N° 1425

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mai 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

 

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

 

en conclusion des travaux d’une mission d’information flash

sur les satellites : applications militaires et stratégies industrielles

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Arnaud SAINT‑MARTIN et Mme Corinne VIGNON,

Députés

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SOMMAIRE

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SYNTHÈSE

I. Le secteur du spatial français et européen est confronté à de profondes mutations économiques et militaires

A. Le spatial européen est fondé sur une coopération entre nations ayant permis de développer aussi bien la recherche scientifique que les services commerciaux

1. Le spatial européen s’est construit, sous l’impulsion de la France, sur la coopération entre nations avec la création de l’agence spatiale européenne

2. Cette coopération a permis de développer un lanceur européen et des programmes scientifiques et commerciaux

a. Le programme Ariane garantit l’accès autonome de l’Europe à l’espace

b. Les programmes Copernicus et Galileo sont des succès scientifiques et techniques

B. La France s’est spécialisée sur les satellites géostationnaires en s’appuyant sur des industriels de premier plan, un tissu de PME et ETI et un site de lancement, avec un lien fort entre entreprises et puissance publique

1. La France s’appuie sur un tissu industriel de premier plan dans le satellite géostationnaire et bénéficie d’un site de lancement autonome

a. La France est présente sur toute la chaîne de valeur du spatial et dispose de nombreux atouts qui expliquent sa place singulière en Europe

b. La filière française du spatial se déploie dans le géostationnaire, l’observation de la Terre, les constellations ou les services commerciaux

2. Le secteur français du spatial s’appuie sur une politique publique volontariste

C. Cet écosystème industriel est bouleversé par le développement des constellations en orbite basse et par un nouveau modèle économique issu de l’environnement des start-ups

1. Dans le sillage du New Space, le modèle du satellite géostationnaire a été remis en cause par les constellations en orbite basse

a. Avec le New Space, l’industrie du satellite s’est ouverte à de nouveaux acteurs privés inspirés par l’écosystème des start-ups

b. La miniaturisation des satellites et la baisse des coûts de lancement ont permis aux entreprises du New Space d’investir le champ des constellations en orbite basse

2. Ces mutations conduisent à une réduction du marché accessible pour les entreprises européennes et à un transfert du risque financier vers les sociétés

a. Plusieurs constellations de satellites en orbite basse de télécommunications sont portées par des États et des entreprises

b. Les constellations nécessitent une hausse considérable des satellites en orbite mais réduisent le marché accessible aux entreprises européennes

D. Le spatial de défense est un outil résolument national à la souveraineté néanmoins incomplète

1. Une triple mission est assignée aux satellites français

a. L’observation

b. La détection

c. La télécommunication

d. Une mission distincte : la surveillance de l’espace

2. Une souveraineté qui est amputée par des manques et des dépendances

a. Le recours à des partenariats ou des fournitures auprès d’autres États

b. Des achats de services auprès d’acteurs privés

II. La France et l’UE doivent poursuivre une stratÉgie industrielle autour de priorités affirmées

A. Si les industriels tentent de se restructurer, la pertinence d’un géant européen du satellite doit être interrogée

1. Le virage des constellations a altéré les perspectives industrielles d’ADS et TAS, conduisant à une dégradation des conditions de travail et à des suppressions de postes

2. La pertinence d’un géant européen du satellite doit être interrogée en raison des risques de monopole et de suppression d’emplois

B. Le Plan France 2030 a été une réponse partielle aux résultats mitigés alors que les entreprises aspirent à une plus forte commande publique et à bénéficier de priorités claires

1. Si le volet spatial de France 2030 a tenté de faire émerger un nouvel écosystème dans les secteurs émergents du spatial, la dilution des fonds a limité sa portée

2. Les entreprises du spatial demandent une plus forte mobilisation de la commande publique et une sécurisation des financements sur les projets industriels stratégiques

C. La politique spatiale européenne pâtit d’une organisation fragmentée qui doit évoluer pour privilégier l’efficacité des programmes

1. La gouvernance européenne du spatial repose sur une interaction complexe entre l’ESA, la Commission européenne et l’EUSPA

2. Vos rapporteurs se divisent sur la pertinence de la règle du retour géographique de l’ESA mais sont alignés sur le besoin de préciser le mandat du CNES

D. Alors que les financements publics européens sont réduits par rapport aux compétiteurs, le projet iris² doit permettre à l’europe de se positionner de nouveau comme un acteur majeur du spatial

1. Les financements publics européens sont trop réduits en comparaison de la Chine et des États-Unis, ce qui appelle un effort plus soutenu de l’ESA et de la Commission européenne

2. Alors que le programme IRIS² est structurant pour la filière satellitaire, la France doit porter une position de fermeté face au désengagement des partenaires

a. Le programme IRIS² est vital pour la filière européenne du satellite

b. Face au désengagement préoccupant de plusieurs partenaires sur IRIS², la France doit porter une position de fermeté

III. Il est nécessaire de soutenir les armées dans leur volonté d’investir l’espace, devenu zone de conflictualité et appui indispensable aux opérations

A. Une arsenalisation de L’espace dont la stratégie spatiale française de défense a tiré les conséquences dès 2019

1. L’espace est un nouveau domaine de conflictualité, ce dont témoigne la guerre en Ukraine

2. La stratégie spatiale de défense de 2019 est un document précurseur ayant ouvert la voie à la mobilisation de financements publics

B. Un besoin croissant du spatial pour les armées qui exige un renforcement des capacités

1. Le spatial est un appui aujourd’hui indispensable aux opérations et au renseignement

2. Des moyens qu’il faut renforcer pour relever les défis du combat futur à l’occasion de la stratégie spatiale nationale

C. Un équilibre est à trouver entre les volets patrimonial, partenarial et commercial des capacités spatIales

1. La diversification des capacités est un gage de résilience

2. Des liens entre militaires et civils doivent être mieux exploités

D. La constellation IRIS² est un enjeu d’autonomie et son articulation avec le volet militaire est à déterminer

1. Le développement d’une constellation européenne est un enjeu d’indépendance pour la France

2. L’articulation d’IRIS² avec les capacités militaires de la France est à trouver

IV. La France et l’Europe doivent promouvoir un spatial plus vertueux, qui garantit la sécurité en orbite et l’application du droit international

A. La saturation de l’oRbite génère une pollution croissante jusqu’au risque d’effondrement généralisé

1. La prolifération des satellites a des conséquences environnementales croissantes en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de saturation des fréquences et de pollution lumineuse

2. L’augmentation considérable du nombre de débris en orbite rend envisageable l’hypothèse d’une collision en chaîne

B. La surveillance de l’orbite basse et la gestion des débris spatiaux sont indispensables pOur sécuriser les opérations

1. La surveillance de l’orbite basse doit être renforcée par des moyens souverains

2. La sécurisation de l’orbite basse nécessite des solutions de gestion des déchets et un processus de conception plus vertueux

C. Un usage plus vertueux de l’espace est possible en europe en se dotant d’une réglementation inspirée de loi française

1. La France a construit un cadre réglementaire de référence dans le domaine des opérations spatiales, allant largement au-delà du principe de non-appropriation de l’espace fixé par le droit international

2. Cet effort de réglementation doit se poursuivre à l’échelle européenne en faveur d’un spatial durable

D. La France et l’UE ont les moyens de promouvoir à l’international un modèle du spatial plus vertueux au travers du multilatéralisme

1. La France et l’UE sont engagées pour proposer un spatial vertueux, avec des retombées économiques bénéfiques pour l’industrie

2. La France et l’Europe doivent réaffirmer l’importance du droit international de l’espace

Examen en commission

Annexe I : liste des propositions

Annexe II : liste des personnes auditionnées par les rapporteurs à Paris et à l’occasion de leurs déplacements

1. Auditions à Paris

2. Déplacement à Toulouse (17 et 18 février 2025)

3. Déplacement en Guyane (du 3 au 7 mars 2025)

4. Contributions écrites d’entreprises non auditionnées


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   SYNTHÈSE

La France occupe une place singulière dans l’industrie du satellite. Elle est présente sur l’ensemble de la chaîne de valeurs grâce à un tissu industriel solide, des maîtres d’œuvres aux équipementiers. L’industrie spatiale représente un marché de plus de 11 milliards d’euros et emploie 70 000 personnes. La filière française se déploie en particulier dans le secteur des satellites placés en orbite géostationnaire, qui ont accompagné le développement de la télévision et d’Internet. L’industrie s’appuie sur une politique volontariste, conduite par le Centre national d’études spatiales (CNES) et financée sur ses volets civils et militaires à partir de la commande publique.

Le spatial industriel européen s’est construit sur la coopération entre nations, sous l’égide de l’Agence spatiale européenne (ESA), et a permis de créer un accès autonome à l’espace avec Ariane et des grands programmes en orbite. La France représente à ce titre un pays moteur en Europe et fait partie des premiers financeurs. Copernicus, dans l’observation de la Terre, et Galileo, dans le guidage par satellites, sont des succès techniques et scientifiques.

La France est également l’un des rares pays qui dispose d’un accès souverain à l’espace pour la défense, permettant aux armées d’observer, détecter et communiquer. Des satellites en orbite assurent à la défense française des capacités autonomes, malgré un recours grandissant à des partenariats étrangers et à des achats de service. La stratégie spatiale de défense de 2019 et la loi de programmation militaire de 2023 ont permis d’accroître ces capacités nationales.

Toutefois, le spatial est confronté à un grand bouleversement économique, qui suscite des vifs débats sur la stratégie à mener. Le New Space désigne une nouvelle dynamique, fondée sur l’arrivée d’entreprises avec une logique concurrentielle et commerciale, qui remet en cause la dimension institutionnelle du spatial. Il ne s’agit pas d’une catégorie homogène mais d’un courant dont certaines entreprises se revendiquent. Ces entreprises se développent dans des marchés émergents du spatial, en particulier dans le domaine des constellations de satellites en orbite basse, permettant de fournir un accès à Internet avec une latence réduite.

Le déploiement de constellations de satellites en orbite basse a des conséquences majeures, qu’elles soient économiques, environnementales ou stratégiques. Les constellations conduisent d’abord à une réduction du marché accessible aux entreprises françaises et à transférer le risque financier, porté par les agences au travers de la commande publique, vers les entreprises. Tout ceci dégrade la situation des industriels. Les conséquences sont environnementales et sécuritaires ensuite, en raison de l’encombrement de l’orbite et de la multiplication des débris. Elles sont aussi stratégiques, avec un accès à Internet qui dépend de plus en plus d’acteurs étrangers.

Alors que les industriels sont confrontés à des difficultés majeures, le plan France 2030 a constitué une réponse insuffisante. Le soutien doit être axé à l’avenir sur la commande publique pluriannuelle. Les entreprises ont besoin d’une stratégie claire, portée par l’État, avec de la visibilité sur les financements associés. Vos rapporteurs recommandent de sécuriser les financements prévus, de les exécuter dans les temps et de cibler le soutien public sur des marchés dont l’intérêt économique ou souverain est déjà bien identifié.

L’Europe se positionne dans les constellations avec le programme IRIS², porté par la Commission européenne, qui doit permettre la mise en orbite d’environ 300 satellites d’ici 2030 pour sécuriser les communications gouvernementales. Le projet est décrit comme vital pour l’industrie et son déploiement doit être assuré dans le calendrier convenu. Alors que le programme fait face à un désengagement de certains partenaires, vos rapporteurs invitent la France à défendre une posture de fermeté au Conseil.

La gouvernance du spatial est également en cours de reconfiguration ce qui mène à une organisation fragmentée et rigide. Vos rapporteurs estiment que les rôles respectifs de l’ESA et de la Commission doivent être clarifiés, la technique pour la première et la politique européenne pour la seconde. De son côté, le mandat du CNES doit établir un rôle triple comme agence scientifique et technique, opérateur de la défense et acteur économique. S’agissant des financements, les budgets du spatial portés par l’ESA et par l’Union doivent poursuivre leur montée en puissance pour faire face aux compétiteurs stratégiques. IRIS² représente une occasion de faire de l’Europe une grande puissance d’avenir dans le satellite.

En parallèle, on assiste à une arsenalisation accrue de l’orbite circumterrestre, devenue une zone de conflictualité à part entière et un appui indispensable aux opérations. D’une part, malgré les principes pacifistes posés par le droit international, l’espace « s’arsenalise », avec une multiplication des manœuvres hostiles, une hausse des menaces sur les orbites basse et géostationnaire et un durcissement du contexte opérationnel. D’autre part, les capacités spatiales sont maintenant critiques pour toutes les armées, ce dont témoigne la guerre en Ukraine, avec un recours croissant aux constellations pour les communications militaires. Le spatial conduit ainsi à une transparence accrue du champ de bataille car il devient difficile de dissimuler une manœuvre, et réduit le temps de latence des communications.

Dès lors, vos rapporteurs formulent une série de recommandations pour prendre en compte les évolutions stratégiques pour nos armées. L’objectif est d’user pleinement des capacités spatiales, d’assurer le renouvellement continu des systèmes, de protéger les moyens spatiaux et de soutenir l’action dans l’espace. Vos rapporteurs insistent sur la nécessité de déployer rapidement les satellites patrouilleurs YODA et TOUTATIS puis la constellation EGIDE, de mettre en œuvre les programmes d’appui spatial aux opérations (IRIS, CELESTE) et de développer Galileo PRS. Il s’agit aussi de définir une doctrine claire pour répartir les moyens disponibles entre les capacités patrimoniales, partenariales et commerciales. En outre, IRIS² représente un enjeu majeur d’autonomie à articuler avec les capacités nationales (interopérabilité, capacités militaires, systèmes antibrouillages).

Alors que 2025 constitue une année charnière pour le spatial, ce rapport permettra de nourrir la stratégie spatiale nationale dont l’élaboration a été confiée par le Premier ministre au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) en concertation avec les ministères compétents, pour une présentation durant l’été. La stratégie spatiale nationale définira les objectifs et priorités de la France dans le spatial d’ici 2040 sur le volet militaire et civil.

Enfin, à l’échelle internationale, il s’agit pour la France et l’UE de promouvoir un modèle spatial plus vertueux, en garantissant la sécurité en orbite et le respect du droit international. Avec les constellations et la multiplication des lancements, l’accroissement des débris rend possible un effondrement généralisé, au‑delà de la hausse des pollutions atmosphériques et lumineuses. Il convient en priorité d’investir dans la gestion des débris et la surveillance de l’orbite terrestre basse. Ensuite, l’Europe, s’appuyant sur le cadre réglementaire français, doit imposer avec la future loi spatiale européenne un usage durable et raisonné de l’espace. Ce tournant vertueux est déjà engagé, grâce à l’action du CNES ou de l’ESA, et doit à présent être porté au niveau multilatéral. Vos rapporteurs proposent la signature d’une convention internationale sur les débris ou d’étudier la création d’une agence intergouvernementale du spatial.

 

 


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I.   Le secteur du spatial français et européen est confronté à de profondes mutations économiques et militaires

A.   Le spatial européen est fondé sur une coopération entre nations ayant permis de développer aussi bien la recherche scientifique que les services commerciaux

1.   Le spatial européen s’est construit, sous l’impulsion de la France, sur la coopération entre nations avec la création de l’agence spatiale européenne

Le programme spatial français débute en 1961 avec la création d’une agence dédiée, le Centre national d’études spatiales (CNES), qui succède au Comité de recherche spatial, lancé en 1959. L’objectif est de développer un lanceur capable de mettre en orbite le premier satellite français. Il est atteint en 1965 avec le satellite Asterix grâce à la fusée Diamant A1, tirée depuis le site d’Hammaguir en Algérie. À la suite de l’indépendance de l’Algérie, le site de lancement déménage à Kourou, en Guyane, avec la construction du Centre spatial guyanais (CSG) en 1964. Le site a été choisi pour sa proximité avec l’équateur, permettant d’augmenter l’énergie cinétique au lancement.

Le spatial européen s’est développé sur la coopération entre les nations pour accéder de façon autonome à l’espace et créer un marché européen du satellite. Le centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux (ELDO) est créé en 1963 pour mettre au point un lanceur européen, tandis que le Conseil européen de recherches spatiales (CERS) est dédié à la recherche dans le spatial. Toutefois, les échecs répétés de la fusée Europa et les divergences de vues entre États conduisent à faire évoluer la gouvernance pour une meilleure intégration. Les deux agences fusionnent au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA) en 1975. L’ESA regroupe onze membres fondateurs et prend la forme d’une organisation intergouvernementale : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse, la Suède, l’Irlande et le Royaume-Uni. Les États décident ainsi de mettre en commun leurs compétences pour assurer la recherche scientifique et le développement de systèmes spatiaux d’applications.

L’ESA est responsable du volet technique et de la gestion des programmes spatiaux, pour le compte des États membres. Selon l’article 2 de sa convention fondatrice, l’agence a pour mission d’assurer et de développer, à des fins exclusivement pacifiques, la coopération entre États européens dans les domaines de la recherche et de la technologie spatiales.

À cette fin, l’ESA élabore et met en œuvre une politique spatiale européenne à long terme en recommandant aux États membres des objectifs en matière spatiale et en coordonnant les politiques des États membres.

2.   Cette coopération a permis de développer un lanceur européen et des programmes scientifiques et commerciaux

a.   Le programme Ariane garantit l’accès autonome de l’Europe à l’espace

Le programme Ariane, qui prend la suite d’Europa à partir de 1973 sous l’égide de l’ESA et du CNES, est un succès technique et commercial. Ariane doit permettre aux pays européens de mettre en orbite des satellites de télécommunications géostationnaires dont le marché commercial se développe progressivement. Les limites de la fusée Europa amènent à modifier l’architecture de la fusée. Europa était constituée de trois étages indépendants, chacun construit par un pays – le premier par les Britanniques, le deuxième par les Français et le troisième par les Allemands. Le manque de coordination est à l’origine de l’échec du programme, avec l’absence d’un maître d’œuvre global. La responsabilité du projet Ariane est confiée au CNES et la France assure 60 % du financement. L’ESA, de son côté, est en charge du contrôle du développement et du suivi financier du programme. Le premier lancement d’Ariane 1 a lieu en 1979.

La société Arianespace est créée en 1980 pour commercialiser et exploiter le lanceur. Le faible volume de lancements institutionnels, environ deux par an, ne suffisait pas à garantir l’exploitation d’un lanceur fiable et à moindre coût pour le contribuable. L’ouverture au marché commercial permettait d’augmenter la cadence de lancement, fiabilisant le lanceur et partageant les coûts du programme entre le secteur public et les clients privés. Ce modèle a permis à Arianespace de s’imposer rapidement comme un leader mondial des services de lancement. Les générations de fusées se sont succédées jusqu’à Ariane 5 en 1996, capable de mettre plus de 10,5 tonnes en orbite de transfert géostationnaire, contre 1,8 tonne pour Ariane 1.

Le premier vol commercial du lanceur Ariane 6 s’est déroulé le 6 mars 2025 après six années de retard, permettant à l’Europe de retrouver un accès autonome à l’espace. La mission d’information a fait le déplacement à Kourou pour assister au lancement et à la mise en orbite du satellite CSO-3. Alors que le programme Ariane 6 a accusé un retard de plusieurs années accentué par la pandémie de Covid‑19, l’Europe avait perdu l’accès à l’espace à la suite du dernier vol d’Ariane 5 en juillet 2023. Ariane 6 obéit fondamentalement à la même architecture qu’Ariane 5, avec plusieurs innovations : (i) le moteur Vulcain 2.1 a été optimisé, (ii) l’étage supérieur d’Ariane 6 est équipé d’un nouveau moteur Vinci, réallumable jusqu’à quatre fois en vol, offrant ainsi la possibilité de placer plusieurs satellites sur différentes orbites, (iii) le lanceur se décline en une version avec deux ou quatre boosters, permettant de placer en orbite jusqu’à 12 tonnes en géostationnaire et 25 tonnes en orbite basse. En outre, Ariane 6 vise une dizaine de lancements par an, contre 5 par an avec Ariane 5.

b.   Les programmes Copernicus et Galileo sont des succès scientifiques et techniques

À partir des années 1990, les politiques spatiales de l’ESA et de l’UE s’orientent vers deux grands programmes spatiaux : Copernicus pour l’observation de la Terre et Galileo pour la radionavigation.

 Opérationnel depuis 2016, Galileo est un système de positionnement par satellite. Il repose sur une constellation de 30 satellites lancés à partir de 2011 et répartis sur trois orbites moyennes (23 000 kilomètres d’altitude). Il représente une alternative au système GNSS([1]) développé par les États-Unis depuis les années 1970. La navigation représente 13 % du budget de l’ESA, soit 0,9 milliard d’euros en 2025.

– Copernicus est l’un des principaux programmes de surveillance de l’environnement au monde. Les satellites Sentinel fournissent des données pour améliorer la gestion de l’environnement, comprendre et atténuer les effets du changement climatique et assurer la sécurité civile. L’observation de la terre occupe 35 % du budget de l’agence spatiale européenne (2,5 milliards d’euros). Copernicus permet ainsi aux pays d’Europe de disposer d’un accès souverain à l’observation spatiale, crucial dans le contexte du changement climatique.

L’industrie spatiale européenne représente un marché d’environ 50 milliards d’euros selon le rapport Draghi. La France est encore aujourd’hui le moteur du spatial européen, malgré une montée en puissance de l’Italie et de l’Allemagne depuis la dernière conférence ministérielle de l’ESA de 2022, qui a fixé le budget triennal de l’agence. Elle est la première contributrice au budget de l’ESA, avec 1 milliard d’euros versé en 2025, devant l’Allemagne (0,9 milliard d’euros) et l’Italie (0,8 milliard). La base de lancement européenne est celle de Kourou, en Guyane. La France représente environ 40 % de l’emploi dans le spatial européen et un tiers du chiffre d’affaires.

B.   La France s’est spécialisée sur les satellites géostationnaires en s’appuyant sur des industriels de premier plan, un tissu de PME et ETI et un site de lancement, avec un lien fort entre entreprises et puissance publique

1.   La France s’appuie sur un tissu industriel de premier plan dans le satellite géostationnaire et bénéficie d’un site de lancement autonome

a.   La France est présente sur toute la chaîne de valeur du spatial et dispose de nombreux atouts qui expliquent sa place singulière en Europe

La France fait partie des rares pays à être présente sur toute la chaîne de valeur de l’industrie satellitaire. Le secteur regroupe trois acteurs majeurs donneurs d’ordre – ArianeGroup pour l’accès à l’espace, Airbus Defence and Space (ADS) et Thales Alenia Space (TAS) pour la construction de satellites – autour desquels s’est structuré un écosystème de petites, moyennes et entreprises de taille intermédiaire.

– ArianeGroup est une co-entreprise entre Airbus et Safran créée en 2016. La société est le maître d’œuvre du lanceur Ariane, commercialisé par sa filiale Arianespace. Elle emploie 7 600 personnes en France et en Allemagne et réalise un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros.

 Airbus Defence and Space (ADS) est le seul acteur européen présent sur l’ensemble de la chaîne de valeur spatiale : lanceurs (via sa participation à hauteur de 50 % dans ArianeGroup), services, missions scientifiques (Copernicus), constellations (OneWeb). Les activités spatiales d’Airbus représentent environ 12 000 emplois en Europe, dont 6 000 en France, pour un chiffre d’affaires d’environ 2 milliards d’euros.

 Thales Alenia Space (TAS) conçoit et fabrique des infrastructures spatiales pour les télécommunications, la navigation, l’observation de la Terre et la gestion de l’environnement, l’exploration spatiale pour le compte de clients institutionnels, gouvernementaux et du secteur concurrentiel. Société commune entre Thales (67 %) et Leonardo (33 %) créée en 2005, TAS a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 2,2 milliards d’euros en 2023 et emploie à cette date environ 8 600 personnes dans huit pays avec seize sites en Europe.

L’industrie spatiale française dispose de nombreux atouts qui expliquent sa place singulière en Europe et en font une filière d’excellence :

– une base industrielle et technologique (BITD) compétitive, grâce à la qualité de la formation et à la variété des entreprises, qu’il s’agisse des maîtres d’œuvres ou de sous-traitants bien implantés, à l’instar d’HEMERIA (équipements spatiaux, ballons, tourelles), COMAT (microgravité, matériel de vol, mécanique déployable) et EREMS (équipements électroniques) auditionnées par vos rapporteurs lors d’un déplacement à Toulouse ;

– le succès de programmes commerciaux, qui représentent environ la moitié du chiffre d’affaires du secteur, pourtant porté à hauteur de 70 % au niveau mondial par la commande publique militaire et institutionnelle ;

Source : contribution écrite de Pierre Lionnet

– un site de lancement, le Centre spatial guyanais (CSG), qui bénéficie d’une position privilégiée (proximité avec l’équateur, ouverture sur l’océan Atlantique).

Les entreprises du secteur sont représentées au sein du Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) et de l’Alliance New Space. Le GIFAS compte 485 adhérents depuis début 2025, majoritairement des entreprises de l’aérospatiale. L’Alliance New Space est une association fondée en 2021 par les acteurs de la filière qui regroupe 45 PME et start-ups du secteur spatial. Elle représente environ 2 500 employés en France.

Au total, l’observatoire de l’économie spatiale du CNES estime que l’industrie spatiale en France compte plus de 30 000 emplois et réalise un chiffre d’affaires d’environ 7 milliards d’euros. En incluant les fournisseurs, les académiques et les organismes institutionnels, le secteur représente environ 1 700 sociétés, plus de 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 70 000 personnes. L’écosystème toulousain, où la mission s’est rendue en février 2025, représente à lui seul 25 % de l’emploi européen dans le spatial, réparti dans plus de 400 entreprises.

b.   La filière française du spatial se déploie dans le géostationnaire, l’observation de la Terre, les constellations ou les services commerciaux

La France occupe environ 50 % du marché mondial des satellites de télécommunications géostationnaires. Il s’agit de satellites placés à 36 000 kilomètres d’altitude, de telle sorte à ce que leur position soit fixe par rapport à la Terre, l’orbite étant parcourue en 24 heures. Ils permettent ainsi de couvrir une région du globe de façon constante, pour transmettre la télévision ou la radio.

L’observation de la Terre regroupe les satellites capables de prendre des images de la surface terrestre pour la surveillance de l’environnement, la gestion des ressources naturelles ou l’agriculture. Les satellites Pléiades, opérés par le CNES depuis 2011, offrent des images avec une résolution d’environ 50 centimètres. Les Pléiades Neo ont été lancés en 2021 pour succéder aux deux premiers Pléiades mis en orbite en 2011.

Les entreprises françaises s’investissent de plus en plus dans les constellations de satellites en orbite basse. Elles permettent de fournir des services de connectivité à haut débit, de l’observation ou encore du suivi d’objets. On peut citer la constellation développée par Kinéis, qui assure la transmission de données depuis des objets connectés grâce à une constellation de 25 satellites.

La filière spatiale française se développe également dans la vente de services : fourniture d’images satellites, accès à Internet depuis l’espace, géolocalisation, données météo. ADS est ainsi responsable de la commercialisation des images issues des satellites Pléiades. De même, Telespazio, entreprise conjointe entre Leonardo (67 %) et Thales (33 %), forme avec Thales la « Space Aliance », qui prévoit une collaboration entre des infrastructures spatiales fabriquées par TAS et opérées par Telespazio.

2.   Le secteur français du spatial s’appuie sur une politique publique volontariste

La politique spatiale française s’oriente dans les trois dimensions que sont le soutien aux acteurs industriels, la recherche scientifique et le développement de solutions pour la défense. Cela se traduit par un portage interministériel et par un financement pluriel. La politique spatiale dépend depuis octobre 2024 conjointement du ministre de l’Économie et des finances et du ministre de l’Éducation nationale et de la recherche, à l’exception du volet défense nationale. À noter que la politique spatiale a été rattachée entre 2020 et 2024 au seul ministre de l’Économie et des finances sur le volet civil. Depuis 2013, le COSPACE est l’instance de dialogue entre les industriels et l’État. Ce comité de concertation regroupe l’État, le CNES, le GIFAS et, depuis 2022, les start-ups représentées par l’Alliance New Space.

Le CNES est le principal acteur de la politique spatiale française en tant qu’agence de programmation et comme plateforme technique à destination du secteur. En lien avec l’agence spatiale européenne, le CNES met en œuvre les programmes nationaux et européens dans le domaine spatial et représente la France au sein de l’agence européenne. Doté d’un budget de 3,029 milliards d’euros en 2024, le CNES est sous la tutelle conjointe de trois ministères : l’Économie et les finances, les Armées, l’Enseignement supérieur et la recherche.

La direction générale des Entreprises (DGE) a connu une extension récente de son rôle en matière spatiale, en raison d’un portage de la politique spatiale par le ministère de l’Économie et des finances entre 2020 et 2024 et du plan France 2030. Si la DGE assure de longue date un suivi du secteur, elle gère la cotutelle du CNES depuis 2020 et met en œuvre le plan France 2030 depuis 2021 avec le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI). Le développement du rôle de la DGE a suscité des réactions dans l’écosystème du spatial. Il a été considéré comme une volonté de privilégier la dimension économique du spatial sur la recherche scientifique.

Le financement de la politique spatiale sur son volet civil est assuré par plusieurs programmes rattachés à la Mission « Enseignement Supérieur et Recherche ». Il s’agit d’abord du programme 193 « Recherche spatiale » qui s’élève à 1 915 millions d’euros en crédits de paiements en 2025. Il finance la subvention versée au budget du CNES, la contribution de la France au budget de l’ESA (1 074 millions d’euros), qui transite par le CNES, ainsi que la contribution française de 65 millions d’euros à l’organisation européenne pour l’exploitation de satellites météorologiques (Eutemsat). Ce programme est complété par le programme 191 « Recherche duale » dont 122 millions d’euros sont à destination du CNES en 2025 pour financer notamment la constellation CO3D (Constellation Optique en 3D) et une partie de la constellation Kinéis dans l’Internet des objets (IoT). Enfin, une fraction du programme 172 « Recherche et enseignement supérieur » est destinée au financement du spatial au travers du CNRS et du CEA, estimée à 25 millions d’euros par la commission des finances du Sénat en 2023.

Partant du constat d’un besoin de renforcer la politique spatiale civile et militaire, une stratégie spatiale nationale est en cours d’élaboration par les ministères concernés, avec la coordination du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN). La stratégie spatiale nationale a été confiée par le Premier ministre au SGDSN en mars 2025, pour un rendu en juin 2025. L’objectif est de répondre aux besoins civils et militaires, en actualisant la stratégie spatiale de défense de 2019 et en intégrant les enjeux économiques et industriels.

C.   Cet écosystème industriel est bouleversé par le développement des constellations en orbite basse et par un nouveau modèle économique issu de l’environnement des start-ups

1.   Dans le sillage du New Space, le modèle du satellite géostationnaire a été remis en cause par les constellations en orbite basse

a.   Avec le New Space, l’industrie du satellite s’est ouverte à de nouveaux acteurs privés inspirés par l’écosystème des start-ups

Le New Space désigne une nouvelle dynamique de l’industrie spatiale marquée par l’arrivée d’acteurs privés, avec une logique commerciale et concurrentielle, qui remet en cause le modèle traditionnel du spatial porté par les acteurs souverains et les agences. Le New Space prend naissance aux États-Unis durant les années 1990 avec la volonté d’ouvrir le spatial au secteur privé, dans le contexte de la fin de la Guerre froide et de la réduction des budgets militaires. Il s’agit pour la puissance publique d’élargir le marché aux acteurs privés pour limiter les dépenses publiques. Le New Space n’est pas une catégorie homogène. C’est une notion controversée, qui renvoie à une dynamique de l’écosystème spatial et dont certaines entreprises se revendiquent.

Ce nouvel écosystème du spatial est inspiré de celui des start-ups. Les entreprises qui s’identifient au New Space, souvent issues de laboratoires de recherche universitaires, font davantage appel au financement privé, par capital-risque. L’entreprise rennaise Cailabs a ainsi levé 43 millions d’euros depuis 2013, majoritairement auprès de fonds d’investissement, pour commercialiser une solution de communication laser satellite-sol mise au point à l’École normale supérieure. U‑Space a également levé 7 millions d’euros pour construire une usine de nano‑satellites, en partenariat avec le CNES. Ces start-ups développent des services dans l’espace dans une logique de rentabilité.

 

Panorama de l’industrie française du spatial

Source : Toulouse Space Team, avril 2024

b.   La miniaturisation des satellites et la baisse des coûts de lancement ont permis aux entreprises du New Space d’investir le champ des constellations en orbite basse

Dans le marché du satellite, le New Space est dominé par des entreprises qui développent des constellations de satellites déployées en orbite basse. Il s’agit de réseaux de satellites placés à une altitude comprise entre 400 et 2 000 kilomètres au-dessus de la Terre et utilisée pour des services. Contrairement aux satellites géostationnaires, les satellites en orbite basse n’ont pas une position fixe par rapport à la planète : la vitesse de rotation est telle que les satellites parcourent plusieurs fois la surface de la Terre en une journée. Il est donc nécessaire de développer un réseau de nombreux satellites pour assurer une couverture continue et une fréquence élevée de revisite d’un même point.

La baisse des coûts de lancement permet l’envoi simultané d’un grand nombre de satellites en orbite basse. SpaceX, avec le lanceur Falcon 9 en partie réutilisable, propose un coût de lancement réduit, entre 40 et 60 millions de dollars, contre 70 à 100 millions d’euros pour Ariane 6. Le lanceur européen Vega-C s’inscrit dans cette logique, mais son coût de lancement, supérieur à une quarantaine de millions d’euros, reste élevé. Il s’adresse principalement « à un marché restreint, principalement institutionnel, capable de financer un accès à l’espace entièrement dédié et sur mesure », selon la contribution écrite d’Arianespace. L’ONERA avait proposé dès le début des années 2000 de travailler sur les lanceurs réutilisables, sans grand succès. Le successeur d’Ariane 6, Ariane Next, devrait être le premier lanceur européen partiellement réutilisable, à horizon 2030. Il sera doté du moteur-fusée PROMETHEUS développé par ArianeGroup.

Les satellites se sont ainsi miniaturisés (« smallsats ») pour être produits à la chaîne de manière plus standardisée. Ces nano-satellites sont développés sur des plateformes pour être facilement reproductibles, avec une charge utile comprise entre 50 et 500 kilogrammes par satellite, contre plusieurs tonnes en géostationnaire. À titre d’exemple, un microsatellite Starlink de première génération pèse environ 300 kilogrammes. Des satellites modulaires se sont également développés, à l’instar des CubeSat, des satellites de forme cubique dont la taille est définie en multiple d’un standard baptisée 1U, proche d’un cube de 10 centimètres de côté.

Les constellations de satellites sont particulièrement utilisées dans les télécommunications car elles permettent de réduire la latence du signal par rapport aux géostationnaires, en raison de la plus faible altitude d’orbite. Alors qu’un signal met environ 500 millisecondes à rejoindre un satellite géostationnaire, ce délai est réduit à environ 20 millisecondes pour atteindre un satellite en orbite basse, soit une amélioration d’un facteur 25. Les satellites en orbite basse offrent ainsi des performances proches des réseaux terrestres en matière de connectivité. La latence plus faible est essentielle pour certains usages d’Internet comme les jeux en ligne, la visioconférence ou les services d’urgence.

Alors que la majorité des données internet emprunte le réseau filaire, les constellations proposent une alternative dans les endroits où les liaisons sont parcellaires (pays émergents) voire impossibles (aérien, maritime). Internet repose aujourd’hui sur un réseau de câbles terrestres et sous-marins, relayé par des infrastructures terrestres (antennes, box internet). Les constellations de satellites fournissent une alternative à partir de satellites en orbite basse en reliant une station au sol et une antenne disponible pour l’utilisateur final. Ce système permet d’offrir une connexion dans les avions et les bateaux, ou de pallier les zones faiblement pourvues en câbles, en particulier dans les pays émergents.

Le projet Starlink, initié par SpaceX depuis 2020, vise à fournir un accès internet haut débit partout dans le monde à partir d’une constellation de plusieurs milliers de satellites en orbite basse. Les satellites sont envoyés en orbite grâce aux fusées développées par SpaceX, Falcon 9, par paquets de 15 à 60. En avril 2025, la base de données de l’astrophysicien américain Jonathan McDowell dénombre 7 300 satellites en orbite, dont 6 500 opérationnels. Le projet Starlink pourrait compter jusqu’à 42 000 satellites à long terme. L’entreprise revendique environ 5 millions d’abonnés en 2025. La force de SpaceX est de contrôler toute la chaîne de valeur : fabrication des fusées, construction des satellites, opérateur du service commercial Starlink.

 

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0,5

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0,6

Océanie

0,3

Carte des satellites Starlink en orbite et répartition des abonnés
dans le monde

 

      

Source : Satellitemap Space, 9 avril 2025

2.   Ces mutations conduisent à une réduction du marché accessible pour les entreprises européennes et à un transfert du risque financier vers les sociétés

Les constellations bouleversent le marché du satellite. On assiste à une envolée du nombre de lancements de satellites, dont le coût se réduit, au détriment des satellites géostationnaires. Au global, cela se traduit par une réduction du marché accessible pour les Européens.

a.   Plusieurs constellations de satellites en orbite basse de télécommunications sont portées par des États et des entreprises

Au-delà de Starlink, d’autres constellations sont en projet ou en cours de déploiement par des entreprises. On peut citer Kuiper, porté par Amazon, OneWeb, qui appartient au groupe Eutelsat, ou Guowang (« réseau national ») et SpaceSail pour la Chine. Avec 3 000 satellites autorisés et une cible de 12 000, Kuiper est la plateforme d’Amazon concurrente de Starlink, dont le déploiement devrait commencer en 2025. OneWeb dispose déjà d’environ 650 satellites qui pourraient être rejoints par 400 satellites de nouvelle génération. La constellation Guowang, supervisée par l’entreprise publique China Satellite Network (« China SatNet »), devrait compter environ 12 000 satellites pour fournir une solution de télécommunication souveraine en Chine. Le déploiement a débuté en décembre 2024, mais peu d’informations sont disponibles sur cette constellation. Une nouvelle initiative a également émergé en Chine, SpaceSail, totalisant le lancement de 54 satellites depuis août 2024. Elle projette le déploiement de 14 000 satellites.

La constellation OneWeb : une constellation européenne depuis sa fusion
avec Eutelsat

OneWeb est une constellation en orbite basse, composée de 648 satellites, déployée pour offrir un accès à Internet à destination de l’aérien, du maritime, des infrastructures critiques et des marchés gouvernementaux. Chaque satellite, pesant environ 150 kilogrammes, est fabriqué par Airbus Defence and Space. Entreprise britannique et indienne, OneWeb est rachetée par l’opérateur français Eutelsat en 2023. La fusion a permis de créer une constellation hybride LEO / GEO, grâce aux satellites géostationnaires exploités par Eutelsat. Contrairement à Starlink, OneWeb est d’abord une constellation de télécommunications à destination des gouvernements et des entreprises.

Le programme IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite) est le projet porté par la Commission européenne qui vise à développer une constellation de satellites en orbite basse pour les communications d’ici 2030. Cette constellation sera constituée de 282 satellites situés en orbites basses (une composante « LEO-high » à 1 200 kilomètres d’altitude et une composante « LEOlow » à moins de 750 kilomètres) et moyennes (18 satellites à 8 000 kilomètres d’altitude) et couvrira l’ensemble du globe, y compris les pôles. L’ambition technologique d’IRIS² est décrite par Jean-Pierre Diris (coordinateur interministériel du projet) dans sa contribution écrite, comme « supérieure à Starlink en raison du multi-orbite et de l’usage de la 5G ».

b.   Les constellations nécessitent une hausse considérable des satellites en orbite mais réduisent le marché accessible aux entreprises européennes

Le développement des constellations conduit à une nette augmentation des satellites mis en orbite, qui sont passés d’environ 300 par an jusqu’en 2017 à 2 900 en 2023. Alors que SpaceX prévoit de lancer environ 1 000 satellites par an dans les années à venir et que les constellations Kuiper et Guowang devraient être déployées, cette croissance devrait se poursuivre. Sur les 246 lancements opérés à l’échelle mondiale en 2024, 53 % étaient opérés par SpaceX, soit l’essentiel des 136 lancements conduits aux États-Unis. Le nombre de satellites en orbite est ainsi en croissance exponentielle, d’environ 2 000 en 2019 à plus de 14 000 en 2025 (11 000 actifs), dont les deux tiers de Starlink.

Source : contribution écrite de Pierre Lionnet

En conséquence de l’essor des satellites en orbite basse, le marché du géostationnaire, sur lequel la France s’est spécialisée, est en réduction. La prise de commandes de satellites géostationnaires commerciaux est ainsi passée de 130 tonnes en 2013 à moins de 50 tonnes par an depuis 2021. Les constellations en orbite basse devraient continuer de capter une part croissante du marché de la connectivité, particulièrement pour les applications nécessitant une faible latence, réduisant ainsi la demande pour les satellites géostationnaires dans les services de télécommunications.

Source : contribution écrite de Pierre Lionnet

 

 

 

Le marché accessible par les entreprises du satellite se réduit en raison (i) d’une demande croissante pour des satellites en orbite basse au détriment des géostationnaires ; et (ii) des constellations intégrées verticalement qui réduisent la taille du marché commercial. L’ESA estime que les Européens ne peuvent plus se positionner que sur 6 % du marché mondial du satellite. Or, la part de marché capturée par l’Europe ne cesse de se dégrader, passant de 50 % sur la décennie 2004‑2013 à 33 % en 2024. En outre, la Chine est en mesure de proposer des services clefs en main à des États sous embargo américain, limitant encore le marché accessible aux Européens, par le truchement de Shanghai Gesi Aerospace Technology (GESI), une entreprise mixte tirée de l’Académie chinoise des Sciences (CAS), qui s’appuie sur son usine automatisée.

En parallèle, le modèle du New Space conduit à un transfert du risque financier des agences vers les entreprises, ce qui exacerbe les difficultés rencontrées par les industriels du satellite. Jusqu’alors, les agences étaient responsables des programmes satellitaires et assumaient ainsi le risque de développement. Aujourd’hui, les projets sont davantage financés sur fonds propres, directement par les industriels, qui supportent donc les risques. La part du CNES comme client est en diminution constante depuis les années 2000 : ADS indique qu’il ne représente plus que 4 % du chiffre d’affaires.

D.   Le spatial de défense est un outil résolument national à la souveraineté néanmoins incomplète

Le spatial de défense français remplit trois missions essentielles : observer, détecter et communiquer, auxquelles il faut ajouter une mission connexe, assurée par radar, de surveillance de l’espace extraatmosphérique. Si la France est l’un des rares pays qui bénéficie d’un accès souverain à l’espace, cette souveraineté demeure toutefois incomplète.

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Source : Ministère des Armées

 

1.   Une triple mission est assignée aux satellites français

a.   L’observation

Le système CSO (Composante spatiale optique), doté d’une double capacité optique et infrarouge, fournit à la France une part de son renseignement d’origine image (ROIM), le reste étant apporté par les États-Unis. Il est composé de trois satellites identiques situés en orbite basse, remplissant des missions de reconnaissance ou d’identification.

Les satellites CSO-1 et CSO-2 ont été lancés respectivement en décembre 2018 et en décembre 2020. Alors que son lancement était initialement prévu en 2021, CSO-3 a finalement, après plusieurs reports, été mis en orbite le 6 mars 2025 grâce au tir VA263 effectué par le lanceur Ariane 6, à l’occasion de son premier vol commercial. Les reports étaient une conséquence d’un défaut de disponibilité rencontré par Ariane 6. Très attendu, ce lancement stratégique était destiné à répondre aux besoins capacitaires non seulement de la France mais aussi de plusieurs pays partenaires.

Le ministère des Armées bénéficie en outre d’un droit d’acquisition prioritaire des images des deux satellites duaux d’observation optique à haute résolution (HR) du CNES, dénommés Pléiades (1A et 1B, lancés en 2012), exploités par la société Airbus Defence and Space (ADS) dans le cadre d’une délégation de service public.

b.   La détection

L’espace permet, en deuxième lieu, de fournir aux forces armées un renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) à des fins de détection. Lancée à la fin de l’année 2021 et composée de trois satellites en orbite basse, la constellation CERES (Capacité de renseignement électromagnétique spatiale) est utilisée par les armées françaises depuis septembre 2022. Les satellites CERES permettent d’écouter et de localiser précisément les signaux électromagnétiques des radars et des systèmes de communication lorsque ceux-ci sont déployés dans la profondeur du territoire de l’adversaire. Ces capteurs s’affranchissent par ailleurs des conditions météorologiques et du cycle jour‑nuit. Le système CERES rend possible de contourner ou de neutraliser les systèmes de défense ennemis et ainsi d’assurer la pénétration des avions et missiles vers leurs objectifs. Le ROEM joue un rôle essentiel pour garantir l’effectivité de la dissuasion nucléaire.

Le contrôle des trois satellites CERES (tout comme celui des trois satellites CSO) est assuré par le CNES à Toulouse, en lien avec le Commandement de l’Espace (CDE). Les plans de missions élaborés par les armées sont transmis grâce à un réseau de stations de télécommande-télémesure. Le programme CELESTE (capacité électromagnétique spatiale) doit succéder à CERES à l’horizon 2030.

c.   La télécommunication

La télécommunication satellitaire (SATCOM) permet aux armées d’établir des communications à longue distance par le biais d’un satellite relais et de parer ainsi à l’absence ou à la déficience des moyens terrestres radio ou filaires. Elle permet aussi d’effectuer de la transmission de données. Le cœur de la SATCOM française est constitué des deux satellites souverains SYRACUSE (Système de radiocommunication utilisant un satellite) 4A et 4B situés en orbite géostationnaire. L’enjeu principal est ici de maintenir la garantie de service, même en cas de grandes élongations géographiques (par exemple dans les zones désertiques ou semi-désertiques), c’est-à-dire concrètement d’éviter sur un théâtre d’opération le non‑fonctionnement du téléphone satellitaire mis à la disposition du combattant.

d.   Une mission distincte : la surveillance de l’espace

Sur le segment sol, la France dispose du radar GRAVES (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) qui lui permet de disposer de capacités autonomes de surveillance de l’espace. S’il représente un atout précieux et unique en Europe, cet outil n’en a pas moins une portée limitée puisqu’il ne permet de suivre ni les satellites ayant des orbites proches de l’équateur, ni ceux qui se situent hors de l’orbite basse.

2.   Une souveraineté qui est amputée par des manques et des dépendances

  1.   Le recours à des partenariats ou des fournitures auprès d’autres États

Les armées françaises recourent à des partenariats internationaux européens ou étrangers pour combler certaines lacunes ou accroître leurs capacités. Elles opèrent, par exemple, les satellites SICRAL 2 et ATHENA-FIDUS de télécommunications militaires conjointement avec le ministère italien de la Défense. Par ailleurs, en vertu de l’accord de coopération dit de Schwerin du 30 juillet 2002, la France, qui ne dispose pas de satellites d’observation radar, reçoit de l’Allemagne des signaux radar en échange de la fourniture à celle‑ci d’images optiques prise par sa composante spatiale Hélios puis CSO. S’agissant des satellites de « position-navigation-temps » (PNT), le principal système de géolocalisation aujourd’hui utilisé par les armées françaises est le système américain GPS([2]). L’armée de terre est aujourd’hui équipée de récepteurs DGAR([3]) qui sont uniquement GPS. L’Union européenne a certes lancé son propre programme Galileo de navigation par satellites, qui devrait à terme comporter 27 satellites en orbite moyenne (MEO, comprise entre 2 000 kilomètres d’altitude et l’orbite géostationnaire). Toutefois le signal de Galileo PRS ([4]) n’est toujours pas utilisé par les armées françaises, même si les récepteurs DGAR, qui ont une durée de vie prévue jusqu’à 2030, ont vocation à être remplacés par de nouveaux récepteurs bi‑constellations.

Proposition n° 1 : Assurer le déploiement des récepteurs bi-constellations pour permettre aux armées d’utiliser le réseau Galileo PRS.

b.   Des achats de services auprès d’acteurs privés

Les armées françaises sont également amenées à procéder à des achats de services pour compléter leurs capacités (ce que l’on appelle le noyau « étendu »). Elles recourent ainsi à des services extérieurs auprès d’industriels pour l’observation des signaux électromagnétiques ou pour l’observation optique et radar. Les armées françaises ont ainsi contractualisé avec plusieurs entreprises, telles que Actia Aerospace, ADS ou Unseenlabs, start-up française qui opère une dizaine de nano‑satellites capables de détecter et d’identifier les spectres radars de nombreux navires.

S’il permet de combler les manques dans la panoplie française, le recours à des services commerciaux comme à des partenariats avec des États étrangers constitue dans le même temps une fragilité. Le gouvernement des États‑Unis pourrait par exemple parfaitement décider, de manière unilatérale, d’affaiblir la performance de son système GPS, en abaissant par exemple sa puissance, ce qui a d’ailleurs déjà été fait dans le passé. Plus généralement, le caractère patrimonial des outils de renseignement, dont les outils satellitaires, est un gage d’autonomie de la décision politique. À l’inverse, l’externalisation des sources d’information met un pays à la main de ses « partenaires ». Il est notoire que c’est le fait d’avoir ses propres outils souverains qui a permis à la France en 2003 d’être renseignée sur l’absence d’armes de destruction massive en Irak et d’éviter d’être entraînée par les États‑Unis d’Amérique dans l’invasion de ce pays. À l’inverse, le Gouvernement français a choisi de recourir en janvier 2025 aux services de Starlink pour permettre aux habitants de Mayotte de communiquer par téléphone et d’avoir accès à Internet, au lendemain du passage du cyclone Chido (200 terminaux terrestres ont été livrés).

L’exemple ukrainien est aussi emblématique de la vulnérabilité que fait encourir le recours à des États étrangers. Elon Musk n’a en effet pas hésité à couper en 2022, sans prévenir et de façon unilatérale, le signal de sa méga‑constellation en orbite basse, Starlink, au large des côtes de Crimée, afin d’empêcher une attaque de drones sous‑marins ukrainiens contre la flotte russe.

 


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II.   La France et l’UE doivent poursuivre une stratÉgie industrielle autour de priorités affirmées

A.   Si les industriels tentent de se restructurer, la pertinence d’un géant européen du satellite doit être interrogée

1.   Le virage des constellations a altéré les perspectives industrielles d’ADS et TAS, conduisant à une dégradation des conditions de travail et à des suppressions de postes

Les industriels Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space subissent l’évolution du marché du satellite et ont annoncé des plans de transformation incluant des suppressions d’emplois. Ces plans pourraient menacer la pérennité des compétences critiques dans le secteur. Ils s’inscrivent dans un contexte de dégradation de la qualité de vie au travail selon les syndicats.

Airbus Defence and Space, qui a provisionné de l’ordre de 1,5 milliard d’euros pour 2024 et 2025, a annoncé un plan de transformation comportant 2 043 suppressions de postes en Europe. La société a été contrainte de provisionner un total de près de 1,5 milliard d’euros pour charges en 2024 et 2025, pour un chiffre d’affaires annuel de 2,5 milliards d’euros. Aux 600 millions d’euros de charge fin 2023, se sont ajoutés 900 millions d’euros au premier semestre 2024. La dégradation de la situation financière est le résultat d’investissements en fonds propres significatifs ces dernières années pour le développement de programmes satellitaires (Pléiades, OneWeb, EGNOS).

Si le périmètre des suppressions d’emplois est plus large que les activités spatiales – il englobe également les entités « avions militaires » et « avions de service » -, il est prévu en France de supprimer 394 postes, sans licenciement. L’accord de compétitivité, négocié en janvier et février et signé par deux des trois organisations syndicales représentatives (CFE-CGC et CFDT ; la 3e organisation syndicale, CGT, ayant refusé de signer cet accord), a permis de réduire le nombre de postes supprimés de 40 par rapport au plan prévu à l’origine, soit 491 suppressions de postes et d’obtenir un engagement d’embauches de 100 personnes. Il reste 394 suppressions de postes à réaliser en février 2025 : 325 à Toulouse et 69 à Elancourt et en région parisienne. L’accord prévoit que les départs ne pourront se faire que sur la base du volontariat : mobilités internes au sein d’Airbus, mobilités externes (projet d’entrepreneuriat, prise en charge des coûts de formation pour une reconversion) ou accompagnement de fin de carrière.

Chez Thales Alenia Space, les syndicats témoignent d’un environnement de travail très dégradé dans le sillage d’un plan d’adaptation qui comprend 976 suppressions de postes en France d’ici 2026. La situation, avérée par plusieurs expertises, est critique en matière de risques psychosociaux. La première phase du plan, annoncée en novembre 2023, concerne la suppression de 317 postes en France, en raison de la réduction de la charge de l’activité géostationnaire. Cette première phase a été accompagnée et acceptée par les organisations syndicales représentatives de TAS France, selon la note transmise par l’intersyndicale. La seconde phase de suppression de postes doit conduire à supprimer 976 postes en 2026, dont 866 d’ici fin 2025, deux tiers sur le site de Toulouse et un tiers sur le site de Cannes. L’annonce du plan en mars 2024 lors de la présentation des comptes a été une « surprise totale » pour les syndicats. Des contre-expertises ont été sollicitées par les syndicats et ont montré que ce plan « ne reposait sur aucune base industrielle » et présentait des « risques importants de dégradation de la santé des salariés ». L’analyse partagée chez les syndicats est que les suppressions voulues par la direction sont trop massives – une centaine de suppressions a finalement été repoussée à mi-2026 à la suite de nouvelles prises de commandes – et mal réparties en fonction des secteurs de l’entreprise et des niveaux hiérarchiques, avec plus de 40 % des postes de techniciens touchés contre moins de 10 % de cadres. Les syndicats dénoncent également un manque de visibilité sur le plan de suppressions d’emplois, avec plusieurs modifications en fonction du plan de charge de l’entreprise. Cette situation est à l’origine d’une grande désorganisation de l’activité et d’une forte incertitude chez les salariés.

Les syndicats de TAS dénoncent le choix de la direction de privilégier une rentabilité forte au détriment de la préservation de l’outil industriel. Ils indiquent que « l’effort d’amélioration de la compétitivité et de la rentabilité a été dévolue pour l’essentiel vers l’optimisation des ressources humaines en France ». Cela a mené à un durcissement du dialogue social et l’usage d’un droit d’alerte en 2024.

La direction indique que le plan d’adaptation est dimensionné en fonction du plan de charge, régulièrement mis à jour, et qu’elle a pris des engagements sur le périmètre français. D’une part, en excluant les départs à la retraite, plus de trois-quarts des collaborateurs restent au sein du groupe Thales, avec une cartographie des compétences critiques. D’autre part, un plan d’accompagnement a été mis en place pour prévenir les risques psychosociaux.

Proposition n° 2 : L’État doit demander à TAS des politiques d’accompagnement et de formation sur les métiers d’avenir pour assurer la requalification des salariés au sein du groupe.

Proposition n° 3 : L’État doit demander à la direction de TAS un gel du plan de départ pour offrir de la visibilité aux salariés.

Proposition n° 4 : Obtenir des industriels l’engagement que les restructurations en cours n’aboutiront pas à une diminution de l’effort de recherche et développement ; la R&D doit être déterminée selon les besoins de l’activité et fléchée vers des projets pertinents (pas de « techno-push »).

2.   La pertinence d’un géant européen du satellite doit être interrogée en raison des risques de monopole et de suppression d’emplois

Le projet « Bromo », révélé dans la presse en décembre 2024, est une initiative portée par TAS, ADS et l’Italien Leonardo, encore en discussion, pour créer une entreprise commune européenne dans le spatial, à horizon 2026. Sur le modèle du missilier MBDA, les trois sociétés détiendraient un tiers du capital. Le site de Toulouse rassemblerait les activités télécoms de l’entreprise, tandis que le site de Cannes regrouperait le reste des activités. L’Italie resterait spécialisée dans l’exploration spatiale et la fabrication des satellites d’observation radar. Le groupe pourrait atteindre un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros. ADS aurait mandaté la banque d’affaires Goldman Sachs et Leonardo la banque Bank of America pour les conseiller sur la fusion.

Alors que l’avant-projet aurait été déposé à la Commission européenne en 2025, le projet se heurte a priori au risque de position dominante sur le marché. L’avis de la Commission sera déterminant : imposer des mesures correctives telles que des ventes d’actifs ou des restrictions d’activité mettrait probablement un terme au projet. En outre, l’industriel allemand OHB est pour l’instant exclu du projet. Il existe donc un risque que la fusion contraigne ADS, TAS et Leonardo à vendre des actifs à OHB, qui verrait ses capacités augmentées. Le projet pourrait renforcer OHB et en faire un concurrent sérieux en Europe.

Une étude du cabinet Syndex sur le rapprochement, révélée par la presse, souligne qu’une entreprise commune permettrait de réduire les risques de l’activité spatiale et de soutenir la recherche. D’une part, la mise en commun des activités spatiales permettrait de limiter les aléas en mutualisant les carnets de commande de TAS, ADS et Leonardo. D’autre part, une société commune pourrait accroître l’effort de R&D en limitant la concurrence délétère que se livre TAS et ADS sur la recherche. En effet, la préservation de l’équilibre du secteur implique pour l’État de subventionner les deux acteurs pour leur effort de recherche, diluant ainsi le financement et limitant les économies d’échelle.

Toutefois, ADS et TAS réalisant des activités proches, la fusion entraînera très probablement une nouvelle vague de suppressions de postes voire éventuellement la disparition d’un site français. Si la fusion est décidée, il est donc indispensable que les groupes ADS, TAS et Leonardo s’engagent sur un traitement social exemplaire, limitant au maximum tout départ contraint des salariés et garantissant la pérennité des sites.

Proposition n° 5 (position de Mme Vignon) : La création d’un champion français a du sens afin de stopper l’affrontement commercial entre ADS et TAS. Toutefois, il faut : (i) s’assurer que la fusion ne renforce pas OHB et ne freine pas IRIS² ; (ii) limiter au maximum tout départ contraint de salariés ; (iii) garantir la pérennité de l’ensemble des sites industriels en France.

Proposition n° 6 (position de M. Saint-Martin) : Demander aux services de la DGE, du ministère des Armées et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche d’examiner les conséquences sociales, industrielles, économiques et opérationnelles d’une fusion. Dans l’hypothèse que cette dernière aurait des conséquences défavorables, tant pour l’emploi que pour la conduite des programmes spatiaux, s’opposer à la fusion. 

 

B.   Le Plan France 2030 a été une réponse partielle aux résultats mitigés alors que les entreprises aspirent à une plus forte commande publique et à bénéficier de priorités claires

1.   Si le volet spatial de France 2030 a tenté de faire émerger un nouvel écosystème dans les secteurs émergents du spatial, la dilution des fonds a limité sa portée

Le volet spatial du Plan France 2030, doté d’1,5 milliard d’euros, avait pour priorité affichée de rattraper le retard sur les segments émergents du spatial et d’investir dans les nouveaux usages. Il s’agissait ainsi de mieux adapter le marché français à la concurrence internationale. Piloté par le Secrétariat général pour l’investissement et la Direction générale des Entreprises, France 2030 est opéré pour le compte de l’État par Bpifrance pour les subventions et par le CNES sur les achats de services et de démonstrateurs.

Le plan se déploie dans plusieurs domaines clés :

 Accès autonome à l’espace via des projets de mini lanceurs, par exemple avec MaiaSpace, filiale d’ArianeGroup qui développe un lanceur spatial léger pour 2026, capable de mettre en orbite basse entre 500 et 1 500 kilogrammes ;

 Nouvelle constellation de satellites de petite taille, avec un soutien apporté à la constellation Kinéis ;

 Systèmes d’observation de la Terre (capteurs optiques, radars, infrarouges) ;

 Écosystème des start-ups, le plan ayant permis d’accélérer les levées de fonds en faisant levier sur les financements privés. Les levées de fonds des start-ups françaises du spatial ont ainsi atteint 174 millions d’euros en 2022 et 111 millions d’euros en 2023.

Le principe d’un plan dédié au spatial est salué par la filière. Les PME et start-ups interrogées soulignent l’intérêt de combiner un soutien financier pour augmenter la maturité des technologies et des appels d’offres publics pour acheter des services.

L’ensemble de l’écosystème se rejoint néanmoins sur l’absence de choix clairs de France 2030 sur un projet de mini-lanceurs (moins de 1,5 tonne de charge utile), ce qui a mené à soutenir quatre projets concurrents. Si la nécessité de financer un mini-lanceur pouvait présenter un intérêt légitime pour garantir un accès autonome à l’espace, le secteur souligne un engouement ayant conduit à financer quatre projets distincts : Sirius Space, MaiaSpace, Latitude et HyprSpace. La dispersion des fonds associée est jugée particulièrement néfaste, en ayant retardé le développement d’un mini-lanceur souverain.

Proposition n° 7 : Faire un bilan du marché des micro-lanceurs et concentrer les aides sur un seul projet de mini-lanceur spatial.

La stratégie d’ensemble du plan est également questionnée, France 2030 ayant favorisé la fragmentation de la filière sans renforcer la complémentarité entre les industries de la BITD et les PME. Le pilotage du plan centralisé et sous forme d’appel d’offres compétitifs a avantagé les industriels majeurs et les start-ups de la BITD, au détriment des PME et ETI. Les PME dénoncent un allotissement peu efficient, les équipementiers étaient souvent cantonnés à des rôles limités et subalternes, sans possibilités d’évoluer avec le projet. Le plan de relance italien est décrit comme plus favorable aux petites entreprises grâce à des mécanismes simples et massivement déployés sous forme de crédits d’impôts et de subventions décentralisées. Enfin, la viabilité des marchés émergents du spatial n’a pas toujours été démontrée, avec des débouchés qui ne se matérialisent pas systématiquement. 

Proposition n° 8 : Pour les futurs appels d’offres issus de la stratégie spatiale nationale, assurer l’allotissement pour permettre aux PME et aux ETI de se porter candidates.

2.   Les entreprises du spatial demandent une plus forte mobilisation de la commande publique et une sécurisation des financements sur les projets industriels stratégiques

Les entreprises interrogées dénoncent le manque de visibilité sur la commande publique à la suite du plan France 2030 et de la loi de programmation militaire de 2023. Si les subventions ont permis de faire émerger des nouveaux acteurs, une visibilité pluriannuelle est indispensable pour assurer la pérennité de l’activité et la mise en œuvre d’investissements de long-terme. La loi de programmation militaire (LPM) prévoit 6,4 milliards d’euros sur 2024-2030 dans son volet spatial, soit 1 milliard d’euros par an environ. Alors qu’elle pourrait être révisée en 2025 ou 2026, les industriels ont tous témoigné de la nécessité d’exécuter les financements prévus en respectant le calendrier, les montants étant considérés comme un plancher indispensable. Or, la loi de programmation militaire est déjà passée de trois satellites de télécommunication à 2 avec l’abandon du lancement de Syracuse 4C par le ministère des Armées et les renseignements d’origine image et électromagnétique sont très contraints budgétairement.

Il s’agit d’assurer en priorité la mise en œuvre effective des projets inscrits dans la loi de programmation militaire :

 EGIDE : destiné à renforcer les capacités de surveillance de l’orbite, EGIDE est une constellation de satellites patrouilleurs capables de détecter des mouvements suspects et de suivre des actions hostiles. La constellation doit s’appuyer sur le démonstrateur YODA. Comme en témoigne HEMERIA dans sa contribution écrite, le projet est pour l’instant bloqué en raison de divergences entre les administrations.

 CELESTE : la constellation doit prendre la succession de CERES dans le renseignement d’origine électromagnétique radio et radar à horizon 2035.

 Syracuse 5 : Alors que le satellite Syracuse 4C a été abandonné dans la LPM, il convient de préparer dès maintenant le développement d’un satellite nouvelle génération Syracuse 5 pour 2030. Malgré le projet de constellation IRIS², les armées témoignent d’un besoin de communication souveraine par satellite sécurisée, avec des moyens élevés de lutte antibrouillage.

Proposition n° 9 : Mettre en œuvre de manière urgente les programmes d’appui spatial aux opérations militaires (IRIS, CELESTE, OneWeb) et développer Galileo PRS.

Proposition n° 10 : Sécuriser les financements de 6,4 milliards d’euros pour le spatial inscrits dans la loi de programmation militaire (LPM) et les exécuter dans le calendrier prévu.

En outre, le soutien au secteur doit se concentrer sur des secteurs bien identifiés. Les entreprises auditionnées par vos rapporteurs regrettent que les plans d’investissement, dont France 2030, cherchent à faire émerger de nouveaux marchés, plutôt que de soutenir des marchés où l’utilité souveraine ou économique est déjà identifiée.

Dès lors, un futur plan pourrait se concentrer sur certains secteurs où la France est en retard :

 L’observation de la Terre. La surveillance de l’espace (Space Situational Awarness, SSA) est devenue indispensable pour les acteurs privés, ce qui devrait garantir des débouchés pour un marché jusqu’ici essentiellement gouvernemental.

 Le segment-sol, comme indiqué par la contribution écrite de la start-up Skynopy, il s’agit du « grand oublié » dans la chaîne de valeur du spatial. Les financements publics ne ciblent pas suffisamment le service de connectivité sol-orbite, permettant d’assurer la redescente et le stockage des données de satellites dans une infrastructure souveraine et sécurisée. Or, la France a la possibilité de se positionner dans ce secteur en s’appuyant sur ses capacités en orbite ainsi que sur l’atout géographique des territoires d’outre-mer.

 Les technologies duales. Le soutien public devrait cibler spécifiquement les technologies ayant des applications civiles et militaires, comme Unseenlabs (surveillance maritime) soutenue par la Marine nationale depuis 2017. On peut citer également le marché des antennes plates. Alors que la plupart des antennes civiles et militaires sont des paraboles classiques, les antennes plates permettent une miniaturisation dont le développement trouve des débouchés civils et militaires.

Proposition n° 11 : Cibler le soutien public sur des marchés dont l’intérêt économique ou souverain est bien identifié plutôt que chercher à développer de nouveaux marchés. Ne pas hésiter à faire l’impasse sur certaines technologies.

 

C.   La politique spatiale européenne pâtit d’une organisation fragmentée qui doit évoluer pour privilégier l’efficacité des programmes

1.   La gouvernance européenne du spatial repose sur une interaction complexe entre l’ESA, la Commission européenne et l’EUSPA

L’ESA, depuis sa création en 1975, est responsable du développement et de la gestion technique des programmes spatiaux pour le compte des États membres, qui les décident et les financent. 

Bien que la plupart des États membres de l’Union européenne soient également membres de l’ESA, elle n’a jamais été instituée comme une agence de l’Union et demeure à vocation intergouvernementale. L’ESA compte actuellement 23 membres : 20 des 27 membres de l’Union européenne et trois autres États du continent européen (Norvège, Royaume-Uni et Suisse). À l’inverse, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Croatie ne sont pas membres de l’ESA.

L’espace est une politique de l’Union depuis le Traité de Lisbonne de 2007 (art. 189 TFUE). Conformément à la procédure législative ordinaire, le Conseil et le Parlement établissent les règlements et les directives sur proposition de la Commission européenne. Ces mesures peuvent promouvoir des initiatives communes, soutenir la recherche et coordonner les efforts nécessaires pour l’exploration et l’utilisation de l’espace. La politique spatiale est ainsi une composante du volet recherche et développement. Le Traité de Lisbonne consacre également le rôle de l’ESA à l’article 189 du TFUE, qui indique que l’Union établit toute « liaison utile » avec l’agence.

La collaboration entre l’ESA et l’Union européenne est matérialisée par la signature d’accords cadre depuis 2004 et par les programmes Galileo et Copernicus. C’est la Commission européenne qui est à l’origine du programme Galileo en 1999 et dont le développement technique est confié à l’ESA. L’accord‑cadre de 2021 précise le partage des responsabilités. Ainsi, la Commission européenne définit la politique spatiale de l’UE et établit les normes pour garantir le fonctionnement et la sécurité des systèmes spatiaux. Elle assure un quart du budget de l’ESA au travers du financement de Galileo (50 % du budget spatial 2021-2027 y est consacré) et du cofinancement de Copernicus avec l’ESA. L’ESA conserve sa vocation d’agence technique et de coopération internationale. Enfin, le Conseil « Espace » réunit le Conseil de l’Union et le Conseil de l’ESA.

L’agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA), créée en 2021, est chargée de la gestion opérationnelle des services fournis par les systèmes spatiaux de l’UE, comme Galileo et Copernicus. En outre, elle assure la sécurité des systèmes et des services et travaille à promouvoir et commercialiser les services spatiaux de l’Union.

 

Proposition n° 12 : Clarifier le rôle de la Commission européenne à l’ESA pour représenter le point de vue communautaire ; à l’inverse, s’opposer à toute velléité politique de l’exécutif de l’ESA, l’agence devant resté cantonnée à son rôle de coordination technique prévu par son mandat. Limiter l’EUSPA à un strict rôle de gestion des services spatiaux à usage civil.

2.   Vos rapporteurs se divisent sur la pertinence de la règle du retour géographique de l’ESA mais sont alignés sur le besoin de préciser le mandat du CNES

La règle du retour géographique de l’ESA est un principe de répartition des contrats accordés aux entreprises du spatial proportionnel à l’investissement des États membres dans le financement des programmes spatiaux. L’idée est de garantir un retour équitable pour chaque pays.

Votre rapporteure Mme Vignon estime que la fragmentation du marché européen est renforcée par la règle du retour géographique de l’ESA. Cette règle est critiquée pour ses effets limitatifs sur la compétition au sein de l’industrie spatiale européenne. Elle peut empêcher des acteurs plus performants d’obtenir des contrats dans les grands pays européens du spatial (France, Italie, Allemagne), les pays atteignant rapidement leur plafond de contrats. En attribuant des contrats selon un retour proportionnel aux contributions, l’ESA priorise ainsi la répartition géographique au détriment de la compétition entre les entreprises. Ce ne sont pas toujours les entreprises les plus compétentes qui remportent les contrats, mais les entreprises situées au sein des pays qui financent le plus l’ESA. La règle aboutit à une allocation peu optimale des ressources et à une dispersion des financements.

Proposition n° 13 (position de Mme Vignon) : Privilégier une règle du « juste retour » (fair return) dans l’attribution des contrats de l’ESA pour favoriser la compétitivité du secteur et une meilleure allocation des ressources.

À l’inverse, votre rapporteur M. Saint-Martin considère que la règle du retour géographique est puissamment organisatrice de la coopération. La règle permet de garantir le développement du spatial de manière équilibrée au sein de tous les pays de l’ESA tout en récompensant les pays les plus contributeurs. Cela favorise la coopération entre les industries spatiales, indispensable dans un secteur largement dépendant des subventions publiques. Le retour géographique offre également aux entreprises un cadre structurant et prévisible. Enfin, elle n’empêche pas les États de conduire des projets additionnels dont ils assurent le financement, en collaboration avec l’ESA.

Proposition n° 14 (position de M. Saint-Martin) : Sanctuariser le retour géographique, de manière à ce qu’il participe à la structuration des activités et qu’il stimule la coopération.

Sur les lanceurs a été décidé en 2023 un passage d’une logique institutionnelle à celle d’un appel d’offre compétitif. Au sommet de l’ESA de Séville en 2023, l’Allemagne a obtenu l’ouverture à la concurrence sur les projets de mini-lanceurs. En échange, Ariane 6 bénéficiera de 4 lancements institutionnels par an.

Proposition n° 15 : Garantir la mise en orbite des satellites d’IRIS² par des lanceurs européens depuis le sol européen.

S’agissant des agences nationales, vos rapporteurs constatent que le CNES a élargi ses missions en tant qu’agence scientifique et technique, opérateur de la défense et acteur économique. Or, la diversification des missions du CNES ne doit pas se faire au détriment de son rôle historique de centre technique et d’agence de pilotage de la politique spatiale. La mission d’agence technique du CNES demeure indispensable, pour définir la stratégie des missions spatiales et fournir une expertise technique aux entreprises. Il convient donc de réaffirmer le mandat triple du CNES à l’occasion de la nomination de son président par le Président de la République. Un mandat plus clair doit apporter une meilleure organisation interne et une plus grande complémentarité entre les activités.

Proposition n° 16 : Établir un mandat triple au CNES en tant qu’agence scientifique et technique, opérateur de la défense et acteur économique, à l’occasion de la nomination de son nouveau président en 2025 et de l’élaboration de la stratégie spatiale nationale.

D.   Alors que les financements publics européens sont réduits par rapport aux compétiteurs, le projet iris² doit permettre à l’europe de se positionner de nouveau comme un acteur majeur du spatial

  1.   Les financements publics européens sont trop réduits en comparaison de la Chine et des États-Unis, ce qui appelle un effort plus soutenu de l’ESA et de la Commission européenne

L’ensemble des politiques de l’Union liées à l’espace sont regroupées dans un programme unique doté de 14,9 milliards d’euros dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Sur ce budget, 8 milliards d’euros sont dédiés à Galileo, entièrement financé par l’Union, et 5,4 milliards d’euros pour Copernicus.

Proposition n° 17 : Défendre au niveau français une hausse du budget du spatial dans le prochain cadre financier pluriannuel dont les négociations débuteront prochainement, avec des objectifs clairs et des projets identifiés.

Les dépenses publiques dans le spatial en Europe sont estimées à environ 15 milliards d’euros par an, dont 7 milliards d’euros de l’ESA et 8 milliards d’euros de dépenses publiques des États. Une étude de Novaspace de 2022 donnait la répartition suivante, avec la France représentant 28 % du total, suivie de l’Allemagne (17 %) puis de l’Italie (11 %). Le dernier sommet sur le financement de l’ESA s’est déroulé à Séville en novembre 2023, actant une hausse du budget de l’agence de 17 % pour 2022-2025.


Source : Novaspace, 2022

 

Toutefois, les dépenses publiques européennes demeurent particulièrement faibles par rapport aux États-Unis, alors que la Chine s’affirme comme un compétiteur de premier plan. La Chine comme les États-Unis s’appuient sur des dépenses dans le spatial de défense massives, à la différence de l’Europe, où le spatial s’est développé pour ses applications civiles. S’agissant de la R&D, le rapport Draghi estime les investissements annuels à environ 3 milliards d’euros annuels en Europe, contre 7 milliards aux États-Unis. Ce déficit est à l’origine d’un décrochage progressif dans le spatial, qui devrait se poursuivre à l’avenir.

La Chine inscrit le développement satellitaire au confluent de différentes stratégies, le développement national basé sur l’innovation, l’intégration civilomilitaire et la mise à niveau des capacités industrielles. Le développement satellitaire s’inscrit donc pleinement dans le modèle économique du pays depuis le milieu des années 2000. L’État central désigne des priorités sectorielles perçues comme porteuses d’un développement économique durable et propose des subventions. Il encourage la création d’entreprises privées et mixtes grâce aux initiatives de soutien au niveau local, les différentes provinces étant en compétition les unes avec les autres.

Source : Rapport Draghi

 

Proposition n° 18 : Alors que la prochaine conférence ministérielle de l’ESA se déroulera en novembre 2025 pour décider du financement de l’agence pour 2026-2028, porter une hausse du budget au-delà des 16,9 milliards d’euros prévus en 2023-2025. Votre rapporteur M. Saint‑Martin souhaite s’assurer que la France reste le premier contributeur de l’agence, dans le cadre de la règle du retour géographique. Votre rapporteure Mme Vignon indique de son côté que la contribution relative des États au financement de l’ESA doit être replacée dans le contexte plus large des financements publics accordés au spatial.

  1.   Alors que le programme IRIS² est structurant pour la filière satellitaire, la France doit porter une position de fermeté face au désengagement des partenaires

a.   Le programme IRIS² est vital pour la filière européenne du satellite

Les industriels décrivent le programme IRIS2 comme vital pour le secteur en permettant à l’Europe spatiale d’investir dans le secteur des télécoms et des constellations, où l’industrie a pris du retard. Le financement, provenant tout à la fois du secteur public et d’opérateurs privés, doit renforcer la compétitivité du secteur dans un contexte de concurrence accrue. Il offrira des retombées économiques à l’ensemble de la filière, en mobilisant les grands industriels comme les PME et les opérateurs.

La Commission européenne a lancé l’appel d’offres relatif au contrat de développement de la constellation IRIS² en mars 2023 et le contrat de concessions avec le consortium d’opérateurs « Space Rise » a été signé le 16 décembre 2024 pour 10,6 milliards d’euros sur 12 ans. Le consortium Space Rise est constitué de trois opérateurs de satellites : Eutelsat (France), SES (Luxembourg) et Hispasat (Espagne). Le contrat de concession s’élève à 10,6 milliards d’euros dont 6,5 milliards d’euros du secteur public, partagés entre 6 milliards d’euros de la Commission européenne et 0,5 milliard de l’ESA, et 4,1 milliards d’euros du secteur privé (2 milliards d’euros pour Eutelsat, 1,8 pour SES et 0,3 pour Hispasat).

Au consortium Space Rise est associé une « Core Team » de sous-traitants, qui ont choisi de limiter leur responsabilité au seul périmètre de leurs activités propres. Alors que ADS et TAS avaient d’abord envisagé de se positionner au sein du consortium Space Rise, ils ont choisi de se limiter à un rôle plus restreint pour réduire leur exposition partielle. Le consortium « Core Team » est composé d’Airbus, Thales Alenia Space, OHB, Deutsche Telekom, Orange, Thales, Telespazio et Hisdesat.

Proposition n° 19 : Assurer le déploiement d’IRIS² pour 2030 en veillant à ce que les composants proviennent essentiellement de fournisseurs européens et à ce que le lancement des satellites soit effectué par Ariane 6, conformément au règlement européen de 2023 sur le projet.

Proposition n° 20 : Remédier à l’absence de segment sol dans le programme IRIS² et positionner la France comme un fer de lance sur ce créneau.

b.   Face au désengagement préoccupant de plusieurs partenaires sur IRIS², la France doit porter une position de fermeté

Le déploiement d’IRIS² s’est heurtée à des menaces de désengagement de la part des partenaires, d’abord de l’Italie, puis de l’Allemagne. L’Italie a annoncé des discussions avec Starlink pour sécuriser ses communications gouvernementales, dans le cadre d’un accord de 1,5 milliard d’euros sur 5 ans, alors qu’elle s’était pourtant impliquée dans la négociation du projet de constellation européenne. Quant à l’Allemagne, la presse a révélé en avril 2025 qu’elle étudiait le lancement de sa propre constellation pour ses besoins militaires, en dépit des engagements pris de participer à la constellation européenne IRIS² et de la financer. Le journal Handelsblatt rapporte dans son édition du 9 avril les propos d’un porte-parole du ministère allemand de la défense ayant déclaré : « Différentes options pour la construction éventuelle de constellations sont à l’étude afin de répondre aux besoins croissants en matière de reconnaissance spatiale par les capacités nationales ». L’article, repris par le journal français Les Échos ([5]) , évoque des projets d’infrastructures qui seraient réservés à l’industrie allemande, poussés à la fois par la Bundeswehr, qui se juge sous‑équipée, par la Fédération de l’industrie aéronautique et spatiale outre‑Rhin et par le fabricant de satellites OHB. L’Allemagne se montre ainsi « très négative vis-à-vis de l’engagement d’IRIS² », selon la contribution écrite de Jean-Pierre Diris, coordinateur interministériel IRIS².

Le jeu de certains partenaires manque donc de netteté et met en danger la conduite à bonne fin du projet européen de constellation autonome. Il laisse la France relativement isolée dans la défense d’un haut niveau d’ambition pour l’autonomie stratégique européenne.

Vos rapporteurs appellent à mettre les partenaires de la France face à leurs contradictions et à poser clairement le sujet sur la table, en l’inscrivant par exemple à l’ordre du jour d’un Conseil de l’Union européenne, en lien avec le nouveau commissaire européen pour la défense et l’industrie spatiale, Andrius Kubilius, qui a montré son soutien à une Europe spatiale autonome. L’une des pistes à explorer pourrait être de rendre IRIS² éligible à l’enveloppe de 800 milliards d’euros approuvée par le Conseil européen du 6 mars 2025, sur proposition de la Commission, pour renforcer les capacités de défense des États membres de l’Union européenne. Toutefois, n’étant pas un engagement budgétaire, cette enveloppe reste théorique.

Proposition n° 21 : Mettre les partenaires de la France face à leurs responsabilités, dans le cadre des prochaines négociations européennes, s’agissant de leur participation, sans arrière‑pensées, au projet IRIS2.

Proposition  22 : Développer des services commerciaux autour d’IRIS², en encourageant les opérateurs à compléter l’infrastructure, afin d’assurer financièrement le projet et de convaincre les pays réticents.

 


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III.   Il est nécessaire de soutenir les armées dans leur volonté d’investir l’espace, devenu zone de conflictualité et appui indispensable aux opérations

L’espace s’est transformé en quelques années en une « zone de conflictualité comme les autres ». La France en a tiré les conséquences très tôt en adoptant une stratégie consacrée spécifiquement au spatial et en prévoyant des crédits dédiés au spatial dans sa loi de programmation militaire. Les systèmes spatiaux sont devenus désormais un appui indispensable aux forces armées sous peine d’être déclassées. Le renforcement des capacités spatiales est aujourd’hui un impératif si l’armée française veut pouvoir répondre aux enjeux du combat futur.

A.    Une arsenalisation de L’espace dont la stratégie spatiale française de défense a tiré les conséquences dès 2019

L’« arsenalisation » de l’espace, observable depuis une quinzaine d’année, a transformé celuici en une zone de conflictualité à part entière, avec une implication grandissante de pays tels que les États-Unis, la Chine et la Russie. Par « arsenalisation », on désigne le déploiement de satellites offensifs et en orbite et la multiplication des manœuvres hostiles. À cet égard, la guerre en Ukraine a porté à un sommet l’utilisation du spatial en appui des forces conventionnelles. La France a été parmi les premières à prendre acte de cette évolution, d’abord dans une stratégie publiée en 2019, puis dans la loi de programmation militaire adoptée en 2023.

1.   L’espace est un nouveau domaine de conflictualité, ce dont témoigne la guerre en Ukraine

Le durcissement du contexte opérationnel, observable dans tous les domaines (comme le cyber, par exemple), a tout particulièrement marqué le domaine spatial. Les principaux acteurs stratégiques, désormais « désinhibés », se sont donnés les moyens de mener des actions à partir de l’espace, depuis le sol vers l’espace et « avec » l’espace. Cela a conduit l’Alliance atlantique, lors de son sommet de Londres de décembre 2019, à reconnaître le milieu exo‑atmosphérique comme un milieu militaire opérationnel à part entière, à l’instar des milieux terrestre, aérien, maritime et cyber.

Les opérations dans l’espace avec un portage offensif se font de moins en moins rares. L’armée chinoise a effectué, en 2007, un tir antisatellite depuis le sol contre l’un de ses propres satellites en orbite basse. Ce tir a été suivi, moins d’un an plus tard, par un tir américain de même nature depuis une frégate de l’US Navy. De ce point de vue, ce que l’on sait de la nouvelle administration américaine augure d’un esprit de conquête unilatérale de l’espace, avec une augmentation très significative du nombre de plateformes orbitales et probablement une présence prolongée de l’Homme sur la lune. De leur côté, l’Inde et la Russie ont également fait la démonstration de leur maîtrise dans ce domaine. En 2018, la ministre française des armées a rendu public l’espionnage du satellite ATHENA‑FIDUS par le satellite « butineur » russe LUCH‑OLYMP. En mai 2024, les États-Unis ont accusé la Russie d’avoir mis en orbite terrestre basse un satellite constituant une arme spatiale capable d’attaquer d’autres satellites sur la même orbite. Se dessine ainsi, de manière de plus en plus précise, la perspective d’affrontements militaires dans l’espace.

Le conflit russoukrainien a porté à un paroxysme le recours aux capacités spatiales et a mis en évidence le rôle vital de la connectivité par satellite dans les zones de conflit. Dès la nuit du 24 février 2022, à quatre heures du matin, les forces russes ont déclenché une attaque cyber contre un réseau satellitaire utilisé par les forces ukrainiennes ([6]), ayant eu des impacts directs sur le segment sol. Cette cyberattaque a eu des répercussions notamment en Allemagne, pays pourtant non belligérant, où des milliers d’éoliennes ont été momentanément déconnectées. Depuis, les deux parties au conflit font un usage généralisé de l’observation satellitaire et de l’exploitation d’images qui leur donnent à la fois une vision du champ de bataille – devenu presque entièrement transparent – et une capacité d’anticipation. Même le groupe de mercenaires russe Wagner a, selon une enquête de l’Agence France-Presse (AFP), acheté deux satellites auprès d’une société chinoise tandis qu’une autre lui fournissait directement de l’imagerie satellitaire ([7]). Les capacités spatiales se sont évidemment révélées vitales, au premier chef, pour la résistance de l’armée ukrainienne : celle-ci bénéficie des images fournies par des dizaines de satellites d’observation de ses alliés, mais aussi par un satellite qu’elle a acheté en propre à la société finlandaise Iceye. L’Ukraine a aussi un recours massif à la constellation Starlink pour améliorer la connectivité de ses forces armées, et notamment piloter ses batteries de drones. Eutelsat fournit par ailleurs, avec sa constellation OneWeb, un service internet à haut débit en Ukraine depuis bientôt un an.

Le conflit en Ukraine apparaît, de ce point de vue, comme un conflit très particulier, consistant en une guerre de tranchées, sur le modèle de 14-18, avec toute sa sauvagerie, couplée à de la très haute technologie. Il est difficile de dire pour l’instant si ce type d’affrontement constituera le modèle prédominant de la guerre de demain, ou s’il restera un épisode relativement à part, à côté d’autres types de conflits tout aussi violents de type urbain (comme à Gaza) ou se déroulant dans un espace semi‑ouvert (comme au Sud-Liban).

Enfin le spatial comporte également un aspect de « lawfare » ([8]), et ce alors même que le corpus de droit spatial apparaît aujourd’hui fragmenté, incomplet et daté. Les autorités russes, qui pourtant sont en pointe dans l’arsenalisation de l’espace, n’hésitent pas à attaquer dans le droit international les usages qui leur paraissent contrevenir au principe de non-militarisation de l’espace, en invoquant en particulier le traité de 1967 sur l’espace extra-atmosphérique. L’article 4 de ce traité dispose en effet que : « Sont interdits sur les corps célestes l’aménagement de bases et installations militaires et de fortifications, les essais d’armes de tous types et l’exécution de manœuvres militaires. » C’est là l’un des aspects de la guerre hybride que mènent les autorités russes.

2.   La stratégie spatiale de défense de 2019 est un document précurseur ayant ouvert la voie à la mobilisation de financements publics

La France a fait preuve d’une grande clairvoyance puisqu’elle a pris acte très tôt de cette tendance à la militarisation de l’espace avec la stratégie spatiale de défense (SSD) de 2019. La revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 avait posé un premier jalon en affirmant que « le domaine spatial est aussi un espace de confrontation où certains États peuvent être tentés d’user de la force pour en dénier l’accès ou menacer l’intégrité de ses composants ». Surtout, la stratégie spatiale de défense (SSD), publiée en 2019, a fixé pour objectif de préserver l’autonomie stratégique de la France dans le domaine spatial et de protéger ses intérêts en garantissant le libre accès à l’espace, la capacité à y agir ainsi que la détection et le suivi des objets spatiaux. Le document souligne que, « s’il restera essentiel de disposer d’armées capables d’acquérir la supériorité opérationnelle dans les milieux terrestre, maritime, aérien ou plus récemment dans le domaine du cyber et de l’influence, l’espace exoatmosphérique doit désormais être considéré comme le cinquième domaine d’action dans lequel se déploiera notre stratégie militaire ».

La SSD définit quatre opérations spatiales militaires (OSM) : l’appui spatial aux opérations, la compréhension du milieu d’opération spatiale (space domain awareness), le soutien aux capacités spatiales en vue d’assurer leur disponibilité ([9]) et l’action dans l’espace. Cette dernière mission, confiée à l’armée de l’air, est particulièrement montée en puissance. La « défense active » fait ainsi partie des nouveaux concepts avancés. La France s’y prépare par des exercices de mises en condition opérationnelles (tels que l’exercice annuel AsterX), par la cartographie des zones de brouillage ou encore par la conception de démonstrateurs techniques. Dans ce dernier domaine, les deux démonstrateurs YODA (Yeux en Orbite pour un Démonstrateur Agile), dont le placement en orbite géostationnaire devrait intervenir en 2026, auront pour mission de patrouiller et de protéger les satellites militaires français. De son côté, le démonstrateur TOUTATIS (Test en Orbite d’Utilisation de Techniques d’Action contre les Tentatives d’Ingérences Spatiales), prévu lui aussi en 2026, offrira une capacité d’action en orbite basse et une capacité de guet à travers deux satellites.

Créé la même année, le Commandement de l’Espace (CDE) a été l’incarnation la plus visible de cette nouvelle stratégie. Rattaché à l’armée de l’Air et de l’Espace mais à vocation interarmées, il emploie aujourd’hui 400 personnes et se situe au même niveau opérationnel que le Commandement des opérations spéciales (COS), le Commandement Terre Europe (CTE), le Commandement pour l’Afrique (CPA) ou encore le Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER). Le CDE dispose de son propre Centre de formation aux opérations spatiales militaires (CFOSM). Il disposera de son propre site à Toulouse, situé à proximité du CNES, et qui devrait être inauguré en 2025, Le site accueillera environ 500 personnes et sera complété par le Centre d’excellence de l’OTAN (COE) pour le spatial.

Dans son prolongement, la loi de programmation militaire (LPM) pour 2024-2030 a prévu pour le domaine spatial un montant de 6,4 milliards d’euros sur la durée de la LPM, ce qui équivaut à environ 1 milliard d’euros par an. Ces financements sont destinés au renouvellement de plusieurs capacités, dont les programmes CELESTE, devant succéder à CERES, et IRIS, appelé à prendre le relais de CSO.

B.   Un besoin croissant du spatial pour les armées qui exige un renforcement des capacités

Disposer de moyens spatiaux, et notamment de moyens souverains, est d’ores et déjà une condition de puissance. Le spatial apporte des capacités, particulièrement de commandement, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, indispensables à qui veut conquérir la supériorité militaire. Cela sera encore plus vrai demain : le combat du futur sera remporté par celui qui aura la maîtrise de l’espace et qui, grâce à elle, aura le plus réduit le temps de latence entre l’établissement de la situation et le déclenchement du feu. Si la France veut répondre à ces enjeux et préserver son avance stratégique, elle doit aujourd’hui renforcer ses capacités spatiales.

1.   Le spatial est un appui aujourd’hui indispensable aux opérations et au renseignement

La France fait partie des rares pays du monde qui peuvent être considérés comme de véritables puissances spatiales. Par puissance spatiale, on considère des pays qui ont doté leur politique de défense d’un volet spatial cohérent, et donc qui sont en mesure, de manière autonome, de surveiller l’espace et de concevoir, produire, lancer et opérer des satellites, dans un large spectre de missions. L’accès à l’espace est en effet extrêmement sélectif et le « ticket d’entrée » particulièrement élevé. Tel est le cas de l’armée américaine et de quelques armées européennes, mais aussi de certains pays asiatiques comme la Corée du Sud qui a lancé, en avril 2024, son deuxième satellite de renseignement ([10]). Le Japon, de son côté, met progressivement en orbite un réseau de satellites de collecte de renseignement, parfois équipés de radars, notamment à des fins de surveillance des mouvements militaires en Corée du Nord et en Chine. Ces puissances spatiales peu nombreuses se trouvent dans une situation de véritable « surplomb stratégique » vis‑à‑vis des autres pays, ce qui est une occurrence peu fréquente dans l’histoire militaire.

Toutes les composantes des armées françaises utilisent aujourd’hui, pour appuyer leurs opérations, des moyens de communication, de géolocalisation, de navigation et de renseignement reposant sur des capacités spatiales. La Marine nationale, par exemple, en raison de ses missions, de sa mobilité et des fonctions permanentes qu’elle met en œuvre sur l’ensemble des mers du monde, est un utilisateur majeur de l’espace. L’armée de Terre, de son côté, intègre de plus en plus l’espace dans la manœuvre aéroterrestre. Le spatial lui permet d’élaborer du renseignement et du ciblage, et donc d’avoir des dossiers d’objectifs pour les frappes militaires : il faut en effet, pour avoir une capacité d’effecteurs, savoir avec précision sur quelles cibles tirer. Les satellites du système CSO, qui fournissent une cartographie précise, sont essentiels pour la préparation de missions complexes, telles que celles, par exemple, liées au missile SCALP où une parfaite compréhension du terrain est nécessaire.

L’espace se révèle aussi crucial pour la direction du renseignement militaire (DRM) dont l’un des objectifs est de diversifier ses « accès », c’est-àdire les vecteurs d’information (exploités par l’intelligence technique ou humaine) dont elle se sert pour remplir ses missions. Le développement du renseignement satellitaire et la diversification des accès contribuent à diminuer l’incertitude et à renforcer l’autonomie d’appréciation. Le lancement récent de CSO-3, qui augmentera sensiblement le taux de revisite des zones observées, était particulièrement attendu pour cette raison.

Concrètement, le Centre militaire des opérations spatiales (CMOS), créé en 2003 et situé sur la base aérienne 110 de Creil, est l’unité fédératrice de l’ensemble des demandes militaires d’images et d’écoutes. Le CMOS observe la Terre depuis l’espace en s’appuyant notamment sur les trois satellites CSO, sur Pléaides 1A et 1B, ainsi que sur le système italien COSMO‑SkyMed et le système allemand SAR‑LUPE. Il fournit des images satellites de zones sensibles, au profit notamment de la direction du renseignement militaire, du Centre national de ciblage (CNC) ou de l’Établissement géographique interarmées (EGI). Les besoins de ces utilisateurs sont exprimés sur la plate-forme MUSIS ([11]) depuis une cellule sur le territoire français ou depuis une station déployée sur les théâtres d’opérations ou sur les moyens des forces, tels que le porte-avions Charles-de-Gaulle.

2.   Des moyens qu’il faut renforcer pour relever les défis du combat futur à l’occasion de la stratégie spatiale nationale

Les progrès de la technologie spatiale sont tels aujourd’hui qu’ils contribuent à bouleverser de manière très significative l’art militaire. Le général Philippe Steininger, conseiller militaire du président du CNES, compare la situation de rupture stratégique que nous connaissons à celle observée lors du premier conflit mondial, lorsque l’aviation militaire a fait irruption dans l’art militaire en bouleversant bon nombre de pratiques.

Certes, le spatial est encore dépourvu, au moins pour le moment, d’effet cinétique direct sur les forces armées et d’effet informationnel ([12]). Il est en revanche porteur pour l’avenir de deux effets très directs.

Premièrement, conjugué aux drones, il conduira à toujours plus de transparence du champ de bataille. Il est déjà très difficile, et il deviendra bientôt impossible, de dissimuler une manœuvre militaire d’une ampleur significative, compte tenu des capteurs de toute nature qui évoluent au-dessus des différents théâtres d’opérations. La surprise, qui est l’une des grandes fonctions stratégiques (comme l’économie des moyens ou la concentration des efforts) ne pourra plus être obtenue par la dissimulation. Cette transparence est désormais la principale crainte des forces armées : l’ennemi voit tout ce que nous faisons. Alors qu’on était auparavant camouflé par les arbres, la nuit, le blindage ou même les populations environnantes, on est aujourd’hui visible partout. L’idée est donc que l’ennemi soit lui aussi transparent et qu’on puisse voir tout ce qu’il fait. Or, les compétiteurs stratégiques de la France avancent très vite parce qu’ils sont en pleine guerre : ils développent, outre des moyens satellitaires, des systèmes de détection, de brouillage, de contre‑brouillage, de leurre, etc. Ils investissent également la très haute altitude (THA) et les orbites très basses (VLEO ([13])) qui leur ouvrent de nouvelles perspectives opérationnelles. Il convient de rappeler ici qu’il n’existe pas de frontière juridiquement reconnue sur le plan international ([14]) entre l’espace aérien (souverain) et l’espace extra-atmosphérique (non souverain). La ligne de Kármán (100 km) demeure cependant la référence la plus couramment admise dans les usages. Quant à la THA, elle est comprise approximativement entre 20 et 100 km d’altitude : y évoluent des plateformes permanentes telles que ballons ([15]), dirigeables, planeurs solaires ou munitions et vecteurs véloces et hypervéloces (dont des armes hypervéloces utilisées par les forces russes en Ukraine ([16])).

Deuxièmement, le spatial aboutira à réduire sans cesse davantage le temps de latence. À l’avenir, compte tenu de la contrainte imposée par la transparence quasi parfaite du champ de bataille, le chef militaire, s’il veut surprendre l’adversaire, devra procéder par la vitesse d’exécution ([17]). Tout l’enjeu du combat de demain consistera à raccourcir la boucle entre le capteur et l’effecteur. Il faudra que le capteur (satellite mais aussi drone, hélicoptère, force spéciale) puisse détecter l’ennemi et transmettre l’information à l’effecteur pour que l’effet cinétique puisse être déclenché, dans le moins de temps possible. Le spatial est d’ores et déjà à toutes les étapes de cette boucle dite « OODA » : « observer, orienter, décider, agir ».

Pour prendre en compte les bouleversements stratégiques induits par l’accélération des technologies spatiales, vos rapporteurs émettent une série de recommandations, qui s’inscrivent dans le cadre de la stratégie spatiale nationale qui devrait être édictée en 2025. Cette stratégie permettra d’actualiser la stratégie spatiale de défense de 2019.

Il est indispensable tout d’abord pour les armées d’avoir désormais le réflexe de l’espace et de ce qu’il peut leur apporter. Les armées, et en particulier l’armée de Terre, doivent exploiter pleinement les services spatiaux et les prendre en compte dans leurs planifications. Cette intégration du spatial s’inscrit dans l’approche multi-milieux/multi-champs (M2MC) qui vise à l’intégration de tous les domaines de lutte et à la convergence des effets cinétiques et non cinétiques.

Proposition n° 23 : Prendre systématiquement en compte le spatial lors de la planification des opérations pour exploiter pleinement les possibilités offertes aux armées.

Cette pleine exploitation implique ensuite la nécessité pour les armées de s’entraîner intensivement à l’emploi des capacités spatiales et à l’interaction avec le Commandement de l’Espace. Le besoin de s’exercer concerne bien sûr aussi le CDE lui‑même, ce qui suppose qu’il puisse disposer de satellites patrouilleurs-guetteurs. Il s’agit donc de faire converger le CDE et les trois composantes des forces armées, avec leurs diverses spécialités, en y associant les industriels. Des exercices comme AsterX vont dans ce sens et peuvent être une source d’inspiration.

Proposition n° 24 : Intensifier le programme d’entraînement des forces armées à l’utilisation des capacités spatiales et à l’interaction avec le Commandement de l’Espace.

Si la France veut éviter tout déclassement par rapport à ses compétiteurs stratégiques et préserver son statut de puissance spatiale, elle doit maintenir à niveau ses capacités. Or, plusieurs systèmes spatiaux arriveront à échéance à la fin de la décennie, qu’il s’agisse des satellites d’observation optique CSO, des satellites de renseignement électromagnétiques CERES ou des satellites franco‑italiens de télécommunication SICRAL 2 et ATHENA‑FIDUS. Il convient donc absolument d’éviter tout retard dans le passage de relais aux programmes IRIS et CELESTE. Il est également impératif de respecter l’engagement pris dans la LPM 2024-2030 qui dispose : « Le programme Syracuse V, successeur de Syracuse IV et constitué d’une nouvelle génération de satellites souverains, sera lancé pendant la présente loi de programmation militaire. Il s’agira d’un modèle de satellite patrimonial, géostationnaire en orbite haute. » ([18]) Enfin, le remplacement du radar GRAVES par le radar de nouvelle génération AURORE, dont la commande est prévue en 2025, ne devra pas non plus souffrir de retard. Sur l’avancement de tous ces programmes, il importe que la représentation nationale soit informée avec régularité et précision.

Proposition n° 25 : Pour l’appui aux opérations, assurer sans prendre de retard le renouvellement des systèmes militaires spatiaux qui arriveront prochainement à échéance grâce à une programmation capacitaire : remplacement de CERES par CELESTE et de CSO par IRIS, SICRAL 2, Syracuse V, AURORE.

Des auditions menées par vos rapporteurs, il résulte que, s’agissant du renseignement d’origine spatiale, l’objectif d’amélioration du taux de revisite, c’estàdire de la fréquence d’actualisation des images, doit désormais primer sur celui de la très haute résolution. Il ne s’agit pas seulement, en effet, de voir de mieux en mieux des choses de plus en plus petites, mais aussi et surtout de disposer d’une capacité d’observation la plus continue possible. C’est elle en effet qui permet de déceler le plus rapidement possible des mouvements de troupes ou des déplacements de matériels. Le délai de revisite des satellites CSO est de vingt-quatre heures. Par comparaison, les Chinois ont un délai de revisite de trente minutes sur l’ensemble de la planète, et de dix minutes en mer de Chine. Il faut rappeler, d’autre part, que la seule masse des images, qu’elles soient fournies par des satellites souverains ou qu’elles soient achetées, n’est pas utile sans capacité à les traiter. C’est pourquoi des systèmes modulaires efficaces d’analyse d’images sont indispensables aux armées.

Proposition n° 26 : Privilégier désormais, en matière de renseignement d’origine spatiale, plutôt l’amélioration du taux de revisite qu’un objectif de résolution toujours plus fine des images, et doter les armées de systèmes efficaces de traitement et d’analyse de ces données.

La France doit par ailleurs investir plus fortement la partie haute de l’espace aérien, dite de la très haute altitude (THA), compte tenu de son exploitation croissante dans le domaine militaire par ses compétiteurs stratégiques. Cet investissement constituerait pour elle le gage d’une observation rapide de son territoire métropolitain et de ses outremers, et par voie de conséquence de réactivité en cas de crise. En particulier, la mise en place d’un système spatial d’alerte avancée, au moyen d’un nombre même très réduit de satellites d’alerte avancée munis de capteurs à infrarouge, permettrait de surveiller la zone de la THA depuis l’espace et ainsi de mieux caractériser la menace balistique, qu’il s’agisse des missiles balistiques proprement dits lors de leur phase ascendante ou des armes hypersoniques. Alors que la France était précurseur dans ce domaine au tournant des années 2010 avec son démonstrateur SPIRALE ([19]), celui‑ci a malheureusement été abandonné pour des raisons d’économies budgétaires, et la LPM 2024-2030 est muette à ce sujet. Dans le même temps, les États-Unis, la Chine et la Russie se sont dotés de satellites d’alerte avancée, et l’Allemagne s’est placée au premier rang du développement de cette technologie en Europe.

Proposition n° 27 : Investir plus fortement le domaine de la très haute altitude (THA), en particulier via la construction d’une capacité propre d’alerte avancée.

S’il n’y a plus de défense sans espace, l’espace ne saurait non plus rester sans défense. Les plateformes orbitales sont elles‑mêmes devenues des cibles. Il faut donc s’attendre à la multiplication des modes d’action non létaux dans l’espace. Plus que la destruction de satellites, ce seront les techniques d’aveuglement depuis le sol, de brouillage et surtout de capture de la donnée qui devraient se développer. La cible privilégiée sera avant tout la donnée numérique, à la fois moteur et produit des activités spatiales.

Il est donc impératif de se donner les moyens de protéger non seulement les satellites du ministère des Armées mais aussi les infrastructures spatiales utilisées par l’ensemble des forces françaises. La capacité EGIDE doit s’appuyer sur le démonstrateur YODA à horizon 2030. Il s’agira de trois YODA évolués, placés en orbite géostationnaire. Si la France a été en avance sur le concept de satellites patrouilleurs, il faut accélérer pour s’assurer qu’elle dispose de capacités pour sécuriser ses satellites militaires.

Proposition n° 28 : Pour l’action dans l’espace des armées, assurer la protection des moyens spatiaux français, en lançant sans tarder les satellites patrouilleurs démonstrateurs YODA puis TOUTATIS et en développant la constellation EGIDE.

Un axe d’effort particulier tient à l’impératif de réactivité, enjeu qui a été souligné par le général Jérôme Bellanger, chef d’état-major de l’Armée de l’Air et de l’Espace. L’armée française doit être capable, en fonction des nécessités opérationnelles, de lancer à bref délai des satellites petits et moyens, sans être bloquée par l’indisponibilité des lanceurs dus au grand nombre de tirs programmés à Kourou ou par les délais d’acheminement en Guyane. Le recours à des micro-lanceurs, plus légers et flexibles d’usage, et à des lancements depuis le territoire métropolitain, pourrait être une piste de réflexion, en complément de l’offre Ariane 6. Par ailleurs, les pas de tir étant localisables et donc relativement vulnérables, il paraît impératif de disposer également de capacités de lancement de mini‑lanceurs à partir de plateformes mobiles (avions ou camions).

Proposition n° 29 : Si le besoin est identifié par les armées, accroître la réactivité du spatial militaire français en renforçant l’offre de petits et moyens lanceurs et en développant des plateformes de lancement situées sur le territoire hexagonal.

Il existe, outre le défaut d’une capacité satellitaire d’alerte avancée, deux autres manques significatifs en termes de moyens spatiaux pour les armées. Le premier porte sur les stations sol SYRACUSE, absentes de la LPM 20242030. Le segment sol constitue, du côté des utilisateurs, le complément indispensable des satellites, mais il est pourtant souvent oublié ou négligé. Le second est relatif aux moyens de surveillance de l’espace. Le seul radar GRAVES ne saurait suffire, notamment pour suivre les petits objets manœuvrant ou évoluant selon des orbites imprévisibles. La France ne peut pas tout faire et doit, de façon réaliste, opérer des choix. Sur les radars proprement dits, elle peut donc s’appuyer sur ses partenaires européens avancés dans ce domaine, notamment italiens et espagnols, pour compléter son offre. En revanche, elle pourrait tout à fait, de façon souveraine, accroître son recours aux télescopes, dont le coût est modeste ([20]), et qui constituent un complément très utile à GRAVES.

Proposition n° 30 : Investir fortement sur les stations sol SYRACUSE ainsi que sur un réseau étoffé de télescopes complémentaires au radar GRAVES.

Il existe un autre axe d’effort qui peut sembler paradoxal mais qui est pourtant fondamental, c’est la capacité à savoir agir en condition dégradée, en l’absence de toute capacité spatiale. Il est indispensable que les armées françaises veillent à conserver leurs capacités d’agir en se passant des satellites, c’est‑à‑dire de pouvoir communiquer, se repérer, faire du renseignement, déterminer des cibles, etc., alors même que tout a été coupé et que les systèmes satellitaires ont été rendus indisponibles ou mis hors d’usage. La « spatialisation » des armées (qui est le corollaire de la militarisation de l’espace) ne doit pas se faire au prix d’une déperdition des compétences militaires traditionnelles.

Proposition n° 31 : Veiller à maintenir les savoir-faire militaires même en dehors de tout appui spatial.

Au regard des axes d’effort qui viennent d’être cités, les montants prévus par la LPM 2024‑2030 en matière spatiale ne paraissent pas à la hauteur des besoins des armées. La loi de finances pour 2026, et le cas échéant une éventuelle loi de programmation militaire actualisée, devront faire une place plus large aux systèmes spatiaux.

C.   Un équilibre est à trouver entre les volets patrimonial, partenarial et commercial des capacités spatIales

Le recours simultané à des capacités patrimoniales, partenariales et commerciales est aujourd’hui une démarche réaliste, dans un souci d’efficacité et de maîtrise des coûts. Encore faut-il ne pas avancer à l’aveugle et déterminer une politique claire de répartition entre ces trois volets.

1.   La diversification des capacités est un gage de résilience

En matière d’espace, les capacités patrimoniales, partenariales et commerciales sont complémentaires. Le « tout patrimonial » n’est pas réaliste, ni financièrement, ni techniquement, même si le recours à des partenariats étrangers et à des acteurs privés doit se faire avec le plus grand discernement. Un équilibre doit donc être trouvé entre des plateformes patrimoniales souveraines fiables et très performantes (telles que GRAVES ou SYRACUSE), développées par de grandes entreprises comme TAS ou ADS, et des démonstrateurs plus innovants, développés en collaboration avec des start-ups et des prestataires extérieurs. Comme le souligne le général Philippe Adam, Commandant de l’Espace, « la résilience passe par la multiplication (nombre) et la diversification (typologie) des moyens spatiaux. Le rôle des partenariats apparaît fondamental. Ainsi, les services offerts par le secteur commercial doivent être pensés comme complémentaires aux moyens patrimoniaux et partie intégrante de l’architecture du système de forces. S’ils offrent des performances parfois moindres que les systèmes strictement militaires, les satellites commerciaux présentent l’avantage de la flexibilité d’emploi, facilitant la concentration des appuis spatiaux dans un cadre espacetemps correspondant à celui des forces au sol […] » ([21]).

Lors de son audition par vos rapporteurs, le directeur du renseignement militaire a confirmé la nécessité à ses yeux de s’appuyer sur des capacités à la fois patrimoniales, partenariales et commerciales pour permettre aux moyens spatiaux de remplir leur double mission de réduction de l’incertitude et de renforcement de l’autonomie de décision. De même, lors de son audition, la Marine a défendu le triptyque : « cœur souverain patrimonial, noyau étendu avec des partenariats, et noyau augmenté avec des services commerciaux ». Cette triple diversification des capacités apparaît comme le gage de la résilience des capacités spatiales françaises, et serait sans nul doute décisive pour déterminer l’issue des opérations dans le cadre d’un conflit.

Vos rapporteurs estiment toutefois que la part à laisser à chacun des trois volets (patrimonial, partenarial et commercial) dans le spatial militaire français demeure entourée d’un certain flou. Si le principe fait l’objet d’une forme de consensus, son application concrète laisse planer des zones d’ombre. On n’a pas défini dans le détail, pour l’instant, ce qui devra conserver, quoi qu’il arrive, un caractère patrimonial. Le risque est d’externaliser de plus en plus, pour des calculs budgétaires à court terme, les services spatiaux, au détriment de la souveraineté et de l’autonomie de décision. Il est donc indispensable de définir une doctrine en la matière, garantissant en particulier un noyau capacitaire souverain.

Proposition n° 32 : L’État, via le ministère des Armées, doit définir une doctrine claire sur la répartition entre les capacités spatiales patrimoniales, partenariales et commerciales.

2.   Des liens entre militaires et civils doivent être mieux exploités

Comme l’écrit l’ingénieure générale de l’armement Éva Portier, « l’un des aspects fondamentaux du nouvel écosystème spatial réside dans la porosité croissante entre les secteurs civil et militaire. Plus qu’une dualité des technologies, on peut désormais parler d’un continuum civilomilitaire sur tous les plans. » ([22]). Les sphères civile et militaire ont longtemps fonctionné en France de manière très séparée, à l’inverse ce qui se passe aux États-Unis où la NASA ([23]), le Pentagone et les industriels ont toujours travaillé de manière très imbriquée. Les entreprises françaises, comme Eutelsat ou Airbus, développaient des infrastructures civiles tandis que la direction générale de l’armement (DGA) et le CNES supervisaient les programmes militaires. Les choses commencent cependant à changer. Comme l’écrit Éva Portier, « les programmes satellitaires développés dans une optique de défense s’appuient (…) de plus en plus sur des composants et des technologies civiles, augmentés par des couches de « militarisation » » ([24]). Les rapporteurs appellent à mettre en œuvre une coopération robuste entre secteur civil et secteur militaire, les infrastructures privées pouvant apporter un concours aux forces françaises et ces dernières pouvant garantir la protection et la sécurisation des infrastructures civiles critiques.

Du côté de l’État, ceci implique de mener de façon urgente une réflexion sur les moyens de rendre plus fluide et plus rapides les procédures d’élaboration et de mise en œuvre des programmes d’armement. La DGA, s’agissant tout spécialement de ce secteur du spatial, devrait trouver les voies d’une accélération de son rythme et, si nécessaire, une révision sur certains points du code des marchés publics. Conférer un pouvoir acheteur au Commandement de l’Espace pourrait également constituer un moyen d’injecter davantage de rythme et de souplesse à l’équipement des armées françaises en moyens spatiaux.

Proposition n° 33 : Alléger et simplifier les procédures d’élaboration et de mise en œuvre des programmes d’armement en matière spatiale et conférer au Commandement de l’Espace un pouvoir acheteur.

Dans ce domaine de la coopération civilomilitaire, comme dans d’autres domaines tels que celui des financements, le manque d’un coordonnateur interministériel se fait particulièrement sentir. Compte tenu du nombre et de la variété des ministères et des autres acteurs, tant civils que militaires, impliqués dans le secteur spatial, chacun ayant en outre sa vision spécifique et ses intérêts propres, la mise en place d’un organe chargé de l’espace, par exemple sous la forme d’un « secrétariat général de l’espace » placé auprès du Premier ministre, permettrait de renforcer la cohérence de la politique spatiale française et de lui donner une incarnation visible ([25]).

Proposition n° 34 : Mettre en place un organe interministériel chargé de l’espace, placé auprès du Premier ministre.

D.   La constellation IRIS² est un enjeu d’autonomie et son articulation avec le volet militaire est à déterminer

Le développement d’une constellation indépendante pour les communications duales, financée par l’Union européenne, en interaction avec les États membres, les opérateurs et les industriels, constitue aujourd’hui un impératif.

1.   Le développement d’une constellation européenne est un enjeu d’indépendance pour la France

Le projet de constellation IRIS2 a pour objectif de fournir une infrastructure sécurisée de communication par satellite, en particulier à destination des gouvernements et des organisations critiques en Europe. Après Galileo et Copernicus, IRIS2 devrait constituer le troisième programme spatial phare de l’Union européenne. IRIS² est associé au programme GOVSATCOM ([26]) de l’Union européenne qui vise à fournir aux États membres et aux acteurs critiques un accès garanti à des communications sécurisées par satellite.

Ce projet de constellation de connectivité en orbite basse revêt une importance considérable pour l’autonomie stratégique européenne, à l’heure où le monde est marqué par l’essor de méga-constellations de dizaines de milliers de satellites, notamment américaines et où le besoin en connectivité n’a jamais été aussi fort. Il est également fondamental pour assurer la résilience des capacités spatiales des États européens, non seulement grâce à sa taille (près de 300 satellites), mais aussi grâce à sa performance (utilisation de la 5G) et à la fiabilité de ses plateformes. On connaît en comparaison le manque de fiabilité des satellites Starlink qui, en dépit de leur masse, s’appuient sur des technologies non spatiales et accusent un taux de panne moyen de 8 %.

La constellation pourra être très utile en cas de crise lorsque les infrastructures au sol d’accès à Internet sont endommagées ou qu’il est nécessaire de prendre des images à haute résolution. En attendant le déploiement d’IRIS², l’usage de plateformes à haute altitude (HAPS) comme des ballons dirigeables ou des drones est à privilégier par rapport à des constellations étrangères. En attendant le déploiement d’IRIS², l’État doit privilégier l’usage de ballons stratosphériques et de drones à haute altitude à partir des projets en cours de développement par TAS (Stratobus) ou ADS (planeur Zephyr). Stratobus est un projet de ballon dirigeable, capable de voler à vingt kilomètres d’altitude, pour effectuer des missions de longue durée, comme de l’observation de la Terre à haute résolution et de la communication.

Proposition n° 35 : En cas de crise nécessitant un besoin de connectivité ou d’images à haute résolution, faire appel à des drones ou ballons atmosphériques en cours de développement.

Si la constellation IRIS² n’a pas à ce stade d’utilité pour le renseignement militaire, elle présente en revanche un intérêt majeur pour les télécommunications des forces armées. Placée en orbite basse, elle sera complémentaire du système SYRACUSE, situé en orbite géostationnaire, et contribuera à la réduction du temps de latence, enjeu crucial du combat futur. La démonstration récente par la Chine d’un robot capable de couper des câbles sous‑marins jusqu’à 4 000 mètres de profondeur, dans un contexte où, de la mer Baltique à Taïwan, les sabotages de câbles deviennent une composante importante de la guerre hybride, souligne plus encore, s’il en était besoin, l’utilité d’avoir une constellation souveraine européenne de satellites de télécommunications.

À plus long terme, il importe que des efforts d’innovation permettent d’ajouter au système IRIS2 des capacités d’observation militaire, comme le font les Américains sur Starlink avec Starshield. Le projet Starshield consiste en une constellation de plusieurs centaines de satellites espions construits par SpaceX, en lien avec le National Reconnaissance Office (NRO), l’une des dix‑huit agences de renseignement des États‑Unis.

Proposition n° 36 : Déployer et financer des efforts d’innovation en vue de permettre, à moyen ou long terme, l’ajout au système IRIS2 de capacités d’observation militaire.

2.   L’articulation d’IRIS² avec les capacités militaires de la France est à trouver

La première question qui se pose concerne l’articulation d’IRIS² avec le système français SYRACUSE. Tout d’abord, les services en orbite basse d’IRIS² et en orbite géostationnaire de SYRACUSE devront être le plus interopérables possible afin de faciliter les usages opérationnels des armées. En deuxième lieu, il convient de rappeler que les deux satellites SYRACUSE sont extrêmement résistants au brouillage ; il faudra être particulièrement vigilant pour que la future constellation européenne IRIS² bénéficie également d’un niveau de sécurisation le plus poussé possible. Selon Jean-Pierre Diris, coordinateur interministériel IRIS2 et GOVSATCOM, les exigences de sécurité cyber de la constellation sont très homogènes avec celles de GALILEO, le traitement des autres menaces étant un sujet classifié qui doit encore faire l’objet d’analyses.

Surtout, c’est la perspective de la mise en place prochaine de la constellation IRIS² qui a conduit la France à renoncer, dans la loi de programmation militaire, au satellite patrimonial de télécommunication SYRACUSE 4C. Or, si, lors de son approbation par les États membres et le Parlement européen, le lancement des premiers services était prévu pour 2024 et la pleine capacité opérationnelle pour 2027, l’année‑cible est désormais 2030. Dans ces conditions, l’absence de SYRACUSE 4C risque d’être la cause d’un trou capacitaire dans le système français de télécommunications spatiales. La cible de l’année 2030 doit donc absolument être tenue, sauf à relancer SYRACUSE 4C, le cas échéant via une coopération avec un État européen partenaire afin d’en absorber le coût financier ([27]).

Dans un contexte du développement de la guerre électronique, la constellation IRIS² doit être dotée de capacités de cyber-résilience élevées. Il convient d’investir dès le développement du projet pour doter les satellites de la constellation de moyens de lutte antibrouillage, pour résister à d’éventuelles déstabilisations de puissances étrangères. Les armées françaises insistent sur cette indispensable robustesse de la future constellation européenne.

Proposition n° 37 : Garantir l’interopérabilité d’IRIS² avec le système SYRACUSE et veiller à sa mise en place opérationnelle au plus tard en 2030 afin de ne pas laisser s’installer un trou capacitaire dans le système français de télécommunications spatiales.

Proposition n° 38 : Veiller à ce que les satellites d’IRIS² soient équipés de systèmes antibrouillages les plus poussés possible.

Dans l’attente du déploiement d’IRIS², OneWeb constitue la seule constellation européenne de communication. Elle mérite à ce titre d’être soutenue pour garantir à nos armées un système de télécommunications autonome et résilient. Néanmoins, le choix des lanceurs retenus pour mettre en orbite les satellites de la constellation constitue un point de vigilance si l’on veut préserver cette autonomie.

Proposition n° 39 (position de Mme Vignon) : Dans l’attente du déploiement d’IRIS², soutenir la constellation OneWeb pour assurer les communications des armées.

 

 


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IV.   La France et l’Europe doivent promouvoir un spatial plus vertueux, qui garantit la sécurité en orbite et l’application du droit international

A.   La saturation de l’oRbite génère une pollution croissante jusqu’au risque d’effondrement généralisé

1.   La prolifération des satellites a des conséquences environnementales croissantes en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de saturation des fréquences et de pollution lumineuse

L’orbite fait face à une prolifération de satellites. En tenant compte des estimations des différentes constellations, l’orbite basse pourrait accueillir 82 000 satellites dans les prochaines décennies.

Source : annonces officielles

Les lancements de satellites contribuent à l’émission d’importantes quantités de gaz à effet de serre (GES), de suies, d’alumines et d’autres particules nocives, à des altitudes élevées, ce qui augmente leur potentiel réchauffant. Un moteur de fusée produit approximativement 1 000 fois plus de particules fines qu’un moteur d’avion par kilogramme de carburant consommé. Les activités de lancement de satellites seraient ainsi responsables d’environ 0,5 % des émissions de GES. Mais les particules étant émises à des hautes altitudes, leur durée de vie est augmentée : une particule de suie émise par une fusée serait 500 fois plus efficace pour réchauffer l’atmosphère par rapport à celle émise par un avion, selon les scientifiques interrogées par la mission. Et la consommation de carburants par SpaceX a été multipliée par trois entre 2019 et 2023. Cette hausse devrait se poursuivre avec l’avènement de Starship, le lanceur super-lourd de SpaceX, qui pourrait émettre, en 2025, l’équivalent de quatre fois la totalité des émissions des lancements en 2019.

Les rentrées atmosphériques des lanceurs et des satellites obsolètes ont des effets polluants à haute altitude et menacent la sécurité des populations. En entrant dans l’atmosphère, les satellites et les lanceurs se consument, émettant des particules métalliques dans les plus hautes couches de l’atmosphère (au-delà de 50 kilomètres d’altitude). La désintégration des satellites aurait provoqué l’émission de 17 tonnes d’oxydes d’aluminium dans la mésosphère (atmosphère située entre la Terre et 80 kilomètres), augmentant de 30 % les valeurs normales, avec des conséquences potentiellement néfastes sur la couche d’ozone. Le déploiement massif de méga constellations pourrait porter ce chiffre à 360 tonnes. Par ailleurs, les rentrées atmosphériques peuvent menacer les populations en raison de l’incertitude sur les trajectoires des débris et des hautes vitesses. Les armées ont indiqué à ce titre le manque de radars de précision permettant d’anticiper la trajectoire des débris.

Proposition n° 40 : Investir dans des radars au sol de surveillance des rentrées atmosphériques.

La multiplication des objets en orbite exerce également une pression croissante sur les fréquences de communication radio. La prolifération de satellites sature les bandes disponibles, causant davantage des interférences de signal. La plupart des satellites utilisent la bande X, aux alentours de 8 GHz, peu sensible aux conditions météos et disposant d’une infrastructure au sol existante. Toutefois, la bande est de plus en plus congestionnée, ce qui perturbe les instruments scientifiques, en particulier ceux utilisés pour la géolocalisation ou les télécommunications. L’élargissement du spectre vers des bandes plus élevées, notamment la bande Ka, autour de 26 GHz, serait donc un moyen d’assurer une meilleure transmission des données, la fréquence ayant une capacité cinq fois supérieure avec une saturation moindre. La bande Ka permet d’obtenir un débit de données similaire à un lien optique/laser (supérieur à 1Gbps) tout en réduisant la complexité des équipements embarqués et les contraintes sur les satellites.

Proposition n° 41 : Investir dans les infrastructures au sol et en orbite utilisant des bandes de fréquences peu utilisées, comme la bande Ka. Soutenir l’usage de bandes alternatives par les satellites d’IRIS² et investir dans le segment sol, aujourd’hui absent du programme.

Les constellations de satellites provoquent des pollutions lumineuses qui perturbent l’observation du ciel. La prolifération de satellites provoque des trainées lumineuses dans les observations astronomiques, La luminosité diffuse du ciel nocturne serait augmentée de 10 % par rapport aux valeurs normales en raison des satellites en orbite. Jusqu’à 30 % des observations depuis le sol pourraient être perdues à cause de la pollution lumineuse.

Proposition n° 42 : Intégrer un volet pollution lumineuse à la future réglementation européenne sur le spatial pour consacrer la notion de « ciel sombre ».

Enfin l’industrie du spatial est une grande consommatrice de « polluants éternels » (PFAS) dont les effets à long-terme sont méconnus. Les PFAS sont largement utilisés dans la filière spatiale pour leurs propriétés utiles dans les conditions extrêmes de l’espace (résistance thermique, isolation etc.). Si l’interdiction des PFAS dans l’industrie spatiale est techniquement difficile pour l’industrie, il est indispensable de trouver des alternatives dans les meilleurs délais. Le GIFAS a ainsi créé une task force sur les PFAS.

Proposition  43 : Créer un groupe de travail entre la DGE et la task force du GIFAS pour recenser les PFAS utilisés dans le secteur spatial et utiliser des alternatives dans les meilleurs délais.

2.   L’augmentation considérable du nombre de débris en orbite rend envisageable l’hypothèse d’une collision en chaîne

Le nombre de débris spatiaux en orbite n’a cessé d’augmenter depuis le début de l’ère spatiale et a été multiplié par trois en quinze ans. Les fragments ont des origines diverses : satellites et lanceurs abandonnés, collisions entre satellites, explosions fortuites issues de résidus de carburants etc. En outre, les destructions délibérées des satellites par des tirs au sol émettent des quantités considérables de débris : le tir conduit par la Russie le 15 novembre 2021 sur un satellite soviétique aurait ainsi généré près de 1 500 débris orbitaux. En raison des cinétiques très élevées en orbite (8 kilomètres par seconde à 200 kilomètres d’altitude), le moindre impact d’un débris sur un autre objet en orbite a des conséquences majeures. L’Agence européenne de surveillance et de suivi spatiaux confirme l’élévation significative de la probabilité de collision entre les débris : estimée à 5 % en 2020, elle atteint aujourd’hui 60 %.

IMPACT de 40 CENTIMETRES CAUSE par un FRAGMENT D’UN MILLIMÈTRE SUR LE PANNEAU SOLAIRE DU SATELLITE SENTINEL-1A

Sentinel-1A fragment impact in space

Source : ESA

 

 

Les observations des agences et entreprises de surveillance confirment l’encombrement de l’orbite terrestre. Il est estimé que l’orbite terrestre compte un million d’objets de plus d’1 centimètre dont 400 000 entre 1 et 10 centimètres. Selon Look Up Space, une start-up française fondée en 2022, l’orbite compterait environ 11 000 satellites actifs pour 3 300 hors-service La France serait responsable d’environ 3 % des débris en orbite…

Source : ESA

L’inflation de débris force les opérateurs de satellites à effectuer de plus en plus de manœuvres d’évitement. En 2024, les satellites de la constellation Starlink ont été contraints d’en réaliser plus de 100 000, réduisant par la même occasion l’autonomie de leurs satellites en raison de la consommation de carburant induite par la manœuvre. D’après les chercheurs auditionnés, le nombre de manœuvres augmente chaque année et il est estimé à 15 par satellite chaque année.

La saturation de l’orbite rend plausible l’hypothèse d’un effondrement généralisé à la suite de collisions en chaîne, dit « syndrome de Kessler ». Le scénario d’un effondrement généralisé a été théorisé en 1978 par le chercheur de la NASA Donald J. Kessler. Selon ce modèle, la collision entre deux objets génère des débris qui pourraient créer une réaction en chaîne et rendre inutilisable tous les satellites sur une même orbite.

B.   La surveillance de l’orbite basse et la gestion des débris spatiaux sont indispensables pOur sécuriser les opérations

1.   La surveillance de l’orbite basse doit être renforcée par des moyens souverains

La France et l’Union européenne disposent de capacités reconnues en matière de surveillance de l’orbite (Space Situational Awareness, SSA). Le programme EUSST, piloté en France par le CNES, fournit une compétence autonome de détection, d’identification et de prévision des collisions. Par ailleurs, la France fait partie des rares pays au monde avec les États-Unis, la Chine et la Russie à disposer d’un système de suivi radar. Le système GRAVES (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) permet à la France d’assurer une veille continue de plus de 3 000 objets sur une orbite oscillant entre 400 et 1 000 km.

Plusieurs acteurs privés participent au renforcement de la capacité de surveillance de l’orbite basse. Look Up Space, spécialisée dans la surveillance de l’espace et la gestion du trafic spatial, développe des radars sol et une plateforme logicielle (OSCAR) pour détecter, suivre et prévenir les collisions entre satellites et débris. Aldoria fournit, de façon complémentaire, des services de cartographie optiques de l’environnement orbital grâce à un réseau étendu de stations d’observation au sol.

Proposition  44 (position de Mme Vignon) : Soutenir les entreprises françaises de la surveillance de l’orbite basse dans la stratégie spatiale nationale.

Proposition n° 45 (position de M. Saint-Martin) : Étudier la consolidation du secteur de la surveillance spatiale sous la forme d’une division interne au CDE.

2.   La sécurisation de l’orbite basse nécessite des solutions de gestion des déchets et un processus de conception plus vertueux

La France a développé des outils pionniers en matière de gestion des déchets. Le programme Tech for Space Care (T4SC) du CNES met à disposition des entreprises des solutions technologiques pour permettre une mise en conformité vis‑à‑vis des réglementations internationales. De nombreuses initiatives ciblent spécifiquement les débris.

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TECHNOLOGIES SOUTENUES PAR LE CNES VIA LE PROGRAMME T4SC

L’ESA est attentive à la problématique des débris et développe des projets de gestion active. L’Agence finance la mission ClearSpace-1 de gestion des déchets en orbite. Conduite par l’entreprise suisse ClearSpace, elle doit permettre de désorbiter un satellite de l’ESA de 95 kg lancé en 2001 à l’aide d’un bras robotisé. Elle constituerait un jalon majeur vers l’établissement d’une expertise de dépollution spatiale européenne. L’Agence a également établi une doctrine du « zéro-déchet » à horizon 2030.

Des entreprises privées commencent à investir le champ de la gestion des déchets. Astroscale, entreprise japonaise collabore avec plusieurs agences spatiales dont le CNES et l’ESA pour mener des missions d’intervention consistant à approcher, caractériser et évaluer l’état d’un débris existant, en l’occurrence un étage supérieur de lanceur japonais H-2A, grâce à des manœuvres de Rendez-vous & Proximity Operations (RPO).

Proposition n° 46 : Explorer la possibilité d’une filière française ou européenne de gestion des débris orbitaux, avec des potentialités élevées à l’export.

La gestion des débris doit entrer en compte dans le cycle de production de satellites. Le cycle d’auditions a permis d’interroger les fabricants et opérateurs sur la façon dont ils s’emparent des questions de soutenabilité. L’entreprise de nano‑satellites U-Space conçoit ses engins pour les rendre moins polluants. Les matériaux utilisés sont prévus pour assurer une désintégration rapide et totale dans l’atmosphère, sans retombée de débris au sol ou de pollution atmosphérique. Les représentants de Telespazio ont souligné qu’ils cherchaient à prolonger la durée de vie des systèmes en orbite en valorisant la maintenance, le ravitaillement et la réparation directement depuis l’espace. Le moteur Vinci d’Ariane 6 permet de désorbiter l’étage supérieur après chaque mission pour réduire les débris. C’est également le premier lanceur ayant fait l’objet d’une analyse du cycle de vie.

L’architecture envisagée pour IRIS² confirme le virage vers une constellation satellitaire plus vertueuse. L’impact environnemental de la constellation sera réduit par rapport aux concurrents en raison d’une durée de vie accrue des satellites (10 ans contre 5 pour un satellite Starlink) et d’un nombre très restreint de satellites mis en orbite.

Proposition  47 : Déterminer dès le développement des satellites de la constellation IRIS² les conséquences environnementales et les déchets générés.

C.   Un usage plus vertueux de l’espace est possible en europe en se dotant d’une réglementation inspirée de loi française

1.   La France a construit un cadre réglementaire de référence dans le domaine des opérations spatiales, allant largement au-delà du principe de non-appropriation de l’espace fixé par le droit international

Le droit international fixe essentiellement des principes d’usage pacifique et de non-appropriation de l’espace extra-atmosphérique. Le texte fondateur est le Traité sur l’espace de 1967, qui fait de l’espace un bien commun pour l’humanité et interdit son appropriation. Il défend un usage pacifique de l’espace et prohibe les armes de destruction massive. Il fixe un régime de responsabilité des États pour les activités de leurs entreprises privées. Le Traité compte aujourd’hui environ 110 États parties. La Convention de 1972 sur la responsabilité internationale confirme la responsabilité de l’État de lancement pour toutes les activités conduites en orbite.

Le COPUOS (Comité des utilisations pacifiques de l’espace extraatmosphérique) est l’organe de l’ONU de référence en matière spatiale. Créé en 1959, il est chargé de promouvoir la coopération internationale dans l’exploration et l’utilisation pacifique de l’espace. Il élabore les principes juridiques qui encadrent les activités spatiales (le Traité de 1967 en est inspiré) et sert de forum de négociations. Il dispose d’un sous-comité juridique et d’un sous-comité scientifique.

S’agissant des débris, la Convention de 1976 sur l’immatriculation impose seulement la traçabilité des satellites et l’enregistrement des objets auprès de l’État de lancement.

Depuis la loi de 2008 sur les opérations spatiales (LOS), la France est dotée d’une réglementation exigeante sur le spatial afin de garantir la sécurité des missions, d’assurer la protection de l’environnement orbital et d’instituer un régime de responsabilité des entreprises. La loi du 3 juin 2008, pionnière en matière de juridiction spatiale :

 institue un régime d’autorisation préalable délivrée par l’État pour limiter les risques techniques et environnementaux des opérations ;

 encadre la fin de vie des objets afin de limiter les débris. La loi impose aux opérateurs d’assurer la désorbitation des objets en orbite basse dans un délai de vingt-cinq ans et prévoit un transfert des satellites géostationnaires en fin de vie vers des orbites dites « cimetières » ;

 institue un régime de responsabilité des opérateurs pour les opérations en orbite : en cas de dommage à un tiers, l’opérateur peut être tenu responsable sur le plan national et se substituer à l’État. Les opérateurs doivent souscrire une assurance pour leurs opérations. Le militaire est exclu explicitement de la LOS (hors activités duales) ;

 désigne le CNES comme opérateur technique, chargé de l’évaluation de la conformité des missions en fonction des exigences environnementales et sécuritaires. Il peut prescrire des mesures correctives en cas de non-respect de la législation.

La LOS s’applique à toutes les activités spatiales commerciales menées depuis le territoire national ou sous la responsabilité française. Elle témoigne de l’engagement de la France en faveur d’un usage responsable et durable de l’espace. Elle souligne le soft power de la France dans le spatial, acteur industriel mais aussi normatif.

La LOS a été mise à jour en 2024, avec la publication d’un nouvel arrêté technique le 28 juin 2024, pour s’adapter aux constellations en orbite terrestre basse et lutter contre les débris. La durée de désorbitation est passée de 25 ans à trois fois la durée de la mission, son champ a été étendu aux opérations de service en orbite et elle intègre la notion de durabilité de l’espace.

Les auditions menées par vos rapporteurs montrent que le cadre juridique est considéré très positivement par les entreprises et les institutions spatiales. La LOS apporte une forme de sécurité juridique aux opérations et garantit la durabilité de l’orbite, sans contraindre excessivement l’innovation. Elle fixe des standards exigeants reconnus à l’international.

2.   Cet effort de réglementation doit se poursuivre à l’échelle européenne en faveur d’un spatial durable

L’adoption d’une réglementation pour le spatial à l’échelon européen s’impose, dans le contexte du déploiement d’IRIS². Le cycle d’auditions a permis de confirmer les attentes autour du projet de « loi spatiale » européenne (EU Space Law), qui devrait être présentée par la Commission européenne d’ici fin 2025. L’initiative de la Commission européenne s’appuierait sur le volet marché intérieur du TFUE, l’article 189 du TFUE prohibant toute harmonisation réglementaire dans le spatial. Elle prendrait la forme de directives et de règlements.

La France soutient le principe d’une réglementation européenne. Alors qu’il est peu probable que le paquet européen soit plus contraignant que la loi française, la « loi spatiale » européenne pourrait généraliser à l’ensemble de l’Europe la réglementation française et réduire ainsi la fragmentation juridique.

La réglementation européenne devrait porter sur le même périmètre que la LOS française, à savoir (i) un régime de responsabilité unifié ; (ii) des règles de limitation des déchets en orbite et de désorbitation ; (iii) un rôle d’opérateur technique confié à l’ESA et aux agences nationales. Elle comprendrait trois piliers que sont la sécurité, la résilience et la durabilité. Sur le volet sécurité, il s’agirait d’assurer la sécurité des lancements et d’imposer aux satellites des systèmes anticollisions et la traçabilité. Sur la soutenabilité, une mesure de désorbitation obligatoire similaire à celle prévalant en France pourrait être instaurée.

En outre, la réglementation européenne pourrait comprendre un volet résilience pour réduire les risques des opérations. Les opérateurs devraient détecter et traiter les incidents, chiffrer les données, assurer la redondance matérielle et logicielle et reporter les incidents.

Proposition  48 : Porter dans les futures négociations au Conseil de l’UE une position ambitieuse pour la future « loi spatiale » européenne pour généraliser le cadre français et imposer des normes strictes en matière de durabilité et de gestion des débris.

 

D.   La France et l’UE ont les moyens de promouvoir à l’international un modèle du spatial plus vertueux au travers du multilatéralisme

1.   La France et l’UE sont engagées pour proposer un spatial vertueux, avec des retombées économiques bénéfiques pour l’industrie

Sans remettre en cause la nécessité de soutenir les armées dans leur volonté de s’approprier l’espace, la France et l’Union européenne doivent poursuivre leurs efforts pour promouvoir un spatial plus vertueux, en s’engageant clairement en faveur de la décarbonation, d’un déploiement plus parcimonieux des capacités et de la gestion des débris.

Le CNES est particulièrement engagé au travers de plusieurs initiatives qui doivent être soutenues et accélérées. Le CNES élabore une feuille de route pour la décarbonation du secteur spatial et poursuit la modernisation du centre spatial guyanais pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Il soutient la décarbonation. Le projet HYGUANE vise à substituer de l’hydrogène vert à hauteur de 30 % dans le combustible des lanceurs utilisés au CSG, avec une production locale. Il accompagne enfin la mise en conformité des acteurs du spatial face aux évolutions des normes, avec le programme T4SC.

Proposition  49 : Publier au plus vite la feuille de route nationale pour réduire les émissions de carbone et hors carbone du secteur spatial.

L’ESA fixe la soutenabilité comme une priorité dans son agenda, au travers de sa stratégie ESA 2040. L’agence a pour ambition de réduire de 46 % son empreinte carbone d’ici 2030 par rapport à 2019. L’ESA agit également au profit d’une réduction active des débris, en soutenant la filière de recyclage des satellites et l’enlèvement actif des débris. Elle soutient l’écoconception, l’économie circulaire et l’évaluation régulière des cycles de vie de ses missions spatiales. Surtout, l’ESA promeut une approche « zéro débris » d’ici 2030.

Proposition  50 : Systématiser une analyse du cycle de vie pour tous les programmes de l’ESA et du CNES, inciter les industriels à s’emparer de cette pratique.

L’engagement en faveur d’un usage pacifique et scientifique du spatial se traduit par une contribution déterminante aux missions d’observation de la Terre et de suivi du changement climatique.

Le renouvellement des satellites Copernicus sera indispensable pour maintenir le dynamisme de la mission. Le Sentinel-2C a été lancé en septembre 2024. Il embarque un imageur multi-spectral haute résolution qui génère des images optiques dans la partie visible, proche infrarouge et infrarouge à ondes courtes du spectre électromagnétique. Toutefois, plusieurs satellites de Copernicus, déjà opérationnels ou en fin de vie, doivent être renouvelés d’ici 2030 : 1D (surveillance terrestre et maritime), 2C (imagerie optique haute résolution), 3C et 3D (topographie maritime) ou 6B (altimétrie radar).

Des nouvelles missions de Copernicus doivent également positionner l’Europe dans les secteurs clés pour le changement climatique. La mission CO2M doit quantifier les émissions de CO2 d’origine humaine (lancement en 2026), CHIME vise à fournir des images des sols et cultures, LTSM repose sur la télédétection des températures des terres (horizon 2028), CRISTAL permettra de surveiller le niveau des calottes glaciaires et l’épaisseur des couches de neige (d’ici 2028) et CIMR prendra des mesures des surfaces des océans (d’ici 2028).

Proposition  51 : Assurer le renouvellement des satellites Sentinel de Copernicus et garantir le financement des nouvelles missions dans le prochain cadre financier pluriannuel.

D’autres missions scientifiques sont portées par l’ESA. Les satellites MetOp-SG, issus d’une coopération entre l’ESA et EUMETSAT permettront une détection avancée des phénomènes extrêmes : tempêtes, vagues de chaleur, feux de grande ampleur ou éruptions volcaniques. La dimension climatique est également au centre de MicroCarb, premier satellite européen spécifiquement dédié à la mesure des flux de carbone. Ce projet, porté par le CNES, évaluera les sources de CO₂ à l’échelle planétaire via des spectromètres passifs embarqués. Son lancement est prévu en 2025.

Le partage des données collectées par Copernicus promeut aussi un usage partagé de l’orbite, en particulier dans le contexte du réchauffement climatique. Les données issues des satellites Sentinel sont accessibles à tous, partout dans le monde. Ce modèle favorise la transparence, réduit les inégalités d’accès à l’information spatiale et évite la monopolisation des ressources orbitales par quelques acteurs. En rendant les données disponibles mondialement, Copernicus encourage donc les usages civils et scientifiques. Toutefois, votre rapporteure Mme Vignon rappelle que l’accès libre aux données peut poser des questions en matière diplomatique et militaire. Des compétiteurs stratégiques peuvent ainsi utiliser ces images pour planifier des opérations militaires ou effectuer du renseignement.

Proposition  52 : Maintenir un accès libre et ouvert aux données météorologiques et d’observation de la Terre fournies par les services satellitaires européens. Votre rapporteure Mme Vignon précise toutefois que l’on peut s’interroger sur l’opportunité de commercialiser ou classifier certaines images.

 

CARTE DE LA TEMPÉRATURE DES OCÉANS GÉNÉRÉE PAR MY OCEAN ET ISSUE
DES DONNÉES DE COPERNICUS

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Source : cité de l’espace

Au-delà de leurs aspects scientifiques, ces missions sont associées à d’importantes retombées économiques pour les industriels, garantissant une commande publique de long-terme et le maintien des compétences.

 

La réglementation européenne en matière de soutenabilité spatiale peut enfin être un outil de compétitivité pour l’industrie, en conditionnant l’accès au marché intérieur au respect de règles environnementales et de sécurité exigeantes. En obligeant les acteurs non-européens à adopter les standards européens pour la fourniture de services spatiaux en Europe, l’Union pourrait créer un marché du spatial vertueux sur lequel s’indexeraient, à terme, les opérateurs mondiaux.

Proposition  53 : Appliquer la future loi spatiale européenne à tout acteur spatial opérant sur le sol et pour des utilisateurs de l’UE.

2.   La France et l’Europe doivent réaffirmer l’importance du droit international de l’espace

À l’aune des menaces systémiques documentées dans ce rapport
 saturation orbitale, prolifération des débris, intensification des risques environnementaux et stratégiques –, la France et l’Europe doivent réaffirmer l’importance du droit international du spatial, qui assure un usage partagé et pacifique de l’orbite. En amorçant ce virage, la France consolidera son rôle de puissance d’équilibres, capable de conjuguer souveraineté industrielle, respect du changement climatique et limitation de la conflictualité.

Il s’agit en priorité de promouvoir une gestion active des déchets. Plusieurs agences spatiales nationales ont successivement adopté des codes de conduite en matière de déchets extra-atmosphériques : la NASA (1995), le CNES (1997), la JAXA au Japon (1999) et l’ESA (2007). Le comité inter-agence de coordination des débris spatiaux (IADC), a aussi élaboré des lignes directrices en 2002 pour préserver l’espace de débris spatiaux artificiels. Les recommandations du forum ont été étendues, en mai 2011, à l’ensemble des acteurs du spatial, institutionnels comme privés.

Proposition  54 : Mettre à jour les lignes directrices du comité inter-agences sur la gestion des débris, qui datent de 2011.

La France dispose d’une position privilégiée dans les instances multilatérales, qu’elle doit davantage exploiter. La France assure le pilotage du stratégique du Space Climate Observatory (SCO) dont elle anime le secrétariat général et structure la programmation scientifique autour d’appels à projets. Le SCO, lancé en 2019 à l’initiative du CNES, associe agences spatiales, instituts de recherche et acteurs privés pour développer des outils de suivi et d’adaptation aux effets du changement climatique. Le SCO s’intègre dans l’architecture des Nations unies depuis 2022. La France participe aussi au Comité inter-agence sur les débris spatiaux et au comité des utilisations pacifiques de l’espace de l’ONU (COPUOS).

Proposition n° 55 : Organiser en France un forum multilatéral sous l’égide du Space Climate Observatory pour défendre l’adaptation au changement climatique du secteur spatial.

À l’ONU, la France pourrait défendre la signature d’une convention sur la gestion des débris en orbite, dans le prolongement du Traité de 1967. La convention permettrait d’harmoniser les pratiques entre États, agences et opérateurs privés. Cette convention pourrait s’appuyer sur les recommandations techniques déjà existantes, comme celles de l’IADC ou du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS), et instaurer des obligations juridiques contraignantes, notamment en matière de désorbitation, d’identification des objets, et de systèmes de rendez-vous et de désorbitation actifs. À la suite du dialogue franco‑américain sur le spatial de 2024, les États-Unis s’étaient engagés, sous la précédente administration, à soutenir une telle démarche au COPUOS.

Proposition n° 56 : Proposer la signature d’une convention internationale sous l’égide de l’ONU sur la lutte contre les débris spatiaux.

Face à la militarisation de l’espace, la France pourrait promouvoir l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies réaffirmant les principes d’usage pacifique de l’espace. Bien qu’une telle résolution ait déjà été envisagée à plusieurs reprises, aucun consensus n’a jusqu’ici été trouvé en raison de divergences géopolitiques entre membres permanents. En février 2024, la Russie a opposé son véto à une résolution proposée par les États-Unis et le Japon, visant à interdire les armes nucléaires dans l’espace, bien que ce principe soit déjà inscrit dans le Traité de l’espace de 1967. Une telle résolution permettrait de réaffirmer l’interdiction de toute forme d’armement nucléaire et d’appeler à une transparence accrue sur la militarisation de l’espace. Forte de son expertise juridique et technique, la France pourrait jouer un rôle de médiation entre grandes puissances. En cas d’échec au Conseil de sécurité, une telle résolution pourrait aussi être soutenue à l’Assemblée générale. Même si les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas contraignantes, l’affirmation de l’usage pacifique de l’espace emporterait probablement l’adhésion d’une majorité de pays.

Proposition n° 57 (position de M. Saint-Martin) : Proposer une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour réaffirmer l’usage pacifique de l’orbite et l’interdiction des armes de destruction massive, voire de toutes armes.

La création d’une agence intergouvernementale du spatial, sur le modèle de l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI), pourrait offrir un cadre global et structuré pour la régulation des activités spatiales. L’OACI, créée en 1944, a permis de garantir la sécurité, la standardisation et la coopération dans le domaine de l’aviation civile internationale. Or, le spatial pâtit de l’absence d’une instance de régulation des activités en orbite, aboutissant à un développement désordonné. Une agence internationale du spatial aurait pour mission de définir des normes et des règlements internationaux, notamment en matière de sécurité, de gestion des débris spatiaux, de démilitarisation de l’espace et de développement durable des technologies spatiales. Elle pourrait être instaurée par les signataires du Traité de 1967.

Proposition n° 58 : Étudier la création d’une agence intergouvernementale du spatial, sur le modèle de l’organisation civile internationale.


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   Examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 14 mai 2025, à 9 heures, la commission a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information sur « Les satellites : applications militaires et stratégies industrielles ».

Mme Sabine Thillaye, présidente. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président Jean-Michel Jacques, retenu en circonscription en raison de la venue du ministre Ferracci à la Fonderie de Bretagne, un site industriel majeur dont notre président a activement participé à la diversification de la production vers le secteur de la défense.

Notre ordre du jour de ce matin appelle l’examen du rapport confié à nos collègues Corinne Vignon et Arnaud Saint-Martin sur les satellites, leurs applications militaires et les stratégies industrielles qui y sont associées.

Chers rapporteurs, votre rapport tombe à point nommé tant l’année 2025 se révèle être une année particulière pour le domaine spatial. Ariane 6 a effectué son premier vol commercial le 6 mars dernier et a mis en orbite avec succès un troisième satellite français d’observation militaire. Le Commandement de l’espace (CDE) inaugurera prochainement son nouveau site à Toulouse, où il sera doté de capacités pleinement opérationnelles, notamment de défense active.

Le premier ministre a par ailleurs demandé au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale de coordonner l’élaboration d’une nouvelle stratégie spatiale de défense, six ans après la première. Votre étude et vos recommandations sont appelées à être scrutées avec attention par notre commission et par tous les acteurs du secteur, tant civils que militaires. Ce secteur connaît lui-même des bouleversements, en raison notamment des usages militaires désormais essentiels, mis en lumière par le conflit en Ukraine, mais aussi de la montée en puissance des acteurs privés tels que SpaceX et la mise en orbite terrestre basse (OTB ou low earth orbit, LEO) d’immenses constellations, notamment de connectivité.

Vous soulignez les risques induits par ces méga-constellations américaines et chinoises : l’occupation de l’espace s’apparente à une véritable colonisation. Le bouleversement se traduit aussi par les incertitudes pesant sur les équilibres financiers et les modèles économiques du secteur, notamment en France, et leurs répercussions potentielles sur l’emploi.

Sur tous ces sujets, et sur bien d’autres, votre rapport produit des analyses détaillées et des propositions nombreuses et concrètes.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur de la mission d’information sur « Les satellites : applications militaires et stratégies industrielles ». Mes chers collègues, vous nous avez confié, à la fin de l’année 2024, une mission d’information sur les satellites, leurs applications militaires et les stratégies industrielles propres au secteur spatial. Nous nous sommes attelés à la tâche en janvier dernier et avons mené une trentaine auditions à Paris, sans compter les nombreux entretiens conduits dans le cadre de deux déplacements effectués à Toulouse, puis en Guyane, à l’occasion du lancement d’Ariane 6. Nous avons ainsi pu interroger des chercheurs, des scientifiques, des industriels et des syndicats, des militaires des trois armées, des représentants de la direction générale de l’armement (DGA), du Centre national d’études spatiales (CNES) et de l’Agence spatiale européenne (ESA), le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, des dirigeants de start-up, des représentants de Bercy.

Nous avons souhaité partir du terrain, afin d’étudier, sans parti pris, un secteur spatial à la fois très dynamique, mais aussi en crise à bien des égards. Notre travail portait spécifiquement sur les satellites, mais nous ne nous sommes pas interdit d’aborder aussi, lorsque cela se justifiait, les lanceurs, tant il aurait été artificiel de vouloir dresser une cloison étanche entre ces deux domaines intimement liés. Notre but consistait à dépasser les idées reçues sur le spatial et le satellitaire, ou bien les simples impressions ou intuitions, pour répondre à plusieurs questions : à quoi servent les satellites, dans le domaine de la défense et au-delà ? Quel bilan peut-on dresser de la politique française de soutien à ce secteur ? Quelles sont les reconfigurations industrielles à l’œuvre ? Le pilotage de ce secteur est-il optimal ou peut-il être amélioré ? Quels sont les défis soulevés par l’augmentation exponentielle du nombre de satellites en orbite et comment les relever ?

Nous assistons en effet à un déploiement de constellations en orbite basse. Jusqu’ici, le marché du satellite était dominé par les satellites en géostationnaire, placés à une orbite telle – 36 000 kilomètres – que la terre est parcourue en vingt‑quatre heures. Ils permettent ainsi de couvrir une région du globe de façon constante, pour transmettre la télévision ou la radio. Dans les constellations en orbite basse, les satellites sont placés à une altitude comprise entre 500 et 2 000 kilomètres. Contrairement aux satellites géostationnaires, les satellites en orbite basse n’ont pas de position fixe par rapport à la planète : la vitesse de rotation est telle qu’ils survolent plusieurs fois la surface de la terre en une journée. L’altitude plus faible réduit la latence du signal, ce qui est très utile pour l’accès à internet, mais implique d’envoyer des milliers de satellites en orbite.

Nous avons constaté au cours de nos échanges que les évolutions en cours suscitaient des débats légitimes sur le rôle de l’État, sur la place des start-up, sur le NewSpace, sur l’intérêt d’établir un géant européen. Nous avons évoqué ces questions sans tabou, en essayant de déterminer la juste place de la puissance publique dans ce secteur. Nous émettons, au terme de nos travaux, cinquante-huit propositions qui sont très largement communes, tant nous avons travaillé en bonne intelligence. Nous partageons en effet l’essentiel des constats et des recommandations, et ne divergeons que sur quelques points qui vous sont signalés dans le rapport.

Je m’attarderai en premier lieu sur le sujet du pilotage du secteur, car il est essentiel. Il est assuré par au moins quatre acteurs institutionnels : le CNES, l’ESA, la Commission européenne et l’agence de l’Union européenne pour le programme spatial (Euspa). Or, la répartition des missions et la coordination entre ces organes s’avèrent particulièrement complexes et fragmentées. Pour y apporter de la clarté et de l’efficacité, il nous semble qu’il conviendrait de recentrer l’ESA sur son rôle de coordination technique, tel qu’il est prévu par son mandat. À l’agence de la Commission européenne devrait revenir la définition de la politique européenne. Le rôle de l’Euspa devrait se limiter strictement à la gestion des services spatiaux à usage civil.

Quant au CNES, il est et il doit rester le principal acteur de la politique spatiale française. Il est placé aujourd’hui sous la tutelle conjointe de trois ministères : les ministères de l’économie et les finances, des armées et de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le CNES a progressivement élargi ses missions en tant qu’agence scientifique et technique, opérateur de la défense et acteur économique. Or, il nous semble que la diversification de ses missions ne doit pas s’effectuer au détriment de son rôle historique de centre technique et d’agence de pilotage de la politique spatiale. Cette dernière mission demeure indispensable, pour définir la stratégie des missions spatiales et fournir une expertise technique aux entreprises. Nous appelons donc, à l’occasion de la nomination récente de son président par le président de la République, à réaffirmer le mandat triple du CNES comme agence scientifique et technique d’abord, opérateur de la défense ensuite, et acteur économique enfin. Un mandat plus clair apportera une meilleure organisation interne et une plus grande complémentarité entre les activités.

Enfin, les budgets du spatial doivent être rehaussés. La France doit porter une hausse du financement de l’ESA en novembre prochain, lors de la conférence interministérielle qui décidera du budget des trois prochaines années.

Mme Corinne Vignon, rapporteure de la mission d’information sur « Les satellites : applications militaires et stratégies industrielles ». Mes chers collègues, sans revenir sur les questions de méthode qui ont été parfaitement exposées par mon collègue Arnaud Saint-Martin, je souhaite, avant de débuter mon propos, remercier notre président de commission Jean-Michel Jacques, qui nous a permis d’allonger le temps habituellement imparti pour une mission flash, afin d’approfondir les aspects industriels du secteur satellitaire que je vais vous présenter et qui, en tant que Toulousaine, me tiennent particulièrement à cœur.

La France est présente sur l’ensemble de la chaîne de valeurs du spatial avec des maîtres d’œuvres tels qu’ArianeGroup, Thales Alenia Space (TAS), Airbus Defence and Space (ADS), des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des petites ou moyennes entreprises (PME) et des start-up. Cela représente un marché de 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui emploie 70 000 personnes. L’écosystème toulousain, où la mission s’est rendue en février 2025, représente à lui seul 25 % de l’emploi européen dans le spatial.

Les industriels nationaux, spécialisés, sont aujourd’hui confrontés à des difficultés majeures dans un contexte d’effondrement du marché institutionnel du satellite géostationnaire. Le marché accessible se réduit pour les Européens alors que le risque, jusqu’ici porté par les agences, se déplace vers les entreprises. On assiste en même temps au développement du spatial commercial, incarné par les start-ups du NewSpace à vocation de service et à financement public-privé.

Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space subissent cette mutation du marché du satellite et ont annoncé des plans de transformation incluant des suppressions de postes : 394 chez ADS et 976 chez TAS. Ces deux entreprises en concurrence frontale s’affrontent en menant une guerre des prix, jusqu'à la vente à perte. C’est notamment le cas sur leurs satellites reconfigurables en orbite, OneSat pour ADS et Space Inspire pour TAS, qui sont des objets remarquables de technicité mais qui ont accéléré leurs déboires financiers.

Le dialogue social des plans de transformation engagés par ces deux entreprises semble visiblement moins apaisé chez TAS que chez ADS. L’intersyndicale de TAS observe une forte dégradation de la qualité de vie au travail et un manque de clarté dans le déploiement du plan de départs. Dans ce contexte, il semble important que l’État, qui détient une participation indirecte dans Thales Alenia Space, s'assure qu’une politique d’accompagnement et de formation soit mise en place pour certifier la requalification des salariés au sein du groupe. Nous souhaitons également que les industriels prennent l’engagement que les restructurations en cours n’aboutiront pas à une diminution de l’effort de recherche et développement.

Il me faut dire un mot du projet Bromo à horizon 2026 et encore à l’étude, visant à fusionner Airbus, Thales et Léonardo pour créer un champion du spatial. Alors que l’avant‑projet aurait été déposé à la Commission européenne en 2025, le projet se heurte a priori au risque de position dominante sur le marché. Une étude du cabinet Syndex souligne qu’une entreprise commune permettrait de réduire les risques de l’activité spatiale et de soutenir la recherche. Toutefois, la fusion d’ADS et de TAS entraînerait très probablement la suppression de doublons des infrastructures (salles blanches, moyens d’essai, moyens d’intégration), une nouvelle vague de suppressions de postes, voire la disparition d’un site français.

Sur ce projet, nous avons, avec mon co-rapporteur, des approches sensiblement différentes. J’estime pour ma part que la création d’un champion français aurait du sens afin de stopper l’affrontement commercial entre ADS et TAS et d’établir un adversaire de taille face à la domination de SpaceX. Toutefois, un certain nombre de précautions devront être prises, tenant notamment à la pérennité des sites industriels et à la limitation des départs contraints. Pour sa part, mon collègue Arnaud Saint‑Martin préconise de demander à la direction générale des entreprises (DGE), au ministère des armées et à celui de l’enseignement supérieur et de la recherche d’examiner les conséquences sociales, industrielles, économiques et opérationnelles de la fusion et, en cas d’avis défavorable, de s’y opposer.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. J’en viens à présent à la politique de soutien au secteur spatial. Elle a pris la forme, en particulier, du volet spatial du plan France 2030, mis en œuvre par la direction générale des entreprises et doté d’1,5 milliard d’euros. Ce plan avait pour priorité affichée de rattraper le retard sur les segments émergents du spatial et d’investir dans les nouveaux usages. Il s’agissait ainsi de mieux adapter le marché français à la concurrence internationale.

Si le principe d’un tel plan, combinant un soutien financier et des appels d’offres publics, est salué par tous, il n’a constitué dans les faits qu’une réponse partielle, et il nous semble que le bilan que l’on peut en tirer est mitigé. On peut regretter notamment l’absence de choix clairs de France 2030 sur un projet de mini-lanceurs, ce qui a mené à soutenir quatre projets concurrents. Le terme de « saupoudrage » est ainsi revenu régulièrement lors des auditions.

La stratégie d’ensemble du plan doit également être questionnée, France 2030 ayant favorisé la fragmentation de la filière sans renforcer la complémentarité entre les industries de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et les PME. Le pilotage centralisé et sous forme d’appels d’offres compétitifs a avantagé les industriels majeurs et les start-up de la BITD, au détriment des PME et des ETI. Pour les futurs appels d’offres qui résulteront de la nouvelle stratégie spatiale nationale, nous recommandons d’assurer l’allotissement pour favoriser les PME et les ETI.

Les entreprises que nous avons interrogées ont par ailleurs regretté le manque de visibilité pluriannuelle sur la commande publique à la suite du plan France 2030 et de la loi de programmation militaire (LPM) de 2023. C’est pourquoi nous appelons aujourd’hui à assurer en priorité la mise en œuvre effective des projets inscrits dans la loi de programmation militaire. L’État doit faire des choix clairs en faveur de secteurs dont l’intérêt stratégique ou économique est bien identifié.

Je souhaite enfin aborder la question des défis soulevés par l’augmentation exponentielle du nombre de satellites en orbite. Le nombre de débris spatiaux en orbite n’a cessé de croître depuis le début de l’ère spatiale et a été multiplié par trois en quinze ans. Pour l’illustrer, voici une vidéo de l’ESA qui recense les objets en orbite par taille et montre l’encombrement de l’orbite.

Une vidéo est diffusée.

On dénombre 10 000 objets de plus de dix centimètres et jusqu’à un million de plus d’un centimètre. L’inflation de débris force les opérateurs de satellites à effectuer de plus en plus de manœuvres d’évitement. La saturation de l’orbite rend plausible l’hypothèse d’un effondrement généralisé à la suite de collisions en chaîne, dit « syndrome de Kessler ».

Pour répondre à ce défi, il est indispensable, d’une part, de renforcer la surveillance de l’orbite basse et, d’autre part, de sécuriser celle-ci. La France a développé des outils pionniers en matière de gestion des déchets spatiaux. Des entreprises privées commencent à investir ce champ. Une filière française ou européenne de gestion des débris orbitaux pourrait donc être mise en place, avec des potentialités élevées à l’export. Il s’agit d’une piste prometteuse que nous invitons à explorer.

Il importe aussi, dans le cadre du déploiement de la constellation européenne Iris², d’être particulièrement attentifs aux conséquences environnementales et aux déchets générés. Plus généralement, le cadre normatif existant doit être renforcé. Au‑delà du traité sur l’espace de 1967, la France a été précurseur dans ce domaine avec sa loi de 2008 sur les opérations spatiales. Nous appelons ainsi à porter, dans les futures négociations au Conseil de l’Union européenne, une position ambitieuse pour la future loi spatiale européenne en vue de généraliser le cadre français et d’imposer des normes strictes en matière de durabilité et de gestion des débris. L’enjeu consiste à promouvoir un modèle spatial plus vertueux, en garantissant la sécurité en orbite et le respect du droit international. Au niveau multilatéral, nous appelons à réaffirmer les principes d’usage pacifique et à défendre un déploiement raisonné des constellations. À cet effet, nous proposons la signature d’une convention internationale sur les débris ou la création d’une agence intergouvernementale du spatial. La France a les moyens d’incarner un nouveau modèle du spatial.

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Je terminerai notre présentation en évoquant les aspects spécifiquement militaires du satellitaire. Ils sont fondamentaux. L’espace extra‑atmosphérique s’est transformé en quelques années en une véritable zone de conflictualité au point que l’on parle aujourd’hui « d’arsenalisation » de l’espace. On sait que plusieurs pays ont démontré leur capacité à effectuer des tirs, sur leurs propres satellites pour l’instant. L’épisode du satellite russe venu « butiner » auprès de l’un de nos satellites militaires de télécommunications est également connu. Le conflit russo-ukrainien témoigne abondamment de cette militarisation de l’espace : dès le 24 février 2022, les forces russes ont déclenché une attaque cyber contre un réseau satellitaire utilisé par les forces ukrainiennes.

Le spatial de défense est d’abord crucial pour nos industriels. Le spatial de défense occupe une place importante en Europe : il donne de la visibilité à l’industrie et permet de guider la commande publique. À ce titre, il est indispensable d’exécuter les financements de 6 milliards d’euros prévus dans la loi de programmation militaire, dans les temps. Il s’agit d’un plancher décrit comme vital pour le secteur.

Pour nos armées, le secteur spatial offre des capacités de commandement, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, indispensables à qui veut conquérir la supériorité militaire. Cela sera encore plus vrai demain : le combat du futur sera remporté par celui qui aura la maîtrise de l’espace et qui, grâce à elle, aura le temps de latence le plus réduit entre l’établissement de la situation et le déclenchement du feu.

La France a fait preuve d’une grande clairvoyance puisqu’elle a pris acte très tôt de ces évolutions, en publiant dès 2019 sa stratégie spatiale de défense, concomitamment à la création du Commandement de l’espace. Les satellites français remplissent aujourd’hui trois grandes missions : l’observation (constellation CSO, avec CSO-3 lancé en février), la détection (satellites de renseignement électromagnétique CERES) et la télécommunication (système Syracuse IV). À cela s’ajoute la surveillance avec le radar au sol GRAVES.

Pour prendre en compte les bouleversements stratégiques induits par l’accélération des technologies spatiales, nous émettons une série de recommandations, et nous souhaitons qu’elles puissent inspirer la nouvelle stratégie spatiale nationale, en cours de préparation, qui devrait être rendue publique dans les prochaines semaines.

En ce qui concerne l’appui spatial aux opérations, il faut absolument éviter tout retard dans le renouvellement des systèmes militaires spatiaux qui arriveront prochainement à échéance. Je pense au remplacement de CERES par CELESTE, de CSO par Iris², de Syracuse IV et du successeur de GRAVES, AURORE. Nos armées doivent aussi être en capacité d’utiliser le système européen Galileo PRS à la place du GPS, en étant dotées de récepteurs adaptés.

S’agissant de l’action dans l’espace, il est indispensable d’assurer la protection des moyens spatiaux français, en lançant sans tarder les satellites patrouilleurs démonstrateurs Yoda puis Toutatis, et en développant la constellation Egide.

La France doit par ailleurs investir plus fortement la partie haute de l’espace aérien, dite de la très haute altitude (THA), compte tenu de son exploitation croissante dans le domaine militaire par ses compétiteurs stratégiques. En particulier, la mise en place d’un système spatial d’alerte avancée, au moyen de quelques satellites d’alerte avancée munis de capteurs à infrarouge, permettrait de surveiller cette zone depuis l’espace et ainsi de mieux caractériser la menace balistique, qu’il s’agisse des missiles balistiques proprement dits ou des armes hypersoniques. Il s’agit aussi de surveiller les rentrées atmosphériques, qui posent des risques croissants pour les populations.

Enfin, le développement d’une constellation indépendante pour les communications duales constitue un enjeu à la fois civil et de défense. Le projet de constellation Iris² a ainsi pour objectif de fournir une infrastructure sécurisée de communication par satellite, en particulier à destination des gouvernements et des organisations critiques en Europe. Ce projet de constellation de connectivité en orbite basse revêt une importance considérable pour l’autonomie stratégique européenne, à l’heure où le monde est marqué par l’essor de méga‑constellations de dizaines de milliers de satellites, américaines et chinoises, et où le besoin en connectivité n’a jamais été aussi fort.

Si la constellation Iris² n’a pas à ce stade d’utilité pour le renseignement militaire, elle présente en revanche un intérêt majeur pour les télécommunications des forces armées. À plus long terme, il importe que des efforts d’innovation permettent d’ajouter au système Iris² des capacités d’observation militaire, comme le font les Américains sur Starlink avec Starshield.

Ici encore, un certain nombre de garanties doivent être assurées, et nous y insistons dans le rapport. Il faut en particulier veiller à garantir l’interopérabilité d’IRIS² avec le système Syracuse et veiller à sa mise en place opérationnelle au plus tard en 2030 afin de ne pas laisser s’installer un trou capacitaire dans le système français de télécommunications spatiales. Dans le contexte du développement de la guerre électronique, la constellation IRIS² doit par ailleurs être dotée de capacités de cyber-résilience élevées.

Chers collègues, nous nous sommes efforcés de résumer de manière synthétique l’essentiel de nos conclusions et de nos recommandations, sur un sujet particulièrement vaste, à la jonction du civil et du militaire, de l’économique et du technique, et qui mêle les dimensions nationale, européenne et internationale. Nous sommes désormais prêts à répondre à vos questions.

Mme Sabine Thillaye, présidente. Votre travail démontre que nous assistons, comme souvent, à un saupoudrage, au niveau national comme au niveau européen. À ce sujet, une clarification des compétences entre les différents acteurs semble essentielle. Chaque État membre de l’UE dispose par exemple de sa propre agence spatiale, ce qui contribue à compliquer les relations.

Au-delà, ces enjeux ne peuvent être envisagés en silos, compte tenu de la jonction du civil et militaire. De nombreuses questions demeurent, à l’instar de la fusion entre Airbus, Thales et Leonardo, sur laquelle les rapporteurs émettent des avis divergents. En outre, il est sans doute nécessaire que la Commission européenne modifie son approche, jusque-là centrée sur la position dominante, en la faisant évoluer vers la manière dont nous pouvons assurer notre compétitivité.

Enfin, la sécurité de l’espace constitue un sujet très important, notamment à travers l’enjeu des débris, déjà très nombreux en orbite basse. Vous évoquez à ce titre la nécessité d’une convention internationale plutôt qu’une simple loi européenne, mais des solutions techniques existent-elles également ?

M. Frank Giletti (RN). Votre rapport pose une question fondamentale : la France veut-elle encore être une puissance spatiale militaire à part entière ou accepte‑t‑elle de glisser lentement vers une dépendance stratégique ? Je rappelle que notre programme spatial est né d’un impératif de souveraineté. Il nous faut aujourd’hui réinterroger avec lucidité ce lien historique entre l’espace, la dissuasion nucléaire et l’indépendance nationale.

Si notre passé est glorieux, notre présent est beaucoup plus préoccupant. Nous sommes la seule nation européenne à disposer d’une capacité de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), avec la constellation CERES. Nos satellites d’observation d’optique CSO sont d’excellente facture et le premier vol d’Ariane 6 a enfin eu lieu début 2025, après des années de retard. Mais la simple suspension de ce lancement, faute de lanceurs disponibles, dit beaucoup de notre vulnérabilité. À cela s’ajoute une faiblesse chronique : la France ne dispose toujours pas de satellites radar militaires souverains, alors que cette technologie est indispensable à toute observation et que plusieurs de nos partenaires, y compris européens, en sont déjà dotés.

Si nous nourrissons l’ambition d’être une nation cadre dans l’espace, il nous faut développer une capacité à agir dans ce milieu. Pendant ce temps, la compétition mondiale s’accélère: les États-Unis, la Chine, la Russie, mais aussi des acteurs privés, expérimentent, lancent, adaptent à une cadence qui relègue nos processus d’acquisition et notre gouvernance à une forme d’âge industriel.

Ces événements interviennent malgré la vitalité de notre écosystème. Le secteur privé innove, des start-up comme Unseenlabs offrent des services performants, et pourtant, l’État reste toujours prisonnier de sa propre inertie. Quelles ruptures concrètes proposeriez‑vous au gouvernement pour sortir de ce paradoxe ? Comment faire en sorte que la France cesse de se comporter comme une puissance spatiale sur le déclin alors qu’elle a les moyens de faire autrement ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Vous comprendrez que nous ne sommes pas entièrement d’accord. La France a fourni énormément d’efforts sur le spatial, mais il est exact que l’époque du géostationnaire se termine et que nous vivons une phase de transition. Les États-Unis ont pris une avance considérable, y consacrant des investissements très conséquents, dont Elon Musk a d’ailleurs largement bénéficié.

Ensuite, il est exact que la France ne dispose toujours pas de satellites radar, mais doit-elle les produire elle-même ? Ne peut-elle pas s’appuyer sur ses partenaires européens, par exemple les Espagnols, qui sont assez forts dans ce domaine, les Allemands, les Italiens ? Nous ne pouvons pas être compétiteurs numéro un dans tous les secteurs.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Dans ce domaine, nos positions divergent. J’estime pour ma part que la souveraineté en matière spatiale n’a pas de prix, qu’il faut lourdement investir, car nous avons été défaillants pendant trop longtemps. Nous avons ainsi assisté sans réagir, et parfois avec un certain mépris, à la montée en puissance de certains acteurs, à l’instar de SpaceX dans les années 2000. Au fur et à mesure, nous avons bien été forcés de constater qu’un modèle économique particulièrement agressif s’est imposé, largement encouragé par la puissance publique aux États-Unis.

Nous sommes confrontés à une forme de déclassement, qui se traduit objectivement, sous la forme d’une rupture de service intolérable sur le front du lancement, comme en témoigne l’exemple d’Ariane 6. Cette rupture de service a également été provoquée par les politiques mises en place, la privatisation d’Arianespace, dont il faudrait évaluer la portée et les conséquences, puisqu’elle s’est traduite par un retard dans le programme.

Au-delà, je considère que nous devons conserver le contrôle de la gamme de services satellitaires et donc investir lourdement. Je pense notamment au radar, au Space Situational Awareness (SSA). Nous devons disposer de moyens de contrôle au sol pour avoir une capacité autonome d’observation, quand nous dépendons aujourd’hui des données américaines, d’autant plus dans cette période d’hégémonisme américain particulièrement agressif, qui se manifeste par la convergence entre Donald Trump et Elon Musk, laquelle m’inquiète particulièrement.

Je prône un pilotage conscient, qui arbitre entre les moyens et les fins, optimise sa diversification sur tous les secteurs. Je suis donc favorable à une augmentation des budgets et une insertion raisonnée dans les coopérations internationales, y compris au niveau européen.

M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Je tiens à féliciter nos rapporteurs pour la très grande qualité du travail qu’ils ont accompli. L’espace s’est transformé en quelques années en une zone de conflictualité comme une autre, ce qui a conduit à l’Alliance atlantique, lors de son sommet à Londres en décembre 2019, à reconnaître le milieu exo‑atmosphérique comme un milieu militaire opérationnel à part entière, à l’instar des milieux terrestres, aériens, maritimes et cyber.

Nous observons une implication grandissante des États-Unis, de la Chine, de la Russie, pour arsenaliser l’espace, par le déploiement de satellites offensifs. La multiplication des manœuvres hostiles lors de la guerre en Ukraine a également montré avec acuité que l’usage des satellites est devenu indispensable en appui des forces conventionnelles. La France avait d’ailleurs été parmi les premiers États à prendre acte de ces évolutions, d’abord avec sa stratégie, publiée en 2019, puis dans la LPM que nous avons votée en 2023. Le renforcement des capacités spatiales constitue aujourd’hui un impératif pour l’armée française si elle veut pouvoir répondre souverainement aux enjeux du combat du futur.

La France possède de nombreux atouts. Nous saluons le lancement d’Ariane 6 malgré quelques retards et nous disposons de grands champions, dont ADS et TAS dans le domaine du géostationnaire. Mais ce secteur évolue très rapidement et des ruptures technologiques s’accélèrent.

À quelques semaines du dévoilement de la nouvelle stratégie française satellitaire, quelles sont les priorités absolues qui s’imposent en matière de capacités militaires pour le secteur de la défense ? Je pense notamment aux mini-lanceurs et aux petits satellites agiles sur la très haute altitude. Enfin, en tant que rapporteur du programme 146, je suis très vigilant sur l’application de la LPM, et notamment des 6 milliards d’euros que vous avez évoqués.

Mme Corinne Vignon, rapporteure. CERES et CELESTE sont les « oreilles » de la France quand CSO et Iris² constituent ses « yeux ». Le système européen Galileo PRS est essentiel, puisque nous devons disposer d’un système très robuste contre les brouillages, quand l’armée française utilise aujourd’hui le GPS. En attendant Iris², il sera nécessaire d’utiliser et de renforcer les bandes passantes de OneWeb, une constellation basse de 600 satellites gérés par Eutelsat. Les patrouilleurs sont par ailleurs essentiels pour protéger nos objets dans l’espace. Le démonstrateur Yoda, prévu pour 2023, ne sera finalement pas déployé avant 2027 ; Egide devrait l’être en 2029-2030. Ensuite, tout commence au sol : les équipements au sol sont ainsi cruciaux pour la gestion de l’intelligence à bord et doivent à ce titre faire l’objet d’un effort particulier.

S’agissant de la très haute altitude, nous proposons de développer les ballons stratosphériques, comme les ballons Stratobus développés par TAS. Sachez par exemple que sept ballons permettent de surveiller l’ensemble de la Méditerranée. Les militaires nous ont par ailleurs indiqué qu’ils auraient peut-être besoin de mini‑lanceurs pour pouvoir un jour effectuer des lancements depuis la métropole. Dans ce cadre, il faudrait envisager des bases mobiles, sur des camions.

Au-delà, il est nécessaire de réaliser des choix stratégiques, par exemple sur les antennes plates, la miniaturisation, l’analyse des images. Ces dernières sont nombreuses et nous manquons aujourd’hui de systèmes pour les analyser.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Je partage en grande partie ces propos, mais demeure plus sceptique sur les mini-lanceurs portatifs. J’insiste par ailleurs sur l’importance de l’observation au sol. À ce titre, il convient de rationaliser les investissements. Plusieurs start-up se sont positionnées sur ce segment, dans une logique similaire, impliquant des investissements, des tests, des démonstrateurs. Mais nous avons surtout besoin d’opérationnalité. La diversification des capacités s’est parfois déroulée de manière irrationnelle. On aurait pu prévenir certaines redondances par une planification ajustée à des finalités correctement alignées. En résumé, il faut dépasser le stade de la démonstration et je préconise de réinternaliser les technologies au sein du Commandement de l’espace bientôt opérationnel, pour en faire une capacité critique souveraine, bien contrôlée par des ingénieurs.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je vous remercie à mon tour pour votre travail, vos cinquante-huit propositions. J’espère que le gouvernement les prendra en compte pour la construction de sa stratégie spatiale. Vous mettez en lumière un domaine qui est cher à La France Insoumise et dont l’importance n’est plus à démontrer, dans les domaines du renseignement, de la communication, de la dissuasion, de l’action humanitaire et de la coopération.

Ces dernières années, nous avons pu à la fois nous vanter de beaux succès, mais en même temps regretter des formes de naïveté, de demi-mesures, d’abandons. Je pense en particulier au cas de OneWeb, où il a fallu attendre plusieurs années avant de se décider à opérer un rachat. Je rappelle également que les Allemands n’ont pas respecté les accords de Schwerin, nous conduisant à nous retrouver dépourvus en matière de satellites radar. De même, il a fallu vendre les participations dans Argos, un système qui fonctionne encore très bien et qui est rentable, pour pouvoir financer Kinéis. Un autre défi concerne l’avenir du Centre spatial guyanais, dans la mesure où le réchauffement climatique à l’horizon de vingt‑cinq ans rendra la vie en Guyane probablement très compliquée.

Quelles sont les conditions à respecter afin que le projet Bromo soit réellement acceptable ? Par ailleurs, dans votre rapport, vous ne défendez pas le principe du retour géographique classique et vous pointez le « fair return ». Pouvez-vous préciser votre propos ? Enfin, à quoi ressemblerait l’organe interministériel que vous évoquez dans la proposition 34 ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Je suis persuadée de la nécessité de disposer d’un champion français. Le problème du projet Bromo est peut-être lié à la réaction de l’opérateur allemand OHB, qui se manifestera certainement. Il est d’ailleurs question d’une union d’OHB avec d’autres sociétés pour verticaliser la production. Il convient de faire attention à ne pas substituer la compétition entre ADS et TAS par une autre, entre Bromo et OHB. Les doublons portent le risque de multiplier les infrastructures et d’entraîner une casse sociale

La question du fair return est essentielle : aujourd’hui, on donne des projets à ceux qui versent de l’argent, indépendamment de leurs compétences propres. Ce faisant, cela permet certes d’améliorer la compétence de nations qui ont besoin d’amplifier leur technologie, mais pour la France, cela est peu utile.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Pour revenir sur le projet Bromo, j’ai écouté les organisations syndicales, qui sont très inquiètes. Elles relayent la souffrance d’une grande partie des salariés, qui déplorent une perte de sens de leur activité. Cette souffrance doit être entendue. J’ajoute que cette consolidation est pilotée par des banques d’affaires, notamment américaines, ce qui pose également question. Les salariés regrettent la mise en concurrence permanente et prônent plutôt la coopération, la mutualisation intelligente. Je parie sur l’intelligence des industriels qui peut leur permettre, par moment, de monter des projets ensemble. Ce genre de stratégie a longtemps été vertueux et a été rendu possible par les mécanismes du fair return de l’ESA. Je suis favorable à la sanctuarisation de ce type de financements, car ils permettent de garantir des formes de coopération optimale entre ces acteurs qui peuvent par moment fédérer leurs efforts pour produire des infrastructures qui ont du sens et qui sont correctement gérées.

J’alerte donc sur les dangers de ce projet, qui se développe dans la plus grande opacité, dans les coulisses du pouvoir. En tant que parlementaires, nous sommes censés contrôler les engagements publics, mais nous ne disposons que de très peu d’informations. J’insiste sur la nécessité de mener un audit implacable des éventuelles conséquences de ce regroupement. S’il s’avère négatif, comme je l’imagine, il faudra massivement s’opposer au projet.

Par ailleurs, nous entendons aujourd’hui une petite musique qui consiste à prôner la fin de l’européanisation par l’ESA, au prétexte d’une plus grande « souplesse », d’une plus grande « agilité » des financements. Je m’y oppose : l’ESA permet au contraire de garantir une forme de planification. Les négociations sont parfois compliquées, mais elles s’inscrivent dans un cadre lisible : les mécanismes sont connus par tous, les gouvernements abondent et des programmes additionnels interviennent parfois. En conséquence, chaque pays peut aussi peser sur certains types de financement qui dépassent la simple question du retour géographique.

Nous avons besoin de l’ESA, qui est un outil essentiel de la diplomatie spatiale et dont le siège est à Paris. Nous avons donc intérêt à la maintenir, particulièrement à l’heure de cette crise du satellite. Se pose ensuite la question de la gouvernance de tous ces acteurs, mais il s’agit d’un autre sujet.

Mme Marie Récalde (SOC). Je salue à mon tour le travail des rapporteurs, qui honore notre commission. Madame Vignon, vous indiquez que lors de vos échanges avec les industriels de la filière, ceux-ci ont considéré que les 6,4 milliards d’euros sur six ans constituaient un plancher indispensable. Il s’agit là d’une idée que nous partageons tous. Dans l’hypothèse où la LPM serait révisée, pensez-vous que l’effort devrait être amplifié et accéléré ? Quelles seraient les priorités envisageables, voire souhaitables, selon vous ?

Votre proposition 29 recommande le développement de moyens de lancement nouveaux, peut-être mobiles, ainsi que des capacités en métropole. Il s’agit là d’une logique de résilience bienvenue, qui s’inscrit dans des démarches engagées, mais ne pourrait-on pas également renforcer les infrastructures existantes, qui constituent un point de faiblesse important du système français, voire européen ? Nous ne disposons que d’un pas de tir pour Ariane et pour Vega, à l’heure actuelle. Ne faudrait-il pas a minima doubler ces structures, afin de renforcer nos capacités de lancement ou alors développer des pas de tir en Europe ? Que pensez-vous des lanceurs réutilisables ?

Enfin, vous évoquez un consensus autour du principe d’une répartition entre capacités spatiales patrimoniales, partenariales et commerciales. À ce titre, vous mentionnez un triptyque qui paraît intéressant dans votre proposition 32. Quelle répartition dans ce triptyque vous paraît-elle pertinente et quelle priorité devrait-elle être accordée à la souveraineté dans ce cadre ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. S’agissant de la LPM, il me semble essentiel d’amplifier les éléments qui ont été réservés au spatial et de tenir la ligne des 6 milliards d’euros. J’ajoute que le ministre des armées a réaffirmé récemment l’importance du spatial. Ensuite, la rénovation du centre de Kourou en Guyane est peut-être nécessaire, mais nous n’avons pas besoin de pas de tir supplémentaires, compte tenu notamment de leur coût unitaire, de l’ordre de 800 millions d’euros, et surtout de la programmation sur Ariane, qui ne prévoit qu’une dizaine de tirs.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Il faut tenir compte des besoins, qui peuvent évoluer très rapidement. Il est ainsi nécessaire de s’adapter à la diversification des usages militaires de l’espace que nous connaissons aujourd’hui, en optimisant les ressources, dans le cadre d’un budget contraint. Comme nous l’avons déjà souligné, il faut renforcer les segments sols, afin de sécuriser les plateformes envoyées en orbite, dans la mesure où les satellites deviennent des infrastructures critiques.

La proposition 32 est issue de discussions sur la manière de contractualiser avec certaines start-up qui proposent des prestations qui se limitent pour le moment à la démonstration. Or sur certains produits déjà potentiellement opérationnalisés, il convient de contracter, voire internaliser, ces compétences. À certains moments, la tripartition ne doit pas exister ; il faut uniquement considérer l’aspect patrimonial sur certaines capacités militaires, notamment le segment sol. À ce titre, je suis avec un grand intérêt la montée en puissance du CDE à Toulouse, qui ouvrira ses portes bientôt. En outre, au-delà des capacités, il faut renforcer les ressources humaines allouées à ces services cruciaux.

Enfin, il est évidemment nécessaire de renforcer le Centre spatial guyanais (CSG) et de l’adapter aussi aux contraintes du changement climatique, même s’il n’apparaît pas nécessaire de construire un nouveau pas de tir, qui ne correspondrait pas à nos besoins. Cette infrastructure est idéalement placée sur le plan géographique ; protégeons-la et ouvrons-la par moment à des partenaires – comme c’est déjà le cas avec l’ESA – pour faire en sorte qu’elle soit à la fois utile et durablement utilisable.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Le spatial constitue pour notre pays un enjeu à la fois technologique et industriel, mais aussi un enjeu stratégique majeur en termes de sécurité et de souveraineté. Avez-vous pu établir un benchmark ou une analyse des capacités qui sont les nôtres et que nous serions capables d’acquérir face à notre dépendance américaine ?

Lors de son intervention devant notre commission, M. David Cvach, représentant de la France à l’OTAN, avait très justement fait remarquer que l’OTAN nous apportait les fameux enablers et que parmi ceux-ci, le spatial était absolument crucial. Dans ce domaine, qu’avons‑nous, que nous manque-t-il et que nous pouvons acquérir ?

Par ailleurs, nous n’avons pas de capacités satellite radar aujourd’hui. Considérez‑vous les satellites radar par rapport à une cartographie opérationnelle ou par rapport à l’alerte avancée ? Comment pouvons-agir dans ce domaine ?

Enfin, puisque nous sommes ici à la charnière entre le stratégique et l’économique, avez-vous été conduits à examiner le paysage des différents fonds de capital‑risque et des start-up qui éprouveraient des difficultés à se financer ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Nous n’avons pas eu le temps de conduire un benchmark sur l’analyse de nos capacités, mais avons dressé dans le rapport un état des besoins. Ensuite, il nous manque effectivement des satellites radar d’alerte avancée.

S’agissant des start-up, nous avons rencontré l’alliance NewSpace, qui nous a indiqué que les difficultés intervenaient dans la deuxième phase, après les subventions, lorsqu’il s’agit de lancer les démonstrateurs. Nous demandons une analyse des start‑up qui ont reçu de l’argent grâce à France 2030, afin de déterminer des priorités en faveur de celles qui ont dépassé le stade de la « recherche et développement » et sont réellement prêtes.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Nous n’avons pas mené de benchmark, mais nous savons qu’il est implicite : nous souffrons de grandes fragilités sur l’imagerie terrestre, où nous sommes largement dépendants du gouvernement des États-Unis et de prestataires américains, notamment privés, qui ont fortement profité de financements fédéraux, à l’instar de Planetlab ou de Spire Global. Il faut d’ailleurs souligner que ces start‑up ne sont pas aujourd’hui rentables. Nos dépendances portent également sur les radars et le SSA. Si nous ne sommes pas autonomes pour regarder ce qui se passe autour de nous, comment pouvons-nous objectiver les problèmes ? Nous devons donc investir sur ces fronts.

Le capital-risque est un serpent de mer en Europe ; il existe un fantasme du financement privé plus ou moins spéculatif. Certains aimeraient que la situation soit semblable à celle de la Silicon Valley, mais tel n’est pas le cas : les guichets sont globalement publics et les acteurs très identifiés. Nous devons réfléchir de manière rationnelle, car nous ne disposons pas d’un écosystème d’industrie financière correspondant à ce qui est pratiqué aux États-Unis.

En conséquence, il faut plutôt rationaliser la dépense publique et enjoindre les entrepreneurs à répondre par moments à la commande. Je suis à ce titre très critique du segment des micro-lanceurs, car nous aurions pu anticiper des échecs depuis longtemps. Désormais, il faut nous attendre à des consolidations et conduire une réflexion proprement politique sur les modes de financement de la technoscience militaire en France. Nous devons mener un travail sur nous-mêmes, y compris politiquement, pour mettre à distance des modèles culturels qui ne sont absolument pas les nôtres en termes de financement de la recherche militaire.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Je vous remercie pour ce rapport au contenu très dense, parfois très technique. J’estime que nous devons aider nos concitoyens à comprendre que le bon usage des satellites, le bon usage de l’espace, touche en réalité leur vie quotidienne et que les milliards investis dans la filière, dans les communications, constituent en réalité un intérêt vital.

Ce n’est qu’en 2019 que l’armée de l’air est devenue l’armée de l’air et de l’espace. Vous avez surtout évoqué la concurrence des Américains dans ce domaine, mais, pour ma part, j’ai beaucoup entendu parler des Chinois et des Russes. Face ces pays, nous ne pourrons pas assurer notre résilience et nous défendre seuls. Il convient donc de mettre en œuvre une véritable stratégie et de se demander si elle peut intervenir uniquement à l’échelle de notre pays ou si elle ne doit pas plutôt être établie à l’échelle européenne.

Enfin, je suis très sensible à la gestion des déchets dans l’espace. Il s’agit en effet pour moi d’un facteur d’accidents potentiels à répétition, qui risquent de mettre en péril l’ensemble du système. Vous parlez de l’établissement d’une espèce de charte de droit international, mais est-ce possible à l’heure où plus aucun accord international n’est respecté et où la loi du plus fort prévaut ? Comment y parvenir ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Vous avez raison d’évoquer les Russes et les Chinois. La constellation Guowang prévoit ainsi de lancer des milliers de satellites. Les menaces géostationnaires sont immenses, puisque les patrouilleurs russes et chinois cartographient les radars sol, et absorbent toutes les informations. Je pense notamment aux satellites butineurs russes de la famille Luch Olymp qui ont espionné le satellite de communications militaires Athena-Fidus. En orbite basse, nous pouvons également citer les satellites russes Cosmos, qui effectuent des brouillages électromagnétiques. À titre d’exemple, CERES peut être brouillé, raison pour laquelle nos patrouilleurs sont essentiels.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Il est exact que les usages du spatial sont tellement banalisés, par exemple dans nos smartphones, à travers la consultation du GPS, de la météo, que nous ne les voyons plus. Nous devons donc surinvestir dans la sécurisation de ces infrastructures, devenues banalement critiques.

Nous avons auditionné des spécialistes du spatial commercial chinois, qui ont mentionné la prolifération des projets sur le simple front des méga-constellations. Leurs lanceurs sont également de plus en plus lourds, notamment Longue Marche 9. J’ajoute qu’il existe également un programme du CNES en coopération avec la Chine.

Se pose ici la question de notre positionnement dans ce club des puissances spatiales, qui est en cours de réfection face aux alliances qui étaient jusqu’à présent naturelles et banales, notamment avec les États-Unis, et qui nous placent aujourd’hui en difficulté. Je pense notamment au programme Artemis, dans lequel nous avons investi des centaines de millions d’euros, mais qui pourrait être interrompu. Il nous faudra donc diversifier nos coopérations et les anticiper dans le temps long. Je nous invite donc à élaborer une réflexion lucide sur nos coopérations, dans le cadre de la stratégie spatiale nationale. À ce titre, la France est très bien placée, car au cours de notre histoire spatiale, nous avons collaboré avec tout le monde.

Ensuite, je travaille sur la question des déchets spatiaux depuis une dizaine d’années. À l’époque, j’avais formulé l’hypothèse d’un effondrement général du spatial, qui pouvait alors paraître de la science-fiction un peu gratuite. Mais en réalité, lors de l’International Astronautical Congress (IAC) de 2022, j’ai assisté à une conférence de Donald Kessler, spécialiste réputé de la Nasa, lequel a indiqué qu’il s’agissait d’une hypothèse plus que crédible selon lui. Ses contradicteurs répondaient alors que tout allait bien se passer, qu’il fallait continuer à déployer des satellites et qu’il serait possible de moraliser les entrepreneurs de l’espace.

Il existe un problème proprement technique, matériel, physique, d’occupation durable de l’espace. Pour le moment, les entrepreneurs veulent toujours plus se déployer et les agences encouragent ce déploiement. Or aujourd’hui, les différents plans prévoient plusieurs centaines de milliers de satellites, ce qui constitue en soi une menace existentielle. Si nous n’agissons pas de façon rigoureuse et contraignante dans les années à venir, l’environnement spatial continuera à se dégrader. De fait, les collisions commencent à survenir sur certaines orbites, notamment à 800 kilomètres.

Face à ces menaces, la réponse des pouvoirs publics est pour l’instant timide. Il importe donc de réinvestir la diplomatie spatiale multilatérale, à travers des arènes comme le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, le Bureau des affaires spatiales. De nombreux diplomates sont prêts à travailler sur un traité ; mais il faut insuffler une force politique à ce travail.

Mme Sabine Thillaye, présidente. Existe-t-il réellement des solutions technologiques ?

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Il existe des solutions techniques, mais elles relèvent du technosolutionnisme. Elles ne permettent pas véritablement de gérer, mais simplement d’optimiser des manœuvres d’évitement entre satellites. Telle est la situation en 2025. Imaginez bien qu’à l’horizon 2030, quand Iris² sera peut-être opérationnel, celle-ci sera encore plus dégradée. Cette question des débris est désormais prise au sérieux, y compris au plus haut niveau. J’espère que la stratégie spatiale nationale portera des mesures et une ambition en la matière, dans la mesure où les enjeux sont immenses.

Mme Lise Magnier (HOR). Les satellites sont d’une importance capitale, permettant aux États et à leurs armées d’observer et de détecter, de communiquer et donc d’être mieux préparés aux menaces adverses. À l’heure actuelle, 75 % des satellites actifs seraient sous pavillon américain, la Chine et la Russie se hissant sur les deux autres marches du podium.

Il est donc difficile de considérer cette situation comme rassurante, et la rivalité stratégique s’élève à un tel niveau d’intensité que les satellites peuvent désormais directement être menacés de destruction. Il est donc indispensable de les sécuriser. Les satellites patrouilleurs Yoda, chargés de surveiller l’environnement des satellites les plus sensibles et de réagir en cas d’approche étrangère suspecte, prouvent que la France reste dans le jeu de la conquête spatiale.

Votre proposition 57 suggère l’adoption d’une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies afin de réaffirmer l’usage pacifique de l’espace. Cette proposition vous semble‑t-elle aujourd’hui partagée par nos partenaires, au regard du climat géopolitique actuel et du caractère particulièrement concurrentiel de ce secteur entre États ? Sous quels délais devrait-elle être mise en place ?

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Je vous remercie pour cette très bonne question. Aujourd’hui, se banalise l’idée que la militarisation – et encore plus l’arsenalisation – constitueraient l’horizon indépassable de l’occupation de l’espace, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. Cette arsenalisation en cours est ainsi jugée désirable par toutes les puissances spatiales.

À l’heure actuelle, un traité datant de 1967 est encore en vigueur. Très précis, il proscrit le déploiement d’armes de destruction massive nucléaires. Au cœur de la guerre froide, les États-Unis et l’URSS avaient ainsi été capables d’affirmer un usage pacifique de l’espace. Plutôt que d’accréditer l’idée d’une escalade en matière capacitaire dans l’espace, avec des moyens toujours plus offensifs, il s’agirait ainsi d’utiliser des voies politiques et diplomatiques. Nous pourrions ainsi réaffirmer cette pacification qui, selon moi, est fondamentale. Cela nécessite néanmoins de s’équiper d’un point de vue militaire pour peser dans les négociations. À défaut, nous serions cantonnés à n’être que de vulgaires observateurs à distance de ces questions. Je pense donc qu’il y a urgence à agir vite, notamment dans le cadre du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique de l’ONU.

Enfin, s’agissant de la ressource spatiale, un travail normatif, juridique, est réalisé et la France y prend toute sa part. J’échange ainsi avec les juristes qui représentent la France et qui réalisent un très beau travail pour affirmer un non‑alignement diplomatique vis-à-vis de cette escalade particulièrement inquiétante. La France pourrait ainsi être le fer de lance de ce travail normatif.

M. Bernard Chaix (UDR). Le conflit en Ukraine a révélé l’importance capitale des capacités spatiales dans la guerre moderne. Aujourd’hui, le système de communication des Ukrainiens repose essentiellement sur le géant américain Starlink. Son réseau de 7 000 satellites en orbite basse permet à l’Ukraine de piloter ses drones et ses missiles et de sécuriser ses communications dans les zones sinistrées.

Plus important encore, la constellation Starshield, appartenant à Starlink, est composée de satellites dits espions permet à l’armée ukrainienne de bénéficier d’une observation militaire plus précise et en temps réel des mouvements des troupes ennemies. En conséquence, le puissant déploiement des satellites en orbite basse et des 42 000 terminaux, couplés à des capacités supérieures d’observation, font de Starlink un acteur incontournable du conflit.

Votre rapport souligne bien que la France accuse un retard en la matière, ayant fondé son modèle sur les satellites en orbite haute, moins adaptés aux usages militaires, avec une latence importante et une plus grande vulnérabilité face aux interférences. L’urgence consiste donc à rattraper ce retard, à acquérir des capacités de renseignement, mais surtout d’observation militaire plus sécurisée, précise et résistante au brouillage. Dans ce contexte, le programme européen Iris² visant à constituer une constellation en orbite basse, s’avère fondamental pour notre souveraineté spatiale. Son budget, initialement de 2,4 milliards d’euros, a été porté à 10,6 milliards d’euros. Malgré cette augmentation, vous estimez que les moyens financiers d’Iris² ne lui permettront pas d’atteindre une capacité d’observation militaire comparable à celle de Starshield. Quel budget supplémentaire serait-il nécessaire pour que le système Iris² atteigne le même niveau d’excellence ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Il est compliqué de répondre à la question des montants qui permettraient d’accélérer le programme Iris². Le retard subi par le programme est en grande partie lié à sa complexité. Par ailleurs, les acteurs ne sont pas pour l’instant alignés et je ne suis pas persuadée que le délai de 2030 pourra être tenu ; je pense que l’horizon 2031-2032 sera plus réaliste.

En conséquence, il faut s’appuyer sur OneWeb et ses 600 satellites en basse orbite, auxquels il convient d’ajouter un projet de 300 satellites supplémentaires. Cette constellation permet ainsi de disposer d’un délai de latence nettement inférieur et de couvrir la planète. Ensuite, une solution pourrait porter sur le lancement Iris², qui serait ensuite configurable en orbite.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Je ne suis pas certain que nous puissions concurrencer Starlink et encore moins StarShield, dont les spécifications techniques demeurent assez méconnues. Nous savons en revanche que ses utilisateurs sont le National Reconnaissance Office (NRO) et le Pentagone, qui a investi massivement dans cette constellation, à hauteur de 2 milliards de dollars. J’ajoute que 8 % à 10 % des 7 500 satellites Starlink aujourd’hui en orbite ne sont pas fonctionnels ; ils ne servent à rien.

La constellation Iris² est complexe à mettre en œuvre, notamment parce qu’elle se déploie sur plusieurs plans orbitaux. Pour le moment, les détails techniques sur son fonctionnement n’ont pas été dévoilés, nous n’avons pas accès à ces données. Quoi qu’il en soit, il convient d’accélérer la cadence, compte tenu du trou capacitaire potentiel sur le front des méga-constellations.

Nous pouvons tirer parti de OneWeb, mais je tiens à alerter sur les modalités de lancement de ses 300 satellites, qui ne seront peut-être pas assurées par Ariane 6, mais sans doute par les entreprises d’Elon Musk. Nous allons sans doute devoir encore contracter des lancements effectués à Cap Canaveral et nous exposer au comportement erratique du dirigeant de SpaceX, ce qui pose question s’agissant de notre souveraineté.

Mme Sabine Thillaye, présidente. Nous passons maintenant à une séquence de huit questions complémentaires, en commençant par une première série de trois questions.

M. Pascal Jenft (RN). Les satellites représentent des acteurs clés de l’efficacité des stratégies militaires. Une communication rapide et sécurisée offre un avantage certain. Les constellations de connectivité en orbite basse rendent possible cette communication rapide. Mais cette orbite basse est de plus en plus occupée, tant par les constellations de satellites que par des débris, induisant des risques de collision et d’interférences.

Sans règles déterminées de partage de cet espace, les premiers arrivés disposent d’une place assurée, ce qui n’est malheureusement pas notre cas. Au vu de l’importance capitale de disposer d’une constellation en orbite basse, le temps presse. Quelle stratégie industrielle devons-nous adopter pour être en mesure de lancer une constellation en orbite basse dans les meilleurs délais ?

M. Abdelkader Lahmar (LFI-NFP). Madame et monsieur les rapporteurs, vous évoquez assez longuement le plan France 2030 dans le rapport et soulignez les insuffisances, voire peut-être le gaspillage, d’argent public.

Le volet spatial du plan France 2030 était doté d’un milliard et demi d’euros pour rattraper le retard dans les secteurs émergents du spatial, notamment dans le domaine des mini-lanceurs, des satellites de petite taille. Il visait également à supporter la structuration d’un écosystème de start-up. Finalement, vous dressez un bilan très contrasté de l’utilisation de l’argent public. À la lecture du rapport, nous avons l’impression que personne n’est réellement satisfait de l’allocation des fonds, mis à part peut-être les start-up. Vous expliquez vous-même que les fonds ont été fragmentés, notamment sur quatre différents projets de mini‑lanceurs, ce qui a sans doute entraîné un retard technologique de la France.

Vous appelez donc à ne soutenir qu’un seul projet de mini-lanceur. Lequel et pourquoi ? Nous avons le sentiment que les start-up ont été les seules véritables gagnantes du volet spatial du plan France 2030. Elles ont largement bénéficié des appels d’offres compétitifs développés par le gouvernement. La stratégie d’abonder les start-up a-t-elle été payante ? Que sont devenues les start-up financées par cet argent public ?

Mme Michèle Martinez (RN). La phase 4 de l’exercice Orion a révélé une faille capacitaire majeure dans le satellitaire. Selon le retour d’expérience (Retex) livré à la commission par le général Métayer, il faudrait multiplier par vingt les flux satellitaires pour répondre aux besoins opérationnels de nos armées en cas d’engagement majeur. Concrètement, dans certaines phases de l’exercice, face au manque de données de localisation, nos militaires ont dû avoir recours aux cartes d’état-major en format papier.

Votre rapport identifie fort justement les actions à conduire dans le domaine du satellitaire. Sur le point précis des flux de données et de leur multiplication, comment les différents acteurs du secteur s’adaptent-ils pour répondre à ce besoin opérationnel crucial en cas d’engagement majeur ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Je ne pense pas que France 2030 ait donné lieu à un gaspillage. Les start-up constituent une activité risquée ; elles peuvent mourir. En revanche, France 2030 a permis l’éclosion de capacités inventives de la part de personnes qui provenaient souvent du CNES et qui se sont adjointes les services de professionnels plus seniors en provenance de TAS ou d’ADS. Désormais, nous allons passer à la deuxième phase des projets, dans laquelle l’engagement des finances devra être opéré de manière millimétrée.

Vous avez également évoqué les cartes d’état-major. Les militaires que nous avons rencontrés nous ont expliqué qu’ils s’entraînent pour se préparer à l’éventualité d’un blackout total. Ils s’efforcent de trouver des systèmes pour communiquer, y compris dans des situations extrêmement difficiles.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. S’agissant des stratégies industrielles, il est nécessaire de pratiquer un pilotage clair, à travers des acteurs très identifiés dans le temps, et la programmation de missions. La planification et la synchronisation des activités s’effectuent selon des méthodes bien établies de management de projets spatiaux. Il s’agit également de clarifier les rôles des différents acteurs, c’est-à-dire les industriels, les donneurs d’ordres gouvernementaux et les politiques. Il convient également d’éviter les redondances, de contrôler pas à pas et de réajuster éventuellement dans la bonne direction.

Il faut également anticiper des usages qui pourraient être faits des ressources, pour éviter qu’ils ne soient pas optimaux. S’agissant des start-up, je dois vous faire part de ma grande perplexité. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que des business angels privés puissent gaspiller certaines sommes. En revanche, lorsqu’il est question d’argent public et d’opérateurs publics, les choix doivent être ajustés au plus près des besoins opérationnels, lesquels doivent être bien identifiés au préalable.

Je pense que nous sommes revenus de la mode de la start-up nation. Désormais, le temps est venu d’évaluer les politiques publiques de soutien à l’innovation. Par moments, des saupoudrages inefficients sont intervenus. Nous pourrons les évoquer dans un autre cadre.

M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). Dans la mythologie grecque, Atlas portait le ciel sur ses épaules, garant de l’équilibre du monde. Aujourd’hui, cette voûte céleste s’est considérablement encombrée, au point que l’on peut se demander si les épaules d’Atlas seraient encore assez solides face à la saturation croissante de l’orbite basse, menacée par la prolifération des débris et par le développement rapide des capacités antisatellites.

Votre rapport souligne l’utilité des initiatives de surveillance, les premiers pas vers une gestion active des débris, et il évoque à juste titre la possibilité d’une convention internationale sur l’usage durable de l’espace. Ces orientations sont plus que bienvenues, mais une question demeure : comment transformer ces intentions en engagements concrets et partagés ? En effet, la singularité de l’espace est la suivante : s’il n’appartient à personne, il engage cependant la responsabilité de tous. Pouvez‑vous nous indiquer l’état de l’art dans ces discussions internationales ?

Mme Stéphanie Galzy (RN). Depuis la naissance de la stratégie de défense spatiale en 2019, notre pays a structuré un projet ambitieux incarné par l’ouverture prochaine à Toulouse du Commandement de l’espace. Dans ce cadre, les satellites sont devenus des outils clés pour nos opérations militaires. Mais cette montée en puissance s’inscrit dans un écosystème profondément transformé par l’émergence du NewSpace.

Si cette dynamique offre des opportunités technologiques majeures, elle soulève aussi une question stratégique de premier ordre, qui concerne la dépendance croissante de nos armées à des acteurs privés, souvent étrangers et susceptibles de faire peser des logiques économiques, voire politiques, sur la conduite même de nos opérations. L’exemple de l’intervention unilatérale d’Elon Musk dans la guerre en Ukraine est éclairant. En restreignant temporairement l’accès à son réseau satellitaire, il a démontré la capacité d’un acteur privé à influer directement sur le cours d’un conflit. Dès lors, comment garantir la souveraineté de notre action militaire dans l’espace quand nos satellites ou nos flux de données peuvent être soumis aux décisions d’un industriel ? Quelles mesures le ministère des armées peut-il prendre pour renforcer la résilience de nos systèmes spatiaux en cas de rupture contractuelle ou de sabotage ?

Mme Alexandra Martin (DR). Députée de Cannes, deuxième site d’implantation de la magnifique entreprise Thales Alenia Space, j’entends ses inquiétudes existentielles et aussi ses alertes en termes de souveraineté nationale et européenne. Aujourd’hui, Iris², reste une solution civile. Qu’en est-il de Syracuse V ? La LPM tiendra-t-elle ses engagements ou ce programme sera-t-il sacrifié sur l’autel d’Iris² ?

M. Frank Giletti (RN). Avez-vous obtenu des informations sur Yoda et Toutatis ? L’étape du démonstrateur sera-t-elle remplacée ? Existe-t-il d’autres étapes pour la fonction « protéger » ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Nous demandons que Syracuse V soit développé parallèlement à Iris². Leur interopérabilité est nécessaire, à terme. Ensuite, Yoda demeure pour le moment en phase de démonstration. Il sera lancé en 2026-2027 et sera ensuite suivi par la constellation Egide en 2028-2029, dans le meilleur des cas. Dès lors, il est impératif d’accélérer la cadence.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. S’agissant de la régulation du trafic et des déchets, la France a été particulièrement avant-gardiste en adoptant en 2018 la loi relative aux opérations spatiales (LOS). Elle a ainsi établi ses propres contraintes, notamment de désorbitation, de manière responsable. À ce sujet, la loi spatiale européenne doit suivre la même ambition en matière de spatial durable et vertueux, au-delà d’un simple greenwashing. Les « techno‑solutions » comme les harpons, les filets, les aimants, les lasers ou les intercepteurs ne constituent pour le moment que des promesses. Je vous fais donc part de mon scepticisme concernant la surenchère technosolutionniste en orbite basse, qui constitue en soi un marché pour de nombreuses start-up, dont certaines investissent à fonds perdus.

Plutôt que de continuer à déployer n’importe comment, essayons de faire mieux. Cette logique suppose de conduire un travail normatif mais aussi technique sur la conception des plateformes, pour les rendre plus durables. Cet aspect porte à la fois sur les matériaux, mais aussi la propulsion, pour garantir des manœuvres optimales en contexte de coexistence contrariée. La durée de vie d’un satellite Starlink n’est que de trois à cinq ans, pour ceux qui fonctionnent. Il s’agit d’un véritable scandale, que l’État américain n’aurait jamais dû accepter.

Les premiers satellites qui ont été envoyés en 2019 étaient des micro-satellites de 300 kilogrammes. Les V3 qui seront peut-être lancés, à raison de soixante par lancement, par Starship pèsent 1,5 tonne et sont dotés de panneaux solaires de deux fois trente mètres. Nous aimerions que l’État fédéral américain et ses agences réglementaires exercent davantage de contraintes, mais nous pouvons tous observer la collusion à l’œuvre au cœur même du pouvoir à Washington. Cette situation est grave. Musk déploie toujours plus d’objets, n’importe comment, parfois en sabotant littéralement le travail réglementaire et en acceptant volontairement de payer des amendes. Les explosions intervenues dans le ciel des Caraïbes sont à ce titre assez inquiétantes.

Nous sommes donc confrontés à des acteurs particulièrement agressifs qui se caractérisent par la prédation, l’accaparement et la saturation des orbites. Face à eux, nous sommes un peu le Petit Poucet, mais assumons-le et essayons de peser, au moins sur le plan normatif. La voix de la France peut encore compter sur le plan de la diplomatie spatiale.

M. Damien Girard (EcoS). J’ai bien noté vos propositions consistant à favoriser l’ouverture des carnets de commandes aux PME, tout comme le besoin d’exécuter à l’euro près la LPM. Ces défis font écho au rapport que nous rédigeons avec Thomas Gassilloud sur les enjeux de masse et haute technologie. Je souhaite vous interroger plus précisément sur les risques de plans sociaux que vous évoquez. L’européanisation est une perspective nécessaire pour les projets complexes et de haute technologie.

Il est pertinent de mettre en œuvre une équipe de best athletes autour d’un maître d’œuvre, qui peut être français, afin de mener à bien des projets coûteux nécessitant de nombreuses briques technologiques. Votre rapport ne semble pas aller contre ce principe, mais pose notamment un enjeu social plus que légitime : la préservation des emplois de l’industrie française. À ce sujet, la place laissée aux syndicats, c’est-à-dire aux forces vives et qualifiées de notre industrie de défense, dans l’élaboration de votre rapport ne peut être que saluée.

Cependant, l’européanisation est un horizon nécessaire pouvant constituer un atout précieux face aux puissances américaines, russes et chinoises. Comment la coopération européenne peut-elle être menée pour renforcer notre sécurité et notre compétitivité, tout en préservant le tissu social et productif français ?

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Je souhaite à mon tour revenir sur l’enjeu des débris spatiaux évoqué par notre collègue Darrieussecq. J’entends bien vos propos sur la nécessité d’une diplomatie spatiale et d’un éventuel traité qui permettrait de réguler un certain nombre d’éléments. Je dois cependant vous faire part de quelques doutes dans ce domaine. Nous vivons dans un monde marqué par des logiques néo‑impériales, où le « foncier » spatial est conquis par les premiers entrants. Quels sont les moyens réels pour nous de peser ? Existe‑t-il des moyens de rétorsion ? Pour ma part, je ne pense pas qu’il faille totalement écarter le technosolutionnisme : si cela devait vraiment mal tourner, nous aurions besoin de plans B.

Mme Corinne Vignon, rapporteure. Nous ne savons pas grand-chose du projet Bromo, qui demeure très secret et géré par des banques d’affaires comme Goldman Sachs. Ensuite, nous devons effectivement préserver nos emplois. Thales Alenia Space emploie 4 500 salariés et il est question de 1 000 départs, soit un quart des effectifs. En revanche, il y a 6 700 salariés chez Airbus Defence and Space, pour 400 départs éventuels, dont une grande partie à la retraite ou en reconversion. TAS est donc soumis à de plus grandes difficultés. Les salariés ont donc besoin de visibilité, de formation, d’offres de reconversion dans une autre filiale du groupe. Quoi qu’il en soit, si le projet Bromo semble se dessiner, il n’est pas pour autant obligatoire, d’autant plus que le concurrent OHB est en train de réagir. Bromo n’a donc rien d’inéluctable ; il est questionné et nous devrions en savoir plus prochainement.

M. Arnaud Saint-Martin, rapporteur. Ces plans sociaux inquiètent à juste titre les organisations syndicales que nous avons rencontrées et avec lesquelles nous échangeons, depuis le début. Nous avons ainsi mis un point d’honneur à les inclure dans ce rapport, y compris dans les diagnostics. Elles ont été forces de proposition sur ces sujets et continuent d’actualiser la doctrine industrielle. Le 10 juin, je participerai à Toulouse aux assises du spatial, organisées par la CGT. Les ingénieurs et techniciens mobilisés depuis des mois proposeront à cette occasion d’autres façons de de planifier l’activité spatiale. Dans le même ordre d’idée, j’estime qu’il est nécessaire d’européaniser les luttes sociales sur l’espace ; il est essentiel d’écouter les travailleurs qui permettent le fonctionnement des services, s’impliquent dans la production des satellites et tiennent à protéger cette base industrielle.

Ensuite, les néo-impérialismes sont effectivement à l’œuvre aujourd’hui. Les accords Artemis nous rendent ainsi dépendants d’une puissance spatiale qui s’assume en tant que leader de l’exploration spatiale et semble prête à ne plus travailler avec nous. Les conséquences sont immédiatement matérielles, budgétaires. L’arrêt du Space Launch System (SLS) d’Artemis est terrible, car il provoque l’interruption du module de service produit par l’Europe. Nous sommes donc à la merci de ces forces hégémoniques.

Cependant, j’estime que nous pouvons peser, d’une façon ou d’une autre. Je suis confiant et optimiste en la matière, même si je sais que la situation est difficile. La France est un acteur qui compte dans ce domaine, dépense trois milliards d’euros par an, dispose d’une agence spatiale et d’une feuille de route, et produit une stratégie spatiale nationale.

Il est évident que nous ne compterons pas si nous intégrons l’idée que nous sommes une puissance déclassée. Assumons le rapport de force, y compris avec nos partenaires américains qui procèdent par ailleurs à des coupes draconiennes dans les budgets de la science et de la recherche. La NASA subit par exemple une baisse inouïe de 25 % de son budget, qui impactera inévitablement la coopération avec la France.

Mme Sabine Thillaye, présidente. Je vous remercie pour votre rapport, qui constitue un excellent travail, réalisé dans un temps très court.

 


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Annexe I : liste des propositions

Proposition n° 1 : Assurer le déploiement des récepteurs bi-constellations pour permettre aux armées d’utiliser le réseau Galileo PRS.

Proposition n° 2 : L’État doit demander à TAS des politiques d’accompagnement et de formation sur les métiers d’avenir pour assurer la requalification des salariés au sein du groupe.

Proposition n° 3 : L’État doit demander à la direction de TAS un gel du plan de départ pour offrir de la visibilité aux salariés.

Proposition n° 4 : Obtenir des industriels l’engagement que les restructurations en cours n’aboutiront pas à une diminution de l’effort de recherche et développement ; la R&D doit être déterminée selon les besoins de l’activité et fléchée vers des projets pertinents (pas de « techno-push »).

Proposition n° 5 (position de Mme Vignon) : La création d’un champion français a du sens afin de stopper l’affrontement commercial entre ADS et TAS. Toutefois, il faut : (i) s’assurer que la fusion ne renforce pas OHB et ne freine pas IRIS² ; (ii) limiter au maximum tout départ contraint de salariés ; (iii) garantir la pérennité de l’ensemble des sites industriels en France.

Proposition n° 6 (position de M. Saint-Martin) : Demander aux services de la DGE, du ministère des Armées et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche d’examiner les conséquences sociales, industrielles, économiques et opérationnelles d’une fusion. Dans l’hypothèse que cette dernière aurait des conséquences défavorables, tant pour l’emploi que pour la conduite des programmes spatiaux, s’opposer à la fusion.

Proposition n° 7 : Faire un bilan du marché des micro-lanceurs et concentrer les aides sur un seul projet de mini-lanceur spatial.

Proposition n° 8 : Pour les futurs appels d’offres issus de la stratégie spatiale nationale, assurer l’allotissement pour permettre aux PME et aux ETI de se porter candidates.

Proposition n° 9 : Mettre en œuvre de manière urgente les programmes d’appui spatial aux opérations militaires (IRIS, CELESTE, OneWeb) et développer Galileo PRS.

Proposition n° 10 : Sécuriser les financements de 6,4 milliards d’euros pour le spatial inscrits dans la loi de programmation militaire (LPM) et les exécuter dans le calendrier prévu.

Proposition n° 11 : Cibler le soutien public sur des marchés dont l’intérêt économique ou souverain est bien identifié plutôt que chercher à développer de nouveaux marchés. Ne pas hésiter à faire l’impasse sur certaines technologies.

 

Proposition n° 12 : Clarifier le rôle de la Commission européenne à l’ESA pour représenter le point de vue communautaire ; à l’inverse, s’opposer à toute velléité politique de l’exécutif de l’ESA, l’agence devant resté cantonnée à son rôle de coordination technique prévu par son mandat. Limiter l’EUSPA à un strict rôle de gestion des services spatiaux à usage civil.

Proposition n° 13 (position de Mme Vignon) : Privilégier une règle du « juste retour » (fair return) dans l’attribution des contrats de l’ESA pour favoriser la compétitivité du secteur et une meilleure allocation des ressources.

Proposition n° 14 (position de M. Saint-Martin) : Sanctuariser le retour géographique, de manière à ce qu’il participe à la structuration des activités et qu’il stimule la coopération.

Proposition n° 15 : Garantir la mise en orbite des satellites d’IRIS² par des lanceurs européens depuis le sol européen.

Proposition n° 16 : Établir un mandat triple au CNES en tant qu’agence scientifique et technique, opérateur de la défense et acteur économique, à l’occasion de la nomination de son nouveau président en 2025 et de l’élaboration de la stratégie spatiale nationale.

Proposition n° 17 : Défendre au niveau français une hausse du budget du spatial dans le prochain cadre financier pluriannuel dont les négociations débuteront prochainement, avec des objectifs clairs et des projets identifiés.

Proposition n° 18 : Alors que la prochaine conférence ministérielle de l’ESA se déroulera en novembre 2025 pour décider du financement de l’agence pour 2026-2028, porter une hausse du budget au-delà des 16,9 milliards d’euros prévus en 2023-2025. Votre rapporteur M. Saint-Martin souhaite s’assurer que la France reste le premier contributeur de l’agence, dans le cadre de la règle du retour géographique. Votre rapporteure Mme Vignon indique de son côté que la contribution relative des États au financement de l’ESA doit être replacée dans le contexte plus large des financements publics accordés au spatial.

Proposition n° 19 : Assurer le déploiement d’IRIS² pour 2030 en veillant à ce que les composants proviennent essentiellement de fournisseurs européens et à ce que le lancement des satellites soit effectué par Ariane 6, conformément au règlement européen de 2023 sur le projet.

Proposition n° 20 : Remédier à l’absence de segment sol dans le programme IRIS² et positionner la France comme un fer de lance sur ce créneau.

Proposition n° 21 : Mettre les partenaires de la France face à leurs responsabilités, dans le cadre des prochaines négociations européennes, s’agissant de leur participation, sans arrière-pensées, au projet IRIS².

Proposition n° 22 : Développer des services commerciaux autour d’IRIS², en encourageant les opérateurs à compléter l’infrastructure, afin d’assurer financièrement le projet et de convaincre les pays réticents.

Proposition n° 23 : Prendre systématiquement en compte le spatial lors de la planification des opérations pour exploiter pleinement les possibilités offertes aux armées.

Proposition n° 24 : Intensifier le programme d’entraînement des forces armées à l’utilisation des capacités spatiales et à l’interaction avec le Commandement de l’Espace.

Proposition n° 25 : Pour l’appui aux opérations, assurer sans prendre de retard le renouvellement des systèmes militaires spatiaux qui arriveront prochainement à échéance grâce à une programmation capacitaire : remplacement de CERES par CELESTE et de CSO par IRIS, SICRAL 2, SYRACUSE V, AURORE.

Proposition n° 26 : Privilégier désormais, en matière de renseignement d’origine spatiale, plutôt l’amélioration du taux de revisite qu’un objectif de résolution toujours plus fine des images, et doter les armées de systèmes efficaces de traitement et d’analyse de ces données.

Proposition n° 27 : Investir plus fortement le domaine de la très haute altitude (THA), en particulier via la construction d’une capacité propre d’alerte avancée.

Proposition n° 28 : Pour l’action dans l’espace des armées, assurer la protection des moyens spatiaux français, en lançant sans tarder les satellites patrouilleurs démonstrateurs YODA puis TOUTATIS et en développant la constellation EGIDE.

Proposition n° 29 : Si le besoin est identifié par les armées, accroître la réactivité du spatial militaire français en renforçant l’offre de petits et moyens lanceurs et en développant des plateformes de lancement situées sur le territoire hexagonal.

Proposition n° 30 : Investir fortement sur les stations sol SYRACUSE ainsi que sur un réseau étoffé de télescopes complémentaires au radar GRAVES.

Proposition n° 31 : Veiller à maintenir les savoir-faire militaires même en dehors de tout appui spatial.

Proposition n° 32 : L’État, via le ministère des Armées, doit définir une doctrine claire sur la répartition entre les capacités spatiales patrimoniales, partenariales et commerciales.

Proposition n° 33 : Alléger et simplifier les procédures d’élaboration et de mise en œuvre des programmes d’armement en matière spatiale et conférer au Commandement de l’Espace un pouvoir acheteur.

Proposition n° 34 : Mettre en place un organe interministériel chargé de l’espace, placé auprès du Premier ministre.

Proposition n° 35 : En cas de crise nécessitant un besoin de connectivité ou d’images à haute résolution, faire appel à des drones ou ballons atmosphériques en cours de développement.

Proposition n° 36 : Déployer et financer des efforts d’innovation en vue de permettre, à moyen ou long terme, l’ajout au système IRIS² de capacités d’observation militaire.

Proposition n° 37 : Garantir l’interopérabilité d’IRIS² avec le système SYRACUSE et veiller à sa mise en place opérationnelle au plus tard en 2030 afin de ne pas laisser s’installer un trou capacitaire dans le système français de télécommunications spatiales.

Proposition n° 38 : Veiller à ce que les satellites d’IRIS² soient équipés de systèmes antibrouillages les plus poussés possible.

Proposition n° 39 (position de Mme Vignon) : Dans l’attente du déploiement d’IRIS², soutenir la constellation OneWeb pour assurer les communications des armées.

Proposition n° 40 : Investir dans des radars au sol de surveillance des rentrées atmosphériques.

Proposition n° 41 : Investir dans les infrastructures au sol et en orbite utilisant des bandes de fréquences peu utilisées, comme la bande Ka. Soutenir l’usage de bandes alternatives par les satellites d’IRIS² et investir dans le segment sol, aujourd’hui absent du programme.

Proposition n° 42 : Intégrer un volet pollution lumineuse à la future réglementation européenne sur le spatial pour consacrer la notion de « ciel sombre ».

Proposition n° 43 : Créer un groupe de travail entre la DGE et la task force du GIFAS pour recenser les PFAS utilisés dans le secteur spatial et utiliser des alternatives dans les meilleurs délais.

Proposition n° 44 (position de Mme Vignon) : Soutenir les entreprises françaises de la surveillance de l’orbite basse dans la stratégie spatiale nationale. 

Proposition n° 45 (position de M. Saint-Martin) : Étudier la consolidation du secteur de la surveillance spatiale sous la forme d’une division interne au CDE.

Proposition n° 46 : Explorer la possibilité d’une filière française ou européenne de gestion des débris orbitaux, avec des potentialités élevées à l’export.

Proposition n° 47 : Déterminer dès le développement des satellites de la constellation IRIS² les conséquences environnementales et les déchets générés.

Proposition n° 48 : Porter dans les futures négociations au Conseil de l’UE une position ambitieuse pour la future « loi spatiale » européenne pour généraliser le cadre français et imposer des normes strictes en matière de durabilité et de gestion des débris.

Proposition n° 49 : Publier au plus vite la feuille de route nationale pour réduire les émissions de carbone et hors carbone du secteur spatial.

Proposition n° 50 : Systématiser une analyse du cycle de vie pour tous les programmes de l’ESA et du CNES, inciter les industriels à s’emparer de cette pratique.

Proposition n° 51 : Assurer le renouvellement des satellites Sentinel de Copernicus et garantir le financement des nouvelles missions dans le prochain cadre financier pluriannuel.

Proposition  52 : Maintenir un accès libre et ouvert aux données météorologiques et d’observation de la Terre fournies par les services satellitaires européens. Votre rapporteure Mme Vignon précise toutefois que l’on peut s’interroger sur l’opportunité de commercialiser ou classifier certaines images.

Proposition n° 53 : Appliquer la future loi spatiale européenne à tout acteur spatial opérant sur le sol et pour des utilisateurs de l’UE.

Proposition n° 54 : Mettre à jour les lignes directrices du comité inter-agences sur la gestion des débris, qui datent de 2011.  

Proposition n° 55 : Organiser en France un forum multilatéral sous l’égide du Space Climate Observatory pour défendre l’adaptation au changement climatique du secteur spatial. 

Proposition n° 56 : Proposer la signature d’une convention internationale sous l’égide de l’ONU sur la lutte contre les débris spatiaux.

Proposition n° 57 (position de M. Saint-Martin) : Proposer une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour réaffirmer l’usage pacifique de l’orbite et l’interdiction des armes de destruction massive, voire de toutes armes.

Proposition n° 58 : Étudier la création d’une agence intergouvernementale du spatial, sur le modèle de l’organisation civile internationale.

 

 


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   Annexe II : liste des personnes auditionnées par les rapporteurs à Paris et à l’occasion de leurs déplacements

(Par ordre alphabétique)

  1.   Auditions à Paris

2.   Déplacement à Toulouse (17 et 18 février 2025)

 

3.   Déplacement en Guyane (du 3 au 7 mars 2025)

4.   Contributions écrites d’entreprises non auditionnées


([1]Global Navigation Satellite System.

([2]Global Positioning System.

([3]Defense Advanced GPS Receiver.

([4]) Le Public Regulated Service ou Service Public Réglementé est un service de Galileo, crypté, conçu pour assurer la continuité des services gouvernementaux.

([5]) Les Échos, 8 avril 2025, « L'Allemagne suspectée de remettre en cause le projet de constellation européenne »

([6]) Réseau Viasat.

([7]L’Opinion, 25 juin 2024, Dix-neuf entreprises chinoises, soupçonnées de soutenir la Russie, sanctionnées par l’UE (« deux acteurs majeurs de l’industrie satellitaire chinoise impliqués dans la vente au groupe de mercenaires russe Wagner de satellites et de fourniture d’images satellites »).

([8]) L’expression de « lawfare » désigne usuellement l’utilisation stratégique de procédures judiciaires pour intimider ou entraver un adversaire ainsi que l’utilisation du droit par un pays contre ses adversaires, notamment par la contestation de la légalité de sa politique militaire ou étrangère.

([9]) Il n’y a pas un lancement, militaire ou civil, à Kourou sans le déploiement du 3e Régiment Étranger d’Infanterie (REI) dont le principal contrat opérationnel consiste à assurer la sécurisation extérieure du site.

([10]) Lancé par la fusée Falcon 9 de Space X.

([11]Multinational Space-Based Imaging System.

([12]) Même si le truquage des images satellites, par exemple par un pays « partenaire » voulant inciter à prendre part à un conflit, est une possibilité qu’il ne faut pas exclure.

([13]) Very Low Earth Orbit.

([14]) Cf. Traité du 27 janvier 1967 sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes.

([15]) En février 2023, un ballon chinois de surveillance a été repéré au-dessus du Nord, puis de l’Est, des États-Unis. Il a été abattu par un missile américain au-dessus de l’océan Atlantique le 4 février.

([16]) Le 21 novembre 2024, les forces russes ont tiré pour la première fois (sur la ville de Dnipro en Ukraine) un missile IRBM (Intermediate-range ballistic missile ou missile balistique de portée intermédiaire), c’est‑à-dire d’une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres, et d’une vitesse estimée à Mach 10, baptisé « Orechnik ». Ce missile n’emportait pas de charge mais constituait un signal délibéré de la part des autorités russes.

([17]) Conjuguée à la tromperie ou manipulation de l’information (ce que les Anglo‑saxons appellent « deception »).

([18]) Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, Rapport annexé (2.2.3.).

([19]) Système Préparatoire Infra-Rouge pour l’ALErte.

([20]) Environ 500 000 euros.

([21]) Revue Défense Nationale, n° 879, avril 2025, Philippe Adam, Tenir le haut : la composante spatiale dans la campagne militaire, p. 19-20.

([22]) Revue Défense Nationale, n° 879, avril 2025, Éva Portier, Le renouveau du secteur spatial militaire français : enjeux, défis et perspectives capacitaires, p. 28.

([23]) National Aeronautics and Space Administration.

([24]) Ibidem.

([25]) Plusieurs formes sont envisageables pour un tel organe : secrétariat d’État, coordonnateur interministériel, haut-commissaire, etc.

([26]Governmental Satellite Communications.

([27]) SYRACUSE 5 n’en étant, pour sa part, qu’au tout début des études préparatoires.