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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur le futur de la politique de la ville et son financement
ET PRÉSENTÉ PAR
M. David GUIRAUD,
rapporteur spécial
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SOMMAIRE
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Pages
A. Les enjeux contemporains de la politique de la ville
B. La politique de la ville rÉpond à des tendances de fond de la sociÉtÉ française
C. La politique de la ville rÉpond partiellement À la rélÉgation sociale
A. Une nouvelle gÉographie prioritaire
C. NÉanmoins la politique de la ville ne rÉsout pas correctement la sÉgrÉgation socio-spatiale
III. Quatre prioritÉs pourraient Être poursuivies
A. Renforcer l’ambition de la politique de la ville par l’Éducation et la culture
B. Consacrer un financement ÉquilibrÉ et simplifiÉ
C. AgrÉger les initiatives À l’Échelle locale
D. Relancer le renouvellement urbain sur des bases nouvelles
PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
Onze ans après la loi Lamy qui la réforma en profondeur, la politique de la ville continue d’œuvrer à la réduction des inégalités. Grâce à des moyens conséquents, elle contribue à améliorer les conditions de vie des quartiers prioritaires et résorbe une partie de l’écart économique et social qui éloigne les habitants des banlieues de leur ensemble urbain. En conséquence, elle représente une avancée et un modèle de partenariat efficace entre l’État et les collectivités territoriales, qu’il faut impérativement préserver. Néanmoins, la politique de la ville est confrontée à de nombreux enjeux. Certains sont anciens et tiennent à la complexité inhérente à une politique interministérielle qui consacre des moyens complémentaires à des services publics censés être de droit commun. D’autres sont plus récents et tiennent aux tendances nouvelles de la société française, telles que l’évolution des structures familiales, la baisse de la natalité ou la transition écologique qui transforment les besoins et demandent une adaptation. Dans le cadre du Printemps de l’évaluation, le rapporteur spécial David Guiraud a souhaité se pencher sur ces enjeux. Les auditions qu’il a menées lui ont rappelé l’importance d’une politique de la ville à l’ambition forte et financée en conséquence. À nouveau, il déplore donc les annulations intervenues sur le programme 147 (– 100 millions d’euros en 2024 ([1]) puis – 15 millions d’euros en 2025 ([2])). Il appelle à sanctuariser et augmenter le budget de la politique de la ville. Avec ce rapport, il apporte aussi sa contribution à la réflexion entourant le futur de la politique de la ville. Alors que les nouveaux contrats Engagements quartiers 2030 entrent progressivement en vigueur et qu’un nouveau programme de renouvellement urbain semble en cours de préparation, il souhaite proposer quatre priorités pour l’avenir : renforcer l’ambition de la politique de la ville par l’éducation et la culture ; lui consacrer un financement équilibré et simplifié ; agréger les initiatives à l’échelle locale ; enfin relancer le renouvellement urbain sur des bases nouvelles. |
Préparé dans le cadre du Printemps de l’évaluation 2025, ce rapport permet de se pencher sur l’état de la politique de la ville aujourd’hui.
Il s’inscrit dans un contexte particulier. Depuis le comité interministériel des villes tenu en octobre 2023 jusqu’à sa récente réunion le 6 juin 2025, l’attention publique entourant la politique de la ville semblait s’être atténuée. Comme souvent, après un sursaut de mobilisation dans les mois qui suivirent les révoltes urbaines de l’été 2023, la politique de la ville avait retrouvé son rythme de fonctionnement, caractérisé par un pilotage politique distant et une mobilisation de tous les instants sur le terrain.
Pourtant, les enjeux ne manquent pas : alors qu’une nouvelle définition de la cartographie prioritaire est entrée en application l’année dernière, élargissant son champ à 153 nouveaux quartiers prioritaires (QPV) de métropole et d’outre-mer, les quartiers prioritaires s’interrogent désormais sur l’avenir du renouvellement urbain dont le plan national de financement arrive à terme. S’inquiétant pour l’avenir des quartiers populaires et regrettant la diminution de 30 millions d’euros des autorisations d’engagement du programme Politique de la ville décidée en loi de finances pour 2025, les associations d’élus, réunies à Épinay-sous-Sénart le 13 mars dernier, ont collectivement appelé à un sursaut de mobilisation pour l’égalité des territoires.
C’est dans ce contexte qu’intervient ce rapport. Les auditions qui ont conduit à sa réalisation ont permis au rapporteur spécial de se pencher sur la politique de la ville dans toute la diversité et la richesse qui la caractérisent. Aussi tient-il à remercier les personnes auditionnées pour leur concours ; à leur manière chacune d’entre elles, ministre, représentant local et associatif, acteur de la politique de la ville, agent public ou citoyen engagé, a contribué à enrichir ce rapport. Qu’ils en soient remerciés.
Néanmoins le rapporteur spécial est lucide quant à la portée de ses travaux. Car aussi riches aient-elles été, ces auditions n’apportent un éclairage utile que sur une partie seulement du vaste ensemble que constitue la politique de la ville, dont l’architecture complexe et divisée révèle plusieurs niveaux d’intervention. Le rapporteur a donc opté pour un parti pris : en abordant la politique de la ville par son versant financier, il espère mettre en lumière certaines de ses réussites et rappeler ses difficultés. Il espère ainsi contribuer à la réflexion sur l’avenir de cette politique et participer au mouvement qu’ont lancé les auteurs du rapport remis aux ministres chargés de l’aménagement du territoire, du logement et de la ville le 18 février dernier ([3]).
En amont du projet de loi de finances pour 2026, il appelle le Gouvernement à tenir les engagements pris à l’égard des contributeurs au renouvellement urbain. Il souscrit à la recommandation d’un nouveau plan de renouvellement urbain prenant la suite du plan existant. Surtout, le rapporteur spécial appelle à suivre quatre priorités : renforcer l’ambition de la politique de la ville, sanctuariser son financement, valoriser l’initiative locale et relancer le renouvellement urbain.
I. Cinquante ans aprÈs son instauration, la politique de la ville lutte toujours contre les inÉgalitÉs
A. Les enjeux contemporains de la politique de la ville
Née dans les années 1970 des difficultés naissantes dans les grands ensembles urbains et de la prise de conscience d’une « ségrégation sociale par l’habitat » ([4]), la politique de la ville s’est progressivement renforcée à compter des émeutes de Vaulx-en-Velin (1979) jusqu’à devenir une politique de cohésion sociale dans les années 1990. Devenue interministérielle, la politique de la ville a dès lors bénéficié de crédits d’intervention comme la dotation de solidarité urbaine (DSU) et s’est orientée vers la réduction active des inégalités. Les niveaux d’intervention se sont multipliés : aux zones de franchise fiscale s’ajoute la création des zones urbaines sensibles (ZUS) et des zones de redynamisation urbaine (ZRU) en 1996 ([5]) puis les nouveaux réseaux d’éducation prioritaire (REP) en 1997 ([6]).
Après la loi d’orientation pour la ville de 1991 ([7]), la politique de la ville prend un tournant décentralisé et une approche transversale avec la loi dite SRU de 2000 ([8]) et la signature des premiers contrats de ville en 2001. Elle coexiste dès lors avec un programme de renouvellement urbain sous l’impulsion de l’État, initié en 1999, et qui reçoit une nouvelle impulsion avec la loi de 2003 portant création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ([9]). Finalement, neuf ans après les révoltes urbaines de 2005, la loi Lamy ([10]) pose les fondements de la politique de la ville que l’on connaît, recentrée sur 1 514 quartiers prioritaire (QPV) et déclinée dans un contrat de ville unique, transversal, et co-construit. Est également lancé un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) doté de 14 milliards d’euros et déployé dans 480 QPV pour lancer de grandes opérations d’aménagement, des programmes immobiliers et des opérations d’ingénierie à réaliser avant 2030. Parallèlement, l’éducation prioritaire est refondue ([11]) en 1 081 réseaux d’éducation prioritaires (REP) et 350 réseaux renforcés (REP+), définis par des critères soumis à une révision quadriennale et bénéficiant de moyens renforcés.
Depuis 2017, la politique de la ville manque néanmoins de la vision d’ensemble qui avait pourtant été proposée par le rapport Borloo ([12]) , dont l’héritage fut limité aux cités éducatives et au dédoublement des classes en éducation prioritaire. Elle pâtit également d’un pilotage insuffisant et épisodique, le comité interministériel des villes ne s’étant réuni qu’à trois reprises depuis 2017 et le ministère chargé de la ville n’étant plus systématiquement rattaché au Premier ministre.
Dans ce contexte la politique de la ville apparaît de plus en plus disparate. La multiplication des dispositifs et des mesures a pu occulter la finalité poursuivie et relativiser l’importance de certaines annonces. Si, comme l’indique le ministère chargé de la ville, seules 30 % des 84 annonces du dernier comité interministériel ont effectivement été mises en application à ce jour, certaines d’entre elles sont pourtant d’une portée significative. Il est en ainsi, par exemple, du renouvellement de contrats de ville et de l’actualisation de leurs critères, ainsi que du dédoublement des classes de grandes sections ou du lancement d’un plan de réhabilitation des copropriétés dégradées. Mais la lisibilité d’ensemble de la politique de la ville interroge : quelles sont, parmi les mesures annoncées, celles relevant du droit dit « commun », de celui dit « commun renforcé » ou d’un dispositif spécifique à la politique de la ville ? Si la souplesse des contrats de ville en fait un cadre adapté aux réalités de terrain, les associations d’élus constatent néanmoins que les inégalités territoriales se creusent et que les services publics ne parviennent pas à y apporter de remède durable ([13]).
Au sein de cet ensemble, il y a lieu de distinguer le renouvellement urbain. Héritier de la rénovation urbaine d’après-guerre dont découle historiquement la politique de la ville, il en demeure un pilier important. Ainsi le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) institué par la loi du 21 février 2014 manifeste par le bâti l’héritage d’une politique d’État spécifiquement consacrée aux quartiers prioritaires et par laquelle l’investissement public a pour vocation de résorber les inégalités sociales. Ce NPNRU vise à renouveler l’habitat dans le tiers des QPV présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants, qui sont répartis en 200 quartiers d’intérêt national et 250 quartiers d’intérêt régional. Initialement doté de 5 milliards d’euros de concours financiers, son montant a été progressivement rehaussé à 14 milliards d’euros pouvant être engagés jusqu’au 31 juin 2026. Si l’essentiel des subventions du NPNRU a d’ores et déjà été contractualisé pour des opérations d’aménagement (13,82 milliards d’euros au 30 avril 2025), il demeure cependant qu’une part importante des crédits est toujours en attente d’engagement et qu’une part plus importante encore est en attente de paiement.
ENgagement et paiement du NPNRU au 20 mai 2025
Source : ANRU, Revue de projets présentée au conseil d’administration de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) le 20 mai 2025.
Aussi le futur du renouvellement urbain interroge-t-il à double titre. D’une part, les annulations de crédits du programme 147 (– 100 millions d’euros en 2024 ([14]) puis à nouveau – 15 millions d’euros en 2025 ([15])) diminuent les fonds mobilisables par l’ANRU et fragilisent sa trésorerie. En raison du retard pris par certains projets, la ministre en charge du logement a toutefois étendu la date limite d’engagement des crédits et porté l’échéance de livraison des opérations à 2032 ; aussi le programme devrait être soutenu et financé jusqu’à son terme. Cependant et d’autre part, ce désengagement progressif suscite la crainte, parmi les associations d’élus, que l’État ne prolonge la politique de renouvellement urbain après le NPNRU. En effet sa contribution, bien que secondaire dans le financement total de l’ANRU (1,2 milliard d’euros de crédits d’État contre 8 milliards d’euros de concours financiers d’Action logement et 2,4 milliards d’euros mobilisés par les bailleurs sociaux), demeure l’impulsion décisive de toute politique de renouvellement d’ampleur. Si le NPNRU arrivé à son terme n’était pas suivi d’une nouvelle impulsion, les élus locaux craignent d’avoir à financer via leurs budgets locaux l’essentiel d’une politique fondamentale pour l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers prioritaires et qui est pourtant loin d’avoir produit tous ses effets.
B. La politique de la ville rÉpond à des tendances de fond de la sociÉtÉ française
La politique de la ville est essentielle pour la cohésion sociale, et ce d’autant plus qu’elle répond à des problèmes tendanciels de la société française. Si les soubresauts de son évolution ont souvent reflété une approche excessivement sécuritaire, elle ne doit pas être ramenée à la seule réaction aux révoltes urbaines. En effet ses objectifs ne se résument pas à l’atténuation des déséquilibres sociaux : elle répond également à la crise du logement qui touche l’ensemble du territoire, aux limites du transport public urbain, au réchauffement climatique qui affecte particulièrement les espaces urbanisés, à la dualisation des espaces et au déclin des commerces de proximité ([16])... Elle doit donc être vue sous plusieurs angles, dont l’angle économique : en améliorant les conditions de vie dans les quartiers prioritaires, elle favorise l’émancipation personnelle et contribue au développement humain ([17]). À sa manière, elle constitue un « tremplin » ([18]) qui justifie à lui seul l’investissement public consenti en produisant des bénéfices socioéconomiques incontestables.
La politique de la ville n’est pas un palliatif : c’est une vision politique qui apporte des solutions à des problématiques concrètes. En améliorant par exemple la capacité d’accueil des crèches publiques dans les quartiers prioritaires, en permettant des conditions de logement dignes et des typologies respectueuses des familles, la politique de la ville pourrait contribuer davantage à l’amélioration du solde démographique. Alors que l’éducation nationale prévoit une baisse de la démographie scolaire de 400 000 élèves d’ici 2028 ([19]), investir dans la politique de la ville pourrait permettre de remédier à cette tendance en bénéficiant aux moins favorisés.
C. La politique de la ville rÉpond partiellement À la rélÉgation sociale
Sous le vocable de « quartier prioritaire », la réalité perçue est toujours celle des banlieues. Il importe de garder à l’esprit la dimension subjective d’une politique dite de la ville. Car « si la quête d’autochtonie n’est certes pas majoritaire dans des communes marquées par le turnover permanent des populations, cet attachement au sol n’en reste pas moins très prégnant car il fait écho à un sentiment historique de relégation et de stigmatisation, toujours en vogue au XXIe siècle. (…). Ce ressentiment historique des banlieues éprouvé à l’encontre de l’État n’est que la traduction ancrée des relations tumultueuses et conflictuelles que les capitales parisiennes et régionales ont entretenues avec leurs "territoires servants" » ([20]).
Pour limiter ce ressenti, mais aussi pour atténuer la violence sociale vécue par les habitants, l’investissement public dans les QPV est primordial car il manifeste l’effort collectif de solidarité à destination des moins favorisés. L’amélioration des conditions de vie contribue à reconnaître l’importance des habitants des QPV dans la collectivité nationale et c’est à cet égard que la politique de la ville participe véritablement de la cohésion territoriale. Certes, les investissements réalisés depuis les débuts de la politique de la ville sont de grande ampleur. Ainsi, la Cour des comptes souligne que « les données géospatialisées de l’ANCT font état d’une accessibilité aux équipements et services publics globalement meilleure dans les QPV par rapport aux autres quartiers des aires urbaines considérées » ([21]) . Néanmoins la perception et les besoins réels qu’en ont les habitants s’écartent souvent des données chiffrées : ainsi 27 % des habitants de QPV déclarent manquer d’équipements sportifs, de loisirs, de santé ou de services contre 18 % des habitants des aires urbaines englobantes. ([22]) Cet écart trouve une part de son explication dans la persistance d’une ségrégation. Il peut s’expliquer par des besoins réellement différents et qui résultent de la sociologie d’une population plus jeune, plus précaire et moins mobile que la moyenne nationale.
Il importe pourtant de ne pas aborder la politique de la ville avec fatalisme. Si les épisodes de violence urbaine rappellent les difficultés rencontrées par les quartiers populaires, il n’en demeure pas moins que la politique de la ville produit des résultats tangibles et qu’elle favorise l’ascension sociale. L’appréciation qu’en ont leurs habitants est loin d’être négative. Une étude récente de l’inspection générale des affaires culturelles a montré par exemple que « 94 % des habitants affirment disposer d’au moins un équipement dans leur quartier ou à proximité et estiment que différentes offres culturelles (cinémas, bibliothèques-médiathèques notamment) leur sont accessibles ». Pourtant, la cartographie statistique de l’offre culturelle révèle que les QPV sont, en réalité, moins bien dotés en équipements culturels que le reste du territoire national en moyenne et que 288 quartiers prioritaires sont totalement dépourvus de structure culturelle, in situ ou dans les alentours ([23]) . De manière générale, comme le rappelait la commission des affaires économiques du Sénat en 2022, les quartiers prioritaires jouent un rôle essentiel et structurel en France, celui d’être un « sas » et de participer à l’accueil des plus précaires, dont la population est loin d’être en diminution, et qui quittent ensuite souvent ces quartiers ([24]).
Dès lors, aborder la politique de la ville sous le seul angle de l’attractivité des quartiers prioritaires est insatisfaisant. La Cour des comptes relevait que « l’attractivité des quartiers ayant bénéficié du PNRU (12 Md€, pour un investissement global de 46,1 Md€) reste faible. L’amélioration du bâti et de l’organisation spatiale permise par la rénovation urbaine est incontestable. Toutefois, malgré la reconstitution - même partielle - d’une offre de logement très sociale, l’absence de stratégie et de moyens réels au service de la mixité sociale et l’insuffisance de l’accompagnement des habitants ont laissé persister des concentrations de pauvreté dans ces quartiers. La rénovation urbaine modifie peu leur image lorsque l’insécurité et l’économie souterraine perdurent. Enfin, les délais de mise en œuvre des opérations de rénovation urbaine diluent les effets positifs de leur programmation ». Mais peut-on s’étonner de la persistance de ces représentations sur le long terme et est-ce vraiment à cette aune que doit s’évaluer la politique de la ville ?
Pour qu’elle soit efficace dans la durée, le rapporteur spécial estime que la politique de la ville doit intégrer une dimension subjective et associer ses bénéficiaires. Au stade initial de sa conception, il est essentiel d’associer les habitants des quartiers prioritaires à l’élaboration des contrats de ville et la nouvelle génération de ces contrats résulte justement d’une consultation nationale ayant donné lieu à 12 809 contributions. Dans sa mise en œuvre quotidienne, les habitants doivent également participer à la « co-construction » politique de la ville prévue par la loi Lamy. Néanmoins les outils prévus par la loi ne correspondent pas toujours aux réalités de terrain.
II. La politique de la ville est contrainte par l’absence d’ambition et l’illisibilitÉ de son fonctionnement
A. Une nouvelle gÉographie prioritaire
Aux termes de la Loi Lamy ([25]) , « la politique de la ville est une politique de cohésion urbaine et de solidarité, nationale et locale, envers les quartiers défavorisés et leurs habitants. » Elle est conduite par l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements « dans l'objectif commun d'assurer l’égalité entre les territoires, de réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines et d'améliorer les conditions de vie de leurs habitants ».
Les dix objectifs de la loi du 21 février 2014 dite loi Lamy
Selon le I de l’article 1er de la loi du 21 février 2014, la politique de la ville « vise, en tenant compte de la diversité des territoires et de leurs ressources, à :
« 1° Lutter contre les inégalités de tous ordres, les concentrations de pauvreté et les fractures économiques, sociales, numériques et territoriales ;
« 2° Garantir aux habitants des quartiers défavorisés l'égalité réelle d'accès aux droits, à l'éducation, à la culture, au sport, aux services et aux équipements publics ;
« 3° Agir pour le développement économique, la création d'entreprises et l'accès à l'emploi par les politiques de formation et d'insertion professionnelles ;
« 4° Agir pour l'amélioration de l'habitat ;
« 5° Développer la prévention, promouvoir l'éducation à la santé et favoriser l'accès aux soins ;
« 6° Garantir la tranquillité des habitants par les politiques de sécurité et de prévention de la délinquance ;
« 7° Favoriser la pleine intégration des quartiers dans leur unité urbaine, en accentuant notamment leur accessibilité en transports en commun, leur mixité fonctionnelle et urbaine et la mixité de leur composition sociale ; elle veille à ce titre à la revitalisation et la diversification de l'offre commerciale dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ;
« 8° Promouvoir le développement équilibré des territoires, la ville durable, le droit à un environnement sain et de qualité et la lutte contre la précarité énergétique ;
« 9° Reconnaître et à valoriser l'histoire, le patrimoine et la mémoire des quartiers ;
« 10° Concourir à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la politique d’intégration et à la lutte contre les discriminations dont sont victimes les habitants des quartiers défavorisés, notamment celles liées au lieu de résidence et à l'origine réelle ou supposée. »
Le document de politique transversale Ville en donne quant à lui la définition suivante : « La politique de la ville intervient de manière territorialisée dans les quartiers urbains défavorisés, tant dans l’Hexagone qu’en Outre-mer. Elle fédère l’ensemble des partenaires publics, privés et de la société civile y concourant : l’État et ses établissements publics, les intercommunalités, les communes, les départements et régions, ainsi que les autres acteurs institutionnels (organismes de protection sociale, acteurs du logement, acteurs économiques) et la société civile, en particulier les associations et les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). »
Sans qu’il soit possible de lui donner une ambition précisément définie, la politique de la ville se compose donc d’une série de moyens et se définit avant tout par son mode de fonctionnement. Elle tend aujourd’hui à la décentralisation avec le contrat de ville et accorde la priorité à l’action normale des services publics et de l’État, dans une logique égalitaire et républicaine. Aux politiques d’impulsion nationale a succédé une approche par le bas, privilégiant la co-construction et la territorialisation. Selon le document de politique transversale, la politique de la ville poursuit quatre « priorités » qui font l’agrégation de ces moyens. Il s’agit à la fois d’améliorer l’habitat et le cadre de vie, de favoriser le développement économique et l’accès à l’emploi, de prévenir la délinquance et de promouvoir la réussite éducative.
Depuis le 1er janvier 2024, on dénombre 1 362 QPV en France métropolitaine([26]) et, depuis le 1er janvier 2025, on en dénombre 246 en outre-mer ([27]), pour une population totale incluse dans ce zonage de 5,9 millions d’habitants. L’actualisation des critères de définition a été fixée par décret dans les deux cas. En métropole, les QPV sont ainsi définis en lien avec les élus locaux sur la base de critères de revenu et de population. Dans les cinq départements et régions d’outre-mer (La Réunion, Mayotte, Guadeloupe, Guyane, Mayotte) ainsi qu’à Saint-Martin et en Polynésie française, les QPV sont définis quant à eux à partir d’un indicateur synthétique prenant en compte les spécificités propres à chaque territoire.
Critères d’éligibilité des quartiers prioritaires
En métropole, les QPC doivent respecter les critères suivants ([28]) :
– Être dans une unité urbaine de plus de 10 000 habitants (sauf dérogation accordée pour six ans aux quartiers anciennement classés QPV en 2014 et inclus dans une unité urbaine n’atteignant plus les 10 000 habitants) ;
– Avoir au minimum 1 000 habitants dans le périmètre du QPV ;
– Avoir un revenu médian des ménages en décrochage par rapport à celui de l’unité urbaine d’appartenance et à celui de la France hexagonale.
La délimitation des contours des QPV est établie après une consultation des élus locaux menée par le préfet.
En outre mer ([29]), les QPV doivent être compris dans une commune de plus de 5 000 habitants d’une aire urbaine de plus de 15 000 habitants (dont la densité doit être supérieure à 100 ou 150 habitants/km2 selon les collectivités) et présenter un écart statistique supérieur à un seuil pour un indice synthétique calculé à parti des variables statistiques suivantes :
– la proportion des chômeurs dans la population active ;
– la proportion des inactifs dans la population des 15 à 64 ans ;
– la proportion des inactifs dans la population des 15 à 24 ans ;
– la proportion des non-diplômés dans la population des 15 ans et plus ;
– la proportion des familles monoparentales dans l’ensemble des familles ;
– la proportion des logements surpeuplés dans l’ensemble des logements.
Dans le cas de Mayotte, l’indice synthétique prend en compte des variables légèrement différentes, et en particulier :
‑ la proportion des logements à l'intérieur desquels il n'y a pas d'accès à l'eau courante;
‑ la proportion des logements non équipés en électricité ;
‑ la proportion des logements classés dans la catégorie des habitations de fortune.
B. Une politique d’exception qui produit des rÉsultats : l’exemple de l’Éducation prioritaire et du logement
Bien que pluriels par nature, les QPV ont en commun un écart de richesse majeur par rapport à la moyenne nationale. Selon l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) ([30]) , plus de 55 % des enfants qui vivent en QPV sont en situation de pauvreté contre 20 % sur l’ensemble du territoire. Cet écart se retrouve en termes d’emploi (le taux de chômage y est 2,5 fois plus élevé qu’en moyenne nationale) ainsi qu’en termes d’éducation (46 % des lycéens y sont en première professionnelle contre 28 % en moyenne).
Néanmoins, la politique de la ville contribue effectivement à réduire ces écarts.
En premier lieu, la politique scolaire contribue à la réduction des inégalités éducatives. En 2015, sont entrées simultanément en vigueur la réforme de la géographie de l’éducation prioritaire (réseaux REP + et REP) et celle de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Les réformes se sont traduites par une convergence des géographies d’intervention des ministères de la ville et de l’éducation nationale, qui devait permettre de cibler plus efficacement les efforts sur les établissements les plus en difficulté. La réforme de la géographie de l’éducation prioritaire s’est accompagnée de moyens permettant d’alléger les classes, avec le dédoublement des grandes sections de maternelle, des CP et des CE1. Elle se traduit également par des primes versées aux enseignants exerçant en REP (1 734 € bruts annuels) et en REP+ (5 114 € bruts annuels, associés à une part modulable d’un montant maximum de 702 € bruts annuels). En outre, dans les REP+, le temps enseignant est organisé différemment grâce à une pondération différente des heures. Enfin les mesures nationales s’y appliquent en priorité. Ainsi en 2023-2024, la moitié des collégiens en REP+ et plus d’un quart en REP ont bénéficié du dispositif « Devoirs faits », temps d’étude accompagné après la classe. Depuis la rentrée 2023, tous les élèves de 6e bénéficient de ce dispositif.
Ces mesures ont un effet tangible : ainsi la proportion d’enseignants en réseau d’éducation prioritaire avec 5 ans d’ancienneté minimum a progressé de 1,8 point entre 2021 et 2022 et de 1,4 point entre 2022 et 2023. Hors REP cette proportion augmentait seulement de 0,1 point entre 2022 et 2023. De même, de 2019 à 2023, l’écart de taux de réussite au brevet des élèves en collège REP+ s’est réduit de – 13,2 points à – 11 points. Malgré cela, l’objectif fixé par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ([31]) de réduire à moins de 10 % les écarts de réussite scolaire entre les écoles et établissements en éducation prioritaire et les autres, n’est pas atteint.
Évolution du nombre d’ÉlÈves par classes dans les Écoles et les collÈges
Source : Observatoire national de la politique de la ville, Rapport 2023, Dossier éducation : La réussite éducative dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
En second lieu, la politique de renouvellement urbain a également permis une amélioration des conditions de vie. En effet les QPV connaissent des problèmes cumulatifs liés au logement, en particulier la sur-occupation des logements, la dégradation d’un parc vieillissant et l’inadaptation de l’offre aux tendances démographiques. Parallèlement, les copropriétés dégradées dans le parc privé constituent une source de préoccupation majeure. Selon l’ONPV, 35 % des copropriétés en QPV sont en situation de difficulté financière contre 13,7 % en moyenne. Ces écarts résultent notamment d’une proportion plus importante de copropriétés de très grande taille dans les QPV (34,3 % des copropriétés ont plus de cent lots contre 23,1 % en moyenne hors QPV). Dans l’ensemble, ces phénomènes menacent non seulement la sécurité et le confort des occupants mais nuisent aussi à l’image et l’attractivité des quartiers concernés.
Des difficultÉs structurelles de l’habitat en quartier prioritaires
Parfois critiqué, le plan national de renouvellement urbain (2003-2013) a néanmoins produit 48 000 logements nouveaux et réhabilité 408 500 logements, pour un coût global de 7 milliards d’euros ([32]). Dans l’ensemble, ce plan a permis de réduire la vacance des logements et d’augmenter significativement la mixité sociale. En effet parmi les quartiers ayant été rénovés avec une convention de l’ANRU, la part de quartiers à diversité sociale élevée, c'est-à-dire ceux où la composition sociale se rapproche le plus de la répartition globale des catégories sociales, a considérablement augmenté, passant de 21,9 % à 44,4 %. En revanche, dans les quartiers non conventionnés, la hausse de cette proportion a été comparativement plus faible ([33]). Malgré les défauts du PNRU, les ménages relogés ont bénéficié d’un logement (dans le neuf ou dans l’ancien) dans la même commune pour 89 % d’entre eux et sur le site du projet pour 51 % d’entre eux ([34]). Ces avancées se heurtent à un fait majeur : le recul de l’État et des secteurs privés mobilisés historiquement (banques, entreprises…) dans la construction de logements sociaux, devenus trop rares.
Le nouveau plan national de renouvellement urbain (2024-2030) devrait lui-aussi produire des résultats tangibles. Contrairement au précédent programme, qui fixait un objectif d’une reconstruction par démolition, hormis dans certains cas particuliers de zones d’habitat détendu, le NPNRU doit répondre à des objectifs plus souples et « garantir une reconstitution de l’offre de logements locatifs sociaux démolis compatible avec les besoins structurels en logements locatifs sociaux fixés par les programmes locaux de l’habitat ([35]) ». Les résultats provisoires du plan permettent d’être optimistes sur son avenir : plus de 320 000 logements ont été construits ou réhabilités (dont plus de 230 000 logements sociaux) et 80 % de la reconstitution de l’offre de logement social se situe hors des quartiers prioritaires selon l’ANRU ([36]).
C. NÉanmoins la politique de la ville ne rÉsout pas correctement la sÉgrÉgation socio-spatiale
Comme le rappelle l’Institut national de la statistique et des études économiques ([37]) , « dans les quartiers prioritaires, le décrochage des revenus par rapport au niveau moyen de revenu de la ville s’accentue depuis 2004, avec dans ces quartiers une augmentation de la part des 40 % des habitants les plus modestes et une diminution de la part des 40 % les plus aisés. Les quartiers prioritaires sont donc devenus de moins en moins représentatifs de la population des villes dans leur ensemble : la mixité dans les quartiers prioritaires a baissé ». Cette tendance est corrélée avec la baisse démographique qu’ont connu les quartiers prioritaires, sous l’impulsion notamment du plan de renouvellement urbain et de la diversification de l’habitat. En effet la moitié des villes étudiées par l’INSEE ont connu une baisse d’au moins 15 % du poids démographique de leurs quartiers prioritaires. En conséquence selon l’INSEE « malgré la baisse de leur mixité depuis 2004, les quartiers prioritaires ont contribué à diminuer l’indice global de ségrégation au niveau des villes dans plus de 4 sur 5 d’entre elles ».
Extrait du rapport Ensemble, refaire ville – Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers et des territoires fragiles
« La ségrégation socio-spatiale s’est accrue en France sous les effets combinés de la métropolisation, de la désindustrialisation et de l’accroissement des inégalités sociales . « En 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes » indique l’Institut national de la statistique et des études (INSEE), tout comme France Stratégie (2020) dans son étude sur la ségrégation résidentielle dans les grandes villes qui souligne la puissance des mécanismes de concentration sociale, qu’ils soient « choisis » pour les plus riches, ou « subis » pour les plus pauvres. Une tendance française mais également européenne, comme l’indique le 9ème rapport de la Commission européenne sur la politique de cohésion (2001-2021) « trente ans après le lancement du marché unique européen et du renforcement de la politique de cohésion (..) des disparités subsistent [entre régions] ». Dans son rapport, la Commission souligne l’aggravation de la situation en France, un pays où les « disparités internes » sont fortes et ont augmenté du fait d’une « croissance très faible dans les régions en transition », et d’une croissance du produit intérieur brut (PIB)/habitant « particulièrement faible dans les régions les plus pauvres ». La mission a fait le constat de la persistance d’une ségrégation territoriale et sociale à l’égard des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) comme des habitants des territoires ruraux et périurbains et des territoires en déprise économique. »
Projetés à l’échelle urbaine, les mécanismes de ségrégation socio-spatiales produisent une cartographie fortement polarisée.
DegrÉ de sÉgrÉgation et revenus des diffÉrents quartiers de Lille et de Marseille en 2019
Source : INSEE Analyses, n°79, « En 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », juillet 2023.
D. Une politique complexe, mobilisant trois niveaux d’intervention, quatre axes prioritaires et plusieurs cartographies complÉmentaires
Bien qu’elle réduise les écarts, la politique de la ville échoue à les combler définitivement. C’est là son principal défaut et la ligne de convergence de ses critiques : après quarante années d’existence, comment justifier l’absence de diminution significative des inégalités socio-spatiales ? De toute évidence, l’incapacité de la politique de la ville à lutter efficacement contre ce phénomène tient à une multitude de facteurs. Il en est un pourtant que le rapporteur spécial met en exergue : l’absence d’un objectif clairement identifié de diminution des inégalités socio-spatiales.
Depuis la loi Lamy, la politique de la ville s’est orientée vers une logique de subsidiarité renforcée. Aux termes de la loi, elle « mobilise et adapte, en premier lieu, les actions relevant des politiques publiques de droit commun et, lorsque la nature des difficultés le nécessite, met en œuvre les instruments qui lui sont propres ». Dans l’ensemble il s’agit donc d’une organisation en trois niveaux. À sa base, l’essentiel de la politique de la ville est constitué des interventions des collectivités territoriales et des ministères dans leurs champs de compétence respectifs (modification de la carte scolaire, déploiement des effectifs de police et de gendarmerie, maillage national des maisons France services par exemple). Au second niveau, certains ministères réservent aux QPV une part renforcée de leurs crédits de droit commun : il s’agit des « crédits renforcés » (par exemple le surencadrement des élèves en éducation prioritaire pour limiter les effectifs par classe à 25 ou l’abondement supplémentaire consenti à 139 bibliothèques de QPV pour permettre leur ouverture prolongée). Enfin un troisième niveau d’intervention complète les actions subsidiaires afin de répondre aux besoins spécifiques des quartiers prioritaires ou d’une partie d’entre eux. Ces crédits d’intervention constituent le cœur de la politique de la ville dans son acception première, c’est-à-dire une politique de discrimination positive réservée aux quartiers prioritaires dans l’objectif d’atteindre une équité territoriale. Parmi ces crédits d’intervention, regroupés pour l’essentiel dans le programme budgétaire 147 Politique de la ville, mentionnons par exemple le financement du partenariat national avec les associations, les cités éducatives ou encore le financement par l’État du renouvellement urbain.
À chacun de ces trois niveaux, la politique de la ville se compose d’un ensemble d’actions disparates. C’est l’approche proposée par la documentation budgétaire, qui les regroupe en quatre axes d’intervention.
Le premier axe a pour objet l’amélioration de l’habitat et du cadre de vie : il est constitué pour l’essentiel du programme de renouvellement urbain et de la politique de lutte contre l’habitat dégradé (en particulier du « plan initiative copropriétés », des subventions de l’Agence nationale de l’habitat, des aides de la Banque des territoires et des opérations de revitalisation du territoire).
Le deuxième axe porte sur le développement économique et l’accès à l’emploi : il est financé par des crédits de droit commun (contrats d’engagement jeune, contrats aidés, Epide) ainsi que certains dispositifs spécifiques aux quartiers prioritaires comme le programme entrepreneuriat Quartiers 2030 ou les cités de l’emploi.
Le troisième axe vise à prévenir la délinquance et développer la citoyenneté : il inclut le renforcement des effectifs de police nationale (zones de sécurité prioritaires et quartiers de reconquête républicaines) ainsi que les postes d’adulte-relais et les crédits renforcés du ministère de la justice (maisons de justice et du droit, conseils départementaux de l’accès au droit).
Enfin le dernier axe, intitulé réussite éducative et égalité des chances, porte sur l’ensemble des actions des ministères chargés de la jeunesse et des sports, de la culture et de l’éducation nationale. Il inclut donc à la fois des crédits renforcés (par exemple le dédoublement des classes et la majoration des primes en éducation prioritaire) et des dispositifs exclusivement déployés dans les quartiers prioritaires comme les cités éducatives, les programmes de réussite éducative ou le programme Démos.
En outre, malgré l’harmonisation permise par la loi Lamy, la politique de la ville repose toujours sur une superposition de zones qui ne se recoupent pas totalement. La carte des quartiers prioritaires ne correspond pas toujours à celle de l’éducation prioritaire, qui n’a pas été mise à jour depuis 2015. Cela conduit parfois à des aberrations, comme les 270 écoles dites orphelines qui sont situées en QPV mais non incluses dans la géographie prioritaire. De même, les allègements fiscaux et sociaux des zones franches urbaines-territoires d’industrie (ZFU-TE) ont été prolongés après 2014 sur un zonage différent de celui des QPV. Les quartiers de reconquête républicaine (QRR) connaissent eux-aussi un zonage partiellement indépendant de la cartographie prioritaire. Enfin l’Agence nationale du renouvellement urbain possède son propre zonage de conventionnement, qui ne comprend qu’une partie seulement des quartiers prioritaires.
De façon générale, la politique de la ville apparaît donc comme un ensemble complexe. Si les contrats de ville ont vocation à gommer cette complexité en proposant un cadre territorial unique, il est difficile pour les élus de distinguer les crédits de droit commun de l’effort spécifique consenti pour les quartiers prioritaires. Cet empilement induit par ailleurs une complexité administrative impliquant de nombreux acteurs (préfets délégués à l’égalité des chances, rectorats, directions régionales des affaires culturelles, ANRU, Agence nationale de cohésion des territoires …).
Cet entremêlement des niveaux d’intervention compromet tout effort de budgétisation de la politique de la ville et les montants présentés dans la documentation budgétaire s’écartent largement de la réalité. Par exemple, sur les 40,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement présentés dans le document de politique transversale, 15,4 milliards procèdent du programme 157 – Handicap et dépendance et 14,3 milliards du programme 304 – Inclusion sociale et protection des personnes. La mission budgétaire Solidarité, insertion et égalité des chances est donc comptabilisée dans son ensemble, alors qu’une partie seulement de ses crédits contribuent effectivement à la politique de la ville. À l’inverse la contribution du programme 140– Enseignement scolaire public du premier degré est comptabilisée à proportion des crédits dits renforcés qui sont spécifiquement dédiés aux quartiers prioritaires : elle s’élève à 1,9 milliard d’euros.
La confusion entre les crédits dit « de droit commun » et ceux dits « renforcés » ne permet pas d’évaluer sérieusement la politique de la ville. Il faudrait pour cela distinguer dans chaque programme la part de crédits renforcés consacrée à l’effort spécifique déployé en quartier prioritaire, ou bien isoler ces crédits dans un programme spécifique.
En outre, les canaux de financement de la politique de la ville sont pluriels. Aux crédits budgétaires s’ajoutent les dépenses fiscales (par exemple les exonérations d’impôts et de cotisations sociales en ZFU-TE, les exonérations temporaires de cotisation foncière des entreprises (pour huit ans) et de taxe foncière (pour cinq ans) pour les petites et moyennes entreprises installées en QPV ; l’abattement de 30% de taxe foncière pour les bailleurs sociaux en QPV ; le taux de TVA à 5,5 % sur les logements construits en QPV dans le cadre d’un dispositif d’accession à la propriété). On peut également inclure parmi ces financements les dotations budgétaires accordées aux collectivités territoriales urbaines dont le potentiel fiscal est limité (dotation de solidarité urbaine, dotation politique de la ville, fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France) ainsi que les concours de l’Union européenne. Enfin, la politique de la ville est financée par les collectivités territoriales sur leurs budgets propres et par les concours accordés par des personnes morales de droit privé, notamment les subventions et prêts accordés par Action logement, les bailleurs sociaux ou la Caisse des dépôts et consignations. Au total, le financement de la politique de la ville révèle un panorama complexe et dispersé, comme en témoignent les dotations budgétaires associées à cette politique.
Les dotations budgétaires associées à la politique de la ville
1° La dotation de solidarité urbaine (DSU) est une composante de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée annuellement aux collectivités territoriales à partir d’un prélèvement sur les recettes de l’État (PSR-CT). Son montant en 2025 est de 2,955 milliards d’euros, en hausse de 150 millions d’euros par rapport à 2024 et de 865 millions d’euros depuis 2017. L’éligibilité à la DSU est indépendante du classement en QPV et repose sur un critère synthétique reflétant les caractéristiques des communes urbaines (le potentiel financier des communes, le nombre de logements sociaux, le nombre de bénéficiaires des prestations logement et le revenu fiscal moyen des ménages). Pour mémoire, 529 des 706 communes éligibles de plus de 10 000 habitants ont une partie de leur population résidant dans un quartier prioritaire de la ville. C’est également le cas de 70 des 127 communes éligibles de 5 000 à 9 999 habitants.
2° La dotation politique de la ville (DPV), dont le montant s’élève à 150 millions d’euros, apporte un soutien renforcé aux quartiers les plus en difficulté pour, essentiellement, soutenir leurs investissements dans le respect des objectifs des contrats de ville. Elle est attribuée aux communes éligibles à la DSU présentant une forte proportion de leur population en QPV et inscrites dans un programme de rénovation urbaine de l’ANRU. En 2023, 182 communes de métropole et 17 communes d’outre-mer étaient éligibles à la DPV, notamment 22 communes en Seine-Saint-Denis et 21 dans le Nord. La DPV est répartie en enveloppes départementales et chacune d’entre elles est ensuite répartie par le préfet de département sur la base des projets présentés par les collectivités éligibles. Les crédits sont attribués par le préfet « afin de financer les actions prévues par les contrats de ville » (article L. 2334-40 du CGCT) et tout type d’action et de programme s’inscrivant dans leur cadre peut être financé, y compris des dépenses de fonctionnement sous réserve qu’elles demeurent ponctuelles.
3° Le fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France (FSRIF), est un dispositif de redistribution des ressources fiscales au sein des communes franciliennes. Son montant, inchangé depuis 2021, est de 350 millions d’euros. En 2024, 155 communes étaient contributrices et 198 bénéficiaires.
Comme le souligne la Cour des comptes, « cette diversité de financements caractérise une politique transverse et ne serait pas critiquable en soi si elle ne souffrait pas, aujourd’hui encore, d’ambiguïtés et d’imprécision quant à leur périmètre et à leurs finalités ». En d’autres termes, cette complexité ne serait pas une préoccupation si elle n’altérait l’efficacité de la politique de la ville. Car, en diminuant la compréhension qu’en ont les élus locaux et les acteurs de terrain qui, souvent perdus parmi les appels à projets et les dispositifs épars, ne parviennent plus toujours à comprendre la politique de la ville et son fonctionnement, cette complexité renforce le sentiment de relégation. De plus, cette complexité alimente le non-recours aux aides proposées : ainsi la Cour des comptes notait qu’en 2018 seules 92 entreprises avaient demandé une exonération de CFE. « Ces chiffres extrêmement faibles suggèrent que l’exonération de CFE ne joue qu’un rôle marginal dans les décisions d’implantation et ne constitue, au mieux, qu’une aide additionnelle marginale à des projets déjà arrêtés » selon la Cour. À cet égard, il faut saluer l’effort, annoncé par Mme Juliette Méadel, ministre chargée de la ville, d’harmoniser les exonérations fiscales destinées aux QPV dans le projet de loi de finances pour 2026.
Schématisation synthétique du financement de la politique de la ville
* Les montants présentés par programmes budgétaires correspondant à la dotation de 2025 telle que présentée dans le document de politique transversale Ville ; leur méthode de comptabilisation n’est pas harmonisée, certains présentent le montant intégral du programme (ex : programmes 304 et 157) quand d’autres font un prorata des crédits spécifiquement consacrés à la politique de la ville (ex : programmes 140 et 141)
Source : commission des finances à partir de la documentation budgétaire et des réponses aux questionnaires d’audition.
En 2022 déjà, le rapport de la commission des affaires économiques du Sénat posait un constat en demi-teinte : « pour que la politique de la ville ne soit pas qu’une politique d’égalité territoriale visant à la normalisation des quartiers mais également une politique d’émancipation visant à favoriser les effets de tremplin, il nous faut adapter les objectifs définis dans la loi et se donner les moyens de les mesurer et de les évaluer ».
Trois ans après, et malgré les mesures prises en réaction aux violences urbaines de l’été 2023, le rapporteur spécial estime que ces questions demeurent. Quelle est l’ambition véritable de la politique de la ville ? S’agit-il toujours d’agir « contre les inégalités de tous ordres » comme le dispose la loi Lamy ? Si tel est le cas, pourquoi ne pas se fixer un objectif quantifiable d’investissement dans les services publics et les infrastructures de transport ? Pour le rapporteur spécial, ces questions doivent structurer la réflexion autour de la politique de la ville et nous interroger à la fois sur son champ et sur ses moyens. À partir du contrat de ville, comment proposer un investissement d’État efficace et partenarial permettant d’établir l’équité territoriale ?
III. Quatre prioritÉs pourraient Être poursuivies
A. Renforcer l’ambition de la politique de la ville par l’Éducation et la culture
Des auditions menées au cours du Printemps de l’évaluation, le rapporteur spécial retient que les objectifs fixés il y a onze ans par la loi Lamy pourraient être réaffirmés. En effet la politique de la ville est une solution efficace et pertinente aux inégalités socio-spatiales. Lorsque les moyens lui sont accordés, elle prouve sa capacité à fédérer autour d’un projet collectif local, et contribue ainsi à la réduction des inégalités. Aussi estime-t-il qu’une révision de la loi Lamy n’est pas nécessaire ; ses objectifs demeurent pertinents. Il s’agit plutôt, selon lui, de réaffirmer l’ambition fixée par la loi en visant une réduction définitive des inégalités d’accès aux services publics. Pour lui, c’est à cette condition qu’on observera une diminution durable des « inégalités de tous ordres ».
À court terme, cette ambition devrait être réaffirmée lors des prochains comités interministériels de la ville en renforçant les dispositifs les plus efficaces.
Concernant l’éducation, cela implique d’actualiser la carte de l’éducation prioritaire afin de la faire correspondre aux évolutions issues de la réforme de la cartographie prioritaire de 2024. Les cités éducatives pourraient être généralisées, comme prévu initialement par le comité interministériel de 2023, puisqu’elles font la preuve d’une bonne appropriation par les académies, les élus et les préfets. En réunissant autour du projet scolaire les parties prenantes des divers niveaux d’intervention, les cités éducatives forment un socle à partir duquel l’ensemble de la politique de la ville peut être conduite. Il y a donc lieu d’accélérer leur déploiement et d’y associer plus systématiquement les administrations périphériques, notamment les caisses d’allocations familiales, les agences régionales de santé et France travail. L’examen automatique du droit à bourse, qui est actuellement expérimenté, devra être généralisé s’il permet de réduire le taux de non-recours. Son extension à d’autres aides sociales pourrait également être envisagée. Cet effort doit s’accompagner d’une attention particulière à l’enfance et la petite enfance, comme le préconise le Conseil économique, social et environnemental ([38]). En particulier, il est urgent d’intégrer toutes les écoles primaires situées en quartiers prioritaires à l’éducation prioritaire afin de ne pas laisser perdurer les situations d’écoles orphelines. De plus, le nombre de places en crèches doit être augmenté pour améliorer la socialisation au plus jeune âge et libérer du temps pour les familles. De manière générale, le rapporteur spécial estime que les réseaux d’éducation prioritaires peuvent jouer un rôle crucial en dehors de la salle de classe et qu’il importe donc de généraliser toutes les initiatives pertinentes qui contribuent au développement des enfants et de leurs familles, comme les petits-déjeuners gratuits, l’extension des horaires d’accueil ou les vacances apprenantes.
Le rapporteur spécial est également convaincu que les actions mises en œuvre dans le domaine culturel constituent un pilier de l’émancipation individuelle, du renforcement des liens collectifs et républicains et du développement local. Les initiatives menées par le ministère de la culture et l’Agence nationale de cohésion des territoires, comme les micro-folies, les quartiers d’été et le programme Démos, suscitent l’adhésion franche des bénéficiaires et contribuent au développement général des enfants. Une étude qualitative ([39]) a ainsi montré les effets positifs sur l’attitude, la concentration et la confiance des 41 orchestres Démos déployés dans 177 QPV. Le rapporteur spécial estime par ailleurs que l’attention portée à l’architecture et la valorisation du patrimoine doivent trouver leur place dans le renouvellement urbain. Alors que le ministère de la culture a engagé une réflexion commune avec l’ANRU en vue d’aboutir à une convention de partenariat, il est essentiel de valoriser le patrimoine existant dans toute démarche de requalification ou de renouvellement du bâti. À ce titre le concours d’architecture « Quartiers de demain », qui met en compétition des équipes internationales pour l’aménagement de dix ensembles urbains à rénover, est une démarche inspirante qui pourrait être reproduite.
B. Consacrer un financement ÉquilibrÉ et simplifiÉ
La réforme de la géographie de la politique de la ville a eu pour conséquence d’augmenter de 10 % la population vivant en QPV. Cette réforme doit donc être accompagnée d’une augmentation et d’une sécurisation des crédits de la politique de la ville.
Aux trois niveaux d’intervention correspondent des moyens associés : crédits décentralisés des collectivités territoriales issus de la fiscalité locale ou des dotations budgétaires, crédits du budget de l’État et dépenses fiscales associées et enfin capitaux privés. Le rapporteur spécial estime qu’une clarification du schéma de financement permettrait d’améliorer l’efficacité de la politique de la ville.
En effet les crédits accordés par les collectivités territoriales à l’investissement dans les quartiers prioritaires pourraient être mieux financés et simplifiés. À ce titre les auditions menées par le rapporteur ont rappelé l’importance d’une réforme de la fiscalité locale, préconisée par la Cour des comptes dans l’enquête que lui avait commandée la commission des finances de l’Assemblée nationale ([40]) , afin de renforcer le lien fiscal à l’échelle d’un territoire et améliorer la capacité de pilotage des exécutifs locaux. En outre le système des dotations d’investissement sera vraisemblablement amené à évoluer dès le projet de loi de finances pour 2026, comme l’a annoncé la ministre chargée de la ville, reprenant les préconisations du rapport remis au Président de la République par notre collègue Éric Woerth ([41]). Il s’agira certainement d’une convergence voire d’une fusion de la DSU et de la DPV avec l’ensemble des dotations d’investissement. Les élus interrogés partagent l’objectif d’une simplification mais rappellent que la DSU est un outil plus pilotable que la DPV, et qu’elle ne nécessite pas de concertation préalable avec le préfet. Le rapporteur spécial appelle donc à privilégier autant que possible la décentralisation des crédits non-fléchés, qui permet un pilotage plus fin au niveau local.
Un scénario alternatif pourrait être de maintenir la DSU dans sa forme actuelle et de transformer la DPV en une nouvelle action du programme 147 venant abonder spécifiquement les nouveaux contrats de ville dans leurs parties consacrées à l’investissement. Il importe également, pour les collectivités territoriales comme pour les associations, de limiter autant que possible les appels à projet et de sortir progressivement de ce mode de financement qui empêche les associations de se projeter durablement dans leurs projets. Pour cela, le rapporteur spécial propose de favoriser les conventions pluriannuelles d’objectifs entre les ministères et les associations. À ce titre la Charte d’engagement réciproque signée par le ministère de la culture avec onze mouvements et fédérations d’éducation populaire le 16 mai 2024 fournit un exemple d’engagement pluriannuel partenarial qui favorise l’investissement dans la durée dans les QPV. Selon cette même approche partenariale, la centralité des contrats de ville doit être préservée et l’ensemble des contrats se rapportant à la politique de la ville doivent y être annexés. Concernant par exemple la politique culturelle, il serait préférable que les contrats locaux d’éducation artistique, les conventions de développement culturel, les « contrats territoire lecture » ou les « conventions Ville et pays d’art et d’histoire » prévoient systématiquement un volet consacré aux QPV et que ceux-ci soient retracés dans les contrats de ville.
Au niveau des crédits d’État, le rapporteur spécial rappelle l’importance, déjà identifiée par la commission des affaires économiques du Sénat ([42]), de mieux distinguer les crédits dits « de droit commun » et ceux dits « renforcés », afin que les moyens de la politique de la ville ne se substituent pas à l’action normale des services publics. Pour éviter les à-coups de gestions, il serait intéressant de systématiser les conventions interministérielles d’objectifs entre le ministère de la ville et les différents ministères d’intervention. Pour cela, une nouvelle circulaire pourrait être signée par le Premier ministre à l’attention des ministères sur le modèle de la précédente circulaire de 2016 ([43]). Surtout il est important d’harmoniser les règles de gestion financières des différents budgets opérationnels de programme, notamment entre le programme 147 et ceux de la mission Enseignement scolaire, pour éviter que ne se juxtapose, dans les mêmes quartiers, une priorisation différente des publics selon le programme budgétaire mobilisé.
Enfin les financements privés associés à la politique de la ville pourraient eux aussi être clarifiés. La réforme des exonérations fiscales que préconise le ministère chargé de la ville pourrait permettre de simplifier les aides existantes. Cependant si une évaluation ne concluait pas à leur efficacité, ces dépenses fiscales pourraient être remplacées par des aides de la Caisse des dépôts et consignations de manière à préserver les recettes fiscales des collectivités et de l’État. Plus largement, la Caisse des dépôts et consignation pourrait être amenée à jouer un rôle renforcé dans les quartiers prioritaires. En plus de sa participation en faveur du logement social et de son soutien au programme « Entrepreneuriat Quartiers 2030 », la Caisse des dépôts pourrait participer davantage au financement des contrats de ville et à l’investissement en fonds propres dans les entreprises en QPV.
C. AgrÉger les initiatives À l’Échelle locale
La co-construction de la politique de la ville contribue largement à ses réussites. Plus que tout autre, la politique de la ville se caractérise en effet par un foisonnement d’initiatives associatives et de l’implication citoyenne, comme le rapporteur spécial l’a constaté au cours de ses travaux. La capacité des habitants à contester, négocier et discuter d’un projet de renouvellement urbain doit être renforcée afin de se donner la possibilité d’anticiper les blocages, mais aussi d’enrichir les projets. Aussi est-il regrettable que les conseils citoyens qu’avait prévus la loi Lamy ne fonctionnent pas systématiquement. Là où ces conseils opèrent, il importe de les préserver. Mais dans les autres QPV, de nouveaux dispositifs pourraient être imaginés, comme des conseils d’initiative citoyenne permettant de soutenir toutes les formes de participation émanant d’un territoire (conseil de quartier, table de quartier …).
En outre, ces formes de participation citoyenne doivent être valorisées et mieux financées. Par exemple, un fonds d’initiative citoyenne pourrait être adossé aux contrats de ville et doté d’un montant significatif pour renforcer les moyens de participation des habitants ([44]). De la même manière, le rapport d’activité de l’ANRU ([45]) suggère de consacrer une quote-part (dite « 1% participation ») des montants du renouvellement urbain pour financer des projets participatifs. Conscients de cet enjeu, les auteurs du rapport sur le futur du renouvellement urbain préconisent de conditionner l’allocation et le versement des financements de l’ANRU à la signature et la mise en œuvre par les porteurs de projet d’une charte de co-construction avec les habitants et qui prévoirait un accompagnement financier ([46]). Le rapporteur note que cette proposition indique une intention souhaitable, mais qu’une simple application plus exigeante de l’actuelle charte de l’ANRU pourrait suffire.
D. Relancer le renouvellement urbain sur des bases nouvelles
La question du renouvellement urbain est déterminante pour le futur de la politique de la ville, dont elle constitue le cœur d’intervention. Engagé financièrement avec l’Union sociale de l’habitat, Action logement et la Caisse des dépôts et consignations, l’État finance, via le programme budgétaire 147, le nouveau programme de renouvellement urbain mis en œuvre par l’ANRU.
En 2024, les crédits du programme 147 consacrés au renouvellement urbain ont été entièrement annulés (– 50 millions d’euros) pour participer au rééquilibrage des comptes publics. Selon le ministère chargé de la ville, la trésorerie de l’ANRU, estimée à 460 millions d’euros au 31 décembre 2024, justifiait cette décision. Néanmoins, le rapporteur spécial maintient les recommandations de son rapport spécial de l’automne 2024 : en ne respectant pas l’engagement d’une contribution de 1,2 milliard d’euros au NPNRU, dont 50 millions d’euros en 2024 et 75 millions d’euros en 2025, l’État risque d’en reporter la charge sur les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales. Ce report pourrait avoir pour conséquence finale de retarder voire d’annuler certains projets d’aménagement. Lors des auditions menées pour ce rapport, la ministre chargée du logement et la ministre chargée de la ville ont souhaité apporter des garanties en indiquant que le programme sera exécuté correctement jusqu’à son terme et qu’en raison du retard pris par certains projets, la décision a été prise de reporter la date limite d’engagement des crédits à 2027 et l’échéance de livraison à 2032. L’État devrait donc honorer son engagement à l’égard des autres contributeurs.
Calendrier synthÉtique de l’engagement et du paiement du NPNRU
Source : réponse de l’ANRU aux questionnaires d’audition.
Néanmoins, le rapporteur spécial considère qu’un nouveau plan de renouvellement urbain doit être préparé immédiatement, afin de faciliter la transition avec le programme existant. Ce faisant il adhère aux préconisations qu’ont exprimées les auteurs du rapport remis à la ministre chargée de la ville ([47]) et qui concluent à la nécessité d’un nouveau programme. Comme eux, il estime qu’il est nécessaire de poursuivre l’amélioration des conditions de logement en QPV. En effet les problèmes historiques du logement en quartier prioritaire demeurent : immeubles anciens et présentant une typologie de logement inadaptée aux structures familiales contemporaines, dégradation des espaces communs, faiblesse des commerces de proximité, inadaptation au changement climatique … Alors que les bailleurs sociaux estiment le besoin à 31 milliards d’euros (voir encadré ci-dessous), le rapporteur spécial appelle le Gouvernement à proposer au plus vite sa propre estimation et à préparer dès maintenant la transition vers un futur programme.
Pour autant, le rapporteur spécial se démarque du rapport précité sur certains enjeux. En premier lieu, si le futur programme de renouvellement devra pouvoir être étendu aux 122 nouveaux quartiers prioritaires issus de la réforme de 2024, il importe toutefois de ne pas élargir le financement de l’ANRU à d’autres territoires en dehors des QPV. En effet les problèmes spécifiques à la géographie prioritaire appellent une réponse adaptée, qu’une extension du périmètre de l’ANRU risquerait de diluer. Au contraire, le rapporteur spécial estime pertinent de centrer le renouvellement urbain sur l’adaptation des quartiers prioritaires et sur leur intégration dans l’environnement urbain et naturel. Il recommande ainsi de mener les opérations évidemment nécessaires aux autres territoires en dehors des QPV, via un outil différent.
Contribution de l’Union sociale de l’habitat sur un futur programme de renouvellement urbain
Dans sa contribution à la mission sur le futur du renouvellement urbain, l’USH estimait que « 420 QPV se caractérisent par de très forts ou forts enjeux patrimoniaux, sociaux et urbains. Ils présentent un cumul de critères tels qu’une performance énergétique appelant des travaux de rénovation, un besoin de rééquilibrage de la typologie des logements, une vacance structurelle des parcs social et privé, une fragilité des publics (revenus et part des actifs au chômage), ou un faible taux d’équipements publics. Au sein de ces 420 quartiers, 203 000 logements nécessiteraient une intervention en renouvellement urbain, répartie comme suit : 79 000 logements nécessiteraient des interventions lourdes de type démolition ou restructuration massive offrant un nouveau cycle de vie aux bâtiments ; 125 000 logements sont à requalifier selon deux niveaux d’intervention : 66 000 logements au moyen d’une réhabilitation « classique » intégrant un volet thermique et la rénovation des logements et parties communes, et 59 000 au moyen d’une requalification « complète » intégrant en complément un poste de travaux plus conséquent touchant à l’accessibilité (ajout d’ascenseurs) ou au confort d’usage (ajout de balcons) avec d’éventuelles restructurations de logements conséquentes à ces postes.
« Le coût total des interventions sur le volet habitat social porté par les bailleurs sociaux s’élèverait à 31 milliards d’euros, soit proche des programmes précédents tout en s’appliquant à un volume de logements existants plus faible (du fait notamment de la prise en compte de ratios plus élevés que ceux rencontrés dans le NPNRU pour les requalifications et les restructurations massives). »
En outre, le rapporteur spécial appelle à mieux intégrer politique de la ville et renouvellement urbain. Le règlement de l’ANRU pourrait être actualisé pour élargir la gamme des investissements éligibles et tendre vers une approche globale des projets qui comprendrait le traitement de l’habitat privé, les enjeux de sûreté, d’éducation et d’emploi ainsi que le développement économique et la gestion urbaine de proximité. À terme, les contrats de renouvellement urbain pourraient être fusionnés avec les volets investissements des contrats de ville et l’ANRU pourrait être associé, en tant que financeur ou en fournissant un soutien en ingénierie, à tous les projets d’aménagement menés en QPV.
Enfin, le rapporteur spécial rappelle qu’un projet de renouvellement urbain constitue une opportunité de valoriser le patrimoine. À ce titre, le programme de renouvellement urbain doit participer à la mise en récit de l’histoire des quartiers et de leurs villes. Cela pourrait passer par le fléchage d’une part du budget « travaux » de la convention ANRU vers des actions culturelles co-construites avec les habitants. Plus largement, il importe de privilégier autant que possible la requalification et de s’appuyer sur les initiatives locales, qui peuvent être soutenues par l’École du renouvellement urbain (ERU) ou des concours internationaux sur le modèle de « Quartiers de demain ».
Partout où le renouvellement urbain se déploie, les habitants doivent être associés. Les moyens nécessaires pour garantir aux habitants leur formation et leur disponibilité doivent être sécurisés et clarifiés. Pour garantir la qualité d’usage du quartier pendant les projets de renouvellement urbain, une part du financement de la convention ANRU pourrait être consacrée à la gestion urbaine de proximité, venant compléter l’abattement de 30 % de taxe foncière sur les propriétés bâties dont bénéficient les bailleurs sociaux. Il importe enfin de préciser autant que possible ces conventions d’abattement annexées aux contrats de ville afin que les maires et les préfets puissent les dénoncer lorsqu’elles ne sont pas respectées. À terme, cet abattement pourrait être remplacé par un dispositif contractuel de subventions permettant à la fois de mieux formaliser les engagements respectifs des bailleurs et des collectivités et de préserver le potentiel fiscal de ces dernières.
Lors de sa réunion du mercredi 18 juin 2025 à 9 heures, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu de M. David Guiraud, rapporteur spécial de la mission Cohésion des territoires : Politique des territoires, sur le rapport d’information sur le futur de la politique de la ville et son financement présenté en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale. M. David Guiraud, rapporteur spécial de la mission Cohésion des territoires : politique des territoires. La politique de la ville est née dans les années 1970, fruit d’une prise de conscience des difficultés émergentes dans les grands ensembles urbains et d’une reconnaissance, je cite, d’une « ségrégation sociale par l’habitat » – terminologie utilisée sous la présidence de Georges Pompidou et qui paraîtrait presque clivante aujourd’hui. Cette politique s’est progressivement renforcée à partir des révoltes urbaines de Vaulx-en-Velin, notamment en 1979, pour évoluer vers une véritable politique de cohésion sociale dans les années 1990. Devenue interministérielle, la politique de la ville a bénéficié de crédits d’intervention spécifiques, telle la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), et s’est orientée résolument vers la réduction active des inégalités. Les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) subissent continûment une violence tant sociale que politique. L’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) révèle que plus de 55 % des enfants vivant en QPV sont en situation de pauvreté, contre 20 % dans l’ensemble du territoire national. Cette disparité se manifeste également en matière d’emploi, le taux de chômage y étant 2,5 fois supérieur à la moyenne nationale, ainsi qu’en matière d’éducation. La violence politique se traduit par des discours belliqueux stigmatisant ces populations et une focalisation excessive sur les questions sécuritaires, souvent instrumentalisées pour occulter les problématiques fondamentales. Depuis le 1er janvier 2024, on dénombre précisément 1 362 QPV en France métropolitaine auxquels s’ajoutent, depuis 2025, 246 quartiers en outre-mer. Ainsi, la politique de la ville concerne 5,9 millions d’habitants, soit près de 10 % de la population française. Il convient de garder à l’esprit ces chiffres lorsque l’on porte sa réflexion sur les financements de cette politique. Pour atténuer les inégalités affectant les habitants des QPV, l’investissement public demeure indispensable, car il manifeste l’effort collectif de solidarité envers les plus défavorisés. L’amélioration des conditions de vie contribue à reconnaître l’importance de ces habitants dans la collectivité nationale, participant ainsi à la cohésion territoriale et nationale. Il n’est bien entendu nullement question d’opposer les quartiers prioritaires aux autres territoires français, notamment ruraux, ni de hiérarchiser les souffrances vécues. Il s’agit simplement de rappeler que les QPV assument une fonction structurelle que nul autre ne souhaite endosser aujourd’hui : ils accueillent les nouveaux arrivants, les exclus, les précaires, les plus pauvres. Alors, après quatre décennies d’une politique de la ville aussi contestée qu’indispensable, il faut le marteler : la politique de la ville n’est pas un palliatif, c’est une vision politique aboutie, proposant des solutions concrètes à des problématiques concrètes. Les niveaux d’intervention de la politique de la ville se sont diversifiés au fil du temps, avec les zones urbaines sensibles (ZUS) en 1996, qui comprennent les zones de redynamisation urbaine (ZRU) et les zones de redynamisation urbaine (ZRU), puis l’année suivante le réseau d’éducation prioritaire (REP). Ces dispositifs coexistent avec un programme national de rénovation urbaine sous impulsion de l’État (PNRU) initié en 1999, renforcé par la loi de 2003 créant l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Neuf ans après les révoltes urbaines de 2005, la du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy, a posé les fondements de la politique de la ville actuelle, recentrée sur 1 514 quartiers prioritaires, déclinée dans un contrat de ville unique, transversal et co-construit. Cette loi a également lancé un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), doté de 14 milliards d’euros et déployé dans 480 QPV pour engager d’importantes opérations d’aménagement. En parallèle, l’éducation prioritaire a été restructurée en 1 080 REP et 350 réseaux renforcés (REP+), définis par des critères soumis à une révision quadriennale et bénéficiant de moyens accrus. Depuis 2017, la politique de la ville souffre manifestement d’un déficit de vision globale et d’animation politique, en dépit des propositions figurant dans le rapport Borloo de 2018, dont on sait le peu d’intérêt que lui a porté le président de la République, et dont l’héritage se limite aux cités éducatives et au dédoublement des classes en REP. Le pilotage politique demeure insuffisant et sporadique, le Comité interministériel des villes (CIV) ne s’étant réuni que trois fois depuis 2017, tandis que le ministère délégué chargé de la ville n’est plus systématiquement rattaché au premier ministre. Seules 30 % des 84 annonces formulées lors du dernier CIV ont été effectivement mises en œuvre à ce jour. La lisibilité d’ensemble de cette politique reste problématique, notamment la distinction entre les mesures relevant du droit commun, du droit commun renforcé ou des dispositifs spécifiques à la politique de la ville. L’avenir du NPNRU se trouve également menacé. Les annulations de crédit du programme 147 – 100 millions d’euros en 2024 et 15 millions d’euros en 2025 – réduisent les fonds mobilisables par l’Anru et fragilisent sa trésorerie. En raison du retard pris par certains projets, la ministre chargée du logement a toutefois étendu la date limite d’engagement des crédits et porté l’échéance de livraison des opérations à 2032. Si le programme devrait par conséquent être soutenu et financé jusqu’à son terme, du moins nous l’espérons, ce désengagement progressif suscite la crainte, notamment parmi les associations d’élus, que l’État ne prolonge pas la politique de renouvellement urbain après le NPNRU. Il convient toutefois de rappeler que la contribution de l’État à l’Anru reste secondaire, puisqu’il apporte 1,2 milliard d’euros de crédits contre 8 milliards d’euros de concours financiers d’Action logement et 2,4 milliards d’euros mobilisés par les bailleurs sociaux. L’impulsion étatique demeure cependant décisive pour assurer une politique de renouvellement d’ampleur. La crainte réelle concerne l’obligation pour les collectivités locales de financer seules certains projets d’aménagement. Étant donné l’état actuel de leurs finances, nous pouvons redouter le pire, à savoir l’annulation pure et simple des projets. Quels constats dressons-nous dans ce rapport ? Nous observons d’abord que les investissements dans la politique de la ville produisent des résultats tangibles. Le problème réside précisément dans la faiblesse de ces investissements et les retards accumulés en matière de droit commun. La politique scolaire contribue par exemple à la réduction des inégalités éducatives, notamment avec les réseaux REP+ et REP. Ces mesures ont généré des effets concrets. Ainsi, la proportion d’enseignants aguerris, c’est-à-dire comptant cinq ans d’ancienneté en REP, a progressé de 1,8 point entre 2021 et 2022 et de 1,4 point entre 2022 et 2023. En comparaison, hors REP, cette proportion a augmenté seulement de 0,1 point entre 2022 et 2023. De même, de 2019 à 2023, l’écart de réussite au brevet des élèves en collège REP+ s’est réduit, passant de – 13 points à – 11 points. Nous constatons donc des résultats, qui demeurent toutefois bien en deçà des objectifs fixés par la refondation de l’école de la République, notamment celui de 10 % d’écart maximum de réussite scolaire. En dépit des critiques justifiées qui lui sont adressées, le PNRU a permis la construction de 48 000 logements nouveaux et la réhabilitation de 408 000 logements entre 2003 et 2013, pour un coût global de 7 milliards d’euros. Dans l’ensemble, ce plan a également réduit la vacance des logements et augmenté significativement la mixité sociale. Ces avancées se heurtent cependant à un fait majeur : le recul de l’État et des secteurs privés historiquement mobilisés, notamment les banques et les entreprises, dans la construction de logements sociaux ou abordables, lesquels sont devenus trop rares. Après quarante ans d’existence de la politique de la ville, comment rompre avec cette impression que nous vidons l’océan à la cuillère ? L’incapacité de cette politique à lutter efficacement contre les inégalités territoriales tient à plusieurs facteurs. J’en énoncerai quelques-uns qui intéresseront la commission des finances, notamment l’absence d’un objectif clairement défini de réduction des inégalités socio-spatiales. Depuis la loi Lamy, la politique de la ville s’oriente vers une logique de subsidiarité renforcée. Elle s’organise désormais en trois niveaux : le droit commun, les crédits renforcés et l’action subsidiaire, notamment via le programme 147. À chacun de ces niveaux, la politique de la ville se compose d’un ensemble d’actions disparates et difficilement lisibles. En outre, la carte des quartiers prioritaires ne correspond pas toujours à celle de l’éducation prioritaire, qui n’a pas été actualisée depuis 2015. Cette situation engendre parfois des aberrations, comme ces 270 écoles dites « orphelines » situées en QPV, mais non incluses dans la géographie prioritaire. Le même problème affecte les allègements fiscaux et sociaux des zones franches urbaines (ZFU) et des territoires d’industrie. Les quartiers de reconquête républicaine (QRR) connaissent également cette difficulté, tandis que l’Anru possède son propre zonage de conventionnement. La politique de la ville tente de corriger cette complexité excessive, notamment par les contrats de ville qui proposent un cadre territorial unique, mais qui reste difficile à appréhender pour les élus, particulièrement pour distinguer les crédits de droit commun de l’effort spécifique conduit pour les QPV. Cet entremêlement des niveaux d’intervention compromet tout effort de budgétisation de la politique de la ville. Les montants présentés dans la documentation budgétaire s’écartent ainsi considérablement de la réalité. Un exemple : sur les 40,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement présentés dans le document de politique transversale, nous trouvons 15,4 milliards d’euros du programme 157, Handicap et dépendance, et 14 milliards d’euros du programme 304, Inclusion sociale et protection des personnes. Nous comptabilisons donc l’intégralité de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, alors qu’une partie seulement de ces crédits contribue effectivement à la politique de la ville. À l’inverse, pour le programme 140 Enseignement scolaire public du premier degré, nous comptabilisons uniquement la proportion des crédits dits renforcés, soit 1,9 milliard d’euros. Cette confusion entre crédits de droit commun et crédits renforcés empêche toute évaluation sérieuse de la politique de la ville. À cet égard, nous pourrions fixer un objectif quantifiable d’investissement dans les services publics et les infrastructures de transport. Il importe également d’actualiser la carte de l’éducation prioritaire afin de la faire correspondre aux évolutions issues de la réforme de la cartographie prioritaire de 2024. Il convient aussi de généraliser les cités éducatives et de maintenir les dispositifs existants, comme prévu par le CIV de 2023, puisqu’ils démontrent une bonne appropriation par les académies, les élus et les préfets. L’examen automatique du droit à la bourse, actuellement en expérimentation, pourrait être généralisé s’il permet effectivement de réduire le taux de non-recours. Son extension à d’autres aides sociales mérite également d’être envisagée. La réforme de la géographie de la politique de la ville a par ailleurs augmenté de 10 % la population vivant en QPV. Cette réforme nécessite donc une augmentation et une sécurisation des crédits de la politique de la ville. Je considère par ailleurs qu’une clarification du schéma de financement améliorerait l’efficacité de la politique de la ville. Notre collègue M. Éric Woerth formule actuellement des propositions dans ce sens, notamment une convergence, voire une fusion de la DSU avec la dotation politique de la ville (DPV), et de la DPV avec l’ensemble des dotations d’investissement. Les élus que j’ai consultés partagent l’objectif d’une simplification des dotations, mais soulignent que la DSU constitue un outil plus pilotable que la DPV et ne requiert pas de concertation préalable avec le préfet. Je préconise donc de privilégier la décentralisation des crédits non fléchés, permettant ainsi un pilotage plus fin. Concernant les crédits d’État, je souligne à nouveau l’importance de mieux distinguer les crédits dits de droit commun des crédits renforcés. Pour éviter les à-coups de gestion, nous gagnerions à systématiser les conventions interministérielles d’objectifs entre le ministère chargé de la ville et les différents ministères d’intervention. Le premier ministre pourrait adresser une circulaire aux ministères à ce sujet, sur le modèle de la circulaire de 2016. Nous devons également harmoniser les règles de gestion financière des différents budgets opérationnels des programmes, afin d’éviter que ne se juxtapose dans les mêmes quartiers une priorisation différente des publics selon le programme budgétaire mobilisé. Ce principe vaut également pour les financements privés, notamment les dépenses fiscales. La co-construction de la politique de la ville constitue un enjeu fondamental, car elle contribue largement à sa réussite. La capacité des habitants à contester, négocier et discuter d’un projet de renouvellement urbain doit être renforcée pour anticiper les blocages et enrichir les projets. C’est pourquoi il est regrettable que les conseils citoyens prévus par la loi Lamy ne fonctionnent pas systématiquement. Là où ces conseils opèrent, il convient de les préserver. Dans les QPV, de nouveaux dispositifs pourraient être imaginés, tels que des conseils d’initiative citoyenne capables de soutenir toutes les formes de participation émanant des territoires. Ces formes de participation citoyenne doivent être davantage valorisées et bénéficier d’un meilleur financement. Je suggère qu’un fonds d’initiative citoyenne soit adossé au contrat de ville et doté d’un montant significatif et stable, renforçant ainsi les capacités participatives des habitants. L’Anru a d’ailleurs proposé une quote-part, dite 1 % participation, calculée sur le montant du renouvellement urbain, afin de financer ces projets participatifs. Enfin, nous devons impérativement préparer l’Anru 3. Les besoins de rénovation perdurent et perdureront toujours, chaque bâtiment ayant une durée de vie limitée, surtout si l’entretien n’est pas assuré. Nous devons absolument éviter une période d’inaction de cinq à sept ans qui surviendrait si nous ne déclenchons pas rapidement l’Anru 3, indispensable pour poursuivre les travaux de rénovation et de reconstruction. J’adhère donc pleinement aux préconisations des auteurs du rapport remis à la ministre chargée de la ville, Mme Juliette Méadel, qui concluent à la nécessité d’un nouveau programme. Comme eux, j’estime indispensable la poursuivre de l’amélioration des conditions de logement en QPV. Les problèmes historiques des logements en QPV demeurent. Ce sont des immeubles anciens présentant une typologie inadaptée aux structures familiales contemporaines : dégradation des espaces communs, faiblesse des commerces de proximité, et inadaptation au changement climatique – un aspect qui devrait constituer un axe majeur de l’Anru 3. Alors que les bailleurs sociaux estiment les besoins à 31 milliards d’euros, j’appelle le gouvernement à proposer rapidement sa propre évaluation et à préparer dès maintenant la transition vers ce futur programme. M. Philippe Brun, président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial, pour votre exposé. Vous mentionnez dans votre rapport que la Cour des comptes a relevé dès 2018 le faible nombre d’entreprises situées en zones éligibles ayant sollicité l’exonération temporaire de cotisation foncière des entreprises (CFE). La Cour des comptes suggère que cette exonération ne joue qu’un rôle marginal dans les décisions d’implantation. La ministre chargée de la ville vient d’annoncer sa volonté d’harmoniser les exonérations fiscales destinées aux quartiers politique de la ville dans le prochain projet de loi de finances, ce dont vous vous félicitez. Or, cette harmonisation ne doit-elle pas faire craindre, selon vous, un coup de rabot sur ces exonérations fiscales ? M. David Guiraud, rapporteur spécial. Comme l’ensemble des commissaires aux finances, je crains régulièrement les coups de rabot sur les exonérations fiscales. J’estime cependant que cette harmonisation n’est pas nécessairement négative en soi, même si ce n’est pas le scénario que je privilégie. Comme je l’ai mentionné dans mon rapport, nous pourrions également envisager un système d’aides directes. Le problème fondamental des exonérations fiscales réside dans leur faible réception effective par les entreprises et dans leur manque de lisibilité pour les dirigeants. À ce titre, un système d’aides directes où l’État assumerait sa part en soutenant spontanément les entreprises désireuses de s’implanter dans les ZFU présenterait des avantages significatifs. Le ministère chargé de la ville a sécurisé certains de ses financements en accélérant leur décaissement, notamment sa contribution à l’Anru. De ce point de vue, nous éviterons les coups de rabot. En revanche, concernant les autres aspects de la politique de la ville, particulièrement dans le cadre du prochain projet de loi de finances, la situation demeure incertaine et préoccupante. De nombreuses entreprises bénéficiant actuellement de ces aides se trouvent dans une situation d’incertitude et de flou budgétaire. Je rappelle que les entreprises implantées en QPV ne disposent pas toutes d’une connaissance approfondie des systèmes fiscaux. Chaque modification est par conséquent susceptible d’engendrer d’importantes perturbations, d’autant que toutes ces structures ne disposent pas d’une armée d’experts-comptables pour gérer ces changements. M. Philippe Brun, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes. Mme Claire Marais-Beuil (RN). Avant de commencer mon intervention, je souhaite signaler, monsieur le président, qu’après vérification nous avons effectivement reçu un message à 17h20 contenant trois rapports, mais que les autres rapports ne nous sont pas parvenus. Il est, vous vous en doutez, particulièrement difficile d’examiner en séance des rapports dont nous n’avons pas pu prendre connaissance. M. Philippe Brun, président. Il semble qu’un problème informatique affecte le système interne. Pour ma part, j’ai bien reçu l’ensemble des rapports, mais j’entends que ce n’est pas le cas de tous les commissionnaires. Nous prenons bonne note de cette difficulté et nous veillerons à ce qu’elle ne se reproduise pas. Mme Claire Marais-Beuil (RN). On dit de certaines politiques publiques qu’elles coûtent « un pognon de dingue », pour reprendre une formule fameuse d’un certain président de la République. Les fonds alloués aux QPV pourraient parfaitement correspondre à cette description. Si l’intention est parfaitement louable, force est de constater que les résultats de la politique de la ville, initiée il y a plus de quarante ans, sont, et c’est un euphémisme, bien plus que mitigés. En effet, non seulement l’objectif initial de réduction des inégalités demeure largement insatisfait, mais au contraire ces inégalités semblent continuer à se creuser malgré les milliards d’euros déversés sur ces quartiers, notamment à travers l’Anru. Loin de toute stigmatisation, il devient nécessaire de pointer une réalité évidente : l’abondance de fonds publics alloués à ces quartiers n’a pas permis d’obtenir des résultats probants en matière de cohésion sociale et de développement. Contrairement à de nombreuses zones rurales dépourvues de services publics – et je suis particulièrement bien placée pour en témoigner en tant que députée d’une circonscription rurale – les QPV disposent souvent de nombreux équipements et points d’accès aux services de l’État. Puisque les problèmes persistent, il convient de chercher ailleurs des solutions. Nous devons repenser intégralement la politique publique d’aménagement de nos territoires selon un principe simple : un euro pour les quartiers prioritaires de la ville et un euro pour la ruralité, car ces territoires ne doivent en aucun cas être négligés. Nous devons tendre vers cette équité si nous ne voulons pas aggraver la fracture territoriale actuelle. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez évoqué l’habitat comme l’un des problèmes majeurs dans ces quartiers. Dans ma ville, qui compte trois quartiers prioritaires, nous passons progressivement d’un habitat vertical à un habitat horizontal. Ne pensez-vous pas que l’application de la loi ZAN va contraindre cette évolution, alors même que toutes les familles aspirent à disposer d’une maison avec un espace privé ? Si l’application de cette loi se poursuit, la situation risque de devenir extrêmement complexe. De manière générale, ne croyez-vous pas qu’il faudrait sortir d’une approche idéologique pour revenir à davantage de pragmatisme, en envisageant peut-être des investissements plus modérés et une vision différente ? La précarité et les difficultés ne se limitent pas aux quartiers prioritaires, les zones rurales abritent également des populations en grande précarité et très défavorisées. M. David Guiraud, rapporteur spécial. Je l’ai dit, mon propos n’a aucunement pour finalité de mettre en concurrence ou de hiérarchiser les difficultés que vivent les habitants des QPV et les habitants en ruralité. D’ailleurs, certains quartiers prioritaires se trouvent dans des zones rurales. En un mot, cette opposition entre quartiers prioritaires et zones rurales n’a pas lieu d’être. Une discussion est en cours qui porte sur la perspective d’intégrer à l’Anru des espaces ruraux ou des problématiques liées à la ruralité ou au périurbain. J’y suis opposé, car je considère que les problématiques des territoires ruraux ou périurbains requièrent un programme spécifique prenant pleinement en compte leurs particularités. Lorsque vous mentionnez l’idée de répartir un euro pour l’un et un euro pour l’autre, j’ignore de quelle masse de population vous parlez. Je vous parle, pour ma part, de six millions d’habitants. C’est la réalité des QPV, et c’est ce qui justifie l’investissement, dont j’estime qu’il n’est pas actuellement à la hauteur de l’enjeu. Rien n’empêche cependant, et j’y suis totalement favorable – vous noterez d’ailleurs mes remarques dans le rapport sur la TVA et sur l’utilisation efficace de l’argent public – d’avoir un programme spécifiquement destiné aux territoires ruraux et périurbains, ou à tout le moins un programme renforcé, car des actions sont déjà menées dans ces territoires. La loi ZAN impose d’envisager l’habitat vertical. Quand l’extension horizontale est contrainte, il faut penser à construire en hauteur. Dans ma ville, Roubaix, qui compte énormément de QPV et où la rénovation urbaine se heurte à des difficultés, la hauteur des bâtiments n’excède pas deux ou trois étages, car historiquement la ville s’est développée sur une surface plus étendue. Nous pourrions aisément gagner un ou deux étages supplémentaires, ce qui comblerait largement les besoins actuels. Je crois sincèrement que l’avenir est à la verticalité, qui n’exclut d’ailleurs pas la possibilité de créer des espaces privés, et pas uniquement en raison de la loi ZAN. C’est la conception historique des grands ensembles qui génère des problèmes, et non la verticalité en tant que telle. Il existe en France et ailleurs des réalisations remarquables, des constructions verticales sublimes, parfois même destinées à des populations aisées, qui intègrent de nombreux espaces privés ou des espaces communs réservés aux résidents. Que l’on apprécie ou non les constructions verticales, ce type de solution est parfaitement viable, alors que le modèle de la petite maison avec jardin devient plus complexe à maintenir. Tous les acteurs de la politique de la ville éprouvent une frustration relative aux crédits alloués. J’ai évoqué cette impression de vider l’océan avec une cuillère. Mais chaque fois que nous pointons les insuffisances de la politique de la ville, nous devons également nous interroger : que se passerait-il si nous ne faisions rien ? En matière d’éducation prioritaire, d’accès à la culture et au sport, de médiation sociale – car nous parlons beaucoup de police dans les quartiers, mais chaque suppression de poste d’adulte-relais dans un QPV se ressent très fortement – ce sont des accompagnements en moins pour des enfants lors de sorties ou d’activités leur permettant de découvrir d’autres réalités que celle, souvent difficile, de leur quartier. La politique de la ville génère certes des frustrations, mais je propose dans mon rapport des réponses concrètes pour améliorer sa lisibilité et son évaluation. Le problème fondamental réside dans le fait que ces quartiers n’ont pas accès au droit commun. Nous ajoutons des crédits renforcés ou subsidiaires sans avoir préalablement comblé les lacunes du droit commun, ce qui crée une confusion. Nous devons identifier précisément où le droit commun fait défaut et où les crédits renforcés ne sont pas véritablement utiles. Pour cela, nous avons besoin d’une lisibilité qui fait aujourd’hui largement défaut. Mme Estelle Mercier (SOC). J’observe avec satisfaction que vous n’êtes pas tombé dans le piège, monsieur le rapporteur spécial, de limiter l’analyse des crédits budgétaires uniquement à ceux liés au renouvellement urbain. Ces crédits d’investissement sont certes essentiels, mais la politique de la ville ne se résume pas à la seule question bâtimentaire ou immobilière. Elle englobe également la cohésion sociale, la création de liens et l’animation des quartiers. À Nancy, nous menons un projet de renouvellement urbain exemplaire d’un montant supérieur à 100 millions d’euros, consistant à reconstruire le quartier sur lui-même. Nous avons procédé à l’écrêtement des tours, particulièrement élevées, nous les avons sectionnées et séparées pour redonner une dimension humaine à ces bâtiments, ce qui s’avère fondamental. Toutefois, nous devons également traiter d’autres problématiques, car si l’aspect bâtimentaire est important, la vie quotidienne des habitants l’est tout autant. Nous sommes notamment confrontés à la question des parcours résidentiels, car contrairement aux idées reçues, les habitants apprécient leur quartier et souhaitent y demeurer tout au long de leur vie. Ils aspirent parfois à accéder à la propriété ou à disposer de petites maisons. Leurs besoins évoluent au rythme de la vie. Lorsque les enfants quittent le foyer, des logements plus petits peuvent être recherchés. Cette dimension des parcours résidentiels n’est souvent pas suffisamment prise en compte dans les projets de renouvellement urbain. Se pose également la question des transitions et des déplacements pendant la phase de reconstruction. Nous vidons partiellement les quartiers à certaines périodes pour permettre les travaux, puis nous rencontrons parfois des difficultés à faire revenir les habitants. Durant cette transition, les commerces souffrent, la vie sociale s’étiole, et cette situation peut perdurer plusieurs années. Enfin, l’animation et la vie citoyenne au sein des QPV est un sujet d’importance, et pourtant nous constatons que la politique de la ville tend aujourd’hui à réduire son soutien aux associations, aux intermédiaires, aux adultes-relais. Nous observons progressivement la disparition de cette dimension humaine dans les projets de politique de la ville. Or ce sont précisément ces acteurs qui créent le lien social. Pour conclure, vous démontrez dans votre rapport que l’engagement et le paiement des crédits du NPRU ont pris du retard, ce qui a conduit le gouvernement à accepter que ces crédits puissent être engagés jusqu’en 2027 et les livraisons effectuées jusqu’en 2032. Néanmoins, vous estimez qu’un nouveau programme de renouvellement devrait être élaboré sans attendre. Pourriez-vous préciser les éléments qui plaident en faveur du chevauchement de ces deux programmes, alors que le précédent n’est pas encore totalement engagé ? M. David Guiraud, rapporteur spécial. Des discussions portant sur un Anru 3 ont été amorcées avec la ministre du logement. La difficulté réside dans la coordination des crédits budgétaires afin d’éviter que l’Anru et l’État ne soient contraints de financer simultanément et jusqu’en 2030 les opérations déjà engagées et celles d’un futur Anru 3, ce qui créerait un problème budgétaire considérable. Il demeure néanmoins impératif d’enclencher immédiatement la préparation de l’Anru 3, sans quoi nous ferons face à une interruption de cinq à six ans durant laquelle l’État n’aurait certes rien à payer, mais aucun projet ne serait concrètement initié. Si nous n’agissons pas rapidement, les conséquences potentielles d’un tel manquement s’étendraient sur une décennie. La décision relative à la date de lancement, qu’il s’agisse de 2025, 2026 ou 2027, relève de l’appréciation des services ministériels qui disposent d’instruments de mesure plus précis que les miens. L’essentiel reste de lancer ce processus, une nécessité dont les ministères concernés semblent d’ailleurs avoir pleinement conscience. Concernant la rénovation urbaine, la ministre d’État a annoncé hier le versement de 116 millions d’euros en 2026 à l’Anru, soit plus du double des 50 millions d’euros initialement prévus. Cette décision témoigne d’une volonté ministérielle de respecter les engagements de l’État, volonté que je salue et qui commence à se concrétiser. Nous restons néanmoins vigilants en raison de précédents regrettables, notamment lors du premier Anru où l’État s’était partiellement désengagé de ses investissements, contraignant Action logement à renflouer les caisses. Cette inquiétude persiste tant que l’État n’aura pas versé l’intégralité de sa contribution, qui demeure jusqu’à présent insuffisante. Bien que la question du parcours résidentiel ne figure pas explicitement dans le rapport, je tiens à vous livrer mon analyse personnelle. Le parcours résidentiel repose sur essentiellement sur deux piliers. D’abord, il repose la capacité de l’État et du secteur privé à proposer des logements, qu’ils soient sociaux ou privés, donc à construire. Or la construction est aujourd’hui au point mort, ce qui constitue notre problème fondamental. Nous avons des dossiers de relogement en souffrance depuis des années, et pas uniquement dans le secteur social. Ensuite, il incombe aux collectivités locales ou aux intercommunalités de reprendre l’initiative et de proposer ce parcours résidentiel en adaptant l’offre aux besoins réels. Les quartiers prioritaires sont souvent perçus comme des espaces de transit. Une population nouvelle s’y installe et, avec le temps, bénéficie d’une ascension sociale, phénomène qui reste l’un des rares encore observables en France. Ces habitants souhaitent alors évoluer et nécessitent des typologies de logements différentes, qu’il s’agisse de pavillons dans les villes adjacentes ou d’appartements plus spacieux au sein même du quartier. L’État ne peut concevoir seul ces parcours ; cette mission relève également des collectivités qui doivent optimiser les crédits dont elles disposent. Enfin, je partage entièrement votre vision, madame Mercier, sur l’animation et la vie citoyenne, sujet qui occupe une place importante dans mon rapport. Certains aspects de la politique de la ville demeurent difficiles à budgétiser ou à quantifier tout en étant fondamentaux. Dans le cadre du renouvellement urbain, il s’avère indispensable de sécuriser des fonds permettant aux habitants de s’approprier les projets en cours. Particulièrement lorsqu’ils contestent ces projets, ils ne devraient pas se retrouver face à des décideurs qui leur demandent, comme cela se produit dans ma circonscription, de livrer un « contre-projet ». Cette exigence est irréaliste, car un habitant ne peut spontanément concevoir un contre-projet alternatif impliquant plusieurs centaines de millions d’euros. Il nous appartient par conséquent de sécuriser cette participation citoyenne. L’Anru a déjà initié une école de formation que nous pourrions développer davantage à destination des citoyens, afin de leur permettre une meilleure compréhension des enjeux et ainsi surmonter certains blocages. M. Emmanuel Mandon (Dem). Ce rapport aborde les enjeux complexes de la politique de la ville en s’efforçant d’en dresser un état des lieux équilibré. Nous partageons le constat selon lequel les inégalités territoriales persistent dans nos quartiers prioritaires, phénomène que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ensemble du territoire national, particulièrement fracturé. Malgré une mobilisation importante des pouvoirs publics, nous souscrivons également à l’idée qu’il est nécessaire de mieux coordonner les interventions et d’assurer une meilleure lisibilité des dispositifs, tant pour les acteurs locaux que pour les habitants, qui doivent être associés. Cependant, au-delà de ce diagnostic, certaines propositions ou appréciations formulées dans le rapport méritent d’être débattues. Vous affirmez, monsieur le rapporteur spécial, que la politique de la ville a souffert ces dernières années d’un défaut d’ambition stratégique de l’État. Pourtant, nous constatons des efforts notables, tant sur le plan budgétaire qu’opérationnel. Je pense notamment au PNRU ou au lancement récent de quarante nouvelles cités éducatives. Le rapport semble sous-estimer la logique interministérielle désormais à l’œuvre ainsi que les outils contractuels comme les contrats de relance et de transition écologique, désormais nommés contrat de réussite de la transition écologique (CRTE) et les nouveaux contrats de ville. Sincèrement, de belles réalisations existent sur nos territoires urbains. Vous soulignez par ailleurs l’enchevêtrement des dispositifs budgétaires, des zonages prioritaires et des niveaux d’intervention qui compliquent le pilotage de la politique de la ville. Dès lors, que recommandez-vous précisément ? Une recentralisation de cette politique pour plus de lisibilité ou bien, au contraire, un renforcement des compétences et de l’autonomie des territoires ? Cette question constitue pour nous un enjeu fondamental. Convient-il d’harmoniser les zonages ou de reconnaître leur diversité comme le reflet de politiques différenciées en matière de sécurité, d’urbanisme et d’éducation, permettant ainsi de couvrir un champ de besoins plus étendu ? Enfin, vous appelez à un renforcement de l’ambition stratégique de la politique de la ville à travers quatre priorités structurantes. Dans ce contexte, comment garantir que cette refondation ne contribuera pas à l’empilement de couches supplémentaires dans un paysage institutionnel déjà extrêmement complexe ? M. David Guiraud, rapporteur spécial. Le nombre de réunions du CIV, seulement trois depuis 2017, témoigne à mon sens des insuffisances de l’ambition stratégique de l’État. En outre, si le nombre d’objectifs annoncés lors du précédent CIV était probablement excessif, seulement 30 % ont été réalisés. Je note toutefois que le choix de se concentrer désormais sur trois ou quatre axes prioritaires constitue une avancée positive, ainsi que l’a souligné Mme Méadel. Je tiens à clarifier que je ne critique aucunement l’existence des cités éducatives. Au contraire, j’appelle à leur généralisation. Mais il faut bien mesurer la contradiction entre l’ambition initiale du gouvernement de les déployer largement, et l’arrêt actuel de leur développement faute de crédits budgétaires suffisants. Ces cités constituent un dispositif particulièrement intéressant en ce qu’elles permettent à différents services de collaborer avec l’éducation nationale sur des projets communs intégrant des acteurs extérieurs. Cette démarche, inédite dans de nombreux territoires, produit des résultats positifs. Il convient donc de généraliser ce dispositif et d’en sécuriser les financements. Enfin, pour faire face à l’enchevêtrement des dispositifs, des zonages prioritaires et des niveaux d’intervention, je préconise de décentraliser les crédits non fléchés et de renforcer l’autonomie des acteurs locaux. Dans le cadre du contrat de ville actuel, une décentralisation plus poussée permettrait de s’affranchir de l’approbation systématique du préfet, tout en maintenant une coopération constructive entre l’État et les collectivités locales. M. François Jolivet (HOR). Monsieur le rapporteur spécial, vous regrettez l’absence ou le recul des crédits de droit commun. En tant qu’ancien dirigeant d’organisme HLM, je ne puis que souscrire à ce constat, ce phénomène perdurant depuis longtemps. Je souhaite cependant vous interroger sur un aspect complémentaire : le recul des budgets municipaux alloués à ces quartiers. Paradoxalement, les villes comportant ces grands ensembles tirent souvent l’essentiel de leurs ressources fiscales de ces mêmes quartiers. Or, les diagnostics de gestion urbaine de proximité sont catastrophiques, et révèlent que les communes délaissent fréquemment ces territoires. En supervisant personnellement le premier dossier Anru de France dans l’Indre, j’ai pu constater que notre parc HLM contribuait à hauteur de 47 % aux ressources communales sous forme de taxes foncières, tout en demeurant le parent pauvre des investissements municipaux. Les bailleurs, qui représentent finalement de grandes mutuelles d’habitants, subissent cette situation injuste. Ce recul des crédits communaux de droit commun pose fondamentalement la question de la gouvernance territoriale. Un maire adjoint responsable d’un quartier HLM devrait pouvoir interpeler son homologue chargé de la voirie en lui demandant pourquoi son quartier ne bénéficie jamais de travaux, pourquoi l’équipe de nettoyage municipale déserte systématiquement ce secteur le samedi pour renforcer le centre-ville, puis reproche à ce quartier un manque de propreté, alors qu’il concentre davantage d’habitants, etc. Si nous envisageons un troisième programme Anru, nous devrions accélérer le financement des projets portés par les villes désireuses d’évoluer sur les plans urbain et social. Ne faudrait-il pas interroger les règles de gouvernance territoriale des villes comportant ces quartiers et examiner l’allocation des ressources, y compris intercommunales ? Pourquoi impose-t-on des surcoûts de taxes d’enlèvement des ordures ménagères uniquement aux quartiers HLM sous prétexte d’incivilités, alors que les autres immeubles échappent à ce traitement discriminatoire ? J’attire donc votre attention sur l’importance cruciale de repenser la gouvernance de ces quartiers et la responsabilité première des municipalités. M. David Guiraud, rapporteur spécial. Vous soulevez là un sujet fondamental : comment définir l’équilibre optimal entre la libre administration des collectivités locales et l’intervention de l’État, sans que ce dernier se substitue aux maires dans la définition des politiques locales ? Cette question récurrente trouve quelques éléments de réponse dans nos propositions. Permettez-moi d’en avancer une : je suggère de maintenir la DSU dans sa forme actuelle, mais de transformer la DPV en une nouvelle action du programme 147 spécifiquement consacrée au volet investissement des contrats de ville. Cette évolution permettrait de fixer dans le contrat les financements et d’introduire un caractère contraignant, y compris pour les maires signataires. Par ailleurs, j’ai formulé une recommandation volontairement ouverte concernant l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Cette mesure crée théoriquement des obligations pour les bailleurs sociaux, déjà fragilisés par certaines politiques nationales. Il conviendrait de clarifier et rendre plus contraignants les engagements liés à cette exonération, en établissant des contrats plus précis entre bailleurs et collectivités, avec des objectifs rigoureusement encadrés. Actuellement, ces conventions demeurent par trop imprécises. Ces mesures contribueraient à préserver la libre administration des collectivités tout en garantissant que les financements étatiques de la politique de la ville produisent des effets concrets. Le cadre contractuel actuel, que nous ne prévoyons pas de modifier fondamentalement, gagnerait ainsi en clarté et en efficacité, notamment par l’intégration de certaines subventions directement dans les contrats de ville. Sans résoudre tous les problèmes, cette approche permettrait un fléchage plus efficace des ressources. M. Michel Castellani (LIOT). Monsieur le rapporteur spécial, vous écrivez dans votre rapport que la politique de la ville ne résout pas correctement la ségrégation spatiale et vous proposez quatre axes de travail. Je retiens particulièrement celui de la culture et de l’éducation, dont vous soulignez à juste titre qu’elle favorise l’émancipation individuelle et renforce les liens collectifs et républicains. Nous partageons entièrement cette vision que la République constitue un vecteur de promotion et d’insertion sur la plus belle échelle d’ascension sociale, lorsqu’elle est judicieusement mobilisée. Ma génération en témoigne amplement. La question essentielle est donc la suivante : comment optimiser cette filière fondamentale d’insertion ? Comment redonner à l’étude, et par conséquent au travail, leur pleine valeur sociale et individuelle ? Je me garderai de tout angélisme face aux conditions de vie et aux réalités concrètes observées dans de nombreux quartiers français, dans ce que l’on nomme aujourd’hui les cités. Ma question peut paraître triviale, mais elle s’impose : comment restituer à l’école sa compétitivité, pour regrettable que soit cette formulation ? Comment contrecarrer efficacement l’attrait des trafics qui, bien que catastrophiques à de multiples égards, offrent malheureusement une rémunération immédiate ? L’école, désormais en situation de concurrence directe avec toutes les formes de dérives que nous constatons, incarne pourtant la promotion sociale et une certaine conception de la vie. C’est bien là une réalité contemporaine, aussi déplorable soit-elle. M. David Guiraud, rapporteur spécial. La politique de la ville remplit essentiellement une fonction préventive. Elle comporte certaines dispositions en matière de sécurité, notamment concernant la tranquillité publique, mais sa vocation première reste la prévention. J’ai délibérément choisi dans ce rapport d’intégrer des ministères, notamment ceux de l’éducation nationale et de la culture, qui favorisent l’émancipation des individus en les inscrivant dans des cadres de vie sociaux différenciés. Cette approche leur permet d’échapper à la tentation de s’engager dans des réseaux, qui constituent également des réseaux de sociabilité et de fréquentations. La politique de la ville propose ainsi aux jeunes des alternatives en matière culturelle, sportive et éducative. Si des dispositifs spécifiques existent, le problème majeur réside dans leur manque de lisibilité, entraînant la non-utilisation de certains crédits par les collectivités ou les établissements. Tous les établissements REP+ disposent de dispositifs pour les élèves décrocheurs, mais leur activation dépend aujourd’hui de la volonté et de la disponibilité de l’établissement scolaire concerné, parfois de l’initiative d’une municipalité informée de la situation difficile d’un jeune et consciente des financements mobilisables. Sans critiquer les municipalités, force est de constater que la passivité de certaines d’entre elles entraîne la non-utilisation de lignes de financement disponibles. La problématique centrale de la politique de la ville concerne donc des crédits et financements existants, mais insuffisamment lisibles, alors qu’ils offrent de réelles opportunités aux jeunes. J’ai particulièrement abordé l’éducation nationale dans mon rapport, car il s’agit de l’un des acteurs les plus impliqués dans la politique de la ville via les réseaux d’éducation prioritaire. Il s’avère impératif de clarifier les différents dispositifs et lignes de financement, en les rendant accessibles à tous, car actuellement, leur activation repose largement sur l’initiative des directeurs d’établissement. Une meilleure association des municipalités à ces dispositifs produirait des changements significatifs. Concrètement, si certains dispositifs sont défaillants, la plupart génèrent des effets notables. La médiation sociale et les dispositifs permettant d’éviter qu’un jeune temporairement exclu de son établissement scolaire ne reste inactif chez lui, en lui proposant plutôt des activités structurantes et une réintégration progressive, ont un impact incontestable sur cette jeunesse. Ces mesures ne constituent pas une solution miracle, mais elles produisent des résultats tangibles. Leur efficacité requiert cependant une lisibilité et une accessibilité accrues pour tous les acteurs concernés, évitant ainsi que leur activation ne dépende uniquement d’une poignée de techniciens, de leur disponibilité, de leur volonté ou de leur sensibilité à ces questions, particulièrement au sein de l’éducation nationale. M. Nicolas Sansu (GDR). La politique de la ville ne se limite évidemment pas à l’Anru, elle englobait auparavant les contrats urbains de cohésion sociale (Cucs), elle comprend aujourd’hui les contrats locaux de sécurité (CLS), voire les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), le réseau France Services, les cités éducatives et d’autres dispositifs encore. Garantir l’application du droit commun dans les QPV constitue un premier axe d’égalité républicaine, qui implique l’égalité d’accès aux services publics. On prétend parfois que la ruralité connaît des difficultés supérieures à celles des quartiers prioritaires, ce qui s’avère inexact. Les défis sont de même nature, mais diffèrent dans leur manifestation. Actuellement, les quartiers prioritaires sont largement dépourvus de services publics, à tel point que les maisons France Services s’implantent désormais tant dans les QPV qu’en milieu rural, devenant une condition essentielle de l’accès aux services publics. N’oublions pas que la Seine-Saint-Denis représente l’un des plus importants déserts médicaux français, ce qui témoigne d’un défaut d’accès aux soins considérable dans les QPV. La ministre chargée de la ville a annoncé le lancement d’une étude de préfiguration dans la perspective d’un Anru 3. Cette démarche est encourageante, mais montre bien que nous sommes loin d’un aboutissement. En parallèle, la situation de la trésorerie de l’Anru est inquiétante : si 116 millions d’euros sont inscrits au budget 2026, il faudrait au moins 270 millions pour couvrir les besoins de trésorerie en 2026 et même clôturer l’exercice en cours qui s’annonce particulièrement complexe. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial, de tordre le cou à l’idée tenace selon laquelle l’Anru est financée par l’État. Non, les fonds de l’Anru ne proviennent pas de l’État, mais essentiellement d’Action Logement, ainsi que vous l’avez rappelé. Il s’agit donc de fonds issus des cotisations des salariés, du fruit de leur travail, et non de financements étatiques. Je terminerai par deux observations. D’abord, il apparaît essentiel d’établir une articulation systématique entre QPV et REP, ce qui n’est pas universellement le cas aujourd’hui. Ensuite, il importe d’examiner attentivement la spécificité des QPV situés en centres-villes, qui constituent une problématique distincte. La paupérisation des centres urbains dans certaines villes a engendré des QPV centraux nécessitant une intervention différenciée dans le cadre de la politique de la ville. M. David Guiraud, rapporteur spécial. Vous prêchez un convaincu, monsieur Sansu, notamment sur le lien entre les QPV et la ruralité. Il ne s’agit nullement d’opposer ces territoires, je l’ai dit. Les habitants des QPV et ceux de la ruralité partagent de nombreuses réalités communes. Certes, les QPV présentent des spécificités, mais les difficultés partagées avec les territoires ruraux sont considérables, par exemple en matière d’accès aux soins médicaux. Nous sortons d’une période où l’État considérait, par principe, que l’Anru n’avait pas besoin de trésorerie. Or, maintenant que nous entrons dans une phase concrète de réalisation et d’exécution des dépenses, tout problème de trésorerie qui surviendra en fin d’année et l’année prochaine créera des difficultés majeures. La ministre a annoncé un doublement des dotations de l’État, mais cela reste insuffisant. Je me contenterai aujourd’hui de prendre acte, comme vous l’avez fait, des annonces ministérielles sur l’étude de préfiguration de l’Anru 3, et de cette volonté affichée. Je note également que l’État a récemment accéléré ses décaissements de manière à éviter les annulations de crédits, ce qui constitue un point positif. Pour le reste, j’insiste sur la nécessité de rendre la politique de la ville plus lisible afin de dissiper la confusion entre droit commun, droit renforcé et droit subsidiaire. Le problème fondamental de la politique de la ville tient à notre incapacité à l’évaluer correctement. Dans certains secteurs, nous disposons d’éléments d’appréciation. Les cités éducatives, par exemple, présentent des résultats relativement satisfaisants, avec des circuits de financement identifiés et des retours d’acteurs. En revanche, de nombreux autres dispositifs, comme ceux existant dans les REP+, demeurent impossibles à évaluer correctement. J’ai souligné précédemment la nécessité d’harmoniser les différents zonages. À cette fin, il me semble nécessaire, tant pour les questions de financement que de coordination, de redonner à cette politique la dimension d’un véritable ministère rattaché au premier ministre. Ainsi, ce dernier pourrait animer, impulser, produire des notes et réunir régulièrement les différents ministères dans un cadre interministériel. Il émettrait également des demandes de clarification budgétaire, car inclure la quasi-totalité de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances dans les 40 milliards d’euros attribués à la politique de la ville n’a aucun sens, cette mission ne se limitant pas aux QPV. À l’inverse, l’éducation nationale distingue clairement ses crédits renforcés dans les REP+ à hauteur de 1,9 milliard d’euros, ce qui témoigne d’une approche plus rigoureuse. M. Fabien Di Filippo (DR). Je ne vous ai ni lu ni entendu, monsieur le rapporteur spécial, sur les conséquences et le coût exorbitant du vandalisme. Ce coût pour l’État et les collectivités représente plus de la moitié des sommes investies dans ces quartiers. Je vous ai même entendu affirmer que lorsque des enfants sont temporairement exclus de leur établissement, il incomberait aux collectivités de leur proposer des activités ludiques. J’aurais éventuellement compris si vous aviez évoqué des travaux de réparation, mais votre approche relève d’une dérive idéologique caricaturale. Ma première question porte donc sur le coût de ces actes de vandalisme, qui ont atteint plus d’un milliard d’euros lors des émeutes de 2023. Comment prenons-nous en compte cette réalité ? Comment responsabiliser ces personnes ? Comment obtenir réparation de leur part et de leurs familles ? Ma seconde question concerne le logement social. Le mieux est souvent l’ennemi du bien. Nous devrions nous interroger sur les pratiques des autres pays européens : où observez-vous des politiques de logement social aussi étendues qu’en France ? Ce dispositif est censé constituer un sas de transition vers l’accès au logement ordinaire. Or, nos politiques actuelles favorisent plutôt la ghettoïsation, parfois motivées par des considérations clientélistes et électoralistes. Dans le domaine du logement également, nous constatons toujours plus de droits et jamais de devoirs vis-à-vis de ce que la collectivité met à disposition pour ces familles, alors que l’objectif est de les aider à s’insérer ou se réinsérer dans la vie active. Sur ces questions extrêmement importantes – car les montants évoqués aujourd’hui sont considérables – j’aurais souhaité entendre de votre part un avis qui ne penche pas uniquement du côté des droits, mais qui s’interroge également sur les devoirs qui doivent leur être associés. M. David Guiraud, rapporteur spécial. Je n’ai sans doute pas la même lecture que vous, monsieur Di Filippo, des épisodes de révoltes urbaines. Mais le temps me manque pour en débattre, et je m’en tiendrais à la seule question du vandalisme. Le vandalisme existe effectivement dans ces quartiers, mais il convient de bien qualifier les situations. Les actes qui minent le quotidien des habitants – cages d’ascenseur détériorées, dysfonctionnements d’ascenseurs, portes cassées que les bailleurs tardent souvent à réparer, etc. – sont déjà sanctionnés par la loi lorsque leurs auteurs sont appréhendés. Cependant, nous attribuons parfois au vandalisme des phénomènes relevant d’une tout autre réalité. Prenons l’exemple des ascenseurs. La spécificité des quartiers populaires, notamment dans les grandes barres d’immeubles, réside dans leur flux ininterrompu d’habitants. Cette utilisation intensive des ascenseurs, liée à la surpopulation des logements qui contraint les occupants à des entrées et sorties fréquentes, entraîne une usure accélérée souvent confondue avec du vandalisme. Même les habitants pensent parfois à du vandalisme alors qu’il s’agit simplement d’une surutilisation des équipements qui nécessiterait une maintenance plus régulière de la part des bailleurs sociaux. Les dégradations de l’habitat ne relèvent pas uniquement de la responsabilité de l’État ou des familles. Certains bailleurs bénéficient d’avantages fiscaux sans assumer leurs obligations en termes de sécurisation, préférant recourir à des brigades mobiles temporaires plutôt qu’à un gardiennage permanent. Je suis convaincu que le gardiennage traditionnel, bien qu’un peu plus coûteux, résoudrait efficacement nombre de problèmes de vandalisme. À cet égard, il convient de s’interroger sur l’exonération de TFPB, censée impliquer un devoir de sécurisation de la part des bailleurs. Vous dites que les quartiers sont de simples sas d’accueil avant un départ vers le parc privé. Je m’inscris en faux contre cette vision. Ces quartiers ne sont pas simplement des lieux de transit, mais des espaces d’accueil permanent. Les habitants s’y trouvent souvent contraints de rester, même lorsque leur situation sociale s’améliore, précisément parce que la construction de logements est insuffisante dans notre pays. Ces quartiers remplissent une fonction sociale essentielle en accueillant des populations qui n’ont pas d’alternative ailleurs. Les personnes les plus démunies éprouvent les plus grandes difficultés à obtenir un logement social ou à accéder au marché privé. Il ne faut donc pas considérer ces quartiers uniquement comme des sas de transition, mais comme des lieux d’accueil indispensables pour les nouveaux arrivants, qu’ils soient d’origine immigrée ou simplement confrontés à la précarité. Cette fonction sociale d’accueil des plus vulnérables justifie pleinement des investissements importants dans l’amélioration des conditions de vie. Enfin, je réfute votre vision réductrice qui consiste à penser que l’on donne simplement de l’argent pour que les jeunes s’amusent. Lorsque nous intégrons des jeunes dans des structures sociales, sportives ou éducatives, nous leur offrons un encadrement structurant. L’autorité ne se décrète pas, elle se construit avec l’encadrement et la confiance. Pour des jeunes en rupture avec les figures parentales ou institutionnelles, seul un lien de confiance permet de rétablir une autorité effective. L’alternative, c’est de persévérer dans une logique purement répressive dont nous constatons qu’elle est sans issue. En investissant dans des structures d’encadrement exigeantes – car les dispositifs pour jeunes décrocheurs imposent une discipline stricte – nous proposons un accompagnement à échelle humaine qui favorise l’émancipation des jeunes et leur réinsertion dans des parcours bénéfiques tant pour eux-mêmes que pour la société. La commission a autorisé, en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement, la publication du rapport d’information.
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PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
Intercommunalités de France
– M. Christophe Ferrari, président de Grenoble Alpes métropole et vice-président en charge du logement social et de la rénovation urbaine ;
– M. Romain Briot, directeur général adjoint ;
– Mme Montaine Blonsard, responsable des relations avec le parlement.
France Urbaine
– M. Baptiste Bossard, conseiller ;
– Sarah Bou Sader, conseillère parlementaire.
Association des Maires de l’Île-de-France (AMIF)
– M. Patrice Leclerc, vice-président, maire de Gennevilliers et référent du groupe de travail « Politique de la Ville » ;
– M. Aurélien Perrot, chargé d’études.
Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD)
– M. Jean-Martin Delorme, président de la section.
Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU)
– Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale ;
– M. Patrice Vergriete, président du conseil d’administration ainsi que maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine de Dunkerque.
Action Logement
– Mme Nadia Bouyer, directrice générale.
Union Habitat
– Mme Marianne Louis, directrice générale ;
– M. Thierry Asselin, directeur des politiques urbaines et sociales ;
– M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires.
Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSE)
– M. Antonio Delfini, chercheur associé.
Caisse des dépots
– M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des Territoires ;
– Mme Sophie Vaissière, directrice des relations institutionnelles et des affaires stratégiques de la direction des prêts et adjointe au directeur des prêts (Banque des Territoires) ;
– Mme Giulia Carré, directrice des relations institutionnelles de la Caisse des Dépôts.
Ministère délégué auprès du ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, chargée de la Ville
– Mme Juliette Médael, ministre déléguée
– M. Guillaume Quenet, directeur du cabinet ;
– M. Jérôme Seguy, chef de pôle « politiques structurelles », conseiller budgétaire ;
– Mme Delphine Besson, conseillère parlementaire et élus.
Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO)
– M. Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales.
Ministère chargé du Logement
– Mme Valérie Létard, ministre auprès du ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, chargée du Logement
– Mme Lou Le Nabasque, conseillère parlementaire, en charge des outre-mer ;
– M. Raphaël Munnich, conseiller rénovation urbaine et lutte contre l’habitat indigne.
Cabinet du ministère chargé de la Culture
– M. Benjamin Morel, conseiller social, budget, fiscalité, investissements, mécéna
– Mme Cyrielle Convers, conseillère parlementaire
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([1]) Annulations résultant du décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits et de la loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.
([2]) Décret n° 2025-374 du 25 avril 2025 portant annulation de crédits.
([3]) M. Jean-Martin Delorme, Mme Anne-Claire Mialot et M. Cédric Van Styvendael, Ensemble, refaire ville – Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers et des territoires fragiles, rapport remis au ministre chargé de l’aménagement du territoire en février 2025.
([4]) Circulaire du 21 mars 1973 relative aux formes d’urbanisation dites « Grands ensembles » et à la lutte contre la ségrégation sociale par l’habitat.
([5]) Loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en œuvre du pacte de relance pour la ville.
([6]) Circulaire n° 97-233 du 31 octobre 1997.
([7]) Loi n° 91-662 du 13 juillet 1991 d'orientation pour la ville.
([8]) Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
([9]) Loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.
([10]) Loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
([11]) Circulaire n° 2014-077 du 4-6-2014.
([12]) Vivre ensemble, vivre en grand : pour une réconciliation nationale, 2018.
([13]) « Appel d’Epinay-sous-Sénart » du 13 mars 2025 Gilles Leproust, (président de l’Association des maires Ville & Banlieue de France), David Lisnard, (président de l’Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité), Stéphane Beaudet (président de l’Association des maires d’Ile-de-France), Johanna Rolland (présidente de France urbaine), Christophe Bouillon (président de l’Association des petites villes de France), Gil Avérous (président de Villes de France) et Sébastien Martin (président d’Intercommunalités de France).
([14]) Annulations prononcées par le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits et la loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.
([15]) Décret n° 2025-374 du 25 avril 2025 portant annulation de crédits.
([16]) Rapport Ensemble, refaire ville précité.
([17]) Conseil d’analyse économique, 2022, Cap sur le capital humain pour renouer avec la croissance de la productivité.
([18]) Mmes Viviane Artigalas, Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard, Rapport d'information au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, n° 800 (2021-2022), 19 juillet 2022, La politique de la ville, un tremplin pour les habitants.
([19]) Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, note d’information n° 25-12, mars 2025.
([20]) Emmanuel Bellanger, Les banlieues, laboratoire du social, déclinaison du bonheur, dans Banlieues chéries, Palais de la Porte Dorée/Museo Editions.
([21]) Cour des comptes, 2020, L’évaluation de l’attractivité des quartiers populaires.
([22]) Données ANCT, rapport public annuel 2019, cité par la Cour des comptes (ibid).
([23]) Inspection générale des affaires culturelles, L’action du ministère de la Culture dans les quartiers de la politique de la ville (QPV), juin 2024.
([24]) Rapport d'information de la commission des affaires économiques du Sénat n° 800 (2021-2022) précité.
([25]) Loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
([26]) Décret n° 2023-1314 du 28 décembre 2023 modifiant la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville dans les départements métropolitains.
([27]) Décret n° 2024-1212 du 27 décembre 2024 modifiant la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Martin et en Polynésie française.
([28]) Décret n° 2023-1312 du 28 décembre 2023modifiant le décret n° 2014-767 du 3 juillet 2014 relatif à la liste nationale des quartiers prioritaires de la politique de la ville et à ses modalités particulières de détermination dans les départements métropolitains.
([29]) Décret n° 2024-1211 du 27 décembre 2024 relatif aux modalités de détermination des quartiers prioritaires de la politique de la ville particulières aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, à Saint-Martin et à la Polynésie française.
([30]) Chiffres-clés 2023, Observatoire national de la politique de la ville (ONVP). Cité par le rapport Ensemble, refaire ville précité.
([31]) Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.
([32]) Direction générale des collectivités locales, Rapport partenarial sur l’impact de l’ANRU, 2024.
([33]) Direction générale des collectivités locales, Rapport partenarial sur l’impact de l’ANRU, 2024.
([34]) Observatoire national de la politique de la ville, Rapport 2023, Dossier cadre de vie : Le cadre de vie et le logement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
([35]) Article 9-1 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.
([36]) Réponse au questionnaire d’audition.
([37]) INSEE Analyses, n°79, « En 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », juillet 2023.
([38]) CESEv Vers un service public d’accueil de la petite enfance, mars 2022.
([39]) Étude réalisée par le cabinet Copas, présentée en réponse au questionnaire d’audition.
([40]) Cour des comptes, L’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt, communication à la commission des finances de l’Assemblée nationale, janvier 2025.
([41]) M. Eric Woerth, Décentralisation : le temps de la confiance, 30 mai 2024.
([42]) Rapport d'information de la commission des affaires économiques du Sénat n° 800 (2021-2022) précité.
([43]) Circulaire relative à l’élaboration des conventions interministérielles d’objectifs 2016-2020.
([44]) Rapport de la Commission nationale chargée de la réflexion sur les prochains contrats de ville , Pour un acte II de la politique de la ville, avril 2022.
([45]) ANRU, Rapport d’activité 2024.
([46]) Rapport Ensemble, refaire ville précité.
([47]) Rapport Ensemble, refaire ville précité.