N° 541
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2024
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
valant avis sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions,
Radio France, France Médias Monde et de l’Institut national de l’audiovisuel
pour la période 2024-2028
et présenté par
M. Denis MASSÉGLIA,
Député.
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SOMMAIRE
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Pages
I. OBSERVATIONS SUR LES AXES STRATÉGIQUES
A. DES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES AMBITIEUSES dans la continuité des précédents COM
1. Les objectifs du COM de France Télévisions
2. Les objectifs du COM de Radio France
3. Les objectifs du COM de France Médias Monde
4. Les objectifs du COM de l’INA
B. Un Objectif parallèle de rapprochement des structures de l’audiovisuel public
D. UNE RÉFLEXION À MENER SUR LE MODE D’élaboration DES COM
II. OBSERVATIONS SUR LES PLANS D'AFFAIRES ET LES OBJECTIFS DE GESTION
A. UNE TRAJECTOIRE FINANCIÈRE dynamique AUJOURD'HUI REMISE EN CAUSE
1. Une trajectoire financière dynamique correspondant aux ambitions inscrites dans les COM
3. Une baisse notamment due à l’évolution des crédits de transformation
B. Une évolution modérée des ressources propres dans les plans d’affaires
D. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME DU FINANCEMENT DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC AVANT LA FIN DE L'ANNÉE 2025
En application de l’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ([1]), le Parlement a été destinataire des projets de contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre l’État et les sociétés ou établissements de l’audiovisuel public suivants : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), sur lesquels la commission des finances, de l’économie et du contrôle budgétaire a souhaité donner son avis.
Ces projets de COM se situent dans le prolongement des COM précédents, dont ils reprennent certains objectifs. Ils fixent quatre grands axes stratégiques, associés à des projets spécifiques pour chaque opérateur : la transformation numérique, le développement de l’offre pour les jeunes publics, le maintien d’une offre d’information de référence et le renforcement de la proximité.
Ces projets de COM se distinguent cependant par une trajectoire dynamique des dotations accordées aux organismes de l’audiovisuel public : les COM prévoient une augmentation de 255 millions d’euros en 2028 par rapport à 2024 ([2]). Cette trajectoire dynamique des dotations est associée dans les projets de COM à des efforts de gestion et de maîtrise des coûts ainsi que de développement des ressources propres de la part des opérateurs. L’augmentation prévue des dotations a en effet d’abord vocation à accompagner les organismes de l’audiovisuel dans leur transformation et leur adaptation aux défis actuels.
Pour ces organismes, cette trajectoire haussière représenterait un véritable tournant après les efforts importants de gains de productivité et de réorganisation réalisés de 2018 à 2022. Sur cette période, les organismes de l’audiovisuel public (Arte France et TV5 Monde compris) avaient assumé un plan d’économies de près de 190 millions d’euros.
L’engagement de l’État pour une hausse des crédits au sein de ces COM est une marque de confiance dans les opérateurs de l’audiovisuel public et matérialise la reconnaissance de l’importance des missions de service public qu’ils remplissent. Cet engagement résulte également du constat de la nécessité pour ces organismes de se transformer pour s’adapter aux évolutions des technologies et des habitudes de consommation des contenus audiovisuels, ainsi que d’accompagner les rapprochements entre les différentes entités de l’audiovisuel par le développement des coopérations et mutualisations, dans la perspective d’une réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public.
Les projets de COM sont le produit de plus de deux années de négociation entre ces organismes et l’État et représentent à ce titre des documents équilibrés, défendus aujourd’hui par les quatre opérateurs, notamment en ce qui concerne l’engagement financier de l’État.
Toutefois, la trajectoire prévue dans les COM est aujourd’hui remise en cause à plusieurs titres :
– tout d’abord, par l’arrêt des versements des crédits de transformation depuis avril 2024 au moment de la reprise du projet de fusion de l’audiovisuel public et de son abandon à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024. Ainsi, sur les 49 millions d’euros de crédits de transformation devant être versés aux quatre opérateurs en 2024 (le montant initial de 69 millions d’euros ayant été révisé à la baisse par le décret d’annulation du 21 février 2024 ([3])), seuls 19 millions d’euros ont été versés à ce jour. L’annulation du versement des 30 millions d’euros restants devrait être confirmée dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion qui doit être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale ce mercredi 6 novembre 2024 ;
– ensuite, par la révision à la baisse de la trajectoire en 2025. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit en effet de reporter les 30 millions d’euros de crédits de transformation non versés en 2024 sur 2025 (27,2 millions reviendraient à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA, les 2,8 millions d’euros restants étant versés à Arte France) et d’augmenter la dotation « socle » des opérateurs d’environ + 1 %. La trajectoire des COM prévoyait quant à elle une augmentation de la dotation « socle » de 2,5 % en 2025 et le versement de 67 millions d’euros de crédits de transformation pour France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA ;
– enfin, par l’annonce d’amendements gouvernementaux au projet de loi de finances pour 2025 visant des baisses de dépenses supplémentaires, qui réduiraient de 50 millions d’euros les crédits inscrits dans le PLF 2025. Cela reviendrait probablement à supprimer l’intégralité des crédits de transformation prévus en 2025, et à réduire de 20 millions d’euros les dotations « socle » des opérateurs de l’audiovisuel public. À ce jour, la ventilation des annulations de crédits supplémentaires proposée dans l’amendement n° II-1307 du Gouvernement déposé sur la mission Audiovisuel public répartit cette annulation à raison de 30 millions d’euros pour le programme de transformation, à 17,25 millions d’euros pour France Télévisions, 1 million d’euros pour France Médias Monde, 0,84 million d’euros pour TV5 Monde, 0,52 million d’euros pour Radio France, 0,24 million d’euros pour l’INA et 0,14 million d’euros pour Arte France.
Le rapporteur regrette ainsi la révision à la baisse des trajectoires financières prévues par les projets de COM 2024-2028. Si le contexte budgétaire actuel justifie des efforts importants pour réduire les dépenses, il aurait néanmoins été souhaitable que l’État tienne ses engagements vis-à-vis des organismes de l’audiovisuel public. En effet, la crédibilité de la parole de l’État s’en trouve affectée, et l’atteinte des objectifs négociés dans les COM compromise en l’absence des moyens correspondants. Le rapporteur considère par ailleurs que la révision d’une trajectoire financière à peine entamée a des effets dommageables sur le processus de négociation des COM, ainsi que sur la portée des engagements des parties que ces contrats représentent. En effet, la dimension contraignante des COM ne semble aujourd’hui pas suffisante, aussi bien pour les opérateurs concernés que pour l’État.
Le rapporteur aurait donc souhaité que les trajectoires financières prévues dans les projets de COM 2024-2028 soient respectées, afin de préserver un audiovisuel public de qualité, à même de répondre aux défis actuels, ainsi que de garantir la valeur même des COM.
Concernant les objectifs assignés aux opérateurs, le rapporteur se prononce favorablement sur les orientations inscrites dans les projets de COM, rejoignant ainsi l’avis favorable émis par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en juillet 2024 sur les projets de COM de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde ([4]) qui salue « l’actualisation opportune de certaines grandes missions de service public » telles que le soutien à la création artistique et intellectuelle, le maintien d’une offre d’information de référence, l’éducation aux médias et à la citoyenneté numérique ou le rôle de moteur de la cohésion sociale.
Toutefois, le rapporteur note le manque de précision des trajectoires associées à certains indicateurs, qui se contentent souvent d’un maintien ou d’une progression, sans quantification permettant de suivre chaque année l’atteinte des objectifs au cours de la période couverte par le COM, et parfois sans niveau cible à atteindre à la fin de la période. Le rapporteur recommande donc d’établir, lorsque cela est possible, des trajectoires plus précises permettant un suivi annuel de l’atteinte des objectifs fixés par les COM.
Le rapporteur souhaite également signaler l’absence d’objectifs au sein des COM désignés explicitement comme pouvant être financés par les crédits du Programme de transformation, qui étaient présents dans une version antérieure des projets de COM. Ces objectifs en ont été retirés à la suite de la reprise du projet de réforme de l’audiovisuel public dans le but de redéfinir de nouveaux projets financés par les crédits de transformation et participant au rapprochement des opérateurs dans le cadre d’une fusion.
Aussi le rapporteur note-t-il que les projets de COM ne présentent pas suffisamment d’éléments détaillés concernant les rapprochements et les synergies entre les différents opérateurs. Faisant le constat que les objectifs de rapprochements entre opérateurs inscrits dans les précédents COM n’ont pas permis une mise en place rapide des mutualisations, le rapporteur soutient ainsi la mise en place de structures de gouvernance commune pour les projets de rapprochement, qui permettraient des avancées concrètes et rapides « par le haut ».
Le rapporteur regrette également que les COM n’abordent pas la question du dialogue social et souhaite que les organisations syndicales puissent à l’avenir prendre une part plus importante au processus d’élaboration des COM. Les COM ne comportent en effet aucun objectif en matière de qualité de vie au travail et de climat social, alors que ces éléments conditionnent l’atteinte des objectifs du COM. Ainsi, le climat social tendu au sein de France Bleu et France 3 régions, lié à des moyens en retrait par rapport au siège, pourrait mettre à mal la bonne conduite du projet de rapprochement des deux entités dans le « ICI ».
Par ailleurs, le rapporteur, tout en reconnaissant les difficultés liées au contexte de négociation, remarque que la temporalité de l’élaboration des COM ne permet pas au Parlement de se prononcer en temps utile, la période du COM ayant déjà été engagée. En effet, les projets de COM 2024-2028, qui auraient initialement dû être finalisés et transmis en 2023, n’ont été finalement transmis à l’Assemblée nationale que le 18 juin 2024, reproduisant ainsi le même schéma que les avenants pour 2023 aux COM 2020-2022 des sociétés France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, négociés en cours d’année 2023.
Les travaux relatifs aux COM dont la période débute à l’année N devraient donc être lancés en début d’année N-2. Aussi les commissions des affaires culturelles et des finances du Sénat et de l’Assemblée nationale devraient-elles être sollicitées bien plus tôt, afin que leur avis soit pris en compte et puisse participer réellement à l’élaboration des COM. En outre, le Parlement pourrait être davantage associé au suivi et au contrôle de l’exécution des COM.
Au regard des réserves exprimées précédemment, et plus particulièrement de la révision à la baisse des trajectoires financières en 2024 et 2025, le rapporteur propose à la commission d’émettre un avis défavorable aux projets de contrats d’objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Le rapporteur prend acte de la diminution des crédits de l’audiovisuel public et considère qu’il ne peut donner un avis favorable sur des projets de COM qui reposent sur une trajectoire financière aujourd’hui caduque. Ainsi, les moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs assignés aux opérateurs n’étant plus garantis, le rapporteur considère que les projets de COM doivent être révisés en conséquence.
Le rapporteur exige dans un premier temps l’établissement d’une nouvelle trajectoire financière soutenable et soutenue par l’État, qui s’engagerait fermement sur le respect de celle-ci. Dans un second temps, les objectifs initiaux des projets des COM devront être aménagés en concertation avec les opérateurs afin qu’ils correspondent aux moyens qui leur seront accordés. À ce titre, les priorités des prochaines années pourraient être redéfinies.
Par ailleurs, le rapporteur est favorable à une évolution du cadre législatif, afin que les crédits de la dotation « socle » allouée aux organismes de l’audiovisuel public soient versés dans leur intégralité en début d’année. Cette réforme permettrait d’apporter davantage de garanties au respect de la trajectoire des futurs COM et contribuerait à l’indépendance des organismes de l’audiovisuel public car elle rendrait toute forme de régulation infra-annuelle (gel, mise en réserve, annulation de crédits) impossible. Ce changement du mode de versement des crédits de l’audiovisuel public représenterait une perte de trésorerie pour l’État, mais permettrait de compléter la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public sur laquelle l’Assemblée doit se prononcer prochainement et qui prévoit de pérenniser le système actuel d’affectation d’une fraction de TVA (ou d’une autre imposition de toute nature) afin d’éviter une budgétisation. Par ailleurs, cette réforme donnerait plus de poids au vote du Parlement, qui ne pourrait pas être remis en cause en cours d’année par des annulations de crédits.
Cependant, le rapporteur ne souhaite pas que ce mode de versement soit appliqué au Programme de transformation, ce qui reviendrait à supprimer la dimension incitative du versement des crédits du programme. La nouveauté de cet outil de pilotage des investissements créé par la LFI 2024, ainsi que la réduction exceptionnelle des crédits du programme en 2024 ne permettent pas d’avoir le recul nécessaire à l’évaluation de cet outil. Le rapporteur souhaite donc que les crédits du Programme de transformation soient associés à des objectifs clairs, présents dans les COM 2024-2028 modifiés afin de permettre le suivi de la consommation des crédits. En retour, l’État doit s’engager à ce que ces crédits ne soient pas utilisés comme outil de régulation budgétaire infra-annuelle. L’utilité des crédits du Programme de transformation devra alors être réévaluée à l’aune de leur pleine mise en pratique de 2025 à 2027.
I. OBSERVATIONS SUR LES AXES STRATÉGIQUES
A. DES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES AMBITIEUSES dans la continuité des précédents COM
Les objectifs inscrits dans les projets de COM sur la période 2024-2028 reprennent en grande partie les objectifs des précédents COM. Ainsi, le COM 2020-2022 de France Télévisions fixait déjà les objectifs suivants : accélération de la transformation numérique, développement des synergies et des partenariats au sein de l’audiovisuel public, renforcement de la confiance dans l’information, développement d’une offre pour les jeunes publics, soutien à la création audiovisuelle et cinématographique, exemplarité de l’entreprise dans l’ensemble des champs de la responsabilité sociale et environnementale et maîtrise de la masse salariale et optimisation de la gestion pour garantir la soutenabilité économique.
Les projets de COM 2024-2028 s’articulent ainsi autour de quatre grands axes stratégiques, déclinés pour chaque opérateur en fonction de projets spécifiques :
– la transformation numérique ;
– le développement de l’offre pour les jeunes publics ;
– le maintien d’une offre d’information de référence ;
– le renforcement de la proximité.
1. Les objectifs du COM de France Télévisions
Les objectifs fixés par le COM de France Télévisions doivent permettre de réaffirmer la place de l’opérateur comme pôle de confiance et de qualité sur la période du COM, au service des usagers.
Le COM fixe les objectifs principaux suivants :
– la poursuite de la transformation numérique de France TV alors que les environnements délinéarisés se multiplient ([5]), afin de faire de France TV une référence numérique et technologique ;
– le renforcement de la confiance et la lutte contre la désinformation, avec notamment le déploiement d’un acte II de franceinfo, pour renforcer les coopérations avec Radio France et faire gagner en puissance l’offre d’information globale (TV, radio, numérique) du service public, ainsi que la poursuite de l’action en faveur de l’éducations aux médias et à l’information.
– le maintien de la singularité de l’offre de France TV grâce au maintien de son rang de premier financeur de la création (440 millions d’euros pour l’audiovisuel et 80 millions d’euros pour le cinéma chaque année ([6])) et l’intégration de plusieurs indicateurs de diffusion concernant spécifiquement France 2 en matière de documentaire, de cinéma, de fiction et d’offre de magazines politiques, qui doit continuer de porter une offre distinctive et exigeante ;
– le renforcement de l’ancrage de l’offre de proximité de France TV, avec notamment la montée en puissance de la marque commune ICI, pour en faire le premier média à 360° des territoires (télévision, radio, numérique), au plus près des préoccupations des Français. ;
– la reconquête des jeunes publics, au moyen du renforcement de l’offre de programmes dédiés aux moins de 30ans, avec le triplement des dépenses de programmes dédiées sur la période du COM et une adaptation des formats et des canaux de diffusion ;
– l’exemplarité de l’entreprise en matière de gestion financière et de politique sociale et environnementale, avec un objectif de résultat d’exploitation à l’équilibre, un enrichissement de l’information financière sur l’investissement et la trésorerie, un suivi de la masse salariale avec un objectif de maîtrise, un objectif chiffré de développement des ressources propres, ainsi que des exigences élevées en matière de RSE comme la baisse des émissions de gaz à effet de serre, le suivi d’un nouvel indicateur sur les femmes réalisatrices de cinéma et l’ajout d’un nouvel indicateur pour qu’un critère RSE soit intégré à l’ensembles des appels d’offre de France TV.
En matière de transformation numérique en particulier, le plan d’affaires du COM prévoit une montée en charge du budget alloué au numérique, à hauteur de 60 millions d’euros supplémentaires en 2028 par rapport à 2023. Cette augmentation des moyens doit permettre de moderniser la plateforme avec le renforcement de l’interactivité avec les publics grâce à un livechat pour permettre au public de commenter en direct un programme, un nouvel algorithme de recommandations et un nouveau moteur de recherche, ainsi que de poursuivre le rapprochement des offres numériques de l’audiovisuel public (la plateforme de France Télévisions devra distribuer Arte, LCP-Assemblée nationale, Public Sénat et une partie de l’offre de l’INA), et de faire monter en puissance la distribution du groupe afin qu’il soit présent sur de plus en plus de marques et de modèles de Smart TV et de boîtiers TV connectés.
Le groupe doit également engager une refonte importante de son organisation pour inscrire l’expertise numérique dans l’ensemble des directions de l’entreprise et atteindre ainsi un niveau de compétence partagé et à la hauteur du marché.
2. Les objectifs du COM de Radio France
Le COM 2024-2028 reprend un certain nombre d’objectifs déjà présents dans les précédents COM. Dans le contexte d’une baisse des audiences de la radio et d’une stratégie de conquête de nouveaux publics de Radio France, deux axes transverses font l’objet d’une intensification :
– le déploiement d’une offre de proximité renforcée au service de la cohésion. Le COM prévoit le développement d’une offre au plus près des citoyens, dans tous les territoires, avec une double évolution, éditoriale et marketing, pour le réseau des 44 radios locales de France Bleu : le 1er novembre 2024, les radios locales sont devenues ICI, nouvelle marque commune à France et France Bleu, dont l’objectif est de créer un sentiment d’appartenance commun lié à son lieu de vie. Le renforcement de la proximité est également prévu dans toutes les autres antennes à travers de nouveaux rendez-vous mettant la lumière sur les territoires et leur diversité ;
– le renforcement de l’offre jeunesse à travers des formats de plus en plus appropriés à cette catégorie d’auditeurs et une stratégie de distribution en adéquation avec leurs usages (en particulier sur les réseaux sociaux). Cette offre jeunesse doit participer à la lutte contre l’addiction aux écrans et permettre de développer le goût de l’écoute auprès des enfants et adolescents, acteurs de la démocratie de demain. Le bilan de cet objectif sur la période 2020-2023 est positif : en 2024, Radio France met à disposition plus de 3 500 podcasts conçus pour les enfants qui ont cumulé plus de 37 millions d’écoutes en 2023 et atteint, depuis leur lancement, 100 millions de téléchargements. En parallèle des podcasts, l’audience de Radio France auprès des auditeurs âgés de 13 à 34 ans s’est établie en 2023 à près de 50 %, une proportion très satisfaisante au regard de l’érosion de cette cible sur le média radio.
3. Les objectifs du COM de France Médias Monde
Le COM de France Médias Monde s’articule autour de cinq grands axes stratégiques :
– cultiver la confiance avec les publics, en proposant une information plurilingue internationale libre et indépendante partout dans le monde, en luttant contre la désinformation et en contribuant à l’éducation aux médias et à l’information ;
– accroître l’impact mondial de France Médias Monde en renforçant ses capacités à atteindre des audiences internationales toujours plus larges, et en cultivant la proximité avec les publics à travers les quatre projets de développement suivants : une offre numérique panafricaine pour les jeunes Africains et un décrochage de France 24 à destination de l’Afrique francophone depuis le « hub » de Dakar, la création d’une nouvelle implantation à Beyrouth pour renforcer les offres numériques arabophones de France 24 et Monte Carlo Doualiya et le renforcement du pôle régional de France Médias Monde à Bucarest ;
– mettre le numérique au cœur des enjeux de distribution et d’innovation, en poursuivant l’adaptation des offres éditoriales à l’évolution des usages, et en adaptant l’organisation du groupe aux enjeux du numérique ;
– agir en tant que grand groupe de service public exemplaire avec le sens du collectif, en répondant à l’urgence écologique et en poursuivant la politique d’inclusion et de responsabilité éthique ;
– poursuivre une gestion rigoureuse et efficiente, en assurant les équilibres financiers de l’entreprise et en adaptant le groupe à son environnement.
4. Les objectifs du COM de l’INA
Le projet de COM de l’INA prévoit d’amplifier la transformation accomplie par l’INA depuis 2015 à travers les quatre principaux axes suivants :
– assurer la cohérence et le dynamisme d’un fond audiovisuel qui prépare la mémoire audiovisuelle et numérique de demain et rendre toujours plus singulières et pertinentes sa mise en valeur et son éditorialisation par de nouveaux formats (objectifs n° 1 et 2) ;
– tirer parti du potentiel offert par l’intelligence artificielle pour accroître la découvrabilité des fonds au service de tous les usages – scientifiques, éditoriaux et commerciaux – dans une démarche d’innovation responsable, respectueuse du cadre juridique en vigueur et qui ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes des titulaires de droits (objectifs n° 3 et 4) ;
– s’affirmer comme un campus de formation agile, adapté à son environnement technologique, porteur d’inclusion et d’égalité des chances (objectif n° 5) ;
– consolider la situation financière de l’établissement tout en poursuivant la modernisation de sa gestion au service d’une croissance maîtrisée, socialement et environnementalement responsable, de son activité (objectifs n° 6 et 7).
Le COM 2024-2028 de l’INA prévoit par ailleurs d’approfondir les nombreuses coopérations et synergies avec les sociétés de l’audiovisuel public d’ores et déjà engagées, à l’instar de l’accord-cadre signé avec France TV en 2021, qui a vocation à s’étendre aux autres entreprises de l’audiovisuel public.
L’intelligence artificielle, une priorité pour le développement numérique
des opérateurs de l’audiovisuel public – l’exemple de l'INA
Pour l’INA, le développement de l’intelligence artificielle (IA) permettra d’accroître les capacités de description des programmes, facilitant notamment la recherche académique et les possibilités d’exploitation des fonds de l’INA et permettant d’accroître la découvrabilité de ces fonds.
Les technologies de l’IA doivent également permettre d’amplifier le rôle de média patrimonial de l’INA. Pour l’activité éditoriale, les outils de production et d’édition assistées par l’IA concernent notamment la transcription et le sous-titrage, le doublage et sa synchronisation, la sélection d’extraits, les résumés en vidéo ou la création d’images.
La traduction automatique et la transcription par l’IA peuvent également permettre d’accroître les périmètres géographiques de ventes et l’audience du média patrimonial de l’INA. De plus, la future chaîne de vente de l’INA pourra intégrer par l’IA l’analyse fine et prédictive de la demande des clients au service des activités de distribution.
Le développement de l’IA concerne également les activités de formation de l’INA et doit permettre aux étudiants et professionnels des médias de s’approprier ces technologies qui sont aujourd’hui devenues un enjeu majeur dans le secteur audiovisuel. L’INA a ainsi pour objectif de familiariser les professionnels avec les applications de l’IA, en mettant l’accent sur les aspects techniques, juridiques et sociaux. Des cours spécialisés devront permettre aux entreprises audiovisuelles de créer et gérer leurs propres outils d’IA.
Enfin, la restauration des images et des sons peut également bénéficier des avancées de l’IA générative à travers la revitalisation de fonds qui étaient auparavant inaccessibles à la vente en raison d’une résolution et d’une qualité d’images médiocres (notamment dans les années 1980-1990), mais également à travers l’amélioration générale de la qualité visuelle des archives de l’INA antérieures à la haute définition.
B. Un Objectif parallèle de rapprochement des structures de l’audiovisuel public
Le développement des synergies et des partenariats au sein de l’audiovisuel public constituait un des objectifs communs à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte France et l’INA fixés par les COM 2020-2022. Les projets de COM 2024-2028 renouvellent cet objectif de renforcement des synergies et des mutualisations au sein de l’audiovisuel public. Les COM ont par ailleurs été négociés avec la mise en place d’un programme supplémentaire dans le PLF 2024, le programme 848 Programme de transformation, devenu le programme 383 dans le PLF 2025 ([7]), dont les crédits ont vocation à financer des projets de transformation prioritaires, en particulier les projets de rapprochement entre entités de l’audiovisuel public.
Dans le cadre des COM 2024-2028, plusieurs objectifs communs à toutes les sociétés de l’audiovisuel public ont vocation à renforcer ces coopérations, tant dans le domaine éditorial que sur le plan de la gestion :
– capitaliser sur la force du collectif dans le domaine de l’information autour d’un « acte II de franceinfo », afin de faire gagner en puissance l’offre d’information globale (TV, radio, numérique) du service public avec une ligne éditoriale commune sur tous les supports, une gouvernance plus intégrée, une identification comme référence en matière de lutte contre la désinformation, le développement de programmes spécifiques, le renforcement de sa diffusion en adaptant les formats aux jeunes publics et aux réseaux sociaux ;
– en matière de lutte contre les fausses informations ou infox, les organismes de l’audiovisuel public agrégeront l’ensemble de leurs contenus autour d’une marque « Vrai ou Faux ». Un compte « Vrai ou Faux » sur les réseaux sociaux sera également opéré collectivement ;
– coopérer en matière d’éducation aux médias et à l’information à travers Lumni, la plateforme éducative numérique de l’audiovisuel public français et des actions de terrain avec Lumni EMI’SSION ;
– renforcer les passerelles entre les offres numériques à travers un algorithme de recommandations croisées (« moteur de rebond ») qui permettra aux utilisateurs en France de naviguer à travers les contenus des offres des différentes sociétés de l’audiovisuel public ;
– rendre tous les contenus des entités de l’audiovisuel public accessibles sur une même plateforme ;
– intensifier les coopérations sur le numérique autour de la mise en commun des moyens en matière d’innovation et de R&D technologique dans le cadre du TAP (Technologies de l’Audiovisuel Public) ;
– sur le plan de la gestion, amplifier les mutualisations à travers les achats groupés avec les autres entreprises.
Concernant l’approfondissement des coopérations entre France TV et Radio France, le déploiement de la marque commune de proximité ICI représente un axe prioritaire, pour en faire le premier média global à 360° des territoires (télévision, radio, numérique), au plus près des préoccupations des Français, avec un déploiement graduel pour faciliter son appropriation par les publics (définition d’une ligne éditoriale commune, visibilité de la marque ICI sur les antennes de France Bleu et France 3, enrichissement et modernisation de l’offre numérique créée au printemps 2022). Les prochaines étapes du projet sont l’installation d’une marque unique France 3/France Bleu avec le changement de logo sur les éditions régionales de France 3 pour en maximiser la visibilité en novembre 2024, le démarrage projeté de la grande campagne de communication, et l’abandon progressif de la marque France Bleu début janvier 2025 et la définition d'un schéma immobilier commun pluriannuel d’ici à juillet 2025.
L’exemple du rapprochement immobilier entre Radio France
et France Télévisions
Depuis 2018, Radio France et France Télévisions travaillent ensemble sur le croisement des opportunités immobilières de leurs implantations en régions. Les relocalisations d’implantations locales ou régionales, rendues nécessaires par le vieillissement du parc, visent une meilleure adaptation aux activités, un moindre impact environnemental et une plus grande adaptation aux usages de travail.
Les possibles synergies relatives aux emprises immobilières de France Bleu et France 3 ont été identifiées et sont régulièrement partagées par les deux entreprises : il existe à ce jour 65 villes dans lesquelles les deux entreprises sont implantées. Dans ces villes, les possibilités de rapprochement sont systématiquement étudiées dès lors qu’un bail arrive à échéance à Radio France ou France Télévisions, en intégrant les spécificités de chaque territoire.
Certains rapprochements de sites ont d’ores et déjà été réalisés et d’autres sont à l’étude. Ainsi, France Bleu et France 3 partagent déjà les mêmes locaux à Toulon, Saint-Brieuc, Tours et Vesoul depuis 2021, à Annecy, Arras et Pau depuis 2022 et à Châteauroux depuis 2024.
Des projets doivent être engagés entre 2024 et 2028, à Rennes (2024), Amiens (2027), Strasbourg (2027-2030) et Lyon (2027-2030). Des synergies immobilières sont également envisagées à Nancy, Grenoble, Toulouse, Bordeaux et Limoges.
Les projets de COM 2024-2028 prévoient que les entreprises procèdent à des rapprochements immobiliers sur le fondement d’un schéma immobilier commun identifiant les opportunités à court et moyen termes.
Tout en saluant les ambitions de rapprochement entre opérateurs inscrites dans les COM, le rapporteur regrette que les projets de COM ne décrivent pas de manière suffisamment détaillée les projets de coopération et de synergies entre les opérateurs de l’audiovisuel public, notamment ceux qui seraient spécifiquement financés par les crédits de transformation.
Le rapporteur regrette également que la mise en place de structures de gouvernance communes pour les projets de rapprochement ne soit pas prévue par les COM. Celles-ci permettraient en effet un pilotage « par le haut » de ces rapprochements et par conséquent une avancée plus rapide de leur mise en œuvre car celle-ci ne reposerait plus uniquement sur la bonne volonté des différentes parties. De fait, les coopérations « par le bas » trouvent aujourd’hui leurs limites, qui ne pourront être réellement dépassées sans une évolution de la gouvernance globale des entreprises.
Par ailleurs, ces structures communes s’inscriraient dans la perspective du projet de fusion de la gouvernance de l’audiovisuel public qui doit être repris en 2025. Le rapporteur souligne que seul un tel rapprochement permettrait de dégager des économies supplémentaires sans dégrader la qualité du service rendu aux usagers, en permettant de réaliser des mutualisations et des gains de productivité significatifs. Au regard de la révision à la baisse des objectifs des COM, ce renforcement des mutualisations paraît être la seule manière de garantir l’atteinte des objectifs fixés par ceux-ci.
C. DES TRAJECTOIRES PARFOIS TROP PEU PRÉCISES limitant les possibilités de suivi de l’atteinte des objectifs des COM
Le rapporteur relève que certaines trajectoires associées à des indicateurs permettant d’évaluer l’atteinte des objectifs des COM ne sont pas suffisamment détaillées et se limitent à envisager un maintien ou une progression non quantifiée.
C’est notamment le cas des indicateurs du projet de COM de Radio France qui présentent une trajectoire en maintien ou progression. Ainsi de l’indicateur 1 – « Audiences radio des antennes du groupe – en part d’audience » du projet de COM de Radio France qui fixe pour objectif sur la durée du COM le maintien ou l’augmentation de la part d’audience atteinte en 2023. Cette trajectoire est toutefois à mettre en perspective avec l’évolution des usages, à savoir un nombre d’auditeurs de la radio en baisse et la difficulté des médias traditionnels à atteindre les jeunes publics.
Il en est de même pour l’indicateur 2 – « Nombre d’écoutes de programmes pour enfants », dont la trajectoire ne prévoit au minimum qu’un maintien du nombre d’écoutes atteint en 2023. Or, le développement des programmes pour enfants fait partie d’une des quatre priorités du COM, à savoir le développement de l’écoute chez les jeunes générations.
On peut également mentionner les indicateurs 5.1. – « Nombre de visiteurs mensuels uniques sur la plateforme Radio France » et 5.2. – « Nombre de visiteurs mensuels uniques sur la plateforme franceinfo », qui ne proposent qu’un minimum de maintien ou de progression, alors même que le numérique représente un outil de découvrabilité et de développement de l’audience de Radio France.
L’indicateur 13 – « Couverture hebdomadaire cros media TV/radio/numérique de franceinfo » du projet de COM de France TV prévoit le maintien ou la progression de la couverture mensuelle numérique de franceinfo. Au regard des ambitions de développement numérique du groupe, l’absence de cible chiffrée semble peu satisfaisante.
Les indicateurs inscrits dans le projet de COM de l’INA sont souvent plus précis en raison de l’existence d’un niveau cible pour 2028. Cependant, les trajectoires ne sont souvent pas détaillées, empêchant un suivi annuel précis de ces indicateurs. Le rapporteur aurait ainsi souhaité pouvoir disposer de jalons annuels permettant un meilleur contrôle de l’atteinte des objectifs.
Le cas de France Médias Monde est spécifique, en raison de la nature internationale de son activité. Certains indicateurs n’ont pas d’objectifs chiffrés mais des cibles qui donnent une tendance, par exemple « > 2023 » ou « > n-1 ». Ce choix d’une tendance est fait quand la fixation de cibles est rendue particulièrement incertaine et complexe dans le cadre de perspectives non maîtrisables et exogènes, dont certaines s’appliquent aux autres entités de l’audiovisuel public, comme :
– les coupures et censures dans certains pays, liées au contexte géopolitique et aux crises ;
– le déphasage entre les valeurs et les principes défendus par les médias de France Médias Monde, conformément à leurs missions de service public (égalité femmes-hommes, diversité et inclusion, lutte contre les discriminations, laïcité) et le rejet qu’ils peuvent susciter dans certains pays (programmes évoquant l’homosexualité ou l’IVG par exemple), pouvant être à l’origine de pertes d’audience ou de baisses des indicateurs qualitatifs de perception ;
– les changements d’algorithmes sur certaines plateformes et réseaux sociaux, à l’image de Facebook qui, désormais, ne met plus en avant les contenus d’information ;
– la rétention des publics opérée par certaines plateformes et réseaux sociaux, qui ne renvoient plus vers les environnements propriétaires des médias.
D. UNE RÉFLEXION À MENER SUR LE MODE D’élaboration DES COM
Les COM représentent un outil utile pour l’État comme pour les opérateurs. Ils viennent formaliser la stratégie de l’entreprise et constituent une référence d’évaluation dans la mise en œuvre de cette stratégie pour les tutelles, l’Arcom et le Parlement. Ils conditionnent ainsi l’attribution de concours financiers publics à l’atteinte d’objectifs relatifs à leurs missions de service public. Ils permettent par ailleurs la planification de la gestion de l’entreprise à travers la feuille de route pluriannuelle qu’ils constituent.
Cependant, la temporalité est à repenser : actuellement, la procédure d’élaboration des COM commence par des discussions entre la tutelle et les opérateurs, qui débouchent sur des projets de COM, par la suite transmis simultanément à l’Arcom et aux commissions des affaires culturelles et des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’aux commissions des affaires étrangères dans le cas du COM de France Médias Monde. Ces commissions peuvent rendre un avis, dont le Gouvernement peut tenir compte pour procéder à de nouveaux arbitrages. Or, les négociations aboutissent généralement trop tard, alors que la période d’application des COM est déjà entamée. Comme dans le cas présent, où les commissions des deux assemblées sont amenées à se prononcer sur des projets de COM déjà entamés depuis près d’un an, et dont la trajectoire financière a par ailleurs déjà été remise en cause, le calendrier ne permet pas que l’avis exprimé par les organes parlementaires soit pris en compte et puisse participer réellement à l’élaboration des COM.
Le rapporteur recommande donc que les travaux relatifs aux COM dont la période débute à l’année N soient systématiquement lancés en début d’année N-2 afin que les commissions du Sénat et de l’Assemblée nationale soient sollicitées bien plus tôt dans le processus d’élaboration. De plus, elles pourraient être davantage associées au suivi et au contrôle de l’exécution des COM.
Par ailleurs, le rapporteur souhaite que puisse être renforcée l’implication des organisations syndicales dans le processus d’élaboration des COM, ce qui permettrait de garantir à la fois l’adhésion des personnels aux projets de transformation et leur faisabilité.
II. OBSERVATIONS SUR LES PLANS D'AFFAIRES ET LES OBJECTIFS DE GESTION
A. UNE TRAJECTOIRE FINANCIÈRE dynamique AUJOURD'HUI REMISE EN CAUSE
1. Une trajectoire financière dynamique correspondant aux ambitions inscrites dans les COM
Les trajectoires financières inscrites dans les projets de COM s’appuient sur l’arbitrage effectué par le Gouvernement à l’automne 2023, ajusté du décret d’annulation du 21 février 2024 qui réduit de 20 millions d’euros le montant des crédits de transformation versés en 2024. Elles prévoient une progression importante des dotations publiques de l’audiovisuel (crédits du Programme de transformation compris) de 104 millions d’euros en 2025 et de 255 millions d’euros en 2028 par rapport aux crédits de la LFI 2024 modifiés par le décret d’annulation.
La dynamique de cette trajectoire financière est à mettre en perspective avec celle des précédentes années, au cours desquelles les opérateurs de l’audiovisuel publics avaient réalisé d’importants efforts de réduction de leurs coûts. Entre 2018 et 2022, les organismes de l’audiovisuel public (Arte France et TV5 Monde compris) avaient assumé un plan d’économies de près de 190 millions d’euros.
Le rapporteur salue cet engagement initial de l’État pour une hausse des crédits inscrite dans les COM, qui est une marque de confiance dans les opérateurs de l’audiovisuel public et matérialise la reconnaissance de l’importance des missions de service public qu’ils remplissent et la nécessité pour ces organismes de se transformer et de s’adapter aux besoins des usagers.
2. Une révision à la baisse de la trajectoire financière regrettable et qui compromet l’atteinte des objectifs fixés par les COM
Les montants inscrits au projet de loi de finances pour 2025 (crédits du Programme de transformation compris) au bénéfice de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA sont stables, à un niveau de 3,644 milliards d’euros, soit 15,8 millions d’euros de plus qu’en 2024 (décret d’annulation compris). Or, cela représente un écart à la baisse de 88,2 millions d’euros pour l’année 2025 par rapport à la trajectoire des COM.
Le Gouvernement a par ailleurs annoncé vouloir réduire par amendement au PLF 2025 les crédits de la mission de 50 millions d’euros supplémentaires, sans que la ventilation cette baisse n’ait encore été précisée. Ainsi, l’écart prévisionnel des crédits alloués en 2025 par rapport à la trajectoire des COM pourrait être plus important que l’écart initial prévu en loi de finances pour 2025.
Le rapporteur souligne qu’une telle révision à la baisse de la trajectoire financière des COM aurait un impact très négatif sur la crédibilité des COM pour les organismes de l’audiovisuel et remettrait partiellement en cause le travail réalisé pour l’élaboration de ces COM. En effet, l’enjeu de la crédibilité et de l’utilité des COM se détermine également à l’aune du respect de la trajectoire budgétaire qui leur est adossée et qui est définie sur la base de l’ambition stratégique qu’ils contiennent.
Par ailleurs, une révision à la baisse importante de la trajectoire des concours publics aux organismes de l’audiovisuel compromettrait inévitablement l’atteinte de certains objectifs en raison de l’abandon de certains projets de transformation, notamment en matière d’éducation aux médias ou de développements numériques, voire des réductions au niveau du cœur de l’activité, de l’offre éditoriale ou des ressources humaines. Ainsi, cette baisse des crédits aurait probablement pour conséquence la révision à la baisse des ambitions stratégiques des COM.
Faisant le constat que la trajectoire financière des projets de COM ne sera selon toute vraisemblance pas respectée en 2024 et 2025, le rapporteur considère que les projets de COM ne peuvent être signés en l’état et qu’ils doivent donc être modifiés au cours d’un processus renouvelé de négociations entre les parties. Le rapporteur exige donc dans un premier temps l’établissement d’une nouvelle trajectoire financière soutenable et soutenue par l’État, qui s’engagerait fermement sur le respect de celle-ci. Dans un second temps, les objectifs initiaux des projets des COM devront être aménagés en concertation avec les opérateurs afin qu’ils correspondent aux moyens qui leur seront accordés. À ce titre, les priorités des prochaines années pourraient être redéfinies.
3. Une baisse notamment due à l’évolution des crédits de transformation
Le Programme de transformation fait partie intégrante de la trajectoire des dotations publiques inscrites dans les COM. Or, celui-ci a été largement diminué par les annulations de crédits en 2024. Son montant final d’exécution fait aujourd’hui l’objet d’une incertitude, les versements ayant été arrêtés à partir d’avril 2024 : seuls 19 millions d’euros sur les 49 millions prévus depuis le décret d’annulation de février ont été versés à ce jour. Les 30 millions d’euros restants ne devraient a priori pas être versés : cette réduction supplémentaire des crédits du programme en 2024 pourrait être inscrite avant la fin de l’année dans la loi de finances de fin de gestion et entérinerait ainsi l’absence de respect de la trajectoire financière des COM dès 2024.
Les trajectoires financières des projets de COM n’ayant pas été respectées, il est probable que le détail des projets de transformation financés par le Programme de transformation change en 2025 – si celui-ci n’est pas finalement supprimé par des annulations de crédits supplémentaires. Aussi le rapporteur note-t-il l’impossibilité de se prononcer favorablement sur des trajectoires aujourd’hui dépassées, et dont les objectifs n’ont pas été précisés et pourraient être modifiés à l’avenir.
Évolution des crÉdits du Programme de transformation
(en millions d’euros)
Crédits du Programme de transformation |
LFI 2024 |
LFI 2024 – avec décret d’annulation du 21 février 2024 |
LFI 2024 – crédits effectivement versés au 10 octobre 2024 |
PLF 2025 |
Trajectoire 2025 des projets de COM |
Écart prévisionnel cumulé à la trajectoire des COM en 2024 et 2025* |
France Télévisions |
45 |
32 |
12,4 |
18,2 |
45 |
– 46,4 |
Radio France |
15 |
10,7 |
4,1 |
6,1 |
15 |
– 15,5 |
France Médias Monde |
5 |
3,6 |
1,4 |
2 |
5 |
– 5,2 |
INA |
4 |
2,8 |
1,1 |
0,8 |
2 |
– 2,9 |
Total |
69 |
49 |
19 |
27,2 |
67 |
– 70 |
Source : commission des finances d’après les informations transmises par la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).
* Écart entre les crédits prévus en 2024 et 2025 par la trajectoire des projets de COM et les crédits versés en cas de loi de finances de fin de gestion pour 2024 entérinant l’arrêt du versement des crédits depuis avril et d’après le PLF 2025. La trajectoire des projets de COM 2024-2028 avait déjà pris en compte les annulations de crédits du décret du 21 février 2024.
B. Une évolution modérée des ressources propres dans les plans d’affaires
La trajectoire initiale dynamique des dotations publiques inscrites dans les projets de COM est associée à des efforts de gestion et de maîtrise des coûts ainsi qu’au développement des ressources propres de la part des opérateurs.
Les trajectoires de développement des ressources propres sont modérées. Le rapporteur relève notamment un manque d’ambition pour France Télévisions, dont le plan d’affaires prévoit un montant de recettes commerciales stable sur la période du COM, à un niveau de 24,3 millions d’euros.
évolution des ressources propres 2024-2028
(millions d’euros)
Ressources propres |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
Variation 2028/2024 |
France Télévisions |
458,8 |
388,3 |
392,5 |
382,8 |
404,4 |
– 11,9 %* |
Radio France |
82 |
83 |
85 |
88 |
88 |
+ 7,3 % |
France Médias Monde |
14,3 |
14,6 |
14,8 |
15 |
15,2 |
+ 6,3 % |
INA |
43,2 |
44,1 |
45,1 |
46,2 |
47,4 |
+ 9,6 % |
Source : plans d’affaires des projets de COM.
* La baisse prévisionnelle des ressources propres de France Télévisions en 2025 est due au contrecoup des Jeux Olympiques et Paralympiques. La variation est donc le fait de celle des recettes de publicité et de parrainage, qui s’élèveraient à 434,5 millions d’euros en 2024, contre 364 millions d’euros en 2025. Le même phénomène se reproduit en 2026 et 2028, années de Jeux olympiques et paralympiques (été/hiver). France Télévisions retrouve ainsi en moyenne une trajectoire prévisionnelle dynamique de ses ressources propres à hauteur de + 4,15 % entre 2025 et 2028.
C. Un effort financier de l’ordre de 200 millions d’euros pour France Télévisions, aux contours encore non définis
Se fondant sur la trajectoire budgétaire initialement inscrite dans le projet de COM 2024-2028, celui-ci évaluait que le financement des priorités stratégiques et la nécessaire préservation de l’équilibre d’exploitation nécessiteront un effort de l’ordre de 200 millions d’euros, répartis entre un plan d’économie de 170 millions d’euros et un effort de dynamisation des ressources propres hors publicité de près de 30 millions d’euros, qui exigera le développement des activités commerciales et de la production interne au sein du groupe – alors que le plan d’affaires inscrit dans le projet de COM prévoit la stabilité des recettes commerciales hors publicité et parrainage entre 2024 et 2028.
D’après le projet de COM, le plan d’économie de 170 millions d’euros à horizon 2028 reposerait sur le fonctionnement interne de l’entreprise à hauteur de 100 millions d’euros, à travers une réduction des dépenses de personnel notamment, et sur les achats externes à hauteur de 70 millions d’euros.
D’après France Télévisions, les sous-jacents de ce plan d’économies ne sont pas encore documentés dans leur intégralité et doivent être déterminés lors d’échanges futurs entre France Télévisions et le ministère de la culture dans le cadre du dialogue de gestion usuel.
Les principaux leviers d’économies identifiés à ce jour par France Télévisions sont les suivants :
– pour le fonctionnement interne, des modernisations technologiques au service des activités de fabrication et de diffusion et des gains de productivité au fondement d’une trajectoire d’effectifs maîtrisée et une maîtrise de l’inflation des dépenses de programmes notamment par la négociation avec les producteurs ;
– pour les achats externes, une réduction du besoin de recours à l’externalisation en optimisant le potentiel de fabrication interne et une rationalisation des achats hors programmes.
Le rapporteur regrette cependant que les négociations des COM n’aient pas permis d’identifier précisément les sous-jacents des plans d’économies qui auraient pu être inscrits dans les COM, afin de pouvoir en évaluer la faisabilité.
En effet, le rapporteur considère que la mise en œuvre d’un tel plan d’économies sera complexe au regard des efforts de gestion et d’économie réalisés par France Télévisions au cours des dernières années, qui ont permis à l’opérateur d’être à l’équilibre depuis l’exercice 2016. France Télévisions a en effet réduit ses charges d’exploitation d’environ – 15 % en euros constants entre 2015 et 2023, a diminué de – 11 % ses effectifs sur la période 2015-2023 (ce qui représente une réduction de 1 107 ETP) et est parvenue à maintenir sa masse salariale, qui s’élevait en 2023 à 894,1 millions d’euros, contre 914 millions d’euros en 2015.
D. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME DU FINANCEMENT DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC AVANT LA FIN DE L'ANNÉE 2025
La contribution à l’audiovisuel public a été supprimée par la loi de finances rectificative du 16 août 2022, concomitamment à la suppression de la taxe d’habitation. Depuis, l’audiovisuel public est financé par l’affectation au compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public d’une fraction du produit de la TVA, jusqu’au 31 décembre 2024. En effet, la dernière révision de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, intervenue en 2021, prévoit qu’à partir du 1er janvier 2025, pour un tiers bénéficiant déjà d’une affectation de taxe, celle-ci ne peut être maintenue que si elle est en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées.
Ainsi, à cadre organique constant, il faudra à partir du 1er janvier 2025 nécessairement avoir recours à des crédits budgétaires pour le financement de l’audiovisuel public. Une modification du cadre organique avant l’achèvement de la première lecture du PLF 2025 permettrait cependant de réaffecter ces crédits au compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public, qui n’est aujourd’hui pas crédité. C’est l’objet de la PPLO portant réforme du financement de l’audiovisuel public adoptée le 23 octobre dernier par le Sénat et qui doit être examinée en séance à l’Assemblée le 19 novembre prochain.
Sans intervention législative à même de sanctuariser un financement affecté en 2025, l’audiovisuel public sera financé par le budget général de l’État. Or, les organismes de l’audiovisuel considèrent que cette budgétisation comporte des risques importants.
Au-delà des éléments liés à la régulation budgétaire infra-annuelle (gel de crédits, décrets d’annulation, de transfert, de virement) par voie réglementaire, que ne permet par ailleurs pas complètement d’empêcher l’affectation d’une fraction de TVA, la budgétisation ferait courir le risque aux organismes de l’audiovisuel français d’être désignés dans des pays étrangers comme « média d’État », avec des conséquences concrètes sur le référencement sur les plateformes, ainsi que sur les autorisations d’émission. France Médias en particulier pourrait perdre la licence de diffusion de RFI sur le réseau FM à Berlin au regard de la jurisprudence allemande de la « Staatsferne » (obligation d’éloignement vis-à-vis de l’État).
Par ailleurs, la budgétisation s’inscrit à rebours des nouvelles dispositions du droit de l’Union européenne, alors qu’en mai 2023, l’Union européenne a adopté le Media Freedom Act, applicable à partir du 8 août 2025. Il existe de fait aujourd’hui une incertitude relative à la compatibilité d’un financement par crédits budgétaires avec les exigences de la réglementation européenne.
Ainsi, le rapporteur souhaite rappeler à nouveau l’urgence d’une modification du cadre organique permettant de garantir l’indépendance du financement de l’audiovisuel public, et de maintenir les activités des organismes de l’audiovisuel public, notamment à l’international. En effet, sans réforme du mode de financement de l’audiovisuel public, une partie des objectifs des projets de COM seront compromis, notamment pour France Médias Monde.
Au cours de sa première réunion du mercredi 6 novembre 2024, la commission des finances a examiné les projets de contrats d'objectifs et de moyens des sociétés France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l’Institut national de l’audiovisuel qui avaient été transmis le 18 juin 2024.
Elle a, conformément à l’avis du rapporteur, émis successivement un avis défavorable à chacun de ces quatre projets de contrats d’objectifs et de moyens.
Le compte rendu de cette réunion sera disponible prochainement sur le site de l’Assemblée nationale.
*
* *
([1]) Article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (lien).
([2]) Crédits de transformation compris, d’après les crédits de la loi de finances initiale pour 2024 modifiés par le décret d’annulation du 21 février 2024.
([4]) Avis n° 2024-06 du 24 juillet 2024 relatif aux projets de contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions, Radio France, et France Médias Monde pour la période 2024-2028.
([5]) À titre d’exemple, le principal écran des jeunes est le smartphone et plus de 85 % des foyers sont aujourd’hui équipés d’une TV connectée.
([6]) Le précédent COM fixait un niveau d’investissement dans la création de 440 millions d’euros pour l’audiovisuel et de 60 millions d’euros pour le cinéma.
([7]) Conséquence de l’inscription du financement de l’audiovisuel public par crédits budgétaires en raison de l’impossibilité à partir de 2025 de financer l’audiovisuel public par l’affectation d’une imposition, à cadre organique constant.