N° 551

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 30 octobre 2024.

sur l’enjeu alimentaire

et présenté par

Mme Éléonore CAROIT et M. Guillaume GAROT,

Députés

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 SOMMAIRE 

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 Pages

Synthèse des propositions des rapporteurs

Introduction

I. L’alimentation dans le monde : état des lieux

A. Cartographie internationale de l’alimentatIon

1. Quelques 570 millions d’exploitations agricoles à l’échelle planétaire

2. Une mondialisation des circuits de production et de consommation

3. Une influence croissante des grands acteurs privés

a. Une concentration de certains acteurs agricoles

b. Une concentration très marquée du secteur agroalimentaire

c. Une concentration des négociants internationaux

d. Une financiarisation des systèmes alimentaires

B. Une insécurité alimentaire qui a progressé dans de nombreuses régions du monde

1. Une hausse tendancielle de l’insécurité alimentaire

a. 733 millions de personnes souffriraient de la faim, 281 millions d’insécurité alimentaire aiguë

b. Une insécurité alimentaire inégalement répartie entre États et au sein de ceux-ci

c. Un phénomène multifactoriel amplifié par les crises récentes

2. Un risque : une hausse de la conflictualité potentielle

3. Un paradoxe : le gaspillage alimentaire

C. Un sujet négligé dans l’ensemble des pays : la nutrition et l’éducation à celle-ci

1. La malnutrition, un défi mondial

a. Un phénomène multiple : de la dénutrition à l’obésité

b. Le « double fardeau de la malnutrition » dans les pays à revenu faible ou intermédiaire

c. Des conséquences de long terme pour les populations

2. L’éducation à l’alimentation, un enjeu négligé

a. Une éducation à la nutrition insuffisante

b. Une éducation à l’alimentation indispensable

D. Le coût des systèmes alimentaires actuels pour l’environnement

1. Les systèmes alimentaires contribuent à 20 % des émissions de gaz à effet de serre

2. Une surexploitation des ressources

II. L’alimentation, un enjeu de souveraineté et de puissance pour les États

A. L’alimentation, composante de l’autonomie stratégique

1. L’alimentation, élément clé de la souveraineté

2. La pratique de l’accaparement des terres (land grabbing) : s’alimenter au détriment des autres pays

B. Un enjeu militaire dont témoigne le conflit ukrainien

1. Restreindre l’accès à la nourriture : une arme de guerre

2. L’utilisation par la Russie de l’arme alimentaire dans le cadre de la guerre en Ukraine

a. La Russie attaque directement l’appareil agricole ukrainien

b. Un moyen de pression sur l’Ukraine et sur les pays occidentaux

C. Un outil diplomatique majeur

1. Un instrument de pression économique et politique

2. La « gastro-diplomatie », l’alimentation au service du « soft power »

a. De la « diplomatie culinaire » à la « gastro-diplomatie »

b. Les différents usages de la gastro-diplomatie

c. Une concurrence croissante entre les États

III. Une coopération internationale imparfaite

A. Des négociations commerciales internationales bloquées au niveau multilatéral et critiquées au niveau européen

1. L’OMC : aucun accord multilatéral d’envergure depuis trente ans

2. Des accords commerciaux régionaux questionnés : le cas des accords conclus par l’Union européenne

B. Une gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire perfectible

1. Une réorganisation du Comité de la sécurité alimentaire après la crise de 2008

2. Une organisation peu lisible voire détournée

3. Des initiatives dispersées pour renforcer la sécurité alimentaire

IV. Trente propositions pour mobiliser la France et l’union européenne sur les enjeux alimentaires

A. Un devoir d’exemplarité sur le territoire national

1. Lutter contre la précarité et le gaspillage alimentaires

2. Instaurer une éducation à l’alimentation et au goût dans toutes les écoles, de la maternelle au lycée

B. Placer l’alimentation au cœur du projet européen

1. Engager une réflexion sur l’intégration du volet « alimentation » dans la prochaine PAC

2. Défendre un commerce international respectueux des normes sociales et environnementales européennes

C. Renforcer l’engagement de notre diplomatie et de nos armées

1. Actualiser la stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable

2. Mobiliser les armées sur les enjeux alimentaires

3. Engager une stratégie de « gastro-diplomatie » sur la durée

Examen en commission

Annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Annexe  2 : Liste des acronymes et anglicismes utilisés

Annexe  3 : Intensité du commerce des produits alimentaires et agricoles en 1995 et en 2019

Annexe  4 : Concentration et financiarisation du secteur agroalimentaire mondial

Annexe  5 : Les fusions-acquisitions dans l’industrie mondiale des semences de 1990 à 2017 (étude OCDE, 2018)

Annexe  6 : La vulnérabilité climatique des ressources agricoles

Annexe  7 : L’exposition au commerce extérieur des principales filières agroalimentaires françaises sur la période 2020-2022

 


   Synthèse des propositions des rapporteurs

1. Se donner les moyens d’appliquer la législation anti-gaspillage par des contrôles réels des sanctions exécutées.

2. Expérimenter des « Territoires Zéro Faim » pour éradiquer la précarité alimentaire (sous réserve des nuances exprimées par chacun des rapporteurs).

3. Expérimenter l’introduction de cours de cuisine dans des écoles en France.

4. Expérimenter l’introduction de cours de cuisine dans le réseau d’enseignement français à l’étranger.

5. Lancer un plan national d’éducation à l’alimentation permettant à tous les élèves de disposer de cours théoriques et pratiques, chaque année, de la maternelle jusqu’au lycée.

6. Inclure un volet alimentation dans la prochaine PAC (2028˗2034). Celle-ci deviendrait alors la « politique agricole et alimentaire commune » (PAAC).

7. Poursuivre les plans de réduction des principales dépendances agricoles européennes, en particulier en matière d’engrais de synthèse et de protéines végétales.

8. Exclure les produits les plus sensibles du champ des négociations commerciales entre l’Union européenne et les pays tiers.

9. Introduire des conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux pour promouvoir des modes de production durables.

10. Introduire des mesures miroirs dans les législations sectorielles européennes pertinentes.

11. Augmenter les contrôles des produits alimentaires importés mis sur le marché européen.

12. Renforcer les équipes de la direction générale de la Santé et de la Sécurité alimentaire de la Commission européenne dédiées aux contrôles sanitaires et vétérinaires dans les pays tiers.

13. Renforcer l’information des Parlements nationaux des États membres tout au long du processus de négociation des accords commerciaux.

14. Actualiser la stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable.

15. Poursuivre la politique française de soutien du Comité de la sécurité alimentaire et réaffirmer son rôle de principale plateforme inclusive sur la sécurité alimentaire.

16. Encourager un renforcement de la coordination des financements et des positions des pays de l’Union européenne à la FAO.

17. Renforcer le plaidoyer sur la sécurité alimentaire et la nutrition dans les forums internationaux, à la suite du sommet « Nutrition pour la croissance ».

18. Développer des actions de plaidoyer spécifiques sur l’« éducation à l’alimentation », en particulier auprès des Nations unies à Rome (FAO, PAM, FIDA) et à New York (AGNU, UNICEF).

19. Promouvoir le thème de l’éducation à l’alimentation via la Coalition mondiale pour l’alimentation scolaire.

20. Maintenir la contribution française au Programme alimentaire mondial en 2025.

21. Maintenir la contribution française au Fonds international de développement agricole lors de la prochaine reconstitution des ressources.

22. Financer l’initiative « Land Matrix ».

23. Renforcer les actions de plaidoyer pour lutter contre le gaspillage alimentaire.

24. Promouvoir le commerce équitable comme un outil au service de la sécurité alimentaire et de la paix.

25. Améliorer la prise en compte des enjeux stratégiques liés à l’alimentation dans les documents de doctrine militaire.

26. Créer un ou plusieurs postes dédiés au suivi des enjeux alimentaires au sein de la direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées.

27. Évaluer la sécurité des sites agricoles stratégiques sur le territoire national, tels que les stocks de grains et, si nécessaire, la renforcer.

28. Augmenter les moyens matériels et humains du ministère de l’Europe et des affaires étrangères dédiés à la promotion de la gastronomie française et des produits des terroirs français.

29. Assurer des moyens et un suivi à la nouvelle stratégie nationale en faveur de la haute gastronomie.

30. Encourager la création d’un équivalent français de « Eataly ».

    


   Introduction

Une personne sur dix souffre de la faim et un quart de l’humanité est confronté à l’insécurité alimentaire, alors que plus d’un milliard de repas sont gaspillés chaque jour sur tous les continents, selon les Nations unies. Depuis 2017, le processus de diminution de la faim s’est même érodé : elle a progressé à nouveau et le phénomène s’est accentué lors de la pandémie de coronavirus.

La faim, et au-delà, l’insécurité alimentaire, se nourrissent des crises économiques, des conflits, mais aussi, de plus en plus, des dérèglements climatiques. La conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques organisée à Dubaï en décembre 2023 a d’ailleurs permis l’adoption, pour la première fois, d’une « déclaration sur l'agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l'action climatique ».

Dans ce contexte, l’objectif de développement durable n° 2 « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable », adopté par les Nations unies en 2015, ne sera pas atteint en 2030.

L’alimentation est appréhendée ici au-delà de la seule prise alimentaire, c’est-à-dire de l’action de manger. Elle s’inscrit dans des « systèmes alimentaires » dans lesquels de nombreux acteurs interagissent afin de répondre aux besoins alimentaires. Parmi eux, les rapporteurs constatent la place croissante des acteurs privés, qu’il s’agisse de grands industriels de l’agroalimentaire ou de la chimie, ou d’acteurs financiers.

En 2050, les systèmes alimentaires devront nourrir 10 milliards d’habitants, contre presque 8 actuellement, et feront face à une dégradation climatique. Or, ils sont déjà défaillants : ils se caractérisent par des « coûts cachés », notamment en termes sociaux, sanitaires et environnementaux. Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) publié en novembre 2023, ces coûts cachés représentent au moins 10 000 milliards de dollars par an (en parité de pouvoir d’achat de 2020), soit 10 % du produit intérieur brut mondial, et sont plus élevés pour les pays les plus pauvres. Face à ce constat, la promotion de modes de production et de consommation plus durables, plus sains et plus inclusifs, est une urgence.

Mais si l’alimentation a récemment été replacée au cœur des discussions internationales, ce n’est pas uniquement pour lutter contre l’insécurité alimentaire croissante et pour contribuer à lutter contre les dérèglements climatiques. À la suite de la pandémie et dans le cadre de la guerre en Ukraine, elle est aussi réapparue comme un enjeu géopolitique majeur, donnant lieu à des rivalités stratégiques. C’est ce contexte qui a poussé la commission a lancé un rapport d’information.

L’alimentation est en effet un élément clé de la souveraineté des États qui joue sur leur autonomie dans les relations internationales. On dénombre aujourd’hui plusieurs puissances agricoles et agroalimentaires, dont la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie, mais aussi l’Australie, le Brésil, le Canada, ou encore la France.

Pour ces États, l’alimentation, peut alors être mobilisée comme un outil diplomatique et militaire de premier choix. Depuis 2022, la Russie utilise par exemple l’alimentation comme une arme, directe – en pillant ou détruisant des récoltes de l’Ukraine – ou plus indirecte, en mobilisant une forme de « chantage aux matières premières », une formulation récurrente du ministre des armées et des anciens combattants Sébastien Lecornu.

Mais au-delà du « hard power », l’alimentation peut aussi servir le « soft power ». Une « gastro-diplomatie » se développe et des pays se démarquent, tels que l’Italie et, plus récemment, le Pérou. La France a paradoxalement pris du retard, alors qu’elle bénéficie d’une gastronomie mondialement reconnue.

Enfin, grâce à la coopération internationale, l’alimentation peut aussi être un outil pour la paix, qu’il s’agisse de lutter contre la faim ou d’échanger des denrées alimentaires dans le cadre du commerce mondialisé. Les rapporteurs ont pu effectuer deux déplacements, l’un à Rome, auprès des agences onusiennes chargées des questions agricoles et alimentaires, l’autre à Bruxelles, auprès de la Commission européenne.

Si le commerce international bénéficie à l’Union européenne, les accords de libre-échange conclus par celle-ci pourraient toutefois protéger davantage les producteurs et les consommateurs européens, et conforter ainsi la souveraineté alimentaire de l’Union.

Les rapporteurs proposent une trentaine de recommandations pour mobiliser davantage la France et l’Union européenne sur les enjeux alimentaires, aux niveaux national, européen et multilatéral. Ils demandent un engagement plus important de notre diplomatie et de nos armées, tout en appelant également à une exemplarité de notre pays sur son sol, dans trois domaines : la lutte contre le gaspillage alimentaire, la fin de la précarité alimentaire et la création d’une « éducation à l’alimentation » dans toutes les écoles.

I.   L’alimentation dans le monde : état des lieux

A.   Cartographie internationale de l’alimentatIon

Au niveau mondial, l’alimentation s’inscrit dans des « systèmes alimentaires », c’est-à-dire « des réseaux interdépendants d’acteurs (entreprises, institutions financières, organismes publics et privés), localisés dans un espace géographique donné (région, État, espace plurinational), et participant directement ou indirectement à la création de flux de biens et services orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’un ou plusieurs groupes de consommateurs localement ou à l’extérieur de la zone considérée » (Rastoin et Gershi, 2010). Cette définition inclut les nombreux intervenants de la chaîne alimentaire, dès la semence végétale.

1.   Quelques 570 millions d’exploitations agricoles à l’échelle planétaire

L’alimentation de la population mondiale nécessite l’intervention de professionnels, au premier rang desquels figurent les agriculteurs et les pêcheurs. Selon les chiffres des chercheurs Sébastien Abis et Pierre Blanc, publiés dans un ouvrage commun en 2023, 1,3 milliard de personnes vivent de l’agriculture, soit 28 % de la population active mondiale (contre 45 % en 1990) mais avec de fortes disparités selon les pays. Ce secteur représente une part très importante des emplois en Afrique subsaharienne (environ un emploi sur deux), en Inde et en Asie du Sud (40 %), en Chine et dans les pays arabes (25 %), mais seulement 5 % dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([1]).

Au niveau international, plusieurs types d’agricultures coexistent : agriculture intensive qui mobilise de nombreux intrants, agriculture raisonnée, agriculture biologique, etc., ainsi que différents types d’exploitations, de l’agriculture familiale traditionnelle aux méthodes industrielles appliquées sur des parcelles immenses.

En 2024, on dénombrait 570 millions d’exploitations agricoles dans le monde et les deux-tiers de la production mondiale de nourriture relevaient d’une agriculture familiale, selon les chiffres transmis en audition par l’agroéconomiste et géographe Hubert Cochet. La plupart des exploitations étaient de petite taille : 72 % avaient une superficie inférieure à 1 hectare, 85 % à 2 hectares et 95 % à 5 hectares. Pour Hubert Cochet, l’agriculture familiale est plus efficace économiquement que l’agriculture intensive (cf. infra).

Il est important de noter qu’une part croissante de la production agricole n’est pas destinée à l’alimentation humaine ou à celle des animaux d’élevage mais aux agro-carburants. Près du tiers de la production américaine de maïs serait ainsi utilisée pour la production d’éthanol ([2]).

Enfin, la production alimentaire mondiale comprend également des produits d’origine aquatique (animaux et algues). Dans son rapport sur La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2024, la FAO estime que 162,5 millions de tonnes d’animaux aquatiques ont été consommés en 2021. La consommation mondiale de ces produits, à l’exclusion des algues, a plus que quintuplé en soixante ans ([3]). Depuis 2022, la production de poissons et de crustacés mobilise davantage l’aquaculture (51 % de la production mondiale) que la pêche de capture (49 %).

La FAO estime que 61,8 millions de personnes travaillaient dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture en 2022 pour la seule production primaire, dont au moins 54 % dans le secteur de la pêche et 36 % dans celui de l’aquaculture ([4]). L’Asie fournissait 85 % de ces emplois, l’Afrique 10 %, l’Amérique latine et les Caraïbes 4 %, mais seulement 1 % pour l’Europe, l’Océanie et l’Amérique du Nord.

2.   Une mondialisation des circuits de production et de consommation

Dans le contexte de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995 et de la multiplication des accords commerciaux régionaux, les échanges de produits agricoles et alimentaires ont connu un essor dans les années 2000, même s’ils ont été ralentis par la crise financière de 2008. Les pays à revenu faible ou intermédiaire restent toutefois moins connectés aux autres pays que ceux aux revenus élevés (cf. carte en annexe 3 présentant l’intensité du commerce des produits alimentaires et agricoles en 1995 et en 2019).

En 2020, les produits agricoles et alimentaires représentaient 1 500 milliards de dollars américains (environ 1 230 milliards d’euros), soit 8 % du commerce mondial ([5]). Environ 20 % de l’ensemble des calories produites sont exportés avant d’être consommés ([6]). Les fruits sont les produits agricoles les plus échangés dans le monde : les échanges en valeur ont quadruplé depuis les années 2000. Pour les viandes, les produits laitiers et les céréales, les échanges ont triplé et pour les huiles et oléagineux, quintuplé ([7]).

En outre, on constate une certaine « globalisation des goûts ». Les consommateurs consomment de plus en plus d’aliments d’origine lointaine et les cuisines les intègrent davantage. La cuisine Nikkei, fusion des cuisines japonaise et péruvienne, en est un exemple (cf. infra).

Comme le rappelle la FAO, si cette mondialisation des marchés alimentaires et agricoles peut avoir des bienfaits, notamment en matière de sécurité alimentaire en proposant de nouvelles sources d’approvisionnements aux pays qui manquent de certaines denrées, elle suscite des inquiétudes : « les échanges internationaux de produits alimentaires et agricoles sont perçus comme contribuant à l’épuisement des ressources naturelles, à la déforestation et à la perte de biodiversité, et contribuent à l’accélération des changements dans les modes de vie et les régimes alimentaires et à l’aggravation des inégalités » ([8]). Ces différents impacts seront présentés dans le rapport.

Enfin, comme l’a souligné le chercheur Sébastien Abis lors de son audition, 80 % des échanges agricoles et alimentaires mondiaux transitent par la mer. Il existe un phénomène de « maritimisation » de la sécurité alimentaire mondiale via le commerce et la logistique : pour assurer leur sécurité alimentaire, les pays multiplient les partenariats et s’approvisionnent par la mer. Cette dernière devient alors un trait d’union entre l’offre et la demande. Toutefois, les dérèglements climatiques et les tensions géopolitiques (en mer Noire par exemple) peuvent limiter l’accès aux océans. En outre, les flux logistiques sont de plus en plus contrôlés par de grandes entreprises et de grands acteurs financiers privés.

3.   Une influence croissante des grands acteurs privés

S’il existe une multitude d’intervenants de toutes tailles qui opèrent dans les domaines agricole et alimentaire, l’accélération de la mondialisation a consolidé le pouvoir de certains très grands acteurs, et ce d’autant plus lorsqu’ils se sont engagés dans des stratégies de concentration. Ils définissent parfois eux-mêmes des normes qui dépassent les réglementations publiques, notamment en matière sanitaire et, plus récemment, de durabilité, dans le cadre des stratégies de responsabilité sociale des entreprises (RSE).

a.   Une concentration de certains acteurs agricoles

Bien qu’il soit difficile de dresser un panorama général, les chaînes de production étant souvent complexes et les données insuffisantes, on constate une concentration accrue du secteur agricole, au moins en Europe.

En France métropolitaine, alors que près de 100 000 exploitations agricoles ont cessé d’exister entre 2010 et 2020 (de 490 000, elles sont passées à 390 000), la superficie agricole utilisée n’a reculé que de 1 % ([9]). Cette concentration de l’activité agricole s’illustre notamment par l’accroissement des grandes exploitations supérieures ou égales à 100 hectares et par une diminution continue du nombre d’actifs.

L’Europe connaît le même phénomène, avec une baisse de 37 % du nombre des exploitations agricoles entre 2005 et 2020, principalement de celles de moins de 5 hectares, et une progression de celles de plus de 100 hectares ([10]).

Cette tendance n’est néanmoins pas nécessairement vérifiée à l’échelle internationale. Dans les pays pauvres d’Afrique subsaharienne qui sont confrontés à une forte hausse de leur démographie et dans lesquels une grande partie de la population demeure rurale, la taille des exploitations tendrait à diminuer. Ainsi, dans un rapport de 2020, la FAO dressait le constat suivant : « les données issues des recensements agricoles indiquent que, entre 1960 et 2000, la taille moyenne des exploitations a baissé dans l’ensemble des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, tandis qu’elle augmentait dans les pays à revenu élevé » ([11]). La FAO cite plusieurs facteurs qui contribuent à une augmentation de la taille des exploitations : « l’évolution de la croissance démographique rurale, les améliorations technologiques et la migration des ruraux vers les villes ».

La concentration est également visible dès l’amont de la production, dans les secteurs agrochimiques et des semences.

Le lien entre les secteurs des semences et de l’agrochimie alimentaire, qui produit des pesticides et des fertilisants, est le fruit de plusieurs fusions-acquisitions qui ont eu lieu dès les années 1990 (cf. Annexe 5). La concentration de ces marchés s’est ensuite renforcée ces dernières années. Parmi les évènements emblématiques, peuvent tout d’abord être cités la fusion des deux entreprises Dow et DuPont ([12]), représentées aujourd’hui par l’entité Corteva pour le domaine de l’agriculture et de l’agrochimie, ainsi que le rachat de Syngenta par ChemChina en 2017. En 2018, l’entreprise Monsanto a également été rachetée par Bayer. Enfin, en 2021, les sociétés SinoChem Group et ChemChina ont été regroupées dans une même holding, SinoChem Holdings, créant ainsi l’une des plus importantes entités dans les secteurs agrochimiques et des semences. Cette dynamique crée des entreprises en situation de position dominante : BASF, Bayer, SinoChem Holdings et Corteva détiendraient 75 % du marché des semences.

Une étude de l’OCDE sur la concentration des marchés des semences ([13]), reprise par la FAO, souligne les contraintes que peuvent présenter ces analyses générales et met en lumière les différents degrés de concentration selon les cultures et les pays.

La variation du degré de concentration des marchés de semences
par culture et par région

C:\Users\PADAUPHIN\Desktop\marchées.pngSource : « La situation des marchés des produits agricoles 2020 », FAO, 2020.

Pour les fertilisants, une dizaine d’entreprises fournit plus de la moitié des intrants du marché, dont les leaders Yara (engrais azotés), Potashcorp (potasse) et OCP (phosphate) ([14]).

b.   Une concentration très marquée du secteur agroalimentaire

Le secteur agroalimentaire est aujourd’hui concentré autour de quelques très grandes entreprises (cf. schéma en Annexe 4).

Trois sociétés se partagent, par exemple, l’essentiel du secteur de la confiserie industrielle : Mondelez (marques Cadbury, LU, Oreo, Côte d’Or, Milka, Prince, Toblerone, Suchard, etc.), Nestlé (KitKat, Crunch, Smarties, etc.) et Mars (M&Ms, Bounty, Twix) ([15]).

Pour les produits laitiers, la concentration s’effectue également autour de quelques groupes, dont les trois premiers sont Nestlé, Lactalis et Danone. Ces dernières années, le groupe français Lactalis s’est retrouvé au cœur de l’actualité après avoir acheté des activités aux États-Unis (entreprise Stonyfield achetée à Danone en 2017 ; activités fromagères de Kraft Heinz en 2020), au Brésil (Itambé, 2019) et en Europe (Nuova Castelli en 2019 ; filiales allemandes, italiennes et ukrainiennes de Bel, en 2021).

Certains groupes disposent même d’une multitude de marques, dans des secteurs variés, qui dépassent l’industrie agroalimentaire. C’est le cas du groupe anglo-néerlandais Unilever, qui détient 400 marques et se retrouve sur le marché des glaces (Ben & Jerry’s, Grom, Miko avec les gammes Carte d’Or, Cornetto, Magnum, etc.), des sauces et condiments (Amora, Maille, Hellmann’s, Tabasco), mais aussi des soins du corps (Axe, Dove, Signal) ou des produits d’entretien (Cif, Omo, Sun) ([16]). De même, le groupe Nestlé a investi dans les lentilles de contacts (Care) et est le deuxième actionnaire de L’Oréal.

En France, en 2021, parmi les industries agroalimentaires stricto sensu ([17]), ce sont 350 entreprises de taille intermédiaire (de 250 à 5 000 salariés) et de grande taille (plus de 5 000 salariés), qui réalisent 85 % du chiffre d’affaires et 93 % du chiffre d’affaires à l’exportation ([18]). Les trois groupes agroalimentaires bénéficiant des chiffres d’affaires les plus importants étaient à cette date Danone, Lactalis et Pernod Ricard. Ces entreprises réalisent plus de 80 % de leurs activités à l’international ([19]).

Cette concentration des acteurs agroalimentaires au niveau international a été favorisée par plusieurs facteurs : la globalisation des marchés et des acteurs, la recherche de compétitivité, la financiarisation du secteur, mais aussi l’émergence de normes en matière de sûreté alimentaire, contraignantes et coûteuses pour les acteurs plus petits ([20]).

c.   Une concentration des négociants internationaux

Le secteur des négociants internationaux de produits primaires et de première transformation est lui aussi très concentré. Plusieurs entreprises se distinguent en son sein : Archer Daniels Midland, Bunge, Cargill, Cofco, Glencore, Louis Dreyfus et Olam. Elles représentent 50 % du commerce d’oléagineux et de céréales et 20 % du négoce agricole ([21]).

Selon Raphaël Latz, directeur général de Louis Dreyfus Company France et Europe, 50 millions de tonnes de denrées sont transportées chaque jour dans le monde et la mer est devenue, de fait, un espace de stockage.

Les négociants internationaux de produits primaires et de première transformation se sont détachés de leur unique rôle d’intermédiation pour investir progressivement plusieurs pans de la chaîne agroalimentaire.

Les « ABCD »

Le terme « ABCD » est un surnom donné à quatre grandes multinationales de négoce présentes sur le marché depuis plus d’un siècle : Archer Daniels Midland (ADM, créée en 1902), Bunge (1818), Cargill (1865), toutes trois basées aux États-Unis, et Louis Dreyfus (1851), aux Pays-Bas.

Ces entreprises se sont initialement développées dans le commerce des biens agricoles, et en particulier céréaliers, qui a connu une croissance considérable au niveau mondial depuis la seconde moitié du XIXe siècle.

Elles se sont ensuite diversifiées en investissant dans plusieurs pans de la chaîne agroalimentaire, de la production au transport, pour mieux contrôler la chaîne et éviter d’être soumises à la volatilité des prix. Les « ABCD » ont dès lors étendu leurs activités aux domaines de l’agrochimie et des fertilisants, de la nutrition animale ou encore des biocarburants.

Cette diversification s’est également illustrée par le développement de leurs activités financières, à travers notamment la création de fonds d’investissements et de sociétés de gestion d’actifs ou des risques, à l’instar de la filiale d’ADM, ADM Investor Services (ADMIS).

Si elles conservent une très grande partie du commerce de céréales et de soja, elles sont aujourd’hui concurrencées par de nouveaux acteurs tels que l’entreprise chinoise COFCO Corp ou les entreprises Olam International et Wilmar, basées à Singapour.

d.   Une financiarisation des systèmes alimentaires

Les acteurs financiers jouent un rôle croissant dans l’alimentation mondiale, au point qu’on parle d’une « financiarisation des systèmes alimentaires ».

Ils ont investi massivement dans les secteurs agricole et agroalimentaire, même lorsqu’ils ne disposaient pas de spécialisation dans ces domaines. Des investisseurs privés achètent directement des terres agricoles et participent alors au phénomène d’accaparement des terres (voir infra). De grands gestionnaires d’actifs comme BlackRock, Vanguard et State Street ont aussi activement contribué au développement des grands groupes agroalimentaires présenté supra en prenant des parts à leur capital.

En parallèle, le trading de matières premières agricoles peut contribuer à la volatilité des prix et donc renforcer l’insécurité alimentaire, en particulier dans les pays les plus dépendants des importations agricoles. En audition, l’organisation non gouvernementale (ONG) CCFD-Terre Solidaire a dénoncé des « spéculations sur la faim » − notamment au début de la guerre en Ukraine  ([22]) − permises par un système alimentaire mondial « dérégulé, très concentré et financiarisé ». Les rapporteurs regrettent de ne pas avoir pu auditionner d’acteur direct de ce secteur qui fait l’objet de nombreuses critiques.

B.   Une insécurité alimentaire qui a progressé dans de nombreuses régions du monde

1.   Une hausse tendancielle de l’insécurité alimentaire

a.   733 millions de personnes souffriraient de la faim, 281 millions d’insécurité alimentaire aiguë

La FAO définit la faim comme « une sensation physique inconfortable ou douloureuse causée par une consommation insuffisante d’énergie alimentaire ». La faim est mesurée par la prévalence de la sous-alimentation ([23]).

Selon le rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2024 (« The state of food security and nutrition in the world 2023 », SOFI) ([24]), en 2023, entre 713 millions et 757 millions de personnes dans le monde pourraient avoir souffert de la faim. Si cette dernière a globalement diminué de manière constante entre 2005 et 2010, avant de se stabiliser au début de la décennie 2010, elle a à nouveau progressé fortement à partir de 2017 et surtout de 2019 à 2021. Depuis, elle se maintient au même niveau : en 2023, en moyenne, 733 millions de personnes (9,1 % de la population mondiale) seraient concernées par la sous-alimentation, soit 152 millions de personnes de plus qu’en 2019 (7,5 %).


État de la faim dans le monde en nombre et en pourcentage, 2005-2023

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Source : FAO, 2024.

En conséquence, le rapport SOFI de 2024 rappelle qu’il est peu probable d’atteindre le deuxième objectif du développement durable (ODD n° 2) formulé par les Nations unies à l’horizon 2030. Il précise qu’à cette date, au contraire, « près de 582 millions de personnes seront en situation de sous-alimentation chronique ». Selon les informations transmises par la FAO aux rapporteurs lors de leur déplacement à son siège à Rome, les prévisions étaient de 471 millions d’individus avant la pandémie de coronavirus et 567 millions avant la guerre en Ukraine.

La notion de faim se distingue de l’insécurité alimentaire, une notion moins familière mais permettant une analyse plus complète.

La FAO définit la sécurité alimentaire comme une situation dans laquelle « tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour mener une vie active et en bonne santé » ([25]). Le concept de sécurité alimentaire repose principalement sur quatre piliers :

– la « disponibilité », c’est-à-dire le fait de disposer d’une nourriture sans substance nocive, acceptable dans une culture déterminée, en quantité et en qualité suffisante ;

– l’« accès » (économique, social et physique), la situation dans laquelle le revenu permet à chacun de se nourrir suffisamment, et où la part de ce revenu consacrée à la nourriture n’empêche pas la satisfaction des autres besoins élémentaires ;

– l’« utilisation », le fait de disposer d’une alimentation adéquate, d’eau potable, d’installations sanitaires permettant d’atteindre un état de bien-être nutritionnel ;

– la « stabilité », la capacité d’assurer la sécurité alimentaire en cas de chocs soudains ou de phénomènes cycliques.

La FAO a ajouté deux dimensions supplémentaires : l’agencéité ([26]) et la durabilité du système alimentaire.

L’insécurité alimentaire est quant à elle mesurée par plusieurs outils, dont le plus connu est le cadre intégré de classification et de sécurité alimentaire (Integrated food security phase classification, IPC).

Le cadre intégré de classification et de sécurité alimentaire (IPC)

L’IPC, créé en 2004 par la FAO, est désormais régi par un partenariat mondial regroupant plus d’une dizaine d’organisations. Il classe l’insécurité alimentaire en cinq phases, chacune de gravité différente :

- phase n° 1 : aucune insécurité alimentaire ou minimale (satisfaction des besoins alimentaires pour la majorité des ménages) ;

- phase n° 2 : sous pression (consommation alimentaire minimale adéquate qui empêche la consommation de certains bien essentiels) ;

- phase n° 3 : crise (déficit de consommation alimentaire qui conduit à une malnutrition, ou à un épuisement des moyens de subsistance) ;

- phase n° 4 : urgence (important déficit de consommation alimentaire qui conduit à une forte malnutrition, une mortalité élevée et à des stratégies de subsistance d’urgence) ;

- phase n° 5 : catastrophe, famine (manque extrême de nourriture, même après avoir usé de toutes les stratégies de survie. Niveau critique de mortalité et de malnutrition).

Ce cadre est établi à partir de critères objectifs et standardisés à l’échelle mondiale (état nutritionnel, mortalité, niveau de consommation alimentaire, etc.), auxquels s’ajoutent des facteurs mouvants (les prix de la nourriture, l’accès à celle-ci, etc.).

La FAO considère qu’une intervention internationale doit être organisée en urgence à partir de la phase n° 3. Dans les faits, la communauté internationale attend néanmoins trop souvent un classement supérieur pour réagir.

L’IPC est aujourd’hui complété par le cadre harmonisé (CH). Créé dans les années 1980, il permet l’analyse et l’identification des zones à risques et des populations affectées par l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Un rapprochement des deux indicateurs a été opéré, les données CH sont ainsi intégrées et publiées sur le site de l’IPC.

Selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2024 ([27]), en 2023, 281 millions de personnes souffraient d’une insécurité alimentaire aiguë (phases 3 à 5 de l’IPC/CH) dans cinquante-neuf pays et territoires, contre 193 millions dans cinquante-trois pays et territoires en 2021. Si cette croissance reflète en partie une hausse de la population analysée, elle démontre aussi une détérioration de la sécurité alimentaire. Depuis quatre ans, la proportion de personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë dans les zones couvertes par le rapport reste proche de 22 %, soit un niveau très supérieur à celui observé avant la pandémie de Covid-19.

En parallèle, la FAO appelle à lutter également contre l’insécurité alimentaire modérée (phase 2 de l’IPC/CH). Marquée par un accès incertain à la nourriture, cette situation pousse les individus à sacrifier certains besoins fondamentaux ou à se tourner vers des aliments peu nutritifs car moins chers et plus aisément disponibles. Or, la malnutrition participe également à l’insécurité alimentaire : si ces aliments peuvent permettre de satisfaire certains besoins en calories, les nutriments essentiels au bon fonctionnement du corps humain manquent. La FAO considère que 2,8 milliards de personnes (35 % de la population mondiale) n’avaient pas les moyens de s’alimenter sainement en 2022.

b.   Une insécurité alimentaire inégalement répartie entre États et au sein de ceux-ci

Le rapport SOFI de 2024 souligne que si la faim a légèrement diminué en 2023 dans certaines parties du monde – notamment en Amérique latine – elle continue à augmenter en Afrique et se stabilise en Asie. Dans toutes les régions, elle demeure à un niveau supérieur à celui enregistré avant la pandémie de Covid˗19.

La proportion de la population qui souffre de la faim est bien plus importante en Afrique que dans les autres régions du monde : 20,4 % en 2023, contre 8,1 % en Asie, 6,2 % en Amérique latine et dans les Caraïbes, 7,3 % en Océanie et moins de 2,5 % en Amérique du Nord et en Europe.

L’Afrique subsaharienne est également particulièrement touchée par la malnutrition : 843 millions de personnes n’avaient pas les moyens de se nourrir sainement en 2022, soit 72 % de la population.

En 2022, les pays dont la part de la population en situation de sous-alimentation est la plus élevée étaient Madagascar (51 % de la population), la République centrafricaine et la Somalie (49 %), le Lesotho (46 %), la Corée du Nord (45,5 %) et Haïti (45 %) ([28]).

Carte de la faim de la FAO 2020-2022

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Prévalence de sous-alimentation - Indicateur 2.1.1 de l’ODD

Source : FAO, 2023.

Selon la carte actualisée de l’IPC ([29]), l’insécurité alimentaire touche principalement l’Afrique subsaharienne, le Proche-Orient, l’Afghanistan et le Pakistan, l’Asie du Sud et l’Amérique centrale.

 

 

 

 

 

 

Carte IPC de l’insécurité alimentaire dans le monde sur la période 2022-2024

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D’après le rapport mondial sur les crises alimentaires 2024, la majorité des personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë (phase 3 de l’IPC/CH ou plus) en 2023 vivent dans dix pays : la République démocratique du Congo (25,8 millions), le Nigeria (24,9 millions), le Soudan (20,3 millions), l’Afghanistan (19,9 millions), l’Éthiopie (19,7 millions), le Yémen (18 millions), la République arabe syrienne (12,9 millions), le Bangladesh (11,9 millions), le Pakistan (11,8 millions) et la Birmanie (10,7 millions).

En novembre 2023, dans le cadre d’un déplacement à Haïti, dans sa circonscription, la rapporteure Éléonore Caroit avait pu constater le caractère extrêmement préoccupant de la situation alimentaire sur place. L’accès à l’alimentation et sa bonne circulation sont en effet fortement compromis du fait du conflit en cours. Les importantes difficultés de circulation entre la ville de Port-au-Prince et le reste du pays empêchent notamment le bon approvisionnement des denrées alimentaires et entraînent des pertes de matières premières conséquentes, lesquelles ne peuvent être stockées du fait des conditions locales. Or, la division des opérations d’urgence du Programme alimentaire mondiale (PAM) a indiqué lors de son audition à Rome qu’elle manquait de financements pour répondre à la crise à Haïti.

La situation à Haïti

Selon la dernière analyse de l’IPC ([30]) en Haïti, 5,41 millions de personnes – soit la moitié de la population du pays – se trouveraient dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë sur la période allant d’août 2024 à février 2025. Parmi elles, 3,4 millions seraient classées en phase 3 de l’IPC, 2 millions en phase 4 000 et 6 000 en phase 5. La situation s’est récemment détériorée par rapport à la période d’août 2023 à février 2024, pendant laquelle 4,35 millions d’Haïtiens étaient considérés en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Le nombre de zones classées en phase 4 de l’IPC est passé de cinq en août 2023 à quinze en août 2024.

Si la crise alimentaire actuelle est favorisée par la très forte augmentation de la violence des gangs armés qui limite la circulation des marchandises et des personnes, ainsi que par la crise économique et l’inflation, elle trouve aussi son origine dans des facteurs plus anciens, tels que la récurrence des crises politiques et des chocs économiques, l’insuffisante capitalisation des exploitations agricoles ou encore la faible résilience face aux catastrophes naturelles (inondations, sécheresses, séismes dont les séismes majeurs de 2010 et 2021).

Enfin, l’insuffisance de l’aide humanitaire est également mise en cause. Ainsi, entre août et décembre 2023, seulement 5 % de la population avait bénéficié d’une aide alimentaire ([31]). Pourtant, cette dernière joue un « rôle crucial » lorsqu’elle est mise en œuvre. Au début de l’année 2024, elle a « [atténué] les déficits alimentaires dans quatre zones géographiques ciblées, prévenant ainsi une dégradation plus sévère de la sécurité alimentaire des ménages les plus vulnérables » ([32]).

Le dernier rapport de l’IPC recommande des interventions d’urgence dans les zones classées en phase 3,4 et 5, mais aussi de mieux articuler les actions d’urgence avec celles qui concernent le développement.

En 2023, les habitants de cinq pays ou territoires ont été confrontés à la famine et au dénuement, ou à un manque extrême de nourriture (phase 5 de l'IPC/CH) : la bande de Gaza, le Soudan du Sud, le Burkina Faso, la Somalie et le Mali.

Les rapports du Global Report on Food Crises (GFRC), du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) attirent particulièrement l’attention sur les situations alimentaires très critiques au Soudan, en conflit depuis plus d’une année, et dans la bande de Gaza, dont le blocage des points de ravitaillement empêche l’arrivée d’aide humanitaire. Selon le GFRC, « le Soudan compte le plus grand nombre de personnes au monde confrontées à des niveaux d’insécurité alimentaire aiguë d’urgence (phase 4 de l’IPC). La bande de Gaza connaît désormais la crise alimentaire la plus grave de l’histoire de l’IPC et du GRFC » ([33]). Selon les dernières données publiées par l’IPC, en octobre 2024, 86 % de la population gazaouie se trouvait en phase 3 ou supérieure de l’IPC, dont 133 000 personnes confrontées à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire (phase 5 de l’IPC) et à un risque de famine. Le nombre de personnes classées en phase 5 devrait tripler dans les prochains mois ([34]).

Au sein des États, l’insécurité alimentaire ne touche pas les populations et territoires de manière uniforme. Au Nigeria, elle est par exemple principalement localisée dans le nord-est du pays, vulnérable aux inondations, à la sécheresse et à la désertification. Plus généralement, elle touche davantage les territoires ruraux que les villes (rapport SOFI 2023).

Les moyennes nationales sur l’insécurité alimentaire peuvent également masquer certaines réalités, particulièrement dans les pays développés. Au Royaume-Uni par exemple, 8 millions d’adultes (14,8 % des ménages) ont connu une insécurité alimentaire en janvier 2024. Le même mois, 3 millions d’adultes (5,8 % des ménages) n’ont pas pu manger pendant une journée par manque de moyens ([35]).

Le rapport de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (International Food Policy Research Institute, IFPRI) de 2023 note que l’insécurité alimentaire touche principalement les femmes, les personnes à faibles revenus et les jeunes.

Selon ce document, les femmes subissent de façon disproportionnée les crises « en raison des obstacles structurels et normatifs qui limitent leur résilience et leur capacité à réagir efficacement » ([36]). Les normes et inégalités de genres empêchent par exemple les femmes de devenir propriétaire de terres agricoles ou de prendre des décisions financières. Lors des crises, elles sont généralement les premières à sacrifier leur alimentation pour leurs proches.

Les ménages les moins aisés sont également davantage exposés à l’insécurité alimentaire, en particulier dans un contexte d’inflation : il leur est plus difficile de s’alimenter correctement du fait de la hausse du prix de l’alimentation saine.

Enfin, les enfants sont très vulnérables à l’insécurité alimentaire, et particulièrement à la malnutrition. Selon le PAM, chaque année, 45 millions d’enfants souffrent de malnutrition sévère.

c.   Un phénomène multifactoriel amplifié par les crises récentes

D’après la FAO, la hausse de l’insécurité alimentaire à travers le monde depuis 2020 est due à la combinaison de conflits, de chocs économiques et d’évènements météorologiques extrêmes.

En 2023, le GFRC a évalué les conflits et l’insécurité comme étant le facteur prédominant d’insécurité alimentaire aiguë dans vingt pays et territoires dans lesquels 135 millions de personnes se trouvaient en phase 3 de l’IPC/CH, ou plus.

Les conséquences d’une guerre sur la sécurité alimentaire d’une région sont désastreuses : paupérisation des populations, déplacements forcés et destruction des moyens de production agricole, parfois de manière volontaire, certains belligérants utilisant l’alimentation comme une arme.

Les chocs économiques sont quant eux le premier facteur dans vingt-et-un pays où 75 millions de personnes étaient en phase 3 de l’IPC/CH en 2023. Ces chocs ont un double effet : une hausse du prix des denrées alimentaires, compliquant ainsi l’accès pour les populations les plus pauvres, et l’affaiblissement de la résilience économique des pays, ce qui réduit la capacité d’absorption de chocs futurs.

Dans son rapport de 2023, l’IFPRI insistait sur les impacts socioéconomiques de la pandémie de Covid-19 : « [elle] a provoqué une récession mondiale, des pénuries de main-d’œuvre généralisées, des pertes alimentaires et des goulets d’étranglement dans les transports, affectant tant la quantité que la qualité des aliments disponibles. Avec la reprise post-covid, les prix des produits alimentaires, du carburant et des engrais ont bondi, générant de nouveaux problèmes qui se sont exacerbés avec la guerre en Ukraine (…) » ([37]).

Selon le GFRC, la guerre en Ukraine a eu un impact « démesuré », lié à la fois à la dépendance des systèmes alimentaires mondiaux aux exportations agricoles (blé, maïs, huile, tournesol, etc.) et d’engrais ukrainiens comme russes, et au contexte postpandémie. En 2022, l’indice mondial des prix alimentaires a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré par la FAO.


L’impact de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire mondiale

Le Center for strategic and international studies (CSIS) considère que « la guerre de la Russie en Ukraine a causé la plus importante perturbation des marchés agricoles mondiaux en lien avec le militaire depuis au moins un siècle » ([38]).

L’Ukraine et la Russie figurent parmi les premiers exportateurs mondiaux de céréales (blé, orge, graine et huile de tournesol, maïs, colza et huile de colza). En 2021, la Russie était par exemple le premier exportateur mondial de blé (33 millions de tonnes de blé) et l’Ukraine le cinquième (18,8 millions de tonnes de blé) ([39]). L’Ukraine exportait 80 millions de tonnes de produits agricoles en 2021 (sur les 110 millions qu’elle produisait), soit 5 % du commerce agricole mondial ([40]).

Or, la destruction d’une partie des moyens de production agricoles ukrainiens et l’arrêt du passage du fret dans la mer Noire de mars à août 2022 ont causé une forte diminution des exportations ukrainiennes, et donc une baisse de l’offre mondiale de grain. Si l’initiative céréalière de la mer Noire de juillet 2022 a permis l’exportation de 33 millions de tonnes de céréales ukrainiennes, le retrait de la Russie de cette dernière, en juillet 2023, a ensuite favorisé une nouvelle augmentation des prix.

De plus, les sanctions occidentales contre le pétrole russe ont provoqué une hausse généralisée du prix du carburant, et donc des coûts de production agricoles à travers le monde ([41]). Ces derniers ont également augmenté du fait de la hausse du prix des engrais – dont une grande quantité provient de Russie et de Biélorussie – et ce malgré le fait que les sanctions occidentales ne concernent pas les produits agricoles.

Enfin, même si les prix des produits alimentaires augmentaient déjà régulièrement avant la guerre, l’incertitude supplémentaire suscitée par le conflit a également contribué à leur forte hausse.

In fine, l’insécurité alimentaire a progressé, particulièrement dans les États les moins résilients : quarante-cinq des pays les moins avancés importaient près de la moitié de leurs céréales d’Ukraine ou de Russie ([42]). Par ailleurs, les États disposaient d’une marge de manœuvre financière réduite dans le contexte post Covid-19.

La troisième cause majeure d’insécurité alimentaire est l’occurrence de phénomènes météorologiques extrêmes. Elle a été le principal facteur d’insécurité alimentaire aiguë dans dix-huit pays en touchant 72 millions de personnes. Renforcés par le réchauffement climatique, ces évènements sont préjudiciables à l’agriculture (sécheresse, inondation) et mettent en péril la stabilité des États. Selon les projections de l’IFPRI, 72 millions de personnes supplémentaires risquent de souffrir de sous-alimentation d’ici 2050 en raison des conséquences du changement climatique.

Le tableau de l’Observatoire Défense et Climat en Annexe 6 présente les différents impacts des changements climatiques sur les ressources agricoles : celles-ci sont sujettes à une réduction de leur disponibilité, de leur accessibilité et de leur utilisation.

Les rapporteurs notent que l’accaparement du foncier agricole (cf. infra) et la spéculation sur les prix des matières premières agricoles, qui aggrave l’effet des chocs économiques, constituent également des facteurs structurels contribuant à l’insécurité alimentaire.

2.   Un risque : une hausse de la conflictualité potentielle

La compétition pour l’alimentation – qu’il s’agisse de ressources agricoles ou halieutiques – augmente la conflictualité potentielle. Or, cette compétition est accrue par les dérèglements climatiques.

Ce sujet a été présenté en détail dans le rapport intitulé Dérèglements climatiques et conflits, des députés Alain David et Frédéric Petit, publié au mois de janvier 2021 au nom de la commission des affaires étrangères ([43]). Ce document démontre, d’une part, que l’insécurité alimentaire est renforcée par les dérèglements climatiques (cf. supra) et, d’autre part, qu’elle est source de tensions internes et transfrontalières.

Il présente deux études de cas : la crise syrienne et la région du lac Tchad. Pour cette dernière, le rapport indique que « les dérèglements climatiques qui frappent le basin du lac Tchad ont aggravé les vulnérabilités préexistantes : ils ont bouleversé l’économie locale, renforcé la compétition pour les ressources agricoles et favorisé l’extension des groupes armés terroristes ».

De même, ce rapport rappelle que les changements climatiques accroissent les tensions liées à l’eau. La ressource en eau, indispensable pour de nombreuses activités humaines – dont les activités agricoles – est inégalement répartie et de plus en plus disputée ([44]). Le document précise : « si « une guerre de l’eau » n’est pas à craindre à court terme, les tensions liées à l’eau, désormais accentuées par les dérèglements climatiques, peuvent s’ajouter à d’autres tensions préexistantes, et renforcer alors le risque de conflictualité ».

3.   Un paradoxe : le gaspillage alimentaire

Alors que la faim et l’insécurité alimentaire atteignent des niveaux extrêmement élevés, la FAO estime que 13 % des denrées alimentaires seraient perdues à l’échelle mondiale dans la chaîne de distribution, du stade de l’après-récolte jusqu’à celui qui précède la vente au détail.

D’après le dernier rapport sur le gaspillage alimentaire publié par le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en mars 2024 ([45]), 19 % de la nourriture totale disponible pour la consommation serait ensuite gaspillée au niveau des ménages, des services de restauration et de la vente au détail, soit 1,05 milliard de tonnes de nourriture en 2022 ([46]). Les ménages gaspillent au moins un milliard de repas par jour à l’échelle mondiale, soit 79 kilogrammes de nourriture en moyenne par individu et par an.

Si les données demeurent toutefois encore insuffisantes au niveau international et s’il existe parfois des divergences entre les institutions sur les méthodes utilisées pour le calcul des pertes et gaspillages alimentaires, dits « PGA », ces chiffres permettent néanmoins d’appréhender le phénomène comme massif.

En outre, selon le PNUE, le gaspillage alimentaire ne doit pas être considéré comme un problème qui concernerait uniquement « des pays riches » : les différences relevées pour le gaspillage moyen des ménages entre les pays à revenu élevé, à revenu intermédiaire supérieur et à revenu intermédiaire inférieur sont seulement de 7 kilogrammes par habitant et par an.

En France, en 2016, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) évaluait les PGA à 150 kg par personne et par an sur l’ensemble de la chaîne de l’alimentation, ce qui représentait 18 % du total des produits alimentaires ([47]). Selon une étude réalisée par des acteurs privés ([48]), parmi dix pays européens, en 2022, la Norvège enregistrerait le taux le plus élevé, et le Royaume-Uni, le plus bas. Aux États-Unis, l’organisation à but non lucratif ReFED estime que les PGA représentent 38 % de l’approvisionnement alimentaire total national.

Lutter contre les PGA apparaît aujourd’hui comme un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire, l’efficience agricole, mais aussi la lutte contre le réchauffement climatique et la détérioration de l’environnement. Le PNUE estime en effet que le gaspillage alimentaire est responsable de 8 à 10 % des émissions globales de gaz à effet de serre et mobilise environ 30 % des terres agricoles ([49]). Selon le rapport Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2024˗2033, diviser par deux les PGA d’ici 2030 permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 4 % à l’échelle mondiale et le nombre de personnes sous alimentées de 153 millions. Au vu de ces enjeux, la communauté internationale a mis en place des initiatives pour lutter contre le gaspillage alimentaire.

En 2014, la 41e session du Comité de la sécurité alimentaire (CSA) a placé la nécessité de lutter contre le PGA au sein de l’effort collectif pour la transition vers des systèmes alimentaires durables.

La même année, la deuxième conférence internationale sur la nutrition (CIN2) ([50]) a abouti à un cadre d’action stratégique qui prévoit, dans sa recommandation n° 11, « d’améliorer les techniques et infrastructures d’entreposage, de conservation, de transport et de distribution afin de réduire l’insécurité alimentaire saisonnière, les pertes d’aliments et d’éléments nutritifs et le gaspillage ». De plus, les gouvernements ont adopté une déclaration finale, dite « déclaration de Rome », le 21 novembre 2014, dans laquelle ils « [reconnaissent] qu’il faudrait réduire les pertes et les gaspillages de produits alimentaires d’un bout à l’autre de la filière alimentaire, en vue de contribuer à la sécurité alimentaire, à la nutrition et au développement durable ».

En 2015, les États membres de l’ONU ont ensuite adopté l’ODD n° 12.3, selon lequel, à l’horizon 2030, le volume mondial de déchets alimentaires par habitant doit être divisé par deux au niveau de la distribution et de la consommation, tandis que les pertes de produits alimentaires doivent être réduites tout au long des chaînes de production et d’approvisionnement, y compris les pertes après récolte. En 2024, cet objectif semblait très loin d’être atteint.

Le 19 décembre 2019, l’Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 29 septembre « journée internationale de la sensibilisation aux pertes et aux gaspillages alimentaires » ([51]).

Enfin, le 18 juin 2021, la FAO a adopté son cadre stratégique pour la période 2022-2031, avec pour objectif de transformer les systèmes agroalimentaires. La « Réduction des pertes et du gaspillage alimentaires » figure parmi les vingt domaines prioritaires de ce programme et invite les gouvernements à mettre en place des feuilles de route claires sur cette thématique ([52]).

C.   Un sujet négligé dans l’ensemble des pays : la nutrition et l’éducation à celle-ci

1.   La malnutrition, un défi mondial

a.   Un phénomène multiple : de la dénutrition à l’obésité

L’OMS définit la malnutrition comme « les carences, les excès ou les déséquilibres dans l’apport énergétique et/ou nutritionnels d’une personne » ([53]). Elle consiste en un déséquilibre – positif ou négatif – entre le besoin en nutriments du corps et l’apport qu’il reçoit.

Il existe plusieurs formes de malnutrition :

– la dénutrition, soit l’état d’un organisme souffrant d’un déséquilibre nutritionnel caractérisé par un bilan énergétique et/ou protéique négatif  ([54]) ;

– la malnutrition liée à l’apport en micronutriments ([55]), en particulier l’iode, la vitamine A et le fer ;

– le surpoids, l’obésité et les maladies non-transmissibles liées à l’alimentation (maladies cardiovasculaires, cancers, diabète, etc.).

Le rapport sur la nutrition mondiale de 2022, rédigé par un groupe d’experts internationaux, considère qu’il existe une « crise nutritionnelle mondiale ». Celle-ci existait déjà avant la pandémie de Covid-19 mais « s’est considérablement aggravée, affichant des tendances inquiétantes pour toutes les formes de malnutrition, de la faim à l’obésité ». Outre les données concernant la faim, précédemment évoquées, ce rapport indique que « les maladies non transmissibles liées à l’alimentation sont en augmentation et atteignent des niveaux épidémiques – environ 40 % des adultes et 20 % des enfants sont aujourd’hui en surpoids ou obèses ». D’autres données, issues du rapport de 2021, peuvent également être citées : 570,8 millions (29,9 %) de filles et de femmes en âge de procréer (de 15 à 49 ans) étaient anémiques en 2020, 538,7 millions de personnes (8,9 % des femmes et 10,5 % des hommes) étaient diabétiques et 1,2 milliard d’individus (19,9 % des femmes et 24 % des hommes) souffraient d’hypertension.

La malnutrition touche particulièrement les enfants. Selon l’OMS, en 2022, 149 millions d’enfants de moins de 5 ans (22,3 %) souffraient d’un retard de croissance, 45 millions (6,8 %) d’émaciation (trop maigres pour leur taille), et 37 millions (5,6 %) de surpoids ([56]). Enfin, la dénutrition joue un rôle dans environ 45 % des décès d’enfants âgés de moins de 5 ans.

Les adolescentes et les femmes sont également particulièrement victimes de la malnutrition, ce dont témoigne le rapport Dénutries et oubliées : une crise nutritionnelle mondiale pour les adolescentes et les femmes publié par l’UNICEF en mars 2023. Ainsi, l’an dernier, plus d’un milliard de femmes souffraient de dénutrition, de carences en micronutriments essentiels et d’anémie. La même année, le nombre de femmes et d’adolescentes enceintes et allaitantes en situation de malnutrition aiguë a augmenté de 25 % dans les douze pays les plus touchés par la crise alimentaire et nutritionnelle mondiale ([57]).

Enfin, la malnutrition est liée à la pauvreté : elle touche davantage les populations dont les revenus sont moins élevés. L’augmentation du coût de l’alimentation saine dans le monde en est une cause.

b.   Le « double fardeau de la malnutrition » dans les pays à revenu faible ou intermédiaire

Si la malnutrition est un phénomène global, elle n’est pas de même nature selon les pays. Traditionnellement, on considère que les pays à faibles revenus sont ceux qui consomment le moins d’aliments sains et qui ont les taux d’insuffisance pondérale les plus élevés au sein de leur population, alors que les pays à haut revenu auraient accès une alimentation plus variée et en quantité plus importante mais enregistreraient des taux de surpoids et d’obésité élevés pour leur population.

Dans les faits, plus d’un tiers des pays à revenu faible ou intermédiaire (quarante-cinq pays sur cent-vingt-trois dans les années 1990 et quarante-huit pays sur cent vingt-six dans les années 2010), sont exposés aux deux formes de malnutrition à différents stades de leur vie. Ce « double fardeau de la malnutrition » concerne jusqu’à 35 % des ménages dans certains pays, comme l’Azerbaïdjan, le Guatemala ou l’Égypte. La principale raison de ce phénomène est la transition alimentaire rapide vécue par ces pays, avec une baisse de l’activité sportive et une hausse de la consommation d’aliments transformés et sucrés ([58]).

Ainsi, selon le docteur Francesco Branca, directeur du département nutrition pour la santé et le développement de l’OMS, « nous ne pouvons plus classer les pays en deux catégories, ceux à faible revenu et touchés par la sous-nutrition et ceux à revenu élevé et uniquement concernés par l’obésité. »

Or, la pandémie de Covid-19 a affaibli la capacité de financement de ces pays, et donc leur système de santé qui traite moins efficacement les problèmes liés à la malnutrition.

c.   Des conséquences de long terme pour les populations

La malnutrition, qui est la principale cause de mauvaise santé dans le monde, a tout d’abord un coût humain immense. Environ 150 millions d’enfants de moins de 5 ans présentent un retard de croissance, c’est-à-dire une taille inférieure à la moyenne pour leur âge. Ce retard de croissance peut entraîner des problèmes cognitifs, avec des effets sur l’éducation.

Chez les adultes, les régimes alimentaires déséquilibrés sont à l’origine de 20 à 25 % des décès, un taux de mortalité qui aurait augmenté de 15 % depuis 2010.

La malnutrition entraîne une hausse des frais de santé, individuels et collectifs. Le coût des pathologies liées au surpoids et à l’obésité est par exemple estimé à 2 000 milliards de dollars par an, selon la Banque mondiale en 2023.

En outre, la malnutrition provoque une réduction de la productivité et de la croissance économique, ce qui renforce alors la pauvreté – elle-même responsable du phénomène. La Banque mondiale estime que la perte de croissance due à la dénutrition serait de 3 000 milliards par an et représenterait entre 3 et 16 % du produit intérieur brut (PIB) dans les pays à faible revenu.

Enfin, puisqu’elle touche plus spécifiquement les femmes, la malnutrition renforce les inégalités de genre « en réduisant les capacités d’apprentissage, les revenus et les perspectives d’avenir des adolescentes et des femmes, en affaiblissant leurs défenses immunitaires face aux infections et en augmentant le risque de complications graves durant la grossesse et l’accouchement » ([59]).

2.   L’éducation à l’alimentation, un enjeu négligé

a.   Une éducation à la nutrition insuffisante

La FAO définit la nutrition comme « la science qui explique le rôle joué par les aliments et les nutriments dans le corps humain, pendant la croissance et le développement de la vie » , dès 1995 dans un ouvrage sur la nutrition en Afrique ([60]). Le concept ne se réduit néanmoins pas seulement à une discipline scientifique : il « porte sur la relation de l’être humain avec les aliments, quels que soient les aspects étudiés », selon une définition de la faculté de médecine de l’Université de Montréal ([61]).

L’état de nutrition d’un individu se définit comme « la condition nutritionnelle où se trouve l’organisme, exprimée selon certains critères (poids, taille, âge) scientifiquement vérifiés » ([62]). Il dépend de l’apport nutritionnel que reçoit l’organisme, et donc des aliments qu’un individu consomme.

La FAO considère qu’un bon état de nutrition implique :

– un accès à une nourriture nutritionnellement adéquate, suffisante et saine ;

– un accès aux services de santé et un environnement salubre qui garantiront l’utilisation biologique effective des aliments consommés ;

– le savoir et les aptitudes nécessaires à l’acquisition, la préparation et à la consommation d’une alimentation correcte nutritionnellement.

Pourtant, dans de nombreux pays, l’éducation nutritionnelle est trop souvent négligée, dès l’enfance et jusqu’à l’âge adulte. Les enfants abordent la nutrition quasi exclusivement dans le cadre de la santé, et partiellement : seules des informations nutritionnelles « de base » leur sont, éventuellement, fournies. Ils ne disposent ainsi pas d’outils directs pour mieux consommer et ne peuvent pas appréhender l’ensemble des enjeux pour leur vie et pour la communauté.

b.   Une éducation à l’alimentation indispensable

Dès les premières auditions, les rapporteurs ont compris l’importance de développer une éducation à l’alimentation qui comprenne à la fois un volet nutritionnel beaucoup plus fourni et une connaissance de l’ensemble du système alimentaire et de ses acteurs : la variété des produits agricoles et agroalimentaires existants, les agriculteurs et les méthodes de production qu’ils utilisent, les terroirs, les saisons, etc. Cette éducation pourrait même comprendre une histoire de l’alimentation et de la cuisine. Elle nécessiterait, dans tous les cas, un volet pratique avec par exemple, des cours de cuisine et une découverte de la cantine de l’école.

Ainsi, une éducation à l’alimentation réussie permettrait aux individus de faire des choix alimentaires éclairés pour eux-mêmes mais aussi pour la société. S’ils choisissaient ensuite de consommer des aliments locaux et sains, ils contribueraient à faire évoluer les systèmes alimentaires, pour aboutir à une production et à une consommation plus durables.

La FAO se dit consciente de ces enjeux : elle promeut une « éducation alimentaire et nutritionnelle » qui « [aide] les écoliers, les adolescents et leur communauté à améliorer leur alimentation et leurs choix alimentaires ainsi qu’à s’adapter au changement et à devenir des acteurs du changement. [Elle] défend à cet égard une approche globale mobilisant tous les acteurs de l’école : enfants, familles, enseignants, personnel scolaire, agriculteurs locaux, personnel de restauration, vendeurs d’aliments et agents de l’État ». Elle mène actuellement un travail d’évaluation des capacités et des ressources nécessaires dans les systèmes éducatifs nationaux ([63]).

D.   Le coût des systèmes alimentaires actuels pour l’environnement

Dans son rapport SOFI 2023 consacré aux coûts cachés de l’alimentation, la FAO évalue les coûts cachés environnementaux quantifiés liés à l’agriculture à près du tiers de la valeur ajoutée agricole. Ces coûts sont corrélés principalement aux émissions d’azote et de gaz à effet de serre et concernent tous les pays, quel que soit leur niveau de revenu ([64]).

1.   Les systèmes alimentaires contribuent à 20 % des émissions de gaz à effet de serre

Une étude publiée en 2021 dans la revue Nature Food ([65]), estime que l’alimentation serait responsable de 34 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Selon d’autres modèles, les estimations varient entre 25 et 40 %.

La majorité des gaz à effet de serre liés à l’alimentation proviennent de l’agriculture et de l’utilisation des terres agricoles. Les Nations unies donnent plusieurs exemples :

– le méthane issu de la digestion des ruminants ;

– le protoxyde d’azote provenant des engrais utilisés dans les cultures agricoles ;

– le dioxyde de carbone dû à la déforestation visant à étendre les surfaces cultivables ;

– le dioxyde de carbone dû à la déforestation visant à étendre les surfaces cultivables ;

– d’autres émissions agricoles issues de la gestion du fumier, de la riziculture, du brûlage des résidus de cultures et de l’utilisation de carburant dans les exploitations ([66]).

En outre, d’autres activités participent, aux émissions « dans une part bien moindre » :

–  la réfrigération et le transport des données alimentaires ;

– les processus industriels tels que la production de papier et d’aluminium pour le conditionnement ;

– la gestion des résidus alimentaires ([67]).

Il s’agit néanmoins de moyennes. Certaines productions, destinées à l’exportation (cacao, café, bananes, etc.), nécessitent de transporter les aliments sur de très longues distances, ce qui implique des émissions liées au transport plus importantes.

Aux émissions de GES, qui contribuent directement au réchauffement climatique, s’ajoutent également, pour certaines productions agricoles, une pollution de l’air liée au dioxyde d’azote mais aussi des pollutions de l’eau (nitrate, phosphore, etc.) et des sols.

2.   Une surexploitation des ressources

Si l’agriculture peut être source de biodiversité, notamment lorsqu’elle se réfère à l’agroécologie, les systèmes alimentaires actuels sont basés sur une surexploitation des ressources naturelles au niveau mondial.

Selon l’ONG World Wide Fund (Fonds mondial pour la nature ou WWF), « les océans ne sont pas épargnés » puisque 93 % des stocks de poissons sont surexploités ou pleinement exploités afin de répondre à une consommation croissante de produits de la mer ([68]).

L’utilisation de pesticides et la conversion des écosystèmes en terrains agricoles contribuent également à des pertes de biodiversité et à la déforestation. La FAO estime que la production de bétail, de soja et d’huile de palme a été responsable de 40 % de la déforestation tropicale constatée entre 2000 et 2010 ([69]).

Enfin, dans des rapports publiés en 2010 sur les ressources végétales et en 2015 sur les ressources animales, la FAO constatait une homogénéisation des plantes et espèces cultivées ou élevées. Or, cette érosion génétique rend les systèmes alimentaires plus vulnérables aux aléas climatiques et sanitaires.


II.   L’alimentation, un enjeu de souveraineté et de puissance pour les États

Parmi les principales puissances agricoles mondiales figurent la Chine (1re productrice mondiale de blé, de porc, de volaille, de maïs), l’Inde (1re productrice de lait, 2e de blé, de coton, de sucre, de thé et de fruits et légumes), la Russie (1re productrice de betterave à sucre et d’orge, 3e de blé), les États-Unis, mais aussi l’Australie, Brésil, le Canada, ou encore la France, première agriculture d’Europe (18 % de la production de l’Union européenne).

La Chine et l’Inde répondent néanmoins avant tout à la demande de leur marché intérieur et exportent relativement peu. La Chine est ainsi seulement le cinquième exportateur mondial de denrées alimentaires alors qu’elle est le premier importateur ([70]). Au contraire, les États-Unis sont les premiers exportateurs de produits agricoles (1re ou 2e place pour les exportations de maïs, de soja, de blé, de coton, de viande de porc et de volaille) et le Brésil, le premier exportateur net.

Selon le chercheur Sébastien Abis, Moscou a réarmé son agriculture de manière spectaculaire depuis le début des années 2010 : alors que sa balance commerciale agricole était déficitaire de 10 à 20 milliards de dollars entre 2010 et 2014, la Russie bénéficie désormais d’un solde positif de 20 à 25 milliards de dollars par an depuis 2018, grâce à des exportations en forte croissance. Le chercheur précise : « les céréales comptent pour 50 % de ces volumes, mais la Russie place aussi sur les marchés mondiaux de grandes quantités de produits de la mer, d’oléagineux et même de viandes de poulet et de porc. (…) Pour Vladimir Poutine et son entourage [les sujets agricoles] symbolisent non seulement la capacité du pays à s’afficher souverain sur les biens essentiels mais représentent aussi un facteur d’influence croissant dans le monde en raison de l’augmentation de la demande alimentaire. La Russie inscrit cette dialectique en miroir d’une dynamique européenne ou à l’inverse s’est installé un débat différent depuis le début du siècle à propos de l’importance du secteur agricole » ([71]).

Dans le domaine agroalimentaire, les équilibres varient. La Russie est par exemple moins présente alors que les États-Unis disposent de géants industriels et du premier pôle d’innovation. Les acteurs français investissent également dans « l’alimentation de demain ». Le groupe Danone, auditionné par les rapporteurs, a récemment ouvert un centre de recherche et d’innovation sur ce sujet à Paris-Saclay.

Dans ce monde agricole et agroalimentaire multipolaire, la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont rappelé, d’une part, l’importance de la souveraineté pour limiter les dépendances envers les autres États et, d’autre part, que l’alimentation pouvait être utilisée sur les plans militaire et diplomatique. Elle peut en effet être un outil de pression – voire une « arme » – contre d’autres pays ou régions, ce dont ont témoigné les actions menées par la Russie.

Mais au-delà du « hard power », l’alimentation est aussi un outil de « soft power ». Une gastro-diplomatie se développe et certains pays se démarquent, tels que l’Italie et, plus récemment, le Pérou.

A.   L’alimentation, composante de l’autonomie stratégique

Le terme de souveraineté ([72]) est revenu dans le débat public ces dernières années. Dans un contexte international marqué par les rivalités stratégiques, il s’agit alors pour l’État de réaffirmer son autorité.

En outre, à la suite de la pandémie et de l’invasion russe en Ukraine, la notion de « souveraineté alimentaire » est devenue omniprésente en France, qu’il s’agisse du nom même du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire depuis mai 2022 ([73]) ([74]) ou du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PJLOA), qui avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 3 avril 2024 et adopté par cette dernière en première lecture le 27 mai dernier avant la dissolution.

Au niveau européen, si les termes de souveraineté alimentaire ne figurent pas dans les dispositions normatives européennes ([75]), la France inclut l’alimentation dans le concept d’autonomie stratégique – initialement envisagé pour le secteur de la défense – qu’elle promeut.

Il est important de noter que tous les pays n’ont pas de stratégie pour renforcer leur souveraineté alimentaire. La Turquie choisit, par exemple, de concentrer sa production agricole sur des produits qui s’exportent facilement et dont la valeur sur les marchés est élevée, comme la viande, la noisette ou la figue, pour importer ensuite des produits moins chers, dont de la viande en provenance d’Uruguay.

1.   L’alimentation, élément clé de la souveraineté

Le titre Ier du PJLOA relatif à la souveraineté agricole et alimentaire, dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, comportait un article 1er qui modifiait le livre préliminaire du code rural et de la pêche maritime en ajoutant un article qui dispose que « l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux ».

En outre, ce nouvel article précisait la notion de souveraineté alimentaire : « les politiques économiques, sociales et environnementales concourent à assurer la souveraineté alimentaire et agricole de la France, c’estàdire à maintenir et à développer ses capacités à produire, à transformer et à distribuer les produits agricoles et alimentaires nécessaires à l’accès de l’ensemble de la population à une alimentation suffisante, saine, sûre, diversifiée, nutritive, accessible à tous, tout au long de l’année, et issue d’aliments produits de manière durable, de la manière suivante (…) » ([76]).

Le concept de souveraineté alimentaire n’est pas nouveau. Il est apparu dans les années 1990, dans un contexte où les pays du Sud souhaitaient redevenir maîtres de leur production alimentaire. La notion a été définie pour la première fois par le mouvement paysan altermondialiste, Via Campesina. La déclaration adoptée lors du Sommet mondial de l’alimentation à Rome, au siège de la FAO en 1996, indique que : « la souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité culturelle et agricole. Nous avons le droit de produire notre propre alimentation sur notre propre territoire. La souveraineté alimentaire est une condition préalable d’une véritable sécurité alimentaire » ([77]).

Un rapport publié par France AgriMer, l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan, propose une définition établissant que la souveraineté alimentaire est « la capacité d’autodétermination d’un État sur les systèmes alimentaires qui se déploient sur son territoire » ([78]).

Le rapport rappelle également qu’en France, la notion renvoie « davantage aux attributs conventionnels de la souveraineté stratégique des États-Nations et moins aux droits individuels et collectifs qui sont davantage au cœur des définitions posées à la suite de Via Campesina ».

La souveraineté alimentaire implique une indépendance vis-à-vis des autres États et s’inscrit alors dans une logique de puissance, ce dont témoigne la militarisation récente des enjeux alimentaires.

2.   La pratique de l’accaparement des terres (land grabbing) : s’alimenter au détriment des autres pays

L’accaparement du foncier agricole désigne une situation dans laquelle un acteur ou un groupe d’acteurs se saisissent de droits fonciers (d’accès, d’utilisation, de propriété, de transaction) d’un ou de plusieurs autres acteurs au détriment de celui-ci et de ceux-ci ([79]). La notion est le plus souvent utilisée pour désigner une prise de contrôle du foncier réalisée par des investisseurs extérieurs au monde agricole et étrangers au pays cible. Ce phénomène, en croissance, impacte fortement la sécurité alimentaire des pays concernés.

Selon la chercheuse Sina Schlimmer de l’Institut français des relations internationales (IFRI), ce processus a suscité l’intérêt des chercheurs et des acteurs de la société civile à partir de 2008, à la suite de l’annonce d’une transaction foncière à Madagascar ([80]), et a d’abord été révélé par les médias et les ONG, avant de faire l’objet de recherches universitaires.

Les deux cartes ci-contre présentent les données de la « Land matrix », une base de données internationale qui référence des transactions foncières. Elles permettent de comparer les pays cibles – majoritairement situés en Afrique subsaharienne (Ghana, Éthiopie, Mozambique), en Asie du Sud-Est (Cambodge, Indonésie, Laos), en Amérique latine et en Europe de l’Est (Roumanie, Serbie, Ukraine) – et les pays d’origine des investisseurs – soit les pays du Nord (en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni), mais aussi de nombreux investisseurs du Sud, internes aux pays ou extérieurs (Chine, pays du Golfe par exemple). Il ne s’agit que d’une partie des transactions foncières réalisées à l’échelle mondiale.

Les pays d’origine des investisseurs

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Les pays cibles des investisseurs

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Source : Land Matrix, 2017.

Selon le professeur Hubert Cochet, deux types d’investisseurs se sont intéressés au foncier agricole à la suite de la crise économique et alimentaire de 2008 :

– des États soucieux de garantir l’approvisionnement de leur population et qui ne faisaient plus confiance aux seuls marchés pour leurs importations : les pays du Golfe et des pays avec une démographie importante (l’Inde, la Chine) ;

– en grande majorité, des investisseurs privés, qui poursuivaient une logique financière. Ils ne connaissaient souvent pas le monde agricole mais percevaient une opportunité de diversifier leur portefeuille d’activité et de réaliser des profits, notamment au lendemain de la crise financière de 2008.

Selon Sina Schlimmer, il est important de ne pas caricaturer le phénomène, en évoquant uniquement une asymétrie de pouvoir forte entre « accapareur » étranger et « accaparé » local. Une multitude d’acteurs sont impliqués (administrations centrales et locales, communautés locales, entreprises, organisations non gouvernementales, etc.) et il existe des phénomènes d’accaparement internes aux États ([81]). Enfin, tous les projets n’aboutissent pas.

Pour Hubert Cochet, quels que soient les investisseurs impliqués, ils recherchent les terres dont le potentiel agronomique est le plus élevé, qui peuvent être facilement irriguées et qui se situent à proximité d’infrastructures de transport. Or, parce qu’elles sont très favorables à l’agriculture, ces terres sont le plus souvent déjà occupées par des sociétés agricoles locales.

Ces transactions foncières encouragent trop souvent des méthodes de production non durables : les exploitations sont spécialisées, moto-mécanisées, utilisent massivement des engrais de synthèse et des pesticides et reposent sur le salariat agricole. Elles se substituent à une agriculture familiale souvent plus diversifiée, moins consommatrice d’intrants, fournissant davantage d’emplois et nourrissant davantage les populations locales.

Pourtant, malgré les arguments avancés par les investisseurs, cette nouvelle agriculture n’est pas plus productive que les anciennes fermes familiales. La valeur ajoutée nette créée par hectare est même plus faible et elle rémunère avant tout le capital ([82]).

Ces formes d’agriculture industrielle absorbent néanmoins la plus grande partie des soutiens publics (accès quasi gratuit à la terre, à l’eau et aux infrastructures, subventions publiques, etc.). Elles sont alors rentables financièrement mais pas économiquement et ont des impacts environnementaux et sociaux majeurs.

L’alerte mondiale exprimée à la fin des années 2000 et au début des années 2010 par des ONG, des organisations paysannes puis des organisations internationales (Banque mondiale, FAO), a permis d’aboutir à l’approbation des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, un « code de bonne conduite » par le Comité sur la sécurité alimentaire mondiale, le 11 mai 2012. Mais il s’agit uniquement de recommandations aux pays ciblés par les investisseurs pour limiter les impacts sociaux et environnementaux négatifs et celles-ci sont non contraignantes (droit souple ou « soft law » en anglais).

Or, sans protection juridique supplémentaire, la compétition autour du foncier devrait s’accentuer. En effet, selon Sina Schlimmer, deux facteurs y contribueront : « le changement climatique et la croissance urbaine continue. Ces deux phénomènes affecteront notamment l’accès au foncier dans les pays dits « du Sud », qui sont plus impactés par les effets du changement climatique et où la sécurité foncière est limitée ([83]) ».

Enfin, les rapporteurs ont été alertés sur le phénomène du « green grabbing » : la prise de contrôle de terres agricoles avec des justifications environnementales ou climatiques. Il s’agit par exemple de projets de reforestation en Afrique destinés à la compensation carbone (crédits carbone). Or, ces projets peuvent être à l’origine d’une captation carbone moindre que celle qui résulterait du travail d’agriculteurs qui utiliseraient des méthodes agro-écologiques.

B.   Un enjeu militaire dont témoigne le conflit ukrainien

La pandémie et le conflit en Ukraine ont rappelé que l’alimentation était un enjeu militaire majeur. Selon la Revue nationale stratégique de 2022 dévoilée par le président de la République le 9 novembre 2022, « la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont mis en évidence l’importance de l’alimentation comme levier d’influence et de contrainte de la part de certains régimes » ([84]). Le document évoque également « l’arme alimentaire » comme une mission de la nouvelle fonction stratégique « protection-résilience » à laquelle contribuent les armées ([85]).

Si la doctrine militaire française demeure encore limitée sur cette thématique, ce texte marque une avancée. Au préalable, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 définissait brièvement l’alimentation comme secteur stratégique ([86]), et la Revue stratégique de défense et sécurité nationale de 2017 mettait uniquement en garde contre les risques posés par l’interconnexion des filières alimentaires.

Or, l’alimentation peut être utilisée comme une arme, directe ou indirecte, pour déstabiliser un pays ou une région, ce dont ont témoigné les actions menées par la Russie depuis 2022.

1.   Restreindre l’accès à la nourriture : une arme de guerre

L’« arme alimentaire » consiste, pour un pays ou un groupe armé, à interdire ou limiter de manière délibérée l’accès à l’alimentation à tout ou partie de la population. Plusieurs modes d’action peuvent être employés :

– cibler directement les denrées alimentaires en les pillant, en les détruisant, ou en les contaminant afin de les rendre impropres à la consommation ;

– attaquer les facteurs de production agricole (terres cultivables, bétail, machines), en les détruisant, en les occupant ou en empêchant leur exploitation ;

– bloquer les voies de communication et de transport (maritimes, terrestres, aériennes), afin d’entraver l’acheminement la production alimentaire et/ou de l’aide l’humanitaire.

En parallèle, un État peut également limiter ou arrêter ses exportations de nourriture vers un autre pays ou une autre entité politique (cf infra).

Si la guerre en Ukraine a remis sur le devant de la scène internationale l’arme alimentaire, son utilisation reste très ancienne, ce dont témoignent les nombreux exemples historiques de siège d’un territoire ou d’une ville (Alésia, le siège de Paris en 1870-1871, le siège de Leningrad par l’Allemagne nazie entre 1941 et 1944, etc.) ou de blocage des voies de communication et de transport (blocus maritime et continental imposé par l’Entente aux puissances centrales pendant la Première guerre mondiale).

Des conflits plus récents témoignent également de l’utilisation de l’alimentation à des fins militaires :

– dans le cadre de la guerre civile syrienne, le régime de Bachar El-Assad a brûlé des terres agricoles et les belligérants ont eu recours à des techniques de siège ;

– au Soudan du Sud, le porte-parole du secrétaire général des Nations unies a critiqué le 29 avril 2024 la mise en place de taxes sur l’aide humanitaire ([87]) ;

– en 2023, le PAM a suspendu son aide alimentaire à l’Éthiopie à la suite de détournements organisés d’aide humanitaire qui était notamment destinée à la région du Tigré. Le rapport de la commission internationale d’experts en matière de droits de l’Homme sur l’Éthiopie du 13 octobre 2023 considère par ailleurs que « la crise [humanitaire au Tigré] était – et reste – largement fabriquée par l’Homme ; à savoir le résultat des pillages généralisés et de politiques de terres brûlées […], et de l’obstruction de l’aide et de l’assistance humanitaire » ([88]) ;

– l’ONU considère que la nourriture est utilisée comme arme de guerre au Yémen, pays dans lequel 45 % de la population souffrait d’insécurité alimentaire aiguë au début de l’année 2024 ([89]). Les attaques houthies en mer Rouge qui ont débuté en mars 2024 pourraient fortement aggraver la situation alimentaire dans le pays ;

– plusieurs gouvernements et ONG accusent Israël d’affamer délibérément la bande de Gaza en ayant instauré un blocage humanitaire (cf. supra).

Malgré son utilisation fréquente, l’emploi de l’arme alimentaire à l’encontre des civils dans le cadre d’un conflit armé est interdit par le droit international humanitaire et par le droit pénal international, notamment suite à l’adoption des protocoles additionnels aux conventions de Genève de 1949 ([90]). Cette interdiction est si communément acceptée par la communauté internationale qu’elle a acquis le statut de droit international coutumier ([91]).

Plusieurs règles spécifiques protègent la sécurité alimentaire des individus lors d’un conflit :

– l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, ainsi que la destruction, la privation ou l’endommagement des biens indispensables à la survie de la population civile sont interdits par les articles 54 du protocole additionnel I aux conventions de Genève et 14 du protocole additionnel II à ces mêmes conventions de Genève. Parmi ces biens indispensables se trouvent les « denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail […] ». Lors d’un siège notamment, le droit international humanitaire impose que les civils puissent quitter la zone assiégée. L’article 8 du statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998 considère par ailleurs comme crime de guerre : « le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre, en les privant des biens indispensables à leur survie y compris en empêchant intentionnellement l’envoi des secours prévus par les conventions de Genève » ([92]). Le Conseil de sécurité des Nations unies a réitéré sa condamnation de l’utilisation de la famine comme « méthode de guerre » le 26 juillet 2023, rappelant que « les conflits armés ont été principalement à l’origine des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë concernant environ 117 millions de personnes dans 19 pays et territoires » ([93]) ;

– les réquisitions en territoires occupés sont également encadrées : l’article 55 de la convention IV de Genève ([94]) prévoit qu’une « puissance occupante ne pourra réquisitionner des vivres […] se trouvant en territoire occupé que pour les forces et l’administration d’occupation », et qu’elle doit « tenir compte des besoins de la population civile » ;

– enfin, les belligérants d’un conflit doivent, selon l’article 23 de la convention IV de Genève et l’article 70 du protocole additionnel I aux conventions de Genève, autoriser le libre passage de l’assistance humanitaire et des « vivres indispensables » destinées à l’ensemble de la population civile.

De même, certaines règles générales écrites et coutumières du droit international humanitaire encadrent indirectement, par leur champ d’application, l’utilisation de l’arme alimentaire : l’interdiction des attaques intentionnelles ou disproportionnées contre les biens civils ([95]) ; l’interdiction de saisir, de piller ou de confisquer les propriétés privées ([96]) ; la limitation de l’utilisation de certaines armes ([97]) ; l’interdiction des dommages étendus, graves et durables à l’environnement ([98]).

Il existe néanmoins certaines exceptions à l’interdiction de l’usage de l’arme alimentaire en situation de conflit :

– les combattants ne sont pas concernés par l’interdiction concernant la privation des biens indispensables à la survie et celle concernant l’utilisation de la famine comme méthode de guerre (articles 54 du protocole additionnel I aux conventions de Genève et 14 du protocole additionnel II aux conventions de Genève) ;

– les biens indispensables à la survie, et généralement les biens civils ayant également un usage militaire peuvent être ciblés par un belligérant, tant que l’attaque n’est pas susceptible de provoquer la famine des civils ou un déplacement forcé. Des dérogations sont également possibles « si des nécessités militaires impérieuses l’exigent » (article 54 du protocole additionnel I aux conventions de Genève) ;

– un État peut s’opposer au libre passage d’un convoi humanitaire s’il considère qu’il peut être détourné ou conférer un avantage militaire décisif à l’ennemi (article 23 de la convention IV de Genève).

De manière générale, un pays en situation de conflit doit respecter les cinq principes fondamentaux du droit international humanitaire ([99]) lorsque ses opérations militaires impactent la sécurité alimentaire des populations civiles.

2.   L’utilisation par la Russie de l’arme alimentaire dans le cadre de la guerre en Ukraine

L’enjeu alimentaire est au cœur du conflit en Ukraine, qui a débuté le 24 février 2022 : premièrement, car les deux belligérants figurent parmi les premiers exportateurs agricoles mondiaux, ce qui a entraîné une hausse de l’insécurité alimentaire mondiale (voir encadré supra) ; deuxièmement, car Moscou utilise délibérément l’arme alimentaire contre Kiev et sa population civile.

a.   La Russie attaque directement l’appareil agricole ukrainien

Le conflit a des conséquences dramatiques pour l’agriculture ukrainienne : les dommages et pertes totales que le pays agressé a subis entre février 2022 et décembre 2023 s’élèvent à 80,1 milliards de dollars (environ 73 milliards d’euros) selon la Banque mondiale ([100]). Outre les terres agricoles actuellement occupées par la Russie (22 %), le consortium de la NASA pour la sécurité alimentaire mondiale et l’agriculture (NASA Harvest) estime que 7,5 % des terres agricoles ukrainiennes auraient été abandonnées ([101]). Enfin, en 2023, selon le PAM, un tiers des ménages ukrainiens, soit 11 millions de personnes, avaient besoin d’aide alimentaire ([102]).

La carte ci-après permet d’appréhender l’importance des surfaces agricoles touchées par les combats.

Les terres agricoles ukrainiennes exposées aux combats

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Note : la carte date du 7 mai 2022. La ligne de front a depuis évolué : l’armée ukrainienne a notamment repris les alentours de la région de Kherson dès septembre 2022, et l’armée russe a évacué la rive gauche du Dniepr en novembre 2022, à la suite de la contre-offensive de Kiev.

Source : Les cartes de la guerre en Ukraine, depuis le début de l’invasion russe, journal Le Monde, site Internet (accès libre).

Dès le début de son offensive, la Russie a ciblé des infrastructures essentielles à la sécurité alimentaire de la population ukrainienne, au premier rang desquelles les infrastructures agricoles (équipements agricoles, silos à grains, fermes, terminaux et entrepôts de céréales, cuves de stockage d’huile de tournesol, etc.). De plus, selon les autorités ukrainiennes, elle aurait pillé des récoltes – « plusieurs centaines de milliers de tonnes [de grains] » en avril 2022 ([103]). Les dommages causés à l’agriculture ukrainienne – qui n’incluent pas les pertes –  s’élèvent à 10,3 milliards de dollars (environ 9,37 milliards d’euros) en décembre 2023. Ce chiffre comprend les destructions d’équipements agricoles (57 %), le pillage des intrants et des récoltes (18 %) et les dommages causés aux infrastructures de stockage (18 %).

L’armée russe a également ciblé les infrastructures énergétiques (12,7 milliards de dollars estimés fin 2023) et les lieux de vente, notamment en détruisant les supermarchés ([104]).

La Russie justifie ses attaques par le fait que les sites visés auraient un double usage, militaire et civil. Par ailleurs, des destructions engendrées par les bombardements peuvent constituer des dommages collatéraux. Ainsi, 80 % des infrastructures agricoles détruites se trouvaient à proximité de voies ou d’infrastructures de transport ([105]), laissant penser que l’armée russe ne les visait pas toujours directement. Néanmoins, l’ampleur des dégâts causés par les attaques russes, et la souffrance civile engendrée, entrent en contradiction avec le droit international humanitaire, notamment le principe de proportionnalité.

Les forces russes ont également attaqué de manière répétée les ports, les navires marchands et les voies de communication maritimes et terrestres de l’Ukraine. Les frappes aériennes régulières contre les ports ukrainiens de la mer Noire ont endommagé 184 infrastructures portuaires dans les ports d’Odessa et de Mykolaivska ([106]). La Russie est également sortie de l’accord céréalier de la mer Noire en juillet 2023, mettant en danger la sécurité alimentaire mondiale ([107]). De plus, les ports ukrainiens sur le Danube, qui permettent l’exportation de grain dans le cadre des corridors de solidarité ([108]), sont également régulièrement attaqués.

En parallèle, l’utilisation massive de mines anti-personnelles par la Russie « provoque également des perturbations majeures pour l’agriculture […] », selon le premier ministre ukrainien Denys Shmyhal dans une interview donnée à l’agence de presse sud-coréenne Yonhap en janvier 2023 ([109]). L’armée russe aurait également ciblé des champs de céréales avec des armes incendiaires et provoqué des incendies dans la région de Zaporijjia ([110]).

Enfin, la Russie a eu recours à la technique du siège, notamment dans la ville de Marioupol, en encerclant civils et militaires.

b.   Un moyen de pression sur l’Ukraine et sur les pays occidentaux

Selon le secrétaire d’État américain Anthony Blinken en mai 2022 : « le gouvernement russe semble penser qu’utiliser la nourriture comme une arme l’aidera à accomplir ce que son invasion n’a pas pu : briser l’esprit du peuple ukrainien » ([111]).

De fait, les privations alimentaires peuvent impacter le moral de la population ukrainienne, qu’il s’agisse des civils ou des troupes. Elles s’ajoutent aux bombardements constants, aux déplacements forcés, aux exactions de l’armée russe, aux destructions notamment des infrastructures énergétiques – et aux combats de manière générale – avec des conséquences sur la santé mentale de la population ukrainienne, à court terme mais aussi sur le long terme ([112]).

En outre, en ciblant les secteurs agricole et agroalimentaire ukrainiens, la Russie attaque le cœur de l’économie du pays. La production céréalière a baissé de 29 % sur la période 2022-2023 ([113]) et les exportations se sont réduites par rapport aux niveaux d’avant le conflit, même si les efforts ukrainiens ont permis de les poursuivre. Elles ont tout d’abord chuté pour atteindre un stade quasiment nul sur la période avril-juillet 2022. L’initiative céréalière de la mer Noire a ensuite permis une hausse des exportations, de juillet 2022 à 2023 (cf. schéma ci-dessous). Finalement, après la dénonciation par la Russie de l’accord, l’Ukraine a utilisé avec succès « le corridor ukrainien ».

Exportations ukrainiennes de blé, en tonnes (2021-2023)

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Source : Site Internet du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne à partir de données du ministère ukrainien de la politique agraire et de l’alimentation.

L’augmentation de l’insécurité alimentaire en Ukraine pèse également sur Kiev, qui doit dégager des ressources pour aider sa population, alors que la Russie s’est enrichie des pillages réalisés sur les récoltes ([114]).

En outre, la Russie souhaite renforcer sa position sur le marché agricole mondial, et affaiblir celle de Kiev. Lors du sommet Russie-Afrique de juillet 2023, le président Vladimir Poutine a ainsi affirmé que les exportations de céréales de son pays pourraient remplacer celles de l’Ukraine car « sa part sur le marché mondial du blé est de 20 % et celle de l’Ukraine moins de 5 % » ([115]). De fait, selon la FAO, la part de l’Ukraine dans les exportations mondiales de blé devrait ainsi continuer à diminuer (9,6 % en 2021-2022 ; 8,4 % en 2022-2023 ; 5 % prévus en 2023-2024), tandis que celle de la Russie continuera à l’inverse d’augmenter (16,8 % en 2021-2022 ; 20 % en 2022-2023 ; 25 % prévus en 2023-2024).

L’Ukraine exporte désormais davantage vers l’Europe (plus de 50 % de son blé en octobre 2023 contre 2 % avant le conflit), et moins en Afrique subsaharienne (3 % contre 10 % auparavant) comme en Asie (12 % contre 30 %).

Enfin, la Russie utilise l’alimentation comme une arme indirecte : elle cherche à exercer une pression diplomatique et économique sur d’autres pays.

C.   Un outil diplomatique majeur

L’alimentation peut servir les deux formes traditionnelles du pouvoir analysées par les théoriciens des relations internationales : le « hard  power » (« puissance dure » en français), c’est-à-dire la capacité des États à influencer le comportement des autres États par des moyens coercitifs, et le « soft power » (« puissance douce »), par des moyens non coercitifs : il s’agit de l’habileté à séduire, attirer et persuader (Joseph Nye, 1990, 2004 et 2011) ([116]).

Si l’utilisation de l’alimentation dans le domaine militaire est la forme la plus extrême de « hard-power », elle n’est pas la seule. Elle est également régulièrement utilisée sur la scène internationale pour servir des intérêts économiques et politiques, et mobilise alors des sanctions ou un « chantage » aux matières premières.

Enfin, la diplomatie culinaire et la gastro-diplomatie sont des formes de « soft power » dont la portée ne doit pas être négligée.

1.   Un instrument de pression économique et politique

Le 6 novembre 2022, dans un entretien au journal Ouest-France, le ministre des armées Sébastien Lecornu évoquait « le retour de la haute intensité en Europe » induit par la guerre russo-ukrainienne « qui nous expose (…) à des menaces hybrides », dont le « chantage aux matières premières alimentaires ». De la même manière que la nourriture peut être utilisée comme une arme directe dans un conflit, elle peut être un outil stratégique dans les relations entre États.

La théorisation de l’utilisation de l’alimentation comme instrument de pression économique et politique remonte aux années 1970. Dans un contexte où les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) utilisaient les exportations de pétrole à des fins géopolitiques, l’ex-secrétaire à l’agriculture américain Earl Butz avait alors théorisé que son pays pouvait faire de même avec la nourriture. Il considérait que, du fait de leur position dominante sur le marché alimentaire mondial, les États-Unis disposaient de « puissance alimentaire » (food power) grâce à leur surplus agricole et pouvaient exercer une pression politique et économique sur d’autres pays en refusant de leur vendre des céréales ([117]).

La nourriture comme outil de pression géopolitique peut être utilisée à plusieurs niveaux allant, à titre d’illustration, de l’interdiction totale des exportations de denrées alimentaires vers Cuba par le département du commerce américain, en mai 1964, à l’appel au boycott de produits français par les gouvernements de la Turquie, du Qatar et du Koweït, en 2020, après un discours du président Emmanuel Macron en hommage à Samuel Paty et sur la liberté d’expression.

L’enjeu alimentaire a par ailleurs été la cause de tensions économiques fortes à l’OMC, comme dans les années 1990 et 2000 lorsque la Communauté économique européenne (devenue Union européenne en 1993 ([118])) a interdit l’importation de viandes bovines en provenance de pays utilisant les hormones de croissance, donc des États-Unis et du Canada, qui ont alors pris des mesures de rétorsion contre des produits européens (dont le roquefort et la moutarde).

Les agissements de la Russie en Ukraine autour du volet alimentaire doivent également être étudiés sous le prisme des rivalités économiques. Moscou espère, en bloquant les exportations de Kiev, fragiliser la sécurité alimentaire mondiale afin de forcer les Occidentaux à lever les sanctions. Le Kremlin créé en parallèle un récit à travers la désinformation, dans lequel il se présente comme la victime des sanctions occidentales qui seraient le principal obstacle à ses exportations de denrées alimentaires. Le pouvoir russe a par exemple expliqué son retrait de l’initiative céréalière de la mer Noire par le refus occidental de réintégrer sa banque alimentaire agricole dans le système international de paiement SWIFT ([119]). Il affirme également que cette initiative a bénéficié avant tout à l’Europe et moins aux pays en développement.

Ces informations sont démenties par les puissances occidentales, dont les sanctions ne concernent pas le secteur agricole, afin d’éviter une aggravation de l’insécurité alimentaire mondiale. Par ailleurs, 57 % des marchandises exportées dans le cadre de l’accord céréalier de la mer Noire ont atteint des pays en développement à revenu faible ou intermédiaire d’Afrique et d’Asie ([120]).

Pendant le sommet Russie-Afrique de juillet 2023, le président russe a également annoncé qu’il comptait livrer gratuitement entre 25 000 et 50 000 tonnes de céréales au Burkina Faso, au Zimbabwe, au Mali, à la Somalie, à la République centrafricaine et à l’Érythrée. Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a averti, en août 2023, les pays en développement et ceux du G20 que la vente de grains peu coûteux par la Russie constituait « une politique cynique consistant à utiliser délibérément la nourriture comme une arme pour créer de nouvelles dépendances en exacerbant les vulnérabilités économiques et l'insécurité alimentaire mondiale » ([121]).

Les pays africains sont ceux ayant été le plus durement touchés par les conséquences alimentaires de la guerre en Ukraine. Une majorité de ces derniers semblent néanmoins vouloir rester neutres vis-à-vis du conflit ([122]).

2.   La « gastro-diplomatie », l’alimentation au service du « soft power »

a.   De la « diplomatie culinaire » à la « gastro-diplomatie »

La gastronomie peut être mobilisée pour les trois piliers théoriques du « soft power » : la culture, les systèmes de représentation et la politique étrangère.

Pour la culture, c’est souvent l’audiovisuel qui est utilisé comme un outil de « soft power ». Pourtant, dans un article publié en 2019 ([123]), l’économiste américain Joel Waldfogel note que le marché de la consommation de nourriture dans les restaurants a été dix fois supérieur à celui de la musique et des films en 2017. Or, il s’agit également d’un bien culturel et, à la différence de la musique et du cinéma, les pays anglo-saxons ne sont pas leaders.

La « gastro-diplomatie » (ou « gastrono-diplomatie ») ([124]) répond directement aux trois piliers. Le terme est apparu dans les années 2000 sous la plume du chercheur américain Paul Rockower pour désigner une « forme particulière de diplomatie publique qui mêle diplomatie culturelle, diplomatie culinaire et construction d’une image de marque nationale pour rendre palpable au goût et au toucher une culture étrangère ([125]) ». Depuis, elle est considérée comme une composante incontournable du « soft power » des États.

Toutefois, comme le rappelle le chercheur Pierre Raffard, « si le terme de gastro-diplomatie n’émerge dans le débat public qu’au début des années 2000, l’importance accordée à la cuisine dans le jeu diplomatique se perd, quant à elle, dans les origines des sociétés humaines. Qu’on pense aux banquets somptuaires donnés par les élites antiques de Ninive, Memphis ou Athènes, ou aux festins pantagruéliques servis par Henri IV ou Louis XIV en l’honneur d’émissaires étrangers, l’histoire de la diplomatie et des relations internationales s’est construite autour de repas qui ont marqué les esprits tant par la magnificence des plats proposés que par les alliances politiques et diplomatiques qui s’y (dé)nouèrent ».

Pierre Raffard précise qu’un événement a néanmoins marqué un tournant : le Congrès de Vienne (1814-1815), au cours duquel Talleyrand, le ministre des relations extérieures français, a utilisé des cuisiniers talentueux pour servir sa stratégie diplomatique ([126]). Ainsi, « si cuisine et gastronomie sont parties intégrantes du protocole diplomatique depuis des millénaires, ce n’est qu’à l’occasion du Congrès de Vienne qu’elles acquièrent un rôle stratégique clairement assumé ».

La gastro-diplomatie se distingue de la seule « diplomatie culinaire », qui se limite à l’utilisation de la cuisine comme moyens de communication et de négociations intergouvernementales, comme lors du Congrès de Vienne.

b.   Les différents usages de la gastro-diplomatie

La gastro-diplomatie permet tout d’abord d’affirmer sa singularité culturelle sur la scène internationale. Les aliments et la cuisine – c’est-à-dire les techniques de préparation – sont associés à une identité nationale. Ils peuvent alors servir la réputation d’un pays et même contribuer à forger une « marque nationale » (nation branding), lorsqu’une telle stratégie est mise en place par l’État.

La diplomatie culinaire est quant à elle utilisée lors des déjeuners et dîners d’État pour démontrer son hospitalité et favoriser les rapprochements et les négociations avec la délégation accueillie. La cuisine peut même transmettre un message politique. Par exemple, le président américain Ronald Reagan choisit de faire servir un vin de Californie, le « Russian River Valley », lors d’une réception d'État organisée à Washington en 1987 pour Mikhaïl Gorbatchev : il rendait alors hommage à l'histoire de l'immigration russe et à son intégration dans la région.

La gastro-diplomatie permet également de s’opposer à un autre pays de manière non coercitive. La « guerre du couscous » entre le Maroc et l'Algérie en est un exemple.

 

La « guerre du couscous »

La « guerre du couscous » est une formule médiatique qui désigne des échanges d’arguments historiques, sociologiques, anthropologiques et politiques entre des États du Nord de l’Afrique pour s’octroyer la paternité du couscous. Parmi eux, le Maroc et l’Algérie ont alors poursuivi leur conflit géopolitique sur le terrain du patrimoine culinaire.

En 2016, des diplomates algériens ont annoncé leur intention de déposer un dossier à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) pour faire reconnaître le couscous comme faisant partie du patrimoine immatériel algérien, ce qui a alors suscité des réactions de la population et des autorités marocaines.

En 2019, pour favoriser un apaisement diplomatique, quatre États ont finalement adressé une candidature commune à l’UNESCO – l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie – et le 16 décembre 2020, les « savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et à la consommation du couscous » ont été inscrits au patrimoine immatériel de l’organisation.

 L’institution onusienne avait publiquement salué cette démarche commune.

 

Toutefois, les affrontements sur le terrain du patrimoine culinaire, ont ensuite repris ponctuellement, au gré de l’intensification de l’opposition régionale. En 2021, Mehdi Bensaid, le ministre de la jeunesse, de la culture et de la communication du Maroc, a par exemple annoncé sa volonté d’élaborer un « label » pour distinguer le couscous marocain des autres couscous de la région, et ce « afin d’obtenir une reconnaissance internationale du patrimoine marocain et de l’histoire marocaine » ([127]).

Enfin, la gastro-diplomatie est un outil de diplomatie économique. En assurant la promotion de ses produits nationaux et en encourageant l’ouverture de restaurants à l’étranger, un État peut améliorer sa balance commerciale et attirer des touristes sur son territoire.

Cette dimension n'a pas la même importance selon le potentiel agricole et agroalimentaire des pays. En France, l’enjeu économique et commercial est très important. Par exemple, l’inscription des « climats du vignoble de Bourgogne » au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2015 devait générer 20 % de fréquentation touristique de plus en Bourgogne, selon l’agence onusienne.

c.   Une concurrence croissante entre les États

Depuis le début des années 2000, plusieurs États ont pris conscience des bénéfices qu’ils pouvaient tirer du rayonnement de leur gastronomie et engagé des actions de promotion.

La Thaïlande a été pionnière en lançant, dès 2002, le programme « Global Thaï » décrit par Pierre Raffard comme un outil destiné à « encadrer et encourager la diffusion de la cuisine thaïe en dehors des frontières du royaume : un soutien logistique et financier est ainsi apporté aux entrepreneurs souhaitant ouvrir un restaurant thaïlandais, l’approvisionnement en produits locaux est facilité, tout comme le recrutement de chefs qualifiés ». Ce programme a favorisé la création de nombreux restaurants de cuisine thaïe à l’étranger. Il a été complété par d’autres initiatives, notamment la délivrance de labels pour les établissements respectant un cahier des charges défini par le ministère du commerce thaïlandais ([128]).

La Corée du Sud a lancé en 2009 la campagne « Korean Cuisine to the World » surnommée « la diplomatie du kimchi », sur le modèle thaïlandais ([129]).

Le Danemark a contribué à financer plusieurs de ses grands chefs nationaux et les a aidés à communiquer, ce qui a contribué à faire émerger le concept de « nouvelle cuisine nordique » à l’international.

L’Espagne a utilisé divers outils de promotion de sa gastronomie nationale, dont le festival Madrid Fusión, dès 2003, et créé le Basque Culinary Center  à San Sebastian en 2009, avec un financement de 7 millions d’euros à l’époque ([130]). Ce centre forme des apprentis et des chefs internationaux à la gastronomie espagnole et catalane.

L’Italie organise de grands évènements internationaux depuis le début des années 2000 – dont l’exposition universelle de Milan de 2015 qui portait sur l’alimentation ([131]) – et propose des formations prestigieuses, dont celles de l’Université des sciences gastronomiques de Turin.

Les rapporteurs ont pu rencontrer Andrea Canepari, sous-directeur central de la promotion intégrée et de l’innovation et chef du bureau de la diplomatie des territoires et des expositions universelles au ministère des affaires étrangères italien, qui a présenté les nombreuses initiatives menées par ses équipes. Parmi celles-ci figure la « semaine de la cuisine italienne », créée en 2016 et qui mobilise chaque année le réseau diplomatique italien (ambassades, consulats, instituts culturels) ([132]), la création de vidéos mises à disposition des ambassades (témoignages de producteurs, présentation des produits par région italienne, etc.) en partenariat avec le mouvement Slow Food ou encore une bande dessinée sur l’histoire de la cuisine italienne, traduite en huit langues.

Le pays est également très actif à l’UNESCO pour faire reconnaître son patrimoine culinaire, comme l’a rappelé en audition Giuseppe Ambrosio, directeur général du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Après avoir réussi à faire intégrer la « diète méditerranéenne » dans la liste représentative du patrimoine immatériel de l’UNESCO avec six autres pays ([133]) en 2013 et la pizza napolitaine en 2017, l’Italie avait commencé une candidature pour l’expresso italien et la tradition liée au café, mais a finalement dû la reporter. Elle l’a remplacée par une candidature pour la cuisine italienne en général, en mars 2023.

Le Pérou, organise également des événements de promotion de sa gastronomie sur son territoire et à l’étranger, en mobilisant sa diaspora ; même si une partie des initiatives sont d’origine privée. Les rapporteurs ont pu auditionner Rolando Ruiz Rosas, ambassadeur du Pérou en France, et Lourdes Pluvinage, cheffe du restaurant péruvien El Picaflor à Paris.

Enfin, de nouveaux États commencent également à développer des stratégies de gastro-diplomatie : l’Australie, la Malaisie (gastro-diplomatie halal) et le Sénégal.

Le Pérou : quelle gastro-diplomatie ?

Depuis le début des années 2010, des restaurants péruviens occupent les premières places des classements internationaux des meilleurs restaurants et le pays a été désigné meilleure destination culinaire par les World Travel Awards en 2013.

La gastronomie péruvienne mêle des influences de diverses cuisines, tantôt précolombiennes, tantôt plus modernes, pour forger l’image d’une cuisine « navo-andine ». Ce mélange des inspirations permet aux chefs péruviens de tirer de la variété et de la qualité des produits disponibles localement ([134]).

Cette richesse est mise en avant dans les plats de grands chefs devenus mondialement connus, tels que Gastón Acurio, Virgilio Martínez et Pia León.

En 2009, les chefs péruviens ont publié une lettre ouverte sur le futur de la gastronomie lors de la foire gastronomique internationale « Mistura », un événement créé en 2008 par l’association péruvienne de la gastronomie et devenu, au fil des ans, l’une des manifestations culinaires mondiales rassemblant le plus de visiteurs. Le festival « Perú Mucho Gusto » présente quant à lui les cuisines régionales péruviennes.

L’État péruvien soutient ces diverses initiatives et promeut lui-même la gastronomie nationale, notamment via la campagne de communication « Cocina peruana para el mundo ». Les ambassades et les consulats péruviens à l’étranger et plus particulièrement aux États-Unis et à Paris – mobilisent la diaspora pour organiser des événements culinaires et pour promouvoir la gastronomie péruvienne lors des salons sur le tourisme.

En 2023, les « pratiques et significations associées à la préparation et à la consommation du ceviche ([135]) » ont été intégrées à la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO.

Enfin, la cuisine péruvienne est aujourd’hui mêlée à d’autres cuisines, notamment grâce aux immigrés qui se sont installés au Pérou (Chinois, Japonais, Français, etc.). La cuisine « Nikkei », qui connaît un succès mondial, est ainsi une fusion unique des cuisines péruvienne et japonaise, liée à l’immigration japonaise au Pérou au XIXe siècle.

Ces stratégies sont souvent couronnées de succès, ce dont témoignent, d’une part, les classements internationaux des meilleurs restaurants et, d’autre part, l’ouverture de restaurants et les exportations de produits alimentaires du pays ou assimilés à celui-ci. Si l’on additionne ces trois critères, l’Italie arrive en tête des classements, suivie par le Japon ([136]). Comme l’indiquait le chef Guillaume Gomez en audition, la mozzarella était le fromage le plus vendu en France en 2023.

La cuisine italienne apparaît à la fois comme une cuisine populaire et accessible, avec des produits et des plats facilement identifiables et souvent peu onéreux. En outre, elle bénéficie d’initiatives privées de grande ampleur telles que la chaîne de grands magasins Eataly, qui propose des produits italiens, des espaces de restauration et des cours de cuisine.

Pour les gastronomies thaïlandaise, coréenne et, plus récemment, péruvienne, on constate également un très fort engouement avec une multiplication du nombre de restaurants à l’étranger. À Paris, au début de l’année 2024, on dénombrait ainsi plus d’une vingtaine de restaurants péruviens.

 

Trois classements internationaux des meilleurs restaurants :
« 50 best », La Liste et le guide Michelin

 

Le classement « 50 Best » du magazine Restaurant, appartenant au groupe de presse britannique William Reed, a consacré l’établissement Central, à Lima, meilleur restaurant de l’année 2023. Les places du podium sont ensuite occupées par trois restaurants espagnols, puis la cinquième place par l’Alchemist de Copenhague. Le premier restaurant français n’arrive qu’à la dixième place, avec la Table by Bruno Verjus à Paris. Au total, la France ne compte que quatre restaurants dans ce classement, alors que l’Italie en compte cinq et l’Espagne six adresses et en début de classement.

 

Le classement La Liste, établi par agrégation de nombreuses évaluations émises sur les restaurants classés internationalement, octroie quant à lui pour la septième année consécutive, la première place au restaurant parisien de Guy Savoy, ex aequo avec six autres restaurants en France, en Allemagne, en Chine, aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon. La Liste est l’œuvre d’un ancien ambassadeur de France, Philippe Faure.

 

Ces classements sont critiqués par certains spécialistes de la gastronomie. Le classement 50 Best est accusé d’accorder plus de considération à l’image du restaurant et à la notoriété du chef qu’à la saveur de ses plats. Zoe Reyners et Hind Meddeb, créateurs du mouvement contestataire Occupy 50 Best, fustigent quant à eux l’opacité du système de vote permettant d’aboutir au classement, ainsi que sa perméabilité à l’influence des sponsors de Restaurant. Le chef français Thierry Marx a signé la pétition de ce mouvement contestataire.

 

La Liste n’échappe pas aux critiques. Si elle propose de classer les restaurants en agrégeant leurs notes dans divers autres classements, elle n’est pas complètement transparente sur la méthodologie finale de classement. De plus, son lien initial avec l’État français alimente un doute sur sa partialité.

Enfin, le guide Michelin choisit de distinguer les restaurants avec un système d’étoiles sans produire de classement officiel des meilleurs restaurants.

 

Si la France héberge le plus de restaurants étoilés, et notamment « 3 étoiles » (639 dont 30 « 3 étoiles » en 2024), le guide Michelin ne consacre pas la gastronomie française exclusivement. En outre, parmi les restaurants parisiens les plus primés, plusieurs proposent des cuisines méditerranéennes ou asiatiques. Dans une logique similaire, un nombre significatif de restaurants arborant le plus d’étoiles au Japon – deuxième pays avec le plus de restaurants primés après la France (308 restaurants) – proposent une revisite de la gastronomie française.

La gastronomie et la cuisine françaises bénéficient de nombreux atouts au niveau international : elles sont des références mondiales – ce dont témoigne le succès des écoles de cuisine française ([137]), la reprise des techniques de cuisine française dans des cuisines étrangères et le nombre de chefs étrangers proposant une cuisine française, à l’étranger comme en France ([138]) – et des grands chefs français se sont installés à l’étranger, dès les années 1970, contribuant à les diffuser ([139]). En outre, la France dispose d’une tradition de diplomatie culinaire, illustrée notamment par des réceptions à Versailles sous Louis XIV jusqu’aux récents repas d’État organisés sous la Ve République, dont le dîner donné en l’honneur de Charles III dans la galerie des glaces, le 20 septembre 2023.

Pourtant, la gastronomie française semble avoir subi une relative perte d’influence dans les années 2000 et 2010. La place des restaurants français dans les classements internationaux, de plus en plus concurrencée, en témoigne.

Depuis la fin des années 2000, des initiatives ont été prises pour relancer la promotion de la cuisine et des produits français à l’international, tels que :

– les candidatures du repas gastronomique des Français et de la baguette pour la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO (obtenues respectivement en 2010 et en 2022) ;

– le démarrage du projet de réseau de diplomaties Cités de la gastronomie à partir de 2013 ;

– l’initiative « Goût de France/Good France » en 2014˗2015, lancée par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères et du Développement international, aux côtés du chef Alain Ducasse et de l’ambassadeur Philippe Faure. Cette initiative, qui prenait à l’époque la forme d’une association, rend hommage aux « dîners d’Épicure » d’Auguste Escoffier ([140]), en organisant un « repas gastronomique des Français » le même soir, dans plus de 150 pays. Elle mobilise des restaurants français et étrangers, ainsi que les ambassades et les consulats, pendant que des événements festifs sont aussi organisés France. Les chefs proposent alors leur interprétation de la cuisine française.

Le repas gastronomique des Français

Le repas gastronomique des Français a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité le 16 novembre 2010 par l’UNESCO, à la suite de la candidature de la France. L’UNESCO le définit comme « une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes ». Cet élément du patrimoine national et universel a été doté du logo ci-dessous par la diplomatie française et le ministère de l’agriculture de l’époque.

Le "repas gastronomique des Français" à l'Unesco

Ce repas se caractérise, premièrement, par l’ordre des mets : il commence nécessairement par un apéritif suivi d’au moins quatre plats – une entrée, du poisson et/ou de la viande avec des légumes, du fromage et un dessert – et se termine par un digestif. Ces mets ne doivent pas être servis en même temps : ils se dégustent les uns après les autres.

Si ce repas comporte des variantes régionales pour les mets proposés, il rassemble par sa longévité : il dure au moins une heure dans toutes les régions françaises. Selon le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, en France, chaque jour à 12h30, plus de 54 % des Français sont attablés. Le site de l’UNESCO dédié au repas gastronomique des Français précise que ce repas « met l’accent sur le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature ».

Toutefois, le soutien accordé par les pouvoirs publics à ces initiatives a manqué de force et de constance, en comparaison des stratégies appliquées par les autres pays. L’initiative Goût de France a, par exemple, été arrêtée de 2022 à 2024.

La gastronomie et les produits français comptaient alors surtout sur le dévouement de quelques grands chefs de cuisine et de pâtisserie, qui n’ont jamais cessé d’en faire la promotion. Les rapporteurs souhaitent en particulier rendre hommage au travail d’Alain Ducasse et de Guillaume Gomez. Une nouvelle dynamique est en cours, avec trois événements récents :

– le lancement en 2020 de la marque TasteFrance par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation ;

– la nomination en 2021 de l’ancien chef de l’Élysée, Guillaume Gomez, aux postes de représentant personnel du président de la République pour la gastronomie, l’alimentation et les arts culinaires et d’ambassadeur thématique en charge de la promotion de la gastronomie française au ministère de l’Europe et des affaires étrangères ;

– enfin, le lancement en septembre 2023 d’une « stratégie nationale en faveur de la haute gastronomie » (cf. infra).


III.   Une coopération internationale imparfaite

Compte tenu des enjeux de souveraineté, la coopération internationale dans le domaine de l’alimentation n’apparaît pas nécessairement naturelle. Depuis l’Antiquité ([141]), ce secteur a d’ailleurs été soutenu, voire protégé, par les pouvoirs publics.

Si la mondialisation a encouragé une libéralisation des échanges agricoles et agroalimentaires dans le cadre de l’OMC et par l’intermédiaire d’accords commerciaux bilatéraux et régionaux, celle-ci est aujourd’hui en partie remise en cause.

La pandémie de coronavirus et la guerre en Ukraine ont favorisé la mise en place de mesures de protection de l’économie dans certains pays ([142]). Depuis un an, les autorités indiennes ont par exemple interdit ou restreint les exportations d’oignon, de riz et de sucre, pour protéger les réserves de précaution du pays et faire baisser l’inflation.

Même en matière de sécurité alimentaire et d’aide aux populations qui souffrent de la faim, la coopération internationale reste insuffisante, ce qu’ont pu constater les rapporteurs lors d’un déplacement à Rome pour rencontrer les trois agences onusiennes qui traitent des questions agricoles et alimentaires.

A.   Des négociations commerciales internationales bloquées au niveau multilatéral et critiquées au niveau européen

1.   L’OMC : aucun accord multilatéral d’envergure depuis trente ans

Les États signataires de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947 (General Agreement on Tariffs and Trade, GATT) ont exclu en pratique l’agriculture du système commercial multilatéral créé après la Seconde guerre mondiale. À l’issue du cycle dit « d’Uruguay » (1986-1994), qui a abouti à l’accord de Marrakech, un nouveau cadre multilatéral a été créé au sein de l’OMC. Le secteur agricole présente alors la particularité de disposer d’un accord spécifique, l’accord sur l’agriculture, dont les dispositions priment sur les autres accords et mémorandums de l’OMC. Ce texte, encore en vigueur, a ouvert l’accès aux marchés et réduit les dispositifs de soutien internes et pour l’exportation ([143]).

Néanmoins, le processus de réforme s’est ensuite enlisé lors des négociations du cycle de Doha, lancé en 2001. Seuls quelques accords ciblés ont été obtenus au sein de l’OMC : droit temporaire pour les pays en voie de développement de conserver des programmes de stocks publics, incluant un soutien de prix, à des fins de sécurité alimentaire en 2013 ; fin des subventions aux exportations de produits agricoles en 2015 ; accord sur la pêche et engagement à ne pas entraver les achats de denrées du PAM en 2022 ([144]).

Ce dernier point démontre une montée en puissance du sujet de la sécurité alimentaire dans les négociations agricoles. Dans l’accord sur l’agriculture de 1994, cette dernière était seulement « notée » en tant que simple « préoccupation non-commerciale ». Selon Jean-Marie Paugam, directeur général adjoint de l’OMC, « un débat [renaît aujourd’hui], aussi ancien que profond, sur la relation entre libéralisation commerciale et sécurité alimentaire : si le commerce international et la production domestique sont nécessaires pour garantir cette dernière, comme les ministres l'ont réaffirmé à Genève en 2022 lors de la CM12, faut-il mettre l'accent sur le soutien à la production nationale ou sur l'ouverture et la diversification des échanges ? Qu'il s'agisse de subventions ou d'accès au marché, tout l'enjeu de la négociation agricole consiste à rechercher le bon point d'équilibre entre ces deux visions antagonistes. De la conférence de Buenos Aires (2017) à celle de Genève (2022), ce point d'équilibre n'a pas encore été identifié » ([145]).

La 13e conférence ministérielle de l’OMC organisée à Abou Dhabi du 26 au 29 février 2024 n’a permis aucune nouvelle avancée. Parmi les points conflictuels figurait la question des stocks publics de denrées alimentaires, destinés à garantir la sécurité alimentaire des populations.

Selon l’économiste Thierry Pouch, « l’échec [de la 13e conférence] tient pour une large part à la question agricole, véritable et constante pierre d’achoppement de toutes les négociations commerciales à l’OMC. L’Inde, qui s’était déjà distinguée par son opiniâtreté à défendre son secteur agricole et sa politique de financement des stocks publics a, une fois de plus, exprimé son attachement à sa politique agricole qui garantit selon elle la sécurité des approvisionnements intérieurs. Et cela d’autant plus que le gouvernement de Narendra Modi reste exposé à la colère des paysans indiens » ([146]).

Plus généralement, dans le contexte international actuel marqué par les tensions géopolitiques et les rivalités commerciales – par exemple entre la Chine et les États-Unis –, toute décision à l’OMC, qui nécessite un consensus, est extrêmement difficile.

La libéralisation des échanges s’effectue ainsi de plus en plus en dehors de l’OMC. Le 1er janvier 2022, le plus grand accord commercial en termes de population et de PIB des États membres, est entré en vigueur : le Partenariat économique régional global. Il avait été signé en 2020 par les pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ([147]), ainsi que par l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, le Mexique, la Nouvelle-Zélande et le Japon.

2.   Des accords commerciaux régionaux questionnés : le cas des accords conclus par l’Union européenne

Face aux difficultés rencontrées par le multilatéralisme, les accords commerciaux bilatéraux et régionaux ([148]) sont une alternative aujourd’hui mobilisée par l’Union européenne. Celle-ci a même noué le plus grand réseau au monde de ce type d’accords ([149]). Au total, à l’automne 2024, l’Union européenne dispose de plus d’une quarantaine d’accords en vigueur avec soixante-dix-sept pays partenaires, tous types d’accords confondus ([150]).

En application de l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune. Les négociations des accords bilatéraux et multilatéraux avec les pays tiers sont conduites par la Commission au nom des États membres, sur la base du mandat de négociation adressé par le Conseil de l’Union.

Depuis les années 2010, la Commission européenne promeut les accords de libre-échange dits « de nouvelle génération », c’est-à-dire qui vont au-delà des réductions tarifaires et du commerce des biens ([151]), voire qui prennent en compte des enjeux environnementaux et sociaux.

La carte ci-dessous présente un bilan des négociations commerciales de l’Union européenne en juillet 2024. Des accords commerciaux ont été signés et adoptés avec les États en rouge (dont le Canada, partiellement entré en vigueur en 2017, Singapour, entré en vigueur en 2019, le Japon et le Vietnam, en 2020, le Kenya en 2024) et sont en attente d’adoption ou de ratification avec les États en bleu foncé (la Chine ([152]), la Tanzanie, les pays du Mercosur, etc.).

Les États en jaune sont ceux avec lesquels un accord est en cours de négociation (Australie, Inde, Indonésie, Thaïlande, Philippines) alors que pour les pays en gris foncé, les négociations sont suspendues (dont les États-Unis ([153])). L’Union modernise aussi régulièrement ses partenariats commerciaux, par exemple avec le Chili, tout récemment.

Les accords commerciaux européens de l’Union en juillet 2024

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Source : Commission européenne.

 

 

 

 

Le projet d’accord entre l’Union européenne et le Mercosur

Les négociations autour du projet d’accord entre l’UE et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) ([154]) ont commencé en 2000, pour aboutir à un accord politique en juin 2019. Ce dernier prévoit un abaissement de 90 % des droits de douane entre les deux espaces ainsi que la mise en place de quotas d’importations. L’adoption définitive du texte apparaît néanmoins bloquée.

Avec l’accord, plusieurs exportations européennes à destination du Mercosur bénéficieraient d’une diminution, voire d’une suppression progressive des droits de douane (machines, chimie, vêtements, vin, fruits frais, chocolat notamment). Pour leur part, les pays du Mercosur pourraient exporter plus facilement certaines denrées alimentaires en Europe grâce la mise en place de quotas d’importations (100 000 tonnes de volailles, 99 000 tonnes de bœuf, 60 000 tonnes de riz, 25 000 tonnes de viande porcine) avec droits de douane réduits totalement ou partiellement selon les denrées.

L’accord suscite de nombreuses oppositions. En avril 2020, le rapport de la commission présidée par le chercheur Stefan Ambec, commandé par le premier ministre a conclu : « les dispositions de l’Accord concernant le respect du principe de précaution, le respect des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris et la reconnaissance des préférences européennes vis-à-vis des normes environnementales et sanitaires, des normes de travail et des préférences liées au bien-être animal offrent des garanties relativement fragiles » ([155]).

La position officielle défendue par la France est que l’accord, en l’état, ne respecterait pas suffisamment les engagements de l’accord de Paris sur le climat et favoriserait une concurrence déloyale qui nuirait à l’agriculture européenne.

Si plusieurs autres États européens sont également opposés à l’accord (l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et la Pologne), une majorité des vingt-sept, dont l’Allemagne, y sont néanmoins favorables, souhaitant diversifier leurs échanges commerciaux et sécuriser l’approvisionnement de certains minerais critiques, dont le lithium.

Du côté des pays du Mercosur, les nouvelles contraintes liées au Règlement relatif à la déforestation ([156]) les ont poussés à demander de nouvelles contreparties.

Les négociations se poursuivent et un accord pourrait être conclu prochainement.

Si les produits agricoles sont inclus dans les accords commerciaux, des clauses peuvent limiter les échanges de certains d’entre eux, jugés plus sensibles, voire les exclure totalement. L’accord de libre-échange conclu avec le Canada (Comprehensive economic and trade agreement, CETA) prévoit par exemple des contingents tarifaires sur certains produits, tels que le bœuf et le porc ([157]). La volaille est par ailleurs totalement exclue de l’accord.

De plus, les produits importés doivent être contrôlés, notamment en matière sanitaire et vétérinaire. Par exemple, pour l’accord avec le Mercosur, seuls certains abattoirs, qui feraient l’objet d’audits réguliers, seraient autorisés par la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG Santé) de la Commission européenne, après un audit.

Lors des entretiens avec les rapporteurs, les représentants de la Commission européenne ont insisté sur les bénéfices des accords commerciaux. Ces derniers permettent aux agriculteurs et aux entreprises européennes de disposer de nouveaux débouchés commerciaux mais aussi de sécuriser les approvisionnements agricoles européens.

Selon une étude publiée en février 2024 par le Centre commun de recherche de la Commission européenne ([158]), pour dix accords de libre-échange récemment conclus ou en cours de négociation (Australie, Chili, Inde, Indonésie, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Philippines, Thaïlande et pays du Mercosur), la Commission européenne reconnaît néanmoins une « concurrence accrue » pour les secteurs de la viande bovine, de la viande ovine, de la volaille, du riz et du sucre. De ce fait, Bruxelles impose des « contingents tarifaires soigneusement calibrés » pour « atténuer les éventuelles perturbations du marché ». Dans l’ensemble, ces accords commerciaux devraient conduire seulement à une « légère augmentation de la balance commerciale globale de l'UE » d’ici 2032. L’impact positif porterait essentiellement sur le secteur des produits laitiers, de la viande porcine, des aliments transformés et des boissons.

Les rapporteurs regrettent que les analyses des effets des accords commerciaux mobilisent essentiellement les soldes des balances commerciales et utilisent des calculs réalisés au niveau de l’ensemble de l’Union européenne. Il apparaîtrait pertinent de disposer d’une analyse plus fine des conséquences des accords commerciaux sur les capacités de production, en distinguant non seulement les filières mais aussi les différents États membres de l’Union européenne et, au sein de ceux-ci, les différents types d’exploitation. Les effets des accords varient d’un pays à l’autre selon les méthodes de production, les prix des produits, les types d’exploitation et la capacité des producteurs à exporter. Enfin, ils impliquent le plus souvent des modèles de production intensifs dont les impacts sur la biodiversité restent très problématiques.

Outre les effets économiques, les accords commerciaux préférentiels ont aussi un objectif géopolitique, ce dont ont témoigné plusieurs personnes auditionnées. Ils permettent d’entretenir des liens politiques avec les pays partenaires. De plus, ils peuvent encourager les pays tiers à modifier leurs pratiques sociales et environnementales en matière agricole.

Ainsi, selon la direction générale sur le commerce de la Commission européenne (DG Trade), ces accords commerciaux seraient un outil indispensable pour que l’Union européenne conserve son influence sur la scène internationale.

B.   Une gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire perfectible

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la communauté internationale cherche des solutions pour lutter contre la faim.

Le droit à l’alimentation a été reconnu par l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, puis par l’article 11 du pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et précisé par le Comité des droits économiques sociaux et culturels et dans les directives volontaires sur le droit à l’alimentation adoptées par la FAO en 2004. Selon Mickaël Fakhri, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation – un poste créé en 2000 – « le droit à l’alimentation est le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit aux moyens d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique et physique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne » ([159]).

En outre, trois organisations des Nations unies dédiées à l’alimentation ont été créées depuis 1945 et ont installé leur siège à Rome :

– la FAO, une agence créée en 1945 et composée aujourd’hui de cent quatre-vingt-quinze membres (dont l’Union européenne depuis 1991), qui produit des données sur la situation alimentaire et agricole ([160]), organise le débat multilatéral et permet la production de normes et de lignes directrices sur ses thématiques, apporte une aide technique aux États pour la mise en œuvre de politiques agricoles et alimentaires ([161]) et intervient dans les situations d’urgence humanitaire pour réhabiliter l’appareil de production agricole ;

– le PAM, un programme subsidiaire commun de l’Assemblée générale des Nations unies et de la FAO créé en 1961, qui réalise des missions d’aide et d’assistance alimentaire, de logistique humanitaire ([162]), de télécommunications d’urgence et promeut un développement par l’alimentation. Le PAM a reçu le prix Nobel de la paix en 2020 ;

– le Fonds international des Nations unies pour le développement agricole (le FIDA) créé en 1977 et qui se distingue en étant à la fois une organisation spécialisée des Nations unies et une institution financière internationale finançant la transformation de l’agriculture, de l’économie rurale et des systèmes alimentaires, dans les pays en développement. Le FIDA cible les petits producteurs et les populations les plus pauvres. Il démontre régulièrement son efficacité grâce à ses études d’impact.

Le mandat des trois « agences romaines » est particulièrement large puisqu’il va de la réponse humanitaire (aide alimentaire, aide d’urgence aux agriculteurs, etc.) au développement rural et à son financement, en passant par la gestion durable des ressources naturelles (forêts, sols, eau, pêches, etc.), l’agriculture, l’élevage, la santé animale et végétale, ainsi que les statistiques agricoles et l’établissement de normes alimentaires internationales (Codex Alimentarius).

Si ces institutions ont pu sembler reprendre de l’importance au niveau international à la faveur de la prise de conscience de l’importance des enjeux alimentaires, elles souffrent néanmoins de problèmes organisationnels et de gouvernance. Enfin, leur action est concurrencée par des initiatives parallèles.

1.   Une réorganisation du Comité de la sécurité alimentaire après la crise de 2008

Le Comité de la sécurité alimentaire (CSA) est un comité hébergé par la FAO qui se réunit une fois par an pour émettre des recommandations politiques en matière de sécurité alimentaire et de nutrition ([163]).

En 2009, à la suite de la crise alimentaire de 2007-2008, le CSA a bénéficié d’une double réforme, soutenue par la France :

– les recommandations politiques adoptées disposent désormais d’un plus grand support scientifique, grâce à la création d’un panel d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (High Level Panel of Experts, HPLE) ;

– le CSA s’est ouvert à de nouveaux acteurs (les autres organisations internationales, la société civile et le secteur privé). Ces derniers peuvent désormais participer de manière formelle : ils disposent du statut de « participants » qui leur donne accès aux séances plénières du comité et leur permet de contribuer à la préparation de l’agenda et des documents présentés, même s’ils ne peuvent pas voter ([164]).

Ce comité est alors devenu un espace de discussion unique, une « plateforme inclusive », selon l’expression utilisée en audition par l’ambassadrice sud-africaine Nosipho Nausca-Jean Jezile, présidente du CSA. Il est un espace de dialogue entre des acteurs variés : des gouvernements, des organisations non gouvernementales, des entreprises, des instances onusiennes, des institutions financières internationales, des instituts de recherche.

Selon sa présidente, si le CSA dispose d’une « place à part dans les Nations unies », il est néanmoins dépendant financièrement des agences onusiennes à Rome et des dotations des États membres.

En outre, le CSA a été décrit par d’autres acteurs auditionnés comme « sous-utilisé » ([165]) et « moins mobilisateur ». Il rassemble aujourd’hui moins de participants que par le passé.

2.   Une organisation peu lisible voire détournée

À Rome, les trois organisations onusiennes – la FAO, le PAM et le FIDA – présentent des manques de coordination, de dialogue mais aussi des formes de rivalités. Elles investissent parfois les mêmes champs de compétences. Ainsi, la FAO dispose d’un bureau des urgences et de la résilience, qui est amené à réaliser des actions humanitaires, et le PAM utilise 20 % de son financement pour des actions de résilience. L’expression « zones grises » a été utilisée en audition.

De plus, selon les pays bénéficiaires de leur aide, les trois agences sont insuffisamment coordonnées sur le terrain. Elles ont donc signé un protocole d’accord (« memorandum of understanding » ou MoU) en 2023 pour mieux collaborer et ont réalisé un déplacement commun au Sud Soudan sur cette thématique.

Aux difficultés liées à la répartition des compétences s’ajoutent des politiques d’instrumentalisation des agences romaines menées par la Russie et par la Chine au service de leurs intérêts.

La Russie, tout d’abord, a engagé une campagne de désinformation sur les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’insécurité alimentaire mondiale et sur les intentions européennes (cf. supra).

La Chine, quant à elle, a ciblé spécifiquement la FAO pour renforcer son influence sur la scène internationale en prenant conscience, d’une part, de la faible gouvernance de cette institution, et d’autre part, de l’importance des enjeux alimentaires. La Chine a réussi à obtenir la direction générale de la FAO depuis le mois de juin 2019 – en la personne de Qu Dongyu, réélu en juillet 2023 – et place ses ressortissants à des postes stratégiques. Elle essaye alors de maîtriser l’agenda de l’organisation. Or, l’Union européenne, qui est pourtant un des premiers financeurs de l’organisation, n’est pas suffisamment réactive face aux actions chinoises.

Le CSA souffre particulièrement de cette situation, la FAO minimisant son action en le concurrençant directement. Ainsi, depuis deux ans, la FAO organise un « World Food Forum » la semaine précédant l’organisation du CSA et convie 2 000 participants, ce qui contribue à rendre la session de ce comité moins attractive. Les ONG regrettent cette perte d’influence du CSA dans lequel la société civile est représentée.

Plus généralement, des ONG dénoncent la multiplication d’évènements multi-acteurs dans lesquels, contrairement au CSA, il n’y a pas de participation organisée de la société civile mais une participation d’acteurs financiers privés et de fondations qui défendent leurs propres visions de l’alimentation et de la sécurité alimentaire.

3.   Des initiatives dispersées pour renforcer la sécurité alimentaire

Depuis les années 2000, on constate une multiplication des acteurs mobilisés pour la sécurité alimentaire, qu’il s’agisse des États, des acteurs multilatéraux ([166]) ou des acteurs privés. Surtout, on observe une multiplication de plateformes multipartenaires, qui rassemblent des acteurs publics et privés afin d’obtenir de nouveaux financements. La gestion des conséquences de la guerre en Ukraine en est un exemple révélateur.

Pour répondre à l’augmentation de l’insécurité alimentaire mondiale, l’aide humanitaire a tout d’abord été sollicitée, notamment via le PAM ([167]), mais aussi via divers soutiens directs des États à des ONG spécialisées. L’initiative « Grain From Ukraine », lancée en novembre 2022 par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, a également permis d’exporter des céréales vers les pays les plus pauvres.

En parallèle, de grandes initiatives multilatérales ont été déployées. En mars 2022, la France a lancé la Mission pour la résilience alimentaire et agricole (Food & Agriculture Resilience Mission, FARM) pendant sa présidence de l’Union européenne et l’ONU a créé un groupe de réponse mondiale sur l’alimentation, l’énergie et la finance (Global Crisis Response Group on Food, Energy and Finance, GCRG). En mai 2022, les pays du G7 et la Banque mondiale ont lancé une Alliance mondiale pour la sécurité alimentaire (Global Alliance for Food Security, GAFS), sous l’impulsion de l’Allemagne.

 

La Mission pour la résilience alimentaire et agricole (FARM)

L’initiative européenne FARM, lancée par la France le 24 mars 2022, visait, à court terme, à remédier aux conséquences de la guerre en Ukraine en matière de disponibilité des céréales et des denrées alimentaires de première nécessité, et à long terme, à renforcer la résilience alimentaire.

Elle mobilise différents types acteurs : des institutions françaises et européennes, des organisations internationales (PAM, FIDA, OMC, etc.), des acteurs privés ([168]) ainsi que des organismes de recherche.

Elle est composée de trois piliers :

˗ un pilier commercial devant apaiser les tensions sur les marchés agricoles et garantir la transparence des flux et des stocks ([169]) ;

˗ un pilier solidarité pour faire face à l’urgence (doublement de notre soutien aux opérations du PAM ([170]), mise en place de réserves stratégiques de céréales pour renforcer la souveraineté alimentaire et agricole de l’Ukraine, de l’Angola, de Djibouti et du Ghana) ;

˗ un pilier production pour renforcer les capacités agricoles de manière durable dans les pays concernés.

 

Ce troisième pilier, dont le secrétariat est hébergé par le FIDA, est devenu opérationnel en septembre 2023. Durant une phase pilote qui s’étendra jusqu’en 2025, des actions concrètes dans le domaine de l’agriculture et du développement rural seront soutenues, afin de débloquer ou d’accélérer les investissements du secteur privé et des bailleurs traditionnels ([171]). Le secrétariat a pu lancer ses travaux grâce à une aide financière française de 3,2 millions de dollars américains (environ 3 millions d’euros).

Lors d’une audition, l’ambassadrice du Brésil auprès des organisations des Nations unies à Rome a indiqué aux rapporteurs que dans le cadre de la présidence du G20, son pays lancera en novembre 2024 une « alliance globale contre la faim et la pauvreté » ouverte à tous les États membres de l’ONU et dotée d’un secrétariat à Rome.

L’efficacité de ces différentes initiatives, qui semblent très dispersées, devra être évaluée. Plus généralement, la multiplication des centres de décision et d’investissement en matière de sécurité alimentaire peut poser question, tant pour la coordination des actions, que pour la prise de décisions et l’établissement de normes communes.

Enfin, des initiatives purement diplomatiques peuvent être évoquées. De juillet 2022 à juillet 2023, un accord avait été signé par l’Ukraine et la Russie, sous médiation turque et onusienne, pour organiser l’exportation de céréales et d’engrais ukrainiens et russes via des « corridors sécurisés ». La Russie a finalement dénoncé cet accord et l’Ukraine a été contrainte d’utiliser d’autres voies de transport, dont un corridor maritime alternatif (cf. supra).


IV.   Trente propositions pour mobiliser la France et l’union européenne sur les enjeux alimentaires

A.   Un devoir d’exemplarité sur le territoire national

1.   Lutter contre la précarité et le gaspillage alimentaires

La France a été pionnière dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Dès 2013, elle a mis en œuvre un « Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire » à l’initiative de Guillaume Garot, alors ministre délégué à l’agroalimentaire, et en 2016, elle a adopté une loi dédiée du même auteur ([172]). Ce texte établit une hiérarchie dans les actions pour la lutte contre le gaspillage alimentaire : favoriser la prévention du gaspillage, puis utiliser les invendus par le don ou la transformation, puis valoriser dans l’alimentation animale, et enfin utiliser les restes alimentaires à des fins de compost pour l’agriculture ou la valorisation énergétique (méthanisation). De plus, la loi interdit les pratiques de destruction d’aliments encore consommables. Enfin, les distributeurs de plus de 400 m² doivent proposer des conventions de don à des associations d’aide alimentaire.

Cette loi a ensuite été complétée par plusieurs textes, dont la loi dite « Egalim » du 30 octobre 2018 ([173]), qui introduit l’obligation pour les opérateurs de la restauration commerciale de proposer le « gourmet bag » (ou « doggy bag » à la française) à partir du 1er juillet 2021, et prévoit des dispositions supplémentaires par décret et ordonnance, ou la loi dite « AGEC » du 10 février 2020 ([174]), qui étend notamment les obligations de la loi « Garot » aux opérateurs de commerce de gros alimentaire et augmente les sanctions liées au non-respect de ces dispositions. Cette loi fixe également des objectifs de réduction du gaspillage alimentaire ([175]).

Proposition n° 1 : Se donner les moyens d’appliquer la législation anti-gaspillage par des contrôles réels des sanctions exécutées.

En matière de lutte contre la précarité alimentaire, les propositions ambitieuses ne manquent pas. Depuis déjà plusieurs années, des acteurs de la société civile se mobilisent pour une réforme de l’aide alimentaire, pour la mise en place d’un chèque « alimentation durable », ou pour une « sécurité sociale de l’alimentation ». Parallèlement, de nombreuses collectivités territoriales prennent l’initiative, expérimentant, souvent avec succès, des dispositifs variés et innovants.

À l’échelle nationale, les politiques publiques de lutte contre la précarité alimentaire souffrent de deux lacunes. D’une part, le manque de coordination entre les différents dispositifs face à un phénomène multiforme et qui ne se réduit pas au simple manque de nourriture ; d’autre part, l’absence de réflexion sur les moyens d’éradiquer durablement la précarité alimentaire, en reconnaissant au « bien manger » un véritable caractère de droit fondamental.

Il est proposé, afin de pallier ces manques, l’expérimentation d’un dispositif « Territoires Zéro Faim » dont l’objectif est de généraliser, dans les territoires volontaires, l’accès à une alimentation saine, locale et durable. Il s’agit donc de faire converger, dans un même territoire, une forte densité de mesures les plus diversifiées possibles :

– la progressivité des tarifs dans la restauration scolaire, du primaire au lycée ;

– le développement de l’éducation à l’alimentation, à la cuisine et à la lutte contre le gaspillage alimentaire, à destination de l’ensemble des publics ;

– l’augmentation du soutien aux acteurs de l’aide alimentaire ;

– le développement de l’accessibilité géographique à des produits frais, locaux et de qualité ;

– le repas à 1 euro dans la restauration universitaire pour l’ensemble des étudiants (proposition du seul rapporteur Guillaume Garot) ou ciblé sur les étudiants les plus précaires (proposition de la seule rapporteure Éléonore Caroit) ;

– la création d’un chèque « alimentation durable » destiné en priorité aux publics les plus fragiles (proposition du rapporteur Guillaume Garot uniquement).

C’est la coexistence de l’ensemble de ces leviers sur un même territoire qui fait la force et la nouveauté du dispositif « Territoires Zéro Faim », qui vise à traiter à la racine la question de la précarité alimentaire, et en touchant l’ensemble des publics qui en souffrent. La dynamique propre à la mise en place du dispositif, pourvu que des moyens adaptés y soient consacrés, stimulera également la réflexion locale sur de nouveaux leviers.

Proposition n° 2 : Expérimenter des « Territoires Zéro Faim » pour éradiquer la précarité alimentaire (sous réserve des nuances exprimées par chacun des rapporteurs).

2.   Instaurer une éducation à l’alimentation et au goût dans toutes les écoles, de la maternelle au lycée

Au niveau national, l’État a engagé plusieurs projets et outils pour développer une « éducation à l’alimentation » – à laquelle peut utilement s’ajouter la notion de « goût » – dont un vade-mecun intitulé « Éducation à l’alimentation et au goût » récemment publié par le ministère de l’éducation nationale. Toutefois, aucune action d’ampleur et dotée de moyens suffisants n’a été actée. Les initiatives demeurent encore locales et très dispersées, ce qui limite leur impact et complique leur évaluation.

Compte tenu des enjeux précédemment évoqués, l’éducation à l’alimentation apparaît pourtant comme une priorité. Outre un volet théorique indispensable, celle-ci doit comprendre un volet pratique et ludique, dès le plus jeune âge, pour :

– apprendre à cuisiner ;

– goûter des produits et des plats ;

– visiter des exploitations agricoles et échanger avec les agriculteurs ;

– jardiner dans un potager, lorsque cela est possible ;

– visiter des marchés, des restaurants ou plus simplement les cuisines de l’école, etc.

Pour être réussie, cette éducation nécessite une participation active des bénéficiaires et une prise de conscience des enjeux nutritionnels et de société liées à l’alimentation.

Les rapporteurs ont auditionné l’entreprise Comedo qui a réalisé une expérimentation avec vingt-trois élèves d’une classe CE1-CE2 de l’école primaire Hoche de la ville de Colombes, répartis en quatre brigades de cinq à six élèves. Les enfants, âgés de 7 à 9 ans, ont appris les bases de la cuisine en cinq sessions d’une durée d’une heure et trente minutes, incluant la préparation, la dégustation et la vaisselle. Le dispositif mis en place mobilisait des équipements de cuisine mobiles, pouvant être installés facilement dans d’autres salles que des cuisines ([176]) ([177]).

La rapporteure Éléonore Caroit a également eu l’opportunité de connaître plusieurs initiatives réalisées en ce sens dans les lycées français du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) de sa circonscription. Les lycées français de Caracas et de Salvador proposent notamment des cours de cuisine à leurs jeunes élèves au cours desquels sont abordées des notions de mathématique, de chimie, d’alimentation durable, etc.

Les rapporteurs souhaitent une expérimentation rapide des cours de cuisine à l’école, en s’inspirant du dispositif mis en place pour l’uniforme. Le réseau d’enseignement français à l’étranger, déjà actif sur ce sujet et qui dispose d’une certaine flexibilité, pourrait être mobilisé en priorité.

Proposition n° 3 : Expérimenter l’introduction de cours de cuisine dans des écoles en France.

 

Proposition n° 4 : Expérimenter l’introduction de cours de cuisine dans le réseau d’enseignement français à l’étranger.

 

Proposition n° 5 : Lancer un plan national d’éducation à l’alimentation permettant à tous les élèves de disposer de cours théoriques et pratiques, chaque année, de la maternelle jusqu’au lycée.

Une éducation à l’alimentation passe également par la qualité des produits proposés dans les cantines scolaires. Or, les rapporteurs ont été alertés sur l’insuffisante qualité de la majorité des établissements de restauration collective en France, et en particulier de celle des cantines. L’apport nutritif des aliments est inégal et le goût des aliments altéré. En outre, le conditionnement et le réchauffage très long des plats dans des contenants en plastique seraient favorables à l’émission de perturbateurs endocriniens, avec un effet potentiel sur la santé. Si la loi dite « Egalim » permet des avancées notables, son application nécessitera une évaluation ([178]). Les rapporteurs encouragent les commissions des affaires sociales et des affaires économiques de l’Assemblée nationale à se saisir de cette question.

Enfin, si elle marque une première étape indispensable, l’éducation à l’alimentation et aux enjeux alimentaires ne doit pas s’arrêter à l’école. Elle doit se poursuivre tout au long de la vie pour accompagner les consommateurs.

B.   Placer l’alimentation au cœur du projet européen

1.   Engager une réflexion sur l’intégration du volet « alimentation » dans la prochaine PAC

Une réforme de la politique agricole commune (PAC) – dotée de 264 milliards d’euros pour la période 2023-2027 – est mise en œuvre depuis le 1er janvier 2023. Elle crée notamment les « écorégimes » – des primes versées aux exploitants suivant des objectifs environnementaux et climatiques – et les plans stratégiques nationaux (PSN) soumis par les États membres à la Commission européenne. Chaque État y définit ses besoins prioritaires pendant cinq ans et présente la manière dont il répondra aux objectifs de la PAC ([179]). Selon la Commission européenne, ces plans renforcent l’autonomie des États en matière agricole, mais ces derniers ne les mobilisent pas encore suffisamment. De plus, ces plans sont trop souvent marqués par des reculs au regard des nécessités environnementales.

La Commission européenne se dit consciente de la nécessité de poursuivre la réforme de la PAC, et en particulier du besoin de « réduire la bureaucratie », régulièrement dénoncée par les agriculteurs européens. Des travaux de réflexion sont en cours, mobilisant plusieurs organes de l’Union européenne, dont le Centre commun de recherche de la Commission européenne et l’Agence européenne de l’environnement (AEE) à Copenhague.

En outre, dans le contexte de la crise agricole, les conclusions du « dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture », lancé le 25 janvier 2024 et qui a mobilisé vingt-neuf organisations ([180]), étaient très attendues. Le rapport, publié le 4 septembre 2024, devrait être décliné prochainement en actions concrètes par la Commission européenne ([181]).

Sans entrer dans une analyse détaillée de la PAC – une mission qui relève de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale –, les rapporteurs regrettent que cette politique se cantonne depuis son entrée en vigueur en 1962 à la notion d’agriculture, sans inclure celle d’alimentation, plus large, puisqu’elle inclut par exemple la sécurité alimentaire et la nutrition. La qualité de l’alimentation entretient des liens étroits avec la santé des consommateurs.

Selon la Commission européenne, les traités, dans leur rédaction actuelle, ne permettraient pas d’inclure l’alimentation dans la PAC. Il serait nécessaire de modifier les articles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui concernent la PAC, soit les articles 38 à 44. Or, il s’agirait d’une manœuvre difficile ; le volet agricole du traité n’a d’ailleurs quasiment jamais été modifié depuis 1962, hormis des ajustements techniques avec le traité de Lisbonne de 2007.

Selon d’autres experts auditionnés par les rapporteurs, il s’agirait plutôt d’une question politique. Sur d’autres sujets, la question juridique ne s’est pas posée car ils bénéficiaient d’un soutien politique fort ([182]).

En outre, certains enjeux liés à l’alimentation ne nécessitent pas de modification juridique. C’est par exemple le cas de l’information du consommateur en matière nutritionnelle.

Proposition n° 6 : Inclure un volet alimentation  dans la prochaine PAC (2028-2034). Celle-ci deviendrait alors la « politique agricole et alimentaire commune » (PAAC).

Cette nouvelle PAAC pourrait notamment contribuer à financer une politique éducative en matière de nutrition à l’échelon européen.

2.   Défendre un commerce international respectueux des normes sociales et environnementales européennes

En matière agricole et agroalimentaire, l’ouverture vers le monde est indispensable. Elle assure des débouchés pour les produits européens (exportations) et permet aux consommateurs de bénéficier d’une plus grande variété de produits (importations). De plus, le commerce international joue un rôle stabilisateur en cas de choc localisé sur l’offre et la demande de produits et d’intrants agricoles. Il contribue ainsi à la continuité de l’approvisionnement alimentaire européen.

Toutefois, si l’autarcie n’est évidemment pas souhaitable, l’Union européenne gagnerait à améliorer encore sa position commerciale – elle pourrait alors mieux négocier – et à protéger davantage ses agriculteurs.

Dans sa nouvelle stratégie de politique commerciale de 2021 et sous l’impulsion de la présidence espagnole du Conseil, l’Union européenne a défendu le concept d’« autonomie stratégique ouverte ». Celle-ci permettrait de préserver ses intérêts vitaux, tout en poursuivant les échanges et la coopération avec les pays tiers.

Or, en matière agricole, même si l’Union européenne demeure l’un des principaux producteurs agricoles mondiaux, elle fait face à plusieurs dépendances stratégiques. Selon la Commission européenne, les principales dépendances concernent les engrais de synthèse et les protéines végétales destinées à l’alimentation animale (« feed » en anglais).

Dans ce contexte, l’Union européenne a proposé plusieurs dispositifs pour renforcer son autonomie en matière d’intrants. La stratégie « De la ferme à la table », adoptée en 2021 mais dont la mise en œuvre connaît des difficultés, prévoit par exemple de réduire de 50 % les pertes de nutriments d’ici 2030 (ce qui pourrait entraîner une réduction de 20 % de l’utilisation d’engrais), un objectif de 25 % des terres agricoles en production biologique, le développement de sources alternatives de protéines pour l’alimentation animale (dans le cadre de « la stratégie européenne en matière de protéines »), la promotion de la bioéconomie et des chaînes d’approvisionnement plus courtes.

Proposition n° 7 : Poursuivre les plans de réduction des principales dépendances agricoles européennes, en particulier en matière d’engrais de synthèse et de protéines végétales.

Plus généralement, il apparaît indispensable de protéger davantage les agriculteurs européens, en particulier dans les filières agricoles sensibles (lait, viande, sucre, etc.), pour préserver la souveraineté alimentaire européenne. Les rapporteurs recommandent d’exclure les produits les plus sensibles des accords commerciaux, à l’image de ce qui a été fait pour la volaille dans le CETA.

Proposition n° 8 : Exclure les produits les plus sensibles du champ des négociations commerciales entre l’Union européenne et les pays tiers.

La réciprocité des normes de production agricole et agroalimentaire doit également être un objectif plus prégnant dans les politiques européennes. Plusieurs outils sont mobilisables.

La France défend tout d’abord l’introduction de conditionnalités sur les concessions tarifaires dans les accords de libre-échange, et en particulier pour promouvoir des modes de production durable. L’accord de libre-échange conclu entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, en juin 2022, a par exemple assorti le contingent bilatéral de viande bovine d’une conditionnalité tarifaire qui exclut les produits issus de bovins élevés en parcs d'engraissement industriels et intensifs (« feedlots »).

Ces conditionnalités tarifaires doivent être distinguées des « clauses miroirs », qui n’ont jamais pu être insérées dans des accords de l’Union européenne car elles sont perçues par les pays tiers comme une atteinte à leur souveraineté.

Proposition n° 9 : Introduire des conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux pour promouvoir des modes de production durables.

La France défend également activement un autre outil, unilatéral cette fois-ci : la « mesure miroir », c’est-à-dire une disposition intégrée dans une législation sectorielle européenne qui impose aux produits importés de respecter une norme européenne. Elle apparaît particulièrement opérationnelle car elle ne nécessite aucune négociation avec les pays tiers.

De nouvelles mesures miroirs concerneront prochainement la déforestation et l’utilisation des antibiotiques pour les produits animaux importés. La Commission européenne souhaite également en introduire une pour le bien-être des animaux pendant leur transport.

Quatre mesures miroirs européennes

Le règlement européen de lutte contre la déforestation et la dégradation forestière de mai 2023 prévoit une mesure miroir majeure pour lutter contre la déforestation importée : à partir du 30 décembre 2024, la mise sur le marché ou l’exportation depuis le marché européen de sept produits (viande bovine, soja, cacao, caoutchouc, café, huile de palme, bois et leurs produits dérivés) seront interdites si ces produits sont issus de terres déforestées ou de forêts dégradées après le 31 décembre 2020 ([183]).

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF – CBAM en anglais) ([184]), qui vise à éviter le phénomène de « fuite de carbone » et s’appliquera définitivement à partir de 2026, est également souvent considéré comme une mesure miroir. Il conditionne en effet l’importation de certains produits industriels au respect d’obligations spécifiques.

Le règlement dit « médicaments vétérinaires » adopté en décembre 2018 permettra quant à lui d’interdire l’utilisation d’antibiotiques comme facteur de croissance dans les importations de produits animaux, lorsque les actes secondaires auront été adoptés par la Commission européenne ([185]). Depuis 2006, cette interdiction s’appliquait pour les produits animaux européens mais pas pour les importations.

Enfin, la Commission européenne a présenté le 7 décembre 2023 une proposition législative sur le bien-être des animaux pendant leur transport, qui comporte elle aussi une mesure miroir ([186]).

Pour être compatibles avec les règles de l’OMC, les mesures miroirs doivent être ciblées, proportionnées et justifiées sur la base d'arguments scientifiques relatifs à l’environnement ou à la santé humaine. Dans le cas contraire, l’Union européenne pourrait être l’objet de plaintes à l’OMC.

Enfin, dans les pays les plus impactés par les mesures miroirs, un accompagnement diplomatique est nécessaire, c’est-à-dire une mobilisation des ambassades des pays membres de l’Union européenne et de la délégation de l’Union européenne. Le règlement sur la déforestation a ainsi été critiqué par certains pays exportateurs de viande ou de bois, notamment en Amérique latine et en Afrique. Sans accompagnement diplomatique, les décisions de l’Union européenne peuvent être incomprises voire assimilées à du protectionnisme.

Proposition n° 10 : Introduire des mesures miroirs dans les législations sectorielles européennes pertinentes.

L’efficacité des mesures de réciprocité dépendra des contrôles mis en œuvre. Pour vérifier la qualité et de la sécurité des produits alimentaires importés en Europe, il apparaît indispensable de renforcer ces contrôles. Au niveau européen, trois méthodes sont aujourd’hui utilisées : l’attribution de certificats en amont, les contrôles à la frontière européenne et les contrôles des moyens de production sur place, dans les pays tiers. Si ce dernier outil est jugé le plus efficace, les inspecteurs de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne ne peuvent effectuer qu’une cinquantaine de contrôles par an dans les pays tiers, tous types de produits confondus, en raison de leurs faibles effectifs (environ 130 inspecteurs ([187])).

Proposition n° 11 : Augmenter les contrôles des produits alimentaires importés mis sur le marché européen.

 

Proposition n° 12 : Renforcer les équipes de la direction générale de la Santé et de la Sécurité alimentaire de la Commission européenne dédiées aux contrôles sanitaires et vétérinaires dans les pays tiers.

Enfin, l’information des Parlements nationaux sur les négociations commerciales européennes doit être améliorée. Si la Commission doit informer et consulter les États membres et le Parlement européen tout au long des négociations des accords bilatéraux ou régionaux préférentiels, dans les faits, les négociations demeurent encore peu accessibles pour les parlementaires nationaux.

Proposition n° 13 : Renforcer l’information des Parlements nationaux des États membres tout au long du processus de négociation des accords commerciaux.

C.   Renforcer l’engagement de notre diplomatie et de nos armées

1.   Actualiser la stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable

En 2019, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a coordonné la publication d’un document important : la « stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable » pour la période 2019˗2024, récemment étendue à l’année 2025. Ce document avait « pour objet de préciser l’ensemble des actions françaises dans ces matières et de leur donner une orientation, en répondant à cinq objectifs principaux :

1. Renforcer la gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire et de la nutrition ;

2. Développer des systèmes agricoles et alimentaires durables ;

3. Renforcer l’action française sur la nutrition ;

4. Appuyer la structuration de filières agroalimentaires durables pour favoriser la création d’emplois décents dans les territoires ruraux, notamment pour les jeunes ;

5. Renforcer les actions d’assistance alimentaire aux populations vulnérables et améliorer leur résilience aux causes de l’insécurité alimentaire, que ce soit dans les contextes d’urgence ou dans les contextes d’insécurité alimentaire chronique. ».

Pour chacun de ces objectifs, la stratégie présentait des moyens et modalités de mise en œuvre et des actions complémentaires.

Les rapporteurs appellent de leurs vœux une actualisation de cette stratégie, dès que possible. D’après les éléments transmis par le ministère en octobre 2024, un bilan de cette stratégie sera réalisé en 2025 ainsi qu’un processus consultatif auprès des acteurs impliqués par les thématiques. Un nouveau document est prévu pour 2026.

Pour leur part, les rapporteurs constatent que les cinq objectifs de la stratégie publiée en 2019 sont toujours d’actualité et proposent quelques pistes concrètes pour contribuer à les réaliser.

En matière de gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire et de la nutrition, les rapporteurs ont constaté que celle-ci apparaissait encore plus fragmentée en 2024 qu’en 2019, en raison de la multiplication des forums internationaux et des plateformes multipartenaires, à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine. Ils encouragent donc la diplomatie française à plaider pour une coordination accrue entre les acteurs et à continuer à soutenir les instances multilatérales à vocation universelle, et en particulier le Comité de la sécurité alimentaire.

À leur niveau, les parlementaires français pourraient promouvoir davantage la transposition nationale des recommandations du CSA dans les assemblées parlementaires internationales, notamment l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) et l’Union interparlementaire (UIP).

Enfin, les rapporteurs constatent que la FAO est désormais utilisée par la Chine pour défendre son propre agenda sur les questions alimentaires et, plus généralement, pour étendre son influence sur la scène internationale. Or, l’Union européenne n’apparaît pas suffisamment réactive. Compte tenu des participations financières élevées des États européens à la FAO, l’Union dispose pourtant d’un levier pour mieux défendre ses positions. Les pays européens devraient se coordonner davantage pour peser sur certains sujets, et en particulier pour proposer un modèle d’agriculture plus durable. Dans le contexte international actuel, l’Union européenne doit, elle aussi, agir comme une « puissance » à Rome.

Proposition n° 14 : Actualiser la stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable.

 

Proposition n° 15 : Poursuivre la politique française de soutien du CSA et réaffirmer son rôle de principale plateforme inclusive sur la sécurité alimentaire.

 

Proposition n° 16 : Encourager un renforcement de la coordination des financements et des positions des pays de l’Union européenne à la FAO.

Plus généralement, les rapporteurs invitent le Quai d’Orsay et le ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt à promouvoir les enjeux de sécurité alimentaire, de nutrition et d’agriculture durable dans les différents forums internationaux qui s’y prêtent. Le One Water Summit, organisé le 3 décembre 2024 à Riyad en Arabie saoudite, par la France, le Kazakhstan et la Banque mondiale en marge de la seizième session de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), sera par exemple l’occasion d’évoquer l’importance de la coopération internationale dans le domaine de l’eau, une ressource de plus en plus disputée (cf. supra) ([188]).

En outre, la France doit encourager l’intégration des questions agricoles et alimentaires dans les négociations internationales sur le climat. La conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP) organisée à Dubaï, du 30 novembre au 12 décembre 2023, a marqué une première avancée avec l’adoption d’une « déclaration sur l'agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l'action climatique », signée par cent cinquante-neuf États et territoires, dont la France.

En matière de nutrition, la France a considérablement renforcé son action. Elle accueillera par exemple la prochaine édition du Sommet « Nutrition pour la Croissance » (Nutrition for Growth ou N4G), les 27 et 28 mars 2025. Organisée tous les quatre ans, cette conférence internationale vise à mobiliser politiquement et financièrement la communauté internationale pour lutter contre toutes les formes de malnutrition ([189]).

De nombreuses actions de plaidoyer ont été organisées pour préparer le sommet. Du 23 au 25 septembre 2024, Brieuc Pont, envoyé spécial de la France pour la nutrition et secrétaire général du sommet N4G, a par exemple participé à plusieurs événements de haut niveau à New York, en marge de la 79e Assemblée générale des Nations unies, afin de sensibiliser les participants aux enjeux de sécurité nutritionnelle en amont du sommet.

Mais cette action internationale de la France en faveur de la nutrition ne doit pas s’arrêter à cet événement majeur, elle gagnerait à s’inscrire dans la durée.

Proposition n° 17 : Renforcer le plaidoyer sur la sécurité alimentaire et la nutrition dans les forums internationaux à la suite du Sommet Nutrition pour la Croissance.

Les rapporteurs appellent également nos diplomates à aller plus loin, en développant des actions de plaidoyer pour une « éducation à l’alimentation », dès le plus jeune âge, qui comprendrait ces enjeux nutritionnels mais aussi une compréhension de l’ensemble des systèmes alimentaires et des enjeux liés (cf. supra). La diplomatie française pourrait alors utiliser divers outils, dont la Coalition mondiale pour l’alimentation scolaire, une initiative qu’elle a lancée en 2021 avec la Finlande et le soutien du PAM et qui a depuis pris de l’ampleur ([190]). Cette coalition a pour objectif de fournir à chaque enfant un repas sain et nutritif à l’école d’ici 2030.

Proposition n° 18 : Développer des actions de plaidoyer spécifiques sur l’« éducation à l’alimentation », en particulier auprès des Nations unies à Rome (FAO, PAM, FIDA) et à New York (AGNU, UNICEF).

 

Proposition n° 19 : Promouvoir le thème de l’éducation à l’alimentation via la Coalition mondiale pour l’alimentation scolaire.

En matière d’assistance aux populations en situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle sévère, la France dispose d’un outil spécifique : l’aide alimentaire programmée (AAP) ([191]). Les financements dédiés à celle-ci ont progressé ces dernières années, atteignant 170 millions d’euros en 2023 et 171,7 millions d’euros en 2024 (contre 50,6 millions en 2022). Les projets retenus sont mis en œuvre par des organisations internationales (PAM, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient et le Haut-commissariat pour les réfugiés) et des ONG nationales et internationales. En 2025, le montant de l’AAP devrait être fortement réduit en raison des coupes budgétaires qui seront effectuées sur l’aide publique au développement.

S’ajoutent également à l’AAP le Fonds d’urgence humanitaire et de stabilisation, ainsi que les contributions volontaires françaises aux agences onusiennes.

En audition, le PAM a insisté sur ses difficultés de financement : alors que les besoins en matière d’assistance alimentaire continuent à augmenter, les aides internationales se réduisent, contraignant l’organisation à faire des choix difficiles. Celle-ci ne disposait que de 8,4 milliards de dollars en 2023, contre 14 milliards en 2022. Elle estime que lorsque ses fonds se réduisent de 1 %, 400 000 personnes basculent dans l’insécurité alimentaire.

En 2023, la France a doublé sa contribution au PAM et celle-ci a atteint le montant record de 176 millions d’euros en 2024, dont 164 millions d’euros décaissés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et 12 millions par l’Agence française de développement (AFD). L’AFD a contribué au PAM pour la première fois, pour financer un projet d’alimentation scolaire au Burkina Faso. La France est ainsi devenue le 4e contributeur gouvernemental du PAM.

Il apparaît indispensable de maintenir cet effort financier et, plus généralement, de poursuivre les programmes d’assistance humanitaire dans les domaines de l’alimentation et de la nutrition.

Proposition n° 20 : Maintenir la contribution française au PAM en 2025.

Pour lutter contre l’insécurité alimentaire et encourager le développement rural, le FIDA est devenu un partenaire privilégié de la France. En 2023, celle-ci a d’ailleurs défendu à plusieurs reprises (réunions du G7 et du G20, Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, COP28) la 13e reconstitution des ressources du FIDA pour la période 2025-2027, et même organisé la 4e session de reconstitution à Paris, les 14 et 15 décembre 2023. Pour sa part, elle a annoncé contribuer à hauteur de 150 millions d’euros sur cette période (environ 134 millions d’euros, soit 60 % de plus que sur la période précédente).

Quels que soient les acteurs interrogés, cette institution, a été présentée aux rapporteurs comme très performante. Elle dialogue en permanence avec le pays partenaire pour s’adapter à sa demande et coopère le plus possible avec d’autres organisations internationales et avec les banques de développement ([192]). En outre, elle dispose d’un dispositif d’évaluation reconnu ([193]).

Proposition n° 21 : Maintenir la contribution française au FIDA lors de la prochaine reconstitution des ressources.

En parallèle, il apparaît également indispensable de lutter contre le phénomène d’accaparement des terres qui prive les populations rurales de l’accès au foncier et contribue à l’insécurité alimentaire. À cet égard, la France pourrait financer le projet « Land Matrix », qui permet de disposer de données sur le phénomène. Cette base de données est aujourd’hui financée par la Commission européenne, l’Allemagne et la Suisse ([194]).

Proposition n° 22 : Financer l’initiative « Land Matrix ».

En outre, lutter contre l’insécurité alimentaire à l’échelle internationale implique de réduire le gaspillage alimentaire. Il semble nécessaire de renforcer le plaidoyer sur cette thématique, encore insuffisamment prise en compte dans les discussions internationales.

Au niveau européen, en juillet 2023, la Commission européenne a soumis aux instances européennes une proposition de législation introduisant des objectifs contraignants de réduction des PGA de 10 à 30 %, à l’horizon 2030, pour les étapes de fabrication, de transformation, de vente au bétail, de restauration, de services alimentaires et de consommation de la chaîne de production alimentaire.

Proposition n° 23 : Renforcer les actions de plaidoyer pour lutter contre le gaspillage alimentaire.

Pour lutter contre l’insécurité alimentaire, il apparaît aussi indispensable de poursuivre les politiques d’aide publique au développement recherchant une transition vers des systèmes alimentaires durables.

L’AFD a engagé 530 millions d’euros en 2022 dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation (150 millions d’euros sous forme de subventions, le reste sous forme de prêts, essentiellement bonifiés). Ses domaines d’intervention sont variés : financements de matériel agricole et d’irrigation, d’infrastructures, de formations, etc. L’objectif est d’aider les agriculteurs à améliorer la gestion de leur production et de renforcer la durabilité économique des filières locales. Les exploitations familiales, plus vulnérables, sont particulièrement ciblées ([195]).

Enfin, la France pourrait également promouvoir un commerce plus équitable qui contribue à mieux rémunérer les agriculteurs et les ouvriers agricoles, et donc à lutter contre l’insécurité alimentaire qui les touche. Sur ce sujet, les rapporteurs ont pu auditionner Max Havelaar France, membre fondateur du mouvement international de commerce équitable Fairtrade/Max Havelaar, qui promeut une « approche globale fondée sur les trois leviers du développement durable (économique, social et environnemental) (…) : donner les moyens aux producteurs de vivre de leur travail (…) ; des critères spécifiques pour assurer aux producteurs et travailleurs des conditions de travail décentes et sûres et lutter contre toute forme d’exploitation ou de discrimination (…) ; le soutien à une agriculture familiale, à l’opposé des cultures intensives qui mène à l’épuisement des ressources, à l’usage inconsidéré d’intrants, etc. (…) » ([196]).

L’association a par ailleurs présenté le rôle joué par le commerce équitable dans la résolution des conflits et dans les processus de réconciliation post-conflit. Selon elle, « des filières de café équitables en Bolivie, au Laos ou au Nord-Kivu en République démocratique du Congo montrent que la construction de filières équitables permet le renforcement de la cohésion sociale et du sentiment de fierté et de dignité des producteurs et la promotion de la réconciliation par les coopératives ».

Proposition n° 24 : Promouvoir le commerce équitable comme un outil au service de la sécurité alimentaire et de la paix.

2.   Mobiliser les armées sur les enjeux alimentaires

Les rapporteurs regrettent que ni la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 ([197]), ni son rapport annexé qui fixe les objectifs de la politique de défense ne mentionne les enjeux stratégiques et de défense liés à la sécurisation des ressources alimentaires. Cet enjeu n’est concerné que par les réquisitions et les approvisionnements des forces armées, mentionnées respectivement aux articles 47 et 49 de la LPM.

Plus généralement, les enjeux de défense liés à l’alimentation sont très peu mentionnés dans les documents de doctrine des armées. Il apparaît indispensable de les présenter dans les prochains textes qui seront proposés, et en particulier dans la prochaine actualisation de la revue nationale stratégique proposée par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Proposition n° 25 : Améliorer la prise en compte des enjeux stratégiques liés à l’alimentation dans les documents de doctrine militaire.

Le ministère des armées ne dispose d’aucun moyen spécifique pour le suivi de la thématique. Il est nécessaire de créer un ou plusieurs postes en équivalent temps plein (ETP) dédiés, par exemple au sein de la sous-direction « stratégie de défense » de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées.

Proposition n° 26 : Créer un ou plusieurs postes dédiés au suivi des enjeux alimentaires au sein de la DGRIS.

En outre, la guerre d’agression russe en Ukraine a rappelé que les sites agricoles et agroalimentaires pouvaient constituer des cibles tactiques, permettant de détériorer les capacités de production et d’exportation de denrées alimentaires de son adversaire.

En France, l’alimentation est classée comme l’un des douze secteurs d’activité d’importance vitale qui nécessitent un dispositif de protection spécifique, dont le régime est défini dans le code de la défense ([198]). Toutefois, certains grands sites agricoles stratégiques pourraient être davantage protégés sur le territoire national, selon une personne auditionnée. Une évaluation de la vulnérabilité de ces sites semble incontournable pour les protéger d’éventuelles attaques conventionnelles ou hybrides.

Proposition n° 27 : Évaluer la sécurité des sites agricoles stratégiques sur le territoire national, tels que les stocks de grains et, si nécessaire, la renforcer.

3.   Engager une stratégie de « gastro-diplomatie » sur la durée

Lorsque les rapporteurs ont débuté leurs travaux, ils ont constaté que la France n’avait pas su développer de stratégie de gastro-diplomatie structurée, d’ampleur et stable ([199]), malgré des initiatives intéressantes, telles que Goût de France à partir de 2015. Ils n’ont pu que regretter cette situation, alors que d’autres pays, tels que la Thaïlande ou l’Italie, étaient davantage structurés. Selon le chef Alain Ducasse, rien ne justifiait cette situation, alors que la France avait inventé la haute gastronomie il y a quatre siècles.

En Italie, le bureau de la diplomatie des territoires et des expositions universelles du ministère des affaires étrangères compte onze agents, dont trois diplomates. Si ce bureau ne traite pas uniquement de la cuisine italienne mais aussi du design (en reliant dès que possible, les deux thématiques), ce nombre reste nettement supérieur à celui consacré par le ministère français de l’Europe et des affaires étrangères à la gastro-diplomatie : un poste d’ambassadeur thématique en charge de la promotion de la gastronomie française, assisté de deux équivalents temps plein et sans véritables moyens matériels. Il apparaît indispensable de renforcer cette équipe et de lui confier une enveloppe budgétaire importante.

Proposition n° 28 : Augmenter les moyens matériels et humains du ministère de l’Europe et des affaires étrangères dédiés à la promotion de la gastronomie française et des produits des terroirs français.

Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation pilote également depuis février 2020 la marque « TasteFrance » ([200]) qui promeut les produits alimentaires et agroalimentaires français auprès de plusieurs publics (« business to business » (BtoB) et « business to client » (BtoC)) : les « prescripteurs » (médias, influenceurs, décideurs institutionnels étrangers des secteurs économiques et agricoles, investisseurs), les professionnels de l’alimentation (importateurs, grossistes, distributeurs de produits alimentaires et agricoles, professionnels de la restauration, écoles professionnelles internationales) mais aussi les consommateurs finaux. TasteFrance est la seule marque à être déployée à l’international pour les secteurs de la gastronomie, de l’agroalimentaire et de l’agriculture, ce qui garantit une unité dans la communication et dans les actions entreprises. Elle accompagne plus de deux mille entreprises chaque année et des pavillons TasteFrance sont installés dans plus de trente salons internationaux. Son action « BtoC » porte prioritairement sur dix pays : l’Allemagne, l’Arabie saoudite, le Canada, la Chine, les Émirats arabes unis, les États-Unis, l’Espagne, le Japon et le Royaume-Uni.

La dynamique engagée avec la création de Taste France doit être poursuivie, et ce d’autant plus que d’autres pays ont développé des initiatives concurrentes : marque « The Extraordinary Taste » de promotion des produits italiens depuis 2016, marques espagnoles « Food Wines from Spain » et, depuis 2020, « Alimentos de Espana », campagnes irlandaises de l’agence Bord Bia promouvant notamment le bœuf irlandais et mettant en avant la durabilité de la production alimentaire du pays.

En parallèle, en septembre 2023, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé une « stratégie nationale en faveur de la haute gastronomie ». Celle-ci a été élaborée par les services d’Olivia Grégoire, alors ministre déléguée aux Petites et moyennes entreprises, au Commerce, à l’Artisanat et au Tourisme, avec l’appui des ministres successifs de l’Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna puis Stéphane Séjourné, ainsi que de Guillaume Gomez et d’Alain Ducasse. La stratégie nationale « Faire rayonner la haute gastronomie française » a finalement été publiée le 12 avril 2024. Elle comprend trois axes :

– l’identification et l’accompagnement de talents dans les métiers de la gastronomie, avec la création d’un Centre national de la gastronomie française qui proposera des entraînements pour les compétitions internationales des métiers de bouche, de service et de la gastronomie (surnommé le « Clairefontaine » ou le « Marcoussis de la gastronomie »), mais aussi une présence accrue des chefs aux événements et salons internationaux ;

– le développement à l’international, en accompagnant des chefs désirant ouvrir un restaurant français à l’étranger ([201]) ;

– la promotion de la haute gastronomie : accueil d’étrangers au sein des grandes écoles de cuisine française, création d’un réseau international des écoles de la gastronomie, reprise des événements Goût de France dès 2024 et action auprès du grand public ([202]).

Les rapporteurs espèrent que cette stratégie sera reprise par le nouveau gouvernement, bénéficiera des financements suffisants et qu’elle s’inscrira dans la durée.

Proposition n° 29 : Assurer des moyens et un suivi à la nouvelle stratégie nationale en faveur de la haute gastronomie.

Si la haute gastronomie a des effets positifs pour les industries du tourisme et de la restauration, et sur l’export des produits français, elle doit s’accompagner d’autres outils publics, dont ceux développés par TasteFrance, mais aussi d’initiatives privées.

Les rapporteurs appellent à encourager les initiatives privées accessibles pour les consommateurs étrangers et à s’inspirer du modèle d’Eataly, qui propose à la fois des produits de qualité italiens facilement identifiables, de consommer les produits sur place et des cours de cuisine.

La gastronomie française ne doit pas être perçue comme élitiste. Un répertoire culinaire français simple, rapidement identifiable et qui ne soit pas trop onéreux, peut aussi être proposé aux consommateurs étrangers. Le plus grand nombre pourra alors se l’approprier.

Proposition n° 30 : Encourager la création d’un équivalent français de « Eataly ».


   Examen en commission

M. le président Bruno Fuchs. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen du rapport d’information de Mme Éléonore Caroit et M. Guillaume Garot sur l’enjeu alimentaire. Nos rapporteurs d’information avaient mené, sous la seizième législature, un travail de réflexion important sur cette question et ils étaient sur le point de présenter leurs conclusions au moment de la dissolution, le 9 juin dernier. Le bureau de notre commission a souhaité que ce rapport soit présenté ce matin devant nous.

Les objectifs de développement durable des Nations unies visaient à parvenir à l’éradication de la famine dans le monde d’ici 2030, mais ils ne seront clairement pas atteints. Le problème ne porte pas tant sur le volume de production que sur le nombre de facteurs qui ne permettent pas d’extraire près de 800 millions de personnes d’une situation de survie alimentaire.

Plusieurs éléments peuvent être évoqués, dont l’organisation des marchés, qui ont pour vocation de créer de la rentabilité dans la production et la vente de denrées alimentaires mais également les conflits, qui affectent particulièrement les populations les plus faibles. Il faut également citer la dimension environnementale : la sécheresse ou inversement l’excès d’eau viennent affecter une partie importante des productions alimentaires. L’alimentation constitue enfin une arme politique dans de nombreux théâtres de guerre, ce qui ne peut être accepté sur le plan moral et humain.

Je cède à présent la parole aux deux rapporteurs pour la présentation de leur rapport. Leurs réflexions susciteront à n’en pas douter un nombre important de débats et de questions car elles portent à la fois sur la production et le système politique, y compris la volonté de certains États d’instrumentaliser cette question, notamment dans le cadre de conflits.

M. Guillaume Garot, rapporteur. J’ai plaisir à retrouver cette commission, dans laquelle j’ai siégé durant deux années. Nous allons présenter ce matin les conclusions d’un rapport qui intéresse directement les équilibres mondiaux et les relations internationales : l’enjeu alimentaire. C’est Éléonore Caroit qui était à l’initiative de ce rapport.

Depuis la pandémie de la Covid mais aussi la guerre en Ukraine, nous nous sommes tous rendu compte de l’importance de l’enjeu alimentaire. Les systèmes alimentaires s’inscrivent dans la mondialisation, dont les règles sont parfois peu efficaces et ne permettent pas toujours la meilleure allocation des ressources. Il existe une très grande variété d’acteurs, qu’ils s’agissent des producteurs, des transformateurs ou de ceux qui commercialisent l’alimentation. En outre, au fil des ans, de nouveaux acteurs ont investi le champ de l’alimentation : les grandes et très grandes entreprises de l’agroalimentaire et de la chimie ont pris une place parfois prépondérante. Lors de notre travail, nous avons été frappés de constater que l’organisation de ce système à l’échelle internationale est sans doute défaillante.

Cette situation se reflète dans l’évolution de la faim dans le monde, qui a augmenté depuis 2019. Aujourd’hui, 730 millions de personnes souffrent de la faim et parmi elles, 280 millions vivent une situation d’insécurité alimentaire aiguë. À ce titre, le rapport s’est notamment concentré sur deux cas particuliers : Haïti et Gaza.

Au-delà de la faim à proprement parler, un autre phénomène gagne le monde, y compris nos sociétés développées : l’insécurité alimentaire. Cette dernière touche un quart de l’humanité. Ainsi, en Afrique, 72 % de la population n’a pas les moyens de se nourrir sainement. Le coût humain subséquent est considérable, puisque 150 millions d’enfants de moins de 5 ans présentent un retard de croissance.

Pour cerner les causes de l’augmentation de l’insécurité alimentaire, nous avons rencontré un grand nombre d’interlocuteurs au cours de ces deux années de travail. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation ou FAO), l’agence onusienne qui traite des questions d’alimentation insiste sur le rôle joué par les conflits, les chocs économiques et les événements climatiques, qui sont devenus extrêmes. Nous soulignons par ailleurs dans le rapport deux autres facteurs qui nous paraissent importants : l’accaparement des terres et la spéculation sur les matières premières.

Un autre paradoxe doit être relevé : au moment où tant d’êtres humains ont faim, nous constatons que les pertes et le gaspillage alimentaires ont gagné du terrain. Aujourd’hui, un tiers de la production alimentaire mondiale est ainsi perdu ou jetée chaque année. Il y a là un sujet majeur à traiter dans les réponses que nous pouvons formuler. Je laisse à présent Éléonore Caroit développer ces constats, avant que nous ne vous présentions les solutions que nous envisageons.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous sommes particulièrement heureux de vous présenter ce rapport, fruit d’un travail de longue haleine. En effet, nous avons entamé ce rapport en 2022, lors de la première année de la guerre en Ukraine, à l’époque où la question de la souveraineté alimentaire commençait à émerger et à devenir de plus en plus présente dans le débat public. Nous avons choisi le sujet de l’alimentation et non de l’agriculture ou des matières premières, car il nous a paru important de comprendre les systèmes.

Le constat, terrible, est le suivant : la faim dans le monde ne cesse de progresser, alors même que nous n’avons jamais été autant capables de produire, en termes caloriques, de quoi nourrir la planète. Il nous est donc apparu essentiel de comprendre comment un tel dysfonctionnement systémique a pu se développer. Ce travail sur deux ans, émaillé par quelques interruptions, nous a permis de procéder à un nombre d’auditions plus important que d’habitude et de nous interroger sur de nombreux sujets touchant à l’alimentation.

Vous nous reprocherez peut-être d’avoir mené un travail trop large, mais il nous semble qu’il s’agit d’une question clé pour la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Elle est clé parce qu’elle comporte évidemment un aspect climatique, mais également un impact géopolitique majeur. Enfin, il nous est apparu que notre commission n’avait pas travaillé sur ce sujet. Nous sommes conscients que vous avez reçu tardivement ce rapport, en raison des aléas du calendrier, mais nous espérons que vous pourrez le lire de manière approfondie. Nous sommes évidemment à votre disposition pour en parler, y compris en dehors de cette présentation.

Parmi les éléments majeurs, il convient de souligner les enjeux géopolitiques de la question alimentaire. Il existe dans le monde des puissances agroalimentaires assumées, qui mènent à ce titre des politiques agricoles et industrielles depuis des années. Je pense notamment aux États-Unis, à la Chine, à l’Inde, à la Russie, à l’Australie, au Brésil, au Canada, et évidemment, à la France. L’Assemblée nationale s’est interrogée sur cette question dans le cadre de différentes commissions d’enquête, notamment la commission d’enquête sur la souveraineté alimentaire, à laquelle j’ai eu l’opportunité de participer.

Pour notre part, nous avons souhaité aborder ce sujet sous un angle international. Les puissances alimentaires, possèdent un réel avantage sur la scène internationale, notamment parce qu’elles ont procédé à une diversification de leur production, contrairement à d’autres pays qui ont choisi, au contraire, de se focaliser sur certains produits ou certains segments du marché. Depuis 2022, le ministère de l’agriculture est également celui de la souveraineté alimentaire, choix qui a inspiré l’Italie dans l’appellation de son propre ministère. Nous nous sommes d’ailleurs rendus dans ce pays pour rencontrer les représentants d’institutions internationales, qu’il s’agisse de la FAO, du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Fonds international de développement agricole (FIDA).

Il est évident que la souveraineté alimentaire constitue une condition de la sécurité alimentaire, tant l’alimentation est vitale pour une population. Elle permet en effet à un pays de limiter sa dépendance envers d’autres États, mais également d’utiliser la nourriture comme un outil de pression diplomatique voire comme un outil militaire, ce que certains États assument clairement. En l’espèce, l’arme militaire consiste à interdire ou limiter de manière délibérée l’accès à l’alimentation à tout ou partie d’une population.

Certains modes d’action peuvent ainsi être employés et cibler directement des denrées alimentaires, par le pillage, la destruction ou la contamination. Cela peut aussi consister à attaquer des facteurs de production agricole ou à bloquer les voies de communication. Ces actions sont inadmissibles mais il importe de les analyser. Les sièges sont une constante dans l’histoire, qu’il s’agisse du siège d’Alésia, du siège de Paris en 1870, du siège de Leningrad par l’Allemagne nazie, ou des blocus maritimes et continentaux.

Lorsque l’on s’intéresse aux relations internationales et aux conflits internationaux, il est très important de garder en tête le rôle crucial que joue l’alimentation. À la fin de l’année 2022, quand nous avons débuté ce rapport, l’invasion de l’Ukraine avait remis en lumière l’arme alimentaire. La Russie a délibérément attaqué l’appareil agricole ukrainien, qui était le grenier de l’Europe, en violant le droit international. Elle a pillé, attaqué des récoltes, des infrastructures, des silos à grains, des fermes. Aujourd’hui, elle occupe plus de 20 % des terres agricoles ukrainiennes. Surtout, la Russie utilise toujours la nourriture comme un moyen de pression sur l’Ukraine et sur les pays occidentaux, pour exercer une forme de chantage aux matières premières de manière hybride. Au-delà de la guerre en Ukraine, cette arme a été utilisée récemment dans d’autres théâtres de conflits.

L’alimentation est un instrument de hard power, mais aussi de soft power ou d’influence. Nous nous sommes intéressés à un autre aspect, qui peut paraître moins essentiel, mais qui est en réalité majeur : la diplomatie culinaire ou « gastro-diplomatie ». En effet, l’alimentation est un bien culturel qui représente un marché économique extrêmement important et nous avons interrogé à ce titre un certain nombre de chercheurs, de grands chefs, d’acteurs de cette gastro-diplomatie.

Nous pouvons la définir comme un instrument qui permet d’affirmer la singularité d’un pays sur la scène internationale, de témoigner de son hospitalité, d’encourager des négociations, notamment lors de dîners d’État, d’améliorer la balance du commerce extérieur, et enfin de s’opposer à d’autres pays de manière non coercitive mais tout à fait efficace. Au-delà de la France reconnue pour sa gastronomie, certains États comme le Pérou, la Thaïlande, le Danemark, l’Espagne ou l’Italie ont fait un choix délibéré et politique d’investir dans la promotion de leur gastronomie, à tel point qu’ils ont même inventé un imaginaire gastronomique et organisé des pratiques culinaires existantes pour s’en servir comme un outil d’influence. La gastronomie peut apparaître comme une évidence en France, ce qui peut paradoxalement conduire à moins investir ce champ. Il nous a précisément semblé important de formuler des propositions dans ce domaine.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Il existe une compétition internationale en matière d’alimentation mais également des outils de coopération, qui comportent deux volets : les négociations commerciales et les initiatives pour la sécurité alimentaire.

Les négociations commerciales multilatérales sont aujourd’hui bloquées : aucun accord d’envergure n’a été signé à l’OMC depuis une trentaine d’années. Dans ce contexte, les grandes organisations régionales ont essayé d’avancer. À ce titre, l’Union européenne (UE) a multiplié des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux. À l’heure actuelle, des accords sont en attente d’adoption avec la Chine et le Mercosur.

Les accords commerciaux offrent des avantages, notamment en termes de débouchés, mais en contrepartie, ils occasionnent des inconvénients, notamment en matière de dépendance et de concurrence accrue, qui est parfois déloyale.

Nous souhaitons un commerce international respectueux des normes sociales et environnementales européennes. Dans ce cadre, il faut introduire des conditionnalités tarifaires dans ces accords commerciaux, faire usage de mesures miroirs dans la législation européenne, mais également nous doter de moyens de contrôle. De fait, aujourd’hui, des quotas ou contingents de produits, notamment de viande, ne sont pas systématiquement contrôlés lorsqu’ils partent des pays tiers ou lorsqu’ils arrivent sur le sol de l’Union européenne.

Le deuxième levier concerne les initiatives autour de la sécurité alimentaire. Comme Éléonore Caroit l’a indiqué, nous sommes allés à la rencontre de la gouvernance mondiale, à Rome en particulier. Ainsi, la FAO organise le débat multilatéral et apporte une aide technique aux États pour la mise en œuvre des politiques agricoles et alimentaires. Le PAM mène quant à lui des missions d’assistance alimentaire et de logistique humanitaire. Il intervient donc avant tout dans les situations d’urgence ou d’insécurité alimentaire aiguë. Enfin, le FIDA conduit une action très ciblée et très efficace pour aider les petits producteurs et les populations rurales les plus pauvres.

Malheureusement, ces dispositifs ne fonctionnent pas suffisamment bien en raison d’enchevêtrements de compétences entre ces institutions. Les délimitations entre ces trois organisations sont parfois floues et leur coordination est largement insuffisante. De fait, de grandes puissances comme la Chine et la Russie utilisent ces difficultés de périmètre pour investir ces organisations au nom de leurs propres intérêts. En outre, d’autres outils viennent ajouter de la confusion. Je pense en particulier à ces plateformes multilatérales qui, en soi, sont très intéressantes mais compliquent encore la coordination. Il s’agit par exemple de l’initiative résilience alimentaire et agricole (Food & Agriculture Resilience Mission, FARM), dispositif promu par la France pour faire face en particulier aux conséquences de la guerre en Ukraine. De même, le Brésil devrait très prochainement lancer de façon opérationnelle son alliance mondiale contre la faim et la pauvreté dans le cadre du G20.

En résumé, cette coopération internationale est aujourd’hui largement imparfaite, provoquant inévitablement des défaillances, des gaspillages et une mauvaise allocation des ressources financières. Pour autant, cette coopération reste vitale dans un monde qui devra nourrir 10 milliards d’habitants en 2050, contre 8 actuellement.

Venons-en enfin aux propositions du rapport, qui sont au nombre de trente.

Le premier axe de propositions concerne la France, qui doit être exemplaire en matière de lutte contre la précarité et l’insécurité alimentaires, mais aussi contre le gaspillage alimentaire. Comme nous l’avons indiqué précédemment, un tiers de la production alimentaire totale dans le monde est jeté ou gaspillée. Nos propositions seront reprises dans le débat parlementaire et nous organiserons au mois de mars les états généraux de la lutte contre le gaspillage à l’Assemblée nationale, qui réuniront l’ensemble des acteurs investis aujourd’hui en France sur le sujet. Ici aussi, il nous faut du volontarisme, un cap clair et surtout des moyens pour y parvenir.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Ce rapport est extrêmement détaillé et nous serons ravis d’échanger avec vous sur ce sujet. Concernant la France, nous souhaitons qu’elle devienne un modèle en matière d’éducation à l’alimentation, dès le plus jeune âge, afin de combattre la malnutrition, l’obésité et les défaillances alimentaires. Il est certain que dans notre pays, cette éducation à l’alimentation demeure insuffisante. Elle est assez simple à expliquer mais, dans le cadre scolaire, elle implique d’aménager nos écoles pour permettre d’organiser des cours de cuisine. Cependant, un certain nombre d’initiatives pourraient être réalisées à moindre coût.

Ensuite, l’éducation à l’alimentation doit également se poursuivre à l’âge adulte, pour rendre les consommateurs et citoyens que nous sommes aient davantage conscience de l’impact des produits que nous consommons. Certains dispositifs existent déjà, à l’instar du nutriscore qui, pour l’instant, est réalisé sur une base volontaire, mais qui pourrait être étendu. De manière plus globale, le rapport a pour ambition de susciter des travaux transpartisans pour améliorer l’éducation à l’alimentation dans notre pays.

Dans le cadre scolaire, il faut également mentionner la coalition mondiale pour l’alimentation scolaire qui a été lancée en 2021 et que la France copréside avec le Brésil et la Finlande. Nous pourrions transmettre un certain nombre de propositions qui s’appliqueraient déjà évidemment en France et dans le réseau des lycées français à l’étranger mais qui pourraient ensuite se décliner dans d’autres pays qui sont membres de la coalition. Je rappelle d’ailleurs qu’un très grand nombre d’enfants ne bénéficient que d’un seul repas par jour, précisément à l’école. En résumé, l’école est un vecteur d’éducation à l’alimentation, mais surtout d’éducation à l’alimentation de qualité.

Il convient également de mentionner les « lois Egalim » et la nécessité de s’assurer de leur application, en ce qui concerne notamment les cantines scolaires, et de l’évaluation qui est effectuée. Le rapport liste également des pistes de réflexion sur les cantines scolaires ou les perturbateurs endocriniens.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Le rapport formule en outre une série de propositions autour du volet européen. L’une d’entre elles concerne l’idée d’une politique agricole et alimentaire commune (PAAC), afin que la politique agricole commune (PAC) intègre demain un volet relatif à l’alimentation. Je ne reviens pas par ailleurs sur les enjeux liés au commerce international, mais nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir lors de nos échanges.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous proposons des réflexions qui peuvent ensuite se décliner sur le plan national, soit en propositions de loi, soit en discussions avec le gouvernement, pour construire des projets de loi. Nous évoquons également des sujets d’audit, de contrôle et de connaissance des accords et traités signés par la France.

Guillaume Garot a déjà souligné à cet effet le manque de coopération et de coordination entre les trois agences onusiennes dédiées à l’agriculture et l’alimentation. Elles jouent un rôle essentiel mais les complexités qu’elles engendrent ne nous semblent pas nécessaires. S’il apparaît évident de soutenir le PAM et le FIDA, dont nous avons pu apprécier l’efficacité sur le terrain, ce soutien doit être assorti d’un contrôle de l’efficacité de leur action.

Déjà mentionnée précédemment, la stratégie de la « gastro-diplomatie » nous semble constituer une piste de réflexion extrêmement intéressante pour la France, y compris pour améliorer notre balance commerciale. Nous considérons que nous pouvons bien mieux agir dans ce domaine car la gastronomie est née en France. Cela implique de mener une politique plus coordonnée, telle qu’elle est pratiquée par d’autres pays, à moindre coût et avec succès.

Ce rapport avait enfin pour objectif de dresser un état des lieux et, surtout d’aborder la question de l’alimentation au-delà du cadre local ou national. En effet, il nous semble que si nous ne regardons pas les enjeux sur le plan international, nous passerons à côté d’une grande partie du problème. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des choix menés par différents pays depuis des décennies, mais aussi à un réveil des opinions publiques sur les questions agricoles et alimentaires, à très juste titre.

En conclusion, je vous invite à vous saisir de certaines des propositions de notre rapport, pour travailler ensemble de manière transpartisane. Ces sujets doivent nous rassembler.

M. le président Bruno Fuchs. Je remercie les deux rapporteurs pour leur rapport extrêmement bien maîtrisé, dans son analyse et sa série de propositions. Je retiens notamment votre volonté de bien intégrer dans votre réflexion l’ensemble de la chaîne des acteurs pour promouvoir, notamment, cette proposition de politique agricole et alimentaire commune. Je souscris par ailleurs à votre initiative concernant les états généraux de la lutte contre le gaspillage et souhaite que votre rapport contribue à faire évoluer les pratiques. La commission consacrera toute son énergie à appuyer les propositions que vous venez de formuler et dont nous allons discuter à présent.

Je cède la parole aux orateurs des groupes.

Mme Isabelle Mesnard (HOR). Je tiens d’abord à vous féliciter pour la qualité de votre rapport, qui soulève des enjeux lourds pour l’alimentation mondiale. Je souhaite notamment relever l’angle touristique de la gastronomie, qui représente une vitrine de la France à l’étranger.

Par ailleurs, nous savons que l’insécurité alimentaire progresse dans le monde et que les déséquilibres s’accentuent. Le changement climatique peut aggraver cette situation et nous risquons d’assister à des exodes climatiques et alimentaires. Vous rappelez dans votre rapport que le concept de sécurité alimentaire repose sur quatre piliers : la disponibilité, c’est-à-dire le fait de disposer d’une nourriture sans substances nocives dans une culture en quantité et en qualité suffisante ; l’accès, c’est-à-dire un revenu permettant à chacun de se nourrir suffisamment, où la part de ce revenu consacré à la nourriture n’empêche pas la satisfaction des autres besoins élémentaires ; le fait de disposer d’une alimentation adéquate, d’eau potable, d’installations sanitaires permettant d’atteindre un état de bien-être nutritionnel ; et enfin la stabilité, la capacité d’assurer la sécurité alimentaire en cas de choc soudain ou de phénomène cyclique.

Il faut s’appuyer sur ces quatre piliers pour offrir une sécurité alimentaire à tous. Je m’interroge sur la place de plus en plus importante accordée aux productions agricoles destinées aux agrocarburants et aux biocarburants, parfois au détriment de l’alimentation humaine. Vous indiquez que près du tiers de la production américaine de maïs serait ainsi utilisée pour produire de l’éthanol. J’imagine aussi que les exigences de décarbonation de nos économies devraient augmenter de manière significative concernant la production d’agrocarburants. Pensez-vous que ce développement puisse aboutir à des conflits d’usage sur des surfaces cultivables au niveau mondial ? Peut-on imaginer que l’impératif de décarbonation des énergies puisse, à terme, créer des tensions sur les systèmes alimentaires ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Cette question est effectivement fondamentale, compte tenu du développement de productions agricoles qui ne servent pas l’alimentation, partout dans le monde. La réponse passe par la régulation, dans la mesure où l’agriculture a d’abord pour vocation de nourrir les hommes. Il faut certes que nous produisions davantage, pour nourrir davantage, mais il faut surtout que nous répartissions mieux les ressources alimentaires afin de lutter contre ces phénomènes d’insécurité alimentaire que nous avons détaillés dans le rapport. Il est évident que l’élection de Donald Trump ne nous engage pas dans le chemin de la régulation, mais l’Europe doit s’efforcer de peser le plus possible dans ce domaine.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Votre question est extrêmement intéressante car elle soulève l’enjeu de la disponibilité des terres agricoles. Le conflit de l’usage des terres entre la production d’énergie verte et la production alimentaire n’est pas encore avéré, mais il pourrait survenir rapidement. En réalité, tout dépendra du modèle agricole préconisé. Même si le fonctionnement de certaines agences de régulation laisse à désirer, la coopération internationale est essentielle. En effet, si chaque pays est libre et souverain dans le choix de son modèle agricole, les choix opérés par ce pays engendrent des conséquences bien au-delà de ses propres frontières. En conséquence, cette coordination sur la répartition d’un certain nombre de terres et leurs emplois respectifs est absolument fondamentale. À cet égard, nous formulons des propositions très spécifiques afin que cette question soit intégrée dans les discussions au niveau onusien, mais aussi de l’Union européenne.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Le groupe LIOT salue le travail des rapporteurs et le choix de la commission de creuser cette question alimentaire. Je souhaite mettre en lumière la situation du continent africain. L’Afrique souffre encore gravement de la faim et importe massivement sa nourriture, alors qu’elle concentre 60 % des réserves des terres arables de la planète. Ainsi, la sécurité alimentaire est d’abord une question agricole.

À cet égard, il nous semble capital de changer d’approche pour accompagner l’Afrique afin qu’elle construise une agriculture performante et moderne, qui permettra de nourrir sa population mais aussi le reste de la planète. Cette agriculture doit également lui permettre de créer des emplois dont le continent a désespérément besoin ; c’est-à-dire une agriculture saine, durable, facteur de stabilité et de prospérité, intégrant les nouvelles technologies.

Cette agriculture africaine se conçoit enfin comme respectueuse de l’environnement, elle peut devenir un allié dans la lutte contre le changement climatique, ainsi qu’un outil pour la séquestration du carbone. Dans cette optique, nous rejoignons les rapporteurs dans leur plaidoyer pour l’agriculture africaine. Il faut soutenir le FIDA, mais aussi les initiatives comme Atlas, qui a été notamment été évoqué ces derniers jours lors du Forum de la paix de Paris.

Enfin, la diplomatie gastronomique est effectivement une invention française que l’on doit à Talleyrand et Antonin Carême au début du XIXe siècle. Dans ce domaine également, nous rejoignons les rapporteurs et espérons que leurs recommandations seront suivies.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous partageons votre analyse sur le FIDA et la nécessité de doter l’Afrique de véritables moyens de production. Les questions de souveraineté et de sécurité alimentaires sont à la fois agricoles et politiques. Deux pays de même surface de terres disponibles et de même climat peuvent avoir des trajectoires totalement différentes en la matière, selon les choix préalablement effectués. Certains sont ainsi extrêmement dépendants du commerce international et de différents aléas quand d’autres ont su conserver une certaine souveraineté, tout en permettant des exploitations mieux disantes et plus respectueuses de l’environnement. Aujourd’hui, nous disposons de recul sur ces données et pouvons aider à la construction de politiques agricoles.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le constat que vous dressez dans votre rapport correspond à la formation de militant communiste que j’ai reçue, où l’on m’expliquait que le système capitaliste n’était pas forcément le garant de la justice, y compris de la justice alimentaire dans le monde : les lois du marché sont celles du profit.

Ensuite, vous avez évoqué l’utilisation de l’alimentation à des fins guerrières. Selon moi, le fait d’affamer une population s’apparente à du terrorisme. À ce titre, je suis choqué d’entendre qu’une citoyenne française portant des responsabilités du blocage de l’alimentation à Gaza serait présente à un gala organisé aujourd’hui à Paris. J’espère que des arrestations et des jugements auront lieu car derrière le problème alimentaire se profile également l’enjeu essentiel de la justice.

Le rapport insiste également à juste titre sur les choix politiques qui peuvent être opérés par des États. À ce sujet, les accords de libre-échange entre l’UE et certaines zones du monde engendrent des problèmes alimentaires dans les pays qui exportent vers l’Union. Je salue donc l’honnêteté de votre rapport qui a le mérite de pointer les sujets majeurs, même si nous pouvons diverger sur leur appréciation.

M. Guillaume Garot, rapporteur. L’analyse du monde tel qu’il va n’est pas uniquement l’apanage des formations marxistes des années 1970. Il suffit de regarder la réalité : nous produisons mais l’alimentation est très mal répartie et distribuée, engendrant des inégalités de richesse dans le monde. Une fois ce constat posé, le débat peut avoir lieu sur les outils qui peuvent être employés pour corriger ces inégalités. Face au libre-échange, je plaide pour ma part pour la promotion d’un « juste-échange ».

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Je remercie Jean-Paul Lecoq de ses commentaires. J’ajoute que nous avons également eu l’opportunité d’auditionner des négociants de matières premières, avec lesquels nous avons pu mener un débat assez ouvert, nous permettant d’aboutir au constat que ce marché a besoin d’être régulé. En effet, nous n’avons jamais autant produit qu’aujourd’hui mais, simultanément, nous n’avons jamais aussi mal réparti cette production. À partir de ces deux constats, une série de solutions est envisageable en fonction des orientations politiques de chacun.

Quoi qu’il en soit, en tant que parlementaires, nous devons jouer un rôle, en évaluant les politiques de la France sur le plan international et en agissant au niveau national. Je pense que ce rapport devrait susciter un certain nombre d’initiatives transpartisanes très concrètes et très locales, en complément de notre rôle de contrôle parlementaire.

Mme Marine Hamelet (RN). La France a pris sa place dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. Elle a augmenté ses contributions de plus de 300 % en cinq ans et contribue à hauteur de 350 millions d’euros à l’aide alimentaire. À cela s’ajoute la part française dans les 4,5 milliards d’euros que l’Union européenne investit annuellement pour la sécurité alimentaire et la nutrition.

Ces contributions viennent alimenter plusieurs fonds, parmi lesquels figure le Programme alimentaire mondial, le fonds d’urgence humanitaire et de stabilisation ou l’aide alimentaire programmée. Or, lorsque l’État finance l’action de telles organisations, il externalise une partie de son action extérieure. Cette délégation d’une politique publique est plus complexe à valoriser, pour les autorités nationales comme pour les bénéficiaires finaux. Notre aide alimentaire est brouillée, éclatée, dispersée entre plusieurs canaux selon des mandats insuffisamment définis, ce qui renforce les risques de chevauchement.

Pour finir, je souhaite évoquer avec vous l’action américaine. En matière d’aide alimentaire, une importante partie du soutien américain s’opère via une aide en nature, à travers l’expédition de produits alimentaires américains. En 2024, le gouvernement américain a annoncé déployer un milliard de dollars pour acheter des produits de base cultivés aux États-Unis, afin de fournir une aide alimentaire d’urgence aux personnes dans le besoin, principalement en Afrique.

Les États-Unis n’hésitent pas à conjuguer leur aide alimentaire internationale au soutien direct de leurs filières agricoles. La France s’est toujours refusée à le faire, alors que nos agriculteurs en souffrance pourraient être davantage mis à contribution. Ne faut-il pas envisager une évolution vers un système gagnant-gagnant où nous fournirions des denrées alimentaires de qualité tout en soutenant notre filière agricole en difficulté ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. L’aide alimentaire française est effectivement en augmentation, ce qui me semble positif. Ensuite, nous opérons une véritable distinction entre l’action parfois très concrète d’agences comme la FAO, le PAM et le FIDA et les critiques que nous pouvons émettre. Haïti appartient à ma circonscription et je peux observer l’action que le Programme alimentaire mondial y mène sur le terrain. Dans certains endroits, il existe une réelle utilité à pouvoir agir à travers ces organismes, qui sont d’ailleurs parfois les seuls à pouvoir aller sur le terrain. Simultanément, notre rapport insiste sur la question du contrôle de ces organismes. Pour le FIDA, notre aide est extrêmement contrôlée.

J’émets par ailleurs des réserves sur le soutien de la filière agricole française pour l’aide alimentaire. En effet, il me semble essentiel d’encourager les pays aidés à développer leur économie et leur permettre de devenir indépendants, afin qu’ils puissent se nourrir eux-mêmes. Il m’apparaît donc nécessaire de soutenir les filières agricoles locales, au-delà des coûts de transport des produits agricoles depuis la France.

Il faut également évoquer la question de la concurrence déloyale, qui a été soulevée dans certains pays, à très juste titre. L’aide alimentaire étant très bon marché, elle rendait très peu compétitive la production locale. En conséquence, je crois davantage à l’investissement dans des modèles de production permettant ensuite aux pays d’être indépendants et, à terme, de cesser de recevoir cette aide. À mon sens, celle-ci a vocation à être temporaire, afin de ne pas créer des systèmes de dépendance permanente plaçant sous perfusion des pays, par l’envoi de denrées alimentaires françaises.

Mme Marie-Ange Rousselot (EPR). Je tiens tout d’abord à vous remercier pour la qualité de votre rapport, qui aborde un sujet fondamental. D’ici 2050, l’enjeu alimentaire sera critique en raison de la croissance démographique mondiale et du dérèglement climatique qui menacent nos modes de production et aggravent une situation déjà alarmante pour des centaines de millions de personnes.

Ce rapport met en lumière plusieurs aspects cruciaux, dont l’impact des conflits armés sur les chaînes de valeur agricoles. L’invasion russe en Ukraine en est une illustration frappante. En bloquant les exportations de blé ukrainien, la Russie a déstabilisé les marchés agricoles, entraînant des conséquences drastiques sur les prix. La sécurité des sites agricoles nationaux et ceux de nos partenaires doivent constituer une priorité, comme le soulignent vos propositions n°s 25 à 27 visant à renforcer cette prise en compte par nos armées.

Par ailleurs, les conflits prennent une dimension numérique et la cybersécurité doit être au cœur des agendas stratégique et diplomatique. À l’instar des infrastructures publiques, le secteur agricole est particulièrement exposé à ces menaces. L’activité agricole et agroalimentaire dépend de plus en plus de matériels connectés, de données et de transactions en ligne. En décembre 2023, la coopérative Even, un acteur majeur de l’agroalimentaire français, a subi une cyberattaque paralysant durant une semaine un millier d’agriculteurs et plus de 6 000 salariés. Les effets ont en outre perduré pendant des mois. Face à de telles menaces, dans quelle mesure estimez-vous que la sécurité informatique du secteur agricole doive devenir un sujet stratégique ?

De plus, l’enjeu alimentaire représente également un enjeu de santé publique. Votre rapport insiste sur l’éducation à l’alimentation et formule plusieurs propositions pour renforcer la connaissance des élèves en la matière. La pédagogie auprès des jeunes représente un levier essentiel pour relever les défis du gaspillage, de l’obésité et de la malnutrition. Vous soulignez à raison que le réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) pourrait être pertinent pour expérimenter des actions en ce sens, étant souvent un lieu d’innovation pédagogique.

À ce titre, l’expérience québécoise des projets pédagogiques agricoles doit être considérée. Le gouvernement de la province a mis en place un programme scolaire, de la maternelle au collège, sur les enjeux de souveraineté alimentaire et sur l’importance de consommer localement, pour une alimentation durable. Aussi, dans le cadre du plan national d’éducation à l’alimentation que vous préconisez, quelle place donner aux enjeux de souveraineté agricole à travers la sensibilisation des élèves aux réalités du travail de nos agriculteurs dans une économie globalisée ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Le sujet de la cybersécurité est effectivement essentiel. La proposition n° 26 de notre rapport peut y répondre. La guerre en Ukraine montre à quel point il s’agit d’un véritable enjeu, parfois sous-estimé. À cet effet, nous préconisons de créer au sein du ministère des armées un ou plusieurs postes dédiés au suivi exclusif des enjeux alimentaires, dans le cadre d’une stratégie globale.

Ensuite, je plaide depuis longtemps pour que l’éducation à l’alimentation intervienne dans le cadre scolaire, ce qui implique d’intégrer cet aspect dans les programmes. Pour le moment, nous ne sommes pas parvenus à emporter la conviction. Pourtant, grâce à l’éducation, il est possible de traiter de sujets plus vastes comme l’environnement, la santé, l’histoire, la géographie. L’alimentation est au carrefour de tous les enjeux contemporains.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous promouvons effectivement dans notre rapport un plan d’éducation à l’alimentation, dès le plus jeune âge et jusqu’à la terminale, en intégrant des visites de terrain ou des intervenants agricoles dans les écoles. Il y a là un champ d’expérimentations à creuser, par exemple en envisageant des cuisines portables qui peuvent s’installer très facilement et à moindre coût.

M. Pierre Pribetich (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés souligne la qualité de ce rapport, qui dessine les défis, les enjeux, les contradictions, mais aussi les défaillances d’un sujet central concernant l’alimentation. Il a été rappelé qu’une personne sur dix souffre de la faim dans le monde, alors qu’un milliard de repas sont gaspillés chaque jour, et que l’exploitation de nos terres contribue à 20 % des émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’à une surexploitation de nos ressources naturelles. Enfin, nous reparlons, hélas, de l’arme alimentaire, où affaiblir l’adversaire par la privation de nourriture redevient une arme stratégique, un terrorisme alimentaire.

Fort heureusement, dans votre rapport, vous introduisez la notion de gastro-diplomatie. J’aimerais redire qu’elle constitue une amplification du repas français. Je souhaite mentionner à ce titre le réseau des cités de la gastronomie qui réunit quatre villes françaises : Rungis, Tours, Lyon et Dijon.

Au-delà de ces éléments, « ceux qui ont faim ont droit », écrivait Victor Hugo dans Les Misérables. Le droit à l’alimentation demeure en effet un droit fondamental. Pourtant, en France, il n’est pas reconnu comme ayant une valeur juridique constitutionnelle, y compris dans sa forme minimale, à savoir le droit d’être à l’abri de la faim, contrairement au droit au logement. Manger à sa faim ne devrait pas être un luxe mais un droit accessible à toutes et à tous.

Dans ce domaine, nous pouvons parler de trois fléaux : la famine, l’obésité et le diabète. L’explosion du nombre de diabétiques (500 millions dans le monde) constitue un enjeu essentiel de la stratégie d’une alimentation saine et durable. À ce titre, je souhaiterais que soit réalisée une étude de l’application des lois qui ont été votées, notamment de la loi de 2021 limitant l’excès de sucre dans les produits vendus en outre-mer. Il s’agit de faire un état juridique de l’application des lois concernant l’introduction du sucre, notamment dans l’alimentation.

Enfin, vous proposez un volet alimentation dans la future politique agricole commune 2028-2034. Comment comptez-vous introduire la limitation du sucre, dans une perspective de cadrage de ce fléau qu’est le diabète ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Vous avez raison de mentionner la malnutrition, qui va au-delà de la sous-nutrition pour concerner également la surnutrition ou une nutrition inadaptée. Des actions doivent être conduites pour faire prendre conscience de cet enjeu, qui pourrait en soi faire l’objet d’une réflexion spécifique. En effet, un grand nombre de produits industriels transformés contiennent des sucres « cachés », notamment par l’intermédiaire du sirop de glucose.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Nous portons l’idée d’une politique agricole et alimentaire commune. Pour y parvenir, nous devons convaincre nos collègues du Parlement européen, mais également la Commission afin que ce sujet intègre son agenda et permette d’aboutir à l’horizon 2028. Cette compétence européenne a pris de l’importance au cours des dernières années et il serait passionnant que l’Europe puisse conjuguer dans une seule et même politique ces enjeux d’alimentation, de santé et d’environnement, qui sont évidemment indissociables.

M. Pierre Cordier (DR). Je souhaite aborder la question des organisations non gouvernementales (ONG) et du monde associatif, qui collaborent étroitement sur le sujet de l’alimentation et qui vivent de dons privés, mais également des contributions des États. Avez-vous pu travailler sur ces questions et mesurer l’efficacité des actions de ces structures ? En effet, certaines associations connaissent des effectifs pléthoriques et consacrent parfois davantage de fonds aux frais de fonctionnement qu’à leurs actions proprement dites.

Ensuite, je souhaite évoquer l’action sur le terrain. Je suis favorable à la fourniture d’aide alimentaire, mais surtout à la transmission de connaissances aux populations qui souffrent de malnutrition, afin qu’elles puissent localement se nourrir de la meilleure des manières possibles.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Nous ne sommes pas rentrés dans le détail de l’intervention des associations, qui réalisent dans leur majorité un grand travail tout en étant soumises à des cahiers des charges de plus en plus exigeants, lesquels occasionnent des contraintes compliquées à gérer, sur le terrain. Nous avons besoin de ces associations, de la même manière que nous avons besoin d’une intervention publique, même s’il est nécessaire de coordonner les différents programmes que nous avons détaillés dans notre rapport.

Ensuite, votre question témoigne de l’urgence d’investir durablement dans les programmes de coopération agricole. Nous avons besoin d’appuyer des programmes d’investissement et des programmes de formation sur la production alimentaire. Nous disposons d’une expertise mais nous devons également donner les moyens aux populations concernées de pouvoir trouver leur propre voie de développement. Je crois qu’il est possible d’y parvenir.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous avons auditionné les ONG Action contre la faim, CCFD-Terre solidaire, mais aussi un acteur du commerce équitable, Max Havelaar. Il est ressorti de ces auditions la nécessité de mieux coordonner cette aide aujourd’hui trop éclatée. Le Comité de la sécurité alimentaire à Rome interroge justement les ONG, la société civile et les associations présentes sur le terrain. Il existe ainsi une forme de complémentarité entre l’action de ces associations et celle des agences onusiennes mais aussi de celle de la coopération directe ou bilatérale de certains États. Nous devons nous assurer d’une meilleure coordination et surtout, d’un meilleur contrôle. À ce titre, je vous invite à exercer ce contrôle parlementaire, qui fait d’ailleurs partie de nos fonctions, notamment sur l’emploi des fonds publics.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Votre rapport met en évidence un paradoxe. D’un côté, la faim progresse dans le monde. Selon l’ONU, entre 2019 et 2023, 152 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans l’insécurité alimentaire, portant le nombre de sous-alimentés à plus de 9 % de la population mondiale. D’un autre côté, la malnutrition est généralisée dans les pays riches comme dans les pays en développement, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle constitue d’ailleurs la première cause de mauvaise santé dans le monde puisqu’elle entraîne des cancers. L’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité aujourd’hui, devant les maladies infectieuses.

Nous vivons donc dans un système qui ne nourrit pas suffisamment, mais qui, en plus, nourrit mal. Certains ne mangent pas assez, d’autres mangent trop et mal. J’estime que le modèle de l’industrie agroalimentaire en est la cause. Ce modèle se fonde à la fois sur la concentration des acteurs, la spéculation sur les denrées et une agriculture intensive hyper-consommatrice de pesticides et d’engrais chimiques. Par ailleurs, il faut aussi dénoncer l’accaparement croissant de terres agricoles pour produire des agrocarburants, qui viennent encore déséquilibrer le système.

Alors que les effets du dérèglement climatique sont de plus en plus visibles et viennent encore fragiliser ce système agricole, il est plus qu’urgent de repenser notre modèle pour promouvoir une agriculture durable et une agriculture vivrière. Pour les mêmes raisons, il est nécessaire de se détacher de certains accords de libre-échange et de défendre la souveraineté alimentaire européenne. Ceci est encore plus vrai après la victoire de Donald Trump. L’accord UE-Mercosur ne doit pas être signé la semaine prochaine. En effet, il menace nos agriculteurs, imposerait aux Européens des produits qui ne respectent pas les normes sanitaires et environnementales et nous rendrait complice de la déforestation en Amérique du Sud.

Enfin, je souhaite achever mon intervention sur une alerte. Vous évoquez dans votre rapport l’utilisation de la faim comme une arme de guerre. Dans la bande de Gaza, 86 % de la population vit en situation d’insécurité alimentaire et 10 % en situation de famine. Il faut dire clairement qu’il s’agit là d’une action délibérée d’Israël qui, d’après la FAO, a détruit la totalité des moyens de production locaux et qui, au surplus, ne laisse rentrer qu’au compte-goutte les camions d’aide alimentaire.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Le paradoxe que vous avez mentionné était au cœur de l’initiative de cette mission. Ce paradoxe place finalement le consommateur, le citoyen, au cœur de l’équation. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas parlé de « systèmes agricoles », mais de « systèmes alimentaires ». Tant que nos choix politiques, sociaux, sociétaux nous empêcheront de consommer ce que nous devrions consommer au bénéfice de notre santé et des grands équilibres nationaux et internationaux, nous ne résoudrons pas cette équation. Dans ce cadre, l’éducation nous semble fondamentale, à la fois l’éducation des enfants, mais également une éducation continue tout au long de la vie. En outre, l’enjeu de la gastro-diplomatie n’est pas aussi anecdotique que cela peut sembler de prime abord. À travers la diffusion d’une gastronomie, on diffuse aussi un savoir-vivre, une alimentation équilibrée et variée, le modèle sain de trois repas par jour.

S’agissant des accords de libre-échange, ma lecture est différente de la vôtre. Je ne pense pas qu’il faille les abolir, mais j’estime que certaines denrées ne sont pas des commodités comme les autres, elles ne peuvent pas s’échanger comme d’autres biens et doivent donc faire l’objet d’un traitement particulier. Sur le Mercosur, qui concerne les pays de ma circonscription, ma position est peut-être dissonante par rapport à celle de l’ensemble de l’Assemblée car j’estime qu’il est extrêmement important de pouvoir commercer avec l’Amérique latine, plutôt que de l’abandonner à la Chine. Dans ce cadre, j’ai fortement insisté sur l’agenda environnemental et sur les conditionnalités tarifaires. En l’état, cet accord ne convient pas à la France, comme cela a été indiqué à plusieurs reprises.

M. Guillaume Garot, rapporteur. L’alimentation n’est effectivement pas une marchandise comme les autres, je considère qu’elle relève d’un bien commun. En conséquence, il faut opérer et réussir les grandes transitions absolument nécessaires pour des raisons sanitaires, environnementales et sociales. Ces transitions concernent le système alimentaire, le système agricole et le système agro-alimentaire. Il s’agit là d’un enjeu majeur. Nous formulons à ce titre quelques propositions, notamment à l’échelle européenne. Dans ce domaine, la France doit tenir ce message, car sa voix porte.

Monsieur Roumégas, vous évoquez à juste titre la question des cultures vivrières. Si nous voulons que l’alimentation soit mieux répartie, il faut d’abord que chacun puisse mieux produire, en fonction de ses réalités climatiques et édaphiques. Il ne faut pas abandonner les objectifs de coopération, pour aider les peuples à pouvoir garantir leur souveraineté, leur autonomie et leur capacité à se nourrir eux-mêmes.

Mme Anne Bergantz (Dem). Comme vous le soulignez dans ce rapport, l’enjeu alimentaire est au croisement de multiples défis internationaux : l’agriculture, la précarité, la malnutrition, mais également les défis environnementaux et les relations internationales. Ces considérations sont liées à la situation du commerce international, à la diplomatie, à la géopolitique des matières premières ou encore au soft power exercé par chaque État.

Je tiens à saluer les propositions que vous avez présentées dans chacun de ces domaines, qui peuvent contribuer à construire des solutions françaises et européennes face à ces défis mondiaux. Permettez-moi de revenir plus spécifiquement sur les recommandations que vous émettez en matière de défense nationale. Dans votre rapport, vous évoquez le cas de l’Ukraine, où les sites agricoles ont effectivement constitué des cibles tactiques dans la guerre d’agression menée par la Russie. L’exportation du blé ukrainien est alors devenue un enjeu de pression diplomatique envers les pays d’Europe et d’Afrique, déstabilisant profondément l’accès de pays entiers à une denrée alimentaire de base.

Je partage votre analyse lorsque vous rappelez qu’en France également, notre production est exposée à des attaques conventionnelles ou hybrides de la part des puissances étrangères. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les risques que vous avez identifiés en la matière ? Vous évoquez en conséquence la possibilité que certains grands sites agricoles stratégiques puissent être davantage protégés de ces attaques. Pouvez-vous nous préciser quels types d’exploitation doivent retenir prioritairement notre attention ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Notre proposition n° 27 vise effectivement à évaluer – et si nécessaire renforcer – la sécurité des sites agricoles stratégiques, par exemple les stocks de grains. Nous devons être capables d’adopter un regard très lucide sur les risques encourus.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Il est nécessaire de mener une évaluation filière par filière pour pouvoir éventuellement redéfinir précisément la liste de ces sites stratégiques, grâce à nos forces armées. En tant que parlementaires, nous pouvons formuler une demande officielle au ministère des armées, puis vérifier l’effectivité de cette évaluation, étant entendu que certains éléments resteront naturellement confidentiels.

Mme Véronique Besse (NI). Je vous remercie pour cet exposé sur un rapport très dense, qui aborde de nombreux sujets d’actualité. En effet, l’accès à l’alimentation est plus que jamais au cœur de l’actualité, aussi bien au niveau international, comme en témoignent les différentes crises géopolitiques, qu’au niveau national, qu’il s’agisse la mobilisation des agriculteurs ou de la question de notre souveraineté alimentaire. Comme vous l’avez expliqué, depuis la crise en Ukraine et l’abaissement des droits de douane, le marché français s’est vu inondé de produits ukrainiens, notamment de volailles. Nos agriculteurs se sont retrouvés assez seuls face à des produits qui ne respectent pas nos normes sanitaires, environnementales et sociales. Conjuguée aux crises sanitaires et climatiques qui affectent les élevages, cette décision contribue à affaiblir les différentes filières et notre souveraineté alimentaire.

La même inquiétude concerne la signature des accords du Mercosur. Sous couvert de libre-échange, nos agriculteurs se retrouvent en concurrence avec des produits moins chers, mais qui ne respectent aucune de nos normes. Au-delà de la simple question du coût des produits, cela affaiblit durablement notre souveraineté alimentaire, mais aussi le tissu industriel qui en dépend – je pense notamment aux abattoirs. Il serait naïf de croire qu’à terme, les pays avec lesquels nous signons ces accords ne les utiliseront pas comme moyen d’influence sur la politique française et européenne.

Dans votre rapport, vous recommandez la mise en place de clauses et de mesures miroirs. Mais de telles mesures sont-elles suffisantes et comment s’assurer de leur réelle mise en place sur le terrain ? Comment mieux armer notre pays et l’Union européenne pour défendre notre souveraineté ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Votre question est au cœur de l’enjeu alimentaire et d’une actualité que nous avons tous à l’esprit. Les clauses miroirs constituent un outil très puissant, qui témoigne d’une véritable volonté politique du « juste-échange » que j’évoquais, c’est-à-dire un échange équilibré. Ensuite, la question porte sur leur périmètre : ces clauses concernent-elles uniquement les traités d’accords commerciaux ou l’ensemble des échanges, y compris alimentaires ? Je plaide pour la deuxième possibilité, afin de mettre en place des contreparties extrêmement claires et l’affirmation d’un cahier des charges évidemment conforme à ce que nous défendons dans nos choix collectifs européens.

La deuxième question que posez à très juste titre concerne le contrôle. Pour assurer ce contrôle, il faut pouvoir disposer de contrôleurs et donc de ressources publiques. Cela suppose de confier des moyens aux États d’affirmer cette puissance et cette prérogative régalienne à tout le moins dans le cadre d’une politique européenne.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Les conditionnalités tarifaires sont d’ordre contractuel dans ces accords de libre-échange. Mais en réalité, au-delà de la question du prix, centrale pour nos agriculteurs, se posent les questions des moyens de production et du respect des normes environnementales et sanitaires.

Dans le cadre de la législation européenne, les critères relatifs à la déforestation importée ont été dénoncés par certains pays. Mais cette législation demeure fondamentale. Lors de nombreux déplacements, notamment au Brésil, j’ai eu l’occasion d’échanger avec des ONG environnementales qui m’ont expliqué que le commerce permet d’introduire des mesures vertueuses dans certains marchés.

En résumé, même si cela peut paraître technique, j’estime qu’il faut faire preuve de nuance entre clauses miroirs et mesures miroirs.

M. le président Bruno Fuchs. Je cède à présent la parole aux députés intervenant à titre individuel.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). En dépit d’un fort réinvestissement financier, l’influence française demeure limitée au sein du système international de sécurité alimentaire, comme le soulignait la troisième partie d’un rapport sénatorial de juillet dernier sur l’aide alimentaire française.

En quelques années, le montant des contributions françaises en matière de sécurité alimentaire a été multiplié par trois. Si cela a permis à la France d’entrer au conseil d’administration du Programme alimentaire mondial, nous représentons toujours une goutte d’eau dans l’océan des contributeurs du système onusien. Dans ce contexte de dégradation importante de nos finances publiques, nous ne pouvons pas continuer dans cette surenchère pour espérer rattraper les 2 milliards de dollars de contribution allemande ou les 7,2 milliards de dollars américains.

Préconisez-vous des pistes d’évolution pour renforcer notre diplomatie humanitaire ? La France pratique par exemple très peu le fléchage pour orienter ses contributions volontaires en fonction de ses priorités stratégiques sectorielles ou géographiques. Renforcer cette pratique vous paraît-il constituer un levier intéressant pour affiner et affirmer notre diplomatie ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Lors de notre déplacement à Rome dans le cadre de cette mission, les agences nous ont au contraire indiqué que la France jouait un rôle allant au-delà de son simple niveau de contribution. Nous sommes ainsi un des seuls pays européens à disposer d’une représentation permanente à Rome, qui est active au quotidien auprès de ces différentes agences. Nous avons certes émis un certain nombre de critiques sur le manque de coordination au sein de ses agences, mais je ne partage cependant pas votre constat sur l’insuffisante influence de la France.

S’agissant du fléchage, l’enjeu porte surtout sur le contrôle. Celui-ci existe, notamment sur les programmes du FIDA. Selon nous, il importe de mener une revue de notre intervention au sein de ces agences liées à l’alimentation au niveau international.

M. Alain David (SOC). Je tiens d’abord à saluer la qualité de ce rapport, dont l’analyse sur l’enjeu alimentaire est à la fois claire et pertinente. Nos rapporteurs nous alertent sur les facteurs qui aggravent l’insécurité alimentaire. Ils écrivent qu’il est indispensable que les accords commerciaux respectent davantage les normes sociales et environnementales, tout en garantissant la souveraineté alimentaire des pays et en préservant notre environnement.

Je souhaiterais obtenir davantage de précisions concernant la mise en œuvre de conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux. Quelles actions doivent selon vous être menées pour éviter que les mesures miroirs soient à la fois incomprises, voire assimilées à du protectionnisme par certains grands pays exportateurs, notamment en Amérique latine ou en Afrique ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Dans notre rapport, nous évoquons notamment la Nouvelle-Zélande, dans le cadre de nos propositions n°s 8 et 9. Nous estimons qu’il ne faut pas hésiter à exclure les produits les plus sensibles du champ des négociations commerciales entre l’Union européenne et les pays tiers. La réciprocité des normes de production agricole et agroalimentaire doit ainsi constituer un objectif plus affirmé dans les politiques européennes. Les conditions tarifaires sont aujourd’hui à l’œuvre, en particulier dans l’accord de libre-échange conclu avec la Nouvelle-Zélande en juin 2022, qui assortit par exemple le contingent bilatéral de viande bovine d’une conditionnalité tarifaire excluant les produits issus de bovins qui sont engraissés dans les parcs d’engraissement (feed-lots).

M. Michel Guiniot (RN). Je souhaite vous interroger sur la proposition 8 de votre rapport, en page 85, où vous recommandez d’exclure les produits les plus sensibles du champ des négociations commerciales entre l’Union européenne et les pays tiers. Outre le fait que cette proposition rejoint notre programme sur l’agriculture, ce que je ne peux qu’approuver à titre personnel, j’aurais souhaité obtenir des précisions sur ce que vous considérez comme étant des produits sensibles. Dans votre rapport, vous évoquez le lait, la viande, le sucre. Pourriez-vous nous indiquer si vous percevez les céréales dans leur ensemble comme étant un produit sensible ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. La question porte surtout sur les accords de libre-échange, dans la mesure où ils vont créer des conditions tarifaires qui peuvent engendrer une concurrence qui peut être parfois perçue à juste titre comme étant déloyale. Lorsque la Commission parle de « produits sensibles » comme cela a été le cas pour les volailles dans le cadre de l’Accord économique et commercial global (CETA), elle se focalise surtout sur cette question de distorsion de la concurrence ou de marché extrêmement concurrentiel.

Il nous a semblé essentiel de garder en tête que tous les produits ne se valent pas. C’est la raison pour laquelle je parlais précédemment de la nuance entre clause miroir et mesure miroir, car il importe de définir les contours du marché que nous voulons au sein de l’Union européenne. Dans ce cadre, il serait évidemment possible d’examiner les différentes filiales et, pourquoi pas, la filière céréalière.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Comment ne pas partager les constats et les propositions de nos deux rapporteurs ? Ils sont argumentés et utiles.

Ensuite, il existe un gradient social de l’obésité, tout le monde le sait. Cependant, hormis le nutriscore, qui n’est toujours pas obligatoire et qui fait peser la responsabilité de ces choix sur le seul consommateur, les pouvoirs publics se montrent incapables d’encadrer la composition de produits dénaturés, ultra-transformés, dénués de tout intérêt nutritionnel. Nous ne sommes même pas capables d’interdire la publicité pour la malbouffe aux heures où les enfants sont devant la télévision.

En outre, le rapport élude un point important. Alors que nous constatons déjà l’impact du changement climatique sur les rendements agricoles, sur la santé des plantes, sur le calendrier des cultures et des récoltes, sur la menace que constituent les ravageurs, est-il raisonnable de consacrer de précieuses terres agricoles dans nos pays, qui disposent encore d’un climat tempéré, à la production d’énergie sous des formes variées ? Je pense ici à la culture énergétique pour une utilisation directe, pour la méthanisation, la fabrication de bioéthanol ou l’installation de panneaux photovoltaïques.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Je partage votre questionnement. Dans le cadre d’une PAAC, la question du nutriscore pourrait être très utilement posée. Nous plaidons pour la généralisation obligatoire de ce dispositif, ce qui permettrait de répondre à l’une des préoccupations de nos entreprises agroalimentaires françaises qui redoutent d’être en difficulté si le nutriscore n’est obligatoire qu’en France et non dans l’ensemble des pays de l’Union.

Ensuite, la priorité de la production agricole porte effectivement sur l’alimentaire, c’est-à-dire le fait de produire pour nourrir. En conséquence, les productions agricoles qui servent l’énergie doivent être extrêmement encadrées. Si tel n’est pas le cas, nous ne pourrons pas nourrir les populations, qui sont en augmentation.

Mme Sylvie Josserand (RN). Votre proposition n° 9 vise à « introduire des conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux pour promouvoir des modes de production durables ». Vous donnez l’exemple de la Nouvelle-Zélande et de l’exclusion dans les accords de libre-échange des produits issus de bovins élevés en parcs d’engraissement industriels et intensifs. Ne pensez-vous pas que cette préoccupation constante pour l’écologie devrait s’illustrer en premier lieu par la réduction des échanges commerciaux internationaux au profit d’une production locale ?

Enfin, vous avez évoqué la nécessité de permettre aux pays aidés de devenir indépendants, ce qui sous-tend l’idée d’une réduction des échanges. Je rappelle que la pollution du transport maritime représente actuellement 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et pourrait atteindre 17 % d’ici 2050, si l’on en croit le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

M. Guillaume Garot, rapporteur. Encore une fois, la question essentielle concerne le « juste-échange ». La population mondiale atteindra 10 milliards d’habitants en 2050 et nous ne pourrons pas nous passer des échanges. En conséquence, il ne faut pas considérer que le localisme serait la bonne et exclusive réponse car elle serait synonyme de fermeture, dont les conséquences seraient également néfastes. Nous sommes favorables aux échanges justes, dans le respect de la souveraineté des peuples, pour permettre de nourrir les populations.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je vous remercie pour votre rapport sur ce sujet extrêmement important. Je souhaite évoquer le surpoids et l’obésité, qui frappent 40 % des adultes et 20 % des enfants. Il s’agit une hécatombe. Le rapport sur la nutrition mondiale de 2022 s’inquiète ainsi des tendances en augmentation, qu’il s’agisse de la faim ou de l’obésité. Le coût des pathologies liées à l’obésité est évalué à 2 000 milliards de dollars par an selon la Banque mondiale – plus que le PIB de l’Espagne ou du Canada – sans parler du coût social induit.

Les responsables sont majoritairement les industriels, qui empoisonnent nos assiettes. Il s’agit bien souvent d’organisations tentaculaires mondiales dont nous savons que les recettes sont responsables de l’obésité et de l’ensemble des maladies qui en découlent. Je pense notamment aux sucres cachés ou ultra-transformés. Ces grandes entreprises sont notamment Nestlé, PepsiCo, ou encore d’autres, qui refusent par ailleurs d’afficher le nutriscore sur les emballages. Les législations nationales ne suffisent plus face à des entreprises qui, de manière complètement débridée, ont installé une véritable habitude de la dépendance.

L’année prochaine, la France accueillera le Sommet N4G. Mais simultanément, le gouvernement a refusé certains amendements sur les sucres cachés dans l’alimentation ou encore sur le nutriscore. Pensez-vous que la France puisse être crédible et moteur dans une réelle coalition de la lutte contre l’obésité ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. J’entends votre colère, ce sujet doit nous interpeller tous aujourd’hui, tant les chiffres sont alarmants. Il faut préserver non seulement nos modes de consommation, nos habitudes alimentaires, mais également alerter sur les risques de la consommation de certains produits ultra-transformés, extrêmement nocifs pour notre santé. Les réponses sont multiples. Des amendements ont ainsi été adoptés, notamment sur la taxation des sodas.

Notre formule de nutriscore est vertueuse par rapport aux formules utilisées dans certains pays, notamment en Amérique latine, qui se contentent d’apposer un grand signe noir sur les produits, sans fournir de détails ni de nuances selon les produits concernés. Or l’éducation à l’alimentation passe nécessairement par la nuance.

M. Frédéric Petit (Dem). Je vous remercie pour cette ode à la nuance, qui est pour moi l’avenir de la démocratie. Je souhaite formuler quelques remarques sur votre rapport. Vous avez un peu abordé la notion de la propriété de la terre. Nous sommes en effet aux prémices d’une immense réflexion sur ce sujet, en particulier pour empêcher la spéculation. Ensuite, on ne rappelle jamais assez que l’eau n’est pas un produit qui se vend. On ne vend jamais l’eau, mais le service à l’eau, même en bouteille.

Par ailleurs, nous ne travaillons pas suffisamment sur les questions liées à l’aquaculture de remplacement. Enfin, s’agissant de votre proposition n° 28, je rappelle que lorsqu’il est question de moyens, il ne s’agit pas uniquement des moyens de l’État français. Lorsqu’il est question de diplomatie, les moyens doivent être mis en coordination avec d’autres pays.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Notre rapport n’a pu aborder en détail la question de la pêche. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, plus de poissons sont élevés que pêchés, ce que nous évoquons dans le rapport et ce qui doit nous interpeller. Vous avez par ailleurs raison d’aborder la question essentielle de l’eau, qui pourrait à elle seule faire l’objet d’un rapport spécifique de notre commission, tant cet enjeu sera de plus en plus géostratégique.

M. Guillaume Bigot (RN). Je vous remercie pour votre travail de qualité, qui relève à la fois d’un tour de force mais aussi d’un exercice d’équilibriste. En effet, vous parvenez à traiter d’enjeux alimentaires sans mentionner les contraintes qui pèsent sur nos agriculteurs, lesquels s’apprêtent pourtant à redescendre dans la rue.

Pourquoi votre rapport ne mentionne-t-il pas que les études de la Commission européenne avaient anticipé une baisse de 15 % de la production de blé, de 19 % de la production de maïs et de 16 % de la production d’orge après la mise en œuvre du Pacte vert ? Pourquoi élude-t-il le fait que ces réglementations européennes aggravent dangereusement le tableau du risque alimentaire mondial ?

Enfin, vous nous indiquez qu’il faut lutter contre le gaspillage alimentaire. Personne ne vous dira le contraire. N’est-il pas contradictoire, voire inique, de réduire volontairement notre production agricole pour complaire à Bruxelles, de demander aux citoyens de faire des efforts et de prétendre vouloir lutter contre l’insécurité alimentaire ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Je conteste vos chiffres sur le volume de la production alimentaire et surtout le lien que vous établissez entre cette production et le Pacte vert.

M. Guillaume Bigot (RN). C’est sur le site de la Commission !

M. Guillaume Garot, rapporteur. La véritable question consiste à savoir comment nous pouvons à la fois produire plus pour nourrir davantage de bouches, mais surtout produire mieux. Il s’agit de réussir la transition, qui doit être agricole, alimentaire et agroalimentaire.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. La colère des agriculteurs est protéiforme, elle dépend de nombreuses causes dont nous pourrions discuter. Notre rapport s’est quant à lui concentré sur les systèmes alimentaires et non sur la question agricole française. L’imbrication de nos agricultures européennes doit faire l’objet d’une analyse approfondie et nous devons répondre en Européens.

M. Jérôme Buisson (RN). Je souhaite connaître votre avis sur une contradiction, un paradoxe écologique, mais aussi dans nos pratiques politiques. Vous avez indiqué que l’agriculture et les terres servent à nourrir les hommes. Or l’évolution écologique, la fin du plastique et l’avènement des biocarburants exigent de plus en plus de ressources agricoles et d’argent, au travers des subventions. La Cour des comptes souligne que le bioéthanol coûte 400 millions d’euros par an, sans aucun bénéfice pour le climat, soit l’équivalent de 9 millions de baguettes de pain brûlées chaque jour. Comment vous accordez-vous avec cette contradiction consistant à financer d’une part ces biocarburants et d’autre part à vouloir réserver la nourriture pour les êtres humains ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Il faut cesser d’opposer agriculture et écologie. Les agriculteurs, les représentants de coopératives que nous avons pu auditionner ont tous souligné que les agriculteurs sont les plus vulnérables et les plus exposés au changement climatique. Un investissement massif doit être mené pour adapter nos modes de production.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Aujourd’hui, la famine est utilisée comme arme de guerre dans de très nombreux conflits, partout dans le monde. Il faut effectivement non seulement nous en préoccuper, mais également voir comment nous pouvons agir pour résorber cette situation dont sont victimes tant de populations, notamment au Soudan.

Je soutiens la proposition d’une éducation à l’alimentation en milieu scolaire, sans oublier la dimension d’éducation populaire, c’est-à-dire en dehors du temps scolaire. De nombreuses associations pourraient faire le lien et contribuer à cette éducation à l’alimentation.

Enfin, je souhaite évoquer le traité du Mercosur et les inquiétudes qu’il suscite, notamment dans le monde agricole, quant à ses implications environnementales et sociales. Quelles conséquences ce type de traité peut-il avoir sur notre alimentation ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Les données sont aujourd’hui bien connues. Le problème concerne l’autorisation d’importation en Europe de marchandises, notamment les volailles et les bovins, qui ne sont pas « produits » dans les mêmes conditions que sur notre continent. Cela pose donc la question des contrôles, mais aussi de la préservation de la biodiversité face à la déforestation. Nous sommes quelques-uns ici à avoir demandé que la France agisse et oppose son veto sur le projet d’accord avec le Mercosur.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour la qualité de votre rapport, qui rappelle notamment qu’un tiers de la production alimentaire est soit jetée, soit perdue. L’enjeu porte donc sur l’organisation des circuits de distribution et l’orientation du commerce mondial, notamment en termes d’éthique et de solidarité.

À mon tour, je souhaite vous faire part d’une suggestion. Notre commission produit un grand nombre d’analyses et de propositions pertinentes, mais elles ne se concrétisent pas toujours. Je proposerai donc au bureau de travailler sur la manière dont notre commission peut accompagner les rapporteurs dans la mise en œuvre de certaines propositions sur lesquelles nous nous accordons.

Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise la publication du rapport d’information qui lui a été présenté.

 


   Annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

 

Déplacement à Rome

 

Déplacement à Bruxelles


   Annexe n° 2 :
Liste des acronymes et anglicismes utilisés

AFD : Agence française de développement

 

AGNU : Assemblée générale des Nations unies

 

CH : cadre harmonisé

 

CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

 

CPI : Cour pénale internationale

 

CSA : Comité de la sécurité alimentaire

 

FAO : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation of the United Nations)

 

FIDA : Fonds international pour le développement agricole

 

G20 : groupe des vingt

 

GES : gaz à effet de serre

 

GRFC : Rapport mondial sur les crises alimentaires (Global Report on Food Crises)

 

HLPE – FSN : Groupe d’expert de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition)

 

IDDRI : Institut du développement durable et des relations internationales

 

IFPRI : Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (International Food Policy Research Institute)

 

IFRI : Institut français des relations internationales

 

ILERI : Institut libre des relations internationales et des sciences politiques

 

INRAE : Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

 

IPC : Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated food security Phase Classification)

 

IRIS : Institut de relations internationales et stratégiques

 

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

 

ODD : objectifs de développement durable

 

OMC : Organisation mondiale du commerce

 

OMS : Organisation mondiale de la santé

 

ONU : Organisation des Nations unies

 

PAM : Programme alimentaire mondial

 

PGA : pertes et gaspillages alimentaires

 

PNUE : Programme des Nations unies pour l’environnement

 

SOFI : État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (State of Food Security and Nutrition in the world)

 

UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization)

 

UNICEF : Fonds des Nations unies pour l’enfance (United Nations Children’s Fund)


   Annexe n° 3 : Intensité du commerce des produits alimentaires et agricoles en 1995 et en 2019

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Note : plus la couleur est foncée, plus l’intensité du commerce du pays, mesurée sur la base des importations, est forte.

Source : Jafari, Y., Engemann, H. et Zimmermann, A. 2022. The evolution of the global structure of food and agricultural trade: Evidence from network analysis. Document d’information élaboré pour le rapport La situation des marchés des produits agricoles 2022 de la FAO.


   Annexe n° 4 : Concentration et financiarisation
du secteur agroalimentaire mondial

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   Annexe n° 5 : Les fusions-acquisitions
dans l’industrie mondiale des semences
de 1990 à 2017 (étude OCDE, 2018)

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   Annexe n° 6 : La vulnérabilité climatique
des ressources agricoles

Source : note « Les ressources agricoles face aux changements climatiques : enjeux de défense et de sécurité », Marine de Gugliemo Weber, Mathilde Joly et Julia Tasse, Observatoire Défense et Climat, janvier 2023.

   Annexe n° 7 : L’exposition au commerce extérieur
des principales filières agroalimentaires françaises sur la période 2020-2022

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Source : Mieux se nourrir, indicateurs de souveraineté alimentaire, 3 avril 2024.


([1]) Géopolitique de l’agriculture : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde, Sébastien Abis et Pierre Blanc, Éditions Eyrolles, février 2023, p. 15. Sébastien Abis est le directeur du Club DEMETER et chercheur associé à l’IRIS. Pierre Blanc est docteur en géopolitique et ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts.

([2]) « Consommation alimentaire mondiale et géographie des risques », Jean-Paul Charvet, revue Diplomatie « les grands dossiers » n° 74, juin-juillet 2023.

([3]) Selon le chercheur Sébastien Abis en audition, 20 % des calories consommées à l’échelle mondiale proviennent de la mer et des produits aquacoles.

([4]) Le secteur n’était pas précisé pour 10 % de la force de travail.

([5]) La situation des marchés des produits agricoles 2022. La géographie du commerce alimentaire et agricole : quelles politiques pour un développement durable ? FAO, 2022, p. 23.

([6]) Rapport Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2024˗2033, p. 20.

([7]) Géopolitique de l’agriculture : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde, Sébastien Abis et Pierre Blanc, Éditions Eyrolles, février 2023, p. 139.

([8]) La situation des marchés des produits agricoles 2022. La géographie du commerce alimentaire et agricole : quelles politiques pour un développement durable ? FAO, 2022, p. 13.

([9]) Plateforme en ligne Agreste du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire (consultée le 20 mai 2024).

([10]) Rapport « Key figures on the European food chain », Eurostat, 2022, p. 11.

([11]) La situation des marchés des produits agricoles 2020. Marchés agricoles et développement durable : chaînes de valeur mondiales, petits exploitants et innovations numériques, FAO, 2020 p. 79.

([12]) DowDupont a été divisée en trois entités indépendantes en 2019 (Corteva Agriscience, dédiée à l’agriculture et à l’agrochimie, Dupont à la chimie et Dow à la science des matériaux).

([13]) Concentration in Seed Markets : Potential Effects and Policy Responses, Éditions OCDE, Paris, 2018.

([14]) Géopolitique de l’agriculture : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde, Sébastien Abis et Pierre Blanc, Éditions Eyrolles, février 2023, p. 153.

([15]) Géopolitique de l’alimentation et de la gastronomie : de la fourche à la FoodTech, Pierre Raffard, Éditions Le Cavalier Bleu, 2021, p. 37.

([16]) Pierre Raffard, ibid., pp. 37-38 (certaines données sur les marques ont été actualisées).

([17]) Hors commerce de gros de produits agroalimentaires et artisanat commercial (boucheries, charcuteries, boulangeries et pâtisseries artisanales).

([18]) « Entreprises agroalimentaires », Agreste, Graph’Agri 2023, p. 80.

([19]) « Le panorama des industries agroalimentaires 2024 », ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la Forêt, 18 octobre 2024, pp. 11-12.

([20]) Pierre Raffard, ibid., pp. 38-41.

([21]) Géopolitique du blé, Sébastien Abis, Éditions Armand Colin, 2023, pp. 77-78.

([22]) D’après une analyse du CCFD-Terre Solidaire sur les cours du blé Matif, en juin 2022, près de 70 % des achats sur le marché du blé étaient effectués par des acteurs financiers, et 80 % des achats étaient purement spéculatifs.

([23]) La prévalence de la sous-alimentation correspond à l’indicateur 2.1.1. des ODD de la FAO. Il estime la proportion de la population dont la consommation alimentaire habituelle est insuffisante pour fournir l’apport énergétique alimentaire nécessaire à une vie normale, active et saine. Exprimé en pourcentage, il mesure les progrès vers la réalisation de la cible de l’ODD n° 2.

([24]) Ce rapport est le résultat d’un travail collaboratif de plusieurs agences onusiennes spécialisées sur l’enjeu alimentaire. Lien vers le rapport : https://openknowledge.fao.org/items/17390498-e206-49e3-aabb-539e1ee833d1.

([25]) Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, Sommet mondial de l'alimentation organisé du 13 au 17 novembre 1996 à Rome, Italie.

([26]) Elle désigne la faculté d’un individu de choisir de manière indépendante les aliments qu’il consomme et la manière dont ces aliments sont produits.

([27]) Rapport mondial sur les crises alimentaires 2024 (Global Report on Food Crises, GFRC) écrit par le Réseau d’information sur la sécurité alimentaire (FSIN) et le Global Network on Food Crisis (GNAFC).

([28]) Certains États et territoires ne sont pas analysé par la carte, notamment l'Érythrée, les territoires palestiniens et le Sahara occidental.

([29])  La carte est actualisée sur le site de l’IPC : https://www.ipcinfo.org/ipc-country-analysis/ipc-mapping-tool/.

([30]) Rapport d’analyse IPC de l’insécurité alimentaire aiguë à Haïti sur la période de août 2024 à juin 2025, publié le 30 septembre 2024.

([31]) Rapport d’analyse IPC de l’insécurité alimentaire aiguë à Haïti sur la période de mars à juin 2024, publié le 22 mars 2024.

([32]) Rapport publié le 30 septembre 2024, p. 7.

([33]) Rapport mondial sur les crises alimentaires 2024 : en bref, GFRC, p.1.

([34]) Point d’actualité spécial « Bande de Gaza Insécurité alimentaire aiguë et malnutrition aiguë » (traduit de l’anglais), Septembre 2024˗avril 2025, IPC, publié le 17 octobre 2024.

([35]) Index « Food insecurity tracking », The Food foundation, janvier 2024.

([36]) Rapport 2023 sur les politiques alimentaires mondiales, IFPRI, avril 2023, p.3.

([37]) Rapport sur les politiques alimentaires mondiales, IFPRI, avril 2023, pp. 9-11.

([38])Traduction de l’anglais : « Russia’s war in Ukraine has caused the greatest military-related disruption to global agricultural markets in at least a century », article « Food as the « Silent Weapon » : Russia’s Gains and Ukraine’s Losses », Center for Strategic and International Studies, Caitlin Welsh et Joseph Glauber, 29 février 2024.

([39]) Classement des principaux pays exportateurs de blé, farine de blé et de produits de blé dans le monde de 2014 à 2023 (en milliers de tonnes métriques), Statista, 2024.

([40]) Géopolitique de l’agriculture : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde, Sébastien Abis et Pierre Blanc, Éditions Eyrolles, février 2023, p. 93.

([41]) Les sanctions occidentales ne concernent pas les produits agricoles.

([42]) « Vers une diplomatie du grain : détention de l’arme alimentaire par la Russie », Morgane Bonnière, Revue Défense Nationale, 2023/9 (N° 864), p. 95-99.

([43]) Rapport d’information n° 3813, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2021 (XVe législature).

([44]) Le rapport donne notamment l’exemple de la mise en eau du barrage de la Renaissance à l’été 2020, construit par l’Éthiopie sur le Nil bleu, qui a provoqué un regain de tensions autour du bassin du Nil, partagé par onze États (le Burundi, l’Égypte, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Soudan, le Soudan du Sud, la Tanzanie).

([45]) Food Waste Index Report 2024, PNUE, mars 2024.

([46]) Les ménages sont responsables de 60 % de ce gaspillage alimentaire, la restauration de 27,5 % et la vente au détail 12,5 %.

([47]) Pertes et gaspillages alimentaires, l’état des lieux et leur gestion par étapes de la chaîne alimentaire, ADEME, mai 2016.

([48]) Étude réalisée par le cabinet Censuswide pour la société HelloFresh du 11 au 18 mai 2022 dans les pays suivants : Australie, Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Pays-Bas, Norvège, Royaume-Uni et Suède. Le gaspillage alimentaire hebdomadaire représentait 17,22 % du budget alimentaire des Britanniques et 28,15 % de celui des Norvégiens. Les Français se situeraient dans la moyenne, avec 21,75 %.

([49]) Food Waste Index Report 2024, PNUE, mars 2024, p. 11.

([50]) La CIN2 est une réunion intergouvernementale co-organisée avec l’Équipe spéciale de haut niveau du secrétaire général des Nations unies sur la crise alimentaire (HLTF), le Fonds international de développement agricole (FIDA), l’IFPRI, l’UNESCO, l’UNICEF, la Banque mondiale, le PAM et l’OMC.

([51]) Résolution 74/209 adoptée par Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 2019.

([52]) Cadre stratégique 2022-2031 de la FAO, adopté en juin 2021, page 19.

([53]) Article « Malnutrition », site Internet de l’OMS, 1er mars 2024.

([54]) Il existe quatre types de dénutrition : l’émaciation (faible rapport poids/taille), le retard de croissance (faible rapport taille/âge), l’insuffisance pondérale (faible rapport poids/âge) et les carences en vitamines et en minéraux.

([55]) Les micronutriments permettent au corps de produire des enzymes, des hormones et d’autres substances essentielles à une bonne croissance et à un bon développement.

([56]) Article « Malnutrition », site Internet de l’OMS, 1er mars 2024.

([57]) Ces pays sont l’Afghanistan, le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Kenya, le Mali, le Niger, le Nigéria, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud, le Tchad et le Yémen.

([58]) « Plus d’un tiers des pays à revenu faibles ou intermédiaires sont confrontés aux deux formes extrêmes de malnutrition », site Internet de l’OMS, 16 décembre 2019. L’article se réfère à des articles publiés dans la revue The Lancet.

([59]) Dénutries et oubliées : une crise nutritionnelle mondiale pour les adolescentes et les femmes, résumé analytique en français, UNICEF, mars 2023, p. 3.

([60]) « Chapitre 2. Agriculture, sécurité alimentaire et nutrition », Agriculture, alimentation et nutrition en Afrique: un ouvrage de référence à l’usage des professeurs d’agriculture, FAO, 1995.

([61]) Article « Qu’est-ce que la nutrition ? », site Internet du département nutrition de la faculté de médecine de l’Université de Montréal.

([62]) Agriculture, alimentation et nutrition en Afrique […], op. cit.

([63]) Article « Éducation alimentaire et nutritionnelle », site Internet de la FAO, consulté le 17 mai 2024.

([64]) La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023. Pour une transformation des systèmes agroalimentaires : connaître le coût véritable des aliments, FAO, 2023, p. 36.

([65]) Article « Food systems are responsible for a third of global anthropogenic GHG emissions », M. Crippa, E. Solazzo, D. Guizzardi et al., Nature Food, 2021, p. 198–209. L’étude portait sur l’année 2015.

([66]) Article « Alimentation et changement climatique : une alimentation plus saine pour une planète en meilleure santé », Action climat, site Internet des Nations unies, consulté le 16 mai 2024.

([67]) Nations unies, ibid.

([68]) Article « Agir au quotidien : revoir son alimentation », site Internet du WWF (consulté le 17 mai 2024).

([69]) La situation des marchés des produits agricoles 2022. La géographie du commerce alimentaire et agricole : quelles politiques pour un développement durable ? FAO, 2022, p. 17.

([70]) La Chine a exporté pour 99 milliards de dollars de produits agricoles en 2023 (environ 90 milliards d’euros), mais en a importé 234 milliards (environ 210 milliards d’euros).

([71]) « La Russie arme son agriculture », Sébastien Abis, revue Diplomatie « les grands dossiers » n° 74, juin-juillet 2023, p. 59.

([72]) Ce terme se définit classiquement comme la capacité à exercer le pouvoir sur une zone géographique et une population données. L’État dispose de la « compétence de sa compétence » selon le juriste allemand Georg Jellinek.

([73]) En septembre 2024, le nom du ministère a évolué : il s’agit désormais du ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

([74]) L’Italie a suivi le modèle français depuis octobre 2022 à travers un ministère chargé de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et des forêts, dont les rapporteurs ont pu rencontrer un représentant.

([75]) Certaines notions, comme la « sécurité alimentaire » (considérant 24 du règlement UE n° 2021/2115) ou « la garantie des approvisionnements » (article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, TFUE) s’en approchent sans pour autant recouper entièrement la notion de souveraineté alimentaire.

([76]) Projet de loi n° 300, XVIe législature. Pour consulter la suite du texte adopté, consulter le site internet de l’Assemblée nationale

([77]) Déclaration de Rome pour la souveraineté alimentaire, Via Campesina, novembre 1996.

([78]) Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan, France AgriMer, 1er mars 2023, pp. 5 à 7. Le rapport mobilise quatre indicateurs pour évaluer la souveraineté alimentaire de la France : le taux d’auto-approvisionnement, le taux de couverture de la consommation par la production nationale, la capacité d’exportations et la dépendance aux importations. Il précise qu’il ne s’agit pas de « tendre à l’indépendance absolue, mais de s’assurer d’une maîtrise considérée comme suffisante des dépendances externes, jugées pertinentes, nécessaires ou indispensables ».

([79]) Certains chercheurs préfèrent les notions d’appropriation et de concentration, ou tout simplement de transactions foncières. La notion d’accaparement est alors perçue comme très négative, voire caricaturale.

([80]) L’entreprise sud-coréenne Daewoo Logistics avait pour objectif d’acquérir un terrain de 1,3 million d’hectares pour une production de maïs destinée à l’exportation. Cet événement a été suivi par la publication d’articles recensant des cas de transactions foncières en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est.

([81]) Au Kenya, depuis les années 1990, des acteurs politiques et des élites économiques se sont par exemple appropriées des terrains.

([82]) Hubert Cochet a présenté aux rapporteurs l’exemple d’une agro-firme en Ukraine disposant d’un site de 20 000 hectares dans le district de Znamienka. La valeur ajoutée nette était répartie ainsi : 89,5 % pour la rémunération du capital, 7 % pour le loyer, 3,1 % pour les salaires et 0,4 % pour les impôts et taxes. L’accès au foncier et à la force de travail à bas coût ainsi que la faiblesse de la fiscalité permettent de maximiser la rémunération du capital malgré une faible efficacité économique.

([83]) « Engouement pour les terres arables : vers une insécurité foncière ? », Sina Schlimmer, revue Diplomatie « les grands dossiers » n° 74, juin-juillet 2023.

([84]) Revue nationale stratégique, Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, 9 novembre 2022, p. 15.

([85]) Ibid, p. 24.

([86]) Le Livre blanc rappelle que l’État a mis en œuvre en 2006 une politique de sécurité des « activités d’importance vitale », dont l’alimentation fait partie (arrêté du 2 juin 2006).

([87]) Communiqué de presse du porte-parole du secrétaire général de l’ONU, 29 avril 2024. Une partie des taxes ont été retirées au début du mois de mai 2024. Celles qui concernent les sous-traitants des ONG ont été maintenues.

([88]) Rapport de la commission internationale d’experts en matière de droits de l’Homme sur l’Éthiopie, publié le 13 octobre 2023, p. 36 : « this crisis was – and remains – largely manmadeb; namely the result of widespread pillaging and scorched earth policies by ENDF and EDF forces, Ethiopian government restrictions on a broad range of basic services and the obstruction of commercial imports into Tigray; and the obstruction of humanitarian aid and assistance, which was described by the UN’s humanitarian country lead in September 2021 as a “de facto blockade” ».

([89]) « Yemen: Acute Food insecurity Projection Update October 2023 – February 2024 », site Internet IPC, 5 février 2024.

([90]) Protocole additionnel I aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux ; protocole additionnel II du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non-internationaux.

([91]) Tous les acteurs internationaux, y compris les États n’ayant pas signé les conventions et les groupes non-étatiques, sont tenus de la respecter.

([92]) Alinéa 2 de l’article 8 du statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998.

([93]) « Déclaration présidentielle du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant l’utilisation de la famine des civils comme méthode de guerre », couverture des réunions et communiqués de presse des Nations unies, 3 août 2023. Le Conseil de sécurité avait déjà condamné l’utilisation de la famine comme arme de guerre en 2018 (résolution 2417).

([94]) Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1919.

([95]) Article 52 du protocole additionnel I aux conventions de Genève.

([96]) Articles 23, 28 et 46 de la convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe : règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, 10 octobre 1907 ; disponible ; alinéa 2 de l’article 33 de la convention IV de Genève.

([97]) Paragraphe 7 de l’article 3 du protocole II sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des mines, pièges et autres dispositifs ; paragraphe 4 de l’article 2 du protocole III sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires, 10 octobre 1980.

([98]) Paragraphe 3 de l’article 35 du protocole additionnel I aux conventions de Genève.

([99]) Les cinq principes fondamentaux sont : le principe de distinction, le principe de proportionnalité, le principe d’humanité, le principe de précaution, le principe d’interdiction des maux superflus et des souffrances inutiles.

([100]) « Ukraine third rapid Damage and Needs Assessment (RDNA3) February 2022 – december 2023 », Banque mondiale, février 2024, p. 110.

([101]) Article « When Farmland Becomes the Front Line, Satellite Data and Analysis Can Fight Hunger », Science and Technology 40, n°2, Hiver 2024, p.32-36. (Winter 2024): 32–36.

([102]) « Ukraine annual country report 2023 », PAM, 2023, p. 9.

([103]) Déclaration de Taras Vysotskiy, ministre délégué à l’agriculture ukrainien, en avril 2022, reprise de l’article « Ukraine says Russia stole « several hundred thousand tonnes » of grain », Reuters, 30 avril 2022 (consulté le 21 mai 2024).

([104]) Banque mondiale, Ibid, pages 110 et 136. Le chiffre de 12,7 milliards de dollars inclut 2,1 milliards de dégâts causés au chauffage urbain.

([105]) Article « Ukraine’s Crop Storage Infrastructure : Post-Invasion Impact Assessment », Kaveh Khoshnood et al, New Haven, Yale School of Public Health et Oak Ridge National Laboratory, 2022, p. 8.

([106]) Banque mondiale, Ibid, p. 142.

([107]) Cet accord avait permis d’exporter 33 millions de tonnes de céréales ukrainiennes entre juillet 2022 et juillet 2023.

([108]) Les corridors de solidarité sont des routes créées par l’Union européenne pour aider Kiev à exporter ses produits agricoles. Les routes sont terrestres et maritimes (Danube, eaux territoriales de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Turquie).

([109]) Article « La Russie a créé le plus grand champ de mines au monde en Ukraine, selon le Premier ministre ukrainien », Agence de presse Yonhap, 8 janvier 2023 (consulté le 21 mai 2024). Selon Izumi Nakamitsu, Haute-représentante pour les affaires de désarmement de l’ONU, l’Ukraine est l’un des pays les plus contaminés par les mines au monde (déclaration du 20 mai 2024 devant le Conseil de sécurité).

([110]) Articles « Guerre en Ukraine, en direct : Kiev accuse la Russie d’incendier des champs de céréales », Le Monde, 8 juillet 2022 (consulté le 17 mai 2024).

([111]) « Remarks by Secretary of State Antony J. Blinken at a UN security Council Open Debate on Conflict and Food Security », United States Mission to the United Nations, 19 mai 2022 (consulté le 21 mai 2024).

([112]) Dans un entretien au journal Le Monde publié le 24 février 2024, Anna Tchasovnikova, psychologue au sein du centre de thérapie Innikos à Kiev, considère ainsi que « selon certaines prévisions scientifiques, 30 % à 50 % des Ukrainiens développeront un syndrome post-traumatique (PTSD) ».

([113]) Article « Comment l’invasion de l’Ukraine par la Russie a encore aggravé la crise alimentaire mondiale », Site Internet du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne (consilium.europa.eu), 27 janvier 2024 (consulté le 22 mai 2024).

([114]) Les autorités ukrainiennes considèrent que les ventes record des fermiers russes de l’année 2023 sont liées à l’exportation de céréales ukrainiennes déguisées en céréales russes ; selon l’article « Forged documents : how Ukrainian grain may be enriching Putin’s circle », The Guardian, 11 décembre 2023 (consulté le 21 mai 2024).

([115]) « Russia’s share of the world wheat market is 20 percent, Ukraine's is less than five per cent », Session plénière du forum économique et humanitaire, 27 juillet 2023, site Internet de la présidence russe.             

([116]) Pour le chercheur Pierre Raffard, auditionné par les rapporteurs, le « soft power » désigne des « stratégies de séduction », dont la portée ne doit pas être négligée puisqu’elles « ont pour objectif la modification en profondeur des systèmes politiques, culturels et idéologiques de sociétés étrangères considérées, pour certaines, comme concurrentes, voire rivales ». Il s’appuie très souvent sur le hard power.

([117]) « The food weapon and the strategic concept of food policy », Paul B. Thompson, Cambridge University Press, 1992.

([118]) La Communauté économique européenne a été remplacée par l’Union européenne le 1er novembre 1993, à la suite du traité de Maastricht du 7 février 1992.

([119]) Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication.

([120]) Black sea grain initiative joint coordination centre, Nations unies, 16 janvier 2024, consulté le 21 mai 2024.

([121]) Article « EU warns that Russie aims to create new dependencies with cheap grain », Reuters, 3 août 2023 (consulté le 21 mai 2024). La citation est traduite de l’anglais : « This is a cynical policy of deliberately using food as a weapon to create new dependencies by exacerbating economic vulnerabilities and global food insecurity ».

([122]) Vingt États africains ont voté en faveur de la résolution du 23 février 2023 exigeant le retrait des troupes russes d’Ukraine et vingt-deux États se sont abstenus ou étaient absents (dont le Sénégal, la Guinée et le Gabon). Seul le Mali et l’Érythrée ont voté contre. L’Union africaine a appelé la Russie à reprendre l’accord sur la mer Noire en juillet 2023.

([123]) « Dining Out as Cultural Trade », National Bureau of Economic Research, Working paper series, juin 2019.

([124]) Des divergences persistent dans la traduction française du terme « gastrodiplomacy ». Certains spécialistes traduisent le terme par « gastro-diplomatie », d’autres par « gastrono-diplomatie ». Les deux termes ont toutefois le même sens.

([125]) « Recipes for gastrodiplomacy », Paul Rockower, Place Branding and Public Diplomacy, 8(3), pp. 235-246.

([126]) « Soft power et gastrodiplomatie : la cuisine comme arme de séduction massive », Pierre Raffard, revue Diplomatie « les grands dossiers » n° 74, juin-juillet 2023, p. 87.

([127]) Article « « Couscousgate » : la graine de discorde entre le Maroc et l’Algérie », Courrier international, 30 novembre 2021 (consulté le 30 janvier 2024).

([128]) Géopolitique de l’alimentation et de la gastronomie : de la fourche à la Foodtech, Pierre Raffard, Editions Le Cavalier Bleu, 2021, p. 96. Pour les dernières campagnes, Pierre Raffard utilise l’étude de Chapple-Sokol de 2013.

([129]) Ibid p. 96.

([130]) Le centre culinaire basque est une fondation rattachée à l’Université de Mondragon, qui délivre des formations en arts culinaires basques et espagnols et mène des activités de recherche pour l’innovation en gastronomie.

([131]) L’exposition universelle de Milan de 2015 portait sur le thème « Nourrir la planète, une énergie pour la vie ». L’Italie organise également des événements spécifiquement gastronomiques. Par exemple, la ville d’Alba accueille annuellement la Foire internationale de la truffe blanche et la ville de Naples célèbre pendant deux semaines la pizza lors de la Pizzafest qui attire des milliers de personnes.

([132]) En 2022, 1427 actions ont été organisées lors la semaine de la cuisine italienne : dégustations, cours de cuisine (master class), expositions… Des chefs, des écoles de cuisine mais aussi des experts en nutrition sont alors invités. Le bureau en charge de la diplomatie des territoires et des expositions assure une coordination.

([133]) La Croatie, Chypre, l’Espagne, la Grèce, le Maroc et le Portugal.

([134]) Le Pérou possède 84 des 117 zones naturelles du monde et compte 11 écorégions différentes alliant déserts et bois tropiques. Par exemple, il existe plus de 2 000 variétés de pommes de terre cultivées dans le pays. Lors de son audition, la cheffe Lourdes Pluvinage a également cité de nombreux autres produits : le quinoa, l’avocat, le maïs, le kiwi, les asperges, le café, le cacao, les piments, les herbes aromatiques, etc.

([135]) Selon le site Internet de l’UNESCO, le ceviche « est un plat traditionnel au Pérou préparé avec du poisson cru mariné dans du citron, assaisonné de piment et de sel et accompagné de produits locaux » (consulté le 24 mai 2024).

([136]) En analysant des données de TripAdvisor et d’Euromonitor de cinquante-deux pays, et tout en reconnaissant le caractère imparfait de ces données, Joel Waldfogel classe la cuisine italienne comme la plus populaire au monde, devant les cuisines japonaise, chinoise, indienne et américaine. En excluant les fast-food, les pays qui exportent le plus leur cuisine sont l’Italie et le Japon, et le pays qui importe le plus des recettes étrangères dans ses restaurants est les États-Unis, avec un « déficit » de 134 milliards de dollars en 2017, devant le Brésil, la Chine et le Royaume-Uni.

([137]) Selon Alain Ducasse dans son discours à l’Académie des sciences morales et politiques du 7 octobre 2013 : « La France est la première école de cuisine au monde. Pratiquement tous les cuisiniers de renom sur la scène mondiale sont passés pendant leur formation dans des cuisines françaises, que ce soit en France ou à l’étranger : (…) le péruvien Gastón Acurio, (…) le catalan Ferran Adrià, (…) l’italien Massimo Bottura, (…), l’écossais Tom Kitchin (…), le brésilien Alex Attala, (…) l’américain Dan Barber. Je pourrais continuer encore longtemps cette liste. »

([138]) Selon Alain Ducasse, lors du même discours : « Beaucoup de cuisiniers étrangers viennent s’installer en France et y font une cuisine remarquable. Un exemple : [le japonais] Kei Kobayashi. (…) Tous ces cuisiniers qui viennent s’installer en France pour faire de la cuisine française contribuent, eux aussi au rayonnement de notre patrimoine. Et ils constituent une très belle preuve de l’attractivité de notre cuisine. »

([139]) Dans les années 1970, des chefs tels que Paul Bocuse, ont occupé les espaces médiatiques et ont installé plusieurs de leurs restaurants dans des capitales étrangères, de New York à Tokyo. Dans les années 1990, Alain Ducasse, Michel Bras, Alain Passard, Joël Robuchon et Pierre Gagnaire ont diffusé encore plus massivement la gastronomie française à l’international.

([140]) De 1912 à 1914, le chef Auguste Escoffier avait organisé le même repas, le même jour, dans différentes villes du monde, pour faire rayonner la cuisine française. Il parvint à réunir 10 000 personnes dans 147 villes (discours d’Alain Ducasse devant l’Académie des sciences morales et politiques, le 7 octobre 2013).

([141]) À Athènes, des institutions régulaient le marché des grains, et notamment du blé.

([142]) Selon une enquête de l'International Food Policy Research Institute (IFPRI) publiée le 13 avril 2022, près de 17 % des calories mondiales avaient été touchées par les mesures de protection de l'économie dans un certain nombre de pays.

([143]) Au titre de l’accord, les membres de l’OMC conviennent de « listes », c’est-à-dire de listes d’engagements qui établissent des limites sur les droits de douane qu’ils peuvent appliquer à chaque produit et sur les niveaux du soutien interne et de subventions à l’exportation.

([144]) « La négociation agricole face aux urgences alimentaire et climatique », Étienne Oudot de Dainville, Direction générale du Trésor, Brève de l’OMC n° 09, 21 décembre 2023.

([145]) Article « Réflexions sur le commerce mondial », Jean-Marie Paugam,5 mars 2024, site Internet de l’OMC.

([146]) « OMC : un échec de plus », Lettre économique des chambres d’agriculture, Thierry Pouch, mars 2024.

([147]) L’ASEAN est une organisation politique, culturelle et économique regroupant Brunei, la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, la Thaïlande, les Philippines, Singapour et le Vietnam.

([148]) Ces accords doivent être notifiés à l’OMC.

([149]) OMC, Examen des politiques commerciales - rapport de l’Union européenne, WT/TPR/G/442, 11 avril 2023, p. 12.

([150]) Site Internet de la Commission européenne, octobre 2024. Ces chiffres concernent différents types d’accords : accords de partenariat économique, accords de libre-échange, accords d’association.

([151]) Ces accords portent une attention particulière à la réduction des barrières non tarifaires (réglementations, normes, mesures sanitaires, mesures de soutien au prix, etc.). Le premier accord de « nouvelle génération » a été conclu avec la Corée du Sud et est entré en vigueur en décembre 2015. L’accord conclu avec le Canada (CETA), entré partiellement en vigueur en 2017, est également présenté comme un exemple de ce type d’accord.

([152])  L’Union a conclu un accord global sur les investissements avec la Chine, dont le principe a été accepté en décembre 2020, mais qui n’a pas encore été ratifié.

([153])  Depuis que les négociations avec les États-Unis sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) ont été suspendues en 2016, l’Union négocie avec les États-Unis d’autres accords dans des domaines spécifiques, tels que les droits de douane sur les produits industriels ou l’évaluation de la conformité.

([154]) Le Mercosur (ou « marché commun du Sud ») est un espace de libre circulation des biens et des services en Amérique latine. Il regroupe quatre pays : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. La Bolivie est en train d’y adhérer et le Venezuela en a été suspendu en 2016. Le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Pérou et le Suriname sont des membres associés au Mercosur.

([155]) Rapport au premier ministre « Dispositions et effets potentiels de la partie commerciale de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable », commission indépendante présidée par Stefan Ambec, directeur de recherche INRAE à la Toulouse School of Economics, 18 septembre 2020.

([156]) Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts.

([157]) Un contingent tarifaire est un mécanisme qui permet d’importer une quantité fixe de certains produits à un taux de droits peu élevé ou nul. Dans le cas du CETA, seule une partie des importations de ces viandes bénéficie de la réduction des droits de douane.

([158]) « Cumulative economic impact of upcoming trade agreements on EU agriculture », Centre commun de recherche de la Commission européenne, 22 février 2024. L’analyse et la traduction sont reprises de l’article « Les accords de libre-échange, boucs émissaires de la crise européenne », Les Echos, 26 février 2024.

([159]) Site Internet du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, consulté le 03 juin 2024. Le rapporteur spécial reprend les « éléments fondamentaux » de l’observation générale n° 12 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, du 12 mai 1999.

([160]) Les nombreuses citations de documents de la FAO dans ce rapport en témoignent. Toutefois, selon un ambassadeur d’un pays du Sud auditionné par les rapporteurs, le nombre de maîtres de recherches de pays du Sud mobilisés pour ces rapports serait insuffisant. De plus, les données ne seraient pas assez fiables du fait du manque de réponses des pays.

([161]) La FAO peut par exemple les aider à créer une carte des sols.

([162]) Pendant la pandémie de Covid-19, le PAM a joué un rôle essentiel pour assurer le transport de l’aide humanitaire, notamment dans les zones les plus difficiles d’accès, via le service aérien humanitaire des Nations unies (UNHAS), dont il assure la gestion. Celui-ci était alors devenu la deuxième compagnie aérienne au monde en circulation.

([163]) Il produit des directives, des principes, des cadres d’action et formule des recommandations sur lesquelles les gouvernements et toutes les parties prenantes du CSA peuvent s’appuyer afin de mettre en œuvre des politiques qui visent à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition (Article « Présentation du CSA », site Internet de la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome, consulté le 3 juin 2024).

([164]) Dans d’autres forums et instances, les acteurs de la société civile sont le plus souvent consultés de manière informelle. C’est par exemple le cas dans les « conférences des parties » à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

([165]) En 2021, le CSA n’avait par exemple pas été associé au Sommet sur les systèmes alimentaires par le secrétaire général des Nations unies.

([166]) Au niveau onusien, dans les années 2010, l’UNICEF s’est par exemple saisie des questions liées à l’alimentation des nourrissons et des enfants. Elle fournit désormais des recommandations.

([167]) La France a par exemple doublé sa contribution au PAM en 2023.

([168]) Le 23 juin 2022, une coalition du secteur privé pour la sécurité alimentaire intitulée Global business for food security.

([169]) Ce pilier s’est traduit par plusieurs actions auprès de l’OMC. En juin 2022, lors de douzième conférence ministérielle de l’OMC (CM12), la France a contribué à l’adoption d’une décision multilatérale visant à exempter les achats du PAM de toute restriction aux exportations. En outre, le président de la République a demandé la publication d’un rapport conjoint OMC/FAO sur les goulets d’étranglement du marché des engrais. Publié à l’occasion du Sommet du G20 à Bali en novembre 2022, ce rapport a contribué à mettre en lumière l’enjeu d’une levée des restrictions commerciales imposées par de nombreux partenaires émergents.

([170]) Ces financements additionnels au PAM ont permis des livraisons de céréales en urgence aux pays les plus affectés (Somalie en 2022 ; Nigéria, Soudan et Yémen en 2023 ; Gaza en 2024), en lien avec l’initiative ukrainienne « Grain from Ukraine ». En outre, ils ont financé des activités d’aide alimentaire d’urgence du PAM dans les pays prioritaires via le dispositif d’aide alimentaire programmée et les contributions volontaires de la Direction des Nations unies (NUOI) : à titre d’exemple, à la population civile de Gaza, aux déplacés arméniens du Haut-Karabagh et aux populations vulnérables en Ukraine. 

([171])  Des actions seront menées dans quatre pays pilotes : le Zimbabwe (renforcement de l’accès aux semences de sorgho), la Sierra Leone (renforcement de la chaîne de valeur du manioc), le Rwanda (lutter contre les pertes post₋récolte en maïs et encourager les rotations avec du soja) et le Sénégal (travailler sur la nutrition en lien avec le mouvement Scaling up Nutrition en promouvant la diversification des céréales et les pratiques agro-écologiques).

([172]) Loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, dite « loi Garot ».

([173]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Egalim ».

([174]) Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « AGEC ».

([175]) Le gaspillage alimentaire doit être réduit de 50 % dans les secteurs de la distribution alimentaire et de la restauration collective d’ici 2025 et pour les domaines de la consommation, de la production, de la transformation et de la restauration commerciale d'ici 2030 (par rapport au gaspillage alimentaire en 2015).

 

([176]) Les rapporteurs ont été alertés sur le fait que les cuisines des établissements scolaires ne disposent le plus souvent aujourd’hui que de peu d’équipements de cuisine, puisqu’elles servent essentiellement à stocker et à réchauffer des préparations réalisées en dehors des écoles.

([177]) Le 20 août 2024, l’entreprise a écrit au président de la République pour proposer une expérimentation dans une centaine d’écoles élémentaires pour les enfants à partir de 7 ans. Elle estime le coût à 149 euros hors taxe par élève pour les cinq sessions de cuisine (rémunération du moniteur et achat des matières premières) et les coûts fixes pour l’établissement à 1 400 euros hors taxe pour une salle cuisine et l’habillement des élèves.

([178]) La Loi dite « Egalim » (cf. supra), complétée par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite « climat et résilience » fixe comme obligation d’avoir recours à des approvisionnements durables et de qualité pour la restauration collective (tous secteurs confondus) à partir du 1er  janvier 2024 et doit mettre fin à l’utilisation des contenants et ustensiles en plastiques, à partir du 1er janvier 2025.

([179]) Le PSN de la France a été approuvé par la Commission le 31 août 2022, la France ayant dû tenir compte des observations faites par la Commission sur la première version. Chaque PSN peut être annuellement modifié. La version actuellement en vigueur, est la version modifiée, approuvée par la Commission, le 13 décembre 2023.

([180]) Il comprend les agriculteurs, les coopératives, les entreprises agroalimentaires et les communautés rurales, ainsi que des organisations non gouvernementales et des représentants de la société civile, des institutions financières et des universités.

([181]) Le rapport est disponible sur Internet à l’adresse suivante : https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/cap-overview/main-initiatives-strategic-dialogue-future-eu-agriculture_en.

([182]) Un exemple a été cité en audition : celui du bien-être animal. Alors que ce dernier ne relève pas d’une compétence générale de l’Union européenne, il a fait l’objet de deux propositions législatives de la Commission européenne à la fin de l’année 2023.

([183]) Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts.

([184]) Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

([185]) Article 118 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires (entré en application le 28 janvier 2022). Dans l’attente de l’adoption par la Commission européenne des actes secondaires permettant son application complète, la France a pris un arrêté ministériel le 21 février 2022 qui interdit, à partir du 22 avril 2022, l’importation et la mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viandes issues d’animaux ayant reçu des antibiotiques comme facteur de croissance.

([186]) Elle impose aux pays tiers qui exportent des animaux vivants dans l’Union de respecter la règlementation européenne ou une règlementation jugée équivalente lors du transport des animaux du pays tiers vers le territoire de l'Union.

([187]) Ces personnels doivent par ailleurs également réaliser des audits au sein des pays membres de l’Union européenne.

([188]) D’autres initiatives pourraient également être mentionnées, telles que celle qui concerne les forêts (Grande muraille verte) ou encore la protection des ressources marines (Conférence des Nations unies sur l’Océan en juin 2025 à Nice).

([189]) En 2021, la conférence N4G organisée à Tokyo avait permis d’enregistrer 396 engagements (181 parties prenantes dans 78 pays), pour un total de 27 milliards de dollars.

([190]) Lancée en septembre 2021 lors du sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires durables, cette coalition rassemble environ 120 partenaires non-étatiques (dont le PAM) et une centaine d’États. L’initiative est principalement portée par la France et la Finlande – rejointes depuis 2023 par le Brésil – qui assurent la co-présidence de la coalition. En octobre 2023, une première réunion ministérielle du groupe de travail de la coalition s’est tenue à Paris, et une seconde en octobre 2024 au Kenya. La coalition a permis la mise en place de projets visant à soutenir l’alimentation scolaire ainsi que la prise d’engagements de la part de ses membres.

([191]) Une évaluation de l’AAP sur la période 2017-2022, commandée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, a été publiée par la société de conseil Technopolis Group en mars 2023. Elle recommande notamment de clarifier le mandat des trois canaux d’aide humanitaire (AAP, Fonds d’urgence humanitaire et de stabilisation, contributions volontaires françaises aux agences onusiennes), mais aussi de renforcer les équipes et les moyens d’évaluation de l’AAP. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a publié une réponse, disponible en ligne sur son site Internet.

([192]) Le montant moyen d’un prêt accordé par le FIDA est de 60 millions de dollars, soit un montant beaucoup moins élevé que d’autres projets onusiens mais qui permet d’attirer plus facilement les investisseurs. Le FIDA dispose d’un important effet de levier pour ses projets.

([193]) Le FIDA a indiqué en audition être la seule agence onusienne à disposer d’une notation AA.

([194]) En France, le Centre de coopération en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) est un partenaire de l’initiative.

([195]) L’AFD propose par exemple des micro-crédits, des formations ou encore des aides à la certification pour valoriser des filières de qualité.

([196]) Retour écrit au questionnaire transmis avant l’audition.

([197]) Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([198]) Articles L. 1332-1 à L. 1332-7 et R. 1332-1 à R. 1332-42 dudit code.

([199]) Dès 1990, Jack Lang avait créé le Conseil national des arts culinaires (CNAC), lorsqu’il était ministre de la culture (1988-1993). Ce conseil avait pour mission de promouvoir les produits français typiques (pain, beurre, etc.), de réaliser un inventaire du patrimoine culinaire français et de mener une politique d’éducation au goût. Néanmoins, après le départ de Jack Lang, les ministères de la culture et de l’agriculture se sont retirés du CNAC, puis celui-ci a finalement disparu en 1999.

([200]) TasteFrance mobilise plusieurs acteurs. Pilotée par le MASA, cette démarche associe l’ensemble des acteurs publics de l’export - ministères (MASA, MEAE, Service d’Information du Gouvernement) et opérateurs (Business France, Sopexa) - avec des interprofessions agricoles et agroalimentaires et d’autres professionnels (Association nationale des industries alimentaires (ANIA), la Coopération Agricole).

([201]) Selon le site Internet du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle, cet accompagnent passe par « un programme sur mesure, de six à huit mois, soutenant le développement de la haute gastronomie française à l’international. L’objectif pour 2024 est d’accompagner une promotion d’une dizaine de chef(fe)s français(es) dans leur implantation internationale et de cibler les marchés réceptifs à la haute gastronomie française afin de permettre aux restaurateurs de saisir des opportunités ». La stratégie précise : « Les marchés ciblés prioritairement par ce programme sont l'Arabie saoudite, la Corée du Sud, les Émirats Arabes Unis, ainsi que Hong Kong / Macao. Ils ont été sélectionnés en fonction de leur potentiel pour accueillir et valoriser la haute cuisine française. ».

([202]) Selon la stratégie, « à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, Atout France (…) a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour soutenir les initiatives locales visant à promouvoir et rendre accessible au plus grand nombre via une approche évènementielle innovante, l’excellence gastronomique française ». Vingt-deux candidatures ont finalement été retenues et ont pu bénéficier d’un soutien financier jusqu’à 100 000 euros.