N° 1653

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXSEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juillet 2025

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER
 

en conclusion des travaux d’une mission d’information

 

sur la situation en Nouvelle-Calédonie

 

PAR

MM. Philippe GOSSELIN, Nicolas METZDORF,

Davy RIMANE et Emmanuel TJIBAOU

Députés


 

 

 


  1  

SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. L’histoire complexe de la Nouvelle-Calédonie

A. Un mouvement indépendantiste né à la fin du XXème siècle

1. Les « Évènements » (1984-1988) et les accords de Matignon (1988)

2. L’accord de Nouméa (1998) et le gel du corps électoral (2007)

3. Les trois référendums d’autodétermination (2018, 2020 et 2021)

B. La sortie de l’accord de Nouméa

1. Une citoyenneté néo-calédonienne qui restreint le droit de vote

2. La question de la répartition des sièges

3. Le premier report des élections provinciales prévues en mai 2024

C. Le dégel du corps électoral : un choix lourd de conséquences

1. Une question d’universalité et d’égalité devant le suffrage

2. Un corps électoral en voie d’extinction

3. Le projet de loi déposé par le gouvernement

D. La révision constitutionnelle suspendue

1. La question de la temporalité

2. Pour une nécessaire temporisation du débat

E. Les émeutes de mai 2024

1. Un déchaînement de violences envisageable mais d’une intensité rare

2. L’impréparation puis la réponse sécuritaire des autorités

3. Le « gel du dégel » et le second report des élections provinciales

4. Les annonces financières faites par le gouvernement

II. « Un choc d’une ampleur sans précédent pour l’économie »

A. Une forte dégradation des indicateurs économiques

1. Production, consommation, investissements et échanges en baisse

2. Une forte hausse du nombre de demandeurs d’emploi

3. La souffrance est également sociale

4. Le déclin démographique du territoire s’accentue

5. La crise du transport aérien

6. Les communes sont en première ligne face au choc social

B. Une chute drastique de l’activité métallurgique

1. Le cas trois usines de nickel durant la crise de 2024

2. Une conjoncture internationale défavorable au nickel

3. La fermeture de l’usine du Nord

4. Un manque d’objectivité de la part de l’État ?

C. Le rôle controversé des assurances

1. Une situation exceptionnelle et des dossiers complexes

2. Un nombre d’experts insuffisant pour une telle crise

3. Les hésitations des acteurs économiques à reconstruire

4. Des sociétés d’assurance mises en difficulté

5. La remise en cause de l’assurabilité de certains territoires

III. La poursuite des négociations

A. Les propositions du ministre n’ont pas abouti

1. Des propositions menant à la souveraineté

2. Le « conclave » de Deva

3. Un projet diversement apprécié

4. Analyse d’un échec

B. La proposition des loyalistes

1. Le refus du concept d’indépendance-association

2. Un projet de fédération interne à la Nouvelle-Calédonie

C. La proposition des indépendantistes

D. La suite du processus

1. Les conséquences immédiates de l’absence d’accord

2. La classe politique néo-calédonienne est-elle discréditée ?

3. Pourtant, il existe une volonté de continuer à se parler

4. Avec ou sans dégel, faut-il aller aux élections provinciales ?

IV. Éléments d’analyse sur les symptômes de la crise

A. Une société marquée par de fortes inégalités

1. Des inégalités en matière d’emploi, de logement, d’études

2. Améliorer l’enseignement pour restaurer l’ascenseur social

3. Une jeunesse en crise

4. L’école, la formation et l’emploi

5. La coutume comme valeur refuge

B. des points de convergence

1. Un espoir d’entente sur quelques points précis

2. La nécessité de créer un comité de suivi

3. Simplifier le « millefeuille administratif » et renforcer les mairies

C. Le risque d’un nouvel embrasement est réel

1. Une partie de la population est radicalisée

2. La question du « peuple premier »

3. Une population épuisée et traumatisée

4. Assurer le bon déroulement des prochaines élections

5. Assurer une continuité du maintien de l’ordre

6. Protéger le territoire des ingérences étrangères

D. Se remettre en cause pour arrêter le gâchis

1. Une vraie incompréhension est palpable

2. Une économie sous perfusion : les limites de l’assistanat

3. Éviter le scénario du lent dépérissement

4. Sortir du débat binaire sur l’indépendance

E. L’aide que l’État peut apporter sur le plan économique

1. Demander à l’État de respecter ses engagements

2. Un emprunt d’un milliard d’euros controversé

Conclusion

Liste des recommandations des rapporteurs

Examen par la délégation

Annexe

I. Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

A. Auditions réalisées du 10 au 16 mai 2025 en Nouvelle-CalÉdonie

B. Audition réalisée le 4 juin 2025 À l’Assemblée nationale

II. Document de travail soumis par le ministre d’État, ministre des outre-mer, Manuel Valls, aux responsables politiques nÉo-calÉdoniens lors du « conclave » de Deva

 


   introduction

Il y a un peu plus d’un an, en mars 2024, une mission d’information de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, composée de Philippe Gosselin, Tematai Le Gayic et Davy Rimane, son président, s’était rendue en Nouvelle-Calédonie dans le cadre d’un ambitieux rapport sur l’avenir institutionnel des outre-mer.

Ayant saisi les menaces qui planaient sur ce territoire, les rapporteurs, dès leur retour, avaient publié, le 29 avril 2024, une communication ([1]) pour mettre en garde les autorités sur les risques que faisait courir à la paix civile le projet de loi sur le dégel du corps électoral aux élections provinciales.

Les rapporteurs de l’époque n’ont pas été entendus, le gouvernement considérant que les élections provinciales prévues fin 2024 ne pouvaient se tenir avec un corps électoral gelé. Malgré plusieurs alertes, les 13 et 14 mai, le gouvernement a soumis à l’Assemblée nationale un projet de loi portant dégel du corps électoral dont le député Nicolas Metzdorf était rapporteur au nom de la commission des lois. Le même jour, l’insurrection éclatait en Nouvelle-Calédonie provoquant un bilan dramatique : quatorze morts, 2,5 milliards d’euros de dégâts, 6 000 emplois perdus, 3 000 arrestations et le projet du « vivre ensemble » engagé depuis l’accord de Matignon Oudinot (1988) mis à mal.

 

*

 

Les membres de la mission d’information s’étaient promis de retourner en Nouvelle-Calédonie pour suivre l’évolution de la situation. La dissolution de l’Assemblée nationale étant intervenue entre-temps, Tematai Le Gayic n’a pas été réélu. Les deux députés réélus, Philippe Gosselin, député hexagonal de droite (La Manche, DR) et Davy Rimane, député ultramarin de gauche (Guyane, GDR) se sont adjoint les deux députés locaux, le loyaliste Nicolas Metzdorf (EPR) et l’indépendantiste Emmanuel Tjibaou (GDR), pour mener une nouvelle mission et poursuivre leurs investigations, afin de faire le point sur l’évolution de la situation ainsi que sur les perspectives de sortie de crise.

La présente mission d’information s’est donc rendue sur place du 9 au 17 mai 2025. Les rapporteurs sont allés dans les trois provinces : au nord à Koné, au sud à Moindou et Nouméa et sur les îles Loyauté, à Lifou. Comme en 2024, elle a rencontré toutes les formations politiques, mais aussi nombre d’acteurs économiques, sociaux, de maires, de chefs coutumiers, de professeurs d’université, d’associations, de cercles de réflexion et d’acteurs en tous genres de la vie néo‑calédonienne. Toutes les personnes qui ont demandé une rencontre ont été reçues par la mission. Aucun refus n’a été opposé. Au total, la mission a mené 37 auditions, rencontrant près de 140 personnes.

Les rapporteurs achèvent cette mission avec un double sentiment : les tragiques évènements de 2024 ont laissé de profondes plaies, sur l’ensemble de la population néo-calédonienne ; pour autant, même s’il existe des extrémistes prêts à en découdre dans les deux camps, la volonté d’échapper à la spirale de la violence semble la plus forte chez les responsables des principales formations politiques, et la volonté de poursuivre les négociations, avec ou sans la présence de l’État, est bien réelle.

 

*

 

Cette mission d’information aura permis de montrer que les deux députés locaux, Nicolas Metzdorf et Emmanuel Tjibaou, travaillent ensemble.

Le présent rapport a pour objet de présenter le plus objectivement possible la situation de la Nouvelle-Calédonie après les évènements de 2024 et avant les élections provinciales prévues en novembre 2025. En Nouvelle-Calédonie plus qu’ailleurs, les sensibilités étant exacerbées, certaines propositions présentées ne font pas l’unanimité parmi les rapporteurs. Cela est alors mentionné. De la même manière, certaines considérations développées dans ce rapport ne sont parfois pas partagées par l’ensemble des auteurs. Il est alors indiqué que le point de vue en question est défendu par un rapporteur en particulier, ce qui sous-entend que, sur le point en question, le consensus n’est pas atteint.

Néanmoins, le travail de la mission d’information aura été utile : l’un des rapporteurs, le député loyaliste Nicolas Metzdorf, a profité des auditions pour échanger avec les indépendantistes du FLNKS et leur rappeler qu’il ne fermait pas la porte à une poursuite des discussions avec les indépendantistes : « nous sommes sincèrement allés à Deva pour obtenir un accord et nous sommes repartis réellement déçus ».

De son côté, un autre rapporteur, le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou, a reconnu : « Il y a des personnes que j’aurais pu ne jamais rencontrer. Certaines portes m’étaient fermées, ou peut-être que je n’ai pas su les voir. La mission m’a permis de rencontrer ces personnes et je remercie pour cela la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale. »

 

 


I.   L’histoire complexe de la Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle‑Calédonie est une collectivité ultramarine dite sui generis, c’est-à-dire disposant d’un statut spécifique, inscrit au titre XIII de la Constitution.

Pour une superficie de 18 500 km² (une fois et demie l’Île-de-France), la Nouvelle-Calédonie compte autant d’habitants (probablement moins de 260 000 après la vague de départs de 2024) qu’un département comme les Ardennes (265 000 habitants) ou le Jura (256 000).

La collectivité compte 33 communes. La Nouvelle-Calédonie compte donc beaucoup moins de structures intercommunales, et elle est divisée en trois provinces, situation unique en France.

A.   Un mouvement indépendantiste né à la fin du XXème siècle

C’est entre 1100 et 1050 avant notre ère que les premiers Austronésiens ([2]) s’installent sur le territoire de l’actuelle Nouvelle-Calédonie. Leurs descendants, le peuple kanak, entrent officiellement pour la première fois en contact avec les Européens en 1774, lorsque le navigateur britannique James Cook aborde l’île. Rivaux dans le Pacifique comme ailleurs, Britanniques et Français se disputent l’archipel. C’est finalement le contre-amiral Febvrier Despointes qui, le 24 septembre 1853, prend possession du territoire au nom de l’empereur Napoléon III. À la fin du XIXème siècle, l’empire engage une politique de cantonnement des indigènes dans des « réserves » ainsi qu’une politique de d’installation d’Européens.

L’histoire de la Nouvelle-Calédonie a été décrite plus en détail dans le précédent rapport publié le 15 janvier 2025 par les députés Philippe Gosselin et Davy Rimane ([3]). L’objet du présent document étant de s’intéresser à la situation actuelle du territoire, ne sont rappelés, dans cette section, que les éléments ayant conduit à la situation actuelle.

1.   Les « Évènements » (1984-1988) et les accords de Matignon (1988)

Les années 1970 voient la montée des contestations dans le monde mélanésien, avec une affirmation identitaire kanak, ainsi que la structuration d’une lutte politique pour l’indépendance. Une première génération de Kanak ayant effectué des études dans l’hexagone et marquée par les évènements de mai 68 et les combats de lutte pour l’indépendance des premières colonies françaises, fait son apparition. Parallèlement, l’identité kanak s’affirme, portée par le retour de la croissance démographique ainsi que par la diffusion de sa culture.

La création du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), le 24 septembre 1984, marque un changement de stratégie du camp indépendantiste, qui décide d’étendre la lutte en dehors du champ politique et de boycotter le vote du statut Lemoine qui remet en cause les avancées institutionnelles portées par les indépendantistes et les progressistes à Nainville-les-Roches en 1983 : reconnaissance du droit inné et actif du peuple kanak à l’indépendance, abolition du fait colonial et exercice du droit à l’autodétermination. À l’occasion des élections territoriales de 1984 et du vote du statut Lemoine, le territoire entre dans une situation quasi-insurrectionnelle.

L’état d’urgence est décrété sur le territoire. Le président de la République, François Mitterrand, se rend sur place. Plusieurs statuts sont élaborés : « statut Fabius-Pisani » en 1985 puis « statut Pons I » en 1986 et « Pons II » en 1988, sans parvenir à rétablir la paix civile sur l’archipel.

Les tragiques évènements d’Ouvéa, en mai 1988, au cours desquels six gendarmes et dix-neuf indépendantistes sont tués, choquent les deux camps qui entament, sous l’égide du nouveau premier ministre Michel Rocard, des négociations aboutissant à la signature de l’accord de Matignon le 26 juin 1988, qui engage le pays sur une trajectoire de stabilité de dix ans aux termes desquels est mis en place un processus de rééquilibrage économique, un plan de formation des cadres, la reconnaissance de l’identité kanak ainsi que la tenue d’un scrutin d’autodétermination.

2.   L’accord de Nouméa (1998) et le gel du corps électoral (2007)

Au terme des dix années prévues par les accords de Matignon-Oudinot, les partenaires loyalistes du RPCR ([4]) et indépendantistes du FLNKS se sont engagés à poursuivre un processus au cours duquel il fut notamment discuté de modalités de décolonisation, d’éventuels transferts de compétences et de la tenue d’un référendum d’autodétermination.

Le 21 avril 1998, l’accord de Nouméa est signé par le RPCR loyaliste et les indépendantistes du FLNKS puis, le 5 mai, par le premier ministre Lionel Jospin. La Nouvelle-Calédonie devient une collectivité sui generis faisant l’objet d’un titre spécial au sein de la Constitution (titre XIII). Une « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie », donnant le droit de vote aux élections provinciales, est créée. L’une des avancées emblématiques de l’accord de Nouméa consiste en la reconnaissance de l’existence d’un peuple kanak en tant que tel.

Le fondement même du corps électoral provincial restreint est un héritage de l’accord de Nouméa de 1998, qui pose les principes d’une restriction du corps électoral provincial. Le point 2.2.1 de l’accord dispose qu’« il sera réservé́ aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection, ainsi qu’aux électeurs atteignant l’âge de la majorité́ pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection ». En 1999, le Conseil constitutionnel réaffirme le principe du corps électoral glissant : « doivent notamment participer à l’élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l’élection […] sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ».

L’accord a vocation à préparer et accompagner la Nouvelle-Calédonie vers une consultation sur son accession ou non à la pleine souveraineté, dans le cadre d’un « destin commun ». Le processus doit aboutir à l’organisation d’au moins un et d’au maximum trois référendums d’autodétermination successifs. Le corps électoral pour ces consultations est encore plus restreint que celui prévu pour les élections provinciales : le vote est limité aux personnes qui ont ou auraient pu participer au scrutin de 1998 et à celles pouvant justifier d’une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014.

À ce moment-là, il existe donc au total, en Nouvelle-Calédonie, trois corps électoraux distincts (le premier pour les élections municipales, nationales et européennes, le deuxième pour les élections provinciales et le troisième pour les référendums d’autodétermination, le troisième devant disparaître à l’issue des trois référendums).

3.   Les trois référendums d’autodétermination (2018, 2020 et 2021)

Le 4 novembre 2018 a lieu le premier référendum d’autodétermination dont l’organisation était un devoir et un engagement de l’État : le non à l’indépendance l’emporte par 56,7 % des voix, 81 % des électeurs inscrits ayant voté. Comme prévu par l’accord de Nouméa, un tiers des membres du Congrès demandent l’organisation d’un deuxième puis d’un troisième référendum.

Le deuxième référendum, demandé par une majorité des membres du Congrès de la Nouvelle‑Calédonie, est organisé le 4 octobre 2020. L’écart entre les deux camps s’est resserré, puisque seuls 53,3 % des votants rejettent l’indépendance, alors que la participation a augmenté à 85,7 %.

En 2021, la troisième et dernière consultation, dont la tenue est formellement demandée par les groupes indépendantistes du Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 8 avril 2021, est organisée le 12 décembre, malgré la demande de report des indépendantistes et du Sénat coutumier, désireux officiellement de respecter la période traditionnelle de deuil d’un an (313 décès et 63 400 cas infectieux), consécutive au covid, et qui décident, en conséquence, de ne pas participer au scrutin. Période de deuil qui sera stoppée prématurément pour participer aux élections législatives quelques mois après. En toute logique, le non à l’indépendance l’emporte largement, à 96 %. Mais le taux de participation (43,87 %), bien inférieur à celui des précédentes consultations, entache ainsi la légitimité du vote aux yeux des indépendantistes et du Comité de décolonisation de l’ONU. Il est à noter toutefois que cette consultation n’a fait l’objet d’aucune contestation légale, pas plus nationale qu’internationale.

Toutefois, certaines organisations régionales ont contesté la tenue de cette troisième consultation, tels les pays du groupe Fer de lance mélanésien ou le Forum des pays du Pacifique.

B.   La sortie de l’accord de Nouméa

Le document d’orientation de l’accord de Nouméa dispose que, en cas de réponse négative aux trois référendums, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Tant que les consultations n’auront pas abouti, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie.

1.   Une citoyenneté néo-calédonienne qui restreint le droit de vote

L’accord de Nouméa dispose que « l’un des principes de l’accord politique est la reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. […] Pour cette période, la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays […] ». Ces institutions doivent être regardées comme étant les assemblées de province et le Congrès.

Comme cela avait été prévu par les accords de Matignon-Oudinot (1988), le corps électoral autorisé à élire les assemblées des provinces et le Congrès est restreint :

– aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998 ;

– à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection à venir ;

– aux électeurs atteignant l’âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe, justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection.

Ainsi que le fait remarquer Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour l’outre-mer, « vingt-cinq ans après, les critères d’inscription pour les élections provinciales écartent du suffrage plusieurs milliers de natifs du Nouvelle-Calédonie, y compris des Kanak, ainsi que des personnes durablement installées. » ([5])

2.   La question de la répartition des sièges

Le document d’orientation de l’accord de Nouméa prévoit que « Les assemblées de province seront composées, respectivement pour les îles Loyauté, le Nord et le Sud, de sept, quinze et trente-deux membres, également membres du Congrès, ainsi que de sept, sept et huit membres supplémentaires, non membres du Congrès lors de la mise en place des institutions ».

Cette répartition, qui induisait une certaine distorsion de représentation, avait pour objectif de permettre une meilleure représentation de la population kanak, réputée globalement plus favorable à l’indépendance, au détriment du reste de la population, numériquement plus importante et globalement favorable au maintien dans la République.

Toutefois, au fil des années, la répartition de la population a évolué au détriment de la province Nord et de la province des îles Loyauté et au profit de la province Sud, économiquement plus dynamique. C’est ainsi que la province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté représentaient respectivement 21,04 %, 68,35 % et 10,61 % de la population de la Nouvelle‑Calédonie en 1996 et 18,39 %, 74,85 % et 6,76 % en 2019, alors qu’elles sont représentées au Congrès respectivement par 27,78 %, 59,26 % et 12,96 % des sièges depuis 1999, ce qui conduit à une surreprésentation de la Province Nord et de la Province des îles Loyauté au sein du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, déjà exacerbée par une clef de répartition leur étant favorable.

En conséquence de cette double distorsion, constituée d’une part par un droit de vote qui se restreint un peu plus chaque année et d’autre part par un nombre de sièges de plus en plus déséquilibré au fil du temps, le Conseil d’État considère que l’intervention du législateur sera nécessaire, à terme, pour modifier les dispositions du régime électoral des assemblées de province et du Congrès qui dérogent aux principes constitutionnels d’universalité et d’égalité du suffrage afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps.

Selon le rapporteur Nicolas Metzdorf, un consensus au sein des élus locaux existe pour réviser la répartition des sièges visant à prendre en compte l’évolution démographique de la Nouvelle-Calédonie et une meilleure représentation démocratique.

3.   Le premier report des élections provinciales prévues en mai 2024

Le gouvernement, dans le but de laisser aux parties un délai maximal pour parvenir à un accord sur les points restant en suspens – les conditions d’évolution du corps électoral et la répartition des sièges – a souhaité reporter les élections des assemblées de province et du Congrès.

Le Conseil d’État a considéré que le processus de négociation destiné à la signature d’un nouvel accord se substituant à l’accord de Nouméa constituait un but d’intérêt général suffisant, permettant le report des élections provinciales « pour une durée de l’ordre de douze à dix-huit mois ». Une loi organique a donc été adoptée pour reporter les élections provinciales au mois de décembre 2024.

On constatera que le report maximum autorisé aux termes de cette loi n’est que de sept mois (décembre 2024 au lieu de mai de la même année), alors que le Conseil d’État avait jugé qu’un report « de l’ordre de douze à dix-huit mois » pouvait être admis. Lors de ce (premier) report, le Parlement est donc resté très en deçà de ce que le droit, selon le Conseil d’État, permettait de faire. La porte restait donc entrouverte pour un second report, le cas échéant (cf. infra).

C.   Le dégel du corps électoral : un choix lourd de conséquences

Autant l’adoption du projet de loi organique décalant de quelques mois les élections provinciales n’a pas posé de difficulté particulière, autant le dégel du corps électoral pour ces mêmes élections a cristallisé les passions : les indépendantistes craignent de devenir encore plus minoritaires alors que, selon le rapporteur Emmanuel Tjibaou, le processus de décolonisation n’est pas achevé. Dans le même temps certains Néo‑Calédoniens installés sur l’archipel depuis vingt‑cinq ans attendent impatiemment de pouvoir voter aux élections provinciales.

1.   Une question d’universalité et d’égalité devant le suffrage

Dans l’avis qu’il a rendu le 7 décembre 2023, le Conseil d’État constate que les règles en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du Congrès « dérogent de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage », notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. À défaut de modification des règles applicables, l’ampleur de ces dérogations ne peut que s’accroître avec le temps.

Le Conseil d’État rappelle que, si la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a admis, en 2005 ([6]), le principe d’un corps électoral restreint, elle s’est alors prononcée sur un ensemble de règles qui, antérieures à la révision constitutionnelle de 2007, permettaient aux personnes résidant en Nouvelle‑Calédonie depuis au moins dix ans d’être inscrites sur la liste électorale spéciale appelée à élire les membres des assemblés des provinces et du Congrès.

Si les circonstances propres à la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l’existence d’un corps électoral spécifique, le Conseil d’État considère que « la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine », alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé.

De son côté, la Cour de cassation considère que les articles 76 et 77 de la Constitution, ainsi que la loi organique du 19 mars 1999, ne sont pas limités dans le temps et sont toujours en vigueur nonobstant l’organisation des consultations sur l’accession à la souveraineté.

Elle rappelle également que la CEDH, dans sa décision du 11 janvier 2005, a relevé que, après une histoire politique et institutionnelle tourmentée, la condition de dix ans de résidence fixée par le statut du 19 mars 1999 a constitué « un élément essentiel à l’apaisement du conflit meurtrier en Nouvelle-Calédonie » et retenu que l’histoire et le statut de la Nouvelle-Calédonie sont tels qu’ils peuvent être considérés comme caractérisant des « nécessités locales », au sens de l’article 56 de la Convention, de nature à permettre les restrictions apportées au droit de vote de certains résidents de cette collectivité.

Elle conclut que l’organisation des consultations sur l’autodétermination de ce territoire n’a, à ce jour, pas permis de mettre un terme à ces « nécessités locales » ([7]).

Enfin, le rapporteur Emmanuel Tjibaou rappelle que le Comité des droits de l’homme, dans son avis du 7 novembre 2024, « recommande particulièrement à l’État partie de respecter le principe d’irréversibilité constitutionnelle posé à l’article 5 de l’Accord de Nouméa qui garantit l’intégrité du processus de décolonisation ».

2.   Un corps électoral en voie d’extinction

Le Conseil d’État fait remarquer que, si les conditions exigées par les stipulations demeuraient inchangées, « notamment en ce que seuls les enfants, et non les autres descendants » des électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 peuvent rejoindre le corps électoral pour l’élection des assemblées de province et du Congrès, ce corps électoral connaîtrait à terme une attrition telle qu’il finirait par s’éteindre de façon certaine, privant ces institutions de tout corps électoral.

« Il ressort en effet tant des intentions des partenaires de l’accord de Nouméa que des travaux préparatoires de la loi organique, s’agissant de la composition du corps électoral, que, par l’emploi du terme de parent, il convient d’entendre les seuls ascendants directs d’une personne, et non tout parent de celleci. »

Le Conseil d’État estime qu’il en résulte nécessairement que les partenaires n’ont pas entendu donner à cette définition du corps électoral une application indéfinie. Les juges en déduisent qu’une correction, à mesure que le temps réduira le corps électoral, s’avérera inéluctablement nécessaire pour préserver le fonctionnement démocratique des institutions néo-calédoniennes.

Cette extinction programmée du corps électoral ne choque pas les indépendantistes qui s’inscrivent dans un « processus de décolonisation ». Un nouveau corps électoral aura vocation à remplacer l’ancien une fois l’indépendance acquise.

Une question prioritaire de constitutionnalité récemment posée

Une association loyaliste, Un cœur, une voix, a saisi le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour ouvrir le corps électoral en vigueur aux élections provinciales. La haute juridiction administrative a accepté la QPC, qui remplit les critères de « sérieux » et de « nouveauté », et l’a transmise, le 24 juin 2025, au Conseil constitutionnel, conformément à la procédure en vigueur.

Le Conseil constitutionnel, qui ne s’est jamais prononcé sur l’article 77 révisé en 2007 de la Constitution, a trois mois pour rendre sa décision, soit jusqu’au 24 septembre.

3.   Le projet de loi déposé par le gouvernement

Dans la continuité de l’avis du Conseil d’État, le gouvernement a déposé, le 29 janvier 2024, un projet de loi constitutionnelle composé de deux articles, qui modifie l’article 77 de la Constitution pour élargir le corps électoral de la liste électorale spéciale pour l’élection du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, de façon à y inscrire les personnes qui, figurant sur la liste générale, sont nées sur ce territoire ou y sont domiciliées depuis dix années au moins.

Ce projet de loi faisait suite à de nombreuses discussions et à plusieurs déplacements menés par le ministre de l’intérieur et des outre-mer de l’époque, Gérald Darmanin. Lors de ces discussions, le gouvernement a décidé de s’aligner sur une durée de domiciliation de dix ans, qui était demandée et finalement bien acceptée par les indépendantistes. Selon les loyalistes, cette durée était une concession importante de leur part étant donné qu’ils demandaient initialement une durée de trois ans, à défaut des six mois requis dans l’hexagone.

L’adoption de cette disposition aurait permis à environ 25 800 électeurs supplémentaires d’intégrer la liste électorale pour les élections locales (cf. infra). Il resterait encore plus de 17 000 électeurs régulièrement inscrits sur les listes électorales au titre des élections nationales mais écartés des scrutins provinciaux. Le projet ne reprenait pas la demande des loyalistes qui souhaitent inscrire sur cette liste électorale spéciale, en outre, les conjoints de personnes qui y figurent déjà et qui justifieraient eux-mêmes d’au moins cinq ans de résidence sur le territoire.

 

Le dégel du corps électoral concernerait 25 800 personnes environ

Selon l’Institut de la statistique de Nouvelle-Calédonie (ISEE), le dégel même partiel du corps électoral inscrit dans le projet de loi constitutionnelle aurait une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale pour les scrutins provinciaux néo-calédoniens.

Ainsi, cette liste verrait sa composition augmentée de près de 14,5 % sous le double effet de l’inscription de 12 441 natifs dont l’inscription serait quasi-automatique et de l’éligibilité à l’inscription de près de 13 400 citoyens français résidant en continu depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie.

L’augmentation du nombre d’inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales aboutirait à ce que ce corps électoral soit, pour la première fois depuis 2018, plus important, en nombre d’inscrits, que celui défini pour les consultations d’accession à la pleine souveraineté.

Un autre chiffre circule, celui de 43 000. Il s’agirait du nombre total d’électeurs inscrits sur les listes électorales pour voter aux élections nationales (présidentielle, législatives) mais actuellement privés de droit de vote aux élections provinciales. Le remplacement du gel total par un « gel glissant » sur dix ans expliquerait la différence. Le projet de loi constitutionnelle, en réintégrant 25 800 électeurs résidant depuis au moins dix ans sur le territoire, laisserait de côté environ 17 200 électeurs régulièrement inscrits mais résidant depuis moins de dix ans en Nouvelle-Calédonie.

D.   La révision constitutionnelle suspendue

Consulté en premier, le Sénat a adopté le texte qu’il a légèrement modifié, notamment pour obliger le gouvernement à soumettre aux parlementaires les modalités d’organisation des prochaines élections et en donnant aux présidents des deux assemblées la responsabilité de valider un éventuel accord qui pourrait être conclu dans l’intervalle entre les parties. Le Sénat a également conforté le rôle du Congrès de Nouvelle-Calédonie, en rendant sa consultation obligatoire sur les modalités de mise en œuvre du dégel.

1.   La question de la temporalité

Ce travail de fond judicieusement mené a pu laisser penser que le rôle de l’Assemblée nationale se trouvait facilité : devant un texte mieux équilibré et offrant plus de garanties de transparence et de démocratie, il était tentant pour les députés de suivre l’avis technique des juristes et de voter un texte identique afin que le Congrès puisse être réuni le plus rapidement possible à Versailles.

Pour autant, le Sénat n’avait pas répondu à une question essentielle sur la temporalité de la réforme : était-ce le bon moment pour modifier la composition du corps électoral ? Plusieurs voix répondaient négativement à cette question, peinant à se faire entendre face à une majorité des Représentants en réalité silencieuse et qui, in fine, y répondit favorablement.

Les sénateurs, qui avaient tenu à offrir un délai supplémentaire aux négociateurs en repoussant de quelques mois la date limite pour la fin des négociations, avaient bien senti qu’il était nécessaire de laisser encore un peu de « temps au temps ». Mais étaient-ils allés au bout de la logique ? Le Conseil d’État a confirmé qu’un report des élections provinciales « de l’ordre de douze à dix-huit mois », soit jusqu’en novembre 2025, pouvait être admis (cf. supra).

Le ministre de l’intérieur et des outre-mer de l’époque, Gérald Darmanin, considérait alors que l’examen de la réforme constitutionnelle était de nature à accélérer la survenue d’un accord : « loin de la compromettre, l’existence d’un projet de loi constitutionnelle et son avancée facilitent au contraire la conclusion d’un accord », avait-il déclaré devant les sénateurs ([8]). D’autres observateurs avaient également indiqué aux rapporteurs qu’« une discussion sans échéance rigoureuse ne fonctionne pas ».

L’histoire a démontré que ce raisonnement était erroné. Dans leur communication du 29 avril 2024 ([9]), les rapporteurs de l’époque, MM. Philippe Gosselin, Davy Rimane et Tematai Le Gayic, avaient exprimé leurs réserves et partagé le sentiment qu’un « passage en force » risquait d’« aboutir à une crispation encore plus grande ». Leurs craintes étaient malheureusement bien fondées.

Plusieurs alertes avaient été émises par les mouvements indépendantistes et notamment par le sénateur Robert Xowie. En outre, deux résolutions avaient été votées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie pour demander un report de l’examen, par le Parlement, du dégel du corps électoral.

La rapporteur Nicolas Metzdorf regrette que le gouvernement ait stoppé la réforme du dégel du corps électoral, déplorant ce qui s’apparente à une victoire de la violence sur le droit.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou considère, en revanche, qu’un passage en force a été opéré contre l’avis même du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Pour lui, le consensus des parties prenantes locales n’a pas été reconnu comme une nécessité et les Néo-Calédoniens en font les frais aujourd’hui.

2.   Pour une nécessaire temporisation du débat

Les rapporteurs n’ont jamais demandé le retrait du texte, qui répondait à une nécessité juridique et démocratique admise et reconnue. Ils s’interrogeaient dès le 29 avril 2024, « dans l’hypothèse probable d’un vote conforme à l’Assemblée nationale, et sans donner d’injonction au président de la République, […] sur la possibilité d’une temporisation de quelques mois avant que soit convoqué le Congrès du Parlement ».

Le 14 mai 2024, l’Assemblée nationale adoptait par 351 voix pour, 153 voix contre et 3 abstentions le même texte que le Sénat, ouvrant la voie à une possible révision constitutionnelle par le Congrès du Parlement.

Compte tenu des tragiques évènements survenus en Nouvelle-Calédonie à compter du 13 mai (cf. infra), la révision constitutionnelle a été suspendue par le chef de l’État, Emmanuel Macron, le 12 juin. Le 1er octobre 2024, le premier ministre, Michel Barnier, confirmait qu’elle ne serait pas soumise au Congrès.

E.   Les émeutes de mai 2024

Après 36 années de paix civile consécutive aux accords de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998, la Nouvelle-Calédonie a malheureusement connu, en 2024, des troubles d’une extrême gravité qui ont causé la mort de 14 Néo-Calédoniens et durablement fracturé la société civile. L’examen, le 13 mai 2024, puis l’adoption, le 14, par l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle visant à procéder à un dégel partiel du corps électoral pour les élections provinciales n’ont pas été acceptés par les indépendantistes.

1.   Un déchaînement de violences envisageable mais d’une intensité rare

Dès le 13 mai 2024, dans un point de situation, le haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie évoquait « des blocages de voie publique » dans le grand Nouméa ainsi que des « barrages filtrants » mis en place de façon illégale. Le 14 mai les autorités évoquaient « des troubles à l’ordre public d’une grande intensité » et ayant causé « de nombreux blessés » parmi les forces de l’ordre. Le 15 mai, il était question « de nombreux incendies et pillages de commerces, d’infrastructures et d’établissements publics – dont plusieurs écoles et collèges » ([10]).

De nombreux bâtiments ont été pillés ou incendiés, obligeant leurs occupants à prendre la fuite. Face à ces risques, des habitants – « voisins vigilants » pour les uns, « milices armées » pour les autres – ont érigé des barricades et des barrages pour défendre leurs biens. Les services de l’État reconnaîtront, plus tard, le chiffre de 10 000 assaillants ayant établi des barrages, saccagé des quartiers, brûlé des entreprises et pillé des magasins.

Ces émeutes, selon le bilan humain dressé par le Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, ont causé « treize morts, dont deux gendarmes, ainsi qu’un Caldoche – Néo-Calédonien d’origine européenne – et dix Kanak » ([11]). Ce bilan a récemment été revu à la hausse et porté à 14 morts et 975 blessés dont 700 gendarmes et forces de l’ordre. Les émeutes ont aussi entraîné la destruction d’environ 200 maisons individuelles et 800 entreprises, provoquant une puissante dégradation de la situation économique et sociale (cf. infra).

La prison du Camp-Est a subi deux mutineries, les 13 et 14 mai 2024, dont une avec prise d’otage, « des faits d’une gravité extrême » selon le procureur. Un mort a été enregistré au lendemain de la mutinerie. Une centaine de cellules ont été détruites et plusieurs dizaines de détenus ont dû être transférés dans d’autres prisons dont plus de 60 en métropole. Au total, 2 500 personnes ont été placées en garde à vue, plus de 500 ont été présentées à la justice pour répondre d’une infraction, parmi lesquelles 243 ont fait l’objet d’un mandat de dépôt.

Interrogé en novembre 2024 par la presse à l’occasion de son déplacement en Nouvelle-Calédonie avec la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun‑Pivet, le président du Sénat, Gérard Larcher, a déclaré : « La crise sociale est majeure, avec près de 25 000 personnes au chômage, des problèmes sanitaires, d’accès à l’alimentation. […] En septembre, les importations en Nouvelle-Calédonie ont chuté de 30 %. Dans quelques semaines, le gouvernement collégial ne pourra plus honorer ses dépenses, cinq communes ne savent pas comment terminer le mois. » ([12])

Concluant sur une note optimiste, le président du Sénat ajoutait : « il n’y a pas de fatalité à ce que deux légitimités qui ont des rêves différents aujourd’hui ne puissent pas se retrouver et reconstruire un rêve partagé ».

2.   L’impréparation puis la réponse sécuritaire des autorités

Selon les députés Florent Boudié (EPR) et Arthur Delaporte (SOC) ([13]) « à la veille des émeutes, les effectifs de forces de l’ordre en Nouvelle-Calédonie étaient au plus bas avec 500 personnes environ », l’ensemble des effectifs de forces de l’ordre ayant été mobilisé dans le cadre de la préparation des Jeux Olympiques. Imprévoyance ou aveuglement ? Les rapporteurs avaient pourtant clairement alerté les autorités des risques d’embrasement liés à l’examen, à l’Assemblée nationale, du projet de dégel du corps électoral. Pour le rapporteur Philippe Gosselin, les besoins réels des forces de l’ordre dans le cadre des Jeux olympiques n’expliquent pour autant pas tout.

Dans leur communication d’étape présentée le 29 avril 2024 ([14]), les rapporteurs de l’époque écrivaient de manière prémonitoire : « Dès lors, est-il nécessaire d’accélérer les évènements en décidant que le dégel du corps électoral doit absolument être acté dès la mi-2024 ? » Dès avant les émeutes de mai 2024, les rapporteurs demandaient un report des élections provinciales à 2025 et une temporisation du processus du dégel du corps électoral.

Lors de leur passage dans le territoire en mars 2024, ils avaient alerté le haut-commissaire Louis Lefranc sur l’état d’esprit des indépendantistes et sur la tension qui montait dans l’ensemble des secteurs de la société. Ils n’avaient reçu comme réponse que ces mots qui, avec le recul, prennent une résonance bien singulière : « Les indépendantistes, pas plus que les loyalistes, ne sont en mesure de mobiliser comme avant. La mobilisation ne pourra dépasser quelques centaines de personnes de chaque côté, mais nous saurons gérer. »

C’est donc avec du retard, et en pleins préparatifs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, que des renforts massifs de forces de sécurité intérieure ont été déployés, dont le GIGN, le RAID et l’armée.

Le 24 mai, c’est un total de 3 000 policiers et gendarmes qui se trouvaient sur place, appuyés par une centaine d’hommes du RAID et du GIGN. Le 21 septembre, une fois les Jeux olympiques et paralympiques achevés, 41 unités de forces mobiles, soit près de 6 000 policiers et gendarmes étaient sur place.

L’état d’urgence a par ailleurs été décrété par le président de la République sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie, tandis que, en application du décret n° 2024-437 du 15 mai 2024 relatif à l’application de la loi du 3 avril 1955, plusieurs arrêtés d’assignations à résidence et ordres de perquisition administratives ont été pris, en particulier à l’encontre d’individus membres de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), émanation de l’Union calédonienne devenue structure de mobilisation de terrain du FLNKS en septembre 2023.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou souligne que la CCAT est aussi l’organisme qui a organisé des marches pacifiques qui ont précédé les évènements de mai 2024 afin de porter sur la place publique les enjeux politiques liés à la réforme constitutionnelle sur le dégel du corps électoral aux élections provinciales.

Diverses mesures administratives ont également été prises, comme l’instauration, pendant plus de six mois, d’un couvre-feu dont la durée et les modalités ont évolué au fil des mois en fonction de la situation, l’interdiction des rassemblements sur la voie publique et les lieux publics dans le grand Nouméa ainsi que l’interdiction du transport et du port d’armes sur tout le territoire. Le réseau social TikTok a également été rendu inaccessible durant plusieurs semaines. L’aéroport international de Nouméa-La Tontouta a fermé ses portes le 14 mai pour ne rouvrir que le 17 juin.

3.   Le « gel du dégel » et le second report des élections provinciales

Dans ce contexte de crise, le président de la République a décidé de ne pas soumettre le projet de loi constitutionnelle visant à procéder à un dégel partiel du corps électoral pour les élections provinciales au Congrès du Parlement.

De son côté, le Sénat a adopté, le 23 octobre 2024, une proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Conformément à l’avis donné par le Conseil d’État (cf. supra), le texte du Sénat reporte ces élections au plus tard au 30 novembre 2025. Il prolonge également les mandats de ces élus, en fonction depuis mai 2019, jusqu’à la première réunion des assemblées qui seront élues.

Le 6 novembre, c’est l’Assemblée nationale qui a adopté à son tour ce texte sans y apporter de modification. Saisi le lendemain par le premier ministre, le Conseil constitutionnel a déclaré, le 14 novembre 2024, conforme à la Constitution ce second report des élections provinciales (Décision n° 2024-872 DC). Dans un avis en date du 22 octobre 2024 sur la proposition de loi organique, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie s’était prononcé en faveur du report des élections provinciales.

4.   Les annonces financières faites par le gouvernement

Quelques jours après son déplacement sur le territoire, le ministre chargé des outre-mer au sein du gouvernement Barnier ([15]), François-Noël Buffet, donnait quelques indications sur les mesures économiques mises en place par l’État afin de soutenir la Nouvelle-Calédonie.

Au-delà des 1,7 milliard d’euros que l’État français transfère à la Nouvelle-Calédonie chaque année, les aides suivantes ont été décidées pour l’année 2024 :

– 400 millions d’euros, qui ont été mobilisés pour la période de mai à octobre, pour soutenir l’emploi, les entreprises ainsi que les services essentiels aux habitants via les collectivités locales ;

– 250 millions d’euros de soutiens aux collectivités et aux services essentiels, ainsi qu’une prolongation de l’aide au chômage partiel, pour les seuls mois de novembre et décembre ;

– 4 millions d’euros débloqués pour les navettes maritimes, à destination de la province Sud, d’ici fin octobre.

D’autres aides financières ont également été annoncées au titre de 2025, notamment une garantie de l’État, inscrite dans la loi de finances 2025 en vue de l’octroi d’un nouveau prêt de l’Agence française de développement (AFD). Une première partie de cette somme a déjà été versée ; une seconde partie, attendue pour la fin du premier semestre, est conditionnée à l’adoption de réformes (cf. infra). Le solde sera versé en 2026 puis 2027.

L’État a octroyé à la Nouvelle-Calédonie un prêt garanti par l’État (PGE), alors que l’économie de la collectivité est à terre, regrette le rapporteur Emmanuel Tjibaou qui aurait préféré qu’une dotation sèche soit versée au territoire.

Le rapporteur Nicolas Metzdorf rappelle que son statut de collectivité sui generis et son autonomie fiscale rendent difficile le versement direct de subventions à la Nouvelle-Calédonie. Ainsi, les interventions de l’État dans les finances du territoire se traduisent de plus en plus par des prêts garantis par l’État.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou rappelle que, « quand bien même la Nouvelle-Calédonie est dans un processus de décolonisation, cela n’enlève pas moins la légitimité à recourir à une aide de l’État à la hauteur de la solidarité nationale pour des compatriotes français ultra-marins.  D’autant plus que la France participe à des cofinancements sur des territoires aujourd’hui indépendants mais francophones tel que le Cameroun, notamment par le biais de l’Agence Française de Développement (AFD). »

Une circulaire de reconstruction des bâtiments publics a également été signée, le 17 octobre 2024, à Nouméa, qui prévoit en particulier un financement à hauteur de 100 % pour la reconstruction des bâtiments scolaires et 70 % pour les autres bâtiments publics.

II.   « Un choc d’une ampleur sans précédent pour l’économie »

Ce titre, repris d’une récente analyse de l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM), résume le traumatisme vécu par l’économie néo-calédonienne. Cette secousse se traduit par une augmentation de l’émigration, mais aussi par un désengagement des assurances et une réduction de l’assurabilité du territoire, le tout dans un contexte très défavorable à l’industrie du nickel, principale ressource naturelle de l’archipel.

A.   Une forte dégradation des indicateurs économiques

1.   Production, consommation, investissements et échanges en baisse

Dans les Comptes économiques rapides publiés par l’ISEE ([16]), l’IEOM ([17])et l’AFD ([18])le 6 mai 2025, les économistes estiment le recul du produit intérieur brut entre 10 % et 15 % en 2024, « soit un niveau de PIB compris entre ceux des années 2013 et 2017 », c’est-à-dire un recul de dix ans. D’ailleurs, « les trois moteurs de l’économie – la consommation, l’investissement et les échanges extérieurs sont ainsi très mal orientés » écrivent les économistes.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie estime le coût de la crise de 2024 à 300 milliards de francs Pacifique, soit environ 2,5 milliards d’euros.

L’indicateur du climat des affaires (ICA), mesuré par l’IEOM, « s’effondre en 2024 dans un contexte de crise majeure du secteur du nickel, suivie d’émeutes insurrectionnelles inédites ayant affecté le territoire à partir du 13 mai. Il passe ainsi sous le précédent plus bas enregistré lors de la crise sanitaire de 2020 ». […] « De nombreux indicateurs traduisent ce choc d’une ampleur sans précédent pour l’économie calédonienne. » ([19])

« L’activité du secteur du BTP s’est effondrée en 2024, alors que les perspectives pour 2025 sont encore très pessimistes. »

La consommation des ménages, résiliente ces dernières années, s’est essoufflée : « les paiements et retraits par carte bancaire se sont repliés de 8 % en 2024 ». L’activité bancaire a également été profondément affectée puisque le nombre de crédits accordés a chuté de 49 % en 2024, « alors même que les taux directeurs étaient orientés à la baisse ».

La note de conjoncture publiée en mai 2025 par l’ISEE fait état d’une baisse de 69 % du nombre de touristes en 2024 par rapport à 2023, d’une diminution de 34,6 % des importations, d’une baisse de 55,6 % des exportations et d’une diminution de 16,5 % de l’emploi salarié ([20]) : « les estimations portent à 11 600 le nombre de salariés ayant perdu leur emploi entre le 31 mars et le 31 décembre 2024 dans le seul secteur privé ».

La note de conjoncture de février 2025 de l’ISEE précise : « Parallèlement, les prix à la consommation augmentent depuis le début de l’année (+ 2 %). L’écart se creuse en défaveur des ménages les plus modestes, pour lesquels la hausse est de 3,4 %. Ceux-ci sont particulièrement touchés par la hausse des prix des services de transport en commun et de ramassage scolaire, des cantines et garderies, de l’alimentation et du gaz. »

Selon une enquête de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) réalisée en février 2025, 52 % des entreprises ont des problèmes de trésorerie et 50 % des entreprises du BTP ne parviennent plus à couvrir leurs charges. Seuls 15 % des chefs d’entreprise dont la société a été détruite pendant les évènements de 2024 se disent « certains de reconstruire » tandis que 42 % d’entre eux sont « certains de ne pas reconstruire ». Les autres, soit 43 %, sont encore dans l’expectative.

« Et ceux qui veulent rebâtir ne le peuvent pas, précise Sonia Backès, la présidente de la province Sud, en raison des lenteurs d’indemnisation des assurances. » « L’économie néo-calédonienne n’est pas en difficulté, elle est à terre » conclut la présidente.

2.   Une forte hausse du nombre de demandeurs d’emploi

En mars 2025, la Cafat ([21]) recensait 11 101 demandeurs d’emploi, « chiffre jamais atteint auparavant ». La fin du chômage partiel, depuis le 30 juin, est redoutée, plus de 6 300 Néo-Calédoniens bénéficiant de ce dispositif.

Confrontée elle aussi à des difficultés financières, la fonction publique supprime des postes. C’est ainsi que le gouvernement d’Alcide Ponga a annoncé la mise en place d’un « grand plan de réforme de l’administration » visant à supprimer 150 à 200 postes. Les provinces aussi réduisent leurs effectifs administratifs en décidant de ne pas remplacer certains personnels partant à la retraite, de geler les avancements, d’aménager des temps partiels…

Une grande partie des nouveaux chômeurs sont des ouvriers qui ont été licenciés lors de la cessation d’activité de l’usine de transformation de nickel Nord. En plus des indemnités chômage qu’ils perçoivent, la plupart sont partis avec des indemnités élevées : 25 140 euros au minimum pour les ouvriers ayant le moins d’ancienneté, jusqu’à 419 000 euros pour les cadres les plus anciens. Ceux qui étaient endettés se sont vus proposer des suspensions de six mois de leurs échéances. Certains en sont déjà au deuxième renouvellement de leur semestre de suspension de remboursement.

D’autres ont dépensé rapidement leur indemnité et peu ont trouvé un nouvel emploi. L’agence de la Banque calédonienne d’investissement de Koné, qui comptait 8 000 clients avant la fermeture de l’usine, n’en compte plus que 4 700 aujourd’hui. Sur les 3 300 comptes clôturés, tous les clients ne sont pas partis. Certains ont fermé leur compte car ils ne reçoivent plus de salaire. Mais d’autres sont retournés vivre en tribu, ou sont partis tenter leur chance à Nouméa.

Sonia Backès explique que la province Sud, qu’elle préside, compte plus de 9 000 chômeurs, chiffre jamais atteint auparavant. « La majorité arriveront en fin de droits en juillet. Les gens n’ont plus d’argent et certains ne savent pas comment nourrir leurs enfants. »

3.   La souffrance est également sociale

Selon un sondage Quid Novi réalisé en novembre et décembre 2024, la Nouvelle-Calédonie manquerait aujourd’hui de 100 médecins sur un total d’environ 1 000 et de 200 infirmières sur un total d’environ 1 500. 47 % des professionnels de santé envisagent de quitter la Nouvelle-Calédonie. Soixante structures de santé auraient été brûlées ou pillées, la majorité d’entre elles se situant hors du Grand Nouméa.

Au-delà de la santé physique, l’attention des rapporteurs a été également attirée à plusieurs reprises sur la dégradation de la santé mentale de la population ; de plus en plus de personnes sont en état de détresse psychologique et ne reçoivent aucune assistance.

En province Nord, la réalité est encore pire, surtout depuis la fermeture de l’usine de transformation du nickel. Le commissaire délégué de la République, M. Gérard Pehaut, a indiqué à la mission d’information qu’il manquait 8 médecins dans sa province de 50 000 habitants (au recensement de 2019) qui en compte seulement 70. Sur 80 postes d’infirmières, seuls 42 sont pourvus mais plusieurs d’entre elles envisagent de partir. Le centre hospitalier Nord n’a plus ni service d’urgence ni service de chirurgie. Lorsqu’une évacuation sanitaire d’urgence vers Nouméa est nécessaire, mieux vaut qu’elle ait lieu de jour, car l’hélicoptère civil n’est plus habilité à voler la nuit faute d’assurance : les assureurs refusent désormais de couvrir ses vols nocturnes. « Dans les cas extrêmes, c’est un hélicoptère Puma de l’armée qui prend parfois le relais », a-t-on expliqué aux rapporteurs.

Le 2 juin 2025, un homme a perdu la vie sur le parking du centre hospitalier de Koumac fermé, ce dernier n’ayant pas pu recevoir les soins d’urgence rendus nécessaires par sa crise cardiaque ([22]).

Recommandation n° 1 : compte tenu de la crise sanitaire résultant des émeutes de 2024, les rapporteurs demandent à l’État, dans un premier temps, d’activer la réserve sanitaire en Nouvelle-Calédonie puis, dans un second temps, d’élaborer une stratégie de soutien à l’ensemble de la filière sanitaire.

Le commissaire délégué explique que, si la province Sud voit sa situation se dégrader, « la province Nord, elle, est en train de mourir, dans la dignité. Les gens ne réclament rien. Dans les tribus, on survit avec le minimum ».

Dans la province des îles Loyauté, certes la moins peuplée (18 353 habitants au recensement de 2019), la situation est pire : on compte deux médecins à Lifou, un à Ouvéa et aucun à Maré. Et, dans toute la province, il n’y a aucun hôpital.

La dégradation de la situation se perçoit aussi à travers la libération des logements sociaux par des habitants qui ne peuvent plus honorer leur loyer. Depuis les évènements du 13 mai, 800 logements sociaux ont ainsi été libérés en province Sud (de loin la plus peuplée) mais aussi 200 en province Nord, soit un millier au total. Ces populations sont retournées vivre dans leurs tribus, pratiquant la pêche, la chasse, l’agriculture et bénéficiant de la solidarité tribale. Les offices HLM des deux provinces sont maintenant en grande difficulté car les logements libérés n’ont pas trouvé de repreneurs, d’autant que, parmi les locataires qui ne sont pas partis, beaucoup ont des difficultés à payer leur loyer. Certains logements, surpeuplés, sont parfois occupés par plusieurs familles.

Plusieurs personnes, au cours de différentes auditions, ont rapporté aux députés que, pour la première fois de leur vie, elles avaient vu des gens « voler pour manger ». Une élue de la province des îles Loyauté a reconnu que, dans sa famille, « certains ne mangent qu’une fois par jour, à 11 heures. Le soir, on nourrit les enfants et on se contente d’un café ou d’un thé ».

450 personnes sans domicile fixe (SDF) étaient recensées à Nouméa avant les évènements de mai 2024. Elles seraient maintenant un millier. À Koné, dans le nord, 150 enfants ont été retirés des écoles en un an, signe que de nombreuses familles ont quitté la ville pour regagner leurs tribus ou migrer en province Sud.

Les rapporteurs ont rencontré des responsables de coopératives locales ([23]) de produits agricoles (confitures, miel, café, volailles) qui ont expliqué avoir les plus grandes difficultés à écouler leurs marchandises, pourtant produites localement, en raison de la chute du pouvoir d’achat et de la concurrence des produits à bas coût importés (le poulet congelé par exemple). Après avoir utilisé tous les artifices possibles (obligation de prendre des congés, etc.), le personnel a d’abord été placé en chômage partiel avant de partir en chômage technique. Les rapporteurs insistent sur l’intérêt de favoriser les circuits courts en temps de crise.

4.   Le déclin démographique du territoire s’accentue

Avec une densité de population de 14,5 habitants au km2, cinq fois inférieure à celle de la Polynésie (73 habitants au km²) et neuf fois inférieure à la moyenne nationale (125 habitants au km²), la Nouvelle-Calédonie reste une terre sous-peuplée. Pourtant, depuis quelques années, le territoire perd ses habitants.

Selon l’Institut de la statistique et des études économique (ISEE) de Nouvelle-Calédonie, la collectivité comptait au 1er janvier 2023 (dernier rapport publié), 268 500 habitants, soit 0,5 % de moins qu’un an auparavant « sous l’effet simultané de la baisse du solde naturel et de la hausse du déficit migratoire ». « La baisse du solde naturel est ininterrompue depuis dix ans. À compter de 2019, la population baisse car l’excédent des naissances sur les décès n’a plus compensé le déficit migratoire. »

Selon les chiffres publiés en février 2025 par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), il y a eu, en 2024, 10 700 départs de plus que d’arrivées, chiffre cinq fois supérieur aux années précédentes, période pendant laquelle le territoire ne perdait « que » 2 000 à 3 000 habitants par an.

Lassés d’une situation politique chaotique qui laisse peu de vision pour investir ou se projeter dans l’avenir, un certain nombre d’acteurs économiques ont déjà fait le choix de quitter la Nouvelle-Calédonie pour tenter leur chance ailleurs : dans l’hexagone pour certains, en Australie, au Vanuatu, en Polynésie française ou dans les autres territoires de la région pour d’autres.

La majorité de ces partants sont des « Occidentaux » non originaires de Nouvelle-Calédonie et souvent privés du droit de vote aux élections provinciales. Mais certains émigrants sont aussi kanak, parfois cadres et bien formés, qui n’ont plus confiance en l’attractivité et donc en l’avenir du territoire. Dans un cas comme dans l’autre, ces départs sont dommageables, car les partants ont souvent été formés sur place.

5.   La crise du transport aérien

La desserte aérienne est fondamentale dans un archipel. Or, depuis un an, ce secteur est sinistré, notamment en raison de la forte diminution du nombre de touristes, la plupart arrivant habituellement par voie aérienne – à l’exception de quelques croisières.

Les deux principales compagnies locales, Aircalin (lignes extérieures) et Air Calédonie (lignes intérieures) connaissent d’importantes difficultés financières : elles ont fortement réduit le nombre de leurs vols, leurs effectifs et même leur flotte. Air Calédonie a licencié 50 % de ses effectifs et a baissé les salaires de ceux qui sont restés. Cette compagnie, qui ne dessert plus Koné, ne compte plus que deux avions. Cette réduction du réseau aérien risque d’être fatale au tourisme : beaucoup d’hôtels, dans l’intérieur et sur les îles Loyauté, sont fermés ou vivotent.

Les deux aéroports de Nouméa, La Tontouta, pour les vols internationaux, et Magenta, pour les vols intérieurs, ne reçoivent plus chacun que trois à quatre vols par jour. Dans ces conditions, la fermeture de Magenta, malgré sa position géographique avantageuse, semble programmée, même si des discussions sont toujours en cours.

Enfin, le prix des billets a fortement augmenté malgré les aides financières apportées par les collectivités par le biais du dispositif Continuité Pays qui met à la charge des collectivités plus de 70 % du billet des usagers. Cette hausse ampute le pouvoir d’achat de populations pas toujours favorisées et qui n’ont d’autre choix que d’emprunter un avion pour se déplacer, par exemple, entre les îles Loyauté et l’île principale.

6.   Les communes sont en première ligne face au choc social

Lors des évènements de 2024, certaines mairies ont subi des dégradations. Aussi, beaucoup de maires ont dû dormir dans leurs mairies pour les protéger. Heureusement, aucune d’entre elles n’a été détruite.

Les communes ont subi de terribles pertes financières : celle de Voh, dans le bassin d’emploi de l’usine Nord, a obligé ses services à travailler à mi-temps pour réaliser des économies de trésorerie. D’autres ont réduit les activités des cantines scolaires, tandis que toutes ont suspendu les travaux non urgents. Le maire de Pouébo (2 100 habitants), Florentin Dedane, président de l’association des maires indépendantistes, indique que le budget 2025 de sa commune reste inférieur de 20 % à celui de 2023. C’est un peu mieux qu’en 2024, mais la situation reste préoccupante, d’autant que beaucoup d’habitants qui ont perdu leur emploi sollicitent les centres communaux d’action sociale (CCAS) pour recevoir de l’aide alimentaire ou pour les aider à payer leurs factures. Dans certaines communes, l’aide demandée aux CCAS a augmenté jusqu’à 50 %.

Florence Rolland, la maire de La Foa (3 500 habitants), explique que ses administrés ne conçoivent pas que la commune ne puisse plus subventionner comme avant les transports scolaires et la cantine à hauteur des deux-tiers. Comme il n’y a pas eu d’affrontement dans la commune, la contraction du budget est incomprise : « Les gens ne comprennent pas qu’une entreprise qui ferme, c’est beaucoup d’argent en moins pour la commune. »

La maire note une forte augmentation de la mendicité avec l’arrivée de SDF d’autres communes, notamment de personnes qui ont perdu leur emploi sur les communes environnantes de Thio, en province Sud ou de Canala, en province Nord. « Avant, on distribuait 40 bons alimentaires, maintenant c’est 80. Avant, on avait deux personnes en détresse psychologique, maintenant, on en compte 8 à 10 qui errent. […] On se rend compte que les retraités sont très seuls, parfois délaissés par leurs enfants. La cellule familiale évolue vite, même chez les Kanak : elle se déstructure, on divorce plus. La religion tient moins les familles. »

Les transports scolaires sont de la compétence du gouvernement néo-calédonien. « Comme le gouvernement n’a plus les moyens, c’est la commune qui assume, car certains enfants vivent dans des tribus à 40 minutes de l’école et les parents n’ont pas de voiture. » Mais en décembre, le réseau a dû être restructuré et des lignes fermées. « On arrive au bout. » 110 familles sur 600 ont des impayés scolaires (transport, cantine…). De plus en plus d’enfants ne vont plus à l’école.

Suite aux coûts engendrés par les émeutes, à Nouméa, en 2025, les frais de cantine ont dû être augmentés de 50 % par rapport à 2024.

B.   Une chute drastique de l’activité métallurgique

La Nouvelle-Calédonie, qui possède environ 9 % des réserves planétaires exploitables de nickel et 25 % des ressources mondiales exploitées, est assise sur un trésor qui a facilité son développement au cours des décennies passées, mais dont les difficultés actuelles font peser de lourdes menaces sur l’économie générale de l’archipel. Pourtant, le développement des véhicules électriques et les besoins mondiaux gigantesques en batteries font du nickel un matériau d’avenir.

1.   Le cas trois usines de nickel durant la crise de 2024

L’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM), dans sa note de conjoncture économique du 7 mai 2025, constate : « Le secteur du nickel affrontait déjà une crise majeure en début d’année : dans un contexte de cours mal orientés sur les marchés internationaux, les actionnaires industriels avaient annoncé fin 2023 leur volonté de cesser le financement de leurs usines métallurgiques sur le territoire. Après l’annonce de retrait de Glencore en février 2024, l’activité productive de l’usine du Nord s’est arrêtée, dans l’attente d’un potentiel repreneur » et la quasi-totalité des ouvriers ont été licenciés.

L’IEOM précise que « Les émeutes ont ensuite cristallisé les difficultés du secteur. Blocages et destructions sur les sites miniers ont directement menacé l’approvisionnement en minerais des usines métallurgiques ainsi que leur survie : l’usine du sud (Prony) a interrompu son activité entre mai et novembre 2024, tandis que la SLN (à Nouméa) a tourné au ralenti pour préserver l’intégrité de son appareil productif. »

La SLN a dû réduire durablement la puissance de ses fours sur le site de Doniambo (Nouméa), faute d’approvisionnement satisfaisant en minerais. Le pacte nickel proposé par l’État fin 2023 n’ayant pas été signé ([24]), les deux métallurgistes restants demeurent confrontés à des problèmes structurels majeurs (coût de l’énergie et de la main‑d’œuvre, accès aux ressources minières), ce qui conduit à un manque de rentabilité. En mai 2025, selon des sources concordantes, la SLN ne disposait que de deux mois de trésorerie.

2.   Une conjoncture internationale défavorable au nickel

Les désengagements des industriels actionnaires s’inscrivent dans un contexte de baisse des cours du nickel depuis plusieurs années. Le cours annuel moyen a baissé de 22 % entre 2023 et 2024. Cette tendance s’inscrit dans un contexte de forte croissance de la production indonésienne et chinoise et de hausse des stocks. En Nouvelle-Calédonie, après deux années consécutives de hausse, la production métallurgique a chuté de 48,6 % en 2024, pour s’établir à 53 327 tonnes de nickel.

La production de ferronickel a également diminué fortement (- 47,8 %), tout comme celle de NHC ([25]) (- 50,2 %). Dans le sillage de cette contraction, les exportations de produits métallurgiques ont enregistré un repli de 45 % en volume sur l’année 2024. Selon l’IEOM : « En valeur, la baisse est encore plus marquée sous l’effet du recul des cours, entraînant un repli de 52,1 % de la valeur exportée du nickel. En 2024, l’extraction minière recule fortement (- 51,3 % de tonnes humides extraites, après + 14,8 % en 2023), en raison de blocages et destructions sur les sites miniers. La valeur totale des exportations de minerai suit la même tendance, en baisse de 48 % sur un an (- 34,8 milliards de francs Pacifique). »

3.   La fermeture de l’usine du Nord

La construction de l’usine du Nord avait conduit à plus que doubler la population de la zone Voh-Koniambo-Pouembout, passée de 8 000 à 18 000 habitants entre 2004 et 2023. Plus de 2 000 logements avaient été construits et plusieurs milliers d’emplois proposés par l’usine de transformation du nickel et ses sous-traitants. Plus de 2 700 entreprises (centres commerciaux, agences bancaires, avocats, notaires, etc.) avaient été créées.

La mise à l’arrêt de l’usine a conduit à la destruction de 1 800 emplois directs et indirects parmi les sous-traitants entre 2023 et 2025. Elle induit également une démobilisation des compétences formées, une dégradation du tissu économique et social ainsi qu’une migration de la population vers la province Sud, dont le bassin d’emploi est plus important.

Cette usine, voulue par les indépendantistes et vue comme le moyen de développer la province nord, était née sous de mauvais auspices : le procédé innovant choisi dans le cadre du processus de production et imposé par Bercy, n’a, en effet, jamais fonctionné correctement. Dès l’inauguration de l’usine, en 2014, des défauts de conception des fours avaient été mis en évidence, conduisant à la décision de les détruire intégralement. Reconstruits en 2016 et 2017, ces deux fours ont été définitivement arrêtés le 1er septembre 2024. Les briques réfractaires dont ils sont faits ne peuvent être soumises à de multiples changements de température : les faire à nouveau monter en température conduirait à les fissurer voire à les casser de manière irrémédiable. Une éventuelle reprise de l’activité est donc conditionnée par la destruction et la reconstruction des deux fours, pour un coût évalué par la direction à 180 millions de dollars (environ 160 millions d’euros).

Selon Karl Therby, président-directeur général de l’usine Nord, l’éventuelle réouverture de l’usine nécessiterait un investissement total d’environ 900 millions d’euros, reconstruction des fours incluse. « Mais aucun industriel ne s’engagera si l’usine ne bénéficie pas d’une énergie subventionnée », précise-t-il. En effet, l’énergie disponible en Nouvelle-Calédonie est jusqu’à 3,5 fois plus chère que celle dont dispose la concurrence, dans des pays comme l’Indonésie ou les Philippines. Or, l’énergie représente 35 % du coût de production : 1 400 Gigawatts annuels sont nécessaires pour faire tourner l’usine, soit actuellement 132 millions d’euros.

Le prix de l’énergie constitue le principal obstacle pour la compétitivité du nickel néo-calédonien. Malgré l’installation de centrales captives par la SLN (fuel) et KNS (charbon), le prix de l’électricité pour les sites industriels néo-calédoniens oscille entre le double et le triple de son équivalent métropolitain. Rappelons également que l’activité de ces trois acteurs représente environ 70 % de la consommation totale d’électricité locale.

Recommandation n° 2 : les rapporteurs soulignent l’importance d’engager une réflexion sur l’extension du dispositif de péréquation énergétique afin de lutter contre le coût exorbitant de l’énergie en Nouvelle-Calédonie.

D’autres paramètres pénalisent les industriels néo-calédoniens par rapport à leurs concurrents du sud-est asiatique : selon Karl Therby, les salaires mensuels en Nouvelle-Calédonie sont de 350 000 francs Pacifique (environ 2 900 euros) contre seulement 50 000 francs (420 euros) en Indonésie. La protection sociale est évidemment plus forte en France, les accidents du travail étant beaucoup plus nombreux en Asie. Enfin, la protection de l’environnement est aussi très différente : « une production industrielle vertueuse a un coût ».

Une montée en gamme pour produire des mattes de nickel susceptibles d’alimenter les gigafactories européennes de batteries semble également indispensable. Le monde économique a un besoin rapide de visibilité sur ces deux paramètres (coût de l’énergie et débouchés), mais toute aide à la filière nickel semble conditionnée à un accord politique. Karl Therby a confié aux rapporteurs : « J’ai d’éventuels repreneurs, prêts à attendre deux ou trois mois, mais pas six. Des décisions rapides sont à prendre, sinon la fermeture sera définitive. »

4.   Un manque d’objectivité de la part de l’État ?

Les responsables indépendantistes, et notamment le rapporteur Emmanuel Tjibaou, considèrent que l’usine Nord, installée à Koniambo, n’a pas reçu la même aide que les deux autres usines implantées en province Sud. Selon eux, l’usine du Nord a été victime d’un traitement différencié de la part de l’État français dans son soutien à l’industrie du nickel entre 2023 et 2024. Des trois industriels présents sur le territoire, Koniambo Nickel SAS est le seul qui n’a bénéficié d’aucune aide de l’État, exception faite de la défiscalisation accordée lors de sa construction. À l’opposé, Prony ressources NC aurait perçu 560 millions d’euros en prêt direct et défiscalisation, tandis que la Société Le Nickel aurait reçu une aide de 412 millions d’euros.

L’usine du Nord n’a jamais sollicité d’aide de l’État depuis sa mise en activité, son principal actionnaire, Glencore, ayant toujours assumé ses pertes. En outre, 60 % de la sous-traitance de l’usine Nord serait basée en province Sud, augmentant encore le clivage entre les provinces. Ces éléments ont suscité beaucoup d’incompréhension auprès de la population locale, faisant naître un sentiment d’abandon de la part de l’État français envers ses compatriotes ultramarins.

Le rapporteur Nicolas Metzdorf rappelle et regrette que le président de la province Nord refuse, depuis deux à trois ans, de rencontrer les représentants de l’État, manquant à son devoir de responsable politique. Le président de la province Nord estime, en effet, que les sujets relatifs au nickel ne doivent relever que des acteurs néo-calédoniens, d’où son refus d’échanger avec des représentants de l’État.

Le rapporteur Nicolas Metzdorf souligne que le traitement différencié de l’usine du Nord vis-à-vis de la SNL peut aussi s’expliquer du fait que l'État est actionnaire de de cette dernière via sa participation dans Eramet, ce qui n’est pas le cas des deux autres unités de production situées dans la province Sud. Enfin, il rappelle que le président de la province nord, Paul Néaoutyine, s’est opposé à la signature du « pacte nickel » qui aurait dû apporter 24 milliards de francs Pacifique (200 millions d’euros) par an à la Nouvelle-Calédonie dans le cadre du subventionnement du coût de l’électricité.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou, en désaccord avec le rapporteur Nicolas Metzdorf sur l’interprétation et l’analyse du pacte Nickel, rappelle que le Congrès de Nouvelle-Calédonie s’est prononcé contre ce pacte à travers une résolution le 4 avril 2024. La majorité des élus, notamment ceux issus des groupes indépendantistes (FLNKS, UC, Palika, UNI) mais aussi certains non-indépendantistes, préoccupés par la perte de contrôle local, ont rejeté le pacte pour plusieurs raisons :

- l’absence de concertation locale : le pacte a été perçu comme imposé par Paris sans réelle concertation avec les acteurs calédoniens ;

- l’atteinte à la souveraineté économique : les indépendantistes y ont vu une menace directe au contrôle des ressources stratégiques, considérant le rapport comme un levier de souveraineté ;

- le risque de démantèlement industriel : certaines mesures du pacte, comme la cession d’actifs ou l’arrivée de capitaux étrangers étaient vues comme un risque de perte de maîtrise industrielle ;

- refus d’un pilotage français unilatéral de la filière nickel, contraire à l’esprit des accords de Nouméa sur la réappropriation des leviers économiques.

C.   Le rôle controversé des assurances

Selon des chiffres publiés le 18 mars 2025 par France Assureurs et le Cosada (Comité des sociétés d’assurance de Nouvelle-Calédonie), 3 480 sinistres ont été déclarés en 2024, en lien avec les tragiques « évènements ». Le coût évalué de ces sinistres atteindrait 942 millions d’euros. Un an après, seuls 296 millions d’euros d’indemnité, soit environ 31 %, auraient été versés.

1.   Une situation exceptionnelle et des dossiers complexes

Auditionnés par les rapporteurs, les représentants des compagnies d’assurances soulignent que, sur ces 3 480 déclarations de sinistre, 1 710 (49 %) émanent d’acteurs économiques, les autres provenant de particuliers. Mais s’ils représentent un peu moins de la moitié du nombre de dossiers, les sinistres économiques constituent 95 % du coût des dommages. Et sur ce total, 38 dossiers majeurs représentent 320 millions d’euros, soit plus du tiers du coût total des sinistres. D’évidence, ces dossiers complexes demandent plus de temps que les dossiers plus simples émanant des particuliers.

Pour autant, 80 % des assurés ont déjà reçu un dédommagement, qu’il s’agisse d’un acompte ou de la totalité de l’indemnisation.

Le remboursement des pertes d’exploitation est plus long car nécessitant des expertises plus poussées. En outre, l’indemnisation de ces pertes n’est possible que lorsque l’activité reprend. À défaut, l’entreprise est mise en liquidation.

Prenant acte de ces déclarations, les rapporteurs regrettent toutefois que les assureurs n’indiquent pas plus clairement la proportion des sinistres pour lesquels ils recherchent la responsabilité de l’État, probablement 80 %. Il semblerait, en effet, que la lenteur de réponse des autorités publiques ralentisse le processus de dédommagement. Selon certains, ce serait même la vraie raison pour laquelle autant de sinistres ne sont pas réglés à ce jour.

2.   Un nombre d’experts insuffisant pour une telle crise

Les experts appartiennent à des cabinets d’expertise indépendants et ne dépendent nullement des assureurs, ce qui garantit leur neutralité. En contrepartie, les assureurs n’ont aucune prise sur leur nombre et leur rythme de travail. Or, si la Nouvelle-Calédonie compte un nombre d’experts suffisant pour une activité assurancielle habituelle, ce réseau s’avère insuffisant lorsque des évènements exceptionnels se produisent, comme ce fut le cas en 2024.

Par ailleurs, les experts locaux ne sont pas forcément formés pour expertiser les dégâts subis par de grandes entreprises, notamment en ce qui concerne l’évaluation des pertes d’exploitation : il s’agit d’estimer les dommages causés sur les machines, les stocks, les bâtiments, ainsi que les pertes d’exploitation. Le nombre de documents à fournir et à analyser est important et certains dossiers exigent des instructions approfondies et longues.

3.   Les hésitations des acteurs économiques à reconstruire

Les délais d’indemnisation sont aussi allongés en raison de l’indécision des chefs d’entreprise, mais aussi des particuliers, sur l’attitude à adopter à l’égard du territoire : reconstruire ou partir ?

Beaucoup de chefs d’entreprise n’ont pas encore pris la décision de reconstruire leur outil de production, ce qui ralentit évidemment leur indemnisation. Beaucoup attendent la signature d’un accord politique pérenne pour décider de réinvestir durablement dans le territoire. De ce point de vue, l’échec du « conclave » de Deva ne les a pas rassurés. Certains ont déjà pris le parti de quitter le territoire après avoir perçu leur indemnisation pour aller réinvestir ailleurs, d’autant que la crise du nickel contribue aussi à assombrir l’avenir économique de la Nouvelle-Calédonie.

Le manque de visibilité, de prévisibilité est terrible ! Il émousse la confiance dans l’avenir qui est un des ressorts de l’investissement.

Les particuliers sont confrontés au même dilemme : doivent-ils reconstruire leur maison incendiée ou empocher l’indemnisation et quitter le territoire pour des cieux plus paisibles ? Et lorsqu’ils décident de rester en Nouvelle-Calédonie, doivent-ils rester dans leur quartier, exposé à de nouveaux risques d’embrasement, ou doivent-ils reconstruire dans un quartier plus « protégé », renonçant à la mixité sociale et favorisant une ségrégation géographique rampante mais réelle ?

À l’unisson des acteurs économiques, rencontrés séparément, les représentants des assurances ont insisté auprès des rapporteurs sur la nécessité de sortir de l’antagonisme binaire reposant sur le choix en faveur ou en défaveur de l’indépendance : les acteurs économiques comme les simples citoyens attendent un projet de développement pour le territoire. Pour les investisseurs, le vrai sujet n’est pas tant l’indépendance que les perspectives économiques et sociales qui attendent le pays.

4.   Des sociétés d’assurance mises en difficulté

Les sociétés d’assurance insistent sur le fait que ralentir l’indemnisation de leurs clients n’est pas une stratégie. Faire traîner les dossiers ne serait bon ni pour leur image, ni pour leur solvabilité, ni pour leurs charges de gestion. Mais le faible nombre d’experts relativement à la période traversée, la complexité de certaines expertises et l’indécision de nombreux clients ralentissent, on l’a vu, naturellement les remboursements.

Les dégâts sont estimés à 920 millions d’euros pour un territoire qui verse 200 millions d’euros de primes d’assurance chaque année. Un responsable de compagnie d’assurances nous assure que, dans son cas, les indemnisations qu’il doit verser représentent 36 années de résultats nets, c’est-à-dire de bénéfices. « Dans ces conditions, même une perspective de paix civile sur dix ans n’est pas suffisante. J’ai besoin de 36 années de calme et de bénéfices pour me refaire. »

Les assurances sont des entreprises privées qui ont besoin de réaliser des bénéfices pour vivre. Elles ne sont pas subventionnées. Certes, les contrats de réassurance permettront à cette filiale d’une grande société hexagonale de se tirer de ce mauvais pas, mais in fine, « c’est la société mère qui prendra les décisions qu’elle jugera appropriées et qui tirera les conséquences de la situation ». En un mot : rester en Nouvelle-Calédonie ou cesser toute activité sur le territoire.

Prenant acte des déclarations des assureurs, les observateurs font toutefois remarquer que, dans chaque tarif d’assurance, le risque est ventilé selon des probabilités et en fonction d’un tarif. À combien était estimé le risque d’émeute ? Et combien d’années de primes étaient nécessaires pour compenser la survenue d’un tel risque ? À cette question, les assureurs répondent vingt ans. Mais y a-t-il eu un sinistre sur ce risque d’émeute au cours des vingt dernières années ? La réponse est non. Ce sont donc les cotisations des vingt années précédentes qui ont financé la casse de mai 2024, déduction faite de ce que l’État paiera. Les assureurs n’auraient donc pas tant perdu mais, devant la possibilité d’une récidive, ne souhaitent plus assurer ce risque désormais avéré.

Recommandation n° 3 : les rapporteurs souhaitent que les compagnies d'assurances rendent publiques les primes accumulées au titre du risque « émeute » sur les vingt dernières années.

5.   La remise en cause de l’assurabilité de certains territoires

Les outre-mer sont confrontés depuis quelques années à des restrictions en matière d’assurance : en Nouvelle-Calédonie, depuis les évènements de 2024, mais aussi en Martinique depuis les troubles liés à la hausse des prix, les assureurs ne garantissent plus le risque « émeutes et mouvements populaires ». Une politique assumée pour des raisons financières.

« Nous avons retiré la clause « garanties émeutes » de nos contrats car nous n’avons plus les moyens de la payer » ont entendu les rapporteurs. En effet, cette garantie n’est pas une obligation légale au sens du code des assurances. Elle était proposée depuis de nombreuses années en raison de la rareté de phénomènes de cet ordre en France, y compris dans les outre-mer. Mais les évènements survenus en Nouvelle-Calédonie et en Martinique ont conduit les sociétés de réassurance, qui ont de facto couvert les frais des émeutes, à exiger la suppression de cette clause. « Nous n’avons pas de marge de manœuvre car nous n’avons pas les moyens d’assurer l’exposition au risque d’émeute sans la réassurance » déclarent les assureurs que la mission a entendus, concluant : « nous n’avons plus les moyens de notre exposition ».

Comme solution, les assureurs proposent la création d’un fonds spécifique géré par l’État, un peu sur le modèle du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Le ministère de l’économie et des finances réfléchirait à une solution de cet ordre. Le phénomène dépasse d’ailleurs la Nouvelle-Calédonie et même les outre-mer : dans l’hexagone, depuis la crise dite « des gilets jaunes », de plus en plus de manifestations se terminent par des violences et des destructions volontaires, d’abord de mobilier urbain puis de commerces et de véhicules.

Recommandation n° 4 : les rapporteurs souhaitent que l'État apporte une réponse claire aux requêtes conservatoires déposées par les assureurs afin d'accélérer les procédures d'indemnisation et d’éviter tout retard supplémentaire dans les remboursements aux assurés néo-calédoniens.

 


III.   La poursuite des négociations

En déplacement sur l’archipel pour la troisième fois en quatre mois, le ministre d’État, ministre des outre-mer, Manuel Valls, a réuni toutes les parties prenantes pour leur proposer un projet d’accord. Malgré une méthode de travail saluée par les responsables locaux et reconnue par tous, le processus n’a pas abouti.

A.   Les propositions du ministre n’ont pas abouti

1.   Des propositions menant à la souveraineté

Le vendredi 2 mai 2025, le ministre d’État, ministre des outre-mer, a présenté oralement, lors d’une séance plénière tenue au haut-commissariat, un projet fondé sur « une souveraineté avec la France », base de négociation. L’objectif du ministre était notamment de « concilier les deux aspirations » et d’« achever le processus de décolonisation. »

Cette souveraineté, proposait le ministre, pourrait se traduire par un transfert des compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie (défense, sécurité, monnaie, justice) suivie d’une délégation immédiate de tout ou partie de ces compétences à la France, l’instauration d’une double nationalité, française de droit et néo-calédonienne, et l’établissement d’un statut international à l’issue d’un délai à déterminer.

Le document de travail fourni par les services du ministre et annexé au présent rapport évoque une « souveraineté avec la France » dans le cadre d’un « statut de type inédit […] défiant les catégories juridiques habituelles ». Il faut rappeler qu’aux termes de ces négociations engagées entre les acteurs politiques, l’éventuel accord politique serait soumis à la population néo-calédonienne conformément à l’article 53 de la Constitution française qui dispose que : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées. »

Devant les réactions mitigées de certaines formations politiques, le ministre a décidé de réunir, comme prévu initialement, à compter du lundi suivant, les responsables politiques du territoire dans une réunion fermée, dans un complexe hôtelier de Deva, sur la commune de Bourail.

2.   Le « conclave » de Deva

Organisé du lundi 5 au mercredi 7 mai à l’hôtel Sheraton de Deva, à Bourail, le « conclave », selon l’expression même du ministre des outre-mer, a permis à chaque parti de s’exprimer librement et en détail.

Les services du ministre ont distribué un « document de travail » (publié en annexe au présent rapport) précisant le projet présenté par M. Valls. Débattu pendant trois jours, ce projet n’a pas débouché sur un accord, ce qu’a regretté le ministre qui a déclaré : « Ancrée dans la Constitution française, notre proposition permettait de garder un lien structurel, solide et pérenne entre la France et la Nouvelle-Calédonie et de régler le dossier du corps électoral, la question du droit à l’autodétermination et de sortir du processus de décolonisation. »

3.   Un projet diversement apprécié

Le projet gouvernemental a reçu un accueil favorable du FLNKS, de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI), de Calédonie ensemble et de l’Éveil océanien. Pour l’ancien député Philippe Dunoyer (Calédonie ensemble), « le projet est novateur, il ne correspond pas aux canons du droit international ».

Interrogé par Nouvelle-Calédonie la Première, le rapporteur Emmanuel Tjibaou résumait ainsi la position du FLNKS : « Ce projet apportait non seulement la possibilité de répondre aux aspirations puissantes de notre mouvement visant à intégrer des éléments de souveraineté, mais permettait aussi de préserver les intérêts de nos compatriotes souhaitant rester dans la France avec le dispositif de double nationalité, le transfert partiel de compétences à la France. […] Le projet de l’État nous a donc intéressés à ce niveau […]. »

L’Éveil océanien s’est également déclaré favorable à la proposition de souveraineté partagée avec la France, mais pas dans l’immédiat : « On a toujours été clair puisque dès 2022, on avait présenté notre projet de partenariat programmé en 2053. On est donc favorable à la souveraineté avec la France, mais elle ne peut pas se mettre en place maintenant parce que ce serait ne pas respecter les résultats des trois consultations référendaires », déclare Milakulo Tukumuli, le président du parti, pour qui cette proposition permet de « concilier la volonté de maintenir un lien fort avec la République et la volonté d’émancipation et de souveraineté ».

L’Union nationale pour l’indépendance (UNI), mouvement indépendantiste kanak, considère la proposition du premier ministre comme une solution minimale. Le possible ralliement à cette solution serait vécu comme une concession faite aux loyalistes dans la mesure où le but ultime de cette formation reste la recherche de l’indépendance pleine et entière.

Hervé Tein-Taouva, responsable de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) du Nord et membre de l’Union calédonienne, a déclaré aux rapporteurs : « la proposition nous a surpris, mais on était prêt à accepter, car elle allait au-delà de nos attentes ».

Les Loyalistes et le Rassemblement, en revanche, s’y sont fermement opposés, y voyant une forme déguisée d’indépendance. « Il est difficile d’entendre Manuel Valls aller vers la pleine souveraineté alors qu’on a voté trois fois pour le maintien dans la République », indique Virginie Ruffenach, présidente du groupe Rassemblement, qui ajoute : « La voix qui n’est pas celle de l’indépendance doit aussi être entendue. Le camp perdant des référendums ne peut pas représenter la légitimité. » Pour Gil Brial, représentant des Loyalistes, « la solution doit respecter le choix des Calédoniens de rester dans la France ». Toutefois, ajoute-t-il, « comme une partie des indépendantistes veulent une indépendance associée à la France, un chemin est possible ».

Si certains aspects tels que le dégel du corps électoral ou la répartition des sièges du Congrès avaient pu faire l’objet d’un accord, d’importants problèmes de fond demeureraient pour les partisans de la France, essentiellement sur l’éventuel transfert de compétences régaliennes comme la sécurité, la justice, les affaires étrangères, la défense ou la monnaie. Au-delà du principe du transfert se posait aussi la question des moyens financiers associés à ces transferts. Ces éléments de négociation n’ont pu être traités du fait de l’absence d’accord.

La manière de garantir la pérennité du pacte censé être signé avec la France, puissance administrante, faisait aussi débat. Ces éléments n’ont pas pu trouver de réponse du fait de l’échec des discussions.

4.   Analyse d’un échec

Certains observateurs ont analysé les raisons qui ont conduit le conclave à un échec alors que des propositions novatrices étaient pourtant avancées. Si les divergences de fond sont évidemment les premières responsables de l’échec, des éléments de forme n’ont pas favorisé l’obtention d’un compromis :

– le ministre est arrivé avec un document d’orientation structuré et détaillé. Quel que soit son intérêt, ce projet pouvait difficilement être accepté tant il est important pour les Néo-Calédoniens de ne pas donner l’impression qu’ils acceptent une solution « imposée » par Paris. Selon Philippe Dunoyer, ancien député et représentant de Calédonie ensemble, pour être acceptable, le projet d’accord devra principalement résulter des échanges entre les parties néo-calédoniennes, et Paris devra se limiter à un rôle de facilitateur ;

– le ministre avait réuni une vingtaine de personnes autour de la table, ce qui, selon plusieurs avis convergents, semble beaucoup, et probablement trop pour que des décisions difficiles puissent être prises ;

– dans un premier temps, le ministre a indiqué aux participants qu’il souhaitait leur demander de laisser leurs téléphones portables à l’entrée de la salle de négociation pour ne pas être distraits par les nouvelles venues de l’extérieur. Mais, finalement, il ne l’a pas demandé expressément. Résultat : « on n’a pas pris la peine de s’écouter les uns les autres » regrette un participant, chacun pianotant sur son appareil pendant que les autres s’exprimaient.

Certains observateurs regrettent enfin que le ministre ait décidé de rentrer à Paris le 8 mai, estimant qu’il est parti trop tôt et qu’une journée ou deux de plus auraient peut-être permis d’aboutir à un accord. « Si la négociation avait duré un jour de plus, on aurait pu avancer », ont entendu les rapporteurs. Au premier abord, cet argument semble facile, car il fait reposer la responsabilité de l’échec sur le ministre, alors que les parties, opposées pendant trois jours, seraient soudain tombées d’accord le quatrième jour. Difficile donc d’adhérer pleinement à cette thèse. Pourtant, certains observateurs comme Pascal Vittori, président de l’association des maires loyalistes, font remarquer que la palabre est essentielle dans la culture kanak, et que patienter quelques jours de plus n’aurait peut-être pas été inutile.

D’autres encore, sous couvert de boutade, considèrent que « ce n’était pas Valls qu’il fallait inviter mais un psychanalyste, tellement les plaies sont profondes. Et un conclave de trois jours ne pouvait pas aboutir : il faudrait au moins un mois ».

Au bilan, chacun regrette l’absence de résultat puisque la volonté de négocier était présente. « Manuel Valls, le ministre, et Éric Thiers, le conseiller du premier ministre, ont fait un gros travail d’écoute » a confirmé un participant. Et d’ajouter : « le ministre a raison de penser que, sur certains points, on pourrait trouver un équilibre ». C’était la première fois depuis cinq ans qu’une réunion tripartite (loyalistes, indépendantistes et État) était organisée. Jusqu’à présent, les échanges avaient surtout été bilatéraux.

B.   La proposition des loyalistes

1.   Le refus du concept d’indépendance-association

Le concept d’« indépendance-association » est une idée qui mérite d’être examinée nous a assuré Patrick Robelin, le maire de Bourail dont la position semble peut-être isolée. Mais les termes sont jugés provocateurs par certains loyalistes qui arguent avoir remporté les trois référendums contre l’indépendance et, par conséquent, ne veulent plus emprunter ce champ lexical.

Si elle reconnaît le travail d’écoute du ministre des outre-mer, la présidente Sonia Backès regrette que ce dernier, lors des réunions finales, soit arrivé « avec un projet ficelé ne répondant pas à nos attentes ni aux résultats des référendums ». Le ministre est allé au-delà des espérances des indépendantistes et aurait compromis la poursuite des négociations dans la mesure où « les indépendantistes ont déclaré que leur nouveau socle de négociation, désormais c’était les propositions de M. Valls et qu’ils n’iraient pas en deçà ». Pour elle, « le projet de Manuel Valls ne pourra pas être mis en œuvre car il est contraire au résultat des trois référendums ».

Pour Sonia Backès, les termes de « complétude de souveraineté », employés par le ministre des outre-mer, sous-entendent de manière claire l’accession de la Nouvelle-Calédonie à « une pleine souveraineté ». Le territoire pourrait certes décider de déléguer certaines compétences à la France mais, selon elle, « la terre ne serait plus française ». Et le projet d’accession à l’ONU et d’octroi de passeports confirme bien qu’il s’agit, toujours selon Mme Backès, « d’un projet d’indépendance », en contradiction avec la volonté populaire exprimée lors des référendums. « Accéder à l’ONU et émettre des passeports, en droit international, cela s’appelle l’indépendance. »

Il y a, pour les Loyalistes, une ligne rouge à ne pas franchir : « Cette terre doit rester française » comme le répète la présidente de la province Sud, « dans l’intérêt du respect de la démocratie. Cela joue dans les deux sens ; sinon, cela se retournera un jour contre les indépendantistes. »

2.   Un projet de fédération interne à la Nouvelle-Calédonie

Sonia Backès, Virginie Ruffenach et leurs collègues loyalistes en désaccord avec les propositions du ministre des outre-mer ont présenté, lors du conclave de Deva, une proposition basée sur une nouvelle organisation territoriale avec trois provinces aux compétences élargies.

Cette proposition est évoquée de manière essentiellement orale, bien qu’un document qui aurait été présenté au conclave semble avoir circulé sur les réseaux sociaux. Mais personne n’a été en mesure de le fournir aux rapporteurs ni à la presse.

Ce projet prévoirait que chaque région décide elle-même de son lien, plus ou moins étroit, avec la République française.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou précise que la proposition présentée par les loyalistes prévoit que deux communes de la côte Est, Thio et Yaté, majoritairement peuplées de Kanak, soient détachées de la province Sud au profit de la province des Îles Loyauté.

Dans ce projet, les provinces bénéficieraient de compétences très larges en matière fiscale, mais un mécanisme de solidarité, essentiellement au profit des provinces Nord et des îles, serait néanmoins mis en place, selon une clé de répartition restant à définir.

Ce projet n’a pas convaincu le ministre des outre-mer, qui a considéré qu’il mettait en cause « l’unité et l’indivisibilité de la Nouvelle-Calédonie, protégées par l’accord de Nouméa et notre Constitution ». Les loyalistes considèrent, pour leur part, que ce projet permettrait l’unité et l’indivisibilité de la Nouvelle-Calédonie et de la France.

Virginie Ruffenach défend ce projet qui aboutirait à la juxtaposition de deux provinces indépendantistes et d’une qui ne le serait pas. « On peut créer un pays fédéral. On ne veut pas la mort du Nord et des îles, ce qui a pourtant été dit, malheureusement, par Manuel Valls. On veut un développement différencié. » Gil Brial, pour les Loyalistes, précise : « Nous voulons rester au sein de la République avec une large autonomie, mais sans siège à l’ONU. » En effet, toujours selon le vice-président de la Province Sud, un siège à l’ONU conférerait automatique le statut d’État indépendant à la Nouvelle-Calédonie.

Virginie Ruffenach regrette que la proposition ait été caricaturée et que le ministre ait refusé d’en tenir compte au motif que, si elle était évoquée, les indépendantistes refuseraient de participer aux négociations. « La négociation a été biaisée » estime-t-elle. « Au final, pendant deux jours, les indépendantistes ont assisté à une lutte entre les loyalistes et le ministre Valls » regrette-t-elle, « alors que le fédéralisme existe en Micronésie, un territoire qui ne compte que 112 000 habitants », soit 2,5 fois moins que la Nouvelle-Calédonie.

Virginie Ruffenach pointe aussi la surreprésentation des provinces indépendantistes Nord et des îles Loyauté, qui aboutit à ce que les indépendantistes se retrouvent majoritaires au Congrès alors que « le peuple, malgré un corps électoral restreint, a voté par trois fois contre l’indépendance ».

C.   La proposition des indépendantistes

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou indique que les indépendantistes se sont présentés à la table des discussions avec l’objectif clair d’achever le processus de décolonisation et de déterminer l’aboutissement de la trajectoire vers la pleine souveraineté. L’Union nationale pour l’indépendance (UNI), fidèle à son projet d’« État associé », a réaffirmé sa volonté de défendre une vision d’une souveraineté partagée avec la France.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou souligne que le FLNKS, de son côté, à l’issue de longues heures de discussions nourries par des ateliers techniques alternant bilatérales et séances plénières, a accepté de progresser sur la voie d’un projet d’État associé, comme étape intermédiaire avant l’accession à la pleine souveraineté, tout en intégrant davantage les deux aspirations en présence : celle des partisans de l’indépendance et celle de ceux qui souhaitent maintenir un lien fort avec la France.

Pour le rapporteur Emmanuel Tjibaou, le projet d’État présenté à Déva tente ainsi de répondre aux attentes de chacun. Il ne s’agit en aucun cas d’une victoire d’un camp sur l’autre, ni d’un triomphe idéologique, mais bien d’une volonté commune de construire un avenir partagé, rassemblant tous les Calédoniens.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou souligne qu’il est indispensable d’avoir des interlocuteurs solides pour mener une telle négociation. Il juge cependant inconcevable qu’un accord déterminant le statut définitif du territoire puisse faire l’objet, en seulement trois jours, de la présentation de trois projets différents, qui ne portent par ailleurs aucune véritable vision de pays. Il rappelle toutefois que le statut actuel produit déjà des effets comparables à ceux d’un État fédéré.

D.   La suite du processus

1.   Les conséquences immédiates de l’absence d’accord

L’échec de Deva, conjugué à l’approche des élections provinciales, semble avoir cristallisé les positions des formations politiques. Alors que des choix courageux doivent être faits, le budget de la Nouvelle-Calédonie a été adopté de justesse, uniquement grâce à la voix prépondérante de la présidente du Congrès.

La seconde tranche du prêt de l’Agence française de développement (AFD) pour 2025 ne sera peut-être pas versée. Ce versement était en effet conditionné, par le ministère de l’économie, à l’adoption d’un accord et à la mise en œuvre d’un plan de réformes censé être adopté, dans un premier temps avant le 31 mai, puis repoussé au 30 juin et qui pourrait encore être reporté. Ni l’un ni l’autre n’ayant été réalisé, le comité de direction de l’AFD va-t-il procéder au second versement de 120 milliards de francs Pacifique attendu ?

Notant le caractère singulier de la procédure consistant à proposer une aide en contrepartie de réformes plus ou moins imposées, les rapporteurs constatent que Bercy, tel un Fonds monétaire international (FMI) régional, demande d’appliquer des recettes qu’il est lui-même incapable de mettre en œuvre à l’échelle de la France hexagonale.

Par ailleurs, le versement des indemnités chômage des personnels licenciés suite à l’arrêt de l’usine du Nord doit s’arrêter à la fin du mois de juin. Quelles en seront les répercussions sur les familles concernées ? « J’ai peur d’une crise de la faim », avoue la présidente du Congrès, Veylma Falaeo : « dans le quartier où j’habite, les gens volent de la nourriture ».

La caisse locale d’assurance retraite est également en grande difficulté. Elle n’aura plus de quoi payer les retraites à partir du mois de février 2026. Plusieurs organismes et entreprises n’ont pas versé leurs cotisations, les émeutes ayant nettement accentué leurs difficultés financières. Une aide de l’État a permis à la caisse de surmonter 2024 et, probablement, de procéder aux versements en 2025. Mais aucune solution n’existe pour 2026 et les années suivantes. L'intersyndicale rappelle que « la Cafat, c’est 42 000 retraités. Et il ne faut pas oublier que presque 70 % de ces retraités touchent moins de 120 000 francs [1 000 euros] par mois. Si la caisse périclite, c'est une catastrophe sociale qui pointe son nez ».

2.   La classe politique néo-calédonienne est-elle discréditée ?

La population, les acteurs économiques, les chefs d’entreprise, personne n’est satisfait de l’absence d’accord. Et certains ajoutent « quel que soit l’accord ». Selon Philippe Dunoyer, ancien député et responsable de Calédonie ensemble, « certains, même nonindépendantistes, seraient prêts à aller très loin pour avoir un horizon dégagé ».

L’absence de résultat, même partiel, à l’issue du conclave de Deva rejaillit sur la classe politique et aucun parti n’est épargné. La population remarque surtout que « les responsables politiques ont passé trois jours dans l’un des meilleurs palaces de l’archipel sans aboutir à aucun résultat », ce qui discrédite l’ensemble de la classe politique.

Certains sujets, pour lesquels un accord était envisageable, comme le dégel, au moins partiel du corps électoral, « n’ont même pas été abordés » au cours du conclave, regrette un participant.

Les chefs coutumiers de Drehu, sur l’île de Lifou, ont confirmé ce discrédit de la classe politique : « nous sommes en colère contre les politiques qui n’arrivent pas à s’entendre ». La présidente du Congrès, Veylma Falaeo, reconnaît également qu’il existe « un fossé entre ce que perçoit la population et le travail des élus ».

Pour Florence Rolland, maire de La Foa, il y a un vrai désamour du politique, même dans les zones rurales : « tous pourris » entend-on de plus en plus, d’autant que les élus ont conservé leurs indemnités quand beaucoup d’administrés ont perdu leur salaire à la suite des nombreuses fermetures d’entreprises.

3.   Pourtant, il existe une volonté de continuer à se parler

Des points de convergences ont néanmoins été identifiés sans pour autant avoir été acceptés unanimement, tels que le renforcement de l’exercice de la compétence en matière de relations internationales, le possible partage de la sécurité, l’accroissement du pouvoir fiscal des provinces et des communes ou encore la capacité d’auto-organisation de la Nouvelle-Calédonie consacrée par une loi fondamentale.

Certains partenaires ont accepté de poursuivre les travaux au sein d’un comité de suivi. « Ainsi, les avancées constatées ne seront pas perdues », souligne le ministre des outre-mer. D’ailleurs, « une mission interministérielle sous l’autorité du premier ministre sera placée à mes côtés pour coordonner l’ensemble de l’action de l’État pour la Nouvelle-Calédonie », a précisé Manuel Valls.

« Je ne suis pas indépendantiste mais je veux travailler avec les Kanak pour préparer l’avenir du territoire » assure Patrick Robelin, le maire de Bourail.

Saluant la position de certains loyalistes qui souhaitent continuer à discuter avec les indépendantistes, Hervé Tein‑Taouva, responsable de la CCAT Nord, « ne veut pas couper les ponts ». « Il ne faut pas lâcher la poignée de main », affirme-t-il. Le FLNKS reconnaît « une responsabilité partagée sur l’absence d’accord. […] Il n’y a pas eu d’accord mais il y a eu une perspective à Deva. Il faut capitaliser sur le travail du ministre Valls, nous gardons l’espoir. » « La porte n’est jamais fermée et le dialogue se poursuit », concluent les cadres du FLNKS.

« Deva est un échec, mais pas total », estime un responsable de l’Éveil océanien. « Il nous faut donc continuer à chercher un compromis car l’étau se resserre », ajoute-t-il. « Nous avons tous intérêt à continuer à discuter malgré l’échec du conclave de Deva », acquiesce un responsable de la formation Les Loyalistes.

Selon un responsable politique des Loyalistes, « au bout de trois jours, les positions avaient complètement bougé, notamment sur les lignes les plus dures. L’effort pour nous était surhumain, mais regardez la dynamique des concessions faites. Si la possibilité de discuter existe encore, il ne faut pas la fermer ». Virginie Ruffenach, responsable du groupe Rassemblement au Congrès, confirme : « Un travail sérieux a été fait par M. Valls. Tout le monde était autour de la table. […] Bien sûr, il y avait des désaccords, mais il y avait moyen de discuter. […] On veut continuer à discuter. »

4.   Avec ou sans dégel, faut-il aller aux élections provinciales ?

Le haut-commissaire de la République l’a confirmé : avec ou sans accord global, les élections provinciales seront organisées fin novembre 2025. Les analyses juridiques du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel ne permettent plus un nouveau report. Selon le représentant de l’État, un accord sur le dégel du corps électoral, s’il intervenait avant le mois de juillet, permettrait de prendre en compte les modifications apportées au corps électoral avant l’échéance du 30 novembre. Mais ce dégel est peu vraisemblable en dehors d’un accord global.

De l’avis des rapporteurs, un accord qui surviendrait en septembre pourrait encore matériellement être pris en compte, puisque les services administratifs demandent deux mois pour mettre à jour les listes en cas de modification du corps électoral. Mais les postures politiques qui seront adoptées par les deux camps à l’approche de l’échéance électorale rendent peu probable l’obtention d’un accord dans la dernière ligne droite s’il n’a pas été atteint avant.

Comme le dit la présidente du Congrès Veylma Falaeo : « Il va maintenant falloir aller voter. Les gens sont fatigués de ces reports. Ils veulent s’exprimer pour éventuellement changer leurs élus et sanctionner ceux qui n’arrivent pas à aboutir à un accord. » Un autre cadre de l’Éveil océanien ajoute : « Les élections contribueront à canaliser la colère des gens. La participation pourrait être record car ce scrutin ressemblera à un référendum supplémentaire. »

Virginie Ruffenach préférerait un accord sur le corps électoral de manière à sécuriser juridiquement les élections. « Ensuite, il faudra entrer dans de nouvelles négociations avec des élus relégitimés » par le suffrage universel.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou a clairement présenté la position du FLNKS aux journalistes des Nouvelles calédoniennes : « Pour nous, c’est très clair : s’il n’y a pas d’accord, nous sommes prêts à aller aux provinciales. On s’est fixé la date de fin juin-début juillet, ce qui correspond à ce qu’a validé le Conseil d’État. Mais on ne se lancera pas dans les provinciales tant que nous sommes engagés dans les discussions sur un accord. On ne va pas courir deux lièvres à la fois. Si on entame la campagne des provinciales, cela signifierait que nous abandonnons la recherche d’un accord, ce n’est pas notre position. […] Ce que je défends, c’est un accord politique à l’intérieur duquel la question du corps électoral est traitée. »

Sur ce point, le rapporteur Nicolas Metzdorf souligne être sur la même ligne politique que son collègue Emmanuel Tjibaou.


IV.   Éléments d’analyse sur les symptômes de la crise

La situation de la Nouvelle-Calédonie est paradoxale : chacun admet qu’il faudra continuer à vivre ensemble. Pour autant, le risque d’embrasement est permanent au sein d’une population meurtrie et épuisée. Des efforts devront être consentis par chacun, notamment pour réduire les inégalités, tandis que les politiques locaux devront trouver un accord pour sécuriser et stabiliser l’économie du pays.

  1.   Une société marquée par de fortes inégalités

1.   Des inégalités en matière d’emploi, de logement, d’études

Comme l’ont expliqué Samuel Gorohouna, professeur d’économie à l’université de la Nouvelle-Calédonie et responsable du campus de Baco – en province Nord –, et Catherine Ris, professeure d’économie et présidente de l’université de la Nouvelle-Calédonie, dans une étude réalisée en 2016 :

« La société calédonienne est marquée par de fortes inégalités, qu’elles soient d’origine sociale, géographique ou ethnique avec un marché du travail possédant les mêmes caractéristiques que les outre-mer en général et bien différentes de la métropole.

« […] L’une des premières raisons est tout simplement les différences territoriales très marquées avec une province des Îles et une province Nord, comptant essentiellement une majorité de Kanak et moins riches, bénéficiant d’infrastructure moins développées. En 2008, le revenu médian en province Sud était deux fois supérieur à celui de la province Nord et deux fois et demie supérieur à celui de la province des Îles. Le taux de pauvreté atteint les 52 % dans les Îles Loyauté contre 9 % en province Sud. Ce qui explique une diaspora loyaltienne très présente dans Nouméa et le grand Nouméa.

« L’accès à l’emploi relevait énormément des caractéristiques individuelles des personnes et de leur effet sur le marché de l’emploi : localisation géographique, origine ethnique et surtout formation. Quelques chiffres pour illustrer le propos. En 2014 le taux d’emploi était le suivant :

«  65 % en province Sud ;

«  52 % en province Nord ;

«  40 % dans la province des îles Loyauté.

« Au niveau de la Nouvelle-Calédonie, ce taux est de 70 % parmi les non-Kanak et de 49 % parmi les Kanak… ».

L’inégalité se fait également sentir au sein même des personnes en emploi : en 2010 un emploi sur cinq était à bas salaire (soit les deux tiers du salaire médian de 136 000 francs Pacifique, soit 1 136 euros, aujourd’hui passé à 152 000 francs Pacifique, soit 1 270 euros). La persistance de ces inégalités est également la résultante d’un accès au diplôme plus ou moins favorable selon l’origine géographique de chaque personne, et implicitement selon son origine ethnique, puisque le transport devient finalement un facteur déterminant de réussite.

Les études sur les inégalités en matière d’accès au diplôme, au logement et à l’emploi sont nombreuses. ([26])

2.   Améliorer l’enseignement pour restaurer l’ascenseur social

En matière d’emploi, le professeur Samuel Gorohouna explique que les inégalités se jouent dès l’école primaire.

Les autorités politiques doivent mettre en place des politiques publiques qui gomment les inégalités sociales pour donner les mêmes chances à tous. « Les classes doivent être plus petites, il faut mettre en place une vraie aide aux devoirs, multiplier les internats d’excellence… Cela aura un coût mais il faut le faire pour donner les mêmes chances à tous. »

Des politiques de rééquilibrage ont pourtant été mises en œuvre : le dispositif « 400 Cadres », lancé à la suite des accords de 1988, avait pour objectif de former 400 cadres kanak sur dix ans. L’accord de 1998 a transformé ce dispositif en « Cadre Avenir », financé à 90 % par la République française et à 10 % par la collectivité de Nouvelle-Calédonie. Mais ces dispositifs, qui ont rapidement été ouverts à toutes les communautés, n’ont pas complètement atteint leurs objectifs.

Un rattrapage a été mis en place jusqu’au baccalauréat pour les Kanak et les Wallisiens, mais il est insatisfaisant. « Et de quel bac parle-t-on ? Les Kanak sont majoritairement orientés vers des bacs technologiques ou professionnels quand les Calédoniens d’ascendance européenne sont majoritairement amenés vers le bac général. Il en résulte que si le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur augmente dans toutes les catégories de la population, les inégalités demeurent. »

Ainsi, en 1989, 1 % des Kanak et 6 % des non-Kanak étaient diplômés de l’enseignement supérieur ; en 2014, 5 % des Kanak et 26 % des non-Kanak étaient diplômés de l’enseignement supérieur. Les chiffres actuels n’ont pas pu être fournis à la mission d’information, mais tout laisse à penser que l’écart entre les deux populations ne s’est pas sensiblement réduit. Sur les 200 étudiants qui, en vingt ans, ont suivi des études de médecine et sont devenus médecins, moins de 10 étaient Kanak, alors que les autres étaient tous d’ascendance européenne.

3.   Une jeunesse en crise

Les violences de 2024 ont mis en lumière la détresse d’une partie de la jeunesse néo-calédonienne.

Mais cette réalité dépasse largement les seules communautés kanak. Dans tous les milieux, y compris dans les quartiers populaires de Nouméa ou les zones périurbaines, des jeunes expriment un sentiment de déclassement, de défiance envers les institutions, et parfois un basculement dans la violence.

Réduire cette fracture à une lecture exclusivement identitaire serait une erreur.

Il s’agit d’un malaise plus profond, nourri par l’absence de perspectives, la dépendance à l’économie publique et les carences des politiques locales, y compris éducatives.

Pour autant, les rapporteurs ont aussi relevé des éléments positifs : le président du conseil coutumier Hoot ma Whaap, que la délégation a rencontré à Koné, Albert Wahoulo, a évoqué avec une fierté légitime ses deux fils engagés dans l’armée française. Évoquant le rôle de l’armée en Nouvelle-Calédonie, il a salué le rôle du service militaire adapté (SMA) ([27]), une unité qui ramène dans le système éducatif un grand nombre d’enfants désorientés.

Recommandation n° 5 : repenser la réinsertion des jeunes en situation d’échec avec notamment des dispositifs tels que le SMA.

4.   L’école, la formation et l’emploi

La mission a constaté les limites structurelles de l’enseignement sur l’ensemble du pays. Trop souvent, les réponses éducatives relèvent d’un traitement social du décrochage, sans exigence réelle de résultats.

Les émeutes de 2024 ont notamment eu un lourd impact sur les écoles, collèges et lycées de Nouméa et de sa périphérie qui pour nombreux d’entre eux ont été pris pour cibles par les émeutiers, devenant ainsi le théâtre d’incendies, de pillages et de dégradations. À Païta et à Nouméa, une école et un lycée professionnel ont été ravagés par les flammes, forçant les services municipaux à relocaliser les élèves dans d’autres établissements scolaires de la commune. Les exactions contre les écoles néo-calédoniennes se poursuivent encore à l’heure où sont écrites ces lignes, où une école située à Saint-Louis a été brûlée pour la troisième fois en quelques mois.

La République doit garantir un accès équitable à l’éducation, mais aussi prendre en compte les réalités locales, exiger des efforts. L’apprentissage, les formations professionnelles, les filières d’excellence doivent être mieux valorisées. Pour le rapporteur Nicolas Metzdorf, l’insertion des jeunes ne peut se limiter à des dispositifs subventionnés qui envoient les jeunes Néo-Calédoniens dans l’hexagone pour ne plus les revoir.

Le modèle éducatif néo-calédonien est à requestionner après la séquence critique du 13 mai 2024 où une partie de la jeunesse s’est retrouvée dans la rue.

Recommandation n° 6 : les rapporteurs souhaitent que, pour une fois, les outre-mer, et en particulier la Nouvelle-Calédonie, occupent une place centrale dans les états-généraux de la réinsertion lancés le 24 juin 2025 par le garde des sceaux, ministre de la justice, Gérald Darmanin.

5.   La coutume comme valeur refuge

La mission d’information a constaté lors de ses rencontres avec les acteurs de la coutume à Koné (province Nord), à Lifou (province des îles Loyauté), au Sénat coutumier (Nouméa), le rôle clé des autorités coutumières dans la société kanak. La période de crise a mis en avant le rôle de médiation et de solidarité joué par les coutumiers notamment dans les quartiers impactés par les violences.

Il faut relever toutefois que si la reconnaissance du fait coutumier est une composante importante du pacte social néo-calédonien, elle doit faire aussi l’objet de critiques. Perçu comme « opaque » voire « non démocratique », le fonctionnement de la coutume est remis en cause par une partie de la jeunesse océanienne autant que par certains Néo-Calédoniens eux-mêmes pour des motifs différents.

Le respect des cultures millénaires océaniennes, posé en enjeu sociétal de l’accord de Nouméa, met aussi en tension le cadre normatif néo-calédonien sur plusieurs plans : accès au foncier coutumier, principe des libertés individuelles, émancipation de la femme…

La valeur refuge de la coutume, si elle prend tout son sens dans le monde océanien, se nourrit aussi des frottements avec les autres cultures autant que de l’apport du cadre juridique actuel qui permet l’émergence d’une jurisprudence nouvelle.

  1.   des points de convergence

Un accord est indispensable pour sortir l’archipel de la paralysie actuelle. En effet, l’éventuelle annulation du scrutin de novembre conduirait la Nouvelle-Calédonie sur une route périlleuse.

1.   Un espoir d’entente sur quelques points précis

Selon certains participants au conclave de Deva, il existe plusieurs points de convergence qui auraient pu faire l’objet d’un accord a minima dont la signature était envisagée le dernier soir ; mais « un malentendu » aurait fait, selon certains observateurs, déraper les débats.

Les points d’accord possibles sont les suivants :

– la modification du nom et de la composition du Congrès ;

– la capacité d’auto-organisation du territoire ;

– le transfert de certaines compétences régaliennes, mais pas de toutes ;

– un dégel partiel du corps électoral.

Pour Virginie Ruffenach (Rassemblement), « il faut continuer la négociation sur le sujet de la Loi fondamentale qui prévoit que le statut de la Nouvelle-Calédonie n’est plus décidé à Paris mais par le Congrès. On est prêts à négocier sur ce sujet, acceptable pour nous ».

Sur la question du corps électoral, de l’avis général, un effort pédagogique est à faire, car le projet semble avoir été mal compris par trop de personnes. Un accord, même minimal est envisageable sur les personnes nées en Nouvelle‑Calédonie. En revanche, un désaccord continue à exister sur les conjoints d’électeurs et sur les petits-enfants ainsi que sur le caractère « glissant » ou pas du critère de résidence ainsi que sur sa durée.

L’Éveil océanien est prêt à accepter l’idée d’« État associé » ou d’« État fédéré », mais cette formation comprend bien que ces concepts ne font pas consensus. Aussi, ses dirigeants proposent qu’un accord intervienne sur le « plus petit dénominateur commun », à savoir un « ajustement » (terme préféré au mot « dégel ») du corps électoral dans le cadre d’une poursuite provisoire de l’accord de Nouméa.

Gil Brial, représentant la formation Les Loyalistes, estime que des « solutions techniques » sont possibles pour le corps électoral « même si on ne le dégèle pas complètement. Cela permettrait des élections sereines ».

Moins optimiste, Sonia Backès fait remarquer que le gouvernement a indiqué qu’en l’absence d’accord, les élections seraient organisées avec un corps électoral gelé. « Dans ces conditions, une partie des indépendantistes n’a aucune raison de rechercher un accord puisque le corps électoral reste celui qu’ils souhaitent. »

Nombre de participants considèrent que les points de convergences évoqués ne peuvent faire que partie intégrante d’un accord global.

Les rapporteurs rappellent que l’absence d’évolution du corps électoral est susceptible d’aboutir à l’annulation des élections provinciales, en cas de recours. En effet, le Conseil d’État, a indiqué dans un de ses avis antérieurs (cf. supra) qu’« une correction, à mesure que le temps réduira le corps électoral, s’avérera inéluctablement nécessaire ». Or, 20 % de la population, une proportion énorme, soit environ 40 000 personnes, est maintenant privée de droit de vote sur l’archipel, et cette proportion ne fait qu’augmenter puisque le corps électoral est figé, « en voie d’extinction » selon les termes mêmes du Conseil d’État. Le Conseil d’État jugera-t-il le moment « inéluctablement » venu de procéder à cette correction ou considérera-t-il la situation comme encore acceptable ? La réponse ne va pas de soi. Une censure par le Conseil constitutionnel, récemment saisi d’une QPC (cf. supra) pourrait également remettre en cause le résultat des élections voire le principe même de leur tenue.

En cas d’annulation des élections provinciales, il serait mis fin aux mandats des membres du Congrès et des assemblées de province ; la charge de la gestion du territoire reposerait provisoirement sur les services du haut-commissaire, chargé de contrôler et d’approuver – ou pas – les décisions du président de l’Assemblée qui ne serait plus chargé que d’expédier les affaires courantes ([28]). De nouvelles élections, censées être organisées dans un délai de deux mois ([29]), ne pourraient se tenir qu’après… un dégel du corps électoral exigé cette fois non plus par le pouvoir politique mais par le juge.

Recommandation n° 7 : encourager et faciliter la poursuite des négociations ayant pour objectif de trouver un accord global.

2.   La nécessité de créer un comité de suivi

Les maires rencontrés à Moindou ont regretté l’absence de tout comité de suivi de l’accord de Nouméa, même si celui-ci est fini. Sous un autre nom, avec un autre habillage, il leur semble nécessaire de créer une instance de discussion permanente « pour obliger les parties à se parler et éviter les malentendus » a insisté Pascal Vittori, le maire de Boulouparis.

L’idée d’un comité de suivi, également proposée par le ministre lors des entretiens, a aussi été évoquée par l’UNI ainsi que par des responsables politiques loyalistes, même si certains ont ajouté : « uniquement avec des responsables locaux et sans le ministre, qui ne fait pas l’unanimité ».

Si ce dernier argument peut être entendu, le FLNKS rappelle toutefois que la responsabilité de la décolonisation repose sur l’État. La présence de l’État apparaît donc comme indispensable à la table des discussions.

La présence de l’État est également indispensable pour les loyalistes.

Recommandation n° 8 : créer une instance permanente de suivi dans laquelle les différentes parties prenantes, y compris l’État, se rencontreraient de manière régulière afin de dessiner l’avancement des thématiques économiques et institutionnelles.

3.   Simplifier le « millefeuille administratif » et renforcer les mairies

Tous les observateurs s’accordent à penser que le « millefeuille administratif », déjà décrié dans l’hexagone, atteint des summums de complexité en Nouvelle-Calédonie : un gouvernement central adossé à un Congrès, trois provinces et 33 communes. Beaucoup de compétences sont partagées entre les différentes instances, tel l’enseignement. Ainsi, il existe une commune, Poya, dont le territoire est partagé entre la province Nord et la province Sud, ce qui multiplie par deux ses démarches administratives.

De la même manière, la Nouvelle-Calédonie compte trois codes miniers et trois codes de l’environnement différents, un par province. Pour les dispositions antérieures à la provincialisation, c’est encore un autre code qui s’applique : celui des dispositions nationales françaises alors en vigueur.

De plus, certaines compétences sont exercées par plusieurs institutions, complexifiant ainsi à la fois la prise de décision et la qualité du service procuré aux administrés. Par exemple, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dispose d’une direction de l’agriculture, de même pour les trois provinces, auxquelles il faut rajouter des agences de coordination à chaque niveau.

La plupart des personnes rencontrées, au premier rang desquelles les maires bien sûr, considèrent que les pouvoirs des communes devraient être renforcés. Ce sont les collectivités qui se retrouvent en première ligne lorsque surviennent des crises sociales. Or, elles ne disposent pas de fiscalité propre et dépendent du bon vouloir du gouvernement et des provinces.

Les maires des communes indépendantistes et ceux des communes loyalistes sont d’accord sur le fait que les compétences des municipalités doivent être élargies, au moins sur le plan fiscal et sur le plan économique. Les rapporteurs ne peuvent que souscrire à cette demande de bon sens qui s’inscrit dans le cadre d’une plus grande décentralisation des pouvoirs vers les collectivités de premier rang.

Recommandation n° 9 : simplifier l’organisation administrative de la Nouvelle-Calédonie et renforcer les pouvoirs des communes, notamment en matière de fiscalité et d’économie.

  1.   Le risque d’un nouvel embrasement est réel

Personne ne veut officiellement le retour de la violence. L’immense majorité de la population, quelle que soit son origine, est pacifique. Pour autant, le risque de nouveaux troubles est réel tant les plaies sont vives et certaines positions irréconciliables.

1.   Une partie de la population est radicalisée

Les rapporteurs ont été mis en garde à de nombreuses reprises, en particulier par des indépendantistes : « Nous assumons la mise en place de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), outil politique, car il n’y avait plus d’autre solution. Nous n’étions pas entendus. On a donc été obligés de couper les routes pour se faire entendre. Mais je ne me sens pas responsable de la situation du territoire. »

Hervé Tein‑Taouva, responsable de la CCAT Nord, met les rapporteurs en garde : « Rouvrir le corps électoral pour les prochaines élections, ce n’est pas bon du tout. Si on doit revenir sur les routes, on reviendra. » « La CCAT est prête à se remobiliser. » « Nous sommes un petit peuple prêt à mourir, car il s’agit de notre avenir. […] Sur les quatorze morts de 2024, la majorité sont des Kanak. […] Il y a beaucoup de rancœur, certains attendent l’heure. Actuellement, nous sommes dans le flou. C’est un vrai danger. »

Un membre du Sénat coutumier averti également : « À la prochaine insurrection, les jeunes seront armés. […] On est en attente. On ne sait pas ce qui va arriver, cela peut éclater à tout moment. »

Le président de l’association des maires indépendantistes, Florentin Dedane, est sur la même ligne : « Il ne faut pas toucher au corps électoral, sinon un nouveau 13 mai peut arriver. » Un membre de l’Éveil océanien dit la même chose : « Tu touches au corps électoral : tu es mort. »

Mais du côté loyaliste, une certaine radicalité peut aussi être observée : « Dans la brousse, ils ont le sang chaud, ils sortent facilement le fusil » redoute Florence Rolland, la maire de La Foa.

2.   La question du « peuple premier »

La reconnaissance officielle de la qualification de « peuple premier » pour désigner la population kanak ajoute de la tension chez certains Néo-Calédoniens d’ascendance européenne, d’origine wallisienne, futunienne ou autre, qui préfèrent mettre en avant l’égalité entre tous les Français, inscrite dans la devise de la République.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou tient à rappeler ce qu’est un « peuple premier » tel que défini par le Haut-commissariat aux droits de l’homme ([30]) :

« Les peuples autochtones ou aborigènes sont ainsi dénommés car ils vivaient sur leurs terres avant que des colons venus d'ailleurs ne s'y installent. Ils sont - selon une définition - les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l'époque où des groupes de population de cultures ou d’origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l'occupation, la colonisation ou d'autres moyens. »

De leur côté, les responsables loyalistes, considèrent que la notion de peuple premier est une notion qui fait reléguer au second plan les autres communautés de Nouvelle-Calédonie et qui peut rappeler des principes hérités des heures sombres de notre histoire.

Le rapporteur Nicolas Metzdorf rappelle, pour sa part, que, contrairement à ce que beaucoup affirment (à l’image du ministre d’État au Mont-Dore), il n’y a aucune mention des mots « peuple premier » ni dans le titre XIII de la Constitution française, ni dans les accords de Matignon et de Nouméa. Dans l’accord de Nouméa, il est sujet de « peuple d’origine ». La Constitution mentionne « les populations de Nouvelle-Calédonie ». Du côté du droit international et de l’ONU, il a toujours été question de « peuples autochtones ou aborigènes » (cf. supra). Ainsi, pour les loyalistes, l’usage de la notion de « peuple premier » n’a aucun fondement juridique.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou souligne que le manque de fondement juridique n’enlève en rien une réalité qui s’impose à tout autochtone indigène qui bénéficie d’une continuité historique avec son tertre d’origine. Pour le peuple kanak, les historiens font état d’une histoire vieille de 3 000 ans avec la Nouvelle-Calédonie.

3.   Une population épuisée et traumatisée

L’hebdomadaire local Demain en Nouvelle-Calédonie adopte, lui aussi, un ton alarmiste : « La société néo-calédonienne est sortie très affectée des affrontements de 2024. La résurgence de certaines formes de racisme est venue alourdir un contexte déjà fragilisé par l’absence d’accord institutionnel. Un terrible amalgame, si facile ou attendu par certains, casse les relations ; “les Blancs” sont de la milice et “les Kanak” des délinquants. La population est fracturée. »

Les rapporteurs ont entendu des témoignages particulièrement poignants de la part d’associations telles que celle des Montdoriens ou des Voisins vigilants : les violences de 2024 ont laissé des traces profondes et durables, et pas seulement sur les bâtiments brûlés : « émotionnellement, nous sommes tous à bout de forces », ont entendu les rapporteurs.

Beaucoup étaient simplement satisfaits de pouvoir parler à Emmanuel Tjibaou qu’ils n’avaient jamais rencontré, bien qu’il soit leur député. L’entretien a commencé par un hommage à une personne décédée d’un infarctus, faute d’avoir pu être secourue par des pompiers bloqués par les émeutiers. Tous ont regretté d’avoir été « livrés à eux-mêmes », les forces de l’ordre ainsi que les secours ayant été rapidement débordés par l’ampleur des évènements. « On n’a pas vu de policier pendant plusieurs mois » ont entendu les rapporteurs. « Rivière salée a été ravagée, c’est devenu une zone de non-droit pendant trois semaines. Dans certaines zones, tout y a été rasé ou incendié, sauf une pharmacie. Les magasins ont été pillés, le collège et le lycée incendiés, vandalisés. […] Et même aujourd’hui, la vie n’est pas revenue à la normale à Rivière salée : le quartier du « Nickel » est surnommé « Bagdad ». On ne peut pas y circuler tranquillement, les poubelles brûlent régulièrement. » L’amalgame avec de quelconques milices armées est « inacceptable et insupportable » pour ces Voisins vigilants qui affirment avoir seulement « essayé de défendre [leurs] vies et [leurs] quartiers. »

Les rapporteurs constatent que c’est l’ensemble de la population de Nouvelle-Calédonie qui est à bout de forces.

Comme l’a fait remarquer une élue ayant participé au conclave de Deva, « on peut reconstruire les bâtiments brûlés mais pas les cœurs ou les cerveaux. Il y a eu des traumatismes, certains ne s’en remettront pas. On est parasités par ces émotions au moment de prendre les décisions ».

4.   Assurer le bon déroulement des prochaines élections

Les derniers scrutins, et notamment les récents référendums d’autodétermination et élections législatives, ont été émaillés d’incidents : intimidation d’électeurs, bureaux de votes tenus par les tenants d’un seul camp, bulletins de vote manquants, etc. Saisi sur ces faits à l’occasion du deuxième référendum, le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur le fond et n’a pas annulé pour autant le scrutin au motif que le résultat était, in fine, favorable aux plaignants.

Il en est de même pour les élections législatives de 2024 : la décision du Conseil constitutionnel du 7 mars 2025, qui a validé l’élection dans la 2ème circonscription malgré des irrégularités, rappelle l’importance de garantir la régularité et la légitimité des scrutins dans un contexte particulièrement tendu. Le Conseil a reconnu l’absence d’assesseurs dans plusieurs bureaux de vote, entraînant le retrait de près de 3 000 voix du total obtenu par le candidat élu. Cette situation, inédite, souligne combien les conditions du scrutin ont été altérées.

Dans les circonstances actuelles, la tenue des élections provinciales peut comporter un risque élevé d’incidents. La mission d’information demande donc aux autorités de tout mettre en œuvre pour s’assurer du bon déroulement du scrutin. Des résultats qui seraient entachés d’irrégularités ou sur lesquels pèseraient des soupçons ne seraient pas de nature à apaiser le débat.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou rappelle que les indépendantistes préconisent régulièrement que ce type de scrutin, en Nouvelle-Calédonie, se déroule en la présence d’observateurs de l’ONU afin de veiller à la régularité du processus de décolonisation engagé entre la puissance administrante et les populations intéressées.

Recommandation n° 10 : afin de garantir la transparence et la sécurité du vote, il est recommandé que les prochaines élections soient organisées dans les mairies, sous supervision républicaine renforcée avec, notamment, la présence d’observateurs parlementaires et des instances de l’ONU.

5.   Assurer une continuité du maintien de l’ordre

Depuis les émeutes de mai 2024, 2 600 gendarmes et policiers, contre 500 auparavant, avec également des unités d’élite renforcées et des moyens d’intervention blindés, sont mobilisés sur le territoire. Ces forces permettent la mise en place de 90 patrouilles déployées simultanément sur l’ensemble de l’archipel, nuit et jour. La présence des forces de l’ordre et de la sécurité civile est indispensable pour rétablir la libre circulation et la sécurité des Néo-Calédoniens.

Alors que les braises ne sont pas toujours complètement éteintes et que le risque d’une nouvelle escalade subsiste, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a récemment fait part de sa volonté de maintenir dans le court terme les moyens supplémentaires mis à disposition. Cependant, cette situation ne pourra s’éterniser. Est ainsi posée la question du maintien de l’ordre le jour où les escadrons et moyens supplémentaires de maintien de l’ordre quitteront le territoire.

6.   Protéger le territoire des ingérences étrangères

La zone Indopacifique est devenue une zone géostratégique fondamentale dans ce nouveau concert des nations que constitue l’ordre international dans lequel nous évoluons aujourd’hui. La Nouvelle-Calédonie, territoire français situé au cœur de cette zone géostratégique, dispose de nombreux atouts. Dotée d’une base aérienne et d’une base navale, de ressources de nickel et d’une large zone économique exclusive (ZEE), la Nouvelle-Calédonie représente une terre clé dans l’immensité de l’Indopacifique.

Face aux comportements de plus en plus prédateurs de certaines puissances de la région, notamment la République populaire de Chine, la Nouvelle-Calédonie est fortement exposée aux ingérences étrangères. Si l’ingérence chinoise en Nouvelle-Calédonie est mise en lumière par une étude complète de l’IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire), ce sont des États plus éloignés qui ont été coupables d’ingérences lors des émeutes de mai 2024. Tout d’abord la Russie via une cyberattaque, mais surtout l’Azerbaïdjan. La dictature du Caucase a en effet lancé une campagne déstabilisatrice protéiforme, à la fois politique, désinformationelle et numérique. Le régime d’Ilham Alyev a en effet instrumentalisé, via le Groupe d’Initiative de Bakou, la cause indépendantiste pour réaliser son propre agenda offensif contre la France.

Dans de telles circonstances, afin de préserver le bon déroulement du débat politique local de toute déstabilisation, il est important de protéger le territoire des ingérences venues d’ailleurs.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou indique que le procureur de la République Yves Dupas a confirmé qu’il n’y avait aucune instruction judiciaire en cours menée par le parquet de Nouméa sur une relation d’ingérence entre l’Azerbaïdjan et la CCAT (documentaire « complément d’enquête » diffusé sur France 2 le 17 avril 2025).

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou rappelle que, « depuis le 26 septembre 2019, l’Azerbaïdjan dirige, le secrétariat général du Mouvement des non-alignés dont l’objectif principal est de défendre la paix, l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de ses membres. Le mouvement vise également le développement économique, le progrès social, le désarmement, la décolonisation, le respect des droits de l’homme, la durabilité environnementale et la lutte contre la pauvreté. Depuis 2019, le FLNKS a établi des relations avec l’Azerbaïdjan dans le cadre de la contestation de la troisième consultation, non pour s’ingérer dans le conflit franco-azerbaïdjanais. »

Le rapporteur Nicolas Metzdorf souhaite rappeler que les ingérences azerbaïdjanaises ont été documentées à deux reprises par Viginum ([31]), le service du gouvernement en charge de la détection et de la lutte contre les ingérences numériques et que la procédure est particulièrement suivie par la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE). Il souhaite aussi souligner que l’ingérence du régime azerbaïdjanais ne se limite pas uniquement à la Nouvelle-Calédonie et s’étend aussi aux autres territoires ultramarins.

  1.   Se remettre en cause pour arrêter le gâchis

Des raisons d’espérer existent. Mais pour sortir de la torpeur mortifère qui s’est emparée du territoire, des remises en cause sont nécessaires chez tous les acteurs du processus.

1.   Une vraie incompréhension est palpable

Les rapporteurs ont noté que les communautés, qui se côtoient depuis toujours semblent vivre plus l’une à côté de l’autre que l’une avec l’autre. Même les responsables politiques qui s’affrontent se serrent la main, plaisantent entre eux lorsqu’ils se rencontrent. L’opposition idéologique et les évènements de l’an dernier n’ont pas chassé une convivialité qui étonne les témoins de passage.

Les propos de certains sénateurs coutumiers sont aussi rassurants : « On est tous armés avec des fusils pour la chasse. Mais on ne les a pas utilisés le 13 mai. On a été éduqués comme ça. On a juste caillassé. »

Les membres du Collectif Pays pour le dialogue (CPPLD), qui ont présenté aux rapporteurs une étude remarquable, ont insisté sur le fait que jamais on ne leur a dit : « La France dehors ». Selon eux, « il existe une volonté de vivre ensemble, mais les Kanak ne veulent plus être niés ».

Il faut toutefois ajouter que le racisme a explosé ouvertement depuis les émeutes que cela soit dans la rue (via des tags) ou sur les réseaux sociaux, où des slogans racistes et xénophobes fleurissent.

Pour conforter cette impression, les responsables du FLNKS ont répété à plusieurs reprises que la coexistence entre Kanak et population d’ascendance européenne était possible : « On est tous condamnés à vivre ensemble sur ce pays. […] Tout le monde doit pouvoir trouver sa place dans le pays car il y a de la place. […] Nous sommes sur une seule île : on est tous liés quelle que soit la couleur de peau. »

Les maires des communes rurales de la province Sud, que les rapporteurs ont rencontrés, font remarquer une évolution entre les tragiques évènements des années quatre-vingt et ceux survenus en 2024.

Cependant, la réalité du terrain nuance cette analyse. Contrairement à l’idée selon laquelle les émeutiers se seraient uniquement attaqués à des symboles économiques, les violences ont aussi visé directement des particuliers, des élus de toutes tendances et leurs familles. Près de 200 habitations ont été détruites ou incendiées, et de nombreux citoyens ont vu leurs biens expropriés ou vandalisés. Ces actes rappellent, par leur intensité et leur ciblage, les Évènements. Il serait donc inexact de présenter les événements de 2024 comme strictement dirigés contre l’économie ou les structures publiques : la violence a aussi visé des personnes physiques et des foyers privés, dans une logique de terreur et d’intimidation politique.

Vanessa Wacapo, directrice de l’agence de la Banque calédonienne d’investissement (BCI) de Koné et élue de la province Nord, est une Kanak non-indépendantiste. Pour elle, « la poignée de main [entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, le 26 juin 1988] nous a condamnés à vivre ensemble. C’est ce que nous avons fait. Nous avons eu la chance d’avoir la paix pendant 37 ans. Nous avons construit des lycées, une université. Nous offrons un enseignement de qualité diversifié. Des étudiants de pays environnants viennent étudier chez nous. Mais maintenant, il faut percer l’abcès. Le passé est le passé. Il faut avancer ensemble. Il ne faut pas perdre tout ce qui a été fait depuis 37 ans. Merci à la France qui nous a permis de nous développer. Si la France ne nous avait pas donné autant d’argent pendant 37 ans, nous n’en serions pas là ».

Les rapporteurs ont aussi noté une forte incompréhension entre les communautés et un sentiment d’injustice que ressentent les Kanak. Nonobstant les milliards d’euros qui ont été investis dans le pays, une grande partie des Kanak sont persuadés que le gouvernement central français a discriminé et pénalisé l’usine Nord dans le but de discréditer une province dirigée par des Kanak ; les responsables coopératifs rencontrés à Koné ont, eux aussi, exprimé leur amertume, persuadés que leurs produits, issus de la province Nord, étaient boycottés par les consommateurs de la province Sud, alors qu’ils reconnaissent eux-mêmes qu’ils sont plus chers que la concurrence ; et dans la province des îles Loyauté, une élue nous a affirmé que « les loyalistes font le maximum pour faire souffrir les Kanak ». « L’État est là pour nous écraser » a surenchéri une autre élue de la même province.

2.   Une économie sous perfusion : les limites de l’assistanat

Vanessa Wacapo (cf. supra) l’affirme : « nous, peuple kanak, avons été trop assistés, au point que certains parents ne s’occupent plus de leurs enfants pour les fournitures scolaires, les devoirs, etc. » Selon elle, certains jeunes ne recherchent même pas de travail et, même parmi les indépendantistes, beaucoup sont les premiers à réclamer des allocations de la part des autorités.

Les maires que les rapporteurs ont rencontrés disent la même chose, mais étendent le propos à l’ensemble des Néo-Calédoniens et pas seulement aux Kanak : « Nous avons tous intérêt à nous entendre et à gagner du temps car l’indépendance maintenant n’est pas réaliste : la France verse annuellement 50 milliards de francs Pacifique [420 millions d’euros] sans lesquels on ne peut pas fonctionner. […] Les mairies perçoivent une DGF [Dotation globale de fonctionnement] équivalente à 25 % de leur budget. Comment faire sans ? Dès qu’il y a une catastrophe climatique, les agriculteurs vont demander des subventions au haut-commissaire. La France doit nous mettre face à nos responsabilités et arrêter de nous assister ! » « La France devrait nous dire : “Vous avez voulu vos compétences ? Débrouillez-vous !” Mais dès qu’on a un problème, le réflexe, c’est d’appeler la France à l’aide. » ([32])

Réagissant à ces propos, le rapporteur Emmanuel Tjibaou souligne l’existence d’une forte discrimination à l’embauche qui augmente la difficulté pour les Kanak à s’insérer sur le marché du travail.

D’une manière générale, les rapporteurs ont entendu à plusieurs reprises des propos désenchantés de décideurs politiques à l’égard des agriculteurs néo-calédoniens « bien trop subventionnés », ainsi que sur le grand nombre de familles qui vivent avec des allocations familiales, « par ailleurs insuffisantes ». En raison de ces allocations et subventions, « les gens n’ont plus la notion du travail ».

Le sociologue Jone Passa, même s’il souligne les discriminations dont sont victimes, selon lui, les Kanak, est sur la même ligne : « comment faire évoluer les mentalités ? On a été trop longtemps assistés et mendiants. […] Quand on apporte de l’aide alimentaire à des gens qui ont faim, on est critiqué si les produits sont de la marque distributeur ! »

Recommandation n° 11 : identifier les raisons de la marginalisation des Kanak de l’ensemble des secteurs de la société ; engager la correction de ces dysfonctionnements ; évaluer avec des objectifs, des indicateurs et un calendrier la correction de ces dysfonctionnements.

3.   Éviter le scénario du lent dépérissement

Les décideurs économiques que les rapporteurs ont rencontrés ont tous insisté sur les difficultés traversées par l’économie locale. Non seulement l’activité s’est effondrée, mais toutes les personnes qui ont perdu leur emploi participent d’une perte de compétence préjudiciable au territoire. C’est particulièrement vrai pour les professions médicales, beaucoup de praticiens ayant quitté la Nouvelle-Calédonie.

Pour David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie, le vrai risque est celui d’une « mort lente » de l’économie néo-calédonienne, les baisses de consommation, de pouvoir d’achat et d’investissement alimentant une spirale déflationniste conduisant à une profonde récession. « L’État doit soutenir tout ce qui peut réactiver la machine économique. »

Le calendrier électoral à venir renforce les craintes : quatre élections importantes vont se succéder en dix-huit mois, avec les provinciales en novembre 2025, les municipales en mars 2026, la présidentielle en avril 2027 et, probablement, de nouvelles législatives en juin 2027. Les formations politiques nationales comme locales, figées dans des postures politiques, risquent de temporiser. « On va perdre deux ans et la Nouvelle-Calédonie va continuer à couler », craint un cadre de l’Éveil océanien.

Le Vanuatu a longtemps été considéré comme un contre-exemple, marqué par des difficultés économiques et institutionnelles après son accession à l’indépendance. Aujourd’hui, certains y voient une terre d’opportunité, notamment en raison de son régime fiscal attractif. Toutefois, cette image doit être nuancée : le Vanuatu est classé parmi les paradis fiscaux, avec une réglementation peu transparente, et il fait l’objet d’une influence grandissante de la République populaire de Chine, dont l’empreinte dans la région soulève des interrogations en matière de gouvernance, de souveraineté et de respect des principes démocratiques. Une influence qui se concrétise jusqu’au bâtiment du gouvernement vanuatais dont la façade est ornée d’un écriteau en mandarin qui rappelle le financement chinois.

Pour autant, la relative stabilité de cet archipel attire. « Si je voulais me simplifier la vie, je vendrais tout et j’irai m’installer au Vanuatu où je n’aurai pas les mêmes problèmes administratifs et fiscaux qu’en Nouvelle-Calédonie », a avoué un chef d’entreprise désabusé. Le risque d’émigration n’est pas spécifique aux individus. Il concerne aussi les entreprises et les investissements.

C’est l’actualité d’un autre territoire du Pacifique qui nous apporte une dimension comparative pertinente dans le cadre du statut d’indépendance‑association proposé par le ministre d’État dans les négociations du conclave de Deva. Les Îles Cook sont un État en libre association avec la Nouvelle-Zélande. Les caractéristiques juridiques de cet État du Sud-Ouest du Pacifique sont similaires, de par la notion de souveraineté partagée. Les Îles Cook ont annoncé la signature, en janvier 2025, d’un partenariat stratégique avec la Chine, sans l’accord de la Nouvelle-Zélande. En réaction, La Nouvelle-Zélande, avec qui les Îles Cook sont associées, a annoncé la suspension de son aide.

Le rapporteur Emmanuel Tjibaou précise que le premier ministre des îles Cook a vivement critiqué la réaction néo-zélandaise et a indiqué toutefois avoir accepté la proposition de la Nouvelle-Zélande d’établir un mécanisme de dialogue afin de remédier à l’érosion.

4.   Sortir du débat binaire sur l’indépendance

Le responsable de Calédonie ensemble, Philippe Dunoyer, regrette que les Néo-Calédoniens se soient « enfermés dans la dichotomie indépendance – nonindépendance ». Selon lui, « il faut travailler en priorité sur la réduction de la fracture sociale. […] Le SMG (salaire minimum garanti) néo-calédonien est inférieur au SMIC hexagonal, alors que le coût de la vie est plus élevé de 50 % sur l’archipel ». À défaut de travailler sur un projet économique et social dépassant le débat sur l’indépendance, « ceux qui gagneront les prochaines élections provinciales régneront sur un tas de cendres », prédit-il.

Et pendant ce temps, nous fait remarquer Patrick Robelin, le maire de Bourail, « nous ne traitons pas ces vrais fléaux que sont l’alcoolisme et la consommation de cannabis, nous ne nous attaquons pas aux accidents de la route ni aux violences intrafamiliales, ni aux dysfonctionnements du système judiciaire, en panne ». « Nous devons nous prendre en main sans compter sur l’État français. Rien n’interdit de finir le processus avec l’État, mais nous devons commencer le travail de négociation nous-même. »

  1.   L’aide que l’État peut apporter sur le plan économique

L’État doit aider la Nouvelle-Calédonie à surmonter la grave crise économique que traverse le territoire. Pour cela, il doit commencer par respecter ses engagements, en matière de nickel comme en matière de constructions d’infrastructure et, notamment, de la future prison de Ducos.

Ensuite, compte tenu des circonstances exceptionnelles que connaît l’archipel, le ministère de l’économie doit poursuivre l’aide financière votée par le Parlement en loi de finances.

1.   Demander à l’État de respecter ses engagements

L’État a, bien sûr, un rôle à jouer pour aider au redressement de la Nouvelle-Calédonie. Au-delà des aides financières qu’il verse régulièrement au territoire, le respect de ses engagements doit être une priorité.

Les Néo-Calédoniens n’ont pas oublié les discours enthousiastes sur l’exploitation et la transformation du nickel, qui devaient faire la fortune de l’archipel. La réalité ne s’est pas avérée à la hauteur des espérances suscitées.

Ils n’ont pas oublié le discours prononcé à Nouméa le 26 juillet 2023, par lequel le président Macron déclarait que « la refonte du système énergétique, productif est essentielle. Ce sont plusieurs milliards d'euros. Là, on ne va pas se battre sur les compétences. On va être clair, il n’y a que l'État qui peut le financer. Mais je vais être sérieux : je n'utilise pas l’argent du contribuable pour financer des modèles improductifs. Et donc, on va s’engager sur un projet nickel d’avenir ». Deux ans plus tard, l’usine du Nord est à l’arrêt, ses ouvriers ont été licenciés et les promesses ont un goût amer.

Recommandation n° 12 : l’État doit accompagner la Nouvelle-Calédonie dans l’ébauche d’une stratégie industrielle du pays dans l’intérêt de tous les Néo-Calédoniens dans le secteur nickel, en matière d’autosuffisance alimentaire, de biodiversité ainsi que dans les autres potentialités.

Par ailleurs, le ministre de la justice de l’époque, M. Éric Dupond-Moretti, suite aux sollicitations des députés Nicolas Metzdorf et Philippe Dunoyer lors de la précédente législature, avait promis la construction d’une deuxième prison à Ducos, pour un coût de 500 millions d’euros. Rien n’a encore été fait et on évoque maintenant, au mieux, l’horizon 2032 ! Cette promesse, si elle était tenue, outre qu’elle rendrait plus digne les conditions d’incarcération des détenus, constituerait un formidable ballon d’oxygène pour les entreprises du BTP.

Recommandation n° 13 : lancer le plus rapidement possible les travaux de construction de la nouvelle prison de Ducos.

2.   Un emprunt d’un milliard d’euros controversé

Une aide d’un milliard d’euros a été annoncée par le gouvernement fin 2024 et, effectivement, la loi de finances pour 2025 adoptée par la Représentation nationale, inclut une disposition d’aide financière pour la Nouvelle-Calédonie.

Mais contrairement à ce qui avait pu être compris par certains, cette aide ne consiste pas en un apport financier de type subvention mais prend la forme d’une garantie permettant à la Nouvelle-Calédonie d’emprunter auprès de l’Agence française de développement. Les versements seront échelonnés jusqu’en 2027. Et l’octroi de la garantie est conditionné par l’État à l’adoption par le Congrès néo-calédonien de réformes économiques et fiscales certes nécessaires mais délicates à mettre en œuvre à un moment aussi difficile.

Il est important de préciser que, du fait de son autonomie en matière budgétaire et fiscale, la Nouvelle-Calédonie ne peut bénéficier de subventions étatiques au même titre que les départements d’outre-mer. Elle fait ainsi, en quelque sorte, les frais de son propre statut institutionnel.

Au moment de la rédaction du présent rapport, le gouvernement néo-calédonien présidé par Alcide Ponga travaille à la finalisation d’un projet de réformes économiques et fiscales, condition sine qua non au déclenchement des mécanismes de garantie. Ces réformes, bien que nécessaires pour restaurer l’équilibre des finances publiques locales, sont délicates à mener dans un contexte social et économique particulièrement dégradé.

Cette garantie a permis l’emprunt, auprès de l’Agence française de développement – et à un taux de 4,75 % proche de celui du marché – d’une première tranche permettant notamment de faire face aux échéances d’emprunts antérieurs, de compenser les pertes de recettes fiscales, de continuer à financer le chômage partiel, etc.

Article 150 de la loi de finances pour 2025 : la garantie accordée par l’État au gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour emprunter

Le ministre chargé de l’économie est autorisé à accorder, à titre gratuit, la garantie de l’État à l'Agence française de développement au titre des prêts consentis à la Nouvelle-Calédonie ou aux collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie, pour :

1° Refinancer les concours d’urgence accordés en 2024 par l’État et le fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations ;

2° Financer les déficits constatés à la fin de l’année 2024 de la Société néo-calédonienne d’énergie et de la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de la Nouvelle-Calédonie, dont le régime unifié d’assurance maladie et maternité et le régime de chômage de droit commun ;

3° Soutenir, en 2025, les autorités locales dans le financement des mesures de réforme et de relance de l’économie néo-calédonienne, dans le cadre d’un plan élaboré conjointement par l’État et les autorités compétentes de Nouvelle-Calédonie.

La garantie peut être accordée jusqu’au 31 décembre 2025. Elle porte sur le principal ainsi que sur les intérêts et accessoires des prêts, dans la limite d'un milliard d'euros en capital.

Les prêts garantis ne peuvent avoir ni une maturité supérieure à vingt-cinq ans, ni un différé de remboursement supérieur à trois ans.

L'octroi de la garantie est subordonné à la conclusion de conventions entre l’État, l’Agence française de développement et la Nouvelle-Calédonie ou les collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie. Les conventions précisent les réformes structurelles que ces collectivités entreprennent pour rétablir leur situation financière de manière pérenne ainsi que les dispositifs de suivi de leur mise en œuvre.

Le versement d’une seconde tranche, prévu pour la fin du premier semestre 2025, était conditionné, par le ministère des finances, à l’adoption d’une réforme fiscale. « Au moment où l’économie s’effondre, explique Sonia Backès, la présidente de la province Sud, on nous impose des réformes difficiles, certes indispensables, mais complètement décalées. Des sociétés ferment tous les jours et la situation ne s’améliore pas car les entrepreneurs manquent de visibilité. On nous demande une réforme fiscale alors que plus personne ne paie d’impôt ! »

Cette garantie a été diversement accueillie par la classe politique locale qui aurait préféré une aide financière directe plutôt qu’une autorisation d’emprunter, surtout à un taux n’ayant rien de privilégié ; les élus ont aussi regretté un étalement du versement sur trois années, d’autant que des conditions de réformes sont imposées par Bercy.

Face au poids des charges financières de l’emprunt sur la période 2025‑2027 (environ 113 millions d’euros) jugées « insoutenables », le gouvernement néo-calédonien a sollicité́ « une prise en charge par l’État des intérêts intercalaires de ce prêt durant les trois années. » Le ministère de l’économie et des finances n’a pas accédé à cette demande.

Recommandation n° 14 : compte tenu des circonstances exceptionnelles que traverse la Nouvelle-Calédonie, poursuivre l’aide financière votée en loi de finances pour 2025 en la dissociant des réformes exigées.

 

Recommandation n° 15 : soutenir d’urgence un plan de relance économique exceptionnel de la Nouvelle-Calédonie adapté aux besoins de trésorerie du pays.

 


   Conclusion

À la veille de l’ouverture d’un sommet de l’Élysée qui pourrait être décisif, les rapporteurs achèvent leur présentation de la situation néo-calédonienne sous ses aspects économique, social et politique, en considérant que la solution, pour être acceptée, ne pourra venir de l’extérieur et devra être conçue sur place. À cet égard, l’État porte une lourde responsabilité. Selon le rapporteur Emmanuel Tjibaou, processus de décolonisation du pays n’est pas achevé.

Cependant, les rapporteurs insistent également sur le fait que l’État ne peut se contenter d’un rôle de simple juge de paix. Dans un contexte où les désaccords sont profonds et les institutions fragilisées, il lui revient de prendre ses responsabilités, de formuler des propositions claires et de tracer un cap, tout en s’assurant que les principes républicains soient pleinement respectés sur l’ensemble du territoire.

Les rapporteurs rendent leurs conclusions avec peu de certitudes, si ce n’est qu’ils n’imaginent pas que le Parlement puisse, à nouveau, se prononcer sur un texte qui ne ferait pas l’objet d’un accord en Nouvelle-Calédonie.

Il est désormais de la responsabilité de la classe politique locale de trouver un accord global consensuel.

Et le temps presse : l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM), conclut sa note de conjoncture économique du 7 mai 2025 par une mise en garde : « 2025 marque le retour des discussions politiques et institutionnelles. Si l’ensemble des acteurs politiques se sont retrouvés à la table des discussions, l’absence de visibilité et d’espoir d’un accord à court terme continue de peser sur des acteurs économiques considérablement fragilisés. »

La crise est désormais existentielle : l’usine du Nord a fermé en 2024, mettant sur le carreau des milliers d’ouvriers, tandis qu’Eramet annonce son retrait de l’usine de Doniambo pour fin 2025 ; le chômage atteint un niveau jamais connu ; des mouvements d’émigration inédits ont marqué l’année 2024 et la confiance en l’avenir disparaît. Les comptes de la Cafat connaissent un grave déséquilibre, notamment en ce qui concerne la branche retraites, qui sera en cessation de paiements dans quelques mois : la spirale infernale d’un profond dépérissement se met en place.

Tous les acteurs locaux souhaitent un avenir radieux pour la Nouvelle‑Calédonie, qu’ils défendent l’indépendance ou le maintien dans la République. Reste une question essentielle : quelle est, concrètement, l’ambition de l’État pour ce territoire stratégique du Pacifique ?


 

Liste des recommandations des rapporteurs

Recommandation n° 1 : compte tenu de la crise sanitaire résultant des émeutes de 2024, les rapporteurs demandent à l’État, dans un premier temps, d’activer la réserve sanitaire en Nouvelle-Calédonie puis, dans un second temps, d’élaborer une stratégie de soutien à l’ensemble de la filière sanitaire.

Recommandation n° 2 : les rapporteurs soulignent l’importance d’engager une réflexion sur l’extension du dispositif de péréquation énergétique afin de lutter contre le coût exorbitant de l’énergie en Nouvelle-Calédonie.

Recommandation n° 3 : les rapporteurs souhaitent que les compagnies d'assurances rendent publiques les primes accumulées au titre du risque « émeute » sur les vingt dernières années.

Recommandation n° 4 : les rapporteurs souhaitent que l'État apporte une réponse claire aux requêtes conservatoires déposées par les assureurs afin d'accélérer les procédures d'indemnisation et d’éviter tout retard supplémentaire dans les remboursements aux assurés néo-calédoniens.

Recommandation n° 5 : repenser la réinsertion des jeunes en situation d’échec avec notamment des dispositifs tels que le SMA.

Recommandation n° 6 : les rapporteurs souhaitent que, pour une fois, les outre-mer, et en particulier la Nouvelle-Calédonie, occupent une place centrale dans les états-généraux de la réinsertion lancés le 24 juin 2025 par le garde des sceaux, ministre de la justice, Gérald Darmanin.

Recommandation n° 7 : encourager et faciliter la poursuite des négociations ayant pour objectif de trouver un accord global.

Recommandation n° 8 : créer une instance permanente de suivi dans laquelle les différentes parties prenantes, y compris l’État, se rencontreraient de manière régulière afin de dessiner l’avancement des thématiques économiques et institutionnelles.

Recommandation n° 9 : simplifier l’organisation administrative de la Nouvelle-Calédonie et renforcer les pouvoirs des communes, notamment en matière de fiscalité et d’économie.

Recommandation n° 10 : afin de garantir la transparence et la sécurité du vote, il est recommandé que les prochaines élections soient organisées dans les mairies, sous supervision républicaine renforcée avec, notamment, la présence d’observateurs parlementaires et des instances de l’ONU.

Recommandation n° 11 : identifier les raisons de la marginalisation des Kanak de l’ensemble des secteurs de la société ; engager la correction de ces dysfonctionnements ; évaluer avec des objectifs, des indicateurs et un calendrier la correction de ces dysfonctionnements.

Recommandation n° 12 : l’État doit accompagner la Nouvelle-Calédonie dans l’ébauche d’une stratégie industrielle du pays dans l’intérêt de tous les Néo-Calédoniens dans le secteur nickel, en matière d’autosuffisance alimentaire, de biodiversité ainsi que dans les autres potentialités.

Recommandation n° 13 : lancer le plus rapidement possible les travaux de construction de la nouvelle prison de Ducos.

Recommandation n° 14 : compte tenu des circonstances exceptionnelles que traverse la Nouvelle-Calédonie, poursuivre l’aide financière votée en loi de finances pour 2025 en la dissociant des réformes exigées.

Recommandation n° 15 : soutenir d’urgence un plan de relance économique exceptionnel de la Nouvelle-Calédonie adapté aux besoins de trésorerie du pays.

 


 

Examen par la délégation

Lors de sa réunion du 1er juillet 2025, la Délégation aux outre-mer a procédé à la présentation du rapport sur la situation en Nouvelle‑Calédonie.

 

La vidéo de cette réunion est consultable à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/igBq6h

 

 

Puis la Délégation a adopté le rapport d’information et ses recommandations. Elle en a autorisé la publication.


   Annexe

I.   Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

A.   Auditions réalisées du 10 au 16 mai 2025 en Nouvelle-CalÉdonie

Samedi 10 mai

À Koné

-         M. Albert Wahoulo, président du conseil coutumier Hoot ma Whaap (province nord)

-          M. Gérard Péhaut, commissaire délégué de la République pour la Province Nord auprès du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie

 

Dimanche 11 mai

À Koné

Acteurs économiques locaux rencontrés ensemble :

-         M. Pascal Tjibaou, directeur du Groupement agricole des producteurs de la côte Est (GAPCE) ;

-         M. Jean-Pierre Bull, directeur du Groupement d’intérêt économique (GIE) Merü.

 

Autres personnalités, rencontrées séparément :

-         M. Hervé Tein‑Taouva, responsable de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) Nord et membre du bureau de l’Union calédonienne (UC) ;

-         M. Samuel Gorohouna, maître de conférences en sciences économiques à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, responsable du campus de Baco ;

-         M. Florentin Dedane, maire de Pouébo, président de l’association (indépendantiste) des maires de Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Vanessa Wacapo, responsable de la Banque calédonienne d’investissement (BCI), élue à l’Assemblée de la province Nord, groupe « Agissons pour le Nord ».

 

Lundi 12 mai

À Moindou

Rencontre commune avec des maires de Nouvelle-Calédonie :

-          M. Patrick Robelin, maire de Bourail ;

-          M. Léon Joseph Peyronnet, maire de Moindou ;

-          M. Pascal Vittori, maire de Boulouparis.

À Nouméa

Au siège du Gouvernement

-         M. Alcide Ponga, président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Sarah Manzanares, sa directrice de cabinet.

 

Au Congrès, rencontre avec le groupe de réflexion le Cercle du Croissant :

-         M. Patrice Godin, anthropologue et maître de conférences à l’Université de la Nouvelle-Calédonie à la retraite ;

-         M. Thierry Granier, commissaire aux comptes ;

-         M. Xavier Benoist, président de la Fédération des industries de Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Jone Passa, sociologue ;

-         Mme Paulette Godin, fonctionnaire ;

-         M. Etienne Dutailly, journaliste et responsable du journal satirique le Chien bleu ;

-         M. Gerald Cortot, retraité, ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Tjibaou ;

-         M. Bernard Lepeu, retraité et ancien président de l’Union Calédonienne ;

-         M. Serge Veron, retraité.

 

Mardi 13 mai

À Lifou

 

-         M. Jules Hmaloko, commissaire délégué de la République pour la province des îles Loyauté.

 

Rencontre avec des chefs coutumiers de Drehu :

-         M. Pascal Sihaze, président du conseil de l’aire Drehu.

 

Assemblée provinciale des îles Loyauté :

-         Rencontre avec M. Mathias Waneux, président, et les élus de l’Assemblée.

 

Mairie de Lifou :

-         Rencontre avec M. Neko Hnepeune, maire de Lifou, et son conseil municipal.

 

Rencontre avec des acteurs économiques des îles Loyauté :

-         M. Alexandre Elia, président de la commission transport/énergie au sein du comité de développement du district de Neta ;

-         Mme Josiane Kaemo, gérante de l’agence de voyages Wetre tours ;

-         M. Jean-Paul Qenegei, propriétaire de JP Transport ;

-         M. Guillaume Waminya, gérant du gîte Fenepaza et élu à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Edmond Angajoxue, membre du conseil de Wetr ;

-         M. Wamo Wadrenges, président de la commission santé/social de Wetr.

 

Mercredi 14 mai

À Nouméa

 

-         Mme Veylma Falaeo, présidente du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Wilfried Loquet, son directeur de cabinet.

-         M. Vaimu’a Muliava, élu du Congrès de Nouvelle-Calédonie (Éveil océanien) ;

-         M. Milakulo Tukumuli, élu du Congrès de Nouvelle-Calédonie (Éveil océanien).

 

Rencontre avec le groupe politique indépendantiste UC-FLNKS et Nationalistes :

-         M. Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe au Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Omayra Naisseline, vice-présidente du groupe au Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Serai-Isabelle Kaloï-Béaruné, élue de la province des îles Loyauté et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Reine Hué, élue de la province des îles Loyauté et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Maria Waka, élue de la province Nord et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Christelle Javelier, collaboratrice du groupe ;

-         M. Ingrid Laurent Dugrid, collaboratrice du groupe.

 

Rencontre avec le groupe politique indépendantiste UNI :

-         M. Charles Washetine, élu de la province des îles Loyauté et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie,

-         M. Jean-Pierre Djaiwe, élu de la province Nord et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie,

-         Mme Walisaune Wahetra, élue de la province des îles Loyauté et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie

-         M. Wassissi Konyi, collaborateur du groupe.

 

Rencontre avec le groupe loyaliste Les Républicains :

-         Mme Virginie Ruffenach, présidente du groupe Les Républicains ;

-         Mme Nadine Jalabert, élue de la province Sud et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Laura Vendégou, élue de la province Nord et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie

-         M. Jordan Courtot, secrétaire général du groupe.

 

Rencontre avec le Comité des Sages de Nouvelle-Calédonie :

-         M. Billy Wapotro, retraité.

 

Rencontre avec des personnalités qualifiées

-         M. Jone Passa, sociologue ;

-         Mme Noelly Gay, spécialiste des questions de santé publique.

 

Rencontre avec le Collectif Pays pour le Dialogue (CPPLD) :

-         M. Val Leonard Kaemo, pasteur ;

-         M. Jimmy Wayewol, enseignant ;

-         M. Alain Signor, retraité ;

-         M. Traloié Godin, fonctionnaire ;

-         M. Eddy Banare, enseignant chercheur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Gérald Cortot, retraité ;

-         M. Gilbert Tein, conteur et ancien président du Sénat coutumier ;

-         M. Didier Guenant-Jeanson, retraité et ancien secrétaire général de l’Union des syndicats des ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie ;

-         Mme Isabelle Missotté, pédiatre retraitée ;

-         M. Etienne Dutailly, journaliste et responsable du journal satirique le Chien bleu, ;

-         M. Patrice Godin, anthropologue ;

-         M. Eric Streeter, manager administration générale chez Vale NC.

-          

Rencontre avec le Groupe politique Calédonie Ensemble :

-         M. Philippe Dunoyer, ancien député, élu de la province Sud et membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

 

Rencontre avec le Sénat coutumier :

-         M. Aguetil Mahe Gowe, président du Sénat coutumier,

-         M. Ludovic Boula, sénateur, premier vice-président du Sénat coutumier ;

-         M. Maurice Wimian, sénateur, deuxième vice-président du Sénat coutumier

-         M. Hugues Vhemavhe, sénateur ;

-         M. Mizaël Poapidawa, sénateur ;

-         M. Moïse Vhaou, sénateur ;

-         M. Louis Trabe Djalo, sénateur ;

-         M. Stéphane Yeiwene, sénateur ;

-         M. Calixte Sivitongo, sénateur ;

-         M. Adrien Diroua, sénateur ;

-         M. Victor Gogny, porte-parole.

 

Rencontre avec le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie :

-         M. Jacques Billant, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Stanislas Alfonsi, secrétaire général du haut-commissariat ;

-         Mme Anaïs Ait-Mansour, directrice de cabinet du haut-commissaire.

 

Jeudi 15 mai :

À Nouméa

 

Rencontre avec des élus de la province Sud :

-         Mme Florence Rolland, maire de La Foa

 

Rencontre avec le bureau politique du FLNKS :

-         M. Romuald Pidjot, secrétaire général de l’Union Calédonienne ;

-         Mme Oriane Trolue, Mouvement Océanien Indépendantiste ;

-         Mme. Marie-Pierre Goyetche, présidente du parti travailliste ;

-         M. Gilles Nahiet, membre du parti travailliste ;

-         M. Henry Juni, de la Confédération Nationale des Travailleurs du Pacifique ;

-         M. André Forest, membre du bureau politique du FLNKS ;

-         M. Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union Calédonienne et chargé de l’animation du bureau politique du FLNKS ;

-         Mme Lenka Levy-Naisseline, membre de Dynamique Autochtone ;

-         Mme Laurie Humuni, secrétaire générale du Rassemblement Démocratique Océanien ;

-         M. Jean-Marie Ayawa, membre du bureau politique du FLNKS ;

-         Mme Amandine Darras membre du bureau politique du FLNKS.

 

Rencontre avec le responsable de l’usine Nord :

-         M. Karl Therby, Président directeur général de la Société Minière du Sud Pacifique.

 

Rencontre avec le groupe politique Les Loyalistes :

-         M. Gil Brial, vice-président ;

-         Mme Naïa Wateou, troisième vice-présidente du Congrès de la Nouvelle‑Calédonie ;

-         M. Pierre Mestre, chef de cabinet de l’intergroupe Les Loyalistes ;

-         M. Arthur Letourneux, collaborateur.

 

Rencontre avec des acteurs économiques néo-calédoniens :

-         Mme Elizabeth Riviere, présidente de la Chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) de Nouvelle-Calédonie ;

-         M. David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Bertrand Courte, vice-président du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) de Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Thierry Neuville, président délégué de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de Nouvelle-Calédonie.

 

Rencontre avec la Fédération des industries de Nouvelle-Calédonie (FEINC) :

-         Mme Marie-Amélie Molia, vice-présidente ;

-         M. Eric Chevrot, secrétaire du comité directeur ;

-         M. Atem Bellagi, secrétaire adjoint du comité directeur.

 

Rencontre avec le syndicat des industries de la mine :

-         M. Jules Mai, créateur de Mai Kouaoua Mines ;

-         M. Philippe Mai, gérant de Mai Kouaoua Mines ;

-         M. Arnaud Bondoux, directeur général de la Société des Mines de la Tontouta ;

-         M. Christian Taupua, Directeur des mines N’Go ;

-         M. Gabriel Bensimon, directeur du marketing, de la vente et des affaires économiques à Prony Ressources Nouvelle-Calédonie ;

-         M. Ali Nemouchi, président‑directeur général à Nickel Mining Company ;

-         M. Michel Blineau, Gemini.

 

Rencontre avec des acteurs du monde économique :

-         M. René Féré, PDG de Shell Pacifique.

 

Vendredi 16 mai :

À Nouméa

 

 Rencontre avec l’association des Citoyens du Mont-Dore :

-         Délégation d’une douzaine de personnes.

 

Rencontre avec l’association des Voisins vigilants :

-         Délégation d’une dizaine de personnes conduite par M. Philippe Blaise, premier vice-président de la province Sud.

 

Rencontre avec un policier sanctionné après les évènements de mai 2024

-         M. Henri Drowa, commissaire de police suspendu de ses fonctions ;

-         Mme Alexandrine Drowa, son épouse, officier de police ;

-         M. André Hnawang ;

-         M. Rock Haocas ;

-         M. Nojy Wahnyamala.

B.   Audition réalisée le 4 juin 2025 À l’Assemblée nationale

 

-         Mme Sonia Backès, ancienne secrétaire d’État, présidente de la province Sud.

 


II.   Document de travail soumis par le ministre d’État, ministre des outre-mer, Manuel Valls, aux responsables politiques nÉo-calÉdoniens lors du « conclave » de Deva

 


([1]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/delegations-comites-offices/dom/actualites/avenir-institutionnel-des-outre-mer-presentation-d-une-communication-de-la-mission-d-information

([2]) Les Austronésiens forment un groupe ethnolinguistique considérable dispersé de Madagascar aux îles Hawaii et recouvrant la totalité de l'Indonésie, de la Malaisie et des Philippines, la quasi-totalité de la Mélanésie et de Formose, et enfin la Micronésie et la Polynésie.

([3]) Rapport d’information n° 774 publié le 15 janvier 2025 au nom de la Délégation aux outre-mer, sur l’avenir institutionnel des outre-mer par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane.

([4]) Fondé en 1977 sous la houlette de Jacques Chirac, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) s’appelle, de nos jours, Le Rassemblement.

([5]) Nouvelle-Calédonie : « on assiste au détricotage des principes qui avaient assuré la paix civile » Jean-François Merle, Tribune publiée par le journal Le Monde, le 23 mars 2024.

([6]) CEDH, 11 janvier 2005, n° 66289/01, Py c./ France.

([7]) Cour de cassation, 22 juin 2023, n° 23-60.095 ; 23-60.094 ; 23-60.093 ; 23-60.092.

([8]) M. Gérald Darmanin, JO des débats du Sénat (p. 5 069) le 26 mars 2024.

([9]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/delegations-comites-offices/dom/actualites/avenir-institutionnel-des-outre-mer-presentation-d-une-communication-de-la-mission-d-information

([10]) Rapport n° 525 de MM. Florent Boudié et Arthur Delaporte au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (30 octobre 2024).

([11]) Rapport n° 525 de MM. Florent Boudié et Arthur Delaporte op. cit.

([12]) Le Monde des 10-11-12 novembre 2024, page 14.

([13]) Op. Cit.

([14])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/delegations-comites-offices/dom/actualites/avenir-institutionnel-des-outre-mer-presentation-d-une-communication-de-la-mission-d-information

([15]) 5 septembre – 13 décembre 2024.

([16]) ISEE : Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie.

([17]) IEOM : Institut d’émission d’outre-mer, organisme qui dépend de la Banque de France.

([18]) AFD : Agence française de développement.

([19]) https://www.ieom.fr/L-economie-de-la-Nouvelle-Caledonie-en-2024

([20]) https://www.isee.nc/publications/conjoncture

([21]) Cafat : Caisse d’Allocations Familiales et des Accidents du Travail de Nouvelle-Calédonie créée en 1958. Ayant vu ses compétences élargies au fil du temps, l’organisme est officiellement devenu la Caisse de Compensation des Prestations Familiales, des Accidents du Travail et de Prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie mais continue à porter son nom historique de Cafat.

([22]) https://la1ere.franceinfo.fr/nouvellecaledonie/province-nord/un-habitant-de-koumac-est-decede-devant-l-hopital-ferme-pendant-le-week-end-de-l-ascension-1591899.html

([23]) Le Groupement agricole des producteurs de la côte Est (GAPCE) et le groupement d’intérêt économique (GIE) de Merü.

([24]) Ce dernier a été refusé par les élus de Calédonie Ensemble et de l’Union Calédonienne malgré le soutien apporté à l’époque par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou (UNI), et des membres des groupes UNI et Loyalistes-Rassemblement au Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

([25]) NHC : nickel hydroxyde cake. Il s’agit d’un produit intermédiaire en poudre de nickel et de cobalt, destiné notamment à la fabrication de batteries automobiles.

([26]) - « 25 ans de politique de réduction des inégalités : quels impacts sur l’accès aux diplômes ? » https://shs.cairn.info/article/MOUV_091_0089/pdf?lang=fr

- « À la recherche du point de basculement sur le marché du logement : les résultats d’une expérience terrain. » https://shs.cairn.info/article/RECO_PR2_0182/pdf?lang=fr

- « Rééquilibrage dans l’emploi » https://larje.unc.nc/fr/colloque-reequilibrage-dans-l-emploi/

([27]) Le Service militaire adapté est un dispositif militaire d’insertion socio-professionnelle pour les jeunes de 16 à 25 ans éloignés de l’emploi et résidant en outre-mer. Plus de 500 jeunes en bénéficient chaque année avec un taux d’emploi supérieur à 70 %.

([28]) Art. 172-1 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

([29]) Art. 187-2 de la même loi.

([30]) « Fiche d'information No.9 (Rev.1) Les droits des peuples autochtones », Haut-Commissaire aux droits de l'homme/Centre pour les droits de l'homme.

([31]) Viginum est le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.

([32]) Le succès de la chanson de Gurejele « C’est qui qui paye ? », sortie en 2005, est particulièrement révélateur.