N° 1601

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIEME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le18 juin 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

relatif aux montants, à l’évolution et aux justifications des règlements d’ensemble

ET PRÉSENTÉ PAR

 

Mme Mathilde FELD et M. Nicolas SANSU,
rapporteurs spéciaux

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SOMMAIRE

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Pages

Recommandations des rapporteurs spéciaux

INTRODUCTION

I. Les règlements d’ensemble : une pratique opaque et coûteuse pour les finances publiques nuisant à l’égalité devant l’impôt

A. Une pratique qui ne repose sur aucune base légale

1. Les règlements d’ensemble : définition

2. Une pratique dépourvue de base légale

B. Une pratique opaque

1. Il existe très peu d’informations accessibles sur les règlements d’ensemble

2. Il n’existait, avant 2020, aucune information publique sur les règlements d’ensemble

C. Une pratique coûteuse pour les finances publiques : les modérations consenties dans le cadre de règlements d’ensemble représentent en moyenne un manque à gagner d’un milliard d’euros chaque année pour l’État

D. Une pratique en pleine croissance : le nombre de règlements d’ensemble A triplé en six ans

E. Une pratique qui profite avant tout aux individus les plus riches et aux grandes entreprises, nuisant à l’égalité devant l’impôt

1. Les personnes physiques

2. Les personnes morales

3. Dans les deux cas, le recours aux règlements d’ensemble peut donner l’impression d’une « fiscalité négociée », au bénéfice de ceux ayant connaissance de cette pratique

F. Un processus flou

1. Une simple « étape » dans un processus plus large

2. Une harmonisation qui semble faire défaut entre les différents services de la DGFiP

G. Quand il se double d’une CJIP, le règlement d’ensemble permet au contribuable d’échapper à la sanction pénale et d’obtenir, sur le plan fiscal, une atténuation de ses droits

H. Les arguments mis en avant par l’administration pour justifier l’existence des règlements d’ensemble ne convainquent que partiellement les rapporteurs spéciaux

II. Dans ce contexte, sans remettre en cause la pertinence des règlements d’ensemble, les rapporteurs appellent à renforcer le cadre qui les régit ainsi que l’information disponible à leur sujet, tout en repensant la place du contrôle fiscal

A. Il est impératif de doter la pratique des règlements d’ensemble d’un véritable cadre

1. Cela suppose de doter la pratique d’une base législative…

2. … qui définit de façon plus précise les critères sur la base desquels l’administration peut recourir à un règlement d’ensemble

3. Étant donné leur coût pour les finances publiques, créer un service dédié à l’analyse des règlements d’ensemble de façon à réduire le champ de la « complexité »

B. Enrichir l’information disponible sur les règlements d’ensemble pour permettre un véritable contrôle démocratique

C. De façon plus générale, le recours croissant aux règlements d’ensemble témoigne d’une approche du contrôle fiscal qui ne satisfait pas les rapporteurs

1. Limiter le recours aux règlements d’ensemble pour maintenir l’effet dissuasif du contrôle fiscal et du risque contentieux

2. La question des moyens de l’administration fiscale

TRAVAUX DE LA COMMISSION

PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

 

 

 

 


  
Recommandations des rapporteurs spéciaux

Recommandation n° 1 : définir un cadre législatif applicable au dispositif de règlement d’ensemble

 

Recommandation n° 2 : inscrire dans la loi les critères précisant les situations ou les circonstances permettant à l’administration de conclure un règlement d’ensemble

 

Recommandation n° 3 : créer un service compétent pour analyser l’ensemble des règlements d’ensemble

 

Recommandation n° 4 : enrichir le rapport annuel transmis au Parlement prévu à l’article L. 251A du livre des procédures fiscales d’informations supplémentaires relatives aux modérations consenties dans le cadre de règlements d’ensemble et aux contribuables avec lesquels l’administration est amenée à conclure des règlements d’ensemble

 

Recommandation n° 5 : dans le cadre fixé par la loi, éviter que l’administration s’inscrive systématiquement dans une logique de rentabilité à court terme, au profit d’un recours limité à la pratique des règlements d’ensemble

 

Recommandation n° 6 : à rebours des suppressions de postes effectuées depuis des années au sein de cette administration, augmenter les effectifs de la Direction générale des Finances publiques, en particulier au sein des équipes dédiées au contrôle fiscal

 

Recommandation n° 7 : un règlement d’ensemble ne peut être conclu avec un contribuable qui n’a pas adopté au cours de la vérification un comportement coopératif, notamment qui n’a pas respecté les délais des obligations déclaratives auxquelles il est assujetti

 

Recommandation n° 8 : renoncer au management à l’objectif auquel sont soumis les agents chargés du contrôle fiscal

 


   INTRODUCTION

Les règlements d’ensemble, bien que méconnus du grand public, représentent une pratique à laquelle recourt de façon croissante l’administration fiscale. Ils consistent en des accords globaux conclus entre l'administration et les contribuables, incluant une atténuation des droits par rapport à la proposition initiale de rectification formulée par l’administration à l’issue d’un contrôle fiscal. Cette pratique, qui ne repose sur aucune base légale, soulève des questions majeures en termes de transparence, d'équité fiscale et d'impact sur les finances publiques.

Pour cette raison, les rapporteurs spéciaux ont tenu, à l’occasion de cette édition du Printemps de l’évaluation, à s’intéresser à ce dispositif au sujet duquel très peu d’informations sont disponibles. Les rapporteurs s’attachent ainsi, dans ce rapport, à examiner les montants et l'évolution des règlements d'ensemble et les justifications apportées par l’administration fiscale.

Les travaux des rapporteurs spéciaux ont mis en lumière plusieurs points préoccupants. Tout d'abord, les règlements d'ensemble constituent une pratique opaque, sur laquelle les citoyens comme la représentation nationale ne disposent que de très peu d’informations. Jusqu’en 2020, aucune donnée publique n'existait sur ces règlements, et encore aujourd'hui, les données disponibles restent extrêmement limitées. Par ailleurs, cette pratique est coûteuse pour les finances publiques, puisqu’en moyenne, chaque année, un milliard d'euros de modérations est consenti dans le cadre de règlements d’ensemble. En outre, le nombre de règlements d'ensemble a quasiment triplé en six ans, passant de 116 en 2019 à 315 en 2024, ce qui ne peut qu’interroger les rapporteurs, le recours aux règlements d’ensemble étant censé être limité à des cas particulièrement complexes.

Les rapporteurs spéciaux soulignent également que les règlements d'ensemble profitent avant tout aux individus les plus riches et aux grandes entreprises, nuisant ainsi à l'égalité devant l'impôt. Cette pratique peut en effet donner l'impression d'une « fiscalité négociée », au bénéfice de ceux ayant connaissance du dispositif. Enfin, le processus du règlement d'ensemble est flou et peu encadré, laissant craindre des disparités d’application entre les différents services de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) étant donné la très grande marge d’appréciation laissée à l’administration.

Face à ces constats, si les rapporteurs spéciaux ne remettent pas en cause l’existence même des règlements d’ensemble qui peuvent s’avérer utiles dans certains cas, ils appellent toutefois à renforcer le cadre juridique et opérationnel qui entoure les règlements d'ensemble, à enrichir l'information disponible à leur sujet et, de façon plus générale, à repenser la manière dont s’opère le contrôle fiscal. Ces recommandations doivent permettre d’augmenter les recettes publiques, de renforcer le caractère dissuasif du contrôle fiscal et d’améliorer la confiance des citoyens dans le système fiscal.


 


I.   Les règlements d’ensemble : une pratique opaque et coûteuse pour les finances publiques nuisant à l’égalité devant l’impôt

A.   Une pratique qui ne repose sur aucune base légale

1.   Les règlements d’ensemble : définition

Selon le rapport annuel transmis au Parlement sur les remises et transactions à titre gracieux et les règlements d’ensemble, un règlement d’ensemble désigne la situation où, en présence de sujets complexes marqués par une forte incertitude juridique, l’administration conclut avec le contribuable « un accord global qui inclut une atténuation des droits par rapport à la lecture initialement retenue par l’administration de contrôle dans sa proposition de rectification » ([1]). Le règlement d’ensemble se distingue des remises gracieuses et des transactions prévues à l’article L. 247 du livre des procédures fiscales : la remise gracieuse consiste en l’abandon consenti par l’administration à son débiteur d’une créance définitive lorsque ce dernier est dans l’impossibilité de payer « par suite de gêne ou d’indigence » ([2]) ; la transaction consiste en une atténuation des pénalités appliquées à l’occasion d’un redressement fiscal. À la différence de ces deux dispositifs, le règlement d’ensemble peut porter tant sur les montants des bases notifiées – donc sur les droits dus – que sur les pénalités et ne constitue qu’une étape de la procédure de contrôle (voir infra). En outre, contrairement à la transaction, l’engagement à payer ou à renoncer à une procédure contentieuse prise par le contribuable n’a aucun effet contraignant.

Une note ([3]) de la DGFiP de 2019 a précisé les situations dans lesquelles l’administration peut recourir à un règlement d’ensemble. Celui-ci a vocation à s’appliquer lorsque l’appréciation du montant des bases notifiées est contestée par le contribuable et ne peut être établie avec certitude, « laissant part à une marge d’appréciation ». La note distingue en particulier deux cas :

– lorsqu’il existe des difficultés à établir avec exactitude le quantum des rectifications ;

– en présence d’un véritable aléa juridique.

Interrogée sur les difficultés pour objectiver l’assiette de l’impôt et, par suite, pour établir le quantum exact des rectifications, l’administration a mis en avant :

– l’évaluation de la valeur de certains biens, par exemple les œuvres d’art, les titres de sociétés non cotées ou certains biens exceptionnels (comme des châteaux) ;

– le recours aux méthodes par comparaison, par exemple dans le cadre de rectifications portant sur des prix de transfert qui supposent d’établir des panels de transactions comparables afin de juger de la normalité de transactions intragroupe, qui comportent toujours une marge d’appréciation ;

– la détermination du montant de certains gains imposables, par exemple en matière d’intéressement ou en présence d’un avantage comme la mise à disposition à titre gratuit ou à prix minoré d’un bien immobilier.

L’enjeu pour l’administration est donc, le plus souvent, de parvenir à reconstituer la valeur économique d’un actif et la principale difficulté à laquelle elle est confrontée pour y parvenir réside dans la comparabilité, notamment lorsqu’un marché se caractérise par un nombre limité de cessions. Toutefois, même dans le cas d’un marché actif, la transposition au bien considéré des données de ce marché peut soulever des difficultés, par exemple en matière immobilière : la jurisprudence de la Cour de cassation fait en effet obligation à l’administration fiscale de déterminer la valeur vénale des immeubles en retenant des cessions de biens comparables réalisées peu avant la date du fait générateur.

En ce qui concerne les aléas juridiques, l’administration désigne surtout les situations pour lesquelles elle ne dispose pas de suffisamment de précisions doctrinales ou de jurisprudence sur un sujet. La charge de la preuve qui incombe à l’administration est aussi citée, certaines décisions reposant sur des faisceaux d'indices ou des conditions cumulatives qui ne constituent pas toujours des preuves irréfragables et absolues. Le règlement d’ensemble est alors mis en avant comme un moyen de s’assurer des recettes fiscales face à l’issue incertaine d’un procès.

Les rapporteurs spéciaux contestent toutefois cette approche dans certains cas (voir infra).

Au cours de son audition, Mme la professeur Florence Deboissy a également cité, parmi les aléas juridiques possibles, le fait de travailler sur un sujet pour lequel l’appréciation portée par le juge a été évolutive et pour lequel, pour cette raison, l’administration ne peut pas être certaine de la position qu’adoptera le juge dans plusieurs années dans le cas d’un long contentieux.

2.   Une pratique dépourvue de base légale

À la différence des remises gracieuses et des transactions, la pratique du règlement d’ensemble ne repose sur aucune base légale. Ce point a été très clairement affirmé par la Cour des comptes dans son rapport annuel de 2018 ([4]) où il est écrit que « le règlement d’ensemble, qui peut conduire à des diminutions voire abandons d’impôts, ne repose sur aucun fondement légal clairement établi ». L’institution estimait dès lors « indispensable de clarifier ce dispositif » et recommandait de définir un cadre légal applicable au règlement d’ensemble.

Pourtant, des années plus tard, les rapporteurs spéciaux ne peuvent que constater que ce cadre légal fait toujours défaut. Par ce biais, l’administration fiscale dispose d’une large marge d’appréciation dans la mise en œuvre du recouvrement de l’impôt. L’existence d’une telle marge d’appréciation suppose, en contrepartie, des dispositifs de contrôle interne et une restitution sans faille, afin notamment d’assurer l’homogénéité des pratiques sur l’ensemble du territoire. Or, la Cour des comptes relevait d’importantes lacunes en matière de suivi, lacunes que les rapporteurs spéciaux ont également constatées et qui soulèvent la question de l’équité dans le traitement des dossiers des contribuables.

Pour sa défense, l’administration fiscale souligne que le règlement d’ensemble n’est qu’une des modalités pratiques d’aboutissement d’une procédure de rectification contradictoire qui est, elle, prévue par les textes (à l’article L. 55 du livre des procédures fiscales) et considère, pour cette raison, qu’il n’est pas nécessaire que la pratique soit définie par la loi. Étant donné les montants en jeu (voir infra) et la large marge d’appréciation laissée à l’administration en pareille situation, les rapporteurs spéciaux ne partagent pas cette analyse. Ils la partagent d’autant moins que les modalités du déroulement des négociations orales qui précèdent la conclusion d’un règlement d’ensemble ne sont décrites nulle part. Or, si la procédure de rectification contradictoire écrite est bien formalisée, le processus de conclusion d’un règlement d’ensemble décrit aux rapporteurs, à la fois par l’administration et les avocats fiscalistes représentant les contribuables, montre qu’il s’apparente à une forme de « rapprochement » des points de vue à l’oral qui fait penser à des négociations hors de tout cadre. Cette oralité, conclue in fine par un accord écrit, nourrit l’opacité.

B.   Une pratique opaque

1.   Il existe très peu d’informations accessibles sur les règlements d’ensemble

L’intégralité de l’information publique disponible sur les règlements d’ensemble figure dans un rapport transmis annuellement au Parlement et prévu par l’article L. 251 A du livre des procédures fiscales ([5]). À l’origine, ce rapport avait pour objet de présenter l’application de la politique de remises et de transactions à titre gracieux par l’administration fiscale. Le contenu du rapport a été complété, par l’article 262 de la loi de finances pour 2020, afin que soit également présentée une information sur les règlements d’ensemble d’une part et les conventions judiciaires d’intérêt public signées en matière fiscale d’autre part. Depuis le rapport remis en 2020 sur l’année 2019, ce rapport renseigne donc des informations sur les règlements d’ensemble.

Ce rapport ne s’intéresse par exclusivement à la question des règlements d’ensemble mais également à celles des remises et transactions à titre gracieux. Or, il s’avère que sur la vingtaine de pages de ce rapport, seulement un peu plus de deux sont dédiées aux règlements d’ensemble – alors même que les modérations consenties dans le cadre de règlements d’ensemble sont largement supérieures à celles consenties par le biais de remises ou de transactions à titre gracieux. La représentation nationale ne dispose donc que d’informations très succinctes pour exercer son contrôle sur une pratique qui revient à consentir, chaque année, des centaines de millions d’euros de modérations d’impôts à des particuliers et des entreprises. Cela n’est pas acceptable pour les rapporteurs spéciaux.

Un document est certes annexé au rapport transmis au Parlement, de près de deux cents pages dans le cas de la dernière édition du rapport. Pour autant, le règlement d’ensemble apparaît à nouveau comme le parent pauvre de ce document. En effet, sur 184 pages, seules trois portent sur les règlements d’ensemble. En outre, deux de ces trois pages contiennent des informations déjà présentes dans le rapport transmis au Parlement. Autrement dit, seule une page sur les 184 que comporte l’annexe apporte des informations supplémentaires sur la pratique des règlements d’ensemble.

2.   Il n’existait, avant 2020, aucune information publique sur les règlements d’ensemble

Comme cela a été indiqué, l’ensemble de l’information disponible au sujet des règlements d’ensemble figure dans le rapport évoqué. Or, ce rapport n’existe que depuis 2019. Il a été créé à la suite de l’adoption d’un amendement ([6]) de la députée Christine Pirès-Beaune au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 (devenu l’article 262 de cette loi et codifié à l’article L. 251 A du LPF). Cet amendement faisait suite aux travaux d’évaluation et de contrôle réalisés par la députée, alors rapporteure spéciale de la mission Remboursements et dégrèvements, qui avait, à l’occasion de l’édition 2019 du « Printemps de l’évaluation », fait état d’une « pratique opaque » et déplorait « faute d’information suffisante, [qu’il ait] été impossible d’évaluer les situations dans lesquelles cet outil est mis en œuvre » ([7]).

Il n’existait donc aucune information publique sur les règlements d’ensemble avant cette date, alors même qu’il s’agit d’une pratique qui est mise en œuvre au moins depuis 2004. Une note ([8]) de la direction générale des impôts de cette année-là évoque en effet explicitement les règlements d’ensemble. Faisant l’hypothèse que, sans être publiques, les informations contenues dans le rapport remis au Parlement depuis 2020 existaient sûrement pour les années antérieures à 2019, les rapporteurs ont demandé à l’administration fiscale de les leur fournir. L’administration n’a pas été en mesure de satisfaire cette demande. Les rapporteurs spéciaux s’alarment de cette absence de vision globale, pour les années antérieures à 2019, d’une pratique dont la mise en œuvre conduit chaque année à accorder des centaines de millions d’euros de modérations d’impôts et qui ne repose sur aucune base légale.

C.   Une pratique coûteuse pour les finances publiques : les modérations consenties dans le cadre de règlements d’ensemble représentent en moyenne un manque à gagner d’un milliard d’euros chaque année pour l’État

Alors que le gouvernement ne cesse d’alerter sur la situation prétendument préoccupante des finances publiques, les modérations d’impôts accordées par le biais de règlements d’ensemble représentent un manque à gagner considérable pour les finances publiques françaises. Ainsi, en moyenne, ce sont 1,26 milliard d’euros de modérations qui ont été consenties chaque année depuis 2019, les montants annuels pouvant toutefois varier du simple au double.

MODérations consenties dans le cadre des règlements d’ensemble

 

Montant des modérations

dont modérations portant sur les droits dus

dont modérations portant sur les pénalités

2019

1 635 377 676

1 121 108 901

514 268 775 

2020

854 794 195

629 966 381

224 827 814

2021

1 109 760 285

783 728 460

326 031 825

2022

1 250 114 917

850 341 419

399 773 498

2023

849 694 863

540 627 729

309 067 134

2024

1 860 978 733

1 450 916 573

410 062 160

Source : rapports remis au Parlement et réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs spéciaux à l’administration fiscale.

Ce montant est à mettre en parallèle de celui initial des droits et pénalités dont les contribuables auraient dû s’acquitter, qui s’élève en moyenne à 2,08 milliards d’euros sur la période. Autrement dit, les modérations consenties ont représenté en moyenne 60,6 % des droits et pénalités initialement demandés. Là également la proportion des droits et pénalités non perçus peut varier dans une fourchette de l’ordre de + – 10 % autour de la moyenne. On peut également relever que les modérations sont de façon générale plus prononcées pour les pénalités que pour les droits initialement dus.

modÉrations consenties par rapport aux droits et PÉnalitÉs dus

 

Montant total des droits et pénalités initialement dus

Modérations totales consenties (en % des droits et pénalités)

dont modérations portant sur les droits dus (en % des droits dus)

dont modérations portant sur les pénalités (en % des pénalités)

2019

3 181 842 087

51,4 %

46,5 %

66,8 %

2020

1 411 296 641

60,6 %

55,2 %

83,1 %

2021

1 524 242 469

72,8 %

69,6 %

81,9 %

2022

2 223 743 405

56,2 %

53,2 %

63,8 %

2023

1 508 984 001

56,3 %

51,2 %

68,2 %

2024

2 601 813 832

71,5 %

69,3 %

80,9 %

Source : rapporteurs spéciaux, d’après les données disponibles dans les différents rapports annuels et les données transmises par l’administration fiscale.

Même si l’administration fiscale a indiqué aux rapporteurs spéciaux que, dans le cas de dossiers marqués par une certaine complexité, elle retenait dans sa proposition de rectification initiale un montant volontairement élevé car elle sait qu’il s’agit là d’un maximum et que la procédure contradictoire ne peut que conduire à maintenir ou diminuer ce montant, cette proportion laisse les rapporteurs spéciaux profondément choqués et dubitatifs quant à la réelle efficacité d’un dispositif censé permettre de garantir des recettes pour l’État. Du fait de cette proportion, les rapporteurs ne sont en effet pas du tout certains qu’en cas de maintien systématique par l’administration de ses propositions de rectification initiales, quitte à ce qu’elle s’expose à des contentieux plus nombreux et avec le risque que certains de ces contentieux ne se concluent pas en faveur des redressements fiscaux proposés, cela conduirait à recouvrer des montants moindres qu’en ayant recours à la pratique du règlement d’ensemble.

Les constats dressés par les rapporteurs spéciaux sont particulièrement vrais pour l’année 2024. Le montant des modérations n’a en effet jamais été aussi élevé. Surtout, ces modérations représentent 71,5 % du montant initial des droits et pénalités (2,6 milliards d’euros). Cela fait dire aux rapporteurs spéciaux que la pratique est de plus en plus coûteuse pour les finances publiques. L’administration explique qu’une modération particulièrement élevée fausse les chiffres en 2024. De fait, la plus grosse modération atteignait, en 2024, 454 millions d’euros selon les données transmises aux rapporteurs spéciaux. Pour autant, même en excluant ce règlement d’ensemble, l’année 2024 resterait une de celles au cours de laquelle les modérations consenties demeureraient les plus élevées. Les rapporteurs spéciaux ne se satisfont donc pas de la réponse de l’administration fiscale et considèrent que la conclusion de règlements d’ensemble coûte de plus en plus cher à l’État. Outre ce coût global, le nombre croissant de règlements d’ensemble est également préoccupant.

D.   Une pratique en pleine croissance : le nombre de règlements d’ensemble A triplé en six ans

L’administration a de plus en plus recours à des règlements d’ensemble dans le cadre de contrôles fiscaux. Ainsi, alors qu’au cours de l’année 2019 116 règlements d’ensemble avaient été conclus, ce nombre s’élevait à 315 en 2024, soit une augmentation de 172 % en six ans.

Dans la mesure où les informations antérieures à 2019 ne sont pas disponibles, il n’est pas possible de décrire une dynamique de longue durée, mais les rapporteurs spéciaux considèrent que la dynamique observée ces dernières années est préoccupante à au moins deux égards. D’abord, les rapporteurs spéciaux ne peuvent qu’être surpris de constater la croissance du nombre de règlements d’ensemble : les rapporteurs spéciaux imaginent en effet qu’à mesure que des règlements d’ensemble sont conclus, le champ des situations « complexes » devrait se restreindre. Quand la complexité justifiant le recours au règlement d’ensemble provient du fait qu’il s’agit de sujets nouveaux pour lesquels l’absence de précision doctrinale est déplorée, l’administration acquiert une expertise au fil du temps et devrait être en mesure de compléter la documentation fiscale ou, à plus longue échéance, de suggérer des modifications des textes législatifs ou réglementaires pour dissiper les ambiguïtés. Ensuite, car les rapporteurs ne peuvent se satisfaire qu’un nombre croissant de contrôles fiscaux se concluent par une pratique dépourvue de base légale qui repose, in fine, sur une négociation au cas par cas entre l’administration et le contribuable.

Nombre de règlements d’ensemble conclus

Source : rapporteurs spéciaux, d’après les données disponibles dans les différents rapports annuels et les données transmises par l’administration fiscale.

Interrogée par les rapporteurs spéciaux sur les facteurs à l’origine de cette tendance, l’administration fiscale a mis en avant plusieurs éléments, censés souligner le caractère conjoncturel de cette hausse :

– les règlements d’ensemble intervenant après mise en recouvrement ne sont comptabilisés dans les statistiques du ministère de l’économie et des finances que depuis le mois d’août 2020 ;

– l’année 2020 a été marquée par l’épidémie de covid–19 qui a entraîné une activité du contrôle fiscal fortement réduite par rapport à 2019 ;

– dans la continuité de la loi ESSOC ([9]) d’août 2018, le service du contrôle fiscal et de la sécurité juridique a communiqué des orientations générales en faveur d’une conclusion apaisée des contrôles fiscaux, comprenant entre autres, la possible mise en œuvre de règlements d’ensemble ;

– enfin, pour l’année 2024, l’administration précise que 40 règlements d’ensemble ont été conclus par des sociétés d’un même groupe, ce qui ne manque pas d’interroger les rapporteurs.

Si certains facteurs avancés relèvent bien de la conjoncture, la philosophie avec laquelle est abordé le contrôle fiscal dans la continuité de la loi ESSOC n’a rien de conjoncturel et traduit le reflet d’une volonté politique. Contrairement à ce qu’affirme l’administration, les rapporteurs spéciaux pensent que ces chiffres traduisent bien une dynamique qui a vocation à se poursuivre, ne serait-ce que parce qu’à mesure que des règlements d’ensemble sont conclus l’acculturation des contribuables à cette possibilité progresse, notamment parmi les entreprises et les cabinets d’avocats qui peuvent intervenir à leurs côtés en cas de contrôle fiscal.

E.   Une pratique qui profite avant tout aux individus les plus riches et aux grandes entreprises, nuisant à l’égalité devant l’impôt

1.   Les personnes physiques

En moyenne, 80 personnes physiques ont bénéficié chaque année d’un règlement d’ensemble au cours des six dernières années. Ces personnes présentaient un revenu fiscal de référence médian de 209 900 euros, ce qui les place pour une large partie d’entre elles – et peut-être même toutes – parmi le pourcent des personnes aux revenus les plus élevés ([10]) en France.

NOMBRE de personnes physiques ayant conclu un règlement d’ensemble

et leurs revenus

Année du règlement d’ensemble

Nombre de règlements d’ensemble

Revenu fiscal de référence moyen

(en euros)

Revenu fiscal de référence médian

(en euros)

2019

36

582 555

254 968

2020

49

548 231

208 807

2021

93

877 960

217 335

2022

110

5 976 232

192 165

2023

98

1 447 175

210 115

2024

92

928 850

183 068

Période 2019-2924

478

2 114 784

209 900

Source : DGFiP en réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

2.   Les personnes morales

Les règlements d’ensemble bénéficient avant tout à des personnes morales. Au cours de l’année 2024 par exemple, alors que 315 règlements d’ensemble ont été conclus par l’administration avec des contribuables, 223 l’ont été avec des personnes morales. Sur la période 2019-2024, la part des règlements d’ensemble qui concerne des personnes morales s’établit à deux tiers. Il s’agit en règle générale d’entreprises présentant un chiffre d’affaires de plusieurs millions d’euros ([11]).

Nombre de règlements d’ensemble conclus selon la personnalité juridique

Source : rapporteurs spéciaux, d’après les données disponibles dans les différents rapports annuels et les données transmises par l’administration fiscale.

Logiquement, les règlements d’ensemble conclus couvrent avant tout des impositions auxquelles sont assujetties les personnes morales. Ainsi, en 2023, si les 277 règlements d’ensemble réalisés couvraient 383 impositions : 

– 139 concernaient l’impôt sur les sociétés, soit plus de la moitié ;

– 32 concernaient les taxes sur le chiffre d’affaires.

Si les personnes morales sont plus nombreuses que les personnes physiques à faire l’objet de règlements d’ensemble c’est parce qu’elles sont soumises à un plus grand nombre d’impositions et qu’il est plus difficile, en raison de l’architecture de leurs revenus et de leur implantation parfois internationale, de définir le montant des bases servant à calculer leurs droits. Un sujet en particulier est revenu à plusieurs reprises dans les échanges des rapporteurs spéciaux avec leurs interlocuteurs : celui des prix de transfert.

La question des prix de transfert

Selon l’OCDE, les prix de transferts désignent « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels ou rend des services à des entreprises associées » ([12]). Plus simplement, ils constituent les prix des transactions entre entités d’un même groupe et résidentes d'États différents.

Les prix de transfert sont étroitement liés à la fiscalité des entreprises car, en les fixant, les groupes opèrent des choix qui affectent de façon immédiate et directe l’assiette fiscale dans les États concernés par les transactions.

Dès lors, afin de pouvoir s’assurer que les bases d’imposition de chaque État sont les plus justes possibles, d’éviter les différends entre les différentes administrations fiscales et les distorsions de concurrence entre les entreprises, les États membres de l’OCDE ont adopté, un principe pour les opérations intragroupes : « le principe de pleine concurrence ».

Selon ce principe, le prix pratiqué entre des entreprises dépendantes doit être celui qui aurait été pratiqué sur le marché entre deux entreprises indépendantes. En France, l’article 57 du code général des impôts reprend ce principe en exigeant que, aux fins d’établissement de l’impôt, les conditions convenues par des parties ayant un lien de dépendance dans le cadre de leurs relations financières ou commerciales soient celles auxquelles on pourrait s’attendre si les parties n’avaient aucun lien de dépendance. L’article 57 du CGI précise qu’ « à défaut d'éléments précis (…) les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement. »

C’est ici que se pose une difficulté majeure pour l’administration fiscale : il peut en effet, dans certains cas, être particulièrement complexe d’identifier un panel d'entreprises comparables au sens du principe de pleine concurrence de l’OCDE pour reconstituer le « juste » prix. Comme le rappelle d’ailleurs l’OCDE, « la fixation des prix de transfert n’est pas une science exacte et nécessite une appréciation de la part de l’administration fiscale comme du contribuable » ([13]). De fait, le guide de l’OCDE à disposition des États et des entreprises ne fait pas moins de 732 pages.

C’est cette marge d’appréciation qui conduit l’administration fiscale à conclure avec de nombreuses entreprises des règlements d’ensemble, lorsque la reconstitution du prix qui aurait été pratiqué en situation de pleine concurrence n’est pas possible avec certitude. L’administration devrait toutefois être en mesure de communiquer la proportion de cas pour lesquels un règlement d’ensemble a été conclu en raison de l’incertitude liée à la fixation d’un prix de transfert afin qu’une doctrine puisse être établie de manière moins aléatoire, ce qu’elle n’a pas été capable de faire.


3.   Dans les deux cas, le recours aux règlements d’ensemble peut donner l’impression d’une « fiscalité négociée », au bénéfice de ceux ayant connaissance de cette pratique

Comme cela a été montré, les règlements d’ensemble bénéficient avant tout aux contribuables fortunés et à des entreprises multinationales. Si cela est en partie compréhensible pour les rapporteurs pour qui il est raisonnable de supposer que la complexité d’un dossier s’accroît à mesure que les montants en jeu augmentent – en raison de la diversité des revenus et des actifs détenus notamment –, ils ne peuvent toutefois pas s’empêcher de penser que, si une telle typologie de profils est constatée, c’est également parce que le règlement d’ensemble constitue une pratique de niche, réservée à des initiés. L’administration fiscale a d’ailleurs reconnu que le recours à un règlement d’ensemble était le plus souvent proposé par les contribuables eux-mêmes, ce qui suppose de connaître l’existence de cette pratique. Or, compte tenu de la rareté de l’information publique sur le sujet – puisqu’il n’en est fait mention que dans le rapport annuel remis au Parlement et dans la doctrine fiscale –, la connaissance de cette possibilité de règlement d’un contentieux fiscal paraît particulièrement peu évidente pour le contribuable ordinaire. Par ailleurs, avoir connaissance de la pratique ne suffit pas, encore faut-il avoir les moyens de recourir aux services de professionnels du droit pour se faire accompagner dans des dossiers d’une particulière complexité.

L’analyse détaillée des données transmises par l’administration fiscale révèle d’ailleurs que les montants moyens des modérations présentés dans les rapports au Parlement sont en réalité faussés par des règlements d’ensemble qui portent sur des montants conséquents. Cette pratique profite ainsi d’abord à une minorité de contribuables ou à de très grosses entreprises. De fait, en 2024, les dix plus grosses modérations représentent 80 % du montant total des modérations (1,5 milliard d’euros sur 1,86 milliard d’euros) : autrement dit, 3 % des règlements d’ensemble conclus cette année-là représentent 80 % des modérations. Sans que la proportion soit exactement équivalente pour chacune des années, force est de constater qu’année après année, quelques modérations concentrent à elles seules la majorité des sommes ainsi engagées.

Les modérations les plus importantes consenties dans le cadre
des règlements d’ensemble

En €

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Total des dix plus importantes modérations

1 324 634 467

784 871 873

665 748 537

963 540 940

620 061 365

1 549 876 043

Total des modérations

1 635 377 676

854 794 195

1 109 760 285

1 250 114 917

849 694 863

1 860 978 733

Part des dix plus importantes modérations dans le total des modérations

81,0 %

91,8 %

60,0 %

77,1 %

73,0 %

83,3 %

 

 

 

 

 

 

 

Source : DGFiP et rapporteurs spéciaux d’après les données transmises par la DGFiP.

F.   Un processus flou

1.   Une simple « étape » dans un processus plus large

Tant le rapport remis au Parlement que l’administration, dans ses réponses aux questions des rapporteurs spéciaux, inscrivent le règlement d’ensemble dans un processus plus large et tentent ainsi de minimiser sa portée. Dans la très brève définition qui est donnée dans le rapport remis au Parlement il est ainsi indiqué qu’« il ne s’agit pas d’un dispositif spécifique mais d’une étape de la procédure de contrôle » ([14]). De même, l’administration précise que le règlement d'ensemble ne constitue « pas une procédure en tant que telle » mais seulement « une des modalités d’aboutissement » d’un contrôle fiscal. En raison de cette caractérisation, la pratique est très peu encadrée. De fait, seulement deux notes ([15]) de 2004 et 2019 l’encadrent. Or, le dispositif du règlement d’ensemble ne fait l’objet que de quelques lignes dans la première, qui expliquent que « dans certaines situations, les services peuvent être conduits à conclure avec l’usager un accord global qui inclut une atténuation des droits. Cet accord ne constitue pas une transaction au sens de l’art. L. 247 du LPF mais un règlement d’ensemble du dossier ». La seconde précise la temporalité du règlement d’ensemble qui « peut avoir lieu à partir de la réponse aux observations du contribuable jusqu’à l’interlocution et autant que possible avant mise en recouvrement » et le niveau de décision qui « relève (…) d’un cadre membre de l’équipe de direction ». Aucune espèce de méthode n’est indiquée quant à la marche à suivre pour conclure un règlement d’ensemble. De même, contrairement aux transactions à titre gracieux, il n’existe pas de seuil à partir duquel le comité du contentieux fiscal, douanier et des changes doit être saisi et formuler un avis. Enfin, le bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) n’apporte pas non plus d’éclairage substantiel puisqu’une seule ([16]) publication est explicitement consacrée aux règlements d’ensemble. Les rapporteurs spéciaux ne peuvent que s’étonner d’un tel flou autour d’une pratique non sans conséquences pour les finances publiques.

2.   Une harmonisation qui semble faire défaut entre les différents services de la DGFiP

Étant donné la large marge d’appréciation laissée à l’administration dans la conclusion d’un règlement d’ensemble et en l’absence de procédure formalisée, il est nécessaire d’assurer une certaine harmonisation entre les services pour s’assurer que les contribuables soient bien traités de façon équitable. La note du directeur général des finances publiques 2019 ne dit rien d’autre : « l’administration exerçant dans ce cas un pouvoir d’appréciation, sa mise en œuvre doit faire l’objet d’un suivi particulier […] Ainsi, les directions doivent formaliser les conclusions des règlements d’ensemble et encadrer leur mise en œuvre en mettant en place un dispositif adapté d’harmonisation des décisions, de suivi statistique et de contrôle interne. » Or, les rapporteurs n’ont pu que constater au fil de leurs travaux que cette harmonisation fait aujourd’hui cruellement défaut. Il leur a été indiqué qu’aucun autre document que les deux notes précitées, relativement larges et imprécises, n’encadre la pratique.

Certes, l’administration fiscale souligne que chaque direction a la possibilité d’apporter des précisions sur la mise en œuvre opérationnelle des préconisations figurant dans la note de 2019. Toutefois, les exemples de notes réalisées par diverses directions que les rapporteurs spéciaux ont pu consulter n’ont rien d’opérationnel. Certaines ne consistent qu’en une reproduction de tout ou partie de la note de 2019. En outre, deux documents relatifs à des directions spécialisées du contrôle fiscal (DIRCOFI, chargées du contrôle fiscal dans un territoire donné) ont été transmis aux rapporteurs, laissant craindre qu’aucune consigne n’est donnée au sein des autres DIRCOFI. Par ailleurs, l’un de ces documents consiste en une simple fiche de suivi destinée à requérir des informations sur le règlement conclu – montants initiaux des droits, modérations consenties, circonstances de l’affaire, etc. –mais en aucun cas à fournir aux agents de la DGFiP un modus operandi. Seul un document a le mérite de fournir une grille d’analyse des circonstances favorables ou défavorables à la conclusion d’un règlement d’ensemble, permettant, de fait, de réduire la marge d’appréciation de l’administration.


G.   Quand il se double d’une CJIP, le règlement d’ensemble permet au contribuable d’échapper à la sanction pénale et d’obtenir, sur le plan fiscal, une atténuation de ses droits

Plusieurs des personnes auditionnées ont tenu à alerter les rapporteurs quant à la possibilité de cumuler une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec un règlement d’ensemble. Créées par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 »), les conventions judiciaires d’intérêt public constituent un dispositif transactionnel, alternatif aux poursuites, pouvant être conclu entre le procureur de la République et toute personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité (article 41-1-2 du code de procédure pénale).

Cette mesure est donc applicable aux entreprises mises en cause pour des faits de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale, de blanchiment de fraude fiscale et pour toute infraction connexe. La CJIP a pour effet d’éteindre l’action publique si la personne morale mise en cause exécute les obligations auxquelles elle s’est engagée dans la convention. Ces obligations peuvent, par exemple, consister dans le versement d’une amende d’intérêt public à l’État.

Le cumul d’une CJIP et d’un règlement d’ensemble peut donc conduire à échapper à une sanction pénale et à s’acquitter de droits moins élevés que ceux qui auraient peut-être été appliqués si l’administration avait maintenu sa proposition de rectification initiale. Un tel cumul a déjà été observé par le passé. Ce fut par exemple le cas pour Google et pour Mc Donald, qui ont signé une CJIP après avoir conclu un règlement d’ensemble, en 2019 et en 2022. Le cumul de deux processus transactionnels est profondément choquant pour les rapporteurs spéciaux. Surtout, aucune donnée disponible ne permet de rendre compte de l’ampleur de ce phénomène, qui autorise pourtant des contribuables qui ont de toute évidence enfreint la loi à obtenir à la fois une diminution des droits et des pénalités dans le cadre d’une procédure fiscale et l’extinction de poursuites judiciaires.

H.   Les arguments mis en avant par l’administration pour justifier l’existence des règlements d’ensemble ne convainquent que partiellement les rapporteurs spéciaux

Plusieurs arguments ont été présentés aux rapporteurs spéciaux tout au long de leurs travaux pour défendre le recours aux règlements d’ensemble, l’administration allant jusqu’à affirmer qu’« ils ont toute leur raison d’être ». Ces arguments sont de trois types :

– en présence de dossiers complexes, les règlements d’ensemble permettent de garantir des recettes fiscales à l’État, à l’inverse d’un contentieux à l’issue incertaine au cours duquel l’État pourrait non seulement ne percevoir aucune recette mais être par ailleurs tenu d’indemniser le contribuable ;

– les règlements d’ensemble permettent d’accélérer la conclusion d’un contrôle et donc de garantir des rentrées fiscales dans les meilleurs délais à l’État plutôt qu’à plus long terme dans le cas d’un contentieux ;

– les règlements d’ensemble permettent de réduire le risque contentieux.

Ces arguments ne convainquent pas les rapporteurs spéciaux. Ils étaient même surpris de prendre connaissance de certains d’entre eux, comme le dernier sur la réduction du risque contentieux. Alors que les règlements d’ensemble portent sur des sujets complexes, accepter que le contribuable intente une action en justice permettrait, au contraire, d’obtenir une jurisprudence sur ces sujets complexes et, ce faisant, de dissiper certaines incertitudes pour le futur. À l’inverse, recourir de manière régulière à la pratique du règlement d’ensemble, en délaissant donc l’utilisation de la voie contentieuse, présente un effet « boule de neige » puisque la jurisprudence fiscale ne peut, de fait, pas se consolider ([17]). Surtout, pour les rapporteurs, l’État doit s’inscrire dans une logique de long terme et la rentabilité de court terme ne saurait dicter sa conduite.

Par ailleurs, étant donné les modérations consenties, les rapporteurs ne sont pas du tout certains que l’État soit, en fin de parcours, réellement avantagé par la perception plus rapide de recettes moindres que ce que pourrait assurer plus tardivement une issue favorable d’un contentieux. Pour rappel, les modérations consenties sur la période 2019-2024 par le biais de règlements d’ensemble représentent 61,5 % du montant initial des droits constatés et des pénalités dues.

En outre, comme l’indique très bien le rapport annuel remis au Parlement, « contrairement à la transaction, l’engagement à payer ou à renoncer à une procédure contentieuse prise par le contribuable n’a aucun effet contraignant » et la note de 2019 invite pour cette raison à doubler les règlements d’ensembles concernés d’une transaction pour le volet lié aux pénalités. Enfin, ces arguments doivent être mis en balance avec l’ensemble des défauts recensés par les rapporteurs spéciaux. Outre son opacité, les difficultés de cette pratique mise en avant par la Cour des comptes en 2018 demeurent :

– elle ne fait l’objet d’aucune procédure formalisée ;

– elle n’implique pas de contrepartie pour le contribuable et ne prémunit pas les parties d’une éventuelle procédure contentieuse (cf. supra) ;

– les règlements d’ensemble d’un montant important ne sont pas soumis à l’avis du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes.

Pour l’ensemble de ces raisons, les rapporteurs spéciaux appellent à mieux encadrer les règlements d’ensemble.

II.   Dans ce contexte, sans remettre en cause la pertinence des règlements d’ensemble, les rapporteurs appellent à renforcer le cadre qui les régit ainsi que l’information disponible à leur sujet, tout en repensant la place du contrôle fiscal

A.   Il est impératif de doter la pratique des règlements d’ensemble d’un véritable cadre

1.   Cela suppose de doter la pratique d’une base législative…

Selon l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». Le juge constitutionnel a eu l’occasion de préciser la portée de cette disposition et d’indiquer « qu'il s'ensuit que, lorsqu'il définit une imposition, le législateur doit déterminer ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition » ([18]). Dès lors, la pratique du règlement d’ensemble recoupe plusieurs domaines laissés à la compétence du législateur dont le contrôle fiscal, car elle en constitue une modalité de dénouement possible de ce contrôle, et l’assiette, car elle permet de déterminer le montant des droits et des pénalités. Dans une moindre mesure, le règlement d’ensemble concerne également le contentieux, car il permet d’anticiper par voie amiable la conclusion d’un litige. Pour l’ensemble de ces raisons, les rapporteurs spéciaux considèrent que la pratique des règlements d’ensemble doit reposer sur un cadre législatif. Prolongeant la recommandation déjà formulée par la Cour des comptes de définir un cadre légal applicable au dispositif, ils préconisent une définition législative de ce cadre.

Recommandation n° 1 : définir un cadre législatif applicable au dispositif de règlement d’ensemble

2.   … qui définit de façon plus précise les critères sur la base desquels l’administration peut recourir à un règlement d’ensemble

En l’absence de cadre législatif et en l’absence de consignes claires formulées par la DGFiP quant aux conditions qui se prêtent à la conclusion d’un règlement d’ensemble, l’opportunité de conclure un règlement d’ensemble est laissée à l’entière appréciation de l’administration. Cela lui confère une très grande responsabilité et crée surtout le risque que son appréciation ne soit pas toujours la même selon les services et sur l’ensemble du territoire. M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la mission Remboursements et dégrèvements au Sénat, relevait en ce sens en 2020 que « le pouvoir discrétionnaire laissé à l’administration de renoncer à des droits qui devraient être perçus en vertu de dispositions législatives ne peut satisfaire le Parlement » ([19]). Les rapporteurs spéciaux s’associent pleinement à cette remarque et estime que le cadre légal qu’ils appellent de leurs vœux devra définir de façon précise des critères sur la base desquels l’administration peut conclure un règlement d’ensemble.

Recommandation n° 2 : inscrire dans la loi des critères indiquant les situations ou les circonstances permettant à l’administration de conclure un règlement d’ensemble

3.   Étant donné leur coût pour les finances publiques, créer un service dédié à l’analyse des règlements d’ensemble de façon à réduire le champ de la « complexité »

Environ 300 règlements d’ensemble sont conclus chaque année. Ces règlements sont conclus par différents services de la direction générale des finances publiques. Ainsi, en 2023, sur 277 règlements d’ensemble :

     53 ont été conclus par des directions régionales ou départementales des finances publiques ;

     115 l’ont été par des directions spécialisées du contrôle fiscal ;

     109 l’ont été par des directions nationales ([20]) ([21])

Face à des situations qui se caractérisent par une certaine complexité et qui justifient pour cette raison le recours à un règlement d’ensemble, les différents services auraient tout à gagner de bénéficier de l’expérience des autres services de l’administration fiscale qui ont peut-être été amenés à travailler sur des sujets similaires. De façon plus générale, l’administration gagnerait à recenser les situations qui conduisent le plus souvent à conclure des règlements d’ensemble de façon à chercher les moyens de réduire le champ des cas qui amènent à recourir à cette procédure.

Les rapporteurs spéciaux recommandent ainsi de créer un service compétent pour analyser l’ensemble des règlements d’ensemble. Ils sont en effet surpris que le nombre de règlements d’ensemble continue d’augmenter. Selon eux, à mesure que des règlements d’ensemble sont conclus – près de 1 500 depuis 2019 –, le nombre de situations « complexes » devrait au contraire se réduire. Ce service pourrait constituer une base de données que les différentes directions pourraient consulter lorsqu’elles envisagent de conclure un règlement d’ensemble afin de voir si un dossier similaire à celui qui les mobilise n’a pas fait l’objet d’une conclusion différente ou, s’il a fait l’objet d’un règlement d’ensemble, quelle avait été l’approche retenue à l’époque pour s’en inspirer et garantir ainsi des conditions de traitement similaires d’un cas à l’autre.

Recommandation n° 3 : créer un service compétent pour analyser l’ensemble des règlements d’ensemble

B.   Enrichir l’information disponible sur les règlements d’ensemble pour permettre un véritable contrôle démocratique

En l’état, l’information communiquée à la représentation nationale sur les règlements d’ensemble n’est pas satisfaisante. Un milliard d’euros de modérations annuel ne peut faire l’objet de seulement deux pages dans un rapport, qui plus est pour une pratique dépourvue de base légale et dont le recours est laissé à l’entière discrétion de l’administration. Les rapporteurs spéciaux appellent donc à enrichir le rapport transmis annuellement au Parlement pour y inclure les informations suivantes :

– le montant des dix modérations consenties les plus élevées ;

– le nombre de contribuables ayant déjà bénéficié d’un règlement d’ensemble et qui en bénéficient à nouveau ;

– les motifs pour lesquels l’administration a eu recours aux règlements d’ensemble, notamment pour les personnes morales (incertitude sur les prix de transfert, désaccord sur la TVA, …)

– les régions dans lesquelles sont conclus des règlements d’ensemble ;

– des données descriptives sur le profil socio-économique des contribuables bénéficiant de règlement d’ensemble (revenu moyen et médian pour les personnes physiques ; chiffre d’affaires moyen et médian, résultat moyen et médian, effectif moyen et médian pour les personnes morales).

Ces informations devront notamment permettre de dresser une typologie des contribuables qui ont recours à des règlements d’ensemble.

De même, la territorialisation de l’information permettra de déterminer si le recours à la pratique est bien réparti de façon uniforme sur le territoire – en tenant compte bien sûr de la répartition du tissu économique et de la richesse par habitant en fonction des régions.

Enfin, faire figurer le nombre de contribuables qui bénéficient de façon répétée de règlements d’ensemble doit permettre d’identifier si certains contribuables ne se saisissent pas de l’opportunité de règlements passés pour reproduire des situations propices à la conclusion de règlements d’ensemble et profiter ainsi d’une situation floue pouvant donner lieu à des modérations de leurs droits.

Recommandation n° 4 : enrichir le rapport annuel transmis au Parlement prévu à l’article L. 251 A du livre des procédures fiscales d’informations supplémentaires relatives aux modérations consenties dans le cadre de règlements d’ensemble et aux contribuables avec lesquels l’administration est amenée à conclure des règlements d’ensemble

C.   De façon plus générale, le recours croissant aux règlements d’ensemble témoigne d’une approche du contrôle fiscal qui ne satisfait pas les rapporteurs

1.   Limiter le recours aux règlements d’ensemble pour maintenir l’effet dissuasif du contrôle fiscal et du risque contentieux

Si les rapporteurs spéciaux ne remettent pas en cause la pertinence du recours à un règlement d’ensemble dans certains cas, ils considèrent toutefois que cette pratique doit demeurer exceptionnelle. En effet, à mesure que la pratique se développe, le rôle dissuasif du contrôle fiscal s’amenuise.

Surtout, les arguments mis en avant par l’administration pour justifier le recours aux règlements d’ensemble, au premier rang desquels la crainte d’un long contentieux à l’issue incertaine, sont sans doute encore plus vrais pour un contribuable, et notamment une entreprise soucieuse de son image et de sa réputation. Confrontée à une alternative entre un contentieux à l’issue incertaine (et au coût certain) et la proposition de rectification initiale, une entreprise est probablement plus encline à s’acquitter des sommes qui lui sont réclamées plutôt qu’à s’engager dans un long parcours judiciaire.

Étant donné les modérations consenties en proportion des montants initiaux des droits et pénalités, les rapporteurs estiment aussi que l’administration gagnerait à maintenir ses propositions de rectification initiales dans la plupart des cas, quitte à s’exposer à un risque contentieux. Alors que les règlements d’ensemble accordent en moyenne des modérations égales à 61,5 % du montant initial des droits et pénalités, les rapporteurs pensent en effet que les 38,5 % actuellement recouvrés seraient très probablement également recouvrés si l’administration adoptait une posture « jusqu’au boutiste ». En effet, d’une part certains contribuables renonceraient peut-être à engager un contentieux. Et certains autres n’obtiendraient pas gain de cause à l’issue du contentieux, ou seulement partiellement, contrebalançant les éventuels surcoûts liés aux cas où le contentieux se conclurait en leur faveur. La combinaison de ces différents effets serait de nature à rendre moins risqué qu’il n’y paraît le choix de la rigueur. Cela permettrait par ailleurs de faire progresser la jurisprudence sur des sujets flous et donc, in fine, de réduire le nombre de futurs règlements d’ensemble.

Les règlements d’ensemble s’inscrivent en outre dans une philosophie issue de la loi ESSOC ([22]) que les rapporteurs spéciaux contestent. Comme le soulignaient les organisations syndicales rencontrées par les rapporteurs, cette loi a opéré un changement de paradigme en matière de contrôle fiscal, que Charlotte Leduc résumait ainsi : « la loi ESSOC (…) a entériné un glissement de la notion de contrôle à une forme de compliance à la française » ([23]). La note de juillet 2019 ne dit d’ailleurs rien d’autre quand elle indique qu’« il est particulièrement important de privilégier des modalités de conclusion plus consensuelles et plus rapides des opérations de contrôle, toutes les fois que cela est possible ». L’un des cinq points de cette note est explicitement dédié aux règlements d’ensemble et précise qu’en présence de sujets complexes « les directions sont invitées à envisager un règlement d’ensemble du dossier pour favoriser sa résolution avant le stade contentieux. » Les rapporteurs spéciaux s’opposent pour des raisons déjà évoquées à cette façon de procéder.

Recommandation n° 5 : dans le cadre fixé par la loi, éviter que l’administration s’inscrive systématiquement dans une logique de rentabilité à court terme, au profit d’un recours limité à la pratique des règlements d’ensemble

2.   La question des moyens de l’administration fiscale

Les rapporteurs considèrent enfin que la hausse tendancielle du nombre de règlements d’ensemble est révélatrice tant de la baisse des effectifs de la DGFiP que du management à l’objectif pratiqué au sein de cette administration.

En ce qui concerne les effectifs, une procédure contentieuse nécessite la mobilisation d’agents nombreux dans la durée, ce qui est incompatible avec les coupes budgétaires subies par l’administration fiscale depuis une quinzaine d’années. L’administration peut donc chercher à conclure des règlements d’ensemble dans l’objectif d’éviter certaines actions en justice qui seraient, sans ces règlements d’ensemble, intentées par les contribuables concernés.

Confrontées à des délais de prescription et peu nombreuses, les équipes de la DGFiP sont aussi amenées, de l’aveu même de l’administration, à adresser aux contribuables des propositions de rectification parfois fragiles juridiquement faute d’avoir eu le temps et les moyens de les peaufiner suffisamment. L’administration peut ainsi être incitée à privilégier le recours à un règlement d’ensemble, notamment si elle est consciente, dans certains cas, de la fragilité de sa proposition de rectification. Les rapporteurs spéciaux s’interrogent pour cette raison sur l’opportunité d’allonger le délai de prescription en matière fiscale – en règle générale, le délai de prescription en matière de contrôle fiscal est fixé à trois ans.

Recommandation n° 6 : à rebours des suppressions de postes effectuées depuis des années au sein de cette administration, augmenter les effectifs de la Direction générale des Finances publiques, en particulier au sein des équipes dédiées au contrôle fiscal

Le chef de service du service de la sécurité et juridique et du contrôle fiscal a également déploré auprès des rapporteurs spéciaux que les agents de la DGFiP soient parfois confrontés, au cours de leur vérification, à une attitude peu coopérative des contribuables, en particulier des personnes morales, qui ne se soumettent pas toujours aux obligations déclaratives auxquelles ils sont soumis, ou alors seulement tardivement. Cette absence de coopération empêche les vérificateurs d’effectuer correctement leur travail, faute de pouvoir analyser – ou dans des délais satisfaisants – les documents nécessaires. Dans ces conditions, les rapporteurs considèrent que la capacité de conclure un règlement d’ensemble ne saurait être offerte aux personnes physiques ou morales qui entravent par leur comportement le bon déroulé d’un contrôle fiscal. La Charte des droits et obligations du contribuable vérifié précise d’ailleurs, à l’intention des contribuables : « Il est essentiel que le contrôle puisse se dérouler dans des conditions optimales. L’administration s’y engage. Votre coopération est également nécessaire. Vous vous exposez à des sanctions fiscales voire pénales si vous-même ou des tiers mettez le vérificateur dans l’incapacité d’accomplir sa mission dans des conditions normales » ([24]).

Recommandation n° 7 : un règlement d’ensemble ne peut être conclu avec un contribuable qui n’a pas adopté au cours de la vérification un comportement coopératif, notamment qui n’a pas respecté les délais des obligations déclaratives auxquelles il est assujetti

Les syndicats ont enfin fait état d’un management à l’objectif au sein de l’administration fiscale qui incite les agents à conclure des règlements d’ensemble. Les agents de la DGFiP ont en effet un nombre de dossiers à instruire chaque année. Atteindre ce nombre les invite à conclure rapidement les dossiers dont ils ont la charge. Or, s’exposer à un contentieux implique d’accepter que le dossier demeure ouvert pendant plusieurs années, à rebours des objectifs fixés. À l’inverse, conclure un règlement d’ensemble permet de clôturer rapidement un dossier. Les rapporteurs condamnent ce management à l’objectif qui empêche les agents de mener dans de bonnes conditions leurs contrôles et qui, pour cette raison, permet probablement à des contribuables d’atténuer le montant des rectifications auxquelles ils auraient normalement dû être soumis.

Recommandation n° 8 : renoncer au management à l’objectif auquel sont soumis les agents chargés du contrôle fiscal

 

 


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 18 juin 2025 à 15 heures, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu Mme Mathilde Feld et M. Nicolas Sansu, rapporteurs spéciaux de la mission Gestion des finances publiques : lutte contre l’évasion fiscale, sur leur rapport d’information relatif aux montants, à l’évolution et aux justifications des règlements d’ensemble, présenté en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale.

La commission a autorisé la publication du rapport d’information.

L’enregistrement audiovisuel de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.

 

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   PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

Direction générale des finances publiques

Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal

– M. Stéphane Créange, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ;

– M. Daniel Pomeranc, sous-directeur de la sécurité juridique des particuliers.

 

Organisations syndicales

– Mme Sabine Portela, secrétaire nationale ;

– M. Fabrice Gauthier, secrétaire national ;

– M. Damien Robinet, secrétaire national.

– Mme Véronique Pascalide, secrétaire nationale ;

– M. Roberto Goncalves, inspecteur principal à la DGFiP.

 

Association SHERPA

– M. Jean-Philippe Foegle, chargé de contentieux et plaidoyer – Flux financiers illicites.

 

Mme Florence Deboissy, professeur de droit privé à l’Université de Bordeaux, membre du Comité de l'abus de droit fiscal, de la Commission des infractions fiscales et du Conseil national d'évaluation des fraudes.

 

M. Pierre Januel, journaliste indépendant, auteur de plusieurs articles sur les règlements d’ensemble.

 

M. Bruno Gibert, avocat spécialisé en fiscalité internationale au cabinet CMS Francis Lefebvre, membre de la commission consultative de règlement des différends fiscaux européens.


([1]) Page 16 du rapport 2023.

([2]) On parle de « modération » si l’abandon ne porte que sur une partie de la créance.

([3]) Note du 12 juillet 2019 du directeur général des finances publiques relatives aux orientations générales en faveur d’une conclusion apaisée des contrôles fiscaux.

([4]) Cour des comptes, Rapport public annuel, Les remises et transactions en matière fiscale : une égalité de traitement et une transparence à mieux assurer, 2018.

([5]) Rapport précité.

([6]) L’amendement est accessible par le lien suivant : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2272C/AN/888.

([7]) Mme Christine Pires Beaune, Annexe n° 37 au rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018, Assemblée nationale, n° 1990 (XVIe législature), 5 juin 2019.

([8]) Note du 29 juin 2004 adressée aux directeurs des directions de contrôle fiscale et relative au programme « pour vous faciliter l’impôt ».

([9]) Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.

([10]) Selon l’INSEE, les personnes faisant partie des 1 % les plus aisées de la population, en termes de revenus, ont un revenu avec redistribution par unité de consommation supérieur à 121 370 euros par an.

([11]) Selon les données communiquées par la DGFiP, le chiffre d’affaires hors taxes médian des entreprises ayant conclu un règlement d’ensemble sur la période 2019-2024 est égal à 8 777 424 euros.

([12]) OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2022.

([13]) Ibid.

([14]) Page 16 de l’édition 2023.

([15]) Notes précitées.

([16]) BOI-CF-PGR-20-50.

([17]) Ce fut par exemple le cas avec une entreprise connue du numérique dont le cas avait été médiatisé : la jurisprudence sur le sujet concerné n’avait pu être établie que dans un second temps, l’administration ayant choisi de conclure avec l’entreprise concernée un règlement d’ensemble en cours de procédure judiciaire.

([18]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-351 QPC, 25 octobre 2013, cons. 14.

([19]) M. Pascal Savoldelli, Annexe n° 27 au rapport général fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances, adopté par l’Assemblée nationale, pour 2021, Sénat, n° 138 (session 2020-2021), 19 novembre 2020.

([20]) Comme la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) et la direction nationale des vérifications nationales et internationales (DNVNI).

([21]) Si le nombre de règlements d’ensemble conclus par la DNVSF est disponible, l’administration n’a pas communiqué aux rapporteurs le nombre de personnes suivies par cette direction. En l’état, il est donc impossible de mesurer la récurrence du recours à cette procédure vis-à-vis des personnes dites sensibles.

([22]) Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.

([23]) Mme Charlotte Leduc, Annexe n° 26 au rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023, Assemblée nationale, n° 292 (XVIe législature), 6 octobre 2022.

([24]) DGFiP, Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, préambule, millésime 2024