N° 1282
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145-7 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur l’application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023
visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification
et l’extension du risque incendie.
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Sophie PANONACLE,
MM. Stéphane DELAUTRETTE et Julien GABARRON
Députés
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SOMMAIRE
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Pages
TITRE Ier : UNE PLANIFICATION DE LA LUTTE CONTRE LES INCENDIES QUI DEMEURE PERFECTIBLE
A. des documents de planification au contenu incertain
1. Une stratégie nationale au milieu du gué
a. Une stratégie nationale qui reste à élaborer
2. L’enchevêtrement des autres documents de planification des risques
B. Des incitations non suivies d’effet
TITRE II : L’ACCENT MIS SUR LES ACTIONS AU PLUS PRÈS DU TERRAIN
A. Les obligations lÉgales de débroussaillement : une clarification attendue
1. Une « Journée nationale de la résilience » qui attend son heure
2. Le développement des actions menées sur le terrain au plus près des citoyens
Liste des personnes auditionnÉes
Le présent rapport est présenté en application du premier alinéa de l’article 145-7 du Règlement de l’Assemblée nationale, aux termes duquel deux rapporteurs, dont un député appartenant à un groupe d’opposition, présentent, à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi, un rapport sur la mise en application de celle-ci.
La loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie a pour origine une proposition de loi déposée au Sénat, le 14 décembre 2022, par nos collègues sénateurs Jean Bacci, Anne-Catherine Loisier, Pascal Martin et Olivier Rietmann. Après avoir été renvoyée à une commission spéciale, elle a été examinée le 28 mars 2023, avant d’être discutée et adoptée en séance publique le 4 avril 2023. À l’Assemblée nationale, cette proposition de loi a ensuite été renvoyée à la commission des affaires économiques en application de l’article 83, alinéa 1er, du Règlement de l’Assemblée nationale, trois autres commissions ([1]) s’étant par ailleurs saisies pour avis. La commission des affaires économiques a examiné le texte le 10 mai 2023, avant que celui-ci ne fasse l’objet d’une adoption en séance publique le 15 mai 2023. Après que la commission mixte paritaire fut parvenue à un accord le 19 juin 2023, la loi a été promulguée le 10 juillet 2023, ce texte visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie ayant été publié le lendemain au Journal officiel de la République française.
La lutte contre les incendies en France ainsi que leur prévention doivent faire l’objet de politiques publiques volontaristes de la part de tous les acteurs concernés. Celles-ci ont déjà porté leurs fruits, comme en témoigne la baisse constante des surfaces brûlées au fil des ans (l’année 2022, qui a vu la forêt des Landes, notamment près de la dune du Pyla, fortement touchée, devant être prise à part puisqu’elle avait été exceptionnellement sèche et meurtrière tandis que la pluviométrie accusait cette même année un fort déficit).
Surfaces de forêts brûlées chaque année entre 1976 et 2022
Champ : France métropolitaine (y compris la Corse).
Sources : région méditerranéenne 1976-2021 : Prométhée et 2022 : BDIFF ; Autres régions françaises 1976 - 2005 : tableau Yvon DUCHE/Philippe MICHAUT ONF ; 2066-2022 : BDIFF ; 2022 BDIFF corrigé ONFBDIFF (MASA ; MI ; IGN), octobre 2023 (1976 à 2021 : Prométhée)
Dans le cadre du contrôle de l’application de la loi décidé par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 7 février 2024, ont ainsi été désignés comme rapporteurs Mme Sophie Panonacle (groupe RE) et notre ancien collègue Luc Lamirault (groupe HOR), membres de droit de la mission en tant que rapporteurs du texte initial, ainsi que nos collègues Stéphane Delautrette (groupe SOC) et Hervé de Lépinau (groupe RN) en qualité de rapporteurs de l’opposition. Un questionnaire a été envoyé au ministère chargé des relations avec le Parlement et on ne peut que déplorer que celui-ci n’ait jamais pris la peine d’y répondre. Par ailleurs, l’examen par la commission des affaires économiques du projet de loi d’orientation agricole, puis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, ont conduit à l’ajournement des travaux de cette mission.
Peu après l’élection des députés de la XVIIe Législature, la commission des affaires économiques a souhaité recréer cette mission d’application en nommant rapporteurs, le 18 septembre 2024, Mme Sophie Panonacle (groupe EPR) ainsi que MM. Stéphane Delautrette (groupe SOC) et Julien Gabarron (groupe RN).
Le présent rapport a pour objet de recenser la publication des textes réglementaires prévus par la loi pour permettre sa pleine application. Par extension, la prise de mesures d’application étant susceptible de détourner la lettre ou l’esprit de la loi, ce rapport a également vocation à s’assurer que les textes pris pour que la loi votée soit effective soient bien conformes aux intentions du législateur.
À la suite de la demande qui lui a été faite par vos rapporteurs le 8 novembre 2024, le ministère chargé des relations avec le Parlement leur a indiqué, dans le cadre d’un courriel du 10 décembre dernier, que onze décrets devaient être pris en application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 (ci-après dénommée, « loi du 10 juillet 2023 ») conformément au tableau ci-dessous :
DÉCRETS D’APPLICATION DE LA LOI N° 2023-580 DU 10 JUILLET 2023 VISANT À RENFORCER LA PRÉVENTION ET LA LUTTE CONTRE L’INTENSIFICATION ET L’EXTENSION DU RISQUE INCENDIE
Article |
Base légale |
Objet |
État d'avancement |
11, I, 1° |
Article L. 131-16-1, code forestier |
Modalités de mise en œuvre de l’article L. 131-16-1 du code forestier qui impose que les périmètres des terrains concernés par des obligations de débroussaillement et de maintien en l’état débroussaillé résultant du titre III du livre Ier du code forestier soient indiqués sur un ou plusieurs documents graphiques et annexés au plan local d’urbanisme ou au document d’urbanisme en tenant lieu ou à la carte communale. |
Décret n° 2024-295 du 29 mars 2024 simplifiant les procédures de mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement |
15 |
Article L. 131-10, code forestier |
Procédures d’autorisation simplifiée des abattages d’arbres de haute tige pour l’application des articles L. 341-1 et L. 341-10 du code de l’environnement et de l’article L. 621-32 du code du patrimoine |
Décret n° 2024-295 du 29 mars 2024 simplifiant les procédures de mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement |
16 |
Article L. 131-14, 2° d), code forestier |
Conditions dans lesquelles est recueilli l’accord écrit ou tacite prévues par l’article L. 131-14 du code forestier |
Décret n° 2024-284 du 29 mars 2024 pris pour l’application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l'extension du risque d’incendie |
22 |
Article L. 134-16, code forestier |
Modalités d’application du premier alinéa de l’article L. 134-16 du code forestier, notamment les modalités de contrôle du respect de l’obligation de débroussaillement ou de maintien en l’état débroussaillé |
Décret n° 2024-284 du 29 mars 2024 pris pour l’application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l'extension du risque d’incendie |
26, 2° |
Article L. 567-8, code de l’environnement |
Modalités d’application des articles L. 567-1 à L. 567-7 du code de l’environnement relatifs à la prévention des incendies de forêt et de végétation |
Décret n° 2024-405 du 29 avril 2024 pris pour l’application des articles 23 et 26 de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l'extension du risque d’incendie |
28, I, 3° |
Article L. 122-2-1, 5°, code forestier |
Conditions dans lesquelles le schéma régional de gestion sylvicole des bois et forêts des particuliers comprend, par région ou par groupe de régions naturelles l’identification des grandes unités de gestion cynégétique adaptées à chacune des espèces de gibier faisant l’objet d’un plan de chasse en application de l’article L. 425-2 du code de l’environnement |
Décret n° 2024-284 du 29 mars 2024 pris pour l’application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l'extension du risque d’incendie |
39, 2° |
Article L. 153-9, II, code forestier |
Modalités d’élaboration de la carte mentionnée au II de l’article L. 153-9 du code forestier, ses modalités de consultation à différentes échelles, y compris à l’échelle régionale, et les informations affichées |
Décret n° 2024-284 du 29 mars 2024 pris pour l’application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque d’incendie |
41 |
Article L. 341-2, I, 6° code forestier |
Nature du contrat de mise en valeur agricole ou pastorale, les modalités de contrôle de sa mise en œuvre et les sanctions associées en cas de non-respect |
Objectif de publication : novembre 2024 |
47 |
Article L. 541-10-28, code de l’environnement |
Modalités d’application de l'article L. 541-10-28 du code de l’environnement qui prévoit que les éco-organismes créés par les producteurs des produits mentionnés au 19° de l’article L. 541-10-1 consacrent annuellement une part des contributions qu’ils perçoivent au financement d’actions de communication visant à sensibiliser au risque d’incendie lié à l’abandon de déchets issus de ces produits |
Décret n° 2024-359 du 18 avril 2024 relatif à la participation des éco-organismes agréés pour les produits du tabac à la prévention des incendies de forêt, et à l’autorité administrative compétente pour prendre les sanctions en cas d’inobservation des dispositions du III de l’article L. 541-15-10 du code de l'environnement |
48 |
Article L. 731-1-1, code de la sécurité intérieure |
Modalités d’application de l’article L. 731-1-1 du code de la sécurité intérieure qui prévoit l’institution d’une journée nationale de la résilience en vue d’assurer la préparation de la population face aux risques naturels ou technologiques |
Objectif de publication : novembre 2024 |
59 |
Article L. 121-6, code forestier |
Conditions dans lesquelles le bénéfice des aides publiques destinées à la mise en valeur et à la protection des bois et forêts est subordonné au fait : |
Objectif de publication : novembre 2024 |
Même s’il est exact que, formellement parlant, seuls onze décrets devaient être pris, le décompte transmis n’était que partiel, puisque plusieurs articles de la loi nécessitaient d’autres mesures d’application ou de mise en œuvre, que l’on peut résumer de la manière suivante :
– article 1er : il est fait référence au fait qu’une « stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies » devait être élaborée dans le délai d’un an à compter de la promulgation de la loi ; vos rapporteurs ont légitimement souhaité savoir ce qu’il en était, près de deux ans après la promulgation de la loi.
Il est prévu, au paragraphe II du même article, que le programme national de la forêt et du bois doit désormais comprendre « des actions contribuant à la mise en œuvre de la stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies, élaborée en application de l’article 1er de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 ». Là encore et en quelque sorte par voie de conséquence, vos rapporteurs ont souhaité savoir si de telles actions avaient été décidées et quelle forme elles ont pu prendre ;
– article 4 : cet article prévoit l’établissement, dans les départements présentant un risque d’incendie, d’un « plan de protection des forêts contre les incendies » dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi du 10 juillet 2023. Même si ce délai n’est pas formellement échu, vos rapporteurs ont souhaité faire le point sur les plans existants et sur leur état d’avancement ;
– article 6 : cet article prévoit, au sein du code général des collectivités territoriales (notamment aux articles L. 1424-7, L. 1424-70, L. 1424-90
et L. 1852-5), que les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques doivent désormais comprendre « une partie relative au risque d’incendie de forêt, de surfaces agricoles et de végétation et déterminer les objectifs de couverture de ce risque ». Vos rapporteurs ont souhaité savoir si ce volet avait effectivement été intégré aux schémas existants et, dans l’affirmative, suivant quelles modalités ;
– article 13 : cet article modifie la rédaction de l’article L. 134-12 du code forestier et prévoit que le représentant de l’État dans le département peut étendre, par arrêté, l’obligation de débroussaillement à la charge des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires aux terrains en nature de bois et forêts à moins de deux cent mètres de la limite de l’emprise des voies ferrées. Bien que cette obligation n’incombe pas directement au Gouvernement et ne revête pas non plus de caractère obligatoire, vos rapporteurs ont souhaité savoir si de telles initiatives avaient été prises et si des difficultés de mise en œuvre (notamment quant au partage de compétences entre l’État et les gestionnaires d’infrastructures comme EDF ou RFF) étaient apparues à cette occasion ;
– article 15 : cet article ajoute un nouvel alinéa à l’article L. 131-10 du code forestier portant sur les travaux de débroussaillement et pour lesquels certains sont soumis à autorisation, suivant des modalités définies par décret. Si un décret a effectivement été pris ([2]), vos rapporteurs ont souligné le fait que son article 2 était réduit à sa plus simple expression et ne définissait nullement les procédures d’autorisation simplifiées auxquelles il était pourtant fait référence. Vos rapporteurs ont donc souhaité avoir davantage de détails sur cette disposition, sauf à priver le décret de toute mise en œuvre possible ;
– article 22 : cet article ajoute un nouvel alinéa à l’article L. 134-16 du code forestier, qui dispose qu’« un décret précise les modalités d’application du présent alinéa, notamment les modalités de contrôle du respect de l’obligation de débroussaillement ou de maintien en l’état débroussaillé ». Si un décret a bien été pris ([3]), ajoutant un nouvel article D. 134-7 au sein du code forestier qui instaure une attestation de la part de tout cédant d’un terrain ou d’une construction soumis à obligation de débroussaillement, vos rapporteurs ont souhaité avoir des précisions sur ce point, afin d’être certains que cette disposition répondait effectivement à la mention de l’article 22 de la loi relatif aux « modalités de contrôle du respect » de cette obligation ;
– l’article 27 permet à l’autorité administrative compétente de l’État d’adresser aux communes des recommandations techniques afin de réduire la vulnérabilité des constructions face au risque d’incendie ; vos rapporteurs ont souhaité savoir si cette mesure avait été suivie d’effet et si des recommandations avaient été établies à ce jour ;
– l’article 30 permet au ministre chargé des forêts de fixer certains
seuils de surface inférieurs à 20 hectares pour les parcelles incluses dans les plans simples de gestion ; cette disposition est désormais précisée au dernier alinéa de l’article L. 312-1 du code forestier. Vos rapporteurs ont souhaité savoir si cette prérogative avait été mise en œuvre à ce jour et suivant quelles modalités ;
– l’article 39 de la loi introduit dans le code forestier un nouvel
article L. 153-9, dont le II précise que les cartes de voies d’accès aux ressources forestières sont établies, consultées et affichées suivant des modalités définies par décret. Bien que le Gouvernement ait pris le texte d’application requis ([4]), vos rapporteurs se sont interrogés sur le fait que ce décret ne disait absolument rien sur les modalités d’élaboration, ni sur les modalités de consultation de ces cartes. Vos rapporteurs ont légitimement souhaité en connaître les raisons ;
– l’article 41 de la loi du 10 juillet 2023 prévoit désormais que certaines opérations destinées à réaliser des coupures agricoles ne constituent pas des défrichements au sens de la réglementation applicable, ces opérations devant être mises en œuvre dans le cadre de contrats de mise en valeur agricole ou pastorale, dont les modalités sont définies par décret en Conseil d’État. Or aucun décret n’est paru à ce jour, ce qui a évidemment suscité quelques interrogations de la part de vos rapporteurs ;
– l’article 45 de la loi dispose, au sein du nouvel article L. 131-3-1 du code forestier, que le représentant de l’État dans le département établit une liste de personnes et d’organismes pouvant être mobilisés en soutien aux actions de lutte contre les incendies. Vos rapporteurs ont souhaité savoir où en était l’établissement de telles listes ;
– l’article 48 instaure une « Journée nationale de la résilience », mais aucun décret n’est paru à ce jour : compte tenu de l’importance accordée par le Gouvernement à ce dispositif, vos rapporteurs ont souhaité connaître les causes de ce retard ;
– enfin, l’article 62 dispose que le Gouvernement remet au Parlement, dans le délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur les freins à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Ce rapport n’ayant pas été remis, vos rapporteurs ont souhaité que le Gouvernement leur indique son état d’avancement.
Les nombreuses questions que vos rapporteurs ont posées au Gouvernement les ont donc conduits à interroger, en premier lieu, les trois ministères directement concernés par la mise en œuvre de la loi du 10 juillet 2023. En dépit des divers changements de Gouvernement intervenus, le ministère de l’intérieur, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire (Masaf) ainsi que le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) ont répondu au questionnaire envoyé par vos rapporteurs dans le délai qui leur avait été fixé.
Certaines réponses ont néanmoins suscité des interrogations, voire des surprises. Pour ne prendre que deux exemples, le Masaf a précisé que la mise en œuvre de l’article 39 était renvoyée à un arrêté alors que le texte de loi requiert un décret, « le travail [étant] donc en cours avec l’ensemble des parties prenantes » et les conclusions du groupe de travail constitué entre le ministère de l’intérieur et le Masaf étant attendues seulement à la fin du premier semestre 2025. De même, le ministère de l’intérieur se contente de répondre, sur la mise en application de l’article 45, que « le recensement de l’établissement [des listes de personnes et d’organismes] pouvant être mobilisés en cas de soutien aux actions de lutte contre les incendies n’a pas été mené auprès des préfectures », sans explication supplémentaire sur ce point. Vos rapporteurs ne peuvent que déplorer le retard général mis à l’entrée en vigueur de certaines actions comme la stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies, mentionnée à l’article 1er, ou la « Journée nationale de la résilience » mentionnée à l’article 48, alors que s’approchent l’été 2025 et le deuxième anniversaire de la promulgation de la loi de juillet 2023.
Vos rapporteurs ont également interrogé divers services ou organismes qui ont, chacun, pu leur apporter diverses précisions sur la mise en œuvre de la loi de juillet 2023. Ont ainsi été auditionnés la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), l’Office national des forêts (ONF), Chambres d’agriculture France ainsi que MM. Pierre Macé et Bruno Lafon, représentant la Défense des forêts contre l’incendie en Aquitaine (DFCI).
En raison de difficultés d’emploi du temps, la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ont envoyé des réponses écrites aux différentes questions qui leur avaient été posées.
TITRE Ier :
UNE PLANIFICATION DE LA LUTTE CONTRE LES INCENDIES
QUI DEMEURE PERFECTIBLE
A. des documents de planification au contenu incertain
1. Une stratégie nationale au milieu du gué
a. Une stratégie nationale qui reste à élaborer
Le titre Ier de la loi du 10 juillet 2023, qui correspond à ses dix premiers articles, porte sur l’élaboration d’une stratégie nationale et territoriale visant à renforcer la prévention, la protection et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque d’incendie.
Vos rapporteurs regrettent que, comme souvent, le législateur se soit quelque peu perdu dans les détails, notamment organisationnels, plutôt que de définir clairement les objectifs poursuivis par cette stratégie, portant de fait une atteinte non négligeable aux principes de clarté et d’intelligibilité de la loi. Ainsi, l’article 1er ne définit nullement ce qu’il faut comprendre par « stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies », contrairement à ce qui a pu être fait, par exemple, à l’article L. 121-2-2 du code forestier qui veille à définir précisément ce qu’il faut entendre par « programme national de la forêt et du bois ». Les organismes que vos rapporteurs ont interrogés sur ce sujet s’en tiennent prudemment à quelques considérations générales mais, là encore, aucune information plus précise n’a pu être obtenue en vue du présent rapport ([5]).
L’article 1er précise en revanche que la stratégie nationale doit être élaborée, sous la direction du ministère de l’intérieur, par les ministères chargés de la forêt, de l’environnement, de l’urbanisme et de la sécurité civile, en concertation avec un certain nombre d’acteurs (Office national des forêts, représentants des professionnels chargés des missions de sécurité civile, représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements et représentants des organisations professionnelles agricoles).
Vos rapporteurs ne peuvent que regretter de constater qu’un tel document n’est pas arrêté et n’est donc pas opérationnel à ce jour, alors même que l’article 1er prévoyait que cette stratégie nationale devait être élaborée dans le délai d’un an à compter de la promulgation de la loi.
D’après les éléments que vos rapporteurs ont recueillis à la suite de l’envoi de questionnaires aux trois ministères concernés, la phase de consultation nécessaire à l’établissement de ce document n’a pas pu être menée, comme prévu, au second semestre 2024 (sans que l’on sache d’ailleurs quelles en sont les raisons exactes…), ce qui l’a reportée au début de l’année 2025, dans le cadre d’un séminaire national associant l’ensemble des acteurs énumérés à l’article 1er. Des rencontres avec les acteurs locaux sont actuellement en cours pour débattre et améliorer le texte, afin que cette stratégie soit finalement arrêtée au cours du deuxième trimestre de l’année 2025.
Cette stratégie nationale doit en principe reposer sur des principes éprouvés depuis plusieurs décennies dans la moitié sud de la France, tels qu’ils ressortent du guide de stratégie générale de protection de la forêt contre l’incendie et son application dans les départements méditerranéens : cet ensemble de règles a permis de réduire drastiquement les superficies brûlées (44 000 ha en moyenne annuelle sur la période 1981-1990 contre 18 500 ha sur la période 1991-2000 et 12 000 ha sur la période 2010-2019). Ce guide prévoit que la doctrine française de lutte contre les incendies s’appuie sur deux principes fondamentaux, à savoir l’approche globale (laquelle permet aux différents acteurs, qu’ils relèvent de la prévention ou de la lutte, d’inscrire leurs interventions dans un cadre commun et cohérent) et l’anticipation (qui vise à mobiliser autant que possible l’ensemble des moyens sur un territoire pour résoudre en amont la problématique des feux de forêt et leurs conséquences). Les quatre objectifs qui en résultent visent à empêcher les feux, les maîtriser dès leur phase initiale, limiter les développements catastrophiques et, enfin, réhabiliter les espaces incendiés en réduisant leur vulnérabilité future face au feu.
Vos rapporteurs ne peuvent donc que souhaiter, à ce stade, une forte mobilisation afin que ce document-cadre soit pris dans les meilleurs délais et donne à la fois élan et direction à la lutte contre les incendies en France.
b. Une stratégie nationale conditionnant l’établissement d’autres documents nécessaires à la lutte contre les incendies de forêts
Même si l’on ne peut que le déplorer, le retard mis à l’établissement de la stratégie nationale et territoriale visant à renforcer la prévention, la protection et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque d’incendie ne constitue pas le seul problème : l’absence d’une telle stratégie entraîne une série de conséquences problématiques, dans la mesure où sa définition conditionne l’élaboration d’autres documents de planification et de prévention, dont l’importance est tout aussi certaine pour lutter efficacement contre les feux de forêts.
Tel est notamment le cas du programme national de la forêt et du bois (PNFB), dont le lien avec la stratégie nationale est d’ailleurs explicitement précisé par le II de l’article 1er de la loi du 10 juillet 2023, lequel modifie à cette occasion la rédaction de l’article L. 121-2-2 du code forestier.
Il faut en effet rappeler que ce document, introduit dans le code forestier par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, fixe les orientations de la politique forestière, pour les forêts publiques comme privées, en métropole et en outre-mer, pour une période de dix ans. Document programmatique approuvé par décret aux termes du second alinéa de l’article L. 121-2-2 du code forestier ([6]), le PNFB actuellement applicable pour la période 2016-2026 se fixe les quatre grands objectifs suivants :
– création de la valeur en France, en mobilisant la ressource durablement ;
– répondre aux attentes des citoyens et s’intégrer aux projets de territoires ;
– conjuguer atténuation et adaptation des forêts au changement climatique ;
– développer des synergies entre forêt et industrie ([7]).
Compte tenu de l’importance du PNFB, dont la version actuelle ne comporte que peu de dispositions relatives à la lutte contre les incendies ([8]), vos rapporteurs souhaitent que la stratégie nationale soit rapidement adoptée, afin que tous les documents subséquents soient à la fois mis à jour et renforcés.
2. L’enchevêtrement des autres documents de planification des risques
Si la loi du 10 juillet 2023 a souhaité renforcer la prévention et la lutte contre les incendies, plusieurs de ses dispositions restent pour l’instant lettre morte, faute pour les mesures réglementaires nécessaires d’avoir été prises, ce qui nuit très clairement à la mise en œuvre de la loi.
Cette accumulation de dispositifs est d’autant plus regrettable qu’elle présente des risques non négligeables de doublons et de retards dans l’entrée en application des mesures prises contre les incendies de forêts, alors que le phénomène ne cesse, compte tenu notamment du changement climatique, de prendre de l’ampleur, comme en témoigne la carte ci-après :
Communes ayant connu au moins un incendie en 2022 :
(Base de Données sur les Incendies de Forêts en France, BDIFF, https://bdiff.agriculture.gouv.fr/)
L’article 4 de la loi prévoit ainsi l’établissement, dans les départements connaissant un risque d’incendie, d’un « plan de protection des forêts contre les incendies » (PPFCI) : sont principalement concernés les départements comportant des massifs « à risques » au sens de l’article L. 132-1 du code forestier et les départements particulièrement exposés au risque d’incendie (article L. 133-1 du même code). À cet effet, les trois ministères compétents ont pris un arrêté, le 6 février 2024 ([9]), établissant une liste actualisée de ces deux types de départements, 25 départements étant considérés comme étant, dans leur totalité, particulièrement exposés au risque d’incendie ([10]). Pour autant, les outils applicables ne sont pas encore tous opérationnels puisque, sur les 25 départements intéressés, tous les plans départementaux de protection des forêts contre l’incendie (PDPFCI) ne sont pas pleinement valides, trois documents étant notamment en cours de révision. Quant aux 18 départements comportant des massifs à risques, on ne compte que sept PDPFCI approuvés, cinq documents étant actuellement en cours d’élaboration et quatre devant être mis à l’étude, des discussions étant par ailleurs en cours entre le Gouvernement et les deux derniers départements concernés.
L’article 6 de la loi du 10 juillet 2023 a renforcé les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (SDACR), qui doivent désormais comprendre « une partie relative au risque d’incendie de forêt, de surfaces agricoles et de végétation, et déterminer les objectifs de couverture de ce risque ». Ayant pour but d’établir la liste des risques auxquels les départements sont soumis et de définir une réponse opérationnelle en cohérence avec les analyses menées concernant le risque de feux d’espaces naturels, les SDACR sont régulièrement révisés par les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) afin de tenir compte des évolutions pouvant affecter les territoires concernés (évolutions démographiques, sociétales, environnementales, climatiques…), identifiant ainsi les éventuels points de fragilité existant dans la lutte contre les incendies. Ces données sont ensuite intégrées dans les orientations et stratégies décidées au plan départemental pour prévenir le risque d’incendie et lutter de façon optimale contre celui-ci. Si vos rapporteurs ne peuvent que se féliciter de la mise à jour constante de ces documents, ils ne peuvent en revanche que regretter que le guide méthodologique de rédaction des SDACR, document établi par la DGSCGC, ne soit pas encore publié, alors que l’importance stratégique de ces documents n’est plus à démontrer.
L’article 26, qui insère un nouveau chapitre VII au sein du livre 5 du titre VI du code de l’environnement (articles L. 567-1 à L. 567-8), vise à moderniser et à renforcer les outils de maîtrise de l’urbanisation dans le contexte de changement climatique que connaissent tous les pays de la planète aujourd’hui. À cet effet, il crée une procédure simplifiée permettant de modifier plus facilement les plans de prévention des risques d’incendies de forêt (PPRIF). Ces plans, qui sont assimilables à des plans de prévention des risques naturels axés sur les risques d’incendie de forêt, ont été créés par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement et visent à maîtriser l’urbanisation face aux risques susceptibles de la menacer. Pour compléter les PPRIF existants, la loi a décidé de créer un nouvel outil, la « zone de danger », une servitude dont on espère qu’elle sera aisée à mettre en œuvre. Si cette disposition a bien fait l’objet d’un décret ([11]), qui a notamment précisé les modalités d’application de la zone de danger établie par le nouvel article L. 576-4 du code de l’environnement (qui s’appuie en particulier sur la carte nationale de sensibilité au risque d’incendie et de forêt et de végétation prévue à l’article L. 567-1 du même code), elle n’a pas, à ce jour, trouvé d’application pleine et entière.
Vos rapporteurs ne peuvent que regretter l’absence de rationalisation des documents existants – y compris dans les dispositions nouvelles résultant de la loi du 10 juillet 2023, qui rend leur usage complexe et est ainsi susceptible de porter atteinte aux objectifs recherchés. À titre d’exemple, seules 211 communes sont aujourd’hui couvertes par un PPRIF, ce qui démontre à l’évidence la difficulté pour les collectivités concernées à s’emparer de ces outils.
B. Des incitations non suivies d’effet
Vos rapporteurs ont par ailleurs noté que la loi du 10 juillet 2023 avait, en plus d’une occasion, invité certains acteurs à agir, chacun à son niveau, en faveur de la lutte ou de la prévention des incendies de forêts, mais que parfois rien n’avait encore été fait, faute pour le pouvoir réglementaire d’être intervenu (ou pour les autorités administratives d’avoir pris les initiatives nécessaires).
Tel est par exemple le cas de l’article 8 qui a inséré, au sein du code de la sécurité intérieure, un nouvel article L. 122-6, lequel, en son premier alinéa, dispose qu’« un arrêté conjoint des ministres chargés de la forêt, de l’environnement et de la sécurité civile peut établir, sous l’autorité de chaque préfet de zone de défense et de sécurité, une délégation à la protection de la forêt, chargée de l’animation et de la coordination des services de l’État en matière de défense des forêts contre les incendies ». Or, à ce jour, il n’existe qu’une seule délégation de cette nature – et encore faut-il préciser que celle-ci avait été créée avant le vote de la loi de juillet 2023 : il s’agit de la délégation à la protection de la forêt méditerranéenne (DPFM), créée en 1987, qui a pour principale mission de mettre en œuvre et d’évaluer la programmation annuelle des crédits de défense des forêts contre l’incendie dont la gestion relève du préfet de zone de Défense et de Sécurité sud. Elle participe également à l’élaboration de la doctrine relative à la prévention des incendies de forêts, ainsi qu’au soutien technique de ses partenaires pour sa mise en œuvre ([12]). Compte tenu de sa réussite et de sa potentielle extension (pour intégrer notamment les départements de la Drôme et de l’Ardèche), on ne peut que regretter qu’aucune réflexion ne soit à ce jour lancée pour en créer une dans le Sud-Ouest, par exemple, ou dans le Nord-Est, deux parties du territoire national qui ont connu un nombre important d’incendies ces dernières années.
De même, l’article 45 de la loi insère, dans le code forestier, un nouvel article L. 131-3-1 qui permet aux préfets de département d’établir une liste des personnes et des organismes pouvant être mobilisés en soutien aux actions de lutte contre les incendies de forêt, de surfaces agricoles et de végétation, et prévoit leurs conditions d’intervention. Si l’instauration d’une telle « task force » départementale, immédiatement opérationnelle dans la lutte contre les incendies, est une bonne chose, il est regrettable que ce projet n’en soit encore qu’au stade du vœu pieux, puisque les trois ministères interrogés sur ce point ont indiqué qu’un tel recensement n’avait pas eu lieu à cette heure.
Vos rapporteurs tiennent à insister sur le fait que l’ensemble des dispositions de la loi, surtout lorsque leur impact semble pouvoir être rapide et efficace dans la lutte contre les incendies, doivent être mises en œuvre. Il convient donc que le Gouvernement et les diverses administrations concernées s’emploient au plus vite à adopter les textes et à prendre les mesures sur le terrain afin de préparer au mieux notre pays à affronter les feux de forêts qui ne manqueront pas d’éclater l’été prochain sur notre territoire.
TITRE II :
L’ACCENT MIS SUR LES ACTIONS AU PLUS PRÈS DU TERRAIN
La loi du 10 juillet 2023 a souhaité donner de grandes directions à la lutte et à la prévention des feux de forêts, mais elle a également veillé à ce que ces actions soient conduites au plus près du terrain. En effet, la pratique montre que c’est sur le terrain, grâce aux contrôles et à la discussion avec l’ensemble des parties prenantes (SDIS, usagers…) et au travail effectué par les professionnels (agents de l’ONF notamment), que doit être organisée, en premier lieu, la lutte contre les incendies.
A. Les obligations lÉgales de débroussaillement : une clarification attendue
Aux termes de l’article L. 131-10 du code forestier, on entend par « débroussaillement » les opérations de réduction des combustibles végétaux de toute nature dans le but de diminuer l’intensité et de limiter la propagation des incendies. En assurant une rupture suffisante de la continuité du couvert végétal, les opérations de débroussaillement représentent l’un des principaux moyens de prévention et de lutte contre les feux de forêts ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’article L. 131-10 précise, en son dernier alinéa, que c’est au représentant de l’État dans le département qu’il appartient d’arrêter les modalités de mise en œuvre du débroussaillement suivant la nature des risques.
Le bilan de la mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement (OLD) depuis 2023 est contrasté. Il faut, en effet, distinguer entre les zones historiques de la défense contre les incendies (DFCI) – principalement la zone méditerranéenne, où le sujet des OLD est connu depuis de nombreuses années – et, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2023, l’extension de la DFCI à de nouveaux territoires qui, par définition, n’ont pas cette même culture. Au-delà des dispositions réglementaires requises notamment par les articles 15, 16 et 22 de la loi, il a fallu sensibiliser les populations, ainsi que les élus de ces nouveaux territoires, au dispositif des OLD et aux implications qu’elles comportent. Pour les divers acteurs interrogés par vos rapporteurs, l’année 2024 fait véritablement office d’année de transition à la suite de l’adoption de nouveaux textes, d’autant qu’il a été demandé à tous les préfets de revoir leurs arrêtés concernant les OLD avant le 31 mars 2025.
Au titre des changements bienvenus, vos rapporteurs souhaitent appeler l’attention sur deux nouveaux textes importants :
– le décret du 29 mars 2024 ([13]), pris en application des articles 11 et 15 de la loi du 10 juillet 2023, ajoute à la liste des annexes au plan local d’urbanisme et à la carte communale mentionnées aux articles R. 151-53 et R. 161-8 du code de l’urbanisme les périmètres des secteurs concernés par des obligations de débroussaillement (ou de maintien en état débroussaillé) résultant de l’application des dispositions du titre III du livre Ier du code forestier. Ce décret ajoute également à la liste des servitudes d’utilité publique du code de l’urbanisme les servitudes de passage et d’aménagement instituées en application de l’article L. 134-2 du code forestier, modifié par ailleurs par l’article 40 de la loi ;
– l’arrêté du 29 mars 2024 ([14]) sur les OLD précise, pour sa part, les modalités des travaux de débroussaillement définies par les représentants de l’État dans les départements, ainsi que leur articulation avec la protection des espèces protégées et de leurs habitats, sujet récurrent comme l’ont démontré les longues discussions de l’article 37 de la loi d’orientation agricole ([15]).
Désormais, il est ainsi prévu que le représentant de l’État dans le département soit chargé d’arrêter les modalités de mise en œuvre du débroussaillement selon les risques d’incendie, l’arrêté devant comprendre un certain nombre de modalités pour ce débroussaillement (telles que la coupe ou le broyage de la végétation herbacée et ligneuse basse, la coupe ou le broyage des arbustes situés sous le couvert d’arbres, ou la coupe d’arbustes permettant la mise à distance des houppiers des arbustes conservés entre eux, avec les houppiers des arbres maintenus et avec les constructions, chantiers ou installations de toute nature). Par ailleurs, il incombe au représentant de l’État, tout en respectant ces impératifs de sécurité publique, de prendre également toutes les mesures d’évitement et de réduction d’impact sur les espèces protégées et leurs habitats (notamment à la lisière des bois, garrigues et autres milieux naturels propices au développement de la faune).
B. B. L’efficacitÉ des mesures d’information et de prÉvention prises sur le terrain : une loi À mi-chemin
1. Une « Journée nationale de la résilience » qui attend son heure
Au titre des diverses mesures prises pour sensibiliser les populations au risque d’incendie (il s’agit du titre VI de la loi du 10 juillet 2023, correspondant aux articles 47 à 49), l’article 48 a complété la section 1 du chapitre Ier du titre III du livre VII du code de la sécurité intérieure par un nouvel article L. 731-1-1, instituant une « Journée nationale de la résilience » en vue d’assurer la préparation de la population face aux risques naturels ou technologiques.
Tout en saluant la démarche ainsi initiée, vos rapporteurs restent, en l’état, dubitatifs à l’égard de ce dispositif. En effet, comme l’a indiqué le ministre de l’intérieur dans la réponse apportée sur ce point, cette journée existe dès à présent dans les faits mais, pour autant, le décret prévu par l’article 48 n’a pas encore été pris.
L’encadré ci-dessous décrit l’annonce du déroulement d’une journée de la résilience dans sa formulation actuelle.
Journée nationale de la résilience 2025
La 4e édition de la « Journée nationale de la résilience » aura lieu le 13 octobre 2025, en cohérence avec la journée internationale pour la réduction des risques de catastrophes de l’Organisation internationale des Nations unies. Depuis 2022, c'est aussi la « Journée d’action face aux risques » instaurée par le Gouvernement pour s’informer, savoir réagir et se protéger face aux risques majeurs.
La journée du 13 octobre vise à sensibiliser, à informer et à acculturer tous les citoyens aux risques naturels et technologiques qui les environnent. L’objectif est que chacun connaisse les risques de son territoire, les bons comportements à adopter en cas de catastrophe et devienne ainsi acteur de sa propre sécurité.
En d’autres termes, il s’agit :
– de développer la culture sur les risques naturels et technologiques : connaître et comprendre les phénomènes, informer sur les politiques de prévention, cultiver la mémoire des catastrophes passées, témoigner des expériences vécues et faire prendre conscience du risque aux personnes exposées ;
– de se préparer à la survenance d’une catastrophe : faire connaître les autorités chargées de la vigilance, de l’alerte et de l’organisation des secours, faire connaître les bons gestes et les bons comportements pour se préparer et éviter les risques ou leur aggravation, pour sauver des vies, faire connaître et comprendre la signification des moyens et du signal d’alerte et organiser des exercices impliquant les habitants et les employés ;
– de développer la résilience collective face aux catastrophes : décrire l’organisation du « retour à la normale » après un évènement majeur, faire connaître les aides apportées par la puissance publique, les assureurs et les associations et faire de la reconstruction une opportunité pour réduire la vulnérabilité et augmenter la résilience.
Source : Préfecture du Var (d’après https://www.var.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Risques-naturels-et-technologiques/Journee-nationale-de-la-resilience-2025)
Donnant une définition parfaitement tautologique de cette journée ([16]), le ministère semble surtout avoir pris un certain retard dans la définition de son contenu et de ses modalités. Il serait sans doute utile de faire un effort décisif dans la mise en œuvre de cette disposition afin qu’elle soit opérationnelle avant l’été prochain, période évidemment la plus sensible concernant le risque d’incendie.
Par ailleurs, on peut regretter que cette journée de la résilience ne soit pas, dans la présente loi pas plus que dans les textes réglementaires annoncés pour sa mise en œuvre, spécifiquement consacrée au risque d’incendie, alors que, d’une part, le sujet est suffisamment vaste pour ne pas avoir à prendre en considération, par ailleurs, tout autre risque naturel ou technologique et que, d’autre part, la sensibilisation des citoyens au risque d’incendie est essentielle lorsqu’on sait que neuf incendies sur dix ont une origine humaine.
2. Le développement des actions menées sur le terrain au plus près des citoyens
Vos rapporteurs ne peuvent qu’être sensibles aux dispositions réglementaires qui proposent de mettre en œuvre des actions de lutte, de prévention et de sensibilisation au risque d’incendie sur le terrain, l’efficacité de ces mesures étant depuis longtemps prouvée.
L’article 27 de la loi permet à l’autorité administrative compétente de l’État d’adresser aux communes des recommandations techniques afin de réduire la vulnérabilité des constructions au risque d’incendie (il s’agit du nouvel article L. 132-4-2, au sein de la section 1 « Informations portées à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents par l’État » du chapitre II du titre III du livre Ier du code de l’urbanisme). Les « porter-à-connaissance » transmis par les services de l’État en application de l’article L. 132-2 du code de l’urbanisme sont tenus d’indiquer l’ensemble des documents et schémas opposables, ainsi que l’ensemble des études techniques dont ils disposent et qui sont à considérer dans le cadre de l’élaboration ou de la révision d’un document d’urbanisme. Afin d’appuyer les services déconcentrés dans leur exercice de préparation de ces porter-à-connaissance, le ministère chargé de l’urbanisme a développé l’outil numérique « Docurba », qui vise à faciliter le partage d’informations et la production des porters à connaissance de façon dématérialisée et harmonisée. Il est destiné, d’une part, aux services de l’État pour la production des porter-à-connaissance et, d’autre part, aux collectivités territoriales, aux établissements publics de coopération intercommunale et autres organismes chargés de l’élaboration ou de l’évolution des documents d’urbanisme.
C’est dans ce cadre que l’article 27 de la loi a ajouté, dans le contenu de ces porter-à-connaissance, les « recommandations techniques permettant de réduire la vulnérabilité des constructions aux incendies de forêt, de surfaces agricoles et de végétation » ; l’application « Docurba » doit désormais intégrer des précisions relatives à ces recommandations techniques en faisant référence à l’annexe n° 5 de la note technique du 29 juillet 2015 relative à la prise en compte du risque d’incendie de forêt dans les documents de prévention et d’aménagement du territoire. Il est également fait référence aux recommandations figurant dans l’annexe 4 « Règlement type d’un PPRIF » de la circulaire du 26 juillet 2023 relative au porter-à-connaissance de la carte nationale de sensibilité, ce qui devrait permettre d’agir plus efficacement grâce à une meilleure connaissance du terrain.
Dans le cadre de ses réponses sur la mise en œuvre des dispositions de la loi du 10 juillet 2023, l’ONF a indiqué à vos rapporteurs qu’elle avait ainsi confié à une agence spécialisée en son sein tout ce qui relevait de la défense des forêts contre l’incendie (DFCI). Avant 2023, cette agence avait une mission qui se cantonnait essentiellement à la zone sud de la France (la région méditerranéenne élargie), mais celle-ci a été élargie à de nouveaux territoires en 2023. Cette agence intervient désormais comme expert DFCI au service de l’État (que ce soit au niveau central ou au niveau déconcentré), mais également au service des collectivités territoriales (par le biais notamment de notes et d’outils pédagogiques), l’agence pouvant également développer une action au niveau international et de coordination sous l’autorité du préfet de département. Ce qui est surtout important dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 10 juillet 2023, c’est que l’ONF a vu ses moyens renforcés en 2023 et en 2024, au travers de deux types de patrouilles : les unes faisant de la sensibilisation et distillant de l’information au public, les autres effectuant une véritable activité de contrôle et pouvant sanctionner les comportements à risque. Ainsi, à l’été 2024, ce ne sont pas moins de 2 358 patrouilles qui ont travaillé sur la saison estivale, dressant 10 337 constats. En outre, l’ONF a précisé qu’elle avait envoyé environ deux cents patrouilles de feu naissant au cours de ce même été (ces patrouilles chargées de les détecter et d’intervenir dès que possible, tout en appelant les pompiers pour circonscrire définitivement les foyers), permettant ainsi d’intervenir en moins de dix minutes sur un nombre de feux naissants qui avait doublé entre 2022 et 2024.
Enfin et comme vos rapporteurs ont pu le déplorer, l’article 45 de la loi, qui dispose que le représentant de l’État dans le département établit une liste des personnes et organismes pouvant être mobilisés en soutien aux actions de lutte contre les incendies, n’a pas encore reçu de traduction réglementaire, alors que la lutte contre les incendies doit avant tout relever du terrain.
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Au cours de sa première réunion du mercredi 9 avril 2025, matin, la commission des affaires économiques a examiné le rapport de la mission d’application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie (M. Julien Gabarron, Mme Sophie Panonacle et M. Stéphane Delautrette, rapporteurs).
Ce point de l’ordre du jour n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
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La commission a approuvé la publication du rapport d’information.
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Liste des personnes auditionnÉes
Office national des forêts (ONF) :
Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale
M. Albert Maillet, directeur des forêts et des risques naturels
M. François Bland, directeur d'agence DFCI et responsable national incendies de forêts
Mme Claire Tholance, adjointe à la directrice des relations institutionnelles, de l’Outre-mer et de la Corse
Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)
Mme Marie-Aude Stofer, sous-directrice filière forêt-bois, cheval et bioéconomie
Mme Julia Audran, cheffe du bureau de la gestion durable de la forêt
Mme Isabelle Bertrand, chargée de mission défense des forêts contre les incendies
Chambres d’agriculture France *
M. Jerôme Mathieu, président de la chambre d’agriculture des Vosges
M. Lionel Viard, chargé de mission Forêt
M. Etienne Bertin, chargé d’affaires publiques
Défense des Forêts contre l’Incendie Aquitaine (DFCI Aquitaine - Gironde)
M. Bruno Lafon, président
M. Pierre Macé, directeur
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.
([1]) Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
([2]) Décret n° 2024-295 du 29 mars 2024 simplifiant les procédures de mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement.
([3]) Décret n° 2024-284 du 29 mars 2024 pris pour l’application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l'extension du risque incendie.
([4]) Décret n° 2024-284 du 29 mars 2024 précité.
([5]) L’Office national de la forêt estime par exemple que « La stratégie nationale doit fournir, dans un cadre interministériel, des lignes-forces lisibles, précisant des objectifs clairs étayés par des choix opérationnels, porter une vision intégrée et prendre en compte le contexte du changement climatique » (réponses écrites au questionnaire envoyé à l’ONF – retour du 7 février 2025).
([6]) En dernier lieu, il s’agit du décret n° 2017-155 du 8 février 2017 portant approbation du programme national de la forêt et du bois.
([7]) Pour un aperçu du contenu du PNFB 2016-2026, cf. https://agriculture.gouv.fr/le-programme-national-de-la-foret-et-du-bois-2016-2026.
([8]) Seul le I du 1) du II du « Plan 2016-2026 » y fait référence (soit la page 18 du PNFB actuellement en vigueur).
([9]) Arrêté du 6 février 2024 classant les bois et forêts exposés au risque d’incendie au titre des articles L. 132-1 et L. 133-1 du code forestier.
([10]) Il s’agit respectivement des départements des Alpes de Haute-Provence, des Hautes-Alpes, des Alpes-Maritimes, de l’Ardèche, de l’Ariège, de l’Aude, de l’Aveyron, des Bouches-du-Rhône, de la Corse du Sud, de Haute-Corse, de Dordogne, de la Drôme, du Gard, de la Gironde, de l’Hérault, des Landes, du Lot, du Lot-et-Garonne, de la Lozère, des Pyrénées-Atlantiques, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales, du Tarn, du Var et de Vaucluse (article 3 du décret).
([11]) Décret n° 2024-405 du 29 avril 2024 pris pour l’application des articles 23 et 26 de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie.
([12]) https://draaf.paca.agriculture.gouv.fr/la-delegation-a-la-protection-de-la-foret-mediterraneenne-dpfm-a928.html
([13]) Décret n° 2024-295 du 29 mars 2024 simplifiant les procédures de mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement.
([14]) Arrêté conjoint du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 29 mars 2024 relatif aux obligations de débroussaillement pris en application de l’article L. 131-10 du code forestier (modifié par l’article 15 de la loi).
([15]) Loi n° 2025-268 du 24 mars 2025 d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture
([16]) Le ministère de l’intérieur a en effet indiqué, dans sa réponse apportée aux questions de vos rapporteurs, que cette journée de la résilience, qui mobilise tous les services déconcentrés de l’État concernés, vise « à diffuser une culture de la résilience au grand public ».