N° 1600
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur l’impact de la politique du dédoublement et de la fermeture de classes dans l’enseignement public du premier degré
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Anthony BOULOGNE,
rapporteur spécial
——
SOMMAIRE
___
Pages
I. une politique de dédoublement coûteuse et peu efficace
A. une nouvelle composante de la politique d’éducation prioritaire
II. des zones rurales oubliées par la réforme, malgré Des besoins tout aussi grands
A. une politique de dédoublement qui n’a presque pas bénéficié aux zones rurales
B. des zones rurales défavorisées, lorsqu’elles sont éloignées des métropoles
D. un oubli d’autant plus grave que les zones rurales sont fragilisées par les fermetures de classes
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
La politique de dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 en zones Rep et Rep+ a été mise en place progressivement entre 2017 et 2024. Son objectif était que 100 % des élèves maîtrisent les enseignements fondamentaux à la sortie de l’école primaire. Cette politique a été mal anticipée, notamment en ce qui concerne les locaux. Elle s’est avérée coûteuse pour un résultat qui n’est pas significatif après le CP. La Cour des Comptes estime que le dédoublement a mobilisé 15 987 emplois (ETP) supplémentaires et généré un surcoût en dépenses de personnel de près de 800 millions d’euros par an. Si elle a une efficacité à court terme sur la progression des élèves, cette efficacité n’est plus significative après le CP. Par ailleurs, cette politique peut avoir des effets négatifs sur l’apprentissage de l’autonomie et le retour à des classes ordinaires, en CE2, lequel peut s’avérer difficile pour les élèves. La politique de dédoublement a conduit à supprimer le dispositif « Plus de maîtres que de classes », dont le périmètre était différent. En particulier, il incluait des classes situées dans des zones rurales en difficulté mais non classées en éducation prioritaire. En effet, certaines zones rurales sont confrontées à des difficultés socio-économiques de même ampleur que celles des zones Rep et des Rep+. Pourtant, elles ne bénéficient presque pas de la politique de l’éducation prioritaire qui est concentrée sur les zones urbaines. Le rapporteur, sans vouloir remettre en cause le soutien éducatif public aux territoires urbains rencontrant le plus de difficultés socio-économiques, considère que la politique de dédoublement, telle que mise en œuvre actuellement, doit évoluer en prenant davantage en considération les besoins éducatifs des territoires ruraux. La politique de dédoublement, en rigidifiant l’allocation des moyens humains, contribue à empêcher une réallocation des moyens au profit de certains territoires ruraux. Or ceux-ci sont déjà fragilisés par les fermetures de classes, alors que l’école est parfois le dernier service public d’un village. Le maintien d’une offre éducative de qualité constituant un facteur déterminant dans l’attractivité d’une commune rurale, il est nécessaire que la politique de soutien du ministère de l’Éducation nationale aux territoires en difficulté fasse l’objet d’une réorientation pour mieux y intégrer la ruralité. |
Recommandation n° 1 : Renforcer, dans le cadre de la formation continue, la formation des enseignants sur les spécificités de l’enseignement en classe dédoublée.
Recommandation n° 2 : Réviser la carte de l’éducation prioritaire en passant à un système de labellisation des écoles fondé sur leurs caractéristiques sociales et économiques propres et en prenant en compte un indice d’éloignement.
Recommandation n° 3 : Prévoir des mesures de sortie progressive des enseignants de l’éducation prioritaire avec, notamment, la fixation d’une durée maximale d’enseignement de dix ans en Rep et Rep +.
Recommandation n° 4 : Confier à la DEPP la réalisation d’une étude portant sur l’impact des fermetures de classes sur le taux d’encadrement des élèves, la transmission des savoirs fondamentaux, les résultats des élèves et le climat scolaire.
Recommandation n° 5 : Instaurer un moratoire sur les fermetures de classes en attendant la révision de la carte scolaire de l’éducation prioritaire puis, après la révision de cette carte, organiser les opérations de carte scolaire du premier degré selon un rythme triennal.
La politique de dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 en Réseau d’éducation prioritaire (Rep) et Réseau d’éducation prioritaire renforcé (Rep+) a été mise en place progressivement entre 2017 et 2024. Son objectif était que 100 % des élèves maîtrisent les enseignements fondamentaux à la sortie de l’école primaire. Cette politique mal anticipée, et dont la mise en œuvre s’est heurtée à des difficultés pratiques s’est avérée coûteuse pour un résultat qui n’est pas significatif après le CP.
Par ailleurs elle a conduit à supprimer le dispositif « Plus de maîtres que de classes », dont le périmètre était différent. En particulier, il incluait des classes situées dans des zones rurales en difficulté mais non classées en éducation prioritaire.
Or certaines zones rurales sont confrontées à des difficultés socio-économiques de même ampleur que celles des Rep et des Rep+. Pourtant, elles ne bénéficient presque pas de la politique de l’éducation prioritaire, laquelle est concentrée sur les zones urbaines. Comme l’indique justement la Cour des comptes dans un rapport récent consacré à cette politique, la carte de l’éducation prioritaire, revue pour la dernière fois en 2015, « reflète mal les réalités socio-démographiques actuelles et ignore certains besoins, très divers en fonction des territoires » ([1]).
La politique de dédoublement, en rigidifiant l’allocation des moyens humains, contribue à empêcher leur réallocation au profit de certains territoires ruraux en difficulté, déjà fragilisés par la multiplication des fermetures de classes alors que l’école est parfois le dernier service public d’un village.
Cette rigidification des moyens alloués va à l’encontre de l’objectif premier du service public de l’éducation, c’est-à-dire la lutte contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative ([2]).
Le présent rapport entend donc proposer des pistes pour rééquilibrer la réallocation des moyens de la politique de dédoublement, en faveur des établissements aujourd’hui exclus de l’éducation prioritaire mais rencontrant néanmoins de grandes difficultés, notamment dans la ruralité, sans pour autant retirer le bénéfice des dispositifs existants aux écoles qui en ont le plus besoin. Il propose également des solutions pour mettre fin aux fermetures de classes brutales et non concertées en zone rurale
I. une politique de dédoublement coûteuse et peu efficace
La politique de dédoublement, qui visait à favoriser la progression des élèves en éducation prioritaire, a été mal anticipée et s’est révélée être coûteuse, pour un résultat qui n’est pas significatif au-delà de la classe de CP.
A. une nouvelle composante de la politique d’éducation prioritaire
Le dédoublement des classes est une composante de la politique d’éducation prioritaire. Celle-ci a été mise en place en 1981 et elle est contemporaine de la politique de la ville. Elle mise sur le « surencadrement » administratif et pédagogique pour faire progresser les élèves, dont le niveau est inférieur à celui des élèves scolarisés dans des zones plus favorisées. Concrètement, il s’agit de donner plus de moyens à ceux qui en ont le moins, dans une logique d’équité, afin de réduire les écarts scolaires découlant d’inégalités sociales et d’assurer un soutien spécifique aux élèves en difficulté.
Le dédoublement des classes est une mesure phare de la politique d’éducation prioritaire, permettant de renforcer considérablement le taux d’encadrement des élèves en faisant bénéficier les établissements scolaires concernés d’effectifs supplémentaires pour accompagner les élèves en difficulté.
Le périmètre de la politique d’éducation prioritaire a fortement augmenté au gré de ses différentes relances (qui ont eu lieu en 1990, 1999, 2006 et 2015). À la rentrée 1982, on comptait 63 zones d’éducation prioritaire (ZEP) en France. Depuis la refonte de la carte de l’éducation prioritaire de 2015 ([3]), on compte 1 093 réseaux d’éducation prioritaire, répartis entre 362 réseaux d’éducation prioritaire renforcée (Rep+), qui constituent le premier cercle du dispositif, et 731 réseaux d’éducation prioritaire (Rep), qui forment un second cercle ([4]).
À la rentrée 2023, on comptait 6 314 établissements du premier degré public en Rep et Rep+, dont 2 313 en Rep+ et 4 001 en Rep. Par comparaison, on dénombre à la même date 36 357 écoles du premier degré publiques en dehors des réseaux Rep et Rep+.
À la même période, on comptait 1 070 102 élèves scolarisés dans un établissement du premier degré public relevant de l’éducation prioritaire : 417 096 élèves étaient scolarisés en Rep+ et 653 006 élèves étaient scolarisés en Rep. Par comparaison, il y avait 4 312 913 élèves scolarisés dans des établissements du premier degré public hors éducation prioritaire ([5]).
La politique de dédoublement a débuté en 2017. Son objectif était que 100 % des élèves maîtrisent les enseignements fondamentaux à la sortie de l’école primaire. Cette politique s’est d’abord concentrée sur le CP, qui est une année cruciale pour la maîtrise des fondamentaux. Les évaluations nationales standardisées passées par les élèves de CP à la rentrée 2024 montrent qu’il existe des écarts de performances importants entre les élèves scolarisés dans le secteur public hors éducation prioritaire et ceux scolarisés en éducation prioritaire, notamment en Rep+. En français, ces écarts varient entre 10 points (pour la compétence « Connaître le nom des lettres et le son qu’elles produisent ») et près de 33 points (pour la compétence « Comprendre des mots à l’oral »).
Écarts de performances en français en CP entre élèves scolarisés
dans le secteur public hors éducation prioritaire
et élèves scolarisés en REP+ en 2024
(en points de pourcentage) |
2024 |
Comprendre des mots à l’oral |
32,6 |
Comprendre des phrases à l’oral |
22,8 |
Comprendre des textes à l’oral |
18,9 |
Manipuler des syllabes |
17,8 |
Manipuler des phonèmes |
14,2 |
Reconnaître les différentes écritures d’une lettre |
13,3 |
Connaître le nom des lettres et le son qu’elles produisent |
10,0 |
Source : Note d’information de la DEPP n° 25-15, mars 2025, p. 3.
En ce qui concerne les mathématiques, les écarts de performances varient entre 6,7 points (pour la compétence « Lire des nombres entiers ») et 22,7 points (pour la compétence « Résoudre des problèmes »).
Écarts de performances en mathématiques en CP entre élèves scolarisés dans le secteur public hors éducation prioritaire
et élèves scolarisés en rep+ EN 2024
(en points de pourcentage) |
2024 |
Résoudre des problèmes |
22,7 |
Placer un nombre sur une ligne graduée |
11,0 |
Comparer des nombres |
10,7 |
Reproduire un assemblage |
10,1 |
Quantifier des collections |
8,3 |
Écrire des nombres entiers |
7,8 |
Lire des nombres entiers |
6,7 |
Source : Note d’information de la DEPP n° 25-15, mars 2025, p. 3.
Le nombre d’élèves par classe n’est généralement pas plafonné. Cependant, depuis la rentrée 2023, l’objectif du Gouvernement est de plafonner toutes les classes de grande section, CP et CE1, hors éducation prioritaire, à 24 élèves, pour favoriser les apprentissages et la maîtrise des fondamentaux. Cette mesure vient compléter la politique de dédoublement, qui porte uniquement sur les classes de grande section, CP et CE1 situées en Rep et Rep+. Celle-ci prévoit de dédoubler les classes, avec un objectif de 12 élèves par classe ([6]). Le dédoublement a été mis en place en primaire selon le calendrier suivant :
– rentrée 2017 : dédoublement des CP en Rep+ ;
– rentrée 2018 : dédoublement des CE1 en Rep+ et dédoublement des CP en Rep ;
– rentrée 2019 : dédoublement des CE1 en Rep.
Puis, à compter de la rentrée 2020, ce dédoublement a été étendu aux classes de grande section de maternelle en éducation prioritaire. Selon les informations communiquées au rapporteur spécial par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), la mise en œuvre de cette politique a été achevée à la rentrée 2024.
Toutefois, dans la contribution écrite qu’il a transmise au rapporteur spécial, le SNALC indique que « le 100 % de dédoublement n’est toujours pas effectif » car « les priorités nationales sont nombreuses et il faut répondre un peu à chacune ». Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les classes dédoublées ne sont pas forcément des classes de 12 élèves, malgré les objectifs affichés par le Gouvernement : dans certains départements, elles comptent jusqu’à 16 élèves dès la rentrée, du fait du manque d’enseignants ([7]).
Dans l’évaluation du dispositif d’éducation prioritaire réalisé en 2025 à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes estime que « le dédoublement a mobilisé 15 987 emplois (ETP) supplémentaires et généré un surcoût en emplois de près de 800 millions d’euros par an » ([8]).10 800 ETP sont dédiés au dédoublement en CP et en CE1 et 5 200 ETP sont dédiés au dédoublement en grande section de maternelle ([9]).
Les ressources nécessaires à la mise en place du dédoublement ont été libérées par la suppression du dispositif « Plus de maîtres que de classes ». Celui-ci avait un périmètre différent et incluait notamment des classes situées dans des zones rurales en difficulté mais non classées en éducation prioritaire. De plus, le dispositif s’adressait à tous les niveaux de l’école élémentaire, et pas seulement aux CP et CE1.
Dispositif « Plus de maîtres que de classes »
Ce dispositif, mis en place à partir de la rentrée scolaire 2013, permettait l’affectation dans une école d’un maître supplémentaire pour donner à l’équipe pédagogique les moyens de mieux répondre aux besoins des élèves qui éprouvaient le plus de difficultés.
Selon les données communiquées par la DGESCO au rapporteur spécial, à la rentrée scolaire 2016, ce dispositif représentait, 3 220 ETP sur l’ensemble des départements, dont 2 436 ETP en éducation prioritaire (soit 76 % des emplois). Les 785,25 emplois restants étaient affectés hors éducation prioritaire dans des écoles caractérisées par des difficultés scolaires ou sociales. Le nombre de ces écoles est estimé à 928 par la DGESCO.
La DGESCO a indiqué au rapporteur spécial qu’« il n’y a pas eu d’évaluation de ce dispositif sur les résultats des élèves et le climat scolaire ». Le rapporteur spécial juge qu’il aurait été pertinent de mesurer son efficacité au lieu de le supprimer brutalement pour en récupérer les moyens au profit d’une politique centrée principalement sur les zones urbaines. Si l’augmentation du taux d’encadrement en Rep et Rep+ est pertinente pour améliorer la progression des élèves, il faut aussi soutenir les écoles situées hors Rep et Rep+ qui connaissent des difficultés. La prise en charge publique de ces établissements constitue un angle mort de la politique actuelle de l’éducation prioritaire.
Par ailleurs, le rapporteur spécial relève que la politique de dédoublement vient renchérir le coût de la politique de l’éducation prioritaire pour l’État, qui est déjà élevé. Selon la Cour des Comptes, ce coût est passé de 1,4 milliard d’euros en 2016 à 2,6 milliards d’euros en 2023. Il est lié à plus de 99 % à des coûts salariaux, en raison de l’augmentation du nombre de personnels et également des mesures prises pour rendre les postes en éducation prioritaire attractifs (comme un temps de service dédié au travail en équipe ou des primes spécifiques) ([10]).
Le rapporteur spécial note également que ces chiffres ne prennent pas en compte les coûts financiers supplémentaires engendrés par l’adaptation des locaux scolaires, découlant de la mise en œuvre de la politique de dédoublement, et supportés par les collectivités territoriales. La Cour note à cet égard que, faute de données, la contribution financière des collectivités en faveur du réaménagement du bâti scolaire pour le dédoublement ne peut pas être chiffrée ([11]).
Le coût réel de la politique de l’éducation prioritaire, pour l’ensemble des administrations publiques, dépasse donc le chiffre apporté par la Cour des Comptes, qui porte uniquement sur les dépenses étatiques. Un chiffrage complet des dépenses publiques allouées à cette politique serait apprécié pour la pleine et entière information du Parlement.
Selon le SNALC, « la mise en place de la politique de dédoublements en Rep et Rep+ a été mal anticipée par le ministère ». Ce manque d’anticipation a pu conduire à une dégradation des conditions de travail des enseignants et des conditions d’apprentissage des élèves.
Pour mettre en place le dédoublement, il a fallu, dans certains cas, réutiliser des salles dédiées à d’autres activités, comme la salle de bibliothèque. Il est arrivé que des salles soient séparées en deux par une cloison ou que de petites pièces de l’école soient transformées en salles de classe. Certaines municipalités ont dû installer des constructions modulaires dans la cour de récréation. Enfin, dans certains cas, il est arrivé tout simplement d’installer deux classes dans la même salle, ce qui a pu générer des tensions entre les enseignants ([12]).
L’absence d’anticipation a provoqué des situations aberrantes, comme dans une école maternelle où deux classes de grande section avec 14 élèves chacune ont été installées dans une même salle avec les deux enseignantes, une agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (ATSEM) et quatre accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), ce qui faisait 28 élèves et 7 adultes dans une même salle de classe ([13]).
La mise en place du dédoublement devait être accompagnée d’une évolution des pratiques pédagogiques, qui est nécessaire pour assurer une efficacité optimale à la mesure. Or l’évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes de CP et de CE1 en Rep+ publiée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) en 2021 montre que « la réduction de la taille des classes […] ne semble pas générer de changements pédagogiques fondamentaux en classe de la part des enseignants » ([14]). Pour aider les enseignants à faire évoluer leurs pratiques pédagogiques, il est indispensable d’améliorer leur formation. Celle-ci est aujourd’hui insuffisante, du fait du manque de remplaçants et du manque d’intérêt de certaines formations, comme les animations pédagogiques « classiques », qui ont lieu en amphithéâtre ou à distance ([15]). Le rapporteur spécial souhaite que le ministère mette en place une véritable politique de formation efficace, adaptée aux spécificités de l’enseignement en classe dédoublée, pour garantir le plein effet de la mesure.
Concrètement, il s’agit de mettre à jour le référentiel de l’éducation prioritaire, qui date de 2014. Ce référentiel offre un cadre et des repères communs aux enseignants pour favoriser la réussite scolaire des élèves. Toutefois, et comme le note la Cour des comptes, ce document « souffre aujourd’hui de l’absence d’actualisation et de son manque d’opérationnalité directe au regard de l’évolution constante des enjeux éducatifs dans les réseaux d’éducation prioritaires » ([16]).
Le rapporteur spécial estime que les actions de formation fléchées vers l’éducation prioritaire doivent être consacrées à la maîtrise des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter). La formation des enseignants dans ce domaine est essentielle, elle doit être renforcée par le ministère et les services académiques, pour assurer une meilleure maîtrise des fondamentaux par les élèves scolarisés en éducation prioritaire. C’est l’une des clés de réussite de la politique éducative.
Recommandation n° 1 : Renforcer, dans le cadre de la formation continue, la formation des enseignants sur les spécificités de l’enseignement en classe dédoublée.
Si la politique de dédoublement a des effets positifs à court terme sur la progression des élèves, ceux-ci ne perdurent pas à moyen terme. L’évaluation publiée en 2021 par la DEPP montre que les élèves ayant bénéficié du dédoublement ont progressé davantage que ceux qui étaient scolarisés dans des écoles ayant les mêmes caractéristiques sociales et scolaires mais ne bénéficiaient pas du dédoublement. Pour les mathématiques, l’évaluation a constaté une réduction de 38 % de l’écart de performances entre élèves scolarisés en Rep+ et élèves scolarisés hors éducation prioritaire, par rapport aux écarts observés au début de CP. Toutefois, le dédoublement n’a pas eu autant d’importance pour la progression en français. La réduction de l’écart de performances n’est que de 16 % pour cette matière ([17]).
De plus, cette politique ne semble pas avoir d’effet supplémentaire significatif après le CP. Ce constat est étayé par l’évaluation de 2025 de la Cour des Comptes, qui s’est notamment fondée sur les résultats des évaluations passées par les élèves à l’entrée en CP, en CE1 et en sixième. Elle montre que « les scores obtenus en Rep+ sont systématiquement et significativement inférieurs à ceux obtenus par une population hors éducation prioritaire » et que « le dispositif de dédoublement ne semble pas avoir d’impact sur cette tendance, persistante » ([18]).
Le rapporteur spécial s’est penché plus spécifiquement sur l’exemple de la Meurthe-et-Moselle et a interrogé le recteur de l’académie de Nancy-Metz et le directeur académique des services de l’éducation nationale de Meurthe-et-Moselle sur les effets du dédoublement dans le département. Il lui a été indiqué que des progrès avaient été constatés sur les résultats des élèves mais que l’entrée en CE2 était complexe.
Le dispositif présenterait un risque de « sur-assistance » des élèves, entravant le développement de leur autonomie, une homogénéisation excessive des groupes ou encore une baisse de la dynamique de groupe. Le SNALC a lui aussi évoqué les difficultés liées au retour à des classes à effectif ordinaire en CE2, dans un contexte où les élèves peuvent manquer d’autonomie. Ce constat vient corroborer les conclusions d’une mission d’information parlementaire, lancée en 2023 par M. Roger Chudeau et Mme Agnès Carel, visant à établir le bilan de l’éducation prioritaire. Ainsi, « les travaux conduits par la mission d’information ont également révélé que le retour d’une classe à effectif complet au passage en CE2 mérite d’être repensé. L’augmentation brutale du nombre d’élèves peut les perturber. Ce phénomène s’explique en partie par le changement de climat scolaire et par la disponibilité moins grande de l’enseignant » ([19]).
En ce qui concerne le climat scolaire, le recteur de l’académie de Nancy-Metz et le directeur académique des services de l’éducation nationale de Meurthe-et-Moselle ont relevé que « les petits effectifs impactent de fait le climat scolaire, en particulier par un niveau sonore moindre et une gestion facilitée pour l’enseignant ». La politique de dédoublement permet une meilleure concentration et une diminution des comportements perturbateurs. Le SNALC relève lui aussi que « l’impact sur le climat scolaire est indéniable ». En particulier, le dédoublement permet de mieux agencer les répartitions de classe et de séparer les élèves d’une même cohorte qui pourraient poser problème ensemble. Cependant, l’ensemble des violences verbales et physiques quotidiennes ne disparaît pas pour autant.
De ce fait, le rapporteur spécial juge que c’est aussi la question de la restauration de l’autorité du maître qui doit être posée. Aujourd’hui, le métier d’enseignant n’est pas assez respecté et il faut agir pour restaurer la place de l’enseignant dans la société, de même que son autorité à l’école. Le dédoublement ne doit pas être un cache-misère des problèmes plus généraux que rencontre, dans ce domaine, l’éducation prioritaire et l’école en général, celle-ci devenant « une caisse de résonance de la violence, des passions tristes et des forces centrifuges de la société » ([20]).
Si la politique de dédoublement n’a pas, au niveau national, dégradé le taux d’encadrement dans les zones rurales, elle ne lui a pas profité pour autant car il n’y a presque pas de réseaux d’éducation prioritaire situés en zone rurale. Par contre, en rigidifiant l’allocation des moyens humains, elle contribue à empêcher une réallocation des moyens au profit de certains territoires ruraux subissant les mêmes difficultés économiques et sociales que les Rep et Rep+.
Les études menées par la DEPP montrent que la politique de dédoublement des classes n’a pas conduit, à l’échelle nationale, à une dégradation du taux d’encadrement des élèves scolarisés en dehors de l’éducation prioritaire. Cependant, les écarts de taux d’encadrement sont importants, du fait de la politique de dédoublement. En 2023, on comptait 22,8 élèves par classe dans l’enseignement public préélémentaire hors éducation prioritaire, contre 18,5 en Rep+ et 18,9 en Rep. Pour l’enseignement élémentaire public, on comptait 22,4 élèves par classe hors éducation prioritaire, contre 16,8 élèves par classe en Rep+ comme en Rep.
Évolution du nombre d’élèves par classe
dans l’enseignement public du premier degré
|
Rep+ |
Rep |
Public hors éducation prioritaire |
|||||||||
2015 |
2018 |
2020 |
2023 |
2015 |
2018 |
2020 |
2023 |
2015 |
2018 |
2020 |
2023 |
|
Petite section |
23,3 |
22,9 |
22,4 |
21,8 |
23,4 |
23,0 |
22,3 |
21,7 |
24,8 |
24,4 |
23,7 |
23,0 |
Moyenne section |
23,6 |
23,2 |
22,4 |
21,7 |
23,7 |
23,3 |
22,4 |
21,5 |
25,1 |
24,7 |
23,7 |
23,1 |
23,6 |
23,2 |
19,5 |
14,5 |
23,7 |
23,2 |
20,8 |
15,5 |
25,0 |
24,5 |
23,3 |
22,4 |
|
Préélémentaire |
23,2 |
22,7 |
21,0 |
18,5 |
23,4 |
22,8 |
21,5 |
18,9 |
24,9 |
24,4 |
23,5 |
22,8 |
CP |
21,7 |
12,7 |
12,5 |
12,6 |
21,8 |
12,8 |
12,6 |
12,8 |
22,5 |
22,3 |
21,6 |
21,0 |
CE1 |
22,6 |
14,2 |
12,7 |
12,8 |
22,7 |
21,0 |
12,9 |
13,0 |
23,3 |
23,2 |
22,6 |
21,8 |
CE2 |
22,9 |
21,7 |
21,4 |
21,0 |
23,1 |
22,2 |
21,2 |
20,7 |
24,0 |
23,9 |
23,4 |
22,8 |
CM1 |
23,0 |
22,0 |
21,8 |
21,7 |
23,3 |
22,4 |
21,7 |
21,3 |
24,3 |
24,1 |
23,7 |
23,2 |
CM2 |
23,1 |
22,3 |
22,0 |
21,6 |
23,4 |
22,7 |
21,9 |
21,5 |
24,4 |
24,3 |
24,0 |
23,4 |
Élémentaire |
22,6 |
17,4 |
16,7 |
16,8 |
22,8 |
19,2 |
16,8 |
16,8 |
23,7 |
23,5 |
23,0 |
22,4 |
Total |
22,9 |
19,2 |
18,2 |
17,4 |
23,0 |
20,5 |
18,4 |
17,5 |
24,1 |
23,9 |
23,2 |
22,5 |
Source : données associées à la note d’information de la DEPP 24-01, https://www.education.gouv.fr/taille-des-classes-du-premier-degre-une-septieme-annee-de-baisse-consecutive-380577.
Le cas de la Meurthe-et-Moselle est emblématique de ces écarts. Entre la rentrée 2021 et la rentrée 2024, le nombre d’élèves a davantage baissé en Rep et Rep+ (-9,2%) qu’en dehors des Rep et des Rep+ (– 6 %) mais aucune école n’a fermé en Rep et Rep+ tandis que le nombre d’écoles a baissé de 6,5 % en dehors des Rep et des Rep+.
évolution du nombre d’élèves du premier degré public
en meurthe-et-moselle
|
Constat rentrée |
Évolution de la rentrée 2021 à la rentrée 2024 |
||||
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Effectifs |
en % |
|
Rep+ |
1 399 |
1 339 |
1 257 |
1 208 |
– 191 |
– 13,7% |
Rep |
5 501 |
5 203 |
5 277 |
5 060 |
– 441 |
– 8,0 % |
Total Rep et Rep+ |
6 900 |
6 542 |
6 534 |
6 268 |
– 632 |
– 9,2% |
Total hors Rep et Rep+ |
52 884 |
52 893 |
50 582 |
49 718 |
– 3 166 |
– 6,0% |
Total global |
59 784 |
58 862 |
57 326 |
55 986 |
– 3 798 |
– 6,4 % |
Source : commission des finances d’après la direction académique des services de l’éducation nationale de Meurthe-et-Moselle.
évolution du nombre d’écoles du premier degré public
en meurthe-et-moselle
|
Constat rentrée |
Évolution de la rentrée 2021 à la rentrée 2024 |
||||
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Écoles |
En % |
|
Rep+ |
13 |
13 |
13 |
13 |
= |
|
Rep |
42 |
41 |
42 |
42 |
= |
|
Total Rep et Rep+ |
55 |
54 |
55 |
55 |
= |
|
Total hors Rep et Rep+ |
511 |
503 |
495 |
478 |
– 33 |
– 6,5% |
Total global |
566 |
557 |
550 |
533 |
– 33 |
– 5,8 % |
Source : commission des finances d’après la direction académique des services de l’éducation nationale de Meurthe-et-Moselle.
En ce qui concerne les fermetures de classes, le nombre de classes a baissé de 4,5 % hors éducation prioritaire entre la rentrée 2021 et la rentrée 2024, alors que le nombre d’élèves baissait de 6 %, soit un écart de 1,5 point. Le nombre de classes a baissé en Rep de 3,4 % sur la période, alors que le nombre d’élèves baissait de 8 %, soit un écart de 4,6 points. Le nombre de classes a donc proportionnellement baissé dans des proportions plus significatives hors éducation prioritaire qu’en Rep. Par contre, le nombre de classes de Rep+ a baissé de 14,9 % entre la rentrée 2021 et la rentrée 2024, chiffre légèrement supérieur à la baisse du nombre d’élèves en Rep+, qui était de 13,7 %.
évolution du nombre de classes du premier degré public
en MEURTHE-ET-MOSELLE
|
Constat rentrée |
Évolution de la rentrée 2021 à la rentrée 2024 |
||||
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Classes |
En % |
|
Rep+ |
87 |
84 |
80 |
74 |
– 13 |
– 14,9% |
Rep |
319 |
314 |
313 |
308 |
– 11 |
– 3,4 % |
Total Rep et Rep+ |
406 |
398 |
393 |
382 |
– 24 |
– 5,9% |
Total hors Rep et Rep+ |
2 352 |
2 349 |
2 308 |
2 245 |
– 107 |
– 4,5% |
Total global |
2 758 |
2 747 |
2 701 |
2 627 |
– 131 |
– 4,7 % |
Source : commission des finances d’après la direction académique des services de l’éducation nationale de Meurthe-et-Moselle.
Il convient aussi de souligner que le dédoublement des classes de grande section a pu conduire à augmentation des effectifs des classes de petite section et de moyenne section, même si cela ne transparaît pas dans les moyennes nationales ([21]). De plus, le SNALC souligne que, « dans beaucoup d’écoles, le dédoublement a eu un effet domino sur l’organisation des autres classes, menant à la création de classes à niveaux multiples ou surchargeant certaines classes », ce qui est particulièrement sensible dans les écoles de taille réduite. Il est même arrivé que des doubles niveaux soient créés avec des élèves concernés par les classes dédoublées. Le rapporteur spécial tient à alerter sur les conséquences d’une surcharge des effectifs de classes de petite section et de moyenne section causée par le dédoublement des classes de grande section pour les plus jeunes enfants, qui ont besoin d’un accompagnement humain renforcé. La mise en œuvre de la politique de dédoublement dans les classes de grande section en éducation prioritaire ne doit pas se faire au détriment de l’organisation des autres classes de maternelle.
En ce qui concerne plus spécifiquement les écoles rurales, les études de la DEPP montrent que, « sous l’angle de la taille des classes, ces écoles ne semblent pas avoir été désavantagées par les mesures pour l’éducation prioritaire » ([22]) . Ainsi, le nombre moyen d’élèves par classe dans des écoles publiques préélémentaires situées en zone rurale est passé de 23,4 élèves par classe en 2016 à 21,7 élèves par classe en 2023. Pour l’enseignement élémentaire, il est passé de 22,6 élèves par classe à 21,4 élèves par classe. Toutefois, le nombre d’élèves par classe a baissé beaucoup plus fortement et rapidement en Rep et Rep+, comme l’indique le tableau ci-après :
Évolution du nombre d’élèves par classe selon les zones géographiques
Enseignement public |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
|
Niveau préélémentaire |
Éducation prioritaire |
23,1 |
22,9 |
22,8 |
22,4 |
21,3 |
19,9 |
19,3 |
18,7 |
Public rural hors éducation prioritaire |
23,4 |
23,1 |
23,0 |
22,8 |
22,1 |
22,0 |
21,8 |
21,7 |
|
Public urbain hors éducation prioritaire |
25,5 |
25,3 |
25,3 |
25,1 |
24,4 |
23,9 |
23,6 |
23,4 |
|
Niveau élémentaire |
Éducation prioritaire |
22,6 |
21,1 |
18,4 |
16,9 |
16,8 |
16,7 |
16,7 |
16,8 |
Public rural hors éducation prioritaire |
22,6 |
22,4 |
22,4 |
22,2 |
21,8 |
21,7 |
21,6 |
21,4 |
|
Public urbain hors éducation prioritaire |
24,4 |
24,3 |
24,3 |
24,1 |
23,8 |
23,5 |
23,3 |
23,1 |
Source : données associées à la note d’information de la DEPP 24-01,https://www.education.gouv.fr/taille-des-classes-du-premier-degre-une-septieme-annee-de-baisse-consecutive-380577.
Si les écoles rurales ne semblent pas avoir été désavantagées par la politique de dédoublement des classes, elles n’en ont pas profité, alors que certaines connaissent des difficultés comparables à celles des écoles situées en Rep et Rep+. Cette situation est due au fait que le dispositif Rep et Rep+, de par sa configuration, concerne principalement des zones urbaines ([23]). La construction de la carte des Rep et des Rep+ est fondée sur les caractéristiques des collèges dont les écoles relèvent et provoque le phénomène des écoles « orphelines ». Il s’agit d’écoles dont les élèves connaissent des difficultés sociales équivalentes à ceux de l’éducation prioritaire mais qui sont sectorisés sur un collège non classé Rep+ ou Rep. La mission « Territoires et réussite », qui a rendu en 2019 son rapport au ministre de l’Éducation nationale, estimait que ce phénomène concernait 471 écoles scolarisant 55 126 élèves. Si, la majorité des écoles orphelines est située dans une commune urbaine (surtout dans un quartier labellisé « politique de la ville »), 20 % sont situées dans l’espace rural, principalement en rural éloigné ([24]).
La mauvaise adéquation de la carte de l’éducation prioritaire aux difficultés sociales des territoires ne concerne pas tant le réseau des Rep+ (qui recoupe à 93 % celui des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou de leur immédiate proximité) que celui des Rep. Dans son rapport de 2025, la Cour des Comptes indique que « des écoles et collèges aux indicateurs désormais dégradés figurent en dehors de la carte quand d’autres, situés dans des quartiers gentrifiés, bénéficient de moyens superflus » ([25]). 745 écoles publiques avec un indice de position sociale ([26]) inférieur à 80 sont hors des réseaux de l’éducation prioritaire alors que 632 écoles avec un indice de position sociale supérieur à 90 sont en éducation prioritaire ([27]). Cette situation doit être mise en relation avec les évolutions socio-économiques des territoires, qui se caractérisent notamment par une dissémination territoriale de la précarité dans le rural isolé ([28]).
B. des zones rurales défavorisées, lorsqu’elles sont éloignées des métropoles
Certains territoires ruraux (isolés ou marqués par une crise économique) voient se cumuler des difficultés sociales qui peuvent avoir des effets scolaires ([29]). De plus, l’indice de position sociale des élèves est plus bas dans les petites villes et bourgs et dans les zones rurales peu denses éloignées des métropoles qu’ailleurs. Une étude de la DEPP portant sur les élèves entrés en sixième en 2018 montre que l’indice de position sociale moyen est d’environ 99 pour les élèves qui résident dans une commune rurale éloignée très peu dense ou peu dense et qu’il est même inférieur pour ceux qui résident dans un bourg ou dans une petite ville (tout en restant supérieur à 90). Par contre, il est supérieur à 100 pour les élèves qui résident dans une commune urbaine périphérique peu dense, une commune urbaine dense ou une commune urbaine très dense. Cette différenciation socio-économique reflète la proximité des grandes villes, qui sont plus dynamiques en termes de créations d’emplois et concentrent les fonctions d’encadrement et à forte valeur ajoutée. Les familles de milieux sociaux favorisés y sont sur-représentées.
indice de position sociale des élèves entrés en sixième en 2018
selon la commune de résidence
Source : Note d’information de la DEPP n°19-35, octobre 2019, p. 3.
Or le contexte socio-économique (avec d’autres facteurs, comme les conditions d’accès à l’offre scolaire) a un effet sur les parcours scolaires des élèves. Sur ce point, les territoires ruraux montrent des différences par rapport aux zones urbaines, qui sont actuellement insuffisamment prises en compte par les pouvoirs publics. Ainsi, pour une même cohorte d’élèves entrés en sixième en 2007, la DEPP a constaté que, neuf ans après, 46 % des élèves issus des communes rurales éloignées très peu denses avaient obtenu un baccalauréat général ou technologique alors que ce chiffre montait à 60 % pour les élèves issus d’une commune urbaine très dense ([30]). La corrélation entre réussite scolaire et scolarisation dans une zone urbaine a été confirmée récemment par une étude économétrique de la Cour des Comptes.
Étude économétrique de la Cour des Comptes sur les déterminants
de la progression des élèves en CP
Cette étude est basée sur les évaluations nationales réalisées par la DEPP en début de CP et de CE1. Elle mesure la progression de quatre cohortes d’élèves métropolitains (entrés en CP entre 2019 et 2022), et la confronte à plusieurs facteurs, comme l’indice de position sociale de l’école, le classement en Rep ou Rep+ de l’école ou le type de commune (allant du rural éloigné peu dense à l’urbain très dense). À partir de ces résultats, chaque élève se voit attribuer un « rang » correspondant à la note totale qu’il a obtenue, en mathématiques comme en français. En différenciant le rang obtenu en CE1 de celui obtenu en CP, l’étude permet de mesurer objectivement la progression (ou la régression) de l’élève par rapport à l’ensemble de ses camarades durant l’année de CP. Il s’agit d’une analyse de la progression des élèves, et non de leur niveau, ce qui vise à annuler autant que possible des effets difficilement quantifiables, liés à l’histoire familiale des enfants.
Par sa nature, cette étude ne peut pas comporter un groupe de contrôle valide, ce qui empêche d’établir des liens de causalité entre ces facteurs et la progression des élèves. Toutefois, elle permet de révéler certaines corrélations.
Ainsi, l’enseignement prioritaire et le milieu urbain sont associés à une meilleure progression, et ce de manière plus forte en mathématiques qu’en français. Ces corrélations sont néanmoins plus faibles que celle qui lie l’indice de position sociale et la progression. Enfin, les élèves des écoles les plus rurales progressent relativement moins que ceux des écoles citadines.
Pour le français, le coefficient de corrélation du modèle utilisé par la Cour des Comptes est de :
– 0,056 pour le type de commune (marge d’erreur de ± 0,008) ;
– 0,0697 pour l’indice de position sociale (marge d’erreur de ± 0,0013) ;
– 0,45 pour le classement en Rep+ (marge d’erreur de ± 0,09) ;
– 0,72 pour le classement en Rep (marge d’erreur de ± 0,07).
Pour les mathématiques, le coefficient de corrélation du modèle utilisé par la Cour des Comptes est de :
– 0,127 pour l’indice de position sociale (marge d’erreur de ± 0,002) ;
– 0,212 pour le type de commune (marge d’erreur de ± 0,011) ;
– 1,26 pour le classement en Rep+ (marge d’erreur de ± 0,11) ;
– 1,26 pour le classement en Rep (marge d’erreur de ± 0,08).
Source : Cour des Comptes, L’enseignement primaire. Une organisation en décalage avec les besoins de l’élève, mai 2025, p.115-120.
Pour le rapporteur spécial, de telles données démontrent bien la nécessité de réinvestir des moyens éducatifs dans la ruralité, au bénéfice des élèves et de l’attractivité des territoires ruraux.
C. une politique qui renforce la rigidification de la carte de l’éducation prioritaire et entrave la réallocation des moyens
La situation actuelle appelle une réponse politique d’autant plus rapide qu’il n’existe pas à proprement parler de politique scolaire rurale spécifique ([31]) et que les instruments existants sont insuffisants pour remédier aux problèmes. Pour répondre aux besoins particuliers d’établissements situés en dehors de l’éducation prioritaire, certains dispositifs ont été mis en place, comme les territoires éducatifs ruraux (TER) ([32]). La mise en place des TER a débuté en 2021 dans quelques académies (dont l’académie de Nancy-Metz), avant d’être étendue. Chaque TER repose sur un réseau constitué d’au moins un collège et des écoles qui lui sont rattachées, dans un bassin de vie. Si ce dispositif se rapproche, par ses objectifs, des cités éducatives situées en zone urbaine, il est loin d’avoir les mêmes moyens : selon la Cour des Comptes, environ 90 000 euros sont attribués pour trois ans à un territoire éducatif rural contre un million d’euros pour une cité éducative ([33]).
La carte de l’éducation prioritaire n’a pas été revue depuis 2015 et son actualisation est désormais indispensable au vu des dynamiques socio-territoriales récentes. La révision opérée il y a une décennie s’est appuyée sur l’indice social unique, construit à partir des données récoltées au collège, faute de données disponibles pour les écoles.
Les écoles ont été labellisées Rep ou Rep+ (ou hors éducation prioritaire) « selon une logique de réseau, c’est-à-dire selon la labellisation du collège auquel elles sont rattachées » ([34]). Les magistrats financiers dressent le constat suivant de ce système de rattachement des écoles aux collèges pour la labellisation en éducation prioritaire : « Cette modalité de labellisation a entraîné des situations d’écoles dites “orpheline” qui ne bénéficient pas du classement en éducation prioritaire alors même que la réalité sociologique de leur public le justifierait. Ce choix revient donc à exclure du système des élèves qui en auraient besoin » ([35]).
Pour résoudre le problème des écoles « orphelines », notamment en zone rurale, il est nécessaire refondre cette carte en s’appuyant sur de nouveaux critères. Il faut passer à un système de labellisation des écoles fondé sur leurs caractéristiques sociales et économiques propres (et non celles du collège auquel elles sont rattachées).
Cette refonte doit aussi s’appuyer sur un indice d’éloignement fondé sur la distance des élèves à l’égard des établissements scolaires, de manière à renforcer l’inclusion des territoires ruraux dans les réseaux de l’éducation prioritaire.
Le rapporteur spécial considère que cette refondation de la carte scolaire est indispensable pour mieux prendre en considération les besoins de l’école rurale. Un système de labellisation des écoles fondé sur leurs caractéristiques propres permettrait de cibler plus finement les établissements scolaires dont les difficultés nécessitent un appui particulier au titre de la politique de l’éducation prioritaire.
Recommandation°n° 2 : Réviser la carte de l’éducation prioritaire en passant à un système de labellisation des écoles fondé sur leurs caractéristiques sociales et économiques propres et en prenant en compte un indice d’éloignement.
La Cour des Comptes relève que la carte de l’éducation prioritaire s’est figée sous l’effet des avantages indemnitaires associés à l’enseignement en REP+ et de la politique de dédoublement (qui a souvent occasionné des travaux de réaménagement dans les écoles) ([36]). La Cour souligne que, le dédoublement, plébiscité par les équipes et les familles, « a désormais tendance à être considéré comme un acquis, indépendamment de l’inflexion des pratiques pédagogiques, qui est limitée, et des résultats » ([37]).
Cette rigidification de la carte de l’éducation prioritaire entrave la réallocation des moyens, au détriment notamment de zones rurales en difficulté qui ne sont absolument pas comprises aujourd’hui dans la carte de l’éducation prioritaire, faisant fi des difficultés rencontrées par les élèves vivant dans la ruralité.
Le rapporteur spécial estime que cette rigidité est en contradiction directe avec l’article L. 111-1 du code de l’éducation, dont le cinquième alinéa prévoit que « La répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique, territoriale et sociale ».
La politique d’attractivité mise en place en Rep+ contribue à rendre les postes en zone rurale isolée peu attractifs. Au sein de la plupart des académies, les postes situés dans les campagnes enclavées apparaissent aujourd’hui plus difficiles à pourvoir que ceux des Rep+, lesquels sont assortis de primes substantielles et souvent situés dans des métropoles ([38]). Par exemple, dans certaines académies comme celle de Montpellier, le rehaussement des indemnités spécifiques en Rep+ a eu des effets positifs sur les vœux d’affectation des enseignants en Rep+ et les a incités à rester en Rep+. Mais cet effet s’est produit au détriment d’autres postes, notamment situés dans des territoires isolés ([39]). Bien qu’il soit souhaitable de favoriser l’attractivité de l’école urbaine, cela ne peut pas se faire au détriment de l’attractivité de la ruralité.
Pour favoriser le renouvellement des équipes ainsi que le renouveau des pratiques éducatives et pédagogiques, le rapporteur spécial juge utile de mettre en place des mesures de sortie progressive des enseignants de l’éducation prioritaire. La fixation d’une durée maximale d’enseignement de dix ans en Rep et Rep+ constitue une piste à étudier pour concilier les bienfaits de l’expérience enseignante, et les méfaits d’une rigidification, qui nuirait à l’ensemble de la communauté éducative et aux élèves.
Recommandation n° 3 : Prévoir des mesures de sortie progressive de l’éducation prioritaire avec, notamment, la fixation d’une durée maximale d’enseignement de dix ans en Rep et Rep+.
D. un oubli d’autant plus grave que les zones rurales sont fragilisées par les fermetures de classes
L’action publique est d’autant plus urgente que le maillage scolaire en zone rurale est fragilisé par les fermetures de classes. Si les observatoires départementaux des dynamiques rurales lancés en 2023 visent à faciliter les échanges entre les services de l’éducation nationale, les préfectures et les collectivités territoriales, il est nécessaire d’aller plus loin.
Les observatoires des dynamiques rurales
Les observatoires des dynamiques rurales, mis en place en octobre 2023, sont présidés conjointement par l’inspecteur d’académie - directeur académique des services de l’éducation nationale (IA-DASEN) et le préfet. Ils se réunissent au moins une fois par an.
Ils visent à faciliter les échanges entre les services de l’éducation nationale, les préfectures et les collectivités territoriales. Ils doivent notamment permettre d’avoir une visibilité à moyen terme sur les évolutions démographiques attendues dans les territoires
ruraux et d’ anticiper les évolutions de la carte scolaire.
Ils ont plusieurs missions :
– partager des constats objectivés sur les dynamiques territoriales (évolutions démographiques, scolaires, économiques...) ;
– identifier et mettre en œuvre des actions nouvelles ou éprouvées, en lien avec les besoins locaux ;
– favoriser la cohérence des politiques publiques éducatives, en lien avec les préfectures, les collectivités, les organismes sociaux et de santé, etc. ;
– anticiper les évolutions, à court et moyen termes, pouvant avoir un effet sur l’organisation des services éducatifs (internats d’excellence, carte scolaire…).
Selon les informations communiquées au rapporteur spécial par la DGESCO, au printemps 2024, seuls 86 % des départements disposaient d’un observatoire des dynamiques rurales. En février 2025, la mise en œuvre des observatoires des dynamiques rurales était achevée ou en voie d’achèvement dans la plupart des départements (à l’exception de Paris, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et des Hauts de Seine).
Les menaces de fermetures de classes ne peuvent que renforcer le déficit d’attractivité de certaines zones pour les enseignants. Elles impactent également négativement l’équipe pédagogique en place car, comme le souligne le SNALC, « les fermetures entraînent toujours la surcharge des autres classes ». Dans ces conditions, la répartition des élèves est plus compliquée et peut conduire à créer des classes multi-niveaux, ce qui complexifie la gestion de l’école. La situation est particulièrement tendue en zone rurale. En effet, les classes multi-niveaux ne sont généralement pas des « classes bucoliques avec 10 élèves et 6 niveaux de classe », pour reprendre l’expression du SNALC, mais bien plus souvent des classes à 3 ou 4 niveaux comprenant jusqu’à 27 élèves. Fermer une classe dans un établissement scolaire revient donc à surcharger les classes restantes, au détriment direct de la qualité de l’enseignement pour les élèves, de la qualité de travail des enseignants et du climat scolaire plus généralement.
Le rapporteur spécial a découvert avec surprise et même effarement au cours de ses travaux, l’absence d’évaluation de l’impact des fermetures de classes. La DGESCO lui a indiqué qu’« il n’existe pas d’indicateur permettant d’étudier les effets des fermetures de classes sur les taux d’encadrement » et qu’aucune étude n’a été effectuée pour déterminer si les fermetures de classes avaient un impact sur la transmission des savoirs fondamentaux et la gestion de classe par les enseignants, sur les résultats des élèves ou encore sur le climat scolaire. Cette lacune est d’autant plus grave que les parcours scolaires des élèves en zone rurale sont moins favorisés que ceux des élèves résidant à proximité des métropoles ou dans ces métropoles, comme le montrent les travaux de la DEPP. Le rapporteur spécial souhaite donc que la DEPP se voie confier le soin de réaliser une étude sur ces questions. Il n’est pas acceptable qu’aucune étude, ni en amont, ni en aval, ne soit réalisée pour évaluer l’impact des fermetures de classes.
Recommandation n° 4 : Confier à la DEPP la réalisation d’une étude portant sur l’impact des fermetures de classes sur le taux d’encadrement des élèves, la transmission des savoirs fondamentaux, les résultats des élèves et le climat scolaire.
Le rapporteur spécial rappelle que l’école est souvent l’un des derniers services publics qui restent dans une commune. Le maintien d’un nombre de classes suffisant pour garantir la qualité des conditions d’apprentissage est nécessaire au maintien de son attractivité et donc de l’attractivité de la commune. En outre, l’absence de visibilité sur la carte scolaire et les décisions brutales de fermetures de classes peuvent déstabiliser les dynamiques de développement mises en place par les maires (comme la construction d’un lotissement) et remettre en cause les investissements consentis pour l’amélioration du bâti scolaire. D’ailleurs, dans la contribution écrite qu’elle a fait parvenir au rapporteur spécial, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité dénonce le fait que « les décisions des directeurs académiques ne tiennent pas suffisamment compte des perspectives de développement des communes ainsi que des spécificités locales, qu’elles soient géographiques, économiques ou sociales ». Elle rappelle que les maires « ont besoin de visibilité et de garanties pour pouvoir engager plus sereinement des investissements visant à sécuriser et moderniser les écoles dans le contexte de la transition énergétique et climatique, du développement des outils numériques, de l’accueil des enfants en situation de handicap et de la continuité éducative ».
C’est pourquoi le rapporteur spécial propose d’instaurer un moratoire sur les fermetures de classes en attendant la révision de la carte scolaire de l’éducation prioritaire. Après la refonte de la carte de l’éducation prioritaire, la révision de la carte scolaire devra se faire dans des conditions qui garantissent une prévisibilité aux collectivités territoriales, aux équipes et aux parents. Le rapporteur spécial recommande d’organiser les opérations de carte scolaire du premier degré selon un rythme triennal, comme l’a proposé son collègue Roger Chudeau, dans sa proposition de résolution relative à l’école rurale du 19 mars 2024 ([40]).
Recommandation n° 5 : Instaurer un moratoire sur les fermetures de classes en attendant la révision de la carte scolaire de l’éducation prioritaire puis, après la révision de cette carte, organiser les opérations de carte scolaire du premier degré selon un rythme triennal.
Lors de sa réunion de 15 heures, le mercredi 18 juin 2025, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial des crédits de la mission Enseignement scolaire, sur son rapport d’information sur l’impact de la politique du dédoublement et de la fermeture de classes dans l’enseignement public du premier degré, présenté en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale.
M. le président Éric Coquerel. Notre ordre du jour appelle l’examen des différents thèmes d’évaluation retenus par les rapporteurs spéciaux dans le cadre du Printemps de l’évaluation. M. Anthony Boulogne, en tant que rapporteur spécial de la mission Enseignement scolaire, a choisi comme thème d’évaluation l’impact de la politique du dédoublement et de la fermeture de classes dans l’enseignement public du premier degré.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial de la mission Enseignement scolaire. Permettez-moi, en guise de préambule, de rappeler les éléments qui ont motivé le choix de ce thème d’évaluation. Le code de l’éducation, en son article L. 111-1, précise que « Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative ». À ce titre, le ministère de l’éducation nationale assure une juste répartition des moyens alloués aux élèves en tenant compte « des différences de situation, notamment en matière économique, territoriale et sociale ».
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’éducation prioritaire, qui se donne pour objectif principal d’assurer les conditions réelles d’une égalité des chances entre tous les élèves, qu’ils soient favorisés ou défavorisés, urbains ou ruraux. Au regard du travail que j’ai mené dans le cadre du Printemps de l’évaluation, force est de constater que les dispositifs de l’éducation prioritaire, ne répondent que partiellement aux objectifs qui leur ont été fixés, en excluant largement la ruralité du bénéfice des mesures. La politique menée tend à rigidifier la carte de l’éducation prioritaire, empêchant de fait toute réallocation des moyens au profit des territoires ruraux, eux aussi en difficulté. En conséquence, le rapport que je présente propose des pistes de réforme et d’amélioration pour mieux prendre en considération les besoins éducatifs des élèves situés dans des territoires en difficulté.
Mesure phare de l’éducation prioritaire, initiée en 2017 sous l’impulsion du Président de la République, la politique de dédoublement des classes visait à limiter à douze élèves les effectifs des classes de CP et CE1 au sein des établissements scolaires en réseau d’éducation prioritaire (REP) et REP+. Cette mesure a depuis été élargie aux classes de grande section de maternelle. L’objectif poursuivi par le dédoublement est clair : améliorer l’accompagnement des élèves en difficulté en limitant la taille de leur classe et ainsi réduire les écarts de résultats avec le reste de la population scolaire.
En dépit des promesses gouvernementales et d’un surcoût en emplois estimé par la Cour des comptes à 800 millions d’euros par an pour 16 000 équivalents temps plein (ETP), le dédoublement n’est toujours pas effectif dans de nombreuses classes. Les représentants du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc) nous ont alertés sur des cas de classes dédoublées comptant jusqu’à 16 élèves dès la rentrée, du fait du manque d’enseignants.
Concrètement, les établissements ont dû, pour dédoubler les classes, réutiliser des salles non prévues pour l’enseignement, séparer en deux des salles par une cloison, ou installer des constructions modulaires pour accueillir les élèves. Certains établissements ont été contraints d’installer deux classes dans la même salle, engendrant ainsi des tensions entre les enseignants. En outre, le dédoublement en grande section de maternelle a parfois conduit à surcharger les classes des petites sections. À l’évidence, le caractère artisanal de la mise en œuvre du dédoublement par le ministère n’est pas à la hauteur des enjeux éducatifs de cette politique.
L’efficacité d’une politique publique se mesurant à ses résultats, intéressons-nous maintenant aux effets du dédoublement sur la réussite des élèves. Cette politique s’avère bénéfique à court terme pour la progression des élèves, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) ayant démontré que les élèves ayant bénéficié du dédoublement ont progressé davantage que ceux qui n’en ont pas bénéficié. On enregistre ainsi une diminution des écarts de performances en français et en mathématiques au bénéfice des élèves de l’éducation prioritaire. Cependant, les bénéfices apportés par le dédoublement sont temporaires et tendent à disparaître lors du retour en classe pleine en CE2. Les progrès s’estompent et les écarts de performances se creusent de nouveau entre les élèves en éducation prioritaire et le reste des élèves.
La rigidité de la carte de l’éducation prioritaire a été évoquée de manière récurrente lors de nos auditions. Cette carte, qui détermine les établissements scolaires bénéficiant de l’éducation prioritaire, n’a fait l’objet d’aucune révision depuis 2015, faisant fi des évolutions socio-économiques. De nombreuses écoles présentant un indice de position sociale des élèves (IPS) faible ne sont pas intégrées au sein des REP. On parle d’écoles orphelines, dont les élèves connaissent pourtant des difficultés sociales équivalentes à ceux de l’éducation prioritaire. Selon le rapport de la mission Territoires et réussite rendu en 2019, le phénomène des écoles orphelines concernait 471 écoles, dont 20 % sont situées en zone rurale, principalement en rural éloigné.
Plus que d’une mise à jour, la carte de l’éducation prioritaire a besoin d’une révision pour la rendre plus juste. À cet égard, il importe, premièrement, d’en finir avec le système de rattachement des écoles aux collèges pour la labellisation de l’éducation prioritaire, qui ne prend absolument pas en considération les caractéristiques sociales et économiques des écoles rattachées au réseau et empêche d’identifier individuellement les écoles nécessitant un appui spécifique. Deuxièmement, il est indispensable que la politique d’éducation prioritaire réponde aux difficultés bien réelles de la ruralité. Or, nous en sommes loin.
Selon les chiffres de la Cour des comptes, 99 % des collèges REP+ et 81,5 % des collèges REP sont situés à proximité d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Toujours selon la Cour des comptes, trente-et-un départements plutôt ruraux n’ont aucun collège REP+ et on ne compte plus que neuf REP ruraux, dont aucun n’est renforcé. L’orientation urbaine de cette politique traduit certes une concentration des difficultés sociales dans certains quartiers et zones urbaines, mais il demeure primordial que les moyens puissent être réorientés pour mieux prendre en charge les difficultés des territoires ruraux.
Il ne s’agit nullement de démanteler la politique d’éducation prioritaire, ni de supprimer les dépenses d’éducation en faveur des quartiers et zones urbaines pour les transférer vers les campagnes. Il convient plutôt, et mon rapport s’y emploie, de distinguer les territoires qui bénéficient légitimement de moyens supplémentaires d’éducation en raison de leurs difficultés, ceux qui n’ont plus besoin de ce soutien, et enfin les zones aujourd’hui exclues qui doivent faire l’objet d’un soutien accru de l’État.
Rénover la politique d’éducation prioritaire en prenant en considération les besoins de la ruralité permet de répondre à deux défis majeurs. Le premier concerne l’attractivité du métier d’enseignant en zone rurale. La Cour des comptes constate un écart important en matière d’attractivité pour les postes en REP+. Dans le même temps, les établissements situés dans le rural isolé font face à un déficit de candidatures. Cette situation s’explique par les avantages matériels accordés à l’éducation prioritaire : rémunération accrue et moyens d’enseignement plus importants. L’effet cumulé de l’ensemble des dispositifs favorables à l’exercice en éducation prioritaire rend difficile une sortie du système pour les enseignants qui en bénéficient. Le système actuel empêche donc la réallocation des moyens au profit d’établissements en difficulté et ne favorise aucunement le renouvellement des équipes pédagogiques.
Le second défi de l’école rurale concerne la réussite scolaire des jeunes. Plusieurs études mettent en lumière des écarts marqués en termes de parcours scolaire entre le milieu rural et le milieu urbain. La réforme de l’éducation prioritaire doit permettre de réduire cet écart en réallouant des moyens supplémentaires pour la ruralité. Je souligne que le tissu éducatif rural est également lourdement impacté par les fermetures de classes qui entraînent une surcharge des classes restantes. Ne bénéficiant pas des moyens de l’éducation prioritaire, certaines écoles rurales se retrouvent avec des effectifs surchargés. Cette conséquence directe des fermetures de classes, souvent déconnectées des réalités locales, met à mal les dynamiques de développement mises en place par les maires. J’insiste sur le fait qu’aucune étude n’a été réalisée sur les conséquences des fermetures de classes, que ce soit sur le taux d’encadrement des élèves, la transmission des savoirs fondamentaux, les résultats des élèves ou le climat scolaire. Il est inacceptable que des classes continuent à être fermées sans que l’on mesure les conséquences de ces décisions pour les élèves et pour les enseignants.
J’en viens aux recommandations formulées dans le cadre de ce rapport. Premièrement, il est urgent de renforcer la formation de nos enseignants sur les spécificités de l’enseignement en classe dédoublée, en insistant particulièrement sur la maîtrise des savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter.
Deuxièmement, la carte de l’éducation prioritaire doit être révisée en passant à un système de labellisation des écoles fondé sur leurs caractéristiques sociales et économiques propres, et en prenant en compte un indice d’éloignement pour mieux inclure la ruralité.
Troisièmement, il nous semble nécessaire, dans l’attente de cette révision, d’instaurer un moratoire sur les fermetures de classes pour éviter les fermetures brutales qui touchent de nombreuses communes, notamment rurales. Il faut organiser les opérations de carte scolaire du premier degré selon un rythme triennal.
Quatrièmement, prévoir des mesures de sortie progressive des enseignants de l’éducation prioritaire constitue également une idée de bon sens. Une piste à explorer consiste à fixer une durée maximale d’enseignement de dix ans en REP et REP+.
Enfin, il est essentiel que les décideurs publics puissent disposer d’informations précises sur l’impact des fermetures de classes. Je propose ainsi que la réalisation d’une telle étude soit confiée à la Depp.
M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial. Je partage votre position concernant la nécessité d’un moratoire sur les fermetures de classes, problématiques non seulement dans les départements ruraux, mais également dans tous les départements qui souffrent d’inégalités, comme la Seine-Saint-Denis dont je suis issu.
Votre rapport présente une appréciation assez négative des dédoublements de classes, en dépit de l’existence d’études scientifiques qui démontrent l’inverse, à l’image de celles menées par Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire.
Vous signalez d’abord que le dédoublement ne permet pas aux élèves concernés d’atteindre des résultats aux évaluations aussi élevés que ceux des élèves hors éducation prioritaire. Pourtant, vous rappelez bien que les élèves ayant bénéficié du dédoublement ont progressé davantage que ceux scolarisés dans des écoles aux caractéristiques sociales et scolaires similaires, mais ne bénéficiant pas du dédoublement. On peut donc supposer que, sans ce dispositif, l’écart entre éducation prioritaire et hors éducation prioritaire aurait été plus important.
Ensuite, vous mettez en avant des difficultés liées au retour à des classes d’effectifs ordinaires en CE2. Sur ce point précis, ne pensez-vous pas que ce constat s’explique plutôt par un manque d’enseignants et donc par un nombre d’élèves par classe trop important ? Je rappelle que la France n’est vraiment pas parmi les pays les mieux classés de l’OCDE à ce niveau, ni même parmi les pays de l’Union européenne.
Vous considérez par ailleurs que le dédoublement de classes se fait au détriment des écoles rurales. Sur ce point, nos analyses divergent. Je ne crois pas, pour ma part, qu’il soit judicieux d’opposer ainsi écoles rurales et urbaines. La difficulté réside plutôt dans le fait que le Gouvernement a tenté de réduire au maximum le coût de ce dispositif et a diminué les moyens de l’Éducation nationale. Je rappelle qu’en tenant compte de l’inflation, le budget de l’éducation nationale a diminué de 1,4 milliard d’euros entre la loi de finances pour 2023 et la loi de finances pour 2024, et que 3 786 postes ont été supprimés en 2024. Ne faudrait-il pas, au contraire, encourager le dédoublement tout en réduisant le nombre d’élèves par classe dans l’ensemble du territoire ?
Ma deuxième question porte sur le coût du dispositif. Vous considérez qu’il s’agit d’une politique coûteuse, puisque la Cour des comptes a estimé son coût à 800 millions d’euros par an. Pourtant, une note du Conseil d’analyse économique de mai 2023 présente une estimation de l’efficacité économique des mesures de dédoublement. Elle indique que le dispositif est autofinancé, puisqu’il induit des gains de qualification et donc une hausse des recettes. Pour le secondaire, 1 euro investi engendrerait 7,70 euros de bénéfices futurs pour les jeunes concernés. Au lieu d’être coûteux, ne pensez-vous pas que le dédoublement constitue un investissement rentable ?
Enfin, si je souscris à l’idée d’un moratoire sur la fermeture des classes, je considère que cette question ne saurait être traitée sans s’interroger sur l’attractivité du métier d’enseignant. Je rappelle qu’à la rentrée 2024, il manquait 3 200 enseignants. Je regrette que ce sujet ne soit pas abordé dans votre rapport. La seule réflexion que vous présentez concerne la restauration de l’autorité du maître, et non le statut et les conditions de travail des enseignants, y compris en termes de revenus. Or la rémunération des enseignants français est largement inférieure à celle de leurs homologues étrangers, comme l’a démontré une étude de l’OCDE. Pour renforcer l’attractivité du métier, n’est-il pas plutôt nécessaire d’augmenter leur rémunération ?
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. J’aimerais d’abord préciser que les chiffres mentionnés dans mon rapport sont issus des données officielles de la Depp, notamment d’un rapport datant de 2021. Ce sont sur ces données que se fonde mon constat relatif à l’impact du dédoublement sur les REP+ par rapport aux établissements hors éducation prioritaire.
Je tiens à préciser que mon propos ne consiste pas à remettre en cause le dédoublement des classes en REP et REP+, mais à évaluer les résultats de cette politique au regard de l’investissement fourni, notamment en termes d’acquisition des savoirs fondamentaux dans le premier degré. Je souligne d’ailleurs que son coût, évalué par la Cour des comptes à 800 millions d’euros, n’inclut pas les investissements consentis par les collectivités territoriales.
Ma préoccupation porte sur le fait que les communes rurales et leurs écoles se trouvent désavantagées par ce système de dédoublement. En effet, l’affiliation des écoles se fait par rattachement à un collège, sans considération directe des problématiques spécifiques à chaque établissement. L’IPS est certes pris en compte, mais les facteurs d’éloignement et les difficultés propres à chaque commune et à chaque école sont ignorés. Nous constatons donc une carence manifeste concernant le dédoublement pour la ruralité.
La question de la réallocation des moyens se pose également, puisque la carte de l’éducation prioritaire n’a pas été actualisée depuis 2015. Certaines écoles n’ont peut-être plus vocation à y figurer tandis que d’autres, notamment en zone rurale, devraient y être intégrées. C’est pourquoi nous préconisons une mise à jour de cette carte de l’éducation prioritaire, démarche qui n’est actuellement pas engagée.
Je crois que nous pouvons nous accorder sur un point, monsieur le Président : la rémunération des enseignants représente un facteur déterminant pour l’attractivité des postes. Le métier d’enseignant doit effectivement gagner en attractivité, mais je souligne que, dans le cadre de l’éducation prioritaire, les enseignants bénéficient déjà d’une bonification salariale et de ressources supplémentaires, ce qui renforce l’attractivité des établissements concernés.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ayant consacré vingt-cinq ans de ma carrière aux questions éducatives dans le département de la Marne, je m’étonne, monsieur le rapporteur spécial, que vous n’abordiez pas un sujet essentiel : la problématique du regroupement des écoles, particulièrement en secteur rural.
J’ai parcouru mon département pendant des années pour convaincre les élus que les petites écoles à une ou deux classes ne pouvaient offrir aux élèves une éducation de qualité comparable à celle dispensée dans des groupes scolaires de six à huit classes, dotés d’équipements adaptés. On entretient l’illusion commode qu’il faut maintenir une école dans chaque commune, avec des structures à une ou deux classes. Cette approche est vouée à l’échec et ne garantit pas la qualité des enseignements. Je sais que cette position heurte certaines sensibilités, mais je l’ai défendue, et notre département figure probablement parmi ceux qui ont le plus procédé à des regroupements en zone rurale.
L’un des leviers d’amélioration de l’éducation consiste précisément à avoir le courage d’expliquer cette réalité aux élus et surtout aux parents d’élèves. Dans cette démarche, je me suis particulièrement appuyé sur les mères de famille, qui suivent généralement de plus près la scolarité des enfants et qui ont réussi, dans de nombreux secteurs, à convaincre leurs représentants élus de l’intérêt des regroupements.
Vous évoquez la question des affectations des enseignants. Mon expérience m’a démontré que les regroupements favorisent justement la stabilité des équipes pédagogiques, contrairement aux écoles à une ou deux classes. J’ai toujours été frappé par l’absence de politique nationale de regroupement des écoles. Actuellement, ces initiatives relèvent d’inspecteurs d’académie en coordination avec les départements et les intercommunalités, mais demeurent des démarches locales. Ne serait-ce pas un facteur déterminant pour améliorer la qualité de l’enseignement en zone rurale ?
Les écoles REP en zone rurale sont peu nombreuses, certes, mais elles existent – il y en a d’ailleurs une dans mon canton. L’IPS de ces écoles est d’ailleurs du même ordre que dans les écoles REP des zones urbaines. À cet égard, il convient de s’interroger sur la taille des classes. Certains experts affirment qu’il n’y a pas de différence significative sur les résultats scolaires pour des classes comptant entre dix et vingt élèves. En-dessous de ce seuil, on observerait des effets positifs et au-dessus, des effets négatifs. Si cette assertion s’avère fondée, il conviendrait de repenser notre organisation.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. La question des regroupements dépasse le périmètre de mon rapport, mais constitue effectivement une problématique majeure pour nos communes rurales. L’isolement rural pose des défis considérables pour le maintien d’une ou deux classes dans une école de village, avec un impact financier non négligeable pour les communes. Un critère fondamental à prendre en compte est celui du transport scolaire. Nous constatons que les regroupements sont souvent imposés sans considération suffisante du temps de trajet des enfants, ce qui peut affecter leurs capacités d’apprentissage.
À mon sens, une approche différenciée selon les spécificités territoriales s’impose. Je considère que la réorganisation de la carte de l’éducation prioritaire, tenant compte des caractéristiques propres à chaque établissement et de l’IPS, constituerait un instrument pertinent pour évaluer l’opportunité des regroupements. L’intégration du critère d’éloignement, que j’évoque dans mon rapport, s’avère essentielle dans cette réflexion.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Il me paraît essentiel d’associer regroupement et réorganisation du temps scolaire, en remettant notamment en question les pauses méridiennes de deux heures. J’ai personnellement négocié des pauses réduites à une heure quinze, permettant aux enfants de déjeuner sereinement tout en regagnant leur domicile plus tôt. Cette approche ne fait pas l’unanimité, notamment auprès des parents actifs, mais nous avons mis en place dans ces structures intercommunales des espaces d’accueil fonctionnant parfois jusqu’à dix-neuf heures, moyennant une contribution modeste.
C’est l’ensemble du dispositif qu’il convient de repenser. L’objection principale concerne en effet les temps de transport scolaire, déjà problématiques avant tout regroupement. Grâce au système que j’ai instauré, ces délais ont été considérablement réduits, les trajets n’étant plus nécessaires qu’en début et fin de journée, sachant que 90 % des familles optent pour la restauration scolaire.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Je ne suis pas défavorable au principe des regroupements, mais je considère qu’il convient d’examiner leur opportunité au cas par cas, et en tenant compte du critère de l’éloignement. Vous dites que 90 % des familles optent pour la restauration scolaire, il me semble que ce chiffre ne vaut pas dans tous les établissements, ce qui justifie précisément une approche individualisée des regroupements.
M. Alexandre Sabatou (RN). Monsieur le rapporteur spécial, la lecture de votre rapport éclaire parfaitement les raisons pour lesquelles, dans ma circonscription de l’Oise, nous continuons de faire face à des menaces de fermeture de classes. De nombreux habitants des zones rurales ressentent profondément cette impression désagréable que toutes les politiques sont pensées et conçues pour les grandes agglomérations. Ce sentiment d’abandon n’est pas une simple perception subjective, votre rapport confirme qu’il s’agit d’une réalité tangible vécue quotidiennement dans nos villages.
Vous dressez un constat lucide et implacable de la politique de dédoublement des classes en éducation prioritaire : un dispositif coûteux, inéquitable et fondamentalement déconnecté de la réalité de nos territoires ruraux. On invoque l’égalité républicaine, mais dans les faits, nous assistons à l’émergence de deux France : celle des centres urbains qu’on subventionne généreusement et celle des campagnes qu’on sacrifie méthodiquement.
Le plus préoccupant est que, comme trop souvent, cette politique n’a jamais fait l’objet d’une évaluation rigoureuse. Le Gouvernement l’a imposée selon sa méthode habituelle : une gestion technocratique hors-sol, dictée par les tableaux Excel du ministère, sans considération pour les réalités du terrain. Le résultat, que vous exposez clairement, est édifiant : près de 16 000 ETP mobilisés pour un surcoût annuel de 800 millions d’euros. Pour financer ce dispositif essentiellement urbain, on a supprimé dans la précipitation le dispositif « Plus de maîtres que de classes », qui permettait justement un accompagnement plus souple et plus intelligent dans toutes les communes, y compris les plus rurales.
Monsieur le rapporteur, ne pensez-vous pas qu’au lieu de supprimer brutalement ce dispositif, il aurait été judicieux d’en évaluer préalablement les effets afin de déterminer s’il constituait une réponse éducative plus pertinente que le dédoublement ?
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Le rapport établit très clairement que le développement de l’éducation prioritaire en France s’est opéré au détriment de la ruralité. Actuellement, seuls neuf REP existent en milieu rural, ce qui représente une proportion infime. En d’autres termes, 99 % des REP+ sont concentrés dans les QPV ou à proximité des QPV.
Le dispositif « Plus de maîtres que de classes » a été interrompu de façon extrêmement brutale, sans qu’aucune évaluation ne le justifie. Toutefois, la réintroduction d’un tel dispositif impliquerait nécessairement un coût financier significatif, un aspect que nous ne pouvons ignorer dans le contexte budgétaire actuel.
La question fondamentale soulevée par mon rapport se rapporte à la possibilité, pour les zones rurales, de bénéficier d’une attention équivalente à celle portée aux zones urbaines. C’est précisément l’objet de la recommandation numéro deux du rapport, qui propose une modification substantielle de la carte d’éducation prioritaire et l’instauration d’une nouvelle labellisation intégrant pleinement les spécificités rurales.
M. le président Éric Coquerel. Permettez-moi d’intervenir sur un point. Monsieur Sabatou, suggérer l’existence d’une opposition binaire entre départements ruraux et zones urbaines, c’est méconnaître profondément l’hétérogénéité au sein même des départements urbains. Il y a davantage de similitudes entre la Seine-Saint-Denis et certains départements ruraux qu’entre la Seine-Saint-Denis et Paris, par exemple.
J’approuverais volontiers la proposition de M. le rapporteur spécial d’étendre les dispositifs d’éducation prioritaire aux zones rurales, si elle ne supposait pas de réduire les moyens alloués à des départements urbains tout aussi défavorisés. J’entends bien que vous ne proposez pas exactement cela, mais je constate que certains s’efforcent d’opposer entre elles les populations défavorisées, celles des périphéries urbaines et celles des départements ruraux. Je ne peux y adhérer.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Je partage entièrement, monsieur le Président, vos observations concernant cette prétendue opposition entre rural et urbain. Cette dichotomie n’est absolument pas pertinente dans le cadre de notre débat.
Monsieur le rapporteur spécial, votre rapport présente selon moi des lacunes importantes en termes de recommandations, particulièrement concernant les moyens alloués à l’éducation nationale. Ce point constitue véritablement l’enjeu central : les fermetures de classes résultent d’une approche purement comptable, typique de la méthode du Gouvernement, qui privilégie les tableaux Excel au détriment d’une analyse fine des réalités territoriales.
J’aimerais revenir sur le débat concernant les regroupements de classes, à propos duquel je ne peux souscrire à la position de M. le rapporteur général. De nombreuses familles font délibérément le choix de s’installer dans des villages ruraux, souvent parce qu’elles sont contraintes de quitter les grandes métropoles pour des raisons financières. La présence d’une école de proximité, permettant d’accompagner les enfants à pied chaque matin, constitue précisément l’un des facteurs déterminants de cette installation. La fermeture d’une classe ou d’une école représente donc une catastrophe absolue pour ces familles. Sans compter les efforts considérables déployés par les maires de ces communes pour renforcer l’attractivité de leur territoire, efforts anéantis par la disparition de ce qui constitue souvent le dernier service public présent.
La question des transports est également déterminante. Lorsqu’une famille choisit une commune dotée d’une école, c’est aussi pour des raisons pratiques de mobilité. Par ailleurs, la problématique des infrastructures, bien que ne relevant pas directement du périmètre du ministère de l’éducation nationale, mérite une attention particulière. Nous constatons une absence totale de prise en compte des réalités matérielles lors des réorganisations. Lorsqu’on ferme une classe pour, par effet de vases communicants, concentrer davantage d’élèves ailleurs, on néglige souvent la capacité d’accueil des locaux existants. Une classe initialement prévue pour vingt-deux élèves se trouve contrainte d’en accueillir vingt-neuf sans disposer de l’espace nécessaire. Aussi je suggère d’inclure dans vos recommandations, monsieur le rapporteur spécial, un inventaire systématique des infrastructures disponibles préalablement à toute décision de fermeture.
Enfin, et de manière générale, il me paraît essentiel de recommander une approche ascendante plutôt que descendante : abandonner ces réformes imposées d’en haut pour privilégier une construction locale de la carte scolaire, en concertation étroite avec les maires et les parents d’élèves.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Soyons parfaitement clairs : je ne réclame pas la suppression des dispositifs REP+, car certaines écoles en ont manifestement besoin. Je propose plutôt de réallouer certains moyens des réseaux d’éducation prioritaire vers la ruralité qui présente également des besoins spécifiques.
Je rejoins vos observations, madame Feld, sur l’attractivité des territoires ruraux. L’école constitue en effet trop souvent le dernier service public présent dans ces zones, où de nombreuses familles s’installent parce qu’elles sont chassées des centres urbains par le coût de l’immobilier. La présence d’un établissement scolaire participe donc incontestablement à l’attractivité de ces territoires.
Des regroupements ne sauraient être décidés sans un examen des situations au cas par cas, mais la priorité doit rester la préservation des classes dans la ruralité. Parallèlement, il convient d’assurer que les moyens alloués aux écoles REP+ demeurent dans ces établissements, tout en permettant que ceux attribués à certaines écoles REP, qui n’auraient plus vocation à conserver ce statut, puissent être réorientés vers des écoles rurales. Cela nécessiterait d’établir une nouvelle labellisation, établissement par établissement, plutôt que de maintenir le rattachement systématique à un collège.
En termes de transport scolaire et d’éloignement, il est indispensable de limiter au maximum les trajets imposés aux enfants. Un élève qui effectue 45 minutes de transport n’arrive manifestement pas dans les mêmes dispositions d’apprentissage qu’un autre ayant parcouru cinq minutes à pied avec ses parents. Cette différence impacte nécessairement l’acquisition des savoirs fondamentaux, particulièrement déterminante dans le premier degré.
Enfin, les dédoublements de classe ont effectivement un impact sur les infrastructures, mais cet aspect relève principalement de la compétence des collectivités territoriales. Mon rapport se concentre spécifiquement sur les implications budgétaires pour l’État. Je ne dispose pas de données précises sur le coût des mises aux normes et de l’adaptation des locaux. En revanche, j’ai pu relever l’insuffisance d’indicateurs relatifs à ces dédoublements, notamment concernant leur efficacité sur les savoirs fondamentaux.
Mme Céline Hervieu (SOC). Le dédoublement des classes dans l’éducation prioritaire a permis de réduire les effectifs de vingt-quatre à vingt-deux élèves par classe dans l’élémentaire, diminuant ainsi l’écart avec la moyenne européenne qui, je tiens à le rappeler, s’établit à dix-neuf élèves par classe. Cette amélioration résulte directement de la présence d’enseignants supplémentaires devant les élèves.
Au-delà des chiffres, il convient d’examiner les faits. Monsieur le rapporteur spécial, vous dressez manifestement un bilan négatif de cette mesure, alors que plusieurs études ont précisément démontré l’amélioration des conditions d’apprentissage à la faveur du dédoublement. Ces travaux attestent d’un meilleur climat de classe, conduisant à un temps d’exposition aux apprentissages plus important, et d’une réduction sensible de l’écart entre les élèves de l’éducation prioritaire et les autres, notamment en lecture.
Des améliorations sont certes nécessaires : déployer plus efficacement le dispositif, renforcer son pilotage, améliorer la formation pour faire évoluer les pratiques pédagogiques, et s’assurer que les dédoublements sont réellement effectués, c’est-à-dire avec une salle par classe. Ce constat appelle effectivement une analyse nuancée.
Cependant, votre rapport verse, comme à l’accoutumée avec l’extrême-droite, dans la démagogie et le manichéisme en dénigrant une mesure d’égalité des chances. Cette critique ne repose pas sur son inefficacité supposée, mais sur une conception de la politique éducative qui semble opposer les enfants entre eux, comme s’il fallait choisir entre les enfants des villes et ceux des campagnes, entre les enfants des banlieues et les autres.
Alors je tiens à vous rassurer, monsieur le rapporteur spécial : à Paris, 500 postes ont été supprimés en trois ans, et nous avons subi la suppression ou la recentralisation de 180 classes cette année, et ce dans l’académie prétendument la mieux dotée de France. Voyez, la casse de l’école publique se produit également dans les grandes académies, en zone urbaine et à Paris.
Le problème fondamental de l’éducation nationale réside dans l’accumulation de réformes sans réflexion sur leur effectivité ou leur évaluation. Il en va du dédoublement des classes comme des classes de niveau : ces dispositifs sont fondés sur de bonnes intentions, mais ne bénéficient d’aucune mise en œuvre sur le terrain.
Votre approche idéologique de l’éducation ne vous sert qu’à dénigrer l’éducation prioritaire. Nous, socialistes, considérons qu’il est possible de construire une école publique pour tous, un lieu d’apprentissage et d’émancipation pour l’ensemble des élèves dans tout le territoire, sans les opposer entre eux. Cette ambition exige des moyens et une véritable volonté politique que nous ne trouvons ni du côté du Gouvernement, ni du côté du Rassemblement national.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Je ne vois nulle part dans ce rapport une volonté d’opposer les populations urbaines et rurales. Nous estimons parfaitement légitime d’évaluer des politiques éducatives prioritaires sans mettre en concurrence les villes et les campagnes. En revanche, nous établissons un constat clair : les zones rurales sont effectivement désavantagées dans le cadre de l’éducation prioritaire.
Nous ne préconisons aucunement de retirer des moyens aux établissements existants, mais suggérons plutôt de réallouer certaines ressources, notamment dans les REP et non les REP+, car certains établissements sont sortis du champ de l’éducation prioritaire sans que cela soit reflété dans la carte actuelle. Parallèlement, des écoles rurales ne peuvent accéder au statut REP en raison des critères de la carte de l’éducation prioritaire. Je ne perçois donc pas l’opposition que vous évoquez, madame Hervieu.
Il n’a jamais été question non plus de supprimer les dédoublements de classes. Nous reconnaissons pleinement leurs bénéfices sur les savoirs fondamentaux, particulièrement en mathématiques, un peu moins en français, comme l’attestent clairement les travaux de la Depp. Il apparaît cependant que ces avancées s’estompent à l’arrivée en CE2. Dès lors, faut-il dédoubler toutes les classes jusqu’à la terminale ? Vous conviendrez que cela serait irréalisable, tant en termes de recrutement que de financement public.
Notre analyse objective révèle simplement que certaines écoles sont plus défavorisées que d’autres dans l’allocation des moyens, notamment en zone rurale, sans pour autant opposer les différents territoires. Je ne comprends donc pas vos critiques sur l’orientation du rapport, qui ne cherche aucunement à créer des antagonismes. Nous plaidons uniquement pour une réallocation plus pertinente des ressources, qui n’exclut évidemment pas l’allocation de moyens supplémentaires à l’éducation dans son ensemble.
M. Emmanuel Mandon (Dem). En tant qu’élu d’un département comportant de nombreuses communes rurales, je mesure l’importance capitale de l’école pour la vie de nos villages et des quartiers de nos villes : l’accès à l’école constitue un moyen essentiel de réduction des inégalités entre les territoires.
Je reconnais l’engagement constant des maires pour la sauvegarde de cette institution scolaire qui demeure une conquête fondamentale de la République. C’est précisément sous cet angle que je rejoins les observations du rapporteur spécial concernant la nécessité d’une évaluation précise des effets potentiels des dédoublements de classes. Nous devons impérativement écouter les acteurs de terrain, particulièrement les élus, premiers responsables de la vie de leurs écoles, avant toute décision de réorganisation, et nous garder de toute approche purement technique, voire technocratique, d’autant que les dépenses éducatives ne représentent pas une simple charge de fonctionnement, mais un véritable investissement d’avenir.
Il nous faut cependant reconnaître que la gestion nationale, vue de Paris, conduit trop fréquemment à adopter une autre perspective. Le dédoublement doit donc constituer un progrès considérable dans la lutte contre l’échec scolaire, ce qui nécessitera un travail encore plus fin d’adaptation aux réalités locales.
Le maintien d’une vie collective, aussi dense que diverse dans nos territoires, passe indéniablement par l’école. Ces constats devraient nous dissuader de recourir à des solutions automatiques fondées sur des critères figés lorsqu’il s’agit d’évaluer les différentes options pédagogiques.
Il convient néanmoins d’être raisonnable et de prendre acte des réalités démographiques et sociales. Le déclin des naissances produit déjà des effets sur le taux d’encadrement, légèrement supérieur dans les zones rurales par rapport à la moyenne nationale. Ce mouvement va certainement se poursuivre. Dès lors, plutôt qu’un moratoire, nous estimons nécessaire de nous adapter aux évolutions démographiques pour améliorer la situation des classes moins chargées, avec une coordination nationale et territoriale permettant d’ajuster la carte scolaire aux spécificités locales des bassins de vie, en liaison étroite avec les communes. Sur ce constat, le groupe Les Démocrates ne s’opposera pas à la publication du rapport, sans pour autant adhérer à l’ensemble de ses conclusions.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. La mission première de l’éducation nationale consiste en effet à garantir à tous nos enfants un accès égal à l’éducation. Nous connaissons les difficultés socio-économiques particulières qui affectent certaines zones urbaines ou rurales. L’objectif du dédoublement vise justement à réduire ces inégalités afin de renforcer l’enseignement des savoirs fondamentaux dans le premier degré.
Je maintiens fermement ma position relative au moratoire sur les fermetures de classes. J’ai pris dans mon rapport l’exemple de la Meurthe-et-Moselle, où dans une circonscription à caractère rural, nous avons subi des fermetures de classes brutales et souvent sans concertation avec les maires ou les élus locaux. Les directions académiques des services de l’éducation nationale prennent parfois des décisions trop abruptes concernant les fermetures de classes. Dans ma circonscription, une école a subi successivement un regroupement puis deux fermetures.
Étant donné que les regroupements ne fonctionnent pas toujours, un moratoire s’impose le temps de réviser la carte de l’éducation prioritaire pour passer à un système de labellisation des écoles.
M. François Jolivet (HOR). Je me réjouis que l’on aborde enfin la question démographique. Pour répondre à Mme Hervieu qui évoquait les fermetures de classes à Paris, le prix des logements dans la capitale conduit inévitablement à une situation où peu de jeunes peuvent s’y installer, fonder une famille et scolariser leurs enfants. Paris est sans doute condamnée à devenir une ville essentiellement peuplée de retraités et de personnes fortunées.
À propos de votre recommandation sur le moratoire, monsieur le rapporteur spécial, permettez-moi de faire remarquer que les moratoires sont souvent invoqués à l’approche d’une campagne électorale pour neutraliser un sujet qu’on préfère ne pas aborder durant celle-ci.
Votre rapport ne mentionne pas la notion essentielle de classes multi-niveaux. Dans mon territoire, dans l’Indre, certaines classes en zone rurale accueillent quatre ou cinq niveaux différents, avec seulement douze à quatorze élèves, et parfois un seul élève dans un niveau. Chacun comprendra aisément que l’absence d’émulation en classe pénalise considérablement l’enfant isolé dans son niveau.
Dès lors, plutôt que réclamer un moratoire, ne serait-il pas préférable que l’État établisse quelques règles claires, comme un maximum de trois niveaux par classe et un minimum de quinze élèves ? Dans mon département, la moyenne s’établit à 19,2 élèves par classe, mais en zone rurale, elle tourne plutôt autour de quinze, avec parfois quatre ou cinq niveaux différents, situation difficilement gérable pour les enseignants.
Lorsqu’une classe de regroupement pédagogique intercommunal (RPI) ne compte plus que sept élèves, comme c’est le cas dans ma circonscription, que fait-on ? Nous savons que cette situation compromet l’avenir éducatif des enfants. Vous avez pris soin d’omettre dans votre rapport qu’une fermeture d’école ne peut être décidée sans l’autorisation du maire. Poussée à l’extrême, cette logique pourrait conduire à maintenir une classe avec un seul élève et un enseignant si le maire s’oppose à sa fermeture. Or l’école du village, ce n’est pas l’école de monsieur le maire.
Je crois que nous nous engageons dans une forme de démagogie en renonçant à fixer des règles claires. Si nous établissions des critères relatifs au nombre d’élèves par classe et prenions en compte le nombre de niveaux, nous pourrions mieux organiser l’ensemble du réseau éducatif. À cet égard, les zones rurales sont fragilisées par ces classes à multi-niveaux, et il est impératif d’en tirer les conséquences.
M. le président Éric Coquerel. Je me permets d’ajouter, à titre d’information, que l’Indre ne dispose qu’actuellement d’aucun médecin scolaire en exercice.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Une évaluation de l’efficacité des classes multi-niveaux est effectivement nécessaire.
La baisse démographique est une réalité indéniable. Notre pays connaît effectivement une diminution du nombre d’élèves scolarisés, phénomène qui s’amplifiera dans le premier degré puis le second degré. Je l’observe également dans mon département et particulièrement dans les zones rurales. Il n’est nullement question d’ignorer cette évidence.
En ce qui concerne les fermetures d’écoles, le maintien des écoles rurales nécessite certes la fixation de seuils minimums d’élèves, mais ces décisions doivent impérativement se prendre en concertation avec les élus locaux et en tenant compte des réalités territoriales. Dans certains cas, maintenir une école avec deux classes de quinze élèves chacune peut s’avérer pertinent si l’alternative implique des temps de transport excessifs pour les enfants. Ces spécificités territoriales, ainsi que les investissements déjà réalisés, justifient parfois le maintien de la dernière classe de la dernière école dans un village.
M. François Jolivet (HOR). Il est en effet possible de maintenir des classes à quatorze élèves, mais lorsque six niveaux y cohabitent, nous conduisons ces enfants à l’échec. C’est là le véritable enjeu. À cet égard, je déplore aujourd’hui l’absence de directives précises du ministère de l’Éducation nationale.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Je partage entièrement votre position sur ce point. Il est effectivement impossible de gérer efficacement cinq ou six niveaux par classe. Malheureusement, nous ne disposons pas de données suffisantes sur cette question.
M. Nicolas Sansu (GDR). Monsieur le rapporteur spécial, la volonté de fracturer et d’opposer les différentes composantes du système éducatif transpire de votre rapport. Cette approche est préjudiciable à tous les enfants, quelle que soit leur école.
Vous remettez en cause l’efficacité des dédoublements de classes, ce qui n’est pas acceptable. Ma circonscription comprend quarante-sept communes présentant une grande diversité de configurations : certaines comportent des QPV et des réseaux d’éducation prioritaire, d’autres sont de très petites communes avec des écoles à classe unique, tandis que d’autres encore ont mis en place des RPI. Cette position d’observateur privilégié me permet d’apprécier à la fois la diversité des situations et l’exigence commune pour la réussite scolaire des enfants. Elle me permet aussi de constater ce fait : malgré les dédoublements, le nombre d’élèves par classe en zone urbaine demeure supérieur à celui des zones rurales.
Aussi, l’idée selon laquelle la suppression des classes dédoublées améliorerait la situation en milieu rural constitue une erreur manifeste. Nous faisons face à deux problématiques distinctes : un déficit global de moyens d’une part, et des enjeux d’organisation d’autre part, comme l’ont justement souligné MM. de Courson et Jolivet. L’école n’est pas l’école du maire, comme l’a rappelé M. Jolivet avec une certaine rudesse, mais une institution vouée à la réussite de tous les enfants.
Je salue votre proposition, monsieur le rapporteur spécial, de maintenir les effectifs d’enseignants, initiative qui permettra les ajustements nécessaires partout où des besoins se manifestent. En revanche, je m’étonne de votre recommandation concernant la sortie progressive des enseignants de l’éducation prioritaire au bout de dix ans. Si des enseignants s’épanouissent dans ces contextes exigeants, pourquoi les contraindre à partir ? Les règles de mutation existantes leur offrent déjà cette liberté de choix que vous défendez par ailleurs. Laissons-leur donc la possibilité de choisir leur lieu d’exercice, en fonction de leur ancienneté et de leurs souhaits, selon le système de points en vigueur à l’Éducation nationale.
En définitive, ce rapport me paraît incompréhensible et ne semble avoir d’autre finalité que de creuser un fossé entre monde rural et monde urbain, démarche que je considère comme délétère.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Les intentions de ce rapport sont à l’exact opposé de la lecture que vous en faites. L’enjeu consistait à évaluer les politiques de dédoublement en éducation prioritaire ainsi que les fermetures de classes. À cet égard, je formule des recommandations parfaitement claires où l’on ne saurait voir une volonté de retirer à l’un pour donner à l’autre, au nom de quelque idéologie.
Je recommande, entre autres, de renforcer la formation continue des enseignants dans les classes dédoublées, de réviser la carte de l’éducation prioritaire en instaurant un système de labellisation des écoles fondé sur leurs caractéristiques socio-économiques propres, intégrant un indice d’éloignement, d’instaurer un moratoire sur les fermetures de classes et de confier à la Depp la réalisation d’une étude sur l’impact des fermetures de classes. Je ne perçois, dans aucune de ces recommandations, l’opposition et les discriminations que vous me reprochez.
Il n’y est pas non plus question de remettre en cause le principe des dédoublements, mais d’interroger leur efficacité au regard de leur coût, qui est significatif. Sur ce point, les données fournies par la Depp et nos propres évaluations sont claires : après les classes dédoublées, lorsque les élèves réintègrent des classes à effectif normal, leur niveau n’a pas tendance à augmenter, mais à chuter.
Je réfute formellement toute intention d’opposer urbain et rural. Notre démarche consiste à établir un état des lieux des politiques de dédoublement et d’éducation prioritaire, afin d’évaluer l’opportunité d’une révision incluant une labellisation par école, ainsi que l’élaboration d’une politique adaptée aux zones rurales. Il n’a jamais été question de priver les zones urbaines des dispositifs existants.
Enfin, j’estime que la sortie progressive des enseignants de l’éducation prioritaire et la fixation d’une durée maximale d’enseignement dans ces établissements sont à même de favoriser la revitalisation et le renouvellement des équipes pédagogiques.
Mme Marina Ferrari (Dem). La proposition d’un moratoire sur les fermetures de classe suscite légitimement des interrogations face à une réalité démographique préoccupante. Nous constatons une diminution de 350 000 élèves entre 2017 et 2023, et une chute du taux de natalité de 7 % entre 2022 et 2023, représentant 48 000 naissances en moins. Cette tendance démographique défavorable impose le regroupement des moyens pédagogiques pour garantir l’efficience de notre système éducatif dans l’intérêt des enfants.
Au-delà de la démographie, il convient de prendre en compte les regroupements pédagogiques, la disponibilité des postes et les difficultés de recrutement rencontrées dans certains secteurs, ce qui nous éloigne considérablement d’une approche purement comptable concernant les fermetures de classe. Je tiens à souligner que ces décisions s’effectuent désormais très fréquemment en concertation avec les maires des communes concernées.
Je partage l’analyse de M. le rapporteur général concernant la nécessité de favoriser davantage les regroupements pédagogiques, qu’ils prennent la forme d’une école unique ou de classes par niveau réparties sur différentes communes. Ces deux modèles d’organisation démontrent leur efficacité.
Monsieur le rapporteur spécial, pourriez-vous préciser votre intention derrière votre proposition de labellisation des écoles ? S’agit-il d’allouer des moyens supplémentaires ? La logique sous-jacente à ce dispositif me paraît difficile à appréhender.
Par ailleurs, avez-vous évalué l’impact actuel du développement de l’instruction en famille ? Je l’observe particulièrement dans les écoles de montagne, et cette situation n’est pas nécessairement liée au temps de travail. J’ai constaté, dans certaines stations de montagne, des cas où le maintien d’écoles était compromis par l’insuffisance d’effectifs due à la scolarisation en famille.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial. Nous ne disposons pas d’éléments d’analyse sur l’impact l’instruction à domicile, un phénomène dont nous constatons effectivement le développement, mais qui excède le cadre de notre rapport.
Je n’ai pas d’objection de principe aux regroupements pédagogiques. Toutefois, j’estime qu’ils doivent s’appuyer sur des critères précis, notamment la distance de transport pour les élèves et les moyens financiers à engager. La construction d’une nouvelle école engendre des coûts significatifs, et nous devons disposer d’études d’impact rigoureuses. Il convient de déterminer s’il est financièrement plus judicieux de maintenir une école dans un village ou d’édifier un ensemble scolaire regroupant de nombreux enfants. Tout dépend du modèle éducatif que nous privilégions : souhaitons-nous oui ou non préserver l’école au cœur de nos villages ?
Ma deuxième recommandation consiste à réviser la carte de l’éducation prioritaire en substituant au système actuel une labellisation des écoles fondée sur leurs caractéristiques socio-économiques spécifiques. Le dispositif actuel s’articule autour d’un collège de référence, ce qui génère des incohérences dans des quartiers en évolution sociale où certaines écoles bénéficient de moyens supplémentaires en raison de leur rattachement à un réseau d’éducation prioritaire, alors que ce statut ne reflète plus nécessairement leur réalité. Cette approche me semble obsolète, car certains établissements présentent des indicateurs sociaux comparables aux écoles classées en REP+, sans pour autant bénéficier de ce statut.
La labellisation directe des établissements selon leurs propres indicateurs permettrait une allocation plus équitable des ressources. L’intégration d’un indice d’éloignement répondrait aux besoins spécifiques des territoires ruraux isolés, souvent exclus des dispositifs prioritaires. Cette refonte vise à corriger les inégalités d’accès aux ressources tout en soutenant la diversité territoriale.
La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
(par ordre alphabétique)
Mme Nicole Belloubet, ancienne ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse
Direction générale de l’enseignement scolaire et direction des affaires financières du secrétariat général du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse
Mme Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire
Mme Emmanuelle Walraet, adjointe à la directrice des affaires financières
M. Christophe Gehin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales
M. Laurent Lima, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Grenoble Alpes, co-auteur du rapport Évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes de CP et de CE1 en REP+ sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants de 2021
M. Charles-Henry Glaise (membre de l’Inspection générale des finances) et M. Henri Ribieras (membre de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) et M. Mouad El Issami (data scientist à l’Inspection générale des finances), auteurs du rapport Revue de dépenses : dispositifs en faveur de la jeunesse de 2024
Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse
Mme Magda Tomasini, directrice
Mme Axelle Charpentier, cheffe du bureau de l’appui à l’évaluation des politiques publiques et de soutien à la recherche
M. Mikaël Béatriz, chef du bureau des études sur les établissements et l’éducation prioritaire
M. Pierre-François Mourier, recteur de l’académie de Nancy-Metz et M. Emmanuel Bourel, directeur académique des services de l’éducation nationale de Meurthe-et-Moselle
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contributionS écrites reçues PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
(par ordre alphabétique)
Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités
Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC)
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([1]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024. Communication à la commission des finances du Sénat, mai 2025, p. 24.
([2]) Cf. article L. 111-1 du code de l’éducation.
([3]) Cette relance, appelée « refondation de l’éducation prioritaire », a redéfini le périmètre de l’éducation prioritaire à partir d’un indice social unique. Cet indice agrège le taux d’élèves appartenant aux catégories sociales défavorisées, le taux de boursiers, le taux d’élèves résidant dans un quartier prioritaire de la politique la ville (ou à moins de 300 mètres) et le taux d’élèves en retard à l’entrée en classe de sixième.
([4]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024. Communication à la commission des finances du Sénat, mai 2025, p. 12.
([5]) Source : Direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
([6]) « Rentrée 2023 : ce qui change pour les élèves »,
https://www.education.gouv.fr/rentree-2023-ce-qui-change-pour-les-eleves-379152
([7]) Source : SNALC.
([8]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024, p. 19.
([9]) Source : Direction générale de l’enseignement scolaire.
([10]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024, p. 20-21.
([11]) Ibid., p.19.
([12]) Source : SNALC et Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR).
([13]) IGÉSR.
([14]) DEPP, Évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes de CP et de CE1 en REP+ sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants, 2021, p. 68.
([15]) IGÉSR.
([16]) Cour des comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024, p. 48.
([17]) Ibid. p. 24-35.
([18]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024, p. 73.
([19]) Rapport d’information n° 1524 déposé en conclusion des travaux de la mission d’information chargée de dresser un panorama et un bilan de l’éducation prioritaire, présenté par M. Roger Chudeau, président et Mme Agnès Carel, rapporteure, 12 juillet 2023 p. 67-68.
([20]) Joachim Le Floch-Imad , « L’école n’est plus un rempart face à la décivilisation, mais une caisse de résonance de la violence », FigaroVox, 11 juin 2025. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/joachim-le-floch-imad-l-ecole-n-est-plus-un-rempart-face-a-la-decivilisation-mais-une-caisse-de-resonance-de-la-violence-20250610.
([21]) IGÉSR.
([22]) Note d’information de la DEPP, n° 24-01, janvier 2024, p. 2.
([23]) En 2018, les communes urbaines rassemblaient 90 % des élèves de l’éducation prioritaire, contre 2 % pour les communes rurales et 8 % pour les communes intermédiaires entre le rural et l’urbain (« Écoles primaires : mieux adapter les moyens aux territoires », note d’analyse de France stratégies n° 76, avril 2019, p. 2).
([24]) Ariane Azéma et Pierre Mathiot, Mission « Territoires et réussite », Rapport remis le 5 novembre 2019 à M. Jean‑Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, p. 10.
([25]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024, p. 10.
([26]) Cet indice est attribué aux familles des parents d’élèves à partir de leurs professions.
([27]) IGÉSR.
([28]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024, p. 27.
([29]) Rapport de la mission « Territoires et réussite », p. 11.
([30]) Note d’information de la DEPP n° 19-35, octobre 2019, p. 4.
([31]) Rapport de la mission « Territoires et réussite », p. 11.
([32]) Cour des Comptes, L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser 2015-2024, p. 31.
([33]) Ibid., p. 33.
([34]) Ibid., p. 57.
([35]) Ibid., p. 57-58.
([36]) Ibid., p. 9.
([37]) Ibid., p. 19.
([38]) Ibid., p. 33.
([39]) Ibid., p. 8.
([40]) Proposition de résolution relative à l’école rurale n° 2377, déposée le 14 mars 2024.