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N° 1273
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
sur le déplacement d’une délégation de la commission à Washington DC,
du 23 au 26 mars 2025
présenté par
M. Bruno FUCHS,
Mme Nathalie Oziol et M. Franck RIESTER,
Députés
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La délégation de la commission était composée de : M. Bruno Fuchs (Haut-Rhin – Les Démocrates), président de la commission ; Mme Nathalie Oziol (Hérault – La France insoumise – Nouveau front populaire) ; M. Franck Riester (Seine-et-Marne – Ensemble pour la République), président du groupe d’amitié France / États-Unis.
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SOMMAIRE
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Pages
A. Une victoire incontestable, le 5 novembre 2024
B. Le contrÔle ou, À tout le moins, l’influence sur les principaux pouvoirs
1. Les principaux leviers institutionnels à la main du nouveau président
a. Un Congrès où les Républicains disposent de la majorité des sièges
b. Une Cour suprême en partie façonnée sous le premier mandat de Donald Trump
2. Une administration fédérale remodelée
a. Un démantèlement administratif sans précédent
b. Le flou juridique du Département de l’Efficacité gouvernementale (Doge)
3. Une emprise réelle sur la sphère informationnelle
C. Des contre-pouvoirs limitÉs mais pas inexistants
1. Un système judiciaire qui continue de jouer son rôle
2. Des États fédérés qui peuvent peser
3. Une société civile vigilante mais, pour le moment, plutôt atone
II. une alternance qui constitue un bouleversement considÉrable aux effets probablement durables
1. L’expression décomplexée d’une volonté de rester la puissance dominante dans le monde
B. Les principaux traits de la politique extÉrieure de la nouvelle administration amÉricaine
1. L’obsession de la puissance économique et énergétique
a. Une politique protectionniste pour la préservation des intérêts économiques stratégiques
2. Une politique étrangère au service de la régulation migratoire
3. La sanctuarisation du territoire national à travers un projet de défense anti-missiles ambitieux
4. La confirmation du pivot asiatique : les enjeux de rivalité avec la Chine
a. Une compétition essentiellement économique et technologique, pour l’heure
i. Le conflit économique sino-américain : entre découplage et mesures protectionnistes
ii. Une rivalité qui s’exprime de plus en plus dans le champ technologique
b. Une rivalité géopolitique, stratégique et militaire structurelle
i. Un défi réciproque en Indopacifique : entre dissuasion et expansion
C. Des implications majeures d’ores et dÉjà trÈs perceptibles
1. Un changement de pied total et rapide sur des dossiers internationaux qui préoccupent l’Europe
a. Un renversement total de position sur le conflit russo-ukrainien
b. Des propositions très singulières au sujet des Proche et Moyen-Orients
A. dans une logique de rapports de force, la France et l’Union europÉenne ne sont pas sans atouts
1. La France, acteur diplomatique de premier plan
2. L’Union européenne, premier débouché économique et commercial des États-Unis
1. Prendre davantage en mains notre propre défense
a. Une Alliance atlantique déstabilisée par la vision « donnant-donnant » du président américain
b. La nécessité d’un réveil stratégique européen à concrétiser rapidement
Annexe : Liste des personnes entendues par la dÉlÉgation de la commission
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Depuis le XXe siècle et l’avènement de la puissance économique et géopolitique des États-Unis, beaucoup de présidents américains ([1]) ont influencé, voire parfois façonné, le cours de la marche des affaires du monde. De Woodrow Wilson, face au dilemme de la première guerre mondiale et promoteur de la Société des nations (SDN), à Joe Biden, s’agissant de la guerre en Ukraine, en passant par Franklin Delano Roosevelt, pour surmonter la grande dépression des années 1930 et la tragédie de la seconde guerre mondiale, ou encore John Fitzgerald Kennedy et Ronald Reagan, pendant la guerre froide, et George W. Bush, s’agissant des événements post-11 septembre 2001, la plupart ont pris des décisions aux répercussions internationales considérables.
Rarement, néanmoins, une échéance présidentielle américaine ne s’est révélée jusqu’à présent aussi impactante, dès le soir du scrutin, que celle du 5 novembre 2024, qui a consacré le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. La raison tient probablement au fait, assez exceptionnel dans l’histoire politique américaine, que le 47e président des États-Unis avait déjà exercé un mandat, de 2017 à 2021, donnant par là même à la communauté internationale une indication assez précise du style et de la manière assez peu conventionnels dont la politique extérieure du pays allait être conduite pour les quatre ans à venir. L’explication réside aussi, sans doute, dans les orientations très marquées et ouvertement assumées par le nouveau locataire du bureau ovale, qui traduisent une volonté claire – mais pas nouvelle par rapport à ses prédécesseurs – de préservation des intérêts et de l’hégémonie de l’Amérique.
La France entretient de longue date des relations fortes avec les États‑Unis ([2]). Dans le récit national américain, notre pays a joué un rôle important dans la guerre d’indépendance de 1775-1776. Le traité d’alliance signé le 6 février 1778 a établi les bases d’une relation durable, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle ait été exempte de tumultes, comme lors de la guerre lancée par le président Bush en Irak en 2003, malgré l’opposition ferme de Paris.
Le fait est néanmoins avéré que le président Trump ne tient pas la relation bilatérale pour quantité négligeable. Lors de son premier mandat, il est venu à plusieurs reprises en France, comme invité d’honneur du défilé du 14 juillet 2017 ou lors des commémorations du 75e anniversaire du débarquement en Normandie, puis au sommet du G 7 à Biarritz, en 2019. Invité à la cérémonie de réouverture de Notre Dame de Paris, il a assisté à la célébration le 7 décembre 2024 en sa qualité de président élu et a accepté, à l’invitation du président de la République française, d’avoir un échange en tête à tête avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky au sujet de la guerre en Ukraine. Cependant, ces visites revêtent un aspect fortement protocolaire et ne constituent pas une preuve de l’attachement de Donald Trump à la France et à ses intérêts. Plus récemment, quelques jours à peine avant la rencontre pour le moins tendue des présidents américain et ukrainien dans le bureau ovale, le 28 février, le président français fut l’un des rares responsables européens – le seul de l’Union européenne, même – à pouvoir venir à Washington plaider sa position sur ce dossier majeur. Toutefois, force est de constater que ces visites n’ont pas permis d’inflexion majeure de la politique étrangère de Donald Trump vis-à-vis de la France et de l’Europe.
Dans un contexte international fortement influencé par les prises de position du président Trump, ces signaux montrent qu’il s’avère absolument essentiel, pour la France comme pour l’Europe, de cultiver le dialogue et les liens existants avec les décideurs américains. La commission des affaires étrangères ne pouvait rester à l’écart de ce travail de diplomatie, d’autant que le Congrès des États-Unis, s’il s’inscrit dans les pas du nouveau président, joue institutionnellement un rôle majeur dans la conduite des politiques publiques américaines, y compris la politique extérieure.
Une délégation de trois députés de la commission, conduite par le président Bruno Fuchs, s’est donc rendue à Washington pour jeter les bases d’un échange et d’une relation de travail aussi fructueux que possible. Dans la capitale fédérale américaine, cette délégation a pu mener des entretiens avec des membres de la Chambre des représentants – les présidents de la commission des affaires étrangères et de la sous-commission Europe mais aussi les co-présidents du French Caucus –, ainsi qu’avec des responsables de l’administration fédérale, aux Départements d’État (DoS) et de la défense (DoD), notamment. Ce faisant, elle a pu apprécier, côté américain, la dynamique enclenchée depuis l’installation de la nouvelle administration de même que la perception outre-Atlantique de l’état de la relation bilatérale, de manière à en tirer les conclusions qui s’imposent s’agissant des atouts que notre pays et l’Union européenne conservent comme des voies d’amélioration sur lesquelles il convient désormais d’insister.
Le 9 avril 2025, la commission des affaires étrangères a souhaité que les constats dressés par la délégation puissent être rendus publics sous la forme de ce rapport d’information.
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I. le retour de Donald Trump À la maison blanche : un prÉsident en position de force dans le paysage institutionnel amÉricain et au plan national
Au terme d’une campagne marquée par des rebondissements assez inédits, à savoir le retrait de la course du président sortant quelques semaines à peine avant sa convention d’investiture et deux tentatives d’attentat contre celui qui a finalement été élu, Donald Trump a retrouvé le bureau ovale le 20 janvier 2025, quatre ans après l’avoir quitté dans des conditions pour le moins houleuses.
A. Une victoire incontestable, le 5 novembre 2024
Dans le système institutionnel américain, l’élection du président des États‑Unis et du vice-président (duo formant un « ticket ») se déroule tous les quatre ans à travers un vote indirect permettant la désignation au suffrage universel direct de 538 grands électeurs à due proportion de la population des cinquante États fédérés et du district de Columbia, lesquels élisent formellement un mois plus tard le ticket pour lequel ils ont été choisis. Le caractère indirect de cette élection fait que la majorité des grands électeurs est nécessaire pour être élu et non la majorité des voix à l’échelon national ; ainsi, certains États appelés swing States, qui ne sont pas acquis au même parti à chaque élection et qui comportent un grand nombre de grands électeurs, sont cruciaux pour remporter le scrutin.
Le jour de l’élection est fixé par une loi fédérale de 1792 complétée par la loi fédérale sur le collège électoral de 1845. Depuis lors, le scrutin a toujours lieu le mardi qui suit immédiatement le premier lundi de novembre.
La soixantième élection présidentielle américaine, qui s’est tenue le 5 novembre 2024, a consacré le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, président des États-Unis de 2017 à 2021 et candidat battu à sa réélection en 2020, avec 312 grands électeurs. Dans les États charnières (Arizona, Caroline du Nord, Géorgie, Michigan, Nevada, Pennsylvanie, Wisconsin), qui totalisent 93 grands électeurs, Donald Trump a réalisé un grand chelem électoral décisif.
La participation, située à environ 64 %, a été la deuxième plus forte depuis 1900, quoiqu’en léger recul par rapport aux 66,7 % de 2020. Recueillant 49,8 % des suffrages exprimés (soit 77,3 millions de voix) contre 48,32 % pour sa rivale Kamala Harris (75 millions de bulletins), le nouveau président a bénéficié, au niveau du vote populaire, de l’avance la plus serrée depuis cinquante-six ans. Toutefois, c’est la première fois depuis 2004 qu’un candidat Républicain a remporté le vote populaire et, à la différence de 2016, la légitimité du président élu est absolument incontestable : à titre de comparaison, Hillary Clinton bénéficiait de 3 millions de voix supplémentaires lors de sa confrontation avec Donald Trump, soit six fois plus que l’avance d’Al Gore sur George W. Bush en 2000.
CARTE DU COLLÈGE ÉLECTORAL ISSU DE L’ÉLECTION
DU 5 NOVEMBRE 2024
Avec ce scrutin, pour la première fois depuis cent trente-deux ans et le précédent de Grover Cleveland – au pouvoir de 1885 à 1889 puis de 1893 à
1897 –, un ancien président s’est donc vu confier un second mandat non consécutif. Assez largement battu en 2020 après un premier mandat plutôt clivant, puis mis en cause pour son rôle dans l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, Donald Trump a réussi son retour lors d’une troisième participation au scrutin phare américain, après avoir été condamné en justice puis victime d’une tentative d’assassinat en pleine campagne électorale, le 13 juillet 2024 à Meridian, près de Butler en Pennsylvanie.
Pour sa part, Mme Nathalie Oziol estime que la victoire de Donald Trump doit aussi être analysée comme une défaite des Démocrates. La campagne de Kamala Harris, qui a remplacé Joe Biden tardivement, n’a non seulement pas convaincu mais, pour la première fois depuis longtemps, on a observé un recul de participation dans des États clés où les Démocrates font d’habitude des scores honorables. Cela s’explique, aux yeux de Mme Nathalie Oziol, par plusieurs raisons :
– alors que l’administration sortante et son bilan économique, notamment en matière d’inflation, étaient très impopulaires, Kamala Harris n’a pas voulu prendre ses distances avec Joe Biden. Alors que l’économie était la priorité absolue pour une majorité d’électeurs, en particulier ceux hésitants entre les deux candidats, elle a évité le sujet de l’économie ;
– en 2020, le discours économique de Joe Biden avait fonctionné. Kamala Harris a abandonné certaines de ses promesses (défense de Medicare for All) et refusé de faire campagne sur le salaire minimum à 15 dollars de l’heure ainsi que le remboursement des arrêts-maladie, qui ont pourtant gagné du soutien depuis 2020 ;
– la tentative de séduction des Républicains modérés a non seulement été un échec (ceux-ci ont moins voté Démocrate qu’en 2020) mais elle a même été contre-productive : le soutien de Liz Cheney à Kamala Harris, et son choix de s’afficher à ses côtés lors de plusieurs meetings, a rebuté de nombreux électeurs, notamment dans le Michigan, et prêté le flanc aux attaques de Trump. Il a pu accuser Harris de vouloir la guerre et se placer en défenseur de la paix ;
– la guerre menée avec le soutien des États-Unis par Israël dans la bande de Gaza, que Mme Oziol n’hésite pas à qualifier de « génocide », a fait perdre aux Démocrates des votes chez des électeurs originaires de pays arabes mais aussi probablement dans les grandes villes. Pourtant, des sondages parus en août 2024 montraient qu’une position en faveur du cessez le feu aurait fait gagner des voix à Harris dans au moins trois États clés ;
– malgré des signaux d’alarme sur le vote des ouvriers, notamment dans les États clés (par exemple la décision du syndicat Teamsters de ne pas soutenir les Démocrates pour la première fois en vingt ans), Kamala Harris a peu fait campagne avec Shwan Fain, syndicaliste de l’automobile qui la soutenait.
B. Le contrÔle ou, À tout le moins, l’influence sur les principaux pouvoirs
Si la victoire électorale de Donald Trump est très nette, elle n’est pas pour autant impressionnante. Malgré tout, elle s’accompagne d’un ensemble de facteurs qui confèrent au nouveau président un pouvoir particulièrement bien assis, sans être total.
1. Les principaux leviers institutionnels à la main du nouveau président
Le récit de l’administration Trump est celui d’une victoire franche et massive. Si la victoire du 5 novembre 2024 a été incontestable, la réalité demeure un peu plus nuancée.
a. Un Congrès où les Républicains disposent de la majorité des sièges
Le président Trump a inauguré son second mandat dans un contexte politique particulièrement favorable pour lui puisque, en parallèle de son investiture, le 119e Congrès des États-Unis, qui couvre la législature fédérale du 3 janvier 2025 au 3 janvier 2027, repose sur deux assemblées parlementaires où le parti Républicain dispose d’une majorité absolue.
En effet, suite à l’élection du 5 novembre 2024 qui a conduit au renouvellement de l’intégralité de la chambre basse et du tiers du Sénat, les Républicains ont obtenu 218 sièges à la Chambre des représentants (contre 215 pour les Démocrates) et disposent désormais d’au moins 53 sièges au Sénat (contre 45 pour les Démocrates, 47 en y incluant deux sénateurs indépendants qui leur sont proches).
UN CONGRÈS FÉDÉRAL OÙ LES RÉPUBLICAINS DISPOSENT DE LA MAJORITÉ
DANS LES DEUX CHAMBRES
Composition de la Chambre des représentants
|
Composition du Sénat
|
Groupes politiques Majorité (218)
Minorité (215)
Vacants (2) |
Groupes politiques Majorité (53)
Minorité (47)
Indépendants (2) |
La prééminence Républicaine au sein du Congrès, où le président de chaque chambre est un proche du président Trump (le représentant Mike Johnson à la Chambre et le vice-président James David Vance au Sénat), est déterminante dans le système institutionnel américain.
À l’exception des projets fiscaux qui doivent être présentés par la Chambre, chacune des deux assemblées dispose en effet de l’initiative des lois et discute, adopte ou refuse tout texte législatif soumis ensuite à la promulgation du président ; elles possèdent aussi un pouvoir d’enquête. Le Sénat est néanmoins particulièrement stratégique car il s’agit de la chambre appelée à confirmer ou rejeter, à la majorité simple des présents, les principales nominations (membres du gouvernement fédéral, ambassadeurs, membres des agences fédérales, juges à la Cour suprême, etc.) décidées par la Maison Blanche. C’est également le Sénat qui ratifie les traités de paix et vote les déclarations de guerre (l’approbation des deux‑tiers des présents est alors requise). Enfin, lorsque la Chambre des représentants a décidé, à la majorité simple, une mise en accusation d’un haut fonctionnaire fédéral, y compris du président, le Sénat se transforme en Haute Cour ; celle-ci est alors présidée par le chef de la Cour suprême, et – suivant la procédure d’impeachment telle qu’elle est définie par la Constitution américaine de 1787 dans son article Ier, section 3 – prononce ou non, à la majorité des deux-tiers, une condamnation.
Traditionnellement, le Congrès américain fait preuve d’une grande indépendance à l’égard de l’administration présidentielle. Or, avant même sa prise de fonctions le 20 janvier, le président Trump a adressé aux élus Républicains un ensemble de signaux soulignant qu’il attendait de leur part une loyauté absolue dans la mise en œuvre de sa politique, allant jusqu’à menacer de suspendre la session du Parlement pour faciliter l’entrée en fonction de son administration. De fait, les premiers pas du nouveau Congrès ont montré une certaine docilité à l’égard de l’Exécutif, la plupart des membres du gouvernement et hauts fonctionnaires proposés par le nouveau locataire de la Maison Blanche étant confirmés malgré les doutes, voire le scepticisme, parfois exprimés par des élus à leur endroit.
Si l’opposition démocrate est minoritaire au Congrès, elle peut malgré tout freiner les débats, le seuil de 60 sénateurs étant requis pour lever la technique du filibuster, et provoquer le blocage budgétaire. En outre, la majorité Républicaine à la Chambre est actuellement grevée par quatre sièges vacants, de sorte que la réalité du rapport de force se joue à très peu de voix. Cela explique d’ailleurs que le président américain ait renoncé le 27 mars à désigner la représentante de New York, Mme Elise Stefanik, comme ambassadrice des États-Unis à l’Organisation des Nations unies (ONU), la perte de son siège à la Chambre pouvant faire basculer la majorité.
Du fait des équilibres politiques au Congrès, si la Chambre des représentants adopte des textes souvent plus marqués sur le fond, la nécessité de rallier sept sénateurs Démocrates au Sénat impose au camp Républicain de trouver des compromis. Plusieurs textes, sur l’immigration notamment, ont néanmoins été adoptés rapidement depuis l’entrée en fonction du 119e Congrès, du fait de la spécificité de certaines situations locales dans des circonscriptions et États Démocrates. De même, le shutdown budgétaire a pu être évité grâce au concours d’une dizaine de sénateurs Démocrates jusqu’en septembre 2025.
b. Une Cour suprême en partie façonnée sous le premier mandat de Donald Trump
Tribunal de dernier ressort, la Cour suprême est le sommet du pouvoir judiciaire aux États-Unis. Instituée par l’article III de la Constitution, elle est compétente sur tous les cas relevant de la Constitution ou des lois des États-Unis, ainsi que des traités conclus. Il s’agit donc d’une institution très importante, qui peut jouer un rôle décisif dans l’application des lois fédérales du fait de sa jurisprudence.
Le nombre de ses membres est fixé par la loi et peut donc évoluer. Stable depuis 1869, il s’élève aujourd’hui à neuf membres, dont huit juges assesseurs (Associate justices) et un président (Chief justice).
Nommés à vie par le président des États-Unis, les juges doivent au préalable recueillir le consentement du Sénat. Si peu de candidats sont rejetés, la Cour n’a pas échappé à certaines critiques de politisation croissante ces dernières années. D’ailleurs, sous le premier mandat présidentiel de Donald Trump, en avril 2017, le leader de la majorité Républicaine au Sénat a fait voter l’abolition de la majorité qualifiée pour les nominations de juges à la Cour suprême, y substituant une exigence de majorité absolue. Cette manœuvre a permis notamment la confirmation du juge Neil Gorsuch, le 7 avril 2017, par 54 voix contre 45, alors que les Démocrates souhaitaient faire échouer cette nomination.
De fait, sur les neuf juges actuels de la Cour suprême, trois ont été nommés par Donald Trump et trois autres par George H. et George W. Bush, ce qui fait parfois dire aux observateurs que la juridiction est favorable au 47e président des États-Unis.
COMPOSITION ACTUELLE DE LA COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS
Fonction |
Nom |
Âge |
Président ayant procédé à la nomination |
Date de prise de fonction |
Juge en chef |
John G. Roberts Jr. |
70 ans |
George W. Bush |
29/11/2005 |
Juge assesseur |
Clarence Thomas |
76 ans |
George H. Bush |
23/10/1991 |
Juge assesseur |
Samuel Alito |
74 ans |
George W. Bush |
31/01/2006 |
Juge assesseur |
Sonia Sotomayor |
70 ans |
Barack Obama |
06/08/2009 |
Juge assesseur |
Elena Kagan |
64 ans |
Barack Obama |
07/08/2010 |
Juge assesseur |
Neil Gorsuch |
57 ans |
Donald Trump |
08/04/2017 |
Juge assesseur |
Brett Kavanaugh |
59 ans |
Donald Trump |
06/10/2018 |
Juge assesseur |
Amy Coney Barrett |
53 ans |
Donald Trump |
27/10/2020 |
Juge assesseur |
Ketanji Brown Jackson |
54 ans |
Joe Biden |
30/06/2022 |
Illustration concrète que la Cour suprême, si elle demeure indépendante, n’en penche pas moins plutôt du côté du nouveau président des États-Unis, sa décision Trump v. United States ([3]), prise par six voix contre trois, en date du 1er juillet 2024, a ouvert la voie à une suspension des poursuites à l’encontre du candidat Donald Trump pour diverses affaires le concernant et à l’abandon de la fixation d’une peine dans le cadre de sa condamnation dans le procès face à l’actrice Stormy Daniels. Considérant que « la nature du pouvoir présidentiel exige qu’un ancien président puisse disposer d’une forme d’immunité devant des poursuites pénales pour des actes officiels commis pendant son mandat », la Cour a précisé que cette immunité doit être absolue en ce qui concerne le cœur des prérogatives constitutionnelles et bénéficier d’une « présomption d’immunité » pour les autres actes officiels.
Cette orientation marque un tournant dans l’équilibre institutionnel américain. En assouplissant les limites du contrôle judiciaire sur l’Exécutif, la Cour suprême a offert à l’administration Trump une marge de manœuvre accrue face aux contestations judiciaires. Certains analystes estiment que cette dynamique pourrait être renforcée dans les années à venir, l’administration cherchant à provoquer des litiges spécifiques pour permettre à la majorité actuelle au sein de la Cour d’ancrer encore plus solidement la doctrine de l’Exécutif unitaire, réduisant ainsi les capacités de surveillance des autres institutions.
2. Une administration fédérale remodelée
À chaque transition présidentielle, il est courant que la nouvelle administration procède à des remaniements au sein des agences fédérales, notamment en remplaçant les responsables politiques nommés par ses prédécesseurs. Cependant, le second mandat de Donald Trump s’est distingué par des changements d’une ampleur inédite, visant non seulement à restructurer l’appareil bureaucratique mais aussi à affaiblir les capacités de régulation et de contrôle du gouvernement fédéral.
a. Un démantèlement administratif sans précédent
Avec plus de 3 millions d’employés, l’administration fédérale est l’un des plus grands employeurs du pays. Dès son entrée en fonction, le gouvernement fédéral a proposé aux fonctionnaires des congés avec solde – jusqu’à sept mois de salaire – en contrepartie d’un départ volontaire notifié avant le 6 février 2025. Le bureau de la gestion et du budget (Office of management and budget - OMB) estime qu’environ 75 000 employés fédéraux avaient accepté cette offre mi-février, soit environ 4 % des effectifs globaux.
Cette politique a été accompagnée d’une série de révocations massives, ciblant en priorité les fonctionnaires de carrière et les hauts responsables d’agences clés. Les Départements et agences touchés sont plus particulièrement :
– l’agence américaine pour le développement international (USAID), par la réduction de ses effectifs de 10 000 à 290 postes et son absorption par le Département d’État, ainsi que la suppression de 92 % des financements destinés aux programmes d’aide à l’étranger (le budget de l’USAID représentait à lui seul 40,2 milliards de dollars et 42 % de l’aide humanitaire mondiale). Sur ce point, Mme Nathalie Oziol souhaite rappeler les conséquences dramatiques de la suppression des financements de l’USAID et le danger des discours similaires en France. Le 26 février 2025, Washington annonçait la suppression de 92 % des financements de l’USAID, au prétexte de réaliser des économies budgétaires. Malgré un revers infligé par la Cour suprême au président Trump sur ce dossier, la baisse des financements à l’agence est restée considérable. Les conséquences s’en sont fait ressentir en Ukraine mais aussi dans beaucoup de pays africains. Les luttes contre le VIH et pour les droits des femmes en Afrique se sont retrouvées amputés d’une partie massive de leurs financements ([4]) ;
– le Département de la justice, où plus d’une douzaine de procureurs, dont ceux impliqués dans des enquêtes sur Donald Trump, ont été révoqués ;
– le conseil de sécurité nationale (NSC), dont 160 employés ont été licenciés, réduisant d’autant les capacités de surveillance et de coordination en matière de sécurité nationale ;
– le Département d’État, où plusieurs diplomates seniors ont été poussés à la démission ;
– les inspecteurs généraux chargés du contrôle interne des agences fédérales, dix-sept étant limogés sans préavis ;
– le Département de l’éducation, placé sous surveillance dans l’attente de sa dissolution à venir, confirmée le 20 mars 2025 ;
– enfin, le Conseil national des relations du travail, dont la présidente par intérim, Mme Gwynne Wilcox, a été révoquée bien que son mandat devait courir jusqu’en 2028.
Selon un décompte du New York Times, au cours des quatre premières semaines de la nouvelle administration, les programmes d’au moins dix‑neuf agences fédérales ont été passés en revue, en prévision de coupes budgétaires drastiques. Au Pentagone, le secrétaire à la défense Pete Hegseth a annoncé une réduction de 8 % du budget annuel sur une période de cinq ans, assortie du licenciement de 5 à 8 % des personnels.
b. Le flou juridique du Département de l’Efficacité gouvernementale (Doge)
L’une des réformes les plus controversées du mandat de Donald Trump réside dans la mise en place du Département de l’Efficacité gouvernementale, organisation sous contrat temporaire placée sous l’autorité du United States Doge Service et dirigée par Elon Musk, officiellement désigné comme « employé spécial du gouvernement » sans pour autant qu’il appartienne au gouvernement fédéral en raison de la poursuite de ses activités entrepreneuriales. Un certain flou juridique entoure ses responsabilités et alimente les inquiétudes quant à une privatisation de la gestion fédérale.
Parmi ses actions les plus marquantes, on peut citer l’accès direct aux systèmes de paiement du Trésor, manipulant des données sensibles protégées par le Privacy Act ; les conditions de suspension des activités de l’USAID, où les cadres du Doge auraient exigé l’accès à des informations classifiées, menant à la mise en congé forcée des employés ; l’interdiction du droit de visite parlementaire dans les locaux du Département de l’éducation.
Ces interventions soulèvent des questions sur le statut d’Elon Musk au sein de l’administration. De fait, la Maison Blanche n’a pas précisé si le président Trump lui avait accordé une dérogation aux lois sur les conflits d’intérêts, ce qui pourrait poser un problème légal majeur, compte tenu des liens financiers entre cet entrepreneur et l’État fédéral.
3. Une emprise réelle sur la sphère informationnelle
Depuis 2016, Donald Trump entretient un rapport houleux avec les médias traditionnels et certains réseaux sociaux (Facebook et, avant son rachat par Elon Musk, Twitter). Seuls la chaîne – d’extrême droite aux yeux de Mme Nathalie Oziol – Fox News et son propre réseau social, baptisé « Truth Social », créé en 2021 à la suite de son bannissement de Twitter – il y comptait alors 89 millions d’abonnés, et 35 autres millions sur Facebook ainsi que 24 millions sur Instagram – sont jugés dignes de confiance par lui.
L’élection de novembre 2024 a quelque bouleversé la donne de l’impact du président américain sur la sphère informationnelle, et ce dès la fin de campagne. En effet, outre l’appui non dissimulé d’Elon Musk sur X (anciennement Twitter), le candidat Républicain a bénéficié d’une neutralité quelque peu inédite du Washington Post, acquis par le milliardaire de la Big Tech Jeff Bezos. Par la suite, Mark Zuckerberg a supprimé le fact-checking sur Facebook, l’assimilant à de la censure tout en licenciant les personnels chargés de la vérification des faits.
Depuis son investiture, le 47e président des États-Unis s’est attaché à conforter son emprise – et par là même son audience – sur la sphère informationnelle américaine.
Ainsi, l’un des tous premiers décrets présidentiels signés le jour de l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier 2025 ([5]), qui vise à « rétablir la liberté d’expression et mettre fin à la censure fédérale », affirme que le gouvernement fédéral de l’administration Biden « a enfreint les droits d’expression, protégés par la Constitution, des citoyens américains à travers les États-Unis d’une manière qui a favorisé le narratif du gouvernement sur des questions importantes du débat public » et il prévoit en conséquence de « veiller à ce qu’aucun fonctionnaire, employé ou agent du gouvernement fédéral n’adopte ou ne facilite un comportement qui restreindrait de manière inconstitutionnelle la liberté d’expression d’un citoyen américain. ». Commentant ces dispositions, Clayton Weimers, directeur du bureau Amérique du Nord de Reporters sans frontières (RSF) juge qu’« Il est particulièrement ironique de voir Donald Trump se nommer défenseur en chef de la " liberté d’expression " alors qu’il continue à s’attaquer personnellement à la liberté de la presse – un pilier du premier amendement – et qu’il a juré d’armer le gouvernement fédéral contre les propos qu’il n’aime pas. » ([6]).
De même, l’accès de plusieurs médias traditionnels à des bâtiments gouvernementaux a été restreint, vraisemblablement par mesure de rétorsion à la suite de prises de positions critiques passées à l’encontre de Donald Trump. Entre autres, la présidence a décidé de reprendre à sa main la gestion de sa salle de presse en lieu et place de l’association des correspondants de la Maison Blanche, sélectionnant ainsi les médias autorisés. Par ailleurs, le 8 février 2025, la chaîne CNN et l’Associated Press ont annoncé que les bureaux dédiés des journalistes de huit médias accrédités au Pentagone (New York Times, Washington Post, CNN, Politico, NBC News, la Radio publique nationale – NPR –, The Hill et The War Zone) allaient être attribués aux personnels d’autres médias plus favorables au nouveau pouvoir.
Enfin, alors que le réseau public de radios NPR et le service public de radiodiffusion (PBS) sont en partie financés par les fonds alloués à la Société de radiodiffusion publique (CPB), M. Brendan Carr, nouveau dirigeant de l’Agence fédérale des communications (FCC), a annoncé ouvrir une enquête sur ces médias publics. Une telle démarche devrait, à terme, menacer leurs financements publics à hauteur de 7 % pour NPR et 13 % pour PBS, le président Trump s’étant ouvertement prononcé, dernièrement, pour une interruption de tout subventionnement. Par ailleurs, le 14 mars, un décret présidentiel a rangé l’Agence américaine pour les médias globaux (USAGM), agence chapeautant les acteurs de l’audiovisuel public extérieur – notamment Voice of America, Radio Free Asia et Radio Free Europe –, parmi les « éléments inutiles de la bureaucratie fédérale » et plaçant de fait tous ses effectifs en congé ([7]).
Toutes ces initiatives finissent par assurer une certaine prééminence au narratif trumpien, dont la critique se fait de moins en moins audible. Pour le seul mois de janvier 2025, la chaîne Fox News a enregistré une moyenne de 1,9 million de téléspectateurs par jour, soit une hausse de 53 % en glissement annuel par rapport à 2024, tandis que MSNBC a perdu 33 % de son audience et CNN 9 %. Pour autant, à la différence de nombreuses autocraties, les États-Unis demeurent un pays dans lequel la presse continue, par sa pluralité, son attachement au principe de la liberté d’informer et son activisme, d’être fondamentalement indépendante.
C. Des contre-pouvoirs limitÉs mais pas inexistants
Le système politique et institutionnel américain est fréquemment présenté comme un modèle d’équilibre des pouvoirs (check and balances), supposé empêcher la concentration des prérogatives décisionnelles dans les mains d’un seul ou d’un petit groupe de personnes. Plus que la séparation assez stricte des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, c’est une pratique politique et sociétale forgée depuis des décennies qui assure, aujourd’hui, l’existence de réels contre-pouvoirs au nouveau président américain et à son administration.
1. Un système judiciaire qui continue de jouer son rôle
La première force de résistance aux initiatives intempestives du président Trump et du gouvernement fédéral réside dans le système judiciaire américain, garant du respect de la loi et qui a montré, indépendamment de la Cour suprême, qu’il peut s’opposer à des décisions illégales ou contraires à la Constitution.
Durant son premier mandat, Donald Trump a entrepris une transformation profonde du système judiciaire. Avec la nomination de 234 juges fédéraux, il a remodelé les tribunaux à tous les niveaux. Cette dynamique s’est poursuivie dès son retour au pouvoir en 2025, avec une mainmise accrue sur le Département de la justice (DoJ). Le jour même de son investiture, le 47e président américain a initié un remaniement massif au sein de ce dernier, écartant des procureurs impliqués dans les enquêtes liées à l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021.
Malgré ce contexte, des décisions judiciaires ont contrarié plusieurs initiatives présidentielles controversées, telles : la suppression du droit du sol (jugée inconstitutionnelle par plusieurs tribunaux) ; le transfert forcé des détenus transgenres vers des prisons pour hommes ; l’exposition des identités des agents du bureau fédéral d’investigation (FBI) impliqués dans l’enquête sur le 6 janvier 2021 ; des licenciements massifs dans la fonction publique, incluant des employés de l’agence centrale de renseignement (CIA) et du Département de l’éducation ; un gel budgétaire de 3 000 milliards de dollars, impactant des programmes sociaux et environnementaux. Plus de cent trente-cinq recours judiciaires avaient ainsi été déposés, au 25 mars, par des procureurs généraux d’États, des syndicats et des associations de défense des libertés.
Deux mesures emblématiques prises dès l’inauguration du mandat du 47e président des États-Unis en ont, au moins temporairement fait les frais :
– en premier lieu, le gel des aides fédérales, le 27 janvier 2025, par une note du Bureau de la gestion et du budget (OMB) demandant aux Départements et agences de geler des dépenses « d’assistance » – subventions et allocations notamment – et d’en faire une revue d’ensemble, que vingt-deux États et Washington DC ainsi que plusieurs organisations non gouvernementales ont contesté en justice au motif que le président outrepassait ainsi ses prérogatives vis-à-vis du Congrès. Une juge fédérale de Washington, Loren AliKhan, a bloqué la mesure à titre conservatoire dès le 29 janvier, sans nier la possibilité pour l’administration d’évaluer les programmes de dépenses en cours et de les ajuster par la suite ;
– en second lieu, la dissolution de l’Agence de développement USAID au sein du Département d’État sans approbation du Congrès, contestée là-aussi devant les tribunaux par des associations de personnels de l’agence. Dans une ordonnance, le juge fédéral Carl Nichols a suspendu temporairement, le 7 février 2025, les projets de mise en congé immédiat de quelques 2 200 fonctionnaires. Sa décision a néanmoins été infirmée par la suite, le 21 février, confirmant par là même la mise au chômage technique et le rapatriement de ces effectifs.
Au 1er mars 2025, quelque trente-cinq décrets présidentiels se trouvaient bloqués par la justice fédérale. Certes, de recours en recours, la Cour suprême aura in fine le dernier mot. Il n’en demeure pas moins que les considérations qui entourent le respect de la loi fédérale sont souvent scrutées de près et que la juridiction ultime ne peut contredire les textes en vigueur, quand bien même il lui arrive de les interpréter de manière significative. Pour preuve, dans une rarissime prise de position à l’encontre d’un appel du président Trump à la destitution d’un juge fédéral nommé à vie qui avait décidé de suspendre toute expulsion de migrant sur le fondement de la loi sur les étrangers et la sédition de 1798, le Chief justice John Roberts a indiqué, le 18 mars, que « depuis plus de deux siècles, il est établi que la destitution n’est pas une réponse appropriée à un désaccord à propos d’une décision de justice » car la procédure d’appel existe à cet effet ([8]).
2. Des États fédérés qui peuvent peser
Le deuxième contre-pouvoir manifeste à l’égard de la nouvelle administration réside dans les États fédérés, gérés pour vingt-trois d’entre eux par des gouverneurs Démocrates.
En vertu de la Constitution américaine, ceux-ci, élus au suffrage universel direct, disposent du pouvoir exécutif au niveau de leur État pour les très nombreuses compétences qui ne sont pas dévolues au gouvernement fédéral. Parmi elles, figurent le budget, la nomination de certains juges, ou la législation locale sur certains aspects cruciaux, y compris dans le champ pénal ou civil.
À ce titre, ils constituent un puissant contrepoids aux décisions fédérales, particulièrement dans les États fédérés dont le poids économique est important, comme la Californie – à elle seule la cinquième puissance économique mondiale si elle était indépendante –, le Texas, l’Ohio, l’Illinois, la Pennsylvanie ou la Caroline du Nord. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait un hasard si l’actuel gouverneur de Californie, Gavin Newsom, est souvent présenté comme un possible candidat Démocrate à la présidentielle de 2028.
ÉTIQUETTE POLITIQUE DES GOUVERNEURS DES ÉTATS FÉDÉRÉS
Républicains (27) 󠅂Démocrates (23)
3. Une société civile vigilante mais, pour le moment, plutôt atone
Enfin, le dernier contrepoids notable – plus que contre-pouvoir – à la nouvelle administration entrée en fonction en janvier dernier réside dans la société civile américaine. Au XIXème siècle, Alexis de Tocqueville observait déjà la forte propension américaine à la vie associative.
Les groupes d’intérêts, dont font partie les organisations non‑gouvernementales (ONG) américaines, constituent à cet égard un vecteur puissant dans la prise de décision publique outre-Atlantique. Selon le Département d’État américain, elles excéderaient le nombre de 1,5 million et agissent dans des secteurs très diversifiés (groupes culturels, organisations écologiques, groupements de service social et associations professionnelles, associations d’entreprises, etc.), en levant des fonds parfois considérables.
Toutes les ONG et associations de la société civile ne partagent pas les vues de l’administration en place. Elles occupent de ce fait un rôle de vigie d’autant plus significatif que, à l’occasion des échéances électorales très régulières qui ponctuent la vie du pays, elles savent se mobiliser pour leurs causes. Aussi, leur rôle de tempérance des possibles emportements du locataire de la Maison Blanche ou d’influence auprès du Congrès ne doit pas être sous-estimé pour les quatre années à venir.
Il reste que, en l’espace de quelques semaines, beaucoup ont vu leurs financements publics suspendus. Il en a résulté de nombreux licenciements et, par voie de conséquence, une capacité de mobilisation amoindrie. Malgré quelques protestations dans les town halls Républicains, les contestations sont restées jusqu’alors assez marginales et anecdotiques, les gens semblant davantage préoccupés par leur situation individuelle, tout particulièrement la préservation de leur emploi.
Lors de son séjour dans la capitale fédérale, la délégation de la commission a néanmoins pu constater que des manifestations se tenaient tous les jours à proximité du Capitole pour la sécurité sociale, pour les droits des femmes et contre Elon Musk. La crainte d’une exacerbation future des tensions autour des mobilisations, laquelle pourrait justifier juridiquement un report des échéances électorales de mi-mandat, à l’automne 2026 a été exprimée à quelques reprises devant les députés français, sans que pour autant des indices en ce sens soient perceptibles pour le moment. Les parlementaires en déplacement attirent l’attention de leurs collègues de la commission sur la nécessité de rester vigilants sur ce risque. Certaines déclarations de Donald Trump lors de sa campagne, et le précédent de l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021 doivent alerter sur le risque de coup de force contre la démocratie.
Mme Nathalie Oziol ajoute pour sa part que la France doit, aux côtés de la communauté internationale, rester vigilante aux attaques contre les droits humains qui ont lieu aux États-Unis d’Amérique, en particulier contre les droits des personnes LGBT.
La question des droits LGBT a occupé une place centrale dans la campagne de Donald Trump, qui a notamment affirmé, lors de son discours d’investiture, que les États-Unis ne reconnaîtraient plus que « deux sexes, masculin et féminin » et signé, le même jour, un décret visant à restreindre les démarches administratives pour les personnes transgenres, les empêchant d’accéder à la transition de genre hormonale, et un autre visant à bannir ce qu’il appelle « l’idéologie transgenre » dans l’armée. Il a également ordonné la fin de tout programme de diversité et d’inclusion au sein du gouvernement fédéral.
Ces décisions ne sont pas seulement discriminantes : elles ont des effets désastreux sur la vie des personnes qui en sont victimes. Le Williams Institute, un groupe de réflexion de l’université de Californie, estime à environ 1,3 million d’adultes (soit 0,5 % de la population) et à 300 000 parmi les 13-17 ans (1,4 %) le nombre de personnes transgenres aux États-Unis. Alors que les jeunes transgenres sont notamment plus souvent victimes de dépression et ont un taux de suicide plus élevé que le reste de la population – 81 % des adultes transgenres ou non-binaires vivant aux États-Unis d’Amérique ont déjà pensé au suicide et 42 % ont déjà tenté de se suicider – les discours et politiques qui les stigmatisent ont pour effet d’augmenter ces risques.
L’application de toutes ces décisions dans l’administration et dans la recherche publique ont conduit à une véritable censure de nombreux sujets considérés comme « woke » par le nouveau pouvoir. Dans un article de février, le Washington Post a recensé plus d’une centaine de mots dont la présence dans un texte universitaire peut entraîner un refus de financement : écrire « femme », « changement climatique » ou « diversité » dans un article de recherche peut désormais entraîner le risque de perdre tout soutien public. Le New York Times a, lui, listé 120 mots et acronymes bannis des sites et communications gouvernementales par l’administration du nouveau président, qui concernent des sujets divers comme le réchauffement climatique, les questions de racisme, de genre, ou de diversité.
II. une alternance qui constitue un bouleversement considÉrable aux effets probablement durables
Loin d’être un « accident électoral », le come-back de celui qui fut le 45e président des États-Unis annonce des inflexions profondes, y compris à l’international, dans la politique du pays, dont les conséquences pourraient s’inscrire dans le temps. À la différence de sa première élection en novembre 2016, Donald Trump est revenu à la Maison Blanche auréolé d’une légitimité électorale indéniable. Surtout, il s’est préparé à mettre en œuvre son programme.
A. « Make America Great Again » (MAGA) : plus qu’un slogan de campagne, une ligne politique assumÉe pour les annÉes À venir
Slogan de campagne à la résonance initialement reaganienne, MAGA – que l’on peut traduire par « Rendre sa grandeur à l’Amérique » – s’apparente en fait davantage à une orientation politique et à un projet à moyen-long terme. Si certaines constantes transparaissent entre les campagnes de 2016 et 2024, la nouveauté du second mandat du président Trump qui s’ouvre réside dans la structuration idéologique plus poussée du projet mis en œuvre dans les années à venir.
La raison tient notamment à l’apport réel, même si Donald Trump ne l’a pas vraiment admis, du Projet 2025 ([9]) établi par la Heritage Foundation, lequel comporte quatre recommandations qui affleurent dès les premières annonces du nouveau président et de son administration. Celles-ci se résument ainsi : restaurer la famille en tant que pièce maîtresse de la vie américaine ; démanteler l’État administratif et rendre l’autonomie au peuple américain ; défendre la souveraineté, les frontières et les richesses de la nation contre les menaces mondiales ; garantir les droits individuels – c’est-à-dire, pour Donald Trump, les droits des nord‑Américains contre ceux des non-Américains – pour vivre librement.
Pour les partenaires des États-Unis, ces orientations risquent de s’annoncer durables, ce qui suppose de s’y préparer.
1. L’expression décomplexée d’une volonté de rester la puissance dominante dans le monde
Des commentateurs ont estimé que le caractère parfois erratique des choix du président Trump entre 2016 et 2021, à commencer par le recrutement de ses plus proches collaborateurs, s’expliquait par la surprise qu’avait constitué dans son propre camp son succès électoral. Les mêmes ont souligné depuis que la campagne de 2024 avait révélé une organisation tout autre, reposant sur une préparation plus méthodique, de sorte que le 47e président des États-Unis semblait mieux à même d’exercer ses prérogatives le jour même de son investiture, le 20 janvier 2025.
En tout état de cause, il importe malgré tout de relever que, sur le fond, les idées du président Trump s’inscrivent dans une certaine continuité. Le programme qu’il a défendu en 2024 reprend bon nombre de propositions déjà mises en avant en 2016, à l’instar du recours au levier des droits de douane, de la lutte contre l’immigration en provenance du Mexique au besoin par l’édification d’une frontière physique, ou encore de la nécessité pour les alliés des États-Unis de prendre une plus grande part du fardeau budgétaire de leur propre sécurité.
Les grandes orientations du programme de Donald Trump de 2024 1. Géopolitique – Être « le meilleur ami qu’Israël ait jamais eu ». Lors de son premier mandat, le président Trump avait déplacé l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, un symbole fort de son soutien à Israël, et avait mis fin à l’opposition aux colonies israéliennes en Cisjordanie. Depuis le 7 octobre 2023, il a soutenu avec vigueur l’offensive israélienne à Gaza. Comme l’administration Biden, il a appelé Israël à mettre fin aux guerres à Gaza et au Liban, sans pour autant menacer d’arrêter ses livraisons d’armes à l’État hébreu. Si son soutien au premier ministre israélien ne fait aucun doute, il lui est arrivé de se montrer critique à son égard et son envoyé personnel pour le Proche-Orient a manifestement joué un rôle important de persuasion à Tel Aviv en faveur de la conclusion d’un cessez le feu à Gaza avant l’investiture du 20 janvier 2025 ; – Mettre fin à la guerre en Ukraine « en 24 heures », à tout le moins rapidement en 2025. Donald Trump n’a cessé de vanter ses bonnes relations avec Vladimir Poutine, répétant durant sa campagne qu’il trouverait un accord avec le président russe et parviendrait à mettre un terme à la guerre en Ukraine « en vingt-quatre heures », sans donner plus de détails. Le programme de 16 pages publié par Donald Trump durant sa campagne ne fait pas mention de la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine depuis trois ans mais évoque seulement la volonté de « restaurer la paix en Europe », sans plus de précisions, et intime aux alliés des États-Unis et aux membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord de prendre leur part pour la défense de cette alliance. Le 12 février 2025, à l’occasion d’un appel téléphonique à Vladimir Poutine, Donald Trump a confirmé sa volonté de négocier en faveur d’une paix rapide. – Lutter contre les cartels et l’arrivée de la drogue par le Mexique. Pour éviter l’entrée de drogues aux États-Unis, Donald Trump compte finir la construction du mur à la frontière avec le Mexique. Il veut aussi lutter contre les cartels « avec l’aide de l’armée ». |
2. Économie et innovation – Adopter une politique protectionniste. Le président américain veut renforcer les droits de douane imposés aux autres pays, en particulier à la Chine ; pratique qu’il avait mise en place lors de son premier mandat et que Joe Biden a maintenue. Il a décidé de taxer de 10 % au moins toutes les importations (25 % celles venant du Mexique et du Canada) tandis que celles de Chine feraient l’objet d’une taxe de 60 %. Donald Trump souhaiterait ainsi que les droits de douane remplacent l’impôt sur le revenu, même si les ordres de grandeur sont aujourd’hui très différents entre les deux. – Favoriser les entreprises et éviter les délocalisations. Cet objectif passera par une nouvelle baisse de l’impôt sur les sociétés à 15 % et la pérennisation des réductions d’impôts dont les entreprises bénéficieront jusqu’en 2028, afin de relocaliser les industries « critiques » pour la « sécurité nationale » et la « stabilité économique ». Les entreprises souhaitant travailler avec le gouvernement fédéral devront s’engager à ne pas délocaliser leurs emplois. – Déréguler les crypto-monnaies et miser sur l’intelligence artificielle. Le 47e président des États-Unis veut s’assurer que chaque Américain puisse acheter des crypto-monnaies sans aucune régulation fédérale. Longtemps critique contre ces actifs, il est lui-même devenu un acteur du secteur depuis qu’il lancé sa collection de non-fungible tokens (un certificat de propriété numérique adossé à la blockchain). Il s’est par ailleurs engagé à revenir sur le décret pris par Joe Biden pour encadrer l’intelligence artificielle et a annoncé, dès le lendemain de son investiture, un vaste programme de 500 milliards de dollars d’investissements sur quatre ans dans les infrastructures pour le développement de l’intelligence artificielle, dénommé Stargate. 3. Immigration – Mener « la plus grande opération d’expulsions de l’histoire des États-Unis ». Donald Trump s’est engagé à mener « la plus grande opération d’expulsions de l’histoire des États‑Unis » : « Peut-être jusqu’à 20 millions » de personnes, a-t-il affirmé, semblant ne pas faire la distinction entre les étrangers résidant légalement dans le pays et les migrants en situation irrégulière. – Renforcer les contrôles aux frontières. Le président américain a promis de « sécuriser la frontière » en allouant plus de moyens à l’Immigration and Customs Enforcement, l’agence de police de contrôle de frontières. – Rétablir le « Muslim Ban ». Le 47e président souhaite rétablir le « Muslim Ban », un décret qu’il avait pris lors de son premier mandat, en janvier 2017 et qui interdisait aux ressortissants de certains pays à majorité musulmane d’obtenir un visa pour les États-Unis. Ce décret avait été révoqué par Joe Biden lors de son arrivée à la Maison Blanche. 4. Environnement – Retirer à nouveau les États-Unis de l’accord de Paris. Alors que les États-Unis sont le deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, Donald Trump veut annuler toutes les directives contraignantes qui visent à réduire ces émissions. Il a ainsi annoncé retirer à nouveau son pays de l’accord de Paris, comme il l’avait fait en 2017 : un décret en ce sens a été pris dès son investiture, de sorte que le retrait des États-Unis sera effectif en janvier 2026. – Lever les restrictions sur la production de pétrole, de charbon et de gaz. Le 47e président des États-Unis compte investir dans le secteur de l’énergie, quelle que soit l’origine de celle-ci, et lever les restrictions sur la production de pétrole, de charbon et de gaz. Il souhaite augmenter les permis de forage sur les terres et dans les eaux fédérales, notamment dans une vaste réserve naturelle de l’Alaska qui avait été protégée par son prédécesseur. Source : Le Monde, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/11/07/quel-est-le-programme-de-donald-trump-nouveau-president-des-etats-unis_6381958_4355770.html, 7 novembre 2024. |
Contrairement à beaucoup d’idées reçues, Donald Trump ne s’illustre pas par une inconstance chronique, ni par une absence de vision. Si certaines saillies du président élu à l’égard du Canada, pouvant à ses yeux devenir le 51e État fédéré, et du canal de Panama, appelé à revenir dans le giron américain selon lui, ont détonné avant son investiture, l’intérêt qu’il a ouvertement manifesté pour le Groenland, susceptible selon ses propres termes d’être acquis ou annexé par l’État fédéral en raison de son importance stratégique – mais aussi de ses ressources naturelles essentielles aux technologies futures –, au mépris du respect du statut de ce territoire autonome du Royaume du Danemark, faisait écho à certains propos déjà tenus en 2019.
À bien des égards, un fil rouge est commun à l’ensemble des prises de position du président Trump. Il se résume en une volonté de garantir et pérenniser l’avance américaine sur tous les autres pays de la planète dans tous les secteurs de la puissance : puissance économique et commerciale (au besoin par le chantage des droits tarifaires et par une politique de l’offre débridée), puissance géopolitique (par une politique de containment de la Chine et une relance du processus des accords d’Abraham), puissance militaire et stratégique (par un renforcement de la base industrielle et technologique de défense via des débouchés supplémentaires en Europe pour les mastodontes américains de l’armement et l’annonce d’un vaste système anti-missiles – surnommé le golden dome par analogie avec l’iron dome israélien – protégeant l’Amérique du Nord), puissance technologique enfin (à travers une relance de l’innovation dans les secteurs de l’intelligence artificielle, notamment grâce au projet Stargate, mais aussi dans le domaine des crypto‑monnaies). Même la recherche d’une paix rapide en Ukraine et au Proche‑Orient répond à une certaine forme de rationalité : Donald Trump considère que la guerre nuit au climat des affaires et il souhaite mettre un terme aux dépenses américaines consacrées à des conflits extérieurs.
Le New York Post a surnommé la politique suivie par le nouveau titulaire du bureau ovale de « Doctrine Donroe » ([10]) – contraction de Donald et Monroe, du nom de ce président qui, en 1823, énonça les principes de la politique étrangère américaine excluant les Européens de l’expansion de leur rôle dans les Amériques. Ce mélange entre refus de voir quiconque s’immiscer dans les priorités de Washington et la promotion des intérêts du pays par des pressions sur les interlocuteurs étrangers, y compris lorsqu’ils sont des partenaires et alliés, constitue assurément un changement de taille pour ceux qui étaient habitués à voir dans les États-Unis la meilleure assurance-vie possible.
Il va pourtant falloir s’habituer à cette évolution car elle entre visiblement en résonance avec les attentes du peuple américain, et donc des représentants qu’il a choisis pour présider à sa destinée dans les années à venir.
2. Une logique transactionnelle appliquée aux relations internationales dans le but de servir l’intérêt national avant tout
Magnat de l’immobilier avant d’embrasser sur le tard une carrière politique, le président Trump s’est singularisé depuis son premier mandat par la manière qu’il a de poursuivre les objectifs qu’il s’est fixés. En l’espèce, la forme prise pour la mise en œuvre de sa politique s’inspire du milieu des affaires, en ce que la négociation d’accords – parfois de compromis –, tels des deals de businessman, est au cœur de son action depuis 2016.
En résulte une vision des relations entre États basée sur la transaction. Cette politique a pour déterminant principal une vision à somme nulle des relations étatiques, c’est-à-dire avec forcément un gagnant et un perdant, et peut être divisée en quatre caractéristiques majeures :
– elle rejette les politiques étrangères basées sur les valeurs, c’est-à-dire que contrairement à la stratégie de l’administration Biden voulant renouer avec l’importance des valeurs en politique étrangère – ce qui lui avait valu de nombreuses critiques – le « transactionnalisme trumpien » s’articule quant à lui autour de la convergence des intérêts ;
– elle prend ses distances avec le multilatéralisme et un ordre international basé sur des règles de droit, c’est-à-dire qu’elle ne se préoccupe pas de la dégradation du multilatéralisme au profit d’un bilatéralisme ou d’un micro-latéralisme, dans une logique transactionnelle entre deux acteurs ;
– elle se base sur une vision plutôt – mais pas uniquement – court-termiste, consistant à privilégier les résultats rapides sur une stratégie de long terme ;
– enfin, elle est intimement liée à la politique interne, afin de valoriser le bilan de l’administration et conforter son assise au Congrès.
Cette philosophie transactionnelle repose en outre sur le postulat que les autres parties, ayant plus à perdre qu’à gagner en opposant une forme de résistance, n’ont d’autre choix que de céder, ne serait-ce que partiellement, aux demandes formulées par les autorités des États-Unis. L’exemple du bras de fer entre Washington et Bogotá au sujet de l’expulsion par l’administration américaine de quelque 200 migrants colombiens en situation irrégulière via deux appareils de l’US Air Force, en janvier dernier, en est une illustration : après s’être initialement opposé à accepter l’atterrissage de ces appareils le 26 janvier, le président Petro a finalement dû s’y résigner deux jours plus tard sous la menace de droits de douane sur les biens colombiens.
Naturellement, plus la relation avec les États-Unis est déséquilibrée, plus les pressions exercées par l’administration américaine sont susceptibles de s’avérer efficaces. Pour autant, le président Trump applique ce précepte à tous ses interlocuteurs, partant de l’idée que même si la négociation s’avère compliquée, il en ressortira forcément un gain à mettre à son crédit pour son pays.
Cette approche, qui se différencie de la logique coopérative du multilatéralisme, peut produire des résultats à bref délai. Elle se révèle néanmoins limitée à plus long terme, en ce qu’elle risque de coaliser un grand nombre de pays contre ce qui s’apparente à une forme de néo-impérialisme américain s’imposant non par la force des armes mais par la force tout de même.
Mme Nathalie Oziol estime que, s’il existe des différences considérables entre le projet diplomatique et géopolitique de Donald Trump et celui porté par la précédente administration et qu’elles entraîneront indéniablement un bouleversement géopolitique mondial, elles ne sont, au fond, qu’un changement de méthode. L’impérialisme états-unien a toujours visé à réduire d’autres États sous sa dépendance politique ou économique. Le président Donald Trump poursuit ce même objectif mais en faisant éclater le vernis diplomatique dont les gouvernements démocrates se parent plus souvent.
B. Les principaux traits de la politique extÉrieure de la nouvelle administration amÉricaine
Trois écoles de pensée en matière de politique étrangère structurent l’entourage du président Trump :
– la première, celle du primat américain autour des primacists, est l’héritière des néoconservateurs traditionnels et considère que l’Amérique reste la première puissance mondiale qui doit peser dans toutes les affaires internationales. Cette vision, dont le secrétaire d’État Marco Rubio et le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz sont les tenants, est partagée par certains élus Républicains qui soutiennent l’Ukraine et l’idée de conserver les alliances militaires traditionnelles mais, de fait, ce camp n’a pas les faveurs du 47e président des États-Unis ;
– la deuxième, autour des prioritizers, prône la hiérarchisation des objectifs stratégiques, notamment pour concentrer l’effort sur l’Asie et la Chine. À l’instar du secrétaire à la défense, Pete Hegseth, et de son conseiller au Pentagone, Elbridge Colby, ses tenants doutent de la capacité des États-Unis à mener deux guerres simultanées et souhaitent que les Européens reprennent à leur compte leur propre sécurité ;
– la dernière fédère autour des restrainers les partisans d’un retrait des États-Unis des théâtres de crises internationaux. Selon eux, les administrations précédentes ont commis l’erreur de promouvoir la mondialisation économique tout en s’enlisant dans des guerres sans fin en Afghanistan et en Irak, des conflits qui ont coûté cher en vies humaines et en ressources financières. Cette vision inspire fortement le vice-président James David Vance, ainsi que la directrice du renseignement national, Tulsi Gabbard, et elle trouve de nombreux adeptes au Congrès et parmi les nouveaux membres de l’administration.
Lors de sa prise de fonction en tant que secrétaire d’État, Marco Rubio a essayé de clarifier la ligne retenue autour de principes directeurs simples : toute action menée par les États-Unis devra rendre le pays « plus sûr », « plus fort » ou « plus prospère » ([11]). Il a ainsi explicité ce que signifie le leitmotiv America first en matière de politique étrangère, lequel ne veut nullement dire America first in the world. En pratique, à en juger par ses premières décisions, l’administration Trump agit en priorisant les intérêts économiques et énergétiques des États-Unis, dans une perspective globale de rivalité avec la Chine. Mais cette politique extérieure poursuit également des objectifs de politique intérieure, notamment pour ce qui concerne la maîtrise des flux migratoires.
Lors de ses entretiens, la délégation s’est même fait confirmer par des représentants de l’administration que la mobilisation des forces armées dans la lutte contre les mouvements migratoires clandestins aux frontières est la première des priorités de sécurité, avant même la dissuasion à l’égard des visées de la Chine en Indopacifique, tandis que tous les autres dossiers et sujets de défense, parmi lesquels la défense de l’Europe, sont considérés comme « secondaires ». On ne saurait être plus clair.
1. L’obsession de la puissance économique et énergétique
a. Une politique protectionniste pour la préservation des intérêts économiques stratégiques
Sous la présidence de Donald Trump, la politique commerciale est vue comme un moyen d’assurer la sûreté nationale ([12]). C’est à cette aune, d’ailleurs, que le Département au commerce et le Département à la défense ont été chargés d’établir un examen « économique et sécuritaire » des secteurs industriels et manufacturiers, en vue d’ajuster la politique commerciale en conséquence ([13]). Réciproquement, le Département au commerce et le Département d’État ont été mandatés pour examiner les exportations à la lumière du développement des rivaux stratégiques ([14]), c’est‑à‑dire les grands marchés émergents tels que la Chine et l’Inde.
L’importance stratégique du commerce se vérifie par le véhicule juridique utilisé pour la fixation des droits douane, décidée à travers la section 232 du Trade Expansion Act qui autorise le président des États-Unis à modifier le régime imposé aux importations pour des raisons de sûreté nationale ([15]).
En principe, la politique commerciale de l’administration Trump vise à promouvoir l’investissement et la productivité tout en renforçant les avantages industriels et technologiques. En pratique, elle se traduit par la fixation de droits de douane dans l’objectif de réduire le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de leurs partenaires.
Le risque de taxation cible particulièrement le Mexique, le Canada, la Chine et l’Union européenne. L’administration Trump a annoncé corrélativement la création d’un service de revenus extérieurs, calqué sur le modèle du service de revenus intérieurs, pour collecter les droits de douane et les autres recettes liées au commerce ([16]).
Plus globalement, le principe directeur de cette politique commerciale s’incarne dans l’injonction faite aux partenaires de créer des emplois manufacturiers sur le territoire américain, les droits de douane servant alors de menace pour mettre à exécution cette injonction ([17]). Confirmant la priorisation des secteurs industriels, Donald Trump a annoncé la mise en place d’une taxe de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium ([18]).
Les importations américaines d’acier |
Les importations américaines d’aluminium en 2024 (en millions de tonnes) |
Source : International Trade administration, via Les Échos |
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L’objectif de ces taxes est d’assurer une indépendance de l’industrie américaine qui repose à 26 % sur les importations d’acier et à 44 % sur les importations d’aluminium ([19]). Elles affecteront principalement le Canada, principal exportateur d’acier et d’aluminium vers les États-Unis, ainsi que le Brésil et l’Union européenne.
Mme Nathalie Oziol souhaite rappeler que suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la France a quant à elle fait le choix de cesser d’importer le gaz depuis la Russie et de le faire venir des États-Unis. La France insoumise avait alors alerté sur le risque de passer d’une dépendance russe à une dépendance états-unienne, d’autant plus que le gaz américain est du gaz de schiste, dont l’exploitation est interdite en France pour des raisons écologiques. Par ailleurs, ce choix s’est suivi d’une hausse du prix de l’énergie en France, qui a pesé sur les ménages et sur les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME). À la lumière de ces constats, la question de la souveraineté énergétique en France et en Europe est plus que jamais essentielle.
b. La recherche de souveraineté énergétique, au besoin par une quasi‑prédation de ressources essentielles
La politique extérieure de l’administration Trump vise aussi clairement à contribuer à la souveraineté énergétique des États-Unis. Incarnées par le slogan « Drill baby drill », les orientations stratégiques dans le domaine énergétique ont pour objectif de garantir un accès facile et abondant à une énergie bon marché, considérée comme le présupposé de l’amélioration du pouvoir d’achat des Américains. En ce sens, Donald Trump a nommé Chris Wright, dirigeant d’une société pétrolière et ardent opposant à la lutte contre le changement climatique, au poste de secrétaire à l’énergie ([20]).
Le 22 janvier 2025, le secrétaire d’État Marco Rubio soulignait que « Le Département d’État utilisera la diplomatie pour aider le président Trump à tenir sa promesse d’un retour à la domination énergétique américaine ». En termes de politique étrangère, cette volonté s’incarne à travers une posture expansionniste qui vise les terres rares et les hydrocarbures.
Dans cette perspective, Donald Trump a conditionné tout soutien, même partiel, à l’Ukraine à la signature d’un accord impliquant, entre autres, la création d’un fonds à la reconstruction abondé par la monétisation des ressources minérales, comprenant le pétrole, le gaz ainsi que les terres rares essentielles à la production d’appareils électroniques et de voitures électriques ([21]).
Les visées affichées à l’égard du Canada s’expliquent également par la recherche d’une abondance énergétique. En outre, le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de leur voisin du Nord, qui a atteint 45 milliards de dollars en 2024 ([22]), repose principalement sur les importations d’énergie : elles représentaient 134 milliards de dollars en 2023, 60 % des importations de pétrole brut provenant du seul Canada.
Du reste, une même motivation transparaît du projet d’acquisition du Groenland, qui assurerait aux États-Unis une prise de contrôle sur la région arctique, ses métaux rares et ses hydrocarbures.
L’importance stratégique de la région Arctique La fonte des glaces consolide l’importance stratégique de l’Arctique. L’exploitation des ressources naturelles ainsi que l’investissement de nouvelles routes maritimes pouvant relier l’Amérique et l’Eurasie constituent d’énormes opportunités qui intéressent les États souhaitant y renforcer leur présence. En outre, en 2018, on estimait que 10 % des réserves de pétrole et 29 % des réserves de gaz à découvrir se trouvaient en Arctique. Or, on estime également que 95 % des ressources naturelles contenues sur le continent se trouvent dans les zones économiques exclusives (ZEE) déjà définies. Plus que l’exploration des zones non réparties, c’est l’agrandissement des ZEE qui permettrait une prise de contrôle efficace. Des accords avec le Danemark et le Canada iraient donc en ce sens. Enfin, l’Arctique participe au contexte de compétition militaire entre les États-Unis et leurs rivaux. La Russie en contrôle 53 % des côtes et dispose d’une base militaire au Groenland, au même titre que les États‑Unis. Quant à la Chine, elle se présente comme un « État proche arctique », concept qu’elle a elle-même forgé, pour justifier ses propres prétentions sur la région. |
Limites des Zones Économiques Exclusives (ZEE) dans l’Arctique, en juin 2019
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Sources : Frédéric Lasserre. « La course à l’appropriation des plateaux continentaux arctiques, un mythe à déconstruire », Géoconfluences, septembre 2019 ; Friesen Garth : « Why Trump Wants Greenland And Canada: Strategic And Economic Goals », Forbes, 26 janvier 2025. |
2. Une politique étrangère au service de la régulation migratoire
Parmi les principales promesses de campagne de Donald Trump, la lutte contre l’immigration illégale occupe une place centrale. Après avoir promis de « sécuriser la frontière » avec le Mexique et d’organiser « la plus grande opération d’expulsions de l’histoire des États-Unis », le président américain a pris ses premières mesures concernant l’immigration le jour même de son investiture, en signant un décret visant à restreindre le droit du sol, celui-ci étant redéfini de manière à exclure les enfants nés aux États-Unis de parents en situation irrégulière. Ce décret fait déjà l’objet de contestations judiciaires car il porte explicitement atteinte à la compréhension actuelle du 14e amendement de la Constitution.
Dans la continuité de cette politique migratoire stricte, Donald Trump a également proclamé une « urgence nationale » à la frontière Sud, justifiant ainsi le déploiement renforcé de personnels et de ressources militaires pour sécuriser la frontière avec le Mexique. Il a également ordonné de fermer l’entrée des États-Unis à tous les migrants via cette frontière, y compris aux demandeurs d’asile, en rétablissant les protocoles de protection des migrants. Mis en place en 2019 puis suspendus sous l’administration Biden, ces protocoles imposent aux demandeurs d’asile de patienter au Mexique, parfois pendant des mois, avant d’être reçus par les autorités américaines de l’immigration. Le refoulement généralisé des demandeurs d’asile soulève de vives critiques, notamment en raison de son incompatibilité avec la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés.
Enfin, Donald Trump a ordonné l’extension du centre d’opérations pour migrants à Guantánamo Bay pour accueillir ce que l’administration a qualifié de « criminels étrangers à haute priorité ». Le centre doit ainsi être en mesure d’héberger jusqu’à 30 000 migrants. Le président a aussi promulgué le Laken Riley Act, une loi renforçant les prérogatives de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) en lui permettant de placer en détention les étrangers en situation irrégulière accusés, arrêtés ou condamnés pour vols et crimes violents.
Conséquence de ce haut degré d’attention politique accordé à cet enjeu, le Département d’État a élevé au rang de principale priorité la régulation des flux migratoires, considérée comme une condition essentielle à la sécurisation des frontières ([23]). Ainsi, la politique étrangère américaine s’engage davantage désormais dans l’« hémisphère Ouest », partie du globe qui, dans la compréhension américaine, désigne les États d’Amérique du Nord et d’Amérique latine ([24]). Dans cet esprit, le premier voyage du secrétaire d’État s’est déroulé au Costa Rica, au Salvador, au Guatemala, à Panama et dans la République dominicaine. L’objectif y est de collaborer avec les États dont une importante partie des migrants est originaire, afin de limiter leur entrée sur le territoire américain tout en facilitant leur rapatriement. La pression exercée sur les pays limitrophes vise également à limiter les flux d’entrée de drogues, en particulier le Fentanyl responsable de plus de 74 000 décès aux États-Unis en 2023 ([25]).
3. La sanctuarisation du territoire national à travers un projet de défense anti-missiles ambitieux
En termes de défense aussi, les priorités de l’administration fédérale ont évolué avec le retour de Donald Trump dans le bureau ovale. En l’espèce, la protection du territoire national passe désormais avant toute autre considération.
Le 27 janvier 2025, le président américain a ordonné au Pentagone de développer une architecture de référence, des exigences basées sur les capacités et un plan de mise en œuvre pour un bouclier de défense antimissiles de nouvelle génération qui, inspiré par le dôme de fer (iron dome) israélien, a été présenté sous le nom de dôme doré (golden dome).
Le document-cadre de référence en matière de défense – la National security strategy – doit prochainement être actualisé avec l’intégration de ce projet anti‑missiles multicouches très ambitieux (car protégeant plus de 9 millions de kilomètres carrés, une superficie 413 fois plus grande que celle couverte par le dôme de fer israélien), visant à éviter toute frappe de missiles hypersoniques, intercontinentaux, balistiques ou de croisière ultraperformants.
Pour l’heure, la phase des études liminaires se poursuit. L’architecture du nouveau système de défense devrait toutefois s’appuyer sur deux piliers :
– tout d’abord, les projets déjà en cours de développement au sein du Pentagone pour surveiller, contrer et répondre aux attaques de missiles balistiques tactiques et intercontinentaux. Il s’agit en l’occurrence de programmes de capteurs spatiaux pour suivre les tirs, d’intercepteurs spatiaux pour attaquer les missiles dans leur phase de lancement et de systèmes lancés depuis le sol pour frapper les vecteurs dans leur phase finale de vol ;
– ensuite, de nouveaux projets qui élargissent les capacités des missiles intercepteurs avec différents systèmes d’armes positionnés en orbite ou au sol, par exemple, avec des systèmes à énergie dirigée par micro-ondes à haute puissance et des lasers à haute énergie.
De l’avis général, un projet de systèmes d’armes d’une telle complexité technologique et d’un tel niveau de besoins de financements budgétaires demandera de nombreuses années d’études et de mise au point. À cet égard, même s’il se trouve confirmé dans le temps, son aboutissement ne devrait pas intervenir avant le milieu ou la fin des années 2030.
En tout état de cause, le golden dome devrait avoir un impact considérable sur les futures alliances et sur la diplomatie américaine relative à la sécurité car son déploiement soulèvera de multiples questions stratégiques, diplomatiques et politiques. Au Groenland, par exemple, l’insistance du président américain peut s’expliquer par sa conviction que le déploiement du dôme doré implique l’installation de radars spécifiques en Arctique et que la maîtrise de ce territoire est à cet égard essentielle et décisive. De même, la nouvelle administration ne se cache pas de souhaiter se désengager de l’Europe pour réaffecter les fonds économisés au développement de ce projet considéré comme plus essentiel.
4. La confirmation du pivot asiatique : les enjeux de rivalité avec la Chine
S’il est une constante de la politique extérieure américaine ces dernières années, c’est bien la bascule, depuis l’administration Obama, de la préoccupation majeure vers la Chine. Le secrétaire d’État Marco Rubio n’a pas dit autre chose, le 22 janvier dernier, lorsqu’il a déclaré que « [La Chine est l’]adversaire le plus puissant, le plus dangereux et le plus proche de ses pairs auquel notre nation ait jamais été confrontée » ([26]). En 2017, Donald Trump avait promu une stratégie pour un Indopacifique libre et ouvert, afin de limiter l’ascension du compétiteur stratégique chinois ([27]). Au début du second mandat du président américain, la publication de la stratégie America First Investment Policy ([28]), ciblant directement la Chine, ainsi que l’imposition droits de douane additionnels sur les importations chinoises ([29]) ont intensifié tous les domaines de la compétition.
a. Une compétition essentiellement économique et technologique, pour l’heure
La République populaire de Chine est le seul compétiteur stratégique de taille à se mesurer, aujourd’hui, aux États-Unis. La rivalité, si elle s’exacerbe de plus en plus aux niveaux diplomatiques et militaires, se mesure essentiellement sous un angle économico-technologique.
i. Le conflit économique sino-américain : entre découplage et mesures protectionnistes
La rivalité économique sino-américaine s’est intensifiée à travers une escalade tarifaire et un début de découplage entre les deux puissances. Depuis le début de l’année, Washington a durci sa position avec une majoration des droits de douane, des restrictions sur les investissements croisés et les transferts de technologies sensibles, ainsi que des incitations à relocaliser les chaînes d’approvisionnement hors de Chine. Cette stratégie vise à réduire la dépendance américaine vis-à-vis de Pékin et à protéger des secteurs jugés stratégiques (secteurs pharmaceutique, électronique, minerais critiques). La plateforme programmatique Républicaine prône la révocation du statut de Normal Trade Relations pour la Chine et l’instauration d’un droit de douane minimal de 35 % sur toutes les importations en provenance de la République populaire ([30]).
En février 2025, la politique America First Investment a également restreint les investissements chinois aux États-Unis. De nouvelles règles limitent en effet les flux de capitaux américains vers les secteurs technologiques chinois liés à l’industrie de la défense et interdisent aux fonds de pension américains d’investir dans des entreprises chinoises spécialisées dans l’intelligence artificielle ou les semi-conducteurs. Des restrictions ont également été imposées sur l’acquisition de terres agricoles et de biens immobiliers par des ressortissants chinois.
Cette volonté de contrer l’influence de la République populaire se traduit aussi par une pression exercée sur certains partenaires et États tiers, comme dans le cas du canal de Panama. Le 5 mars 2025, le fonds de gestion d’actifs BlackRock a pris le contrôle de deux installations portuaires situées sur cet axe de communication majeur reliant le Pacifique à l’Atlantique ([31]).
ii. Une rivalité qui s’exprime de plus en plus dans le champ technologique
La dimension technologique constitue l’un des axes centraux de la rivalité sino-américaine. Au cœur de cette compétition figurent les semi-conducteurs, éléments clés de l’économie et de la supériorité militaire modernes. Les États-Unis ont multiplié les mesures visant à limiter la progression technologique de la Chine ([32]), notamment par un renforcement de la protection de la propriété intellectuelle, un filtrage accru des investissements chinois dans les secteurs sensibles et des poursuites pour espionnage industriel, dans le cadre de la China Initiative ([33]), relancée en 2018. Cette politique d’endiguement technologique repose en partie sur l’augmentation du déficit commercial américain avec la Chine dans le secteur des appareils électroniques, qui est passé de 232 milliards de dollars en 2017 à 275 milliards de dollars en 2023 ([34]).
En réponse, la Chine a limité l’exportation de minerais stratégiques essentiels aux industries de haute technologie, tels que le gallium et le germanium. Pékin investit massivement pour réduire sa dépendance dans ce domaine : le plan Made in China 2025 ([35]) et d’autres initiatives soutiennent le développement de filières nationales en semi-conducteurs, intelligence artificielle et technologies émergentes.
La compétition technologique sino-américaine s’inscrit également dans le contexte du développement de l’intelligence artificielle, accéléré par l’avènement de l’agent conversationnel chinois DeepSeek – capable de rivaliser avec les programmes américains tels qu’Open AI – et du projet Stargate, initiative visant à développer aux États-Unis les infrastructures « physiques et virtuelles » dédiées aux prochaines générations d’IA ([36]).
b. Une rivalité géopolitique, stratégique et militaire structurelle
i. Un défi réciproque en Indopacifique : entre dissuasion et expansion
La nomination d’Elbridge Colby au poste de sous-secrétaire à la politique de défense témoigne de la priorité accordée par la nouvelle administration américaine à la Chine sur le plan militaire. Cette orientation se reflète dans le budget de la défense 2025, qui met l’accent sur la limitation de l’influence chinoise dans un contexte de compétition entre grandes puissances. Le Congrès a également intégré plusieurs dispositions spécifiques à la Chine dans la législation sur la défense et le renseignement, renforçant les restrictions sur les technologies chinoises et limitant les partenariats militaires avec les États coopérant étroitement avec Pékin. Face à cette évolution, Pékin a adopté une posture militaire plus affirmée : le budget chinois de la défense a continué d’augmenter à un rythme annuel de 7 %, atteignant 1,78 trillion de yuans (environ 246 milliards de dollars) en 2025.
La rivalité militaire se concentre principalement en Asie orientale, où Taïwan et la mer de Chine méridionale constituent des points de friction majeurs. Les États-Unis sous les administrations Trump, tout en maintenant officiellement une politique d’ambiguïté stratégique sur Taïwan, ont intensifié leurs livraisons d’armes et leurs patrouilles navales dans le détroit, réaffirmant leur attachement au statu quo. En réponse, Pékin a renforcé sa présence militaire dans la région, multipliant les manœuvres d’envergure et les incursions aériennes, qui ont atteint des niveaux record début 2025.
En mer de Chine méridionale, la République populaire poursuit la militarisation des îlots et le renforcement de ses patrouilles afin d’affirmer ses revendications territoriales. Fin 2024, plusieurs incidents ont opposé les garde-côtes chinois et philippins près de récifs disputés, incitant Manille à resserrer son alliance avec Washington. De son côté, la marine américaine poursuit ses patrouilles régulières pour contester les revendications de Pékin, menant des opérations de liberté de navigation, tandis que la République populaire étend le rayon d’action de sa marine, notamment par des patrouilles conjointes avec la Russie jusqu’aux abords du Pacifique.
ii. Le développement de relations bilatérales américaines destinées à contenir la République populaire
Dans un tel contexte, Les États-Unis de Donald Trump se sont engagés dans un renforcement de leurs alliances en Asie.
Ainsi, le dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD), groupe de coopération militaire et diplomatique informelle entre les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, a été revitalisé afin de promouvoir une région indopacifique libre et ouverte et pour prévenir toute remise en cause du statu quo par la force ([37]). De même, le 17 mars, il a été annoncé que les États-Unis commençaient à établir une présence sous-marine sur les côtes stratégiques australiennes dans le cadre de l’alliance tripartite entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni (AUKUS) ([38]).
L’administration américaine a privilégié les alliances bilatérales : le Japon et la Corée du Sud ont décidé d’augmenter significativement leurs dépenses de défense en coordination avec Washington, tandis que les Philippines ont réaffirmé leur alignement sur les États-Unis en leur offrant un accès stratégique à leurs bases sur leur territoire national dans le cadre de l’accord de coopération renforcée en matière de défense (EDCA). De la même manière, la consolidation des relations avec l’Inde vise à restreindre l’émergence d’une hégémonie chinoise sur le continent asiatique et s’inscrit dans la continuité du premier mandat de Donald Trump, au cours duquel trois accords de défense avaient été signés. En février dernier, la visite bilatérale du premier ministre indien Narendra Modi – qualifié de « grand ami » par le président Trump – a confirmé l’intensification des rapports économiques et stratégiques. L’Inde augmentera ses importations de matériels militaires, de pétrole et de gaz, réduisant ainsi son surplus commercial vis-à-vis des États-Unis. Les deux États se fixent un objectif de 500 milliards de dollars d’échanges pour 2030, notamment à travers des ventes d’armes (avions militaires F-35, entre autres).
De son côté, la Chine poursuit son expansion diplomatique et économique à l’échelle mondiale. Son initiative des Nouvelles routes de la soie (Belt & Road Initiative) regroupe désormais plus de 150 pays partenaires. La diplomatie chinoise met en avant un discours de non-ingérence et de développement mutuel (Global Development Initiative – GDI, Global Security Initiative – GSI), se positionnant comme un partenaire du « Sud global » face aux modèles occidentaux. Le rapprochement avec la Russie, accéléré par la guerre en Ukraine et l’établissement d’une « amitié sans limite » entre les deux États, participe également de la volonté de la République populaire de créer un contrepoids à la domination américaine.
C. Des implications majeures d’ores et dÉjà trÈs perceptibles
Après quelques semaines au pouvoir, la méthode de Donald Trump pour son second mandat peut se résumer à l’expression « choc et stupeur », du nom des opérations menées en Irak en 2003.
En effet, il n’a pas fallu attendre plus d’un mois avant que le retour aux affaires du président Trump conduise, tous azimuts, à de premières prises de positions ou décisions potentiellement impactantes pour l’ensemble de la communauté internationale. La plupart se sont inscrites dans le droit fil d’annonces de campagne, illustrant en cela que le président américain se conforme souvent aux idées qu’il promeut ; certaines, néanmoins, ont pu surprendre sans pour autant se révéler moins disruptives. Toutes présentent en tout état de cause des répercussions fortes pour les partenaires et alliés des États-Unis, au premier rang desquels la France et l’Europe.
1. Un changement de pied total et rapide sur des dossiers internationaux qui préoccupent l’Europe
Le 47e président américain avait fait sourire ses détracteurs lorsqu’il avait indiqué vouloir régler le problème ukrainien en 24 heures ou obtenir la libération des otages du Hamas avant son investiture. Le fait est, néanmoins, qu’il s’est impliqué rapidement sur ces dossiers en leur donnant une orientation assez radicale et plutôt déstabilisatrice pour ses partenaires traditionnels, notamment européens.
a. Un renversement total de position sur le conflit russo-ukrainien
L’un des deux dossiers de politique extérieure américaine aux répercussions les plus perceptibles pour le continent européen est celui de la guerre en Ukraine. Quelque peu rassurés par un semblant d’approche prudente lors des premiers jours du nouveau mandat présidentiel, les États européens – et l’Ukraine elle-même – ont dû se rendre à l’évidence dès le 12 février 2025, à l’issue de la révélation d’une conversation téléphonique directe entre les présidents américain et russe : cette année 2025 doit être, aux yeux des responsables américains, d’une manière ou d’une autre, celle de la fin des hostilités ouvertes, le cas échéant à des conditions que les dirigeants de la Fédération de Russie n’auraient sans doute pas osé espérer il y a deux ans à peine.
Concomitamment, le nouveau secrétaire à la défense, Pete Hegseth explicitait devant ses homologues du groupe de contact sur l’Ukraine la ligne de conduite de la nouvelle administration américaine en indiquant, d’une part, qu’« un retour aux frontières ukrainiennes d’avant 2014 est un objectif irréaliste » et, d’autre part, que « les États-Unis ne considèrent pas que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN soit une issue réaliste à un accord négocié » ([39]).
Le sentiment d’une accélération brutale et, en un sens, précipitée du cours des événements s’est alors emparé des partenaires européens des États-Unis, d’autant que, dès le 19 février, deux délégations américaine et russe de haut niveau, comprenant notamment les chefs de la diplomatie respectifs des deux pays, se rencontraient à Riyad, en Arabie saoudite. Ni les autorités de l’Ukraine ni des représentants d’États européens n’ont été conviés à cette rencontre, la première d’un tel format depuis le 24 février 2022, qui ne visait pas à proprement parler à évoquer directement le règlement du conflit russo-ukrainien mais à jeter les bases d’un dialogue bilatéral plus large, incluant de possibles coopérations futures et, selon les représentants russes, l’architecture de sécurité en Europe.
Dans le même temps, des informations de presse convergentes faisaient état de la soumission par le secrétaire américain au Trésor, M. Scott Bessent, au président Zelensky d’un avant-projet de contrat léonin donnant le contrôle à Washington et à des opérateurs américains de la moitié des ressources minières ukrainiennes – les sous-sols de l’Ukraine recèleraient vingt-deux des cinquante matériaux identifiés comme stratégiques par les États-Unis – en échange du soutien passé en termes d’armements et de financements, et ce sans garanties de sécurité futures en contrepartie. Même si l’accord a évolué par la suite, pareille attitude révèle que la logique suivie par la nouvelle administration est bien celle d’un retour sur investissement et d’un traitement du dossier ukrainien comme d’un actif économique, dont il serait possible de se servir sans autre forme de considération.
Pour Mme Nathalie Oziol, ce qui intéresse prioritairement le président Trump est de sécuriser une négociation portant sur les minéraux critiques et de concentrer ses efforts sur la confrontation avec la Chine. Pour y parvenir, il n’invite ni Emmanuel Macron, ni aucun dirigeant européen aux négociations : il traite directement avec Vladimir Poutine. Selon Mme Nathalie Oziol, non seulement Donald Trump ne dévie pas de ces objectifs mais il les poursuit avec une grande brutalité vis-à-vis de son homologue ukrainien : on se rappelle comment il avait accusé Volodymyr Zelensky d’être un dictateur. La dernière proposition en date d’accord sur les minéraux et terres rares adressée au président ukrainien fait même quasiment office d’« ultimatum » ([40]), Washington y exigeant notamment de contrôler toutes les exploitations futures des ressources minières et d’hydrocarbures ukrainiens (gaz et pétrole), ainsi que les infrastructures liées. L’Ukraine se verrait également obligée de rembourser chaque centime de l’aide militaire et humanitaire américaine reçue depuis l’invasion russe, en 2022. Par ailleurs, le texte ne présente pas de durée déterminée : il serait impossible pour l’Ukraine de le modifier ou d’y mettre un terme sans l’aval des États-Unis. Il n’y a aucun doute qu’un tel accord priverait l’Ukraine de toute souveraineté et la placerait dans les mains des États-Unis.
Dans un tel contexte, la France, par l’intermédiaire du président de la République, a joué un rôle d’entraînement significatif en Europe : d’abord en mobilisant les chefs d’État et de gouvernement de la plupart des pays du continent appelés à remplir certaines tâches ou missions dans l’après-guerre, dès les 17 et 19 février à Paris ; ensuite, par un déplacement d’Emmanuel Macron à Washington le 24 février pour se faire le porte-voix des préoccupations européennes à l’encontre de négociations qui ne régleraient pas durablement le conflit russo-ukrainien et exposeraient par répercussion l’ensemble de l’Europe à des hostilités futures. Sur ce point, néanmoins, Mme Nathalie Oziol ne partage pas l’analyse des deux autres membres de la délégation en ce qu’elle considère que les discussions bilatérales entre Emmanuel Macron et Donald Trump ont été un échec. En effet, à ses yeux, suite à leur entretien du 24 février, alors qu’Emmanuel Macron revendiquait avoir « clarifié » les choses avec son homologue dans le bureau ovale, le président américain n’a en réalité donné aucune garantie de sécurité que les États-Unis seraient prêts à envisager pour l’Ukraine. Ceux-ci faisaient même adopter, quelques jours plus tard, une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies demandant une paix rapide dans laquelle il n’était plus question de rappeler le droit international, ni de restituer à l’Ukraine les territoires annexés.
Le fait demeure, en tout cas, que le président Trump et son administration apparaissent décidés à trouver rapidement une issue à la guerre en cours entre la Fédération de Russie et l’Ukraine, comme l’a montré le déroulement de la rencontre dans le bureau ovale entre le président américain et le président ukrainien, le 28 février. Certains signaux laissent même craindre qu’une réhabilitation du président russe, pourtant inculpé par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, constitue l’un de ses projets.
Dès lors que la Russie s’appuie sur ce nouveau contexte pour poser à nouveau les exigences exprimées par Vladimir Poutine en décembre 2021 pour ne pas enclencher son opération spéciale, à savoir un retrait des troupes de l’Alliance atlantique des pays d’Europe de l’Est l’ayant rejoint depuis 1997, les bases du dialogue stratégique américano-russe qui s’engage peuvent légitimement inquiéter les États européens dans leur ensemble.
De leurs entretiens sur place, néanmoins, les membres de la délégation de la commission des affaires étrangères retirent le sentiment que, si elles entendent résolument agir en faveur d’un cessez-le-feu pouvant déboucher sur un accord de paix entre les belligérants, les autorités américaines n’ont pas pour autant pris fait et cause pour le président russe, que la plupart n’hésitent pas à critiquer. En effet, de leur propre aveu, il n’entre pas dans les intérêts de Washington de voir l’Ukraine vassalisée à la Russie.
b. Des propositions très singulières au sujet des Proche et Moyen-Orients
L’autre grand dossier de politique étrangère qui intéresse de près l’Europe dans son ensemble est celui de la stabilité régionale des Proche et Moyen-Orients.
Certaines lignes de conduite de la nouvelle administration américaine étaient déjà anticipées, notamment celle d’un soutien inconditionnel accru à l’État d’Israël. D’autres se sont révélées à certains égards bien plus surprenantes.
Le cas le plus préoccupant concerne sans conteste l’idée émise par le 47e président des États-Unis, à l’occasion de la réception à Washington du premier ministre Benyamin Nétanyahou, le 4 février, de déplacer la population palestinienne de la bande de Gaza vers des pays voisins et de placer ce territoire sous contrôle américain pour en faire la « Riviera du Moyen-Orient ». Sous couvert de préoccupations humanitaires, consistant à prétendre que les quelque 2,4 millions de Palestiniens concernés doivent se voir proposer des conditions de vie décentes, cette suggestion n’en avaliserait pas moins, si elle se concrétisait, une perspective de nettoyage ethnique contraire au droit international et non acceptée par les États arabes limitrophes, car source d’inquiétudes majeures pour l’avenir.
Seul le premier ministre de l’État d’Israël s’est montré ouvert à cette éventualité pour le moment. La plupart des États arabes (Égypte et Jordanie au premier chef, mais aussi l’Arabie saoudite) s’y sont déclarés opposés, tout à la fois en raison des risques de déstabilisation interne que de tels mouvements forcés de populations entraîneraient et parce qu’un tel projet porte en germe l’effacement de la perspective d’un État palestinien à l’avenir. D’ailleurs, la passivité de la nouvelle administration américaine à l’égard des annexions israéliennes en Cisjordanie s’avère en cela cohérente même si elle heurte de front, là-aussi, les positions constantes de la plupart des pays européens en faveur d’une solution du conflit israélo-palestinien à travers l’établissement de deux États côte à côte et ne représentant pas une menace l’un pour l’autre.
Mme Nathalie Oziol estime que les déclarations et prises de position du président Trump sur le Proche-Orient, et en particulier sur la guerre menée par l’État israélien contre Gaza, doit conduire la France à prendre des positions fortes et mener une action indépendante sur le sujet. Les échanges avec les autorités états-uniennes lors du déplacement ont confirmé ce constat. Selon elle, l’alignement de la diplomatie française sur celle des États-Unis d’Amérique a retardé l’action de la France pour la paix dans la région. La rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés en Palestine avait déjà alerté à de nombreuses reprises du risque de génocide des palestiniens de Gaza et de l’utilisation de la famine comme arme de guerre dans l’enclave. La rupture de l’accord de trêve et la reprise des bombardements israéliens aggravent encore davantage la situation. Mme Nathalie Oziol estime à cet égard que la France doit enfin reconnaître l’État de Palestine, cesser toute vente d’équipements militaires au gouvernement israélien, s’engager à respecter les mandats d’arrêts émis par la Cour pénale internationale et œuvrer pour la suspension de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne.
Le dossier iranien a lui aussi donné lieu à des prises de positions plus ou moins attendues du 47e président des États-Unis. Architecte sous son premier mandat de la politique de « pression maximale » contre la République islamique et décideur, d’une part, de la sortie les États-Unis de l’accord de Vienne visant à contrôler le programme nucléaire iranien en échange d’une levée des sanctions et, d’autre part, de l’assassinat, en Irak en 2020, du général iranien Ghassem Soleimani, chef de la force Al-Qods – les forces spéciales des gardiens de la révolution –, Donald Trump a signé le 23 janvier des décrets reconduisant les principes de sa politique passée. Néanmoins, dans le même temps, il a affirmé que cette stratégie « n’aura presque pas besoin d’être utilisée », lui préférant un accord qui « permettra à l’Iran de croître et de prospérer pacifiquement », sous réserve que la République islamique ne se dote pas de l’arme nucléaire.
Cette inflexion notable de l’approche du président américain est à mettre en regard avec l’annonce par le New York Times, qu’Elon Musk avait rencontré un haut responsable iranien après l’élection présidentielle du 5 novembre pour tenter de désamorcer les tensions. En tout état de cause, plusieurs officiels iraniens n’ont pas fermé la porte à des discussions avec les États-Unis, de sorte qu’une évolution de ce dossier dans un sens plus conforme aux espoirs de plusieurs pays européens pourrait se faire jour, même si Donald Trump ne cesse malgré tout de souffler le chaud et le froid sur ce dossier sensible qui ne fait pas l’unanimité dans son entourage.
c. Un dédain assez ouvertement affiché pour l’Europe, en général, et l’Union européenne, en particulier
Alors que les États-Unis, traditionnellement depuis les années 1960, ont toujours considéré l’Union européenne avec une certaine bienveillance qui n’était certes pas dénuée d’arrière-pensées, l’entrée en fonction de l’administration Trump a marqué un changement de ton – et parfois d’attitude – assez net à l’égard de Bruxelles et des capitales européennes. Outre que la présidente de la Commission européenne n’a pas eu l’honneur d’être reçue ou de s’entretenir directement avec le président américain depuis son élection, plusieurs figures du gouvernement fédéral se sont attachées depuis le mois de janvier 2025 à exprimer des critiques ouvertes à l’encontre des politiques communes menées depuis Bruxelles, particulièrement s’agissant des régulations de certains secteurs d’activité.
Le discours prononcé par le vice-président J. D. Vance lors de la conférence sur la sécurité de Munich, le 14 février 2025, a particulièrement marqué les esprits par la virulence des attaques contre les « dangers de l’intérieur », sur le continent européen, qui menaceraient les valeurs communes, à commencer par la liberté d’expression. En creux, se trouvait ciblée la régulation que la Commission européenne s’attache à mettre en œuvre s’agissant, notamment, des usages et des acteurs du numérique.
Plus récemment, la révélation par le rédacteur du journal The Atlantic de son inclusion à son insu dans une boucle de l’application Signal réunissant de hauts responsables du gouvernement fédéral lui ayant donné de facto accès à des échanges confidentiels, quelques jours à peine avant les frappes contre les Houthis en ce mois de mars, a mis en lumière certains propos privés peu amènes du vice-président et du secrétaire à la défense américains à l’égard de l’Union européenne, et de l’Europe en général. Le premier aurait en effet indiqué en avoir « juste marre de devoir encore renflouer l’Europe », tandis que le second aurait écrit : « VP, je partage ton mépris pour les Européens qui vivent à nos crochets. C’est PATHÉTIQUE. »
Certains commentateurs n’hésitent pas à considérer à cet égard qu’une partie de l’administration fédérale ambitionnerait de poursuivre un agenda hybride couplant l’expansion de l’idéologie MAGA sur le continent européen à la poursuite des intérêts économiques et industriels américains. C’est à cet aune qu’il faudrait lire la demande de dérégulation des normes communautaires, supposées freiner la croissance des acteurs américains mais aussi empêcher la prolifération d’un conservatisme autoritaire plus en phase avec l’idéologie en vogue à Washington.
Sans nécessairement aller jusque-là, ces prises de positions semblent vraisemblablement mues par un certain ressentiment à l’égard du véritable pôle de résistance économique et commerciale, voire libérale, que l’Europe, lorsqu’elle est soudée et unie, peut représenter. Il s’agit là d’une inflexion notable, pour ne pas dire d’une révolution mentale difficile à intégrer pour les Européens dans leur ensemble.
2. Une politique commerciale et tarifaire protectionniste qui risque de peser sur les échanges mondiaux
Guidée par l’impératif de réduction des déficits commerciaux et de protection des travailleurs, la politique commerciale du 45e président des États-Unis s’était déjà traduite par l’imposition de multiples droits de douane additionnels, sur la base de ses pouvoirs exécutifs. En mars 2018, arguant de motifs de sécurité nationale, Donald Trump avait ainsi imposé des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium en se basant sur la section 232 du Trade Expansion Act (TEA) de 1962. À partir de juillet 2018, dénonçant des pratiques discriminatoires, il avait également imposé en plusieurs vagues des droits additionnels sur plusieurs catégories d’importations en provenance de Chine, couvrant in fine près des deux-tiers de ces flux, sur la base de la section 301 du Trade Act (TA) de 1974. Enfin, en mai 2019, il avait menacé d’invoquer ses pouvoirs économiques d’urgence (Internation Emergency Economic Powers Act de 1977 – IEEPA), sur la base de l’urgence que constituaient les flux d’immigrants illégaux à la frontière Sud, pour imposer des droits supplémentaires de 5 % sur toutes les importations en provenance du Mexique.
Durant sa campagne de 2024, Donald Trump a multiplié les propositions de droits additionnels de 10 à 25 %, y compris à l’encontre de ses alliés. Ces mesures pouvaient se trouver assorties de droits jusqu’à 60 % sur les importations en provenance de Chine, voire d’une potentielle révocation du statut dit de « relations commerciales normales permanentes » accordé à la Chine en 2000 lors de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le candidat plaidait également en faveur de droits « réciproques », consistant à reprendre, pour chaque ligne douanière et chaque pays, le droit de douane s’appliquant aux exportations américaines vers le partenaire en question.
Dans la rhétorique de la nouvelle administration américaine, le levier de ces droits de douane est présenté comme permettant tout à la fois de réduire le déficit commercial des États-Unis, de stimuler la relocalisation des investissements sur le territoire américain et de contribuer de manière pérenne au financement de l’État. De tels choix ne sont pas non plus sans conséquences inflationnistes mais l’ambiguïté quant aux objectifs poursuivis préserve les marges d’action du locataire de la Maison Blanche et accroît en cela la pression sur les partenaires commerciaux des États-Unis.
Depuis son investiture, le président américain, qui aime à se faire surnommer « tariffs man », n’a pas tardé à manier l’instrument des tarifs douaniers, à des fins politiques comme commerciales.
Ainsi, le 1er février 2025, il annonçait l’entrée en vigueur de tarifs douaniers additionnels de 25 % sur les biens en provenance du Mexique et du Canada – mesure suspendue trois jours plus tard après certains engagements de ces deux pays de renforcer leurs contrôles à leurs frontières, puis entrée en vigueur le 3 mars avant que d’importantes exceptions soient décidées en moins de 48 heures pour l’automobile et tous les flux dès lors qu’ils satisfont à un critère de production locale en Amérique du Nord et au Mexique, soit 50 % du total –, et de 10 % additionnels sur ceux importés de Chine – hausse portée à 20 % le 3 mars ([41]).
Le 9 février, Donald Trump faisait savoir son intention d’instaurer des droits de douane de 25 % sur l’aluminium et l’acier importés aux États-Unis, en provenance de tous pays – États membres de l’Union européenne inclus –, à partir du 12 mars. Quatre jours plus tard, il signait un mémorandum visant à instaurer une réciprocité approfondie en matière de barrières douanières, y incluant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les barrières non tarifaires, les corrections des taux de change et les compensations de surcoûts salariaux et sociaux, perçues comme des droits de douane déguisés ; l’Union européenne, qui applique une TVA à hauteur de 20 % en moyenne, se trouve en cela particulièrement ciblée. La mesure, entrée en vigueur début avril – le jour de sa présentation, le 2 avril, étant baptisé pour l’occasion en liberation day – s’apparente en fait plutôt à un droit de douane forfaitaire applicable pour solde de toute barrière tarifaire jugée discriminatoire à l’égard des entreprises américaines (avec un taux socle de 10 %) ; elle a néanmoins été suspendue dans son volet additionnel le 9 avril pour la plupart des pays concernés – à l’exception notable de la Chine, frappée d’une surtaxe de 125 % – pour une durée de 90 jours, en vue de négociations.
Première évaluation des taxes annoncées par l’administration Trump Le tableau ci-après évalue l’impact potentiel des taxes décidées et des droits réciproques annoncés par l’administration Trump pour les principaux partenaires des États-Unis.
Source : Tax Foundation. |
Parallèlement et de manière complémentaire, le 19 février, Donald Trump faisait enfin part de son intention d’instaurer des droits de douane spécifiques à certains secteurs (droits additionnels de 25 %), tels l’automobile, ainsi que les produits pharmaceutiques, les semi-conducteurs et le bois « dans l’année ».
LES DROITS DE DOUANE RÉCIPROQUES PERSONNALISÉS
ANNONCÉS PAR LE PRÉSIDENT TRUMP LE 2 AVRIL 2025
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Droits de douane |
Réponse tarifaire américaine, sous forme de droits dits « réciproques » |
Même si l’administration fédérale américaine paraît déterminée à les honorer, ces différentes annonces ne se sont pas toutes encore pleinement matérialisées – comme en atteste la temporisation décidée par la Maison Blanche, le 9 avril –, de sorte que des discussions et négociations demeurent susceptibles de faire évoluer le cadre et l’intensité de cette politique plutôt protectionniste. Il y a fort à parier, en effet, que la manipulation de l’arme douanière s’effectuera avec un minimum de pragmatisme et de manière réversible, tant l’activité économique nationale risque de se trouver elle-aussi affectée : même en l’absence de mesures de représailles, la mise en œuvre de ces droits additionnels pourrait engendrer une perte oscillant entre 0,5 et 2,1 points de richesse nationale américaine à court terme ([42]).
Il n’en demeure pas moins que l’ensemble du commerce international devrait pâtir de cette utilisation erratique du levier tarifaire, bien que cela s’annonce dans des proportions encore difficiles à évaluer.
L’Union européenne elle-même ne sera pas épargnée : à titre d’illustration, un droit de douane universel de 10 % pourrait diminuer ses exportations vers les États-Unis de près d’un tiers ([43]). Selon le commissaire européen chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, M. Stéphane Séjourné, dans un entretien à La Tribune le 23 mars 2025 ([44]), les nouvelles taxes douanières de l’administration américaine pourraient impacter négativement le produit intérieur brut de l’ensemble des États de l’Union à hauteur de 0,6 %. En l’état, faute d’évolution de la position de l’administration fédérale, c’est un paquet de 24 milliards d’euros de tarifs additionnels que la Commission de Bruxelles s’apprête à mettre en œuvre à titre de réciprocité, mi-avril.
Depuis le 20 février 2025, les marchés financiers américains ne s’y sont pas trompés. Les études relatives à la consommation marquent le pas et les scénarios de récession commencent à être pris en considération : la probabilité de récession dans les douze mois à venir est passée de 15 % en janvier à près de 50 % en mars. Le secrétaire au Trésor Scott Bessent, lui-même, n’écarte plus l’éventualité d’une récession à venir. La seule hausse des droits de douane est considérée comme susceptible de produire très rapidement un impact à hauteur de 0,5 % sur le produit intérieur brut américain.
III. la nÉcessitÉ pour la France et l’europe d’adapter rapidement leur rÉfÉrentiel diplomatique et Économique pour dÉfendre au mieux leurs intÉrÊts
Si le logiciel politique de Donald Trump obéit à une rationalité assez claire, consistant à placer la défense des intérêts de son pays au-dessus de toute autre considération, ses méthodes et procédés, quant à eux, apparaissent beaucoup plus disruptifs et, souvent, brutaux. Il n’en demeure pas moins que, pour les quatre années qui viennent, voire pour plus longtemps encore si le président Trump fait école dans la classe politique américaine, les partenaires des États-Unis vont devoir s’adapter à cette réalité pour opposer leur vision et préserver leurs propres intérêts.
Depuis le 5 novembre 2024, beaucoup s’alarment d’une « révolution trumpienne » outre-Atlantique sans imaginer la moindre seconde qu’il soit possible d’en infléchir les visées et les conséquences, soit à travers le dialogue et la négociation, soit par la réalité des rapports de force, notamment économiques et commerciaux. La realpolitik recommande pourtant d’analyser froidement la situation et de constater que, dans le contexte actuel, la France comme l’Union européenne ne sont pas démunies pour peser.
1. La France, acteur diplomatique de premier plan
Forte de son réseau diplomatique universel, le cinquième du monde selon le centre de réflexion The Lowy Institute, de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et de ses capacités militaires reconnues, reposant tout à la fois sur un large éventail d’équipements à haute valeur technologique (porte-avions Charles de Gaulle, avions Rafale, etc.) ainsi que sur sa possession de l’arme nucléaire, la France est un acteur qui compte sur la scène internationale aux yeux de Washington. Les entretiens menés par la délégation de la commission des affaires étrangères dans la capitale américaine ont conforté cette perception.
De fait, la coopération bilatérale apparaît dense dans tous les domaines, en particulier ceux de la défense et de la sécurité, tout spécialement sur la non-prolifération et la lutte contre le terrorisme. L’annonce – sous la présidence Biden – de la constitution du partenariat AUKUS entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni, au détriment de la France qui avait conclu un contrat de fourniture de sous-marins conventionnels à Canberra, a certes suscité une crise diplomatique passagère entre Paris et Washington. Un nouveau départ de la relation a cependant été rendu possible sur la base de la déclaration présidentielle conjointe de Rome du 29 octobre 2021, qui a établi le principe d’une consultation réciproque sur les sujets stratégiques de part et d’autre.
Sur plusieurs dossiers internationaux intéressant au premier chef les États‑Unis, la France est aujourd’hui l’un des rares pays à pouvoir apporter un concours spécifique utile, ce qui la place dans une position d’interlocuteur régulier et de partenaire.
C’est le cas, notamment, au Liban, où les efforts convergents de Paris et Washington en faveur d’un cessez-le-feu dans le Sud du pays, d’une mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies et d’une résolution de la crise politique, afin d’ouvrir une phase de stabilité favorable à l’ensemble de la région, ont commencé à porter leurs fruits depuis janvier 2025. L’administration américaine sait en l’occurrence que la France, en raison de ses liens culturels et historiques avec le Liban, peut jouer un rôle facilitateur dans la réalisation des objectifs communs de Paris et Washington, au bénéfice du Liban mais aussi d’Israël.
Le dossier ukrainien figure également parmi les sujets sur lesquels Paris représente un interlocuteur de l’administration américaine. Par-delà la symbolique de la rencontre des trois présidents français, ukrainien set américain, quoique non encore investi, le 7 décembre 2024, la France figure parmi les seuls pays européens – avec le Royaume-Uni, la Pologne et, dans une moindre mesure, l’Italie et l’Espagne – capables d’apporter une contribution solide et crédible à des garanties de sécurité à l’Ukraine dans un schéma de règlement du conflit ou, tout le moins, de cessez-le-feu. Le 11 mars 2025, les chefs d’état-major de plusieurs pays envisageant de contribuer à des garanties de sécurité d’un accord de paix en Ukraine se sont réunis à Paris, illustrant le rôle moteur tenu par la France avec quelques autres (Royaume-Uni, Pologne et Turquie, notamment) sur ce versant du dossier.
En Afrique aussi, même si l’empreinte militaire française s’est désormais réduite à la demande des États abritant auparavant des bases françaises permanentes sur le continent, il n’en demeure pas moins que le maintien de liens culturels, économiques et politiques étroits entre Paris et plusieurs capitales africaines de pays qui jouent un rôle régional important fait de la France un acteur toujours utile et influent. Alors que les États-Unis cherchent depuis quelques années à développer leur présence en Afrique, y compris à des fins sécuritaires comme l’a montré le cas de leurs bases à Niamey et Agadez au Niger, la prise en considération des analyses et de l’expérience françaises s’impose plus que jamais pour éviter les revers devant les compétiteurs stratégiques russes et chinois.
Enfin, en Indopacifique, région qui devient l’objet de toutes les attentions de Washington, les États-Unis n’oublient pas que la France y dispose de territoires et d’implantations militaires, et aussi qu’elle entretient des relations suivies et denses avec des États aussi essentiels que l’Inde, l’Indonésie ou les pays d’Asie du Sud-Est.
Indépendamment des relations personnelles que les chefs d’État de la France et des États-Unis entretiennent, la République française est bien perçue, à Washington – en dépit de certains éléments de langage provocateurs tenus parfois par les membres de l’administration –, comme un partenaire important ; pas le seul, ni nécessairement le plus influent, mais un partenaire qui compte néanmoins, ce qui implique d’entendre ce qu’il a à dire lorsqu’il s’exprime à bon escient sur des sujets qui le concernent.
2. L’Union européenne, premier débouché économique et commercial des États-Unis
L’Union européenne n’est pas non plus n’importe quel partenaire pour les États-Unis, même dirigés par le président Trump. Les Vingt-sept entretiennent avec l’Amérique les relations bilatérales en matière de commerce et d’investissements les plus développées et les relations économiques les plus intégrées au monde. Ensemble, ils représentent près de 30 % du commerce mondial de biens et de services et 43 % du produit intérieur brut mondial. En 2023, le commerce transatlantique de biens et de services a ainsi dépassé les 1 500 milliards d’euros ([45]).
Pour ce qui concerne les échanges de biens, en 2023, l’Union européenne exportait pour 503,8 milliards d’euros aux États-Unis et importait pour 347,2 milliards, soit un déficit de 156,6 milliards vu de Washington. De fait, la balance était toutefois inversée au sujet des échanges de services puisque, la même année, l’Union exportait pour 292,4 milliards d’euros et importait des États-Unis pour 396,4 milliards, soit un excédent de 104 milliards en faveur de l’Amérique. Au total, les États-Unis constituent, à hauteur de 16,7 % des exportations totales, le premier débouché commercial de l’Union européenne, qui elle-même absorbe 18,6 % des exportations américaines.
ÉVOLUTION DES ÉCHANGES COMMERCIAUX DE BIENS
ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET L’UNION EUROPÉENNE, DE 2013 À 2023
Source : Commission européenne.
C’est donc peu dire que les États-Unis représentent un partenaire commercial essentiel pour l’Union européenne, comme pour la France d’ailleurs.
Notre pays reste en effet l’un des principaux partenaires économiques des États-Unis au sein de l’Union, avec un volume total d’échanges de marchandises dépassant les 100 milliards de dollars en 2023. En outre, les investissements directs français aux États-Unis ont continué de croître, soutenant des centaines de milliers d’emplois américains, tandis que les entreprises américaines restaient les premiers investisseurs étrangers en France : ainsi, en 2022, les États-Unis étaient le premier investisseur étranger en France, avec 280 projets d’investissement recensés, permettant la création ou le maintien de 17 107 emplois ([46]).
VALEUR TOTALE DES ÉCHANGES DE MARCHANDISES (EXPORTATIONS ET IMPORTATIONS) DES ÉTATS-UNIS AVEC LA FRANCE, DE 2000 À 2023
Source : Balance commerciale des biens entre la France et les États-Unis 2000-2024, Statista 20 janvier 2025.
Le président Trump et son administration sont pleinement conscients qu’ils ne peuvent se couper totalement des débouchés européens, qui représentent 450 millions de consommateurs. Si au cours de la dernière décennie, les échanges commerciaux entre l’Union et les États-Unis ont plus que doublé, la progression n’a été que de 20 % lors du premier mandat de Donald Trump, principalement en raison de la politique tarifaire appliquée alors par son administration.
Aussi, même si le candidat Républicain qualifiait à l’automne l’Union européenne de « mini-Chine », c’est bien la République populaire de Chine qui représente sa cible principale dans la compétition géoéconomique et géostratégique qui se joue. Les États membres de l’Union européenne, ainsi que la Commission européenne, ne doivent donc pas céder à l’affolement devant les menaces et, dans la mesure du possible, ils doivent adopter des positions et réponses communes pour faire front et défendre leurs propres intérêts.
B. certaines orientations politiques et stratÉgiques doivent nÉanmoins se trouver inflÉchies pour continuer À peser
Les premières initiatives du président américain depuis sa deuxième investiture semblent avoir dessillé les yeux de bon nombre de responsables européens parmi les plus atlantistes, au premier rang desquels le premier ministre polonais, le nouveau chancelier allemand et le premier ministre britannique. Dans le nouveau contexte induit par le changement d’administration américaine, tant les États européens que l’Union européenne en tant que telle, doivent faire évoluer leurs matrices pour continuer à peser et, ce faisant, conserver un rôle important sur la scène internationale.
1. Prendre davantage en mains notre propre défense
Le président Trump affirme depuis son premier mandat que les États-Unis paient pour la défense de leurs alliés, tant en Europe qu’en Asie, s’agissant notamment du Japon et de la Corée du Sud. Sur la base de ce constat objectivement non dénué de réalité, du moins pour ce qui concerne certains pays, il incite ses partenaires à dépenser plus en la matière, notamment pour acquérir des armements américains. Dans ce contexte, les États européens se doivent de réagir, non pas pour déférer aux attentes de leur allié américain mais plutôt pour assurer par eux-mêmes leur propre protection et parer à toute éventualité, tout spécialement dans un contexte de retour de la guerre sur leur continent.
a. Une Alliance atlantique déstabilisée par la vision « donnant-donnant » du président américain
« Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN » soulignait, en novembre 2019, le président Emmanuel Macron pour parler du manque de coordination des Européens face aux pressions du 45e président des États-Unis, visant déjà à marchander les garanties de sécurité américaines contre une augmentation des dépenses militaires des États membres à 2 % de leurs PIB – choix déjà en soi critiquable selon Mme Nathalie Oziol. Lors du sommet de l’Alliance à Bruxelles, les 11 et 12 juillet 2018, Donald Trump avait été jusqu’à laisser planer la menace d’une sortie de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et suscité la polémique à propos de l’article 5 du traité de Washington, relatif à la clause de solidarité mutuelle des alliés, en estimant qu’il ne voyait pas « pourquoi son fils devrait aller se battre pour le Monténégro ».
Dans le prolongement de cet épisode, les États membres de l’OTAN ont consenti un réel effort financier en faveur d’une augmentation globale de leurs dépenses militaires, leur prise de conscience se trouvant accentuée par le déclenchement de l’agression russe contre l’Ukraine le 24 février 2022. Mais si l’administration Biden s’était montrée soucieuse de rétablir la confiance entre les deux rives de l’Atlantique à son arrivée à la Maison Blanche, elle se sera finalement révélée, avec le retour au pouvoir de Donald Trump le 20 janvier dernier, davantage une parenthèse qu’une remise en cause des exigences nouvelles des Américains à l’égard de l’Europe. Pour preuve, avant même sa prise de fonctions, le 47e président des États-Unis a expressément indiqué qu’il souhaitait que les États membres de l’Alliance atlantique consacrent non plus 2 % de leurs PIB mais 5 % de ceux-ci à leur défense.
ESTIMATION DE L’EFFORT BUDGÉTAIRE ANNUEL SUPPLÉMENTAIRE
EN FAVEUR DE LA DÉFENSE POUR LES ÉTATS EUROPÉENS DE L’OTAN
SELON QUE LA CIBLE EST FIXÉE À 3 % OU 5 % DE LEUR PIB
En milliards d’euros.
Source : Le grand continent, 20 décembre 2024.
Cette « marche » budgétaire est apparue d’autant plus considérable que les États-Unis eux-mêmes n’allouent actuellement que 3,5 % de leur richesse nationale à la défense et qu’un tel relèvement impliquerait un accroissement de leurs investissements de l’ordre de 400 milliards de dollars (soit 1 300 milliards contre plus de 850 aujourd’hui). Indépendamment du calendrier et des contours qu’il pourrait revêtir, cet objectif a suscité le trouble parmi les alliés européens, dont la situation budgétaire ne permet pas un effort supplémentaire aussi intense à brève échéance. En effet, l’équation posée par Donald Trump imposerait aux États membres européens de l’OTAN de dépenser annuellement près de 544 milliards d’euros pour leur défense.
Pour autant, lors de leurs rencontres dans la capitale fédérale américaine, les membres de la délégation de la commission des affaires étrangères se sont vus indiquer par leurs interlocuteurs officiels américains que si l’article 5 du traité de Washington, relatif à la clause d’assistance mutuelle, est souvent évoqué, il ne faut pas oublier non plus l’article 3, par lequel les alliés s’engagent à financer leur propre défense. Cela illustre l’importance que revêt le paramètre financier dans l’équation aujourd’hui.
Lors de la réunion des ministres de la défense de l’OTAN à Bruxelles, le 12 février dernier, afin de préparer le prochain sommet de La Haye, le nouveau secrétaire à la défense américain a d’ailleurs donné le ton à l’égard de la détermination de la nouvelle administration de voir l’Europe prendre une part plus substantielle du fardeau de sa défense. Confirmant la pertinence d’une cible de dépenses de 5 % du PIB, Pete Hegseth a aussi indiqué à ses homologues du groupe de contact sur l’Ukraine que « la protection de la sécurité européenne doit être une priorité pour les membres européens de l’OTAN » et que « les États-Unis ne peuvent plus être principalement concentrés sur la sécurité de l’Europe » ([47]). Et le secrétaire à la défense d’affirmer sans ambages : « Notre alliance transatlantique a perduré pendant des décennies. Et nous nous attendons pleinement à ce qu’elle soit maintenue pour les générations à venir. Mais cela n’arrivera plus tout seul. Cela nécessitera que nos alliés européens s’impliquent pleinement et prennent la responsabilité de leur propre sécurité conventionnelle sur le continent. ».
Sur ces bases, il apparaît clairement que, même s’il est possible que de la cohésion des alliés soit mise à l’épreuve au cours des quatre années à venir, une sortie des États-Unis de l’Alliance atlantique est peu probable, ne serait-ce que parce que le Congrès a spécifié, en décembre 2023, dans le National Defense Authorization Act pour 2024, que le président des États-Unis ne pouvait se retirer unilatéralement d’une alliance sans l’accord préalable des deux chambres avec une « super majorité » des deux-tiers. Les entretiens des membres de la commission des affaires étrangères à Washington, tant au Pentagone qu’au Congrès, ont conforté cette analyse.
Il n’en demeure pas moins qu’en fixant des exigences très élevées, le président Trump pourrait faire preuve d’une certaine ambiguïté s’agissant de son engagement à honorer la signature américaine du traité de 1949, dans l’éventualité où il serait déçu par la réponse européenne apportée à ses attentes. L’échéance du sommet de l’OTAN à La Haye, du 24 au 26 juin 2025, sera à cet égard déterminante. De plus, les échanges tenus à Washington ont clairement mis en exergue cette formule du président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants : « ce dont les États-Unis ont besoin, c’est d’une Europe qui n’a plus besoin d’eux ». Au Pentagone, il a même été indiqué que le continent européen devra être en mesure de dissuader de manière crédible la Russie au plan conventionnel ou de la battre militairement et que, si les États-Unis pourront apporter leur soutien, notamment logistique, une division des tâches est devenue indispensable pour leur permettre de se concentrer sur l’Indopacifique. Dès lors, l’Europe n’a plus d’autre choix : il lui faut préparer et concrétiser son autonomie stratégique.
b. La nécessité d’un réveil stratégique européen à concrétiser rapidement
Même si Donald Trump n’est sans doute pas le président qui se montrera le plus soucieux de l’Europe, nul ne peut raisonnablement prétendre que tous les présidents américains qui se sont succédé depuis 1945 se préoccupaient autant du continent européen que des États-Unis. De ce point de vue, l’entrée en fonction de la nouvelle administration américaine constitue un électrochoc salutaire, qui doit servir à dissiper la naïveté de nombreux responsables européens parfois trop enclins à considérer, à tort, que la sécurité et l’avenir de leur pays seront, quoi qu’il advienne, assurés par l’allié américain.
En matière de préservation de la souveraineté et de l’autonomie des États européens, la France appelle depuis longtemps à faire plus, notamment sur les questions de défense et de sécurité. Dès septembre 2017, dans l’enceinte de la Sorbonne, le président de la République Emmanuel Macron prononçait un discours dont le maître-mot était déjà « la souveraineté européenne ». De fait, des progrès notables ont été accomplis, avec la déclaration de Versailles de mars 2022, l’adoption d’une boussole stratégique le 24 mars suivant et la mise en place de réponses toujours plus innovantes et audacieuses face aux crises qui se succèdent, tels l’emprunt commun pour financer la relance après la pandémie de Covid-19 ou la relance de la production d’armements pour soutenir l’Ukraine face à la Russie depuis 2022.
Il reste néanmoins beaucoup à accomplir, singulièrement dans un contexte où les États-Unis entendent honorer différemment leurs engagements à l’égard de l’Europe.
Sujet débattu depuis des décennies, depuis 1954 et le projet de Communauté européenne de défense (CED), ces enjeux, au niveau européen, reposent sur une distinction assez claire : la défense en tant que telle demeure entre les mains des États membres ; en revanche, il est possible d’agir à plusieurs en matière d’interopérabilité et de production communes. Une première pierre a d’ailleurs été posée par le Fonds européen de défense, qui permet désormais d’investir en commun dans des applications de recherche et de développement en matière d’armement.
Alors que, désormais vingt-trois États membres de l’Union européenne sont également membres de l’OTAN et qu’ils ont tous pris la décision de consacrer 2 % de leurs PIB à leurs dépenses de défense, l’effort cumulé annuel des pays européens à leur protection militaire s’élève à 400 milliards de dollars, soit un peu moins que la moitié des États-Unis mais beaucoup plus que les 64 milliards que la Russie y a consacrés en 2023. Il reste que, comme l’a indiqué La Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Kaja Kallas, lors de la conférence annuelle de l’Agence européenne de défense à Bruxelles le 22 janvier dernier, alors que « Nombre de nos agences de renseignement nationales nous informent que la Russie pourrait tester la capacité de l’UE à se défendre d’ici trois à cinq ans » et que Moscou peut en trois mois faire produire plus d’armes et de munitions que l’ensemble des Vingt-sept en douze mois, l’Union européenne aura besoin d’au moins 500 milliards d’euros dans le cadre financier pluriannuel (CFP) allant de 2028 à 2034 pour rester compétitive en matière de défense. Or, jusqu’à présent, seuls quelque 13 milliards d’euros ont été réservés à la défense et à la sécurité dans le budget couvrant la période 2021-2027 (soit 1,2 % du total).
Mais le problème n’est pas seulement quantitatif : il est aussi qualitatif et c’est tout l’enjeu des débats actuels entre dirigeants européens, depuis le conseil informel du 3 février 2025. Comme le rappelait Florence Parly, alors ministre des armées, le 18 mars 2019 : « La clause de solidarité de l’OTAN est l’article 5, pas l’article F-35 ». Les responsables européens doivent désormais impérativement comprendre que la préservation des compétences industrielles en matière d’armement sur le continent est intrinsèquement liée à la pérennité de l’indépendance et de la souveraineté de leurs pays. Cela suppose de ne pas rendre éligibles aux subventionnements européens l’achat d’armements américains produits sous licence, qui peuvent certes présenter l’attrait de permettre d’amadouer la nouvelle administration du président Trump mais qui signeraient, à long terme, la disparition des savoir-faire de pointe de nombreux industriels européens.
Les responsables politiques européens se trouvent donc confrontés à un ensemble de décisions et de choix déterminants pour l’avenir de l’Union mais aussi de tous ses États membres. Une première étape, importante, a été franchie lors du conseil européen extraordinaire du 6 mars à Bruxelles, au cours duquel les chefs d’État et de gouvernement ont acté la recommandation de la Commission visant à activer la clause dérogatoire nationale prévue par le pacte de stabilité et de croissance afin de faciliter l’accroissement des dépenses de défense au niveau national, ainsi que 150 milliards d’euros de prêts aux États membres dans le domaine de la défense.
Il faudra néanmoins aller plus loin et trancher les questions essentielles des ressources supplémentaires à allouer à la défense et des critères d’éligibilité aux fonds européens. Le 6 mars, la Commission européenne a été mandatée pour étudier des mesures supplémentaires afin de faciliter les dépenses de défense, pour proposer rapidement des sources supplémentaires de financement de la défense au niveau de l’Union, et pour mobiliser les financements privés et faciliter les prêts aux industriels de l’armement par la Banque européenne d’investissement. Beaucoup dépendra de la suite donnée à ces réflexions. En la matière, le volontarisme et les exigences françaises peuvent constituer, grâce aux attributs de puissance dont jouit d’ores et déjà la France, un aiguillon salutaire pour le futur de la souveraineté de l’ensemble de l’Europe.
Mme Nathalie Oziol souhaite souligner, pour sa part, que les récentes décisions des dirigeants européens sur la reprise en main de leur défense vont dans le sens des exigences de l’administration Trump. Le 7 janvier dernier, ce dernier demandait que les pays membres de l’OTAN augmentent la contribution à leur défense de 2 % à 5 % de leurs PIB. Le 4 mars, Ursula von der Leyen révélait son plan « réarmer l’Europe » de 800 milliards d’euros destiné à renforcer la défense européenne. Or, lorsque l’on fait le calcul, cela revient à 5 % du PIB des pays européens. Pour la France, cela représente une hausse de 90 milliards d’euros et le budget de la défense passerait à 140 milliards d’euros, contre moins de 50 milliards en 2024 et même moins de 33 milliards en 2017.
Pour Mme Nathalie Oziol, cela soulève évidemment la question du financement d’un tel « grand réarmement ». Ursula von der Leyen a déjà promis un assouplissement des règles budgétaires. Pourtant, elle et nombre de dirigeants européens, dont Emmanuel Macron, s’appuient d’habitude sur ces règles pour réduire les dépenses publiques. Cela revient à accroître considérablement les dépenses et constitue une entorse – pas la première – au dogme néolibéral des dirigeants européens. Ces dépenses militaires devront bien être financées par de nouvelles coupes austéritaires, comme l’a confirmé en ces termes Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, devant les ministres de la défense des États membres de l’Alliance, le 12 février : « Pour protéger notre liberté, notre prospérité et notre mode de vie, vos responsables politiques doivent vous écouter. Dites-leur que vous acceptez de faire des sacrifices aujourd’hui pour que nous puissions rester en sécurité demain. ».
Par ailleurs, Mme Nathalie Oziol considère que les exigences de Donald Trump et le zèle des dirigeants européens à y répondre vont à l’encontre du mythe de « l’autonomie stratégique » de l’Europe puisqu’une immense part des dépenses militaires européennes dans la guerre en Ukraine relève en fait de subventions directes aux fabricants d’armes américains. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, 55 % des importations d’armes par les États européens sur la période 2019-2023 proviennent des États-Unis, contre 35 % en 2014-2018. En mars dernier, le rapport annuel du SIPRI démontrait, quant à lui, que les membres européens de l’OTAN dépendaient des États-Unis d’Amérique pour 64 % de leurs importations d’armes, un accroissement considérable. Au nom de la sécurité, l’Europe s’apprête donc, à ses yeux, à sacrifier de nouvelles protections sociales pour financer une prétendue sécurité qui ne sera pas autre chose qu’un impôt financier et militaire versé aux États-Unis. Pete Hegseth, secrétaire à la défense des États-Unis l’a lui-même reconnu, comme l’a révélé un article du New York Times du 12 février : la part écrasante de l’aide future à l’Ukraine, militaire ou civile, incombera à l’Europe.
2. Tirer au plus vite les leçons des rapports Letta et Draghi pour éviter un décrochage économique irrémédiable de la rive orientale de l’Atlantique
Deux rapports majeurs émanant de deux anciens présidents du conseil des ministres italiens ont sonné l’alarme, en 2024, sur l’accélération du décrochage économique européen par rapport aux autres grandes puissances mondiales, et particulièrement les États-Unis, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’appréhension des questions européennes par Washington. En effet, le rapport de M. Enrico Letta sur le futur du marché intérieur ([48]), présenté aux chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne lors du sommet des 17 et 18 avril, ainsi que celui de M. Mario Draghi sur le futur de la compétitivité de l’Europe ([49]), remis à la Commission européenne le 9 septembre, dressent un constat accablant et à bien des égards convergeant : l’Europe est en train de subir un déclassement compétitif majeur.
De fait, le PIB agrégé des économies européennes (17 193 milliards d’euros en 2023) accuse aujourd’hui un retard d’environ 30 % avec l’économie américaine (27 720 milliards de dollars la même année), contre 15 % en 2002, tandis que le PIB chinois s’en rapproche progressivement. Pourtant, les États membres de l’Union européenne disposent de tous les atouts nécessaires pour s’ériger en une puissance aussi compétitive que l’Amérique ou la Chine, avec des singularités propres (un modèle social très abouti, un investissement majeur dans l’éducation, une reconnaissance des enjeux environnementaux et un effort en direction de la redistribution).
Selon Mario Draghi, l’essentiel du décrochage a trait à un écart grandissant de productivité avec les États-Unis, résultant d’une incapacité aussi bien à innover qu’à capitaliser sur les innovations de rupture. Son rapport va même jusqu’à estimer qu’en réalité, l’écart de productivité n’est imputable qu’au retard européen dans le secteur de la Tech ; en le soustrayant de l’équation, les gains de productivité européens apparaissent similaires aux gains de productivité américains sur la même période. De fait, les États-Unis bénéficient à plein de l’avance de leur écosystème numérique en matière d’intelligence artificielle, autant dans la maîtrise technologique que dans sa diffusion dans le tissu productif. Illustration de cette stratégie gagnante matérialisée par le décret Invent it here, make it here ([50]), selon lequel tout projet ayant bénéficié de fonds fédéraux pour la R&D devra être industrialisé prioritairement aux États-Unis, les investissements dans la propriété intellectuelle y sont passés de 3,5 %, il y a quelques années, à 6,3 % du PIB, au deuxième trimestre de l’année 2024. En contrepoint, les pays de l’Union européenne se trouvent de moins en moins préparés au nouveau contexte post-Covid 19.
Face à ces constats, Mario Draghi, notamment, propose une nouvelle stratégie qui s’appuie sur plusieurs propositions phares. Il recommande notamment un choc d’investissement à hauteur de 800 milliards d’euros annuels dans l’économie de l’Union européenne entre 2025 et 2030, soit l’équivalent de 4,7 % du PIB européen : un tel investissement pourrait permettre un rehaussement des gains de productivité de 6 % sur quinze ans. Enrico Letta, quant à lui, appelle à approfondir le marché unique par une unification des marchés de capitaux. De même, un recours à l’emprunt commun européen similaire là-aussi à celui engagé pour relancer l’économie en sortie de crise pandémique, notamment dans les secteurs dont les effets multiplicateurs à long terme sont les plus importants (infrastructures énergétiques, de la défense et des dépenses de recherche et développement), est préconisé.
Parce qu’elle se trouve plus exposée que ses rivaux stratégiques aux chocs géopolitiques, du fait notamment de sa dépendance vis-à-vis de la Chine pour certaines technologies décarbonées et vis-à-vis des États-Unis pour le numérique, l’Union européenne doit définir et mettre en œuvre, de manière urgente, une véritable politique économique étrangère européenne, articulée autour de la convergence croissante de la géopolitique et du commerce extérieur par le biais de partenariats, d’instruments de défense commerciaux, de la sécurisation des chaînes de valeur et du stockage de ressources critiques.
Certaines initiatives de la première Commission von der Leyen, comme le Green New Deal, le Critical Raw Materials Act ou les projets importants d’intérêts européens communs (PIIEC) pour les secteurs de l’hydrogène, des batteries, de la santé, ont essayé d’esquisser un début de réponse mais il s’est avéré insuffisant. En effet, aucun de ces projets n’est parvenu à repositionner l’Union européenne dans la course mondiale.
Le 29 janvier 2025, la Commission européenne a dévoilé une boussole pour la compétitivité, qui devrait se décliner en une vingtaine de propositions législatives d’ici 2027. Cet agenda comporte trois axes principaux : alléger la réglementation européenne pour les entreprises, stimuler l’innovation et le développement de nouvelles technologies et enfin diminuer la fragmentation des marchés stratégiques comme l’énergie, la défense ou la finance. Ce faisant, l’Union européenne s’est dotée d’un cap mais sa concrétisation risque de prendre du temps : pour les financements, la présidente de la Commission a évoqué la mise en place d’un fonds de compétitivité en 2028. Il appartient au Conseil et au Parlement européens, lorsqu’ils auront à se pencher sur ces projets, d’en accélérer la cadence. Faute de réagir suffisamment vite, l’Union européenne et ses États membres risqueraient de se trouver sur la défensive, alors même que l’administration Trump ne tient compte que de ceux qui relèvent ses défis.
Pour sa part, Mme Nathalie Oziol ne partage pas la préconisation de suivre les rapports Draghi et Letta. Le discours alarmiste sur le « décrochage économique » de l’Europe de l’Ouest par rapport aux États-Unis met en avant des différences de productivité et de PIB par habitant qui masquent d’autres indicateurs bien moins avantageux pour les États-Unis. Ainsi selon les données de la Banque mondiale, les taux d’inégalité, de pauvreté et de mortalité infantile sont bien plus faibles en France qu’outre-Atlantique et l’espérance de vie y est plus élevée. L’inflation est également bien plus élevée aux États-Unis, ce qui a d’ailleurs contribué à la défaite des Démocrates.
Mme Nathalie Oziol conteste également le fait qu’il serait nécessaire de suivre les préconisations du rapport Letta de 2024. Celui-ci propose en effet d’approfondir le marché européen de l’électricité, alors même qu’il est responsable de la hausse des factures d’électricité en France et contribue à réduire les avantages des énergies renouvelables. Elle s’oppose également à l’approfondissement du marché unique, qui a permis depuis plus de trente ans l’installation de concurrences déloyales, de dumpings social, fiscal et environnemental, au sein de l’Union européenne, au détriment de la France et de ses classes populaires.
La guerre commerciale ouverte par Donald Trump, en diminuant la croissance, ne peut que mener vers des conflits sociaux plus intenses en France. Pour Mme Nathalie Oziol, celle-ci ne doit pas y répondre par davantage de libre‑échange en Europe mais par la rupture avec le néolibéralisme et la mise en place d’un protectionnisme solidaire.
3. Inventer de nouveaux formats de dialogue et de partenariats stratégiques : vers une nouvelle forme de non-alignement ?
Les débuts de la nouvelle administration Trump rappellent, si besoin en était, que nul partenariat ou alliance géopolitico-militaire n’est éternel. Beaucoup d’États du continent européen, à la différence de la France – qui est sans doute restée plus lucide à cet égard –, ont eu tendance à l’oublier ces dernières décennies. Dans le cadre d’une résurgence des conflits et des tensions, le réveil n’en est que plus brutal et appelle à une introspection profonde, afin de tirer des enseignements adaptés.
Si les États-Unis demeurent officiellement engagés au sein de l’Alliance atlantique et attachés à leurs liens historiques avec les différents États européens, l’ambiguïté de certains propos tenus par d’éminents responsables américains doit néanmoins inciter l’Europe dans son ensemble à repenser, ne serait-ce que dans une optique de diversification de ses intérêts, ses partenariats et coopérations à l’échelle internationale. Sans aller jusqu’à s’affranchir de leurs liens avec les États-Unis, l’Union et ses États membres doivent certainement s’appuyer davantage sur certains grands acteurs émergents comme l’Inde, le Brésil ou les puissances en devenir du continent africain, mais aussi définir des cadres de dialogue et de coopération multilatéraux à géométrie variable.
Alors que le partage du monde initié à Yalta en 1945 et figé par la doctrine Truman en 1947 avait ouvert la voie à l’émergence du « tiers monde » lors de la conférence de Bandung d’avril 1955 ainsi qu’au « non-alignement », la multipolarité actuelle est en effet fondée sur une équation assez différente.
En premier lieu, si elles sont rivales, les puissances américaines, chinoise et russe peuvent trouver des terrains d’entente et constituer, de fait, une sorte de directoire des grands visant à un nouveau partage des sphères d’influence. Dans le même temps, les États-Unis, la Chine et la Russie n’hésitent plus à adopter des approches unilatéralistes et à assumer un certain isolement dans les forums internationaux. Par voie de conséquence, le multi-alignement, par opposition au non-alignement, est devenu une option par défaut, du fait de l’effacement des logiques de blocs. L’émergence d’alliances pouvant apparaître comme contre nature – Chine/Russie, États-Unis /Russie – a accéléré les stratégies de multi-alignement, adoptées d’abord par des puissances régionales comme l’Inde, le Brésil, l’Arabie saoudite ou la Turquie et se généralisant aujourd’hui dans le cadre de la dynamique des BRICS+ – avec l’arrivée en leur sein de l’Égypte, l’Indonésie, et des Émirats arabes unis.
Dans ce contexte géopolitique général, il apparaît donc souhaitable pour la diplomatie française d’envisager des formats de dialogue ad hoc, selon les dossiers, avec les puissances régionales qui ont le plus à perdre face à l’imprévisibilité américaine. L’objectif pourrait être de développer des formats d’échanges axés sur la lutte contre la logique de sphères d’influence et pensés à une échelle suprarégionale, tout en intégrant des États liés par des intérêts communs.
Pourquoi, par exemple, ne pas mettre sur pied une plateforme de concertation regroupant la France, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, l’Australie et la Corée du Sud, ainsi que l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam ou Singapour pour ce qui a trait aux enjeux indopacifiques ? La Corée du Sud, notamment, a tout à redouter du renforcement constaté des liens entre la Russie et la Corée du Nord lors du conflit ukrainien. Quant à l’Inde, l’Indonésie et le Vietnam, leur influence régionale est devenue incontournable.
La même logique pourrait prévaloir pour l’Asie centrale en établissant un format regroupant à échéances régulières la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, ainsi que la Turquie et l’Inde, notamment. S’agissant des émergents du Sud, une architecture similaire pourrait être imaginée autour de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni, du Canada et du Japon, avec le Brésil, le Mexique, le Nigeria, l’Égypte, l’Afrique du Sud et l’Éthiopie.
Ce ne sont là que quelques possibilités, non limitatives. Il est désormais devenu important de créer les conditions de nouveaux forums mini-latéraux, appelés à traiter d’enjeux de développement, d’économie et de commerce, mais aussi de sécurité au sens large, en y intégrant les questions de résilience et de sécurisation des chaînes d’approvisionnement stratégique ou de lutte contre la spoliation des ressources naturelles ou technologiques.
En tout état de cause, la situation internationale impose de tenir compte de l’évolution du paradigme diplomatique américain et de s’y adapter en révisant, au besoin, les schémas de pensée qui pouvaient avoir cours jusqu’alors pour privilégier la défense des intérêts français et européens.
Mme Nathalie Oziol rejoint ses collègues sur la nécessité d’orienter la France vers le non-alignement. Toutefois, elle diffère sur les directions du redéploiement de l’action internationale de la France. Ce redéploiement doit s’opérer autour d’un projet altermondialiste en rupture avec l’idéologie du libre-échange et autour d’une lutte commune pour la protection des biens communs planétaires. Les pays du petit bassin méditerranéen (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Algérie, Maroc, Tunisie, Libye) sont des partenaires naturels de coopération puisqu’ils partagent ensemble un écosystème fragile. La France est étendue sur tous les continents. Elle a vocation à renforcer ses coopérations avec les puissances (ré)émergentes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Ces dernières sont les voisins immédiats d’une France d’outre-mer qui demande à être prise en compte et constitue un formidable atout stratégique. Les pays francophones notamment en Afrique, sont également des partenaires naturels, avec qui la relation doit être refondée.
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« Les relations franco-américaines ne peuvent que fasciner l’observateur des questions internationales, tant est paradoxal, et parfois détonant, le mélange d’amour-haine, ou peut-être plus justement, d’attraction-répulsion, qu’elles recèlent. Une formule américaine en résume bien la tonalité générale : " we love to hate the French " – " nous adorons détester les Français ". En sens inverse, les États-Unis sont l’objet préféré du rejet/désir de la France : nous sommes un pays dont les habitants se ruent dans les salles de cinéma pour regarder les dernières productions de Hollywood – dont certaines sortent dorénavant de studios appartenant à des capitaux français – avant de se rendre toujours plus nombreux dans les McDo, tout en acclamant les actions musclées de José Bové contre Mc Donald’s et en défendant bec et ongles l’" exception culturelle " dans les négociations commerciales multilatérales. Ajoutons que cette combinaison des contraires vaut davantage encore à Paris qu’à Washington, puisque les États-Unis occupent naturellement dans les préoccupations françaises une place largement plus importante que la France n’en tient dans les réflexions américaines. » ([51]).
Ces observations de M. François Heisbourg, désormais conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), pour datées qu’elles soient puisque remontant à avant le 11 septembre 2001, n’en frappent que davantage par leur étonnante actualité, tout particulièrement à l’ouverture du second mandat du président Trump. Elles ne peuvent par ailleurs que conforter les autorités françaises, notamment les parlementaires, dans l’idée qu’il est absolument impératif, car capital, d’entretenir un dialogue politique régulier de part et d’autre de l’Atlantique, afin de confronter les points de vue et de parvenir, le plus souvent possible, dans l’intérêt mutuel des deux parties, à des positions convergentes.
Le déplacement d’une délégation de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale à Washington, au lendemain de l’entrée en fonction de la nouvelle administration et du 119e Congrès des États-Unis, s’inscrivait pleinement dans ce cadre. Sur place, les échanges se sont montrés francs et directs, mais cordiaux et approfondis. À l’évidence, la France reste un partenaire pris en compte par les autorités américaines, de sorte que la voix de ses représentants porte si elle est utilisée à bon escient.
Le contexte intérieur américain et international ne doit pas pour autant conduire Paris, comme ses partenaires européens, à une forme de naïveté coupable pour l’avenir. Les États-Unis sont clairement entrés durablement dans une ère où leurs propres intérêts priment sur toute autre considération et où l’affect n’a pas de place.
Dans ce contexte, la France et l’Union européenne – grâce notamment à l’aiguillonnage de Paris –, doivent jeter les bases de nouveaux instruments à même de préserver leur poids économique, géopolitique et militaire dans les années qui viennent. L’avenir de notre souveraineté en dépend.
Parallèlement, le partenaire américain doit se trouver réengagé sur certains dossiers par ses interlocuteurs et alliés européens. Au lendemain de l’élection du 5 novembre 2024, lors d’une table ronde de la commission des affaires étrangères sur les implications de cet événement, Mme Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund, n’avait pas dit autre-chose, en s’exprimant en ces termes : « Je perçois une réelle opportunité dans la synchronisation entre une nouvelle administration américaine et une nouvelle Commission européenne pour façonner ensemble [un] agenda transatlantique. Cela reste envisageable, même avec une administration Trump, car y compris sur des sujets complexes lors de son premier mandat, des avancées ont été possibles sur certains dossiers. Mon message est clair : l’impulsion et les initiatives doivent émaner de la France, de l’Europe et de Bruxelles, car elles ne viendront pas de Washington. » ([52]).
Plus que jamais, donc, la diplomatie parlementaire peut et doit faire son œuvre. Le déplacement d’une délégation de députés à Washington appelle ainsi la poursuite des échanges, selon des modalités et sous divers formats, afin de maintenir le fil de la compréhension mutuelle et, surtout, d’agir de concert dans un intérêt partagé.
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Au cours de sa séance du 9 avril 2025, à 11 heures 50, la commission entend une communication, ouverte à la presse, sur le déplacement effectué du 23 au 26 mars 2025 à Washington par une délégation de la commission composée du président Bruno Fuchs, de Mme Nathalie Oziol et de M. Franck Riester.
D’abord, nous relevons un état d’esprit de véritable peur. Tel est effectivement le sentiment qui règne à Washington : en quelques minutes, on peut désormais y perdre un contrat, son emploi ou des subventions.
Ensuite, l’Europe est clairement considérée de plus en plus comme un adversaire, à tout le moins un concurrent, dans une grande partie des conversations que nous avons pu mener.
Se pose également la question du Projet 2025, c’est-à-dire du volet idéologique du programme du président Trump.
Un autre constat fort est que tout remonte à ce dernier : d’autres responsables peuvent prendre la parole mais sans la certitude de ne pas être démentis dans les minutes qui suivent. Quelques représentants Républicains que nous avons pu rencontrer ne sont pas d’accord avec la politique menée mais ils ne peuvent pas exprimer ce désaccord publiquement, ni même dans des réunions politiques à l’échelle de leur parti.
Voilà quelques éléments liminaires, avant que je ne laisse la parole aux deux autres rapporteurs.
M. Franck Riester (EPR), rapporteur. Ce déplacement était effectivement très intéressant, à un moment passionnant de la relation avec les États‑Unis et où l’on commence à comprendre de façon plus claire la nouvelle politique étrangère de ce pays. Nous avons bien ressenti ce qui a été évoqué aussi tout à l’heure par Dominique de Villepin et par monsieur le président, à savoir cette espèce de chape de plomb qui pèse sur le pays. Les uns et les autres nourrissent la peur très forte de perdre leur place ou leur contrat, mais aussi la peur de voir le président Trump aller vers une dérive autoritaire. Au cours d’une discussion, un élu Démocrate nous a quand même dit ne pas souhaiter pousser les Américains à manifester, de peur qu’un désordre dans la rue ne soit une opportunité pour le président Trump de prendre les pleins pouvoirs.
Cette alternance constitue également un bousculement assez considérable de la politique américaine en matière étrangère et peut entraîner des conséquences très lourdes et durables. Pour autant, on retrouve un certain nombre des fondements d’une nouvelle politique étrangère américaine partagée par les Démocrates et les Républicains qui a commencé, en gros, sous la période Obama. Elle est poussée beaucoup plus loin par le style Trump, par une méthode transactionnelle, et sous-tendue par une structuration idéologique nouvelle
Son premier fondement est d’abord le pivot de l’Atlantique vers le Pacifique. Comme nous l’ont répété tous nos interlocuteurs, la menace principale est la Chine, ce qui se traduit par la mutation et l’accélération d’un certain nombre de politiques dans tous les domaines, notamment en matière de défense, avec la mutation du corps des Marines pour prendre en compte cette stratégie de containment de la Chine.
Le deuxième fondement est le recentrage des efforts de sécurité sur les États-Unis eux-mêmes, et notamment la question de la sécurisation de la frontière Sud, avec toutes ses incidences sur la politique migratoire, ainsi que la mise en place du golden dome, à l’image du dôme de fer israélien. Les États-Unis sont déterminés à mobiliser beaucoup d’énergie pour la sécurité de leur propre sol.
Le troisième fondement, que l’on retrouve chez les Démocrates et les Républicains, porte sur une politique commerciale et économique nouvelle, beaucoup plus protectionniste et orientée vers la réindustrialisation. Je rappelle tout de même que l’Inflation Reduction Act (IRA) a été mis en place sous la présidence Biden et que des tensions avec les États-Unis existaient déjà en matière commerciale. Je rappelle également que nous n’étions pas sortis du contentieux entre Boeing et Airbus ni du contentieux sur l’acier et l’aluminium, même si les droits de douane avaient marqué une pause. Aujourd’hui, nous constatons tous une accélération et la volonté très claire de rendre plus compétitifs les produits fabriqués aux États-Unis, au moyen de droits de douane sur les importations. Cette politique vise également à attirer des investisseurs aux États-Unis, pour s’adresser au marché américain sans droits de douane.
Un certain nombre de politiques ont changé de pied, au premier chef
vis-à-vis de la Russie. Un clivage s’est produit entre les Démocrates et une partie des Républicains, d’une part, et la tendance trumpienne, dite « MAGA », d’autre part. Ce changement s’est traduit par le fait de renouer les relations avec Vladimir Poutine, la volonté d’arrêter très rapidement la guerre, certes pour dépenser moins et peut-être éviter des morts, mais aussi pour décoller stratégiquement la Russie de la Chine. Il s’agit aussi de participer à cette internationale réactionnaire, avec une sorte d’admiration du président Trump pour Vladimir Poutine, son régime et la façon dont il gouverne la Russie.
Le changement de pied porte aussi sur la relation avec les alliés des États‑Unis, et notamment l’Europe. Nous étions aux États-Unis lors du scandale lié au réseau Signal, qui a rendu publics les propos sur l’Europe de certains décideurs américains, notamment le vice-président Vance. J’ai été frappé par les discours que nous avons entendus quand nous avons demandé à des membres de la Chambre des représentants : sommes-nous toujours alliés ? Nous avons enregistré des réponses parfois un peu laconiques, sur le thème : « Le président Trump n’a pas dit l’inverse ». Pour eux, des alliés représentent des capacités plutôt que des dépendances, ce qui fait écho d’ailleurs aux propos du président Trump qui demandait : « Si nous sommes attaqués, les Français seront-ils là pour nous aider ? » En d’autres termes, des alliés sont des États qui peuvent aider et non des États qu’on aide en permanence, parce qu’ils n’investissent pas assez dans leur outil de défense.
On assiste à une remise en question des grands principes qui tissent les relations entre les États-Unis et leurs alliés, à commencer par la question de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de l’article 5 de ce traité. Nous avons demandé à nos interlocuteurs s’ils viendraient nous défendre si nous étions attaqués. Leur réponse a été que le président Trump n’avait pas dit l’inverse mais qu’il ne faudrait pas avoir provoqué l’« ours russe », selon les termes employés. Certains de ces Américains reprennent complètement le récit de Vladimir Poutine, notamment sur l’invasion en Ukraine.
Le troisième revirement est celui de l’impérialisme, poussé très loin avec les propos de Donald Trump sur le Groenland, le Canada ou Panama. Nous l’avons bien senti dans les échanges que nous avons pu avoir avec les représentants Républicains.
Le quatrième changement de pied concerne le Moyen-Orient et les prises de position sur Gaza. Nous en avons déjà parlé lors de l’audition de Dominique de Villepin et je ne m’y étendrai pas.
Dans l’ensemble, le fil rouge de tous ces changements de pied est de garantir et pérenniser la supériorité américaine sur tous les autres pays du monde. Il s’agit de s’assurer que la puissance américaine est largement devant toutes les autres en matière économique, commerciale, géopolitique, militaire, stratégique et technologique. La méthode est très trumpienne : transactionnelle, pragmatique, pour ne pas dire mouvante et erratique. Elle abandonne le multilatéralisme et se montre beaucoup plus court-termiste, en rejetant la politique américaine historique fondée sur des valeurs, pour se concentrer sur le rapport de force et la loi du plus fort.
Le tout s’appuie sur un sous-jacent idéologique très fort : une révolution réactionnaire – ou une internationale réactionnaire – autour de la restauration de la famille traditionnelle au cœur de la société américaine, du démantèlement de l’État administratif, de la défense de la souveraineté ou plutôt d’un retour de l’isolationnisme, les États-Unis ayant la priorité sur tous les autres pays.
Mme Nathalie Oziol, rapporteure. Je voudrais d’abord souligner le niveau des rencontres que nous avons faites aux États-Unis : un élu Démocrate, trois élus Républicains, des conseillers stratégiques au Pentagone, une sous-secrétaire d’État et l’ambassadeur de France aux États-Unis. Ces rencontres et les échanges que nous avons eus permettent un retour sérieux, en tout cas un aperçu sérieux et clair de l’orientation politique des États-Unis de Donald Trump, y compris à l’international.
Force est d’abord de constater la rapidité des mesures assénées par l’administration Trump. Cette stratégie est d’ailleurs revendiquée sous le nom de « shock and awe », déjà déployée par les Américains lors de la guerre en Irak. Elle consiste à frapper très fort et très vite, de sorte à placer tous les acteurs en état de sidération. Depuis notre déplacement, il y a deux semaines à peine, nous avons reçu de nouvelles annonces concernant les droits de douane. Tout va donc très vite. Tout espace, que ce soit l’Europe ou la Chine, est désormais considéré comme un concurrent potentiel par les États-Unis.
La victoire de Donald Trump, l’installation de son administration et ses premières décisions constituent un bouleversement politique et géopolitique majeur, désormais impossible à ignorer. Elle contraint toutes les sociétés à réagir, soit en se pliant aux desideratas états-uniens, soit en adoptant une voie alternative. Cette dernière fait l’objet de discussions et de débats, y compris au sein de notre délégation.
Nous sommes tous obligés d’analyser froidement la situation et d’adapter profondément notre référentiel diplomatique et économique. La France devrait occuper un rôle diplomatique de premier plan mais elle ne le fait pas suffisamment, selon moi, et elle n’est pas sérieusement considérée par Donald Trump. Quand on s’adresse aux élus que l’on a rencontrés, y compris les plus « MAGA », ils parlent de la France et de l’Europe en des termes qui ne sont pas insultants et parfois même flatteurs. Dans les faits, les négociations sur la guerre en Ukraine écartent la France, comme le reste des États européens. Elles ont lieu directement entre Donald Trump et Vladimir Poutine, si bien que l’on peut s’interroger sur les conditions qui sont mises sur la table et qui sont potentiellement celles de Vladimir Poutine. Est-il encore question de franchissement des frontières ou des territoires annexés ? La question se pose.
Donald Trump ne rechigne pas à aller à l’affrontement. Il amène lui-même le choc commercial et militaire. Nos entretiens ont été très clairs et très transparents sur cet aspect. Toute l’action diplomatique et toute l’action militaire sont orientées autour d’une confrontation, commerciale et guerrière, notamment avec la Chine, ce qui implique de passer rapidement sur la guerre en Ukraine. Donald Trump a besoin de refermer ce chapitre pour se consacrer à la confrontation avec la Chine.
Rester alignés sur les États-Unis signifierait accompagner ce choc militaire car il est peu probable que la Chine reste inactive face aux traitements que lui infligent les États-Unis d’Amérique. Ces derniers ne peuvent donc pas être considérés comme des partenaires pour la France. Notre déplacement s’est passé en plein scandale de la fuite de la boucle Signal dans laquelle l’Europe était considérée comme « pathétique » : on peut difficilement être plus transparent. Le slogan trumpiste « America First » indique bien que les États-Unis défendent avant tout et uniquement ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts.
Notre rapport souligne que la France serait l’un des rares pays à pouvoir apporter un concours spécifique utile, ce qui la placerait dans une position d’interlocuteur régulier et de partenaire. Il est mentionné l’obtention d’un cessez-le-feu au Liban mais force est de constater que les États-Unis ont intensifié leurs liens et leur alignement avec la politique de l’État d’Israël au Moyen-Orient. Le cessez-le-feu a, depuis, été violé et les frappes se sont intensifiées à Gaza comme au Liban.
Je constate pour ma part que les échanges entre le président français et le président nord-américain n’ont pas permis d’inflexion de la politique de Donald Trump. Emmanuel Macron revendiquait, fin février, d’avoir clarifié les choses avec son homologue. En réalité, sur le dossier ukrainien, par exemple, il n’y a pas eu de garantie de sécurité sur ce que les États-Unis pouvaient envisager pour l’Ukraine. À peine quelques jours plus tard, les États-Unis déposaient au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution pour demander une paix rapide, dans laquelle il n’était plus question de rappeler le droit international ni de restituer à l’Ukraine les territoires annexés. Dans ce contexte, il paraît difficile de continuer à qualifier de partenaires les États-Unis d’Amérique.
Se pose alors la question de ce qu’on envisage par une autonomie stratégique européenne. Cet objectif me paraît difficile à atteindre. Les récentes décisions des dirigeants européens sur la reprise en main de leur défense vont plutôt dans le sens de ce qu’exigent Donald Trump et son administration. Par exemple, la demande de porter la contribution de dépenses de 2 % à 5 % du produit intérieur brut (PIB) des États européens se traduit par le plan annoncé par Ursula von der Leyen, qu’elle a appelé Réarmer l’Europe et qui porte sur 800 milliards d’euros destinés à renforcer la défense européenne. Lorsqu’on fait le calcul, cela revient à peu près à 5 % du PIB des pays européens. On ne semble pas prendre du tout l’orientation d’une rupture de l’alignement avec les États-Unis. Nous nous trouvons pourtant à un moment clé : veut-on suivre les États-Unis dans leur stratégie guerrière d’affrontements violents ou prend-on une décision de rupture ?
Ensuite, la guerre des droits de douane annonce une crise profonde du capitalisme. Les États-Unis provoquent un affrontement commercial et monétaire pour imposer leur domination économique dans le monde. Cette guerre commerciale ouverte ne peut mener que vers des conflits sociaux plus intenses en France, en Europe et dans le monde. La mise en application des mesures de droits de douane par les États-Unis d’Amérique est un événement considérable qui s’apprête à désagréger les échanges commerciaux mondiaux. Toute l’organisation politique, économique, sociale depuis plus de quarante ans est ainsi remise en question par Donald Trump. De tels changements entraîneront nécessairement des conséquences importantes sur l’organisation du monde et sur les liens entre les pays.
La France Insoumise n’a jamais été partisane du libre-échange. Nous ne considérons absolument pas qu’il sera la solution pour sortir de cette crise. En revanche, nous avons toujours considéré qu’on ne pouvait pas procéder à la hache pour mettre en place le protectionnisme nécessaire à ce que la France retrouve, par exemple, sa souveraineté alimentaire et sanitaire. Quand nous parlons de protectionnisme solidaire, nous revendiquons un retour au bilatéralisme pour la négociation des droits de douane en fonction des intérêts mutuels. Condamner la politique brutale de Donald Trump ne signifie donc pas que nous nous serions ralliés à la doctrine du libre-échange d’une manière ou d’une autre.
En revanche, il est clair que le choc que Donald Trump va infliger est inacceptable. Pour y répondre, il faudra dépasser les cadres traditionnels dans lesquels nous nous trouvons depuis plus de quarante ans en France et en Europe. On ne peut pas résumer les possibilités à une alternative : soit nous négocierions ce que nous pourrions en continuant d’acheter des produits américains, soit nous appliquerions des droits de douane réciproques au détriment de la consommation populaire.
Il est question, dans ce rapport, d’envisager le non-alignement. Nous n’envisageons probablement pas ce thème de la même façon avec mes collègues. Je considère, pour ma part, qu’il faut envisager un redéploiement autour d’un projet altermondialiste, en rupture avec l’idéologie du libre-échange, autour d’une lutte commune pour la protection des biens communs planétaires. Par exemple, les pays du petit bassin méditerranéen – France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Algérie, Maroc, etc. – sont des partenaires de coopération, puisque nous partageons un écosystème, qui a d’ailleurs été fragilisé. La France est étendue sur tous les continents. Elle a donc vocation à renforcer ses coopérations avec les puissances émergentes ou ré-émergentes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Ces dernières sont les voisins immédiats d’une France d’outre-mer qui demande à être prise en compte et qui constitue un formidable atout stratégique. Les pays francophones, notamment en Afrique, sont également des partenaires naturels avec qui nous devons envisager une relation.
En tout état de cause, la situation internationale impose de tenir compte de la rupture frontale et brutale voulue par Trump. La France ne doit pas être simplement en réaction mais retrouver la maîtrise stratégique et diplomatique dans la réorganisation du monde. Toutes les sociétés du monde vont être mises au défi de savoir ce qu’elles veulent faire : s’aligner, appliquer les desideratas des nord‑Américains et de Trump, payer un tribut comme les 5 % de PIB pour les dépenses militaires, ou bien s’inscrire dans une logique alternative, c’est-à-dire de non-alignement aux côtés de tous ceux qui refusent de céder et d’entrer dans une logique de confrontation violente et guerrière. En somme, ce moment est très dangereux mais il peut aussi être plein d’opportunités, à condition que l’on sache les saisir.
M. le président Bruno Fuchs. Merci beaucoup pour ces deux propos préalables qui expliquent bien le niveau des intervenants que nous avons pu voir et les perceptions très claires qui, dans les jours et semaines qui ont suivi notre mission, ont été confortées par l’enchaînement des faits.
M. Alain David (SOC). À l’heure où les tensions avec les États-Unis se durcissent, tant sur le plan commercial que du fait des divergences diplomatiques, votre déplacement est un exemple de diplomatie parlementaire. Un rapport sera d’ailleurs prochainement présenté sur ce sujet par notre collègue Pierre Pribetich : je ne doute pas qu’il confirmera l’utilité de la diplomatie parlementaire et du soft power, et non de la « diplomatie papouille ».
Comment la France peut-elle redynamiser ses outils diplomatiques en matière de soft power et en faire un nouveau levier stratégique, dans notre relation avec les États-Unis en particulier ?
M. Franck Riester, rapporteur. Ce déplacement a été, entre autres, l’occasion pour nous de faire passer des messages au plus proche de Donald Trump. Nous avons par exemple déjeuné avec le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, qui est un élu de Floride, ayant son rond de serviette à Mar-a-Lago. Nous lui avons transmis notre ressenti sur la guerre commerciale, sur les relations avec la Russie et le comportement de Vladimir Poutine. De ce point de vue, la diplomatie parlementaire peut jouer un rôle très important. Je pense qu’il faut continuer à l’articuler avec la diplomatie classique.
Lorsque j’étais chargé, au Quai d’Orsay, du commerce extérieur, de l’attractivité, de la Francophonie et des Français de l’étranger, j’ai souvent été en contact avec des parlementaires pour échanger et leur demander de transmettre des messages complémentaires à ce que je pouvais communiquer officiellement. Cet outil est d’autant plus utile et important que les fondamentaux de la diplomatie classique sont en pleine évolution sous l’effet de la méthode Trump, transactionnelle, marquée par le rapport de force et qui a manifestement vocation à persister dans ce monde multipolaire.
Mme Nathalie Oziol, rapporteure. Ma conviction est que nous ne sommes plus dans un niveau de discussion où Trump et son administration considèrent s’adresser d’égal à égal avec la France, avec l’Europe ou avec n’importe quel pays du monde. Ils portent une vision hiérarchique des choses. Des signes avant-coureurs étaient présents : les États-Unis ont toujours eu pour tradition de défendre leurs intérêts. L’IRA de Joe Biden consistait déjà en du protectionnisme de l’économie nord-américaine.
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas. La volonté est affichée et revendiquée de mener un affrontement commercial, parfois même guerrier, avec un grand nombre de pays dans le monde. L’Europe et la France en font partie. À nous de sortir du cadre atlantique, dans lequel nous avions tendance à considérer les États-Unis comme un partenaire fiable, loyal et respectueux. Ce n’est pas le cas. Non seulement l’administration Trump ne s’adresse pas de manière respectueuse à la France et à l’Europe mais sa politique est une politique d’affrontement : nous devons en tenir compte.
M. le président Bruno Fuchs. Ce sujet est encore plus important qu’il ne l’était auparavant, dans des situations où les relations d’État à État étaient à peu près codifiées et claires et où les acteurs arrivaient à créer des politiques publiques d’intérêt mutuel pour les deux pays. Nous avons ici affaire à un pouvoir fondé sur une idéologie forte et pétri de certitudes. Il faut être très nombreux à nous déplacer pour faire bouger les lignes et faire évoluer les opinions publiques. Nous devons leur faire comprendre que leur vision ne leur conférera pas forcément un avantage car on voit bien que les premiers affectés par ces politiques seront les citoyens américains. Nous avons donc besoin de renforcer très fortement nos actions de diplomatie parlementaire.
Une action qui me paraît très intéressante est le déplacement, en juin, à Washington des présidents des commissions des affaires européennes d’un certain nombre de pays européens. Je me félicite que la commission des affaires étrangères française ait été parmi les premières à se rendre aux États-Unis pour faire état d’un certain nombre de préoccupations, mais aussi de situations que les Américains n’ont plus dans leur champ de pensée. Il faut enrichir leur pensée unilatérale et leur montrer qu’il existe d’autres paramètres sur lesquels ils peuvent intervenir et dont ils doivent tenir compte, dans leur propre intérêt et dans l’intérêt de la relation multilatérale.
M. Franck Riester, rapporteur. Je réunirai à la reprise, à fin avril, le groupe d’amitié France-États-Unis que je préside, pour voir de quelle manière nous pouvons conduire des actions avec les élus états-uniens, mais aussi avec la société civile. Dans la diplomatie parlementaire, le contact avec la société civile est tout aussi important.
M. le président Bruno Fuchs. Nous avons peu insisté – mais le rapport écrit en fait état – sur le nombre relativement important d’experts, de think tanks, de penseurs et d’universitaires que nous avons pu rencontrer, plus nombreux encore que les responsables politiques. Ils permettent de mobiliser les opinions publiques et de mieux comprendre les réalités états-uniennes, comme le disent certains.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Merci de rappeler l’importance de la diplomatie parlementaire que j’essaye, à mon niveau, d’appliquer le plus possible depuis que je suis députée de cette commission. Sur votre proposition, nous avons d’ailleurs inscrit à l’ordre du jour de notre commission un rapport sur la diplomatie parlementaire, dont je serai co-rapporteure avec M. Pribetich. Nous sommes en train de préparer nos auditions et nous prévoyons d’aller à Washington pour interroger nos homologues américains.
Je voudrais revenir sur le débat public autour des droits de douane. Au cours de vos échanges, avez-vous pu mettre en évidence que les importateurs sont ceux qui paient les droits de douane et les répercutent sur les consommateurs ? La politique menée par les Américains débouche finalement sur un prélèvement net pour leur population. La première victime de cette politique protectionniste est le pays qui la pratique, ce qui peut entraîner des conséquences néfastes sur la compétitivité des exportateurs. Ce fait est-il bien présent dans l’esprit des Américains ? Ils disent « America first » et parlent de défendre leurs industries mais, en réalité, les classes moyennes et les plus défavorisés en seront les premières victimes.
Avez-vous évoqué la manière dont l’Europe va riposter ? Il ne s’agit pas d’entrer dans l’escalade mais de cibler des produits emblématiques américains, notamment les médicaments, car ils importent beaucoup de médicaments français. Il s’agit de leur faire comprendre qu’il faut cesser cette politique délétère.
M. Franck Riester, rapporteur. J’ai oublié tout à l’heure de remercier monsieur le président pour la qualité de cette mission comme du rapport.
Quand, en réponse à Alain David, j’évoquais tout à l’heure les messages que nous avons fait passer à un certain nombre de responsables Républicains, il va de soi que nous avons évoqué ces sujets. Nous avons souligné que la guerre commerciale relevait du « perdant-perdant », comme l’a montré le contentieux de 2020 autour d’Airbus et Boeing. L’Europe avait imposé des droits de douane sur les Boeing en réaction aux droits infligés aux Airbus par les États-Unis. En fin de compte, les deux constructeurs d’avions ont perdu des parts de marché et de la marge. Une guerre commerciale n’est donc ni dans l’intérêt des Américains ni dans notre intérêt. Mieux valait se mobiliser vis-à-vis d’un certain nombre d’acteurs dans le monde qui mènent des pratiques déloyales, plutôt que de se battre entre nous.
Nous avons souligné qu’il fallait cibler intelligemment les sanctions. Nous avons ainsi remonté, aux niveaux français et européen, le fait que taxer le bourbon n’était pas une bonne idée et même tout à fait contre-productif, puisque cela donnait la possibilité à M. Trump d’instaurer des droits de douane sur le champagne et les autres vins. Mieux valait cibler les sanctions sur des produits touchant directement des responsables au sein du système Trump. À l’époque, les cranberries avaient été taxées dans un État autrefois tenu par un élu Républicain très influent, mais qui n’est plus aux responsabilités. Continuer de taxer les cranberries alors qu’un Démocrate est désormais aux responsabilités n’a donc aucun sens. Il faut utiliser ces droits de douane d’une façon ferme, mais intelligente et ciblée, pour faire pression sur les élus qui ont un poids dans le dispositif Trump.
Mme Nathalie Oziol, rapporteure. Le sujet était d’autant plus prégnant que nous savions, lors de notre déplacement, que de nouveaux droits de douane seraient annoncés le 2 avril. J’ai l’impression que, malgré tous les échanges que nous pouvons avoir, Donald Trump et son administration décident en cercle fermé. Peu leur importe de savoir comment nous répondrons. Leur but est d’appuyer leur domination sur le monde. Tel un rouleau compresseur, ils appliquent leur politique et nos propos les feront assez peu dévier de cette volonté.
Il est clair que cette politique entraînera des répercussions sur la société américaine, avec de l’inflation aux États-Unis mais aussi, par ricochet, dans le reste du monde. Les conséquences sociales seront très lourdes et doivent être anticipées dès maintenant.
M. Franck Riester, rapporteur. Un des leviers qui peut faire revenir le président Trump sur ses décisions est tout de même la réaction des Américains eux‑mêmes. Les consommateurs paieront plus cher leurs produits importés. Comme évoqué lors de la précédente audition ce matin, les actionnaires, épargnants et retraités américains voient leur épargne fondre comme neige au soleil. Plusieurs milliers de milliards de dollars se sont évaporés dans le krach boursier aux États‑Unis. Je suis convaincu que tout cela exercera une pression sur Donald Trump.
Deuxièmement, je crois quand même à la réplique européenne, qui devra effectivement être ciblée et intelligente. La réplique chinoise a été très violente, ce qui a permis de focaliser l’attention des Américains et de Donald Trump. Nous devons être plus fins, plus ciblés, tout en nous montrant fermes. Je le répète, l’imposition de droits de douane sur Boeing et un certain nombre de produits, en réaction des mesures anti-Airbus, a fait évoluer l’administration Trump. Avant même l’arrivée de l’administration Biden, elle est revenue à la table des négociations pour sortir de ce contentieux négatif pour elle. La fermeté des réponses en la matière est donc susceptible de faire évoluer la situation.
M. le président Bruno Fuchs. Plusieurs des interlocuteurs que nous avons rencontrés, dont un très proche de l’administration de M. Trump, ont reconnu le mal-fondé de ces droits de douane. Nul n’y croit vraiment mais le président Trump y tient. Ces droits ont donc été mis en œuvre puis les Américains travailleront à les réduire au travers des négociations.
M. Michel Herbillon (DR). J’ai entendu la relation de votre voyage avec intérêt et je vous en remercie. Au-delà des mots de convenance et des bonnes paroles sur les liens avec la France, avez-vous ressenti dans vos rencontres que le président Trump – et ce n’est pas le seul – n’a pas grand-chose à faire de l’Europe ?
Quand on rencontre des Américains, même très éduqués, ils ne savent pas placer exactement chaque pays d’Europe. Telle est la réalité des choses. Je me souviens bien d’un Américain diplômé de Stanford, qui m’avait répondu : « Mais vous non plus ne savez pas exactement localiser chacun des pays sur la carte de l’Afrique ». Un tel propos remet les choses en perspective sur l’importance du rôle de la France aux yeux des Américains.
Les Républicains ne se focalisent que sur une seule chose : c’est, d’une part, que Donald Trump mène la politique de son électorat et, d’autre part, qu’il se concentre sur sa confrontation avec la Chine dans l’Indopacifique, sans se préoccuper des états d’âme des Européens et, parmi eux, des Français. L’avez-vous ressenti lors de vos échanges ?
M. Franck Riester, rapporteur. Oui, comme je l’ai dit tout à l’heure. Les Américains n’ont jamais exactement su où se trouvait la France mais le fait est que la stratégie américaine en matière de politique étrangère, militaire et géopolitique, a pivoté – à partir des années Obama – de l’Atlantique au Pacifique pour se focaliser sur la menace chinoise. Donald Trump va plus loin encore et en fait une obsession mais ce pivot est déjà très prégnant depuis les années Obama.
Ce qui fait la différence, comme nous l’avons bien senti dans nos discussions avec les Républicains, est le positionnement des États-Unis par rapport à Vladimir Poutine. La question est un peu générationnelle. Des élus Républicains un peu plus âgés, qui sont plutôt entrés dans la vie politique sous la présidence Bush, nous ont tenu un discours très dur vis-à-vis de Vladimir Poutine. Pour eux, les Européens sont des alliés et Vladimir Poutine doit perdre. Tel n’est pas du tout le discours de Trump et des MAGA. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, quand on leur demande si nous sommes alliés, ils réfléchissent et répondent : « Le président Trump n’a pas dit non ». Ils soulignent que des alliés doivent représenter d’abord des capacités supplémentaires et non des dépendances, c’est-à-dire qu’ils ne veulent pas d’alliés qu’il faille soutenir en permanence parce qu’ils ne paieraient pas assez pour leur défense. Ils veulent des Européens qui viennent les aider en cas de problème avec la Chine. Tel est le revirement opéré par Donald Trump, sans compter évidemment sa relation avec Vladimir Poutine, son admiration quasiment pour ce dernier, et sa volonté d’arrêter la guerre en Ukraine à tout prix, au mépris même des valeurs et du soutien à ses alliés européens.
M. le président Bruno Fuchs. Il existe autour du président Trump des rivalités d’influence considérables, qui sont loin d’être toutes alignées. On peut distinguer trois grands cercles. Le premier est celui des Républicains reaganiens, plutôt traditionnels dans la relation avec l’Europe, qui parlent clairement de partenariat, de fidélité aux valeurs de la paix et de la liberté. Ils s’inscrivent encore dans cette universalité que les États-Unis ont toujours portée jusqu’à présent. Je dirais qu’ils sont assez nombreux, qu’ils ne peuvent pas aujourd’hui faire entendre leur voix mais qu’ils attendent le bon moment.
Pour l’anecdote, nous avons croisé par hasard le président de la commission des forces armées de la Chambre des représentants. Nous lui avons demandé ses impressions. Il nous a répondu en substance : « La messe n’est pas dite. Laissez faire. Nous aurons la main un jour, ici, au Congrès. ». Certains attendent que le mal soit fait pour prendre la main et y revenir, le tout dans l’entourage du président Trump. Les rivalités devraient créer des dissensions dans les semaines à venir.
Mme Christine Engrand (NI). J’ai lu avec beaucoup d’attention votre rapport concernant votre visite à Washington et ses conclusions. Si j’avais le sentiment que vous reveniez avec le constat d’un dialogue renforcé et d’une présence intellectuelle française consolidée, j’ai le sentiment à vous entendre ce matin que ce n’est pas tout à fait le cas.
J’ai lu dans votre rapport que vous aviez rencontré des chercheurs, des conseillers, des représentants d’un pays qui assume pleinement une politique industrielle volontariste massive à travers l’Inflation Reduction Act, une Amérique qui avance ses pions sans complexe, pendant que l’Europe débat encore de ses règles du jeu. J’ai le sentiment aujourd’hui d’un certain décalage entre votre visite et le ressenti que vous en avez.
Ensuite, la France et l’Europe sont en décalage complet sur la réaction qu’elles auraient dû avoir immédiatement après les mesures de Donald Trump. Vous parlez de diplomatie mais notre diplomatie est-elle prête à relever le défi ? Comme l’a dit M. Herbillon à l’instant, je pense que la France et l’Europe ne représentent plus rien pour M. Trump et que nous sommes carrément hors sujet.
Mme Nathalie Oziol, rapporteure. J’ai fait sur ce sujet des ajouts assez personnels qui portent la position de mon groupe. En effet, nous sommes renforcés dans l’idée que l’alignement avec les États-Unis – l’Atlantisme – nous mène à devoir décider de manière extrêmement rapide et stratégique notre positionnement. Que signifie défendre les intérêts européens et français, quand les États-Unis ont décidé de défendre les leurs, y compris en écrasant tout le monde ? Cette vision est propre à La France insoumise, c’est pourquoi je la défends personnellement.
D’autres questions se posent. Qui voit des intérêts à s’aligner avec le Trumpisme ? Qui participe au rassemblement appelé par l’extrême droite américaine ?
M. le président Bruno Fuchs. Je ne suis pas aussi radical que vous sur la volonté de négliger l’Europe. Je pense à un repositionnement stratégique des États‑Unis, qui voient, peut-être dans une forme de nostalgie de la guerre froide, un conflit avec la Chine comme susceptible de faire émerger deux grandes puissances. Peut‑être est-ce le modèle dans lequel se trouve le président Trump ? La mobilisation par les États-Unis de leurs moyens de lutte, notamment militaires, vers un conflit de puissance et de rivalité avec la Chine, a pour contrecoup que l’Europe devient secondaire. Tout euro investi en Europe ne l’est pas contre la Chine. Cet élément stratégique entre aussi en ligne de compte.
Je pense que la volonté est aussi d’inféoder l’Europe ou de la subordonner à la puissance américaine. Ils ne l’obtiendront pas par leur influence naturelle, donc ils veulent le faire par la force, comme l’a expliqué très pertinemment le premier ministre de Villepin, en faisant tomber les pays les uns après les autres. Ils pourront ensuite disposer de proxies dans certains pays européens.
M. Franck Riester, rapporteur. La réponse européenne sur le volet géopolitique me semble être la bonne : pas de précipitation, rester ferme sur ce qui a déjà été mis en place. Je rappelle que des droits de douane ont déjà été instaurés dans le cadre du contentieux acier-aluminium, avec une réplique européenne dans les tous prochains jours. En lien avec les différents secteurs d’activités, les pays réfléchissent à la meilleure réponse, la plus ciblée et la plus utile, qui entraîne le moins d’impact négatif pour les Européens.
Je pense qu’il faut procéder ainsi plutôt que d’adopter une réponse, certes, rapide mais contre-productive. Les Chinois se sont inscrits dans une réponse très frontale, qui concentre tout l’antagonisme américain. Je pense que nous avons intérêt à être fermes, rapides mais non précipités dans la réponse, pour être les plus efficaces et les plus utiles à l’économie mondiale et à l’économie européenne, en l’occurrence.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je remercie mes collègues car ce voyage était indispensable et très pertinent.
Nous sommes sortis brutalement d’une certaine naïveté et avons été pris par surprise dans notre relation avec les États-Unis d’Amérique. Je dis « nous » pour parler globalement des Français et des Européens mais ce nous n’inclut pas les Insoumis. Depuis 2008, les Insoumis se sont opposés à ce que la France rejoigne le commandement intégré de l’OTAN. Nous nous sommes également opposés au traité de Lisbonne, qui a inscrit le libre-échange comme un dogme européen. Ce texte a marqué un tournant très important et nous en payons aujourd’hui les conséquences.
La stratégie est celle du choc. Nous sommes, d’une certaine façon, tétanisés. M. Riester, je ne suis pas d’accord quand vous dites que la réaction de la France ou de l’Union européenne est la bonne. Certes, que pourrait-on faire d’autre ? Mais cette stratégie n’est pas la bonne. L’Union européenne n’est pas un marché de 400 millions de consommateurs. C’est une vue de l’esprit. L’Union européenne recouvre vingt-sept marchés qui totalisent 400 millions de consommateurs.
J’ai eu cet échange directement avec la Chine car je reviens, moi aussi, d’une mission en Chine. Les autorités chinoises le gardent toujours en tête dans leur approche des pays européens. Dès lors, la Chine négocie en bilatéral avec tous les pays, en passant outre la position de la Commission européenne.
Les États-Unis feront exactement la même chose. Ils ont même déjà commencé : Mme Meloni est aux États-Unis. Pendant que la Commission européenne prend son temps pour essayer de se mettre d’accord, l’Italie a ouvert le bal pour les pays européens. Nous verrons ce qu’elle en tirera mais si elle revient en ayant ne serait-ce qu’obtenu un tout petit peu, les autres pays se précipiteront.
Thierry Breton disait la semaine dernière en commission des affaires européennes : « L’Union européenne, c’est vingt-six plus un ». Ce « un » est la France. Dans le domaine de la défense, par exemple, nous ne sommes pas dans la même situation que les vingt-six autres pays européens. Quand on veut nous imposer d’acheter des armes américaines et de muer notre économie en économie de guerre, nous sommes le seul pays en Europe à ne pas être concernés, parce que nous ne sommes pas aussi dépendants des États-Unis que le sont les autres pays européens. Notre défense ne dépend pas des États-Unis d’Amérique. Sur bien des plans, nous sommes un pays qui peut s’en sortir presque seul.
Nous aimerions tous voir une voix unique de l’Union européenne qui pèserait dans la balance. Les Chinois m’ont dit que l’Union européenne devrait y parvenir et peser davantage dans le jeu mais nous n’en sommes pas encore là, au contraire. Comment faire autrement, maintenant que le bal est ouvert et que l’Italie est déjà allée négocier en bilatéral avec les Américains ?
M. le président Bruno Fuchs. Bien que vous sembliez vous adresser à Franck Riester en posant votre question, je me permettrai un élément de réponse.
Vous dites que l’Europe compte vingt-sept marchés. Pour ma part, je regrette que, depuis des années voire des décennies, certains aient freiné l’évolution vers un marché vraiment unique et une Europe renforcée. Nous en payons aujourd’hui le prix. Si l’Europe était beaucoup plus forte et cohérente dans ses organes économiques et de gouvernance, les Italiens ne se rendraient pas aux États‑Unis ; un représentant européen irait négocier en direct au nom de toute l’Union. Il s’agit d’un défaut de construction par le passé.
M. Franck Riester, rapporteur. Encore une fois, vous critiquez l’Europe et considérez qu’elle n’a pas la bonne réaction mais sans rien proposer d’alternatif. J’admets que vous n’en ayez pas eu le temps.
Vous dites souvent que l’Europe n’est qu’un marché unique puis vous niez le fait qu’elle le soit. L’Europe est bien un marché unique, même s’il faut aller plus loin, comme l’a très bien dit le président, notamment sur les questions financières, avec le marché unique des capitaux. La politique commerciale est aujourd’hui une compétence européenne. Aucun pays, même l’Italie, ne pourra décider des droits de douane avec les États-Unis. La Commission européenne décidera pour le compte des États.
Il est évident que nos partenaires, mais aussi rivaux économiques et commerciaux, essaient de diviser l’Europe en jouant les uns contre les autres. Les États-Unis et la Chine pratiquent cette technique régulièrement. Quand les Chinois infligent des surtaxes sur le cognac français en réaction aux taxes européennes sur les véhicules électriques chinois, il s’agit de semer la dissension entre les Allemands et les Français. M. Trump fait de même sur le champagne et les autres vins.
L’unité européenne est une clé pour demain et pour garantir que l’Europe puisse se défendre correctement vis-à-vis de ces politiques commerciales très agressives. Il faut donc dénoncer les pays qui ne joueraient pas l’unité européenne. Il est problématique de voir la présidente du conseil des ministres italien aller aux États-Unis de la sorte, sans coordination avec la Commission européenne. Pour autant, je considère que la stratégie européenne est pertinente car elle consiste à ne pas surréagir mais à affiner notre réaction, pour qu’elle porte non seulement sur les droits de douane mais aussi – pourquoi pas – sur la fiscalité, sur les services numériques, sur la réciprocité de l’ouverture des marchés publics. Nous verrons dans le temps si cette réponse se traduit concrètement par une fermeté et une pertinence des choix. Nous pourrons en reparler mais je pense, pour l’instant, que cette stratégie est la bonne.
Mme Nathalie Oziol, rapporteure. Je parlais tout à l’heure de la stratégie du choc voulue par Donald Trump. Non seulement il l’applique aux États européens et il se régale quand certains dirigeants proposent de négocier en bilatéral mais il n’a même pas à forcer pour jouer sur les divisions qui peuvent exister entre États européens. Nous constatons soit une sidération des dirigeants européens, soit des réactions en ordre dispersé.
Giorgia Meloni va aux États-Unis mais Donald Trump mène aussi des discussions bilatérales avec Viktor Orbán. Nous n’avons pas eu le temps de parler de la vision politique de Donald Trump, de sa vision régressive en matière de droits humains, de droits des femmes et des LGBT. Il partage cette vision avec Viktor Orbán, donc il négocie directement avec ces États. Il faudrait parler du Danemark, qui envisage de commander des avions F-35 aux États-Unis, alors même que ceux-ci menacent d’agression le Groenland, territoire danois. Certaines réactions confinent parfois à l’absurde.
Je me suis inscrite en faux dans le rapport quant au fait qu’il faudrait suivre les recommandations des rapports Letta et Draghi, parce que je crois précisément que ces recommandations, issues de la Commission européenne, nous ont menés dans le mur et dans notre état de sidération actuel. Nous pourrions procéder autrement. J’ai lancé quelques pistes avec notre définition du non-alignement et les pays avec lesquels nous pourrions échanger, partager et définir une stratégie alternative.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Il faut d’abord rappeler le cadre global dans lequel s’inscrit la politique de Donald Trump, aussi erratique et absurde soit‑elle. Elle s’inscrit dans le cadre, non pas de la fin de la mondialisation capitaliste, mais de sa reconfiguration, marquée par une militarisation des concurrences économiques, notamment de la protection des routes commerciales, par le piétinement des règles classiques du libre-échange qui s’étaient imposées depuis une quarantaine d’années et par une forme de néo-impérialisme et de prédation à l’état pur. Sans cela, on ne peut pas comprendre les menaces sur le Groenland.
Ces évolutions sont par ailleurs intimement liées à l’émergence de monopoles et à la volonté de les maintenir, notamment sur le numérique. Le modèle en matière numérique est lui-même une simple prédation de données. On constate, du reste, que l’Union européenne est incapable d’y répondre. On ne crée plus de valeur mais on utilise des données pour nourrir l’intelligence artificielle, sans autre fin que l’accumulation illimitée. C’est dans ce cadre que quelqu’un comme Elon Musk semble rompre les rangs en disant : « Je veux une zone de libre-échange totale avec l’Europe ».
Au lieu d’en voir l’absurdité et de repérer le piège, Ursula von der Leyen semble répondre qu’elle est quasiment d’accord. Une telle situation pointe, certes, des failles dans l’administration états-unienne mais elle n’est pas une solution non plus. J’entends qu’il faille parfois négocier au niveau européen, quand cela est possible, mais quand Ursula von der Leyen négocie, je crois que c’est l’Allemagne qui est à la manœuvre. Je suis désolé de le dire brutalement, non pas parce qu’elle est de nationalité allemande, mais parce qu’elle est alignée sur ces objectifs. Quand elle propose une levée totale des droits de douane, en y incluant les voitures, une telle intervention est pour ainsi dire signée.
Ce marché européen que vous appelez de vos vœux n’est pas la solution à tout. Au contraire, il est parfois le problème. Ainsi, le marché européen de l’électricité est une catastrophe et son alignement des prix par le haut nuit à notre productivité. Comme l’a dit Sofia Chikirou, on peut réfléchir à des mesures ciblées mais aussi bilatérales. Il faut cesser de tout déléguer à la Commission européenne, qui ne travaille pas au service de l’industrie française. Ensuite, il faut arrêter de voir le libre-échange comme l’alpha et l’oméga : d’abord, parce qu’il est très inégalitaire et, ensuite, parce que ce modèle est dépassé, que cela nous plaise ou non.
Je ne suis pas favorable à un protectionnisme à la Donald Trump. Nous l’avons toujours dénoncé car il ne s’agit pas pour lui de mettre en place une sortie coopérative du libre-échange généralisé mais de donner un coup de pied dans la fourmilière et de créer une crise boursière, puis économique, qui touchera d’abord les travailleurs américains et ensuite l’ensemble du monde. Ce n’est pas notre vision.
En revanche, croire que la solution alternative est le libre-échange absolu, comme avant, est une erreur. Nous devons analyser quels sont nos besoins réels, au‑delà des balances commerciales, et en profiter pour relocaliser un certain nombre de productions, réindustrialiser chez nous, sans entrer dans une guerre commerciale pour autant.
M. Franck Riester, rapporteur. Il existe bien sûr une volonté d’affirmer la puissance américaine. J’ai même utilisé le mot « impérialiste ». Cette puissance se veut économique et commerciale, militaire et énergétique. Dans un monde de rareté, que Dominique de Villepin a très bien décrit tout à l’heure, les puissances essayent à tout prix de mettre la main sur certains biens et ressources naturelles, afin de garantir leur pérennité. Elles sont prêtes à tout pour ce faire.
Vous avez raison : notre monde a changé. Dans un tel contexte, préférons‑nous être vingt-sept, en essayant de nous battre chacun de notre côté face à la Chine, aux États-Unis, à la Russie, à la Turquie ou au Brésil, ou essayons-nous d’être ensemble pour être plus puissants ? Vous préconisez le bilatéral. Vous demandez que nous cessions de nous en remettre à la Commission européenne pour dialoguer et négocier de notre côté. C’est une vue de l’esprit. En Europe, si vous êtes seuls – chacun chez soi et chacun pour soi –, vous serez faibles par rapport aux puissances.
Imaginer que la Commission européenne ne négocie aujourd’hui que pour les Allemands est une vision complètement tronquée de la réalité. Quand la Commission européenne a imposé des surtaxes à Boeing en 2020, dans le cadre du contentieux commercial avec les États-Unis, les Allemands n’en voulaient pas. Le président de la République, Bruno Le Maire et votre serviteur se sont battus pour convaincre d’autres partenaires européens de la pertinence de cette fermeté
vis-à-vis des États-Unis, ce qui nous a permis d’obtenir ces mesures. Elles ont été utiles, puisqu’elles ont permis de faire revenir l’administration Trump à la table des négociations.
Nous avons tout intérêt à être unis en Europe et à influencer les décisions de la Commission européenne. Nous ne devons surtout pas viser un dialogue bilatéral avec les États-Unis ou la Chine car nous serions perdants. C’est exactement ce que veulent les Chinois et les Américains.
M. le président Bruno Fuchs. Vous mettez tout sur le même plan. Il faut distinguer deux plans différents. D’abord, nous sommes victimes d’une attaque massive sur notre niveau de vie, notre qualité de vie, l’environnement et tous les paramètres qui font notre environnement de vie. Ensuite, il y a le modèle dans lequel nous voulons être.
La première réponse doit consister à être le plus soudés possible pour faire face aux attaques dont nous sommes l’objet. Il faut ensuite se poser la question du modèle de société et de la fin du libre-échange, dans les deux sens du terme. La question se pose alors de créer les règles d’une nouvelle façon de vivre ensemble. Toutefois, ce sont deux temps différents. Je pense qu’on ne peut pas se poser ces questions-là alors même qu’on est attaqués et qu’il en va de notre survie.
S’agissant du Groenland, beaucoup de facteurs sont en jeu. Le premier est la nouvelle stratégie militaire des États-Unis, que nous n’avons pas beaucoup abordée. Il s’agit de défendre le territoire américain, avec un golden dome empêchant tout attaquant de franchir les frontières des États-Unis. Ce schéma nécessite d’intercepter des missiles le plus tôt possible après le décollage. Les États‑Unis ont donc besoin du Groenland pour y installer des satellites, des capteurs et des moyens militaires. Se pose ensuite la question des routes maritimes, des minerais, des ressources naturelles, etc.
On nous a également parlé d’un motif auquel nous croyons volontiers : le président Trump voudrait être l’un des grands présidents qui aura élargi la carte des États-Unis, avec un ou deux territoires supplémentaires. D’autres ont érigé des bibliothèques, de grands bâtiments ou des musées.
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Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information qui lui a été présenté sous la forme d’une communication des participants à ce déplacement.
M. le président Bruno Fuchs. Chers collègues, je vous remercie. Le débat continuera dans toutes les dimensions et sa richesse, comme cela a été le cas ce matin.
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Annexe : Liste des personnes entendues par la dÉlÉgation de la commission
Parlementaires américains
– M. Brian Jeffery Mast (R-Floride), président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants ;
– M. Keith Alan Self (R-Texas), président de la sous-commission Europe à la Chambre des représentants ;
– M. William Richard Keating (D-Massachusetts), co-président du French Caucus et « Ranking member » de la sous-commission Europe à la Chambre des représentants ;
– M. Addison Joe Graves Wilson (R-Caroline du Sud), co-président du French Caucus.
Représentants de l’administration fédérale
– Mme Lisa Kenna, sous-secrétaire d’État, par intérim, pour les affaires politiques au Département d’État ;
– M. Louis Bono, directeur, par intérim, des affaires européennes et eurasiennes au Département d’État ;
– M. David Baker, directeur Europe au Département de la défense.
Personnels de l’ambassade de France à Washington
– M. Laurent Bili, ambassadeur de France aux États-Unis d’Amérique ;
– M. Damien Cristofari, premier conseiller, chef du pôle politique à la Chancellerie ;
– général Bertrand Jardin, attaché de défense ;
– M. Hugo Vergès, conseiller politique intérieure ;
– M. Antonin Aviat, chef du service économique ;
– Mme Elise Dousserain, conseillère Russie, Europe continentale, Asie et Océanie ;
– Mme Selin Uysal, conseillère Énergie, Afrique du Nord, Moyen Orient et Turquie ;
– M. Alexandre Aziz, conseiller Afrique et Amériques ;
– Mme Océane Thiériot, conseillère cybersécurité et coordination G7-G20.
Think tanks / divers
– M. Jean-Marc Gaultier, président de la chambre de commerce franco-américaine (FACC) ;
– M. Julien Bois, M. Pierre Clerc-Renaud et Mme Alexandra Byrne, conseillers du commerce extérieur.
– M. Olivier Blarel, chercheur invité à la Fondation Carnegie pour la paix internationale ;
– Mme Margaux Courteille, diplomate d’échange au bureau en charge des questions liées au cyber au Département d’État ;
– Mme Astrid Chevreuil, diplomate d’échange, invitée au sein du programme « Europe, Russie, and Eurasie » du Center for Strategic and International Studies (CSIS) ;
– Mme Tara Varma, chercheuse invitée à la Brookings Institution ;
– Mme Souhire Medini, diplomate d’échange au Washington Institute for Near East Policy (WINEP).
Atlantic council
– M. Franck Kramer, directeur du conseil d’administration, ancien secrétaire-adjoint à la défense pour les affaires de sécurité internationale ;
– M. Daniel Fried, chercheur émérite de la famille Weiser, ancien ambassadeur des États-Unis en Pologne ;
– M. Charles Lichfield, directeur-adjoint ;
– Mme Rama Yade, directrice du centre pour l’Afrique, ancienne secrétaire d’État aux affaires étrangères et aux droits de l’Homme, ancienne secrétaire d’État aux sports et ambassadrice de France auprès de l’UNESCO ;
– Mme Sophia Busch, assistante au directeur-adjoint ;
– M. Patrick Martinek, chercheur invité ;
– Mme Rachel Rizzo, boursière senior non résidente ;
– M. Leo Michel, boursier senior non résident.
([1]) Pour désigner les citoyens et les responsables des États-Unis d’Amérique, Mme Nathalie Oziol préfère l’expression « États-uniens » au mot « Américains ». Le terme « Américains » désigne tous les habitants du continent. Or, les États-Unis ne sont qu’un pays parmi d’autres sur ce continent. L’expression « États‑uniens » permet d’éviter une appropriation par un seul pays ; dans de nombreux pays d’Amérique latine, c’est d’ailleurs elle qui est utilisée. L’utilisation de cette expression convient donc mieux lorsqu’il s’agit de développer une nouvelle stratégie diplomatique non alignée, orientée notamment vers les pays d’Amérique latine.
([2]) Selon Mme Nathalie Oziol, les dirigeants français, et notamment Emmanuel Macron, François Hollande et Nicolas Sarkozy, ont favorisé une relation atlantiste avec les États-Unis, en encourageant la participation de la France dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Or, cette stratégie fait également l’objet de vives critiques, notamment par La France insoumise, qui souligne que l’OTAN est la seule alliance militaire intégrée au monde et, par ailleurs, entièrement soumise aux décisions des États-Unis d’Amérique. En 1966, le général de Gaulle avait retiré la France du commandement intégré de l’OTAN. Les atlantistes, dont les arguments n’ont pas évolué depuis, avaient garanti l’affaiblissement de notre pays. Au contraire, la diplomatie non alignée qui s’en est suivie lui a permis de voir son influence progresser.
([3]) Trump v. United States, 603 U.S., 1er juillet 2024 : www.supremecourt.gov/opinions/23pdf/23-939_e2pg.pdf.
([4]) Pour Mme Nathalie Oziol, alors que l’aide publique au développement (APD) française est critiquée depuis plusieurs années avec des arguments fantasmés par des partis de l’extrême droite française, les annonces de Donald Trump sur le sujet leur ont offert un élan pour dénoncer les prétendus « scandales » de l’APD. Les conséquences déjà dramatiques d’USAID rappellent à quel point l’aide au développement est essentielle et l’importance de l’APD pour la France.
([5]) Executive order : Restoring Freedom of Speech and Ending Federal Censorship, 20 janvier 2025 : https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/01/restoring-freedom-of-speech-and-ending-federal-censorship/.
([6]) « États-Unis : la vision de Donald Trump sur la « liberté d’expression » se fait au détriment de la liberté de la presse », Reporters sans frontières, 23 janvier 2025.
([7]) « Continuing the Reduction of the Federal Bureaucracy », La Maison Blanche, 14 mars 2025 : https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/03/continuing-the-reduction-of-the-federal-bureaucracy/.
([8]) Edward Maille : « Le président de la Cour Suprême recadre Trump après son appel à destituer un juge », RFI, 13 mars 2025 : https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20250319-le-pr%C3%A9sident-de-la-cour-supr%C3%AAme-recadre-trump-apr%C3%A8s-son-appel-%C3%A0-destituer-un-juge.
([9]) Selon CNN, trente-six décrets exécutifs reprennent directement des propositions formulées dans le rapport de 900 pages de la Heritage Foundation, en particulier sur les questions d’immigration, de budget fédéral, d’énergie et de politiques de diversité, d’équité et d’inclusion. Par exemple, l’un des premiers décrets signés par Donald Trump a instauré un gel des embauches pour les employés civils fédéraux, une mesure prônée par le Projet 2025 au nom de la discipline financière. Dans la même logique, le Projet 2025 recommande que les États-Unis se retirent d’organisations internationales, celles-ci étant jugées contraires aux intérêts américains. Cette orientation s’est traduite, dès le début du mandat de Donald Trump, par le retrait des États‑Unis de l’accord de Paris et du conseil des droits de l’Homme des Nations unies.
([10]) New York Post : « La doctrine Donroe : la vision de Trump pour l’hémisphère », 8 janvier 2025 : https://nypost.com/cover/january-8-2025/.
([11]) « Secretary Marco Rubio Remarks at His Swearing-In », Département d’État des Etats-Unis, 21 janvier 2025 : https://www.state.gov/secretary-marco-rubio-remarks-at-his-swearing-in/.
([12]) « America first trade policy », Maison-Blanche, 20 janvier 2025 : https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/01/america-first-trade-policy/.
([13]) Ibid.
([14]) Ibid.
([15]) Julia Huessa et Shannon O’Neil, « What Trump’s Aluminum and Steel Tariffs Will Mean, in Six Charts », Council on Foreign relations, 14 février 2025.
([18]) Julia Huessa et Julie O’Neil : « What Trump’s Aluminum and Steel Tariffs Will Mean, in Six Charts », Council on Foreign relations, 14 février 2025.
([19]) Julia Huessa et Julie O’Neil : « What Trump’s Aluminum and Steel Tariffs Will Mean, in Six Charts », Council on Foreign relations, 14 février 2025.
([20]) Matthew Daly : « Senate confirms fossil fuel CEO Chris Wright as energy secretary. He vows to ‘unleash’ US resources », AP News, 4 février 2025.
([21]) Cristopher Miller : « Ukraine agrees minerals deal with US », Financial Times, 25 février 2025.
([22]) Garth Friesen : « Why Trump wants Greenland and Canada : strategic and economic goals », Forbes, 26 janvier 2025.
([23]) « Priorities and mission of the second Trump Administration’s Department of State », Département d’État des Etats-Unis, 22 janvier 2025 : https://www.state.gov/priorities-and-mission-of-the-second-trump-administrations-department-of-state/.
([25]) Mariel Ferragamo : « How Does Fentanyl Reach the United States? », Council on Foreign relations, 4 mars 2025.
([26]) Tamsin Paternoster, « La politique étrangère de Trump commence avec le " Quad ", le Sommet indo‑pacifique », Euronews, 22 janvier 2025.
([27]) « A free and Open Indo-Pacific », United States National Archives, 5 janvier 2019 : https://trumpwhitehouse.archives.gov/wp-content/uploads/2021/01/OBrien-Expanded-Statement.pdf.
([28]) « America First Investment policy », The White House, 21 février 2025 : https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/02/america-first-investment-policy/
([29]) « Fact Sheet: President Donald J. Trump imposes tariffs on imports from Canada, Mexico and China », The White House, 1er février 2025 : https://www.whitehouse.gov/fact-sheets/2025/02/fact-sheet-president-donald-j-trump-imposes-tariffs-on-imports-from-canada-mexico-and-china/
([30]) Shannon Tiezzi, « New Bill Asks US Congress to Revoke China’s Normal Trade Relations Status », The Diplomat, 24 janvier 2025 : https://thediplomat.com/2025/01/new-bill-asks-us-congress-to-revoke-chinas-normal-trade-relations-status/
([31]) L’accord, d’un montant de 22,8 milliards de dollars, conclu avec l’entreprise hongkongaise propriétaire des infrastructures, s’inscrit dans le contexte des déclarations répétées du président américain, qui avait menacé d’intervenir militairement pour « reprendre » le contrôle de cet axe stratégique du commerce international.
([32]) « Fact Sheet : President Donald J. Trump encourages foreign investment while protecting national security », The White House, 21 février 2025 : https://www.whitehouse.gov/fact-sheets/2025/02/fact-sheet-president-donald-j-trump-encourages-foreign-investment-while-protecting-national-security/.
([33]) « Department of Justice China Initiative Fact Sheet », United State Department of Justice, 20 décembre 2018 : https://www.justice.gov/opa/page/file/1122686/dl.
([34]) Vincent Fagot, « De Biden à Trump, un continuum pour empêcher l’hégémonie technologique chinoise », Le Monde, 27 janvier 2025 : https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/01/27/de-biden-a-trump-un-continuum-pour-empecher-l-hegemonie-technologique-chinoise_6517921_3234.html#:~:text=En%20outre%2C%20la%20balance%20commerciale,275%20milliards%20dollars%2C%20en%202023.
([35]) « Le plan " Made in China 2025 " » Direction générale du Trésor, 5 juin 2015 : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2015/06/05/le-plan-made-in-china-2025.
([36]) Le 21 janvier 2025, le président Trump a annoncé le projet Stargate, un large plan d’investissement privé dans le secteur de l’intelligence artificielle. L’initiative sera financée à hauteur de 500 milliards de dollars en quatre ans. Elle prévoit la création de « plus de 100 000 emplois » aux États-Unis. Constitué en société, Stargate réunit des entreprises pionnières dans le secteur technologique : Softbank, holding japonaise spécialisée dans les télécommunications, détient la responsabilité financière ; Open AI, à l’origine de l’agent conversationnel Chat GPT, détient la responsabilité opérationnelle ; Oracle, se chargera notamment de l’implantation des centres de données sur le territoire américain.
([37]) Dès le lendemain de l’investiture de Donald Trump, les ministres des affaires étrangères des quatre pays se sont réunis à Washington sous l’égide du secrétaire d’État Marco Rubio pour réaffirmer leur engagement à contrer l’influence chinoise.
([38]) Le programme de sous-marins Virginia a été exempté des coupes budgétaires du Pentagone, et Elbridge Colby a déclaré, lors de son audition de confirmation au Sénat américain, que les sous-marins d’attaque étaient « absolument essentiels » et que les taux de production devaient être augmentés.
([39]) « Sur l’OTAN et l’Ukraine, les nouvelles lignes rouges américaines : le discours intégral de Pete Hegseth à Bruxelles », Le Grand Continent, 12 février 2025 : https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/12/sur-lotan-et-lukraine-les-nouvelles-lignes-rouges-americaines-le-discours-integral-de-pete-hegseth-a-bruxelles/.
([40]) Svitlana Morenets, « Trump’s toxic mineral deal for Ukraine », The Spectator, 28 mars 2025 : https://www.spectator.co.uk/article/trumps-toxic-new-mineral-deal-for-ukraine/.
([41]) Ces mesures, frappant trois des principaux partenaires commerciaux des États-Unis, touchent 42 % des 3 300 milliards de dollars de biens importés en 2024, soit environ 1 400 milliards de dollars.
([42]) Si Donald Trump imposait un droit de douane universel de 10 % et de 60 % sur la Chine, Scotiabank estime que les États-Unis connaitraient une baisse de produit intérieur brut (PIB) de 2,2 % à court terme et 1,5 % à long terme si ces pays adoptaient des contre-mesures. L’Institut Der Deutschen Wirtschaft évalue cette baisse à 1,1 % l’année de l’entrée en vigueur des droits de douane et à 1,3 % en cas de représailles. Tax Foundation estime que ces mêmes hausses de droits de douane réduiraient le PIB des États-Unis de 0,7 % et de 1,1 % si les pays étrangers appliquaient des rétorsions.
([43]) Estimations des économistes de la banque néerlandaise ABN-AMRO, publiées le 29 août 2024. Pour rappel, la zone euro exporte 4 % de son produit intérieur brut aux États-Unis chaque année.
([44]) Ludovick Desautez et Pierrick Merlet, « Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la Commission européenne : "L’Europe commence à parler le langage de la force " », La Tribune Dimanche, 23 mars 2025 : https://www.latribune.fr/la-tribune-dimanche/dans-le-monde/stephane-sejourne-vice-president-executif-de-la-commission-europeenne-l-europe-commence-a-parler-le-langage-de-la-force-1021202.html.
([46]) Consulat général de France à San Francisco. (s. d.) : « Investissements étrangers : la France n° 1 en Europe » : https://sanfrancisco.consulfrance.org/attractivite-de-la-france-les-etats-unis-premier-investisseur-etranger-en-2022?utm_source=chatgpt.com.
([47]) « Sur l’OTAN et l’Ukraine, les nouvelles lignes rouges américaines : le discours intégral de Pete Hegeth à Bruxelles », Le Grand Continent, 12 février 2025 : https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/12/sur-lotan-et-lukraine-les-nouvelles-lignes-rouges-americaines-le-discours-integral-de-pete-hegseth-a-bruxelles/.
([48]) Enrico Letta, « Bien plus qu’un marché - rapidité, sécurité, solidarité, donner au marché unique les moyens d’assurer un avenir durable et la prospérité pour tous durable et la prospérité pour tous les citoyens de l’UE », avril 2024 : https://www.consilium.europa.eu/media/ny3j24sm/much-more-than-a-market-report-by-enrico-letta.pdf.
([49]) Mario Draghi : « Le futur de la compétitivité européenne », Commission européenne, septembre 2024 ; https://commission.europa.eu/topics/eu-competitiveness/draghi-report_en#paragraph_47059.
([50]) Ordre exécutif sur la recherche-développement (R&D) fédérale en faveur de l’industrie manufacturière nationale et des emplois aux États-Unis pour encourager les industries du futur à « inventer ici, fabriquer ici », 28 juillet 2023.
([51]) François Heisbourg, « La France, l’Europe et les États-Unis : l’aggiornamento des relations transatlantiques », Annuaire français de relations internationales, volume 2, Bruylant, janvier 2001 : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/FD001340.pdf.
([52]) Table ronde, ouverte à la presse, sur les élections américaines du mardi 5 novembre 2024 et leurs conséquences sur les relations internationales, compte-rendu n° 12 (session 2024-2025), p. 3-4.