N° 974
——
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
déposé
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])
visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte
contre les trafics de stupéfiants
et présenté par
MM. Antoine LÉAUMENT et Ludovic MENDES,
Députés
____
— 2 —
La mission d’information visant à évaluer l'efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants est composée de MM. Antoine Léaument et Ludovic Mendes, rapporteurs.
— 1 —
SOMMAIRE
___
Pages
introduction................................................ 4
1. La disponibilité accrue de l’ensemble des produits stupéfiants
a. La cocaïne, un marché dont la croissance rapide inquiète
b. Le cannabis reste la substance principale produite et consommée
c. L’héroïne, un produit fortement addictif à surveiller
d. Le développement des drogues et produits de synthèse, une tendance inquiétante
2. Un « business » florissant, peu impacté par les soubresauts extérieurs
a. Des organisations criminelles résilientes face aux chocs extérieurs
b. Et face aux stratégies des forces de sûreté pour entraver leur trafic
a. Une coopération qui repose sur l’ONUDC au niveau international
b. Au niveau européen, renforcer la coopération intra-européenne sans négliger les pays tiers
c. Au niveau français, cibler les pays stratégiques et renforcer l’entraide pénale
II. Le contrôle de l’importation : adopter une stratégie globale pour mieux limiter les flux
a. Les évolutions du vecteur routier pour l’importation des produits stupéfiants
b. Le recours au vecteur postal
a. Le caractère stratégique des grands ports européens
b. Le déport sur les ports secondaires : un risque réel
a. L’importation par fret express et postal
b. Le recours aux « passeurs » transportant des produits stupéfiants : le phénomène des « mules »
c. Un risque global : agents publics et privés, tous vulnérables à la corruption
III. Le contrôle de la demande : privilégier la prévention À la pénalisation
A. Un traitement judiciaire du consommateur insatisfaisant
2. Qui n’a pas entraîné une diminution de la consommation
a. Malgré sa stabilisation, la consommation de cannabis demeure très importante
b. Une diversification inquiétante de la consommation de l’ensemble des autres drogues
c. Des écarts de consommation selon les âges et les professions
e. Une consommation de stupéfiants particulièrement importante dans les prisons
B. Changer d’approche en privilégiant la prévention
I. L’adaptation des techniques d’enquête à des méthodes criminelles en constante évolution
A. Mieux orienter la lutte contre les trafics vers les cibles d’intÉrêt prioritaire
1. La stratégie de centralisation des services enquêteurs
a. La création de l’OFAST : un nouveau souffle à la lutte contre les trafics
b. Développer le renseignement criminel
3. Entraver la vente pour désorganiser les groupes criminels
B. S’attaquer aux profits des trafiquants grâce aux enquêtes à partir des flux financiers
a. Des services d’enquête aux effectifs insuffisants
b. La présomption de blanchiment, un outil efficace
c. Les évolutions proposées par le Sénat dans sa proposition de loi
2. Systématiser l’identification et la saisie des avoirs criminels
II. Une stratégie judiciaire à rénover
1. Tirer parti de la spécialisation en matière judiciaire
b. Les réflexions et l’initiative législative autour de la création d’un parquet spécialisé
c. Réformer la cour d’assises spécialisée pour les dossiers de stupéfiants
2. Investir dans les moyens humains et technologiques
a. Avoir des effectifs à la hauteur des besoins
b. Investir massivement dans les moyens technologiques
B. repenser la mobilisation des outils procéduraux dans les dossiers de trafics de stupéfiants
b. Les différentes pistes de travail pour réformer le régime des nullités
2. Réformer le régime des repentis
C. Adapter des moyens de contrôle spécifiques aux trafiquants de produits stupéfiants
1. La multiplication des demandes de mise en liberté fragilise les procédures judiciaires
b. Les modifications envisagées au régime de demande de mise en liberté
2. Entraver la poursuite par les trafiquants de leur activité lorsqu’ils sont incarcérés
A. Tirer les leçons des expériences étrangères
1. Une diversité des modèles d’encadrement selon les objectifs poursuivis
2. Des résultats encourageants en matière de santé publique
a. Les avancées positives en matière de santé publique au Portugal
b. En Uruguay, croissance de la consommation et persistance du « marché noir »
e. En Allemagne, les risques d’une réforme précipitée.
B. Inventer un modèle français de régulation des stupéfiants
b. Identifier les objectifs prioritaires et secondaires de la réforme
c. Aligner le débat politique sur l’opinion publique et les acteurs de terrain
c. Le choix français d’un modèle de légalisation encadrée par l’État
d. Une Autorité de régulation du cannabis (ARCAN) pour piloter la réforme
h. La légalisation peut faire recette
Liste des recommandations de la mission
Personnes entendues et contributions écrites
— 1 —
Le trafic de stupéfiants est devenu un phénomène criminel majeur dans notre pays. Particulièrement lucratif pour les groupes criminels qui l’organisent, le développement de ce trafic se paie au prix le plus fort : celui de vies humaines et du sacrifice de victimes « collatérales », le plus souvent les habitants d’un quartier où le trafic de stupéfiants est imposé aux résidents.
Les tristes faits divers que constituent les règlements de compte mortels auxquels se livrent les différentes organisations criminelles qui tiennent les réseaux du trafic mettent en lumière l’ampleur de la menace que ces groupes font peser sur la sécurité publique. Ces règlements de compte ne sont pourtant que la face émergée d’un phénomène criminel d’envergure internationale qui n’épargne aucun territoire et qui appelle une réponse globale et structurée à l’échelle européenne voire mondiale.
En effet, ces organisations structurées sur un mode mafieux défient l’ordre social et mettent à l’épreuve la robustesse de nos institutions comme la capacité des politiques publiques à y faire face.
Si le développement de ces groupes criminels inquiète, c’est que leurs capacités ne cessent de croître : leurs moyens financiers, humains et technologiques sont impressionnants et parfois même qualifiés d’illimités. L’organisation du trafic de stupéfiants repose en effet sur une logique économique basique fondée sur les lois du marché capitaliste. L’objectif des trafiquants est de générer du profit à n’importe quel prix et d’anéantir la concurrence créée par les autres groupes criminels, y compris par la violence la plus brutale.
Les organisations criminelles cherchent donc à maîtriser les moyens de production du trafic de stupéfiants, à contrôler son transport et à organiser sa vente. Pour asseoir leur domination sur le marché illicite du stupéfiant, ces grands groupes criminels ne reculent devant aucun sacrifice humain : ni ceux de leurs « petites mains », et encore moins ceux de leurs consommateurs, exposés à des produits de plus en plus dangereux car davantage dosés.
Par ailleurs, l’infiltration de ces groupements au cœur même de l’administration fait courir un risque réel de déstabilisation de nos intuitions. En exploitant le fonctionnement de nos organisations démocratiques et les logiques de respect des libertés publiques qui animent l’État de droit, ces groupes criminels en défient le fonctionnement, ne respectant ni conventions internationales, ni ordre social établi.
Devant ce déséquilibre manifeste entre les moyens des grandes organisations criminelles et ceux mis en œuvre à l’échelle étatique pour lutter contre leur expansion, la tentation est celle de mettre en œuvre des méthodes exceptionnelles adaptées à la « guerre » menée contre le narcotrafic.
Pour traiter le développement du trafic de stupéfiants, c’est bien souvent cette logique combative qui l’emporte, ouvrant la voie à toutes les hostilités juridiques : la « guerre » contre le trafic, la « menace » que ce phénomène criminel caractérise, pousse à « armer le pays » en le dotant d’un « arsenal » juridique démultiplié, à la hauteur de cet affrontement.
La lutte contre le trafic de stupéfiants est aujourd’hui dirigée contre tous, indifféremment du degré d’implication de chacun : sont ainsi visés le haut du spectre criminel mais aussi les petites mains du trafic et enfin les consommateurs. Tous sont aujourd’hui considérés comme des criminels ou des complices du trafic.
L’ampleur de ce phénomène conduit pourtant à interroger la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants mise en œuvre : la stratégie répressive est depuis longtemps l’unique guide de l’action publique contre ce phénomène criminel. Pourtant, les décennies de mise en œuvre de cette politique publique n’ont pas permis d’endiguer le trafic de stupéfiants. Pire, il ne cesse de s’accentuer : les règlements de compte, de plus en plus visibles et médiatisés, font la fierté des clans mafieux qui les commanditent ; la consommation de produits stupéfiants illicites, elle, ne recule pas, et les risques sanitaires que le développement de l’usage de drogues toujours plus dangereuses font peser sur la population sont trop souvent occultés par la bataille menée contre les trafiquants.
Dans cette guerre d’État contre les organisations criminelles, l’impression globale semble être celle d’un échec institutionnel.
C’est la raison pour laquelle, pour évaluer l’efficacité des politiques publiques de lutte contre le trafic de stupéfiants, vos Rapporteurs ont souhaité investir tous les aspects de ce phénomène criminel.
Pour mesurer l’acuité du sentiment d’un développement débridé du trafic de stupéfiants sur notre territoire, ils ont pris le soin d’objectiver ce constat. En particulier, ils ont tenu à étudier les ressorts de l’aggravation de l’emprise criminelle des réseaux dans notre pays et se sont attachés à mesurer la progression du phénomène, particulièrement inquiétant, de la corruption.
Vos Rapporteurs ont également tenu à réserver une place particulière aux enjeux de prévention de la consommation des dogues et de diminution de la demande de stupéfiants, trop souvent occultés par l’approche purement répressive du trafic de stupéfiants.
Le présent rapport présente l’ensemble de ces constats qui reposent sur 19 auditions conduites par vos Rapporteurs, deux déplacements et l’éclairage de 43 contributions écrites.
Il clôture les travaux d’une mission d’information conduits sur plus de dix-sept mois et deux législatures.
Les travaux conduits par vos Rapporteurs, sous la XVIIe législature, prolongent en effet ceux menés par leurs prédécesseurs dans le cadre de la mission d’information de même objet créée sous la précédente législature et interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale :
– le 4 octobre 2023, la commission des Lois avait créé une mission d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants et désigné Mme Clara Chassaniol et M. Antoine Léaument rapporteurs ;
– suite à la cessation du mandat de députée de Mme Chassaniol, la commission a procédé au remplacement de cette dernière par M. Éric Pouillat aux fonctions de rapporteur ;
– les rapporteurs MM. Léaument et Poulliat ont poursuivi leurs travaux jusqu’à la dissolution, le 9 juin 2024, qui a emporté la clôture de la mission d’information ;
– depuis le 2 octobre 2024, la mission d’information visant à évaluer l'efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants a été recréée par la commission des Lois, qui a désigné MM. Antoine Léaument et Ludovic Mendes comme rapporteurs.
Votre co-rapporteur M. Antoine Léaument souhaite souligner l’investissement de ses deux précédents co-rapporteurs qui ont travaillé à ses côtés sous la précédente législature : Mme Clara Chassaniol et M. Éric Poulliat.
Sous la XVIe législature, il avait conduit avec eux 39 auditions, 15 tables rondes et participé à 4 déplacements.
À la suite de la dissolution et de la nomination de votre co-rapporteur M. Ludovic Mendes, vos Rapporteurs ont d’un commun accord souhaité apporter un nouvel éclairage sur l’intégralité des enjeux de la lutte contre le trafic de stupéfiants : sécuritaire, institutionnel et sanitaire.
Ils souhaitent que ces travaux puissent utilement éclairer le débat qui s’annonce sur les futures initiatives législatives en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, et qu’ils permettent de mettre en lumière l’aspect essentiel de la prévention de la lutte contre la consommation, raison pour laquelle ils lui ont réservé une part conséquente de leur rapport.
Les 63 recommandations que vos Rapporteurs formulent à l’issue de cet important travail doivent permettre d’aiguiller les initiatives publiques pour lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants en dessinant les contours d’une approche globale qu’ils appellent de leurs vœux pour appréhender chaque aspect de cette lutte.
— 1 —
Première partie – De la production À la revente : Consolider le contrôle des flux et prévenir la demande
I. La disponibilité croissante des produits stupéfiants au niveau mondial, témoin de la résilience du trafic
Les chiffres sont sans appel : l’offre de produits stupéfiants s’accroît et se diversifie. Alors que les États s’organisent aux niveaux international et européen pour démanteler les réseaux, force est de constater que les organisations criminelles réussissent à contourner les contrôles des forces de sûreté pour acheminer leurs produits.
A. Un trafic lucratif géré par des organisations criminelles qui font preuve d’une très grande capacité d’adaptation
Les moyens d’importation des produits stupéfiants évoluent en permanence, témoignant de l’ingéniosité des groupes criminels et de leur capacité d’adaptation face au renforcement des moyens de contrôles. Le transport des produits stupéfiants s’effectue ainsi en empruntant des routes distinctes en fonction du produit stupéfiant concerné.
Le choix d’un itinéraire d’importation et d’un vecteur d’acheminement répond à une stratégie visant à acheminer le produit stupéfiant d’un pays producteur à un pays consommateur en limitant autant que possible les coûts et les risques de contrôle et de détection de l’importation illicite.
1. La disponibilité accrue de l’ensemble des produits stupéfiants
Les évolutions en matière de trafic et de consommation de stupéfiants sont suivies par des organismes spécialisés :
– à l’échelle internationale, c’est l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), qui agrège les remontées de chaque pays pour établir les tendances globales dans un rapport annuel ;
– à l’échelle européenne, c’est l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) devenu Agence de l’Union européenne sur les drogues (EUDA) depuis juillet 2024 ;
– à l’échelle nationale, c’est l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), chargé d’éclairer les pouvoirs publics sur le phénomène des drogues licites et illicites, et des tendances addictives.
Les saisies réalisées par les forces de sûreté (à l’échelle nationale, la police nationale, la gendarmerie nationale, les douanes et la Marine nationale), que ce soit par leur volume ou leur répartition géographique, constituent des indices utilisés par ces organismes pour déterminer l’évolution des routes du trafic et du marché des stupéfiants. Un total élevé de saisies, s’il peut refléter l’accent mis par les forces de sûreté sur une zone, est surtout un indice quant à la disponibilité du produit.
Les derniers chiffres traduisent une disponibilité des produits stupéfiants en augmentation, avec des niveaux de production élevés et des volumes de saisies record. Ils témoignent également de la diversification des produits consommés, que ce soit au niveau des drogues de synthèse ou des dérivés du cannabis. Enfin, la pureté des produits, c’est-à-dire leur teneur en principe actif, est sur une tendance haussière depuis plusieurs années, ce qui a de réels impacts sanitaires.
Ces tendances générales ne doivent pas occulter les évolutions propres à chaque produit, en fonction de sa composition et des routes utilisées par le trafic.
Ainsi, le cannabis est produit à peu près dans toutes les régions du monde, contrairement à la cocaïne et l’héroïne pour la production desquelles les plantes utilisées ne peuvent être cultivées que dans certaines zones géographiques. Le choix a donc été fait de présenter, produit par produit, les principales routes (en identifiant, lorsque cela est possible, les pays de production, de transit et de destination) et les évolutions notables sur les dernières années.
a. La cocaïne, un marché dont la croissance rapide inquiète
Cocaïne
Principaux pays producteurs : Colombie, Pérou, Bolivie
Production : 2 757 tonnes de cocaïne pure en 2022
Saisies : 23,2 tonnes en 2023 en France, 2 056 tonnes à l’échelle mondiale en 2022
Principal vecteur : maritime
Principaux points d’entrée en Europe : ports de la façade maritime Nord et Ouest (Anvers, Rotterdam, Le Havre)
Prix : stable depuis dix ans, entre 50 et 60 euros le gramme en 2023
La cocaïne est un alcaloïde extrait de la feuille de coca et transformé en poudre blanche en plusieurs étapes (extraction, purification, ré-oxydation, cristallisation et adultération). Elle a des effets stimulants (physiques et cognitifs) et désinhibants. Le crack est un dérivé de la cocaïne, à laquelle a été ajouté du bicarbonate de soude ou de l’ammoniac, qui se présente sous la forme de petits cailloux.
À l’échelle mondiale, les saisies de cocaïne (dont le degré de pureté varie) représentaient 2 026 tonnes en 2022, soit un niveau stable par rapport à 2021. Cela représente néanmoins une augmentation de 220 % du volume de cocaïne saisi par rapport à 2010.
Des tendances similaires sont observées à l’échelle européenne. Ainsi, le total des saisies de cocaïne au niveau européen a atteint un nouveau record en 2022 avec près de 323 tonnes saisies, soit une hausse de 373 % par rapport à 2012 (68,2 tonnes saisies) ([2]). En 2022, les trois pays européens ayant signalé les chiffres les plus importants de saisies sont la Belgique (111 tonnes), l’Espagne (58,3 tonnes) et les Pays-Bas (51,5 tonnes). Les saisies réalisées par ces trois pays représentent 68 % du volume total de cocaïne saisie dans l’Union européenne.
La même dynamique est observée en France, où les saisies de cocaïne ont triplé en dix ans (5,6 tonnes en 2022, et 23,2 tonnes en 2023). Sur les onze premiers mois de l’année 2024, ce sont près de 47 tonnes de cocaïne qui avaient été saisies par les forces de sûreté ([3]), une augmentation déjà exponentielle par rapport aux chiffres de 2023.
L’OFDT, dans sa contribution aux travaux des Rapporteurs, identifie deux principaux facteurs à cet essor : « l’expansion de la production mondiale de cocaïne » et « une dynamique de circulation accrue […] favorisée par l’intensification des flux commerciaux internationaux par la voie transatlantique ».
La production provient en très grande majorité de trois pays : la Colombie demeure en 2022 le principal pays producteur de coca (65 % des hectares de coca cultivés), suivi par le Pérou (27 %) et la Bolivie (8 %) ([4]). En 2022, les cultures de la coca représentaient 354 900 hectares, en hausse de 13 % par rapport à 2021. Selon l’ONUDC, 2 757 tonnes de cocaïne pure ont été produites en 2022, ce qui représente une hausse de 20 % par rapport à 2021 ([5]). Ce chiffre pourrait encore augmenter en 2023, l’ONUDC estimant qu’en Colombie, la production potentielle avait connu une hausse de 53 % par rapport à 2022.
L’analyse de la répartition des saisies au niveau mondial permet d’établir une carte des principales routes de circulation de la cocaïne, reproduite ci-dessous.
Carte des principales routes de circulation de cocaïne établie grâce aux saisies signalées entre 2019 et 2022
Source : rapport mondial de l’ONUDC sur les drogues 2024
Le secrétariat général de la mer identifie trois principales routes ([6]) :
– la route du Sud, vers l’Europe : celle-ci peut être directe ou passer par des pays de transit en Amérique du Sud ;
– la route des Caraïbes, qui part des pays producteurs vers les pays situés dans la mer des Caraïbes en passant par le Suriname et la Guyane, ce que vos Rapporteurs ont pu constater lors de leur déplacement sur ce territoire en décembre 2024 ;
– la route africaine, qui passe par le Brésil puis par l’Afrique de l’Ouest.
Le principal vecteur d’acheminement de la cocaïne vers l’Europe est le vecteur maritime : selon l’ONUDC, en 2023, 90 % de la cocaïne saisie l’a été sur le vecteur maritime. La marchandise, traditionnellement dissimulée sur des porte-containers, est aujourd’hui également acheminée par d’autres types de bateaux. Entre 2019 et 2022, les principaux pays de départ de la cocaïne saisie en Europe étaient la Colombie, le Brésil et le Pérou. Le Brésil est désormais identifié, selon l’OFDT, comme « un des principaux hubs de la cocaïne à destination de l’Europe » ([7]).
En Europe, la répartition géographique des saisies tend à désigner le port d’Anvers comme principale porte d’entrée sur le territoire européen, avec 116 tonnes de cocaïne saisies en 2023, devant le port de Rotterdam (57 tonnes). La façade maritime de la France en fait également un territoire attractif pour les trafiquants : le grand port maritime du Havre est ainsi particulièrement touché, avec 10,6 tonnes de cocaïne saisies au 30 septembre 2024 ([8]). Les territoires ultramarins, notamment les ports guyanais et antillais, constituent également des zones de rebond pour les trafiquants.
Une partie de la cocaïne saisie en Europe circule également par la voie aérienne. La France constitue ainsi un point d’entrée des stupéfiants sur le territoire européen au travers des aéroports situés en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Ce vecteur et le cas plus spécifique des passagers transportant de la cocaïne (dites mules) feront l’objet d’un développement infra.
Le trafic de cocaïne en provenance de la zone Antilles-Guyane représenterait aujourd’hui entre 15 et 20 % des entrées de cocaïne vers l’Hexagone ([9]).
Par ailleurs, au niveau européen comme au niveau français, le taux moyen de pureté de la cocaïne ne cesse d’augmenter :
– au niveau européen, le taux moyen de pureté (tel que signalé par la moitié des pays européens) se situait entre 64 % et 76 %, soit un niveau supérieur de 45 % par rapport à celui constaté en 2012 ;
– au niveau français, le taux moyen de pureté de la cocaïne s’établissait à 66 % en 2021 (contre 45,8 % en 2011) ([10]).
Si les prix demeurent stables au niveau européen, ils connaissent en France une légère diminution : le gramme est passé de 70 euros en 2018 à une moyenne de 50 à 60 euros en 2023 ([11]). Cela se traduit par une accessibilité plus grande du produit, ce dernier étant moins cher à degré de pureté équivalent.
La majorité des personnes entendues par la mission d’information a insisté sur les inquiétudes suscitées par cette montée en puissance de la cocaïne au sein de l’Union européenne. L’OFAST a ainsi souligné que c’était « le sujet majeur de préoccupation ».
b. Le cannabis reste la substance principale produite et consommée
Cannabis
Principaux pays producteurs : Maroc (résine), Espagne (herbe)
Saisies : 124,7 tonnes en 2023 en France, 7 362 tonnes à l’échelle mondiale en 2022 (résine et herbe confondues)
Principaux vecteurs : terrestre et maritime
Principaux points d’entrée en France : Espagne
Prix : 9 euros le gramme (herbe) et 7 euros le gramme (résine)
Le cannabis est une plante qui se consomme majoritairement sous forme d’herbe et de résine. Il a des effets neuropsychiques et peut entraîner chez le consommateur « une euphorie modérée et un sentiment de bien-être, suivi d’une somnolence, mais aussi un affaiblissement de la mémoire à court terme et des troubles de l’attention » ([12]).
Le cannabis est le premier produit stupéfiant consommé à l’échelle mondiale. Le rapport de l’ONUDC estime qu’environ 228 millions de personnes ont fait usage de cannabis en 2022, ce qui représente 4 % de la population mondiale. Cette prévalence forte se traduit logiquement dans les chiffres des saisies.
À l’échelle mondiale, en 2022, les saisies d’herbe de cannabis représentaient 6 168 tonnes (soit une hausse de 18 % par rapport à 2021) et celles de résine de cannabis 1 194 tonnes (soit une diminution de 41 % par rapport à 2021). À l’exception d’un pic de saisies observé en 2020, les chiffres de l’ONUDC montrent une certaine stabilité dans les saisies depuis plusieurs années : en volume, les saisies d’herbe ont augmenté de 1 % et celles de résine ont diminué de 9 % depuis 2007 ([13]) .
Les chiffres au niveau européen illustrent cette prévalence forte du cannabis. Ainsi, des saisies record ont été observées en 2021 dans l’Union européenne, avec 256 tonnes d’herbe et 816 tonnes de résine saisies. Cette tendance a été confirmée en 2022 s’agissant de l’herbe (265 tonnes saisies). S’agissant de la résine, une forte diminution a été observée, avec 486 tonnes saisies en 2022. Cela s’explique majoritairement par une diminution de 52 % des saisies signalées par l’Espagne (673 tonnes en 2021 contre 325 tonnes en 2022) ([14]), qui pourrait traduire une modification des routes du trafic à travers l’Espagne.
Enfin, au niveau français, les saisies ont été multipliées par deux en dix ans et s’établissaient en 2023 à 124,7 tonnes de cannabis – dont 37,7 tonnes d’herbe et 87 tonnes de résine ([15]). La part de l’herbe dans les saisies a sensiblement augmenté depuis dix ans : elle représentait seulement 6 % des saisies en 2012, contre 30 % en 2023. Cette hausse s’expliquerait par une préférence de plus en plus marquée des consommateurs pour l’herbe, au détriment de la résine : selon la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), entre deux tiers et trois quarts du marché français seraient occupés par l’herbe.
Le Maroc demeure le fournisseur de résine le plus important d’Europe, même si de premiers indices laissent penser à un début de production localisée en Europe. Selon les données publiées par l’ONUDC, entre 2018 et 2022, le Maroc était le premier pays d’origine ou de départ des cargaisons de résine saisies à travers le monde (19 % de celles-ci), devant l’Espagne (12 %) et l’Afghanistan (8 %).
L’OFDT identifie trois principales routes de circulation de la résine à destination de l’Europe :
– la première passe par l’Espagne, la France puis les Pays-Bas, ces derniers constituant une plateforme de distribution vers l’Europe du Nord et de l’Est ;
– une route qui utilise plutôt la voie maritime et traverse ensuite la France, notamment via le port de Marseille, avec une dissimulation de la résine dans des poids lourds ou un acheminement dans des convois ;
– la dernière transite plutôt par l’Algérie, la Libye puis l’Italie.
La France constitue ainsi un pays de transit pour la résine en provenance du Maroc, ce qui explique que la résine représente encore 70 % des saisies de cannabis en 2023.
À l’inverse, la plupart de l’herbe de cannabis consommée en Europe y est produite : l’Espagne en serait le premier producteur, comme l’illustre la répartition géographique des saisies. Ainsi, en 2022, 47 % de l’ensemble de l’herbe de cannabis saisie en Europe l’avait été en Espagne. La proximité entre les lieux de production et les consommateurs réduit les risques de détection pour les trafiquants. L’ONUDC confirme dans son rapport daté de 2024 que le trafic d’herbe de cannabis demeure, en Europe occidentale et centrale, « un phénomène intrarégional ». L’OFDT observe également une mutualisation par les trafiquants des routes du trafic de résine et d’herbe.
Comme pour la cocaïne, le cannabis qui circule présente un taux de principe actif de plus en plus concentré : ainsi, la teneur moyenne en THC ([16]) de la résine est passée de 6,5 % en 2000 à 30 % en 2022 et celle de l’herbe de 4,7 % en 2000 à 14 % en 2022 ([17]), une tendance similaire à celle observée à l’échelle européenne.
L’OFDT observe également l’apparition en 2023 de nouveaux produits avec des teneurs en THC très élevées (frozen hash, Butane Hash Oil) mais aussi le développement du cannabis vendu sous formes comestibles. Le rapport conjoint d’Europol et d’EUDA ([18]) fait le même constat à l’échelle européenne et indique que si une partie de ces produits provient d’Amérique du Nord, une partie est aussi produite sur le territoire de l’Union européenne.
c. L’héroïne, un produit fortement addictif à surveiller
Héroïne
Principaux pays producteurs : Afghanistan (avant 2023)
Saisies : 1,1 tonne en 2023 en France, 76 tonnes en 2022 à l’échelle mondiale
Principaux points d’entrée en France : Belgique et Pays-Bas
Principal vecteur : terrestre
Prix : 30 euros le gramme
L’héroïne appartient à la famille des opioïdes : c’est une molécule d’opiacée synthétisée à partir de la morphine, elle-même produite à partir du pavot. Parmi les opioïdes, il faut distinguer les opiacés (opium, morphine, codéine) qui sont des dérivés naturels du pavot, des opioïdes semi-synthétiques comme l’héroïne ou synthétiques comme le fentanyl, dont les effets sont beaucoup plus puissants.
Le pavot nécessaire à la production d’héroïne est cultivé principalement dans la zone dite du croissant d’or (qui comprend l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan) et dans la zone dite du triangle d’or (qui comprend la Birmanie, la Thaïlande et le Laos). En 2022, 80 % de la production mondiale d’opium illicite provenait d’Afghanistan ([19]). Plusieurs pays d’Amérique Latine (la Colombie, le Mexique) en produisent des quantités réduites qui n’alimentent pas le marché européen.
Selon l’ONUDC, en 2023, 93 760 hectares de pavot étaient cultivés, soit une diminution de 70 % par rapport à 2022. La même année, 1 990 tonnes d’opium avaient été produites, dont une partie (entre 182 et 196 tonnes) avait été transformée en héroïne.
Au niveau mondial, 76 tonnes d’héroïne avaient été saisies en 2022, soit une diminution de 32 % par rapport à 2021. Les saisies d’opium ont elles diminué de 36 % par rapport à 2021 (572 tonnes). Si ces diminutions importantes en 2022 doivent être mises en perspective avec la situation en Afghanistan abordée infra, la tendance était déjà à la baisse depuis plusieurs années ([20]).
Au niveau européen, 8 tonnes ont été saisies en 2022 contre 9,5 tonnes en 2021. En volume, les saisies d’héroïne ont augmenté de 91 % entre 2012 et 2022.
En France, les saisies d’héroïne sont supérieures à une tonne pour la cinquième année consécutive (1,4 tonne en 2022 et 1,1 tonne en 2023), une tendance préoccupante aux yeux de l’OFAST ([21]).
Carte des principales routes de circulation de l’héroïne Établie grâce aux saisies signalées entre 2019 et 2022
Source : rapport mondial de l’ONUDC sur les drogues 2024
L’héroïne est acheminée en Europe principalement par la route des Balkans occidentaux, à travers l’Iran et la Turquie. Elle est souvent dissimulée dans des véhicules de tourisme et des poids lourds puis stockée en Belgique ou aux Pays-Bas avant d’arriver en France via les régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes. De par la proximité géographique avec la Belgique et les Pays-Bas, l’héroïne est plus disponible dans le croissant nord-est de la France (régions Hauts-de-France, Grand Est, département de la Seine-Saint-Denis, région Auvergne Rhône-Alpes) que dans le reste du territoire ([22]).
Elle peut également emprunter le vecteur maritime : l’héroïne pénètre alors sur le territoire européen par l’Italie, après avoir transité par plusieurs pays africains (notamment Nigeria, Afrique du Sud, Sénégal, Cameroun) utilisés comme zone de rebond pour les pays producteurs ([23]).
Là encore, alors que le prix moyen du gramme a diminué de 6 % entre 2011 et 2020, la teneur en principe actif de l’héroïne, autrement dit sa pureté, est passée de 9,8 % à 20,3 % sur la même période.
d. Le développement des drogues et produits de synthèse, une tendance inquiétante
La fabrication des produits de synthèse s’appuie sur des précurseurs chimiques, c’est-à-dire des matières premières qui peuvent servir à la synthèse de produits stupéfiants : la production et le commerce de la plupart de ces précurseurs ne sont pas nécessairement illégaux, ce qui complique leur contrôle. L’Union européenne a mis en place une surveillance du commerce des précurseurs de drogues entre les États membres et les pays tiers, en distinguant, parmi les substances classifiées, celles qui présentent le plus de risque d’être détournées.
MDMA, amphétamine, méthamphétamine
Principaux pays producteurs : Birmanie pour la méthamphétamine, Pays-Bas en Europe
Saisies : à l’échelle mondiale, en 2022, 536 tonnes de stimulants de type amphétaminique
Principaux points d’entrée en France : Belgique et Pays-Bas
Principal vecteur en Europe : terrestre
Prix : 10 euros le comprimé d’ecstasy / entre 10 et 15 euros pour un gramme d’amphétamine
L’amphétamine, la méthamphétamine et la MDMA (dérivé amphétaminique) sont des drogues de synthèse stimulantes qui dissipent la sensation de fatigue, favorisent la concentration et génèrent un sentiment d’euphorie et de confiance en soi. La MDMA peut se présenter sous forme de comprimés (ecstasy) mais aussi de cristaux et de poudre. L’amphétamine a des propriétés stimulantes mais également anorexigènes. La méthamphétamine est considérée comme l’une des drogues les plus addictives du monde.
À l’échelle mondiale, en 2022, l’ONUDC rapporte 536 tonnes de stimulants type amphétaminique saisis, répartis ainsi :
– 367 tonnes de méthamphétamine ;
– 112 tonnes d’amphétamine ;
– 12 tonnes d’ecstasy ;
– 46 tonnes d’autres stimulants de type amphétaminique.
Si le volume de saisies demeure stable (en baisse de 1 % par rapport à 2021), les niveaux des saisies suivent une hausse régulière et constante depuis une vingtaine d’années et s’établissent donc à des niveaux historiquement élevés ([24]).
Au niveau mondial, la méthamphétamine demeure le stimulant amphétaminique qui prédomine. Les pays ayant signalé les volumes les plus importants de saisies sont les États-Unis, la Thaïlande, la Birmanie, le Mexique ainsi que l’Iran.
S’agissant de la méthamphétamine, ce sont l’Arabie Saoudite, les États-Unis et la Turquie qui ont signalé les saisies les plus importantes en 2022.
Selon l’ONUDC, l’amphétamine est le stimulant le plus consommé en Europe après la cocaïne, bien que de premiers indices tendent vers une augmentation de la consommation de méthamphétamine au niveau européen. L’amphétamine représente 49 % des saisies réalisées en Europe sur la période 2018-2022, contre 23 % la méthamphétamine ([25]).
En 2022, les saisies au niveau européen s’établissaient ainsi :
– 7 tonnes d’amphétamine ;
– 1,4 tonne de méthamphétamine ;
– 1,2 tonne de MDMA sous forme de poudre et 2,5 millions de comprimés de comprimés.
Entre 2012 et 2022, les saisies de méthamphétamine ont augmenté de 180 %, celles de MDMA de 60 % et celles d’amphétamine de 5 %.
Selon l’OFAST, ce sont plus de 8 millions de comprimés de MDMA qui avaient été saisis au 31 octobre 2024 en France, contre 4 millions en 2024, illustrant la forte disponibilité du produit. Interrogé par le Sénat en novembre 2024, le directeur général de la police nationale, Louis Laugier, a indiqué que les saisies d’amphétamines et de méthamphétamines avaient d’ores et déjà augmenté de 33 % en 2024 par rapport à l’année 2023 ([26]).
En Europe, 108 laboratoires de production d’amphétamine ont été démantelés en 2022 contre 119 en 2021. Les Pays-Bas sont le premier fournisseur d’amphétamine en Europe.
Le trafic de méthamphétamine est majoritairement intrarégional plutôt qu’interrégional : sur la période 2018-2022, selon l’ONUDC, « au moins 80 % des pays d’origine ou de départ connus se trouvaient dans la même région que le pays dans lequel la méthamphétamine a été saisie », même si des flux de trafics interrégionaux auraient été récemment détectés ([27]) .
Selon le secrétariat général de la mer, les Pays-Bas, la Belgique et l’Afghanistan sont de nouveaux acteurs centraux dans la production de la méthamphétamine depuis 2018. La Birmanie demeure un pays où celle-ci est produite à grande échelle.
L’ONUDC signale une explosion de la production de méthamphétamine dans le Triangle d’Or, qui atteindrait des niveaux supérieurs à ceux de l’héroïne et de l’opium.
Carte des principales routes de circulation de lA méthamphétamine Établie grâce aux saisies signalées entre 2019 et 2022
Source : rapport mondial de l’ONUDC sur les drogues 2024
Les Pays-Bas demeurent le premier pays producteur de méthamphétamine en Europe occidentale, suivis par la Belgique. La production à grande échelle a été favorisée par la collaboration entre les réseaux criminels mexicains et les producteurs de drogues de synthèse européens. Si cette production est pour l’heure plutôt destinée à l’exportation hors de l’Union européenne, il existe un risque qu’une partie s’oriente progressivement vers le marché européen ([28]).
Les Pays-Bas sont également un fournisseur important de MDMA. À l’échelle européenne, 48 laboratoires de MDMA ont été démantelés en 2022 (dont 27 en Belgique et 13 aux Pays-Bas), contre 25 en 2021, ce qui indique une hausse de la production européenne ([29]). Le trafic d’ecstasy reste concentré en Europe et dans les pays d’Amérique du Nord, qui représentent respectivement 43 % et 30 % des quantités d’ecstasy saisies ([30]).
L’amphétamine est un produit transporté majoritairement par la voie terrestre au sein de l’Union européenne. De petites quantités peuvent aussi être trafiquées par la voie postale ([31]) .
L’Union européenne est également un territoire de transit de l’amphétamine vers d’autres destinations, notamment l’Europe du Sud s’agissant des pilules de captagon (comprimés qui combinent de l’amphétamine et d’autres substances).
Une forte consommation de méthamphétamine en Polynésie française
La Polynésie française présente un niveau de consommation élevé d’une forme de méthamphétamine. Produite au Mexique, la méthamphétamine est importée des États-Unis sous forme de cristaux, nommés « ice ». Le nombre de consommateurs en Polynésie française a été estimé à 10 000 en 2019, ce qui représente 3,6 % de la population ([32]). En raison de son fort potentiel addictif, la prévalence de l’ice au sein de la population et l’intensification du trafic suscitent l’inquiétude des pouvoirs publics.
Si les premières filières d’importation de l’ice se sont structurées au cours des années 2000, la consommation s’est diffusée de façon plus large au sein de la population à partir des années 2010. Le succès de ce produit s’expliquerait par une offre relativement faible des autres drogues, dont l’approvisionnement ne serait pas régulier, malgré un prix élevé de l’ice (80 euros pour une dose d’environ 0,04 gramme).
Un plan de lutte « pour combattre le fléau de l’ice en Polynésie française » a été élaboré en février 2021, mais le territoire manque de moyens alloués aux soins et à la réinsertion ([33]).
Le rapport d’Europol et de l’EUDA constate que l’amphétamine est généralement disponible à un prix abordable et un niveau de pureté faible. Cependant, de l’amphétamine avec un niveau élevé de pureté peut être trouvée aux Pays-Bas et en Belgique, les principaux pays de consommation. L’EUDA souligne que le taux de pureté moyen de l’amphétamine a augmenté de 97 % au cours de la dernière décennie, alors même que son prix moyen au détail a diminué de 27 %. De même, le taux de pureté de la méthamphétamine saisie en Europe a augmenté sur les dix dernières années, notamment depuis 2019 et la multiplication de laboratoires d’importance en Europe.
Depuis le milieu des années 2000, de nouveaux types de substances sont apparus : les « nouveaux produits de synthèse » (NPS).
Les NPS sont des produits, souvent fabriqués en laboratoire, qui imitent les effets des produits stupéfiants mais ne sont pas immédiatement classés comme tels, les États ayant besoin d’un délai pour les recenser et les interdire.
Le terme NPS recouvre une douzaine de familles chimiques : au-delà des cannabinoïdes de synthèse ou des cathinones, leur palette intègre désormais d’autres familles de produits (phénéthylamines, benzodiazépines, opioïdes, etc.).
Ces nouveaux produits présentent souvent une teneur en principe plus élevée que les drogues dont ils imitent les effets, et présentent donc plus de risques pour les consommateurs. L’OFDT indique qu’en ce sens, ils répondent aux attentes de certains consommateurs qui sont à la recherche d’effets toujours plus forts.
La crise des opioïdes aux États-Unis
Les opioïdes (d’origine naturelle ou synthétique) induisent une dépendance physique et psychique.
Les États-Unis traversent une « quatrième vague » de la crise des opioïdes. Elle a été initiée dans les années 1990 avec une surprescription des médicaments opiacés pour traiter la douleur. Les personnes traitées, devenues dépendantes, se retrouvent démunies lorsque leur prescription s’arrête et se tournent alors vers l’héroïne (qui présente des propriétés analgésiques similaires) ([34]).
Depuis 2015, les trafiquants (notamment les cartels mexicains) ont investi dans le fentanyl, un opioïde de synthèse qui est 50 fois plus fort que l’héroïne et 100 fois plus fort que la morphine. S’il est prescrit dans le traitement de certaines pathologies (cancers en phase terminale par exemple), il fait aussi l’objet d’une production et d’un trafic illicites. Le fentanyl a d’abord été importé de Chine par les cartels mexicains, avant que leurs chimistes apprennent à le produire eux-mêmes dans des laboratoires clandestins. Plus rapide à fabriquer et plus facile à introduire illégalement aux États-Unis, le fentanyl a progressivement remplacé l’héroïne auprès des consommateurs ([35]).
Les opioïdes ont été à l’origine de plus de 107 000 décès en 2023 aux États-Unis. Selon la Drug Enforcement Administration, la première cause de décès chez les Américains âgés de 18 à 45 ans est une overdose liée au fentanyl ([36]).
Sur le continent européen, ce sont plutôt les pays touchés par une pénurie d’héroïne (Finlande, Estonie) qui connaissent une diffusion du fentanyl illicite ([37]). Si la France est à ce jour plutôt épargnée par la crise générée par le fentanyl, les différents interlocuteurs des rapporteurs ont souligné l’importance de maintenir un niveau de vigilance élevé pour éviter de répéter le schéma américain.
Ces produits représentent un réel défi pour les États : les trafiquants modifient sans arrêt leur composition chimique pour contourner les restrictions légales.
Selon l’ONUDC, en 2022, 566 différents NPS étaient sur le marché, dont 44 signalés pour la première fois. Près de la moitié de ces derniers étaient des cannabinoïdes de synthèse (48 %) et 14 % des opioïdes de synthèse.
L’OFDT rappelle, elle, que « depuis le début des années 2000, plus de 950 NPS ont été identifiées au niveau européen, dont 450 nouvelles substances en France » ([38]).
À l’échelle mondiale, le volume des saisies a connu une légère diminution après 2017. Entre 2018 et 2022, 84 % des saisies étaient de la kétamine et des produits de type phencyclidine (PCP) et 14 % des cathinones de synthèse et des cannabinoïdes synthétiques.
À l’échelle européenne, un record de saisies de NPS a été établi en 2022, avec 30,6 tonnes. Une majeure partie des NPS présents en Europe sont fabriquées à l’extérieur du territoire européen : la Chine demeure l’un des principaux fournisseurs, même si la mise en place récente de contrôles plus étroits sur les cathinones et les cannabinoïdes a entraîné un déport de la production vers l’Inde, où les contrôles restent très limités. Ces produits sont vendus en ligne, ce qui complexifie leur interception par les forces de sûreté ([39]).
L’EUDA a constaté une hausse du trafic des cathinones de synthèse, en provenance d’Inde. Le démantèlement de 23 laboratoires de cathinones en Pologne en 2022 indique qu’une partie est produite directement en Europe (notamment 3-CLMC et 4-CMC). Au vu des quantités saisies, l’EUDA soupçonne que la production ne soit pas uniquement destinée au marché européen.
La même prédominance se retrouve au niveau français, où les produits les plus fréquemment observés sont classés dans la famille des cathinones de synthèse et des cannabinoïdes de synthèse.
La disponibilité toujours plus grande de nouveaux produits de synthèse comme la 3-MMC (appartenant au groupe des cathinones de synthèses) et la « cocaïne rose » (qui est en réalité un cocktail de plusieurs substances, dont de la kétamine et de la MDMA) observée en France est un sujet de préoccupation, au vu des risques sanitaires élevés présentés par ces produits.
Une nouvelle classe d’opioïdes de synthèse a été identifiée en 2022 : les nitazènes. Deux alertes sanitaires ont été réalisées par l’OFDT auprès de l’Agence européenne des drogues en 2023 suite à des incidents à la Réunion (treize cas d’intoxications dont trois ont donné lieu à un décès) et à Montpellier (neuf surdoses entraînant des dépressions respiratoires) impliquant des produits qui contenaient des nitazènes. Cette famille a été classée comme stupéfiant en juillet 2024 ([40]).
À l’échelle européenne, sept nouveaux produits appartenant à la famille des nitazènes ont été signalés en 2023. Ils sont vendus sous une forme qui ressemble à l’héroïne brune, et peuvent provoquer des overdoses en raison de leur teneur importante en principe actif.
Enfin, l’ONUDC alerte, dans son rapport de 2024, sur cette catégorie d’opioïdes, qui peuvent être plus puissants que le fentanyl, et qui circulent à la fois en Amérique du Nord, en Europe mais aussi en Amérique du Sud et en Océanie.
Les NPS posent de réels risques sanitaires. Il est complexe d’établir un traitement de substitution car leur composition ne cesse d’évoluer. De plus, les consommateurs n’ont pas forcément conscience des produits utilisés pour couper les NPS qu’ils consomment, ou peuvent même être trompés sur la composition des substances qu’ils achètent. Enfin, la grande variabilité des dosages entre les différents NPS signifie que les effets varient d’un produit à l’autre, favorisant les effets indésirables.
2. Un « business » florissant, peu impacté par les soubresauts extérieurs
Comme l’indiquent l’EUDA et Europol dans leur rapport conjoint daté de 2024, le marché européen des drogues a démontré « une résilience remarquable aux crises mondiales, à l’instabilité et aux changements politiques et économiques d’ampleur ».
a. Des organisations criminelles résilientes face aux chocs extérieurs
L’ONUDC évalue le chiffre d’affaires du marché mondial des stupéfiants à 162 milliards de dollars par an. Le cannabis en représenterait 54 % ([41]) .
Publié en 2024, le rapport conjoint d’Europol et de l’EUDA estime qu’en 2021, la valeur du marché européen de la drogue s’établissait à 31,1 milliards d’euros, répartis ainsi :
– 39 % proviennent du cannabis (12,1 milliards d’euros) ;
– 37 % proviennent de la cocaïne (11,6 milliards d’euros) ;
– 17 % proviennent de l’héroïne (5,2 milliards d’euros) ;
– 5 % proviennent de l’amphétamine (1,6 milliard d’euros) ;
– 2 % proviennent de l’ecstasy / MDMA (0,6 milliard d’euros).
Le marché des produits stupéfiants en Europe
Source : Rapport sur les marchés des drogues dans l’UE , OEDT et Europol, 2024.
La cocaïne est particulièrement rentable : si elle est loin des niveaux de consommation du cannabis en Europe, elle fait quasiment part égale en termes de profits.
En France, l’INSEE a estimé en 2018 que le trafic de stupéfiants générait une activité économique de l’ordre de 2,7 milliards d’euros, soit 0,1 point de produit intérieur brut (PIB), dont 1 milliard d’euros engendré par le trafic de cannabis et 800 millions d’euros par le trafic de cocaïne ([42]).
Si une nouvelle estimation précise devait être réalisée en janvier 2025, la MILDECA estime que le chiffre d’affaires en France s’établit au moins à 3,5 milliards d’euros, ce qui rejoint les déclarations faites par Bruno Le Maire, interrogé par la commission d’enquête du Sénat en sa qualité de ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Il estimait néanmoins que ce chiffre était largement sous-estimé ([43]). Selon les données les plus récentes communiquées par l’Office anti-stupéfiants (OFAST), environ 240 000 personnes vivraient du trafic de drogues en France ([44]).
Comme l’a indiqué la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), « les capacités financières exponentielles [des organisations criminelles] facilitent les capacités de dissimulation et d’adaptation » et « permettent l’extension à tous les territoires de leurs ramifications » ([45]).
Les trafiquants de drogue ont une logique purement commerciale. La marge financière générée par les trafics est telle que les pertes de marchandises consécutives à des saisies sont intégrées dans le calcul économique. L’OFAST souligne ainsi, dans son rapport de 2023, que « l’assise financière facilite l’absorption des pertes de cargaisons en cas de contrôle sans fragiliser la structure des organisations impliquées ». Cette analyse a été confirmée par le représentant d’Europol lors de son audition par vos rapporteurs.
Cette surface financière facilite l’adaptation et rend les trafiquants imperméables aux chocs externes. Le rapport conjoint d’Europol et de l’EUDA mentionne trois chocs : la pandémie, la guerre en Ukraine et l’arrivée des talibans au pouvoir en Afghanistan.
L’évolution du trafic de drogues pendant la pandémie de COVID-19 a également démontré la forte capacité d’adaptation des trafiquants.
La fermeture des frontières et les mesures de distanciation sociale prises pendant la pandémie ont perturbé le trafic de drogues. La demande a diminué, notamment en raison des restrictions sociales limitant la vie nocturne : une diminution de la consommation de la cocaïne, de stimulants (incluant la MDMA) et d’héroïne a ainsi été observée en Europe. Du côté de l’offre, la fermeture des frontières a entraîné des difficultés d’acheminement des produits. Selon la DGPN, une pénurie de stupéfiants a ainsi été constatée après environ dix jours de confinement.
L’EUDA note cependant que cette perturbation n’a été que de courte durée, avec un rebond rapide de l’offre et une reprise de la consommation. Ainsi, la production domestique de cannabis en Europe aurait augmenté pendant la pandémie pour pallier les difficultés des trafiquants à acheminer la drogue en provenance des Balkans occidentaux et du Maroc. Les trafiquants ont également développé la livraison à domicile, ce qui fera l’objet d’un développement infra.
La crise ukrainienne, qui a débuté en février 2022 suite à l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine, aurait perturbé le trafic d’héroïne ([46]). Cette analyse du représentant du groupe Pompidou ([47]) est confirmée par l’EUDA, qui constate que le conflit ukrainien – ainsi que la situation au Moyen-Orient ([48]) – entraîne des perturbations sur les routes traditionnellement utilisées par les trafiquants pour approvisionner l’Europe et un report vers d’autres routes ([49]) .
L’ONUDC constate, dans son rapport annuel de 2024, une chute de l’usage d’héroïne en Ukraine. Elle souligne que les fournisseurs cherchent à augmenter la production locale pour alimenter la demande domestique. Enfin, elle note par répercussion une augmentation de la consommation de stimulants amphétaminiques et d’opioïdes de synthèse.
En avril 2022, quelques mois après la chute de Kaboul, les talibans ont interdit la culture du pavot, renouvelant ainsi la prohibition instaurée après leur victoire en juillet 2000. Cette interdiction s’est traduite, selon l’ONUDC, par une chute de 95 % de la superficie des cultures de pavot et de la production d’opium entre 2022 et 2023, alors que l’Afghanistan était auparavant le premier producteur mondial.
Toutes les conséquences de cette baisse drastique de la production sur le trafic de stupéfiants dans la région ne sont pas encore connues, à la fois car les opiacés afghans peuvent mettre jusqu’à un an et demi pour arriver à destination et parce que les trafiquants sont susceptibles, selon l’ONUDC, d’avoir stocké de l’opium en anticipation de l’interdiction prononcée par les talibans. Les agriculteurs afghans ont cependant été touchés très immédiatement par cette décision des talibans : selon l’ONUDC, les revenus provenant de la vente d’opium ont chuté de plus de 92 % en 2023, alors que de nombreuses communautés rurales en dépendaient ([50]).
Du point de vue de l’offre, l’ONUDC estime que cette interdiction pourrait se traduire, à plus long terme :
– par un déplacement de la production dans les pays voisins, notamment dans les zones tribales sous administration fédérale du Pakistan et en Birmanie ;
– par un report des consommateurs vers d’autres drogues ;
– par une moindre pureté de l’héroïne, les trafiquants ayant tendance à compenser la baisse de l’offre par l’ajout de produits de coupe.
L’ONUDC constate enfin une hausse de la production de méthamphétamine en Afghanistan. Cette tendance est confirmée par les chiffres au niveau européen. Ainsi, la Turquie a signalé en 2022 un niveau de saisie record. Cela pourrait en partie être expliqué, selon l’EUDA, par une hausse du trafic de méthamphétamine en provenance d’Afghanistan et circulant sur les routes habituellement utilisées pour le trafic d’héroïne. Cette réutilisation des routes de l’héroïne est l’une des menaces identifiées par Europol et l’EUDA dans leur rapport conjoint de 2024.
L’EUDA et Europol alertent eux aussi ([51]) sur la possibilité que l’assèchement de l’offre d’héroïne entraîne un report des consommateurs vers d’autres drogues, notamment des opioïdes de synthèse, plus puissants et donc plus dangereux d’un point de vue de santé publique.
La dernière publication de l’OFDT sur les tendances en 2023 pointe les perturbations dans l’offre d’héroïne, avec des difficultés d’approvisionnement pour certains consommateurs et une baisse globale de la qualité du produit. Ces difficultés se seraient également traduites par « des adultérations de la substance avec des opioïdes de synthèse et des cannabinoïdes de synthèse, donnant lieu à des vagues d’incidents sanitaires momentanées » ([52]).
À ces trois évènements extérieurs identifiés par Europol et l’EUDA peut être ajoutée l’adaptation des organisations criminelles aux évolutions législatives. Ainsi, l’assouplissement des législations concernant l’usage et la production de cannabis dans l’Union européenne (notamment à Malte, au Luxembourg, en Allemagne et en Catalogne) crée une nouvelle source potentielle d’approvisionnement du marché illégal de cannabis.
L’OFAST, dans son « État de la menace liée aux trafics de stupéfiants 2023 », identifie ainsi la production légale de cannabis au sein de l’Union européenne comme un facteur de risque pour la France, « particulièrement exposée du fait de l’importance des marchés et compte tenu de sa proximité géographique avec les pays ayant autorisé ou envisageant la culture et la production sur leur propre sol ». Le rapport évoque notamment la situation de certains clubs cannabiques en Catalogne, qui auraient été détournés de leur finalité initiale pour produire du cannabis à grande échelle.
Aussi, si vos Rapporteurs déplorent le détournement d’une production légale au profit du marché noir, ils considèrent que cela ne remet pas en cause, bien au contraire, les avantages présentés par une légalisation de la production de cannabis, point qui sera développé infra (III de la deuxième partie). En effet, la légalisation en France de la production, de la vente et de la consommation de cannabis pourrait viser un assèchement progressif du marché noir, et cela quelles que soient les sources d’approvisionnement de ce marché.
b. Et face aux stratégies des forces de sûreté pour entraver leur trafic
Les profits importants générés par le trafic de stupéfiants permettent aux trafiquants de s’adapter rapidement aux stratégies d’entrave déployées par les forces de sûreté, que ce soit en délocalisant les lieux de production ou en adaptant les routes utilisées pour transporter les produits.
Les trafiquants de drogues ont fait de l’Europe un lieu de production : initialement plutôt centrée sur les drogues de synthèse, cette production se diversifie.
Produire tout ou partie du produit stupéfiant en Europe présente l’avantage, pour les trafiquants, d’être au plus près des consommateurs et donc de limiter à la fois les coûts et les risques d’interception durant le transport. Cette tendance est renforcée par l’essor des drogues de synthèse, dont la production ne requiert pas de cultures.
Selon les chiffres de l’ONUDC, plus de 980 laboratoires illégaux ont été recensés en Europe occidentale et orientale en 2020, contre 520 en 2019.
Outre le démantèlement de laboratoires illégaux, l’OFAST constate une « prolifération » des précurseurs dits « sur mesure », soit des substances dont la seule utilisation est la production de stupéfiants, qui proviennent majoritairement de Chine ([53]). L’ONUDC et l’EUDA s’appuient également sur les volumes des saisies de précurseurs pour analyser les évolutions du trafic : ainsi, l’EUDA a constaté en 2022 une augmentation des saisies de BMK, un précurseur utilisé pour produire de la méthamphétamine à grande échelle, ce qui confirme la capacité grandissante des organisations criminelles à produire au plus près du consommateur ([54]).
Le rapport des deux agences souligne ([55]) que plusieurs indices témoignent d’une place changeante de l’Europe dans le trafic de cocaïne : celle-ci serait de plus en plus utilisée comme région de transit mais aussi comme un lieu de production pour certaines étapes du processus de transformation de la cocaïne (39 laboratoires de production de cocaïne ont été démantelés dans l’Union européenne en 2022 contre 34 en 2021). À cela s’ajoute les saisies de permanganate de potassium (qui sert à purifier la cocaïne), indice supplémentaire de la délocalisation de certaines étapes de la production de cocaïne.
Les trafiquants modifient également l’aspect des produits pour mieux les dissimuler lors du transport. Ainsi, la cocaïne, historiquement importée déjà transformée, est aujourd’hui transportée sous une forme intermédiaire (pâte de coca, cocaine base) voire même chimiquement camouflée, c’est-à-dire incorporée à d’autres matières (par exemple, le sucre, le café, le charbon…). Les dernières étapes de fabrication (purification, cristallisation) ou l’extraction secondaire en cas de camouflage chimique sont réalisées en Europe, au plus proche du marché de consommateurs, pour réduire les risques d’interception. Cette nouvelle pratique se traduit par une collaboration plus étroite entre les réseaux criminels d’Amérique Latine et d’Europe.
Un réseau de trafiquants impliquant des ressortissants français et colombiens a ainsi été démantelé entre 2022 et 2023 : la cocaïne était injectée dans du sirop de canne en Colombie. Une fois arrivée en Europe, les trafiquants procédaient à la séparation chimique de la cocaïne ([56]).
L’OFAST indique, dans son « État de la menace liée aux trafics de stupéfiants 2023 », que cette méthode est de plus en plus utilisée par les trafiquants, comme en témoigne le nombre de laboratoires d’extraction secondaire de cocaïne démantelés en Europe (56 entre 2018 et 2021). Si aucun laboratoire d’extraction et de retraitement de la cocaïne n’a encore été identifié en France, la direction générale de la police nationale (DGPN) n’exclut pas leur présence sur le territoire national.
Enfin, la culture de cannabis (cannabiculture) s’est développée en France, notamment depuis la pandémie. La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) constate « une professionnalisation de ce type de culture avec de véritables structures organisées et professionnelles dotées de moyens importants et mettant en place de vrais circuits de blanchiment » ([57]).
Les organisations criminelles réorganisent également leurs trafics en fonction des stratégies mises en place par les forces de sûreté pour intercepter leurs cargaisons. L’évolution de la répartition géographique et du volume des saisies est analysée par les différentes agences pour repérer de potentiels changements dans les routes utilisées pour trafiquer les produits stupéfiants.
Ainsi, l’EUDA, dans son rapport annuel 2024, fait l’hypothèse que la diminution du volume des saisies de résine de cannabis constatée en Espagne en 2022 reflète un report des trafiquants vers d’autres routes pour éviter les mesures répressives mises en place par les autorités espagnoles. De même, cette agence constate, s’agissant du cannabis, une diversification des sources d’approvisionnement du territoire européen, avec notamment une saisie de 4 tonnes de résine, en provenance du Pakistan, à Anvers en Belgique, qui laisserait penser que le Maroc n’aurait plus le monopole de distribution en Europe ([58]).
L’OFDT note, elle, une restructuration du trafic de cocaïne depuis 2010, avec trois phénomènes distincts.
Le premier phénomène est l’émergence de nouveaux pays de transit. L’Équateur, situé entre deux pays producteurs (Colombie et Pérou) est ainsi devenu un pays de transit dans le trafic de cocaïne. L’ONUDC souligne ainsi dans son rapport mondial sur les drogues 2024 que cette place croissante prise par l’Équateur dans le trafic de cocaïne a entraîné « une vague meurtrière liée à des groupes criminels locaux et transnationaux » avec notamment une multiplication par cinq du taux d’homicide par habitant entre 2019 et 2022.
De nouvelles zones de rebond sont également apparues en Afrique : le secrétariat général de la mer identifie plusieurs pays utilisés par les trafiquants pour sécuriser les envois (Maroc, Sénégal, Guinée, Angola, Afrique du Sud, Mozambique, Éthiopie). L’OFDT avance plusieurs facteurs pour expliquer l’utilisation de cette route : « l’évitement des voies classiques largement surveillées ; la conteneurisation des grands ports africains ; les instabilités dans la région favorisant l’implantation d’organisations criminelles notamment latino-américaines ; enfin le fait que cette voie était déjà utilisée par les réseaux nigérians pour le trafic d’héroïne provenant d’Asie du Sud-Est » ([59]). Par ailleurs, ces zones de rebond permettent aux trafiquants d’alimenter un marché local de consommation de stupéfiants, et de rentrer dans leurs frais avant même l’entrée des produits sur le territoire européen, diminuant donc d’autant l’enjeu pour eux des saisies à venir.
Le renforcement des contrôles dans les ports de destination a entraîné un déport du trafic vers les ports secondaires et une diversification des vecteurs utilisés, illustrée notamment par l’augmentation des saisies sur les voiliers de plaisance (ces deux points feront l’objet de développements ultérieurs).
Dans leur rapport conjoint, l’EUDA et Europol notent également qu’une partie de plus en plus importante de l’héroïne à destination de l’Europe transite par la voie maritime à partir de la Turquie, dans des containers, méthode qui permet de trafiquer des volumes importants en un seul voyage. La Turquie avait ainsi saisi 22,2 tonnes d’héroïne en 2021, soit plus du double du volume total saisi dans l’Union européenne la même année (9,5 tonnes).
c. Les enjeux financiers massifs engendrent une hausse des violences et une plus grande implication des mineurs dans le trafic
Selon un rapport d’Europol, la moitié des réseaux criminels les plus menaçants sont impliqués dans le trafic de drogue, que ce soit en tant qu’activité autonome ou dans le cadre d’un portefeuille d’activités. Un tiers de ces réseaux se concentrent exclusivement sur le trafic de drogue ([60]). Parmi les réseaux criminels identifiés comme les plus menaçants, 68 % utilisent la violence et l’intimidation comme modalités de gestion de leurs trafics.
Le constat d’une criminalité connexe générée par le trafic de stupéfiants, notamment des faits de violences criminelles, est partagé par les interlocuteurs des rapporteurs. Est également relevée une banalisation du recours aux armes.
Selon Europol, les enquêtes révèlent une propension accrue des réseaux criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants à recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs ([61]). Révélateur de cette préoccupation des pouvoirs publics, une conférence a été organisée par l’EUDA en novembre 2024 sur les violences liées au trafic de drogues, pour partager les bonnes pratiques et rappeler la nécessité d’une réponse européenne coordonnée.
Le même phénomène est observé sur le territoire national. La DACG, dans sa contribution écrite, fait état de « groupes criminels à la violence débridée », ce qui se traduit par la multiplication des règlements de comptes, « aux fins de conquête territoriale et d’affirmation d’une ascendance par l’intimidation et le recours à l’ultra-violence ».
La spirale de la violence
La DGPN a recensé 418 assassinats et tentatives d’assassinats entre délinquants ([62]) en 2023, dont 85 règlements de compte. Cela représente une augmentation de 38 % par rapport à 2022, en grande partie liée à la lutte fratricide entre deux clans à Marseille (voir infra). La région de Marseille a été particulièrement touchée, avec 53 décès liés au trafic de stupéfiants en 2023.
L’OFAST indique qu’en quatre ans, les violences, homicides et tentatives d’homicides ont augmenté de 33 %.
Sur les six premiers mois de l’année 2024, 42 personnes sont décédées en France dans des homicides liés au trafic de drogues, une diminution de 19 % par rapport à 2023. Cette baisse doit néanmoins être relativisée, l’année 2023 ayant été particulièrement marquée par les homicides. Les chiffres de 2024 représentent ainsi une augmentation de 22 % par rapport à l’année 2022, ce qui demeure très préoccupant.
De plus, si le nombre d’homicides diminue, plusieurs fusillades ont particulièrement marqué les esprits en 2024, notamment celles ayant impliqué des victimes collatérales comme un chauffeur de VTC à Marseille ([63]) ou un enfant de cinq ans près de Rennes en octobre dernier ([64]).
Enfin, certains territoires ont connu l’évolution inverse à cette diminution : le procureur de Bobigny, Éric Mathais, a indiqué fin janvier qu’en Seine-Saint-Denis en 2024, 15 homicides volontaires liés au trafic de stupéfiants avaient été constatés, contre quatre l’année précédente ([65]).
S’il est difficile d’avoir une vision précise et exhaustive du phénomène, notamment au vu de l’interpénétration des groupes criminels, l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) estime que :
– 90 % des règlements de compte entre malfaiteurs sont liés, motivés ou expliqués par des contentieux internes entre narcotrafiquants ;
– 65 % des enlèvements-séquestrations sont liés au trafic de stupéfiants.
Il faut ajouter qu’entre 25 % et 30 % des armes saisies le sont dans le cadre de trafic de stupéfiants ([66]).
Ainsi, l’augmentation de la violence criminelle s’explique en partie par les énormes profits générés par le trafic de stupéfiants : le chiffre d’affaires de certains points de deal se situe entre 25 000 et 100 000 euros par jour. L’importance des enjeux financiers peut entraîner des violences pour récupérer des territoires vus comme particulièrement lucratifs ([67]).
La violence est également utilisée comme méthode de représailles entre rivaux.
Une guerre de clans sanglante à Marseille
En 2023, s’est engagée une guerre entre deux réseaux de trafiquants de drogues – la DZ Mafia et le clan Yoda – pour la maîtrise des points de deal les plus lucratifs de l’agglomération marseillaise.
Cela s’est traduit par une hausse spectaculaire du nombre d’ouvertures d’information judiciaire des chefs d’assassinat et de tentative d’assassinat entre 2022 et 2023 (de 36 à 69 ouvertures, soit une augmentation de 91 %). Ont été recensés 113 faits d’assassinats en bande organisée ou tentatives en lien avec le trafic de stupéfiants en 2023 dans le ressort de Marseille ([68]). Le conflit entre les deux gangs serait à l’origine de 80 % des homicides liés au trafic de stupéfiants ([69]).
De l’avis unanime des observateurs, la DZ Mafia a remporté une victoire en 2023, le clan Yoda étant sorti très affaibli de ces affrontements.
Le chef présumé du clan Yoda, Félix Bingui, arrêté à Casablanca en mars 2024, a été extradé en France le 22 janvier 2025. Placé en détention provisoire à Marseille, il a été mis en examen des chefs d’importation de substances stupéfiantes en bande organisée, blanchiment de trafic de drogue et non déclaration de ressources ([70]).
Des évènements récents laissent également penser que l’organisation DZ Mafia se serait diversifiée dans l’extorsion violente de restaurants et de boîtes de nuit, comme en témoigne l’enquête sur l’attaque ayant visé le véhicule d’un rappeur marseillais en août 2024 ([71]).
Les narcotrafiquants ont également tendance à séquestrer les personnes qui leur doivent de l’argent (en lien avec la distribution ou la consommation de stupéfiants). L’essor de ces violences criminelles fragilise également le travail de démantèlement des réseaux en dissuadant les éventuels témoins.
Selon la DGGN, « ce mode de règlement des contentieux entre trafiquants, inspiré des pratiques mafieuses, innerve jusque dans les trafics de faible envergure » ([72]). À cela s’ajouteraient des violences entre trafiquants et consommateurs, souvent liées aux dettes de stupéfiants.
Une autre source d’inquiétude réside dans l’extension du phénomène à des villes moyennes (Nîmes, Nice, Besançon, Alençon), alors que c’étaient plutôt des métropoles qui étaient concernées jusqu’alors.
Les trafiquants font de plus en plus appel à des mineurs comme main-d’œuvre, par exemple en les employant comme guetteurs sur les points de deal. Cela se traduit, en France, par une hausse de 39 % du nombre de mineurs mis en cause pour trafic de stupéfiants depuis 2016 (9 491 mineurs mis en cause en 2023). C’est la tranche d’âge au sein de laquelle le nombre de mis en cause a le plus augmenté depuis 2016.
Si certains mineurs se laissent tenter par « le mirage de l’argent facile » ([73]), d’autres rentrent dans les réseaux sous la contrainte. Ainsi, selon la DGPN, « les " petites mains " constituent une catégorie composée de nombreux mineurs qui représentent une ressource vulnérable, parfois soumise à la contrainte et victime de violences extrêmes. Le chantage à la dette, réelle ou fictive, est un mécanisme rodé pour contraindre à vendre sur un point de deal sans contrepartie financière. Il est également utilisé pour forcer ceux qui souhaitent partir à rester dans le trafic. Des sévices, accompagnés de simulacres d’exécution, sont parfois filmés et transmis aux contacts de la victime par les auteurs participant d’une politique de terreur et d’intimidation » ([74]).
La DACG a souligné les difficultés rencontrées par la Justice pour prendre en charge ces mineurs une fois interpellés, un constat partagé par les magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées (JIRS) de Lyon. Les mineurs peuvent faire l’objet d’actes de torture et de barbarie s’ils sortent du réseau, et même l’éloignement géographique ne suffit pas à les protéger.
La conjonction d’une violence plus prégnante et d’une implication accrue des mineurs dans les trafics se traduit également par un rajeunissement des victimes d’homicides (25 ans en 2023) mais aussi de leurs auteurs (24 ans en 2023) ([75]).
L’implication d’un nombre croissant de mineurs dans les réseaux de trafic de stupéfiants, notamment dans des fonctions visibles sur les points de deal, explique que ceux-ci soient plus susceptibles d’être exposés aux règlements de compte sur la voie publique.
En miroir, le procureur de Marseille évoquait en octobre « un ultra rajeunissement des auteurs [d’homicides] » ([76]), un phénomène auquel est également confrontée la JIRS de Lyon, qui a signalé aux rapporteurs la présence d’équipes de jeunes tueurs à gages à Valence et à Grenoble en 2024 ([77]). Ils présentent l’avantage pour les commanditaires d’êtres malléables, moins chers et surtout de risquer des sanctions pénales moindres en raison de leur âge et de l’absence d’antécédents judiciaires.
Employés comme des prestataires extérieurs, rémunérés entre 15 000 et 20 000 euros selon les faits ([78]), les jeunes tueurs à gages sont identifiés comme particulièrement dangereux, à la fois car ils ne maîtrisent pas bien leurs armes mais surtout parce qu’ils officient de manière complètement décomplexée, sans se soucier d’éventuelles victimes collatérales.
Ce phénomène n’est pas limité au territoire français : Europol, dans sa contribution aux travaux des rapporteurs, souligne que de plus en plus de jeunes sont recrutés pour commettre des actes violents.
La hausse de la disponibilité des produits stupéfiants, qui enrichit les organisations criminelles et déstabilise les États, s’explique par une production en forte hausse : or, si des moyens importants sont mobilisés pour entraver la circulation de ces produits, des actions doivent également être menées au niveau international pour en réduire les sources d’approvisionnement.
B. Mieux mobiliser le levier de l’action diplomatique pour restreindre la circulation des produits stupÉfiants en amont
Le contexte international dans lequel s’inscrit le trafic de stupéfiants doit conduire à ne pas négliger la coopération internationale. Celle-ci est nécessaire pour associer le plus grand nombre d’États à la lutte contre le trafic. Elle peut aussi permettre de mener des actions vertueuses de nature à diminuer la production, par exemple à travers les projets de développement alternatif.
1. La coopération internationale : une approche indispensable pour construire une approche mondiale de la lutte contre le trafic de stupéfiants
Qu’il s’agisse des enquêteurs, des magistrats, ou encore des représentants de l’OFAST, tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants auditionnés par vos rapporteurs ont souligné la dimension internationale de ce trafic, et en déduisent l’importance de la coopération internationale pour mener une lutte efficace.
Si cette coopération peut prendre la forme de dispositifs spécifiques, tels que les équipes communes d’enquête, elle commande, en amont de ces dispositifs ciblés, de soutenir les efforts diplomatiques en vue d’une coopération des États dans la lutte contre les produits stupéfiants.
a. Une coopération qui repose sur l’ONUDC au niveau international
La principale instance internationale en charge de cette coopération multilatérale est l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime organisé (ONUDC).
Son action s’inscrit dans le cadre défini par trois conventions internationales relatives au contrôle des drogues ([79]). La liste des substances contrôlées, établies en annexe, évolue tous les ans en fonction des nouvelles substances apparues sur le marché. Ainsi, une quinzaine de produits ont été ajoutés à la liste en 2024 pour répondre à l’explosion des drogues de synthèse aux États-Unis.
Ces conventions confient certaines fonctions à la Commission des stupéfiants de l’ONUDC : parmi celles-ci, l’adoption de décisions et de résolutions lors de ses sessions annuelles à Vienne pour prendre en compte les nouveaux enjeux en matière de contrôle des drogues ([80]). L’organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) est, lui, chargé de contrôler l’application des conventions par les États membres.
L’ONUDC aide les États membres à élaborer et à mettre en œuvre des mesures de prévention et de répression contre le trafic de stupéfiants. Elle peut, par exemple, soutenir leurs efforts pour sécuriser les zones de transit (ports, aéroports, espaces maritimes). Elle mène des analyses et des recherches qui contribuent à l’amélioration de la connaissance des produits qui émergent et des mutations du trafic, et prolonge son expertise par une large présence sur le terrain qui permet de nourrir les analyses d’une connaissance fine des régions et des pays de production ou de transit des produits stupéfiants. L’ONUDC contribue ainsi au partage de renseignements, et au renforcement du multilatéralisme et de la coopération entre différents partenaires, qu’il s’agisse d’États ou de régions.
Le caractère technique de l’ONUDC est en particulier présenté comme un atout pour faire face aux défis qu’engendrent les mutations des trafics de produits stupéfiants.
Un exemple de coopération internationale : la coalition mondiale contre les drogues de synthèse
La coalition mondiale contre les drogues de synthèse a été lancée le 7 juillet 2023 à l’initiative des États-Unis et grâce au soutien de l’ONUDC. Son objectif est de convaincre la communauté internationale de la nécessité de coopérer et d’investir pour lutter contre le développement des drogues de synthèses.
Trois axes de travail ont été identifiés :
– prévenir la production et le trafic des drogues de synthèse ;
– détecter les menaces émergentes et les nouveaux schémas de consommation ;
– promouvoir les interventions de santé publique et les services de réduction des risques.
La coalition a formulé, en mai 2024, une liste de 68 recommandations. L’objectif affiché par les États-Unis pour 2025 serait d’avoir une approche plus opérationnelle du sujet.
La France y participe et est particulièrement impliquée dans le sous-groupe visant à mobiliser les personnes souffrant de toxicomanie et de troubles liés à la toxicomanie.
Néanmoins, comme l’indique la MILDECA dans sa contribution aux travaux des rapporteurs, « la scène internationale devient plus complexe et polarisée sur ces enjeux ». Certains pays conservent une approche strictement répressive (les Philippines, la Russie, la Chine, l’Indonésie, Singapour) et promeuvent des politiques incompatibles avec le respect des droits de l’homme (peine de mort pour les trafiquants par exemple). D’autres, comme l’Uruguay ou le Canada, ont fait le choix d’adopter des politiques plus tolérantes à l’égard des consommateurs, qui les mettent en porte-à-faux vis-à-vis des conventions internationales.
La France est membre de l’ONUDC ; elle est l’un des cinquante-trois États membres qui disposent d’un droit de vote au sein de la Commission des stupéfiants. Elle est candidate à sa réélection en 2025 pour exercer un nouveau mandat sur la période 2026-2029 et promouvoir une « approche équilibrée et englobante des politiques internationales de drogues, de la défense de l’intégrité des conventions internationales de contrôle des drogues et du respect des droits humains » ([81]).
Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dans sa contribution écrite aux travaux des rapporteurs, indiquait que la France œuvre « pour le renforcement de l’ONUDC et de ses moyens afin de garantir la concertation et la coopération internationale ». La France soutient financièrement l’ONUDC : elle a ainsi contribué aux recherches sur le trafic de méthamphétamine et de captagon au Proche et Moyen-Orient.
La France portera également, dans le cadre de la prochaine commission des stupéfiants, une résolution sur l’impact environnemental des drogues, qui s’inscrit dans la continuité du soutien financier apporté par la MILDECA aux recherches thématiques sur ce sujet dans le cadre des rapports mondiaux de l’ONUDC.
b. Au niveau européen, renforcer la coopération intra-européenne sans négliger les pays tiers
Les actions menées à l’échelle européenne sont déterminées par la stratégie de l’Union européenne en matière de drogue, qui couvre la période 2021-2025. Cette stratégie couvre trois domaines d’actions (réduction de l’offre, réduction de la demande, lutte contre les dommages liés à la drogue) et trois thèmes transversaux (la coopération internationale, la recherche, l’innovation et la prospective ainsi que la coordination, la gouvernance et la mise en œuvre).
En octobre 2023, la Commission européenne a présenté une nouvelle feuille de route visant à amplifier la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de drogues. Elle identifie quatre domaines prioritaires :
– accroître la résilience des ports européens face à l’infiltration des réseaux criminels à travers une nouvelle alliance des ports : ce dispositif fera l’objet d’un développement ultérieur ;
– faciliter les enquêtes financières et numériques pour démanteler les réseaux criminels à haut risque : la directive (UE) 2024/1260 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024 relative au recouvrement et à la confiscation d’avoirs fixe justement des règles européennes minimales en matière de gel et confiscation des biens provenant d’activités criminelles ;
– prévenir l’infiltration des groupes criminels dans la société, le recrutement des jeunes et l’accès des précurseurs de drogues ;
– renforcer l’échange d’informations entre partenaires internationaux : cela passe à la fois par des échanges de données mais aussi par la recherche d’accords avec des pays non coopératifs ou des pays ayant un caractère stratégique pour l’Union européenne dans la lutte contre le trafic.
Des négociations sont ainsi en cours avec le Brésil, identifié comme un « partenaire international essentiel pour réduire l’offre mondiale de cocaïne » ([82]), pour faciliter l’échange de données à caractère personnel entre Europol et les autorités brésiliennes compétentes, afin de lutter contre les formes graves de criminalité et de terrorisme.
Mme Floriana Sipala, directrice pour la sécurité intérieure de l’Union (l’une des directions de la Direction générale de la migration et des affaires intérieures [DG Home]), a indiqué à vos rapporteurs lors de son audition qu’un dialogue était engagé avec la Chine sur la question de la production des précurseurs des drogues.
L’élaboration et la mise en œuvre de ces documents stratégiques sont suivies par le groupe horizontal « Drogue » (GHD), l’instance préparatoire du Conseil de l’Union européenne sur ces questions. La MILDECA et le MEAE y siègent pour garantir la prise en compte des priorités et spécificités françaises en matière de lutte contre les drogues.
Comme le souligne le MEAE dans sa contribution aux travaux des rapporteurs, cette instance pourrait être le lieu de débats plus animés à l’avenir, au vu des divergences qui se profilent entre États membres quant à la meilleure approche pour lutter contre les drogues. En effet, l’écart se creuse entre les États membres qui font le choix de légaliser certains usages, comme l’Allemagne, le Luxembourg, ou Malte, et ceux qui conservent une ligne d’interdiction du cannabis, comme la Hongrie, la Pologne ou encore la Roumanie.
Au niveau opérationnel, la coopération passe par les deux agences de l’Union européenne, Europol et Eurojust.
Europol est l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs. Elle a pour mission principale d’aider ses États membres à prévenir et combattre toutes formes de criminalité organisée et internationale grave, la cybercriminalité et le terrorisme. Elle analyse les tendances en matière de criminalité au sein de l’Union et soutient les enquêtes lancées par les États membres. Si elle ne peut pas lancer d’enquête elle-même, elle traite les cas de criminalité organisée qui nécessitent une coopération entre plusieurs pays.
Eurojust est l’Agence de l’Union pour la coopération judiciaire en matière pénale. Sa mission principale est la coordination des travaux des autorités nationales sur les enquêtes et poursuites à l’encontre de la criminalité transnationale. Chaque État membre est représenté par un membre national. Eurojust a signé des accords de coopération avec une douzaine d’États non-membres de l’Union, pour faciliter la collaboration sur les dossiers judiciaires. Chaque année, les dossiers en matière de trafics de stupéfiants représentent 20 % des dossiers ouverts à Eurojust. La France, entre 2020 et novembre 2024, a demandé le soutien d’Eurojust dans 245 dossiers de trafic de stupéfiants. Le Royaume-Uni, la Serbie et l’Albanie ont été les pays tiers les plus sollicités sur les enquêtes transfrontières en 2023 ([83]).
Eurojust met en place les équipes communes d’enquête (ECE), un outil de coopération directe qui associe des magistrats et des enquêteurs de plusieurs pays au sein d’une même entité, lorsqu’une affaire présente un intérêt pénal commun. Cette équipe favorise l’échange de renseignements et la conduite d’opérations d’investigations conjointes sur les territoires des pays qui en sont membres.
L’Agence de l’Union européenne pour les drogues (EUDA) appuie les institutions européennes grâce au travail de recherche scientifique sur les drogues et les toxicomanies. Elle est également chargée de surveiller les menaces émergentes, notamment grâce au système d’alerte précoce sur les NPS, qui vise à identifier rapidement les nouvelles substances psychoactives et les risques qu’elles posent, afin d’y apporter une réponse adéquate. Ses capacités en matière de coopération internationale ont également été récemment renforcées.
c. Au niveau français, cibler les pays stratégiques et renforcer l’entraide pénale
C’est le MEAE qui, dans le cadre du plan national antistupéfiants, pilote l’action relative à l’intensification de la coopération internationale avec les zones de production, de transit ou de rebond de produits stupéfiants à destination de l’Union européenne et de la France.
Outre sa présence au sein des organisations internationales qui peuvent intervenir sur ces questions, la France mobilise son réseau diplomatique pour mener des actions de coopération, notamment à destination des zones prioritaires, définies au niveau national, et de l’évolution de la situation internationale. Le ministère adresse ses instructions à destination des postes au sein des ambassades qui, par l’entremise des attachés de sécurité intérieure et des attachés douaniers mènent des actions de coopération bilatérale.
Le ministère de la Justice s’appuie lui sur le réseau des magistrats de liaison pour animer la coopération internationale au service des parquets, notamment des JIRS et de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO). Un poste de magistrat de liaison a été créé à Sainte-Lucie, dans les Caraïbes, identifiée comme un territoire de transbordement des chargements de cocaïne.
L’OFAST centralise le renseignement et l’information par l’intermédiaire du réseau diplomatique français. Il a également des liens privilégiés avec les agences européennes comme Europol et Eurojust, ainsi qu’avec ses homologues européens.
La MILDECA joue un rôle central dans le dispositif diplomatique français de lutte contre le trafic de stupéfiants : elle siège dans les différentes instances de coopération comme le GHD ou la commission des stupéfiants, mais elle finance également plusieurs projets à l’international. Elle identifie cinq zones particulièrement stratégiques pour la France, qui doivent donc faire l’objet d’une attention particulière : les Balkans, les pays de la rive sud de la Méditerranée, l’Afrique de l’Ouest, l’Amérique latine et les Caraïbes ainsi que la zone Afghanistan-Pakistan ([84]).
La France travaille, par ailleurs, à améliorer la coopération judiciaire avec les pays identifiés comme stratégiques. Les différences de législation et d’approche peuvent parfois contrarier la coopération entre les pays.
Parmi les exemples cités aux rapporteurs, se trouvent les Émirats arabes unis, avec lesquels la coopération en matière d’entraide judiciaire demeure problématique. Cela se traduit, par exemple, par des arrestations qui ne sont pas suivies d’extradition ou annulées suite à des remises en liberté. Selon le parquet de Paris, six arrestations auraient eu lieu en 2023 sans qu’aucun individu n’ait ensuite été remis à la justice française ([85]). Selon Eurojust, « les multiples exigences formelles des Émirats arabes unis sont changeantes, imprévisibles, et pour la plupart non-prévues, voire contraires aux conventions d’entraide et d’extradition du 2 mai 2007 qui lient les deux pays ». À cela s’ajoute une communication complexe et tardive ([86]).
Afin de renforcer la coopération judiciaire, un magistrat de liaison a été installé aux Émirats arabes unis en avril 2024. Le ministre de la Justice français, Gérald Darmanin, s’est rendu dans le pays en janvier 2025 pour évoquer le renforcement de la lutte contre le trafic de stupéfiants et remettre aux autorités une liste de vingt-sept individus soupçonnés d’être des narcotrafiquants et dont la France souhaite l’extradition ([87]).
La coopération judiciaire avec la Colombie manque aussi de fluidité, malgré l’existence de conventions bilatérales.
Des difficultés existent également avec le Suriname, pays voisin de la Guyane, régulièrement sollicité sur des procédures de trafic international de stupéfiants et notamment de cocaïne. L’entrée en vigueur d’une convention d’entraide en matière pénale devrait permettre de faciliter la coopération entre le Suriname et l’Union européenne en simplifiant le circuit de transmission des demandes d’entraide et en permettant le recours à la visioconférence ou à des techniques spéciales d’enquête.
Que ce soit dans les instances internationales ou au niveau européen, la France, comme l’a indiqué le MEAE, défend une position équilibrée entre lutte contre la criminalité organisée et efforts sur la prévention et sur le traitement des populations les plus fragiles.
Vos rapporteurs déplorent que la position de la France dans les instances internationales et européennes soit trop souvent celle du statu quo, sans réflexion prospective concernant la dépénalisation de certaines substances ou la légalisation du cannabis. Ils regrettent par ailleurs que le sujet de la lutte contre les trafics soit abordé essentiellement par l’aspect répressif, quand la prévention de la consommation et les facteurs d’entrée dans les trafics devraient être des points centraux de notre position internationale. Des méthodes alternatives à la seule répression existent et font leurs preuves, notamment au sujet de la production (voir infra).
Recommandation n° 1 : adapter la position de la France dans les instances internationales et européennes en centralisant la prévention de la consommation, les facteurs d’entrée dans les trafics, et la réduction des matières premières nécessaires à la production de stupéfiants.
S’ils saluent les efforts engagés pour réduire l’offre de stupéfiants, vos Rapporteurs souhaitent que des relations de coopération renforcée soient mises en place avec les États producteurs, afin de prendre le sujet à la source. Cette pression politique doit s’accompagner d’efforts financiers pour soutenir ces États dans une transition vers des cultures alternatives.
2. Substituer aux cultures illicites de plantes contenant des psychotropes des activités licites : l’exemple vertueux du développement alternatif
Lors de l’audition du représentant de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, vos Rapporteurs ont pris connaissance avec intérêt des programmes de développement alternatif menés au sein des pays producteurs de cultures illicites. Il s’agit en effet d’une approche qui permet d’agir dans la lutte contre le trafic de stupéfiants en agissant en amont du transport de la drogue pour réduire l’offre.
La promotion du développement alternatif par l’ONUDC consiste à prévenir la culture illégale de plantes contenant des stupéfiants et substances psychotropes, et à y substituer des activités licites en menant des actions de développement rural.
D’après la contribution écrite remise par l’ONUDC à la suite de son audition par vos Rapporteurs, ces programmes rejoignent une approche équilibrée de la lutte contre l’offre de produits stupéfiants en encourageant les États membres à combiner des activités de répression et une approche de développement centré sur l’humain.
Ces actions de développement alternatif et durable visent à garantir aux communautés locales des revenus compétitifs sur la base d’une activité légale rentable. Pour monter ces projets, l’ONUDC travaille directement avec les groupes d’agriculteurs, les organisations locales et le secteur privé afin d’identifier les cultures commercialisables à haut rendement qui respectent l’environnement. L’ONUDC aide ensuite les producteurs à s'organiser en coopératives agricoles pour garantir que tous les maillons du cycle du produit, de la ferme au marché, appartiennent aux coopératives agricoles, et, partant, que tous les revenus reviennent aux familles et aux communautés.
L’ONUDC relève que désormais les projets ne se limitent plus au simple remplacement des cultures et des revenus, mais qu’ils envisagent aussi d’autres types de moyens de subsistance tels que l’artisanat, l’écotourisme, ou encore le textile. Les projets cherchent en outre à travailler sur les causes profondes de la dépendance des communautés locales à l’égard de l’économie illicite (pauvreté, existence de conflits, etc.).
Les projets ont principalement été menés en Afghanistan, en Birmanie, en Bolivie, en Colombie, au Laos, au Pérou et en Thaïlande. Si la Colombie est le pays qui a mené le plus de projets en ce sens, l’ONUDC souligne que l’Afghanistan est devenu une préoccupation majeure dans la mesure où les communautés agricoles sont confrontées aux conséquences de l’interdiction de la culture et du commerce des drogues, énoncée par le régime taliban en avril 2022.
Le Mexique et le Nigeria mettent en œuvre leurs premières initiatives de développement alternatif, tandis que le Guatemala et le Honduras analysent actuellement cette approche en raison de l’accroissement des cultures illicites sur leurs territoires.
Lors de sa session de mars 2024, la Commission des stupéfiants de l’ONUDC a adopté une résolution 67/3 intitulée « Célébration du dixième anniversaire de Principes directeurs des Nations unies sur le développement alternatif : mise en œuvre effective et voie à suivre », laquelle encourage les États membres à élaborer des projets de développement alternatif pour offrir des alternatives économiques viables aux personnes touchées par les activités illicites liées aux drogues, dans les zones rurales comme les zones urbaines.
Dans la mesure où la Commission des stupéfiants envisage à l’avenir de mener également de tels projets en milieu urbain, plusieurs États (le Brésil, la Colombie, le Pérou et la Thaïlande) étudient les possibilités de moyens de subsistance alternatifs pour les populations situées le long des routes du trafic de drogue ou dans les zones urbaines.
Le financement des programmes de développement alternatif de l’ONUDC
Le coût du programme de développement alternatif mis en œuvre par l’ONUDC en 2023 s’est élevé à 40 millions de dollars.
La Colombie est le principal donateur du programme, sa contribution s’élevant à 80 % des fonds.
D’autres États membres de l’ONUDC contribuent au programme : l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, la France, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Corée du Sud, la Thaïlande et les États-Unis. L’Union européenne est également contributrice.
La France, par l’intermédiaire de la MILDECA et du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, a mobilisé 100 000 euros en 2018. Entre 2019 et 2022, elle a contribué à hauteur de 150 000 euros, avant de porter sa contribution à 200 000 euros en 2023. Elle a notamment participé au financement d’un projet de développement alternatif pour remplacer les cultures de coca par des cultures de café en partenariat avec la société Malongo en Bolivie et en Colombie.
Source : Contributions écrites de l’ONUDC et du MEAE.
L’ONUDC souligne l’intérêt de cette approche, qui a prouvé son efficacité en Colombie, où le taux de replantage des cultures illicites est inférieur à moins de 5 % dans les zones bénéficiant des programmes de développement alternatif.
À ce jour, les fonds récoltés ont permis de fournir une assistance technique à 100 000 familles. Ces fonds restent toutefois insuffisants, puisque l’ONUDC estime qu’il conviendrait d’apporter une aide à 800 000 familles impliquées dans la production de cultures illicites.
Compte tenu du caractère vertueux de ces initiatives, tant pour le développement humain que pour leur impact sur la diminution de l’offre de produits stupéfiants, vos Rapporteurs considèrent qu’il serait judicieux que la France augmente substantiellement sa contribution à de tels programmes.
Recommandation n° 2 : augmenter substantiellement le montant alloué par la France aux programmes de développement alternatif soutenus par l’ONUDC.
Recommandation alternative n° 1 de M. Antoine Léaument : porter la contribution de la France à l’ONUDC à 30 millions d’euros par an pour faire de la France le premier contributeur international, à égalité avec la Colombie.
II. Le contrôle de l’importation : adopter une stratégie globale pour mieux limiter les flux
Le trafic de stupéfiants mondialisé repose sur une logique de marché, même si l’offre de stupéfiants est illégale, dans la mesure où sa finalité est l’élaboration d’un modèle économique propre à assurer l’enrichissement de ses dirigeants.
Les trois principales catégories d’acteurs de ce marché illicite sont les producteurs, les intermédiaires et les consommateurs. La stratégie déployée par les réseaux criminels vise à contrôler chacun de ces acteurs essentiels au développement du marché et à insérer leur activité dans des mécanismes économiques légaux pour générer de la puissance financière. Le développement exponentiel du marché illicite des stupéfiants peut ainsi se mesurer à l’aune des capacités financières des organisations criminelles, dont certaines disposeraient aujourd’hui d’une puissance économique comparable voire supérieure à celle de certains États.
L’identification et la présentation des principaux pays producteurs de produits stupéfiants (voir supra) ont mis en évidence la dimension internationale de ce marché. L’un des objectifs principaux des groupes criminels est d’organiser le transport de leurs marchandises illicites au départ des pays producteurs vers les pays consommateurs.
De ce point de vue, la mondialisation des échanges commerciaux a facilité les stratégies d’importation criminelles des produits stupéfiants qui reposent sur l’utilisation des routes commerciales internationales et utilisent les mêmes vecteurs d’acheminement. La dissimulation des produits stupéfiants parmi les flux de marchandises licites limite en effet le risque de détection et de saisie.
Face à l’expansion du marché des produits stupéfiants et à l’augmentation des flux de stupéfiants, le renforcement des stratégies déployées par les forces de sécurité intérieure est nécessaire pour contrôler l’entrée et la circulation sur le territoire de ces produits illicites.
Le contrôle des flux entrants de marchandises aux frontières se heurte toutefois aux logiques économiques d’un marché mondialisé dont l’efficacité repose sur la fluidité des échanges commerciaux.
Dans ce contexte, les actions de contrôle doivent également tenir compte des évolutions du marché des produits stupéfiants en France et en Europe, lequel est aujourd’hui traversé par les trois principales tendances, décrites précédemment ([88]) :
– l’amplification du marché, caractérisée par une forte dynamique de circulation des produits stupéfiants ;
– la diversification de l’offre de produits stupéfiants disponibles ;
– enfin, la présence sur le marché de produits de plus en plus concentrés en principe actif, dont la consommation est susceptible de causer des dommages sanitaires importants.
Les évolutions du marché des produits stupéfiants contribuent ainsi à complexifier les actions de contrôle des forces de sécurité intérieure.
La croissance du commerce international, caractérisée par l’augmentation continue des flux de marchandises, multiplie les possibilités d’importation illicite de produits stupéfiants, en raison notamment de l’utilisation accrue des conteneurs, des services postaux et des entreprises de courrier express. Parallèlement, le développement des nouveaux moyens de communication, de la dématérialisation des échanges et des techniques de cryptage ouvre aux trafiquants de nouvelles voies d’accès aux clients consommateurs.
En outre, la grande adaptabilité des organisations criminelles, qui déploient rapidement des stratégies pour déjouer le renforcement des opérations de contrôle aux frontières, implique le développement de nouveaux moyens de contrôle.
L’adaptation des routes d’importation des produits stupéfiants, par le développement d’opérations de transit au sein de « pays de rebond », notamment en Afrique de l'Ouest, ou alors par l’usage de plus en plus fréquent de ports secondaires pour éviter les grands ports dont la sécurité a été renforcée, soulève ainsi de nouveaux enjeux et nécessite une meilleure réactivité des autorités de contrôle.
Dans ce contexte, les possibilités d’action et d’expansion du marché offertes à la criminalité organisée sont démultipliées, les grands groupes criminels n’hésitant pas à développer de nouvelles techniques et à perfectionner leur stratégie d’importation, en usant notamment de leur puissance d’influence financière pour contourner le filtrage des marchandises.
Les outils de contrôle aux frontières doivent donc être adaptés à la nouvelle physionomie du marché illicite des produits stupéfiants et aux nouveaux modes opératoires des organisations criminelles.
L’étude des routes d’importation des drogues met en évidence les fragilités des procédés de contrôle aux frontières actuellement en vigueur. Une synergie des stratégies de contrôle entre les différents services apparaît nécessaire pour contrer le savoir-faire acquis des grands groupes criminels dans l’importation des produits stupéfiants.
Par ailleurs, les techniques de contrôle doivent désormais pleinement intégrer, outre des méthodes renforcées et perfectionnées de surveillance aux points sensibles que constituent les frontières, le risque de corruption qui pèse sur les acteurs en charge de leur mise en œuvre.
Tirant profit du marché illicite florissant des produits stupéfiants, les organisations criminelles ont en effet renforcé leur stratégie d’influence pour développer des techniques de déstabilisation centrées sur la compromission et la corruption des acteurs stratégiques du contrôle des flux.
Au fil des auditions menées et de leurs déplacements, vos Rapporteurs ont ainsi acquis la conviction que seul le déploiement d’une stratégie globale, permettant d’appréhender tant les enjeux du contrôle aux frontières que ceux induits par la capacité d’influence et la puissance financière exponentielles des organisations criminelles, est susceptible de limiter l’entrée et la circulation sur le territoire des produits stupéfiants.
L’efficacité des actions de lutte contre le narcotrafic dépend aujourd’hui de la capacité à agir sur l’ensemble des facteurs de vulnérabilité qui exposent le territoire français au trafic de produits stupéfiants et à affronter les défis soulevés par les capacités d’infiltration et d’emprise des groupes criminels.
La stratégie de contrôle des flux aux frontières repose sur une coopération étroite entre plusieurs services impliqués dans la surveillance des différents points d’entrées des marchandises.
L’augmentation du nombre des saisies de produits stupéfiants retracée précédemment (voir infra) est le reflet de l’activité de l’ensemble des services concernés par le contrôle de l’entrée et de la circulation sur le territoire national des produits stupéfiants. Ces services sont notamment ceux des forces de sécurité intérieure et de contrôle que sont la Direction générale de la police nationale (DGPN), la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), et la marine nationale.
Cette tendance à la hausse traduit l’efficacité de l’ensemble de ces services mais elle trahit également l’évolution du trafic de stupéfiants en France et en Europe et met en évidence l’abondance de l’offre de ces produits illicites. Cet indicateur permet ainsi de démontrer la présence en quantité importante des produits stupéfiants sur le territoire national et le territoire européen.
Le territoire français, en raison de son positionnement géographique, est tout particulièrement confronté aux enjeux soulevés par l’expansion du marché illicite de stupéfiants.
Située au carrefour des routes des trafics de produits stupéfiants, la France, qui se trouve proche des zones de production, constitue également une « zone de rebond » pour certains trafics, notamment en ce qui concerne les Antilles et la Guyane. Ces territoires, stratégiquement situés pour les trafiquants à proximité de pays producteurs de produits stupéfiants, constituent une porte d’entrée sur le marché européen en servant essentiellement, mais pas seulement, de zones de transit de ces marchandises illicites.
Comme cela a déjà été évoqué, les routes d’importation des produits stupéfiants depuis les pays producteurs vers les pays consommateurs dessinent une cartographie évolutive et se structurent autour des trois principaux vecteurs de transport du commerce international : terrestre, maritime et aérien.
Les modes d’acheminement des produits stupéfiants sur ces vecteurs évoluent en fonction des moyens de contrôle déployés pour surveiller les points d’entrée des marchandises sur notre territoire. L’adaptation des stratégies criminelles influe donc directement sur la physionomie de ce trafic qui se réorganise pour répondre à l’intensification des contrôles.
a. Les évolutions du vecteur routier pour l’importation des produits stupéfiants
Le vecteur routier demeure encore fréquemment utilisé pour introduire du cannabis sur notre territoire. Comme vos Rapporteurs l’ont déjà exposé, l’herbe de cannabis est acheminée depuis l’Espagne, premier producteur de cannabis dans l’Union européenne, tandis que la résine provient principalement du Maroc. Les axes routiers reliant l’Espagne à la France demeurent particulièrement sensibles car ce sont ceux qui sont empruntés par les trafiquants d’herbe espagnole et de résine marocaine pour alimenter le marché français et européen.
Le vecteur routier est aussi employé comme voie d’importation de l’héroïne, notamment par la route des Balkans occidentaux qui constitue la principale route d’acheminement de l’héroïne à partir de l’Afghanistan. Avant d’entrer sur le territoire national, principalement dans les régions Grand-Est et Auvergne-Rhône-Alpes, l’héroïne est souvent stockée en Belgique et aux Pays-Bas.
Les évolutions des méthodes de transit des produits stupéfiants sur le vecteur routier sont marquées par le développement de nouvelles stratégies d’acheminement.
Les convois traditionnels (les « go fast » ([89])) sont peu à peu remplacés par des procédés plus élaborés. Les trafiquants peuvent par exemple utiliser un véhicule « bouclier » servant de leurre et circulant dans le sillage immédiat du véhicule transportant les produits stupéfiants (dit « véhicule porteur »), ou recourir à des stratagèmes employant des ambulances, des véhicules de chantier, ou encore des camions-citernes pour mieux dissimuler les produits stupéfiants transportés et déjouer les contrôles.
Face à la diversité des stratégies employées, l’enjeu principal de la surveillance des voies d’importation réside dans le ciblage des principaux axes concernés. Pour le vecteur routier, ce travail de ciblage passe nécessairement par des missions préalables de surveillance du territoire, auxquelles contribuent tous les services de contrôle concernés. Le travail de terrain, dont l’objet est le recueil de renseignements sur les axes principalement touchés par l’importation illicite de produits de stupéfiants, est cependant rendu plus difficile par l’adaptation des structures criminelles qui empruntent de nouvelles voies de transit.
b. Le recours au vecteur postal
Le vecteur postal est surtout utilisé pour l’acheminement ou l’exportation de drogues de synthèse.
La France constitue en effet un pays de transit, d’expédition et de destination de ces drogues. Ces produits stupéfiants fabriqués dans l’Union européenne (notamment aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne et en République tchèque) sont exportés depuis le territoire national vers les marchés de consommation nord-américain ou océanien, notamment par le biais du fret postal, parfois en recourant au fret express en s’insérant dans les flux d’envois légaux par l’intermédiaire de grandes compagnies telles qu’Amazon, DHL ou FEDEX (voir infra).
L’envoi postal de produits stupéfiants permet également l’importation de ces produits. Le développement de la fabrication européenne de drogues de synthèse a fait naître un nouveau besoin de ressources : les précurseurs de drogues, qui sont des substances industrielles détournées de leur utilisation. Ces précurseurs, auparavant envoyés massivement dans des conteneurs, sont aujourd’hui souvent envoyés dans des colis postaux, en plus petite quantité ([90]).
c. Le développement de nouvelles routes de trafic : la dématérialisation des flux commerciaux comme nouvel enjeu du contrôle des échanges de produits stupéfiants
Le recours accru aux outils numériques facilitant le trafic de stupéfiants a permis le développement de la « dématérialisation » des échanges commerciaux illicites de drogues par le recours au commerce en ligne.
Les organisations criminelles de trafiquants utilisent les nouvelles technologies pour diversifier leurs techniques de vente de ces produits illicites, créant de nouvelles routes dématérialisées de trafic. Les trafiquants tirent ainsi profit des réseaux sociaux et des messageries chiffrées pour vendre les produits stupéfiants et sécuriser leurs échanges avec les clients consommateurs.
Favorisée par la crise sanitaire liée à la Covid-19, la livraison de drogues commandées à distance, constitue aujourd’hui un important moyen de revente des produits stupéfiants, qui présente de nombreux avantages pour les trafiquants.
Visant au départ à surmonter les difficultés de circulation et d’approvisionnement sur les points de « deal » ([91]) lors des confinements, l’ « ubérisation » du trafic de stupéfiants a permis de dématérialiser la commande et de développer un service de livraison.
La vente en ligne permet également de limiter les risques d’interpellation en empêchant les contrôles imprévus qui ont lieu sur les points de deal. Les consommateurs sont plus enclins à commander en ligne qu’à se déplacer sur un point de deal où ils risquent d’être interpellés, ce qui favorise la plus grande accessibilité des produits stupéfiants. La commande peut être passée à distance, de manière anonyme en utilisant les systèmes de messageries chiffrées offerts par les réseaux sociaux. La livraison des produits stupéfiants peut ainsi être réalisée à domicile ou à un endroit discret. Pour sécuriser le transport des produits stupéfiants, les livreurs utilisent parfois des équipements au nom d’enseignes de livraison tels qu’« Uber Eats » ou « Deliveroo » pour se donner l’apparence d’un commerce légal.
Cette tendance est significative pour la cocaïne dont l’accès a été facilité par la dématérialisation, notamment en proposant une livraison à domicile ou sur les lieux de consommation, par exemple les lieux de fête, ou encore par courrier.
Le tableau ci-dessous présente les différents modes d’approvisionnement de la cocaïne pour les consommateurs et permet de mettre en évidence la préférence de ces derniers pour la livraison à domicile.
Modes d’approvisionnement des usagers de cocaïne en 2021
Sources : « La cocaïne : un marché en essor. Évolutions et tendances en France (2000-2022) », OFDT, mars 2023.
Malgré l’essor de l’utilisation des réseaux sociaux pour commander en ligne et de la livraison à domicile, l’approvisionnement postal reste une modalité d’acquisition de la cocaïne privilégiée par certains consommateurs. Les commandes sont réalisées sur des plateformes de vente en ligne, qui sont notamment hébergées sur le « darknet » ([92]), ce qui permet à des revendeurs localisés en France ou à l’étranger de proposer à distance des produits stupéfiants. L’expédition est faite par voie postale dans des enveloppes ou des petits colis.
En élargissant sa clientèle, la vente en ligne des produits stupéfiants a aussi eu pour effet de diversifier la gamme des drogues vendues. Il est devenu fréquent que les sites proposent à la revente à la fois du cannabis et de la cocaïne et diversifient leur offre d’herbe et de résine, en proposant plusieurs variétés pour satisfaire une clientèle plus diverse.
En outre, les trafiquants n’hésitent pas à utiliser les réseaux sociaux pour appliquer les stratégies commerciales et publicitaires du commerce licite au marché des stupéfiants. Afin de rester compétitifs dans un contexte de concurrence accrue entre réseaux, les trafiquants utilisent des comptes et profils dédiés sur lesquels ils font la publicité de leurs produits. Ils y publient des vidéos et des photos promotionnelles présentant notamment les variétés de cocaïne ou de cannabis proposées à la vente, les prix, les modalités de livraison, et vantant la qualité des produits stupéfiants vendus. Des campagnes publicitaires sont également menées sur les réseaux sociaux pour proposer des promotions pour le « Black Friday », des échantillons gratuits ou des cadeaux pour récompenser la fidélité ou l’achat de quantité supérieure au gramme par exemple, et ainsi faire découvrir aux consommateurs des produits générant une plus forte dépendance leur permettant d’assurer davantage de revenus sur le long terme.
L’usage par les trafiquants des réseaux sociaux comme plateforme de vente en ligne démontre qu’ils investissent de plus en plus le cyberespace, y compris légal.
Auparavant, le « darknet » était le lieu privilégié de ces transactions de produits illicites. Ce réseau internet opacifié, permettant le partage anonyme de données cryptées, était cependant inaccessible depuis les moteurs de recherche traditionnels, demeurant ainsi d’un accès limité. Aujourd’hui, les trafiquants ont de plus en plus recours aux réseaux sociaux et aux modes de vente en ligne issus du commerce légal (au « clear web »).
Les nouvelles technologies sont également utilisées par les trafiquants pour mieux dissimuler leurs activités illégales. Les organisations criminelles ont recours à des moyens de communication cryptée pour leurs échanges en se mettant à l’abri de l’intervention des forces de sûreté, comme l’illustrent les affaires emblématiques de décryptages des messages échangés sur les réseaux « Encrochat » et « SkyECC ».
Les affaires « EncroChat » et « Sky ECC » : des exemples de coopération internationale ayant permis de mettre au jour les nouvelles méthodes des trafiquants
Les solutions de communications chiffrées « EncroChat » et « Sky ECC », respectivement fournies par des entreprises néerlandaise et canadienne, ont été utilisées par les organisations criminelles pour faciliter leurs échanges. Elles étaient intégrées au sein d’appareils téléphoniques modifiés spécifiquement pour assurer l’anonymat des utilisateurs et la confidentialité des échanges.
Les caméras, microphones et systèmes GPS de ces téléphones étaient désactivés, pour empêcher toute captation des données. Les messages étaient chiffrés et automatiquement supprimés au bout d’un certain temps. Les téléphones disposaient de système de suppression à distance de leur contenu lorsque l’utilisateur entrait un mot de passe particulier.
Les téléphones disposant de la solution de communication « EncroChat » étaient commercialisés à un prix élevé de plus de 1 000 euros et leur fonctionnement nécessitait de payer un abonnement dont le coût mensuel était compris entre 300 et 800 euros.
La présence de telles fonctionnalités destinait ces téléphones à être utilisés par les organisations criminelles.
À partir de 2020, des investigations ont permis d’infiltrer ces solutions et de décrypter les communications des réseaux criminels qui les utilisaient.
Ces opérations ont permis de recueillir plus d’un milliard de messages cryptés échangés par des organisations criminelles, en particulier des trafiquants de produits stupéfiants.
D’une ampleur sans précédent, ces affaires impliquaient plus de 200 000 utilisateurs dans le monde, parmi les criminels les plus dangereux.
Une Operational task force (OTF) a été créée au sein d’Europol réunissant trente-six pays pour exploiter l’ensemble des données recueillies. 15 000 utilisateurs ont pu ainsi être identifiés et ces dossiers ont permis d’organiser plus de 6 500 arrestations. Grâce à ces dossiers, 700 tonnes de produits stupéfiants ont pu être saisies au total, correspondant essentiellement à de la cocaine, et 1,4 milliard d’euros confisqué.
Par ailleurs, l’analyse de ces échanges s’est avérée déterminante dans la compréhension des évolutions de la criminalité organisée. Elle a notamment permis de révéler les modes opératoires des groupes criminels et de mettre en évidence l’explosion du recours à la violence. C’est ainsi qu’ont pu notamment être retrouvés des clichés photographiques de « salles de torture » aménagées au sein de conteneurs capitonnés. Les images des corps mutilés étaient envoyées à des concurrents dans une logique de guerre territoriale et de compétition mafieuse entre réseaux.
Source : audition de M. Quentin Mugg, officier de liaison à Europol du 21 novembre 2024 et contribution écrite de l’office anti-cybercriminalité (OFAC).
La complexification des circuits de vente des produits stupéfiants, le recours accru aux plateformes en ligne, aux réseaux sociaux et aux applications de messagerie chiffrée et le développement de méthodes de dissimulation de plus en plus sophistiquées nécessitent une adaptation des techniques de contrôle notamment pour mieux sécuriser le cyberespace.
Pour tenir compte de ces évolutions, un Commandement du ministère de l’intérieur dans le cyberespace, dénommé le COMCYBER-MI, a été créé en décembre 2023 et regroupe l’ensemble des services du ministère traitant de la lutte contre les cybermenaces. Il est composé de personnels issus de la gendarmerie, de la police nationale, de la Direction générale de la sécurité intérieure, de la préfecture de police de Paris, ainsi que de personnels civils.
Vos Rapporteurs considèrent que l’action de ce nouveau Commandement doit être pleinement intégrée au sein d’une stratégie globale de contrôle et de surveillance des flux en collaboration avec l’ensemble des services de contrôle.
De surcroît, le co-rapporteur M. Antoine Léaument considère que ce Commandement doit être placé sous le contrôle de l’autorité judiciaire et dans le champ de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
2. L’importation maritime : une réalité en pleine expansion donnant lieu à une adaptation constante des organisations criminelles
Le recours à la voie maritime pour importer des produits stupéfiants s’est intensifié ces dernières années.
La « maritimisation » du commerce international a en effet bénéficié au commerce illicite de la cocaïne, acheminée vers l’Europe en employant diverses techniques de dissimulation dans les flux commerciaux légaux, par exemple en utilisant des conteneurs de marchandises.
Les principaux types de produits stupéfiants transitant par le vecteur maritime sont la méthamphétamine, l’héroïne, le cannabis et la cocaïne.
Les saisies de produits stupéfiants en France sur le vecteur maritime en 2023
Les unités de la fonction garde-côtes (FGC) ont saisi en 2023 un total de 33,56 tonnes de produits stupéfiants qui se répartissent comme suit :
– La cocaïne représente 63,4 % des quantités saisies (35 % en 2022). Le volume des saisies de cocaïne a atteint un niveau historiquement élevé de 21,29 tonnes.
– Le cannabis, essentiellement de la résine, représente 14,3 % des quantités saisies avec un volume de 4,86 tonnes.
La zone « Antilles » demeure une zone de trafic majeure pour les flux de cocaïne et de cannabis avec huit saisies pour un volume de 9,76 tonnes.
– 4,77 tonnes d’héroïne ont été saisies ;
– Le volume des saisies de méthamphétamine (2,64 tonnes) confirme la présence croissante de cette substance, observée depuis 2018, avec une augmentation de 1,45 tonne par rapport à 2022.
Source : contribution écrite du secrétariat général de la mer, chiffres issus du « Bilan 2023 – Lutte contre le trafic de stupéfiants en mer – CoFGC ».
Comme le démontre l’augmentation des quantités saisies, la circulation de la cocaïne en France et en Europe est devenue un sujet d’importance majeur. Les saisies de cocaïne ont ainsi augmenté de 189 % entre janvier et septembre 2024 par rapport à la même période l’an passé.
Or, l’essentiel du trafic de la cocaïne à l’échelle mondiale emprunte la voie maritime, ce qui s’explique par la concentration de la production de ce produit stupéfiant au sein de trois pays d’Amérique latine que sont la Colombie, la Bolivie et le Pérou. Ainsi, selon l’OFDT, les trois quarts des saisies de cocaïne sont réalisés sur le vecteur maritime (75 %), ce qui démontre la part essentielle du commerce maritime dans le transport de ce produit illicite ([93]).
Comme le révèle la carte ci-dessous ([94]), trois routes sont principalement utilisées par les trafiquants pour acheminer la cocaïne vers l’Europe :
● La route du sud : cette route vers l’Europe peut être soit directe, des pays producteurs jusqu’aux pays de destination finale, soit indirecte, en empruntant des pays de transit en Amérique du Sud, comme le Brésil. En ce qui concerne la situation de la France, de plus en plus de saisies sont réalisées sur des arrivées en provenance du Brésil, d’Équateur, du Costa Rica ou encore du Venezuela.
● La route des Caraïbes : elle part des pays producteurs et du Venezuela, vers les pays situés dans la mer des Caraïbes en passant également par le Suriname et la Guyane. La République dominicaine et Sainte-Lucie représentent deux territoires sensibles de transbordement.
● La route africaine : cette route part des pays producteurs et rejoint essentiellement le Brésil pour atteindre l’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, les trafiquants ont de plus en plus recours à de nouvelles zones de rebond en Afrique pour tenter d’échapper aux services répressifs et sécuriser les envois (sont notamment concernés le Maroc, le Sénégal, la Guinée, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Mozambique et l’Éthiopie).
Présentation des routes maritimes du trafic de stupéfiants dans le monde
Source : contribution écrite du secrétariat général de la mer.
La France est particulièrement vulnérable aux arrivées de produits stupéfiants par cette voie en raison de l’importance de sa façade maritime (Manche, Atlantique, Méditerranée) et de l’attractivité de ses ports commerciaux (notamment Le Havre, Dunkerque et Marseille). Les îles des Caraïbes sont également des zones stratégiques sur la route des stupéfiants en provenance du Mexique, de la Colombie, de la Bolivie et de l’Équateur. La France constitue également un territoire de transit pour la cocaïne à destination de l’Océanie et de l’Asie du Sud-Est.
C’est ainsi qu’en 2022, sur les 27,7 tonnes de cocaïne saisies par les autorités françaises, 16,3 tonnes avaient été importées par la mer, et 10,4 tonnes avait été saisies dans le port du Havre, tandis qu’1,72 tonne était saisie au port de Marseille. Au 20 juin 2024, le chiffre des saisies de stupéfiants en mer s’élève déjà à 33,6 tonnes ([95]).
Plus généralement, c’est l’Europe dans son ensemble qui doit faire face à l’intensification des importations de produits stupéfiants par la voie maritime. Les Pays-Bas et la Belgique ont ainsi été confrontés à des arrivées massives de cocaïne respectivement dans les ports de Rotterdam et d’Anvers. En 2022, 47 tonnes de cocaïne ont été saisies à Rotterdam et, la même année, plus de 110 tonnes ont été saisies à Anvers. En 2023, il a été procédé à la saisie record de 121 tonnes de cocaïne au port d'Anvers-Bruges, ce qui représente une augmentation de 10 % par rapport à l'année précédente. C’est ainsi que le port d’Anvers est devenu la principale porte d’entrée de la cocaïne en Europe, devant celui de Rotterdam. De manière générale, la grande majorité des drogues illicites qui entrent dans l’Union européenne font l’objet d’un trafic par voie maritime et 70 % des saisies de drogues ont lieu dans les ports de l’Union Européenne (UE) ([96]).
Alors que les ports contribuent à 75 % du volume des échanges extérieurs de l'UE et à 31 % du volume de ses échanges intérieurs ([97]), la pression sur les grands ports européens est constante.
Face à l’ampleur des quantités transitant sur le territoire européen, les grands ports se sont dotés de nouvelles capacités de contrôle renforcé. Ces techniques plus évoluées n’ont cependant pas dissuadé les organisations criminelles qui ont adapté leurs techniques d’importation par la mer.
C’est ainsi qu’à l’instar des autres routes d’importation de produits stupéfiants, l’utilisation de la voie maritime évolue, les groupes criminels adaptant leurs méthodes au renforcement des contrôles en recherchant de nouvelles voies de passage maritime et en sécurisant les moyens d’approvisionnement pour mieux protéger les acheminements de produits stupéfiants. Cette diversification des méthodes impose aux services de contrôle à leur tour d’adapter en permanence les moyens de lutte contre l’importation sur le vecteur maritime.
Dans le contexte déjà évoqué de forte croissance de la production mondiale de cocaïne, qui a doublé entre 2010 et 2020 ([98]), la façade maritime du nord de l’Europe constitue la principale voie d’entrée de ce produit sur le continent. Les organisations criminelles ont principalement ciblé les grands ports du nord-ouest de l’Europe, qui subissent une pression de plus en plus forte.
La quantité importante de cocaïne saisie chaque année dans les ports de Belgique et des Pays-Bas est un indicateur de la disponibilité croissante de ce produit stupéfiant en Europe : la Belgique a saisi 121 tonnes de cocaïne sur le vecteur maritime en 2023, dont 116 tonnes dans le seul port d’Anvers (contre 4 tonnes en 2009 dans le même port). Les Pays‑Bas ont sur ce même vecteur saisi 57 tonnes de cocaïne ([99]). Le fait que les grands ports fassent l’objet d’un intérêt croissant des groupes criminels y a entraîné une intensification des phénomènes d’extrême violence et de corruption.
Comme le relève le rapport conjoint élaboré par Europol et le comité de pilotage de la sécurité des ports d’Anvers, de Hambourg/Bremerhaven et de Rotterdam sur les réseaux criminels dans les ports de l’UE ([100]), les ports sont particulièrement vulnérables à l’infiltration des réseaux criminels en raison de leurs caractéristiques intrinsèques : il s’agit de structures ouvertes, nécessairement accessibles, parfois automatisées, qui traitent de gros volumes d’importation, qui sont connectées à d’autres plateformes de transport et de logistique, et qui comprennent en leur sein un grand nombre d’entreprises et de personnels.
Si les saisies sont moindres dans les ports français que dans les plus grands ports du nord de l’Europe en raison de capacités logistiques plus limitées, plusieurs infrastructures portuaires françaises sont désormais la cible des trafiquants. C’est principalement le cas au Havre et, dans des proportions moindres, de Dunkerque, Marseille et Saint-Nazaire ([101]), comme le montre le graphique ci-dessous.
Évolution des chiffres des saisies de cocaïne dans les principaux ports français entre 2020 et 2022
Source : contribution écrite du Secrétariat général de la mer.
C’est ainsi que le grand port maritime du Havre, dans lequel s’étaient rendus sous la précédente législature les rapporteurs de la mission d’information de même objet, est devenu la principale porte d’entrée de la cocaïne sur le territoire hexagonal. En 2022 par exemple, 75 % des saisies de cocaïne (représentant un volume de 27,7 tonnes) ont été effectuées sur le vecteur maritime ([102]) dont 10,4 tonnes de cocaïne dans le port du Havre. Selon l’OFAST, en 2023, ce sont 5,2 tonnes de cocaïne qui ont été saisies au port du Havre et 10,6 tonnes au total ont déjà été saisies au 30 septembre 2024.
Les ports ultramarins ne sont pas davantage épargnés, ceux de Fort-de-France en Martinique, le complexe de Jarry en Guadeloupe et Dégrad-des-Cannes en Guyane étant majoritairement concernés et constituant des lieux de rebond privilégiés pour l’acheminement de la cocaïne.
Les ports français de la zone caraïbe sont en effet positionnés au plus près des pays de production sud-américains et situés sur des routes historiques du transport maritime mondial. À titre d’exemple en 2022, le volume des saisies de cocaïne effectuées aux Antilles en lien avec le vecteur maritime s’est élevé à près de 1,2 tonne ([103]). À la même période, les saisies dans les ports de commerce de l’Hexagone en provenance des Antilles ont par ailleurs atteint 6,7 tonnes ([104]).
Face au renforcement des contrôles dans les grands ports européens, les techniques d’importation par le vecteur maritime ont également évolué, démontrant la flexibilité des réseaux de trafiquants et leur capacité à améliorer et diversifier leurs méthodes d’importation ainsi que les moyens de transport de la cocaïne.
Si la majorité de la cocaïne est acheminée depuis l’Amérique latine par fret maritime conteneurisé ou dans des caches jusqu’à quai, les trafiquants utilisent également des voiliers de plaisance ou des ferries de transport de passagers. C’est ainsi qu’aux côtés des grands ports commerciaux, les ports de plaisance sont également devenus des portes d’entrée de la cocaïne en Europe (voir infra) ([105]).
L’acheminement par conteneur : la technique du « rip off » encore largement utilisée par les trafiquants pour importer des stupéfiants sur le vecteur maritime
La technique dite du « rip off » consiste à « contaminer » les marchandises légales envoyées par des sociétés régulières par conteneur sur le fret maritime en insérant des produits stupéfiants dans ce conteneur soit au départ de la marchandise, soit lors d’une rupture de charge dans un pays d’escale. Les scellés sont alors brisés, et parfois ressoudés quasiment à l’identique par les trafiquants.
Une fois le produit arrivé à destination, des complices du réseau attendent le bon moment pour récupérer la marchandise.
Les contrôles dans les ports, notamment au moyen des scanners, sont l’un des moyens de repérer ces marchandises non déclarées.
Les techniques d’acheminement ont aussi évolué, avec un recours accru au transbordement de la drogue avant l’arrivée dans les ports principaux européens. Cette technique de transfert de la marchandise consiste à changer de moyen de transport sur le vecteur maritime en cours d’acheminement : le navire approvisionné en produits stupéfiants (appelé « navire mère ») donne un rendez-vous à un autre navire, par exemple un navire de pêche (le « navire fille ») qui récupère la marchandise par un transbordement au large ([106]) avant de la transporter dans de petites installations portuaires. Ce mode opératoire permet de gagner en discrétion lors du transport puis de la livraison des produits stupéfiants.
Une illustration de la capacité d’adaptation des organisations criminelles de trafiquants de produits stupéfiants : l’apparition de nouvelles stratégies pour déjouer les contrôles sur le vecteur maritime à travers la technique du « drop off »
En 2023 le volume de saisies de la cocaïne au port du Havre a diminué. L’OFAST explique cette diminution par l’adaptation des organisations criminelles qui, pour mieux déjouer l’intensification des contrôles sur le vecteur maritime, ont fait évoluer leurs méthodes d’importation de la cocaïne.
C’est ainsi qu’il a pu être constaté un développement du phénomène du « drop off ». Il s’agit de procéder à des transbordements en mer de la cocaïne, qui s’échouent sur les côtes françaises, en premier lieu dans la Manche et la mer du Nord, mais également sur la façade atlantique.
Source : contribution écrite de l’OFAST.
De même, profitant du progrès des moyens technologiques, les trafiquants utilisent des moyens de plus en plus perfectionnés pour sécuriser leur cargaison de produits stupéfiants. Ils ont par exemple recours à des balises « Bluetooth », notamment des « smart tags » ([107]) qui sont des dispositifs de traçage, pour faciliter la géolocalisation des stupéfiants. De tels équipements placés dans des conteneurs facilitent également la détection par les trafiquants de la présence de moyens de communication parasites et de dispositifs de captation aux abords de la cargaison et sont ainsi de nature à déjouer les interventions des forces de l’ordre visant à surveiller la cargaison.
La diversification des stratégies de transport des produits stupéfiants sur le vecteur maritime
Les organisations criminelles impliquées dans le trafic de produits stupéfiants font preuve d’ingéniosité dans l’adaptation de leurs techniques d’importation afin de déjouer l’action des autorités de contrôle. Sur le vecteur maritime, une grande variété de méthodes d’acheminement sont ainsi employées, de la plus simple à la plus sophistiquée :
– La dissimulation à bord du navire : les produits stupéfiants peuvent être dissimulés à de nombreux endroits au sein d’un navire, notamment dans des caches aménagées, des cuves à carburant ou des conduits. Dans certains cas, ces caches sont particulièrement sophistiquées et aménagées au sein de la structure même du navire. Par exemple, des produits stupéfiants ont pu être retrouvés moulés dans la structure d’un navire ou dans des paquets disposant d’aimants magnétisés qui sont ensuite fixés à la structure à l’intérieur du navire. De même, la cocaïne peut être dissimulée dans le carburant du navire.
– La contamination subaquatique ou la dissimulation sous coque : les produits stupéfiants sont dissimulés au sein de dispositifs « parasites » attachés par des cordages et à des anneaux soudés à la coque des navires. Certains d’entre eux sont équipés de chambre à air pour les faire flotter et de valves avec des compresseurs pour injecter de l’eau et s’immerger pour mieux échapper aux inspections sous-marines des autorités.
– Le recours aux narco-plongeurs et aux nageurs : des plongeurs sont aussi chargés de dissimuler ou de déposer la marchandise sous la ligne de flottaison des navires. Parfois, les trafiquants peuvent faire appel à un nageur chargé de transporter les produits stupéfiants et d’assurer la livraison de la cargaison généralement sur de petites distances, le long des côtes et pour de petits volumes. Cette méthode a déjà été employée dans le détroit de Gibraltar où le nageur transportait 5 kg de résine de cannabis.
– Le transport de produits stupéfiants par passagers clandestins à bord des navires.
– L’utilisation de bouées radio ou satellitaires : les bouées sont équipées de balises réglées sur des fréquences uniquement utilisées par les trafiquants.
– L’utilisation de drones sous-marins ou de surface : il a été découvert un drone spécifiquement construit pour le transport de stupéfiants, qui disposait d’aimants pour se fixer à la coque de cargos traversant l’Atlantique. Une fois à moins de 100 miles des côtes européennes, l’opérateur peut ainsi détacher le drone et connaître sa position GPS.
– L’utilisation de moyens submersibles et semi-submersibles et la multiplication des vecteurs de transport : tous les types de navires sont susceptibles d’être utilisés par les organisations criminelles pour le transport de stupéfiants (navires transporteurs de bétail, voiliers, remorqueurs, kayaks…).
Source : contribution écrite du secrétariat général de la mer.
Face au perfectionnement des méthodes de transport des produits stupéfiants sur le vecteur maritime, la sécurisation des infrastructures portuaires apparaît essentielle.
● Scanners fixes et mobiles : augmenter le potentiel de contrôle sans entraver la compétitivité des ports
Depuis 2022, la Commission interministérielle de sûreté maritime et portuaire (CISMaP) ([108]) a fait de la lutte contre le trafic de stupéfiants dans les ports une priorité et défini plusieurs mesures ciblant prioritairement les ports de commerce touchés au premier chef par le trafic de stupéfiants.
L’amélioration des outils de contrôle des marchandises a ainsi été identifiée comme un axe de travail essentiel pour renforcer et faciliter les contrôles sans toutefois créer de ralentissements susceptibles de rendre les ports français moins compétitifs que leurs voisins européens.
Les différents moyens techniques employés pour assurer le contrôle des marchandises au sein des ports sont des scanners qui peuvent répondre à différentes caractéristiques :
– les scanners fixes : ils sont très puissants, mais exigent une emprise au sol suffisamment importante pour se conformer aux attentes de l’Autorité de sûreté nucléaire en matière de protection face aux radiations, et un personnel formé pour les utiliser ([109]) ;
– les scanners mobiles spéciaux (SMS), qui sont des camions équipés pour une utilisation en itinérance, moins précis que les scanners fixes mais plus facilement déployables sur le terrain ;
– les camionnettes scanners, qui répondent également à ce besoin de mobilité, avec une puissance moindre que celle des SMS, mais permettent de contrôler un conteneur en moins de deux minutes.
À cet égard, l’une des mesures décidées par la CISMaP consiste en la mise en place de zones de contrôle dédiées aux conteneurs dans lesquelles seront systématiquement installés des scanners mobiles ([110]) destinés à faciliter les contrôles mis en œuvre par la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) au sein de dix ports prioritaires ([111]). La mise en place de ce dispositif est prévue de manière progressive d’octobre 2024 à mars 2025 ([112]).
Trois de ces ports, Le Havre, Dunkerque et Marseille-est, devraient également être équipés de véhicules scanners.
Ces dispositifs permettront de compléter le contrôle par scanner fixe, équipement mis en œuvre aujourd’hui dans le port du Havre, et qui permet de contrôler six à huit conteneurs par jour. Le dispositif de scanner mobile permettra de multiplier par six le nombre de conteneurs contrôlés.
Vos Rapporteurs saluent l’arrivée de ces nouveaux scanners plus puissants et estiment que la mise en œuvre de ces dispositifs est nécessaire pour améliorer et fluidifier les contrôles au sein des ports, qui sont aujourd’hui des zones stratégiques pour l’entrée sur le territoire des produits stupéfiants.
Ils jugeraient utile de déployer le plus rapidement possible ces dispositifs à d’autres ports, conscients du risque de déport du trafic vers des ports secondaires en cas de renforcement des contrôles sur les ports jusqu’alors principalement utilisés par les organisations criminelles.
Recommandation n° 3 : généraliser le recours aux scanners dans les ports
Déployer des scanners dans tous les ports où les services des douanes signalent un besoin et expertiser la possibilité et l’utilité d’installer des scanners fixes dans les grands ports français sur le modèle du Havre.
● Pour réduire la vulnérabilité des grands ports, le renforcement de la coopération européenne est une impérieuse nécessité.
Celle-ci se met en place progressivement. L’Union européenne encourage par exemple la mise en œuvre d’initiatives régionales, adaptées aux réalités locales. L’OFAST a notamment souligné l’existence d’une coalition d’États européens (France, Pays-Bas, Belgique, Espagne, Allemagne, Italie) sur le trafic par voie maritime et la vulnérabilité des ports européens.
De manière plus récente, une Alliance des ports de l’Union européenne, a été lancée le 24 janvier 2024 par la Commission, conformément à la feuille de route de l'Union européenne pour la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, publiée en octobre 2023 ([113]).
L’Alliance des ports européens : un partenariat public-privé destiné à renforcer la résilience des ports
La feuille de route de l’Union européenne en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée a annoncé, parmi ses mesures prioritaires, la mise en place d’une « Alliance des ports européens » destinée à renforcer la résilience des plateformes logistiques.
Le partenariat associe les États membres, les autorités portuaires, des associations européennes, des agences européennes (Europol, OEDT) et des représentants des autorités douanières.
L’Alliance a pour objectifs de :
– mobiliser les autorités douanières contre le trafic de drogue afin d'améliorer la gestion des risques et de réaliser des contrôles plus ciblés et plus efficaces dans les ports ;
– renforcer les opérations répressives dans les ports et contre les organisations criminelles orchestrant le trafic de drogue, avec le soutien d'Europol, d'Eurojust et du Parquet européen et au moyen d'actions spécifiques menées au sein de la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles ;
– mettre en place un partenariat public-privé contribuant à la lutte contre le trafic de drogue afin de sensibiliser les différents acteurs, mais aussi de soutenir les autorités portuaires et les compagnies maritimes privées dans leur rôle dans la lutte contre le trafic de drogue et l'infiltration par des réseaux criminels.
Une telle coordination au niveau européen apparaît essentielle pour homogénéiser les procédures applicables en matière portuaire et en assurer l’efficacité. En effet, toute faille dans les processus de contrôle est exploitée par les organisations criminelles, qui cherchent à implanter le trafic de stupéfiants dans les places portuaires les moins protégées.
De même, les opérations « Hazeldonk » visent à réunir la France, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg afin de lutter de manière transfrontalière contre les réseaux organisés de distribution de drogue. Sur la base d’un plan d’action opérationnelle 2021-2024, structuré autour de trois piliers (échange d’informations et d’expertise, approche des réseaux de distribution de stupéfiants, actions de contrôle), ces actions de coopération permettent un partage d’informations et une union des forces à travers l’organisation d’opérations de contrôle.
Vos Rapporteurs soulignent l’intérêt de ces dispositifs de coopération, qui permettront aux ports français de tirer profit des expériences des autres ports afin de mieux anticiper la menace et d’ajuster les moyens nécessaires pour y faire face. Sur le plan interne, cela suppose de doter les services de l’État d’un matériel suffisant non seulement pour contrôler les marchandises, mais aussi pour mieux sécuriser les ports.
Surtout, le renforcement des mesures de sécurité conduites dans les grands ports du nord de l’Europe, et la capacité d’adaptation constante des organisations criminelles, qui cherchent avant tout à sécuriser le transit des marchandises illicites, doit conduire la France à se préparer activement à un report possible vers ses ports, principaux mais aussi secondaires.
Aux côtés des grands ports commerciaux européens, d’autres ports métropolitains servent aujourd’hui de point d’entrée de la cocaïne sur le territoire français. Les trafiquants ont en effet de plus en plus recours aux ports secondaires pour déjouer les contrôles renforcés mis en place dans les grands ports.
Comme le montre la carte ci-dessous, qui matérialise les différentes routes d’importation vers l’Europe de la cocaïne en distinguant les vecteurs d’acheminement utilisés, il existe une grande diversité dans les modes de transport de la cocaïne employés sur le vecteur maritime. L’étude des modes d’acheminement de la cocaïne sur ce vecteur révèle une utilisation accrue des petits navires de pêche ou des voiliers, au lieu des porte-conteneurs, qui sont destinés à transiter par des ports de plaisance plus petits.
Routes du trafic et modes d’acheminement de la cocaïne vers l’Europe
Sources : « La cocaïne : un marché en essor. Évolutions et tendances en France (2000-2022) », OFDT, mars 2023.
Ainsi, les ports de capacité inférieure, et notamment les ports fluviaux de l’hinterland de la façade Manche-Mer du Nord, Rouen et Gennevilliers, ou encore ceux de Nantes-Saint-Nazaire, sont eux aussi utilisés pour acheminer la cocaïne sur le territoire ([114]).
Ce phénomène de « déport » de l’importation, sur des ports plus petits dont les ports de plaisance moins exposés aux contrôles, permet aux trafiquants de déjouer les nouvelles stratégies de contrôle renforcé déployées sur les grands ports européens.
Les enceintes de ces ports secondaires sont en effet parfois moins sécurisées, avec une liberté de circulation plus importante, de nature à faciliter les entrées de personnes non habilitées et la sortie des produits stupéfiants de la zone réglementée.
● Développer la culture du renseignement
Pour faire face au développement du trafic de stupéfiants dans le secteur de la plaisance, le renseignement maritime apparaît crucial car il est impossible de procéder au contrôle systématique de tous les navires de plaisance et bateaux de pêche.
Seuls des contrôles ciblés, sur la base d’opérations de renseignement préalables, permettent de lutter efficacement contre ces nouvelles techniques discrètes d’importation de produits stupéfiants.
Le secrétariat général de la mer a ainsi insisté sur l’utilité du centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants « MAOC-N » pour lutter efficacement contre le trafic par voie maritime. Ce centre permet aujourd’hui par un partage de l’information d’intercepter plus facilement les navires porteurs de stupéfiants.
Le « MAOC-N » (maritime analysis and operations centre) : le centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants
Agence internationale basée à Lisbonne, le « MAOC-N » est un organisme de coopération auquel participent la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni.
Inauguré en 2007, il rassemble des officiers de liaison détachés membres de la police, des douanes, de la gendarmerie et de la marine nationale.
Les missions de cet organisme de coordination opérationnelle et de partage d’informations sont multiples :
- recueillir et évaluer des informations, afin d'aider à déterminer les meilleurs choix opérationnels en matière de lutte contre le trafic illicite de stupéfiants par voie maritime et aérienne dans la zone des opérations ;
- renforcer le renseignement à travers l'échange d'informations entre les parties et, de manière appropriée avec Europol ;
- s'efforcer de veiller à la disponibilité des moyens des différents États membres, afin de faciliter les opérations d'interception.
Par ailleurs, les moyens technologiques tels que les drones ou les radars mis en œuvre par les services de contrôle offrent aujourd’hui de nouveaux moyens d’obtenir des données permettant de renforcer le renseignement criminel pour mieux cibler les actions de contrôle. Le secrétariat général de la mer a ainsi annoncé l’installation de deux radars au début de l’année 2025 aux Antilles pour mieux surveiller les flux de bateaux et faciliter les interceptions ([115]).
Enfin, une cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) nationale dédiée aux problématiques portuaires a été créée pour répondre spécifiquement aux enjeux liés à l’importation par la mer de produits stupéfiants. Co-pilotée par l’Office antistupéfiants (OFAST) et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et associant la gendarmerie maritime, la police aux frontières, le renseignement territorial et les services territoriaux concernés, elle a vocation à recueillir, traiter, enrichir et diffuser les renseignements relatifs au trafic de stupéfiants via les ports commerciaux. Ce travail de renseignement favorise l’identification des groupes criminels impliqués dans le trafic ainsi que des personnels privés et publics susceptibles d’être compromis, tout en apportant un éclairage sur les nouvelles routes et modes opératoires employés. Ces informations permettent aux services d’adapter les stratégies de contrôle pour les rendre plus efficaces.
● Mieux sécuriser l’ensemble des ports
Alors que les grands ports maritimes sont des établissements publics de l’État, la plupart des ports de plaisance sont gérés par une commune ou une intercommunalité. La CISMaP a donc intégré la mise en œuvre d’une mesure visant à y favoriser une culture de sûreté plus affirmée, en lien avec la fédération française des ports de plaisance (FFPP). À ce titre, un protocole avec les services de garde-frontières a été signé avec la FFPP afin de mieux informer et d’inciter les plaisanciers au respect des dispositions du code Schengen.
Par ailleurs, le secrétariat général de la mer a annoncé la rédaction d'un guide dédié aux questions de sûreté au sein des ports de plaisance. Ce document didactique et incitatif sera centré sur la prévention et la lutte contre la malveillance en promouvant une logique de partenariats locaux entre les ports de plaisance et les forces de sécurité intérieure compétentes ([116]).
Sous l’impulsion de la CISMaP, dix ports prioritaires, identifiés comme particulièrement concernés par le trafic de stupéfiants ([117]), ont été dotés d’équipements de sûreté portuaire renforcés grâce au déploiement d’une protection physique périmétrique, de mesures de contrôle d’accès et de vidéoprotection, de dispositifs de lecture automatique des plaques d’immatriculation ainsi que de moyens de traçabilité physique des conteneurs et des véhicules ([118]).
Vos Rapporteurs saluent les efforts de sécurisation menés en particulier au sein des ports de Guyane. Lors de leur déplacement en décembre 2024 ([119]), ils ont en effet été sensibilisés aux enjeux du trafic de stupéfiants, et en particulier de la cocaïne, arrivant par voie maritime sur le territoire guyanais.
L’enjeu prioritaire est de limiter les points de débarquements sur le territoire à un seul bac international, situé à Saint-Laurent-du-Maroni. En effet, dans la réalité, il existe de multiples points de débarquements en raison des flux de population et de marchandises importants aux frontières, notamment entre Albina, située au Suriname, et Saint-Laurent-du-Maroni, séparés d’environ deux kilomètres par le fleuve Maroni.
Ils soulignent également l’intérêt des opérations de sécurisation et de contrôle de la circulation sur le fleuve Maroni, à la frontière entre le Suriname et la Guyane. L’opération dite « ATIPA » coordonnée par la police aux frontières avec l’appui de la gendarmerie nationale, des douanes, de la police militaire surinamaise et de la police municipale de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, vise notamment à effectuer des contrôles de pirogue renforcés sur les dégrades pour empêcher les marchandises illégales d’arriver sur notre sol (drogues, armes, matériel d’orpaillage illégal) tout en sécurisant la traversée pour les personnes.
Au-delà de ces initiatives menées dans le cadre de la CISMaP, le secrétariat général de la mer a insisté sur la nécessité de renouveler l’action du groupe interministériel de sûreté des transports maritimes et des opérations portuaires (GISTMOP). Cette enceinte, instaurée par le code des transports ([120]) n’est pas réunie de manière suffisamment régulière, ce qui nuit à son efficacité.
Vos Rapporteurs considèrent que cette instance de concertation, qui a notamment pour mission de définir les actions permettant d’assurer et de renforcer la sûreté des navires et des ports maritimes, devrait être pleinement mobilisée pour renforcer la stratégie de sécurisation des espaces portuaires contre le trafic de stupéfiants.
Enfin, le secrétariat général de la mer a évoqué la mise en place d’un plan global de sécurisation du port du Havre contre le trafic de stupéfiants piloté par l’office français antistupéfiants (OFAST).
Ce plan global de sécurisation s’appuie notamment sur le système des codes TCT (« token code for truckers »), dispositif rendu obligatoire au sein du port du Havre depuis le 1er mars 2023.
Il s’agit d’un système de sécurisation du retrait des marchandises conteneurisées qui s’applique pour les conteneurs « imports pleins ». Un code « token » unique est généré au moment du calcul de l’autorisation de sortie du conteneur de l’emprise portuaire et transmis par courriel au professionnel ayant la qualité de donneur d’ordre et au terminal à conteneurs, au sein de systèmes informatiques, et ce de manière cryptée. Sans composition de ce code, associé au numéro du conteneur concerné, le chauffeur du transporteur mandaté ne peut procéder au retrait du conteneur. Ce dispositif permet de prévenir les « extractions » de conteneurs remplis de produits stupéfiants à l’extérieur du port.
Ce plan de sécurisation devrait également être décliné dans d’autres ports sensibles, notamment en outre-mer, par exemple aux Antilles et en Guyane.
Vos Rapporteurs saluent ces initiatives de sécurisation mais souhaitent insister sur la nécessité de généraliser et pérenniser ces plans et de les adapter aux vulnérabilités particulières de chaque port dans lequel ils sont destinés à être appliqués.
c. Le contournement des ports par la technique du « drop off » : la nécessité d’adopter une stratégie globale de contrôle en mer
La méthode dite du « drop off » est une technique de largage volontaire qui consiste à jeter des produits stupéfiants à la mer. Ces largages s’effectuent généralement depuis des navires de commerce. Des colis sont jetés à la mer avant d’être récupérés par d’autres navires, généralement des navires de plaisance ou de pêche, à l’aide d’un système de géolocalisation.
Depuis 2023, l’usage de cette technique d’acheminement des stupéfiants est de plus en plus fréquent. Par exemple, en 2023, en zone gendarmerie, trois tonnes au total de produits stupéfiants ont été saisies, les ballots ayant été découverts échoués sur le littoral ou dérivant en pleine mer ([121]).
L’intensification du recours à cette méthode s’explique notamment par le renforcement des contrôles dans les grands ports de la façade Atlantique, particulièrement du port du Havre, contraignant les organisations criminelles à adapter leurs méthodes d’importation sur le secteur maritime. Ces nouvelles stratégies démontrent l’agilité et les capacités d’adaptation des organisations criminelles qui usent de méthodes clandestines toujours plus difficiles à détecter pour les services de sécurité.
● Renforcer les capacités de contrôle en mer
Pour répondre efficacement aux enjeux de la lutte contre le trafic de stupéfiants sur le vecteur maritime, les actions de contrôle doivent se déployer non seulement au sein des ports, mais également en mer. Ces actions permettent la saisie des produits illicites au stade de leur transport, avant que les stupéfiants ne puissent entrer sur le territoire national.
L’action de l’État en mer, au travers de l’intervention des administrations de la fonction garde-côtes ([122]) est donc essentielle pour intercepter en mer des navires transportant des produits stupéfiants.
Les contrôles en mer des navires étrangers sont effectués dans le respect de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants du 20 décembre 1988, dite Convention de Vienne. Son article 17 définit les modalités dans lesquelles les États parties peuvent arraisonner des navires étrangers suspects et visiter ces navires. Il prévoit notamment que l’accord de l’État du pavillon doit être recueilli préalablement. Pour mettre en œuvre cette procédure, les États parties doivent désigner une autorité nationale compétente qui est tenue de répondre « sans retard » à toute demande ([123]).
Lorsqu’il est retrouvé des produits stupéfiants sur le navire, la procédure de « dissociation », prévue à l’article 11 de la loi du 15 juillet 1994, permet une action rapide et redoutable pour les trafiquants puisqu’elle les prive directement de la marchandise illicite transportée. Cette procédure permet en effet de procéder à la destruction des produits stupéfiants, après prélèvement d’un échantillon, y compris lorsque les membres d’équipage ne font l’objet d’aucune poursuite judiciaire par les autorités françaises. La décision de destruction est prise soit par le procureur de la République ou le juge d’instruction, soit par le représentant de l’État en mer après accord préalable du procureur de la République ([124]).
La possibilité d’arraisonner et de visiter des navires étrangers suspects est donc très utile dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Toutefois, le secrétariat général de la mer a signalé à vos Rapporteurs ([125]) des difficultés dans la mise en œuvre des dispositions de la Convention de Vienne, en précisant que les États parties ne mettaient pas tous systématiquement à jour les coordonnées des autorités compétentes désignées et que certaines de ces autorités adoptaient des processus de décision très longs, incompatibles avec l’efficacité de la conduite de l’opération d’arraisonnement.
À titre d’illustration, la Pologne ne dispose plus aujourd’hui d’autorité nationale compétente, ce qui empêche de faire application de l’article 17 de la Convention de Vienne. Il est ainsi devenu impossible d’arraisonner un navire suspect battant pavillon polonais et les organisations criminelles profitent de cette situation comme le laisse présumer la récente augmentation des immatriculations sous pavillon polonais.
Alors que le vecteur maritime est de plus en plus utilisé par les groupes criminels de trafiquants pour acheminer les produits stupéfiants, vos Rapporteurs estiment que la coopération internationale est déterminante pour renforcer efficacement les actions de contrôle. Chaque pays, qu’il soit producteur, consommateur ou zone de transit, est en effet directement concerné par la menace que fait peser le développement du trafic de stupéfiants à l’échelle mondiale.
Vos Rapporteurs constatent que le cadre juridique de la procédure permettant d’arraisonner des navires suspects étrangers prévu par l’article 17 de la Convention de Vienne est aujourd’hui inadapté à l’intensification du trafic de stupéfiants.
Ils déplorent que l’action de contrôle des navires soit limitée par l’impossibilité de contourner les lacunes d’un État étranger qui ne serait pas en mesure de désigner une autorité compétente pour donner son accord à l’opération d’arraisonnement ou qui ne répondrait pas dans des délais utiles. Il leur paraît donc essentiel de repenser la procédure applicable en prévoyant la possibilité d’arraisonner et de visiter le navire suspect étranger en l’absence de réponse de l’État étranger dans un délai raisonnable.
Recommandation n° 4 : modifier la procédure permettant d’arraisonner des navires suspects étrangers pour faciliter le contrôle de ces navires
Renégocier le cadre juridique international applicable aux opérations d’arraisonnage des navires suspects étrangers pour permettre d’arraisonner le navire en l’absence de réponse de l’État étranger dans un délai raisonnable.
La présence de grands « hub » aéroportuaires en métropole, notamment à Roissy et Orly, rend la France particulièrement vulnérable aux arrivées de stupéfiants par la voie aérienne.
Le vecteur aérien est majoritairement utilisé pour l’importation de la cocaïne en Europe. Le trafic de cocaïne en provenance de la zone Antilles-Guyane a connu un essor considérable au cours des dernières années. Les aéroports d’outre-mer, notamment ceux de Guyane, de Martinique et de Guadeloupe constituent des zones de transit particulièrement utilisées par les trafiquants : plus de la moitié de la cocaïne saisie dans l’Hexagone en 2022 a ainsi transité par ces départements ([126]). La DGGN estime aujourd’hui que 15 à 20 % des entrées de cocaïne dans l’Hexagone proviennent de ces territoires ([127]).
En raison de leur proximité avec les principaux pays producteurs de cocaïne, les Antilles et la Guyane constituent ainsi des zones stratégiques du trafic de cocaïne destinée à l’Europe.
Pour importer des produits stupéfiants par la voie aérienne, les trafiquants ont aussi bien recours au fret express et postal qu’aux « passeurs » empruntant des vols commerciaux. En infiltrant différents modes de transports, des marchandises, des colis et des passagers, les organisations criminelles cherchent essentiellement à saturer les services de contrôle, dans une logique de multiplication des vecteurs de transport de la drogue.
a. L’importation par fret express et postal
Le fret express et le fret postal sont des modes d’acheminement des produits stupéfiants de plus en plus utilisés par les trafiquants, notamment pour les drogues de synthèse. Le fret aérien est particulièrement attractif en raison de la rapidité du transport.
La DGPN souligne ainsi l’utilisation massive du fret express et postal pour expédier des drogues de synthèse à l’international depuis les plateformes logistiques franciliennes.
Il a été observé que les organisations criminelles impliquées dans la production de drogues de synthèse en Europe, notamment aux Pays-Bas, traversent désormais la frontière française pour les expédier depuis la France à destination des marchés américains et australiens. Ce phénomène de déterritorialisation des points d’expédition permet aux trafiquants de réduire les risques de détection du trafic et de saisie des produits stupéfiants ([128]).
Le fret express et postal est également utilisé pour acheminer de l’« ice » jusqu’en Polynésie française, où cette drogue de synthèse est particulièrement consommée. Fabriquée aux États-Unis, la drogue est transportée jusqu’en Polynésie principalement par voie aérienne, soit par le biais de colis transitant par avion, soit à l’aide de passeurs.
Il en est de même pour l’acheminement de la cocaïne de la Guyane vers l’Hexagone, les trafiquants utilisant tant les passeurs que le fret express postal dans une stratégie de saturation des dispositifs de contrôle.
Pour illustrer la place grandissante du fret express et postal dans l’acheminement de produits stupéfiants, la DGGN a souligné la création, depuis le 7 novembre 2023 d’un groupe de travail chargé de traiter les colis de stupéfiants au sein de la section de recherches de Fort-de-France. Depuis sa mise en place, ce groupe de travail a déjà intercepté 207 colis de stupéfiants, permettant la saisie de 32 kg de cocaïne et de 175 kg de résine de cannabis ([129]).
La CROSS nationale thématique dédiée à l’aéroportuaire inclut d’ailleurs dans son périmètre de compétence les enjeux liés au fret express et postal en matière de criminalité aéroportuaire et s’intéresse notamment aux complicités au sein des sociétés de fret permettant de faciliter l’envoi de produits stupéfiants par ces vecteurs.
b. Le recours aux « passeurs » transportant des produits stupéfiants : le phénomène des « mules »
L’importation par la voie aérienne se fait également par l’intermédiaire de « passeurs ». Ces passagers, qui sont désignés sous le terme de « mules », empruntent des vols commerciaux et sont chargés de transporter des produits stupéfiants qu’ils dissimulent soit dans des bagages, soit sur leur corps (ce mode de transport est dit « extra corpore »), ou bien qu’ils ingèrent (transport « in corpore »).
Sous la précédente législature, les rapporteurs de la mission d’information de même objet s’étaient rendus à l’aéroport d’Orly, au mois de février 2024, et s’étaient fait présenter les dispositifs de contrôle des passagers mis en place par les services des douanes.
Le recours aux « mules » touche principalement l’importation de la cocaïne, notamment au départ de la Guyane pour assurer son acheminement jusque dans l’Hexagone. C’est la raison pour laquelle vos Rapporteurs ont souhaité se rendre en Guyane pour mieux mesurer les enjeux particuliers soulevés par le trafic de cocaïne par le vecteur aérien.
La Guyane est particulièrement touchée par le trafic de stupéfiants et en particulier de cocaïne, tenu par des réseaux d’organisations criminelles solidement implantés sur le territoire. Ces groupes se livrant au trafic de drogue sont essentiellement des « factions criminelles » d’origine brésilienne ([130]). Ces mafias sont les émanations de groupes implantés depuis plusieurs décennies au Brésil spécialisés dans diverses activités criminelles (par exemple l’orpaillage, le trafic d’armes, l’immigration illégale ou encore le racket) et notamment dans le trafic de stupéfiants.
Ces organisations criminelles ont importé sur le territoire guyanais de nouvelles méthodes qui se caractérisent par une forte structuration du trafic, la recherche d’une occupation du territoire et le recours à l’extrême violence.
Comme en témoigne l’importante circulation des armes à feu sur le territoire guyanais, principalement en provenance des États-Unis et arrivant par le Suriname, les méthodes employées par ces factions sont particulièrement agressives. En 2024, une centaine d’armes à feu ont ainsi été saisies uniquement à Cayenne par les services de la police nationale ([131]) et 395 armes l’ont été en zone gendarmerie ([132]). Le commandement de gendarmerie a ainsi indiqué à vos Rapporteurs que sur les 50 règlements de compte annuels en lien avec des guerres de territoire dénombrés en zone gendarmerie, 25 avaient eu lieu en Guyane ([133]).
Le travail des forces de sécurité intérieure est également compliqué par les spécificités locales qui singularisent le territoire. En Guyane, une grande partie de la population vit au sein d’habitats dit « spontanés » ou « informels ». Dans ces zones, il est impossible de circuler en véhicule et il est très difficile de localiser précisément un individu soupçonné. Par ailleurs, les perquisitions n’étant possibles que dans les heures légales, entre 6 heures et 21 heures ([134]), il est fréquent que ces opérations échouent en raison des habitudes de vie locales dues aux heures de lever et de coucher du soleil au niveau de l’Équateur : à 6 heures, la majorité de la population est déjà réveillée, si bien que l’effet de surprise recherchée par une interpellation ou une visite domiciliaire à l’aube est manqué.
Les difficultés locales, en particulier sociales, sont fortement marquées à Saint-Laurent du Maroni où vos Rapporteurs se sont rendus. La ville devrait devenir sous peu la plus peuplée de Guyane. Si officieusement sa population s’élève à 50 000 habitants, on estime en réalité que la ville compterait au total entre 80 000 et 100 000 habitants ([135]). La population officieuse est surtout concentrée dans des habitats spontanés. Le nombre d’élèves scolarisés est estimé entre 11 000 et 25 000, l’âge médian étant de 17 ans. La maternité de Saint-Laurent-du-Maroni est également la deuxième maternité de France, derrière celle de Mamoudzou à Mayotte, et compte 10 naissances par jour, soit 3 500 par an.
Dans ce contexte, le trafic de stupéfiants prospère sur la pauvreté de la population locale et le manque de perspectives d’avenir de la jeunesse.
Selon la DGGN, la quantité de produits stupéfiants transitant chaque année sur des vols commerciaux entre Cayenne et Paris serait de l’ordre de 4 à 6 tonnes ([136]).
Ce trafic repose sur l’emploi des « mules » qui sont des passagers aériens dont la mission est d’acheminer des produits stupéfiants jusqu’en Hexagone. Le transport de la drogue s’effectue soit « in corpore », les produits stupéfiants étant ingérés, soit « extra corpore », les produits stupéfiants étant dissimulés sur le corps ou dans les bagages.
Si la cocaïne reste majoritairement transportée sous sa forme poudreuse (chlorhydrate de cocaïne), les trafiquants diversifient également leurs modes d’acheminement en la faisant transiter sous d’autres formes (telles que la pâte de coca, la cocaïne chimiquement camouflée, ou encore la cocaïne liquide). Elle peut ainsi être dissimulée plus aisément au sein des bagages ou dans des bouteilles sous sa forme liquide. Une fois arrivée sur le territoire métropolitain, la cocaïne est ensuite extraite grâce à des procédés de transformation dans des laboratoires d’extraction et retraitement de la cocaïne installés en Europe, notamment aux Pays-Bas, en Belgique et en Espagne.
Ce trafic est particulièrement lucratif puisque la cocaïne produite en Amérique du Sud atteint un taux de pureté compris entre 81 % et 97 %. Sa valeur en Guyane, avant passage de frontière, n’atteint au kilo que 3 000 à 3 500 euros. À la revente sur l’Hexagone, la cocaïne est vendue à 35 000 euros le kilo, avant même d’être coupée. La valeur de la cocaïne est donc multipliée par dix à son arrivée dans l’Hexagone par le seul effet du passage au sein de l’espace Schengen. En tenant compte du fait que la cocaïne est coupée environ cinq fois et vendue à 60 euros le gramme, le transport d’un kilo de cocaïne par passeur est une opération particulièrement lucrative pour les trafiquants, le kilo ainsi coupé et vendu au gramme pouvant rapporter jusqu’à 300 000 euros, soit 100 fois plus que le coût initial d’achat ([137]).
La cocaïne est toutefois peu consommée localement, le cannabis restant le produit majoritairement consommé sur le territoire guyanais, notamment la résine, dont le prix de revente est bien supérieur à celui pratiqué en Hexagone.
En sachant qu’un passeur « in copore » est en capacité de transporter en moyenne près d’un kg de cocaïne ([138]), la rémunération perçue par la « mule » est estimée entre 2 000 à 6 000 euros par trajet effectué, même si le montant de la rétribution n’est pas exactement connu.
Pour être assuré de rentabiliser le passage des « mules », les trafiquants adoptent une stratégie de saturation des capacités de contrôle des services au sein des aéroports. Disposant de moyens financiers très conséquents, les organisations criminelles parviennent ainsi à convaincre de nombreux passeurs d’effectuer le trajet de Cayenne jusqu’à l’Hexagone.
Ainsi, depuis l’aéroport de Cayenne, il y aurait parfois plusieurs dizaines de « mules » par vol et la DGGN estime qu’entre 20 à 30 passeurs souhaiteraient prendre chaque vol, mais que seuls 8 à 10 y parviennent effectivement ([139]).
L’OFAST a indiqué à vos Rapporteurs que plusieurs mesures avaient été prises en Guyane pour lutter contre le phénomène et renforcer les dispositifs de contrôle ([140]) :
– À l’aéroport de Cayenne, outre le renforcement de la couverture vidéo de la plateforme aéroportuaire, des parkings et de l’aire de dépose, des scanners corporels à ondes millimétriques ont été installés en juin 2020 : ces scanners permettent de détecter les personnes transportant de la cocaïne « extra corpore ».
– Les points de contrôle routiers (PCR) sur la route nationale conduisant à l’aéroport et le PCR d’Iracoubo, sur la route entre Saint-Laurent-du-Maroni et Cayenne, ont été dotés d’un équipement de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI).
Vos Rapporteurs ont visité le PCR d’Iracoubo lors de leur déplacement en Guyane. Ce PCR auparavant situé à Margot a récemment été déplacé pour éviter les stratégies de contournement. Néanmoins, il a été indiqué à vos Rapporteurs que le point de contrôle pouvait aisément être évité en empruntant la forêt amazonienne encore très difficile d’accès pour les forces de sécurité intérieure et dépourvue de voie de passage, hormis en pirogue ou en hélicoptère.
Face à l’ampleur de ce phénomène, un dispositif dit « 100 % contrôle » a été mis en place à l’aéroport de Cayenne à la fin de l’année 2022. Lors de leur déplacement en Guyane, vos Rapporteurs ont pu assister à ces opérations de contrôle visant à renforcer les dispositifs de filtrage pour améliorer la détection des « mules » et limiter le transport de produits stupéfiants par ces passeurs.
Le dispositif « 100 % contrôle » mis en œuvre à l’aéroport de Cayenne : un dispositif efficace de gestion des flux en direction de l’Europe mais juridiquement fragile
Pour contrer le flux incessant de « mules » envoyées par les organisations criminelles en Hexagone depuis les vols commerciaux de Cayenne, des opérations de contrôle dites 100 % ont été mises en place depuis le 31 octobre 2022 à l’aéroport Félix Éboué de Cayenne.
Ces opérations visent à systématiser et renforcer le contrôle de l’ensemble des passagers qui empruntent un vol au départ de l’aéroport de Cayenne à destination de l’Hexagone ([141]).
Elles se structurent autour de plusieurs étapes de filtrage :
– À l’arrivée à l’aéroport un premier système de filtrage est mis en œuvre par les services de la police aux frontières, de la police et des douanes.
Après la vérification de l’identité du passager et de son billet, les services de contrôle recherchent des « signaux faibles » permettant de suspecter un transport illicite de produits stupéfiants, sur la base de critères objectifs ([142]). Ces critères tiennent par exemple à la date à laquelle le billet a été acheté, au moyen de paiement utilisé, aux vêtements portés par le passager, au nombre de bagages, ou encore à la fréquence des voyages effectués.
Cependant, M. Davy Rimane, entendu par vos Rapporteurs, estime quant à lui que les critères retenus ne sont pas parfaitement objectifs et qu’ils peuvent être discriminants pour une certaine partie de la population locale notamment.
Si aucun soupçon n’est matérialisé, l’entrée du passager est validée, cette validation étant signalisée informatiquement en vert. En revanche, le nom des passagers d’ores et déjà soupçonnés est surligné en orange.
– Si le passager est soupçonné à cette étape, il est soumis à une deuxième vérification plus poussée. Celle-ci consiste en une palpation de sécurité, effectuée dans un cadre de police administrative, notamment destinée à détecter un transport « extra corpore » de produits stupéfiants. La personne est libre de refuser le contrôle mais dans ce cas elle est empêchée de prendre le vol.
– À la suite de la palpation de sécurité, le passager est soumis à une troisième mesure de vérification qui a lieu à l’extérieur de l’aéroport dans des algécos aménagés à cet effet.
Elle est interrogée plus précisément sur les motifs de son voyage et les conditions de son accueil en hexagone. Les questions susceptibles d’être posées ont notamment trait à l’identité de la personne ayant acheté le billet, à ses capacités financières ou encore à sa situation professionnelle. Les agents de contrôle sont à la recherche de toute incohérence dans le discours ou de signes de fébrilité évocateurs d’une complicité dans le trafic de stupéfiants. Le passager est également soumis, avec son consentement, à un test urinaire visant à détecter des traces de produits stupéfiants. 40 à 45 personnes sont ainsi entendues chaque jour.
– S’ajoutent à ces différentes vérifications, un contrôle systématique, par les services des douanes, des bagages de l’ensemble des passagers.
Les bagages sont passés aux rayons X dès le départ et des contrôles approfondis sont menés avec des fouilles des bagages. Un chien détecteur de produits stupéfiants contrôle également chaque bagage envoyé en soute.
Si un passager est soupçonné de transporter des produits stupéfiants, un arrêté préfectoral d’interdiction de vol pour une durée de cinq jours est délivré par le préfet ([143]). Depuis la mise en place de ces opérations de contrôle, plus de 14 900 arrêtés d’interdiction de vol ont ainsi été adoptés par le préfet.
Entre le 31 octobre 2022 et le 31 octobre 2024, ces opérations ont permis d’interpeller 1 391 passeurs (dont 802 passeurs « in corpore »).
Par ailleurs, ces opérations ont fait grimper le nombre de « no show » sur chaque vol. Il s’agit de passagers ayant acheté leurs billets mais ne se présentant pas à l’embarquement. Sur la période de référence, on dénombre ainsi plus de 19 500 « no show ». Selon la préfecture, il peut se déduire de cette augmentation que davantage de « mules » ont été dissuadées d’embarquer en raison de l’adoption de ces mesures de contrôle renforcées.
Le succès de ces opérations peut également se mesurer à l’importante diminution du nombre de « mules » arrêtées à leur arrivée en Hexagone. Ainsi, alors qu’en 2022 il était dénombré environ 289 « mules » en provenance de Guyane, seules 48 « mules » ont été interpellées en 2024. Avant la mise en œuvre du dispositif « 100 % contrôle », on estimait qu’il y avait entre 40 à 50 « mules » par avion en provenance de Cayenne.
Source : auditions menées lors du déplacement des Rapporteurs en Guyane, notamment du Préfet de Guyane, des services de la police aux frontières, de la Direction territoriale de la police nationale et de la Direction régionale des douanes.
Vos Rapporteurs ont pu assister à l’ensemble des opérations de contrôle mises en œuvre à l’aéroport de Cayenne en suivant chaque étape des procédures de vérifications renforcées. La mise en œuvre de ce contrôle renforcé a été saluée par la quasi-totalité des personnes qu’ils ont rencontrées lors de leur déplacement. Chacun souligne l’efficacité de ces mesures de contrôle qui ont permis de réduire considérablement le nombre de « mules ».
Si les autorités locales ont souligné auprès de vos Rapporteurs l’efficacité de ce dispositif de contrôle renforcé pour limiter l’entrée dans les avions des passeurs transportant de la cocaïne, il semble cependant que le dispositif dit « 100 % contrôle » présente certaines faiblesses.
En premier lieu, loin d’endiguer durablement le phénomène des « mules », les contrôles renforcés ne s’attaquent pas à la structure criminelle en elle-même mais aux « petites mains » des trafiquants, les « passeurs ».
En effet, les « mules », plus fréquemment originaires de Saint-Laurent-du-Maroni que de Cayenne, sont souvent choisies parmi les populations jeunes ou précarisées ([144]). Les profils des mules sont divers mais il peut s’agir de mineurs ou de femmes enceintes, dont la situation de vulnérabilité est exploitée par les trafiquants qui présupposent qu’ils bénéficieront de mesures de contrôle plus souples.
De plus, certaines « mules » sont contraintes par les organisations criminelles à jouer le rôle de passeur de produits stupéfiants et subissent des pressions exercées sur elles ou sur leur famille. C’est notamment le cas lorsqu’un passeur a été interpellé ou empêché de prendre un vol comme il s’y était engagé et que les produits stupéfiants qu’il était chargé de transporter sont saisis. Contrainte de rembourser à l’organisation criminelle une dette de produits stupéfiants, la famille du passeur interpellé est alors obligée de s’impliquer à son tour dans le trafic et subit les menaces et actes d’intimidation des trafiquants.
Selon la maire de Saint-Laurent-du-Maroni, la jeunesse guyanaise a développé une vision faussée et idéalisée du rôle de « mule », perçu par une certaine partie de cette population comme une des seules perspectives d’avenir et de stabilité financière. Dans l’Ouest guyanais en particulier, une partie de la jeunesse peut ainsi être encouragée à s’engager dans cette voie par son entourage familial proche.
Par ailleurs, le phénomène des passeurs n’est localement pas nécessairement mal vu et peut même être considéré par certains comme une opportunité, notamment par les plus jeunes. Il est à noter qu’en raison de leur puissance et de leur capacité d’influence, les organisations criminelles parviennent parfois à compromettre des représentants publics, s’infiltrant jusqu’à un haut niveau institutionnel. C’est ainsi que l’adjoint au maire délégué à la jeunesse de Saint-Laurent-du-Maroni a été interpellé en 2022 et condamné pour avoir effectué plusieurs voyages en tant que « mule » en transportant de la cocaïne ([145]).
Vos Rapporteurs ont également été sensibilisés, notamment par la maire de Saint-Laurent-du-Maroni, aux conséquences non anticipées de l’intensification des contrôles contre les « mules », lesquels peuvent conduire à une augmentation des autres phénomènes criminels. Source de revenus pour une partie de la population, le transport de cocaïne est devenu plus risqué et donc moins attractif. En conséquence, il a été observé une augmentation des vols à main armée qui engendre une plus grande insécurité locale.
Enfin, le renforcement des contrôles à l’aéroport de Cayenne est à l’origine du déplacement des « mules » vers d’autres aéroports moins contrôlés, à l’instar de l’aéroport de Sao Paulo au Brésil et de l’aéroport de Fort-de-France aux Antilles. C’est ainsi qu’en 2024, 400 mules ont été interpellées au Brésil, toutes ayant vocation à se rendre en France.
Ce phénomène de déport avait déjà pu être observé au détriment de l’aéroport de Cayenne lorsque l’aéroport de Schiphol à Amsterdam avait considérablement renforcé ses dispositifs de contrôle. En effet, initialement les passeurs transportant de la cocaïne jusqu’en Europe utilisaient des liaisons aériennes pour se rendre à Amsterdam. Lorsque les mesures de contrôle à l’arrivée ont été renforcées au sein de l’aéroport de Schiphol, les organisations de trafiquants ont concentré leurs méthodes d’importation de produits stupéfiants vers l’Hexagone, en ayant davantage recours à des passeurs en provenance de Cayenne.
La facilité avec laquelle est organisé le déport des départs des « mules » vers d’autres aéroports moins strictement contrôlés permet de mesurer la capacité d’adaptation rapide et de restructuration du trafic en fonction de l’évolution des méthodes de contrôle, lesquelles ne permettent pas d’entraver durablement l’activité des réseaux.
Vos Rapporteurs observent ainsi que ces opérations de contrôle renforcé poursuivent essentiellement un objectif dissuasif mais peinent à s’inscrire dans une politique globale de prise en charge du phénomène des « mules ». S’ils peuvent le juger efficace pour diminuer le nombre de passeurs par vol, ils estiment que les actions destinées au contrôle des passeurs devraient également s’accompagner d’initiatives soutenues en faveur de la population locale et en particulier de la jeunesse en recherche de nouvelles perspectives d’avenir.
Ils souhaitent également insister sur l’importance d’inscrire le renforcement du contrôle sur le vecteur aérien au sein d’une stratégie générale de surveillance des flux. L’intensification des contrôles sur ce vecteur ne devrait pas se faire au détriment de la surveillance des autres voies d’importation de la drogue. En particulier, vos Rapporteurs ont été sensibilisés au fait que d’importantes saisies de produits stupéfiants avaient récemment été effectuées au port de Dégrad des Cannes en Guyane (notamment une saisie de 1,8 tonne de cocaïne), ce qui révèle l’intérêt des trafiquants pour la voie maritime ([146]).
En second lieu, l’attention de vos Rapporteurs a été appelée sur l’augmentation des actions en contestation, portées devant la juridiction administrative, dirigées à l’encontre des arrêtés d’interdiction de vol délivrés dans le cadre du dispositif dit « 100 % contrôle ».
À titre d’exemple, un arrêté d’interdiction de vol pris à l’égard d’un rappeur a récemment été suspendu par le tribunal administratif de Guyane ([147]).
Vos Rapporteurs s’interrogent sur la solidité juridique de ce dispositif administratif. Si le contrôle repose sur un certain nombre de critères définis par les autorités comme propres à identifier les passagers les plus susceptibles de transporter de la drogue ([148]), il semble en pratique qu’une partie de la population guyanaise est particulièrement visée par les arrêtés d’interdiction de vol, notamment les jeunes issus de l’Ouest guyanais ([149]).
Les méthodes de ciblage des passagers ne paraissent donc pas totalement pertinentes pour garantir que l’interdiction de vol n’affectera que de véritables passeurs de produits stupéfiants. À cet égard, le test urinaire qui est proposé aux passagers n’est pas parfaitement fiable. La soumission à ce test peut également inciter certaines personnes à adopter des pratiques susceptibles de mettre leur santé en danger. En effet, une fausse croyance semble s’être développée au sujet de l’action de l’eau de javel à laquelle il est prêté la capacité de fausser les résultats des analyses, conduisant certains à en ingérer, avec les risques sanitaires évidents que cela implique.
La prise en charge des « mules in corpore » soulève des difficultés particulières, notamment parce qu’elle engage l’intervention de plusieurs acteurs, dont l’action doit être coordonnée : les services médicaux, les services des forces de l’ordre et les services judiciaires.
L’ingestion de cocaïne ([150]) conditionnée sous forme de boulettes, appelées « ovules » ([151]), comporte d’importants risques pour la santé et la vie du passeur. Si la confection des ovules de cocaïne s’est largement industrialisée, avec le recours à des procédés limitant les risques de rupture après ingestion et ainsi d’overdose mortelle, les services hospitaliers de Cayenne, entendus par vos Rapporteurs, ont souligné que le risque de décès des « mules » perdurait. En 2022, trois passeurs sont ainsi décédés à l’hôpital de Cayenne, âgés de 27 à 37 ans, à la suite de complications engendrées par l’ingestion d’ovules de cocaïne ([152]).
C’est la raison pour laquelle lorsqu’un passager est soupçonné de transporter « in corpore » des ovules de cocaïne, il doit être conduit dans un service hospitalier pour être pris en charge au sein d’une unité médico légale (UML). Les UML de Cayenne (lorsque les mules sont interpellées au départ) et de l’Hôtel-Dieu à Paris (en cas d’interpellation à l’arrivée du vol) sont majoritairement concernées par l’hospitalisation de ces passeurs « in corpore ».
Lors de leur déplacement en Guyane, vos Rapporteurs se sont rendus au centre hospitalier de Cayenne pour mieux appréhender les enjeux de la prise en charge sanitaire de ces mules.
Sous la précédente législature, les rapporteurs de la mission d’information de même objet s’étaient également rendus à l’UML de l’Hôtel-Dieu à Paris au mois de mars 2024.
● Améliorer la prise en charge sanitaire des mules en tenant compte du phénomène de saturation des services
Le protocole de prise en charge d’une « mule in corpore » implique tout d’abord la réalisation d’une radiographie ou d’un scanner pour confirmer la présence d’ovule ingéré. Le passeur est ensuite hospitalisé aux urgences s’il existe un risque de complication ou immédiatement transféré en chambre sécurisée. Ces chambres sont équipées de sanitaires dédiés sécurisés permettant la récupération des ovules de cocaïne, un dispositif assurant leur tri et leur nettoyage.
Pour assurer le transport du passeur jusqu’à l’UML, deux douaniers au moins sont mobilisés et doivent assurer sa surveillance avant remise, le cas échéant, à un officier de police judiciaire en vue de son placement en garde à vue.
C’est ainsi que, très rapidement, les capacités de saturation des services de douane sont atteintes, le risque étant que les six douaniers à l’aéroport soient tous mobilisés par la prise en charge de plusieurs « mules », laissant ainsi de fait les frontières ouvertes et sans surveillance.
Parmi les solutions qui ont été évoquées auprès de vos Rapporteurs, certains médecins qu’ils ont entendus à l’UML de Cayenne préconisent de créer au sein de l’aéroport une unité médicale dédiée dans laquelle serait effectuée une radiographie et un scanner et permettant la prise en charge médicale délocalisée de la « mule », sauf s’il existe un risque de complication avéré.
Un tel dispositif intégré permettrait d’empêcher la saturation des services douaniers et présenterait l’avantage de mieux sécuriser le recueil et la saisie des ovules de cocaïne en assurant leur remise immédiate aux services répressifs.
Vos Rapporteurs ont en effet eu un aperçu de l’ingéniosité dont sont capables les « mules » hospitalisées en chambres sécurisées au sein de l’UML pour dissimuler les ovules de cocaïne expulsés : ils ont eux-mêmes découvert, à l’occasion de leur visite de ces chambres, une dizaine d’ovules de cocaïne qui avaient été dissimulés sous un matelas et n’avaient donc pas été saisis.
Photographie des co-Rapporteurs découvrant des ovules de cocaÏne à l’hôpital de Cayenne durant leur déplacement
Source : commission des Lois.
Une telle découverte est de nature à interroger sur l’efficacité des dispositifs de surveillance mis en œuvre pour sécuriser ces chambres. La présence de produits stupéfiants au sein de l’établissement hospitalier est de nature à mettre en danger les personnels et les usagers, compte tenu des risques qui peuvent être pris pour essayer de récupérer la marchandise par la violence. Par ailleurs, cette situation engendre un fort risque de compromission ou de corruption du personnel médical, dépositaire de fait de ces produits illicites.
La mise en place et l’utilisation d’un scanner ionisant, dit « scanner in corpore », au sein des aéroports guyanais et parisiens, est également présentée comme un outil supplémentaire capable d’améliorer la prise en charge des « mules in corpore ». L’utilisation de ce scanner est de nature à faciliter la détection de ces passeurs au moment des opérations de contrôle à l’aéroport. Le recours à d’autres matériels d’imagerie médicale, tels qu’un amplificateur de brillance, moins précis cependant qu’un scanner, permettrait également d’accélérer la « levée de doute » en facilitant la caractérisation d’un transport de cocaïne « in corpore ». Ces scanners et matériels d’imagerie ne peuvent toutefois être maniés que par des médecins, s’agissant d’actes médicaux, ce qui plaide là encore en faveur de l’instauration d’unités médicales dédiées intégrées au sein des aéroports.
Par ailleurs, l’attention de vos Rapporteurs a été appelée sur les difficultés de prise en charge des « mules » résultant de l’application d’un protocole actuellement en vigueur prévoyant la compétence de l’OFAST pour les passeurs interpellés dans l’Hexagone.
En effet, en vertu de ce protocole, l’OFAST est systématiquement saisi pour la prise en charge des « mules in corpore » interpellées aux aéroports parisiens. Or, en pratique, cette compétence systématique de l’OFAST pour les « mules in corpore » soulève de nombreuses difficultés.
En premier lieu, après 18 heures, l’OFAST n’est pas en capacité de prendre en charge les « mules » interpellées. Ce sont donc les services douaniers qui sont mobilisés, l’OFAST intervenant le lendemain matin. La prise en charge des passeurs « in corpore » par les services douaniers fait peser une contrainte opérationnelle considérable sur ces services déjà fortement mobilisés par le contrôle des frontières aux aéroports d’Orly et de Roissy.
Par ailleurs, le service compétent est également celui en charge de la surveillance de la « mule » durant son hospitalisation en chambre sécurisée. Or, cette hospitalisation peut se prolonger jusqu’à l’expulsion de tous les ovules de cocaïne, impliquant une longue mobilisation des services de sécurité.
Sur ce sujet, les médecins de l’UML de Cayenne ont souhaité attirer l’attention de vos Rapporteurs sur le fait que la durée de la mesure de garde à vue ne suffisait pas toujours pour couvrir tout le temps de la prise en charge médicale, notamment lorsque le passeur n’a pas expulsé tous les ovules de cocaïne ingérés.
Si le personnel médical a soulevé cette difficulté, estimant qu’il était alors dangereux de laisser repartir les mules interpellées transportant toujours « in corpore » des produits stupéfiants, vos Rapporteurs constatent que ni les services des forces de sécurité intérieure, ni les services judiciaires, ne leur ont fait part du besoin de faire évoluer les dispositions de procédure pénale sur ce point. En particulier, la DGPN s’est exprimée en défaveur de la prolongation de la durée de la garde à vue pour des motifs médicaux envisagée par une proposition de loi déposée devant le Sénat ([153]), estimant que cette mesure ne répondait pas à un besoin opérationnel ([154]).
Vos Rapporteurs considèrent également qu’une telle prolongation serait contraire aux finalités de la mesure de garde à vue puisqu’elle apparaît sans lien avec les nécessités de l’enquête.
En effet, le placement et la prolongation de la mesure de garde à vue, qui est une mesure privative de liberté, doivent répondre à l’un des objectifs fixés par l’article 62-2 du code de procédure pénale (CPP) ([155]). Le maintien de cette mesure n’est possible que sous réserve d’un contrôle préalable de sa nécessité et de sa proportionnalité, d’autant plus strict que la durée de la privation de liberté est longue. En particulier, la prolongation de la mesure de garde à vue doit être nécessaire à l’enquête et proportionnée à la gravité des faits ([156]). Le contrôle de la nécessité « implique […] qu’une fois le rassemblement des preuves nécessaires à la manifestation de la vérité réalisé, la garde à vue doit prendre fin, voire même avant que cette collecte ne soit achevée si les actes d’enquête peuvent être réalisés alors même que la personne est libérée ([157]) ». Quant au contrôle de la proportionnalité de la mesure, il justifie la mise en balance de l’atteinte à la liberté de la personne au regard des objectifs poursuivis.
Une prolongation de la garde à vue qui serait uniquement justifiée par des motifs médicaux serait donc contraire aux objectifs de la mesure de sorte que l’atteinte à la liberté qui en résulte ne paraît ni nécessaire ni proportionnée.
En second lieu, la mobilisation systématique de l’OFAST, service dédié à la lutte contre la grande criminalité liée au trafic de stupéfiants, dans la prise en charge des « mules in corpore » n’est pas toujours pertinente. Les filières des organisations criminelles peuvent rarement être remontées grâce aux renseignements fournis par les mules, qui sont bien souvent totalement étrangères au réseau et ignorantes de leurs structures et modes de fonctionnement. La valeur ajoutée apportée par un service spécialisé et de pointe tel que l’OFAST apparaît donc moindre, tandis que les enquêteurs de l’office ne peuvent se concentrer sur leur mission essentielle de démantèlement des réseaux.
Contrairement à la pratique retenue dans l’Hexagone, l’antenne OFAST de Cayenne n’a pas vocation à traiter l’ensemble des « mules in corpore ». Il a en effet été fait le choix de diviser la charge de ces passeurs de manière pragmatique et en fonction des capacités : seules 30 % des « mules in corpore » sont gérées par l’antenne de l’OFAST de Cayenne, tandis que les autres sont réparties entre les services de la police aux frontières (PAF) et de la police judiciaire (STPJ).
Vos Rapporteurs estiment qu’il n’appartient pas à l’OFAST, en tant qu’office central, de se charger des enquêtes relatives aux « mules in corpore ». L’action de cet office devrait être recentrée autour de sa mission essentielle de démantèlement des réseaux et d’arrestation de leurs chefs.
Recommandation n° 5 : décharger l’OFAST du traitement des « mules in corpore »
Libérer l’OFAST de son obligation de se saisir des enquêtes relatives aux « mules in corpore » pour laisser cet office se concentrer sur sa mission essentielle de démantèlement des réseaux et l’identification des acteurs du « haut du spectre » de la criminalité organisée.
Vos Rapporteurs estiment que la création d’unités médico-légales dédiées à la prise en charge des « mules in corpore » au sein même des aéroports qui sont les plus touchés par ce phénomène est la solution la plus efficace et la plus pertinente pour rationaliser la prise en charge de ces passeurs. En les dotant de matériels médicaux et de moyens humains suffisants pour assurer la prise en charge sanitaire des passeurs dans des délais plus rapides, ces unités permettraient de remédier aux difficultés opérationnelles rencontrées dans la prise en charge des mules en assurant une meilleure coordination entre l’ensemble des services impliqués. Il conviendrait de penser ces unités en lien avec des hôpitaux situés à proximité des aéroports pour pouvoir assurer des soins d’urgence en cas de complications médicales.
Recommandation n° 6 : dispositif de prise en charge global des mules in corpore intégré au sein des aéroports
Au sein des aéroports particulièrement concernés par l’importation in corpore de produits stupéfiants, créer des unités médicales dédiées et intégrées permettant une prise en charge globale des passeurs par les services médicaux et les services des forces de sûreté.
● Adapter la prise en charge judiciaire des « mules » aux réalités de ce contentieux de masse
Comme les magistrats que vos Rapporteurs ont entendus lors de leur déplacement au tribunal judiciaire de Cayenne le soulignent, en raison de l’ampleur du phénomène, le traitement judiciaire des « mules » est devenu un contentieux de masse qui sature les capacités de poursuites et de jugement de l’autorité judiciaire.
Les capacités judiciaires à Cayenne apparaissent particulièrement insuffisantes face aux enjeux posés par la criminalité organisée sur ce territoire.
C’est ainsi que vos Rapporteurs ont pu constater que le tribunal pénal était abrité au sein de locaux appartenant à Air France (le logo de l’entreprise étant encore affiché sur le bâtiment). Cette situation est peu adaptée à l’activité qui s’y tient. Les accès au tribunal et ses salles d’audience sont ainsi insuffisamment sécurisés. Les forces de sécurité intérieure comme les magistrats déplorent le manque d’avocats sur le territoire, avec seulement deux avocats de permanence pour l’ensemble de la Guyane, ce qui soulève d’importantes difficultés, notamment pour assurer le respect du droit à l’assistance d’un avocat pendant la mesure de garde à vue.
La politique pénale s’est donc adaptée à cette réalité. Lorsqu’elles n’ont aucun antécédent judiciaire les « mules » sont convoquées en audience correctionnelle selon le mode de la convocation par officier de police judiciaire (COPJ) et sont généralement condamnées à une peine d’un an d’emprisonnement ([158]).
Les « mules » en état de récidive légale sont quant à elles déférées devant le procureur de la République et poursuivies selon le mode de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) avec saisine du juge des libertés et de la détention. Les peines qui sont généralement prononcées à leur égard s’échelonnent entre un à trois ans d’emprisonnement avec incarcération immédiate.
Les magistrats entendus par vos Rapporteurs estiment que ces peines d’emprisonnement sont moins sévères que les peines pouvant être prononcées à l’égard des « mules » jugées dans l’Hexagone lorsqu’elles sont interpellées à leur arrivée à Paris. Elles sont toutefois adaptées localement à la réalité du phénomène sur le territoire et tiennent également compte de la saturation de la capacité carcérale du centre pénitentiaire de Cayenne ([159]).
Les magistrats, comme les services enquêteurs de la gendarmerie et de la police, ont également souligné les difficultés liées à l’absence de JIRS en Guyane. En effet, sur l’arc Antilles-Guyane, c’est la JIRS de Fort-de-France qui est compétente, ce qui implique que les dossiers complexes de grande criminalité organisée ne sont pas traités par la juridiction de Cayenne.
Si la création d’une nouvelle JIRS à Cayenne permettrait sans doute d’améliorer la situation des services judiciaires et la capacité de réponse pénale face à l’ampleur de ce phénomène, elle a surtout vocation à pallier le manque de moyens humains et matériels observés en Guyane. Cette demande traduit une réalité, celle de l’importance croissante de la criminalité organisée sur le territoire qui déstabilise et met à l’épreuve la robustesse des capacités des structures de poursuite et de jugement. Elle répond ainsi à une augmentation réelle de l’activité de cette juridiction mais soulève de manière plus globale la question de la capacité à armer efficacement les juridictions face au développement massif de la criminalité organisée.
Toutefois, la création de nouvelles JIRS implique en premier lieu de déterminer une zone interrégionale de compétence cohérente. Créer une nouvelle JIRS à vocation uniquement régionale dont la compétence ne couvrirait que le ressort de Guyane n’aurait guère de sens.
Une réflexion d’ensemble doit donc être menée sur l’articulation des compétences et l’architecture judiciaire globale pour mieux renforcer les capacités des juridictions et des enquêteurs dans le traitement de la criminalité organisée.
De fait, la création d’une nouvelle JIRS aurait surtout le mérite de permettre l’allocation d’effectifs et de moyens dédiés à la lutte contre la criminalité organisée au profit la juridiction guyanaise (voir infra sur la création de nouvelles JIRS).
Enfin, pour améliorer le traitement judiciaire des « mules », les responsables des douanes entendus par vos Rapporteurs ont proposé de développer le recours à la transaction douanière.
Cet outil juridique ([160]) permet, en accord avec le parquet local, de définir une politique pénale en permettant aux autorités douanières de transiger avec l’infracteur ayant transporté des produits stupéfiants. En échange d’une amende dont le montant est fixé par l’autorité douanière, l’infracteur n’est pas passible de poursuites pénales. Les douanes estiment qu’il serait judicieux, en considération des problématiques locales et de l’ampleur du phénomène des « mules » de permettre le recours à la transaction douanière jusqu’à 2 kg de produits stupéfiants transportés « extra corpore ».
Vos Rapporteurs soulignent que la mise en œuvre de la transaction douanière relève de l’adaptation de la politique pénale à l’échelle des problématiques locales. Ils estiment dès lors que la définition des seuils permettant de déclencher la mise en œuvre de cette procédure devrait être laissée à l’appréciation du procureur de la République.
L’un des constats partagés par l’ensemble des personnes entendues par vos Rapporteurs au cours de leurs travaux est celui de l’essor inquiétant du phénomène de corruption en lien avec le trafic de stupéfiants.
Autrefois réservées à la matière économique et financière ou à quelques groupes criminels spécifiques pour des besoins ponctuels ([161]), les atteintes à la probité, et notamment la corruption, semblent avoir aujourd’hui pleinement intégré la stratégie criminelle des réseaux de trafiquants de produits stupéfiants, au point que la DACG du ministère de la Justice évoque un « nouvel usage décomplexé de la corruption » par ces organisations ([162]).
L’amplification du recours à la corruption marque l’émergence d’une stratégie d’infiltration criminelle adoptée par les trafiquants qui met à l’épreuve la robustesse de nos institutions en s’attaquant aux vulnérabilités liées au fonctionnement des administrations. Elle est aussi un signe de l’influence croissante des organisations criminelles et de leur volonté d’infiltrer le cœur des administrations étatiques pour mieux déstabiliser le fonctionnement des institutions démocratiques, comme cela a été le cas aux Pays-Bas et en Belgique ([163]).
À la puissance financière et à la capacité d’influence des organisations criminelles s’ajoutent un recours assumé à l’intimidation, la menace et la violence. Devenu le nouvel enjeu de la lutte contre le trafic de stupéfiants, notre capacité à prendre en compte le phénomène de corruption se heurte à la difficulté d’identifier et de caractériser ces faits. Son ampleur est pourtant incontestable et nécessite une riposte à la hauteur de la menace que la corruption fait peser sur nos institutions : il est devenu nécessaire de se doter des moyens de lutter contre les stratégies d’influences des organisations criminelles.
Trop souvent occultée et mal identifiée, la corruption est pourtant au cœur de d’une véritable stratégie criminelle d’infiltration déployée par les trafiquants de produits stupéfiants. Lors de son audition, M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, a indiqué, en se fondant sur des chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, qu’entre 2016 et 2021, 4 200 infractions de corruption avaient été commises, dont 150 seraient liées au trafic de stupéfiants ([164]).
Ce chiffre ne serait toutefois pas totalement représentatif de l’ampleur du phénomène, largement sous-évalué, car la corruption n’est pas toujours poursuivie sous cette qualification pénale.
En effet, l’infraction de corruption est difficile à caractériser. Ses éléments constitutifs sont complexes et leur preuve n’est pas facile à établir.
Les infractions de corruption et la procédure qui leur est applicable
Le code pénal appréhende les faits de corruption en distinguant la corruption dite « active » de la corruption « passive ».
La corruption active consiste en la proposition à une personne d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat, en échange d’un avantage. Cette infraction a ainsi vocation à réprimer le corrupteur.
La corruption passive se définit comme la sollicitation ou l’acceptation d’un avantage (offre, promesse, don, présent) pour soi-même ou pour autrui en échange d’un acte favorable ou d’une abstention entrant dans le cadre de ses fonctions ou facilité par ses fonctions ou son activité. Cette infraction vise ainsi à sanctionner le corrompu, y compris quand il a provoqué le corrupteur.
Cette distinction permet de contourner les règles applicables à la complicité en matière pénale : en réprimant de manière autonome le corrupteur, et non pas en tant que complice du corrompu, il est possible de le sanctionner alors même qu’il ne parviendrait pas effectivement à corrompre sa cible ([165]).
Il existe plusieurs infractions de corruption en fonction de la qualité de l’agent qui commet les faits ou qui en est la cible :
– Les infractions de corruption publique sanctionnent les faits de corruption passive commis par des agents publics ([166]) et des agents de justice ([167]), nationaux ou étrangers ou internationaux ([168]) (c’est la qualité de l’auteur qui est ici déterminante), ainsi que les faits de corruption active ciblant ces mêmes agents ([169]) (c’est ici la qualité de la cible qui permet de caractériser le caractère public de la corruption active).
– Les infractions de corruption privée punissent les faits de corruption passive commis par des agents privés ([170]) ainsi que les faits de corruption active ciblant ces personnes ([171]).
Les délits de corruption publique sont punis de 10 ans d'emprisonnement et de 1 million d'euros d'amende ou du double du produit tiré de l'infraction ([172]). La peine d'amende peut par ailleurs être portée à 2 millions d'euros ou au double du produit de l'infraction qui excède ce montant lorsque celle-ci est commise en bande organisée. Cette circonstance aggravante ne s’applique toutefois pas aux infractions de corruption publique d’agents de justice nationaux ou internationaux ([173]).
Les délits de corruption privée sont punis de 5 ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende ou du double du produit tiré de l'infraction. Pour ces délits, il n’existe pas de circonstance aggravante lorsque les faits sont commis en bande organisée.
L’article 706-1-1 du code de procédure pénale prévoit l’application des techniques spéciales d’enquête (notamment surveillance, infiltration, interception des télécommunications, sonorisation et fixation d'images, mesures conservatoires) pour les infractions de corruption publique. Ces techniques sont cependant exclues pour les infractions de corruption privée.
En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi du 6 décembre 2013 qui permettaient d’appliquer à ces infractions de corruption les mesures dérogatoires en matière de garde à vue ([174]).
Pour pallier les difficultés de caractérisation de l’infraction de corruption, les poursuites sont exercées sur le fondement de la complicité aux faits principaux de trafic de stupéfiants. Bien plus simple à caractériser, la notion de complicité est en effet suffisamment englobante pour couvrir les actes commis par la personne corrompue.
● Mieux rendre compte de l’évolution du phénomène de corruption : la nécessaire sensibilisation des acteurs
Pour tenter de mieux appréhender l’évolution du phénomène de corruption, l’Agence française anticorruption (AFA) a procédé à l’analyse de 504 décisions de justice de première instance rendues entre 2021 et 2022 en matière d’atteintes à la probité.
Dans une note d’analyse publiée le 9 décembre 2024 ([175]), l’AFA relève que sur l’ensemble des 489 affaires renvoyées devant les juridictions (soit 504 procédures), la corruption est l’incrimination pénale la plus représentée (atteignant 36,9 % des infractions et étant présente dans 29,2 % des affaires) et concerne 160 affaires.
L’étude des condamnations prononcées a révélé que la corruption liée aux agents publics était largement majoritaire et représentait 115 cas, soit 67,25 % des affaires, la corruption privée concernant quant à elle près du quart des infractions de corruption.
L’AFA souligne toutefois que si certaines de ces décisions reflètent le risque auquel les professions régaliennes sont confrontées (surveillants de prison, policiers, douaniers…), elles n’appréhendent que marginalement le phénomène corruptif dans ses liens avec la criminalité organisée.
En effet, comme l’a relevé Mme Isabelle Jegouzo, directrice de l’AFA, lors de son audition ([176]), les juridictions ne retiennent que rarement les qualifications pénales liées aux atteintes à la probité, préférant, pour des raisons de facilité de la preuve et d’efficacité de la répression, appréhender la corruption sous l’angle de la complicité au trafic de stupéfiants.
Il en résulte une occultation du phénomène dont l’ampleur ne se reflète pas au niveau statistique et n’est pas en rapport avec le nombre de condamnations prononcées. La corruption, dont tous les magistrats et enquêteurs spécialisés entendus par vos Rapporteurs s’accordent à dire qu’elle est indispensable au trafic et fortement présente, n’est pas systématiquement appréhendée sous cette qualification pénale, ce qui explique la rareté des affaires qui en font explicitement mention.
La procureure de la République près le tribunal judiciaire de Paris ([177]) constate, elle aussi, que dans la plupart des procédures mettant en cause la probité d’un tiers, les poursuites sont exercées sous la qualification de complicité au trafic. Cette qualification présenterait l’avantage de mettre en évidence le rôle fondamental de ces tiers compromis dans la réussite du trafic. Toutefois, cette mauvaise qualification ne permet pas de refléter la réalité de l’implication du corrompu et occulte la menace que fait peser cette forme d’infiltration criminelle par les réseaux de trafiquants de drogues sur l’ensemble des professions.
Aussi, pour mieux faire émerger la réalité du phénomène de corruption en lien avec la criminalité organisée, le parquet de Paris est en train d’évaluer l’opportunité de cumuler, au moment des poursuites, les deux qualifications de corruption et de complicité de trafic de stupéfiants.
Vos Rapporteurs observent qu’à leur connaissance il n’existe aucune circulaire de politique pénale incitant les parquets à adopter cette bonne pratique de la double qualification ou à retenir de manière plus systématique la qualification de corruption. Ils le déplorent et saluent la réflexion actuellement en cours sur ce sujet au sein du parquet de Paris.
Ils alertent sur les besoins humains et de formation nécessaires dans les équipes d’enquête de police judiciaire pour remplir cet objectif.
Le co-rapporteur M. Antoine Léaument souhaite souligner la nécessité de rattacher les enquêteurs directement à l’autorité judiciaire plutôt qu’au ministère de l’Intérieur pour limiter les pressions qui pourraient peser sur eux dans le cadre de leurs missions.
Les statistiques actuelles, fondées sur les qualifications retenues par les juridictions et les condamnations inscrites au casier judiciaire sous cette qualification, ne permettent donc pas d’appréhender correctement le phénomène de corruption et contribuent à sa mauvaise estimation. Par ailleurs, les données statistiques recueillies ne permettent pas d’isoler précisément la corruption en lien avec le trafic de stupéfiants.
Or, mal nommer le phénomène de corruption, c’est ajouter aux menaces que le narcotrafic fait peser sur nos institutions. L’absence de données statistiques fiables permettant d’objectiver l’ampleur de la corruption en lien avec la criminalité organisée compromet la prise d’initiative en matière de détection et de prévention de la corruption. Le manque de visibilité du phénomène conduit en effet à en amoindrir l’importance et à mésestimer la capacité d’influence des organisations criminelles. De plus, ces difficultés d’appréhension rejaillissent sur la politique pénale adoptée en matière de corruption.
Selon la Direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la justice ([178]), le nombre de personnes mises en cause pour des faits de corruption orientées par les parquets a augmenté de 30 % entre 2017 et 2023 (passant de 1 649 personnes à 2 143 personnes). Le nombre de condamnations, après avoir baissé sensiblement entre 2017 et 2020 (en passant de 429 à 283), a retrouvé son niveau initial en 2023, année au cours de laquelle 424 condamnations ont été prononcées pour des atteintes à la probité.
Malgré ces chiffres, de l’aveu même du Ministre de la justice, le nombre de jugements de relaxe prononcés dans ces affaires demeure très important : il était en 2022 trois fois supérieur à celui de l’ensemble des contentieux (avec un taux de relaxe atteignant 23,6 %) et deux fois supérieur en 2023 (avec un taux de 19,2 %).
Selon le ministère de la Justice, ce nombre élevé de relaxe peut notamment s’expliquer par la complexité des enquêtes et l’insuffisante spécialisation des magistrats du siège, encore trop peu formés et sensibilisés au phénomène ([179]). Il révèle également la prudence des juridictions compte tenu de l’importance des enjeux réputationnels et financiers attachés à ces décisions.
Alors que les infractions de corruption étaient autrefois associées à la délinquance économique et financière, justifiant que les magistrats spécialisés en la matière soient davantage formés à sa caractérisation, elles sont aujourd’hui le support des stratégies d’influence déployées par la grande criminalité organisée. Dès lors, la perception de ce phénomène doit évoluer : la corruption n’est plus seulement le fait de la délinquance en col blanc, elle est aussi un outil d’infiltration criminelle pour les réseaux de trafiquants de stupéfiants.
Vos Rapporteurs considèrent que cette évolution nécessite une meilleure sensibilisation des magistrats à l’ampleur du phénomène corruptif : tous doivent aujourd’hui bénéficier d’une formation solide leur permettant de se familiariser aux enjeux liés au développement de la corruption, en garantissant leur capacité à prendre en compte ces infractions et à caractériser les faits.
Au-delà des magistrats, les services d’enquête doivent aussi être en mesure de mieux détecter les faits de corruption adossés à un trafic de stupéfiants. Les investigations devraient être orientées vers le recueil des éléments de preuve permettant de mieux caractériser ces infractions et d’établir leur lien avec le trafic. Pour favoriser l’émergence d’une culture de vigilance sur le phénomène corruptif, ces services doivent donc également bénéficier d’actions de formation renforcées.
Recommandation n° 7 : accentuer la formation en matière de corruption à destination des services judiciaires et d’enquête
Renforcer les actions de formation à destination des magistrats et des services d’enquête pour mieux les sensibiliser au phénomène de la corruption en lien avec le trafic de stupéfiants.
● Répondre à l’ampleur du phénomène de corruption : le renforcement de l’arsenal juridique en débat
Indépendamment des difficultés liées à la caractérisation des infractions de corruption, qui pourraient être surmontées par une meilleure formation des acteurs judiciaires et des services d’enquête, certaines des personnes auditionnées par vos Rapporteurs ont évoqué les lacunes du régime répressif et procédural applicable à ces infractions.
À la lumière de ces observations, notamment formulées par l’AFA ([180]) et la DACG ([181]), votre co-Rapporteur M. Ludovic Mendes estime qu’il est nécessaire de faire évoluer le cadre juridique en matière de corruption.
En premier lieu, pour améliorer la répression de ces faits, M. Ludovic Mendes souhaite prévoir l’application d’une circonstance aggravante de bande organisée pour les faits de corruption privée.
Une telle circonstance aggravante est déjà prévue en matière de corruption active et passive d’agents publics. En revanche, lorsque les faits de corruption sont commis par un agent privé ou qu’ils ont pour cible un agent privé ([182]), il n’existe pas de circonstance aggravante permettant de prendre en compte les circonstances particulières de réalisation de ces infractions lorsqu’elles sont commises en bande organisée.
Or, en matière de criminalité organisée liée au trafic de stupéfiants, les faits de corruption peuvent aussi bien concerner des agents publics que des personnes privées, à l’instar par exemple de dockers, de livreurs ou de personnels travaillant dans des entreprises de fret express ou postal.
Pourtant, quand elles sont le fait de réseaux criminels structurés de trafiquants de stupéfiants, les actions de corruption à l’égard d’agents privés ou commises par ces mêmes agents relèvent de méthodes de bande organisée. Bien souvent, ces actions de corruption ne sont pas des actes isolés et s’inscrivent au sein d’une stratégie d’infiltration criminelle qui a pour finalité la déstabilisation des structures d’une entreprise ou d’une installation portuaire. Dans cette hypothèse, il apparaît opportun d’aggraver les peines encourues en créant une circonstance aggravante, et ce pour mieux rendre compte de l’usage que font les organisations criminelles de la corruption.
Votre co-Rapporteur M. Ludovic Mendes considère également que l’introduction d’une circonstance aggravante de bande organisée pour les actes de corruption privée permettra de renforcer l’effet dissuasif de ces infractions et incitera à recourir davantage à ces qualifications en matière de trafic de stupéfiants.
Recommandation n° 1 de M. Ludovic Mendes : créer une circonstance aggravante de bande organisée pour les infractions de corruption d’agents privés
Aggraver le quantum des peines des infractions de corruption active et passive d’agents privés lorsque les faits sont commis en bande organisée (modification législative).
De son côté, votre co-Rapporteur M. Antoine Léaument se tient à distance de cette solution consistant en une nouvelle inflation pénale. Il propose, à l’inverse, de s’interroger sur les mécanismes qui ont conduit à privatiser peu à peu des fonctions stratégiques au sein des ports. Plutôt que d’étendre au privé des règles qui s’appliquent spécifiquement aux agents publics en raison, précisément, de leur statut, votre rapporteur appelle à réintégrer les fonctions les plus stratégiques dans le service public, ce qui permettrait d’assurer l’application de la loi existante sans durcissement pénal.
Recommandation n° 2 de M. Antoine Léaument : intégration dans le service public des fonctions exposées au risque de corruption dans les ports
Réfléchir à la réintégration dans le service public des fonctions les plus stratégiques dans les ports actuellement confiées au privé, afin d’élargir l’application possible des règles en matière de corruption sans modification pénale.
En second lieu, l’attention de vos Rapporteurs a été appelée sur l’impossibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête (TSE) pour mener des investigations sur des faits de corruption d’agents privés.
En effet, si l’article 706-1-1 du code de procédure pénale (CPP) prévoit la possibilité de recourir à ces techniques pour la recherche et la constatation des infractions de corruption active et passive d’agents publics, elles sont exclues en matière de corruption d’agents privés.
Comme il a déjà été évoqué, la corruption est aujourd’hui l’un des outils employés par les organisations criminelles pour asseoir leur influence et infiltrer les domaines d’activité qui présentent un intérêt pour faciliter le trafic. De ce point de vue, la sphère privée n’est pas épargnée par le risque corruptif (voir infra).
Vos Rapporteurs observent par ailleurs que le recours aux techniques spéciales d’enquête est autorisé dans le cadre des investigations menées pour des faits de trafic de stupéfiants ([183]). En effet, l’utilisation de méthodes d’investigation spéciales se justifie en raison de la difficulté d’appréhender les auteurs de trafic de stupéfiants qui font partie d’un « groupement d’un réseau dont l’identification, la connaissance et le démantèlement posent des problèmes complexes » ([184]). Il est dès lors possible de mettre en œuvre ces techniques lorsque, comme cela est encore très souvent le cas (voir infra), les faits de corruption sont qualifiés, par facilité, de complicité de trafic de stupéfiants.
En matière de trafic de stupéfiants, la corruption revêt un intérêt stratégique pour les organisations criminelles et lorsque la réalisation de cette infraction est en lien avec les activités du réseau, elle s’inscrit pleinement au sein de leur activité de criminalité organisée. Dès lors, selon votre co-Rapporteur M. Ludovic Mendes, le régime spécial applicable en la matière, autorisant notamment la mise en œuvre de moyens d’investigations particuliers, devrait être étendu aux faits de corruption privés commis par les groupes de trafiquants de stupéfiants. En effet, les infractions de corruption commises dans ce cadre revêtent un degré certain de complexité et de gravité, justifiant l’autorisation de recourir à ces techniques spéciales d’enquête ([185]).
Par ailleurs, comme il a déjà été indiqué, le recours aux techniques spéciales d’enquêtes est autorisé pour la recherche et la constatation des infractions de corruption publique. Cependant, l’article 706-1-1 du CPP ne prévoit pas l’application de l’ensemble du régime procédural applicable à la criminalité organisée aux infractions relevant de son champ, et notamment aux infractions de corruption d’agents publics. Il se limite à prévoir le recours aux pouvoirs spéciaux d’enquête suivants :
– la surveillance (articles 706-80 à 706-80-2 du CPP) ;
– l’infiltration (articles 706-81 à 706-87 du CPP) ;
– les écoutes téléphoniques sur autorisation du juge des libertés et de la détention en cours d’enquête (article 706-95 du CPP) et l’accès à distance aux correspondances stockées par la voie des communications électroniques (articles 706-95-1 à 706-95-3 du CPP) ;
– le recueil des données techniques de connexion et des interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques (l’IMSI-catcher ([186])) (article 706-95-20 du CPP) ;
– les sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules par décision du juge d’instruction (articles 706-96 à 706-102 du CPP) ;
– la captation de données informatiques (article 706-102-1 à 706-102-9 du CPP) ;
– et la possibilité d’ordonner des mesures conservatoires (article 706-103 du CPP). Il est dès lors impossible de recourir aux deux techniques spéciales d’enquête suivantes : la garde à vue prolongée de 96 heures avec possibilité de différer l’intervention de l’avocat si certaines circonstances particulières l’exigent (article 706-88 du CPP) ainsi que les perquisitions de nuit ou en l’absence de la personne placée en garde à vue ou détenue (articles 706-89 à 706-94 du CPP).
Pour mémoire, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui permettaient d’étendre aux délits de fraude fiscale et douanière aggravés ainsi qu'aux délits de corruption et de trafic d'influence, la possibilité de recourir à une garde à vue de 96 heures avec report de la présence de l'avocat à la 48ème heure. Le Conseil a en effet estimé que l’application de cette technique spéciale d’enquête à ces infractions, qui ne constituent ni des crimes ni des atteintes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, emportait une atteinte disproportionnée aux droits de la défense ([187]).
À la lumière de ces éléments, votre co-Rapporteur perçoit l’intérêt d’étendre le recours aux techniques spéciales d’enquête pour les infractions de corruption privée. Ils estiment en effet que ces infractions revêtent un caractère de complexité qui justifie une adaptation des moyens d’investigation pour faciliter leur caractérisation.
Toutefois, ces techniques étant particulièrement intrusives, il lui apparaît nécessaire, pour préserver l’équilibre entre le respect des droits de la défense et l’objectif légitime de sauvegarde de l’ordre public, d’en circonscrire l’application en excluant notamment la possibilité de recourir, pour les infractions de corruption, aux gardes à vue prolongées avec intervention différée de l’avocat. Une telle extension présente également, aux yeux de votre co-Rapporteur M. Ludovic Mendes, l’intérêt de la cohérence en alignant le régime procédural applicable à la corruption des agents publics à celui prévu en matière de corruption des agents privés.
Recommandation n° 2 de M. Ludovic Mendes : étendre l’application des pouvoirs spéciaux d’enquête et de surveillance aux infractions de corruption d’agents privés
Prévoir la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête applicables en matière de criminalité organisée (à l’exclusion des dispositions en matière de garde à vue prolongée avec intervention différée de l’avocat) pour les infractions de corruption passive et active d’agents privés, en alignant le régime procédural applicable à ces infractions à celui prévu pour la corruption d’agents publics (modification législative).
a. Entre incitation financière, menaces et intimidation : les multiples ressorts de la stratégie de corruption employée par les réseaux de trafiquants
Comme cela a été indiqué à vos Rapporteurs, une cartographie du risque de corruption est en cours d’élaboration par l’AFA. Ces travaux, qui se fondent sur son analyse des décisions judiciaires rendues en matière d’atteintes à la probité, sont complexifiés par les caractéristiques intrinsèques du risque corruptif qui s’avère évolutif et protéiforme.
En effet, le phénomène corruptif prend des formes diverses, de la plus visible, impliquant une incitation financière, l’emploi de manœuvres d’intimidation, de menaces ou le recours à la violence, à la plus discrète, exercée au travers de jeux d’influences progressifs, amenant à « bas bruits » vers la compromission.
La puissance financière des organisations criminelles et leur capacité d’emprise sont les principaux leviers de la corruption des agents publics et privés. Les sommes considérables générées par le narcotrafic augmentent ainsi fortement le risque de compromission auquel sont confrontés, en particulier, les services régaliens (et singulièrement la police, la gendarmerie, la justice, les douanes et l’administration pénitentiaire), en raison des fonctions stratégiques et des prérogatives particulièrement convoitées par les organisations criminelles qu’ils exercent.
Au cours de leurs auditions, l’AFA ([188]) et l’OFAST ([189]) ont également insisté sur le phénomène d’engrenage (ou de « pente glissante ») à l’œuvre dans les stratégies de corruption adoptées par les organisations criminelles.
La capacité de pression des réseaux de trafiquants de stupéfiants est en effet conséquente et la stratégie de compromission déployée l’est progressivement, afin d’endormir la vigilance de la cible en lui donnant l’impression que son action est dérisoire. La compromission peut ainsi commencer par une incitation financière qui se prolonge bien souvent par des pressions, des menaces, des actes d’intimidation et de violences physiques.
Les stratégies corruptrices des organisations criminelles peuvent également, en dehors ou préalablement à toute incitation financière, débuter par un « service gratuit » rendu entre amis, proches ou membres de la famille. La cible d’intérêt corrompue ayant accepté de rendre un service (tels que prêter un badge d’accès, éteindre des caméras, faciliter des accès…), souvent en contrepartie de sommes d’argents conséquentes ([190]), est ainsi bien souvent contrainte de poursuivre son implication à force de menaces dirigées contre elle ou ses proches.
Pour illustrer ce phénomène, l’OFAST a évoqué lors de son audition le cas particulier d’un docker mis en examen pour des faits de corruption qui, après avoir été placé en détention provisoire pendant un temps, avait été libéré sous contrôle judiciaire. À sa libération, ayant annoncé au réseau son intention de ne plus offrir d’assistance à l’organisation du trafic de stupéfiants, il a été enlevé devant son épouse et tué. L’OFAST a également expliqué que les actes d’intimidation pouvaient être dirigés contre les enfants de la cible, les menaces pouvant prendre la forme d’envoi de clichés photographique démontrant la surveillance étroite de l’enfant par le réseau.
Par ailleurs, aux côtés de ces actions de corruption très visibles, se développe un phénomène de corruption dite de « basse intensité ».
La corruption de basse intensité, aussi dénommée corruption administrative ou bureaucratique, correspond à la compromission d’agents intermédiaires, c’est-à-dire d’individus situés dans une chaîne hiérarchique et soumis à une autorité de haut niveau. Les agents ciblés ont des attributions qui semblent anodines mais ont en commun une capacité à accéder à des lieux, ou à des données primordiales pour favoriser la réussite de l’entreprise criminelle ([191]).
L’AFA souligne que ce type de corruption est globalement très peu prise en compte et peu objectivée sur le plan pénal. De ce fait, les agents privés comme public y sont particulièrement vulnérables.
Face à l’ampleur du risque corruptif qui pèse aujourd’hui sur l’ensemble des acteurs privés comme publics, les capacités de détection de ce phénomène, y compris des « signaux faibles » de la compromission qui initient souvent un processus de glissement dans la corruption, doivent évoluer. Ceux qui y sont les plus exposés doivent en particulier recevoir des formations adéquates pour être en capacité de les déceler et de s’y opposer le plus tôt possible.
b. Le risque corruptif majeur qui pèse sur les agents portuaires : l’enjeu stratégique de l’infiltration criminelle des infrastructures portuaires
Les corps de métiers directement concernés par les activités de contrôles aux frontières et aux points d’entrée des produits stupéfiants sur le territoire sont particulièrement ciblés par les trafiquants de stupéfiants dans leur stratégie de corruption, en raison des prérogatives dont ils disposent et des actions qu’ils sont capables d’initier pour faciliter le trafic.
Les organisations de trafiquants cherchent ainsi à infiltrer les zones portuaires, qui ont été identifiées par l’AFA ([192]) comme des espaces de grande fragilité particulièrement exposés au risque corruptif.
Selon l’AFA, le risque corruptif s’est aujourd’hui diffusé à l’ensemble du secteur portuaire et concerne tant les acteurs privés que publics qui y interviennent : manutentionnaires, transporteurs et dockers sont ainsi devenues les cibles privilégiées des organisations criminelles pour infiltrer ces infrastructures.
En effet, le personnel portuaire est situé au plus près des zones d’arrivée des marchandises et le rôle des agents dans la manutention des conteneurs ainsi que leur capacité à intervenir pour déposer, transporter ou prélever de la drogue est particulièrement recherché par les trafiquants.
Par ailleurs, les agents portuaires détiennent une connaissance parfaite des infrastructures et du fonctionnement portuaire et disposent d’accès permettant, par exemple, de fausser les données de localisation, dans les systèmes informatiques des grands ports maritimes et des exploitants de terminaux.
En dépit de ces incontestables fragilités, l’AFA relève que le niveau de préparation et d’anticipation au risque corruptif est insuffisant, cette menace étant encore largement ignorée ([193]).
Pour prévenir et lutter contre la corruption au sein des zones portuaires, l’AFA préconise ainsi de renforcer les actions de formation et de sensibilisation auprès des acteurs mais également d’améliorer les mesures de sécurisation et de contrôle des accès.
La sécurisation des infrastructures portuaires n’est pas seulement un enjeu pour la sécurité et le contrôle des marchandises. Elle est aussi essentielle à la protection des personnels, pour les mettre à l’abri du risque corruptif.
Maintes fois décrite à vos Rapporteurs, la stratégie de corruption déployée par les groupes criminels consiste à maintenir la personne sous une pression constante et inclut bien souvent l’exercice de menaces et d’actes d’intimidation qui mettent en danger la vie de la personne compromise ou de ses proches.
L’incitation financière constitue également un puissant levier d’action, les trafiquants n’hésitant pas à rémunérer fortement le prêt d’un badge d’accès à une zone restreinte ([194]) par exemple.
Ainsi, vos Rapporteurs estiment qu’il est nécessaire d’améliorer la connaissance du phénomène corruptif au sein des ports pour faire de la lutte contre la corruption l’une des composantes de la sécurité des infrastructures portuaires.
● Développer les actions de prévention et lutte contre la corruption en renforçant les obligations des opérateurs portuaires
Intégrer au sein des plans de sûreté des ports des dispositifs efficaces de lutte contre le risque corruptif apparaît donc essentiel pour assurer la protection et la sécurité du personnel portuaire. Or, comme le relève l’AFA, dans la pratique les plans de sûreté des ports n’intègrent pas le risque corruptif ([195]).
Le plan de sûreté du port : une cartographie incomplète des risques qui ne prend pas en compte la menace de la corruption
Tous les ports maritimes et toutes les installations portuaires doivent faire l’objet d’une évaluation de sûreté établie par le préfet de département qui peut, le cas échéant, habiliter un organisme de sûreté à cet effet ([196]).
Au regard de cette évaluation, l’autorité portuaire ou l’exploitant d’une installation portuaire établit, ou fait établir par un organisme de sûreté habilité, un plan de sûreté du port. Le plan de sûreté est approuvé par le préfet de département puis mis en œuvre respectivement par l’autorité portuaire et par l’exploitant de l’installation portuaire ([197]).
Ce plan détermine les procédures à suivre, les mesures à mettre en place et les actions à mener en matière de sûreté pour prévenir les menaces identifiées par l'évaluation de sûreté du port et en reprend les prescriptions ([198]). L’arrêté du 22 avril 2008 définissant les modalités d'établissement des évaluations et des plans de sûreté portuaires et des installations portuaires détermine le contenu du plan.
La durée de validité de cette évaluation et du plan de sûreté est au maximum de cinq ans. L'autorité portuaire désigne un agent de sûreté du port pour la mise en œuvre du plan parmi le personnel placé sous son autorité, pour une durée maximale de cinq ans renouvelable ([199]).
Compte tenu du risque majeur que la corruption fait peser sur la sécurité des personnels et des infrastructures des plateformes portuaires, vos Rapporteurs estiment nécessaire d’intégrer au sein des plans de sûreté des ports des mécanismes de prévention de la corruption. L’évaluation de sûreté portuaire devrait prendre en considération cette menace qui doit faire l’objet de mécanismes de détection dédiés et déclinés au sein de chaque port pour mesurer l’ampleur de ce phénomène et le combattre.
Recommandation n° 8 : intégrer obligatoirement des mécanismes de prévention de la corruption au sein des plans de sûreté des ports
Définir le contenu obligatoire des plans de sûreté des ports en prévoyant d’y intégrer systématiquement des mécanismes de détection de la corruption adaptés aux risques identifiés.
Chaque gestionnaire de port devrait également être soumis à des obligations en matière de lutte contre la corruption. Or, comme le relève l’AFA ([200]), il apparaît que certaines entreprises travaillant sur les infrastructures portuaires ne sont pas astreintes à l’obligation de mettre en place des dispositifs de prévention et de détection des atteintes à la probité, et plus spécifiquement des risques de corruption.
En effet, les prescriptions de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », qui imposent aux grandes entreprises et à certaines entreprises de taille intermédiaire, déterminées en fonction de seuils ([201]), la mise en place de mesures visant à lutter contre la corruption, ne s’appliquent notamment pas aux acteurs de la manutention portuaire et aux entreprises responsables des systèmes d’information portuaire, qui sont pourtant très exposées au risque de corruption.
L’article 17 de cette loi impose pourtant aux entreprises entrant dans le champ d’application du dispositif, la mise en œuvre de mesures de détection et de prévention des faits de corruption, au travers notamment d’une obligation de cartographier les risques de corruption, de prévoir un code de conduite, des dispositifs de formation ainsi que des systèmes d’alerte interne et externe.
Étendre le champ concerné permettrait ainsi d’astreindre ces entreprises du milieu portuaire à mettre en place l’ensemble de ces dispositifs et ce indépendamment même du dépassement des seuils prévus. En effet, comme l’AFA le souligne, dans la pratique beaucoup d’entreprises intervenant sur les plateformes portuaires sont des filiales françaises de groupes étrangers qui passent largement les seuils au niveau du groupe mais qui ne sont pas assujetties à ce dispositif, les sièges comptabilisés pour remplir la condition de seuil se situant hors de France.
Pour garantir l’application uniforme des règles en matière de prévention des atteintes à la probité sur l’ensemble des infrastructures portuaires, il est donc nécessaire de soumettre tous les gestionnaires des infrastructures portuaires aux obligations de détection et de lutte contre la corruption prévues par la loi « Sapin 2 ».
Recommandation n° 9 : astreindre l’ensemble des entreprises intervenant sur les plateformes portuaires aux obligations de détection et de prévention de la corruption prévues par l’article 17 de la loi « Sapin 2 »
Étendre à l’ensemble des entreprises intervenant sur les plateformes portuaires, sans condition de respect de seuils d’effectifs ou de chiffres d’affaires, les dispositions de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 », prévoyant des obligations de détection et de prévention des faits de corruption (modification législative).
● Améliorer la sécurité des zones sensibles par des dispositifs efficaces de restriction des accès
Par ailleurs, l’attention de vos Rapporteurs a été appelée sur la nécessité de renforcer le contrôle des accès aux zones les plus sensibles des plateformes portuaires.
Certaines zones portuaires stratégiques pour l’entrée, la circulation et le contrôle des marchandises, sont soumises à des restrictions d’accès et ne sont rendues accessibles qu’à certains agents bénéficiant d’une habilitation spécifique.
Le contrôle des zones d’accès restreint au sein des ports
Les zones d’accès restreint sont créées au sein de l’installation portuaire par un arrêté du préfet de département ([202]). Il y détermine les conditions particulières d'accès, de circulation et de stationnement des personnes, bagages, véhicules et des marchandises.
La circulation des personnes dans une zone d’accès restreint est subordonnée à la détention d'un document d'identité et d’un titre de circulation. La circulation d'un véhicule au sein de cette zone n’est possible que sous réserve de la détention d'un laissez-passer. La circulation des colis et marchandises est quant à elle subordonnée à la détention d'un justificatif d'accès ou de transit.
Au sein des plateformes portuaires, les personnes chargées d’une mission de sûreté doivent être titulaires d’un agrément individuel et l’accès permanent à une zone d’accès restreint n’est possible que pour les personnes habilitées. L’autorité administrative ne délivre cet agrément et cette habilitation qu’à l’issue d’une enquête administrative de sécurité ([203]).
Pour mieux sécuriser l’accès à ces zones sensibles, un protocole de reprise systématique des enquêtes administratives de sécurité conditionnant l’accès permanent aux installations portuaires sensibles a été élaboré dans le cadre de la CISMaP, sous le pilotage du Secrétariat général de la mer. Ces enquêtes administratives sont diligentées par le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) ([204]).
Le protocole a été mis en œuvre dès janvier 2024 au sein de cinq ports sensibles situés au sein des départements des Bouches-du-Rhône, de la Gironde, de la Manche, du Pas-de-Calais et des Pyrénées-Orientales. La mise en place de ce protocole a permis de définir un ensemble de lignes directrices renforçant la conduite méthodique des enquêtes de sécurité en les durcissant et en les systématisant. Face au succès rencontré dans l’application de ce protocole, il a été décidé de l’étendre à l’ensemble des installations portuaires sensibles du territoire national à compter du 1er octobre 2024.
Ce dispositif renforcé est toutefois limité aux enquêtes administratives de sécurité conditionnant les accès temporaires aux installations portuaires sensibles. Le Secrétariat général de la mer a ainsi précisé à vos Rapporteurs qu’une étude d’impact approfondie était nécessaire avant d’envisager de systématiser ce protocole à l’ensemble des enquêtes administratives, notamment pour apprécier les effets en termes de volumétries et de conséquences sur la gestion des flux.
Vos Rapporteurs considèrent qu’il est impératif, pour limiter le risque corruptif, de systématiser les enquêtes administratives à l’égard des agents portuaires autorisés à accéder aux installations portuaires sensibles. Ils saluent à cet égard la généralisation du protocole renforçant la conduite de ces enquêtes en matière d’accès permanent à ces installations.
Compte tenu des réserves exprimées par le Secrétariat général de la mer, vos Rapporteurs estiment toutefois que l’extension de ce dispositif est prématurée, et ne devrait être envisagée qu’après avoir analysé précisément les effets du déploiement de cette mesure.
Enfin, au titre des mesures permettant d’améliorer la sécurité des plateformes portuaires évoquées auprès de vos Rapporteurs, l’AFA conseille d’harmoniser les pratiques des opérateurs portuaires en matière de vidéoprotection déployée sur les installations portuaires.
Ces systèmes privés permettent d’assurer la surveillance des accès des zones portuaires, ce qui est de nature à dissuader les intrusions ainsi que le passage à l’acte d’une personne compromise. De fait, une bonne couverture vidéo des installations portuaires est susceptible de réduire le risque de corruption : plus la sécurisation est grande, plus la marge de manœuvre des agents portuaires est réduite, ce qui diminue l’intérêt pour les organisations criminelles de corrompre une cible qui ne dispose pas des moyens de faciliter le trafic.
À ce titre, l’AFA préconise de faciliter, pour les forces de sécurité intérieure, l’accès aux images de vidéoprotection interceptées par les systèmes privés installés sur les ports. Dans le cadre des enquêtes, ces images s’avèrent en effet parfois très utiles et peuvent également servir d’éléments de preuve. Dès lors, l’AFA suggère de fixer un cadre juridique définissant de manière uniforme les modalités d’accès à ces systèmes de vidéoprotection privée pour les forces de sécurité intérieure et la durée de conservation des images, et ce afin d’harmoniser les pratiques très hétérogènes observées en fonction des gestionnaires portuaires.
Vos Rapporteurs estiment toutefois que la question du cadre juridique des images interceptées par des systèmes de vidéoprotection privée dépasse le cadre du présent rapport. Loin de concerner uniquement les ports, si une réflexion devait être menée sur ce sujet, elle devrait inclure plus globalement l’ensemble des systèmes privés afin de mieux évaluer les enjeux particuliers en matière d’accès à ces images et de protection de ces données.
Comme cela a déjà été souligné, le phénomène de la corruption n’est pas suffisamment appréhendé par les opérateurs des plateformes portuaires, dont les pratiques en matière de déploiement de mécanismes de détection et de prévention du risque corruptif sont encore trop disparates.
Pourtant, le personnel portuaire est le mieux placé pour détecter ce phénomène et révéler les failles au sein de la sécurité des installations portuaires qui facilitent la compromission.
C’est la raison pour laquelle certains ports ont mis en place des mécanismes d’alerte interne. Ces systèmes permettent notamment aux agents portuaires de signaler les menaces ou les intimidations qu’ils subissent afin de renforcer leur protection. Néanmoins, ils sont peu utilisés dans la pratique, faute de notoriété suffisante.
D’autres systèmes européens proposent des modèles d’alerte bien plus performants qui seraient particulièrement efficaces. L’AFA ([205]) a notamment cité en exemple le dispositif belge « Port Watch » qui est un système d’alerte national, centralisé, largement connu et utilisable par tous. Très simple d’accès, ce système permet via un site internet ([206]) de signaler de manière anonyme toute activité suspecte.
Vos Rapporteurs considèrent que la création d’un tel système d’alerte constituerait une mesure efficace et opérationnelle permettant de renforcer considérablement la sécurité portuaire et de réduire le risque corruptif.
Ils estiment également que la sécurité portuaire doit devenir l’affaire de tous. Le signalement, ouvert à toute personne, permet ainsi d’impliquer l’ensemble des acteurs portuaires en les sensibilisant à la question de la corruption et en leur donnant des outils pour y faire face. Par ailleurs, en offrant la possibilité de signaler des faits de manière confidentielle, le dispositif d’alerte est incitatif et limite les risques de représailles. Le système d’alerte constitue ainsi un excellent outil capable de faciliter la détection préventive des phénomènes de corruption, même en cas de signaux faibles.
Toutefois, et contrairement au dispositif envisagé par une proposition de loi actuellement examinée par le Sénat ([207]), vos Rapporteurs considèrent qu’un tel système devrait être mis en place à l’échelle nationale et non délocalisé au sein de chaque port. La création d’une plateforme d’alerte au niveau national permettrait à la fois de rendre ce dispositif plus visible et d’en accroître l’efficacité mais aussi de centraliser les signalements reçus et de permettre un croisement de ces renseignements.
Recommandation n° 10 : créer une plateforme de signalement centralisée permettant à toute personne d’alerter sur une situation suspecte au sein d’un port
Créer un système d’alerte centralisé à l’échelle nationale offrant la possibilité à toute personne de signaler des activités suspectes au sein des ports, y compris les concernant eux-mêmes directement ou indirectement.
Enfin, vos Rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité de renforcer les actions de formation et de sensibilisation au risque corruptif auprès des personnels portuaires.
Ces actions devraient être coordonnées au sein d’un plan de formation ambitieux, à destination non seulement des personnels portuaires mais également de l’ensemble des personnes exerçant une profession qui les exposerait particulièrement au risque de corruption, en raison des missions ou des responsabilités qui lui sont confiées.
Recommandation n° 11 : concevoir un plan ambitieux de formation et de sensibilisation au risque de corruption à destination de l’ensemble des acteurs
Renforcer les actions de formation et de sensibilisation au risque de corruption au profit de l’ensemble des acteurs privés et publics susceptibles d’être particulièrement exposés à ce risque, en raison de leurs fonctions et des missions qu’ils exercent.
Là où M. Antoine Léaument souhaite que ces actions de formation soient obligatoires, M. Ludovic Mendes préfère qu’elles restent facultatives.
Recommandation n° 3 de M. Antoine Léaument : rendre les actions de formation contre la corruption obligatoire
Rendre les actions de formation au risque de corruption obligatoire pour les professionnels susceptibles d’être particulièrement exposés à ce risque.
c. Un risque global : agents publics et privés, tous vulnérables à la corruption
Au cours de leurs auditions, vos Rapporteurs ont réalisé que le risque corruptif était dénoncé par tous, mais rarement identifié comme une menace pour soi-même. Ainsi, beaucoup des personnes entendues ont évoqué la corruption d’autrui mais peu ont semblé conscientes du risque pesant sur elles-mêmes.
Or, le phénomène de la corruption n’épargne personne ni aucune profession et il est urgent que chacun se sente concerné : élus, magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires, policiers, gendarmes, dockers, livreurs, chauffeurs, personnels des administrations régaliennes, etc.
Plus généralement, ce sont tous les corps de métier dont les réseaux de trafiquants pourraient tirer profit pour faciliter la gestion des flux et des échanges qui sont vulnérables au risque corruptif.
Dans le secteur privé, les organisations criminelles cherchent essentiellement à infiltrer les professions qui exercent des fonctions de logistiques et de transport. C’est ainsi par exemple que le personnel des entreprises de fret express, comme FEDEX, DHL ou Amazon, apparaît particulièrement exposé à ce risque, qui s’est semble-t-il amplifié avec la crise de la Covid-19 en raison de l’augmentation rapide des recrutements ([208]).
Les agents des administrations publiques sont quant à eux tout particulièrement concernés et notamment ceux des administrations régaliennes, identifiées par l’AFA comme extrêmement vulnérables ([209]).
Les facteurs de risque corruptif au sein de ces administrations sont multiples et tiennent notamment à la grande valeur, aux yeux des organisations criminelles, de l’information traitée ou détenue par un agent public mais également à sa capacité à agir pour faciliter le trafic de stupéfiants.
Les agents du contrôle ou de la chaîne pénale sont, bien entendu, en raison de leurs missions, particulièrement exposés. Plusieurs exemples d’actions facilitant le trafic et pouvant être accomplies par une cible corrompue ont été évoqués devant vos Rapporteurs. La sécurisation de certaines tâches et de fonctions spécifiques peuvent ainsi être identifiées comme des axes prioritaires en matière de prévention de la corruption.
● Mieux contrôler l’accès et la consultation des fichiers de données
Les agents publics ayant accès à des fichiers et traitement de données, comme ceux auxquels ont accès les magistrats ([210]), les greffiers, les policiers ([211]), les gendarmes ou les douaniers par exemple, sont particulièrement ciblés par les organisations criminelles.
C’est ainsi que l’examen des décisions de justice rendues entre 2021 et 2022 collectées par l’AFA a mis en évidence plusieurs affaires impliquant des policiers ou des surveillants pénitentiaires ayant vendu à des organisations criminelles des données contenues dans des fichiers ([212]).
Les traitements de données contiennent en effet des informations précieuses qui, entre les mains des groupes criminels, leur permettent de connaître les éléments d’un dossier, d’anticiper des interpellations, de déjouer des stratégies d’enquêtes ou de faire libérer un complice.
Pourtant, ces traitements de données sont très faiblement protégés, comme le souligne l’AFA ([213]) : leur accès n’est pas suffisamment sécurisé et la traçabilité des connexions n’est pas garantie.
Une meilleure sécurisation de l’accès à ces fichiers apparaît indispensable pour réduire le risque d’accès non justifié et abusif à ces données sensibles. Il pourrait notamment être envisagé de prévoir des dispositifs préventifs permettant de tracer de manière plus stricte des connexions anormales. À cet égard, comme l’a proposé l’AFA à vos Rapporteurs, il pourrait être mis en place un système d’alerte automatique, capable de détecter une connexion suspecte (qui a lieu par exemple en-dehors des heures de service) ou la consultation injustifiée à un dossier (par exemple car l’enquêteur ou le magistrat n’en est pas saisi).
Peu importe le système choisi, vos Rapporteurs souhaitent insister sur l’impérieuse nécessité de disposer de systèmes fiables assurant la traçabilité des accès aux fichiers contenant des données sensibles.
Recommandation n° 12 : assurer une meilleure traçabilité des accès aux fichiers de données sensibles
Garantir la sécurisation des fichiers et traitements de données sensibles en systématisant les dispositifs permettant d’assurer la traçabilité des connexions et des accès à ces systèmes et en prévoyant des mécanismes d’alerte, éventuellement automatisés, signalant des connexions suspectes.
● Un risque corruptif particulièrement identifié au sein de l’administration pénitentiaire
Qu’il s’agisse de communiquer avec des complices détenus, de menacer des concurrents, de parvenir à libérer un co-auteur, ou d’organiser un trafic en détention, l’infiltration criminelle d’un établissement pénitentiaire revêt, à l’évidence, un intérêt manifeste pour les réseaux de trafiquants de stupéfiants.
Vos Rapporteurs ont été particulièrement sensibilisés à ces enjeux par plusieurs des personnes qu’ils ont auditionnées. Le président du tribunal judiciaire de Marseille a notamment évoqué des incidents avec les services du greffe pénitentiaire qui, à deux reprises, ont omis de transmettre à la juridiction des demandes de mise en liberté faites par des détenus, ce qui a conduit à la libération de ces derniers, faute d’avoir pu traiter les demandes dans les délais.
Si ces incidents ont permis d’identifier un point de compromission et de révéler une corruption, dans la pratique, il est très difficile d’établir un fait de corruption, sauf à détecter une répétition du phénomène par un même agent par exemple ([214]). En effet, le défaut de transmission d’une demande de mise en liberté peut résulter d’une erreur humaine excusable ou d’un oubli fortuit.
La Direction de l’administration pénitentiaire a commencé à s’emparer de ces problématiques et a diffusé, le 23 octobre 2023, une note visant à une meilleure connaissance des règles déontologiques, une orientation toujours plus vertueuse des pratiques professionnelles et une plus grande protection de ses agents. Par ailleurs, elle a communiqué à l’AFA, en novembre 2023, un plan d’action spécifique pour la prévention du risque corruptif.
Vos Rapporteurs saluent ces initiatives mais déplorent, de manière plus générale, qu’elles ne s’articulent pas à l’échelle de chaque administration avec une stratégie globale de lutte contre la corruption.
À cet égard, ils observent que les administrations ne se sont pas toutes engagées dans une démarche de cartographie du risque corruptif, ce qui nuit à la capacité de détection de ce phénomène et des vulnérabilités propres au domaine d’action de l’administration concernée.
Surtout, vos Rapporteurs regrettent l’absence de politique de prévention forte en la matière s’appuyant sur un plan de formation et de sensibilisation ambitieux, dont ils ont déjà préconisé la création dans le cadre d’un renforcement des actions de formation à l’égard de tous les acteurs publics et privés susceptibles d’être concernés.
La situation est pourtant inquiétante, comme le démontre l’accentuation du phénomène de corruption, et nécessite un sursaut d’implication de la part de chaque administration : à l’heure actuelle comme le souligne l’AFA « certains agents publics n’ont pas conscience des risques (manque de formation) et certaines institutions ne traitent pas ces risques » ([215]).
La cartographie des routes d’importation des drogues et leur évolution mettent en évidence l’importance de l’organisation logistique du trafic de stupéfiants dont l’un des enjeux est la mise à disposition de ces substances illicites, souvent produites à l’étranger, à destination des pays consommateurs. Face aux évolutions des techniques de contrôle, les trafiquants développent de nouvelles méthodes d’acheminement, font appel à des moyens de transport plus sophistiqués, exploitent les nouvelles technologies et la mondialisation du marché légal pour créer de nouveaux espaces de transit.
Dotées de capacités financières et humaines considérables, les organisations criminelles sont particulièrement agiles et développent sans cesse de nouvelles stratégies de contournement des mesures de contrôle. Il en résulte une forme de course sans fin à laquelle se livrent les acteurs du contrôle et les organisations criminelles : au renforcement de la surveillance sur un vecteur répond une réorganisation du trafic.
Si le volume des saisies augmente, il demeure insuffisant pour affaiblir réellement les capacités des grandes organisations criminelles. À titre d’illustration, s’agissant de l’importation de la cocaïne, l’utilisation de pays de rebond en Afrique permet aux trafiquants d’y revendre une partie de la cargaison à prix moindre, cette opération leur permettant de couvrir les frais logistiques engagés, tandis que la majorité de la cargaison sera revendue en Europe, le continent le plus consommateur, pour générer du profit.
Selon les estimations d’Europol, il faudrait saisir 82 % des produits stupéfiants importés pour parvenir à atteindre véritablement les organisations criminelles et les empêcher de faire des bénéfices sur ces importations ([216]).
C’est la raison pour laquelle, indépendamment des efforts déployés pour diminuer l’offre de produits stupéfiants, en renforçant la coopération internationale et les actions diplomatiques auprès des pays producteurs de produits stupéfiants et en surveillant les routes d’importation pour améliorer les dispositifs de contrôle sur les points d’entrée des drogues sur notre territoire, il apparaît déterminant de trouver des moyens d’action pour limiter la demande.
La loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses, codifiée au sein du code de la santé publique (CSP) en 2000 ([217]), est le texte fondateur de la réglementation en matière de produits stupéfiants.
À l’origine, l’esprit de cette loi consistait à distinguer, d’une part, l’usager de produits stupéfiants, considéré comme un toxicomane pour lequel une prise en charge sanitaire était privilégiée, et d’autre part le trafiquant, perçu comme un délinquant relevant du volet répressif ([218]).C’est la raison pour laquelle les dispositions relatives à l’usage de produits stupéfiants sont encore aujourd’hui prévues au sein du CSP, tandis que le code pénal (CP) organise la répression du trafic de ces substances illicites.
Le contexte d’adoption de la loi du 31 décembre 1970
Historiquement, ce sont essentiellement des préoccupations morales qui ont motivé l’adoption des premières lois réglementant l’utilisation de drogues en France ([219]).
La première loi portant sur les stupéfiants date du 12 juillet 1916. Elle a été adoptée en plein conflit mondial, dans un contexte dans lequel l’usage de l’opium par les militaires revenant du front préoccupait particulièrement la population ([220]). Face au rique pesant sur l’armée et pour éviter la destruction des forces vives de la Nation, cette loi a pénalisé l’usage de certaines substances vénéneuses notamment de l’opium, de la morphine et de la cocaïne.
La loi du 31 décembre 1970 a quant à elle été adoptée à la suite de l’ « affaire de Bandol » survenue en 1969 : une jeune fille mineure avait été retrouvée morte d’une overdose dans les toilettes d’un casino de Bandol. Cet événement très médiatisé a été à l’origine d’une véritable « panique morale » qui a incité le législateur à s’emparer du sujet de la consommation des drogues ([221]).
Lors des débats à l’Assemblée nationale, Pierre Mazeaud, alors rapporteur de la commission des Lois sur ce texte, avait exprimé des réserves sur l’amendement du Gouvernement qui introduisait la pénalisation de l’usage personnel de drogues (passible de peines d’emprisonnement de deux mois à un an et d’amende de 500 à 5 000 francs) : « On peut s’interroger sur la justification d’une telle mesure. L’exposé des motifs du texte du gouvernement l’explique de la manière suivante : « à une époque où le droit à la santé et aux soins est progressivement reconnu à l’individu – en particulier par la généralisation de la sécurité sociale et de l’aide sociale – il paraît normal, en contrepartie, que la société puisse imposer certaines limites à l’utilisation que chacun peut faire de son propre corps, surtout lorsqu’il s’agit d’interdire l’usage de substances dont les spécialistes dénoncent unanimement l’extrême nocivité » » ([222]).
Les substances stupéfiantes font aujourd’hui partie de la catégorie des substances vénéneuses mentionnées à l’article L. 5132-1 du CSP. La notion de stupéfiants a été définie par le Conseil constitutionnel : elle désigne « des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs sur la santé » ([223]).
Le classement d’une plante, substance ou préparation comme stupéfiant résulte d’une décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il s’agit de l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, parmi lesquelles figurent notamment le cannabis et la résine de cannabis, la cocaïne, l’héroïne ou encore la morphine ([224]).
Prévu par l’article L. 3421-1 du CSP, l’usage illicite de stupéfiants est un délit puni d'un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Si l’infraction est commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, ou par le personnel d’une entreprise de transport terrestre, maritime ou aérien, de marchandises ou de voyageurs exerçant des fonctions mettant en cause la sécurité du transport, les peines de ce délit sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d'amende.
Le nombre important de consommateurs de produits stupéfiants en France conduit cependant à s’interroger sur l’efficacité du cadre répressif en vigueur.
Alors que la disponibilité des produits stupéfiants en France augmente, il apparaît plus que jamais nécessaire de trouver des leviers d’action pour diminuer la demande et ainsi atteindre efficacement et durablement le marché illégal des stupéfiants.
Or, cette action se concentre aujourd’hui sur la mise en œuvre d’une politique répressive, qui s’articule quasi-exclusivement autour de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD), outil de sanction du consommateur de stupéfiants dont la vertu n’apparaît ni dissuasive ni pédagogique, au regard de la hausse de la consommation de stupéfiants.
Avec l’objectif affiché d’améliorer la lutte contre l’usage de stupéfiants et la rapidité de la réponse pénale, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a étendu l’application de la procédure de l’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants ([225]).
Ce dispositif permet d’éteindre l’action publique en contrepartie du versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 200 euros. Le montant de l’amende forfaitaire minorée est de 150 euros et le montant de l’amende forfaitaire majorée est de 450 euros. La procédure de l’amende forfaitaire, dont la mise en œuvre est facultative, est exclusivement applicable aux personnes majeures ([226]).
Les différents usages de l’AFD
Une dépêche du garde des Sceaux du 31 août 2020 définit la politique pénale applicable à l’AFD en matière d’usage illicite de stupéfiants ([227]).
Selon cette dépêche, la mise en œuvre de l’AFD doit être exclue, en-dehors des cas prévus par la loi ([228]), dans différentes hypothèses pour des motifs d’opportunité. C’est notamment le cas lorsque l'intéressé a été trouvé en possession d'une grande quantité de stupéfiants ou que l'usage concerne des stupéfiants autres que le cannabis, la cocaïne, ou la MDMA/ecstasy ([229]).
La dépêche prévoit ainsi des quantités maximales au-delà desquelles, l’AFD devrait être exclue, sauf lorsque des circonstances particulières le justifient ([230]) :
– pour le cannabis : jusqu'à 50 grammes ;
– pour la cocaïne : jusqu'à 5 grammes ;
– pour l’ecstasy (MDMA) : jusqu'à 5 cachets ou 5 grammes de poudre.
Comme la DACG l’a indiqué à vos Rapporteurs, la politique pénale du ministère de la Justice à l’égard des consommateurs de produits stupéfiants se veut « dissuasive, notamment en insistant sur le recours à l’amende forfaire délictuelle (AFD) » ([231]).
C’est ainsi que l’AFD est devenu la principale réponse pénale pour sanctionner les faits d’usage de produits stupéfiants : elle est aujourd’hui au cœur du traitement judiciaire du consommateur.
● L’AFD est devenue la principale réponse pénale apportée à la consommation de produits stupéfiants
Effectivement mise en place depuis le 1er septembre 2020 en matière d’usage illicite de stupéfiants, l’AFD est un instrument de facilitation des verbalisations qui permet un traitement simplifié de ces infractions.
Outil d’allègement des stocks de procédures, tant pour les services d’enquête que pour les juridictions, l’AFD a ainsi permis, dans cette matière, d’automatiser la répression de l’infraction, c’est-à-dire la partie relative au prononcé de la peine d’amende. À la différence des autres amendes forfaitaires délictuelles, ce n’est donc pas la constatation de l’infraction qui a été automatisée, comme en matière de contrôle routière.
Selon la DACG, l’AFD présenterait également une dimension pédagogique en sensibilisant les consommateurs « sur l’impact direct de leur comportement sur le développement des formes graves de criminalité qui s’agrègent autour des trafics. » ([232])
Vos Rapporteurs ne sont toutefois pas convaincus par cette vertu pédagogique et constatent les maigres effets de cette sensibilisation par la sanction pécuniaire, comme en témoigne l’augmentation des usages, parallèlement à l’augmentation du nombre d’AFD dressés.
Ainsi, selon la DGPN ([233]), depuis septembre 2020, 609 032 AFD en matière d’usage illicite de stupéfiants ont été dressées dont 71 % par les services de la police nationale ([234]). Il s’agit de la seconde AFD la plus dressée sur le territoire, juste après les AFD en matière routière.
En 2023, le service statistique du ministère de l’Intérieur a recensé le prononcé de plus de 160 000 AFD pour des faits d’usage de stupéfiants. L’essentiel des verbalisations concerne le cannabis (près de 98 %), loin devant la cocaïne (moins de 2 %), la part des autres produits étant très faible ([235]). Au 30 septembre 2024, 153 834 AFD avaient déjà été prononcées, signe de l’augmentation continue de son usage ([236]).
La procédure de l'AFD présente un avantage certain dans le gain de temps qu’elle offre pour le traitement de la procédure : la durée de verbalisation est estimée entre 10 à 15 minutes ([237]).
La généralisation de l’AFD a ainsi contribué à transformer la réponse pénale apportée aux faits d’usage illicite de produits stupéfiants puisque l’AFD est devenue la réponse majoritairement prononcée, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Évolution du nombre des amendes forfaitaires délictuelles prononcées pour des faits d’usage illicite de stupéfiants entre 2016 et 2022
Source : contribution écrite de l’OFDT (à partir des données SSMSI du Ministère de l’intérieur).
● Le traitement pénal de l’usager de stupéfiants au travers de l’AFD se fait au détriment de la prise en compte de l’aspect thérapeutique
Selon l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) ([238]), en 2019, avant la création des AFD en matière de stupéfiants, il y a eu environ 75 000 affaires d’usages illicites de stupéfiants qui ont donné lieu à une réponse pénale. En 2021, ce nombre est descendu à 38 000 affaires, mais parallèlement plus de 106 000 AFD ont été dressées en cette matière. La réponse pénale entre 2019 et 2021 aurait donc doublé (passant de 75 000 affaires à 144 000) grâce à la mise en place de cette procédure.
Les données statistiques communiquées à vos Rapporteurs par la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) et le syndicat de la magistrature permettent d’affiner ce constat.
En premier lieu, il apparaît en effet que la création de l’AFD en matière d’usage de stupéfiants a permis de diminuer le nombre des décisions de classement sans suite prononcées par les parquets en la matière, comme le montre le graphique ci-dessous.
Évolution de la réponse pénale pour usage illicite de stupéfiants avant et après la création de l’amende forfaitaire délictuelle, entre 2018 et 2021
Légende : AFD (amende forfaitaire délictuelle) ; CSS (classement sans suite) ; CSS-Alternatives (alternative aux poursuites ayant donné lieu à un classement sans suite).
Source : contribution écrite du syndicat de la magistrature, statistiques issues de l’observatoire de la forfaitisation des délits.
Il est toutefois possible de relever que les décisions de classement sans suite dites « sèches », c’est-à-dire sans qu’elles soient adossées au prononcé d’une alternative aux poursuites, étaient déjà relativement faibles avant la mise en place de la procédure d’AFD. Ce nombre a même légèrement augmenté entre 2018 et 2012 (passant de 2 996 à 3 076 décisions).
Quant aux décisions de classement sans suite prises à la suite du prononcé d’alternatives aux poursuites, elles ont drastiquement diminué entre 2018 et 2021. Or, ces alternatives aux poursuites permettent notamment d’imposer à la personne de suivre un stage de sensibilisation et donc d’initier un parcours de soins pour traiter une problématique d’addiction.
Il est donc difficile de déduire de ces données que l’AFD a permis d’améliorer le taux de réponse pénale.
En second lieu, si le recours à l’AFD a en effet permis de traiter plus d’affaires, et donc de poursuivre davantage les usagers de produits stupéfiants, il s’est accompagné d’une diminution notable des décisions alternatives aux poursuites qui offraient la possibilité aux procureurs d’orienter les consommateurs vers des structures de soins.
Évolution de la réponse pénale pour les faits d’usage illicite de stupéfiants entre 2014 et 2023
Source : contribution écrite de la CNPR.
Comme le révèle le graphique ci-dessus, en 2019, 105 421 affaires pour usage illicite de produits stupéfiants ont été orientées pour réponse pénale (dont 90 189 impliquant des majeurs) ([239]).
En 2021, le nombre d’affaires ayant donné lieu à une réponse pénale par le parquet en cette matière s’est réduit à 66 608 affaires auquel il convient d’ajouter les 105 697 AFD dressées (ce qui représente un total de 171 305 affaires pour usage de stupéfiants). L’AFD représentait, pour les majeurs ([240]), 65% du taux de réponse pénale.
En 2023, l’AFD représentait 78 % du taux de réponse pénale, son recours n’ayant cessé de croître depuis sa mise en place.
Parallèlement à cette évolution, on observe que si le nombre de procédures donnant lieu à une AFD augmente de manière exponentielle, celui pour lequel une alternative aux poursuites a été mise en œuvre par le parquet ne cesse quant à lui de diminuer.
Cela est notamment le cas pour les stages de sensibilisation, dont le prononcé en tant qu’alternative aux poursuites a diminué de manière continue entre 2019 et 2023 (-75 %). Cette évolution s’observe également pour les mesures de composition pénale, qui peuvent consister en des injonctions thérapeutiques destinées à prendre en charge une problématique d’addictions : le prononcé de cette alternative aux poursuites a diminué de 42 % entre 2019 et 2023.
Le graphique ci-dessus met ainsi en évidence l’évolution du traitement pénal de l’usager de produits stupéfiants depuis la mise en œuvre de l’AFD. La réponse pénale est aujourd’hui dans sa grande majorité axée sur la répression à travers le recours massif à l’AFD, au détriment du prononcé des alternatives aux poursuites. Ces alternatives permettent pourtant d’imposer à l’usager le respect de mesures adaptées à une problématique d’addiction au travers de stage de sensibilisation dans un organisme sanitaire ou d’injonctions de soins.
Les alternatives aux poursuites en cas d’infraction d’usage de stupéfiant : des outils incitatifs précieux permettant une prise en charge de l’addiction
Le procureur de la République peut décider, lorsqu’une infraction a été commise, de recourir à des mesures alternatives aux poursuites qui permettent d’apporter une réponse judiciaire à une infraction reconnue sans orienter l’affaire vers une juridiction.
Dans le cadre de l’infraction d’usage de stupéfiants, lorsque le consommateur présente une problématique d’addiction, le recours à ces mesures alternatives peut permettre d’orienter la personne vers le soin. Parmi les mesures pouvant être prononcées à ce titre, deux semblent particulièrement adaptées à ce cas de figure :
– L’injonction thérapeutique ([241]) : cette mesure, pouvant être ordonnée avec l‘accord de l’auteur des faits dans le cadre d’une composition pénale, consiste pour la personne à suivre des soins en addictologie, sous la surveillance d’un médecin relais, pendant une durée de six mois. Le médecin relais assure l’interface entre l’institution judiciaire et les soignants chargés de son suivi. Il informe l’autorité judiciaire de l’évolution de la situation de dépendance de l’intéressé. À l’issue de la mesure, si l’auteur des faits a respecté ses obligations, le procureur de la République procède au classement sans suite de la procédure. En revanche, si la personne interrompt son suivi ou ne respecte pas le cadre de la mesure, le procureur de la République peut engager des poursuites ([242]) .
– L’orientation vers une structure sanitaire ([243]) : cette mesure consiste en l’accomplissement, par l’auteur des faits et à ses frais, d’un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants effectué au sein d’un organisme sanitaire.
Selon la DACG du Ministère de la justice ([244]), les alternatives dites « à contenu » (telles que les compositions pénales comprenant notamment un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de stupéfiants) concernaient en 2022, 16 % des réponses pénales adressées aux mis en cause majeurs en matière d’usage de stupéfiants.
Si le ministère de la Justice insiste sur la nécessité, aux côtés du recours à l’AFD, d’encourager les dispositifs de prise en charge existant au titre de la politique de réduction des risques, il ne donne aucune illustration des initiatives mises en œuvre en la matière ([245]).
Or, la politique adoptée aujourd’hui est bien davantage une politique de gestion de la masse des usagers de produits stupéfiants illicites plutôt qu’une politique de prévention de la consommation.
La procédure répressive simplifiée et rapide de l’AFD permet sans doute d’éviter l’embolie des tribunaux avec le contentieux prolifique engendré par la pénalisation de la consommation de l’ensemble des produits stupéfiants. Toutefois, il apparaît à vos Rapporteurs que la politique pénale mise à œuvre à l’égard du consommateur est le symptôme d’une vision à court terme portée sur ce sujet, centrée sur la répression plutôt que sur la prévention, et qui ne permet pas de répondre efficacement et durablement à l’augmentation de la demande de stupéfiants.
Par ailleurs, la politique de répression menée à l’encontre des usagers de produits stupéfiants contribuerait, selon l’association Addictions France ([246]), à une stigmatisation des consommateurs, les dissuadant de s’adresser à des professionnels de santé pour faire soigner leur addiction.
● L’augmentation du nombre des AFD : le signe d’une politique pénale excessivement centrée sur le consommateur
La DGPN ([247]) considère que l’application de la procédure d’AFD permet de renforcer la présence des policiers sur la voie publique, ces derniers n'étant pas mobilisés sur les tâches chronophages du transport du mis en cause ou de la mise à disposition de celui-ci au service d'investigation territorialement compétent. Cette simplification de la procédure permettrait ainsi de verbaliser davantage les consommateurs.
Vos Rapporteurs ne partagent cependant pas cette analyse et déplorent, à la lumière du taux exponentiel d’AFD dressées, que le temps des enquêteurs soit mobilisé autour de cette verbalisation et non pas alloué au démantèlement des réseaux.
C’est également la conclusion qu’il est possible de tirer du bilan établi, en 2021, par l’OFDT sur la réponse pénale à l’usage de stupéfiants après l’entrée en vigueur de l’AFD ([248]).
Ce bilan met en évidence l’évolution générale des politiques pénales en matière de stupéfiants qui sont de plus en plus centrées sur les consommateurs.
Le graphique ci-dessous, communiqué par l’OFDT qui a actualisé ses données, montre ainsi qu’en 2023, 80 % des interpellations liées aux stupéfiants ciblaient la consommation ([249]).
Évolution du nombre de personnes mises en cause pour infractions à la législation sur les stupéfiants entre 2016 et 2023
Source : contribution écrite de l’OFDT (à partir des données SSMSI du Ministère de l’intérieur).
Les forces de sécurité intérieure sont donc largement mobilisées pour verbaliser les consommateurs de stupéfiants. Cependant, alors même que la consommation de produits stupéfiants augmente, faute de politique préventive et sanitaire efficace ([250]), l’activité de verbalisation ne contribue ni à faire diminuer l’offre, ni à endiguer l’expansion du trafic de stupéfiants. Elle se fait au détriment des efforts de démantèlement des réseaux de trafiquants de produits stupéfiants.
Ni dissuasive pour le consommateur, ni efficace pour lutter contre la demande, le recours à l’AFD en matière de stupéfiants a contribué à focaliser la politique pénale autour de l’usage. Procédure rapide et simplifiée, le recours accru à l’AFD alimente le besoin qui a conduit à son introduction : en verbalisant toujours plus de consommateurs, on augmente le nombre d’affaires, créant le sentiment d’un contentieux de masse et incitant à réprimer encore davantage. Cette auto-alimentation pourrait être sans fin, ce d’autant que la massification du contentieux de la consommation de stupéfiants occulte les enjeux liés à la santé et à la lutte contre les réseaux de trafiquants de stupéfiants.
C’est la raison pour laquelle votre co-Rapporteur M. Antoine Léaument préconise d’abandonner purement et simplement le recours aux AFD.
Recommandation n° 4 de M. Antoine Léaument : suppression de la procédure de l’AFD
Supprimer la possibilité de recourir aux AFD pour l’usage de produits stupéfiants.
● Le bilan contrasté du recouvrement de l’AFD
Comme le montre le tableau ci-dessous, la procédure relative à l’AFD fait intervenir plusieurs acteurs : les forces de sécurité intérieure chargées de la verbalisation, le parquet de Rennes, compétent à l’échelle nationale, qui valide les procédures et se prononce en cas de contestations, et enfin l’ANTAI avec la Direction générale des finances publiques (DGFIP), lesquelles interviennent pour le recouvrement de l’AFD.
Source : contribution écrite de la DGFIP.
L’ANTAI est chargée exclusivement du recouvrement des AFD avant majoration (au stade forfaitaire ou minoré ([251])), tandis que la DGFIP intervient au stade du recouvrement forcé des amendes (au stade majoré).
Le taux de paiement des AFD (hors amendes majorées) s’élève à 36,3 % ([252]). Ce chiffre n’est cependant pas celui retenu par l’ANTAI qui adopte une méthode de calcul visant à « neutraliser » l’effet des plis non distribués, à la suite notamment d’une erreur d’adresse ou d’un déménagement ([253]).
En excluant du calcul les AFD qui n’ont pas pu être recouvrées en raison d’un pli non adressé, l’ANTAI indique que le taux de recouvrement (hors amendes majorées) s’élève à 46,2 % ([254]).
Ce taux correspond à celui du paiement spontané de l’AFD en matière d’usage de stupéfiants, c’est-à-dire avant recouvrement par les comptables publics de la DGFIP.
À cet égard, la DACG a souligné que le taux de paiement spontané de l’AFD en matière d’usage de stupéfiants demeurait largement inférieur à celui constaté pour l’ensemble des amendes : il était en effet de 36,4 % en 2022 pour l’AFD en matière d’usage de stupéfiants contre 62 % pour l’ensemble des amendes ([255]).
Selon l’ANTAI, le taux de paiement global des AFD en matière de stupéfiants, en intégrant les amendes majorées recouvrées par la DGFIP, mais en neutralisant l’effet des plis non distribués, est de l’ordre de 60 %.
Cette méthode de calcul contestable ne reflète pas fidèlement le taux de paiement de ces AFD.
Vos Rapporteurs ont donc comparé ces données avec les informations communiquées par la DGFIP ([256]), selon laquelle le taux de recouvrement des AFD majorées était, en 2023, de 19,50 % et au 31 octobre 2024 de 6,49 %.
Ce taux apparaît supérieur à celui du recouvrement des AFD dressées pour des faits de conduite sans assurances (qui est de 4,79 %) ou sans permis (4,08 %), mais il est inférieur au taux de recouvrement des amendes pour conduite avec un permis inadapté (8,34 %).
En 2024, en prenant en compte le taux de recouvrement des AFD avant majoration et retraitement des plis non distribués (36,3 %) et celui des AFD majorées (6,49 %), le taux de recouvrement global des AFD en matière de stupéfiants semble donc être en baisse : il est inférieur à 50 %.
● Les initiatives de juridictions locales pour redonner du sens au traitement judiciaire du consommateur : rétablir la vertu pédagogique de la réponse pénale
Vos Rapporteurs souhaitent souligner l’initiative de certaines juridictions qui tentent de remettre au cœur de la réponse pénale un traitement plus individualisé du consommateur, prenant notamment en compte la problématique de l’addiction aux produits stupéfiants.
C’est ainsi, par exemple, que le tribunal judiciaire de Marseille a développé de nouvelles actions pédagogiques pour favoriser les mesures d’accompagnement de l’auteur d’une infraction d’usage de stupéfiants en lien avec une problématique d’addiction ([257]).
Des audiences spécifiques de notification d’ordonnance pénale ont ainsi été mises en place. Au cours de ces audiences dont la visée pédagogique est renforcée, les usagers sont sensibilisés aux enjeux liés au trafic de produits stupéfiants grâce à une présentation de cette criminalité organisée et des règlements de comptes auxquels elle aboutit. Il est également rappelé aux usagers les effets d’une telle consommation sur leur santé en recherchant une prise de conscience de leur éventuelle dépendance au produit stupéfiant.
La juridiction entend également développer la « justice résolutive de problèmes » ([258]) pour favoriser la prise en charge globale des usagers de stupéfiants en faisant intervenir des associations spécialisées en addictologie au sein du palais de justice. Ce projet a vocation à cibler les jeunes majeurs en voie de désocialisation présentant une problématique de dépendance ou les personnes sortant de détention, sans suivi, commettant des infractions de petite intensité en lien avec une dépendance. Par la voie de la composition pénale, ce programme vise à assurer le suivi de la personne sur une durée de six mois et s’accompagne de mesures destinées à faciliter le suivi des soins, l’accès au logement et à l’emploi.
Enfin, le parquet de Marseille ayant constaté la baisse de la fréquentation de la permanence addiction se tenant au sein du tribunal, liée notamment à la montée en puissance de l’AFD, il souhaite lui donner une nouvelle orientation. Cette permanence sera notamment chargée d’assurer l’évaluation des personnes ciblées comme pouvant entrer dans le dispositif de justice restauratrice et accueillera les personnes déférées pour la mise en œuvre d’alternative aux poursuites lorsqu’elles présentent une dépendance.
Vos Rapporteurs saluent ces initiatives et sont convaincus que de telles actions, qui contribuent à une meilleure prise en charge sanitaire de l’usager de produits stupéfiants, sont nécessaires pour réduire la consommation de drogues.
Ces efforts sont d’autant plus nécessaires que la consommation de produits stupéfiants a considérablement augmenté et que, comme cela a été démontré, l’augmentation du nombre d’AFD ne permet pas d’y remédier.
Malgré la politique pénale répressive mise en œuvre et le nombre toujours plus important d’AFD dressées à l’égard des usagers de produits stupéfiants, il ressort des dernières données communiquées à vos Rapporteurs par l’OFDT ([259]) que le nombre de consommateurs de produits stupéfiants ne cesse d’augmenter.
Cette hausse globale de la consommation peut s’observer à travers l’évolution du nombre de personnes ayant consommé des produits stupéfiants au cours de l’année écoulée.
Comme le montrent les graphiques ci-dessous, l’augmentation de la consommation de produits stupéfiants est quasiment constante depuis les années 2000.
Évolution de la proportion de consommateurs dans l’année par type de stupéfiant
Source : contribution écrite de l’OFDT, citant les enquêtes Baromètre santé de Santé publique France et EROPP de l’OFDT.
En 2023, les différents consommateurs de stupéfiants dans l’année parmi la population générale se répartissent, selon les produits consommés, dans les pourcentages suivants :
– 10,8% pour le cannabis (contre 10,6 % en 2014) ;
– 2,7% pour la cocaïne (contre 1,1 % en 2014) ;
– 0,3% pour l’héroïne (contre 0,2 % en 2014) ;
– 1,8% pour la MDMA ou l’ecstasy (contre 0,9 % en 2014).
Le graphique ci-dessous compare le nombre d’expérimentateurs ([260]) de chaque drogue parmi la population des 11 à 75 ans avec ceux de l’alcool et du tabac.
Estimation du nombre d’usagers de substances psychoactives parmi les 11 à 75 ans
Source : « Drogues et addictions, chiffres clés », OFDT, Tendances, publié le 15 janvier 2025.
Au-delà des enjeux sanitaires que l’augmentation constante de cette consommation soulève, elle représente également un coût important pour la société. Le coût social des drogues a ainsi été estimé par l’OFDT en 2019 à 7,7 milliards d’euros ([261]).
Source : « Le coût social des drogues : estimation en France en 2019 », OFDT, 2023.
de répression (ou pas)
Les détails de l’évolution de la consommation de produits stupéfiants sont présentés ci-après.
a. Malgré sa stabilisation, la consommation de cannabis demeure très importante
Le cannabis est le produit stupéfiant le plus consommé en France, ce qui témoigne de la forte diffusion de cette drogue sur le territoire.
Selon l’OFDT ([262]), plus d’un adulte sur deux a déjà expérimenté ([263]) le cannabis (ce qui correspond à 50,4 % en 2023) soit quatre fois plus qu’il y a 30 ans (ils étaient 12,7 % en 1992). Il y aurait ainsi 21 millions d’expérimentateurs du cannabis en France.
L’OFDT dénombre encore 5 millions d’usagers de cannabis dans l’année, 1,4 million d’usagers réguliers et 900 000 usagers quotidiens.
La proportion d’usagers de cannabis en population générale s’est néanmoins stabilisée au cours de ces dernières années, phénomène attribué par l’OFDT au vieillissement des générations ayant expérimenté ce produit à l’adolescence au pic de sa diffusion. C’est ainsi qu’aujourd’hui, la consommation de cannabis ne progresse plus parmi les adultes et a même tendance à reculer parmi les plus jeunes.
La France, qui se situait auparavant au premier rang européen pour l’usage du cannabis dans l’année chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans, occupe désormais le troisième rang, derrière la République tchèque et l’Italie ([264]).
Ce recul de la consommation du cannabis s’observe également au niveau européen qui enregistre une baisse des expérimentations et des consommations parmi les adolescents.
Par ailleurs, l’offre de cannabis s’est étendue. Aujourd’hui, de nouveaux produits issus du cannabis sont proposés à la vente, présentant des niveaux de concentration en THC, principe actif, parfois très élevés à l’instar du « frozen hash » et du « Butane Hash Oil » ou BHO, apparus en 2023 en France. La vente de cannabis sous des formes comestibles, commercialisées dans les États américains qui ont légalisé le cannabis, s’est également développée en France.
b. Une diversification inquiétante de la consommation de l’ensemble des autres drogues
Au cours des trente dernières années, l’OFDT observe que la consommation de produits stupéfiants s’est considérablement diversifiée. Aujourd’hui, toutes les drogues illicites sont davantage consommées qu’elles ne l’étaient dans les années 1990.
Cette évolution est notamment perceptible en ce qui concerne la consommation de stimulants (cocaïne, MDMA/ecstasy, amphétamines), dont les niveaux d’expérimentation et d’usage ont fortement progressé depuis les années 2000.
● L’essor préoccupant de la consommation de cocaïne : une situation devenue hors de contrôle
L’OFDT estime ainsi que le nombre d’expérimentateurs de cocaïne en France atteint 3,7 millions, dont 1,1 million d’usagers dans l’année. Cette progression est particulièrement préoccupante, surtout si on compare ces chiffres avec ceux de la consommation en 2017 : à cette époque on dénombrait seulement 600 000 usagers de cocaïne dans l’année.
Le nombre de consommateurs de cocaïne a ainsi quasiment doublé en six ans et la France se classe désormais au sixième rang européen en ce qui concerne l’usage de cocaïne ([265]).
Ces données mettent en évidence l’essor sans précédent de la consommation de cocaïne en France, témoignant d’une accessibilité accrue de ce produit.
Ce sont surtout les adultes qui sont les principaux consommateurs de ces produits, en particulier ceux âgés de 25 à 44 ans. Parmi cette population, l’expérimentation de psychostimulants atteint un niveau record en 2023, tout particulièrement pour la cocaïne et la MDMA/ecstasy : pour la première fois en France, près d’un adulte sur 10 déclare avoir déjà essayé la cocaïne et près de 3 % des adultes en ont consommé au moins une fois au cours la dernière année.
L’OFDT observe que cette consommation, qui a tendance à régresser avec l’âge, culmine entre 25 et 34 ans, cette tranche d’âge comptant 5,4 % d’usagers dans l’année.
Par ailleurs, l’OFDT ([266]) souligne le développement de la consommation de cocaïne « basée », ou « crack » ([267]), tendance remarquée depuis la fin des années 2010. Une amplification de la consommation de cette substance est notamment observée parmi les personnes vivant dans la rue. Toutefois, il peut également être relevé une hausse de la consommation de « crack » parmi des personnes dont le profil est moins précaire, par exemple chez des hommes âgés de quarante à soixante ans, anciens consommateurs d’héroïne et bénéficiant d’un traitement de substitution aux opioïdes.
● Une consommation d’héroïne qui progresse mais qui demeure limitée à une partie de la population
L’héroïne demeure consommée de manière plus restreinte par des sous-groupes de population minoritaires.
Ainsi, sa consommation ne concerne qu’une faible partie de la population, ce qui représente seulement 0,3 % d’usagers dans l’année.
Elle est toutefois en hausse : en 2023 cette drogue a été expérimentée par 2 % des adultes, contre 1,3 % en 2017, ce qui représente 850 000 expérimentateurs d’héroïne qui sont quasi-exclusivement des adultes.
● La hausse globale de la consommation des drogues de synthèse
L’expérimentation de MDMA/ecstasy est également en forte hausse : en à peine plus de 20 ans (entre 2000 et 2023), la part d’expérimentateurs a considérablement augmenté, passant de moins de 1 % à plus de 8 % parmi la population adulte (âgée de 18 à 64 ans).
L’OFDT dénombre aujourd’hui 3,2 millions d’expérimentateurs de MDMA/ecstasy, dont 750 000 usagers dans l’année (contre 400 000 en 2017). En matière de consommation de ces drogues, la France se classe au 16e rang parmi les pays de l’Union européenne ([268])
Les jeunes majeurs (âgés de 18 à 34 ans) sont les plus concernés par cette consommation et représentent près de 4 % d’usagers dans l’année.
L’OFDT a observé que cette évolution s’accompagnait d’une transformation des formes d’usage de la molécule.
Alors que l’usage d’ecstasy sous forme de comprimés a décliné pendant la décennie 2000, un regain de la consommation a été observé dans les années 2010 lorsque le produit a été conditionné sous forme de poudre.
L’offre de MDMA/ecstasy s’est ensuite élargie et les comprimés d'ecstasy ont refait leur apparition sur le marché mais sous des formes différentes, davantage dosées.
L’OFDT observe également que « la dynamique de consommation de MDMA/ecstasy épouse la courbe de croissance de l’offre, mesurable à l’aune des saisies de plus en plus importantes (4 072 704 comprimés d’ecstasy saisis en 2023, soit une multiplication par dix en dix ans) » ([269]).
La consommation d’amphétamines, auparavant marginale, a également progressé : depuis 2005 le seuil de 2 % d’expérimentateurs dès l’âge de 18 ans a été dépassé.
L’OFDT constate également une diffusion accrue de la kétamine, en particulier au début de l’âge adulte, entre 18 et 44 ans, même si l’usage actuel de ce produit stupéfiant ne concerne que moins d’1 % de la population générale.
● L’essor des nouveaux produits de synthèse (NPS)
Le développement des nouveaux produits de synthèse (NPS), qui incluent des produits très divers tels que les cannabinoïdes de synthèse, les cathinones et les opioïdes de synthèse, se traduit par leur plus forte disponibilité.
Depuis le début des années 2000, plus de 950 NPS ont été identifiés au niveau européen, dont 450 nouvelles substances répertoriées en France.
Les catégories de NPS les plus représentées sont les cannabinoïdes de synthèse et les cannabinoïdes hémi-synthétiques. À titre d’illustration, une nouvelle classe d'opioïdes de synthèse a été identifiée en 2022 : les nitazènes.
● Le mésusage de substances à des fins psychoactives
La tendance à la diversification de l’offre s’observe également à travers le développement du mésusage de produits légaux à des fins psychoactives. Des produits d’usage courant, tels les médicaments, anesthésiques et solvants, habituellement utilisés dans un cadre médical ou vétérinaire, sont ainsi détournés de leur usage initial à des fins psychoactives. Cela peut notamment concerner des médicaments, hors prescription et sans contrôle médical, en particulier des opioïdes antalgiques ou d’autres substances telles que la kétamine, le GHB (gamma-hydroxybutyrate) ou encore le protoxyde d’azote.
Le développement du mésusage de ces substances donne lieu à de nouvelles formes de trafic. Il en est ainsi par exemple pour le protoxyde d’azote, un gaz initialement utilisé dans le milieu médical pour ses propriétés analgésiques, et industriel en tant que gaz de compression dans les cartouches pour siphon à chantilly, a été détourné de son usage à des fins « récréatives » au cours des années 2017. Le protoxyde d’azote a progressivement fait l’objet d’un trafic structuré, avec des trafiquants qui achètent d’importantes quantités sur internet avant de le revendre au détail.
Un exemple d’usage détourné de produit licite : le développement de l’usage du protoxyde d’azote ou « gaz hilarant »
Le protoxyde d’azote, ou « gaz hilarant », est un gaz utilisé notamment dans le milieu médical et industriel, qui fait l’objet de consommations détournées à des fins récréatives, cet usage s’étant développé notamment à partir des années 2010. L’inhalation de cette substance provoque une brève, mais intense et immédiate, euphorie.
En raison de son usage industriel, il est possible de se procurer du protoxyde d’azote de manière relativement aisée. Les petites cartouches de gaz destinées à la fabrication de crème fouettée en contiennent notamment et peuvent être inhalées. À partir de 2017, les lieux de vente de cette substance se sont multipliés, des capsules, bouteilles ou bonbonnes pouvant être acquises au sein de commerces de proximité, épiceries, bars et boîtes de nuit.
Cette substance est majoritairement consommée par une jeune population (notamment les lycéens et les étudiants : en 2022 le protoxyde d’azote avait été expérimenté par 2,3 % des jeunes de 17 ans, 1,2 % en ayant consommé au cours des douze derniers mois). La fréquence d’usage de cette substance en population adulte a été estimée en 2023 : 6,7 % des personnes âgées de 18 à 64 ans ont déclaré en avoir déjà consommé au cours de leur vie, seulement 0,8 % en ayant consommé au cours de l’année.
Les conséquences sanitaires de l’usage détourné de protoxyde d’azote sont de plus en plus visibles, le nombre de signalements remontés aux Centres d’évaluation et d’informations sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A) ayant quintuplé en France entre 2019 et 2020, passant de 47 à 254. Ces signalements concernent des personnes faisant un usage quotidien ou très régulier de cette substance auprès desquels peuvent être constatés des troubles neurologiques et neuromusculaires (paresthésies, hypoesthésies, déficits moteurs, tremblements des extrémités) qui persistent parfois plusieurs semaines.
Les enjeux sanitaires soulevés par l’usage détourné de protoxyde d’azote ont conduit le législateur à s’emparer du sujet. À titre d’exemple, une proposition de loi de M. Idir Boumertit visant à restreindre la vente de protoxyde d’azote aux seuls professionnels et à renforcer les actions de prévention sur les consommations détournées a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 29 janvier 2025 ([270]).
Source : « Les usages psychoactifs du protoxyde d’azote », OFDT, août 2022 et « Protoxyde d’azote – synthèse des connaissances », site internet de l’OFDT.
● Des produits de plus en plus concentrés en actifs
Parallèlement à la diversification des produits stupéfiants consommés, il est aussi constaté la présence sur le marché de produits de plus en plus concentrés en principe actif.
Cette tendance s’observe particulièrement pour la cocaïne et ce depuis 2018. En 2023, parmi les échantillons analysés par le dispositif SINTES ([271]) de l’OFDT, un quart présentaient une teneur en principe actif comprise entre 80 et 90 %, situation rare il y a encore dix ans ([272]).
c. Des écarts de consommation selon les âges et les professions
L’analyse des niveaux de consommation en fonction des âges permet de révéler que c’est à l’âge adulte que la consommation de produits stupéfiants est la plus importante.
Niveaux de consommation selon l’âge pour les trois produits stupéfiants les plus consommés à l’âge adulte
Source : contribution écrite de l’OFDT.
Comme le montre le graphique ci-dessus, au-delà de 45 ans, la consommation baisse fortement. La consommation de cannabis est quant à elle particulièrement forte parmi les plus jeunes (les 18 à 24 ans).
Selon l’OFDT, à l’exclusion du cannabis, 3,9 % des adolescents de France métropolitaine déclarent avoir consommé au moins une fois au cours de leur vie un produit stupéfiant, les plus courants étant la MDMA (1,9 %) et la cocaïne (1,3 %).
La MILDECA souligne toutefois que la consommation de produits stupéfiants parmi les adolescents est en baisse ([273]).
L’expérimentation du cannabis parmi les collégiens a ainsi diminué par rapport à 2018, tout comme son usage dans le mois, passant respectivement de 6,7 % à 5,3 % et de 4,5 % à 2,8 %. Les consommations régulière et quotidienne de cannabis demeurent marginales et concernent moins de 1 % des collégiens ([274]) .
Il est de même pour les lycéens, pour lesquels le niveau d’expérimentation du cannabis, qui concernait un tiers des lycéens en 2018 (33,1 %), concerne en 2022 moins d’un quart d’entre eux (22,5 %). L’usage dans l’année a également diminué (passant de 26,5 % à 17,6 %), tout comme l’usage dans le mois (qui est passé à 10,6 % contre 17,3 % en 2018), tandis que l’usage régulier a été divisé par deux (passant de 6,2 % à 2,9 %). L’OFDT souligne néanmoins qu’un lycéen sur cinq consommateurs dans l’année présente un risque élevé d’usage problématique ou de dépendance au cannabis.
S’agissant de l’expérimentation des autres produits stupéfiants, elle concerne 6,6 % des lycéens en 2022, proportion moins importante qu’en 2018 (8,1 %).
La consommation de produits stupéfiants varie également en fonction du milieu professionnel. Selon les données les plus récentes, la diffusion du cannabis, de la cocaïne et de la MDMA/ecstasy est plus forte dans certains secteurs d’activité comme les loisirs, l’hébergement-restauration, l’information et la communication. La surconsommation de cocaïne, par exemple, concerne en premier lieu les secteurs professionnels aux horaires décalés ou à la pénibilité physique forte : arts et spectacles, hôtellerie-restauration, construction/BTP ([275]).
d. Une diffusion généralisée à l’ensemble du territoire : la disponibilité accrue des produits stupéfiants
L’OFDT constate également la diffusion à l’ensemble du territoire des produits stupéfiants.
Dès les années 2000, la disponibilité du cannabis s’est étendue à l’ensemble des régions de France. À partir des années 2010, la cocaïne a également commencé à se diffuser sur tout le territoire. À la faveur de cette nouvelle disponibilité, l’usage de la cocaïne, initialement circonscrit aux métropoles et aux milieux sociaux aisés ([276]), s’est aujourd’hui élargi et concerne désormais les zones rurales et périurbaines. Aux côtés des zones traditionnelles de consommation que constituent les grandes villes, l’accessibilité de la cocaïne, qui peut se mesurer à travers son expérimentation, a ainsi augmenté dans les dix dernières années dans les zones urbaines de moindre importance.
D’une façon générale, les disparités en termes de disponibilité de l’ensemble des produits stupéfiants entre territoires ruraux et urbains sont de moins en moins visibles. La diffusion des produits stupéfiants demeure néanmoins un peu plus répandue dans les petites et moyennes villes ([277])
L’abondance de l’offre a ainsi contribué à l’uniformisation de la disponibilité des produits stupéfiants sur le territoire hexagonal : au-delà des métropoles et de leurs banlieues, tous les produits stupéfiants sont désormais présents dans des villes de plus petite taille, voire dans des territoires ruraux où la disponibilité des produits était, historiquement, faible ([278]).
L’essor de l’accessibilité des produits stupéfiants se mesure également à travers l’évolution du prix au détail de ces produits, lequel a nettement baissé au cours des vingt dernières années.
Le tableau ci-dessous mentionne le prix courant de chaque produit stupéfiant qui fait l’objet d’une estimation annuelle par l’OFDT.
Prix courant des principaux produits stupéfiants sur les marchés de détail en France en 2023 (en euros par gramme)
Produit |
Prix en euros en 2023 par gramme |
|
Cannabis |
Herbe |
Prix courant : 8-10 Prix bas : 5-6 Prix haut : 15-20 |
Résine |
Prix courant : 6-8 Prix bas : 5 Prix haut : 10-12 |
|
Cocaïne |
Prix courant : 50-60 Prix bas : 40 Prix haut : 70-80 |
|
Héroïne |
Prix bas : 10 Prix haut : 50-60 |
|
Médicaments opioïdes
|
BHD (Subutex®)
|
Prix courant : 2-5 (comprimé de 8 mg)
|
Méthadone
|
Prix courant : 5 (fiole de 60 mg) ; 3-5 (gélule de 40 mg)
|
|
Sulfate de morphine (Skénan®) |
Prix courant : 5-10 (gélule de 100 ou 200 mg.) |
|
Amphétamines
|
Prix courant 10-15 Prix haut : 20 Prix bas : 5-7 |
|
Kétamine
|
Prix courant : 30 Prix bas : 20-25 Prix haut : 40-50 |
|
MDMA
|
Poudre/cristal
|
Prix courant : 40 Prix bas : 30 Prix haut : 50 |
Ecstasy (comprimé)
|
Prix courant : 10 |
|
3-MMC
|
Prix courant : 30 Prix bas : 15-20 Prix haut : 40-50 |
|
LSD |
Prix courant : 10 (buvard ou goutte) |
Source : contribution écrite de l’OFDT, données issues du dispositif TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues).
L’accessibilité des produits stupéfiants est également renforcée par l’évolution des pratiques de vente. Il est désormais offert la possibilité à l’acquéreur de produits stupéfiants de fractionner les doses achetées, par exemple en achetant au demi-gramme. Ces achats fractionnés rendent le produit stupéfiant plus facilement accessible, y compris pour des consommateurs précarisés.
L’augmentation de la teneur en principes actifs des produits vendus sur le marché illicite s’observe pour tous les produits stupéfiants les plus consommés et n’est pas formellement corrélée à une hausse du prix de revente du produit, comme le montre le graphique ci-dessous.
éVOLUTION DU PRIX DES PRINCIPAUX PRODUITS STUPéFIANTS et de leur teneur entre 2011 et 2022
Source : contribution écrite de l’OFDT.
e. Une consommation de stupéfiants particulièrement importante dans les prisons
L’Enquête sur la santé et les substances en prison (ESSPRI), réalisée en 2023, a estimé pour la première fois le niveau de consommation de produits stupéfiants au sein des établissements pénitentiaires ([279]).
Cette enquête a permis de mettre en évidence que la consommation de produits stupéfiants en prison, en particulier du cannabis, dépasse de loin les niveaux observés en population générale, 49 % des détenus ayant indiqué en avoir consommé en détention. Plus d’un quart des détenus (26 %) consomme quotidiennement du cannabis, cette proportion étant huit fois plus élevée qu’en population générale.
La consommation d’autres produits stupéfiants (cocaïne, crack, MDMA, héroïne) pendant l’incarcération concerne environ un détenu sur dix. Ainsi, 14 % des détenus déclarent avoir consommé au moins une de ces substances au cours de leur détention : 13 % pour la cocaïne, 6 % pour le « crack », 5 % pour le MDMA et 5 % pour l’héroïne.
Selon l’enquête réalisée, ces niveaux d’usage s’expliquent notamment par une continuité de la consommation : une grande majorité des détenus qui consomment du cannabis en prison ont déclaré des consommations importantes avant leur incarcération.
Face aux enjeux sanitaires que soulève l’importante consommation de produits stupéfiants parmi la population française, les actions de prévention de l’usage de drogues s’avèrent insuffisantes.
Si quelques initiatives en matière de santé publique, mises en œuvre souvent localement, semblent prometteuses, elles ne permettent pas de répondre de manière satisfaisante aux problématiques liées à l’addiction ou aux usages récréatifs ne pouvant pour autant être qualifiés d’addiction.
Ponctuelles et sectorielles, ces actions ne s’inscrivent pas dans une véritable politique de prévention de la consommation de stupéfiants. Pourtant, dans leur immense majorité, les personnes auditionnées par vos Rapporteurs ont souligné l’urgence à envisager la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants de manière globale en associant à la répression des actions préventives de santé publique.
Comme le souligne l’OFDT ([280]), face à l’évolution des pratiques de consommation, la disponibilité des produits stupéfiants et la hausse des usages, il est déterminant de bâtir des stratégies efficaces de communication sur les risques liés à ces usages. La communication devrait ainsi être centrée sur la prévention, pour aborder plus librement les effets indésirables liés à la consommation de stupéfiants et les enjeux résultant de l’augmentation de la teneur en actifs des produits stupéfiants.
Une telle communication est aujourd’hui empêchée par l’effet de la stigmatisation pénale de l’usager de produits stupéfiants. Considéré avant tout comme un délinquant, le consommateur n’est quasiment plus perçu autrement que par ce prisme. Cela empêche de répondre aux enjeux sanitaires concernant les personnes en situation d’addiction, mais aussi aux enjeux de prévention concernant les usages récréatifs qui peuvent être potentiellement dangereux même sans dépendance à un produit.
Or, les quelques initiatives en matière de prévention de l’usage des produits stupéfiants sont trop souvent structurées autour du rappel de l’interdit pénal dans une logique de répression du consommateur.
● L’effet stigmatisant des actions de prévention orientées vers la « responsabilisation du consommateur »
La DGGN a notamment souligné la mobilisation des gendarmes qui participent à des actions de sensibilisation sur la toxicomanie auprès des plus jeunes, au sein des établissements scolaires ([281]). Ces actions sont menées avec le concours des maisons de protection des familles ([282]) et avec l’appui de formateurs anti-drogue ([283]). En 2023, ces actions ont été conduites auprès de 64 748 élèves du primaire, du secondaire ainsi que d’étudiants.
La DGPN mène des actions similaires qui s’appuient, dans le cadre scolaire, elle s’appuie sur des correspondants police sécurité école (CPSE) ([284]) ainsi que des policiers formateurs anti-drogue (PFAD) ([285]).Sur l’année scolaire 2023-2024, 10 290 actions de prévention ont ainsi été réalisées par les CPSE au bénéfice de 296 000 élèves et 14 819 actions ont été menées par les PFAD, au profit de 395 911 élèves.
Dans le cadre extrascolaire, ces actions sont menées au sein des centres de loisirs jeunes (CLJ) ([286]), principalement implantés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il s’agit de structures associatives qui accueillent des mineurs afin de prévenir la délinquance juvénile.
Les actions de sensibilisation menées avec l’appui des forces de sécurité intérieure auprès des plus jeunes manquent toutefois d’efficacité aux yeux des différents professionnels de santé spécialisés en addictologies auditionnés par vos Rapporteurs ([287]), qui leur préfèrent des initiatives plus adaptées à ce public, structurées autour du renforcement des compétences psychosociales ([288]).
Par ailleurs, l’OFAST a indiqué à vos Rapporteurs s’impliquer aux côtés de la MILDECA dans des actions visant à « responsabiliser les usagers, en insistant sur les notions de responsabilité et d’éthique (contribution aux trafics, fragilisation de l’État de droit, destruction de l’environnement, etc.) » ([289]).
Vos Rapporteurs déplorent que les actions de sensibilisation menées soient presque exclusivement axées autour de la stigmatisation du consommateur. Comme les professionnels de la santé et du milieu de l’addictologie l’ont indiqué au cours de leur audition, cette stigmatisation se fait au détriment de la prévention : jeter l’opprobre sur l’usager illicite de stupéfiants est inefficace pour guérir le consommateur souffrant d’addiction, comme pour faire prévenir et/ou diminuer les usages récréatifs non liés à des addictions. La politique de prévention doit donc passer par des modes d’information non stigmatisants pour les consommateurs, mais aussi par des incitations aux soins pour les personnes en situation de dépendance.
Recommandation n° 13 : Mettre un terme à la stigmatisation des consommateurs de produits stupéfiants
Cesser de stigmatiser les consommateurs dans les discours des responsables politiques comme dans les supports de prévention publics et multiplier les discours valorisant la prévention de l’entrée dans la consommation et le soin de la dépendance.
● Une politique de réduction des risques qui manque d’ambition
Les « salles de consommation à moindre risque » (SCMR), encore trop souvent stigmatisées comme des « salles de shoot », ont été autorisées par expérimentation législative en 2016. L’expérimentation a été prolongée en 2022 jusqu’à fin 2025 et ces salles ont été renommées en « haltes soins addictions » (HSA). Depuis 2016, deux HSA ont été ouvertes, à Paris et à Strasbourg.
Ces salles permettent aux personnes qui s’y rendent de pouvoir consommer des produits stupéfiants illicites sous la supervision de professionnels. Cette consommation supervisée permet de réduire les risques sanitaires qui peuvent y être associés. En contrepartie, les usagers des HSA bénéficient d’une immunité pénale pour les faits d’usage de stupéfiants et de détention de ces produits illicites lorsqu’ils sont commis dans l’enceinte des salles.
Un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) d’octobre 2024, rendu public par la presse, appelle à « inscrire dans le droit commun les HSA afin de prévoir, en droit, la possibilité d’ouvrir de nouveaux espaces de consommation supervisée » ([290]).
Le rapport ([291]) met ainsi en évidence que la présence de ces salles est de nature à améliorer la tranquillité publique en diminuant les consommations de rue. Depuis 2016, les seringues ramassées autour de la salle sont passées de 150 à moins de 10 par jour à Paris ([292]).
Par ailleurs, ces salles n’engendreraient pas de délinquance, et seraient même susceptibles de faire baisser le nombre de délits commis par leurs usagers.
Le rapport conclut en soulignant que « la fermeture de ces deux HSA dégraderait la tranquillité publique, mettrait en danger des usagers aux conditions de vie très précaires et mobiliserait inutilement des forces de police pour gérer les consommations rendues à l’espace public ; elle interviendrait à contretemps, dans un contexte de disponibilité accrue des stupéfiants, alors que les professionnels de l’addictologie alertent sur « la vague qui monte » ». ([293])
Vos Rapporteurs estiment que les conclusions de ces travaux d’inspection doivent être prises en considération. Le rapport rendu plaide en faveur de la construction d’une politique de réduction des risques assumée, ce à quoi vos Rapporteurs souscrivent pleinement.
Ils considèrent que la prise en compte des problématiques liées aux addictions, comme aux usages récréatifs, au travers d’une politique de prévention ambitieuse de la consommation ne constitue pas une marque de faiblesse à l’égard du trafic de stupéfiants. Au contraire, une telle politique est nécessaire pour appréhender les enjeux liés au trafic et à l’augmentation de la demande de stupéfiants dans sa globalité.
● Une meilleure prise en compte des problèmes d’addictions en prison
Comme l’enquête sur la santé et les substances en prison (ESSPRI) l’a confirmé en 2023 ([294]), la prison est particulièrement concernée par les problématiques liées aux addictions. Elle est donc un lieu au sein duquel les actions de sensibilisation et de prévention doivent se développer.
Consciente de ces enjeux, la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) du ministère de la Justice a présenté à vos Rapporteurs sa nouvelle « feuille de route santé des personnes placées sous main de justice 2024-2028 », signée en juillet 2024. L’un de ses principaux objectifs est d’améliorer la structuration de l’offre de soins en addictologie en milieu carcéral et de mettre en place, de manière adaptée, la réduction des risques et des dommages ([295]).
Au titre des actions à mettre en œuvre, elle prévoit d’améliorer le repérage et la prise en charge des conduites addictives à l’entrée, en détention et à la sortie de prison. En matière de soins et d’accompagnement en addictologie, la feuille de route préconise de favoriser la coordination entre acteurs sanitaires et pénitentiaires dans le champ addictologie et de soutenir et expérimenter de nouvelles modalités de prise en charge.
Des dispositifs innovants de prise en charge existent en effet dans divers établissements pour peine, la feuille de route citant en exemple le dispositif de l’URUD (Unité de Réhabilitation pour Usagers de Drogues du centre de détention de Neuvic) ([296]).
Cette unité, ouverte en 2017, accueille les condamnés volontaires ([297]) usagers de drogue qui souhaitent soit entamer une démarche de soin vers l’abstinence soit arrêter leur traitement de substitution. Le séjour dans l'unité pour une période de six mois se déroule en trois phases (immersion, responsabilisation, autonomie). Les premières évaluations de ce programme sont encourageantes, l’OFDT soulignant l’évolution positive de la majorité des détenus y participant ([298]).
Un exemple de dispositif de prise en charge de l’addiction en milieu carcéral innovant : l’unité de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD) du centre de détention de Neuvic
Le projet régional d’expérimentation d’une unité de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD) en milieu carcéral a été mis en service en juin 2017, au centre de détention de Neuvic, en Corrèze. Il vise à offrir aux détenus souhaitant poursuivre leur abstinence d’une conduite addictive un accès à une unité spécifique, associée à différents dispositifs de réhabilitation.
Le découpage du cycle de prise en charge de l'URUD, les propositions de contenu et les outils utilisés s’inspirent largement de ceux mis en œuvre dans les communautés thérapeutiques classiques.
La prise en charge des détenus est articulée autour des trois phases suivantes :
– Une phase d’induction de 15 jours, où le résident reste en observateur et où l’équipe encadrante/le groupe et le résident voient si leurs attentes sont en adéquation ;
– Une phase « intensive de réhabilitation » (ou phase 1), qui vise le maintien de l’abstinence en proposant un travail approfondi sur les ressorts de la consommation ;
– Une phase de responsabilisation (ou phase 2) où le résident gagne en responsabilité dans la vie communautaire, tout en travaillant son projet de réinsertion sociale.
– Une phase 3 éventuelle où le résident, une fois sorti en aménagement de peine pourrait venir faire vivre le groupe de pairs en témoignant de son expérience.
Le programme se structure autour d’ « espaces collectifs de médiation » (ECM) dont le principe est un travail sur la consommation et l’apprentissage des habiletés sociales. Une journée type se compose notamment :
– de groupes de parole encadrés par des professionnels et centrés sur le « travail psychologique » autour du produit ;
– de temps d’accompagnement individuel avec des professionnels socio-sanitaires (éducateur, psychologue, infirmier) ;
– d’activités sportives et culturelles.
À ce jour, à l’exception des équivalents temps plein médicaux, le dispositif de l’URUD est financé par la DAP via les fonds de la MILDECA et de l’Agence régionale de santé (l’ARS) Nouvelle-Aquitaine, dans l’attente de la pérennisation de son financement.
Deux évaluations de ce dispositif ont déjà été menées : une première évaluation par l’OFDT en 2018 et une deuxième confiée au professeur Philippe Nubukpo en 2022. La deuxième étude a conclu que l’URUD était un dispositif original, avec des partenaires très engagés et motivés, rejoignant largement les conclusions de l’OFDT. Toutefois, selon la MILDECA, les conclusions de l’évaluation sont à prendre avec prudence du fait de la faiblesse de l’échantillon initial et ne permettent pas de tirer des conclusions formelles sur le rapport « coût/efficacité » du dispositif.
L’extension de l’expérimentation à trois nouveaux sites a été décidée lors du comité de pilotage de février 2023. Cette deuxième phase de l’expérimentation, qui a démarré en 2024, vise à compléter les données de fonctionnement et à étayer l’évaluation finale après deux années d’exercice. Prévue en 2026, cette évaluation de l’expérimentation éclairera les suites à donner à ce dispositif innovant.
Sources : contributions écrites de la DAP et de la MILDECA et rapport d’évaluation de l’OFDT (« L’unité de réhabilitation pour usagers de drogues du Centre de détention de Neuvic : bilan de fonctionnement septembre 2017-juin 2018 : », OFDT, 2018).
● L’insuffisance globale de la politique de prévention en matière d’usage de produits stupéfiants
Au total, vos Rapporteurs constatent le manque d’ambition des politiques de prévention en matière de consommation de produits stupéfiants qui ne permettent pas d’appréhender de manière efficace, dans un cadre global de lutte contre le trafic de stupéfiants, les enjeux liés à l’explosion de la demande de stupéfiants.
Comme l’OFDT le souligne ([299]), les difficultés d’accès aux soins pour les usagers de stupéfiants présentant un problème d’addiction sont particulièrement prégnantes. Ces difficultés sont d’autant plus importantes pour les usagers de drogues en grande précarité.
Les problèmes d’accès aux soins relevés concernent autant l’accès à la médecine générale qu’aux soins spécialisés d’addictologie et résultent à la fois des modalités de fonctionnement des dispositifs sanitaires et sociaux, des effets de l’addiction et des conditions de vie marquées par la grande précarité.
L’OFDT indique ainsi que « nombre d’usagers de drogues se voient refuser une consultation ou sont confrontés à des délais particulièrement importants (plusieurs mois), malgré l’urgence de leur situation » ([300]).
Le souci de « responsabiliser » l’usager de produits stupéfiants, en insistant sur les conséquences de sa consommation à l’égard du trafic de stupéfiants, est aujourd’hui au cœur de la politique répressive stigmatisant l’usage de stupéfiants. En occultant les enjeux de santé publique et le phénomène addictif, les actions de prévention menées s’avèrent largement inefficaces. Elles ont également pour effet de détériorer l’offre de soins à l’égard des consommateurs de stupéfiants et de dissuader les alternatives pédagogiques orientées vers la prévention.
Devant l’inefficacité des actions de prévention conduites en matière d’usage des drogues, vos Rapporteurs estiment qu’il est urgent de bâtir une politique de prévention globale de la consommation de produits stupéfiants. L’augmentation de la répression de l’usager, à travers l’intensification de l’AFD, est en réalité le signe de l’échec des politiques de prévention menées à l’égard du consommateur de produits stupéfiants.
Comme le Groupe Pompidou le préconise à l’échelle du Conseil de l’Europe, une approche pluridimensionnelle de la problématique du trafic de stupéfiants est nécessaire pour lutter efficacement contre son développement. Cette approche globale doit donc traiter la problématique de l’addiction en se fondant sur l’accès aux traitements et aux soins et la réduction des risques et des dommages ([301]).
● Orienter la prévention en prenant réellement en compte les facteurs prédictifs de l’addiction
Selon la MILDECA, qui partage ce constat avec les professionnels de santé et les associations spécialisées dans la prise en charge de l’addiction entendus par vos Rapporteurs ([302]), la fréquence et la gravité des addictions dépendent de l’interaction entre trois éléments : un produit, une vulnérabilité et un environnement particulier.
Pour mieux lutter contre le phénomène addictif, la politique de prévention menée doit se concentrer autour de ces leviers, qui chacun contribuent à nourrir l’addiction :
– les caractéristiques du produit ou du comportement : le produit pouvant être plus ou moins addictif et le comportement de consommation dangereux ;
– les vulnérabilités innées ou acquises de l’individu : chacun dispose de ses propres facteurs de protection ou de vulnérabilité à l’égard de l’addiction ;
– les caractéristiques liées à l’environnement, plus ou moins délétère ou protecteur dans lequel l’individu évolue : elles recouvrent notamment l’entourage familial et social, l’efficacité du système de régulation, l’accessibilité ou la disponibilité des produits, la qualité du système de soin et de prise en charge.
Les vulnérabilités peuvent être acquises dès l’enfance, et même la petite enfance ([303]). Lorsque cette période est émaillée de difficultés, qui tiennent au mal-logement ou à la précarité alimentaire par exemple, l’individu sera plus vulnérable face à l’addiction.
C’est ainsi qu’une politique de prévention efficace doit aussi s’adosser à la mise en œuvre de mesures en faveur de la protection de l’enfance et de la lutte contre la pauvreté infantile. Plus généralement, les actions de politique sociale contribuent à réduire le développement de ces vulnérabilités à l’addiction, et constituent donc également les leviers d’une politique de santé publique efficace.
Par ailleurs, l’environnement dans lequel la personne évolue est l’un des facteurs déterminants dans la prédisposition à l’addiction. Par exemple, le contexte familial, la vie au sein d’un quartier difficile ou l’exposition permanente à la violence exposent à un risque plus important de développer une addiction. Garantir la sécurité publique contribue donc également à prévenir efficacement l’entrée dans une dépendance.
Comme le reconnaît la MILDECA, une politique de prévention efficace doit donc reposer sur la synergie des acteurs impliqués et des actions menées sur les individus, les environnements et les produits ([304]).
● Un exemple d’action de prévention à encourager : le développement des compétences psychosociales
Les programmes de prévention dont les effets sont probants sont ceux qui visent au renforcement, dès l’enfance, des compétences psychosociales.
Ces programmes, qui se développent à l’attention des plus jeunes, reposent sur la prise en compte des facteurs prédictifs évoqués et notamment des vulnérabilités de l’individu. Ils visent à éviter la première consommation et à prévenir le basculement vers l’addiction.
Les programmes de renforcement des compétences psychosociales : l’exemple du programme Good behaviour game
Les compétences psychosociales (CPS) sont définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un groupe de compétences psychosociales et interpersonnelles qui aident les personnes à prendre des décisions éclairées, à résoudre des problèmes, à penser de façon critique et créative, à communiquer de façon efficace, à construire des relations saines, à rentrer en empathie avec les autres, à faire face aux difficultés et à gérer leur vie de manière saine et productive ». Elles permettent de mieux réguler les caractéristiques du cerveau des adolescents qui constituent des facteurs de vulnérabilité face aux conduites addictives.
Une instruction interministérielle, pilotée par le ministère en charge de la santé, a été adressée le 19 août 2022 à l’ensemble des préfets de région, des directeurs généraux des agences régionales de santé, des recteurs ainsi qu’à de nombreux autres responsables de politique publique, afin que soient élaborées des feuilles de route sectorielles pour amplifier le déploiement de ces programmes. La feuille de route intersectorielle 2023-2027 ([305]) pour le développement des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes sous protection (aide sociale à l’enfance et protection judiciaire de la jeunesse) précise le cadre d’action pour cette population cible.
Ces programmes ont des résultats très positifs à petite échelle, comme le montre l’exemple du « Good Behavior Game » (jeu du bon comportement), programme probant mené par l’association Addictions France, destiné à développer les compétences psycho-sociales des enfants.
Ce programme est mis en place par les enseignants auprès de leurs élèves dans certaines écoles élémentaires faisant partie des réseaux d’éducation prioritaire. Les séances sont intégrées aux cours et aux activités et sont présentées aux enfants sous forme de jeu favorisant l’autonomie, la coopération, l’apprentissage, la régulation.
Sources : contributions écrites de la MILDECA et de l’association Addictions France.
Si l’efficacité de ces programmes a été soulignée par l’ensemble des professionnels de santé et des associations spécialisées dans la prise en charge de l’addiction auditionnés par vos Rapporteurs ([306]), ils regrettent le manque de financement suffisant de ces initiatives ne permettant pas de les pérenniser.
Recommandation n° 14 : encourager le développement des programmes de renforcement des compétences psychosociales et investir dans ces initiatives
Dans le cadre de la politique de prévention de la consommation de produits stupéfiants, développer les programmes de renforcement des compétences psychosociales auprès de la jeune population, notamment au sein des écoles, collèges et lycées et garantir le financement suffisant de ces derniers.
Vos Rapporteurs souhaitent également saluer les initiatives se développant autour de la prévention de l’implication des mineurs dans le trafic de stupéfiants, qui sont, sous l’impulsion de la MILDECA, en cours d’expérimentation, dans plusieurs communes. S’il est encore trop tôt pour évaluer les effets de ces programmes sur le parcours délinquant des mineurs, ces initiatives novatrices vont dans le bon sens en favorisant une approche globale des enjeux liés à l’entrée dans un réseau de trafiquants et en y associant les collectivités territoriales et l’ensemble des partenaires locaux.
Prévenir la consommation mais aussi l’implication dans le trafic de stupéfiants : l’exemple du programme LIMITS.
Depuis 2020, la MILDECA a expérimenté un dispositif de limitation de l’implication des mineurs dans les trafics de stupéfiants (LIMITS). Cette expérimentation initialement limitée à trois territoires est conduite sous la responsabilité des maires en lien étroit avec les préfectures.
Le dispositif a permis de mobiliser de nombreux acteurs pour partager un diagnostic, programmer et mettre en œuvre des actions. Les conclusions de l’évaluation de cette première phase ont permis, en 2024, d’élaborer un référentiel ([307]) pour une action locale de lutte contre l’implication des mineurs dans le trafic.
Les projets portés par une commune ou une intercommunalité visent l’élaboration d’un plan d’action partenarial, décliné en mesures concrètes, ayant pour objectifs de :
– Créer une dynamique partenariale sur la question de la participation des jeunes aux trafics de stupéfiants et former les professionnels sur cette thématique ;
– Prévenir l’entrée dans les réseaux de trafics de stupéfiants en luttant contre les idées reçues sur les trafics, en soutenant les parents, et en renforçant les compétences psycho-sociales des jeunes ;
– Lutter contre l’image positive des réseaux et proposer des modèles alternatifs ;
– Mieux détecter les jeunes susceptibles de basculement pour leur proposer un accompagnement spécifique, favorisant l’insertion scolaire et professionnelle ;
– Repenser l’occupation de l’espace public sur les lieux concernés par les points de deal, en lien avec les habitants, les bailleurs sociaux et les partenaires du projet.
L’expérimentation a été ouverte en 2024 à 15 nouvelles collectivités ([308]).
Source : contribution écrite de la MILDECA.
● Élaborer une politique efficace de prévention de la consommation des stupéfiants
Vos Rapporteurs souhaitent promouvoir le développement d’une politique ambitieuse de prévention de la consommation des produits stupéfiants. Convaincus que la répression du consommateur est une réponse inefficace à l’usage de stupéfiants, ils constatent l’échec de la politique de pénalisation sur la diminution de la demande et appellent à adopter une nouvelle approche fondée sur la prévention de l’usage.
La politique de prévention de la consommation de stupéfiants doit ainsi se fonder sur la mise en œuvre de mesures de réduction des risques et des dommages, sur un plan de prévention articulé autour de programmes innovants favorisant la coordination des acteurs pour une prise en charge globale du consommateur et facilitant l’accès aux soins.
Recommandation n° 15 : construire une politique de prévention de l’usage des stupéfiants ambitieuse
Renforcer la politique de prévention de l’usage des produits stupéfiants en développant les mesures de réduction des risques et des dommages et en favorisant la prise en charge sanitaire du consommateur.
— 1 —
deuxième partie – De l’identification au démantèlement des organisations criminelles : les mérites d’une approche globale pour mieux lutter contre les trafics de stupéfiants
L’efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants dépend des moyens d’enquête et de la stratégie judicaire déployés.
Pour faire face à l’agilité des organisations de trafiquants ainsi qu’à leur capacité d’adaptation et d’innovation dans les stratégies criminelles mises en œuvre, les services d’enquête comme les services judicaires doivent réorienter les méthodes d’investigation et centrer les moyens de la lutte contre le trafic de stupéfiants autour du démantèlement des réseaux.
Pour lutter contre ces nouvelles organisations qui reposent sur un modèle hiérarchique mafieux, la stratégie d’enquête doit en effet se concentrer sur le démantèlement de la structure criminelle plutôt que sur l’interpellation des « petites mains » du trafic.
Cette main-d’œuvre, souvent composée de mineurs, alimente le trafic de stupéfiants en participant au réseau, mais est également l’une des cibles des organisations criminelles.
De plus en plus souvent, ces mineurs sont recrutés en ligne, après avoir parcouru les offres d’emploi diffusées sur les réseaux sociaux par les groupes criminels qui encouragent ainsi la participation au trafic de stupéfiants. Parfois appelés « joueurs », en référence à la précarité de leur situation, ces mineurs sont les jeunes recrues des trafiquants qui traversent la France pour tenir un point de deal, attiré par la promesse illusoire d’une rémunération confortable et d’un travail aisé.
Si l’appât du gain apparaît, bien souvent, comme la source de motivation initiale de cette très jeune main-d’œuvre, une fois entrés au sein du réseau, les « joueurs » subissent les menaces et les actes d’intimidation des trafiquants qui refusent de les laisser quitter l’organisation criminelle. Pour asseoir leur emprise sur ces mineurs et les soumettre à leur autorité, les trafiquants usent des pires méthodes de violence et de torture : ces jeunes sont « enlevés, battus, humiliés et traités comme de la chair à canon » ([309]).Ainsi, ces « petits employés » du trafic sont moins inquiets d’être interpellés par les services des forces de sécurité intérieure, que de contrarier les trafiquants qui les ont embauchés ([310]).
Signe d’un usage décomplexé, voire revendiqué, de la violence extrême par les organisations criminelles ([311]), l’augmentation des règlements de compte sur fond de lutte entre bandes rivales, dont l’enjeu est la maîtrise d’un territoire et d’un marché, met en lumière la menace que ces réseaux font peser sur l’ordre public. C’est ainsi que 90 % des règlements de compte entre malfaiteurs sont liés au trafic de stupéfiants et 65 % des enlèvements-séquestrations. De plus, 25 % à 30 % des armes saisies le sont dans le cadre ([312]).
Cette tendance observée parmi les groupes criminels qui usent de méthodes de plus en plus violentes se confirme ces dernières années. D’après les chiffres communiqués par la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) ([313]), 418 assassinats et tentatives d’assassinats entre délinquants ([314]) ont été commis en 2023 sur le territoire national, ce qui représente une augmentation de 38 % par rapport à 2022, dont 85 règlements de compte.
La ville de Marseille est particulièrement touchée par ce phénomène : 84 assassinats et tentatives d’assassinats entre délinquants ont été recensés dans l’agglomération en 2023 et 53 décès en lien avec le trafic de stupéfiants ont été dénombrés dans le département des Bouches-du-Rhône la même année ([315]). Selon les données les plus récentes communiquées à vos Rapporteurs, 17 décès dans le cadre de règlements de compte ont été recensés dans l’agglomération marseillaise au 6 octobre 2024 ([316]).
Face à l’ampleur de la tâche et pour lutter contre le sentiment trop souvent exprimé devant vos Rapporteurs de « vider un océan de criminalité à la petite cuillère », les moyens de la lutte contre les trafics de stupéfiants doivent être adaptés à la nouvelle physionomie de ces organisations criminelles.
Tandis que les techniques d’investigation doivent s’adapter aux nouveaux enjeux du trafic et se concentrer sur la déstabilisation durable des organisations criminelles, la stratégie judiciaire doit évoluer pour tenir compte des singularités du trafic de stupéfiants parmi les infractions de criminalité organisée.
L’approche globale que préconisent vos Rapporteurs s’appuie sur le redéploiement des moyens d’enquête en concentrant la stratégie répressive autour des « têtes de réseau » pour déstabiliser durablement les organisations criminelles. Les efforts des forces de sécurité intérieure et des services judiciaires ne devraient pas être prioritairement dirigés contre les « petites mains » du trafic, dont l’interpellation ne gêne en rien les organisations criminelles qui disposent de ressources humaines suffisantes pour les remplacer et de ressources financières considérables pour essuyer les maigres pertes que les saisies de produits stupéfiants occasionnent. La stratégie d’enquête devrait être principalement axée sur le démantèlement méthodique du réseau et s’attaquer à la structure de son organisation en ciblant en priorité la chaîne de commandement de celui-ci.
I. L’adaptation des techniques d’enquête à des méthodes criminelles en constante évolution
Alors que le coût de la lutte contre le trafic de stupéfiants est estimé à 1,8 milliard d’euros ([317]), le niveau de la menace que l’organisation de ce trafic fait peser sur l’ordre public s’intensifie d’année en d’année.
Les stratégies des réseaux de trafiquants sont de plus en sophistiquées, ce qui contribue à complexifier les investigations. Ces organisations diversifient les méthodes employées, usant parfois de matériels technologiques tels que des brouilleurs ou des téléphones cryptés. Leurs modes opératoires sont également plus ingénieux et discrets, notamment grâce à l’utilisation des réseaux sociaux et au développement de « l’ubérisation » du trafic ([318]).
L’internationalisation des réseaux criminels, qui se comportent comme de véritables « multinationales du crime », contribue au renouvellement des méthodes employées par les grandes organisations de trafiquants de stupéfiants et participe à la diffusion de l’extrême violence des procédés utilisés, telle qu’elle peut s’observer par exemple au sein des factions criminelles internationales ([319]).
En effet, les réseaux de trafiquants de stupéfiants se professionnalisent, se structurant selon un mode mafieux. Pour dissimuler leur action criminelle, ils cloisonnent davantage les intermédiaires en divisant les tâches, notamment entre logisticiens, blanchisseurs et revendeurs.
Cette tendance à la professionnalisation en « bulles de spécialité » est décrite par l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) ([320]) qui identifie cinq types d’acteurs spécialisés contribuant au réseau de trafic de stupéfiants, désignés ci-après selon leur activité :
– les « banquiers » : acteurs spécialisés dans le blanchiment des fonds criminels et dans la collecte de ces fonds ;
– les « informaticiens » : acteurs capables de maîtriser les nouvelles technologies et d’ouvrir l’accès au darkweb et aux techniques de messagerie cryptée ;
– les « commerçants » : trafiquants de stupéfiants assumant la revente de ces produits illicites ;
– les « logisticiens » : ils sont spécialisés dans la fourniture des capacités de transports, des armes, des véhicules volés ou encore des faux documents ;
– les « malfaiteurs » : ils font usage de la force et sont les tueurs chargés d’éliminer des cibles ou des membres d’organisations rivales.
Les groupes criminels se structurent autour de ces spécialités et s’interpénètrent pour profiter des compétences de chacun de ces acteurs. Ils fonctionnent de manière opportuniste, ne sont pas toujours figés au sein d’une organisation, et créent de nombreuses alliances de circonstances, en mutualisant leurs moyens pour partager les risques ([321]).
En outre, ces organisations usent de méthodes clandestines de plus en plus difficiles à détecter par les services d’enquête, ce qui rend leur démantèlement complexe.
La stratégie d’enquête doit donc tenir compte des évolutions observées parmi les organisations criminelles pour adapter les méthodes employées aux enjeux de démantèlement des réseaux.
A. Mieux orienter la lutte contre les trafics vers les cibles d’intÉrêt prioritaire
Les cibles d’intérêt prioritaire (ou high value targets) sont des acteurs majeurs du trafic de stupéfiants autour desquels se structurent les réseaux et s’agrègent les trafiquants. La liste de ces cibles est définie par l’OFAST, en concertation avec l’ensemble des services concourant à la lutte contre les trafics de stupéfiants. Cette identification concourt à une meilleure implication de ces services en favorisant leur action commune dans l’interpellation des cibles.
Ces cibles opèrent souvent depuis l’étranger pour éviter l’interpellation. La moitié des huit cibles interpellées en 2021 et 2022 l’ont ainsi été à Dubaï. Leur profil est essentiellement celui d’hommes âgés d’une quarantaine d’années, le plus souvent titulaires d’une double nationalité et propriétaires d’un patrimoine mobilier et immobilier de plus de 10 millions d’euros ([322]).
Depuis la création de l’OFAST, 29 de ces cibles d’importance ont été interpellées ([323]) grâce à l’action conjuguée des services impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, conduite sous le chef de filât de cet office.
Le travail de centralisation des actions en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants autour d’un office national semble donc porter ses fruits et s’appuie sur une stratégie visant à valoriser le travail de renseignement autour des organisations criminelles pour concentrer l’action sur le démantèlement des réseaux.
En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, le fonctionnement décloisonné des organisations criminelles et leur dimension internationale imposent une adaptation des méthodes d’investigation par le développement des stratégies d’approche globale.
Cette approche doit permettre une coordination des services d’enquête et un meilleur partage du renseignement criminel.
a. La création de l’OFAST : un nouveau souffle à la lutte contre les trafics
Succédant à l’ancien l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), l’office anti-stupéfiants (OFAST) a été créé par un décret du 26 décembre 2019 ([324]), complété par l’arrêté du 27 décembre 2019 portant création de ses antennes et détachements territoriaux, puis effectivement mis en place le 1er janvier 2020.
Pour tirer les enseignements de l’échec de l’OCRTIS, la création de l’OFAST vise à mieux organiser et structurer la lutte contre le trafic de stupéfiants. Chargé de piloter le plan national de lutte contre les stupéfiants, dont la dernière déclinaison date du 17 septembre 2019 ([325]), l’OFAST a également été désigné chef de file de la lutte contre les trafics de stupéfiants.
L’échec de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS)
Créé par le décret du 3 août 1953, cet office était rattaché à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) au sein de la sous-direction pour la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière (SDLCODF).
L’OCRTIS présentait une dimension essentiellement opérationnelle, sa mission essentielle étant de procéder à des enquêtes en matière de trafics nationaux et internationaux de stupéfiants. Son manque de structuration a progressivement contribué à affaiblir l’autorité de cet organe national qui est apparu comme incapable de conduire, à l’échelle nationale, la lutte contre les trafics de stupéfiants. Ce manque de coordination, comme ses pratiques contestées, ont contribué à l’échec de cet office :
– L’organisation de l’office contribuait au cloisonnement du travail d’investigation entre les différents services. Favorisant une concurrence malsaine entre services plutôt que la coordination de ceux-ci, la structuration de l’office et son manque d’autorité favorisaient un partage lacunaire des informations recueillies, de nature à nuire à la qualité des enquêtes.
– Le fonctionnement de l’office était également critiqué, notamment en raison de l’emploi de méthodes discutables et de la déloyauté de ce service à l’égard de l’autorité judiciaire assumant la coordination des enquêtes. En particulier, la gestion par l’Office des « informateurs », trafiquants devenus sources de renseignement, a été contestée. Plusieurs affaires judiciaires mettant en cause des membres de l’OCRTIS sont emblématiques de ces manquements et ont précipité la chute de cet office.
Une première affaire concernait le chef de l’OCRTIS. En octobre 2015, les services des douanes ont découvert sept tonnes de cannabis dans des camionnettes garées à Paris au bas de l’immeuble occupé par l’informateur du chef de l’OCRTIS. Le cannabis faisait partie d’une plus grosse livraison placée sous la surveillance de l’OCRTIS, mais seule cette quantité a pu être retrouvée. En raison de la proximité du chef de l’OCRTIS avec cet informateur, un très important trafiquant de drogue français, celui-ci a été mis en cause pour avoir facilité l’importation de plusieurs dizaines de tonnes de cannabis sans avoir informé totalement l'autorité judiciaire des modalités de la livraison surveillée ([326]).
Une seconde affaire impliquait un commandant de l’OCRTIS, mis en cause pour des faits datant de 2013 relatifs à des irrégularités en matière de gestion des sources et de livraisons surveillées. Ce commandant est néanmoins resté chef d’une antenne de l’OFAST jusqu’en 2024, avant d’être muté dans l’intérêt du service en février 2024, à la suite d’une décision judiciaire.
Comme le souligne la Cour des comptes, « ces affaires ont révélé des manquements dans le recrutement et la gestion des sources et elles ont également mis au jour une rivalité importante entre l’OCRTIS et les services des douanes pour la saisie de stupéfiants indicateur de performance. »
La création de l’OFAST, décidée en 2019, visait donc à restaurer la confiance de l’autorité judiciaire à l’égard des enquêteurs en charge de la lutte contre les trafics de stupéfiants et à identifier de façon claire un véritable chef de file.
Source : « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », rapport d’observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
L’OFAST est un service à compétence nationale, placé sous l’autorité du Directeur national de la police judiciaire (DNPJ). Il est dirigé par un membre du corps de conception et de direction (CCD) de la police nationale, détaché dans un emploi fonctionnel de contrôleur général, secondé par un adjoint, magistrat de l’ordre judiciaire, également détaché dans un emploi fonctionnel de contrôleur général.
Son fonctionnement est structuré autour de la collaboration avec l’ensemble de services en charge de la lutte contre le trafic de stupéfiants, repose sur une logique interministérielle. L’OFAST réunit ainsi des membres de la police, de la gendarmerie, des douanes, de l’autorité judiciaire, de l’administration pénitentiaire ainsi que des finances publiques. La nature même des missions confiées à l’OFAST implique en effet la mobilisation de différents acteurs dans leurs champs de compétence respectifs.
Outre les investigations sur les trafics d’ampleur nationale et internationale, l’OFAST conduit également des activités stratégiques (coopération internationale, analyse stratégique, production de statistiques) et de renseignement (centralisation, enrichissement et diffusion du renseignement opérationnel).
● Les missions de l’OFAST et son organisation : le reflet d’une approche interministérielle de la lutte contre les trafics de stupéfiants
Pour marquer une rupture avec le fonctionnement critiqué de l’OCRTIS, l’article 3 du décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 définit les missions de coordination de l’OFAST et les articule autour du partage des informations, l’Office étant chargé de « centralise[r], analyse[r], exploite[r] et communique[r] aux services de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes et droits indirects, ainsi qu’aux autres administrations et services publics de l’État toutes documentations et données statistiques, en lien avec le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, relatives à son domaine de compétence. »
L’organisation de l’OFAST reflète les principales missions qui lui ont été confiées à sa création. L’activité de l’Office se structure ainsi autour de trois pôles : un « pôle renseignement », un « pôle stratégie », et un « pôle opérationnel ».
– Le « pôle renseignement » est dirigé par un membre de la gendarmerie nationale et dédié au recueil, à la valorisation et à la diffusion des renseignements opérationnels nécessaires à la lutte contre les trafics de stupéfiants.
Appartenant au second cercle des services de renseignement ([327]), l’OFAST contribue à professionnaliser le renseignement criminel, en s’appuyant sur le maillage territorial formé par les 104 cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département métropolitain et ultramarin et des unités permanentes de renseignement : 41 de ces CROSS sont permanentes et 63 non permanentes ([328]). En septembre 2021, deux CROSS thématiques ont été créées : une CROSS portuaire et une CROSS aéroportuaire et postale, non permanentes, co-pilotées par l’OFAST et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).
Les CROSS : des cellules dédiées au recueil du renseignement territorial sur le trafic de stupéfiants
Les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) sont déployées au niveau départemental. Composées d’agents de la police nationale, des douanes et de la gendarmerie nationale, elles servent essentiellement à assurer un partage des informations de terrain reccueillies par les différents services.
Elles sont ainsi chargées d’organiser et d’animer l’échange de renseignements, leur mission principale consistant à :
– centraliser et analyser le renseignement obtenu sur les trafics existants dans leur ressort, y compris en traitant les signalements adressés par les citoyens (par le biais des sites « Moncommissariat.fr » ou « Magendarmerie.fr ») en vue d’élaborer une territorialisation de la menace ;
– mettre à disposition de tous les services et unités contributeurs les informations opérationnelles portant sur l’évaluation des trafics et les transmettre à l’antenne OFAST territorialement compétente.
En 2023, 13 307 informations ont été reçues par l’ensemble des CROSS, dont la majorité provient du portail de signalement (63 %). Parmi ces informations, 5 187 ont fait l’objet d’une note de renseignement (soit 39 % des informations reçues), ayant donné lieu à l’ouverture de 1 612 procédures judiciaires et 59 procédures douanières.
Au 1er semestre 2024, 7 838 informations ont été transmises aux CROSS, émanant là encore principalement du portail de signalement (à hauteur de 66 %). Ces informations ont donné lieu à 2 703 notes de renseignement qui ont contribué à l’ouverture de 33 procédures douanières (dont 10 issues du portail de signalement) et de 833 procédures judiciaires (dont 48,97 % étaient issues ou enrichies par le portail de signalement, soit 408).
Source : contribution écrite de l’OFAST.
– Le « pôle stratégie » est dirigé par un membre des douanes. Il est notamment chargé d’établir tous les deux ans un « état de la menace » ([329]) visant à diffuser la connaissance en matière de produits, de trafics et de routes et d’analyser les grandes tendances nationales et internationales en matière de trafic.
– Le « pôle opérationnel » est dédié aux investigations sur les dossiers confiés à l’OFAST en tant que service enquêteur par l’autorité judiciaire.
Il comporte également une division d’appui opérationnel pour la conduite des enquêtes financières ou patrimoniales et une cellule d’analyse criminologique sur les passeurs de cocaïne. Il se compose de sept groupes d’enquête à vocation généraliste ainsi que de trois groupes aéroportuaires (deux pour Roissy et un pour Orly) ([330]).
Au 1er octobre 2024, l’OFAST comportait en théorie 230 postes, dont 30 restaient vacants ([331]). Les 200 personnels effectivement en fonction sont répartis entre 165 membres de la police nationale et 35 personnels hors de la police nationale dont 22 gendarmes, 6 douaniers, un personnel du ministère de l’économie et des finances, un personnel de la Direction de l’administration pénitentiaire et 5 officiers de liaison étrangers ([332]).
L’OFAST se compose d’un service central, basé à Nanterre, et de 15 antennes réparties sur le territoire métropolitain et ultramarin ainsi que 9 détachements placés sous l’autorité de l’antenne dont ils dépendent.
Source : « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
● Les outils spécifiques de la coordination de l’action en matière de démantèlement des trafics : l’exemple du fichier antistupéfiants
Le fichier antistupéfiants (FAST) permet l'inscription d'individus constituant des objectifs pour les services de la police nationale, de la gendarmerie nationale ou des douanes conduisant des enquêtes en matière de stupéfiants ([333]). Il permet aux services d’enquête de vérifier que la personne faisant l’objet d’investigations n’est pas la cible d’une autre enquête en cours.
Ce fichier repose sur le principe « hit / no hit » : il est alimenté par le service enquêteur qui crée une fiche pour chaque individu suspecté de participer à un trafic de stupéfiants ciblé dans le cadre d’investigations. S’il existe des similitudes avec une fiche créée précédemment par un autre service, une alerte par courrier électronique est envoyée au premier service ([334]). L’objectif de ce mécanisme de recoupement est d’éviter que plusieurs services ne conduisent des investigations parallèles sur un même objectif, ce qui risque de nuire à l’enquête notamment lorsque l’un des services interpelle l’individu suspecté alors qu’elle était sous la surveillance d’un autre.
L’alimentation et l’utilisation de ce fichier contribuent ainsi à la coordination de l'action des services. En cas de concordance des objectifs, les services peuvent s’identifier mutuellement, se mettre en relation et coordonner leurs actions pour être plus efficaces.
La base nationale à partir de laquelle la comparaison des renseignements contenus dans la fiche renseignée par le service enquêteur est effectuée regroupe quatre sources (dites « silos d’inscription ») alimentées par différents services : la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), la Direction nationale de la sécurité publique (DNSP), la Direction générale de la gendarmerie (DGGN) et de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).
Le FAST a remplacé l’ancien fichier national des objectifs stupéfiants (FNOS) autorisé par un arrêté du 11 juillet 2012. Cependant, comme l’a relevé la Cour des comptes dans un récent rapport sur l’OFAST, aucun arrêté n’est venu entériner l’existence du FAST alors même qu’il s’agit d’un fichier de traitement de données ([335]). Elle préconise ainsi la mise en conformité de ce fichier par la publication d’un acte réglementaire et la réalisation d’une analyse d’impact pour la protection des données ([336]).
Vos Rapporteurs considèrent eux aussi que cette mise en conformité serait opportune pour garantir la solidité juridique de ce nouveau fichier.
Recommandation n° 16 : procéder à la mise en conformité du FAST
Prendre un acte réglementaire accompagné d’une analyse d’impact pour la protection des données pour autoriser la mise en œuvre du FAST et abroger l’arrêté relatif au FNOS.
b. La nécessaire coordination de l’action de l’ensemble des forces de sécurité intérieure mobilisées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants
Si l’OFAST constitue l’unique service d’enquête spécialisé à l’échelle nationale dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, de nombreux autres services sont également amenés à contribuer aux enquêtes en lien avec le trafic de stupéfiants, parmi lesquels il est notamment possible de citer :
– les services de la Direction nationale de la police judiciaire, et notamment à l’échelle nationale l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), et l’Office anti-cybercriminalité (OFAC) ;
– les services de la Direction nationale de la sécurité publique (DNSP) ;
– les services de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), le travail s’effectuant notamment en lien avec les 44 sections de recherche et 367 brigades de recherche ([337]) ;
– les services de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et notamment la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ainsi que l’Office national anti-fraude (ONAF).
L’OFAST n’est pas destiné à mener toutes les enquêtes en lien avec le trafic de stupéfiants, le travail de l’Office se concentrant sur le démantèlement des réseaux et l’interpellation des cibles d’intérêt prioritaire. Les services ci-dessus mentionnés concourent également à cette lutte mais sont notamment chargés des enquêtes sur les trafics de stupéfiants « locaux ».
En effet, l’OFAST a renforcé son action à l’encontre des organisations criminelles d’envergure internationale, impliquant des cibles d’intérêt prioritaire. Parmi son portefeuille de 80 dossiers, 34 concernent des réseaux d’importation d’envergure internationale, dont deux s’inscrivent dans le cadre d’une équipe commune d’enquête et 21 dossiers impliquent 17 des cibles d’intérêt prioritaire identifiées ([338]). Pour mémoire, depuis la création de l’OFAST, 29 de ces cibles ont été interpellées ([339]).
L’internationalisation des réseaux criminels se livrant au trafic de stupéfiants sur le territoire national
En France, le trafic de stupéfiants est principalement dominé par des groupes criminels français, qui se structurent en général autour de membres partageant des liens géographiques, communautaires ou familiaux. En métropole, il s’agit notamment d’individus issus de quartiers dits « sensibles ». D’autres groupes, dont l’activité principale est le trafic de cocaïne, sont issus de l’arc caribéen : ils agissent depuis la Guyane ou les Antilles, et s’appuient en métropole sur des filières communautaires.
Malgré l’importante implication des groupes criminels français, d’autres organisations étrangères se livrent au trafic de stupéfiants en France, notamment au sein de l’hexagone. C’est en particulier le cas pour les réseaux suivants :
– Les réseaux nigérians : ils sont implantés en plusieurs points du territoire, notamment dans la région marseillaise. Ils participent au trafic de la cocaïne, de l’héroïne et de la méthamphétamine et sont capables d’en assurer tant l’approvisionnement que la redistribution.
– Les réseaux africains : leur implication s’observe particulièrement à Paris, dans le trafic de « crack », organisé principalement par des micro-réseaux communautaires africains. Ces réseaux sont souvent constitués de fabricants-revendeurs d’origine sénégalaise (que l’on appelle des « modous » ([340])), liés aux filières d’immigration illégale et légale ainsi qu’aux filières de cocaïne d’Afrique de l’Ouest.
– Les réseaux colombiens : il a été observé la présence ponctuelle de ressortissants colombiens liés aux organisations criminelles de leur pays d’origine notamment dans les laboratoires clandestins de cocaïne où ils agissent en qualité de chimistes.
– Les réseaux albanais ou albanophones : habituellement implantés dans l’Est de la France et initialement impliqués dans le trafic d’héroïne, ils sont désormais présents sur l’ensemble du territoire et également actifs dans le trafic de cocaïne.
Il est également observé une tendance, parmi les groupes criminels étrangers se livrant au trafic de stupéfiants en France, à diversifier leur activité criminelle et à étendre leur territoire d’influence, ce qui exacerbe la concurrence entre trafiquants sur le territoire national.
Par ailleurs, certains grands trafiquants français ([341]) ont noué des alliances opportunistes avec des réseaux mafieux d’envergure, par exemple la « Mocro Mafia » ([342]), ou utilisent des réseaux chinois pour assurer le blanchiment des fonds issus du trafic de stupéfiants.
Parallèlement, il est observé une interpénétration des cartels d’Amérique latine dans le trafic de stupéfiants européens, qui s’associent avec des mafias développpant leur activité sur notre territoire, tels la « ‘Ndrangheta » ([343]) calabraise ou des groupes mafieux des Balkans.
Source : contributions écrites de la DGPN et de la DACG.
L’intervention des différents acteurs mobilisés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants peut toutefois être source de difficulté. Par ailleurs, comme le relève la Cour des comptes, l’OFAST n’a pas connaissance de l’ensemble des enquêtes menées localement sur des faits de trafic ce qui peut créer une étanchéité entre la circulation des informations sur le terrain et celles remontant à l’office central qui n’a accès qu’aux informations de plus haut niveau ([344]).
Pour coordonner l’action de ces différents services et encadrer leurs interventions croisées, l’OFAST, en tant que chef de file, a adopté depuis 2023 une nouvelle orientation dans sa stratégie opérationnelle reposant sur l’intensification de la pratique de la co-saisine. Cette pratique permet au service central de l’OFAST d’être saisi d’une enquête en lien avec un trafic de stupéfiants aux côtés d’autres services : notamment ses antennes locales, les sections de recherche de la gendarmerie, ou encore l’ONAF.
La doctrine de co-saisine entre les différents services enquêteurs mise en place par l’OFAST repose sur le respect de certains principes permettant d’assurer un partage de l’information vis-à-vis de l’office central et une répartition précise des rôles entre les différents services impliqués. Cette doctrine vise ainsi à préciser les cas dans lesquels les services concourant à la lutte contre le trafic de stupéfiants doivent aviser l’OFAST d’une enquête en cours et repose sur la détermination d’une liste de critères de co-saisine parmi lesquels : l’implication d’une cible d’intérêt prioritaire, l’éventuelle compromission d’un agent public ou privé, l’utilisation d’une sortie portuaire ou aéroportuaire, l’envergure du trafic international de stupéfiants, la caractérisation d’une affaire d’ampleur dans laquelle intervient la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête complexes (par exemple l’infiltration), ou de toute affaire susceptible de connaître un retentissement médiatique relayé au niveau national ([345]).
Le renforcement de la stratégie collaborative de l’OFAST depuis 2023 a conduit à une augmentation du nombre de co-saisines attribuées par l’autorité judiciaire. Ainsi, en 2023, sur un portefeuille de 80 dossiers, 51 étaient menés par l’OFAST en co-saisine avec d’autres services d’enquête, se répartissant ainsi :
– 39 avec des services centraux et territoriaux de la DNPJ ;
– 7 avec des sections de recherches de la gendarmerie nationale ([346]) ;
– et 5 avec l’ONAF.
Cette culture de la coopération entre les services permet une adaptation des méthodes de travail en développant des stratégies d’approche globale ce qui contribue à une meilleure coordination des enquêtes portant sur les mêmes groupes criminels impliqués dans des dossiers différents.
La coordination entre les différents services d’enquête s’avère d’autant plus nécessaire que la réforme de la police judiciaire suscite encore des inquiétudes pour certaines des personnes entendues par vos Rapporteurs. Ainsi, plusieurs organisations syndicales de magistrats ([347]) estiment que l’échelon départemental qui est désormais celui autour duquel se structure l’organisation des services de la police nationale est moins adapté que l’échelon régional antérieurement retenu ([348]). Selon elles, cette structuration contribue à une priorisation des missions de maintien de l’ordre au détriment de la conduite des investigations, dès lors que les anciens services de police judiciaire ont été intégrés au sein de ces services départementaux. Une inquiétude partagée par votre co-rapporteur M. Antoine Léaument, qui salue la création à venir d’une mission d’information de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur cette réforme de la police judiciaire.
c. La poursuite nécessaire des efforts de centralisation : assurer une meilleure coordination des services autour de l’objectif commun de lutte contre le trafic de stupéfiants
Si la majorité des personnes auditionnées par vos Rapporteurs a salué l’action de l’OFAST et son efficacité, certaines ont pointé les écueils du modèle retenu qui aboutirait à une centralisation imparfaite des services concourant à la lutte contre le trafic de stupéfiants.
● Une coordination à parfaire : le renforcement du partage du renseignement entre les différents services impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants
Malgré le développement par l’OFAST d’une doctrine plus systématique de co-saisine, l’échange de renseignements entre les différents services impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et l’office central doit être renforcé.
Comme le relève également la Cour des comptes, l’OFAST ne dispose pas de la connaissance du portefeuille d’enquêtes de ses antennes et détachements, ni des dossiers traités par les autres services concourant à la lutte contre le trafic de stupéfiants, en-dehors des dossiers pour lesquels il participe en co-saisine. Son niveau d’information dépend donc du partage des informations que chacun des services accepte de bien vouloir lui remonter ([349]).
Ce manque global de coordination se ressent également dans le partage du renseignement criminel collecté entre les différentes directions et également au niveau des CROSS.
Ainsi, comme l’a souligné l’OFAST, si, au cours de l'année 2023, l’Office a transmis à la DNRED quatre-vingt-treize notes de renseignements opérationnels ayant permis à cette Direction de réaliser d’importantes saisies de produits stupéfiants et d’interpeller des mis en cause ([350]), l'OFAST n'a été rendu destinataire d'aucun renseignement émanant de la douane durant la même période.
Or, le succès du dispositif de partage de renseignement et de coordination mis en œuvre notamment au travers des deux CROSS thématiques portuaire et aéroportuaire/postale, co-pilotées par l’OFAST et la DNRED, dépend de la capacité des acteurs à partager du renseignement criminel.
Vos Rapporteurs estiment nécessaire de fluidifier l’échange des renseignements entre l’ensemble des services qui concourent à la lutte contre le trafic de stupéfiants en systématisant les remontées d’informations au profit de l’OFAST. La centralisation de ce renseignement criminel doit permettre sa meilleure diffusion et contribuer, par son analyse, à la bonne connaissance du fonctionnement des organisations criminelles et de leurs évolutions. Elle est, de ce point de vue, essentielle aux yeux de vos Rapporteurs.
Ils ne considèrent toutefois pas que l’exigence de centralisation du renseignement doit figurer dans la loi, à l’instar de ce qui est envisagé dans une proposition de loi déposée au Sénat ([351]). Ils estiment en effet que le fonctionnement des CROSS et du partage d’informations doit rester suffisamment souple pour être adapté aux évolutions des besoins et à l’acculturation progressive des services en la matière.
Recommandation n° 17 : assurer un meilleur partage du renseignement au profit de l’OFAST
Renforcer les remontées des renseignements au profit de l’OFAST en assurant le caractère systématique et complet des transmissions d’informations par les différents services concourant à la lutte contre le trafic de stupéfiants.
● Consacrer le rôle de chef de file de l’OFAST
Si l’OFAST joue, de fait, un rôle structurant dans la coordination et l’animation du réseau d’acteurs intervenant à différents niveaux dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, son rôle de chef de file n’est cependant pas consacré par le décret du 26 décembre 2019. Cela le distingue notamment de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont le positionnement en matière de lutte anti-terroriste a été consacré par le décret du 6 avril 2022 ([352]).
Même si, comme le souligne la Cour des comptes, l’ensemble des acteurs conviennent du rôle de chef de file assuré de facto par l’OFAST, vos Rapporteurs considèrent que cette mission essentielle mérite d’être expressément rappelée dans le décret du 26 décembre 2019.
Recommandation n° 18 : consacrer le rôle de chef de file de l’OFAST
Modifier le décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 pour inscrire explicitement le rôle de chef de file de l’OFAST dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.
Votre co-rapporteur Ludovic Mendes ne considère toutefois pas nécessaire de placer l’OFAST sous la double tutelle du ministère de l’Intérieur et du ministère chargé de l’Économie et des finances, comme le prévoit une proposition de loi inscrite au Sénat ([353]). Il souligne que l’OFAST comme la DGPN y sont également défavorables ([354]).
En effet, le positionnement de l’OFAST en tant que service à compétence nationale (SCN) au sein de la DGPN et de la DNPJ lui permet de conserver une vision opérationnelle qui légitime aujourd’hui sa capacité à assurer le chef de filât de la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Par ailleurs, être chef de file n’implique pas l’exercice d’une autorité hiérarchique sur les différents services dont il coordonne l’action, mais le pilotage et l’animation de la stratégie globale de lutte contre les trafics de stupéfiants. Le co-rapporteur Ludovic Mendes estime que ce choix d’orientation de l’action de l’OFAST est pertinent et a démontré son efficacité : l’Office est devenu un acteur parfaitement identifié des services d’enquête, mais également des partenaires internationaux.
De son côté, votre co-rapporteur M. Antoine Léaument estime qu’il serait judicieux de placer l’OFAST non pas sous la tutelle du pouvoir exécutif mais sous l’autorité du pouvoir judiciaire. La juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) ([355]) pourrait ainsi assurer cette tutelle, ce qui aurait le double avantage de renforcer l’indépendance de l’OFAST du pouvoir exécutif (et donc de pouvoir mener ses missions hors de l’exigence court-termiste du temps politique) mais aussi de renforcer le rôle de chef-de-filât de la JUNALCO.
2. Remonter les filières par l’adaptation des techniques d’enquête et le renforcement du renseignement criminel
Les méthodes d’enquête doivent s’adapter aux évolutions de la criminalité organisée en matière de trafic de stupéfiants.
Les techniques d’enquête, parmi lesquelles les techniques spéciales d’enquête (TSE) constituent des moyens d’investigation particulièrement utiles pour démanteler un réseau criminel et en identifier les auteurs. Le recours à ces méthodes d’enquête apparaît toutefois insuffisant, en particulier parce que les organisations criminelles parviennent à s’adapter aux stratégies déployées par les services enquêteurs.
L’emploi de ces méthodes d’investigations doit ainsi aujourd’hui être combiné au développement du renseignement criminel, permettant le recueil d’informations essentielles pour déjouer les manœuvres des trafiquants, et à une meilleure utilisation des moyens technologiques.
Pour lutter contre les organisations criminelles de réseaux de trafiquants de stupéfiants, les services en charge des investigations peuvent mettre en œuvre de nombreuses techniques d’enquête, dont certaines, particulièrement intrusives, visent à répondre plus spécifiquement aux enjeux de la délinquance et de la criminalité organisée.
● Le large éventail des techniques d’enquête pour lutter contre le trafic de stupéfiants
Dans le cadre des enquêtes portant sur des délits et crimes de trafic de stupéfiants, en complément des techniques d’enquête usuelles, telles que la géolocalisation ou l’interception des communications téléphoniques, il est également possible de mettre en œuvre des techniques spéciales d’enquête (TSE) ([356]).
Les trafiquants de stupéfiants, particulièrement prudents et bien conscients des méthodes d’investigation pouvant être utilisées, ont développé des stratégies pour déceler l’intervention des forces de sécurité intérieure et s’en prémunir, ce qui a notamment pour effet de rendre les techniques d’enquête traditionnelles ou les opérations de surveillance physique de moins en moins adaptées à ce type de criminalité organisée.
Ainsi, des techniques plus sophistiquées doivent être mises en œuvre dans le cadre de ces dossiers. À titre d’exemple, il est possible de citer quelques techniques spécifiquement employées comme méthodes d’investigations pour lutter contre le trafic de stupéfiants :
– la sonorisation et la fixation d’images de certains lieux ou de véhicules ([357]) : ces techniques sont notamment mises en œuvre pour faciliter l’identification des trafiquants en organisant une surveillance à distance ;
– le recueil des données techniques de connexion et les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques (l’IMSI-catcher) ([358]) : il s’agit d’un dispositif de proximité imitant le fonctionnement d’une antenne relais, permettant soit d’identifier ou de localiser un équipement terminal et le numéro d’abonnement de son utilisation, soit d’intercepter des communications ;
– la captation de données informatiques ([359]) : pour contourner l’utilisation par les trafiquants de messageries chiffrées qui empêchent l’interception des communications émises, il est possible de recourir au « piégeage » des téléphones ou des ordinateurs pour capter les données qui y sont contenues ;
– la livraison surveillée ([360]) et la livraison contrôlée ([361]) : la livraison surveillée permet de procéder à la surveillance du transport de produits stupéfiants ou de personnes à l’encontre desquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner la participation à un trafic tandis que la livraison contrôlée permet aux services enquêteurs de livrer ou délivrer à la place des prestataires de services postaux ou des opérateurs de fret les objets, biens ou produits placés sous surveillance ;
– l’enquête sous pseudonyme (ESP) ([362]) ou « cyber-infiltration » : elle permet, pour les enquêteurs, d’échanger des messages électroniques avec des trafiquants, en utilisant un pseudonyme, dans le but de rassembler la preuve numérique des infractions ;
– le « coup d’achat » ([363]) : cette technique, mise en œuvre en complément de l’ESP, permet pour les enquêteurs d’acquérir des produits stupéfiants ou de mettre à la disposition des trafiquants des moyens de transports, ou de télécommunication notamment pour faciliter le recueil de la preuve et gagner la confiance des personnes suspectées dans le cadre d’une cyber-infiltration.
Parmi les personnes entendues par vos Rapporteurs, certaines ont souligné le besoin de renforcer les moyens d’investigation à la disposition des enquêteurs ([364]). En particulier, ils ont évoqué l’utilité d’autoriser l’activation à distance des appareils électroniques pour permettre la captation du son et de l’image.
L’activation à distance permettrait de faciliter et de sécuriser les opérations de captation en évitant aux enquêteurs de devoir infiltrer un lieu d’habitation ou un véhicule pour y installer le matériel de sonorisation et d’enregistrement. Ces opérations s’avèrent en effet de plus en plus dangereuses au regard de l’évolution des méthodes des trafiquants, davantage aguerris et toujours plus vigilants, et font peser un risque sur les agents spécialisés en charge de l’installation de ces dispositifs.
La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023‑2027 avait prévu l’introduction de cette nouvelle technique d’enquête. Le Conseil constitutionnel a cependant censuré les dispositions de cette loi autorisant l’activation à distance d’un appareil électronique aux fins de sonorisation ou captation d’images ([365]). Au regard du caractère particulièrement intrusif de cette méthode d’enquête, qui permet « l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté détenu par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers », et du champ d’application large de cette technique « pour l’ensemble des infractions relevant de la délinquance ou de la criminalité organisées », le Conseil constitutionnel a en effet estimé que la mesure portait une atteinte au droit au respect de la vie privée non proportionnée au but poursuivi.
En revanche, le Conseil constitutionnel a admis la possibilité d’activer à distance un appareil électronique aux seules fins de géolocalisation, technique d’enquête introduite par la même loi du 20 novembre 2023 ([366]).
Vos Rapporteurs sont divisés sur la question de l’introduction d’une nouvelle technique d’enquête permettant l’activation à distance des appareils électroniques aux fins de captation de l’image et du son.
M. Ludovic Mendes prend pleinement la mesure des difficultés auxquelles sont confrontés les services enquêteurs face aux nouvelles méthodes employées par les groupes criminels organisés de trafiquants de stupéfiants. Il lui paraît dès lors nécessaire de faire évoluer les moyens d’investigation à leur disposition pour s’adapter aux nouvelles stratégies criminelles et aux capacités des réseaux. Il souligne toutefois la nécessité d’entourer le dispositif d’activation à distance d’un appareil aux fins de captation d’images et de sons de garanties juridiques robustes. En effet, cette technique s’avère particulièrement intrusive et son champ d’application est très large : elle permet potentiellement d’enregistrer des données privées portant sur des tiers, non impliqués dans le trafic.
Au regard de la récente décision du Conseil constitutionnel précédemment évoqué, M. Antoine Léaument estime de son côté qu’il serait risqué au plan juridique d’introduire une nouvelle technique d’activation à distance des appareils électroniques aux fins de captation du son et des images. Pour lui, cette technique fait en particulier peser un risque sur les libertés individuelles des personnes n’étant pas impliquées dans les trafics mais pouvant se retrouver sur écoute simplement parce qu’elles seraient à proximité d’un appareil électronique activé à distance. M. Antoine Léaument constate par ailleurs l’évolution récente de ces moyens d’investigations, renforcés par la loi du 20 novembre 2023 qui a notamment prévu une possibilité d’activation à distance des appareils aux fins de géolocalisation. Dès lors, il lui paraît préférable d’évaluer en premier lieu les effets de ces nouvelles techniques avant d’envisager leur renforcement.
● L’infiltration : un moyen d’investigation délicat à mettre en œuvre
L’infiltration, prévue aux articles 706-81 à 706-87 du CPP ([367]), consiste, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs.
Dans le cadre de ces opérations, « l’agent sous couverture », qui est spécialement habilité, est autorisé à faire usage d'une identité d'emprunt et à participer si nécessaire à certaines infractions ([368]) sous réserve toutefois que les actes commis ne constituent pas une incitation à commettre des infractions. Il bénéficie ainsi d’une exonération pénale pour les actes commis dans le cadre de l’infiltration. L’agent agit sous la responsabilité d’un « agent de couverture » chargé de coordonner l'opération.
Les opérations d’infiltration sont exclusivement mises en œuvre par le service interministériel d’assistance technique (SIAT) de la DNPJ ([369]) qui sélectionne et forme spécifiquement les agents chargés de mener les opérations d’infiltration. Ces agents sont habilités par le procureur général près la cour d’appel de Paris ([370]).
La révélation de l’identité réelle des agents ayant effectué l’infiltration sous une identité d’emprunt constitue une infraction punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ([371]).
Présentation du service interministériel d’assistance technique (SIAT)
Rattaché au directeur national de la police judiciaire adjoint en charge des opérations, le SIAT est un service d’appui tactique destiné à soutenir les services d’investigation (parmi les services de la police nationale, de la gendarmerie nationale ou des douanes) en leur permettant de mettre en œuvre des techniques spéciales de renseignement (TSR) et d’enquête (TSE).
Le SIAT intervient dans quatre domaines de compétence :
– L’assistance à la mise en œuvre des opérations techniques : le service offre un appui opérationnel aux services d’investigations de la police nationale notamment pour la mise en œuvre de techniques de « surveillance » (telles que la pose de balises, de dispositifs de captation d’images et de sons, ou encore d’IMSI-catcher).
– Le renseignement humain : le bureau central des sources du SIAT est notamment chargé de mettre en œuvre le dispositif de contrôle interne de la police nationale sur les informateurs. Par ailleurs, le bureau de recrutement ciblé met à la disposition des services de la police nationale, des capacités de recherche proactive d’informateurs.
– Les opérations d’infiltration : le bureau de techniques d’enquête du SIAT possède le monopole de la conduite des opérations d’infiltration au profit de l’ensemble des services d’enquête (police, gendarmerie et douane).
– La mise en œuvre des programmes de protection et de réinsertion au bénéfice des collaborateurs de justice (voir infra sur les repentis) : le bureau de protection et de réinsertion assure la mise en œuvre des programmes de protection des repentis, des témoins menacés et des victimes de traite des êtres humains, après validation par la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR).
À l’échelon central, le SIAT comprend un peu moins de 80 personnels (issus notamment de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des services des douanes).
À l’échelon territorial, le SIAT est constitué de 8 antennes et de 24 détachements.
Source : contribution écrite du SIAT.
Si l’infiltration d’organisations criminelles de trafiquants de stupéfiants, par des agents habilités, constitue une méthode d’enquête particulièrement efficace pour appréhender le fonctionnement du réseau, identifier la chaîne de commandement, recueillir des éléments de preuve et aboutir au démantèlement du groupe criminel, la mise en œuvre de cette technique demeure très rare.
Selon le SIAT, pour l’ensemble des contentieux, ce sont seulement environ 21 opérations d’infiltrations qui sont conduites annuellement et seules 2 opérations en moyenne par an sont réalisées sur des enquêtes en lien avec des trafics de stupéfiants ([372]). Sur la période de 2019 à 2024, 12 opérations d’infiltrations ont été conduites sur des dossiers de trafic de stupéfiants, dont 4 ont permis d’aboutir à un résultat ([373]).
Selon le SIAT, le recul du recours à l’infiltration en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants peut notamment s’expliquer par l’absence de garantie que ces opérations aboutissent. En effet, des évènements imprévisibles ([374]) peuvent parfois conduire à mettre prématurément un terme à l’infiltration pour « extraire » un agent compromis.
Par ailleurs, le SIAT souligne que l’emploi de techniques d’infiltration n’est pas toujours adapté aux dossiers de trafic de stupéfiants car le suivi de ces opérations nécessite beaucoup d’engagement de la part de services d’enquête et des magistrats, souvent accaparés par d’autres enquêtes.
Enfin, le SIAT considère que l’absence d’encadrement juridique des sources humaines constitue un obstacle dans la mise en œuvre de l’infiltration, car ces sources sont généralement nécessaires pour initier ce type d’opérations et faciliter la mise en contact de l’agent infiltré avec les personnes suspectées ciblées ([375]).
Pour développer le recours à cette technique, le SIAT a évoqué auprès de vos Rapporteurs plusieurs pistes d’évolution de ce dispositif.
D’abord, le SIAT considère qu’il est nécessaire que les procès-verbaux relatifs à la conduite des opérations d’infiltration soient soustraits à l’examen des parties, et en particulier des trafiquants mis en cause. Pour assurer la confidentialité de cette technique, préserver l’identification de la source qui a introduit l’agent infiltré au sein du réseau et garantir la sécurité de cet agent, il est ainsi proposé la création d’un « dossier coffre » soumis au seul contrôle de l’autorité judiciaire. Vos Rapporteurs ont intégré cette proposition dans leur réflexion au sujet de ce dossier confidentiel, dont le champ d’application dépasse la mise en œuvre de la seule technique d’infiltration (voir infra) ([376]).
Par ailleurs, le SIAT propose d’étendre le recours à l’infiltration en ouvrant cette possibilité à tout individu « civil » et en ne la réservant plus aux seuls agents de police et des douanes habilités à cet effet. Selon le service, cette infiltration civile présenterait l’avantage d’être plus aisée à mettre en œuvre, l’individu étant déjà en relation avec les personnes suspectées.
Si vos Rapporteurs comprennent l’intérêt d’une telle extension, qui serait sans doute de nature à simplifier le recours aux opérations d’infiltration, ils souhaitent souligner que la mise en application d’un tel dispositif d’infiltration civile emporte certains risques, qui mériteraient d’être mieux évalués.
En particulier, le « civil » infiltré au sein d’un réseau de trafiquants est particulièrement exposé au danger et ne dispose pas de la formation dont bénéficient les agents du SIAT leur permettant d’être préparés à la gestion d’une telle opération.
Par ailleurs, pour que le dispositif présente un intérêt, l’infiltration devrait être effectuée par une personne proche du trafic et associée à l’organisation criminelle. Dans le cadre des opérations d’infiltration, cela reviendrait à accorder à l’agent civil participant au trafic une exonération de responsabilité pénale pour les futures infractions de trafic de stupéfiants commises dans le cadre de cette infiltration. Un tel régime pourrait inciter certains auteurs impliqués dans le trafic à développer des stratégies pour poursuivre leur activité criminelle : en prétendant collaborer avec les enquêteurs dans le cadre de l’infiltration civile ils seraient ainsi assurés de ne pas pouvoir être sanctionnés pénalement, quels que soient les résultats de cette collaboration, y compris lorsque celle-ci n’aurait pas permis d’aboutir au démantèlement du trafic. En effet, l’exonération de responsabilité pénale est indépendante de la bonne volonté de l’infiltré civil et des résultats obtenus.
● Le recours aux informateurs : l’enjeu du traitement des « sources »
Les informateurs, ou « sources », sont des personnes qui collaborent avec les services enquêteurs en leur fournissant des renseignements sur le réseau criminel. Les motivations de ces sources, qui sont elles-mêmes directement impliquées dans le trafic de stupéfiants, sont diverses : elles peuvent désirer s’éloigner du trafic, rechercher une protection judiciaire ou des garanties de réduction de leur peine.
Leur statut n’est pas défini par le code de procédure pénale qui ne prévoit pas que la transmission d’information par les auteurs d’un trafic de stupéfiants constitue une technique d’enquête. Seule leur rémunération a fait l’objet d’un encadrement par l’article 15-1 de la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité ([377]).
Le contrôle des informateurs repose ainsi sur des dispositifs et des règles internes déterminés par les services d’enquête.
Des règles de gestion des informateurs ont été édictées par le SIAT et sont énoncées au sein d’une charte qui prévoit notamment la rencontre de l’informateur en présence de deux policiers, l’immatriculation systématique de la source, une obligation de compte rendu à la hiérarchie ainsi que la précision des modalités de rémunération de l’informateur ([378]). Un projet d’encadrement des agents traitants, piloté par le SIAT, est également en cours, associant les services concernés, dont l’OFAST ([379]).
Le bureau central des sources au sein du SIAT met en œuvre le dispositif de contrôle interne de la police nationale pour les informateurs judiciaires ([380]). Il applique la doctrine de gestion des informateurs et centralise les demandes de rétribution en s’appuyant sur le fichier central des traitants de sources (FCTS). En 2022, 4 702 agents traitants géraient ainsi 5 989 sources. En 2021, l’ensemble des affaires ayant donné lieu à la rémunération d'informateurs, pour un montant total de 2,48 millions d’euros, a permis de procéder à 4 619 interpellations et à la saisie de 40,5 tonnes de cannabis, de 2 tonnes de cocaïne, et de 283 kilogrammes d'héroïne notamment ([381]).
La gestion des informateurs par les services de gendarmerie fait l’objet d’une note-express du 3 juin 2022 et d’une circulaire diffusée exclusivement auprès des services concernés en date du 14 novembre 2022 ([382]). Les modalités et les procédures de rémunération des informateurs ont été précisées par une instruction du 17 janvier 2017 pour assurer la traçabilité des sommes perçues en assurant la sécurité juridique des agents traitants ([383]). Cette gestion repose sur un système hiérarchisé et contrôlé par les différents niveaux du dispositif (deux niveaux de gestion et quatre niveaux de contrôle sont ainsi prévus).
La gestion des sources par les services enquêteurs soulève néanmoins parfois des difficultés, comme certaines affaires mettant en cause des agents traitants l’ont révélé ([384]). Ces informateurs sont souvent bien positionnés dans le réseau de trafiquants, ce qui leur permet d’ailleurs de disposer de renseignements intéressants. Rien ne permet cependant de garantir leur loyauté ou la fiabilité des informations transmises.
Dans le cadre d’une proposition de loi déposée devant le Sénat, il est proposé de définir au sein du code de procédure pénale un statut de l’informateur ([385]).
Vos Rapporteurs constatent cependant que l’inscription du statut de l’informateur dans la loi ne fait pas consensus auprès de l’ensemble des personnes qu’ils ont auditionnées.
L’OFAST, en particulier, s’est montré défavorable à cette initiative, craignant les effets de bord d’une telle mesure ([386]). Un statut unique légal de l’informateur ne permettrait pas de pouvoir adapter le dispositif aux contraintes et aux particularités de chaque service d’enquête, ce qui serait de nature à nuire à l’efficacité de ces services. Par ailleurs l’introduction des informateurs au sein du CPP, alors même qu’il ne s’agit pas réellement de mettre en œuvre une technique d’enquête, crée de nouvelles opportunités de contestation de la procédure, dans le contexte du développement du contentieux des nullités dans les affaires de trafic de stupéfiants ([387]).
La DACG n’y est pas non plus favorable, soulignant en particulier que le cumul de ce dispositif avec l’encadrement légal du statut de l’informateur, également envisagé par la même proposition de loi, aboutissait à prévoir la possibilité de mettre en œuvre une infiltration civile avec un informateur. Un tel dispositif permettrait de rémunérer un informateur trafiquant de stupéfiants en lui accordant une exonération de responsabilité pénale. Accorder une telle confiance à un informateur trafiquant de stupéfiants semble risqué, ce d’autant que les résultats d’une telle opération ne sont pas garantis. La DACG est également défavorable à la judiciarisation du traitement des informateurs à laquelle le texte aboutit. D’après elle, le dispositif envisagé prévoit en effet que l’autorité judiciaire autorise l’infiltration civile de l’informateur, alors même que cela n’apparaît ni nécessaire ni pertinent ([388]).
Vos Rapporteurs considèrent que la création au sein du code de procédure pénale d’un statut de l’informateur soulève trop d’interrogations pour être envisagée en l’état. Les services spécialisés ont eux-mêmes pointé des interrogations sur la portée de cette évolution législative, dont les effets sur le travail des services d’enquête et sur le recours aux opérations d’infiltration semblent difficilement pouvoir être mesurés.
Il leur semble en particulier que le dispositif d’infiltration civile n’est pas suffisamment abouti et ne semble pas répondre à un besoin opérationnel. Ils estiment que la réflexion sur l’attractivité du statut de repenti (voir infra) permettra de répondre plus sûrement aux difficultés évoquées dans le recrutement des informateurs.
Vos Rapporteurs sont toutefois favorables à un meilleur encadrement de la gestion des informateurs et souhaitent voir se poursuivre le travail de réflexion initié par le SIAT, en coopération avec les services d’enquête, afin de renforcer la portée des règles internes prises en la matière et de garantir une meilleure lisibilité du dispositif.
Recommandation n° 19 : renforcer les dispositifs de contrôle dans la gestion des sources par les services enquêteurs
Prévoir des dispositifs internes de gestion des informateurs par les services enquêteurs pour sécuriser la transmission des renseignements obtenus dans ce cadre et mieux encadrer l’action de l’agent traitant.
b. Développer le renseignement criminel
Le renseignement criminel est au cœur de la stratégie d’enquête déployée pour démanteler les réseaux de trafiquants. L’efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants dépend en effet de la capacité des services à maîtriser les structures autour desquelles s’organise cette forme de criminalité et à adapter les méthodes d’enquête aux évolutions des réseaux. La maîtrise et l’exploitation de ces informations sont déterminantes pour anticiper le fonctionnement des organisations criminelles, cibler les opérations de contrôle et orienter l’action des services vers l’interpellation des cibles d’importance pour désorganiser durablement le réseau.
L’OFAST contribue au recueil, à l’analyse et à la diffusion du renseignement obtenu, par l’intermédiaire notamment du réseau territorial des CROSS, pour assurer l’uniformité de la connaissance des trafics par les services contribuant à la lutte contre cette criminalité. La prise en compte de ces informations et leur recoupement à l’échelle nationale contribue à une meilleure analyse des trafics et à l’identification des acteurs principaux des réseaux.
À cette fin, l’OFAST collabore également avec les services de renseignement des premier et second cercles, parmi lesquels la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), TRACFIN, la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) ou encore le service du renseignement pénitentiaire (SNRP). Cette collaboration se traduit par des échanges d’informations opérationnelles et d’analyses stratégiques.
Depuis sa création, l’OFAST a ainsi été destinataire de quarante-neuf notes stratégiques et opérationnelles émanant de la DGSE, dont sept ont permis d’initier des dossiers de renseignements et deux des enquêtes judiciaires.
La coopération avec TRACFIN s’est développée s’agissant des cibles d’intérêts prioritaires et des « mules » identifiées en Guyane et se matérialise par l’envoi réciproque de notes de renseignement et de signalement. Dans sa contribution écrite, TRACFIN a également tenu à souligner que tous les services d’enquête pouvaient lui adresser des demandes de criblage sur les bases que le service gère ([389]).
L’OFAST a également indiqué à vos Rapporteurs que le détachement d’un personnel de l’administration pénitentiaire du SNRP, auprès du pôle renseignement de l’office, avait contribué à améliorer le suivi des individus condamnés pour trafic de stupéfiants et à faciliter l’élaboration de stratégies communes visant des objectifs d’intérêts prioritaires ([390]).
L’OFAST a enfin souligné le rôle du service central du renseignement territorial (SCRT) qui lui a transmis plusieurs notes de renseignement portant notamment sur « l’ambiance dans les quartiers » et les liens éventuels avec les trafics de stupéfiants. Ce service participe notamment aux CROSS thématiques portuaire et aéroportuaire.
Vos Rapporteurs soulignent les efforts déployés par l’OFAST pour animer et coordonner ce réseau de partage du renseignement criminel. Ils sont convaincus que la bonne connaissance des réseaux est déterminante pour améliorer les stratégies d’enquête et permettre leur démantèlement.
Ils observent toutefois que la Cour des comptes a relevé que le partage d’informations entre l’OFAST et les autres administrations, en particulier vis-à-vis des services de renseignements du premier cercle du ministère des Finances, méritait d’être amélioré ([391]).
En-dehors de l’action de l’OFAST en matière de développement du renseignement criminel, le rôle, au sein de la police, du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO) peut également être souligné.
Ce service transverse de la DNPJ est dédié à l’analyse du renseignement criminel en matière de criminalité organisée. Sa mission réside dans le recueil, l’exploitation et la capitalisation des renseignements issus notamment des services d’investigation, des partenaires institutionnels (incluant les services de renseignement) et de la coopération internationale. Pour assurer la diffusion de ce renseignement, le service produit des notes à dimension stratégique et opérationnelle. Ces notes permettent à la fois d’éclairer les autorités sur l’état de la menace relative aux groupes criminels organisés actifs sur le territoire national ainsi que sur les phénomènes émergents et de contextualiser les procédures. À ce titre, les CROSS entretiennent des liens étroits avec les entités territoriales du SIRASCO ([392]).
Enfin, le renseignement peut également émaner des citoyens eux-mêmes qui peuvent signaler sur un portail dédié toute information concernant un trafic de stupéfiant.
Le portail de signalement des faits relatifs au trafic de stupéfiant
Le portail de signalement des trafics permet aux citoyens de communiquer à la police ou à la gendarmerie nationale toutes informations qu’ils détiennent concernant les trafics de stupéfiants et leurs acteurs. Le signalement peut être effectué de manière anonyme.
Ce portail a été mis en place le 3 mars 2021 dans une version transitoire par l’intermédiaire de l’outil de communication direct (le « tchat ») du site « moncommissariat.fr » pour la police nationale et du formulaire de contact (« à votre contact ») pour la gendarmerie nationale.
En 2023, en moyenne, 916 signalements ont été reçus tous les mois. Le nombre de signalements a ainsi augmenté par rapport à l’année 2022 pour laquelle environ 664 signalements étaient comptabilisés mensuellement.
Depuis la mise en place du dispositif, plus de 41 626 signalements ont été effectués depuis le portail ([393]) (dont 30 271 pour l’année 2023 et 19 277 en 2022).
Source : contribution écrite de l’OFAST.
Vos Rapporteurs considèrent que le développement du renseignement criminel doit être pleinement intégré au sein de la stratégie de lutte contre les trafics de stupéfiants. Face à la complexification des structures criminelles, le recueil, l’analyse et la valorisation des informations sont des composantes essentielles de l’efficacité de l’action des services contribuant à la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Ils souhaitent souligner que le bon recoupement de ces informations implique également la performance des outils informatiques utilisés pour analyser le renseignement criminel. La masse des données à analyser est parfois considérable et leur prétraitement informatique est de nature à faciliter le travail des services.
À cet égard, vos Rapporteurs saluent le développement en cours, par la DGSI, d’un outil de traitement de la donnée hétérogène destiné à être mis à disposition de plusieurs ministères ([394]). Ils souhaitent toutefois insister sur la nécessité de doter l’ensemble des services d’outils performants dans l’exploitation des données, dans le respect de la protection des données personnelles et espèrent que celui en cours de développement sera déployé largement au bénéfice de tous les services concernés.
Recommandation n° 20 : développer des outils informatiques d’analyse stratégique du renseignement criminel à la disposition des services concourant à la lutte contre le trafic de stupéfiants
Développer et mettre à la disposition de l’ensemble des services des outils performants en matière d’analyse du renseignement criminel sur le trafic de stupéfiants, permettant le traitement efficace et, le cas échéant, le recoupement des données recueillies en la matière, dans le respect des libertés individuelles.
La DGPN a également évoqué des réflexions en cours pour faire évoluer les moyens dont elle dispose pour l’exploitation des données. Elle souhaite ainsi que la DNPJ puisse disposer, en sa qualité de service de renseignement du second cercle, d’outils adaptés au croisement et à l’exploitation des données, et porte à ce titre un projet de création d’un fichier de renseignement dédié ([395]).
Enfin, vos Rapporteurs rappellent que la culture du renseignement mérite également d’être développée au sein des services judiciaires qui doivent à la fois contribuer à la transmission des informations d’importantes et être destinataires de l’analyse stratégique qui en est faite ([396]).
3. Entraver la vente pour désorganiser les groupes criminels
Le trafic et la vente de produits stupéfiants est une activité lucrative pour les organisations criminelles qui s’y adonnent. Ces groupes usent de procédés de plus en plus performants pour développer leur activité et alimenter la demande en assurant la disponibilité des produits stupéfiants.
Les lieux et les méthodes de la revente des produits stupéfiants ont évolué pour déjouer les stratégies d’entrave développées par les forces de sécurité intérieure. Aux côtés du traditionnel « point de deal », lieu de rendez-vous des vendeurs et des consommateurs de stupéfiants, l’essor des méthodes de vente à distance et du recours aux nouvelles technologies a permis d’étendre le marché des stupéfiants.
Pour déstabiliser durablement les réseaux de trafiquants de stupéfiants, les stratégies d’entrave à la vente des produits stupéfiants doivent considérer ces nouvelles méthodes de diffusion, qui sont aujourd’hui les vecteurs essentiels de l’offre de stupéfiants.
Le « point de deal » se définit comme un lieu habituel de revente de produits stupéfiants installé sur la voie publique ou un sur un lieu privé accessible au public, comme un hall d’immeuble ou un parking par exemple, permettant d’organiser l’échange physique entre un revendeur et un acquéreur de stupéfiants.
Développés sur l’ensemble du territoire, les points de deal font l’objet d’une cartographie par l’OFAST. Cette opération de recensement sur le territoire est effectuée notamment à l’aide d’un logiciel dédié, le logiciel CARTOFAST ([397]).
● Les résultats à court terme des opérations de harcèlement des points de deal
Le « pilonnage » des points de deal consiste en des opérations de harcèlement mobilisant massivement et ponctuellement les forces de sécurité intérieure autour du démantèlement d’un point de revente. Les services mobilisés se rendent sur le point de deal et procèdent à l’interpellation des personnes qui s’y trouvent et à la saisie des produits stupéfiants qu’ils découvrent.
Les opérations baptisées « place nette » s’inscrivent dans cette stratégie de harcèlement des points de deal. Conduites depuis la fin de l’année 2023, elles consistent « à mobiliser de forts moyens de police et de gendarmerie afin de contrôler les parties communes et les caves d’immeubles, de rechercher des caches d’armes et de stupéfiants, de sécuriser les transports en commun et de procéder le cas échéant à des arrestations. ([398]) » Ces opérations sont, en raison de leur ampleur et de leur médiatisation, impressionnantes et donnent le sentiment d’être convaincantes.
Votre co-rapporteur M. Antoine Léaument estime pour sa part que ces opérations visent à donner le sentiment d’une action de police efficace sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, quoique leur utilité soit largement contestée. Certaines des personnes auditionnées par vos rapporteurs dénoncent ainsi des « opérations coup de com’ » sans grande efficacité et pouvant même avoir des conséquences négatives sur les enquêtes au long cours comme en matière de sécurité immédiate, des groupes plus violents prenant parfois possession des points de deal laissés vacants par l’opération de police.
La préfecture de police de Paris a constaté une diminution du nombre de points de deal recensés sur son territoire en l’espace de quatre ans : au 31 mars 2024, elle dénombrait 330 de ces points de vente dans l’agglomération parisienne (contre 513 recensés en décembre 2020) et 45 points de deal à Paris (contre 66), baisse qu’elle attribue principalement au travail permanent de pilonnage de ces points par les policiers. La préfecture de police a également indiqué que l’opération « place nette XXL », conduite dans le nord-est parisien ([399]) du 25 mars au 13 avril 2024, avait concerné 358 opérations judiciaires et de voie publique ayant mobilisé 11 888 effectifs. Elle a permis l’interpellation de 1 033 individus, dont 931 ont été placés en garde à vue ([400]) et la saisie de près de 92 kg de cannabis, de 6,4 kg de cocaïne, de 433 g de crack et de plus de 728 g de drogues de synthèse. Ces chiffres interrogent vos Rapporteurs sur l’efficacité de ces opérations lorsqu’on rapporte ces quantités au nombre d’agents mobilisés ([401]).
Une diminution du nombre de points de deal est également constatée à Marseille ([402]) : 110 points de vente sont comptabilisés dans le département des Bouches du Rhône (contre 132 en mai 2024) dont 84 pour la seule ville de Marseille (contre 91 antérieurement) ([403]).
Selon les données recueillies par la Cour des comptes ([404]), le nombre de points de deal a chuté de 25 % entre 2021 et 2023, passant de 3 936 au premier trimestre 2021 à 2 975 deux ans après. Au dernier semestre 2024, le nombre de points de deal recensés par l’OFAST sur le territoire national s’élevait à 2 933 ([405]). On constate donc une stagnation du nombre de points de deal.
Au 30 septembre 2024, 16 159 opérations visant au démantèlement des points de deal ont été conduites par la police nationale ([406]). La mobilisation de la gendarmerie nationale dans le cadre de ces opérations est également conséquente et tend à s’intensifier : en 2023, 1 215 opérations visant au démantèlement des points de deal en zone gendarmerie ont été conduites (contre 615 en 2022) et 620 opérations de ce type ont été menées au 1er septembre 2024 ([407]).
Au total, ce sont ainsi environ 20 000 opérations de démantèlement des points de deal qui ont été menées en 2023, et déjà 12 000 au premier trimestre 2024 ([408]). Ces chiffres montrent que le nombre d’actions de « démantèlement » est cinq fois supérieur au nombre de points de deal listés, preuve de leur reconstitution rapide une fois l’opération réalisée.
Ces opérations de harcèlement des points de deal permettent l’interpellation de revendeurs et de guetteurs et la saisie de quantités faibles ou modérées de produits stupéfiants. Ces résultats ne suffisent donc pas à déstabiliser durablement les réseaux de trafiquants en eux-mêmes.
Les groupes de criminels, de plus en plus professionnalisés, calculent leurs risques et prévoient leurs pertes. Ils font appel à des « joueurs », des petites mains du trafic, recrutés parfois à la journée pour tenir un point de deal ou pour assumer la fonction de guetteur. De surcroît, comme cela a déjà été évoqué, les revendeurs de points de deal sont souvent recrutés par les organisations criminelles parmi les mineurs, identifiés comme une « ressource » utile car vulnérable. Ces mineurs sont souvent entraînés dans le trafic par des méthodes de manipulation consistant à leur proposer de rendre des petits services aux trafiquants ([409]). Une fois entraînés dans cette spirale, ils peuvent se voir proposer des tâches encore mieux rémunérées et cette fois en lien direct avec le trafic puis être ensuite contraints à poursuivre leur participation dans le trafic, les trafiquants usant de diverses formes de chantage en prétextant une dette à l’égard du réseau, parfois fictive, et sont également victimes de sévices et de violences ([410]).
Ces intermédiaires, qui n’ont bien souvent aucun lien avec l’organisation criminelle en elle-même, font office de « chair à canon » pour les réseaux : placés en première ligne sur le point de revente, leur interpellation ne produit aucun effet sur la stratégie de vente de l’organisation criminelle. Le point de deal peut parfois être reconstitué le jour-même, avec de nouveaux vendeurs.
Par ailleurs, comme le relèvent les magistrats du tribunal judicaire de Marseille ([411]), ces points de deal ne sont plus toujours les lieux stratégiques du trafic de stupéfiants et ne constituent que la partie émergée et visible de ce trafic. Certains des points de vente relèvent davantage d’un trafic « de rue » avec une zone d'achalandage très limitée. À Marseille, le pilonnage des points de deal, s’il a permis la fermeture de certains points de vente notamment au sein des cités de La Paternelle et de La Castellane, a aussi eu pour conséquence un déport de ces emplacements de vente vers le centre-ville notamment.
Ce constat est partagé par la Cour des comptes qui relève un phénomène d’essoufflement des effets du pilonnage des points de deal. À partir du premier trimestre 2022 et jusqu’à la fin de l’année 2023, le nombre de points de deal recensé à l’échelle national a seulement diminué de 7 % et n’a quasiment pas baissé dans les grandes métropoles à partir du deuxième trimestre de l’année 2023.
Selon la Cour des comptes, ce phénomène s’explique notamment en raison du maintien de points de deal au sein de zones difficiles d’accès pour les forces de sécurité, par la reconstitution de nouveaux points dans des zones proches des points démantelés ou encore par la réduction du temps affecté à la surveillance de la voie publique et à la lutte anti-délinquance au profit du contact avec la population ([412]).
Les effets de ces opérations policières et judiciaires sont donc à relativiser, notamment car elles ne semblent pas permettre de déstabiliser durablement le trafic. Par ailleurs, face au développement de la vente à distance et de la livraison de produits stupéfiants à domicile ou sur des points délocalisés, le harcèlement des points de vente dans les rues semble ne pas permettre d’entraver efficacement la stratégie de revente de ces produits.
L’évaluation de l’efficacité de stratégie de « pilonnage » des points de deal par la Cour des comptes met ainsi en lumière le manque d’efficacité sur le long terme de ces opérations. Comme la Cour le relève : « si cette stratégie […] génère des résultats à court terme et contribue à la sécurisation de l’environnement, elle ne semble pas efficace dans la durée et devrait laisser place à de nouvelles formes d’action plus continues ([413]). »
Il convient enfin de souligner que les résultats de ces opérations dépendent directement de l’étroite association des services judiciaires à la stratégie de « pilonnage » des points de deal déployée sur le territoire. Le harcèlement des points de deal doit s’accompagner, pour avoir une utilité, d’opérations de police judiciaire ciblées et ne se concevoir qu’en complément d’un nécessaire travail d’enquête mené préalablement sur le réseau local visé au risque d’être contreproductif et d’empêcher les enquêtes en cours.
● L’entrave durable à la revente doit reposer sur une stratégie globale de ré-investissement dans les territoires
Si les effets des opérations de pilonnage des points de deal sur la structuration du trafic de stupéfiants et le développement des réseaux méritent donc d’être relativisés, votre co-Rapporteur M. Ludovic Mendes constate qu’une majorité des personnes auditionnées estiment que celles-ci sont nécessaires pour rétablir l’ordre public au sein des quartiers dans lesquels ces points de vente sont implantés.
De ce point de vue, le mérite de ces opérations réside essentiellement dans la réappropriation de l’espace public qu’elles favorisent. Le pilonnage des points de deal constitue moins un outil au service de la lutte contre le trafic de stupéfiants, qu’un moyen de réinvestir certains quartiers au sein desquels les réseaux de trafiquants sont implantés et d’y repenser une politique de la ville volontariste.
M. Ludovic Mendes souligne ainsi l’intérêt de ces opérations pour restaurer la tranquillité et l’ordre public au sein des quartiers dans lesquels ces points de vente de stupéfiants sont implantés. Ce sont en effet les habitants de ces quartiers qui bénéficient en priorité de la stratégie de harcèlement des points de vente. Comme le relève M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, ces opérations sont « relativement ingrate[s] [et sont aussi des opérations] de communication, mais [elles sont également] l’occasion de montrer aux populations qu’on pense à elle et qu’on ne les délaisse pas […] […] Il serait désespérant pour les habitants de ne rien faire » ([414]).
La préfecture de police a indiqué à vos Rapporteurs qu’à l’issue des opérations de démantèlement des points de deal conduites sur son territoire, « une réappropriation systématique [du quartier concerné] est réalisée au moyen d’une saturation du terrain, durant plusieurs jours par des effectifs en civil et en tenue, appuyés, le cas échéant, par des [unités de force mobile], et des contrôles d’établissements commerciaux ciblés sont menées en lien avec différents partenaires (douanes, URSSAF, [Direction départementale de la protection des populations]...) ([415]) ».
De son côté, M. Antoine Léaument note que ces analyses favorables reposent essentiellement sur ceux qui mènent ces opérations et ont donc intérêt à en vanter l’utilité. Ses retours personnels auprès d’habitants et d’associations qui vivent là où ont eu lieu des opérations « place nette » dans sa circonscription invitent à relativiser le constat élogieux dressé par les autorités.
Ainsi, des logements ou des lieux de stockage (caves) sont parfois abîmés par les forces de sûreté dans le cadre de ces opérations (bris de serrure, de porte, etc.), parfois chez des personnes pour lesquelles aucun lien n’a pu être établi avec le trafic. Les dégradations occasionnées par les opérations ne sont pas prises en charge financièrement par les autorités qui les ont ordonnées et suscitent une légitime colère.
D’autre part, les points de deal peuvent se reconstituer rapidement, et parfois dans une configuration qui aggrave les problèmes posés. Ainsi, parmi les personnes auditionnées par votre rapporteur dans la précédente mission d’information, certaines ont déclaré que des groupes plus violents que ceux qui sont délogés pouvaient parfois prendre possession du point de deal, augmentant ainsi l’insécurité dans le quartier concerné, pour un résultat non seulement inutile mais de surcroît contreproductif.
Aux yeux de votre co-rapporteur M. Antoine Léaument, l’utilité de ces opérations « place nette » doit donc être largement contestée. Et cela d’autant plus qu’elles exigent un déploiement considérable de moyens humains pour des résultats limités voire contreproductifs pour démanteler les réseaux, ces opérations pouvant perturber des enquêtes de police judiciaire au long cours, moins spectaculaires mais beaucoup plus efficaces sur le moyen et long terme.
En dépit de leurs vues divergentes sur le sujet, vos Rapporteurs estiment toutefois que l’investissement du quartier ne doit pas être uniquement conçu sous l’angle d’une présence renforcée des forces de l’ordre, qui plus est limitée aux quelques jours qui suivent l’opération. Quelle que soit leur position sur les opérations « place nette », ils estiment qu’une réflexion globale doit être menée sur la vie dans les quartiers.
Pour que les effets de ces opérations puissent bénéficier durablement aux habitants des quartiers au sein desquels les points de vente sont implantés, la stratégie de harcèlement des points de deal doit également être couplée à une réflexion globale sur l’occupation de l’espace publique afin de favoriser une vie de quartier.
Comme la MILDECA le souligne ([416]), une politique globale de réappropriation de l’espace public doit donc être menée en lien avec les habitants, les bailleurs sociaux, le secteur associatif et tous les partenaires investis dans la vie du quartier concerné.
Recommandation n° 21 : développer une approche globale de réinvestissement des quartiers dans lesquels sont implantés les points de deal
Réinvestir les quartiers dans lesquels sont implantés les points de deal en y développant une politique de la ville volontariste.
En outre, vos Rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de remettre en place une police de proximité pour faire face aux enjeux propres aux points de deal dans les quartiers concernés. Cette police permettrait de surcroît de retisser un lien de confiance entre la police et la population souvent distendu et d’être une source supplémentaire d’accumulation de renseignements utiles pour les enquêtes de police judiciaire au long cours.
Recommandation n° 22 : remettre en place une police de proximité
Rétablir la police de proximité pour retisser un lien de confiance entre la police et la population.
Au regard du bilan qui peut être dressé de la stratégie de harcèlement des points de vente déployée ces dernières années, vos Rapporteurs sont partagés sur l’opportunité de prévoir le prononcé d’une interdiction administrative de paraître sur un point de deal, comme cela est envisagé par une proposition de loi déposée devant le Sénat ([417]).
M. Antoine Léaument considère en effet que la possibilité de prononcer une telle interdiction de paraître ne constitue par une mesure efficace pour lutter contre le trafic de stupéfiants
À elle seule, une telle mesure ne permet pas de déstabiliser le réseau du trafic ni d’entraver la stratégie de revente des stupéfiants déployée par les organisations criminelles. En se concentrant sur le revendeur, la « petite main » du trafic aisément remplaçable, elle ne contribue pas au démantèlement du réseau puisqu’elle n’en cible pas les acteurs principaux au sommet de la hiérarchie du groupement criminel. Par ailleurs, comme cela a déjà été souligné, ces revendeurs sont parfois eux-mêmes victimes de pressions et de manœuvres d’intimidation les contraignant à participer à la vente de stupéfiants. Leur interdire de paraître dans des lieux de revente, lesquels constituent parfois leur lieu de vie et même leur domicile, pourrait entraîner des effets préjudiciables en accélérant leur désociabilisation et en les incitant à poursuivre finalement leur implication dans le trafic pour en tirer des revenus.
M. Ludovic Mendes souligne l’intérêt du démantèlement durable des points de deal pour réintroduire la tranquillité et l’ordre public au sein des quartiers les plus touchés par le trafic de stupéfiants. De son point de vue, le prononcé d’une interdiction de paraître sur ces points de vente pourrait présenter une utilité en permettant d’éviter leur réapparition immédiate. Toutefois, cette mesure devrait être ciblée sur les revendeurs habituels participant localement au maintien du point de deal. À cet égard, le développement des « joueurs », ces personnes employées ponctuellement par les réseaux pour vendre des produits stupéfiants sur un point de deal qui leur est étranger, est de nature à limiter l’intérêt d’une telle mesure. En effet, cette main-d’œuvre est aisément remplaçable et ces personnes n’ont pas vocation, une fois leur mission de revente ou de guetteur accomplie, à s’installer durablement sur le point de vente local.
Votre Rapporteur M. Ludovic Mendes souhaite également souligner que cette mesure ne doit pas occulter l’objectif qu’ils souhaitent promouvoir de réappropriation de l’espace public. Si elle n’est pas adossée à une politique de réinvestissement de cet espace, la mise en œuvre de cette interdiction de paraître, qui organise l’exclusion de certains individus, ne permettra pas à elle seule de favoriser le développement d’une dynamique de quartier. Or, c’est cette dynamique qui garantit, sur le long terme, un démantèlement durable des points de deal et pérennise la perte d’influence du réseau sur le territoire.
Comme mentionné précédemment, les réseaux de trafiquants de stupéfiants ont progressivement diversifié leurs modes de vente ([418]).
L’essor de la livraison à distance de produits stupéfiants durant la période de l’épidémie de Covid-19 a favorisé le développement de nouvelles méthodes discrètes de vente, facilitant leur accessibilité.
Le phénomène s’est durablement installé, se développant au fur et à mesure du renforcement de la stratégie de pilonnage des points de deal, pour déjouer l’intervention des forces de sécurité intérieure.
L’opération d’achat de produits stupéfiants par le consommateur est dématérialisée, s’effectuant par l’intermédiaire de plateformes en ligne, qui ne sont pas nécessairement hébergées sur le « darkweb », et des messageries associées aux réseaux sociaux au sein desquels des groupes de discussion dédiés à la vente de stupéfiants sont tenus par des trafiquants.
L’achat à distance donne lieu à une livraison au domicile même du consommateur ou sur un point de rendez-vous dont l’adresse est communiquée à l’acquéreur, lequel est souvent éphémère pour éviter sa localisation par les forces de sécurité intérieure.
Cette « ubérisation » du trafic a permis de maintenir la disponibilité des produits stupéfiants malgré les périodes de confinement durant la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.
En effet, si lors du premier confinement, du 17 mars au 10 mai 2020, le marché des stupéfiants a brutalement ralenti en raison des restrictions de circulation et de la systématisation des contrôles, entraînant rapidement une pénurie de ces produits ([419]), le deuxième confinement, qui s’est déroulé sur la période du 30 octobre au 14 décembre 2020, a été anticipé par les organisations criminelles.
Les trafiquants ont ainsi développé l’usage des outils numériques, notamment des réseaux sociaux et des messageries chiffrées (à l’instar de « Snapchat », « WhatsApp » ou « Telegram »), pour maintenir le contact avec leurs clients consommateurs ([420]). C’est ainsi que, sur le ressort de Marseille, les confinements successifs n’ont eu aucun effet sur l’approvisionnement des points de vente qui ont maintenu leur activité et ont pu également fonctionner de manière délocalisée ([421]).
L’« ubérisation » du trafic a également contribué au développement de stratégies « marketing » par les réseaux de trafiquants visant à fidéliser le consommateur par la promotion des produits stupéfiants proposés à la vente. Les réseaux sociaux sont ainsi utilisés par les trafiquants aussi bien en tant que « vitrine numérique » pour le trafic de stupéfiants qu’en tant que vecteur de communication pour les organisations criminelles, en leur permettant notamment de recruter de la main-d’œuvre.
Le recours aux moyens de communication numérique offre en effet bien des avantages aux trafiquants comme aux acquéreurs de ces produits illicites. Leur utilisation permet aux consommateurs de passer commande de manière anonyme et de bénéficier de facilités de livraison. Ces commandes à distance limitent aussi le risque d’interpellation pour les trafiquants chargés de la livraison, qui utilisent parfois frauduleusement des équipements au nom d’enseignes connues de livraison (tels qu’ « Uber eats » ou « Deliveroo ») ([422]).
Les méthodes d’investigation doivent s’adapter au développement d’une nouvelle offre en ligne de produits stupéfiants en développant des outils de détection du trafic de stupéfiants sur le « cyber-espace ».
● Une meilleure détection des trafics de stupéfiants en ligne
La plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS) permet de recueillir les signalements relatifs à l’ensemble des contenus illicites diffusé sur internet, ce qui inclut donc les faits relatifs au trafic de produits stupéfiants en ligne. Le formulaire destiné à guider l’internaute dans sa démarche de signalement sur PHAROS prévoit ainsi une catégorie spécifique pour signaler des faits de trafic de stupéfiants ([423]).
C’est l’Office anti-cybercriminalité (OFAC) qui analyse les signalements reçus et transmet les informations recueillies à l’OFAST ([424]).
L’OFAC a indiqué à vos Rapporteurs que des faits de trafic de stupéfiants étaient régulièrement signalés depuis la plateforme dédiée. Entre le 1er janvier et le 30 novembre 2024, les signalements en lien avec un trafic de stupéfiants se répartissent en fonction des qualifications suivantes :
– aucun signalement ne concernait sur cette période des faits de provocation à l’usage ou au trafic de stupéfiants (mais 4 avaient été effectués pour ces faits en 2023) ;
– 756 signalements ont été effectués pour des faits de trafic de stupéfiants à l’échelle locale (contre 812 en 2023) et 932 signalements pour des faits de trafic à l’échelle nationale ou internationale (contre 835 l’année précédente) ;
– 100 signalements relatifs à de la publicité pour l’usage ou le trafic de stupéfiants (qualifiée de présentation de stupéfiants sous un jour favorable) (contre 41 en 2023).
Une cellule « cyber » a également été mise en place au sein de l’OFAST et les moyens de 15 CROSS ont été renforcés par une dotation en matériels et logiciels adaptés aux investigations en sources ouvertes, sur internet ainsi que sur les réseaux sociaux ([425]).
● Le recours à des techniques d’enquête adaptées à l’environnement numérique
La lutte contre le trafic de stupéfiants en ligne nécessite l’utilisation de méthodes d’investigation adaptées, notamment parce que l’identification des trafiquants est rendue plus complexe sur le « cyber-espace » où il est plus simple de préserver son anonymat. En effet, l’utilisation, désormais répandue, d’un VPN ([426]) complique singulièrement le travail de traçabilité des adresses IP. Le recours à des cartes SIM ou la création de comptes non identifiés ou sous des identités fictives, rend également plus difficile l’identification des utilisateurs réels des comptes de messageries cryptées.
Comme cela a été indiqué à vos Rapporteurs, outre les enjeux particuliers liés à l’environnement numérique, la complexité des enquêtes en ligne tient également à la faible coopération des plateformes des réseaux sociaux avec les services enquêteurs et judiciaires, de nombreuses réquisitions restant encore sans réponse de la part de ces acteurs. Par exemple, jusqu’à récemment, la société de messagerie « Telegram » ne répondait pas aux réquisitions judiciaires en matière de trafic de stupéfiants.
Les enquêteurs ont donc recours à des méthodes d’infiltration dédiées aux enjeux de la « cyber-enquête » : les enquêtes sous pseudonyme ([427]).
La lutte contre l’offre en ligne de produits stupéfiants nécessite également le développement de compétences adaptées et la spécialisation des enquêteurs en charge de la surveillance de l’activité des réseaux sur internet au travers des « cyber-patrouilles ».
Or, ces effectifs sont encore trop peu nombreux, ce que déplorent d’ailleurs les magistrats du tribunal judiciaire de Marseille. Ils ont ainsi précisé à vos Rapporteurs que deux enquêteurs avaient initialement été affectés à ce type d’enquête, permettant le développement d’une politique pénale de fermeté à l’égard des trafiquants en ligne sur la base de poursuites en comparution immédiate. Toutefois, au départ de ces enquêteurs, leur savoir-faire a été abandonné et aucun effectif n’a pu reprendre les actions qui avaient été mises en œuvre sous l’égide de l’autorité judiciaire ([428]).
Pour renforcer les moyens dédiés à la lutte contre le trafic de stupéfiants en ligne et répondre à une recommandation formulée par la Cour des comptes en la matière ([429]), il a été annoncé à vos Rapporteurs la création d’une brigade de lutte contre la criminalité organisée sur internet, dépendant de la DNPJ et rattachée à l’OFAC ([430]).
« Cybertraque », la nouvelle brigade de lutte contre la criminalité organisée sur internet
Pour améliorer la lutte contre les trafics de stupéfiants en ligne, la DNPJ porte un projet de création d’une brigade dédiée à ce phénomène, baptisée « cybertraque ».
Cette brigade, intégrée à l’OFAC, au centre de la nouvelle stratégie de lutte contre les « cyber-trafics », aura pour missions :
– d’accroître les capacités de détection des « vitrines numériques » du trafic par une meilleure orientation des signalements effectués sur PHAROS et le développement des actions de recehreche et de veille sur les réseaux sociaux ;
– de renforcer l’action de police judiciaire dans le démantèlement des plateformes de vente des produits stupéfiants (les « market places ») en animant et coordonnant le dispositif des enquêteurs sous pseudonyme ;
– de réduire la visibilité des offres de produits stupéfiants diffusées en ligne.
Source : contribution écrite de l’OFAC.
Vos Rapporteurs accueillent favorablement la création de cette nouvelle brigade, estimant qu’il est nécessaire de renforcer les moyens de la lutte contre les trafics de stupéfiants en ligne et de mieux spécialiser les services pour répondre à ces enjeux particuliers. Ils estiment nécessaire d’articuler l’action de ce nouveau service avec celle des services déjà existant afin d’éviter les conflits de compétences entre des équipes assignées in fine à des tâches similaires.
● Le renforcement des infractions en matière de vente en ligne de produits stupéfiants
Pour répondre efficacement à l’augmentation du nombre de plateformes en ligne de vente de produits illicites, et notamment de stupéfiants, la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) ([431]) a créé un nouveau délit offrant la possibilité de réprimer des comportements relevant d’une activité d’administration de plateformes de transactions de produits illicites, dont des stupéfiants.
Prévu à l’article 323-3-2 du code pénal (CP) ([432]), ce délit sanctionne le fait, pour un fournisseur de service de plateforme en ligne ([433]), de permettre sciemment la cession de produits, de contenus ou de services dont la cession, l’offre, l’acquisition ou la détention sont manifestement illicites, lorsque cette plateforme :
– restreint son accès aux personnes utilisant des techniques d’anonymisation des connexions (par exemple en recourant à un dispositif d’anonymisation d’adresses IP tel qu’un VPN) ;
– ou contrevient aux obligations que la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) ([434]) leur impose (il s’agit en particulier de l’obligation de conserver les données de nature à permettre l’identification des personnes des clients du service).
Depuis l’entrée en vigueur de ce délit, douze condamnations ont été prononcées par les juridictions de première instance sur ce fondement ([435]).
La Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du Ministère de la justice a attiré l’attention de vos Rapporteurs sur les difficultés rencontrées dans l’application de cette infraction et les doutes qui subsistent sur son périmètre d’application.
De récentes décisions, rendues par les juridictions du fond ayant appliqué cette infraction, ont mis en évidence un manque de clarté dans la définition de ses éléments constitutifs ([436]). En particulier, des interrogations demeurent quant à la possibilité d’appliquer ce délit aux simples administrateurs non professionnels de plateformes de vente de produits illicites.
Comme le souligne la DACG, au-delà des places de marché (ou « market places ») administrées sur le « darknet », la vente de produits stupéfiants se développe également sur les réseaux sociaux, notamment via des comptes privés sur « Snapchat », « Tiktok » ou « Instagram ». Les canaux de discussion créés sur des applications de messagerie chiffrée, à l’instar de « Telegram », sont également utilisés par les trafiquants comme de nouvelles places de marché pour la revente de produits stupéfiants.
Dès lors, la DACG indique que le champ d’application de l’infraction prévue à l’article 323-3-2 du CP mériterait d’être précisé, pour en clarifier la portée et permettre d’appréhender les faits de vente de produits stupéfiants par le biais de comptes privés sur les réseaux sociaux et des canaux de communication créés sur des messageries chiffrées.
Si vos Rapporteurs considèrent que les faits de revente de produits stupéfiants via les réseaux sociaux ou les messageries chiffrées sont déjà susceptibles d’être pénalement appréhendés sous la qualification de trafic de stupéfiants, prévue à l’article 222-37 du code pénal, ils sont également conscients que la preuve de l’implication de l’administrateur du compte ou de l’animateur du canal de discussion peut être parfois difficile à rapporter.
Comme le relève en effet la doctrine, la création du délit d’administration d’une plateforme en ligne pour permettre la cession de produits illicites « est censé[e] […] faire gagner du temps aux services d'enquête dans leur chasse contre [les] places de marché douteuses, en leur permettant de poursuivre l'administrateur seul et non toute la chaîne criminelle. » ([437])
Dès lors, pour faciliter la répression de ces faits et faire face au développement des nouvelles méthodes de vente de produits stupéfiants sur les réseaux sociaux et les messageries chiffrées, vos Rapporteurs estiment que le champ d’application de l’infraction prévue à l’article 323-3-2 du code pénal mérite en effet d’être précisé.
Recommandation n° 23 : préciser le champ d’application du délit d’administration d’une plateforme en ligne pour permettre la cession de produits illicites
Clarifier le champ d’application du délit d’administration illicite d’une plateforme en ligne de trafic de stupéfiants, prévu à l’article 323-3-2 du code pénal, pour permettre d’appréhender l’ensemble du phénomène de vente en ligne de ces produits, y compris par le biais de comptes privés sur des réseaux sociaux ou des canaux de discussions ouvertes sur des messageries chiffrées.
B. S’attaquer aux profits des trafiquants grâce aux enquêtes à partir des flux financiers
Le trafic de drogues génère beaucoup d’espèces, puisque cela demeure le moyen de paiement privilégié des consommateurs. Selon les chiffres de la plateforme d’identification des avoirs criminels transmis par l’OFAST, les espèces saisies par les services de police, de gendarmerie et des douanes à l’occasion d’affaires d’infractions liées aux stupéfiants représentent près de la moitié des avoirs saisis en ce domaine en 2022 (52,1 millions d’euros sur un total de 111,6 millions d’euros) ([438]).
Les trafiquants ont donc perfectionné leurs méthodes pour blanchir cet argent, c’est-à-dire pour en dissimuler l’origine illicite. Comme indiqué supra, le chiffre d’affaires global généré par le trafic de stupéfiants en France est estimé à 3,5 milliards d’euros, des profits importants qu’il s’agit ensuite d’injecter dans l’économie légale.
1. La lutte contre le blanchiment doit être une priorité pour fragiliser l’assise financière des trafiquants
Le trafic de stupéfiants est identifié comme l’une des menaces majeures en matière de blanchiment de capitaux ([439]).
Les profits réalisés par les organisations criminelles sont réinvestis dans l’économie légale grâce à des circuits de blanchiment perfectionnés et internationaux. Ils peuvent être rapatriés vers les pays producteurs ou de transit par plusieurs méthodes, mises en lumière par le COLB : « les méthodes traditionnelles de la transmission de fonds, du transport physique d’espèces et des virements internationaux se mêlent à des méthodes plus sophistiquées utilisant des réseaux de collecte et d’espèces et de compensation, la conversion d’espèces en or ou des opérations d’import-export de biens in fine dans les pays producteurs » ([440]).
Ils peuvent aussi être réinvestis directement sur le territoire français, soit via des investissements immobiliers et le rachat de sociétés commerciales, soit en alimentant l’économie souterraine – notamment des sociétés employant des salariés non déclarés et donc payés en espèces (secteurs du bâtiment ou de la sécurité privée par exemple).
Les principales méthodes de blanchiment d’argent
Dépôts : des sommes modestes peuvent être déposées sur des comptes courants et des comptes à terme.
Transferts d’espèces : des flux importants sont transférés vers les pays producteurs ou les paus de transit, notamment par le biais de « mules », mais aussi par certains opérateurs légaux (comme Western Union).
Acquisitions immobilières : outre les biens immobiliers acquis par les narcotrafiquants, le blanchiment peut intervenir au moment de la construction immobilière, via l’injection d’espèces issues du trafic. Le secteur du luxe est également ciblé.
Instrumentalisation de structures commerciales légales : cette instrumentalisation peut prendre la forme d’injection de liquidités dans des commerces de proximité ayant une activité réelle (boulangeries, salons de coiffure…).
Secteur du jeu : les espèces sont jouées dans les casinos et les reçus servent à les légaliser. Le rachat de tickets gagnants et l’achat de tickets prépayés ont également été identifiés comme des méthodes permettant de blanchir les espèces issues du trafic de stupéfiants.
La compensation : ce système fait l’objet d’un encadré à part entière, infra.
Sources : contribution écrite de Tracfin, rapport sur l’état de la menace de l’OFAST
Comme l’indique Tracfin, « les méthodes de blanchiment utilisées par les narcotrafiquants sont variées, cumulatives et en constante évolution » ([441]).
La compensation
La compensation est inspirée de la pratique traditionnelle de l’hawala, un système de paiement dans les pays arabes entre commerçants. Le système de compensation met en relation des individus ayant besoin de liquidités avec les trafiquants ayant besoin de blanchir les espèces issues du trafic. Les espèces ne sont pas déplacées physiquement, ce qui limite les risques liés à la manipulation et au transport.
Les espèces sont d’abord récupérées par les collecteurs du réseau de blanchiment. Elles sont remises à des entreprises légales qui pratiquent le travail dissimulé - les secteurs de la restauration, du bâtiment mais aussi de la sécurité sont identifiés comme à risque car ils emploient beaucoup de main-d’œuvre. Pour contrebalancer cette opération, des virements sont opérés par les entreprises légales à des sociétés détenues par les trafiquants. Ces virements sont justifiés par de fausses factures. L’opération peut se répéter plusieurs fois et implique des sociétés étrangères, jusqu’à ce que l’argent arrive sur les comptes des trafiquants à l’étranger. Les fonds ainsi blanchis – déduction faite de la commission – sont ainsi à la disposition des trafiquants.
Certains réseaux criminels, qui peuvent s’appuyer sur des réseaux de collecteurs dispersés dans plusieurs pays, sont sollicités par d’autres réseaux pour blanchir leur argent, moyennant commission. Le recours par des groupes criminels français et italiens à des réseaux chinois pour assurer le blanchiment des fonds est ainsi avéré.
Source : rapport sur l’état de la menace 2023 de l’OFAST
Les trafiquants diversifient leurs méthodes et investissent de plus en plus dans les crypto-actifs pour transférer leurs espèces. Cette méthode garantit l’anonymat des transactions et rend l’origine des fonds investis opaque. De plus, l’évolution très rapide des taux de change justifie facilement un enrichissement soudain.
L’existence de plateformes dédiées au blanchiment de fonds illicites accélère encore ce mouvement. La plateforme Bitzlato, qui permettait de blanchir des crypto-actifs issus d’activités criminelles contre commission, a ainsi été démantelée en janvier 2023. Les transactions effectuées sur cette plateforme depuis 2018 sont estimées à plus de 2 milliards de dollars ([442]).
Le recours à des mixeurs – une technologie qui mélange des cryptomonnaies provenant de plusieurs sources pour en masquer l’origine – est de plus en plus fréquent, ce qui complexifie encore la tâche des services d’enquête ([443]).
a. Des services d’enquête aux effectifs insuffisants
L’objectif de la lutte contre le blanchiment est de priver les organisations criminelles de leurs profits. Il faut donc d’abord identifier les flux financiers suspects.
Tracfin joue un rôle majeur dans cette identification. C’est un service d’investigation à vocation opérationnelle. Il est à la fois une cellule de renseignement financier et l’un des six services de la communauté du renseignement (depuis 2008).
Il supervise les obligations de vigilance imposées à certains professionnels identifiés comme étant particulièrement à risque. Ces professionnels – énumérés à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier – doivent mettre en place des procédures adaptées de contrôle interne pour identifier les opérations et les clients suspects. Les professionnels doivent faire des déclarations de soupçons à Tracfin dès qu’ils suspectent qu’une opération provient d’une infraction pénale passible de plus d’un an d’emprisonnement. Certaines opérations financières doivent systématiquement être transmises à Tracfin, conformément à l’article L. 561-15-1 du code monétaire et financier, notamment les dépôts d’espèces qui, sur un mois cumulé, dépasse une somme de 10 000 euros.
Plus de 200 000 professionnels sont assujettis au dispositif lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (dit LCB-FT). Selon Tracfin, les transmetteurs de fonds sont les principaux déclarants de soupçons sur le trafic de stupéfiants ([444]).
S’agissant plus spécifiquement du blanchiment des fonds issus du trafic de stupéfiants, la multiplication de comptes bancaires et de comptes à l’étranger, le dépôt d’espèces importants, mais aussi des achats incohérents avec les revenus déclarés ou des gains de jeux fréquents et conséquents sont des critères d’alerte ([445]).
Tracfin peut également exercer son droit de communication, prévu à l’article L. 561-26 du code monétaire et financier : il peut demander aux professionnels concernés par le dispositif antiblanchiment de lui communiquer toute pièce nécessaire à son enquête.
Tracfin dispose également d’un droit d’opposition à la réalisation d’une opération financière douteuse (article L. 561-24 du code monétaire et financier). L’opposition peut durer pendant un délai de dix jours ouvrables. Ce droit d’opposition peut être mis en œuvre lorsque ce service identifie des sociétés dont la seule raison d’être est l’évacuation de fonds issus du trafic de stupéfiants (les « blanchisseuses »). Tracfin fait alors usage de son droit d’opposition et transmet à l’autorité judiciaire une note pour qu’elle puisse saisir les fonds, conformément à l’article 324-1-1 du code pénal). Entre septembre 2023 et octobre 2024, 35 millions d’euros ont été saisis grâce à ce mécanisme.
Le travail à partir des flux financiers permet la détection d’opérations suspectes, mais il n’est pas forcément évident ensuite de remonter à l’infraction source. Des procédures pour blanchiment peuvent néanmoins être ouvertes sans que l’infraction source ne soit connue.
Les trafiquants réinvestissent, dans les autres pays dont ils ont la nationalité pour les binationaux, mais aussi dans les pays refuges (identifiés par l’OFAST, la Commission européenne et le GAFI : les Émirats Arabes Unis et la Turquie), avec lesquels la coopération judiciaire comme policière est difficile ([446]). Les montages de compensation impliquent ainsi souvent le rapatriement de fonds vers Dubaï, où le système bancaire facilite l’anonymat et le paiement en espèces.
Pour cette raison, la coopération avec les pays d’investissement est très importante pour essayer de mieux appréhender les circuits des flux financiers.
Les services d’enquête s’organisent aussi pour répondre à l’utilisation de plus en plus grande des crypto-actifs. Pour cette raison, l’office national anti-fraude (ONAF, ex-service d’enquêtes judiciaires et des finances) travaille à ce que ses enquêteurs développent des compétences en matière de crypto-actifs.
L’OFAC participe à la « task-force » sur le blanchiment des fonds du trafic de stupéfiants, créée en novembre 2024 et pilotée par l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). L’OFAC a également créé des antennes pour répondre aux besoins opérationnels au plus près des services d’enquête.
L’ONAF déplore également que les connaissances des services d’enquête sur les méthodes de blanchiment soient encore trop faibles. Il souhaite que la recherche d’informations soit systématisée pour cartographier ces méthodes.
De l’avis unanime des interlocuteurs de la mission d’information, les services d’enquête sont largement sous dimensionnés par rapport à la complexité des enjeux et au nombre de dossiers. Cela limite les possibilités d’ouverture d’enquêtes et allonge les investigations lorsque celles-ci sont lancées.
La Cour des comptes, dans un rapport publié en novembre 2024, constate que le nombre d’enquêteurs anti-blanchiment est insuffisant au sein de la police judiciaire ([447]). Elle déplore que seuls 7 enquêteurs soient formés à la problématique de la lutte contre le blanchiment au sein de l’OFAST et recommande que les groupes d’intervention et de recherche (GIR) ([448]) montent en puissance sur cette thématique du blanchiment des profits issus du trafic de stupéfiants.
À Lyon, au-delà d’un groupe interministériel de recherche (GIR) concentré sur le trafic de stupéfiants et de la division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS) qui ne peut mener qu’une enquête par an, les possibilités de mener des enquêtes financières restent très limitées ([449]).
Recommandation n° 24 : renforcer et revaloriser la filière des services d’enquête chargés de la délinquance financière et plus particulièrement de la lutte contre le blanchiment, notamment en garantissant une formation continue de qualité.
L’équipe autour des magistrats gagnerait elle aussi à être renforcée, au vu de la complexité des schémas de blanchiment – qui peuvent par exemple impliquer des dizaines de sociétés. Les assistants spécialisés avec des compétences en matière financière, comme ceux en provenance de la direction générale des finances publiques (DGFIP), sont précieux pour identifier les circuits financiers, mais ils sont loin d’être assez nombreux.
Parmi les bonnes pratiques identifiées au cours de leurs travaux, vos Rapporteurs saluent l’initiative mise en place à Marseille d’un COLBAC-S ([450]), c’est-à-dire une instance de coordination dédiée à la lutte contre le blanchiment de stupéfiants. Cette cellule, qui intègre les différents services enquêteurs et partenaires étatiques (notamment la direction régionale des finances publiques), se réunit deux fois par an pour échanger sur les schémas de blanchiment spécifique et sur les cibles potentielles connues pour leurs liens avec le trafic de stupéfiants. Pour la DACG, c’est une structure « particulièrement prometteuse dans la coordination entre renseignement et procédures judiciaires ». Elle a notamment permis de démanteler des réseaux de collecteurs ([451]). Cette initiative pourrait utilement être reproduite dans les territoires où cela est pertinent.
b. La présomption de blanchiment, un outil efficace
L’article 324-1-1 du code pénal, qui instaure une présomption de blanchiment, a été créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Article 324-1-1 du code pénal
Pour l'application de l'article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus.
Cet article opère un renversement de la charge de la preuve : dès lors que l’origine licite des fonds ne peut être prouvée, alors elle est présumée illicite. Il ne modifie pas les éléments constitutifs de l’infraction.
Par exemple, lorsque des espèces sont trouvées dans une cache aménagée d’un véhicule lors d’un contrôle aux frontières, la personne doit pouvoir en justifier l’origine. La présomption peut également être appliquée à des sociétés ayant un important chiffre d’affaires mais incapables de justifier d’une activité réelle.
La DACG considère que c’est « un outil particulièrement pertinent qui facilite réellement le travail d’enquête grâce au renversement de la charge de la preuve que [la présomption de blanchiment] induit » ([452]).
Lors de leur déplacement au tribunal judiciaire de Paris le 5 décembre 2024, vos Rapporteurs ont pu rencontrer les magistrats travaillant sur la criminalité organisée (à la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée, JUNALCO), qui ont souligné l’utilité de ce dispositif.
Certains interlocuteurs ont cependant déploré qu’il ne soit pas plus utilisé. Dans son rapport d’évaluation mutuelle de la France, le groupe d’action financière (GAFI), qui fixe des normes internationales pour lutter efficacement contre les fonds illicites, constate que « le nombre de condamnations pour blanchiment autonome représente une part moins importante qu’attendu, au regard de la possibilité légale (i.e. la présomption de blanchiment) offerte aux autorités de poursuivre plus aisément le blanchiment autonome depuis 2013 avec le renversement de la charge de la preuve » ([453]).
c. Les évolutions proposées par le Sénat dans sa proposition de loi
La proposition de loi déposée par les sénateurs Muriel Jourda et Jérôme Durain comporte plusieurs dispositions, à l’article 3, qui concernent la lutte contre le blanchiment :
– la fermeture administrative des commerces soupçonnés d’être des « blanchisseuses » ;
– l’ouverture de l’accès au système d’immatriculation des véhicules (SIV) et aux fichiers informatisés des données juridiques immobilières (FIDJI) aux agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires ;
– l’assujettissement des vendeurs de voitures de luxe aux règles LCB-FT ;
– la création d’un nouveau dispositif de certifications professionnelle des personnes assujetties aux règles LCB-FT ;
– la radiation d’office du registre du commerce et des sociétés ;
– l’autorisation pour les officiers des douanes à procéder à des saisies rapides sur les comptes bancaires.
L’article 3 issu des travaux du Sénat en commission puis en séance comporte des mesures supplémentaires :
– la possibilité pour les maires d’être informés des suites judiciaires des affaires liées au trafic de stupéfiants ;
– l’ouverture à des fichiers supplémentaires pour différents agents ;
– l’extension du droit de communication de Tracfin ;
– l’interdiction de payer une location de véhicule en espèces ;
– l’élargissement des personnes assujetties aux règles LCB-FT ;
– la possibilité pour les lanceurs d’alerte de saisir directement Tracfin.
Sur l’ouverture de l’accès aux fichiers, vos Rapporteurs appellent à la prudence : toute ouverture de fichiers doit s’accompagner de la mise en place de mécanismes de traçabilité des accès, pour limiter les risques de corruption et de compromission, mais aussi veiller au respect des données personnelles, en lien avec la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Ils soutiennent par ailleurs l’extension du droit de communication de Tracfin adoptée au cours de l’examen en commission, qui correspond à une demande opérationnelle pour améliorer encore la détection de tentatives de blanchiment de fonds illicites.
Recommandation n° 25 : étendre le droit de communication de Tracfin aux conseillers en gestion d’affaires, aux plateformes de domiciliation d’entreprises et aux plateformes de facturation électronique.
La possibilité pour les lanceurs d’alerte de saisir directement Tracfin est également soutenue par vos Rapporteurs : cette demande leur paraît tout à fait légitime.
Recommandation n° 26 : ouvrir aux lanceurs d’alerte la possibilité de saisir directement Tracfin.
Ils ne portent pas la même appréciation sur le bien-fondé de la fermeture administrative des commerces suspectés de servir uniquement à blanchir des fonds : le co-rapporteur Antoine Léaument considère qu’une telle fermeture sans enquête judiciaire est disproportionnée tandis que le co-rapporteur Ludovic Mendes souhaite, lui, que cette possibilité soit explorée.
Enfin, si le co-rapporteur Antoine Léaument est tout à fait favorable au renforcement des outils de lutte contre le blanchiment, il reste persuadé qu’un empilement de mesures d’accès aux fichiers et d’interdictions supplémentaires ne peut pas remplacer des enquêteurs formés et spécialisés en délinquance économique et financière.
2. Systématiser l’identification et la saisie des avoirs criminels
L’importance de saisir et confisquer les avoirs des trafiquants de stupéfiants fait l’unanimité auprès des interlocuteurs de la mission d’information.
La saisie pénale intervient en cours de procédure. Elle peut avoir trois finalités : préserver des éléments de preuve, conserver des biens qui feront l’objet d’une confiscation, et garantir l’indemnisation des victimes en matière de criminalité organisée. La confiscation est une peine, prononcée par un juge à l’occasion d’une condamnation, qui entraîne la dépossession définitive d’un bien ([454]). L’article 131-21 du code pénal précise les conditions dans lesquelles la peine complémentaire de confiscation peut être appliquée : elle porte sur un bien instrument de l’infraction, mais aussi sur un bien objet ou produit de l’infraction. Les biens d’origine illicite peuvent également être confisqués. L’alinéa 7 de l’article prévoit également une confiscation générale du patrimoine de la personne condamnée, sous certaines conditions.
L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) joue un rôle majeur dans la mise en œuvre de ces saisies. Elle a pour missions de gérer et vendre les biens immeubles et meubles, mais aussi d’exécuter les demandes d’entraide pénale internationale en matière de saisie et confiscation et d’indemniser les parties civiles sur l’assiette des biens confisqués.
Le dispositif français a été renforcé par la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024 améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Celle-ci, entre autres mesures, a étendu les bénéficiaires d’affectation de biens mobiliers confisqués et prévoit la confiscation obligatoire de certains biens saisis qui constituent l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction.
Le GAFI dans son rapport de 2022 cité supra a salué le dispositif de saisies et confiscations mis en place par la France, considérant qu’elle avait fait de la confiscation des avoirs criminels « une priorité politique » et obtenu « de très bons résultats » ([455]). Selon l’AGRASC, les saisies justifiées par des infractions à la législation sur les stupéfiants se sont élevées à 95 millions d’euros, et le produit des confiscations à 79 millions d’euros. Les immeubles représentaient, en 2024, 24 % du montant saisi.
L’AGRASC poursuit son maillage territorial avec l’ouverture de nouvelles antennes, afin de renforcer la proximité avec les services d’enquête et les juridictions.
Depuis 2014, 186 crypto-actifs ont été saisis, pour un montant de près de 90 millions d’euros (au moment de la saisie). Un guide des saisies et des confiscations des actifs numériques a été diffusé en 2023 par la DACG et l’AGRASC pour familiariser les enquêteurs aux spécificités de ces avoirs. L’AGRASC a indiqué qu’il serait souhaitable, au regard de la forte volatilité des cours de crypto-actifs, de pouvoir les convertir au moment de la saisie pour figer dans le temps la valeur du bien.
Preuve de leur caractère irritant pour les trafiquants, les saisies font l’objet de plus en plus de recours. Selon les représentants des chambres de l’instruction entendus par la mission d’information, le nombre de contestations de saisies pénales augmente. Le président de la chambre de l’instruction à la cour d’appel de Paris (chambres 7.2 et 7.8), M. Éric Figliolia, a indiqué à la mission d’information que « le contentieux des saisies pénales, des décisions de remise à l’AGRASC pour affectation ou aliénation et des demandes de restitution représente un peu moins de 30 % des dossiers de fonds traités par la chambre 7.8 » ([456]).
Si la DACG insiste sur le caractère impératif des saisies et confiscations, plusieurs interlocuteurs de la mission d’information ont souligné que c’était une activité chronophage, qui nécessiterait d’avoir plus d’assistants spécialisés pour être systématisée.
Les représentants de la JIRS de Marseille ont par ailleurs suggéré de créer un dispositif de confiscation sans condamnation pour récupérer les avoirs des trafiquants de stupéfiants, sur le modèle italien ([457]). Comme l’a indiqué le magistrat de liaison français en Italie, M. Yves Le Clair, dans sa contribution écrite : « la saisie et confiscation préventive s’appliquent aux personnes suspectées d’appartenance à une association de type mafieux et de commission d’infractions énumérées limitativement ainsi qu’aux personnes suspectées de vivre habituellement ou ponctuellement du fruit des activités criminelles » ([458]).
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat explore plusieurs options pour mieux saisir et confisquer les avoirs des personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants. Plusieurs propositions ont été traduites dans la proposition de loi.
L’article 4 instaure une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée, qui intervient en amont de la procédure judiciaire. Ce dispositif permet au procureur de la République, aux officiers de police judiciaire et aux agents des douanes et services fiscaux de requérir de toute personne qu’elle justifie de ressources correspondant à son train de vie ou de l’origine d’un bien détenu. En l’absence de réponse, le juge des libertés et de la détention pourrait ordonner la saisie des biens.
La systématisation des enquêtes patrimoniales, présente dans la version initiale de l’article, a été supprimée du dispositif pendant l’examen en commission.
Vos Rapporteurs ne retiennent pas le dispositif d’injonction pour richesse inexpliquée, qui leur semble disproportionné : ce mécanisme de renversement de charge de la preuve ne semble pas présenter des garanties procédurales suffisantes, même après son aménagement en commission.
L’article 5 crée une procédure judiciaire de gel judiciaire des avoirs des narcotrafiquants, dans laquelle le juge des libertés et de la détention doit statuer en 48 heures sur une demande de gel de fonds et de ressources économiques formulée par le juge d’instruction ou le procureur de la République.
Cette procédure n’a pas fait l’unanimité auprès des interlocuteurs auditionnés ou consultés. Vos Rapporteurs sont eux aussi sceptiques quant à l’opportunité de confier au juge des libertés et de la détention et à la chambre de l’instruction une nouvelle mission alors même que les dispositifs pour saisir et confisquer existent déjà.
Cet arsenal a été complété lors de l’examen en commission des Lois du Sénat par un article 5 bis, qui crée une procédure de gel administratif des avoirs des trafiquants, similaire à celle qui existe aujourd’hui en matière de lutte contre le terrorisme. L’ancien ministre de l’économie Bruno Le Maire avait déjà évoqué devant la commission d’enquête du Sénat ([459]) cette possibilité de saisir les avoirs des trafiquants de stupéfiants pour les geler pendant une durée de six mois.
II. Une stratégie judiciaire à rénover
La capacité des organisations criminelles à s’adapter en permanence est également avérée sur le plan judiciaire, en témoigne la résilience des personnes incarcérées et l’exploitation de la procédure pénale par les trafiquants de stupéfiants. Si des ajustements peuvent être envisagés, que ce soit sur le régime des nullités procédurales ou sur le dispositif des repentis, ils doivent se faire dans le respect des droits de la défense.
A. Se doter de moyens et d’un régime procédural à la hauteur des enjeux de la lutte contre les organisations criminelles
Si la spécialisation de l’organisation judiciaire en matière de criminalité organisée n’est pas nouvelle, elle pourrait être renforcée pour garantir une meilleure coordination entre les juridictions.
1. Tirer parti de la spécialisation en matière judiciaire
a. Des juridictions spécialisées pour une réponse judiciaire plus efficace à la criminalité organisée
L’article 1er de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité crée des juridictions spécialisées dans la lutte contre la criminalité organisée (JIRS), faisant le constat d’une organisation judiciaire trop fragmentée pour appréhender des réseaux criminels très mobiles géographiquement. Ces juridictions comprennent une section du parquet, ainsi que des formations d’instruction et de jugement spécialisées.
Le premier alinéa de l’article 706-75 du code de procédure pénale prévoit que les JIRS peuvent être compétentes lorsqu’une affaire relève des infractions relatives à la criminalité et à la délinquance organisées (articles 706-73 et 706-71 du CPP) et à la délinquance économique et financière (article 704 du CPP) et qu’elle présente une grande complexité. La compétence territoriale des JIRS regroupe les ressorts de plusieurs juridictions.
Les JIRS bénéficient de remontées d’information des parquets locaux ainsi que des services d’enquête, selon un principe de double information, pour déterminer les affaires dont elles se saisissent sur leur ressort.
Au nombre de 8 ([460]) aujourd’hui, les juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées sont bien ancrées dans l’organisation judiciaire. Vingt ans après leur création, ce sont près de 400 magistrats qui se consacrent au contentieux des JIRS. Ces dernières se sont saisies de 500 affaires en 2023, soit une hausse de 15 % en un an ([461]).
L’article 68 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en élargissant le périmètre de compétence du tribunal de Paris, instaure une juridiction spécialisée à compétence nationale chargée de la très grande criminalité organisée, la JUNALCO. C’est une réponse institutionnelle à la complexité des réseaux criminels, dont les activités couvrent des territoires plus étendus que le cadre régional.
L’alinéa 4 de l’article 706-75 du code de procédure pénale dispose ainsi que le tribunal judiciaire et la cour d’assises de Paris disposent d’une compétence nationale concurrente pour les affaires de très grande complexité, « en raison notamment du ressort géographique sur lequel elles s’étendent ».
L’articulation entre les différentes juridictions est explicitée par une circulaire du 17 décembre 2019 ([462]). Celle-ci précise le critère de très grande complexité. Celui-ci peut ainsi être entendu lorsqu’un dossier concerne le ressort de plusieurs JIRS ou qu’un dossier d’ampleur ne présente pas d’enracinement territorial déterminé. La JUNALCO peut également être saisie lorsque les enjeux de procédure et l’envergure nationale ou internationale du dossier le justifient (nombre d’auteurs ou de victimes, extrême complexité, envergure internationale nécessitant un recours à l’entraide pénale internationale multidirectionnelle…).
La circulaire détaille également l’articulation de la compétence de la JUNALCO avec celle des JIRS : la première doit bénéficier de remontées d’informations pertinentes des secondes, ainsi que des offices centraux et services à compétence nationale (principe de la double information). La JUNALCO doit également suivre les opérations de livraisons surveillées et être informée de l’ensemble des demandes d’entraide aux fins d’infiltration provenant d’États étrangers. Enfin, sa position centrale en fait un interlocuteur privilégié des JIRS, auxquelles elle est censée apporter soutien et appui opérationnel.
S’agissant de la répartition des dossiers, la procureure de Paris lors de son audition par les rapporteurs a indiqué qu’environ la moitié des 90 dossiers à la JUNALCO et 60 % des 230 dossiers de la JIRS de Paris étaient liés au narcotrafic.
À l’échelle JIRS / JUNALCO, 75 % des dossiers traités depuis le 1er octobre 2004 relevaient de criminalité organisée, 24 % de criminalité financière et 0,16 % de cybercriminalité ([463]).
Il existe donc trois niveaux judiciaires pour les dossiers de criminalité organisée : les parquets locaux, les parquets JIRS et le parquet JUNALCO. La saisine de l’un ou l’autre dépend à la fois du degré de complexité de l’affaire et de son étendue géographique.
b. Les réflexions et l’initiative législative autour de la création d’un parquet spécialisé
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat fait état de « critères de répartition pas toujours définis entre les tribunaux judiciaires et les JIRS », et y voit une mauvaise application du principe de double information du parquet local et du parquet JIRS. En conséquence, la recommandation n° 21 du Sénat est de créer, sur le modèle du Pnat et du PNF, un parquet national antistupéfiants (Pnast).
Les rapporteurs du Sénat justifient cette création par deux impératifs majeurs : la spécialisation, indispensable à leurs yeux pour « tenir compte des particularités des réseaux de narcotrafic » et l’incarnation, avec « l’émergence d’une figure unique, clairement identifiée et qui sera[it] l’interlocuteur de référence pour la sphère judiciaire » ([464]).
MM. Dupond-Moretti ([465]), Migaud ([466]) et Darmanin ([467]), les trois ministres qui se sont succédé à la tête de la Chancellerie en 2024, se sont tous prononcés en faveur d’un parquet spécialisé.
La création d’un tel parquet a également été préconisée par le magistrat Jean-François Ricard, ancien procureur national antiterroriste, dans un rapport remis au garde des Sceaux en septembre 2024. Le rapport envisageait toutefois ce nouveau parquet avec une compétence élargie à l’ensemble de la criminalité organisée et non restreinte au seul trafic de stupéfiants. Faisant le constat d’une justice qui n’est « plus en capacité de répondre efficacement » à la menace présentée par la criminalité organisée, Jean-François Ricard envisageait le futur parquet national anticriminalité organisée avec des compétences élargies et l’obligation de donner les grandes orientations opérationnelles aux JIRS et aux parquets locaux ([468]).
L’article 2 de la proposition de loi du Sénat ([469]), dans sa version initiale, proposait de créer un parquet national antistupéfiants (Pnast) tout en conservant la JUNALCO, qui s’occuperait des autres dossiers liés à la criminalité organisée. Ce nouveau parquet aurait une compétence concurrente à celle des parquets locaux et des parquets JIRS pour se spécialiser sur les dossiers dits « du haut du spectre ». Le texte prévoyait également de confier au Pnast l’ensemble des dossiers impliquant des « repentis » ou des « infiltrés ». Il aurait également un « monopole criminel », les auteurs de la PPL souhaitant qu’il soit l’autorité unique de poursuite pour la direction ou l’organisation d’un groupement de narcotrafic, la production ou la fabrication illicites de stupéfiants, l’importation ou l’exportation de stupéfiants en bande organisée et la justification mensongère de l’origine des biens ou revenus acquis grâce à un crime.
La création du parquet national spécialisé est présentée comme le pendant judiciaire de l’OFAST, que l’article 1er de la proposition de loi entend consolider dans sa fonction de chef de file interministériel pour la politique de lutte contre le narcotrafic.
L’article 2 a fait l’objet d’une refonte complète lors de son examen par la commission des Lois du Sénat. Dans sa version issue des travaux de la commission, le nouveau parquet national est maintenant chargé de lutter contre la criminalité organisée dans son ensemble, élargissement justifié par « les liens étroits […] entre le narcotrafic et les autres formes de délinquance et de criminalité organisées » ([470]).
Ce nouveau parquet remplace la JUNALCO – qui est donc supprimée par l’article 2 – et voit son pouvoir d’évocation renforcé. S’il conserve un monopole infractionnel, celui-ci est recentré sur les infractions de direction d’un réseau de trafic et de meurtres et actes de torture et de barbarie commis en bande organisée, pour tenir compte de l’élargissement de son périmètre de compétences. Enfin, il conserve des prérogatives de coordination lui permettant notamment de régler les conflits de compétence entre les parquets locaux et les parquets JIRS. En séance, la compétence exclusive du PNACO a été supprimée par un amendement des rapporteurs.
Vos rapporteurs ont pu constater, au cours de leurs travaux, que l’idée de créer un nouveau parquet à compétence nationale ne fait pas l’unanimité.
Les avocats ont fait part de leurs réticences lors de la table ronde organisée par les rapporteurs. Le Conseil national des barreaux s’était déjà ému de la création d’un parquet national antistupéfiants dans une résolution adoptée en assemblée générale le 11 octobre 2024, dénonçant la volonté de centraliser les affaires liées au trafic de stupéfiants à Paris : « cette mesure, en éloignant les justiciables et leurs avocats des juridictions locales, affaiblit le principe d’une justice de proximité, pourtant essentiel pour garantir l’égalité devant la loi » ([471]).
La création de ce nouveau parquet provoque également des réactions mitigées parmi les magistrats. Ainsi, si certains magistrats des JIRS y sont favorables sous réserve que ce parquet national soit en mesure de porter des lignes directrices et d’impulser une véritable coordination entre les JIRS, d’autres y voient une strate supplémentaire susceptible d’alourdir et non de faciliter l’articulation entre les différentes strates judiciaires.
Lors de la table ronde des JIRS hors Paris, l’un des auditionnés a exprimé des réserves en invoquant des craintes d’un possible « alourdissement de la procédure pénale », que cette nouvelle « superstructure crée des contentieux de compétence inextricables » et qu’elle absorbe les moyens des autres juridictions. L’Union syndicale des magistrats estime que la matière ne s’y prête pas : les trafics étant disséminés, ce qui nécessite une expertise locale plutôt qu’une centralisation à Paris ([472]).
La procureure de Paris, Laure Beccuau s’est exprimée sur les réflexions en cours lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Paris :
« La forme qu’elle prendra, notamment dans l’autonomisation ou non d’un parquet dédié, est une décision politique qui ne nous appartient pas. Soyons vigilants toutefois au fait que cet objet ne relève de la pensée magique. […] Il faut veiller à ce que cette réforme, quelle qu’elle soit, renforce les moyens et l’efficacité sans abîmer les acquis » ([473]).
La procureure générale près la Cour d’appel de Paris, Marie‑Suzanne Le Quéau, a également marqué une préférence pour un renforcement de la JUNALCO au détriment de la création d’un parquet spécialisé : « je ne suis pas convaincue par la création d’un parquet national de lutte contre la criminalité organisée, loin de faire l’unanimité dans le corps judiciaire. […] La pratique nous a souvent enseigné qu’une idée a priori séduisante dans son énoncé pouvait s’avérer être, dans le champ opérationnel, un miroir aux alouettes » ([474]).
Vos rapporteurs sont réticents à l’idée de créer un parquet spécialisé contre la lutte contre la criminalité organisée, pour plusieurs raisons.
Contrairement au parquet national financier (PNF) ou au parquet national anti-terroriste (PNAT), la criminalité organisée représente un contentieux de masse, dont la centralisation à Paris apparaît illusoire. Au demeurant, une telle centralisation ne serait pas souhaitable : il est indispensable de conserver une expertise locale. Chaque JIRS aujourd’hui a déjà ses spécificités : les enjeux du ressort de Marseille diffèrent de ceux du ressort de la JIRS de Lille, non seulement en raison de leur position géographique mais également des réseaux criminels locaux.
Si les difficultés d’incarnation et de coordination entre JIRS et JUNALCO existent, elles n’apparaissent pas d’une ampleur telle qu’elles ne puissent être réglées en faisant évoluer les structures existantes, et non en créant une nouvelle superstructure. Ce d’autant plus que la JUNALCO a été créée il y a seulement cinq ans : vos rapporteurs estiment qu’il faut lui laisser le temps et lui donner les moyens de prendre toute sa place et d’incarner au niveau national la lutte contre la criminalité organisée.
Vos rapporteurs rejoignent l’analyse de M. François Molins devant la commission d’enquête du Sénat, qui estimait que la création d’un tel parquet n’était pas pertinente et qu’il serait plus judicieux de faire de la JUNALCO un « chef de file pour la criminalité organisée, au même titre que le parquet national financier pour certaines infractions financières » ([475]).
Vos rapporteurs, au terme de leurs travaux, demeurent ainsi peu convaincus de l’opportunité de créer un parquet spécialisé.
Recommandation n° 27 : renoncer à créer un parquet spécialisé chargé de lutter contre la criminalité organisée et renforcer la JUNALCO.
Conscients des difficultés rencontrées par la JUNALCO pour assumer son rôle de coordination et de pilotage des JIRS et parquets infra JIRS, ils demeurent convaincus que la JUNALCO peut, avec des moyens adaptés et proportionnés, jouer le rôle de « chef de file judiciaire » de la lutte contre la criminalité organisée.
Ils suggèrent également que les procureurs soient intégrés au sein des CROSS, pour qu’ils aient accès et qu’ils partagent les renseignements opérationnels en matière de stupéfiants.
Recommandation n° 28 : intégrer les procureurs au sein des CROSS.
Vos Rapporteurs recommandent également d’accroître le nombre de JIRS, pour avoir un maillage territorial plus fin.
Recommandation n° 29 : accroître le nombre de JIRS pour garantir un maillage territorial plus fin et y flécher des effectifs supplémentaires.
c. Réformer la cour d’assises spécialisée pour les dossiers de stupéfiants
Les cours d’assises qui siègent sur les dossiers de trafic de stupéfiants sont composées de sept magistrats professionnels, à l’inverse des autres cours d’assises qui comportent, outre trois magistrats professionnels, six jurés. Cette spécialisation, prévue à l’article 706-27 du CPP, existe depuis 1992.
Cependant, vos Rapporteurs ont pu constater que le recours aux cours d’assises était rare, pour ne pas dire quasi inexistant ([476]).
Les juges d’instruction ont pris l’habitude de correctionnaliser les procédures, c’est-à-dire d’enlever certaines qualifications pour que les infractions relèvent du tribunal correctionnel et non de la cour d’assises. Les interlocuteurs de vos Rapporteurs ont avancé plusieurs explications :
– l’oralité des débats devant la cour d’assises se prêterait mal à la technicité des dossiers ;
– les délais d’audiencement des cours d’assises seraient trop importants, notamment au regard du nombre de magistrats professionnels qu’il est nécessaire de mobiliser.
Cela se traduit, pour les trafiquants, par des peines prononcées moins importantes que celles initialement encourues.
Ce constat a été nuancé par la DACG, selon laquelle, « les procédures jugées par les cours d’assises spécialement composées, en matière de crimes de trafics de stupéfiants, ont été l’occasion de constater l’efficacité de cette justice et la capacité de ces formations de jugement professionnelles à lutter contre les réseaux criminels » ([477]).
En conséquence, elle soutient l’évolution du jugement des crimes commis en relation avec le crime organisé sur le modèle de ce qui existe pour le trafic de stupéfiants, à la fois au regard des éventuelles pressions exercées sur les jurés mais aussi en raison de la technicité des moyens de preuve produits devant la cour d’assises. Un tel élargissement avait été annoncé par Didier Migaud le 8 novembre 2024 lorsqu’il était encore garde des Sceaux ([478]).
L’article 13 de la PPL du Sénat sur le narcotrafic modifie ainsi l’article 706-26 du CPP pour élargir la compétence de la cour d’assises spéciale à l’ensemble des infractions connexes aux crimes commis dans le cadre du trafic de stupéfiants. Lors de l’examen de l’article en commission, les rapporteurs ont souhaité élargir la compétence de ces cours d’assises à l’ensemble des crimes commis en bande organisée, mais sont revenus sur l’élargissement aux infractions connexes, considérant que celui-ci présentait finalement un faible intérêt opérationnel et un risque constitutionnel majeur.
Vos deux Rapporteurs sont opposés à l’élargissement de la compétence de la cour d’assises spéciale, au regard de la faible utilisation qui en est faite aujourd’hui.
Plus généralement, le co-rapporteur Antoine Léaument est tout à fait défavorable à cette solution, qui marquerait un nouveau recul du jury populaire et une nouvelle étape vers la professionnalisation des cours d’assises. Il rejoint par ailleurs le constat fait par le syndicat de la magistrature, selon lequel « l’organisation de ces cours d’assises spéciales serait particulièrement lourde de conséquences sur l’organisation de juridictions d’ores et déjà asphyxiées par l’introduction des Cours criminelles départementales à moyens constants, elles-mêmes déjà totalement embolisées après seulement deux ans d’existence » ([479]).
2. Investir dans les moyens humains et technologiques
La création d’un nouveau parquet national n’est qu’une solution en trompe-l’œil, alors que le traitement des dossiers complexes de trafic de stupéfiants souffre du manque d’effectifs – magistrats, greffiers, assistants spécialisés… - et du retard phénoménal du ministère de la Justice en matière informatique. La Justice a souffert d’un sous-investissement chronique depuis plusieurs décennies, et le retard se révèle difficile à rattraper.
a. Avoir des effectifs à la hauteur des besoins
Si l’ensemble des personnels judiciaires rencontrés par vos Rapporteurs font preuve d’un investissement sans faille, cela ne peut compenser l’insuffisance d’effectifs, à tous les niveaux.
● La création de juridictions spécialisées ne s’accompagne pas nécessairement de moyens humains supplémentaires.
Comme le souligne la conférence nationale des présidents des tribunaux judiciaires (CNPTJ), la création de la JIRS à Nancy a été suivie de la création d’un seul poste de juge du siège. À Paris, les magistrats de la JIRS sont également les magistrats de la JUNALCO. Et, toujours à Paris, si les sections JIRS du parquet comme du siège ont été renforcées depuis leur création, cette spécialisation s’est faite au détriment d’autres contentieux.
Le président du tribunal judiciaire de Paris, M. Stéphane Noël, a lui souligné l’importance de renforcer l’ensemble de la chaîne judiciaire, puisqu’il faut instruire puis juger les dossiers. Que ce soient les tribunaux correctionnels ou les cours d’assises, il estime que les capacités de jugement sont largement insuffisantes. Au-delà, les délais trop longs de jugement s’expliquent aussi par le manque de juges des libertés et de la détention et par les délais de traitement des chambres de l’instruction ([480]).
Ainsi, les cabinets d’instruction sont sous-dimensionnés pour faire face aux dossiers complexes qui sont les leurs. Un référentiel de la charge de travail associée à chaque fonction a été élaboré par la direction des services judiciaires, en partenariat avec les organisations syndicales et les représentants des différentes conférences. Dans ce cadre, le groupe de travail sur l’instruction a retenu comme seuil d’alerte le nombre de 72 dossiers pour un cabinet de droit commun, et 15 dossiers pour un juge d’instruction de JIRS criminalité organisée. Or, ces seuils sont largement atteints dans les différents ressorts : ainsi, à Rennes, la moyenne de dossiers pour les cabinets de droit commun s’établit à 125, et à 33 pour les cabinets spécialisés JIRS ([481]) – soit plus du double par rapport au seuil d’alerte. Selon l’Union syndicale des magistrats, il faudrait multiplier par 3,5 le nombre de juges d’instruction de droit commun et par 4,6 le nombre de juges d’instruction JIRS pour traiter le nombre de dossiers en stock à l’instruction ([482]).
Cela se traduit très concrètement par des délais de traitement très longs : en 2023, le délai moyen entre l’arrivée d’une affaire au parquet et la condamnation suite à une information judiciaire était de 37,5 mois – soit plus de trois ans – pour les trafics de stupéfiants ([483]).
Au tribunal judiciaire de Paris, les dossiers JIRS sont priorisés dans l’audiencement. Pour autant, 12 dossiers JIRS et JUNALCO attendaient encore d’être jugés mi-novembre 2024, chacun représentant une ou deux semaines d’audience. Pour les dossiers de droit commun, c’est-à-dire qui concernent des trafics à l’échelle de la plaque parisienne ou de moindre envergure, ce sont entre 70 et 80 dossiers qui attendaient d’être audiencés ([484]).
S’agissant de la JUNALCO, le manque d’effectifs se traduit par des difficultés à accomplir sa mission de coordination et d’animation des JIRS. Mme Laure Beccuau, la procureure près le tribunal judiciaire de Paris, a reconnu que des progrès étaient possibles, notamment en matière de cibles de haute valeur et de tactiques d’enquêtes.
● Le renforcement des juridictions spécialisées a été l’objet de plusieurs annonces au niveau politique à la fin de l’année 2024 et au début de l’année 2025.
M. Didier Migaud, le garde des Sceaux précédent, avait annoncé l’ouverture de sept postes supplémentaires à la JUNALCO, ainsi que la création d’une cellule de coordination opérationnelle, rattachée au parquet de JIRS / JUNALCO, qui serait chargée :
– de procéder à l’analyse et au recoupement de l’information pour favoriser l’orientation optimisée des procédures ;
– de contribuer à l’harmonisation des pratiques via l’édification de doctrines d’emploi opérationnelles sur les outils juridiques et techniques de la lutte contre la criminalité ;
– de consolider l’état de la menace des évolutions de la criminalité organisée au plan national ([485]).
Cette cellule devait être composée de trois magistrats.
M. Gérald Darmanin, garde des Sceaux depuis le 23 décembre 2024, s’est lui engagé sur la création de 100 postes de magistrats affectés à la lutte contre le narcotrafic, dont certains seraient fléchés vers la JUNALCO ([486]).
Si vos Rapporteurs ne peuvent qu’être favorables au renforcement des effectifs des JIRS et de la JUNALCO, ils demeurent vigilants à ce que ces engagements se traduisent en actes. M. Antoine Léaument, co-rapporteur, souligne la grande insuffisance des chiffres annoncés par les gardes des Sceaux successifs.
Recommandation n° 30 : renforcer les effectifs alloués aux JIRS et à la JUNALCO.
Des assistants spécialisés, qui sont recrutés pour participer au traitement de contentieux techniques ou spécifiques, assistent les magistrats des JIRS. De l’avis unanime des magistrats rencontrés par les rapporteurs, ils sont un soutien précieux dans des investigations complexes, mais en nombre largement insuffisant relativement aux besoins. Ils peuvent ainsi être chargés des demandes d’entraide pénale ou encore des saisies et confiscations, en fonction de leurs administrations d’origine ou de leur expérience professionnelle antérieure.
Le même raisonnement s’applique s’agissant des attachés de justice et des greffiers : l’équipe autour du magistrat est loin d’être développée à son plein potentiel, ce qui nuit à l’efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants, un contentieux de masse mais également complexe.
Dans leur contribution, les magistrats de la JIRS de Marseille suggèrent de modéliser l’organisation d’un cabinet d’instruction JIRS selon la répartition suivante :
– un assistant de justice par cabinet ;
– un assistant spécialisé et un attaché de justice pour trois, voire quatre cabinets ;
– un adjoint administratif par cabinet ;
– et un greffier par cabinet.
Recommandation n° 31 : renforcer l’équipe autour des magistrats des JIRS, parquet comme siège, en recrutant des assistants spécialisés, des greffiers et des attachés de justice.
Le recrutement d’effectifs supplémentaires doit s’accompagner d’efforts réels sur l’immobilier judiciaire : il devient urgent de sécuriser les salles d’audience pour mieux protéger les magistrats, personnels de greffe et fonctionnaires. Le tribunal de Marseille, qui a connu un renfort d’effectifs récemment, est aujourd’hui freiné par le manque de salles d’audiences sécurisées.
Vos Rapporteurs ont pu constater, lors de leur déplacement à Cayenne en décembre 2024, que le bâtiment du tribunal judiciaire n’est absolument pas sécurisé : il est urgent d’y remédier, pour protéger les personnels qui y travaillent.
Recommandation n° 32 : sécuriser les salles d’audiences et les bâtiments judiciaires.
b. Investir massivement dans les moyens technologiques
Les rapports se suivent et se ressemblent pour dénoncer l’état déplorable des systèmes d’information du ministère de la Justice, et les coupes budgétaires décidées au cours de l’année 2024 n’ont rien arrangé.
Le plan de transformation du numérique (PTN), lancé en 2018, a fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes publié en janvier 2022. Elle évoque un « plan de rattrapage témoignant d’une insuffisance du renforcement de la fonction informatique du ministère, de choix contestables dans les priorités du projet et d’un manque de suivi budgétaire » ([487]).
Le rapport des États généraux de la Justice mentionnait les « très vives insatisfactions » exprimées par les usagers, engendrées par « le dysfonctionnement récurrent, parfois quotidien, des infrastructures et réseaux et des applicatifs […], l’archaïsme de certains logiciels […] et l’obsolescence de certains applicatifs ; […] le sentiment inévitable, mais profond, que beaucoup de chantiers sont lancés en même temps, mais qu’aucun n’avance réellement, ni n’apporte de réponse aux besoins concrets des utilisateurs » ([488]).
Alors que la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ) devait permettre de mettre à niveau le ministère de la Justice, les crédits dédiés à l’informatique ont diminué suite aux économies budgétaires intervenues au début de l’exercice budgétaire 2024. Aucun rattrapage n’était prévu puisque, pour l’exercice 2025, les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances initial faisaient état d’une diminution de 33 % des crédits alloués aux projets informatiques portés par le ministère ([489]).
Les magistrats à l’œuvre pour traquer et démanteler les réseaux criminels les plus dangereux en matière de criminalité organisée sont ainsi confrontés aux turpitudes de leur propre ministère, avec des logiciels inadaptés, trop vieux, qui accroissent leur charge de travail, en particulier par leur lenteur.
La conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires évoque ainsi la « vétusté, voire l’obsolescence de certains outils informatiques » ([490]). Mme Sophie Aleksic, première vice-présidente et coordinatrice du pôle criminalité organisée au tribunal judiciaire de Paris, évoque du « bricolage » lors de son audition par les rapporteurs : par exemple, les cours d’appel n’utilisent pas les mêmes logiciels que les tribunaux, ce qui oblige la chambre de l’instruction à ressaisir l’ensemble des informations, ce qui augmente évidemment le risque d’erreur et multiplie inutilement des opérations déjà faites, augmentant le temps de travail pour des actions purement informatiques.
Des magistrats ont également signalé, au cours des auditions, que le logiciel Cassiopée, censé compiler les informations issues des procédures judiciaires, n’était pas fiable, ses trames contenant des erreurs procédurales.
Lors de leur déplacement au tribunal judiciaire de Paris le 5 décembre 2024, vos Rapporteurs ont pu constater les difficultés concrètes auxquelles sont confrontés les magistrats. Ainsi, le logiciel censé permettre le suivi et le recoupement des procédures des JIRS et de la JUNALCO, appelé système informatisé de recoupement, d’orientation et de coordination des procédures de criminalité organisée (Sirocco), doit être rempli manuellement, alors même que toutes les informations demandées ont déjà été entrées dans un autre logiciel. La conférence nationale des premiers présidents (CNPP) signale que les juges d’instruction sont dans l’incapacité de le remplir correctement et souligne la plus-value que pourraient avoir des attachés de justice pour accomplir une tâche chronophage pour les magistrats.
Non seulement les magistrats doivent travailler avec des logiciels inadaptés, mais vos Rapporteurs ont également constaté que les assistants spécialisés attachés au parquet JIRS du tribunal judiciaire de Paris sont également mis en difficulté suite au non-renouvellement de la licence de logiciels pourtant indispensables pour leur travail.
Cette situation, dans la section censée traiter la criminalité du haut du spectre, fait frémir vos Rapporteurs à l’idée des moyens dont disposent – ou plutôt ne disposent pas – les autres JIRS et les juridictions de droit commun.
Recommandation n° 33 : prévoir un plan d’investissement sur trois ans pour fiabiliser les logiciels utilisés par le ministère de la Justice, en particulier Sirocco et Cassiopée et rendre compatibles ces logiciels avec ceux de la police et de la gendarmerie afin d’éviter la répétition de tâches chronophages.
Recommandation n° 34 : renouveler et investir d’urgence dans les licences indispensables au travail des assistants spécialisés attachés à la section JIRS du tribunal judiciaire de Paris.
B. repenser la mobilisation des outils procéduraux dans les dossiers de trafics de stupéfiants
Outre l’organisation judiciaire, plusieurs dispositifs ou règles de procédure pénale mériteraient d’être adaptés pour faciliter le traitement judiciaire des dossiers liés à la criminalité organisée.
1. Veiller à ce que l’utilisation des règles de procédure ne se fasse pas au détriment de l’efficacité judiciaire
Les règles procédurales, qui régissent les différents cadres d’enquête, peuvent être sources de difficultés dans certains dossiers de criminalité organisée.
L’information judiciaire est un cadre procédural d’enquête conduite par un juge d’instruction, c’est-à-dire par un juge du siège. Elle est obligatoire en matière criminelle. Les informations judiciaires sont généralement des procédures d’une grande complexité, notamment les dossiers relatifs à la criminalité organisée.
Au cours d’une information judiciaire, la chambre de l’instruction peut être saisie à tout moment pour annuler un acte ou une pièce de la procédure, par le juge d’instruction, le procureur mais aussi par les parties ou le témoin assisté, conformément à l’article 170 du CPP.
L’article 173 du même code prévoit que lorsque l’une des parties ou un témoin assisté estiment qu’une nullité a été commise, ils doivent saisir la chambre de l’instruction, par requête motivée. Une copie de cette requête doit être adressée au juge d’instruction.
L’article 173-1 prévoit que les moyens pris de la nullité des actes doivent être soulevés par la personne mise en examen dans un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen. Cette capacité des parties à soulever, tout au long de la procédure, les nullités éventuelles, est une garantie procédurale.
Lorsqu’une nullité est constatée, la chambre de l’instruction, conformément à l’article 206, prononce la nullité de l’acte qui en est entaché et, s’il y a lieu, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure.
L’article 802 distingue deux types de nullités : celles prévues expressément par la loi et celles admises par la jurisprudence comme la sanction d’une grave irrégularité de procédure, dites « nullités substantielles ». Ces nullités sont définies ainsi : « constituent des formalités substantielles les règles essentielles de la procédure pénale [telles que] des prescriptions nécessaires à la garantie d’un procès équitable et, notamment à la protection des droits de la défense, soit en des règles d’ordre public établies dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice » ([491]).
Quel que soit le type de nullité constatée, ce même article précise que la nullité n’est prononcée « que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne ». L’article 171 du CPP précise, lui, qu’ « il y a nullité lorsque la méconnaissance d’une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou tout autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne ».
Le régime procédural des nullités est devenu un enjeu pour les magistrats qui travaillent sur des dossiers de criminalité organisée, la multiplication des requêtes entraînant l’allongement des délais de traitement des informations judiciaires.
a. La multiplication des requêtes en nullité dans les dossiers de criminalité organisée influe sur les délais de traitement des informations judiciaires
Le contentieux des nullités est très présent dans les dossiers liés au trafic de stupéfiants. Sans que cette liste ait vocation à être exhaustive, les requêtes en nullités peuvent porter sur :
– les éléments de preuve obtenus par le biais de techniques spéciales d’enquête ;
– les décisions ordonnant les TSE ;
– les ordonnances de règlement quand il y a des détenus ;
– les décisions prises par le juge d’instruction ;
– la désignation du juge d’instruction ou le dessaisissement d’un juge d’instruction au profit d’une JIRS ou de la JUNALCO ;
– l’habilitation des enquêteurs à accéder à certains fichiers.
Devant la Cour de cassation sont fréquemment invoqués la méconnaissance des dispositions encadrant les mesures attentatoires à la vie privée, mais aussi l’accès aux données de connexion et la consultation de fichiers de données à caractère personnel ([492]).
Parmi les moyens ayant justifié l’annulation d’un acte se trouvent l’absence ou l’insuffisance de la motivation exigée par la loi : un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz a ainsi été partiellement cassé et annulé, car les juges n’avaient pas suffisamment motivé leur décision d’écarter le moyen de nullité tiré du défaut d’habilitation d’un agent ayant procédé à la consultation du traitement des antécédents judiciaires ([493]).
Ces requêtes en nullité représentent une part importante du contentieux traité par les chambres de l’instruction.
M. Éric Figliolia, président de la chambre de l’instruction à la cour d’appel de Paris, a indiqué à vos Rapporteurs que le contentieux sur les nullités représentait 50 % des dossiers de fond traités par la chambre de l’instruction de Paris.
Selon M. Nicolas Bonnal, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, les dossiers liés aux stupéfiants sont surreprésentés dans le contentieux des nullités au stade de l’information judiciaire – 30 % des affaires concernant les nullités enregistrées en 2023 alors que ces dossiers représentent 16 % des pourvois enregistrés.
Au-delà du volume, les différents magistrats soulignent aussi la complexité de plus en plus grande des moyens soulevés : le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris relève ainsi qu’en moyenne, ce ne sont pas moins de huit moyens qui sont soulevés, avec des mémoires en réplique qui peuvent atteindre 80 pages.
Enfin, il est extrêmement fréquent que les requêtes en nullité soient formées à la limite de l’expiration du délai des six mois.
Que ce soient les représentants des conférences, des syndicats, ou les magistrats des JIRS et des chambres de l’instruction, tous s’accordent sur le fait que les dossiers relatifs aux nullités engorgent les chambres de l’instruction et allongent les délais de traitement des procédures. Ils soulignent la tendance à contester la forme, c’est-à-dire l’ensemble des éléments de la procédure, et non le fond, soit les éléments probatoires contenus dans les dossiers.
Les magistrats s’accordent ainsi pour dénoncer le caractère dilatoire de certains recours, qui auraient pour seul objectif d’allonger les délais jusqu’à l’expiration des mesures de sûreté.
En effet, les chambres de l’instruction doivent traiter en priorité les recours relatifs aux demandes de mise en liberté formulées par les personnes en détention provisoire, car le délai dans lequel elles doivent se prononcer est encadré par la loi. Si ce délai n’est pas respecté, l’accusé est remis d’office en liberté.
À l’inverse, aucun délai n’est prévu s’agissant des requêtes en nullité.
Conséquence de la multiplication des demandes de mise en liberté et des requêtes en nullité, ainsi que de leur complexité, et du manque de moyens de la Justice, les chambres de l’instruction sont débordées et ne peuvent pas juger dans des délais raisonnables. Selon le syndicat de la magistrature, les délais d’audiencement des requêtes en nullités peuvent atteindre une, voire deux années dans certains ressorts ([494]).
Si un pourvoi est formé, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation peut décider de l’admettre immédiatement. Il faut alors en moyenne entre six et sept mois pour que la chambre criminelle puisse l’examiner.
Ainsi, entre le moment où le juge d’instruction prend un acte et celui où la chambre criminelle de la Cour de cassation statue définitivement sur la conformité de cet acte à la procédure, deux ans peuvent s’écouler – six mois pour déposer la requête, environ un an pour que la chambre de l’instruction la traite, et six mois de pourvoi en cassation.
Or, même si la requête en nullité ne prospère pas, le temps nécessaire pour la traiter peut entraîner l’arrivée à expiration des mesures de sûreté (détention provisoire, assignation à résidence avec surveillance électronique).
Cela se répercute nécessairement sur les délais d’instruction : celle-ci est pour ainsi dire « paralysée » pendant le traitement de la nullité – le juge d’instruction étant légitimement réticent à engager de nouveaux actes si sa procédure doit être fragilisée par l’annulation d’un acte. Selon Mme Nathalie Beaudoux, présidente de la chambre de l’instruction section JIRS criminalité organisée et délinquance organisée à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, les instructions pour les trafics de stupéfiants d’envergure durent entre trois et quatre ans.
b. Les différentes pistes de travail pour réformer le régime des nullités
Plusieurs pistes ont été évoquées par les interlocuteurs de vos Rapporteurs pour adapter la procédure pénale aux enjeux posés par la criminalité organisée :
– raccourcir le délai de six mois dans lequel peut être invoquée une nullité en le fixant à deux mois ;
– obliger de transmettre au juge d’instruction la requête en nullité sous peine d’irrecevabilité ;
– borner le délai de dépôt d’un mémoire à 48 heures de l’audience ;
– réfléchir à la notion de stratagème procédural ;
– prévoir l’irrecevabilité des moyens de nullités fondés sur l’utilisation et l’exploitation de moyens de communication frauduleux (moyens clandestins non agréés et cryptés) ;
– exiger la démonstration d’un grief à l’appui d’une requête en nullité, sauf pour les nullités d’ordre public (réforme de l’article 802 du CPP).
Sur la nécessité pour une nullité de faire grief
Comme indiqué supra, les articles 171 et 802 du CPP exigent tous les deux qu’une atteinte aux intérêts de la partie concernée par l’irrégularité soit caractérisée pour que l’annulation de l’acte soit prononcée.
Néanmoins, la Cour de cassation considère que dans certains cas, la méconnaissance de la règle fait nécessairement grief au requérant, car elle a irrévocablement affecté les droits de la personne concernée. Le requérant n’est donc pas tenu d’apporter la preuve du grief.
Cette jurisprudence de la Cour de cassation explique les revendications de certains interlocuteurs de la mission d’information, qui souhaiteraient que les nullités faisant nécessairement grief soient définies uniquement par la loi et non par la jurisprudence.
Ces pistes de travail ont déjà fait l’objet d’une analyse par le Sénat.
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic fait ainsi état « de certains dévoiements des règles du code de procédure pénale qui remettent en cause l’efficacité de la lutte contre le narcotrafic », allant jusqu’à qualifier les nullités de procédures d’« épée de Damoclès ».
Les rapporteurs proposent ainsi, dans leur recommandation n° 23, de mieux encadrer le régime des nullités de procédure. Ils identifient plusieurs possibilités dans leur rapport pour procéder à un « choc de simplification » :
– prévoir l’irrecevabilité des demandes en nullité portant sur des moyens frauduleux et / ou non agréés en France ou en Europe (ex : EncroChat ou Sky ECC) ;
– exiger, sous peine d’irrecevabilité, la démonstration d’un grief à l’appui d’une requête en nullité ;
– réduire à trois mois le délai pour déposer une requête en nullité au cours de l’instruction judiciaire ;
– prévoir l’irrecevabilité des requêtes en nullité déposées devant la chambre de l’instruction en cas de non-justification par le requérant ou son avocat du respect de l’obligation qui lui est faite de communiquer sa requête au juge d’instruction saisi de la procédure.
Les rapporteurs de la commission d’enquête souhaitaient également que soit inscrit dans la loi que, « face à une manœuvre dont la mauvaise foi peut être démontrée, les règles habituelles de nullité de procédure ne trouvent pas à s’appliquer » ([495]).
Les représentants des avocats rencontrés par vos Rapporteurs ont fait part de leur désaccord avec ces propositions. Le conseil national des barreaux, dans une résolution adoptée par l’assemblée générale le 11 octobre 2024, s’était déjà opposé « à toute réforme limitant la capacité des avocats à invoquer des nullités, lesquelles sont des garanties procédurales indispensables correspondant à la protection des libertés fondamentales » ([496]). Il a réitéré son opposition à toute modification dans une résolution du 17 janvier 2025, adoptée par l’assemblée générale : le CNB « rappelle que la procédure pénale est la garantie de la protection des libertés individuelles et qu’en la matière il n’existe pas de nullité " fabriquée " mais des nullités constatées par les juridictions comme autant de violations de la loi » ([497]).
Certaines des recommandations formulées dans le rapport de la commission d’enquête sont traduites dans la PPL du Sénat. L’article 20 avait, dans sa version initiale, un périmètre restreint : il prévoyait initialement de consacrer le principe selon lequel une nullité ne peut être accueillie si elle résulte de la négligence ou de la manœuvre de la partie qui la soulève.
Cet article a fait l’objet d’une réécriture globale lors de l’examen du texte en séance. L’amendement n° 227, déposé puis retiré par le Gouvernement, apportait trois modifications au régime des nullités :
– il fixait à trois mois, contre six aujourd’hui, le délai dans lequel peuvent être invoquées des nullités pendant l’information judiciaire ;
– il prévoyait que le dernier mémoire déposé par une partie récapitule l’ensemble des moyens pris de nullités de la procédure ;
– il bornait la date limite pour déposer un mémoire à cinq jours avant l’audience.
Le Sénat a adopté l’amendement n° 256, déposé par les rapporteurs, sous-amendé par le sénateur Francis Szpiner. En l’état, l’article 20 tel qu’adopté par le Sénat prévoit :
– l’interdiction, dans les dossiers de criminalité organisée ([498]), de désigner l’avocat à qui sont adressées les convocations et notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception : seule la déclaration au greffe sera possible ;
– la transmission obligatoire de la requête motivée au juge d’instruction, à peine d’irrecevabilité ;
– l’obligation de récapituler l’ensemble des moyens soulevés dans le dernier mémoire déposé, à défaut de quoi ils sont réputés être abandonnés.
N’a pas été retenue, suite à la suppression proposée par M. Szpiner, la disposition selon laquelle les nullités concernant des actes relatifs à des moyens de communication frauduleux ne sont pas des nullités substantielles. Le garde des Sceaux a par ailleurs exprimé de fortes réserves quant à la constitutionnalité des dispositions prévoyant d’interdire l’envoi, par lettre recommandée, du choix d’un avocat « chef de file » ([499]).
Vos Rapporteurs ont plusieurs désaccords quant aux mesures à mettre en œuvre.
Ils s’accordent sur la nécessité de donner plus de temps aux magistrats pour examiner les mémoires et éviter ainsi certains reports d’audiences.
Recommandation n° 35 : prévoir que les mémoires doivent être déposés au plus tard 48 heures avant l’audience (article 198 du CPP).
Votre co-rapporteur Ludovic Mendes est dubitatif quant aux choix faits par le Sénat, qui répondent partiellement et imparfaitement aux problématiques soulevées par les magistrats. Rien n’est prévu pour mieux encadrer les délais pour soulever les nullités ou pour déposer les mémoires, alors que ces deux options avaient été envisagées par les rapporteurs de la commission d’enquête.
Soucieux de proposer des solutions immédiatement opérationnelles, il propose d’agir, dans un premier temps, sur les délais, en raccourcissant le délai dans lequel peut être invoquée une nullité, pour le fixer à deux mois.
Recommandation n° 3 de M. Ludovic Mendes : raccourcir le délai dans lequel peut être invoquée une nullité en le fixant à deux mois (article 173-1 du CPP).
Pour garantir la bonne information de l’ensemble des magistrats concernés, il propose également que la transmission de la requête motivée au juge d’instruction soit une condition de recevabilité de celle-ci.
Recommandation n° 4 de M. Ludovic Mendes : prévoir explicitement que la requête doit être transmise au juge d’instruction, à peine d’irrecevabilité.
À l’inverse, vos Rapporteurs ne retiennent pas la possibilité d’écarter systématiquement toute requête fondée sur des moyens frauduleux, considérant qu’une telle systématicité n’est pas opportune. De même, ils écartent l’option d’introduire la notion de stratagème procédural, qui ne leur semble pas répondre aux besoins immédiats.
Ils recommandent néanmoins, à moyen terme, de réécrire le régime relatif aux nullités. Cette réécriture devra garantir l’équilibre entre respect des droits de la défense et bonne administration de la justice.
Recommandation n° 36 : à moyen terme, réécrire le régime de nullités pour garantir une meilleure sécurité juridique dans le respect des droits des parties.
M. Antoine Léaument, co-rapporteur, préconise également de renforcer les effectifs des chambres de l’instruction, pour que ceux-ci soient proportionnés à leur activité. Il estime que le manque de moyens humains conduit ici à un défaut d’accès aux droits. Les solutions de court-terme proposées reviennent à entériner des baisses de moyens et, finalement, à renoncer à y remédier.
Recommandation n° 5 de M. Antoine Léaument : renforcer les effectifs des chambres de l’instruction.
2. Réformer le régime des repentis
Le dispositif des repentis est un outil procédural supplémentaire dans la lutte contre la criminalité organisée. Il s’agit d’exempter de peine ou d’accorder une remise de peine à des personnes impliquées dans la commission d’infractions mais ayant coopéré avec la justice. L’objectif du dispositif est de mieux connaître le fonctionnement des organisations criminelles grâce aux témoignages de personnes qui y appartiennent ou qui en sont proches.
Si la création de ce dispositif remonte à 2004 ([500]), le décret d’application ([501]) a été pris dix ans seulement après l’entrée en vigueur de la loi. Ce retard dans la mise en œuvre illustre les réticences politiques et judiciaires face à ce dispositif.
La loi du 9 mars 2004 a introduit un nouvel article 132-78 au sein du code pénal, qui prévoit :
– une exemption de peine pour la personne qui a tenté de commettre un crime ou un délit mais qui a permis d’en éviter la réalisation en avertissant l’autorité administrative ou judiciaire ;
– une réduction de peine pour la personne qui a commis un crime ou un délit lorsqu’elle a permis de faire cesser l’infraction, d’éviter que l’infraction ne produise un dommage ou d’identifier les autres auteurs ou complices. La réduction de peine peut également être accordée lorsque la personne a permis d’éviter la réalisation d’une infraction connexe à celle pour laquelle elle est poursuivie.
Le champ infractionnel du dispositif est limité à 32 infractions. En sont exclus les meurtres et meurtres aggravés.
S’agissant plus spécifiquement du trafic de stupéfiants, l’article 222-43-1 du code pénal prévoit que toute personne ayant tenté de commettre une infraction liée au trafic de stupéfiants est exemptée de peine si elle a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier les autres auteurs ou complices en ayant averti l’autorité judiciaire ou administrative.
L’article 222-43 du code pénal prévoit que la peine encourue en cas de trafic de stupéfiants est réduite de moitié si l’auteur ou le complice de l’infraction a permis de faire cesser les agissements incriminés et d’identifier les autres coupables. Lorsque la réclusion criminelle est encourue (comme prévu à l’article 222-34 du code pénal pour direction ou organisation d’un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants), la peine peut être ramenée à vingt ans de réclusion criminelle.
Dans les deux cas, les conditions requises pour une exemption ou réduction de peines sont cumulatives, contrairement à ce que prévoit l’article 132-78 du code pénal.
L’article 5 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude discale et la grande délinquance économique et financière a élargi le champ infractionnel du statut du repenti aux infractions de blanchiment d’argent, de corruption et de trafic d’influence.
L’article 706-63-1 du CPP prévoit que les personnes bénéficiant d’une exemption ou d’une remise de peine « font l’objet, en tant que de besoin, d’une protection destinée à assurer leur sécurité » et peuvent « bénéficier de mesures destinées à assurer leur réinsertion ».
Le quatrième alinéa du même article prévoit que ces mesures de protection et de réinsertion sont définies, sur réquisition du procureur de la République, par la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR).
C’est le bureau de protection des repentis (BPR), rattaché au SIAT, qui assure la mise en œuvre des programmes de protection des repentis, témoins menacés et victimes de traite des êtres humains, dès lors qu’ils ont été validés par la CNPR.
Fonctionnement et activité de la CNPR
La Commission, placée sous la double tutelle du ministère de la Justice et du ministère de l’Intérieur, est composée de huit membres titulaires, qui se répartissent entre quatre magistrats (dont le Président) et quatre représentants des forces de sécurité (DGPN, DGGN, DGSI et douanes).
Elle est saisie d’une demande par le procureur de la République ou par le juge d’instruction en charge du dossier. Il s’agit d’un dossier distinct du dossier judiciaire.
Il revient au SIAT d’instruire la demande : celui-ci évalue le dossier, réalise une enquête de personnalité du candidat, évalue sa crédibilité et rend compte ensuite au président de la CNPR. Celui-ci peut alors : rejeter les demandes irrecevables, demander des compléments d’information, entendre le candidat ou décider de présenter le dossier à la CNPR.
Le SIAT peut recommander des mesures d’urgence, provisoires, dans l’attente de l’instruction et de la décision de la CNPR.
Une fois le dossier transmis à la commission, celle-ci statue sur l’apport judiciaire des déclarations, mais aussi sur la menace et la faisabilité des mesures de protection et de réinsertion proposées. L’article 14 du décret du 17 mars 2014 précité prévoit que la commission peut prévoir toutes les mesures proportionnées (notamment de protection physique et de domiciliation) destinées à assurer la protection des repentis. Il lui revient également de définir les mesures de réinsertion de la personne concernée.
Le SIAT met en œuvre les décisions de la CNPR et l’alerte s’il rencontre des difficultés.
La commission n’est en revanche pas compétente pour autoriser un repenti à utiliser une identité d’emprunt : c’est le président du tribunal judiciaire de Paris qui, saisi sur requête motivée du président de la CNPR accompagnée d’une demande écrite de l’intéressé, se prononce par le biais d’une ordonnance non publique et exécutoire.
Au 1er janvier 2024, 42 personnes étaient protégées par le SIAT, dans 18 programmes actifs. Depuis sa création en 2014, la commission a validé 22 programmes de protection, dont 17 concernaient des enquêtes visant des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants.
Le SIAT et la CNPR ont connu une hausse d’activité importante en 2023, notamment due à l’augmentation du nombre de missions d’évaluation et de programmes validés, mais également à l’accumulation progressive de programmes et à une meilleure appréhension du dispositif par les enquêteurs et les magistrats.
Source : contribution de M. Sommerer, président de la CNPR
Le fait de se voir accorder le statut de repenti ne supprime pas la responsabilité pénale de celui-ci. La juridiction de jugement n’est pas liée par l’attribution du statut de repenti en cours de procédure. Elle peut faire bénéficier un prévenu d’une exemption ou d’une réduction de peine même si celui-ci n’a pas le statut de repenti. Lorsqu’il bénéficie d’une exemption de peine, le repenti est déclaré coupable, mais n’a aucune sanction. Les réductions de peine sont possibles dans la limite de la moitié de la peine encourue, à l’exception de la perpétuité (réduite à 20 ans).
Parmi la grande diversité de mesures de protection et de réinsertion pouvant être mises en œuvre se trouvent l’exfiltration en urgence, la fourniture d’un emploi mais aussi la protection physique, la fabrication d’une légende et le choix du lieu d’incarcération pour les personnes incarcérées.
Trois principes guident la définition et la mise en œuvre des mesures de réinsertion : l’adhésion du candidat à la mesure (matérialisé par la signature d’un contrat entre le repenti et le SIAT, sans que ce document soit prévu par les textes), la proportionnalité des mesures et leur dégressivité.
Ce dispositif, très utilisé en Italie, aux Pays Bas ou en Belgique, n’a pas atteint son plein potentiel en France. Le président de la CNPR déplore ainsi un « dispositif insuffisamment exploité par les procureurs, les services d’enquêtes et les juges d’instruction » ([502]). Son prédécesseur, M. Bruno Sturlese, avait déjà alerté en février 2023 sur un dispositif « en état de crise existentielle » en raison de « lacunes incompréhensibles », notamment s’agissant de son champ infractionnel ([503]).
Les interlocuteurs de la mission d’information ont été unanimes quant à la nécessité de réformer le dispositif des repentis. Celui-ci présenterait plusieurs difficultés.
Selon le membre national d’Eurojust, le dispositif serait insuffisamment attractif, en raison d’un « champ infractionnel trop restrictif, des textes éparses accordant une protection parfois parcellaire et des réductions de peine ou des perspectives insuffisamment attractives » ([504]).
Le champ infractionnel, qui exclut les infractions les plus graves (meurtres, meurtres en bande organisée…), serait trop restrictif, notamment au regard des enjeux liés au trafic de stupéfiants. Le dispositif ne peut pas s’appliquer, à titre d’exemple, lorsqu’un règlement de comptes a été commis.
Le manque d’attractivité du dispositif serait aussi lié au fait que la réduction ou l’exemption de peine n’est pas garantie, puisque la décision de la commission ne lie pas la juridiction de jugement, au risque sinon de lui ôter son pouvoir d’appréciation. Cette absence de garantie crée de l’incertitude pour la personne susceptible de collaborer avec la justice. À cela s’ajoute la correctionnalisation fréquente de certaines procédures pour éviter la cour d’assises spéciale, qui diminue d’emblée le quantum de peines encourues et réduit d’autant l’attractivité du dispositif.
Le président de la commission, dans sa contribution, a fait plusieurs propositions pour renforcer ce dispositif : une garantie plus forte d’obtenir l’exemption ou la réduction de peine, la possibilité d’exercer un recours contre les décisions de la CNPR relatives aux mesures de protection et de réinsertion, mais aussi un élargissement très important du champ infractionnel. Il suggère notamment qu’une étude soit conduite sur l’opportunité d’étendre le dispositif à l’ensemble des infractions relevant de la criminalité organisée.
Le rapport de la commission d’enquête ([505]) fait état de ces difficultés et propose, dans sa recommandation n° 26, de « mieux utiliser les repentis », notamment en garantissant aux repentis une réduction ou une exemption de peine, et en confiant le monopole de la gestion des « repentis » en matière de stupéfiants au futur parquet national spécialisé.
L’article 14 de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, dans sa version initiale, propose une réforme du dispositif des repentis fondée principalement sur trois aspects :
– élargir les infractions pour lesquelles le statut de repenti peut être accordé aux tentatives de meurtre ou meurtre en bande organisée, assassinat en bande organisée et association de malfaiteurs, tout en facilitant les conditions d’octroi d’une réduction de peine ;
– instaurer une convention entre le repenti et le ministère public qui fixe les obligations du repenti, dont la violation entraînerait la révocation de la protection accordée au repenti et à ses proches ;
– prévoir que la juridiction de jugement ne puisse s’écarter de la réduction ou de l’exemption proposée qu’avec une décision spécialement motivée.
L’article 14 prévoit également que c’est la CNPR, et non le président du tribunal judiciaire, qui peut octroyer une identité d’emprunt aux repentis.
Le dispositif de l’article 14 a été complété lors de son examen en commission des Lois par la création d’un régime d’immunité pour un repenti dont les déclarations auraient une importance exceptionnelle, sur proposition des rapporteurs du Sénat. Ces derniers ont également fait adopter le principe d’un recours contre les décisions prises par la CNPR.
Vos Rapporteurs, convaincus de l’importance du dispositif des repentis pour démanteler durablement les réseaux criminels se livrant au trafic de stupéfiants, sont tout à fait favorables à ce qu’il soit réformé, sans être totalement en accord avec les propositions faites par le Sénat.
Vos Rapporteurs soutiennent l’élargissement du champ infractionnel ainsi que le principe d’une clarification des modalités d’octroi d’une exemption ou d’une réduction de peine.
Recommandation n° 37 : élargir le champ infractionnel du dispositif des repentis.
Recommandation n° 38 : prévoir que le juge doit spécialement motiver sa décision de ne pas accorder la réduction ou l’exemption de peine proposée.
Dans la droite ligne des propositions formulées par le président Sommerer dans sa contribution, ils saluent la possibilité prévue par la commission des Lois du Sénat que les décisions de la CNPR puissent faire l’objet d’un recours.
Ils sont plus réservés toutefois sur le statut d’immunité créé en commission, qui écarte toute possibilité de poursuites.
Enfin, alors que la réforme du dispositif doit entraîner une montée en charge du dispositif, ils souhaiteraient que la CNPR puisse se voir mettre à disposition des moyens humains spécifiques, pour assister le président de la CNPR dans ses missions.
Recommandation n° 39 : doter la CNPR d’effectifs spécifiques.
3. Adapter les règles du contradictoire pour préserver l’efficacité des enquêtes : la tentation du dossier coffre
Le constat d’une asymétrie de moyens entre les criminels et les magistrats et forces de l’ordre a été plusieurs fois formulé par les interlocuteurs de la mission d’information.
Les travaux de la commission d’enquête du Sénat relative au narcotrafic avaient mis en exergue les difficultés éprouvées par les services d’enquête par les magistrats face à des criminels qui semblent toujours avoir de l’avance.
Mme Sophie Aleksic, première vice-présidente et coordinatrice du pôle criminalité organisée au tribunal judiciaire de Paris, expliquait ainsi lors de son audition : « Nos dossiers judiciaires sont régis par le principe du contradictoire et décrivent en détail toutes nos méthodes, permettant ainsi aux trafiquants de comprendre leurs points de fragilité, de savoir comment ils ont été interpellés et de s’adapter » ([506]).
M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale lors de son audition, a mis en avant l’idée d’un « dossier coffre » : pour garantir la confidentialité d’une opération, certains éléments (notamment ceux sur les moyens mis en œuvre pour favoriser une infiltration par exemple) seraient écartés de la procédure et donc inaccessibles aux personnes mises en cause. Interrogé par l’un des rapporteurs de la commission d’enquête, M. Marc Perrot, commissionnaire divisionnaire, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes, considérait que ce dispositif serait « essentiel » pour permettre aux forces de sécurité de lutter contre les trafiquants de stupéfiants.
Le rapport de la commission d’enquête souligne que cette proposition « apparaît comme une réponse adaptée aux évolutions récentes du narcotrafic et aux capacités sans cesse renouvelées des narcotrafiquants à déjouer les méthodes d’investigation des enquêteurs ». La recommandation n° 23 de la commission d’enquête propose donc, en cohérence, d’instaurer un « dossier coffre », sous le contrôle de la chambre de l’instruction de la cour d’appel, pour protéger l’efficacité de certaines techniques spéciales d’enquête.
L’article 16 de la PPL du Sénat visant à sortir la France du piège du narcotrafic traduit cette recommandation. Dans sa version initiale, l’article 16 met en place un procès-verbal distinct : celui-ci contiendrait des éléments techniques sensibles qui ne sont pas versés en procédure.
Il prévoit que lorsque la divulgation d’éléments relatifs à la mise en œuvre de certaines techniques spéciales d’enquête ([507]) est de nature à mettre en danger la sécurité d’agents infiltrés, de collaborateurs de justice, de témoins protégés ou de leurs proches, ou à porter atteinte à la possibilité de déployer à l’avenir ces mêmes techniques, alors les procès-verbaux dressés par les officiers de police judiciaire ne font pas mention des éléments suivants :
– les caractéristiques du fonctionnement desdites techniques ;
– les méthodes d’exécution de ces techniques ;
– les modalités d’installation et de retrait de ces techniques.
Le juge des libertés et de la détention, sur saisine du procureur de la République ou du juge d’instruction, se prononce sur la possibilité de recourir à un procès-verbal distinct. Dès la fin de la mise en œuvre de la technique, la chambre de l’instruction contrôle l’ordonnance du JLD et le procès-verbal distinct. Elle peut décider de verser au dossier « les éléments indispensables à la manifestation de la vérité ».
L’article prévoit un périmètre assez large pour ce dossier coffre, puisque celui-ci n’a pas de champ infractionnel délimité autre que celui pour lequel les techniques spéciales d’enquête sont autorisées.
Dans sa version initiale, l’article 16 prévoit donc la possibilité de ne pas verser en procédure les éléments relatifs à la mise en œuvre d’une technique spéciale d’enquête sans que cela n’empêche d’utiliser en procédure les éléments recueillis au moyen de cette technique.
Le schéma ci-dessous illustre le mécanisme prévu à l’article 16.
Procédure pour autoriser le procès-verbal distinct
Source : commission des Lois.
L’article 16 a fait l’objet d’une rédaction globale par les rapporteurs du Sénat lors de son examen par la commission des Lois. Les principaux ajouts sont les suivants :
– un deuxième critère est introduit pour rendre possible la mise en place d’un procès-verbal distinct : l’emploi de la technique spéciale d’enquête devra être nécessaire à la manifestation de la vérité. Ce nouveau critère se cumule avec les deux critères alternatifs déjà prévus dans la version initiale (mise en danger ou impossibilité d’utiliser la technique à l’avenir) ;
– il est précisé que les informations inscrites au procès-verbal distinct ne constituent pas une preuve ;
– il est prévu le versement au dossier de la procédure de l’ordonnance motivée du JLD autorisant le recours au procès-verbal distinct.
Ces modifications ne changent pas l’équilibre général du dispositif, selon lequel :
– les éléments de mise en œuvre de la technique spéciale d’enquête ne sont pas versés en procédure et ne peuvent être utilisés comme preuve ;
– les éléments issus de cette technique spéciale d’enquête sont eux versés en procédure et utilisés comme preuve.
Lors de l’examen de la PPL en séance au Sénat, le Gouvernement a déposé un amendement de réécriture globale de l’article 16 qui modifie l’équilibre du dispositif. L’amendement n° 244 déposé par le Gouvernement propose le mécanisme suivant : lorsque la connaissance de certaines informations peut mettre en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne, ou empêcher d’utiliser une technique opérationnelle à l’avenir, alors le juge des libertés et de la détention peut autoriser que certaines informations relatives à la mise en œuvre de cette technique n’apparaissent pas en procédure.
En contrepartie de cette dissimulation, les éléments recueillis à l’occasion de la mise en œuvre de cette technique ne peuvent figurer au dossier de la procédure et ne constituent pas, en eux-mêmes, des preuves ayant un caractère incriminant.
Cependant, cette interdiction n’est pas absolue. À titre exceptionnel, lorsque deux critères cumulatifs sont remplis, le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République ou par le juge d’instruction, peut autoriser le versement en procédure des éléments recueillis grâce à une technique spéciale d’enquête dont la mise en œuvre est dissimulée. Ces deux critères cumulatifs sont les suivants :
– la connaissance des éléments recueillis est absolument nécessaire à la manifestation de la vérité ;
– et la divulgation des informations liées à la mise en œuvre de la technique spéciale d’enquête présente un risque excessivement grave pour la vie ou l’intégrité physique d’une ou plusieurs personnes.
L’amendement prévoit un recours pour la personne concernée devant le président de la chambre de l’instruction.
Le schéma ci-dessous illustre cette nouvelle procédure.
Procédure de dossier-coffre prévu par l’amendement n° 244 du Gouvernement
Source : commission des Lois.
L’amendement du Gouvernement propose ainsi d’inverser la logique. Là où le Sénat souhaite que l’ensemble des éléments recueillis puissent être versés en procédure, procès-verbal distinct ou non, le Gouvernement propose que l’utilisation des éléments recueillis grâce à une TSE soit une exception.
Le Gouvernement a finalement retiré son amendement n° 244 au profit d’un amendement n° 270, adopté par le Sénat. L’article 16 dans la version transmise par le Sénat prévoit un mécanisme similaire à celui prévu par la version initiale (procès-verbal distinct et versement en procédure des éléments indispensables à la manifestation de la vérité, sous le contrôle de la chambre de l’instruction). Il y ajoute la possibilité pour l’officier de police judiciaire qui souhaite procéder à un acte d’enquête sur le fondement des éléments recueillis grâce à la TSE dont les modalités sont dissimulées, d’inscrire dans un procès-verbal versé au dossier pénal les informations qui doivent être corroborées par cet acte d’enquête.
Vos Rapporteurs ont constaté que le dispositif présenté par le Sénat faisait l’objet d’avis mitigés parmi ses interlocuteurs.
Les représentants des forces de l’ordre, sont, dans l’ensemble, demandeurs de ce dispositif. La DGPN y est favorable, pour garantir la protection des techniques spéciales d’enquête les plus sensibles ([508]).
Côté magistrats, les avis sont plus mitigés. Les représentants des JIRS de Lyon et de Marseille y verraient un intérêt dans le cadre de l’infiltration, pour dissimuler les méthodes d’infiltration des groupes criminels, la localisation des services spécialisés, mais aussi le matériel utilisé ([509]).
À l’inverse, le syndicat de la magistrature y est très opposé, considérant que c’est « particulièrement attentatoire au principe du contradictoire » et qu’une telle mesure « est susceptible d’introduire de l’aléa en termes de loyauté de la procédure » ([510]).
M. François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation, avait exprimé son opposition à cette mesure lorsqu’il était interrogé par la commission d’enquête du Sénat. Selon lui, « une telle mesure heurte de plein fouet les principes conventionnels du procès équitable et du respect du contradictoire. […] La proposition me gêne du point de vue du caractère équitable du procès, au cours duquel il faudra bien dévoiler les arguments et les données objectives mobilisées. Quoi que l’on en pense, il n’est pas envisageable d’empêcher les avocats de faire leur travail » ([511]).
Les représentants des avocats ont fait part de leur opposition au dispositif lors de leur audition par la mission d’information. Le conseil national des barreaux avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur le dispositif dans la résolution adoptée le 11 octobre 2024. Il y dénonçait « une atteinte au principe du contradictoire, pilier du procès équitable, qui pourrait fragiliser les droits de la défense » ([512]).
La DACG, interrogée sur le dispositif prévu dans la PPL du Sénat, a mis en avant les difficultés constitutionnelles posées par le dispositif, au regard notamment d’une décision du Conseil constitutionnel du 25 mars 2014 ([513]).
La décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014 porte sur l’article 1er de la loi relative à la géolocalisation, qui crée un nouvel article 230-40 au sein du code de procédure pénale permettant au juge des libertés et de la détention d’autoriser que certaines informations relatives à la mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation n’apparaissent pas dans le dossier de la procédure d’instruction.
L’article 230-42 du code de procédure pénale, dans la version adoptée par le Parlement, prévoyait que les éléments recueillis dans le cadre d’une technique spéciale d’enquête dont les informations étaient dissimulées ne pouvaient être l’unique fondement d’une condamnation, sauf si ces éléments avaient été versés au dossier.
Or, le Conseil constitutionnel, sur le fondement du principe du contradictoire et du respect des droits à la défense, a émis une réserve d’interprétation et considéré que les éléments recueillis grâce à la pose confidentielle du dispositif de géolocalisation devaient être retirés du dossier de l’information avant la saisine de la juridiction de jugement :
« Considérant que le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense impliquent en particulier qu’une personne mise en cause devant une juridiction répressive ait été mise en mesure, par elle-même ou par son avocat, de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en cause » ([514]).
La décision du Conseil constitutionnel institue une forme de parallélisme : si les modalités d’une technique d’enquête sont dissimulées, alors les éléments qui en découlent le sont également et ne peuvent être versés en procédure.
La décision du Conseil ayant quelque peu vidé de sa substance l’article 230-40 du CPP, celui-ci est peu voire n’est pas utilisé aujourd’hui par les magistrats. La DACG a ainsi souligné qu’ « au regard de ces exigences constitutionnelles, le dispositif de confidentialité de la pose du dispositif de géolocalisation limite l’intérêt opérationnel dès lors que s’il est fait usage de ce dernier, la juridiction de jugement ne pourra pas disposer des éléments recueillis dans ce cadre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce dispositif est très peu utilisé en pratique » ([515]).
Le co-rapporteur Antoine Léaument considère qu’aucune version du dossier coffre ne respecte le principe du contradictoire et ne souhaite donc pas aller au-delà de ce qui existe déjà.
Vos Rapporteurs se rejoignent pour relever les risques constitutionnels intrinsèques aux différents dispositifs envisagés lors de l’examen au Sénat.
S’agissant du dispositif du Sénat, ils considèrent qu’il n’est pas envisageable de ne pas soumettre au contradictoire les modalités d’utilisation d’une technique d’enquête spéciale tout en versant en procédure les éléments qui en sont issus. Cela prive les parties de la possibilité de formuler des critiques quant à la légalité de ces actes et constitue une atteinte grave aux droits de la défense. Par ailleurs, la possibilité ouverte à l’officier de police judiciaire de verser certains éléments en procédure sans que la chambre de l’instruction n’ait son mot à dire l’inquiète.
Les modifications proposées par amendement par le Gouvernement ne leur paraissent pas de nature à résoudre les difficultés constitutionnelles précédemment évoquées. En effet, le critère selon lequel un élément pourrait être versé en procédure s’il est absolument nécessaire à la manifestation de la vérité semble tout à fait contradictoire avec la décision du Conseil, puisqu’il signifie en réalité que la procédure repose exclusivement sur ces éléments. Or le Conseil a clairement indiqué en 2014 qu’une disposition qui permet une condamnation « prononcée sur le fondement d’éléments de preuve alors que la personne mise en cause n’a pas été mise à même de contester les conditions dans lesquelles ils ont été recueillis » méconnaît les exigences constitutionnelles qui résultent de l’article 16 de la DDHC.
Sans ambiguïté possible, le commentaire de la décision indique clairement qu’il résulte de la décision du Conseil « qu’une information mettant en cause une personne ne peut pas constituer un élément de preuve devant la juridiction répressive si la personne mise en cause est privée de la possibilité de contester les conditions dans lesquelles elles ont été recueillies » ([516]). Or, comme exposé supra, empêcher les parties d’accéder aux modalités de mise en œuvre d’une technique spéciale d’enquête ne leur permet pas de contester ces modalités.
Il est également à craindre que les deux critères qui justifient de faire une exception et de verser en procédure les éléments recueillis grâce à la TSE ne soient dans la pratique systématiquement remplis. En effet, ils n’apparaissent pas suffisamment restrictifs :
– le premier tient au caractère absolument nécessaire à la manifestation de la vérité de la connaissance des éléments de preuve qui ont été recueillis grâce à la mise en œuvre de la technique d’enquête : or, pour être proportionnée, la mise en œuvre de ces techniques doit toujours être nécessaire à la manifestation de la vérité ([517]), il s’en déduit que tous ces éléments de preuve susceptibles de conformer l’implication du mis en cause seront, de fait, impératifs pour consolider le dossier ;
– le second tient au danger que la divulgation des informations liées à la mise en œuvre de cette technique d’enquête est susceptible de faire encourir à une ou plusieurs personnes : là encore, ce risque, inhérent aux infractions de criminalité organisée, risque d’être systématiquement caractérisé, toute personne concourant à l’enquête pouvant alléguer du risque de représailles.
Le schéma de fonctionnement de cette nouvelle procédure est une parfaite illustration de sa complexité. Cette nouvelle procédure ajoute une nouvelle mission au JLD, déjà débordé, et implique une nouvelle fois le président de la chambre d’instruction, déjà trop sollicité. Comment, dans ces conditions, garantir un examen approfondi et une analyse rigoureuse des dossiers ?
Cette procédure entraînerait également nécessairement un allongement des délais : toute contestation de la décision du JLD entraînerait une saisie du président de la chambre d’instruction et rallongerait d’autant la durée des enquêtes et des informations, alors même que ces délais sont déjà trop longs.
Vos Rapporteurs rappellent enfin que des procédures d’anonymisation de certains témoins tout au long de la procédure sont déjà prévues à l’article 706-58 du code de procédure pénale.
Recommandation n° 40 : ne pas prévoir de dispositif dit de « dossier-coffre ».
C. Adapter des moyens de contrôle spécifiques aux trafiquants de produits stupéfiants
La crédibilité de la réponse judiciaire mériterait d’être renforcée, tant dans le traitement des demandes de mise en liberté que sur les conditions d’incarcération des personnes coupables de trafic de stupéfiants.
1. La multiplication des demandes de mise en liberté fragilise les procédures judiciaires
La mise en détention provisoire est une mesure attentatoire à la liberté de la personne mise en examen ou prévenue en attente de jugement : elle est donc entourée d’importantes garanties procédurales.
Les motifs qui justifient d’ordonner ou de prolonger une détention provisoire sont énumérés à l’article 144 du CPP.
Article 144 du CPP
La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique :
1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;
2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
4° Protéger la personne mise en examen ;
5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
6° Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ;
7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle.
Cette mesure est présentée comme une solution de dernier recours, envisagée seulement lorsque le contrôle judiciaire ou l’assignation à résidence ne sont pas des options satisfaisantes.
● La possibilité pour la personne mise en examen de formuler une demande de mise en liberté à tout moment de la procédure est l’une des garanties procédurales prévues par les textes.
Lorsqu’une instruction est en cours, le juge d’instruction saisit par ordonnance le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire d’une personne mise en examen. Le juge des libertés et de la détention statue sur cette demande après un débat contradictoire.
Une fois la personne placée en détention provisoire, elle peut, à tout moment, demander sa mise en liberté. Le nombre et la fréquence des demandes de mise en liberté ne sont pas limités. Toutefois, conformément à l’article 148 du CPP, tant que le juge des libertés et de la détention n’a pas statué sur une précédente demande de mise en liberté, toute nouvelle demande est irrecevable.
Lorsqu’une instruction est clôturée, en matière correctionnelle, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel met fin à la détention provisoire, sauf si le juge d’instruction décide, par ordonnance spécialement motivée, de maintenir le détenu en détention (article 179 du CPP). En matière criminelle en revanche, le mandat de dépôt continue à produire ses effets après l’ordonnance de mise en accusation, jusqu’au jugement de l’accusé par la cour d’assises.
Une demande de mise en liberté peut aussi être formulée hors du cadre de l’instruction : une juridiction peut ainsi être appelée à statuer sur une demande de mise en liberté.
Toutes ces décisions sont susceptibles de recours.
● Autre garantie, toutes les procédures sont encadrées par des délais contraints.
En premier lieu, la durée maximale de la détention provisoire en matière de délits liés au trafic de stupéfiants est limitée à deux ans. L’article 145-1 du CPP prévoit que la chambre de l’instruction peut prolonger cette durée de quatre mois seulement lorsque la mise en liberté de la personne mise en examen causerait un risque d’une particulière gravité pour la sécurité des personnes et des biens. La durée maximale de la détention provisoire pour des crimes de trafic de stupéfiants est quant à elle allongée à quatre ans, la chambre de l’instruction pouvant prolonger exceptionnellement cette durée de huit mois supplémentaires (article 145-2 du CPP).
En deuxième lieu, toutes les décisions sur les demandes de mise en liberté et relatives à l’examen des recours doivent être prises dans des délais précis. Les chambres de l’instruction, chargées d’examiner les recours contre les demandes de mise en liberté, doivent se prononcer entre dix et vingt jours selon l’étape de la procédure.
Le procureur a dix jours pour interjeter appel devant la chambre de l’instruction de toute ordonnance du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention, conformément à l’article 185 du même code. La personne mise en examen a également dix jours pour interjeter appel d’une ordonnance de mise en détention provisoire, conformément à l’article 186. Le procureur général a alors 48 heures pour mettre l’affaire en état. La chambre de l’instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais, et au plus tard dans les dix jours de l’appel lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de placement en détention.
Lorsqu’une personne mise en examen formule une demande de mise en liberté, elle l’adresse au juge d’instruction. La demande est nécessairement présentée par déclaration au greffe du juge d’instruction (article 148-1 du CPP), ou par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffier lorsque la personne ou son avocat ne réside pas dans le ressort (article 148-6) ou auprès du chef de l’établissement pénitentiaire qui la constate, la date, la signe ainsi que le demandeur, et l’adresse sans délai en original ou en copie et par tout moyen au greffier du juge d’instruction (article 148-7).
Le juge d’instruction communique immédiatement la demande de mise en liberté au procureur de la République pour qu’il prenne ses réquisitions (article 148 du CPP). Sauf s’il envisage de faire droit à la demande, le juge d’instruction doit la transmettre au juge des libertés et de la détention dans un délai de cinq jours. Le juge des libertés et de la détention doit ensuite statuer dans un délai de trois jours ouvrables. Si le délai de trois jours ouvrables n’est pas respecté, la personne mise en examen, son avocat ou le procureur de la République peut saisir directement la chambre de l’instruction, qui doit se prononcer dans un délai de vingt jours à compter de la saisine, conformément à l’article 148 du CPP, faute de quoi la personne est remise en liberté d’office.
De même, si le procureur de la République souhaite suspendre l’exécution d’une ordonnance de mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire prise contrairement à ses réquisitions, il doit le faire dans un délai de quatre heures ([518]), et saisir dans le même temps le premier président de la cour d’appel d’un référé-détention (procédure prévue à l’article 148-1-1 du CPP). Sans préjudice de la décision du président sur ce référé ([519]), la chambre de l’instruction doit se prononcer au plus tard dans un délai de dix jours.
Lorsque c’est une juridiction et non un juge des libertés et de la détention qui doit se prononcer sur une demande de mise en liberté, elle doit statuer dans un délai de dix jours (si elle est du premier degré) ou de vingt jours (si elle est du second degré) dès lors la personne n’a pas encore été jugée en premier ressort. Ces délais sont plus longs lorsque la personne est en instance d’appel (deux mois) ou qu’elle a formé un pourvoi en cassation (quatre mois), conformément à l’article 148-2 du CPP.
● La possibilité d’une saisine directe de la chambre de l’instruction par défaut ou lorsque les délais sont trop longs.
Outre la saisine directe prévue par l’article 148 du CPP lorsque le juge des libertés et de la détention ne se prononce pas dans un délai de trois jours ouvrables, l’article 148-1 du CPP prévoit le cas dans lequel aucune juridiction n’est saisie : c’est alors la chambre de l’instruction qui connaît des demandes de mise en liberté de la personne détenue.
Il est également prévu une saisine directe de la chambre de l’instruction, à l’expiration d’un délai de quatre mois depuis la dernière comparution de la personne détenue devant le juge d’instruction, et tant que l’ordonnance de règlement n’a pas été rendue (article 148-4 du CPP). La chambre de l’instruction doit alors se prononcer dans un délai de vingt jours à compter de la saisine.
L’article 187-1 du CPP prévoit également un mécanisme de « référé-liberté » en matière de détention provisoire : en cas d’appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire, la personne mise en examen peut, sous certaines conditions, demander au président de la chambre de l’instruction d’examiner immédiatement son appel sans attendre l’audience de la chambre de l’instruction. Il doit statuer dans un délai de trois jours ouvrables.
● Le non-respect de ces délais entraîne la mise en liberté d’office de la personne mise en examen.
Dans le cas de l’appel d’une ordonnance de placement en détention ou d’une ordonnance de mise en liberté, si la chambre de l’instruction ne se prononce pas dans un délai de dix jours, alors la personne est mise d’office en liberté ([520]), conformément aux articles 187-3 et 194 du CPP.
De même, lorsqu’une personne mise en examen a été maintenue en détention après la clôture de l’instruction, elle est remise en liberté d’office si le tribunal correctionnel n’a pas commencé à examiner l’affaire au fond à l’expiration d’un délai de deux mois lorsqu’elle a été renvoyée devant le tribunal correctionnel (quatrième alinéa de l’article 179). À titre exceptionnel, le tribunal peut prolonger la détention provisoire de deux mois (renouvelable ensuite une fois). Une disposition similaire existe en cas de renvoi devant la cour d’assises (article 181).
● De même, le recours à la visioconférence est strictement encadré.
Conformément à l’article 706-71 du CPP, lorsqu’une audience porte sur le placement en détention provisoire, la prolongation de la détention provisoire, l’appel d’une décision de refus de mise en liberté ou la saisine directe de la chambre de l’instruction par une personne détenue en matière criminelle depuis plus de six mois, la personne mise en examen peut refuser l’utilisation de la visioconférence, « sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l’ordre public ou d’évasion ».
a. Le contentieux de la détention provisoire est devenu chronophage pour les chambres de l’instruction
Le mécanisme du contentieux de la détention provisoire est assez similaire à celui des requêtes en nullité. Les recours se multiplient : l’activité des chambres d’instruction est donc dictée par ces demandes de mise en liberté, traitées comme prioritaires puisque leur examen est encadré par un délai dont le non-respect est sanctionné par la mise en liberté de la personne.
Comme pour les requêtes en nullités, les différents interlocuteurs de vos Rapporteurs ont souligné que le volume conséquent de demandes de mise en liberté enkyste l’activité des chambres de l’instruction.
Le contentieux de la détention représente ainsi 75 % des dossiers examinés par la chambre de l’instruction 7.8 de la cour d’appel de Paris, qui traite des dossiers de la JIRS de Paris, de la JUNALCO et des dossiers de stupéfiants des tribunaux judiciaires de Créteil et de Bobigny ([521]). Selon le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, certains détenus formulent des demandes de mise en liberté fréquemment, « alors même qu’aucun élément nouveau par rapport à leur précédente demande ne peut justifier qu’une décision différente de celle prise antérieurement soit rendue » ([522]).
La Cour de cassation juge, elle, plus d’une centaine de pourvois par mois relatifs au contentieux de la détention provisoire, un chiffre significatif puisqu’elle n’est saisie que d’une infime minorité de dossiers ([523]). Sont contestés la régularité de la décision prise par le juge des libertés et de la détention – notamment la demande de renvoi d’un avocat n’ayant pu assister au débat contradictoire – mais aussi les motifs ayant justifié le maintien en détention.
Dans son discours prononcé à l’occasion de l’audience solennelle de la cour d’appel de Paris, son Premier président, M. Jacques Boulard, s’est justement exprimé sur le sujet :
« À vrai dire, les chambres de l’instruction sont littéralement engorgées de demandes de mise en liberté. Pendant qu’elles traitent ces demandes dans les délais brefs imposés par la loi à peine de remise en liberté d’office, elles ne peuvent aborder le fond des dossiers, notamment les requêtes en nullités et les saisines directes pour des demandes d’actes d’instruction. Cela retarde d’autant le traitement des dossiers dans les cabinets d’instruction du ressort et allonge alors les délais en détention, appelant à nouveau des demandes de remise en liberté. Un triste cercle vicieux. » ([524]).
Marie-Suzanne Le Quéau, procureure générale près la cour d’appel de Paris, a dénoncé « le mouvement récent consistant pour des détenus à présenter des demandes de mise en liberté en nombre très conséquent et à opter en appel pour la comparution personnelle, dans le seul but d’emboliser la chaîne pénale, [qui] vient démontrer que le système ne peut pas fonctionner normalement » ([525]).
Comme indiqué supra, le contentieux de la détention provisoire, traité en priorité, mobilise les chambres de l’instruction et retarde d’autant l’instruction des dossiers du fond, notamment les requêtes en nullités. Il est donc très fréquent que le délai de deux ans – le délai maximal pour une détention provisoire en matière délictuelle – soit atteint. Il est alors possible de saisir la chambre de l’instruction pour une prolongation exceptionnelle de quatre mois, celle-ci étant strictement encadrée. Une fois les délais atteints, il n’y a pas d’autre possibilité que de libérer les personnes détenues, cette libération étant uniquement fondée sur des motifs d’administration défectueuse de la justice et non motivée par la pertinence de maintenir ou non cette mesure de sûreté.
La multiplication des demandes de mise en liberté génère également des difficultés s’agissant de la comparution, puisqu’il faut que la personne mise en examen puisse comparaître personnellement. Si le président de la chambre de l’instruction peut refuser la comparution personnelle des détenus ayant comparu devant la chambre depuis moins de quatre mois – notamment en raison du manque de disponibilité d’escortes – certains débats ou audiences doivent être reportés pour des raisons purement logistiques. Les présidents des chambres de l’instruction ayant contribué aux travaux de la mission d’information ont ainsi souligné l’insuffisance des moyens d’escorte au regard des besoins.
Les délais très contraints dans lesquels doit s’inscrire le traitement des demandes de mise en liberté peuvent conduire à ce que certains des interlocuteurs de vos Rapporteurs ont appelé des « évasions judiciaires », c’est-à-dire des détenus remis en liberté suite à une demande de mise en liberté non traitée dans les délais. La transmission d’une demande de mise en liberté hors délai est ainsi sanctionnée immédiatement par une remise en liberté. Cela pose la question de la capacité du greffe pénitentiaire à faire face à l’affluence de ces demandes.
Tous les personnels qui traitent ces demandes sont également des cibles potentielles à corrompre pour les trafiquants : un acte apparemment anodin – attendre quelques jours avant de transmettre une demande de mise en liberté – peut se traduire par la remise en liberté d’un détenu. Cela, alors que l’absence de logiciel efficace consacré aux demandes de mise en liberté ne permet pas une réelle traçabilité des accès.
b. Les modifications envisagées au régime de demande de mise en liberté
Cette situation n’est évidemment pas satisfaisante.
La procureure générale près la cour d’appel de Paris a esquissé, lors de l’audience solennelle de la cour d’appel, quelques pistes de réforme, notamment l’irrecevabilité d’une demande de remise en liberté tant qu’une juridiction n’a pas statué sur une précédente demande et le principe de non-comparution des détenus devant la chambre de l’instruction, sauf exceptions ([526]).
Plusieurs options ont également été portées à la connaissance de vos Rapporteurs pendant leurs travaux.
● Rehausser les exigences de formalisme des demandes
Alors qu’aucun formalisme n’est exigé aujourd’hui s’agissant des demandes de mise en liberté, en-dehors de celui lié aux modalités de leur transmission au greffe du juge d’instruction, a été évoquée la possibilité de simplifier la procédure de recours ou de saisine de la chambre de l’instruction, en prévoyant un unique formulaire, comportant le nom de l’avocat à convoquer et ses coordonnées.
Il a été également estimé souhaitable que cette demande soit obligatoirement adressée à la juridiction et au service compétent. Enfin, l’obligation de recourir à un avocat appartenant au ressort de la juridiction est également une piste soulevée pendant les auditions de la mission d’information.
● Resserrer les critères de recevabilité
À plusieurs reprises, des interlocuteurs ont souligné la nécessité de prévoir, lorsqu’une instruction est encore en cours, un mécanisme de filtrage des demandes de mises en liberté. Cela pourrait se traduire :
– par l’interdiction de déposer une nouvelle demande dans le mois précédant ou suivant une prolongation de détention provisoire (sauf circonstances exceptionnelles) ;
– par la nécessité de justifier d’éléments nouveaux, relatifs à la situation du mis en examen ou de l’avancée de l’instruction, pour présenter une nouvelle demande ;
– par l’interdiction, à peine d’irrecevabilité, de déposer une nouvelle demande de mise en liberté tant qu’il n’a pas été statué sur l’appel d’une précédente demande de mise en liberté ; cette règle pourrait être appliquée également aux demandes formulées directement auprès de la chambre de l’instruction en raison de la clôture de l’information judiciaire (conformément à l’article 148-1 du CPP).
● Les délais dans lesquels se prononce la chambre de l’instruction (CHINS)
Selon les cas, la CHINS doit se prononcer dans un délai de dix ou vingt jours. L’opportunité d’allonger ces délais afin de leur laisser un temps supplémentaire pour examiner les dossiers a été soulevée, notamment par plusieurs présidents de chambre de l’instruction.
● Les modalités de comparution immédiate
Si la visioconférence est aujourd’hui envisageable dans certaines conditions, plusieurs interlocuteurs ont souligné que les modalités pour y recourir pourraient être assouplies, notamment en supprimant les exigences de motivations aujourd’hui prévues à l’article 706-61 du CPP (avec la possibilité pour la personne mise en examen d’exiger une comparution en personne à partir de la troisième prolongation).
La simplification de l’organisation des débats de prolongation de détention provisoire, en limitant l’impact des changements d’avocats de dernière minute en amont du débat contradictoire, a également été jugée pertinente.
● Modifier les délais de prolongation de la détention provisoire
Alors que la durée initiale du mandat de dépôt décerné pour détenir provisoirement une personne mise en examen pour des faits délictuels de trafics de stupéfiants est aujourd’hui fixée à quatre mois, cette durée pourrait être allongée à six mois ([527]). La possibilité de renouveler la détention provisoire pour des faits délictuels de trafic de stupéfiants jusqu’à un maximum de quatre ans ([528]), comme ce qui existe aujourd’hui en matière criminelle, a été également envisagée.
● Pouvoir d’évocation pour la CHINS en matière de détention provisoire
Enfin, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation a suggéré ([529]) de modifier l’article 207 du CPP pour élargir le pouvoir d’évocation de la chambre de l’instruction au contentieux de la détention provisoire : cela permettrait à la chambre de l’instruction de reprendre une mesure lorsque les conditions de fond sont réunies mais qu’une erreur de procédure a été commise.
La commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic souligne que « les moyens humains contraints des juridictions amènent à un allongement du traitement des délais de procédure qui peuvent, par voie de conséquence, entraîner des remises en liberté ». Les rapporteurs de la commission d’enquête formulaient donc deux recommandations : adapter les délais de la détention provisoire lorsque les narcotrafiquants étaient concernés et sécuriser le traitement des demandes de mise en liberté.
L’article 23 de la PPL met en œuvre ces recommandations en procédant à plusieurs changements, et notamment :
– l’allongement des délais de détention provisoire en cas de délits en matière de délinquance organisée pour le porter à quatre ans ;
– des précisions sur le moment à partir desquels les délais commencent à courir ;
– l’obligation de recourir à un avocat inscrit à l’ordre du ressort du tribunal judiciaire pour déposer une demande de mise en liberté.
Les représentants des avocats, lors de leur audition, ont fait part de leurs fortes réserves quant aux modifications proposées par le Sénat en matière de détention provisoire, notamment l’obligation de recourir à un avocat inscrit à l’ordre du ressort du tribunal judiciaire pour déposer une demande de mise en liberté.
L’article 23 a été largement remanié lors de l’examen en commission, puis en séance. Le texte transmis à l’Assemblée nationale prévoit ainsi :
– le rallongement à six mois de la durée du mandat de dépôt initial décerné dans le cadre d’une détention provisoire pour l’instruction des délits commis en bande organisée, en limitant toutefois la durée maximale de cette détention à deux ans ;
– l’allongement des délais prévus à l’article 148 du CPP pour examiner une demande de mise en liberté ;
– l’irrecevabilité d’une demande de mise en liberté tant qu’il n’a pas été statué sur l’appel d’une précédente demande ;
– la clarification quant au point de départ des délais pour l’examen d’une demande de mise en liberté en cas de saisine directe de la chambre de l’instruction (prévue au dernier alinéa de l’article 148 du CPP) ;
– la possibilité pour la chambre de l’instruction, lorsqu’une personne est mise en examen pour des infractions liées à la criminalité organisée, de refuser une mise en liberté d’office liée à l’expiration des délais d’examen d’une demande de mise en liberté ;
– l’allongement du délai dans lequel le procureur peut saisir le premier président de la cour d’appel d’un référé-détention (huit heures contre quatre heures actuellement) ;
– une précision sur le point de départ des délais en cas de demande de mise en liberté lorsqu’une juridiction est appelée à statuer ;
– l’allongement des délais avant qu’une personne mise en examen ne puisse saisir directement la chambre de l’instruction d’une demande de mise en liberté (six mois contre quatre mois actuellement) ;
– la limitation des motifs de refus d’une audience ou d’un interrogatoire en visioconférence lorsque le détenu est considéré comme particulièrement dangereux ;
– l’assouplissement du recours à la visioconférence pour les audiences de placement ou de prolongation de détention provisoire pour les infractions liées à la criminalité organisée (énumérés à l’article 706-73 du CPP).
La constitutionnalité du mécanisme de la détention provisoire repose sur un certain nombre de garanties. Modifier ce régime doit se faire dans le respect des droits de la défense et de la liberté individuelle.
Le Conseil constitutionnel a déjà été amené à se prononcer sur le recours à la visioconférence. Dans une décision du 21 mars 2019 ([530]), il a statué sur une disposition qui supprimait l’obligation de l’accord de l’intéressé pour le recours à la visioconférence s’agissant de débats relatifs à la prolongation d’une mesure de détention provisoire. Il a ainsi jugé qu’il était contraire à la Constitution de prévoir un recours à la visioconférence qui ne soit pas justifié par des risques graves de troubles à l’ordre public ou d’évasion :
« Dès lors, eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction compétent dans le cadre d’une procédure de détention provisoire et en l’état de conditions dans lesquelles s’exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense ».
S’agissant plus spécifiquement de l’encadrement des demandes de mise en liberté, la possibilité d’interrompre à tout moment la détention provisoire, à l’initiative du juge ou de la personne retenue, constitue une garantie procédurale essentielle, dont la restriction ou l’abandon pourrait fragiliser des pans entiers du dispositif. Ainsi, le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2011 ([531]), a considéré comme conforme à la Constitution l’absence d’appel possible sur une ordonnance de maintien en détention provisoire après abandon d’une qualification criminelle au profit d’une qualification correctionnelle, en raison de la possibilité pour la personne détenue de demander à tout moment sa mise en liberté en application de l’article 148 du CPP.
Vos Rapporteurs, s’ils se rejoignent sur l’impossibilité de maintenir le statu quo, ne sont pas alignés sur les solutions à apporter.
Ils ne souhaitent pas aller plus loin en matière de visioconférence, considérant qu’il est important que les détenus puissent être entendus en personne lorsque leur liberté personnelle est en jeu. Ils sont également opposés à la possibilité laissée à la chambre de l’instruction de refuser une mise en liberté d’office alors même que les délais n’ont pas été respectés.
Au regard de ces différentes considérations, vos Rapporteurs proposent sur ce sujet des recommandations distinctes.
Le co-rapporteur Ludovic Mendes, s’il entend la nécessité d’allonger les délais dans lesquels se prononce la chambre de l’instruction, considère que ce n’est qu’une solution partielle. Il propose donc, à court terme, d’agir à la fois sur les délais et sur les recevabilités de demande de mise en liberté, pour éviter la multiplication des demandes dans un même dossier.
Recommandation n° 5 de M. Ludovic Mendes : allonger les délais dans lesquels se prononcent les chambres de l’instruction en matière de détention provisoire.
Recommandation n° 6 de M. Ludovic Mendes : prévoir qu’une demande de mise en liberté formulée en application de l’article 148-1 du CPP n’est recevable qu’à la condition qu’une précédente demande ne soit pas pendante (devant le juge des libertés et de la détention ou en appel devant la chambre de l’instruction).
Il recommande également de rehausser les exigences formelles quant aux demandes de mise en liberté.
Recommandation n° 7 de M. Ludovic Mendes : prévoir une seule voie d’entrée possible pour que les avocats déposent une demande de mise en liberté, par déclaration au greffe, et imposer un formulaire unique à compléter sous peine d’irrecevabilité.
Ces différentes propositions de M. Ludovic Mendes doivent évidemment s’accompagner d’un renforcement massif et urgent des effectifs des chambres de l’instruction et des juges des libertés et de la détention, recommandation cette fois rejointe par le co-rapporteur Antoine Léaument.
Recommandation n° 41 : recruter des magistrats pour renforcer les effectifs des chambres de l’instruction et des juges des libertés et de la détention.
Le co-rapporteur Ludovic Mendes estime enfin que l’allongement des délais de détention provisoire doit également être envisagé.
Recommandation n° 8 de M. Mendes : allonger la durée de la détention provisoire en matière de délits liés au trafic de stupéfiants à six mois.
À moyen terme, vos deux Rapporteurs jugent absolument indispensable que la procédure de demande de mise en liberté soit informatisée, pour éviter les tactiques dilatoires et garantir la traçabilité des accès à ces demandes.
Le co-rapporteur Antoine Léaument alerte néanmoins sur l’importance que cette plateforme automatisée, qui vise à simplifier l’accès au droit et la qualité du traitement des demandes de mise en liberté, soit réellement rendue accessible aux personnes détenues. Pour le garantir, il suggère que ces dernières soient systématiquement accompagnées d’agents publics pour formuler ces demandes, pour préserver l’accès aux droits et prévenir les difficultés associées à la dématérialisation.
Recommandation n° 42 : créer une plateforme dédiée au traitement de demandes de mise en liberté.
Recommandation n° 6 de M. Antoine Léaument : prévoir la mise à disposition d’agents publics pour accompagner les détenus dans l’utilisation de cette plateforme.
2. Entraver la poursuite par les trafiquants de leur activité lorsqu’ils sont incarcérés
Il est établi que les trafiquants réussissent aujourd’hui à conduire leurs trafics malgré leur incarcération : la prison ne constitue plus une rupture mais une continuité sous d’autres formes. Les magistrats de la JIRS de Marseille constataient ainsi : « l’incarcération des personnes détenues ou condamnées dans le cadre d’infractions relevant de la criminalité organisée ne permet plus de faire cesser l’infraction. L’examen des procédures ouvertes notamment au cours de cette année a permis ainsi de mettre en exergue que les personnes prévenues ou condamnées continuaient à organiser, à gérer le trafic de stupéfiants des points de deal sous leur contrôle, et à commanditer des assassinats depuis leur lieu de détention » ([532]).
Outre les exemples récents de détenus ayant commandité des assassinats depuis leur cellule ([533]), l’évasion spectaculaire de Mohamed Amra pendant une extraction judiciaire a illustré la facilité avec laquelle les trafiquants communiquent avec l’extérieur, malgré l’interdiction du téléphone portable en prison. La mise sur écoute de la cellule de Mohamed Amra pendant plusieurs mois avait mis en évidence une activité criminelle dense, conduite grâce à des téléphones portables renouvelés au fur et à mesure des saisies par l’administration pénitentiaire ([534]). Ces téléphones peuvent rentrer suite à la corruption de certains agents pénitentiaires ([535]), mais aussi grâce à des complices extérieurs qui les introduisent par diverses méthodes, notamment en utilisant des drones. Selon le garde des Sceaux, plus de 40 000 téléphones portables ont été saisis en détention en 2024.
Suite au constat posé par la commission d’enquête que « la sphère carcérale ne joue plus son rôle de mise à l’écart des trafiquants » ([536]), la PPL sur le narcotrafic propose, dans son article 23, d’autoriser l’administration pénitentiaire à recourir aux drones pour prévenir l’introduction d’objets illicites dans les établissements.
Le garde des Sceaux a lui annoncé en janvier 2024 sa volonté de regrouper au sein d’un même établissement pénitentiaire les cent plus gros narcotrafiquants détenus sur le territoire français, à horizon de juillet 2025. L’objectif serait de leur imposer un régime particulièrement restrictif, sans moyens de contacter l’extérieur de poursuivre la gestion de leurs trafics.
À terme, il souhaite que ce régime concerne les 600 narcotrafiquants les plus dangereux. Il estime qu’il faudrait au moins cinq établissements pénitentiaires « de haute sécurité » pour « mettre à l’isolement les plus gros narcotrafiquants de France » ([537]), s’appuyant sur le modèle italien de détention des condamnés les plus dangereux.
Le régime de détention spécial prévu par l’Italie
Ce régime a été créé en 1975 et élargi dans les années 1980 après la vague d’attentats perpétrés par la mafia italienne. Il est connu sous le nom de « 41 bis » d’après le numéro de l’article du règlement pénitentiaire qui suspend les conditions habituelles de détention. En février 2024, il était appliqué à 725 détenus, dont quatre terroristes.
Ces détenus sont incarcérés dans des sections dédiées de certaines prisons italiennes. Ils sont surveillés par des gardes appartenant à un groupe spécial de la police pénitentiaire. Ces gardes sont contraints de changer de prison tous les six mois, pour éviter les contacts prolongés avec les détenus.
Dans ces quartiers spécialisés, un régime spécial est appliqué aux détenus : ils sont à l’isolement total, à l’exception de deux heures à l’air libre. Ils ont le droit à un seul entretien par mois avec les membres de leur famille ou à un appel téléphonique par mois, de dix minutes. Leurs entretiens sont enregistrés. Les biens et les sommes d’argent que les détenus peuvent recevoir sont également limités.
Les objectifs sont de couper la communication des prisonniers avec l’extérieur pour ne pas qu’ils dirigent leurs activités criminelles depuis la prison mais aussi de les convaincre de devenir collaborateurs de justice pour échapper à ces conditions difficiles de détention.
Source : Bulletin quotidien daté du 4 février 2025.
La CNPR, tout comme les magistrats de différentes JIRS (notamment Paris et Marseille) se sont dits favorables à la création d’un régime spécial d’incarcération pour les trafiquants de stupéfiants, notamment pour garantir que les détenus n’ont pas accès à un téléphone portable.
Vos Rapporteurs sont divisés sur la question. Le co-rapporteur Antoine Léaument estime que la question des quartiers spécialisés comme des prisons spécialisées est une mauvaise manière d’aborder le problème et suggère de travailler à un mécanisme de régulation carcérale qui permettrait de s’attaquer à la surpopulation carcérale. Le rapport des députées Caroline Abadie et Elsa Faucillon illustre les difficultés générées par la surpopulation carcérale, notamment l’impossibilité pour les agents pénitentiaires de mener correctement leurs missions à bien, et propose, pour y remédier, de créer un mécanisme contraignant de régulation carcérale ([538]).
Recommandation n° 7 de M. Antoine Léaument : mettre en place un mécanisme de régulation pour empêcher la surpopulation carcérale et garantir la bonne application des règles au sein des établissements pénitentiaires.
Le co-rapporteur Ludovic Mendes privilégie lui la création de quartiers spécialisés plutôt que de prisons spécialisées, dont il perçoit difficilement la plus-value. Il souligne la nécessité de limiter le nombre de détenus dans ces quartiers spécialisés pour limiter les contacts et la possibilité de créer de nouveaux réseaux.
Recommandation n° 9 de M. Ludovic Mendes : créer des quartiers spécialisés pour les narcotrafiquants du « haut du spectre ».
III. Repenser la politique d’encadrement de l’usage des stupéfiants : oser une libéralisation réguleé à rebours du tout répressif
Depuis des décennies, la France, à l’instar de nombreux pays à travers le monde, applique un régime prohibitionniste strict concernant l’usage et la détention des stupéfiants, s’appuyant sur une logique d’action publique principalement répressive. Dès les années 1970, cependant, la stratégie de criminalisation de l’usager et la rhétorique de la « guerre contre les drogues » tendent à s’essouffler face au constat d’une efficacité limitée et de coûts sociaux importants. En dépit du caractère prohibitionniste que conserve le cadre international de régulation des drogues, un nombre croissant d’États se tournent vers une approche pragmatique d’encadrement des stupéfiants (en particulier du cannabis). Ils mettent en œuvre des degrés variés de libéralisation allant de la dépénalisation de fait, sinon en droit, à la création de marchés régulés. Ces expériences étrangères offrent des enseignements précieux pour imaginer un cadre français novateur, capable de dépasser la seule logique répressive pour répondre efficacement aux enjeux de santé publique et de sûreté.
A. Tirer les leçons des expériences étrangères
Malgré la persistance de régimes prohibitionnistes aux échelons nationaux et international, un cercle grandissant d’États innovent en instaurant des cadres normatifs qui ne pénalisent plus l’usage et la détention de stupéfiants à des fins personnelles, à tout le moins en ce qui concerne le cannabis. Ces modèles de réforme, variés dans leur conception, reflètent les priorités distinctes des législateurs, qui découlent des contextes nationaux. Les résultats et les évaluations de ces initiatives encouragent à repenser l’encadrement des stupéfiants au-delà du tandem répression-abstinence.
1. Une diversité des modèles d’encadrement selon les objectifs poursuivis
Le régime international de régulation des stupéfiants, conçu dans les années 1960 et 1970, prohibe l’usage « récréatif » des drogues et engage les États à contrôler très étroitement leur production, leur circulation et leur consommation. Le constat d’une efficacité très relative de la prohibition et les inquiétudes liées à ses conséquences sociales possiblement délétères ont conduit certains États à libéraliser l’usage des drogues dans leur ensemble ou du cannabis en particulier. Depuis 2012, les exemples de légalisation du cannabis se multiplient et offrent matière à repenser le dispositif français de régulation de cette substance. Les expériences menées au Portugal, en Uruguay, aux États-Unis, au Canada et en Allemagne apparaissent particulièrement éclairantes au vu de la diversité des objectifs et des modèles de régulation qu’elles présentent.
a. La révolution de moins en moins « silencieuse » ([539]) des politiques de libéralisation de l’usage des stupéfiants
Complexe et lacunaire, le cadre international du contrôle des drogues illicites instauré par traités successifs dans la première moitié du XXème siècle – 9 traités signés entre 1912 et 1953 qui peinent à établir un cadre cohérent de régulation et à suivre l’évolution des substances – est unifié en 1961 par la Convention unique sur les stupéfiants, signée à New York. Ce traité, ratifié par la France et 185 autres pays en 2024, oblige ses Parties à limiter à des fins exclusivement scientifiques et médicales « la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention des stupéfiants » ([540]). Il veut limiter les quantités disponibles de drogues au niveau international, assimile l’usage « récréatif » à un abus et instaure une forme de présomption de dangerosité pour toutes les drogues (en leur appliquant le concept de « guilty until proven innocent », c’est-à-dire la présomption de culpabilité) ([541]).
Si la Convention n’impose pas aux États signataires de sanctionner pénalement toute forme de détention ou d’usage de la drogue, son article 36 dispose que les États doivent, sous réserve de leur Constitution, prévoir que certaines actions contraires à la Convention – comme la culture, l’achat ou la vente de stupéfiants – constituent des infractions passibles d’une éventuelle peine privative de liberté (art. 36, 1, a). Néanmoins, lorsqu’elles sont commises par des consommateurs abusifs, ces infractions peuvent donner lieu à des mesures alternatives, notamment de traitement, d’éducation ou de cure (art. 36, 1, b).
Comme indiqué supra, la Convention de 1961 distingue les drogues illicites en quatre catégories, emportant différents degrés de restriction, en fonction de leur nocivité supposée pour le corps humain, leur potentiel addictif et leur éventuelle utilité pour la recherche médicale. Initialement classé parmi les drogues les plus addictives et dangereuses (à l’annexe 4 de la Convention Unique), le cannabis est partiellement déclassifié par un vote de la commission des Nations unies sur les drogues, le 2 décembre 2020 ([542]), qui ouvre la voie à la reconnaissance de ses bienfaits thérapeutiques dans les ordres juridiques nationaux.
Le régime international de régulation des drogues est complété par deux traités internationaux ultérieurs à la Convention Unique de 1961 : la Convention de 1971 sur les substances psychotropes ([543]), portant sur certaines drogues de synthèse inconnues en 1961 (LSD, MDMA/ecstasy, etc.), et par une convention des Nations unies ([544]), signée à Vienne en 1988, renforçant la lutte contre les trafiquants de drogues.
Le paradigme prohibitionniste, que les trois conventions de 1961, 1971 et 1988 consacrent en droit international et visent à ancrer dans les ordres juridiques internes, est remis en cause dès les années 1970 suite à des vagues successives de « défections douces » ([545]). La première vague voit l’assouplissement de la sanction et du traitement judiciaires pour l’usage et la possession personnels de cannabis aux Pays-Bas et dans plusieurs États des États-Unis ([546]), concomitamment au discours de la « guerre des drogues » porté par le président Richard Nixon. Une deuxième vague de décriminalisation est portée par plusieurs États latino-américains (dont l’Uruguay) et européens (dont le Portugal) dans les années 1980. La troisième vague, dans les années 1990 et 2000, marque une rupture explicite avec les stratégies coercitives. Elle est impulsée par les nombreuses légalisations du cannabis à usage médical aux États-Unis et le développement d’un réseau de production et de distribution du cannabis médical, qui conduit souvent, dans les faits, à une libéralisation du cannabis « récréatif ». La quatrième vague – en cours – s’est ouverte avec les légalisations du cannabis à usage non-médical au Colorado et dans l’État de Washington en 2012 et en Uruguay en 2013, suivies de celles du Canada en 2018, de 23 autres États fédérés américains (et du district de Columbia) ou encore de l’Allemagne en 2024.
Constatant le rejet croissant de la prohibition, l’ancienne Première ministre néozélandaise Helen Clark insistait, dans sa préface à l’édition 2021 du rapport de la Commission globale sur la politique en matière de drogues ([547]), sur la nécessité de repenser le système international de régulation des drogues. Elle affirmait : « En général, le monde se tourne vers le droit international pour soutenir la réalisation des aspirations fondamentales de l’humanité […]. Pourtant, s’agissant de politique en matière de drogues, le droit international lui-même porte une grande part de responsabilité dans l’incapacité du monde à traiter la consommation de drogues de manière rationnelle et humaine. En décidant arbitrairement de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas, sans procéder à une évaluation scientifique solide, et en imposant un modèle répressif universel, le droit international relatif aux drogues fait obstacle à une réforme indispensable ».
b. Le Portugal (2001) : la décriminalisation des drogues associée au renforcement de l’accès aux soins pour les consommateurs
Le Portugal est le premier pays au monde à mettre en œuvre en 2001 une réforme pénale visant à dépénaliser toutes les drogues, c’est-à-dire à alléger ou supprimer les sanctions pénales pour l’usage de drogues, qui reste néanmoins illégal. Cette réforme est associée à une politique publique plus large de réduction des risques, de développement de la prévention, de l’accompagnement social et de l’accès aux soins pour les usagers des drogues : il s’agit de la Stratégie nationale de lutte contre les drogues, lancée en 1999. Afin de répondre à un enjeu national de santé publique, la majorité socialiste au pouvoir (1995-2002) revendique un tropisme sanitaire à l’égard des populations consommant des drogues qu’elle veut considérer, selon l’OFDT, « comme des malades plutôt que comme des délinquants » ([548]).
La loi n° 30/2000 du 29 novembre 2000 apporte une réponse fondée sur l’accompagnement sanitaire et social à la problématique de la prévalence des drogues, plutôt que la simple répression. Elle vise à favoriser la prévention et éviter l’incarcération des usagers afin de réduire l’engorgement des prisons. En rompant avec l’approche prohibitionniste, le législateur veut mettre un terme au déficit de prise en charge des consommations problématiques ([549]) par les pouvoirs publics portugais depuis les années 1980. Celles-ci se sont rapidement diffusées dans l’ensemble de la population portugaise à partir de la fin de la dictature salazariste et des guerres coloniales en 1974 ([550]).
Entre 1996 et 1998, 12,8 personnes pour 1 000 habitants étaient des usagers problématiques des drogues illicites au Portugal (contre 4,6 pour la France ([551])), soit le niveau le plus élevé des pays de l’Union européenne. Le phénomène était rendu particulièrement visible du fait des conséquences directes de « l’épidémie » d’héroïne (comme les décès par surdose dans l’espace public) qui touchait environ 1 % des 10 millions de Portugais (soit 100 000 personnes dépendantes à l’héroïne).
Le modèle choisi est celui d’une dépénalisation de l’usage et de la détention dans un cadre privé de toutes les drogues – cannabis, cocaïne, héroïne, amphétamines, etc. – en-deçà de certains seuils qui correspondent, pour chaque substance, à l’équivalent de dix jours de consommation personnelle. Si une personne est contrôlée en possession d’une quantité de stupéfiants supérieure à ces seuils, elle est suspectée d’un délit de revente ou de trafic. Si la quantité est inférieure ou égale aux seuils, l’individu est convoqué sous 72 heures devant une commission administrative spéciale (la commission de dissuasion de la toxicomanie, CDT), placée sous l’autorité du ministère de la Santé, composée d’un professionnel du droit, d’un assistant social et d’un psychologue. Ces derniers posent un diagnostic sur la situation du consommateur et décident de mesures de prévention adaptées en fonction du risque estimé de dépendance. En cas de réitération de l’infraction administrative, à l’exclusion des cas de dépendance, la CDT (dont la convocation était honorée à 92,7 % en 2015 ([552])) peut imposer une amende comprise entre 25 et 150 euros.
La décriminalisation des drogues s’appuie, en parallèle de la réforme pénale, sur un développement des structures de soins, de cure, de traitement et d’accueil des usagers de drogues, la mise en place d’une politique de réduction des risques (création de « salles de shoot », distribution de seringues propres, etc.) et une politique de prévention et d’éducation (à destination des jeunes en particulier) ([553]).
c. L’Uruguay (2013) : un modèle de « régulation restrictif » ([554]), une légalisation du cannabis reposant sur un important contrôle étatique
Adoptée au sein d’une population majoritairement opposée à l’abandon de la prohibition, la loi n° 19.172 de 2013, légalisant la possession, la détention et la culture du cannabis, s’inscrit dans un processus de réforme impulsé « par le haut » ([555]) – sous le contrôle de l’État et de ses agences – dénotant un volontarisme politique et un fort interventionnisme des pouvoirs publics.
L’objectif affiché de la réforme consiste, d’une part, à consolider l’autorité de l’État ([556]) par l’éradication du « marché noir », la réduction de la violence et des trafics liés aux stupéfiants. D’autre part, il s’agit d’améliorer la situation sanitaire, par la réduction des risques associés à la consommation (du fait notamment de la popularité grandissante de la « pâte base », dérivée de la cocaïne) et grâce à un contrôle qualitatif et quantitatif des ventes de cannabis. Dans le processus uruguayen, l’enjeu démocratique de crédibilité de l’action des pouvoirs publics apparaît au moins aussi important que l’enjeu de santé publique. Dans une moindre mesure, la réforme emportait également la promotion d’un soft power normatif à destination des pays d’Amérique du Sud et du reste de la communauté internationale. L’Uruguay voulait donner l’exemple d’un contrôle efficace du cannabis par la légalisation, à rebours de la stratégie de « guerre contre la drogue » et de « militarisation de la lutte contre les trafics » ([557]) en vigueur dans les pays voisins.
Avant la loi de 2013, en Uruguay, la régulation de l’usage des stupéfiants avait connu un assouplissement progressif depuis un décret-loi de 1974, édicté en pleine dictature militaire (1973-1985), visant à décriminaliser l’usage pour concentrer la répression sur le trafic ([558]). Le contexte uruguayen est celui d’un pays à faible population (3,5 millions d’habitants en 2020) qui n’a jamais été un « grand pays de production de cannabis, ni une importante zone de transit ou de consommation » ([559]).
La réforme de 2013 a donc pour premier objectif de restaurer l’État dans sa fonction de supervision de l’activité économique et sociale. Elle légalise toute la chaîne de production du cannabis, de la culture au commerce de la plante, et instaure un marché légal du cannabis étroitement contrôlé par l’État ([560]). Deux modes d’approvisionnement sont autorisés par la loi : soit dans des commerces très réglementés, les pharmacies, auprès d’un réseau de dispensaires agréés devant se fournir dans des entreprises habilitées par l’État ; soit par le biais de la culture privée, via l’adhésion à un « club cannabique » (une coopérative de production pouvant compter jusqu’à 45 membres) ou en « autoculture » (la culture à domicile, limitée à 6 plants annuels par personne, ce qui représente environ 480 grammes par an). Quel que soit le mode d’approvisionnement choisi, les consommateurs doivent impérativement s’inscrire sur un registre d’adhérents national ([561]).
La production, comme la distribution et les conditions du marché, sont strictement régulées par l’État qui s’appuie sur des structures de contrôle de l’application de la loi créées ex nihilo (des autorités autonomes ou rattachées au gouvernement). La plus importante de ces structures est l’IRRCA (Institut de régulation et de contrôle du cannabis), chargée de superviser le marché légal, tenir le registre national des consommateurs et de délivrer les licences de production et les semences autorisées. L’offre est ainsi limitée à quatre variétés de cannabis à teneur limitée en THC (au maximum 15 % ([562])) et le prix du cannabis s’établit à 6,40 euros les 5 grammes ([563]).
d. Les États-Unis (à partir de 2012) : des légalisations à visée commerciale reposant sur des marchés régulés et un faible interventionnisme étatique
Depuis 2012, et le vote d’un référendum d’initiative populaire au Colorado, 24 États des États-Unis et le district de Columbia ont légalisé le cannabis à usage récréatif, alors que l’interdiction est maintenue au niveau fédéral. Les modèles de régulation mis en place laissent une large place aux opérateurs privés.
i. Des réformes majoritairement adoptées « par le bas » dans un pays de prohibition historique de la marijuana.
Les États-Unis sont historiquement un pays de prohibition du cannabis ([564]). Le Marijuana Tax Act de 1937 pose le premier jalon de la régulation du commerce de cannabis au niveau fédéral en taxant toutes les transactions impliquant la substance, incriminant de fait les détenteurs par le biais de l’infraction de non-paiement de la taxe. La loi de 1937 est privée d’effet par la décision de la Cour Suprême des États-Unis Leary v. United States (1969), et remplacée dès l’année suivante par l’adoption du Controlled Substances Act (1970), encore en vigueur, qui interdit tout usage, même médical, du cannabis.
L’interdiction fédérale n’a pas fait obstacle à une vague de décriminalisations puis de légalisations dans les États fédérés. Il s’agissait d’abord d’autoriser l’usage, la prescription et la production du cannabis médical – à commencer par la Californie en 1996 (39 États en 2024) – puis du cannabis à usage non médical, avec comme États pionniers le Colorado et l’État de Washington en 2012 (24 États et le district de Columbia en 2024).
Longtemps opposée à ces réformes, l’opinion publique américaine bascule en faveur de la légalisation entre 2010 et 2012 ([565]), au moment des premières légalisations, qui ne font pas l’objet de représailles fédérales, et d’un débat nourri sur l’efficacité de la « guerre contre la drogue » et ses implications sociales. La majorité des États ayant légalisé le cannabis ont adopté la réforme au moyen d’un référendum d’initiative populaire ou d’une loi soumise à référendum (pour 15 États) et les autres sous la forme d’un acte législatif voté par les Chambres des États (9 États).
Toutefois, dans les États de légalisation, la persistance de l’interdiction fédérale est perçue comme un frein à l’efficacité des réformes au regard des objectifs de réduction des risques et de désengorgement des systèmes judiciaires. L’abrogation de la loi de 1970, le Controlled Substances Act, permettrait en particulier de faciliter l’accès au financement des opérateurs du marché légal (les établissements financiers étant encore réticents), d’ouvrir les exportations, de renforcer et de systématiser le contrôle de la qualité des produits, des conditions de culture du cannabis ou encore l’adoption de lois d’amnistie fédérales en faveur des personnes poursuivies pour des infractions liées à la détention et l’usage de cannabis ([566]).
ii. Des légalisations aux objectifs difficilement compatibles
Les régimes de régulation mis en œuvre aux États-Unis répondent à deux objectifs principaux. Il s’agit, d’une part, d’enjeux de santé publique : prévenir la consommation, limiter l’accessibilité et la visibilité du cannabis, en particulier pour les jeunes, et réduire les risques associés à la consommation. D’autre part, dans une perspective de sécurité publique, ces réformes visent à reprendre le contrôle du marché du cannabis, à assécher le trafic et à éradiquer les réseaux de criminalité qui en profitent, en reportant la demande et l’offre vers un réseau légal propre à engranger des recettes fiscales pour l’État ([567]).
À ces fins, les schémas de régulation des États américains convergent dans le sens d’une régulation favorable aux opérateurs privés (dite « for profit » ou « business friendly »), reposant sur un marché légal concurrentiel. Ce modèle est qualifié de mercantiliste ou de régulation à « visée commerciale » par l’OFDT ([568]). L’Observatoire relève une « contradiction majeure » ([569]) entre les objectifs affichés de santé publique et un modèle promouvant le développement économique, dont les logiques et les besoins entrent souvent en conflit.
iii. Une architecture de régulation à visée commerciale
La plupart des légalisations sont intervenues dans des États qui avaient déjà légalisé le cannabis à usage médical. Souvent ancien, partiellement réglementé, notamment dans l’Ouest américain (Californie, Oregon, Nevada, Washington, etc.), le marché médical du cannabis offrait de facto un accès aux usagers récréatifs. La légalisation n’a donc pas eu pour objet de créer un marché ex nihilo du cannabis, mais d’organiser la transition des acteurs et des consommateurs depuis des marchés illégaux (les marchés « gris » ([570]) et « noir ») vers le marché légal.
À défaut d’un encadrement de niveau fédéral, l’État fédéré occupe une place importante dans l’architecture de la régulation du cannabis. Il se charge de sécuriser les chaînes d’approvisionnement et de vente en contrôlant les conditions de production et de commercialisation, en imposant à chaque stade des règles d’exercice strictes (de déclaration, surveillance, traçabilité) ([571]) aux opérateurs économiques.
Le marché est structuré en plusieurs secteurs distincts : production/culture, transformation, tests en laboratoire, conditionnement, distribution/vente, etc. La possibilité d’exercer dans chacun de ces secteurs dépend de l’attribution d’une licence professionnelle. L’instance d’habilitation est une autorité publique, souvent une instance préexistante en charge du contrôle des boissons alcoolisées (Oregon, Washington) ou de l’administration fiscale (Colorado, Illinois, Maine) ; ce rôle a plus rarement été confié une instance de régulation ad hoc (Californie), mais jamais à une autorité chargée de la santé publique.
Tous les États, à l’exception de trois (l’État de Washington, l’Illinois et le New Jersey), permettent la culture à domicile, avec un seuil de production autorisée situé entre 4 et 6 plants en moyenne. L’autre voie d’approvisionnement privilégiée est la vente de cannabis en boutiques spécialisées (selon le principe de préférence au « standalone retail store » ou magasin autonome) ou la vente en ligne. Les conditions de ventes sont soumises à des restrictions relatives à l’emplacement des lieux de vente, aux règles de vérification de l’identité des clients, de conditionnement ou d’interdiction de la publicité. Ce cadre vise à limiter la visibilité publique et l’accessibilité des produits issus du cannabis pour les mineurs.
Les municipalités disposent également de certaines prérogatives dans l’autorisation d’implantation des commerces de cannabis au niveau local : ce qui peut se traduire par un fort effet de concentration des points de vente dans certaines zones souvent plus pauvres et habitées par des « minorités » ([572]) (en Californie, 61 % des villes et comtés interdisent la vente sur leur territoire). La vente interpersonnelle est toujours interdite dans tous les États.
Certains États ont fait le choix de réguler directement la structure du marché pour éviter la constitution d’un monopole du cannabis – un « Big Marijuana » sur le mode du « Big Tobacco » – par exemple via l’interdiction de l’intégration verticale ou horizontale. Ainsi, dans l’État de Washington ou en Californie, il est interdit de détenir plus d’un tiers des licences à l’échelle d’une seule ville ou d’un seul comté ([573]).
iv. Un accès restrictif au produit
La légalisation est allée de pair avec une stricte réglementation des conditions de diffusion du cannabis. L’autorisation d’accès au produit (l’usage et l’achat) concerne exclusivement les adultes à partir de 21 ans. L’identité et l’âge des acheteurs doivent être contrôlés et les sanctions sont dissuasives : vendre du cannabis en boutique à une personne mineure est passible de peines lourdes (jusqu’à 20 000 dollars d’amende et dix ans d’emprisonnement dans l’État de Washington). L’autorisation porte sur des quantités limitées de détention, en général sur une once (soit 28,35 grammes). Le modèle américain dénote par l’étendue de la gamme de produits dérivés du cannabis autorisés : gélules, baumes, cristaux, confiseries, gâteaux, huiles, etc. Les « edibles » (des éléments comestibles en français, c’est-à-dire toutes sortes de préparations culinaires infusées au cannabis) représentent par exemple 13 % des ventes en Californie ([574]).
Il existe aussi des restrictions de zonage, comme pour le tabac et l’alcool : il est généralement interdit d’installer un commerce de cannabis près d’établissements fréquentés par des mineurs (comme une école) avec une distance réglementaire à respecter (300 mètres dans l’État de Washington). La consommation de cannabis est aussi interdite dans les lieux publics sous peine d’amende, même dans les lieux de vente du cannabis. Toutefois, la formule du « cannabis lounge » (ou « cannabis café » qui sont des lieux de vente et de consommation de cannabis) a été autorisée dans plusieurs États à partir de 2019 (Alaska, Massachussetts, Arizona) et la Californie autorise l’ouverture de « coffee-shops », sur le modèle hollandais, à partir de 2025 ([575]).
Le régime fiscal appliqué au cannabis est complexe et éclaté entre les taxes sur la production et la vente, les taxes locales et droits d’accise. La taxe d’accise est ainsi comprise entre 10 %, pour le Maine, et 37 % pour l’État de Washington (45,4 % de taxation cumulée), en passant par 15 % en Californie ou 17 % dans l’Oregon. Les recettes fiscales sont majoritairement fléchées vers des programmes d’intérêt public : d’abord vers le secteur éducatif (Californie, Colorado, Oregon, Nevada, Massachussetts), et dans une moindre mesure vers le financement de la régulation, l’entretien des bâtiments publics, le budget général et la santé publique ([576]).
e. Le Canada (2018) : une légalisation traduite en différents modèles de régulation associant pouvoirs publics et opérateurs privés
Le 17 octobre 2018, après presque un siècle de prohibition, le Canada est devenu le deuxième pays du monde après l’Uruguay (2013) à légaliser le cannabis à des fins récréatives. La substance était illicite depuis 1923 ([577]). Durci en 1961 par la Loi sur le contrôle des stupéfiants, le régime juridique du cannabis s’était légèrement assoupli à partir de 1996. L’usage du cannabis à des fins thérapeutiques avait été légalisé en 2001 ([578]).
La légalisation du cannabis non médical, portée par le Parti Libéral à partir de 2012, est une question centrale de l’élection de 2015. Le gouvernement du nouveau Premier ministre Justin Trudeau a fait adopter un corpus législatif en 2017 qui a pour objectif de « restreindre l’accès des jeunes au cannabis, de protéger la santé et la sécurité publiques par l’établissement d’exigences strictes en ce qui a trait à la sécurité et à la qualité des produits et de décourager les activités criminelles […]. Elle vise également à alléger le fardeau du système de justice pénale relativement au cannabis » ([579]).
Si le gouvernement fédéral est constitutionnellement compétent pour déterminer les infractions criminelles et les conditions de production du cannabis, la vente et la consommation du cannabis relèvent, elles, de la compétence des gouvernements provinciaux qui ont choisi des régimes plus ou moins convergents. Aussi, si le Québec s’est tourné vers un mode de régulation très étatisé, reposant sur des monopoles publics, la Colombie-Britannique a choisi d’instaurer un régime mixte associant opérateurs publics et privés.
À l’annonce de la légalisation en 2018, le Québec se positionne comme l’une des provinces les plus réticentes à la réforme et choisit le modèle de régulation le plus restrictif du Canada ([580]), reposant sur un encadrement sévère des conditions de production et de distribution, et un monopole public de vente. L’objectif de la réforme est à la fois de protéger la santé des consommateurs, de prévenir l’initiation au cannabis et de stimuler le transfert des consommateurs vers le marché licite. Ce modèle québécois repose sur :
– l’interdiction de la culture à domicile (pourtant voulue par le gouvernement fédéral) ;
– une double autorisation de production et de vente (une licence fédérale de production et un permis québécois de vente à l’opérateur public) ;
– un monopole public de la distribution et de la vente au détail ;
– des conditions de vente strictes (distance minimale des points de vente avec les lieux d’enseignement, limite à 30 % de la teneur en THC, gamme de produits restreinte, limitation de la publicité) ;
– la fixation d’un âge légal de consommation à 21 ans ou encore l’interdiction de consommer dans les lieux publics (sauf dans certaines zones des parcs).
La Société québécoise du cannabis (SQDC) est l’entreprise publique, créée le 12 juin 2018 comme filiale de la SAQ (Société des Alcools du Québec), qui détient le monopole de la vente légale du cannabis alimenté par des fournisseurs autorisés disposant d’une licence fédérale de production et d’un permis de vente à la SQDC. Le marché québécois, estimé à 500 millions de dollars canadiens, était initialement pourvu par un réseau de 12 succursales de la SQDC qui sont, en 2024, au nombre de 100 ([581]). La SQDC a pour mandat de vendre le cannabis sans en faire la promotion ni en encourager la consommation, mais en s’assurant d’être suffisamment attractive pour attirer les usagers vers le marché légal. Ses bénéfices et revenus fiscaux financent exclusivement des activités liées à la surveillance, la prévention et la recherche sur les effets du cannabis, ainsi que les soins curatifs en lien avec l’usage du cannabis.
La Colombie-Britannique a choisi un modèle de « régulation prudente » ([582]) du cannabis, avec une mise sur le marché progressive de la substance, et l’évaluation en temps réel de la réforme. S’agissant, historiquement, de la province canadienne à la plus forte prévalence d’usage de cannabis, caractérisée par une politique de tolérance des autorités et l’omniprésence de l’offre (sur les marchés « noir » et « gris »), l’objectif central de la réforme était d’engager la transition des usagers vers le marché légal. La stratégie de réforme sur le mode du « start low and go slow » (une approche pas à pas), guidée par un principe de précaution et une évaluation constante de la réforme, avait pour but de favoriser une restructuration complète du marché.
Aussi le gouvernement provincial avait-il largement anticipé la mise en œuvre de la réforme fédérale en organisant cinq semaines de consultation publique de septembre à octobre 2017 pour mesurer l’adhésion de la population aux différentes options de régulation du cannabis disponibles. Contrairement à la population du Québec qui y était réticente ([583]), la réforme a rencontré une large adhésion de la société civile et de l’opinion publique en Colombie-Britannique ([584]).
Le choix est fait d’instaurer un modèle de distribution et de commercialisation hybride qui associe monopole d’État et opérateurs privés, caractérisé par une séparation entre les ventes d’alcool et de cannabis (préférence au standalone retail stores, c’est-à-dire aux magasins autonomes).
La phase de distribution repose sur un monopole d’État. La BC Liquor Distribution Branch est l’organisme public rattaché au ministère des Finances, déjà détentrice d’un monopole sur la distribution des alcools, qui approvisionne l’ensemble des boutiques agréées avec les productions de cannabis de l’ensemble des opérateurs canadiens ayant obtenu une licence fédérale. Il est, par ailleurs, autorisé de cultiver jusqu’à quatre plants de cannabis par foyer (sans que ces plants puissent être visibles depuis un espace public) ([585]). La phase de commercialisation et de mise en vente fonctionne, ensuite, comme une économie mixte. Les acheteurs de cannabis disposent de trois options : soit se rendre dans des magasins gérés par le gouvernement, soit dans des boutiques privées détentrices d’un permis, soit en ligne (exclusivement sur le site de l’entreprise publique BC Cannabis Stores ([586])).
Le coût total de la licence de distribution la première année est de 9 000 dollars canadiens, puis de 1 500 dollars pour le renouvellement annuel. L’âge minimal pour vendre, acheter ou consommer du cannabis, fixé à 19 ans, correspond à la moyenne des provinces canadiennes. Il existe des règles strictes d’implantation, de restriction sur les lieux de consommation et des sanctions pour le non-respect de ce régime. Sur le fondement d’un principe de précaution, l’offre des produits dérivés du cannabis est circonscrite aux fleurs, joints, « edibles » et huiles. La promotion du cannabis est très encadrée, pour une meilleure protection des mineurs.
L’un des objectifs (non explicite) de la loi était aussi l’augmentation des recettes fiscales par le biais de trois sources : la taxe perçue sur les ventes de la Liquor Distribution Branch (distribution et vente au détail), la taxe provinciale sur les ventes et une part provinciale de la taxe d’accise fédérale. Les recettes fiscales pour les trois années suivant la légalisation étaient estimées à 200 millions de dollars canadiens en 2018, mais elles ont été réévaluées à 68 millions (soit trois fois de moins) ([587]).
f. L’Allemagne (2024) : une légalisation partielle du cannabis qui confine l’usage et la production à la sphère privée
En avril 2024, l’Allemagne est devenue le cinquième pays du monde à légaliser l’usage récréatif du cannabis, portant la part de la population mondiale pouvant légalement accéder à la substance à 4 %, soit 300 millions de personnes ([588]).
La politique allemande en matière de drogues intégrait des éléments de décriminalisation depuis une décision de 1994 du Tribunal constitutionnel fédéral d’Allemagne qui jugeait que les sanctions pénales infligées aux personnes en possession de petites quantités de cannabis, et destinées à un usage strictement personnel, étaient inconstitutionnelles ([589]). La détermination de ces « petites quantités » était laissée à discrétion des procureurs des différents États.
Les partisans de la légalisation de 2024 revendiquent le pragmatisme de la réforme. Le ministre fédéral de la Santé Karl Lauterbach, porteur du projet de loi, défendait l’abandon de l’interdiction d’une substance dont l’usage était depuis longtemps largement toléré, dont la prévalence augmente (en particulier chez les jeunes consommateurs) au profit de produits de mauvaise qualité, et dont la prohibition mobilisait d’importantes ressources au sein des services judiciaires et des forces de sûreté ([590]).
La première phase de la réforme de légalisation (partielle) s’est ouverte le 1er avril 2024 par l’autorisation de l’usage et de la détention de cannabis à des fins de consommation personnelle, et la culture domestique ou communautaire non commerciale ([591]). Deux modes d’approvisionnement sont en effet prévus par la loi ([592]) : soit par l’« autoculture » de cannabis pouvant aller jusqu’à 3 plants et 50 grammes par personne, soit via l’adhésion à une communauté de cultivateurs (les « cannabis social clubs » ou clubs cannabiques). Ces derniers sont des coopératives et non des espaces de consommation. La deuxième phase de la légalisation a démarré le 1er juillet 2024, avec le lancement de la procédure d’autorisation des clubs cannabiques sur demande auprès des autorités. Ce lancement a rencontré des difficultés du fait de l’impréparation de l’administration ([593]).
Le modèle de légalisation allemand est dit partiel, car il confine la consommation et l’approvisionnement à la sphère privée (quoique le cannabis puisse être fumé dans certains espaces publics délimités ([594])). La légalisation allemande n’implique donc pas l’instauration d’un marché légal de production, distribution et vente du cannabis « récréatif ». Les clubs cannabiques ne peuvent produire qu’à destination de leurs adhérents, dans la limite de 500 adhérents, ayant leur résidence habituelle en Allemagne, pour des quantités ne dépassant pas 25 grammes par jour et 50 grammes par mois par personne, en échange d’une cotisation, sans but lucratif. Ils sont aussi le lieu de vente des graines de cannabis à destination des autocultivateurs (qui n’ont pas besoin d’adhérer à un club pour en acheter) dans la limite de 7 graines par mois. L’adhésion d’une même personne à plus d’un club est interdite.
La détention de cannabis au-delà des seuils légaux reste constitutive d’une infraction pénale, tout comme la transmission intentionnelle à des mineurs (passible de deux ans de prison). Aucun échange à titre privé n’est toléré : la culture domestique est destinée à la consommation personnelle exclusivement et aucun tiers ne doit pouvoir y avoir accès. Par ailleurs, les jeunes de 18 à 21 ans ne peuvent acheter du cannabis qu’à raison de 30 grammes par mois avec une limite de teneur en THC de 10 % ([595]). Le cannabis autorisé ne peut se présenter que sous une forme pure de haschisch ou de marijuana ([596]).
Le deuxième pilier de la légalisation, qui n’est pas contenu dans la loi entrée en vigueur en avril 2024, pourrait permettre la création de chaînes d’approvisionnement commerciales avec des points de vente agréés.
Le projet initialement envisagé, annoncé dans un document officiel du ministre fédéral de la Santé en 2022, visait à créer des boutiques spécialisées ([597]). Cette disposition n’a pas été retenue à la suite d’une évaluation volontaire de la législation réalisée par la Commission européenne à la demande du gouvernement allemand. Celle-ci a estimé que les droits international et européen interdisaient le commerce de la drogue ([598]).
2. Des résultats encourageants en matière de santé publique
Ancrées dans des contextes nationaux, dont découlent des problématiques et objectifs distincts, les différentes approches de libéralisation de l’usage des drogues – qui concernent quasiment exclusivement le cannabis – menées depuis presque trois décennies autour du monde, ne présentent pas un bilan homogène et évident. Les premiers résultats de ces réformes invitent à envisager un nouvel encadrement des stupéfiants avec prudence, en portant une attention particulière à l’adéquation entre les objectifs prioritairement visés et les moyens qui leur sont assignés.
En matière de santé publique, les données disponibles montrent que si les réformes permettent généralement de contenir, voire de réduire, la prévalence du cannabis chez les populations mineures, l’usage augmente souvent de manière significative chez les adultes (notamment en Amérique du Nord). Toutefois, l’apparente corrélation positive entre libéralisation et augmentation de la consommation n’est pas valable pour toutes les drogues et s’inverse parfois dans le temps (par exemple, au Portugal). Elle peut également être biaisée par de nombreux facteurs difficiles à neutraliser, à l’instar de la fin de la stigmatisation du consommateur (qui influe sur la validité des résultats des enquêtes de consommation), du changement de la perception des substances par l’opinion publique ou encore des tendances globales de consommation. En matière d’ordre public, les résultats sont encore davantage contrastés et rarement conclusifs. Si la légalisation induit la plupart du temps un recul du « marché noir » au profit des voies légales d’approvisionnement, ce recul est progressif, ralenti par le sous-dimensionnement du marché légal (Uruguay), et peut être contredit par une expansion du marché illégal (Californie).
a. Les avancées positives en matière de santé publique au Portugal
La relative ancienneté du revirement de la politique portugaise des drogues offre un retour d’expérience consolidé de ses effets en matière de santé publique. Le bilan sanitaire de la réforme apparaît globalement positif : elle a permis de réduire significativement la prévalence des consommations problématiques dans la population. La part des usagers de stupéfiants dans la population, en particulier chez les jeunes, est par ailleurs restée à un niveau nettement inférieur à la moyenne européenne, voire décroît depuis 2001.
En effet, à long-terme, la tendance est à la décroissance des niveaux de consommation dans la population portugaise pour toutes les drogues illicites ; cela en dépit de fluctuations positives dans la première décennie post-légalisation, et de pics de consommation situés aux alentours de 2007 pour l’ensemble des drogues à l’exception du cannabis dont le pic se situe en 2016.
Pour le cannabis, la prévalence de la consommation dans la population générale se trouve en 2022 à un niveau inférieur à 2001, et nettement inférieur à la moyenne européenne. Selon les chiffres de l’Agence européenne des drogues (EUDA) ([599]) :
– 2.8 % des 15-64 ans avaient fait usage du cannabis en 2022 contre 3.3 % en 2001 et 8 % de moyenne européenne en 2022 ;
– la consommation de cannabis dans le mois passé concernait 4.2 % des jeunes Portugais (15-34 ans) en 2022, contre 4,4 % en 2001 et 9,7 % de moyenne européenne ;
– par rapport au pic de 2007, la prévalence de la consommation des jeunes (15-34 ans) de cocaïne et d’ecstasy a été divisée respectivement par plus de deux et par trois en 2022 (de 1,2 % à 0,5 % pour la cocaïne et de 0,9 % à 0,3 % pour la MDMA).
Ainsi, en comparaison avec un autre pays où la décriminalisation est ancienne, la consommation globale de drogues illicites reste très faible au Portugal en 2022 avec seulement 3,1 % de prévalence générale, contre 13,2 % aux Pays-Bas (soit plus de 4 fois moindre) ([600]).
Cible de la réforme de 2001, la population des usagers problématiques des opioïdes (incluant l’héroïne, le fentanyl, etc.) a décru. Ils étaient estimés à 42 000 en 2005 et 28 287 en 2018, dont 50 % au moins bénéficieraient désormais d’un traitement de substitution ([601]). La mortalité liée aux surdoses a également baissé, de même que le nombre de contaminations virales liées à l’usage de drogues en intraveineuse. Calculé sur la base des décès liés aux drogues, et des coûts sanitaires et judiciaires directs et indirects de la consommation, le coût social des stupéfiants au Portugal aurait baissé de 12 % dans les cinq ans qui ont suivi la réforme (1999-2004) et de 18 % dans la première décennie (1999-2010) ([602]).
Au-delà de ses résultats sanitaires, la réforme portugaise a conduit à un désengorgement immédiat des tribunaux et des prisons : les infractions à la législation sur les stupéfiants avaient justifié 3 829 incarcérations en 2000 mais seulement 1 862 en 2019 (soit une diminution de 51 %). En dépit du constat d’une diminution du nombre annuel de saisies (à l’exception du cannabis), et d’un accroissement de leur volume, il est difficile d’estimer l’effet de la dépénalisation sur le marché illégal.
La réussite de la réforme portugaise, par rapport à ses objectifs, dans les deux premières décennies qui ont suivi la dépénalisation – avec une baisse des consommations problématiques et un accompagnement renforcé des consommateurs – n’empêche pas certains responsables, comme le maire de Porto, de s’interroger sur une « re-criminalisation limitée » de l’usage des drogues, pour éloigner les consommateurs des écoles, établissements hospitaliers et certaines zones urbaines ([603]).
b. En Uruguay, croissance de la consommation et persistance du « marché noir »
Huit ans après l’entrée en vigueur de la loi légalisant le cannabis en Uruguay, la consommation de cannabis a augmenté dans de fortes proportions, en particulier chez les adultes, de manière accélérée par rapport à la croissance observée depuis le début des années 2000. Entre 2014 et 2018, le nombre de personnes ayant déjà expérimenté le cannabis dans leur vie avait augmenté de plus de 30 %. Par ailleurs, la population qui avait consommé du cannabis dans l’année écoulée avait grimpé de 57 % ([604]).
Le marché légal du cannabis « récréatif » est estimé à 60,3 millions de dollars annuels selon le site Statista ([605]). Le marché légal repose sur un réseau de 40 pharmacies adhérentes. En janvier 2025, l’IRCCA ([606]) enregistre environ 74 000 consommateurs adhérents en pharmacie, 15 000 membres de clubs cannabiques et 12 000 cultivateurs domestiques (101 000 consommateurs enregistrés au total).
Le bilan de la réforme est également mitigé au regard de la résilience du marché illicite. Si le marché légal a écoulé environ 10,7 tonnes de cannabis entre 2017 et 2023 ([607]), la demande est estimée autour de 25 à 35 tonnes par an (pour une capacité de production légale d’environ 7 tonnes, dont 5 tonnes à destination des pharmacies ([608])). La difficulté à porter atteinte au marché noir s’explique, d’une part, par la capacité limitée de production d’un marché légal sous dimensionné (la pénurie d’approvisionnement détourne les usagers vers le marché illicite) et, d’autre part, par les difficultés de mise en œuvre du commerce légal de cannabis qui n’a pu opérer qu’à partir du 19 juillet 2017 (soit trois ans et demi après l’instauration de la loi) du fait de rigidités bureaucratiques et de réticences des pharmacies ([609]). En 2018, l’IRCCA estimait qu’un tiers seulement des consommateurs se fournissaient par des voies légales.
c. Aux États-Unis, diminution de la consommation des mineurs et essor industriel d’une filière du cannabis
Aux États-Unis, dans les 24 États (et le District de Columbia) qui ont légalisé le cannabis, la légalisation a eu des résultats ambivalents. Si la légalisation a permis l’essor d’un nouveau secteur industriel et économique et de contenir la consommation des mineurs, elle n’a pas complètement atteint l’objectif d’assécher le « marché noir ». L’amplification de l’offre a eu aussi pour effet une hausse notable de la prévalence de la consommation régulière chez les adultes.
À travers les différentes expériences américaines, il apparaît qu’un modèle de légalisation mercantiliste, reposant sur des opérateurs privés libres de leur stratégie commerciale et mus par une logique de marché concurrentiel, entre en contradiction avec les objectifs de santé publique.
Les États-Unis ont assisté à l’essor industriel rapide de la filière du cannabis à usage non-médical. Le marché américain du cannabis légal est estimé en 2022 à 25 milliards de dollars (et 47 milliards pour le marché illégal) ([610]), avec pour principaux marchés les États de l’Ouest où la prévalence est historiquement plus élevée : la Californie (3,1 milliards en 2019), le Colorado (1,7 milliard en 2019) et l’État de Washington (1,1 milliard en 2019) ([611]). Il est estimé que s’il était totalement légalisé aux États-Unis et au Canada, le marché pourrait atteindre 75 milliards de dollars par an (soit le cumul des actuels secteurs légal et illégal), contre 77 milliards pour le tabac et 110 milliards pour la bière ([612]). En 2019, le secteur entretenait également 300 000 emplois à temps plein aux États-Unis selon l’OFDT.
En termes de recettes fiscales, les données disponibles ne permettent pas de dresser un tableau homogène des situations. Si certains États ont généré des revenus fiscaux importants après la réforme comme le Colorado (313 millions de dollars en 2022), l’Illinois (284 millions en 2022) ou l’État de Washington (484 millions en 2022), d’autres, à l’image de la Californie (712 millions en 2022, contre 1 milliard espéré annuellement), se situent en dessous des niveaux de revenus escomptés. En cumulé, le think tank américain Tax Foundation estime les revenus fiscaux du cannabis des États ayant légalisé à 3 milliards de dollars (2,9 milliards) en 2022 ([613]).
À l’heure actuelle, l’objectif d’assèchement des marchés illégaux n’est pas atteint par les États de légalisation bien que, comme le constate l’OFDT en 2023 (à partir de l’étude de trois juridictions américaines et de trois juridictions canadiennes de légalisation) : « partout où le cannabis a été légalisé, le marché noir recule » ([614]). Une partie de la demande s’est orientée vers des voies d’approvisionnement légales, mais une « vitalité particulière » ([615]) des marchés noirs demeure : ils bénéficient d’une offre plus concurrentielle que les produits légaux taxés et approvisionnent les mineurs et les États qui interdisent encore le cannabis.
La Californie offre l’exemple d’un échec relatif de la légalisation par rapport au double objectif de paralyser les opérateurs illégaux et de réduire les sanctions pénales liées à la marijuana (afin de remédier aux discriminations engendrées par la « guerre contre la drogue ») qu’elle s’était fixée ([616]). La légalisation californienne a eu pour effet la concentration de la production du cannabis « récréatif » autorisé au profit de grandes entreprises et, concomitamment, l’essor des cultures et dispensaires illégaux. L’OFDT parle d’un « boom du marché noir » depuis la légalisation en Californie et dans l’Oregon ([617]). Caractérisée par un « marché gris » ancien et développé, et un niveau de taxation élevé (15 % d’accise et un taux cumulé de taxation de 35 % ([618])), la Californie connaît une persistance durable, quoique déclinante, de la part du marché noir qui captait 74 % de la demande en valeur en 2019 ([619]), et toujours 47 % en 2024.
ii. Des résultats sanitaires mitigés, reflet d’une contradiction entre les objectifs de santé publique et la logique d’une légalisation à visée commerciale
En termes de santé publique, les données disponibles ([620]) montrent un recul des prévalences de consommation du cannabis dans la population des mineurs. Dans l’État de Washington, la part des usagers annuels de cannabis chez les 12-17 ans est ainsi passée de 15,6 % (en 2013-2014) à 12,7 % (en 2021-2022). Dans l’Oregon, sur la même période, la part des mineurs usagers annuels passe de 18,3 % à 14 % (avec un pic à 19,8 % en 2019-2020).
Au-delà de 25 ans, la hausse de la consommation est significative, plus nette et rapide dans les États ayant légalisé que la moyenne fédérale ([621]). Ainsi, en Californie, entre 2016 et 2022, la part des usagers de cannabis mensuels dans la population adulte a crû de 8,7 % à 14,4 % (soit une hausse de 66 %). La hausse est de 100 % dans l’Oregon et de 87,5 % dans l’État de Washington (entre 2013-2014 et 2021-2022). La croissance de la consommation de cannabis chez les adultes s’explique notamment par l’amplification de l’offre qui, du fait de la logique de marché, cible aujourd’hui tous les segments de la population (personnes âgées, consommateurs « premium », etc.).
Un autre effet de la légalisation, constaté dans l’État de Washington, a été d’augmenter la part des usages problématiques du cannabis et des troubles associés à l’usage, nécessitant un recours accru aux soins ([622]). Les appels de centre antipoison liés à une intoxication au cannabis se sont également accrus de 67 % en Californie, par exemple, entre 2016 et 2020 ([623]).
d. Au Canada, des résultats qui divergent en fonction du modèle de légalisation retenu au niveau provincial
Au Québec, les quatre premières années de la réforme montrent une hausse de la consommation dans l’ensemble de la population ([624]) : la proportion de consommateurs dans l’année écoulée passe de 14 % en 2018 à 19,4 % en 2022. Toutefois, une baisse s’amorce à partir de 2023 avec 17,4 % d’usagers dans l’année écoulée. La baisse se retrouve autant chez les 15-20 ans (de 25,3 % à 22,6 %) que chez les 35 ans et plus (13,6 % à 12 %) ([625]).
L’après 2018 dénote un recul progressif du marché illégal à la faveur de l’approvisionnement légal, via la SQDC (entreprise publique qui détient le monopole de la distribution et de la vente au détail). Les sources d’approvisionnement des Québécois consommateurs de cannabis évoluent nettement entre 2018 et 2023 : la part de la SQDC passe ainsi de 44,6 % à 70,6 % de la demande satisfaite et les fournisseurs illégaux de 31,9 % à 6,5 % (le reste étant assuré par des réseaux familiaux). Toutefois, la SQDC n’est la source exclusive d’approvisionnement que de 43 % des consommateurs ([626]).
L’activité de la SQDC est très profitable. Elle affiche au deuxième trimestre 2024 un résultat net de 29,4 millions de dollars canadiens pour un chiffre d’affaires de 174 millions de dollars (soit 117 millions d’euros, en hausse de 14,5 % par rapport au deuxième trimestre 2023). Sur la même période, la Société a généré 29,4 millions de résultats nets et 61,4 millions de dollars de revenus fiscaux, soit un total de 90,8 millions de dollars versés aux gouvernements fédéral et provincial (dont 73,3 millions pour le gouvernement du Québec). L’intégralité des bénéfices sont dédiés à la prévention, la réduction des risques, la prise en charge des usagers et la recherche. Le prix moyen du gramme de cannabis était de 5,76 dollars tous produits confondus ([627]).
En termes de santé publique, la réforme de légalisation du cannabis a eu pour effet une hausse de l’usage du cannabis en Colombie-Britannique concentrée dans certaines catégories adultes. La proportion de consommateurs annuels a ainsi crû de 14 % entre 2018 et 2021 pour atteindre 32 % chez les personnes âgées de 19 ans et plus. La prévalence de l’usage chez les mineurs a fortement diminué : la part des 16-19 ans ayant consommé dans le mois écoulé a perdu 20 points entre 2019 et 2021 (de 53 % à 33 %). À la fin de l’année 2020, si le nombre de personnes ayant consommé du cannabis dans les trois derniers mois était d’une personne sur cinq dans la population autorisée au Canada, elle était d’une personne sur quatre en Colombie-Britannique ([628]).
La restructuration espérée des marchés du cannabis dans le sens d’une transition des consommateurs vers le marché légal a été lente. Elle n’a été réellement permise que par la baisse généralisée du prix du cannabis et l’entrée en concurrence des vendeurs légaux et illégaux. L’accès au cannabis par un approvisionnement légal au cours de l’année écoulée concernait 23,2 % des consommateurs en 2018 et 52,9 % en 2021, mais l’approvisionnement exclusivement légal concernait seulement 17 % des consommateurs en 2019 ([629]).
Le chiffre d’affaires global du secteur légal croît rapidement : il s’établissait à 96,7 millions de dollars canadiens en 2019 et à 554 millions en 2021. Les recettes fiscales étaient néanmoins très inférieures aux montants prévisionnels : sur la période 2018 et 2020, les 200 millions de dollars escomptés par l’administration fiscale de la province ont été réévalués à 68 millions ([630]).
e. En Allemagne, les risques d’une réforme précipitée.
Eu égard à la temporalité de la réforme allemande de légalisation du cannabis, il paraît prématuré de dresser un bilan sanitaire de ses conséquences.
Des inquiétudes ont été exprimées quant à l’impréparation de la réforme par les pouvoirs publics et à la disproportion entre le niveau de demande escompté et le potentiel de production légale destinée à y répondre. Cette demande est estimée à 400 tonnes annuelles de cannabis, et ne pourrait être que difficilement légalement satisfaite que par le biais de l’auto-culture et des associations de culture planifiée ([631]). Sans que des chiffres officiels puissent déjà attester le phénomène, il est possible que le « marché noir » allemand du cannabis connaisse un essor significatif dans l’immédiate après-légalisation, résultant du déficit de structures légales de culture et d’approvisionnement en même temps que de la croissance de la demande.
La loi d’avril 2024 sur le cannabis (Cannabisgesetz, CanG) a par ailleurs été adoptée en même temps qu’une loi modifiant le régime du cannabis à usage médical (Medizinal-Cannabisgesetz, MedCanG), voie légale d’approvisionnement ouverte en 2017, qui a déjà conduit à une augmentation très nette des prescriptions. En effet, les importations de cannabis médical ont crû de près de 50 % entre le premier et le second semestre 2024 (de 8 à 12 tonnes), après avoir augmenté de 40 % par rapport à 2023 ([632]), pour répondre à une demande en forte croissance soutenue par le développement de la prescription via télémédecine. Le profil moyen des patients – des hommes (à 87,7 %) relativement jeunes (36 ans) – laisse ainsi craindre un dévoiement de la procédure de prescription de cannabis médical pour approvisionner les usagers « récréatifs » ([633]).
B. Inventer un modèle français de régulation des stupéfiants
Le constat de l’expansion continue des trafics et de la consommation des stupéfiants, malgré les efforts engagés par les forces de l’ordre et les services judiciaires, presse l’ouverture d’un débat sur la viabilité du dispositif actuel d’encadrement de l’usage des substances psychoactives. La question se pose, en particulier, de rénover l’approche française du cannabis, du fait de la forte prévalence de sa consommation dans la population, de l’évolution de sa perception dans l’opinion publique et de recherches scientifiques récentes qui conduisent à relativiser la nocivité d’une consommation « récréative » modérée de cannabis.
En s’appuyant sur les enseignements des expériences étrangères et en tenant compte des objectifs prioritaires que revêtirait à leurs yeux une telle réforme en France, vos Rapporteurs s’accordent sur le principe d’une légalisation de l’usage et de la détention à fins personnelles de cannabis. Leurs propositions se différencient quant aux modalités pratiques de mise en œuvre du marché légal.
1. Ouvrir le débat sur la réforme du dispositif français d’encadrement de l’usage des stupéfiants, fondé sur la répression
La question des stupéfiants, sans être nouvelle, s’est progressivement installée au cœur du débat politique en France depuis plusieurs années. La persistance d’un discours de prohibition masque l’impasse de la politique presque exclusivement répressive menée depuis les années 1970 et l’état actuel de l’opinion publique.
Les termes du débat qui doit avoir lieu en France sur cette question doivent être précisément définis : il doit permettre de prendre acte de l’échec du tout répressif, d’identifier les objectifs et les pistes de réformes possibles et, in fine, de renouer avec une politique efficace de gestion des stupéfiants.
En insérant un article L. 355-14 ([634]) à l’ancien code de la santé publique disposant que « toute personne usant d’une façon illicite de […] stupéfiants est placée sous la surveillance de l’autorité sanitaire », la loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses entendait offrir une réponse à la fois sanitaire et coercitive à la consommation illicite de drogues. Il s’agissait de « considérer la toxicomanie comme un fléau social au même titre que les autres maladies », et de chercher à prévenir ou guérir plutôt que de punir les usagers de la drogue. Les dispositions pénales n’étaient appelées qu’à « assurer le relais des mesures thérapeutiques dans le cas où elles n’auraient pas atteint leur objet » ([635]).
Néanmoins, la politique publique de lutte contre les drogues s’est progressivement orientée vers la seule répression, vers l’unique sanction de l’usager sans proposition pédagogique ou médicale. Renaud Colson, maître de conférences à l'Université de Nantes, écrivait en 2023 qu’« à la faveur d’un paternalisme hémiplégique, le système judiciaire s’est progressivement concentré sur la sanction en espérant que la fonction dissuasive de la peine suffirait à mettre en œuvre l’objectif d’éradication du cannabis porté par la loi » ([636]). Cela se traduit dans les chiffres : il est estimé que 90 % de la dépense publique consacrée à la lutte contre les stupéfiants – soit un total de 568 millions d’euros en 2019 – finance l’action policière (70 %) et les procédures judiciaires (20 %), aux dépens des dispositifs de soins et de prévention qui ne bénéficient que des 10 % restants ([637]).
Le discours de certains responsables politiques nationaux actuels, défenseurs d’un modèle répressif de lutte contre les stupéfiants, s’inscrit dans la continuité de l’approche prohibitionniste. Celle-ci n’a pourtant permis d’endiguer ni l’augmentation de la prévalence des drogues dans la population, ni l’essor des marchés illégaux. Ce conservatisme fait obstacle à la « réforme indispensable » de la politique publique des stupéfiants, défendue par la Commission globale de politique en matière de drogues, qui doit mettre fin au tout répressif voire, pour le cannabis, avancer vers une « inéluctable légalisation » selon l’économiste Christian Ben Lakhdar ([638]). Cette attitude contraste également avec l’évolution de l’opinion publique française, désormais majoritairement favorable à l’autorisation régulée de l’usage du cannabis ([639]).
La complexité et la multiplicité des enjeux associés à la question des drogues, qui sont aussi bien sanitaires et sécuritaires, que sociaux, économiques ou démocratiques, plaident pour l’ouverture d’un débat public sur un nouvel encadrement des stupéfiants. Celui-ci pourrait porter, en particulier, sur le cannabis, car elle est une drogue à l’usage très répandue dont la nocivité a plusieurs fois été évaluée comme moindre que le tabac ou l’alcool.
En effet, dès 1998, le rapport ([640]) remis par le professeur Bernard Roques au secrétaire d’État à la Santé Bernard Kouchner, portant sur la dangerosité des drogues, comparait les effets de ces différentes substances sur la santé physique et mentale des consommateurs et remettait en cause la traditionnelle classification entre drogues douces (licites) et drogues dures (illicites). Il y était affirmé que la neurotoxicité du cannabis serait moindre que celle de l’alcool, de la cocaïne ou de l’ecstasy et que « ces substances induisent des altérations comportementales très sévères et une dangerosité sociale […] qui ne sont pratiquement jamais retrouvées avec le cannabis ». Largement débattu, le « rapport Roques » insistait sur la distinction entre l’usage et la dépendance aux drogues, sur le rapport entre la dose et l’effet, qui conduit à relativiser les conséquences néfastes pour la santé d’une consommation récréative de cannabis ([641]).
Dans les deux dernières décennies, de nombreuses études se sont intéressées à l’identification des effets de la consommation de cannabis sur la santé, en particulier sur le développement du cerveau et l’état psychique.
Un état des lieux des connaissances scientifiques a été mené par un groupe de réflexion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2016, en préparation de la 41ème réunion du Comité d’experts sur la dépendance aux stupéfiants en 2018. Les recommandations de ce comité ont conduit à la déclassification partielle du cannabis en 2020 de l’Annexe IV à l’Annexe I de la Convention Unique de 1961, passant ainsi du statut de substance sans utilité thérapeutique aux effets nocifs importants à celui de produit aux potentielles applications thérapeutiques ([642]). Ces travaux ([643]) montrent que si les effets néfastes de la consommation de cannabis sont indéniables – en particulier sur la santé cognitive, la capacité de concentration et de mémorisation des usagers – ils sont généralement corrélés avec une consommation commencée jeune, poursuivie sur le long-terme, à haute fréquence ou à haute dose du cannabis. À court-terme, le risque principal de la consommation est l’intoxication (souvent liée à une surdose à l’initiation). Les consommateurs dépendants représentent entre 1 % et 2 % des usagers de cannabis dans les pays développés, et 0,5 % des consommateurs dans le monde.
Par ailleurs, une étude, publiée en 2023 dans la revue Psychological medecine, identifie, en dépit d’une hausse de la consommation générale, un impact très limité de la légalisation du cannabis « récréatif » aux États-Unis sur une série de résultats psychiatriques et psychosociaux, comme la dépendance aux stupéfiants ou le développement de troubles de la personnalité ([644]).
Un récent article de recherche ([645]), publié en 2022 dans The American Journal of Psychiatry, a étudié l’impact du cannabis sur le fonctionnement cérébral d’un millier d’individus en Nouvelle-Zélande. Il atteste que les usagers de long-terme du cannabis (sur plusieurs années) et fréquents (au moins une fois par semaine, souvent davantage) développent des troubles de la mémoire et de l’attention : leur déficit cognitif est apparenté à une perte moyenne de 5,5 points de quotient intellectuel entre l’enfance et l’âge adulte. Toutefois, ces déficits cognitifs n’ont pas été repérés chez les usagers non-réguliers, dont la consommation de cannabis est inférieure à une fois par semaine. Ces résultats suggèrent, outre une nécessaire prudence, une certaine marge de libéralisation de la consommation modérée, sans nocivité avérée, du cannabis.
b. Identifier les objectifs prioritaires et secondaires de la réforme
L’organisation d’une consultation des citoyens, quelles qu’en soient les modalités, est défendue par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un rapport paru en janvier 2023 ([646]). Cette proposition fait écho aux processus étrangers de légalisation qui ont souvent laissé une place importante à l’expression publique : la question de la légalisation a été centrale dans l’élection fédérale canadienne de 2015 et la majorité des États américains ayant légalisé ont soumis cette réforme au vote des citoyens par le biais d’un référendum d’initiative populaire (15 sur 24).
Les objectifs assignés à un tel débat seraient multiples. Il s’agirait, d’abord, d’informer les citoyens sur les effets de la consommation de stupéfiants et les résultats de la politique répressive actuellement menée, mais aussi d’examiner les conséquences prévisibles de la réforme pour chaque degré de libéralisation du produit, de la dépénalisation simple à la légalisation. L’idée est de permettre une « acculturation large et dépassionnée [de la population aux] enjeux soulevés par un nouvel encadrement du cannabis » ([647]).
Ce débat doit aussi aider à définir les objectifs prioritaires et secondaires de la réforme, et de construire l’adhésion de la population autour de ceux-ci. Il peut s’agir d’objectifs de santé publique comme :
– la réduction des risques des consommateurs ;
– le maintien ou la diminution de la prévalence du cannabis dans la population ;
– l’amélioration de l’accès aux soins des usagers et aux traitements de substitution des usagers à risques ;
– le développement de la prévention et de l’éducation ;
– la protection des mineurs.
Il peut également s’agir d’objectifs relatifs au renforcement de la crédibilité de l’action des pouvoirs publics comme :
– l’éradication du marché illégal ;
– la répression des trafiquants ;
– le désengorgement des services judiciaires et policiers ;
– l’assèchement des ressources des organisations criminelles.
Il peut finalement s’agir d’objectifs économiques et sociaux comme :
– le développement d’une filière agricole ;
– l’essor d’un secteur commercial et industriel ;
– la régularisation de l’économie des zones de trafic ;
– la création de nouvelles ressources fiscales, etc.
Les objectifs choisis détermineront les contours de la réforme et de la nouvelle politique des drogues.
Finalement, dans l’éventualité d’un abandon de la prohibition à l’égard du cannabis, ce débat permettra de connaître les attentes de toutes les parties prenantes à une éventuelle légalisation (les consommateurs, les producteurs, les forces de sécurité intérieure, les régulateurs, les professionnels de santé et de la prévention, etc.), ce qui aidera au calibrage le plus fin des paramètres d’une telle réforme, indispensable prérequis de sa réussite.
Ainsi que le propose le CESE, ce débat de société peut s’organiser concomitamment à divers échelons et sous diverses formes : il peut s’agir d’une consultation citoyenne ([648]), d’un grand débat national (à l’instar de celui mis en place lors du mouvement social des Gilets jaunes), d’une convention citoyenne (telles celles sur la fin de vie ou le climat), d’un référendum législatif ou encore d’un débat parlementaire approfondi.
Recommandation n° 43 : engager une démarche participative (débat public, référendum) autour de l’encadrement du cannabis permettant aux citoyens de s’informer sur le sujet et de participer à la définition des contours d’un nouveau modèle de régulation.
c. Aligner le débat politique sur l’opinion publique et les acteurs de terrain
Au contraire de certaines personnalités politiques, l’opinion publique semble désormais acquise à un changement de paradigme dans l’encadrement des drogues. Un sondage nationalement représentatif de l’IFOP datant de juin 2021 sur « les Français et le cannabis » met en lumière une ouverture croissante de la population à un assouplissement de la régulation ([649]). Il montre, en particulier, qu’une majorité de Français est favorable à la dépénalisation du cannabis. En continuel progrès depuis deux décennies (32 % de personnes favorables en 2002), le basculement de l’opinion s’opère entre 2017 et 2021 avec une progression de huit points de l’opinion favorable (de 43 % à 51 %), impulsée par les 35-49 ans (hausse de 29 points) et les 50-64 ans (hausse de 20 points). L’option privilégiée de réforme apparaît être la légalisation du cannabis pour une majorité de Français (47 %).
Il s’agit donc d’aligner la réflexion politique avec l’opinion publique en ouvrant le débat sur les modalités concrètes d’une réforme du dispositif de régulation du cannabis. Leur détermination implique un certain nombre de choix politiques, par exemple quant au nouveau modèle d’encadrement à choisir. Celui-ci peut se situer à différents échelons d’un spectre de libéralisation allant de la régulation la plus stricte (simple dépénalisation de facto et non de jure, interdiction de la production) à la libéralisation complète (marché faiblement régulé, production, distribution et vente confiées à des opérateurs privés).
Si la parole de personnalités issues de la société civile favorables à la légalisation du cannabis est ancienne – par exemple, l’« Appel du 18 joint » le 18 juin 1976 en Une de Libération ([650]) – elle est secondée, depuis quelques années, par l’expression de responsables politiques locaux. La question des drogues est centrale dans de nombreuses problématiques locales, relatives à la sécurité et la violence urbaines ou au devenir des zones de trafics. Quelques années après la tribune de trois maires appartenant au parti Les Républicains (Gil Avérous, Boris Ravignon et Arnaud Robinet) pour légaliser la consommation de cannabis parue le 26 septembre 2020 ([651]) dans la presse, le maire Écologiste de Grenoble ([652]) (Éric Piolle) a appelé à un référendum national portant sur la légalisation du cannabis et les maires écologistes de Bègles ([653]) (Clément Rossignol-Puech) et Strasbourg ([654]) (Jeanne Barseghian) ont manifesté leur souhait respectif de mettre en place une expérimentation locale de production et commerce de cannabis à destination des résidents locaux.
Un rapport parlementaire daté de juin 2021 relatif à la réglementation et à l’impact des différents usages de cannabis ([655]) explorait déjà plusieurs pistes pour réguler l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du cannabis (à des fins récréatives). Lors de l’élection présidentielle de 2022, le programme présidentiel « L’Avenir en commun » du candidat Jean-Luc Mélenchon comportait comme mesure clé la légalisation et l’encadrement par un monopole d’État de la consommation, de la production et de la vente de cannabis à des fins récréatives.
Divers acteurs de terrains, comme la Fédération Addiction, l’association Addictions France ou le « Collectif pour une nouvelle politique des drogues », se sont positionnés en faveur d’une politique publique ambitieuse de régulation des drogues, qui ne soit pas limitée à une simple dépénalisation du cannabis, mais qui y autorise un accès régulé, en intégrant les enjeux de prévention et d’éducation, de traitement et d’accès aux soins, d’accompagnement des publics particulièrement concernés par la réforme (les usagers actuels et potentiels, les jeunes et l’ensemble des personnes qui tirent des subsides du marché illégal). Cette position est également partagée par plusieurs organismes de réflexion sur les politiques publiques : les think tanks Terra Nova ([656]) et Génération Libre ([657]) ou encore le Conseil d’analyse économique (CAE) ([658]), qui proposent de mettre en place un marché légal et régulé du cannabis.
Dans un contexte mondial marqué par le recul des régimes de prohibition totale du cannabis et un contexte national d’essoufflement de la politique répressive, la France doit, aux yeux de vos Rapporteurs, se tourner vers un nouveau modèle d’encadrement de l’usage et de la détention de cannabis « récréatif ».
Ils s’accordent, en effet, sur les objectifs premiers de la réforme, bien qu’ils ne les pondèrent pas de manière parfaitement égale. Elle doit ainsi avoir pour visée de réduire les risques des consommateurs – c’est un objectif absolument prioritaire pour le co-rapporteur Antoine. Léaument – et de tendre vers l’éradication des « marchés noirs ». Le co-rapporteur Ludovic Mendes place ces deux objectifs au même niveau d’importance. Cette nuance dans leur approche respective de la réforme explique que vos Rapporteurs, s’ils s’accordent sur le principe de la légalisation du cannabis, se distinguent dans leur définition des modalités concrètes de sa mise en œuvre.
a. Les objectifs de la réforme : protéger la santé publique et tendre vers un transfert de l’offre illégale au profit de l’offre légale
Le point de départ de toute réflexion visant à libéraliser une substance psychotrope illicite, comme le cannabis, consiste à déterminer et hiérarchiser les objectifs de la réforme, afin de concevoir le modèle de régulation le plus adapté au contexte français. Il ne s’agit pas de contester la nocivité de cette substance, mais d’offrir une réponse pragmatique et efficace aux problèmes protéiformes que sa consommation implique pour l’individu et que son omniprésence pose pour la collectivité.
Comme indiqué supra, la France appartient aux pays à la plus forte prévalence de l’usage de cannabis en Europe. Elle détient le record du pourcentage d’expérimentateurs parmi les 15-64 ans (50,4 % en 2023 contre 47,2 % pour l’Espagne en 2022, deuxième au classement) et la troisième place en termes de consommation annuelle dans la population générale (10,8 % en 2023) ([659]). Les jeunes Français comptent aussi parmi les plus grands usagers de cannabis, puisque 19,2 % des 15-34 ans en avaient consommé en 2021 et que, à l’âge de 17 ans, trois jeunes sur dix l’ont déjà expérimenté ([660]). Parmi les tendances les plus notables, on peut relever qu’en dépit de l’augmentation du nombre d’expérimentateurs dans la population depuis dix ans, la part des usagers annuels est stable quoique située à un niveau élevé (entre 10,5 % et 11 %). Traditionnellement plus élevée que chez les consommateurs adultes, la part des usagers problématiques parmi les consommateurs âgés de 17 ans est, elle, en net recul depuis 2014 (avec une diminution de 44 % entre 2014 et 2023).
Au vu de ce tableau, qui suggère une forte accessibilité du cannabis et une faible défiance de la population à son égard, vos Rapporteurs s’accordent sur l’orientation principale de la réforme vers des objectifs de santé publique. Il s’agit, d’abord, de réduire les risques auxquels s’exposent les nombreux consommateurs, en contrôlant la qualité et la quantité des produits qu’ils achètent, les modes de production et de consommation (par exemple, en promouvant la vaporisation, moins toxique que la combustion de l’herbe de cannabis). Pour vos deux Rapporteurs, toute réforme visant à libéraliser l’accès au cannabis, doit se doubler d’une politique ambitieuse de prévention et d’éducation sur les dangers de la substance à destination des publics jeunes (jusqu’à 25 ans au moins) et d’un accompagnement spécifique, à la fois médical et social, pour les consommateurs problématiques.
Ensuite, la réforme devra répondre à un enjeu de sécurité publique et de crédibilité de l’action publique. Il s’agit de tendre vers l’assèchement du marché illégal, de déstabiliser l’économie des trafics et de capter le maximum de ces ressources souterraines, qui financent actuellement le crime organisé, au profit de la puissance publique. Si vos Rapporteurs convergent sur la finalité d’ordre public de la réforme, ils se distinguent sur leur appréciation de la place de l’État dans le nouveau modèle d’encadrement.
Face au double objectif de santé et d’ordre publics, la création d’un secteur économique profitable, pour ses acteurs autant que les pouvoirs publics, bien que souhaitable, revêt une dimension secondaire et ne peut pas justifier d’une réforme à visée commerciale, sur le modèle américain.
Recommandation n° 44 : donner comme priorités à la réforme la réduction des risques pour les consommateurs et le transfert des usagers du marché illégal vers le marché légal.
b. La dépénalisation simple du cannabis, une première étape de libéralisation qui n’offre pas les garanties nécessaires à une reprise de contrôle par l’État de la consommation et des voies d’approvisionnement
La dépénalisation peut constituer une première étape de libéralisation en supprimant de jure, c’est-à-dire en excluant le cannabis du champ de l’infraction prévue à l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique, ou de facto, par le biais d’une circulaire de politique pénale du ministre de la Justice et d’une circulaire du ministre de l’Intérieur aux forces de l’ordre qui écarteraient le risque de sanction pénale qui pèse sur l’usager de cannabis.
Étant entendu que cet assouplissement ne concerne que les consommateurs et détenteurs de cannabis à des fins personnelles, le seuil distinguant l’usager légal de la personne commettant un délit pourrait se situer, comme le propose le co-rapporteur Ludovic Mendes, autour des 10 grammes d’herbe de cannabis, à un niveau inférieur à l’Allemagne (25 grammes), sachant qu’un « joint » de cannabis contient en moyenne 0,32 gramme ([661]). Le co-rapporteur Antoine Léaument propose, lui, un seuil identique à celui choisi par l’Allemagne, soit 25 grammes, pour éviter les écueils liés à des législations différentes entre des pays voisins. Vos Rapporteurs se rejoignent pour fixer à 4 plants annuels le seuil maximal pour la culture domestique.
Seule, la dépénalisation de l’usage aurait pour effet de désengorger les services des forces de l’ordre et, par voie de conséquence, de dégager des ressources publiques pour concentrer la lutte contre les trafiquants du « haut du spectre », mais elle ne permettrait pas de diminuer la demande et d’éradiquer les trafics. Solution inaboutie, elle laisserait proliférer un marché illégal au bénéfice des usagers et de leurs fournisseurs. L’économiste Christian Ben Lakhdar estime qu’« en soulageant les consommateurs de la pression répressive sans toutefois s’attaquer à la réglementation de l’offre, les pouvoirs publics feraient un cadeau aux trafiquants » ([662]). De surcroît, la simple dépénalisation, associée à la persistance d’un marché illégal, ne permettrait pas de faciliter le travail de prévention et de réduction des risques.
Si la libéralisation du cannabis peut constituer une première étape de la réforme des stupéfiants, vos Rapporteurs proposent d’aller plus loin en engageant une réflexion sur l’encadrement de l’ensemble des substances psychoactives. La prévalence de l’usage dans l’année de la cocaïne, l’ecstasy/MDMA, des champignons hallucinogènes, l’héroïne et autres amphétamines a plus que doublé dans la population entre 2014 et 2023 ([663]). Vos Rapporteurs suggèrent une dépénalisation simple de leur usage et leur détention afin de concentrer l’action répressive sur les trafiquants. Ils suggèrent de fixer un seuil de 3 grammes autorisés pour l’ensemble de ces substances.
Le co-rapporteur Ludovic Mendes propose qu’au-delà de ce seuil, une amende forfaitaire délictuelle s’applique dès lors que le volume de produit détenu se trouve entre 3 et 6 grammes.
Recommandation n° 45 : s’inspirer de la réforme portugaise et dépénaliser l’usage simple de stupéfiants en y associant une politique ambitieuse de prévention de la consommation et de soin de la dépendance.
Recommandation n° 10 de M. Mendes : appliquer l’amende forfaitaire délictuelle lorsque le consommateur détient entre 3 et 6 grammes de produit.
c. Le choix français d’un modèle de légalisation encadrée par l’État
Le caractère inachevé d’une dépénalisation simple du cannabis conduit vos Rapporteurs à recommander l’adoption d’un modèle de légalisation régulée du cannabis non-médical en France, convergeant ainsi avec l’avis du CESE publié en janvier 2023 et les conclusions de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la nécessité d’une légalisation de l’usage et de la production du cannabis non thérapeutique. Cette solution doit à la fois permettre une reprise du contrôle de la chaîne complète d’approvisionnement (production, transformation, distribution et vente), mais aussi de réguler strictement l’accessibilité et la visibilité de la substance, de mettre en œuvre une politique de prévention, d’éducation et de réduction des risques efficace pour surveiller la consommation sans l’inciter.
Néanmoins, vos Rapporteurs ne s’accordent pas sur les modalités concrètes de la légalisation. Si le co-rapporteur Antoine Léaument préfère une légalisation à la québécoise, confiée à une entreprise publique détenant le monopole de la distribution et la vente du cannabis avec, au sein de ses succursales, une offre large et concurrentielle, le co-rapporteur Ludovic Mendes choisit un modèle plus libéral confiant à des opérateurs privés séparés les activités de production, distribution et vente au détail, sous le contrôle étroit d’une agence nationale spécialisée. Une autorité administrative indépendante chargée de la régulation du cannabis doit piloter la réforme, contrôler la production et garantir la réalisation des objectifs de santé publique.
d. Une Autorité de régulation du cannabis (ARCAN) pour piloter la réforme
Afin d’assurer le pilotage de la réforme et une régulation centralisée de l’approvisionnement et du fonctionnement du marché du cannabis, vos Rapporteurs suggèrent la création d’une autorité administrative indépendante ad hoc. Suivant une proposition du think tank Terra Nova ([664]), cette autorité pourrait être créée sur le modèle de l’actuelle Autorité nationale des Jeux, ANJ (ex-ARJEL, Autorité de régulation des jeux en ligne), chargée de la régulation des paris sportifs, des jeux d’argent et de hasard par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne qui a ouvert à la concurrence – en même temps qu’elle a légalisé – le secteur des jeux en ligne. Le pari du législateur était d’assécher l’offre illégale, en faisant venir une majorité des joueurs vers les sites légaux, et de réduire les pratiques problématiques par le biais de cette offre légale. Une logique identique, axée sur la santé publique, doit prévaloir lors de la légalisation du cannabis.
L’Autorité de régulation du cannabis (ARCAN) sera compétente pour suivre l’application de la loi, délivrer les licences professionnelles aux producteurs et aux détaillants, édicter et contrôler le respect des normes restreignant la vente, la disponibilité et la visibilité du cannabis, planifier la production et fixer les prix. Elle n’aura pas pour rôle de collecter les taxes, mais pourra suivre l’évolution des recettes fiscales et le chiffre d’affaires du secteur. Son indépendance du ministère des finances sera la garantie de préserver les pouvoirs publics d’une dépendance aux recettes, probablement très importantes, que générera le marché légal du cannabis, et évitera que la rentabilité de l’offre ne prime sur les objectifs de santé publique.
L’étendue des pouvoirs de l’ARCAN dépendra de l’architecture de marché choisie : ils seront plus importants dans le cas où d’autres secteurs que la production seraient confiés à des opérateurs privés (notamment pour certifier les détaillants) et plus faibles si la distribution et la vente reposent sur un monopole public.
Son conseil de direction pourrait être constitué de neuf membres nommés pour une durée de six ans à raison de leur compétence économique, juridique, en matière de protection du consommateur, de prévention, de systèmes d’information, d’économie numérique et de lutte contre les trafics et le financement du terrorisme. Le président serait nommé par le Président de la République sur proposition du ministre de la Santé ; deux membres seraient nommés respectivement par le président de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat, et six membres nommés par décret (dont un membre du Conseil d’État ou de la Cour de cassation et cinq personnalités qualifiées). La nomination des neuf membres serait soumise au vote des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
e. La production confiée à des exploitants certifiés : la création d’une « filière française » du cannabis
En ce qui concerne la culture du cannabis, vos Rapporteurs s’accordent pour confier la production destinée à être vendue sur le marché à un réseau d’exploitations agréées, distinctes de la filière du cannabis médical, qui auront vocation à constituer une filière française d’excellence.
Ces exploitations seront autorisées à produire et transformer après l’obtention d’une licence professionnelle auprès de l’ARCAN. Elles devront satisfaire à des exigences environnementales strictes visant à promouvoir, pour une partie d’entre elles au moins, la culture biologique et le développement d’une filière de qualité (sur le modèle de la production vinicole, comme le propose le CESE). La création d’une « filière d’excellence » permettra de différencier verticalement la production légale de celle disponible sur le « marché noir », en privilégiant qualité, transparence et traçabilité de l’offre.
Pour autant, l’unique souci de la réduction des risques et du nivellement par le haut de l’offre de cannabis pourrait avoir la conséquence dommageable de segmenter la demande avec, d’un côté, une demande moyen-haut de gamme satisfaite par le marché légal et, de l’autre côté, une demande de cannabis à bas prix pourvue par les trafiquants. Ce phénomène a été observé en Californie, par exemple, où une offre légale onéreuse car taxée rivalise avec une offre illégale importée du Mexique à très bon marché. Cela peut conduire à une cohabitation durable des marchés légaux et illégaux.
Pour cette raison, le co-rapporteur Ludovic Mendes s’inscrit dans la ligne du think tank libéral Génération Libre qui suggère de traiter le cannabis comme n’importe quel produit agricole, avec une licence souple, peu onéreuse et peu contraignante, afin de favoriser la compétitivité du marché légal avec le « marché noir ».
Au regard des expériences étrangères, notamment du scénario uruguayen, vos deux Rapporteurs insistent sur l’importance du juste calibrage des volumes de production avec la demande attendue, qui semble être la condition d’une transition réussie des usagers vers le marché légal. Les exploitations seront encadrées en termes de surface et devront satisfaire à des quotas de production fixés par l’ARCAN, mais le faible coût de la licence facilitera l’entrée des producteurs.
Afin de diversifier les modes d’approvisionnement, la culture privée pourra être autorisée. Les rapporteurs divergent toutefois sur l’étendue de cette autorisation. Si pour le co-rapporteur Ludovic Mendes elle doit être largement ouverte, autorisée tant sous la forme des coopératives agricoles à adhésion restreinte – les « clubs cannabiques » qui existent déjà illégalement en France, mais pourraient se diffuser comme en Allemagne, en Uruguay, ou en Espagne – que sur le mode de l’autoculture domestique, le co-rapporteur Antoine Léaument ne retient que le second mode de production privée.
Les « clubs cannabiques », parce qu’ils rassemblent des cultivateurs et non de simples consommateurs, présentent l’avantage de responsabiliser leurs membres en intégrant une dimension d’éducation et de prévention par les pairs. Si cette option est retenue, ils devront présenter un but non lucratif, recevoir une autorisation des pouvoirs publics et leurs membres devront être inscrits sur un registre national tenu par l’ARCAN. De même, les autocultivateurs seront limités dans le nombre de plants qu’ils pourront entretenir (4 plants par personne, par an), inscrits dans un registre national et ne pourront pas destiner leur production à la vente ou à toute autre personne qu’eux-mêmes. Il est notable que, selon l’OFDT, 7,2 % des usagers produisent déjà leur propre consommation en France ([665]).
f. Un monopole étatique ou des opérateurs privés chargés de la distribution et de la transformation du cannabis
L’étape suivante, de distribution et de transformation de la production légale de cannabis, devra constituer, selon le co-rapporteur Antoine Léaument, un monopole détenu par une entreprise publique. L’instauration d’un monopole doit permettre de faciliter le contrôle de la qualité des produits (notamment des variétés de plantes, gammes de produits et teneurs en THC autorisées), de l’uniformité de l’offre, de s’assurer qu’aucune partie de la production ne soit versée sur le « marché noir », ni qu’aucun détaillant ne puisse s’y fournir, et de contrôler les prix.
Le co-rapporteur Ludovic Mendes privilégie, lui, l’option de la création d’une licence spécifique pour la transformation et la distribution, qui puisse bénéficier à des grossistes privés. Ceux-ci verraient leur activité étroitement réglementée et fréquemment contrôlée par l’ARCAN, comme à l’étape précédente de la culture et à l’étape suivante de la vente au détail. Le circuit de distribution sera alimenté par l’ensemble des exploitations autorisées sur le territoire et, dans l’éventualité d’une harmonisation européenne de la législation relative au cannabis, par les producteurs agréés des autres États membres.
g. Une vente au détail, monopolisée ou ouverte à des commerçants autorisés, respectant de nombreuses restrictions
Finalement, pour le co-rapporteur Antoine Léaument, la vente au détail du cannabis légal sera assurée par la même entreprise publique, détenant un monopole, qui intégrera tous les stades de la chaîne de valeur du cannabis (à l’exception de la culture). La vente se fera dans des magasins autonomes qui ne pourront vendre que des produits issus du cannabis. Toutefois, dans un souci de mise en œuvre rapide de la réforme, votre Rapporteur envisage dans un premier temps d’autoriser des magasins, qui ne seraient pas directement gérés par l’entreprise publique, à vendre ces produits via des licences délivrées par l’autorité de régulation.
Dans un souci de compétitivité et d’accessibilité de l’offre légale, le co-rapporteur, Ludovic Mendes préfère, quant à lui, que la vente puisse se faire par deux canaux : par le biais d’un réseau de pharmacies agréées, et par des commerçants détenant une licence professionnelle. Le modèle des pharmacies est celui mis en place en Uruguay où, depuis 2017, un réseau de 40 pharmacies adhérentes ([666]) assure l’écoulement de la production légale.
Vos Rapporteurs considèrent qu’une licence professionnelle dont l’attribution n’est pas limitée à des boutiques autonomes spécialisées mais peut être ouverte à des commerces réglementés (comme les débitants de tabac) favorise l’accessibilité de l’offre et la consommation croisée : à ce titre, ce n’est donc pas souhaitable.
Concernant les restrictions à l’étape de la vente, vos Rapporteurs s’entendent pour interdire toute opération de promotion ou de marketing qui pourrait inciter à la consommation du cannabis. Le conditionnement des produits devra être le plus neutre, informatif et objectif possible. Le taux de THC devra être clairement affiché. Les points de vente seront soumis à restrictions d’implantation. Ils seront toujours des lieux d’achat et non de consommation, où toute vente sera contrôlée (vérification de l’âge, du respect de la quantité autorisée), et des lieux de prévention. Les vendeurs devront s’acquitter d’une formation de sensibilisation obligatoire pour orienter les clients qu’ils estimeraient être des consommateurs à risque ou des consommateurs problématiques vers des structures d’accompagnement adaptées. Le co-rapporteur M. Mendes souhaite que le public des jeunes majeurs, à risque entre 18 et 21 ans, fasse l’objet de restrictions particulières quant à la quantité des produits à l’achat et au mois. Le co-rapporteur Antoine Léaument souhaite que des politiques de prévention spécifiques soient mises en place à destination des jeunes pour les informer des risques sanitaires particuliers associés à la consommation de cannabis avant 25 ans. Vos Rapporteurs s’accordent pour interdire la vente en ligne, qui n’apporte aucune garantie en matière de prévention.
La gamme des produits autorisés inclura l’herbe, la résine (le haschich), les liquides de vapotage et les huiles. Elle devra concurrencer l’offre du « marché noir », mais ne pas inciter à consommer. Sous réserve de restrictions particulières, les produits cosmétiques, confiseries et gâteaux à base de cannabis seront autorisés. Le risque d’une segmentation du marché avec, une demande légalement approvisionnée pour la gamme de produits autorisés et une demande tournée vers le « marché noir » pour les produits interdits, nécessite de proposer une gamme élargie de teneur en THC (avec des prix croissants en fonction de la teneur en principe actif).
Dans le modèle de légalisation confiée au secteur privé proposé par le co-rapporteur Ludovic Mendes, le prix du gramme de cannabis sera laissé à la libre détermination du marché. Le législateur, sur proposition de l’ARCAN, pourra néanmoins décider d’utiliser l’instrument fiscal comme une incitation comportementale en calquant la fiscalité applicable au tabac ([667]) sur le cannabis. Dans le modèle de légalisation reposant sur un monopole public du co-rapporteur Antoine Léaument, le prix du gramme d’herbe de cannabis sera déterminé par les pouvoirs publics. Il ne devra pas être moins élevé que le prix d’une cigarette ou d’un gramme de tabac à rouler, tout en s’alignant sur le prix du marché illégal. Ce doit être un prix d’éviction, viable pour les acteurs du nouveau marché, qui peut se situer entre un plafond correspondant à l’actuel prix du gramme de cannabis sur le marché illégal (environ 10 euros en 2025 ([668])) et un prix plancher correspondant au coût estimé de production d’un gramme de cannabis (inférieur à 1 euro ([669])). Vos Rapporteurs suggèrent de prévoir, dans un premier temps, un prix inférieur à 5 euros le gramme, pour concurrencer efficacement le marché illégal. En conciliant taxes, impositions et rémunération du producteur, le gramme de cannabis pourra se situer, à terme, entre 7 euros (proposition du CESE en janvier 2023) et 9 euros (proposition du CAE en juin 2019).
Par ailleurs, la cohabitation entre marché légal et marché illégal provoquera une concurrence dont le marché légal peut tirer parti en combinant la libéralisation avec un renforcement de l’action répressive à l’encontre des trafiquants, ce qui jouera à la hausse sur leur coût.
Les co-rapporteurs de la mission s’opposent sur les périmètres autorisés de consommation du cannabis. Si le rapporteur Ludovic Mendes veut restreindre au maximum la visibilité de la substance dans l’espace public et confiner son usage aux espaces privés (le domicile), Antoine Léaument préconise d’aligner, sur ce plan, le régime du cannabis avec celui du tabac, c’est-à-dire interdire uniquement sa consommation dans les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail. Dans les deux scénarios, la consommation simple de cannabis en dehors des espaces autorisés sera passible d’une amende administrative.
h. La légalisation peut faire recette
S’agissant de revenu fiscal, le think tank Génération Libre ([670]) estime qu’avec un chiffre d’affaires en 2020 de 3,2 milliards d’euros en France, les recettes fiscales escomptables d’une légalisation où le marché licite capterait 50 % à 75 % de la demande pourraient atteindre entre 240 et 360 millions d’euros, pour une taxe à 15 % du prix de vente. Il estime, par ailleurs, qu’un prix au gramme d’herbe situé au-delà de 10 euros mettrait la légalisation en péril. En 2019, le CAE estimait, quant à lui, qu’une légalisation réussie pourrait rapporter 2 milliards d’euros de recettes fiscales et entre 250 et 530 millions de cotisations sociales annuelles (pour un marché de 500 tonnes). Cette dernière évaluation semble toutefois difficilement compatible avec une valorisation du marché illégal de cannabis située à environ 1,2 milliard d’euros en France ([671]).
En sus des politiques de prévention de la consommation et de traitement des personnes dépendantes, l’affectation d’une partie des recettes fiscales devra avoir pour objectif de ne pas paupériser la population dans les actuelles zones de trafic, dont une partie vit des subsides du marché illégal du cannabis. Il est estimé que le marché du cannabis emploierait environ 200 000 personnes en France ([672]).
Recommandation n° 46 : légaliser l’usage et la détention du cannabis à des fins personnelles selon un modèle étroitement régulé par l’État ou une agence spécialisée.
Vos Rapporteurs s’accordent sur la priorité donnée à la santé publique, qui doit se traduire par :
– un accompagnement spécifique pour les consommateurs dépendants ;
– un contrôle sur la qualité des produits pour réduire les risques ;
– un contrôle sur la quantité détenue par personne pour limiter les consommations problématiques ;
– l’interdiction de la vente en ligne, qui ne favorise pas la prévention ;
– une politique de prévention ambitieuse vis-à-vis des publics jeunes (âgés de moins de 25 ans) sur les dangers de la substance ;
Ils convergent vers l’objectif de favoriser un transfert des consommateurs du marché illégal vers le marché légal, grâce à :
– un prix attractif par rapport à celui du marché illégal ;
– une gamme large de produits disponibles (incluant les edibles), pour créer une réelle concurrence avec le marché illégal ;
– un contrôle sur les niveaux de production.
Ils se rejoignent sur la nécessité de ne pas faire de la rentabilité économique un objectif prioritaire :
– en confiant la régulation à une agence publique indépendante ;
– en interdisant la publicité autour des produits à base de cannabis ;
– en confiant la production à un réseau d’exploitations agréées et titulaires d’une licence visant à mettre en place une filière française de production ;
– en soumettant les points de vente à des restrictions d’implantation.
Ils divergent cependant :
– sur les modalités de distribution : Antoine Léaument privilégie l’option d’un monopole détenu par une entreprise publique, là où Ludovic Mendes préfère qu’une licence spécifique soit attribuée à des grossistes privés ;
– sur l’étendue de la culture privée : Ludovic Mendes est favorable à une culture domestique et aux clubs cannabiques, Antoine Léaument souhaite que seule la culture domestique soit autorisée ;
– sur la forme que prendrait la distribution : Antoine Léaument favorise un monopole de la distribution et de la vente du cannabis, alors que Ludovic Mendes suggère de confier la vente à des pharmacies agréées et à des commerçants détenant une licence professionnelle spécifique ;
– sur la fixation du prix : Antoine Léaument souhaite que ce soit à la main de l’État, Ludovic Mendes privilégie une fixation par le marché ;
– sur les restrictions à la vente, Ludovic Mendes souhaitant interdire la vente aux personnes âgées de moins de 21 ans, alors qu’Antoine Léaument limite l’interdiction aux mineurs, en associant la vente aux personnes de moins de 25 ans à une politique de prévention spécifique sur les risques sanitaires ;
– sur les restrictions à la consommation dans l’espace public : Ludovic Mendes souhaite restreindre la consommation à l’espace privé, quand Antoine Léaument propose d’interdire la consommation dans certains espaces publics spécifiques, en appliquant au cannabis les règles en vigueur pour le tabac.
— 1 —
À l’issue de leurs travaux, vos Rapporteurs ont mesuré l’ampleur de la menace que font peser les organisations criminelles de trafiquants de stupéfiants sur la sécurité publique et la stabilité de nos institutions.
Si le poids de ce constat peut paraître accablant, vos Rapporteurs sont certains qu’il existe des moyens efficaces d’y remédier pour endiguer l’influence de ces groupes criminels et fragiliser leurs structures.
La lutte contre le trafic de stupéfiants appelle de la part des autorités publiques la mise en œuvre d’une politique ferme mais lucide. Les moyens de cette lutte doivent être prioritairement dirigés vers ceux qui en sont responsables au premier chef : les trafiquants eux-mêmes et spécifiquement les chefs des réseaux criminels et les agents du blanchiment de l’argent de la drogue.
Les politiques publiques doivent être guidées par des impératifs d’efficacité qui commandent d’abandonner la vision trop souvent stéréotypée portée sur la consommation des produits stupéfiants.
Vos Rapporteurs ont acquis la conviction que lutter contre le consommateur ne permettra pas d’endiguer durablement le trafic de stupéfiants. Il est essentiel de ne pas se tromper de cible : les outils de la lutte contre ce fléau criminel doivent être mobilisés à l’encontre des principaux responsables de son développement, les trafiquants. Les efforts pour lutter contre la demande, qui sont indispensables, tout comme ceux déployés pour tarir l’offre, ne doivent pas se focaliser sur la répression du consommateur de produits stupéfiants.
Être à la hauteur de ces enjeux implique de s’emparer du sujet du trafic de stupéfiants dans toutes ses dimensions : les risques en matière de sécurité publique, la déstabilisation des institutions au travers de la montée en puissance du phénomène de la corruption, mais également le traitement inapproprié du consommateur.
Trop souvent oubliée dans le débat public, la prévention de la consommation des drogues est pourtant l’un des enjeux fondamentaux de la lutte contre le trafic et l’un des seuls moyens efficaces pour lutter contre la demande exponentielle de ces produits illicites.
Le courage politique commande de traiter enfin le sujet de la consommation, sans complaisance ni démagogie, en s’appuyant sur la réalité : les politiques stigmatisantes à l’égard des consommateurs ont fait la preuve de leur inefficacité dès lors qu’elles n’ont pas empêché l’augmentation de la consommation ni mis un terme à l’accentuation de la menace que le trafic fait peser sur la sécurité et l’ordre public.
Vos Rapporteurs ont souhaité explorer l’ensemble des pistes de réflexion qui leur ont été soumises et comparer toutes les politiques publiques pouvant avoir un réel effet sur l’ampleur du trafic pour en mesurer l’efficacité, sans préjugés ni opinions préconçues.
Les recommandations qu’ils formulent sont le reflet de la stratégie globale qu’ils préconisent d’adopter pour améliorer l’efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Elles explorent chaque dimension de cette forme de criminalité organisée sans épargner aucun pan : en particulier, la fermeté de la réponse à l’égard des trafiquants du « haut du spectre » ne doit pas occulter l’enjeu de la prévention à l’égard de ces substances.
Ils formulent le vœu que ce rapport marquera un tournant dans l’approche de la lutte contre le trafic et permettra de guider les réflexions à venir sur les initiatives législatives qui s’annoncent en la matière.
— 1 —
Lors de sa réunion du lundi 17 février 2025, la commission des Lois a examiné ce rapport et en a autorisé la publication.
Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
— 1 —
Liste des recommandations de la mission
- Renforcer la coopération internationale :
Recommandation n° 1 : adapter la position de la France dans les instances internationales et européennes en centralisant la prévention de la consommation, les facteurs d’entrée dans les trafics, et la réduction des matières premières nécessaires à la production de stupéfiants.
Recommandation n° 2 : augmenter substantiellement le montant alloué par la France aux programmes de développement alternatif soutenus par l’ONUDC.
Recommandation n° 1 alternative de M. Antoine Léaument : porter la contribution de la France à l’ONUDC à 30 millions d’euros par an pour faire de la France le premier contributeur international, à égalité avec la Colombie.
- Adapter les mesures de contrôle aux frontières :
Recommandation n° 3 : généraliser le recours aux scanners dans les ports
Déployer des scanners dans tous les ports où les services des douanes signalent un besoin et expertiser la possibilité et l’utilité d’installer des scanners fixes dans les grands ports français sur le modèle du Havre.
Recommandation n° 4 : modifier la procédure permettant d’arraisonner des navires suspects étrangers pour faciliter le contrôle de ces navires
Renégocier le cadre juridique international applicable aux opérations d’arraisonnage des navires suspects étrangers pour permettre d’arraisonner le navire en l’absence de réponse de l’État étranger dans un délai raisonnable.
Recommandation n° 5 : décharger l’OFAST du traitement des « mules in corpore »
Libérer l’OFAST de son obligation de se saisir des enquêtes relatives aux « mules in corpore » pour laisser cet office se concentrer sur sa mission essentielle de démantèlement des réseaux et l’identification des acteurs du « haut du spectre » de la criminalité organisée.
Recommandation n° 6 : dispositif de prise en charge global des mules in corpore intégré au sein des aéroports
Au sein des aéroports particulièrement concernés par l’importation in corpore de produits stupéfiants, créer des unités médicales dédiées et intégrées permettant une prise en charge globale des passeurs par les services médicaux et les services des forces de sûreté.
- Lutter efficacement contre la corruption :
Recommandation n° 7 : accentuer la formation en matière de corruption à destination des services judiciaires et d’enquête
Renforcer les actions de formation à destination des magistrats et des services d’enquête pour mieux les sensibiliser au phénomène de la corruption en lien avec le trafic de stupéfiants.
Recommandation n° 1 de M. Ludovic Mendes : créer une circonstance aggravante de bande organisée pour les infractions de corruption d’agents privés
Aggraver le quantum des peines des infractions de corruption active et passive d’agents privés lorsque les faits sont commis en bande organisée (modification législative).
Recommandation n° 2 de M. Antoine Léaument : intégration dans le service public des fonctions exposées au risque de corruption dans les ports
Réfléchir à la réintégration dans le service public des fonctions les plus stratégiques dans les ports actuellement confiées au privé, afin d’élargir l’application possible des règles en matière de corruption sans modification pénale.
Recommandation n° 2 de M. Ludovic Mendes : étendre l’application des pouvoirs spéciaux d’enquête et de surveillance aux infractions de corruption d’agents privés
Prévoir la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête applicables en matière de criminalité organisée (à l’exclusion des dispositions en matière de garde à vue prolongée avec intervention différée de l’avocat) pour les infractions de corruption passive et active d’agents privés, en alignant le régime procédural applicable à ces infractions à celui prévu pour la corruption d’agents publics (modification législative).
Recommandation n° 8 : intégrer obligatoirement des mécanismes de prévention de la corruption au sein des plans de sûreté des ports
Définir le contenu obligatoire des plans de sûreté des ports en prévoyant d’y intégrer systématiquement des mécanismes de détection de la corruption adaptés aux risques identifiés.
Recommandation n° 9 : astreindre l’ensemble des entreprises intervenant sur les plateformes portuaires aux obligations de détection et de prévention de la corruption prévues par l’article 17 de la loi « Sapin 2 »
Étendre à l’ensemble des entreprises intervenant sur les plateformes portuaires, sans condition de respect de seuils d’effectifs ou de chiffres d’affaires, les dispositions de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 », prévoyant des obligations de détection et de prévention des faits de corruption (modification législative).
Recommandation n° 10 : créer une plateforme de signalement centralisée permettant à toute personne d’alerter sur une situation suspecte au sein d’un port
Créer un système d’alerte centralisé à l’échelle nationale offrant la possibilité à toute personne de signaler des activités suspectes au sein des ports, y compris les concernant eux-mêmes directement ou indirectement.
Recommandation n° 11 : concevoir un plan ambitieux de formation et de sensibilisation au risque de corruption à destination de l’ensemble des acteurs
Renforcer les actions de formation et de sensibilisation au risque de corruption au profit de l’ensemble des acteurs privés et publics susceptibles d’être particulièrement exposés à ce risque, en raison de leurs fonctions et des missions qu’ils exercent.
Recommandation n° 3 de M. Antoine Léaument : rendre les actions de formation contre la corruption obligatoire
Rendre les actions de formation au risque de corruption obligatoire pour les professionnels susceptibles d’être particulièrement exposés à ce risque.
Recommandation n° 12 : assurer une meilleure traçabilité des accès aux fichiers de données sensibles
Garantir la sécurisation des fichiers et traitements de données sensibles en systématisant les dispositifs permettant d’assurer la traçabilité des connexions et des accès à ces systèmes et en prévoyant des mécanismes d’alerte, éventuellement automatisés, signalant des connexions suspectes.
- Développer la politique de prévention :
Recommandation n° 4 de M. Antoine Léaument : suppression de la procédure de l’AFD
Supprimer la possibilité de recourir aux AFD pour l’usage de produits stupéfiants.
Recommandation n° 13 : Mettre un terme à la stigmatisation des consommateurs de produits stupéfiants
Cesser de stigmatiser les consommateurs dans les discours des responsables politiques comme dans les supports de prévention publics et multiplier les discours valorisant la prévention de l’entrée dans la consommation et le soin de la dépendance.
Recommandation n° 14 : encourager le développement des programmes de renforcement des compétences psychosociales et investir dans ces initiatives
Dans le cadre de la politique de prévention de la consommation de produits stupéfiants, développer les programmes de renforcement des compétences psychosociales auprès de la jeune population, notamment au sein des écoles, collèges et lycées et garantir le financement suffisant de ces derniers.
Recommandation n° 15 : construire une politique de prévention de l’usage des stupéfiants ambitieuse
Renforcer la politique de prévention de l’usage des produits stupéfiants en développant les mesures de réduction des risques et des dommages et en favorisant la prise en charge sanitaire du consommateur.
- Sur l’OFAST
Recommandation n° 16 : procéder à la mise en conformité du FAST
Prendre un acte réglementaire accompagné d’une analyse d’impact pour la protection des données pour autoriser la mise en œuvre du FAST et abroger l’arrêté relatif au FNOS.
Recommandation n° 17 : assurer un meilleur partage du renseignement au profit de l’OFAST
Renforcer les remontées des renseignements au profit de l’OFAST en assurant le caractère systématique et complet des transmissions d’informations par les différents services concourant à la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Recommandation n° 18 : consacrer le rôle de chef de file de l’OFAST
Modifier le décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 pour inscrire explicitement le rôle de chef de file de l’OFAST dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.
- Sur la gestion des sources et le renseignement criminel
Recommandation n° 19 : renforcer les dispositifs de contrôle dans la gestion des sources par les services enquêteurs
Prévoir des dispositifs internes de gestion des informateurs par les services enquêteurs pour sécuriser la transmission des renseignements obtenus dans ce cadre et mieux encadrer l’action de l’agent traitant.
Recommandation n° 20 : développer des outils informatiques d’analyse stratégique du renseignement criminel à la disposition des services concourant à la lutte contre le trafic de stupéfiants
Développer et mettre à la disposition de l’ensemble des services des outils performants en matière d’analyse du renseignement criminel sur le trafic de stupéfiants, permettant le traitement efficace et, le cas échéant, le recoupement des données recueillies en la matière, dans le respect des libertés individuelles.
- Sur les points de deal
Recommandation n° 21 : développer une approche globale de réinvestissement des quartiers dans lesquels sont implantés les points de deal
Réinvestir les quartiers dans lesquels sont implantés les points de deal en y développant une politique de la ville volontariste.
Recommandation n° 22 : remettre en place une police de proximité
Rétablir la police de proximité pour retisser un lien de confiance entre la police et la population.
Recommandation n° 23 : préciser le champ d’application du délit d’administration d’une plateforme en ligne pour permettre la cession de produits illicites
Clarifier le champ d’application du délit d’administration illicite d’une plateforme en ligne de trafic de stupéfiants, prévu à l’article 323-3-2 du code pénal, pour permettre d’appréhender l’ensemble du phénomène de vente en ligne de ces produits, y compris par le biais de comptes privés sur des réseaux sociaux ou des canaux de discussions ouvertes sur des messageries chiffrées.
- Sur le blanchiment et les saisies
Recommandation n° 24 : renforcer et revaloriser la filière des services d’enquête chargés de la délinquance financière et plus particulièrement de la lutte contre le blanchiment, notamment en garantissant une formation continue de qualité.
Recommandation n° 25 : étendre le droit de communication de Tracfin aux conseillers en gestion d’affaires, aux plateformes de domiciliation d’entreprises et aux plateformes de facturation électronique.
Recommandation n° 26 : ouvrir aux lanceurs d’alerte la possibilité de saisir directement Tracfin.
- Sur l’organisation judiciaire
Recommandation n° 27 : renoncer à créer un parquet spécialisé chargé de lutter contre la criminalité organisée et renforcer la JUNALCO.
Recommandation n° 28 : intégrer les procureurs au sein des CROSS.
Recommandation n° 29 : accroître le nombre de JIRS pour garantir un maillage territorial plus fin et y flécher des effectifs supplémentaires.
Recommandation n° 30 : renforcer les effectifs alloués aux JIRS et à la JUNALCO.
Recommandation n° 31 : renforcer l’équipe autour des magistrats des JIRS, parquet comme siège, en recrutant des assistants spécialisés, des greffiers et des attachés de justice.
Recommandation n° 32 : sécuriser les salles d’audiences et les bâtiments judiciaires.
Recommandation n° 33 : prévoir un plan d’investissement sur trois ans pour fiabiliser les logiciels utilisés par le ministère de la Justice, en particulier Sirocco et Cassiopée et rendre compatibles ces logiciels avec ceux de la police et de la gendarmerie afin d’éviter la répétition de tâches chronophages.
Recommandation n° 34 : renouveler et investir d’urgence dans les licences indispensables au travail des assistants spécialisés attachés à la section JIRS du tribunal judiciaire de Paris.
- Sur le régime des nullités
Recommandation n° 35 : prévoir que les mémoires doivent être déposés au plus tard 48 heures avant l’audience (article 198 du CPP).
Recommandation n° 3 de M. Ludovic Mendes : raccourcir le délai dans lequel peut être invoquée une nullité en le fixant à deux mois (article 173-1 du CPP).
Recommandation n° 4 de M. Ludovic Mendes : prévoir explicitement que la requête doit être transmise au juge d’instruction, à peine d’irrecevabilité.
Recommandation n° 36 : à moyen terme, réécrire le régime de nullités pour garantir une meilleure sécurité juridique dans le respect des droits des parties.
Recommandation n° 5 de M. Antoine Léaument : renforcer les effectifs des chambres de l’instruction.
- Sur le dispositif des repentis
Recommandation n° 37 : élargir le champ infractionnel du dispositif des repentis.
Recommandation n° 38 : prévoir que le juge doit spécialement motiver sa décision de ne pas accorder la réduction ou l’exemption de peine proposée.
Recommandation n° 39 : doter la CNPR d’effectifs spécifiques.
- Sur le dossier-coffre
Recommandation n° 40 : ne pas prévoir de dispositif dit de « dossier-coffre ».
- Sur l’incarcération des trafiquants
Recommandation n° 5 de M. Ludovic Mendes : allonger les délais dans lesquels se prononcent les chambres de l’instruction en matière de détention provisoire.
Recommandation n° 6 de M. Ludovic Mendes : prévoir qu’une demande de mise en liberté formulée en application de l’article 148-1 du CPP n’est recevable qu’à la condition qu’une précédente demande ne soit pas pendante (devant le juge des libertés et de la détention ou en appel devant la chambre de l’instruction).
Recommandation n° 7 de M. Ludovic Mendes : prévoir une seule voie d’entrée possible pour que les avocats déposent une demande de mise en liberté, par déclaration au greffe, et imposer un formulaire unique à compléter sous peine d’irrecevabilité.
Recommandation n° 41 : recruter des magistrats pour renforcer les effectifs des chambres de l’instruction et des juges des libertés et de la détention.
Recommandation n° 8 de M. Mendes : allonger la durée de la détention provisoire en matière de délits liés au trafic de stupéfiants à six mois.
Recommandation n° 42 : créer une plateforme dédiée au traitement de demandes de mise en liberté.
Recommandation n° 6 de M. Antoine Léaument : prévoir la mise à disposition d’agents publics pour accompagner les détenus dans l’utilisation de cette plateforme.
Recommandation n° 7 de M. Antoine Léaument : mettre en place un mécanisme de régulation pour empêcher la surpopulation carcérale et garantir la bonne application des règles au sein des établissements pénitentiaires.
Recommandation n° 9 de M. Ludovic Mendes : créer des quartiers spécialisés pour les narcotrafiquants du « haut du spectre ».
- Sur la légalisation et dépénalisation
Recommandation n° 43 : engager une démarche participative (débat public, référendum) autour de l’encadrement du cannabis permettant aux citoyens de s’informer sur le sujet et de participer à la définition des contours d’un nouveau modèle de régulation.
Recommandation n° 44 : donner comme priorités à la réforme la réduction des risques pour les consommateurs et le transfert des usagers du marché illégal vers le marché légal.
Recommandation n° 45 : s’inspirer de la réforme portugaise et dépénaliser l’usage simple de stupéfiants en y associant une politique ambitieuse de prévention de la consommation et de soin de la dépendance.
Recommandation n° 10 de M. Mendes : appliquer l’amende forfaitaire délictuelle lorsque le consommateur détient entre 3 et 6 grammes de produit.
Recommandation n° 46 : légaliser l’usage et la détention du cannabis à des fins personnelles selon un modèle étroitement régulé par l’État ou une agence spécialisée.
— 1 —
Personnes entendues et contributions écrites
Mercredi 13 novembre 2024
M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur général
Mme Caroline Janvier, rapporteure thématique
Jeudi 14 novembre 2024
M. Jérôme Durain, président
M. Étienne Blanc, rapporteur
M. Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire de Paris
Mme Sophie Aleksic, première vice-présidente coordinatrice des juges d’instruction JIRS/JUNALCO
Mme Pauline Bonnecarrère, vice-présidente, chargée de mission secteur pénal
M. Thierry Rostan, coordinateur
Mercredi 20 novembre 2024
Conseil national des barreaux (CNB)
M. Julien Brochot, membre de la commission Libertés et droits de l’Homme
Mme Nancy Ranarivelo, chargée de mission affaires publiques
Conférence des bâtonniers
M. Pierre Dunac, vice-président
Barreau de Paris
Mme Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière
Jeudi 21 novembre 2024
M. Quentin Mugg, officier de liaison
Général d'armée Hubert Bonneau, directeur général
Général de division Dominique Lambert, sous-directeur de la police judiciaire
Lieutenant-colonel Ronan Lelong, chef du bureau de la synthèse budgétaire
Vendredi 22 novembre 2024
Mme Laure Beccuau, procureure de la République
M. Éric Serfass, procureur adjoint en charge des sections JIRS
Mercredi 27 novembre 2024
M. Louis Laugier, directeur général
M. Christian Sainte, directeur national de la police judiciaire
JIRS de Lille
Mme Stéphanie Kretowicz, présidente du tribunal judiciaire de Lille
Mme Carole Étienne, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Lille
M. Grégory Abiven, premier vice-président en charge de l’instruction
Mme Virginie Girard, procureure adjointe en charge de la section JIRS
JIRS de Lyon
M. Dominique Lenfantin, président du tribunal judiciaire de Lyon
M. Thierry Dran, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon
Mme Brigitte Vernay, première vice-présidente en charge du pôle correctionnel
M. Éric Jallet, procureur adjoint chef de la JIRS
Mme Emmanuelle Jouffrey, première vice-procureure cheffe de la section criminalité organisée
M. Samuel Afchain, premier vice-procureur chef de la section JIRS éco-fi
M. Gaël Candela, vice-président en charge de l’instruction
M. Clément Retailleau, juge d’instruction
JIRS de Marseille
M. Olivier Leurent, président du tribunal judiciaire de Marseille
M. Nicolas Bessone, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille
Mme Isabelle Fort, procureure adjointe en charge de la division criminalité organisée
Mme Anais Trubuilt, vice-présidente en charge de l’instruction, coordonnatrice de la JIRS « Criminalité organisée »
Mme Isabelle Jegouzo, directrice
M. Yann Philippe, chef contrôle acteurs publics
Vendredi 29 novembre 2024
M. Denis Huber, secrétaire exécutif
Mme Samantha Cloitre-Orenstein, gestionnaire de projet senior
Mardi 3 décembre 2024
Mme Laureline Peyrefitte, directrice
Mme Vanessa Bronstein, sous-directrice de la justice pénale spécialisée
Mme Cécile Faucherre, rédactrice au pôle criminalité organisée
Mme Mathilde Barrachat, cheffe du bureau de la législation pénale spécialisée
Mercredi 4 décembre 2024
M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST
M. Hugo d’Arbois de Jubainville, adjoint à la cheffe de la cellule synthèse et coordination
Jeudi 5 décembre 2024
M. Yann Sourisseau, chef de l’OCLCO
Dr Michaël Bisch, psychiatre, vice-président de la Fédération française d’addictologie (FFA), secrétaire général du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (RESPADD)
Dr Jean-Michel Delile, psychiatre, président du conseil scientifique de la Fédération Addiction, président de l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED)
Dr William Lowenstein, médecin spécialiste des addictions, président de SOS Addictions
Mme Myriam Savy, directrice communication, animation associative et plaidoyer d’Addictions France
Mme Indra Seebarun, chargée de mission plaidoyer d’Addictions France
Mme Floriana Sipala, directrice de la sécurité intérieure
Mme Céline Chazelas-Baur, policy officer dans l’équipe crime organisé
Mme Emma Duprez, policy officer dans l’unité D5
Mme Céline Ruiz, analyste politique auprès de la Représentation de la Commission européenne en France
Mardi 21 janvier 2025
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Ministère de la Justice
Ministère de l’Économie et des Finances
Ministère de l’Intérieur
Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
Autres administrations
Agences européennes
Juridictions
Conférences nationales des chefs de juridiction
Syndicats de magistrats
Syndicats de policiers
— 1 —
Mme Laure Beccuau, procureure de la République
M. Éric Serfass, procureur adjoint en charge des sections JIRS
M. Nicolas Barret, premier vice-procureur, chef de la section de lutte contre la criminalité financière
Mme Clémence Girard, vice-procureur, adjointe au chef de la section de lutte contre la criminalité organisée
Mme Johana Brousse, vice-procureur, chef de la section de lutte contre la cybercriminalité
Mme Sandra Trochimara, maire de Cayenne
Dr Karim Hamiche, chef du service de l’unité médico-légale de l’Hôpital de Cayenne
Général Jean-Christophe Sintive, commandant de la gendarmerie de Guyane
Colonel Thierry Crampé, commandant en second la gendarmerie de Guyane
Colonel Xavier Messager, commandant de la section de recherches de Cayenne
Lieutenante-colonelle Tifenn Simon, officier adjoint de police judiciaire au sein de la gendarmerie de Guyane
M. Christophe Foissey, commissaire divisionnaire, direction territoriale de la police nationale Guyane
Lieutenant-colonel Stéphane Babel, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Laurent-du-Maroni
Capitaine Laurent Ciurariu, commandant de la brigade de recherches de la compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Laurent-du-Maroni
Commandant Thierry Verdon, chef du service territorial de la police aux frontières
Mme Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni
M. Antoine Poussier, préfet de Guyane
Mme Hélène Sigala, première vice-présidente en charge de l’intérim du président du tribunal judiciaire de Cayenne
M. Richard Marie, directeur régional des douanes de Guyane
M. José Szlowieniec, chef du service territorial de la police aux frontières de Guyane
M. Mehdi Embark, chef du service territorial de la police judiciaire de Guyane
([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
([2]) « European Drug Report 2024 – Cocaine, the current situation in Europe », publié en juin 2024 par l’EUDA.
([3]) « Un ‘record’ de 47 tonnes de cocaïne ont été saisies sur les onze premiers mois de 2024, annonce Bruno Retailleau » - article Franceinfo et AFP daté du 13 janvier 2025.
([4]) « Rapport mondial sur les drogues 2024 », publié par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.
([5]) Ibid.
([6]) Contribution du secrétariat général de la mer aux travaux des rapporteurs.
([7]) Contribution de l’OFDT aux travaux des rapporteurs.
([8]) Contribution de l’OFAST aux travaux des rapporteurs.
([9]) Contribution de la direction générale de la gendarmerie nationale aux travaux des rapporteurs.
([10]) Contribution de l’OFDT aux travaux des rapporteurs.
([11]) Ibid.
([12]) Site de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives – Synthèse des connaissances sur le cannabis (résine, herbe, huile, CBD).
([13]) Rapport mondial sur les drogues 2024 publié par l’ONUDC, précité.
([14]) « European Drug Report 2024 – Cannabis, the current situation in Europe », publié en juin 2024 par l’EUDA.
([15]) Contribution de l’OFDT aux travaux des rapporteurs.
([16]) Le delta-9-tetrahydricannabunil, principe actif du cannabis.
([17]) Contribution de la MILDECA aux travaux des rapporteurs.
([18]) « EU Drug Markets Analysis 2024 – Key insights for policy and practice » - publié par l’EUDA et Europol en 2024.
([19]) Rapport mondial sur les drogues 2023, ONUDC, Principaux points d’intérêt.
([20]) Rapport mondial sur les drogues 2024, ONUDC, précité.
([21]) Contribution de l’OFAST aux travaux des rapporteurs.
([22]) « Tendances – Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances en 2023 » - publication de l’OFDT datée de décembre 2024.
([23]) Contribution de Monsieur Yves Le Clair, magistrat de liaison en Italie, aux travaux des rapporteurs.
([24]) Rapport mondial sur les drogues 2024, ONUDC, précité.
([25]) Ibid.
([26]) Compte rendu de la commission des lois du Sénat de l’audition de M. Louis Laugier, directeur général de la police nationale, le mercredi 20 novembre 2024.
([27]) Rapport de l’ONUDC 2024 sur les drogues – Principales constatations et conclusions.
([28]) Rapport conjoint de l’EUDA et d’Europol précité.
([29]) Rapport annuel de l’EUDA sur les drogues, précité.
([30]) Rapport mondial sur les drogues 2024, ONUDC, précité.
([31]) Rapport conjoint de l’EUDA et d’Europol précité.
([32]) SIMON Alice, VALIERGUE Alice, 2021, « L’ice (méthamphétamine) en Polynésie française : une enquête de terrain sur le trafic, la consommation et les politiques publiques », Maison des Sciences de l'Homme du Pacifique (Université de la Polynésie française), rapport remis au Ministère de la Santé en charge de la prévention de la Polynésie française.
([33]) Publication de l’OFDT – « La méthamphétamine en Polynésie française, du problème social au problème public », publié en juin 2022 par Alice Simon et Alice Valiergue.
([34]) Article du Monde – « Crise des opioïdes aux États-Unis : « La quatrième vague d’overdoses est sans précédent » », publié le 19 septembre 2023 par Nathaniel Herberg.
([35]) Article du Washington Post – « From Mexican labs to U.S. streets, a lethal pipeline », publié le 12 décembre 2022.
([36]) Site du gouvernement américain Get smart about drugs.
([37]) Contribution de l’OFDT aux travaux des rapporteurs.
([38]) Contribution aux travaux des rapporteurs.
([39]) Rapport conjoint de l’EUDA et d’Europol, précité.
([40]) « Tendances – Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances en 2023 » - publication de l’OFDT datée de décembre 2024, précité.
([41]) Contribution de l’OFDT aux travaux des rapporteurs.
([42]) « Le trafic de drogue génère 2,7 milliards d’euros par an en France », article paru dans Le Monde le 30 mai 2018.
([43]) Tome II du rapport « Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic » - Comptes rendus de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.
([44]) Contribution écrite de l’OFAST à la suite de son audition du 4 décembre 2024.
([45]) Contribution de la DACG aux travaux des rapporteurs.
([46]) Contribution du groupe Pompidou aux travaux des rapporteurs.
([47]) Le groupe Pompidou (Groupe de coopération internationale du Conseil de l’Europe sur les drogues et les addictions) est la plateforme de coopération sur les politiques en matière de drogues du Conseil de l’Europe.
([48]) Notamment, les conflits en Syrie, au Liban et à Gaza.
([49]) « European Drug Report 2023 : Trends and Developments », rapport de l’EUDA publié en juin 2023.
([50]) « Afghanistan : la culture de l’opium en chute libre après son interdiction (ONUDC) » - communiqué de l’Organisation des Nations Unies en ligne daté du 6 novembre 2023.
([51]) Rapport conjoint EUDA et Europol précité.
([52]) OFDT « Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances en 2023 » - publié en décembre 2024 par Clément Gérome.
([53]) Rapport de l’OFAST « État de la menace 2023 » précité.
([54]) « European Drug Report 2024 - Synthetic stimulants, the current situation in Europe », publication de l’EUDA.
([55]) Rapport conjoint de l’EUDA et d’Europol, précité.
([56]) « Arnaques, covid et cocaïne – La chute du cartel du sucre » - Article paru dans Le Monde le 30 avril 2024, par Liselotte Mas, Simon Piel et Thomas Saintourens.
([57]) Contribution de la direction générale de la gendarmerie nationale aux travaux des rapporteurs.
([58]) « Eu Drug Markets report », précité.
([59]) « La cocaïne : un marché en essor – évolutions et tendances en France (2000-2022) » - publication de l’OFDT datée de mars 2023.
([60]) « Decoding the EU’s most threatening criminal networks » - rapport d’Europol publié en avril 2024.
([61]) Contribution d’Europol aux travaux des rapporteurs.
([62]) Comme la DACG l’a rappelé dans sa contribution écrite, les assassinats entre délinquants et leurs tentatives sont recensés à partir des critères cumulatifs suivants : la victime ou l’auteur ou le commanditaire est connu au traitement des antécédents judiciaires ou connu localement pour leur implication dans une activité criminelle organisée ; les faits doivent caractériser une intention de donner la mort à la victime ; la préméditation des faits peut être présumée ; les faits sont commis avec l’usage d’une arme à feu ou d’explosifs ; le mobile des faits n’est pas lié à un motif d’ordre privé.
([63]) Franceinfo avec AFP – « Un ado « brûlé vif », un chauffeur VTC abattu et un suspect de 14 ans : à Marseille, deux nouveaux morts sur fond de narcotrafic », publié le 6 octobre 2024.
([64]) Francebleu – « Ille-et-Vilaine : un enfant de 5 ans blessé par balle à la tête dans une course-poursuite, son pronostic vital engagé », article publié le 27 octobre 2024 par Denis Souilla et Martin Duffaut.
([65]) Franceinfo avec AFP – « Les homicides volontaires liés au trafic de drogue ont presque quadruplé en 2024 en Seine-Saint-Denis, selon le parquet de Bobigny », publié le 24 janvier 2025.
([66]) Contribution écrite de l’OFAST aux travaux des rapporteurs.
([67]) Contribution écrite de la DACG aux travaux des rapporteurs.
([68]) Contribution écrite de la JIRS de Marseille aux travaux des rapporteurs.
([69]) Contribution écrite de la MILDECA aux travaux des rapporteurs.
([70]) Article Le Monde et AFP – « Narcotrafic : le présumé chef du clan Yoda, Félix Bingui, a été mis en examen », publié le 25 janvier 2025.
([71]) Article Le Monde – « Derrière l’affaire SCH, l’ombre de la DZ Mafia : « Une ou plusieurs personnes m’en veulent en ce moment car je ne veux pas payer », publié le 25 janvier 2025 par Luc Leroux.
([72]) Contribution écrite de la DGPN aux travaux des rapporteurs.
([73]) Contribution écrite de la MILDECA aux travaux des rapporteurs.
([74]) Contribution écrite de la DGPN aux travaux des rapporteurs.
([75]) Franceinfo avec Radio France – « Narchomicides : « 42 victimes sont mortes » sur les six premiers mois de l’année 2024, annonce l’Office central de lutte contre le crime organisé », publié le 7 octobre 2024.
([76]) Franceinfo avec AFP – « Un ado « brûlé vif », un chauffeur VTC abattu et un suspect de 4 ans : à Marseille, deux nouveaux morts sur fond de narcotrafic », publié le 6 octobre 2024.
([77]) Table ronde des représentants des JIRS de Lille, Lyon et Marseille.
([78]) Estimation donnée par M. Yann Sourisseau, chef de l’OCLCO, lors de son audition par vos rapporteurs.
([79]) La Convention unique sur les stupéfiants de 1961 telle que modifiée par le protocole de 1972, et la Convention de 1971 sur les substances psychotropes comprennent des dispositions générales sur le trafic illicite de stupéfiants et l’usage illicite de drogues. La Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 se concentre quant à elle sur la mise en œuvre de mesures pour la lutte contre le trafic, et le blanchiment d’argent découlant du trafic de stupéfiants. Elle aborde également le cadre de la coopération internationale en matière pénale.
([80]) à titre d’exemple, lors de la dernière session de la commission des stupéfiants a été adoptée une résolution pour prévenir les surdoses de drogue et y répondre par des mesures de prévention, de traitement, de soins et de guérison, ainsi que par d’autres interventions de santé publique, visant à faire face aux effets néfastes de l’usage de drogues illicites, dans le cadre d’une approche équilibrée, globale et fondée sur des preuves scientifiques.
([81]) Contribution du MEAE aux travaux des rapporteurs.
([82]) Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l’Union européenne, de l’accord entre l’Union européenne et la République fédérative du Brésil sur la coopération avec l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) et la police fédérale brésilienne et par l’intermédiaire de celles-ci, datée du 18 décembre 2024, 2024/0320.
([83]) Rapport annuel 2023 d’Eurojust, publié le 26 septembre 2024.
([84]) Contribution de la MILDECA aux travaux des rapporteurs.
([85]) Article dans Le Monde – « Dubaï, la prison dorée des « narcos » », publié le 7 mai 2024 par Luc Leroux.
([86]) Contribution du membre national pour la France à Eurojust, Baudoin Thouvenot, inspecteur général des services judiciaires, aux travaux des rapporteurs.
([87]) Article de Franceinfo – « Narcotrafic : Gérald Darmanin s’est déplacé à Dubaï en début de semaine, avec une liste de 27 suspects à extrader vers la France », publié le 22 janvier 2025.
([88]) Selon les informations communiquées par l’OFDT dans sa contribution écrite.
([89]) Cette méthode d’acheminement par le vecteur routier consiste pour les trafiquants à rouler à très vive allure pour transporter les produits stupéfiants afin d’éviter les contrôles de forces de sûreté.
([90]) Comme le relève Denis Huber, secrétaire exécutif du Groupe de coopération internationale du Conseil de l’Europe sur les drogues et les addictions (Groupe Pompidou) lors de son audition du 29 novembre 2024.
([91]) Il s’agit des points de revente des produits stupéfiants.
([92]) « Ensemble des réseaux (darknets) permettant de partager de manière anonyme des données cryptées inaccessibles aux moteurs de recherche traditionnels », définition du Larousse.
([93]) Contribution écrite de l’OFDT.
([94]) Communiqué par le secrétariat général de la mer (SG Mer) dans sa contribution écrite.
([95]) Contribution écrite du secrétariat général de la mer.
([96]) Selon la Commission européenne dans le cadre de sa communication au Parlement européen sur la feuille de route de l’UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée du 18 octobre 2023.
([97]) Ibid.
([98]) Voir le I de la première partie de ce rapport.
([99]) Contribution écrite de l’OFAST.
([100]) Rapport conjoint d’Europol et du comité de pilotage de la sécurité des ports d’Anvers, de Hambourg/Bremerhaven et de Rotterdam sur les réseaux criminels dans les ports de l’UE, 30 mars 2023.
([101]) Les saisies de cocaïne ont sensiblement augmenté au Havre. Ainsi, 3,9 tonnes étaient saisies en 2020, contre 10,4 en 2022. À Marseille, 291 kg étaient saisis en 2020, contre 1, 720 tonnes en 2022. À Dunkerque en revanche, si 2, 139 tonnes ont été saisies en 2021, les saisies sont passées à 300 kg en 2022.
([102]) « La cocaïne : un marché en essor. Évolutions et tendances en France (2000-2022) », OFDT, mars 2023.
([103]) Contribution écrite du secrétariat général de la mer.
([104]) Selon le rapport conjoint d’Europol et du comité de pilotage de la sécurité des ports d’Anvers, de Hambourg/Bremerhaven et de Rotterdam sur les réseaux criminels dans les ports de l’UE, 30 mars 2023.
([105]) Par exemple, dans le Finistère plus 300 kg de cocaïne ont ainsi été saisis, les produits stupéfiants ayant été transportés jusqu’au port de Brest depuis l’Amérique du Sud (« 350 kg de cocaïne à Guipavas : la piste menait au port de Brest », article paru dans Le Télégramme, le 15 juin 2023).
([106]) Selon le secrétariat général de la mer, les ports particulièrement concernés par le transbordement de la cocaïne avant un acheminement en Europe sont notamment ceux de Mersin (Turquie) et en Afrique, ceux de Tanger Med (Maroc), Lagos (Nigéria), Durban (Afrique du Sud) et Dakar (Sénégal).
([107]) Essentiellement le dispositif d’« Air Tag » commercialisé par Apple qui permet de localiser des objets en étant couplé à une application de localisation de l’objet sur une carte depuis un téléphone iPhone.
([108]) Selon l’instruction interministérielle n° 230/SGDSN/PSE/PSN/NP du 28 juin 2022 relative à l’organisation et à la coordination de la sûreté maritime et portuaire : « conformément au décret n° 95-1232 du 22 novembre 1995, le comité interministériel de la mer (CIMer) fixe les orientations de l’action gouvernementale dans tous les domaines de l’activité maritime. Il est présidé par le Premier ministre et réunit les ministères concernés qui, à l’issue, mettent en œuvre les actions retenues. […] Pour ce qui relève de la sûreté maritime et portuaire, ces actions font plus particulièrement l’objet d’un suivi et d’une coordination par la commission interministérielle de sûreté maritime et portuaire (CISMaP). Cette commission, présidée par le cabinet du Premier ministre, réunit les ministères concernés. Son secrétariat est assuré par le SGMer, avec un ordre du jour proposé en coordination avec le SGDSN [Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale]. Elle se réunit au moins une fois par an, selon un calendrier défini par le cabinet du Premier ministre. »
([109]) L’utilisateur du scanner doit, en particulier, disposer d’une certification CAMARI qui atteste de l’aptitude au traitement de ce type d’appareil à rayon X.
([110]) Véhicules équipés d’un dispositif de détection sur bras articulé, qui permettent aux agents des douanes d’agir de façon plus autonome et plus efficace.
([111]) Il s’agit des ports suivants : Dunkerque, Le Havre, Nantes-St-Nazaire, Sète, Marseille, Guadeloupe (Jarry), Martinique (terminal de la pointe des Grives), Guyane et La Réunion.
([112]) Contribution écrite du secrétariat général de la mer.
([113]) Communication de la commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l’UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023.
([114]) Contribution écrite de la DGPN.
([115]) Contribution écrite du secrétariat général de la mer.
([116]) Ibid.
([117]) Il s’agit des ports suivants : Dunkerque, Le Havre, Nantes-St Nazaire, Sète, Marseille, Guadeloupe (Jarry), Martinique (terminal de la pointe des Grives), Guyane et La Réunion.
([118]) Contribution écrite du secrétariat général de la mer.
([119]) Déplacement des Rapporteurs en Guyane et notamment à Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni du 15 au 19 décembre 2024.
([120]) Articles R. 5332-2 à R. 5332-4 du code des transports.
([121]) Contribution écrite de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).
([122]) Notamment de la marine nationale et des douanes.
([123]) Conformément au 7 de l’article 17 de la Convention de Vienne.
([124]) Article 11 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer pour la lutte contre certaines infractions relevant de conventions internationales.
([125]) Contribution écrite du secrétariat général de la mer.
([126]) Contribution écrite d’Eurojust.
([127]) Contribution écrite de la DGGN.
([128]) Contribution écrite de la DGPN.
([129]) Contribution écrite de la DGGN.
([130]) Selon les gendarmes de la section de recherches de Cayenne entendus par vos Rapporteurs lors de leur déplacement, on dénombre environ quatre factions particulièrement actives sur le territoire guyanais, issus des mafias brésiliennes : le PCC, le CV et la FINALE.
([131]) Selon la DTPN entendue lors du déplacement de vos Rapporteurs en Guyane.
([132]) Selon les gendarmes du commandement de gendarmerie de Guyane entendus lors du déplacement de vos Rapporteurs en Guyane.
([133]) Ibid.
([134]) Article 59 du code de procédure pénale.
([135]) Selon Mme Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni et le lieutenant-colonel Stéphane Babel, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Laurent-du-Maroni.
([136]) Contribution écrite de la DGGN.
([137]) Données communiquées à vos Rapporteurs lors des auditions menées au cours de leur déplacement en Guyane, recueillies notamment auprès de la Direction territoriale de la police nationale, la Direction régionale des douanes et la compagnie de gendarmerie de Guyane.
([138]) Contribution écrite de la DGPN.
([139]) Contribution écrite de la DGGN.
([140]) Contribution écrite de l’OFAST.
([141]) Les vols à destination des Antilles sont en effet peu concernés par ce dispositif.
([142]) Selon les informations communiquées sur place à vos Rapporteurs.
([143]) Le dispositif « 100 % contrôle » repose en effet sur une compétence préfectorale et sur la mise en œuvre des pouvoirs de police administrative.
([144]) Même si vos Rapporteurs ont été sensibilisés, notamment par Mme Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni, et les magistrats rencontrés au tribunal judiciaire de Cayenne, sur le fait qu’il y avait de plus en plus fréquemment des « mules » non touchées par la pauvreté mais décidées à s’engager en tant que passeurs de produits stupéfiants par appât du gain.
([145]) « « Je suis un petit, pas une tête » : au tribunal du Mans, les convoyeurs de cocaïne à la barre », article publié dans Ouest France le 20 novembre 2023.
([146]) « En Guyane, saisie record de 1,8 tonne de cocaïne au port de commerce de Dégrad des Cannes », article paru dans Le Monde le 29 avril 2024.
([147]) « Interdit d'embarquer à Félix-Eboué, un chanteur de Trinidad-et-Tobago obtient gain de cause », article paru dans France Guyane le 8 décembre 2024.
([148]) Par exemple l’absence de tout bagage alors que la durée de séjour en Hexagone est de plusieurs jours, des réponses floues ou incohérentes sur les raisons du déplacement en Hexagone.
([149]) Selon ce qu’a notamment indiqué M. Davy Rimane lors de son audition du 21 janvier 2025.
([150]) Les « mules » in corpore transportent principalement de la cocaïne.
([151]) Chaque boulette contient généralement entre 8 à 10 g de cocaïne.
([152]) Audition du personnel médical de l’Unité médico-légale de l’hôpital de Cayenne durant le déplacement de vos Rapporteurs en Guyane.
([153]) Article 11 de la proposition de loi n° 753 rect visant à sortir la France du piège du narcotrafic présentée par Étienne Blanc et Jérôme Durain, enregistrée à la présidence du Sénat le 12 juillet 2024.
([154]) Contribution écrite de la DGPN.
([155]) Selon l’article 62-2 du CPP, la mesure de garde à vue « doit constituer l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs suivants : 1° Permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête ; 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ; 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ; 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. »
([156]) Deuxième alinéa de l’article 62-3 du CPP.
([157]) « Droit et pratique de l’instruction préparatoire », Christian Guéry, Dalloz action, 2022/23, voir notamment parag. 514.101 à 514.103.
([158]) Il y a environ dix dossiers impliquant des passeurs de produits stupéfiants par audience.
([159]) Le centre pénitentiaire de Cayenne accueille actuellement 1 100 détenus pour une capacité de 616 places. Il est annoncé la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire à Saint-Laurent-du-Maroni d’ici deux ans, cette construction ayant déjà été repoussée.
([160]) Prévu à l’article 350 du code des douanes.
([161]) Notamment la criminalité corse ou mafieuse.
([162]) Contribution écrite de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du Ministère de la justice.
([163]) Aux Pays-Bas et en Belgique, ces tentatives de déstabilisation ont notamment conduit à l’assassinat en pleine rue d’un journaliste qui enquêtait sur un réseau, de l’avocat d’un repenti, du frère d’un repenti, outre des menaces sérieuses sur un premier ministre, un membre de la famille royale et la tentative d’enlèvement du ministre de la justice belge.
([164]) Audition de M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST du 4 décembre 2024.
([165]) « Corruption et trafic d'influence », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Wilfrid Jeandidier, janvier 2018 (actualisation : mai 2024), parag. 9.
([166]) Il s’agit de personnes dépositaires de l’autorité publique, chargée de mission de service public ou investies d’un mandat électif public (1° de l’article 432-11 du code pénal).
([167]) Il s’agit des magistrats, jurés, personnes siégeant dans une formation juridictionnelle, fonctionnaires au greffe, experts, personnes chargées d'une mission de conciliation ou de médiation ou arbitres (1° à 5° de l’article 434-9 du code pénal).
([168]) L’article 435-1 du code pénal prévoit la corruption passive d’agents publics étrangers ou internationaux et l’article 435-7 du même code sanctionne la corruption passive d’agents de justice internationaux.
([169]) Pour la corruption active publique, les infractions sont prévues aux articles 433-1 (agent public), 434-9, al.6 (agent de justice), 435-3 (agent public international), 435-9 (agent de justice international).
([170]) Ce sont toutes les personnes qui ne rentrent pas dans les catégories d’agents publics (article 445-2 du code pénal). L’article 445-2-1 du code pénal sanctionne ces faits lorsqu’ils sont commis dans le cadre de paris sportifs.
([171]) L’article 445-1 réprime la corruption active sur un agent privé et l’article 445-1-1 réprime ces faits lorsqu’ils ont lieu dans le cadre de paris sportifs.
([172]) Le dernier alinéa de l’article 434-9 du code pénal aggrave cependant ces peines à 15 ans de réclusion criminelle et 225 000 euros d’amende lorsque les faits de corruption publique sont commis par un magistrat au bénéfice ou au détriment d’une personne faisant l’objet de poursuites criminelles.
([173]) Toutefois, la corruption passive d'agent de justice peut être aggravée lorsqu'elle est commise par un magistrat au bénéfice ou au détriment d'une personne faisant l'objet de poursuites criminelles. L’infraction devient alors criminelle et est punie de 15 ans de réclusion criminelle et 225 000 euros d'amende (article 434-9 du code pénal).
([174]) Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, rendue sur la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
([175]) « Note d’analyse : décisions de justice de première instance en matière d’atteinte à la probité 2021-2022 », AFA, 2024.
([176]) Audition de Mme Isabelle Jegouzo, directrice de l’AFA, du 27 novembre 2024 et contribution écrite de l’AFA.
([177]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Paris, du 22 novembre 2024.
([178]) Contribution écrite de la DACG.
([179]) La direction des affaires criminelles et des grâces évoque ainsi, à titre d’exemple, le fait que la preuve du pacte de corruption est souvent exigée par les juges alors même qu’elle n’est pas un élément constitutif de l’infraction.
([180]) Contribution écrite de l’AFA.
([181]) Contribution écrite de la DACG.
([182]) Voir supra l’encadré présentant les infractions de corruption et leur régime procédural.
([183]) Comme cela est prévu au 3° de l’article 706-73 du CPP.
([184]) Décision du Conseil constitutionnel n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 qui a fixé le cadre constitutionnel applicable à ces techniques spéciales d’enquête : « […] si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations injustifiées » (cons. 6).
([185]) Ces critères sont notamment ceux retenues par le Conseil constitutionnel pour apprécier le caractère proportionné des atteintes au respect de la vie privée et au droit de propriété résultant de la mise en œuvre des TSE au regard du but légitime poursuivi. Dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil a ainsi précisé que « si une infraction d’une particulière gravité et complexité est de nature à justifier le recours [aux TSE], tel n’est pas nécessairement le cas d’infractions ne présentant pas ces caractères » (parag. 143).
([186]) Il s’agit d’un dispositif de proximité imitant le fonctionnement d’une antenne relais, permettant soit d’identifier ou de localiser un équipement terminal et le numéro d’abonnement de son utilisation, soit d’intercepter des communications.
([187]) Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, cons. 77 : « […] les infractions énumérées par l'article 706-1-1, de corruption et de trafic d'influence ainsi que de fraude fiscale et douanière, constituent des délits qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; qu'en permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l'article 706-88 du code de procédure pénale au cours des enquêtes ou des instructions portant sur ces délits, le législateur a permis qu'il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi […] ».
([188]) Audition de Mme Isabelle Jegouzo, directrice de l’AFA, du 27 novembre 2024.
([189]) Audition de M. Christian de Rocquiny, chef adjoint de l’OFAST du 4 décembre 2024.
([190]) Voir infra.
([191]) Contribution écrite de l’OFAST.
([192]) Contribution écrite de l’AFA.
([193]) Ibid.
([194]) Ce service étant rémunéré à hauteur de 100 000 euros (audition de M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST du 4 décembre 2024.)
([195]) Contribution écrite de l’AFA.
([196]) Article L.5332-9 du code des transports.
([197]) Article L. 5332-7 du code des transports.
([198]) Article R. 5332-19 du code des transports.
([199]) Article R. 5332-22 du code des transports.
([200]) Contribution écrite de l’AFA.
([201]) L‘article 17 de la loi « Sapin 2 » s’applique aux sociétés ou groupes ayant leur siège social en France comprenant au moins 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros. Voir sur ce point le rapport n° 3785 fait au nom de la commission des Lois par M. Sébastien Denaja (XIVème législature).
([202]) Articles R. 5332-30 et suivants du code des transports.
([203]) Articles L. 5332-16 à L. 5332-18 du code des transports.
([204]) Contribution écrite du Secrétariat général de la mer.
([205]) Contribution écrite de l’AFA.
([206]) Accessible depuis le lien suivant : https://portwatch.be/fr.
([207]) Article 22 de la proposition de loi n° 753 rect visant à sortir la France du piège du narcotrafic présentée par Étienne Blanc et Jérôme Durain, enregistrée à la présidence du Sénat le 12 juillet 2024.
([208]) Comme l’a évoqué M. Denis Huber, secrétaire exécutif du Groupe de coopération internationale du Conseil de l’Europe sur les drogues et les addictions (Groupe Pompidou) lors de son audition du 29 novembre 2024.
([209]) Dans sa contribution écrite, l’AFA cite notamment à titre d’exemples l’administration pénitentiaire, les services des douanes, de police, de gendarmerie, la justice ou encore les préfectures.
([210]) Est notamment cité en exemple par l’AFA dans sa contribution écrite le système d’information Cassiopée.
([211]) Par exemple, l’AFA cite le fichier des personnes recherchées (FPR) ou le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ).
([212]) « Note d’analyse : décisions de justice de première instance en matière d’atteinte à la probité 2021-2022 », AFA, 2024.
([213]) Contribution écrite de l’AFA.
([214]) Audition de M. Olivier Leurent, président du tribunal judiciaire de Marseille, du 27 novembre 2024.
([215]) Contribution écrite de l’AFA.
([216]) Audition de M. Quentin Mugg, officier de liaison à Europol, du 21 novembre 2024
([217]) Les dispositions de cette loi ont été codifiées au sein du code de la santé publique par l’ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de la santé publique.
([218]) « Droit de drogue », Francis Caballero et Yann Bisiou, Dalloz, 2000.
([219]) « Deux siècles de politiques publiques des drogues », Yann Bisiou, Psychotropes, vol.22, n° 2, 2016.
([220]) « Genèse et évolution de la législation relative aux stupéfiants sous la troisième République », Igor Charras, Déviance et Société, vol. 22, n° 4, 1998, p. 371.
([221]) « De la morphinée à la junkie : les visages de la droguée », Jean-Jacques Yvorel, Crimocorpus, 2018.
([222]) Rapport d’information déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la lutte contre l’usage de substances illicites, Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Marcangeli, 20 novembre 2014, p. 19.
([223]) Décision n° 2021-960 QPC du 7 janvier 2022, Association française des producteurs de cannabinoïdes, parag. 17.
([224]) L’article R. 5132-74 du CSP interdit, à moins d’autorisation expresse, la production, y compris la culture, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi et, d’une manière générale, les opérations agricoles, artisanales, commerciales et industrielles relatifs aux substances ou préparations, et plantes ou parties de plantes classées comme stupéfiants en application de l’arrêté du 20 février 1990.
([225]) Dernier alinéa de l’article L. 3421-1 du CSP.
([226]) Article 495-17 du code de procédure pénale (CPP).
([228]) Notamment parce que le délit a été commis par un mineur ou qu’il est aggravé par la qualité de son auteur, comme le prévoit l’article L. 3421-1 du CSP.
([229]) « Lumière sur la procédure d’amende forfaitaire délictuelle », Angéline Coste, Dalloz
([230]) À titre d’exemple, il est évoqué le cas de l'organisation de rave party, nécessitant de délivrer rapidement un grand nombre de réponses pénales.
([231]) Contribution écrite de la DACG.
([232]) Ibid.
([233]) Contribution écrite de la DGPN.
([234]) La DGGN indique dans sa contribution écrite qu’en 2023, 46 339 AFD en matière d’usage de stupéfiants ont été dressées par les gendarmes. Au premier semestre 2024, ce chiffre s’élevait à 35 500 AFD.
([235]) Contribution écrite de la MILDECA.
([236]) Contribution écrite de l’OFAST.
([237]) Contribution écrite de la DGPN.
([238]) Contribution écrite de l’ANTAI.
([239]) La notion de « réponse pénale » inclut ici les poursuites exercées et les alternatives aux poursuites prononcées.
([240]) Cette procédure étant inapplicable aux mineurs.
([241]) Article 41-2 17° du code de procédure pénale.
([242]) Contribution écrite de la MILDECA.
([243]) Article 41-1 2° du code de procédure pénale.
([244]) Contribution écrite de la DACG.
([245]) Ibid.
([246]) Contribution écrite de l’association Addictions France.
([247]) Contribution écrite de la DGPN.
([248]) « Cinquante ans de réponse pénale à l'usage de stupéfiants (1970-2020) », Ivana Obradovic, Tendances n° 144, OFDT, 2021.
([249]) Contribution écrite de l’OFDT.
([250]) Voir supra.
([251]) Le montant forfaitaire pour l’AFD en matière d’usage de stupéfiants est de 200 euros, réduit à 150 euros au tarif minoré (lorsque l’AFD est payée dans un délai de 15 jours porté à 30 jours en cas de paiement par carte bancaire ou auprès d’un buraliste ou d’un partenaire agrée). Au-delà de ces délais, l’AFD est majorée au montant de 450 euros réduit à 360 euros si l’AFD majorée est payée dans les 30 jours suivants sa majoration.
([252]) Contribution écrite de la DGGN.
([253]) La méthode de calcul n’est cependant pas expliquée dans la contribution écrite de l’ANTAI.
([254]) Les données chiffrées ont été communiquées en janvier 2024.
([255]) Contribution écrite de la DACG citant le Rapport relatif à l’amélioration du recouvrement des amendes forfaitaires délictuelles réalisé conjointement par l’IGF, l’IGA et l’IGJ rendu en mars 2022.
([256]) Contribution écrite de la DGFIP.
([257]) Contribution écrite du tribunal judiciaire de Marseille.
([258]) Les premières juridictions résolutives de problèmes (problem solving courts en anglais) ont été créées aux États-Unis à la fin des années 1980. Il s’agit de cibler l’action sur les vulnérabilités des personnes, afin de prévenir la récidive en garantissant une procédure judiciaire humaine et accompagnante.
([259]) Contribution écrite de l’OFDT.
([260]) L’expérimentation correspond à un usage au moins de la substance concernée au cours de la vie, cet indicateur servant principalement à mesurer la diffusion d’un produit dans la population.
([261]) Le coût social des drogues mesure le coût monétaire des conséquences de la consommation et du trafic des drogues durant une année moyenne de la décennie. Il est composé du coût externe (valeur des vies humaines perdues, perte de la qualité de vie, pertes de production) et du coût pour les finances publiques (dépenses de prévention, répression et soins, économie de retraites non versées, et recettes des taxes prélevées sur l’alcool et le tabac). « Le coût social des drogues : estimation en France en 2019 », OFDT, 2023.
([262]) Contribution écrite de l’OFDT, les données datent de décembre 2024.
([263]) L’expérimentation correspond à au moins un usage au cours de la vie.
([264]) Pour la consommation des 15 à 64 ans (la France étant ex aequo dans le classement avec l’Espagne). S’agissant du classement des pays de l’Union européenne au regard des volumes de saisies de la résine et de l’herbe de cannabis, la France se situe au 2ème rang, loin derrière l’Espagne (contribution écrite de l’OFDT).
([265]) Pour la consommation des 15 à 64 ans, la France se situant derrière les Pays-Bas, l’Espagne, l’Irlande, le Danemark et la Croatie (classée ex aequo avec la Finlande et l’Allemagne), contribution écrite de l’OFDT.
([266]) « Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances en 2023 », Tendances n° 166, OFDT, décembre 2024.
([267]) « Il s’agit de la forme solide et fumable du produit obtenue à l’issue d’une transformation (basage) de la cocaïne chlorhydrate, par l’adjonction d’un composé basique, le bicarbonate de sodium ou de l’ammoniaque. La cocaïne basée peut prendre les appellations de « free base », de « base » ou encore de « crack ». » ibid.
([268]) Elle se situe dans ce classement loin derrière les Pays-Bas, la République tchèque ou la Belgique (contribution écrite de l’OFDT).
([269]) Contribution écrite de l’OFDT.
([270]) Proposition de loi n° 580 visant à restreindre la vente de protoxyde d’azote aux seuls professionnels et à renforcer les actions de prévention sur les consommations détournées déposée le mardi 19 novembre 2024.
([271]) Système d’identification national des toxiques et des substances qui procède à des analyses toxicologiques des produits.
([273]) Contribution écrite de la MILDECA.
([274]) « Les usages de substances psychoactives chez les collégiens et lycéens résultats ENCLASS 2022 », OFDT, janvier 2024.
([275]) Contribution écrite de l’OFDT.
([276]) En particulier dans les années 1990.
([277]) Les unités urbaines regroupant entre 2 000 et 200 000 habitants. Il est également observé une consommation plus fréquente des drogues illicites dans ces petites et moyennes villes parmi les jeunes : 4,5 % des jeunes résidant dans une agglomération de 20 000 à 199 999 habitants, et 4,3 % de ceux qui résident dans une agglomération de 2 000 à 19 999 habitants ont expérimenté au moins un produit stupéfiant, tandis que ces niveaux sont respectivement de 3,2 % parmi les jeunes en milieu rural et 3,5 % parmi ceux qui résident dans une agglomération d’au moins 200 000 habitants (« Les drogues à 17 ans, analyses régionales, enquête ESCAPAD 2022 », OFDT, février 2024.
([278]) Contribution écrite de l’OFDT.
([279]) « Les consommations de drogues en prison : résultats de l’enquête ESSPRI 2023 », Tendances, OFDT, mai 2024.
([280]) Contribution écrite de l’OFDT.
([281]) Contribution écrite de la DGGN.
([282]) Il en existe 101 sur le territoire.
([283]) Selon la DGGN, plus de 620 gendarmes sont formateurs anti-drogue (FRAD) et aident à mieux dialoguer avec les toxicomanes, forment leurs homologues à la connaissance des produits stupéfiants et les appuient en matière d’établissement de procédures judiciaires afférentes (contribution écrite de la DGGN).
([284]) Il en existe 581 (contribution écrite de la DGPN).
([285]) Ils sont 269.
([286]) Il y en a 31.
([287]) Audition de professionnels de la santé et d’associations spécialisés dans la prise en charge des addictions au cours d’une table ronde le 5 décembre 2024.
([288]) Voir infra, audition de professionnels de la santé et d’associations spécialisés dans la prise en charge des addictions au cours d’une table ronde le 5 décembre 2024.
([289]) Contribution écrite de l’OFAST.
([290]) « Drogues : un rapport des inspections valide l’expérimentation des « salles de shoot » », article publié dans Le Monde le 18 novembre 2024
([291]) Rendu accessible en ligne : voir notamment l’article de la Fédération addiction sur le sujet, publié le 16 décembre 2024.
([292]) Voir l’article publié par l’association Addictions France commentant le rapport rendu par l’IGA et l’IGAS intitulé « Halte soins addiction (HSA) : Bruno Retailleau face à l’expertise ».
([293]) « Drogues : un rapport des inspections valide l’expérimentation des « salles de shoot » », article publié dans Le Monde le 18 novembre 2024
([294]) « Les consommations de drogues en prison : résultats de l’enquête ESSPRI 2023 », Tendances, OFDT, mai 2024.
([295]) Contribution écrite de la DAP. Au total, sept actions sur 34 sont consacrées aux addictions.
([296]) Contribution écrite de la MILDECA.
([297]) Jusqu’à 16 détenus peuvent être pris en charge.
([298]) « L’unité de réhabilitation pour usagers de drogues du Centre de détention de Neuvic : bilan de fonctionnement septembre 2017-juin 2018 », OFDT, 2018.
([299]) « Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances en 2023 », Tendances n° 166, OFDT, décembre 2024.
([300]) Ibid.
([301]) Audition du Groupe de coopération internationale du Conseil de l’Europe sur les drogues et les addictions (Groupe Pompidou) du 29 novembre 2024.
([302]) Contribution écrite de la MILDECA et audition de professionnels de la santé et d’associations spécialisés dans la prise en charge des addictions au cours d’une table ronde le 5 décembre 2024.
([303]) Notamment durant les cent premiers jours de vie du nourrisson.
([304]) Contribution écrite de la MILDECA.
([305]) Cette feuille de route a été publiée en novembre 2023.
([306]) Audition de professionnels de la santé et d’associations spécialisés dans la prise en charge des addictions au cours d’une table ronde le 5 décembre 2024.
([307]) Consultable en ligne : https://www.drogues.gouv.fr/prevenir-la-participation-des-jeunes-aux-trafics-de-stupefiants-un-referentiel-pour-guider-laction.
([308]) Chenôve (21), Dijon (21), Saint-Brieuc (22), Le Bouscat (33), Rennes (35), Nantes (44), Saint-Jean-de-Braye (45), Metz (57), Communauté d’Agglomération Creil Sud Oise (60), Villeurbanne (69), Albertville (73), Communauté de Communes Haut-Val-de-Sèvre (79), Communauté d’Agglomération Lubéron Mont du Vaucluse (84), Communauté d’Agglomération Ventoux Comtat Venaissin (84), Communauté d’Agglomération Centre Littoral (973).
([309]) Contribution écrite du tribunal judiciaire de Marseille.
([310]) Comme le souligne M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, lors de son audition du 4 décembre 2024.
([311]) Comme l’a souligné la DGPN notamment dans sa contribution écrite, les organisations criminelles n’hésitent pas à mettre en scène l’usage de la violence. C’est ainsi que « des sévices, accompagnés de simulacres d’exécution, sont parfois filmés et transmis aux contacts de la victime par les auteurs participant d’une politique de terreur et d’intimidation. »
([312]) Contribution écrite de l’OFAST, citant les chiffres de l’OCLCO.
([313]) Relayés par la DACG dans la contribution écrite remise à vos Rapporteurs.
([314]) Les assassinats entre délinquants et leurs tentatives sont recensés par la DNPJ depuis 2021 à partir des critères cumulatifs suivants : la victime ou l’auteur ou le commanditaire est connu au traitement des antécédents judiciaires ou connu localement (à titre de renseignement) pour leur implication dans une activité criminelle organisée ; les faits doivent caractériser une intention de donner la mort à la victime ; la préméditation des faits peut être présumée ; les faits sont commis avec l’usage d’une arme à feu ou d’explosifs ; le mobile des faits n’est pas lié à un motif d’ordre privé.
([315]) Chiffre communiqué par le parquet général d’Aix-en-Provence à la DACG le 15 mars 2024 dans le cadre du dialogue de gestion dédié aux juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) (contribution écrite de la DACG).
([316]) Contribution écrite de la DACG.
([317]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », rapport d’observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([318]) Voir infra.
([319]) Pour un exemple de la diffusion de procédés violents, voir supra (au 3 du A du II de la première partie de ce rapport) la présentation de l’influence des factions criminelles d’origine brésilienne dans la structuration des groupes se livrant au trafic de stupéfiants en Guyane.
([320]) Audition de M. Yann Sourisseau, chef de l’OCLCO, du 5 décembre 2024.
([321]) Contribution écrite de la DACG.
([322]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([323]) Audition de M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, du 4 décembre 2024.
([324]) Décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 portant création du service à compétence nationale dénommé Office anti-stupéfiants.
([325]) Comme l’OFAST l’indique dans sa contribution écrite, un projet de plan remanié est en cours de validation.
([326]) L’ancien responsable a été acquitté dans l’un des dossiers dans lesquels il était mis en cause (poursuivi pour faux et destruction de preuves) et en attente de jugement pour un autre (pour lequel il est poursuivi de complicité de trafic de stupéfiants) : « Accusé d’avoir favorisé un informateur, l’ancien patron des stups […] acquitté », article paru dans le journal Le Monde, 27 septembre 2024.
([327]) Le premier cercle regroupe la Direction générale de la sécurité intérieure, la Direction générale de la sécurité extérieure, la Direction du renseignement militaire, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, TRACFIN et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières. Les services relevant du second cercle disposent d’un recours aux techniques de renseignement restreint et strictement proportionnel aux finalités qu’ils poursuivent. Ces techniques de renseignements sont prévues aux articles L. 811-2 et L. 811-4 du code de la sécurité intérieure (CSI) : accès aux données de connexion en temps différé, géolocalisation en temps réel, balisage, recueil de données de connexion par IMSI catcher, interception de sécurité et à la captation de paroles et d’images.
([328]) Déployées au plus près des territoires, les CROSS permettent de faire travailler de concert les acteurs locaux de la lutte contre les trafics (contribution écrite de l’OFAST).
([329]) Une première version de ce document a été diffusée par l’OFAST en 2021. La version actualisée de l’état de la menace pour 2023 a été publiée au début de l’année 2024 (contribution écrite de l’OFAST).
([330]) Avis n° 341 fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi (n° 273) de finances pour 2023, tome VII Sécurités, par M. Thomas Rudigoz, 17 octobre 2022 et « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », rapport d’observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([331]) Cette vacance de postes concerne notamment 20 postes de policiers et 8 de gendarmes.
([332]) Contribution écrite de l’OFAST.
([333]) L’appellation FAST remplace celle de « Fichier national des objectifs en matière de stupéfiants » (FNOS) (lui-même créé par l’arrêté du 11 juillet 2012 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Fichier national des objectifs en matière de stupéfiants » (FNOS)).
([334]) Le système est déclenché par le « hit » c’est-à-dire la correspondance avec une fiche existante déterminée grâce à un système de recoupement informatique automatique.
([335]) Dans son rapport, la Cour des comptes indique ainsi : « si le FNOS a bien été autorisé par l’arrêté du 11 juillet 2012, il n’a pas été modifié à la suite de l’entrée en vigueur de la réglementation européenne relative au droit des données à caractère personnel. Quant au FAST, il semble ne disposer d’aucune existence légale. » (« L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024, p. 61).
([336]) Ibid.
([337]) Entre 20 et 25 % du contentieux relatif au trafic de stupéfiants revient à la gendarmerie (contribution écrite de la DGGN).
([338]) Contribution écrite de la DGPN. Par comparaison, en 2021, seules 12 cibles prioritaires étaient visées par les investigations menées par l’OFAST.
([339]) Audition de M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, du 4 décembre 2024.
([340]) Ce terme tiré du wolof, la langue nigéro-congolaise communément parlée au Sénégal, désigne ces revendeurs de rue (voir notamment « Usages et ventes de crack à Paris, un état des lieux 2012-201 », OFDT, Grégory Pfau et Agnès Cadet-Taïrou, mars 2018).
([341]) Ces trafiquants, qui font partie des cibles d’intérêt prioritaire, dirigent d‘ailleurs bien souvent leurs réseaux depuis leur lieu de résidence à l’étranger, notamment Dubaï (contribution écrite de la DGPN).
([342]) Il s’agit d’une organisation mafieuse marocaine dont l’activité est principalement le trafic de cocaïne et de drogues de synthèse, qui serait majoritairement implantée aux Pays-Bas et en Belgique.
([343]) Il s’agit d’une organisation mafieuse originaire de la région de Calabre en Italie.
([344]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([345]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([346]) Contribution écrite de l’OFAST : contre 5 dossiers en co-saisine avec la gendarmerie pour les années 2021 et 2022.
([347]) C’est notamment le cas de l’Union syndicale des magistrats, du Syndicat de la magistrature ou encore d’Unité magistrats, qui tous évoquent ces craintes dans leurs contributions écrites.
([348]) La réforme de la police nationale a conduit au replacement des directions spécialisées par de nouvelles directions départementales au sein desquelles cohabitent les anciennes sécurité publique, police judiciaire, police aux frontières et renseignement territorial. Tous ces services sont désormais placés sous un commandement unique, exercé par le Directeur départemental de la police nationale.
([349]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([350]) Ces renseignements ont ainsi permis la saisie de 1,656 tonne de cocaïne, de 437 kg de résine de cannabis, de 284 kg d’herbe de cannabis, et l’interpellation de 11 mis en cause (contribution écrite de l’OFAST).
([351]) Article 1er de la proposition de loi n° 753 rect. visant à sortir la France du piège du narcotrafic présentée par Étienne Blanc et Jérôme Durain, enregistrée à la présidence du Sénat le 12 juillet 2024.
([352]) Décret n° 2022-501 du 6 avril 2022 modifiant le décret n° 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l'organisation de la direction générale de la sécurité intérieure.
([353]) Article 1er de la proposition de loi n° 753 rect visant à sortir la France du piège du narcotrafic présentée par Étienne Blanc et Jérôme Durain, enregistrée à la présidence du Sénat le 12 juillet 2024.
([354]) Comme ils l’ont souligné dans leurs contributions écrites respectives.
([355]) Voir infra sur la JUNALCO.
([356]) Les crimes et délits de trafic de stupéfiants sont en effet mentionnés parmi les infractions figurant dans la liste prévue à l’article 706-73 du code de procédure pénale (CPP) et bénéficient donc d’un régime procédural particulier appliqué à la criminalité organisée et prévu au titre XXV du livre IV du CPP.
([357]) Prévue par les articles 706-96 à 706-98 du CPP.
([358]) Article 706-95-20 du CPP.
([359]) Articles 706-102-1 à 706-102-5 du CPP.
([360]) Articles 706-80 à 706-80-1 du CPP.
([361]) Article 706-80-2 du CPP.
([362]) Article 230-46 du CPP.
([363]) Article 706-32 du CPP.
([364]) Notamment l’OFAST, la DGPN, la DGGN et la DLPAJ par le biais de leurs contributions écrites.
([366]) Article 230-34-1 du CPP.
([367]) Ainsi qu’à l’article 67 bis II du code des douanes qui duplique ces dispositions pour les agents des douanes infiltrés.
([368]) La liste limitative des actes autorisés dans le cadre d’une opération d’infiltration est prévue à l’article 706-82 du CPP.
([369]) Conformément à l’article D. 15-1-1 du CPP.
([370]) Article D. 15-1-3 du CPP.
([371]) Les faits sont sanctionnés par les articles 706-84 du CPP et 67 bis V. du code des douanes. Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende lorsque cette révélation a causé des violences à l'encontre des agents infiltrés ou de leur famille et à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende lorsque cette révélation a causé la mort de ces personnes ou de leur famille.
([372]) Contribution écrite du SIAT.
([373]) Ces opérations ont permis l’interpellation de 15 personnes suspectes d’être impliquées dans le trafic (contribution écrite du SIAT).
([374]) Le SIAT fournit dans sa contribution écrite des exemples de ces évènements qui peuvent aller de l’interpellation fortuite des individus visés, au changement de projet criminel ou de mode opératoire.
([375]) Voir infra à propos des informateurs.
([376]) Voir infra au sujet du dossier coffre.
([377]) L’article 15-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité dispose ainsi que « les services de police et de gendarmerie ainsi que les agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l’article 28-1 du code de procédure pénale peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l’identification des auteurs de crimes ou de délits. »
([378]) Contribution écrite de la préfecture de police de Paris.
([379]) Contribution écrite de l’OFAST.
([380]) Contribution écrite du SIAT.
([381]) « Les moyens affectés aux missions de police judiciaire », observations définitives de la Cour des comptes, exercice 2017-2022.
([382]) Contribution écrite de la DGGN.
([383]) Ces modalités sont précisées par la DGGN dans sa contribution écrite : les unités de recherches formulent vers l’échelon central une demande de rémunération d’un informateur. Le sous-directeur de la police judiciaire ou le sous-directeur de l’anticipation opérationnelle arrête le montant et autorise l’emploi des fonds et désigne un officier contrôleur, habilité à recevoir les fonds. La régie d’avances reçoit les fonds et les verse à l’officier contrôleur qui perçoit les fonds auprès de la régie et procède à la rémunération de l’informateur.
([384]) Voir supra l’encadré sur l’échec de l’OCRTIS.
([385]) Article 19 de la proposition de loi n° 753 rect visant à sortir la France du piège du narcotrafic présentée par Étienne Blanc et Jérôme Durain, enregistrée à la présidence du Sénat le 12 juillet 2024.
([386]) Contribution écrite de l’OFAST.
([387]) Voir infra sur le contentieux des nullités.
([388]) Contribution écrite de la DACG.
([389]) Contribution écrite de TRACFIN.
([390]) Contribution écrite de l’OFAST.
([391]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », rapport d’observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([392]) Contribution écrite du SIRASCO.
([393]) Chiffre consolidé au 31 octobre 2024.
([394]) Contribution écrite du SIRASCO.
([395]) Contribution écrite de la DGPN.
([396]) Voir infra.
([397]) Contribution écrite de l’OFAST.
([398]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », rapport d’observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([399]) Selon la préfecture de police de Paris la revente de produits stupéfiants depuis un point de deal est un phénomène qui concerne principalement le nord-est parisien (notamment les 10ème, 18ème, 19ème et 20ème arrondissements). L’opération « place nette XXL » concernait principalement ces arrondissements et plusieurs communes des départements de Seine-Saint-Denis et de Hauts-de-Seine.
([400]) 277 de ces interpellations ont été conduites dans le cadre d’enquêtes judiciaires et 756 à la suite de flagrants délits constatés dans le cadre des opérations de voie publique.
([401]) Ainsi, ces opérations ont permis de saisir 7 grammes de cannabis par agent mobilisé, 0,5 gramme de cocaïne, 0,03 gramme de crack et 0,06 gramme de drogues de synthèse.
([402]) Contribution écrite du tribunal judiciaire de Marseille, données mises à jour au 25 novembre 2024.
([403]) Le tribunal judiciaire de Marseille relève dans sa contribution écrite que la plupart de ces points de deal sont implantés dans les « quartiers nord » de l’agglomération ou de la ville de Marseille.
([404]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », rapport d’observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([405]) Audition de M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, du 4 décembre 2024. Ce chiffre peut être mis en comparaison avec le nombre de points de deal recensés sur le territoire en 2020 qui s’élevait alors à 4 034.
([406]) Audition de M. Louis Laugier, direction générale de la police nationale, du 27 novembre 2024.
([407]) Contribution écrite de la DGGN.
([408]) Audition de M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, du 4 décembre 2024.
([409]) Ces petits services sont effectués en échange de sommes sans commune mesure avec le service rendu. Par exemple, il peut s’agir d’acheter une canette de soda dans une supérette en échange d’une cinquantaine d’euros.
([410]) Contribution écrite de la DGPN.
([411]) Contribution écrite du tribunal judiciaire de Marseille.
([412]) « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([413]) Ibid.
([414]) Audition de M. Christian de Rocquigny, chef adjoint de l’OFAST, du 4 décembre 2024.
([415]) Contribution écrite de la préfecture de police de Paris.
([416]) Contribution écrite de la MILDECA.
([417]) Article 24 de la proposition de loi n° 753 rect visant à sortir la France du piège du narcotrafic présentée par Étienne Blanc et Jérôme Durain, enregistrée à la présidence du Sénat le 12 juillet 2024.
([418]) Voir supra et notamment au sein de la première partie de ce rapport les développements relatifs aux mutations des routes d’importation et des méthodes de revente (1 du A du II).
([419]) Contribution écrite de la DGPN qui estime que cette pénurie est intervenue après environ dix jours de confinement.
([420]) Ibid.
([421]) Contribution écrite du tribunal judiciaire de Marseille.
([422]) Contribution écrite de la DGPN.
([423]) Le signalement s’effectue depuis le portail en ligne sur le site www.internet-signalement.gouv.fr (contribution écrite de l’OFAC).
([424]) Plus précisément le pôle de détection des menaces cyber qui est composé de PHAROS.
([425]) Contribution écrite de l’OFAST.
([426]) Il s’agit d’un « réseau privé qui assure l’anonymat, la confidentialité et la sécurité des informations échangées en ligne, par leur circulation chiffrée à l’intérieur d’un réseau public » (définition du Larousse). L’utilisation d’un VPN a concrètement pour effet d’empêcher la traçabilité de l’adresse IP.
([427]) Voir supra pour la présentation de cette technique d’enquête.
([428]) Contribution écrite du tribunal judiciaire de Marseille.
([429]) Recommandation n° 6, « L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », rapport d’observations définitives de la Cour des comptes, 27 novembre 2024.
([430]) Contribution écrite de l’OFAC.
([431]) Article 4 de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
([432]) Le délit est puni de cinq d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, les peines étant portées à 10 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende lorsqu’il est commis en bande organisée.
([433]) Auparavant le délit s’appliquait uniquement à l’« opérateur de plateforme en ligne mentionné à l'article L. 111-7 du code de la consommation ». L’infraction a été modifiée par la loi du 21 mai 2024 portant adaptation du droit français au règlement européen sur les services numériques (RSN), dit « Digital Services Act » (DSA). Cette modification permet de réprimer désormais le fournisseur de service de plateforme en ligne en renvoyant à la définition prévue à l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN). Selon la DACG, l’intérêt de cette modification est d’étendre le champ de l’infraction pour la rendre applicable notamment aux éditeurs non professionnels de telles plateformes.
([434]) Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.
([435]) Contribution écrite de la DACG.
([436]) La DACG cite notamment en exemple deux décisions : l’une de la 13ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris qui, par jugement du 16 septembre 2024, a requalifié l’infraction, en estimant que les éléments de la procédure ne démontraient pas que le prévenu avait fourni un service intermédiaire mettant en relation un acheteur et un vendeur, ou qu’il ait restreint l’accès à son groupe par des mécanismes d’anonymisation ; l’autre rendue par la 15ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris qui a retenu l’application de ce délit dans une décision du 25 novembre 2024, alors que les prévenus étaient considérés comme étant les administrateurs d’une poignée de groupes « Telegram » diffusant du contenu illicite.
([437]) « Cybercriminalité : baptême du feu judiciaire pour le délit d'administration illicite d’une plateforme en ligne », Dalloz actualité, Gabriel Thierry, 24 juin 2024.
([438]) OFAST, rapport sur l’état de la menace 2023, précité.
([439]) Rapport du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) – « Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France », publié en janvier 2023.
([440]) Ibid.
([441]) Contribution écrite de Tracfin aux travaux des rapporteurs.
([442]) Communiqué de la gendarmerie nationale daté du 20 janvier 2023 – « Démantèlement d’une plateforme de crypto monnaies servant au blanchiment ».
([443]) Site de l’ONU – boîte à outils de l’ONU sur les drogues synthétiques, page sur le blanchiment d’argent par le biais de cryptomonnaies.
([444]) Contribution écrite de Tracfin aux travaux des rapporteurs.
([445]) Rapport de Tracfin – « LCB-FT : état de la menace 2023-2024 », publié le 30 juillet 2024.
([446]) Contribution écrite de Tracfin.
([447]) Cour des comptes – « Observations définitives – L’OFAST et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants, exercices 2018 à 2023 », mis en ligne le 27 novembre 2024.
([448]) Les groupes d’intervention et de recherche, créés en mai 2022, sont des structures opérationnelles composées de personnels issus de différentes administrations. L’une de leurs priorités est la lutte contre le trafic de stupéfiants, et plus spécifiquement le blanchiment des trafics, le blanchiment présumé et la non-justification des ressources.
([449]) Contribution écrite des magistrats de la JIRS de Lyon aux travaux des rapporteurs.
([450]) C’est une déclinaison du comité opérationnel de lutte contre le blanchiment et les avoirs criminels (COLBAC) en activité à Marseille depuis mai 2018.
([451]) Contribution écrite de la DACG aux travaux des rapporteurs.
([452]) Contribution écrite de la DACG aux travaux des rapporteurs.
([453]) Rapport du GAFI – « Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme – France, rapport d’évaluation mutuelle », publié en mai 2022.
([454]) Rapport du député Jean-Luc Warsmann sur la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (n° 1162), examinée en première lecture à l’Assemblée nationale, déposé le mercredi 22 novembre 2023.
([455]) Rapport du GAFI précité.
([456]) Contribution écrite d’Éric Figlioglia, président de chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, aux travaux des rapporteurs.
([457]) La loi Rognoni La Torre n° 646/82, votée en septembre 1982, a ainsi introduit un mécanisme de saisie et confiscation préventives.
([458]) Contribution de Monsieur Yves Le Clair, magistrat de liaison en Italie, aux travaux des rapporteurs.
([459]) Rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic précité, tome II, comptes rendus.
([460]) Bordeaux, Fort-de-France, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris et Rennes.
([461]) Dossier de presse du ministère de la Justice – « 20 ans des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) », publié le 21 novembre 2024.
([462]) Circulaire du 17 décembre 2019 relative à la compétence nationale concurrente du tribunal de grande instance et de la cour d’assises de Paris dans la lutte contre la criminalité organisée de très grande complexité, et à l’articulation du rôle des acteurs judiciaires en matière de lutte contre la criminalité organisée.
([463]) Dossier de presse réalisé à l’occasion des 20 ans des JIRS, précité.
([464]) Rapport de la commission d’enquête du Sénat précité.
([465]) Entretien dans La Tribune – « Éric Dupond-Moretti : « Nous allons créer un véritable statut de repenti », publié le 27 avril 2024.
([466]) Article Le Monde avec AFP – « Narcotrafic : Didier Migaud favorable à un « véritable parquet national » et à des cours d’assises spéciales pour la criminalité organisée », publié le 8 novembre 2024.
([467]) Article Franceinfo – « On vous résume le plan de Gérald Darmanin pour lutter contre le narcotrafic et la criminalité organisée », publié le 3 janvier 2025.
([468]) Article Le Monde – « Les contours du projet de Parquet national anticriminalité organisée pour lutter contre le narcotrafic et le blanchiment », publié le 12 septembre 2024 par Abel Mestre et Thomas Saintourens.
([469]) Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, précitée.
([470]) Rapport du Sénat sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, précité.
([471]) Site du Conseil national des barreaux – communiqué daté du 14 octobre 2024, « Narcotrafic : le CNB dénonce une proposition de loi qui menace les droits de la défense et l’accès à la justice ».
([472]) Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats aux travaux des rapporteurs.
([473]) Discours de Laure Beccuau, procureure de Paris, à l’audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Paris, le 21 janvier 2025.
([474]) Dalloz Actualité – « Lutte contre la criminalité organisée : des magistrats parisiens mettent en garde contre « la pensée magique » et « le miroir aux alouettes » », publié le 23 janvier 2025 par Gabriel Thierry.
([475]) Rapport de la commission d’enquête précité, tome II, Comptes rendus.
([476]) Une note conjointe de l’institut de relations internationales et stratégiques et de l’observatoire des criminalités internationales, intitulé « Lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée en France : des annonces suivies d’effets ? », publié en novembre 2024, souligne que la cour d’assises spéciale de Paris ne s’est réunie qu’une fois en dix ans.
([477]) Contribution écrite de la DACG aux travaux des rapporteurs.
([478]) Le Monde avec AFP – « Narcotrafic : Didier Migaud favorable à un « véritable parquet national » et à des cours d’assises spéciales pour la criminalité organisée », publié le 8 novembre 2024.
([479]) Contribution écrite du syndicat de la magistrature aux travaux des rapporteurs.
([480]) Audition du Président du tribunal judiciaire de Paris par les rapporteurs.
([481]) Contribution écrite de la Conférence nationale des premiers présidents aux travaux des rapporteurs.
([482]) Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats aux travaux des rapporteurs.
([483]) Contribution de la Conférence nationale des procureurs de la République aux travaux des rapporteurs.
([484]) Audition des représentants du siège du tribunal judiciaire de Paris.
([485]) Contribution écrite de la direction des affaires criminelles et des grâces aux travaux des rapporteurs.
([486]) Le Parisien – « Justice des mineurs et narcotrafic : Gérald Darmanin annonce la création de 150 postes de magistrats », publié le 27 janvier.
([487]) Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat – « Améliorer le fonctionnement de la Justice – point d’étape du plan de transformation numérique du ministère de la Justice », janvier 2022.
([488]) « Rendre justice aux citoyens », Rapport du comité des États généraux de la justice, avril 2022.
([489]) Projet annuel de performances de la mission Justice, projet de loi de finances pour 2025.
([490]) Contribution écrite de la conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires aux travaux des rapporteurs.
([491]) Traité de procédure pénale, éditions Economica, 2012, par Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, cité dans la contribution écrite du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
([492]) Contribution écrite de M. Nicolas Bonnal, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, aux travaux des rapporteurs.
([493]) Chambre criminelle de la Cour de cassation – pourvoi n° 23-84.864, 5 mars 2024.
([494]) Contribution écrite du syndicat de la magistrature aux travaux des rapporteurs.
([495]) Rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic, précité.
([496]) Résolution du CNB contre la proposition de loi relative au narcotrafic, adoptée par l’assemblée générale du CNB du 11 octobre 2024.
([497]) Résolution du CNB dénonçant des attaques inacceptables à l’encontre de la profession d’avocat, adoptée par l’assemblée générale du CNB du 17 janvier 2025.
([498]) Plus précisément, lorsque la personne est mise en examen pour l’une des infractions mentionnées aux articles 706-73, 706-73-1 et 706-94 du code de procédure pénale.
([499]) Compte rendu de la séance du 29 janvier 2025, site du Sénat.
([500]) Il a été créé par l’article 12 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II.
([501]) Décret n° 2014-346 du 17 mars 2014 relatif à la protection des personnes mentionnées aux articles 706-62-2 et 706-63-1 du code de procédure pénale.
([502]) Contribution écrite de M. Marc Sommerer, président de la commission nationale de réinsertion et de protection aux travaux des rapporteurs.
([503]) Article Le Monde – « Crime organisé : la commission de protection des « repentis » en état de « crise existentielle », selon son président sortant », publié le 11 février.
([504]) Contribution de Baudoin Thouvenot, membre national d’Eurojust, précitée.
([505]) Rapport du Sénat sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, précité.
([506]) Rapport n° 588 de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, tome II.
([507]) Les techniques spéciales d’enquêtes visées aux sections V et VI du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale, soit l’accès à distance aux correspondances stockées par la voie de communications électroniques, le recueil des données de connexion, les sonorisations de certains lieux ou véhicules, et la captation de données informatiques.
([508]) Contribution écrite de la DGPN aux travaux des rapporteurs.
([509]) Contributions écrites des magistrats de la JIRS de Lyon et de la JIRS de Marseille aux travaux des rapporteurs.
([510]) Contribution écrite du syndicat de la magistrature aux travaux des rapporteurs.
([511]) Rapport n° 588 de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, tome II.
([512]) Résolution du 11 octobre 2024 du CNB précitée.
([513]) Contribution écrite de la DACG aux travaux des rapporteurs.
([514]) Considérant 25 de la décision n° 2014-693.
([515]) Contribution écrite de la DACG, précitée.
([516]) Commentaire de la décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014 sur la loi relative à la géolocalisation.
([517]) Article préliminaire du code de procédure pénale.
([518]) Pendant ce délai, la personne mise en examen ne peut pas être libérée.
([519]) Le premier président de la cour d’appel statue sur ce référé au plus tard le deuxième jour ouvrable suivant la demande.
([520]) Sous réserve qu’elle ne soit pas détenue pour une autre cause.
([521]) Contribution écrite du président de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, précitée.
([522]) Ibid.
([523]) Contribution écrite du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, précitée.
([524]) Site Actu-Juridique – « Rentrée de la cour d’appel de Paris : les magistrats réclament une réforme des nullités en matière pénale », article publié le 15 janvier 2025 par Mme Olivia Duour.
([525]) Ibid.
([526]) Article publié sur Actu-Juridique le 15 janvier 2025, précité.
([527]) En matière de trafic de stupéfiants criminel, cette durée initiale est d’un an, conformément à l’article 145-2 du CPP.
([528]) Au lieu de deux ans aujourd’hui.
([529]) Contribution écrite du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation aux travaux des rapporteurs.
([530]) Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
([531]) Décision n° 2011-168 QPC du 30 septembre 2011, M. Samir A. [Maintien en détention lors de la correctionnalisation en cours d’instruction].
([532]) Contribution écrite des magistrats de la JIRS de Marseille aux travaux des rapporteurs.
([533]) Le Monde – « Quand les assassinats liés aux trafics de drogue sont commandités de la prison », article publié le 23 février 2024 par Luc Leroux.
([534]) Le Monde – « En prison, la bataille perdue contre les téléphones portables : « ça rentre de partout ! » », article publié le 27 janvier 2025 par Grégoire Biseau et Thomas Saintourens.
([535]) Le Monde avec AFP – « Prison de Réau : six surveillants en garde à vue, notamment pour trafic de drogue au sein du centre pénitentiaire », publié le 14 mars 2024.
([536]) Rapport de la commission d’enquête du Sénat précité, p439.
([537]) Bulletin quotidien daté du 4 février 2025.
([538]) Rapport d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, présenté par Mmes Caroline Abadie et Elsa Faucillon, enregistré le 19 juillet 2023
([539]) The Rise and decline of cannabis ProhibiTion. (2014). Available at : https://www.tni.org/files/download/rise_and_decline_ch1.pdf.
([540]) Convention unique sur les stupéfiants, 1961, article 4 (c).
([541]) Spillane, J. and McAllister, W.B. (2003). Keeping the lid on a century of drug regulation and control. Drug and Alcohol Dependence, [online] 70(3), pp. S5–S12. doi : https://doi.org/10.1016/s0376-8716(03)00096-6.
([542]) Le Monde (2020). L’ONU reconnaît officiellement l’utilité médicale du cannabis. [online] Le Monde.fr. Available at : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/02/l-onu-reconnait-officiellement-l-utilite-medicale-du-cannabis_6061964_3224.html.
([543]) Convention sur les substances psychotropes, 1971.
([544]) Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 1988.
([545]) The Rise and decline of cannabis prohibition. (2014). Transnational Institute. https://www.tni.org/files/download/rise_and_decline_ch1.pdf.
([546]) Dès les années 1970 certains États décriminalisent : l’Oregon le premier en 1973, l’Alaska en 1975, le Minnesota (1976), le Mississippi en 1978, etc.
([547]) La Commission globale sur la politique en matière de drogue associe des personnalités scientifiques, des chefs d’État et de gouvernement depuis 2011 dans la défense d’une approche globale des politiques relatives aux drogues. L’édition 2021 de leur rapport annuel s’intitule En finir avec la prohibition.
([548]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2021). Dépénalisation des drogues au Portugal : bilan 20 ans après | OFDT
([549]) L’usage problématique des drogues peut faire référence soit un mode de consommation à risque (par voie intraveineuse), soit à une consommation sur le long terme, soit à une consommation entraînant des difficultés physiques, psychologiques, affectives, familiales ou professionnelles.
([550]) Zendo MAPS (2015). Decriminalization and Harm Reduction in Portugal : An Interview with Dr. João Goulão - Zendo Project. [online] Zendo Project. Available at : https://zendoproject.org/bulletin/decriminalization-and-harm-reduction-in-portugal-an-interview-with-dr-joao-goulao/ [Accessed 8 Jan. 2025]. / https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-3399-doc_num--explnum_id-32021-.pdf
([552]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2021). Dépénalisation des drogues au Portugal : bilan 20 ans après | OFDT. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/publication/2021/depenalisation-des-drogues-au-portugal-bilan-20-ans-apres-598 [Accessed 13 Jan. 2025].
([553]) EMCDDA, Drug Policy Profiles – Portugal, Lisbon : EMCDDA, 2011. Pg.18 (http://www.emcdda.europa.eu/publications/drug-policy-profiles/portugal) accessed 24 February, 2016
([554]) Obradovic, I. (2022). La légalisation du cannabis en Uruguay. Psychotropes, [online] Vol. 28(1), pp.11–32. doi : https://doi.org/10.3917/psyt.281.0011.
([555]) Gandilhon, M. (2017). Colorado vs Uruguay : deux modes opposés de légalisation du cannabis. [online] Drogues, santé et société. Available at : https://drogues-sante-societe.ca/colorado-vs-uruguay-deux-modes-opposes-de-legalisation-du-cannabis
([556]) Weinberger, D. (2018). Légalisation du cannabis et criminalité en Uruguay. Sécurité globale, [online] N° 12(4), pp.35–44. doi : https://doi.org/10.3917/secug.174.0035.
([557]) Obradovic, I. (2022). La légalisation du cannabis en Uruguay. Psychotropes, [online] Vol. 28(1), pp.11–32. doi : https://doi.org/10.3917/psyt.281.0011.
([558]) Gandilhon, M. (2017). Colorado vs Uruguay : deux modes opposés de légalisation du cannabis. [online] Drogues, santé et société. Available at : https://drogues-sante-societe.ca/colorado-vs-uruguay-deux-modes-opposes-de-legalisation-du-cannabis
([559]) Obradovic, I. (2022). La légalisation du cannabis en Uruguay. Psychotropes, [online] Vol. 28(1), pp.11–32. doi : https://doi.org/10.3917/psyt.281.0011.
([560]) ibid.
([561]) Au 20 janvier 2025, 100 598 consommateurs étaient enregistrés, dont 73 757 clients en pharmacie, 11 679 autocultivateurs et 15 162 membres de 436 clubs.
([562]) France Inter. (2023). En Uruguay, la nouvelle marijuana a beaucoup trop la cote. [online] Available at : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sous-les-radars/sous-les-radars-du-mercredi-20-septembre-2023-2913964 [Accessed 20 Jan. 2025].
([563]) Le Monde (2020). L’Uruguay, laboratoire du cannabis libre. [online] Le Monde.fr. Available at : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/07/l-uruguay-laboratoire-du-cannabis-libre_6028785_3210.html
([564]) TIME (2016). A Brief History of Marijuana Law in America. [online] Available at : https://time.com/4298038/marijuana-history-in-america/.
([565]) OFDT (2021). La légalisation du cannabis aux États-Unis. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-3536-doc_num--explnum_id-31302-.pdf
([566]) Reuters (2022). Explainer : What will change if federal marijuana ban is loosened? [online] Reuters. Available at : https://www.reuters.com/world/us/what-will-change-if-federal-marijuana-ban-is-loosened-2022-10-07/.
([567])OFDT (2021). La légalisation du cannabis aux États-Unis. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-3536-doc_num--explnum_id-31302-.pdf
([568]) OFDT (2024). Rapport ASTRACAN sur la légalisation du cannabis dans les juridictions des États de Washington, de l’Oregon et de Californie.
([569]) OFDT (2023). La légalisation du cannabis en Amérique du Nord. [online] Tendances n° 2. Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2024-07/ofdt_tend159.pdf.
([570]) Un “marché gris” (ou marché parallèle) est un marché qui, sans être illégal, échappe au contrôle du fabricant et à ses canaux de distribution. Il s’agit, en ce qui concerne le cannabis, d’un marché dont la demande est constituée par des usagers « récréatifs » et dont l’offre est alimentée par la production légale de cannabis thérapeutique
([571]) OFDT (2024). Rapport ASTRACAN sur la légalisation du cannabis dans les juridictions des États de Washington, de l’Oregon et de Californie.
([572]) Brinkman, J. and Mok-Lamme, D. (2019). Not in my backyard? Not so fast. The effect of marijuana legalization on neighborhood crime. Regional Science and Urban Economics, [online] 78, pp.103460–103460. doi : https://doi.org/10.1016/j.regsciurbeco.2019.103460.
([573]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2024). Rapport ASTRACAN sur la légalisation du cannabis dans les juridictions des États de Washington, de l’Oregon et de Californie.
([574]) Ibid.
([575]) Los Angeles Times (2024). California to allow eating, smoking at Amsterdam-style cannabis cafes. [online] Los Angeles Times. Available at : https://www.latimes.com/politics/story/2024-09-30/california-cannabis-cafes-food-drink-consumption-lounges-law-ab1775-newsom-secondhand-smoke.
([576]) OFDT (2021). La légalisation du cannabis aux États-Unis. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-6033-eisxio2b1.pdf
([577]) En vertu de la loi sur l’opium et les drogues narcotiques.
([578]) OFDT and UQAM (2020). La légalisation du cannabis au Canada. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-1731-ASTRACAN_UQAM_201015.pdf.
([579]) Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, sanctionnée le 21 juin 2018 (L.C. 2018, chapitre 16).
([580]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2023). La régulation du cannabis au Canada : études de cas. Bilan de la mise en œuvre de la légalisation du cannabis au Québec (2018-2022).
([581]) La Presse. (2024). La SQDC augmente ses bénéfices et ses revenus. [online] Available at : https://www.lapresse.ca/affaires/2024-11-14/la-sqdc-augmente-ses-benefices-et-ses-revenus.php.
([582]) OFDT (2023). Études et recherche Théma Revue de littérature. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-1736-Rapport-Astracan-Colombie-Britannique.pdf.
([583]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2023). La régulation du cannabis au Canada : études de cas. Bilan de la mise en œuvre de la légalisation du cannabis au Québec (2018-2022).
([584])OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2023). La régulation du cannabis au Canada : études de cas. La légalisation du cannabis en Colombie-Britannique : genèse, mise en œuvre et bilan (2018-2022).
([585]) Gov.bc.ca. (2024). Cannabis - Province of British Columbia. [online] Available at : https://www2.gov.bc.ca/gov/content/safety/public-safety/cannabis [Accessed 20 Jan. 2025].
([586]) https://cannawholesalers.to/about-us/
([587]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2023). La régulation du cannabis au Canada : études de cas. La légalisation du cannabis en Colombie-Britannique : genèse, mise en œuvre et bilan (2018-2022).
([588]) Le Monde (2024). Légalisation, dépénalisation : comment les législations du cannabis s’assouplissent à travers le monde. [online] Le Monde.fr. Available at : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/04/02/legalisation-depenalisation-comment-les-legislations-du-cannabis-s-assouplissent-a-travers-le-monde_6225611_4355770.html.
([589]) The New York Times (1994). German Court Allows Possession of Small Amounts of Marijuana. [online] Nytimes.com. Available at : https://www.nytimes.com/1994/05/03/world/german-court-allows-possession-of-small-amounts-of-marijuana.html.
([590]) Süddeutsche Zeitung (2023). Cannabis : Lauterbach stellt Legalisierung light vor - was jetzt erlaubt ist. [online] Süddeutsche.de. Available at : https://www.sueddeutsche.de/politik/cannabis-legalisierung-lauterbach-gesetz-erlaubt-1.6134047
([591]) Kühne, A.S. and Wulfers, A. (2024). Kiffen jetzt legal : Das sind die neuen Regeln für Cannabis. [online] FAZ.NET. Available at : https://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/kiffen-jetzt-legal-das-sind-die-neuen-regeln-fuer-cannabis-19618643.html [Accessed 8 Jan. 2025]
([592]) Cannabisgesetz – CanG (entrée en vigueur le 1er avril 2024). https://dserver.bundestag.de/btd/20/087/2008704.pdf
([593]) Deutsche Welle (2024). German cannabis clubs face jungle of bureaucracy. [online] dw.com. Available at : https://www.dw.com/en/german-cannabis-clubs-face-jungle-of-bureaucracy/a-69546765 .
([594]) La consommation est interdite à proximité immédiate de personnes de 18 ans, à une distance inférieure à 100 mètres des crèches, écoles et établissements pour jeunes, dans les clubs cannabiques ou encore entre 7h et 20h dans l’espace public.
([595]) « Coup d’envoi de la légalisation partielle du cannabis en Allemagne » - Article publié dans Les Échos le 1er avril 2024, par Emmanuel Grasland.
([596]) Bundestag, FAQ (2024). https://www.bundesgesundheitsministerium.de/themen/cannabis/faq-cannabisgesetz
([597]) Boran Tobelem (2024). Les législations sur le cannabis dans l’Union européenne - Touteleurope.eu. [online] Touteleurope.eu. Available at : https://www.touteleurope.eu/societe/les-legislations-sur-le-cannabis-en-europe/ [Accessed 13 Jan. 2025].
([598]) Eucrim.eu. (2023). ‘Legalize It!?’ – Opportunities and Challenges for the Regulation of Cannabis under European Law. [online] Available at : https://eucrim.eu/articles/legalize-it-opportunities-and-challenges-for-the-regulation-of-cannabis-under-european-law/#docx-to-html-fnref77 [Accessed 13 Jan. 2025].
([599])EUDA (2024). Cannabis – the current situation in Europe (European Drug Report 2024) | www.euda.europa.eu. [online] Europa.eu. Available at : https://www.euda.europa.eu/publications/european-drug-report/2024/cannabis_en .
([601]) EMCDDA (2019). Portugal, Country Drug Report 2019 | www.euda.europa.eu. [online] Europa.eu. Available at : https://www.euda.europa.eu/publications/country-drug-reports/2019/portugal_en
([602]) Ibid.
([603]) The Washington Post (2023). Once hailed for decriminalizing drugs, Portugal is now having doubts. [online] Washington Post. Available at : https://www.washingtonpost.com/world/2023/07/07/portugal-drugs-decriminalization-heroin-crack/ .
([604]) Obradovic, I. (2022). La légalisation du cannabis en Uruguay. Psychotropes, [online] Vol. 28(1), pp.11–32. doi : https://doi.org/10.3917/psyt.281.0011.
([605]) Statista. (2025). Recreational Cannabis - Uruguay | Statista Market Forecast. [online] Available at: https://www.statista.com/outlook/hmo/cannabis/recreational-cannabis/uruguay [Accessed 20 Jan. 2025].
([607]) Forbes (2023). Uruguay Marks 6 Years Of Marijuana Sales, With 10.7 million Grams Sold. [online] Forbes. Available at : https://www.forbes.com/sites/dariosabaghi/2023/07/28/uruguay-marks-6-years-of-marijuana-sales-with-107-million-grams-sold/.
([608]) Weinberger, D. (2018). Légalisation du cannabis et criminalité en Uruguay. Sécurité globale, [online] N° 12(4), pp.35–44. doi : https://doi.org/10.3917/secug.174.0035 .
([609]) Les établissements bancaires uruguayens qui soutiennent les pharmacies dépendent eux-mêmes de banques américaines qui, en application du Patriot Act (2001), ont menacé de couper les fonds destinés au financement du réseau légal d’approvisionnement du cannabis.
([610]) Forbes (2022). Why The Legal Cannabis Industry Needs The Black Market. [online] Forbes. Available at : https://www.forbes.com/sites/willyakowicz/2022/08/19/why-the-legal-cannabis-industry-needs-the-black-market/ .
([611] )OFDT (2021). La légalisation du cannabis aux États-Unis. [online] Available at: https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-3536-doc_num--explnum_id-31302-.pdf
([612]) Banque TD Cowen (2020) : https://www.cowen.com/insights/cannabis-75b-opportunity-category-cross-currents-keep-us-cautious-on-booze/
([613]) Tax Foundation. (2023). Cannabis Taxation : Lessons Learned from U.S. States and a Blueprint for Nationwide Cannabis Tax Policy. [online] Available at : https://taxfoundation.org/research/all/state/cannabis-tax-revenue-reform/
([614]) OFDT (2023). La légalisation du cannabis en Amérique du Nord. [online] Tendances n° 2. Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2024-02/OFDT_Tend159_2.pdf.
([615]) ibid.
([616]) Los Angeles Times (2022). How weed legalization went wrong in California. [online] Available at : https://www.latimes.com/california/story/2022-09-22/california-legal-pot-measure-has-not-met-expectations.
([617]) OFDT (2024). La légalisation du cannabis aux États-Unis résultats de l’enquête astracan [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2024-12/rapport_astracan_washington_oregon_californie_2024.pdf
([618]) Anaïs Moutot (2019). En Californie, la légalisation du cannabis est un échec. [online] Les Echos. Available at : https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/en-californie-la-legalisation-du-cannabis-est-un-echec-994342 [Accessed 13 Jan. 2025].
([619]) Los Angeles Times (2019). California has the biggest legal marijuana market in the world. Its black market is even bigger. [online] Los Angeles Times. Available at : https://www.latimes.com/california/story/2019-08-14/californias-biggest-legal-marijuana-market
([620]) En particulier ceux de l’enquête Astracan (2019-2023) coordonnée par l’OFDT, une enquête en deux volets qui étudie les modalités et effets de la légalisation dans trois États américains et trois provinces canadiennes : https://ofdt.fr/pour-une-analyse-strategique-des-politiques-de-regulation-du-cannabis-astracan-1745
([621]) OFDT (2021). La légalisation du cannabis aux États-Unis. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-3536-doc_num--explnum_id-31302-.pdf
([622])Aletraris L., Graves B.D., Ndung’u J.J. (2023) Assessing the impact of recreational cannabis legalization on cannabis use disorder and admissions to treatment in the United States. Current Addiction Reports, Vol. 10, n° 2, p. 198-209
([623]) OFDT (2024). La légalisation du cannabis aux États-Unis résultats de l’enquête astracan [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2024-12/rapport_astracan_washington_oregon_californie_2024.pdf
([624]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2023). La régulation du cannabis au Canada : études de cas. Bilan de la mise en œuvre de la légalisation du cannabis au Québec (2018-2022).
([625]) Institut de la statistique du Québec (2023). Enquête québécoise sur le cannabis 2023 : premiers résultats. [online] Available at : https://statistique.quebec.ca/fr/produit/publication/enquete-quebecoise-cannabis-2023-premiers-resultats#consommation.
([626]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2023). La régulation du cannabis au Canada : études de cas. Bilan de la mise en œuvre de la légalisation du cannabis au Québec (2018-2022).
([627]) La Presse. (2024). La Presse. [online] Available at : https://www.lapresse.ca/affaires/2024-11-14/la-sqdc-augmente-ses-benefices-et-ses-revenus.php [Accessed 13 Jan. 2025].
([628]) OFDT (2023). Études et recherche Théma Revue de littérature. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2023-08/field_media_document-1736-Rapport-Astracan-Colombie-Britannique.pdf.
([629]) ibid
([630]) Ibid.
([631]) Burger, R., Holl, J. and Iskandar, K. (2024). Warum blüht der Schwarzmarkt für Cannabis? Bilanz der Legalisierung. FAZ.NET. [online] doi : https://doi.org/10054938/1900x850/juni-2024-ein-polizist.jpg.webp%201000w.
([632]) Deutsche Apothekerzeitung (2024). Import medizinischer Cannabisblüten steigt um 40 Prozent - Deutsche Apotheker Zeitung. [online] Deutsche-apotheker-zeitung.de. Available at : https://www.deutsche-apotheker-zeitung.de/news/artikel/2024/08/08/import-medizinischer-cannabisblueten-steigt-um-40-prozent.
([633]) Burger, R., Holl, J. and Iskandar, K. (2024). Warum blüht der Schwarzmarkt für Cannabis? Bilanz der Legalisierung. FAZ.NET. [online] doi : https://doi.org/10054938/1900x850/juni-2024-ein-polizist.jpg.webp%201000w
([634]) Cet article a été recodifié à l’article L. 3411-1 du nouveau code de la santé publique en 2000. Il dispose depuis l’ordonnance n°2010-177 du 23 février 2010 qu’« une personne usant d'une façon illicite de substances ou plantes classées comme stupéfiants bénéficie d'une prise en charge sanitaire organisée par l'agence régionale de santé ».
([635]) Compte rendu des débats au Sénat, séance du 3 novembre 1970, proposition de loi relative à la lutte contre la toxicomanie.
([636]) Colson, R. (2023). Légalisation du cannabis en France : où en sommes-nous ? - Le Club des Juristes. [online] Le Club des Juristes
([637]) CAE (2019). Cannabis : Comment reprendre le contrôle?
([638]) Ben Lakhdar, C. (2019). L’inéluctable légalisation du cannabis en France ? Revue d’économie politique, [online] Vol. 128(6), pp.1101–1122.
([639]) IFOP. (2022). Les Français et le cannabis La longue marche de l’opinion vers la dépénalisation - IFOP. https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-cannabis-la-longue-marche-de-lopinion-vers-la-depenalisation-2/.
([640]) Roques, B. (1998). Problèmes posés par la dangerosité des ‘drogues’. Rapport au secrétariat d’État à la Santé.
([641]) Roques, B. « La Dangerosité des drogues : Mécanismes neurobiologiques des addictions et approches thérapeutiques. » Médecine/Sciences, vol. 16, 2000, pp. 1346–54, www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/1588/2000_12_1346.pdf?sequence=4.
([642]) Le Monde (2020). « L’ONU reconnaît officiellement l’utilité médicale du cannabis ». Le Monde.fr.
([643]) WHO. (2016). The health and social effects of nonmedical cannabis use. World Health Organization. https://iris.who.int/handle/10665/251056
([644]) Zellers, S.M. (2023). Recreational cannabis legalization has had limited effects on a wide range of adult psychiatric and psychosocial outcomes. Psychological Medicine, [online] 53(14), pp.6481–6490. doi : https://doi.org/10.1017/s0033291722003762.
([645]) Meier, M.H. (2022). Long-Term Cannabis Use and Cognitive Reserves and Hippocampal Volume in Midlife. American Journal of Psychiatry, [online] 179(5), pp.362–374. doi : https://doi.org/10.1176/appi.ajp.2021.21060664.
([646]) CESE (2023). Cannabis : sortir du statu quo, vers une légalisation encadrée | Le Conseil économique social et environnemental.
([647]) Ibid.
([648]) Une telle consultation en ligne avait été organisée du 13 janvier au 28 février 2020 dans le cadre de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Elle avait rassemblé plus de 250 000 participations, sous forme de réponses à un questionnaire d’une dizaine de questions. Plébiscitée par une population jeune (75 % de personnes âgées de 39 au plus, dont 47 % entre 18 et 29 ans), masculine (70,5 %) et ayant déjà consommé du cannabis (86 % au moins, dont 31 % régulièrement ou tous les jours), la consultation a conclu à une majorité écrasante de participants favorables à la légalisation du cannabis (80,8 %) ou à une dépénalisation (13,82 %). Les biais de sélection évidents liés à la consultation ouverte affectent la représentativité des résultats du questionnaire et la pertinence des conclusions qui peuvent en être tirées.
([649]) IFOP. (2022). Les Français et le cannabis La longue marche de l’opinion vers la dépénalisation - IFOPhttps://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-cannabis-la-longue-marche-de-lopinion-vers-la-depenalisation-2/.
([650]) Libération. L’“Appel Du 18 Joint.” 18 June 1976, www.liberation.fr/cahier-special/1998/01/12/l-appel-du-18-joint_544747/. Signé, entre autres personnalités, par Bernard Kouchner, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Edgar Morin, Isabelle Huppert, etc.
([651]) Le Journal du Dimanche - « L’appel de trois maires LR pour ‘légaliser la consommation de cannabis’ » Tribune publiée le 26 septembre 2020.
([652]) France info (2025). Le maire écologiste Éric Piolle demande à Emmanuel Macron ‘un référendum’ pour dépénaliser le cannabis. Franceinfo.
([653]) Libération « Légalisation du cannabis : en Gironde, Bègles se fait le chantre du chanvre », publié le 15 octobre 2023 par Eva Fonteneau..
([654]) Libération et AFP. « Strasbourg aimerait légaliser la consommation du cannabis, comme en Allemagne », publié le 30 mars 2024.
([655]) Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information commune relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis, déposé le 28 juin 2021, avec comme Président M. Robin Reda, comme rapporteur général M. Jean-Baptiste Moreau et comme rapporteurs thématiques Mme Caroline Janvier et M. Ludovic Mendes.
([656]) Terra Nova (2014). Cannabis : Réguler le marché pour sortir de l’impasse https://tnova.fr/economie-social/finances-macro-economie/cannabis-reguler-le-marche-pour-sortir-de-limpasse/.
([657]) Generation Libre. (2021). Pour un marché libre du cannabis en France – GenerationLibre https://www.generationlibre.eu/pour-un-marche-libre-du-cannabis-en-france/
([658]) CAE (2019). Cannabis : comment reprendre le contrôle ? https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note052.pdf.
([659]) EUDA (2024). Cannabis – the current situation in Europe (European Drug Report 2024) | www.euda.europa.eu. [online] European Drug Report 2024. Available at : https://www.euda.europa.eu/publications/european-drug-report/2024/cannabis_en#edr24-cannabis-figure-2.2.
([660]) OFDT (2025). Drogues et addictions, chiffres clés 2025 | OFDT. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2025-01/dacc_2024.pdf
([661]) The New York Times (2016). How much weed is in a joint? Pot experts have a new estimate. [online] Nytimes.com. Available at : https://www.nytimes.com/2016/07/15/science/how-much-weed-is-in-a-joint-pot-experts-have-a-new-estimate.html.
([662]) Lakhdar, C.B. and Kopp, P.-A. (2018). Faut-il légaliser le cannabis en France ? Un bilan socio-économique. Économie & prévision, [online] n° 213(1), pp.19–39. doi : https://doi.org/10.3917/ecop.213.0019.
([663]) Selon la publication de l’OFDT sur les chiffres clés, elle est passée de 1,8 % de consommation annuelle en 2014 à 3,9 % en 2023.
([664]) Terra Nova (2016). Contrôler le marché légalisé du cannabis en France. [online] Available at : https://tnova.fr/site/assets/files/11796/04102016_controler_le_march_l_galis_du_cannabis_en_france.pdf?10xug
([665]) https://www.ofdt.fr/cannabis-resine-herbe-huile-cbd-synthese-des-connaissances-1724
([666]) IRCCA (2025). https://ircca.gub.uy/.
([667]) En cumulé, les taxes représentent plus de 81 % du prix de vente des cigarettes. FranceInfo (2013). Où va l’argent des taxes sur les cigarettes ? [online] doi : https://doi.org/10/2013/06/26
([668]) OFDT (2025). L’offre de stupéfiants en France en 2023 | OFDT. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/actualite/l-offre-de-stupefiants-en-france-en-2023-2485.
([669]) CAE (2019). Cannabis : comment reprendre le contrôle ? https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note052.pdf.
([670]) Generation Libre (2021). Pour un marché libre du cannabis en France - GenerationLibre. [online] Available at : https://www.generationlibre.eu/pour-un-marche-libre-du-cannabis-en-france/
([671]) OFDT - Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France. (2019). Cannabis (résine, herbe, huile, CBD) - Synthèse des connaissances | OFDT. [online] Available at : https://www.ofdt.fr/cannabis-resine-herbe-huile-cbd-synthese-des-connaissances-1724
([672]) Article Le Monde – « Enquête sur les petites mains du deal de cannabis », publié le 25 janvier 2018 par Louise Couvelaire.