N° 1588
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 juin 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
sur les relations entre l’Union européenne et la Chine,
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Sophia CHIKIROU,
Députée
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La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Laurent MAZAURY, Mmes Manon BOUQUIN, M. Thierry SOTHER, vice‑présidents ; M. Maxime MICHELET, secrétaire ; MM. Henri ALFANDARI, Gabriel AMARD, David AMIEL, Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Benoît BITEAU, Nicolas BONNET, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, M. François-Xavier CECCOLI, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Bastien LACHAUD, Mme Hélène LAPORTE, M. Jean LAUSSUCQ, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, M. Frédéric PETIT, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, M. Alexandre SABATOU, M. Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLE-POLIAN, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.
SOMMAIRE
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Pages
rECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE
A. Une évolution de la relation dominée par l’intention de contenir l'ascension de la Chine
2. L’émancipation de la Chine a modifié l’ordre mondial
4. …mais plus suffisamment comme un partenaire
B. L’impact déterminant des relations sino-américaines sur l'Europe
4. Guerres commerciales déclenchées par les États-Unis : les atermoiements européens
1. La planification : atout gagnant de la Chine
3. La Chine face à ses défis internes
II. DES CHOIX STRATÉGIQUES EUROPÉENS EN ÉCHEC – LES DANGERS D'UNE APPROCHE CONFLICTUELLE
A. La politique commerciale de l’Union européenne sous influence américaine
1. L’alignement des positions transatlantiques (UE-US) face à Pékin
2. L’Union européenne se dote d’un arsenal de « défense commerciale » avec la Chine en ligne de mire
B. L'atlantisme européen : une menace pour l’autonomie stratégique européenne
1. La violence de l’impérialisme américain fige l’Union européenne dans ses illusions atlantistes
C. L’Union européenne face à son affaiblissement politique et structurel
2. La fragmentation politique de l’Union européenne : une impasse stratégique
3. Vulnérabilité économique et technologique : l'Europe à la traîne dans les secteurs clés
1. En finir avec le triptyque européen de 2019 et sortir de l’ambiguïté stratégique
1. La fin de la « vassalisation heureuse » avec les États-Unis : une nécessité pour la Paix
5. S’unir pour une politique d’aide au développement mondiale en substitution de l’USAID
C. La Chine, un partenaire incontournable pour les défis écologiques de l’humanité
IV. LA FRANCE A INTÉRÊT À UNE RELATION RENFORCÉE ET PRIVILÉGIÉE AVEC LA CHINE
A. Une relation bilatérale franco-chinoise à l’épreuve du temps
1. Du Général De Gaulle au Président Chirac : l’amitié avec la Chine en héritage
2. L'ambiguïté française, source de la crispation des relations franco-chinoises
B. Des coopérations d’avenir au service des deux peuples
2. La coopération scientifique : une histoire à prolonger
C. Renforcer les coopérations autour des communs
1. La coopération sanitaire : priorité humaine, impératif stratégique et outil de souveraineté
2. Relancer la coopération culturelle bilatérale : nécessité humaine et opportunités économiques
3. La jeunesse : acteur délaissé et pourtant levier décisif pour l’avenir
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉeS PAR LA RAPPORTEURE
En 2025, l’Union européenne et la Chine célèbrent le cinquantenaire de leurs relations diplomatiques dans un contexte mondial instable où les grandes puissances rivalisent d’influence et instrumentalisent les interdépendances économiques. Ce rapport d’information dresse le constat d’une relation euro-chinoise déséquilibrée, marquée par des tensions croissantes et une confrontation stratégique latente. Il évite l’écueil d’une évaluation sur des bases idéologiques. Il cherche à comprendre les décisions en fonction des besoins auxquels chacun tente de répondre et aux moyens dont les protagonistes disposent pour agir.
L’Union européenne, affaiblie sur la scène internationale et trop souvent alignée sur la politique américaine vis-à-vis de Pékin, voit son influence diminuer et ses intérêts mal protégés. Depuis la communication de la Commission en 2019 qualifiant désormais la Chine de « concurrent économique » et « rival systémique », et non plus seulement de partenaire de coopération, les liens se sont dégradés.
L’approche résolument atlantiste adoptée par l’Europe a abouti à une sorte de guerre commerciale contre la Chine, aux effets délétères et au détriment du dialogue euro-chinois. Or, la Chine, forte d’une histoire millénaire et de tous les attributs de la puissance économique, technologique, militaire et géostratégique, s’est imposée comme un acteur incontournable de la scène mondiale qu’il est impensable d’ignorer ou de vouloir isoler. Toute tentative d’intimidation ou d’endiguement à son encontre est vouée à l’échec et ne fait qu’entamer la crédibilité et les intérêts de l’Union européenne elle-même.
Qui plus est, les faiblesses internes de l’Europe : fragmentation politique entre États membres, dogmatisme libéral et insuffisances industrielles et technologiques, entravent l’objectif “d'autonomie stratégique européenne”.
Face à ce diagnostic alarmant, le rapport appelle à un changement de cap stratégique dans les relations entre l’Union européenne et la Chine, au bénéfice d’une coopération respectueuse des souverainetés nationales.
Pour les pays européens, l’enjeu est de taille : il est temps d’entrer dans la bifurcation écologique des systèmes de production, non pas en exaltant les logiques du marché mondialisé, mais en planifiant la relocalisation, en réindustrialisant autour de l’intérêt général, et en faisant de la transition énergétique une actualité accélérée. Si l’évidence et l'expérience en montrent l’urgence et le bienfait, on voit bien comment le dogme de la concurrence libre et non faussée s’y oppose. L’axe de ce rapport est la recherche d’une souveraineté retrouvée. Il ne s’agit plus de dépendre passivement des chaînes d’approvisionnement pilotées par d’autres puissances, mais de retrouver le contrôle démocratique sur ce que nous produisons, échangeons et consommons.
Concrètement, plusieurs axes d’action se dégagent pour rééquilibrer la relation et défendre les intérêts des peuples européens. D’abord, il convient de redéfinir le cadre des relations euro-chinoises : l’UE doit sortir de l’ambiguïté du « triptyque de 2019 » (partenaire/compétiteur/rival) en clarifiant ses objectifs. Il est préconisé d’abandonner la posture strictement conflictuelle et de renouer avec un esprit de dialogue exigeant. Cela implique d’instaurer une coopération conditionnée à la réciprocité et au respect de règles équitables.
Il demeure évidemment nécessaire de protéger les intérêts stratégiques des nations de l’Europe : le rapport plaide pour une Europe qui défend intelligemment sa souveraineté économique face aux déséquilibres actuels des échanges par le biais, non pas de sanctions unilatérales, mais de mesures négociées telles que la mise en place de quotas d’importation sur des produits sensibles, la généralisation de prix planchers sur certains biens stratégiques, ou encore l’exigence de contreparties technologiques lors d’investissements étrangers soutenus par des fonds publics. Cette stratégie de « protectionnisme solidaire » n’est ni un repli ni une fermeture. Au contraire, elle doit permettre des protections mutuellement négociées et sécuriser les échanges pour chacune des parties, afin de ne plus subir les risques sur les chaînes d’approvisionnement.
Ce rapport est aussi une mise en garde contre la « vassalisation » de l’Europe dans le face-à-face sino-américain, a fortiori avec le retour de Donald Trump au pouvoir et de son agressivité tous azimuts. Il est temps de réaffirmer clairement l’attachement européen au multilatéralisme et au droit international. L’Europe doit rompre avec “l’occidentalisme” (ou choc des civilisations) et la logique de bloc contre bloc promue par les Faucons américains et leur porte-parole européens.
L’Europe doit définir une voie propre au service de la paix. Cela peut être construit avec la Chine. Loin d’être un adversaire systémique, elle partage avec l’UE des responsabilités majeures dans la gestion des défis mondiaux. Ces deux puissances peuvent formuler conjointement des propositions ambitieuses pour réformer la gouvernance mondiale, aujourd’hui dominée par les puissances occidentales, que ce soit la diplomatie, le système monétaire ou l’aide au développement.
La lutte contre le changement climatique et la transition écologique doivent être un pilier du partenariat euro-chinois : la Chine est un acteur incontournable pour relever les défis environnementaux planétaires, Pékin ayant maintenu, contrairement aux États-Unis d’Amérique, son engagement dans l’Accord de Paris. Le rapport propose donc d’établir des règles et des mécanismes de financement et de gouvernance ambitieux en matière environnementale et de préservation des biens communs mondiaux.
La Chine s’est aussi imposée comme le leader mondial incontesté sur les énergies renouvelables. On ne fait pas la transition écologique sans la Chine. L’écologie peut donc aussi être un moteur de la relation au niveau économique et industriel, en permettant notamment des coopérations industrielles ciblées dans les domaines de l'énergie solaire, de l'hydrogène vert, des véhicules électriques ou encore des technologies de stockage de l'énergie, telles que proposées par la rapporteure.
Cependant, établir une politique coordonnée au niveau européen demeure particulièrement difficile. Les intérêts économiques et les visions stratégiques des États membres restent très divers. Certains, comme l'Allemagne, privilégient des relations économiques unilatérales fortes avec la Chine, tandis que d'autres adoptent une posture hostile. La Commission européenne elle-même peine à représenter équitablement l'ensemble des intérêts nationaux, ce qui complexifie la mise en place d'une stratégie commune claire et cohérente vis-à-vis de la Chine.
C’est pourquoi le rapport accorde une attention particulière au rôle que la France peut et doit jouer dans ce rapprochement euro-chinois renouvelé. Pays pionnier dans la reconnaissance de la Chine populaire en 1964, la France dispose d’une relation bilatérale historique privilégiée avec Pékin. Cet héritage gaullo-chiraquien d’amitié franco-chinoise lui confère une responsabilité particulière pour promouvoir un partenariat équilibré, d’autant qu’elle est le seul État-membre de l’UE à avoir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Le rapport identifie de nombreux champs de coopération d’avenir entre Paris et Pékin, bénéfiques aux deux peuples : l’exploration spatiale, la recherche scientifique et universitaire, la santé publique, la transition numérique, les échanges culturels. Autant d’initiatives concrètes qui participent d’un rapprochement durable entre nos sociétés et renforcent la compréhension mutuelle.
En définitive, ce rapport met en lumière une conviction centrale de votre rapporteure : l’intérêt de la France et de l’Europe n’est pas de s’ériger en adversaires de la Chine, ni de se rallier aveuglément aux stratégies d’endiguement américaines, mais bien de construire avec Pékin une relation responsable et exigeante. Cela suppose une Europe sachant défendre fermement ses intérêts stratégiques et ses principes, tout en reconnaissant la Chine comme un partenaire indispensable pour relever les défis du siècle. Or, face à l’absence d’une véritable politique européenne cohérente à l’égard de la Chine, il apparaît indispensable pour la France d’adopter une politique indépendante, afin de préserver ses propres intérêts et d’assumer pleinement son rôle moteur dans la construction d’une relation européenne équilibrée avec Pékin. En renouant avec sa diplomatie historique non alignée, la France pourra tout à la fois mieux assurer sa propre souveraineté, et préserver son rôle dans l’évolution de l’ordre mondial.
rECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE
SUR LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS EUROPÉENS
Recommandation n° 1 : Introduire des critères géoéconomiques opposables dans le mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers dans l’UE (Règlement UE 2019/452), afin de préserver la souveraineté industrielle, soutenir l’emploi local et garantir des retombées sociales et territoriales
Recommandation n° 2 : Plaider au niveau européen pour l’adoption d’un cadre contraignant et harmonisé pour l’octroi des aides publiques, fondé sur des critères sociaux, environnementaux et industriels clairs et articulé autour d’une logique de filières stratégiques
Recommandation n° 3 : Mettre en place un mécanisme européen de cohérence climatique, imposant aux États membres de s’abstenir de toute initiative nationale contraire aux engagements internationaux et aux objectifs européens de transition écologique
SUR LES COOPÉRATIONS EURO-CHINOISES
Recommandation n° 4 : Renégocier un nouvel accord global sur l’investissement (CAI) fondé sur la réciprocité, la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et la souveraineté des partenaires
Recommandation n° 5 : Mettre en place des instruments de régulation commerciale pour les biens jugés sensibles, combinant des quotas d’importation ciblés et des prix planchers, afin de garantir une concurrence loyale, la souveraineté industrielle et la juste rémunération des filières concernées
Recommandation n° 6 : Encadrer la création de joint-ventures industrielles en Europe avec des partenaires chinois dans des filières d’avenir, à la condition d’une gouvernance partagée, d’un ancrage local de l’emploi et d’une limitation stricte des participations étrangères dans les secteurs stratégiques
Recommandation n° 7 : Systématiser l’exigence de contreparties technologiques en cas d’investissement étranger bénéficiant du soutien public
Recommandation n° 8 : Renforcer la protection de la propriété intellectuelle afin de mieux assurer la sécurité juridique des entreprises européennes innovantes
Recommandation n° 9 : Réformer la politique commerciale de l’Union en incluant dans chaque accord commercial une clause sur la transparence et la sécurisation des données
SUR LES ENJEUX INTERNATIONAUX COMMUNS
Recommandation n° 10 : Respecter le droit international de l’ONU et refuser toute instrumentalisation de la question taïwanaise
Recommandation n° 11 : Remplacer la stratégie de l’Union dans la région indo‑pacifique, adoptée par le Conseil en avril 2021, par une approche coopérative incluant la Chine et reposant sur l’objectif de stabilité durable, le dialogue des peuples et des États sur les enjeux globaux
Recommandation n° 12 : Assurer la promotion d’un ordre international fondé sur l’inclusion et la coopération entre les nations et ouvrir une réflexion sur la réforme des institutions économiques internationale et la gouvernance monétaire mondiale
Recommandation n° 13 : Travailler à la transformation de la gouvernance mondiale financière en encourageant la création d’un mécanisme multilatéral de restructuration des dettes souveraines, au sein duquel créanciers et débiteurs, pays du Nord comme du Sud, seraient également représentés
Recommandation n° 14 : Engager un processus multilatéral en vue de créer, à terme, une monnaie mondiale commune, qui ne serait pas un instrument au service de quelques États mais un outil de financement des économies soutenable au service des peuples
Recommandation n° 15 : Promouvoir la création d’une Agence mondiale de développement sous l’égide de l’ONU
Recommandation n° 16 : Promouvoir un traité multilatéral contraignant sur les données numériques
Recommandation n° 17 : Soutenir, avec la Chine, la création d’une agence onusienne de supervision du numérique, indépendante des firmes, avec un mandat clair pour auditer, contrôler et réguler les infrastructures stratégiques
Recommandation n° 18 : Refonder le Mécanisme d’ajustement Carbone aux frontières (Règlement 2023/956) afin de le compléter par un dispositif de financement et de transferts de technologies au bénéfice des pays du Sud, les moins polluants, et d’éviter qu’ils pénalisent leurs exportateurs
Recommandation n° 19 : Soutenir en lien avec la Chine la création d’un Fonds mondial d’indemnisation climatique financé par une taxe sur les transactions financières ou les profits des industries fossiles
Recommandation n° 20 : Encourager avec l’appui de la Chine la création d’un registre public international permettant de recenser l’ensemble des projets visant à développer des puits de carbone et ainsi à compenser les émissions de CO2 montants versés, acteurs impliqués, impacts sociaux et écologiques, et instruments de suivi sur le long terme
Recommandation n° 21 : Proposer la mise en place d’un cadre permanent de dialogue normatif euro-chinois visant à promouvoir la convergence progressive des référentiels techniques, sociaux et environnementaux et s’inscrivant dans une logique de co‑développement
Recommandation n° 22 : Œuvrer en partenariat avec la Chine à une interdiction stricte des possibilités d'exploitation minière des fonds marins et grands fonds marins, et à leur protection contre toute dégradation afin que la qualification en droit international de « patrimoine commun de l'humanité » soit pleinement effective
Recommandation n° 23 : Appuyer les efforts de la Bolivie en faveur de la création d’un tribunal international pour la justice climatique et environnementale ainsi que toutes les initiatives visant à renforcer les mécanismes de responsabilité environnementale à l’échelle internationale
Recommandation n° 24 : Agir avec la Chine afin que, sur le modèle de la 3e Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC), la protection de l’environnement au niveau international donne lieu à des conférences multilatérales thématiques aboutissant à des engagements financiers et juridiques
Recommandation n° 25 : Soutenir et prolonger l’initiative Critical Raw Materials Act et proposer un forum multilatéral euro-asiatique de diplomatie des ressources
SUR LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FRANÇAIS ET LA COOPÉRATION BILATÉRALE FRANCO-CHINOISE
Recommandation n° 26 : Définir des priorités géographiques dans la politique française de soutien à l’export en privilégiant une approche par filières
Recommandation n° 27 : Créer un service public de l’hébergement de données dans des infrastructures françaises hors de portée des lois extraterritoriales américaines
Recommandation n° 28 : Négocier un accord bilatéral euro-chinois visant à sécuriser les transferts de données des consommateurs ou utilisateurs de plateformes numériques
Recommandation n° 29 : Renforcer le dialogue politique franco-chinois visant au progrès en matière de sécurité au travail, de temps de travail et de protection sociale des travailleurs dans l’objectif de créer les conditions d’un commerce équitable entre les peuples
Recommandation n° 30 : Créer un groupe de travail bilatéral autour de la question du reconditionnement des appareils électroniques
Recommandation n° 31 : Élaborer, en lien avec les producteurs de la filière Cognac une stratégie de reconversion territoriale, fondée sur la diversification agricole et le progrès écologique
Recommandation n° 32 : Porter au Conseil de sécurité des Nations unies une proposition de résolution réaffirmant l’utilisation pacifique et durable de l’orbite spatiale ainsi que l’interdiction des armes de destruction massive dans l’espace
Recommandation n° 33 : Préserver la souveraineté spatiale française en ayant recours, le cas échéant, à la nationalisation de Ariane Group
Recommandation n° 34 : Définir un partenariat global de coopération dans les domaines scientifique et technique entre la France et la Chine reposant sur une mobilisation de moyens financiers supplémentaires, la diversification des projets de coopération, un soutien à la mobilité des enseignants-chercheurs, chercheurs et personnels universitaires, la conclusion d’accords de coopération entre établissements d'enseignement supérieur et laboratoires de recherche ainsi que l’identification de pôles d’excellence du côté français comme du côté chinois et le développement des collaborations scientifiques entre ces pôles
Recommandation n° 35 : En matière de protection de la propriété intellectuelle, mettre en place un groupe de travail bilatéral franco-chinois chargé de définir des règles communes concernant les procédures de délivrance des brevets, la sécurité des dépôts, les modalités de publication, le partage des résultats de recherche, la traçabilité des contributions scientifiques et techniques dans les projets partagés et la gestion des données
Recommandation n° 36 : Relancer des appels bilatéraux structurants comme le programme ANR – NSFC pour préserver la recherche fondamentale et renforcer les socles scientifiques partagés sur le long terme, en garantissant des mécanismes d’évaluation transparents et une articulation cohérente avec les priorités stratégiques nationales
Recommandation n° 37 : Inciter les entreprises françaises à créer avec des partenaires chinois des joint-ventures dans le domaine des mobilités innovantes. Les pouvoirs publics pourraient favoriser la conclusion de tels joint-ventures en accompagnant les entreprises françaises à toutes les phases de réalisation (études de faisabilité, rédaction des statuts de l’entreprise commune, domiciliation de la personne morale, approbation par les autorités chinoises…)
Recommandation n° 38 : Créer un comité franco-chinois, sous pilotage interministériel, qui aurait pour mission de coordonner des projets conjoints dans le domaine de la mobilité électrique, de favoriser un programme public-privé pour produire en France des véhicules prévoyant l’octroi d’aides publiques conditionnées à un minimum de contenu local, de mobiliser des investissements croisés et de lancer des projets pilotes en matière de mobilités émergentes
Recommandation n° 39 : Négocier avec la Chine un accord global de régulation commerciale complété par des accords sectoriels (par exemple, dans le domaine des véhicules électriques) prévoyant notamment une gestion concertée des flux d’importation, un accès différencié au marché européen en fonction du respect de critères environnementaux, sociaux et industriels, des obligations de production locale et une sécurisation de l’implantation des entreprises européennes sur le marché chinois dans des conditions transparentes et équitables
Recommandation n° 40 : Améliorer la coopération franco-chinoise en matière de formation en milieu hospitalier grâce à la mise en place d’un programme interministériel de mobilité, coordonné par les ministères de la Santé, de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et des Affaires étrangères, en lien avec les universités et établissements hospitaliers partenaires
Recommandation n° 41 : Renforcer la protection des entreprises françaises du secteur de la santé grâce à un meilleur encadrement des coopérations industrielles, la mise en place d’obligations de retour sur investissement scientifique et technologique en France, ainsi qu’un suivi public des engagements pris en matière de transfert de compétences, de partage de données et de protection des intérêts collectifs
Recommandation n° 42 : Formaliser un accord bilatéral franco-chinois de sécurité sanitaire, incluant un mécanisme d’alerte codirigé, l’échange structuré de données virales, la constitution de cellules scientifiques mixtes de modélisation, et des engagements communs en cas d’urgence pandémique
Recommandation n° 43 : Proposer la création d’un centre tripartite de biosécurité vétérinaire France – Chine – Afrique qui aurait pour mission de mutualiser les données sanitaires animales, de renforcer les capacités d’intervention en zone à risque et de structurer la formation des personnels vétérinaires et de santé publique
Recommandation n° 44 : Développer le tourisme culturel entre la France et la Chine par l’organisation d’évènements culturels marquants dans des régions et villes françaises et chinoises favorisant la découverte des cultures des deux pays, la tenue de manifestations artistiques, l’investissement dans des parcours porteurs de sens culturel, social ou écologique et la formation de guides interculturels
Recommandation n° 45 : Créer un fonds culturel bilatéral franco-chinois afin d’accompagner des projets artistiques, éducatifs ou patrimoniaux portés conjointement par des acteurs des deux pays
Recommandation n° 46 : Développer davantage de partenariats entre établissements universitaires chinois et français afin d’encourager plus de jeunes français à partir étudier en Chine, renforcer la politique d’attractivité universitaire française à destination des étudiants chinois par la définition d’objectifs de conventionnement bilatéral entre l’État et les établissements universitaires français, créer une plateforme centralisée d’information, lancer un plan de valorisation du mandarin dans les cursus français, encourager la création de réseaux d’anciens élèves, développer la présence des établissements français sur les réseaux sociaux chinois et la valorisation de leur image de marque
Recommandation n° 47 : Négocier un accord bilatéral visant à soutenir la mobilité des jeunes, incluant notamment pour les jeunes français la refonte des conditions d’exercice des VIE et VIA et des conditions d’octroi des visas
Recommandation n° 48 : Lancer un programme d’éducation franco-chinois d’excellence, orienté vers les grands défis communs (transition écologique, intelligence artificielle, santé globale, gouvernance numérique) permettant à des binômes franco-chinois d’être formés dans des établissements sélectionnés à cette fin
Recommandation n° 49 : Mettre en place un Plan national pour l’enseignement du mandarin reposant sur l’ouverture de postes dès le collège, l'incitation à présenter cette langue dans les concours, le développement de doubles diplômes, un recours accru aux outils numériques et aux nouvelles technologies, le développement des approches culturelles afin d’enrichir le contenu linguistique et susciter l’intérêt des apprenants et la mise en place d’une formation renforcée des enseignants
Recommandation n° 50 : Mettre en place un accord de partenariat entre Campus France et le China Scholarship Council et intégrer Campus France dans le dispositif des VIE/VIA pour une coordination avec Business France
“Ce monde multipolaire peut être la meilleure des choses à condition que son développement soit harmonieux, que personne n’ait un comportement agressif, et que le dialogue et la concertation entre les différents pôles soient aussi bons et efficaces que possible. C’est ce que nous souhaitons, c’est ce que souhaite la Chine et c’est ce que nous indiquons dans notre déclaration commune »
Jacques Chirac, lors de la conférence du 16 mai 1997, à Pékin
« La Chine et l’Union européenne doivent assumer leurs responsabilités internationales, protéger conjointement la mondialisation économique et l’environnement commercial international, et résister ensemble à toute coercition unilatérale. Cela permettra non seulement de préserver nos droits et intérêts légitimes, mais aussi de préserver l’équité et la justice internationales, et de faire respecter les règles et l’ordre internationaux »
Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine, lors d’une rencontre à Pékin avec le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, avril 2025
« European Union is in many ways nastier than China, okay? Oh, they'll come down a lot. You watch. We have all the cards. They treat us very unfairly ([1])»
Donald Trump, lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche,
le 12 mai 2025
Mesdames, Messieurs,
En juillet 2025, l’Union européenne et la République populaire de Chine marqueront cinquante années de relations diplomatiques, dans un contexte où les logiques de coopération sont largement concurrencées par des dynamiques de confrontation économique, de méfiance stratégique et de recomposition des alliances mondiales.
Le sommet prévu les 24 et 25 juillet, d’abord à Pékin, puis dans la province industrielle d’Anhui, s’inscrit moins dans une dynamique d’anniversaire que dans une tentative incertaine de gestion de contentieux croissants. La présence annoncée de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et du président du Conseil, António Costa, témoigne de l’importance politique donnée à cette rencontre.
Les discussions devraient porter sur les tensions commerciales structurelles entre les deux puissances. L’Union européenne reproche à la Chine ses soutiens massifs aux entreprises publiques et privées dans des secteurs jugés stratégiques (véhicules électriques, énergies renouvelables, semi-conducteurs), tandis que Pékin dénonce une vague de protectionnisme déguisé derrière les instruments de défense commerciale déployés par Bruxelles. Depuis 2023, les enquêtes et contre-enquêtes s’accumulent : l’UE cible les batteries et les voitures électriques chinoises, provoquant les réactions de la Chine sur le brandy, la viande porcine, les turbines industrielles.
Le sommet pourrait aborder des sujets plus larges (matières premières critiques, sécurité des chaînes d’approvisionnement, normes technologiques) mais aucune avancée significative n’est attendue dans l’immédiat, tant les logiques de méfiance et de double standard dominent.
En effet, l’Union européenne a mis en place au printemps 2025 une cellule de veille baptisée « Import Surveillance », censée détecter en temps réel les anomalies dans les flux d’importation. Officiellement présentée comme un outil de transparence, cette task force traduit surtout la crainte, chez plusieurs États membres, de voir le marché européen devenir la variable d’ajustement d’une guerre commerciale sino-américaine en pleine intensification. Après l’annonce par les États-Unis, en mai 2025, d’une nouvelle série de droits de douane massifs sur les produits chinois, l’UE redoute d’être un débouché plus accessible pour les exportateurs chinois.
Du côté chinois, les réactions ont été directes. Le ministère du Commerce a qualifié la task force européenne de « nouvelle forme de barrière technique au commerce », estimant qu’elle repose sur « des hypothèses biaisées et une volonté de contenir artificiellement la compétitivité chinoise ». Une déclaration officielle publiée à Pékin le 10 juin affirme que « la Chine respecte scrupuleusement ses obligations dans le cadre de l’OMC, et rejette toute tentative de politisation des échanges économiques ». Pékin estime que l’UE agit moins pour rétablir une égalité des conditions que pour protéger, à rebours de ses discours officiels, des secteurs devenus structurellement non compétitifs face à l’avancée industrielle asiatique. Les autorités chinoises appellent à des canaux de consultation mutuelle, tout en menaçant implicitement de mesures de rétorsion ciblées si les restrictions européennes se multiplient.
À travers ce dispositif de surveillance et l’agenda du sommet, l’Europe cherche à reconquérir une capacité d’initiative dans une relation bilatérale devenue asymétrique. Mais cette posture défensive souligne d’abord l’incapacité à articuler une stratégie autonome, claire et lisible, face à une Chine qui combine ouverture sélective, montée en gamme technologique, et diplomatie commerciale offensive.
Ainsi, derrière les discours sur la réciprocité et la transparence, l’Union européenne apparaît affaiblie sur la scène internationale et semble difficilement peser sur le cours des événements.
Ce rapport, dont la généalogie remonte à 2024, vise à réévaluer les positions des 27 vis-à-vis de la Chine à l’orée de ce rendez-vous diplomatique de premier ordre.
Interrompus sous le coup d’une dissolution tant inattendue que brutale, les travaux de votre rapporteure s’inscrivent dans un contexte géopolitique bouleversé, particulièrement depuis l’élection à la présidence américaine de Donald Trump.
L'agressivité dont font preuve les États-Unis envers la Chine interroge nécessairement l’Union européenne sur l’évolution, la nature et le devenir des relations qu’elle entretient avec Pékin.
Depuis une communication de la Commission européenne datant de 2019, les relations euro-chinoises se sont en effet fortement dégradées. La Chine n’est plus seulement présentée comme un « partenaire pour la coopération » mais également comme « un concurrent économique et un rival systémique ».
Ce positionnement atlantiste, qui a abouti à une guerre commerciale des Européens contre la Chine autant absurde qu’inefficace, a profondément nui à la relation. Reposant sur une histoire millénaire et disposant de tous les atouts de la puissance, tant sur le plan économique que militaire, humain et scientifique, technologique ou géostratégique, la Chine est devenue un partenaire incontournable contre qui les tentatives d’intimidation sont nécessairement vouées à l’échec. En cela, les liens bilatéraux franco-chinois ont particulièrement été affectés par une politique européenne délétère et par l’alignement systématique des autorités françaises à l’escalade commerciale actuellement en cours, contrairement à nos voisins allemands qui, en dépit d’un atlantisme plus marqué, ont mieux protégé leurs intérêts. La France, depuis la reconnaissance en 1964 par le Général de Gaulle de la République Populaire, entretient pourtant des liens singuliers avec la Chine. En tant que pays fondateur de la construction européenne et en tant qu’unique membre du Conseil de sécurité des Nations unies parmi les 27, la France peut et doit jouer un rôle majeur dans le rapprochement sino-européen, tout en préservant ses intérêts avec Pékin.
Certes, des rencontres de haut niveau marquent un certain réchauffement des relations sino-européennes et sino-françaises avec le déplacement en Chine du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français, M. Jean-Noël Barrot en mars 2025, du Chancelier allemand, M. Olaf Scholz, et du président du gouvernement espagnol, M. Pedro Sánchez en avril 2025. Une visite officielle de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et du président du Conseil, António Costa, est également à l’ordre du jour en juin 2025.
Pour autant, l’avenir de la relation semble compromis tant que les Européens n’affronteront pas les questions posées par l’actuelle et sans doute pérenne rivalité sino-américaine. Il ne s’agit pas seulement pour l’Europe de répondre à des enjeux d’ordre commercial mais également d’ordre politique, humain et géostratégique. Ce sont à ces questions que ce rapport s’efforce de répondre.
Le premier cycle d’auditions qui s’est déroulé à Paris a souligné l’importance pour l’Union européenne de revoir son approche et de restaurer les conditions d’un dialogue serein et réaliste avec la Chine, puissance mondiale qu’il est impensable d’ignorer ni même d’isoler sur la scène internationale. Le deuxième cycle d’auditions qui a eu lieu en Chine (Pékin, Shanghai et Canton) insiste sur l’importance du multilatéralisme et d’une relation bilatérale pour dynamiser les coopérations. Le troisième cycle d’auditions qui s’est tenu à Bruxelles, confirme la nécessité pour l’Union européenne de sortir du dogmatisme idéologique pour protéger les États membres et équilibrer sa position vis-à-vis de la Chine.
Votre rapporteure est par ailleurs convaincue que la France gagnerait à redevenir cette voix singulière dans le monde. Elle a parfois davantage d'intérêt commun avec la Chine qu’elle n’en a avec ses partenaires du vieux continent. Tout en respectant l'espace commun européen, elle doit donc veiller à rester non-alignée et souveraine. À cette condition elle peut être utile autant à elle-même qu'à ses partenaires européens et à la Chine.
I. LA RELATION ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LA CHINE : TRAJECTOIRE D’UNE RELATION DÉSÉQUILIBRÉE, ENTRE INTERDÉPENDANCE, CRISPATIONS ET CONFRONTATION STRATÉGIQUE
A. Une évolution de la relation dominée par l’intention de contenir l'ascension de la Chine
1. En défendant l’adhésion de la Chine à l’OMC, l’Union européenne n’avait pas anticipé son ascension fulgurante
L’ouverture économique de la Chine débute à la fin des années 1970. Les Quatre Modernisations, lancées par Deng Xiaoping, autorisent les investissements étrangers dans des zones économiques spéciales à l’est du territoire chinois. En trois décennies, la Chine accomplit un gigantesque « grand bond en avant » en devenant l’atelier du monde.
En 2001, l’UE soutient aux côtés des États-Unis son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La Chine y adhère le 11 décembre au terme de quinze années de longues négociations.
Contrairement aux pays déjà membres de l’organisation, cette adhésion emporte pour la Chine de nombreuses et importantes concessions à très court terme pour tenir ses engagements. Marquant la fin de la stratégie d'ouverture sélective, son arrimage au système commercial international implique notamment la mise en œuvre des principes de base de l’OMC (clause de la nation la plus favorisée, traitement identique pour les produits nationaux et étrangers, mesures basées sur les prix etc.), l’acceptation du règlement multilatéral des conflits ou l’obligation de notifier et de rendre publics les changements de politique, notamment dans le domaine commercial.
Entre 1990 et 2016, les multinationales européennes investissent massivement en Chine. Les échanges technologiques, culturels ou universitaires sont encouragés. Ces contributions substantielles de l’UE témoignent de l’enthousiasme européen pour le marché chinois.
En intégrant la Chine à l’OMC, l’Union européenne pense en effet que son insertion dans le système globalisé des échanges entraînera un « accès considérablement amélioré pour les entreprises de l’Union européenne au marché chinois » ([2]). Elle espère ainsi profiter d’un marché de plus d’un milliard d’habitants, à l’époque, en pleine expansion.
En effet, les résultats entre 2001 et 2005 en témoignent : les entreprises européennes ont vu une augmentation significative de leurs exportations vers la Chine, notamment dans les secteurs automobile, chimie, pharmacie, agroalimentaire, et certains services.
L’UE est devenue rapidement l’un des plus grands partenaires commerciaux de la Chine et l’assouplissement des règles chinoises a facilité l’implantation de filiales européennes, notamment dans la fabrication, la distribution et le retail (ex. Carrefour, Volkswagen, Siemens). Surtout, la Chine est devenue un site attractif pour la production à bas coût pour des entreprises européennes qui sont persuadées que la baisse du prix du travail combiné à des règles sociales moins avantageuses pour les salariés, constituent un avantage pour attirer des investisseurs sur un partage de la valeur à leur avantage.
En fin de compte, en soutenant l’adhésion de la Chine à l’OMC, l’Union européenne a offert aux entreprises européennes des débouchés nouveaux et des conditions d’exploitation de la main-d'œuvre plus avantageuses pour le capital. Mais elle a aussi accéléré les délocalisations dans les secteurs industriels au point de provoquer une désindustrialisation de l’Europe qui se traduit par la destruction de 4 à 5 millions d’emplois ([3]) .
La trajectoire prise par la Chine est toutefois bien différente de celle anticipée par les Européens.
Sur le plan politique, le capitalisme d'État auquel s’est convertie la République populaire de Chine ne cède pas au capitalisme de marché. La Chine conserve en outre son propre système de valeurs. Dans son ouvrage « Chine : le nouveau capitalisme d'État », Marie-Claire Bergère, professeure émérite à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) analyse comment la Chine a développé un modèle économique unique, combinant capitalisme et contrôle étatique, tout en s'appuyant sur son héritage culturel millénaire.
Elle souligne que ce modèle, souvent qualifié de « capitalisme d'État », est profondément enraciné dans les traditions chinoises, notamment le confucianisme, qui valorise l'harmonie sociale, la hiérarchie et le rôle central de l'État. Ce système permet à la Chine de poursuivre son développement économique tout en maintenant une stabilité politique et sociale, différenciant ainsi son approche du capitalisme de celle des pays occidentaux.
Sur le plan philosophique, la Chine entretient un rapport au temps profondément distinct de celui des sociétés européennes. Comme le souligne André Chieng, auteur de “La pratique de la Chine”, elle privilégie une approche continue et cumulative, fondée sur l’évolution progressive des situations, plutôt que sur des ruptures ou des objectifs fixés à l’avance. Le temps n’y est pas linéaire mais orienté vers la transformation patiente du réel, dans le respect de l’harmonie globale.
Cette logique se manifeste particulièrement dans le domaine économique. Lorsqu’elle juge que ses intérêts stratégiques l’exigent, la Chine n’hésite pas à investir à très long terme, sans se soucier d’une rentabilité immédiate. Cette capacité de projection a été déterminante dans sa sortie de la pauvreté et dans son ascension au rang de puissance mondiale. Depuis plus d’une décennie, Pékin a tourné la page de la politique étrangère de « profil bas » prônée par Deng Xiaoping, optant pour une affirmation progressive mais résolue de ses ambitions sur la scène internationale.
Sur le plan diplomatique enfin, Bertrand Badie rappelle que la Chine préfère éviter le conflit afin d’atteindre ses objectifs politiques, économiques ou stratégiques. Comme il le souligne, « la meilleure guerre est celle que l’on remporte sans avoir à la mener », conformément au précepte du livre “L’Art de la guerre” de Sun Tzu. C’est d‘ailleurs l’une des clefs du développement économique rapide de la zone Asie du Sud-Est selon M. Jing ZHU, chef adjoint de la Mission de la République populaire de Chine auprès de l'Union européenne, auditionné par votre rapporteur.
2. L’émancipation de la Chine a modifié l’ordre mondial
Depuis son adhésion à l’OMC, la Chine est devenue la deuxième plus grande économie du monde après les États-Unis. Elle a connu une croissance économique fulgurante depuis ses réformes de 1978, avec un taux moyen de +9 % par an sur plusieurs décennies. Son PIB a enregistré une hausse exponentielle au cours des années 2000 et 2010, avant de se stabiliser ces dernières années. Dépassant celui de l’Allemagne et du Japon en 2010, son PIB s’élevait en 2022 à 18 300 milliards de dollars, contre 26 006 pour les États-Unis.
En matière commerciale, le bond est spectaculaire. La forte expansion des exportations a contribué de façon cruciale à la performance économique remarquable de la Chine. D’après l’Organisation mondiale du commerce, la part de la Chine est passée de 5,9 % à 15,2 % entre 2003 et 2020 pour les exportations de marchandises, tandis que la part des États-Unis reculait de 9,8 % à 8,4 %.
Depuis 2014 en effet, la Chine est le premier exportateur mondial de marchandises et le premier fournisseur de plus de 60 pays, dont une vingtaine se trouve en Afrique. Mais la part de l’ASEAN dans les échanges commerciaux de la Chine (16 %), en hausse de 0.5 points en 2024, témoigne du rôle croissant du « pays du milieu » dans la région. Cette évolution, qui s’effectue au détriment de l’UE et des États-Unis, souligne également la volonté de Pékin de diversifier ses partenaires commerciaux dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu.
Témoignant de cette rapide internationalisation de son économie, la Chine enregistre également des excédents commerciaux conséquents dont celui de 2024, de 993 Mds USD, a battu tous les records. Elle a par ailleurs accumulé d'immenses réserves en devises et a significativement réduit sa dépendance au commerce extérieur dont la part représentait 33 % de son PIB en 2023 contre 64 % en 2006. Selon, M. Bruno Weill, vice-président de la chambre de commerce de l’Union européenne (EUCCC), la Chine représente aujourd’hui 38 % des exportations mondiales contre 16 % de la population mondiale. Demain, elle pourrait représenter 50 % des exportations mondiales avec une population en baisse.
Au niveau des investissements, la Chine demeure en 2024 le deuxième bénéficiaire d'IDE dans le monde (21 %) même si les flux ont diminué de 13,6 % en glissement annuel en 2023, totalisant 163,2 milliards de dollars.
Après avoir longtemps flirté avec des taux de croissance à deux chiffres, elle affiche, depuis la période récente, un objectif de taux de croissance aux alentours de 5 % annuel, qui la place parmi les pays émergents les plus dynamiques mais derrière ses grands voisins comme l’Inde, les Philippines ou l’Indonésie.
La transformation du pays s’est par ailleurs accompagnée d’une urbanisation spectaculaire et d’un transfert de la population rurale vers l’industrie et de plus en plus vers les services. Depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en novembre 2013, d'importantes réformes structurelles sont en cours pour transformer le modèle de développement, en réduisant la part des investissements et des exportations et en mettant davantage l’accent sur l’innovation technologique. Longtemps considérée comme l’atelier du monde, la Chine n’est plus seulement un centre de production. Elle est devenue l'un des plus grands centres de recherche et développement du monde. L’innovation occupe une place centrale dans toutes les politiques publiques menées par Pékin qui s’est fixé comme objectif de faire de la Chine le numéro un mondial dans toutes les grandes technologies d’avenir, grâce notamment à un effort financier massif. Le leadership de la Chine dans des secteurs stratégiques comme les voitures autonomes ou bien la 5G, la prolifération des brevets et publications scientifiques de qualité ou bien la réduction de sa dépendance aux marchés extérieurs témoignent de cette réussite et des ambitions chinoises à moyen terme.
Devenue un acteur international incontournable, la Chine joue un rôle politique de plus en plus marqué au sein des instances multilatérales, qu’il s’agisse des instances onusiennes ou d’instances régionales, et dans le cadre de groupes plus resserrés, comme celui du G20 qu’elle a intégré en 2008.
Toutes ces évolutions, dont l’ampleur et la rapidité sont inédites, ont bousculé l’ordre mondial et parfois suscité la méfiance des partenaires de la Chine, dont les partenaires européens.
3. Depuis 2019, l’Union européenne définit la Chine comme un rival systémique et un concurrent économique…
Les relations diplomatiques entre la Communauté économique européenne (CEE) et la République populaire de Chine (RPC) ont été établies dès 1975 à la suite de la première visite à Pékin de l’anglais Christopher Soames, alors commissaire européen chargé des Relations extérieures.
L‘année 2025 marque donc la célébration du cinquantième anniversaire de cette riche relation qui s’est considérablement développée tant sur le plan politique, qu’économique et sociétal.
Le premier accord commercial entre la CEE et la Chine a été signé en 1978, posant les bases de leurs échanges. Bien que non préférentiel, cet accord visait à faciliter les échanges en abaissant les barrières douanières et introduisait notamment la « clause de la nation la plus favorisée ». Il a été suivi, en 1985, par un accord de coopération économique et commerciale plus ambitieux, qui définissait les principaux domaines de collaboration : industrie, agriculture, énergie, recherche scientifique, technologies et investissements.
C’est à partir du milieu des années 1990 que les échanges commerciaux entre la Chine et l’Union européenne ont connu une croissance significative. En 2004, la Chine devenait le deuxième partenaire commercial de l'UE, juste après les États-Unis.
Cette dynamique s’est poursuivie jusqu’en 2020, année durant laquelle l’Union européenne a temporairement perdu sa première place de partenaire commercial de la Chine au profit de l’ASEAN qui a vu ses échanges avec Pékin croître rapidement, atteignant un volume commercial de 685 milliards de dollars en 2020 les données douanières chinoises de 2021. En parallèle, la Chine est devenue, la même année, le premier partenaire commercial de l’Union européenne, avec des échanges bilatéraux s’élevant à 586 milliards de dollars, dépassant ceux avec les États-Unis (555 milliards).
Toutefois, les positions restent fluctuantes. Selon Eurostat, l’Union européenne est redevenue le premier partenaire commercial de la Chine en 2023, démontrant que les liens économiques qui unissent les deux puissances économiques mondiales, sont toujours étroits et même stratégiques pour les deux.
Sur le plan politique, un sommet bilatéral réunissant les chefs d'État et de gouvernement est organisé chaque année depuis 1998, alternativement en Chine puis en Europe.
Plus généralement, l'architecture du dialogue sino-européen repose depuis 2009 sur trois piliers (politique, économique et sociétal), chacun rythmé par des dialogues stratégiques de haut niveau, des dialogues spécialisés ou encore des comités ministériels communs.
Malgré l’adoption en novembre 2013 d’un « Agenda stratégique Chine-UE 2020 pour la coopération » qui prévoyait de renforcer ce partenariat sur, notamment, les questions de paix et de sécurité, de prospérité ou de développement durable, les obstacles à son établissement se sont multipliés et accentués en 2019 lorsque l'UE a brusquement défini une nouvelle stratégie vis-à-vis de la Chine. Celle-ci n'était plus seulement un « partenaire de coopération et de négociation » mais également un « concurrent économique » et un « rival systémique ».
Les divergences entre l’Union européenne et la Chine se structurent autour de deux axes principaux. D’une part, l’UE exprime une vigilance croissante quant à sa dépendance économique vis-à-vis de la Chine, dans un contexte où la résilience des chaînes d’approvisionnement est devenue une priorité stratégique. D’autre part, elle suit attentivement l'affirmation croissante de la Chine sur la scène internationale, notamment sous l’impulsion du président Xi Jinping.
Pour les Européens, le principal point d’achoppement à ce jour porte sur la non-condamnation de l’invasion russe en Ukraine et le contournement par la Russie des sanctions occidentales grâce notamment à l’appui de Pékin.
La question des droits de l’homme, considérés comme la « pierre angulaire » de la politique étrangère européenne, représente un autre point de divergence. Or comme le souligne M. Huchet de l’INALCO lors de son audition, la conception des droits de l’homme diffère entre les deux partenaires car elle ne repose pas sur les mêmes caractéristiques sociétales, culturelles et politiques. La Chine a ainsi souvent justifié ses restrictions aux libertés civiles et politiques au nom de la stabilité sociale et du développement économique. C’est également l’analyse de M. Toledo, représentant de l’Union européenne en Chine, qui indiquait que le contrat social en Chine était fondé sur la remise des libertés en échange de la prospérité. Pour M. Pascal Boniface, ce contrôle social est accepté car le rapport à l’autorité est différent. La sécurité exercée sur le corps social n’est pas vécue comme une contrainte insupportable.
Surtout, Pékin n’accepte pas le discours moralisateur de l’Europe, inégalement appliqué selon les États et constitutif d’une ingérence. L’ambassadeur M. Zhu Liying, en poste au département de l’Europe, auditionné par votre rapporteure, considère ainsi que l’Europe doit « respecter les intérêts fondamentaux » de la Chine.
D’autres sujets sont sources de tension comme l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine imposé après Tiananmen (et toujours en vigueur) ou les velléités de l’OTAN de s’étendre vers l’Asie. Ce dernier point a d’ailleurs été souligné par le vice-ministre M. LU Kang du département de liaison. Il a ainsi indiqué à votre rapporteure que cela représentait une réelle source d’inquiétude et un facteur potentiellement déstabilisateur des relations internationales. La stratégie Indopacifique européenne adoptée en 2021 est mal perçue par Pékin, qui y voit une volonté de contenir la Chine aux côtés des États-Unis, très présents dans la région.
À cela s’ajoutent les divergences d’interprétation autour de la notion de « Chine unique », principe politique instauré à la fin des années 1940 par la République populaire de Chine qui veut qu'il n'y ait qu'une seule Chine dans le monde. Ainsi, Taïwan, Hong-Kong, le Tibet, Macao et le Xinjiang font partie du territoire chinois. Et c’est d’ailleurs la position retenue par la communauté internationale réunie au sein des Nations Unies : Taïwan est une province chinoise et depuis 1971, la résolution 2758 de l’Assemblée générale de l’ONU ne reconnaît que la Chine. Macao a été rétrocédé à la Chine en 1999 par la puissance coloniale portugaise et le principe d’« un pays, deux systèmes » s’y applique. Hong-Kong a été rétrocédé à la Chine par la puissance coloniale britannique le 1er juillet 1997 conformément à la Déclaration conjointe sino-britannique de 1984. L’ONU se réfère à la « région administrative spéciale de Hong-Kong » dans tous ses documents officiels et reconnaît la pleine souveraineté chinoise sur ce territoire. Depuis 1950, l’ONU n’a jamais remis en question la souveraineté de la Chine sur le Tibet considéré comme une « région autonome ». Quant au Xinjiang, officiellement appelé « région autonome ouïghoure du Xinjiang », l’ONU y reconnaît la pleine souveraineté chinoise.
M. Toledo souligne que l'UE défend la « politique de la Chine unique » et non « le principe de la Chine unique ». Il en découle que l’Union européenne se place en porte-à-faux en intensifiant ses relations non officielles avec les autorités locales taïwanaises. Cela participe d’autant plus à la crispation de notre relation avec Pékin qui n’hésite pas à prendre des sanctions contre les États qui se rapprocheraient trop de Taïwan. Ce fut notamment le cas en 2021 lorsque Pékin prit la décision d'abaisser ses relations diplomatiques avec Vilnius au niveau des chargés d'affaires car elle avait décidé d'accueillir un « Bureau de représentation taïwanais » et de boycotter des exportations lituaniennes. Le différend a été porté par l’UE devant l'organe de règlement de l'OMC.
Car c’est bien le volet économique et commercial qui participe aujourd’hui de manière dramatique à la crispation de la relation euro-chinoise, même si un certain réchauffement se profile. Qu’il s’agisse du déficit commercial européen (291 Md€ en 2023), du refus d’octroyer à Pékin le statut d'économie de marché, de l’ouverture mesurée et contrôlée du marché chinois aux entreprises étrangères ou du poids des entreprises chinoises dans l’économie nationale, les sources de tensions sont nombreuses et participent de la dégradation de la relation qui pourrait virer à la guerre commerciale.
4. …mais plus suffisamment comme un partenaire
De son côté, la Chine, selon les mots du Ministre, chef adjoint de la mission de la République populaire de Chine auprès de l'Union européenne, M. Jing ZHU, “ne considère l’UE ni comme un rival, ni un concurrent”.
Ainsi, le 30 avril 2025, la Chine a levé ses sanctions, prises en 2021, contre quatre eurodéputés et la sous-commission des droits de l’Homme du Parlement européen, qui avaient été appliquées en réponse aux sanctions que l’Union européenne avait imposées contre quatre responsables chinois et une entité (gel des avoirs et interdiction de visa) en lien avec la situation des Ouïghours.
Cette décision unilatérale “surprise”, selon les propres termes du vice-président du Parlement européen Younous Omarjee auditionné par votre rapporteure, permet de “lever les obstacles” et d’ouvrir d’autres chemins régler les sujets conflictuels dans le respect des intérêts de chacun.
Par ailleurs, à l’heure du désengagement massif américain, les positions européennes et chinoises se rapprochent dans le traitement des principaux enjeux globaux : changement climatique, transition écologique, intelligence artificielle sont autant de sujets qui peuvent faible l’objet de consensus partagés, comme l’ont plusieurs fois évoqué les interlocuteurs chinois que votre rapporteure a pu auditionner à Paris, Bruxelles, Pékin, Shanghai et Canton.
Car, comme l’indiquait à votre rapporteure M. FU Ziying, vice-président du comité des affaires étrangères de l’ANP et vice-président du groupe d’amitié France-Chine, « la Chine et l'UE n'ont pas de conflits d’intérêts fondamentaux ». « Nous devons avoir une perception juste et raisonnable de la réalité » ajoute-t-il. Le renforcement de la relation est également le souhait exprimé par le vice-ministre M. LU Kang, vice-ministre au Département de liaison lors de son audition.
Enfin, faisant le constat de l’évolution instable et incertaine du monde, M. ZHU Liying, ambassadeur en poste au département de l’Europe du Ministère des Affaires étrangères, rappelle que la Chine joue un rôle dans le sens de la paix et de la stabilité du monde. La Chine, qui n’a pas été engagée dans un conflit armé majeur depuis plusieurs décennies, poursuit une ascension internationale de nature essentiellement pacifique — une posture qui semble conforme à son intérêt stratégique de préserver la stabilité nécessaire à son développement interne.
Si elle se revendique pacifique, la Chine demeure néanmoins une puissance militaire de premier plan. À ce titre, et selon l’ensemble des responsables chinois auditionnés, elle se déclare prête à recourir à la force en cas d’atteinte à ses intérêts fondamentaux. En particulier, une éventuelle indépendance de la province de Taïwan est jugée comme inacceptable par M. Jing ZHU, qui a assuré que Pékin n’hésiterait pas à utiliser la force comme ultime recours pour opérer la réunification de la Chine.
Valeurs européennes et principes chinois
« Les droits humains sont des droits inhérents à tous les êtres humains, quels que soient leur race, sexe, nationalité, origine ethnique, langue, religion ou toute autre condition », selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). Ils couvrent donc des droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, ainsi que des droits collectifs.
La position de la Chine et d’autres nations d’Asie du Sud-Est consiste à contester la suprématie de l’interprétation « occidentale » de l’application, de la hiérarchisation et finalement de l’interprétation de ces droits humains.
Ces pays ont développé le concept de “valeurs asiatiques” selon lesquelles les “droits collectifs et le développement économique devraient primer sur les droits individuels” tels que mis en exergue par les Européens.
De plus, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, lors du cycle 2024 du dialogue UE-Chine sur les droits humains, a dénoncé l’instrumentalisation des « valeurs européennes » dans les relations géopolitiques. Il a déclaré que “la Chine s'oppose fermement à la politisation des questions relatives aux droits de l'homme et à la pratique du deux poids, deux mesures”. Il considérait aussi inacceptable d’“imposer ses propres modèles de développement aux autres” et s'opposait à “l'ingérence dans les affaires intérieures de la Chine sous prétexte de questions relatives aux droits de l'homme, et s'oppose à la diplomatie du mégaphone au sein des plates-formes multilatérales”.
Ce n’est donc pas seulement une question de divergence culturelle des conceptions que pointent les autorités chinoises. Elles dénoncent surtout le double standard de pays « occidentaux » (européen et nord-américain) qui invoquent les droits de l’homme face à certains pays auxquels ils s’opposent tout en fermant les yeux sur d’autres avec lesquels ils signent des accords.
Ainsi, le Parlement européen a adopté 5 résolutions entre 2019 et 2022 contre la politique chinoise dans la région autonome du Xinjiang pour dénoncer des violations des droits de la minorité ouïghoure. L’ONU et le HRW estiment que depuis 2017, environ 1 million de personnes seraient passées par un camp de rééducation dans le Xinjiang.
Par comparaison, entre janvier 2020 et janvier 2024, 3 résolutions du Parlement européen dénoncent la politique islamophobe de l’Inde qui a mené le pays à exclure 1,9 million de personnes du registre des citoyens « légitimes » et à ouvrir des centres de rétention pour ces personnes.
L’Union européenne s’apprête à signer un accord de libre-échange avec l’Inde à la fin de l’année 2025. Interrogé sur l’absence de parallélisme vis-à-vis des deux grandes puissances que sont la Chine et l’Inde, Dominique Porter, Chef de la division Chine, Hong Kong, Macao, Taïwan et Mongolie au Service européen pour l’action extérieure, reconnaît qu’avec la Chine, « nous avons peut-être exagéré avec nos valeurs », ajoutant que « les Chinois détestent notre sélectivité » tout en assurant qu’« on ne mettra pas de côté nos valeurs avec l’Inde ».
Plus grave encore, il est possible de souligner l’attitude hypocrite de l’Union européenne en matière de droits humains au regard de sa propre politique migratoire « déléguée » à des pays comme la Turquie, l’Égypte, la Tunisie, la Mauritanie en échange de plusieurs centaines de millions d’euros. Que ce soient les accords avec la Turquie en 2016 (6 milliards d’euros entre 2016-2023) pour gérer les flux de migrants ou les atteintes aux droits humains (notamment le principe de non-refoulement) au sein des États membres, de nombreuses organisations non-gouvernementales comme Amnesty International ou GISTI déplorent un dévoiement des principes humanitaires que l’UE se borne à revendiquer auprès des autres nations à l’échelle internationale. Ces critiques existent aussi pour les accords UE-Égypte.
De plus, la position ambiguë de l’UE face aux crimes contre l’Humanité et crimes de guerre perpétrés par le gouvernement d’extrême-droite de Benyamin Netanyahu dans la bande de Gaza où il est désormais entendu qu’un génocide est en cours, tout comme sa politique de colonisation et d’annexion des Territoires palestiniens occupés, marquent un tournant.
L’Union européenne, dont la politique extérieure se voulait fondée sur des valeurs supérieures, et qui se portait garante du respect des droits de l’Homme, a perdu sa crédibilité au vu de ses propres manquements, de son double-langage et de l’instrumentalisation faite des droits humains pour sanctionner ou empêcher toute normalisation des relations avec certains pays.
« Nos valeurs » apparaissent désormais comme un élément de la négociation commerciale et de l’influence géopolitique. Tantôt mises en avant, tantôt sous le tapis, elles résistent mal à la confrontation au réel et sont vues comme un prétexte pour l’adoption de sanctions économiques ou commerciales dans la compétition globale.
B. L’impact déterminant des relations sino-américaines sur l'Europe
1. Les États-Unis, qui voient leur leadership mondial concurrencé, mènent une politique agressive contre la Chine
Prenant acte de l’essor fulgurant de la Chine sur la scène mondiale, l’administration Obama adopte dès 2011 la stratégie dite « du pivot », qui place l’Asie au cœur de la politique étrangère américaine dans le double objectif de renforcer l’influence américaine dans l’Indopacifique et de représenter une force dissuasive à l’égard de la Chine. Ce pivot confirmait le premier virage vers l’Asie (« shift ») amorcé par l’administration de George W. Bush visant à accroître les capacités militaires de leurs alliés dans la région.
Sous Obama, le « pivot stratégique » vers l’Asie, rebaptisé « rééquilibrage », n’a pas atténué les tensions avec Pékin. L’élection de Donald Trump, celle de 2016, va encore durcir la confrontation avec Pékin sur les plans commercial et technologique. Mais son unilatéralisme va affaiblir l’architecture économique américaine dans la région comme le montre le retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique (TPP) que la Chine a su exploiter en promouvant le Partenariat régional économique global (Regional Comprehensive Economic Partnership-RCCP ([4])).
Surtout, en ayant recours à l’utilisation de sanctions et des tarifs douaniers, l’administration Trump 1 et 2 privilégie une rhétorique de confrontation avec la Chine. Ont notamment été appliqués en avril des droits de douane de 145 % sur les importations de produits chinois, avant de rétropédaler et de les abaisser temporairement à 30 % le 14 mai dernier ([5]) , pour une période de 90 jours. Rien n’indique que la guerre commerciale ne reprendra pas à la mi-août puisque les velléités de Trump envers ses partenaires commerciaux semblent se poursuivre. En effet, il a signé le 4 juin un décret ([6]) portant les droits de douane sur l’acier et l’aluminium importés à 50 % (contre 25 % auparavant), envoyant un message clair à son voisin canadien, responsable de 91 % des 12 milliards d’importations américaines de fer et d’acier.
Déjà dans une interview accordée à Fox News en 2019, Donald Trump avait affirmé qu’il ferait tout pour empêcher la Chine de devenir la première puissance économique mondiale : “la Chine ne deviendra pas numéro 1 mondial sous ma présidence”. Depuis sa réélection, la lutte pour la réduction du déficit commercial américain sont des marqueurs forts de son discours. M. Huchet, Président de l’Inalco, a par ailleurs mis en lumière le caractère consensuel et bipartisan de cette politique américaine, fondée sur « les recommandations des faucons américains ».
Pour M. Pascal Boniface, l’argument de la différence idéologique est un prétexte destiné à légitimer cette rivalité. En effet, le « communisme » chinois n’a pas toujours empêché des partenariats constructifs entre les EU et la Chine par le passé comme en témoigne la politique de rapprochement de R. Nixon dans les années 1970 ou encore celle de Bill Clinton à la fin des années 1990 qui présentait la Chine comme « une terre d’opportunités ». Cependant, et toujours selon M. Pascal Boniface, le pacte, qui sous-tendait leurs relations, consistait pour les États-Unis à ne pas s’ingérer dans la politique menée par le régime chinois à condition que ce dernier ne concurrence pas la suprématie américaine.
Pour certains observateurs, la « relation sino-américaine » (zhongmei guanxi) serait l’axe majeur de la géopolitique du siècle qui commence. Selon M. Graham Allison dans un ouvrage paru en 2019, le « piège de Thucydide », le choc entre la puissance émergente et la puissance émergée devient inéluctable.
Pourtant, Bertrand Badie, du Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris, rappelle que la Chine s’est toujours défendue d’avoir l’ambition d’être la première puissance mondiale ou de contester l’hégémonie américaine. Une anecdote relatée par M. Badie, non sourcée, illustrerait cette vision ; un diplomate chinois interrogé sur les velléités chinoises aurait répondu : « Regardez l’hégémonie américaine, cela leur coûte très cher, et ne leur rapporte rien ». Cette vision très rationnelle explique pourquoi M. Deng Li, ambassadeur de Chine en France a affirmé lors de son audition que “les USA doivent comprendre que la Chine ne cherche pas à les remplacer”. “L’hégémonie n'intéresse pas le peuple chinois, on ne cherche qu’à se développer, qu’on nous laisse tranquilles” a-t-il conclu.
2. La perte d’hégémonie des États-Unis s’accompagne d’une montée en puissance de la Chine dans de nombreux domaines stratégiques
Puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine a considérablement modernisé son armée, avec des budgets militaires en augmentation constante. En 2023, ses dépenses militaires étaient estimées à 296 milliards de dollars, soit environ 32 % de celles des États-Unis, qui s’élevaient à 916 milliards de dollars.
Principale puissance militaire en Mer de Chine, la RPC ne dispose que d’une seule base militaire reconnue à l’étranger (Port de Doraleh, Djibouti, depuis 2017). Des rapports et articles de presse (comme le Wall Street Journal) lui prêtent des initiatives expansionnistes sans qu’aucun élément probant ni confirmation (par exemple, le Cambodge nie catégoriquement avoir un accord sur la base navale de Ream) n’appuie ces accusations. Pour autant, la stratégie de sécurité nationale américaine de 2022 la qualifie de « seul compétiteur des États-Unis avec l'intention et, de plus en plus, la capacité de remodeler l'ordre international » ([7]).
La Chine est également montée en puissance sur le plan scientifique. Elle occupe désormais une place majeure dans la recherche mondiale. Selon le classement Clarivate 2024, elle compte 1405 chercheurs hautement cités, soit 20,4 % du total mondial, juste derrière les États-Unis avec 36,4 %. Dans le domaine des technologies critiques, une étude de l’Australian Stategic Policy ([8]) estime que la Chine est en tête dans 57 des 64 technologies critiques mondiales, notamment la 5G, les batteries électriques et les missiles hypersoniques.
En effet, les chercheurs chinois contribuent à un nombre croissant d'articles figurant parmi le 1 % des plus cités au monde, surpassant les publications américaines dans les classements mondiaux.
Plus spectaculaire encore, les Chinois ont déposé, en 2023, 1,64 million des demandes de brevets (près de la moitié des demandes mondiales), et en 2024, plus de 70 000 demandes de brevets ont été soumises via le système du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) tandis que les US en ont déposé 54 000.
Ce phénomène s'explique en partie par l'investissement massif de la Chine dans la recherche et développement (R&D). Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les dépenses chinoises en la matière ont connu une croissance annuelle moyenne de près de 18 % entre 2000 et 2020. Aujourd’hui, selon le Bureau national de la statistique de Chine, la part du PIB chinois allouée à la R&D s'élève à environ à 2,7 % contre 3,4 % pour les États-Unis.
Dans le secteur des infrastructures de télécommunication, Huawei domine le marché mondial, avec plus qu’un quart des parts de marché en 2020 et des entreprises comme Baidu ou Alibaba se distinguent dans l’intelligence artificielle générative, la conduite autonome et les services en ligne.
Au premier rang mondial dans des secteurs industriels traditionnels aussi divers que l’électroménager, la construction ferroviaire, la construction navale, la sidérurgie, la métallurgie des non-ferreux, elle souhaite à présent conforter sa place dans les technologies du futur comme la robotique, l’industrie spatiale, les composants électroniques, la chimie ou l’intelligence artificielle.
Dans le secteur de l’énergie « verte » et décarbonée, la RPC s’est engagée très fortement en 2005 lorsqu’elle a adopté sa première Loi sur les énergies renouvelables, puis en 2009 avec son premier Plan de relance vert. Depuis 2021, l’accélération industrielle et stratégique en fait le leader mondial incontesté dans le domaine des énergies renouvelables, et notamment dans le secteur du solaire photovoltaïque. Illustration de cette croissance fulgurante, quatre de ses fabricants occupent les premières places mondiales : Goldwind (19,3 GW installés), Envision (14,5 GW), Windey (12,5 GW) et Mingyang (12,2 GW). Le marché chinois a représenté 70 % des nouvelles installations éoliennes mondiales cette année-là.
Détenant de nombreuses ressources, la Chine fournit, selon Reuters (4 juin 2025), environ 90 % de la production d’éléments de terres rares et contrôle presque 90 % de la capacité mondiale de traitements indispensables à la production des smartphones, des éoliennes, des appareils d'IRM ou des batteries électriques. La Chine est par ailleurs devenue leader mondial des batteries au lithium, grâce à ses réserves très importantes de ce métal qui sert notamment à l’équipement des véhicules électriques.
La Chine s’est aussi imposée en quelques décennies comme un acteur spatial de premier plan, avec des ambitions à la fois civiles et militaires très élevées. Le programme spatial chinois a débuté dans les années 1950-60 de manière modeste, mais il a véritablement pris son essor à partir des années 1980 avec l’ouverture économique. Elle est devenue le troisième pays à envoyer un homme dans l’espace par ses propres moyens vol Shenzhou 5 en 2003. Elle a développé sa propre station spatiale, nommée Tiangong (Palais Céleste), et alors que la Station spatiale internationale (ISS) arrivera en fin de vie d’ici la fin de la décennie, la station chinoise pourrait devenir la seule station spatiale active en orbite pour la recherche dans quelques années. Elle prévoit à l’horizon 2028-2030 l’envoi d’astronautes chinois sur la Lune. Du point de vue militaire, Pékin a développé des capacités anti-satellite (ASAT) démontrées de manière spectaculaire en 2007, lorsqu’un missile chinois a détruit un de ses vieux satellites météorologiques en orbite à 850 km d’altitude. Le rapport développera ce point dans une partie ultérieure.
Surtout, la Chine s’est imposée comme un acteur central dans le développement des infrastructures, notamment à travers l’initiative des Nouvelles Routes de la soie, qui constitue un levier stratégique majeur pour affirmer sa souveraineté économique et renforcer la sécurisation de ses approvisionnements et de ses débouchés commerciaux.
3. Les nouvelles routes de la Soie : la réponse chinoise pour sécuriser et développer la connectivité régionale et la coopération économique
L’« ascension pacifique » de la Chine s’inscrit dans un cadre géopolitique et économique bien plus ambitieux : celui des « Nouvelles Routes de la soie » ou Belt and Road Initiative (BRI) en anglais. Lancée officiellement en 2013 par le président Xi Jinping à l’Université de Nazarbaïev au Kazakhstan, cette initiative constitue un projet central de la politique étrangère et économique chinoise, visant à relier la Chine au reste du monde par des voies terrestres (routes, autoroutes, lignes ferroviaires à grande vitesse), maritimes (ports et infrastructures portuaires), mais aussi aériennes, numériques et même spatiales. À ce jour, ce sont bien les axes terrestre et maritime qui forment les deux piliers principaux du projet, avec pour objectif affiché d'améliorer la connectivité logistique et commerciale interrégionale.
Faisant le pari d’un investissement à l’échelle planétaire, la BRI regroupe aujourd’hui plus de 150 pays (155 ([9]) selon les données officielles de 2023) et 32 organisations internationales, comprenant la quasi-totalité des pays d’Afrique et d’Asie, mais aussi plusieurs États de l’Union européenne tels que la Hongrie, la Grèce, le Portugal, et l’Allemagne (par des coopérations bilatérales spécifiques). L’Italie, seul pays du G7 à y avoir officiellement adhéré en 2019, s’est retirée de l’initiative en 2023, invoquant une absence de retombées économiques substantielles. Deux tiers des pays latino-américains y ont déjà adhéré.
Au mois de mai 2025, Xi Jinping et le président colombien Gustavo Petro ont scellé un accord sur un plan de coopération faisant entrer la Colombie, historiquement liée aux États-Unis d’Amérique, dans les nouvelles routes de la Soie. Le Président colombien s’est félicité publiquement sur son compte X que “la Colombie [entretienne] désormais des relations égales et libres avec le monde entier.”
Pour la Chine, la BRI incarne une voie progressive vers la réforme de la gouvernance mondiale. Elle se présente comme une forme renouvelée de coopération transnationale, fondée sur le volontariat. Cette coopération s’incarne dans des mémorandums d’entente, des accords bilatéraux ou régionaux, voire des coentreprises, négociés directement entre les autorités chinoises et les gouvernements partenaires.
En parallèle, le modèle économique adopté dans le cadre de la BRI – parfois désigné par l’expression “going out by going in” – vise à stimuler l’investissement dans des régions isolées, économiquement fragiles ou sous-développées. À l’échelle régionale, il s’agit de construire une communauté de destin partagé, notion chère au discours officiel chinois, reposant sur des intérêts communs, une solidarité économique et une coresponsabilité des projets.
Si la BRI répond à des motivations clairement économiques – notamment l’intégration interrégionale, la stimulation des échanges et la restructuration des surcapacités industrielles chinoises – elle poursuit également des objectifs politiques. Elle constitue un outil stratégique pour prolonger l’influence de la Chine, sécuriser ses approvisionnements (en matières premières notamment), et garantir des débouchés commerciaux à long terme. En ce sens, la BRI est un levier de diplomatie d’influence, qui vise à renforcer l’image d’une Chine stable, fiable et capable de se comporter comme une grande puissance responsable.
Cependant, la BRI ne fait pas l’unanimité. Elle suscite des interrogations croissantes parmi certains pays d’accueil en raison de la dépendance financière qu’elle peut engendrer, du manque de transparence dans les contrats, ou encore des normes environnementales insuffisamment respectées. En Europe, ce projet d’envergure est souvent perçu comme un instrument d’expansion stratégique, ce qui nourrit la méfiance de certains États. C’est le cas de la Lituanie qui a décidé en mai 2021 de quitter le groupe des “17+1” pays d’Europe centrale et des Balkans, dont 11 membres de l’Union européenne (UE), que Pékin avait lancé en 2012.
La question du surendettement, la gouvernance des projets et les déséquilibres contractuels figurent parmi les principaux défis auxquels la BRI devra répondre dans les années à venir, si elle veut convaincre durablement ses partenaires.
4. Guerres commerciales déclenchées par les États-Unis : les atermoiements européens
"Les forts font ce qu'ils peuvent et les faibles souffrent ce qu'ils doivent". Cette sentence de Thucydide, issue de Histoire de la guerre du Péloponnèse (431 ‑ 411 JC), semble avoir trouvé un écho contemporain dans la politique étrangère de Donald Trump. Elle résume dans une litote l’idée selon laquelle la loi du plus fort prévaut sur les considérations de droit international et de coopération.
Le Président Trump n’a jamais caché son mépris pour l’Union européenne qu’il qualifie d’« arnaque ». ([10]) Son conseiller J.D Vance va plus loin et exprime son « dégoût » ([11]) ([12])pour le Vieux continent. Humiliés, les Européens s’interrogent encore sur la posture à adopter face à ce dévoilement : la fin de l’illusion atlantiste est aussi la prise de conscience du piège complexe dans lequel ils se trouvent.
Dans un article publié dans le Monde diplomatique en septembre 2003, Frédéric Lordon exprimait une mise en garde : « L’Union européenne ne fut jamais, aux yeux des États-Unis, autre chose qu’un appendice de leur influence, tant qu’elle restait sous sa tutelle. Toute tentative d’autonomie européenne est perçue comme une anomalie stratégique ». Perry Anderson, historien, écrivait quant à lui : « L’Union européenne est, pour les États-Unis, un projet utile tant qu’il s’inscrit dans l’ordre atlantique, mais qu’il faut contenir dès qu’il en dévie » ([13]).
Le modèle européen, né des ruines des empires coloniaux, était une tentative politique post-impériale fondée sur les idées de la coopération, de la paix et du droit comme mode de gestion au sein d’un espace continental. Pour les États-Unis, l’Union européenne est avant tout un partenaire fonctionnel, limité à quelques domaines où l’approche est partagée tels que les droits de l'homme, internet ou la non-prolifération des armes de destruction massive. Sur le fond, elle est surtout perçue comme un bloc commercial, utile mais secondaire, du fait de son marché unique. Politiquement, les dialogues institutionnels, notamment les forums UE/États-Unis, restent de portée limitée, à l’exception de quelques structures plus opérationnelles comme le Conseil énergie ou du Conseil économique transatlantique.
En réalité, l’Union européenne s’est façonnée sous l’influence des Américains, parfois s’affirmant en tenant tête, comme pour l’intégration de la Turquie ; souvent en cédant, comme on peut le voir avec le Plan « Réarmer l’Europe » qui répond à l’injonction trumpiste faite aux États membres de consacrer plus de 5 % de leur PIB ([14]) à la défense d’équiper les Européens en armement américain.
L’influence s’exprime également en matière climatique : tandis que l’Union européenne affichait des ambitions louables pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 (Pacte Vert européen), ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain ont explosé depuis la guerre en Ukraine. Ainsi, en 2024, près de 45 % des importations totales de GNL de l’Union européenne provenaient des États-Unis ([15]) . Les reculs observés, comme les retours en arrière législatifs (règlement omnibus), mettent en péril la crédibilité de l’action climatique de l’UE sur la scène internationale.
Enfin, il est indispensable de prendre en considération les positions divergentes voire contradictoires qui existent entre les États membres sur des questions souvent essentielles comme la guerre en Ukraine, la Palestine, la politique migratoire, l’autonomie stratégique et la défense.
Ainsi, la perspective d’une Europe de la défense, censée reposer sur trois piliers (autonomie stratégique, capacités militaires propres et volonté politique commune) se heurte à des obstacles sur ces trois fronts. Militairement dépendante des États-Unis, politiquement divisée et structurellement embryonnaire, elle n’est pas en mesure d’offrir un abri aux États dont les questions de défense relèvent encore largement du « parapluie américain ».
On retrouve ces divisions dans la définition d’une stratégie de réplique aux attaques commerciales de Donald Trump et d’une approche commune face à la rivalité sino-américaine.
M. Pascal Boniface qualifie cette rivalité d’« essentialiste » dans la mesure où elle tend à se structurer non plus seulement autour d’intérêts géostratégiques ou économiques, mais selon une logique systémique. C’est pourquoi, la France et l'Union européenne ne doivent pas tomber dans le piège de Thucydide dont la seule issue serait l’affrontement. Certains membres de l’Union européenne sont partisans d'une approche gaullo-mitterrandiste et voient favorablement une coopération avec la Chine, d’autres s’alignent sur une approche atlantiste et considèrent les États-Unis comme incontournable pour leur sécurité.
Selon M. Jean-Luc Mélenchon, les États-Unis ne visent plus à dominer par l’innovation mais par la violence économique et géopolitique tandis que la Chine cherche avant tout à organiser son influence pour garantir la stabilité de ses approvisionnements. Il estime qu’il est essentiel de « discuter rationnellement » avec les deux, mais que l’UE est incapable de s’accorder : « il y a un irréalisme européen, une sorte d’irealpolitik, où l’impuissance est inscrite au sommet des principes organisateurs de l’UE et porte un nom : la concurrence libre et non faussée ». Impuissante, elle s’aligne sur Washington par réflexe, et dénonce Pékin par posture.
C. Mieux connaître la Chine : loin des standards politiques européens, la Chine en équilibre entre son héritage multimillénaire et ses ambitions futuristes
1. La planification : atout gagnant de la Chine
“L'État doit jouer un rôle adéquat”. C’est en ces termes que M. Deng Li considère la planification stratégique en Chine comme le moteur d’un développement continu et structuré. La Chine figure parmi les rares nations à s’appuyer sur des instruments de planification à moyen et long terme pour piloter son développement économique, technologique et social.
Depuis 1953, à l’exception de quelques interruptions, elle élabore des plans quinquennaux rendus publics dont la mise en œuvre se traduit en lois nationales et locales. De nature d’abord quantitative, ces plans sont devenus progressivement plus qualitatifs, intégrant des objectifs de modernisation, de durabilité et d’innovation.
À ce jour, quatorze plans quinquennaux ont été mis en œuvre. Ils sont élaborés par le gouvernement en lien avec le Parti Communiste Chinois, par l’intermédiaire de son Comité central qui définit les grandes orientations stratégiques. L’élaboration technique est confiée à la Commission nationale du développement et de la réforme (CNDR).
L’élaboration de chaque plan fait l’objet d’un large processus consultatif, incluant des révisions annuelles lors des « Deux Sessions » — réunions simultanées de l’Assemblée nationale populaire (ANP) et de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), instance réunissant environ 2 000 représentants issus de tous les secteurs de la société.
Depuis 2011, une consultation publique est organisée à travers des consultations en ligne, des forums, des experts et universitaires. L’acceptation sociale étant essentielle, les médias officiels relaient les débats.
Ces plans ont officiellement contribué à la sortie de la pauvreté de plus de 800 millions de personnes ([16]) et à l’essor du pays comme puissance régionale, puis mondiale.
Le 11ᵉ plan (2006-2010), qualifié de « programme directeur », visait à doubler le PIB par habitant, à améliorer l’efficacité énergétique et la compétitivité des entreprises, tout en promouvant l’éducation, la santé et la qualité de vie. Il a ainsi fixé pour la première fois des objectifs contraignants de réduction de l’intensité énergétique par unité de PIB (-20 % en cinq ans), amorçant un tournant vers un développement plus durable.
Le 12ᵉ plan (2011-2015) a poursuivi cette évolution en mettant l’accent sur le rééquilibrage économique : priorité à la consommation intérieure, soutien aux services, à l’innovation, et recentrage du développement urbain vers les régions intérieures, en rupture avec le tropisme littoral des décennies précédentes.
Le 13ᵉ plan (2016-2020) a fixé 25 indicateurs majeurs, dont 13 contraignants, avec une forte dimension technologique. Il a marqué l’entrée de la Chine dans l’ère de la « nouvelle normalité » : croissance plus lente mais plus qualitative, urbanisation planifiée, accès généralisé à Internet, promotion des secteurs stratégiques (intelligence artificielle, biotechnologies, aéronautique, environnement…).
Le 14ᵉ plan en cours (2021-2025) renforce cette trajectoire. Il vise une croissance annuelle moyenne de 5 %, tout en insistant sur l’autonomie technologique, la transition écologique, le développement des infrastructures numériques et le doublement du revenu moyen. Il met l’accent sur le modèle dit de « double circulation » : soutien accru à la demande intérieure, sans renoncer aux exportations. Il fixe également pour objectif une hausse de 7 % annuelle des dépenses en recherche et développement, avec un effort particulier sur les semi-conducteurs, les énergies renouvelables et les technologies émergentes.
Le suivi rigoureux de ces objectifs et leur réévaluation annuelle permettent des ajustements réguliers. L’État chinois complète d’ailleurs ses plans généraux par des plans sectoriels plus ciblés, à l’image du plan « Made in China 2025 » ou des stratégies pour la cybersécurité, les transports, la santé ou la finance verte.
La planification est un instrument de modernisation que les Chinois chérissent ; depuis les années 80, elle n’est plus rigide comme du temps de l’ère maoïste, mais au contraire, elle correspond à l’idée de mouvement et d’agilité de la pensée confucéenne. « La planification à long terme nous permet d’éviter les erreurs de parcours et d’ancrer le développement dans la réalité » commentait Deng Xiaoping en 1982. Emmanuel Macron, Président de la République, reconnaissait cet atout gagnant des Chinois : « La Chine a cette capacité à se projeter dans le temps long des grands desseins historiques, incarnée dans une pensée de l’espace, comme elle le fait aujourd’hui, en reprenant le fil des anciennes routes de la soie, (...) L’Europe doit, elle aussi, dans une période de doute où les tentations des divisions et du repli sont là, réinventer les formes de sa civilisation dans un monde qui se transforme, (...)» ([17]). Pour Lee Kuan Yew, 1er Ministre de Singapour de 1959 à 1990, « les plans quinquennaux de la Chine ne sont pas des reliques soviétiques. L’Occident les méprise à ses risques et périls ».
Shanghai, laboratoire vivant de la “civilisation écologique”
Shanghai incarne, à une échelle sans précédent, les ambitions de la Chine en matière de planification urbaine durable. Mégapole portuaire de plus de 27 millions d’habitants, vitrine du pays sur le monde, la ville est devenue en quelques décennies un véritable laboratoire de la civilisation écologique et de la « ville harmonieuse » (hexie chengshi), selon les termes du gouvernement central.
Depuis l’ouverture économique de 1979, sa surface urbanisée est passée de 279 km² à plus de 6 340 km² en 2023. Cette transformation fulgurante est à l’image de l’urbanisation massive du pays dont le taux est passé de 19 % en 1979 à 65 % en 2023, avec une projection de 70 % d’ici 2035, soit près d’un milliard de personnes.
Dès 1999, le Shanghai Master Plan 1999 – 2020 avait posé les fondations d’un redéploiement polycentrique de la ville. Cinq villes nouvelles ont été créées (comme Songjiang), connectées par des réseaux ferrés et autoroutiers, et intégrées aux plans quinquennaux successifs. Ce mouvement, combiné à une réforme du système du hukou (livret de résidence auquel sont rattachés les droits civiques et sociaux) en 2001, a permis d’accueillir une nouvelle main-d’œuvre de migrants intérieurs. La planification repose également sur un outil, le zonage, qui permet de spécialiser des zones. Ainsi, Pudong, situé sur la rive est du fleuve Huangpu, est passée en quelques années d’une terre agricole à l’un des pôles économiques les plus dynamiques d’Asie.
Le Master Plan 2017 – 2035 de Shanghai, présenté en 2018, entend corriger les erreurs du passé - congestion, pollution, étalement incontrôlé - en mettant l’accent sur la durabilité, l’efficacité énergétique, la résilience et la qualité de vie.
Le modèle proposé repose sur le développement des transports publics, des infrastructures vertes, des villes intelligentes, mais aussi des “villes éponges”, capables d’absorber les inondations et de mieux gérer les ressources en eau. Le parc Houtan, sur les bords du fleuve, en est l’illustration : ancienne zone industrielle transformée en station d’épuration paysagère et en jardin écologique à haute valeur pédagogique.
Le Musée de la planification urbaine de Shanghai, visité par votre rapporteure, expose l’évolution de la ville dans un souci pédagogique. Il permet aux publics de comprendre l’articulation entre géographie, croissance urbaine et choix politiques, et de se projeter dans le Shanghai de 2050 : une métropole post-carbone, innovante, inclusive, intégrée dans le delta du Yangtsé, et modèle de gouvernance écologique.
Cette vision de Shanghai promet une maîtrise de la croissance urbaine (officiellement limitée à 25 millions d’habitants en 2025) qui est rendue possible car elle est adossée à une politique de rééquilibrage avec les provinces du centre et de l’ouest. Pour les autorités, la ville du futur passe aussi par la réduction des inégalités (accès au logement, temps de trajet, accès aux services) et par une modernisation des réseaux de distribution pour faire face au changement climatique.
Cette planification articule plusieurs niveaux décisionnaires « verticaux » mais elle recourt aussi à la consultation populaire. Lors de la révision du plan d’urbanisme en 2017, plus de 20 000 propositions ont été recueillies auprès des citoyens, notamment par voie numérique. Par exemple, la protection renforcée des quartiers historiques de Hongkou et Xuhui, a été intégrée au plan final, à la demande des habitants.
Dans un contexte européen où les métropoles évoluent souvent par ajustements successifs, sans cap structurant, l’expérience shanghaienne rappelle qu’il est possible de penser la ville comme un projet politique de long terme pour faire face au changement climatique.
2. Du confinement au renouvellement : la “Nouvelle Chine 2.0” entre économie dirigée et compétition comme levier d’innovation
Ce que la Chine n’avait pas planifié fut l’apparition, début 2020, de la plus grave pandémie mondiale depuis un siècle, partie de la région de Wuhan. Toutefois, dès l’année suivante, les autorités ont intégré la biosécurité parmi les priorités stratégiques inscrites dans le 14ᵉ Plan quinquennal (2021 – 2025). Face à l’épidémie de COVID-19, le pays a mis en œuvre une stratégie dite de « zéro Covid », reposant sur un confinement généralisé, un isolement strict des cas positifs, un traçage systématique et la fermeture quasi totale des frontières. Maintenue durant près de trois ans, cette politique, levée brutalement à la fin de l’année 2022, a laissé des traces profondes au sein de la population, tant sur le plan psychologique que social.
Cette période d’isolement n’a cependant pas été stérile : elle a été mise à profit par les autorités pour accélérer la modernisation industrielle, renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement intérieures et investir massivement dans la recherche, le numérique et les infrastructures de santé.
On observe aujourd’hui les résultats de cette incroyable capacité d’innovation de la Chine. Outre la planification quinquennale, la réussite chinoise s’explique par la structuration politique centralisée du pays et l’imbrication étroite entre le Parti communiste chinois (PCC) et l’État. Comme l’exprime l’adage institutionnel chinois : « Le Parti décide, l’État exécute. » Cette organisation permet une mise en œuvre rapide et disciplinée des orientations stratégiques, depuis le Comité central jusqu’aux gouvernements locaux.
Dans un rapport de l’IRSEM, Alice Ekman rappelle que cette verticalité politique constitue « un outil de pilotage stratégique à grande échelle », tandis que Jean-Pierre Cabestan souligne que « l’État chinois ne gouverne pas seul : il gouverne à travers le Parti. » En effet, le PCC est présent dans toutes les structures clés : institutions publiques, entreprises d’État, entreprises privées stratégiques, fédérations professionnelles, universités, hôpitaux.
De la sorte, le système politique chinois constitue bien plus qu’un cadre institutionnel : il est l’infrastructure politique d’un volontarisme national assumé.
Cette omniprésence est couplée à un système d’évaluation des cadres locaux fondé sur la performance, encourageant une compétition interterritoriale dans la mise en œuvre des priorités nationales. Ce mécanisme a notamment favorisé la prolifération des clusters technologiques dans les grandes villes où la dynamique d’émulation entre provinces soutient le progrès technologique.
La Chine compte 26 clusters de science et technologie figurant parmi les 100 premiers mondiaux, selon l'Indice mondial de l'innovation 2024 de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), plaçant le pays en tête devant les États-Unis et l’Allemagne. Ces clusters, tels que Shenzhen-Hong Kong-Guangzhou, Beijing, et Shanghai-Suzhou, sont des moteurs clés de l'innovation nationale.
Le développement de ces clusters est soutenu par des partenariats interprovinciaux visant à renforcer la coordination régionale. Par exemple, la province du Jiangsu collabore avec d'autres provinces du delta du Yangtsé pour créer un cluster industriel interprovincial axé sur des secteurs prioritaires tels que l'intelligence artificielle, les semi-conducteurs et le big data.
Il convient d’ajouter que les autorités chinoises exercent une « supervision » sur de nombreuses entreprises ([18]) évoluant dans les domaines jugés sensibles pour la sécurité nationale ou l’indépendance technologique (les télécommunications, l’intelligence artificielle, l’énergie). Concrètement, cela se concrétise notamment par la présence de cellules du Parti communiste chinois (PCC) au sein des organes de gouvernance des grandes entreprises stratégiques. Ces entreprises bénéficient également du soutien public à travers des aides directes, des crédits à taux préférentiels, des allégements fiscaux ciblés, une protection réglementaire ou encore un accès aux marchés publics favorisé.
Enfin, M. Fabien Pacory, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de France en Chine, a souligné le rôle structurant de certaines grandes entreprises chinoises dans l’organisation de l’espace économique et technologique national. Il cite notamment Huawei, dont les campus industriels, à la fois ultra-connectés, autonomes et intégrés, s’apparentent à de véritables « Cognitive Cities » ([19]) : des écosystèmes fermés où cohabitent recherche, production, services et expérimentation urbaine intelligente.
Dans cette logique, certaines entreprises chinoises ([20]) développent également une approche managériale innovante désignée par l’acronyme DEDA (Digital Enhanced Directed Autonomy), une autonomie dirigée et augmentée par le numérique. Ce mode de management combine des marges de manœuvre accordées aux unités de production ou de recherche avec un pilotage centralisé fondé sur l’analyse de données massives en temps réel. Il s’agit d’un compromis entre centralisation stratégique et réactivité locale, aligné sur les objectifs fixés par les plans nationaux et rendu possible par l’usage intensif de l’intelligence artificielle et des plateformes de gestion intégrées.
Ainsi, certaines entreprises chinoises, comme Inovance et Tencent, innovent même dans l’intégration du numérique au service du pilotage industriel, en cohérence avec leur rôle croissant comme vecteurs de politiques publiques.
3. La Chine face à ses défis internes
Le premier défi est celui du nombre. Deuxième pays le plus peuplé derrière l’Inde, la Chine, qui compte une population de 1,4 milliard d’habitants, a déjà entamé son déclin démographique selon son propre Bureau national des statistiques, et devrait voir baisser sa population baisser de plus de moitié d’ici 2100, selon une étude de l’Académie des sciences sociales de Shanghaï. Abandonnée définitivement en 2015, la politique de l’enfant unique, imposée en 1979, a considérablement ralenti la progression démographique : le taux de fécondité est passé de 2,75 enfants par femme à 1,01 en 2024 ([21]).
Parallèlement, la politique de l’enfant unique a entraîné un déséquilibre marqué entre hommes et femmes, en raison notamment d’une préférence culturelle pour les garçons, qui a conduit à des avortements sélectifs et, plus marginalement, à des infanticides. Ce déséquilibre ([22]) contribue aujourd’hui au recul de la natalité, aux côtés d’une évolution sociale défavorable à la parentalité (coût élevé de l’éducation, pression professionnelle et recul du mariage).
En 2013-2014, les autorités chinoises prennent la mesure des enjeux et selon les termes de M. Huchet lors de son audition, c’est un moment de « panique » pour le PCC. La baisse du nombre d’actifs rapportés à la hausse du nombre de retraités fait craindre pour la cohésion sociale du pays.
Comme le soulignait M. Jing Zhu, Ministre, Chef adjoint de la mission de la République populaire de Chine auprès de l'Union européenne, « contrairement à des pays comme la France qui ont atteint un degré de richesse nationale suffisante pour faire face à ce défi, la Chine y est confrontée en plein essor et tandis qu’elle n’a pas encore atteint le niveau de développement des pays occidentaux ».
Dès lors, la question démographique en Chine fait l’objet d’une double approche, à la fois économique et sociale. D’un côté, le pays mise sur l’élévation du niveau de qualification de sa population pour compenser la baisse de la main-d’œuvre active et stimuler la productivité. Selon M. Jing Zhu, chaque année, près de 12 millions de diplômés de l’enseignement supérieur rejoignent le marché du travail, contre à peine 1 à 2 millions par an il y a quarante ans, lorsque les diplômés représentaient moins de 1 % de la population totale. Toutefois, le chômage des jeunes est aujourd’hui inquiétant avec un taux mesuré à plus de 15,7 % depuis 2023 ([23]).
De l’autre, une réforme du système de protection sociale – largement inspiré des modèles européens –, est envisagée. Le système chinois ([24]) repose principalement sur le principe de répartition, financé par des cotisations sociales obligatoires versées par les employeurs et les salariés. Ces cotisations constituent la principale source de financement des régimes de retraite et d’assurance maladie.
Selon les chiffres de la représentation chinoise auprès de l’Union européenne, environ 1,1 milliard de personnes sont couvertes au titre de l’assurance retraite et maladie, et seulement 240 millions au titre de l’assurance chômage. Le système de sécurité sociale chinois demeure donc encore très lacunaire. De plus, leur niveau reste relativement faible, et plusieurs économistes chinois soulignent qu’un ajustement progressif à la hausse sera nécessaire pour répondre à l’augmentation des besoins sociaux liés au vieillissement.
De plus, le système jusque-là très fragmenté, présente de fortes disparités entre régions riches et provinces intérieures moins développées. l se caractérise notamment par sa transférabilité incomplète. Concrètement, cela signifie qu’un habitant de la province du Sichuan, située au cœur du pays, ne se verra pas intégralement remboursé s’il est soigné dans un hôpital de pointe à Shanghaï. Suivant son lieu de résidence, ainsi que le type et la gravité de la pathologie, le patient a un reste à charge pouvant atteindre 40 % du coût total. Le défi auquel fait face la Chine est donc d’harmoniser le cadre national notamment pour l’assurance vieillesse et maladie, en mutualisant les ressources et en uniformisant les règles d’éligibilité et les prestations.
Les autorités réfléchissent aussi à une réforme du système de retraite visant à relever progressivement l’âge légal de départ. Fixé aujourd’hui à 60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes cadres, et 50 ans pour les femmes ouvrières, cet âge devrait converger vers 63 ans à l’horizon 2030. Il est question aussi d’adjoindre un volet par capitalisation, à titre complémentaire, mais cette piste est abordée avec prudence, en raison des risques liés à la volatilité des marchés financiers et aux inégalités d’accès entre populations.
Enfin, M. Jing Zhu a parlé de renforcer les politiques de la famille en améliorant par exemple les conditions du congé maternité et paternité, les aides à la petite enfance voire même les allocations familiales.
Outre les défis liés à la démographie, les inégalités territoriales sont devenues intolérables. Les régions littorales, qui représentent à peine 14 % du territoire, concentrent près de 45 % de la population, mais surtout 80 % des investissements directs étrangers (IDE) et 86 % des exportations nationales ([25]) Tandis que les régions de l’ouest et du centre, qui couvrent plus des deux tiers du territoire, ne captent qu’une fraction marginale des flux d’investissement et du commerce extérieur, et affichent des niveaux de revenu par habitant, d’accès aux soins, à l’éducation ou aux infrastructures nettement inférieurs à ceux des zones côtières.
Comme le souligne Mme Sylvie-Agnès Bermann, l’ancienne Ambassadrice de France en Chine, ces déséquilibres nourrissent une migration interne massive et des inégalités sociales : 290 millions de personnes vivent dans les grandes métropoles sans bénéficier des mêmes droits sociaux que les résidents permanents du fait du système de permis de résidence.
Dernier défi considérable dans le contexte d’une croissance estimée entre 3,5 et 5 %, la Chine doit parvenir à un rééquilibrage de la croissance vers la demande intérieure. En effet, la consommation privée ne contribue qu’à hauteur de 39 % à la richesse nationale, contre 60 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Cette situation illustre la faiblesse de la demande domestique freinée par la précarité sociale dans un pays qui est toujours considéré en voie de développement : selon le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), près de 4 % de la population chinoise est considérée comme pauvre (Indice de pauvreté multidimensionnelle) et 17,4 % est classée comme vulnérable à la pauvreté multidimensionnelle en 2024.
Ce rééquilibrage apparaît d’autant plus urgent compte tenu de l’affaiblissement potentiel de la demande extérieure, moteur de la croissance chinoise en 2024, sous l’effet de la multiplication des mesures protectionnistes adoptées par plusieurs pays partenaires.
Pour faire face à ces défis, les autorités chinoises ont défini, lors des Deux Sessions de 2025, une stratégie visant à accompagner 400 millions de Chinois vers la classe moyenne en lien avec l’objectif de « prospérité commune » promu par le Président Xi Jinping. Dans son rapport d’activité 2025 ([26]) le gouvernement vise même une augmentation du revenu des ménages équivalent à la croissance économique, environ à 5 %, et plus de deux fois plus rapide que l’objectif de hausse des prix établi à 2 %. Il s’agit de mener une politique de la demande en misant sur des services publics dans les zones les moins développées, un soutien à l’industrie locale mais aussi d’introduire des réformes fiscales progressives et de stimuler la demande intérieure par des subventions à la consommation et des programmes de soutien aux ménages.
II. DES CHOIX STRATÉGIQUES EUROPÉENS EN ÉCHEC – LES DANGERS D'UNE APPROCHE CONFLICTUELLE
A. La politique commerciale de l’Union européenne sous influence américaine
1. L’alignement des positions transatlantiques (UE-US) face à Pékin
À l’issue du sommet de Carbis Bay, qui s’est tenu entre le 11 et le 13 juin 2021 au Royaume-Uni, les pays du G7 (États-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada, Japon) et l’Union européenne ont adopté un communiqué commun critiquant explicitement la Chine. Sous l’influence déterminante de Joe Biden, alors Président des États-Unis, le G7+UE a affiché ses convergences face au « défi systémique » que représente la Chine.
Ni l’Union européenne, ni la France n'avaient jusque-là exprimé aussi ouvertement leurs critiques. Le triptyque européen de 2019 – « partenaire de coopération, concurrent économique et rival systémique » - prétendait encore placer en tête la coopération, ce que les Chinois ne manquent pas de rappeler.
L’objectif alors était d’éviter une confrontation ouverte tout en assurant les États-Unis d’une convergence et en répondant à ses appels répétés à « une unité stratégique des démocraties libérales » face à Pékin.
Le sommet de Carbis Bay de 2021 marque donc un premier durcissement dans un contexte de recomposition géopolitique, de défiance croissante vis-à-vis de la Chine mais aussi de « réconciliation » transatlantique post premier mandat de Donald Trump.
Le contexte de l’après-COVID souligne en effet les dépendances stratégiques à la Chine particulièrement pour les principes actifs pharmaceutiques. Pour les pays du G7 et l’Union européenne, il devient urgent de reprendre l’initiative géoéconomique au moment où la BRI chinoise se déploie dans les pays du Sud.
Deux ans plus tard, le 30 mars 2023, lors d’un discours prononcé à Bruxelles à l’invitation du MERICS et du European Policy Centre, Ursula von der Leyen affirme pour la première fois que l’Union européenne souhaite « de-risk, not decouple » dans sa relation avec la Chine. L’affirmation de la doctrine de « derisking » (réduction des risques) peut être interprétée comme une tentative de se démarquer des États-Unis (qui prône le « decoupling », une rupture nette dans des domaines stratégiques) sans pour autant remettre en cause la quête d’autonomie stratégique.
Le « derisking » se veut une approche graduée et ciblée pour atteindre l’autonomie stratégique européenne et réduire les vulnérabilités. Pourtant, pour Emmanuel Macron, il est important de préciser : “la France ne « veut pas entrer dans une logique de confrontation avec la Chine. Elle souhaite au contraire « réduire les risques, sans confrontation, mais avec une autonomie stratégique clairement affirmée ».
Du côté chinois, l’accueil n’est guère enthousiaste comme l’exprime sans détours Qin Gang, ministre chinois des Affaires étrangères, le 9 mai 2023 à Berlin : « Si l’Union européenne cherche à se découpler de la Chine au nom du “de-risking”, elle se découplera aussi des opportunités, de la coopération, de la stabilité et du développement ».
Sous l’influence des positions américaines face à la Chine, l’Union européenne s’est alignée, entre 2019 et 2023, sur une vision conflictuelle, matinée de défiance, tout en tentant de se démarquer de l’Oncle Sam. Cette position va entraîner des décisions et des mesures commerciales qui constituent un arsenal de défense.
2. L’Union européenne se dote d’un arsenal de « défense commerciale » avec la Chine en ligne de mire
Ils ont beau s’en défendre officiellement, les représentants des Ministère de Bercy et du Quai d’Orsay auditionnés pour ce rapport, concèdent tous que les mesures défensives de l’économie européenne visent en priorité la Chine. En écho à la feuille de route définie par le G7+UE de 2021, elles ont pour but de lutter contre les « pratiques de distorsion du marché » et le manque de transparence.
La même année, en septembre 2021, le Conseil du commerce et des technologies Union européenne-États-Unis ([27]) (Trade and technology Council – TTC) était d’ailleurs lancé avec comme mission explicite de tenir compte du « défi chinois ».
En moins d’une décennie, l’Union européenne a élaboré un véritable arsenal « protectionniste » orienté vers le pays du Milieu. Notons bien que les mesures et dispositifs envisagés sont généraux et ne ciblent aucun pays en particulier.
Dès 2019, le règlement européen 2 019/452 établit un cadre de filtrage des Investissements directs étrangers (IDE), inspiré du modèle du CFIUS (Committee on Foreign Investment in the US). Il doit permettre de ralentir le développement de la BRI chinoise au sein de l’UE notamment après que la COSCO (China Ocean Shipping Company) ait acquis 51 % des parts de l’Autorité portuaire de Pirée ([28]) (avec option de monter à 67 %), ou encore après l’entrée de State Grid of China (la compagnie publique d’électricité de Chine) dans des gestionnaires de réseaux électriques européens ([29]). Ce mécanisme de filtrage des IDE sera d’ailleurs renforcé en 2024 dans sa coordination et dans l’élargissement à des investissements indirects (via des entités établies dans l’UE mais aux capitaux hors UE) et aux investissements « greenfield » (création d’une nouvelle entité plutôt que rachat d’une existante) dans les secteurs stratégiques.
En 2022, après des années de discussions, l’UE se dote de l'instrument sur les marchés publics internationaux (IMPI) afin de favoriser une plus grande réciprocité dans l’ouverture des marchés publics : s’il apparaît qu’un État tiers à l’Union européenne a mis en place des restrictions sérieuses et récurrentes à l'accès des entreprises européennes à ses contrats de la commande publique, les acheteurs et autorités concédantes européens devront eux-mêmes appliquer des mesures qui limitent l'accès des entreprises issues du pays concerné aux marchés publics et aux concessions de l'Union. Cet instrument a récemment été mobilisé par la Commission européenne, qui a publié le 14 janvier 2025, après 9 mois d’investigation, un rapport présentant les conclusions ([30]) de sa première enquête relative à l'accès aux marchés publics chinois des entreprises européennes dans le secteur des appareils médicaux.
En 2024, selon les chiffres fournis par la Direction générale du Trésor lors de leur audition, 78 mesures de défense commerciale ont été prises par l’UE contre la Chine. Parmi ces mesures on peut citer les mesures compensatoires adoptées le 30 octobre 2024 qui se sont traduites par un rehaussement des droits de douane (de 7.8 % à 37.6 %) sur les importations de véhicules électriques fabriqués en Chine.
En 2024 toujours, quatre enquêtes ont été ouvertes à l’encontre de filiales chinoises opérant sur le marché intérieur sur la base du règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur (FSR), entré en vigueur le 12 janvier 2023 (secteur de l’éolien, du photovoltaïque, du ferroviaire et des équipements de sécurité aéroportuaires).
Début avril 2025, l’UE a dégainé un nouvel instrument, une cellule censée intervenir rapidement pour surveiller les importations : la task force “Import surveillance”. Sur le plan opérationnel, elle s’appuie sur des bases de données douanières, des algorithmes d’alerte et des signalements sectoriels. Elle a identifié, dans les deux premiers mois de fonctionnement, 55 codes produits jugés suspects, du contreplaqué aux additifs alimentaires en passant par les câbles à fibre optique. L’UE a alors élargi les droits antidumping sur certains produits bois en provenance de Chine, importés via des pays tiers comme la Turquie ou le Kazakhstan, suspectés de servir de plaques tournantes pour contourner les sanctions commerciales existantes. Elle a également imposé en juin 2025 des droits de 131 % sur la vanilline chinoise, et ouvert une enquête sur l’aluminium, en lien direct avec les mesures américaines. L’Inde, visée sur le dossier des câbles, a dénoncé une procédure abusive. Le Kazakhstan et la Serbie ont réfuté toute complicité dans les transbordements. La Turquie, quant à elle, souligne que les règles d’origine sont respectées selon les accords en vigueur.
Aujourd’hui, ce sont les mesures portant sur les restrictions technologiques qui semblent concentrer l’ire des Chinois. L’UE avait en effet rejoint en 2023 les discussions du Multilateral Export Control Regime piloté par Washington. Cette initiative peut imposer aux entreprises des autorisations préalables pour l’exportation d’articles entre États membres dans le domaine des semi-conducteurs, les technologies quantiques, ou la fabrication additive en raison des potentielles applications dans des domaines sensibles.
Donald Trump a annoncé fin mai 2025 des mesures d’embargo avec l’interdiction pour les entreprises américaines de vendre des logiciels de conception de semi-conducteurs à la Chine. D’autres produits sensibles sont également concernés comme des outils de fabrication, des produits chimiques spécifiques et des équipements aéronautiques. Ces mesures correspondent à la logique de « decoupling » états-unienne et ont pour conséquence d’impacter des entreprises européennes, japonaises, sud-coréennes et taïwanaises qui peuvent être empêchées d’exporter vers la Chine si leurs produits utilisent des outils ou technologies américaines.
Bruxelles n’a pas (encore) adopté de telles mesures mais des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas ont admis que leur politique de contrôle des exportations était coordonnée avec Washington sur les semi-conducteurs critiques. De plus, une liste de « biens à double usage » contraint à l’obtention d’une autorisation préalable à l’export et les États membres sont autorisés à imposer des restrictions supplémentaires pour des raisons de sécurité nationale.
L’arsenal de défense commerciale déployé par l’Union européenne s’inscrit dans une logique de défiance vis-à-vis de la Chine. Il présente toutefois un caractère à double tranchant, dans la mesure où l’interdépendance économique profonde entre les deux espaces rend toute mesure coercitive potentiellement coûteuse pour l’UE elle-même.
3. Ripostes ciblées et appels à la désescalade côté chinois ; effet boomerang et trouble côté européen
Pour MM. Vincent Guérend et Benoît Guidée, respectivement Directeur de l’UE-MEAE et d’Asie et d’Océanie-MEAE, il est « important de garder à l’esprit qu’en 2013, à cause d’un rapport européen mettant en cause la filière photovoltaïque chinoise (l’accusant de vendre à prix inférieur à leur valeur), la Chine a pris des mesures qui ont eu un effet dévastateur pour le secteur en Europe ». Et en effet, les droits antidumping sur les panneaux solaires chinois ont précipité le lancement par les autorités chinoises d’enquêtes antidumping ([31]) sur les vins européens, et français en particulier, comme le Cognac et surtout, ils n’ont pas pour autant enrayé le déclin de la filière européenne. Certains observateurs comme l’association professionnelle SolarPower Europe, considèrent que les mesures de protection européennes ont même contribué à freiner l’installation de panneaux solaires en Europe : « Il y a seulement cinq ans, des droits d’importation étaient en place, ce qui a entraîné une forte baisse des emplois dans le solaire, des investissements dans les projets et du déploiement solaire, provoquant une hausse des coûts du photovoltaïque pour les clients et les consommateurs”.
Cette riposte chinoise qui consiste à cibler certains pays européens dans un secteur essentiel, tout en contournant les mesures coercitives par sa capacité à « délocaliser » sa production dans des pays tiers et voisins (Vietnam, Malaise par exemple), est qualifiée par Mme Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France en Chine, auditionnée par votre rapporteure, d’« approche chirurgicale ».
Plus de 10 ans après, en octobre 2024, la Chine réagit encore aux mesures compensatoires décidées par la Commission européenne par une série d’enquêtes antidumping ([32]) ou antisubventions contre les importations européennes de brandy, de produits porcins et de certains produits laitiers.
Ainsi, ces enquêtes ont donné lieu à l’imposition de droits antidumping provisoires sur les importations de Cognac et d’Armagnac français. Que ces allégations soient fondées ou non, que le contentieux engagé par l’UE à l’OMC aux fins de contester ces mesures aboutisse ou non, ce sont aujourd’hui des producteurs français qui paient le prix de cette politique commerciale.
Dépêché à Pékin en urgence, Jean-Noël Barrot, Ministre des affaires étrangères, a obtenu fin avril un sursis jusqu’au mois de juillet avant une éventuelle application définitive de droits de douane supplémentaires sur cette filière. Las, les conséquences sont d’ores et déjà visibles : Mme Magali Cesana, cheffe du service des affaires bilatérales et de l’internationalisation des entreprises au Ministère de l’Économie, déplore « déjà des licenciements » et « ¼ de la production impactée ». Selon elle, le groupe français producteur de spiritueux Rémy Cointreau a estimé une perte d’environ 10 millions d’euros au quatrième trimestre 2024, les exportations de cognac ont chuté de 60 % en volume. Prise en étau entre les États-Unis et la Chine, fragile, cette filière de luxe (à très forte valeur ajoutée) devrait penser sa résilience tout comme les régions où elle constitue un vivier d’emplois conséquents.
De plus, comme en 2013, il semble que les mesures prises du côté européen n'entraînent pas les effets escomptés. Pour Mme Cesana, « les mesures prennent du temps » et, fin mai 2025, son service n’est pas en mesure d’en évaluer l’efficacité. Pour l’administration française chargée du suivi, il s’agit donc de concentrer tous les efforts pour tenter d’empêcher la Chine de contourner les mesures. C’est ainsi qu’une enquête (encore une !) a été ouverte en mars 2025 sur la base du règlement sur les subventions étrangères contre l’usine de véhicules électriques de BYD installée en Hongrie, pays membre de l’UE ([33]).
Le spectre des panneaux photovoltaïques européens plane au-dessus de l’UE tandis que Mme Joanna SZYCHOWSKA reconnaît en audition que les droits compensateurs européens n’avaient “pas du tout” d’impact sur les exportations chinoises en Europe. D’ailleurs, M. Deng Li, Ambassadeur de Chine à Paris, a rappelé lors de son audition que toutes les sanctions économiques et commerciales à l’encontre de la Chine (télécommunications, militaire…) ont conduit in fine à la renforcer.
Plus généralement, l’UE est clairement dépendante de la Chine pour la fourniture de matières premières décisives et indispensables à la transition écologique. Aussi, l’annonce en 2023 ([34]) par le Ministère du commerce extérieur chinois de la mise en place d’une licence à l’exportation de deux métaux rares (le gallium et le germanium) indispensables à la production de batteries électriques, est un avertissement de taille au moment où l’Allemagne, la France, la Hongrie, l’Espagne et le Portugal voient arriver des investissements chinois importants pour construire des gigafactories de batteries.
Cette dépendance, qui est en réalité une interdépendance, va plus loin et porte sur des secteurs stratégiques pour l’économie de demain, comme la robotique, l’informatique quantique, les technologies des énergies renouvelables ou le transport ferroviaire à grande vitesse.
Pour M. Bertrand Badie, la stratégie européenne pourrait mener à structurer les échanges autour de « blocs fermés » dont les conséquences seraient « perdant-perdant ». Il rappelle que « la mondialisation redéfinit les paramètres de la puissance qui repose désormais sur le degré d’interdépendance, notamment dans les relations bilatérales ».
B. L'atlantisme européen : une menace pour l’autonomie stratégique européenne
1. La violence de l’impérialisme américain fige l’Union européenne dans ses illusions atlantistes
La politique menée par l’administration Trump a marqué une rupture profonde avec les fondements du multilatéralisme commercial et diplomatique. L’imposition unilatérale de droits de douane massifs, notamment à l’encontre de la Chine, mais aussi de partenaires historiques comme l’Union européenne, le Canada ou le Mexique, témoigne d’une volonté assumée de renverser les règles communes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les États-Unis ont bloqué son Organe d’appel et menacé de se retirer de l’organisation, compromettant la stabilité du système commercial international.
Au-delà de l’aspect économique, cette orientation traduit une transformation plus grave encore : une vision du monde fondée sur la domination et l’unilatéralisme.
Le président Trump a ainsi multiplié les pressions sur le Canada, qualifiant son voisin d’"abusif" dans le cadre de la renégociation de l’ALENA, insultant ses dirigeants et affirmant haut et fort son souhait d’en faire le 51e État membre de la fédération américaine. De même, le Mexique a été directement menacé de sanctions économiques et de fermeture de la frontière si son gouvernement ne renforçait pas le contrôle des migrations à la demande des États-Unis.
Mais c’est la proposition publique et répétée de "racheter le Groenland", territoire autonome danois, qui a révélé l’ampleur du basculement. Ce projet, fermement rejeté par Copenhague, n’a pas fait l’objet par l’Union européenne d’une condamnation, ni d’une expression de solidarité officielle. Cette absence de réaction démontre l’incapacité de l’UE à se défaire de son « atlantisme réflexe ».
Or, Donald Trump n’est pas isolé aux États-Unis et ses positions impérialistes s’inscrivent dans une continuité stratégique partagée aussi bien chez les républicains que les démocrates. Désignés sous l’appellation de « hawks » (les faucons), ces responsables et conseillers politiques ont en commun de défendre une hégémonie militaire et technologique américaine, et d’adopter une posture coercitive vis-à-vis des autres nations.
M. Deng Li, Ambassadeur de Chine en France depuis janvier 2025, prévient sur les visées de Donald Trump qui « se rêve en plus grand président des États-Unis », notamment s’il parvenait à agrandir le territoire américain.
Face à une puissance qui entend substituer à l’équilibre multilatéral une logique de domination, maintenir le cap d’un multilatéralisme fondé sur le dialogue et la coopération suppose que l’espace européen se défasse de ses illusions atlantistes. À cette heure, l'Europe expose sa vulnérabilité et semble prise à contre-pied face à une administration américaine imprévisible et même agressive.
2. L'incohérence d'une politique européenne qui traite la Chine comme un rival systémique et les États-Unis comme un allié indéfectible
Quand Trump annonce des droits de douane de 50 % sur les produits européens à compter du 1er juin (soit 280 milliards d’euros additionnels), le Commissaire européen au Commerce, le slovaque Maros Sefcovic, réplique en annonçant la réactivation de mesures de rééquilibrage ciblant quelques milliards d’euros de produits américains (en tout 22,5 milliards).
Ainsi, la mesure et la prudence de la Commission européenne face aux menaces de droits de douane massifs passent pour un « réflexe atlantiste » et pose la question de la cohérence de l’UE dans son rapport à sa propre souveraineté et son autonomie stratégique, dès lors qu’elle se montre plus exigeante, voire punitive, avec un partenaire comme la Chine. « On ne va pas mettre les USA sur le même plan que la Chine » assumait même Mme Joanna Szychowska, directrice Asie, services et commerce digital, investissement et propriété intellectuelle, lors de son audition par votre rapporteure.
Cette position de la Commission européenne correspond à une volonté de désescalade bienvenue : le refus de « jouer à la guerre commerciale » et la volonté de dialoguer, sont les seules réponses susceptibles d’épargner aux peuples américains et européens les conséquences en termes d’inflation, de pénuries et de risques pour l’emploi.
Dans Le Monde diplomatique ([35]), M. Renaud Lambert analyse ce positionnement européen comme le produit d’une pression idéologique et stratégique exercée par Washington, qui a redéfini la Chine comme une menace systémique afin de préserver sa propre prééminence. Cette stratégie vise, selon lui, à « restaurer une suprématie érodée en enfermant les partenaires dans un faux choix entre soumission et isolement », au détriment d’une vision multipolaire équilibrée.
Il est donc important de s’interroger sur la notion même d’« allié ». Qu’est-ce que cela représente aujourd’hui ? Selon M. Bertrand Badie, il s’agit d’un concept profondément occidental, qui « n’existe pas dans la langue chinoise ». À l’inverse de la conception occidentale, qui implique loyauté, alignement politique et parfois soumission stratégique, la diplomatie chinoise repose sur des logiques d’interdépendance, de respect mutuel et de coopération pragmatique dans un cadre multipolaire.
Pékin ne se revendique pas comme un allié au sens occidental du terme. Sa tradition diplomatique, héritée du confucianisme et du principe de non-ingérence, ne conçoit pas l’alliance comme une fidélité stratégique inconditionnelle, mais comme une coopération évolutive, fondée sur la stabilité et la souveraineté. Comme l’ont affirmé les acteurs économiques français rencontrés en Chine et comme l’a également affirmé M. Liu Jieyi, directeur adjoint de la commission des Affaires étrangères de la CCPPC, « la Chine fait ce qu’elle dit ».
A la veille des 50 ans de relations diplomatiques entre l’Union européenne et la Chine, il serait temps de ne plus traiter ses partenaires asymétriquement au nom de réflexes atlantistes, mais de définir lucidement ses intérêts propres et les moyens de les défendre.
C’est ce qu’exprime M. Dominique de Villepin, ancien Ministre des affaires étrangères (2002-2004), quand il met en garde contre le risque pour l’Europe de devenir un simple pion dans la confrontation sino-américaine. Pour lui, « l'Europe joue sa peau » dans cette recomposition mondiale et doit impérativement « conquérir son indépendance » pour éviter d’être entraînée dans une « guerre hybride totale ».
Dans son livre « Chine, le grand paradoxe », l’ancien Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, plaidait pour une approche européenne indépendante, et proposait de développer une coopération avec la Chine basée sur des intérêts communs : « Nous resterons donc durablement en désaccord quant à nos systèmes politiques, mais cela n’empêchera pas la Chine de jouer un rôle de premier plan au niveau mondial. Et sur certains sujets, comme le multilatéralisme, nous serons sans doute plus proches de ses positions que de celles des Américains ! ». Selon lui, « l’idée de l’OTAN est de nous faire payer et taire à la fois. En revanche, la Chine semble plus favorable au destin européen. Elle peut nous aider à gagner en autonomie vis-à-vis de la « grande Amérique ».
Il interrogeait : « qui, aujourd’hui, menace le plus notre souveraineté ? Notre allié ou notre « rival systémique » ? Qui applique de façon brutale à notre encontre une législation extraterritoriale ? ».
C. L’Union européenne face à son affaiblissement politique et structurel
1. Perte d'influence diplomatique : conséquence du suivisme européen dans les grands dossiers internationaux.
Depuis la fin de la guerre froide, les États membres de l’Union européenne se sont progressivement alignés sur la stratégie atlantiste impulsée par Washington, en particulier à travers leur intégration dans l’OTAN. À partir de 1999, quatorze pays européens ont ainsi rejoint l’Alliance — parmi eux, la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie (1999), les États baltes, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie et la Slovénie (2004), puis l’Albanie, la Croatie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Finlande (2023) et la Suède (2024). Ce mouvement a abouti à une quasi-généralisation de l’appartenance à l’OTAN parmi les États membres de l’Union. Seules l’Autriche, l’Irlande, Malte et Chypre demeurent en dehors de l’Alliance, pour des raisons structurelles : la neutralité inscrite dans les constitutions autrichienne et maltaise, la tradition de non-alignement irlandaise, et dans le cas chypriote, l’obstruction turque, Ankara refusant toute reconnaissance tacite de Nicosie sans résolution préalable du conflit insulaire.
Parallèlement, le traité de Lisbonne de 2007 a entériné une forme d’alignement doctrinal, en consacrant à l’article 42-7 une clause d’assistance mutuelle qui, sans se substituer à l’article 5 de l’OTAN, en reprend la logique tout en réduisant les marges d’autonomie stratégique de l’Union.
Cette orientation est par ailleurs imprégnée, à partir de 2001, par la thèse du « Choc des civilisations » de Samuel Huntington, qui a structuré la diplomatie des puissances occidentales, relayée en Europe par un discours normatif sur la défense des « valeurs démocratiques ». L’expression récurrente « nos valeurs », omniprésente dans les discours officiels, fonctionne tel un mantra diplomatique. Ce recours incantatoire traduit une idéologisation de l’action extérieure de l’UE et semble annihiler toute capacité d’autonomie d’initiative.
Plusieurs analyses ont mis en évidence la montée d’un « occidentalisme stratégique », à l’origine confinée au débat stratégique américain, et qui imprègne la lecture sécuritaire des relations euro-méditerranéennes, de la guerre en Irak à la crise syrienne, en passant par les tensions en Afrique de l’Ouest.
Cette grille de lecture binaire, démocratie contre autoritarisme, Occident contre le reste du monde, a nourri un "occidentalisme" politique et médiatique dont est imprégnée la diplomatie européenne. Exhibant ses “valeurs” face aux puissances émergentes notamment dans les relations avec la Chine, la Russie ou les pays du Sud global, qui sont systématiquement qualifiés de « régimes » ou « menaces systémiques » dans les textes officiels du G7+UE depuis 2021.
Cette dérive a contribué à marginaliser l’Union sur tous les grands dossiers.
En Ukraine, les États européens sont relégués au sous-sol des négociations, sans capacité réelle d’infléchir les positions américaines ou russes. Les pressions qu’ils mettent sur la Chine qui, depuis trois ans, a renforcé ses liens économiques avec la Russie, n’ont pas eu d’effet sur sa doctrine traditionnelle de non-ingérence. De plus, la Chine considère l’extension du cadre otanien comme une provocation stratégique en Europe de l’Est comme en mer de Chine méridionale ou dans l’Indopacifique.
En mer de Chine, les États membres se contentent de suivre la doctrine de « liberté de navigation » promue par les États-Unis, sans capacité autonome de proposition ni de médiation.
Sur le continent africain, les désengagements successifs des forces françaises, la perte d’influence dans le Sahel, la marginalisation des Européens en Libye ou en République centrafricaine illustrent une perte de crédibilité croissante.
La diplomatie européenne (fondée par le Traité de l’UE et de Lisbonne) se heurte aussi aux divisions entre les 27 membres : dans toutes les crises majeures actuelles, les États divergent comme l’illustre la reconnaissance de l’État de Palestine par l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie récemment.
Toutefois, le Président français, Emmanuel Macron, qui se présente comme un artisan du « consensus européen », tente de promouvoir des positions communes même si elles manquent de lisibilité et de constance stratégique. L’Union européenne demeure donc prisonnière d’un double écueil : l’alignement atlantiste qui la prive d’indépendance, et l’incapacité structurelle à incarner une puissance d’équilibre.
2. La fragmentation politique de l’Union européenne : une impasse stratégique
Pour Ulrich Beck, sociologue allemand, l’Union européenne constitue l’une des rares expériences historiques pour répondre à l’interdépendance mondiale. Pour lui, « l’Europe ne meurt pas sous les coups de ses ennemis, mais d’un manque de volonté de ses amis » (La métamorphose du monde, 2016). Et en effet, elle est aujourd’hui confrontée comme jamais à une double dynamique de fragmentation interne et de dérive idéologique.
Sur le plan politique, plusieurs États membres sont désormais dirigés ou influencés par des forces nationalistes, conservatrices ou d’extrême-droite et n’hésitent plus à s’attaquer frontalement aux règles communes, notamment dans les domaines de la protection sociale, de l’environnement, de la justice et des droits fondamentaux. Ce constat est confirmé par les propos du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui déclarait en mars 2024 : « l’Union européenne doit être remise à sa place. Bruxelles ne peut plus dicter nos lois, ni nous imposer des valeurs qui ne sont pas les nôtres » ([36]).
En parallèle, les forces néolibérales et pro-européennes dominantes, loin de constituer un contrepoids, se trouvent elles-mêmes piégées dans une logique d’alignement stratégique sur les intérêts atlantistes, affaiblissant la capacité de l’Union à définir une position autonome sur les grandes questions géopolitiques. Benjamin Bürbaumer, économiste à Sciences Po Bordeaux, observe ainsi que « le jeu d’équilibriste des Européens devient de moins en moins opérant » et que l’UE, tiraillée entre Washington et Pékin, « apparaît comme la grande perdante de cette vaste bataille économique mondiale » ([37]).
Cette convergence idéologique entre souverainismes autoritaires et libéralismes transatlantiques contribue à désarticuler le projet européen de l’intérieur, rendant de plus en plus difficile toute réponse collective aux crises contemporaines. Renaud Lambert, journaliste au Monde diplomatique, y voit le signe d’un effacement de la pensée stratégique européenne : « La soumission idéologique à l’agenda états-unien – qu’il s’agisse du découplage avec la Chine ou de la fuite en avant militariste – dépolitise les institutions européennes et les prive de tout projet propre » (Le Monde diplomatique, décembre 2023).
Depuis le Brexit, entré en vigueur en 2020, l’UE a vu se briser l’illusion d’irréversibilité de son projet et la parole souverainiste s’est libérée. La gestion de la pandémie en 2020, présentée comme une réussite européenne, révèle en réalité une véritable crise de confiance : en mars 2024, le Conseil européen pour les relations étrangères ([38]) publiait une étude démontrant que la pandémie a « exacerbé les traumatismes politiques existants, tels que la crise financière, la crise migratoire et les tensions géopolitiques » et a contribué à une fragmentation du sentiment d’appartenance européenne.
De plus, les scandales de corruption (Qatargate en 2022), et les enquêtes sur l’opacité des négociations entre la Commission européenne et les laboratoires pharmaceutiques, nourrissent la suspicion des peuples et mettent à mal l’intégrité dans la conduite des affaires.
Fragmentée sur ses politiques extérieures (division sur tous les grands dossiers), migratoires (règles tout simplement ignorées), budgétaires (contournement des règles) et stratégiques (attaques contre le Pacte vert, les normes automobiles et agricoles), l’UE expose ses vulnérabilités. Les déclarations énamourées du couple franco-allemand du 7 mai 2025, s’engageant à travailler « systématiquement ensemble » risquent de se fracasser rapidement sur le dossier du Mercosur par exemple et sur les sujets systémiques.
Intérêts divergents entre États membres : l’Allemagne, faux ami de la France ?
Entre Paris et Berlin, la coopération est un éternel compromis. Depuis la construction européenne, la France et l’Allemagne s’efforcent de dépasser une rivalité ancienne, nourrie par des visions du monde, des priorités industrielles et des réflexes diplomatiques souvent antagonistes. Si l’axe franco-allemand demeure le centre de gravité politique de l’UE, il s’effrite dès lors que surgissent les enjeux de puissance, comme face à la Chine.
Derrière le discours de complémentarité, l’Allemagne poursuit une ambition qui n’est plus seulement économique, mais aussi normative : imposer ses standards, ses intérêts industriels et sa lecture libérale des relations internationales comme matrice de la politique européenne. Face à elle, la France peine à faire valoir sa vision et à préserver ses intérêts. La relation de l’UE avec la Chine porte les marques de ce couple désynchronisé.
D’abord, l’industrie allemande constitue le principal moteur des relations économiques entre l’Europe et la Chine. D’après le Rhodium Group, 58 % des investissements directs européens en Chine entre 2016 et 2023 sont allemands, contre 38 % lors de la décennie précédente. En 2022, les IDE allemands ont même atteint un record de 7,1 milliards d’euros, tirés notamment par des géants comme Volkswagen, BASF, BMW et Siemens. Cette interdépendance explique en partie les réticences de Berlin face aux réformes européennes jugées trop contraignantes. Ainsi, le mécanisme de filtrage des investissements étrangers, pourtant adopté en 2019, reste cantonné à une simple coordination entre États. De la même manière l’Allemagne continue de bloquer les propositions de clauses de réciprocité ou de contenu local dans les marchés publics, au nom d’une « concurrence libre et non faussée ».
En 2022, sans concertation avec ses partenaires, le chancelier Olaf Scholz s’est rendu à Pékin à la tête d’une délégation d’industriels allemands — illustrant une realpolitik à l’allemande bien éloignée des priorités françaises. Peu après, Berlin a validé la cession de 24,9 % du terminal Tollerort à Hambourg au groupe chinois COSCO, en dépit de l’opposition de six ministères, de la Commission européenne et des services de renseignement allemands. Et ce, alors même que le terminal a été classé « infrastructure critique » en 2023. Une décision jugée « incompréhensible » par plusieurs diplomates français, tant elle va à rebours des efforts pour construire une réponse européenne cohérente face à la montée en puissance de la Chine.
De plus, l'Allemagne prend soin de ne pas heurter le partenaire chinois quand la France, elle, mise tout sur l’illusion d’une Europe unie. Ainsi, sur des secteurs stratégiques, batteries, semi-conducteurs, véhicules électriques, terres rares, l’Allemagne s’est montrée systématiquement hostile aux propositions françaises de quotas, de relocalisation ou de protections face à l’Inflation Reduction Act américain. Résultat : une posture attentiste, qui bénéficie de manière déséquilibrée aux intérêts allemands au sein du marché unique.
Un autre exemple parlant : en 2024, la Deutsche Bahn a lancé seule la ligne à grande vitesse Paris – Berlin, sans participation opérationnelle de la SNCF ni d’Alstom. Alors que la Chine renforce son réseau logistique via le China – Europe Railway Express, avec plus de 17 000 trains et 1,9 million de conteneurs transportés en 2023, la France a laissé à Berlin le soin de fixer seul les normes techniques, commerciales et urbaines d’un axe ferroviaire stratégique, ce qui lui confère un avantage sur la SNCF !
En définitive, l’Allemagne agit trop souvent comme un faux ami. Ses intérêts économiques et industriels sont sa priorité tandis que la France cède beaucoup plus au nom de la cohésion européenne. Un européisme qui revient cher et qui affaiblit l’industrie française et ses capacités souveraines.
3. Vulnérabilité économique et technologique : l'Europe à la traîne dans les secteurs clés
S’il est un domaine dans lequel la Commission européenne est aujourd’hui particulièrement attendue, c’est bien celui de l’environnement économique et technologique du marché commun. Longtemps fer de lance de l’innovation industrielle, l’Union européenne accuse désormais un retard manifeste dans plusieurs secteurs stratégiques, au premier rang desquels figurent les technologies numériques.
Les sociétés urbaines contemporaines présentent une dépendance « vitale » aux infrastructures interconnectées. Pour Jean-Luc Mélenchon, dans son livre « Faites Mieux ! Vers la révolution citoyenne », la souveraineté des États passe par la « réappropriation collective » de ces infrastructures.
Or, les vulnérabilités structurelles de l’Europe en la matière sont profondes.
D’une part, l’Union ne dispose pas des infrastructures numériques essentielles à sa souveraineté technologique. Si les réseaux de télécommunication restent en grande partie opérés par des groupes européens, la domination des acteurs américains dans le secteur du Cloud est flagrante : Google, Microsoft et Amazon contrôlent à eux seuls près de 65 % du marché européen du stockage et du traitement de données. ([39])
De plus, en dépit d’initiatives récentes, l’UE peine à harmoniser les politiques de cybersécurité des États-membre et à renforcer ses capacités communes contre les cyberattaques ou le cyberespionnage. Dans un rapport parlementaire de la Commission des affaires européennes de 2019, les rapporteurs relevaient déjà ce point faible : « L'Union européenne reste vulnérable face aux cybermenaces, en raison notamment de la fragmentation de ses politiques de cybersécurité et du manque de coordination entre les États membres ».
Par ailleurs, le marché européen des semi-conducteurs demeure trop étroitement spécialisé. Les principaux fabricants, tels que STMicroelectronics ou Infineon, produisent essentiellement des puces analogiques ou spécifiques à l’industrie automobile, laissant à d’autres régions du monde le contrôle de la production de puces numériques avancées, indispensables à l’intelligence artificielle, aux centres de données ou à la défense. Ainsi, seuls 4,8 % des investissements industriels européens en la matière concernent les télécommunications, et à peine 7 % les équipements informatiques (ordinateurs, serveurs, smartphones), contre des proportions bien plus élevées en Chine ou aux États-Unis. À l’inverse, l’effort d’investissement européen reste très concentré dans la robotique (28 %), l’automobile (30 %) et l’aérospatial (14 %), secteurs historiquement dominés par l’industrie européenne mais aujourd’hui eux aussi sous pression. ([40])
Enfin, le retard européen est criant dans un domaine devenu central : l’intelligence artificielle. Depuis le lancement de ChatGPT par OpenAI en 2022, cette technologie est devenue un levier de puissance, de compétitivité économique, mais aussi un enjeu fondamental de souveraineté démocratique. L’irruption, en mai 2025, de l’IA chinoise DeepSeek-V2, capable de rivaliser avec GPT-4, confirme que la Chine n’est plus un simple suiveur technologique, mais un acteur de premier rang, désormais au même niveau que les États-Unis. L’Europe, quant à elle, reste à la traîne.
Pourtant, elle disposait de talents, de centres de recherche performants, de volumes de données publics massifs, et même de start-up prometteuses. À ce titre, le cas de Mistral AI, licorne française créée en 2023, illustre à la fois un potentiel exceptionnel et un échec stratégique majeur. Portée aux nues par les investisseurs privés, Mistral est restée orpheline d’une vraie stratégie publique. Aucune politique industrielle concertée n’a été mise en place pour en faire un champion souverain européen.
L’UE s’en remet aujourd’hui à des textes comme l’AI Act, qui norment sans structurer, encadrent sans financer, et régulent sans jamais soutenir à l’échelle nécessaire. Ce déficit d’action publique révèle un aveuglement stratégique : en déléguant aux marchés et aux start-ups le soin de bâtir notre futur numérique, les institutions européennes et nationales ont laissé passer leur chance de garantir l’indépendance technologique du continent. Or, l’expansion des technologies d’IA et la privatisation des normes qu’elles sous-tendent ne sont pas neutres : elles conditionnent demain l’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, à la langue — bref, à la citoyenneté. Ce sont donc des enjeux éminemment politiques. Et l’Europe, en l’état, les subit.
À ces faiblesses technologiques s’ajoutent des difficultés croissantes sur le plan commercial. L’Union européenne, qui fut longtemps championne du libre-échange multilatéral, voit aujourd’hui son modèle mis à rude épreuve par la fragmentation des échanges mondiaux, le retour du protectionnisme et les « nouvelles décolonisations » des pays du Sud. Malgré un réseau d’accords de libre-échange couvrant plus de 75 pays, les négociations commerciales que mène l’UE sont ralenties ou suspendues pour des raisons géostratégiques comme avec l’accord global sur l’investissement avec la Chine (CAI), signé et gelé depuis 2021 ; ou des raisons sociales et environnementales comme le traité commercial avec le Mercosur, conclu en 2019. Quant aux pourparlers avec l’Inde ou l’Indonésie, ils piétinent.
Face à la diplomatie économique plus agile et moins contraignante de la Chine, qui déploie ses investissements dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie, ou à l’approche bilatérale musclée des États-Unis, l’UE souffre de son image d’acteur normatif, perçu comme rigide, lent et peu attractif. Ainsi, sa puissance commerciale, pourtant réelle (l’UE représente environ 16 % des exportations mondiales en 2023 ([41]) , ne suffit plus à imposer ses règles dans un ordre international devenu profondément concurrentiel.
Enfin, le rapport de l’Union européenne au Sud global se fragilise dans un contexte où les dynamiques géopolitiques se reconfigurent en profondeur. Autrefois partenaire incontournable, l’Europe est désormais boudée. Le secteur de la pêche cristallise cette rupture. Dans des pays comme le Sénégal ou la Guinée-Bissau, les accords d’accès aux ressources maritimes conclus avec l’UE sont de plus en plus dénoncés comme déséquilibrés, voire destructeurs. Loin de favoriser le développement local, ces conventions sont accusées de vider les mers, de fragiliser la pêche artisanale et d’accroître la précarité des communautés côtières. En 2023, le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló a publiquement dénoncé l'inefficacité économique des compensations versées par l’UE, tandis que de nombreux pêcheurs sénégalais ont manifesté contre les chalutiers européens accusés de surexploiter les ressources au large de Saint-Louis.
Cette contestation s’inscrit dans une dynamique plus large : celle d’un Sud global qui s’oppose aux logiques néocoloniales et aspire à construire un modèle de développement plus juste, endogène et souverain. Il privilégie de nouvelles formes de coopération — bilatérales, régionales ou Sud-Sud —, notamment avec la Chine, l’Inde ou les BRICS. Ainsi, en 2024, la Mauritanie a signé un protocole de coopération halieutique avec la Chine, sans clause environnementale contraignante, rompant ainsi un schéma de dépendance avec l’UE.
La Chine et le Sud global
Du partenariat économique au déploiement de la force normative chinoise
La montée en puissance de la Chine sur la scène internationale s’évalue aussi à travers l’extension rapide et multiforme de ses relations avec les pays du Sud global. Ainsi, on observe que Pékin diversifie ses engagements à travers les continents dans sa quête de structurer ses relations avec les pays en développement, une orientation qui, bien que symboliquement amorcée lors de la conférence de Bandung en 1955, s’est surtout affirmée depuis les années 2000.
Le terme de « Sud global », utilisé aujourd’hui pour désigner un ensemble de pays majoritairement situés en Afrique, en Asie, en Amérique latine et en Océanie, recouvre des trajectoires économiques hétérogènes mais partageant un même objectif d’autonomie stratégique. Dans cette perspective, la Chine a intensifié ses partenariats politiques, économiques et culturels avec de nombreux États, en privilégiant une approche bilatérale fondée sur la coopération infrastructurelle, les échanges symboliques et le respect affiché des souverainetés locales.
Ce mouvement a pris une ampleur particulière depuis 2013 avec le lancement de l’Initiative « Belt and Road » (BRI) par Xi Jinping qui compte aujourd’hui plus de 150 pays participants. En Afrique, la Chine est devenue l’un des principaux partenaires économiques et financiers, sans toutefois occuper de manière constante la première place en termes d’investissements directs étrangers. En Amérique latine, elle est désormais le premier ou le deuxième partenaire commercial d’une majorité de pays, notamment le Brésil, le Chili ou l’Argentine.
Cette montée en puissance s’accompagne d’une projection normative subtile, mais réelle. Pékin ne cherche pas à imposer un modèle de gouvernance mais porte une vision des relations internationales mieux acceptée car perçue comme respectueuse de la diversité des régimes, de l’intérêt mutuel et de la non-ingérence. Cette influence ne s’exerce pas de façon homogène : elle passe souvent par des cercles dirigeants — élites politiques ou technocratiques — qui s’alignent sur certaines positions chinoises en échange de partenariats ou de financements. Selon Zaki Laïd, dans Le reflux de l’Europe (2021), cette logique d’alignement ponctuel, fondée sur la socialisation, la personnalisation et la réciprocité, contraste avec l’approche normative, juridique et conditionnelle de l’Union européenne.
La diplomatie chinoise mobilise parfois des références culturelles comme le concept de guanxi, dans lequel les relations interpersonnelles, la loyauté et les échanges symboliques jouent un rôle central. Cette approche n’est toutefois pas exempte de critiques. Le cas du port d’Hambantota au Sri Lanka, concédé à la Chine pour 99 ans après l’incapacité de remboursement de la dette, alimente les débats sur une éventuelle « diplomatie du piège de la dette ».
La relation entre la Chine et les pays du Sud global constitue ainsi un laboratoire de diplomatie mondiale en recomposition. Elle reflète une volonté assumée de contester les hiérarchies héritées de l’ordre occidental, et d’instaurer de nouvelles formes de coopération, plus flexibles, perçues comme plus équitables par une partie des États concernés.
III. LES DÉFIS À RELEVER MILITENT EN FAVEUR D’UN CHANGEMENT DE CAP POUR UNE COOPÉRATION EURO-CHINOISE STABLE, JUSTE ET ÉQUILIBRÉE
A. Face aux défis internes, la Chine et l’Union européenne doivent redéfinir les règles de leur relation
1. En finir avec le triptyque européen de 2019 et sortir de l’ambiguïté stratégique
Le 25e Sommet entre l’Union Européenne et la Chine se tiendra fin juillet 2025 en Chine. Il marquera les 50 ans des relations diplomatiques entre Bruxelles et Pékin. Cette rencontre est considérée par les autorités chinoises comme suffisamment importante pour lever les sanctions décidées contre des eurodéputés (avril 2025), suspendre l’application de ses mesures douanières contre les brandys jusqu’au 1er juillet 2025, et multiplier les rencontres à tous les niveaux. En effet, la diplomatie chinoise en Europe s’active et demande à l’Union européenne de saisir la main tendue pour renouveler la relation entre les deux espaces au moment où les États-Unis les menacent.
M. André Chieng, vice-président du Comité France-Chine, suggère même de s’inspirer de la formule Henry Kissinger ([42]) à propos du rapprochement improbable entre les États-Unis de Nixon et la Chine de Mao : « quand on est dans un jeu à trois, il vaut mieux être dans le camp des deux ». Afin de ne pas se retrouver isolées, l’Union européenne et la Chine ont intérêt à créer les conditions d’une large entente. Il pense que l’affrontement entre la Chine et les États-Unis trouvera une issue reposant sur un accord entre les deux pays… que Trump revendiquera comme une victoire. Cette prédiction s’est révélée exacte puisque, le 11 juin 2025, la Chine et les États-Unis ont annoncé être parvenus à un accord sur un cadre général visant à lever progressivement leurs droits de douane réciproques, lors de négociations décisives tenues à Londres.
Quel que soit le cas de figure, il semble que le triptyque défini en 2019 place l’UE dans une ambiguïté qui se retourne contre elle. D’abord parce que les Chinois refusent toute rivalité systémique : “Nous souhaitons être considérés comme un vrai partenaire, nous n’avons pas besoin de rival” affirme M. Jing ZHU, Ministre, Chef adjoint de la mission chinoise auprès de l’Union européenne. Cette position n’est en rien nouvelle, elle fait partie de l’histoire et de la culture chinoises comme en attestent les « Cinq principes de coexistence pacifique » formulés en 1954.
D’après M. André Chieng, il serait plus judicieux de parler de « rivalité technologique » pour l’Europe car la Chine n’a pas de rivalité idéologique profonde avec elle : « l’UE, pour sa part, considère la Chine comme un partenaire commercial majeur et concurrent, mais elle n’est pas un rival systémique comme elle l’est pour les États-Unis » (à l’Académie des technologies en 2024).
M. Zhu Liying, l’affirme également à votre rapporteure : « la Chine comme l’UE sont deux forces majeures pour le multilatéralisme, deux des principaux marchés et deux grandes civilisations. La Chine n’a aucun conflit d’intérêts avec l’Europe, la notion de partenariat est toujours pertinente ».
Tout au long du rapport d’information qui nous a été confié, les fonctionnaires français et européens auditionnés se sont montrés particulièrement circonspects, répétant les mêmes accusations : la concurrence avec la Chine est faussée par des subventions publiques massives ; la Chine s’inspire des avancées européennes dans les domaines où elle n’est pas encore en pointe ; elle chercherait à diffuser sa vision des normes dans les instances internationales. La Chine, selon eux, ne jouerait pas selon les règles du multilatéralisme, préférant instrumentaliser les organisations pour faire valoir ses intérêts stratégiques.
Derrière ces reproches transparaît une méfiance plus profonde, qui semble moins liée aux griefs économiques qu’à l’inconfort suscité par l’ascension d’un modèle non occidental. Car si l’Europe s’est historiquement construite sur l’exploitation coloniale, le contrôle des flux migratoires et l’imposition de ses normes, la Chine, elle, s’est hissée au rang de puissance mondiale en retournant en quelques décennies une situation de dépendance héritée de ce qu’elle nomme elle-même le « siècle des humiliations ». Cette période, allant de la première guerre de l’opium (1839) à la fondation de la République populaire en 1949, fut marquée par les invasions étrangères, les traités inégaux, les pertes territoriales et la fragmentation de son intégrité nationale sous la pression des puissances coloniales, au premier rang desquelles figuraient les nations européennes.
Ce traumatisme structure encore aujourd’hui la vision chinoise du monde : une volonté de rattrapage historique, une affirmation de souveraineté, et une méfiance viscérale à l’égard des ingérences extérieures. Le développement chinois s’appuie désormais sur des partenariats économiques négociés, l’accès aux marchés et la valorisation de sa compétitivité industrielle. Loin de chercher à imposer un modèle universel ou à reproduire les logiques impériales de l’Occident, la Chine entend avant tout tirer parti de la mondialisation selon ses propres intérêts, dans une logique d’affirmation souveraine plutôt que de domination idéologique.
Pour M. Huchet, il est important que « les États membres changent de matrice » vis-à-vis de la Chine. Les expériences de la Chine peuvent ainsi nous servir de modèle pour penser la réindustrialisation de l’Europe dans le respect de nos particularités.
2. Le dogmatisme libéral et l’ouverture du marché européen : des risques majeurs pour les intérêts stratégiques des États membres
Les politiques mises en œuvre par la Commission européenne ne vont pas toujours dans le sens de l’intérêt général européen et peuvent même être contraires aux intérêts des États membres.
L’exemple de l’Accord de libre-échange UE-Corée du Sud conclu en mai 2011 illustre parfaitement les asymétries internes à l’UE : tandis que l’Allemagne a bénéficié de cet accord pour ses marques haut de gamme (Audi, Mercedes-Benz, BMW) avec 50 % d’exportations supplémentaires, la France (Renault, PSA) et l’Italie (Fiat) ont souffert quant à elles d’une concurrence accrue avec l’arrivée des marques Hyundai et Kia sur les segments populaires. Cet accord a laissé des traces et a contribué au déséquilibre commercial sectoriel.
On peut également exprimer des réserves par rapport au mécanisme des « remèdes structurels » (structural remedies, règlement (CE) n°139/2004) par lequel la Commission européenne conditionne l’autorisation de certaines fusions à la cession d’actifs industriels. S’il est censé préserver la concurrence au sein du marché intérieur, il aboutit trop souvent à fragiliser des entreprises stratégiques sans garantie tangible de bénéfices pour les consommateurs.
Le cas d’Alstom en 2021 est révélateur. Pour obtenir le feu vert à l’acquisition de Bombardier Transport, l’entreprise française a dû céder plusieurs actifs, dont le site industriel de Reichshoffen, transféré à l’espagnol CAF, alors que le conserver aurait constitué un atout pour sa stratégie d’internationalisation. Cette décision a conduit à la perte d’un outil industriel, au mépris des considérations de souveraineté et de savoir-faire. Rien ne permet d’affirmer que la concurrence en Europe s’en soit trouvée renforcée ; en revanche, la capacité d’action de la France dans un secteur clé a été amoindrie.
Il ne s’agit pas, pour autant, de défendre toutes les fusions au nom du dogme du "champion européen", surtout lorsque certaines d’entre elles, comme la tentative Alstom-Siemens, risquent de déséquilibrer les rapports de force au détriment des intérêts français. La critique porte ici non pas sur le principe du contrôle, mais l’absence de vision stratégique, qui est pourtant une composante essentielle de l’intérêt général européen, au même titre que la concurrence.
Recommandation : Introduire des critères géoéconomiques opposables dans le mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers dans l’UE (Règlement UE 2 019/452), afin de préserver la souveraineté industrielle, soutenir l’emploi local et garantir des retombées sociales et territoriales.
D’autre part, l’Union européenne encadre l’attribution des aides publiques aux entreprises européennes (article 107 du TFUE) afin de vérifier qu’il n’y ait de distorsion de concurrence. Ce contrôle en amont vise à assurer l’accès aux aides à toutes les entreprises. Or, il n’existe aucun mécanisme européen de contrôle de l’efficacité de ces aides ni des retombées réelles.
Tandis que les fonctionnaires européens et français auditionnés dénoncent à l’unisson les aides et subventions chinoises versées à leurs entreprises pour bâtir des filières et soutenir le développement, l’Union européenne permet un modèle d’aides publiques versées sans orientation ni contrepartie, qui conduit à une dilution des moyens et à un affaiblissement budgétaire structurel.
Aujourd’hui, la France est l’un des pays les plus actifs en matière de soutien aux entreprises, avec environ 160 milliards d’euros d’aides annuelles (subventions, exonérations, aides à l’emploi, soutien fiscal et investissement public), soit près de trois fois le produit de l’impôt sur les sociétés. L'Allemagne, de son côté, a mobilisé 200 milliards d’euros pour soutenir ses entreprises dans le cadre de la crise énergétique.
Mais ces montants massifs sont, dans leur grande majorité, versés sans conditionnalité, sans contrôle a posteriori, sans stratégie d’ensemble, comme l’ont montré plusieurs rapports sur le cas français, notamment le rapport d’information n° 4040 de 2021 ([43]). En dépit de cette mobilisation financière considérable, les résultats en matière de réindustrialisation, de souveraineté technologique ou de transition écologique restent très insuffisants.
Afin d’en garantir l’efficacité, la justice et la cohérence avec les objectifs collectifs, les aides doivent être ciblées, conditionnées, contrôlées et évaluées. À rebours d’une logique purement défensive ou d’un saupoudrage conjoncturel, elles doivent devenir l’outil d’une politique industrielle orientée vers la création de valeur durable, l’emploi qualifié et l’autonomie productive.
Recommandation : Plaider au niveau européen pour l’adoption d’un cadre contraignant et harmonisé pour l’octroi des aides publiques, fondé sur des critères sociaux, environnementaux et industriels clairs et articulé autour d’une logique de filières stratégiques.
Ce que la Chine démontre à grande échelle, c’est qu’un État peut soutenir massivement ses entreprises privées tout en fixant des objectifs précis, en évaluant les résultats et en orientant les ressources vers la montée en gamme, la souveraineté technologique et la transformation productive. L’Union européenne doit en tirer les leçons si elle veut rompre avec la dépendance et redevenir une puissance économique autonome.
Les récents assouplissements apportés à deux directives pourtant présentées comme des pièces maîtresses du Pacte vert pour l’Europe, adopté en 2019, en sont une illustration préoccupante. Il s’agit d’une part de la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD), censée renforcer la transparence extra-financière, et d’autre part de la directive sur le devoir de vigilance (CS3D), qui visait initialement à imposer aux grandes entreprises des obligations contraignantes en matière de respect des droits humains et de l’environnement tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement.
Cette dissociation croissante entre ambitions affichées et mécanismes opérationnels mine la crédibilité du Green Deal européen et affaiblit la capacité de l’UE à structurer une transition écologique juste, guidée par la responsabilité des entreprises et l’intérêt général.
Ce reflux de l’ambition écologique européenne s’explique en grande partie par le rôle moteur joué par la France et l’Allemagne dans l’affaiblissement de ces directives au prétexte de préserver la compétitivité de leurs grandes entreprises. Le ministre français de l’économie Eric Lombard avait même qualifié le report de ces deux directives européennes de “priorité” lors de la présentation de ses vœux au monde économique à Bercy. ([44])
En réalité, en matière de soutien aux entreprises privées, entre le modèle américain, volontariste et protectionniste, mais sans plan social ni environnemental, et le modèle chinois, structuré et piloté, sans transparence mais cohérent, l’Union européenne doit définir un modèle ambitieux socialement et écologiquement, fondé sur des règles claires, des objectifs mesurables et des outils puissants de pilotage.
Recommandation : Mettre en place un mécanisme européen de cohérence climatique, imposant aux États membres de s’abstenir de toute initiative nationale contraire aux engagements internationaux et aux objectifs européens de transition écologique.
3. Sécuriser l’interdépendance, rééquilibrer les échanges : pour une relance responsable de l’accord UE-Chine
Comme cela a été développé précédemment, les économies européenne et chinoise sont fortement interconnectées. En 2024, les échanges de biens et services entre l’UE et la Chine ont dépassé 840 milliards €. La Chine est le deuxième partenaire commercial de l’UE (après les États-Unis) et, réciproquement, l’UE est le premier partenaire de la Chine. Néanmoins, les échanges demeurent déséquilibrés, si bien que l’UE accuse un déficit d’environ 300 milliards d’euros ([45]) . Votre rapporteure considère qu’une réorientation de la politique commerciale s’impose et qu’un dialogue entre partenaires commerciaux est préférable à l’usage délétère des mesures de défense commerciale, qui ont fait montre de leur inefficacité.
Il se trouve qu’en décembre 2020, l’Union européenne et la Chine ont signé un accord global sur l’investissement (CAI), présenté comme une avancée stratégique destinée à rééquilibrer les relations économiques bilatérales et à améliorer l’accès des entreprises européennes au marché chinois. Sa ratification a toutefois été suspendue en raison de tensions diplomatiques.
Recommandation : Renégocier un nouvel accord global sur l’investissement (CAI) fondé sur la réciprocité, la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et la souveraineté des partenaires.
Le secteur automobile constitue aujourd’hui le point d’achoppement emblématique entre la Chine et l’Union européenne. La Chine, consciente de son retard dans la production de véhicules thermiques, a fait le pari anticipé du véhicule électrique, et occupe aujourd’hui une position dominante dans cette filière. L’Union européenne, malgré les alertes des professionnels, a longtemps tergiversé, et se retrouve désormais dans une position de vulnérabilité technologique, alors même qu’elle s’est fixé l’objectif de mettre fin à la vente des véhicules thermiques neufs à l’horizon 2035.
La part de marché des producteurs chinois est passée de 1,9 % en 2020, à 8,8 % en 2023. “Cette part de marché devrait atteindre 17 % d'ici 2025, car les producteurs chinois prévoient également d'augmenter leurs exportations vers l'UE", a déclaré M. Valdis Dombrovskis, Commissaire européen à l'économie, à la productivité, à la mise en œuvre et à la simplification. Les véhicules électriques chinois, souvent 20 à 30 % moins chers que leurs équivalents européens, exercent une pression à la baisse sur les prix. Sans mesures correctives, la part de marché des producteurs chinois en Europe pourrait rapidement augmenter au détriment des constructeurs domestiques mais aussi de l’emploi.
Or, l’industrie automobile est un pilier de l’économie européenne, employant environ 13,8 millions de personnes (emplois directs et indirects), soit 6,1 % de l’emploi total dans l’UE. Les premiers signes d’impact sur l’emploi sont déjà apparus. En 2024, confrontés à une production en berne (–20% par rapport à 2019) et à la pression des coûts énergétiques, les fournisseurs automobiles européens ont annoncé 54 000 suppressions de postes – un record annuel, supérieur aux pertes d’emplois cumulées des années de pandémie. ([46])
Cet exemple montre que la relance des négociations sur le CAI, loin d’être une ouverture au libre-échange généralisé, pourrait permettre de négocier un renforcement des garde-fous et éviter un afflux incontrôlé de véhicules chinois subventionnés, là où les mesures compensatoires n’ont pas eu l’effet escompté, et font l’objet d’un cycle de rétorsion délétère. Un accord équilibré avec la Chine pourrait devenir un levier pour structurer la prochaine étape de la transition industrielle du secteur automobile européen.
L’Union devrait ainsi proposer une renégociation structurée autour de mesures correctrices réalistes et déjà éprouvées, permettant d’assurer un développement plus équilibré des échanges. Ainsi, l’instauration de quotas d’importation pour certains secteurs sensibles, comme les équipements solaires ou les véhicules électriques, est parfaitement envisageable : l’Union européenne intègre déjà ce type de dispositif dans ses accords avec le Mercosur (quota de 99 000 tonnes pour le bœuf) ou le Canada (quotas sur le fromage, le maïs ou le porc), démontrant la compatibilité de cette approche avec les règles de l’OMC.
De même, la fixation de prix planchers sur certains produits stratégiques doit être généralisée, afin de lutter contre les pratiques de dumping. Cela existe déjà dans le secteur agricole, où le système des prix d’entrée de l’UE établit un seuil de prix minimal pour 15 fruits et légumes sensibles : si des importations arrivent à un prix inférieur au seuil, des droits additionnels sont levés pour maintenir le prix au-dessus du plancher. Par ailleurs, en matière de défense commerciale, la Commission européenne a déjà négocié des engagements de prix avec des exportateurs chinois pour résoudre des conflits antidumping. Un cas notable fut celui des panneaux solaires chinois : afin d’éviter une guerre commerciale en 2013, Bruxelles a convenu d’un prix minimum à l’importation (MIP) d’environ 0,56 €/W pour les panneaux photovoltaïques chinois. ([47]) Ces instruments seraient transposables à l’industrie verte dans le cadre d’une régulation européenne responsable.
Recommandation : Mettre en place des instruments de régulation commerciale pour les biens jugés sensibles, combinant des quotas d’importation ciblés et des prix planchers, afin de garantir une concurrence loyale, la souveraineté industrielle et la juste rémunération des filières concernées.
Par ailleurs, il conviendrait d’encourager des joint-ventures ciblées en Europe avec des partenaires chinois, afin de bénéficier du savoir-faire technologique et industriel chinois, dans une logique semblable à celle adoptée par la Chine elle-même ces dernières décennies. Toutefois, ces partenariats devraient être strictement encadrés par des conditions précises concernant la gouvernance, l’emploi local et, surtout, par des limites de participation étrangère dans le capital afin d’éviter toute perte de contrôle sur les secteurs stratégiques européens. Des précédents existent déjà, notamment dans le secteur nucléaire où EDF a développé des coopérations encadrées avec des groupes chinois autour de la construction de réacteurs ou d’équipements spécialisés. De telles joint-ventures, soigneusement structurées juridiquement, permettraient à l’Europe, plutôt que de subir la concurrence, de se doter d’une stratégie de long terme en orientant les partenariats vers la production de véhicules bas-carbone de nouvelle génération, notamment ceux à hydrogène vert, et en encourageant les transferts de savoir-faire dans les technologies de rupture, afin de créer des chaînes de valeur hybrides tout en préservant la souveraineté industrielle européenne. »
Recommandation : Encadrer la création de joint-ventures industrielles en Europe avec des partenaires chinois dans des filières d’avenir, à la condition d’une gouvernance partagée, d’un ancrage local de l’emploi et d’une limitation stricte des participations étrangères dans les secteurs stratégiques.
Le chapitre sur les transferts de technologies doit lui aussi évoluer : l’Union a déjà entamé, dans le cadre de sa stratégie de soutien aux technologies vertes, des discussions sur des contreparties technologiques à exiger en cas d’investissement étranger bénéficiant d’un soutien public. Cette démarche pourrait être systématisée pour garantir que les échanges industriels s’accompagnent de flux de savoir-faire équilibrés.
Recommandation: Systématiser l’exigence de contreparties technologiques en cas d’investissement étranger bénéficiant du soutien public.
La protection de la propriété intellectuelle, quant à elle, constitue une priorité dans plusieurs secteurs sensibles (textile, défense, pharmacie) et fait déjà l’objet de directives européennes spécifiques. Elle gagnerait à être renforcée dans les négociations avec la Chine, afin de garantir la sécurité juridique des entreprises européennes innovantes.
Recommandation : Renforcer la protection de la propriété intellectuelle afin de mieux assurer la sécurité juridique des entreprises européennes innovantes.
Enfin, les discussions ouvertes entre l’UE et la Chine sur les flux transfrontaliers de données industrielles peuvent servir de base à une clause ambitieuse sur la transparence et la sécurisation des données dans les échanges économiques. Dans un contexte de numérisation croissante, ce volet est désormais indissociable d’un accord d’investissement moderne.
Recommandation : Réformer la politique commerciale de l’Union en incluant dans chaque accord commercial une clause sur la transparence et la sécurisation des données.
En somme, ces propositions ne relèvent pas d’une utopie protectionniste. Elles s’inscrivent dans des pratiques déjà mises en œuvre dans d’autres accords commerciaux de l’Union ou dans des expériences nationales, et peuvent être consolidées dans un cadre européen exigeant. Un tel accord-cadre rénové permettrait à l’Europe de réduire ses dépendances critiques, tout en sécurisant et en équilibrant son interdépendance avec la Chine, dans une logique de coopération maîtrisée et de souveraineté partagée.
La Chine, dont l’économie est principalement tournée vers les exportations, a besoin du marché européen. L’Union européenne a donc des marges de manœuvre pour nourrir un dialogue constructif et pour négocier des conditions d’accès à son marché, profitables aux deux parties.
La Chine est un pays pragmatique, qui sait s’adapter. Elle l’a démontré en 2001 au moment où son adhésion à l’OMC ouvrait brutalement son marché à la mondialisation.
B. L’Union européenne et la Chine doivent renforcer ensemble un cadre mondial au service de la Paix et du développement solidaire
1. La fin de la « vassalisation heureuse » avec les États-Unis : une nécessité pour la Paix
Au regard des développements précédents, votre rapporteure estime qu’il est devenu essentiel de s’émanciper de la relation transatlantique, désormais marquée par une ambiguïté croissante et des effets clairement préjudiciables aux intérêts européens.
L’évolution récente des États-Unis, dont la politique étrangère repose sur des rapports de force et une conception hiérarchique du monde, représente une menace directe pour la stabilité et la paix internationales. Cette dérive s’accompagne d’une tentation isolationniste persistante qui redéfinit leur rapport au monde, mais aussi — et surtout — leur rapport à eux-mêmes. L’affaiblissement de la démocratie et de l’État de droit dans cette ancienne « hyperpuissance » constitue aujourd’hui l’un des risques majeurs pour leur avenir, et, par ricochet, pour leurs partenaires.
Comme l’a déclaré le Président de la République italienne, M. Sergio Mattarella, le 5 février 2025 à Marseille : « Avec, tout au plus, la perspective d’une vassalisation heureuse, il faut choisir : être protégés ou être protagonistes. L’Europe entend-elle être un objet de dispute internationale, un espace d’influence pour les autres, ou au contraire devenir un sujet de politique internationale, dans l’affirmation des valeurs de sa propre civilisation ? »
Cette déclaration, d’autant plus forte qu’elle émane d’un homme au parcours atlantiste, révèle la profondeur du moment historique que nous traversons.
Même le chancelier chrétien-démocrate allemand Friedrich Merz, longtemps perçu comme un fidèle allié de Washington, plaide désormais pour le réarmement stratégique de l’Allemagne afin de s’émanciper de la tutelle américaine.
Les divergences entre Européens et Américains ne datent pas d’hier. Elles se sont aggravées avec les mandats de Donald Trump, sans jamais être véritablement surmontées. Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant majeur dans la politique étrangère des États-Unis, consacrant la primauté de la lutte contre le terrorisme, l’unilatéralisme, la doctrine de la guerre préventive, et une approche relativisée des droits fondamentaux — comme en témoigne le scandale de Guantanamo. La révélation de l’ampleur de l’espionnage américain en Europe a, de son côté, profondément entamé la confiance entre alliés. Quant à la stratégie du « pivot vers l’Asie », elle s’est traduite par un désengagement américain durable du continent européen, laissant les Européens plus exposés que jamais.
Face à ces réalités, l’Europe doit cesser de se reposer sur un allié devenu instable et imprévisible, et refuser d’être entraînée dans des logiques de confrontation qui ne correspondent ni à ses intérêts, ni à ses responsabilités. Il s’agit d’un repositionnement lucide qui ne signifie pas la fin du dialogue transatlantique y compris sur les grands enjeux globaux que sont la transformation écologique des systèmes de production, la préservation des écosystèmes et la Paix.
Taiwan :
Refuser de suivre les États-Unis dans les provocations,
Pas d’Otan en Mer de Chine méridionale
La question de Taïwan cristallise l’une des tensions les plus explosives entre les États-Unis et la Chine. Pourtant, la volonté d’embarquer l’Union européenne dans cette confrontation est totalement injustifiée. Comme le rappelle Françoise Mengin, cette instrumentalisation s’inscrit dans une logique de bipolarisation du monde, étrangère à la vocation géopolitique de l’Europe. L’UE n’a ni légitimité historique, ni intérêt stratégique à s’aligner sur les logiques de containment promues par Washington dans un théâtre aussi éloigné de son espace de responsabilité.
L’histoire de Taïwan est façonnée par les colonisations successives. Occupée par les Hollandais (1624 – 1662), l’île accueille alors déjà des populations hostiles au pouvoir impérial chinois. Elle passe ensuite sous contrôle de la dynastie Qing à partir de 1683, mais reste marginale dans l’organisation de l’empire. En 1895, elle est cédée au Japon après la guerre sino-japonaise et devient une colonie jusqu’en 1945. Cette période de domination japonaise joue un rôle fondamental dans la structuration administrative et identitaire de l’île. De 1945 à 1949, elle est sous contrôle de la Chine continentale avant d’être occupée par la violence par le gouvernement nationaliste de Tchang Kai Check, défait par les communistes. Taïwan a été gouvernée par un régime dictatorial sous le Kuomintang (KMT) de 1949 à 1987, avec l’instauration de la loi martiale et une répression systématique des opposants (la « Terreur blanche »). Pour M. Victor Louzon, « Taïwan devient ainsi le théâtre d’une guerre civile inachevée ».
À la fin des années 1980, la transition démocratique, non violente, aboutira aux premières élections parlementaires libres en 1992, puis la première présidentielle au suffrage universel en 1996.
Selon les sondages récents du centre Election Study Center (université nationale Chengchi), plus de 60 % des Taïwanais se déclarent uniquement taïwanais (contre moins de 20 % dans les années 1990). Les scrutins présidentiels ont confirmé ce basculement : le Parti démocrate progressiste (DPP), défenseur du statu quo, a remporté les élections de 2020 (Tsai Ing-wen) et de 2024 (Lai Ching-te). En face, les forces pro- réunification, comme le KMT, voient leur audience s’éroder, notamment chez les jeunes. Les courants nationalistes plus radicaux, favorables à l’affrontement avec Pékin, restent minoritaires mais bruyants, souvent encouragés par certains relais néoconservateurs américains.
La réalité des échanges entre les deux rives reste dense
En 2023, la Chine et Hong Kong représentaient environ 35 % des exportations taïwanaises (près de 155 milliards USD). Entre 800 000 et 1 million de Taïwanais vivent ou travaillent en Chine continentale.
Les liens familiaux, universitaires et culturels demeurent profonds. La langue commune (mandarin), les religions partagées (bouddhisme, taoïsme, culte des ancêtres), et une majorité écrasante de population d’origine Han (environ 97 % rappellent la profondeur du continuum civilisationnel. Les peuples autochtones de Taïwan, les communautés austronésiennes (Amis, Atayal, Paiwan, etc) représentent aujourd’hui 2,3 % de la population. Historiquement marginalisées, elles revendiquent aujourd’hui la restitution foncière et une reconnaissance politique que Pékin évoque dans sa rhétorique d’unité nationale en faveur de la protection des « minorités ethniques ».
Les États-Unis alimentent les tensions autour de Taïwan
par une série de provocations répétées
Depuis plusieurs années, les États-Unis multiplient les gestes perçus comme autant de provocations par Pékin dans le dossier sensible de Taïwan. Loin de se limiter à un soutien diplomatique discret, Washington adopte une posture de plus en plus ostentatoire qui ne peut qu’attiser les tensions dans le détroit de Taïwan.
Le 17 mars 2022, le destroyer USS Ralph Johnson traverse ostensiblement le détroit, un geste que la Chine dénonce comme une atteinte à sa souveraineté. Quelques mois plus tard, le 2 août, la visite de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants, marque un tournant : jamais un responsable américain de ce rang ne s’était rendu sur l’île depuis 25 ans. Pékin y voit une ligne rouge franchie.
L’escalade se poursuit en 2023 : en avril, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen fait deux escales aux États-Unis, rencontrant notamment Kevin McCarthy, successeur de Pelosi à la tête de la Chambre. En août de la même année, c’est au tour du vice-président Lai Ching-te d’effectuer deux visites aux États-Unis, confirmant une normalisation des contacts de haut niveau entre Washington et Taipei.
Enfin, en janvier 2024, un nouveau destroyer américain croise dans le détroit de Taïwan, dans une démonstration de force que la Chine interprète comme une provocation militaire directe.
Ces initiatives visent à alimenter une escalade aux conséquences dévastatrices pour l’ensemble de la région indo-pacifique. En effet, Taïwan bénéficie de la protection des États-Unis qui se sont engagés « à défendre Taïwan en cas de rapprochement non pacifique » et ont adopté une loi, le Taïwan Relations Act, pour livrer des moyens militaires à l’île.
Les États-Unis cherchent la confrontation avec la Chine, jusque dans le cadre de l’OTAN
Alors même que l’OTAN n’a ni vocation géographique ni mandat militaire en Asie, les États-Unis tentent de l’entraîner dans une posture de « rivalité stratégique » avec la Chine. Depuis 2019, Washington pousse ses partenaires européens à intégrer la Chine dans les réflexions sécuritaires de l’OTAN, en l’associant aux menaces traditionnelles que sont la Russie ou le terrorisme. Ce glissement, très contesté en Europe, reflète une volonté américaine d’étendre sa confrontation avec Pékin à tous les espaces diplomatiques et militaires disponibles - y compris ceux qui ne concernent pas directement l’Indopacifique.
En instrumentalisant l’Alliance à des fins de compétition systémique avec la Chine, les États-Unis exposent les Européens à des tensions qu’ils ne souhaitent ni provoquer, ni gérer. Si la Chine renforce ses capacités militaires ou participe à des exercices avec la Russie, c’est aussi en réaction à l’activisme stratégique américain qui, sous couvert de défense des « valeurs démocratiques », cherche à contenir l’émergence chinoise à tout prix.
Pékin ne menace ni militairement l’Europe, ni directement l’Atlantique nord. Pourtant, à travers des alliances ad hoc comme l’AUKUS ou des initiatives de surveillance maritime en mer de Chine, Washington impose une lecture globalisée du risque chinois, et veut faire de l’OTAN une pièce maîtresse de sa stratégie d’endiguement. Cette approche ne fait que renforcer les crispations, brouiller les priorités de l’Alliance et accroître le risque d’une escalade mondiale entre puissances nucléaires.
Il est également nécessaire de pointer l’hypocrisie étatsunienne car l’enjeu pour Washington n’est pas purement idéologique : les enjeux sont aussi bien militaires, économiques et technologiques. Pour les États-Unis, garder la main sur l’île permet de contrôler l’accès aux semi-conducteurs dont Taïwan produit 90 % des plus avancés. Taïwan est aussi au centre de la « première chaîne d’îles » et les stratèges américains la considèrent comme « un porte-avion insubmersible » et une barrière à la projection de la Chine vers le Pacifique.
Au vu de ces éléments, « l’espoir européen repose sur le statu quo » selon les spécialistes auditionnés par votre rapporteure. Il est nécessaire de réaffirmer notre attachement au droit international édicté par l’ONU : « Taïwan n’est pas reconnu comme État membre ou observateur par l’Assemblée générale ». Toute autre position relève de l’unilatéralisme et mènera la Chine à réagir en « défense de ses intérêts fondamentaux ».
Voilà pourquoi les déclarations d’Emmanuel Macron sur Taïwan qu’il compare à l’Ukraine en juin 2025, révèlent une ligne diplomatique confuse et instable. Après avoir rejeté en 2023 tout alignement européen sur Washington, ce revirement affaiblit la crédibilité de la France et l’expose à attiser des tensions dans une zone où elle n’a ni mandat, ni influence réelle.
Si la Chine a réaffirmé par la voix de M. Jing Zhu sa volonté immuable de procéder à la réunification avec la province de Taïwan, quitte à en passer par la force à terme, la voie diplomatique est privilégiée pour l’heure, et c’est celle que la France devrait soutenir.
Recommandation : Respecter le droit international de l’ONU et refuser toute instrumentalisation de la question taïwanaise.
2. La stratégie Indopacifique de l’Union européenne doit laisser place à une vision de désescalade des tensions et de négociations
Cette nouvelle terminologie, apparue dans les documents stratégiques américains au tournant des années 2010, reflète une volonté de reconfigurer les zones d’influence et de contenir Pékin. À l'origine, le concept d’« Asie-Pacifique » renvoie à un espace centré sur la coopération économique, notamment au travers de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) et inclut à la fois la Chine, les États-Unis, le Japon, l’Australie, etc. Il s’agissait d’un espace économique fluide, dominé par des logiques de mondialisation. La doctrine « free and open Indo-Pacific » met, quant à elle, l’accent sur la liberté de navigation, la connectivité sécuritaire et les valeurs démocratiques, autant de notions qui visent à exclure implicitement la Chine.
La Chine dénonce alors une tentative d’encerclement stratégique, un retour à la logique des alliances militaires de la Guerre froide, et une manière de l’exclure des processus décisionnels régionaux. En réponse, elle renforce ses propres dispositifs (BRI maritime, bases dans l’océan Indien, coopération avec la Russie, etc.). Pour M. Jing Zhu, cette stratégie est fondée sur une zone géographique artificielle visant à exclure la Chine.
Dans un geste révélateur d’un alignement croissant sur la ligne des stratèges américains, Emmanuel Macron adopte le terme « Indo-Pacifique » à partir de 2017, officialisé lors de son discours à Sydney en 2018. En réinjectant un imaginaire de dissuasion et de containment, Macron s’éloigne de la tradition gaullienne de non-alignement au profit d’un cadre forgé par le Pentagone et ses alliés du QUAD (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité).
L’Union européenne, initialement distante de cette logique binaire, a néanmoins repris le terme en 2021. Derrière les discours sur l’autonomie stratégique européenne, cette adoption marque une inflexion atlantiste qui épouse la lecture géopolitique du monde promue par Washington : celle d’un affrontement structurant entre « démocraties » et « régimes autoritaires », avec la Chine en ligne de mire.
Or, la région Indo-Pacifique abrite plus de la moitié de la population mondiale et génère près de 30 % du PIB global. Épicentre du commerce maritime mondial, elle concentre des flux stratégiques essentiels et constitue, à ce titre, un enjeu géopolitique de premier plan. Dans cet espace d’interdépendances croissantes, vouloir bâtir une stratégie sans, ou pire, contre la Chine reviendrait à ignorer l’un des piliers structurels de l’Indo-Pacifique.
Présente à la fois comme puissance littorale, investisseur régional et acteur diplomatique actif, la Chine entretient des relations denses et durables avec l’ensemble des pays riverains : accords commerciaux, financements d’infrastructures via les Nouvelles Routes de la Soie, coopérations en matière de santé, de climat, d’éducation ou de défense civile. Elle est, pour nombre de partenaires de l’ASEAN, d’Afrique orientale, du Pacifique ou de l’Asie du Sud, le premier ou le deuxième partenaire économique.
Premier émetteur d’investissements en Asie du Sud-Est, la Chine joue également un rôle moteur dans les négociations climatiques et dans les projets de connectivité numérique et énergétique de la région. La marginaliser ne serait pas seulement irréaliste : cela affaiblirait toute ambition crédible, inclusive et réellement tournée vers la coopération.
C’est pourquoi votre rapporteure estime qu’à revers des logiques sécuritaires et d’endiguement, c’est une approche résolument coopérative qui doit guider l’action de l’Union européenne dans la région. La France, qui y compte 1,6 million de ressortissants et 6 500 militaires, est en mesure d’y jouer un rôle moteur pour promouvoir une stabilité durable et renforcer la coopération sur les enjeux globaux. La mise en place en septembre 2021 de l'alliance AUKUS entre les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, avec ses conséquences brutales sur les relations franco-australiennes, plaide aussi pour la fin du suivisme transatlantique et pour un réengagement ferme dans le multilatéralisme.
Recommandation : Remplacer la stratégie de l’Union dans la région indo-pacifique, adoptée par le Conseil en avril 2021, par une approche coopérative incluant la Chine et reposant sur l’objectif de stabilité durable, le dialogue des peuples et des États sur les enjeux globaux.
3. La défense du multilatéralisme et l’ordre international sont des axes communs des politiques étrangères européennes et chinoises
L’accusation selon laquelle la Chine cherche à abolir l’ordre international est diffusée par des médias influents comme le Wall Street Journal qui titrait en 2011 : « China’s Threat to the World order » (La Chine, une menace pour l’ordre mondial) ou, moins agressif et peut-être plus adéquat, Foreign Affairs titrait en 2024 : « China’s Alternative Order » (l’ordre alternatif de la Chine). Le Monde, journal de référence de la classe dominante parisienne, relaie régulièrement ces idées accusant la Chine de vouloir « remodeler l’ordre mondial à son image ».
Pourtant, cette thèse se heurte à plusieurs éléments qui la contredisent.
Au premier chef, les dénégations des plus hautes autorités pékinoises dont l’ambassadeur M. Zhu Liying, du ministère des Affaires étrangères chinois, qui lors du déplacement en Chine de votre rapporteure a déclaré : « La Chine ne va pas casser le système international, car elle fait partie du système ».
En effet, la Chine détient un siège permanent au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, et elle est membre de : la Cour internationale de Justice (dont elle refuse la juridiction obligatoire à l’image des États-Unis), l’Organisation mondiale de la Santé (alors que les US en sont sortis pour la 2e fois), l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, l’UNESCO, l’UNICEF…
Au niveau des institutions de régulation économique et commerciale, elle est membre du FMI (dont elle détient 6 % des droits de vote) et de la Banque mondiale (5 % des droits de vote). Et tandis que Donald Trump ignore les règles de l’OMC, le vice-Premier ministre chinois He Lifeng affirmait le 11 mai dernier à Genève que : « La Chine continuera de soutenir l'Organisation mondiale du commerce pour qu'elle fonctionne comme un stabilisateur du commerce mondial et qu'elle contribue davantage à relever les défis mondiaux".
L’engagement de la Chine dans tous ces espaces de négociations et d’actions internationales se caractérise par sa permanence quand « l’allié » américain, dès 1919, se retirait de la Société des nations, ou encore quand, à travers la voix de Colin Powell, il mentait éhontément à l’Assemblée générale de l’ONU pour justifier sa guerre contre l’Irak (2003). Le mouvement états-unien tend d’ailleurs à favoriser d’autres « coalitions ad hoc » comme l’OTAN, l’ANKUS, Quad, Five Eyes ou le G7 où les dirigeants américains sont les leaders incontestés et incontestables.
Ceci étant dit, il convient de comprendre les motivations de la Chine qui redouble d’efforts pour soutenir un ordre international qu’elle souhaite voir évoluer et tendre vers un rééquilibrage. Sans rejeter le cadre multilatéral issu de 1945, Pékin juge l’architecture politique et économique déséquilibrée en faveur des puissances occidentales.
Elle revendique une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, avec une représentation accrue de l’Afrique et des grandes économies émergentes, ainsi qu’une refonte des droits de vote au sein du FMI et de la Banque mondiale. Cette volonté de transformation s’appuie sur des concepts doctrinaux tels que la « communauté de destin pour l’humanité », la « diplomatie du Sud global » ou l’« Initiative pour la sécurité mondiale », formulés notamment par Xi Jinping depuis 2017.
Dans cette logique, elle déploie une double stratégie : d’une part, elle renforce sa participation aux grandes institutions internationales (elle est aujourd’hui le deuxième contributeur au budget ordinaire de l’ONU) ; d’autre part, elle soutient des formats parallèles, comme les BRICS élargis, la BAII ou l’Organisation de coopération de Shanghai, qui offrent un cadre alternatif aux coalitions occidentales.
Loin d’être isolée, la Chine reçoit un soutien croissant de la part de nombreux pays du Sud global. Beaucoup de ces États partagent l’idée que le système actuel, dominé par les États-Unis et leurs alliés, ne reflète pas les nouveaux équilibres du XXIe siècle. Ils dénoncent une gouvernance internationale injuste, occidentale, où les grandes décisions sont prises sans leur participation réelle.
L’adhésion de nouveaux pays aux BRICS en 2024, comme l’Arabie saoudite, l’Éthiopie ou l’Égypte, montre d’ailleurs que de plus en plus d’États recherchent des alternatives aux institutions contrôlées par l’Occident. Ces pays soutiennent les propositions chinoises de réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, de modification des règles du FMI ou de création de banques de développement indépendantes, comme la BAII ou la Nouvelle Banque de développement.
En Europe, la réaction face à l’ambition chinoise est marquée par des divergences internes. L’Union européenne affirme soutenir un multilatéralisme fort et inclusif, mais sa capacité d’action diplomatique reste limitée. En réalité, l’UE ne dispose pas d’un siège propre dans les grandes instances décisionnelles comme le Conseil de sécurité de l’ONU ou le FMI, où ce sont les États membres qui parlent et votent individuellement. Elle intervient souvent en tant qu’observateur ou partenaire associé, sans pouvoir décisionnel formel. Cette absence de représentation unifiée affaiblit son poids sur la scène internationale. De plus, les États membres ne partagent pas toujours une même vision stratégique, ce qui rend difficile l’adoption de positions communes sur des sujets comme la réforme des institutions internationales ou les relations avec les BRICS.
La France fait partie des pays qui montrent plus d’ouverture. Emmanuel Macron reconnaît que les puissances émergentes, dont les BRICS, doivent être associées aux grandes décisions mondiales. La France défend ainsi un équilibre : elle ne soutient pas toutes les initiatives chinoises, mais elle partage le constat d’un déséquilibre structurel dans la gouvernance mondiale, qu’il faut corriger.
Votre rapporteure est convaincue que la France doit jouer un rôle distinct dans la défense du multilatéralisme et promouvoir un ordre international fondé sur l’inclusion et la coopération entre les nations. Cela suppose de réviser les instruments existants, mais aussi d’en inventer de nouveaux, en partenariat avec les puissances émergentes. Ce rééquilibrage doit notamment s’incarner dans le domaine financier, où les inégalités sont particulièrement criantes. Il est donc essentiel d’ouvrir une réflexion sur la réforme des institutions économiques internationales, la gouvernance monétaire mondiale et le rôle que la France et l’Europe peuvent y jouer aux côtés des acteurs du Sud global.
Recommandation : Assurer la promotion d’un ordre international fondé sur l’inclusion et la coopération entre les nations et ouvrir une réflexion sur la réforme des institutions économiques internationale et la gouvernance monétaire mondiale.
4. Renforcer et sécuriser le système financier mondial, développer la coopération entre la Chine, le Sud Global et les pays européens
C’est dans cette perspective que l’Union européenne et la Chine doivent envisager de développer leur coopération pour mener à un système financier mondial plus équilibré et plus inclusif.
Les institutions issues du système de Bretton Woods de 1944, comme le FMI et la Banque mondiale, conservent l’esprit de domination des grandes puissances fondatrices dans un monde où les colonies n’avaient pas le droit au chapitre.
Bien que leurs missions aient évolué au fil des crises, ces structures peinent aujourd’hui à répondre aux attentes des pays en développement, qu’il s’agisse du financement de leur transition, de la gestion de leur dette ou de leur juste représentation dans les processus décisionnels.
Ainsi, l’Argentine, dès 2001, a rompu avec les prescriptions du FMI, accusé d’avoir aggravé sa crise économique. En Afrique, la Zambie a dénoncé la lenteur et le manque de coordination entre créanciers dans le cadre promu par le FMI et le G20. Le Ghana, confronté à des mesures d’austérité imposées (hausse de TVA, coupes budgétaires), a exprimé son désaccord et appelé à une réforme du système. L’Équateur, sous Rafael Correa, a quant à lui déclaré une partie de sa dette illégitime et expulsé la représentante de la Banque mondiale en 2007. Ces exemples traduisent une tendance profonde : un rejet croissant des logiques asymétriques incarnées par les institutions de Bretton Woods, et une exigence de justice, de transparence et de souveraineté dans le traitement de la dette.
L’idée de repenser en profondeur les cadres financiers mondiaux existants gagne en légitimité. Elle s’impose avec d’autant plus de force que la question de la dette souveraine redevient centrale, touchant un nombre croissant de pays aux profils économiques variés. La multiplication des situations de surendettement, combinée aux limites des mécanismes actuels, alimente une demande internationale pour une autre gouvernance. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie en 2001, écrira en 2016 : « le système actuel de restructuration des dettes souveraines est injuste, inefficace et instable. Il favorise les créanciers et laisse les pays débiteurs sans voix réelle dans des décisions cruciales pour leur avenir ».
Non seulement critiquées, ces institutions sont également concurrencées par l’émergence d’offres alternatives, en particulier celles portées par la Chine, qui depuis 2010 a renforcé sa position de grand prêteur mondial. En 2023, elle est même devenue le principal créancier bilatéral, devant le FMI et les grandes puissances économiques occidentales (États-Unis, Allemagne, France, Japon, Royaume-Uni), avec un poids considérable dans la gestion des dettes souveraines.
Selon un rapport d’AidData (College of William & Mary, mars 2023), les prêts chinois prennent de plus en plus la forme de prêts de sauvetage, destinés à permettre aux pays concernés de rembourser leurs engagements liés aux Nouvelles Routes de la soie. Ces prêts sont assortis de taux d’intérêt supérieurs à 5 %, contre 3,2 % en moyenne pour les prêts du FMI et 1,1 % pour les swaps de devises de la Réserve fédérale américaine. En 2025, les 75 pays les plus pauvres doivent rembourser 22 milliards de dollars à la Chine, soit plus de la moitié de leur dette extérieure cumulée.
Dans ce contexte, le traitement des dettes est devenu un enjeu de stabilité primordial.
À l’échelle internationale, il est encadré par le Club de Paris, groupe informel dont tous les membres sont des pays développés, membres de l’OCDE. Co-présidé par M. W. Roos, auditionné par votre rapporteur, il réunit des 22 pays créanciers et s’inscrit dans le système de Bretton Woods.
Bien que la Chine n’en soit pas membre, M. Roos a souligné sa coopération effective dans plusieurs dossiers. Un cadre informel, lancé par le G7 et le Club de Paris, a permis d’associer Pékin à des négociations complexes. Ce dispositif a permis de réduire de 40 % la dette de la Zambie, dont la Chine était le principal créancier, et de parvenir à des accords similaires avec le Ghana et l’Éthiopie. Ces exemples contredisent l’idée selon laquelle Pékin refuserait toute coordination multilatérale. Pour l’heure, il se limite à la dette des pays les plus pauvres, mais pourrait être étendu aux pays à revenu intermédiaire, comme le Sri Lanka.
Pour autant, une réforme des institutions financières internationales s’impose, si l’on veut répondre aux attentes. Lors du sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial en juin 2023, un appel a été lancé en ce sens. Comme l’a souligné François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France : « Nous devons évoluer vers une équité incontestable dans la gouvernance des institutions financières internationales. [...] À un moment donné, une révision de la répartition des quotes-parts du FMI sera inévitable. Mais les pays émergents qui en bénéficieront – dont la Chine – devront accepter des règles du jeu, communes. Cela inclut leur juste part dans la restructuration de la dette et dans le financement des biens publics mondiaux, à commencer par le changement climatique ».
Ainsi, la création d’un mécanisme multilatéral de traitement de la dette élargi, a été portée et soutenu à l’ONU en 2015, plébiscitée par une large majorité des États membres des Nations mais bloqué par les pays du G7 (la France s’est abstenue).
Cette résolution onusienne pourrait déboucher sur une nouvelle résolution pour mandater un groupe de travail intergouvernemental (même processus que pour les Accords de Paris) et in fine sur un traité international. La Chine, bien qu’opposée à l’intégration formelle dans les mécanismes dominés par l’Occident, comme le Club de Paris, a montré qu’elle pouvait coopérer dans des cadres ad hoc, dès lors que les règles du jeu ne sont pas unilatérales.
Ce pragmatisme ouvre une possibilité : celle de construire un instrument véritablement multilatéral, où créanciers et débiteurs, pays du Nord comme du Sud, seraient représentés à égalité. Ce mécanisme ne pourrait cependant être crédible que s’il échappe aux logiques de domination géopolitique et de hiérarchisation entre créanciers.
Recommandation : Travailler à la transformation de la gouvernance mondiale financière en encourageant la création d’un mécanisme multilatéral de restructuration des dettes souveraines, au sein duquel créanciers et débiteurs, pays du Nord comme du Sud, seraient également représentés.
Répondre à cette impasse par un véritable outil de gouvernance partagée serait un pas décisif vers une nouvelle architecture financière internationale. L’Union européenne et la France doivent s’engager en ce sens.
Dédollarisation de l’économie mondiale :
l’insoumission monétaire de la Chine et de l’Europe
Mai 2025. Le Brésil et la Chine annoncent qu’à partir de juillet, la totalité de leurs échanges bilatéraux, soit plus de 150 milliards de dollars par an, se fera exclusivement en réal et en yuan. Ce basculement symbolique, sans précédent par son ampleur, marque une étape décisive dans le processus de dédollarisation de l’économie mondiale. Il n’est plus question d’intentions théoriques ou de gestes marginaux : des puissances économiques structurantes entérinent un choix politique clair, celui de l’émancipation monétaire face à l’unilatéralisme américain.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le dollar américain a régné sans partage sur les échanges internationaux et les réserves de change. Cette suprématie est devenue une arme géopolitique, utilisée pour contraindre, sanctionner, exclure. L’hégémonie du dollar ne garantit plus la stabilité : elle l’entrave. Elle ne protège plus la souveraineté : elle l’érige en privilège réservé à une seule puissance.
Or cette domination s’érode. Selon les données du FMI, la part du dollar dans les réserves de change mondiales est tombée à 57,8 % au quatrième trimestre 2024, contre plus de 70 % au début des années 2000. Cette baisse n’est pas spectaculaire, mais elle est continue et significative. Elle traduit une crise de légitimité du dollar face à la multiplication des usages coercitifs du système financier américain, en particulier depuis l’exclusion de la Russie du réseau SWIFT et la mise sous pression de plusieurs États du Sud global.
Lors de son audition, M. Zhang Guangping, directeur général adjoint du Bureau d’Europe de l’Ouest du Département international du Parti communiste chinois, a dénoncé sans détour ce système : un monde dans lequel les États-Unis peuvent débrancher un pays entier du circuit financier mondial est un monde fondamentalement dangereux. Il a plaidé pour une gouvernance financière multilatérale, dans laquelle plus aucune monnaie nationale ne ferait office de référence universelle. En écho, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a reconnu que le dollar ne pouvait être indéfiniment le pilier unique du système, même si une alternative unique semble encore lointaine. Et Jean-Luc Mélenchon, à son tour auditionné, a insisté sur la nécessité de construire à terme une monnaie mondiale commune, au service des peuples et non des empires.
La Chine mène depuis plus d’une décennie une politique offensive d’internationalisation du yuan, marquée par son inclusion dans le panier des DTS du FMI (2016), la création du système de compensation CIPS pour contourner SWIFT, et plus de 40 accords de swap bilatéraux avec des banques centrales. Fin 2023, le yuan représentait 2,29 % des réserves de change, et a atteint 4,6 % des paiements mondiaux via SWIFT, son record historique. Ces chiffres restent modestes, freinés notamment par les contrôles de capitaux et le manque de convertibilité, mais la trajectoire est claire : Pékin ne revendique pas une nouvelle hégémonie, mais la fin de l’hégémonie monétaire en soi.
De son côté, l’Union européenne, malgré des atouts indéniables (20 % des réserves mondiales en euros, une zone d’émission stable, une influence commerciale majeure), reste entravée par l’inachèvement de son union bancaire et budgétaire, ainsi que par l’ambiguïté de sa politique extérieure. Dans son discours du 26 mai 2025 à Berlin, Christine Lagarde, Présidente de la Banque centrale européenne, exprime clairement l’ambition d’une dédollarisation de l’économie : « il existe une incertitude concernant la pierre angulaire du système : le rôle dominant du dollar » qui implique de facto une désaméricanisation progressive de l’architecture financière européenne. Environ 60 pays et territoires ont déjà indexé leur monnaie sur l’euro, mais l’Europe peine encore à se penser comme acteur monétaire souverain et global.
La dédollarisation en cours n’est pas un simple basculement d’une devise vers une autre : c’est une bifurcation historique, une tentative de rééquilibrage systémique au nom de la stabilité et de la souveraineté. Elle se traduit par une diversification des réserves (notamment en or), par la signature d’accords de règlement en monnaies locales (Chine – Brésil, Chine – Russie, Inde – Émirats), et par la montée en puissance de plateformes alternatives. L’euro et le yuan ne se substitueront pas au dollar à court terme, mais ils participent à un mouvement de fond : la fin de l’impunité monétaire et le retour du politique dans la gouvernance financière mondiale.
La Chine comme l’Europe doivent comprendre que leur destin monétaire ne peut être dissocié d’un agenda multilatéral partagé. Il ne s’agit pas d’opposer une hégémonie à une autre, mais de construire un ordre monétaire fondé sur l’équité, la prévisibilité, la souveraineté partagée et la résilience collective. Le XXIe siècle ne peut s’accommoder d’un système hérité d’un autre siècle, d’un autre monde. L’insoumission monétaire n’est pas une posture : c’est une condition de stabilité pour l’avenir.
Recommandation : Engager un processus multilatéral en vue de créer, à terme, une monnaie mondiale commune, qui ne serait pas un instrument au service de quelques États mais un outil de financement des économies soutenable au service des peuples.
5. S’unir pour une politique d’aide au développement mondiale en substitution de l’USAID
Avec le démantèlement de USAID (United States Agency for International Development), Donald Trump envoie un signal fort : homme de deals et de rapports de domination, il renonce au socle du soft power américain créé en 1949. Outil bilatéral de politique étrangère, l’USAID était dotée de 30 à 60 milliards de dollars, environ 0,7 % du budget fédéral. Cette décision brutale est susceptible d’affecter des dizaines de millions de personnes, privées de soins de bas, d’éducation primaire, de traitements contre le VIH, le paludisme…
Dans le même temps, l’Union européenne a annoncé une réduction de 2 milliards d’euros pour la période 2025-2027 de son Instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale, à laquelle s’ajoute une réduction de 35 % du budget alloué à l’aide au développement dans le cadre des discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034. Pour la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, il est clair que l’UE ne se substituera pas à l’USAID même si elle propose de « renforcer la visibilité » de l’aide européenne afin que les bénéficiaires sachent que le soutien provient de l’Europe.
La Chine, quant à elle, a saisi l'opportunité du retrait américain pour intensifier sa présence dans certains pays. Par exemple, au Cambodge, elle a lancé de nouveaux programmes de financement dans des domaines tels que la santé infantile, la nutrition, l'assainissement et le déminage. De même, au Népal, des responsables chinois ont proposé un soutien financier pour combler le vide laissé par l'USAID.
Cependant, la Chine ne cherche pas à reproduire le modèle d'aide humanitaire des États-Unis. Son approche privilégie les investissements dans les infrastructures, l'énergie et les projets économiques à long terme, souvent sous forme de prêts plutôt que de subventions. Et surtout, la Chine ne dispose pas du réseau mondial d'ONG et de partenaires locaux que l'USAID a développé au fil des décennies, ce qui limite sa capacité à fournir une aide humanitaire à grande échelle.
Dans ce contexte, des voix s’élèvent et appellent à créer une Agence mondiale du développement sous égide de l’ONU dont les buts seraient de mutualiser les moyens des États, assurer une gouvernance internationale et distinguer aide humanitaire, développement et investissements. Cette agence de coopération permettrait aussi de dissocier les stratégies d’influence bilatérales des logiques de solidarité.
Recommandation : Promouvoir la création d’une Agence mondiale de développement sous l’égide de l’ONU.
Votre rapporteure considère que l’Union européenne, dont la réalité diplomatique est encore ténue et dépourvue de légitimité solide, gagnerait à concentrer ses efforts pour porter une telle initiative plutôt que celle visant à soutenir une « économie de guerre ».
Pour une gouvernance publique multilatérale du numérique
La bataille mondiale pour la maîtrise des infrastructures numériques s’intensifie. Abu Dhabi, via MGX et le fonds souverain ADQ, investit plus de 100 milliards de dollars (dont 8 milliards en France) dans des centres de données géants capables d’accueillir 500 000 puces Nvidia. En parallèle, Microsoft et BlackRock ont annoncé un fonds d’infrastructure numérique de 30 à 100 milliards de dollars, destiné à développer des réseaux énergétiques, des centres de données et des plateformes d’intelligence artificielle sur le sol américain. L’Inde, aujourd’hui sous-dotée (3 % des capacités mondiales de data centers pour 20 % des données générées), prévoit de doubler ses capacités d’ici 2027 pour atteindre 2 GW. La Chine, quant à elle, soutient massivement ses acteurs stratégiques (Baidu, DeepSeek, Huawei Cloud) tout en contrôlant étroitement l’implantation des modèles IA et des serveurs critiques.
Ce redéploiement des puissances autour de l’infrastructure numérique a des conséquences directes. Les pays qui ne maîtrisent pas ces chaînes deviennent des colonies numériques : leurs populations (individus, collectivités et entreprises) produisent de l’information en continu : géolocalisation, préférences, habitudes, visages, opinions, informations sensibles… Ces données, collectées à grande échelle par des plateformes souvent hébergées ailleurs, alimentent des modèles commerciaux et sécuritaires opaques, sans véritable cadre de responsabilité ni de consentement. La majorité des utilisateurs mondiaux ont ainsi perdu le contrôle de leur vie privée sans l’avoir consciemment cédé. L’exploitation massive des données personnelles, qui est la base de l’économie dite de l’attention, a vidé de leur sens les notions de confidentialité et de protection numérique.
96 % des pays européens disposent de lois de protection des données qui ne s’appliquent que partiellement puisque les États-Unis imposent leur loi extraterritoriale sur toutes les entreprises américaines. Ainsi, les data centers de compagnies comme Google, Microsoft ou autre, même situés en Europe, n’assurent en rien la protection des données des utilisateurs européens.
L’expression de colonialisme numérique n’est pas une image : elle désigne une forme contemporaine de dépossession technologique, où l’infrastructure, le traitement et les bénéfices sont délocalisés au profit des pays déjà dominants.
Dans ce contexte, le Sommet international pour l’action sur l’intelligence artificielle, tenu à Paris en février 2025, a suscité autant d’espoirs que de critiques. Signé par 61 pays, dont la France, la Chine, l’Inde ou le Brésil, il pose des principes généraux d’une IA « ouverte, inclusive et éthique ». Toutefois, le texte final est resté déclaratif. Aucun mécanisme contraignant n’a été adopté pour encadrer la circulation des données, les usages militaires, la sécurité des modèles ou la transparence algorithmique. De nombreux observateurs ont déploré la domination du sommet par les grandes entreprises du numérique, la faible implication de la société civile, et l’absence des États-Unis et du Royaume-Uni parmi les signataires.
Le Sommet de Paris aura donc eu une fonction utile : montrer que le débat sur la gouvernance numérique ne peut plus être contourné. Mais il n’a pas permis de sortir d’un cadre d’auto-régulation partagée entre États dominants et grandes firmes. Ce modèle est anti-démocratique.
L’Intelligence artificielle doit être considérée comme un bien commun de l’Humanité et protégée par un traité multilatéral contraignant sur la collecte des données, leur traitement, leur souveraineté territoriale et leur finalité.
Des mécanismes de justice et de réparation pour les populations et pour les pays aujourd’hui marginalisés, en particulier ceux du Sud global, sont nécessaires pour mettre fin aux logiques de domination des firmes américaines notamment. Le numérique ne peut plus être régulé comme un marché. Il doit être gouverné comme un bien commun.
Recommandation : Promouvoir un traité multilatéral contraignant sur les données numériques.
Recommandation : Soutenir, avec la Chine, la création d’une agence onusienne de supervision du numérique indépendante des firmes, avec un mandat clair pour auditer, contrôler et réguler les infrastructures stratégiques.
C. La Chine, un partenaire incontournable pour les défis écologiques de l’humanité
1. La coopération écologique comme moteur de la relation future : la Chine plus que jamais engagée dans les Accords de Paris
Alors que l’Accord de Paris, adopté en 2015 lors de la COP 21, célèbre son dixième anniversaire, la scène internationale est marquée par des dynamiques contrastées. Le sommet UE-Chine prévu en juillet 2025 constitue une opportunité stratégique majeure pour renforcer une coopération climatique à la hauteur des défis.
Signé par 196 Parties, l’Accord de Paris vise à contenir le réchauffement climatique « bien en dessous de 2°C », tout en poursuivant l’objectif de limitation à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Pourtant, selon les dernières alertes du GIEC, le monde se dirige vers un réchauffement supérieur à 3°C d’ici 2100 si aucune accélération drastique des efforts n’est opérée.
Dans cette équation, la Chine représente à la fois un quart des émissions mondiales et l’un des pivots fondamentaux de toute solution climatique globale. Contrairement aux États-Unis, qui ont annoncé leur retrait de l’accord (pour la 2e fois), la Chine demeure constante dans son engagement, et a même pris des mesures qui dépassent ses obligations formelles.
En 2024, pour la première fois de son histoire, la Chine a produit plus d’électricité à partir de sources bas carbone (énergies renouvelables, nucléaire et hydroélectricité) que de charbon, selon les données de Carbon Brief. En mai 2024, la part du charbon dans le mix électrique est tombée à 53 %, contre 67 % en 2015, tandis que les sources non fossiles atteignent 47 %. Ce tournant est d’autant plus remarquable qu’il intervient dans le premier pays industriel mondial, historiquement ultra-dépendant du charbon.
De son côté, l’Union européenne, dans son ensemble, a produit environ 45 % de son électricité à partir de sources renouvelables en 2023 grâce notamment à des pays comme la France qui produit environ 91 % de son électricité à partir de sources bas carbone, principalement du nucléaire (63 %), la Suède et la Norvège (98 %). L’Allemagne, malgré une forte expansion des renouvelables, demeure dépendante du gaz et du charbon, avec seulement 52 % de sa production électrique issue de sources renouvelables en 2023. Surtout, le pays maintient un important parc de centrales à charbon, dont plusieurs ont été remises en service, après la sortie complète du nucléaire.
Ainsi, la singularité chinoise ne réside pas uniquement dans ses objectifs, mais dans la vitesse, l’échelle et la cohérence de sa trajectoire énergétique, avec plus de 300 GW de capacités renouvelables installées en 2024 — un volume supérieur à celui de l’ensemble du reste du monde.
S’appuyant sur sa capacité de planification écologique, la Chine avait annoncé un pic de ses émissions d’ici 2030 et une neutralité carbone en 2060. Ses plans quinquennaux intègrent les objectifs climatiques dans une vision de long terme : stimulation de la souveraineté technologique (notamment dans les batteries, le photovoltaïque, l’hydrogène), réindustrialisation verte, décarbonation progressive des grandes villes, et transition vers une mobilité électrique de masse.
Elle est déjà en avance sur le premier objectif puisque les émissions chinoises de CO2 ont baissé de 1,6 % au premier trimestre 2025 par rapport à la même période en 2024, ce qui laisse à penser que la Chine aurait atteint son pic d’émissions.
Ces transformations ne sont pas seulement écologiques : elles visent à atteindre l’indépendance énergétique en s’assurant d’un positionnement industriel sur les marchés du futur. Ainsi, la RPC est le premier producteur mondial de panneaux solaires (70 % de la production mondiale), le leader dans l’éolien terrestre et offshore, et le premier marché mondial pour les véhicules électriques.
La crise écologique, nourrie par la déforestation, la pollution, la surconsommation de ressources et l’effondrement de la biodiversité, prend une dimension systémique globale.
Dans ce contexte, les renoncements de l’UE pourraient être tragiques. Alors que les signataires de l’Accord de Paris doivent présenter leurs nouvelles contributions déterminées au niveau national (CDN), d’ici septembre 2025, seuls 10 pays l’ont fait. Le climat politique incertain, notamment aux États-Unis, ralentit l’élan collectif. Comme le souligne Nick Mabey, fondateur de l’E3G (Third generation environmentalism), « le retour de Trump a créé un tel choc que les dirigeants n’accordent pas beaucoup d’attention à cette question ». ([48])
Les prochaines rencontres diplomatiques doivent être l’occasion d’envoyer un message clair : l’Union européenne et la Chine doivent faire avancer concrètement l’agenda écologique mondial.
La coopération UE – Chine a déjà fait ses preuves. En 2022, l’accord mondial de Kunming-Montréal sur la biodiversité n’aurait pas vu le jour sans l’engagement actif de la Chine. Et lors du 24e sommet UE – Chine en décembre 2023, les deux parties ont réaffirmé leur volonté de coopérer sur le climat, la biodiversité, l’énergie, l’alimentation. Le dialogue environnemental de haut niveau, désormais annuel, doit devenir un véritable outil de pilotage commun. La conférence des Nations unies sur l’Océan, organisée à Nice en juin 2025, représente une nouvelle occasion d’avancer ensemble sur des sujets urgents : protection des écosystèmes marins, lutte contre la pollution plastique, encadrement de l’exploitation de la haute mer.
Mais pour être à la hauteur, cette coopération doit aussi répondre aux attentes des pays du Sud. Le renforcement des capacités, les financements de la transition écologique et le transfert de technologies doivent devenir des priorités. Le fossé Nord – Sud sur le climat continue de se creuser. Face à cela, l’UE et la Chine partagent une responsabilité commune : proposer des solutions concrètes, justes et durables.
Ainsi, votre rapporteure estime qu’il faut refonder le Mécanisme d’ajustement Carbone aux frontières (Règlement 2023/956) car le système actuel est trompeur. Il permet aux pays riches et aux grandes entreprises de continuer à polluer en achetant des droits à bas prix dans les pays du Sud, souvent au détriment des populations locales. Ce modèle, hérité d’une logique de marché, transfère les responsabilités historiques du Nord et freine les trajectoires de développement autonome au Sud. De plus, les revenus générés par ce mécanisme ne sont pas redistribués aux pays affectés, mais servent à financer la transition écologique interne de l’UE. Aucun fonds commun, aucun transfert de technologie, aucun soutien structurel n’est prévu. Le MACF pénalise les exportateurs du Sud sans leur offrir de véritable alternative. Il s’inscrit ainsi dans une logique néolibérale qui marchandise le climat sans remettre en cause les structures mondiales d’exploitation, ni les accords de libre-échange destructeurs. Au lieu d’un ajustement, c’est une reproduction des rapports de domination économique, maquillés en écologie.
Recommandation : Refonder le Mécanisme d’ajustement Carbone aux frontières (Règlement 2023/956) afin de le compléter par un dispositif de financement et de transferts de technologies au bénéfice des pays du Sud, les moins polluants, et d’éviter qu’ils pénalisent leurs exportateurs.
La Chine comme l’Union européenne doivent soutenir la création d’un Fonds mondial d’indemnisation climatique financé par une taxe sur les transactions financières ou les profits des industries fossiles. Ce fonds doit servir à soutenir l’agroécologie, la reforestation pilotée localement et les transitions énergétiques adaptées. Les deux puissances doivent aussi œuvrer pour une transparence totale avec la création d’un registre public international recensant les projets de compensation visant à développer les puits de carbone à hauteur de ce qui a été émis : montants versés, acteurs impliqués, impacts sociaux et écologiques, et mécanismes de suivi sur le long terme.
Recommandation : Soutenir en lien avec la Chine la création d’un Fonds mondial d’indemnisation climatique financé par une taxe sur les transactions financières ou les profits des industries fossiles.
Recommandation : Encourager avec l’appui de la Chine la création d’un registre public international permettant de recenser l’ensemble des projets visant à développer des puits de carbone et ainsi à compenser les émissions de CO2 (montants versés, acteurs impliqués, impacts sociaux et écologiques, et instruments de suivi sur le long terme).
2. Pour une coopération UE-Chine fondées sur des règles communes et équitables : transparence, réciprocité, accords sur des normes sociales et environnementales
Au regard des défis globaux liés aux droits humains, à l’environnement et aux conditions de travail, il apparaît essentiel de revaloriser le cadre normatif international existant comme socle de coopération entre l’Union européenne et la Chine. Au lieu d’être une source de confrontation ou de méfiance, les normes sociales et environnementales doivent être envisagées comme un levier structurant de progrès mutuel et de stabilité commerciale.
Les deux parties sont signataires d’un ensemble substantiel de conventions multilatérales. En matière de droits humains, la Chine et les États membres de l’Union européenne ont ratifié plusieurs instruments fondamentaux, notamment : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), la Convention internationale des droits de l’enfant (1989) ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006).
À cela s’ajoute la ratification, par la Chine en 2022, de deux conventions essentielles de l’Organisation internationale du travail : la Convention n° 29 (1930) sur le travail forcé, et la Convention n°105 (1957) sur son abolition.
Cette évolution ouvre la voie à un dialogue plus structuré sur les conditions sociales et industrielles, notamment dans le cadre des chaînes d’approvisionnement globales.
Sur le plan environnemental, les engagements communs sont tout aussi notables. L’Union européenne et la Chine sont parties à plusieurs traités majeurs, parmi lesquels le Protocole de Montréal (1987) sur la protection de la couche d’ozone, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (1992), le Protocole de Kyoto (1997), ainsi que l’Accord de Paris (2015), dont ils constituent deux des piliers essentiels.
En tenant compte de ces engagements internationaux, il serait pertinent de proposer la mise en place d’un cadre permanent de dialogue normatif euro-chinois, visant à promouvoir une convergence progressive des référentiels techniques, sociaux et environnementaux. Il est nécessaire pour prévenir les effets de fragmentation réglementaire, préjudiciables tant à la compétitivité qu’à la transition écologique globale. Il serait aussi un levier pour accompagner les pays tiers dans l’élévation de leurs standards, à travers des dispositifs conjoints de coopération, de formation et de financement.
Recommandation : Proposer la mise en place d’un cadre permanent de dialogue normatif euro-chinois visant à promouvoir la convergence progressive des référentiels techniques, sociaux et environnementaux et s’inscrivant dans une logique de co-développement.
Votre rapporteure estime que ce dialogue normatif doit s’inscrire dans une logique de codéveloppement, fondée sur le respect mutuel, la transparence et l’ambition commune. L’objectif n’est pas d’imposer un modèle, mais de bâtir, à partir d’engagements partagés, des standards internationaux mieux-disants, progressifs et indispensables à une transition durable.
3. Propositions concrètes autour des océans, des grands fonds marins, de la surveillance climatique, de la protection de l’eau et de l’exploitation des minerais et terres rares
« Celui qui commande la mer commande le commerce ; celui qui commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui-même », Sir Walter Raleigh (1554-1618), History of the world.
Véritables enjeux de souveraineté et de puissance, les espaces maritimes sont à la croisée des défis commerciaux, climatiques, environnementaux, énergétiques et numériques.
L’accès aux routes maritimes et aux ressources naturelles (telles que les poissons, les minéraux, et les hydrocarbures) devient de plus en plus problématique. Les fonds marins, en particulier, sont devenus des zones d'intérêt majeur pour l’exploitation de ces ressources. En outre, la question numérique est intrinsèquement liée à celle des océans, 98 % du trafic mondial se faisant par l’intermédiaire de câbles sous-marins.
La mer de Chine méridionale, qui concentre à elle seule plus du quart du commerce maritime mondial, cristallise de fortes tensions entre plusieurs États riverains, notamment la Chine, le Vietnam, les Philippines et la Malaisie.
Cette zone fait l’objet de différends anciens portant sur la souveraineté d’îlots, récifs et zones économiques exclusives, dans un contexte marqué par une forte militarisation et une multiplication des incursions navales. En 2016, la Cour permanente d’arbitrage (CPA), saisie par les Philippines, a rendu une décision défavorable à la Chine quant à l’interprétation du droit maritime sur cette zone. Pékin, qui n’a pas participé à la procédure, a rejeté cet arbitrage en invoquant sa souveraineté historique et le tracé de la « ligne en neuf traits ».
Dans les faits, plusieurs États, dont les Philippines, le Vietnam ou la Malaisie, occupent militairement certaines îles, parfois avec le soutien implicite ou explicite d’acteurs extérieurs, en particulier les États-Unis. Cette situation alimente une confrontation juridique et stratégique où s’opposent différentes lectures du droit international, de la souveraineté et des usages coutumiers.
Au-delà de la mer de Chine méridionale, la liberté de navigation, principe central du droit maritime international, fait également l’objet de tensions croissantes dans d’autres détroits stratégiques, tels que le détroit d’Ormuz ou le détroit de Taïwan, dans un climat global de durcissement naval et de surveillance mutuelle.
Les mers et océans sont également des lieux de coopération, notamment au profit de la recherche scientifique qui permet de transcender les tensions géopolitiques. Signé en 1959, le traité de l'Antarctique représente par exemple un modèle de coopération à large échelle. « Dans l'intérêt de toute l'humanité », les 57 parties s’engagent à s'assurer, jusqu’en 2049, que l'Antarctique continuera d'être employée exclusivement à des fins pacifiques et que la liberté de la recherche scientifique et la coopération à cette fin s'y poursuivront.
Un tel type de coopération pourrait inspirer des modalités d’accords portant sur des problématiques spécifiques.
Recommandation : Œuvrer en partenariat avec la Chine à une interdiction stricte des possibilités d'exploitation minière des fonds marins et grands fonds matins, et à leur protection contre toute dégradation afin que la qualification en droit international de « patrimoine commun de l'humanité » soit pleinement effective.
Des propositions communes pourraient également être envisagées pour renforcer les mécanismes de responsabilité environnementale à l’échelle internationale. À cet égard, il serait pertinent d’examiner les pistes portées par plusieurs États du Sud global, notamment la proposition formulée par la Bolivie en faveur d’un tribunal international pour la justice climatique et environnementale.
Ce mécanisme viserait à reconnaître juridiquement les crimes écologiques majeurs, à garantir l’indemnisation des populations affectées, et à assurer une responsabilité différenciée des États et des grandes entreprises.
Recommandation : Appuyer les efforts de la Bolivie en faveur de la création d’un tribunal international pour la justice climatique et environnementale ainsi que toutes les initiatives visant à renforcer les mécanismes de responsabilité environnementale à l’échelle internationale.
Un tel modèle pourrait s’appuyer sur le système des Nations unies, en complément des enceintes existantes, et contribuer à combler le vide juridique persistant autour des atteintes graves à l’environnement mondial.
Par ailleurs, des cadres multilatéraux concrets comme l’initiative Our Ocean, lancée en 2014,- et dont la troisième conférence s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin 2025 - ont montré l’utilité de conférences thématiques pour mobiliser des engagements financiers et politiques, notamment dans la lutte contre la pollution plastique ou la protection des écosystèmes marins. Ce type d’approche, fondé sur des engagements volontaires mais transparents, pourrait être élargi ou renforcé par une composante juridique contraignante.
Recommandation : Agir avec la Chine afin que, sur le modèle de la 3ème Conférence des nations unies sur l’Océan (UNOC), la protection de l’environnement au niveau international donne lieu à des conférences multilatérales thématiques aboutissant à des engagements financiers et juridiques.
En matière de surveillance climatique et océanique, la mission franco-chinoise CFOSat (China France Oceanography Satellite), lancée en octobre 2018 et l’initiative Space Climate Observatory (SCO) lancée en 2019 (cf. infra), pourraient servir de modèle aux bases d’une future coopération euro-chinoise.
En outre, les partenaires européens et chinois auraient également tout intérêt à travailler ensemble à la concrétisation des objectifs de développement durable, notamment ceux portant sur l’eau, ce bien vital très inégalement réparti dans le monde. 35 pays sont ainsi confrontés à une situation de stress hydrique (soit des ressources inférieures à 1,700 m3/an ou une utilisation supérieure ou égale à 20 % des ressources en eau non renouvelables). La couverture de services d’eau potable varie ainsi de 94 % en Europe et en Amérique du Nord à 24 % en Afrique ([49]). Plusieurs pays sont placés de facto dans une situation de soumission à leurs voisins d'amont (ainsi le Pakistan par rapport à l'Inde ou la Jordanie par rapport à Israël). Enjeu économique (pour son usage dans l’agriculture et dans l’industrie), la raréfaction des ressources en eau disponibles devient un enjeu de la compétition internationale. Les points de cristallisation de tensions entre pays peuvent notamment concerner le contrôle des nappes phréatiques, la pollution internationale (marées noires, fleuves transfrontaliers) ou encore la construction de barrages.
Dans le cadre des 17 objectifs de développement durable, l’ONU a réaffirmé l'importance de garantir l'accès de tous à l'eau et à l'assainissement, d’assurer une gestion durable des ressources en eau (objectif 6) et de conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable (objectif 14).
L’exploitation des ressources et terres rares pourraient enfin donner lieu à une diplomatie des ressources entre l’Union européenne (qui en a besoin pour sa transition énergétique) et la Chine (principal fournisseur mondial). En ce sens, la proposition d’un forum multilatéral euro‑asiatique de "diplomatie des ressources" soutenue par la Commission européenne, fin 2023, pourrait faire partie des sujets du sommet UE-Chine dans le prolongement du Critical Raw Materials Act. Cette initiative, qui prend appui sur le modèle du MSP (2022), doit être étendue à la Chine parmi les pays producteurs majeurs.
Recommandation : Soutenir et prolonger l’initiative Critical Raw Materials Act et proposer un forum multilatéral euro-asiatique de diplomatie des ressources.
IV. LA FRANCE A INTÉRÊT À UNE RELATION RENFORCÉE ET PRIVILÉGIÉE AVEC LA CHINE
Bien avant la reconnaissance officielle de la République populaire de Chine par le général de Gaulle en 1964, qui fit de la France le premier pays européen à reconnaître la Chine communiste, les deux puissances avaient déjà tissé des liens.
Dès 1685, à l’initiative de Louis XIV, cinq jésuites français sont envoyés à la cour impériale des Qing, avec le soutien de l’Académie royale des sciences. Leur mission consistait à échanger des savoirs en astronomie, mathématiques et cartographie. Parmi eux, Jean-François Gerbillon, qui joua un rôle diplomatique majeur auprès de l’empereur Kangxi. La diplomatie du savoir, qu’on appellerait aujourd’hui, « transfert de technologies » ou « coopération scientifique », marquera alors les relations entre les deux pays. Et au siècle suivant, Voltaire, Quesnay ou Diderot se fascinèrent pour le système politique chinois qu’ils virent comme une civilisation fondée sur le mérite, la stabilité, et un gouvernement des lettrés. Ils en feront même une source d’inspiration face aux abus et dérives de l’Europe d’Ancien Régime.
Ce lien ancien donne à la relation France-Chine une profondeur que peu d’autres nations européennes peuvent revendiquer ; il a indéniablement marqué la diplomatie française qui forme ses fonctionnaires à la langue chinoise (classique) dès 1862 à l’École des langues orientales vivantes (ancêtre de l’INALCO).
En Chine, la tradition diplomatique prend racine dans la pensée de Guiguzi, philosophe et stratège du IVe siècle av. J.-C., considéré comme le fondateur de l’école des diplomates itinérants. Son traité défend une vision où l’art de convaincre l’emporte sur la force. « Celui qui connaît l’esprit des autres, agit sans parler ; il convainc sans contrainte », lui prête-t-on. Cette logique — influence indirecte, calcul du moment, usage du silence — structure encore une partie de la diplomatie chinoise contemporaine.
Aujourd’hui encore, l’amitié France-Chine se construit sur cet héritage : un respect ancien et une admiration réciproques.
A. Une relation bilatérale franco-chinoise à l’épreuve du temps
1. Du Général De Gaulle au Président Chirac : l’amitié avec la Chine en héritage
S’il y a une date mentionnée par tous les politiques ou hauts fonctionnaires chinois que votre rapporteure a pu auditionner, c’est bien 1964, date à laquelle, sur décision du général de Gaulle, la France reconnaît la République populaire de Chine (RPC) et établit avec elle des relations diplomatiques. Cette décision marque en effet un tournant dans la politique étrangère française, fondée sur la reconnaissance d’un nouvel équilibre mondial.
Le Président français estime alors que la prise de distance de la Chine à l’égard de l’Union soviétique est une opportunité stratégique. Il ne s’agit pas pour la France de cautionner le régime ou l’idéologie maoïste, mais de reconnaître une réalité géopolitique durable. Comme il l’affirme alors lors de la conférence de presse du 31 janvier 1964, « il faut prendre le monde tel qu’il est ».
Ce rapprochement s’accompagne d’un engagement diplomatique clair en faveur de la reconnaissance internationale de la Chine. Dès 1965, la France multiplie les déclarations au sein des Nations unies pour légitimer la place de Beijing au détriment de la République de Chine (Taïwan). Elle joue un rôle actif dans le processus qui aboutit, le 25 octobre 1971, à l’admission de la RPC comme seul représentant légitime de la Chine et à son accession au siège de membre permanent du Conseil de sécurité.
Sous les présidences successives de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand, la relation va se consolider par le renforcement du dialogue politique et le développement des échanges économiques.
Dès mai 1975, la visite officielle à Paris de Deng Xiaoping, alors vice-premier ministre, permet d’instaurer un système de consultations politiques régulières visant à adapter le dialogue bilatéral à l’évolution du contexte international. S’ensuit l’intensification des relations économiques et commerciales, dans une logique d’ouverture mutuelle. Dans cet esprit, la Chine affiche son soutien à la Communauté économique européenne (CEE), dont elle estime qu’elle a « tout à gagner à devenir un pôle indépendant ».
La France, quant à elle, cherche à renforcer sa présence sur un marché chinois en transformation. Sous François Mitterrand, les avancées se concrétisent avec la signature, en mai 1984, d’un accord bilatéral sur la protection et l’encouragement réciproques des investissements, à l’occasion de la visite à Paris du Premier ministre Zhao Ziyang.
Toutefois, l’affaire, en 1991, de la vente de six frégates françaises à Taïwan, conclue par Thomson-CSF et la Direction des Constructions Navales (DCN) pour un montant de 2,8 milliards de dollars, provoquera une crise diplomatique majeure avec Beijing. L’affaire prend même une tournure politico-financière : des soupçons de corruption, de commissions occultes et de rétrocommissions impliquant des intermédiaires et des circuits offshore. François Mitterrand, sur recommandation de son ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, avait donné son accord à la vente, à condition que les frégates ne soient pas équipées d'armements offensifs.
Cet épisode marque un point de rupture, révélant les fragilités d’une diplomatie économique trop peu encadrée.
En 1993, Edouard Balladur, alors premier ministre, reconnaît explicitement Taïwan comme « partie intégrante du territoire chinois » ([50]) et s’engage à ne plus procéder à de nouvelles ventes d’armes : « La France n’a pas l’intention d’intervenir dans les affaires intérieures des autres pays. La France, patrie des droits de l’homme, attache à ce point une grande importance dans ses relations avec les autres pays. Cependant, elle tient compte des traditions, de chacun et de son stade dans l’évolution du monde. »
Sous la présidence de Jacques Chirac, dont la mémoire reste honorée à Pékin, les relations franco-chinoises connaissent un net approfondissement. En 1997, il se rend en Chine accompagné de plusieurs centaines de chefs d’entreprise. Dans un discours prononcé le 15 mai sur l’importance du développement d’un partenariat économique, scientifique, et industriel entre les deux pays, il exprime le souhait “que tous les Français partagent [sa] conviction : malgré l'éloignement géographique, la Chine doit être l'un de nos tout premiers partenaires.”
En 2004, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue chinois Hu Jintao, il soutient une levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes qui, selon lui, “ne correspond plus du tout à la réalité du monde contemporain” ce qui crée des tensions avec Washington mais illustre la volonté française d’agir en autonomie. En janvier 2004, à l’occasion du 40e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, la signature d’un accord de coopération globale renforce encore les liens bilatéraux. Cette période voit une nette hausse des échanges commerciaux, des partenariats universitaires, et des initiatives culturelles. La Chine considère alors la France comme l’un de ses interlocuteurs les plus fiables en Europe.
Plus largement, à partir de l’intégration de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, la coopération économique franco-chinoise va s’accélérer et donner lieu, en juin 2003, à l’adoption d’une stratégie globale élargie à l’échelle européenne qui comprend un large volet consacré à la « sécurité étendue ».
La même année, en mars 2003, la France s’illustre à l’ONU par la voix de Dominique de Villepin, en s’opposant à la résolution autorisant une intervention militaire en Irak. La Chine avait également pris une position similaire, privant les États-Unis de la caution internationale qu’ils demandaient. Ils n’oublieront jamais ce camouflet diplomatique.
2. L'ambiguïté française, source de la crispation des relations franco-chinoises
Avec l’arrivée à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy, dont le premier déplacement à l’étranger a lieu aux États-Unis, le climat politique entre la France et la Chine commence à se dégrader progressivement. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN confirme un réalignement sur les priorités transatlantiques au détriment de sa tradition de non-alignement. Cependant, le Président français, tout en soutenant les déclarations de l’UE et de l’Otan, s’est opposé à l’ouverture d’un bureau de l’Otan à Tokyo en juin 2023. Le « en-même temps » ou « l’ambiguïté stratégique », formule qu’affectionne Emmanuel Macron, – bien qu’elle trouve son origine dans la doctrine américaine au sujet de Chine-Taïwan –, est supposée permettre à la France de s’adapter dans un monde en mutation.
Prétendument « pragmatique » ou « moins naïve », la position française depuis 20 ans vis-à-vis de la Chine n’aura pas toujours permis d’en tirer le meilleur profit. Ainsi, la balance commerciale de la France avec la Chine, entre 2007 et 2025, s’est continuellement détériorée, démontrant l’incapacité des gouvernements successifs à élaborer une politique extérieure adaptée à la montée en puissance de la Chine.
En 2006, le déficit commercial français vis-à-vis de la Chine s’établissait à environ 15 milliards d’euros ([51]). En 2024, il avoisinait les 47 milliards d’euros ([52]), soit le triple en moins de vingt ans, représentant près du tiers du déficit extérieur total de la France. Cette dégradation s’est accompagnée d’une stagnation des exportations françaises vers la Chine, restées concentrées sur quelques secteurs (aéronautique, cosmétiques, agroalimentaire de luxe), tandis que les importations chinoises, diversifiées et compétitives, ont irrigué l’ensemble de notre tissu économique : produits électroniques, équipements industriels, automobiles, textiles, et désormais véhicules électriques.
Rapportés à trois provinces chinoises majeures, Guangdong, Jiangsu et Zhejiang, les échanges apparaissent encore plus déséquilibrés. À elles seules, ces provinces concentrent environ 35 % des exportations chinoises vers la France, alors que la présence commerciale française y demeure marginale. Cela révèle l'absence d’une stratégie d’implantation régionale cohérente, là où l’Allemagne, dans le même temps, multiplie les partenariats industriels et universitaires décentralisés.
En effet, contrairement à la France, l’Allemagne a adopté une approche proactive envers la Chine. En 2024, les exportations allemandes vers la Chine s’élevaient à environ 97,78 milliards de dollars ([53]), soit près de quatre fois plus que celles de la France. Cette performance est le résultat d’une politique de commerce extérieur fondée sur un tissu industriel cohérent, une capacité à bâtir des partenariats technologiques avec un plan d’implantation régionale ciblée.
Votre rapporteure, dans une précédente communication avec M. Charles Rodwell, présentée le 1er février 2023 dans le cadre du groupe de travail sur les dispositifs de soutien à l’exportation, avait déjà souligné que la politique française de soutien à l’export n’affiche pas officiellement de priorité géographique claire et stratégique. La communication recommandait notamment de “mettre en œuvre une planification pluriannuelle de l’export, en cohérence avec nos cycles industriels et concertée avec l’ensemble des parties prenantes”. L’expérience allemande illustre qu’une telle mesure peut servir les intérêts nationaux.
Recommandation : Définir des priorités géographiques dans la politique française de soutien à l’export en privilégiant une approche par filières.
3. Téléphonie, réseaux sociaux, plateformes commerciales, mode et cuisine chinoises : le “oui mais” des Français
La Chine s’est installée dans le quotidien des Français, et ce n’est pas anodin. Téléphonie, réseaux sociaux, plateformes commerciales, mode ou gastronomie : le « made in China » est partout avec la bénédiction du consommateur.
En mai 2025, la marque de téléphonie Xiaomi occupe la 3ème position sur le marché français (16 %) et Huawei la 6e (près de 2,7 %). La cuisine asiatique a convaincu les papilles françaises grâce aux 20 000 restaurants dont 95 % sont tenus par des personnes d’origine chinoise, selon Henri-Michel So, le fondateur de l’Union des hôteliers, restaurateurs et cafetiers asiatiques. Les grandes surfaces alimentaires comptent toutes sur les rayons « cuisines du monde » où les produits typiques de la cuisine chinoise sont très présents. Ainsi, rien que pour le Nouvel An chinois en 2019, le chiffre d’affaires s'élevait à 104 millions d’euros avec une progression annuelle de l’ordre de 5 %.
Au niveau des plateformes internationales de commerce, Aliexpress, avec plus de 21 millions de visiteurs mensuels en avril 2025 ([54]), et Temu, en croissance rapide avec 18,33 millions de visiteurs, sont parmi les ascendantes et gagnent en popularité auprès des consommateurs français.
Ce n’est pas tout : la mode illustre parfaitement le renversement silencieux entre la France et la Chine. En vingt ans, la voici passée du rôle d’atelier du monde à celui de puissance commerciale capable de créer, produire et vendre — en maîtrisant toute la chaîne. Shein en est l’archétype : une plateforme sans stylistes-stars, sans défilés, sans flagornerie médiatique, mais avec un sens aigu du marché et une efficacité logistique implacable.
Et surtout, tandis que la mode française se pense comme élitiste, incarnée par des marques de luxe ou des griffes "premium", fières d’être portées par des gens « à l’aise financièrement », Shein satisfait les envies de mode des jeunes et des milieux populaires. Les marques chinoises répondent, avec des plateformes ultra‑réactives, à une demande immense pour une mode accessible et créative.
« Oui, mais » disent les Français face à la montée en puissance des entreprises chinoises : mais qu’en est-il de la protection des données dans le numérique ? Mais, dans quelles conditions sociales et écologiques cette mode à petits prix est-elle produite ?
Il est juste de s’en inquiéter. Il est évident que les géants chinois du digital, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), posent des enjeux de souveraineté numérique en raison de la collecte massive de données qu’ils opèrent, souvent sans transparence satisfaisante sur leur usage ni sur les garanties en matière de protection.
Cela dit, la Chine n’a pas le monopole du problème. Les plateformes américaines, de Google à Meta en passant par Amazon, collectent bien davantage de données en Europe. Et ces données sont encadrées par des législations extraterritoriales comme le Cloud Act (2018) ou le Patriot Act (2001), qui permettent au gouvernement américain d'y accéder sans contrôle européen.
Pourtant, le narratif dominant en France et en Europe cible quasi exclusivement la Chine dont la politique en la matière est inspirée des États-Unis : la Personal Information Protection Law, loi proche de notre RGPD, ne s’applique pas aux autorités chinoises qui conservent le pouvoir d’accéder aux données des entreprises privées.
Aussi, s’il est important que Pékin clarifie son cadre juridique, la question centrale est moins celle de la nationalité des plateformes que celle des infrastructures numériques. La France a, semble-t-il, renoncé à bâtir un cloud souverain et tous les projets d’investissements annoncés en 2025 dans ce domaine, confirment cet abandon de souveraineté au profit d’entités étrangères (États-Unis, Abu Dhabi, Emirats…).
Parmi les sujets de sécurité numérique, on retrouve les affaires de cyber-espionnage qui ont ciblé la France. Des groupes liés à l’État chinois, comme APT31, sont accusés d’avoir piraté les boîtes mail de députés et d’eurodéputés, ainsi que Sciences Po et certains de ses enseignants. La France s’est refusée à attribuer ces « attaques » dans un contexte international où d’autres pays dont les États-Unis, le Maroc, Israël ou la Russie sont également soupçonnés de tels procédés.
Votre rapporteure estime que les enjeux de sécurité numérique entre la France et la Chine (mais aussi avec d’autres pays) doivent être traités par une politique volontariste de souveraineté qui passe par la création d’un service public de l’hébergement de données dans des infrastructures françaises hors de portée des lois extraterritoriales des États-Unis, et en lien avec des entreprises françaises.
Recommandation : Créer un service public de l’hébergement de données dans des infrastructures françaises hors de portée des lois extraterritoriales américaines.
De plus, concernant les données de consommateurs ou utilisateurs de plateformes chinoises, votre rapporteure estime qu’il faut travailler à un accord sur la protection des données personnelles (de type Data Transfer Act) pour sécuriser les transferts de données, pouvant s’inspirer du Mécanisme de communication sur les flux de données transfrontaliers portant sur les données non personnelles et mis en place par l’UE et la Chine en août 2024.
Recommandation : Négocier un accord bilatéral euro-chinois visant à sécuriser les transferts de données des consommateurs ou utilisateurs de plateformes numériques.
Concernant les conditions sociales et écologiques de la production de la mode en Chine et de leur importation, il est certain qu’elles ne sont pas équivalentes aux exigences françaises. La réglementation européenne ne permet d’ailleurs pas, à ce jour, de garantir une vigilance sur toute la chaîne et la remise en cause de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, dite CS3D, témoigne de la faiblesse de l’engagement des États membres et plus particulièrement de la France dont le Président a déclaré en mai 2025 : « Nous sommes tout à fait d'accord avec le chancelier Merz et d'autres collègues pour aller bien plus vite en matière de simplification, et la CS3D et quelques autres régulations ne doivent pas être simplement repoussées d'un an mais écartées ».
Votre rapporteure regrette ce revirement brutal et considère que la France et la Chine doivent entretenir un dialogue pour un commerce équitable au service des deux peuples. La coopération politique sino-française pourrait viser à encourager des convergences progressives en matière de sécurité au travail, d’encadrement du temps de travail et de protection sociale des travailleurs.
Recommandation : Renforcer le dialogue politique franco-chinois visant au progrès en matière de sécurité au travail, de temps de travail et de protection sociale des travailleurs dans l’objectif de créer les conditions d’un commerce équitable entre les peuples.
La durabilité écologique, inscrite dans le 14e Plan quinquennal de la Chine, et encadrée en France par un arsenal législatif dont la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) est un élément important (mais insuffisant), pourrait faire l’objet d’un groupe de travail bilatéral autour de la question du reconditionnement des appareils électroniques, sujet sur lequel votre rapporteure a émis des propositions dans le cadre d’un avis de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP).
Recommandation : Créer un groupe de travail bilatéral autour de la question du reconditionnement des appareils électroniques.
Les Français ont intégré dans leur vie quotidienne des biens de consommations et des services d’origine chinoise. Aussi, la meilleure façon de répondre aux problèmes qui sont soulevés, légitimement par les associations et dans le débat public, sans pénaliser les consommateurs, est d’engager un dialogue proactif.
Cognac : la filière de luxe, point faible du commerce extérieur de la France
La filière « cognac », aujourd'hui symptomatique de l’affrontement commercial entre la Chine et l’UE, est le fruit d'une construction étatique méthodique. Dès la fin du XIXe siècle, l'État français a structuré cette filière en instaurant l'Appellation d'Origine Contrôlée (AOC) pour le cognac pour le protéger et le valoriser comme un produit issu du savoir-faire français.
En 1953, le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC), en tant qu'organisme de service public, est chargé de délivrer les certificats d'origine et d'âge, assurant ainsi la traçabilité et la qualité du cognac. Mais aussi de planifier la production et la vente de ce produit de luxe sur des décennies.
La filière bénéficie également de soutiens financiers significatifs. Au niveau européen, la Politique Agricole Commune (PAC) apporte des aides substantielles aux exploitations viticoles, incluant celles dédiées au cognac. Par ailleurs, des subventions nationales, comme celles proposées par l'agglomération de Grand Cognac, offrent des aides à l'installation pouvant atteindre 20 % des dépenses éligibles HT, voire 25 % pour les exploitations en agriculture biologique.
Ces soutiens publics, tant européens que nationaux, ont été indispensables pour aider les groupes LVMH, Pernod Ricard, Rémy Cointreau (et d’autres producteurs) à se développer et s'imposer sur les marchés internationaux.
Cependant, ils exposent naturellement la filière aux enquêtes sur les subventions, comme celle initiée par la Chine, qui pourrait considérer ces aides comme des distorsions de concurrence.
C’est ainsi que le 11 octobre, la Chine impose des dépôts de garantie pouvant atteindre 39 % sur les importations européennes, visant presque exclusivement des produits français tels que le cognac, l’armagnac ou le calvados. Il faut dire qu’une semaine auparavant, le 4 octobre 2024, l’Union européenne, soutenue par la France mais avec l’abstention notable de l’Allemagne, décidait d’imposer des droits antidumping provisoires sur les véhicules électriques chinois, dans le but affiché de protéger son industrie automobile.
La France comprend alors qu’elle est sommée de payer cash son vote en faveur des sanctions contre les véhicules électriques chinois, dont l’exportation pour le marché européen est un enjeu majeur pour les fabricants chinois.
Le cognac, l’est tout autant pour le commerce extérieur français même s’il ne constitue ni un bien stratégique ni même essentiel à l’autonomie du pays. Avec plus de 3,9 milliards d’euros d’exportations annuelles, dont 25 % à destination de la Chine, il s’impose comme l’un des produits les plus dynamiques du secteur du luxe. En 2023, le marché chinois (incluant les flux via Hong Kong et Singapour) pesait près de 1,7 milliard de dollars pour les spiritueux français.
La filière est importante pour plusieurs régions, par exemple la Nouvelle Aquitaine, avec son écosystème dense : 4 000 exploitations viticoles, 250 maisons de négoce, 15 000 emplois directs, 77 000 emplois indirects, et 97 % de la production destinée à l’export. De plus, la Chine représente le deuxième marché mondial après les États-Unis. Toute perturbation, même temporaire, affecte directement la chaîne de valeur, provoquant des pertes de chiffre d’affaires, des tensions de trésorerie et des risques à long terme. Depuis l’imposition du dépôt de garantie, les effets ont été immédiats : commandes annulées, baisse brutale des volumes, immobilisation de trésorerie pour assurer les cautions douanières, et constitution de stocks invendus pour plusieurs années.
Ce cas n’est pas un accident isolé mais le symptôme d’une politique européenne de sanctions conçue en silo. En prétendant défendre une filière industrielle (l’automobile), elle sacrifie d’autres secteurs performants sur le plan commercial. L’épisode rappelle les erreurs passées, notamment lorsque les vins français avaient été sanctionnés dans un conflit aéronautique, illustrant l’absence de mécanismes de compensation ou de coordination entre États membres.
La réaction de Bruxelles, qui consiste à porter plainte devant l’OMC, paraît inadaptée à l’urgence. Le précédent australien l’a montré : face à une surtaxe de plus de 200 % imposée en 2020 par Pékin, les producteurs australiens ont été évincés du marché pendant quatre ans, malgré une procédure en cours à l’OMC. L’OMC ne constitue pas une réponse opérationnelle dans les délais commerciaux.
Dans un contexte où le commerce est devenu un levier diplomatique, la seule voie réaliste est celle de la désescalade rapide et du dialogue bilatéral renforcé. La visite du ministre Jean-Noël Barrot en Chine en mars 2025, et le sursis obtenu à cette occasion, témoignent de la nécessité d’un canal direct entre Paris et Pékin.
Votre rapporteure considère que les principaux acteurs de la filière, ainsi que les autorités locales – en particulier les Régions – ont la responsabilité de penser dès à présent la résilience et l’évolution d’un secteur devenu à la fois point de vulnérabilité stratégique et véritable talon d’Achille politique dans nos relations commerciales avec la Chine et les États-Unis. D’autant que la concurrence avec les marques locales en Chine est féroce et rien ne garantit que la production française ne poursuive pas son recul. En lien avec les producteurs, il serait responsable d’élaborer une stratégie de reconversion territoriale, fondée sur la diversification agricole et le progrès écologique (protection de la biodiversité, solutions agroécologiques et biologiques de substitution aux intrants de synthèse, sobriété carbone…).
Recommandation : Élaborer, en lien avec les producteurs de la filière Cognac une stratégie de reconversion territoriale, fondée sur la diversification agricole et le progrès écologique.
4. La perception de la Chine en France affectée par la question des droits humains et des destructions d’emplois industriels en Europe
En 20 ans, la perception de la Chine par les Français a changé. Quand, aux débuts des années 2000, elle rejoint l’OMC avec le soutien de la France, elle est considérée comme un pays en développement qui tend à se normaliser et dont on admire la croissante attribuée à sa conversion à l’économie de marché. Pour le journal de l’officialité, Le Monde, le ton est donné en janvier 2003 par ce titre : « La Chine, le nouvel Eldorado » ([55]), puis en février 2010, par cette réitération créative : « l’empire du Milieu, nouvel Eldorado des grandes marques ».
Une inflexion s’amorce dans les années suivantes. Les titres de presse se font plus critiques pointant les risques sur la cybersécurité (« En Chine, une loi controversée sur les données personnelles et la cybersécurité », Le Monde en 2017). En mai 2024, lors de la visite du Président Xi, la question des droits humains est particulièrement mise en avant avec plusieurs titres similaires à celui de Radio France : « Visite en France de Xi Jinping : colère de la communauté ouïghoure et des défenseurs des droits de l’homme ». Pour l’ancien conseiller du président géorgien pro-occidental Michaël Saakachvili, Raphaël Gluksmann, le Président Macron aurait même fait preuve « d’obséquiosité » envers le chef d’État chinois.
Après le Tibet, l’opinion française, sensible aux questions des droits fondamentaux, a été marquée par la situation, dénoncée par une résolution du Parlement européen de juin 2022, des Ouïghours, considérés comme une minorité ethnique et religieuse opprimée. Ce sujet, particulièrement sensible pour les autorités chinoises, demeure à ce jour un point de tension majeur dans les relations entre les pays européens et la Chine. Interrogé par votre rapporteure, le représentant de l’Union européenne à Pékin, M. Jorge Toledo, apporte un témoignage prudent : « En 2017, on parlait de 2 millions de personnes dans les camps de rééducation. On a envoyé une délégation. Les camps avaient disparu. Il est difficile de prouver qu’il y a eu du travail forcé. Mais on a constaté qu’autour des prisons, il y avait beaucoup d’usines ». Pour lui, la situation actuelle n’est plus la même.
Cette question des droits humains constitue un champ de confrontation que la Chine cherche à éviter : pour M. Zhang Guangping, directeur général adjoint du bureau de l’Europe du Département international du Comité central du PCC, les accusations de travail forcé sont des « fake news ». Xi Jinping y répond également en mettant en avant la conception chinoise des droits humains : « Pour évaluer la situation des droits de l’homme dans un pays, le plus important critère est de savoir si les intérêts du peuple sont effectivement garantis et que le sentiment de satisfaction, de bonheur et de sécurité du peuple est renforcé ».
Quoi qu’il en soit, les controverses sur la politique intérieure chinoise vis‑à‑vis des populations ouïghoures et tibétaines ont terni l’image de la Chine en France.
De plus, le déclin de l’industrie française et les destructions d’emplois résultant des délocalisations ont nourri une colère populaire : le décollage économique de la Chine s’est fait au prix d’un chômage de masse en France. D’après une publication de la Banque de France datant de 2018 ([56]), « 13 % du déclin de l’emploi manufacturier en France de 2001 à 2007 serait imputable à la concurrence chinoise », avec une baisse de 6 points de pourcentage sur la croissance de l’emploi au niveau local sur la même période. Aujourd’hui, se protéger de la concurrence chinoise (et d’autres pays du Sud Global) est une demande croissante : 60 % des Français sondés par Opinionway en 2020 se disaient favorables au protectionnisme ([57]) et même 80 % des industriels, selon l’IPSOS (mars 2025) ([58]) soutiennent l’adoption de mesures protectionnistes par l’UE vis-à-vis de la Chine et des États-Unis.
Enfin, la pandémie de Covid-19 a particulièrement abîmé l’image d’un pays auquel est attribuée l’origine du virus. Le racisme anti-asiatique en a été exacerbé se traduisant par une hausse des actes de haine et de discriminations. Plusieurs associations anti-racistes et des citoyens d’origine asiatique dénoncent ce racisme : 89 % des descendants d’immigrés chinois déclarent ([59]) avoir vécu cette violence et le #JeNeSuisPasUnVirus avait permis de visibiliser un phénomène toléré jusque dans les médias.
Les a priori dévalorisants contre les personnes chinoises ou d’origine chinoise (120 000 personnes nées en Chine et selon les estimations de l’Ambassade de Chine à Paris, environ 300 000 descendants d’immigrés chinois) sont anciens : le « péril jaune », expression du XIXe siècle qui a circulé dans les médias et dans les milieux coloniaux, imprègne toujours les fantasmes liés à la menace d’une invasion de produits chinois ou d’investisseurs soupçonnés de vouloir tout « acheter ». Les stéréotypes racistes anti-asiatiques constituent certainement un socle aux discours suspicieux et caricaturaux que votre rapporteure a parfois relevés parmi certains fonctionnaires français et européens auditionnés, notamment lorsqu’ils pointent « l’opacité » ou encore la « duplicité » des Chinois dans leur diplomatie commerciale.
Depuis l’épisode récent de pandémie, et dans ce climat de défiance, les échanges humains entre Français et Chinois ont régressé de façon conséquente.
D’après les données transmises à votre rapporteure par le consulat de Canton, 1528 Français sont inscrits au registre de la région contre 2000 avant Covid. Par ailleurs, les demandes de visas ont fortement baissé : le Consulat en octroie 75 000 contre 120 000 avant la pandémie. La mobilité des étudiants français en Chine témoigne aussi de ce « désamour ». En 2017, Emmanuel Macron fixait alors un objectif de 10 000 étudiants par an, mais les autorités interrogées estiment qu’ils ne sont que 500 à 800 aujourd’hui. À titre de comparaison, selon le DAAD (Office allemand d’échanges universitaires), l’Allemagne revendiquait avant la pandémie, environ 8 000 étudiants allemands régulièrement inscrits en Chine chaque année. Au semestre d’hiver 2021/2022, ce chiffre était descendu à 1 787 étudiants. Berlin mène une politique pro-active pour relancer les échanges notamment dans les filières technologiques et scientifiques.
B. Des coopérations d’avenir au service des deux peuples
1. La coopération spatiale de la France avec la Chine : poser les bases pour les 60 prochaines années
Quand en 1985, la France et la Chine signent le premier accord de coopération bilatérale, elles entendent renforcer leurs liens diplomatiques, d’une part, et y voient, d’autre part, un intérêt stratégique dans le contexte de guerre froide entre les blocs soviétique et américain.
La France refuse alors l’alignement et voit en la Chine un partenaire pour des débouchés commerciaux dans un secteur à haute valeur ajoutée, l’aéronautique et le spatial, avec la vente de satellites, le lancement de fusées Ariane par exemple. Pour la Chine, alors très en retard dans ces domaines, il s’agissait d’accéder à des technologies satellites (télécommunications, observation de la Terre, météorologie).
C’est une coopération civile (dans un contexte de militarisation de l’espace) qui donnera lieu à des projets scientifiques où la question des transferts de technologies sera particulièrement encadrée.
Pour le Centre national d'études spatiales (CNES), la signature de l’accord de coopération avec l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA) en 1997, va considérablement stimuler le partenariat.
M. Christophe Venet, Directeur de l’Europe et des Affaires internationales du CNES, auditionné en février 2025, explique : « La Chine est un cas particulier, car cette coopération relève d’une commande politique. En 1997, Jacques Chirac souhaitait renforcer les coopérations avec la Chine et a ciblé le domaine spatial. Deux grandes missions ont ainsi été lancées, mobilisant jusqu’à 200 personnes pour un budget estimé à une centaine de millions d’euros ». Cette relation va s’intensifier durant 27 ans, jusqu’en 2024 lorsque les équipes des deux pays voient le résultat de leur travail avec d’un côté la tenue d’un atelier scientifique à Biarritz en mars 2025 pour partager les résultats obtenus grâce au satellite CFOSAT, et d’autre part, le lancement du satellite SVOM en juin 2024 qui a détecté plus de 120 explosions d’étoiles lointaines, offrant aux scientifiques une nouvelle fenêtre de compréhension de l’évolution cosmique.
Cette coopération bilatérale, où les liens humains sont primordiaux, arrive en 2025 à « la croisée des chemins » selon C.Venet et pour M. Mathieu GRIALOU, Conseiller spatial et représentant du CNES en Chine, qui a fait partie de la délégation avec votre rapporteure, l’intérêt scientifique est majeur dans la poursuite des projets.
Ainsi, la période actuelle est l’occasion pour les deux pays de dialoguer et de poser les bases pour les prochaines décennies.
Pour la France, le prochain contrat d’objectifs et de performance du CNES pour la période (2026-2030) se discute dans un contexte de restrictions budgétaires et de tensions géopolitiques intenses. Le plan France 2030, qui dote théoriquement le secteur spatial de 1,5 milliard d’euros soulève des critiques quant à la pertinence de ses choix d’investissement, notamment dans le secteur très concurrentiel et étroit des micro-lanceurs. Le sociologue et député Arnaud Saint-Martin, spécialiste des politiques scientifiques et technologiques, a dénoncé cette orientation lors d’un débat parlementaire en mars 2025 : « Vous mettez de l’argent dans tous les coins, mais vous n’avez pas de stratégie. Ce saupoudrage ne profite ni à Ariane, ni à la souveraineté spatiale, ni à la recherche publique. » En misant sur des start-up développant des micro-lanceurs alors même que le marché ne peut soutenir qu’un nombre très limité d’acteurs, le gouvernement semble privilégier un effet vitrine à court terme au détriment d’une politique industrielle structurée, comme pourrait l’incarner un renforcement du programme Ariane 7. Cette fragmentation des efforts pourrait affaiblir la position française dans une industrie déjà marquée par une concurrence internationale féroce.
Côté chinois, lors des rencontres avec M. Li Guoping, Ingénieur en chef de la CNSA (rang n° 3) puis avec le Vice-Président de la société MicroSat, M. Yonghe Zhang, la volonté de préparer ensemble les « 40 prochaines années de coopération » est clairement exprimée. La Chine a des capacités autonomes considérables grâce à une approche intégrée et un budget consacré de plus de 14 milliards de dollars en 2023 (Euroconsult).
Les deux représentants chinois invitent les Français à poursuivre « de bonnes relations » dans le domaine scientifique au service de la surveillance environnementale globale (SVOM 2, et de l’exploration (mission Chang’E 6, mais surtout la mission interplanétaire Tianwen-4, Jupiter, dont le lancement est prévu en 2029). Ils proposent également, dans le respect des protocoles de confidentialité et de contrôle d’accès déjà éprouvés, une coopération technologique ouverte aux pays du Sud global pour un développement plus équitable. D’un point de vue commercial, la Chine ouvre aussi la voie à une nouvelle génération de coopérations, comme la mission CATCH, une constellation de petits satellites actuellement à l’étude, qui a été évoquée à Shanghai en marge de la réunion SVOM.
Cette approche repose sur une vision commune aux équipes française et chinoise qui expriment des convergences à la fois : écologique, face aux enjeux de gestion des débris orbitaux ; pacifique, face à la militarisation potentiellement agressive de pays comme les États-Unis (Space Force créée en 2019 par Donald Trump) ; et souveraine, face aux lois américaines (Wolf amendement, ITAR) qui ont des conséquences telles que l’exclusion de la Chine de l’ISS (station spatiale internationale) et qui impactent fortement la coopération sino-européenne.
L’hostilité américaine envers la Chine s’étend à l’espace et influence la diplomatie « spatiale » de la France et de l’Union européenne. Deuxième contributeur de l’ESA (European Spatial Agency), la France tente de maintenir sa propre « autonomie stratégique » dans le secteur spatial, y compris au sein de l’agence européenne où elle ne pèse qu’une seule voix parmi vingt-deux participants malgré sa contribution financière et technologique.
M. Karl Bergquist, responsable des relations avec la Chine pour le compte de l’ESA (jusqu’en mars 2025), défend l’idée que « travailler ensemble ne veut pas dire construire ensemble ». Les personnels européens et chinois ont commencé à travailler ensemble en 2004 avec le programme Dragon (observation de la Terre) dont le symposium Dragon 6 se tiendra du 14 au 18 juillet en Chine. Puis en 2016, le projet SMILE (Solar wind Magnetosphere Ionosphere Link Explorer), dont le lancement est prévu fin 2025, a démontré une bonne répartition des responsabilités en matière de conception, de construction et d’exploitation des données.
Cependant, les tensions géopolitiques que M. Bergquist, espère « temporaires », ont amené l’ESA à renoncer aux futures missions lunaires chinoises telles Chang’e-7 et Chang’e-8 et au projet de Station internationale de recherche lunaire, au profit du projet américain ARTEMIS dont l’avenir est, semble-t-il, compliqué et incertain.
Pour la France, la situation pourrait être différente : elle a une tradition doctrinale multilatéraliste même si elle oscille sur les suites à donner à cause de l’implication importante de la Russie au projet lunaire chinois.
Votre rapporteure considère que les considérations géopolitiques ne doivent en aucun cas prendre le dessus sur les intérêts scientifiques que l’on pourrait retirer du projet lunaire chinois. C’est le sens du geste du Président Xi qui en 2024 a offert à Emmanuel Macron un échantillon de poussières lunaires de plus de 1,7 kilogramme, dans le but de mettre l’accent sur la coopération scientifique.
Plus inquiétant encore, dans leur rapport d’information, les députés Arnaud Saint Martin ([60]) et Corinne Vignon écrivent qu’« on assiste à une arsenalisation accrue de l’orbite circumterrestre, devenue une zone de conflictualité à part entière et un appui indispensable aux opérations ». La question de la paix dans l’espace est l’un des sujets que la France et la Chine pourraient porter conjointement sur la scène internationale. Les deux pays partagent une préoccupation commune : éviter que l’espace ne devienne un champ de confrontation armée. La Chine s’oppose à la militarisation de l’espace et a proposé, avec la Russie, un traité international contraignant à l’ONU (PPWT). La France, de son côté, soutient les discussions multilatérales sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace (PAROS) et appelle à davantage de transparence. La Chine qualifie l’espace de "bien commun de l’humanité", tandis que la France affirme ne pas vouloir "militariser l’espace" tout en protégeant ses capacités stratégiques (« s’armer pour désarmer »), une position que la Chine revendique également.
Votre rapporteure estime que la France pourrait proposer une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour réaffirmer l’usage pacifique de l’orbite et l’interdiction des armes de destruction massive. La France doit aussi préserver à tout prix sa souveraineté spatiale, en passant, s'il le faut, par la nationalisation de Ariane Group. Une plus grande autonomie est impérative face à l’allié instable américain et à l’affirmation de puissances comme l’Inde, le Japon, et le Chine.
Recommandation : Porter au Conseil de sécurité des Nations unies une proposition de résolution réaffirmant l’utilisation pacifique et durable de l’orbite spatiale ainsi que l’interdiction des armes de destruction massive dans l’espace.
Recommandation : Préserver la souveraineté spatiale française en ayant recours, le cas échéant, à la nationalisation de Ariane Group.
2. La coopération scientifique : une histoire à prolonger
Depuis 2013, le prix franco-chinois de la Société chimique de France (SCF) et de la Chinese chemical society (CCS) est décerné en alternance à un chimiste français ou chinois. Ce prix binational est une reconnaissance scientifique qui salue la coopération entre les deux pays, tout comme le prix de la coopération scientifique et technologique internationale de la Chine, créé en 2020 et attribué la même année à deux Français. On peut ajouter le prix de l’innovation du Comité France Chine destiné à récompenser des projets bilatéraux innovants.
L’importance accordée à la coopération scientifique sino-française témoigne de la volonté des deux nations de maintenir des liens forts, autour de la connaissance, malgré les aléas géopolitiques.
Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dont l’ancrage international constitue un axe prioritaire, est ainsi présent en Chine depuis plusieurs décennies. Comme l’indiquait à votre rapporteure M. Fermin Cuevas, directeur du CNRS en Chine, cette coopération se matérialise par dix-neuf dispositifs de collaboration structurés, incluant deux laboratoires internationaux basés à Shanghai et Hong Kong, neuf projets internationaux de recherche actuellement en cours, et huit réseaux de recherche internationaux (IRN). Ces derniers, tout comme les projets de recherche conjoints (IRP), permettent de consolider des partenariats déjà existants, notamment via des échanges scientifiques de courte ou moyenne durée.
Depuis 2011, le bureau du CNRS à Pékin est hébergé au sein de l'ambassade de France. Ce rattachement a permis de faciliter la coordination de la présence scientifique française sur l’ensemble du territoire chinois, y compris Hong Kong, Macao et la Mongolie. Le bureau y représente les dix instituts du CNRS ainsi que la direction de l’Europe de la recherche et de la coopération internationale (DEI).
Le principal partenaire du CNRS en Chine reste l’Académie des sciences de Chine (CAS), avec laquelle une coopération a été formalisée dès 1978. À cela s’ajoutent des collaborations structurées avec la National Natural Science Foundation of China (NSFC), principale agence chinoise de financement de la recherche : cinq projets conjoints dans le domaine de l’environnement et de la biodiversité ont par exemple été sélectionnés en 2024.
L’intensité de cette relation se mesure aussi à la mobilité scientifique vers la Chine qui connaît, depuis 2024, une nette reprise après les restrictions liées à la pandémie, avec une hausse de 48 % des missions du CNRS par rapport à 2023 (573 contre 387), même si elle reste encore en deçà du niveau de 2019 (environ 1500 missions).
Parmi les initiatives les plus emblématiques, votre rapporteure tient à saluer le travail conduit au sein de l’International Research Laboratory (IRL) E2P2L, basé à Shanghai et spécialisé dans la chimie durable. Comme l’a indiqué Mme Zheng Jianxia, ingénieure au sein de ce laboratoire, l’objectif est de développer des procédés éco-efficients mobilisant des compétences en chimie verte, conception de catalyseurs, simulation ou encore ingénierie de procédés propres. Ce type de collaboration, dans un contexte mondial marqué par la raréfaction des ressources fossiles et l’urgence climatique, incarne l’intérêt partagé des deux pays pour une recherche tournée vers l’innovation et l’action.
La Chine est devenue, dans de nombreux domaines scientifiques, un acteur de référence, avec un tiers de la production mondiale de publications scientifiques en 2024. Ses chercheurs de haut niveau sont les seconds les plus cités après les États-Unis, quand la France se classe à la 9e place, selon le classement « Highly Cited Researchers » de Clarivate.
Aujourd’hui, les liens universitaires franco-américains restent très dominants : plus de 8 000 étudiants français partent chaque année étudier aux États‑Unis, tandis qu’environ 4 000 étudiants américains viennent en France (Campus France, 2023). Par ailleurs, plus de 400 accords de coopération bilatérale existent entre établissements d’enseignement supérieur français et américains, contre moins d’une centaine avec les universités chinoises. Cette asymétrie reflète un héritage ancien, mais elle ne correspond plus aux réalités scientifiques du monde contemporain.
Pourtant, l'innovation chinoise semble plus que jamais incontournable dans les domaines de l’IA, de la physique quantique, de la médecine de précision ou encore de l’aérospatial.
Par ailleurs, les incertitudes politiques aux États-Unis font peser une menace sérieuse sur le financement public de la recherche, la liberté académique, et la coopération scientifique internationale.
Votre rapporteure recommande que la France définisse une stratégie nationale de diversification de ses coopérations scientifiques, fondée sur l’identification de pôles d’excellence chinois compatibles avec nos priorités stratégiques (transition énergétique, médecine, technologies du vivant). Il en va de notre souveraineté intellectuelle, de notre capacité d’influence et de notre positionnement dans la reconfiguration mondiale de la science.
Recommandation : Définir un partenariat global de coopération dans les domaines scientifique et technique entre la France et la Chine reposant sur une mobilisation de moyens financiers supplémentaires, la diversification des projets de coopération, un soutien à la mobilité des enseignants-chercheurs, chercheurs et personnel universitaire, la conclusion d’accords de coopération entre établissements d'enseignement supérieur et laboratoires de recherche ainsi que l’identification de pôles d’excellence du côté français comme du côté chinois et le développement des collaborations scientifiques entre ces pôles.
Il est regrettable que la frilosité du côté français freine certains échanges au point de mettre en péril des collaborations qui seraient bénéfiques pour la recherche et pour la renommée de nos scientifiques. Cette frilosité, qui peut se justifier dans des secteurs de recherche sensibles, se retrouve dans d’autres, à tort.
C’est le cas, par exemple, des projets en robotique agricole et agriculture de précision, où plusieurs coopérations franco-chinoises — notamment avec des institutions comme l’Université agricole de Nankin ou le CAAS — ont été freinées en France, malgré leur caractère non sensible et leur utilité environnementale évidente. De même, des établissements universitaires français se montrent trop méfiants et hésitent à accueillir des doctorants chinois dans des disciplines peu exposées, telles que l’urbanisme, les sciences sociales ou la biologie environnementale.
Dans cette relation où se mêlent une tradition de coopération, des liens humains souvent très forts, mais aussi des appréhensions, il est nécessaire de formaliser des protocoles de protection et de faire valoir la réciprocité dans les échanges.
Il ne s’agit pas de relâcher l’effort de protection du potentiel scientifique français, mais d’élargir notre approche : mieux protéger, c’est aussi mieux structurer la coopération. À ce stade, la France dispose d’outils pertinents, mais encore trop fragmentés ou unilatéraux.
Trois cadres structurent actuellement l’encadrement des risques :
– l’accord bilatéral franco-chinois de 1998 sur la propriété intellectuelle, entré en vigueur en 2005, qui établit un cadre général pour la reconnaissance et la valorisation croisée des résultats de recherche ;
– le dispositif de protection du potentiel scientifique et technique (PPST), qui impose des vérifications préalables dans les domaines sensibles ;
– et, depuis mai 2024, la recommandation du Conseil de l’Union européenne sur la sécurité de la recherche, qui fixe un socle commun de vigilance pour les États membres, largement orienté vers les enjeux posés par les coopérations avec des puissances non européennes.
Ces dispositifs ont permis de structurer une forme de vigilance institutionnelle. Mais ils ne prévoient pas de cadre bilatéral permanent de dialogue et de codéfinition des règles avec la Chine. Or, la Chine est aujourd’hui la première puissance mondiale en nombre de publications scientifiques, de brevets déposés via le PCT, et de chercheurs de haut niveau. Ne pas intégrer cette réalité dans nos mécanismes de gouvernance scientifique reviendrait à s’exclure, de facto, d’un espace d’influence majeur.
C’est pourquoi votre rapporteure considère que la coopération franco-chinoise doit s’appuyer sur des principes communs et réciproques.
Les rencontres menées dans le cadre de cette mission avec des représentants du CNRS, mais aussi du CNES, de l’Agence spatiale européenne (ESA), ainsi qu’avec plusieurs fonctionnaires européens et français, ont révélé une constante : une forme de méfiance structurelle vis-à-vis de la Chine, souvent intériorisée, parfois exprimée à demi-mot. Certains chercheurs, en particulier, ont regretté la multiplication des barrières administratives et politiques, insistant sur la valeur des relations humaines tissées au fil des années avec leurs collègues chinois. Ils soulignent la nécessité d’un dialogue à tous les niveaux, y compris au plus opérationnel, pour éviter les malentendus, les ruptures brutales de coopération, et les effets contre-productifs d’un climat de suspicion généralisée.
Cette position rejoint les réflexions du professeur Michel Vivant, spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, pour qui la PI doit être un outil d’équilibre entre circulation des savoirs, reconnaissance des contributions, et protection des intérêts légitimes.
Par ailleurs, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) joue un rôle actif dans la consolidation de ce dialogue. En avril 2023, l’INPI a signé un accord de procédure accélérée de délivrance de brevet (PPH) avec son homologue chinois, la CNIPA. Cet accord vise à fluidifier le traitement des demandes tout en garantissant la sécurité des dépôts. En janvier 2025, lors de la 35ᵉ Commission mixte franco-chinoise sur la propriété intellectuelle, Pascal Faure, directeur général de l’INPI, a salué les avancées chinoises en matière de protection, soulignant qu’elles renforcent la confiance des entreprises françaises. Il a également appelé à élargir la coopération au champ de la recherche publique et de l’innovation partagée, dans une logique d’avantages réciproques.
Dans cette perspective, votre rapporteure recommande la création d’un groupe de travail bilatéral franco-chinois dédié à la sécurité scientifique et à la gouvernance conjointe des résultats de recherche. Ce groupe associerait les principales institutions françaises (CNRS, INPI, France Universités, établissements publics à caractère scientifique et technologique), leurs homologues chinois, ainsi que les représentants des projets industriels conjoints.
Recommandation : En matière de protection de la propriété intellectuelle, mettre en place un groupe de travail bilatéral franco-chinois chargé de définir des règles communes concernant les procédures de délivrance des brevets, la sécurité des dépôts, les modalités de publication, le partage des résultats de recherche, la traçabilité des contributions scientifiques et techniques dans les projets partagés et la gestion des données.
Ses missions pourraient permettre de définir des clauses précises sur la co-détention de la propriété intellectuelle, les modalités de publication, et les règles de valorisation des résultats communs mais aussi garantir la traçabilité des contributions scientifiques et techniques dans les projets partagés. La gestion des données, notamment les données sensibles ou confidentielles, doit faire l’objet d’une attention particulière dont ce groupe pourrait assurer le suivi et l’évaluation.
L’hydrogène vert : un exemple de coopération gagnant-gagnant
Des exemples concrets de coopération équilibrée existent déjà. Dans le domaine de l’hydrogène vert, le partenariat engagé en 2022 entre EDF et la China Energy Investment Corporation autour d’un projet de plateforme énergétique offshore dans le Jiangsu (1,5 GW, combinant solaire, éolien, stockage et production d’hydrogène) montre que des projets technologiques sensibles peuvent être menés conjointement dans un cadre structuré.
L’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable, représente une solution énergétique prometteuse dans la lutte contre le changement climatique. Présenté comme la « prochaine grande révolution énergétique », il ouvre des perspectives majeures pour la mobilité propre (pile à hydrogène), le stockage saisonnier d’énergie, la décarbonation des procédés industriels (métallurgie, chimie), et la substitution au gaz fossile.
Toutefois, nombre de ses applications en sont encore à un stade expérimental ou de démonstration, ce qui appelle des efforts accrus de recherche, d’ingénierie et de coopération internationale. Comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « l’hydrogène propre a le potentiel de transformer nos systèmes énergétiques à l’échelle mondiale, mais beaucoup de ses applications sont encore en phase de développement » (IEA, The Future of Hydrogen, 2 019).
M. Yves Queneau, directeur de recherche au CNRS, rappelle, dans sa contribution écrite à notre mission, que « la chimie durable est un domaine qui s’est révélé prioritaire parmi les collaborations franco-chinoises », en raison d’intérêts communs sur les plans environnemental et industriel, et de la place centrale de la chimie dans le développement technologique des deux pays. Il cite en exemple le laboratoire E2P2 de Shanghai, qu’il qualifie d’« assez unique » car « il fait travailler ensemble, sur un même site, chercheurs académiques et chercheurs industriels [...] avec des compétences et visions complémentaires de plusieurs communautés et pays ».
Il appelle à une coopération équilibrée et ouverte entre l’Europe et la Chine, estimant que « les progrès dans le domaine de l’environnement, où qu’ils aient lieu, bénéficient à tout le monde [...] la planète fait face à des pollutions qui n’ont pas de frontières ». Il propose de relancer des appels bilatéraux ciblés comme l’ANR – NSFC, et de ne pas cantonner les soutiens à la seule recherche appliquée à haut TRL, mais aussi d’investir dans les fondements scientifiques nécessaires à long terme.
Recommandation : Relancer des appels bilatéraux structurants comme le programme ANR – NSFC pour préserver la recherche fondamentale et renforcer les socles scientifiques partagés sur le long terme, en garantissant des mécanismes d’évaluation transparents et une articulation cohérente avec les priorités stratégiques nationales.
3. Véhicules électriques : pour une coopération sino-française au service de la souveraineté industrielle
La marque chinoise Build Your Dreams (BYD) déploie actuellement son plan de conquête du marché automobile français. Elle a récemment ouvert un showroom situé au 66 rue Pierre Charron, à proximité immédiate des Champs-Élysées, ainsi qu’une première concession parisienne au 17 boulevard de Sébastopol, symbolique de son ambition. L’objectif affiché par BYD est d’établir rapidement un réseau de 120 concessions ([61]) sur l’ensemble du territoire national d’ici la fin 2025. L'entreprise a également conclu un accord de financement avec Crédit Agricole Auto Bank ([62]) afin de faciliter l'accès à une gamme de véhicules 100 % électriques immédiatement disponibles à la vente.
Les classes moyennes urbaines et périurbaines sont la cible d’une campagne de publicité sur les réseaux sociaux et dans les médias avec des arguments de vente simples : la technologie la plus avancée, l’impact écologique moindre, et le prix le plus bas. Sa berline Dolphin Surf, modèle d’entrée de gamme, est ainsi proposée à partir de 19 990 € en France, avec une offre de lancement la ramenant à 18 990 €, bien en deçà des prix pratiqués par les constructeurs européens. À ce tarif, elle rivalise directement avec la Dacia Spring ou la Citroën ë-C3, tout en offrant un équipement de série plus généreux : écran tactile rotatif de 12,8 pouces, régulateur de vitesse adaptatif, fonction V2L (Vehicle-to-Load).
BYD justifie son prix par l’organisation intégrée de sa production : plus de 70 % des composants de ses véhicules, y compris les batteries, moteurs électriques et systèmes électroniques. Ce modèle industriel lui permet de maîtriser ses coûts de fabrication et de conserver un avantage prix, y compris face aux barrières douanières. Pour l’Union européenne, ce n’est pas tout à fait vrai. BYD a bénéficié d’importantes subventions publiques chinoises qui justifient des droits de douane supplémentaires de 17,4 % sur les véhicules électriques chinois. La réaction du constructeur est sereine : « Nous n’avons pas changé de stratégie en Europe, car celle-ci est à long terme », réplique Stella Li, vice-présidente exécutive de BYD.
Mais il convient de corriger un malentendu : les véhicules électriques ne se résument pas aux seules voitures particulières. Le champ couvert est bien plus vaste : il s’étend des citadines aux poids lourds, des utilitaires autonomes aux bus à batteries, et désormais aux véhicules aériens à décollage vertical. C’est toute la panoplie roulante et volante qui est en train d’être redéfinie à l’échelle mondiale.
Dans la révolution de la mobilité, la Chine n’est pas un simple concurrent : elle en est le centre nerveux. En quinze ans, elle a bâti un écosystème industriel et technologique sans équivalent. Elle produit plus de 60 % des batteries mondiales, 31 % des véhicules, et en a exporté près de 5 millions en 2023. Des entreprises comme BYD, Chery, Geely ou Xpeng couvrent tous les segments : voitures, poids lourds, véhicules autonomes, drones logistiques et taxis volants.
Pékin a même fait de la « basse altitude » une priorité nationale, avec déjà des couloirs aériens urbains en service à Canton ou Shenzhen. La Chine investit massivement dans des technologies de rupture que la France a encore du mal à envisager.
Votre rapporteure a pu le constater, lors de visites de terrain à Shanghai où Xpeng a dévoilé un prototype de voiture volante testé à Dubaï ; à Canton où Westwell conçoit des véhicules logistiques autonomes pour les zones portuaires, tandis que WeRide et EHang (qui a décroché une licence de vol en juin 2025) expérimentent des taxis autonomes et drones de transport urbain. Ces avancées sont spectaculaires par leur vitesse et par le système qui les permet : adossées à une stratégie industrielle claire, elles sont le fruit d’une compétition nationale et internationale.
Pendant ce temps, la France fait face à un effondrement de sa base industrielle. Sa production automobile est passée de 3,7 millions de véhicules en 2004 à 1,3 million en 2022. Plus de 110 000 emplois ont été supprimés dans la filière entre 2006 et 2021 ([63]). Le commerce extérieur, longtemps excédentaire, est aujourd’hui déficitaire de 15 milliards d’euros. Ce déclin n’est pas une fatalité : il est le résultat de choix industriels et commerciaux : miser sur les SUV et le haut de gamme en tournant le dos aux modèles accessibles et au tissu productif local. Pire encore, la transition vers l’électrique, bien qu’incontournable, aggrave les fragilités : un véhicule électrique nécessite 40 % de main-d’œuvre en moins ([64]) qu’un modèle thermique. Sans stratégie de reconversion et de relocalisation, les suppressions nettes de postes dans le secteur pourraient atteindre 240.000 directes et indirectes selon la CGT.
La Chine, elle, a su transformer ses contraintes en leviers. Le cœur de son modèle repose sur les coentreprises industrielles, les fameuses joint-ventures, imposées à tous les acteurs étrangers depuis les années 2000. Ce cadre a permis à ses entreprises d’acquérir en deux décennies des savoir-faire, des brevets, et une maîtrise technologique qu’elles déploient aujourd’hui à l’échelle mondiale. Renault, via eGT avec Dongfeng, ou l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi avec WeRide, ont participé à cette montée en compétences. Il serait temps, à notre tour, de penser une version française et souveraine de ces alliances.
Votre rapporteure recommande de soutenir activement la création de joint-ventures franco-chinoises dans les mobilités innovantes, à l’image de l’alliance entre Renault Group et WeRide, entreprise chinoise spécialisée dans la conduite autonome, que la rapporteure a visitée lors de son déplacement en Chine.
Recommandation : Inciter les entreprises françaises à créer avec des partenaires chinois des joint-ventures dans le domaine des mobilités innovantes. Les pouvoirs publics pourraient favoriser la conclusion de tels joint-ventures en accompagnant les entreprises françaises à toutes les phases de réalisation (études de faisabilité, rédaction des statuts de l’entreprise commune, domiciliation de la personne morale, approbation par les autorités chinoises…).
Cette co-entreprise développe des navettes électriques autonomes de niveau 4, sans conducteur à bord, déjà expérimentées avec succès à Roland-Garros, Barcelone, Zurich et Valence. Un service commercial doit être lancé en juillet 2025 à Valence. La fabrication est envisagée en France, sur la base du Renault Master électrique, avec une ambition de déploiement à grande échelle en Europe dès 2026.
Le site de Stellantis à Poissy, promis à la fermeture d’ici 2028 avec l’arrêt du modèle Opel Mokka II, pourrait accueillir cette production innovante. Cela permettrait de maintenir une activité industrielle, de reconvertir les salariés du thermique vers l’électrique et de mobiliser la commande publique d’Île-de-France pour favoriser un transport collectif décarboné dans les zones mal desservies. D’autres sites industriels en reconversion (Douai, Châteauroux, Sochaux) pourraient également être concernés par ce type de projet en adéquation avec les exigences de réindustrialisation verte, de coopération technologique équilibrée et de relocalisation stratégique au service de l’intérêt général.
L’Allemagne, elle, ne tergiverse pas. Audi a investi 2,6 milliards d’euros dans une coentreprise avec FAW en Chine pour produire localement des véhicules électriques haut de gamme. De son côté, Volkswagen prévoit de lancer dès 2026 onze nouveaux modèles électriques spécifiquement adaptés au marché chinois. Mais la stratégie allemande ne s’arrête pas là : elle s’inverse. À l’heure où la Chine exporte massivement, plusieurs projets sont évoqués pour produire, en Allemagne même, des véhicules électriques chinois destinés au marché européen. Volkswagen a ainsi proposé de mettre à disposition ses usines sous-utilisées à Emden ou Osnabrück pour accueillir des modèles conçus avec des constructeurs comme Chery ou Xpeng. Le PDG d’Audi, Gernot Döllner, l’a confirmé en janvier 2025 : « Bien sûr, c’est envisageable ».
Pendant que Berlin transforme ses usines en hubs euro-asiatiques, Paris demande à Bruxelles de reporter les sanctions liées à l’obligation, depuis le 1er janvier 2025, de réduire de 15 % les émissions moyennes des véhicules neufs. Notre industrie, affaiblie, cherche à gagner du temps. Or, comme le disait Mme Joanna Szychowsna, directrice Asie de la DG Commerce de la Commission européenne, lors de son audition en mai 2025, à votre rapporteure : « Au fond, le problème ce n’est pas la Chine ; c’est notre situation et la situation de notre industrie ». La Commission européenne est prête à rejeter l’idée (pourtant inscrite dans son ADN) du « libre-échange absolu » mais, visiblement, elle n’est pas en capacité de définir une stratégie industrielle commune. Au sein même de l’UE, la concurrence « libre et non faussée » reste la règle.
Aussi, votre rapporteure propose :
– la création d’un comité franco-chinois de la mobilité électrique, sous pilotage interministériel, afin de coordonner les projets conjoints
– le lancement d’un programme public-privé pour produire en France des véhicules accessibles, et des aides publiques conditionnées à un minimum de contenu local, y compris pour les batteries et composants critiques
– la mobilisation d’investissements croisés pour financer les chaînes d’assemblage, les centres de R&D, et les infrastructures de recharge
– enfin, le développement des mobilités émergentes (drones logistiques, véhicules autonomes, taxis volants) au travers de projets pilotes conjoints, notamment dans les territoires ultramarins ou peu denses, en lien avec les collectivités territoriales et les autorités aéronautiques.
Recommandation : Créer un comité franco-chinois, sous pilotage interministériel, qui aurait pour mission de coordonner des projets conjoints dans le domaine de la mobilité électrique, de favoriser un programme public-privé pour produire en France des véhicules prévoyant l’octroi d’aides publiques conditionnées à un minimum de contenu local, de mobiliser des investissements croisés et de lancer des projets pilotes en matière de mobilités émergentes.
Enfin, votre rapporteure attire l’attention sur un point fondamental : la Chine, tout en développant sa propre production sur le territoire européen pour sécuriser son développement face aux tensions géopolitiques, a besoin d’exporter une partie de ses véhicules électriques déjà produits. Cette pression commerciale est renforcée par la guerre des prix actuellement à l’œuvre sur son marché intérieur. Dans ce contexte, plusieurs pistes de régulation sont à l’étude à Bruxelles. Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, a évoqué l’idée d’instaurer un mécanisme de prix minimum à l’importation des véhicules chinois. En parallèle, les équipementiers français et italiens plaident, dans le cadre du dialogue stratégique ouvert par la Commission, pour l’établissement de quotas d’importation et de seuils obligatoires de contenu local (75 à 80 % sur les véhicules vendus dans l’Union européenne, quel que soit leur pays d’origine). Ces propositions visent à protéger la chaîne industrielle européenne, en particulier les sous-traitants, contre un afflux déséquilibré de produits asiatiques à faible valeur ajoutée locale.
Certes, ces instruments sont sensibles. L’instauration de quotas ou de prix planchers unilatéraux soulève des difficultés juridiques au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce. Mais des précédents existent : l’Union a déjà eu recours à des mécanismes analogues dans d’autres secteurs (acier, panneaux solaires, textile), en s’appuyant sur des clauses de sauvegarde ou sur des accords bilatéraux sectoriels.
Votre rapporteure considère dès lors qu’il serait opportun d’élaborer un accord global bilatéral de régulation commerciale qui serait complété par des accords sectoriels, par exemple dans le domaine des véhicules électriques. Ces accords pourraient prévoir:
Recommandation : Négocier avec la Chine un accord global de régulation commerciale complété par des accords sectoriels (par exemple, dans le domaine des véhicules électriques) prévoyant notamment une gestion concertée des flux d’importation, un accès différencié au marché européen en fonction du respect de critères environnementaux, sociaux et industriels, des obligations de production locale et une sécurisation de l’implantation des entreprises européennes sur le marché chinois dans des conditions transparentes et équitables.
Un tel accord doit se situer à mi-chemin entre souveraineté et coopération, « un protectionnisme solidaire » comme le défend Jean-Luc Mélenchon lors de son audition. Il permettrait d’apporter une réponse aux besoins et défis urgents et d’écarter le risque de voir la France perdre sa base industrielle en quelques années. Il permet aussi de stabiliser le cadre commercial et de le rendre plus lisible aussi bien pour les partenaires chinois que français.
Tesla, le géant américain aux pieds d’argile
Symbole de la révolution électrique des années 2010, Tesla voit aujourd’hui son avance se réduire. En 2025, ses livraisons mondiales ont chuté de 13 % au premier trimestre. Le Cybertruck peine à convaincre, et l’absence de modèle compact abordable fragilise sa position : BYD le surpasse désormais en volume, en prix et en diversité de gamme.
Si Tesla conserve une forte image et un avantage logiciel réel, son modèle s’essouffle. Le comportement incohérent d’Elon Musk, conjugué à des vagues de licenciements et à la fuite de cadres stratégiques, inquiète les marchés : l’action a perdu près de 30 % depuis janvier 2025, dont 14 % en une seule séance en juin (après une dispute publique avec Donald Trump), effaçant 152 milliards de dollars de capitalisation.
En Europe, Tesla est également directement concernée par les nouvelles mesures commerciales décidées par la Commission européenne à l’encontre des véhicules électriques chinois. Produisant une part de ses véhicules pour le marché européen dans sa Gigafactory de Shanghai, l’entreprise se voit appliquer un droit de douane supplémentaire de 7,8 %, s’ajoutant au tarif de base de 10 % déjà en vigueur. Cette pression tarifaire, couplée à celle des constructeurs asiatiques, fragilise l’acteur américain.
C. Renforcer les coopérations autour des communs
1. La coopération sanitaire : priorité humaine, impératif stratégique et outil de souveraineté
« Les Chinois sont plus efficaces que vos équipes communes de l’Union européenne pour élaborer des vaccins, mes amis », déclare Emmanuel Macron en février 2021, lors d’un entretien à l’Atlantic Council, en rapportant les propos d’un dirigeant européen saluant la rapidité de la réponse chinoise face à la pandémie de Covid-19.
Cette réactivité, bien que sujette à critique sur plusieurs points (manque de transparence, mesures de contrôle extrêmes, restrictions sévères des libertés), a mis en évidence que la santé constitue aussi un champ de projection de puissance, un espace de compétition industrielle, un levier de diplomatie scientifique et un enjeu humain de première importance.
Les interdépendances entre la Chine et le reste du monde - et avec la France en particulier - s’expriment dans le domaine sanitaire avec une intensité longtemps sous-estimée.
Avec son 1,4 milliard d’habitants et son urbanisation, la Chine fait face à des défis majeurs : vieillissement rapide, explosion des maladies chroniques, risques zoonotiques persistants. En 2021, le marché chinois de la santé était évalué à environ 10 000 milliards de yuans, soit près de 1 500 milliards de dollars, selon les estimations publiées dans le cadre de l’initiative gouvernementale « Healthy China 2030 ». À l’horizon 2030, ce marché devrait atteindre 16 000 milliards de yuans, soit environ 2 400 milliards de dollars.
Pour répondre à cette pression démographique et sanitaire, elle investit massivement dans les infrastructures hospitalières et la formation des personnels, mais développe également ce que la revue Frontiers in Medicine qualifie de « médecine augmentée » : une médecine fondée sur l’IA, les capteurs connectés et l’analyse prédictive des données. En mobilisant une patientèle très large et en s’appuyant sur des capacités de collecte accélérée de données médicales, la Chine peut tester et modéliser à une échelle inégalée, consolidant ainsi une capacité d’anticipation biomédicale fondée sur la masse.
En parallèle, la France mobilise un réseau hospitalier performant, une recherche biomédicale publique d’excellence, et une culture de la régulation éthique. Avec 12 % de son PIB consacré à la santé ([65]) , elle figure parmi les pays les plus investis. Mais ce socle est mis à l’épreuve : dépendance à l’importation de principes actifs, vulnérabilité logistique, dispersion des bases de données.
La capacité de la Chine à conduire des essais cliniques de grande ampleur intéresse directement la recherche française. Lorsqu’elle est bien encadrée, cette complémentarité peut renforcer l’efficacité des coopérations scientifiques, tout en soulevant des questions légitimes sur les plans scientifique et éthique.
Dans ce contexte, le développement des échanges de formation apparaît comme un levier d’action immédiat. Les coopérations hospitalo-universitaires entre CHU français (Paris, Lyon, Toulouse, Montpellier) et hôpitaux chinois (Ruijin, Huashan, West China Hospital) méritent d’être renforcées. À Shanghai, l’hôpital Ruijin illustre la profondeur de ces liens : fondé par des missionnaires français au XIXe siècle sous le nom de l’Hôpital Sainte Marie, il est aujourd’hui affilié à l’université Jiao Tong et joue un rôle clé dans les échanges médicaux avec la France. La rapporteure a pu s’y rendre dans le cadre de sa mission et constater l’importance de la coopération franco-chinoise à travers le programme de mobilité de jeunes médecins ainsi que l’IRP Gènes et Cancer ([66]).
Plusieurs des interlocuteurs rencontrés lors de la visite de l’Hôpital de Reijin, expriment la nécessité d’une meilleure coordination à travers la mise en place d’un programme interministériel de mobilité coordonné par les ministères de la Santé, de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et des Affaires étrangères, en lien avec les universités et établissements hospitaliers partenaires. Ce dispositif permettrait d’harmoniser les formations, de mieux encadrer les mobilités étudiantes et de garantir la reconnaissance académique et professionnelle des stages réalisés en Chine.
Recommandation : Améliorer la coopération franco-chinoise en matière de formation en milieu hospitalier grâce à la mise en place d’un programme interministériel de mobilité, coordonné par les ministères de la Santé, de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et des Affaires étrangères, en lien avec les universités et établissements hospitaliers partenaires.
La coopération dans le domaine de la santé porte également sur des enjeux industriels tels que la maîtrise des chaînes d’approvisionnement et cela a été particulièrement décisif dans la gestion de la crise Covid.
Sanofi, entreprise française présente en Chine depuis 1982, exploite aujourd’hui trois sites industriels en Chine et un centre de R&D à Suzhou, et multiplie les partenariats avec Huawei Health, l’université de Pékin et le Beijing Institute of Biotechnology par exemple. Le 2 décembre 2024, elle a annoncé un investissement d'environ un milliard d'euros pour la construire un laboratoire d'insuline à Pékin ([67]). Cette dynamique ne saurait être assimilée à un outil de souveraineté sanitaire. En tant qu’entreprise privée à capital majoritairement étranger, Sanofi agit selon une logique économique propre, déconnectée des priorités stratégiques nationales. L'externalisation d'une partie de nos capacités industrielles et des projets de recherche en dehors du territoire français soulève, à ce titre, des interrogations légitimes.
Recommandation : Renforcer la protection des entreprises françaises du secteur de la santé grâce à un meilleur encadrement des coopérations industrielles, la mise en place d’obligations de retour sur investissement scientifique et technologique en France, ainsi qu’un suivi public des engagements pris en matière de transfert de compétences, de partage de données et de protection des intérêts collectifs.
La coopération franco-chinoise en matière de santé peut être un levier d’innovation. Mais pour devenir un facteur de souveraineté, elle doit s’inscrire dans un cadre stratégique piloté par l’État, garant de l’intérêt général.
L’expérience de la pandémie a mis en lumière l’intérêt de cette complémentarité. Dès janvier 2020, la Chine publiait le séquençage du SARS‑CoV‑2 en moins de 48 heures. Ses infrastructures, ses plateformes de biosécurité (plus de 2 500 laboratoires agréés), et ses bases de données géospatiales ont permis une réponse rapide. En France, l’Inserm, le CEA et l’Institut Pasteur ont mobilisé leurs ressources de recherche en s’appuyant sur ces données. Cette coopération réactive a été précieuse, mais elle souligne une dépendance : l’accès aux informations critiques est souvent asymétrique.
Recommandation : Formaliser un accord bilatéral franco-chinois de sécurité sanitaire, incluant un mécanisme d’alerte codirigé, l’échange structuré de données virales, la constitution de cellules scientifiques mixtes de modélisation, et des engagements communs en cas d’urgence pandémique.
La prévention des zoonoses constitue un autre pilier de cette coopération. La Chine a mis en place plus de 200 stations de biosurveillance associant élevages, marchés, zones forestières et faune sauvage. Ce réseau est soutenu par des outils de détection algorithmique, de cartographie satellite et de séquençage décentralisé. La France collabore via des instituts comme le CIRAD, l’INRAE ou l’IRD, notamment dans le cadre du programme PREZODE lancé au G20 en 2021.
Dans le prolongement des initiatives « One Health » portées par l’OIE ([68]) , l’OMS et l’Union africaine, la France devrait proposer la création d’un centre tripartite de biosécurité vétérinaire France – Chine – Afrique. La Chine développe déjà des partenariats de biosécurité avec plusieurs pays africains. Ce centre aurait pour mission de mutualiser les données sanitaires animales, de renforcer les capacités d’intervention en zone à risque et de structurer la formation des personnels vétérinaires et de santé publique. Cette proposition s’inscrirait dans un cadre multilatéral et de communauté de destin entre nos peuples.
Recommandation : Proposer la création d’un centre tripartite de biosécurité vétérinaire France – Chine – Afrique qui aurait pour mission de mutualiser les données sanitaires animales, de renforcer les capacités d’intervention en zone à risque et de structurer la formation des personnels vétérinaires et de santé publique.
Plus que jamais auparavant, la santé renvoie à nos interdépendances. En encadrer les usages, garantir la sécurité des données, anticiper les crises, former les futurs praticiens, produire sur place, partager l’innovation sont au cœur de la diplomatie « sanitaire ». La coopération franco-chinoise dans ce domaine mérite une attention et des moyens publics à condition de penser une politique sanitaire qui priorise l’intérêt général.
2. Relancer la coopération culturelle bilatérale : nécessité humaine et opportunités économiques
Spécialiste des politiques publiques de la culture, le professeur Gilles Rouet écrivait (en collaboration avec Stela Raytcheva) que la coopération culturelle repose sur une forme d’adaptation aux contextes locaux et doit favoriser les échanges horizontaux. Cet enseignement tiré des analyses des instituts et alliances françaises est fondamental pour le développement d’une coopération bilatérale qui ne se réduise pas au formalisme des échanges diplomatiques. La coopération culturelle sino-française, dont les débuts remontent à l’accord intergouvernemental de 1966, demeure un axe structurant de l’amitié entre les deux nations.
En 2024, la France a accueilli environ 1,1 million de visiteurs chinois, soit environ la moitié du niveau d’avant pandémie. La Chine, elle, n’en a reçu qu’un quart par rapport à 2019, soit environ 104000. La fermeture prolongée des frontières chinoises jusqu’à fin 2022 a interrompu nombre de projets, gelé les coproductions, suspendu les résidences et raréfié les rencontres. La reprise est lente, entravée par des restrictions persistantes et un climat diplomatique incertain.
La Chine consacre chaque année environ 2,5 milliards d’euros à la culture, aux médias, au sport et au tourisme au niveau central, selon le budget adopté par la 14e Assemblée populaire nationale pour l’année 2024. Si ce chiffre peut paraître modeste à l’échelle du pays, il est complété par des investissements considérables au niveau provincial et municipal, très variables selon les priorités locales. À Shanghai, par exemple, les autorités ont annoncé, en 2023, un plan global de plus de 15 milliards d’euros sur plusieurs années pour soutenir 28 projets dans le domaine culturel et touristique, incluant musées, industries créatives, patrimoine et infrastructures événementielles. D'autres grandes villes comme Pékin ou Shenzhen mobilisent également des budgets publics annuels allant de 1 à 2 milliards d’euros, dédiés aux industries culturelles dites « stratégiques » ou « futures ».
Ce financement s’inscrit dans une planification culturelle clairement définie dans le 14e Plan quinquennal pour renforcer la capacité d’influence internationale de la Chine, développer des contenus culturels compétitifs, et bâtir une « puissance culturelle socialiste moderne » en maîtrisant les infrastructures, les récits et les plateformes de diffusion.
La France, de son côté, reste attachée à une conception pluraliste et décentralisée de la culture, mais ses moyens à l’international sont contraints, ses réseaux fragilisés, et sa stratégie parfois dispersée. Face à un partenaire doté d’une vision cohérente et de ressources ciblées, la France doit clarifier ses priorités, renforcer ses leviers de coopération, et soutenir les acteurs culturels sur le terrain.
Ces deux conceptions n’en sont pas pour autant antagonistes comme en témoignent des décennies de projets et d’échanges.
Des festivals comme Made in China à Marseille, ou Croisements à Pékin, prouvent que des passerelles peuvent exister, dès lors qu’elles reposent sur la réciprocité et une certaine autonomie des institutions. Des projets universitaires franco-chinois – comme les doubles diplômes entre Sciences Po et Fudan ou les échanges entre La Fémis et l’Académie de cinéma de Pékin – montrent également l’impact concret des coopérations éducatives. Ces dynamiques sont souvent portées par des individus : enseignants sinophones, jeunes diplômés, collectifs associatifs, libraires indépendants, traducteurs littéraires. Leur engagement est d’autant plus méritoire qu’ils doivent composer avec un désintérêt croissant des grandes institutions pour les formats modestes, expérimentaux ou non rentables.
Dans les industries culturelles, le potentiel est considérable mais encore largement inexploité. Le cinéma souffre de quotas d’importation en Chine, d’un manque de transparence sur les procédures de censure et d’un déficit de cofinancements.
Les films coproduits restent rares malgré l’accord signé entre la France et la Chine en 2010, qui permet pourtant de reconnaître les œuvres comme nationales dans les deux pays. Selon les données disponibles, seules 77 coproductions ont été réalisées depuis l’entrée en vigueur de cet accord. Les festivals internationaux peinent à présenter des œuvres critiques ou singulières, les marges de programmation étant souvent restreintes par les autorités chinoises.
Le secteur des jeux vidéo connaît quelques implantations françaises, comme celle d’Ubisoft à Chengdu, mais il n’existe à ce jour aucune stratégie bilatérale structurée ou lisible dans ce domaine. De même, les musiques actuelles, les arts numériques ou les séries animées sont trop souvent réduits à des événements ponctuels, sans mécanisme de soutien durable à la création conjointe ou à la diffusion croisée.
Les difficultés s’aggravent encore lorsqu’il s’agit de la circulation des personnes. M. Sylvain Fourrière, Consul de France à Canton, évoque les difficultés pour les artistes français face au parcours d’approbation de demandes de visa, aux problèmes liés au transport des œuvres, aux assurances, aux autorisations douanières ou aux contraintes techniques des lieux d’accueil. Dans la majorité des cas, ce sont les petits acteurs (indépendants, intermittents, bénévoles) qui pallient l’absence d’un accompagnement public structurant.
S’ajoute à cela un enjeu rarement abordé frontalement : la langue. En France, l’enseignement du chinois reste marginal, notamment en raison du manque d’enseignants formés et de postes ouverts au Capes et à l’agrégation. En Chine, si environ 40 000 étudiants suivent une filière universitaire francophone, la diffusion du français au niveau secondaire reste limitée, et recule dans certaines provinces. Les contenus culturels circulent peu en traduction directe : la majorité des œuvres littéraires chinoises publiées en France passent encore par une langue intermédiaire. Rares sont les expositions, programmes culturels ou événements conçus dans les deux langues, ce qui limite l’accès réel aux œuvres et fragilise la compréhension mutuelle.
Enfin, le flux touristique entre les deux pays semble reprendre depuis 2024 mais reste en-deçà de ce qu'il fut en 2019 quand la France a accueilli environ 2,2 millions de touristes chinois, générant près de 3,5 milliards d’euros de retombées économiques. Mais l’offre reste dominée par une approche consumériste, centrée sur les grandes marques et les monuments iconiques. Pour faire du tourisme chinois un vecteur actif de dialogue culturel, il faudrait investir dans des parcours alternatifs, porteurs de sens culturel, social et écologique. La formation de guides interculturels contribuerait à l'amélioration qualitative des expériences proposées.
Recommandation : Développer le tourisme culturel entre la France et la Chine par l’organisation d’évènements culturels marquants dans des régions et villes françaises et chinoises favorisant la découverte des cultures des deux pays, la tenue de manifestations artistiques, l’investissement dans des parcours porteurs de sens culturel, social ou écologique et la formation de guides interculturels.
Votre rapporteure soutient l’idée, déjà proposée à plusieurs reprises par la France depuis le milieu des années 2000, de créer un fonds culturel bilatéral franco-chinois. Cette proposition, formulée dans le cadre de la coopération décentralisée, n’a jusqu’à présent jamais trouvé d’écho institutionnel du côté chinois. Pourtant, elle est une voie sérieuse pour dépasser les blocages actuels, notamment en matière de visas, d’autorisations administratives, de validation des contenus ou de reconnaissance des porteurs de projet. Un tel fonds, pourrait soutenir des projets issus du terrain – résidences, jumelages, coproductions, traductions – en publiant des appels à projets co-rédigés, traduits et validés en amont. Il offrirait ainsi un cadre sécurisé aux initiatives tout en réaffirmant l’ambition d’un dialogue culturel basé sur les échanges humains.
Recommandation : Créer un fonds culturel bilatéral franco-chinois afin d’accompagner des projets artistiques, éducatifs ou patrimoniaux portés conjointement par des acteurs des deux pays.
3. La jeunesse : acteur délaissé et pourtant levier décisif pour l’avenir
Depuis la pandémie de COVID-19, la présence des jeunes Français en Chine s’est effondrée. Selon les autorités consulaires françaises, seuls 500 étudiants français étaient officiellement enregistrés ([69]) sur le territoire chinois en 2024. En miroir, Campus France indique que 27 000 étudiants chinois sont actuellement présents en France — un chiffre stable malgré les années de fermeture. Ce déséquilibre ne relève pas seulement d’un différentiel d’attractivité : il traduit une rupture stratégique, un renoncement français à former ses jeunes à la compréhension d’un pays pourtant incontournable.
Les dispositifs de mobilité vers la Chine, qu’il s’agisse des VIE (Volontariat international en entreprise), des VIA (en administration), ou des stages rémunérés, peinent à s’insérer dans le cadre réglementaire chinois. Pékin n’a toujours pas reconnu le statut spécifique de ces programmes et continue de les assimiler à des postes de travailleurs étrangers soumis à des critères stricts, en particulier celui des deux années d’expérience professionnelle. Ce verrou empêche de nombreux jeunes diplômés français, souvent sinophones, de rester sur place après leurs études.
Du côté chinois, les entreprises locales, faute d’accord bilatéral structurants et de mécanismes d’incitation, se montrent peu enclines à intégrer des profils VIE. Dans la pratique, elles doivent démontrer qu’aucun candidat local ne possède les compétences requises, ce qui revient à tuer toute ambition.
À ce verrou administratif s’ajoute une défaillance française. En 2019, le président de la République a affirmé vouloir envoyer 10 000 étudiants français en Chine chaque année. Mais cette ambition politique, réitérée à plusieurs reprises, ne s’est jamais traduite en plan d’action. L’autonomie des universités françaises, souvent érigée en dogme, devient ici un frein : la majorité des établissements refuse d’entrer dans une démarche proactive à l’égard de la Chine, pour des raisons mêlant méconnaissance, prudence politique et contraintes budgétaires. Résultat : aucune plateforme d’orientation n’existe, aucune cartographie des universités chinoises partenaires n’est disponible, aucun mécanisme de mutualisation n’est activé. Ce vide contraste violemment avec la politique chinoise, qui offre bourses du China Scholarship Council (CSC), aides provinciales et soutien des Instituts Confucius. Les étudiants français qui parviennent à s’y retrouver parlent d’un système d’aides « étonnamment accessible », pour peu qu’on sache où chercher.
Pendant ce temps, la Chine investit sérieusement dans les jeunesses du Sud global. Depuis le lancement des Nouvelles Routes de la Soie (BRI), elle a distribué chaque année environ 10 000 bourses d’études à des étudiants africains, asiatiques et latino-américains ([70]). En 2018, ils étaient 81 562 étudiants africains inscrits dans des universités chinoises, un chiffre multiplié par huit en deux décennies ([71]). Pour beaucoup de ces jeunes, Pékin représente une alternative crédible au modèle occidental : un enseignement accessible, une mobilité financée, une intégration dans les réseaux économiques et diplomatiques. La Chine articule intelligemment son effort éducatif à ses ambitions industrielles. Elle forme sur place les futurs cadres appelés à mettre en œuvre ses projets dans leur pays.
En France, l’idée même d’une politique éducative géostratégique est encore balbutiante, coincée entre silences institutionnels et frilosité technocratique. Il est impératif que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en lien avec les affaires étrangères et les postes diplomatiques, engage une réforme de fond. Elle doit s’appuyer sur un cadre incitatif national, des objectifs de conventionnement bilatéral, une plateforme centralisée d’information et un plan de valorisation du mandarin dans les cursus français.
Recommandation : Développer davantage de partenariats entre établissements universitaires chinois et français afin d’encourager plus de jeunes français à partir étudier en Chine, renforcer la politique d’attractivité universitaire française à destination des étudiants chinois par la définition d’objectifs de conventionnement bilatéral entre l’État et les établissements universitaires français, créer une plateforme centralisée d’information, lancer un plan de valorisation du mandarin dans les cursus français, encourager la création de réseaux d’anciens élèves, développer la présence des établissements français sur les réseaux sociaux chinois et la valorisation de leur image de marque.
La France doit assumer une diplomatie des jeunesses en négociant un véritable accord bilatéral, avec reconnaissance réciproque des statuts (étudiants, VIE, VIA), visas simplifiés, et suivi régulier au plus haut niveau. Cet accord ne doit pas être périphérique : il doit devenir un pilier de la relation franco-chinoise.
Recommandation : Négocier un accord bilatéral visant à soutenir la mobilité des jeunes, incluant notamment pour les jeunes français la refonte des conditions d’exercice des VIE et VIA et des conditions d’octroi des visas.
Il faut ensuite lancer un programme d’éducation franco-chinois d’excellence, orienté vers les grands défis communs : transition écologique, intelligence artificielle, santé globale, gouvernance numérique. Chaque année, plusieurs centaines de binômes franco-chinois pourraient être formés dans des établissements sélectionnés à cette fin.
Recommandation : Lancer un programme d’éducation franco-chinois d’excellence, orienté vers les grands défis communs (transition écologique, intelligence artificielle, santé globale, gouvernance numérique) permettant à des binômes franco-chinois d’être formés dans des établissements sélectionnés à cette fin.
Il est aussi temps de reconnaître que le déficit de sinophonie est une faiblesse stratégique. S’il est désormais possible de passer le chinois en LV1 au bac, cette langue n’est toujours pas proposée dans de nombreux concours d’admission dans des établissements du supérieur. En 2011-2012, Eurostat évaluait à 0,35 % le taux des élèves français qui étudiaient le chinois. Depuis cette date, aucune donnée officielle ne permet d’en mesurer l’évolution.
Face à l’importance croissante de la Chine sur la scène internationale, il devient impératif pour la France de renforcer ses capacités de compréhension linguistique et culturelle, à l’image de l’effort consenti depuis plusieurs décennies pour l’anglais. Dans cette perspective, la mise en place d’un Plan national pour l’enseignement du mandarin doit être une priorité éducative. M. Joël Bellassen, professeur des universités à l'INALCO, puis, de 2006 à 2016, premier Inspecteur général du chinois au sein du Ministère de l’Éducation nationale, avait proposé un tel plan fondé sur un pilotage ministériel et des moyens pédagogiques innovants. Cela pourrait se traduire par l’ouverture de postes dès le collège, l'incitation dans les concours, les doubles diplômes, ou encore une formation renforcée des enseignants.
Recommandation: Mettre en place un Plan national pour l’enseignement du mandarin reposant sur l’ouverture de postes dès le collège, l'incitation à présenter cette langue dans les concours, le développement de doubles diplômes, un recours accru aux outils numériques et aux nouvelles technologies, le développement des approches culturelles afin d’enrichir le contenu linguistique et susciter l’intérêt des apprenants et la mise en place d’une formation renforcée des enseignants.
La langue est le ciment de cette politique de fraternité qui doit s’enraciner dans une mémoire partagée. Les histoires croisées entre nos deux peuples sont innombrables : Zhou Enlai, Deng Xiaoping ou Cai Yuanpei ont tous étudié en France au 20e siècle. La quasi-totalité des personnalités chinoises, et même chefs d’entreprises, auditionnées pour ce rapport, avaient étudié en France et maîtrisaient notre langue. Entre Chinois et Français, la langue des échanges ne doit pas être l’anglais. Il semble essentiel de préparer les futures générations françaises face à la réalité chinoise du 21e siècle.
Campus France :
Passer de guichet administratif
au pilotage stratégique d’une politique internationale éducative
Campus France est l’opérateur central de la politique d’attractivité universitaire. Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), créé en février 2011, il est placé sous la double tutelle du ministère des Affaires étrangères (MEAE), pour la diplomatie éducative, l’action culturelle extérieure, et les relations internationales et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), pour les politiques universitaires, les programmes de formation et les relations avec les établissements.
Il compte 275 espaces dans 134 pays et fédère près de 370 établissements partenaires via son forum. En 2023‑2024, la France a accueilli 430 466 étudiants étrangers, en hausse de 4,5 % par rapport à l’année précédente. À travers le plan « Bienvenue en France » qui vise 500 000 étudiants internationaux d’ici 2027, Campus France jour un rôle majeur dans la diplomatie éducative.
Malgré cette assise, son action semble peu dirigée pour être en adéquation avec les enjeux géopolitiques, en particulier en Chine, où la réactivation des mobilités étudiantes tarde à se concrétiser.
Sur le terrain, l’autonomie des universités françaises constitue un frein à la mise en œuvre d’une stratégie nationale dans la mesure où chaque établissement définit librement ses priorités internationales, sans obligation de coordination ni d’alignement sur une vision portée par Campus France.
Les établissements privés, principalement les écoles de commerce, investissent massivement dans leur marketing et se dotent de réseaux à l’international, accentuant la concurrence sur la scène mondiale. En 2023 – 2024, 14 % des étudiants étrangers en France étaient inscrits dans ces établissements, et leur croissance est particulièrement marquée. Selon une étude de Campus France, « les écoles de commerce sont les établissements ayant attiré le plus de nouveaux étudiants de nationalité étrangère entre 2017 et 2022 (…) particulièrement attractives pour les étudiants d’Asie et d’Océanie » (Campus France, Repères et tendances 2023). Ce déséquilibre contribue à un morcellement de l’offre de formation française, dont la lisibilité à l’international s’en trouve affaiblie.
Malgré une présence établie à Pékin, Shanghai, Canton et Wuhan, le contrat d’objectifs 2023 – 2025 (CAP 2030) ne cible pas spécifiquement la Chine, pourtant considérée comme un partenaire stratégique. En 2023 – 2024, on compte 27 123 étudiants chinois inscrits en France, soit une baisse de 5 % sur cinq ans, malgré une progression de +6 % en 2023 (Campus France, 2024). À l’inverse, ces étudiants représentent désormais 25 % des étudiants internationaux accueillis en France, confirmant leur position de troisième pays d’origine, après le Maroc et l’Inde.
Parallèlement, les candidatures et départs d’étudiants français vers la Chine restent peu visibles : les autorités françaises ne publient pas de chiffres récents, et il n’existe aucune stratégie régionale dédiée pour fluidifier ces mobilités.
Campus France gère 366 programmes de bourses via sa plateforme Campus Bourses ; la plateforme Études en France a enregistré plus de 140 000 candidatures en 2022, en provenance de 70 pays, soit une hausse de 18 % par rapport à 2019. En 2021, ses guichets visa ont traité 203 392 demandes pour 79 .424 visas délivrés, un niveau supérieur à celui de l’avant-Covid.
Malgré ces compétences reconnues, Campus France ne dispose pas de mandat sur des dispositifs complémentaires comme les VIE/VIA, gérés par Business France qui a son propre programme de promotion appelé « Campus Managers » dans les établissements d’enseignement supérieur. Il serait pertinent de coordonner les efforts et d’optimiser ainsi l’investissement public.
De plus, Campus France pourrait établir une convention de partenariat avec la China Scholarship Council, organisme public chinois chargé de gérer les programmes de bourses pour les étudiants chinois à l’étranger (études supérieures, recherche, stages) et les étudiants étrangers en Chine.
Recommandation : Mettre en place un accord de partenariat entre Campus France et le China Scholarship Council et intégrer Campus France dans le dispositif des VIE/VIA pour une coordination avec Business France.
Alors que le rapport s’achève, l’actualité nous rattrape. Au moment où la Conférence des Nations unies sur l’océan s’achève à Nice sur un appel solennel à sanctuariser les grands fonds marins, à préserver la biodiversité marine et à renforcer la coopération scientifique, la Chine a surpris par sa “montée en puissance dans la protection des océans” (Le Monde, le 10 juin 2025). Cette inflexion diplomatique écologique, largement ignorée en Europe, témoigne d’un changement majeur : la Chine affirme de plus en plus clairement son rôle dans la gouvernance environnementale mondiale.
Mais, dans le même temps, la guerre a resurgi. Le 12 juin 2025, Israël a lancé une série de frappes contre des installations militaires et nucléaires iraniennes, provoquant une riposte massive de l’Iran, et une réunion de crise du Conseil de sécurité de l’ONU. Tandis que la Chine, la Russie, l’Iran et plusieurs pays du Sud global ont appelé à une désescalade immédiate, les puissances occidentales se sont contentées d’exprimer leur « soutien au droit d’Israël à se défendre », sans condamnation formelle. Cette asymétrie dans les postures diplomatiques alimente un ressentiment croissant envers le deux poids deux mesures de l’Occident.
Dans ce contexte d’embrasement régional, la rapporteure exprime une vive inquiétude quant à l’alignement aveugle de la France et de l’Union européenne sur la diplomatie de guerre. Elle déplore l’absence de prise de position courageuse pour un cessez-le-feu immédiat, l’absence de condamnation claire des violations du droit international, et la faiblesse du rôle joué par la diplomatie française, pourtant historiquement attachée à la paix et au multilatéralisme.
Ce rapport est, à contre-courant, un rapport profondément pro-français et altermondialiste. Il part d’une certitude : un autre monde est possible, un autre monde adviendra. La seule question est de savoir quelle sera la place de la France dans ce monde. Un monde multipolaire ne signifie pas un chaos de puissances, mais l’opportunité de bâtir un ordre mondial plus juste et plus durable.
À chaque grande bifurcation de l’histoire, la France s’est trouvée face à un choix. Trop souvent, elle a choisi la voie des armes : la colonisation, les deux guerres mondiales, les guerres de décolonisation. Trop souvent, elle a trahi ses principes au nom de sa puissance. Pourtant, elle a su, parfois, être fidèle à elle-même : en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac, elle a refusé de participer à la guerre en Irak, faisant entendre la voix de la paix et de l’indépendance face aux manipulations des États-Unis.
Si Emmanuel Macron et son gouvernement ne tirent aucune leçon de cette histoire, l’année 2025 pourrait bien marquer le moment où la France aura raté tous les grands rendez-vous du siècle : la bifurcation écologique, la réforme de la gouvernance mondiale, la réinvention des alliances, la souveraineté industrielle, la paix.
C’est à ces défis que ce rapport appelle à répondre. Par une diplomatie lucide, indépendante et résolument humaniste et solidaire.
Souvenons-nous de ce que Charles de Gaulle déclarait en décembre 1965 : « Alors, il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant "l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !", mais cela n’aboutit à rien : il faut prendre les choses comme elles sont » ([72]).
La Commission s’est réunie le 17 juin 2025, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Madame la rapporteure, je voudrais vous remercier pour votre travail conséquent, caractérisé par de nombreuses auditions, y compris en Chine. Votre travail défend des points de vue engagés, qui seront débattus, tout en s’appuyant sur des analyses fouillées et documentées qui exploitent les nombreuses auditions menées.
Toutefois, votre travail semble aussi dépasser la simple relation entre l’Union européenne et la Chine pour aborder des sujets comme la situation à Gaza, la nécessité d’une monnaie universelle, l’appel à la faveur d’un tribunal international pour la justice climatique et environnementale ou encore la réforme de la gouvernance mondiale. Ces éléments peuvent susciter des interrogations quant à leurs liens directs avec le thème de votre rapport. Ce serait intéressant d’avoir votre point de vue là-dessus.
Mme Sophia Chikirou, rapporteure d’information. Je suis très heureuse de pouvoir présenter le présent rapport dont l’origine remonte à l’an dernier, avant même la dissolution. Je remercie à ce titre le Bureau de la commission des affaires européennes de m’avoir à nouveau confié ce rapport d’information dans laquelle je me suis pleinement investie.
La relation entre l’Union européenne et la Chine a fortement évolué ces dernières années et s’est malheureusement fortement dégradée. Le prochain sommet Union-Chine, qui se tiendra en Chine à la fin du mois de juillet, se déroulera dans un climat de défiance que nous avons rarement connu, avec ce partenaire qui est à la fois central dans le commerce international mais aussi dans la géopolitique mondiale. C’est pour cette raison que le rapport va au-delà des simples relations commerciales et économiques Union-Chine pour aborder des sujets qui concernent la géopolitique et l’ordre international.
Depuis l’élection de Donald Trump et son entrée en fonction au début de l’année 2025, l’ordre international et le multilatéralisme sont menacés. L’unilatéralisme nord-américain provoque des bouleversements qui ont des conséquences directes au sein de l’Union européenne. D’ailleurs, les premières pages du rapport citent le président américain pour illustrer la façon dont il appréhende l’Europe : « l’Union européenne est à bien des égards plus méchante que la Chine. Oh, ils vont céder beaucoup vous verrez, nous avons toutes les cartes en main. Ils nous traitent très injustement ».
Concernant la Chine, il faut savoir que les relations diplomatiques entre l’Union et la Chine datent de 1975. La Chine a depuis connu une ascension exceptionnelle. En 2001, la Chine fait son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce. Les pays européens et les entreprises européennes souhaitaient disposer d’un accès privilégié au marché chinois, et ils l’ont obtenu. Mais ils ont aussi énormément utilisé la Chine comme lieu de délocalisation, laquelle est en grande partie responsable de la crise industrielle que connaissent l’Union européenne et la France en particulier.
En 2024, la Chine a enregistré un excédent commercial de 993 milliards de dollars. Investisseur majeur dans les pays émergents, elle détient le troisième stock mondial d’investissements à l’étranger.
La Chine est une puissance régionale, mondiale, militaire, nucléaire, diplomatique, qui a énormément investi dans les technologies identifiées comme stratégiques, notamment en matière d’intelligence artificielle générative comme le montre l’arrivée de DeepSeek sur le marché.
Paradoxalement, l’Union européenne pèse difficilement sur les affaires du monde. Traversées par de nombreuses fragilités internes, elle accuse un retard industriel et technologique flagrant, particulièrement dans le domaine du numérique ou celui de l’intelligence artificielle. Les visions et intérêts divergent régulièrement entre les États membres. Cette situation a abouti à une dégradation des relations entre la Chine et l’Union européenne.
Malgré tout, la Chine reste le deuxième partenaire commercial de l’Union européenne après les États-Unis. Les échanges sont clairement déséquilibrés, comme l’illustre la balance commerciale déficitaire de l’Union européenne. Pour autant, certains pays, comme l’Allemagne, ont une balance commerciale excédentaire
La relation entre l’Union européenne et la Chine est caractérisée par une défiance des européens. C’est ce qui ressort clairement des auditions.
Ce rapport plaide en faveur d’un changement de stratégie de la part de l’Union européenne. Il faut renoncer à qualifier la Chine de rivale systémique : cette qualification ne fait qu’enfermer la relation sino-européenne dans des logiques d’affrontements et de défiance et ne permet pas la résolution des différends.
Les mesures commerciales prises par l’Union européenne, qu’elles soient justifiées ou non, telles que les droits de douane instaurés sur les véhicules électriques, n’empêcheront pas la Chine de vendre ses produits. Ainsi, la BYD continue sa percée sur le marché européen alors que l’entreprise a fait l’objet de droits de douanes supplémentaires à hauteur de 17.5%.
Je plaide ainsi pour une forme de protectionnisme négocié. Plutôt que de s’engager dans l’adoption de mesures d’hostilité commerciale, qui provoquent de la part de la Chine des réactions délétères pour l’Union, j’encourage la négociation d’un accord global assurant la protection de notre industrie automobile et d’un certain nombre d’autres industries stratégiques. Plusieurs mécanismes peuvent être envisagés, comme les quotas d’importation : l’Union européenne (UE) l’a déjà prévu dans le cadre de plusieurs accords. Il peut aussi s’agir de l’instauration de prix planchers sur certains biens, notamment les voitures électriques, la mise en place de contreparties technologiques ou la création de coentreprises comme la Chine l’avait auparavant fait à son avantage.
Sur le plan politique, il est temps que l’UE marque son refus de toute vassalisation vis-à-vis des États-Unis et rejette l’atlantisme, qui fait d’elle un acteur secondaire sur le plan politique et géopolitique. Il est temps que l’Europe définisse son propre agenda et sa propre voie, notamment au service de la paix, qui est l’enjeu crucial du moment.
Il faut renoncer à la stratégie indopacifique européenne afin de revenir à une stratégie de coopération régionale incluant la Chine. La stratégie indopacifique, adoptée et définie par les États-Unis, puis par la France et par l’UE en 2021, vise à endiguer le développement de la Chine dans sa zone régionale et l’empêcher d’y développer son influence. Cela ne peut que favoriser les tensions, accentuées avec les exercices de l’OTAN en mer de Chine. Cette situation, insensée, va à l’encontre des intérêts européens. Il faut travailler à la désescalade et inclure cet acteur central et incontournable dans notre stratégie de coopération.
Nous ne pouvons par ailleurs pas envisager la transition écologique et l’adaptation aux changements climatiques sans la Chine, qui en est devenue un acteur absolument incontournable. La Chine demeure partie aux accords de Paris, elle a participé au Sommet sur les océans à Nice et elle prend des engagements certes perfectibles, mais dont les résultats sont parfois spectaculaires.
La France a un rôle diplomatique particulier à jouer. Elle est le premier pays à avoir reconnu la Chine. Elle a également œuvré à la reconnaissance de la République populaire de Chine par l’ONU en sa qualité de seul représentant de la Chine et à son intégration dans le système onusien. La France a par ailleurs toujours pris des positions respectueuses de la souveraineté chinoise. Si ses liens avec la Chine se sont distendus avec l’épisode des frégates de Taïwan à l’époque du président Mitterrand, le président Chirac était ensuite parvenu à définir une relation harmonieuse de coopération, sans s’aligner pour autant sur la Chine. Il ne s’agit en aucun cas de dire que la France doit s’aligner sur la Chine, mais qu’elle a des intérêts nationaux à coopérer avec ce pays.
Pour répondre à votre question, Monsieur le président, il y a des liens étroits entre le sujet des relations entre l’Union et la Chine et d’autres que vous évoquez, comme ceux de Gaza, de la monnaie mondiale et du système financier international. Comme la France, la Chine est très attachée au multilatéralisme. Comme la Chine qui est aux côté des Brics+, la France appelle, au niveau de l’ONU, à rééquilibrer le rapport avec les pays du Sud global. La Chine peut être un partenaire, et jouer un rôle central dans le rééquilibrage de l’ordre international et dans la résistance aux coups portés par l’unilatéralisme de Donald Trump.
L’exposé de la rapporteure d’information a été suivi d’un débat.
Mme Sylvie Josserand (RN). Nous sommes réunis pour examiner un rapport aux failles majeures, qui illustre une bienveillance inquiétante envers la Chine. Ainsi, le rapport élude totalement les pratiques de dumping massif, les subventions publiques, et les transferts forcés de technologie orchestrées par Pékin. Ce comportement a pourtant contribué à la destruction de centaines de milliers d’emplois, en France et en Europe.
En outre, vous recommandez de renforcer la coopération avec la Chine, notamment à travers les joint-ventures, ou encore les accords dans les secteurs stratégiques, comme les batteries ou le numérique. Aucune exigence de garde-fous, aucune garantie ne sont envisagées pour préserver notre souveraineté technologique, ou protéger nos actifs stratégiques. C’est ouvrir grand la porte à une nouvelle dépendance, celle d’échanger notre tutelle envers Washington, au profit d’une autre envers Pékin.
Par ailleurs, certaines propositions relèvent de l’utopie. Vous préconisez de « sauver les biens publics mondiaux avec la Chine » ou « de créer un tribunal international pour la justice climatique », alors même que Pékin refuse toute contrainte juridique internationale. Il s'agit là d’une insigne naïveté. Enfin, le rapport passe sous silence les ingérences chinoises en Nouvelle-Calédonie : pas un mot sur le soutien de Pékin au mouvement indépendantiste, aucune mesure concrète pour défendre nos intérêts dans le Pacifique.
Or, un rapport de l’Irsem publié en avril 2025 par Anne-Marie Brady souligne que depuis plusieurs années, des agents et relais du parti communiste chinois cherchent à influencer les décideurs locaux, notamment au sein du FLNKS. Des membres du mouvement indépendantiste kanak ont en effet reçu des fonds et des formations prodiguées par Pékin, dès les années 1980, ce qui contribue à entretenir les troubles dramatiques que nous connaissons actuellement en Nouvelle-Calédonie.
Madame la rapporteure, comment justifiez-vous l’absence totale de mention d’ingérence chinoise en Nouvelle-Calédonie, alors qu’elles sont documentées ? Comment expliquez-vous que tout en mentionnant la vassalisation de Washington, vous restez silencieuse sur le danger d’une vassalisation vis-à-vis de Pékin ? Changer de maître n’est pas gagner sa liberté.
Mme Sophia Chikirou, rapporteure d’information. Vous procédez à une lecture bien légère du rapport ! Ce dernier n’indique pas qu’il faut ignorer les stratégies de conquêtes commerciales de la Chine en Europe. Il ne passe pas sous silence la façon dont la Chine organise et profite du marché ouvert européen. Il explique en revanche que les mesures prises par l’Union européenne visant à instaurer des droits de douane ou à lancer des enquêtes sur les subventions publiques de la Chine aux entreprises ne permettront pas de protéger notre industrie.
Le rapport examine les effets délétères provoqués par de telles mesures. Le cas du cognac et du brandy en est un exemple : la Chine a pris des mesures de rétorsion qui, en moins de trois mois, ont provoqué une baisse des exportations françaises et une menace sur les emplois. La Commission européenne indique ne pas être en mesure de mesurer les conséquences des droits de douane instaurés sur les voitures électriques chinoises.
Ce rapport propose une stratégie de négociation point par point. Déjà, la Commission européenne a prévu de contrôler le contournement des règles commerciales avec la revente de biens chinois dans d’autres pays comme la Turquie. Toutefois, ces mesures ne seront pas suffisantes. Il vaut mieux discuter, notamment sur le transfert de technologie. L’enjeu est de réussir à accéder à certaines technologies que les Chinois maîtrisent mieux que nous. Il convient également de créer un cadre de travail sur la question du transfert de technologies et la protection de la propriété intellectuelle.
Le rapport ne mentionne effectivement pas les ingérences en Nouvelle-Calédonie, ce sujet n’ayant pas été évoqué par les personnes auditionnées. Si vous parlez du soft power de la Chine, il existe bel et bien : les routes de la soie sont un moyen pour la Chine d’établir une influence, mais tous les pays font la même chose.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). La Chine est un grand et un vieux pays qu’il nous faut connaître, et un acteur international majeur qui va s’affirmer encore au XXIe siècle. La liste des auditionnés témoigne de votre implication. Je note malgré tout que seul Jean-Luc Mélenchon a été auditionné en tant que personnalité politique. Il aurait pu être utile d’entendre des anciens présidents de la République et responsables politiques, tels que François Hollande, Nicolas Sarkozy, Jean-Yves Le Drian, Dominique de Villepin ou Laurent Fabius.
J’estime qu’il faut dialoguer et commercer avec la Chine sans naïveté et sans complaisance. La Chine a un agenda et elle ne nous fera pas de cadeaux. Elle n’est pas une démocratie et ne partage pas nos valeurs de liberté et de dignité humaine.
Sur le plan économique, elle fait du pillage technologique. Elle est proche de la Russie et de l’Iran. Il ne faut pas idéaliser ce pays qui ne représente pas une puissance de stabilisation de l’ordre international construit après 1945. Au contraire, elle a pour ambition de changer cet ordre.
Autrement dit, si nous devons avoir des relations politiques et économiques avec la Chine, ce pays ne partage pas nos valeurs. Cela aurait pu figurer de façon plus évidente dans votre rapport. L’Union européenne est un ensemble démocratique et il est important que nous marquions les lignes rouges dans nos relations avec Pékin.
Mme Sophia Chikirou, rapporteure d’information. Pour répondre à votre première question, nous avons sollicité des personnalités politiques qui n’étaient pas disponibles. Par ailleurs, lorsque la Chine décide de participer au Sommet sur l’intelligence artificielle organisé à Paris et qu’elle est signataire de la Déclaration, il s’agit là d’un engagement que d’autres pays ne prennent pas et qui constitue un signal important pour la gouvernance mondiale du numérique. Le même constat peut être dressé pour la conférence de l’ONU sur les océans.
Il ne s’agit pas d’être naïf ou complaisant et de traiter la Chine comme une formidable démocratie. Toutefois, il y a des incohérences sur l’application de nos principes et de nos valeurs : l’Union européenne a conclu des accords avec des pays comme l’Egypte, la Tunisie, la Syrie ou avec la Turquie alors qu’il est clair que les droits de l’Homme n’y sont pas respectés. L’Union européenne s’apprête à signer un accord avec l’Inde qui a bombardé le Pakistan, développe une politique islamophobe, dénoncée par les organisations non gouvernementales et a créé des camps de rétention pour les personnes déchues de leur citoyenneté.
Par ailleurs, la Chine ne nous demande pas de renoncer à nos valeurs ; elle ne veut pas subir d’ingérences et d’implications de l’Union européenne dans ses affaires internes. Au sujet de Taïwan, le droit international existe : ne participons pas à l’instrumentalisation de cette question par les États-Unis ! Cela n’a jamais correspondu à la position française ; pourquoi cela devrait-il l’être aujourd’hui ?
Enfin, si la Chine bouleverse l’ordre international, c’est aussi le cas d’autres pays comme l’Inde, le Brésil, le Mexique ou l’Afrique du Sud. La question est celle de savoir si nous acceptons de faire une place, comme ils le réclament, aux pays du Sud Global. La France y est plutôt favorable, y compris au niveau des institutions monétaires. La France n’est pas dans une position de rejet du poids de la Chine.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Contrairement à ce qui a pu être avancé, je trouve ce rapport extrêmement réaliste. Il procède à des rappels essentiels, comme le poids de la Chine dans l’économie mondiale actuelle. Je rappelle, à ceux qui le déplorent, notamment aux libéraux, que ce sont les Occidentaux qui ont massivement délocalisé leur production vers la Chine dans les années 1980-1990 pour maximiser les rendements du capital.
Beaucoup ont sous-estimé ce grand pays historique, qui dispose de grandes capacités de planification. Certains ont cru qu’il fabriquerait éternellement des biens de très mauvaise qualité. Aujourd’hui, la Chine couvre tout le spectre, y compris les fusées spatiales.
Ce rapport évite deux écueils. Tout d’abord, celui de la naïveté libérale, qui consiste à croire qu’avec le doux commerce, nous conserverons notre domination sur le monde, si tant est que cela soit l’objectif. Le second écueil serait de croire que le problème peut être réglé en menant une guerre commerciale et en s’alignant sur les États-Unis. Une telle guerre commerciale est ingagnable. Les chaînes de valeur et de production sont trop interdépendantes. Une guerre commerciale court le risque de dégénérer en conflit tout court. Sur ce sujet, la France doit être non alignée.
La rapporteure a raison d’insister sur les enjeux géopolitiques du commerce. Nous assistons en effet à une « arsenalisation » du commerce international.
Je ne suis pas certain que la Chine veuille remettre en cause les règles internationales mises en place après la Seconde Guerre mondiale. Elle veut plutôt devenir la première puissance mondiale tout en restant dans ce cadre. Ce sont plutôt les États-Unis qui veulent modifier certaines règles constituant cet ordre international. C’est le sens du discours de Joe Biden, qui affirmait qu’« il nous faut un monde avec des règles », mais on ne sait pas exactement lesquelles, ni ce qu’il advient du droit international.
Le rapport propose de trouver une troisième voie, qui pourrait s’apparenter à une forme de protectionnisme solidaire. Ce n’est ni la guerre commerciale, ni le libre-échange généralisé et l’ouverture totale. Il s’agirait d’une négociation secteur par secteur, en veillant à protéger nos intérêts tout en adoptant une démarche de coopération.
J’aimerais que vous précisiez les recommandations sur lesquelles vous souhaitez particulièrement insister.
M. Aurelien Taché (LFI-NFP). Une question me semble particulièrement intéressante : la manière dont la « troisième voie » pourrait se décliner dans le domaine de la transition écologique. La Chine est aujourd’hui le premier producteur de batteries, de panneaux solaires et de nombreuses technologies vertes. Lorsque l’Union européenne évoque la réduction des dépendances face à la Chine, nous avons l’impression qu’il s’agit en réalité d’une logique de confrontation assez proche de celle des États-Unis, sans toutefois l’assumer pleinement.
Dans ce contexte, quel rôle la France peut-elle jouer pour porter cette stratégie de troisième voie vis-à-vis de la Chine ? Nous avons avec ce pays une relation particulière. Le général de Gaulle a été le premier chef d’État occidental à reconnaître la République populaire de Chine comme État souverain. Alors que nous avons célébré l’an dernier, dans une certaine discrétion, les 60 ans des relations franco-chinoises, comment la France pourrait-elle reprendre l’initiative pour impulser une orientation européenne plus autonome, fidèle à cette troisième voie que vous évoquez ?
Mme Constance Le Grip (EPR). Votre rapport d’information concerne l’ensemble des relations entre l’Union européenne et la Chine. À ce titre, plusieurs thématiques que vous avez évoquées auraient pu faire l’objet d’un traitement plus approfondi, au-delà d’un simple encadré ou d’une mention rapide.
Je pense notamment au sujet des ingérences chinoises, de toute nature, qui sont extrêmement documentées, précises, et agressives, tant dans notre pays qu’au sein de nombreux autres États membres de l’Union européenne. Nous ne sommes pas ici dans une logique de soft power ou dans une politique de promotion des bienfaits du régime chinois, mais bien face à des stratégies offensives, systémiques, d’attaque contre nos valeurs.
De nombreux travaux en attestent. Je pense notamment à l’ouvrage de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Paul Charon, qui fait autorité et qui fait référence aux opérations d’influence chinoises, dans une logique qualifiée de « machiavélienne ». On peut également mentionner les travaux d’Antoine Bondaz, ainsi que d’excellents rapports parlementaires, dont celui de notre collègue sénateur André Gattolin, consacré aux ingérences chinoises particulièrement agressives, notamment dans les milieux universitaires, académiques et de la recherche. Tout cela aurait pu nourrir un rapport d’information plus complet.
Mme Sophia Chikirou, rapporteure d’information. Pour répondre à l’intervention de M. Arnaud Le Gall, ce rapport s’interroge sur les moyens pour l’Union européenne de valoriser son rôle dans la perspective du prochain sommet UE-Chine. Il comporte un certain nombre de recommandations comme la nécessité de rediscuter de l’accord global sur l’investissement, signé en l’UE et la Chine en 2021 puis suspendu. Il ne faut pas le reprendre tel quel, mais intégrer certaines mesures nouvelles comme l’instauration de prix planchers, de quotas d’importation ou des co-entreprises.
La France devrait abandonner toute logique de confrontation avec la Chine, comme le fait l’Allemagne qui ne considère pas la Chine comme un rival systémique. Contrairement à la logique agressive portée par la Commission européenne, l’Allemagne réalise des co-entreprises avec la Chine, et passe outre les règles de la Commission européenne dans ses rapports diplomatiques. La France partage avec la Chine une vision du partage de l’ordre mondial et de l’écologie. Le multilatéralisme est un vrai point commun, comme en témoigne la volonté partagée de créer une agence mondiale du développement pour pallier aux coupes budgétaires majeures de l’US aid. Cela ne veut pas dire que les deux pays sont alignés sur tout, comme le démontre l’exemple de la création d’un tribunal international climatique, que la France promeut et que la Chine refuse.
De plus, l’investissement scientifique dans l'aérospatial est un véritable sujet de coopération. Les échanges universitaires représentent un sujet qui mériterait également d’être approfondi.
Concernant les ingérences chinoises, ce n’est pas un sujet qui a été évoqué par les interlocuteurs français et chinois. Nous avons parlé des Ouïghours, de Taiwan, mais pas de ces sujets. Peut-être que les fonctionnaires français et européens n’y sont pas sensibilisés.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Le sujet est documenté, nous possédons des services qui font un travail de bonne qualité. Il est important de rappeler que l’ingérence est généralisée, massive, de la part de la Chine comme des États-Unis. Ces derniers s’ingèrent dans les campagnes électorales, et nous volent des données stratégiques.
La commission a autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉeS PAR LA RAPPORTEURE
Auditions/Contributions Paris
- M. François GODEMENT
- M. Pierre GROSSER
- Mme Françoise MENGIN, directrice de recherche à Sciences Po
- M. Victor LOUZON, maître de conférences à la Sorbonne
- Mme Alice EKMAN, analyste au sein de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (EUISS)
- Mme Sylvie-Agnès BERMANN, ambassadrice de France en Chine (2011- 2014)
- M. Jean François HUCHET, président
- M. Bertrand BADIE, professeur des Universités
- M. Fermin CUEVAS, directeur du Bureau de représentation du CNRS en Chine
- M. Thomas BOREL, chargé des relations parlementaires
- M. Edouard BESSERVE, directeur adjoint de l'Asie
- M. Yves QUÉNEAU, directeur de recherche
- M. Pascal BONIFACE, directeur
- Mme Donatienne HISSART, directrice générale
- M. Patrice GOUJET, chargé de missions auprès de la Direction générale
- M. André CHIENG, Président et vice-président du comité France-Chine
- M. Vincent GUÉREND, directeur
- M. Benoit GUIDÉE, directeur d’Asie et d’Océanie-MEAE
- M. William ROOS, chef du service des affaires multilatérales et du développement
- Mme Shanti BOBIN, sous-directrice des affaires financières multilatérales et du développement
- M. Pierre de ROMATET, chef du bureau système financier international et préparation des sommets
- M. William ROOS, chef du service des affaires multilatérales et du développement (SAMD)
- Mme Sabine LEMOYNE DE FORGES, sous-directrice « politique commerciale & investissement » au SAMD
- Mme Camille DELGADO-LALLIER, adjointe à la cheffe du bureau « Sanctions » au SAMD
- M. Charly CHOTARD, adjoint au chef de bureau « Amériques, Asie et Océanie » au SABINE
- M. Karl BERGQUIST, responsable des relations avec la Chine
- M. Christophe VENET - directeur Europe et international
- M. Pierre TREFOURET - directeur de Cabinet du Président
- M. Guangping ZHANG, directeur général adjoint du Bureau d’Europe de l’Ouest du Département international
- Mme Shen LI, directrice adjointe de la division d’Allemagne du Bureau d’Europe de l’Ouest
- Mme Tong WANG, troisième secrétaire du bureau d’Europe de l’Ouest
- Mme Yannan YAO, troisième secrétaire du bureau d’Europe de l’Ouest
- Mme Magali CESANA, cheffe du service des affaires bilatérales, de l’internationalisation des entreprises et de l’attractivité (SABINE)
- Mme Sabine LEMOYNE DE FORGES, sous-directrice « politique commerciale & investissement » au service des affaires multilatérales et du développement (SAMD)
- M. Pierre-Eliott ROZAN, chef du bureau « politique commerciale, stratégie & coordination » au SAMD
- M. Simon GERAUX, adjoint au Chef de bureau « Amériques, Asie et Océanie » au SABINE ;
- M. Sofien ABDALLAH, conseiller parlementaire et relations institutionnelles (intérim)
- M. Jean-Luc MÉLENCHON, co-président de l'Institut La Boétie, ancien ministre et député français
Auditions/Visites - Pékin
- Ambassade de France - Réunion de cadrage
- M. Bertrand LORTHOLARY, ambassadeur de France en Chine
- Mme Myriam PAVAGEA, ministre conseillère
- M. André BELTRAN, conseiller politique
- M. Fermin CUEVAS, directeur du bureau du CNRS en Chine
- M. Mathieu GRIALOU, conseiller spatial et représentant du CNES
- M. Ziving FU, vice-président du comité des affaires étrangères de l’ANP, vice‑président du groupe d’amitié France-Chine
- M. Bruno WEILL, vice-président de la Chambre de commerce européenne
- Caroline PÉNARD, directrice générale de la chambre de commerce et d'industrie française en Chine
- M. Fabien PACORY, vice-président exécutif, CCI France Chine
- M. Frédéric RECORDON, membre du conseil d’administration, CCI France Chine
- M. Pascal CHEN, directeur Chine centrale et orientale, CCI France Chine
- M. Sébastien JUSTUM, secrétaire général adjoint et directeur des affaires publiques internationales d’Air France KLM Group
- Mme Sophie PHE, chef exécutif
- M. Liying ZHU, ambassadeur en poste au département de l’Europe
- M. Jorge TOLEDO, représentant de l’Union européenne en Chine
- M. LU KANG, vice-ministre
- M. LI GUOPING, ingénieur en chef (accompagné du département des affaires internationales)
Auditions/Visites - Shanghai
- M. Joan VALADOU, consul général
- Mme Aurore CHEMIN, consul général-adjointe
- Mme Julie POIGNANT-ESGIN, consule adjointe, cheffe de chancellerie
- M. Xavier CHATTE-RUOLS, Consul aux affaires commerciales, Agence de Business France en Chine
- M. Stéphane MONSALLIER, CEO de System in Motion, cabinet de conseil en stratégie IA basé à Shanghai
- Cheffe du service des français à l’étranger, conseiller économique, directeur-adjoint de Business France, directrice de la CCIFC
- M. Wei Li ZHAO, vice-président de l’établissement, directeur de l’institut d’hématologie de Shanghai
- Accompagnement par M. Rachid MALTI, attaché scientifique
- Accompagnement par M. Rachid MALTI, M. Fermin CUEVAS, directeur du bureau du CNRS de Pékin et M. Mathieu GRIALOU, conseiller spatial et représentant du CNES en Chine
- Accompagnement par M. Rachid MALTI, M. Fermin CUEVAS, directeur du bureau du CNRS de Pékin et M. Mathieu GRIALOU, Conseiller spatial et représentant du CNES en Chine
Auditions/Visites - Canton
- M. Sylvain FOURRIERE, Consul général de France à Pékin
- M. Harvey HUANG, vice-président
Auditions Belgique - Bruxelles
- M. Jing ZHU, ministre, chef adjoint de la mission
- M. Dominic PORTER, directeur adjoint, chef de la division Chine, Hong Kong, Macao, Taiwan et Mongolie
- M. Younous OMARJEE (FR- GUE/NGL), vice-président du Parlement européen
- Mme Luisa TERRANOVA, conseillère chargée des relations UE-Chine
- Mme Joanna SZYCHOWSNA, directrice Asie, services et commerce digital, investissement et propriété intellectuelle
- M. Marcus GUSTAFSSON, Coordinateur politique
- Le Monde chinois 1 et 2, Jacques Gernet Editions Armand Colin
- Chine-USA, Le grand écart, Barthélémy Gourmont
- Chine le grand paradoxe, Jean-Pierre Raffarin
- La gouvernance de la Chine – Tome II, Xi Jinping
- Rouge vif, l'idéal communiste chinois, Alice Ekman
- « La Chine prend la barre de la mondialisation »
(Le Monde diplomatique, mai 2025), Renaud Lambert
- Faites mieux ! Vers la Révolution citoyenne, Jean-Luc Mélenchon
([1]) « L’Union européenne est à bien des égards plus méchante que la Chine, d’accord ? Oh, ils vont céder beaucoup. Vous verrez. Nous avons toutes les cartes en main. Ils nous traitent très injustement. ».
([2]) Dans une communication de la Commission européenne datée de 2001, il est indiqué : « L'accord garantit un accès considérablement amélioré pour les entreprises de l'UE au marché chinois. Les droits de douane à l'importation et d'autres restrictions non tarifaires seront fortement et définitivement réduits. Les investissements des entreprises étrangères se feront dans un environnement commercial plus attractif et plus prévisible. L'adhésion à l'OMC consolidera et accélérera les efforts de la Chine pour promouvoir la transparence, l'équité et l'ouverture de son régime commercial dans son ensemble. Le système de règlement des différends de l'OMC, indépendant et juridiquement contraignant, permettra aux deux parties de résoudre les problèmes commerciaux. En bref, cet accord améliore considérablement le climat pour que les entreprises européennes exportent vers la Chine et y fassent des affaires. »
([3]) D’autres causes entrent en jeu : en plus des délocalisations, la robotisation et l’automatisation ont contribué à la destruction d’emplois industriels. La transition numérique et écologique accélère également les reconversions.
([4]) Accord de libre-échange signé en novembre 2020 entre 15 pays d’Asie-Pacifique, dont les 10 pays de l’ASEAN (Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Philippines, Vietnam, Laos, Cambodge, Birmanie, Brunei), ainsi que la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
([5]) Le Monde, Les États-Unis et la Chine vont suspendre une partie de leurs droits de douane punitifs pour quatre-vingt-dix jours, 12 mai 2025.
([6]) touteleurope.eu, “Donald Trump double les droits de douane sur l’acier et l’aluminium pour des raisons de "sécurité nationale”, 4 juin 2025.
([7]) « China is described as the main competitor of the USA. The document clearly states that China has the intent and capability to reshape the international order to America’s disadvantage » in the National Security Strategy (Oct.22)
([8]) Australian Strategic Policy Institute (ASPI), qui a publié son Critical Technology Tracker en août 2024.
([9]) Le Grand Continent, Les dix ans des nouvelles routes de la soie en 8 graphiques, 7 septembre 2023, https://legrandcontinent.eu/fr/2023/09/07/dix-ans-des-nouvelles-routes-de-la-soie-en-8-graphiques.
([10]) Nicholas Wallace, Euractiv, L’UE a été créée pour « arnaquer » les États-Unis, déclare Donald Trump en promettant de nouveaux droits de douane, 27 février 2025, https://www.euractiv.fr/section/politics/news/lue-a-ete-creee-pour-arnaquer-les-etats-unis-declare-donald-trump-en-promettant-de-nouveaux-droits-de-douane/.
([11]) Gilles Gressani, Le Grand Continent, Face à l’Empire de l’ombre, une conversation avec Giuliano da Empoli, 17 avril 2025, https://legrandcontinent.eu/fr/2025/04/17/lempire-de-lombre-giuliano-da-empoli/.
([12]) Tamsin Paternoster, Euronews, Des membres de l'administration Trump s'en prennent à l'Europe dans un échange divulgué par erreur, 23 mars 2025, https://fr.euronews.com/2025/03/25/des-membres-de-ladministration-trump-critiquent-leurope-dans-une-conversation-divulguee-pa.
([13]) Perry Anderson, The New Old World, 2009.
([14]) Gavin Blackburn, Euronews, Les États-Unis pressent pour que les états membres de l'OTAN augmentent leurs dépenses de défense, 14 mai 2025, https://fr.euronews.com/my-europe/2025/05/14/les-usa-veulent-que-les-etats-membres-de-lotan-augmentent-leurs-depenses-de-defense.
([15]) Conseil européen de l’UE , “D’où provient le gaz de l’UE ?”
([16]) Ministère des affaires étrangères de la République Populaire de Chine, Bâtir un monde juste de développement commun, 18 novembre 2024
([17]) 25 mars 2019, Discours d’Emmanuel Macron au dîner d’état en l’honneur de la Chine.
([18]) Toutes les entreprises chinoises ne sont pas placées sous le contrôle direct de l’État. Le tissu économique chinois repose en majorité sur des entreprises privées de petite et moyenne taille (plus de 90 % des entreprises selon les données officielles), qui évoluent dans des secteurs non stratégiques
https://french.news.cn/20240613/3a5e0ac14a774d8d81e6fd291673207f/c.html.
([19]) En français, on parle de « Systèmes urbains cognitifs » : ce sont des systèmes capables d’organiser l’hybridation entre des sciences, des filières, des cultures et des savoir-faire hétérogènes ; l’espace architectural et urbain est intégralement intégré aux process d’innovations (Source : bureau d’étude Ville Innovation)
([20])Harvard Business Review, “How Chinese Companies Are Reinventing Management ?”, mars-avril 2023 https://hbr.org/2023/03/how-chinese-companies-are-reinventing-management.
([21]) Données de la Banque mondiale, https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.TFRT.IN?locations=CN
([22]) Christophe Z. Guilmoto, La masculinisation des naissances, Etat des lieux et des connaissances, Institut national des études démographiques
https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/25088/199.popf2.2015.guilmoto.article.fr.pdf
([23]) Taux officiel du Bureau national des statistiques : 15,7 % en 2023
([24]) Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale, “Le régime chinois de sécurité sociale”https://www.cleiss.fr/docs/regimes/regime_chine.html#am
([25]) Données du Ministère du commerce chinois (MOFCOM, 2023).
([26]) Ambassade de Chine, Chine : publication du texte intégral du Rapport d'activité du gouvernement, 13 mars 2025 http://fr.china-embassy.gov.cn/fra/zgyw/202503/t20250313_11574216.htm
([27]) Site de la Commission européenne : « L’Union européenne et les États-Unis sont des partenaires fermement résolus à stimuler la transformation numérique et à coopérer dans le domaine des nouvelles technologies sur la base de leurs valeurs démocratiques communes, notamment le respect des droits de l’homme. Le Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis est une enceinte au sein de laquelle les États-Unis et l’Union européenne coordonnent leurs approches des principales questions commerciales, économiques et technologiques mondiales et approfondissent les relations commerciales et économiques transatlantiques sur la base de ces valeurs partagées. Il a été créé lors du sommet UE-États-Unis du 15 juin 2021 à Bruxelles ».
([28]) Le Monde, Le port du Pirée cédé au chinois Cosco, 21 janvier 2016
([29]) Note de la Fondation pour la Recherche Stratégique, La Chine et les réseaux électriques européens : stratégie et enjeux géoéconomiques, 11 septembre 2018 https://www.frstrategie.org/publications/notes/chine-reseaux-electriques-europeens-strategie-enjeux-geoeconomiques-2018.
([30]) Commission Européenne, La Commission va définir les prochaines étapes de son action contre la discrimination dans les marchés publics chinois de dispositifs médicaux, 14 janv. 2025 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_25_252.
([31]) Le Monde, En réplique à la taxe sur le solaire, la Chine lance une enquête sur les vins européens, 5 juin 2013
([32]) Euractiv, La Chine lance une enquête antidumping sur les alcools type cognac produits dans l’UE, 5 janvier 2024
([33]) FINANCIAL TIMES,EU probes BYD plant in Hungary over unfair Chinese subsidies, 20 mars 2025 https://www.ft.com/content/0ef28741-6194-4ee6-8f23-945415de7458.
([34])Communiqué du Ministère du commerce de la RPC, 3 juillet 2023
http://m.mofcom.gov.cn/article/zwgk/gkzcfb/202307/20230703419666.shtml
([35]) Renaud Lambert, Le Monde diplomatique, Ce que veut la Chine, mars 2024, https://www.monde-diplomatique.fr/2024/03/LAMBERT/66641.
([36]) Reuters, 20 mars 2024.
([37]) « L’Europe est dans l’impasse face à la Chine », dans La Tribune le 7 juin 2023.
([38]) A crisis of one’s own : the politics of trauma in Europe’s election year (ECFR), étude basée sur 11 pays européens
([39]) Gilles Babinet, Milena Harito, Le Grand Continent, L’ombre du Cloud : armer l’Europe dans la guerre invisible des données, 1e mai 2025, https://legrandcontinent.eu/fr/2025/05/01/europe-cloud/
([40]) Le Grand Continent, Guerre technologique : 10 points sur les semi-conducteurs, 8 nov 2022, https://legrandcontinent.eu/fr/2022/11/08/guerre-technologique-10-points-sur-les-semi-conducteurs/
([41]) Eurostat, World trade in goods and services - an overview, Juillet 2024, https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=World_trade_in_goods_and_services_-_an_overview.
([42]) Formule attribuée à Otto von Bismarck, le chancelier prussien du XIXe siècle.
([43]) Stéphane Viry, Saïd Ahamada, Barbara Bessot Ballot, Dominique Da Silva, Laurianne Rossi, Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du règlement en conclusion des travaux de la mission d'information commune sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises , n° 4040, déposé le mercredi 31 mars 2021.
([44]) Samorya Wilson, Le Monde du Chiffre, Éric Lombard : « La priorité est de reporter l’application de la CS3D », 23 janvier 2025,
([45]) Eurostat, Chine-UE - statistiques du commerce international de biens, février 2025, https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=China-EU_-_international_trade_in_goods_statistics&action=statexp-seat&lang=fr
([46]) CLEPA (European Association of Automotive Suppliers), CLEPA Data Digest, 15 janvier 2025 https://www.clepa.eu/insights-updates/data-digests/clepa-data-digest-18-job-losses-escalate-as-demand-stays-below-expectation/#:~:text=2024%20job %20cuts %20surpassed %20combined,losses %20of %20pandemic %20years
([47]) Challenge, Panneaux solaires : L'Union Européenne et la Chine trouvent un compromis, 27 juillet 2013, https://www.challenges.fr/entreprise/panneaux-solaires-l-union-europeenne-et-la-chine-trouvent-un-compromis_176280
([48]) Le Grand Continent, Effet Trump ? Seulement 10 pays signataires de l’Accord de Paris ont soumis leurs nouveaux objectifs climatiques à temps, 10 février 2025, https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/10/effet-trump-seulement-10-pays-signataires-de-laccord-de-paris-ont-soumis-leurs-nouveaux-objectifs-climatiques-a-temps/.
([49]) Coalition Eau, Note Secteur Eau et Assainissement, 18 septembre 2023.
([50]) Vie publique, Communiqué conjoint franco-chinois sur le rétablissement de relations de coopération entre la France et la Chine, 12 janvier 1994, https://www.vie-publique.fr/discours/133004-communique-conjoint-franco-chinois-en-date-du-12-janvier-1994-sur-le-r
([51]) Rapport de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DFDDI), mai 2010
https://lekiosque.finances.gouv.fr/fichiers/Etudes/tableaux/EE_13.pdf?utm_source=chatgpt.com
([52]) Chiffres de la direction générale du Trésor, 7 mars 2025
([53]) Source : Euronews, mars 2025.
([54]) D’après similarweb : service de mesures d’audiences.
([55]) Le Monde, La Chine, nouvel eldorado, 18 janvier 2003, https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/01/18/la-chine-nouvel-eldorado_4266364_1819218.html
([56]) Malgouyres Clément, Banque de France, Les effets de la concurrence des importations chinoises sur la structure locale de l’emploi et des salaires en France, 26 Février 2018, https://publications.banque-france.fr/les-effets-de-la-concurrence-des-importations-chinoises-sur-la-structure-locale-de-lemploi-et-des
([57]) BFMTV, Avec la crise, les Français sont de plus en plus protectionnistes, 14 octobre 2020, https://www.bfmtv.com/economie/avec-la-crise-les-francais-sont-de-plus-en-plus-protectionnistes_AN-202010140135.html
([58]) Grande Consultation de l’Industrie, IPSOS & Global Industrie, mars 2025
([59]) Institut d'études Occurrence, 6 novembre 2023
([60]) Auteur de Les Astrocapitalistes conquérir, coloniser, exploiter, aux Éditions Payot (2025).
([61]) Le Journal de l’Automobile, Emmanuel Bret, BYD : "Notre critère de sélection n'est pas la taille du groupe, mais son implication locale", 21 novembre 2024
([62]) Crédit Agricole Auto Bank et BYD signent un accord afin de soutenir le développement de l’électromobilité en France, 14 avril 2025
([63]) Direction générale des entreprises, Thémas n° 22, Portrait de la filière automobile à l’heure de sa transition vers l’électrique, octobre 2024
([64]) Selon des acteurs industriels majeurs comme le Pdg de Ford et l’organisme Carbone 4. Toutefois, cette estimation pourrait être exagérée selon un rapport de l’Université Carnegie Mellon (Pennsylvannie, États-Unis).
([65]) La sécurité sociale, Dépenses de santé dans le produit intérieur brut (PIB)
https://evaluation.securite-sociale.fr/home/maladie/1-1-1-depenses-de-sante-dans-le-.html
([66]) Le programme de recherche international IRP « Hématologie et Cancer », lancé en 2015, s’inscrit dans la continuité des travaux menés à l’hôpital Ruijin de Shanghai, notamment ceux engagés entre les professeurs CHEN Zhu, CHEN SaiJuan et Hugues de Thé sur le traitement ciblé des leucémies aiguës promyélocytaires. Il témoigne de la volonté conjointe des autorités scientifiques chinoises et françaises de structurer durablement leur coopération en recherche médicale.Ce programme a pour objectif de développer des projets innovants autour de nouvelles cibles moléculaires et cellulaires pour traiter les cancers, en vue d’une future Unité Mixte Internationale (UMI). Il fédère des équipes autour de trois axes majeurs de la cancérologie : les modifications post-traductionnelles des protéines, les télomères, et l’angiogenèse — des mécanismes également impliqués dans le vieillissement. Cette convergence ouvre des perspectives en cancérologie et en pathologies chroniques liées à l’âge. L’IRP favorise par ailleurs les mobilités de jeunes chercheurs, l’implantation d’équipes franco-chinoises et le développement de partenariats avec les entreprises françaises du secteur implantées en Chine.
([67]) L’Usine Nouvelle, Sanofi annonce un investissement de près d'un milliard d'euros en Chine pour produire de l'insuline,https://www.usinenouvelle.com/article/sanofi-annonce-un-investissement-de-pres-d-un-milliard-d-euros-en-chine.N2223574
([68]) Organisation mondiale de la santé animale (anciennement Office international des épizooties).
([69]) Ce chiffre pourrait être de 800 étudiants français car une partie d’entre eux n’est pas enregistrée.
([70]) Lea Shih & Wei Cao, The Impact of the “Belt and Road Initiative” on International Scholarship Students https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9093213/?utm_source=chatgpt.com
([71]) TheBorgenProject, Opportunities for African Students in Chinese Universities, https://borgenproject.org/african-students-in-chinese-universities/?utm_source=chatgpt.com
([72]) Entretien avec Michel Droit, dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle.