N° 2720

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 juin 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

 

sur les dépenses d’action sociale destinées aux Français de l’étranger

 

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Karim Ben Cheikh,
rapporteur spécial

 

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SOMMAIRE

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Pages

PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAL

recommandations du rapporteur spécial

INTRODUCTION

I. l’état est tenu de venir en aide aux français de l’étranger en difficulté

A. des aides sociales DÉPOURVUES DE cadre réglementaire ET DONT LES CRÉDITS stagnent

1. Les aides sociales sont des mesures gracieuses du ministère de l’Europe et des affaires étrangères gérées au niveau des postes consulaires

a. Si la détermination des allocations sociales des Français de l’étranger est dépourvue de cadre légale et réglementaire, la loi impose néanmoins que des actions soient menées en faveur de nos compatriotes les plus vulnérables

b. L’instruction des demandes au titre de l’aide sociale relève des services sociaux des consulats et des conseils consulaires

2. L’aide sociale prend la forme d’allocations et d’aides exceptionnelles

a. L’allocation de solidarité aux personnes âgées

b. L’allocation pour les personnes handicapées

c. L’allocation à durée déterminée

d. L’aide à l’enfance en détresse

e. La prestation d’assistance consulaire (PAC)

f. Les aides ponctuelles

3. La stagnation des crédits consacrés à l’aide sociale compromet la pérennité d’allocations qui ne sont pas des droits opposables

a. Le niveau modeste des crédits alloués à l’aide sociale en faveur des Français de l’étranger en difficulté a peu évolué

b. L’aide sociale doit être encadrée par des textes législatifs et réglementaires

B. une action sociale qui repose beaucoup sur d’autres acteurs

1. Des associations interviennent pour venir en aide aux Français de l’étranger en difficulté

a. Les organismes locaux d’entraide et de solidarité

b. Les autres associations

c. Les centres médico-sociaux

2. La Caisse des Français de l’étranger remplit une mission de service public et offre un coût d’accès réduit pour ses adhérents les plus modestes

a. La catégorie aidée est un dispositif imposé à la CFE dont le concours de l’État est très insuffisant

b. À défaut d’un financement public, la pérennité de la CFE est compromise par sa mission de service public

II. Les bourses scolaires doivent permettre aux enfants de nos compatriotes d’accéder à notre réseau d’enseignement à l’étranger

A. les exonérations de droits de scolarité pour les familles françaises les plus modestes sont censées garantir l’égal accès à l’éducation à l’étranger

1. L’AEFE permet la scolarisation dans le système français d’enseignement à l’étranger

a. Le réseau de l’AEFE est composé de plusieurs catégories d’établissement

b. Les droits de scolarité s’élèvent en moyenne à près de 6 000 euros par an

c. La mission Action extérieure de l’État alloue près de 550 millions d’euros de crédits à l’AEFE dont 106 millions d’euros au titre des aides à la scolarité

2. Les aides à la scolarité sont principalement composées des bourses scolaires mais aussi de la prise en charge des accompagnants d’élèves en situation de handicap

a. Les exonérations de droits de scolarité sont accordées par l’AEFE en fonction des ressources des familles et du coût relatif de la vie

b. Depuis 2021, la rémunération des accompagnants d’élèves en situation de handicap peut être prise en charge par l’AEFE sans condition de ressources

B. un système qui ne garantit plus l’accès de tous les élèves français à notre réseau d’enseignement à l’étranger

1. Des moyens qui stagnent, un nombre de boursiers qui diminue

a. En prenant en compte l’apurement progressif de la soulte de l’AEFE, les crédits alloués aux bourses scolaires ont peu évolué

b. Le nombre de boursiers diminue d’année en année

2. Une réforme du système de bourses scolaires doit modifier le calcul de l’IPPA et instaurer un « bouclier tarifaire »

a. L’IPPA est un indicateur du coût relatif de la vie qui n’est pas pertinent pour le calcul des bourses de l’AEFE

b. Le reste à charge pour les familles doit être contenu

TRAVAUX DE LA COMMISSION

PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 


   PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAL

Dans un courrier adressé à la présidente de l’Assemblée nationale et au président du Sénat le 2 octobre 2023, 17 parlementaires, dont le rapporteur spécial, ont demandé la tenue d’assises sur la question d’une « véritable politique sociale pour les Françaises et les Français de l’étranger ». À l’occasion de la 40e session de l’Assemblée des Français de l’étranger le 18 mars 2024, M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité, de la Francophonie et des Français de l’étranger a donné un avis favorable à la tenue de ces assises sociales.

C’est dans ce contexte que le rapporteur spécial a souhaité consacrer ses travaux d’évaluation du printemps 2024 aux dépenses d’action sociale destinées aux Français de l’étranger, c’est-à-dire à l’ensemble des crédits d’intervention relevant du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires (125,32 millions d’euros en 2023), incluant principalement les allocations sociales (14,9 millions d’euros), les bourses scolaires (105,75 millions d’euros) et les subventions à divers organismes (3,61 millions d’euros) dont la Caisse des Français de l’étranger (0,7 million d’euros).

En application du principe de territorialité, les allocations sociales servies sur le territoire national ne peuvent être versées aux Français de l’étranger. Toutefois, l’article L. 121‑10­‑1 du code de l’action sociale et des familles dispose que « les actions menées à l’égard des Français établis hors de France en difficulté, en particulier les personnes âgées ou handicapées, relèvent de la compétence de l’État » et que « ces personnes peuvent bénéficier, sous conditions, de secours et aides prélevés sur les crédits d’assistance aux Français établis hors de France du ministère des affaires étrangères, et d’autres mesures appropriées tenant compte de la situation économique et sociale du pays de résidence ».

Les consulats peuvent ainsi, après avis des conseils consulaires pour la protection et l’action sociales (CCPAS), attribuer des aides sociales à nos compatriotes les plus démunis en suivant une instruction ministérielle déterminant les conditions d’attribution. En effet, si la loi prévoit le versement d’aides, aucun texte législatif ou réglementaire n’en fixe les montants ni les critères d’éligibilité. Le rapporteur spécial rappelle que les aides sociales ne constituent dès lors qu’une mesure gracieuse du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE). Il est favorable à un encadrement réglementaire de ces allocations afin d’harmoniser les pratiques et de mieux répondre aux besoins.

Conformément aux instructions ministérielles, il existe actuellement cinq allocations auxquelles s’ajoutent des secours occasionnels pour résoudre des difficultés ponctuelles pour lesquelles il n’existe aucune autre possibilité d’assistance.

Le rapporteur spécial observe que rien ne justifie que la prestation correspondant à l’AAH ne soit accordé qu’en raison d’un taux d’incapacité minimal de 80 % pour les Français de l’étranger alors que le taux retenu en France est de 50 % sous certaines conditions.

Il faut également noter que si cette allocation est déconjugalisée pour les Français de l’étranger depuis le 1er janvier 2024, les ressources prises en considération peuvent également inclure les revenus personnels, les avantages en nature mais aussi « l’aide que les membres de la famille (présents ou non dans le pays) ont la capacité de procurer » en application de l’instruction ministérielle.

En 2023, les crédits d’aide sociale exécutés se sont élevés à 14,9 millions d’euros (pour 15,3 millions d’euros d’allocations accordées). Le rapporteur spécial rappelle que le nombre de bénéficiaires est particulièrement minime au regard des 2,5 millions de Français établis hors de France, correspondant à 0,17 % d’entre eux.

Hors la période de pandémie Covid-19, le montant des aides sociales n’a guère évolué au cours des dernières années. Malgré le contexte inflationniste au niveau mondial, le taux de base de ces allocations n'a pas évolué depuis 2022.

Les dépenses d’action sociale en faveur des Français de l’étranger ne se limitent pas aux aides directement versées par les consulats. Le financement de divers organismes participe également aux actions menées à l’égard de nos compatriotes vulnérables. Parmi eux figurent un peu moins d’une centaine d’organismes locaux d’entraide et de solidarité à l’étranger (OLES) auxquels 1,14 million d’euros ont été attribués en 2023. Ces associations jouent un rôle complémentaire à celui des postes consulaires en répondant à des situations qui, par leur urgence ou leur nature, ne peuvent trouver de solutions dans le cadre des aides sociales classiques. Il arrive ainsi que les OLES soient conduits à intervenir dans des domaines souvent éloignés de leur cœur de métier (alimentation des enfants dans le cadre de centres de loisirs, colis alimentaires aux détenus…). Le rapporteur spécial observe que les subventions à ces partenaires de l’administration consulaire permettent effectivement de pallier la sous-budgétisation des crédits d’aide sociale dans un certain nombre de postes. Ce manque de moyens s’accompagne aussi de manque d’instruments spécifiques, notamment pour mieux accompagner les enfants français tout au long de leur scolarité ou à l’occasion de leur départ pour des études en France.

De même, certaines associations porteuses de projets éducatifs, caritatifs ou d’insertion socio-économiques, peuvent bénéficier de financements au titre du dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l’étranger (STAFE) qui a remplacé l’ancienne réserve parlementaire (1,55 million d’euros en 2023).

Le MEAE apporte également un concours financier au budget de l’action sanitaire et sociale de la Caisse des Français de l’étranger (CFE). Cet organisme de sécurité sociale est tenu de prendre à sa charge une partie des cotisations des Français résidant hors de l’Espace économique européen (EEE) qui n’ont pas les ressources nécessaires pour y adhérer, conformément aux articles L. 762-6-5 et L. 766‑4‑1 du code de la sécurité sociale. Du fait de ce dispositif de « catégorie aidée », l’État versait une subvention de 380 000 euros à la CFE jusqu’en 2022, portée à 700 000 euros en 2023 grâce à des redéploiements. Or, le coût pour la caisse de cette mesure, qui bénéficiait à 2 138 adhérents l’année passée, s’élevait à 4,35 millions d’euros. Le rapporteur spécial appelle à relever le montant de ce concours de l’État afin de garantir la pérennité de la CFE, voire de permettre l’intégration d’un plus grand nombre de nos compatriotes dans le dispositif. Il s’avère en effet qu’un certain nombre de Français de l’étranger ne peuvent toujours pas s’acquitter des cotisations même en étant éligibles à la catégorie aidée.

L’avenir de la CFE constitue d’ailleurs un point d’attention important pour l’action sociale en faveur des Français de l’étranger. Cette caisse de sécurité sociale évolue en effet sur un marché concurrentiel sans sélection du risque à l’entrée et avec une gestion par répartition dans la mesure où elle est tenue d’assurer tous les Français qui souhaitent y adhérer en raison de sa mission de service public. Le rapporteur spécial s’interroge sur la soutenabilité de cette dépense non compensée, qui est facteur de déséquilibre budgétaire.

L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), premier opérateur de la mission Action extérieure de l’État, assure « en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l’éducation » (article L. 452‑2 du code de l’éducation). À ce titre, elle accorde « des bourses aux enfants de nationalité française scolarisés dans les écoles et les établissements d’enseignement français à l’étranger ». Formellement, ces bourses sont des exonérations totales ou partielles des droits de scolarité, dont le montant moyen est de 5 729 euros par an.

À l’occasion des campagnes de bourses de 2023, 23 790 exonérations ont été prononcées. Elles concernaient environ 20 % des élèves français inscrits dans ces établissements.

En 2023, les dépenses du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires au titre de ces bourses se sont élevées à 105,75 millions d’euros, dont 1,31 million d’euros au titre des aides à la scolarisation des élèves en situation de handicap. Ce montant ne reflète qu’imparfaitement le coût des exonérations de droit de scolarité. D’une part, l’année scolaire est différente selon l’hémisphère concerné et ne correspond pas à l’année civile. En 2023, les dépenses au titre des bourses correspondent ainsi à la totalité de l’année scolaire 2023 du rythme sud, à la fin de l’année scolaire 2022-2023 et au début de l’année scolaire 2023-2024 pour le rythme nord. D’autre part, la soulte de l’AEFE est en partie mobilisée pour financer ces exonérations, ce qui a été le cas à hauteur de 9,1 millions d’euros en 2023. Le rapporteur spécial observe qu’il est donc difficile d’apprécier l’évolution des bourses d’année en année, l’observation de l’état de la consommation des crédits au niveau du programme étant réducteur.

Une tendance à la baisse du nombre de boursiers peut être observée sur les sept dernières années – hors période du covid-19 – dans un contexte de stagnation du montant des bourses. Par ailleurs, le rapporteur spécial rappelle que les bourses ne sont octroyées que dans la limite des crédits alloués au dispositif, ce qui implique que, d’une année à l’autre, à quotient familial inchangé, le niveau de prise en charge des droits de scolarité peut évoluer. Ce niveau de prise en charge est en effet basé sur un quotient familial, prenant en compte les ressources des parents et le nombre d’enfants, pondéré par un indice de parité de pouvoir d’achat (IPPA) selon la ville de résidence. Il ressort des travaux du rapporteur spécial que l’IPPA ne reflète qu’imparfaitement l’évolution du coût de la vie, cet indice étant à l’origine conçu pour les fonctionnaires et salariés expatriés comme un indicateur de différence de niveau de vie entre Paris et le reste du monde.

Il faut également savoir que le caractère limité de l’enveloppe consacrée aux bourses a conduit l’AEFE à instaurer une contribution progressive de solidarité (CPS) sur le montant des exonérations partielles de droits de scolarité. À la rentrée 2023, la CPS est passée de 2 % à 7 %. Pour le rapporteur spécial, cette contribution est particulièrement regrettable dans la mesure où elle fait porter une partie du financement des bourses sur les boursiers eux-mêmes.

Dans ce contexte, le rapporteur spécial appelle à une réforme du système de bourses basé davantage sur la notion de reste à charge que sur le montant des droits de scolarité. L’idée serait que les familles les plus vulnérables puissent bénéficier d’une exonération totale. Le reste des familles auraient un droit à une exonération partielle en ayant la garantie de ne pas avoir à consacrer plus de 20 % de leurs revenus au paiement de l’école française. Une réforme a minima pourrait aussi consister à mettre en place des exonérations pluriannuelles, en garantissant un niveau d’exonération identique par cycle scolaire afin de donner de la visibilité aux parents et de garantir la poursuite de la scolarité.

 


   recommandations du rapporteur spécial

Recommandation n° 1 : Ouvrir le droit au bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés pour les Français de l’étranger dont le taux d’incapacité est de 50 % lorsque celui-ci entraîne une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi.

Recommandation n° 2 : Prendre en compte les seuls revenus du demandeur pour bénéficier de l’allocation aux adultes handicapées.

Recommandation n° 3 : Engager une réflexion sur la prise en charge de la dépendance des Français de l’étranger.

Recommandation n° 4 : Définir dans les lois et les règlements les conditions d’éligibilité des Français de l’étranger aux aides sociales du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Recommandation n° 5 : Augmenter le concours de l’État à la Caisse des Français de l’étranger au titre du financement du dispositif de la catégorie aidée.

Recommandation n° 6 : Affecter une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG) à la Caisse des Français de l’étranger.

Recommandation n° 7 : Substituer à la dénomination de « bourses » l’appellation « exonérations de droits de scolarité ».

Recommandation n° 8 : Instaurer un système de tiers payant des AESH ou, à défaut, verser les aides à la scolarité des enfants handicapés en amont du paiement des accompagnants.

Recommandation n° 9 : Supprimer la contribution progressive de solidarité.

Recommandation n° 10 : Utiliser les données fournies par l’entreprise Mercer pour établir un indice du coût de la vie dans le pays de résidence qui ne soit pas corrélé à l’évolution relative de ce coût par rapport à celui à Paris.

Recommandation n° 11 : Modifier le paramètre de calcul des quotités partielles d’exonération de droit de scolarité de manière à ce que le coût ne dépasse pas 20 % du revenu disponible des familles.

Recommandation n° 12 : Assurer aux familles d’élèves boursiers le maintien de leur quotité d’exonération, à revenus inchangés, tout au long de la scolarité.

 

 

 

 

 


   INTRODUCTION

À l’occasion de la 40e session de l’Assemblée des Français de l’étranger le 18 mars 2024, le ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité, de la Francophonie et des Français de l’étranger a annoncé la tenue d’assises de la protection sociale pour nos compatriotes installés au-delà de nos frontières, assises dont il reste encore « à préciser le cadre exact » d’après le ministre.

Cette prise de position fait suite au courrier adressé par dix-sept parlementaires, parmi lesquels le rapporteur spécial, à la présidente de l’Assemblée nationale et au président du Sénat le 2 octobre 2023 visant à ce qu’une concertation soit engagée autour d’une « véritable politique sociale pour les Françaises et les Français de l’étranger ».

Dans le cadre de l’édition 2024 du Printemps de l’évaluation, le rapporteur spécial a choisi de consacrer ses travaux aux dépenses d’action sociale destinées aux Français de l’étranger. Portées par les crédits d’intervention du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires de la mission Action extérieure de l’État, elles correspondent aux aides sociales versées à nos compatriotes les plus vulnérables, au financement d’organismes qui concourent à l’action ou la protection sociales ainsi qu’aux aides à la scolarité dans le réseau français d’enseignement à l’étranger.

Ce sujet méconnu pour la plupart de nos concitoyens revêt une importance primordiale pour maintenir un lien entre notre pays et ses ressortissants à l’étranger. Les Français de l’étranger sont des citoyens à part entière et doivent pouvoir bénéficier de la solidarité nationale. Les recommandations formulées par le rapporteur spécial dans le présent rapport d’information doivent être lues comme le volet d’un ensemble plus large de propositions visant à assurer une forme de continuité entre le territoire national et nos quelques 2,5 millions de compatriotes établis hors de celui-ci.

Enfin, il est toujours nécessaire de rappeler que « la France est une République […] sociale », conformément à l’article 1er de la Constitution, et que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », notamment en garantissant « la protection de la santé, la sécurité matérielle » ainsi que « des moyens convenables d’existence [à] tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler », comme l’énonce le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Le rapporteur spécial estime que ces principes doivent guider les politiques de l’État à l’égard de nos ressortissants à l’étranger.


I.   l’état est tenu de venir en aide aux français de l’étranger en difficulté

L’article L. 116‑1 du code de l’action sociale et des familles définit l’action sociale comme la promotion de « l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté » et la prévention des « exclusions et [la correction de ses] effets ». Il dispose également qu’elle « repose sur une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de tous les groupes sociaux, en particulier des personnes handicapées et des personnes âgées, des personnes et des familles vulnérables, en situation de précarité ou de pauvreté, et sur la mise à leur disposition de prestations en espèces ou en nature ».

Ainsi, et à la différence de la sécurité sociale, l’action sociale comprend l’ensemble des mesures de protection sociale dont les individus peuvent bénéficier sans contrepartie. Elle peut prendre la forme du versement d’allocations directes (aide sociale) ou du financement indirect d’actions en faveur des personnes vulnérables.

Dans le cas des Français de l’étranger, c’est-à-dire de « toute personne de nationalité française ayant sa résidence habituelle dans une circonscription consulaire » ([1]), l’aide sociale est constituée des mesures gracieuses du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) à destination de nos compatriotes en difficulté. L’action sociale au sens large comprend également le financement de divers organismes qui participent à leur soutien comme les associations de bénévoles, dont les organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES), la Caisse des Français de l’étranger (CFE) ou encore les centres médico-sociaux (CMS).

A.   des aides sociales DÉPOURVUES DE cadre réglementaire ET DONT LES CRÉDITS stagnent

L’aide sociale des consulats repose sur des mesures gracieuses du MEAE qui ne constituent pas des droits opposables pour les Français de l’étranger. Toutefois, il revient à l’État de mener des actions en faveur de nos compatriotes les plus vulnérables.

Sur la base des instructions ministérielles actuelles, l’aide sociale comprend cinq allocations auxquelles s’ajoutent des aides ponctuelles.

Le rapporteur spécial plaide pour un alignement de ces prestations sur les aides sociales en vigueur sur le territoire national. Il déplore la stagnation des crédits qui y sont alloués et s’inquiète d’une réduction de ces derniers dans un contexte de déficit public.

1.   Les aides sociales sont des mesures gracieuses du ministère de l’Europe et des affaires étrangères gérées au niveau des postes consulaires

L’instruction des demandes d’aide sociale est de la compétence des postes. Il fait intervenir divers acteurs au travers des conseils consulaires dans leur formation « protection et action sociales ». À défaut d’un cadre législatif et réglementaire précis, les consulats disposent d’une certaine latitude dans l’appréciation des demandes et ce dans un contexte budgétaire contraint.

a.   Si la détermination des allocations sociales des Français de l’étranger est dépourvue de cadre légale et réglementaire, la loi impose néanmoins que des actions soient menées en faveur de nos compatriotes les plus vulnérables

Les prestations sociales auxquelles les résidents sont susceptibles d’avoir droit en France ne peuvent pas être servies aux Français de l’étranger en application du principe de territorialité. Toutefois, l’article L. 121‑10‑1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) dispose que « les actions menées à l'égard des Français établis hors de France en difficulté, en particulier les personnes âgées ou handicapées, relèvent de la compétence de l'État » et que « ces personnes peuvent bénéficier, sous conditions, de secours et aides prélevés sur les crédits d'assistance aux Français établis hors de France du ministère des affaires étrangères, et d'autres mesures appropriées tenant compte de la situation économique et sociale du pays de résidence ».

Si cet article a été introduit en loi de finances pour 2004 ([2]), son principe date de la loi n° 88‑1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion (RMI) qui disposait déjà que « les Français établis hors de France en difficulté […] sont pris en compte dans la définition de la politique de lutte contre la pauvreté et d’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté » ([3]).

C’est donc sur le fondement de ce principe que des allocations sont versées aux Français de l’étranger au titre de l’aide sociale. Les conditions générales d’attribution sont précisées dans une instruction ministérielle. Le rapporteur spécial indique qu’aucun texte réglementaire ne vient détailler le montant et les critères de bénéfice de ces aides. Ces allocations ne constituent dès lors qu’une mesure gracieuse du ministère comme une jurisprudence constante prend soin de le rappeler. Récemment encore, le tribunal administratif (TA) de Paris a considéré que la décision de rejet d’une demande de bénéfice de l’allocation aux adultes handicapées par le consul général de France à Londres ne saurait être regardée comme faisant grief, « la mesure sollicitée étant de nature purement gracieuse » ([4]).

b.   L’instruction des demandes au titre de l’aide sociale relève des services sociaux des consulats et des conseils consulaires

La gestion des crédits qui sont alloués à l’aide sociale relève de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE) du MEAE. À ce titre, elle assure le secrétariat de la commission permanente pour la protection sociale des Français de l’étranger (CPPSFE).

La Commission permanente pour la protection sociale des Français de l’étranger

La CPPSFE a été créée par le décret n° 92‑437 du 19 mai 1992.

Chaque année au mois de mars, elle donne un avis sur la répartition des crédits sociaux et d’assistance du MEAE ainsi que sur la fixation des plafonds de ressources mensuelles en deçà desquels les Français de l’étranger peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle totale ou partielle.

Présidée par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, cette commission comprend également des représentants de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, du ministre chargé des comptes publics, de membres de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et de représentants d’associations représentatives de Français de l’étranger (actuellement l’Union des Français de l’étranger et Français du monde).

Au niveau local, ce sont les consulats qui sont chargés d’instruire les demandes d’aides de la part de nos compatriotes les plus vulnérables. Ces demandes peuvent leur être adressées de manière spontanée ou par l’intermédiaire d’associations (cf. infra) ou d’élus. Les conseils consulaires, en formation « protection et action sociales » (CCPAS), donnent leur avis sur l’attribution des aides.

Les conseils consulaires

En application de l’article 3 de la loi n° 2013‑659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, dans chaque circonscription consulaire se trouve un conseil chargé de « formuler des avis sur les questions consulaires ou d’intérêt général, notamment culturel, éducatif, économique et social, concernant les Français établis dans la circonscription ».

La composition des conseils consulaires varie en fonction des attributions qu’ils exercent. Dans leur formation dédiée à l’examen des questions relatives à la protection et à l’action sociales (CCPAS), les conseils consulaires comprennent, outre les conseillers élus des Français de l’étranger :

– un conseiller social ;

– un médecin-conseil ;

– un assistant social ;

– des administrateurs de la Caisse des Français de l’étranger ;

– des représentants des institutions ou associations françaises exerçant des activités à caractère social ;

– un représentant de chaque association représentative des Français de l’étranger au niveau national.

Conformément au décret n° 2044‑144 du 18 février 2014 relatif aux conseils consulaires, à l’Assemblée des Français de l’étranger et à leurs membres, les CCPAS sont saisis pour avis des demandes et projets de subvention aux organismes locaux d’entraide et de solidarité (cf. infra) et d’attribution d’allocations ou de secours aux Français âgés, handicapés ou indigents.

2.   L’aide sociale prend la forme d’allocations et d’aides exceptionnelles

Conformément aux instructions ministérielles, il existe actuellement cinq allocations susceptibles d’être versées à nos compatriotes en difficulté qui sont régulièrement inscrits au registre des Français établis hors de France ([5]). À ces prestations s’ajoutent des secours occasionnels et des aides exceptionnelles pour régler des situations non couvertes par les aides sociales au sens strict.

a.   L’allocation de solidarité aux personnes âgées

Inspirée de la prestation homonyme (ASPA) sur le territoire national, cette allocation peut être attribuées aux personnes âgées d’au moins 65 ans (ou 60 ans en cas d’inaptitude au travail) dont les revenus sont inférieurs au montant maximal de l’allocation (dit « taux de base »), défini pour chaque pays par le MEAE après consultation de la CPPSFE.

Il s’agit d’une allocation différentielle dans la mesure où celle-ci est égale à la différence entre le taux de base arrêté et les revenus du demandeur. Dans le monde, l’équivalent de l’ASPA s’élevait à 313,12 euros par mois en moyenne en 2023. Elle concernait 43,8 % des bénéficiaires des aides sociales du MEAE.

b.   L’allocation pour les personnes handicapées

Sur le modèle de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), cette prestation peut être versée aux personnes qui présentent un taux d’incapacité d’au moins 80 % (50 % pour les moins de 20 ans).

À l’instar de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, sur laquelle le taux de base est d’ailleurs aligné, cette aide sociale est calculée en prenant en compte la différence entre son montant maximal et les ressources prises en considération.

En 2023, le montant mensuel moyen de cette allocation s’élevait à 321,45 euros au niveau mondial. Parmi les bénéficiaires des aides sociales, 40,3 % en étaient titulaires.

c.   L’allocation à durée déterminée

Sans équivalent sur le territoire national, cette prestation permet de venir en aide aux Français de l’étranger démunis qui ne sont pas éligibles aux allocations destinées aux personnes âgées ou handicapées.

Pour en bénéficier, les moyens d’existence doivent également être inférieurs aux taux de base des prestations précitées.

Très peu de nos compatriotes en bénéficient puisque seulement 0,92 % des personnes destinataires des aides sociales ont perçu cette allocation pour un montant mensuel de 170,94 euros en moyenne en 2023.

d.   L’aide à l’enfance en détresse

Appelée aussi « secours mensuel spécifique enfants » (SMSE), cette allocation, sans équivalence sur le territoire national, vient en aide aux enfants en péril en fonction de leurs besoins « dans l’hypothèse où ils s’inscrivent dans le cadre d’un projet d’insertion sociale (soutien psychologique, médical, alimentaire) » ([6]).

La DFAE tient à préciser que ce secours ne peut « en aucun cas être assimilé à une allocation familiale ou à une prestation dont l’objet serait d’améliorer le confort d’une famille ». Autrement dit, la précarité financière des parents doit avoir des répercussions importantes sur la santé, physique et psychique, ou l’éducation des enfants pour pouvoir être bénéficiaire de l’aide.

Le montant se situe généralement entre un huitième et un quart du taux de base retenu dans le pays. Ce secours concernait 13,4 % des bénéficiaires des aides sociales en 2023 pour un montant mensuel moyen de 119,47 euros.

e.   La prestation d’assistance consulaire (PAC)

Dans les États qui étaient membres de l’Union européenne (UE) avant les élargissements de 2004, 2007 et 2013 (« UE à 15 ») ([7]) et dans ceux membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) ([8]), la PAC permet de verser temporairement une aide financière aux personnes âgées ou handicapées dans l’attente de la perception d’une prestation du pays de résidence.

Le MEAE a décidé de diminuer d’un quart le montant de cette allocation en 2024 avant sa mise en extinction progressive au cours des trois prochaines années.

En 2023, elle ne concernait que 1,8 % des bénéficiaires de l’aide sociale dans le monde pour un montant mensuel moyen de 333,33 euros.

f.   Les aides ponctuelles

Des secours occasionnels peuvent être attribués afin de remédier à des situations temporaires de difficulté pour lesquelles il n’existe aucune allocation dédiée.

De même, des aides exceptionnelles permettent de venir en aide aux ressortissants non-inscrits sur le registre des Français établis hors de France ainsi qu’aux personnes détenues à l’étranger.

Pendant la pandémie de covid-19, un secours occasionnel de solidarité (SOS) avait temporairement été mis en place pour venir en aide aux Français de l’étranger en situation de précarité du fait de la crise sanitaire dans leur pays de résidence.

3.   La stagnation des crédits consacrés à l’aide sociale compromet la pérennité d’allocations qui ne sont pas des droits opposables

Dépourvues de base légale et réglementaire, les allocations sociales destinées à nos compatriotes les plus vulnérables ne sont pas à l’abri d’une remise en cause à l’avenir, d’autant plus que le budget qui y est consacré par le MEAE connaît une stagnation manifeste depuis de nombreuses années, si l’on excepte la période particulière de la crise sanitaire.

a.   Le niveau modeste des crédits alloués à l’aide sociale en faveur des Français de l’étranger en difficulté a peu évolué

Le montant total des aides sociales s’est élevé à 13,8 millions d’euros par an en moyenne au cours des dix dernières années. Il ne tient pas compte du versement du SOS pendant la pandémie de covid-19. En 2021, les dépenses au titre de l’aide sociale atteignaient ainsi 26,9 millions d’euros dont 12 millions d’euros pour ce seul secours occasionnel.

évolution des crédits de paiement exécutés au titre de l’aide sociale depuis dix ans

(en millions d’euros)

Source : rapports annuels de performances (RAP) de la mission Action extérieure de l’État (2014-2023).

En 2023, 14,9 millions d’euros de crédits ont été exécutés au titre de l’aide sociale sur les 15,3 millions d’euros accordés à 4 246 bénéficiaires après avis du CPPSFE. La différence entre ces deux montants résulte des départs du pays de résidence, des décès, de hausses de revenus ou encore de l’inaboutissement des demandes formulées.


répartition des crédits exécutés en 2023 par allocation

(en millions d’euros)

Source : RAP 2023.

La moitié des aides sociales sont versées par une dizaine de postes consulaires. Cette répartition géographique reflète à la fois la présence française dans le pays et la situation économique de ce dernier.

montant des aides sociales présenté en cppsfe par poste consulaire en 2023

(en milliers d’euros)

Poste consulaire

Budget des aides sociales

Part du budget d’aide sociale du ministère

Beyrouth (Liban)

2 922,17

19 %

Dakar (Sénégal)

1 169,73

7,6 %

Tunis (Tunisie)

848,38

5,5 %

Casablanca (Maroc)

539,42

3,5 %

Tananarive (Madagascar)

510,44

3,3 %

Rabat (Maroc)

495,13

3,2 %

Alger (Algérie)

428,61

2,8 %

Mexico (Mexique)

425,66

2,8 %

Abidjan (Côte d’Ivoire)

420,12

2,7 %

Buenos Aires (Argentine)

322,34

2,1 %

Autres postes

7 277,80

47,4 %

Total

15 359,80

100 %

Source : réponses au questionnaire adressé à la DFAE.

Le Liban occupe une place particulière avec 19 % du budget présenté en CPPSFE en 2023. Depuis 2019, le pays traverse une crise financière majeure, au point de représenter « l’un des dix, voire des trois effondrements économiques les plus graves que le monde ait connus depuis les années 1850 » selon la Banque mondiale ([9]). Cette crise s’accompagne d’une chute impressionnante du taux de change. Au 31 décembre 2022, un euro s’échangeait contre 1 574 livres libanaises. Un an plus tard, le taux était de 16 608 livres pour un euro. Fin mai 2024, il se rapprochait de 100 000 livres.

La loi de finances pour 2024 ([10]) a alloué 16,2 millions d’euros à l’aide sociale. Après déduction de la réserve de précaution de 5,5 %, le budget s’élève de nouveau à 15,3 millions d’euros cette année. Le rapporteur spécial rappelle toutefois qu’une partie des crédits gelés en début de gestion ont été annulés à la suite du décret n° 2024‑124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits, comme il a pu le constater à la suite d’investigations sur pièces et sur place auxquelles il a procédé dans les locaux de la direction des affaires financières du MEAE, en application de l’article 57 de la LOLF ([11]). Au regard des annonces formulées par le Gouvernement quant à la réduction du déficit public, le rapporteur spécial craint que ces annulations ne soient que le prélude à un rebasage à la baisse des crédits d’action sociale.

Le budget présenté à la CPPSFE en mars de cette année fait état d’une baisse généralisée des taux de base de 1 % ([12]) ainsi que d’une mise en extinction de la PAC (cf. supra) dans les pays européens concernés. Dans ses réponses au questionnaire adressé par le rapporteur spécial, la DFAE indique que ces mesures n’ont « aucun lien avec les annulations de crédits décidées sur le programme 151 contrairement à ce que laisse entendre [une résolution] adoptée par l’AFE, l’exercice ayant eu lieu, comme c’est le cas chaque année, en tenant compte de la réserve de précaution ». Le rapporteur spécial est sceptique quant à cette affirmation dans la mesure où « l’annulation des crédits a été effectuée de façon homothétique » ([13]) sur la réserve de précaution du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires. À compter du prochain exercice budgétaire, il semble évident au rapporteur spécial que le socle des crédits d’aide sociale sera ainsi revu à la baisse après application d’une nouvelle réserve de précaution.

De manière générale, le rapporteur spécial observe une stagnation des crédits alloués aux allocations sociales et aux aides ponctuelles depuis de nombreuses années. En dehors de la période de crise sanitaire, le montant des dépenses n’a guère évolué au cours des dix dernières années malgré un contexte économique dégradé au niveau mondial.

Le budget de l’aide sociale à l’étranger du MEAE demeure particulièrement faible. En 2023, il ne représentait que :

– 3,81 % des crédits de paiement exécutés du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires (0,39 milliard d’euros) ;

– 0,48 % de ceux de l’ensemble de la mission Action extérieure de l’État (3,11 milliards d’euros) ;

– 0,24 % des dépenses du MEAE ([14]) (6,29 milliards d’euros).

De plus, les 4 246 bénéficiaires de l’aide sociale en 2023 ne représentaient que 0,25 % des personnes inscrites au registre des Français établis hors de France au 31 décembre de cette même année. Même dans un pays comme le Liban – qui compte le plus grand nombre d’allocataires (455) – la proportion de bénéficiaires par rapport à l’ensemble des ressortissants enregistrés (20 180) n’atteint que 2,3 %.

À titre de comparaison, les départements attribuent environ 40,4 milliards d’euros de mesures ou de prestations d’aide sociale pour l’insertion ou à destination de personnes âgées, de personnes handicapées, d’enfants ou de jeunes majeurs en danger ou en risque de l’être d’après les données recensées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ([15]). L’ensemble de ces aides concerne 6,4 % de la population française. Le rapporteur spécial constate que la totalité de l’aide sociale aux Français de l’étranger ne représente que 3,7 % des dépenses moyennes d’aide sociale d’un seul département français. Il pointe également l’écart entre les 6,4 % d’habitants du territoire national couverts par une prestation sociale et les 0,25 % des Français de l’étranger inscrits.

b.   L’aide sociale doit être encadrée par des textes législatifs et réglementaires

La stagnation des crédits alloués à l’aide sociale ne répond pas aux besoins de nos compatriotes les plus vulnérables.

Le rapporteur spécial plaide pour un alignement des allocations susceptibles d’être attribuées par les postes consulaires sur celles servies par les départements sur le territoire national afin d’assurer une meilleure équité dans la prise en compte des besoins de nos compatriotes en difficulté partout dans le monde.

En ce qui concerne les allocations aux personnes handicapées, il faut par exemple rappeler que le taux d’incapacité du demandeur adulte doit être d’au moins 80 % d’après les instructions ministérielles quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve. Sur le territoire national, ce taux minimal peut être de 50 % si le handicap entraîne une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi ([16]).

Recommandation n° 1 : Ouvrir le droit au bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés pour les Français de l’étranger dont le taux d’incapacité est de 50 % lorsque celui-ci entraîne une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi.

De plus, la « déconjugalisation » de l’AAH par l’article 10 de la loi n° 2022‑1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a été étendue aux Français de l’étranger à compter du 1er janvier 2024. Les revenus du conjoint de la personne handicapée ne sont donc en principe plus pris en compte pour le calcul de l’allocation versée par les consulats. Néanmoins, l’instruction ministérielle, bien que prenant acte de l’extension de la déconjugalisation aux Français de l’étranger handicapés, précise toujours que « les ressources à prendre en considération sont à la fois les revenus personnels des intéressés (incluant l’aide locale, le cas échéant), les avantages en nature et les aides que les membres de la famille (présents ou non dans le pays) ont la capacité de procurer ». Le rapporteur spécial dénonce un traitement inéquitable de nos concitoyens installés à l’étranger par rapport à ceux restés en France. Il considère également que l’imprécision de cette instruction et la difficulté d’en vérifier le respect laissent une trop grande latitude d’appréciation aux postes consulaires qui est néfaste, à la fois pour l’administration consulaire et pour les Français inscrits.

Recommandation n° 2 : Prendre en compte les seuls revenus du demandeur pour bénéficier de l’allocation aux adultes handicapées.

Concernant les besoins exprimés par les Français de l’étranger, le rapporteur spécial s’inquiète de la situation de nos compatriotes en perte d’autonomie. La prise en charge de la dépendance échappe aux risques susceptibles d’être couverts par les allocations sociales des postes. À l’heure actuelle, il n’existe pas d’équivalent de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) pour les Français de l’étranger. Les allocations pour les personnes âgées et pour les personnes handicapées ne peuvent répondre qu’imparfaitement aux situations de perte d’autonomie.

Alors que notre pays va s’investir de plus en plus dans la prise en compte de la dépendance, notamment depuis la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale ([17]), il apparaît regrettable qu’aucune mesure ne soit prise pour nos compatriotes installés à l’étranger. Ce besoin est d’autant plus urgent que les Français de l’étranger constituent aussi une population vieillissante pour laquelle ces problèmes de perte d’autonomie vont de plus en plus se poser. Environ 15 % d’entre eux ont actuellement plus de 60 ans. Comme le rappelle la DFAE, « il n’existe pas d’éléments qui laisseraient à penser que nos compatriotes expatriés ne suivent pas les mêmes évolutions que celles constatées à la fois en France et dans le monde ».

Le rapporteur spécial souhaite attirer l’attention sur le phénomène des « exilés sociaux ». Un certain nombre de Français, dont une partie importante sont retraités, se sont établis hors de France en partie pour des raisons économiques liées au coût de la vie. Cette population particulière risque de plus en plus d’être confrontée aux problématiques du grand âge nécessitant une prise en charge au niveau locale ou bien un rapatriement en France.

Recommandation n° 3 : Engager une réflexion sur la prise en charge de la dépendance des Français de l’étranger.

Pour toutes les raisons évoquées ci-avant, il semble nécessaire, pour le rapporteur spécial, d’offrir un cadre législatif et réglementaire aux allocations susceptibles d’être versées au titre de l’aide sociale aux Français de l’étranger. Il permettrait de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens, d’assurer une meilleure équité dans l’instruction de leur demande et de pérenniser, voire de sanctuariser le budget du MEAE qui leur est dédié. En effet, le rapporteur spécial estime que, contrairement aux dépenses sociales des départements, ce n’est pas tant les besoins qui fixent le budget de l’aide sociale des postes consulaires mais le budget attribué qui détermine les droits aux allocations.

Recommandation n° 4 : Définir dans les lois et les règlements les conditions d’éligibilité des Français de l’étranger aux aides sociales du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

B.   une action sociale qui repose beaucoup sur d’autres acteurs

Au-delà de l’aide sociale du MEAE au travers de ses postes consulaires, l’action sociale prend également la forme du financement de divers organismes qui participent à la protection sociale des Français de l’étranger.

Des associations qui reposent sur l’action de leurs bénévoles viennent ainsi compléter le travail des services sociaux consulaires, voire pallier l’insuffisance de leurs moyens.

Quant à la Caisse des Français de l’étranger, elle est censée permettre la protection de nos compatriotes les plus modestes au travers d’un dispositif de cotisation réduite.

1.   Des associations interviennent pour venir en aide aux Français de l’étranger en difficulté

Les partenaires reconnus par les consulats pour l’action sociale bénéficient de subventions indispensables pour venir en aide à nos compatriotes les plus vulnérables.

D’autres associations peuvent faire financer des projets à dimension sociale dans le cadre du dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l’étranger.

Enfin, la protection de la santé de nos compatriotes prend également la forme du financement de centres médico-sociaux dont un grand nombre est géré par des structures associatives.

a.   Les organismes locaux d’entraide et de solidarité

Les organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES) sont des associations qui viennent en aide aux Français de l’étranger les plus démunis. À ce titre, ils sont des partenaires privilégiés des consulats pour l’action sociale. Comme l’indique la DFAE, ils s’efforcent de répondre « à des situations qui, par leur urgence ou leur nature, ne peuvent trouver de solutions dans le cadre des aides sociales classiques ».

En 2023, 1,14 million d’euros de subventions ont été accordées par les postes à 93 OLES après avis des CCPAS sur une dotation initiale de 1,4 million d’euros. Cette enveloppe a été reconduite par la loi de finances pour 2024. Comme pour l’aide sociale, le rapporteur spécial s’inquiète des conséquences des annulations de crédits du décret du 21 février 2024 et d’un risque de rebasage à la baisse pour les années à venir, même si la DFAE indique que « les crédits alloués au dispositif de subventions OLES ne sont pas impactés par les annulations faisant suite [à ce] décret » ([18]).

Les crédits alloués à ces organismes ont pris leur essor au moment de la pandémie de covid-19. Jusqu’en 2019, leur montant moyen n’était que d’un demi-million d’euros. En 2020-2021, ils se sont élevés à 2,13 millions d’euros avant de se rapprocher d’un million d’euros depuis 2022.

évolution des crédits de paiement exécutés au titre des subventions aux oles depuis dix ans

(en millions d’euros)

Source : RAP 2024-2023.

En 2023, la subvention annuelle moyenne d’un OLES s’élevait à 12 258 euros. Les critères d’obtention habituellement retenus sont :

– la complémentarité de l’action de l’association avec celle du consulat (non redondance et relais géographique) ;

– le dynamisme de l’OLES dans la recherche d’autres financements que ceux du MEAE ;

– la transparence et la qualité du dialogue avec les services consulaires.

Au cours de ses travaux, le rapporteur spécial a pu constater que les OLES sont conduits à intervenir dans des domaines souvent éloignés de leur cœur de métier. C’est par exemple le cas d’associations qui organisent des activités périscolaires et sur lesquels repose l’alimentation d’enfants issus de familles dans une situation de très grande précarité ou encore d’organismes qui viennent en aide aux personnes incarcérées mais sur qui repose la fourniture de produits de première nécessité, comme le rapporteur spécial a pu le constater lors d’un déplacement à Madagascar.

Le rapporteur spécial observe que les subventions à ces partenaires de l’administration consulaire permettent effectivement de pallier la sous-budgétisation des crédits d’aide sociale dans un certain nombre de postes. S’il faut se réjouir du meilleur soutien financier du MEAE au OLES depuis la crise sanitaire, force est de constater que celui-ci est un pis-aller, faute de moyens suffisants.

Par ailleurs, l’implantation géographique des OLES peut parfois leur permettre de se substituer aux tournées des services sociaux consulaires, ces dernières étant de plus en plus limitées. Le compte rendu de la réunion du 17 octobre 2023 du CCPAS de Tananarive (Madagascar) est, à ce titre, éloquent :

« Le budget obtenu pour les tournées du service social de ce poste en 2023 était de 21 855 €, pour un budget demandé de 42 700 € (51 % obtenus). Cette dotation financière ne permettait de réaliser que cinq missions sur l’année, annulant des missions pourtant essentielles […]. Après des négociations ardues et sur la base d’un argumentaire solide, le poste a pu obtenir une dotation complémentaire de 9 621,98 €. Neuf missions en province ont ainsi pu être réalisées en 2023, avec pour objectif d’orienter et d’informer nos compatriotes en difficulté et de leur apporter l’aide la plus appropriée à leur situation. »

Les OLES gèrent également des structures indispensables pour nos compatriotes en difficulté. Outre des centres médico-sociaux (cf. infra), certains OLES s’occupent de centres d’hébergement pour personnes dépendantes. C’est par exemple le cas à Tamatave (Madagascar) ou encore à Rabat (Maroc). Le rapporteur spécial appelle à sanctuariser le financement de ces organismes.

La gestion de maison de retraite par des OLES :
l’exemple réussi du Souissi à Rabat

L’Association française d’entraide et de bienfaisance (AFEB) est un exemple d’OLES qui s’occupe notamment de l’hébergement de personnes âgées. À Rabat, elle gère la maison de retraite du Souissi.

En 2023, elle disposait d’un budget de 20 000 euros permettant le versement d’un complément d’aide sociale aux compatriotes faisant le choix de rejoindre cette maison de retraite. Grâce à cela, aucun Français ne peut être refusé pour des raisons financières.

L’association bénéficie d’une convention avec la Caisse des Français de l’étranger (CFE) qui couvre, dans le cadre d’une mutualisation, plusieurs interventions dont celle du médecin généraliste, du pharmacien et des infirmiers.

La maison de retraite compte aujourd’hui 46 pensionnaires, soit le maximum de résidents. À compter de septembre 2024, cette maison de retraite bénéficiera de 10 chambres supplémentaires disponibles. Les résidents sont encadrés par une quarantaine de personnels, permettant d’atteindre un taux d’encadrement très élevé.

b.   Les autres associations

Comme l’ensemble des membres du Parlement, les députés et les sénateurs des Français établis hors de France pouvaient, jusqu’en 2017, verser des subventions aux associations de leur choix dans le cadre de la réserve parlementaire. Suite à la suppression de celle-ci par l’article 14 de la loi organique n° 2017‑1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, un dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l’étranger (STAFE) a été mis en place en 2018.

Le STAFE permet au MEAE de participer au financement d’associations porteuses de projets dont l’objet est de nature éducative, caritative, culturelle ou d’insertion socio-économique. Contrairement au soutien financier des OLES, le STAFE n’est pas un dispositif d’action sociale à proprement parler. Toutefois, les projets retenus peuvent avoir vocation à venir en aide à nos compatriotes en difficulté. Il ressort des auditions et déplacements du rapporteur spécial que les subventions aux associations autres que les OLES apparaît comme un outil intéressant pour compléter l’action de ces derniers et de l’administration consulaire. Toutefois, plusieurs personnes ont fait état de difficultés pour constituer un dossier et de l’incompréhension qui entoure certains refus.

Validées au niveau central après examen du consulat et avis du conseil consulaire, les demandes de subventionnement doivent respecter plusieurs critères, notamment l’existence de l’association depuis plus d’un an, un budget annuel qui ne doit pas dépasser un million d’euros et un projet pour lequel l’aide publique demandée ne représente pas plus de la moitié de son coût ([19]). Cette aide ne peut dépasser 25 000 euros.

Le cumul de ces conditions induit que « pour les associations largement subventionnées par le dispositif OLES, il demeure difficile de garantir que la part de financement propre dans le cadre d’un projet STAFE n’est pas liée à des subventions OLES reçues » ([20]). De plus, le ministère a décidé que « le STAFE ne subventionne pas les projets visant à lever des fonds au profit d’associations bénéficiant de subventions OLES ».

En 2023, le montant des subventions dans le cadre du STAFE s’élevait à 1,55 million d’euros et a permis de participer au financement de 195 projets, soit une aide financière moyenne de 7 950 euros. La dotation initiale était de 2 millions d’euros. Elle a été reconduite par la loi de finances pour 2024. Cette année, 226 projets devraient être soutenus par une enveloppe de 1,67 million d’euros ([21]). Une dizaine d’associations bénéficieront du montant maximal attribuable de 25 000 euros.

En 2023, le reliquat disponible a été redéployé de manière à accroître le concours de l’État au financement de la catégorie aidée de la CFE (cf. infra). Le rapporteur spécial observe que les crédits destinés au STAFE servent de variable d’ajustement dans le cadre plus large des politiques d’action sociale du ministère.

Pendant la crise sanitaire, la suspension des projets associatifs avait permis de réallouer les crédits à destination des OLES. En effet, ces organismes avaient vu leurs subventions augmenter de 1,75 million d’euros entre 2019 et 2020 tandis que le STAFE avait diminué de 1,99 million d’euros.

évolution des subventions aux oles et du stafe depuis 2018

(en millions d’euros)

Source : RAP 2018-2023.

De même, le MEAE a annoncé avoir décidé « à titre exceptionnel, en gestion, d’utiliser une partie du reliquat des crédits non-consommés du dispositif STAFE pour financer les aides sociales directes » en 2024, suite à l’adoption à l’unanimité d’une résolution par l’AFE sollicitant cette réaffectation lors de sa 40e session au mois de mars.

c.   Les centres médico-sociaux

Les crédits du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires participent également au financement de centres médico-sociaux (CMS) gérés directement par un consulat ou bien par un OLES.

Le rôle des CMS est de garantir la sécurité sanitaire élémentaire des Français résidents dans les pays où les structures locales ne permettent pas d'assurer les soins de la vie quotidienne (médecine de ville) et la préparation des évacuations sanitaires (accidents ou événements graves). Ces centres sont aussi les correspondants du MEAE pour les questions de médecine du travail (santé des agents sur place, veille sanitaire et médecine scolaire pour les établissements du réseau d’enseignement français).

Leur dotation est relativement stable depuis plusieurs années. En 2023, 220 000 euros ont été accordés à neuf de ces structures ([22]) pour leur permettre d’acheter du matériel médical et des médicaments.

Le financement, voire la gestion directe de CMS, s’inscrit de la mission de protection de la santé de nos compatriotes, partie intégrante de l’action sociale. En 2023, 1,14 million d’euros ont par ailleurs été dépensés au titre des rapatriements en France ou des hospitalisations d’urgence à l’étranger. Ce budget est relativement stable depuis plusieurs années si l’on retranche le transfert des crédits destinés au remboursement à la collectivité de Nouvelle-Calédonie des évacuations sanitaires et des frais de santé des Français du Vanuatu, inscrits sur les crédits du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires depuis 2022 ([23]) (0,33 million d’euros en 2023).

Environ 200 rapatriements vers le territoire français sont réalisés chaque année par le MEAE dont la grande majorité pour des situations d’indigence (78 %). Le reste des évacuations relèvent d’urgences médicales. La DFAE indique que « les signalements de Français en difficulté sont de plus en plus nombreux (933 en 2023 contre 781 en 2022, soit + 19 %) ». Néanmoins, le nombre annuel de rapatriements demeure stable, « les possibilités de recours aux solutions assurantielles ou à la solidarité familiale ou amicale permett[ant] de tenir un niveau de dépenses constant en terme budgétaire ».

Le rapporteur spécial craint que ce nombre aille en augmentant pour les raisons qu’il a évoquées plus haut concernant le vieillissement de la population française à l’étranger et le phénomène des « exilés sociaux ».

Au cours de ses travaux, il a pu constater que le rapatriement pour indigence permet à des Français de l’étranger de pouvoir revenir sur le territoire national pour effectuer ou poursuivre leurs études supérieures. Le manque de solutions oblige les postes à l’ensemble des outils dont ils disposent pour venir en aide à nos compatriotes.

De manière générale, le rapporteur spécial considère que l’augmentation des moyens dédiés à l’action sociale au sens large, bourses scolaires incluses, devrait permettre d’éviter de recourir aux rapatriements et à la prise en charge des personnes en difficultés par les services départementaux sur le territoire national, ce qui représente un coût finalement plus important pour les finances publiques.

2.   La Caisse des Français de l’étranger remplit une mission de service public et offre un coût d’accès réduit pour ses adhérents les plus modestes

La Caisse des Français de l’étranger (CFE) est un organisme de sécurité sociale de droit privé chargé d’une mission de service public. La CFE assure la continuité des droits avec le système français de Sécurité sociale. À leur retour en France, ses adhérents réintègrent immédiatement leur régime de protection sociale, ce qui n’est pas le cas avec les sociétés d’assurance privées.

Pour ses adhérents, elle fait office à la fois de caisse d’assurance maladie, par son offre d’assurance santé, de caisse de retraite ainsi que d’assurance contre les risques professionnels. En 2022, elle couvrait plus de 175 000 personnes à travers le monde.

Son autonomie l’oblige à tirer ses seules ressources des cotisations de ses adhérents. Elle perçoit néanmoins un concours de l’État au titre du financement d’un dispositif d’allégement de cotisation pour les Français de l’étranger les plus modestes. Son caractère d’organisme de sécurité sociale investi d’une mission de service public dans un milieu concurrentiel interroge sa pérennité et la viabilité de son modèle économique.

a.   La catégorie aidée est un dispositif imposé à la CFE dont le concours de l’État est très insuffisant

Chaque loi de finances initiale dote le programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires de 380 000 euros au titre de la participation de l’État au financement de la « catégorie aidée » de la Caisse des Français de l’étranger (CFE). Grâce aux redéploiements en cours de gestion, ce concours est généralement plus élevé. Il était de 547 000 euros en moyenne au cours des dix dernières années et a été de 700 000 euros en 2023.

évolution du concours de l’état au titre de la catégorie aidée de la cfe depuis dix ans

(en million d’euros)

Source : RAP 2024-2023.

La CFE étant reconnue comme un organisme de sécurité sociale de droit privé chargé d’une mission de service public, elle a l’obligation d’équilibrer ses comptes. La CFE tire en effet ses ressources des seules cotisations de ses adhérents.

Cependant, la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale a institué un dispositif d’aide à l’accès à cette caisse pour les Français de l’étranger dont les ressources sont inférieures à la moitié du plafond de la sécurité sociale, dite « catégorie aidée ». L’article L. 762-6-5 du code de la sécurité sociale dispose ainsi que « lorsqu’un Français, résident dans un État situé hors de l’Espace économique européen, ne dispose pas de la totalité des ressources nécessaires pour acquitter, à titre d’adhérent individuel, la cotisation [à la CFE], une partie de cette cotisation, […], est prise en charge, à sa demande, par le budget de l’action sanitaire et sociale de la [CFE] ».

En conséquence, l’article L. 766-9 du même code prévoit qu’un concours de l’État participe au financement de ce dispositif qui bénéficie actuellement à près de 3 600 d’adhérents et ayants droit. En 2023, la catégorie aidée représentait un coût de 4,35 millions d’euros pour la CFE. Ainsi, le versement de crédits du programme correspond à un montant de l’ordre de 15 % de la prise en charge de ces bénéficiaires et à moins d’un dixième si l’on prend en compte la seule dotation initiale de 380 000 euros.

Le ministère reconnaît lui-même que « la contribution de l’État ne saurait reposer exclusivement sur le concours au demeurant partiel du MEAE au dispositif social de la catégorie aidée et nécessite ainsi un investissement fort des autorités de tutelle pour assurer une gestion efficace et attractive de la Caisse et conduire les réformes appropriées au niveau légal et réglementaire » ([24]).

Le rapporteur spécial préconise pour sa part d’augmenter de manière importante la participation de l’État au financement de la catégorie aidée.

Recommandation n° 5 : Augmenter le concours de l’État à la Caisse des Français de l’étranger au titre du financement du dispositif de la catégorie aidée.

Par ailleurs, le dispositif de la catégorie aidée ne parvient pas à complètement atteindre son but de couverture des Français les plus modestes. Sa cotisation forfaitaire demeure élevée pour beaucoup d’entre eux (210 euros par trimestre actuellement) et exclut, de fait, une partie importante du public auquel le dispositif était destiné.

b.   À défaut d’un financement public, la pérennité de la CFE est compromise par sa mission de service public

Tous les Français établis hors de France ont le droit d’adhérer à la CFE et ce quels que soient leur situation familiale et professionnelle, leur âge et leur état de santé. Ils sont d’ailleurs admis sans questionnaire médical préalable et aucune exclusion ne peut être opposée pour la prise en charge des frais de santé.

Pour autant, la CFE n’est pas une caisse d’un régime obligatoire. Elle intervient dans un marché où elle est en concurrence avec des assurances et des mutuelles privées qui ne sont pas soumises aux obligations qui lui incombent et peuvent proposer des produits plus avantageux à des adhérents.

Ce constat interroge dès lors la viabilité du modèle économique de la CFE à défaut d’un financement public ou de l’affectation d’un prélèvement obligatoire.

Le budget de la CFE se trouve actuellement dans un équilibre précaire. Ses représentants affirment que : « En 2022, hors risque vieillesse, la CFE a appelé 151,6 millions d’euros de cotisations, mais elle a versé 150,2 millions d’euros de prestations. Le faible écart entre ces deux chiffres aboutit à un résultat technique assurantiel insuffisant pour financer le fonctionnement de la CFE et ses missions de service public comme le dispositif de catégorie aidée. La problématique est particulièrement forte dans le domaine de la santé, du fait de l’inflation du prix des soins. En 2022, la Caisse a ainsi versé 6 millions d’euros de remboursements maladie de plus qu’elle n’a appelé de cotisations maladie » ([25]).

Il est rappelé que la CFE est aujourd’hui le seul organisme de couverture sociale dont dispose potentiellement l’ensemble des Français établis hors UE. Son maintien et son financement sont une question essentielle pour les Français établis hors de France.

La DFAE reconnaît que « la situation financière de la CFE soulève effectivement une interrogation marquée de soutenabilité à long terme au regard de son modèle économique actuel ». Le ministre et le ministre délégué chargé des Français de l’étranger ont conjointement saisi le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que la ministre du travail, de la santé et des solidarités pour qu’une mission d’inspection soit conduite afin de permettre « de dresser un état des lieux et de faire des recommandations en termes de gouvernance, de réforme structurelle et le cas échéant de moyens ».

Le rapporteur spécial est favorable à ce que la CFE puisse bénéficier d’une partie des prélèvements sociaux qui servent au financement de la protection sociale sur le territoire national afin de compenser le coût de cette mission de service public confiée à cet organisme.

Recommandation n° 6 : Affecter une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG) à la Caisse des Français de l’étranger.

II.   Les bourses scolaires doivent permettre aux enfants de nos compatriotes d’accéder à notre réseau d’enseignement à l’étranger

Les politiques d’action sociale à l’égard des Français de l’étranger s’incarnent également dans les aides à la scolarité de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), principal opérateur de la mission Action extérieure de l’État. Ces aides sont essentiellement destinées à garantir l’égal accès des enfants français à notre système d’enseignement à l’étranger qu’il s’agisse des exonérations de tout ou partie des frais de scolarité ou du financement des accompagnants des élèves en situation de handicap.

Par leur montant, les bourses de l’AEFE représentent la dépense sociale la plus importante de la mission Action extérieure de l’État (105,75 millions d’euros en 2023). Elle constitue plus du quart des crédits du seul programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires.

Malgré le but affiché, force est de constater que ces aides sont loin de permettre la scolarisation de l’ensemble de nos jeunes compatriotes issus de milieux modestes.

A.   les exonérations de droits de scolarité pour les familles françaises les plus modestes sont censées garantir l’égal accès à l’éducation à l’étranger

Les aides à la scolarité ont pour but de permettre aux familles françaises modestes d’inscrire leurs enfants dans le réseau français d’enseignement à l’étranger au sein duquel la scolarité est payante, contrairement aux écoles, collèges et lycées publics sur le territoire national.

Les bourses de l’AEFE prennent la forme de dispenses de tout ou partie du paiement de l’inscription dans ces établissements. Elles sont calculées en fonction des ressources des familles mais aussi du coût relatif de la vie dans le pays de résidence.

1.   L’AEFE permet la scolarisation dans le système français d’enseignement à l’étranger

Le réseau d’enseignement français à l’étranger offre la possibilité aux familles des Français établis hors de France de scolariser leurs enfants dans un établissement appliquant les programmes de l’Éducation nationale et délivrant les diplômes et certifications en vigueur sur notre territoire quand bien même elles résident à l’étranger.

L’inscription dans les établissements de ce réseau n’étant pas gratuite, l’AEFE peut accorder des exonérations totales ou partielles aux familles en fonction de leurs ressources et du coût relatif de la vie dans le pays d’accueil par rapport au pays d’origine.

a.   Le réseau de l’AEFE est composé de plusieurs catégories d’établissement

L’AEFE est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre de l’Europe et des affaires étrangères qui est chargé « d’assurer en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l’éducation », conformément à l’article L. 452‑2 du code de l’éducation.

Le réseau d’enseignement français à l’étranger, que l’AEFE coordonne, comptait 580 établissements à la rentrée scolaire de septembre 2023 répartis dans 139 pays à travers le monde. Un peu plus d’un dixième d’entre eux (68) sont directement gérés par l’AEFE, les autres sont des structures conventionnées (28 %) ou des écoles partenaires (61 %).

Ils scolarisent actuellement 391 000 élèves dont environ un tiers est français.

b.   Les droits de scolarité s’élèvent en moyenne à près de 6 000 euros par an

L’inscription dans le réseau d’enseignement français à l’étranger est payante, y compris dans les établissements en gestion directe (EGD). D’après les données transmises au rapporteur spécial lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, le montant moyen des droits de scolarité s’élevait à 5 889 euros par enfant pour l’année scolaire 2022-2023. Le rapporteur spécial observe que ces frais ont augmenté de 42,3 % en une dizaine d’années.

 

évolution des droits de scolarité dans le réseau aefe depuis dix ans

(en euros)

Source : réponses au questionnaire budgétaire (projet de loi de finances pour 2024).

Le coût d’une inscription dans un établissement du réseau varie selon la nature de l’établissement et sa zone géographique.

droits moyens de scolarité par catégorie d’établissement en 2022-2023

(en euros)

 

EGD

Conventionnés

Partenaires

Toutes catégories

Afrique

3 942 €

4 350 €

3 657 €

3 870 €

Amérique

4 971 €

6 659 €

22 571 €

12 174 €

Asie-Océanie

8 050 €

8 126 €

3 796 €

5 354 €

Europe

6 205 €

5 710 €

6 103 €

6 029 €

Monde

5 167 €

6 295 €

5 942 €

5 889 €

Source : réponses au questionnaire budgétaire (projet de loi de finances pour 2024).

c.   La mission Action extérieure de l’État alloue près de 550 millions d’euros de crédits à l’AEFE dont 106 millions d’euros au titre des aides à la scolarité

Principal opérateur de la mission Action extérieure de l’État, sa subvention pour charges de service public (SCSP) s’est élevée à 439,36 millions d’euros en 2023. Les crédits de cette dotation sont inscrits sur le programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence.

À cette subvention s’ajoute le transfert des aides à la scolarité en provenance du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires (cf. ci-après) dont le montant était de 105,75 millions d’euros en 2023.

Les crédits alloués par ces deux programmes de la mission Action extérieure de l’État représentaient un peu moins de la moitié des ressources de l’établissement public en 2023 (1,17 milliard d’euros).

2.   Les aides à la scolarité sont principalement composées des bourses scolaires mais aussi de la prise en charge des accompagnants d’élèves en situation de handicap

L’essentiel des crédits destinés aux aides à la scolarité couvre les exonérations complètes ou non des frais d’inscription dans le réseau AEFE. Ces « bourses » sont accordées par l’établissement public à l’issue d’un processus qui fait intervenir plusieurs instances aux niveaux central et consulaire.

Une petite partie des crédits dédiés à l’aide à la scolarité relève du paiement des heures de travail des accompagnants d’élèves en situation de handicap.

a.   Les exonérations de droits de scolarité sont accordées par l’AEFE en fonction des ressources des familles et du coût relatif de la vie

L’article L. 452‑2 du code de l’éducation dispose également que l’AEFE est chargée « d’accorder des bourses aux enfants de nationalité française scolarisés dans les écoles et les établissements d’enseignement français à l’étranger ».

Ces bourses prennent la forme d’exonérations totales ou partielles de droits de scolarité. C’est la raison pour laquelle les crédits d’intervention qui y sont destinés sont transférés à l’AEFE par le programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires. Le rapporteur spécial est favorable à une évolution sémantique concernant ce dispositif. Le terme de « bourse » peut laisser penser que les familles perçoivent une somme d’argent de la part du MEAE, à l’instar des bourses nationales et de l’allocation de rentrée scolaire sur le territoire français. Les aides à la scolarité de l’AEFE sont en réalité un mécanisme d’atténuation, voire d’exemption des frais d’inscription mis à la charge de l’État.

Recommandation n° 7 : Substituer à la dénomination de « bourses » l’appellation « exonérations de droits de scolarité ».

En application de l’article D. 531‑45 du code de l’éducation, les quotités d’exonération sont proposées par des commissions locales, dont les attributions sont exercées par les conseils consulaires (cf. supra) et attribuées par l’AEFE après avis de la commission nationale des bourses (CNB).

La commission nationale des bourses

En application de l’article D. 531‑50 du code de l’éducation, la CNB est présidée par la directrice de l’AEFE. Elle comprend :

– un représentant de la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (DGM) du MEAE ;

– un représentant de la direction générale de l’administration et de la modernisation (DGAM) du MEAE ;

– un représentant de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE) du MEAE ;

– un représentant de la délégation aux relations européennes et internationales et à la coopération (DREIC) du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse ;

– un représentant de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) ;

– un représentant de l’inspection générale des affaires étrangères (IGAE) ;

– deux membres de l’AFE ;

– trois représentants d’organisations syndicales représentatives d’enseignants ;

– quatre représentants d’associations de parents d’élèves ;

– deux représentants des organismes de gestion d’établissements scolaires français à l’étranger :

– deux représentants d’associations de Français de l’étranger.

La CNB se réunit deux fois par an pour donner son avis sur les propositions des commissions locales des bourses et proposer à l’AEFE une répartition de l’enveloppe annuelle des crédits alloués.

Les exonérations de frais de scolarité sont calculées en prenant en compte les ressources et les charges des familles. Un quotient familial est ainsi établi puis pondéré par un indice de parité de pouvoir d’achat (IPPA) fonction de la ville de résidence, fondé sur le coût relatif de la vie par rapport à la capitale française (cf. infra).

calcul des bourses de l’AEFE

Ressources brutes (Rb)

Toutes les ressources de quelque nature qu’elles soient

Avantages (Av)

Avantages en nature, revenus mobiliers et immobiliers

Charges déductibles (Ch)

Cotisations sociales obligatoires, impôts sur le revenu, pensions alimentaires

Revenu net (Rn)

Rb + Av - Ch

Ensemble des frais de scolarité (Fs)

Frais annuels de scolarité, frais de première inscription, frais d’inscrption annuelle

Revenu de référence

Rn - Fs

Nombre de parts (P)

Composition du foyer familial

Quotient familial (Q)

R / P

Quotient familial pondéré (Qp) par l’IPPA

Q x 100 / IPPA

Quotité d’exonération

(1-((Qp – 3 000) / (23 0000 – 3 000))) x 100

Source : AEFE.

Si ce quotient familial pondéré est inférieur ou égal à 3 000 euros, l’exonération des droits d’inscription est complète. S’il est supérieur ou égal à 23 000 euros, aucune exemption n’est attribuée. Entre ces deux montants, l’exonération est partielle, proportionnellement au quotient pondéré. Si ce dernier est par exemple de 8 000 euros, les frais de scolarité sont réduits des trois-quarts, s’il est de 13 000 euros, ils le sont de moitié, pour 18 000 euros, ils ne le sont que d’un quart.

quotité d’exonération de droits de scolarité
par rapport au quotient familial pondéré

Source : commission des finances.

Les services consulaires apprécient donc la situation familiale du demandeur et les ressources de la famille au regard du barème d’attribution. Ils doivent tenir compte de son patrimoine mobilier et immobilier et s’assurer de la compatibilité des revenus déclarés et du niveau de vie de la famille. Une enquête sociale, prenant la forme d’une visite à domicile, peut être diligentée à tout moment.

Environ 20 % des élèves français bénéficient d’une bourse de l’AEFE. En 2023, le MEAE recensait 23 790 boursiers (année scolaire 2022-2023 pour le rythme nord et année scolaire 2023 pour le rythme sud ([26])).

b.   Depuis 2021, la rémunération des accompagnants d’élèves en situation de handicap peut être prise en charge par l’AEFE sans condition de ressources

Outre les bourses, les aides à la scolarité comprennent aussi le financement des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). En application de l’article L. 917‑1 du code de l’éducation, ces personnels exercent des fonctions d’aide à l’inclusion scolaire de ces élèves, y compris en dehors du temps scolaire.

Conformément à l’article L. 452‑2 du code de l’éducation, il appartient à l’AEFE de « veiller au respect de l’école inclusive envers les élèves à besoins éducatifs particuliers ».  Dans le réseau d’enseignement français à l’étranger, les AESH sont recrutés et rémunérés directement par les familles. À ce titre, elles peuvent demander la prise en charge de la rémunération de l’accompagnant par l’AEFE. Depuis la rentrée 2021, ce soutien n’est plus conditionné au fait que l’élève soit déjà boursier ([27]). Il ne s’effectue donc plus sous condition de ressources.

En 2023, le montant de l’aide pour le recrutement d’un AESH s’est élevé à 1,31 million d’euros et a bénéficié à 250 élèves.

L’aide est d’abord versée aux établissements qui la reversent ensuite aux familles bénéficiaires. Elle est calculée sur la base du taux horaire figurant dans la convention d’accompagnement à condition que celui-ci soit « raisonnablement établi en fonction des usages de rémunération locaux » comme le précise l’AEFE. À défaut, l’agence peut appliquer un plafonnement.

Le rapporteur spécial rappelle que l’aide à la scolarité des enfants en situation de handicap consiste à rembourser aux parents la rémunération d’un AESH. En conséquence, ce système peut exclure les familles les plus modestes qui n’ont pas la possibilité d’avancer les frais. L’AEFE préconise d’ailleurs aux établissements de son réseau de reverser le montant de l’aide que progressivement et sur attestation de l’AESH que son salaire lui a bien été versé.

Recommandation n° 8 : Instaurer un système de tiers payant des AESH ou, à défaut, verser les aides à la scolarité des enfants handicapés en amont du paiement des accompagnants.

B.   un système qui ne garantit plus l’accès de tous les élèves français à notre réseau d’enseignement à l’étranger

La tendance à l’augmentation continue des droits de scolarité à travers le monde, à la stagnation du budget alloué aux bourses scolaires et à la diminution régulière du nombre de boursiers semble indiquer que le MEAE et l’AEFE ne sont pas en mesure de garantir l’accès de tous les enfants français à leur système d’enseignement à l’étranger.

Le rapporteur spécial plaide pour plusieurs réformes visant à réduire le reste à charge des familles et à leur offrir de la visibilité tout au long de leur parcours scolaire.

1.   Des moyens qui stagnent, un nombre de boursiers qui diminue

L’analyse de l’exécution des crédits destinés aux aides à la scolarité témoigne d’une tendance à la baisse du nombre de familles bénéficiant d’exonérations de droits alors que l’enveloppe globale des bourses n’évolue guère.

a.   En prenant en compte l’apurement progressif de la soulte de l’AEFE, les crédits alloués aux bourses scolaires ont peu évolué

En 2023, les crédits exécutés au titre de l’action 2 Accès des élèves français au réseau AEFE se sont élevés à 105,75 millions d’euros dont la quasi-totalité relève des bourses scolaires (104,44 millions d’euros), le reste étant le financement des AESH (cf. ci-avant).

La loi de finances pour 2024 a, quant à elle, alloué 118 millions d’euros de crédits aux bourses scolaires, la hausse affichée devant permettre de « répondre à la hausse des droits de scolarité et des bourses parascolaires dans une situation économique dégradée et un contexte inflationniste » ([28]). Pour le rapporteur spécial, ce rebasage résulte essentiellement de la prise en compte de l’apurement de la soulte de l’AEFE, à hauteur de 14,09 millions d’euros en 2023. Jusqu’à cette année, l’établissement public disposait en effet d’un excédent de trésorerie qui a été mobilisé pour réduire la dotation du MEAE au titre des aides à la scolarité.

De plus, le rapporteur spécial s’inquiète des conséquences du décret n° 2024124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits. S’il ressort du contrôle sur pièce et sur place qu’il a effectué à la direction des affaires financières du MEAE que les crédits annulés relèvent d’une partie de la réserve de précaution, le rapporteur spécial redoute un rebasage à la baisse pour les années à venir dans un contexte de déficit public élevé.

En tenant compte de la consommation de la soulte, l’évolution des moyens alloués au financement des exonérations totales ou partielles de droit de scolarité est stable. Eu égard à l’évolution du coût de la scolarisation, le rapporteur spécial constate une stagnation manifeste du budget des bourses de l’AEFE.

évolution de l’exécution des crédits de paiement de l’action 02 accès des élèves français au réseau aefe du programme 151 français à l’étranger et affaires consulaires depuis dix ans

(en nombre de boursiers à gauche, en millions d’euros à droite)

Source : RAP 2014-2023.

b.   Le nombre de boursiers diminue d’année en année

Au cours des dix dernières années, le nombre de boursiers a baissé de 8 % alors que les crédits alloués à l’aide à la scolarité n’ont guère évolué, hors période de la crise sanitaire. Pour le rapporteur spécial, ceci est la conséquence directe de la progression des droits de scolarité.

De plus, il faut rappeler que les exonérations ne sont accordées que dans la limite des crédits alloués au dispositif, ce qui implique que, d’une année à l’autre, à quotient familial inchangé, le niveau de prise en charge des droits de scolarité peut évoluer.

D’ailleurs, précisément dans le but de « contenir les besoins exprimés au niveau mondial dans la stricte limite des crédits disponibles, la quotité théorique de bourse attribuée aux familles, bénéficiant d’une [exonération] partielle, est diminuée d’une contribution progressive de solidarité (CPS) qui ne concerne pas les familles [totalement exonérées] », comme le rappelle l’AEFE. Cette contribution est passée de 2 % à 7 % depuis la rentrée scolaire 2023. Pour le rapporteur spécial, une telle contribution est particulièrement regrettable dans la mesure où elle fait porter une partie du financement des bourses sur les boursiers eux-mêmes.

Recommandation n° 9 : Supprimer la contribution progressive de solidarité.

Le rapporteur spécial craint qu’un nombre important de familles ne scolarisent plus leurs enfants dans le réseau d’enseignement français, par manque de visibilité et faute de pouvoir en supporter le coût.

Il faut savoir qu’environ 456 000 mineurs de nationalité française (de 3 à 18 ans) sont inscrits au registre des Français établis hors de France à travers le monde. Or, le nombre d’élèves français scolarisés dans le réseau de l’AEFE atteint à peine 120 000.

Bien que le choix du système d’enseignement obéisse à des logiques qui ne se limitent pas à la seule prise en compte du coût de la scolarité et que le réseau d’établissements français ne soit pas suffisamment dense, le caractère onéreux de la scolarisation dans le système français d’enseignement à l’étranger explique sans doute en partie que cette proportion soit aussi basse.

2.   Une réforme du système de bourses scolaires doit modifier le calcul de l’IPPA et instaurer un « bouclier tarifaire »

À défaut d’une réforme structurelle du système des aides à la scolarité dans le réseau de l’AEFE qui nécessiterait un plus grand investissement de l’État afin de réduire les droits de scolarité et d’augmenter les quotités d’exonération, le rapporteur spécial est favorable à plusieurs pistes de réforme paramétrique visant, d’une part, à corriger la prise en compte du coût de la vie de la ville de résidence ainsi qu’à limiter le reste à charge des familles qui choisissent de scolariser leurs enfants dans le système français d’enseignement à l’étranger.

a.   L’IPPA est un indicateur du coût relatif de la vie qui n’est pas pertinent pour le calcul des bourses de l’AEFE

Le calcul des exonérations de droits de scolarité prend en compte un quotient familial pondéré par un indice de parité de pouvoir d’achat (IPPA) fonction de la ville de résidence.

L’IPPA est calculé par le MEAE à partir des données fournies par l’entreprise Mercer dans le cadre d’un marché public. Ces données comprennent :

– un indice du coût de la vie, calculé à partir de la comparaison de relevés de prix de biens et de services représentatifs à Paris (base 100) et dans la ville de résidence ;

– un indice de coût du logement, fixé à partir de la comparaison du coût moyen des catégories d’habitation à Paris (base 100) et dans la ville de résidence.

L’IPPA est constitué à 70 % de l’indice de coût de la vie et à 30 % de l’indice de coût du logement. Il est pondéré en fonction du taux de change entre l’euro et la monnaie locale.

La variation de l’IPPA a un impact mécanique sur le montant des bourses de l’AEFE. Son augmentation diminue la capacité contributive des familles et donc augmente la quotité d’exonération de la bourse attribuée. Inversement, un IPPA en baisse conduit à l’augmentation du quotient familial pondéré et donc à une diminution du niveau d’exonération des droits de scolarité.

Le rapporteur spécial observe que la baisse de l’IPPA dans un certain nombre de villes, principalement en Afrique et en Asie a conduit à réduire le nombre de bourses attribuées en 2024 et à faire baisser le niveau d’exonération, ce qui a suscité d’importantes inquiétudes parmi les familles.

Le MEAE explique que cette baisse généralisée « fait suite à une actualisation par l’agence Mercer Consulting de la méthode de calcul des indices de coût de la vie et de coût du logement fournis » ([29]). Il précise que l’entreprise « a procédé d’une part à une mise à jour du contenu du panier de biens et de services servant au calcul de l’indice de coût de la vie, en substituant à des biens et services devenus obsolètes de nouveaux biens et services reflétant davantage les modes de consommation actuelles, d’autre part à une prise en compte des charges courantes (eau, gaz, électricité, internet) plus fidèle à la réalité de la consommation des ménages au niveau local ».

Le rapporteur spécial considère que la construction de l’IPPA est inadaptée pour pondérer le quotient de ressources des familles qui sollicitent une bourse de l’AEFE. Il ressort des échanges qu’il a eu avec l’entreprise Mercer que les deux indices avec lequel il est construit ont été conçus pour les expatriés, qu’ils soient agents publics ou salariés du secteur privé.

En effet, la logique de l’IPPA est de déterminer le coût relatif (et non absolu) de la vie à l’étranger par rapport à un niveau et à une qualité de vie donnés à Paris. Il permet ainsi à un employeur d’estimer le montant de la rémunération et d’éventuelles indemnités pour compenser le coût de l’expatriation de ses employés. Dès lors, une hausse ou une baisse de l’IPPA ne reflète que l’évolution de la différence de niveau de vie entre la capitale française et la ville de résidence à l’étranger et non l’évolution en valeur absolue du coût de la vie pour les résidents d’un pays étranger à proprement parler. Or la communauté française à l’étranger y est installée de façon durable. Plus de 1,2 million de Français inscrits sont depuis plus de 5 ans dans la même circonscription consulaire d’après les chiffres rendus publics par le MEAE.

Le rapporteur spécial considère qu’il serait plus pertinent de prendre en compte un indice basé sur l’inflation constatée, indice qui évaluerait mieux l’évolution du revenu disponible des familles françaises à l’étranger. Il ressort de son audition de Mercer que le MEAE pourrait faire évoluer le cahier des charges du marché sans accroître de manière importante le coût de cette prestation de fourniture de données.

À cet égard, l’effet de la mise à jour du panier représentatif de biens et de services dans plusieurs pays asiatiques et africains est particulièrement éloquent quant aux limites de cet outil dans l’estimation des ressources des familles.

Recommandation n° 10 : Utiliser les données fournies par l’entreprise Mercer pour établir un indice du coût de la vie dans le pays de résidence qui ne soit pas corrélé à l’évolution relative de ce coût par rapport à celui à Paris.

b.   Le reste à charge pour les familles doit être contenu

Au-delà de la question de la prise en compte du coût de la vie dans un pays donné, le rapporteur spécial considère qu’une réforme des bourses devrait s’attacher à réduire davantage le reste à charge pour les familles.

Lors de l’examen des projets de loi de finances pour 2023 et pour 2024, le rapporteur spécial avait présenté un amendement visant à instaurer une sorte de bouclier tarifaire. L’idée serait que les familles les plus vulnérables puissent toujours bénéficier d’une exonération complète des droits de scolarité. Le reste des familles pourrait se voir garantir de ne jamais avoir à consacrer plus de 20 % de leurs revenus à l’inscription dans un établissement du réseau de l’AEFE.

Recommandation n° 11 : Modifier le paramètre de calcul des quotités partielles d’exonération de droit de scolarité de manière à ce que le coût ne dépasse pas 20 % du revenu disponible des familles.

La mise en place d’un tel « bouclier tarifaire » permettrait de prendre en compte la réalité de la situation de familles dont les revenus les excluent aujourd’hui du système de bourses, mais dont la part de revenus qu’ils doivent consacrer à la scolarisation est aujourd’hui trop importante pour permettre de maintenir leurs enfants dans le système français. Le maintien est d’autant plus difficile que les augmentations que connaissent les frais de scolarité certaines années introduit un élément d’incertitude supplémentaire qui décourage certains parents français à inscrire leurs enfants dans le réseau d’écoles françaises à l’étranger. Comme indiqué plus haute, le rapporteur spécial estime que le coût de la scolarisation est l’un des principaux facteurs du taux relativement faible d’enfants français à l’étranger scolarisés dans le réseau de l’AEFE.

Une alternative moins ambitieuse à cette réforme proposée par le rapporteur spécial pourrait consister à maintenir la quotité d’exonération déterminée lors de la première inscription jusqu’à la fin de la scolarité dans l’établissement, à moins d’une évolution substantielle des revenus de la famille. L’idée serait d’enlever l’incertitude qui freine la scolarisation d’enfants français dans le système d’enseignement de l’AEFE et garantissant un niveau de bourse au-delà des évolutions de l’IPPA, de la CPS ou encore du budget alloué aux bourses. À revenu inchangé, une famille aurait la certitude d’une prise en charge de tout ou partie des frais de scolarité.

Recommandation n° 12 : Assurer aux familles d’élèves boursiers le maintien de leur quotité d’exonération, à revenus inchangés, tout au long de la scolarité.

De manière générale, le rapporteur spécial considère que l’enjeu d’une réforme du système de bourse va au-delà de la mission de service public confiée à l’AEFE. Elle doit assurer la pérennité de notre modèle d’enseignement à l’étranger qui représente un élément majeur de notre politique d’influence à l’international. Pour le rapporteur spécial, il est évident que nos établissements à l’étranger ne pourront être attractifs pour tous qu’à condition de parvenir à tout le moins à attirer les familles françaises.

 


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion de 17 heures, le mardi 4 juin 2024, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, 11a entendu M. Karim Ben Cheikh, rapporteur spécial des crédits de la mission Action extérieure de l’État, sur son rapport d’information sur les dépenses d’action sociale destinées aux Français de l’étranger.

M. Karim Ben Cheikh, rapporteur spécial. Pour cette édition 2024 du printemps de l’évaluation, j’ai choisi d’exercer mes pouvoirs de rapporteur spécial sur les dépenses d’action sociale destinée aux Français de l’étranger, sujet important à plusieurs titres.

Premièrement, l’action sociale correspond à pratiquement l’ensemble des dépenses d’intervention portées par le programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires, soit 125 millions d’euros, dont 106 millions d’euros pour les aides à la scolarité et une quinzaine de millions d’euros pour les aides sociales au sens strict.

Ce sujet est au cœur de l’actualité pour nos compatriotes installés à l’étranger. À la suite de la mobilisation de plus d’une centaine de conseillers des Français de l’étranger, avec seize autres parlementaires représentant les Français établis hors de France, nous avions écrit à la présidente de notre Assemblée ainsi qu’au président du Sénat un courrier les appelant à saisir le gouvernement et l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), afin d’organiser des assises de la protection sociale des Français établis hors de France. Vous avez annoncé devant l’AFE, au mois de mars, la tenue de ces assises pour bientôt. J’espère que nous autres, députés et sénateurs, ne manquerons pas d’être associés à l’organisation et au déroulement de ces assises, et que ce rapport ainsi que d’autres travaux et contributions, notamment du monde associatif pourront être utiles et nourrir cette concertation.

Enfin, ce sujet me tient à cœur, car je défends inlassablement une forme de continuité territoriale entre notre pays et ses concitoyens partout dans le monde. Les Français de l’étranger sont des concitoyens à part entière et ont le droit à ce titre de bénéficier de la solidarité nationale lorsqu’ils en ont besoin. Je rappelle à cet égard que le code de l’action sociale et des familles prévoit explicitement que nos compatriotes âgés ou handicapés, de même que l’ensemble des Français de l’étranger en difficulté, doivent pouvoir bénéficier de secours et d’aides sur le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

De même, le code de l’éducation confie à l’AEFE la tâche d’assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l’éducation et, à ce titre, d’aider les familles à supporter les frais de scolarité accordant des exonérations totales ou partielles de droits d’inscription. Les actions menées à l’égard des Français de l’étranger les plus vulnérables passent d’abord par des aides directes. En application des instructions ministérielles, les consulats sont conduits à verser ces allocations sociales qui, pour certaines, trouvent leur équivalence dans des prestations sociales servies sur le territoire national et pour d’autres, sont propres à l’aide sociale destinée aux Français établis hors de France. Ces aides ont été modestes – un peu moins de 15 millions d’euros en 2023 – et ont concerné un peu plus de 4 200 bénéficiaires. Je rappelle à ce titre que 1,7 million de nos compatriotes sont inscrits au registre des Français établis hors de France et que le ministère estime qu’ils sont en réalité plus de 2,5 millions à vivre hors de nos frontières.

Les aides sociales concernent donc 0,17 % d’entre eux. À titre de comparaison, les seules aides sociales versées par les départements concernent 6,4 % de la population française. Ensuite, bien que prévus par les textes que je viens de citer, leur montant et leurs critères d’éligibilité ne reposent sur aucune base législative et réglementaire. Leur mise en œuvre relève de mesures gracieuses du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Pour ma part, je suis favorable à un encadrement de ces allocations afin d’harmoniser, d’une part, les pratiques entre les différents postes consulaires dans le monde ; et de mieux encadrer, d’autre part, les pratiques d’une administration contrainte de gérer la rareté.

Ainsi, j’ai pu constater que le calcul des taux de base des allocations sociales demeure flou et que, plutôt que de répondre à des préoccupations de fluctuations de pouvoir d’achat, il devient trop souvent un instrument de gestion de la contrainte budgétaire, comme en a témoigné cette année la proposition de baisse uniforme de l’ensemble des taux de base, alors même que le pouvoir d’achat de nos compatriotes les plus vulnérables diminue partout dans le monde.

Un encadrement de ces aides sociales permettrait aussi de favoriser l’égalité entre Français de France et Français de l’étranger. À titre d’exemple, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ne peut être versée que pour un taux d’incapacité minimale de 80 % à l’étranger, alors qu’en France, elle peut l’être dès 50 %. De même, la non-prise en compte du revenu du conjoint doit être appliquée à l’étranger. Pourtant, si les instructions ministérielles indiquent bien que les revenus des conjoints ne doivent plus être pris en compte, elles précisent également que les demandes devront être examinées en fonction de l’aide et des moyens des membres de la famille, présents ou non dans le pays.

Par ailleurs, il convient également de parler du financement indirect de l’action sociale via des partenaires associatifs comme les organismes locaux d’entraide et de solidarité à l’étranger, qui réalisent un travail considérable, au point que leur subvention à hauteur d’un peu plus de 1 million d’euros vient parfois pallier les carences des budgets des postes consulaires. À Madagascar, notre consulat doit par exemple gérer l’extrême pauvreté de nos compatriotes et même des cas de dénutrition d’enfants français.

Un autre financement indirect important est celui de l’accès à la Caisse des Français de l’étranger, dont le dispositif de catégorie aidée permet à un peu plus de 2 000 compatriotes vulnérables de s’acquitter de cotisations réduites. Or ce dispositif créé par la loi du 17 janvier 2002 coûte à lui seul plus de 4 millions d’euros à la CFE qui, en retour, ne perçoit qu’un modeste concours de l’État de 380 000 euros. En 2023, il a pu être porté à 700 000 euros grâce à des redéploiements, mais nous restons très loin d’une compensation digne de ce nom.

Dès lors, le dispositif demeure coûteux. L’affiliation à la catégorie aidée de la CFE coûterait ainsi près de 40 % de son revenu à un compatriote habitant à Madagascar, qui aurait pour unique revenu son allocation vieillesse. Je rappelle à ce propos que la CFE est un organisme de sécurité sociale dont l’adhésion est volontaire. Toutefois, sa mission de service public l’oblige à accepter l’affiliation de toute personne sans sélection à l’entrée, dans un contexte concurrentiel. Je ne peux que m’interroger, monsieur le ministre sur la pérennité de ce modèle économique. Quelle est votre position à ce sujet ? Je rappelle que Mme Colonna avait promis à l’automne dernier un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui devait aborder les pistes de financement de la CFE.

L’autre volet de l’action sociale destinée aux Français de l’étranger concerne l’égal accès à l’enseignement français hors de nos frontières. Cette mission est confiée l’AEFE par la loi et passe par l’attribution de bourses scolaires, en réalité des exonérations totales ou partielles de droits de scolarité. Ces droits s’élèvent en moyenne à 5 700 euros. Les crédits consacrés sur le budget du ministère à ces exonérations ont oscillé entre 80 millions d’euros et 100 millions d’euros au cours des dernières années, et les dépenses varient en fonction des possibilités de mobilisation en sus des excédents de trésorerie. En réalité, les dépenses stagnent depuis plusieurs années et j’observe que le nombre de boursiers suit une tendance à la baisse, qui va en s’accentuant.

Nous pouvons déplorer que, comme pour les aides sociales, le budget détermine les besoins, à tel point qu’il a fallu créer une contribution progressive de solidarité, prélevée sur les bourses d’une partie des familles, pour financer l’ensemble du dispositif et garantir l’exonération totale des familles les plus modestes. Actuellement, une partie importante des familles qui voudraient scolariser leurs enfants ne le peuvent plus, souvent parce que le reste à charge demeure trop onéreux, même dans le cas où ils bénéficient d’une bourse. Ainsi, une famille avec deux enfants à charge bénéficiant d’une bourse dite à 50 % à Madagascar, pays où les frais de scolarité sont pourtant considérés comme peu élevés, devra consacrer près de 25 % de son revenu annuel au paiement du reste à charge.

Je note par ailleurs le caractère inadéquat du calcul des ressources, qui repose sur la pondération du quotient familial par un indice de parité de pouvoir d’achat (IPPA), lequel reflète non pas l’évolution du coût de la vie dans le pays de résidence, mais ce que devrait être la compensation de pouvoir d’achat d’un expatrié percevant son revenu en euros et en France. Je plaide donc dans l’immédiat pour la suppression du dispositif actuel et l’instauration d’un nouveau mode de calcul. Un indice plus en lien avec l’objectif de scolarisation des Français établis hors de France pourrait être utilement mis en place. Je plaide également en faveur de la mise en place d’un bouclier tarifaire, pour éviter que le reste à charge ne représente jamais plus de 20 % du revenu des familles.

S’agissant toujours des bourses scolaires, j’ai pu observer des pratiques différentes selon les postes dans l’instruction des demandes de bourses. Les instructions ministérielles demeurent là aussi floues sur plusieurs points. Leur interprétation peut varier d’un poste à l’autre. Je serais donc favorable à une clarification de ces instructions, afin que l’intérêt de l’enfant prime dans les prises de décision.

Je ne peux conclure cette intervention, monsieur le ministre, sans souligner le travail important et remarquable des services d’aide sociale de nos postes à l’étranger. Ce travail demeure pourtant méconnu, comme en témoignent les ressources humaines qui y sont allouées. Il y a aujourd’hui neuf assistantes sociales dans le monde, pour une communauté française évaluée à 2,5 millions de personnes.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité, de la francophonie et des Français de l’étranger. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre travail complet. Je ne suis pas nécessairement d’accord avec l’ensemble de vos conclusions, mais elles ont le mérite d’aborder des sujets importants. La France propose en effet à ses ressortissants de l’étranger une offre sociale unique au monde, aussi bien par la diversité des aides proposées que par son processus d’attribution et les montants très élevés engagés par l’État.

Parmi les dépenses d’action sociale, figurent les aides sociales directes versées aux personnes à titre régulier comme en situation d’urgence, mais aussi des subventions aux organismes d’entraide sociale, précieux relais de l’action de l’État dans le monde entier. Plus largement encore, les dépenses d’action sociale recoupent d’autres champs tels que les investissements dans le réseau AEFE et l’aide à la scolarité, qui contribuent à tisser un lien fort entre la France et les Français de l’étranger, ou encore à travers l’accès modernisé et facilité au service public.

Le budget des affaires sociales est élevé, puisque 21,5 millions d’euros y sont consacrés. De plus, le budget réalisé est supérieur de 6 millions d’euros au budget prévisionnel. Nous sommes le seul pays européen à avoir instauré au profit des Français de l’étranger un système d’aide sociale aussi robuste, au-delà des secours d’urgence et de rapatriement.

Je ne suis pas d’accord avec vous sur le manque d’équité des mesures. Elles sont attribuées de façon gracieuse par le ministère en fonction des moyens budgétaires disponibles, selon un modèle unique au monde. Contrairement à des aides sociales en France qui doivent remplir des critères d’éligibilité, ces aides aux Français de l’étranger n’ouvrent pas un droit automatique. Vous avez évoqué le taux de base. En 2023, il existait un différentiel de 300 000 euros, qui a été en partie comblé par l’utilisation d’un reliquat staff. Nous avons donc veillé à ce que les besoins soient satisfaits.

Ensuite, la France consacre 450 millions d’euros de subventions à l’AEFE pour 580 établissements et 392 0000 élèves, et 116 millions d’euros à des bourses scolaires. Les bourses sont favorables aux enfants, puisque 24 000 élèves français du réseau reçoivent une bourse et presque 50 % d’entre eux sont boursiers à 100 %.  La gestion des bourses s’appuie sur le travail mené sur le terrain par les conseils consulaires des bourses, qui examinent localement les dossiers des familles, avant leur transmission à la commission nationale des bourses. La contribution progressive de solidarité (CPS) a été augmentée, mais elle ne touche que marginalement les boursiers à 80 % et épargne totalement les boursiers à 100 %.

L’indice de parité du pouvoir d’achat pour les bourses scolaires est « alimenté » par l’entreprise Mercer, qui dispose d’une méthode de calcul des indices du coût de la vie et du logement, qu’elle fournit au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous nous efforçons d’améliorer le dispositif et avons demandé à Mercer d’essayer de mieux prendre en compte la situation de chaque zone, ce qui pourrait par ailleurs entraîner des conséquences pour un certain nombre de boursiers.

Nous préparons actuellement les assises de la protection sociale des Français établis hors de France, auxquelles vous serez naturellement associés, au même titre que l’ensemble des acteurs.

M. Karim Ben Cheikh, rapporteur spécial. Pour avoir été moi-même consul général, je sais à quel point ce dispositif est unique. En revanche, il est contestable dans son financement, en raison d’une sous-budgétisation permanente. Ainsi, les aides directes ne s’établissent pas à 21 millions d’euros, mais bien à 15 ou 16 millions d’euros.

Je vous remercie par ailleurs d’avoir soulevé la question des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). Elle est essentielle, car elle porte sur l’accompagnement d’enfants dont les besoins sont particuliers dans les écoles françaises. Or au moment des auditions pour ce rapport, aucun salaire n’avait encore été versé dans le monde. Je connais nombre de parents qui ont en conséquence abandonné et n’emploient plus d’AESH, car ils ne sont pas en mesure de les payer. Neuf mois après la rentrée scolaire, aucune AESH n’est encore prise en charge par l’État.

Je souhaiterais enfin que nous puissions travailler ensemble sur l’IPPA et que les parlementaires soient associés en amont aux assises, dont les réunions préparatoires se déroulent déjà.

M. Franck Riester, ministre délégué. Vous serez naturellement associés à ces assises. Ensuite, j’ai demandé à l’AEFE d’accélérer les versements concernant les AESH. J’ai demandé à l’Igas de conduire une mission pour dresser un état des lieux de la CFE et formuler des recommandations sur sa gouvernance.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Karim Ben Cheikh, rapporteur spécial.


   PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE)

– Mme Pauline Carmona, directrice ;

– M. Grégor Trumel, sous-directeur du budget à la direction des affaires financières (DAF) ;

– Mme Christèle Daviet, cheffe de mission « gestion administrative et financière » ;

– Mme Diane Roeser, cheffe de mission « aide à la scolarité et action sociale ».

 

Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE)

 Mme Claudia Scherer-Effosse, directrice générale ;

– Mme Vanessa Léglise, conseillère relations institutionnelles.

 

Caisse des Français de l’étranger (CFE)

 Mme Isabelle Frej, présidente ;

– M. Éric Pavy, directeur général.

 

Assemblée des Français de l’étranger (AFE)

 Mme Hélène Degryse, présidente ;

– M. Renaud Le Berre, président de la commission des finances, du budget et de la fiscalité.

 

Mercer France

– M. Vincent Harel, président ;

– M. Gordon Zivko, global mobility leader ;

– M. Aloïs Thiant, directeur des relations institutionnelles pour l’Europe de Marsh McLennan.

 

Déplacement à l’ambassade de France à Madagascar (Tananarive)

 M. Arnaud Guillois, ambassadeur ;

– M. Marc Serviès, premier conseiller ;

– M. Patrick Bosdure, conseiller de coopération et d’action culturelle ;

– Dr. Olivier Mounoury, médecin-chef du centre médico-social de Tananarive ;

– Mme Caroline Pasquier, cheffe de chancellerie, consule-adjointe ;

– Mme Nafissatou Ba, cheffe-adjointe du service social ;

– Mme Yolande Popotte, responsable du service des bourses scolaires ;

– M. Jean-Hervé Fraslin, président du conseil consulaire, conseiller des Français de l’étranger,

– M. Jean-Daniel Chaoui, conseiller des Français de l’étranger ;

– M. Houssen Fidaly, conseiller des Français de l’étranger ;

– Mme Geneviève Tadjer-Farajallah, conseillère des Français de l’étranger.

 

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([1]) Article 1er du décret n° 2003‑1377 du 31 décembre 2003 relatif à l’inscription au registre des Français établis hors de France.

([2]) Article 119 de la loi n° 2003‑1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.

([3]) Article 1er dans sa rédaction initiale.

([4]) TA de Paris, 20 décembre 2023, n° 2320374.

([5]) Le décret n° 2003‑1377 du 31 décembre 2003 relatif à l’inscription au registre des Français établis hors de France dispose que, dans chaque circonscription consulaire, ce registre est notamment destiné à « faciliter l’accomplissement de formalités administratives » et d’« accéder à certaines procédures ou à certaines prestations liées à la résidence à l’étranger ».

([6]) Réponses au questionnaire adressé à la DFAE.

([7]) Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède.

([8]) Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse.

([9]) Banque mondiale, Lebanon Economic Monitor (2021): « Lebanon Sinking (to the top 3) ».

([10]) Loi n° 2023‑1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

([11]) Loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

([12]) Sauf au Liban où la baisse s’exprime en valeur absolue (-15 euros).

([13]) Réponses au questionnaire adressé à la direction des affaires financières.

([14]) Relèvent du MEAE les trois programmes de la mission Action extérieure de l’État ainsi que le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement (3,17 milliards d’euros en 2023) de la mission interministérielle Aide publique au développement.

([15]) DREES, L’aide et l’action sociales en France : perte d’autonomie, handicap, protection de l’enfance et insertion, panoramas de la DREES, édition 2022.

([16]) Articles L. 821‑2 et D. 821‑1 du code de la sécurité sociale.

([17]) Loi n° 2020‑992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie et ordonnance n° 2021‑1554 du 1er décembre 2021 relative à la mise en œuvre de la création de la cinquième branche du régime général de la sécurité sociale relative à l’autonomie.

([18]) Réponses au questionnaire.

([19]) De manière exceptionnelle, ce taux peut être de 80 % pour les associations dont le budget global n’excède pas 10 000 euros et dont la demande est inférieure à 3 000 euros.

([20]) MEAE, DFAE, compte-rendu de la réunion de la commission consultative du fonds de STAFE du 15 mars 2024.

([21]) Idem.

([22]) Il s’agit des CMS de Moroni (Comores), Pékin (Chine), Tananarive (Madagascar), gérés directement par leurs postes respectifs, et des CMS de Bangui (Centrafrique), Bujumbura (Burundi), N’Djamena (Tchad), Niamey (Niger) et Ouagadougou (Burkina Faso), gérés par des associations partenaires.

([23]) Ses crédits relevaient jusqu’alors de la mission Santé.

([24]) Réponses au questionnaire adressé à la DFAE.

([25]) CFE, Newsletter, juillet 2023.

([26]) Année scolaire de février à décembre dans plusieurs pays de l’hémisphère sud.

([27]) Circulaire interministérielle du 13 août 2021 (NOR : MENE2121008C) publiée au Bulletin officiel de l’éducation nationale n° 31.

([28]) Projet annuel de performances de la mission Action extérieure de l’État annexé au projet de loi de finances pour 2024.

([29]) Réponses au questionnaire adressé à la DFAE.