N° 1649
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIèME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
en conclusion des travaux du Printemps social de l’évaluation
PrÉsentÉ par Mme Farida AMRANI, M. Hadrien CLOUET, M. Thierry FRAPPÉ, M. Cyrille ISAAC‑SIBILLE, M. Yannick MONNET, M. Jean-François ROUSSET et Mme Annie VIDAL
Députés.
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SOMMAIRE
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Pages
Avant-Propos de M. Thibault Bazin, rapporteur gÉnÉral
1. LE FONDS D’INVESTISSEMENT DANS LA PRÉVENTION DE L’USURE PROFESSIONNELLE
2. LES centres de ressources territoriaux
3. Les dispositifs d’aide directe À l’installation des jeunes mÉdecins
1. Réunion du mercredi 4 juin à 9 heures 30
2. Réunion du mardi 10 juin 2025 à 16 heures 30
3. Réunion du mercredi 11 juin 2025 à 9 heures 30
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Avant-Propos de M. Thibault Bazin, rapporteur gÉnÉral
Le Printemps social de l’évaluation constitue un moment privilégié de contrôle parlementaire et d’analyse des politiques publiques dans le champ de la sécurité sociale. Son édition de 2024 avait été annulée en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, décidée le 9 juin 2024. Certains travaux, pourtant intéressants, n’avaient alors pu être présentés. La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) a jugé essentiel de les reprendre à son programme de travail, afin de ne pas en perdre les enseignements. Il en est ainsi des évaluations conduites par Mme Farida Amrani et M. Cyrille Isaac-Sibille sur les procédures de sanctions administratives en cas de fraude dans les branches vieillesse et famille, ou de celle menée par M. Thierry Frappé et Mme Annie Vidal sur le déploiement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) centres de ressources territoriaux (CRT) ([1]).
La première évaluation, portait sur la réforme des procédures de sanction administrative en cas de fraude aux prestations familiales et de retraite, introduite par l’article 98 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023. Cette réforme visait à simplifier les démarches des caisses d’allocations familiales (CAF) et des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et à unifier les voies de recours pour les assurés. Si elle a permis une meilleure harmonisation juridique, son application a révélé des difficultés pratiques, notamment un allongement des délais, une complexité persistante des procédures sans que les gains en matière de réduction des contentieux n’aient pu être établis. Les rapporteurs appellent à un meilleur calibrage des seuils de déclenchement de la commission des sanctions et à une clarification entre fraude et erreur de bonne foi, en cohérence avec les principes de la loi dite « Essoc » ([2]).
La deuxième évaluation portait sur le déploiement des CRT, issus de l’article 47 de la LFSS 2022. Pensés comme une nouvelle modalité d’accompagnement renforcé à domicile, dans une logique d’« Ehpad hors les murs », les CRT peinent encore à trouver leur place dans le paysage médico-social. Les rapporteurs relèvent une montée en charge très progressive, une grande hétérogénéité territoriale, ainsi que des difficultés de positionnement vis-à-vis des autres dispositifs de coordination. Si les effets qualitatifs sur la coordination des soins et l’attractivité des métiers sont salués, ils soulignent l’insuffisance du dimensionnement au regard du vieillissement démographique et insistent sur la nécessité d’en évaluer l’efficience réelle.
Deux nouvelles évaluations sont venues enrichir ce programme en 2025. Une évaluation, confiée à MM. Jean-François Rousset et Yannick Monnet, a analysé les aides financières à l’installation des jeunes médecins en zone sous-dense prévues par l’article 51 de la LFSS 2020. Les rapporteurs soulignent l’inefficacité du dispositif, dont le taux de recours reste faible malgré la simplification des contrats. Ils relèvent que l’influence de ces aides sur les décisions d’installation est marginale comparée à des facteurs comme l’accès aux services publics ou la proximité familiale. Ils proposent donc de recentrer les efforts sur le développement de l’exercice coordonné et sur une meilleure articulation entre les aides conventionnelles, celles des collectivités et les soutiens issus des lois de financement.
Enfin, la dernière évaluation, confiée à MM. Cyrille Isaac-Sibille et Hadrien Clouet, a porté sur la mise en œuvre du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), instauré par la réforme des retraites de 2023. Doté de moyens conséquents mais encore sous-utilisés, le Fipu soutient des actions de prévention des risques ergonomiques, à l’origine de la plupart des troubles musculo‑squelettiques, de reconversion et de formation. Si la logique tripartite du fonds est saluée – ses aides pouvant bénéficier directement aux entreprises, à France compétences ou aux organismes des branches compétents en matière de santé et de sécurité au travail –, les rapporteurs alertent sur l’absence de données consolidées sur la sinistralité par métier et sur la faible mobilisation du fonds, malgré des besoins établis. Ils appellent à améliorer la cartographie des expositions, à renforcer la communication auprès des entreprises et à consolider le financement du dispositif dans un contexte de moindres excédents pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
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Avant-Propos des coprésidents
de la Mission d’évaluation et de contrôle
des lois de financement de la sécurité sociale
Le Printemps social de l’évaluation s’inscrit désormais comme un rendez‑vous structurant de notre mission parlementaire de contrôle et d’évaluation des politiques sociales. Organisé depuis 2019 par la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss), il permet de valoriser le travail approfondi de ses membres sur l’exécution des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), dans une logique d’amélioration continue des politiques publiques et de renforcement de leur efficacité.
Les coprésidents souhaitent tout d’abord rappeler le contexte spécifique dans lequel la programmation des missions du Printemps social de l’évaluation de 2025 a été définie et dont le présent rapport assure la restitution. Prononcée quelques jours seulement avant l’examen des rapports du Printemps social de l’évaluation de 2024 en commission, la dissolution de l’Assemblée nationale a conduit à l’interruption des travaux menés plusieurs mois durant par les rapporteurs.
Les coprésidents ont souhaité assurer la continuité de deux de ces travaux, dans le respect des efforts déjà engagés par nos collègues : ont ainsi été réinscrits au programme de l’édition de 2025 la mission confiée au coprésident Cyrille Isaac‑Sibille et à Mme Farida Amrani au sujet de la réforme du prononcé des sanctions administratives en cas de fraude aux prestations familiales et de vieillesse (article 98 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023) et celle confiée à M. Thierry Frappé et à Mme Monique Iborra, à laquelle a succédé Mme Annie Vidal, sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) « centres de ressources territoriaux » (article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022).
La mission conduite par Mme Farida Amrani et le coprésident Cyrille Isaac‑Sibille a porté sur la réforme des procédures de sanction administrative en cas de fraude aux prestations, introduite par la LFSS 2023. En simplifiant les démarches et en unifiant les voies de recours, cette réforme visait à gagner en efficacité. Les rapporteurs montrent toutefois que sa mise en œuvre reste inaboutie et qu’elle a pu alourdir certaines procédures. Leurs recommandations invitent à ajuster le calibrage des sanctions et à garantir les droits des assurés tout en renforçant la performance des dispositifs de lutte contre la fraude.
La mission menée par M. Thierry Frappé et Mme Annie Vidal a examiné le déploiement des centres de ressources territoriaux (CRT), dispositifs d’appui à l’autonomie portés par les Ehpad. Pensés comme une réponse à la demande croissante d’accompagnement à domicile, les CRT offrent des plus‑values indéniables en matière de coordination, de soutien aux aidants et de valorisation des métiers du grand âge. Toutefois, leur montée en charge reste lente, leur positionnement institutionnel parfois incertain et leur dimensionnement encore très éloigné des besoins futurs liés au vieillissement de la population. Les rapporteurs appellent à une clarification de leur rôle et à une évaluation plus fine de leur efficience.
À ces travaux initialement programmés, deux nouvelles missions ont été ajoutées, permettant ainsi d’enrichir les analyses de la Mecss sur des thématiques aussi centrales que l’accès aux soins et la prévention de l’usure professionnelle.
La mission confiée à MM. Jean-François Rousset et Yannick Monnet a évalué les aides à l’installation des jeunes médecins. S’appuyant sur l’analyse des dispositifs créés par l’article 51 de la LFSS 2020, les rapporteurs montrent que ces aides ont un impact limité sur les décisions d’installation. Ils appellent à recentrer les financements vers les parcours coordonnés et les formes d’exercice collectif, jugées plus efficaces pour renforcer l’offre de soins dans les territoires sous-dotés. Ils soulignent également la nécessité d’une gouvernance plus lisible et d’un pilotage coordonné des aides entre l’État, les collectivités et l’assurance maladie.
Enfin, la mission confiée au coprésident Cyrille Isaac-Sibille et à M. Hadrien Clouet a porté sur le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), issu de la réforme des retraites de 2023 ([3]). Malgré une architecture juridique stabilisée et des crédits conséquents, le fonds souffre d’une sous-consommation persistante. Les rapporteurs relèvent des marges de progression dans la cartographie des expositions, la communication auprès des entreprises et la structuration du soutien aux reconversions professionnelles. Ils plaident pour un meilleur ciblage des actions concernées, une consolidation des statistiques de sinistralité à l’échelle des métiers et une sécurisation pluriannuelle des moyens du Fipu.
Ces travaux traduisent l’engagement collectif des membres de la Mecss pour un contrôle rigoureux et transpartisan au service de notre modèle social. Les coprésidents remercient l’ensemble des rapporteurs pour la qualité de leur contribution et espèrent que leurs analyses nourriront utilement les futures décisions que prendra le législateur dans le champ de la sécurité sociale.
Les coprésidents remercient également l’ensemble des caisses de sécurité sociale et des administrations qui ont participé aux tables rondes organisées à l’occasion de la restitution des conclusions des travaux des rapporteurs et, plus largement, toutes les personnes qui ont apporté leur précieux appui auxdits travaux.
1. LE FONDS D’INVESTISSEMENT DANS LA PRÉVENTION
DE L’USURE PROFESSIONNELLE
(MM. Hadrien Clouet et Cyrille Isaac-Sibille, rapporteurs)
Le I de l’article 17 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2023 – texte dont l’objet central était une réforme du système de retraites – a créé un article L. 221-1-5 du code de la sécurité sociale sur le fondement duquel la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) du régime général ([4]) est dotée d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu).
Après un exercice plein, les rapporteurs, MM. Hadrien Clouet et Cyrille Isaac-Sibille, ont souhaité contrôler l’application des dispositions de la LFRSS pour 2023 sur le Fipu et sa mise en œuvre concrète, au premier chef par la commission de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) chargée des AT-MP.
Les rapporteurs se sont appuyés sur les réponses écrites du bureau des AT-MP de la direction de la sécurité sociale (DSS) et de la direction des risques professionnels (DRP) de la Cnam.
Le législateur a prévu que le Fipu s’articule autour de trois triptyques : il soutient trois formes d’actions pour trois facteurs de risques, avec trois enveloppes.
En application du II de l’article L. 221-1-5, précité, du code de la sécurité sociale, le Fipu a pour objectif de participer au financement (direct ou intermédié) par les employeurs :
– d’actions de sensibilisation et de prévention ;
– d’actions mentionnées à l’article L. 6323-6 du code du travail, donc éligibles au compte personnel de formation (CPF) ;
– d’actions de reconversion et de prévention de la désinsertion professionnelle.
Les actions doivent être à destination des salariés particulièrement exposés aux facteurs de risques mentionnés au 1° de l’article L. 4161-1 du code du travail, à l’origine de nombreux troubles musculo-squelettiques (TMS), lesquels constituent 85 % des maladies professionnelles reconnues chaque année ([5]) :
– les manutentions manuelles de charges (premier facteur d’accidents du travail) ;
– les postures pénibles, définies comme des positions forcées des articulations ;
– les vibrations mécaniques transmissibles aux mains, aux bras ou à tout le corps.
CAS DÉCLARÉS ET ESTIMATION DES CAS NON DÉCLARÉS
DES PRINCIPAUX TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUES EN 2022
Source : Repss sur la branche AT-MP annexé au Placss de l’année 2024.
Le rapporteur Cyrille Isaac-Sibille ne remet pas en cause le caractère prioritaire des TMS, mais il juge que l’usure gagnerait à englober les risques psycho-sociaux (RPS) qui affectent la santé mentale des travailleurs : stress, violences (conflits, harcèlement, etc.), épuisement (« burn-out »), etc.
Le rapporteur Hadrien Clouet note que sont donc exclus les facteurs de risques professionnels liés à un environnement physique agressif (agents chimiques dangereux, poussières, fumées, activités en milieu hyperbare, températures extrêmes et bruits) ainsi qu’à certains rythmes de travail (travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif impliquant l’exécution de mouvements répétés, etc.). Il estime que l’exclusion de ces facteurs de risque professionnels est extrêmement dommageable à la lutte contre les maladies professionnelles, notamment l’exposition au travail répétitif impliquant l’exécution de mouvements répétés, facteur important des TMS. En effet, à ses yeux, l’écart entre les cas déclarés et non déclarés estimés des principaux troubles musculo-squelettiques en 2022 est alarmant : seuls 30 % des troubles du canal carpien sont déclarés, 24 % des troubles de l’épaule, 24 % des tendinites du coude, etc. Cette sous-déclaration est révélatrice, d’après lui, de graves manquements en terme de prévention de l’usure professionnelle, mais également de suivi médical des travailleuses et travailleurs.
Proposition n° 1 : Élargir les actions financées par le Fipu aux RPS qui affectent la santé physique et mentale des travailleuses et travailleurs : stress, violences internes ou externes (conflits, harcèlement moral ou sexuel, management toxique), épuisement professionnel (« burn-out »). Le rapporteur Hadrien Clouet suggère de les étendre à tous les facteurs de risque professionnels mentionnés à l’article L. 4161-1 du code du travail.
Aux termes du IV de l’article L. 221-1-2, précité, du code de la sécurité sociale, les dépenses du Fipu sont divisées en trois enveloppes :
– des dotations sont versées aux entreprises à des fins de prévention de l’exposition aux contraintes physiques susmentionnées et de formation ;
– des subventions sont aussi servies aux organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail relevant de l’article L. 4643-1 du code du travail et ayant signé une convention avec la Cnam ;
– un financement est enfin attribué à France compétences, institution mentionnée à l’article L. 6123-5 du code du travail, pour les commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR) et à raison des projets de transition professionnelle (PTP) (cf. infra).
Le III de l’article L. 221-1-2, précité, du code de la sécurité sociale indique que les aides du Fipu sont attribuées dans le respect des orientations que définit la commission compétente de la Cnam, après avis du Conseil d’orientation et des conditions de travail (COCT).
Elles reposent sur une cartographie des métiers et des activités particulièrement touchés par les trois risques déjà évoqués, laquelle s’appuie le cas échéant sur les listes établies par les branches ([6]).
Le V de l’article L. 221-1-5, précité, du code de la sécurité sociale renvoie à l’autorité réglementaire la précision de l’organisation du Fipu, des critères de son financement des actions éligibles et de l’identification des métiers et des activités exposant aux risques concernés.
● En premier lieu, deux décrets en Conseil d’État ont été pris le 10 août 2023.
L’article 1er du décret n° 2023-759 – son article 2 étant relatif au compte professionnel de convention (C2P) pour des questions n’intéressant pas le présent rapport – précise :
– que la commission de la Cnam chargée des AT-MP définit les orientations du Fipu chaque année avant le 15 septembre, approuve son budget d’intervention et la répartition de ses crédits entre les trois usages prévus par la loi, publie un rapport annuel sur leur consommation et fixe les modalités de report des crédits non engagés sur l’exercice suivant (cf. infra) ;
– que la cartographie des métiers et des activités où les risques sont importants intègre les listes des branches « sous réserve d’incohérence au regard des données disponibles relatives à la sinistralité et aux expositions », en pratique fournies par l’assurance maladie et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) des ministères sociaux ;
– que le budget du Fipu doit être équilibré en recettes et en dépenses (cf. infra) ;
– que les actions de prévention de la désinsertion professionnelle comprennent notamment les mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives à l’âge ou à l’état de santé du travailleur, prescrites par le médecin du travail en application de l’article L. 4624-3 du code du travail ;
– inversement, que les concours du Fipu ne peuvent servir à prendre en charge des frais de personnel, sauf ceux d’une CPIR ou ceux exclusivement consacrés à la rémunération d’effectifs mettant en œuvre des actions de sensibilisation et de prévention ;
– que les aides du Fipu ne peuvent représenter plus de 5 % du budget des organismes de branche, sauf pour les deux premiers exercices de ceux créés à partir du 1er septembre 2023, pour lesquels ce taux est porté à 30 % ;
– enfin, et en tout état de cause, que les sommes non engagées par un bénéficiaire à la clôture d’un exercice sont restituées au Fipu.
L’article 1er du décret n° 2023-760 – son article 2 concernant lui aussi le C2P – fixe :
– la composition du comité d’experts qui peut assister la commission des AT-MP pour l’établissement de la cartographie, à savoir les directeurs de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) ou leurs représentants et cinq personnalités qualifiées, reconnues pour leurs compétences en matière de santé au travail, de prévention des risques professionnels et d’usure professionnelle, nommées par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du travail pour quatre ans renouvelables, au sein desquelles sont désignées le président et le vice-président ;
– l’inclusion dans la convention quinquennale que signent les organismes de branche avec la Cnam d’objectifs de baisse de la sinistralité ;
– le fonctionnement de comité (secrétariat, mandat gracieux, etc.) ;
– la répartition entre les CPIR de la dotation à France compétences « en fonction des statistiques régionales de sinistres des accidents du travail et des maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail d’au moins vingt-quatre heures, une incapacité permanente ou un décès [...], de la masse salariale des établissements par région et du taux de consommation de la dotation versée au titre de l’année précédente » ;
– certaines règles concernant les absences des salariés bénéficiaires du Fipu.
● En deuxième lieu, un arrêté du 4 décembre 2023 a prévu le montant de la dotation de la branche AT-MP au Fipu pour 2023 et 2024 et un arrêté du 29 novembre 2024 a fait de même pour 2025 (cf. infra), suivant le I de l’article L. 221-1-2, précité, du code de la sécurité sociale.
Peuvent être mentionnés cinq autres arrêtés :
– celui du 15 septembre 2023, sur les premières personnalités qualifiées du comité ;
– celui du 30 janvier 2024, disposant que le cofinancement de l’employeur dans le cadre d’un projet de transition professionnelle soutenu par le Fipu doit être au moins égal à 5 % des coûts pédagogiques, et celui du même jour fixant la composition du dossier de demande de prise en charge d’un tel projet par une CPIR ;
– celui du 11 mars 2024, fixant la liste des documents à fournir avant l’attribution d’un financement par le Fipu (factures, attestations, etc.) ;
– celui du 26 avril 2024, prévoyant que les frais de gestion des CPIR pour l’instruction, la gestion et le suivi des projets de transition professionnelle aidés par le Fipu ne peuvent excéder 3 % des montants consommés au titre de leur financement.
● En dernier lieu, la circulaire n° 9/2024 du 13 mars 2024 de la Cnam, complétée par les orientations pour 2023 et 2024 puis pour 2025, a apporté des précisions concrètes :
– les actions de prévention des entreprises sont le financement d’équipements, de formations, de diagnostics et d’aménagements de poste ;
– les crédits consacrés aux entreprises sont répartis par les caisses d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat) dans la plupart des cas, la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (Cramif) et, outre-mer, les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) ;
– les subventions sont attribuées selon le principe du « premier arrivé, premier servi », indépendamment de leur utilisation ;
– l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) est le seul susceptible d’être aidé par le Fipu et la direction générale du travail « signalera formellement » à la Cnam si un nouvel organisme de prévention répondait aux critères ;
– la cartographie n’étudiera pas uniquement les TMS, mais aussi les lombalgies ;
– cette dernière sera en principe basée sur la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles des emplois salariés des employeurs privés et publics (PCS-ESE), consultable sur le site de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et distinguant les agriculteurs (1), les artisans, commerçants et chefs d’entreprises (2), les cadres et professions intellectuelles supérieures (3), les professions intermédiaires (4), les employés (5) et les ouvriers (6), mais pourra transitoirement utiliser la nomenclature d’activités française (NAF), plus complexe puisqu’elle retient vingt-et-une sections (de A à U).
Aux yeux des rapporteurs, ce dernier point est une difficulté en soi : ni la sécurité sociale, ni les branches n’ont de données sur la sinistralité métier par métier, l’exposition étant plutôt connue par risque ou à la maille plus grosse d’un secteur d’activité, et aux deux nomenclatures susmentionnées s’ajoute celle des neuf comités techniques nationaux pour les AT-MP.
Pour le rapporteur Hadrien Clouet, par ailleurs, l’application d’un principe du « premier arrivé, premier servi » risque de créer un effet d’aubaine, permettant à des entreprises de toucher des fonds destinés à des actions de prévention déjà prévues ou budgétées, au détriment d’autres entreprises en besoin financier mais exclues du versement car « dernières arrivées ».
Pour le rapporteur Cyrille Isaac-Sibille, le Fipu permet aux entreprises d’avoir, a posteriori, un soutien aux actions déjà engagées. Il juge que cela ne pose pas encore de difficulté car l’enveloppe du Fipu n’est pas entièrement consommée mais que, lorsqu’elle sera pleinement utilisée, les critères d’éligibilité pourront être redéfinis pour financer les actions les plus pertinentes.
Le 20 mai 2025, la Cnam indiquait aux rapporteurs que la cartographie était « toujours en construction » et qu’à la fin de 2024, neuf accords y avaient été intégrés, représentant 7 % des salariés. La DSS précisait au même moment que quatre accords étaient en voie de l’être.
Proposition n° 2 : Développer les statistiques de sinistralité à l’échelle des métiers, dans une nomenclature unifiée correspondant aux besoins de la Cnam comme des branches.
À la clôture de l’exercice 2024, le Fipu a alloué 5 666 subventions à 5 300 entreprises, pour une dépense de 44,1 millions d’euros ; France compétences a vu les projets de transition soutenus pour 23,6 millions d’euros ; la branche du BTP a reçu 1,6 million d’euros.
Le Gouvernement a indiqué, au cours de l’examen du projet de LFRSS pour 2023, que le Fip devrait se voir attribuer 1 milliard d’euros sur la période de 2023 à 2027 et que cette somme serait financée par l’excédent de la branche AT-MP, sans économie ni hausse des recettes ([7]).
Cependant, les deux premiers exercices ont été marqués par une mobilisation très faible des sommes disponibles : les textes réglementaires sont entrés en vigueur le 1er septembre 2023 et tous les crédits ont été reportés, mais le Fipu n’a été opérationnel que le 18 mars 2024, de sorte qu’il n’a dépensé que 31,7 % de sa dotation initiale et 30,1 % de sa dotation effective, le reliquat étant lui aussi reporté sur les comptes de 2025.
DOTATION ET CONSOMMATION DU FIPU DE 2023 À 2025
(en millions d’euros)
Source : commission des affaires sociales d’après les réponses écrites de la Caisse nationale de l’assurance maladie au questionnaire des rapporteurs.
Par ailleurs, si la LFRSS 2023 prévoyait pour la branche AT-MP un excédent cumulé de 7 milliards d’euros de 2023 à 2026 (extrapolable à 8,75 milliards d’euros jusqu’à 2027), les perspectives de la dernière LFSS ont réduit à 1,2 milliard d’euros le résultat positif de la branche de 2023 à 2027, ce qui ne suffirait pas à couvrir à la fois le Fipu et un accroissement pourtant vraisemblable de ses autres charges (revalorisations pour l’incapacité, etc.).
Proposition n° 3 : Fluidifier les décaissements du Fipu pour éviter la formation d’une cagnotte et dans le même temps sécuriser sa dotation (par un relèvement des cotisations ou par la modération, annoncée, des subventions à certains opérateurs de la branche maladie). Le rapporteur Hadrien Clouet préconise de remplacer le principe du « premier arrivé, premier servi » par une attribution en fonction des besoins et des actions proposées. Le rapporteur Hadrien Clouet juge notamment pertinente l’idée de comités salariés chargés de l’identification, de la validation et du suivi des actions financées. Le rapporteur Cyrille Isaac-Sibille recommande, au moment où l’utilisation du Fipu sera plus proche de son plafond annuel, de revoir la définition des critères d’éligibilité pour financer les actions les plus pertinentes.
Proposition n° 4 : Le rapporteur Hadrien Clouet souhaite confier aux salariés, à l’échelle de la branche ou de l’entreprise, un droit de veto sur les demandes patronales au Fipu, ainsi qu’un droit de demande directe en propre. Le rapporteur Cyrille Isaac-Sibille privilégie le fait d’associer les salariés, à l’échelle de la branche ou de l’entreprise, aux demandes de l’entreprise au Fipu.
Les bénéficiaires finaux du Fipu sont les salariés du régime général et les travailleurs indépendants affiliés volontairement pour les AT-MP.
La Cnam a indiqué aux rapporteurs que « les subventions ont trouvé leur audience auprès, majoritairement, des très petites entreprises ».
● Sur le plan qualitatif, la commission chargée des AT-MP a publié en mars et octobre 2024 puis en avril 2025 trois lots d’équipements, avec un cahier des charges, pouvant faire l’objet d’une demande d’aide du Fipu par les entreprises (cf. infra) ; l’année en cours doit voir une plus grande communication sur les autres postes (diagnostics, lutte contre la désinsertion, etc.), avec un séminaire en ligne qui a rassemblé plus de 1 000 médecins et professionnels de la santé au travail en avril, afin qu’ils promeuvent à leur tour le fonds vis-à-vis des chefs d’établissements).
● Sur le plan géographique, en 2024, les régions (au sens du ressort des Carsat, non des collectivités territoires) Rhône-Alpes, Alsace-Moselle et Pays-de-la-Loire correspondaient chacune à environ 10 % des demandes ; les régions Aquitaine, Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val-de-Loire, Hauts-de-France, Île‑de‑France, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Nord-Est, Normandie et Sud-Est représentaient autour de 5 % à 7 % ; les régions Centre-Ouest et Auvergne étaient « plus en retrait ». Ce constat est « par essence très provisoire ».
● Sur le plan quantitatif, les demandes ont été honorées à 47,3 % en 2024.
RÉPARTITION DES AIDES DEMANDÉES ET PAYÉES PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ (haut)
ET DES AIDES PAYÉES AUX ENTREPRISES PAR EFFECTIF ET PAR USAGE (bas) EN 2024
(en valeur absolue ; en pourcentage ; en euros)
Note : le premier tableau laisse apparaître un décaissement de 37,4 millions d’euros alors qu’il est fait supra mention de 44,1 millions d’euros ; le premier montant correspond à la comptabilité budgétaire des Carsat et le second à une consolidation nationale postérieure en droits constatés (provisions de décembre pour janvier).
Source : réponses écrites de la Caisse nationale de l’assurance maladie au questionnaire des rapporteurs.
Exemples d’équipements éligibles au lot n° 3
Pour le secteur du BTP : potences, portiques et ponts roulants, palonniers et préhenseurs, mini grues araignées, monte matériaux, diables électriques monte-escaliers, chariots électriques de manutention à conducteur accompagnant, chariots électriques de manutention à conducteur porté, plateformes à maçonner, recettes à matériaux, outils portatifs antivibratiles, sièges d’engins antivibratiles, matériels de compactage avec commande à distance, matériels de démolition avec commande à distance
Pour le secteur du transport et de la logistique : potences, portiques et ponts roulants, palonniers et préhenseurs, tracteurs et timons électriques, roues motorisées, chariots électriques de manutention à conducteur accompagnant, chariots électriques de manutention à conducteur porté, sièges d’engins antivibratiles, filmeuses, systèmes de bâchage / débâchage automatique de bennes
Pour les commerces de bouche : monte-charges, chariots électriques à conducteur accompagnant, rolls et bacs à niveau constant, autolaveuses, vitrines et armoires réfrigérées, rails de manutention de carcasses de viandes
Pour la métallurgie et la réparation automobile : potences, portiques et ponts roulants, palonniers et préhenseurs, tracteurs et timons électriques, roues motorisées, chariots électriques de manutention à conducteur accompagnant, chariots électriques de manutention à conducteur porté, rolls et bacs à niveau constant, tables élévatrices motorisées, outils portatifs antivibratiles, sièges d’engins antivibratiles, ponts de carrossier, autolaveuses, démonte-pneus et lève-roues
Pour l’industrie agro-alimentaire : potences, portiques et ponts roulants, palonniers et préhenseurs, tracteurs et timons électriques, roues motorisées, chariots électriques de manutention à conducteur accompagnant, chariots électriques à conducteur porté, rolls et bacs à niveau constant, tables élévatrices motorisées, autolaveuses
Pour le secteur sanitaire et médico-social : lève-personnes sur rails, tracteurs et timons électriques, roues motorisées, chariots électriques à conducteur accompagnant (transpalettes), tables élévatrices, autolaveuses, lève-lits électriques
Pour la coiffure et les soins esthétiques : chariots de manutention à conducteur accompagnant (transpalettes), bacs à shampoing et sièges de coupe à réglage électrique, tables élévatrices paramédicales (pour soins), autolaveuses
Pour le secteur de l’hôtellerie et de la restauration : monte charges et monte plats, tracteurs et timons électriques, roues motorisées, chariots électriques de manutention à conducteur accompagnant, rolls et bacs à niveau constant, autolaveuses, lave-verres avec osmoseur, lèves-lits électriques, vitrines et armoires réfrigérées
Pour le secteur de la propreté et du nettoyage : tracteurs et timons électriques, chariots électriques à conducteur accompagnant ou porté, tables élévatrices, rolls et bacs à niveau constant, autolaveuses
Source : réponses écrites de la Caisse nationale de l’assurance maladie au questionnaire des rapporteurs.
Par défaut, le taux d’aide est de 70 % sous un plafond de 25 000 euros, mais ils peuvent être rehaussés à 85 % et (pour les entreprises de moins de 199 salariés) à 50 000 euros en cas de conclusion d’un accord ad hoc. Au 1er janvier 2025, neuf branches étaient concernées :
– celle du sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif ;
– celle des fleuristes, de la vente et des services des animaux familiers ;
– celle de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager ;
– celle des détaillants en chaussures ;
– celle de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile ;
– celle des industries électriques et gazières ;
– celle des services d’eau et d’assainissement ;
– celle de l’assainissement et de la maintenance industrielle ;
– celle des sociétés anonymes et fondations d’habitats à loyers modérés.
La prise en charge des salaires des préventeurs est forfaitaire : 8 235 euros sans accord de branche et 10 000 euros avec un tel accord ; elle entre dans le plafond global.
Au cours de l’exercice clos, le montant moyen a donc été de 6 910 euros par entreprise ; la durée moyenne de traitement d’un dossier a été de 31 jours par les caisses locales.
Pour l’année en cours (données arrêtées au 9 avril 2025), le nombre de demandes était de 4 130, dont 1 065 avaient déjà été ordonnancées voire payées à hauteur de 6,6 millions d’euros et pour une instruction faite en 17 jours en moyenne. Les décaissements sont donc 3,5 fois plus importants en un trimestre que pour tout le premier semestre de 2024.
● Avec moins de 1,3 % des dossiers, les actions de sensibilisation sont clairement l’usage le moins connu du Fipu, alors que pour des frais très limités, la prise de conscience des risques et la modification des comportements peuvent souvent être obtenues par la mise à disposition de documents ou d’infographies, l’inscription à des forums ou ateliers, etc.
Proposition n° 5 : À la faveur d’un effort de communication plus large vis-à-vis des entreprises, insister sur la sensibilisation, susceptible d’avoir un effet important pour un coût modique.
Le Fipu soutient le financement des projets de transition professionnelle (PTP) – outils par ailleurs éligibles aux points du CPF et permettant à un salarié de préparer un changement de métier en suivant une formation certifiante ([8]) – par France compétences quand il s’agit pour les bénéficiaires de se soustraire aux risques ergonomiques concernés.
Si la formation est réalisée pendant son temps de travail, le salarié bénéficie d’un droit à congé et d’un maintien de sa rémunération à 100 % jusqu’à deux fois le montant du salaire minimum interprofessionnel de formation (Smic) et à 60 % ou 90 % au-delà. Le contrat de travail est suspendu pendant le PTP et reprend si le salarié ne change pas de poste ou d’employeur.
Pour que son PTP puisse être aidé au titre de la dotation du Fipu à France compétences, le salarié doit avoir une certaine ancienneté, par exemple deux ans s’il est en contrat à durée indéterminée (CDI), ne pas rechercher un métier lui-même exposé aux problèmes ergonomiques visés, ce que la CPIR peut faire vérifier par un conseiller en évolution professionnelle (CEP) ([9]) de France travail, d’une mission locale, de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) ou d’un autre opérateur agréé, et prouver que son employeur cofinance le projet pour au moins 5 %.
En 2024, le Fipu prévoyait 40 millions d’euros pour France compétences (avec une enveloppe maximale de 11,1 millions d’euros pour l’Île-de-France et minimale de 0,1 million d’euros pour la Guadeloupe). N’ont été dépensés que 23,6 millions d’euros pour 731 dossiers (pour un coût moyen de 32 000 euros, conforme au chiffre observé hors soutien du Fipu). France compétences doit reverser 16,4 millions d’euros à la branche AT-MP avant le 31 juillet 2025.
Les échanges entre la Cnam, France compétences et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ont montré la difficulté de mesurer le travail de nuit.
Proposition n° 6 : Au bénéfice aussi bien du salarié en reconversion que de la puissance publique finançant sa formation, consolider la méthodologie de vérification par les CPIR de l’éventualité et de l’ampleur (fréquence, durée, intensité, etc.) du travail de nuit dans le métier visé.
Seul organisme professionnel de santé, de sécurité et des conditions de travail éligible au Fipu, l’OPPBTP a élaboré avec la commission chargée des AT-MP un plan en quatre axes. Une dotation maximale de 1,85 million d’euros avait été prévue en 2024 ; son taux de consommation est de 89 % et un solde d’un peu plus de 0,2 million d’euros sera reversé.
RÉPARTITION DES AIDES OCTROYÉES À L’OPPBTP EN 2024
(en euros)
Source : réponses écrites de la Caisse nationale de l’assurance maladie au questionnaire des rapporteurs.
● L’axe n° 1 comprend des campagnes de communication sur plusieurs canaux : le site preventionBTP.fr ; les réseaux sociaux ; différents salons ou congrès ; la presse spécialisée ; des réunions en ligne. La Cnam juge « positives » les retombées en termes d’audience.
● L’axe n° 2 a bénéficié la première année à 255 établissements, soit 17 % de tous ceux qui ont été accompagnés par l’OPPBTP. Ce point est l’occasion d’indiquer que 668 entreprises de la branche ont bénéficié du Fipu au titre d’une aide directe (cf. supra).
● L’axe n° 3 s’est concrétisé par huit études ergonomiques sur des métiers, par l’évolution de l’outil « Evalrisk TMS » ([10]) d’un questionnaire classique à un site internet rapide et par la diffusion de bonnes pratiques concernant ces mêmes troubles.
● L’axe n° 4 a permis de faire de la publicité pour le jeu « Petocask » (25 167 téléchargements), d’encourager la pratique sportive des jeunes avec la désignation de référents dans six centres de formation des apprentis (CFA) et de concevoir le jeu « Y a moyen », lui aussi sur les TMS.
Les rapporteurs espèrent vivement que les organismes de prévention d’autres branches sauront répondre aux critères d’éligibilité à la deuxième enveloppe du Fipu.
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Pour MM. Hadrien Clouet et Cyrille Isaac-Sibille, rapporteurs, il ne fait pas de doute que le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), mis en place par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 mais opérationnel depuis mars 2024 seulement, répond à des besoins réels des salariés et de leurs employeurs, ainsi que des travailleurs indépendants, afin de réduire leur exposition aux risques ergonomiques qui affectent leur santé et sont à proprement parler une source de dépenses pour les branches AT‑MP, mais aussi maladie (du fait de la sous-déclaration et de l’invalidité) et vieillesse (du fait des départs anticipés).
Le rapporteur Hadrien Clouet est d’avis que les besoins de prévention de l’usure professionnelle ont considérablement augmenté depuis la suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Force est néanmoins pour les deux rapporteurs de constater que le Fipu – quoique la commission de la Cnam chargée des AT-MP rappelle que les aides directes aux employeurs sont les « plus gros volumes traités par [son] réseau » une fois mis de côté les soutiens octroyés pendant la crise sanitaire – a consommé à peine 30 % des crédits disponibles en 2024, à cause d’une demande trop timide (tant de la part des entreprises individuellement que de la seule branche ayant un organisme de prévention éligible), qui révèle une marge disponible pour les RPS.
Le rapporteur Hadrien Clouet estime que le Fipu ne remplit pas son rôle de prévention de l’usure professionnelle et que la sous-consommation des crédits accordés est le résultat d’un important non-recours et, donc, du manque d’investissement des entreprises dans la prévention de l’usure professionnelle.
Selon lui, cela souligne par défaut le rôle essentiel que jouaient les CHSCT désormais supprimés, car ils conduisaient les actions de prévention, d’expertise, d’information et de formation destinées aux travailleurs et à l’employeur, dans un objectif partagé de sécurité et de santé au travail.
Il juge que celui-ci est largement mis à mal ; en témoignent l’augmentation du nombre de morts au travail, des statistiques alarmantes sur le bien-être au travail ou encore la sous-déclaration des TMS mentionnée dans le présent rapport.
Cette sous-exécution est d’autant plus dommageable que le Fipu est au moins en partie le nouvel intitulé d’aides qui existaient plutôt qu’un outil financier supplémentaire, puisque les subventions pour les équipements étaient jusqu’au 1er janvier 2024 l’objet du fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT) : la Cnam confirme que ce second fonds a donc abandonné ce poste pour s’orienter davantage vers les risques non liés aux postures.
Or les données montrent une accélération significative des démarches des employeurs à partir de la campagne de communication afférente au deuxième lot d’équipements dont l’achat peut être pris en charge par le Fipu.
Depuis le 2 décembre 2024, un simulateur dont les rapporteurs ont pu vérifier qu’il se présentait de façon très simple, permet de se renseigner sur les actions de prévention, de sensibilisation ou d’aménagement et sur les frais de personnel des préventeurs ([11]).
Cela invite à poursuivre dans cette voie, pour chaque poste, quoique l’on puisse douter, voire regretter, qu’il faille subventionner les entreprises pour faire ce à quoi la loi les oblige de longue date, à savoir prendre toute mesure d’évitement des risques.
Nombre de demandes d’aides directes des entreprises (gauche)
et montant moyen sollicitÉ (droite) par semaine en 2024
(en valeur absolue ; en millions d’euros)
Note : la première semaine est celle du 18 mars 2024.
Source : réponses écrites de la Caisse nationale de l’assurance maladie au questionnaire des rapporteurs.
Un autre signe encourageant, mais à confirmer, est que, s’agissant toujours des équipements – usage pour lequel les statistiques de la direction des risques professionnels (DRP) de la Cnam sont les plus développées –, le taux de rejet des dossiers ([12]) n’a cessé de diminuer, passant de 66,5 % en juillet puis à 53,7 % en novembre et enfin à 45,2 % en décembre.
Enfin, sur les dossiers parvenus à leur terme, le taux d’anomalie était (au 9 avril 2025) de 2,06 % au stade de la supervision, de 0,55 % à celui de l’ordonnancement, de 1 % au paiement et de 8,08 % lors du contrôle a posteriori.
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2. LES centres de ressources territoriaux
(M. Thierry Frappé et Mme Annie Vidal, rapporteurs)
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) a confié à M. Thierry Frappé et Mme Annie Vidal l’évaluation de l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, lequel a donné naissance aux centres de ressources territoriaux (CRT). Cette mission vient prolonger l’évaluation qui avait été lancée sur le même sujet en 2024 par M. Thierry Frappé et Mme Monique Iborra, laquelle n’avait pu être menée à son terme en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale.
En amont de l’audition des administrations centrales lors du Printemps de l’évaluation, les rapporteurs ont adressé des questionnaires à l’ensemble des agences régionales de santé (ARS) ainsi qu’aux cinq CRT visités en 2024. Ils ont auditionné des agences régionales de santé, des représentants d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de services à domicile, Départements de France et la direction générale de la cohésion sociale, pilote de ce dispositif. Ils sont également allés sur le terrain, à la rencontre de l’équipe d’un CRT. Ils se sont enfin appuyés sur les travaux qui avaient été conduits dans le cadre du Printemps social de l’évaluation en 2024.
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Dans le cadre des expérimentations dites « de l’article 51 » ([13]), avait été introduit un dispositif d’accompagnement renforcé à domicile (Drad) visant à assurer un accompagnement global, continu et renforcé des personnes âgées de 60 ans et plus en perte d’autonomie qui souhaitent rester à domicile, en apportant l’expertise de l’Ehpad au domicile.
Portés par la Croix-Rouge française, le groupe Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve (HSTV) et la Fédération nationale de la Mutualité française, vingt‑trois Drad ont été déployés entre 2020 et 2023, répartis sur dix‑neuf départements et dix régions. Chaque Drad avait vocation à accompagner à domicile une file active moyenne de vingt‑cinq patients, recevant pour ce faire une dotation mensuelle de 1 096 euros par patient. Cette expérimentation a pris fin en décembre 2023, et dix-neuf Drad sur vingt-trois sont devenus des CRT.
Il convient de noter que des dispositifs reposant sur la même philosophie d’un Ehpad « hors les murs » avaient déjà pu voir le jour localement, à l’image du dispositif M@DO (maison de retraite à domicile) porté par le conseil départemental de Corrèze depuis 2012.
Dès la fin 2021, sans attendre le terme de l’expérimentation DRAD, le Gouvernement a fait le choix de faire entrer ce dispositif dans le droit commun. L’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a ainsi prévu que les Ehpad pourraient désormais assumer la mission de centre de ressource territorial, en proposant des actions visant :
– d’une part, à « aider les professionnels du territoire intervenant auprès des personnes âgées » (volet 1) par des formations, des téléconsultations, et la mise à disposition de ressources humaines et de plateaux techniques de l’établissement ;
– d’autre part, à proposer un accompagnement renforcé à domicile des personnes âgées ou des aidants, dans le but de prévenir leur perte d’autonomie (volet 2).
Les Ehpad peuvent, pour ce faire, bénéficier de financements complémentaires délégués par les ARS. L’étude d’impact annexée au projet de loi de financement estimait alors le coût des CRT à 78 millions d’euros en 2025, pour une moyenne de quatre CRT par département, et pour assurer le suivi de 1 % des personnes âgées dont la perte d’autonomie est la plus importante (GIR ([14]) 1 et 2), soit 2 000 personnes en 2030.
En avril 2022 a été publié le décret précisant les missions des CRT et leur cahier des charges ([15]). Ces textes s’écartent un peu du modèle initialement envisagé en prévoyant que la mission de CRT peut être portée par un Ehpad, en lien avec des services à domicile, mais aussi par un service à domicile sur la base d’un conventionnement avec un Ehpad pour la mise à disposition des ressources nécessaires au volet 1, ainsi que d’un médecin coordonnateur et d’un hébergement d’urgence dans le cadre du volet 2. Avec cette ouverture aux services à domicile, on s’éloigne ainsi d’emblée de la vision d’un Ehpad « hors les murs ».
Le cahier des charges définit le public cible du volet 2 comme les « personnes âgées en situation de perte d’autonomie (GIR 1 à 4) pour lesquelles un accompagnement « classique » des services du domicile n’est plus suffisant et qui seraient de prime abord orientées » vers un Ehpad. Il prévoit un financement à hauteur de 400 000 euros par CRT (480 000 euros outre‑mer), librement réparti entre le volet 1 et le volet 2, sous réserve d’accompagner une file active minimale de trente bénéficiaires sur le volet 2, financée à hauteur de 900 euros par mois et par bénéficiaire. Par déduction, la somme dévolue au volet 2 pour cette file active minimale avoisine ainsi 324 000 euros.
Dans une instruction publiée le 10 juillet 2023 ([16]), le Gouvernement prévoit que le budget dédié aux CRT sera progressivement porté à 200 millions d’euros d’ici 2028, pour financer 500 CRT sur l’ensemble du territoire. Pour donner de la visibilité aux ARS, l’instruction acte la répartition entre elles de cette somme selon un critère populationnel (poids de la population de GIR 1 à 4 projetée en 2028). Le montant réparti leur est d’emblée ouvert sous forme d’autorisations d’engagement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Trois ans et demi après le vote de l’article 47, le dispositif des CRT est encore en cours de déploiement. Au 31 décembre 2024, 274 CRT avaient été autorisés et 175 avaient débuté leurs activités. Fin 2025, 405 CRT sur 500 devraient avoir été autorisés. Globalement, la mise en place et le démarrage des activités des CRT s’avèrent très progressifs et bien plus lents que prévu, surtout s’agissant du volet 2.
Confrontés à l’absence de vision centralisée du niveau de déploiement des CRT dans les différentes régions, les rapporteurs ont adressé un questionnaire à l’ensemble des ARS. L’ARS de La Réunion ainsi que toutes les ARS de France métropolitaine ont répondu.
Les réponses à ce questionnaire font apparaître une hétérogénéité globale dans le déploiement des CRT. Elle tient d’abord à la stratégie adoptée par les ARS : certaines (ARS Occitanie) ont procédé d’abord par un appel à manifestation d’intérêt (AMI), qui leur a permis d’identifier la majorité des porteurs potentiels, tandis que la plupart des autres procèdent directement par appels à candidatures successifs, étalés jusqu’en 2028.
Certaines régions apparaissent plus avancées, à l’image de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur – avec l’ensemble des 42 CRT programmés en activité – ou encore du Grand Est, de la Bretagne et des Pays de la Loire. Dans ces régions, le déploiement des CRT apparaît facilité par des expériences antérieures d’ouverture de l’Ehpad vers le domicile (Ehpad hors les murs, Drad, incubateur Divadom).
L’hétérogénéité apparaît aussi dans l’accompagnement proposé par les ARS, lequel s’avère crucial pour guider les porteurs de projet en amont et en aval de la procédure de sélection. Si toutes les ARS semblent « jouer le jeu », certaines apparaissent particulièrement impliquées (mise en place de groupes de travail thématiques, de réunions avec l’ensemble des acteurs du territoire...).
On relève également une hétérogénéité de l’implication des conseils départementaux. Si ceux-ci ont fréquemment été associés au choix des porteurs de CRT, on note globalement leur faible implication pour le déploiement du dispositif, alors que ceux-ci sont chefs de file pour l’accompagnement à domicile des personnes âgées. Certaines ARS relèvent une défiance des conseils départementaux face aux CRT. À l’inverse, dans certains territoires, les conseils départementaux s’inscrivent pleinement en soutien de ce dispositif (cofinancement de deux CRT supplémentaires par le conseil départemental de la Vendée).
La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a missionné tardivement l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) pour accompagner le déploiement des CRT à travers la mise en place d’une communauté de pratiques et le déploiement d’une boîte à outils. Les rapporteurs regrettent que cet accompagnement ne soit pas davantage coordonné avec celui proposé, à l’échelle territoriale, par les ARS, qui sont nombreuses à déplorer de ne pas être intégrées à la communauté de pratiques. Les rapporteurs estiment qu’il convient de repositionner au plus vite l’accompagnement proposé par l’Anap, pour le placer en appui des ARS, lesquelles sont maîtres d’œuvre dans le déploiement des CRT.
Les rapporteurs observent une lenteur globale dans le démarrage des activités des CRT. Il est fréquent que dix‑huit mois s’écoulent entre la désignation d’un CRT et l’intégration des premiers patients dans le cadre du volet 2. À l’heure actuelle, les CRT ouverts en 2023 sont pratiquement les seuls à atteindre la file active de trente patients ; la file active moyenne sur les CRT en activité est de seize patients.
Cette lenteur tient à la nécessité pour le CRT de préciser son positionnement dans l’écosystème local de l’aide à domicile, souvent très complexe, en conventionnant avec l’ensemble des acteurs concernés : services d’aide à domicile, services de soins infirmiers, hospitalisation à domicile, communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), dispositifs d’appui à la coordination (Dac), hospitalisation à domicile (HAD), etc. Ce travail est facilité lorsque le CRT est un Ehpad qui dispose d’un service à domicile, ainsi doté de la double culture Ehpad/domicile.
L’ouverture du CRT s’accompagne du recrutement d’une équipe pluridisciplinaire constituée d’un chef de projet, généralement un infirmier de coordination (IDEC), de plusieurs assistants de soins en gérontologie (ASG) chargés des visites à domicile, ainsi que de temps plus ou moins étendus de médecin coordonnateur, d’ergothérapeute, de diététicien, d’enseignants en activité physique adaptée, d’assistant social, etc. Plusieurs CRT visités par les rapporteurs soulignent des difficultés à recruter certains personnels, notamment les ASG, sans lesquelles le suivi à domicile des patients n’est pas concevable. Il convient de noter que la nécessité d’avoir un temps de médecin coordonnateur (ou libéral) sur le CRT est un facteur limitant dans les zones où la ressource médicale est particulièrement rare.
Le démarrage laborieux des CRT s’explique également par des difficultés en matière de systèmes d’information. Aucune solution nationale ni même régionale n’a été mise au point et les CRT, s’ils peuvent bénéficier de l’appui de l’Anap ou du groupement régional d’appui à la e-santé (GRADeS), doivent déterminer eux-mêmes leurs propres solutions, en recherchant l’interopérabilité avec les multiples partenaires du domicile. L’ensemble des CRT visités ont souligné la complexité de ce dossier, fortement consommateur de temps et de ressources.
Enfin, les CRT sont également nombreux à éprouver des difficultés à mettre en place l’astreinte soignante 24 heures/24 et 7 jours/7, qui fait partie des attendus du cahier des charges pour la prise en charge des patients du volet 2. Si cette astreinte soignante est indispensable pour garantir aux personnes suivies un niveau de surveillance comparable à celui d’un Ehpad, les CRT doivent faire preuve d’inventivité pour la déployer, car elle ne peut être financée intégralement sur les ressources du CRT.
En dépit de ces difficultés, de nombreux interlocuteurs rapportent une réelle dynamique de terrain dans la mise en place des CRT, et une tendance à l’accélération du processus, corroborée par les statistiques, à partir de la fin 2024, les retours d’expérience des premiers porteurs permettant de lever certaines difficultés pour les autres.
À ce stade, la DGCS n’a pas été en mesure de fournir les données quantitatives et qualitatives relatives au déploiement et à l’activité des CRT. La remontée d’informations, effectuée à travers les ARS, apparaît encore limitée et hétérogène, ce qui limite la portée de la présente évaluation.
Les travaux conduits par les rapporteurs leur permettent néanmoins d’ores et déjà de souligner certaines plus-values des CRT, ainsi que certains risques et limites. Ils ne permettent cependant pas de statuer sur l’efficience du dispositif, dans un contexte de ressources limitées pour financer la dépendance. Cette efficience devra impérativement être évaluée dès lors que le Gouvernement bénéficiera des données agrégées des rapports d’activité de l’ensemble des CRT.
De nombreux acteurs rencontrés par les rapporteurs ont souligné que les CRT venaient combler un vide manifeste dans l’accompagnement à domicile des personnes âgées. Alors que ces personnes âgées sont de plus en plus nombreuses à être en perte d’autonomie et à souhaiter rester chez elles plutôt que d’aller en Ehpad, de nombreux angles morts sont à déplorer dans les dispositifs actuels d’accompagnement à domicile. De ce fait, beaucoup de personnes âgées dépendantes sont maintenues à domicile dans des situations dramatiques, sans bénéficier de l’aide dont elles – ou leurs aidants – auraient besoin.
Le CRT permet, en premier lieu, de repérer ces situations difficiles à domicile, et de mettre en place les aides auxquelles les personnes ont droit : passage d’un service d’aide ou de soins à domicile, portage de repas, etc. Ce faisant, il permet de soutenir les aidants, en les guidant et en les appuyant dans les démarches administratives à accomplir.
Le CRT permet également, via les visites à domicile réalisées par les assistants de soins en gérontologie, de davantage personnaliser les accompagnements, en adaptant les horaires de coucher et de prise des traitements aux habitudes des personnes âgées, par exemple.
Le CRT remplit aussi une fonction de lien social qui n’est pas assurée par les services à domicile, davantage concentrés sur des actes techniques. Il permet de mettre en place un accompagnement global de la personne dans toutes ses dimensions, en appréhendant l’ensemble des aspects de cet accompagnement, de la prise des traitements au remplissage du réfrigérateur. Ainsi, comme l’ont souligné les responsables d’un CRT visité par les rapporteurs, il permet de « redonner de la vie aux jours », plutôt de donner des jours à la vie.
Par cette vocation globale, le CRT assure ainsi une fonction de coordination, de mise en musique de l’ensemble des acteurs du domicile. Il pousse à la coopération et incite à travailler dans une logique de parcours et d’accompagnement des personnes, mobilisant à cette fin l’ensemble des ressources du territoire. En cela, le CRT est un dispositif qui a sa place et qui est pertinent sur le fond.
Le caractère englobant, cohérent de l’accompagnement mis en place par les CRT a un impact très positif sur le bien-être au travail des personnels recrutés dans ce cadre. Les rapporteurs estiment qu’il s’agit ici de l’une des plus-values les plus évidentes de ce dispositif. L’ensemble des porteurs auditionnés et rencontrés soulignent un effet très bénéfique sur le recrutement et la fidélisation des personnels. Le travail au sein du CRT ouvre des perspectives d’évolution pour le personnel de l’Ehpad, offrant davantage d’autonomie et une moindre pénibilité physique.
Au-delà de ces éléments positifs, les rapporteurs estiment qu’il importe, pour évaluer l’efficacité des CRT, d’apprécier leur capacité à éviter ou retarder l’entrée en Ehpad des personnes accompagnées. Lors des auditions et déplacements, les porteurs ont souligné que le CRT permettait une transition plus fluide entre le domicile et l’Ehpad, en évitant les ruptures, les entrées précipitées après une chute. En favorisant les liens entre l’Ehpad et le domicile, dans le cadre des volets 1 et 2, le CRT atténue l’image négative de l’Ehpad.
Les rapporteurs estiment néanmoins que le CRT ne saurait se limiter à cette fonction. Il est attendu qu’il constitue une alternative à l’Ehpad pour des personnes âgées dépendantes qui, à défaut, n’auraient eu d’autre choix que d’être institutionnalisées. Il importera donc d’évaluer précisément, au regard des données des rapports d’activité, la capacité des CRT à constituer une alternative à l’Ehpad.
Sans nier les apports susmentionnés, les rapporteurs s’interrogent sur l’efficience du dispositif des CRT, face à l’enjeu massif du vieillissement démographique à venir.
Les rapporteurs notent que le CRT est surtout conçu comme un dispositif qui vient pallier les carences dans l’accompagnement à domicile des personnes âgées, « boucher les trous dans la raquette », comme ils l’ont entendu souvent lors de leurs déplacements. Ils estiment que l’utilité du CRT découle ainsi en grande partie des manques de certaines politiques locales ; il est, en quelque sorte, positionné en variable d’ajustement des services actuellement prévus dans le droit commun. Par exemple, le CRT peut dépêcher des assistantes sociales auprès des personnes âgées pour les aider à accomplir leurs démarches administratives, alors que cette mission incombe normalement aux départements.
Les rapporteurs alertent ainsi sur l’impératif de ne pas refinancer, à travers les CRT, des actions qui sont normalement déjà financées par d’autres dispositifs de droit commun.
Les rapporteurs s’interrogent également sur l’articulation entre les CRT et d’autres dispositifs, également positionnés sur la coordination des interventions auprès des personnes âgées dépendantes. C’est le cas notamment des Dac, positionnés en appui des professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux faisant face à des personnes cumulant diverses difficultés et aux besoins de santé complexes – souvent des personnes âgées dépendantes. L’articulation CRT-Dac est un problème qui a été soulevé de manière récurrente par les interlocuteurs de la mission.
La question se posera également de l’articulation entre le CRT et le service public départemental de l’autonomie (SPDA), dont la généralisation a été récemment annoncée, en application de la loi dite « bien‑vieillir » ([17]). La mission du SPDA, porté par les conseils départementaux, est, selon les termes de la loi, de faciliter « les démarches des personnes âgées, des personnes handicapées et des proches aidants, en garantissant que les services et les aides dont ils bénéficient sont coordonnés, que la continuité de leur parcours est assurée et que leur maintien à domicile est soutenu, dans le respect de leur volonté et en réponse à leurs besoins ». Elle semble recouper fortement les missions des CRT et il importera de veiller à ne pas financer de la « coordination de coordinateurs ».
Au total, les rapporteurs estiment qu’il persiste un certain flou sur le positionnement exact des CRT, auquel sont directement confrontés les porteurs qui apportent chacun leurs propres réponses sur le terrain. Des questions de frontière multiples se posent, laissant parfois un sentiment d’illisibilité, de millefeuille qui nuit à l’efficacité de la politique publique voulue par le législateur.
Les rapporteurs s’interrogent également sur le ciblage des interventions du CRT. Ce dispositif avait initialement vocation à se concentrer sur les publics les plus dépendants (GIR 1 et 2) pour faire en sorte que le domicile puisse constituer une alternative à l’Ehpad. Or, ce ciblage a été élargi aux GIR 1 à 4 dans le cadre du cahier des charges, et il s’avère que, dans la réalité, ce sont souvent des GIR 3 et 4, parfois des GIR 2, qui sont accompagnés. Ce point a été confirmé lors des visites des terrains des députés ; les porteurs ont mis en avant leur sentiment d’être plus utiles auprès des GIR 3 et 4, pour intervenir plutôt en prévention de la perte d’autonomie.
Les rapporteurs estiment que ce glissement interroge. Ils alertent sur la tentation qu’il pourrait y avoir à se concentrer sur un public moins compliqué, qui serait évidemment très satisfait de bénéficier de prestations supplémentaires, mais ne constituerait pas le cœur de cible du dispositif.
Au-delà, les rapporteurs ne peuvent que constater les limites de tout dispositif qui se fonde sur le critère du GIR, du fait même des lacunes de cet outil qui sont désormais bien connues. Elles ont encore été rappelées par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ([18]), qui souligne que « la grille Aggir évalue un niveau de réalisation des actes essentiels de la vie quotidienne et non le niveau des besoins d’aide », précisant que « les insuffisances de la grille sont particulièrement manifestes pour les personnes atteintes de troubles neuro-cognitifs », des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer pouvant fréquemment être classées en GIR 5 ou 6.
Les rapporteurs appellent ainsi à réviser de toute urgence la grille Aggir pour apprécier plus finement la dépendance. Il pourrait notamment être envisagé de s’inspirer de la démarche SMAF (système de mesure de l’autonomie fonctionnelle) employée au Canada, pour déterminer des profils plus fins en tenant compte de l’ensemble des ressources disponibles autour de la personne, qui sont des paramètres déterminants pour mesurer l’autonomie.
Les auditions et déplacement effectués par les rapporteurs les conduisent à constater une situation très largement sous-optimale sur la question des systèmes d’information sur lesquels les CRT peuvent s’appuyer pour effectuer le suivi de leurs patients. De l’aveu même de M. Florian Kastler, chef du bureau de la prévention de la perte d’autonomie à la DGCS, « on achoppe sur la question des systèmes d’information ».
D’une part, il n’existe pas d’outil numérique commun pour le partage d’informations entre les différents services qui interviennent au domicile et le CRT.
D’autre part, le cahier des charges des CRT prévoit que ces derniers sont appelés à mettre en place des outils de télésurveillance pour assurer un suivi renforcé des patients au domicile. Au-delà de la téléassistance d’ores et déjà prise en charge dans le cadre de l’allocation personnalisée d’autonomie (Apa), il s’agit d’outils de domotique, par exemple de capteurs permettant de détecter des chutes ou des changements dans les habitudes de vie.
Les rapporteurs ont été alertés par les ARS sur le démarchage commercial intense auquel sont soumis les porteurs de CRT pour investir dans des formules de télésurveillance qui les engagent sur plusieurs années, sans nécessairement répondre à un réel besoin, et parfois sans cohérence avec la téléassistance proposée par le département. Plusieurs ARS ont ainsi déploré que les CRT aient contractualisé avec des sociétés sans en avoir réellement apprécié les conséquences à moyen terme.
Les rapporteurs s’interrogent sur la pertinence de faire de la mise en place de la télésurveillance une responsabilité des CRT. C’est source d’injustice, dans la mesure où les personnes âgées du CRT peuvent bénéficier des outils domotiques sans aucun reste à charge, alors que ces équipements ne sont pas du tout pris en charge pour les autres. En outre, cela signifie qu’un patient sortant du CRT devrait se voir, du jour au lendemain, privé de toute domotique, ce qui rend cette sortie peu vraisemblable, sauf pour entrer en Ehpad.
Les rapporteurs estiment ainsi qu’il y a manifestement, sur ces questions de systèmes d’information et de télésurveillance, un défaut d’accompagnement de l’échelon national, qui conduit à une situation inefficiente.
Les rapporteurs soulignent qu’il a été demandé aux Ehpad de mettre en œuvre le dispositif des CRT alors que la plupart se trouvent déjà en grande difficulté, sur le plan financier et sur le plan des ressources humaines.
Cette situation n’est pas propice à une dynamique de projet, car elle empêche de nombreux Ehpad, trop empêtrés dans leurs problèmes, de se positionner comme CRT. Ainsi plusieurs ARS ont fait remonter des difficultés importantes pour réussir à trouver des porteurs suffisamment robustes.
En outre, cette fragilité emporte un risque quant à l’utilisation de la dotation prévue pour les CRT. En effet, le CRT n’ayant pas de personnalité juridique distincte de celle de l’établissement support, la dotation de 400 000 euros qui le finance est simplement versée au budget de cet établissement. Certes, une comptabilité analytique est obligatoire pour retracer les dépenses propres au CRT. Cependant, certaines dépenses bénéficient à la fois au CRT et à l’Ehpad, en particulier sur le volet 1 et sur le volet des ressources humaines.
Il importera ainsi d’être particulièrement vigilant à ce que la dotation du CRT ne vienne pas prendre en charge des dépenses que l’Ehpad ne peut plus se permettre du fait de sa situation financière.
Les rapporteurs estiment que le coût du CRT est loin d’être négligeable si on le rapporte au nombre de patients suivis. Si l’on se fonde sur une file active de trente patients (souvent non atteinte à ce jour), cela représente un coût de 10 800 euros par bénéficiaire et par an pour la collectivité, sans compter le coût des autres interventions au domicile. À titre d’exemple, le service d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) coûte entre 10 000 et 13 000 euros par an pour les GIR 1 et 2, hors ticket modérateur ; et le coût d’une place en service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) est estimé à 16 000 euros annuels en moyenne.
Pourtant, tous les CRT visités par les rapporteurs estiment que la dotation de 400 000 euros qui leur est allouée sera trop juste pour mettre en place l’ensemble des actions prévues par le cahier des charges.
Au-delà de l’efficience du dispositif des CRT, les rapporteurs estiment que c’est son dimensionnement qui interroge, face aux enjeux démographiques massifs qui sont devant nous.
Le cahier des charges des CRT prévoit qu’ils ont vocation à prendre en charge au moins trente patients dans le cadre du volet 2. Or, les rapporteurs ont pu vérifier, à travers leurs auditions et leurs déplacements, que ce nombre de trente était souvent considéré comme un objectif.
Lors de son audition, M. Florian Kastler (DGCS) a souligné qu’il ne s’agissait pas de trente patients mais de trente places, qui pouvaient représenter bien plus de trente patients suivis en une année, la file active ayant vocation à tourner. Le cahier des charges mentionne en effet l’hypothèse d’une prise en charge temporaire par le CRT, par exemple en sortie d’hospitalisation. Dans les faits, cela semble bien peu se vérifier ; l’essentiel des sorties de CRT sont dues à des décès ou à des entrées en Ehpad. La capacité des porteurs à faire tourner la file active apparaît donc faible.
Au regard des enjeux démographiques, les rapporteurs estiment que le dispositif des CRT apparaît ainsi sous-dimensionné : trente personnes suivies par 500 CRT à terme, cela représente 15 000 personnes âgées dépendantes suivies à la fin de la décennie, à rapporter aux plus de 3 millions de personnes âgées qui devraient se trouver en situation de perte d’autonomie à l’horizon 2030 ([19]).
L’Igas estime, dans son rapport paru en février 2024 ([20]), qu’à pratiques inchangées en termes de capacités de maintien à domicile, il faudrait créer entre 103 000 et 140 000 places en Ehpad/unités de soins de longue durée et résidences autonomie à l’horizon 2030 pour absorber cette augmentation de la population âgée en perte d’autonomie. En l’absence d’un grand plan d’ouverture de places en Ehpad, c’est le domicile qui a vocation à absorber cette augmentation. On voit donc qu’il y a un rapport de un à dix entre le dimensionnement des CRT et ce que seront les besoins d’accompagnement renforcé à domicile à l’horizon 2030. Et l’on constate également que les CRT seront appelés à prendre en charge massivement des GIR 1 et 2, à rebours de la tendance observée actuellement.
En conséquence, les rapporteurs font leurs les paroles de la directrice de la performance médico-sociale de l’Anap, lors de son audition en 2024 : « On se questionne sur l’ambition finale. Si c’est vraiment le modèle d’Ehpad du futur qu’on veut construire, il va falloir monter en puissance pour couvrir le besoin. L’ambition n’est pas à la hauteur des enjeux démographiques. »
Face au déploiement plus lent que prévu des CRT, le Gouvernement a décidé d’en reporter l’évaluation, initialement prévue en 2024, à la fin de l’année 2025. À partir du quatrième trimestre, l’Anap devrait ainsi démarrer l’évaluation de ce dispositif à partir des remontées de rapports d’activité des CRT de façon à permettre, le cas échéant, une révision du cahier des charges en 2026. Les rapporteurs estiment que certaines évolutions apparaissent en effet indispensables pour garantir l’efficience du dispositif et l’atteinte des objectifs fixés par le législateur.
Le volet 1 porte la mission de pôle de ressources de l’Ehpad à destination des autres acteurs du territoire. En réalité, cette mission n’est pas directement en lien avec l’accompagnement des personnes prévu dans le cadre du volet 2 ; elle ne vise pas le même public et ne porte pas sur le même périmètre d’intervention. De nombreuses collectivités n’avaient pas attendu les CRT pour déployer des dispositifs de ce type. Si le volet 1 a permis d’apporter une source de financement complémentaire – voire un financement relai, il n’est pas certain que le CRT soit la bonne échelle pour coordonner et déployer ces dispositifs ressources. La liste des actions financées par les CRT dans le cadre du volet 1 apparaît souvent assez disparate, sans réelle logique d’ensemble et sans articulation avec les dispositifs similaires portés par d’autres acteurs, donnant parfois l’impression d’un saupoudrage.
Les rapporteurs s’interrogent ainsi sur l’opportunité de recentrer la dotation des CRT sur le financement du volet 2, lequel apparaît nettement prioritaire face au vieillissement de la population. La mise en œuvre du volet 1 pourrait davantage ressortir de la compétence du service public départemental de l’autonomie (SPDA), probablement positionné à une meilleure échelle pour ce type de dispositifs. Un recentrage des CRT sur leur volet 2 pourrait par ailleurs être associé à une évolution de leur appellation, la notion de « centre de ressources territorial » n’étant pas très explicite pour nombreux acteurs.
Les rapporteurs pensent qu’il n’est plus possible de verser dans son intégralité la dotation annuelle de 400 000 euros aux CRT sans contrôler de près leur activité dans le cadre du volet 2. À l’heure actuelle, les CRT reçoivent la dotation complète à compter de leur date d’ouverture officielle, quand bien même ils ne suivent, plusieurs mois après, qu’une poignée de patients. Les rapporteurs veulent bien admettre qu’une période de montée en charge est nécessaire, mais il convient d’en fixer le terme, au-delà duquel les CRT devront avoir mis en œuvre les principales missions qui sont attendues d’eux, à commencer par le suivi renforcé d’au moins trente patients.
En rythme de croisière, les rapporteurs estiment qu’il devra être envisagé de moduler la dotation versée aux CRT en fonction du nombre et des caractéristiques de la population accompagnée. On pourrait envisager une dotation socle pour l’ensemble des CRT, assortie d’une dotation à la file active, pondérée selon le niveau de dépendance des personnes accompagnées.
Il importera également de mieux définir à la fois le public cible et le territoire d’intervention du CRT. La définition du public cible devra permettre de cibler prioritairement les personnes pour qui l’institutionnalisation apparaîtrait inéluctable, faute d’accompagnement renforcé. Même si cet indicateur ne saurait constituer un absolu, cette redéfinition impliquera nécessairement un recentrage des publics accompagnés sur les GIR 1 et 2. Elle impliquera par ailleurs de mieux prendre en compte la question des troubles neuro-dégénératifs, qui sont mal traduits par les critères du GIR.
En outre, il paraîtrait souhaitable de traiter également, dans le cadre des CRT, la problématique des personnes handicapées vieillissantes, quitte à envisager des CRT spécifiquement dédiés à leur prise en charge.
Il importe que le territoire d’intervention soit mieux défini dans le cahier des charges, et davantage circonscrit : un CRT ne peut pas raisonnablement rayonner sur l’ensemble du département ; il doit impérativement s’agir d’un territoire de grande proximité. Cela impliquera de créer davantage de CRT, éventuellement sous la forme observée dans les Hauts‑de‑France d’une même structure juridique porteuse de plusieurs CRT, rayonnant autour de différentes antennes, dans le but de mutualiser certains coûts.
Comme les rapporteurs l’ont exposé, l’introduction de la télésurveillance dans le cahier des charges des CRT induit une surenchère commerciale non corrélée aux besoins des bénéficiaires ; elle est source d’injustice et d’incohérence pour les personnes qui ne sont pas incluses dans un CRT ou qui pourraient en sortir. Il importe donc de ne plus faire reposer le financement de la télésurveillance sur les CRT. Si ceux-ci peuvent aider à la mise en place de ces outils pour leurs patients, il convient de prévoir un financement départemental pour la domotique, sur le même modèle que la téléassistance, en redéployant à cette fin les crédits de la conférence des financeurs.
La mise en place d’une astreinte soignante 24 heures/24 et 7 jours/7 est souvent à la fois une condition et un obstacle à la mise en place du volet 2. Généralement peu sollicitée – le plus souvent pour de la réassurance téléphonique – cette astreinte soignante représente un coût déraisonnable si elle est mise en place exclusivement sur les ressources du CRT. Il importe de préciser, dans le cahier des charges, les attendus de cette astreinte soignante, qui pourra être mutualisée avec celle de l’Ehpad.
Le manque de structuration et la fragilité des services à domicile sont des facteurs qui compliquent fortement le positionnement et l’action au quotidien des CRT, lesquels ne peuvent que s’appuyer sur eux. Le succès du dispositif des CRT est ainsi étroitement dépendant de la réforme des services à domicile. Il apparaît donc prioritaire de mener à son terme la réforme des services autonomie à domicile, qui permettra d’aller vers une meilleure structuration des acteurs du domicile.
Au-delà de la question des CRT, les rapporteurs invitent le Gouvernement à réinterroger la cohérence d’ensemble de sa stratégie domiciliaire au regard des évolutions démographiques prévisibles. Comme le montre le rapport précité de l’Igas, même en montant en charge, le domicile ne pourra probablement pas absorber l’accroissement de la population en situation de perte d’autonomie. Ainsi que l’a illustré une note du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) en 2021 ([21]) l’accompagnement renforcé les personnes dépendantes à domicile est plus coûteux qu’en Ehpad car il induit une dispersion des moyens. Il importe donc de continuer à investir dans les Ehpad, en veillant à aller davantage vers un « Ehpad domicile », de façon à concilier les contraintes budgétaires avec les aspirations des personnes âgées dépendantes.
Or, comme l’a souligné l’Anap lors de son audition, la grande majorité des projets validés dans le cadre des investissements du Ségur de la santé sont allés à des Ehpad hospitaliers très en difficulté. Les 1,5 milliard d’euros mobilisés ont permis de moderniser entre 10 et 15 % du parc immobilier. Comme l’avait exprimé en 2024 Mme Marie-Sophie Ferreira (Anap) lors de son audition, « il est difficile de penser l’Ehpad du futur avec les locaux de l’Ehpad d’hier »...
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ANNEXE
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
(par ordre chronologique)
Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – M. Florian Kastler, chef du bureau de la prévention de la perte d’autonomie et du parcours de vie des personnes âgées, sous-direction autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées, Mme Nathalie Dutheil, adjointe, et Mme Diane Genet, chargée de mission Innovation et transformation de l’offre médico-sociale
Table ronde sur les porteurs de projet de l’expérimentation Drad :
– Croix-Rouge – M. Jean-Baptiste Kieffer, directeur adjoint de la filière Personnes âgées, et Mme Anne Baudrillard, cheffe de projet national - filière Personnes âgées et domicile (Padom)
– Mutualité française – M. Valentin Jeufrault, responsable du pôle Affaires publiques, et Mme Anne Pascaud, responsable du secteur médico-social
– Groupe Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve (HSTV) – M. Rémi Locquet, directeur de l’innovation, de la recherche et de la formation
Audition conjointe des représentants des deux fédérations de directeurs d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) :
– Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa) – Mme Annabelle Vêques, directrice, et Mme Jennifer Kunakey, responsable du réseau et des relations institutionnelles
– Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) – M. Éric Fregona, directeur adjoint
Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) et Mission nationale d’appui à l’investissement immobilier médico-social (MNAI) – Mme Marie-Sophie Ferreira, directrice de la performance médico-sociale de l’Anap, et Mme Laetitia Naud, experte Parcours médico-social
Fédération hospitalière de France (FHF) – M. Marc Bourquin, conseiller Stratégie et responsable de l’articulation et de la coordination Parcours, proximité, autonomie et territoire, et M. Benjamin Caniard, co-responsable du Pôle autonomie
Table ronde avec les associations de médecins coordonnateurs en Ehpad :
– Association nationale des médecins coordonnateurs (MCOOR) – Dr Stéphan Meyer, vice-président, gériatre, médecin coordonnateur
– Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco) – Dr Nathalie Maubourguet, présidente, Dr Xavier Gervais, vice‑président, et Dr Pascal Meyvaert, vice-président, président du Syndicat des médecins coordonnateurs, Ehpad et autres structures, généralistes ou gériatres-Confédération des syndicats médicaux français (SMGG-CSMF)
Table ronde avec des agences régionales de santé (ARS) :
– ARS Nouvelle Aquitaine – M. Olivier Serre, directeur de cabinet, et Mme Julie Dutauzia, directrice de la protection de la santé et de l’autonomie
– ARS Occitanie – Mme Cendrine Blazy, responsable de l’unité politique du vieillissement, direction de l’offre de soins et de l’autonomie
– ARS Grand Est – Mme Agnès Gerbaud, directrice de l’autonomie
Table ronde avec des agences régionales de santé (ARS) :
– ARS Bretagne – M. Malik Lahoucine, directeur général adjoint
– ARS Hauts de France – M. Jean-Christophe Canler, directeur général adjoint, et M. Charly Chevalley, directeur de l’offre médico-sociale
Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) – Mme Virginie Magnant, directrice générale, et Mme Anne-Marie Ho Dinh, conseillère technique
Conseil départemental du Pas-de-Calais – Mme Maryse Cauwet, vice‑présidente en charge des personnes âgées, M. Matthieu Delrue, chargé de mission Enfance, famille, personnes âgées, santé, référent territoire du Boulonnais, et M. Patrick Genevaux, directeur général adjoint du Pôle solidarité
Pr Claude Jeandel, professeur de médecine interne et de gériatrie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier, président du conseil national professionnel (CNP) de gériatrie
Conseil départemental de la Gironde – M. Romain Dostes, vice-président, chargé de la politique des aînés et du lien intergénérationnel
Déplacements à la rencontre des équipes des CRT rattachés à l’Ehpad Indigo de Nîmes (Gard), à l’Ehpad de Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne), à l’Ehpad de Montech (Tarn-et-Garonne), à l’Ehpad de Liévin (Pas-de-Calais) et à l’Ehpad de Marles-les-Mines (Pas-de-Calais)
Syndicat national des établissements et résidences privées pour personnes âgées (Synerpa) et Synerpa domicile* – M. Jean-Christophe Amarantinis, président confédéral, et Mme Laurène Ferran, responsable du pôle Affaires publiques
Table ronde avec des agences régionales de santé (ARS) :
– ARS Hauts-de-France – M. Jean-Christophe Canler, directeur général adjoint, et M. Charly Chevalley, directeur de l’offre médico‑sociale
– ARS Normandie – M. Jérôme Dupont, adjoint à la directrice de l’autonomie
Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – M. Arnaud Flanquart, sous-directeur de l’autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées, Mme Emmanuelle Séguy-Gard, adjointe au sous-directeur, chargée de l’autonomie des personnes âgées, M. Florian Kastler, chef du bureau de la prévention de la perte d’autonomie et du parcours de vie des personnes âgées, et Mme Nathalie Dutheil, adjointe au chef du bureau de la prévention de la perte d’autonomie et du parcours de vie des personnes âgées
Assemblée des départements de France – M. Olivier Richefou, président du département de la Mayenne, président du groupe de travail Grand âge
Déplacement à la rencontre de l’équipe du CRT rattaché à l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de Maromme (Seine‑Maritime)
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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3. Les dispositifs d’aide directe À l’installation
des jeunes mÉdecins
(MM. Jean-François Rousset et Yannick Monnet, rapporteurs)
Les aides financières à l’installation des jeunes médecins en zones marquées par des difficultés d’accès aux soins recouvrent un large ensemble de dispositifs de compléments de revenus, d’exonérations de cotisations sociales, d’aides en nature versées par les administrations publiques à destination de médecins choisissant de s’installer dans des territoires marqués par des difficultés d’accès aux soins.
Ces aides relèvent principalement du champ de la convention médicale signée entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et les principales organisations représentatives des syndicats de médecins ([22]).
Toutefois, la loi de financement pour la sécurité sociale (LFSS) peut également prévoir des dispositions susceptibles de soutenir l’activité des médecins exerçant en zone sous-dotée. Les mesures relevant de l’article 51 de la loi n° 2019‑1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 s’inscrivent dans cette dernière catégorie.
Les rapporteurs, MM. Jean-François Rousset et Yannick Monnet, ont souhaité contrôler l’application de cette disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 au regard de l’ensemble des montants financiers mobilisés pour favoriser l’installation des jeunes médecins.
Le présent rapport restitue les travaux qu’ils ont menés.
Les rapporteurs ont choisi d’entendre la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), la direction générale de l’offre de soins (DGOS) ainsi que les représentants des agences régionales de santé (ARS) des régions Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France. Le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) ainsi que les représentants des jeunes médecins et internes ont également été reçus. Enfin, les associations d’usagers ont conclu ces séries d’auditions et ont partagé leur retour d’expérience sur l’effectivité du dispositif. |
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Le champ d’application de l’article 51 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 recouvre deux dispositifs distincts d’aides à l’installation. D’une part, un allégement ciblé et provisoire de cotisations sociales et, d’autre part, un contrat d’exercice ouvrant droit à un complément de revenus.
Ainsi, ledit article 51 a institué – par la création de l’article L. 162‑5‑19 du code de la sécurité sociale – un allégement ([23]), pour une durée de deux ans ([24]), de cotisations sociales des régimes de base assurance maladie, maternité, vieillesse et des régimes complémentaires (vieillesse, invalidité, décès et allocations familiales). Cet allégement est applicable aux médecins exerçant en zone sous‑dotée ([25]), dans les trois années qui suivent l’obtention du diplôme de docteur en médecine ([26]).
Le praticien doit, afin de bénéficier des exonérations, pratiquer les honoraires fixés par la convention médicale ([27]) ou adhérer à un dispositif de maîtrise des dépassements d’honoraires ([28]). L’allégement de cotisations est versé automatiquement par une diminution de la cotisation appelée par l’assurance maladie. Une notification préalable de l’identité du bénéficiaire est réalisée par les organismes chargés du recouvrement des cotisations sociales.
Enfin, le calcul du montant de l’allégement est réalisé sur la base du montant des cotisations versées par un praticien au cours de ses vingt‑quatre premiers mois d’activité, après prise en compte de la participation des organismes d’assurance maladie. Il est encadré par un plafond équivalent au montant de cotisations versées par un médecin ayant un revenu d’honoraires moyen de 80 000 euros annuels.
Calcul de l’allégement de cotisations applicable aux médecins en zone sous-dotée
L’allégement de cotisations est déterminé par le différentiel entre, d’une part, le montant des cotisations dues au titre du régime de base et des régimes de prestations complémentaires et, d’autre part, la participation des organismes d’assurance maladie au financement des cotisations (*).
L’aide est toutefois soumise à un plafond équivalent au montant de cotisations dues, après prise en compte de la participation des caisses d’assurance-maladie, pour un revenu d’honoraires de 80 000 euros.
(*) La convention médicale détermine le montant de la participation des organismes d’assurance maladie au financement des cotisations du régime de base et des régimes complémentaires. Cette participation varie selon le niveau de revenus du praticien (source : arrêté du 20 juin 2024 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie).
À date, le dispositif de l’article L. 162‑5‑19 du code de la sécurité sociale est en cours d’extinction. Ainsi, seuls les médecins installés avant le 31 décembre 2022 bénéficient encore de l’allégement ciblé. Le dispositif sera, par conséquent, définitivement éteint au 31 décembre 2025, soit trois ans après la date limite d’installation en zone sous-dotée.
Toutefois et y compris en période de pleine montée en charge du dispositif, le taux de recours au dispositif d’allégement de cotisations s’est révélé faible. Ainsi, d’après la direction de l’offre de soins de la Caisse nationale de l’’assurance maladie, seuls 349 praticiens ont pu, à ce jour, bénéficier des allégements de cotisations prévus par l’article L. 162‑5‑19 du code de la sécurité sociale ([29]).
Cette donnée traduit une sous-performance manifeste en comparaison de la cible de 500 nouveaux bénéficiaires par an prévue par l’étude d’impact annexée au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ([30]).
Enfin, si la caisse précise qu’elle ne dispose pas des données permettant d’établir un taux de recours fiable ([31]), peu de praticiens hors la région d’Île‑de‑France – qui concentre près de 50 % des bénéficiaires des allégements– ont pu bénéficier de ce dispositif ([32]). Les rapporteurs soulignent que le dynamisme spécifique du territoire francilien est dû à une forte publicité du dispositif par l’Union régionale des professionnels de santé auprès des jeunes médecins ([33]).
RÉPARTITION TERRITORIALE DES BÉNÉFICIAIRES DES ALLÉGEMENTS DE COTISATIONS SOCIALES PRÉVUS PAR L’ARTICLE 51 de LA LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2020
Source : réponse de la Cnam au questionnaire adressé par les rapporteurs, p. 1, 21 mai 2025. La région Occitanie ne présente pas de bénéficiaires.
Au-delà d’un allégement ciblé de cotisations sociales, l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 propose également aux jeunes praticiens un contrat de début d’exercice entre un jeune médecin et l’ARS territorialement compétente. Ce contrat porte sur un engagement d’exercice ou visant à assurer une activité de remplacement dans un cabinet situé en zone sous‑dense ou dans un territoire limitrophe ([34]), dans une limite de 10 kilomètres ([35]). Sa durée est de trois ans, sans possibilité de le renouveler.
Cet engagement peut être signé par :
– tout étudiant satisfaisant aux conditions d’exercice de médecin remplaçant ([36]) ;
– un médecin en activité depuis moins d’un an ([37]) ;
– un médecin exerçant comme remplaçant ou un étudiant exerçant comme remplaçant ([38]).
Le contrat de début d’exercice fixe une durée minimale d’exercice en zone sous-dense de cinq demi‑journées par semaine pour un collaborateur exerçant en libéral et de vingt‑neuf journées par trimestre pour un collaborateur remplaçant, soit l’équivalent de 80 % de son activité de remplaçant.
Il est exclusif de tout autre contrat d’aide à l’installation et impose à son bénéficiaire de respecter les tarifs de la convention médicale ou d’adhérer à un dispositif de maîtrise des dépassements d’honoraires. En contrepartie, les jeunes professionnels signataires bénéficient d’un accompagnement à l’installation par l’agence régionale de santé et d’une rémunération complémentaire, sous la forme d’une garantie de revenus.
Calcul de l’aide financière à l’installation prévue par le contrat de début d’exercice
La rémunération complémentaire prévue par le contrat de début d’exercice prend la forme d’une garantie de revenus calculée comme le différentiel entre un montant plafond fixé par décret et les revenus tirés de l’activité du praticien.
Le bénéfice de la garantie de revenus est ouvert à partir d’un certain niveau d’activité et le montant plafond peut, selon les cas, être majoré sur décision du directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétente.
Les montants des seuils et plafonds selon le type d’activité, remplacement ou non, sont indiqués en annexe du présent rapport.
À l’origine, la création du contrat de début d’exercice s’inscrivait dans une logique de simplification et d’amélioration du taux de recours aux aides financières à l’installation des jeunes praticiens. Le texte initial du Gouvernement prévoyait notamment la fusion des quatre contrats existants au sein d’une contractualisation unique liée à un accompagnement juridique et logistique vers l’installation ([39]).
En effet, ainsi que le relève le rapport Augros, dès 2019, le paysage des aides financières à l’installation était marqué par un morcellement des dispositifs ([40]). Quatre contrats conditionnés à des critères d’éligibilité différents coexistaient :
– le contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG), qui offrait une rémunération complémentaire à tout médecin généraliste installé depuis moins d’un an dans une zone sous-dense ;
– le contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire (PTMA), qui prévoyait un complément de revenus pour tous les médecins conventionnés qui pratiquent les tarifs de la convention médicale en zone sous-dense ;
– le contrat de praticien de médecine de remplacement (PTMR), qui ouvrait le bénéfice d’une garantie de revenus forfaitaire pour tout praticien remplaçant exerçant, à titre libéral, en zone sous-dense ;
– le contrat de praticien isolé à activité saisonnière (PIAS), qui garantissait une aide forfaitaire à l’investissement et une rémunération complémentaire aux praticiens exerçant en zone isolée et pratiquant les tarifs de la convention médicale.
La multiplicité des contrats d’aides à l’installation générait des coûts de gestion supplémentaires pour des taux de recours parfois très faibles. Ainsi, l’annexe 9 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 chiffrait, en 2018, le recours au PTMG à 8 % du nombre potentiel de bénéficiaires, soit 200 personnes. Le PTMA, le PTMR et le PIAS regroupaient, pour ce qui les concerne, à peine quelques dizaines de signataires. Dès lors, le contrat de début d’exercice visait autant la simplification du régime des aides financières à l’installation des jeunes praticiens que l’amélioration du taux de recours à ces différents dispositifs.
À date, les rapporteurs considèrent que si l’effort de simplification a été accompli partiellement, celui visant à augmenter le nombre de contrats signés s’est soldé par un échec. En effet, si le nombre de dispositifs a bien diminué par la fusion du PTMA, du PTMR et du PIAS, le taux de recours au contrat de début d’exercice demeure faible. Sur la base de données partielles, la direction générale de l’offre de soins l’a ainsi estimé à 10 %, soit à peine 2 points au-dessus du taux de recours associé au PTMG ([41]). La mesure a d’ailleurs fait l’objet d’une réduction de périmètre aux médecins remplaçants depuis le 1er janvier 2023, preuve selon les rapporteurs de son inefficacité.
Les aides financières créées par l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 se caractérisent par la faiblesse de leurs montants au regard des dispositifs conventionnels. Ainsi, pour ce qui relève des allégements de cotisations, le coût total de la mesure a été évalué à 4 235 856 euros entre 2020 et 2024, sur la base de données fournies par l’assurance maladie. Le contrat de début d’exercice a, pour ce qui le concerne, un coût de 7 116 063 euros sur la période allant de 2021 à 2025. Les dépenses afférentes au contrat de début d’exercice sont d’ailleurs marquées par une forte concentration territoriale. Ainsi, un quart des décaissements liés au contrat de début d’exercice ont lieu en région Auvergne-Rhône-Alpes (24,31 %). Le montant s’établit à 17 % pour la région d’Île-de-France.
RÉPARTION PAR RÉGION DU MONTANT DE L’AIDE FINANCIÈRE LIÉE AU CONTRAT DE DÉBUT D’EXERCICE et versée entre 2021 et 2025
Source : direction générale de l’offre de soins, réponse au questionnaire des rapporteurs, 28 mai 2025
Au total, les dispositions de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ont induit un coût brut pour les finances publiques de 11 351 919 euros entre 2020 et 2025. En comparaison, les aides conventionnelles versées par l’assurance maladie au titre des contrats dits « démographiques » représentent un total de 226 millions d’euros sur la période allant de 2017 à 2022 ([42]).
Plus encore, la seule prise en charge des cotisations sociales des médecins exerçant en secteur 1 – toutes situations géographiques confondues – est chiffrée à 1,349 milliard d’euros par l’assurance maladie ([43]).
Les collectivités territoriales proposent, quant à elles, de multiples aides, financières ou en nature, afin de favoriser l’installation de jeunes médecins. À titre d’exemple, la région d’Île-de-France verse, à chaque professionnel de santé s’installant pour la première fois en cabinet, une aide à l’investissement d’un montant maximal de 15 000 euros ([44]).
Les montants financiers mobilisés dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 présentent donc un effet propre limité au regard des sommes significatives dépensées par l’assurance maladie et les collectivités territoriales. À la lumière de ce constat, les rapporteurs estiment nécessaire de mettre en extinction le contrat de début d’exercice encore en application. Enfin, s’ils ne nient pas l’intérêt que présentent les aides financières à l’installation, ils estiment indispensable de disposer, à l’avenir, d’une vision consolidée sur l’ensemble des montants versés pour favoriser l’exercice médical en zone sous‑dotée.
Recommandation n° 1 (mesure relevant du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale) : assurer la mise en extinction du contrat de début d’exercice par l’abrogation des dispositions de l’article L. 1435‑4‑2 du code de la santé publique.
Recommandation n° 2 (mesure non législative) : chiffrer le montant total d’aides publiques versées afin de favoriser l’exercice des professionnels en zone sous-dotée. Mener, dans ce cadre, un exercice de consolidation des données sur les aides financières versées par les collectivités territoriales aux médecins s’installant en zone sous-dotée.
Recommandation n° 3 (mesure non législative) : renforcer la connaissance de l’ensemble des aides à l’installation délivrées par l’État, les administrations de sécurité sociale et les administrations publiques locales par la généralisation du guichet unique départemental, sans préjudice du principe de libre administration des collectivités.
Il est ressorti des auditions menées par les rapporteurs que les aides financières à l’installation n’influent qu’à la marge sur la décision d’installation. Ainsi, les associations d’usagers auditionnées ont constaté une absence de lien entre les dispositifs prévus par l’article 51 de la loi précitée et les décisions d’installation des jeunes médecins ([45]). Aux termes de la vice-présidente de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) en charge de la Charente : « les aides financières sont un complément bienvenu mais elles ne sont pas déterminantes » ([46]). Ce constat, partagé par les syndicats de jeunes médecins, rejoint d’ailleurs celui réalisé par la littérature sur le sujet des incitations à l’exercice en zone sous-dotée.
En effet, le rapport Augros notait déjà, en 2019, que près de 60 % des contrats délivrés par l’État étaient connus par moins d’un médecin sur cinq et qu’ils ne produisaient qu’un impact indirect sur les décisions d’installation des jeunes médecins ([47]).
Au contraire, la distance du lieu de formation initiale, la présence de services publics sur le territoire, la possibilité d’emploi pour le conjoint constituent des facteurs déterminants dans l’installation des jeunes médecins. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) rappelle ainsi que près de 50 % des médecins généralistes formés en 2020 exercent aujourd’hui à moins de 43 kilomètres de leur lieu de formation ([48]). De même, concernant l’accès aux services publics, une étude du Conseil national de l’ordre des médecins révèle, en 2019, que 60 % des répondants estiment que la présence de services publics constitue le principal facteur susceptible de jouer dans leur décision d’installation ([49]). En conséquence, les rapporteurs considèrent que la question des aides financières à l’installation doit être posée dans le cadre plus large d’un renforcement de la politique d’attractivité des territoires, d’un retour des services publics de proximité et d’un pilotage renforcé de l’offre de soins.
Dans cette perspective, ils estiment que les agences régionales de santé doivent pouvoir accompagner plus fortement le développement de l’exercice médical coordonné sous toutes ses formes. Ils proposent, à cet effet, d’abonder les crédits dédiés au financement des fonds d’intervention régionaux et notamment ceux consacrés au développement des parcours de soins coordonnés ([50]). Les directions départementales des agences seront ainsi en mesure de favoriser le développement d’équipes mobiles, de centres de proximité, de maisons de santé, de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) selon les besoins identifiés sur les territoires.
Recommandation n° 4 (mesure législative) : assurer une hausse de la dotation de l’assurance maladie dédiée au financement du sous-objectif « Dépenses relatives au fonds d’action régionale et au soutien à l’investissement » de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et plus particulièrement de la mission 2 consacrée à l’organisation et à la promotion de « parcours coordonnés et qualité des soins ».
Compte tenu des contraintes liées à l’évolution des comptes de la branche maladie de la sécurité sociale, les rapporteurs estiment que l’abondement de la dotation aux fonds d’intervention régionaux pourra être compensé par la mise en extinction des dispositifs d’aide à l’installation des jeunes médecins jugés inefficaces.
Recommandation n° 5 (mesure législative) : insérer en LFSS une règle stricte de compensation de la hausse de crédits dédiés aux fonds d’intervention régionaux prévue par la recommandation précédente par une diminution, au moins équivalente, des dépenses d’aide à l’installation des jeunes médecins.
Les comparaisons internationales insistent sur le caractère global de l’accompagnement à l’installation des professionnels de santé. Soutien à la vie familiale par un allongement du congé maternité en Allemagne ([51]), adaptation du temps de travail et développement de loisirs en Suède ([52]), les politiques d’aide à l’installation des pays européens font appel à une large palette de mesures.
Les rapporteurs considèrent que la France doit s’acheminer vers cette approche globale et coordonnée dans l’accompagnement à l’installation. De nombreuses initiatives existent, à l’instar des aides à la recherche d’emploi en faveur des conjoints de professionnels de santé développées dans certains territoires ([53]), mais celles-ci demeurent marquées par une faible cohérence d’ensemble.
En effet, l’articulation demeure largement perfectible entre le champ conventionnel, les aides versées par les collectivités locales et les dispositions intégrées en loi de financement de la sécurité sociale.
C’est pourquoi les rapporteurs insistent sur la nécessité de clarifier la gouvernance des aides financières à l’installation en renvoyant à la négociation conventionnelle le soin de fixer le droit commun des aides directes.
Suivant cette architecture, le Parlement pourrait proposer, de façon plus ponctuelle, des dispositifs d’aides indirectes portant sur le financement des services publics ou l’accompagnement vers le logement des professionnels.
Recommandation n° 6 (mesure relevant du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale) : écarter comme mauvaise pratique la création d’aides financières directes à l’installation en loi de financement de la sécurité sociale.
Restreindre les dispositifs d’aide à l’installation prévus en LFSS aux aides non financières (aides au logement, modulation de la durée des congés parentaux de professionnels de santé).
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Figure 1. Montant du seuil minimal permettant de bénéficier de la rémunération complémentaire en métropole et outre-mer (médecin titulaire)
Figure 2. Montant du seuil minimal permettant de bénéficier de la rémunération complémentaire en métropole et outre-mer (médecin remplaçant)
Figure 3. Montant du seuil plafond permettant de bénéficier de la rémunération complémentaire en métropole et outre-mer (médecin titulaire)
Figure 4. Montant du seuil plafond permettant de bénéficier de la rémunération complémentaire en métropole et outre-mer (médecin spécialiste hors médecine générale)
Figure 5. Montant du seuil plafond permettant de bénéficier de la rémunération complémentaire en métropole et outre-mer (médecin remplaçant)
Source : arrêté du 2 février 2021 relatif au contrat type du contrat de début d’exercice.
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ANNEXE N° 2
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
(par ordre chronologique)
Ministère du travail, de la santé et des solidarités – Direction générale de l’offre de soins (DGOS) – M. Mickael Benzaqui, sous-directeur de l’accès aux soins et du premier recours, et M. Florian Bon, chef du bureau de l’accès territorial aux soins
Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) – M. Emmanuel Frère-Lecoutre, directeur de l’offre de soins
Table ronde avec des directeurs d’agence régionale de santé (ARS) :
– ARS Occitanie – M. Didier Jaffre, directeur général, et M. Pascal Durand, direction du premier recours
– ARS Île-de-France – Mme Sophie Martinon, directrice générale adjointe, et Mme Florence Thibault, directrice adjointe de cabinet par intérim
– ARS Auvergne-Rhône-Alpes – M. Igor Busschaert, directeur général adjoint, et M. Yann Lequet, directeur délégué à l’offre de soins
Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) – Pr Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique, et Mme Caroline Nicet-Blanc, conseillère juridique du conseil
Table ronde des syndicats représentatifs des jeunes médecins et internes :
– InterSyndicale nationale des internes (Isni) – M. Killian L’helgouarc’h, président, et M. Thomas Citti, vice-président chargé des politiques de santé
– Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR) – Dr Raphaël Dachicourt, président
– Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-MG) – M. Thomas Bourgeois-Fratta, vice-président
– Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) – M. Lucas Poittevin, président, et Mme Dahlia Laktib, vice-présidente chargée des perspectives professionnelles
Table ronde avec des associations d’usagers :
– France Assos Santé* – M. Gérard Raymond, président, et M. Jean-Pierre Thierry, conseiller médical
– Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) – Mme Claudine Le Barbier, vice-présidente en charge de la Dordogne, et Mme Anne Orth, vice-présidente en charge de la Charente
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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4. LES PROCÉDURES DE SANCTIONS ADMINISTRATIVES APPLICABLES EN CAS DE FRAUDE AUX PRESTATIONS FAMILIALES ET DE RETRAITEs
(Mme Farida Amrani et M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteurs)
Les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) sont régulièrement l’occasion de modifier les règles applicables en matière de lutte contre la fraude. L’article 98 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a notamment réformé la procédure de sanction administrative prononcée, en cas de fraude, par les directeurs de caisses d’allocations familiales (CAF) et de caisses d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat).
Les rapporteurs, Mme Farida Amrani et M. Cyrille Isaac‑Sibille, ont souhaité contrôler l’application de cette disposition en lien avec les évolutions plus générales relatives aux procédures ainsi qu’aux techniques de contrôle et de lutte contre la fraude mises en œuvre par les branches famille et vieillesse de la sécurité sociale. Le présent rapport restitue les travaux qu’ils ont menés ([54]).
Préalablement aux auditions des administrations centrales et des caisses lors du Printemps social de l’évaluation, les rapporteurs ont entendu des collectifs de représentants des allocataires, des avocats et experts spécialisés et des associations de défense et de promotion des droits et libertés sur Internet. Ils ont également auditionné la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), plusieurs caisses locales (CAF du Rhône, CAF de l’Essonne, Caisse générale de sécurité sociale de La Réunion et Carsat Rhône‑Alpes) ainsi que la direction de la sécurité sociale. |
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L’article 98 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a modifié le cadre juridique de lutte contre la fraude aux prestations sociales. Entre autres mesures, il a notamment simplifié la procédure de sanction administrative prononcée en cas de fraude par les directeurs des organismes chargés de la gestion des prestations familiales ou des prestations d’assurance vieillesse pour l’aligner sur celle applicable aux prestations d’assurance maladie, prévue à l’article L. 114‑17‑1 du code de la sécurité sociale.
La procédure propre aux organismes chargés de la gestion des prestations familiales ou des prestations d’assurance vieillesse était « particulièrement lourde et peu lisible. Chacune des deux décisions du directeur [pouvait] être contestée devant le juge judiciaire (parallèlement au recours gracieux effectué auprès du directeur dans le premier cas), ce qui [était] complexe et source de confusion » ([55]).
Ancienne procédure applicable |
Nouvelle procédure applicable |
1) Envoi d’une notification des griefs reprochés et du montant envisagé de la pénalité ; 2) Possibilité d’observations écrites ou d’audition de l’assuré dans un délai d’un mois ; 3) Notification d’une première décision comportant le montant de la pénalité ; 4) Possibilité de recours gracieux, le directeur doit alors se prononcer après avis de la commission des pénalités ou des sanctions ([56]) ; 5) Avis de la commission des pénalités (sous un mois) qui propose le montant de la pénalité (si elle estime la personne responsable) ; 6) Notification de la deuxième décision du directeur sur le montant de la pénalité, susceptible de recours devant le tribunal judiciaire. |
1) Envoi de la notification préalable des faits reprochés et des pénalités envisagées ; 2) Possibilité d’observations écrites ou orales auprès du directeur de l’organisme dans un délai d’un mois ; 3) Saisine de la commission des pénalités (si le directeur poursuit la procédure ou ne notifie pas à ce stade un avertissement) ; 4) Possibilité pour l’assuré d’échanger par écrit avec la commission des pénalités, ou d’être auditionné ; 5) Avis de la commission des pénalités ; 6) Notification de la décision du directeur (aucune poursuite, avertissement ou pénalité), susceptible de recours devant le tribunal judiciaire. |
La mesure instituait donc une procédure plus simple, définie au nouvel article L. 114‑17‑2 du code de la sécurité sociale, avec une décision unique et définitive du directeur de l’organisme qui intervient, s’il est envisagé de prononcer une pénalité, après l’avis de la commission. La décision du directeur, qui n’est plus susceptible d’un recours gracieux, peut toujours être contestée devant le pôle social du tribunal judiciaire territorialement compétent.
Selon la rapporteure générale de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale de l’époque, « la suppression [du recours gracieux] s’inscrit dans le cadre du constat selon lequel il est récurrent que, parallèlement à leur recours gracieux, après la première décision du directeur, les assurés saisissent dans le même temps le tribunal judiciaire afin de contester la même sanction, sans attendre que la procédure de recours préalable auprès du directeur de caisse ne soit achevée et sans que celle-ci soit interrompue. Or, en cas de rejet du recours gracieux, le juge devra de nouveau être saisi par la personne qui entend poursuivre sa contestation. À l’inverse, en cas d’admission du recours gracieux, des recours devenus sans objet sont la source d’encombrement des tribunaux. Il s’agit donc de n’ouvrir désormais (en une seule fois) qu’une seule et même voie de contestation à l’assuré, celle du pôle social du tribunal judiciaire territorialement compétent, qu’après la décision définitive du directeur de caisse notifiée, afin d’éviter la multiplication et l’imbrication des procédures contentieuses. » ([57])
Cette mesure devait permettre de réduire significativement la durée des procédures notamment lorsque les sanctions sont contestées par l’allocataire ou l’assuré. Le Gouvernement estimait ainsi permettre à la branche famille d’économiser 1,2 million d’euros par an en supprimant la phase d’échange destinée à informer l’allocataire ou l’assuré de l’intention de prononcer une sanction à son encontre. Cette phase entraînait un coût de gestion de 50 euros pour chacune des 25 000 pénalités prononcées chaque année par les CAF. Outre la réduction de la charge administrative pour les caisses de sécurité sociale, l’objectif était également de simplifier la procédure pour les assurés en unifiant les voies de recours.
Les dispositions législatives ont été précisées par un décret du 28 décembre 2023 ([58]). Il fixe d’abord les délais mentionnés à l’article L. 114‑17‑2 du code de la sécurité sociale : la personne à laquelle les faits sont reprochés dispose d’un mois à compter de la réception de la notification pour faire part de ses observations écrites ou orales. À l’issue de ce premier délai, le directeur de caisse dispose d’un mois supplémentaire pour prendre sa décision. En cas de saisine de la commission des pénalités, celle‑ci rend également son avis dans un délai d’un mois, qui peut être prorogé d’un mois supplémentaire. Une fois l’avis rendu, un mois de plus est prévu pour que le directeur prenne sa décision définitive.
Le décret prévoit ensuite des garanties affermissant le caractère contradictoire de la procédure et le droit au recours de l’assuré. Premièrement, la notification à l’assuré des faits reprochés mentionne la sanction envisagée par le directeur. Deuxièmement, l’assuré peut présenter des observations écrites ou demander à être entendu par le directeur de caisse et, en cas de saisine de la commission des pénalités, devant cette dernière. L’assuré peut se faire assister ou représenter à ces occasions. Troisièmement, les notifications des faits reprochés et de la sanction administrative retenue s’effectuent « par tout moyen donnant date certaine à leur réception ».
Cette simplification des procédures de prononcé des sanctions par les CAF et les Carsat a été votée dans un contexte de renforcement général des prérogatives des organismes en matière de lutte contre la fraude aux prestations sociales.
Depuis 2008, les organismes de sécurité sociale disposent des mêmes prérogatives que l’administration fiscale, notamment en matière de droit de communication de documents de la part de tiers comme les administrations, les banques, les fournisseurs d’énergie ou les opérateurs de téléphonie. Ce droit d’information n’a eu de cesse d’être élargi par le législateur. Afin de faciliter l’identification précoce de sociétés éphémères frauduleuses, le même article 98 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a ainsi accru les échanges d’information en autorisant les greffiers des tribunaux de commerce à transmettre aux organismes sociaux les informations, recueillies dans l’exercice de leurs missions, qui laisseraient présumer des fraudes en matière de prélèvements ou de prestations. Le législateur financier social a souhaité, en 2025 et conformément aux recommandations du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), mettre en place un mécanisme d’échange réciproque d’information entre les organismes d’assurance maladie obligatoire (AMO) et les organismes complémentaires, lequel a toutefois été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier social ([59]).
En ce qui concerne la branche famille, la priorité accordée à la lutte contre la fraude a donné lieu à la création en 2021 d’un service national de lutte contre la fraude à enjeu (SNLFE). Sa mission première était de davantage cibler lesdites « fraudes à enjeux », définies comme celles susceptibles :
– d’entraîner un préjudice supérieur à dix fois la fraude moyenne ;
– d’être commises en bande organisée ;
– d’utiliser un mécanisme sophistiqué ;
– d’avoir pour conséquence l’altération du tissu social.
Selon les données de la Cnaf, le SNLFE est composé de 34 équivalent‑temps‑plein dont le rôle consiste à enquêter et outiller les CAF sur des schémas de fraudes indétectables dans l’activité quotidienne et départementale des CAF – fraude à la résidence, lutte contre les usurpations d’identité et les usurpations bancaires, etc.
En ce qui concerne la branche vieillesse, dont les enjeux en matière de fraude au regard des masses de dépenses versées sont moins prégnants que dans les branches famille ou maladie, les efforts ont été concentrés sur le contrôle et la fiabilisation de l’existence des bénéficiaires de prestations d’assurance vieillesse à l’étranger. Si des actions ont été menées en interne par la Cnav, le législateur s’est également saisi de ce sujet dès 2020 en permettant aux bénéficiaires d’une pension de retraite à l’étranger d’apporter la preuve de leur existence par des dispositifs biométriques, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ([60]). La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a quant à elle prévu la généralisation de l’usage des outils biométriques à l’horizon 2028, en ménageant toutefois l’admission d’autres modes de preuve pour les personnes âgées ayant des difficultés à se déplacer ([61]).
Le bilan des dernières années montre les effets de ces initiatives. Les montants de fraudes détectées et évitées par les caisses de sécurité sociale ont ainsi augmenté, passant de 1,5 milliard d’euros en 2019 à près de 3 milliards en 2024 ([62]). Au sein des branches famille et vieillesse, ces montants représentent respectivement 450 millions d’euros (+ 20 % par rapport à 2023) et 220 millions d’euros (+ 4 %). Les cibles du SNLFE ont représenté 30 % du montant des fraudes détectées par la Cnaf ([63]).
Les rapporteurs notent dans un premier temps que la prise du décret d’application est intervenue un an après l’adoption de la loi, un délai particulièrement significatif pour un dispositif qui, rappelons-le, était déjà présent dans le projet de loi initial et ne prévoyait pas d’entrée en vigueur différée. Interrogée à ce sujet, la direction de la sécurité sociale a indiqué que cette mesure relative aux relations entre les caisses et les assurés avait été considérée moins prioritaire que d’autres portant sur des sujets à plus forts enjeux financiers (comme par exemple la lutte contre la fraude des professionnels de santé). Il en a résulté une application tardive par les caisses d’allocations familiales et les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail. Les données auxquelles les rapporteurs ont eu accès ne suffisent donc pas à apporter une évaluation définitive de la réforme. Elles en laissent toutefois identifier les premiers effets et permettent de tirer un bilan temporaire de son appropriation par les caisses et de sa réception par les allocataires. Il apparaît que, globalement, la réforme n’a pas encore atteint les objectifs qui lui avaient été assignés.
Le premier constat que font les rapporteurs est que la mise en place de la nouvelle procédure de prononcé des sanctions a été mal préparée. Elle a engendré une charge de travail supplémentaire pour les caisses de sécurité sociale. Les évolutions législatives ont ainsi nécessité une modification des outils internes et l’élaboration de nouveaux modèles de courriers qui n’ont été modifiés, s’agissant des CAF, qu’au quatrième semestre 2023 – pour une mesure censée entrer en vigueur le 1er janvier 2023. Dans l’intervalle, les CAF ont dû procéder à des modifications manuelles sur l’ensemble des dossiers. Ce constat a été confirmé par les caisses elles-mêmes. Il a pu susciter des incompréhensions de la part des représentants des allocataires auditionnés.
Au sein du réseau des Carsat, la Cnav considère que le déploiement de la nouvelle procédure de sanctions a conduit les caisses à effectuer un suivi des délais plus rigoureux et contraignant. Elle a toutefois rendu nécessaire pour certaines caisses de constituer des commissions des sanctions administratives (qui existaient déjà dans une partie du réseau), ce qui a induit des difficultés d’organisation et la diminution du nombre de pénalités prononcées par lesdites caisses.
Recommandation n° 1 : veiller à ce que les mesures votées par le législateur puissent être assorties de date d’entrée en vigueur compatibles avec leur mise en œuvre par les caisses de sécurité sociale, le cas échéant en prévoyant des dispositions transitoires.
Le deuxième constat est que les effets de la mesure sur le nombre et la nature des sanctions n’apparaît ni certain ni univoque. S’agissant de la branche famille, l’année 2024 se caractérise par une augmentation globale des pénalités, toutefois corrélée à la hausse du nombre de fraudes détectées.
Évolution du nombre de fraudes, d’avertissements et de pÉnalités
dans le rÉseau des caisses d’allocations familiales
Source : réponses de la Cnaf au questionnaire des rapporteurs.
À titre d’exemple, la CAF du Rhône observe que la part des sanctions administratives faisant l’objet d’un recours contentieux a été multipliée par trois entre 2023 et 2024 (29 recours sur 966 sanctions prononcées). Elle attribue directement cet effet à la suppression du recours gracieux, qui était au cœur de la réforme adoptée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Pour la branche vieillesse, la Cnav relève une relative constance du nombre des avertissements et des pénalités au cours des dernières années. Si l’on observe une forte augmentation depuis 2023, la comparaison avec les années 2021 et 2022 montre que les statistiques ne sont pas hors normes :
Évolution du nombre d’avertissements et de pÉnalités
dans le rÉseau des caisses d’assurance retraite
Année |
Pénalités |
Avertissements |
Indus constatés |
2021 |
872 |
78 |
151 733 344 |
2022 |
746 |
153 |
149 774 248 |
2023 |
626 |
93 |
149 541 254 |
2024 |
695 |
171 |
156 914 085 |
Source : réponses de la Cnav au questionnaire des rapporteurs.
Le troisième constat est que la réforme n’a semble-t-il, à ce stade, pas réduit les délais entre la notification à l’allocataire de la suspicion de fraude et le prononcé éventuel d’une pénalité. La Cnaf estime même que la mesure a compliqué et allongé la procédure. Selon elle, le changement de rôle de la commission des pénalités – qui donne à présent un avis consultatif avant la décision du directeur de caisse – a été un facteur d’alourdissement. Celui-ci est accru par le choix d’avoir fixé le montant du préjudice à partir duquel le passage devant cette commission est obligatoire à quatre fois le plafond mensuel de la sécurité sociale (PMSS), soit 15 700 euros depuis le 1er janvier 2025.
Cette appréciation générale se confirme à travers les exemples de caisses interrogées par les rapporteurs. À partir de données non définitives, la CAF de l’Essonne estimait ainsi que les premières tendances ne semblaient pas conclure à une baisse de la durée des procédures.
La Cnav partage le constat selon lequel le seuil de passage devant la commission est trop bas, mais son appréciation de l’intérêt de la réforme est moins négative. Elle estime qu’elle a permis d’alléger la procédure de prononcé des sanctions tout en reconnaissant que celle‑ci reste un facteur de complexité tant pour les assurés que pour les caisses en termes de gestion et de respect des délais.
Les rapporteurs n’ont pas non plus été en mesure d’estimer les économies de gestion engendrées par la réforme ni de les comparer aux objectifs initiaux. Une telle estimation devra être faite une fois que la nouvelle procédure aura atteint son rythme de croisière.
Si la réforme n’a pas réduit la durée de la procédure, le délai d’un mois fixé par le décret du 28 décembre 2023 entre la saisine de la commission et la production de son avis apparaît insuffisant pour un traitement rigoureux offrant aux assurés le temps de faire valoir leurs observations. De ce point de vue, les ressentis des caisses et des représentants des allocataires se rejoignent.
Recommandation n° 2 : relever le seuil de passage devant la commission à six ou huit PMSS et envisager un seuil différent selon les branches.
Recommandation n° 3 : relever le délai entre la saisine de la commission et le rendu de son avis à trois mois.
Outre que la mise en œuvre de la mesure est récente et qu’une période d’adaptation semble encore nécessaire, la détermination d’un lien de causalité de la réforme avec le nombre de sanctions prononcées d’une part et l’évolution du nombre de recours contentieux d’autre part est rendue délicate par le fait que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a également prévu d’autres évolutions, comme une majoration d’indus pour préjudice frauduleux de 10 % ([64]).
Selon le réseau des Carsat, l’augmentation du nombre de recours introduits contre les pénalités financières prononcées serait plutôt liée à la mise en œuvre de cette nouvelle indemnité qu’à la réforme de la procédure proprement dite.
En outre, l’analyse des effets de la réforme sur le nombre de contentieux est troublée par le fait que les caisses n’assurent pas de suivi sur l’origine des recours contre leurs décisions. Ainsi, la Cnaf ni la Cnav n’ont été en mesure de fournir aux rapporteurs une visibilité exhaustive sur la part des sanctions administratives dans le contentieux. C’est un angle mort de l’évaluation qui interdit d’apporter une réponse objective aux critiques des représentants des allocataires et des avocats spécialisés auditionnés par les rapporteurs, selon lesquels les nouveaux textes auraient eu pour conséquence directe d’augmenter le nombre de procédures juridictionnelles.
Recommandation n° 4 : développer un suivi statistique du nombre de contentieux formés à l’encontre des sanctions administratives prononcées par les caisses pour évaluer l’effet de la mesure.
Le Haut Conseil du financement de la protection sociale évalue les enjeux financiers de la fraude à environ 13 milliards d’euros (dont 66 % seraient le fait des professionnels) ([65]). Au-delà du coût de la fraude, le comportement consistant à s’affranchir intentionnellement des règles de notre modèle social sape ses fondements et effrite la confiance de nos concitoyens.
L’objectif de lutte contre la fraude sociale doit être poursuivi dans le respect des droits des allocataires. Or, les travaux de la mission, ainsi que certains rapports récents, ont mis en lumière des axes de progrès en la matière.
Les associations et les avocats spécialisés ont signalé aux rapporteurs que certains allocataires voyaient leurs prestations suspendues avant l’achèvement de la procédure de contrôle. Interrogés par les rapporteurs, les caisses d’allocations familiales ont en effet indiqué que, dans le cadre des contrôles, le refus explicite de l’allocataire et l’absence de réponse aux demandes de fourniture des justificatifs dans un délai de deux à six mois entraînait la suspension du versement des prestations ([66]). Or, l’existence d’un recours face à la sanction prise par la caisse n’a pas de caractère suspensif et n’entraîne donc pas la reprise du versement des prestations jusqu’à la fin de la procédure. Même si les courriers transmis aux allocataires auxquels les rapporteurs ont eu accès mentionnent la possibilité d’une suspension des droits en cas de non-réponse, cette situation peut mettre en difficulté les allocataires.
Sur le plan de l’équité de traitement, les associations représentant les allocataires ont appelé l’attention des rapporteurs sur les risques liés aux nouvelles techniques de détection des fraudes à travers l’utilisation d’outils tels que les algorithmes ou le datamining ([67]).
L’utilisation de ces techniques par les organismes de sécurité sociale répond à un double objectif : d’une part, améliorer l’efficacité des contrôles en ciblant les dossiers à risque et, d’autre part, réduire l’impact financier des fraudes. Développées initialement par les caisses d’allocations familiales au début des années 2010, elles ont été progressivement étendues à l’ensemble des branches de la sécurité sociale. Elles s’inscrivent ainsi dans une démarche de modernisation des outils de gestion et de contrôle, visant à optimiser les capacités de détection des fraudes.
Selon le HCFiPS, ces dispositifs ont eu des résultats concrets dans la lutte contre la fraude. Ils ont permis un meilleur rendement des contrôles et la détection de fraudes d’ampleur, inconnues jusque‑là ou ardues à identifier par des méthodes traditionnelles. Par exemple, les données recueillies par la CAF du Rhône indiquent que les volumes de contrôles ont baissé de 50,6 % entre 2021 et 2024, alors que l’impact financier total (16 % de rappels et 84 % d’indus) progressait sur la même période de 39,4 %. Ces performances traduisent l’efficacité de ces outils, tant en matière de ciblage des dossiers que de rapidité d’action.
Toutefois, ces résultats sont à mettre en regard des inquiétudes et critiques qu’ils suscitent. Plusieurs acteurs, au premier rang desquels le Défenseur des droits ([68]), la presse spécialisée, mais aussi des associations d’usagers auditionnés par les rapporteurs tels que le collectif « Changer de cap » et La Quadrature du Net, ont alerté sur les risques de biais discriminatoires et de discriminations indirectes liés à l’usage de ces technologies. En permettant de cibler des « dossiers à risque » sur la base d’analyses massives de données, ces outils, lorsqu’ils ne sont pas encadrés, peuvent conduire à des politiques de contrôle différenciées selon la situation des allocataires sans que les critères fondant cette différenciation soient nécessairement justifiés ou objectifs. Dans son rapport précité, le HCFiPS souligne que ces critiques concernent particulièrement l’opacité des algorithmes et le manque de garanties sur leur neutralité, qui pourraient fragiliser le principe d’égalité d’accès aux prestations. Ces préoccupations rejoignent les mises en garde du Défenseur des droits sur la nécessité de préserver les droits fondamentaux des allocataires face à des traitements automatisés.
Face à ces enjeux, le HCFiPS a formulé plusieurs recommandations. Il préconise la mise en place d’indicateurs de suivi de la part des contrôles effectués à partir d’algorithmes et leur efficacité. Il recommande également le recours à des audits indépendants et à des comités d’éthique chargés d’évaluer la conception et l’utilisation de ces outils. Enfin, le Haut Conseil appelle à une meilleure formation des agents aux risques liés à l’intelligence artificielle et à la mise en place d’un pilotage national des usages des algorithmes, garant de la transparence et de la confiance des usagers.
Si le recours à ces outils dans la lutte contre la fraude aux prestations ne fait pas consensus, les rapporteurs estiment primordial que celle‑ci fasse au moins l’objet de débats ouverts et transparents associant les représentants des allocataires. Or, force est de constater que, par le passé, ces techniques présentées comme des simples outils de gestion ont été développés de façon expérimentale par les caisses sans faire l’objet de débats publics ni d’encadrement suffisant par le législateur.
De ce point de vue, les travaux engagés par la Cnaf depuis 2024 en matière d’encadrement, de transparence et de gouvernance des usages de données et d’algorithmes témoignent d’une prise de conscience de l’importance de ces sujets. Au-delà de la publication d’une charte éthique sur l’usage des algorithmes et de l’intelligence artificielle, l’installation d’un comité d’éthique intégrant des experts et des représentants associatifs d’usagers, le 20 mars 2025, est une avancée ([69]). Les rapporteurs seront cependant vigilants quant à la réalité et la sincérité de la démarche entreprise.
Recommandation n° 5 : créer, dans chaque branche de la sécurité sociale, un comité d’éthique et de transparence sur les outils de traitement des données, qui associe les représentants des allocataires et des parlementaires.
Rejoignant en cela les recommandations du Haut Conseil du financement de la protection sociale dans son rapport de juillet 2024, les rapporteurs estiment nécessaire de tirer les conséquences juridiques de la loi dite « Essoc » dans les textes où cela n’a pas été fait. En effet, en introduisant la notion de bonne foi dans la législation applicable en matière sociale, la loi « Essoc » a entendu clarifier la différence entre ce qui relève de l’erreur et ce qui relève de la fraude ([70]). Pourtant, de l’aveu même des caisses, rien ne définit précisément ce qu’est la fraude. Le rapport du HCFiPS préconise ces ajustements pour « éviter toute ambiguïté sur ces sujets très sensibles » ([71]).
Pour établir la fraude, les caisses recherchent trois éléments :
– l’élément légal : un texte doit prévoir et réprimer l’acte frauduleux ;
– l’élément matériel : des éléments de preuves doivent corroborer la réalité de l’infraction commise ;
– l’élément moral : la conscience de commettre une infraction et de ses conséquences sur le versement indu des prestations doit être établie.
Plusieurs personnes auditionnées ont mis en évidence la difficulté qui pouvait s’attacher à la caractérisation de l’intentionnalité. La frontière est parfois floue entre l’acte frauduleux et certaines pratiques qui relèvent davantage d’une forme « d’optimisation sociale » comme cela existe en matière fiscale, voire de ce que la Cnaf a appelé la « fraude de survie ». De plus, comme cela est régulièrement relevé non seulement par les allocataires et les associations mais également par les pouvoirs publics, la complexité des normes et des processus déclaratifs alimente les erreurs de la part des allocataires. Pour les prestations soumises à condition de ressources telles que le RSA, le raffinement des informations demandées ainsi que la périodicité de mise à jour desdites informations (trimestrielle ou annuelle) poursuit certes l’objectif de s’assurer que les prestations relevant de la solidarité nationale soient versées à ceux qui en ont le plus besoin ; mais elle contribue à multiplier les risques d’erreurs du fait des allocataires en amont du versement de la prestation, mais également des agents des caisses en aval, au moment du contrôle.
Cette difficulté suscite également des interrogations de la part des allocataires et de leurs représentants sur l’utilisation de la caractérisation de fraude comme outil procédural au détriment des allocataires. En effet, en matière de prestations familiales par exemple, le fait de qualifier un indu de frauduleux emporte trois conséquences principales :
– l’impossibilité d’accorder une remise de dette en application de l’article L. 553‑2 du code de la sécurité sociale ;
– la majoration des mensualités de récupération échelonnées des indus d’origine frauduleuse (même article L. 553‑2) ;
– l’augmentation de la prescription de la créance à cinq ans contre deux ans en cas d’indu non frauduleux (article L. 553‑1 du même code).
Selon les représentants des allocataires, certaines caisses auraient recours de longue date à une qualification systématique de fraude pour faciliter la récupération des indus. Les éléments fournis aux rapporteurs ne permettent toutefois pas d’étayer la persistance de telles pratiques.
Clarifier ce qui relève de la fraude et de l’erreur de bonne foi contribuerait également à réduire les différences de pratiques entre caisses de sécurité sociale qui sont un des éléments souvent mis en avant par les allocataires et leurs représentants. Interrogée sur ces différences entre CAF et les risques qu’elles faisaient peser sur le traitement équitable des allocataires, la Cnaf a indiqué que, si une certaine marge d’appréciation était laissée aux caisses dans la qualification et la sanction des fraudes, celle‑ci était encadrée par un barème national opposable en matière de sanction des fraudes, communiqué à l’ensemble des caisses, et par un mémento d’aide à la qualification des fraudes. Elle a également renvoyé aux conseils départementaux une partie de la responsabilité des écarts d’appréciation s’agissant de la fraude au RSA.
La Cnav a aussi mis en place des outils permettant d’homogénéiser les pratiques entre Carsat : elle a diffusé une charte de contrôle accessible en ligne détaillant les droits et devoirs des allocataires et des contrôleurs ; elle a également élaboré un barème national des pénalités financières. La Cnav assume toutefois de laisser une marge d’appréciation aux directeurs de caisse, tant sur l’opportunité de la sanction que sur le montant des pénalités prononcées.
Cette homogénéisation doit être un objectif constant et concerner aussi bien la nature et l’ampleur des décisions prises que les relations entre le public et les caisses de sécurité sociale.
Recommandation n° 6 : Tirer les conséquences juridiques de la loi « Essoc » pour distinguer erreur et fraude dans la législation sociale de façon cohérente entre branches. En tirer les conséquences sur le régime des pénalités (HCFiPS).
La lutte contre la fraude sociale est une priorité des pouvoirs publics depuis plusieurs années. Outre les enjeux qu’elle revêt en termes de rendement budgétaire, elle se justifie par les conséquences néfastes qu’induisent les comportements frauduleux sur la confiance dans notre modèle social. Si la présente mission portait spécifiquement sur une mesure relative au prononcé des sanctions administratives dans la lutte contre la fraude aux prestations, abstraction ne doit pas être faite des enjeux de la fraude aux cotisations sociales. Enfin, les rapporteurs rappellent que cette lutte doit s’inscrire dans l’objectif plus large de permettre un versement des prestations à juste droit qui implique également de réduire le non‑recours. À ce titre, ils seront vigilants aux premiers résultats de la généralisation de la « solidarité à la source », effective depuis le 1er mars dernier. Ce chantier de longue haleine doit mobiliser l’ensemble de la Nation.
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ANNEXE
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
(par ordre chronologique – auditions tenues en 2024)
Table ronde des associations :
– Collectif Changer de cap – M. Didier Minot, président, M. Alain Kurkdjian, M. Jean‑Claude Boual et Mme Soizic Pénicaud, membres
– La Quadrature du net – Alex ([72]), chargé de campagne « Numérisation des organismes sociaux »
Table ronde sur les contrôles des allocataires :
– Me David Bapceres, avocat spécialisé dans le contentieux social
– Pr Vincent Dubois, professeur de sociologie et sciences politiques à l’université de Strasbourg, auteur de l’ouvrage Contrôler les assistés (2021)
Table ronde sur la pratique des caisses d’allocations familiales :
– M. Didier Dubasque, assistant de service social et ancien président de l’Association nationale des assistants de service social (Anas)
– Mme Lise Charlebois, ancienne assistante sociale à la caisse d’allocations familiales (CAF) du Doubs et membre de Solidaires
– M. Yves Alexis, contrôleur de la CAF de Tarn‑et‑Garonne et délégué syndical de la Confédération générale du travail (CGT)
Table ronde avec des caisses de sécurité sociale :
– CAF de l’Essonne – M. Guillaume Lacroix, directeur général
– CAF du Rhône – Mme Véronique Henri-Bougreau, directrice générale, et M. Stéphane Moulin, directeur comptable et financier
– Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Rhône-Alpes – M. Yves Corvaisier, directeur général
Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) – M. Renaud Villard, directeur, M. Thomas Gagniarre, directeur délégué comptable et financier, et M. Patrice Costes, directeur juridique et réglementation nationale
Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) – M. Nicolas Grivel, directeur général, Mme Agnès Basso-Fattori, directrice générale déléguée chargée de la direction du réseau, et M. Thomas Desmoulins, directeur du département Prévention, contrôles et lutte contre la fraude
Direction de la sécurité sociale – M. Franck Von Lennep, directeur
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1. Réunion du mercredi 4 juin à 9 heures 30
– Évaluation « La lutte contre la fraude aux prestations sociales » (Mme Farida Amrani et M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteurs)
– Table ronde sur les dispositions des lois de financement de la sécurité sociale relatives aux recettes et à l’équilibre général de la sécurité sociale ainsi qu’aux branches vieillesse et famille, réunissant, pour la direction de la sécurité sociale, Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur ; pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale – Urssaf Caisse nationale, M. Damien Ientile, directeur, et M. Emmanuel Dellacherie, directeur de la réglementation, du recouvrement et du contrôle ; pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse, M. Renaud Villard, directeur général, et M. Patrice Costes, directeur juridique et réglementation nationale ; pour la Caisse nationale des allocations familiales, M. Nicolas Grivel, directeur général ([73])
M. le président Frédéric Valletoux. La réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, portée en 2022 par Thomas Mesnier, a conduit à la création de la loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, que nous examinerons dans la seconde partie de la matinée. Cette réforme a également consacré, dès 2019, la pratique de consacrer chaque printemps plusieurs séances à l’évaluation des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS).
C’est donc ce matin la première des trois séances du Printemps social de l’évaluation. Comme à l’accoutumée, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) a joué un rôle central dans cette démarche.
M. Cyrille Isaac-Sibille, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, rapporteur. Ce matin, nous remplissons l’autre grande mission de l’Assemblée nationale, celle du contrôle de l’action gouvernementale. À mes yeux, ce rôle de contrôle est aussi essentiel que celui qui consiste à voter le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), car il ne suffit pas d’adopter un texte, il faut également observer comment le Gouvernement et les administrations le mettent en œuvre, ce qui peut parfois entraîner certaines difficultés.
Je rappelle tout d’abord que la Mess a entrepris une évaluation structurante sur les relations entre l’assurance maladie obligatoire (AMO) et l’assurance maladie complémentaire (AMC). Ce travail de fond aboutira à un rapport qui sera rendu dans quelques mois et permettra de mieux cerner le rôle respectif de chacune. Par ailleurs, la Mecss a récemment mené un travail sur la politique du médicament.
S’agissant du rapport sur les procédures de sanctions administratives en cas de fraude aux prestations familiales et sociales, nous allons vous en présenter les principales conclusions, issues de l’évaluation de l’article 98 de la LFSS 2023.
Cet article visait à harmoniser les procédures de sanctions applicables aux prestations familiales et de retraite, en les alignant sur celles de l’assurance maladie. L’objectif était à la fois de renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude et de garantir une équité de traitement entre les différentes branches de la sécurité sociale. Notre évaluation s’est concentrée sur la mise en œuvre concrète de ces dispositions et sur leurs premiers effets.
Avant la réforme, le processus de sanction se déroulait en deux temps. Une première notification informait l’allocataire des griefs retenus et du montant envisagé de la sanction. Il pouvait alors formuler des observations ou demander une audition. Le directeur de la caisse prenait ensuite une première décision, susceptible de recours gracieux. Cette étape entraînait la saisine d’une commission de pénalité, qui rendait un avis pouvant recommander l’abandon de la sanction ou en ajuster le montant. Le directeur rendait alors une seconde décision, cette fois définitive. Cette procédure était jugée lourde par les caisses et peu lisible pour les allocataires. En pratique, de nombreux assurés saisissaient le tribunal dès la première décision, ce qui engendrait un contentieux prématuré, parfois devenu sans objet au moment du jugement.
La réforme de 2022 poursuivait trois objectifs : raccourcir les délais en cas de contestation pour améliorer l’efficience administrative, simplifier le parcours des assurés en unifiant les voies de recours et désengorger les tribunaux en évitant qu’ils soient saisis avant que les décisions ne deviennent définitives.
Mme Farida Amrani, rapporteure. Les auditions que nous avons menées nous ont permis de dégager trois constats principaux, qu’il convient toutefois de considérer avec prudence, puisque la réforme n’a été véritablement mise en œuvre qu’à partir de la fin 2023.
La mise en œuvre de la nouvelle procédure a été insuffisamment anticipée, puisque le décret d’application, publié tardivement, a entraîné une surcharge de travail pour les caisses et une mauvaise compréhension de la réforme par les allocataires. L’adaptation des outils informatiques et des courriers types a nécessité du temps, ce qui a alourdi la charge des agents et allongé les délais de traitement.
Les données actuellement disponibles ne permettent pas d’évaluer clairement l’efficacité de la réforme. Si certaines caisses constatent une légère augmentation des pénalités prononcées entre 2023 et 2024, le lien avec la nouvelle procédure reste incertain.
Concernant le désengorgement des juridictions, il n’est pas possible de se prononcer à ce stade, les caisses ne disposant pas de données suffisamment précises pour mesurer l’évolution des recours contentieux.
M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur. La lutte contre la fraude sociale prend une dimension particulière au regard des montants en jeu. Le préjudice récupéré sur les allocations familiales est passé de 374 à 449 millions d’euros entre 2023 et 2024, tandis que les indus constatés dans l’assurance retraite sont passés de 149 à 156 millions. Ces montants, loin d’être marginaux, sont déterminants pour la soutenabilité de notre système de protection sociale.
Même si la réforme reste en phase de montée en charge, plusieurs ajustements sont déjà préconisés. Il est notamment proposé de relever le seuil de saisine de la commission des pénalités, actuellement fixé à environ 15 700 euros, afin de recentrer les efforts sur les cas les plus significatifs et d’alléger la charge des caisses. Il est en effet nécessaire de distinguer clairement les fraudes délibérées des erreurs involontaires, toutes les irrégularités ne relevant pas d’intentions frauduleuses.
Le délai laissé à la commission pour rendre son avis pourrait être prolongé, car il est jugé trop court pour garantir à la fois un traitement rigoureux par les caisses et des conditions de réponse satisfaisantes pour les assurés. Par ailleurs, la mise en place d’un suivi statistique des recours contentieux formés contre les sanctions administratives permettrait de combler un angle mort important de l’évaluation, aujourd’hui dénoncé par plusieurs acteurs, dont les représentants des allocataires et les avocats spécialisés.
Cette réforme s’inscrit plus largement dans une dynamique continue de renforcement des outils de lutte contre la fraude. Plusieurs mesures ont déjà été engagées, qu’il s’agisse d’améliorer les échanges d’informations entre administrations ou de durcir les sanctions. Les caisses ont également pris l’initiative de structurer davantage leurs dispositifs, notamment par la création d’un service national antifraude dans la branche famille, le renforcement des contrôles sur l’existence des bénéficiaires à l’étranger pour la branche vieillesse et le recours accru à des technologies comme les algorithmes et le data mining.
Ces efforts portent leurs fruits, puisque les montants de fraude détectée ou évitée sont passés de 1,5 milliard en 2019 à 3 milliards d’euros en 2024. Pour les seules branches famille et vieillesse, les gains atteignent respectivement 450 millions et 220 millions d’euros.
Dans cette perspective, j’aimerais interroger les directeurs généraux présents : jugez‑vous nécessaire de renforcer l’arsenal législatif en matière de lutte contre la fraude, et avez‑vous des propositions concrètes à formuler pour le prochain PLFSS ? Par ailleurs, en écho aux recommandations du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), avez-vous identifié des dispositifs où la distinction entre erreur et fraude demeure encore insuffisamment claire ?
Mme Farida Amrani, rapporteure. Je rappelle que 66 % des fraudes détectées concernent les professionnels de santé et les employeurs, ce qui relativise la part imputable aux allocataires. Bien que légitime, la lutte contre la fraude ne peut se faire au détriment des droits. La Défenseure des droits et plusieurs associations ont alerté sur les risques de stigmatisation liés à l’usage des algorithmes, particulièrement pour les publics précaires. Nous préconisons donc d’encadrer strictement ces outils et d’harmoniser les pratiques entre caisses.
La fraude aux prestations restant inférieure à celle sur les cotisations ou chez les professionnels de santé, les contrôles doivent cibler les fraudes les plus graves tout en garantissant l’équité.
Quelles garanties pouvez-vous apporter sur le respect des droits dans l’usage de ces outils ? Le logiciel a-t-il été modifié ? Quelles recommandations proposez-vous pour renforcer cet encadrement ?
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Ma première question s’adresse au directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). La Cour des comptes souligne que les pensions versées à l’étranger représentaient 5,9 milliards d’euros en 2022, alors que seule la moitié des retraités concernés résident dans un pays ayant signé un accord d’échange d’informations. Quelles actions concrètes envisagez-vous pour sécuriser le versement ces pensions et élargir le réseau d’accords internationaux ?
Ma deuxième question va au directeur général de l’Urssaf Caisse nationale. Votre rapport 2024 mentionne une hausse de 16 % des actions liées à la solidarité financière du donneur d’ordre, mais également des incertitudes juridiques. Quelles sont les limites actuelles du dispositif actuel ? Quelles clarifications ou évolutions législatives recommandez-vous, et quel élargissement vous semblerait pertinent ?
Ma dernière question s’adresse au directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et à la directrice adjointe de la sécurité sociale. La Cour a de nouveau refusé de certifier les comptes de la branche famille en raison de failles persistantes dans les processus de contrôle. Quelle est votre analyse ? Quels premiers enseignements tirez‑vous du pré-remplissage des déclarations trimestrielles pour le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité, en matière d’écarts détectés, d’indus ou de fraude ?
M. Thierry Frappé (RN). Le déficit de la sécurité sociale atteint 15,3 milliards d’euros en 2024. La Cour des comptes refuse de certifier les comptes de la branche famille et les fraudes atteignent des niveaux alarmants, avec 4,25 milliards pour les caisses d’allocations familiales (CAF), 1,65 milliard pour l’assurance maladie et 25,8 milliards de créances Urssaf non recouvrées.
Face à cette situation, le Rassemblement national propose la création d’un grand ministère dédié à la lutte contre la fraude, la suppression du travail détaché et la mise en place d’une carte Vitale biométrique. Il appelle à renforcer les contrôles, notamment par le croisement des fichiers, la vérification de la résidence et des droits, ainsi qu’à instaurer des sanctions fermes dès la première fraude et des peines de prison effectives pour les récidivistes.
La fraude sociale progresse depuis des décennies. Notre groupe le dénonce depuis 2017 et appelle à mettre fin au laxisme et à l’impunité.
Mme Stéphanie Rist (EPR). La lutte contre la fraude sociale constitue un enjeu essentiel, à la fois budgétaire et éthique. Le déficit des régimes obligatoires de la sécurité sociale, estimé à 15,3 milliards d’euros en 2024, est à rapprocher du niveau de fraude évalué à 13 milliards par le HCFiPS.
Le plan ministériel lancé en mai 2023 par Gabriel Attal a permis des résultats notables, avec 400 millions d’euros de préjudices détectés par les CAF, 200 millions par l’assurance vieillesse et 450 millions par l’assurance maladie. Toutefois, la Cour des comptes continue de pointer des failles importantes, notamment dans la maîtrise des risques et la fiabilité des données.
Face à des pratiques frauduleuses de plus en plus élaborées, les administrations doivent sans cesse adapter leurs outils. Les trois dernières LFSS ont déjà introduit plusieurs mesures en ce sens. Faut-il aujourd’hui envisager de nouvelles dispositions, en particulier pour renforcer les échanges d’informations entre administrations et mieux contrôler les retraites versées à l’étranger ?
Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). La fraude des allocataires est souvent présentée comme un fléau, alors que les chiffres racontent une tout autre histoire, avec 450 millions d’euros détectés dans la branche famille, 250 millions dans la branche vieillesse, soit à peine 0,15 % des pensions versées. En parallèle, le non‑recours au RSA représente près de 3 milliards d’euros tandis que la fraude patronale aux cotisations sociales est estimée à environ 7 milliards.
Malgré cela, l’attention continue de se porter sur les plus précaires. Des algorithmes opaques, parfois discriminants, ciblent en priorité les jeunes, les familles monoparentales et les foyers à faibles revenus. La définition même de la fraude reste floue, permettant d’assimiler de simples erreurs à des délits. Les remises de dette sont refusées, la pression s’intensifie et le contrôle glisse d’un impératif de justice à une logique de punition sociale.
Il est temps d’inverser cette dynamique et de chercher les recettes là où elles manquent vraiment. Aussi, quand mettra-t-on en place un algorithme de détection ciblant les déclarations Urssaf ? Quand appliquera-t-on aux employeurs les mêmes indices de suspicion qu’aux allocataires ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Puisque tous les directeurs sont présents, je souhaite recueillir votre appréciation sur l’application des LFSS. Partagez-vous l’analyse du premier président de la Cour des comptes qui, évoquant une crise de liquidité pour la sécurité sociale, estime qu’elle découle d’un mauvais pilotage des dépenses, ou estimez-vous qu’elle relève avant tout d’un déficit structurel de recettes, compromettant la pérennité de notre modèle ?
Les exonérations de cotisations ont été multipliées par quatre entre 2014 et 2024, atteignant près de 80 milliards d’euros, sans compter les exemptions d’assiette. La sécurité sociale devient une variable d’ajustement des politiques économiques, ce qui n’est ni sa vocation, ni soutenable.
Aussi, considérez-vous que les dépenses soient mal pilotées, comme le suggère la Cour ? Dans quelle mesure l’insuffisance des recettes constitue-t-elle un facteur de fragilité pour vos branches respectives ?
Mme Sylvie Bonnet (DR). Je souhaite interroger M. Grivel au sujet de la non‑certification des comptes de la Cnaf. La Cour souligne que les indus de 6,3 milliards d’euros concernent principalement le RSA et la prime d’activité, pour laquelle une expérimentation de pré-remplissage des ressources a été lancée en octobre 2024. Avez‑vous constaté un effet positif de cette mesure sur la détection des fraudes ? Quelles consignes avez‑vous données à vos services à la suite de la non-certification de la branche famille ?
Je m’adresse ensuite à M. Villard au sujet des indus et des fraudes liés aux pensions versées à l’étranger. La Cour recommande un suivi spécifique, qui n’existe pas à ce jour. La Cnav estime que le coût d’adaptation des systèmes d’information serait trop élevé, alors que la Cour chiffre la fraude à 40 à 80 millions d’euros pour l’Algérie et à 12 millions pour le Maroc. Estimez-vous que les coûts de mise en œuvre dépasseraient ces montants ?
Enfin, la Cour indique que les régimes de retraite prévoient un recours accru aux contrôles physiques d’exercice dès 2025. Pouvez-vous préciser quels seront les partenaires locaux impliqués et selon quelles modalités leur mission sera encadrée ?
M. Hendrik Davi (EcoS). L’examen simultané des comptes de la sécurité sociale et du rapport sur la fraude aux prestations sociales laisse penser que la principale difficulté viendrait des dépenses, en particulier de la fraude, alors que le problème se situe d’abord du côté des recettes.
S’agissant de la fraude, il est essentiel de distinguer les actes délibérés des erreurs liées à une mauvaise compréhension des règles. Or la réduction de l’accueil et la dégradation du conseil accentuent ces risques. Il serait d’ailleurs pertinent de quantifier également les erreurs qui, à l’inverse, pénalisent les bénéficiaires tout en avantageant la sécurité sociale. Ma première question porte donc sur les leviers à mobiliser pour renforcer l’information des assurés et des employeurs et limiter ainsi les erreurs.
Le manque à gagner pèse lourdement sur le financement de la protection sociale. Quels moyens envisagez-vous pour résorber ce déficit ?
M. Nicolas Turquois (Dem). Les trois principales caisses de sécurité sociale estiment le préjudice global à près de 6 milliards d’euros pour 2023. Les fraudes liées aux arrêts de travail connaissent une progression rapide : le préjudice détecté par l’assurance maladie est passé de 8 millions à plus de 30 millions d’euros entre 2023 et 2024 et celui lié aux indemnités journalières, de 17 millions à 42 millions. Ces fraudes sont désormais largement portées par des réseaux structurés, avec des faux arrêts de travail diffusés sur les réseaux sociaux et des plateformes commerciales.
Nous saluons les mesures déjà engagées, comme l’introduction d’un formulaire d’arrêt de travail sécurisé obligatoire à compter de juillet 2025. Dans le prolongement de cette réforme, comment la direction de la sécurité sociale envisage-t-elle de recourir à des outils d’intelligence artificielle pour détecter ces fraudes complexes et massives ? Existe‑t‑il aujourd’hui des freins à la mise en œuvre de ces dispositifs ?
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). La fraude sociale, loin de se résumer à des chiffres, fragilise la confiance dans notre modèle. Pour 2023, la Cour estime le montant total des indus à 19 milliards d’euros, dont seule une part limitée est effectivement recouvrée. Il est donc impératif de renforcer nos dispositifs, tant en matière de sanctions administratives que de recouvrement.
Plusieurs articles de la LFSS 2025, pourtant centrés sur la lutte contre la fraude, ont été censurés par le Conseil constitutionnel car ils ne relevaient pas du champ d’une loi de financement. Cela concerne notamment l’article 49, qui visait à renforcer les échanges entre assurance maladie et complémentaires, et l’article 51, relatif à la réforme du contrôle médical.
Il me semble ainsi essentiel de trouver un véhicule législatif adapté pour avancer sur ces sujets et donner suite aux recommandations qui nous seront présentées aujourd’hui. Quel est votre avis sur ce point ?
M. Stéphane Viry (LIOT). L’objectif posé par la précédente LFSS était de simplifier les sanctions administratives en réduisant les délais et en renforçant les capacités de contrôle pour plus d’efficacité. Pourtant, si l’intention du législateur était bien posée, elle ne semble pas avoir été traduite de manière satisfaisante. Ainsi, quelles mesures, législatives ou réglementaires, devons-nous adopter pour atteindre pleinement les objectifs fixés ?
J’aimerais également vous interroger sur l’usage de l’intelligence artificielle dans la lutte contre la fraude sociale ainsi que sur la méthodologie de recouvrement des indus, car il est indispensable de récupérer l’argent qui a été versé à tort.
Enfin, sur la fusion entre la carte Vitale et la carte d’identité, existe-t-il aujourd’hui des solutions technologiquement fiables pour lutter contre la fraude à la carte Vitale, dont le préjudice est estimé à près de 628 millions d’euros ?
Mme Farida Amrani, rapporteure. Les ajustements que nous proposons visent à optimiser l’efficacité du dispositif de lutte contre la fraude, en concentrant les efforts sur les cas les plus significatifs et en garantissant une analyse plus approfondie des dossiers.
M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur. Notre rapport met en lumière une certaine inertie dans l’application de la nouvelle procédure. Si celle-ci visait à fluidifier et accélérer le traitement des fraudes tout en limitant les recours contentieux, les données disponibles restent encore insuffisantes pour en évaluer pleinement l’impact. Une réévaluation de la réforme d’ici deux à trois ans par la commission nous semble nécessaire. L’augmentation des indus récupérés constitue néanmoins un premier signe encourageant.
En réponse à la question sur les retraites versées à l’étranger, je souhaite interroger le directeur de la Cnav sur la faisabilité d’un versement des pensions, hors Union européenne, sur des comptes bancaires européens. Cette mesure, qui pourrait être intégrée au prochain PLFSS, permettrait de renforcer les contrôles liés à l’existence réelle des bénéficiaires.
Enfin, concernant le croisement des données entre l’AMO et l’AMC, qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel, j’ai déposé une proposition de loi visant à réintroduire cette mesure. J’espère qu’elle pourra être examinée avant l’automne afin d’éviter une nouvelle censure lors du prochain PLFSS.
Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur de la sécurité sociale. Je rappelle que le déficit des régimes obligatoires de base devrait atteindre 22 milliards d’euros d’ici la fin de l’année. Ce niveau de déficit, en période de sortie de crise, est sans précédent. Il constitue une source de préoccupation majeure pour le Gouvernement dans la perspective de redressement des finances publiques.
Ce déficit repose principalement sur les branches maladie et vieillesse, qui concentrent à elles seules près de 85 % du déficit. Dans ce contexte, je tiens à redire que la lutte contre la fraude sociale est un impératif moral, car elle touche à la confiance dans notre modèle social, mais également un impératif économique, car elle produit des effets concrets. Bien que les efforts engagés ces dernières années aient permis des progrès réels en matière d’efficacité, la lutte contre la fraude sociale ne saurait, à elle seule, combler un déficit d’une telle ampleur. L’estimation de la fraude sociale s’élève à 13 milliards d’euros, dont la moitié porte sur les cotisations, le reste se répartissant entre prestations familiales et assurance maladie. La transformation de ces montants estimés en sommes réellement recouvrées reste un défi majeur.
La situation actuelle exige des mesures concrètes sur les recettes comme sur les dépenses. La lutte contre la fraude sociale en fait partie, mais elle ne constitue qu’un levier parmi d’autres.
S’agissant des évolutions législatives, le Conseil constitutionnel a effectivement considéré que la mesure améliorant les échanges de données entre assurances maladie obligatoire et complémentaires était un cavalier législatif. Nous cherchons un véhicule législatif pour faire avancer ce chantier. Une autre mesure censurée, visant les transporteurs sanitaires, pourrait également être reprise. Le ministère s’intéresse par ailleurs à la question de la taxation des revenus issus du trafic de stupéfiants et, bien que cette disposition n’ait pu être intégrée au projet de loi de simplification de la vie économique, nous continuons à y travailler.
La réforme du contrôle médical est un autre axe de travail actif. À la suite de la censure du Conseil constitutionnel, nous procédons au déclassement réglementaire pour permettre sa mise en œuvre. L’assurance maladie reste mobilisée sur la lutte contre les arrêts de travail frauduleux et la généralisation d’un certificat fiabilisé est prévue dès juillet. Ce nouvel outil vise à mieux détecter les arrêts frauduleux, notamment ceux obtenus sur certaines plateformes en ligne.
Concernant la non-certification des comptes de la branche famille, un plan de contrôle spécifique a été demandé par la ministre du travail. Il s’appuie sur les recommandations de la Cour et vise à améliorer la fiabilité comptable, même si sa mise en œuvre prendra du temps.
La généralisation de la solidarité à la source devrait, à terme, réduire les erreurs et les indus. Le montant net social, désormais mieux identifié, facilite les démarches et réduit le risque de déclaration erronée. Bien que l’expérimentation ait été concluante, il est encore trop tôt pour tirer des enseignements chiffrés de la phase de généralisation.
Le recours au data mining et à l’intelligence artificielle est une dimension incontournable de la lutte contre la fraude. Nous entendons les inquiétudes exprimées par la Défenseure des droits et plusieurs associations et souhaitons garantir une utilisation conforme au règlement général de protection des données (RGPD), rigoureuse et transparente.
S’agissant enfin de la carte Vitale, un important travail de fiabilisation a été entrepris. Les cartes inactives ont été désactivées et le parc assaini. La carte Vitale reste avant tout un outil de liquidation fiable et les fraudes proviennent davantage de modes de facturation dégradés. La carte dématérialisée, en cours d’expérimentation auprès d’un million de Français, constitue une réponse technologique complémentaire.
Quant à l’idée d’un rapprochement entre carte Vitale et carte d’identité, les conclusions de la mission interministérielle qui a évalué cette perspective sont réservées en raison des obstacles techniques qui demeurent à ce jour et de la lourdeur des travaux à engager.
M. Damien Ientile, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale – Urssaf Caisse nationale. Je souhaite rappeler que la lutte contre la fraude ne peut être perçue comme une réponse unique au déficit de la sécurité sociale. Elle est avant tout un levier d’équité et de préservation du consentement à la contribution. Concernant la fraude aux cotisations, nous l’estimons entre 6 et 7 milliards d’euros par an dans le secteur privé, un chiffre issu de l’Observatoire du travail dissimulé, loin des 12 milliards parfois avancés.
En matière de recettes, je réfute le terme de crise car les cotisations progressent, le taux de reste à recouvrer est inférieur à 2 % et notre système de financement demeure robuste. Les tensions actuelles tiennent davantage à l’écart entre recettes et dépenses qu’à un défaut de pilotage.
À propos des alertes sur une prétendue crise de liquidité, je rappelle que l’Urssaf Caisse nationale gère une dette de court terme liée aux écarts de calendrier entre encaissements et versements. Ce mécanisme existerait même en l’absence de déficit. Notre dette s’élève toutefois actuellement à 40 milliards d’euros et, sans reprise de dette, nous pourrions atteindre le plafond autorisé de 65 milliards fin 2025 d’ici 2027. Si notre capacité d’emprunt reste intacte à ce jour, ce sujet devra être anticipé.
Concernant la fraude aux cotisations, l’Urssaf distingue clairement erreur et fraude. Nos contrôles portent sur l’écart entre cotisations dues et versées. La complexité du droit justifie cette vigilance. En 2024, 170 millions d’euros ont été restitués à des entreprises ayant trop cotisé, preuve de notre objectivité. Nous misons ainsi sur le conseil et la prévention, avec des dispositifs d’accompagnement gratuits. La déclaration sociale nominative (DSN) constitue un outil-clef, avec plus de 150 contrôles automatisés intégrés, garantissant un haut niveau de sécurisation.
S’agissant du travail dissimulé, nous avons opéré 1,6 milliard d’euros de redressements en 2024, contre 1,2 milliard en 2023. Dans la mesure où cette fraude nuit au financement de la protection sociale, à la concurrence loyale et aux droits des salariés, notre action en ce domaine s’intensifie. Nous estimons ainsi que plusieurs évolutions législatives pourraient améliorer notre capacité à lutter contre cette fraude. Si la solidarité financière du donneur d’ordre constitue un axe fort, ses limites apparaissent dans les chaînes de sous‑traitance complexes. Nous travaillons également sur l’amélioration des procédures de recouvrement, notamment pour accélérer et sécuriser les saisies d’actifs. L’objectif est de contrer les manœuvres dilatoires visant à faire disparaître les biens saisissables. Nous étudions des procédures existant en matière fiscale pour renforcer notre efficacité.
Nous réfléchissons également à renforcer les prérogatives de nos inspecteurs du recouvrement, notamment à travers un accès élargi aux informations bancaires et la possibilité d’interventions anonymisées dans certains cas sensibles. Ces évolutions concernent plusieurs corpus juridiques, soulignant le caractère transversal de la lutte contre le travail illégal.
M. Emmanuel Dellacherie, directeur de la réglementation, du recouvrement et du contrôle de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Concernant la solidarité financière, nous distinguons le cadre pénal et le cadre civil. Au niveau pénal, la solidarité financière s’applique lorsqu’il est établi qu’un donneur d’ordre ou un maître d’ouvrage, public ou privé, a sciemment fait appel aux services d’une ou plusieurs entreprises pratiquant le travail dissimulé. Cette application nécessite la preuve d’un élément intentionnel. Au niveau civil, il s’agit de la responsabilité du donneur d’ordre de s’assurer que ses cocontractants respectent leurs obligations sociales en matière de déclaration et de paiement.
La limite actuelle du dispositif réside dans le fait que cette responsabilité ne s’exerce que dans une relation directe entre donneur d’ordre et sous-traitant. Or, particulièrement dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, nous sommes souvent confrontés à des chaînes de sous-traitance complexes. Cette situation favorise l’apparition de sociétés écrans destinées à entraver la mise en œuvre de la responsabilité des véritables donneurs d’ordre. Il nous paraît donc nécessaire de faire évoluer cette réglementation pour améliorer le recouvrement des redressements en matière de travail dissimulé.
Concernant l’utilisation d’algorithmes, si nous confirmons leur emploi dans la lutte contre la fraude aux cotisations, le but est uniquement d’améliorer le ciblage des situations à risque. En aucun cas ils ne conduisent directement à des redressements. Après ce ciblage algorithmique, des contrôles approfondis sont systématiquement effectués, impliquant une appréciation humaine des situations. Si ces outils technologiques sont donc essentiels pour optimiser notre efficacité, le processus de contrôle et de redressement reste entièrement sous supervision humaine.
M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales. Notre approche en matière de lutte contre la fraude, bien qu’offensive, repose sur la distinction fondamentale entre les erreurs de bonne foi des fraudes intentionnelles. Cette distinction est essentielle, car elle conditionne notre manière d’intervenir. La fraude suppose une volonté délibérée de détourner la solidarité nationale de son objet, ce qui doit être objectivé au fil des procédures. Les erreurs, quant à elles, sont bien plus nombreuses, mais souvent liées à la complexité des démarches ou à la variabilité des situations.
Nous luttons à la fois contre des fraudes individuelles classiques telles que la dissimulation de ressources ou de composition familiale et contre des formes de fraudes organisées, qui se développent. Ces dernières sont plus sophistiquées, parfois structurées en réseaux, et nécessitent une réponse spécifique. C’est pourquoi nous avons mis en place un service national de lutte contre la fraude à enjeux, dont les résultats sont très encourageants. Grâce à lui, et aux actions combinées des 700 contrôleurs répartis dans les CAF, nous avons pu détecter 450 millions d’euros de fraude en 2024, soit une progression de 20 % par rapport à l’année précédente.
Dans le cas des fraudes liées à des usurpations d’identité ou de relevé d’identité bancaire (RIB), nous parvenons désormais à bloquer 90 % des tentatives avant même le premier versement. Ce taux de détection en amont témoigne de l’efficacité de notre dispositif, tout en soulignant que, dans nombre de cas, les allocataires sont davantage victimes que responsables. Cela confirme la nécessité d’un contrôle rigoureux, mais également juste et proportionné.
Nos taux de recouvrement sont relativement élevés pour les indus non frauduleux – près de 80 % – comme pour les indus frauduleux– plus de 70 %. Toutefois, dans les cas de fraude organisée, le recouvrement reste difficile, car les auteurs disparaissent souvent ou dissimulent leurs traces avant que l’action ne puisse être engagée.
Nous soutenons plusieurs pistes d’amélioration du cadre juridique, en particulier la proposition visant à relever le seuil de saisine de la commission des pénalités. Cela permettrait de concentrer les moyens sur les fraudes les plus significatives tout en simplifiant la gestion des cas mineurs. Par ailleurs, la question de l’accès aux données des compagnies aériennes est essentielle pour vérifier la condition de résidence des allocataires.
Sur le plan des outils, notre capacité de croisement des informations s’est considérablement renforcée. Grâce à l’accès au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) et à des partenariats avec l’Urssaf, la Cnav, France Travail et les services fiscaux, nous avons amélioré notre ciblage et notre efficacité. Ces outils nous permettent d’identifier les situations à risque avec plus de précision et de mener des contrôles plus ciblés qui génèrent des gains financiers supérieurs.
Un autre volet de notre action repose sur l’identification des risques d’erreur déclarative, en particulier dans les situations instables où les ressources et statuts varient. C’est dans ces cas que les indus sont les plus importants et les plus préjudiciables pour les foyers concernés, car ils apparaissent souvent tardivement, après croisement des données fiscales, et s’étendent sur de longues périodes. Face à cela, nous avons développé une approche conjuguant contrôle et accompagnement. Nous cherchons à prévenir les erreurs en amont afin de limiter les indus, sources d’instabilité et d’incompréhension pour les allocataires.
Conscients des préoccupations sociétales que peuvent susciter nos méthodes, nous avons engagé un travail approfondi de transparence. Contrairement à certaines représentations, notre outil de data mining n’est pas une intelligence artificielle, mais un dispositif statistique développé dès 2011 qui fonctionne comme un miroir statistique de notre fichier allocataires. Pour mieux en comprendre les effets et les expliquer, nous avons entamé une démarche de rétro-ingénierie et mis en place un comité d’éthique composé d’administrateurs, de représentants associatifs et d’experts, consulté sur l’évolution de nos outils, notamment dans la perspective de l’intégration de technologies plus avancées.
Concernant la certification des comptes, il ne s’agit pas d’un problème de qualité comptable, puisque nos comptes sont justes, mais de qualité des données entrantes. Les prestations conditionnées aux ressources sont complexes à gérer car elles doivent s’ajuster en temps réel aux évolutions fréquentes des situations individuelles, et cette complexité entraîne un risque d’erreur important.
Pour mesurer ce risque, nous réalisons chaque année une enquête sur 6 000 dossiers, puis extrapolons les résultats à l’ensemble des 13 millions d’allocataires pour évaluer le risque résiduel. Les prestations simples, comme les allocations familiales, présentent un risque quasi nul, mais les prestations à déclaration trimestrielle, elles, sont beaucoup plus exposées.
Deux réformes récentes ont amplifié ce phénomène : le doublement de la prime d’activité en 2019, dont les déclarations sont souvent erronées, et la réforme des aides au logement, qui s’appuie désormais sur des ressources contemporaines et glissantes. Ces deux dispositifs, bien qu’efficaces sur le fond, ont accru la volatilité des prestations, augmentant mécaniquement notre niveau de risque. Malgré les nombreuses améliorations de qualité que nous avons mises en place, saluées par la Cour, nous sommes confrontés à un ordre de grandeur de risques structurellement différent. Je précise également que nos indicateurs mesurent des risques avec un décalage de deux ans. Ainsi, les améliorations récentes de notre plan ne sont pas encore reflétées dans ces indicateurs.
Nos efforts d’amélioration ne peuvent à eux seuls résoudre cette problématique structurelle sans une réforme fondamentale de notre approche. Nous atteignons les limites de notre système actuel, qui fait peser un risque déclaratif considérable sur les allocataires, entraînant des erreurs et des rectifications tardives qui génèrent de l’insécurité.
C’est précisément pour remédier à cette situation que nous avons conçu la réforme de la solidarité à la source, visant à éliminer ces problèmes en amont pour le RSA et la prime d’activité. Inspirée du modèle fiscal, elle vise à simplifier les démarches en préremplissant les déclarations trimestrielles à partir des données sociales disponibles. Le montant net social, issu de la DSN, devient la référence. Après une phase d’expérimentation réussie dans cinq CAF, la réforme a été généralisée le 1er mars. Les premiers résultats sont très prometteurs, puisque 95 % des allocataires valident leur déclaration sans modification. Cela réduit drastiquement le besoin de contrôles a posteriori et sécurise le versement des prestations dès l’amont.
La Cour salue cette réforme, qu’elle identifie comme un levier décisif. Bien que ses effets ne soient pas encore visibles sur les indicateurs classiques de certification, elle marque un tournant dans notre gestion du risque et constitue une réponse structurelle aux fragilités du modèle déclaratif actuel.
M. Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. La lutte contre la fraude constitue un enjeu central pour la branche vieillesse, bien que son impact budgétaire demeure limité. Les montants concernés sont estimés à 50 millions d’euros par an, à rapporter aux 180 milliards de dépenses annuelles et aux 6 milliards de déficit prévus en 2025. Si elle ne suffira donc pas à rétablir l’équilibre financier, elle joue toutefois un rôle essentiel pour préserver le consensus républicain et garantir l’équité du système.
La solidarité à la source, déjà mise en œuvre pour le RSA et la prime d’activité, sera étendue fin 2025 ou début 2026 aux prestations de la branche retraite, comme le minimum vieillesse ou la pension de réversion. L’objectif est de fiabiliser les données sociales en temps réel, ce qui permettra de réduire les indus et les cas de fraude, en fluidifiant les échanges d’informations en amont.
Je réaffirme la nécessité d’adapter la réponse publique à l’évolution constante des pratiques de fraude. À ce titre, l’idée de conditionner le versement des retraites à l’utilisation d’un compte bancaire domicilié dans l’Union européenne mérite notre attention. Les banques européennes disposent déjà de mécanismes robustes de vérification d’identité et de traçabilité des fonds, ce qui permet de limiter les risques sans pour autant porter préjudice aux retraités vivant à l’étranger. Le paiement idéal demeure celui effectué sur un compte français, qui permet un accès en temps réel à Ficoba.
Notre branche, comme les autres, s’attache à lutter contre la fraude tout en respectant scrupuleusement les droits des assurés. À titre d’illustration, nous leur remettons systématiquement une charte de contrôle qui détaille leurs droits et devoirs. Cette démarche vise à rééquilibrer la relation entre l’administration et l’assuré lors des contrôles.
Des méthodes de sécurisation sont déjà en place, comme la vérification d’identité lors de la réception d’un RIB, afin de prévenir les usurpations. De même, l’accès aux fichiers des compagnies aériennes, s’il était autorisé, permettrait d’identifier plus efficacement les cas de double nationalité ou l’usage de passeports multiples, facilitant ainsi les vérifications pour les pensionnés vivant à l’étranger.
Un autre levier d’action concerne la commission des pénalités financières, dont le seuil de saisine reste effectivement trop bas au regard du montant moyen des fraudes détectées. Nous estimons qu’il devrait être doublé pour atteindre huit plafonds, afin de réserver cette procédure aux fraudes les plus graves, tout en allégeant la charge administrative et en cohérence avec l’obligation de dépôt de plainte, fixée au même niveau.
Concernant les échanges d’état civil avec les pays étrangers, nous partageons les réserves exprimées quant à leur couverture encore trop limitée, car ils sont essentiels pour confirmer l’existence des retraités vivant hors de France. Essentiels pour fiabiliser l’existence des retraités à l’étranger, ils nécessitent des accords bilatéraux et des systèmes d’état civil fiables et dématérialisés dans les pays partenaires. Nous travaillons activement à étendre ces accords, particulièrement au sein de l’Union européenne. Pour compléter ce dispositif, nous déployons désormais des contrôles biométriques pour les retraités résidant à l’étranger, renforçant ainsi considérablement notre capacité de vérification.
Je tiens à affirmer que les équipes dédiées à la lutte contre la fraude ont vu leurs effectifs, compétences et prérogatives renforcés, les rapprochant des capacités d’action de la police judiciaire. L’augmentation de la fraude détectée traduit avant tout une amélioration des outils de repérage, ce qui constitue un signal positif. De nouveaux dispositifs, comme le référentiel de ressources mensuelles, facilitent le croisement des données sociales et fiscales dans le respect du RGPD, et améliorent la détection du non-recours, du risque d’erreur ou des fraudes.
Concernant les contrôles physiques à l’étranger, la Cnav s’appuie sur plusieurs méthodes. Des agents sont présents dans certains consulats, comme à Alger, et des partenaires locaux, comme les réseaux bancaires ou d’autres régimes de retraite, jouent également un rôle, sous réserve d’audits stricts pour garantir la fiabilité des procédures.
Je défends la qualité du service rendu, précisant que les erreurs de versement restent marginales, en dessous de 1 % des montants. Deux tiers de ces erreurs concernent des éléments de carrière, que seul l’assuré peut rectifier. Cela souligne l’importance du dialogue pour reconstituer avec précision la trajectoire professionnelle des bénéficiaires.
Mme Annie Vidal (EPR). Ma préoccupation porte sur le déficit apparemment inexorable de la sécurité sociale, avec peu de perspectives d’équilibre à court terme. Bien que vous ayez tempéré les inquiétudes concernant un risque imminent de manque de liquidité, le niveau d’endettement semble atteindre son maximum.
Avez-vous, tout d’abord, identifié des postes majeurs dont l’optimisation pourrait significativement impacter les dépenses ou les recettes ? Ensuite, comment anticipez-vous l’augmentation inévitable de certaines dépenses, notamment celles liées au vieillissement démographique ? Enfin, même si un problème de liquidité n’est pas imminent, les capacités d’emprunt à court terme de la caisse sont-elles affaiblies, voire menacées, en termes de crédibilité sur les marchés d’emprunts et de taux d’intérêts ?
Mme Joëlle Mélin (RN). Monsieur Grivel, comment expliquez-vous que votre caisse ait enregistré des pertes de 5,8 milliards d’euros en 2022 et 3,8 milliards en 2023, et prévoie 6,3 milliards de pertes en 2024 ?
M. Stéphane Vojetta (EPR). L’enchevêtrement des comptes publics et des transferts entre vos caisses et les services de l’État semble avoir pour effet de dissimuler le déficit réel du système des retraites. Cette opacité permet de maintenir l’illusion d’un équilibre des retraites tout en reportant le problème sur la sécurité sociale. La dette présente des limites structurelles que nous approchons rapidement, surtout si nous n’appliquons aucune correction.
Aussi, devons-nous continuer à adhérer à cette représentation trompeuse de la réalité ou commencer à affronter la situation telle qu’elle est réellement ? Ne devrions-nous pas demander à la Cour un travail approfondi de clarification et envisager une réforme de notre mode de comptabilité publique ?
M. Fabien Di Filippo (DR). Concernant les retraites versées à l’étranger, qui représentent 6 milliards d’euros, l’acceptabilité sociale des efforts demandés à la population française dépend de notre capacité à éliminer toute fraude dans ce domaine. Les contrôles effectués révèlent un taux de fraude de 2 à 5 %, atteignant parfois plus de 30 % pour les personnes de plus de quatre-vingt-dix-huit ans dans certains pays du Maghreb. Les partenariats avec des acteurs étrangers seront-ils suffisants pour contrôler l’intégralité des bénéficiaires concernés ?
Concernant les arrêts maladie frauduleux, l’échantillon de contrôle de 240 000 arrêts a révélé qu’un tiers était injustifié. Quelles mesures envisagez-vous pour fermer les sites en ligne permettant d’obtenir facilement des arrêts maladie ? De quels moyens de contrôle disposez-vous pour surveiller les pratiques de certains médecins ?
M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Bien qu’il existe des fraudes aux cotisations et aux prestations dans les outre-mer, il ne faut pas en faire porter la responsabilité aux familles précaires, aux retraités modestes ou aux travailleurs non déclarés. Ce qui fragilise notre système, ce sont les inégalités structurelles, l’absence de l’État et des défaillances administratives.
En Martinique, les services publics sont à bout, les agents des CAF et de l’Urssaf débordés, mal équipés, parfois maltraitants malgré eux. L’économie repose en grande partie sur le travail informel, faute d’alternative dans un contexte de chômage massif.
Il faut bien sûr lutter contre la fraude, mais sans accabler les plus pauvres. L’enjeu, celui de l’équité, passe par des contrôles ciblés sur les vrais fraudeurs, notamment les employeurs, et non par une suspicion généralisée. La lutte contre la fraude ne doit pas servir de prétexte pour remettre en cause l’universalité de la protection sociale.
M. Jérôme Guedj, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. Le rapport « Charges et produits » que la Caisse nationale de l’assurance maladie présentera sous peu présentera des réformes et des pistes d’économies plus conséquentes. Je m’interroge sur ce qui vous empêche, dans vos domaines respectifs, de mener un exercice similaire dans la période actuelle, notamment dans le secteur du recouvrement.
Nous travaillons actuellement sur les suites du rapport Bozio-Wasmer, qui met en lumière un problème de multiplication des assiettes et un manque de cohérence, suggérant d’aligner l’assiette des cotisations sur celle de la contribution sociale généralisée.
À l’heure où se posent de grandes questions sur l’avenir de la sécurité sociale, quelles propositions systémiques et structurelles formulez-vous, chacun dans votre domaine, concernant les économies potentielles, la maîtrise des dépenses, la question cruciale des recettes et des exemptions de cotisations sociales ?
La Cour a souligné que certaines exemptions d’assiettes ne sont plus justifiées aujourd’hui. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Êtes-vous en mesure d’adopter une approche novatrice et de proposer des pistes pour augmenter les recettes ?
Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur de la sécurité sociale. Concernant les pistes de redressement, nous menons une réflexion approfondie en lien avec les caisses nationales, d’autres directions du ministère et plusieurs partenaires. La réduction des niches sociales fait partie des leviers envisagés, tout comme le financement des indemnités journalières. Le financement des soins pour les personnes atteintes d’affections longue durée est un autre enjeu central, compte tenu de son poids dans la hausse des dépenses de l’assurance maladie.
Nous envisageons également des mesures déjà utilisées dans le passé, telles que des ajustements des tickets modérateurs, des participations forfaitaires ou des franchises. Ces réflexions portent essentiellement sur l’assurance maladie, qui concentre la majorité des difficultés de financement. Le Gouvernement ne s’est pas encore prononcé sur les mesures retenues, mais celles-ci seront dévoilées dans les semaines à venir.
Le vieillissement de la population française alimente mécaniquement la progression des dépenses de santé et rend complexe l’identification d’économies substantielles dans la branche autonomie. Bien qu’un effort soit possible, les besoins excèdent les capacités de financement à moyen terme.
Enfin, nous avons bien précisé que la lutte contre la fraude n’est qu’un levier parmi d’autres qui ne peut en aucun cas être considéré comme une réponse unique aux déséquilibres actuels. Le projet de loi de financement à venir est particulièrement complexe.
M. Damien Ientile, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale – Urssaf Caisse nationale. J’affirme que nos capacités d’emprunt demeurent solides. Notre signature nous permet d’emprunter actuellement à un taux d’environ 2,1 %, très proche de celui de l’État pour des maturités similaires. Cependant, les difficultés à venir que nous anticipons nous contraignent à agir dès maintenant pour y faire face.
J’affirme également que nous entretenons des échanges techniques et méthodologiques réguliers avec notre tutelle, la direction de la sécurité sociale, ainsi qu’avec le gouvernement. Quant aux propositions potentiellement disruptives, notre conseil d’administration paritaire constitue l’une de nos forces majeures. Je ne formulerai aucune proposition, notamment sur le sujet sensible et clivant des retraites, sans avoir obtenu un consensus issu d’une réflexion collective des partenaires sociaux.
M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales. Le risque d’erreur est inhérent à tout système, particulièrement lorsqu’il s’agit de gérer plus de 100 milliards d’euros de prestations. Les chiffres que j’ai mentionnés sont des estimations basées sur l’extrapolation, avec une marge d’erreur inhérente à toute méthode de sondage. Notre risque brut estimé au moment des déclarations des allocataires s’élève à environ 19 milliards d’euros. Sans notre intervention, ce montant resterait inchangé. Cependant, grâce à nos actions de contrôle, incluant plus de 30 millions de vérifications annuelles, de croisements d’informations, de contrôles sur place et sur pièce, nous parvenons à réduire considérablement ce risque.
Ces écarts jouent par ailleurs dans les deux sens, certains allocataires recevant trop et d’autres pas assez. Notre objectif principal étant d’atteindre le juste droit, les réformes que nous mettons en place, notamment celle de la solidarité à la source, nous permettront de nous en rapprocher significativement en disposant des informations correctes dès le départ.
M. Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Concernant les retraités âgés résidant à l’étranger, nous comptons 26 000 retraités centenaires résidant en France et 2 400 à l’étranger, dont environ un millier en Algérie.
Même dans l’hypothèse improbable où tous ces retraités algériens seraient décédés, l’impact financier se limiterait à 15 à 20 millions d’euros. Nos vérifications régulières, notamment auprès des personnes approchant un âge avancé, ont toutefois révélé qu’environ 10 % étaient effectivement décédés. Ces chiffres contredisent les estimations fantaisistes évoquant 40 à 50 % de décès non signalés.
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2. Réunion du mardi 10 juin 2025 à 16 heures 30
– Évaluation « Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle » (M. Hadrien Clouet et M. Cyrille Isaac‑Sibille, rapporteurs)
– Table ronde réunissant, pour la direction de la sécurité sociale, Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur, et, pour la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles - Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels ([74])
M. le président Frédéric Valletoux. Nous entamons notre deuxième réunion consacrée au Printemps social de l’évaluation, cette fois consacrée à la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Elle portera sur les dispositions de l’article 17 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale du 14 avril 2023, qui a créé le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu). Les échanges se concentreront sur cette thématique.
M. Hadrien Clouet, rapporteur. Nous avons contrôlé la création du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, comme l’a indiqué le président Frédéric Valletoux. Cette disposition a fait l’objet d’une application réglementaire complète, bien que le fonds n’ait pas été immédiatement opérationnel. Il a néanmoins apporté un soutien à plus de 5 000 entreprises et autres opérateurs, mais son financement demeure très modeste et ses enveloppes ont été sous-consommées.
Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle s’articule autour de ce que nous avons appelé un « triple triptyque » : trois formes d’actions concernant trois facteurs de risques au moyen de trois enveloppes distinctes. L’objectif est de participer, pour les salariés exposés aux trois facteurs de risques occasionnant le plus grand nombre de troubles musculo-squelettiques, au financement de trois types d’actions directes ou indirectes de sensibilisation et de prévention, de formation, ainsi que de reconversion et de prévention de la désinsertion professionnelle. Ceux-ci regroupent notamment les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles et les vibrations mécaniques. Ces troubles musculo-squelettiques comptent pour 85 % des maladies professionnelles reconnues, mais ils demeurent largement sous-déclarés. Nous regrettons par ailleurs l’absence de prise en compte des risques psychiques et mentaux.
Les aides du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle se déclinent en trois instruments : les dotations aux entreprises, les subventions aux organismes professionnels de santé et de sécurité des conditions de travail, et le transfert à France compétences.
Deux décrets, une demi-douzaine d’arrêtés et une importante circulaire de clarification de la Caisse nationale de l’assurance maladie ont précisé les modalités d’application. Néanmoins, la cartographie des risques demeure problématique : la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles des emplois salariés des employeurs, recommandée par le ministère du travail, s’avère inadaptée à certaines branches, qui ont exprimé une préférence pour la nomenclature d’activités française. Nous préconisons le choix rapide d’une grille commune. Pourriez-vous, mesdames les directrices, nous éclairer quant à la nomenclature appropriée pour exploiter la sinistralité par métier ? Par ailleurs, pourriez-vous préciser la nature des obstacles à la remontée d’informations ?
M. Cyrille Isaac-Sibille, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, rapporteur. Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle a été significativement doté, pour 1 milliard d’euros sur cinq ans, à partir des excédents de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Or, ces excédents attendus à hauteur de 7 milliards d’euros entre 2023 et 2026 sont désormais escomptés beaucoup plus modestes, de l’ordre d’environ 1,2 milliard d’euros. Vos pistes de travail ont-elles évolué face à cette nouvelle situation ? Le fonds pourrait-il recevoir moins de financements qu’attendu ? Des recettes supplémentaires sont-elles envisagées ? Les cotisations pourraient-elles être ajustées en fonction de la sinistralité ? Des économies sur d’autres postes pourraient-elles être accomplies ?
En 2024, le fonds a été abondé de 200 millions d’euros auxquels s’ajoutent 30 millions d’euros de report de 2024. Mais seuls 70 millions d’euros ont été dépensés, engendrant un nouveau report sur 2025. Ces aides ont bénéficié à 5 300 entreprises pour 40 millions d’euros. Disposez-vous d’un effectif de salariés ou d’une répartition géographique des bénéficiaires ?
La liste des équipements financés est très complète. La règle générale prévoit un taux d’aide de 70 % et un plafond de 25 000 euros, relevables à 85 % et 50 000 euros selon les branches, pour une moyenne de 6 910 euros par établissement.
Pour France compétences, 731 dossiers ont été soutenus pour une moyenne de 32 000 euros, mais une consommation de seulement 52 % des prévisions. Vos réponses écrites ont pointé la difficulté d’identifier un potentiel travail de nuit pour les projets de transition professionnelle financés. Comment améliorer ce point précis ?
En conclusion, la création d’un fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle nous semble pertinente. Les dépenses engagées aujourd’hui seront plus que compensées par les économies futures. Toutefois, la consommation budgétaire s’est révélée trop faible, probablement en raison d’une demande limitée qu’il convient, de notre point de vue, de stimuler. L’aide du fonds est distribuée aux entreprises par l’intermédiaire des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, qui doivent progresser dans leurs actions de communication. Cependant, un problème persiste : les entreprises doivent investir avant que les subventions leur soient attribuées avec certitude. En outre, le dispositif privilégie le premier demandeur plutôt que les besoins réels basés sur la sinistralité. Comment mieux cibler les secteurs les plus à risque ?
M. Thibault Bazin, rapporteur général. J’avais suivi avec intérêt cette disposition peu évoquée lors de la réforme des retraites. Ce nouvel instrument se révèle utile pour prévenir les facteurs de risque et préserver la santé des travailleurs.
Les rapporteurs ont souligné qu’à la suite des reports de budget, le fonds disposera de crédits de 360,7 millions d’euros en 2025. Quel est l’état de la dépense au 30 avril ou au 31 mai ? Quelles sont les projections pour le 31 décembre ? Pourriez-vous nous communiquer un ordre de grandeur par enveloppe ?
Par ailleurs, quelles autres branches pourraient voir leur organisme de prévention devenir éligible au fonds ?
Enfin, comment le fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle s’articule-t-il avec le fonds national de prévention des accidents du travail et les autres dispositifs existants ? Des adaptations législatives seraient-elles nécessaires pour améliorer son fonctionnement ?
M. Jean-François Rousset (EPR). La réforme de 2023 a permis d’avancer sur les enjeux de carrière longue, de congés parentaux, des aidants et de pénibilité au travail. Le fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle a pour ambition de prévenir et d’anticiper plutôt que de réparer. Ce dispositif, comme la visite de mi-carrière, doit monter plus rapidement en charge. Il est important que la pénibilité soit prise en compte au plus près des réalités de chaque secteur, et que les branches soient mobilisées, quand seuls neuf accords de branche auraient été comptabilisés au 1er janvier 2025.
Quand peut-on espérer disposer des données de sinistralité par métier ? Quels autres éléments feraient avancer ces accords de branche ?
M. Jérôme Guedj, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. Ces travaux ont permis de souligner la modestie du financement, et surtout la difficulté d’atteindre un rythme de financements régulier. À quel moment cet objectif de cadence sera-t-il atteint ? Comment calibrer le financement au regard des besoins identifiés, sachant que la mise en place du fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle pourrait amplifier la demande ?
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Le fonds a été créé pour subventionner les actions de prévention, quand de nombreuses entreprises manquent d’ingénierie et de personnels susceptibles de réfléchir à la réorganisation du travail. Ne faudrait-il pas dans un premier temps aider les entreprises à financer le travail continu sur la prévention des risques professionnels ? Par ailleurs, ce fonds est-il bien calibré pour répondre non seulement à la prévention secondaire, mais aussi à la prévention primaire, c’est-à-dire à la mise en place d’une réflexion approfondie sur l’organisation du travail ?
M. Cyrille Isaac-Sibille, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, rapporteur. Ce fonds présente un intérêt non négligeable car il finance des outils tout en permettant des opérations de sensibilisation grâce à des postes de préventeurs au sein des entreprises. Je suis très favorable à ce type de missions dans l’entreprise, notamment au sein des établissements de soins pour personnes âgées.
M. Hadrien Clouet, rapporteur. L’une des limites majeures du fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle tient au fait qu’il accompagne des transitions de parcours professionnels des salariés, mais ne s’intègre pas au mécanisme de reconnaissance de la pénibilité. Cette dissociation a aussi pour conséquence de minimiser certaines responsabilités patronales.
Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur de la sécurité sociale. Le fonds n’est pas le seul instrument de prise en compte de l’usure professionnelle puisqu’il fonctionne à la fois à côté du dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente et du compte professionnel de prévention, qui opère dans une logique individuelle.
Il a en effet été doté de 30 millions d’euros la première année. Le Gouvernement prévoit de l’abonder de 1 milliard d’euros sur cinq ans, soit 200 millions d’euros par an. Comme l’ont souligné les rapporteurs, son utilisation reste limitée, mais l’engagement financier est maintenu : la totalité des fonds non consommés en 2024 a été reportée sur 2025.
Nous avons ouvert un simulateur en ligne pour aider les entreprises à vérifier leur éligibilité. Nous avons aussi amélioré notre communication directe. Nous travaillons également à élargir les possibilités de financement, tout en procédant aux contrôles nécessaires. Par ailleurs, des accords sont en cours avec plusieurs branches comme la boulangerie-pâtisserie, l’hospitalisation privée ou la confiserie-chocolaterie-biscuiterie, pour élargir les métiers concernés.
Il est difficile d’avancer un nombre de salariés bénéficiaires. La logique du fonds repose sur des aides aux entreprises. Elle ne nous permet pas d’identifier directement les personnes.
Quant aux statistiques de sinistralité, nous utilisons actuellement des codes de la nomenclature d’activités française. Mais nous reconnaissons les limites de cette approche. Des travaux sont en cours avec les branches professionnelles pour disposer de données plus fines.
Notre priorité actuelle est de permettre au fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle d’atteindre son plein potentiel avant d’envisager de nouvelles adaptations législatives. Par ailleurs, une articulation avec d’autres dispositifs est possible car ils sont complémentaires, sans recoupement ni double financement. Le fonds spécifique destiné aux agents publics des établissements sanitaires et médico-sociaux n’a, quant à lui, pas encore d’existence réelle.
Enfin, le taux de consommation au 1er avril se situe à moins de 3 %, ce qui est extrêmement faible. Cela s’explique car l’année vient de commencer. Ces chiffres doivent être interprétés avec toutes les précautions contextuelles nécessaires.
Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels à la Caisse nationale de l’assurance maladie. Le montant engagé pour 2025 du fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle atteint 22 millions d’euros, contre 3 millions d’euros à la même période en 2024. Il existe une saisonnalité dans les investissements des entreprises, généralement faibles au premier trimestre, et le simulateur en ligne récemment ouvert devrait faciliter les choses, notamment pour les petites entreprises peu familières de ces démarches administratives. Notre choix de fonctionner par facture acquittée évite de bloquer des fonds pendant des mois. Par ailleurs, nous avons lancé des campagnes de communication nationales et développé des relais avec les services de prévention et de médecine du travail. Nos webinaires d’information rencontrent un vrai succès.
Je partage les préoccupations énoncées sur les limites d’une prévention réduite à l’achat d’équipements individuels, raison pour laquelle nous développons des programmes nationaux complets. Les entreprises manquent effectivement de compétences pour accéder à ces aides, d’où l’importance des organismes de prévention qui les accompagnent. Le fonds finance ces organismes à hauteur de 30 % de leur budget sur les premières années.
Enfin, la cartographie des métiers constitue un projet d’ampleur, qui requiert d’utiliser les données de la déclaration sociale nominative de 2 millions d’entreprises et de 19 millions de salariés. Une expérimentation est en cours. La généralisation prendra une à deux années. En attendant, les branches professionnelles mènent leurs propres études sur leurs activités à risque.
M. Cyrille Isaac-Sibille, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, rapporteur. Pourquoi ce dispositif n’est-il pas déployé dans certains cas ? Nous devons évaluer la politique mise en œuvre, mais également les performances des directeurs des différentes caisses d’assurance retraite et de la santé au travail. Il nous faut distinguer celles qui ont pleinement participé de celles qui se sont moins impliquées, et déterminer comment les accompagner.
Nous devons également évaluer le dispositif avec des indicateurs précis. Avez-vous construit des instruments de mesure de la sinistralité dans les entreprises aidées ?
Par ailleurs, nous avons évoqué uniquement des mesures physiques. Or, la santé mentale demeure un enjeu majeur. Serait-il possible de transférer certaines enveloppes non consommées vers des actions développées dans cette optique ?
M. Hadrien Clouet, rapporteur. Le débat relatif aux classifications ou nomenclatures semble ne prendre en compte que la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles des emplois salariés des employeurs et la nomenclature d’activités française. Pourquoi d’autres registres, comme le répertoire opérationnel des métiers et des emplois, ne sont-ils pas également mobilisés ? Un raisonnement par compétences pourrait être propice aux subventions.
Par ailleurs, quelle place les salariés tiennent-ils dans les demandes de subventions ? Comment peuvent-ils concrètement accompagner ou être à l’initiative d’une demande lorsque l’employeur ne le souhaite pas ? Nous constatons une asymétrie dans le processus quand l’employeur est en charge d’agir pour la prévention du risque du salarié sans que la position de ce dernier soit connue.
M. le rapporteur général. Je réitère mon questionnement sur le budget car les dotations de l’assurance-maladie au fonds peuvent constituer un sujet sensible. Vous avez bénéficié lors de deux années consécutives d’une dotation de 200 millions d’euros, avec une sous-consommation très importante l’an dernier. Vous disposez cette année de 360 millions d’euros grâce au report de 2024, dont seulement 22 millions d’euros ont été engagés en avril. Quel rythme de consommation annuelle envisagez-vous ?
Concernant les autres dispositifs, le fonds national de prévention des accidents du travail a cessé de financer certains équipements, ce qui témoigne de redondances préexistantes. Subsiste-t-il encore des doublons sur certaines formations ou actions de prévention ? Le fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle sera-t-il utilisé dans les volumes envisagés, ou vos besoins pourraient-ils s’avérer moins importants pour le prochain exercice ?
Mme Delphine Champetier. Concernant les indicateurs de sinistralité, la branche est financée par une cotisation patronale basée sur des données de sinistralité glissantes estimées tous les trois ans. Ce levier de recettes permet de sensibiliser les entreprises aux conséquences d’une éventuelle augmentation des risques.
Nous partageons vos préoccupations sur la prévention en matière de santé mentale. Nous recensons environ 2 500 maladies professionnelles psychiques, chiffre en forte hausse en 2024, et 12 000 accidents du travail par an liés aux risques psychosociaux.
Concernant le budget, la loi du 14 avril 2023 a confié à la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles la mission de fixer le montant des reports. Elle a également précisé le bon niveau de consommation, soit 200 millions d’euros par an. Comme tous les dispositifs nouveaux, le fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle est confronté à une phase de montée en charge, qui implique de communiquer pour se faire connaître et de se professionnaliser. Cette situation ne paraît donc pas inquiétante.
Mme Anne Thiebeauld. Nous partageons également la préoccupation des députés sur l’hétérogénéité régionale du dispositif. La capacité de consommation dépend beaucoup du niveau d’activité des relais, comme les agences régionales, l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, ou les fédérations professionnelles. Elle varie aussi en fonction de l’activité économique de chaque région. En effet, nous finançons des subventions pour des achats d’équipements dont la liste s’élargit progressivement, et certains territoires se révèlent naturellement plus consommateurs, comme le pourtour méditerranéen avec sa forte activité médico-sociale. Nous anticipons ainsi une augmentation des demandes dans ces régions pour 2025.
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3. Réunion du mercredi 11 juin 2025 à 9 heures 30
– Évalautions « L’aide à l’installation des médecins » (MM. Jean‑François Rousset et Yannick Monnet, rapporteurs) et « Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes centres de ressources territoriaux » (M. Thierry Frappé et Mme Annie Vidal, rapporteurs)
– Table ronde réunissant, pour la direction de la sécurité sociale, Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur ; pour la direction générale de l’offre de soins, Mme Marie Daudé, directrice générale ; pour la direction générale de la cohésion sociale, M. Benjamin Voisin, adjoint au directeur général ; pour la Caisse nationale de l’assurance maladie, M. Emmanuel Frère-Lecoutre, directeur de l’offre de soins ; pour la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, M. Maëlig Le Bayon, directeur général ([75])
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons à la dernière de nos trois séances consacrées au Printemps social de l’évaluation, portant ce matin sur les branches maladie et autonomie.
Pour la branche maladie, nous entendrons une évaluation des dispositions de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020, relatif aux aides financières pour l’installation des jeunes médecins.
Pour la branche autonomie, nous entendrons une évaluation des dispositions de l’article 47 de la LFSS 2022 relatif aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes centres de ressources territoriaux.
M. Jean-François Rousset, rapporteur. Les aides visant à favoriser l’installation de médecins en zone sous-dense sont le plus souvent sous-utilisées, marquées par de réels effets d’aubaine et ne sont pas déterminantes dans la décision.
Le dispositif évalué prévoyait la création d’un allégement ciblé et temporaire de cotisations sociales pour les médecins exerçant en zone sous-dotée dans les trois années suivant leur thèse. Il créait également un contrat de début d’exercice ouvert aux médecins titulaires ou remplaçants ayant choisi d’exercer en zone sous-dense pendant une durée de trois ans. Notre évaluation conclut à la nécessité de mettre définitivement un terme à ces deux dispositifs, car nous n’avons pas pu établir de lien direct entre ces aides financières et les décisions d’installation des jeunes praticiens.
D’une part, le faible recours aux aides à l’installation résulte d’une information insuffisante sur les types d’aides disponibles. Les guichets uniques d’aide à l’installation ne sont pas encore pleinement opérationnels et ne répertorient qu’une fraction des aides existantes.
D’autre part, des variables complémentaires, telles que la présence ou non de services publics, la proximité du lieu de formation ou encore l’existence d’attaches familiales, expliquent bien davantage le faible impact des aides financières sur les décisions d’installation.
Une évolution du modèle d’aide à l’installation est donc nécessaire pour répondre aux attentes des publics concernés. Celle-ci devrait intervenir sur deux plans : celui de la gouvernance et celui de la forme des aides contrôlées.
En matière de gouvernance, il nous semble nécessaire de limiter la création d’aides financières directes à l’installation en LFSS. La négociation conventionnelle doit demeurer le principal canal de création des incitations financières directes et l’intervention du législateur doit être restreinte à la réponse aux besoins clairement identifiés.
Une connaissance renforcée du paysage des aides nous semble indispensable. Un travail de recensement des aides financières délivrées par les collectivités devrait être mené, en l’adossant au développement des portails d’appui aux professionnels de santé. Ces guichets uniques sont en effet précieux pour les jeunes professionnels.
M. Yannick Monnet, rapporteur. L’évaluation des aides financières à l’installation des médecins est essentielle, alors que près d’un Français sur trois vit dans un territoire marqué par un état avancé de désertification médicale.
Pourtant, nous finançons largement l’installation des jeunes praticiens en zone sous-dense. Pour les deux dispositifs créés par l’article 51 de la LFSS 2020, le montant total cumulé dépensé depuis 2020 est estimé à 11 millions d’euros. Ces aides financières viennent en complément des allégements de cotisations de droit commun. Pour l’ensemble des médecins relevant des tarifs de la convention médicale, la prise en charge des cotisations prévue par cette convention coûte d’ores et déjà 1,349 milliard d’euros à l’assurance maladie.
Les résultats escomptés n’ont pas été obtenus, avec seulement 19 % des médecins généralistes et 11 % des médecins spécialistes installés en zone d’intervention prioritaire.
Le soutien à l’installation doit évoluer d’un modèle d’aides financières directes vers un soutien plus large à l’attractivité des territoires sous-dotés. Notre troisième recommandation vise ainsi à permettre aux agences régionales de santé (ARS) de bénéficier de crédits supplémentaires dans le cadre de leurs fonds d’intervention régionaux (FIR) afin de renforcer le maillage en centres de santé, en équipes mobiles et en structures coordonnées de soins.
Dans la perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, il nous semble nécessaire de concentrer les aides directes créées en réponse à des besoins spécifiques, comme l’accompagnement pour le logement ou la vie familiale.
M. Thierry Frappé, rapporteur. La Mission d’évaluation et de contrôle des comptes de la sécurité sociale (Mecss) travaille depuis plus d’un an à l’évaluation des CRT, créés par l’article 47 de la LFSS 2022.
Les CRT sont censés être l’un des piliers de notre stratégie domiciliaire pour la prise en charge de la dépendance, avec des besoins qui exploseront à l’horizon 2030.
Le volet 2 des CRT vise la prise en charge d’une file active de moins de trente patients dépendants à domicile, tandis que le volet 1 est orienté vers l’accompagnement des professionnels du territoire intervenant à domicile auprès des personnes âgées, à travers des formations ou encore la mise à disposition de plateaux techniques
Une instruction de juillet 2023 prévoit la création de 500 CRT dans toute la France, financés chacun à hauteur de 400 000 euros annuels, montant porté à 480 000 euros dans les départements d’outre-mer. Ces CRT sont très majoritairement portés par des Ehpad, bien qu’ils puissent également être portés par des services à domicile.
Le déploiement des CRT s’avère très lent et particulièrement hétérogène selon les régions. Fin 2024, 274 CRT sur 500 ont reçu leur autorisation, mais seuls 175 d’entre eux ont débuté leur activité. Le délai moyen entre l’ouverture d’un CRT et la prise en charge des premiers patients est de dix‑huit mois.
Les CRT doivent se positionner en complémentarité d’une offre existante pour l’accompagnement à domicile. Or, cette mission s’avère particulièrement difficile, compte tenu du mille-feuille incompréhensible d’acteurs du domicile. Une réelle difficulté de positionnement affecte donc ces centres, associée à une incertitude sur les attentes précises à leur égard, dans un contexte où le cahier des charges apparaît très fourni alors qu’ils ne peuvent pas tout faire.
Cette difficulté au démarrage résulte également d’un défaut d’accompagnement au niveau national, les ARS n’ayant pas été associées alors qu’elles sont pourtant en première ligne sur ce dossier depuis le début.
Cette lenteur se répercute sur la capacité des CRT à prendre en charge la population âgée dépendante pour laquelle ils ont été conçus. Actuellement, chaque CRT accompagne en moyenne seize personnes âgées dépendantes, souvent moins dépendantes que ce qui était initialement envisagé, et parfois davantage dans une optique de prévention.
Nous n’avons pas l’impression d’intervenir à la bonne échelle face à l’enjeu du vieillissement démographique.
Chaque CRT perçoit, dès son ouverture, une dotation de 400 000 euros, qui n’est pas conditionnée à l’atteinte de résultats. Ne faudrait-il pas envisager une modulation de la dotation de 400 000 euros pour inciter les CRT à prendre en charge un maximum de patients, en se concentrant sur les plus dépendants ?
Par ailleurs, dans la mesure où vous n’avez pas, à ce jour, réellement contrôlé les données d’activité des CRT, comment vous assurez-vous que la dotation versée ne sert pas en réalité à financer des actions que les Ehpad ne parviennent plus à financer ?
Mme Annie Vidal, rapporteure. Le déploiement des CRT étant encore en cours, il demeure prématuré d’en dresser un bilan exhaustif. Nous pouvons néanmoins établir un bilan d’étape.
Il convient de souligner que, là où ils fonctionnent efficacement, les CRT représentent une plus-value, appréciée par tous. Manifestement, ces centres viennent combler un vide en coordonnant les multiples acteurs du domicile, en soulageant et orientant les aidants ainsi qu’en humanisant l’accompagnement à domicile.
En outre, pour les soignants, le CRT constitue une évolution de carrière intéressante, offrant un accompagnement perçu comme plus global, davantage d’autonomie et une moindre pénibilité physique.
Cependant, nous avons quelques inquiétudes quant à l’efficience du dispositif, particulièrement au regard des contraintes budgétaires actuelles.
Nous nous interrogeons sur la pertinence de maintenir deux volets au sein des CRT. Le volet 1 conduit à financer ou cofinancer une myriade d’actions plus ou moins cohérentes, qui s’apparentent parfois à une forme de saupoudrage et ne sont généralement pas coordonnées avec les actions similaires proposées par d’autres acteurs territoriaux. Nous préconisons de recentrer la dotation des CRT sur le volet 2 et de redéployer des crédits de la commission des financeurs pour les actions du volet 1, ayant plutôt vocation à être coordonné par les départements.
Ensuite, nous doutons que les CRT soient actuellement positionnés comme une véritable alternative à l’Ehpad. Les auditions ont clairement attesté la fluidification de l’entrée en Ehpad grâce aux CRT, ce qui constitue un point très positif, mais ne saurait représenter l’unique objectif de ces centres.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la complémentarité, voire la redondance potentielle, entre les CRT et d’autres dispositifs également axés sur la coordination du parcours des personnes en perte d’autonomie à domicile. Nous devons être vigilants à ne pas financer de la « coordination de coordinateurs ».
Il serait impératif d’évaluer très précisément le modèle économique des CRT dans le contexte des évolutions démographiques à venir. En effet, le coût du suivi d’un patient par un CRT représente 10 800 euros par an, sur la base de trente patients par CRT. À ce montant s’ajoutent les coûts du plan d’aide relatif à l’allocation personnalisée d’autonomie, entre 10 000 et 13 000 euros par an pour un GIR 1 ou 2, et celui des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), représentant environ 16 000 euros annuels en moyenne.
Le CRT vous semble-t-il constituer un modèle bien dimensionné et soutenable pour prendre en charge, à l’horizon 2030, les centaines de milliers de personnes âgées en perte d’autonomie supplémentaires qui ne souhaiteront pas intégrer un Ehpad ? Je rappelle qu’avec trente patients par CRT pour 500 CRT, nous suivons au total 15 000 patients.
Nous avons constaté que les CRT viennent pallier les lacunes d’autres dispositifs également en cours de déploiement, tel que le service autonomie à domicile (SAD). Ne sommes-nous pas en train de financer un autre dispositif aux objectifs assez proche, qui ne pourra pas mailler l’ensemble du territoire ? Pouvez-vous nous présenter l’état d’avancement des SAD ?
Je m’interroge sur notre politique de l’autonomie. En l’absence d’une loi relative au grand âge, nous avons souhaité, au fil des LFSS et des véhicules législatifs disponibles, apporter des réponses aux problématiques identifiées. Ne sommes-nous pas confrontés aujourd’hui à un empilement de dispositifs – certes utiles et appréciés – qui masque la nécessité d’une approche plus cohérente, efficiente et globale ?
M. Thibault Bazin, rapporteur général. L’accès à un médecin généraliste ou spécialiste constitue la préoccupation principale des Français. Le Parlement a d’ailleurs été saisi de plusieurs textes sur ce sujet et le Sénat a récemment adopté une proposition de loi sur laquelle notre Assemblée pourrait être appelée à se prononcer. Cette actualité, également marquée par l’annonce du pacte de lutte contre les déserts médicaux, démontre la pertinence du thème d’évaluation choisi.
Concernant le volet dépendance, notamment l’accompagnement du virage domiciliaire de cette politique publique, les enjeux sont également significatifs, tant en termes de qualité d’accès aux soins que pour les finances de la protection sociale. Une note de l’Institut des politiques publiques de novembre 2023 chiffrait l’accompagnement du virage domiciliaire à 4,6 milliards d’euros supplémentaires à l’horizon 2040 par rapport à l’évolution tendancielle. Il était donc essentiel que les travaux du Printemps social de l’évaluation portent sur cette thématique à travers l’analyse des CRT.
Sur les aides à l’installation des médecins, le rapport que nous examinons propose une suppression progressive du contrat de début d’exercice créé par l’article 51 de la LFSS 2020. Quelle est votre opinion sur cette recommandation et quelles économies seraient susceptibles d’en découler ?
La convention médicale signée le 4 juin 2024 prévoit la création d’une aide forfaitaire unique majorée selon la dotation en professionnels de santé du territoire d’installation. Une pondération du forfait médecin traitant entrera également en vigueur afin de favoriser l’exercice en zone sous-dense. Dans ce contexte, estimez-vous nécessaire la création de mesures complémentaires d’aide à l’installation ? Si oui, sous quelle forme ? Les dispositifs que vous envisagez l’année prochaine seront-ils accessibles en termes d’information ?
Concernant les aides proposées par les collectivités territoriales, un risque de concurrence entre territoires existe selon la capacité financière de chaque collectivité. Pouvez‑vous nous indiquer si ce risque fait l’objet de mesures de régulation de la part de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) et de la direction générale de l’offre de soins ?
L’évaluation conduite suggère que les CRT répondent à un vrai besoin pour maintenir à domicile les personnes âgées dépendantes. En y regardant de plus près, ce besoin consiste souvent à coordonner le mille-feuille de dispositifs existants pour ces personnes âgées et leurs aidants. Ne faudrait-il pas d’abord mener à leur terme les réformes des SAD et du service public départemental de l’autonomie (SPDA), avant d’implanter un nouveau dispositif ? De plus, au regard des premiers éléments de bilan dont vous disposez, pensez‑vous que nous pouvons raisonnablement faire du dispositif des CRT, tel qu’il est actuellement calibré, le levier central de notre stratégie domiciliaire dans la perspective du choc démographique attendu à l’horizon 2030 ?
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Annie Vidal (EPR). Certains CRT financent des capteurs de chute, de mouvement ou d’habitudes de vie, ce qui crée une iniquité. Qu’advient-il de ces équipements si la personne sort du dispositif ? Ne conviendrait-il pas de confier ce financement au département, qui pilote déjà la téléassistance et pourrait intégrer ces outils dans une logique plus universelle et plus pérenne ?
Les personnes handicapées vieillissantes sont souvent exclues des critères d’admission des CRT. Ces centres ne pourraient-ils pas devenir un levier pertinent pour répondre à cette situation, soit par un élargissement des critères, soit par la mise en place d’un dispositif complémentaire ?
Dans leur troisième recommandation, les rapporteurs sur l’installation des médecins proposent de généraliser le guichet unique à l’échelle départementale. Quelle est votre position sur cette proposition et quelles en seraient, selon vous, les conditions de réussite ? L’objectif fixé en matière de contrats d’aide à l’installation signés constitue-t-il un échec ?
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Le constat est sans appel : l’efficacité du contrat de début d’exercice est douteuse. Cette observation n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisque nous avons, au fil des années, empilé de nombreux dispositifs. Nous devrions nous interroger sérieusement sur leur efficacité.
Les médecins figurent parmi les professions libérales les plus subventionnées, mais 78 % d’entre eux déclarent que l’aide à l’installation n’a pas influencé leur choix d’implantation. Nous distribuons donc des fonds à des praticiens qui n’en ont pas fait la demande et qui auraient davantage besoin d’accompagnements autres que strictement financiers. Cette politique est fondamentalement contradictoire.
Pouvez-vous confirmer que les montants engagés dans cette politique à l’efficacité faible correspondraient approximativement au recrutement de 25 000 infirmiers ? Puisque ce contrat de début d’exercice est cumulable avec le contrat d’aide à l’installation, quelle proportion des revenus des bénéficiaires ce cumul représente-t-il ?
Cette politique est peut-être un échec, car nous sommes le seul pays développé qui autorise une liberté totale d’installation. Ne faudrait-il pas éteindre ces dispositifs incitatifs, acter leur échec et réguler l’installation des médecins ?
Mme Josiane Corneloup (DR). Les aides financières à l’installation des jeunes médecins ne constituent pas des facteurs déterminants dans leur décision d’installation. Dans ce contexte, comment la direction de la sécurité sociale envisage-t-elle de réformer la gouvernance et le financement de ces aides ?
Compte tenu du déploiement plus long que prévu des CRT et du report de leur évaluation à fin 2025, comment la direction de la sécurité sociale prévoit-elle d’améliorer la définition précise de leur public cible ?
Les rapporteurs estiment que le volet 1 est déconnecté du volet 2, prioritaire pour l’accompagnement des personnes âgées dépendantes, et pourrait ne pas correspondre à la bonne échelle territoriale. Comment la DSS envisage-t-elle un éventuel recentrage des CRT sur leur volet 2 et une révision de leur périmètre d’intervention pour garantir une meilleure cohérence territoriale et fonctionnelle ?
Le dispositif CRT peut-il réellement constituer le levier central du maintien à domicile ?
Concernant la définition du territoire d’intervention des CRT, quelles mesures pourraient être envisagées, selon vous, pour optimiser le maillage territorial et la mutualisation des coûts ? Comment mieux coordonner le millefeuille des acteurs de terrain ?
Enfin, envisagez-vous d’adapter le mode de financement modulé proposé par les rapporteurs afin d’améliorer l’efficience et la responsabilisation des CRT ?
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Une logique sédimentaire confie aux Ehpad l’organisation des CRT. N’y a-t-il pas une modification de la gouvernance à mettre en œuvre pour soulager ces établissements qui sont déjà en très grande difficulté ?
Comment éviter que les CRT ne se concentrent sur des publics moins complexes à prendre en charge, au risque d’engendrer une forme de discrimination sociale entre l’accès aux CRT et l’accès aux Ehpad ?
Compte tenu des difficultés de recrutement rencontrées dans les CRT, comment pouvons-nous renforcer l’attractivité de ces métiers clefs dans les zones en tension ?
Au sujet de l’aide à l’installation des médecins, comment expliquer que l’information sur les dispositifs d’aide ne soit pas mieux diffusée en France ? Nous constatons que certaines régions communiquent efficacement à ce sujet, tandis que d’autres diffusent ces informations de manière très partielle et partiale.
Enfin, ne faut-il pas dépasser une logique purement financière pour considérer l’installation comme un véritable parcours ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous percevons l’intérêt des CRT, qui visent à améliorer la collaboration entre les différents acteurs d’un territoire afin de mieux servir les personnes âgées.
Le rapport est intéressant, mais manque de détails. Pour évaluer efficacement un tel dispositif, prévoyez-vous de mettre en place des indicateurs permettant de suivre son efficience ?
Concernant les porteurs de projets, nous manquons de chiffres. Les CRT sont-ils principalement portés par des Ehpad hospitaliers, des Ehpad associatifs ou des Ssiad ?
Enfin, il existe un problème de gouvernance. Nous avons d’un côté les CRT menés par les ARS, et, de l’autre les SPDA récemment institués, qui relèvent des départements. Comment s’articule la gouvernance entre ces deux niveaux ?
M. François Gernigon (HOR). Les premiers retours de terrain, bien que partiels, soulignent les apports indéniables des CRT. Là où ils fonctionnent, ces centres comblent des angles morts trop longtemps laissés sans solution et redonnent du sens à l’accompagnement à domicile.
Cependant, le déploiement du dispositif demeure laborieux et hétérogène selon les territoires. Les causes peuvent être multiples : difficultés de recrutement, manque de solutions informatiques partagées, articulation complexe avec les dispositifs existants et fragilité financière des Ehpad porteurs. L’articulation avec les conseils départementaux et les SAD reste souvent inaboutie, générant un sentiment de millefeuille et de doublons.
Au-delà, c’est la question du dimensionnement qui doit nous interpeller. L’ambition n’apparaît pas à la hauteur des enjeux démographiques qui nous attendent. Je souhaiterais donc recueillir votre avis sur l’avenir de ce dispositif et sur la proposition de mieux cibler le public des CRT, en recentrant leur action sur les personnes les plus dépendantes.
M. Stéphane Viry (LIOT). Les CRT constituent une belle idée qui suscite néanmoins d’importantes interrogations et difficultés d’application, avec de nombreuses incertitudes quant à sa pertinence et aux objectifs à atteindre.
Concernant les aides financières à l’installation des jeunes médecins, nous avons collectivement pensé qu’il fallait répondre aux besoins d’offre de soins dans les territoires sous-dotés par des incitations financières. Vos travaux permettent désormais d’évaluer la pertinence et l’efficacité de ces dispositifs.
Le rapport conclut à l’inefficacité de l’allégement des cotisations sociales accordé pour deux ans aux médecins exerçant en zones sous-dotées dans les trois années suivant l’obtention de leur diplôme.
S’agissant du contrat d’exercice, censé simplifier les dispositifs pour faciliter la signature de tels engagements, le constat d’échec s’impose également.
Quelles mesures de soutien et d’encouragement sont sollicitées par les représentants des jeunes médecins et les étudiants qui exerceront demain la médecine en France pour s’installer dans les territoires où nous avons besoin d’eux ?
M. Guillaume Florquin (RN). Malgré un objectif louable, les CRT peinent à atteindre leur public cible. Le ciblage des bénéficiaires repose aujourd’hui sur la grille Aggir, qui mesure l’aptitude à réaliser certains actes de la vie quotidienne, mais non le niveau réel de besoin d’aide, notamment chez les personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Nombreuses sont celles classées en GIR 5 ou 6, donc exclues du dispositif, alors qu’elles présentent en réalité une grande vulnérabilité. Il ne s’agit pas d’élargir ce dispositif à tous sans discernement, mais de mieux identifier les personnes réellement à risque en révisant la grille Aggir pour mieux apprécier la dépendance.
M. Guillaume Garot (SOC). Comment expliquer de telles disparités régionales dans le recours aux incitations relevant de l’article 51 ? S’agit-il simplement d’un problème de communication ? Existe-t-il les mêmes disparités avec les aides conventionnelles ?
Concernant la baisse des aides à l’installation potentiellement liée à la hausse des crédits des FIR, n’aurions-nous pas intérêt à investir les économies réalisées dans les contrats d’engagement de service public (CESP), qui permettent de favoriser, dès la deuxième année, la contractualisation avec des jeunes qui pourront ensuite s’installer là où nous avons besoin d’eux ?
Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur de la sécurité sociale. Nous nous posons également depuis plusieurs années la question de l’efficacité des aides à l’installation et partageons une grande partie de vos remarques.
Concernant le coût des dispositifs, nous souhaiterions sincèrement pouvoir dépenser davantage sur ces mécanismes, car investir dans l’aide à l’installation démographique signifie permettre à des territoires sous-denses d’améliorer l’accès aux soins. Certes, ces dispositifs peuvent paraître coûteux, mais, si on les rapporte aux montants globaux finançant les professionnels de santé et médecins, ils représentent des sommes relativement modestes.
Nous partageons également le constat d’une certaine complexité dans ces contrats, effectivement assez méconnus. L’objectif du contrat de début d’exercice consistait précisément à fusionner plusieurs dispositifs existants afin d’améliorer la visibilité des aides étatiques.
Une suppression de ce dispositif avait été évoquée, mais une simplification a finalement été privilégiée. En 2023, nous avons recentré ce contrat de début d’exercice sur les médecins remplaçants pour mieux l’articuler avec les aides qui se déployaient dans le cadre de la politique conventionnelle. La prise en charge des cotisations sociales n’a, quant à elle, pas été reconduite.
Informer sur les aides à l’installation est complexe dans la mesure où interviennent simultanément les Cnam, les ARS, ainsi que de nombreuses collectivités territoriales. Un médecin souhaitant s’établir dans un territoire sous-dense se voit proposer un certain nombre d’options.
Le véritable enjeu réside dans le fait que l’installation sur les territoires sous‑denses ne constitue pas une question financière. Les facteurs qui incitent un médecin à s’installer dans un territoire sous-dense relèvent d’une approche plus globale liée aux conditions d’exercice. Les jeunes générations étant particulièrement intéressées par l’exercice en équipe, le Gouvernement s’efforce de déployer davantage de maisons de santé pluriprofessionnelles, de centres de santé et de communautés professionnelles. L’approche doit s’apparenter à une démarche d’aménagement du territoire, car les questions que se pose un jeune médecin qui s’installe concernent également les opportunités professionnelles pour son conjoint ou encore la scolarité de ses enfants.
L’accès géographique aux médecins constitue une priorité pour le Gouvernement. Dans de récentes propositions de loi, nous avons abordé différentes modalités pour renforcer l’accès aux soins en instaurant des contrats de solidarité territoriale. Je note toutefois que le seul levier d’incitation financière ne suffit pas à répondre à cette ambition politique.
Mme Marie Daudé, directrice générale de l’offre de soins. Je partage entièrement l’analyse de l’adjointe au directeur de la sécurité sociale et rejoins globalement les conclusions du rapport.
Le constat de la complexité initiale des dispositifs a entraîné un recentrage des aides sur certaines zones, tout en simplifiant avec, d’un côté, le contrat de début d’exercice et, de l’autre, une concentration des aides à l’installation avec la convention 2024.
Face au constat que l’installation dans un territoire dépend de multiples paramètres, la puissance publique n’est pas arc-boutée sur le principe d’aides financières à l’installation.
Nous souhaitons développer une multiplicité de dispositifs. Les CESP, qui montent en puissance, financent une partie des études des étudiants moyennant l’engagement à s’installer dans certains territoires, avec une extension prochaine aux sages-femmes, pharmaciens et étudiants de deuxième année. Il existe également l’ensemble des mesures présentées par le Gouvernement dans le cadre du pacte de lutte contre les déserts médicaux, avec un accent particulier sur les études médicales et le développement d’antennes territoriales. De plus, l’évolution du numerus apertus a été annoncée.
Le dernier axe concerne la solidarité territoriale. La convention 2024 a déjà posé des bases concernant les consultations avancées en zones sous-denses. Le pacte va plus loin en proposant des mesures de solidarité territoriale avec des consultations qui seraient assurées deux jours par mois, notamment par les médecins généralistes, dans les zones les plus en difficulté.
M. Emmanuel Frère-Lecoutre, directeur de l’offre de soins (Caisse nationale de l’assurance maladie). Le contrat de début d’exercice résulte d’une volonté de simplification, peut-être insuffisante à l’époque, mais qui a permis la fusion de quatre contrats existants ainsi qu’une sécurisation pour les médecins, avec un complément en cas d’activité insuffisante.
Ce mouvement de simplification et le constat d’un taux de recours insuffisant concernent également les contrats conventionnels. La convention de 2016 prévoyait quatre contrats de soutien dans les territoires, dont un seul a véritablement trouvé son public, à savoir le contrat d’aide à l’installation.
Face à ce constat d’un taux d’utilisation insuffisant et d’une méconnaissance des dispositifs malgré l’accompagnement et la communication, la convention 2024 propose d’abandonner la logique de contrats d’aide à l’installation spécifiques au profit d’un soutien durable en cas d’installation en zone sous-dense. Un médecin qui s’installe en zone sous‑dense d’intervention prioritaire perçoit 10 000 euros et bénéficie d’une majoration de son forfait médecin traitant, versée en fonction de sa patientèle et soutenue dans la durée.
Le dispositif visant les médecins s’installant dans les trois ans suivant leur thèse en zone sous-dense a rencontré des difficultés pour trouver son public en raison de son caractère très ciblé.
Nous proposons désormais une aide transverse, homogène et identique pour tous. Toute aide complémentaire liée à des problématiques spécifiques, comme l’installation en zone de montagne, peut ainsi compléter ce dispositif standard de manière plus spécifique.
L’accompagnement par les collectivités sur des aspects concrets, comme le logement ou l’emploi du conjoint est déterminant pour l’installation.
Quant au projet professionnel, l’assurance maladie peut apporter un soutien significatif, puisque la qualité des conditions d’exercice influence considérablement le choix d’installation. Ainsi, je note l’existence du dispositif d’aide à l’emploi d’un assistant médical, d’abord ciblé sur les zones sous-denses, ainsi que le soutien à l’exercice coordonné et aux maisons de santé pluridisciplinaires. En outre, la convention médicale prévoit la mise en place d’équipes de soins spécialisés.
M. Benjamin Voisin, adjoint au directeur général de la cohésion sociale. La circulaire de 2023 fixe un objectif de 500 CRT à l’horizon 2028, objectif que nous atteindrons probablement plus tôt, puisqu’à la fin de l’année, nous devrions compter au moins 400 CRT autorisés. Vous avez pointé les enjeux de montée en charge, mais l’action administrative visant à mettre en musique ce dispositif progresse efficacement.
Chacun s’accorde sur la nécessité de trouver des moyens d’accompagner à domicile les personnes confrontées à une perte d’autonomie plus complexe, pour lesquelles les Ehpad sont envisagés, mais ne correspondent pas nécessairement à leurs souhaits. J’emploie le mot « complexe », car nous nous inscrivons dans une logique de gradation.
Le CRT constitue fondamentalement une réponse d’effecteur. Cette mission a d’ailleurs été confiée à des acteurs déjà présents sur le territoire, à savoir un Ehpad dans 80 % des cas et un service — généralement un Ssiad — dans 20 % des cas. Il s’agit donc davantage d’une mission que d’un dispositif ou d’une entité nouvelle.
La question de la domotique que vous avez soulevée est pertinente. Ne serait‑il pas judicieux d’opter pour une approche pragmatique permettant d’apporter une solution sans que la personne soit contrainte de constituer un dossier supplémentaire ou de s’adresser à un autre guichet ?
Par ailleurs, les CRT ont une fonction territorialisée, impliquant une dimension de responsabilité territoriale. Mobiliser les acteurs spécialisés déjà présents pour leur permettre d’intervenir au-delà de leurs structures nous évite de reconstruire une expertise redondante au niveau régional ou départemental.
Nous assistons, dans le monde médico-social, à une évolution de la compréhension de la notion d’effecteur. Être effecteur ne se limite plus à intervenir auprès du corps de la personne, mais implique également de permettre aux autres d’être capables d’intervenir et de renforcer leurs compétences par une action de proximité.
Vous avez signalé des effets très positifs, qui n’en sont qu’à leurs débuts. Nous devrons veiller à ce que cette dynamique continue.
Le CRT constitue un cadre d’intervention assez attractif pour les professionnels, permettant de diversifier leurs interventions, de développer leur expertise sur certains sujets et de prendre des décisions concernant la qualité du plan de soins et l’accompagnement des personnes.
Vous soulignez la question de l’efficience dynamique en pointant la lenteur de la montée en charge. Nous poursuivrons notre réflexion sur le modèle économique. La dotation forfaitaire, généreuse en phase de montée en charge, devra être réinterrogée si les cibles d’activité ne sont pas atteintes, en explorant différentes modalités de tarification.
Vous indiquez que le nombre de 500 CRT n’est pas suffisant, ce qui constitue une question légitime. Ce nombre ne permet certainement pas de tout faire, mais, dans une logique de gradation, la question se pose. À titre de comparaison, il existe aujourd’hui 2 000 Ssiad en France. Nous devons analyser précisément ce qui se passe dans les territoires pour éviter les zones blanches et résoudre les problèmes de temps de transport. Les mutualisations doivent être maximisées.
La grille Aggir n’est pas adaptée pour qualifier les maladies neurodégénératives, alors même que ces situations nécessitent souvent un maintien à domicile complexe. Nous devons en tenir compte pour affiner nos dispositifs.
Nous analyserons également la situation des personnes handicapées vieillissantes. La doctrine n’est pas encore stabilisée sur ce point et nous devons déterminer si nous en faisons un objectif dans nos circulaires.
Un travail est nécessaire concernant l’articulation entre tous les dispositifs et avec les différents niveaux. Le SPDA constitue un dispositif de gouvernance départementale à laquelle les CRT doivent rendre compte en tant qu’effecteurs. Le SPDA organise au niveau territorial un regard sur les zones d’intervention, les publics et les porteurs de projets.
Nous devons ensuite gérer des enjeux de coordination complexes. Le dispositif d’appui à la coordination (DAC) ne présente pas du tout la même échelle d’intervention et répond à un autre type de coordination, beaucoup plus approfondie, pour la reprise en soins avec le secteur hospitalier ou pour des profils particulièrement complexes.
Enfin, la question de l’articulation entre les SAD et les CRT deviendra centrale demain. Le CRT est une mission que nous confions déjà à des effecteurs. Un SAD « accompagnement et soins » peut l’assumer de façon privilégiée, car il intègre déjà la fonction d’intervention. La question sera de déterminer les moyens à attribuer pour renforcer les compétences de tous ces SAD, y compris en leur apportant des compétences supplémentaires. Il s’agit davantage de questions de frontières que d’antagonismes entre les différents modèles.
M. Maëlig Le Bayon, directeur général de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Les profils que nous accompagnons historiquement ne sont plus ceux qui seront accompagnés demain, ce qui répond en partie à vos interrogations sur l’effet de substitution. Nous observons une transformation du public accueilli vers les GIR 1 et 2, au regard de ce qui se passe dans les Ehpad. Notre philosophie est guidée par l’objectif de maintenir les personnes le plus longtemps possible à domicile dans de bonnes conditions, tant à travers la réforme des SAD que par les CRT et les dotations complémentaires qualité des SAD.
La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) conduira en juin une campagne de collecte de cinquante indicateurs, qui nous permettront d’obtenir une première vision de l’activité réelle, ouvrant potentiellement la voie à une réforme tarifaire différente à moyen terme. La file active, la qualité, la quantité et les besoins spécifiques d’accompagnement de certains publics constituent évidemment des sujets que nous devons approfondir.
Il est impératif d’éviter que les CRT financent les mêmes actions que les commissions des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie.
Nous avons aujourd’hui, à travers le SPDA, la volonté d’instaurer une gouvernance unifiée entre départements, ARS, caisses de sécurité sociale et l’ensemble des acteurs territoriaux. L’organisation des CRT doit se construire à l’échelle départementale, en lien étroit avec les acteurs locaux. La coopération entre les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) et les CRT doit être renforcée, ce qui implique également un renforcement de la gouvernance entre conseils départementaux et ARS. Nous croyons beaucoup au SPDA, qui créera notamment la conférence territoriale de l’autonomie à des fins de clarification.
Concernant l’articulation entre SAD et SPDA, la priorité absolue est actuellement d’achever la réforme engagée. Environ 80 % des Ssiad ont engagé des discussions pour établir un partenariat avec un SAD.
Vous avez souligné les difficultés rencontrées sur les rapprochements juridiques. Je rappelle que le Parlement a voté l’année dernière la prolongation des durées de conventionnement. Nous imposons aux Ssiad un conventionnement de partenariat avec un Saad. Ensuite, un délai de cinq années s’ouvre pour établir les conditions d’une fusion. Le Gouvernement réfléchit actuellement à des ajustements de la réforme. Toutefois, nous avons vraiment la nécessité de poursuivre et de finaliser ce dispositif de coordination, qui fera d’autant plus facilement le lien avec les CRT.
Les CRT représentent plutôt un avantage quant au recrutement au sein des Ehpad, car ils permettent de diversifier l’action des professionnels.
Enfin, je partage votre préoccupation quant à la grille Aggir. Dans le cadre de la réflexion sur la stratégie relative aux maladies neurodégénératives, il sera essentiel d’intégrer des conditions spécifiques pour les personnes atteintes de ces pathologies.
M. Jean-François Rousset, rapporteur. Les étudiants en médecine et les médecins font part de leurs inquiétudes quant à leur capacité à soigner les malades sur les territoires. Le lancement de formations dans les territoires, notamment pour les autres professionnels de santé, doit faire l’objet d’une réflexion. Il est nécessaire de faciliter le remplacement, puis la transition vers l’installation.
Les médecins déjà installés considèrent que leur activité est suffisante et rémunératrice, permettant à un jeune qui s’installe de trouver rapidement un bon niveau de revenu.
Ces aides sont donc très peu utilisées, car elles ne sont pas déterminantes, contrairement aux conditions d’exercice et de vie. Les jeunes médecins veulent travailler en groupe et s’organiser autour d’un projet de santé. Certains médecins souhaitent un fléchage des aides, par le biais du FIR, sur des projets territoriaux de santé, plutôt que des aides personnalisées. Les conditions de vie sont également des facteurs cruciaux.
M. Yannick Monnet, rapporteur. Nous évoluons dans un monde où il existe une liberté totale d’installation. Notre évaluation s’inscrit dans ce cadre. Tant que nous maintiendrons une liberté totale d’installation, nous resterons condamnés à constater des disparités de dotation par territoire.
Les médecins ne nous ont pas demandé d’augmenter les CESP, mais plutôt d’améliorer la dotation des territoires en services publics. Or, la difficulté réside dans le fait que nous ne pouvons pas demander à la sécurité sociale de financer le développement local.
Nous avons évoqué des guichets uniques au niveau départemental, mais chaque collectivité est en droit de mettre en place les dispositifs qu’elle souhaite. Cette complexité dans les aides est inévitable puisque chacun essaie de faire au mieux dans son territoire en fonction des moyens disponibles.
M. Thierry Frappé, rapporteur. La mise en place des CRT est lente et hétérogène. Vous avez évoqué la région des Hauts-de-France, qui devrait finaliser l’ensemble de ses CRT cette année. Nous n’observons pas une situation comparable dans les autres régions.
Un premier enjeu est la grille Aggir, effectivement inadaptée pour certains patients.
Un second enjeu est le coût global de ces CRT au regard des défis démographiques anticipés pour 2030. Que pourrons-nous proposer aux patients, sachant que nous ciblons environ 15 000 patients alors que les projections font état de plusieurs centaines de milliers de personnes concernées ?
Mme Annie Vidal, rapporteure. Les CRT présenteront une véritable utilité complémentaire aux services à domicile lorsque tout ce dispositif sera déployé. Les déploiements concomitants expliquent sans doute les difficultés rencontrées.
Il apparaît essentiel de redéfinir précisément le public ciblé, à savoir un public en situation complexe. Or, il s’avère particulièrement difficile de se concentrer sur un public complexe alors que les CRT, pour garantir leur efficacité, souhaitent disposer d’un périmètre d’intervention restreint. Ainsi, pour disposer de trente places en CRT, il faut constituer une file active d’environ soixante personnes. Identifier soixante personnes nécessitant un soutien renforcé sur un périmètre géographique restreint représente un défi.
Le déploiement des SAD se heurte à un réel problème budgétaire. Les SSIAD sont tout juste à l’équilibre financier, tandis que les anciens Saad sont structurellement déficitaires. Les SAD doivent impérativement disposer d’un modèle économique viable et la principale difficulté réside aujourd’hui dans l’élaboration de ce budget avec le département et l’ARS.
M. le rapporteur général. Les aides à l’installation évoluent au 1er janvier 2026 et vous avez indiqué qu’elles se fonderont sur le zonage. Le zonage sera-t-il révisé d’ici cette date pour être plus conforme aux réalités de terrain ?
Par ailleurs, prenez-vous en compte les aides proposées par les collectivités territoriales ? Établissez-vous un socle uniforme ou envisagez-vous une articulation avec ces aides locales ? Nous risquons, alors même que la santé relève de la solidarité nationale, d’assister à un déploiement à deux vitesses.
Vous affirmez la complémentarité des CRT avec les DAC. Parallèlement, nous disposons des groupements hospitaliers de territoire et des ARS. Ne devrions-nous pas clarifier substantiellement cette organisation ? Vous n’avez à aucun moment esquissé de pistes concernant le risque de « coordination des coordinateurs ». Ne faudrait-il pas améliorer le maillage territorial pour éviter de créer des inégalités dans le déploiement de ces dispositifs ?
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Katiana Levavasseur (RN). Face à la désertification médicale qui progresse, le gouvernement propose des mesures coercitives, notamment une quatrième année d’internat obligatoire dans les zones sous-dotées, massivement rejetée par les professionnels du soin.
Certes, des dispositifs, notamment financiers, existent pour tenter d’enrayer cette tendance, mais leur portée demeure limitée tant qu’ils ne s’inscrivent pas dans une stratégie plus large d’aménagement et de soutien aux territoires.
Le Rassemblement national propose une approche fondée sur l’incitation : primes à l’installation, exonérations de charges, revalorisation des actes en zone sous-dotée et amélioration des conditions de vie sur place. Nous devons réinvestir dans les territoires, relocaliser les services publics et repenser l’accès à la formation en ouvrant davantage de places, en décentralisant les formations et en accompagnant les vocations locales.
Combien de temps faudrait-il pour rétablir une offre de soins équitable sur l’ensemble du territoire ? Par quelles mesures conviendrait-il de commencer et quelles failles des dispositifs actuels mériteraient d’être corrigées en urgence ?
Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Comment le Gouvernement peut-il continuer à vanter les mérites des CRT alors que leur efficacité est largement remise en cause ? Ces structures ne ciblent pas les personnes les plus dépendantes, pallient surtout les carences des départements et ne disposent ni des moyens humains ni des ressources budgétaires nécessaires pour répondre aux défis du vieillissement de la population.
Les CRT ne constituent-ils pas avant tout un dispositif « vitrine » destiné à masquer l’absence de réponse structurelle à la perte d’autonomie ? Les rapporteurs évoquent une « goutte d’eau » tandis que la programmation budgétaire s’avère non seulement insuffisante, mais également en recul.
Alors que le rapport Libault préconisait dès 2019 un investissement massif de 9 milliards d’euros annuels pour faire face à la perte d’autonomie, comment justifiez-vous la réduction de 200 millions d’euros du budget consacré au maintien à domicile dans la LFSS 2025, ainsi que le maintien d’un dispositif CRT notoirement sous-dimensionné face à l’urgence démographique ?
Mme Justine Gruet (DR). Face à un enjeu aussi crucial que l’accès aux soins, je me méfie de l’approche combinant la carotte – à savoir une surenchère d’aides proposées – et le bâton – qui serait la coercition quant à l’installation.
Comment pourrions-nous réintégrer pleinement les professionnels de santé dans leur cœur de métier ? Il est impératif d’améliorer leur formation à l’exercice libéral pour renforcer leur confiance en cette activité.
Comment pourrions-nous simplifier les charges administratives qui pèsent sur leur quotidien afin de susciter l’envie d’ouvrir leur cabinet ?
Un rapport du Sénat illustre la complexité administrative considérable qui caractérise la gestion de la santé. Ainsi, la création d’une structure supplémentaire semble complexe.
Je souhaiterais que nous nous attelions à la prise en charge de la perte d’autonomie, question essentielle trop souvent reléguée au second plan.
Enfin, le kinésithérapeute joue un rôle clef dans la prévention et la détection des troubles de la désadaptation psychomotrice. Ce professionnel doit constituer un levier d’accompagnement à la préservation de l’autonomie, tant à domicile qu’en établissement.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je suis à la fois interrogative et inquiète concernant les deux points évalués aujourd’hui.
Nous constatons une surenchère des aides à l’installation des médecins. Alors que nous constatons que ces dispositifs s’avèrent quasiment inefficaces, je trouve particulièrement préoccupant que vous envisagiez d’instaurer une progressivité dans les aides à l’installation. Nous avons besoin de médecins, mais ce ne sont pas ces aides, auxquelles s’ajoutent parfois celles des collectivités, qui les attireront. Il est impératif de suspendre cette dynamique de surenchère, d’évaluer objectivement la nécessité de ces dispositifs et de réallouer ces ressources ailleurs.
Concernant les CRT, au lieu de développer le nombre de professionnels intervenant auprès des patients à domicile, nous multiplions des dispositifs incompréhensibles et illisibles. Dans un premier temps, il est essentiel de dépenser mieux, plutôt que davantage, car, si les ressources existent, elles ne sont pas nécessairement bien orientées.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Malgré les défis causés par le manque de professionnels qualifiés dans certains territoires, les CRT demeurent une solution prometteuse pour améliorer le maintien à domicile des personnes âgées et renforcer la coordination des soins. Cependant, les disparités territoriales et économiques engendrent un accès aux soins inégal, tandis que l’augmentation constante des coûts médicaux fragilise les populations les plus vulnérables. Quel modèle économique pourrait garantir une protection sociale durable face aux évolutions démographiques ? Comment pourrions-nous renforcer concrètement l’accès aux soins pour les personnes âgées en perte d’autonomie, tout en assurant une équité territoriale et sociale ?
M. Fabien Di Filippo (DR). Trois constats s’imposent : nos Ehpad présentent un déficit chronique, le vieillissement de notre population connaît une accélération – nécessitant d’augmenter de 30 % les places en Ehpad durant les trois prochaines décennies – et l’accès aux soins médicaux en Ehpad pose problème, dans un contexte général de désertification médicale. Nous observons une prolifération des structures et une multiplication des dispositifs d’aide qui, paradoxalement, génèrent davantage de concurrence entre elles et entre nos collectivités qu’une réelle efficacité.
Alors que la loi sur le grand âge n’a pas encore généré le moindre financement supplémentaire, devons-nous envisager pour l’avenir des dispositifs d’assurance individuelle permettant à chacun de préparer ses vieux jours ?
Enfin, nous cherchons à améliorer l’autonomie, ce qui est louable, mais ne devrions-nous pas réfléchir à un modèle intermédiaire proposant des lieux de résidence où les personnes âgées seraient regroupées ? Il est intenable, pour des professionnels intervenant à domicile, de parcourir quotidiennement jusqu’à 300 kilomètres. Cette situation entraîne une perte de temps de soins et impose des rythmes épuisants, financièrement peu attractifs.
Mme Josiane Corneloup (DR). Il me semble opportun de faire évoluer les aides à l’installation, particulièrement au regard de leurs résultats limités en matière d’intégration de médecins. Il serait judicieux de cibler ces aides sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) afin d’encourager un travail collaboratif et de faciliter la construction de solutions au sein de ces structures.
Les CRT constituent véritablement un maillon indispensable et un apport appréciable, notamment pour éviter ou retarder l’entrée en Ehpad des personnes accompagnées. De plus, ces centres peuvent avoir un effet très positif sur le recrutement et la fidélisation des personnels.
En revanche, je m’interroge sur la définition du public cible des CRT. Initialement, ce dispositif visait à se concentrer sur les publics les plus dépendants, à savoir les GIR 1 et 2. Or, le ciblage a été élargi aux GIR 3 et 4, relevant davantage de la prévention de la perte d’autonomie. Ces deux objectifs sont louables, mais je doute que les CRT puissent résoudre simultanément la problématique des GIR 1 et 2 et celle des GIR 3 et 4. Ainsi, il me paraît nécessaire de revoir ce public cible et de considérer les personnes atteintes de maladies neurodégénératives ainsi que les personnes handicapées vieillissantes.
Parallèlement, nous devons accélérer la réforme des SAD et des SSIAD, leur fusion étant une condition indispensable à la réussite de ces dispositifs.
Enfin, le rapport préconise trois ou quatre CRT par département, ce qui semble trop faible dans les territoires vastes. Pour une efficience maximale, la création d’antennes locales est nécessaire.
M. Jérôme Guedj (SOC). Le rapport souligne la montée en puissance progressive, voire lente, des CRT et le fait que l’objectif final de 500 CRT ne répond pas à la projection attendue de l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes. Pensez‑vous envisageable de passer d’un rapport de 1 à 10 ? Serait-il possible que la quasi‑totalité des Ehpad devienne des CRT pour absorber les personnes fragiles en perte d’autonomie ?
La CNSA avait créé un laboratoire des solutions de demain. Quel a été son rôle dans le déploiement des CRT ?
Enfin, le rapport identifie comme point faible l’absence d’outils numériques communs. Un travail est-il engagé sur un dossier médico-social partagé qui permettrait d’assurer un partage d’informations entre les services à domicile et l’ensemble des intervenants accompagnant les personnes en situation de perte d’autonomie ?
Mme Delphine Champetier. Les recettes de la branche autonomie s’élevaient à un peu plus de 35 milliards d’euros en 2022, tandis que, pour 2029, nous prévoyons qu’elles atteignent plus de 46 milliards. Les dépenses progressent encore plus rapidement que ces recettes. Le Gouvernement a significativement accru ces dernières années – et prévoit encore d’augmenter – les financements alloués à cette branche. L’objectif général des dépenses pour le secteur médico-social progresse systématiquement à un rythme largement supérieur à celui de l’objectif de dépenses de l’assurance maladie. Je ne prétends pas que cela soit suffisant au regard des besoins ou de la situation financière des Ehpad, mais cette augmentation doit être signalée. Il convient également de rappeler que, concernant la situation des Ehpad, la sécurité sociale n’est pas le seul financeur. C’est un effort que nous devons partager avec les conseils départementaux.
Mme Marie Daudé. Nous sommes totalement en phase avec la nécessité de territorialiser davantage les études de santé.
Des arrêtés relatifs au zonage sont sortis il y a quelques semaines. Ainsi, les ARS travaillent actuellement sur leur nouveau zonage. Les arrêtés des ARS relatifs au zonage devraient sortir au fur et à mesure afin d’être opérationnels au début de l’année 2026.
Un rendez-vous doit être fixé avec les CPTS après la négociation qui s’ouvrira pour les maisons de santé pluriprofessionnelles et les centres de santé. L’étape suivante consistera à engager le même type d’échange et de négociation concernant les CPTS, et donc à établir d’ici la fin de l’année un bilan des actions entreprises pour évaluer les résultats obtenus, comprendre où vont les financements et identifier les missions qui pourraient être priorisées. Nous devons remettre nos financements à plat et déterminer comment progresser sur cet outil, qui s’avère très utile dans les territoires.
M. Emmanuel Frère-Lecoutre. La convention médicale prévoit l’extension des aides aux actes, ainsi qu’aux quartiers prioritaires de la ville.
De plus, la convention permettra une complémentarité automatique avec les aides des collectivités dès l’installation. Les collectivités pourront choisir de donner une aide ou non.
S’agissant des dispositifs de cabinets de santé territoriaux, nous observons plusieurs initiatives particulièrement louables dans les territoires, que nous nous efforçons d’accompagner au maximum dans leurs démarches.
Pour clarifier le mécanisme de dégressivité des aides à l’installation, nous appliquons une majoration de 50 % la première année, 30 % la deuxième année et 10 % de manière pérenne.
Nous travaillons en coordination avec les caisses locales pour organiser des journées et des rendez-vous dédiés à l’installation.
M. Benjamin Voisin. Nous ne pensons vraiment pas que les CRT sont des dispositifs « vitrines ». Ces centres constituent des effecteurs intervenant directement au domicile des personnes. Il convient de rappeler qu’aucun agent des ARS n’intervient à domicile, ce qui montre que leurs fonctions diffèrent avec celles des CRT.
La prise en charge de la dépendance à domicile représente un défi redoutable pour les années à venir. Nous sommes confrontés à des enjeux de proximité, d’expertise assez regroupée, de simplicité et de continuité, notamment résidentielle. En outre, nous devons prendre en compte la contrainte budgétaire. Face à cet ensemble de défis, nous tentons d’élaborer des solutions adaptées, dont les CRT font partie. Nous affinerons nos dispositifs, qui sont assez jeunes. Le changement de modèle que nous connaissons nécessitera des ajustements réguliers.
Les réponses tournent autour de deux enjeux : la territorialisation et, une fois que les acteurs se connaîtront et estimeront qu’ils ont une responsabilité commune dans le territoire, l’intégration de leurs actions, tout en préservant leurs spécificités. Nous ne pensons pas qu’un acteur unique puisse tout assumer en permanence.
La question qui se posera concerne la capacité de ces deux leviers à nous faire évoluer d’un système de coordination vers de véritables logiques de coopération. Cette transformation représente un changement considérable des pratiques dans un secteur partiellement concurrentiel. Les évolutions que nous engageons sont très complexes. Les CRT constituent une approche innovante permettant d’apporter une réponse sans créer un nouveau dispositif, en confiant une mission nouvelle à des acteurs existants.
M. Maëlig Le Bayon. Entre 2021 et 2025, les dépenses de la branche autonomie sont passées de 30 milliards à 43 milliards d’euros. Le virage domiciliaire représente une hausse de 73 % des dépenses de la branche autonomie sur les cinq derniers exercices.
La réforme tarifaire conduite sur les Ssiad présente de premiers résultats plutôt positifs et renforce leur capacité à dégager des excédents. Les Ssiad affichent aujourd’hui une meilleure santé financière au niveau national. Mieux les financer lorsqu’ils accompagnent les publics les plus complexes fait partie des atouts de cette réforme.
Les SAD connaissent effectivement des difficultés en raison des contraintes budgétaires des départements. Dans les conventions signées entre les départements et les SAD, les taux d’évolution sont très bas. Heureusement, le tarif plancher national garantit une évolution minimale.
Concernant la prévention de la perte d’autonomie, le partenariat entre SAD, CRT et services culture d’autonomie à domicile s’inscrit dans une logique de parcours. Le SPDA joue précisément ce rôle : lorsqu’un intervenant à domicile identifie une situation, il faut assurer le repérage, l’analyse et l’orientation vers les interlocuteurs compétents pour une prise en charge rapide. C’est le sens de la mission de gestionnaire du risque autonomie portée par la CNSA.
Concernant les Ehpad, il convient de préciser que le périmètre de la sécurité sociale couvre le soin, la dépendance et la perte d’autonomie, mais pas l’hébergement. La grande majorité du déficit des Ehpad provient de la section dite « hébergement », qui incombe à l’usager ou, à défaut, à l’aide sociale. Nous constatons aujourd’hui que la branche se substitue à ces deux sources de financement pour équilibrer les Ehpad, ce qui pourra faire l’objet d’une réflexion.
D’ici la fin de l’année, la branche et la CNSA souhaitent faire émerger, avec le ministère, la capacité à construire ce que nous appelons l’habitat intermédiaire, destiné à regrouper les personnes ne relevant pas nécessairement d’un placement en Ehpad mais ne souhaitant plus rester à leur domicile en raison d’une forme de fragilité ou d’inquiétude. Ces formules présentent l’avantage de permettre aux professionnels de se regrouper spatialement, réduisant ainsi les coûts et temps de déplacement.
Le laboratoire des solutions de demain n’a pas été directement associé au dispositif des CRT. Toutefois, les réflexions menées par ce laboratoire constitueront des ressources précieuses pour les CRT dans leur mission de détection, de repérage et d’accompagnement des personnes nécessitant un renforcement à domicile. Nous croyons beaucoup aux technologies que nous évaluons et testons actuellement, comme le programme ESMS numérique.
La révision de la grille Aggir fait partie des réflexions qu’il nous faudra porter.
M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie.
([1]) Initialement, cette évaluation avait été confiée à M. Thierry Frappé et à Mme Monique Iborra, à laquelle a succédé Mme Annie Vidal suite au renouvellement de l’Assemblée nationale.
([2]) Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.
([3]) Article 17 de la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
([4]) Ce rapport n’aborde pas le fonds analogue à destination des établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), puisqu’il ne concerne pas la branche AT-MP mais la branche maladie.
([5]) Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) sur la branche AT-MP annexé au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) de l’année 2024.
([6]) L’article L. 4163-2 du code du travail prévoit que ces listes peuvent prendre la forme d’un accord collectif de branche étendu ou d’un référentiel de branche homologué par arrêté.
([7]) Fiche relative à l’article 9 – annexe 2 du PLFRSS 2023 ; tome 1 du rapport n° 814 de Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2023.
([8]) Articles L. 6323-17-1 à L. 6323-17-6 et R. 6323-14 à D. 6323-14-5 du code du travail.
([9]) Article L. 6111-6 du code du travail.
([10]) Coopération entre l’OPPBTP, Santé publique France, l’université d’Angers, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Association paritaire de santé au travail (APST).
([11]) Outil accessible sur le portail de l’assurance maladie (Ameli) à l’attention des entreprises.
([12]) Incomplétude du dossier, présentation d’une facture imputable à un exercice antérieur, non-respect du cahier des charges, doublon, etc.
([13]) Article 51 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.
([14]) Groupe iso-ressources.
([15]) Décret n° 2022-731 du 27 avril 2022 relatif à la mission de centre de ressources territorial pour personnes âgées et au temps minimum de présence du médecin coordonnateur en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et arrêté du 27 avril 2022 relatif à la mission de centre de ressources territorial pour les personnes âgées.
([16]) Instruction N° DGCS/SD3A/CNSA/2023/111 du 10 juillet 2023 relative aux autorisations d’engagement de dépenses pour les centres de ressources territoriaux pour les personnes âgées et les services infirmiers à domicile.
([17]) Voir article 2 de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir et de l’autonomie.
([18]) « Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie : les défis de la politique domiciliaire », Dr Julien Emmanuelli, Jean-Baptiste Frossard, Bruno Vincent, Igas, février 2024.
([19]) Données tirées du modèle Livia de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).
([20]) Op. cit., février 2024.
([21]) « Comparaison des coûts de prise en charge d’une personne en perte d’autonomie selon le lieu de vie (domicile ou Ehpad) », HCFEA, 16 novembre 2021.
([22]) Dans les conditions prévues à l’article L. 162–15 du code de la sécurité sociale.
([23]) Codifié à l’article L. 162–5-19 du code de la sécurité sociale.
([24]) Soit entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2022.
([25]) Au sens de l’article L. 1434–4 du code de la santé publique.
([26]) Dans les conditions prévues aux articles L. 4131‑1 du code de la santé publique et L. 632‑4 du code de l’éducation.
([27]) Il doit être conventionné « secteur 1 ».
([28]) C’est-à-dire être installé en secteur 2 tout en ayant souscrit un contrat d’option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam/Optam-CO).
([29]) Source : réponse de la Cnam au questionnaire adressé par les rapporteurs, p. 1, 21 mai 2025.
([30]) Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, annexe 9, p. 317, 9 octobre 2019.
([31]) En raison de l’absence de données sur le nombre de praticiens soutenant, chaque année, leur thèse.
([32]) Idem.
([33]) Source : réponse de l’ARS Île-de-France au questionnaire adressé par les rapporteurs, 21 mai 2025.
([34]) Au sens de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique.
([35]) Article R. 1435‑9‑1 du code de la santé publique.
([36]) Dans les conditions prévues à l’article L. 4131‑2 du code de la santé publique.
([37]) Article R. 1435‑9‑2 du code de la santé publique. La condition de durée d’exercice s’applique pour tout médecin, que celui-ci exerce en tant que collaborateur libéral ou remplaçant.
([38]) Dans les conditions prévues par les articles R. 1435‑9‑3 et L. 4131‑2 du code de la santé publique. Dans les conditions prévues par les articles R. 1435‑9‑3 et L. 4131‑2 du code de la santé publique.
([39]) Le contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG), le contrat de praticien de médecine ambulatoire (PTMA), le contrat de praticien de médecine de remplacement (le PTMR) et le contrat de praticien isolé à activité saisonnière (PIAS).
([40]) Dr Sophie Augros, Déléguée nationale à l’accès aux soins, « Évaluation des aides à l’installation des jeunes médecins », p. 26, septembre 2019.
([41]) Source : audition de la direction générale de l’offre de soins, 14 mai 2025.
([42]) À savoir les contrats suivants : contrat d’aide à l’installation, contrat de stabilisation et de coordination, contrat de transition, contrat de solidarité territoriale.
([43]) Source : Caisse nationale de l’assurance maladie, réponse au questionnaire des rapporteurs, 21 mai 2025.
([44]) Portail d’accès aux professionnels de santé de la région d’Île-de-France, « Aide à l’installation des professionnels de santé libéraux ; consulté le 2 juin 2025.
([45]) Table ronde avec des associations d’usagers, regroupant France Assos Santé et l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM), 21 mai 2025.
([46]) Idem.
([47]) Dr Sophie Augros, Déléguée nationale à l’accès aux soins, « Évaluation des aides à l’installation des jeunes médecins », p. 17, septembre 2019.
([48]) Insee, « Les médecins généralistes libéraux s’installent souvent à proximité de leurs lieux de naissance ou d’internat », novembre 2024.
([49]) Ordre des médecins, « Étude sur l’installation des jeunes médecins », p. 13, 11 avril 2019.
([50]) Au sens du 2° de l’article L. 1435‑8 du code de la santé publique.
([51]) Dr Sophie Augros, déléguée nationale à l’accès aux soins, « Évaluation des aides à l’installation des jeunes médecins », p. 4, septembre 2019.
([52]) Commission d’enquête sur l’organisation et les difficultés d’accès aux soins, Table ronde sur les perspectives internationales de l’organisation du système de soins, 28 mai 2025.
([53]) Jedat et autres, « État des lieux des actions favorisant l’installation des médecins généralistes en France métropolitaine », Santé publique, Volume 34, numéro 2, p. 239, 29 janvier 2022.
([54]) Les travaux avaient initialement été menés dans le cadre du Printemps social de l’évaluation pour 2024, qui n’a toutefois pu avoir lieu en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale intervenue le 9 juin 2024. À sa reconstitution au début de la présente législature, la Mecss a décidé de relancer ces travaux et de les inscrire à sa programmation du Printemps social de l’évaluation pour 2025.
([55]) Fiche d’évaluation de l’article 41 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
([56]) La commission s’intitule « commission des pénalités » dans le réseau des CAF et « commission des sanctions administratives » dans le réseau des Carsat.
([57]) Rapport (n° 339) de Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale, au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, 13 octobre 2022.
([58]) Décret n° 2023‑1372 du 28 décembre 2023 relatif aux sanctions administratives prévues par les articles L. 114‑17, L. 114‑17‑1 et L. 165‑1‑4 du code de la sécurité sociale. Codifié à l’article R. 114‑11 du code de la sécurité sociale.
([59]) Article 49 du projet de loi de financement de la sécurité sociale définitivement adopté. Décision n° 2025‑875 DC du 28 février 2025.
([60]) Loi n° 2020‑1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.
([61]) Article 88 de la loi n° 2025‑199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025.
([62]) Bilan 2024 de lutte contre toutes les fraudes. Les chiffres concernent à la fois la lutte contre la fraude aux prestations et celle contre la fraude aux cotisations.
([63]) Annexe 6 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de 2024.
([64]) Article 100 de la loi n° 2022‑1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.
([65]) HCFiPS, Lutte contre la fraude sociale, état des lieux et enjeux, juillet 2024.
([66]) Délai variable entre les caisses.
([67]) Défini comme la technique consistant à explorer et analyser des volumes massifs de données au travers d’algorithmes de telle sorte que soient mises en exergue d’éventuelles corrélations significatives entre les données observées.
([68]) Voir par exemple Défenseur des droits et Cnil, Algorithmes : prévenir l’automatisation des discriminations, 2020 ou plus récemment Défenseure des droits, Algorithmes, systèmes d’IA et services publics : quels droits pour les usagers ? Points de vigilance et recommandations, 2024.
([69]) Selon la Cnaf, la première réunion de ce comité se tiendra le 17 juin 2025 et portera sur l’examen du nouveau modèle de datamining en cours de construction.
([70]) Loi n° 2018‑727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.
([71]) HCFiPS, rapport précité, p. 12.
([72]) Pseudonyme.