N° 1272

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

En application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])
sur le rôle du pastoralisme dans l’aménagement du territoire, les causes de son déclin et les conséquences pour le développement durable des territoires ruraux

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

et présenté par

M. Jean-Yves BONY et Mme Marie POCHON

Rapporteurs

Députés

 

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La mission d’information sur le rôle du pastoralisme dans l’aménagement du territoire, les causes de son déclin et les conséquences pour le développement durable des territoires ruraux est composée de : MM. Jean-Yves Bony, Christophe Barthès, Mmes Manon Bouquin, Danielle Brulebois, MM. André Chassaigne, Aurélien Dutremble, Inaki Echaniz, Denis Fégné, Mmes Sylvie Ferrer, Sandrine Le Feur, M. Hubert Ott, Mme Marie Pochon, MM. Loïc Prud’homme, Jean-François Rousset, Xavier Roseren, Mme Anaïs Sabatini.

 


SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS du prÉsident de la mission, M. Jean-François Rousset

IntroDUCTION

I. Le pastoralisme : un mode de vie et de production qui s’est transformé autant qu’il a transformé les territoires

A. La France, un pays pastoral de longue tradition

1. Des territoires façonnés par le pastoralisme tant du point de vue de la nature que de la culture

2. Le pastoralisme est un élément fondamental de la culture et de l’identité paysagère et sociale des territoires qu’il occupe

3. Un apport important pour le tissu social et l’attractivité des territoires ruraux

B. L’encadrement du pastoralisme par le droit

1. La loi pastorale de 1972 et les structures de gestion du pastoralisme

a. Les associations foncières pastorales et les groupements pastoraux

b. Les conventions pluriannuelles de pâturage

c. Les autres formes d’organisation de la propriété et de la gestion

2. L’organisation de la politique pastorale au niveau local

II. Le pastoralisme confronté à de nouveaux défis

A. Le pastoralisme est-il en déclin ?

1. Les surfaces occupées par le pastoralisme ne connaissent a priori pas de recul global

2. Une évolution à la baisse du cheptel et des élevages

B. L’accès au foncier demeure difficile à certains endroits du territoire

C. Coexister sur les territoires : un défi quotidien

1. Pastoralisme et activités forestières

2. Coexister avec la population locale et les randonneurs dans un contexte de prédation qui nécessite des chiens de protection

3. Coexister avec le tourisme et les activités de nature

4. Créer des espaces de discussion permettant de réfléchir à des « pactes territoriaux pastoraux »

D. renforcer la reconnaissance du pastoralisme dans le versement des aides de la politique agricole commune

1. L’admissibilité des surfaces pastorales aux aides de la PAC

a. Les aides du 1er pilier : les droits au paiement de base

b. Les aides du 1er pilier : les éco-régimes

c. Les aides du 2e pilier : L’Ichn et les Maec surfaciques

d. Les aides du 2e pilier non liées à la surface

2. Les aides couplées à la production

3. L’importance du maintien des aides qui prennent en compte les spécificités du pastoralisme

E. Le statut du berger : un métier difficile encore mal reconnu et mal valorisé

1. Un métier très exigeant et diversement exercé

2. Des conditions de travail à améliorer pour maintenir l’attractivité du métier

F. Les EFFETS DE LA PRÉDATION POUR LE PASTORALISME : QUEL ÉQUILIBRE AVEC LA FAUNE SAUVAGE ?

1. La présence du loup en France

2. Les plans nationaux d’actions Loup

3. Les mesures de protection complémentaire contre la prédation

4. Quelles perspectives pour le pastoralisme ?

G. Anticiper et gérer les effets du changement climatique sur les milieux naturels dont dépend le pastoralisme

1. Les conséquences du changement climatique sur les milieux naturels et l’activité pastorale

a. La disponibilité de la ressource en eau pour les animaux

b. Les modifications de l’environnement en réponse au réchauffement climatique

2. Les conséquences du changement climatique pour les animaux

3. La lutte contre le risque d’incendie

III. Intégrer le pastoralisme dans les dynamiques diverses du développement durable des territoires

A. « Sauvegarder, valoriser, partager » : la logique pour un renouveau pastoral

1. Sauvegarder les espaces naturels et le patrimoine pastoral

2. La nécessité de préserver des races rustiques

B. Concilier agro-économie et agro-pastoralisme

1. Soutenir les revenus des éleveurs pastoraux et mieux financer l’accompagnement du pastoralisme

2. Valoriser les productions pastorales locales

liste des PROPOSITIONS

TRAVAUX DE LA COMMISSION

liste des personnes auditionnées SOUS la xviE législature

liste des personnes auditionnées sous la xviie législature

Liste des personnes et organismes auditionnés lors des déplacements

Contribution écrite

ANNEXES

 


   AVANT-PROPOS du prÉsident de la mission,
M. Jean-François Rousset

Le pastoralisme est un héritage ancestral, ancré dans l’histoire des sociétés humaines depuis des millénaires. Il est encore présent aujourd’hui sur tous les continents, comme chez les peuples nomades de Mongolie, au Sahel, dans le désert du Sahara et dans l’Himalaya, mais également en France, concentré dans les Alpes, le Massif central, les Pyrénées et les Vosges. Il constitue l’une des formes les plus anciennes de cohabitation entre l’homme, l’animal et les espaces naturels libres et peu cultivables. Il représente un mode de vie dont les principes fondamentaux ont peu évolué au fil des siècles, avec ses propres réalités économiques. Toutefois, le contexte dans lequel il s’exerce évolue et se pose alors la question de l’impact de ces changements sur sa réalité en 2025. Face à ce constat, la mission d’information que j’ai eu l’honneur de présider s’attache à répondre à cette question essentielle.

Cette interrogation se présente sous plusieurs aspects. D’abord humain, afin de savoir si les hommes et les femmes qui font vivre ce modèle agricole et qui en vivent sont en décalage par rapport aux autres modèles agricoles. Les bergers, dont le nombre ainsi que les conditions de vie et de travail, questionnent la survie du métier.

Ensuite, les animaux sont un élément structurant du pastoralisme, ce qui impose une réflexion quant à leur nombre, leur variété et leur capacité à assurer leur rôle dans la biodiversité et la production alimentaire.

Quant aux exploitations pastorales, elles existent sous différentes formes, individuelles et collectives, qu’il convient d’appréhender, chacune dans leur territoire, en fonction de l’accès au foncier et de son encadrement historique, d’autant plus dans le contexte contemporain, qui pose le problème du partage de ces espaces pour d’autres activités, avec des risques de conflit d’usage.

En outre, le pastoralisme constitue un modèle économique qui paraît vertueux, dont il convient de s’assurer qu’il est viable et reconnu en tant que tel.

Enfin, si la dimension écologique impacte directement cette pratique (herbe, eau, parasites, etc.), le pastoralisme a également un rôle majeur à jouer (gestion des incendies, préservation de la biodiversité, etc.). La prédation est également une contrainte à l’activité pastorale qu’il convient de pleinement considérer.

L’objectif de cette mission est donc double : mieux comprendre le pastoralisme pour mieux en parler et identifier ses éventuelles difficultés afin de proposer des solutions adaptées et durables. En effet, il est essentiel de permettre à cette activité millénaire de s’inscrire dans l’avenir et de continuer à jouer son rôle fondamental dans l’aménagement et l’équilibre de nos territoires ruraux.


   IntroDUCTION

 

Le troupeau se promène à travers les landes désertes avec ses clarines. On l’entend de collines en collines. Les agneaux s’émerveillent à chaque odeur, au passage des ombres et des lumières.

Jean Giono, Arcadie…Arcadie… (1953)

 

Le pastoralisme, pratique séculaire fondée sur l’élevage extensif dans les espaces ruraux et montagneux, est un modèle agraire à la fois complexe et fragile. Selon la définition de l’Association Française de Pastoralisme (AFP), il représente « l’ensemble des activités d’élevage valorisant par un pâturage extensif les ressources fourragères spontanées des espaces naturels, pour assurer tout ou partie de l’alimentation des animaux ». On peut ainsi trouver des formes de pastoralisme individuelles et sédentaires ou collectives et transhumantes. Mais le pastoralisme ne se résume pas à une activité agricole : il est aussi un mode de vie qui façonne les paysages, gère les espaces naturels et participe à la préservation de l’environnement. En France, il reste un élément constitutif de la diversité paysagère et un vecteur clé du maintien de la biodiversité et du lien social dans de nombreuses régions, en particulier dans les montagnes et les zones de moyenne montagne.

En dépit de son importance historique et culturelle, cette pratique est aujourd’hui confrontée à des défis d’une ampleur inédite, tant économiques qu’écologiques et sociaux. Si la France a su se doter dès le début des années 1970 d’une loi pastorale qui fait encore autorité, le pastoralisme demeure encore trop souvent « un angle mort des politiques publiques », pour reprendre les termes de Mme Corinne Eychenne, géographe enseignante-chercheuse spécialiste du pastoralisme à l’Université de Toulouse, devant la mission d’information. À titre d’exemple, le droit de l’urbanisme ne reconnaît pas de zones pastorales spécifiques, pas davantage que la politique agricole commune ne reconnaît directement de pratiques pastorales différenciées au sein de l’élevage, et cela alors même que le foncier pastoral et les conditions de travail et de rémunération des éleveurs pastoraux et des bergers se heurtent à des défis très spécifiques.

Cet « angle mort » préfigure-t-il un déclin ? Celui-ci est-il déjà en cours ? Il semble que ce constat, souvent formulé, soit à nuancer car il existe un pastoralisme toujours bien vivant sur notre territoire. L’activité pastorale concerne encore 18 % des élevages en France (35 000 élevages pastoraux), 22 % du cheptel et repose sur des surfaces estimées à plus de 2,2 millions d’hectares. Cependant, il est évident que les défis liés aux impacts du changement climatique, à la préservation des écosystèmes, à la prédation et au statut social des acteurs du pastoralisme, tels que les bergers, ou encore au partage de l’espace pastoral avec d’autres activités (forêt, tourisme, randonnée, chasse) exigent une réflexion approfondie sur la manière dont le pastoralisme peut se maintenir et continuer d’être un atout pour le développement durable des territoires.

Au cœur de ces défis se trouve la question du changement climatique. Le pastoralisme peut-il être un atout pour faire face aux crises du climat et de la biodiversité ? La hausse des températures, la modification des régimes de précipitations, les périodes de sécheresse prolongée ou, à l’inverse, les épisodes pluvieux excessifs, modifient les cycles naturels des végétaux et les rendements des pâturages. Cette évolution entraîne des conséquences lourdes sur la gestion des troupeaux, notamment sur la disponibilité de l’herbe et des ressources fourragères, essentielles pour nourrir les animaux et assurer l’autonomie des troupeaux. Les changements climatiques et la modification brusque des équilibres écosystémiques qu’ils aggravent entraînent également une modification de la répartition géographique des maladies animales et des parasites, obligeant les éleveurs à repenser leurs pratiques et leurs itinéraires pastoraux, ainsi qu’à se soumettre à des réglementations toujours plus contraignantes, notamment pour les petites exploitations. Par ailleurs, le recul des périodes de neige et la raréfaction de l’eau dans certaines régions rendent plus complexes les conditions d’hivernage et d’abreuvement des troupeaux. Enfin, comment garantir une cohabitation harmonieuse entre les activités pastorales et la vie sauvage, qui reprend sa place avec les politiques de protection d’espèces disparues ou menacées ? Cette question a son importance dans un contexte où le retour du loup, de l’ours et du lynx dans les régions de pastoralisme entraîne des défis majeurs, occasionnant un sentiment d’impuissance, des pertes financières et de la détresse psychologique chez les éleveurs, ainsi que des transformations en profondeur des pratiques pastorales installées depuis près d’un siècle, nécessitant un soutien fort des politiques publiques pour accompagner cette transition indispensable.

Un autre grand défi de taille est que le pastoralisme, en raison de son caractère extensif, repose sur un équilibre économique fragile. L’élevage à base de pâturage nécessite des terrains de grandes superficies, largement soumis aux aléas climatiques, mais la rentabilité est souvent faible par rapport aux formes intensives d’élevage, dont les coûts de production sont plus optimisés et qui peuvent plus aisément recourir à des machines. Les marges bénéficiaires sont particulièrement limitées dans des territoires isolés, souvent peu accessibles, peu maillés en outils industriels de transformation et de valorisation, et dans des zones qui peinent à attirer les investissements. Le recours à des instruments collectifs concernant le foncier, le patrimoine pastoral (cabanes, parcs de tri et de contention, clôtures, etc.), la conduite des troupeaux, les filières aval de valorisation des produits (abattoirs, fromageries) est aussi nécessaire que fragile, en l’absence de soutiens suffisants. Enfin, certaines filières de l’élevage pastoral sont affectées par l’effondrement du cheptel, la diminution de la consommation de viande et la concurrence internationale qui pèse fortement sur son prix de vente. L’équilibre économique du pastoralisme est ainsi fortement dépendant des aides publiques, notamment des subventions liées à la politique agricole commune (PAC), mais aussi des systèmes d’aides pour la préservation des espaces naturels et d’adaptation aux handicaps naturels. Cette dépendance aux financements publics rend les exploitations pastorales vulnérables aux variations des politiques agricoles et aux réductions de budget qui peuvent survenir, notamment dans un contexte où les filières défendent l’élevage de manière homogène, sans relever les particularités spécifiques à l’élevage pastoral, et où les politiques européennes se réorientent de plus en plus vers des critères environnementaux et de durabilité. À ce titre, les spécificités, et les atouts indéniables, du pastoralisme pour le développement durable et pour la maîtrise des impacts liés au changement climatique, le captage du carbone et le maintien de la biodiversité, comme la prévention des incendies, demeurent insuffisamment rémunérés.

Enfin, le pastoralisme, ce sont aussi des humains, éleveurs ou bergers, qui pratiquent des métiers difficiles bien que porteurs d’une forte valeur symbolique. Le travail des bergers est ainsi souvent perçu comme un travail pénible, contraignant et peu attractif. La solitude, les longues journées de travail en plein air par tous les temps, la gestion d’un troupeau sur de vastes étendues, le suivi quotidien des animaux dans des conditions parfois difficiles sont autant d’éléments qui rendent cette profession particulièrement exigeante. Le statut social du berger est ainsi souvent marqué par une précarité économique, un manque de reconnaissance professionnelle et une absence de véritable valorisation de la fonction. De surcroît, le vieillissement de la population des bergers et la difficulté de recruter de nouvelles générations dans ce métier alimentent une inquiétude croissante quant à l’avenir de cette profession.

Malgré ces défis, les membres de la mission ont pu constater, à travers leurs multiples déplacements, que l’attrait pour ce métier de la part des jeunes générations subsiste encore, et plus fortement dans certaines régions. Pour pérenniser le pastoralisme, il est ainsi indispensable et impératif de valoriser les compétences et le savoir-faire des bergers, d’améliorer leurs conditions de travail, et de repenser leur formation et leur statut, en particulier au regard des enjeux contemporains liés à la gestion des espaces naturels.

Il ressort de ces constats que le défi économique et social que rencontre le pastoralisme est indissociable de celui de sa gestion environnementale et de son rôle dans l’aménagement durable des territoires. Car le pastoralisme est un vecteur important de maintien des activités économiques et des services publics, du lien social, des paysages, de la biodiversité et du contrôle des risques naturels dans les territoires ruraux. La mise en place de politiques publiques adaptées, visant à renforcer la viabilité économique des élevages pastoraux tout en préservant leur rôle écologique, est donc cruciale. À cet égard, l’adaptation des systèmes de production, l’innovation dans la gestion des pâturages, mais aussi l’accompagnement financier des exploitations pastorales par des aides spécifiques à la transition écologique, apparaissent comme des leviers nécessaires pour garantir l’avenir du pastoralisme.

Au-delà des questions techniques et économiques, le pastoralisme est aussi porteur d’une dimension humaine et culturelle qu’il convient de préserver et de penser en articulation avec les autres usages de la montagne et des espaces pastoraux. Les traditions pastorales, les savoir-faire ancestraux des bergers et l’intégration de l’élevage dans le tissu social local forment une part importante du patrimoine immatériel des régions de montagne et rurales. La préservation de ces territoires implique donc également la sauvegarde de ces pratiques et de ce mode de vie, reconnu comme tel par l’Unesco.

Le pastoralisme est une activité fondamentale dans nombre de nos territoires ruraux. Une activité économique bien sûr, mais pas seulement. C’est une activité patrimoniale, un lien séculaire de l’humain avec la nature. C’est une activité qui contribue à une forme d’aménagement de nos montagnes et de nos plaines, et à la préservation de leur biodiversité, sans compter la prévention des incendies et la captation de carbone à laquelle contribuent les prairies. C’est enfin une forme d’élevage extensif, de pâturage, autonome car dépendant de fourrages et d’herbe, qu’il est nécessaire de soutenir, dans le contexte d’une transition indispensable vers des élevages plus durables et de la poursuite d’objectifs de souveraineté alimentaire et agricole.

Nous avons en conséquence initié une mission d’information pour répondre aux multiples enjeux auxquels ce mode d’élevage fait face et préparer son avenir. Le présent rapport est ainsi issu des travaux de cette mission, qui ont commencé en février 2024 sous la XVIe législature, et qui se sont poursuivis sous l’actuelle législature, jusqu’en février 2025. Quarante auditions ont été menées et plus d’une centaine de personnes ont été auditionnées. Trois déplacements ont été effectués, dans le Massif central, les Pyrénées-Atlantiques et le Vercors.


I.   Le pastoralisme : un mode de vie et de production qui s’est transformé autant qu’il a transformé les territoires

A.   La France, un pays pastoral de longue tradition

Le pastoralisme est inscrit dans l’histoire des paysages et des territoires : l’élevage des petits ruminants et la culture des céréales et protéagineux ont été importés lors de la révolution néolithique du Moyen-Orient vers le sud de la France pour ensuite rayonner en direction du nord de l’Hexagone. Les premières techniques pastorales apparaissent il y a plus de 8 000 ans dans le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, puis il y a 6 000 ans dans les Alpes. Les transhumances locales sont attestées depuis 5 000 ans et ont été inscrites, en 2023, au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. Les territoires, leur identité et leur culture ont été façonnés par les pratiques pastorales, mais celles-ci ont évolué dans le temps.

1.   Des territoires façonnés par le pastoralisme tant du point de vue de la nature que de la culture

Le pastoralisme français se distingue par sa diversité, tant dans les types de territoires qu’il occupe (montagnes, collines, plaines) que dans les formes d’élevage qu’il génère (bovins, ovins, caprins, équins). On peut trouver des formes de pastoralisme individuelles et sédentaires ou collectives et transhumantes, ainsi qu’une multitude de déclinaisons entre ces deux modèles. Certains éleveurs pâturent tous les jours et n’ont pas de surfaces cultivées (en plaine l’hiver, en montagne l’été) tandis que d’autres disposent d’une surface fourragère pour aider à l’alimentation des troupeaux tout en alternant avec des périodes en estive. Cette diversité est l’une des forces du pastoralisme, lui permettant de s’adapter à des contextes géographiques, climatiques et économiques variés.

La diversité du pastoralisme en fonction de l’altitude

Le pastoralisme montagnard reste cependant l’une des expressions les plus emblématiques de cette activité. Dans les Alpes, les Pyrénées, le Massif central (où la mission d’information a pu se rendre), ou encore dans les Vosges, le pastoralisme occupe des espaces de haute montagne et de moyenne montagne. Ces territoires sont souvent difficiles d’accès et peu propices à l’agriculture intensive, ce qui explique que l’agriculture de montagne est principalement herbagère et extensive. L’élevage y est la première activité agricole pour près de 75 % des exploitations de montagne, contre moins de 40 % en moyenne nationale. Les zones de montagnes accueillent 40 % des brebis, 20 % des vaches allaitantes et 16 % des vaches laitières de notre pays.

De manière générale, cet élevage de montagne est nettement plus extensif qu’ailleurs : sa « charge animale » est en moyenne de 0,7 unité de gros bétail par hectare (UGB/ha), contre 1,1 UGB/ha en moyenne nationale. Cette pratique agricole extensive assure à la fois la protection du sol, de l’eau, de la biodiversité, quand les troupeaux ne sont pas trop importants. L’importance des alpages, zones de pâturages temporaires, est capitale pour la gestion de ces territoires. Ils permettent non seulement de nourrir les troupeaux pendant les mois d’été, mais aussi de maintenir des paysages ouverts, d’éviter le phénomène de friche, et de favoriser la biodiversité. Ces zones sont toutefois particulièrement sensibles aux enjeux écologiques et aux défis économiques. En effet, la progression en altitude des différents étages de végétation, au fur et à mesure du réchauffement climatique, pourrait se traduire, en haute montagne, par un décalage global préservant l’espace prairial aux dépens de la zone nivale, mais risque de provoquer, en moyenne montagne, la remontée de la limite basse des alpages, généralement marquée par la forêt, jusqu’à la disparition de ceux-ci.

Dans les collines et les zones de moyenne montagne, les exploitations pastorales sont souvent plus diversifiées, mêlant culture de céréales, production laitière et élevage extensif. Ces espaces sont souvent utilisés pour le pâturage pendant toute l’année, ou bien en alternance avec des cultures agricoles.

Enfin, les plaines et zones de bas pays accueillent également du pastoralisme, souvent sous forme d’élevage de bovins ou de moutons. Certaines zones de plaine, en particulier dans les régions du Massif armoricain, de la Beauce ou des plaines de la Garonne, continuent de faire l’objet de pratiques pastorales. En ces lieux, l’élevage extensif joue un rôle crucial dans la gestion de certaines prairies naturelles, notamment pour le maintien de la biodiversité, la régulation de l’hydrologie des sols et la préservation des zones humides.

Les grands modèles de pastoralisme par type d’animaux

Cette diversité se retrouve au niveau des animaux qui constituent les élevages pastoraux. On compte aujourd’hui près de 1,5 million d’UGB réparties au sein de 35 000 exploitations agropastorales françaises.

L’élevage de bovins, particulièrement dans les montagnes et sur les plateaux, constitue une part importante du pastoralisme en France. Les races bovines adaptées aux conditions montagnardes, comme la Salers, la Charolaise ou la Montbéliarde, sont souvent utilisées pour l’élevage extensif. Ces animaux, élevés sur des pâturages naturels, produisent du lait ou de la viande qui, dans de nombreuses régions, bénéficie de labels de qualité. L’élevage bovin pastoral a une dimension à la fois économique et symbolique, car il assure la gestion de vastes espaces tout en répondant à la demande de produits locaux et de qualité. Dans les Alpes, par exemple, les vaches laitières pâturent l’été dans les alpages et produisent du lait pour la fabrication de fromages renommés comme le Beaufort ou la Tome des Bauges.

L’élevage ovin est une autre forme traditionnelle de pastoralisme, bien implantée dans les régions montagneuses comme les Pyrénées, le Massif central ou encore les Alpes. Le mouton est parfaitement adapté à des terrains accidentés et à des conditions de pâturage plus rudes. La production de viande (agneaux) et de lait (pour la fabrication de fromages comme le Roquefort ou le Pecorino) est une caractéristique importante de ces régions.

Moins répandu que l’élevage bovin ou ovin, l’élevage caprin connaît un développement croissant, en particulier dans certaines régions du sud de la France, comme la Corse, la Provence ou le Languedoc. Les chèvres, bien adaptées à des terrains difficiles et à des pâturages variés, sont élevées pour leur lait, utilisé pour produire des fromages de qualité, comme le Picodon ou le Banon. L’élevage caprin, en raison de sa capacité à s’adapter à des environnements variés, est de plus en plus vu comme une alternative durable dans les zones moins accessibles ou dégradées.

Enfin, l’élevage équin, moins courant, fait également partie de la tradition pastorale de certaines zones comme la Camargue ou les Cévennes. Les chevaux, utilisés à la fois pour la gestion des troupeaux et comme bétail à part entière, participent au maintien des écosystèmes locaux. En Camargue, par exemple, les chevaux sont un élément central de l’élevage pastoral, tant pour leur capacité à évoluer dans des zones marécageuses que pour leur rôle dans la gestion des prairies et des zones humides.

La transhumance représente une dimension particulière mais non nécessaire du pastoralisme : il existe également des formes de pastoralisme sédentaire. En outre, la transhumance a changé de forme au cours du temps. Si des éleveurs et des bergers continuent de faire à pied la distance qui sépare le site d’hivernage du site d’estivage, notamment lorsque celle-ci peut être franchie en une journée ou dans les endroits où le passage des troupeaux ne gêne pas la circulation routière (piémonts des Pyrénées et du Massif central, en Corse et dans quelques secteurs des Alpes-de-Haute-Provence notamment), force est de constater que cette pratique ne concerne plus qu’une minorité de troupeaux.

Comme le rappellent Jean-Claude Duclos et Patrick Fabre ([2]) : « Si, pour les ovins, les chiffres manquent pour les Pyrénées, on estime à 20 000 l’effectif des troupeaux qui transhument du Languedoc aux Causses et aux Cévennes, à 40 000 celui des troupeaux corses et à 600 000 les ovins qui migrent chaque année de la basse Provence aux Alpes. Or la quasi-totalité de ces 600 000 ovins est maintenant acheminée en bétaillères. Dans cette région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, où la transhumance ovine demeure la plus active en France, les entreprises de transport, grâce auxquelles les troupeaux parviennent à destination en quelques heures, savent désormais répondre rapidement aux demandes et satisfaire aux conditions d’hygiène et de bien-être des animaux. Elles ont aussi permis d’estiver dans des alpages plus lointains et d’étendre jusqu’au Mont-Blanc la limite nord de l’aire alpine de la transhumance. Pour les éleveurs, alors que la période estivale assèche les pâturages de la plaine, cette pratique permet de disposer de ressources fourragères à moindre coût et de grande qualité ». Ainsi, la transhumance se fait aujourd’hui plus souvent au moyen de transports routiers qui permettent d’accéder à des espaces plus lointains.

Toutes ces formes de pastoralisme ont en commun d’avoir profondément contribué à façonner les paysages, les terroirs et l’identité des régions de France.

2.   Le pastoralisme est un élément fondamental de la culture et de l’identité paysagère et sociale des territoires qu’il occupe

Porteur de valeurs profondes et de pratiques ancestrales qui se transmettent de génération en génération, l’impact culturel et symbolique du pastoralisme dépasse largement les frontières des simples considérations agricoles ou écologiques, en touchant les aspects les plus intimes de la vie rurale et montagnarde. Il a façonné l’organisation sociale, les habitudes de vie, les savoir-faire et même les langages locaux. Dans les montagnes françaises, par exemple, la transhumance est non seulement une pratique agricole, mais aussi un véritable rituel. Elle marque les cycles de la vie, la mobilité des hommes et des animaux, et l’adaptation des communautés humaines aux rythmes de la nature. Ces pratiques ont laissé une empreinte profonde dans les paysages, les toponymes, mais aussi dans la culture populaire, la musique et les danses traditionnelles, comme les chants et les fêtes liés à la transhumance.

Le pastoralisme est ainsi un vecteur essentiel de patrimoine immatériel. Il englobe des savoir-faire spécifiques, souvent transmis oralement, qui font partie de l’héritage vivant des communautés rurales. Ces savoirs sont vastes et variés : de l’art de conduire un troupeau à la gestion des pâturages, en passant par les techniques de fabrication du fromage ou de la laine. L’élevage de races animales locales, comme les moutons de race Mérinos ou les vaches de montagne, s’inscrit dans ce patrimoine vivant, tout comme les méthodes de traite ou les techniques traditionnelles de construction des abris pour les animaux. C’est pourquoi, en décembre 2023, quatre ans après l’initiative lancée par la France, l’Unesco a inscrit la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ainsi, le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco a validé que dix pays bénéficient désormais de l’inscription de la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’humanité : l’Albanie, l’Andorre, l’Autriche, la Croatie, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg et la Roumanie.

Le berger, figure centrale du pastoralisme, représente souvent l’image de la simplicité et de l’harmonie avec la nature. Il incarne un idéal de vie rurale, fondée sur le respect des cycles naturels, l’indépendance et la durabilité. Jean Giono, écrivain et poète provençal, a ainsi célébré la vie simple et laborieuse des bergers. Dans La Montagne (1931), il relate leur relation étroite avec la terre, la nature, et leurs animaux. Il fait du berger un symbole de résilience et de lutte contre l’adversité. La solitude des montagnes, les longues journées de travail dans des conditions parfois rudes, et l’attention constante portée au bien-être des animaux, sont ainsi des valeurs qui continuent de nourrir l’imaginaire collectif. Ces représentations s’étendent à des mythes et des légendes populaires, où le berger incarne la relation privilégiée avec la nature et le vivant, tout en étant un artisan de la paix sociale et de la cohésion territoriale.

À l’échelle locale, le pastoralisme est ainsi un vecteur culturel fort qui assure la transmission intergénérationnelle d’un héritage et d’un mode de vie. Il est donc essentiel pour préserver l’identité des territoires ruraux et leur attraction. Il l’est également pour sauvegarder leur équilibre naturel, leur paysage et les aider à se protéger des dérèglements climatiques.

Les systèmes pastoraux jouent également un rôle majeur dans la gestion et la préservation des espaces naturels.

Le pastoralisme aide directement à la préservation des prairies, à l’entretien des paysages ouverts et à la régulation de la biodiversité. L’usage extensif des pâturages permet de maintenir une faune et une flore diversifiées, en empêchant la fermeture des espaces, le développement de friches et la montée des bois. Cela a des conséquences importantes sur la biodiversité : les pâturages abritent souvent des espèces animales et végétales rares ou menacées, qui dépendent des pratiques pastorales pour leur survie.

le rôle écologique important du pastoralisme :
les prairies et parcous sont des réservoirs de biodiversité

Une image contenant texte, capture d’écran, Police

Description générée automatiquement

Source : Office français de la biodiversité

Le pastoralisme joue aussi un rôle majeur pour l’entretien des chemins d’accès, la préservation des prairies d’alpage et la lutte contre les incendies. Il permet par exemple le débroussaillage de la forêt méditerranéenne et la suppression des adventices des terres cultivées en plaine. En effet, dans un contexte de changement climatique, le recul du pastoralisme va de pair avec l’avancée de la forêt et du risque d’incendie (voir infra).

Enfin, la prairie pâturée est la surface agricole qui stocke le plus de carbone dans le sol, plus qu’une forêt adulte, à condition évidemment d’éviter le surpâturage qui dégrade les sols. Selon une contribution écrite de Guy Kastler, berger fromager et vigneron en Languedoc, aux membres de la mission d’information : « Les fumures animales assurent un important stockage du carbone dans l’humus des sols cultivés, à la différence des engrais chimiques qui détruisent la vie microbienne des sols. Le bilan carbone de cette complémentarité est donc largement positif, contrairement à celui des élevages hors sols et des monocultures agricoles à usage intensif d’engrais chimiques ».

Les prairies permanentes, espaces majeurs de stockage de carbone

Une image contenant texte, capture d’écran, Police

Description générée automatiquement

Source : Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

C’est pourquoi, depuis la loi n° 72-12 du 3 janvier 1972 relative à la mise en valeur pastorale (dite « loi pastorale »), le pastoralisme bénéficie non seulement d’une définition juridique, à travers la notion d’espace pastoral, mais également d’une reconnaissance par le législateur de son caractère d’intérêt général sur les plans environnementaux et sociaux.

La reconnaissance juridique des services rendus par l’élevage pastoral

Code rural et de la pêche maritime

 

Article L. 113-1

 

Crée par la loi n° 8590 du 9 janvier 1985 relatif au développement et à la protection de la montagne, modifié par la loi n° 2005157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux

Par leur contribution à la production, à l’emploi, à l’entretien des sols, à la protection des paysages, à la gestion et au développement de la biodiversité, l’agriculture, le pastoralisme et la forêt de montagne sont reconnus d’intérêt général comme activités de base de la vie montagnarde et comme gestionnaires centraux de l’espace montagnard.

Code rural et de la pêche maritime

 

Article L. 113-2

 

Crée par la loi n° 72-12 du 3 janvier 1972 relative à la mise en valeur pastorale, modifié par la loi n° 2005157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux

L’espace pastoral est constitué par les pâturages d’utilisation extensive et saisonnière. Dans les régions où la création ou le maintien d’activités agricoles à prédominance pastorale est, en raison de la vocation générale du territoire, de nature à contribuer à la protection du milieu naturel, des sols et des paysages ainsi qu’à la sauvegarde de la vie sociale, des dispositions adaptées aux conditions particulières de ces régions sont prises pour assurer ce maintien.

Source : extraits du code rural et de la pêche maritime

3.   Un apport important pour le tissu social et l’attractivité des territoires ruraux

Le pastoralisme a aussi une dimension sociale et économique qui permet le maintien du tissu social et de l’organisation communautaire dans de nombreux territoires ruraux, ainsi que leur attractivité à travers le tourisme. Les communautés pastorales, qui partagent un mode de vie proche de la nature, sont souvent très soudées. La gestion des troupeaux, les tâches de traite, l’entretien des chemins de transhumance ou encore les périodes de garde des animaux dans les alpages sont souvent des activités collectives, où la solidarité est primordiale. Ces tâches sont l’occasion de renforcer les liens sociaux, de perpétuer des savoirs collectifs et de maintenir une forme d’entraide intergénérationnelle. Dans certaines régions, des groupes de bergers se forment pour partager les ressources et les responsabilités liées à l’élevage. Ce lien tend néanmoins à se distendre aujourd’hui dans certaines régions rurales, comme le plateau du Vercors, où de nombreux habitants s’implantent sans conserver de liens familiaux ou professionnels spécifiques avec les activités d’élevage.

Le pastoralisme a ainsi joué un rôle structurant dans l’organisation de l’espace, aux côtés d’autres activités agricoles et forestières. Ainsi, le système agro-sylvo-pastoral dit « traditionnel », qui a organisé la mise en valeur et l’organisation sociale des montagnes jusqu’à la fin du XIXe siècle, reposait sur une valorisation fine du milieu montagnard articulant les ressources des différents étages de végétation : fonds vallées, zones des granges dites aujourd’hui « zones intermédiaires », forêts et pâturages d’altitude. Dans un article éclairant, la chercheure Corinne Eychenne affirme ainsi : « Contrairement à la vision moderne de la mise en valeur agricole des vallées de montagne, la priorité est alors donnée à une agriculture de subsistance : il s’agit avant tout de nourrir les hommes. Ainsi, la montagne est cultivée partout où cela est possible, sur les terrains plats ou ménagés par des systèmes de terrasses, dont les traces conservent encore aujourd’hui un caractère emblématique de l’identité paysagère de ces territoires. Dans cette organisation, l’élevage apparaît donc subordonné aux cultures, relégué aux espaces non cultivables, forêts et prairies d’altitude (alpages, estives, « montagnes ») dont l’étendue lui offre cependant une ressource quasi-inépuisable à la belle saison » ([3]).

L’élevage pastoral permet alors de compléter par des produits laitiers l’alimentation humaine à base de céréales et de légumineuses, mais surtout de fournir du fumier aux cultures et d’alimenter des échanges monétarisés avec la plaine. Dans ce système traditionnel, bien que subordonné aux cultures vivrières, l’élevage pastoral apparaît donc comme un principe organisateur des règles de vie sociales et comme l’un des fondements majeurs qui structurent les liens des communautés à leur territoire. Il agit comme une véritable soupape de sécurité en régulant la paix sociale à l’intérieur des communautés et en structurant les échanges avec l’extérieur.

Aujourd’hui encore, le pastoralisme est une source importante d’emplois directs pour l’élevage et le gardiennage des troupeaux, d’emplois indirects pour la transformation et la commercialisation des produits animaux, ainsi que pour l’ouverture et l’entretien des milieux au bénéfice des activités récréatives et touristiques. Cette coexistence de différentes activités n’est pas sans soulever de nouveaux défis, qui seront évoqués ultérieurement dans le présent rapport, mais il n’en demeure pas moins que le pastoralisme constitue un élément pivot entre celles-ci. Il doit donc faire l’objet d’une attention particulière puisque sa disparition provoquerait des effets en chaîne désastreux pour l’équilibre des territoires ruraux qu’il occupe. À titre d’exemple, le recul de la filière laitière de montagne est porteur d’un important risque économique, social et politique. En effet, selon le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), auditionné par la mission, près de 65 000 emplois directs et indirects dépendent de son dynamisme économique. Une baisse annuelle constante d’environ 5 % du volume de lait collecté pendant 5 ans se traduirait par la perte d’environ 10 000 emplois, impactant ainsi indirectement près de 29 000 personnes. Or, en 10 ans, le nombre de producteurs de lait a déjà baissé de 17 à 33 % selon les départements dans le Massif central, le Jura et les Alpes.

Dans les territoires ruraux où le pastoralisme est fragilisé, on observe une modification des structures de vie. Certains villages de montagne se peuplent de résidences secondaires au détriment du maintien des populations permanentes sur le territoire, ce qui se traduit souvent par un recul consécutif des services publics et de l’offre de services privés. Ils deviennent alors davantage dépendants du tourisme et de la saisonnalité, alors même que les circuits courts permis par le pastoralisme sont menacés. Les espaces naturels sont moins bien entretenus et davantage sujets à des feux de forêts et même le patrimoine culturel de certaines régions se trouve considérablement affaibli. C’est pourquoi une sauvegarde des pratiques pastorales est nécessaire pour le maintien et le développement durable des territoires ruraux. Le droit offre plusieurs outils pouvant être mobilisés en ce sens, mais dont certains mériteraient d’être généralisés ou mieux soutenus.

B.   L’encadrement du pastoralisme par le droit

1.   La loi pastorale de 1972 et les structures de gestion du pastoralisme

Dès les années 1950, le morcellement très important des terrains en montagne apparaît comme un frein ou au moins un facteur de complexité pour le maintien de l’activité pastorale et la mise en valeur de territoires qui, s’ils sont inexploités, voient s’installer ou se réinstaller la forêt ([4]). Le morcellement et la déprise agricole étaient déjà visibles dans les territoires de montagne à cette époque. Ce sont ces enjeux qui ont conduit à la promulgation le 3 janvier 1972 de la loi n° 72‑12 relative à la mise en valeur pastorale dite loi pastorale, à la suite de réflexions engagées dès les années 1960 par le ministre de l’agriculture Edgard Pisani et des élus de territoires de montagne.

La loi pastorale est une loi fondamentale pour le pastoralisme et reste d’actualité. Elle a institué des structures nouvelles afin d’aider les éleveurs et les propriétaires fonciers à se réunir et à organiser leur activité, au travers de trois types d’instruments que sont les associations foncières pastorales (AFP) sous la forme d’associations syndicales de propriétaires, les groupements pastoraux (GP) qui sont des associations d’éleveurs gérant en commun leurs troupeaux ainsi que les conventions pluriannuelles de pâturage (CPP), qui constituent une forme particulière de baux. Les articles de la loi ont été ultérieurement codifiés dans le code rural et de la pêche maritime ([5]). Ces trois dispositifs formaient dès l’origine un ensemble cohérent afin de prévenir le déclin de l’activité pastorale.

L’essentiel des dispositions de la loi est toujours en vigueur aujourd’hui.

a.   Les associations foncières pastorales et les groupements pastoraux

Les associations foncières pastorales (AFP) sont formées par des propriétaires (personnes physiques et personnes morales de droit public ou privé) qui mettent en commun leurs « terrains à destination agricole ou pastorale ainsi que des terrains boisés ou à boiser concourant à l’économie agricole, pastorale et forestière et à la préservation de la biodiversité ou des paysages » selon les termes de l’article L. 135‑1 du code rural précité. La constitution de telles associations syndicales est possible dans les zones du territoire définies à l’article L. 113‑2 du même code.

L’article L. 113‑2 dispose que « dans les régions où la création ou le maintien d’activités agricoles à prédominance pastorale est, en raison de la vocation générale du territoire, de nature à contribuer à la protection du milieu naturel, des sols et des paysages ainsi qu’à la sauvegarde de la vie sociale », des dispositions adaptées aux conditions particulières de ces régions sont applicables, les associations foncières pastorales faisant partie de ces dispositions particulières. L’article ajoute que les articles L. 135‑1 et suivants du code rural et de la pêche maritime relatifs aux AFP s’appliquent dans les communes classées en zone de montagne et dans les communes comprises dans des zones de pâturage extensif saisonnier définies dans chaque département par le préfet, après avis des chambres d’agriculture.

Une fois les différents propriétaires de terrains réunis en association, les AFP ont pour mission la mise en valeur et la gestion des terrains sans en être elles-mêmes propriétaires. Elles assurent ou font assurer l’aménagement, l’entretien et la gestion des ouvrages collectifs permettant une bonne utilisation de leurs fonds ainsi que les travaux nécessaires à l’amélioration ou à la protection des sols. Elles sont également habilitées à faire réaliser des travaux d’aménagement collectifs ou d’installer des équipements à des fins autres qu’agricoles ou forestières, comme dans le domaine de l’eau par exemple.

L’objet final des AFP est de donner à bail les terres situées dans leur périmètre à des groupements pastoraux (cf. ci-dessous) ou à d’autres personnes, physiques ou morales, s’engageant à respecter les conditions minimales d’équipement et d’exploitation qui pourront être édictées par l’association elle-même ou par le préfet.

Il existe trois types d’AFP : l’AFP libre, l’AFP autorisée, l’AFP constituée d’office.

– L’AFP libre est une entité juridique privée formée par des propriétaires du périmètre qui y adhèrent volontairement. Elle ne peut être établie que si tous les propriétaires à l’unanimité acceptent d’inclure leurs terrains dans l’AFP.

– L’AFP autorisée est créée par arrêté du préfet de département après un vote des propriétaires devant être inclus dans le périmètre. L’arrêté préfectoral est pris après une enquête publique visant à informer le public et à recueillir son avis et après que les propriétaires concernés aient donné leur avis. Dans ce régime d’autorisation, au moins 50 % des propriétaires possédant au moins 50 % de la superficie des terres concernées doivent être favorables pour que l’association soit autorisée (si une collectivité territoriale fait partie du périmètre, seule s’applique la règle de 50 % de la superficie). Si le préfet autorise la formation de l’AFP, les propriétaires qui s’y opposent sont automatiquement intégrés à l’AFP ; de même sont intégrés les terrains délaissés ou dont le propriétaire est inconnu. L’association ainsi autorisée devient un établissement public administratif (cf. article L. 135‑5 du code rural et de la pêche maritime). Les AFP autorisées sont soumises aux règles de la comptabilité publique et vont devoir comme les collectivités territoriales mettre en place le compte financier unique à partir de 2027, pour l’exercice comptable de 2026.

– Enfin, l’AFP constituée d’office par le préfet a pour objectif de pallier une situation dangereuse (cf. article L. 135‑6 du code rural et de la pêche maritime). Le préfet peut user de ses pouvoirs sur le fondement d’une ordonnance du 1er juillet 2004 pour créer l’AFP si l’état d’abandon des terrains ou leur défaut d’entretien est de nature à constituer un danger pour ces terrains ou pour les terrains situés à leur voisinage ([6]), pour limiter le risque d’incendie par exemple.

La distinction entre les associations foncières pastorales libres et autorisées est importante d’un point de vue financier. Seules les AFP autorisées peuvent bénéficier d’aides à l’investissement pouvant atteindre 70 % des montants nécessaires (notamment des aides européennes – cf. ci-dessous). Ces aides sont essentielles pour réaliser par exemple des travaux indispensables tels que le débroussaillage avant la réintroduction d’une activité agricole ou l’installation de points d’eau pour l’abreuvement du bétail. En revanche, les AFP libres, en raison de leur statut, ne sont pas éligibles à ces aides ([7]).

Cette forme d’associations syndicales de propriétaires présente de nombreux intérêts. Elle permet notamment d’inclure des terrains de propriétaires qui n’habitent pas à proximité et qui ne valorisent pas ces espaces, ni ne peuvent facilement les louer à des agriculteurs. C’est pourquoi il en existe dans de nombreux départements où l’activité pastorale se pratique. Dans un certain nombre de départements ou de régions, des fédérations d’associations foncières pastorales se constituent pour réunir les différentes AFP d’un territoire, notamment pour faciliter les échanges et l’intégration dans des projets d’autres acteurs locaux (collectivités, services pastoraux, parcs naturels, etc…).

La loi pastorale de 1972 a également institué les groupements pastoraux (GP). Ces derniers réunissent des éleveurs qui souhaitent s’engager dans un projet collectif pour l’aménagement mais aussi pour la gestion des surfaces pastorales et pour la conduite des troupeaux. En d’autres termes, il s’agit d’une structure collective d’éleveurs qui permet de rassembler les troupeaux et gérer de manière commune les espaces pastoraux. Des pratiques de gestion collective par des éleveurs existaient déjà avant l’entrée en vigueur de la loi mais de manière informelle. La loi pastorale a permis de structurer ces pratiques de gestion collective et d’en donner une définition légale. L’article L. 113‑3 du code rural et de la pêche maritime encadre désormais la création des groupements pastoraux dans les mêmes zones du territoire français que les zones où peuvent être créées les associations foncières pastorales.

Les groupements pastoraux peuvent exister sous la forme d’associations de la loi de 1901, de sociétés, de syndicats ou groupements d’intérêt économique (GIE). Plusieurs types de sociétés peuvent former un GP : les coopératives, les sociétés civiles d’exploitants agricoles, les sociétés d’intérêt collectif agricole, etc. Après avoir rempli plusieurs étapes préalables et constitué un dossier, les personnes souhaitant former le GP déposent une demande d’agrément auprès de la direction départementale des territoires (DDT) ou de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), qui soumet le dossier à la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA). Le groupement est ensuite agréé par le préfet (voir schéma ci-après).

Le groupement pastoral permet aux éleveurs de mutualiser les coûts liés à la gestion des pâturages de manière équitable entre les membres, notamment le matériel nécessaire à la conduite du troupeau et les moyens nécessaires à sa surveillance et au gardiennage, et d’assurer la pérennité de l’organisation, étant donné que les GP sont constitués pour une durée minimale de neuf ans. La durée de validité de l’agrément est fixée par arrêté préfectoral si elle dépasse neuf ans.

Il existe plusieurs conditions préalables à la création d’un GP, à savoir :

– être regroupé au sein d’une structure juridique reconnue qui réunit au moins deux exploitants agricoles ;

– disposer de pâturages en zone de montagne ou en zone qualifiée « à vocation pastorale » définie par un arrêté préfectoral, en son nom propre et par écrit pour cinq ans minimum, soit du fait d’un titre de propriété en propre, soit à la suite d’un contrat avec des propriétaires de terrain (baux ruraux, conventions pluriannuelles de pâturage, prêts d’usage) ([8]).

Dans certains départements, un nombre minimum d’adhérents peut être requis ainsi qu’un effectif minimum d’UGB ou encore l’obligation de la mise en commun des animaux des adhérents.

Enfin, l’effectif du troupeau que gère le groupement doit être proportionnel aux ressources offertes par les surfaces pastorales disponibles.

Les étapes de la création d’un groupement pastoral

Source :  Site internet des alpages de Savoie (réunion des SEA 73 et 74)

En tant que structure collective légale, le GP offre une sécurité pour ses membres et la garantie de disposer de terrains pendant une certaine durée. Il représente un interlocuteur reconnu auprès des partenaires locaux. Il permet également de mobiliser des financements publics pour améliorer la gestion des pâturages et de bénéficier d’aides agricoles dans le cadre de la PAC (cf. ci-dessous).

De plus, un groupement pastoral nouvellement constitué peut demander une aide au démarrage auprès des services de l’État dans le département. Le montant de cette aide varie par tranche en fonction du nombre d’UGB (cf. article D. 343‑43 du code rural précité).

Le nombre de groupements pastoraux est très variable selon les départements. Il dépend à la fois de la nature des espaces naturels qui peuvent être utilisés, des différents types de propriétaires des terrains, de l’organisation professionnelle des éleveurs, de leurs interlocuteurs.

D’après le ministère de l’agriculture, on compte début 2025 800 groupements pastoraux, la majeure partie se répartissant entre les trois régions Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Auvergne Rhône-Alpes et Occitanie, le reste étant réparti entre la Nouvelle-Aquitaine, l’Alsace et la Corse.

À titre d’illustration, en 2022, l’ensemble des services pastoraux de la région Auvergne Rhône‑Alpes comptabilisait 250 groupements pastoraux, dont 74 en Savoie et 93 dans l’Isère ([9]). Dans les Pyrénées‑Atlantiques, les responsables de la fédération départementale des AFP et GP ont indiqué à vos rapporteurs que 143 groupements pastoraux étaient constitués dans le département.

Proposition n° 1 : Donner davantage de moyens pour soutenir le fonctionnement des associations foncières pastorales et des groupements pastoraux.

b.   Les conventions pluriannuelles de pâturage

Les conventions pluriannuelles de pâturage procèdent également de la loi pastorale de 1972.

La convention pluriannuelle d’exploitation agricole ou de pâturage (CPP) est définie à l’article L. 481‑1 du code rural et de la pêche maritime. Cet article définit la nature particulière de la convention de bail. Les CPP font partie des dispositions prévues à l’article L. 113‑2 du même code, qui permet l’institution de dispositifs particuliers pour favoriser le maintien d’activités pastorales dans les secteurs où ce maintien est de nature à contribuer à la protection du milieu naturel, des sols et des paysages ainsi qu’à la sauvegarde de la vie sociale.

La CPP est une forme particulière de bail dans la mesure où elle ne confère pas nécessairement au preneur une jouissance continue ou exclusive des terres louées. Cette convention laisse en effet au propriétaire la liberté d’utiliser les terres louées à d’autres fins qu’agricoles pendant certaines périodes de l’année. Cette convention est passée entre un propriétaire ou un regroupement de propriétaire et un preneur pour une durée de cinq ans au moins. Elle permet d’éviter au preneur, c’est-à-dire souvent à un regroupement d’éleveurs qui demande à bénéficier d’aides pluriannuelles, en particulier en ce qui concerne les aides de la PAC (dont les mesures agro-environnementales), d’être mis en difficulté par une reprise précoce par les propriétaires, des espaces qu’ils ont mis en location.

En contrepartie d’un montant de loyer relativement faible, les avantages principaux de la convention pluriannuelle de pâturage pour le bailleur sont :

– la possibilité de ne pas renouveler le bail pour une nouvelle période ;

– la coexistence possible d’autres activités avec l’activité agricole en fonction des périodes de l’année ;

– le maintien du droit de chasse exclusif au profit du bailleur.

Les limites maximales et minimales de loyer que le bailleur peut imposer au preneur sont fixées par arrêté préfectoral, de même que la durée minimale de la convention si cette durée dépasse cinq ans. À la suite de l’adoption de la loi n° 2016‑1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, la durée minimale de la convention, qui était déjà fixée à cinq ans dans la loi, peut être portée à neuf ans si le préfet en décide ainsi.

L’entrée en vigueur de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a permis l’extension de conventions pluriannuelles de pâturage aux terrains à vocation pastorale relevant du régime forestier.

En effet, en ce qui concerne les zones pastorales en forêt, la loi prévoit l’application du régime de la concession de pâturage. Cette concession est un outil applicable sur tout type de territoire soumis au droit forestier, qui prend la forme d’un contrat type fixé par arrêté ministériel et d’un cahier des charges technique et financier soumis pour avis à une commission mixte dite de pâturage, présidée par le préfet, réunissant l’Office national des forêts (ONF), des exploitants agricoles ou leurs représentants et les services de l’État dans le département. La concession est signée entre l’ONF, le propriétaire et le locataire. L’article L. 231‑24 du code forestier définit les règles d’établissement d’une telle concession et précise que lorsque la demande de concession de pâturage concerne un usage pastoral extensif saisonnier, une convention pluriannuelle de pâturage est établie dans les formes et conditions prévues aux articles L. 481-3 et L. 481-4 du code rural et de la pêche maritime, ces articles renvoyant aux règles générales de la convention pluriannuelle de pâturage (article L. 484‑1 du code précité). Alors que la concession est conclue pour un an et peut être renouvelée, la convention pluriannuelle est obligatoirement conclue pour plusieurs années.

Les associations foncières pastorales décrites ci-dessus sont des associations qui peuvent conclure des conventions pluriannuelles de pâturage avec des éleveurs si les propriétaires adhérents ne veulent pas eux-mêmes prendre en pension des animaux sur leurs terrains, mais laisser les éleveurs le faire. C’est ainsi que les AFP peuvent conclure de telles conventions avec des groupements pastoraux qui vont gérer la conduite des troupeaux, mais aussi l’espace de pâturage en commun, ce qui montre la cohérence des instruments juridiques conçus en 1972 pour inciter à la mise en commun des ressources pour garantir le maintien de l’activité pastorale.

c.   Les autres formes d’organisation de la propriété et de la gestion

Au-delà de ces structures juridiques et modes de location, il existe d’autres formes d’organisation de l’activité pastorale et de gestion des estives imbriquées aux outils présentés ci-dessus ou qui se substituent aux formes de gestion collective que la loi pastorale de 1972 a voulu mettre en valeur.

Les communes restent elles-mêmes propriétaires d’unités pastorales, soit en zone montagneuse, soit dans des zones intermédiaires, voire en plaine, soit dans des zones forestières si elles ont des bois au sein desquels peut se pratiquer le pastoralisme. Les communes pastorales appartiennent pour beaucoup à la fédération nationale des communes pastorales, auditionnée par vos rapporteurs. La mise à disposition aux éleveurs des espaces communaux moyennant un loyer (calculé par bête) constitue une source de revenu pour les communes, qui ont en contrepartie des charges pour entretenir les terrains et estives. Mais les ressources des petites communes sont souvent limitées pour organiser l’activité pastorale et procéder aux aménagements nécessaires. Cependant, certaines élaborent des documents d’orientation, parfois à l’échelle intercommunale.

Ainsi, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca) soutient financièrement l’élaboration de plans d’occupation pastoraux intercommunaux (Popi). Ces plans sont conçus comme un outil de concertation visant à dynamiser le pastoralisme à l’échelle des intercommunalités. Ils permettent aux éleveurs de plusieurs communes de coopérer avec les élus pour maintenir leurs activités, définir les zones de pâturage, communiquer auprès des autres acteurs du territoire. Dans le Var et les Alpes-Maritimes où plusieurs Popi existent déjà, un des intérêts de la démarche consiste à inciter les éleveurs et les propriétaires à développer la pratique du pastoralisme dans les vignes et en forêt. Lors de leur déplacement dans le Vercors, vos rapporteurs se sont vus présenter la stratégie agricole de la communauté de communes du massif du Vercors (six communes et un peu plus de 1 200 habitants). Cette stratégie dépasse le seul sujet du pastoralisme mais l’inclut tout naturellement.

Dans leur déplacement dans le Massif central, sur le plateau du Cézallier, vos rapporteurs ont pu constater que les bovins, qui avaient accès à un vaste espace de pâturage au printemps et en été (de mai à octobre), n’étaient ni sur des terrains communaux ni sur des terrains appartenant à une ou à des associations foncières pastorales qui loueraient les terres. La disponibilité des estives est le fait du groupement pastoral qui a acquis de manière définitive la propriété de terrains en herbe propices au pâturage. Le groupement pastoral a la forme d’une coopérative agricole, la coopérative de transhumance et d’amélioration des structures agricoles (Coptasa), créée en 1963 et qui, très peu de temps après l’entrée en vigueur de la loi pastorale en 1972, a acquis le statut de groupement pastoral. Ce GP permet à l’ensemble des éleveurs adhérents de bénéficier de l’ensemble des terrains pour faire paître leurs troupeaux. Actuellement, 190 éleveurs font partie de la coopérative, possédant essentiellement des vaches allaitantes.

Dans le département des Pyrénées‑Atlantiques, une des spécificités du pastoralisme est la gestion des terrains par des commissions syndicales. Ces structures sont distinctes des associations foncières pastorales et de la gestion par les communes ou les intercommunalités elles-mêmes. Dans ce département, 57 % des zones pastorales sont gérées par les communes qui en sont propriétaires et 31 % par des commissions syndicales. Le reste est géré par des associations foncières pastorales et des groupements pastoraux. En tout, 112 gestionnaires d’estives sont comptabilisés. La structuration par des associations foncières pastorales n’est donc pas majoritaire.

Les commissions syndicales représentent une forme d’organisation qui est née il y a plusieurs siècles, parfois même avant l’établissement du cadastre. Il s’agit d’une organisation qui permet la gestion des biens indivis des communes, là où les territoires d’estives et de forêts en montagne n’ont pas été partagés à la Révolution (les biens appartiennent à plusieurs communes, la propriété n’est pas attribuée à une). Juridiquement, les commissions syndicales ont été instituées par la loi du 18 juillet 1837 sur les communes pour la gestion de leurs biens indivis, et leur existence a été confirmée par la loi du 5 avril 1884, comme l’explique notamment Mme Corinne Eychenne, géographe, enseignante-chercheuse, dans un article consacré entre autres aux commissions syndicales ([10]). Ces commissions ne sont pas des établissements publics de coopération intercommunale au sens de la loi, mais une forme de syndicat, qui n’est néanmoins pas assimilable à un syndicat mixte ou à vocation unique ou multiple (cf. articles L. 5222‑1 à L. 5222‑3 du code général des collectivités territoriales). Une des commissions syndicales rencontrées par vos rapporteurs lors de leur déplacement dans les Pyrénées‑Atlantiques, la commission syndicale de Soule, réunit 43 communes, avec chacune un délégué dans la commission, délégués qui élisent un syndic ([11]).

Au sein du périmètre de la commission syndicale, des parcours sont définis pour le pâturage des animaux. L’accès est réservé en priorité aux éleveurs des communes formant la commission syndicale aux pâturages moyennant le versement d’un loyer relativement modique (appelé « bacade »), des éleveurs venant de l’extérieur de ce périmètre pouvant être acceptés. Cette forme d’organisation est de plus en plus fragile parce que les commissions syndicales ne peuvent recevoir d’aides (notamment la dotation d’équipement aux territoires ruraux ou la dotation de soutien à l’investissement local) et existent concomitamment aux EPCI sans nécessairement que les périmètres se recoupent. Par ailleurs, de par leur statut particulier, les commissions syndicales sont souvent ignorées dans les réformes législatives. Or, dans le département des Pyrénées‑Atlantiques les commissions syndicales continuent à s’occuper des pâturages mis ainsi en commun, mais aussi de la forêt, de certaines routes et du droit de chasse ou encore de la cohabitation des usages. Les représentants des commissions syndicales rencontrées ont fait part des problèmes pratiques posés par un statut juridique qui mériterait d’être précisé (absence de distinction claire entre les pouvoirs de police du maire ou du président de l’EPCI et le pouvoir de gestion du syndic par exemple, incapacité pour la commission syndicale d’être membre d’un syndicat mixte…).

Types de gestionnaires d’estive sur le massif des Pyrénées (2020)

Source : Association des chambres d’agriculture des Pyrénées (ACAP)

Lors de son audition, Mme Corinne Eychenne est revenue sur les outils de la loi pastorale de 1972 et sur la variété des formes d’organisation selon les territoires. Dans son article précité, la chercheuse s’est intéressée à l’organisation des estives dans le massif des Pyrénées, soulignant la spécificité des commissions syndicales dans l’ouest du massif, et les conséquences différenciées pour les territoires d’une gestion des estives, ou par les communes ou les commissions syndicales, ou par les groupements pastoraux, c’est-à-dire par des éleveurs dont certains sont implantés dans les vallées et donc à proximité des terrains plus en altitude. Comme elle l’explique, « les modes de gestion mis en œuvre dans les estives gérées directement par les propriétaires ont tendance à s’inscrire dans des logiques territoriales insérant l’activité pastorale dans une vision globale de gestion de la montagne. A contrario, les groupements pastoraux, uniquement constitués d’éleveurs, déploient des logiques de gestion plus sectorielles, plus « classiques » pour des organisations agricoles, les autres usages et enjeux étant pris en compte comme des éléments de contexte, positifs ou négatifs mais extérieurs. »

Proposition n° 2 : Mieux reconnaître juridiquement le rôle central des commissions syndicales dans la gestion du pastoralisme et mieux les soutenir financièrement.

2.   L’organisation de la politique pastorale au niveau local

Parallèlement aux instruments juridiques permettant la création d’associations de propriétaires et d’éleveurs, il existe un ensemble de structures de gestion de la politique pastorale et d’accompagnement des acteurs qui relève à la fois de la politique agricole et de la politique d’aménagement du territoire de l’État et des collectivités territoriales.

Vos rapporteurs ont pu constater une grande hétérogénéité des structures de gestion et d’accompagnement du pastoralisme en fonction des régions et des massifs montagneux. Sans être exhaustifs, ils souhaitent évoquer quelques types d’organisation et d’instruments.

Les services pastoraux, diversement organisés, prennent souvent la forme d’associations. C’est le cas dans l’Isère où œuvre la Fédération des alpages de l’Isère, en Savoie et en Haute-Savoie où l’on retrouve la société d’économie alpestre de Savoie (SEA 73) et la société d’économie alpestre de Haute‑Savoie (SEA 74), de même qu’en région Paca où s’est constituée une association unique pour l’ensemble de la région, le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (Cerpam).

La Fédération des alpages de l’Isère regroupe des communes, des groupements pastoraux et des associations foncières pastorales du département. La fédération représente ainsi 700 éleveurs, 110 bergers salariés, 88 groupements pastoraux et 37 associations foncières pastorales.

Le Cerpam, également une association, regroupe un plus grand nombre d’acteurs, dont l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), l’Institut technique de l’élevage, des représentants des communes pastorales, des associations d’éleveurs, des fédérations départementales de groupements pastoraux, les chambres d’agriculture et les parcs naturels nationaux et régionaux de la région, etc. L’association existe depuis 1982 et a été créée notamment en raison du faible investissement des chambres d’agriculture dans le développement de l’activité pastorale. Elle emploie des techniciens et des ingénieurs qui conseillent les adhérents et les autres interlocuteurs du Cerpam et élaborent des guides pratiques consultables sur internet ([12]).

Ces structures ont diverses fonctions. La Fédération des alpages de l’Isère aide ses membres pour l’obtention de diverses aides, notamment de la PAC en parallèle des chambres d’agriculture et des services des directions départementales des territoires. Elle a également mis en place un numéro d’urgence pour les bergers et éleveurs en cas d’attaque de loups, en réponse à un besoin accru d’attention et de surveillance.

Plusieurs des personnes auditionnées et rencontrées ont mentionné les initiatives de services de l’État, des services pastoraux ou d’associations pour permettre aux bergers de demander un appui temporaire pour la garde de leurs troupeaux, non pas pour les remplacer mais pour venir en renfort. Ainsi, en Savoie, deux brigades de bergers d’appui sont opérationnelles depuis 2023, une pour le parc naturel national de la Vanoise et une mobilisée sur le reste du département (3 bergers mobilisés en tout) ([13]).

Les chambres d’agriculture demeurent du fait de leurs missions un interlocuteur des éleveurs, des regroupements d’éleveurs et des structures propres au pastoralisme mais selon les départements, leur implication est plus ou moins forte. Elles informent et conseillent les agriculteurs pour formuler les demandes d’aides de la PAC et les accompagnent dans le suivi des dossiers. Les chambres d’agriculture peuvent travailler en partenariat avec les parcs naturels nationaux ou régionaux, et des personnels des chambres peuvent être détachés dans les services pastoraux, les comités de massif, etc. Les chambres d’agriculture travaillent également avec les organismes de défense et de gestion (ODG) qui défendent les produits sous signes de qualité (appellation et indication d’origine contrôlée – cf. ci‑après).

L’ensemble des services pastoraux alpins des régions Auvergne Rhône‑Alpes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur forme un réseau qui travaille notamment avec le regroupement des chambres d’agriculture de Haute-Savoie, de Savoie, de l’Isère et de la Drôme, sous la forme d’un service interdépartemental appelé le Service d’utilité agricole à compétence interdépartementale (Suaci).

Les plans pastoraux territoriaux constituent un outil en plein développement comme ont pu le constater vos rapporteurs, mais n’existent pour l’instant que dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Ces plans constituent une forme de contractualisation entre la région et un territoire à la demande des acteurs de ce territoire, élaborés sur la base d’un diagnostic et d’une stratégie territoriale définis au préalable. Ces plans ont commencé à se mettre en place à la suite de l’adoption en 2019 d’un premier plan régional en faveur du pastoralisme. Ce plan présentait trois objectifs : l’accompagnement au niveau régional d’actions et de projets pour le développement et la pérennisation de l’activité pastorale, la sauvegarde du pastoralisme face à la prédation et la mise en place de plans pastoraux territoriaux (PPT).

Ces plans sont élaborés par les acteurs pastoraux d’un territoire souhaitant contractualiser avec la région, pour des périodes de cinq ans en général. Ils sont déclinés ensuite pour des secteurs précis (petits massifs, parcs naturels régionaux, ensemble d’unités pastorales, …) où s’est développée une activité pastorale. Les plans pastoraux territoriaux sont ensuite animés en général par les collectivités territoriales, les parcs naturels nationaux ou régionaux, ou enfin par des services pastoraux.

L’intérêt de ces plans est double : ils permettent de réaliser un diagnostic chiffré de l’activité pastorale, tant en termes d’animaux et d’exploitations concernés, que d’unités pastorales utilisées et de propriété et de gestion des terrains, et également de faire une étude sur l’évolution attendue à cinq à dix ans des espaces et de l’activité, d’identifier les principaux enjeux à court et moyen termes. Ensuite, ils permettent d’établir des priorités en termes d’investissements, d’accompagnement, et éventuellement d’assistance pour les éleveurs et bergers en prévoyant les financements nécessaires. Ces PPT permettent d’activer les aides de la région et les aides du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et éventuellement d’autres collectivités territoriales, notamment les départements, dont peuvent bénéficier les éleveurs et leurs regroupements. Ainsi en est-il des aides à l’investissement pour les logements et l’accès à ces logements, pour les parcs de contention, les clôtures, l’accès à l’eau, la production laitière en alpage. Un comité de pilotage spécifique veille à la constitution, à la programmation budgétaire des plans ainsi qu’à la validation des projets au fur et à mesure, et enfin à l’évaluation et au bilan des actions conduites.

D’après la direction générale de la performance des entreprises du ministère de l’agriculture, trente plans pastoraux territoriaux sont validés début 2025 dans la région Auvergne Rhône-Alpes.

Focus 1 : La mobilisation de la mesure 73.01 du Feader 2023-2027 dans la région Auvergne Rhône-Alpes (Aura)

Les porteurs des PPT de la région Aura peuvent demander un financement prévu dans la programmation régionale du Feader, qui correspond dans cette programmation à la mesure 207 intitulée « Améliorer les conditions des éleveurs en espace pastoral ».

Cette mesure fait partie des mesures de la catégorie « 73.01 - Investissements productifs « on farms »» du plan stratégique national (PSN) pour la PAC 2023-2027. En effet, la région Aura a choisi de consacrer une partie du budget de la déclinaison régionale de la mesure 73.01 au pastoralisme.

Sont financés les investissements de mise en valeur des espaces pastoraux :

– permettant l’accès aux espaces pastoraux (pistes, chemins…) ;

– permettant l’accès à la ressource en eau et sa protection ;

– visant à améliorer la qualité des conditions matérielles de travail (logement…) ;

– permettant le multi-usage des espaces pastoraux et l’information des usagers (passages canadiens, dispositifs de franchissement de clôtures, signalétiques informatives…).

Sont également financés les travaux de reconquête d’espaces pastoraux (débroussaillement, épierrage, élagage…), les équipements d’optimisation des conditions de pâturage (parcs de contention, parcs de tri, clôtures, plateformes de traites…) et les investissements issus d’expérimentations concourant au développement de l’activité pastorale ;

Sont enfin financés les investissements de production et de transformation laitière en espace pastoral :

– les équipements mobiles pour la traite et le transport du lait ;

– les bâtiments d’élevage et les équipements de traite fixes ;

– les ateliers de transformation fromagère.

Les personnes demandant le bénéfice de ces mesures ne peuvent pas être des exploitants agricoles individuels mais des communes, des EPCI et syndicats mixtes, des établissements publics dont les associations foncières pastorales autorisées, les associations syndicales autorisées (ASA) et les parcs nationaux ou régionaux, les groupements pastoraux agréés, les groupements forestiers agréés.

70 % de la dépense totale est prise en charge par les financeurs publics (30 % étant laissés à la charge du demandeur). Le Feader participe au cofinancement à hauteur de 43 % dans l’ex région Rhône-Alpes et 60 % dans l’ex région Auvergne (le reste, 57 % et 40 % du financement public devant être apporté par l’État ou les collectivités territoriales).

Annuellement, le Feader pourra financer au titre de cette mesure 207 des investissements à hauteur de 1 465 000 euros pour un total d’aides publiques de 3 045 738 euros, soit 1,5 % des dépenses annuelles que pourra engager le fonds européen dans la région sur la période 2023-2027.

Lors de leur déplacement dans le Vercors, en février 2025, en rencontrant les responsables de l’association départementale d’économie montagnarde (Adem), vos rapporteurs ont pu voir l’apport des plans pastoraux territoriaux existants qui couvrent des espaces à la frontière entre l’Isère et la Drôme, en partie sur le périmètre du parc naturel régional du Vercors.

Plan pastoral territorial Royans-Vercors et Contreforts

2025 : démarrage du plan pastoral territorial pour cinq ans.

Budget : 588 300 euros financés à 30 % par la région, 10 % par le département, 30 % par les fonds européens et 30 % par autofinancement (éleveurs, communauté de communes, Adem, Valence Romans Agglo …). Le plan est organisé autour de 4 axes :

– axe 1 : mieux connaître les espaces pastoraux et maintenir la dynamique collective ;

– axe 2 : équiper les terrains pastoraux (prise en charge à 70 % des dépenses (445 000 euros) ;

– axe 3 : sensibiliser les usagers et gérer la cohabitation avec d’autres activités en montagne ;

– axe 4 : animer et coordonner les réseaux d’acteurs.


Détails des montants budgétaires mobilisables des différents plans pastoraux territoriaux du Massif du Vercors

Source : données communiquées aux rapporteurs

Pour l’heure, il n’existe pas d’autres régions ayant établi un cadre pour les plans pastoraux territoriaux. Vos rapporteurs appellent de leurs vœux une généralisation de cet instrument et le renouvellement dans les prochaines années de ceux existants.

Comme on peut le constater, dans cet ensemble d’acteurs, les départements et régions ont un rôle important à jouer pour mettre en œuvre des politiques publiques en faveur à la fois de l’agriculture et de la biodiversité. Ils rendent accessibles certaines aides dont ils décident eux-mêmes ou accompagnent d’autres collectivités locales pour l’accès aux aides européennes. Les régions peuvent porter des plans pastoraux territoriaux qui permettent de mobiliser des financements régionaux et du Feader. Les départements mobilisent leurs ressources propres comme celles du Feader pour financer des aménagements. Ainsi, le conseil départemental de la Savoie finance des aménagements relevant de la politique d’amélioration foncière (piste pastorale, reconquête pastorale et suivi des zones, captage et stockage de l’eau pour l’abreuvement). Le conseil départemental soutient également avec la programmation du Feader 2023-2027 des investissements liés à l’outil productif (caves, machines à traire mobiles…).

Le tableau ci-dessous illustre la relative complexité des circuits de financements pour différents types de projets et d’aménagement portés par les éleveurs et leurs groupements et les collectivités impliquées dans les PPT pour des deux des départements sur lesquels vos rapporteurs ont recueilli des informations détaillées.

Contributions des collectivités territoriales dans les politiques pastorales des départements de la Drôme et de l’Isère

 

Isère

Drôme

Financement des régions

Engagement sur cinq ans via les PPT

Financement du Feader

Mobilisé dans le cadre de la politique des PPT, financement limité à une enveloppe annuelle

Financements des départements

Règlement notifié à la Commission européenne.

Contribution sur une enveloppe fixe vers les GP et les AFP pour 240 000 euros par an pour 75 % du montant de l’aide.

Environ 20 projets par an.

Présentation des projets en comité de pilotage des PPT

Contribution via le Feader (30 % de la dépense totale est éligible à l’aide publique).

Avec un financement du Feader : la part restante laissée au porteur de projet peut varier

Avec un financement du Feader : la part restante laissée au porteur de projet peut varier

Pour les dossiers sans financement du Feader mais éligibles au dispositif du département : 25 à 30 % des dépenses sur le montant HT sont prises en charge, le reste est à la charge du demandeur

néant

On compte également parmi les organisations qui peuvent structurer et s’investir dans les activités pastorales et les aménagements nécessaires à ces activités les comités de massif. Les représentants de trois comités, le comité de massif des Alpes, le comité du Massif central et le comité de massif des Pyrénées ont été auditionnés par vos rapporteurs. Le comité de massif des Pyrénées a élaboré un plan dit « Plan d’avenir du pastoralisme » pour les années 2023-2027. Celui-ci vise à soutenir les éleveurs et les aménagements utiles en montagne en les orientant vers certains financements et en mettant en place des actions avec des partenaires. Le président du comité, M. Philippe Lacube, soulignait lors de son audition le caractère familial des exploitations dans le massif des Pyrénées et l’importance d’aider ces exploitations.

Vos rapporteurs ont pu constater la grande variété d’organisation entre les grands massifs montagneux, entre les régions et même entre départements au sein d’une même région.

Cependant, chaque territoire s’est organisé en fonction de ses spécificités, de l’activité des éleveurs et de la propriété des terrains. Si certains outils d’organisation comme les plans pastoraux territoriaux pourraient être développés dans toutes les régions en étant portés par les acteurs les plus pertinents au niveau local, il ne paraît pas nécessairement utile d’appeler à une organisation identique dans tous les massifs, départements ou régions. Les différents interlocuteurs rencontrés n’ont pas indiqué avoir des difficultés à identifier leurs correspondants dans les administrations, les chambres d’agriculture ou les associations.

On relèvera enfin que le travail des associations, qui œuvrent en tant que services pastoraux, est réalisé en grande partie par des personnes bénévoles qui ont une profession à temps plein.

Proposition n° 3 : Aider au regroupement des structures pastorales collectives dans des associations ou les fédérations départementales ou régionales.

Proposition n° 4 : Aider au développement des services pastoraux et à l’identification des services associatifs et publics en charge du pastoralisme.

 


II.   Le pastoralisme confronté à de nouveaux défis

Si le pastoralisme a connu son apogée pendant les Trente Glorieuses avec des impératifs très forts de productivité pour faire face aux besoins alimentaires de la population, il est aujourd’hui confronté à de nouveaux défis qui nourrissent l’inquiétude quant à son déclin. Les travaux de la mission font apparaître un tableau plus nuancé, avec de forts défis à relever et quelques signes réels d’affaiblissement, mais aussi avec des atouts et une résilience du modèle pastoral qui doivent être confortés. Cela passe notamment par une réflexion sur la coexistence des usages dans les milieux pastoraux, la reconnaissance plus poussée des spécificités du pastoralisme dans la mise en œuvre des politiques publiques, à commencer par la PAC ainsi que par de meilleures conditions de travail.

A.   Le pastoralisme est-il en déclin ?

1.   Les surfaces occupées par le pastoralisme ne connaissent a priori pas de recul global

Selon le recensement parcellaire graphique (RPG) de 2018, les surfaces françaises en prairies et pâturages permanents s’élèvent à 9,8 millions d’hectares, soit près d’un tiers des surfaces agricoles déclarées, dont 2,2 millions d’hectares (25 %) sont des surfaces pastorales herbacées ou ligneuses. Ces surfaces pastorales recouvrent une diversité de situation et sont qualifiées par une terminologie variée : pâturage, prairie naturelle, estive, alpage, parcours, pré-bois, lande, garrigue, etc.

Il convient cependant de noter que les données du RPG, qui rassemble les données de surfaces déclarées à la PAC, ne permettent pas de cibler de manière précise les surfaces pastorales. La catégorie « Prairies permanentes », qui comprend l’ensemble des prairies herbacées de plus de 5 ans, peut ainsi inclure des prairies naturelles d’estive (qui sont bien des surfaces pastorales) tout comme des prairies herbacées semées et fauchées (qui sortent du pastoralisme au sens strict) ; la catégorie « Estives et landes » comprend l’ensemble des surfaces pastorales dites « hétérogènes » avec une présence plus ou moins importante de ligneux, mais ne compte pas certaines surfaces de prairies naturelles d’altitude en zone humide déclarées en « prairies permanentes » (qui sont pourtant bien intégrées dans des systèmes pastoraux). Ainsi, le chiffre de 2,2 millions d’hectares de surfaces pastorales doit-il être retenu avec quelques précautions.

Surfaces pastorales hors prairies permanentes déclarées en 2018

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Source : ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

Dans le recensement agricole de 2020, il n’existait pas non plus de recension spécifique des surfaces pastorales, pas plus que de questions spécifiques relatives aux modes collectifs de gestion. Il serait par conséquent souhaitable de conduire de nouvelles enquêtes pastorales au niveau national, par exemple à l’occasion du prochain recensement agricole (celui-ci se tenant environ tous les 10 ans, le prochain exercice devrait avoir lieu en 2030).

Il est également possible de recourir à des enquêtes spécifiques, comme les enquêtes pastorales. Ainsi, l’enquête de 1996-97 montrait que les surfaces pastorales occupaient alors 676 000 hectares dans le massif alpin, soit 17 % de la surface agricole utile (SAU) tandis que l’enquête de 2012-14 montrait une évolution positive à 1 130 000 hectares (28 % de la SAU), dont 680 000 hectares d’alpages et 450 000 hectares de zones pastorales. Cependant, les méthodologies et les périmètres d’analyse des enquêtes pastorales ont souvent varié au cours du temps, rendant peu fiables les comparaisons.

Proposition  5 : Recueillir des données spécifiques sur les surfaces pastorales et les modes de gestion de celles-ci dans le prochain recensement agricole ou, avant celui-ci, dans le cadre d’études statistiques locales menées par le ministère de l’agriculture.

Dans les Pyrénées, on note au contraire un recul de la part du pastoralisme par rapport à la SAU entre 2010 et 2018 (de 15 à 10 % de la SAU), mais qui contraste avec le fait que la part des transhumants a augmenté (de 12 à 14 %), ce qui s’explique par le fait que les aides de la PAC ont davantage bénéficié aux éleveurs pastoraux après 2015.

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Ainsi, l’on ne constate pas de recul global massif des surfaces pastorales, ce qui n’empêche pas que l’accès au foncier demeure un défi permanent et que le risque de morcellement est bien réel (cf. infra).

2.   Une évolution à la baisse du cheptel et des élevages

La situation apparaît plus délicate pour le volume du cheptel et le nombre d’exploitations. En effet, selon le centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture ([14]), les filières de l’élevage ont fait face à une diminution du nombre d’exploitations agricoles de 2,64 % par an en moyenne entre 2010 et 2020. Le nombre d’éleveurs a chuté de 30 %, avec une perte de 31 000 éleveurs bovins et 18 000 polyculteurs-éleveurs. Les effectifs d’éleveurs laitiers ont diminué de 27 %, le nombre d’exploitations en bovins / viande a baissé de 23 %, et les exploitations disposant d’un troupeau laitier et d’un troupeau allaitant ont diminué de 41 %.

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Il est cependant difficile de détailler la part précise des éleveurs pastoraux dans ce constat général, puisqu’on ne connaît pas précisément leur nombre. Certaines données tendent à montrer que les élevages pastoraux seraient 35 000 environ, soit près du quart des élevages français. De manière générale, les interlocuteurs de la mission ont fait part d’une moindre demande d’installations aujourd’hui qu’il y a dix ans et d’une rotation très importante sur ce type d’exploitations, à l’exception de quelques territoires qui semblent toujours attractifs, comme le Vercors.

Il existe davantage de données sur les modes de gestion collectifs : ainsi le pastoralisme collectif représente environ 500 000 hectares admissibles en termes de surfaces pastorales, pour un total d’un million d’ovins, 170 000 bovins, 14 000 équins et 10 000 caprins, encadrés par 7 800 éleveurs. Les Pyrénées représentent près de la moitié de ces modes de gestion collectifs, ce qui coïncide avec une propriété souvent publique des surfaces pastorales.

En nombre de têtes de bétail, on compterait encore près de 1,5 million d’UGB dans les exploitations pastorales. De manière générale, la filière ovine fait face à une diminution continue du cheptel : celui-ci est passé de près de 13 millions de têtes en 1980 à 7,5 millions en 2012 et environ 5,5 millions en 2017, soit une baisse de près de 60 %. Cette diminution est due à la réduction du nombre d’exploitations, à l’augmentation de la taille des troupeaux et à la spécialisation des exploitations. En outre, la production est fragilisée par une consommation de viande d’agneau en recul, des variations fortes des prix et le développement des importations en provenance de Nouvelle-Zélande et de Grande-Bretagne principalement (cf. partie III.).

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Même constat concernant les bovins : entre 2016 et 2023, le cheptel français laitier a perdu 409 000 têtes pour atteindre 3,37 millions de vaches laitières et le cheptel français allaitant a perdu 564 000 têtes pour atteindre 3,47 millions de vaches allaitantes en décembre 2023. Cette évolution est relativement récente : le cheptel laitier commence à décliner en 2015, tandis que le cheptel allaitant se réduit depuis 2017.

Cette baisse du nombre de têtes et d’exploitations s’explique aussi par des raisons démographiques. Le recensement général agricole de 2020 montrait ainsi que 52 % des exploitations de bovins / viande étaient dirigées par un exploitant de 55 ans ou plus, contre 49 % pour les exploitations de bovins mixtes et 45 % pour les exploitations de bovins / lait. Les remplacements des départs et l’agrandissement des élevages ne suffisent plus à compenser les arrêts d’exploitation.

B.   L’accès au foncier demeure difficile à certains endroits du territoire

Le pastoralisme est confronté à un autre défi majeur qui concerne l’accès au foncier, indispensable pour l’alimentation animale.

De manière générale, l’évolution du prix des terres agricoles est restée modérée : 2 % environ en moyenne sur les 15 dernières années. Cette modération s’explique par les mécanismes de régulation des prix, notamment par le biais du droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Cependant, on a pu constater des hausses de prix plus importantes dans des terres d’appellation d’origine contrôlée ou protégée (AOC/AOP comme le Comté ou le Cantal) ou dans des endroits à fort potentiel touristique (Var, Vercors). À l’inverse, on a pu observer des pertes de valeur sur les territoires où l’accès à l’eau se raréfie (Aveyron) ou dans les territoires où la prédation ne peut que difficilement être contrôlée (Isère). Dans la période récente, le foncier pastoral devient aussi un sujet de convoitise, notamment au titre du marché carbone et des compensations en faveur de la biodiversité. Ainsi, certaines associations ou confédérations, comme la Confédération paysanne entendue par les membres de la mission, mettent en garde contre le risque de valorisation des terres pastorales par les mécanismes de compensation carbone ou par des initiatives privées au profit de la biodiversité ou de la vie sauvage (réensauvagement).

Au-delà de la question du prix, la problématique majeure des terres pastorales demeure celle du morcellement et de l’accès. Historiquement, le foncier consacré au pastoralisme a d’abord subi l’enjeu de la libération des fonds (consécration de la propriété privée) au XIXe et XXe siècles. Un phénomène de « purge » fut alors enclenché pour débarrasser tout fonds des droits multiples, simultanés ou saisonniers, tels que les droits d’usages agricoles dont fait partie le droit d’usage pastoral. En témoigne la loi du 9 juillet 1889 relative au code rural qui fait pencher la balance en faveur de la propriété privée par l’abolition du droit de parcours et celui de vaine pâture. Néanmoins, l’abolition de la vaine pâture par la loi de 1889 ne l’a pas éradiquée pour autant, puisque le législateur a conféré la capacité aux communes de la conserver et que le code rural et de la pêche maritime intègre à ce jour la vaine pâture comme premier chapitre de son cinquième titre sur les productions animales (articles L. 651-1 à L. 651-10).

Aujourd’hui, cette vision individualiste et exclusive de la propriété foncière se confronte aux « projets de territoire » qui fleurissent dans les documents de planification, d’urbanisme et d’organisation de l’espace. En effet, l’exclusivité foncière entre de plus en plus en contradiction avec une gestion collective des ressources d’un territoire. Du point de vue du foncier pastoral, la loi n° 72-12 du 3 janvier 1972 précitée a constitué la première étape de la reconnaissance d’une activité ancestrale : la relation entre propriétaires fonciers et éleveurs est enfin formalisée, orchestrée par le regroupement des uns et des autres dans une préoccupation de gestion collective et concertée des espaces pastoraux de montagne. L’outil phare se traduit par la convention pluriannuelle de pâturage, forme souple de relation contractuelle entre le propriétaire du fonds et l’exploitant de l’herbe situé sur ce fonds. Si bien qu’aujourd’hui, les surfaces pastorales font l’objet de statuts fonciers très divers (propriété, convention de pâturage ou fermage), mais elles sont aussi dans de nombreux cas la propriété, non pas d’éleveurs, mais de communes, de l’État, comme de multiples petits et grands détenteurs privés.

La propriété publique des estives et alpages

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Cependant, dans de multiples régions, on observe encore une tendance au morcellement du foncier entre propriétaires. La question se pose particulièrement dans les massifs de montagne. En dépit des vastes espaces qu’ils offrent, les massifs ne représentent, avec environ 4 millions d’hectares de SAU, que 13 % de la SAU nationale. Cette étroitesse de la surface agricole utile est aggravée par le morcellement du foncier en multiples parcelles, généralement exiguës. Il en résulte des coûts d’acquisition des terres très élevés au regard de leur potentiel agronomique réel. Cette pression foncière exercée sur les terres agricoles est renforcée par les contraintes du relief, qui conduisent à accentuer la pression sur les prairies de fauche dans le fond des vallées.

Cela rend indispensable le déploiement d’outils complémentaires de gestion et de préservation du foncier pastoral. Ainsi, les dispositifs contractuels et de planification (AFP, zones agricoles protégées, bail rural environnemental, etc.) demeurent insuffisamment utilisés. À ce jour, on compte seulement 400 AFP et 800 GP sur le territoire national. Les trois quarts des AFP et la quasi-totalité des GP sont répartis entre les trois régions Provence-Alpes Côte d’Azur, Auvergne Rhône Alpes et Occitanie, le reste étant réparti entre Nouvelle-Aquitaine, Alsace et Corse. Ainsi, dans les Hautes‑Alpes, en 2023, on dénombrait 26 AFP autorisées couvrant près de 50 000 hectares, réparties sur l’ensemble du département ([15]), tandis que dans les Pyrénées‑Atlantiques, 21 AFP sont recensées pour 150 000 hectares de surface pastorale, 40 en Savoie, 30 en Haute-Savoie, 33 dans l’Isère et 9 dans la Drôme ([16]). Le reste du territoire en est largement dépourvu.

Pourtant, les AFP représentent un outil particulièrement pertinent pour répondre aux enjeux de gestion foncière et environnementale, y compris au-delà des territoires de montagnes, par exemple pour la préservation des zones humides. L’association peut en effet intéresser l’ensemble des propriétaires aux différents usages de l’espace compris dans le périmètre syndical : agro-pastoralisme, forêt, eau, zones écologiquement remarquables, chasse, tourisme « doux »… L’AFP a la capacité d’être maître d’ouvrage collectif, par délégation des propriétaires, pour réaliser différents types de travaux, rassembler les aides des financeurs publics correspondants et éventuellement emprunter.

Ainsi, leur déploiement devrait être accéléré, notamment par un soutien renforcé des préfectures dans les zones où elles pourraient répondre à des enjeux comme la défense des forêts contre les incendies (DFCI). Cependant, leur mise en œuvre nécessite une animation importante, souvent portée par des bénévoles, un modèle qui atteint ses limites. Des moyens financiers doivent être alloués pour permettre l’embauche de plus de salariés dans ces structures. L’État apporte déjà un soutien à travers une aide à la création des associations foncières pastorales et une aide au démarrage des groupements pastoraux ainsi que par des dispositifs fiscaux (exonération de la taxe sur le foncier non bâti des terrains inclus dans les associations foncières pastorales, maintenue jusqu’en 2026 en application de l’article 1398 A du code général des impôts). Cependant, les montants de l’aide versée au démarrage sont modestes (quelques milliers d’euros) et ne permettent pas d’engager un salarié, même sur une durée limitée.

Proposition  6 : Renforcer et pérenniser les dispositifs de soutien financier et administratif à la création d’associations foncières pastorales afin d’accompagner leur déploiement sur l’ensemble du territoire.

Les AFP peuvent également intervenir de manière conjointe avec la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), qui est un autre outil essentiel pour la sauvegarde du foncier pastoral. L’État possède 10 % du capital des Safer, qui sont des sociétés anonymes à but non lucratif. Une collectivité sur deux a une convention avec une Safer. Elles ont une délégation de service public qui leur confère un droit de préemption, pour sauvegarder les terres agricoles, mais aussi plus largement au titre de l’accompagnement local, des grands travaux et de la protection de l’environnement. Elles jouent un rôle d’information et de contrôle des prix des ventes (grâce à l’outil Vigifoncier notamment).

Les Safer ont ainsi mené un grand travail sur la reconquête des friches pour aider le pastoralisme. En Occitanie, avec la combinaison de l’imagerie satellitaire et de l’intelligence artificielle, via le logiciel WaSaBI (Wasteland Bulk Satellite Identification), les Safer ont pu recenser 91 000 hectares de terres abandonnées, représentant plus de 190 000 parcelles à l’échelle des 13 départements d’Occitanie. En outre, elles ont conduit un grand travail d’identification des porteurs de projets, notamment en montagne. Ainsi, d’anciens pâturages partis en friches ont pu être reconquis par des méthodes de sylvo-pastoralisme (qui permet par exemple d’enlever les arbustes).

Les Safer s’appuient notamment sur le bail rural à clauses environnementales. Ce bail permet de prévoir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et des ressources naturelles. La Safer, par sa connaissance des propriétaires bailleurs et des porteurs de projet sur le territoire, est en mesure de rapprocher vendeur et acheteur et de réaliser l’ensemble des démarches nécessaires à la mise en place du bail rural. La rédaction du bail doit s’appuyer sur la liste des 16 clauses prévues par la loi, comme par exemple le non-retournement des prairies, le maintien des haies ou l’interdiction de l’usage de produits phytosanitaires, etc.

Si l’acquéreur du bien est un apporteur de capitaux, une clause peut aussi prévoir le maintien de la pratique agricole. Le cahier des charges peut préconiser des modes de production, des pratiques agricoles ou des enjeux environnementaux à respecter. Si l’acquéreur n’est pas l’exploitant, les clauses à faire figurer au bail rural à clauses environnementales pourront être prévues dans le cahier des charges. En cas de non-respect du cahier des charges, les sanctions peuvent aller jusqu’à l’annulation de la vente (article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime). Grâce à ces outils, les communes pourraient ainsi établir des partenariats stratégiques plus étoffés avec les Safer pour la rétrocession de foncier en vue de projets pastoraux. La collaboration avec les départements (commission départementale d’aménagement foncier) permettrait de restructurer les parcelles de manière à favoriser les projets collectifs et à sécuriser l’accès au foncier pour les gestionnaires pastoraux.

Proposition n° 7 : Donner davantage de moyens aux Safer pour protéger les terres agricoles pastorales et organiser des partenariats avec les collectivités pour la rétrocession de foncier en vue de projets pastoraux. En parallèle, renforcer l’animation auprès des propriétaires de foncier pastoral par les associations pastorales et les Safer, en vue de faciliter la réorganisation foncière des espaces pastoraux.

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont également pointé le fait que les bâtiments situés sur les terres agricoles bénéficient à l’origine d’une dérogation accordée à la vocation agricole des terres, mais que rien n’oblige à ce jour, en cas de cession, à conserver la vocation agricole du bâti existant. Il peut en résulter un morcellement de surfaces pastorales car un changement de destination peut s’accompagner de travaux (route d’accès) qui entravent davantage la vocation pastorale des terres. Une solution potentielle pourrait être de renforcer le droit de préemption partiel pour permettre aux Safer de ne pas acquérir le bâti, qui coûte parfois trop cher, mais seulement les terres, afin de les protéger.

Il conviendrait également d’étendre leur possibilité à utiliser ce droit de préemption sur les bâtiments abandonnés sur une durée bien plus longue que celle actuellement prévue par la loi, à savoir cinq années, puisqu’une terre agricole avec bâti perd sa vocation agricole au-delà de cinq ans si le bâti demeure abandonné. Il convient cependant de souligner qu’un dispositif réformé en 2004 permet aux communes d’incorporer les « biens vacants et sans maître » au domaine communal (art. L. 1123-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques). Aussi, des propriétés à l’abandon peuvent être récupérées par la commune et constituer un espace pastoral sécurisé. Cependant, les élus ignorent souvent l’existence et le fonctionnement d’outils juridiques dont ils sont pourtant les bénéficiaires ou font preuve d’une extrême prudence dans leur manipulation.

Proposition n° 8 : Développer le droit de préemption partiel des Safer pour favoriser le rachat et les protections de terres pastorales en dehors du bâti.

Proposition n° 9 : Étendre de 5 à 20 ans le droit de préemption des Safer sur les bâtiments abandonnés.

Il serait également souhaitable de recourir davantage à des cartographies détaillées des espaces pastoraux, en particulier dans les zones sensibles, permettant de définir des zones protégées ou des espaces où certaines pratiques sont interdites. En effet, c’est au travers d’un certain nombre de documents obéissant à une logique de « projet de territoire » que les élus et gestionnaires de l’espace se positionnent quant à l’espace pastoral. Schémas d’aménagement, chartes foncières ou charte des parcs nationaux peuvent tous contribuer à valoriser le pastoralisme. À l’échelle de la commune, l’outil urbanistique (carte communale, plan d’occupation des sols et plan local d’urbanisme) devrait devenir un enjeu de plus en plus prégnant pour permettre l’identification des zones pastorales et leur protection.

Néanmoins, le code de l’urbanisme ignore à ce jour le pastoralisme et ce dernier s’intègre par conséquent dans les zonages existants des documents d’urbanisme sans prise en compte particulière de sa spécificité foncière. Le zonage pourrait cependant aider à établir des zones d’usage exclusif pour l’élevage et les pâturages, en limitant les autres usages comme l’agriculture intensive ou l’urbanisation. Une version encore plus poussée du raisonnement pourrait conduire à instaurer, dans les documents d’urbanisme, des zones pastorales reconnues spécifiquement en tant que telles et différentes des zones agricoles, ou bien marquées au titre d’un sous-zonage de ces dernières.

Proposition n° 10 : Aider les collectivités territoriales à recenser de manière détaillée les espaces pastoraux sur leur territoire et réfléchir à l’utilité de reconnaître des zones spécifiquement pastorales dans les documents locaux d’urbanisme.

Enfin, il est nécessaire de reconsidérer le droit d’usage face à l’appropriation privative de l’espace. L’exclusivité du droit de propriété peut en effet aboutir à des situations inefficaces dans le contexte actuel de la raréfaction des terres agricoles : un éleveur est privé de son droit d’usage (pâturer une parcelle) tandis que le propriétaire pratique une rétention foncière et laisse « se dégrader » sa propriété. Bien souvent, la nécessité de l’usage pastoral, le simple besoin de passer sur une parcelle pour accéder à un pâturage, le besoin de pâturer certains espaces à certaines époques, sont empêchés par la propriété privée. Ainsi, comme l’écrivent Olivier Barrière et Cécile Bes : « reconnaître la légitimité des droits d’usage liés aux nécessités pastorales (accès, passage, pâturage, etc.) permettrait de faire vivre le pastoralisme en dépassant les inégalités économiques et financières générées par le paradigme de la propriété privée » ([17]). Une des raisons d’être de la protection des droits d’usage pastoraux face au droit de propriété serait alors le maintien et le développement d’un territoire dont l’identité repose fortement sur les pratiques pastorales. L’identité territoriale viendrait se dresser face aux abus et dérives induits par le droit de la propriété privée sur des territoires ruraux en recherche de nouveaux projets et de nouvelles dynamiques collectives.

C.   Coexister sur les territoires : un défi quotidien

Au-delà des questions propres au foncier, les éleveurs pastoraux ont souvent fait part aux membres de la mission de leur impression que l’espace dont ils disposent se réduit sous la concurrence de multiples activités, des activités forestières, de la restriction des points d’eau, de la concurrence foncière et, désormais, de la prédation. Cette tension a pu créer, à certains endroits, un climat social très détérioré entre habitants non-éleveurs et éleveurs, y compris dans les villages. Certains territoires échappent parfois mieux que d’autres à cette tension, comme dans les Pyrénées, où l’espace pastoral est par essence un espace partagé, notamment du fait du caractère public de sa propriété qui en interdit son appropriation exclusive. S’y déploient donc des situations de présences parfois simultanées, parfois successives, entre usages pastoraux, forestiers, de loisir, de nature, etc. Mais, de manière générale, les éleveurs et les bergers sont souvent contraints de réaffirmer voire de renégocier régulièrement la légitimité matérielle et symbolique de leurs pratiques sur l’espace. La nécessité de cette remédiation est d’autant plus prégnante qu’ils ont désormais à faire avec des acteurs qui n’ont parfois plus aucun lien avec le monde de l’élevage.

1.   Pastoralisme et activités forestières

Certaines relations de rivalité et parfois d’incompréhension ne sont pas nouvelles. C’est le cas de la relation qu’entretient l’espace pastoral à la forêt. Si le dialogue et la coopération entre les usages pastoraux et forestiers sont désormais plutôt bien ancrés dans le droit (notamment par la pratique des concessions de pâturage), le rapport forêt/élevage est à l’origine de tensions et de conflits qui reposent souvent sur une absence de concertation. Le rachat de terres par des associations pour préserver la « vie sauvage », la séquestration de carbone et la vente de crédits carbone deviennent de nouveaux défis pour les éleveurs pastoraux.

La loi pastorale de 1972, puis la loi Montagne de 1985 ou la création du Cerpam ont favorisé la cause pastorale auprès des forestiers, qui y trouvent de nos jours un intérêt écologique et financier, mais les tensions ne sont pas toujours apaisées. Or, le pastoralisme favorise pourtant le maintien de milieux ouverts et, si la charge animale n’est pas excessive, le piétinement érosif est négligeable. Tout repose donc sur une conduite optimale du troupeau. À cet égard, l’Office national des forêts (ONF) a précisé aux membres de la mission que deux outils peuvent être utilisés en ce sens :

– la convention pluriannuelle de pâturage, qui est un outil du code rural applicable en zone de montagne ou dans des zones de pâturage extensif saisonnier, définies par le préfet après avis des chambres d’agriculture ;

– la concession de pâturage, qui est un outil du code forestier applicable sur tout territoire, avec un contrat type fixé par arrêté ministériel et un cahier des charges technique et financier soumis pour avis à une commission mixte ONF/éleveurs présidée par préfet.

En amont, l’ONF précise annuellement les secteurs correspondant à des périmètres de cantonnement où le pâturage est impossible du fait d’enjeux forestiers importants. Un contact avec l’ONF permet donc à l’éleveur de savoir si des zones de pâturage sont disponibles et sous quel régime (code rural ou forestier). Néanmoins, des lieux de concertation plus étendus entre éleveurs et acteurs forestiers apparaissent nécessaires (cf. infra).

2.   Coexister avec la population locale et les randonneurs dans un contexte de prédation qui nécessite des chiens de protection

Un autre point de crispation porte sur la présence des chiens de troupeaux, devenue massive dans certaines régions du fait de la prédation. Si le questionnaire en ligne « Mon expérience avec les chiens de protection » fournit des repères intéressants, il n’existe cependant pas de recensement national exhaustif du nombre d’incidents liés à des morsures par des chiens de protection, ni du nombre de procédures pénales engagées et des condamnations prononcées à l’encontre des éleveurs ou des bergers. Toutefois, à titre d’exemple, dans le ressort du tribunal judiciaire de Gap, dans le département des Hautes-Alpes qui est le plus concerné par les incidents avec celui de l’Isère, il a été recensé 25 plaintes liées à des morsures par un chien de protection en 2021 et 15 plaintes en 2022.

Le nombre de plaintes reste donc inférieur à une centaine de cas par an sur le territoire national, ce qui n’empêche pas que les populations locales comme les touristes peuvent éprouver du stress face aux rencontres avec les chiens de troupeaux. Du côté des éleveurs, il peut parfois exister une crainte que leur responsabilité civile soit engagée en cas d’accident. En pratique, le nombre de cas de mise en cause de la responsabilité pénale des éleveurs ou des bergers demeure relativement peu élevé. Ainsi, dans le département des Hautes-Alpes, les plaintes recensées en 2022 ont été classées sans suite dans 50 % des cas après une enquête de gendarmerie visant à vérifier la situation administrative du chien. Ce n’est que dans les cas de récidive au cours des douze derniers mois que le procureur propose une alternative aux poursuites devant le délégué du procureur pour une deuxième morsure ou un éventuel renvoi vers le tribunal au-delà de deux morsures en douze mois. Ainsi, en 2023, une seule affaire a été renvoyée vers le tribunal correctionnel et deux vers le tribunal de police pour établissement d’une contravention. Il peut donc être avancé que, dans la pratique, seuls des manquements caractérisés à la règlementation applicable conduisent à l’engagement de la responsabilité pénale des éleveurs ou des bergers. En outre, s’agissant de la responsabilité civile, les éleveurs, bergers ou gestionnaires d’estives sont couverts par leur contrat en responsabilité civile professionnelle (RPC) et il n’est pas fait état de difficultés dans la mise en œuvre de cette garantie par les assureurs.

Toutefois, afin de sécuriser davantage les éleveurs qui ont recours à des chiens de protection, la loi n° 2025-268 du 24 mars 2025 d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture a modifié l’article L. 222-19-2 du code pénal, afin de prévoir explicitement que l’absence de maladresse, d’imprudence, d’inattention, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est présumée, lorsque le chien est, au moment des faits, en action de protection d’un troupeau. Cette disposition va dans le bon sens pour les rapporteurs puisqu’elle permet de sécuriser davantage les éleveurs, qui sont forcés de recourir à des chiens de protection, ainsi que les élus qui y sont confrontés.

En outre, il convient d’assurer l’existence de filières d’élevage de chiens de protection qui puissent être certifiées ; et d’assurer la formation des éleveurs et éleveuses à l’élevage de chiens de troupeaux. Les aides pourraient également être modulées selon que les bénéficiaires auraient ou non suivi une formation dispensée par une structure d’animation ou de développement choisie par le bénéficiaire et présentant des garanties de statut et de compétences propres au pastoralisme et à la protection des troupeaux contre la prédation.

Il convient cependant de souligner que la majorité des morsures par des chiens de protection des troupeaux sont la conséquence d’une imprudence, d’un comportement inadapté, d’une réaction de panique ou d’une interprétation erronée des séquences comportementales et des signaux d’alarme envoyés par le chien. Cette situation peut être aggravée par la disparition de la « culture chiens » et par une évolution sociétale qui tend à considérer la montagne comme un espace de liberté absolue. C’est pourquoi, dans les différents départements des Alpes, la présence des patous et leur contact avec le public présent en montagne est revenue comme un sujet de préoccupation des éleveurs et bergers et des services pastoraux. Ainsi, en Haute‑Savoie, la société d’économie alpine organise, avec Domaines skiables de France et l’association des Offices de tourisme, des sessions d’information sur le rôle des chiens de protection et le comportement à adopter en cas de rencontre. La DDT et l’Institut de l’élevage accompagnent ces sessions avec leurs apports techniques. Ces sessions constituent également l’occasion de discuter du rôle du pastoralisme et des alpages. 145 personnes ont participé aux sept sessions organisées en 2023 chez des éleveurs volontaires. Les participants étaient des accompagnateurs en montagne, des personnels des offices de tourisme, des bénévoles de clubs, des salariés d’enseigne de vêtements et équipements... qui pourront à leur tour sensibiliser d’autres usagers de la montagne.

Dans tous les cas, la médiation apparaît comme un précieux outil pour éviter que les tensions ne dégénèrent. Sur le plateau du Vercors, les membres de la mission ont pu constater que les aides à la médiation jouent un rôle majeur pour apaiser les tensions liées aux chiens de protection, tout en expliquant mieux le rôle du pastoralisme dans les territoires. L’Institut de l’élevage (Idele) et La Pastorale pyrénéenne sont également dans une position privilégiée pour assumer ce rôle de médiateur ou accompagner les élus locaux dans cette mission. Ces initiatives doivent être encouragées et soutenues financièrement afin que des médiateurs puissent être formés à cette mission, soit pour l’assumer directement, soit pour assister les maires qui sont volontaires. De même, dans le massif du Vercors, le Parc naturel régional a pu expérimenter la mise en place d’un « récit commun » permettant de réunir les différents acteurs du pastoralisme et usagers de la montagne pour établir des règles communes à l’utilisation de la montagne, dans un contexte de prédation. Il semble essentiel, sur les territoires pastoraux et particulièrement en zone de prédation, de renforcer ces initiatives expérimentales de concertation et de construction de récits communs.

Proposition n° 11 : Soutenir le développement d’une compétence de médiation des conflits liés à l’utilisation de chiens de protection des troupeaux.

Proposition n° 12 : Soutenir les expérimentations visant à créer des espaces de dialogue entre les acteurs locaux pour renforcer la bonne cohabitation entre différentes activités sur les territoires pastoraux soumis à la prédation.

3.   Coexister avec le tourisme et les activités de nature

Certains interlocuteurs de la mission ont parfois exprimé la crainte de voir les territoires divisés entre zones pastorales, avec chiens et clôtures et zones touristiques, vides de troupeaux. Cependant, une telle perspective néglige le fait que le pastoralisme est souvent le point de départ d’un tourisme authentique et ancré sur les territoires : ainsi dans les Causses et les Cévennes, reconnu au Patrimoine mondial de l’Unesco, grâce au paysage culturel de l’agro-pastoralisme méditerranéen. Le pastoralisme est également à l’origine de démarches de valorisation touristique : évènements ponctuels et festifs souvent liés aux transhumances, lieu de visites de maisons pastorales, circuits de randonnée, visites d’exploitation et vente de produits à la ferme, sans compter les offres d’hébergement et de restauration. Les Parcs naturels régionaux sont également largement présents sur les zones pastorales et s’appuient sur les pratiques agricoles pour concilier la préservation des patrimoines, le développement local et la promotion touristique. Ainsi, la disparition du pastoralisme aurait un effet forcément négatif pour le développement touristique de ces territoires.

En revanche, de leur côté, les éleveurs et bergers déplorent souvent le fait que les sportifs ou les randonneurs ne prennent pas soin de refermer systématiquement les enclos qu’ils traversent ou qu’ils effarouchent les troupeaux par leurs comportements. Les chemins sont parfois désignés par les spécialistes du comportement animal comme un « Couloir de la peur » qui perturbe le comportement des animaux. Or, on compte près de 200 000 kilomètres de sentiers de randonnée en France.

Pour faire cohabiter ces activités et sensibiliser tous les publics, la médiation et l’information sont primordiales. À titre d’exemple, la communauté de communes du Massif du Vercors (Ccmv) organise régulièrement des journées consacrées à la découverte du pastoralisme. Grâce à ces randonnées encadrées par un guide, les visiteurs pourront aller à la rencontre des troupeaux et des bergers du Vercors et échanger avec eux sur leur vie et leur métier. Ces activités seront également l’occasion de sensibiliser sur les bienfaits paysagers de l’activité pastorale et de former le public aux comportements à adopter face à un troupeau d’alpage et aux chiens de protection. Sur le plateau du Vercors, il existe ainsi des « randonnées pastorales » et des fêtes des Alpages, qui renforcent le lien entre les habitants, les éleveurs et les animaux, qui défilent dans les villes et villages. Dans la partie drômoise du Vercors, c’est la Fête de la Transhumance et de la Clairette, qui se tient chaque année, qui permet de renforcer ce lien.

Le Réseau Pastoral Auvergne-Rhône-Alpes a également mis en place une stratégie commune de sensibilisation des publics et créé une identité unique : Pasto Kezako ([18]) pour expliquer le pastoralisme, faire prendre conscience de la complexité du sujet, déconstruire des idées reçues sur l’espace montagnard et donner des outils et des informations pédagogiques pour mieux respecter les espaces pastoraux.

De leur côté, la fédération française de randonnée (FFR) et les sociétés d’économies alpestres organisent des formations sur la manière de se comporter dans les espaces pastoraux. Il est ainsi nécessaire de mieux promouvoir la culture pastorale pour l’ensemble des usagers, qui n’ont plus forcément la même proximité avec ces enjeux que par le passé.

Communication des services de l’État dans les départements
(exemple d’un panneau d’information)

La difficulté est la même en ce qui concerne la cohabitation des activités pastorales avec les activités de chasse, qui créent une pression supplémentaire. Selon Guy Kastler, berger fromager et vigneron en Languedoc, dans une contribution écrite aux membres de la mission : « L’agrainage, ou nourrissement des sangliers par de très grandes quantités de maïs, et le croisement avec des races porcines d’élevage ont multiplié la population de « cochongliers » de façon exponentielle. L’unique portée annuelle de 2 ou 3 marcassins sauvages est ainsi passée à deux portées annuelles de 6 à 9 petits ce qui génère une surpopulation que la chasse est désormais incapable de gérer. Les cultures fourragères et de céréales sont régulièrement détruites par les sangliers et j’ai dû les abandonner sur les trois quarts de mes champs. Plus de 150 de mes agneaux et brebis ont été tués par des chiens de chasse en 25 ans, la plupart jamais indemnisées faute d’identification des chiens responsables. Les lâchers de sangliers d’élevage nourris aux déchets d’abattoirs ont, en 8 ans, tué plus de 80 brebis de mon troupeau avant que la fédération de chasse ne mette un terme à cette pratique ». Là encore, il semble nécessaire aux membres de la mission qu’éleveurs et chasseurs puissent communiquer plus largement sur les bonnes pratiques à adopter pour une meilleure coexistence de leurs usages.

4.   Créer des espaces de discussion permettant de réfléchir à des « pactes territoriaux pastoraux »

Afin de régler au mieux les conflits d’usage, il importe que les acteurs du pastoralisme puissent être représentés au mieux dans les différentes instances de dialogue et de gestion. Dans sa réponse au questionnaire adressé par les rapporteurs, la Confédération paysanne déplore cependant le fait qu’elle manque de moyens, au même titre que d’autres structures syndicales, pour garantir une représentation adéquate des éleveurs pastoraux dans les commissions importantes, telles que les commissions régionales agro-environnementale et climatique (Craec) ou les projets agroenvironnementaux et climatiques (Paec). Pourtant, la présence des représentants pastoraux dès le début des discussions est cruciale pour orienter les décisions en fonction des besoins réels des pratiques pastorales.

Aujourd’hui, l’absence de financement pour les éleveurs participant à ces réunions, souvent au détriment de leur activité quotidienne, constitue un frein majeur à leur implication. Dans de nombreux syndicats mixtes (PNR, Grands Sites, etc.), les acteurs pastoraux sont perçus comme de simples partenaires parmi d’autres (chasseurs, randonneurs, usagers de l’espace), et non comme des acteurs centraux apportant des solutions concrètes aux enjeux environnementaux et territoriaux. Ce statut marginal limite leur capacité à influencer les décisions dans ces lieux. Ainsi, les acteurs pastoraux regrettent le manque d’opportunités d’échanges avec d’autres parties prenantes ayant un intérêt ou une interaction avec le pastoralisme. Ces discussions seraient utiles non seulement dans les phases opérationnelles des projets (Craec, Paec), mais également en amont, pour poser les bases d’une collaboration constructive. Cependant, les éleveurs et bergers sont les seuls acteurs à ne pas être rémunérés pour leur participation.

Proposition n° 13 : Développer des aides spécifiques pour permettre la représentation des acteurs du pastoralisme dans les commissions régionales et territoriales traitant des enjeux du pastoralisme, en indemnisant notamment leur absence de leur travail.

En outre, dans de nombreux départements, il n’existe pas d’interlocuteur compétent sur les questions pastorales. Cette absence complique la mise en place de discussions constructives et la coordination avec d’autres acteurs. Il serait donc nécessaire de nommer des interlocuteurs pastoraux dans chaque département, formés aux enjeux spécifiques du pastoralisme.

Plus largement, vos rapporteurs insistent sur le fait qu’il est nécessaire de créer des lieux de concertation spécifiques au pastoralisme, regroupant éleveurs, bergers, gestionnaires fonciers, forestiers, chercheurs et services publics, au-delà des comités loup qui existent déjà dans les territoires de prédation. Ces lieux doivent permettre une co-construction des politiques pastorales, en reconnaissant la transversalité et la spécificité de ce mode d’élevage.

Proposition n° 14 : Réunir au moins une fois par an les comités départementaux pastoraux sous l’égide du préfet, qui réunit l’ensemble des acteurs (représentants des éleveurs et des bergers, chambre d’agriculture, associations, collectivités locales, services de l’État).

D.   renforcer la reconnaissance du pastoralisme dans le versement des aides de la politique agricole commune

1.   L’admissibilité des surfaces pastorales aux aides de la PAC

La PAC ne fait pas de distinction entre les éleveurs selon le type d’élevage qu’ils pratiquent. Les aides sont demandées de la même manière par les exploitants agricoles, qu’ils s’adonnent au pastoralisme au moins une partie de l’année ou à l’élevage intensif ou hors sol. Il n’y a pas d’aide fléchée spécifiquement et uniquement vers le pastoralisme. Néanmoins, les aides de la PAC reposant en partie sur les surfaces déclarées des exploitations, l’activité pastorale y est prise en compte par ce biais. Comme la plupart des exploitants agricoles, les éleveurs et leurs groupements qui pratiquent le pastoralisme ne pourraient exercer cette activité sans les aides financières de la PAC et du Feader.

a.   Les aides du 1er pilier : les droits au paiement de base

Les aides du premier pilier de la PAC sont désormais appelées droits au paiement de base (DPB) depuis la réforme intervenue au 1er janvier 2015 (aides du Fonds européen agricole de garantie - Feaga). Ces droits sont calculés en fonction des surfaces dites admissibles des exploitants agricoles et non en fonction de la production, le principe étant qu’un hectare admissible active un DPB. La valeur monétaire d’un droit varie d’une exploitation à l’autre puisqu’elle tient compte de l’historique des primes perçues sur l’exploitation en 2014.

La programmation de la PAC 2023-2027 est la deuxième période d’application des droits à paiement de base. Une nouvelle règle a été appliquée pour calculer les aides versées afin de viser une convergence progressive des droits pour tous les agriculteurs.

Le principe de la convergence des droits à paiement de base

La convergence des droits vise à réduire des écarts qui existaient au sein d’un même pays dans le système antérieur des droits à paiement unique. Ainsi, à partir de 2015, l’objectif a été de faire évoluer les valeurs des droits à paiement de base inférieures à la valeur moyenne nationale constatée pour réduire de 70 % l’écart pour les agriculteurs qui percevraient des aides unitaires (à l’hectare) inférieur à cette moyenne.

La convergence se prolonge sur la programmation 2023-2027. L’objectif est désormais de faire évoluer progressivement le montant unitaire des DPB de plus faible valeur jusqu’à une valeur égale ou supérieure à 85 % de la moyenne nationale (en 2025). D’après Chambres d’agriculture France, la valeur moyenne nationale des DPB devra être passée de 114 euros à environ 128 euros entre 2022 et 2025 (145 euros en Corse).

Cette hausse concerne une grande partie des surfaces pastorales qui, à l’origine, ont été dotées de DPB inférieurs à la valeur moyenne compte tenu de montants d’aide historiquement plus bas dans les exploitations concernées. Il convient de rappeler qu’historiquement dans la PAC, les surfaces pastorales n’étaient pas dotées de droits. Elles ne le sont que depuis 2010.

Il est important de rappeler que quel que soit le type d’exploitation, les agriculteurs ne peuvent prétendre aux DPB que s’ils remplissent deux grands types de conditions préalables. La conditionnalité des aides est un principe qui est renforcé dans la PAC 2023-2027. Les agriculteurs doivent respecter les exigences réglementaires en matière de gestion portant sur l’environnement, la santé publique, la santé végétale et le bien-être animal, et celles relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales, aux surfaces, animaux et éléments dont ils ont le contrôle.

Les aides dites découplées, sous forme de DPB, n’ont pas été particulièrement pensées pour l’activité d’élevage pastorale. Elles ne les excluent pas non plus, mais les éleveurs laissant leurs animaux pâturer au moins une partie de l’année sont considérés comme tous les exploitants agricoles. Néanmoins, des aménagements ont été prévus pour des surfaces traditionnellement présentes dans les paysages pastoraux.

Les DPB sont calculés en fonction du nombre d’hectares dits admissibles à l’aide. Les surfaces admissibles sont les « surfaces agricoles », c’est-à-dire toute surface comportant un couvert de production agricole. Certains éléments non agricoles (haies, mares, broussailles) font l’objet de dispositions particulières permettant leur inclusion dans la surface admissible, sachant qu’en tant que telles, les forêts ne constituent pas des surfaces admissibles.

On distingue trois catégories de surfaces agricoles : les terres arables, les cultures permanentes et les prairies et pâturages permanents. Les surfaces pastorales correspondent aux prairies et pâturages permanents (PP), définis comme des surfaces portant majoritairement des couverts herbacés depuis cinq années révolues et aux espaces ne comportant pas majoritairement des couverts herbacés mais présentant des ressources ligneuses, appelées surfaces pastorales ligneuses (SPL) ([19]). Elles recouvrent à la fois des prairies naturelles, des landes, des garrigues, du maquis et des parcours et estives d’altitude.

Les surfaces sont admissibles à deux conditions : la détention d’un titre de propriété de la parcelle ou d’un bail et l’existence d’une activité agricole sur la surface. Une activité agricole correspond soit à une activité de production, soit à un entretien minimal annuel de la surface. Pour les prairies permanentes majoritairement en herbe, l’entretien minimal est caractérisé par une activité de pâturage, fauchage ou broyage et par l’absence d’enfrichement. Pour les prairies permanentes avec ressources ligneuses (SPL), plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées :

– être situées dans l’un des 38 départements définis dans le PSN : 01, 04, 05, 06, 07, 09, 11, 12, 13, 15, 19, 2A, 2B, 23, 24, 26, 30, 31, 32, 34, 38, 42, 43, 46, 47, 48, 63, 64, 65, 66, 69, 73, 74, 81, 82, 83, 84 et 87 ;

– prouver un taux de chargement minimal de 0,2 UGB par hectare admissible ou, par défaut, l’entretien annuel par fauche ou broyage ; en cas de non atteinte du taux, la surface admissible est plafonnée de manière à atteindre le taux minimal ; ce critère a été introduit pour la PAC 2023-2027 et le taux défini par un arrêté du 23 juin 2023 ([20]) ;

Ce taux de chargement minimal a été critiqué par certaines personnes auditionnées. Il pénalise les toutes petites exploitations, qui parfois disposent de superficies très vastes à déclarer, mais d’un petit cheptel. Pour la Confédération paysanne notamment ce seuil force à intensifier l’usage des surfaces au risque de les surcharger, d’épuiser la ressource, ou d’imposer l’achat de fourrage.

Proposition  15 : Supprimer le taux de chargement minimal de 0,2 unité de gros bétail (UGB) pour les surfaces pastorales ligneuses.

Le cas particulier des chênaies et châtaigneraies en Corse et dans les Causses fait l’objet de règles spécifiques.

La surface admissible est ensuite déterminée à partir de la proportion d’éléments non admissibles (affleurements rocheux, éboulis, broussailles, mares, etc.) par rapport à la surface de référence, sur la base de coefficients d’admissibilité définis dans le PSN. C’est la méthode du « prorata ». Cette méthode consiste à estimer la surface admissible à partir du taux de recouvrement au sol par des éléments non admissibles qui sont disséminés sur la surface. La correspondance entre le taux de recouvrement par des éléments non admissibles et la surface admissible est définie par une grille nationale de prorata :

– 80 % de la surface sont primables lorsque 10 à 30 % de surfaces non admissibles (SNA) naturelles sont constatés sur la parcelle,

– 60 % pour 30 à 50 % de SNA,

– 35 % pour 50 à 80 % de SNA,

– 0 pour plus de 80 % de SNA.

L’estimation de la part d’éléments non admissibles (ex : rochers, bosquets, mares, broussailles non consommables, hors linéaire de haie) se fait désormais grâce à des photographies aériennes des parcelles, sans qu’il soit besoin de faire la déclaration sur papier ou en ligne de chaque élément.

Comme nous l’ont indiqué plusieurs personnes auditionnées, la convergence des droits à paiement de base a eu des effets bénéfiques pour les agriculteurs des départements où les espaces agricoles se situent en partie en montagne. Le graphique ci-dessous, issu d’une étude du ministère de l’agriculture sur le pastoralisme dans le massif des Pyrénées, l’illustre ([21]).

Les droits à paiement de base ne peuvent être distribués à des personnes autres que les exploitants agricoles. Ils ne sont ni perceptibles par les groupements pastoraux, ni par les collectivités territoriales ou les commissions syndicales par exemple. Seuls quelques très rares gestionnaires collectifs ont reçu en 2015 des DPB en propre et les ont conservés.

L’attribution de droits à paiements de base (DPB) sur les surfaces d’altitude introduit donc une logique individuelle sur des surfaces souvent utilisées de manière collective. En effet, la France a choisi de ne pas attribuer les DPB aux gestionnaires collectifs, mais de les rapatrier dans les « portefeuilles » individuels des éleveurs transhumants, les surfaces activables étant ensuite calculées chaque année au prorata temporis des UGB estivées. Les pâturages collectifs sont déclarés par le gestionnaire qui remplit chaque année un formulaire dit de « montée-descente d’estive » dans lequel il indique tous les utilisateurs de l’estive, ainsi que le nombre d’animaux envoyés en estive et la durée pendant laquelle ces animaux s’y trouvent. Sur la base de ces informations, il est déterminé pour chaque exploitant la part de l’estive que ses animaux ont mise en valeur en fonction de leur nombre et du temps qu’ils y ont passé. Dès lors que la surface admissible totale de l’estive est connue, la surface admissible affectée à chaque exploitant, appelée « surface rapatriée d’estive », est le produit de cette surface admissible totale et de la part d’utilisation personnelle précédemment calculée.

Les surfaces ainsi rapatriées ont pu être prises en compte lors de l’attribution initiale des droits à paiement de base en 2015. Si chaque exploitant peut acquérir des DPB par transfert, il n’y a pas eu de nouvelle attribution générale de droits depuis 2015, les DPB activables sont donc toujours actuellement ceux disponibles en 2015.

b.   Les aides du 1er pilier : les éco-régimes

L’éco-régime est un paiement direct aux exploitants agricoles de l’hexagone qui s’engagent volontairement à mettre en place sur l’ensemble de leur exploitation des pratiques agronomiques favorables au climat et à l’environnement. Il remplace le paiement vert et prend la forme d’un paiement découplé uniforme, versé annuellement en fonction du nombre d’hectares admissibles de l’exploitation et tenant compte des pratiques mises en œuvre.

Ces paiements visent à accompagner la transition agroécologique et représentent 25 % des aides du 1er pilier.

Les agriculteurs, répondant, par leurs pratiques vertueuses à cette transition peuvent bénéficier d’une aide. Une approche forfaitaire prenant en compte l’ensemble des surfaces de l’exploitation est retenue, avec deux niveaux d’aide :

– un niveau « de base », soit 46,69 euros à l’hectare (€/ ha) :

– un niveau « supérieur », soit 62,72 €/ha.

L’éco-régime n’est pas spécialement orienté vers les éleveurs pastoraux qui peuvent néanmoins en bénéficier comme tout agriculteur s’ils en remplissent les conditions, notamment par exemple pour obtenir le label « agriculture biologique » ou le label dit « Haute valeur environnementale ». Il n’est pas possible de cumuler plusieurs types d’éco-régimes.

Les différents types d’éco-régimes

– la voie des pratiques : pour les prairies permanentes, le non-labour d’au moins 80 % des surfaces confère le niveau de base et d’au moins 90 % le niveau supérieur ;

– la voie de la certification environnementale : agriculture biologique (AB), certification environnementale de troisième niveau (HVE), certification environnementale privée de niveau 2+ (liste établie par arrêté) ;

– la voie des éléments favorables à la biodiversité : un taux d’au moins 7 % d’infrastructures agro-écologiques (IAE) ou de terres en jachères confère le niveau de base et d’au moins 10 % le niveau supérieur ; l’exigence est d’au moins 4 % pour les terres arables ;

– le bonus « haies » (au moins 6 % de haies) s’ajoute pour les exploitants qui perçoivent l’éco-régime au titre des pratiques ou de la certification environnementale.

Tant pour les droits à paiement de base que pour l’éco-régime, les aides ne sont pas plafonnées, majorées ou minorées mais s’appliquent à tous les hectares admissibles, ce qui suscite parfois des réserves. Les agriculteurs et leurs syndicats soulignent que ces aides de la PAC ne permettent pas de soutenir particulièrement les petites exploitations, et au contraire constituent une incitation à l’agrandissement des exploitations.

Proposition n° 16 de la rapporteure Mme Marie Pochon : Majorer les aides du 1er pilier de la PAC sur les premiers hectares pour soutenir les petites fermes pastorales.

c.   Les aides du 2e pilier : L’Ichn et les Maec surfaciques

L’indemnité compensatoire de handicaps naturels (Ichn) existe depuis 1976. Elle a toujours fait partie des aides du 2e pilier de la PAC. Elle est financée à 65 % par le Feader et à 35 % par l’État. Son objectif général est d’aider les agriculteurs à travailler dans des territoires considérés comme difficiles du fait de contraintes naturelles spécifiques. Le zonage Ichn actuel comprend 20 400 communes françaises. Deux grands types de zones défavorisées sont distingués : les zones de montagne et de haute-montagne et les zones défavorisées hors montagne. Cette seconde catégorie recoupe : les zones soumises à des contraintes naturelles importantes (Zscn) et les zones soumises à des contraintes spécifiques (Zscs). Le zonage défini une première fois en 1976 n’avait pas été modifié avant 2019.

 

Définition des zones soumises à des contraintes naturelles (ZSCN)
et des zones soumises à des contraintes spécifiques (ZSCS)
pour la France hexagonale à partir de 2019

L’Ichn est versée à l’exploitant agricole mais elle peut aussi être versée à une personne morale, telle qu’un Gaec, une Earl ou une Scea. Elle ne peut pas être versée à l’inverse à un groupement pastoral ou à des personnes morales en indivision.

Plusieurs conditions doivent être remplies.

Les conditions à remplir pour percevoir l’Ichn

– être agriculteur actif au sens de la PAC ;

– retirer au moins 50 % de ses revenus de l’activité agricole ;

– exploiter la surface minimale requise selon le type d’activité ;

– avoir au moins 80 % de la surface agricole ainsi que le siège de l’exploitation en zone défavorisée (sauf pour les surfaces en zone de montagne pour le siège de l’exploitation).

En France en 2022, près de 100 000 agriculteurs ont bénéficié de cette indemnité compensatoire.

Au sein de l’indemnité, on distingue l’Ichn dite « animale » et l’Ichn dite « végétale ». L’Ichn « animale » concerne les surfaces fourragères et l’Ichn « végétale » concerne les surfaces cultivées destinées à la commercialisation, cette dernière étant réservée aux seules zones de montagne.

Les montants sont calculés à l’hectare éligible. Ils sont majorés sur les 25 premiers hectares. La surface maximale pouvant être éligible à l’indemnité est de 75 hectares par bénéficiaire ; l’aide est donc plafonnée. Le montant fixe est de 70 euros par hectare. Les 25 premiers hectares bénéficient des majorations suivantes :

Montants maximums
en €/ha pour les
25 premiers hectares
de surfaces fourragères

Haute montagne

Montagne

Piémont

Zone défavorisée simple

Sèche

Hors sèche

Sèche

Hors sèche

Sèche

Hors sèche

Sèche

Hors sèche

385

382

316

235

154

96

138

85

Source : MASA – Fiche PAC 2023 – 2027 – Annexe 9 - Ichn

Des conditions spécifiques s’appliquent pour toucher l’Ichn animale :

– exploiter un minimum de 3 hectares de surface fourragère (production d’herbe, d’autres fourrages ou de céréales autoconsommées) en zone défavorisée ;

– respecter le taux de chargement pour les éleveurs (autrement dit, le rapport entre le nombre d’animaux et la surface fourragère) ;

– détenir au moins 5 UGB herbivores (ou porcines dans les zones de montagne), après prise en compte de la transhumance (depuis 2023).

Le montant total de l’Ichn animale peut être modulé à la baisse selon le chargement en animaux de l’exploitation (c’est-à-dire le nombre d’UGB par hectare de l’exploitation). Ce critère permet de favoriser les exploitations dont le niveau de chargement est optimal pour le milieu dans lequel elles évoluent, et d’éviter ainsi le surpâturage ou à l’inverse, le sous pâturage (avec un risque d’embroussaillement du milieu). Ainsi, en zone de montagne, le paiement peut être de 100 % si le taux de chargement est compris entre 0,1 et 1 UGB/ha. L’amplitude des taux de chargement, ainsi que les coefficients de réduction sont établis selon les sous-zones et fixés à l’échelle départementale par arrêté préfectoral,

Le nombre d’UGB devant être détenues a été relevé dans la PAC 2023-2027 ; il a été porté de trois à cinq. Comme l’a expliqué la direction générale de la performance des entreprises à vos rapporteurs : « au cours de la concertation qui a précédé la construction de la PAC 2023-2027, les organisations professionnelles agricoles ont demandé une stabilité globale du dispositif de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels permettant de conserver l’équilibre entre les territoires et les types d’exploitations. La majorité des parties prenantes s’est exprimée pour un relèvement du seuil du nombre d’animaux pour accéder à l’Ichn de 3 à 5 UGB permettant d’assurer un meilleur ciblage de l’aide sur les élevages. »

En France, l’enveloppe consacrée à l’Ichn est d’un peu plus de 1,1 milliard d’euros par an.

Budget consacré à l’ICHN (budgets régionaux et PSN)

(en million d’euros)

 

2020

2021

2022

2023

2024

Feader

847

847

847

717

717

Crédits État*

279

277

277

385

385

(*) données loi de finances de 2020 à 2024

Source : données communiquées par la direction générale de la performance des entreprises – Service de la gouvernance et de la gestion de la PAC

Les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) visent à soutenir les agriculteurs qui s’engagent dans des pratiques agroenvironnementales. Elles sont décrites dans le PSN pour la PAC 2023-2027 (interventions 70.06 à 70.14). On distingue les mesures systémiques, définissant un cahier des charges qui s’applique sur au moins 90 % de l’exploitation, et les mesures localisées, concernant des engagements pris à la parcelle. Les cahiers des charges sont définis dans le PSN, avec des paramètres fixés localement.

L’État, représenté par les Draaf, est responsable des interventions de nature surfacique (Maec surfaciques) et assimilées, tandis que les régions sont responsables des interventions non liées à la surface (Maec non surfaciques).

Pour les Maec surfaciques, les Draaf sélectionnent les mesures pour leur région en fonction des enjeux environnementaux du territoire : biodiversité, qualité de l’eau, élevage, préservation des sols, défense des forêts contre les incendies. Des appels à projet sont ouverts pour que les structures ayant la capacité de porter un projet agroenvironnemental et climatique (Paec) manifestent leur intérêt de mettre en place des Maec (ex. chambre d’agriculture, syndicats responsables de l’eau, PNR). Les agriculteurs intéressés doivent ensuite s’assurer que leur exploitation se situe dans une zone dans laquelle sont ouvertes des Maec, puis prendre connaissance des cahiers des charges auprès de la DDT, de la chambre d’agriculture ou sur le site internet du ministère de l’agriculture. Les groupements pastoraux sont également éligibles.

Les montants sont fixés dans le PSN. Les engagements ont une durée de cinq ans. L’aide est cofinancée à 80 % par le Feader.

Les Maec suivantes sont susceptibles de s’appliquer au pastoralisme :

– 70.10 Préservation de l’équilibre agro-écologique et de la biodiversité de milieux spécifiques ; les montants sont de 51 €/ha pour la mesure « Surfaces herbagères et pastorales », 88 €/ha pour la mesure « Systèmes herbagers et pastoraux » et 72 €/ha pour la mesure « Amélioration de la gestion des surfaces herbagères et pastorales » ;

– 70.12 Préservation des espèces : les montants vont de 82 €/ha à 254 €/ha selon le niveau ;

– 70.13 Maintien de la biodiversité par l’ouverture des milieux et la lutte contre les incendies : les montants sont de 153 €/ha pour la mesure « Maintien de l’ouverture des milieux » et de 204 €/ha pour la mesure « Amélioration de la gestion par le pâturage » ;

– 70.14 Entretien durable des infrastructures agro-écologiques : le montant est de 800 €/ha pour la mesure « Ligneux ».

d.   Les aides du 2e pilier non liées à la surface

Les régions sont responsables des interventions du Feader non liées à la surface. Dans le PSN pour la PAC 2023-2027, 26 fiches d’intervention ont été établies pour les régions et sept fiches spécifiques pour la Corse.

Chaque région s’est en effet vue notifier un budget global pour cinq ans et donc un budget annuel provenant du Feader pour les aides pour lesquelles les régions ont été reconnues autorité de gestion.

Les interventions non surfaciques suivantes sont susceptibles de s’appliquer au pastoralisme :

– 70.27 : Maec forfaitaire Transition des pratiques : cette aide vise à couvrir les efforts non pris en charge par les Maec surfaciques ;

– 70.30 : Maec Protection des races menacées (PRM) : cette aide vise à protéger des animaux appartenant à des races identifiées comme menacées de disparition par l’Inrae, dans le but de maintenir la diversité génétique du cheptel français, particulièrement intéressante pour faire face à l’adaptation au changement climatique et la multiplication des maladies ;

– 70.31 : Aide au gardiennage des troupeaux sur les territoires pastoraux hors zone de prédation (Nouvelle‑Aquitaine, Occitanie) : les projets éligibles concernent le gardiennage effectué dans les zones de montagne ou dans une zone à vocation pastorale, et en dehors des cercles C0 et C1 des zones de prédation définies par arrêté préfectoral ; les AFP, les GP et les gestionnaires collectifs sont éligibles ;

 73.01 : Investissements productifs « on farms » pour le soutien à la production primaire agricole ainsi qu’aux projets portés par les agriculteurs ou leurs groupements ;

– 73.02 : Investissements agricoles non productifs : en particulier, construction et rénovation de cabanes pastorales ainsi que les équipements pour l’activité pastorale et visant à protéger les animaux de la prédation ;

– 73.03 : Soutien aux entreprises « off farm » : cette aide vise à soutenir les entreprises exploitant ou valorisant les productions agricoles, notamment en structurant des filières locales de distribution.

Focus 1 : La mobilisation de la mesure 73.01 du Feader 2023-2027
dans la région Occitanie

L’enveloppe régionale du Feader 2023-2027 dans la région Occitanie prévoit plusieurs mesures pour soutenir le pastoralisme, dont une s’inscrit dans le cadre de la mesure 73.01 du plan stratégique national (PSN). Cette mesure est appelée « Investissements pastoraux collectifs ».

Les projets soutenus doivent notamment :

– favoriser l’aménagement de nouveaux espaces pastoraux collectifs pour améliorer l’autonomie fourragère des exploitations qui mettent leurs animaux en pension sur ces espaces ;

– faciliter la réponse au changement climatique en adaptant l’équipement des espaces pastoraux collectifs déjà utilisés : points d’abreuvements, parcs pour la gestion des troupeaux et travaux de débroussaillement.

Comme dans la région Aura, les financements ne sont accessibles qu’à des structures collectives (collectivités territoriales, EPCI, groupements pastoraux…).

Le cofinancement apporté par le Feader est de 60 % de la dépense éligible aux aides publiques (qui est 60 % du montant total de la dépense).

 

Focus 2 : La mobilisation de la mesure 73.01 du Feader 2023-2027
dans la région Nouvelle‑Aquitaine

L’enveloppe régionale du Feader 2023-2027 dans la région Nouvelle­‑Aquitaine prévoit un dispositif spécifique pour les équipements pastoraux dans le cadre de la mesure 73.01 du PSN. Cette mesure appelée « investissements pastoraux » vise à moderniser les équipements pastoraux en estives et à les adapter aux contraintes naturelles et pédo-climatiques. Comme le signale le descriptif : « Les surcoûts engendrés par la réalisation d’ouvrages aux normes en vigueur doivent être accompagnés pour loger dans de bonnes conditions les exploitants transhumants, de façon à pérenniser les activités pastorales, valorisant ainsi la ressource fourragère et maintenant les milieux pastoraux ouverts. »

Les travaux d’améliorations pastorales de gestion collective pris en charge concernent :

– les travaux liés à la création, à la modernisation et à l’équipement de cabanes pastorales (fixes ou mobiles) pour le logement du berger, les locaux et les équipements fixes ou mobiles et pour la production laitière et fromagère ;

– les travaux liés à l’approvisionnement en eau tels que le captage, l’adduction, la desserte des estives et zones de pâturages collectifs, les points d’abreuvement, les systèmes de régulation hydrauliques ;

– les travaux liés aux installations fixes de télécommunication, équipements de raccordement en eau et électricité liés aux cabanes et équipements liés ;

– les travaux nécessaires aux parcs de pâturage avec clôtures fixes ou mobiles pour la reconquête de zones en déprise, basés sur un diagnostic pastoral.

Les modalités d’attribution de cette aide sont les mêmes que dans la région Occitanie citées ci-dessus, mais le cofinancement du Feader est de 70 % de la dépense éligible.

Proposition n° 17 : Évaluer l’opportunité de renforcer les enveloppes des mesures agroenvironnementales et climatiques tant surfaciques que non surfaciques, et notamment en faveur des activités d’élevage pastoral.

2.   Les aides couplées à la production

Une aide couplée consiste à aider spécifiquement une exploitation agricole lorsqu’elle génère un certain produit. Les aides couplées concernent les végétaux et les animaux. Concernant le pastoralisme, on retrouve les quatre productions suivantes : bovins de plus de 16 mois, ovins, caprins, veaux (sous la mère et bio).

L’aide bovine prend la forme d’un paiement à l’unité de gros bétail (UGB), l’unité de référence permettant d’agréger le bétail de différentes espèces et de différents âges, pour les bovins âgés de plus de 16 mois et détenus au moins 6 mois sur l’exploitation. Les montants indicatifs de l’aide sont de 60 €/UGB pour le niveau de base et de 110 €/UGB pour le niveau supérieur en 2023. Un seuil de détention de 5 UGB est requis pour percevoir l’aide. Au total, il n’est pas possible de primer plus de 120 UGB. Les UGB éligibles au niveau supérieur sont les races à viande. Le nombre d’UGB primées au niveau supérieur ne peut dépasser l’équivalent de 1,4 fois la surface fourragère (ce qui constitue une forme de limitation du chargement à l’hectare). Toutefois, le plafonnement lié à la surface fourragère ne s’applique pas aux 40 premières UGB. L’aide bovine en Corse fait l’objet de règles spécifiques.

L’aide ovine est destinée aux producteurs en lait ou en viande. Le montant indicatif de l’aide est de 23 €/animal, plus 6 €/animal environ pour les nouveaux producteurs (moins de trois ans). Une majoration de 2 euros s’applique sur les 500 premiers animaux. Un seuil de 50 animaux est requis.

L’aide caprine est destinée aux producteurs en lait ou en viande. Le montant indicatif de l’aide est de 15 €/animal. Un seuil de 25 animaux est requis. Un plafonnement à 400 chèvres s’applique.

L’aide aux veaux sous la mère et aux veaux bio est destinée aux éleveurs sous label rouge, sous indication géographique protégée ou issus de l’agriculture biologique. Le montant indicatif de l’aide est de 66 €/animal.

Une aide spécifique aux petits ruminants en Corse vise à soutenir la production pastorale ovine et caprine, avec des niveaux d’aides différenciés entre ovins et caprins et entre un niveau de base et un niveau supérieur réservé à l’AOP Brocciu.

Pour certaines des personnes auditionnées, comme M. Patrick Bénézit, vice-président de la fédération nationale bovine, et Mme Singla, secrétaire générale de la fédération nationale ovine, il serait nécessaire de renforcer ces aides couplées à la production ou au moins que soient maintenus les montants actuels. Or, il est prévu dans la programmation pluriannuelle de la PAC 2023-2027 que l’aide diminue pour certaines sous-catégories d’année en année. Pour la France, l’enveloppe annuelle consacrée aux aides couplées aura diminué de 20 millions d’euros entre la programmation 2014-2022 et la programmation 2023-2027, passant ainsi de 1,031 milliard d’euros à 1,011 milliard d’euros. Une part plus importante sera progressivement consacrée aux protéines végétales. Le budget des aides couplées n’étant pas extensible, l’enveloppe allouée aux aides animales sera progressivement réduite au profit des aides couplées au secteur végétal. Ainsi, en 2027, les aides couplées aux cultures riches en protéines végétales représenteront 3,5 % du budget du premier pilier (contre 2 % actuellement), et le reste des aides couplées 11,5 %.

Évolution du budget consacré aux aides couplées dans la programmation pluriannuelle de la PAC 2023-2027

Source : Chambre d’agriculture de Bretagne :

https://bretagne.chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/Bretagne/179_Inst-Bretagne/1-Projets/Politique/PDF/3_Fiche_aides_couplees_v220901.pdf

3.   L’importance du maintien des aides qui prennent en compte les spécificités du pastoralisme

De nombreux acteurs auditionnés ont souligné l’importance des différents soutiens financiers perçus par les éleveurs, qui ne pourraient pas vivre de leur travail s’ils n’étaient pas aidés par les aides découplées et l’Ichn notamment.

L’intégration des surfaces pastorales et des surfaces ligneuses, opérée progressivement dans les aides découplées du 1er pilier et dans les aides du 2e pilier, est aujourd’hui plus satisfaisante qu’il y a 10 à 15 ans. L’Ichn depuis sa création constitue également un soutien précieux.

Néanmoins, il n’existe pas de reconnaissance de l’activité d’élevage pastorale comme constituant une activité spécifique, la particularité n’étant reconnue que via les surfaces admissibles et l’Ichn indirectement puisque cette aide est particulièrement versée aux agriculteurs en zone de montagne.

Si le bénéfice de l’Ichn est plafonné à 75 hectares par agriculteur actif, ce n’est pas le cas des DPB. Pour certains acteurs, et notamment la Confédération paysanne, il serait souhaitable de lutter contre l’agrandissement des fermes pastorales via un plafonnement des aides à l’agriculteur actif et de majorer les aides sur les premiers hectares pour soutenir les petites fermes pastorales qui participent tout autant du dynamisme du secteur de l’élevage.

De plus, le système des aides de la PAC vise à aider les exploitants agricoles et les destinataires finaux ne peuvent qu’être des exploitants individuels. Ce fonctionnement actuel n’a pas toujours paru adapté aux différentes personnes auditionnées. La pratique du pastoralisme et de la conduite des troupeaux en extérieur, notamment dans les estives, est souvent collective. Les terrains sont gérés en commun par des collectivités ou par des associations ou groupements pastoraux, et souvent pâturés et donc valorisés par des troupeaux de différents éleveurs. Si certaines aides de la PAC sont accessibles à des associations et personnes morales, comme les Maec, tel n’est pas le cas des DPB et de l’Ichn.

Comme il a été précédemment rappelé, la quasi-totalité des surfaces pastorales a été dotée en 2015 en DPB. Dans le cas général, ces DPB ont été versés directement aux exploitants. Il importe que les droits perçus par chaque exploitant sur les surfaces collectives soient corrélés à la fréquentation de l’alpage par son cheptel, et que la surface admissible de l’alpage reste, campagne après campagne, dotée d’un nombre de DPB au moins égal à celui généré par la surface admissible en 2015. Ainsi, une cessation d’activité, un arrêt de montée en alpage, une diminution du cheptel amené en montagne, une diminution du temps passé sur l’alpage, un changement d’alpage, mais aussi à l’inverse l’arrivée de nouveaux éleveurs, l’augmentation du cheptel amené en montagne ou du temps passé sur l’alpage doivent se traduire par des transferts de DPB entre agriculteurs utilisant l’alpage collectif.

Les éleveurs peuvent alors utiliser les mécanismes de transfert de DPB, transfert qui peut être temporaire ou définitif. Ils ont intérêt à le faire dans la mesure où si des DPB ne sont pas activés pendant deux ans, ils ne peuvent plus être conservés par l’éleveur pour une activation ultérieure mais remontent dans la réserve nationale. Ainsi, si les surfaces admissibles déclarées par chaque éleveur diminuent par rapport à la dotation initiale en DPB dont ils disposent, les DPB peuvent être perdus.

Les effets potentiellement dommageables du rapatriement des DPB dans le « portefeuille » de chaque éleveur ont été rappelés par certaines des personnes auditionnées, qui ont mis en lumière la contradiction entre une gestion collective des surfaces pastorales et le bénéfice individuel des droits. Cependant un système différent aurait également des inconvénients. Si les éleveurs ne percevaient plus en propre les DPB correspondant à leur utilisation de l’estive une partie de l’année et qu’ils ajoutent aux autres droits qu’ils activent du fait de l’activité de leur exploitation, ils n’auraient peut-être pas autant intérêt à la bonne gestion des estives et à s’entendre, et celle-ci serait assurée par les gestionnaires collectifs de manière peut-être plus distanciée.

Afin de gérer au mieux les DPB des différents éleveurs correspondant à leur utilisation des estives, certains groupements pastoraux ou autres gestionnaires collectifs ont demandé à récupérer les DPB auprès des utilisateurs pour en devenir propriétaire afin qu’ils puissent ensuite en fonction de l’utilisation réelle des surfaces par chaque troupeau louer les droits correspondants à chaque éleveur chaque année. Pour ce faire, l’accord des éleveurs est indispensable, les DPB leur appartenant à l’origine. Un tel système permet d’éviter les transferts de droits entre éleveurs en amont ou aval de l’utilisation de l’estive et au gestionnaire collectif d’avoir une meilleure gestion de l’ensemble des espaces et des droits (les éleveurs restant in fine les personnes activant les DPB pour eux-mêmes).

Certains départements se sont organisés afin d’aider les gestionnaires face à ce problème. Le département des Hautes‑Pyrénées, à travers un groupement d’intérêt public ([22]), a par exemple mis en place une charte devant être intégrée dans le règlement des estives dans laquelle éleveurs et gestionnaires s’engagent à signaler au plus tôt toutes modifications importantes de surfaces et de cheptels sur l’estive, et consentent à transférer leurs DPB inutilisés.

L’intégration de chartes aux règlements d’utilisation des estives pour aider les gestionnaires collectifs dans les calculs et déclarations afin que les éleveurs puissent obtenir les aides du 1er pilier pourrait être généralisée. L’objectif principal d’une telle démarche serait d’éviter l’érosion des DPB sur les estives

La Confédération paysanne a jugé, dans ses réponses à vos rapporteurs, qu’il serait pertinent d’encourager les dynamiques collectives en reconnaissant les spécificités de la gestion collective dans l’attribution et la gestion des DPB d’estives dans le système des aides de la PAC depuis 2015 et 2023 : « Un système différencié aurait permis de conserver un minimum de DPB au niveau des gestionnaires de groupements pastoraux (GP), ce qui aurait garanti un financement stable pour l’entretien des estives et leurs infrastructures. En outre, la création d’une réserve de DPB activable par les GP aurait permis d’accueillir de nouveaux éleveurs ou de s’adapter aux variations annuelles de chargement. »

Proposition  18 : Encourager le transfert volontaire des aides individuelles versées aux éleveurs à des structures pastorales collectives afin d’améliorer la gestion des estives et des parcours au bénéfice de tous, et étudier les possibilités juridiques et pratiques d’attribuer en propre des droits à paiement aux gestionnaires collectifs.

La direction générale de la performance des entreprises du ministère de l’agriculture, lors de son audition, a rappelé que le dispositif et le budget de l’Ichn étaient régulièrement remis en question et que la France avait à nouveau défendu son maintien dans la programmation pluriannuelle 2023-2027. En ce qui concerne le principe de son bénéfice, qui n’est actuellement pas collectif mais individuel, les personnes auditionnées ont rappelé que le versement de l’Ichn à un ensemble d’éleveurs comme à un exploitant individuel aurait les mêmes conséquences en termes de montant. En outre, la réglementation européenne prévoit que les aides sont versées aux bénéficiaires finaux et non à un intermédiaire. Tout autre principe de versement pourrait fragiliser juridiquement cette aide spécifique dans l’architecture générale de la PAC.

Proposition n° 19 : Réaffirmer le soutien de la France à la pérennité de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels dans les négociations relatives au budget de la PAC et plaider pour sa revalorisation.

E.   Le statut du berger : un métier difficile encore mal reconnu et mal valorisé

1.   Un métier très exigeant et diversement exercé

Une partie des éleveurs sont eux-mêmes bergers pendant la période de l’année où les animaux transhument et gardent leurs troupeaux ou un regroupement de troupeaux. L’exercice de plusieurs activités, parfois simultanément, qui fait des chefs d’exploitation ou des membres de leurs familles également des bergers au printemps et à l’été, est une situation que l’on retrouve de manière variable selon les régions ou les massifs. L’évolution des structures des exploitations et des configurations familiales dans lesquelles, plus qu’auparavant, l’une des deux personnes du couple n’exerce pas un métier agricole réduit les marges de manœuvre des familles.

Comme le fait remarquer la société d’économie alpestre de Haute-Savoie (SEA 74), les systèmes pastoraux haut-savoyards se sont construits grâce à une main-d’œuvre traditionnellement non salariée et familiale. Une enquête réalisée par la SEA 74 d’avril à juin 2022 a permis d’établir que sur 162 unités pastorales étudiées, 460 travailleurs non-salariés étaient recensés dont 290 exploitants et associés. Cette main-d’œuvre a diminué au cours des dernières décennies, les enfants des exploitants, notamment, partant plus souvent qu’avant de leur domicile pour exercer d’autres métiers. La modernisation des équipements pastoraux n’a pas compensé la perte de main-d’œuvre. La diminution de la main-d’œuvre non salariée et familiale conduit nécessairement à un accroissement du nombre de salariés à la fois dans les exploitations à l’année mais aussi pour la conduite des troupeaux dans les alpages.

Les bergers peuvent également être salariés des éleveurs ou bien salariés de groupements pastoraux. Il est difficile d’évaluer le nombre de bergers en activité annuellement. L’association des bergères et bergers en alpages et systèmes pastoraux, qui regroupe des bergers et bergères dans les Alpes du sud, estimait en 2023 que 400 à 500 bergers travaillaient dans l’année dans les alpages. La proportion de femmes exerçant ce métier n’est pas négligeable et a tendance à augmenter.

Beaucoup de bergers salariés sont en contrat à durée déterminée, le travail étant saisonnier. Les contrats de travail sont désormais encadrés par la convention collective nationale des salariés agricoles et coopérative d’utilisation de matériel agricole (Cuma). En application de l’accord d’objectifs du 15 novembre 2016 sur la restructuration de la négociation collective de l’interbranche agricole, les organisations syndicales de salariés et professionnelles ont créé un dispositif conventionnel national commun à toutes les régions et à toutes les activités professionnelles de la branche professionnelle production agricole et de la branche professionnelle des Cuma, signé le 15 septembre 2020 et dont l’arrêté d’extension a été publié au Journal officiel le 10 janvier 2021. Cette convention collective ([23]). fournit un cadre commun à l’ensemble des conventions collectives territoriales.

Il n’existe donc pas de convention collective nationale spécifique aux bergers et gardiens de troupeaux. La CGT souhaiterait qu’un avenant spécifique relatif aux gardiens de troupeaux soit ajouté dans toutes les conventions collectives territoriales encadrées désormais par la convention collective nationale. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (Fnsea) ne s’est pour l’instant pas engagée dans des négociations pour élaborer des dispositions spécifiques tant via un accord national spécifique que par des avenants aux différentes conventions collectives territoriales.

La Fnsea, dans ses réponses écrites à vos rapporteurs, s’est exprimée sur ce sujet ; elle indique que : « sur la situation spécifique des bergers salariés, les partenaires sociaux réfléchissent aussi à la mise en place d’un accord national, mais pour le moment se heurtent à des difficultés de définition du périmètre ».

Or les conditions de travail des bergers, lorsqu’ils s’occupent de troupeaux transhumants, sont de facto atypiques. Un des enjeux majeurs pour garantir des conditions de travail et de vie correctes pendant la période de gardiennage est celui du logement et de son équipement. Les cabanes, bergeries ou refuges sont dans des états très variables et la question de l’approvisionnement en vivres et en eau se pose toujours lorsque les séjours sont prolongés et que les logements ne sont pas accessibles par la route. Les rémunérations ne sont pas très attractives par rapport aux contraintes du métier. En Haute-Savoie en 2022, selon l’étude ci-mentionnée de la SEA 74, le salaire moyen mensuel net était de 1 800 euros pour garder des bovins, et d’environ 2 000 euros pour les bergers d’ovins. Les syndicats de gardiens de troupeaux affiliés à la CGT demandent, en plus d’une revalorisation des salaires, le rehaussement de la prime d’équipement. Les équipements utilisés par les gardiens de troupeaux au cours d’une saison, à la fois les vêtements et chaussures adaptés mais aussi les outils utiles pour le travail en extérieur, la manipulation ou la conduite des troupeaux sont à la fois onéreux et vite usés. C’est pourquoi ils estiment que le montant de la prime d’équipement ne devrait pas être inférieur à 250 euros par mois travaillé. Enfin, les syndicats de gardiens de troupeaux affiliés à la CGT demandent également une meilleure prise en compte de la spécificité de leurs emplois saisonniers dans le cadre des réformes de l’assurance chômage.

Proposition n° 20 : Prévoir un avenant national dans la convention collective nationale pour la production agricole et les coopératives d’utilisation de matériel agricole et des avenants dans les conventions collectives territoriales, spécifiques au métier de gardien de troupeaux.

Vos rapporteurs ont pu constater que le métier de berger suscite toujours des vocations mais qu’il existe des craintes quant à l’attractivité du métier à l’avenir. Or, il est important pour les éleveurs, si eux-mêmes ne gardent pas leurs troupeaux, de pouvoir compter sur des bergers qui avec les années acquièrent de l’expérience et connaissent bien les secteurs où les animaux paissent et circulent pendant au moins quelques mois, d’autant plus dans un contexte de prédation et de bouleversements climatiques.

Pour maintenir son attractivité et s’adapter à un contexte en évolution, le métier de berger doit aussi pouvoir être pratiqué après une formation adéquate, qu’elle soit initiale dans les lycées agricoles et ou bien accessible plus tard dans les centres de formation professionnelle et de promotion agricoles. Vos rapporteurs appellent à développer les formations initiales de bergers, qui pour l’instant existent dans certains centres de formation, et aussi à renforcer la formation continue et le partage des pratiques et des connaissances. C’est d’autant plus nécessaire quand une partie de plus en plus significative des personnes qui s’installent en tant que berger ou en élevage ne viennent pas du milieu agricole. C’est ce qui a été indiqué par plusieurs représentants du réseau des Centres d’initiatives et de valorisation de l’activité en milieu rural (Civam), notamment du réseau « Empreinte » animés par des éleveurs de l’Hérault et des Cévennes. Ce réseau a développé, il y a quelques années, un projet dit « Transmission Past’Orale » : un éleveur-berger est filmé en train de réaliser une action, puis est de nouveau filmé avec un ergonome qui lui demande pourquoi il l’accomplit. Le réseau Empreinte organise également des journées annuelles d’échange entre pairs sur des thématiques précises, sur le métier de berger, mais aussi sur les problématiques auxquelles sont confrontés les éleveurs pastoraux plus généralement. Une autre association se consacrant au pastoralisme en région limousine, a mis en place une formation pour bergers et bergères salariés dans le cadre du réseau PastoM qui constitue au sein du service interdépartemental pour l’animation du Massif central (organisme inter-établissement du réseau de seize chambres d’agriculture du Massif central et de Bourgogne pour le Morvan) un réseau d’acteurs pastoraux.

Proposition  21 : Assurer l’accès à la formation continue pour les bergers, y compris pour les saisonniers.

Les bergers sont pour certains syndiqués dans des fédérations affiliées aux syndicats nationaux salariés, mais des associations plus anciennes non affiliées les regroupent aussi au niveau local ou national. C’est le cas de l’association des bergères et bergers en alpages et systèmes pastoraux précédemment mentionnée dont les rapporteurs ont pu rencontrer plusieurs représentants ([24]). Cette association a comme aire d’activité les Alpes du sud et de Provence. Elle permet aux bergers de partager leurs expériences, diffuse des informations et organise des formations pour les adhérents.

Parallèlement vos rapporteurs ont pu s’entretenir avec le syndicat des gardiens et gardiennes des troupeaux de l’Ariège affilié à la CGT (SGT 09). Des syndicats de gardiens de troupeaux affiliés à la CGT existent depuis 2013. Il en existe actuellement dans l’Ariège, dans les Pyrénées‑Atlantiques et dans plusieurs départements des régions Aura et Paca. Les revendications des syndicats affiliés à la Fédération nationale agroalimentaire et forestière, fédération de la CGT, sont nombreuses, à la fois sur les conditions de travail et de rémunération.

2.   Des conditions de travail à améliorer pour maintenir l’attractivité du métier

Beaucoup d’acteurs sont conscients que l’exercice du métier de berger change et doit s’adapter à un contexte en évolution. Plusieurs personnes auditionnées ont souligné à quel point le métier de berger était exigeant physiquement, imposant un certain isolement pendant plusieurs semaines ou mois, un éloignement de ses proches, peu de temps de repos et des conditions de logement souvent peu confortables.

Les attentes des personnes qui exercent ce métier pour faire évoluer les conditions de travail paraissent donc légitimes, notamment sur le sujet du repos hebdomadaire ou encore sur la possibilité d’avoir des renforts. Les effets de la présence du loup et de l’introduction de mesures de protection (cf. ci-dessous) augmentent la charge de travail, notamment le soir et la nuit. L’obligation de veiller à l’entretien des parcs et des clôtures pour regrouper les animaux la nuit, voire parfois la constatation des dégâts en cas d’attaque, amène un surplus d’activité et génère une pression ou du stress qui étaient moins présents il y a une ou deux décennies. La présence des chiens de protection pour les troupeaux ajoute également une nouvelle composante au métier de berger.

Proposition n° 22 : Développer des moyens pour améliorer les conditions de travail des bergers notamment par le déploiement de « brigades » de bergers de remplacement.

Dans certains départements, les collectivités territoriales réalisent un effort important pour rénover et mettre aux normes des cabanes pour la période d’estive afin que les bergers aient accès à des logements en meilleur état. Une première étape consiste à recenser le nombre de cabanes ou d’autres types de logement accessibles et à évaluer leur état. L’audition de plusieurs personnes élues de la Confédération paysanne a ainsi permis d’apprendre qu’il y avait 250 cabanes recensées dans le département des Alpes de Haute-Provence.

Dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, des aides financières dépendantes du Feader sont accessibles aux communes, aux EPCI, aux associations foncières pastorales, libres ou autorisées, aux groupements pastoraux, aux fédérations d’alpage (assimilés à des services pastoraux) ou à des établissements publics afin d’assurer les services de base aux bergers (logement des bergers et accès à l’eau) dans des milieux à fortes contraintes naturelles et dont la présence du loup nécessite une présence humaine permanente et rapprochée. Ces aides du Feader sont des aides gérées par les régions (voir ci-dessus). Ainsi deux interventions régionales sont mobilisées : le financement des cabanes pastorales et impluviums à 75 % ; le financement des cabanes pastorales dans les communes en difficulté financière à 100 % ([25]).

En parallèle des régions, les communes jouent un rôle important en matière de logement des bergers. En effet, ce sont souvent elles qui décident de réaliser des travaux dans les cabanes existantes ou qui souhaitent construire de nouveaux bâtiments, mais leur coût dépasse largement leurs ressources financières. En général, les financements du Feader ne sont accessibles que si la commune aidée de l’État, du département et de la région, peut apporter 20 à 30 % du financement total. Les personnes auditionnées à Oloron-Sainte-Marie à l’Institution patrimoniale du Haut‑Béarn, lors du déplacement de vos rapporteurs dans les Pyrénées‑Atlantiques, ont rappelé que la simple rénovation d’une cabane existante coûtait entre 150 000 et 200 000 euros. C’est pourquoi le concours financier de toutes les collectivités est nécessaire.

Proposition n° 23 : Recenser le nombre de cabanes de bergers ou d’autres types de logement accessibles et évaluer leur état.

Les deux sociétés d’économie alpestres de Savoie et de Haute-Savoie (SEA 73 et SEA 74) ont alerté vos rapporteurs sur le risque que d’anciennes cabanes en montagne changent de destination après leur rénovation et deviennent des résidences secondaires ou des locations touristiques. Il paraît donc important que l’activité pastorale demeure une priorité dans les zones de montagne pour que le bâti ne soit pas perdu et à terme empêche la venue dans les alpages des troupeaux lorsqu’ils sont gardés par des bergers.

F.   Les EFFETS DE LA PRÉDATION POUR LE PASTORALISME : QUEL ÉQUILIBRE AVEC LA FAUNE SAUVAGE ?

La question de la prédation sur les troupeaux d’animaux pâturant a tenu une place importante dans les auditions menées par vos rapporteurs. Il paraît donc important d’aborder ce sujet dans toutes ses composantes dans la mesure où il constitue un enjeu pour la bonne cohabitation entre les activités d’élevage et celles de pâturage dans les espaces naturels et la préservation de la faune sauvage.

Certaines espèces sauvages sont réapparues ou ont été réintroduites en France au cours des dernières décennies. Le loup et l’ours sont les plus emblématiques d’entre elles. Parmi les espèces qui peuvent exercer une certaine pression sur les animaux domestiques, on trouve aussi les lynx et les vautours, qui n’ont jamais disparu de nos territoires.

Vos rapporteurs ont choisi de se concentrer sur la prédation exercée par le loup plus que par l’ours, qui a fait l’objet de moins d’échanges durant les travaux de la mission.

1.   La présence du loup en France

Les loups sont réapparus en France en 1992 dans le Mercantour, dans les Alpes du sud, en venant de l’Italie voisine. À partir d’une petite zone d’implantation, la population des loups a augmenté au fil des années. Ces derniers faisaient partie jusque très récemment des espèces strictement protégées au sens de la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe ([26]) et sont toujours considérés comme une espèce strictement protégée au sens de la directive européenne sur la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages dite « Habitat » ([27]). Ces dernières années, la population s’établit à environ un millier d’individus en France pour environ 20 300 dans l’Union européenne, population nouvellement estimée en 2023 ([28]). Après une augmentation continue au cours des dix dernières années, la population semble s’être stabilisée en France en 2023-2024. L’Union internationale de conservation de la nature considère le loup comme une espèce menacée (liste rouge) mais pour laquelle le risque de disparition est désormais faible. Le troisième Plan national d’action « loup », adopté en 2018 par la France, avait fixé un « seuil de viabilité démographique » à 500 loups adultes, qui représente l’aptitude d’une population à moyen terme (100 ans) « à résister au risque d’extinction » ([29]).

Comme l’a remarqué M. Jean Paul Célet, préfet référent du plan national Loup auditionné par vos rapporteurs, la croissance de la population a été importante entre 2018 et 2023, d’autant plus que près de 19 % de celle-ci est prélevée chaque année. De plus, l’âge de la reproduction des loups semble avancer, et les loups peuvent réagir aux campagnes de prélèvement en augmentant les portées de louveteaux.

De plus, si la présence du loup est avérée et durable dans tout l’arc alpin depuis de nombreuses années, la progression de l’espèce sur l’ensemble du territoire est un phénomène notable, la présence du loup ayant été observée dans une grande majorité des départements hexagonaux en 2024 selon l’Office français de la biodiversité. L’aire d’habitat du loup s’étend de manière régulière, ces animaux pouvant parcourir de grandes distances et se comportant de manière opportuniste par rapport à ce qui constitue leur alimentation (essentiellement des ongulés). On en détecte aujourd’hui dans de nombreux départements de plaine. Par ailleurs, le nombre de zones de présence permanente du loup (ZPP) a fortement augmenté ces dix dernières années, c’est-à-dire les zones où des loups sont détectés deux hivers de suite. Dans la plupart de ces zones de présence, il s’agit de meutes, c’est-à-dire d’au moins trois individus adultes ou bien d’un couple et de sa progéniture.

Évolution du nombre de ZPP hivernales en France (fin 2023)

Source : Portail de l’OFB sur le loup : https://www.loupfrance.fr/suivi-du-loup/situation-du-loup-en-france/

Le comptage des loups

L’estimation annuelle du nombre de loups présents sur le territoire hexagonal est réalisée par l’Office français de la biodiversité.

L’Office s’appuyait jusqu’ici sur un réseau qui recherchait des indices de présence et sur la combinaison de deux méthodes d’évaluation. À partir du recueil des indices dans des zones déterminées à l’avance et réparties sur tout le territoire au cours de l’hiver, une estimation annuelle était réalisée. Cette estimation était croisée avec une autre estimation fondée à partir des résultats d’une approche dite de « capture, marquage, recapture » (CMR) qui permet de déterminer, à la suite d’une analyse génétique des traces détectées, si des traces de ces mêmes animaux sont analysées à nouveau lors de la période de collecte suivante. Plus le taux de recapture est important, plus la population est stable (et plus on considère comme faible le nombre de loups non détectés).

Le réseau de personnes collectant les indices était appelé le réseau Loup-Lynx et réunissait 4 000 à 5 000 personnes dans 50 départements.

En 2022, l’OFB avait réalisé trois estimations de la population successives la même année, qui s’établissait à 700, 1 000 et enfin 1 100 loups. En 2023, l’OFB a donné une seule estimation pour l’année, la population s’établissant à 1 003 loups.

La population a été estimée à 1 013 loups pour l’année 2024. Ainsi, la population réelle se situerait à entre 900 et 1 100 loups en prenant en compte la marge d’erreur.

À partir de 2025, l’ensemble des traces collectées seront analysées génétiquement et l’estimation sera réalisée uniquement selon la méthode dite CMR, qui est d’autant plus fiable que les données sont disponibles depuis plusieurs années.

Proposition n° 24 du rapporteur M. Jean-Yves Bony : Revoir les modalités de comptage de la population lupine à l’aide d’outils technologiques permettant la collecte de nouveaux indices (drones, photos etc.).

Les attaques sur des troupeaux sont une réalité à laquelle l’activité pastorale doit faire face. Les ovins restent l’espèce la plus vulnérable. Les attaques ne sont pas également fréquentes selon les régions et départements. Elles sont plus nombreuses dans les départements où les loups sont implantés depuis longtemps, notamment dans les Alpes et dans l’arc méditerranéen. Néanmoins, des loups solitaires qui étendent l’aire de répartition de l’espèce hors des premières régions d’implantation peuvent également faire des dégâts. En 2022, 10 853 animaux étaient morts victimes de la prédation du loup ([30]). La prédation sur les bovins est beaucoup moins fréquente mais plusieurs personnes auditionnées ont signalé une augmentation des attaques de loup. Cette même année, sur les 10 853 animaux victimes, 10 032 étaient des ovins, 239 des bovins et 487 des caprins, le solde étant constitué d’autres animaux.

En 2023, les trois régions les plus touchées restent dans l’ordre la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la région Auvergne Rhône-Alpes et la région Occitanie.

Le nombre de victimes s’établissait en 2018 à 12 331, en 2019 à 12 058 et à 10 900 en 2021. Il faut donc noter que les attaques de loup n’ont pas augmenté en proportion de l’augmentation du nombre d’individus et qu’elles ont plutôt tendance à légèrement diminuer dans l’absolu, montrant peut-être le début d’une efficacité des mesures de protection. Néanmoins, sur le plus long terme, le nombre a augmenté par rapport à il y a une dizaine d’années, reflétant l’augmentation de la population de loups (8 973 victimes étant recensées en 2015) ([31]).

2.   Les plans nationaux d’actions Loup

La directive européenne « Habitats » classe le loup parmi les espèces d’intérêt communautaire considérées comme en danger, vulnérables ou rares et parmi les espèces devant faire l’objet d’une protection stricte (annexes II et IV de la directive), pour laquelle les États membres et l’Union européenne ont une responsabilité particulière en matière de conservation. Cette directive a été transposée en droit français aux articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement. L’article L. 411-1 indique que les espèces protégées et énumérées par arrêté ne peuvent être atteintes par destruction, capture ou enlèvement, perturbation intentionnelle, naturalisation d’individus de ladite espèce ou, qu’ils soient vivants ou morts, ne peuvent être ni transportés, ni colportés, utilisés, détenues, mis en vente et achetés, ni leurs zones de nidification et tout autre élément de leur habitat détruits.

Le loup fait partie de ces espèces en application de l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

En application, de l’article L. 411‑3, « des plans nationaux d’action opérationnels pour la conservation ou le rétablissement des espèces visées aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ainsi que des espèces d’insectes pollinisateurs sont élaborés, par espèce ou par groupe d’espèces, et mis en œuvre sur la base des données des instituts scientifiques compétents et des organisations de protection de l’environnement lorsque la situation biologique de ces espèces le justifie ». C’est pourquoi le loup fait l’objet d’un plan national d’action (PNA) depuis 2004. Plusieurs plans ont été élaborés et ont été suivis depuis. Le dernier plan national d’action « Loup et activités d’élevage » a été signé le 9 février 2024 par l’État et les personnes siégeant au groupe national Loup (duquel s’étaient retirées plusieurs associations environnementales) pour la période 2024‑2029. Il est mis en œuvre par un préfet coordinateur (actuellement la préfète de la région Auvergne Rhône-Alpes) aidé d’un préfet référent au niveau national. Le PNA 2024‑2029 prend acte de l’atteinte de l’objectif des trois plans précédents, à savoir garantir un bon état de conservation de l’espèce ([32]), ce qui semble confirmé au vu de l’augmentation du nombre d’individus sur le territoire. Le PNA 2024‑2029 prévoit des financements pour continuer à mener des études scientifiques sur la population des loups et son évolution, et notamment sur les effets des prélèvements sur la dynamique de la population.

Proposition n° 25 : Soutenir la recherche et les études scientifiques pour mieux comprendre les déterminants de la prédation sur les troupeaux et l’efficacité des tirs, mieux anticiper l’installation des meutes, mieux anticiper l’adaptation des pratiques consécutives à l’installation pérenne des loups - Intégrer davantage les avis des scientifiques dans les travaux du groupe national loup.

Ce plan national rappelle donc la nécessité de protéger le loup et les mesures prises au niveau national pour respecter cette obligation, mais également les mesures qui peuvent être prises pour limiter les conséquences pour les activités d’élevage extensif. Les aides accessibles aux éleveurs et leur prise en charge financière dépendent de leur implantation géographique et des zones où les animaux pâturent. Le zonage national distingue quatre zones (cf. ci-dessous).

Le zonage de la prédation

Le cercle 0 correspond aux foyers de prédation, c’est-à-dire les communes où la récurrence interannuelle de dommages importants a été constatée. La liste des communes est arrêtée par le préfet coordonnateur du PNA sur le loup et activités d’élevage.

Le cercle 1 correspond aux zones où au moins un acte de prédation sur le cheptel domestique a été constaté au cours de chacune des deux dernières années.

Le cercle 2 correspond aux zones où des actions de prévention sont nécessaires du fait de la survenue possible de la prédation par le loup pendant l’année en cours

Le cercle 3 correspond aux zones possibles d’expansion géographique du loup où des actions de prévention sont encouragées du fait de la survenue possible de la prédation par le loup à moyen terme.

Le PNA Loup constitue un document auquel sont liés les arrêtés permettant de déterminer le pourcentage de la population estimée de loups qui peut être prélevé et les conditions dans lesquelles les tirs peuvent être effectués. En effet, le prélèvement de loups par tir ne peut qu’être le fait d’une dérogation légalement accordée pour limiter les dégâts que peut causer cette espèce prédatrice ([33]). Les mesures dérogatoires sont prévues par la directive européenne « Habitats » et par le code de l’environnement (sur les mêmes fondements, cf 4° de l’article L. 411‑2) ([34]). L’arrêté du 21 février 2024 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup est le dernier arrêté déterminant le cadre des dérogations ([35]).

Les tirs dérogatoires ne sont donc possibles que si trois conditions particulières sont vérifiées : il est nécessaire de montrer que ces tirs permettraient de prévenir des dommages importants à l’élevage, de démontrer que les protections mises en place ne sont pas satisfaisantes (les attaques se poursuivent malgré la protection), et que la dérogation ne nuit pas à l’état de conservation de l’espèce. Les brigades dites de Grands prédateurs terrestres de l’Office français de la biodiversité sont donc vigilantes au respect de ces conditions et notamment de la mise en œuvre effective des mesures de protections mentionnées par les arrêtés préfectoraux pour ne pas fragiliser par d’éventuels contentieux ce dispositif de tirs dérogatoires.

L’arrêté du 23 octobre 2020, fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée chaque année, a établi à 19 % le pourcentage de la population estimée de loups pouvant être annuellement prélevée (le préfet coordonnateur du PNA « Loup et activité d’élevage » pouvant porter ce pourcentage à 21 %).

Proposition n° 26 du rapporteur M. Jean-Yves Bony : Relever le plafond de prélèvement aujourd’hui fixé à 19 % si la nouvelle méthode de comptage de la population lupine ne s’avère pas suffisamment fiable.

L’arrêté du 21 février 2024 précité précise par ailleurs que parallèlement aux mesures de prélèvement d’individus, d’autres méthodes doivent être mises en œuvre sans qu’une autorisation ne soit nécessaire, comme l’effarouchement (par des dispositifs olfactifs, visuels ou sonores) et des tirs non létaux.

Proposition n° 27 de la rapporteure Mme Marie Pochon : Soutenir le développement de moyens non-létaux de procédés de protection « alternatifs » (piégeages, surveillance électronique).

Les tirs létaux ne peuvent s’effectuer qu’après vérification des trois conditions mentionnées ci-dessus et sur un animal se trouvant à proximité d’un troupeau pouvant donc légitimement laisser penser qu’une attaque est imminente.

Les tirs de défense simple : Ils sont permis à la condition que des mesures de protection aient été mises en place préalablement ou que le troupeau soit reconnu comme ne pouvant pas être protégé. Dans ces cas, l’éleveur doit solliciter une autorisation préfectorale, valable cinq ans. Ces tirs sont alors réalisés dans la limite de deux tireurs simultanément pour chaque lot d’animaux constitutif d’un troupeau uniquement à proximité de celui-ci sur les zones de pâturage utilisées et à proximité de ces zones.

Avec l’entrée en vigueur du PNA 2024-2029 et de l’arrêté du 21 février 2024 précité, les dispositions du tir de défense simple ont évolué : il peut être mis en œuvre par deux voire trois tireurs au maximum, dont l’éleveur qui demande l’autorisation (s’il dispose d’un permis de chasser), les chasseurs, les louvetiers et les agents des brigades de l’OFB. Seuls les louvetiers et les agents des brigades de l’OFB peuvent utiliser des lunettes de visée nocturne ; les chasseurs et éleveurs peuvent utiliser des appareils de vision nocturne (jumelles thermiques) mais pas d’appareils de visée nocturne. Les louvetiers interviennent sur ordre du préfet qui travaille avec les directions départementales des territoires. Les demandes d’autorisations de tir après qu’une attaque a été constatée doivent désormais être instruites dans un délai maximal de 72 heures par les préfectures et les autorisations accordées dans ce délai.

Les tirs de défense renforcés : ils sont autorisés si, malgré la mise en œuvre du tir de défense simple et la mise en place de moyens de protection, le troupeau continue de subir une prédation intense (au moins trois attaques en douze mois ou si le troupeau a subi des attaques exceptionnelles), le préfet peut accorder cette autorisation, valable un an. Ces tirs peuvent rassembler jusqu’à 10 tireurs et sont réalisés sous le contrôle technique de l’OFB ou d’un lieutenant de louveterie.

Comme indiqué ci-dessus, dans certaines circonstances les tirs de défense peuvent être autorisés en l’absence de mesures de protection préalablement mises en place. L’éleveur doit démontrer qu’il ne lui est pas possible de protéger son troupeau, ce qui entraine la reconnaissance de la non protégeabilité de son troupeau par le préfet de département (cf. le III de l’article 6 de l’arrêté du 21 février 2024 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup modifié par l’arrêté du 7 février 2025). La non protégeabilité concerne les troupeaux ovins et caprins. Les cheptels bovins et équins ne sont pas considérés comme non protégeables, dans la mesure où il n’existe pas de référentiel de protection. Comme le précise l’arrêté du 21 février 2024 : « IV. ‑ Pour les troupeaux bovins et/ ou équins, faute d’un référentiel de protection dédié, l’octroi de dérogations par le préfet de département est possible sous réserve de démarches engagées en matière de réduction de vulnérabilité attestées par le préfet dès que le troupeau a subi au moins une prédation n’excluant pas la responsabilité du loup au cours des 12 derniers mois. ». S’il n’y a pas eu d’attaque, des dérogations peuvent être aussi accordées, dans les zones soumises un risque avéré de prédation, sur la base d’un diagnostic territorial fondée sur la réalisation d’une analyse technico-économique (sur un territoire défini comme homogène géographiquement et en ce qui concerne le mode d’élevage) ; puis d'une justification au cas par cas, auprès du préfet, par les demandeurs, de leur situation au regard de cette analyse et des mesures de réduction de la vulnérabilité de leurs troupeaux mises en œuvre.

Ces dérogations sont à distinguées de la délimitation de zones difficilement protégeables par le préfet coordonnateur du PNA Loup au sein desquelles des autorisations de tirs peuvent être accordés par dérogations par le préfet de département (cf. ci-après).

Les tirs de prélèvement : ils sont beaucoup plus rares. Il s’agit d’une forme de tir préventif. Ces tirs ne sont autorisés que si, au cours des douze derniers mois, au moins deux autorisations de tirs de défense renforcée ont été mises en œuvre sans succès et que les troupeaux restent exposés à la prédation du loup. Cette opération collective, généralement menée par un groupe de chasseurs, consiste à rechercher activement le loup, souvent de nuit et dans le cadre de battues aux grands gibiers et ne peut être conduite que du 1er juillet au 31 décembre d’une année.

Proposition n° 28 : Améliorer la protection des troupeaux via un renforcement des moyens humains et financiers de l’OFB et des brigades de louvetiers, pour accélérer et renforcer l’adaptabilité de leur capacité d’intervention dans le cadre du déclenchement des tirs de défense.

Les mécanismes d’indemnisation des éleveurs en cas d’attaque représentent le dispositif complémentaire aux mesures de défense et aux autorisations de tirs prévus par le PNA. Des valeurs sont fixées au niveau national pour indemniser les éleveurs en fonction du type de bêtes tuées ou blessées. Le dispositif est le même dans tous les départements. Les éleveurs déclarent les victimes à l’Office français de la biodiversité qui vient authentifier les victimes (dans les trois jours), l’OFB transmet ensuite le constat à la direction départementale des territoires qui va procéder à l’indemnisation.

Le système d’indemnisation reconnaît la possibilité de victimes indirectes des loups, dans la mesure où des bovins ou ovins se tuent accidentellement par peur ou en réaction à une attaque. L’indemnisation couvre les pertes directes (valeur de l’animal perdu) et indirecte (pertes consécutives à la perturbation du troupeau du fait, notamment, du stress, de la moindre prise de poids, des avortements ou de la baisse de lactation).

En février 2024, la révision de l’arrêté pris pour l’application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l’indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l’ours et le lynx, a permis de prendre en compte l’augmentation des prix dans la définition d’un nouveau barème revalorisant notamment de 33 % les indemnisations pour les catégories ovines, de 25 % pour les catégories caprines, entre 26 et 32 % pour les catégories bovines, et 11 % pour les autres catégories ([36]). Désormais, la perte d’une brebis de plus de six mois est indemnisée à hauteur d’un montant compris entre 200 et 800 euros en fonction de sa production. Les montants sont plus élevés pour les bovins, l’indemnisation pouvant s’élever à 2 523 euros pour les vaches laitières de plus d’un an.

Les crédits débloqués pour l’indemnisation des éleveurs sont inscrits au programme budgétaire 113 géré par le ministère de la transition écologique. D’après la direction eau et biodiversité du ministère, l’indemnisation des pertes liées à la prédation s’élevait à 4,3 millions d’euros en 2022 et à 4,8 millions d’euros en 2023. La somme devrait être plus élevée en 2024.

Un certain nombre d’acteurs auditionnés ont rappelé qu’au-delà des pertes d’animaux qui résultent directement des attaques ou indirectement lorsque des animaux sont blessés et doivent être abattus, les attaques de loup stressent les troupeaux et peuvent avoir des impacts négatifs sur la production animale, notamment de lait. Les conséquences d’une attaque vont donc au-delà de la perte des animaux, elles ont des conséquences négatives pour les animaux restants et des conséquences psychologiques importantes pour les éleveurs.

3.   Les mesures de protection complémentaire contre la prédation

Les mesures matérielles de protection auxquelles les éleveurs peuvent avoir recours sont en partie financées par les fonds européens. Ces mesures sont également prévues par le PNA « Loup et activités d’élevage » dans la mesure où l’État participe en complément à leur financement. Les dispositifs d’aides accessibles aux éleveurs sont rappelés dans le PNA « Loup et activités d’élevage » afin qu’ils soient connus de l’ensemble des acteurs.

En France, le Plan stratégique national pour la PAC 2023-2027 contient deux mesures relatives à la protection des troupeaux contre la prédation des grands carnivores. Ces mesures prévoient la mise en place de diverses aides aux éleveurs, cofinancées jusqu’à 80 % par le Fonds européen agricole pour le développement durable (Feader). Ces aides portent sur :

– l’aide au gardiennage par l’indemnisation du travail de surveillance renforcée, ou l’aide au recours à un salarié pour effectuer le gardiennage ;

– les chiens de protection avec une aide à l’achat, à la stérilisation et à l’entretien de chiens de protection des troupeaux ;

– les investissements dans des parcs électrifiés avec une aide à l’achat de clôtures électrifiées ;

– l’analyse de vulnérabilité, l’aide pouvant aller jusqu’à 100 % de la dépense éligible pour la réalisation d’une analyse de vulnérabilité du troupeau ;

– l’accompagnement technique : aide aux activités de conseil individuel et aux formations collectives ([37]).

Ces aides sont accessibles aux éleveurs, à titre individuel ou en société (si au moins un des associés est agriculteur), aux groupements pastoraux, aux associations d’éleveurs, aux associations foncières pastorales, aux commissions syndicales gestionnaires d’estives, aux collectivités territoriales et aux groupements d’employeurs. Les demandeurs doivent faire pâturer les animaux au moins trente jours dans les communes classées dans les cercles 0, 1 ou 2 et 90 jours dans les communes classées dans le cercle 3. En 2023, l’ensemble de ces aides a bénéficié d’un financement public (budget national et Union européenne) de 38,9 millions d’euros.

Dans le cœur des parcs nationaux à l’intérieur desquels la chasse est prohibée, les tirs létaux sur les loups sont interdits. Afin de compenser cette interdiction, une aide majorée à la protection, prévue dans l’arrêté du 30 décembre 2022 relatif à l’aide à la protection des exploitations et des troupeaux contre la prédation du loup et de l’ours, couvre à hauteur de 100 % les dépenses éligibles liées au gardiennage au sein du cœur de parcs nationaux et dans les réserves naturelles nationales.

Dans de rares secteurs en zone d’expansion, des zones difficilement protégeables (ZDP) peuvent être reconnues. Les ZDP correspondent à des zones d’expansion du loup dans lesquelles, du fait des modes de conduite des troupeaux d’animaux domestiques, la mise en œuvre des mesures de protection des troupeaux contre la prédation du loup présente des difficultés importantes, constatées à la suite d’une ou plusieurs attaques de loup sur les troupeaux. Ces zones restent néanmoins délimitées au cas par cas par le préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup, qui les définit après avoir recueilli les propositions des préfets de département concernés (cf articles 30 et 31 de l’arrêté du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup). De ce fait, la reconnaissance des ZDP est circonscrite à des territoires aux caractéristiques spécifiques en front de colonisation. En l’occurrence aujourd’hui, seule une ZDP a été reconnue par l’arrêté n° 19-096 portant définition d’une zone difficilement protégeable au sein d’un front de colonisation du loup dans le sud-ouest du Massif central. La délimitation de ces zones permet d’accorder des autorisations de tirs de défense simple de loups, en l’absence de mesures de protection, et de tirs de défense renforcés ou de tirs de prélèvement sous certaines conditions.

Les différentes personnes auditionnées ont plusieurs fois mentionné les aides financières décrites ci-dessus, qui se traduisent par des moyens supplémentaires pour la surveillance des troupeaux. Elles sont indispensables pour beaucoup d’acteurs dans les zones où la prédation est importante au vu du coût que représente l’embauche d’un berger, mais aussi du coût des clôtures et des parcs nocturnes et de l’acquisition et de l’entretien des chiens de protection.

Proposition n° 29 : Encourager la recherche et favoriser la diversification des mesures de protection en fonction des caractéristiques propres de chaque territoire et de chaque espèce pâturante.

Proposition n° 30 : Créer un système d’acomptes pour le versement des aides en faveur des mesures de protection, simplifier les procédures de demande et accélérer le versement des aides pour limiter les difficultés de trésorerie des éleveurs concernés par la prédation.

Les chiens de protection apparaissent dans certaines régions depuis déjà plus d’une dizaine d’années comme une solution pour limiter les attaques de loup tant le jour que la nuit. Cependant, ces chiens doivent être élevés et dressés lorsqu’ils sont jeunes, s’habituer à un troupeau et du fait même de leur travail peuvent avoir un comportement agressif vis-à-vis d’animaux ou de personnes qui passeraient à proximité des animaux qu’ils gardent, les percevant comme une menace potentielle. Si les informations sur les chiens de berger ou chiens de protection, souvent désormais des patous, sont de plus en plus diffusées, notamment en montagne, à l’attention des promeneurs, des problèmes sont régulièrement signalés, les chiens de protection pouvant venir aux devants des randonneurs et souvent de leurs propres chiens s’ils en ont. De plus, avoir des chiens de protection avec son troupeau implique de les nourrir et de les abreuver et donc une présence humaine relativement constante.

4.   Quelles perspectives pour le pastoralisme ?

Selon M. Jean-Paul Célet, préfet référent du plan national d’action, en 2024, dans les départements où il y a nouvellement des loups, le nombre d’attaques a augmenté de plus de 40 % par rapport à 2023, et le nombre de bêtes tuées ou blessées de plus de 75 %, en raison principalement de la faiblesse des moyens de protection qui n’existent pas encore ou sont tout juste mis en place et parce que les opérations de tirs ne sont pas toujours très efficaces. Les animaux dispersés, c’est-à-dire les loups qui ne sont pas dans des meutes, sont aujourd’hui ceux qui feraient le plus de victimes.

Néanmoins ce ne sont pas sur eux que se concentrent les opérations de tirs. 87 % des tirs se font dans les zones les plus touchées, donc essentiellement dans les Alpes. Pour M. Jean-Paul Célet, il faut se concentrer sur les foyers de prédation et donc sur les territoires où il y a le plus de loups en meute. Les loups solitaires ne vont pas rester là où ils sont passés parfois une seule une fois et les rechercher est plus coûteux. À l’inverse, les Alpes‑Maritimes et les Alpes de Haute-Provence sont les deux départements qui concentrent le plus de loups prélevés en 2024, soit 103 sur un total de 203 loups tués ([38]).

Ainsi, dans les huit départements alpins, la prédation a baissé alors que la population a augmenté au cours des dernières années (une baisse des attaques de 5 % et une baisse du nombre de victimes de 10 % sont constatées).

Cependant, la prédation pèse sur l’avenir du pastoralisme dans la mesure où elle est vécue comme une contrainte à prendre en compte et qui demande beaucoup d’efforts d’adaptation pour trouver les bons outils et le bon équilibre entre coexistence avec le loup et mesures de protection et de défense des troupeaux.

Le sujet est revenu à de nombreuses reprises dans l’ensemble des auditions. Plusieurs représentants auditionnés ont mis l’accent sur le stress pour les éleveurs et les bergers qui cherchent avant tout à protéger leurs troupeaux sans vouloir particulièrement chasser les loups ou perturber leur habitat et cycle de vie. Les éleveurs souffrent parfois également d’une mauvaise image dans l’opinion publique qui ne comprend pas pourquoi il faudrait exercer davantage de pression sur une espèce protégée. Vos rapporteurs ont entendu à plusieurs reprises la difficulté pour les éleveurs et bergers à voir leur troupeau attaqué et donc à perdre un capital économique précieux sans forcément disposer des moyens adaptés. Ils ont également entendu l’anxiété que de telles attaques peuvent causer.

Le sujet de la prédation des chiens de bergers ou chiens de protection est aussi régulièrement revenu, les éleveurs ne voulant pas créer plus de problèmes que de solutions avec cet auxiliaire pour la protection des troupeaux. Les chiens entrent nécessairement en contact avec leur environnement et donc avec les autres usagers des espaces pastoraux.

Ainsi, dans les Pyrénées, où les éleveurs n’ont pas autant recours à ces chiens que dans les Alpes, les chiens de protection n’apparaissent pas comme la solution la plus adaptée, ou comme la seule solution, le loup y étant pour le moment peu présent. La pastorale pyrénéenne, une association d’éleveurs des Pyrénées auditionnée par vos rapporteurs, conseille plus de 500 éleveurs qui souhaitent se protéger contre la prédation, en les mettant notamment en relation avec des éleveurs de chiens de protection, en leur donnant des conseils et en les accompagnant.

Rappelons que les patous appartiennent à une race présente historiquement dans les Pyrénées, appelée « montagne des Pyrénées ». Alors même que les loups avaient disparu, certains éleveurs continuaient à mobiliser des patous pour faire face à des chiens divagants ou de petits prédateurs sauvages ; mais pour l’essentiel, sa persistance y était d’abord patrimoniale. C’est dans ce contexte que la promotion de la race effectuée par un certain nombre d’acteurs pyrénéens dans le cadre de la réintroduction de l’ours a permis aux services de l’État de la proposer comme solution aux éleveurs alpins nouvellement touchés par les loups. Ainsi, un important travail d’introduction de patous, d’élaboration de la doctrine d’emploi issue du contexte pyrénéen, de formation et d’accompagnement des éleveurs, a été effectué dans les Alpes notamment grâce aux aides de deux programmes Life puis de mesures financières issues du Feader. En 2020, la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt en région Aura chiffre à 4 331 le nombre de chiens de protection financés par les services de l’État dans le massif alpin.

Il semble important pour vos rapporteurs d’inciter les bergers à utiliser des chiens élevés conformément aux bonnes pratiques, ce qui suppose de mieux définir les conditions de reconnaissance de cette filière et de la formation des chiens, par exemple en confiant cette mission de reconnaissance du respect de ces bonnes pratiques d’élevage à un organisme spécialisé (Institut technique de l’élevage et/ou la Pastorale pyrénéenne). Les éleveurs devraient également être incités à suivre une formation dispensée par une structure d’animation ou de développement présentant des garanties de statut et de compétences propres au pastoralisme et à la protection des troupeaux contre la prédation, se voir accompagnés financièrement pour se faire : l’élevage de chiens de protection constitue un tout autre métier que celui d’éleveur.

Proposition n° 31 : Développer et accompagner la formation des éleveurs et bergers pour travailler avec les chiens de protection des troupeaux.

 

Le statut du loup : passage éventuel au statut d’espèce protégée et non plus strictement protégée

Au cours des travaux de la mission d’information, les 50 États parties à la Convention de Berne ont voté, le 3 décembre 2024, à la demande de la Commission européenne en faveur du déclassement du loup, qui faisait jusqu’alors partie de l’annexe II de la Convention listant les espèces devant être strictement protégée, pour l’intégrer à l’annexe III qui concerne les espèces devant être protégées. Au sein de l’Union européenne, le loup est protégé par la directive « Habitat ». Son déclassement dans la Convention de Berne n’a pas d’effet sur la directive « Habitat ». La révision de la directive ne peut que passer par un processus de révision impliquant la Commission européenne, le Parlement européen et les États membres, les annexes ne pouvant être révisées qu’à l’unanimité des États membres. Il est probable que le processus de révision soit enclenché dans la mesure où la Commission européenne est à l’origine de la demande auprès du secrétariat de la Convention de Berne mais il pourrait prendre plusieurs années. Cette initiative n’aura pas de conséquence directe sur le régime des autorisations de tirs pour la France. L’objectif demeurera de maintenir la population des loups dans un bon état de conservation.

G.   Anticiper et gérer les effets du changement climatique sur les milieux naturels dont dépend le pastoralisme

1.   Les conséquences du changement climatique sur les milieux naturels et l’activité pastorale

L’activité pastorale qui, par définition, a pour cadre les milieux naturels, est particulièrement touchée par l’évolution du climat et par les conséquences du réchauffement climatique. Si certaines conséquences sont déjà visibles, d’autres le deviendront de manière plus certaine dans les décennies à venir.

a.   La disponibilité de la ressource en eau pour les animaux

La disponibilité de la ressource en eau est un sujet de préoccupation majeure à la fois à court terme pour des raisons pratiques mais aussi à plus long terme avec l’augmentation du risque de sécheresse dans les espaces pastoraux. Si dans les différents scenarii d’évolution du climat, il n’est pas noté une baisse générale des précipitations intra-annuelles, des périodes de sécheresse plus intenses et prolongées apparaissent, ainsi que des précipitations moindres l’été.

Or, les animaux dans les milieux où ils pâturent ont besoin de points d’eau qui doivent être aménagés (le plus souvent sous forme d’abreuvoirs). Les besoins quotidiens en eau des animaux ruminants sont importants. L’accès aux points d’eau et les quantités d’eau disponibles constituent donc un enjeu dans le maintien des activités pastorales. La consommation moyenne quotidienne d’eau par abreuvement d’une vache laitière en production (produisant en moyenne 23 litres de lait par jour) varie de 55 à 120 litres. En cas de stress thermique (qui apparaît dès 24°C à 30 % d’humidité), une vache consomme 20 % d’eau en plus, la hausse des températures et concomitamment de l’humidité augmentant les besoins en eau des bovins. Les quantités sont un peu moins importantes pour les ovins et les caprins (jusqu’à 10 litres par jour environ) ([39]). Dans tous les cas, plus la végétation est sèche, plus les animaux ont besoin d’eau pour la digérer.

Maintenir un bon niveau d’approvisionnement en eau est donc nécessaire pour le bien-être animal et pour limiter les impacts négatifs du stress thermique, qui peut conduire les animaux à moins s’alimenter et en conséquence à réduire leur production de lait.

Plusieurs acteurs auditionnés ont indiqué que les aménagements pour l’abreuvement des animaux devaient faire l’objet d’une attention particulière. Vos rapporteurs ont pu le constater lors de leurs auditions et déplacements : l’accès à l’eau en quantité suffisante pour les troupeaux et l’adaptation à une diminution à certains moments de la ressource constituaient des enjeux bien identifiés par les éleveurs et les structures de soutien aux éleveurs pastoraux.

Ainsi, un livret d’information élaboré en 2023 par différents services pastoraux des Alpes, le Cerpam et la Suaci (cf. ci-dessus) fait état du besoin de développer davantage de systèmes de stockage d’eau lorsqu’elle est disponible pour qu’elle soit conservée, puis rendu accessible aux animaux lorsqu’ils pâturent plus tard dans la saison. Ces systèmes peuvent être des impluvium qui recueillent des eaux de pluie ou issues de la fonte des neiges (une surface de collecte sert de surface de stockage en extérieur), ou bien des citernes qui recueillent de l’eau qui a ruisselé de manière indirecte, ou bien des retenues collinaires. Dans tous les cas, l’eau doit ensuite être amenée dans des installations accessibles aux animaux et les éleveurs doivent être vigilants à limiter les pertes d’eau lors de l’acheminement dans les points d’eau ou abreuvoirs. Le livret fait état de l’ensemble des choix qui doivent être faits pour que les systèmes de stockage et d’abreuvement répondent aux besoins spécifiques des animaux sur le terrain, s’insèrent dans le paysage et avec les autres équipements présents en général en montagne. La présence régulière de points d’abreuvement permet d’équilibrer la pression pastorale (en limitant les allers-retours vers ce point, en favorisant l’exploration de l’ensemble de la surface pastorale et en prévoyant un prélèvement plus homogène sur l’ensemble de l’espace).

Il est important de rappeler que la consommation d’eau par les animaux en extérieur dans les milieux naturels est nettement inférieure à celle nécessaire à l’irrigation des cultures qui pourraient permettre de nourrir ces mêmes animaux, quand bien même les températures augmentent.

b.   Les modifications de l’environnement en réponse au réchauffement climatique

Le réchauffement climatique va notamment conduire à l’aridification de nombreux milieux dans le sud de la France où se déroule en grande partie l’activité pastorale, par la modification de la quantité et de la qualité de la végétation, la variété des d’espèces floristiques et arbustives pouvant diminuer. Cette situation pourrait potentiellement avoir de nombreuses conséquences négatives et in fine réduire les zones propices au pâturage offrant suffisamment de nourriture et d’eau aux animaux. Une conséquence possible serait la montée en altitude des espaces naturels les plus appropriés au pâturage.

Des recherches et des études prospectives sont déjà menées sur le sujet du changement climatique en montagne et sur ses effets sur la pratique du pastoralisme, via un programme de recherche franco-italien conduit par l’Université de Florence, les parcs naturels nationaux des Écrins et de Grand paradis, le CNRS, l’Inrae et deux instituts régionaux italiens. Le programme a été financé par l’Union européenne (dans le cadre des programmes Life), et s’intitule Pastoralp « Pour l’adaptation des pâturages alpins aux impacts du changement climatique ». Il s’est déroulé entre 2017 et 2023 et des conclusions ont été rendues à la fin de cette même année. L’objet du programme a été non seulement de caractériser les impacts du changement climatique mais également de proposer des mesures d’adaptation des pratiques pastorales au regard de l’environnement et de l’aménagement deux parcs naturels.

Trois des chercheurs qui ont conduit le programme de recherche ont été auditionnés par vos rapporteurs, M. Bellocchi, M. Napoléone et Mme Muriel Della-Vedova. Comme ils ont pu le rappeler, les écosystèmes alpins ont connu au cours du siècle dernier un réchauffement d’environ 2° (1.8° entre 1979 et 2018), soit près du double de la moyenne mondiale globale, et cette tendance devrait s’accentuer dans un avenir proche selon les prévisions des modèles climatiques.

Les deux modèles climatiques utilisés par le programme pour la région des Alpes ont montré une augmentation générale de la température vers le milieu de la période analysée (environ 2040), comparable dans les deux parcs nationaux français et italien, l’augmentation par rapport aux températures actuellement constatées étant plus forte en été qu’en automne-hiver ([40]). La durée de la saison de neige devrait diminuer dans les deux parcs. La croissance de la végétation pourrait tendanciellement être à la fois avancée dans l’année et se prolonger.

De manière générale, une des principales caractéristiques du changement climatique et de ses effets semble être d’augmenter la variabilité intra-annuelle du climat (avec notamment des périodes de fortes précipitations suivies de période de sécheresse), et les effets d’un aléa climatique sur la végétation ne sont pas les mêmes selon le moment de l’année où il survient. C’est pourquoi il est difficile de prédire quels effets domineront parmi ceux analysés dans le programme Pastoralp. Très probablement, l’ensemble de ces aléas climatiques se renforceront avec un climat tendanciellement plus chaud mais ne seront pas tous simultanément enregistrés.

Le tableau ci-dessous reprend les conclusions présentées par les chercheurs dans la synthèse de l’ensemble des travaux du programme. Il reprend les principaux aléas climatiques qui se produisent et se produiront en montagne et qui peuvent avoir des conséquences variées selon les saisons dans les Alpes ([41]) :

Le manque de neige et un hiver très sec ou la fonte précoce des neiges accompagnée de gelées printanières ou un printemps tardif et froid

Perturbation de la végétation en début d’année : en raison du manque d’eau, de basses températures ou d’un arrêt de croissance dû au gel, la production d’herbe en début de saison peut être faible et/ou avec une herbe trop tendre. Sur les quartiers bas de l’alpage, qui sont généralement plus productifs, on observe une ressource pastorale moindre en quantité ou un démarrage tardif de la végétation. En plus d’avoir une conséquence sur la production d’herbe, cet aléa climatique peut affecter la qualité de l’herbe et, à terme, entraîner une dégradation de la composition de la végétation.

Un printemps précoce

Lorsque le troupeau arrive sur l’alpage, la phase phénologique des plantes peut être déjà bien avancée par rapport à la situation normale. Cela implique le pâturage d’une herbe de qualité nutritionnelle réduite pour le bétail.

Des périodes de sécheresse au printemps et très peu d’enneigement

Des réserves d’eau insuffisantes dans le sol au début de la croissance de la végétation peuvent entraîner un manque d’herbe dans les pelouses productives de basse altitude.

Une sécheresse marquée en début d’estives

Les conséquences sur la ressource pastorale peuvent concerner aussi bien la quantité que la qualité. Une faible production d’herbe peut entraîner la nécessité de restaurer des zones de pâturage complémentaires ou d’améliorer le bien-être des animaux. L’herbe peut également se dessécher rapidement avec des effets sur la qualité nutritionnelle et l’appétence, qui peuvent être réduites

Des fortes chaleurs ou canicules et du vent en début d’été

L’herbe arrive à maturité en même temps sur une grande partie de l’alpage, voire se dessèche. La qualité nutritionnelle et l’appétence de l’herbe seront alors moindres.

Des étés très chauds marqués par la sécheresse et des périodes de canicules

Les effets de ce risque climatique sont multiples et peuvent concerner la ressource pastorale, la ressource en eau ou affecter les animaux. Pour l’assèchement de certaines sources d’eau, il peut y avoir des problèmes pour l’abreuvement des animaux et l’irrigation, lorsqu’elle est présente.

Concernant la ressource pastorale, l’herbe peut se dessécher rapidement, ce qui peut réduire la qualité nutritionnelle et l’appétence de l’herbe. Dans les pelouses des quartiers bas déjà pâturées en début d’estive, il pourrait y avoir très peu ou pas de repousse, entraînant un manque d’herbe en fin de saison.

À moyen et long terme, il pourrait y avoir une détérioration de la composition de la végétation avec une dégradation de la ressource fourragère.

Des étés pluvieux

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un risque courant et répandu dans les zones étudiées, les précipitations peuvent avoir des conséquences négatives pour le sol et les animaux qui, en raison des sols humides, peuvent développer des maladies des pattes.

Précipitations intenses

En cas de fortes pluies, il faut s’attendre à des dégâts sur les pâturages, surtout lorsque la végétation est clairsemée, en raison du ruissellement et de la perte de sol.

Redoux à l’automne

Les conditions de pâturage à la fin de la saison de pâturage sont bonnes, il est donc possible de prolonger la période de pâturage s’il reste de l’herbe.

Comme on peut le constater, le changement induit des effets contrastés sur la végétation en montagne. La réduction de l’enneigement et la hausse des températures favorisent un démarrage plus précoce de la croissance des végétaux au printemps, parfois jusqu’à soixante jours plus tôt selon les scénarii, et prolongent la saison végétative jusqu’en automne. Cette extension pourrait théoriquement bénéficier aux écosystèmes et au pastoralisme. Cependant, cette tendance est fragilisée par des aléas : des hivers secs, des gelées tardives ou des printemps froids perturbent le développement des plantes, annulant parfois les gains liés au réchauffement. Par exemple, un enneigement faible peut retarder le démarrage printanier en privant le sol d’eau essentielle, même si la fonte précoce des neiges libère généralement assez de ressources pour lancer la croissance initiale.

Comme l’ont souligné les chercheurs lors de leur audition, le véritable défi survient en été. La réduction des réserves d’eau issues de la neige, combinée à des précipitations estivales plus rares, limite la croissance végétale et accélère la sénescence des plantes. Les stress hydriques créent le paradoxe d’une saison de croissance globalement plus longue, mais avec une phase estivale moins productive, surtout en moyenne altitude. Les effets varient aussi localement : en fond de vallée, une gelée printanière peut anéantir l’avantage d’un printemps précoce, tandis que les versants ensoleillés profitent davantage de la hausse des températures.

Pour le pastoralisme, ces dynamiques entraînent des déséquilibres. C’est pourquoi, avec des acteurs de terrain, les instituts de recherche et les parcs nationaux en charge du programme « Pastoralp » ont également cherché à déterminer les démarches pouvant être suivies par les acteurs sur le terrain pour adapter les activités pastorales aux conséquences du réchauffement climatique déjà sensibles et les conséquences à venir.

En effet, si les éleveurs ont peu de prises sur l’évolution de la végétation dans les prairies au cours de l’année et sur les variations de la croissance de la végétation, par leur travail et leurs pratiques, ils peuvent valoriser la végétation présente pour qu’elle continue à constituer une ressource pour leur troupeau. C’est l’ensemble des pratiques qui permet de s’adapter à l’indisponibilité ou à la dégradation de la végétation. Il peut s’agir de modifier la gestion des prairies en mettant en place des surfaces de sécurité qui ne seront pâturées qu’en cas de nécessité, de prioriser des espèces cultivées adaptées aux conditions climatiques difficiles, de diversifier les sources d’alimentation, d’introduire des systèmes agroforestiers, d’instaurer une plus grande mobilité du troupeau, etc.

Dans les conclusions du programme « Pastoralp », sont présentées des mesures de court terme et des mesures de moyen ou de long terme. L’ensemble des travaux menés ont permis de définir des actions pour mieux gérer la ressource en herbe et fourragère et pour investir dans des équipements utiles pour les troupeaux et les bergers. Ainsi, sans être exhaustif, on trouve dans les solutions de court terme proposées :

– explorer de nouvelles zones de pâturage, y compris les zones boisées ou arbustives (avec une vigilance sur certaines espèces forestières ou sur les animaux qui nichent au sol, dans les buissons ou qui utilisent les clairières) ;

– retarder le pâturage des pelouses qui sèchent habituellement moins vite dans les zones basses afin de préserver cette herbe pour la fin de la saison de pâturage ;

– forcer le troupeau à consommer une ressource non optimale par le pâturage guidé ou la mise en place de clôtures lorsque la végétation est à un stade anormalement avancé au printemps ou à l’été (cela peut conduire à fournir des compléments alimentaires aux bovins par exemple) ;

– modifier les horaires de pâturage et faire paître les animaux pendant les heures les plus fraîches de la journée ou pendant la nuit.

À plus long terme, le programme « Pastoralp » indique qu’il faudra rechercher des pâturages supplémentaires ou débroussailler des parties basses des alpages, planter des arbres et utiliser les espaces forestiers existants pour accroître les zones ombragées, gérer de plus en plus finement les quartiers pâturés et organiser des rotations, organiser la disponibilité en eau pendant les périodes de sécheresse ou de fortes chaleurs. Des changements plus structurels encore pourraient être envisagés comme faire monter les animaux plus tôt dans les alpages, les faire redescendre plus tôt également ou plus tard en fonction de l’évolution de la végétation et des températures, ou bien de réduire le chargement sur ces mêmes surfaces. La variabilité interannuelle du climat – comme une année extrêmement sèche suivie d’un été humide – complexifiera encore davantage la gestion des troupeaux, ou conduira également les éleveurs à modifier leurs pratiques. En effet, un démarrage plus précoce de la végétation peut inciter les éleveurs à modifier le calendrier des naissances et à acheter des animaux plus tôt en saison, et alors que ces changements peuvent paraître rationnels, les aléas climatiques interannuels rendent ce choix risqué. Ces décalages qui conduiraient à faire transhumer les animaux plus tôt menacent les pratiques traditionnelles, où le bétail rejoignait les alpages à dates fixes (souvent en juin), et accroît le risque de surexploitation des zones pâturées plus tôt dans l’année, suivie de pénuries estivales.

Étudier les conséquences du changement climatique est également l’objet d’un dispositif appelé « Sentinelles », qui existe depuis 2007 et qui vise à étudier les conséquences du changement climatique en montagne dans les Alpes. Le projet a pris également naissance dans le parc national des Écrins et est porté par l’Inrae et son laboratoire « EcoSystèmes et Sociétés en Montagne » (Lessem) dont vos rapporteurs ont auditionné des membres ([42]). Le dispositif « Alpages Sentinelles » est donc un programme de recherche et développement qui vise à analyser les évolutions climatiques sur les territoires d’alpage (les phénomènes météorologiques à l’œuvre), à comprendre les conséquences de ces évolutions sur les végétations (biodiversité, ressource fourragère disponible pour les troupeaux) et à analyser les capacités des systèmes pastoraux à trouver des marges de manœuvre et des voies d’adaptation.

Le dispositif, qui est toujours en cours, s’appuie aujourd’hui sur un réseau d’une vingtaine de partenaires techniques et scientifiques, et bénéficie du soutien politique et financier de l’Union européenne, de l’État et des régions concernées. Les observations sont réalisées désormais dans une trentaine d’alpages d’année en année