entreprises ou des usines risquent de se multiplier dans les années à venir. Cette menace pèse aussi sur les objets connectés et les capteurs, qui pourraient propager de fausses informations.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelle crise récente vous paraît emblématique des forces et limites du modèle français de gestion de crise ? Quels enseignements en tirez-vous ?

M. Patrick Laclémence. Le premier cas qui me vient à l’esprit est celui de la crise de Covid-19, qui a mis en évidence les forces et faiblesses de notre modèle. Pour ce qui est des faiblesses, il convient de constater que notre modèle d’expertise devient difficile à gérer, notamment pour le décideur. D’ailleurs, l’intelligence artificielle vient compliquer l’équation, en court-circuitant le rôle du chercheur. Les résultats issus de calculs mathématiques semblent en effet impossibles à contredire.

De mon point de vue, notre fragilité réside aussi dans notre capacité à percevoir la limite du système. D’un côté, nous disposons d’un nombre croissant de systèmes d’assistance, qui font notre force. D’un autre côté, le décideur ne peut plus réfuter les informations produites par des bases de calcul. De ce fait, il perd la maîtrise du processus de prise de décision.

Où placer le décideur ? Comment l’aider à se protéger ? Comment attribuer les responsabilités dans la chaîne hiérarchique ? Telles sont, en résumé, les questions de fond auxquelles il nous incombe de répondre. Il en découle une autre interrogation cruciale : comment faire progresser le droit pour tenir compte de ces évolutions ?

M. Patrick Lagadec. Permettez-moi de vous citer quelques exemples qui donnent matière à réflexion sur la gestion de crise. J’évoquerai, tout d’abord, l’explosion de l’usine chimique AZF à Toulouse. D’après la première information transmise au Samu, des bombes avaient éclaté dans toute la ville. Dès lors, il était impossible de déterminer les lieux d’intervention prioritaires. Une autre difficulté tenait au fait que les premiers blessés se trouvaient dans l’hôpital, ayant été touchés par des éclats de verre. Ce sont les blessés qui ont orienté le Smur sur le lieu de l’accident. La règle veut que dans une situation d’urgence de ce type, les vitres et entrées d’air soient colmatées. Or, les vitres avaient été pulvérisées, ce qui empêchait de respecter cette consigne. Enfin, en l’espace de quelques minutes, des centaines de blessés avaient rejoint l’hôpital. La situation était d’autant plus inquiétante que l’on redoutait un effondrement du bâtiment. De son côté, le colonel des sapeurs-pompiers découvre qu’il a perdu toute liaison avec le préfet et avec ses troupes. Comment agir en présence d’événements aussi singuliers et complexes ? Vingt ans après les faits, les résultats des expertises sur les circonstances demeurent incertains.

En août 2022, la Corse fut frappée par des orages d’une violence extrême. Cet événement climatique avait été prévu par un modèle météorologique, mais les autres simulations étaient bien moins alarmistes. Le scénario le plus inquiétant avait donc été ignoré, de sorte que les populations n’ont pas été alertées aussi vite qu’il l’aurait fallu.

En résumé, c’est la plongée dans des situations auxquelles les décideurs et les experts ne sont pas bien préparés qui soulève des problèmes majeurs. Face à de telles crises, les experts doivent être capables de prendre des décisions intelligentes en temps réel, en acceptant des risques mesurés. D’ailleurs, les organismes d’expertise n’ont peut-être pas engagé de réflexion sur les actions à mener, dans une configuration d’extrême urgence et d’extrême incertitude, pour éclairer les décideurs. C’est bien sur ces nouvelles frontières que nous devons apprendre à travailler.

Lors des attentats du 11 septembre 2001, 18 officiers supérieurs des sapeurs-pompiers sur 23 sont décédés en montant dans les tours du World Trade Center pour tenter d’éteindre ce qui semblait être un incendie. Dans un univers aussi déconcertant, il était impensable de conduire une réflexion stratégique guidant l’action.

Il est certain que nous allons connaître d’autres situations de ce type, à l’instar de celles que nous avons connues à profusion pendant la crise sanitaire. Je maintiens que nous ne sommes absolument pas préparés à ces événements, tant il est culturellement angoissant de s’entraîner à réfléchir à très haute vitesse sur des hypothèses aussi inédites.

C’est pourquoi j’ai proposé à EDF de développer une « force de réflexion rapide », à savoir une capacité de réflexion à très haute vitesse, avec des personnes très entraînées, pour imaginer des perspectives d’action dans des environnements fragilisés. Nous devons nous préparer de toute urgence à ces défis, sous peine d’être « vaincus à chaque bataille », comme l’écrivait Marc Bloch.

M. Jérôme Dantan. Par nature, une crise est un moment de rupture, que nous ne pouvons pas appréhender en fonction des expériences passées. Il nous faudra donc développer des systèmes informatiques capables de tenir compte de la réalité à l’instant t et des futures hypothèses. Or, il existe un décalage entre le temps présent et sa transposition dans les systèmes informatiques. Il s’agit donc de réduire autant que possible cet écart.

Une autre source de difficulté tient à la véracité de l’information qui nous est communiquée par des capteurs automatiques ou d’origine humaine. La fiabilité de la source et la crédibilité de l’information vont devenir de plus en plus cruciales. Il faut employer des outils permettant d’agréger des données, en vue de qualifier une source. Les informaticiens devront aussi concevoir des solutions pour identifier la source de la source.

Il convient aussi d’être attentif aux aléas liés au facteur humain, et notamment aux biais cognitifs : l’être humain a une tendance naturelle à se focaliser sur les crises récentes, en oubliant les crises plus anciennes. De même, nous devrons mettre au point des outils permettant de détecter les dissonances cognitives, de manière à s’assurer que différents interlocuteurs parlent bien du même sujet.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Monsieur Laclémence, comment définiriez-vous les concepts de sécurité globale et d’anticipation ?

M. Patrick Laclémence. Pour répondre à votre question, je voudrais commencer par rappeler la création de l’Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI) par Pierre Joxe en 1989. Cette date n’a rien de fortuit, puisqu’il s’agissait de repenser la sécurité intérieure dans un monde ouvert, après la chute du Mur de Berlin. C’est à partir de cette époque qu’une réflexion sur la notion de sécurité va être lancée. J’ai eu la chance de participer à ces travaux.

Après l’attentat de la station Saint-Michel, en 1995, un espace sécuritaire est reconstruit et les militaires sont sollicités pour compléter les patrouilles. S’ensuit une succession d’actes terroristes, qui conduisent à s’orienter vers une approche globale de la sécurité.

À l’époque, nous avons ouvert, avec Dominique Bourg, un laboratoire consacré aux risques sociaux et sociétaux à l’université de technologie de Troyes. Au sein de cette équipe de recherche, nous travaillons sur la sécurité globale.

La santé et la sécurité font face à la même problématique. Si Robert Debré avait décidé d’associer des établissements universitaires avec des hôpitaux, c’est parce que dans notre monde, la recherche ne peut plus être désolidarisée du décideur. C’est pourquoi l’IHESI et d’autres laboratoires se sont efforcés de ramener le décideur au niveau de la recherche.

Dans le cadre de mes fonctions à l’Agence nationale de la recherche, j’ai été amené à travailler sur la question de la résilience. La sécurité globale implique d’appréhender l’ensemble du système pour traiter un point particulier, en associant dès le départ les praticiens. L’enjeu consiste à faire participer la hiérarchie aux travaux de recherche. C’est l’une des facettes de la sécurité globale, qui est une méthodologie.

J’en viens à votre question sur l’anticipation. J’ai pu accompagner des professionnels jusqu’au doctorat, ce qui a permis de bénéficier de leurs retours d’expérience et de leur longue expertise. C’est un extraordinaire levier d’anticipation.

Pour terminer, je voudrais évoquer un dernier exemple. Il y a près de six ans, nous avons répondu à un appel à projets du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur le terrorisme. Avec une archéologue, nous avons donc bâti un programme de recherche sur l’« archéologie du sang » : il portait sur les objets provenant de pays en guerre et intégrant les circuits de la criminalité organisée. Cette initiative, née d’une coopération entre professionnels et chercheurs, est devenue un programme européen.

La sécurité globale nécessite la mutualisation de compétences de très haut niveau, sur des domaines transversaux, l’objectif étant d’assurer la continuité d’activité.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Monsieur Dantan, quelle place occupe le numérique dans la survenue des crises et leur gestion ? Comment anticiper son rôle futur ?

M. Jérôme Dantan. Nous avons déjà mentionné le risque de piratage d’infrastructures stratégiques et de systèmes d’information. La gestion d’une crise repose très largement sur les moyens de communication, et il faut éviter à tout prix l’irruption d’une « crise dans la crise », notamment à travers la rupture des moyens de communication. En ce sens, le numérique joue un rôle dans la survenue des crises.

Il faut aussi contrer la propagation de la désinformation et optimiser la coordination entre les acteurs, grâce à des applications prévues à cet effet. Les solutions de « télésanté » et de « télémédecine » sont aussi des outils précieux facilitant les soins à distance.

À côté de la gestion de crise, j’insisterai également sur le travail de prévention. Je pense notamment à la surveillance environnementale, qui passe par des drones, des capteurs de température ou d’humidité et des modélisations alimentées par l’intelligence artificielle.

Nous disposons donc d’un large panel de capteurs à même de nous fournir des données plutôt locales, ainsi que d’indicateurs globaux tels que la télédétection.

En ce qui concerne l’anticipation du rôle du numérique, nous avons déjà fait référence à l’intelligence artificielle, et relevé l’importance de la coordination entre les acteurs métiers pour vérifier la fiabilité des données obtenues par cette technologie.

En tout état de cause, il est indispensable que les acteurs du terrain collaborent non seulement avec le décideur, mais aussi avec le modélisateur. Dans la même perspective, il faut se doter de modèles explicables.

Les progrès des technologies promettent de grandes avancées. Les images satellites deviendront plus fréquentes et précises, et les drones gagneront en capacité et en autonomie. De nouveaux robots capables d’intervenir en conditions extrêmes seront également mis au point.

Enfin, la réalité virtuelle et la réalité augmentée pourront être mises au service d’actions de formation, notamment à travers des simulations. Ces procédés permettent en effet de créer des environnements plus réalistes. Les équipes de gestion de crise ont tout intérêt à investir dans le développement des compétences numériques.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Monsieur Lagadec, par quels moyens est-il possible de s’entraîner, à l’échelle d’une société, à gérer la « surprise », soit le caractère imprévu d’une crise ?

M. Patrick Lagadec. Le piège consisterait à multiplier les séminaires et préparations de crise pour s’entraîner à mobiliser beaucoup plus rapidement les solutions existantes. Le débriefing permettrait de mesurer l’écart entre les actions réellement mises en œuvre et celles qu’il aurait fallu déployer.

Aussi nécessaire soit-elle, cette démarche n’est pas suffisante pour répondre aux surprises. À titre personnel, j’adopte une approche radicalement différente dans mes travaux avec les directeurs médicaux de crise à Sorbonne Université. Au lieu de leur proposer des scénarios connus, je leur demande de concevoir eux-mêmes des situations hypothétiques auxquelles nous n’avons pas de réponse. Je les accompagne pour parvenir à naviguer dans cet univers fait de surprises et d’inconnu.

C’est une approche difficile à mettre en place et cela nécessite donc une impulsion au plus haut niveau. Je me souviens que lors de la création de l’IHESI, Pierre Joxe avait ouvert un premier séminaire auquel plusieurs préfets avaient participé. En revanche, trois ou quatre préfets n’avaient pas souhaité le suivre. Quelle ne fut pas leur stupeur en apprenant que le séminaire se poursuivrait à Beauvau, en présence du ministre ? Ils prirent ainsi conscience de l’importance de ce travail. Cette démarche avait montré qu’il existait, au plus haut niveau de l’État, une volonté d’envoyer un message de mobilisation collective sur ces questions essentielles.

Dans les années 2000, nous avons relancé ce parcours de formation à destination des préfets. Dans ce cadre, nous avons organisé un séminaire spécifique sur le thème « Nouvelles crises, nouvelles attitudes » : les participants étaient invités à nous faire part des solutions qu’ils avaient inventées pour faire face à des crises inédites. Cette expérience s’est révélée passionnante.

Bref, nous avons besoin d’une logique d’ouverture. À ce propos, il me vient à l’esprit une demande récente d’Olivier Schmitz, gouverneur de la province de Luxembourg, en Belgique. Ce dernier a fait appel à moi pour mettre au défi son équipe, la pousser dans ses retranchements et l’encourager à aller au-delà du connu.

Avec le général Gallet, qui était à l’époque commandant de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, nous avions organisé une journée internationale au Palais de la Découverte, intitulée Thinking differently. Il s’agissait d’étudier les nouveaux univers de pensée qu’il était nécessaire de s’approprier. À cette occasion, le général Gallet avait invité le patron des sapeurs-pompiers de Tokyo et le responsable des sapeurs-pompiers de New York ayant dirigé les opérations au World Trade Center en 2001.

Quand j’ai été sollicité chez EDF pour entraîner une « force de réflexion rapide », aux côtés de Pierre Béroux, la surprise était systématiquement au centre des scénarios sur lesquels nous travaillions. Nous tenions en effet à constituer une équipe capable d’intervenir très rapidement sur une « feuille blanche », sans détenir l’expertise et la connaissance du milieu nécessaires.

L’objectif est bien d’aller au-delà des plans donnés et au-delà des réponses pour travailler sur les questions. Nous devons parvenir à mobiliser de l’énergie et de la détermination pour enclencher cette dynamique, et cela suppose une stimulation au plus haut niveau. L’exercice est inquiétant, car il nous oblige à passer de la gestion à l’invention, en temps réel et avec d’autres intervenants. Tel est l’esprit des actions qu’il nous faut engager.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quel regard portez-vous sur la place de la protection et de la sécurité civile dans notre modèle français ? Quel est votre avis sur la coordination interministérielle dans ce domaine ?

M. Patrick Laclémence. Plusieurs diplômes en sécurité globale ont été créés il y a une vingtaine d’années. Il existe aussi un diplôme de gestion de crise, qui a été mis en place avec les officiers de sapeurs-pompiers.

Dans une culture d’ouverture et d’hybridation, qui amène à étudier aussi bien les risques sociaux et sociétaux que les risques technologiques ou les risques environnementaux, nous devons élaborer de nouveaux moteurs de décision avec une perspective globale. Vingt ans après la création des premiers diplômes en sécurité globale, d’anciens étudiants ayant réussi le concours de sapeur-pompier ou d’officier viennent occuper des postes de décision. Certains poursuivent leurs études jusqu’au doctorat.

La sécurité civile est un système très réactif. Elle n’est pas organisée autour d’un ennemi, mais autour de problématiques à résoudre. Par conséquent, elle requiert une stratégie. Les modèles partent du réel pour aller vers la définition des besoins.

De mon point de vue, la sécurité civile est un modèle intéressant, tant en termes de programmation qu’en termes de proximité. De fait, la sécurité civile est la première force de proximité. En tant que telle, elle est exportable.

En revanche, je suis assez dubitatif sur la pertinence d’une coordination interministérielle dans ce domaine. En effet, il paraît difficile de concilier l’exigence de proximité avec les mécanismes des décisions interministérielles. Se pose, plus largement, la question de se doter d’un système de sécurité civile européen. Quoi qu’il en soit, je constate que la crise amène tous les acteurs à se réunir.

M. Patrick Lagadec. La véritable préoccupation, d’après moi, a trait à la préparation des acteurs : au-delà des moyens employés en salle de crise, l’efficacité de notre réponse dépend essentiellement de la préparation de l’ensemble des acteurs aux nouvelles surprises à affronter. Cette question me paraît prioritaire par rapport à celle de la coordination interministérielle. Encore une fois, si nous sommes en retard d’une guerre, nous en paierons le prix fort. Mieux vaut faire travailler les acteurs sur des sujets qui nous dépassent plutôt que de visiter des salles de crise. C’est le grand enjeu de la sécurité civile.

M. Jérôme Dantan. Je ne peux que souscrire aux interventions de mes collègues. J’ajouterai que toutes les mesures susceptibles de favoriser le partage et la centralisation d’informations seront bienvenues, tout comme les actions de formation continue des différents intervenants – en particulier au sein du ministère de l’intérieur et dans les services de sécurité civile.

Mme la présidente Lisa Belluco. Avant de vous poser une dernière question, je vous rappelle que vous pouvez librement nous faire parvenir vos contributions écrites sur tout sujet se rapportant à notre thématique de travail.

Au fil de nos auditions, nous avons constaté un déficit dans la culture du risque de l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des élus ou des citoyens. Nos travaux montrent que personne ne sait comment réagir face à une situation anormale ou une crise. Il nous apparaît donc nécessaire de diffuser cette culture du risque, de sensibiliser et d’informer.

Selon vous, par quels moyens pouvons-nous parvenir à mieux diffuser dans la population la culture du risque et faire connaître les premiers réflexes à adopter en cas d’événement imprévu ?

M. Patrick Laclémence. On estime à 75 milliards le nombre d’objets interconnectés en 2025.

Pour répondre à votre question, j’aimerais vous faire part du témoignage d’un jeune doctorant équatorien ayant participé à un programme de recherche que j’ai animé en partenariat avec l’école des sapeurs-pompiers d’Aix et Airbus, parmi d’autres structures. Ce chercheur avait choisi de travailler sur la catastrophe climatique ayant touché la vallée de la Roya dans les Alpes-Maritimes en 2021. Il s’est intéressé à l’entraide entre villageois qui a précédé l’intervention du système institutionnel, et a pu mettre en évidence le rôle significatif de cette coopération. De retour de son enquête, il nous a confié que les villages de la Roya lui rappelaient son village natal par l’importance du lien social. Le fait est que les relations de voisinage contribuent beaucoup à la transmission de la culture du risque. Or, ces relations ont été mises à mal par la crise sanitaire.

Par conséquent, les liens sociaux sont un excellent vecteur de propagation de la culture du risque. D’ailleurs, les pompiers volontaires participent activement à cette démarche, de même que les policiers et gendarmes volontaires.

Enfin, le milieu associatif, par sa vocation à « aller vers » les populations, peut aussi nous aider à mobiliser nos concitoyens. Je pense, par exemple, aux actions de sensibilisation portant sur les défibrillateurs dans les villages.

M. Patrick Lagadec. Je voudrais évoquer à mon tour une anecdote qui me semble bien résumer le problème de la diffusion de la culture du risque dans la population. Lors d’un séminaire, nous avons assisté à une rencontre entre des sapeurs-pompiers et des écoles. À cette occasion, j’ai entendu un sapeur-pompier dire à une élève de CM2 : « S’il y a un problème, ne t’en fais pas, nous serons là. » En aparté, je lui ai conseillé d’expliquer aussi aux écoliers qu’il leur faudrait peut-être un jour sauver eux-mêmes un membre de leur famille. Je pense ici à Tilly Smith, jeune Anglaise de dix ans qui, ayant compris qu’un tsunami approchait, a sauvé 100 personnes en faisant évacuer une plage de Thaïlande en 2004. Il faudrait porter largement ce message, et cesser de s’effrayer du partage de l’information.

Pour ce qui est de l’implantation de la culture du risque au plus haut niveau, je reprendrai à mon compte le remarquable dispositif mis en place par le conseiller spécial de l’Agence fédérale des situations d’urgence américaine (FEMA) lors de l’ouragan Sandy. Ce dispositif se composait de trois cellules d’appui au directeur général de la FEMA : une cellule « Détection des erreurs », une cellule « Détection des initiatives émergentes », et enfin une cellule « Inventions ». Je suis convaincu que les initiatives stratégiques au plus haut niveau, destinées à faciliter le pilotage, sont absolument primordiales. C’est bien cette capacité d’invention collective, tant sur le terrain qu’au niveau stratégique le plus élevé, qui nous fait défaut et que nous devons développer aujourd’hui.

Malheureusement, ce sujet suscite tant d’inquiétude qu’en règle générale, les acteurs s’en tiennent à des scénarios déjà connus. Sans nier l’importance de ce travail, je constate que nous ne sommes pas assez impliqués dans la préparation à l’imprévu. Excellence dans le connu et inventivité dans l’inconnu : nous devons travailler sur ces deux dimensions. Force est de constater que jusqu’à présent, nous avons peu investi le second axe.

M. Jérôme Dantan. En tant qu’enseignant-chercheur, mais aussi en tant que citoyen, je suis particulièrement sensible aux questions d’éducation et de sensibilisation. À titre personnel, j’ai été marqué par les formations au secourisme. Elles gagneraient à être déployées plus activement dans les établissements scolaires ou dans les sites recevant du public.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie pour vos contributions et vous souhaite une bonne fin de journée.

 

Fédération française des métiers de l’incendie (FFMI)

Compte rendu de l’audition de M. Régis Cousin, président de la Fédération française des métiers de l’incendie (FFMI)
(jeudi 29 février 2024)

Mme Jean-Marie Fievet, président. Je prends la présidence pour lancer cette audition, mais notre présidente nous rejoindra d’ici quelques minutes.

Nous recevons Monsieur Régis Cousin, président de la Fédération française des métiers de l’incendie. La Fédération française des métiers de l’incendie (FFMI) a été créée en 1961 et couvre l’ensemble du spectre de la sécurité incendie et douze secteurs professionnels. Elle représente plus de 300 entreprises et 25 000 salariés au service de la protection contre les risques incendie.

Nous espérons que votre audition nous aidera à bien saisir le rôle de vos métiers et leur articulation avec ceux des acteurs de la sécurité civile. Elle nous permettra sans doute aussi de mieux comprendre comment les perspectives d’évolution et d’innovation de votre secteur pourront permettre à l’avenir de mieux répondre aux besoins de notre modèle de protection et de sécurité civiles.

N’hésitez pas à nous faire part de votre analyse critique sur l’organisation actuelle de notre système. Nous serions heureux que vous puissiez nous livrer des suggestions susceptibles de contribuer utilement à nos travaux.

Pour votre parfaite information, je précise que notre mission est composée de 25 députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l’initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Votre audition est filmée et accessible sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle fait aussi l’objet d’un compte rendu.

Je vous remercie de votre engagement et de votre disponibilité pour participer à nos travaux. Pour lancer les débats, je laisse notre rapporteur vous poser une première question.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je suis très heureux de pouvoir entendre votre Fédération. Pouvez-vous nous présenter la FFMI, ses membres, les activités qui leur incombent, ainsi que la manière dont ils contribuent à la prise en charge des enjeux de sécurité civile dans son ensemble ?

Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.

M. Régis Cousin, président de la Fédération française des métiers de l’incendie. C’est un très grand plaisir de pouvoir venir porter une voix indispensable dans le paysage français.

Nous œuvrons dans la sécurité incendie, qui est l’une des composantes de la sécurité civile. La construction française de réponse au risque incendie est bâtie sur un triptyque : matériel, hommes, doctrine.

La doctrine, c’est vous, c’est l’État, les élus, mais aussi le monde de l’assurance.

Les hommes, ce sont généralement les pompiers.

Le matériel, globalement, c’est la FFMI.

La Fédération française des métiers de l’incendie, auparavant Fédération française du matériel incendie pendant 50 ans, existe depuis une dizaine d’années. La FFMI regroupe un peu plus de 300 adhérents, structurés autour de 11 syndicats et autant, voire plus de métiers.

La moitié des entreprises de nos adhérents sont des sociétés industrielles, l’autre moitié étant constituée de sociétés de services. Nous avons des adhérents modestes qui travaillent seuls, beaucoup de PME, quelques ETI, et quelques filiales de grands groupes internationaux. Cet ensemble regroupe 3 milliards d’euros d’activité et 25 000 emplois, répartis sur tous nos territoires.

La FFMI s’inscrit dans le triptyque que je viens de décrire, et plus particulièrement au travers de ses collaborations avec la sphère publique dans le cadre des administrations centrales et des constructions et révisions réglementaires. Nous sommes des faiseurs de solutions, nous donnons corps et vie à ce que vous avez déterminé au Parlement et que la réglementation transcrit de manière opérationnelle.

Notre réglementation française interagit avec des normes techniques élaborées au sein de commissions de normalisation françaises, européennes, voire internationales. La FFMI dispose d’une centaine d’experts qui œuvrent dans ce domaine. C’est un sujet particulier qui sort du cadre de la mission de sécurité civile, mais qu’il ne faut pas négliger pour autant.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Quelles sont aujourd’hui les priorités en termes de construction et d’équipement, afin d’atténuer les risques incendie et de faciliter la prise en charge par les acteurs de la sécurité ?

M. Régis Cousin. Le modèle français de réponse au risque incendie est construit sur deux lignes de défense.

La première est constituée de toutes les mesures prises en termes de prévention et de protection pour éviter qu’un incendie puisse survenir ou en limiter les effets ; la seconde est représentée par tout le monde de l’intervention, et en premier lieu les pompiers.

Il faut bien distinguer ces deux lignes de défense, sachant que l’une conditionne l’autre. Le filtre par la réglementation en amont conditionne la dotation en aval.

La partie amont concerne avant tout les mesures bâtimentaires et les mesures portées par la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, comprenant notamment des obligations légales de débroussaillement, conséquences des « mégafeux » de 2022. Même si la sécurité civile est trop souvent perçue et parfois limitée exclusivement au monde de l’intervention, il y a toutes ces mesures qui existent en amont et qui permettent de limiter le risque incendie, ou tout du moins de ne pas susciter de débat national sur le sujet. Je tiens néanmoins à rappeler que ce risque cause 300 à 500 décès annuels, ainsi que 10 000 brûlés.

Je pense que notre responsabilité collective au sein de ce triptyque est d’être capables de maintenir au moins ce consensus autour de l’exposition au risque, et notamment par rapport aux nouvelles évolutions qui concernent le risque incendie et sont de deux natures.

Il y a, tout d’abord, l’ensemble des enjeux liés à la construction biosourcée, puisque notre réglementation a été pensée avec une construction qui l’est peu, voire pas du tout.

Ensuite, il y a l’électrification des mobilités. Il ne s’agit pas uniquement des voitures, mais également des vélos et des trottinettes. De temps en temps, nous voyons des débuts d’incendie liés à ces nouveaux véhicules, et il nous semble qu’il existe une déconnexion entre les ambitions de déploiement de ces moyens de locomotion et la réponse que nous devons apporter pour garantir la même exposition au risque.

Sur ce point, je pense qu’il serait absolument nécessaire d’essayer de casser les silos. Beaucoup travaillent de manière esseulée, et la mission que vous menez pourrait rappeler qu’il faut absolument prendre en compte ce risque. Cela nécessite, me semble-t-il, un travail transversal, qu’il soit interministériel et qu’il réunisse les parties prenantes comme les sapeurs-pompiers, le monde de l’assurance, les collectivités locales et les professionnels que nous sommes.

M. Didier Lemaire, rapporteur. D’après vous, les forces de sécurité civile sont-elles correctement équipées pour faire face à la multiplication du risque incendie lors de certaines périodes ?

M. Régis Cousin. La situation s’est nettement améliorée grâce à l’intervention très forte de l’État à la suite d’une saison 2022 catastrophique. Je pense que les mesures fortes qui ont été prises porteront leurs fruits.

Il y a aujourd’hui une très grande expérience sur les feux de végétation sur l’arc méditerranéen, portée notamment par l’Entente Valabre, qui œuvre depuis des décennies sur le sujet. Les moyens et doctrines mis en œuvre permettent de grandement limiter les conséquences des débuts d’un incendie. Je pense donc qu’il faut s’inspirer largement de ce qui est fait sur l’arc méditerranéen.

Cela se traduit par un renforcement des moyens. Les capacités économiques qui ont été mises à disposition des territoires apportent une réponse bienvenue. Il faut cependant accepter que la mise en œuvre demande un certain temps, car la fabrication de véhicules incendie demande du temps. Ce ne sont pas des produits de grande diffusion. De plus, les tensions dans le monde automobile ont touché cette filière industrielle. Quoi qu’il en soit, l’effort est là et devrait produire des résultats.

Par ailleurs, il y a également une quatrième UIISC (unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile) reconstituée en Gironde. C’est un renfort bienvenu de moyens. L’usage de retardants devrait aussi se généraliser.

Concernant les ressources humaines, nous comptons aujourd’hui à peu près 250 000 pompiers : environ 40 000 professionnels, un peu plus de 10 000 militaires et un peu moins de 200 000 volontaires.

C’est tout cet ensemble qui peut permettre une réponse adéquate.

M. Didier Lemaire, rapporteur. En tant que président de la FFMI, entretenez-vous des échanges avec les acteurs de la sécurité et de la protection civiles, afin de faire évoluer les matériels et les capacités d’intervention ?

M. Régis Cousin. Oui, tout à fait. La force de la FFMI est d’être une fédération très dynamique, très technique et technologique au travers de nos experts et de nos expertises. Nous sommes d’importants contributeurs à la construction de la réglementation et à l’élaboration de guides de bonnes pratiques.

C’est au travers de ces échanges avec les administrations centrales, dans des groupes de travail et lors d’échanges plus informels, que nous sommes capables de pouvoir contribuer et alerter sur de nouvelles technologies.

L’incendie est un risque qui est mal perçu, voire non perçu. Toutes les mesures que nous mettons en œuvre sont généralement assez transparentes pour nos concitoyens. Par contre, dans l’extrême urgence, nous devons être certains qu’elles fonctionnent. Cela impose toute une chaîne de sécurité en termes de qualité de fonctionnement pour s’assurer que le jour J, il n’y aura aucun doute sur le sujet.

Cela nécessite donc des échanges réguliers avec les administrations centrales et avec les utilisateurs – je pense notamment à toute la communauté des sapeurs-pompiers.

M. Didier Lemaire, rapporteur. À travers les différentes auditions de la mission et nos déplacements sur le terrain, nous avons pu identifier un problème d’acculturation tant des citoyens que des élus.

De quelle manière les entreprises que vous représentez jouent-elles un rôle auprès des citoyens dans la sensibilisation et la responsabilisation face au risque incendie ?

D’après vous, les citoyens sont-ils suffisamment inclus dans cette réflexion ?

M. Régis Cousin. Vous mettez le doigt sur le parent pauvre de la sécurité incendie en France aujourd’hui : l’exposition au risque.

Les 300 à 500 décès annuels que j’ai mentionnés sont, pour 90 % d’entre eux, à déplorer dans l’habitation : c’est donc l’environnement où nous sommes le plus exposés, l’endroit dans lequel il y a le moins de contraintes en termes de sécurité incendie. Contrairement aux établissements qui reçoivent du public, où la réglementation prescriptive est très fine et les contrôles très rigoureux, le monde de l’habitation est relativement peu contrôlé. Cela se comprend, car il y a des réticences à entrer dans la sphère privée des particuliers. Comment y remédier ?

Pour limiter les conséquences d’un risque incendie pour les personnes, la loi du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation a rendu obligatoire l’apposition de détecteurs autonomes avertisseurs de fumée. La date butoir pour le respect de cette consigne était fixée à 2015 et il existait une disposition qui permettait une évaluation du respect de cette obligation 5 ans après. Elle a été activée par Mme Emmanuelle Wargon, confiée à la DHUP (direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages), et un rapport a été produit il y a deux ans. Malheureusement, il n’a toujours pas été publié. Or, l’absence de publication de ce rapport empêche de faire œuvre de pédagogie pour essayer d’acculturer nos concitoyens au risque.

La FFMI avait essayé de faire œuvre de pédagogie en organisant deux grandes actions : tout d’abord, un tour de France dans huit grandes villes de France avec des démonstrateurs, en collaboration avec la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).

Nous avons aussi réalisé un film pédagogique à destination du public scolaire (plus particulièrement les élèves de CE2, CM1, CM2) à la demande du SDIS du Lot-et-Garonne et en collaboration avec celui-ci. Des élus de tous bords s’étaient également impliqués sur le sujet. Les enfants sont de bons vecteurs pour atteindre le cœur des foyers.

Par ailleurs, une journée de la résilience a été instaurée plus récemment. Elle n’est pas encore très connue, mais elle permet d’avancer dans le bon sens. Elle est fixée, de mémoire, le 12 ou le 13 octobre, à un moment où le risque incendie domestique est le plus important. Nous pourrions envisager de muscler cette communication.

Enfin, chaque année dans les écoles se déroule un exercice d’évacuation pour les élèves. Il serait peut-être intéressant de leur expliquer les raisons de cet exercice et en profiter pour les sensibiliser sur ce risque incendie, qui est perçu à l’école mais l’est moins au domicile.

Ce sont quelques axes de progression possibles.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Comment le modèle français de protection et de sécurité civiles devrait-il selon vous évoluer ou progresser ? Vous semble-t-il adapté pour répondre aux futurs besoins, notamment en cas de crise majeure ?

M. Régis Cousin. Le drame de la sécurité civile, c’est qu’elle est excessivement protéiforme et, surtout, atomisée. Contrairement à d’autres domaines avec une bonne concentration, une bonne structuration et donc une bonne coordination, la sécurité civile embrasse de nombreuses activités de nature différente.

Je ne suis légitime que sur la partie sécurité incendie, qui n’est qu’une composante de la sécurité civile. Ne serait-ce qu’au niveau de la sécurité incendie, il existe un silotage, qui aboutit à une situation dans laquelle trois administrations centrales principales œuvrent sur le sujet.

Au sein du ministère de l’intérieur, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) s’occupe des moyens relatifs aux sapeurs-pompiers et à la réglementation pour les établissements qui reçoivent du public.

Par ailleurs, la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) est officiellement rattachée au ministère de la construction, dont le statut est variable. La DHUP, c’est l’art de construire en tant que tel. Elle gère aussi la sécurité incendie habitation.

Enfin, la direction générale de la prévention des risques (DGPR) s’occupe des risques tels que ceux des installations classées protection de l’environnement (ICPE).

Ces ministères et leurs administrations ont chacun leur propre culture. Or, le sujet de la sécurité incendie nécessite généralement une très bonne coordination entre ces différentes administrations centrales.

Ainsi, concernant les nouveaux risques à prendre en considération très rapidement (construction biosourcée, batterie lithium-ion), il faudrait, me semble-t-il, une approche transversale interministérielle, ouverte également aux acteurs que sont les sapeurs-pompiers, les assureurs, et les acteurs industriels dont fait partie la FFMI.

Il y a eu, lors de la campagne présidentielle de 2022, certains propos appelant à créer un secrétariat d’État à la sécurité civile. Cela pourrait porter ce grand ensemble qu’est la sécurité civile, mais il faut veiller à ne pas le résumer exclusivement au monde de l’intervention. Des mesures sont également prises en amont, et c’est la coordination avec l’aval (les mesures d’intervention) qui fournit la réponse aux risques de la sécurité civile.

S’il devait y avoir une telle démarche, il faudrait que cette structure soit capable de fédérer et dispose donc d’un minimum d’autorité sur des domaines variés qui sont aujourd’hui assez éclatés. Elle ne devrait pas se limiter au seul monde de l’intervention.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Je voudrais revenir sur l’acculturation au risque. Quelles seraient vos recommandations pour mieux diffuser cette culture du risque chez les élus, mais également chez les citoyens ?

M. Régis Cousin. Nous avons un modèle qui est perfectible et qui doit s’adapter aux enjeux de demain, mais force est de reconnaître que s’il vous arrive quelque chose de dramatique, vous serez pris en charge indépendamment de votre condition et de votre statut. Je crois que, d’une manière générale, nous devons tous, citoyens comme élus, être conscients de la richesse de ce modèle.

J’encourage tous les élus à faire une immersion de quelques heures à bord d’une ambulance du bataillon des marins pompiers de Marseille. C’est une expérience que je recommande à toutes et tous, pour pouvoir saisir toutes les interventions réalisées et le lien social qui est apporté dans les territoires ruraux où les services publics sont parfois moins perceptibles.

Pour aider chaque citoyen à devenir acteur de sa sécurité, je crois profondément à la notion de culture du risque. La réglementation n’est là que pour les mauvais élèves, les étourdis, ou les récalcitrants. Lorsque vous êtes conscient que vous êtes exposé à un risque, vous essayez de vous en prémunir.

Il faut donc faire resurgir la conscience de cette exposition dans la population, en commençant dès le plus jeune âge. L’école est un bon endroit pour véhiculer ces actions de sensibilisation au risque incendie. Il n’est pas possible de tout attendre de l’État, et chacun doit être conscient et responsable de ses actes, mais il faut aussi aider la population à grandir dans sa connaissance des risques. La journée du 12 octobre et l’exercice d’évacuation réalisé dans les écoles sont notamment des occasions de sensibiliser la population.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Auriez-vous des éléments précis à communiquer à la mission d’information, ou un message à faire passer et à prendre en compte dans le rapport ?

M. Régis Cousin. J’ai effectivement une mesure d’optimisation des efforts et du temps de chacun. Elle avait été présentée dans le livre blanc de la FFMI, dans le cadre de ses propositions pour l’année 2022.

Le conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) a vocation à pouvoir apporter un œil expert sur tout ce qui concerne la construction. Or, au sein du CSCEE, il n’y a aucun acteur de la sécurité incendie.

Je pense que c’est une sérieuse erreur. J’en veux pour preuve le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (Essoc), devenu loi n° 2018-727 du 10 août 2018, qui est passé au sein du CSCEE sans susciter d’alerte sur la dangerosité de la rédaction première de ce texte, lequel visait à offrir une alternative à la réglementation actuelle, notamment sur la sécurité incendie.

À chaque fois que les obligations réglementaires sur la sécurité incendie sont modifiées, il faut être très prudent. Il ne s’agit pas de scléroser le système, au contraire. Il faut le faire vivre, mais faut le faire vivre avec beaucoup de clairvoyance. La présence d’un représentant du monde de la sécurité incendie au sein du CSCEE me semble absolument indispensable. Elle serait précieuse, aussi bien pour maintenir ce niveau de sécurité que pour optimiser le travail du Parlement et éviter des débats qui pourraient être traités bien en amont.

Enfin, je rappellerai que les Anglais ont introduit un module de sécurité incendie dans la formation initiale des architectes à la suite de l’incendie de la tour Grenfell, en 2017. Je pense que c’est une initiative qui serait bienvenue en France.

M. Julien Rancoule (RN). La société évolue et les modes de construction avec elle. Les énergies renouvelables se développent sur les toitures, ainsi que les véhicules électriques.

Aujourd’hui, ces nouvelles technologies et ces nouvelles constructions sont-elles bien encadrées réglementairement ?

Il existe par ailleurs un débat sur les retardateurs de flamme, sur leur dangerosité et leurs risques potentiels sur la santé. Menez-vous des études sur de nouvelles molécules plus saines pour la santé, notamment la santé des intervenants tels que les sapeurs-pompiers ?

M. Régis Cousin. Je ne me prononcerai pas sur les effets de ces substances, qui sont néanmoins très précieuses pour le monde de la sécurité incendie.

Nous sommes dans des domaines où nous anticipons toujours les mesures à venir quand elles nous sont connues. Tel était le cas sur ce sujet, et il y a aujourd’hui des solutions alternatives en cours de développement et de mise sur le marché, qui n’utilisent plus de produits fluorés. Nous avons déjà vécu une situation similaire lorsqu’il a fallu faire disparaître certains types de gaz pour les systèmes d’extinction automatique. Généralement, nous parvenons toujours à trouver une solution. Par contre, la mise en œuvre peut nécessiter une modification parfois assez profonde de la doctrine d’emploi et des matériels.

Sachez par ailleurs que, lorsque ces matériels arrivent entre vos mains, ils ont été testés et éprouvés au préalable. Nous sommes dans un système très sain du point de vue de la sécurité incendie, où personne ne s’auto-certifie. Des essais sont systématiquement réalisés par des laboratoires indépendants.

Concernant les nouveaux risques, nous en sommes apparemment aux derniers arbitrages sur les constructions biosourcées. Il y a vraisemblablement un équilibre à trouver au niveau du coût économique pour que l’ensemble reste pertinent. En l’espèce, le problème n’est pas vraiment technologique.

S’agissant de l’électrification des mobilités, un point d’alerte pourrait exister lorsqu’il y a, au sein d’une habitation, des véhicules électriques au sous-sol, des vélos électriques à recharger au rez-de-chaussée, et des trottinettes électriques dans les étages. Nombre de ces matériels ne font pas l’objet de tests éprouvant leur sûreté et la qualité de leur fonctionnement pendant tout leur cycle de vie.

La seule réponse à court terme pour ne pas exposer inutilement nos concitoyens serait de renforcer les mesures de sécurité incendie dans le cadre de l’utilisation de ces matériels. Beaucoup d’expérimentations sont menées, mais de manière non-coordonnée. Il faudrait qu’il y ait une structure qui coordonne, qui fédère, qui recense toutes les expérimentations.

Au niveau de la FFMI, nous avons très modestement lancé des entretiens sur ce sujet, pour essayer de collecter un maximum d’informations et de créer un réseau sur le sujet. La difficulté que pose le sujet des batteries à base de lithium provient surtout du fait qu’il existe plusieurs types de batteries de qualité différente, nécessitant des moyens d’extinction complètement différents. Avant tout, il faudrait prendre conscience du besoin d’un déploiement très rapide en matière de sécurité incendie, qui n’est pas encore au rendez-vous.

M. Jean-Marie Fievet (RE). Je tiens à préciser qu’en France, un feu se déclare toutes les deux minutes. Cela coûte environ 1,3 milliard d’euros par an, mais surtout, ce sont 800 morts par an liés aux incendies et 10 000 blessés.

L’incendie est une véritable catastrophe pour tout le monde. En tant qu’industriels des incendies, vous êtes les coordinateurs des équipements que vous apportez aux pompiers et aux associations de sécurité civile.

J’ai pu observer la sécurité civile dans le monde entier et voir comment chacun s’équipait et travaillait. Il apparaît que les normes sont différentes dans les différents pays, y compris au sein de l’Union européenne. Même en France, nos pompiers n’ont pas les mêmes équipements, ni les mêmes normes en fonction des départements.

Travaillez-vous à une normalisation européenne des moyens, matériels bien sûr, mais aussi de transport ? Par ailleurs, pourquoi les pompiers sont-ils aussi longs à s’équiper en véhicules à motorisation électrique ?

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Vous avez insisté sur l’enjeu de la prévention. Comment organiser la prévention des risques des entreprises de manière efficace ?

M. Régis Cousin. Nous constatons, de manière générale, que nos concitoyens ne sont pas suffisamment sensibilisés au risque incendie. Quoi qu’il en soit, au sein de la FFMI, nous avons un syndicat qui s’occupe plus particulièrement de la formation professionnelle sur le sujet.

Lorsque le risque n’est pas perçu, la stimulation peut venir de la réglementation ou du monde de l’assurance. Dans le monde de l’entreprise, ce sont généralement les assureurs qui sont les premiers prescripteurs en termes de mesures relatives à l’incendie.

Là où il y a un risque d’incendie, l’assureur sera attentif et demandera que des mesures soient mises en œuvre, que ce soit en termes de dotation de matériel ou de formation au risque d’incendie. Lorsque le risque d’incendie est plus faible, cette préoccupation ne sera pas forcément la plus forte.

Concernant les aspects de normalisation, deux éléments doivent être considérés : la normalisation technique où il y a consensus sur l’utilisation d’un matériel quel qu’il soit ; l’utilisation qui en est faite, qui est harmonisée au niveau européen, ou liée profondément à la culture de chaque pays et à la structuration du risque incendie.

Ainsi par exemple, les diffuseurs sonores (qui diffusent le fameux signal d’évacuation) doivent répondre à une norme européenne depuis 20 ans. Le son reste en revanche purement national. Chaque pays a son propre son d’évacuation.

Concernant la dotation des SDIS et le découpage territorial, un choix a été fait de laisser la liberté à chaque département de pouvoir doter son SDIS du matériel le plus adapté compte tenu de ses ressources. En contrepartie, les industriels doivent répondre de façon détaillée à l’ensemble de ces demandes.

Mme la présidente Lisa Belluco. Merci pour votre intervention. N’hésitez pas à nous envoyer une contribution écrite si vous voulez compléter vos réponses ou aborder d’autres sujets qui ne l’auraient pas été aujourd’hui, afin que nous puissions la prendre en compte.

 


Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité

Compte rendu de l’audition de Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité »
(jeudi 29 février 2024)

Mme la présidente Lisa Belluco. Je tiens avant tout à vous remercier, Madame la ministre déléguée, de votre présence parmi nous ce matin. Depuis le début de nos travaux, en septembre dernier, nous avons auditionné l’ensemble des acteurs chargés, de près comme de loin, de notre modèle de sécurité civile, entendu plus de 130 personnes et réalisé cinq déplacements, en France et à l’étranger. Cette audition devrait être la dernière de la mission d’information, et c’est un honneur pour nous de conclure nos travaux en vous recevant.

Je ne serai pas longue, afin de nous permettre d’entrer rapidement dans le vif du sujet. Permettez-moi de rappeler une dernière fois que notre mission d’information, créée à la demande du groupe Horizons, a pour rapporteur mon collègue Didier Lemaire, qui est à mes côtés, et que toutes les composantes politiques de notre assemblée y sont représentées – c’est un point important, tant ce sujet nous est apparu, à bien des égards, de nature à dépasser les clivages politiques habituels.

Cette audition fait, comme toutes celles que nous avons menées, l’objet d’une captation vidéo ; un compte rendu de nos échanges sera par ailleurs annexé au rapport que nous rendrons sous peu.

Je vous propose de céder la parole à notre rapporteur. Merci encore pour votre présence à ce temps d’échanges, dont je ne doute pas qu’il sera fructueux.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Tout comme la présidente, je tenais à vous remercier sincèrement, Madame la ministre déléguée, de nous accorder du temps en conclusion de notre mission d’information. Je connais votre attachement aux sujets de la sécurité et de la protection civiles pour les avoir évoqués à plusieurs reprises avec vous.

Comment les moyens humains et matériels évolueront-ils dans les prochaines années et quel rôle l’État aura-t-il dans l’accompagnement de cette évolution ? Comment l’État peut-il contribuer à armer les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) les moins bien dotés ? Comment ceux-ci pourront-ils faire face au risque de rupture capacitaire en cas de crises simultanées ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Si vous me le permettez, je commencerai par une déclaration générale, avant d’en venir aux questions. Je pourrai ainsi aborder tous les sujets, afin de vous exposer la politique du ministère en cette matière.

Je vous remercie de me permettre d’intervenir aujourd’hui sur un sujet d’une importance majeure pour nos territoires et notre population. La protection et la sécurité civiles sont des priorités du Gouvernement, comme en témoignent sa mobilisation dans la gestion de crise, ainsi que l’effort permanent d’adaptation de notre modèle d’organisation, à laquelle vous avez vous-mêmes réfléchi. Adapter notre modèle de sécurité civile est un impératif qui exige de penser le temps long. Cela n’est pas un exercice facile, mais c’est l’une des ambitions de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur et des outre-mer (Lopmi), qui fixe une trajectoire jusqu’en 2027.

J’aimerais, avant d’échanger avec vous sur les différents points que vous souhaitez aborder, insister sur trois éléments saillants permettant de définir notre modèle, sa force et sa capacité d’adaptation. D’abord, il convient de rappeler la capacité de réponse immédiate de la sécurité civile au défi des grands feux de l’été 2022, cette année hors norme. Ensuite, il faut évoquer la spécificité et la force du collectif, associant l’État, les collectivités et les citoyens. Enfin, il nous reviendra d’envisager avec vous des pistes pour l’avenir et d’interroger notre capacité à nous réinventer.

La saison des feux en 2022 a défié la solidité de notre modèle. Nous avons su en tirer des enseignements immédiats. Le Gouvernement, que ce soit par le biais de la Lopmi ou des différents budgets, a pris en compte les cruels enseignements des dernières crises – nous pensons à la « saison en enfer », pour reprendre l’expression du Président de la République. Ce sont 72 000 hectares qui ont été incendiés en 2022, soit six fois plus que la moyenne des dix dernières années, dans cinquante départements. Nous avons regretté deux décès parmi nos sapeurs-pompiers. Cette saison fut tout à la fois un choc, un avertissement et ce que j’appelle un stress test pour notre modèle. Celui-ci a tenu, même si le coût a été élevé. La nation a résisté, grâce à l’engagement conjoint des sapeurs-pompiers, des personnels militaires, de la sécurité civile, de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), des états-majors de zone, de l’Office national des forêts (ONF), des forces de sécurité intérieure et de nos partenaires européens, mais aussi des agriculteurs, des forestiers, des associations de sécurité civile et, évidemment, des élus – notamment des maires, en première ligne dans ce combat.

Ainsi, si le bilan de la saison des feux 2022 a été lourd humainement, climatiquement et en matière de biodiversité, le modèle français de sécurité civile a permis d’éviter des conséquences qui auraient pu être bien plus dramatiques. La mobilisation est donc réelle, à la fois au niveau national et au niveau local. Au niveau national, le budget de la sécurité civile a augmenté de 60 % ces six dernières années. La flotte aérienne est renforcée ; des efforts ont été consentis du point de vue des ressources humaines ; des cartographies des risques à la maille plus fine ont été dressées. L’État a engagé 180 millions d’euros dans les pactes capacitaires, ce qui a produit un fort effet de levier en lien avec les collectivités, au profit des équipements de tous nos SDIS. Au niveau local, les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (Sdacr) ont été adaptés, après une évaluation des spécificités de chaque territoire. Ce travail se traduira par des investissements mieux ciblés de chaque SDIS, tant au point de vue du matériel que de la formation ou de l’organisation.

Ces efforts immédiats et proportionnés témoignent de la vitalité, de la plasticité et de la modularité de notre modèle, qui doit faire face aux évolutions climatiques et sociales, aux évolutions internationales et sanitaires, ainsi qu’aux évolutions en matière de sécurité publique ou de risque terroriste. Comme vous le voyez, j’associe à ce satisfecit autant le niveau national que le niveau local.

Notre modèle associe l’État, les collectivités locales et l’engagement citoyen. À rebours de l’histoire de l’administration française, l’organisation de la sécurité civile trouve ses origines dans l’organisation citoyenne et communale. Sa structuration nationale est arrivée tardivement. C’est l’un des rares exemples de système ascendant (bottom-up) dans l’organisation des pouvoirs publics français. La DGSCGC, les plans d’organisation de la réponse de sécurité civile dits plans ORSEC, l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp), le groupement aérien de la sécurité civile, le système d’alerte et d’information aux populations ne se sont constitués qu’à partir des années 1950. C’est à cette même époque que le ministère de l’intérieur a été formellement chargé de la préparation et de la mise en œuvre de la défense civile. C’est ainsi qu’aujourd’hui, chaque préfet de département, directeur des opérations de secours, dispose d’un service de défense et de protection civiles et d’un centre opérationnel départemental. Bien avant cela existaient les corps communaux de sapeurs-pompiers. Le maire reste un acteur essentiel : il est le directeur des opérations de secours pour les interventions dites courantes et tient à jour son plan communal de sauvegarde (PCS).

Enfin, notre modèle tient grâce à l’engagement citoyen. Nos sapeurs-pompiers volontaires et nos associations agréées de sécurité civile ne sont pas de simples auxiliaires. Ils sont des acteurs incontournables, bien formés et réactifs. Les évolutions sociétales rendent leur disponibilité moins évidente et plus ponctuelle, ce dont il faudra tenir compte. Ainsi, les femmes et les hommes qui font vivre notre sécurité civile sont des agents de l’État, des agents des collectivités, mais aussi des bénévoles. Ce travail de concert s’incarne parfaitement dans la composition des conseils d’administration de nos SDIS entre représentants du conseil départemental, des municipalités et des préfets.

Pour conclure, ce modèle, qui a tenu face à une augmentation des risques grâce à ses spécificités, peut-il encore se réinventer ? Il faut s’interroger collectivement sur notre capacité à adapter en permanence notre organisation. Je pense que c’est tout l’objet de votre mission, dont je vous remercie ; je lirai attentivement votre rapport. Il faut nous assurer d’une agilité suffisante pour saisir toutes les innovations technologiques, doctrinales et organisationnelles nécessaires. Au niveau national, l’État impulse des investissements et des innovations. Il renforce les moyens nationaux terrestres avec la création, vous le savez, d’une quatrième unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile métropolitaine. Il renforce également les moyens aériens. Il lance des programmes de modernisation des systèmes d’information. Il adapte le système d’alerte et d’information des populations, notamment avec le lancement de FR-Alert. Il développe le réseau radio du futur (RRF), qui aura vocation à être largement utilisé. Il lance un projet de direction permanente de crise et de modernisation de la cellule interministérielle de crise, CIC 2.0.

Ces différents efforts s’organisent selon trois axes : renforcement des moyens, modernisation des pratiques et renforcement du positionnement du ministère de l’intérieur comme premier acteur de la crise. Ne voyez pas là un satisfecit. C’est un combat qu’il nous faudra poursuivre. Et, comme je vous l’ai dit, je m’appuierai bien sûr sur votre rapport.

Au niveau local, le binôme maire-préfet a largement montré son efficacité. Tous les retours d’expérience nous montrent combien la gestion locale départementale de ces événements dramatiques, qu’ils soient du quotidien ou exceptionnels, est la plus efficace : c’est le bon échelon. Bien évidemment, dans un certain nombre de situations, l’échelon local n’est pas suffisant. Mais la force de notre système, sa capacité de résilience, son adaptabilité viennent précisément de cette solidarité que l’on trouve à tous les niveaux et qui permet de résoudre chacune des crises.

Parallèlement, il convient de renforcer le mécanisme de protection civile de l’Union européenne mis en place en 2001. Nous en sommes des contributeurs, mais également des bénéficiaires. Allemands, Grecs, Polonais, Roumains, Autrichiens, Italiens, Suédois sont venus nous soutenir en 2022 lors des feux de forêt. Les études en stratégie des organisations le montrent. C’est une illusion de vouloir piloter de manière centralisée le cycle du changement. Je suis persuadée qu’une co-construction des réponses aux défis de demain est nécessaire, en se fondant sur des regards différents et sur une écoute des retours du terrain. Notre modèle est fédérateur. Notre modèle est agrégateur. Il associe plusieurs forces vives et permet l’émulation et l’innovation. Certes, c’est parfois une complexité, mais c’est également une force. Il nous faut écouter les acteurs de terrain, au premier rang desquels nos sapeurs-pompiers, nos élus et nos associations agréées de sécurité civile.

Penser le modèle de sécurité civile ne passera pas que par des investissements massifs, par ailleurs nécessaires et déjà lancés, mais aussi par une réflexion à 360 degrés, associant toutes les strates d’intervention. L’ambition est claire : gagner en résilience. Le ministère de l’intérieur et des outre-mer en a pleinement conscience. Cet objectif rejoint celui de l’adaptation au changement climatique, visé notamment par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Il contribuera à résoudre d’autres problématiques, comme la capacité de nos collectivités locales à s’assurer. Ce travail est, comme vous l’avez perçu dans mon propos, pleinement engagé par la DGSCGC, mais aussi par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui défend le plan national pour développer et structurer la capacité de résilience de la nation face à des événements de toute nature. Je veux évidemment saluer le travail qui est réalisé par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).

Je suis ravie de pouvoir échanger avec vous aujourd’hui sur ce sujet d’avenir. Je vous renouvelle tous mes remerciements sincères pour le travail que vous avez réalisé. Si vous le souhaitez, nous pourrons poursuivre notre échange dans mon ministère. Nous avons répondu par écrit aux quatorze questions que vous avez eu la gentillesse de nous poser ; nous pourrons vous transmettre le document. Voulez-vous que je réponde à votre première question ou considérez-vous que je l’ai en partie traitée ?

M. Didier Lemaire, rapporteur. Merci beaucoup, madame la ministre, pour ces propos liminaires qui me font très plaisir. Vous avez pu aborder bon nombre de sujets, dont les capacités d’adaptation et d’anticipation de notre modèle de sécurité civile, qui sont au cœur de cette mission d’information. Nous vous remercions également de votre proposition de vous rencontrer au ministère.

Le système de sécurité civile est principalement financé par les collectivités locales. Quelles sont les principales pistes d’évolution envisagées, à la suite de la publication du rapport des inspections sur le financement des SDIS ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Des concertations ont été menées par le ministère de l’intérieur et des outre-mer avec l’association Départements de France et l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). Plusieurs propositions évoquées dans le rapport des inspections ont déjà fait l’objet d’une traduction dans la loi : tel est le cas notamment de l’exonération du malus écologique pour les véhicules des services d’incendie et de secours (SIS), ainsi que de l’exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Les autres pistes évoquées, comme le déplafonnement des contributions du bloc communal et l’utilisation différenciée de la dynamique de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), restent à l’étude. J’y ai beaucoup travaillé ce dernier semestre, en étroit lien avec François Sauvadet, le président de Départements de France. Nos discussions se poursuivent. Les premiers travaux ont permis de proposer des critères de répartition de la dynamique annuelle du produit de la TSCA, fondés notamment sur des aspects opérationnels et pas uniquement démographiques.

M. Didier Lemaire, rapporteur. La loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, a créé les réserves citoyennes des services d’incendie et de secours. Quel bilan en faites-vous et comment ce dispositif devrait-il s’articuler vis-à-vis des réserves communales de sécurité civile ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. La création des réserves citoyennes des services d’incendie et de secours est récente et, à ce jour, le nombre de réserves est encore très limité. Nous en avons dénombré une dizaine, représentant quelques centaines de réservistes. Il existait préalablement des dispositifs adossés aux unions départementales qui assuraient des missions similaires. Le ministère de l’intérieur et des outre-mer privilégie leur intégration au sein de ces réserves.

Les réserves citoyennes des SIS et les réserves communales de sécurité civile sont des composantes complémentaires, qui servent des missions différentes et permettent à chacun de trouver un engagement citoyen adapté à ses possibilités et à ses envies de servir.

M. Didier Lemaire, rapporteur. La loi Matras a apporté de premières réponses pour soulager les sapeurs-pompiers en matière de carences ambulancières. Quel bilan dressez-vous de ces dispositions ? Vous semble-t-il nécessaire d’aller plus loin ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. C’est un sujet que le ministre et moi-même connaissons bien et sur lequel nous avons commencé à travailler avec les ministres de la santé successifs. La question des carences ambulancières réalisées par les sapeurs-pompiers s’apprécie par le biais de deux dispositifs distincts : le premier est constitué par les apports de la loi Matras, le second par la réforme des transports sanitaires urgents.

D’une part, les SIS ont désormais, explicitement, la possibilité de différer ou de refuser les interventions qui ne relèvent pas de leurs missions. Cette mesure concerne en particulier les carences ambulancières et permet de préserver leur potentiel opérationnel.

La notion de carence ambulancière est définie par la loi Matras, afin de clarifier de nombreuses situations potentiellement conflictuelles entre les SIS et les hôpitaux sièges de Samu : « Les interventions effectuées par les services d’incendie et de secours sur la prescription du service d’aide médicale urgente, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés pour une mission visant à la prise en charge et au transport de malades, de blessés ou de parturientes, pour des raisons de soins ou de diagnostic, et qui ne relèvent pas de l’article L. 14242 sont des carences ambulancières. » Une commission de conciliation paritaire a également été instituée : elle pourra être consultée en cas de désaccord sur les modalités de qualification.

D’autre part, la réforme des transports sanitaires urgents a eu pour finalité de ne pas reporter sur les services d’incendie et de secours des dépenses qui ne se rattachent pas à l’exercice de leurs missions et qui pèsent sur le budget des collectivités territoriales. En effet, en recentrant les entreprises de transport sanitaire urgent sur leur cœur de métier, elle doit aboutir à limiter les carences ambulancières pesant sur l’activité des SIS, tout en préservant la continuité du service public.

Par ailleurs, elle apporte une meilleure indemnisation des SIS, grâce à la revalorisation du montant du tarif national d’indemnisation des carences ambulancières, qui a été porté à 209 euros en 2023, ainsi qu’à l’indemnité horaire de substitution de 12 euros par heure pour les secteurs non couverts ou partiellement couverts par une garde ambulancière. Une évaluation de la réforme des transports sanitaires urgents (TSU) sera menée, en lien avec le ministère chargé de la santé, à la fin du premier semestre 2024.

Enfin, les travaux de révision du référentiel portant sur l’organisation du secours à personne et de l’aide médicale urgente (SAP/AMU) du 25 juin 2008 ont été lancés. Ce document, qui constitue la doctrine française des services publics en matière d’organisation quotidienne des secours et des soins urgents, doit être mis à jour au regard des enjeux actuels et futurs en matière de prise en charge de l’urgence préhospitalière.

M. Didier Lemaire, rapporteur. La sécurité civile est une compétence du ministère de l’intérieur, mais elle est par essence interministérielle. Quel regard portez-vous sur l’idée de créer, comme cela existe dans d’autres pays européens, un secrétariat d’État à la sécurité civile chargé de diriger cette politique publique, qui pourrait être placé sous l’autorité du Premier ministre pour refléter directement cette dimension interministérielle ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Nombre de politiques menées dans les territoires relèvent, au fond, de plusieurs ministères, comme l’écologie ou la sécurité routière, et elles sont articulées entre l’État et les collectivités locales. Le caractère interministériel de la sécurité civile ne constitue pas un particularisme notable dans l’architecture administrative qui justifierait un rattachement direct au Premier ministre.

Le rôle du préfet en matière de gestion de crise doit être souligné. Le niveau départemental est d’ailleurs considéré, dans tous les retours d’expérience, comme le meilleur pour gérer les crises. Le lien avec le ministère de l’intérieur est donc prégnant. En cas de crise, qu’elle soit majeure ou non, la nécessaire coordination avec les forces de sécurité intérieure constitue une exigence qui milite pour une cohérence administrative.

Peu de pays européens ont placé la sécurité civile sous l’autorité d’un secrétaire d’État. Ce n’est le cas ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Espagne. En revanche, le Portugal dispose d’un secrétariat d’État à la protection civile et la Grèce d’un ministère du changement climatique et de la protection civile. En Italie, bien que les sapeurs-pompiers, qui sont nationalisés, soient rattachés au ministère de l’intérieur, la gestion de crise dépend du président du Conseil.

Ainsi, le positionnement de la sécurité civile au sein du ministère de l’intérieur, ministère des forces, ministère de la territorialité et ministère des crises, est pleinement justifié. Une amélioration des relations entre les services reste cependant nécessaire pour fluidifier les travaux et prendre pleinement en compte le continuum de sécurité civile, qui va de la prévision des phénomènes jusqu’au retour à la normale après événement, en passant par la préparation des infrastructures, des terrains et des personnels. Les SDIS qui m’ont accueillie ont pu voir à quel point le ministre de l’intérieur et des outre-mer s’appuie sur moi pour l’accompagner dans cette mission.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Lors de la survenance d’une crise, le couple maire-préfet est-il, selon vous, bien identifié par l’ensemble des acteurs sur le terrain ? Leur rôle vous semble-t-il concurrencé par l’intervention d’autres acteurs institutionnels, à l’instar des intercommunalités ou des régions ? De manière plus large, quel rôle les régions et les intercommunalités doivent-elles jouer au sein de notre modèle de sécurité civile ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Oui, le couple maire-préfet est bien identifié et fonctionnel en situation de crise, dans le prolongement des échanges réguliers qu’entretient l’autorité préfectorale avec les élus. En cas d’aléa ou de menace, l’autorité préfectorale prend systématiquement l’attache des élus concernés – maire, président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), président du conseil départemental, conseillers départementaux –, afin de partager les informations, de s’assurer de la capacité de la commune à prendre en charge l’événement et de proposer ou de mettre à disposition des moyens de l’État.

En qualité de premier directeur des opérations de secours, le maire sait solliciter l’appui du préfet en cas de nécessité. Dans ce cas, le préfet prend la direction des opérations et le maire continue d’assumer, pour sa commune, la responsabilité de la mise en œuvre des mesures de sauvegarde vis-à-vis de ses administrés. Les élus – maire, président du conseil départemental en cas d’événements sur le réseau départemental ou concernant les établissements scolaires qu’il gère, etc. – peuvent aussi être invités à intégrer le centre opérationnel départemental (COD). J’invite d’ailleurs tous les maires qui nous écouteront à organiser des exercices annuels d’entraînement, afin de vérifier que leur plan communal de sauvegarde (PCS) est opérationnel.

Les intercommunalités comme les régions sont des appuis pour le maire comme pour le préfet. Mais la nécessité de leur accorder un pouvoir de police n’est pas apparente au vu de toutes les dernières crises qui ont été gérées. Au quotidien, le maire est le directeur naturel des opérations de secours ; dans la gestion de crise, le préfet apparaît comme l’interlocuteur le plus approprié. Les retours d’expérience de toutes les dernières crises nous le montrent.

Mais les intercommunalités ont maintenant un rôle à jouer dans la mise en œuvre des mesures de sauvegarde. La loi Matras a institué la possibilité de réaliser des plans intercommunaux de sauvegarde, outils complémentaires des plans relevant de la commune et du maire ; ces plans intercommunaux permettent d’organiser la solidarité à l’échelle de l’intercommunalité en cas de crise.

Quant aux régions, elles ont une place toute trouvée dans l’aménagement du territoire, dans l’anticipation des crises. Nul besoin de démultiplier les niveaux de gestion.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les auditions menées par la mission d’information soulignent l’importance de la formation et de l’éducation aux risques, tant pour la population d’une manière générale que pour les élus, en particulier les élus locaux. Les efforts consentis aujourd’hui vous paraissent-ils suffisants ? Est-il envisagé de renforcer la formation des élus à la gestion de crise qui, nous le savons, ne s’improvise pas ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. La formation est en effet fondamentale. La loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile a institué le principe selon lequel « toute personne concourt par son comportement à la sécurité civile ». Chacune et chacun d’entre nous doit pouvoir agir et réagir face à une situation qui peut toucher les autres, mais peut également nous toucher personnellement. Connaître les gestes qui sauvent peut permettre de sauver une personne faisant un arrêt cardiaque ; savoir comment se protéger en cas de catastrophe permet de ne pas provoquer d’embolie des services de secours en démultipliant les points d’intervention.

Cette formation concerne également les élus qui sont placés en position de décideurs, et plus seulement en position d’acteurs, sans pourtant connaître tous les éléments permettant la décision. Les possibilités de formation pour tous existent, mais doivent encore se démultiplier. Les exercices réalisés dans le cadre de la mise en application des plans communaux de sauvegarde sont également, je le disais, une bonne façon de se former et de s’approprier les outils disponibles.

Pour les actions de formation au secourisme, le rôle de l’éducation nationale est essentiel, et sans être parfait, nous permet petit à petit de toucher toutes les générations qui sortent du système scolaire.

Dans de nombreux départements existent des actions de sensibilisation des élus, à l’initiative de la préfecture, du conseil départemental ou du service d’incendie et de secours. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (Ensosp) proposent aussi des mallettes pédagogiques qui doivent, il est vrai, faire l’objet d’une plus grande publicité pour que chacun se les approprie.

Il y a donc deux axes : la formation continue, et le CNFPT est ici un excellent soutien ; les exercices grandeur nature que j’appelle tous les maires à réaliser, et qui sont organisés gratuitement par les sapeurs-pompiers du département. C’est un jeu de rôle très efficace.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). J’avais rendu en 2022 un rapport consacré à la protection civile européenne. Nous nous inquiétions déjà des conséquences de l’arrêt Matzak du 21 février 2018, c’est-à-dire d’une possible transformation des sapeurs-pompiers volontaires en travailleurs. Le Président de la République et le Gouvernement ont réussi à éviter cet écueil. Le tout récent rapport de l’inspection générale de l’administration (IGA) sur l’activité des sapeurs-pompiers volontaires revient sur ce sujet : ses conclusions vont dans le bon sens, mais il faudra rester vigilant. La sécurité civile française doit évoluer, mais il est essentiel de préserver notre système de sapeurs-pompiers volontaires. Reconnaître ceux-ci comme des travailleurs poserait de grands problèmes.

Merci d’avoir cité les ministres chargés, dans différents pays, de la sécurité civile. Vous avez oublié deux pays qui jouent un rôle important dans l’Europe de la sécurité civile : la Roumanie – dont le secrétaire d’État, M. Raed Arafat, est un acteur essentiel – et la Suède, pays qui met depuis 2018 un point d’honneur à intervenir dès qu’il est sollicité. Les sapeurs-pompiers de ces deux pays ont prêté main-forte aux Français en 2022.

Les sapeurs-pompiers français répondent présent partout dans le monde – dernièrement, au Canada, par exemple. Accueillir chez nous des sapeurs-pompiers de toute l’Europe était une grande première. Je citerai ici la proposition n° 2 de mon rapport de 2022 : « Renforcer les capacités nationales sans attendre qu’elles soient prises en défaut par une crise. » Cette crise a eu lieu à l’été 2022, et nous y avons mis fin grâce aux sapeurs-pompiers des autres pays. Mais il me semble que la France doit accentuer son engagement, notamment dans le Mécanisme de protection civile de l’Union européenne (MPCU) et au sein des actions de la direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes (DG Echo).

Il y a un domaine qui est malheureusement laissé de côté, c’est le bassin méditerranéen. Tous les pays y sont confrontés à des catastrophes majeures – la Turquie, avec 52 000 décès dans le récent tremblement de terre, le Maroc, la Grèce… Pourtant, il n’y a pas de mécanisme de sécurité civile parallèle à ce que fait la DG Echo, et la France ne fait pas beaucoup d’efforts en ce sens. C’est regrettable. De quelle manière la France pourrait-elle contribuer activement au développement de la sécurité civile de l’Union pour la Méditerranée (UPM) ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. S’agissant de l’arrêt Matzak, vous avez raison de souligner la nécessité d’être vigilants. Toutefois, le récent rapport de l’IGA conforte le ministère de l’intérieur et des outre-mer dans l’idée que la majorité des sapeurs-pompiers volontaires ne présentent aucune vulnérabilité face à la directive européenne sur le temps de travail (DETT).

Seules deux situations peuvent mettre un service d’incendie et de secours en situation de vulnérabilité : la réalisation à titre individuel d’un nombre trop important de gardes postées ; l’utilisation forte de renforts saisonniers sans réelle limitation de durée de sollicitation et selon le principe indemnitaire classique du sapeur-pompier volontaire, hors logique de contrat à durée déterminée et de socialisation.

Il est donc nécessaire de mener un travail de concertation pour trouver, sans forcément passer par la voie réglementaire, les modalités les plus adaptées pour protéger le statut de sapeur-pompier volontaire, qui est indispensable au bon fonctionnement de notre modèle de sécurité civile – je souscris entièrement à vos propos, et il s’agit aussi de la position du ministre de l’intérieur et des outre-mer. Que serait ce modèle sans ce maillage extraordinaire que nous permet la densité du volontariat ? Que serait-il sans cette capacité de mobilisation hors norme, qui nous permet, en plein été 2022, d’envoyer plus de 10 000 sapeurs-pompiers pour lutter contre ces terribles feux de forêts ?

Les recommandations issues de ce travail qui sera mené avec le Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et les autres acteurs institutionnels devront être mises en œuvre de façon progressive, concertée et programmée, afin d’intégrer les indispensables périodes transitoires. Il s’agira d’éviter que l’engagement en qualité de sapeur-pompier volontaire soit assimilé à un travail au sens de la directive européenne sur le temps de travail (DETT).

Il me paraît également essentiel d’associer à cette entreprise les membres de cette mission d’information qui le souhaiteront.

Je voudrais aussi vous dire que les Roumains – pour l’essentiel des militaires – et les Suédois – très professionnalisés – étaient associés à ma prise de parole initiale, aux côtés des Allemands, des Grecs, des Polonais, des Autrichiens, des Italiens…!

Vous parlez d’anticiper les crises. S’agissant des liens avec l’Union européenne et l’Union pour la Méditerranée, je travaille, vous l’avez compris, par délégation du ministre de l’intérieur et des outre-mer. J’ai reçu récemment le ministre grec en charge de ces questions. Nos échanges ont été extrêmement intéressants.

Des travaux existent au sein de l’Union pour la Méditerranée : formation de personnels, envoi de moyens lors de feux ou de séismes, participation au financement de l’acquisition de matériels. Vous avez raison, ils ne sont sans doute pas suffisants. Dans mes échanges avec le ministre grec, j’ai vu des opportunités pour tous – nous disposons ainsi d’un centre à Nîmes, qui accueille toutes nos forces de sécurité civile aériennes et qui pourrait relever de l’Europe. Notre ambition est partagée et nous pourrons, je crois, aller plus loin. Je transmettrai votre observation au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Je représente aussi régulièrement le ministre dans les réunions européennes. Des échanges informels ont notamment lieu dans le cadre du dispositif RescEU (réserve européenne de ressources). Je ne manquerai pas de demander à mon cabinet de vous y associer.

Je rappellerai brièvement les engagements français au niveau de l’Union européenne : nous disposons de vingt modules qui peuvent être mis à disposition en Europe. Nous avons ainsi engagé, entre 2015 et 2020, sept à huit détachements par an pour 3 000 jours-hommes ; entre 2021 et 2022, dix-huit détachements, pour 10 000 jours-hommes ; en 2023, vingt détachements, pour 46 000 jours-hommes. La France a ainsi la plus forte présence en effectifs de tous les États membres. Je suis à votre disposition pour débattre de ces chiffres, et j’entends ce que vous dites au sujet du travail partagé avec l’Union européenne.

Au niveau national, le montant du pacte capacitaire était de 30 millions d’euros, vous le savez. Nous l’avons porté à 180 millions d’euros, et avons encore ajouté un fonds de 150 millions. C’est une décision du Président de la République. Ces crédits sont fléchés. Vous dites qu’il ne faut pas les augmenter seulement en temps de crise, et j’entends qu’il faut anticiper. Mais je sais que vous êtes un député responsable : on pourrait mettre plus d’argent partout, dans la santé, dans l’éducation nationale, dans les collectivités locales, mais nous avons 3 000 milliards d’euros de dette et le Gouvernement a l’ambition de la réduire.

M. Didier Lemaire, rapporteur. Les associations agréées de sécurité civile constituent une force de notre modèle – je pense à la Protection civile, à la Croix-Rouge…

La coordination des associations de sécurité civile avec les autres acteurs vous semble-t-elle satisfaisante ? Des évolutions sont-elles envisagées ?

Une réflexion est-elle en cours pour simplifier les modalités d’agrément des associations de sécurité civile ? Des mesures concrètes sont-elles à l’étude pour mieux valoriser le bénévolat au sein de ces associations ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je ne manque pas, quand je visite des SDIS, d’aller à la rencontre de ces associations. La dernière fois, c’était dans le Var, et j’ai constaté leur efficacité.

La DGSCGC assure l’animation de ce réseau ; elle signe ainsi des conventions nationales d’assistance technique, encadrant les relations entre les associations agréées et les services de l’État, conventions susceptibles de déclinaisons départementales qui consolident les modalités de leur engagement ; elle diffuse également des dispositions spécifiques ORSEC propres à certains risques particuliers, qui détaillent les conditions d’engagement des associations.

Pour autant, la coordination des acteurs de la sécurité civile dépend principalement de dynamiques territoriales.

Parmi les instances susceptibles de contribuer à cette coordination, le conseil départemental de sécurité civile demeure insuffisamment activé.

La tendance d’ensemble est à un renforcement de la coordination de l’activité de ces associations avec les autres acteurs. À une échelle plus sectorielle, le niveau d’intégration des associations agréées à la réponse proposée par les SIS demeure variable. La loi Matras a étendu à l’ensemble du territoire national la possibilité pour ces associations de réaliser des évacuations d’urgence de victimes lorsqu’elles participent aux opérations de secours ; cette possibilité était jusqu’alors limitée aux ressorts territoriaux de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et du bataillon de marins-pompiers de Marseille. À ce jour, le SDIS 34 et deux associations implantées localement – la délégation territoriale de la Croix-Rouge française et l’association départementale de la Protection civile – ont signé une convention en ce sens. Une enquête est actuellement menée par la DGSCGC pour dresser un état des lieux précis.

Aujourd’hui, quatorze associations disposent d’un agrément de sécurité civile délivré au niveau national. La majorité d’entre elles dispose des quatre agréments, les associations restantes exerçant une compétence spécialisée. Deux associations bénéficient d’un agrément interdépartemental. Au total, en ajoutant les associations nationales et les associations départementales de sécurité civile, ce sont environ 600 structures locales qui maillent le territoire national.

Compte tenu des garanties attendues pour l’exercice de missions participant à la couverture secours-santé, un parallélisme des formes prévaut pour les procédures d’agrément quel que soit le niveau de délivrance, national ou départemental. Une association qui bénéficie d’un agrément national de sécurité civile peut intervenir sur l’ensemble du territoire. Dès lors, la question de la simplification des modalités d’agrément au niveau local des associations bénéficiant d’un agrément national ne se pose pas – voilà un sujet où la simplification a été faite !

En ce qui concerne la valorisation du bénévolat au sein des associations de sécurité civile, la loi Matras marque une première avancée, puisqu’elle consacre les associations agréées, leurs salariés et leurs bénévoles comme participant à l’exercice des missions de sécurité civile aux côtés des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, des personnels des services de l’État et des unités militaires qui en sont investis à titre permanent. Son article 49 proclame la reconnaissance par la nation de l’engagement citoyen en qualité de bénévole d’une association agréée de sécurité civile.

Les mesures de valorisation des sapeurs-pompiers volontaires ne peuvent être strictement dupliquées pour les bénévoles. Cette valorisation doit se faire à l’aune de l’engagement de chacun ; or les contraintes de disponibilité, d’engagement et d’opérationnalité des sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas comparables à celles des bénévoles des associations agréées. Le rôle de ces derniers est essentiel et nous devons les valoriser, mais ne créons pas des volontaires bis.

À ce stade, les mesures proposées par la proposition de loi visant à reconnaître le bénévolat de sécurité civile appellent, en particulier, les réserves suivantes.

Tout d’abord, en ce qui concerne le champ des missions associé au bénéfice de certains dispositifs de soutien, l’engagement au sein d’une association agréée de sécurité civile ne coïncide pas nécessairement avec l’exercice de missions de secourisme. En outre, l’amarrage de certaines mesures au principe d’ancienneté des bénévoles se heurte à ce stade au fait que la perte de qualité de membre d’une association agréée de sécurité civile ne peut être prononcée pour des motifs d’insuffisance dans les activités exercées.

Une analogie trop poussée entre le volontariat des sapeurs-pompiers et le bénévolat au sein de ces associations n’est pas pertinente, les deux types d’engagement obéissant pour partie à des logiques différentes.

Aucune étude d’impact n’a été réalisée sur les mesures proposées par cette proposition de loi.

Enfin, il faut éviter un risque reconventionnel avec d’autres associations détentrices d’un agrément délivré par l’État.

Mme la présidente Lisa Belluco. Je vous remercie, Madame la ministre.

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.