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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur la réforme des bourses étudiantes
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Thomas CAZENAVE et M. Charles SITZENSTHUL,
rapporteurs spéciaux
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SOMMAIRE
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Pages
recommandations DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
1. La crise sanitaire a accru la fragilisation financière et sociale accrue des étudiants
3. Le budget consacré aux aides sociales en France est comparable à celui d’autres pays européens
1. Le droit à la bourse est soumis à plusieurs critères d’éligibilité
2. Le système d’échelons s’adapte aux ressources et aux charges de l’étudiant et de sa famille
4. De fortes disparités existent selon les formations, les académies et le genre
1. La réforme a modifié les paramètres d’éligibilité ainsi que les montants des bourses distribuées
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
recommandations DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
– Recommandation n° 1 :
Financer la réforme structurelle des bourses étudiantes en supprimant la niche fiscale de l’impôt sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur, et en recentrant sur les étudiants issus de foyers modestes et de classe moyenne le versement de l’allocation personnalisée au logement (direction du budget).
– Recommandation n° 2 :
Généraliser l’annualisation du versement des bourses sur critères sociaux aux étudiants relevant des filières médecine, odontologie et pharmacie (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle).
– Recommandation n° 3 :
Mettre en place une modulation spécifique pour les primo-arrivants dans certaines filières nécessitant un investissement matériel important (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle).
– Recommandation n° 4 :
Recentraliser vers les Crous la compétence de gestion des aides sociales des formations sanitaires et sociales, actuellement confiée aux régions (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ; Centre national des œuvres universitaires et scolaires ; régions).
– Recommandation n° 5 :
Simplifier au maximum les démarches des usagers et des gestionnaires dans le traitement des demandes de bourses, en particulier pour l’articulation entre l’enseignement scolaire et supérieur (direction générale de l’enseignement scolaire ; direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ; Centre national des œuvres universitaires et scolaires).
Élargir le périmètre des aides financières auxquelles les étudiants peuvent prétendre (logement, transport, etc.) au sein du dossier social étudiant (DSE) (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ; Centre national des œuvres universitaires et scolaires).
Le présent rapport d’information, réalisé dans le cadre du Printemps de l’évaluation 2025, traite de la réforme des bourses étudiantes.
La France compte près de 3 millions d’étudiants mais ceux-ci constituent une population hétérogène. Si certains sont fortement soutenus par leur famille, d’autres rencontrent plus de difficultés à financer leurs études. C’est la raison pour laquelle l’État, en lien avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires, a instauré des aides financières destinées aux étudiants confrontés à des difficultés matérielles ne leur permettant pas d’entreprendre ou de poursuivre des études supérieures.
Lutter contre la précarité est une priorité de la politique de soutien à la vie étudiante, portée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les bourses d’enseignement supérieur sur critères sociaux (BCS) constituent le pilier de cette action sociale de l’État en la matière et sont versées à 677 000 étudiants en 2024, pour lesquels des droits connexes sont également attribués – tels que l’exonération de paiement de frais d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur ou le bénéfice du « repas à 1 euro » dans un des restaurants étudiants.
Cependant, les crises sanitaire et inflationniste ont aggravé la situation économique et sociale des étudiants déjà fragiles financièrement. Une réforme a donc été initiée en 2023 pour remédier à cette situation : la première phase, paramétrique, a revalorisé les plafonds de ressources et les montants versés lors de la rentrée 2023-2024 ; la deuxième phase, structurelle, devait remplacer le système d’échelons par un système de montant socle de bourse, auquel s’ajouteraient des modulations en fonction de certaines situations personnelles. Cette étape a néanmoins été repoussée en raison d’un défaut de financement et d’une modernisation nécessaire de la gestion du système des aides.
Les travaux en cours conduits par le Gouvernement et le Parlement au titre de la réforme des bourses sur critères sociaux doivent permettre de limiter l’ampleur des difficultés financières des étudiants en parallèle d’une refonte du système d’information des Crous visant à faciliter le parcours des usagers et à moderniser la tâche des gestionnaires.
Dans le cadre du présent rapport, les rapporteurs spéciaux ont d’abord cherché à mesurer l’impact des bourses sur la réussite étudiante, malgré un système complexe (I), puis à évaluer l’ampleur et l’efficacité de la réforme paramétrique des bourses (II). Ils ont ainsi constaté qu’une réforme structurelle devait être conduite au plus tôt pour assurer à chacun de bonnes conditions de vie et d’études (III).
I. Les bourses sur critères sociaux constituent le pilier de l’action sociale de l’État à destination des étudiants
A. Le système des bourses attenue la précarité des étudiants, en forte hausse ces dernières années, tout en améliorant leur réussite dans l’enseignement supérieur
1. La crise sanitaire a accru la fragilisation financière et sociale accrue des étudiants
Le temps des études constitue un moment charnière, à la fois source d’opportunités, d’épanouissement mais aussi de vulnérabilités.
Les crises successives – sanitaire puis inflationniste – intervenues depuis 2020 ont accentué la précarité étudiante. En effet, la crise sanitaire a fortement perturbé la structure du budget des étudiants, notamment du fait d’une diminution des ressources issues de l’activité rémunérée lors du premier confinement (36 % des étudiants qui exerçaient une activité rémunérée ont dû l’interrompre, 21 % ont été contraints de réduire leur activité) ([1]). Par la suite, l’augmentation du taux d’inflation en 2022 (5,2 %) et 2023 (4,9 %) a également eu d’importantes conséquences sur les ressources financières des étudiants. L’inflation est revenue à un taux de 2,0 % en 2024.
Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ([2]),29,5 % des jeunes de 18 à 24 ans étaient en situation de pauvreté monétaire en 2023. Cette situation masque d’importantes disparités puisque ce taux s’élève à 40,2 % pour les décohabitants (les étudiants qui ne logent plus au domicile familial) contre 19 % pour les cohabitants. Les étudiants en situation de précarité conjuguent très souvent d’importantes vulnérabilités, qu’il s’agisse de problèmes de santé ou de rupture familiale.
Cette précarité se traduit également dans le ressenti des étudiants puisque, selon l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) ([3]), 20 % d’entre eux déclaraient connaître des difficultés financières de telle sorte qu’il leur a été impossible de subvenir correctement à leurs besoins (alimentaires, énergie, logement, etc.) et 26 % déclaraient vivre des fins de mois difficiles ou très difficiles en 2023. Dans le détail :
– 11 % des étudiants se déclarent en grande difficulté de logement ;
– 13 % des étudiants déclarent ne pas avoir, souvent ou assez souvent, suffisamment à manger ;
– environ 30 % des étudiants déclarent renoncer aux soins pour raisons financières.
L’étude « Pauvreté en condition de vie » de la DREES ([4]) confirme cette situation puisque 24 % des étudiants sont considérés comme « pauvres en condition de vie », c’est-à-dire qu’ils souffrent de 5 privations sur les 13 mesurées (là aussi, le taux est deux fois plus élevé pour les étudiants décohabitants).
L’INSEE et la DREES, grâce à un co-financement du programme budgétaire 231, ont lancé le renouvellement de l’enquête sur les ressources des jeunes (ENRJ) très attendu par l’ensemble des acteurs, ce qui permettra d’avoir des données actualisées et enrichies sur la base d’un large échantillon de jeunes à l’horizon 2027 – la dernière datant de 2014.
Malgré la difficulté de mesurer précisément les transferts intrafamiliaux, l’enquête de l’OVE estimait les différentes ressources mensuelles moyennes des étudiants à 1 129 euros en 2023, soit en dessous du seuil de pauvreté établi à 1 216 euros à cette date ([5]). Le soutien financier familial représentait 41 % de ces ressources contre 25 % d’aides publiques et 27 % de revenus d’activité.
Enfin, en comparaison avec les autres pays européens, la France se distingue principalement par la jeunesse de ses étudiants, comme l’avait souligné le rapport Jolion de juin 2023 ([6]). En conséquence, ils dépendent davantage des revenus de leurs parents. Par ailleurs, ils sont moins nombreux à vivre déjà en couple ou à avoir des enfants et plus nombreux à vivre seuls (26 %, soit le plus haut taux d’Europe). Finalement, leur relativement jeune âge est un facteur de vulnérabilité supplémentaire, en termes financiers et sociaux, mais aussi en termes de bien-être et de santé mentale, ce qui se traduit par une fragilité psychologique des étudiants, et par un sentiment d’isolement.
Selon les données de l’Observatoire national du suicide ([7]), les étudiants constituent une population à fort risque de présenter des symptômes dépressifs (36,6 % d’entre eux déclarent des symptômes dépressifs contre 20 % des non-étudiants). L’enquête de l’OVE ([8]) présente des données similaires, constatant l’existence de 43 % d’étudiants en détresse psychologique.
Lutter contre la précarité suppose donc une action conjointe sur l’accès aux biens et services essentiels (logement à loyer modéré, restauration collective, accès aux soins, etc.) d’une part, et sur les aides financières d’autre part.
2. Le système des bourses a un impact bénéfique sur l’accès à l’enseignement supérieur et sur la réussite des étudiants
Le système des bourses de l’enseignement supérieur permet d’accorder une aide, complémentaire au soutien familial, pour les étudiants confrontés à des difficultés matérielles ne leur permettant pas d’entreprendre ou de poursuivre des études supérieures. Ces bourses, dont l’origine remonte à la fin du XIXe siècle, sont financées par l’État, gérées par le réseau des centres régionaux pour les œuvres universitaires et sociales (Crous) et bénéficient à 677 049 étudiants ([9]). Par ailleurs, le bénéfice d’une bourse ouvre des droits connexes, notamment l’exonération de certains frais et l’accès à des services complémentaires de restauration et d’hébergement à tarif modéré.
Les aides concernant les étudiants ont pour but de leur permettre de faire des études et de réussir dans un contexte de meilleure égalité des chances. Selon l’analyse de G. Fack et J. Grenet (2016) ([10]), le fait de bénéficier d’une bourse (premier échelon) augmente significativement la probabilité de s’inscrire (ou de se réinscrire) dans l’enseignement supérieur sans pour autant supprimer les écarts d’accès entre les jeunes issus de milieux modestes et ceux issus de milieux plus favorisés. De même, le fait de bénéficier d’une bourse (premier échelon) augmente significativement la probabilité d’avoir son diplôme pour les étudiants en année diplômante. La probabilité d’obtention du diplôme de master « à l’heure » est augmentée de 13 % pour les bénéficiaires d’une bourse. Enfin, l’effet de la bourse est incrémental selon son montant, sur la probabilité de s’inscrire dans l’enseignement supérieur.
3. Le budget consacré aux aides sociales en France est comparable à celui d’autres pays européens
Le programme 231 Vie étudiante assure, dans son action n° 1, le financement des bourses sur critères sociaux. Les crédits consacrés ont fortement augmenté ces dernières années, sous le double effet de l’évolution démographique et de l’indexation des taux de bourse sur l’inflation pour les années universitaires 2019-2020 et 2020-2021. Leur volume financier est ainsi passé de 2,04 milliards d’euros en 2017 à 2,17 milliards d’euros en 2022 – avant la réforme – puis 2,41 milliards d’euros annuels en 2024 – après la réforme.
D’après l’étude menée par le réseau Eurydice ([11]), dont l’objectif est d’informer sur les systèmes éducatifs européens, les conditions d’aides accordées aux étudiants font état de situations très variables en fonction des pays.
Malgré un nombre d’étudiants proche de celui de la France, le nombre de boursiers en Allemagne y est très inférieur (489 000 en Allemagne contre 718 000 en France en 2019), donnant lieu, pour un même effort budgétaire, à une dépense annuelle par boursier supérieure – les bourses sur critères sociaux pouvant atteindre, en Allemagne, 10 332 euros par an et jusqu'à 13 932 euros pour le mérite. Pour autant, l’accès des étudiants boursiers allemands aux aides sociales est plus réduit qu’en France, notamment sur la question de l’éligibilité à l’allocation logement, conduisant à une dépense annuelle par boursier comparable. Par ailleurs, le versement des bourses allemandes s’effectue pour moitié sous forme d’allocation, et pour moitié sous forme de prêt remboursable.
Parallèlement à ces dispositifs, les pays européens adoptent des stratégies diverses en matière de frais de scolarité. La quasi-gratuité s’applique pour de nombreuses formations en France, en Allemagne ou dans les pays nordiques. En revanche, des frais de scolarité sont appliqués au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne, et peuvent atteindre des niveaux très élevés, comme en Irlande avec des frais d’inscription maximaux en premier cycle atteignant 45 000 euros en 2021.
B. Les Bourses sur critères sociaux, et leurs droits connexes, permettent de lutter contre la précarité des étudiants, malgré de fortes disparités
Conçue comme une aide complémentaire à celle de la famille, la BCS ne peut se substituer à l’obligation alimentaire qui impose aux parents d’assurer l’entretien de leurs enfants, même majeurs, tant que ces derniers ne sont pas en mesure de subvenir à leurs propres besoins (articles 203 et 371 -2 du Code civil).
En vertu de l’article L. 821 -1 du code de l’éducation, la bourse sur critères sociaux est accordée sous condition de ressources et en fonction des charges de l’étudiant et de sa famille, appréciées selon un barème national. L’étudiant doit également remplir une condition d’âge : avoir moins de 28 ans lors de la première demande.
Pour bénéficier d’une BCS, l’étudiant doit être inscrit en formation initiale, hors apprentissage, dans un établissement d’enseignement public ou privé, en France ou dans un État membre du Conseil de l’Europe et dans une formation habilitée à recevoir des boursiers. Cette formation doit relever de la compétence du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) et être suivie à temps plein par l’étudiant. En pratique, à l’exception de certains diplômes universitaires, la très grande majorité des formations d’établissements publics sont habilitées à recevoir des boursiers : 92 % des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur public se trouvent dans des formations éligibles aux bourses. C’est aussi le cas pour les formations d’établissements privés : 75 % des étudiants inscrits dans des établissements privés suivent des formations éligibles aux bourses.
Les étudiants de nationalité étrangère peuvent bénéficier d’une BCS à condition de répondre aux critères généraux d’attribution mais également à des conditions particulières de domiciliation, de statut ou d’intégration. D’une part, un ressortissant européen doit avoir occupé un emploi en France ou justifier que l’un de ses parents ait perçu des revenus en France. D’autre part, un ressortissant non européen doit avoir un statut de réfugié, de bénéficiaire de la protection subsidiaire ou de la protection temporaire, ou être domicilié et rattaché à un foyer fiscal en France depuis au moins 2 ans. Ces conditions restrictives expliquent que seuls 5 % des étudiants boursiers sont de nationalité étrangère contre 10 % de l’ensemble des étudiants.
Le droit à bourse est calculé pour une année universitaire. Pour conserver leur bourse en cours d’année, les boursiers sont soumis à des obligations d’assiduité et de présence aux examens. L’ouverture d’un nouveau droit l’année suivante est conditionnée à leur progression, évaluée par la validation de points European Credits Transfer System (« ECTS »). Par exemple, le troisième droit aux BCS ne peut être accordé que si l’étudiant a validé au moins 60 crédits, soit au moins une année d’étude après le baccalauréat. Concernant les réorientations, le cursus licence ainsi que tout autre cursus de niveau Bac +3 ne peuvent donner lieu qu’à cinq droits à bourse au maximum. Pour l’ensemble de ses études supérieures, un étudiant peut utiliser jusqu’à sept droits.
D’autres aides financières sont versées par le MESR mais la BCS demeure la principale en termes de personnes aidées : 94 % des étudiants aidés par le MESR sont boursiers sur critères sociaux.
Procédure d’instruction et mise en paiement
La demande de bourse sur critères sociaux s’effectue via le dossier social étudiant (DSE), dossier unique permettant de déposer une demande d’aide financière et de logement, par le biais de la nouvelle application informatique OLAFE, mise en service le 12 mars 2025, qui permet de faciliter les démarches des étudiants boursiers.
Le dossier social est saisi par l’étudiant sur le portail messervices.etudiant.gouv.fr, porte d'accès numérique, administrée par le réseau, vers les services essentiels à la vie étudiante : bourse, aides à la mobilité, logement, restauration, protection santé, engagement et service civique, culture, sport, etc.
Le dépôt de la demande de bourse et/ou de logement est totalement dématérialisé. L’étudiant peut compléter son dossier en plusieurs temps. Il a la possibilité, à la demande du Crous en cas de dossier incomplet ou de sa propre initiative (révision par exemple), de déposer des pièces complémentaires.
L’instruction du dossier est réalisée par les services du Crous qui vérifient les pièces nécessaires à l’attribution du droit à bourse, parmi lesquelles l’avis fiscal de l’année de référence N– 2 des parents. Une fois ce contrôle effectué, les services envoient la notification conditionnelle de bourse (ou de rejet) par courriel à l’étudiant ou demande des compléments. La décision définitive d’attribution d’une bourse s’effectue après la confirmation par l’établissement de l’inscription définitive du bénéficiaire.
Pour accorder des tarifs sociaux aux étudiants boursiers, des organismes tiers peuvent récupérer cette information sur le portail API.gouv (par exemple, les collectivités territoriales pour les transports).
Depuis la loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants (ORE) du 8 mars 2018, les Crous mettent en place un paiement anticipé des bourses au 31 août pour permettre aux étudiants de disposer des bourses dès les premiers jours de la rentrée. Pour les académies de Mayotte et de la Réunion, le paiement anticipé de la mensualité de septembre s’effectue au cours du mois d’août compte tenu de la date de la rentrée. De plus, les Crous s’engagent à une mise en paiement des bourses avant le 5 de chaque mois.
Sources : questionnaires budgétaires.
2. Le système d’échelons s’adapte aux ressources et aux charges de l’étudiant et de sa famille
La BCS comporte huit échelons (de 0 bis à 7), chacun correspondant à un montant annuel de bourse (de 1 454 euros à 6 335 euros, depuis la dernière revalorisation à la rentrée 2023).
L’échelon de la bourse dépend du niveau de revenus des parents de l’étudiant et des charges de la famille. Ces charges sont estimées par un système de points de charge compris entre 0 et 17. Les plafonds de ressources fixés pour l’attribution de l’échelon varient en fonction de ces points de charge. Pour 17 points de charge, les ressources pour être bénéficiaire d’une BCS à l’échelon 0 bis doivent être comprises entre 65 010 et 95 610 euros, contre entre 22 500 et 33 100 euros en l’absence de point de charge.
nombre de boursiers par echelon en 2024
Source : Rapport annuel de performance Mission Recherche et Enseignement budgétaire – PLRG 2024.
Les revenus pris en compte pour le calcul du droit à bourse sont ceux de l’année N– 2 et dépendent des différentes configurations familiales possibles (divorce, parent isolé, garde exclusive ou alternée, perception d’une pension alimentaire, remariage). La plupart du temps, seul le revenu brut global (RBG) des parents est pris en compte. Pour que les revenus de l’étudiant soient également pris en compte, il faut qu’il soit rattaché au foyer fiscal de ses parents, que la déclaration de ses parents intègre ses revenus et qu’il gagne plus de 3 smic par an (en dessous, il est exonéré de déclaration). Si l’étudiant est marié ou pacsé avec une déclaration fiscale indépendante de celle (s) des parents, ou s’il a au moins un enfant à charge fiscalement, alors seules les ressources du nouveau foyer fiscal de l’étudiant sont retenues. Enfin, les étudiants bénéficiant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont automatiquement à l’échelon 7.
Les points de charge dépendent de la composition familiale et du lieu de résidence de la famille par rapport au lieu d’études. Pour chaque enfant supplémentaire à charge des parents, quatre points sont comptés s’il est en études supérieures, deux points sinon. La distance séparant le lieu d’études et le foyer familial est aussi prise en compte : un point si la distance est comprise entre 30 et 249 km, deux points entre 250 et 3 499 km.
Enfin, les bourses sont généralement versées en dix mensualités, à l’exception de certaines catégories d’étudiants boursiers qui ne peuvent rentrer chez eux durant la période estivale (étudiants ultra-marins suivant leurs études dans l’Hexagone, étudiants pupilles de la Nation, etc.) : le dispositif « grandes vacances universitaires » permet ainsi à 30 000 étudiants de voir leurs aides abondées de deux mensualités supplémentaires (le montant mensuel étant inchangé).
3. Ces BCS s’accompagnent de droits connexes et sont complétées d’autres aides spécifiques pour certains publics fragiles
Les boursiers sur critères sociaux bénéficient de droits connexes en plus de la bourse. Ils sont exonérés des droits d’inscription, de la contribution vie étudiante et de campus (CVEC) et des frais d’inscription aux concours d’entrée aux grandes écoles. Une bourse sur critères sociaux donne également droit à la priorité dans l’attribution des logements Crous ainsi qu’à un tarif préférentiel (repas à 1 euro) dans les restaurants universitaires. Ce repas à 1 euro a été mis en place à la rentrée de l’année universitaire 2020-2021 pour faire face aux conséquences sociales de la crise sanitaire. D’abord destiné aux étudiants boursiers, il a été élargi à l’ensemble des étudiants du 25 janvier au 30 août 2021. Ce ticket a, depuis, été maintenu par le Gouvernement pour les étudiants boursiers et pour les étudiants non boursiers en situation de précarité. Pour qu’un étudiant non boursier puisse bénéficier du tarif à 1 euro, il doit bénéficier d’une aide spécifique annuelle (ASAA) ou avoir fait l’objet d’une évaluation sociale réalisée par les services sociaux des Crous.
L’attribution d’une bourse sur critères sociaux conditionne l’accès à d’autres aides versées par le ministère de l’enseignement supérieur – le niveau d’échelon n’ayant pas d’incidence sur le niveau de l’aide – comme l’aide à la mobilité Parcoursup, l’aide à la mobilité en master ou l’aide à la mobilité internationale.
L’aide au mérite est un complément versé systématiquement aux étudiants bénéficiaires d’une bourse sur critères sociaux ayant eu une mention « très bien » au baccalauréat, quel que soit le ministère de tutelle. Pour les personnes ayant eu leur baccalauréat depuis 2015, son montant est de 900 euros par an. Elle est attribuée pour 3 ans à condition que l’étudiant ne redouble pas. Pour l’année 2024, les dépenses d’aide au mérite s’élevaient à 41,7 millions d’euros à destination de 44 050 bénéficiaires. La baisse des dépenses relatives à l’aide au mérite est imputable en partie à la réduction de moitié du montant de l’aide pour les étudiants ayant eu leur baccalauréat à partir de 2015.
L’allocation spécifique annuelle (ASAA) est destinée aux étudiants non boursiers ayant des problèmes financiers durables en lien avec des situations de rupture familiale ou d’indépendance avérée. Pour bénéficier de cette aide, l’étudiant doit remplir les mêmes conditions de diplôme, d’études et de nationalité que pour les BCS. En 2024, 4 440 étudiants ont bénéficié de cette aide pour un budget total de 26,2 millions d’euros. Les boursiers ne sont pas éligibles à cette aide. Elle est donc destinée aux étudiants qui n’ont pas préparé leur DSE ou qui ont reçu une réponse négative. Cette aide dispose des mêmes échelons que les BCS, elle est versée mensuellement. Les bénéficiaires sont exonérés des droits de scolarité à l’université. Le nombre de mensualités peut être réduit mais il est au minimum de six mensualités.
L’aide spécifique ponctuelle (ASAP) est destinée à tous les étudiants en formation initiale qui rencontrent des difficultés financières passagères. Elle est cumulable avec une BCS ou une ASAA et peut être demandée plusieurs fois au cours d’une année universitaire. Elle peut comprendre le versement d’une aide anticipée de 500 euros. En 2024, le nombre d’attributions d’aides ponctuelles s’est élevé à 83 232 pour un montant moyen de 314,50 euros auprès de 65 774 étudiants. Ce nombre est supérieur au niveau antérieur à la crise (79 232 aides attribuées en 2019). Les principaux motifs des aides attribuées concernaient une aide alimentaire (41 %), le logement (28 %) et des difficultés particulières (8 %). La dépense par les CROUS au titre des aides ponctuelles s’élève à 27 millions d’euros en 2024.
Le statut de boursier permet également l’application d’un plancher de ressources plus faible dans le cadre de l’aide personnalisée au logement (APL), mais également à des aides de l’Agence de l’Outre-mer pour les étudiants ultra-marins. À l’échelle territoriale, le bénéfice d’une bourse nationale sur critères sociaux peut conditionner l’obtention d’aides complémentaires des régions, des départements ou des communes, notamment dans le secteur des transports.
Enfin, entre 10 et 11 % des boursiers étudient dans des établissements qui relèvent d’une autre tutelle ministérielle que celle du MESR. Ainsi, il existe des BCS délivrées par le ministère de l’Agriculture et le ministère de la Culture (notamment pour les écoles d’architecture), suivant les mêmes règles que les BCS du MESR pour les formations relevant de leur tutelle. Pour autant, le rapport Jolion constate la persistance d’aides locales pour certaines écoles relevant du ministère de l’Industrie et l’application d’une aide nationale pour d’autres sous la même tutelle.
Il existe également des bourses gérées par les régions pour les formations en écoles sanitaires et sociales, avec des règles d’attribution pouvant varier d’une région à l’autre. Cependant, si l’aide sociale aux étudiants du secteur sanitaire est une obligation légale des régions ([12]), elle ne l’est pas pour les formations sociales.
4. De fortes disparités existent selon les formations, les académies et le genre
Selon les données de la DREES ([13]), la part de boursiers parmi les étudiants inscrits en formation éligible atteint 37,2 % lors de l’année universitaire 2023-2024, à un niveau équivalent à celui de l’année universitaire 2014-2015.
De forts contrastes perdurent selon la filière et le type d’établissement. Les établissements publics accueillent une part deux fois plus importante de boursiers sur critères sociaux (40,3 %) que les établissements privés (20,3 %). Plus de la moitié des étudiants en section de technicien supérieur (STS) (hors apprentis) sont boursiers (54,8 %), soit presque deux fois plus qu’en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE, 28,3 %) et presque cinq fois plus qu’en école de commerce (11,2 %). La part des boursiers dans les formations d’ingénieurs diffère selon qu’elles sont universitaires (33,7 %) ou non (22,3 %).
Par ailleurs, les STS (hors apprentissage), qui accueillent déjà la part de boursiers la plus importante, sont également la filière avec les boursiers les plus précaires : quatre boursiers sur dix appartiennent aux échelons les plus élevés (échelons 5 à 7). C’est deux fois plus que dans les filières d’ingénieurs, qu’elles soient universitaires ou non. Ces dernières accueillent la plus faible part de boursiers aux échelons 5 à 7, suivies par les établissements universitaires privés et les CPGE.
La proportion de boursiers a augmenté de façon marquée à la fois dans des formations ayant historiquement de fortes parts de boursiers (+ 2,2 points en STS, + 2,1 points en IUT) mais également en CPGE publiques (+ 2,1 points) ainsi que dans les établissements universitaires privés (+ 2,0 points) et les grands établissements de type universitaire (+ 1,7 point), trois formations avec des parts de boursiers plus faibles.
Si un peu plus d’un quart des étudiants sont boursiers dans les académies de Paris et Versailles, la part de boursiers en Outre-mer varie de 49,1 % (Guyane) à 64,1 % (La Réunion). En France métropolitaine, les académies de Corse (47,5 %) et de Montpellier (46,9 %) sont celles où les proportions de boursiers sont les plus élevées.
Enfin, comme les années précédentes, les étudiantes sont plus souvent boursières (quatre sur dix) que les étudiants (trois sur dix). Cet écart s’explique par une plus forte propension des femmes issues de milieux plus modestes à poursuivre des études.
Les bourses allouées aux étudiants étrangers précaires
Les étudiants étrangers doivent pouvoir justifier en France de moyens d’existence suffisants pour y suivre leurs études. Pour autant, ce faible montant (615 euros mensuels) est non seulement peu dissuasif mais cette obligation fait l’objet de peu de contrôles, conduisant de nombreux étudiants étrangers à se retrouver dans une situation financière précaire. Or, seule une minorité des étudiants étrangers est éligible à l’obtention des bourses.
Au cours de l’année universitaire 2023-2024, parmi les étudiants bénéficiant d’une bourse sur critères sociaux, 52 502 d’entre eux étaient de nationalité étrangère, soit 7,6 % des étudiants boursiers. Cette part est en constante augmentation depuis neuf ans (3,3 % en 2014-2015) et plus d’un tiers sont originaires de quatre pays : l’Italie, l’Espagne, le Portugal, et l’Algérie.
Parmi les étudiants en mobilité internationale (319 900 en 2023-2024), seuls 6 000 d’entre eux bénéficiaient d’une BCS, soit 14 % des étudiants étrangers boursiers. Ces étudiants sont devenus éligibles à une BCS après avoir travaillé en France (40 %), parce qu’un de leur parent travaille ou réside en France depuis au moins deux ans (19 %) ou en raison de leur statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire ou temporaire (40 %).
Dans le cadre des aides spécifiques ponctuelles, ouvertes aux étudiants qui ne respectent pas les conditions d’attribution des BCS (notamment en matière de nationalité et de résidence), 58 342 aides ont été attribuées par les Crous en 2022-2023.
Enfin, des bourses du gouvernement français (BGF) sont allouées par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, pour des études, des stages ou des séjours linguistiques en France. Il s’agit de bourses d’excellence attribuées essentiellement par les services de coopération et d’action culturelle des ambassades et des consulats généraux de France à l’étranger. Seuls 9 592 étudiants bénéficiaient de BGF en 2022-2023 parmi les 430 000 étudiants étrangers accueillis en France.
II. La réforme paramétrique des bourses de 2023 a permis d’améliorer les conditions de vie et d’études des étudiants sans pour autant supprimer toutes les insatisfactions du système actuel
A. La première étape de la réforme, entrée en vigueur à la rentrée 2023, a été un succès dans un contexte de précarisation de la population étudiante
1. La réforme a modifié les paramètres d’éligibilité ainsi que les montants des bourses distribuées
Le 29 mars 2023, la ministre de l’enseignement supérieur Sylvie Retailleau a présenté « l’acte I de la réforme des bourses », laquelle avait été annoncée par le président de la République le 19 janvier 2021, lors d’un déplacement à l’Université de Paris-Saclay.
Cette première étape de la réforme constituait l’aboutissement d’une concertation sur la vie étudiante, qui a rendu ses conclusions à la fin de l’année 2022. Initialement chiffrée par le ministère à 500 millions d’euros en année pleine, l’enveloppe prévue pour la revalorisation du barème et l’augmentation du montant des bourses s’est finalement élevée à 200 millions d’euros pour les quatre derniers mois de l’année 2023 et à 440 millions d’euros pour 2024. Cette enveloppe a également bénéficié aux étudiants des autres ministères que le MESR.
La première phase de la réforme des bourses sur critères sociaux mise en œuvre à la rentrée 2023-2024 a donc permis :
– l’augmentation de 6 % des plafonds de ressources, ce qui ouvre droit aux bourses à 35 000 étudiants supplémentaires (soit plus de 5 % de l’ensemble des boursiers) ;
– la revalorisation de 37 euros par mois du montant des bourses versées, quelle que soit l’échelon concerné, soit une hausse de 34 % pour le premier échelon (échelon 0 bis) et de 6 % pour le dernier échelon (échelon 7).
MONTANT DES BOURSES SUR CRITÈRES SOCIAUX SUR 10 MOIS avant et après la réforme de 2023
|
Versement des bourses sur 10 mois |
Versement des bourses sur 10 mois |
Échelon 0 bis |
1 084 euros |
1 454 euros |
Échelon 1 |
1 793 euros |
2 163 euros |
Échelon 2 |
2 701 euros |
3 071 euros |
Échelon 3 |
3 458 euros |
3 828 euros |
Échelon 4 |
4 217 euros |
4 587 euros |
Échelon 5 |
4 842 euros |
5 212 euros |
Échelon 6 |
5 136 euros |
5 506 euros |
Échelon 7 |
5 965 euros |
6 335 euros |
Source : arrêté du 18 juillet 2022 relatif aux taux des bourses d'enseignement supérieur du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour l'année universitaire 2022-2023 ; arrêté du 4 juillet 2024 fixant les taux des bourses d'enseignement supérieur du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour l'année universitaire 2024-2025.
Par ailleurs, le système des bourses sur critères sociaux a fait l’objet de mesures complémentaires ciblées pour tenir compte de la situation spécifique de certains étudiants. Les étudiants boursiers qui suivent leurs études en outre‑mer bénéficient d’un complément de bourse de 30 euros par mois afin de tenir compte du coût de la vie dans les territoires ultramarins. Enfin, les étudiants en situation de handicap et les étudiants aidants, qui viennent en aide de manière régulière et fréquente à un parent handicapé, bénéficient de 4 points de charge supplémentaires dans le calcul de leur bourse.
2. Elle a eu des effets bénéfiques en permettant d’élargir le nombre de boursiers pour un coût budgétaire modéré
La première phase de la réforme des bourses a permis à 140 000 étudiants boursiers d’accéder à un échelon supérieur et à 30 000 étudiants non‑boursiers de le devenir, dont 1 000 étudiants au titre de points de charge supplémentaires. Les nouveaux entrants bénéficient également de l’ensemble des droits connexes aux bourses.
Pour autant, la démographie des boursiers met en jeu des dynamiques contraires. La réforme de 2023, et la hausse des effectifs boursiers qui en découle, s’inscrit dans un contexte de baisse marquée du nombre d’étudiants boursiers depuis deux ans (– 3,9 % en 2021-2022 et – 7,6 % en 2022-2023). Cette dynamique s’explique notamment par la forte hausse de l’apprentissage. Ce régime, qui n’ouvre pas droit aux BCS, progresse de façon prononcée notamment en sections de technicien supérieur (STS), formation où la proportion de boursiers est la plus élevée. En 2023-2024, les effectifs de STS en apprentissage ont augmenté de 6,1 % par rapport à l’année universitaire précédente, et de 73,4 % en trois ans.
En outre, cette baisse tendancielle est portée par la hausse des effectifs étudiants dans les établissements privés pour suivre des formations non habilitées par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Ainsi, par rapport à l’année précédente, l’effectif d’étudiants boursiers a augmenté de 2,1 %, soit 14 000 étudiants boursiers supplémentaires lors de la rentrée de 2023. Si cette hausse met un terme à la baisse observée depuis 2020, le nombre de boursiers reste, à l’exception de l’année universitaire précédente, le plus bas depuis 2015-2016.
Source : ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
D’un point de vue budgétaire, la réforme de 2023 aura cependant été moins coûteuse qu’attendue. Sur le coût de 440 millions d'euros que devait initialement entraîner la réforme des bourses, seuls 120 millions d’euros devaient être financés par des moyens nouveaux, le reste découlant d’une prévision pour 2023 supérieure à la consommation reportée sur 2024.
Le coût global des deux mesures annoncées pour les finances publiques – hors effets indirects sur les autres prestations – s’est finalement élevé à 400 millions d’euros. 670 000 étudiants en ont bénéficié pour un gain annuel moyen s’élevant à 590 euros, soit environ 50 euros de plus par mois.
La combinaison des deux mesures se décompose en :
– l’augmentation de 37 euros des montants mensuels de BCS (sans revalorisation des plafonds de ressources), qui a majoré les dépenses de BCS de 230 millions d’euros, pour les étudiants initialement bénéficiaires de BCS ;
– l’augmentation de 6 % des plafonds de ressources retenus pour le calcul des BCS (sans augmentation du montant des BCS), qui a majoré les dépenses de BCS de 140 millions d’euros.
L’effet global est supérieur à la somme des effets de chaque composante en raison des interactions entre les deux dispositifs : les nouveaux bénéficiaires perçoivent un montant de BCS majoré par rapport à celui pris en compte dans les 140 millions d’euros, et des bénéficiaires avant réforme ont vu leur montant de bourse augmenter de plus de 37 euros en franchissant des seuils.
B. La réforme paramétrique est insuffisante pour résoudre toutes les difficultés inhérentes au mode de calcul des bourses sur critères sociaux
Toutefois, la réforme de 2023 n’a pas résolu tous les défauts structurels du mode de calcul des bourses sur critères sociaux identifiés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. L’analyse du dispositif actuel fait état de cinq difficultés induites par le système des échelons.
● Selon les calculs de la DGESIP, une augmentation d’un euro du revenu des parents peut entraîner la perte d’un échelon voire du bénéfice des BCS et donc une perte de revenus allant jusqu’à 908 euros annuels pour l’étudiant. Même si l’augmentation des montants de bourses à la rentrée 2023 a garanti qu’aucun étudiant n’ait vu sa bourse diminuer d’un montant supérieur à l’augmentation de revenus de ses parents, le principe des discontinuités persiste en raison de ces effets de seuil.
● Il est également important de constater une pente trop forte des aides, avec une forte concentration de bourses de faible montant pour les jeunes issus des classes moyennes défavorisées, ce qui correspond aux foyers compris entre les 4e et 6e déciles. Ainsi, 31 % des boursiers sont à l’échelon 0 bis et perçoivent moins de 150 euros par mois, ce qui affecte les conditions de vie des étudiants, en particulier pour les décohabitants.
Au cours de la période récente, dans un contexte de forte croissance du nombre d’étudiants, l’essentiel des efforts du ministère en charge de l’enseignement supérieur a porté sur l’atténuation des effets de seuil à l’entrée du dispositif, dans le souci d’élargir le nombre de bénéficiaires, en incluant les étudiants :
– issus des classes les plus défavorisées, à travers la création de l’échelon 7 en 2013 ;
– issus des classes moyennes, à travers la création de l’échelon 0 à la fin des années quatre-vingt-dix, puis sa transformation plus récemment en échelon 0 bis, ouvrant droit au versement d’une allocation financière en plus de l’exonération des droits d’inscription et de celle de la contribution CVEC dont bénéficient tous les étudiants boursiers.
● La complexité du système est renforcée du fait du croisement de la prise en compte des revenus et des « points de charges », ce qui rend le système difficile à appréhender pour les étudiants et leurs familles mais aussi à piloter pour les pouvoirs publics. Au total, selon les informations communiquées par la DGESIP, il existe donc 144 configurations possibles pour l’attribution des BCS.
● Les bourses de l’enseignement supérieur sont la seule aide sociale à ne pas avoir de système de revalorisation fixé réglementairement, à l’inverse des bourses scolaires par exemple. Or, cette absence d’indexation automatique des barèmes et des taux conduit à diminuer au fil du temps le pouvoir d’achat des boursiers et à en restreindre mécaniquement le nombre.
Ainsi, le nombre de boursiers des établissements sous tutelle du MESR est d’ores et déjà revenu à son niveau antérieur à la réforme de 2023, soit 679 000 au 31 décembre 2024, exactement au même niveau qu’en décembre 2022. Par ailleurs, on estime que du fait de l’absence de revalorisation des taux aux rentrées 2024 et 2025, les gains de pouvoir d’achat auront été significativement réduits à la fin de 2025 avec, par exemple, un manque à gagner de 34 euros par mois pour les boursiers échelon 7.
● Enfin, les travaux de comparaisons européennes conduits par la DGESIP, à l’appui des données de l’enquête Eurostudent, tendent à montrer que la France aurait un bon niveau de couverture de bourses accompagné d’un bon ciblage en faveur des familles les plus modestes, mais des niveaux d’aides financières plus faibles que la moyenne. Ainsi, il manque 50 euros par mois au montant moyen de bourse par rapport à la moyenne européenne. La France accuse ainsi un retard de 5 points en pourcentage du revenu médian (15 % du revenu médian pour le montant moyen des bourses contre 20 % en moyenne en Europe). Ces écarts sont encore plus marqués pour les montants maximaux, avec un écart de 120 euros par mois par rapport à la moyenne européenne.
III. la réforme structurelle des bourses doit être relancée pour la rentrée 2026, en complément d’une modernisation en cours de la gestion du système des aides
A. La réforme structurelle doit être lancée avec des pistes de financement d'ores et déjà identifiéEs en suivant une logique de « solidarité à la source »
1. Les options d’une allocation universelle ou d’un revenu étudiant doivent être écartées afin que les bourses demeurent une aide sociale qui concentre ses efforts sur les plus précaires
Des associations étudiantes ont contesté la place déterminante des revenus des parents dans les critères d’attribution des bourses sur critères sociaux, appelant à faire évoluer les bourses vers un revenu assurant l’autonomie des jeunes, certains se référant au « modèle scandinave ». Les pays nordiques, parmi lesquels le Danemark et la Suède, privilégient en effet une logique de responsabilisation de l’étudiant : au Danemark, les aides sont imposables tandis que, dans ces deux pays, les aides publiques sont complétées par des prêts spécifiques à taux réduit. Si les critères d’éligibilité sont définis de manière très large, les étudiants doivent dans une large majorité travailler pour compléter leur bourse. Au Danemark, les critères d’attribution ne prennent pas en compte les revenus des parents, mais le montant des bourses est réduit pour les étudiants habitant chez leurs parents. Néanmoins, le système danois repose sur la sélection à l’entrée de l’université, ce qui réduit le nombre des bénéficiaires de cette allocation universelle, et donc son poids sur les finances publiques.
L’introduction d’un revenu étudiant en France représenterait une charge démesurée sur le budget de l’enseignement supérieur. Dans une hypothèse où l’ensemble des étudiants – français ou non, soit environ 3 millions de personnes – recevait 1 000 euros par mois pendant 12 mois, le coût annuel avoisinerait les 41 milliards d’euros pour l’État, soit 150 % du budget du MESR qui s’élève à 26,7 milliards d’euros en 2025. Dans un scénario plus strict reposant sur 10 mensualités de 600 euros, le coût est estimé à 16 milliards d’euros annuel. En comparaison, le budget intégrant l’ensemble des aides directes et indirectes à destination des étudiants s’élevait à 8 millions d’euros en 2023.
En outre, les résultats d’une telle mesure ne seraient pas conformes aux objectifs de réduction des inégalités. Traiter tous les étudiants de la même façon revient à occulter les difficultés – financières, géographiques, personnelles – propres à certaines catégories de la population. L’instauration d’une allocation universelle à destination des étudiants entraînerait un effet d’aubaine pour les étudiants dont les parents sont en mesure de leur apporter un soutien financier suffisant. Un soutien uniforme à tous les étudiants est donc contraire à l’objectif de réduction des inégalités propre à l’enseignement. Alors même que son coût ne serait pas soutenable – a fortiori dans un contexte de finances publiques dégradées – et son efficacité sur la réduction des inégalités nulle, les options d’une allocation universelle ou d’un revenu étudiant doivent être écartées.
2. La réforme repose sur la suppression du système des barèmes au profit de modulations spécifiques à la situation des étudiants
La deuxième phase de la réforme des BCS, dont l’aboutissement était initialement prévu au premier semestre 2025, a pris du retard. Le ministre Patrick Hetzel avait annoncé la tenue d’une nouvelle concertation au printemps 2025 avant une entrée en vigueur de la réforme à la rentrée 2026. Ce report calendaire tient à plusieurs difficultés liées à l’opportunité politique, au coût budgétaire, à la disponibilité d’un système informatique performant, et à l’avancée de chantiers techniques sur la « solidarité à la source » menés par le ministère en charge des solidarités.
Cette réforme structurelle vise plusieurs objectifs : la suppression des effets de seuil et d’éviction liés au système d’échelons à l’aide d’un système linéarisé ; l’adoucissement de la pente des aides pour mieux aider les étudiants bénéficiant aujourd’hui de bourses trop faibles pour sortir de la précarité, en particulier les étudiants issus des classes moyennes ; la simplification du parcours de l’étudiant pour réduire le non-recours aux droits ; une meilleure prise en compte de la situation spécifique des étudiants décohabitants.
L’objectif visé est de supprimer les effets de seuil liés à la structuration du système de BCS en barèmes de revenus de référence. Les pistes de réforme incluent en effet une suppression des échelons au profit d’un système de montant socle de bourse, auquel s’ajouteraient des modulations en fonction de certaines situations personnelles (décohabitation forcée, distance entre le domicile familial et le lieu d'études, situation de handicap, étudiant aidant, étudiant en outre-mer, etc).
Le MESR a été intégré aux travaux de pilotage de la réforme de la « solidarité à la source » conduite par la DREES. La réforme des bourses s’inscrit pleinement dans ce projet, tant dans le principe de linéarisation qui permet de supprimer les effets de seuils, que dans le mécanisme de compléments qui s’apparente au système « d’échelle d’équivalence » prévu par la solidarité à la source.
En revanche, il n’a pas été préconisé d’utiliser la base ressource du « montant net social » pour des raisons temporelles et techniques. Tout d’abord, la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) a estimé à 3 ans le délai nécessaire pour intégrer les bourses dans le dispositif de ressources mensuelles (DRM) permettant de calculer le montant net social. De plus, l’intérêt du DRM réside dans le fait de calculer simplement des droits devant évoluer de manière infra-annuelle. Or, s’agissant des bourses, il est important que les étudiants disposent d’une visibilité à l’échelle de l’année universitaire. L’enjeu de contemporanéisation est donc moindre pour les étudiants.
En cohérence, il a donc été décidé de maintenir la base ressource « RBG ajusté » plutôt que le RFR afin de rapprocher le mode de calcul des bourses de celui de l’ensemble des aides sociales. En effet, le RBG est déjà une base ressource proche de celle de la solidarité à la source car prenant en compte les revenus « bruts », les plus proches de ceux réellement perçus par les ménages. À l’inverse, le choix du RFR aurait induit des risques d’optimisation fiscaux de la part des foyers, en lien avec des pratiques de décohabitations « fictives » - les pensions étant exclues du RFR.
Si la réforme peut être conduite à coût zéro, la DGESIP évoque un coût de linéarisation des bourses dans une fourchette comprise entre 300 et 600 millions d’euros afin de limiter les effets de bords sur les perdants.
Pour pouvoir engager cette réforme structurelle indispensable, plusieurs pistes de financement sont envisageables.
● D’une part, la réduction d’impôt sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur, dont le coût est estimé par la Cour des comptes à 218 millions d’euros en 2024, pourrait être supprimée afin de financer la réforme. Cette dépense fiscale, qui s’élève à 183 euros en garde commune ou principale et à 91,50 euros en garde alternée, bénéficie à 1,48 million de ménages. Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) relève d’ailleurs le caractère « symbolique » d’une telle dépense fiscale, qui a son pendant au niveau scolaire. Il souligne que « ces avantages fiscaux constituent un bon exemple de dépenses inefficaces et inefficientes qui ne font l’objet d’aucun pilotage en termes de ciblage ou d’évaluation, et pour lesquelles la seule action publique est de les laisser s’éteindre progressivement, du fait de leur stabilité nominale depuis 1993. »
● D’autre part, une piste plus ambitieuse consisterait à modifier le mode de calcul de l’allocation personnalisée au logement (APL) pour les étudiants en prenant en compte les ressources parentales, afin de concentrer ces aides sur les étudiants issus de foyer modestes. La prise en compte du foyer fiscal conduirait ainsi à une éviction des dixièmes supérieurs de niveau de vie parental. Selon la DREES (2025) ([14]), les effectifs sont croissants en fonction du niveau de vie parental : 45 % des bénéficiaires d’APL étudiant sont dans les dixièmes de niveau de vie parental 8, 9 et 10, ce qui représente un coût budgétaire de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros.
Recommandation n° 1
Engager la réforme structurelle des bourses et assurer son financement par la suppression de la réduction d’impôt sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur ou par un recentrage des APL étudiants sur les étudiants issus des foyers modestes et de la classe moyenne (direction du budget).
3. Certains publics fragiles pourraient bénéficier de mesures connexes : annualisation du versement des BCS et prime d’équipement à la rentrée
La généralisation de l’annualisation du versement des BCS, trop coûteuse, doit être écartée pour la cibler sur certains publics fragiles. Ainsi, les boursiers en 2e cycle des études de santé, qui sont contraints à une obligation de stage durant les 36 mois de leur externat, pourraient bénéficier de ce versement sur 12 mois et non sur 10 mois. En effet, cette obligation s’étend durant les mois d’été rendant le cumul avec une activité rémunérée quasiment impossible et justifierait ainsi l’annualisation de l’aide sociale. Pour les filières médecine, odontologie et pharmacie (regroupant de l’ordre de 21 000 boursiers), le coût induit serait de 14 millions d’euros selon le rapport Jolion. Des travaux pourraient également être conduits pour inclure la filière sage-femme qui relève de la compétence des régions.
Recommandation n° 2
Généraliser l’annualisation du versement des bourses sur critères sociaux aux étudiants relevant des filières médecine, odontologie et pharmacie (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle).
Il est également proposé que l’on puisse, par une modulation spécifique, tenir compte de la spécificité des primo-arrivants dans l’enseignement supérieur. Ce dispositif pourrait aussi être mobilisé pour tenir compte des frais particuliers de certaines filières nécessitant un investissement matériel important en début d’année.
Recommandation n° 3
Mettre en place une modulation spécifique pour les primo-arrivants dans certaines filières nécessitant un investissement matériel important (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle).
B. La gestion du système des aides est en cours de modernisation et doit simplifier le parcours des étudiants
1. La gestion du dispositif de versement des BCS par les Crous doit être harmonisée pour toutes les formations
● Les Crous sont d’ores et déjà l’opérateur unique de gestion des aides pour le compte de trois ministères (enseignement supérieur, agriculture et culture) – à l’exception des lycées de la mer dont la gestion va bientôt leur être transférée. Ils interviennent également partiellement pour d’autres ministères (armées, développement durable). Les étudiants ont ainsi le même guichet et la même procédure pour solliciter une bourse, à l’exception des voies de recours pour les boursiers relevant du MESR, puisque les rectorats sont l’autorité d’attribution et non les Crous.
La seule différence de traitement concerne les boursiers des formations sanitaires et sociales dont la loi a confié la gestion aux régions. Cependant, trois d’entre elles – la Normandie, le Centre-Val-de-Loire, et très récemment les Pays-de-la-Loire dès la rentrée 2025 – ont délégué la gestion de leur dispositif aux Crous. Le bilan est favorable : bien que les étudiants bénéficiant des bourses des formations sanitaires et sociales (BFSS) nécessitent une gestion distincte des autres boursiers de l'ESR par les Crous — avec deux cohortes par an et une réglementation spécifique –, des efforts ont été réalisés pour rapprocher ces règles de celles des bourses pour les étudiants de l'ESR, réduisant ainsi au maximum les différences.
En application du principe d’égalité de traitement de tous les étudiants quel que soit le ministère de tutelle, les Crous doivent être renforcés dans leur mission de gestion des aides sociales pour tous les ministères. Il serait par conséquent pertinent de s’orienter vers une homogénéisation de l’organisme gestionnaire en recentralisant la compétence de gestion des aides sociales des formations sanitaires et sociales, actuellement confiée aux régions. En effet, au-delà de cet acte de gestion, cela permettrait que l’ensemble des étudiants soit également dans le périmètre des autres actions des Crous, notamment concernant l’information et la prévention en matière de santé.
Recommandation n° 4
Recentraliser vers les Crous la compétence de gestion des aides sociales des formations sanitaires et sociales, actuellement confiée aux régions (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ; Centre national des œuvres universitaires et scolaires ; régions).
2. La refonte du système d’information du Cnous va permettre d’accueillir la réforme systémique et de procéder à l’avenir à des simplifications des démarches des usagers
● Le déploiement d’un nouveau système informatique (SI) a constitué la condition préalable à une réforme systémique. Jusqu’à présent, il était nécessaire de recoder l’ensemble du SI à chaque évolution du moindre paramètre. Un nouveau portail informatique des demandes de bourses, plus ergonomique pour les étudiants et les gestionnaires, a donc été mis en place le 12 mars 2025 afin d’assurer un meilleur pilotage du système.
Pour la DGESIP, à ce stade, ce nouveau système de traitement des demandes appelé « OLAFE » remplit ses objectifs. Si l’instruction intégrale du dossier par les agents des Crous se fait toujours manuellement, la vérification de sa complétude a été allégée dans le nouvel outil avec un nombre inférieur de documents à transmettre par les étudiants. Des développements sont en cours pour corriger les éventuels dysfonctionnements signalés par les étudiants. Les 300 gestionnaires des Crous ont terminé leur formation en mars 2025 et ont commencé l’instruction des demandes.
Un bilan complet nécessitera un recul supplémentaire, notamment pour les restitutions et les divers développements encore envisagés. Néanmoins, le nouvel SI permettra d’introduire plus facilement les nouvelles mises à jour actées par la réforme structurelle à venir.
Par ailleurs, une simplification de la réglementation et des procédures a été conduite pour faciliter les démarches des étudiants et des gestionnaires des Crous ainsi que des établissements d’enseignement supérieur. De premières simplifications seront déployées dès cette année : elles permettront par exemple de réduire fortement le nombre de pièces justificatives demandées aux étudiants issus de familles dont les parents sont divorcés.
La DGESIP prévoit des simplifications plus substantielles, d’ici 2026, pour faciliter la vie des usagers mais aussi des gestionnaires, avec notamment une modification possible du circuit de paiement des bourses pour qu’elles soient versées directement par les Crous et non par les rectorats, procédure actuelle qui ne présente aucune plus-value de service public et des coûts administratifs importants.
● L’articulation entre l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur doit faire l’objet d’une véritable refonte pour simplifier au maximum la démarche des usagers. Aujourd’hui, un lycéen boursier en terminale est contraint de faire à nouveau examiner son dossier pour l’éligibilité à une bourse de l’enseignement supérieur. La différence de référence sur les revenus (RFR dans le secondaire et RBG dans le supérieur) contribue à cette absence de continuité. En revanche, les données fiscales sont récupérées automatiquement : l’étudiant indique le numéro fiscal de son foyer et l’API Impôt renvoie au Crous toutes les informations nécessaires à l’étude de sa demande.
Depuis 2024, l’ajout d’un simulateur en ligne permet aux étudiants d’évaluer leur éligibilité et leurs droits à bourse avant de déposer leur dossier ([15]). Pour autant, dans une logique de simplification des démarches des usagers, la plateforme Parcoursup apparaît, pour les rapporteurs spéciaux, comme l’instrument adéquat pour permettre aux étudiants de simuler en temps réel leurs droits à bourses selon les formations demandées.
Le rapport Jolion préconise également plusieurs actions simplificatrices :
– adresser à tous les futurs bacheliers un lien de connexion permettant la simulation du droit à bourse ;
– transférer les données des boursiers du secondaire pour estimer leur droit à bourse dans le supérieur ;
– reprendre les données essentielles du dossier du bénéficiaire et ne l’interroger que sur les changements.
Il apparaît également indispensable de simplifier le traitement des dossiers pour les bénéficiaires d’une aide à l’année N lors de l’évaluation de l’éligibilité au passage à l’année N + 1. La mesure de l’examen automatique des bourses dans l’enseignement scolaire, mise en œuvre à la rentrée 2024, pourrait ainsi être étendue à l’enseignement supérieur : chaque année, l’étudiant boursier reçoit les informations mises à jour des données fiscales connues, et s’il confirme ces données et ne signale aucun changement de situation, la bourse est maintenue sans autre démarche pour l’année suivante.
Enfin, en cohérence avec les modalités de la future réforme, et dans un objectif de simplification des démarches des étudiants, il serait important d’ajouter automatiquement à la bourse des informations complémentaires selon la situation du bénéficiaire : mobilité dans une autre académie, complément logement selon la ville d’étude, complément décohabitation, prise en compte des exigences de formation des parcours en santé, aide au mérite, etc.
● Enfin, à travers l’analyse des dossiers de demande d’accès au repas à 1 euro, il apparaît qu’une proportion significative de ces étudiants n’osent pas ou n’ont pas les bonnes informations pour déposer leur dossier. Dès lors, l’objectif de favoriser l’accès aux droits et de lutter contre le non-recours doit être poursuivi en élargissant le périmètre des aides financières auxquelles les étudiants peuvent prétendre (logement, transport, etc.) au sein du DSE, conformément au principe « dites-le-nous une fois ». Il s’agit d’une ambition plus générale de limiter au maximum les démarches de tous les étudiants et de passer du « dossier social étudiant », quérable, au « dossier social universel », automatique.
La première étape consiste à augmenter le périmètre des aides entrant dans le cadre du DSE. C’est déjà le cas pour l’allocation annuelle d’aide spécifique (ASAA) et pour l’aide à la mobilité master (AMM) pour la rentrée 2025.
Ainsi, pour l’ASAA, aucun dossier supplémentaire ne sera nécessaire. Après le rapport social, le service social viendra compléter la bourse pour les étudiants en rupture familial ou indépendant. S’agissant de l’AMM, la demande séparée sera supprimée et sera automatiquement attribuée si l’étudiant était boursier en licence en N-1 et s’il change d’académie pour effectuer sa 1re année de master en année N.
La DGESIP a indiqué aux rapporteurs poursuivre ce travail d’intégration d’autres aides au DSE dès octobre 2025, une fois la campagne informatique 2025-2026 achevée. Parallèlement, le Cnous a lancé un projet « d’entrepôt de pièces » qui évitera à l’étudiant de fournir plusieurs fois le même justificatif.
Recommandation n° 5
Simplifier au maximum les démarches des usagers et des gestionnaires dans le traitement de demandes de bourses, en particulier pour l’articulation entre l’enseignement scolaire et supérieur (direction générale de l’enseignement scolaire ; direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ; Centre national des œuvres universitaires et scolaires)
Élargir le périmètre des aides financières auxquelles les étudiants peuvent prétendre (logement, transport, etc.) au sein du dossier social étudiant (DSE) (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ; Centre national des œuvres universitaires et scolaires).
Lors de sa réunion de 9 heures, le mercredi 11 juin 2025, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu MM. Charles Sitzenstuhl et Thomas Cazenave, rapporteurs spéciaux de la mission Recherche et enseignement : Enseignement supérieur et vie étudiante, sur leur rapport d’information sur la réforme des bourses étudiantes, présenté en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale
Monsieur le président Éric Coquerel. Je donne maintenant la parole à MM. Charles Sitzenstuhl et Thomas Cazenave, rapporteurs spéciaux de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante. Vous avez choisi comme thème d’évaluation la réforme des bourses.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante. Le rapport que nous avons élaboré avec Thomas Cazenave dans le cadre du Printemps de l’évaluation traite des bourses sur critères sociaux de l’enseignement supérieur. La France compte près de 3 millions d’étudiants, mais ceux-ci constituent une population hétérogène. Certains bénéficient d’un soutien familial conséquent et ne rencontrent pas de difficultés financières particulières, tandis que d’autres font face à des obstacles significatifs pour financer leur parcours académique.
C’est précisément pour cette raison que l’État, en collaboration étroite avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires, a instauré depuis longtemps des aides financières complémentaires au soutien familial. Ces dispositifs s’adressent aux étudiants confrontés à des difficultés matérielles ne leur permettant pas d’entreprendre ou de poursuivre des études supérieures. Les bourses sur critères sociaux constituent le pilier central de cette action sociale, permettant à 677 000 étudiants en 2024 de poursuivre leur formation dans des conditions plus favorables.
Les crises successives des dernières années, d’abord sanitaire puis inflationniste, ont accentué la précarité étudiante, réalité dont nous sommes pleinement conscients. La pandémie a gravement affecté l’équilibre budgétaire des étudiants : 36 % de ceux qui exerçaient une activité rémunérée ont dû l’interrompre pendant la crise et 21 % ont été contraints de réduire leur activité. Le choc inflationniste a ensuite profondément impacté leurs ressources financières. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 30 % des jeunes de 18 à 24 ans se trouvent en situation de pauvreté monétaire. Ce chiffre masque d’importantes disparités, atteignant 40 % pour les décohabitants, contre 19 % pour ceux vivant au sein de leur famille. Par ailleurs, les étudiants précarisés cumulent fréquemment d’importantes vulnérabilités, qu’il s’agisse de problèmes de santé ou de ruptures familiales.
Cette précarité se manifeste également dans le ressenti des étudiants puisque, selon l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), 20 % d’entre eux déclaraient en 2023 connaître des difficultés financières telles qu’ils ne pouvaient subvenir correctement à leurs besoins, tandis que 26 % rapportaient vivre des fins de mois difficiles ou très difficiles. Face à cette réalité, les bourses sur critères sociaux jouent un rôle fondamental dans la réduction des inégalités et le soutien aux populations les plus vulnérables.
Les crédits du programme 231, qui assurent le financement des bourses sur critères sociaux, ont augmenté ces dernières années sous le double effet de l’évolution démographique et de l’indexation des bourses sur l’inflation durant la crise covid. Le coût budgétaire est ainsi passé de 2,04 milliards d’euros en 2017 à 2,17 milliards d’euros en 2022 avant la réforme, puis à 2,41 milliards d’euros annuels en 2024 après celle-ci.
Le dispositif des bourses sur critères sociaux comprend huit échelons, chacun correspondant à un montant annuel de bourse. Le calcul s’effectue sur la base des revenus N-2 des parents. Des points de charge déterminent le niveau de bourse selon différents critères, notamment l’éloignement géographique ou le nombre de frères et sœurs. Ces bourses sont accessibles aux étudiants inscrits dans une formation habilitée au sein d’un établissement d’enseignement public ou privé. Des droits connexes complètent ce dispositif, notamment le tarif social dans les restaurants universitaires, l’accès prioritaire aux logements du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et l’exonération de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC).
Afin de renforcer ce système, une première étape paramétrique a permis d’améliorer les conditions d’études. Cette phase a conduit à une augmentation de 6 % des plafonds de ressources, ouvrant ainsi le droit aux bourses à 35 000 étudiants supplémentaires, ainsi qu’à une revalorisation de 37 euros mensuels du montant des bourses versées, quel que soit l’échelon concerné.
La première étape de la réforme menée par le gouvernement précédent constitue donc un succès, ayant permis à 140 000 étudiants boursiers d’accéder à un échelon supérieur et à 30 000 étudiants non boursiers de le devenir. D’un point de vue budgétaire, la réforme de 2023 s’est avérée moins coûteuse que prévu, puisqu’elle s’est finalement élevée à 400 millions d’euros contre 440 millions initialement anticipés.
Cependant, des imperfections persistent dans ce dispositif. Des effets de seuil demeurent problématiques, la pente des bourses reste trop forte, avec 30 % des boursiers qui stagnent à l’échelon 0 bis et perçoivent donc moins de 150 euros mensuels. Le système actuel se caractérise également par une complexité de pilotage. Enfin, les bourses d’enseignement supérieur constituent la seule aide sociale dépourvue de système de revalorisation, ce qui exclut progressivement un certain nombre de bénéficiaires potentiels.
Il apparaît donc nécessaire de lancer au plus vite la seconde phase structurelle de la réforme pour supprimer notamment les effets de seuil et d’éviction, pour adoucir la pente des aides, et pour réfléchir également à un système d’annualisation du versement des bourses ainsi qu’à une meilleure prise en compte des spécificités des primo-arrivants. Ces évolutions nécessiteront des efforts budgétaires que je laisse à Thomas Cazenave le soin de préciser.
M. Thomas Cazenave, rapporteur spécial de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante. Cette réforme nous semble absolument indispensable et peut être conduite à coûts nuls. La direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) évoque un coût de réforme oscillant entre 300 et 600 millions d’euros afin de limiter notamment les effets de bord et le nombre de perdants.
Pour engager cette réforme structurelle essentielle, deux pistes de financement nous paraissent envisageables. Nous proposons d’abord de supprimer la niche fiscale relative à la réduction d’impôts sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur. Je rappelle que son coût est estimé à 218 millions d’euros par la Cour des comptes. Le Conseil des prélèvements obligatoires a d’ailleurs souligné que cet avantage fiscal constituait un parfait exemple de dépense inefficace et inefficiente, ne faisant l’objet d’aucun pilotage en termes de ciblage ou d’évaluation.
Nous suggérons également de modifier le mode de calcul des aides personnalisées au logement (APL) pour les étudiants en prenant en compte les ressources parentales, afin de concentrer ces aides sur les étudiants issus de foyers modestes et de classe moyenne. Actuellement, 45 % des bénéficiaires d’APL étudiants se situent dans les dixièmes de niveau de vie parentale 8, 9 et 10, ce qui représente un coût budgétaire de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros.
Par ailleurs, la réforme structurelle vise à simplifier le parcours de l’étudiant pour réduire le non-recours aux droits. C’est dans cette optique que le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) a procédé au déploiement d’un nouveau système informatique le 12 mars dernier. Ce nouveau portail des demandes de bourse, plus ergonomique et plus simple tant pour les étudiants que pour les gestionnaires, permet d’assurer un meilleur pilotage du système et, surtout, de mettre en œuvre cette réforme structurelle.
L’articulation entre l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur doit faire l’objet d’une véritable refonte afin de simplifier au maximum la démarche des usagers. La plateforme Parcoursup nous apparaît comme l’instrument adéquat pour permettre aux étudiants de simuler en temps réel leurs droits à bourse selon les formations qu’ils demandent.
Nous préconisons également d’étendre à l’enseignement supérieur la mesure d’examen automatique des bourses dans l’enseignement scolaire mise en œuvre à la rentrée 2024. Concrètement, chaque étudiant boursier recevrait les informations actualisées des données fiscales connues et, en l’absence de changement de situation signalé, sa bourse serait maintenue sans aucune démarche supplémentaire l’année suivante.
Il nous paraît également nécessaire de lutter contre le non-recours en élargissant le périmètre des aides financières accessibles aux étudiants au sein du dossier social étudiant, notamment concernant le logement et les transports, conformément au principe du « dites-le nous une fois » qui nous tient particulièrement à cœur.
Enfin, si les Crous constituent déjà l’opérateur unique de gestion des aides pour le compte de trois ministères – l’enseignement supérieur, l’agriculture et la culture –, une différence de traitement persiste pour les boursiers des formations sanitaires et sociales, dont la gestion a été confiée par la loi aux régions. En application du principe d’égalité de traitement de tous les étudiants, quel que soit leur ministère de tutelle, mais également pour des raisons de mutualisation des coûts, les Crous devraient voir leur mission de gestion des aides sociales renforcée pour l’ensemble des ministères et organismes publics. Nous proposons ainsi de recentraliser vers les Crous la compétence de gestion des aides sociales des formations sanitaires et sociales.
M. le président Éric Coquerel. Si je devais tirer les conclusions de vos travaux, vous indiquez que le système des bourses est efficace, mais qu’une augmentation de leur montant s’avère nécessaire et que celle-ci devrait être financée par une hausse des impôts. Le constat est juste, mais les recommandations n’en tiennent pas totalement compte.
Le niveau des bourses est aujourd’hui manifestement insuffisant. Vous rappelez d’ailleurs que les comparaisons internationales montrent que le montant des aides financières en France est plus faible que la moyenne, en particulier pour les échelons les plus élevés qui accusent un écart de 120 euros par mois. Avec 633 euros par mois au maximum, il est difficile pour un étudiant d’assumer le coût de la vie étudiante qui avoisine les 1 000 euros. La conséquence est l’existence d’une précarité étudiante bien réelle. Je rappelle que 200 000 étudiants et étudiantes sont contraints de recourir aux distributions alimentaires régulièrement et qu’un tiers d’entre eux reconnaît avoir des fins de mois difficiles ou très difficiles.
Cette situation conduit certains étudiants à renoncer à leurs études ou à travailler pour les financer, compromettant ainsi leurs conditions d’apprentissage. 41 % des étudiants sont ainsi obligés de travailler parallèlement à leurs études. La politique actuelle ne semble pourtant pas tenir compte de ces difficultés puisque le budget du programme « vie étudiante », qui finance les bourses, a diminué de 4 % entre 2024 et 2025. Par ailleurs, la dernière étape de la réforme des bourses a été repoussée en raison d’un défaut de financement, comme vous l’avez souligné.
Même si vous écartez le revenu étudiant, vous évoquez certaines pistes bienvenues, comme revenir sur la décision de 2017 de désindexation des aides sociales étudiantes. Comme vous le notez, en l’absence d’indexation, le nombre de boursiers est d’ores et déjà revenu à son niveau antérieur à la réforme de 2023, soit 679 000 au 31 décembre 2024, exactement au même niveau qu’en décembre 2022. Les boursiers échelon 7 auront un manque à gagner de 34 euros à la fin de l’année 2025.
Par conséquent, pourquoi ne pas avoir recommandé une indexation automatique des bourses de l’enseignement supérieur ? Par ailleurs, alors que la réforme de 2023 s’est révélée finalement moins coûteuse – 440 millions d’euros contre une prévision de 500 millions d’euros –, n’aurait-il pas été souhaitable de distribuer ce reliquat aux boursiers ?
Alors que les effectifs dans les universités explosent, le nombre d’étudiants boursiers diminue depuis deux ans, sous l’effet de la forte hausse de l’apprentissage et des inscriptions dans des établissements privés pour suivre des formations non habilitées. Des mesures ne pourraient-elles pas être envisagées pour inverser cette tendance ?
Enfin, j’aborderai la question de l’annualisation des bourses pour prévoir 12 versements contre 10 aujourd’hui. Vous la recommandez uniquement pour certaines filières dont l’obligation de stage rend le cumul avec une activité rémunérée quasiment impossible. En d’autres termes, vous excluez de cette réforme ceux qui peuvent travailler. La logique ne serait-elle pas plutôt de proposer l’annualisation pour tous les étudiants boursiers afin justement de les décharger de cette obligation de travailler pour financer leurs études, et leur laisser la possibilité d’effectuer des stages valorisés dans leur parcours ?
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial. Concernant l’annualisation pour tous les étudiants, je n’y suis pas défavorable par principe. Cette mesure nécessiterait certes un effort opérationnel important de la part des Crous et il faudrait s’assurer que cela bénéficie réellement à l’ensemble des étudiants.
En outre, le sujet des aides à l’apprentissage et des formations habilitées ou non se situe en dehors du périmètre de notre rapport.
Quant à l’indexation automatique des bourses, il s’agit effectivement d’un point à arbitrer par le gouvernement dans le cadre de la deuxième étape de la réforme. Nous avons néanmoins souligné dans notre rapport les problèmes posés par cette non-indexation, puisqu’elle conduit chaque année à exclure des étudiants du dispositif. Notre philosophie consiste à aider les étudiants qui en ont besoin et nous proposons pour cela des sources de financement, qui peuvent certes être débattues et ne font pas nécessairement l’unanimité. Cependant, dès lors que nous nous donnons les moyens budgétaires de financer une réforme, je considère que l’indexation s’impose logiquement.
M. Emeric Salmon (RN). Je souhaite attirer votre attention sur un angle trop souvent négligé dans notre système de bourses : celui des étudiants étrangers bénéficiant de bourses sur critères sociaux. Selon une note officielle du ministère de l’enseignement supérieur publiée en 2020, 5 % des boursiers sur critères sociaux en 2019-2020 étaient de nationalité étrangère. Aujourd’hui, un étudiant étranger boursier inscrit dans nos universités ne paie aucun frais de scolarité, bénéficie de l’exonération de la CVEC, qui coûte environ 100 euros par an pour chaque étudiant, perçoit une allocation mensuelle pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros par an et peut même accéder prioritairement à un logement en cité universitaire, le tout entièrement financé par le contribuable français.
Dans le même temps, le coût moyen pour l’État d’un étudiant dans l’enseignement supérieur public dépasse 11 000 euros par an. Ce coût est identique qu’il s’agisse d’un étudiant français ou étranger, boursier ou non. Mais lorsqu’il s’agit d’étudiants étrangers boursiers, nous avons affaire à un double soutien financier public : la gratuité de l’éducation et le versement d’une bourse.
Chers collègues, ce modèle n’est plus soutenable. La situation de nos finances publiques est alarmante et chacun ici connaît les efforts budgétaires considérables qui nous attendent. Il est de notre responsabilité de prioriser ces aides en faveur des étudiants français. Il ne s’agit pas d’opposer, mais de hiérarchiser. Dans un contexte où de nombreux jeunes Français peinent à boucler leur fin de mois, la priorité nationale, ou du moins européenne, doit s’appliquer.
Le Rassemblement national propose que les bourses sur critères sociaux soient réservées aux étudiants français ou européens et que les étudiants étrangers extracommunautaires ne puissent plus en bénéficier. À ce titre, pouvez-vous nous indiquer le coût total des financements publics dirigés vers les étudiants boursiers extracommunautaires ?
M. Thomas Cazenave, rapporteur spécial. Permettez-moi d’abord de rappeler quelques ordres de grandeur importants. Le nombre d’étudiants étrangers bénéficiant d’une bourse sur critères sociaux représente 7 % des étudiants boursiers. La proposition que vous formulez soulève de nombreuses oppositions de ma part pour diverses raisons. Mais si je m’en tiens au plan strictement budgétaire, le fait d’exclure les étudiants étrangers des bourses sur critères sociaux ne permettra en aucune manière d’améliorer significativement le quotidien des étudiants.
C’est précisément pour cette raison qu’avec mon collègue Charles Sitzenstuhl, nous proposons une réforme de plus grande ampleur qui s’appuie sur la remise en cause d’une niche fiscale inefficace et sur une révision des APL. Cette approche permettra de financer une véritable réforme structurelle bénéfique à tous.
Enfin, permettez-moi de souligner que les étudiants étrangers constituent une richesse pour l’université française et sa recherche. Je dois dire que vous abordez ce sujet par le petit bout de la lorgnette.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Je souhaite poser trois questions précises au nom du rapporteur général. Premièrement, le surcoût de la réforme des bourses a été estimé à 500 millions d’euros par le rapporteur pour l’année 2024, alors que vous avez plutôt évoqué un montant de 350 ou 400 millions. Il convient donc de déterminer s’il faut sanctuariser un financement pluriannuel de cette réforme dans la trajectoire 2025-2027 pour garantir sa soutenabilité malgré les tensions budgétaires collectives.
Deuxièmement, s’agissant des moyens des Crous, nous constatons une certaine hétérogénéité par académie. Pourrait-on envisager de flécher une part des crédits de modernisation administrative vers les Crous pour accompagner la mise en œuvre de la réforme des bourses ?
Troisièmement, certaines régions et universités prennent des initiatives sur des dispositifs complémentaires aux bourses nationales. Ne faudrait-il pas créer un conseil des aides étudiantes au niveau régional pour coordonner l’État, les Crous, les universités et les collectivités dans un objectif de gouvernance mieux partagée ?
M. Thomas Cazenave, rapporteur spécial. La DGESIP estime le coût de la réforme entre 300 et 600 millions d’euros, selon les paramètres que nous retenons. Il s’agit de l’ordre de grandeur qui s’impose à nous et qu’il nous faut financer. Je partage votre analyse concernant la situation de nos finances publiques : nous devons pouvoir réaliser cette réforme à coût nul pour l’enseignement supérieur, ce pour quoi nous avançons deux propositions de financement pérennes et pluriannuelles. La première consiste en la suppression de la niche fiscale à hauteur de 218 millions d’euros ; la seconde vise le recentrage des APL dont les étudiants peuvent bénéficier actuellement, quel que soit le revenu de leurs parents, en intégrant le revenu du foyer dans le calcul des APL, ce qui permettra de générer entre 400 et 500 millions d’euros d’économies et ainsi financer complètement à l’euro près cette réforme.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial. Au travers des auditions que nous avons menées, nous n’avons pas reçu d’alerte particulière concernant le travail des Crous dans le cadre de cette réforme. Nous nous concentrons ici strictement sur la réforme des bourses étudiantes, et non sur la situation générale des Crous. Sur le nouveau système informatique, les retours du ministère indiquent que le processus avance correctement.
Concernant la visibilité des dispositifs d’aide et l’éventuelle création d’un conseil des étudiants au niveau régional, je considère que le Crous demeure l’institution clairement identifiée par les étudiants. Si nous devons faire converger des aides ou établir un inventaire exhaustif de toutes les aides disponibles, le Crous doit rester l’institution centralisatrice de ces informations. Dans l’esprit des étudiants, la répartition est très claire : pour les études, ils s’adressent à l’université ou à l’école qu’ils fréquentent ; pour tout ce qui concerne le logement, la restauration et les aides sociales, ils se tournent vers les Crous. La centralisation devrait donc s’opérer au niveau des Crous, si cette démarche s’avère nécessaire.
La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
– M. Jean-Michel Jolion, ancien délégué ministériel à la vie étudiante.
CNOUS
– Mme Bénédicte Durand, présidente du Centre national des œuvres universitaires et scolaires ;
– Mme Bénédicte Percin, sous-directrice de la vie étudiante.
DGESIP
– M. Olivier Ginez, directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ;
– Mme Laure Vagner-Shaw, cheffe du service de la stratégie des formations et de la vie étudiante, adjointe au directeur général ;
– M. Charles Duportail, sous-directeur en charge de la réussite et de la vie étudiante.
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
([1]) Observatoire national de la vie étudiante. (2023). Repères 2023.
([2]) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). (2023). Mesurer le niveau de vie et la pauvreté des jeunes adultes de 18 à 24 ans.
([3]) Ibid.
([4]) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). (2023). Mesurer le niveau de vie et la pauvreté des jeunes adultes de 18 à 24 ans.
([5]) Observatoire national de la vie étudiante. (2023). Repères 2023.
([6]) Jolion, J -M. (2023). Concertation sur la vie étudiante : conditions de vie, conditions d’études, conditions de réussite.
([7]) Observatoire national du suicide (2023). 5e rapport 2022.
([8]) Ibid.
([9]) Rapport annuel de performance Mission Recherche et enseignement supérieur – PLRG 2024.
([10]) Gabrielle Fack, Julien Grenet. Mixité sociale et scolaire dans les lycées parisiens. Éducation & formations, 2016.
([11]) Frais et systèmes nationaux d'aides financières aux étudiants dans l'enseignement supérieur en Europe 2020/2021 – Eurydice.
([12]) VI de l’article 73 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
([13]) DREES, Minima sociaux et prestations sociales, 2024.
([14]) Évaluer l’effet des réformes socio-fiscales concernant les étudiants selon le niveau de vie de leurs parents, DREES Méthodes n° 19, janvier 2025.
([15]) https://www.lescrous.fr/nos-services/simulateur-de-bourse.