N° 1023

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2025.

 

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur les problématiques rencontrées par les Français vivant en zone transfrontalière dans l’Hexagone

 

 

PRÉSENTÉ PAR

Mme Brigitte KLINKERT,

Députée

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  SOMMAIRE

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Pages

Synthèse des recommandations

Introduction :  les zones frontalières, sources d’opportunités et de déséquilibres

I. Prendre en considération les particularités des bassins de vie transfrontaliers dans les services publics et la vie économique

A. Accroître la prise en considération des enjeux transfrontaliers dans l’Aménagement du territoire

1. Poursuivre le développement de l’offre de transports publics transfrontaliers

a. Le transport individuel et de marchandises

b. Les transports en commun

2. Encadrer le marché du logement pour résoudre les difficultés de recrutement

a. Un coût du logement en hausse, excluant certains habitants des zones frontalières

b. Des effets collatéraux sur les entreprises et les services publics français

3. Reconnaître à sa juste importance la dimension environnementale de la relation transfrontalière

a. Le traitement des déchets

b. La gestion de la ressource en eau dans des aires géographiques contraignantes

B. Adapter le fonctionnement des services publics aux exigences géographiques et économiques des zones frontalières

1. En matière d’accès aux soins

a. Simplifier la possibilité de réaliser des soins de l’autre côté de la frontière

b. Développer les structures de soin transfrontalières

c. Renforcer l’attractivité des zones frontalières françaises pour les soignants

2. En matière d’éducation et de culture

a. Des structures d’accueil des enfants au bord de la saturation

b. Un indispensable soutien à l’apprentissage des langues

3. En matière de sécurité publique et civile

a. Une coopération policière et douanière active mais des franchissements de frontière qui doivent rester fluides

b. Le développement récent de la coopération en matière de sécurité civile pour répondre aux évènements climatiques

C. Lever les obstacles économiques et sociaux rencontrés par les travailleurs et les entreprises transfrontaliers

1. Favoriser la gestion transfrontalière des emplois et des compétences

2. Alléger les contraintes administratives pesant sur les travailleurs et les entreprises transfrontaliers

3. Clarifier les règles de protection sociale par une meilleure coordination des régimes de sécurité sociale

II. Améliorer la gouvernance des zones fontalières grâce à un dialogue approfondi en France et avec nos voisins

A. Combler les lacunes de l’information et l’accompagnement des transfrontaliers dans leurs démarches quotidiennes

1. Faciliter l’accès des usagers à une information fiable

2. Créer un véritable service public transfrontalier

B. Développer un dialogue transfrontalier inclusif et dynamique

1. Établir une stratégie nationale pour les frontières

2. Mieux impliquer les différentes parties prenantes dans les instances de dialogue

3. Élaborer une méthode de travail

a. Identifier les irritants

b. Concevoir les solutions

c. Financer leur mise en œuvre

Examen en commission

Annexe 1 : Cartes

Annexe 2 : Liste des personnes auditionnées

Annexe 3 : Contributions écrites

 

   Synthèse des recommandations

 

Recommandation  1 : Mettre en place la gratuité ou un tarif dédié aux frontaliers sur les tronçons de route transfrontaliers payants.

Recommandation  2 : Mettre en place une reconnaissance mutuelle des vignettes écologiques pour les véhicules de l’ensemble des zones frontalières.

Recommandation  3 : Soutenir le développement des parkings relais et des aires de covoiturage à proximité des gares desservant l’autre côté de la frontière.

Recommandation  4 : Soutenir les projets de lignes ferroviaires régionales transfrontalières.

Recommandation  5 : Engager un travail d’harmonisation des critères de recrutement et des exigences techniques pour favoriser la mise en œuvre de lignes de transport en commun transfrontalières.

Recommandation  6 : Faire figurer dans les applications mobiles de la SNCF l’ensemble des trajets transfrontaliers et harmoniser leurs tarifs.

Recommandation  7 : Demander à la SNCF de desservir les gares à proximité des frontières et de permettre la réservation de trajets transfrontaliers de courte distance sur les lignes européennes longue distance.

Recommandation n° 8 : Demander à la SNCF de mettre en place une reconnaissance mutuelle des billets en cas de correspondance transfrontalière manquée en raison d’un retard.

Recommandation  9 : Identifier le transfrontalier dans le code de l’urbanisme au même titre que le littoral ou la montagne et prévoir des zones tendues transfrontalières permettant de déroger à certaines contraintes législatives et réglementaires pesant sur la gestion du foncier.

Recommandation n° 10 : Prévoir un mécanisme permettant de collecter auprès des employeurs étrangers l’équivalent du 1 % logement français lorsqu’ils emploient des salariés français.

Recommandation  11 : Prévoir la mise à disposition de logements réservés aux fonctionnaires dans les zones frontalières.

Recommandation  12 : Généraliser la revalorisation de l’indemnité de résidence pour les agents publics exerçant en zone frontalière.

Recommandation  13 : Étudier la possibilité de mettre en œuvre un mécanisme d’encadrement des loyers dans les zones frontalières tendues.

Recommandation  14 : Élaborer des schémas de coordination territoriale (Scot) transfrontaliers en coordination avec les autorités des pays voisins.

Recommandation  15 : Supprimer le 1° de l’article 1er de l’arrêté du 27 mai 2014 établissant la liste des soins hors de France nécessitant le recours à des infrastructures ou équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux, afin de permettre aux frontaliers assurés en France de pouvoir réaliser des examens d’imagerie dans le pays voisin sans autorisation préalable.

Recommandation  16 : Rattacher les enfants nés dans des établissements frontaliers à l’état civil de leur commune de résidence et non au service d’état civil du ministère des affaires étrangères situé à Nantes.

Recommandation  17 : Engager dans chaque zone transfrontalière, avec l’appui des ARS, des discussions pour mettre en place des corridors sanitaires via des conventions entre établissements, filière par filière.

Recommandation  18 : Prévoir un dispositif contractuel incitatif ou contraignant les soignants formés gratuitement en France à y travailler plusieurs années.

Recommandation  19 : Dans les filières formant des soignants destinés à exercer dans le pays voisin, prévoir des formations communes cofinancées par le futur pays d’emploi et encourager la création d’instituts de formation mixtes.

Recommandation  20 : Développer des certificats complémentaires reconnus des deux côtés de la frontière pour renforcer l’offre de formations linguistiques spécifiques pour le personnel soignant.

Recommandation  21 : Expérimenter la modulation du montant des consultations en fonction du niveau de remboursement offert par le régime de protection sociale d’affiliation.

Recommandation  22 : Prévoir des mécanismes de participation des pays d’emploi aux dépenses consacrées par la France à la petite enfance et aux activités périscolaires au profit des transfrontaliers.

Recommandation  23 : Intensifier les partenariats éducatifs transfrontaliers pour encourager l’apprentissage du français et des langues des pays frontaliers, si besoin par un ajustement des programmes scolaires dans les zones frontalières.

Recommandation  24 : Faire de l’apprentissage de la langue du voisin et d’une culture transfrontalière commune une politique prioritaire.

Recommandation  25 : Veiller à la mise en œuvre effective des nouvelles règles prévues par le code Schengen concernant le rétablissement des contrôles aux frontières et à ce que ces contrôles ne causent pas de désagrément supplémentaire aux frontaliers.

Recommandation  26 : Mettre en place des corridors d’intervention commune en matière de sécurité civile et élaborer des doctrines d’intervention partagée.

Recommandation  27 : Prendre en considération les besoins de la coopération transfrontalière dans les choix d’achat de matériel et de développement des outils de communication opérationnelle.

Recommandation  28 : Mettre en place des offres de formation commune, adaptée au besoin du bassin de vie et permettant d’en partager les coûts entre pays d’emploi et pays de résidence.

Recommandation  29 : Prendre rapidement les mesures réglementaires permettant la mise en œuvre de l’accord franco-allemand relatif à l’apprentissage transfrontalier et faire aboutir des accords similaires sur les autres frontières.

Recommandation  30 : Prévoir une procédure de reconnaissance simplifiée des diplômes dans les zones frontalières, en particulier sur les métiers en tension ou dans les secteurs à forte dimension transfrontalière.

Recommandation  31 : Poursuivre les discussions avec les différents partenaires sur l’allègement des formalités applicables au travail détaché dans la zone transfrontalière, selon des critères stricts assurant une conformité avec le droit européen.

Recommandation  32 : Réfléchir à la création d’un statut d’entreprise frontalière pouvant exercer de part et d’autre de la frontière sans recourir aux procédures de détachement.

Recommandation  33 : Prévoir des sanctions à l’encontre des banques, administrations et sociétés qui ne reconnaissent pas les formats d’IBAN étrangers.

Recommandation  34 : Encourager les travailleurs transfrontaliers souhaitant bénéficier de soins en France à s’inscrire auprès de la caisse primaire d’assurance maladie de leur lieu de résidence pour simplifier la prise en charge de leurs frais de santé.

Recommandation  35 : Rétablir la double affiliation des enfants de couples séparés dont les parents relèvent de régime de sécurité sociale différents.

Recommandation  36 : Reconnaître une équivalence du statut d’invalidité français avec celui des pays voisins, en faisant bénéficier la personne concernée du régime le plus favorable.

Recommandation  37 : Mettre en place un portail public d’information multilingue destiné aux frontaliers.

Recommandation  38 : Rendre obligatoire la traduction de certains formulaires et documents d’informations dans les zones frontalières.

Recommandation  39 : Désigner dans chaque préfecture de département frontalier un « référent coopération transfrontalière », interlocuteur des associations d’information des usagers et des collectivités territoriales au niveau départemental.

Recommandation  40 : Adresser aux associations accompagnant les transfrontaliers une veille juridique pour les informer des évolutions du cadre juridique applicable.

Recommandation  41 : Clarifier la doctrine fiscale sur les questions d’imposition des revenus issus du télétravail et pour les intérimaires.

Recommandation  42 : Prévoir des dérogations aux plafonds d’emplois lorsque les préfectures disposent de financements dédiés pouvant permettre le recrutement d’agents publics dédiés aux questions transfrontalières.

Recommandation  43 : Favoriser l’affectation d’agents maîtrisant la langue du pays voisin dans les services de l’État des départements frontaliers.

Recommandation  44 : Développer des maisons France services spécialisées en matière transfrontalière et organiser des permanences des administrations concernées – y compris étrangères.

Recommandation  45 : Mettre en place des guichets uniques transfrontaliers pour éviter que les usagers soient obligés de réaliser eux-mêmes les échanges d’informations entre les administrations des deux pays.

Recommandation  46 : Généraliser l’expérimentation des points d’accès au droit transfrontalier.

Recommandation  47 : Donner une envergure politique aux questions transfrontalières en confiant cette responsabilité à un membre du gouvernement, soit par la mention de ce thème dans son titre, soit par la création d’un secrétariat d’État ou, a minima, un Haut-commissaire ou délégué interministériel aux questions transfrontalières.

Recommandation  48 : Élaborer une doctrine nationale déclinée sur chaque frontière pour que les préfets disposent d’une feuille de route dans le cadre du dialogue transfrontalier.

Recommandation  49 : Publier la circulaire dédiée à la mise en place d’une évaluation transfrontalière des lois dans le cadre des études d’impact.

Recommandation  50 : Associer davantage les collectivités territoriales et les administrations déconcentrées aux discussions transfrontalières et leur laisser une marge d’initiative pour élaborer des solutions au niveau local dans le cadre prévu par les accords bilatéraux en matière de droit à la différenciation.

Recommandation  51 : Créer un organe de dialogue entre l’État via les préfectures, les collectivités et les associations d’aide aux frontaliers, réuni en amont des rencontres intergouvernementales.

Recommandation  52 : Profiter de l’entrée en vigueur du règlement « Bridge for EU » pour procéder à un audit des obstacles pour les différentes frontières.

Recommandation  53 : Mettre à disposition des préfectures et des collectivités territoriales un pool d’experts juridiques pour les accompagner dans la préparation et la négociation de solutions aux irritants transfrontaliers.

Recommandation  54 : Évaluer le surcoût pour les services publics résultant du travail transfrontalier et ouvrir des négociations avec les pays voisins pour mettre en œuvre un mécanisme de participation du pays d’activité vers le pays de résidence.

Recommandation  55 : Accompagner les collectivités dans leurs démarches pour obtenir des financements via les fonds européens « Interreg ».

 


   Introduction :
les zones frontalières, sources d’opportunités et de déséquilibres

 

La France hexagonale partage avec ses voisins européens 2 913 kilomètres de frontières terrestres, parfois naturelles – fleuves, lacs, chaînes de montagnes –, parfois simplement administratives, presque toujours le fruit de l’histoire de nos relations avec ces pays qui sont désormais des partenaires.

La construction européenne et l’ouverture progressive des flux de personnes et de marchandises ont transformé ces zones en bassins de vie communs. Plusieurs centaines de milliers de Français traversent chaque jour la frontière pour aller travailler. Plus d’un tiers de la population française vit dans un département frontalier, soit, au total, environ 25 millions de personnes. Le nombre de travailleurs transfrontaliers résidant en France s’élève à près de 500 000 personnes. Ces travailleuses et ces travailleurs sont les plus confrontés aux difficultés résultant des divergences de législation entre la France et ses voisins. Il ne faut pas pour autant oublier les habitants de ces régions qui travaillent en France mais dont l’existence est également affectée par cette proximité avec la frontière : pour le meilleur lorsqu’elle assure un dynamisme économique et démographique, pour le pire quand elle augmente le coût de la vie et pénalise les services publics.

Ces frontières sont confrontées à des défis communs (transports, environnement, accès aux soins) mais aussi à des enjeux plus spécifiques là où les flux de travailleurs sont les plus importants : saturation des axes routiers, inégalités de revenus, tension du marché immobilier, difficulté de recrutement. C’est particulièrement le cas des zones frontalières avec le Luxembourg et la Suisse.

D’autres frontières, comme celle avec l’Espagne, connaissent un faible flux de travailleurs (environ 5 000 personnes) mais une intense coopération en matière culturelle, de sécurité et de santé. Cette diversité de situations et leur confrontation dans le cadre des travaux de la mission ont été d’une grande richesse pour identifier des difficultés communes ainsi que des bonnes pratiques reproductibles. Ce rapport est l’occasion de rendre hommage à ces initiatives locales riches et nombreuses. Cette réussite doit aussi, pour partie, être attribuée à l’Union européenne qui les finance via les fonds dits « Interreg » ([1]).

Les États sont directement impliqués dans ce travail transfrontalier car il soulève également des questions touchant directement à notre souveraineté : répartition de l’imposition des revenus, application des régimes de protection sociale, droit à la différenciation, etc.

Les relations de la France avec ses voisins sont à ce titre régies par le droit européen et par des conventions bilatérales, par exemple en matière fiscale. Plusieurs traités cadres récents (traités d’Aix-la-Chapelle en 2019 en Allemagne, du Quirinal en 2021 avec l’Italie, et de Barcelone en 2023 en Espagne) ont mis en place des mécanismes institutionnels de dialogue pour améliorer la gouvernance des zones frontalières.

Force est de constater que ces instances ne sont pas encore parvenues à imposer des solutions à des problèmes identifiés de longue date, en raison notamment du manque de prise en considération des acteurs locaux dans la conception et la mise en œuvre des décisions prises.

Le présent rapport est le fruit des travaux d’une mission d’information flash ayant pour objet d’étudier les problématiques rencontrées par les Français vivant en zone transfrontalière dans l’Hexagone. Aucun travail parlementaire sur la question n’avait été engagé au cours des dernières législatures, à l’exception du rapport confié par le premier ministre à M. Sylvain Waserman, alors vice‑président de l’Assemblée nationale, dont le périmètre se limitait à la frontière franco-allemande ([2]). La dernière mission confiée à des parlementaires portant sur l’ensemble de la politique transfrontalière remonte à 2010 ([3]).

Il était donc urgent de remettre l’ouvrage sur le métier tant la coopération transfrontalière a connu des évolutions. La pandémie de Covid-19 a notamment mis en évidence la capacité à trouver rapidement des solutions dans l’urgence en matière sanitaire ou fiscale pour faciliter l’exercice du télétravail. Cette dynamique doit se poursuivre pour résoudre les difficultés qui émergent en raison de l’intensification des échanges dans ces zones.

Au terme de trois mois d’auditions ([4]), plus de soixante personnes ont été entendues par la rapporteure : administrations, collectivités territoriales, préfectures, ambassades, associations… La rapporteure les remercie pour leur disponibilité, leur engagement et le sérieux des réponses qu’elles ont apportées à la mission. La réactivité dont ils ont fait preuve, dans des délais contraints, et la qualité des interventions et des réponses écrites fournies ont permis de nourrir le rapport avec de nombreux exemples et pistes de solutions.

Ce travail a été l’occasion de rassembler des personnes vivant dans différentes zones frontalières et de mettre en lumière les défis communs qu’elles doivent relever. La mobilisation des acteurs pour participer à cette mission et le nombre d’initiatives locales dont elle a pris connaissance démontrent l’intensité des relations transfrontalières et l’importance de renforcer le soutien de l’État à ces démarches.

Il en ressort un constat sévère : malgré l’engouement local pour les échanges transfrontaliers, l’État ignore trop souvent l’ampleur des problématiques de ces régions. Celles-ci sont mal prises en compte dans l’élaboration des politiques nationales. Plusieurs raisons peuvent être mentionnées : l’éloignement et la centralisation des décisions, la barrière linguistique, le mille-feuille administratif et territorial, le manque de dialogue entre les différents échelons et acteurs.

La rapporteure a donc concentré ses efforts dans deux directions :

– d’une part, identifier des irritants quotidiens auxquels sont confrontés les habitants des zones transfrontalières et pour lesquels des solutions pourraient être apportées rapidement ou qui doivent faire l’objet d’une attention particulière du gouvernement dans le cadre des relations bilatérales qu’il entretient avec les pays concernés (I) ([5]) ;

– d’autre part, proposer des améliorations concernant la gouvernance des zones transfrontalières et aux efforts particuliers qui doivent être menés pour informer et accompagner les habitants de ces régions (II).


I.   Prendre en considération les particularités des bassins de vie transfrontaliers dans les services publics et la vie économique

La rapporteure souhaitait que cette mission puisse identifier les principales difficultés auxquelles sont confrontés les frontaliers afin de proposer des pistes de solutions opérationnelles n’exigeant pas nécessairement un recours à des modifications de nature législative. Ces solutions, souvent déjà envisagées par les acteurs locaux, rencontrent parfois des freins dans leur mise en œuvre qu’il conviendrait de lever.

Ces problématiques touchent à tous les domaines de la vie courante, qu’il s’agisse de l’aménagement du territoire (A), de l’accès aux services publics (B) ou de la vie économique et sociale (C).

A.   Accroître la prise en considération des enjeux transfrontaliers dans l’Aménagement du territoire

1.   Poursuivre le développement de l’offre de transports publics transfrontaliers

La question des transports au sein des zones frontalières est la problématique la plus fréquemment évoquée par les personnes auditionnées par la mission. Elle concerne l’ensemble des frontières, même si les difficultés qu’elle soulève varient, principalement selon le terrain et l’intensité des flux quotidiens ([6]).

a.   Le transport individuel et de marchandises

La plupart des travailleurs transfrontaliers sont contraints d’utiliser leur véhicule personnel pour rejoindre leur lieu de travail. Compte tenu de la dynamique démographique des zones frontalières, de nombreux axes routiers connaissent une saturation. Le département de Haute-Savoie a par exemple doublé sa population depuis 1970, principalement dans les zones frontalières. La densification de la population à proximité des frontières pèse directement sur les infrastructures routières qui peinent à s’adapter à l’augmentation du trafic ([7]).

C’est particulièrement le cas le long des frontières suisse et luxembourgeoise où les embouteillages sont quotidiens, malgré les nombreux travaux menés pour améliorer la fluidité, par exemple sur l’autoroute A31 entre Thionville (Moselle) et Luxembourg. Cela s’explique par l’importance des flux de travailleurs vers ces deux pays (190 000 pour la Suisse et 120 000 pour le Luxembourg), pour un faible nombre de points de passage.

Certaines routes vers la Suisse ou l’Italie ont également la particularité d’être des routes de montagne parfois difficilement praticables en hiver. Dans le département du Doubs, 35 000 frontaliers rejoignent la Suisse quotidiennement par des cols dont l’entretien est insuffisant. Le préfet de ce département constate que ces routes connaissent souvent des rénovations récentes du côté suisse mais aucune du côté français, pour des raisons principalement financières. Certains axes ont été améliorés par la présence de tunnel mais les frontaliers ne bénéficient pas toujours de tarifs adaptés ([8]).

Recommandation  1 : Mettre en place la gratuité ou un tarif dédié aux frontaliers sur les tronçons de route transfrontaliers payants.

Parmi les obstacles inutiles aux déplacements des frontaliers figurent également les conditions d’accès aux centres-villes, classés en zone à faible émission (ZFE). Cette difficulté touche particulièrement les frontaliers étrangers qui viennent en France pour travailler ou pour faire des achats. Il n’existe pas d’équivalence entre les différentes vignettes écologiques européennes. La vignette française retient une classification croissante de Crit’air 1 pour les véhicules les moins polluants jusqu’à Crit’air 5 pour les plus polluants tandis que l’Allemagne retient la classification inverse avec seulement trois catégories (4, 3 et 2).

Pourtant, les critères sont semblables et il serait préférable de dresser des équivalences simplifiées permettant d’assurer aux habitants des pays voisins qu’ils ne seront pas verbalisés s’ils se rendent en France. Un tel mécanisme a été établi avec certains cantons Suisse et devrait être généralisé, d’autant qu’il bénéficierait principalement à l’économie française. Des propositions en ce sens avaient été faites par le Centre européen de la consommation ([9]) pour les villes de Strasbourg, Fribourg et Karlsruhe en 2019 ([10]).

Recommandation  2 : Mettre en place une reconnaissance mutuelle des vignettes écologiques pour les véhicules de l’ensemble des zones frontalières.

Le trafic routier de marchandises est également touché par ce manque de coordination. Le long de la frontière allemande, les transporteurs internationaux font passer leurs camions par la France car l’Allemagne impose une taxe élevée sur ses routes (la Maut). La Collectivité européenne d’Alsace a mis en place une taxe similaire, dite « R-Pass » visant à épargner les routes alsaciennes du report de trafic massif des camions européens qui dégradent considérablement l’infrastructure, entrainant des coûts d’entretiens importants pour la collectivité. Néanmoins, cette taxe étant moins élevée côté français, elle peut avoir pour externalité négative de pénaliser les acteurs économiques, en particulier lorsque ceux-ci convoient les marchandises entre deux sites sur le territoire alsacien lui‑même. Les acteurs économiques pointent le fait que le report d’une partie du trafic vers l’Allemagne n’est pas certain et qu’il existe un risque de report du trafic de camions sur des axes secondaires comme la route des vins d’Alsace. Il est donc essentiel que ces questions puissent être traitées de manière coordonnée au niveau transfrontalier.

La question du transport routier est considérée comme moins prioritaire sur la frontière espagnole car on ne compte qu’environ 5 000 travailleurs transfrontaliers franco-espagnols. Les flux routiers concernent principalement les camions qui passent par les autoroutes, soit du côté méditerranéen (A9), soit du côté atlantique (A63). Plusieurs petites routes de montagne qui avaient été fermées faute de moyens pour en assurer le contrôle ont été récemment rouvertes. Cela va dans le bon sens et bénéficie aux personnes souhaitant faire des achats du côté espagnol ainsi qu’aux touristes.

b.   Les transports en commun

Le développement des services publics de transport en commun dans ces régions est indispensable pour alléger le trafic routier et réduire l’impact environnemental du travail transfrontalier.

Le réseau de transports en commun transfrontalier fonctionne particulièrement bien de zone urbaine à zone urbaine, par exemple à Strasbourg (Bas-Rhin) où une ligne de tramway a été inaugurée en 2017 entre la ville voisine allemande de Kehl et la capitale alsacienne. Lorsque des transports en commun de qualité, dédiés aux transfrontaliers, ont été mis en service, les résultats montrent la volonté des habitants de les utiliser pour échapper aux contraintes de l’automobile. L’exemple du LémanExpress, réseau express régional franco-suisse qui dessert Genève et son agglomération, est significatif : 70 000 personnes l’empruntent quotidiennement – pour un objectif initial de 50 000, y compris pour des trajets franco-français ou pour des loisirs.

En revanche, comme l’a souligné le préfet du Doubs lors de son audition, il est insuffisamment dense lorsque les zones à relier de part et d’autre de la frontière sont diffuses, par exemple d’une résidence en zone rurale vers un emploi dans une zone industrielle éloignée d’un centre-ville. Pour pallier cette difficulté, plusieurs collectivités ont installé des parkings relais et des aires de covoiturage permettant d’allier l’usage de l’automobile à celui des transports en commun et d’augmenter le nombre de passagers par véhicule empruntant la route, réduisant ainsi le nombre total de véhicule.

Recommandation  3 : Soutenir le développement des parkings relais et des aires de covoiturage à proximité des gares desservant l’autre côté de la frontière.

Au total, l’offre de transports en commun transfrontalier demeure insuffisante. Comme l’a souligné le représentant de l’ambassade de Belgique, M. Thibaud Witters, lors de son audition ; « les lignes s’arrêtent encore trop souvent à la frontière ». C’est le cas du « Topo » qui relie Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) aux différentes villes de la côte basque espagnole mais ne dessert aucune autre ville du côté français.

Depuis la loi du 27 décembre 2023 ([11]), plusieurs projets de services express régionaux métropolitains (SERM) transfrontaliers ont été lancés pour parvenir à mettre en œuvre des lignes réellement transfrontalières ([12]). Cela développerait l’offre de transport en commun dans des zones périurbaines moins denses, pour désaturer la route et décarboner les déplacements pendulaires à la frontière. Le projet en gestation entre Colmar (Haut-Rhin) et Freiburg (Allemagne) devrait ainsi être accéléré pour relier notamment les deux principales villes concernées mais aussi desservir les localités sur son tracé. D’autres investissements sont programmés, sur la ligne des Horlogers entre Besançon (Doubs) et La Chaux‑de‑Fonds (Suisse) (55 millions d’euros) ou sur les lignes liant la France au Luxembourg (440 millions d’euros partagés entre les deux pays d’ici à 2030).

Recommandation  4 : Soutenir les projets de lignes ferroviaires régionales transfrontalières.

La mise en œuvre de ces lignes transfrontalières soulève plusieurs difficultés pratiques qui freinent l’aboutissement de ces projets ambitieux. Comme l’a indiqué Mme Brigitte Torloting ([13]), cela exige une harmonisation quant au matériel utilisé (rames, voies…), aux normes techniques (de circulation, de sécurité…) et au statut du personnel roulant. Ainsi, sur les frontières allemande et espagnole, le recrutement de chauffeurs et contrôleurs français est freiné par des exigences élevées de maîtrise de la langue. Dans ce domaine, ainsi que dans beaucoup d’autres ([14]), une harmonisation et une reconnaissance mutuelle sont indispensables.

Recommandation  5 : Engager un travail d’harmonisation des critères de recrutement et des exigences techniques pour favoriser la mise en œuvre de lignes de transport en commun transfrontalières.

Le développement récent de nouvelles lignes ferroviaires internationales ne semble pas avoir pris en considération la question des trajets transfrontaliers du quotidien.

Comme l’a regretté M. Philippe Voiry, ambassadeur aux frontières, lors de son audition : par souci de relier au plus vite les grandes villes, certaines villes moyennes proches de la frontière ne sont plus desservies ou les trajets partiels ne sont pas mis en vente. Même lorsqu’ils existent, certains trajets transfrontaliers ne sont disponibles qu’en gare et ne figurent pas dans l’application mobile de la SNCF, qui suggère des trajets plus longs et des correspondances inutiles et plus chères. C’est par exemple le cas de la liaison entre Metz (Moselle) et Trèves (Allemagne) ou encore du trajet entre Lauterbourg (Bas-Rhin) et Wörth-am-Rhein (Allemagne), dont le tarif diffère selon l’opérateur : 6,40 euros via la SNCF contre 4,20 euros via la Deutsche Bahn.

Un autre problème auquel sont confrontées les personnes empruntant les trains des deux côtés de la frontière concerne la validité des billets. Si un retard sur le premier trajet entraîne la perte d’une correspondance dans l’autre pays et que les billets ont été achetés sur deux applications différentes, le voyageur est contraint d’acheter un nouveau billet, le retard du premier train n’étant pas pris en compte.

Recommandation  6 : Faire figurer dans les applications mobiles de la SNCF l’ensemble des trajets transfrontaliers et harmoniser leurs tarifs.

Recommandation  7 : Demander à la SNCF de desservir les gares à proximité des frontières et de permettre la réservation de trajets transfrontaliers de courte distance sur les lignes européennes longue distance.

Recommandation n° 8 : Demander à la SNCF de mettre en place une reconnaissance mutuelle des billets en cas de correspondance transfrontalière manquée en raison d’un retard.

2.   Encadrer le marché du logement pour résoudre les difficultés de recrutement

a.   Un coût du logement en hausse, excluant certains habitants des zones frontalières

Les zones frontalières sont confrontées à des défis importants spécifiques en matière de logement, en particulier le long des frontières suisse et luxembourgeoise. Les salaires, à profession équivalente, y sont en moyenne trois fois supérieurs aux salaires français. Les travailleurs concernés bénéficient donc d’un pouvoir d’achat important et les zones frontalières deviennent extrêmement attractives.

Selon le préfet du Haut-Rhin, les communes les plus proches de la frontière comptent près de 90 % de travailleurs transfrontaliers. C’est une chance pour ces zones qui maintiennent une démographie dynamique. Le sous-préfet de Thionville a ainsi rappelé que son arrondissement était le seul du département à ne pas perdre de population en Moselle. C’est aussi une source de déséquilibre, selon le préfet de Haute-Savoie, Annemasse est devenue l’une des villes les plus inégalitaires en dehors de l’Île-de-France.

Surtout, selon le directeur de la mission opérationnelle transfrontalière (MOT) ([15]), M. Jean Peyrony : « l’attractivité du Luxembourg et de la Suisse engendre d’importantes pressions sur le foncier et le coût de la vie en zone frontalière, avec un risque de ségrégation spatiale entre frontaliers et non frontaliers dans l’accès au logement, notamment à la propriété ». Les coûts du foncier et des loyers augmentent, également alimentés par des citoyens suisses ou luxembourgeois venant résider en France faute de trouver des logements dans leur pays.

Cette situation crée une pénurie de logements pour accueillir tous les frontaliers. Les collectivités territoriales et l’État sont dépourvus de solutions car les règles relatives au « zéro artificialisation nette » (ZAN) limitent les possibilités de construire davantage de logements, notamment des logements sociaux. D’un point de vue financier, ils ne peuvent pas compter sur la participation des employeurs puisque les employeurs étrangers ne sont pas soumis au prélèvement du « 1 % logement ».

Pour répondre à ces difficultés, il apparaît nécessaire de reconnaître un statut spécifique aux zones transfrontalières du point de vue des règles d’urbanisme comme c’est le cas des zones montagneuses ou littorales. Ces zones devraient pouvoir bénéficier, au cas par cas, de dérogations, notamment au ZAN.

Recommandation  9 : Identifier le transfrontalier dans le code de l’urbanisme au même titre que le littoral ou la montagne et prévoir des zones tendues transfrontalières permettant de déroger à certaines contraintes législatives et réglementaires pesant sur la gestion du foncier.

Recommandation n° 10 : Prévoir un mécanisme permettant de collecter auprès des employeurs étrangers l’équivalent du 1 % logement français lorsqu’ils emploient des salariés français.

b.   Des effets collatéraux sur les entreprises et les services publics français

La tension du marché immobilier rend difficile, voire impossible, de se loger dans ces zones sans être un travailleur transfrontalier, ce qui aggrave les difficultés de recrutement. Pour M. Jean Peyrony : « Les employeurs français éprouvent des difficultés à recruter et fidéliser les personnels en raison d’un coût de la vie élevée et de l’attractivité des salaires de l’autre côté de la frontière ».

L’État, les collectivités, les hôpitaux peinent à recruter des agents alors même que les transfrontaliers souhaitent bénéficier de services publics en adéquation avec leur niveau de vie, exigeant notamment des plages horaires d’accueil des enfants élargis, des activités périscolaires, etc. ([16])

De nombreux postes restent ainsi vacants, en l’absence de candidats. Le préfet de Haute-Savoie a indiqué lors de son audition que le commissariat d’Annemasse était contraint de recruter des élèves en sortie d’école, faute de pouvoir fidéliser les agents en poste. Certains candidats refusent même le bénéfice du concours lorsqu’ils sont affectés dans ces zones.

Cette situation pénalise lourdement le fonctionnement des services publics, notamment dans le domaine de la santé car de nombreux soignants sont « aspirés » par les pays voisins ([17]).

Comme les fonctionnaires ne remplissent généralement pas les critères pour occuper les logements sociaux, par ailleurs nécessaires à d’autres frontaliers, certains départements ont mis en place des dispositifs attractifs tels que des indemnités de résidence revalorisées ou des baux immobiliers dédiés aux fonctionnaires et garantis par l’État. Selon la MOT, ces mécanismes sont encore des exceptions et gagneraient à être généralisés. D’autres mécanismes, mis en œuvre dans certaines villes, pourraient être mobilisés comme l’encadrement des loyers.

Recommandation  11 : Prévoir la mise à disposition de logements réservés aux fonctionnaires dans les zones frontalières.

Recommandation  12 : Généraliser la revalorisation de l’indemnité de résidence pour les agents publics exerçant en zone frontalière.

Recommandation  13 : Étudier la possibilité de mettre en œuvre un mécanisme d’encadrement des loyers dans les zones frontalières tendues.

3.   Reconnaître à sa juste importance la dimension environnementale de la relation transfrontalière

La question environnementale occupe une place croissante dans les discussions entre les partenaires transfrontaliers, en particulier sur la gestion des déchets et de la ressource en eau.

a.   Le traitement des déchets

La gestion des déchets est un sujet sensible pour les zones frontalières car certains pays mettent en place des règles particulièrement contraignantes ayant pour conséquence d’inciter leurs habitants à jeter leurs déchets du côté français, parfois de manière illégale ou en recourant à des intermédiaires peu scrupuleux.

Cette situation aboutit à l’apparition de déchetteries sauvages entraînant des coûts pour la collectivité, notamment en matière de dépollution. Il apparaît donc nécessaire d’inclure cette dimension dans les discussions avec les pays voisins pour mettre en place une politique coordonnée de gestion des déchets, si besoin avec une compensation de la part des États n’assurant pas eux-mêmes la collecte et le traitement de leurs déchets. De tels dispositifs pourraient être mis en place par des conventions entre les collectivités.

b.   La gestion de la ressource en eau dans des aires géographiques contraignantes

La gestion de l’eau occupe une place variable dans la relation transfrontalière d’une région à l’autre. Elle est particulièrement prégnante sur la frontière entre les Pyrénées-Orientales et la Catalogne, qui sont toutes deux confrontées à de fréquents épisodes de sécheresse ou d’inondation. Pourtant, aucune convention ne traite cette question qui est réglée ponctuellement à ce jour au travers d’initiatives locales. Un contentieux oppose d’ailleurs l’Agence de l’eau française et l’Espagne concernant des redevances dues par la France en contrepartie de la captation de certaines eaux espagnoles.

La gestion des barrages, des débits, de l’alimentation des zones frontalières en eau potable et de la prévention des risques de pollution doit pourtant faire l’objet d’un pilotage commun pour assurer une utilisation équitable de la ressource. Cette question se pose principalement sur les frontières fluviales, comme c’est le cas du Rhin, de l’Escaut, du Doubs ou de la Bidassoa.

De façon à optimiser l’aménagement du territoire dans les zones transfrontalières, tous ces enjeux (logements, transport, eau, déchet…) pourraient faire l’objet de schémas de coordination territoriale (Scot) ([18]) transfrontaliers, élaborés en collaboration avec les autorités compétentes des pays voisins.

Recommandation  14 : Élaborer des schémas de coordination territoriale (Scot) transfrontaliers en coordination avec les autorités des pays voisins.

B.   Adapter le fonctionnement des services publics aux exigences géographiques et économiques des zones frontalières

Outre la question du coût du logement qui constitue un obstacle au recrutement d’agents publics dans ces zones ([19]), les services publics mis à disposition des frontaliers sont confrontés à des problématiques particulières, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, de la culture ou de la sécurité.

1.   En matière d’accès aux soins

L’offre de soin dans les zones frontalières est confrontée à diverses contraintes. Les professionnels de santé peinent à se loger et les rémunérations offertes sont insuffisantes au regard du coût de la vie et des opportunités offertes de l’autre côté de la frontière. Ainsi, alors que leur densité est forte, ces zones deviennent parfois des déserts médicaux, en particulier pour certaines spécialités.

a.   Simplifier la possibilité de réaliser des soins de l’autre côté de la frontière

Face à ce constat, il est indispensable d’améliorer la complémentarité de l’offre de soin dans l’ensemble des bassins de vie transfrontaliers. Or, réaliser des soins dans un autre pays, même si celui-ci offre davantage de services de santé plus proches et dans des délais plus courts, est soumis à des règles strictes.

Pour un certain nombre de soins « coûteux », un frontalier qui souhaite en bénéficier dans un pays dans lequel il n’est pas assuré ([20]) doit obtenir une autorisation préalable de soins à l’étranger de sa caisse d’assurance maladie via un formulaire dit « S2 ». La délivrance de cette autorisation est soumise à des critères soit déjà vérifiés en amont (l’adaptation du soin à la pathologie du patient relevant de l’appréciation du médecin prescripteur), soit peu objectivables (l’absence de traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité en France dans un délai acceptable). Par ailleurs, l’accès à la liste des soins concernés est particulièrement complexe en raison de multiples renvois (voir encadré).

Cette procédure a donc pour effet de ralentir la réalisation de certains soins, notamment en matière d’imagerie, pour lesquels les délais en France sont parfois très longs ou exigent de longs déplacements. La rapporteure recommande donc de lever ce régime d’autorisation préalable pour les soins d’imagerie pour les assurés vivant en zone frontalière.

Recommandation  15 : Supprimer le 1° de l’article 1er de l’arrêté du 27 mai 2014 établissant la liste des soins hors de France nécessitant le recours à des infrastructures ou équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux, afin de permettre aux frontaliers assurés en France de pouvoir réaliser des examens d’imagerie dans le pays voisin sans autorisation préalable.

Article R. 160-2 du code de la sécurité sociale

I.-Les caisses d’assurance maladie ne peuvent procéder que sur autorisation préalable au remboursement des frais de soins dispensés aux personnes bénéficiaires de la prise en charge des frais de santé au titre des articles L. 160-1 et L 160-2 et aux personnes qui leur sont rattachées au sens des règlements européens dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou en Suisse, dans le cadre d’un déplacement aux fins de recevoir un traitement adapté, lorsque ces soins :

1° Impliquent le séjour du patient concerné dans un établissement de soins pour au moins une nuit ; ou

2° Nécessitent le recours aux infrastructures ou aux équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux, qui figurent sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé.

II.-L’autorisation mentionnée au I ne peut être refusée lorsque les conditions suivantes sont réunies :

1° La prise en charge des soins envisagés est prévue par la réglementation française ;

2° Ces soins sont appropriés à l’état de santé du patient ;

3° Un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité ne peut pas être obtenu en France dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de l’état de santé actuel du patient et de l’évolution probable de son affection.

L’assuré social adresse la demande d’autorisation à sa caisse de rattachement. La décision est prise par le contrôle médical. Elle doit être notifiée dans un délai compatible avec le degré d’urgence et de disponibilité des soins envisagés et au plus tard deux semaines après la réception de la demande de l’intéressé ou, le cas échéant, de la demande de l’institution de l’État de résidence. En l’absence de réponse à l’expiration de ce dernier délai, l’autorisation est réputée accordée.

Les décisions de refus sont dûment motivées et susceptibles de recours devant le tribunal judiciaire spécialement désigné compétent. Toutefois, les contestations de ces décisions, lorsqu’elles portent sur l’appréciation faite par le médecin-conseil de l’état du malade, du caractère approprié à son état des soins envisagés ou du caractère identique ou d’un même degré d’efficacité du ou des traitements disponibles en France, sont soumises à expertise médicale dans les conditions prévues par le chapitre Ier du titre IV du livre Ier du présent code.

III.-Ces soins sont soumis aux mêmes règles de remboursement que celles prévues par l’article R. 160-1.

Les soins autres que ceux mentionnés au I du présent article qui sont dispensés dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ne sont pas soumis à autorisation préalable et sont remboursés aux assurés sociaux dans les mêmes conditions que si les soins avaient été reçus en France, sous réserve que leur prise en charge soit prévue par la réglementation française.


Article R. 6122-26 du code de la sécurité sociale

Sont soumis à l’autorisation prévue à l’article L. 6122-1 les équipements matériels lourds énumérés ci-après :

1° (Abrogé) ;

2° Équipements d’imagerie en coupes suivants, à l’exception de ceux exclusivement dédiés aux activités mentionnées aux 6°, 11°, 13° et 21° de l’article R. 6122-25 et ceux mentionnés au 2° de l’article R. 6123-93-3 :

a) Appareils d’imagerie par résonance magnétique nucléaire à utilisation médicale ;

b) Scanographes à utilisation médicale ;

3° (Abrogé) ;

4° Caisson hyperbare ;

5° Cyclotron à utilisation médicale.

 

Article 1er de l’arrêté du 27 mai 2014 établissant la liste des soins hors de France nécessitant le recours à des infrastructures ou équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux

Les soins mentionnés au I de l’article R. 160-2 du code de la sécurité sociale qui nécessitent le recours à des infrastructures ou à des équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux sont énumérés ci-après :

1° Les soins requérant les équipements matériels lourds mentionnés à l’article R. 6122‑26 du code de la santé publique ;

2° Les interventions sous imagerie médicale, par voie endovasculaire, en cardiologie ;

3° Les interventions par voie endovasculaire en neuroradiologie ;

4° Les interventions sur le cristallin avec ou sans vitrectomie ou tout autre acte d’ophtalmologie pratiqué en secteur opératoire ;

5° La libération du canal carpien et d’autres nerfs superficiels en ambulatoire ainsi que les autres interventions sur la main pratiquées en secteur opératoire ;

6° Le traitement de l’insuffisance rénale chronique par épuration extrarénale ;

7° Le traitement du cancer ;

8° L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou identification d’une personne par empreintes génétiques à des fins médicales ;

9° Les soins cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation et activités biologiques de diagnostic prénatal.


b.   Développer les structures de soin transfrontalières

L’élargissement des possibilités de réaliser des soins pris en charge par la sécurité sociale de l’autre côté de la frontière peut servir de levier à la coordination de l’offre de soin au niveau transfrontalier. Cette organisation transfrontalière de l’offre de soin implique des discussions au niveau des agences régionales de santé (ARS). Ces dernières se montrant parfois réticentes, plusieurs élus ont mentionné lors de leur audition leur refus de demander des financements européens Interreg pour des projets de coopération sanitaire.

De nombreuses conventions ont pourtant porté leurs fruits. Dès 2009, une convention avait été passée avec l’Allemagne pour qu’elle assure la prise en charge des grands brûlés de la zone frontalière dans son établissement spécialisé de Ludwigshafen ([21]). De tels mécanismes existent dans plusieurs régions. Ils permettent aux habitants de se faire soigner indifféremment d’un côté ou l’autre de la frontière, évitant ainsi des pertes de chance, sans que cela n’ait d’effet sur les conditions de prise en charge – soit par un mécanisme de remboursement entre pays, soit par une convention fixant le nombre de prises en charge financées par chaque pays.

Ces dispositifs, parfois appelés « corridor sanitaire » sont généralement mis en place filière par filière pour en contrôler les effets sur la répartition des coûts et l’offre de soin. Les soins d’urgences entre la Moselle et la Sarre en sont un bon exemple : les services de secours des deux pays peuvent intervenir de part et d’autre de la frontière et assurer l’hospitalisation des patients dans l’un des cinq hôpitaux des deux régions. L’objectif est d’assurer l’accès aux habitants du périmètre transfrontalier, dans le cadre d’une régulation médicale, au plateau médicotechnique le plus proche et le plus adapté. Ces conventions sur les soins d’urgence pourraient être d’autant plus facilement généralisées qu’ils ne suscitent pas de concurrence entre les établissements et les professionnels.

Sur la frontière belge, la coopération sanitaire s’est développée autour de zones organisées d’accès aux soins transfrontaliers (ZOAST) ([22]). Chacune d’entre elles est régie par une convention associant les différents établissements de santé et couvrant un certain nombre d’actes. Les assurés sociaux français et belges qui résident de façon habituelle et permanente au sein de la zone géographique définie, peuvent bénéficier, sans autorisation médicale préalable et sans avance de frais, d’une prise en charge des soins de santé ambulatoires et hospitaliers dans les établissements de soins frontaliers identifiés.

Sur la frontière espagnole, la coopération sanitaire a pris la forme d’un établissement hospitalier transfrontalier dans lequel interviennent des soignants des deux pays. Ouvert en 2014, l’hôpital de Cerdagne est le premier hôpital transfrontalier d’Europe. Il couvre un bassin de vie de 40 000 habitants à l’année et de 150 000 habitants en été, dans une région qui ne disposait jusqu’alors pas de structure hospitalière de proximité.

Salué comme une grande réussite, ce Groupement européen de coopération territoriale (GECT) ([23]) est néanmoins confronté à divers irritants propres aux zones transfrontalières : refus d’accès des véhicules de secours de part et d’autre de la frontière, non-reconnaissance des diplômes de certains médecins français et chauffeurs de véhicules de secours ([24]), interopérabilité défaillante des systèmes d’information, obligation pour les parents d’enfants nés à Cerdagne de s’enregistrer au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères situé à Nantes, double imposition des soignants français etc. Ces problèmes sont bien identifiés et en cours de résolution mais ils viennent démontrer la persistance de petits blocages qui peuvent gripper le bon fonctionnement d’un modèle de coopération transfrontalière.

Recommandation  16 : Rattacher les enfants nés dans des établissements frontaliers à l’état civil de leur commune de résidence et non au service d’état civil du ministère des affaires étrangères situé à Nantes.

À l’inverse, comme l’a souligné Mme Laurence Navalesi, élue de la ville de Nice, d’autres frontières sont dépourvues d’accord de coopération sanitaire en matière de santé comme celle avec l’Italie, malgré des flux de patients importants.

Lors de son audition, l’Association des maires de France a rappelé qu’un dispositif légal était désormais à disposition des élus et des agences régionales de santé. L’article 182 de la loi dite « 3DS » ([25]) prévoit en effet que les schémas régionaux de santé : « comporte, le cas échéant, un volet consacré à la mise en œuvre des accords internationaux de coopération sanitaire applicables dans les territoires et collectivités [transfrontaliers] qui porte notamment sur l’organisation de la continuité des soins, l’accès aux soins urgents ainsi que sur la coordination en cas de crise sanitaire, dans le respect des attributions du représentant de l’État territorialement compétent et du directeur général de l’agence régionale de santé » ([26]).

La directrice de l’ARS Grand Est a souligné la nécessité d’associer systématiquement les caisses d’assurance maladie à ces projets car le financement de la prise en charge reste le principal point de négociation.

Recommandation  17 : Engager dans chaque zone transfrontalière, avec l’appui des ARS, des discussions pour mettre en place des corridors sanitaires via des conventions entre établissements, filière par filière.

c.   Renforcer l’attractivité des zones frontalières françaises pour les soignants

Lors de son audition, la directrice de l’ARS Grand-Est a souligné qu’une telle stratégie de développement des soins transfrontaliers gagnerait à être complétée par la mise en commun de certaines formations médicales. Cela assurerait l’obtention de certifications reconnues de part et d’autre de la frontière et de faire participer les pays qui emploient des soignants ayant bénéficié de formations publiques en France.

Dans le Doubs, l’intégralité des infirmiers formés par l’école de Pontarlier part travailler en Suisse à la fin de leurs études. Lors de son audition, le préfet du département suggérait la mise en place d’un dispositif contractuel visant à retenir les soignants formés en France pour qu’ils exercent quelques années dans leur pays de formation.

À ce sujet, en Haute-Savoie, une solution amiable a été trouvée avec la Suisse : « Une lettre d’intention a été signée le 10 octobre 2024 par les hôpitaux universitaires de Genève, le canton de Genève, la préfète de région et l’ARS pour formaliser un « gentleman’s agreement » visant à ce que les hôpitaux universitaires de Genève ne débauchent pas directement ou via leurs mandataires les personnels dans les hôpitaux de la Haute-Savoie et de l’Ain ».

La mise en place de formations mixtes permettrait d’harmoniser les compétences associées à chaque formation, qui sont souvent disparates d’un pays à l’autre. Sachant que la reconnaissance des diplômes s’avère souvent complexe, il est parfois plus simple de proposer des certificats complémentaires comme entre la Sarre et la Moselle (zusatzqualifikationen) ou dans l’Eurodisrict Pamina (formations linguistiques spécialisées pour le personnel de santé).

Recommandation  18 : Prévoir un dispositif contractuel incitatif ou contraignant les soignants formés gratuitement en France à y travailler plusieurs années.

Recommandation  19 : Dans les filières formant des soignants destinés à exercer dans le pays voisin, prévoir des formations communes cofinancées par le futur pays d’emploi et encourager la création d’instituts de formation mixtes.

Recommandation  20 : Développer des certificats complémentaires reconnus des deux côtés de la frontière pour renforcer l’offre de formations linguistiques spécifiques pour le personnel soignant.

Une alternative pouvant renforcer l’attractivité des métiers de la santé dans les zones frontalières consisterait à moduler les tarifs aux niveaux de remboursement offerts par la sécurité sociale d’affiliation. Cela permettrait à des professionnels de santé de soigner en France des travailleurs transfrontaliers français et des patients venant de l’autre côté de la frontière au même tarif que s’ils étaient installés en Suisse ou au Luxembourg. Cette solution, qui présente des difficultés au regard du droit européen, pourrait dans un premier temps faire l’objet d’une expérimentation.

Recommandation  21 : Expérimenter la modulation du montant des consultations en fonction du niveau de remboursement offert par le régime de protection sociale d’affiliation.

2.   En matière d’éducation et de culture

a.   Des structures d’accueil des enfants au bord de la saturation

En raison des durées de transport auxquelles ils sont confrontés, les travailleurs transfrontaliers ont souvent besoin de solutions de garde sur des horaires étendus. Or, les collectivités ne disposent pas des ressources suffisantes pour offrir ce niveau de service public et peinent à recruter les professionnels nécessaires.

Ces services bénéficient principalement aux pays voisins qui ont besoin des travailleurs transfrontaliers français et il serait donc juste de prévoir des mécanismes de contribution financière de la part de ces pays. Cela existe entre le canton de Genève et les collectivités territoriales de l’Ain et de la Haute-Savoie ([27]). Si un accord aussi avantageux ne peut être négocié avec tous nos voisins, il serait possible d’envisager des compensations pour certaines charges de service public dont la petite enfance ou les activités périscolaires pourraient faire partie tant elles sont indissociables de l’activité des travailleurs transfrontaliers.

Il arrive également que la question se pose dans l’autre sens. Mme Marie‑Claire Uchan ([28]) a ainsi indiqué lors de son audition que plusieurs écoles françaises pyrénéennes accueillent des élèves de nationalité espagnole dont les parents travaillent en France, sans contreparties financières.

Recommandation  22 : Prévoir des mécanismes de participation des pays d’emploi aux dépenses consacrées par la France à la petite enfance et aux activités périscolaires au profit des transfrontaliers.

b.   Un indispensable soutien à l’apprentissage des langues

Dans le domaine de l’éducation et de la culture, la question de la langue est centrale car elle reste parfois un obstacle infranchissable lorsque les autres barrières, juridiques ou administratives, sont levées.

La maîtrise de la langue du voisin est en effet indispensable pour l’exercice d’une multitude d’emplois ([29]) ou, lorsque ce n’est pas le cas, pour réaliser les démarches administratives nécessaires dans le pays d’emploi. C’est également un enjeu au sein des administrations et des collectivités pour pouvoir échanger avec leurs homologues, construire des projets et répondre aux demandes des administrés ([30]). Plus largement, la rapporteure est convaincue que le partage de la langue est un vecteur de rapprochement culturel entre les habitants des zones transfrontalières.

Un soutien spécifique doit donc être apporté à l’apprentissage des langues dans ces régions. Or, à la frontière allemande on observe plutôt aujourd’hui une diminution de l’apprentissage de l’allemand dans les établissements scolaires. Quant à la frontière italienne, la demande des élèves pour apprendre l’italien est en hausse mais les établissements peinent à recruter des enseignants en nombre suffisant.

Il s’agit également de défendre l’apprentissage du français dans les pays voisins. Sur la frontière espagnole, les élus locaux regrettent l’absence d’initiative de la part de l’État pour maintenir l’apprentissage de la langue française tandis que l’existence de plusieurs langues officielles place le français en troisième langue optionnelle après l’anglais et le basque ou le catalan.

Des initiatives portées par les collectivités territoriales ont porté leur fruit. La communauté d’agglomération du Pays basque (France) et le gouvernement de Navarre (Espagne) ont ainsi mis en place des coopérations dans le cadre de regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) multilingues s’appuyant sur des financements européens Interreg. Une école trilingue (espagnole, français, basque) a également ouvert à Saint-Sébastien, fruit d’un partenariat entre le gouvernement du Pays basque espagnol et la région Nouvelle-Aquitaine. Ces écoles multilingues, à proximité des frontières, existent également en Catalogne. Elles peuvent permettre de favoriser l’accès à l’emploi et le maintien des habitants dans ces régions parfois isolées.

D’autres projets peinent en revanche à se concrétiser, comme celui du collège transfrontalier franco-luxembourgeois d’Audun-le-Tiche, faute de pouvoir procéder aux ajustements nécessaires des programmes scolaires.

La coopération transfrontalière en matière linguistique exige donc de laisser les responsables locaux prendre des initiatives multilatérales et nouer des partenariats étroits en matière scolaire et culturelle. Il ne semble pas exister de stratégie nationale en la matière de la part de l’Éducation nationale qui privilégie l’uniformité des programmes scolaires et les spécificités des régions transfrontalières.

Recommandation  23 : Intensifier les partenariats éducatifs transfrontaliers pour encourager l’apprentissage du français et des langues des pays frontaliers, si besoin par un ajustement des programmes scolaires dans les zones frontalières.

Recommandation  24 : Faire de l’apprentissage de la langue du voisin et d’une culture transfrontalière commune une politique prioritaire.

3.   En matière de sécurité publique et civile

Comme en matière sanitaire, la question du franchissement de la frontière et de la possibilité pour les services d’un pays d’intervenir dans le pays voisin doit faire l’objet de conventions spécifiques. C’est l’objet des règles relatives à la coopération policière et douanière et de sécurité civile.

a.   Une coopération policière et douanière active mais des franchissements de frontière qui doivent rester fluides

En matière de sécurité publique, la coopération fonctionne de manière satisfaisante. De nombreux États de l’espace Schengen ont négocié des accords bilatéraux en vue d’approfondir leur coopération policière dans les régions frontalières (voir encadré).

Ces coopérations approfondies, qui sont expressément autorisées par l’article 39§5 de la Convention de Schengen, prennent différentes formes :

– des centres de coopération policière et douanière (CCPD) assurent le recueil et l’échange de renseignements ainsi que la participation à des opérations d’entraide judiciaire ;

– des patrouilles mixtes permettent de mener une coopération transfrontalière directe visant à prévenir des menaces pour l’ordre et la sécurité publics, à lutter contre les trafics illicites, l’immigration illégale et la délinquance dans la zone frontalière ainsi qu’à assurer la surveillance de la frontière ;

– le détachement de fonctionnaires de liaison favorise et accélère la mise en action de la coopération ;

– l’utilisation d’une fréquence radio binationale et d’une alarme transfrontalière garantit le caractère opérationnel des missions communes.

Une diversité d’accord en matière policière et douanière

Avec l’Italie, un accord a été signé le 3 octobre 1997. Il crée, à Vintimille et Modane, deux centres de coopération policière et douanière (CCPD) au sein desquels les agents des différents services des deux parties échangent des renseignements et participent à la coordination des mesures conjointes de surveillance. Il organise la coopération directe dans la zone frontalière. L’accord franco-italien a été complété par un échange de lettres du 1er juillet 2002 afin de permettre aux agents concernés de participer aux patrouilles mixtes sur le territoire de l’autre partie, en uniforme et avec leur arme de service.

Avec l’Allemagne, un accord similaire a été signé le 9 octobre 1997. Il a donné lieu à la création d’un centre de coopération policière et douanière situé à Offenbourg (Bade‑Wurtemberg), sur la rive allemande du Rhin. L’accord organise la coopération directe sous forme de détachement réciproque de fonctionnaires, d’échange d’informations et de coordination de l’intervention des forces.

Avec la Suisse, un accord signé le 11 mai 1998 a conduit à la création d’un CCPD, puis de patrouilles mixtes en zone frontalière, en avril 2004. L’association de la Suisse à l’acquis de Schengen a mené à la conclusion d’un second accord, signé à Paris le 9 octobre 2007. Cet accord a permis de lancer officiellement en janvier 2014 la brigade opérationnelle mixte (BOM) franco-suisse de police. Contrairement aux patrouilles mixtes, la brigade agit de façon permanente et de sa propre initiative sur les deux territoires. La France et la Suisse partagent un système commun de radiocommunication (valise DESC) ainsi qu’une base de données permettant la conservation durant cinq ans de tous les contrôles et infractions (environ 115 000 dossiers) afin de permettre des recherches croisées.

Avec la Belgique, un accord de coopération a été conclu à Tournai le 5 mai 2001. Il prévoit l’installation d’un CCPD à Tournai. En matière de coopération directe, les agents participant à des patrouilles conjointes sur le territoire de l’autre partie peuvent porter leur uniforme et leur arme de service. Un nouvel accord révisant l’accord de Tournai a été signé le 25 février 2013 à Bruxelles. Après ratification, le nouveau texte renforcera largement les compétences des patrouilles mixtes, qui pourront désormais exercer leurs compétences opérationnelles, y compris l’arrestation, lorsqu’ils sont sur le territoire de l’autre partie. Un policier français ou belge opérant seul sur le territoire de l’autre partie pourra également procéder à des interpellations dans le cadre d’un flagrant délit. Ce nouvel accord permettra également de détacher des policiers de part et d’autre de la frontière franco-belge, et « en cas d’urgence », de donner compétence à la patrouille la plus proche, belge ou française.

Avec l’Espagne, le traité de coopération du 7 juillet 1998 a institué un CCPD, il prévoit le détachement d’agents dans les services ou unités de l’autre partie. Enfin, dans le cadre de ses dispositions générales, le traité impose deux réunions annuelles des services compétents des deux parties au niveau local et des responsables locaux des CCPD, afin de dresser le bilan de leur coopération et d’élaborer un programme de travail commun et des stratégies coordonnées.

Avec le Luxembourg, l’accord signé le 15 octobre 2001 prévoit la création d’un CCPD d’une part, et fixe les modalités d’une coopération technique et opérationnelle directe entre les deux pays d’autre part. Un accord quadripartite signé en 2008 tend à instituer un centre unique et commun de coopération policière et douanière germano-franco-belgo-luxembourgeois.

Source : Mission opérationnelle transfrontalière.

En ce qui concerne les contrôles aux frontières, la France les a rétablies en 2015 au moment des attentats. Cette dérogation, prévue par les accords Schengen, a été renouvelée depuis. Plusieurs pays ont fait de même, dont l’Allemagne en 2024 ([31]). Ces contrôles peuvent freiner la fluidité des franchissements de frontières. Pour en limiter l’impact, les États membres de l’espace Schengen ont adopté un règlement modificatif ([32]) entré en vigueur le 11 janvier 2025, qui prend en compte les contraintes du rétablissement des contrôles aux frontières pour la vie économique des zones transfrontalières.

Cette réforme du code Schengen prévoit ainsi que « tous les États membres ayant des frontières intérieures communes déterminent, en étroite coopération, les zones de leur territoire considérées comme des régions transfrontalières, eu égard aux liens sociaux et économiques étroits qui les unissent, et les notifient à la Commission » (article 42 ter) et qu’« en cas de réintroduction ou de prolongation du contrôle aux frontières intérieures, les États membres concernés veillent à accompagner ce contrôle de mesures appropriées qui atténuent les incidences de leur réintroduction sur les personnes et sur le transport de marchandises, en accordant une attention particulière aux liens sociaux et économiques étroits qui unissent les régions transfrontalières, et aux personnes effectuant des déplacements essentiels » (article 26§3).

Lors de son audition, M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne (RPUE), a indiqué que la France avait notifié, le 10 janvier 2025, à la Commission européenne les zones de son territoire considérées comme des régions transfrontalières afin que les contrôles y soient allégés concernant leurs habitants. Dans sa contribution écrite adressée à la rapporteure, la RPUE précise que les régions que la France a signalées comme devant bénéficier des aménagements prévus pour les zones transfrontalières « recouvrent tous les départements français possédant une frontière terrestre avec un État membre de l’espace Schengen, soit 22 départements. ».

Des rapports sur la réintroduction de ces contrôles devront être transmis – à leur terme ou, au plus tard, annuellement – par les États membres au Parlement européen, au Conseil et à la Commission (article 33 du règlement précité). Ces rapports devront comprendre une section visant à indiquer les mesures prises pour limiter les impacts sur le fonctionnement de ces régions en particulier pour ce qui concerne les travailleurs transfrontaliers.

Recommandation  25 : Veiller à la mise en œuvre effective des nouvelles règles prévues par le code Schengen concernant le rétablissement des contrôles aux frontières et à ce que ces contrôles ne causent pas de désagrément supplémentaire aux frontaliers.

b.   Le développement récent de la coopération en matière de sécurité civile pour répondre aux évènements climatiques

En matière de sécurité civile, la mise en place de corridors permettant l’intervention indifférenciée des services de secours de part et d’autre de la frontière se développe progressivement. Comme en matière d’urgence vitale ([33]), il s’agit d’agir le plus rapidement possible et de faire face à des évènements ponctuels majeurs pour lesquels des renforts sont nécessaires. De plus en plus d’évènements, notamment climatiques (inondations, feux de forêts) peuvent toucher deux pays à la fois, rendant la coopération des services de secours indispensable.

Comme pour les services de police, cette coopération implique une organisation coordonnée, prévue par convention bilatérale, et portant sur la doctrine d’intervention, le matériel ou encore les moyens de communication.

Recommandation  26 : Mettre en place des corridors d’intervention commune en matière de sécurité civile et élaborer des doctrines d’intervention partagée.

Recommandation  27 : Prendre en considération les besoins de la coopération transfrontalière dans les choix d’achat de matériel et de développement des outils de communication opérationnelle.

C.   Lever les obstacles économiques et sociaux rencontrés par les travailleurs et les entreprises transfrontaliers

Le travail transfrontalier est l’une des principales sources de difficulté juridique au niveau transfrontalier car il exige une coordination étroite entre les différentes législations en matière de protection sociale, de fiscalité, de reconnaissance des diplômes ou de formation professionnelle.

1.   Favoriser la gestion transfrontalière des emplois et des compétences

La problématique de l’accès à l’emploi est rarement traitée au niveau du bassin de vie transfrontalier, chaque pays prenant en charge l’accompagnement des demandeurs d’emploi résidant sur son territoire. Pourtant l’accès aux offres d’emploi est un premier frein pour les Français qui ne disposent pas toujours des connaissances suffisantes pour savoir comment s’organise le travail transfrontalier, ni des capacités linguistiques adaptées pour trouver et répondre à des offres en langue étrangère – même lorsque l’emploi concerné n’exige pas la maîtrise de cette langue.

Dans certaines régions, des conventions ont été passées entre services publics de l’emploi pour partager les offres d’emploi dans l’ensemble de la zone transfrontalière. C’est le cas dans les Pyrénées-Orientales où des représentants syndicaux ont également demandé la création d’un organisme transfrontalier public d’accompagnement vers l’emploi.

La question de la recherche d’emploi est indissociable de la formation des demandeurs d’emploi. En zone transfrontalière, la formation professionnelle a vocation à adapter les compétences des demandeurs d’emploi aux besoins des employeurs, y compris étrangers, et donc à permettre l’obtention de certifications reconnues par les deux pays.

L’Association d’aide aux frontaliers plaide ainsi en faveur du développement de formations communes, accessibles des deux côtés de la frontière et permettant d’obtenir une qualification reconnue par les deux pays. Cette offre de formation pourrait être élaborée conjointement pour répondre aux besoins de la zone. Un tel dispositif favoriserait par ailleurs la participation des pays d’emploi au financement de ces formations dont ils seront in fine les bénéficiaires.

L’apprentissage transfrontalier a connu un coup d’arrêt après la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ([34]) qui a transféré cette compétence des régions vers les branches professionnelles et les opérateurs de compétences (OPCO). L’apprentissage transfrontalier a donc dû faire l’objet de nouveaux accords bilatéraux. En janvier 2025, le Parlement a approuvé définitivement l’accord franco-allemand relatif à l’apprentissage transfrontalier. De tels accords ont vocation à être négociés sur les autres frontières. Il s’agit d’une solution pertinente et souhaitée par toutes les personnes auditionnées qui ont évoqué les obstacles pratiques et surtout financiers à des expériences de formation professionnelle de l’autre côté de la frontière.

Recommandation  28 : Mettre en place des offres de formation commune, adaptée au besoin du bassin de vie et permettant d’en partager les coûts entre pays d’emploi et pays de résidence.

Recommandation  29 : Prendre rapidement les mesures réglementaires permettant la mise en œuvre de l’accord franco-allemand relatif à l’apprentissage transfrontalier et faire aboutir des accords similaires sur les autres frontières.

La reconnaissance des diplômes et de leurs équivalences demeure un obstacle à l’activité transfrontalière Lors de son audition, Mme Brigitte Torloting, représentante de Régions de France, a souligné qu’il était souvent difficile d’obtenir la reconnaissance d’une équivalence de diplôme de l’autre côté de la frontière. C’est pourtant parfois une démarche indispensable pour permettre à un salarié français de retrouver un emploi ou d’être repris lorsqu’une activité économique est transférée de l’autre côté de la frontière.

Ces difficultés de reconnaissance de diplômes peuvent avoir d’autres conséquences néfastes. En Belgique, l’absence d’équivalence entre les diplômes de maître-nageur français et belge a privé certains élèves français d’effectuer des activités scolaires dans une piscine belge, pourtant la plus accessible.

Les auditions ont mis en évidence de grandes lacunes dans le travail d’évaluation des demandes de reconnaissance de diplôme et d’équivalence. Celles-ci devraient obéir à des règles simplifiées dans les zones frontalières, par exemple en s’appuyant sur des commissions transfrontalières dédiées à leur examen.

Recommandation  30 : Prévoir une procédure de reconnaissance simplifiée des diplômes dans les zones frontalières, en particulier sur les métiers en tension ou dans les secteurs à forte dimension transfrontalière.

2.   Alléger les contraintes administratives pesant sur les travailleurs et les entreprises transfrontaliers

Certains travailleurs, y compris des transfrontaliers français, peuvent être détachés en France pour exercer une mission pour une entreprise allemande. La procédure de détachement prévue par le droit européen est relativement contraignante puisqu’elle exige deux documents : un formulaire A1 qui certifie la couverture du travailleur par un régime de protection sociale et une déclaration préalable qui signale les conditions du détachement à l’inspection du travail. Ces deux formulaires doivent être fournis en amont du détachement et renouvelés pour chaque mission lorsque celle-ci est ponctuelle. Notamment quand le détachement intervient à plusieurs reprises, mais pas nécessairement pour les mêmes missions ou pour la même durée, les employeurs transfrontaliers doivent refaire les mêmes démarches, ce qui représente une perte de temps et d’énergie considérable. Ces contraintes administratives, justifiées au niveau européen pour limiter la fraude sociale et la concurrence déloyale, apparaissent disproportionnées s’agissant du détachement en zone transfrontalière.

L’article 90 de la loi du 5 septembre 2018 précitée prévoyait ainsi que « l’autorité administrative, saisie par un ou plusieurs employeurs détachant de manière récurrente des salariés […] peut aménager les modalités selon lesquelles les obligations [applicables au travail détaché] sont satisfaites ». Le cadre juridique de cet assouplissement devait être fixé par un décret en Conseil d’État qui n’a pas été pris faute d’accord sur une application réciproque, en particulier avec l’Allemagne.

Selon les représentants du ministère du travail auditionnés, l’Allemagne, qui avait soutenu l’ouverture de négociations en ce sens, ne souhaite plus avancer sur la question. Elle craint qu’en accordant de manière réciproque des formalités allégées avec la France, elle se trouve dans l’obligation d’en faire de même à ses autres frontières – notamment la Pologne. Les discussions sur ce sujet semblent donc au point mort.

La dématérialisation des procédures d’autorisation via le système d’information sur les prestations de services internationales (SIPSI) et la mise en place d’autorisation annuelle pour les missions ponctuelles semblent cependant avoir permis une amélioration de la fluidité des démarches pour les employeurs étrangers souhaitant détacher leurs salariés en France. Selon le ministère du travail, la démarche ne prend que quelques minutes dans 90 % des cas.

La rapporteure a pu, selon les auditions, entendre différentes interprétations de la situation. Il semble dès lors utile de poursuivre les discussions, quitte à prévoir des aménagements très circonscrits pour certaines professions ou pour les résidents français employés en Allemagne. Cela permettrait, même de façon unilatérale d’offrir les services demandés par les habitants sans aggraver la concurrence pour les entreprises françaises.

Une alternative à la modification des conditions de détachement pourrait consister, comme l’a suggéré M. Frank Rotter, directeur de la coopération transfrontalière à la chambre de commerce et d’industrie Alsace Eurométropole, de reconnaître un statut d’entreprise frontalière permettant d’exercer librement de part et d’autre de la frontière dans une zone géographique délimitée. Ce projet ambitieux implique cependant une évaluation de ses effets sur les finances publiques pour assurer la bonne répartition des taxes, impôts et cotisations entre les deux pays.

Recommandation  31 : Poursuivre les discussions avec les différents partenaires sur l’allègement des formalités applicables au travail détaché dans la zone transfrontalière, selon des critères stricts assurant une conformité avec le droit européen.

Recommandation  32 : Réfléchir à la création d’un statut d’entreprise frontalière pouvant exercer de part et d’autre de la frontière sans recourir aux procédures de détachement.

Enfin, un certain nombre de travailleurs transfrontaliers subissent des discriminations liées à leur domiciliation bancaire et notamment le refus par certains établissements bancaires français de reconnaître les formats d’IBAN ([35]) étrangers alors que ces salariés sont parfois dans l’obligation d’ouvrir un compte à l’étranger pour percevoir leur salaire, tout en continuant de résider en France. Les portails internet de certaines administrations, comme celui de l’Assurance maladie, sont également dans l’incapacité d’accepter des formats différents du revenu d’identité bancaire (RIB) français. Cette difficulté a été signalée à plusieurs reprises par le Défenseur des droits mais ne trouve pas de solution. Des procédures de sanctions devraient être engagées pour mettre fin à ces pratiques.

Recommandation  33 : Prévoir des sanctions à l’encontre des banques, administrations et sociétés qui ne reconnaissent pas les formats d’IBAN étrangers.

3.   Clarifier les règles de protection sociale par une meilleure coordination des régimes de sécurité sociale

Outre les questions d’accès au soin, qui se posent pour l’ensemble des frontaliers ([36]), les travailleurs transfrontaliers sont confrontés à des problématiques particulières concernant leur régime de protection sociale.

Le droit de l’Union européenne prévoit qu’un salarié bénéficie du régime de protection sociale – hors assurance chômage – de son pays d’emploi tant qu’il y travaille au moins 50 % de son temps de travail annuel ([37]). Pour bénéficier des prestations couvertes par l’assurance maladie du pays d’emploi dans son pays de résidence, le travailleur doit fournir un formulaire, dit « S1 », à l’organisme de sécurité sociale de son pays de résidence. Peu de frontaliers sont informés de leur droit de bénéficier d’une inscription auprès de leur caisse d’assurance maladie de résidence leur permettant de bénéficier d’une prise en charge directe par la France de leurs dépenses de santé. Il revient alors à la caisse d’assurance maladie française de demander le remboursement auprès de la sécurité sociale du pays d’activité. Cette procédure de double inscription ne peut être rendue automatique ([38]) mais la délivrance du S1 pourrait être simplifiée et encouragée.

Recommandation n° 34 : Encourager les travailleurs transfrontaliers souhaitant bénéficier de soins en France à s’inscrire auprès de la caisse primaire d’assurance maladie de leur lieu de résidence pour simplifier la prise en charge de leurs frais de santé.

Par ailleurs, cette procédure de remboursement est contraignante s’agissant des ayants droit car les pays n’attribuent pas ce statut selon les mêmes critères. Par exemple, un conjoint sans revenu ou un jeune entre 18 et 25 ans dispose du statut d’ayant droit en Allemagne, mais pas en France. Par ailleurs, pour des raisons de conformité au droit européen, l’assurance maladie n’accepte plus la double affiliation des enfants de couples séparés dont l’un des parents est affilié en Allemagne et l’autre en France. Cela entraîne des difficultés de saisie des soins via la carte vitale et complique ensuite la procédure de remboursement. Cela peut susciter des reports de soins ou des tensions supplémentaires entre parents qui pourraient être évités.

Recommandation  35 : Rétablir la double affiliation des enfants de couples séparés dont les parents relèvent de régime de sécurité sociale différents.

 

Les reconnaissances d’invalidité font également l’objet de pratiques divergentes selon les pays. C’est le cas de la France et de l’Allemagne qui n’ont pas établi de concordance sur le statut d’invalidité. La décision de la sécurité sociale française ou allemande qui reconnaît l’invalidité ne s’impose donc pas à l’autre, ce qui peut entraîner des problèmes de calcul et de versement des pensions. Par ailleurs, les certificats requis doivent parfois être remplis par un médecin français à la demande de la sécurité sociale d’un autre pays et inversement, ce qui pose des difficultés de traduction et de délai.

Recommandation  36 : Reconnaître une équivalence du statut d’invalidité français avec celui des pays voisins, en faisant bénéficier la personne concernée du régime le plus favorable.

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La rapporteure a également été sollicitée sur les questions relatives à la fiscalité du travail et du télétravail ou à l’indemnisation du chômage. Sans nier leur importance, et comme indiqué en introduction de ce rapport, ces questions ne figuraient pas dans le champ de la mission car ils relèvent de discussions bilatérales, de négociations européennes ou de discussions entre les partenaires sociaux et les réponses pouvant y être apportées supposent des approfondissements que les délais d’une mission « flash » n’offrent pas.

Sur ces différentes questions, au-delà des mécanismes préalablement décrits, il est urgent d’assurer la bonne information des travailleurs transfrontaliers sur leurs droits. Cela passe par une gouvernance renouvelée de ces zones.

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*     *


II.   Améliorer la gouvernance des zones fontalières grâce à un dialogue approfondi en France et avec nos voisins

Outre l’identification d’irritants et de propositions quant à leur résolution, les travaux de la mission ont mis en lumière une difficulté plus générale relative à la gouvernance des zones transfrontalières. Une grande partie des irritants mentionnés auraient d’ailleurs pu être identifiés puis résolus par la voie d’un dialogue plus structuré entre les différents acteurs et échelons.

Les zones transfrontalières ont adopté diverses formes juridiques ([39]) pour organiser leur coopération, souvent prévues par le droit de l’Union européenne comme les GECT. L’UE leur dédie également les financements « Interreg » (voir encadré) – qui accompagnent ces projets malgré le faible intérêt qu’y portent les États.

Si de nombreuses initiatives locales portent ainsi leurs fruits, une meilleure organisation administrative de ces bassins de vie serait à même de permettre le règlement de nombreuses difficultés. Elle doit reposer sur :

– une meilleure information des usagers (A) ;

– l’animation d’un véritable service public transfrontalier (B) ;

– l’approfondissement du dialogue aux niveaux français et européen (C).

A.   Combler les lacunes de l’information et l’accompagnement des transfrontaliers dans leurs démarches quotidiennes

1.   Faciliter l’accès des usagers à une information fiable

Quelle que soit la difficulté à laquelle les frontaliers se trouvent confrontés, les associations qui se consacrent à leur accompagnement s’accordent pour dire que le plus compliqué demeure d’obtenir des informations fiables et adaptées dans des délais raisonnables.

Déjà existante pour les personnes confrontées à un seul système juridique, la complexité administrative est démultipliée dans ces régions où se superposent deux législations, parfois arbitrées par des règles de droit de l’Union européenne.

Les usagers ne disposent pas toujours des outils pour s’informer de manière autonome, soit parce que les formulaires qui leur sont remis ne sont pas traduits, soit parce que les conditions d’application des règles nationales dans les zones frontalières ne sont pas mentionnées sur les sites d’information du gouvernement.

Interreg

La coopération territoriale européenne (Interreg), dotée d’une enveloppe de 10 milliards d’euros sur la période 2021-2027, répond à l’objectif de développement territorial harmonieux poursuivi par l’Union européenne. La période de programmation actuelle (2021-2027) est la sixième à consacrer un budget aux dispositifs de coopération territoriale européenne. Elle est financée par une partie du Fonds européen de développement régional (FEDER).

À travers cette coopération, les territoires sont incités à résoudre ensemble les problèmes dépassant leurs frontières administratives et à œuvrer à un développement conjoint. Qu’ils concernent les transports, les infrastructures de santé ou la mise en réseau des PME, les projets de coopération territoriale européenne ont vocation à atténuer « l’effet frontière ».

La programmation est composée de quatre volets :

– la coopération transfrontalière - Interreg A (64 programmes pour 6,7 milliards d’euros) : financement de projets de part et d’autre d’une frontière commune, terrestre ou maritime, afin de relever des défis communs et/ou d’exploiter un potentiel de développement conjoint ;

– la coopération transnationale - Interreg B (13 programmes pour 1,5 milliard d’euros) : financement de projets dans des zones géographiques plus vastes visant à renforcer la coopération entre les entités nationales, régionales et locales afin de favoriser un développement territorial intégré ;

– la coopération interrégionale - Interreg Europe - et les réseaux - Interact, Urbact, Espon - (4 programmes pour 550 millions d’euros) : programmes visant à encourager la connaissance et le partage de bonnes pratiques et la mise en réseau en matière d’innovation, d’efficacité énergétique, de développement urbain etc ;

– le programme pour les régions ultrapériphériques - Interreg D (280 millions d’euros) nouveauté de la programmation 2021-2027, il aide ces régions à coopérer avec les pays et territoires voisins de la manière la plus efficace et la plus simple possible. Ce volet concerne cinq zones géographiques : Amazonie ; Caraïbes ; Atlantique moyen, golfe de Guinée ; océan Indien ; Canal du Mozambique.

Chaque projet doit répondre à l’un des cinq objectifs stratégiques fixés en 2021 :

– compétitivité et numérique ;

– climat et environnement ;

– mobilité et connectivité ;

– droits sociaux et inclusivité ;

– proximité avec les citoyens et développement territorial.

Le règlement régissant Interreg précise qu’au moins 60 % des fonds destinés aux programmes Interreg A, B et D sont alloués à l’objectif stratégique 2 (initiatives qui concernent le climat et l’environnement), ainsi qu’à un maximum de deux autres objectifs stratégiques. Les territoires sont libres dans ce choix.

La France participe à vingt-deux de ces projets.

La rapporteure recommande donc l’élaboration d’un portail dédié à l’information des transfrontaliers pour l’ensemble des frontières. Certaines associations ont déjà mené ce travail ([40]) et pourraient être sollicitées par le gouvernement.

Pour contourner la barrière de la langue ([41]), il est urgent que les différents formulaires administratifs et documents officiels, en particulier ceux faisant référence à des droits opposables fassent l’objet d’une traduction au sein de la zone frontalière. Lors de son audition, M. Thierry Ghera, ancien président du tribunal judiciaire de Strasbourg, a présenté le cas de salariés qui ont reçu la signification de leur licenciement en Allemand et qui ont mis trop de temps pour obtenir la traduction du document dans des délais permettant de faire valoir leur droit au recours.

Recommandation  37 : Mettre en place un portail public d’information multilingue destiné aux frontaliers.

Recommandation  38 : Rendre obligatoire la traduction de certains formulaires et documents d’informations dans les zones frontalières.

Heureusement, des associations – pour certaines financées par des fonds publics (européen, nationaux ou locaux) mais aussi par d’autres partenaires du secteur privé ou par leurs adhérents – sont très investies et assurent aux transfrontaliers un accompagnement au quotidien dans leurs démarches. Sur la frontière franco-allemande, le réseau Infobest a ainsi traité 21 000 demandes d’information en 2023.

Ces associations sont cependant confrontées à des difficultés comparables à celles des usagers : elles ne sont pas toujours informées des évolutions de la législation et peinent parfois elles-mêmes à trouver les informations nécessaires. Elles reprochent notamment aux administrations déconcentrées de ne pas être en mesure de leur fournir un accès vers des interlocuteurs dédiés et spécialisés sur les différentes questions transfrontalières, ni de participer aux journées d’information comme celles organisées par Infobest. Le dispositif des « référents coopérations transfrontalières » mis en place par certaines préfectures gagnerait ainsi à être généralisé et étendu à l’ensemble des administrations déconcentrées de l’État.

Dans certains domaines, comme la fiscalité, les règles applicables ne sont parfois même pas connues des spécialistes eux-mêmes. Elles aboutissent à des incompréhensions, comme la double imposition des intérimaires la première année de leur emploi. La rapporteure estime indispensable que les difficultés d’interprétation des règles fiscales applicables aux transfrontaliers puissent, en lien avec les associations qui ont identifié ces difficultés, faire l’objet d’une clarification de la part de la direction de la législation fiscale du ministère des finances.

Recommandation  39 : Désigner dans chaque préfecture de département frontalier un « référent coopération transfrontalière », interlocuteur des associations d’information des usagers et des collectivités territoriales au niveau départemental.

Recommandation  40 : Adresser aux associations accompagnant les transfrontaliers une veille juridique pour les informer des évolutions du cadre juridique applicable.

Recommandation  41 : Clarifier la doctrine fiscale sur les questions d’imposition des revenus issus du télétravail et pour les intérimaires.

2.   Créer un véritable service public transfrontalier

Les associations d’aide aux frontaliers partagent le sentiment de pallier l’absence d’accueil des usagers dans les préfectures et les services publics déconcentrés. Comme dans le reste de la France, la dématérialisation des procédures s’est accompagnée de la fermeture de nombreux guichets. Les associations ont indiqué rencontrer des difficultés à faire participer les administrations à des rencontres avec les usagers dans le cadre de permanences ou de salons. Pourtant les frontaliers, plus qu’ailleurs, ont besoin de renseignements de la part de l’administration pour exercer leurs droits.

Il est indispensable que l’État réinvestisse l’accueil des usagers dans ces régions, en lien avec ces associations. La mission opérationnelle transfrontalière (MOT, voir encadré ci-après) a regretté que certaines préfectures se trouvent dans l’impossibilité de recruter en raison du plafond d’emplois alors qu’ils disposaient des financements nécessaires.

Les administrations sont également confrontées à la barrière de la langue puisque les administrations ne disposent pas toujours d’agents bilingues. Il serait à ce titre souhaitable que la maîtrise de la langue puisse devenir un critère d’affectation prioritaire dans les services administratifs des départements frontaliers.

Recommandation  42 : Prévoir des dérogations aux plafonds d’emplois lorsque les préfectures disposent de financements dédiés pouvant permettre le recrutement d’agents publics dédiés aux questions transfrontalières.

Recommandation  43 : Favoriser l’affectation d’agents maîtrisant la langue du pays voisin dans les services de l’État des départements frontaliers.

Certaines structures pourraient être adaptées localement aux besoins des transfrontaliers comme les maisons France services. Dans le cadre de son partenariat avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui pilote le programme France services, la MOT a suggéré la mise en place de maisons France services transfrontaliers s’appuyant sur l’expertise d’agents formés spécifiquement à ces problématiques ([42]).

Ces maisons France services pourraient être portées par des associations existantes qui bénéficieraient ainsi d’une visibilité et d’un soutien financier accrus. Outre les services publics français (caisses de sécurité sociale, France travail, centre des impôts…), des administrations du pays voisin pourraient également être accessibles. Une expérimentation a été conduite avec succès en ce sens dans le département du Nord en 2021.

C’est également dans le cadre de telles structures que pourraient être résolues les procédures transfrontalières de manière plus agile, par exemple en matière de protection sociale ([43]), en permettant un dialogue direct entre les administrations des deux pays.

Recommandation  44 : Développer des maisons France services spécialisées en matière transfrontalière et organiser des permanences des administrations concernées – y compris étrangères.

Recommandation  45 : Mettre en place des guichets uniques transfrontaliers pour éviter que les usagers soient obligés de réaliser eux-mêmes les échanges d’informations entre les administrations des deux pays.

Outre l’information, il est essentiel que les transfrontaliers puissent faire valoir leurs droits. Or, la complexité des procédures judiciaires et les différences de fonctionnement de la justice les privent parfois d’accès au droit.

L’accès au droit est une exception française ([44]) permettant à tout justiciable de consulter directement des professionnels du droit pour s’informer. Les points d’accès au droit se sont multipliés mais très peu sont dédiés au droit transfrontalier car ils exigent de connaître le droit des deux pays et les règles de droit international qui définissent la législation applicable à chaque cas.

Le point d’accès au droit de Kehl est une expérimentation sur le territoire allemand de ce mécanisme français. Il offre des consultations juridiques gratuites aux citoyens des deux pays dans leur langue (succession, consommation, partage, droit de la famille, droit du travail…). Les bâtonniers mettent à disposition des experts sur différentes permanences thématiques au cours desquelles les justiciables peuvent consulter sur rendez-vous. Les avocats sont payés grâce à des financements européens et français.

La généralisation de ce projet exige un soutien politique – en particulier dans les pays où le mécanisme de l’aide juridique n’est pas aussi abouti qu’en France – et des financements européens. Un projet en ce sens a été soumis à l’Union européenne.

Recommandation  46 : Généraliser l’expérimentation des points d’accès au droit transfrontalier.

B.   Développer un dialogue transfrontalier inclusif et dynamique

1.   Établir une stratégie nationale pour les frontières

Tous les interlocuteurs ont indiqué leur sentiment d’un désintérêt des administrations centrales pour les questions transfrontalières. Selon un préfet auditionné par la rapporteure : « Les responsables publics français exerçant dans des départements frontaliers se heurtent continuellement à la très faible appétence des administrations centrales pour les questions transfrontalières ; les directions du ministère ne connaissent pas ces questions, ne les comprennent pas et n’y répondent pas ». Plusieurs préfectures ont ainsi rapporté leurs difficultés à avoir des interlocuteurs dans les ministères pour répondre à leurs interrogations. Sur ces questions, les directions se font souvent représenter à des niveaux subalternes et les demandes d’appui juridique sont rarement suivies d’effets.

En effet, c’est au quotidien qu’un suivi doit être réalisé, y compris au niveau politique. Tous les acteurs de terrain se sont accordés sur la nécessité d’avoir un responsable politique dédié au sein du Gouvernement qui puisse suivre ces questions qui requièrent des arbitrages fréquents et un dialogue quasi‑quotidien avec les autorités politiques des pays voisins. Cela permettrait d’intensifier les négociations de conventions qui sont plus faciles à faire aboutir lorsqu’elles traitent les difficultés séparément. À court terme, cette mission pourrait également être confiée à un délégué interministériel.

Recommandation  47 : Donner une envergure politique aux questions transfrontalières en confiant cette responsabilité à un membre du gouvernement, soit par la mention de ce thème dans son titre, soit par la création d’un secrétariat d’État ou, a minima, un Haut-commissaire ou délégué interministériel aux questions transfrontalières.

Au niveau opérationnel, les préfectures s’estiment isolées dans l’organisation de leur stratégie en matière de relations transfrontalières. Elles assurent souvent, au niveau des préfets de région – qui s’appuient sur leurs secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR) et leurs conseillers diplomatiques – le pilotage administratif de la coopération intergouvernementale transfrontalière. Toutefois, l’agrandissement des régions issu de la loi NOTRe du 7 août 2015 ([45]) a réduit la place occupée par les questions transfrontalières dans les problématiques régionales. En effet, la superficie de certaines régions rend la question transfrontalière moins prégnante comme en Nouvelle-Aquitaine, ou diluée par l’existence de frontières avec plusieurs pays avec des problématiques transfrontalières très variées comme en Grand Est.

Les questions frontalières avec chaque pays sont suivies par une région pilote qui n’associe pas toujours l’ensemble des départements concernés lorsque ceux-ci appartiennent à une autre région. C’est le cas des Ardennes qui disposent d’une zone transfrontalière avec la Belgique, dont le suivi est assuré par le préfet de région des Hauts-de-France, mais appartient à la région Grand-Est.

Les préfectures ne disposent par ailleurs que d’une étroite marge de manœuvre et de peu de moyens pour traiter quotidiennement et de manière autonome les difficultés quotidiennes en lien avec les collectivités territoriales. La nécessité de faire arbitrer « au fil de l’eau » les solutions fait naître des blocages. Selon un préfet auditionné : « Dans sa mission d’animation de la relation transfrontalière avec l’État voisin, le préfet est souvent en difficulté quand il ne reçoit aucune réponse de l’administration centrale à ses questions ».

Si les spécificités de chaque frontière empêchent une feuille de route unique, il apparaît donc nécessaire d’élaborer une doctrine nationale permettant ensuite aux préfectures d’engager les discussions nécessaires pour obtenir des avancées avec les administrations voisines.

Recommandation  48 : Élaborer une doctrine nationale déclinée sur chaque frontière pour que les préfets disposent d’une feuille de route dans le cadre du dialogue transfrontalier.

Enfin, la question transfrontalière doit être prise en compte plus systématiquement dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques au niveau national. M. Philippe Voiry a indiqué à la rapporteure qu’une circulaire dédiée à la mise en place d’une « évaluation transfrontalière des lois », dans le cadre des études d’impact qui accompagnent les projets de loi était toujours en attente de publication. Une telle évaluation systématique favoriserait l’adaptation de la législation aux particularités des zones transfrontalières, par exemple en matière d’urbanisme ou d’environnement, comme cela a été fait pour les zones littorales ou montagneuses ([46]).

Recommandation  49 : Publier la circulaire dédiée à la mise en place d’une évaluation transfrontalière des lois dans le cadre des études d’impact.

2.   Mieux impliquer les différentes parties prenantes dans les instances de dialogue

Une stratégie nationale, si elle est indispensable, ne saurait toutefois suffire à apporter rapidement des solutions sur le terrain. Les différents traités prévoient des instances de coordination au niveau intergouvernemental pour traiter les questions transfrontalières mais elles peinent à dynamiser les relations transfrontalières car elles se réunissent rarement – la convention intergouvernementale avec le Luxembourg ne s’est pas réunie en 2024 – et elles n’associent pas toujours les directions d’administration déconcentrée, les collectivités territoriales et les associations de transfrontaliers.

Pourtant, les collectivités sont confrontées au quotidien à la question transfrontalière, aux côtés des préfectures et des administrations déconcentrées, dont elles soulignent d’ailleurs l’investissement. Elles ont l’habitude de chercher ensemble des solutions et le font déjà dans la cinquantaine de structures de coopération existantes. Elles ne disposent cependant pas toujours des compétences nécessaires pour résoudre tous les irritants.

Des modalités d’organisation très diverses du dialogue transfrontalier ([47])

Les organisations locales :

– les eurodistricts de la frontière franco-allemande : SaarMoselle, Strasbourg-Ortenau, Regio Pamina, Eurodistrict Trinational de Bâle, Région Freiburg / Centre et Sud Alsace ;

– les agglomérations ou conurbations transfrontalières : Eurométropole Lille‑Kortrik‑Tournai, Grand Genève, Eurocité basque, etc.).

Les organisations départementales ou régionales :

– les projets de coopération : Conférence des Alpes Franco-Italiennes, GECT Hôpital transfrontalier de Cerdagne ;

– les zones eurorégionales : Alpes-Méditerranée, Pyrénées-Méditerranée, Aquitaine‑Euskadi ;

– les organisations couvrant toute une frontière : Communauté de travail des Pyrénées.

Les différences d’organisation territoriale des pays voisins de la France, souvent moins centralisés, expliquent également l’inertie de la mise en œuvre des décisions prises au niveau intergouvernemental.

Le cas de l’Espagne est à ce titre significatif. Comme l’explique le préfet de la région Occitanie : « La question des répartitions des compétences influe de manière significative sur la conduite de politiques publiques du fait de la forte dissymétrie entre la France et l’Espagne, avec un système quasi fédéral côté espagnol et des communautés autonomes disposant d’une importante d’autonomie de gestion par rapport aux régions françaises ainsi que certains périmètres d’intervention équivalant à ceux de l’État en France, dans le domaine de la santé notamment. Cet aspect complique de manière assez significative la structuration du dialogue interinstitutionnel multi-niveaux nécessaire à l’identification, au partage et au règlement des problématiques transfrontalières ».

Le problème est le même pour nos interlocuteurs. Les représentants des ambassades étrangères en France ([48]), comme les administrations et les collectivités territoriales françaises ont souligné lors de leur audition les difficultés qu’ils avaient à identifier le bon interlocuteur sur chaque question.

Comme le souligne un préfet auditionné : « La relation transfrontalière est compliquée par la difficulté à faire comprendre aux partenaires étrangers notre partage de compétences entre État et collectivités locales, et même à l’intérieur de l’État, entre préfet, recteur, directeur des finances publiques et agence régionale de santé, sans même compter les nombreux opérateurs de l’État ».

Il apparaît donc indispensable d’associer plus étroitement les collectivités territoriales et les administrations déconcentrées aux discussions sur les problématiques transfrontalières avant, pendant et après les discussions intergouvernementales. Il serait également utile de leur permettre d’être à l’initiative de discussions nouvelles pouvant ensuite faire l’objet d’une validation au niveau central. Le traité d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019 prévoit notamment un droit à l’expérimentation et à la dérogation au droit national en zone transfrontalière mais cette clause n’a à ce jour jamais été activée.

Recommandation  50 : Associer davantage les collectivités territoriales et les administrations déconcentrées aux discussions transfrontalières et leur laisser une marge d’initiative pour élaborer des solutions au niveau local dans le cadre prévu par les accords bilatéraux en matière de droit à la différenciation.

Les associations de transfrontaliers sont placées dans une situation comparable. Alors qu’elles assurent au quotidien la mise en œuvre du dialogue transfrontalier et qu’elles sont les meilleures connaisseuses des difficultés juridiques rencontrées par les usagers, elles ne sont pas représentées dans les instances de dialogue, et rarement consultées par celles-ci. L’Association d’aide aux frontaliers suggère ainsi que les associations puissent s’organiser pour déléguer un représentant dans ces discussions (en fonction de la frontière concernée et du thème évoqué).

Recommandation  51 : Créer un organe de dialogue entre l’État via les préfectures, les collectivités et les associations d’aide aux frontaliers, réuni en amont des rencontres intergouvernementales.

3.   Élaborer une méthode de travail

a.   Identifier les irritants

Au-delà de l’organisation des instances de dialogue, il est utile, en vue de permettre l’amélioration de la situation des zones frontalières, de mettre en place des stratégies de travail. Sur la frontière franco-belge, dans le cadre du projet Interreg France Wallonie Flandres, un comité a été créé pour identifier l’ensemble des irritants et suivre leur résolution. Trois cents obstacles ont ainsi été identifiés. De tels audits pourraient être engagés sur l’ensemble des frontières pour aller encore plus loin que les préconisations fournies par le présent rapport.

C’est l’un des objectifs du règlement européen relatif à la création d’un mécanisme visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier, dit « Bridge for EU » (voir encadré).

Recommandation  52 : Profiter de l’entrée en vigueur du règlement « Bridge for EU » pour procéder à un audit des obstacles pour les différentes frontières.

Le règlement « Bridge for EU »

Le règlement relatif à la création d’un mécanisme visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier a été adopté au mois de décembre 2024 et devrait être publié au journal officiel début 2025 après cinq ans de négociations.

Ce règlement part du constat que les territoires frontaliers ne disposent pas des moyens juridiques suffisants pour résoudre des obstacles qui trouvent souvent leur origine dans le droit national. Il a pour objectif de mettre en place une procédure de traitement des dossiers par les autorités compétentes sur chaque dossier.

Ce mécanisme reste facultatif malgré les tentatives de la France pour le rendre obligatoire. Son fonctionnement repose sur des points de coordination transfrontaliers désignés par chaque État membre au niveau national ou régional. L’interlocuteur identifié est ensuite destinataire des signalements que peut lui faire toute entité de droit public ou privé d’une zone transfrontalière. Les personnes physiques ont été exclues en raison de la charge administrative que cela risquait de représenter.

Après une première analyse de la situation signalée, le point de coordination fait remonter les obstacles transfrontaliers auprès des autorités compétentes. Le point de coordination doit informer le demandeur de l’évolution de sa demande (entre 3 et 6 mois avec possibilité d’étendre de trois mois supplémentaires en fonction de la complexité du dossier).

b.   Concevoir les solutions

La résolution des difficultés transfrontalières exige également des compétences juridiques élevées pour monter des projets communs ou formaliser des conventions.

Or, comme l’a souligné le préfet de la région Occitanie : « Les territoires frontaliers, ne disposent pas de moyens juridiques suffisants tant au niveau des collectivités que des États. L’État déconcentré ne dispose pas de moyens propres : les préfectures ne sont ni armées, ni compétentes en droit comparé. Les administrations centrales traitent en priorité en lien avec Madrid les questions bilatérales dictées par l’agenda gouvernemental ».

La mise en place des conseillers diplomatiques auprès des préfets de région a permis de renforcer l’action des préfectures en matière de coopération frontalière en instaurant un lien plus étroit avec le ministère des affaires étrangères.

Il serait utile de compléter ce soutien par la mise à disposition d’un véritable « pool d’expertise juridique » capable d’accompagner la négociation de conventions bilatérales. Ce travail d’expertise pourrait être confié à la MOT qui remplit déjà un rôle d’animation des politiques transfrontalières et a l’habitude de dialoguer avec les administrations déconcentrées et les collectivités.

Recommandation  53 : Mettre à disposition des préfectures et des collectivités territoriales un pool d’experts juridiques pour les accompagner dans la préparation et la négociation de solutions aux irritants transfrontaliers.

c.   Financer leur mise en œuvre

Demeure la question du financement des différentes mesures. Dans le cas des zones frontalières de la Suisse et du Luxembourg, malgré les revenus de leurs habitants travailleurs transfrontaliers, les collectivités territoriales de ces zones frontalières ne bénéficient ni de ressources fiscales particulièrement élevées
– l’activité économique se concentrant de l’autre côté de la frontière –, ni des mécanismes de péréquation dédiés aux communes les plus en difficultés. Il en va de même pour l’État puisque l’impôt sur le revenu est prélevé par l’État d’activité.

Pourtant, l’État et les collectivités doivent supporter le financement de l’ensemble des services publics de leurs résidents. Les pays d’emploi contribuent rarement au développement de la zone frontalière du côté français, bien qu’ils soient souvent dépendants de la présence des travailleurs transfrontaliers. Certains mécanismes de redistribution existent. Le plus abouti est celui qui lie le canton de Genève aux départements de l’Ain et de la Haute-Savoie depuis 1973 (voir encadré).

Accord de 1973 entre Genève et les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie

Cet accord prévoit une compensation financière reversée tous les ans par le canton suisse aux départements de l’Ain et de la Haute-Savoie, pour participer aux charges publiques que la France supporte pour ses habitants qui travaillent à Genève. Le montant de cette compensation correspond ainsi chaque année à 3,5 % de la masse salariale brute des frontaliers de ces départements. La compensation financière genevoise a atteint en 2024 un nouveau montant record avec 372 millions de francs suisses, soit 387 millions d’euros reversés au titre de ces fonds frontaliers. La Haute‑Savoie perçoit 77 % de ce montant et l’Ain 23 %. Sur cette répartition, les départements conservent 45 % des fonds et reversent ensuite le reste aux communes, au prorata du nombre de frontaliers recensés.

Avec d’autres pays, comme le Luxembourg, la participation du pays d’emploi s’opère par le cofinancement de projets de coopération, comme les infrastructures de transports, pour des montants bien inférieurs. La commission intergouvernementale avec le Luxembourg a par exemple conclu au cofinancement de lignes de train entre la France et le Luxembourg pour un montant de 440 millions d’euros, partagé équitablement entre les deux pays, sur la période 2021-2030.

Le surcoût pour les services publics et les moindres recettes pour les finances publiques liés au travail transfrontalier doivent faire l’objet d’une évaluation précise permettant d’ouvrir des discussions sur des mécanismes de péréquation dédiés au financement d’infrastructures et de services d’intérêt commun (crèche, transport en commun, rénovation de routes, etc.).

Recommandation  54 : Évaluer le surcoût pour les services publics résultant du travail transfrontalier et ouvrir des négociations avec les pays voisins pour mettre en œuvre un mécanisme de participation du pays d’activité vers le pays de résidence.

Les projets transfrontaliers peuvent également s’appuyer sur des financements européens Interreg. Plusieurs élus ont regretté les réticences de l’État ou des ARS pour soutenir des demandes de fonds européens, en particulier dans le domaine de la santé. Dans un contexte de contraction des finances locales, il serait au contraire utile d’accompagner les collectivités dans l’élaboration de projets communs avec leurs homologues pour être éligibles à ces fonds.

Recommandation  55 : Accompagner les collectivités dans leurs démarches pour obtenir des financements via les fonds européens « Interreg ».

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   Examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 5 mars 2025 à 9 heures 30, la commission a examiné le rapport d’information « flash » sur les problématiques rencontrées par les Français vivant en zone transfrontalière dans l’Hexagone.

M. le président Bruno Fuchs. Chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner un rapport d’information important et attendu, consacré aux problématiques rencontrées par nos compatriotes vivant en zone transfrontalière.

Ce travail, issu de la mission flash créée le 4 décembre dernier et porté par Mme Brigitte Klinkert, met en lumière les défis spécifiques auxquels sont confrontés ces Français qui, chaque jour, tissent des liens économiques, sociaux et culturels avec nos voisins européens. Les zones transfrontalières sont des espaces de dynamisme, d’échanges, mais aussi de complexités administratives, fiscales et sociales. Chaque jour, des centaines de milliers de travailleurs frontaliers passent la frontière pour aller travailler, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg, en Espagne ou en Italie. Ces mobilités sont une richesse pour notre pays, mais elles s’accompagnent de nombreuses difficultés : accès aux soins, emploi, transport et aménagement du territoire.

Ce rapport s’inscrit pleinement dans les préoccupations de notre commission, qui veille à la bonne articulation entre les engagements internationaux de la France et la réalité vécue par nos compatriotes au quotidien.

Je pense par exemple à l’avenant à la convention entre la France et le Luxembourg que notre commission a eu l’occasion d’examiner en fin d’année dernière, au rapport de notre collègue Pascale Got, sur la question de l’imposition des journées de télétravail des travailleurs transfrontaliers et qui était d’une grande importance pratique pour les personnes concernées. Je pense également à l’accord entre la France et l’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier que nous avons examiné tout récemment, déjà au rapport de Mme Klinkert, qui pourrait d’ailleurs servir de modèle à la conclusion de prochains accords bilatéraux sur ce même sujet avec le Luxembourg, la Belgique, la Suisse ou encore l’Italie. Je pense évidemment enfin aux traités cadres récents (traités d’Aix-la-Chapelle en 2019 en Allemagne, du Quirinal en 2021 avec l’Italie, et de Barcelone en 2023 en Espagne), qui ont mis en place des mécanismes institutionnels de dialogue pour améliorer la gouvernance des zones frontalières.

Ce rapport, fruit d’un travail approfondi et d’auditions nombreuses, vise à dresser un état des lieux précis de ces enjeux et à formuler de nombreuses propositions concrètes pour améliorer la situation de nos concitoyens. Je tiens à remercier madame la rapporteure pour la qualité et la rigueur de son travail. Nous allons maintenant lui donner la parole afin qu’elle nous présente les principales conclusions de son rapport, avant d’ouvrir la discussion.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Notre commission m’a confié le 4 décembre dernier le soin de mener une mission flash sur les problématiques rencontrées par les Français vivant en zone transfrontalière. Ce sujet me tient particulièrement à cœur en tant qu’Alsacienne, mais aussi en tant que députée, puisque 25 millions de Français vivent en zone frontalière. Après trois mois de travail, j’ai l’honneur de vous présenter le compte rendu de cette mission, mes conclusions et surtout cinquante-cinq propositions.

Ces propositions sont le fruit d’auditions menées avec plus de soixante personnes, préfets, diplomates français et étrangers, élus locaux, représentants d’administrations centrales et déconcentrées, d’associations et du monde économique qui, tous, se sont montrés disponibles et réactifs, ce qui prouve l’importance de ce sujet autant que sa faible reconnaissance. À cet égard, je rappelle que, hormis le rapport sur l’approfondissement de la coopération transfrontalière franco-allemande rédigé par M. Sylvain Waserman en 2018, le dernier rapport parlementaire comparable remonte à 2010.

Pour respecter les délais propres aux missions flash, j’ai défini strictement le périmètre des travaux. Je me suis limitée aux frontières terrestres de l’Hexagone, qui présentent des problématiques spécifiques liées à l’intensité des flux qui les traversent, et me suis efforcée de les couvrir toutes afin de mettre en évidence leurs spécificités et leurs points communs. J’ai décidé de traiter des questions qui concernent le quotidien des transfrontaliers, mais aussi des personnes qui vivent et qui travaillent en France, aux frontières. J’ai volontairement laissé de côté la question de la fiscalité, car elle fait déjà l’objet d’une attention suivie de la part du gouvernement. Enfin, conformément à la mission de contrôle du gouvernement par le Parlement, je me suis concentrée sur les solutions de nature réglementaire ou bilatérale susceptibles d’être mises en œuvre à court ou à moyen terme, ce qui n’exclut pas une initiative parlementaire si nécessaire.

Le rapport comprend deux parties, une première portant sur les difficultés et les solutions concrètes, et une seconde sur la question de la gouvernance des zones transfrontalières, indissociable de la mise en œuvre des solutions proposées.

Au cours des auditions, la question des transports a été la plus citée parmi les irritants. L’attractivité et la densification des zones frontalières ont progressivement conduit à une saturation des axes routiers. Le développement des transports en commun peine à y remédier, en particulier dans certaines régions rurales.

De nombreux projets de liaisons ferroviaires transfrontalières représentent une source d’espoir dans la mesure où celles qui sont déjà en service donnent satisfaction. Toutefois, ces projets réclament de longs délais de réalisation, notamment en raison d’un manque de souplesse dans nos réglementations. La loi du 27 décembre 2023 sur les services express régionaux métropolitains doit nous aider à développer des projets de mobilité du quotidien en prenant en compte les spécificités des zones frontalières. À cet égard, il est impératif d’harmoniser nos normes applicables au matériel et au personnel roulant avec celles de nos voisins. Dans la zone frontalière franco-allemande, par exemple, un niveau B2 dans les langues des deux pays est exigé pour conduire un bus ou un train transfrontalier. Il s’agit d’un blocage inutile, même si un effort de formation adaptée est nécessaire, et j’y reviendrai.

Par ailleurs, il est nécessaire d’ouvrir en urgence une discussion avec la SNCF sur la commercialisation des lignes transfrontalières, puisque deux compagnies, l’une française, l’autre allemande, proposent le même trajet à des tarifs différents. En outre, la SNCF ne propose pas toujours les trajets transfrontaliers sur son application, bien qu’ils existent, et privilégie des correspondances longues et coûteuses. De même, des tronçons transfrontaliers sur des lignes internationales, comme Paris-Milan, ne sont pas mis à la vente. Cela mérite d’être corrigé en faveur du train et de la mobilité décarbonée en Europe.

Corollaire de la saturation des transports, l’accès au logement est devenu un défi croissant, en particulier aux abords des frontières suisse et luxembourgeoise. Les écarts de revenus ont fait exploser le coût du logement, ce qui pénalise principalement les frontaliers qui travaillent en France, notamment les fonctionnaires, et cette situation pèse sur les services publics et les employeurs français.

Je propose des adaptations du droit de l’urbanisme et de l’environnement, comme cela existe déjà en zones littorales et montagneuses. Il est en effet indispensable de permettre la création de logements sociaux par des dérogations à l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), de réserver certains logements à des fonctionnaires ou à des soignants, de revaloriser les indemnités de résidence dans les départements concernés et de négocier un mécanisme de participation des employeurs étrangers sur le modèle du 1 % logement.

Ces difficultés de logement se répercutent sur les services publics, qui peinent à recruter. Dès lors, je propose que les schémas de cohérence territoriale (Scot) prennent une dimension transfrontalière et associent l’ensemble du bassin de vie, y compris de l’autre côté de la frontière, pour réaliser des choix cohérents et faire remonter des demandes coordonnées aux échelons de décision supérieurs.

La difficulté à attirer des soignants dans les régions transfrontalières et à faire face à la concurrence des salaires suisses et luxembourgeois, crée des situations de désertification médicale. La mise en commun de l’offre médicale de part et d’autre de la frontière constitue par conséquent une mesure nécessaire par le biais des corridors sanitaires. Chacun, qu’il se trouve d’un côté ou de l’autre de la frontière, doit pouvoir être soigné dans les mêmes conditions, notamment financières. Cela existe déjà dans certaines zones géographiques et sur des catégories de soins spécifiques, par exemple entre la Sarre et la Moselle pour les soins d’urgence.

Les agences régionales de santé (ARS) et l’assurance maladie se montrent assez frileuses quant au développement de ces partenariats, principalement pour des questions financières. Pourtant, l’exemple de l’hôpital transfrontalier de Cerdagne, à la frontière franco-espagnole, montre que des établissements communs sont possibles et favorisent l’accès aux soins dans des régions parfois enclavées. Je recommande par conséquent d’avancer rapidement sur des accords bilatéraux et des conventions entre établissements. Nous pouvons également agir unilatéralement pour alléger certaines procédures imposées par l’assurance maladie aux patients français. Par exemple, une autorisation préalable de la caisse primaire d’assurance maladie est aujourd’hui indispensable pour bénéficier d’un examen d’imagerie médicale de l’autre côté de la frontière, alors que les délais sont très importants en France. Cette situation est un non-sens.

La question de la protection sociale des travailleurs transfrontaliers est source de difficultés administratives. Parmi une multitude d’exemples, le rapport cite l’exigence de certificats médicaux dans les deux pays pour faire reconnaître une situation d’invalidité, ce qui correspond à une démarche lourde et lente, à laquelle s’ajoute la barrière linguistique. Les employeurs sont également confrontés à des difficultés administratives pour exercer leur activité des deux côtés de la frontière. Ils sont contraints de recourir au travail détaché, qui implique des procédures déclaratives complexes et répétitives pour des employeurs qui envoient quotidiennement des travailleurs de l’autre côté de la frontière. En dépit de simplifications, le décret prévu par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, supposé alléger les formalités, n’a jamais été appliqué, faute d’accord avec l’Allemagne. Une réflexion devrait être engagée pour concevoir un statut d’entreprise frontalière, à l’image du statut des frontaliers personnes physiques, qui permette d’exercer librement des deux côtés de la frontière.

La formation professionnelle est un autre enjeu majeur pour l’accès à l’emploi transfrontalier. La reconnaissance mutuelle des diplômes, des qualifications et des formations rencontre pourtant de nombreux freins qui empêchent certains frontaliers de retrouver un emploi lorsqu’une activité se déplace de l’autre côté de la frontière. De même, certaines activités périscolaires se heurtent à des obstacles inutiles. Ainsi, une classe française ne peut se rendre dans une piscine belge située à quelques kilomètres, parce que le diplôme de maître-nageur n’est pas équivalent. C’est la raison pour laquelle je suggère dans le rapport de mettre en place une procédure simplifiée de reconnaissance des diplômes en zone transfrontalière et de développer une offre de formation commune.

La coopération en matière de sécurité existe depuis très longtemps, encouragée par l’ouverture des frontières prévue par l’accord de Schengen. Nous avons avec chacun de nos voisins des centres de coopération policière et douanière, ainsi que des brigades communes. Ces dispositifs fonctionnent très bien mais demeurent perfectibles, par exemple en matière de droit de poursuite.

Le droit européen prend désormais bien en compte les spécificités des zones frontalières affectées par le rétablissement des contrôles à certaines frontières. La révision du code Schengen, entrée en vigueur en janvier 2025, prévoit désormais une obligation pour les États membres de veiller à ce que ces contrôles n’aient pas d’effet excessif sur l’activité transfrontalière. J’y serai attentive.

En matière de sécurité civile, la coopération est plus récente, mais tout aussi indispensable en raison notamment de l’augmentation des événements climatiques graves. Elle exige une harmonisation rapide des doctrines d’intervention, des choix de matériel et des systèmes de communication.

Je conclurai cette revue des difficultés en soulignant l’importance d’une meilleure prise en compte des spécificités des bassins de vie transfrontaliers du point de vue de l’éducation et de la culture, en favorisant davantage l’apprentissage de la langue du voisin. L’éducation nationale doit prendre sa part dans l’adaptation des politiques publiques à ce contexte transfrontalier.

J’en viens à présent à la gouvernance des questions transfrontalières. Le constat partagé, toutes frontières confondues, est celui d’un double frein à la mise en œuvre des solutions existantes. D’une part, il semble que l’État central fasse preuve d’un manque de volonté et d’intérêt pour ces questions, en raison probablement de l’éloignement et de la méconnaissance de ces problématiques de la part des administrations centrales. D’autre part, des divergences d’organisations territoriales apparaissent d’un pays à l’autre, qui rendent très difficile le dialogue entre interlocuteurs du même niveau. En effet, nos voisins disposent souvent d’une organisation plus décentralisée, si bien que les accords passés au niveau national demeurent difficiles à concrétiser sur le terrain.

Pour rendre ce dialogue plus fructueux, il me semble indispensable d’associer toutes les parties prenantes, à savoir les collectivités, les administrations déconcentrées et les associations de frontaliers. En outre, il apparaît nécessaire de désigner un ministre ou un secrétaire d’État dédié à ces questions, un interlocuteur identifiable pour les pays voisins en charge de mettre en place un suivi politique et une coordination des administrations.

Au niveau local, les préfectures et les associations regrettent un manque d’accompagnement de l’État, notamment pour conclure des accords et des conventions juridiquement complexes. Je recommande par conséquent de créer un pool d’experts juridiques à disposition des préfectures et des collectivités frontalières. Cette tâche pourrait être confiée à la mission opérationnelle transfrontalière (MOT), une organisation créée par l’État en 1997 qui rassemble l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, la direction générale des collectivités locales, la Banque des territoires, ainsi que de nombreux élus locaux et associations citoyennes.

Les associations d’aide aux frontaliers, dont je tiens à saluer le travail extraordinaire, se substituent trop souvent au service de l’État. Ainsi, le réseau Infobest a traité 21 000 demandes en 2023. La coordination entre les associations et les administrations déconcentrées doit se faire en meilleure intelligence. À cet égard, je recommande la mise à disposition d’interlocuteurs dédiés, maîtrisant la langue du pays frontalier. Je soutiens l’idée de créer des maisons France services destinées aux transfrontaliers confrontés à des questions juridiques spécifiques. Cet accompagnement et cette information du public pourraient également passer par la traduction systématique des formulaires juridiques dans la zone frontalière et par la généralisation de l’expérimentation des points d’accès aux droits transfrontaliers.

Enfin, j’ai évoqué le fait que la France supportait souvent le coût des services publics en zone frontalière. Il convient par conséquent de faire participer les pays d’emploi au financement des services publics français. J’ai évoqué précédemment la mise en place d’un « 1 % logement » à la charge des employeurs étrangers de travailleurs transfrontaliers mais il y a d’autres possibilités : le cofinancement d’infrastructures ou de formations professionnelles par le pays voisin, ou encore la mobilisation de financements européens. À cette fin, l’État doit accompagner et soutenir plus efficacement les collectivités dans les appels à projets.

Le rapport de la mission sur les problématiques rencontrées par les Français vivant en zone transfrontalière dans l’Hexagone, dont la vocation est avant tout d’apporter des solutions opérationnelles, formule en tout cinquante-cinq recommandations. J’aurais à cœur que ces recommandations soient suivies par le gouvernement dans les meilleurs délais.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, madame la rapporteure, pour ce rapport extrêmement dense, précis, complet et concret. Notre commission s’est engagée à porter certaines de vos préconisations, notamment celles relatives au décret de 2018, qui n’a jamais été publié. Au-delà des propositions, il reste à effectuer un travail d’influence pour favoriser l’application des différentes mesures, et la commission se tiendra à vos côtés dans cette tâche.

Nous en venons à présent aux questions des orateurs des groupes politiques.

M. Kévin Pfeffer (RN). Le Rassemblement national, loin des caricatures et de la fuite en avant vers un fédéralisme européen, a toujours plaidé pour un renforcement de la coopération à nos frontières avec nos voisins directs.

Madame la rapporteure, vous semblez déplorer dans votre rapport la gestion de l’immigration et des contrôles aux frontières. Pourtant, le dogme de la libre circulation se heurte trop souvent aux problèmes sécuritaires et aux attentes fortes de nos concitoyens. Nous plaidons quant à nous pour une réforme profonde de l’accord de Schengen, et sommes favorables à une libre circulation réservée aux citoyens européens ainsi qu’à une double frontière renforcée aux frontières extérieures de l’Union européenne, avec des contrôles ciblés aux frontières intérieures. L’Allemagne applique ce principe et obtient des résultats, notamment dans la lutte contre l’immigration illégale et les trafics. Nos policiers, comme les policiers allemands, savent quand, qui, où et quoi contrôler. Ainsi, les travailleurs transfrontaliers et les habitants des zones transfrontalières sont épargnés par ces contrôles. Je dirais même que les frontaliers ont pour devoir d’accepter ces contrôles afin de protéger tout le reste du territoire.

La coopération en matière de santé mérite d’être renforcée pour faciliter la vie des frontaliers. La question d’un corridor sanitaire est évoquée depuis plusieurs années, mais peine à se concrétiser entre la Moselle et la Sarre notamment. Si des coopérations ciblées existent, à l’image de celle en vigueur sur la cardiologie, comment lever les autorisations préalables aux soins et accélérer les remboursements ? Comment avancer concrètement sur ces sujets qui permettraient, en outre, de pallier au moins temporairement la grande pénurie de soignants en France ?

Enfin, des problèmes de fiscalité persistent, après des décennies de combat pour l’abolition des doubles impositions. Je pense en particulier aux salariés intérimaires frontaliers, à l’absence de reconnaissance de l’invalidité française ou au prélèvement abusif de contribution sociale généralisée (CSG) et de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les retraites allemandes.

En résumé, l’Union européenne, comme souvent, agit, s’ingère, s’approprie indûment des compétences, mais peine à répondre aux soucis du quotidien. Les instances locales, dont seul le millefeuille français a le secret, ne sont-elles pas trop nombreuses ? Même si elles sont porteuses d’un symbole de coopération sympathique, elles sont parfois coûteuses et n’apportent que très peu d’avancées. Nous approuvons la plupart de vos propositions, madame la rapporteure, mais ne pensez-vous pas que la France gagnerait à prendre en main directement les discussions bilatérales ?

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Permettez-moi, monsieur Pfeffer, de rectifier votre propos sur les frontières. Comme vous le savez, la France, depuis 2015, a réintroduit des contrôles aux frontières dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le nouveau code Schengen permet ces contrôles. Toutefois, il convient de garantir aux citoyens le droit de circuler librement. Nos aïeux se sont battus pour que les frontières puissent s’ouvrir, pour la réconciliation avec nos voisins, notamment les Allemands, et je ne voudrais pas revivre ce que nous avons vécu en 2020 lorsque nos frontières se sont fermées. Je suis pour la libre circulation des personnes.

Un chapitre entier de mon rapport est consacré à la santé. J’attire votre attention sur la recommandation n° 17, qui consiste à engager dans chaque zone transfrontalière, et avec l’appui des ARS, des discussions pour mettre en place des corridors sanitaires à travers des conventions entre établissements, filière par filière.

Enfin, concernant la fiscalité, j’aimerais simplement rappeler que nous avons la chance de disposer de financements européens, dont la France et les territoires transfrontaliers bénéficient grandement.

Mme Constance Le Grip (EPR). Ce rapport dresse un état des lieux très précis, très exhaustif et sans concession des réalités de nos compatriotes en zone frontalière : infrastructures de transport inadaptées, marché du logement sous tension, difficulté croissante d’accès aux soins, rigidité administrative qui pèse sur les travailleurs et les entreprises, autant de freins à l’épanouissement de ces territoires stratégiques.

Nous partageons les convictions exprimées dans ce rapport. Les territoires transfrontaliers sont des pôles d’attractivité et de coopération européenne, mais ils font face à des défis structurels complexes, et pâtissent en outre du manque de coordination de certaines politiques publiques. Vos préconisations précises, madame la rapporteure, exigeantes pour certaines, nous paraissent appropriées et nous espérons que le gouvernement voudra bien les mettre en œuvre.

Il importe en effet de développer les infrastructures de transport frontalier en garantissant une meilleure interconnexion entre les réseaux, d’encadrer le marché du logement dans les zones frontalières sous tension, de prévoir des logements spécifiques, d’adapter les dispositifs de régulation existants, de faciliter l’accès aux soins, de simplifier les démarches fiscales et administratives pour les entreprises et les travailleurs transfrontaliers, ou encore d’instaurer une gouvernance transfrontalière plus efficace, en allouant aux collectivités locales des moyens d’agir.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Vous avez parfaitement résumé les enjeux du rapport. J’ajouterais que l’élément qui m’a le plus marquée au cours de la soixantaine d’auditions que j’ai conduites, est ce sentiment éprouvé par les frontaliers que leurs problématiques ne sont pas suffisamment prises en compte. Ils ignorent à qui s’adresser au niveau de l’État lorsqu’ils ont une question à poser ou une proposition à avancer. C’est la raison pour laquelle j’ai formulé des préconisations très fortes en matière de gouvernance.

Comme vous, madame Le Grip, j’espère que le gouvernement considérera ces préconisations, et je sais que le ministre délégué aux affaires européennes, M. Benjamin Haddad, s’y intéresse de près et souhaite me rencontrer très vite.

M. Stéphane Hablot (SOC). Député de Meurthe-et-Moselle, je connais bien ces régions où les habitants se rendent quotidiennement en Allemagne, en Belgique ou au Luxembourg pour travailler. Dans le Pays Haut, par exemple, 120 000 Français traversent la frontière pour accéder à un emploi, à un meilleur salaire. Mais la relation entre les pays frontaliers doit prendre la forme d’un schéma gagnant-gagnant.

Le rapport recense certaines inepties dans l’organisation des transports, qui pénalisent les travailleurs transfrontaliers. Je pense par exemple à l’infernale autoroute menant à Luxembourg, constamment saturée et pour laquelle aucune alternative n’est proposée. Pourtant, des solutions existent. En Allemagne, un tramway permet de franchir la frontière ; au Luxembourg, des transports en commun sont gratuits.

De même, des fonctionnaires exerçant dans des écoles ou des hôpitaux ne trouvent pas de logement et, pour certains, sont contraints d’effectuer jusqu’à 200 kilomètres chaque jour pour se rendre à leur travail. Le rapport relève également des absurdités relatives à l’objectif ZAN et il importe de légiférer afin d’élaborer une véritable stratégie foncière et alléger les procédures administratives. Les transports, les logements, sont autant de secteurs pour lesquels des améliorations sont nécessaires afin de gagner en attractivité.

Mon collègue du Rassemblement national évoquait, dans son intervention, la sécurité et les flux de populations entre pays. Vous avez énuméré, monsieur Pfeffer, différentes problématiques, mais vous avez omis de faire référence aux travailleurs français qui représentent la moitié des salariés du Luxembourg. Cette population est une main-d’œuvre immigrée pour le Luxembourg. Elle y paye des impôts sans bénéficier des services du pays qu’elle enrichit. Aussi, je crois qu’il importe de reverser la part fiscale à la France pour financer nos infrastructures.

M. le président Bruno Fuchs. Les exemples cités par M. Hablot mettent en lumière notre difficulté voire notre incapacité à mettre en œuvre certaines solutions. Au-delà du sujet des zones frontalières, le rapport de Mme Klinkert où figurent des propositions qui, pour certaines, existent depuis longtemps, illustre bien cette problématique dont l’État devrait s’emparer.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Comme je le rappelais dans mon propos liminaire, le dernier rapport sur les problématiques transfrontalières de l’ensemble de l’Hexagone remonte à 2010. L’attente est donc très forte sur ce sujet, et en témoigne le nombre élevé de contributions écrites que j’ai reçues après les auditions, dans de brefs délais trahissant une certaine impatience. Chaque jour, 500 000 travailleurs traversent les frontières de l’Hexagone pour travailler : ce chiffre suffit à dire l’ampleur du sujet. Autre exemple révélateur des enjeux liés à la mobilité et au logement, il m’a été rapporté que certains fonctionnaires en viennent à refuser le poste auquel leur réussite au concours leur ouvre l’accès parce que, affectés en zone frontalière, ils ne parviennent pas à se loger.

Enfin, je partage le point de vue de M. Hablot sur le financement. Je considère que nous devons demander aux pays voisins où travaillent de nombreux Français, une contribution au financement des infrastructures des zones frontalières. À titre d’exemple, la convention franco-suisse de 1973 prévoit une compensation financière par le canton de Genève au profit des départements de l’Ain et de la Haute-Savoie aux fins de dédommager ces derniers des infrastructures et services publics qu’ils mettent à disposition de leurs habitants travaillant à Genève. Cette compensation est égale à 3,5 % des rémunérations brutes perçues chaque année par les salariés concernés, et représente 387 millions d’euros.

M. Stéphane Hablot (SOC). L’exemple des travailleurs français en Allemagne, dont une part des impôts prélevés en France est reversée à l’Allemagne, mérite d’être lui aussi interrogé.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Je suis d’accord. Je précise toutefois que, tenant compte des impératifs d’une mission flash, j’ai écarté les questions relatives à la fiscalité et au télétravail. Ces sujets sont examinés par les services de l’État et requièrent un temps d’étude que ne permettait pas une mission flash de deux mois et demi.

M. Pierre Cordier (DR). Vous dites, madame la rapporteure, avoir rencontré une soixantaine d’interlocuteurs venus de différents horizons, mais je regrette que vous n’ayez pas auditionné les parlementaires frontaliers. Nous, députés de ces zones, recueillons dans nos permanences les doléances de nos concitoyens relatives à des problématiques très concrètes et quotidiennes. Ma circonscription s’étend sur la pointe des Ardennes, un territoire que l’on pourrait dire amicalement encerclé par la Belgique, et je sais les difficultés que rencontrent ses habitants sur les sujets que nous évoquons aujourd’hui. Notre collègue Jean‑Luc Warsmann avait d’ailleurs créé une antenne du conseil régional à Charleville-Mézières, permettant à chacun de se renseigner sur toutes ces difficultés.

Je souscris à la notion de bassin de vie que le rapport met en avant, comme je suis sensible à la question du désenclavement. Des Ardennais, qui souvent trouvent qu’ailleurs l’herbe est plus verte, scolarisent leurs enfants en Belgique et s’y font soigner. Pourtant, nous disposons en France d’hôpitaux et d’écoles dont les services ne sont pas moins qu’ailleurs de qualité.

Enfin, j’attire votre attention sur une particularité de notre territoire, liée à la présence de la centrale nucléaire de Chooz, dans le Nord des Ardennes. Cette centrale nucléaire, toute proche de la Belgique, pose question en matière de sécurité car les réflexes et les procédures en cas d’incident nucléaire ne sont pas les mêmes de chaque côté de la frontière.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Je n’ai, en effet, pas auditionné de parlementaires, mais j’ai reçu des contributions de la part de collègues députés qui avaient connaissance de cette mission publique. Par ailleurs, j’ai souhaité donner la priorité, lors des auditions, à des personnalités locales qui n’avaient jamais été entendues jusqu’à présent, et n’avaient jamais eu l’occasion de faire remonter leurs problèmes.

Chaque bassin de vie, en territoire transfrontalier, a ses spécificités. Sur la question des irritants, je voudrais signaler la récente adoption, d’un règlement européen relatif à la création d’un mécanisme visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier. Ce dispositif, nommé Bridge for EU, devrait entrer en vigueur en 2025 et permettre de signaler les obstacles transfrontaliers auprès des autorités compétentes, d’assurer un suivi et d’informer le demandeur sur l’évolution de sa demande. Je pense que Bridge for EU nous aidera à avancer sur les problématiques transfrontalières.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Les zones transfrontalières sont de véritables bassins de vie, le cœur battant d’échanges économiques, sociaux et culturels parfois intenses. Le dynamisme économique et démographique induit par l’effet frontières est à saluer et à encourager. Cependant, les Français vivant dans ces zones sont confrontés à des difficultés engendrées par cette même proximité avec la frontière : disparités salariales, manque de coordination administrative, spéculation immobilière, saturation des infrastructures de transport, pénurie des services publics.

Les recommandations que vous formulez, madame la rapporteure, nous semblent tout à fait pertinentes. Je citerais à titre d’exemple les préconisations relatives à la coordination et la simplification des procédures de part et d’autre de la frontière, indispensables pour faciliter la vie des 500 000 travailleurs transfrontaliers. De même, il nous paraît nécessaire de développer des lignes ferroviaires, l’apprentissage des langues, la reconnaissance des diplômes ou l’accès aux soins dans les pays voisins.

Toutefois, j’aimerais décaler l’angle de vue, et porter le débat sur l’état de nos services publics. Votre rapport le montre bien : les hôpitaux et les écoles peinent à recruter. Pourquoi ? Parce que les conditions de travail sont meilleures de l’autre côté de la frontière ? Si tel est le cas, ce n’est pas tant en raison des performances des systèmes voisins, mais plutôt de l’effondrement de nos services publics.

Au-delà des recommandations du rapport, il importe avant tout de revaloriser les métiers et les conditions de travail en France pour mettre fin à ce que l’on peut qualifier d’exode dans les zones transfrontalières. Un plan d’investissement dans les services publics et une politique ambitieuse en matière de logement sont indispensables. Il est inacceptable, par exemple, que des agents publics, soignants ou enseignants, peinent à se loger. C’est la raison pour laquelle nous appelons à des changements structurels, par-delà l’amélioration des conditions de vie et de travail des citoyens transfrontaliers.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. La lucidité nous commande de constater qu’il existe des écarts de revenus très importants de part et d’autre de la frontière. Dès lors, il paraît bien compréhensible que certains de nos concitoyens vivant à côté de l’Allemagne, du Luxembourg ou de la Suisse, franchissent la frontière. Parfois ils en reviennent, parce qu’ils sont là-bas des travailleurs immigrés et donc ne sont pas toujours très bien considérés.

Vous avez évoqué, monsieur Roumégas, un effondrement de nos services publics. Mais sachez qu’en Allemagne, juste de l’autre côté de la frontière, des lits ferment dans les hôpitaux, quand ce ne sont pas les hôpitaux eux-mêmes qui ferment. Dans ma région, nos voisins allemands sont demandeurs d’un hôpital transfrontalier, d’un centre de formation de soignants, voire d’une faculté de médecine transfrontalière. Et pourtant, beaucoup de nos soignants partent travailler en Allemagne.

Il ressort de mon rapport l’importance de raisonner au-delà des frontières en matière de programmation, en matière de Scot, en matière de schémas, en un mot de travailler ensemble, davantage et mieux. Je plaide également que les hauts fonctionnaires affectés dans nos régions connaissent un minimum la langue du voisin, parce que cela facilite les contacts et les négociations.

M. Michel Guiniot (RN). Madame la rapporteure, vous proposez dans votre rapport de mettre en place une reconnaissance mutuelle des vignettes écologiques pour les voitures circulant dans les zones de faible émission (ZFE). Vous estimez en effet injuste que les étrangers circulant dans les centres-villes français soient pénalisés, et y voyez même un obstacle inutile aux déplacements des frontaliers, ajoutant que la non-verbalisation des automobilistes pénalise l’économie française. Cependant, il me semble que vous n’allez au fond du sujet : ce sont ces vignettes écologiques elles-mêmes qui constituent un obstacle inutile et punitif, non seulement pour les étrangers, mais pour tous les automobilistes.

Par ailleurs, vous recommandez de ne pas intégrer les actes de naissance d’enfants étrangers nés en zone transfrontalière. S’agit-il d’une remise en cause du droit du sol ? Vous indiquez que le problème était identifié et en cours de résolution. De quelle manière ?

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Vous plaidez, monsieur Guiniot, contre les vignettes écologiques. Sur ce point, nous sommes en désaccord. Selon moi, le problème se rapporte à l’équivalence des vignettes et à un manque de coordination européenne. Je suis pour ma part favorable à une vignette unique.

Aujourd’hui, un enfant qui naît à l’hôpital transfrontalier de Cerdagne est inscrit au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères à Nantes. Or il me semble légitime que ses parents souhaitent inscrire leur enfant à l’état civil de leur commune de résidence. Permettre cette démarche est affaire de bon sens, et cela ne remet aucunement en question le droit du sol.

M. le président Bruno Fuchs. Je cède la parole aux collègues pour leurs interventions et questions formulées à titre individuel.

Mme Christine Engrand (NI). Nos frontières ne sauraient être des barrières en matière de formation professionnelle. Pourtant, elles ressemblent à des murs invisibles, faits de diplômes non reconnus, de formations inadaptées et d’un manque cruel d’information sur les opportunités qui s’ouvrent aux diplômés. Alors que certains secteurs, de l’industrie au bâtiment en passant par la santé, cherchent désespérément de la main-d’œuvre, nous laissons nos talents à quai, empêtrés dans des tracasseries administratives. Nos zones frontalières ne doivent plus être des territoires d’attente, mais des terres d’opportunité. À cet égard, il est urgent de bâtir une politique ambitieuse qui fasse de ces régions des modèles de coopération, dans lesquels chaque jeune Français pourra accéder à des formations reconnues et des emplois qualifiés.

Comment accéder à la mise en place de formations professionnelles transfrontalières adaptées aux réalités du marché du travail ? Quels leviers concrets sont susceptibles d’être activés pour inciter les entreprises à s’engager davantage dans la formation transfrontalière ? Comment garantir que les zones transfrontalières ne soient pas oubliées dans les futures réformes de la formation et de l’apprentissage ?

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Nous devons, à mon sens, multiplier les forums de formation et d’emploi binationaux sur l’ensemble de nos frontières. Le sujet de la formation réclame une attention particulière, et je rencontrerai prochainement le directeur de cabinet de la ministre de l’éducation nationale pour évoquer justement l’équivalence, ou à tout le moins la reconnaissance mutuelle des diplômes. Concernant la frontière franco-allemande, le traité sur la coopération et l’intégration franco-allemande d’Aix-la-Chapelle prévoit des dispositions dérogatoires. Pourquoi ne pas y recourir ?

M. Alain David (SOC). Le rapport met en lumière la situation des soignants formés gratuitement en France qui exercent de l’autre côté de la frontière, alors que notre pays voit s’étendre des déserts médicaux. Pourriez-vous développer, madame la rapporteure, le dispositif contractuel incitatif, voire contraignant, que vous avez imaginé pour les inciter à exercer plutôt en France ?

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Hormis la Suisse et le Luxembourg, la pénurie de soignants touche de nombreux pays européens, dont l’Allemagne. C’est la raison pour laquelle les Allemands souhaitent mettre en place des centres de formation de soignants en zone transfrontalière. Il s’agit à mes yeux d’une piste intéressante, pour nos deux pays, parce que de tels centres permettraient de former davantage de soignants, mais aussi de mieux connaître la culture du pays voisin. Concernant les corridors sanitaires transfrontaliers, j’ai déjà évoqué le blocage au niveau des ARS, où l’on estime que de tels dispositifs pèchent par complexité. Surtout, je propose dans mon rapport d’instituer une obligation de service en France d’une, deux ou trois années pour les soignants formés dans notre pays, à l’image des dispositions en vigueur pour les hauts fonctionnaires.

M. Belkhir Belhaddad (NI). La coopération transfrontalière luxembourgeoise s’est considérablement intensifiée depuis la création de la commission intergouvernementale (CIG) franco-luxembourgeoise en 2010. De cette coopération sont nés un certain nombre de projets tels que le centre technique de maintenance de la SNCF à Montigny-lès-Metz ou la Maison du Luxembourg de l’Eurométropole de Metz.

Dans ce cadre, les dépenses résidentielles doivent être prises en compte. Par exemple, la modélisation des crèches sur le pôle métropolitain frontalier s’élève à 2 millions d’euros quand les deux parents travaillent au Luxembourg. Aussi, il convient de revoir à la hausse la participation financière luxembourgeoise afin de compenser ces charges. Actuellement, les projets sont financés en co‑développement, mais d’autres pistes existent, à l’image de la rétrocession fiscale ou de la création d’un fonds de coopération transfrontalier. Quel serait selon vous, madame la rapporteure, le modèle de financement le plus approprié ?

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Je considère que les dispositifs de financement peuvent varier selon les modalités de coopération définies avec les pays voisins. Pour s’attarder un instant sur l’exemple du périscolaire, il me semble indispensable que le Luxembourg finance des projets pour des Français travaillant sur son territoire. Le Luxembourg et la Suisse participent déjà au financement des équipements en zone transfrontalière. Il convient d’encourager d’autres pays à emprunter cette voie, car les services publics, notamment dans les petites communes, restent difficiles à financer.

Mme Marie-Ange Rousselot (EPR). De nombreux Français établis en Suisse, résidant dans la région du Grand Genève ou dans l’Arc jurassien, sont concernés par les défis socio-économiques et territoriaux évoqués dans le rapport.

Des acteurs intergouvernementaux et des organismes de coopération locale et régionale ont émergé afin de renforcer les échanges entre les autorités compétentes de part et d’autre des frontières. Je note cependant que ces initiatives sont dépourvues d’une coordination nationale d’envergure qui renforcerait leur efficacité. La recommandation n° 47 du rapport propose justement de confier les questions transfrontalières à un interlocuteur unique au sein du gouvernement. Quelles seraient selon vous, madame la rapporteure, ses prérogatives ? De quels leviers d’action disposerait il pour surmonter les blocages ? Estimez-vous que, compte tenu de la transversalité des enjeux, cette responsabilité devrait être rattachée au premier ministre afin de garantir une coordination interministérielle efficace ?

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Permettez-moi, avant de vous répondre, de saluer l’excellent travail réalisé au Quai d’Orsay par M. Philippe Voiry, ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les questions frontalières.

Les questions transfrontalières sont à l’évidence des questions interministérielles. La nomination d’un membre du gouvernement en charge de ces questions répondrait, selon moi, à trois enjeux : assurer un suivi et un portage politique de ces questions, mettre en place une coordination interministérielle des actions des différentes administrations, et enfin disposer d’un interlocuteur unique, qui fait actuellement défaut pour les frontaliers et pour nos voisins européens.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, madame la rapporteure, pour vos réponses et pour ce rapport de grande qualité.

Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise la publication du rapport d’information qui lui a été présenté.

 

 


   Annexe 1 : Cartes

Carte N° 1 : flux des travailleurs frontaliers en 2021

Source : Mission opérationnelle transfrontalière

Carte N° 2 : Projets de transport ferroviaire transfrontalier en 2024

Source : Mission opérationnelle transfrontalière

 

Carte n° 3 : Les Zones Organisées d’Accès aux Soins Transfrontaliers (ZOAST)

Carte ZOAST

carte n° 4 : Les contrôles aux frontières intérieures
dans l’espace Schengen

Carte n° 5 : Les territoires transfrontaliers aux frontières françaises en 2021

 

Source : Mission opérationnelle transfrontalière


   Annexe 2 : Liste des personnes auditionnées

Ambassades

– Mme Anne Marvaldi, rédactrice affaires bilatérales de l’ambassade d’Allemagne ;

– M. Thibaud Witters, attaché de l’ambassade de Belgique ;

– M. Raul Bartolomé Molina, ministre conseiller de l’ambassade d’Espagne ;

– M. Andrea Domeniconi, service économique de l’ambassade d’Italie ;

– M. Carlo Siciliano, service économique de l’ambassade d’Italie ;

– M. Georges Eischen, chef de mission adjoint de l’ambassade du Luxembourg ;

– M. Yachar Nafissi-Azar, chef de mission adjoint de l’ambassade de Suisse.

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

– M. Philippe Voiry, ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les questions frontalières ;

– M. Corentin Santilli, rédacteur Croatie & Allemagne.

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

– M. Philippe Léglise-Costa, ambassadeur, représentant permanent ;

– Mme Julie Garrec, conseillère en charge de la politique régionale.

Préfectures

– M. Rémi Bastille, préfet du Doubs ;

– M. Yves Le Breton, préfet de Haute-Savoie ;

– M. Thierry Queffelec, préfet du Haut-Rhin ;

– M. Didier Carponcin, sous-préfet de Prades ;

– M. Philippe Deschamps, sous-préfet de Thionville ;

– M. Jean-Gabriel Delacroy, SGAR des Hauts-de-France ;

– M. Ludovic Julia, sous-préfet, directeur de cabinet du préfet des Pyrénées‑Orientales.

Ministères sociaux

– M. Antoine Saint-Denis, délégué aux affaires européennes et internationales des ministères sociaux (DAEI) ;

– Mme Marianne Forejt, cheffe du bureau des politiques et des relations européennes à la DAEI ;

– Mme Sandrine Pautot, adjointe au sous-directeur de la stratégie et des ressources à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) ;

– M. Julien Plubel, chargé de mission affaires européennes et internationales à la DGOS ;

– Mme Emmanuelle Eldar, responsable adjointe de la division des affaires communautaires et internationales, direction de la sécurité sociale ;

– M. Jonathan Redt-Gensinger, responsable adjoint de la mission Europe et international, direction générale du travail ;

– M. Jordi Carbonell, chargé de mission affaires européennes, direction générale du travail.

Agence régionale de santé – Grand Est

– Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale ;

– M. Patrick Jouin, conseiller relations internationales.

Mission opérationnelle transfrontalière

– M. Jean Peyrony, directeur général ;

– M. Raffaele Viaggi, responsable du pôle études et projets.

Associations d’élus

– M. Sébastien Populaire, maire de Touillon-et-Loutelet et co-président du groupe de travail sur la coopération transfrontalière de l’Association des maires de France ;

– M. Mathieu Bergé, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine chargé notamment de la coopération transfrontalière, représentant Régions de France ;

– Mme Brigitte Torloting, vice-présidente de la Région Grand Est et de la Mission opérationnelle transfrontalière, représentant Régions de France ;

– M. Gilbert Schuh, vice-président, délégué aux relations internationales, au transfrontalier, au multilinguisme et à la grande région du département de la Moselle, représentant l’Assemblée des départements de France.

Élus locaux

– M. Philippe Alpy, vice-président du département du Doubs en charge du développement territorial, de l’attractivité, des affaires européennes et transfrontalières ;

– M. Brice Fauvarque, vice-président du conseil départemental des Ardennes en charge des coopérations transfrontalières ;

– M. Dominique Moulin, président de la communauté de communes du Guillestrois Queyras et coordinateur transfrontalier du projet de coopération Interreg Alcotra France – Italie « Plan Intégré Territorial » Terres Monviso ;

– Mme Armelle Revel-Fourcade, maire de Le Soler, vice-présidente de la Communauté urbaine de Perpignan Méditerranée Métropole (CUPMM) ;

– M. François Calvet, maire et sénateur honoraire des Pyrénées-Orientales ;

– Mme Marie-Claire Uchan, vice-présidente en charge de la coopération transfrontalière de la Communauté de communes Pyrénées Haut Garonnaises ;

– Mme Laurence Navalesi, conseillère municipale déléguée à la coopération transfrontalière de la ville de Nice ;

– Mme Isabelle Massot, chargée de la stratégie transfrontalière Italie-Monaco à la Métropole de Nice.

Chambre de commerce et d’industrie Alsace Eurométropole

– M. Frank Rotter, directeur de la coopération transfrontalière.

Réseau Infobest

– M. Julien Kurtz, chargé de mission français, Infobest Palmrain ;

– M. Marcus Shick, chargé de mission allemand, Infobest Palmrain ;

– Mme Chrsitiane Andler, assistante, Infobest Palmrain ;

– Mme Cindy Schäfer, chargée de mission française, Infobest Kehl/Strasbourg ;

– Mme Delphine Carré, chargée de mission allemande, Infobest Vogelgrun Breisach ;

– Mme Julia Dumay, chargée de coordination, Infobest Rhin supérieur ;

– M. Floran Groneberg, manageur de projet, Infobest Rhin supérieur ;

– Mme Felicia Herr, chargée de communication, Infobest Rhin supérieur ;

– Mme Denise Loewenkamp, chargée d’affaires coopération transfrontalière, Infobest Pamina ;

– Mme Stéphanie Roser, chargée d’affaires coopération transfrontalière, Infobest Pamina.

Point d’accès au droit transfrontalier

– M. Thierry Ghera, président de chambre à la cour d’appel de Colmar ;

– M. Mendel Samama, rabbin de la synagogue de la Meinau.

Centre européen de la consommation (CEC)

– M. Christian Tiriou, directeur général ;

– Mme Bianca Schulz, responsable du CEC France ;

– Mme Tina Hinault, responsable de projets ;

– M. Lion Char, responsable du projet « Justice sans frontière ».

Associations de transfrontaliers

– M. Jean-Marc Koenig, président de l’Association d’aide aux frontaliers ;

– M. Jean-Luc Johaneck, président du Comité de défense des travailleurs frontaliers du Haut-Rhin ;

– M. Thomas Fischer, directeur général du Groupement transfrontalier européen ;

– M. Michel Rivière, président de l’Amicale des frontaliers.


   Annexe 3 : Contributions écrites

Outre la trentaine de réponses écrites reçues à la suite des auditions, la rapporteure a pu compter sur la contribution des acteurs suivants :

– Service de coordination intercantonal Regio Basiliensis ;

– Centre de compétences trinational pour la coopération transfrontalière dans le domaine de la santé dans le Rhin supérieur (TRISAN).


([1]) Voir encadré p. 42.

([2]) « Transfrontalier franco-allemand : 6 propositions pour innover au cœur de l’Europe », M. Sylvain Waserman, mai 2018.

([3]) Mission parlementaire sur la politique transfrontalière, confiée par le Premier ministre à Mme Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin, M. Etienne Blanc, député de l’Ain, et Mme Marie-Thérèse Sanchez-Schmid, députée européenne, juillet 2010.

([4]) Création de la mission le 4 décembre 2024.

([5]) La rapporteure a été sollicitée sur des questions relatives à la fiscalité du travail ou à l’indemnisation du chômage. Sans nier leur importance, ces questions ont été écartées du périmètre la mission car ils relèvent principalement de négociations bilatérales, européennes ou entre partenaires sociaux et que les réponses pouvant y être apportées supposent des approfondissements que le format d’une mission « flash » ne permet pas. De même la question des frontières maritimes ou des frontières outre-mer n’ont pas pu être traitées dans les délais imposés.

([6]) Voir carte n° 1 en annexe.

([7]) Par exemple, de 1997 à 2012, le trafic routier a augmenté de 47 % sur les quatorze points de passage entre la Sarre et la Moselle.

([8]) L’offre la plus économique pour la traversée du tunnel de Fréjus est un abonnement mensuel au tarif de 273 euros pour les véhicules particulier. Pour les professionnels circulant en véhicule utilitaire, le tarif le plus intéressant est 547 euros pour trente passages.

([9]) Association franco-allemande d’accompagnement des frontaliers.

([10]) Proposition pour une reconnaissance des vignettes écologiques dans la zone frontalière franco-allemande (dans les villes de Strasbourg, Fribourg, Karlsruhe) pour les véhicules particuliers, décembre 2019 (lien).

([11]) Loi n° 2023-1 269 du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains.

([12]) Voir carte n° 2 en annexe.

([13]) Vice-présidente de la Région Grand Est et de la Mission opérationnelle transfrontalière, auditionnée en tant que représentante de Régions de France.

([14]) Voir I.C. sur l’accès à l’emploi transfrontalier.

([15]) Depuis 1998, la MOT, créée avec le soutien de l’ANCT, de la direction générale des collectivités locales (DGCL), de la Banque des territoires (Caisse des Dépôts) et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères est une plateforme d’échanges et de ressources pour les acteurs de la coopération transfrontalière.

([16]) Voir I.B. sur la petite enfance.

([17]) Voir I.B sur l’accès aux soins.

([18]) Les schémas de cohérence territoriale sont des documents de planification stratégique à long terme (environ vingt ans) créés par la loi solidarité et renouvellement urbains du 13 décembre 2000, dont le périmètre et le contenu ont été revus par l’ordonnance du 17 juin 2020 de modernisation des Scot. Le Scot est destiné à servir de cadre de référence pour les différentes politiques sectorielles, notamment celles centrées sur les questions d’organisation de l’espace et d’urbanisme, d’habitat, de mobilités, d’aménagement commercial, d’environnement, dont celles de la biodiversité, de l’énergie et du climat...

([19]) Voir I.A. sur le logement.

([20]) Les travailleurs transfrontaliers, qui sont assurés dans leur pays d’emploi, rencontrent à l’inverse des difficultés pour la prise en charge de leurs soins dans leur pays de résidence : voir I.C.

([21]) Voir la convention de coopération transfrontalière pour les grands brûlés du 10 février 2009.

([22]) Voir carte n° 3.

([23]) Groupement européen de coopération territoriale : créés par le règlement (CE) nº 1082/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 et modifiés par le règlement (UE) nº 1302/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 pour faciliter la coopération transfrontière, transnationale et interrégionale entre les États membres ou leurs collectivités régionales et locales, les GECT sont dotés de la personnalité juridique et sont régis par une convention adoptée à l’unanimité de ses membres (état membre, collectivité, établissement public…). Tout GECT compte au minimum deux organes: une assemblée composée des représentants de ses membres et un directeur qui représente le GECT et agit en son nom.

([24]) Voir I.C sur la reconnaissance des diplômes.

([25]) Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

([26]) Article L. 1434-3 du code de la santé publique.

([27]) Le canton de Genève verse annuellement l’équivalent 3,5 % des salaires perçus par les transfrontaliers, soit 387 millions d’euros en 2024 (voir encadré p. 51).

([28]) Vice-présidente en charge de la coopération transfrontalière de la Communauté de communes Pyrénées Haut Garonnaises.

([29]) Voir par exemple en matière de transport (I.A) ou de santé (I.B.).

([30]) Voir la recommandation n° 43 de favoriser l’affectation d’agents publics maîtrisant la langue du pays voisin.

([31]) Voir carte n° 4.

([32]) Règlement (UE) 2024/1717 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 modifiant le règlement (UE) 2016/399 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes.

([33]) Voir I.B. sur l’accès aux soins.

([34]) Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

([35]) International Bank Account Number.

([36]) Voir I.B.. sur l’accès aux soins.

([37]) Cette quotité était de 25 % avant juillet 2023, elle a été revue à la hausse pour faciliter l’exercice du télétravail pour les transfrontaliers (accord-cadre du 30 juin 2023 en application de l’article 16, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 en cas de pratique habituelle du télétravail transfrontalier).

([38]) L’article 24 du règlement (CE) n° 987/2009 du 16 septembre 2009 dispose en effet que le « droit aux prestations en nature dans l’État membre de résidence est attesté par un document délivré par l’institution compétente à la demande de la personne assurée ou de l’institution du lieu de résidence. »

([39]) Voir carte n° 5.

([40]) Voir par exemple le site de l’association Frontaliers Grand Est : https://frontaliers-grandest.eu/

([41]) Voir I.B. sur l’éducation et la culture et I.C. sur la formation professionnelle.

([42]) L’ANCT vient d’élaborer avec la MOT une feuille de route pour la période 2024-2027.

([43]) Voir I.C.

([44]) Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

([45]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([46]) Voir I.A. sur le logement.

([47]) Voir carte n° 5.

([48]) La rapporteure a réuni en audition des représentants des ambassades d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne, d’Italie, du Luxembourg et de Suisse (voir liste des personnes auditionnées).