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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juillet 2025
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement
PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques
sur l’évaluation de la prise en charge des troubles psychiques
des personnes placées sous main de justice
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Josiane CORNELOUP et Mme Élise LEBOUCHER
Députées
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SOMMAIRE
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Pages
PRÉCONISATIONS DES RAPPORTEURES
I. une prévalence alarmante au sein d’une population qui ne cesse d’augmenter
A. En milieu fermé, une surreprésentation des troubles à tous les stades de la détention
1. Un constat ancien confirmé par des études récentes
2. Une part importante de pathologies préexistant à l’incarcération
4. Un cumul de troubles psychiatriques et addictifs qui complexifie la prise en charge
a. La prévalence très élevée des conduites addictives
b. Le cumul de troubles, spécificité majeure de la population carcérale
c. Une forte intrication des troubles qui complexifie la prise en charge
d. Une prévalence élevée des troubles du neuro-développement
5. Carences éducatives, traumatismes précoces et spirale pénale enclenchée dès l’enfance
a. Une population très majoritairement masculine, jeune et précarisée
b. Le poids des carences éducatives et familiales et des traumatismes subis pendant l’enfance
c. Un parcours pénal marqué par la récidive et qui commence dès l’enfance
6. Indicateur de souffrance psychique, la prévalence des idées et conduites suicidaires
B. une très forte augmentation des besoins en milieu ouvert comme en milieu fermÉ
a. Des constats d’augmentation et d’aggravation des troubles
b. Des personnes qui n’ont rien à faire en détention
1. Le défaut de soins, facteur de passage à l’acte délictuel ou criminel
b. Troubles psychiques et passages à l’acte
c. Troubles psychiques et récidive
b. Un système de soins qui pénalise davantage les plus vulnérables
c. Le déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison
B. une justice de plus en plus démunie : une prise en compte insuffisante des troubles psychiques
1. Des freins croissants au recours à l’irresponsabilité pénale
a. Une irresponsabilité pénale qui reste marginale
b. Un champ restreint par deux interventions législatives
d. Une évaluation compromise par l’état critique de l’expertise
e. Le filtre défaillant de la garde à vue
2. Des facteurs de surincarcération des personnes souffrant de troubles psychiques
a. La détention provisoire comme antichambre de l’expertise
b. Une altération du discernement sans atténuation de la peine ?
c. Des procédures accélérées pénalisantes pour les personnes malades
d. La prison perçue dans certains cas comme un lieu de soin par défaut
e. Des aménagements de peine entravés, des réductions de peine inaccessibles
C. la détention : de plus en plus pathogène et surpénalisante
1. Une détention de plus en plus pathogène
a. Une expérience structurellement pathogène
b. Une incarcération addictogène qui expose à des pratiques dangereuses
c. Des facteurs pathogènes qui s’aggravent
i. Une surpopulation qui ne cesse d’empirer
iii. Le temps vide de la détention
2. Une détention de plus en plus surpénalisante
a. L’isolement, comme « mode de gestion des troubles psychiques »
b. La gestion disciplinaire des troubles
Deuxième partie : en détention, explosion des besoins, dégradation des capacités de prise en charge
I. une organisation entravée par un manque de moyens et des contraintes carcérales croissants
A. une architecture de soins incomplète et sous-dimensionnée
1. Les grands principes de la prise en charge
a. « L’hôpital se déplace vers la prison pour y assurer les soins »
b. Des soins équivalents, les mêmes droits et garanties qu’à l’extérieur
2. Une architecture à trois niveaux théorique et très incomplète
a. Au niveau 1, des USMP très inégalement dotées
c. Au niveau 3, le développement inabouti d’une hospitalisation dédiée aux personnes détenues
3. Une présence inégale des CSAPA, maillon indispensable
B. Le soin à l’épreuve d’une pénurie de moyens
1. Un modèle de financement de plus en plus déconnecté des besoins
2. Une pénurie de soignants qui s’aggrave à tous les niveaux
a. Des équipes en sous-effectif, fragiles et instables
b. Un déficit d’attractivité qui s’amplifie
C. Un environnement de plus en plus hostile aux soins, des contraintes carcérales croissantes
1. Un accès aux soins de plus en plus entravé par la surpopulation et le manque de surveillants
2. Des problèmes de locaux aggravés par la surpopulation
3. Une part massive de rendez-vous non honorés, un gaspillage de ressources rares
4. Des extractions médicales de plus en plus difficiles à obtenir
5. Entre refus et demandes stratégiques de soin
a. Des facteurs de refus de soin majorés en détention
i. La peur de la stigmatisation
ii. L’incapacité ou le refus de se percevoir comme malade
iii. Un public éloigné du soin
iv. La crainte des ruptures induites par l’hospitalisation
b. Des demandes de soins à dimension judiciaire
6. Des contraintes carcérales croissantes, une sécurité plus incertaine
a. Des contraintes carcérales croissantes
b. Une sécurité plus incertaine
1. Un déploiement chaotique et très incomplet
b. Un déploiement chaotique, reflet d’un pilotage éclaté
2. Un outil très peu investi en psychiatrie en raison de freins multiples
3. Des réticences très fortes dans le domaine de la santé mentale
II. Un parcours de soin hétérogène, marqué par des carences et des ruptures
A. Un accès aux soins ambulatoires inégal et appauvri
a. Une consultation essentielle, une opportunité majeure
b. Une entrée dans le soin hétérogène, dégradée et parfois absente
c. Un repérage à renforcer, une politique d’« aller vers » à structurer
2. Hors consultation d’entrée et urgences, un accès aux soins ambulatoires inégal et atrophié
a. Des prises en charge assurées de manière croissante par des professionnels non médicaux
b. Allongement des délais, primat de l’urgence
c. Un défaut d’accès aux soins urgents la nuit et le weekend
3. D’importantes marges d’amélioration de la délivrance des médicaments
a. Des pratiques de distribution inadaptées et risquées
b. Mésusage et détournement de l’usage des médicaments
c. Le détournement à des fins de trafic
a. Une prise en charge très dépendante des configurations locales
c. Des approches trop cloisonnées entre psychiatrie et addictologie
B. Malgré des avancÉes notables, une hospitalisation encore difficile d’accès et souvent inadaPtée
a. Une explosion du recours à l’hospitalisation, une amélioration de la qualité des soins
d. Un accès inégal, parfois inexistant selon les établissements
e. Des « tranches d’hospitalisation sans continuité »
2. Des SMPR à l’accès restreint et au positionnement incertain
a. Un accès restreint et inégal
b. Un positionnement incertain dans l’architecture de soins
c. Une mission de coordination désertée par manque de ressources
3. Un recours forcé à la psychiatrie de droit commun au prix de graves dysfonctionnements
a. Des conditions dégradées sur le plan de la sécurité
b. Des conditions dégradées sur le plan du soin
c. La nécessité d’améliorer l’accueil en psychiatrie générale
C. une prise en charge très inégale, des angles morts
1. Une situation très hétérogène selon le régime de détention
a. Une situation moins dégradée dans les établissements pour peine
b. La semi-liberté, angle mort préoccupant
2. Une situation particulièrement critique dans certains territoires
a. Une situation particulièrement critique dans les déserts médicaux
b. La situation particulièrement critique des Outre-mer
b. Les personnes détenues âgées et en perte d’autonomie
D. La prévention, parent pauvre
1. Des actions ponctuelles et résiduelles
2. Une politique de réduction des risques et des dommages encore très largement empêchée
3. La prévention du suicide : les limites d’une politique sans prise sur les causes
a. Le déploiement d’une large palette d’outils
b. Un taux de suicide qui reste anormalement élevé
c. Des mesures aux effets limités face aux impasses structurelles
I. la sortie de prison, un moment charnière à haut risque qu’on ne peut plus ignorer
A. Un moment de vulnérabilité accrue
B. Une préparation insuffisante, des obstacles majeurs au relais de soin
1. Brièveté des séjours, imprévisibilité de la sortie
2. La consultation de sortie : une mise en œuvre très inégale
4. Un défaut de coordination criant
C. Entre précarité et démarches administratives : un parcours semé d’embûches
1. L’absence de logement stable, comme facteur de rupture du soin
2. Des freins administratifs à lever d’urgence
3. Les assistantes sociales, maillon indispensable mais trop rare
D. Des soins indisponibles, dépriorisés ou refusés en sortie de détention
1. Une offre de soins aussi absente qu’avant la détention
2. Un public mal accepté, voire rejeté par le circuit sanitaire
II. Les soins pénalement ordonnés : une inflation d’obligations, un recul du soin
A. Une inflation des soins pénalement ordonnés
2. Une tendance à l’« industrialisation » des obligations de soins
B. un discrédit croissant, une mise en œuvre défaillante
1. Le soin sous contrainte pénale, une mesure contestée dès son principe
2. Un ciblage largement inadéquat
3. Des soignants mis en difficulté
4. Une mise en œuvre défaillante
C. Une mesure massivement inopérante confrontée à l’indisponibilité ou au refus du soin
1. Des mesures qui submergent des structures de soin déjà saturées et suscitent un rejet croissant
2. Plus la justice ordonne, plus le soin abandonne
A. face aux limites du droit commun, Des appels à créer des dispositifs spécifiques
B. L’émergence de structures spécialisées en milieu ouvert
C. les Équipes mobiles transitionnelles
quatriÈme partie : les mineurs : À besoins plus criants, rÉponses plus insuffisantes
A. Des donnÉes rares mais rÉvÉlatrices, des observations convergentes
1. Une seule étude nationale globale, ancienne mais révélatrice
2. Une étude de référence en centre éducatif fermé : un faisceau d’indicateurs alarmants
3. L’observation de troubles plus fréquents, plus sévères, plus complexes
4. Des addictions plus diversifiées, presque généralisées
a. Des usages de substances plus précoces, massifs et à risque
b. Des addictions numériques qui appellent une vigilance accrue
B. une double faillite en amont : aide sociale à l’enfance et pédopsychiatrie sinistréeS
1. Le délabrement de l’ASE, « catastrophe sanitaire »
2. L’effondrement de la pédopsychiatrie
II. Des difficultÉs accrues d’accÈs à des soins coordonnÉs et adaptÉs
A. une prise en charge des mineurs privÉs de libertÉ hétérogène
1. Des capacités de prise en charge variables selon type d’établissement
a. Un accès moins dégradé en établissements pénitentiaires pour mineurs
b. Une prise en compte insuffisante des spécificités des mineurs dans les quartiers pour mineurs
c. Une prise en charge particulièrement inégale en centre éducatif fermé
2. Des angles morts et des carences
a. Un accès plus difficile à des soins adaptés en addictologie
b. Des difficultés particulières d’accès à l’hospitalisation
c. Un accès entravé aux activités et de graves carences éducatives
1. Une prise en charge inégale, un fossé qui se creuse entre l’offre et la demande
b. Des prises en charge très inégales, un fossé qui se creuse entre l’offre et la demande
c. Des soins ordonnés par le juge qui restent souvent des coquilles vides
2. Une orientation médico-sociale entravée pour les mineurs en situation de handicap
1. Des parcours faits de successions de ruptures
2. Un public difficile à mobiliser, souvent éloigné du soin
3. Des psychologues de la PJJ en perte de capacité d’action
I. une politique publique minÉe par le cloisonnement et la fragmentation institutionnelle
1. Une situation qui achève d’asphyxier l’administration pénitentiaire
a. Une gestion impossible pour des surveillants déjà à bout de souffle
b. Des CPIP débordés et en perte de repères face à des publics qui échappent à la logique du suivi
2. Un malaise croissant parmi les professionnels de la PJJ, une action éducative mise à mal
3. Un système de santé débordé, des soignants en prise avec un sentiment d’échec massif
4. Une justice submergée par un système qui produit massivement de la délinquance et de la récidive
1. Entre santé et pénitentiaire : une articulation toujours insuffisante, des tensions persistantes
a. Au niveau central, un partenariat déséquilibré entre Santé et Pénitentiaire
c. Au plan régional, une coordination très inégale selon les territoires
2. Un dialogue à structurer entre justice et psychiatrie
3. Un décloisonnement nécessaire au sein même du champ sanitaire
a. Un nécessaire décloisonnement entre psychiatrie et addictologie
c. Une psychiatrie insuffisamment coordonnée avec les autres acteurs, face à des parcours complexes
C. structurer le dÉveloppement d’alternatives À l’incarcération fondÉes sur une approche intÉgrÉe
A. Un pilotage dÉfaillant, une gouvernance À repenser
B. Un pilotage aveugle : des données lacunaires, une culture de l’évaluation encore trop absente
C. UN effort de formation massif À dÉployer
ANNEXE N° 1 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES
PRÉCONISATIONS DES RAPPORTEURES
Agir sur les facteurs de pénalisation de la maladie mentale
Préconisation n° 1 : Donner aux structures de soin les moyens nécessaires, notamment par l’ouverture de lits, pour sécuriser les parcours d’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques.
Préconisation n° 2 : Valoriser le travail des experts, en particulier des psychiatres, et améliorer leurs conditions de travail (locaux adaptés, augmentation des tarifs, réduction des délais de paiement) afin de concourir à l’attractivité du métier.
Préconisation n° 3 : Poursuivre les travaux en vue d’un système de gradation des expertises.
Préconisation n° 4 : Garantir dans chaque commissariat/brigade de gendarmerie/unité médico-judiciaire la présence d’un professionnel de santé mentale (psychiatre, psychologue, infirmier, IPA santé mentale…) afin d’évaluer les PPSMJ dès la garde à vue, dans le but de renforcer le repérage des troubles psychiques et addictifs.
Préconisation n° 5 : Évaluer les modalités d’application du principe d’atténuation de la peine en cas d’altération du discernement.
Préconisation n° 6 : Exclure la procédure de comparution immédiate pour toute personne pour laquelle les premiers éléments de l’enquête sont en faveur d’une altération de son discernement.
Préconisation n° 7 : Mieux former les magistrats et les acteurs judiciaires à la compréhension des troubles psychiques dans le cadre de la formation initiale et continue.
Préconisation n° 8 : Décorréler la suspension de peine pour motif médical de la notion de risque de récidive.
Préconisation n° 9 : Corréler les effectifs de personnels pénitentiaires/de surveillants aux taux d’occupation réels des établissements pénitentiaires.
Préconisation n° 10 : Actualiser et appliquer dans l’ensemble des établissements pénitentiaires les protocoles relatifs à la gestion d’événements traumatiques pour les détenus et le personnel pénitentiaire (suicide, meurtre, violence…).
Préconisation n° 11 : Développer les activités en détention. Élaborer sur ce sujet un guide des bonnes pratiques en s’appuyant notamment sur des exemples étrangers. Garantir le développement d’activités adaptées et thérapeutiques pour les personnes souffrant de troubles psychiques.
Préconisation n° 12 : garantir à tous les détenus la possibilité d’accéder à la promenade dans des conditions sécurisées.
Améliorer la prise en charge en détention
Préconisation n° 13 : Mettre en œuvre la réforme du modèle de financement des unités de soins en milieu pénitentiaire, afin qu’il soit corrélé aux besoins sanitaires réels des personnes détenues.
Préconisation n° 14 : Encourager la formation et le recrutement d’infirmiers en pratique avancée en psychiatrie en détention.
Préconisation n° 15 : Intégrer une sensibilisation à l’exercice en prison au sein du cursus des études médicales et de la formation continue des médecins et autres professionnels de santé et développer les stages en unités pénitentiaires. Favoriser le partage de connaissances et d’expériences entre professionnels de santé.
Préconisation n° 16 : Veiller à l’attribution effective et homogène de la prime d’exercice territorial aux professionnels de santé exerçant en milieu pénitentiaire.
Préconisation n° 17 : S’assurer que les périodes d’exercice effectuées au sein des USMP soient systématiquement validées pour les praticiens titulaires de diplômes extracommunautaires (PADHUE), dans le cadre des démarches d’autorisation d’exercice et d’inscription à l’Ordre des médecins.
Préconisation n° 18 : En cas d’annulation d’une extraction, prévoir une information obligatoire et sans délai de l’unité sanitaire et de la personne détenue concernée, avec indication du motif d’annulation.
Préconisation n° 19 : Engager une réflexion interministérielle en vue d’améliorer la réalisation des extractions médicales.
Préconisation n° 20 : Mieux articuler les procédures en cas de transfert dans le cadre d’une hospitalisation afin d’assurer une meilleure continuité des droits et des services aux patients-détenus.
Préconisation n° 21 : Engager une concertation entre acteurs du soin et de la justice sur le recours aux soins comme critère d’aménagement ou de suspension de la peine en vue de le rendre plus efficient.
Préconisation n° 22 (portée exclusivement par Mme Josiane Corneloup) : Accélérer l’équipement des établissements pénitentiaires en outils de télémédecine et la formation à leur usage.
Préconisation n° 23 : Garantir la mise en œuvre systématique d’une évaluation psychiatrique et addictologique dans tous les établissements.
Préconisation n° 24 : Renforcer la coordination entre les dispositifs de psychiatrie et d’addictologie, afin d’éviter les diagnostics erronés ou incomplets en cas de comorbidité.
Préconisation n° 25 : Accroître les capacités diagnostiques, en intégrant des outils de repérage plus fins et adaptés, y compris à travers un questionnaire d’auto-évaluation renseigné par la personne détenue et notamment pour des troubles surreprésentés mais encore sous-détectés comme le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), le trouble de l’alcoolisation fœtale, les conduites de jeu à risque.
Préconisation n° 26 : Former les professionnels sanitaires déjà en poste au repérage et à la prise en charge de ces troubles.
Préconisation n° 27 : Pour favoriser un meilleur repérage et dépistage des troubles, généraliser des dispositifs de liaison intervenant dans les quartiers de détention.
Préconisation n° 28 : Généraliser les activités thérapeutiques de groupe dans l’ensemble des USMP et SMPR.
Préconisation n° 29 : Procéder à une évaluation de la mise en œuvre de l’outil Visio Régul, dispositif de régulation d’urgence médicale permettant de mettre un patient en contact avec un médecin du SAMU en dehors des heures d’ouverture des USMP.
Préconisation n° 30 : Actualiser et appliquer un protocole strict de distribution du médicament.
Préconisation n° 31 : Développer l’accès au Buvidal en détention et permettre son remboursement conformément aux préconisations de la Haute Autorité de Santé.
Préconisation n° 32 : Élargir l’expérimentation des Unités de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD).
Préconisation n° 33 : Assurer des dotations suffisantes pour les CSAPA intervenant en milieu pénitentiaire et des formations en addictologie à destination du personnel soignant des unités sanitaires.
Préconisation n° 34 : Engager une réflexion sur le maillage territorial des UHSA, en Outre-mer et dans l’hexagone.
Préconisation n° 35 : Accélérer la construction de trois nouvelles UHSA en l’accompagnant d’un plan de recrutement de personnels médicaux, paramédicaux et pénitentiaires.
Préconisation n° 36 : Harmoniser les règles de fonctionnement des UHSA sur la base des meilleures pratiques constatées par une révision de leur cahier des charges.
Préconisation n° 37 : Comme pour les extractions en soins somatiques ou vers les UHSA, prévoir une escorte systématique pour les hospitalisations en psychiatrie dans les établissements de santé de rattachement des USMP.
Préconisation n° 38 : Renforcer et développer les capacités d’accueil de personnes détenues par des financements accordés aux établissements psychiatriques de secteur.
Préconisation n° 39 : Établir des conventions-cadre locales entre l’administration pénitentiaire, les établissements de santé et la police nationale précisant les modalités d’hospitalisation des patients détenus.
Préconisation n° 40 : Mettre en place un accompagnement médico-social renforcé auprès du public semi-libre souffrant de troubles psychiques et d’addictions. À défaut, prévoir une prise en charge par les structures pénitentiaires sanitaires.
Préconisation n° 41 : Développer le dispositif des structures d’accompagnement vers la sortie (SAS). Évaluer et le cas échéant généraliser les bonnes pratiques, telles que le parcours de soin hors détention mis en place à la SAS de Marseille.
Préconisation n° 42 : Procéder à une étude pluridisciplinaire, impliquant les acteurs de la Santé et de la Justice, sur la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel et son impact sur la récidive.
Préconisation n° 43 : Lancer une évaluation et une réflexion interministérielles spécifiques sur la prise en charge des personnes placées sous main de justice dans les Outre-mer.
Préconisation n° 44 : Remettre en cause le fonctionnement dérogatoire de la prise en charge sanitaire des détenus dans les collectivités du Pacifique où la loi de 1994 ne s’applique pas.
Préconisation n° 45 : Permettre la mixité au sein des SMPR selon des modalités alignées sur les meilleures pratiques mises en place sur le terrain.
Accompagner le développement d’une politique de réduction des risques
et des dommages en détention
Préconisation n° 46 : Accompagner le développement d’une politique de réduction des risques et des dommages en détention. Garantir une approche partagée par un dialogue régulier et transparent avec l’administration pénitentiaire et former le personnel pénitentiaire aux enjeux de la réduction des risques et au maniement des matériels.
Préconisation n° 47 : Renforcer l’accessibilité des outils de réduction des risques et des dommages, en veillant à leur disponibilité, leur discrétion d’accès et leur adaptation aux spécificités de la détention.
Préconisation n° 48 : Développer des actions d’information et de sensibilisation à la réduction des risques et des dommages en détention et mettre en œuvre une démarche proactive (« d’aller vers ») pour toucher les personnes les plus éloignées des dispositifs de soin, en lien notamment avec les CSAPA référents ou carcéraux.
Préconisation n° 49 : Inclure la réduction des risques et des dommages dans les actions de préparation à la sortie.
Améliorer la prévention du suicide en détention
Préconisation n° 50 : Généraliser le déploiement du 3114 et du dispositif de recontact VigilanS dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.
Préconisation n° 51 : Élaborer un guide du plan de protection individualisé en documentant et en recensant en particulier les meilleures pratiques.
Préconisation n° 52 : Documenter l’initiative de la DISP Grand Est visant à privilégier les réponses infra-disciplinaires.
Préconisation n° 53 : Exclure le placement au quartier disciplinaire des personnes ayant des antécédents de tentative de suicide.
Préconisation n° 54 : Systématiser le recours aux retours sur expérience (RETEX).
Préparer et accompagner la sortie
Préconisation n° 55 : Intégrer les enjeux de la sortie dès la consultation d’entrée en maison d’arrêt.
Préconisation n° 56 : Favoriser les permissions de sortie pour la préparation de la sortie définitive et assurer les conditions d’une continuité des soins.
Préconisation n° 57 : Faciliter l’établissement d’un premier contact du détenu sortant avec les structures de soins à l’extérieur en utilisant le téléphone ou la visioconférence.
Préconisation n° 58 : Développer les CSAPA référents et garantir leur intégration à l’ensemble des instances intra‑carcérales en lien avec le parcours de soin. Garantir une information sur les CSAPA référents dès le quartier arrivant.
Préconisation n° 59 : Généraliser, dans tous les établissements pénitentiaires, la tenue effective de réunions pluridisciplinaires de préparation à la sortie, associant les professionnels de santé de l’unité sanitaire (psychiatrie, addictologie), les services pénitentiaires (direction, SPIP), les autorités judiciaires (juge d’application des peines) et les représentants des ARS.
Préconisation n° 60 : Accorder une priorité explicite dans les missions des SPIP et des assistants de services sociaux à l’identification de solutions d’hébergement pour les sortants de prison présentant des troubles psychiatriques.
Préconisation n° 61 : Prévoir des conventions pour que les incarcérations et sorties entraînant une perte du logement et/ou un changement de secteur ne créent pas des ruptures de soins.
Préconisation n° 62 : Sécuriser la couverture sociale des sortants de prison. Réaliser un diagnostic approfondi des difficultés rencontrées lors de la sortie de détention en identifiant les déterminants des ruptures de droits (délais de transfert de régime, absence d’attestation, défaut de coordination entre acteurs, etc.). Accompagner ce diagnostic de propositions opérationnelles visant à sécuriser l’accès effectif aux droits.
Préconisation n° 63 : Développer les temps d’assistant de service social idéalement mobiles entre les unités de soins en détention et les SPIP pour améliorer l’accompagnement des sortants de prison les plus vulnérables. Leur assurer un accompagnement dans l’ensemble des démarches administratives notamment en vue de rétablir l’accès aux droits sociaux.
Redonner sens aux soins pénalement ordonnés
Préconisation n° 64 : Sécuriser les conditions de règlement des indemnités des médecins coordonnateurs ; assouplir leurs conditions de recrutement et communiquer auprès des médecins libéraux et des internes en psychiatrie sur ce dispositif.
Préconisation n° 65 : Garantir la transmission effective des informations judiciaires aux professionnels de santé chargés du suivi dans le cadre des soins pénalement ordonnés.
Préconisation n° 66 : Lancer une évaluation sur les obligations de soins, comprenant un recensement précisant les motifs pour lesquels elles sont prononcées et leur application concrète. Évaluer leur impact sur la prévention de la récidive, en distinguant les types d’infractions pour lesquelles elles sont prononcées.
Préconisation n° 67 : Engager à titre expérimental des évolutions de la procédure pénale permettant une évaluation plus fine des besoins psychiques des personnes poursuivies et un meilleur ciblage des obligations de soins. Expérimenter en particulier une répartition renouvelée des compétences entre juge correctionnel et juge d’application des peines, ce dernier étant chargé d’aménager la peine et de préciser en lien avec le SPIP l’obligation de soins prononcée par la juridiction de jugement.
Recenser et évaluer les initiatives locales en milieu ouvert
Préconisation n° 68 : Mettre en place une expérimentation de « lits halte soins santé » pour les personnes sans domicile fixe souffrant de graves troubles psychiques.
Préconisation n° 69 : Recenser et évaluer les structures et dispositifs spécialisés dans la prise en charge des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert, en vue de leur développement selon les besoins des territoires.
Préconisation n° 70 : prévoir un dispositif structuré d’accompagnement à la sortie de prison pour les personnes souffrant de troubles psychiques et procéder à un recensement exhaustif et à une évaluation comparée des dispositifs existants, tels que les EMOT, afin de mieux identifier leurs apports respectifs.
Placer les mineurs au cœur des priorités
Préconisation n° 71 : Dans le cadre de l’évaluation des situations de mineurs, accorder une attention renforcée aux usages problématiques du numérique, y compris la pornographie et les jeux en ligne. Prévoir systématiquement un accompagnement renforcé sur ces enjeux.
Préconisation n° 72 : Engager une réflexion afin de définir un cadre national relatif aux usages du numérique au sein des structures de la PJJ.
Préconisation n° 73 : faire du renforcement de l’accompagnement des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance une priorité absolue de l’action publique.
Préconisation n° 74 : Orienter prioritairement les mineurs détenus nécessitant des soins psychiatriques vers des services de pédopsychiatrie spécialisés hors UHSA, et privilégier la suspension de peine ou la libération conditionnelle pour raison médicale lorsque leur état de santé l’exige.
Préconisation n° 75 : Garantir le droit à l’éducation lors de l’incarcération des mineurs et prévoir des aménagements pour permettre la continuité pédagogique pendant les vacances d’été.
Préconisation n° 76 : Ajuster les ETP d’enseignants à la population réelle.
Préconisation n° 77 : Inclure les mineurs suivis par la PJJ dans le dispositif Santé protégée.
Préconisation n° 78 : Étendre le mandat de la PJJ au-delà de la mesure judiciaire proprement dite, sur une durée administrative complémentaire, afin d’éviter les ruptures et, le cas échéant, de réinsérer le mineur dans les dispositifs de droit commun.
Préconisation n° 79 : Étendre les missions de la Défenseure des droits au contrôle des structures gérées par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et à celles de milieu ouvert gérées par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ).
Préconisation n° 80 : Organiser tous les ans au Parlement, notamment en commission des lois et délégation aux droits des enfants, un examen/une audition/un débat autour du rapport annuel de la CGLP et de la défenseure des droits
Préconisation n° 81 : instaurer un droit de visite parlementaire des structures de la PJJ et de l’ASE.
Décloisonner la gouvernance et renforcer le pilotage
Préconisation n° 82 : mettre en place des mesures d’attractivité visant à améliorer le recrutement de surveillants pénitentiaires, de CPIP, de personnels éducateurs et psychologues de la PJJ.
Préconisation n° 83 : Actualiser et appliquer le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice afin de lever les ambiguïtés persistantes, limiter les zones grises, intégrer les meilleures pratiques et établir un cadre stabilisé et partagé par l’ensemble des acteurs.
Préconisation n° 84 : Mettre à jour la circulaire de 2012 sur le partage d’information au sein de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) en intégrant le cas échéant les conclusions du groupe de travail mis en place sur ce sujet. Dans l’hypothèse où le groupe de travail ne permettrait pas de créer un consensus sur la CPU, identifier les bonnes pratiques de partage de l’information dans un cadre plus informel pour les diffuser.
Préconisation n° 85 : Mettre en place et redynamiser les instances de coordination régionales et locales.
Préconisation n° 86 : Instaurer un espace de dialogue structuré entre magistrats et professionnels du soin psychiatrique, afin de favoriser une meilleure compréhension réciproque des finalités et des limites du soin, des contraintes de moyens auxquelles les soignants sont soumis et d’améliorer la pertinence des obligations ou injonctions de soins.
Préconisation n° 87 : Confier à la Haute Autorité de santé l’organisation d’une conférence de consensus, associant l’ensemble des parties prenantes – professionnels du soin, magistrats, administration pénitentiaire, représentants de l’État –, afin de clarifier les pratiques professionnelles en matière de prise en charge des personnes placées sous main de justice souffrant de troubles mentaux.
Préconisation n° 88 : Rappeler aux procureurs de la République leur obligation de visite annuelle en UHSA et en SMPR.
Préconisation n° 89 : Renforcer les permanences des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans les UHSA.
Préconisation n° 90 : Redynamiser la mission de coordination qui incombe aux SMPR. A minima, assurer la mise en place d’un dispositif spécifique de liaison entre les différents niveaux de soin en milieu pénitentiaire et les secteurs de psychiatrie générale.
Préconisation n° 91 : Faire de la coordination intersectorielle un axe structurant de la deuxième génération des projets territoriaux en santé mentale, en y intégrant explicitement les publics placés sous main de justice et en accordant une priorité particulière aux mineurs.
Préconisation n° 92 : Renforcer l’intégration des questions relatives aux personnes placées sous main de justice dans les conseils locaux de santé mentale (CLSM).
Préconisation n° 93 : Engager une concertation interinstitutionnelle sur l’évolution de la prison, en intégrant une réflexion sur la régulation carcérale.
Préconisation n° 94 : Appuyer le développement encadré des dispositifs de justice résolutive de problèmes, en s’appuyant sur l’évaluation scientifique en cours, afin de dégager des principes communs et d’éviter des critères d’exclusion injustifiés. Élaborer une doctrine nationale pour favoriser la cohérence des initiatives locales et leur pérennisation.
Préconisation n° 95 : Développer les dispositifs de justice résolutive de problèmes ciblés sur les mineurs.
Préconisation n° 96 : Expertiser les modalités possibles de structuration d’un pilotage interministériel Santé-Justice de haut niveau capable de coordonner, planifier, évaluer cette politique publique à l’échelle nationale (service à compétence nationale sous double tutelle Santé-Justice, mission de coordination permanente, délégation interministérielle etc.).
Préconisation n° 97 : Instaurer une récurrence claire des études épidémiologiques sur la santé psychique des personnes placées sous main de justice, ou à défaut des personnes entrant/sortant de détention.
Préconisation n° 98 : Lancer une étude sur la continuité des soins en sortie de détention.
Préconisation n° 99 : Doter le champ santé-justice d’un appareil statistique robuste et de capacités d’évaluation en assurant un croisement des données sanitaires et judiciaires.
Préconisation n° 100 : Généraliser les formations des personnels sanitaires, pénitentiaires et PJJ au repérage des troubles psychiques et addictifs en privilégiant les formations croisées des uns par les autres et les formations communes.
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Lors de sa réunion du 5 décembre 2024, le comité d’évaluation et de contrôle a inscrit à son programme de travail une évaluation de la prise en charge des troubles psychiques des personnes placées sous main de justice, à l’initiative du groupe LFI-NFP.
La santé mentale, désignée grande cause nationale en 2025, est identifiée comme l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle, avec une augmentation marquée des troubles psychiques, accentuée depuis la crise sanitaire. Le sujet de la santé mentale s’est imposé dans le débat public.
Le rapport d’information de la mission sur la prise en charge des urgences psychiatriques présenté en décembre 2024 par nos collègues Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat, appelait à approfondir les travaux sur la prison, présentée comme un « point d’entrée » majeur dans les soins psychiatriques, comme le sont les urgences, en l’absence de suivi adapté en amont.
Nous avons suivi cette préconisation en élargissant le périmètre à l’ensemble des personnes sous main de justice dans le champ pénal ([1]), en milieu fermé comme en milieu ouvert – les situations relevant de ce périmètre sont détaillées dans l’encadré ci-après. L’évaluation de cette politique publique est datée et incomplète, généralement centrée sur la seule détention. Cette orientation nous a conduites à une réflexion plus large sur la place des troubles psychiques dans le champ pénal.
La thématique retenue constitue une politique publique à part entière, par nature interministérielle, qui relève à ce titre pleinement du périmètre de compétence du comité d’évaluation et de contrôle.
Si la loi fondatrice du 18 janvier 1994 (dite loi « Veil ») a intégré les détenus dans le système de santé de droit commun, leur prise en charge nécessite une approche et une organisation spécifiques qui tiennent compte des contraintes du monde carcéral.
Les sortants de prison et les personnes suivies en milieu ouvert et dont les soins sont parfois ordonnés par la justice en lien avec les motifs de leur condamnation doivent également faire l’objet d’une attention particulière, même s’ils accèdent aux soins dans le cadre du droit commun.
Le défaut de prise en charge de cette population revêt en effet des enjeux à la fois sanitaires et sécuritaires à travers les risques de réitération et de récidive. Il ne conduit pas seulement à une aggravation de situations individuelles, il a également un coût particulièrement élevé pour la collectivité.
La mission a eu à cœur de conduire ses travaux dans un esprit d’ouverture, d’écoute et de rigueur, en associant le plus largement possible les parties prenantes concernées dans les champs de la santé et de la justice, à tous les échelons – national, régional, local.
Elle a entendu plus de 100 personnes (voir annexe 1) dans le cadre d’auditions qui ont été complétées par l’envoi de questionnaires écrits, permettant d’approfondir, de confirmer ou de nuancer certains constats ([2]). Les informations ou observations portées à sa connaissance ont, à chaque fois que cela était possible, été soumises aux personnes ou institutions concernées, afin de recueillir leurs réactions ou éléments de réponse.
Trois déplacements de terrain ont été réalisés :
– au centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin et à – l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lille-Seclin ;
– au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis ;
– à l’unité éducative d’hébergement collectif (UEHC) de Bagneux.
La mission a eu accès à un certain nombre de rapports non publiés, en particulier des inspections générales ou du conseil national des barreaux.
La mission remercie très sincèrement l’ensemble des personnes et institutions qui ont contribué à éclairer ses travaux.
Le constat unanime qui en résulte est celui d’une aggravation alarmante de la situation depuis la mise en place des premières feuilles de route relatives à la santé mentale des personnes placées sous main de justice en 2010 : les personnes souffrant de troubles psychiques sont de plus en plus nombreuses au sein de la population pénale, les capacités de prise en charge de plus en plus dégradées.
Pire, des facteurs systémiques conduisent à une véritable pénalisation de la maladie mentale : faute d’être prise en charge de manière adaptée par le système de soins, elle est aujourd’hui massivement présente dans le système pénal et peine à en sortir.
La première partie du présent rapport fait état d’une prévalence alarmante des troubles psychiques au sein de la population pénale et d’une dynamique d’aggravation inquiétante. Elle analyse également les facteurs de pénalisation de la maladie mentale, dérive alimentée par la crise de trois services publics :
– la santé, profondément affaiblie, est de moins en moins en capacité de répondre aux besoins des plus vulnérables, à défaut de dispositifs adaptés pour prendre en charge certains publics susceptibles de basculer dans le champ pénal ;
– la justice : la mission identifie de nombreux freins à la reconnaissance et à la prise en compte par cette dernière des troubles psychiques mais aussi des facteurs de surincarcération des personnes malades ;
– la prison, qui, dans un contexte explosif d’aggravation exponentielle de la surpopulation et de sous-effectif de personnel surveillant et soignant, est devenue un environnement de plus en plus pathogène.
La deuxième partie est consacrée à la prise en charge des troubles psychiques en détention. Elle met en évidence le fossé qui se creuse entre l’explosion des besoins et la dégradation des capacités de réponse. Les investissements et efforts consentis pour y structurer un parcours de soins sont en particulier profondément mis à mal par la surpopulation.
La troisième partie est centrée sur le milieu ouvert. Elle met en lumière les défaillances majeures de l’action publique à la sortie de prison : l’accès aux soins y est paradoxalement encore plus difficile, y compris dans le cadre de soins pénalement ordonnés. Plus encore, la mission observe une véritable crise des soins pénalement ordonnés : de plus en plus prescrits par les juridictions, ils sont de moins en moins applicables et appliqués. Ce dispositif exige donc une réflexion en profondeur, visant à mieux le cibler, à en restaurer la légitimité et à en garantir l’effectivité.
La quatrième partie porte une attention spécifique à la situation des mineurs et jeunes majeurs suivis par la PJJ dans le champ pénal. En dépit de données lacunaires, tout indique que leurs besoins de prise en charge sont plus criants encore, mais que les réponses sont pour ce public encore plus insuffisantes.
De manière générale, la mission appelle à prioriser l’amont, ce qui implique de mieux repérer les troubles dès l’enfance, notamment à l’école, de mieux accompagner les enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance, laquelle apparaît aujourd’hui comme le maillon le plus défaillant de l’action publique, alors même qu’elle devrait concentrer tous nos efforts.
Enfin, au-delà du manque de moyens, cette politique publique est considérablement affaiblie par des cloisonnements et des incompréhensions, voire des tensions, entre les acteurs qui prennent part à sa mise en œuvre, comme le montre la cinquième partie. Sa gouvernance et son pilotage, profondément défaillants, doivent impérativement être refondés.
Le rapport porte une vision qui dépasse les clivages partisans et formule une centaine de préconisations, couvrant l’ensemble de ces dimensions.
Dans un contexte où la santé mentale se dégrade à l’échelle de la population, le traitement pénal de la maladie est plus que jamais un enjeu de société.
Les personnes placées sous main de justice
La guide méthodologique 2019 rédigé par les ministères de la santé et de la justice sur la prise en charge des PPSMJ définit ce groupe d’individus comme l’ensemble des « personnes confiées par l’autorité judiciaire à l’administration pénitentiaire au titre d’un mesure judiciaire privative ou restrictive de liberté. Cela inclut les prévenus (personnes placées en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire dans l’attente de leur jugement et personnes jugées mais qui n’ont pas épuisé leurs voies de recours) et les condamnés (personnes incarcérées, personnes en aménagement de peine ([3]) et personnes faisant l’objet d’une peine alternative à l’incarcération en milieu ouvert.) ».
Il s’agit d’une population qui n’a cessé d’augmenter.
Entrent également dans cette catégorie les jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, étant précisé que la mission a ciblé les jeunes suivis au pénal. Selon la feuille de route « santé des personnes placées sous main de justice » 2025‑2028, au 1er janvier 2024, cette population se répartissait de la manière suivante :
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Première partie :
troubles psychiques et population pénale :
une ampleur alarmante, une dynamique inquiétante
La surreprésentation des troubles psychiques parmi les personnes placées sous main de justice est un phénomène ancien, unanimement reconnu par les acteurs de terrain et confirmé par les données disponibles.
Cette réalité, qui s’inscrit dans une dynamique d’aggravation, s’explique par une accumulation de dysfonctionnements qui ne font que s’amplifier avant, pendant et après l’incarcération.
I. une prévalence alarmante au sein d’une population qui ne cesse d’augmenter
Les troubles psychiques, de quoi parle-t-on ?
Selon l’OMS, « un trouble mental se caractérise par une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse ou de déficiences fonctionnelles dans des domaines importants. »
Les troubles psychiques ou mentaux désignent un ensemble d’affectations très diverses (troubles anxieux, dépression, troubles bipolaires, troubles post-traumatiques, schizophrénie, troubles de l’alimentation, troubles des conduites, troubles du neuro-développement, troubles addictifs en particulier) qui font l’objet d’un travail de classification basé sur la description des symptômes et de l’évolution de la maladie.
Deux outils font référence au niveau international qui utilisent des catégories similaires :
– le chapitre « troubles mentaux » de la classification internationale des maladies (CIM-11, qui correspond à sa onzième révision) produite par l’Organisation mondiale de la anté ;
– le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux couramment désigné par son signe anglais (DSM) et produit par l’Association américaine de psychiatrie. Sa dernière édition, DSM-5-TR a été publiée en 2022.
A. En milieu fermé, une surreprésentation des troubles
à tous les stades de la détention
1. Un constat ancien confirmé par des études récentes
L’altération de la santé mentale de la population carcérale par rapport à la population générale est largement documentée en France comme à l’international.
Il ne s’agit pas d’une problématique récente. Les psychiatres s’intéressaient déjà à ces questions au début du XIXe siècle. Une « note sur la fréquence de la folie chez les prisonniers » publiée par Jules Baillarger en 1846 constatait des « cas d’aliénation » dans les prisons jusqu’à six fois plus nombreux, toutes choses égales par ailleurs, que dans la population libre ([4]).
Alors que d’autres pays ont mené depuis plus de cinquante ans des travaux importants sur la question ([5]), il a fallu attendre 2006 pour avoir en France une première étude épidémiologique de grande ampleur([6]).
Elle montrait que 36 % des personnes incarcérées dans tous types d’établissements pénitentiaires présentaient en cours de détention au moins une maladie psychiatrique de gravité marquée à sévère et une prévalence très importante et très supérieure à la population générale pour les troubles de l’humeur (28 %), les troubles anxieux (29 %), les troubles liés à l’usage de substances (autour de 20 %) et surtout 17 % de troubles psychotiques, troubles les plus graves qui entraînent une rupture du contact avec la réalité.
Cette étude ancienne n’a été complétée que récemment par deux études majeures : une évaluation de la santé mentale de la population entrant en détention publiée en 2020 ([7]) et une évaluation de la santé mentale de la population sortante publiée en février 2023 ([8]).
Il en ressort des prévalences élevées à tous les stades de l’incarcération.
2. Une part importante de pathologies préexistant à l’incarcération
Selon l’étude sur la santé mentale à l’entrée en détention([9]), les troubles psychiatriques sont au sein de la population concernée trois fois plus représentés qu’en population générale et jusqu’à huit fois pour les addictions. 31 % des personnes présentaient un trouble de l’humeur, 44 % un trouble anxieux, 7% un trouble psychotique, 53 % une addiction.
Et Thomas Fovet, psychiatre au CHU de Lille, maître de conférences en psychiatrie à l’université de Lille, qui a piloté les deux dernières études, de résumer : « Les gens arrivent très malades en prison. »
3. En sortie de détention deux tiers des hommes et trois quarts des femmes présentent un trouble psychiatrique ou lié à une substance
Il ressort de l’étude sur la santé mentale en population carcérale sortante que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes sortant de détention présentent un trouble psychiatrique ou lié à une substance.
Dans le détail :
– 30,4 % des hommes et 53,4 % des femmes sont concernés par des troubles thymiques (incluant pour ces dernières à hauteur de 48,1 % un épisode dépressif caractérisé) ;
– 31,9 % des hommes et 57,3 % des femmes sont concernés par des troubles anxieux ;
– 10,8 % des hommes et 17 % des femmes sont concernés par un syndrome psychotique ;
– 49 % des hommes et 59,5 % des femmes sont concernés par une addiction (à hauteur de 30 % à l’alcool pour les femmes).
32,3 % des hommes et 58,8 % des femmes sont considérés comme modérément à extrêmement malades.
Comme l’a relevé Thomas Fovet et comme l’illustre le tableau ci-après, « les prévalences que l’on retrouve à la sortie ne sont pas très différentes de ce qu’on retrouve à l’entrée, et pendant l’incarcération. »
Source : Prévalence des troubles de santé mentale à la sortie de détention (SPCS), en détention (Félissard et al.) et à l’entrée en détention (Fovet et al.)
Ces études ne permettent pas d’éclairer l’impact de la prison. Il faut pour cela une étude longitudinale qui est en cours. On peut à tout le moins conclure avec Thomas Fovet qu’« au moment de la libération, les choses ne vont pas mieux. »
L’étude confirme la part très importante des comorbidités multiples, à savoir le cumul de troubles.
4. Un cumul de troubles psychiatriques et addictifs qui complexifie la prise en charge
a. La prévalence très élevée des conduites addictives
En 2023, une grande enquête menée par l’OFDT sur les consommations de drogues en prison ([10]) confirme aussi des prévalences de conduites addictives plus élevées parmi les personnes détenues qu’en population générale.
Les résultats de la première enquête ESSPRI concernant la prévalence
des conduites addictives au sein de la population détenue
La consommation de tabac, estimée à 73 %, y est environ 2,5 fois plus élevée qu’en population générale.
La consommation quotidienne de cannabis est de 26 %, prévalence 8 fois plus élevée qu’en population générale.
La consommation d’alcool est plus rare en détention : 16 % des détenus déclarent en avoir consommé au moins une fois et 3,7 % en avoir fait un usage dans le mois. Cependant 26 % des détenus rapportent en revanche une consommation quotidienne d’alcool avant leur incarcération, proportion deux fois plus élevée que celle observée dans la population générale.
14 % des détenus déclarent avoir consommé au moins une fois de la cocaïne, du crack, de la MDMA ou de l’héroïne au cours de leur détention et 3,5 % avoir eu recours à l’injection d’une drogue ou d’un produit de substitution. L’enquête confirme qu’une grande majorité des consommateurs de substances psychoactives en prison en consommaient déjà avant l’incarcération, parfois de manière importante.
Au-delà des troubles liés à l’usage de substances, plusieurs études alertent sur une prévalence élevée des troubles liés aux jeux d’argent et de hasard.
Le « jeu problématique » ([11]) serait entre cinq à dix fois plus présent dans la population carcérale que dans la population générale ([12]), variant de 17 à 60 % selon les pays, avec une moyenne d’environ 33 % pour l’ensemble des détenus interrogés ([13]). L’importance des conduites de jeu à risque ou excessives est confirmé par une étude menée en France publiée en 2023 ([14]).
b. Le cumul de troubles, spécificité majeure de la population carcérale
Les personnes qui cumulent au moins deux troubles (psychiatriques ou liés à l’usage de substances) représentent 41,6 % à l’entrée en détention contre 12,7 %, en population générale.
En cas de trouble de l’usage d’alcool ou de drogue, un trouble psychiatrique est associé dans 60 % des cas, et dans 90 % des cas lorsqu’il y a une double consommation d’alcool et de drogue ([15]).
« La grande majorité des individus incarcérés présentant un trouble de l’usage de l’alcool et/ou des drogues souffrent également d’au moins un trouble psychiatrique concomitant », confirment la MILDECA et l’OFDT ([16]).
c. Une forte intrication des troubles qui complexifie la prise en charge
Les relations entre troubles psychiatriques et addictifs sont largement documentées dans la littérature scientifique ([17]).
« Le fait de présenter l’un de ces troubles accroît la probabilité de présenter l’autre catégorie, » comme l’a précisé Jean-Baptiste Blanchard, membre de l’OIP, éducateur spécialisé et référent CSAPA ALiA à la maison d’Arrêt d’Angers ([18]).
Trois types de relations entre pathologies psychiques et addictives ([19])
Les troubles psychiques comme facteurs d’entrée dans l’addiction.
La pathologie psychiatrique induit la pathologie addictive. La consommation est utilisée comme moyen d’automédication pour soigner les symptômes des troubles psychiques.
Les troubles psychiques comme conséquence de la conduite addictive et des effets pharmacologiques délétères des produits.
La conduite addictive aggrave le trouble psychiatrique. L’utilisation des produits, sur un terrain au préalable vulnérable, peut faire émerger ou aggraver la pathologie psychiatrique. C’est l’exemple du cannabis dans la schizophrénie.
La co-occurrence fortuite entre des pathologies fréquentes.
L’existence de mécanismes communs, génétiques ou environnementaux favoriseraient la coexistence des deux troubles. C’est l’exemple du trouble de l’usage de l’alcool qui vient renforcer le trouble dépressif et/ou anxieux et inversement.
Il en ressort un moins bon pronostic quand les deux troubles sont présents que lorsqu’ils sont isolés. On note en particulier davantage de rechute, une plus grande sévérité clinique, une moins bonne observance thérapeutique des traitements, une moins bonne efficacité des traitements, plus de comportements hétéro et auto agressifs (un taux de suicide deux fois plus élevé chez les patients bipolaires avec un trouble co-occurent).
Le trouble psychiatrique aggravant le pronostic de l’addiction et inversement, il est essentiel de proposer une prise en charge simultanée et coordonnée des deux troubles.
d. Une prévalence élevée des troubles du neuro-développement
Il est par ailleurs urgent d’accorder une attention renforcée aux troubles du neuro-développement, en particulier le déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), encore largement sous-diagnostiqué.
Une méta-analyse internationale de 2015 indique en effet qu’un quart des détenus en seraient porteurs, proportion dix fois plus élevée que dans la population générale ([20]). Selon une autre méta-analyse de 2015 ([21]), « les personnes atteintes de TDAH dans l’enfance courent un risque deux à trois fois plus élevé d’être arrêtées, condamnées ou incarcérées à l’âge adulte ». Ces troubles peuvent se traduire par une hyperactivité physique ou mentale, un défaut d’attention et une forte impulsivité variables selon les personnes. En outre, la prévalence des addictions chez les adultes avec un TDAH varie entre 10 % et 30 %. ([22])
En l’absence de suivi adapté, violences, addictions, mauvaise gestion des émotions et difficultés à conserver un emploi stable peuvent conduire de nombreux jeunes et adultes porteurs d’un TDAH à basculer dans la précarité et la délinquance, de sorte que Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, a évoqué une « machine à produire de la délinquance ».
Il en va de même des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Selon un étude américaine, 60 % des adolescents et adultes atteints de TSAF avaient commis des infractions à la loi ([23]). Les jeunes atteints de TSAF auraient selon une autre étude 19 fois plus de risques de connaître un épisode d’incarcération que les autres ([24]).
Les personnes atteintes de TSAF sont par ailleurs plus à risque d’être en contact avec le système de justice pénale en tant que victimes, témoins, ou prévenus/accusés[25].
5. Carences éducatives, traumatismes précoces et spirale pénale enclenchée dès l’enfance
a. Une population très majoritairement masculine, jeune et précarisée
La population carcérale présente des spécificités très fortes. Elle constitue en particulier une population jeune, composée à plus de 95 % d’hommes, marquée par ailleurs par un cumul de fragilités socio-économiques (faible ancrage familial, précarité sociale). Parmi les sortants de prison interrogés dans le cadre de l’étude précitée :
– 9 % étaient sans domicile fixe ; 4,3 % étaient hébergés en institution ;
– 41 % disposaient d’un diplôme inférieur ou égal au brevet des collèges et 53 % étaient sans activité professionnelle.
b. Le poids des carences éducatives et familiales et des traumatismes subis pendant l’enfance
L’exposition aux traumatismes et maltraitances dans l’enfance est une autre caractéristique majeure de cette population. Les données issues de l’étude menée sur les sortants de prison sont à cet égard édifiantes :
– 75 % des hommes et 85 % des femmes rapportent avoir été victimes de négligences et de violences pendant l’enfance ;
– 52,4 % ont connu une mesure d’assistance éducative ou un placement au cours d’enfance.
c. Un parcours pénal marqué par la récidive et qui commence dès l’enfance
La dernière étude systématique d’une cohorte de sortants de prison([26]) est relativement ancienne (2021) et porte sur la cohorte 2016. Il en ressort que six sur dix ont commis une nouvelle infraction dans les quatre ans suivant la libération ([27]). L’étude montre que la récidive est très liée à la nature de l’infraction à l’origine de la détention et d’autant plus fréquente que les détenus étaient jeunes au moment de leur incarcération, ont connu des condamnations antérieures ou n’ont pas bénéficié d’un aménagement de fin de peine. Les femmes récidivent moins que les hommes, tout comme les détenus mariés en comparaison des détenus célibataires.
Le parcours pénal des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête précitée sur les sortants de prison est très fortement marqué par la réitération et la récidive :
– 69 % déclarent avoir été déjà incarcérés au moins une fois auparavant ;
– 31,2 % ont déjà été incarcérés plus de 4 fois.
Surtout, 45 % déclarent avoir fait l’objet d’une mesure pénale dès leur enfance ([28]).
6. Indicateur de souffrance psychique, la prévalence des idées et conduites suicidaires
La prévalence plus importante des suicides et des idées suicidaires en prison est établie. L’étude précitée sur les sortants de prison estimait le risque suicidaire à 27,8 % pour les hommes et 59,5 % pour les femmes.
28,2 % des hommes interrogés déclaraient avoir eu des idées suicidaires au cours de l’incarcération alors que 9,6 % indiquaient avoir fait une tentative de suicide et 5,5 % avaient été hospitalisés suite à une tentative de suicide.
Une étude sur les suicides des personnes détenues sur la période 2017-2021 ([29]) met par ailleurs en évidence un taux annuel de suicide de 17 pour 10 000 personnes chez les hommes et de 23 pour 10 000 personnes chez les femmes, taux 10 fois plus élevé pour les hommes et 40 fois plus élevé pour les femmes en prison qu’en population générale.
B. une très forte augmentation des besoins en milieu ouvert comme en milieu fermÉ
1. En détention, un constat empirique d’augmentation des troubles psychiques et du nombre de personnes qui n’y ont pas leur place
a. Des constats d’augmentation et d’aggravation des troubles
Faute d’enquêtes épidémiologiques régulières et longitudinales sur l’état de santé mentale des personnes détenues, il n’est pas possible de mesurer précisément l’évolution quantitative et qualitative des troubles psychiques en détention et de distinguer ce qui relève d’une forte prévalence à l’entrée, d’une aggravation en détention ou d’un cumul des deux.
Toutefois les témoignages des professionnels de terrain – soignants, magistrats, personnels pénitentiaires, éducateurs – ainsi que de l’ensemble des instances de contrôle font état d’une évolution préoccupante du nombre de personnes présentant des troubles psychiques et addictologiques. Ce constat empirique, bien que non quantifié, est unanime.
En témoigne en particulier la forte demande de formation sur ce sujet de la part des agents de l’administration pénitentiaire, confrontés quotidiennement et massivement à des situations de plus en plus déstabilisantes.
Un constat unanime d’augmentation des troubles
« Sur le plan médical, la population carcérale change beaucoup. Le flux de personnes de personnes entrantes est de plus en plus touché par des troubles psychiatriques, » souligne ainsi le docteur Aquilino Morelle, inspecteur général des affaires sociales, co-auteur d’un récent rapport sur le soin en prison.
L’Association nationale des visiteurs de prison évoque « un système qui craque » : « Sur une dizaine d’années, la situation s’est fortement dégradée. Les personnes qui arrivent présentent presque toutes des fragilités aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. »
« La dégradation de la santé mentale de la population carcérale » constitue « le principal sujet d’alerte concernant la santé en détention » remonté par les délégués de la Défenseure des droits en établissement pénitentiaire. ([30])
La présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM), Emmanuelle Rémond, alerte également : « Nous avons constaté que de plus en plus de nos proches sont confrontés à la justice pénale. »
Des estimations chiffrées ponctuelles viennent confirmer cette évolution. Ainsi, dans leur premier bilan du droit de visite, les bâtonniers relèvent qu’« à Limoges, un tiers des personnes incarcérées souffrent de troubles psychiatriques et le taux d’addiction grimpe à 60 %. À Laon, 50 % de la population carcérale est suivie pour des troubles psychiatriques, chiffre qui atteint 70 % à Bourges. »
Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, note l’existence d’un possible « effet de prisme lié à un meilleur repérage » sans que cela ne remette en cause le constat général.
Certains observent également des modifications qualitatives de ces troubles avec des tableaux cliniques plus sévères, plus complexes, une prévalence accrue de troubles graves.
« Les visites dans les établissements laissent apparaître de plus en plus de personnes atteintes de troubles psychiques graves, » note le CGLPL.
« Je vois la population changer, », confirme Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes. « Nous avons fait une coupe de la prison lors d’une enquête en 2021. L’équipe de psychiatrie suivait 80 % de la détention et il y avait 30 à 40 % de psychotiques sur cette coupe. Je pense que la situation ne s’est pas améliorée depuis. »
On peut également citer l’Agence régionale de santé (ARS) de Corse qui fait état d’une « prévalence croissante des troubles psychiques complexes » ([31]) ou encore la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Grand-Est : « Les professionnels pénitentiaires et de santé intervenant sur le ressort de la DISP sont unanimes quant au constat d’une évolution marquée du profil des personnes placées sous main de justice avec une prévalence accrue de pathologies psychiatriques complexes et parfois lourdes. Elles sont très souvent associées à d’importantes addictions et fragilités sociales et économiques. Ces difficultés conjuguées sont relevées dans des proportions beaucoup plus importantes que par le passé. » ([32])
« Au sein du service médico-psychologique régional (SMPR) de Rennes, la patientèle est passée de 6 % de sujets souffrant de schizophrénie paranoïde en 2015 à plus de 12 % aujourd’hui », a constaté Marc Fédèle, chef du pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire de Rennes. « C’est lié en partie à l’état alarmant du secteur de psychiatrie adulte générale. Nous recevons une population de patients déjà en rupture de soins et très symptomatiques avant d’entrer en prison. »
« Nous constatons les effets de la surpopulation et des conditions de détention sur nos patients qui présentent des pathologies de plus en plus sévères », note également Guillaume Giret, chef du pôle de psychiatrie légale et de santé mentale des détenus à Lyon.
b. Des personnes qui n’ont rien à faire en détention
Au-delà, les professionnels de terrain, qu’ils soient professionnels de santé, surveillants, éducateurs, magistrats, professionnels de l’insertion probation, estiment qu’un nombre croissant de personnes n’ont pas leur place en prison.
Il s’agit en particulier de personnes pour lesquelles l’incarcération apparaît contre-indiquée sur le plan médical, au regard de son impact sur leur état de santé, discutable du point de vue des finalités de la justice, dans la mesure où elles n’ont pas accès au sens de leur peine, ou encore de personnes dont les professionnels chargés de leur suivi peinent à comprendre qu’elles aient pu être jugées pénalement responsables de leurs actes au vu des troubles dont elles souffrent.
Le CGLPL indique ainsi être destinataire de remontées régulières des soignants en milieu carcéral, appelant son attention sur l’incompatibilité de l’état de santé psychique de certaines personnes avec l’enfermement.
Ce constat, qui n’est pas nouveau([33]), s’est imposé lors de nos déplacements. Au centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin, une femme tapait de manière répétée à la porte d’une cellule qui portait la mention : « ouverture porte à deux surveillants ». Il nous a été précisé qu’il s’agissait d’une personne présentant un âge mental estimé à huit ans et à laquelle on accorde par dérogation au règlement le droit d’avoir son doudou pour tenter de la calmer. Au quartier spécifique, sont enfermés des adultes à qui l’on donne des coloriages ou à qui l’on met des couches.
Julien Stefaniak, surveillant rencontré à Lille, a évoqué la gestion d’un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme, passé par l’aide sociale à l’enfance, et dont les experts avaient conclu à une grave altération de ses facultés mentales. Incarcéré de ses 13 ans à ses 18 ans en établissement pour mineurs, l’adolescent était particulièrement difficile à contenir. Les sanctions disciplinaires n’ayant aucune prise sur lui, le personnel pénitentiaire avait fini par identifier un seul moyen de pression efficace : lui retirer ses cartes Pokémon. À sa majorité, il a été transféré à Château-Thierry, centre pénitentiaire de fait spécialisé dans la prise en charge des troubles psychiques graves.
2. En milieu ouvert, une augmentation des besoins de prise en charge, dont témoigne très partiellement celle des soins pénalement ordonnés
En milieu ouvert, il n’existe aucune donnée épidémiologique ou statistique permettant d’évaluer l’ampleur des troubles psychiques parmi les personnes placées sous main de justice ([34]). Leur prise en charge relève des structures de droit commun, qui ne sont pas informées de la situation judiciaire des patients, sauf pour certains soins pénalement ordonnés.
Les soins pénalement ordonnés
L’injonction de soins
Pour qu’elle soit prononcée, la personne doit avoir été condamnée pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru et une expertise médicale doit avoir conclu à la possibilité d’un traitement.
Dès lors que ces conditions sont remplies, l’injonction de soins peut être prononcée :
• soit au moment du prononcé de la peine, dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve, ou du suivi socio-judiciaire ;
• soit dans le cadre d’une mesure d’aménagement de peine sous forme de libération conditionnelle ;
• soit dans le cadre d’une mesure de sûreté (surveillance ou rétention).
L’injonction de soins commence à la sortie de la détention ; en détention, seule une incitation aux soins est possible.
Un médecin coordonnateur, désigné par le juge d’application des peines (JAP), supervise les soins délivrés et en rend compte au JAP.
L’obligation de soins
Beaucoup moins encadrée que l’injonction de soins, elle est beaucoup plus régulièrement prononcée par les magistrats. Cette mesure consiste en une obligation de consultation.
La personne est libre de choisir son médecin ou la structure où elle souhaite être suivie sans organisation de la relation entre la justice et la santé. Mesure générale applicable avant ou après déclaration de culpabilité, elle ne nécessite pas d’évaluation médicale préalable : le magistrat apprécie l’opportunité de la mesure en fonction des éléments dont il dispose.
L’obligation de soins peut également consister en une « injonction thérapeutique » pour les condamnés faisant usage de stupéfiants ou ayant une consommation excessive de boissons alcooliques. Sa mise en œuvre fait intervenir un médecin relais habilité qui fait connaître à l’autorité judiciaire son avis motivé sur l’opportunité médicale de la mesure.
Ces obligations ne peuvent s’exécuter lors de la partie ferme de la peine (période pendant laquelle la PPSMJ est libre ou non de suivre des soins).
Les seules données disponibles relatives à l’évolution des besoins de prise en charge en milieu ouvert concernent les soins pénalement ordonnés. Comme le souligne l’union syndicale des magistrats, « la majorité de ces soins sont en lien avec la santé mentale. Ils peuvent se coupler avec un suivi en addictologie qui nécessite, pour assurer leur efficacité, un suivi psychique également. » ([35])
Ces mesures augmentent très fortement, ce qui constitue un indicateur indirect bien que très imparfait d’une montée des troubles psychiques et addictifs parmi les personnes placées sous main de justice. Ces décisions relèvent certes d’une logique judiciaire et ne sont pas toujours fondées sur une évaluation médicale préalable mais elles sont un indicateur objectif d’une demande de prise en charge.
Le ministère de la justice estime à plus de 73 500 en 2024 le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une des mesures figurant dans la liste ci-dessous, en hausse de 109 % depuis 2014.
Liste des mesures de soins pénalement ordonnés utilisées
Se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins même sous le régime de l’hospitalisation |
Se soumettre à un traitement médical |
Se soumettre à un suivi psychiatrique |
Se soumettre à un suivi psychologique |
Injonction de soins |
Être hospitalisé |
Placement dans un établissement de santé |
Placement dans un établissement médico-social |
Subir une cure de désintoxication |
Prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique |
Prise en charge individualisée au sein d’un établissement d’accueil adapté aux personnes radicalisées placées sous main de justice |
Source : statistique SID-Cassiopée,
Le recours aux seules injonctions de soins, bien que limité par la pénurie de médecins coordonnateurs (voir infra), a lui aussi connu une croissance marquée au cours des dix dernières années.
injonctions de soins prononcées par les juridictions de première instance
Année |
Injonctions de soins |
Dont sur des personnes mineures |
2015 |
446 |
12 |
2016 |
549 |
22 |
2017 |
481 |
21 |
2018 |
444 |
23 |
2019 |
525 |
14 |
2020 |
895 |
86 |
2021 |
1 125 |
140 |
2022 |
1 032 |
120 |
2023 |
938 |
101 |
Source : SG-SSER SID/CASSIOPEE-Traitement DACG/BEPP
Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) occupent en milieu ouvert ([36]) une position d’observation privilégiée pour repérer les signes de fragilité psychique des personnes sous main de justice, même s’ils ne disposent ni de la formation ni des moyens pour poser un diagnostic. Ils observent également une dégradation importante de la santé mentale des personnes suivies en milieu ouvert. « Les personnels pénitentiaires en poste depuis plusieurs années témoignent régulièrement que le nombre de PPSMJ souffrant de troubles psychiques augmente, tant en milieu fermé qu’en milieu ouvert, » confirme la direction de l’administration pénitentiaire.
II. la pénalisation de la maladie mentale : une dérive alimentée par la crise du soin, de la justice et de la prison
L’augmentation des troubles psychiques au sein de la population pénale est un phénomène multifactoriel.
Elle s’inscrit d’abord dans une tendance plus large et désormais bien documentée : la dégradation générale de la santé mentale de la population générale, aggravée depuis la crise sanitaire et particulièrement marquée chez les jeunes. Or la population pénale, qui est particulièrement jeune, notamment en maison d’arrêt, et qui cumule des vulnérabilités, est nécessairement en première ligne de cette évolution.
Mais cette réalité s’explique aussi par un enchaînement de carences de l’action publique – avant, pendant et après l’incarcération ‑ en lien avec les difficultés croissantes rencontrées par les trois principaux maillons institutionnels de cette politique publique – psychiatrie, justice, prison.
Non seulement ces facteurs pris individuellement s’aggravent, mais ils se renforcent mutuellement créant un cercle vicieux.
Selon Wilfried Fonck, secrétaire national de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP UNSA-Justice), « la prison cristallise tous les échecs qui ont eu lieu avant. On nous demande de réussir là où tout le monde s’est planté avant ».
A. L’effondrement de la psychiatrie publique : la dÉfaillance des prises en charge en amont du parcours judiciaire
1. Le défaut de soins, facteur de passage à l’acte délictuel ou criminel
a. Le lien entre passage à l’acte délictuel ou criminel et santé mentale doit être abordé avec prudence
Les facteurs qui participent à la genèse des comportements violents sont multiples et souvent imbriqués. La relation entre trouble psychique et violence est complexe et ne peut se réduire à un simple lien de causalité.
Comme le souligne la Haute autorité de santé (HAS) , « du fait des représentations de la maladie mentale dans la population générale et d’un climat souvent passionnel, il existe une surestimation manifeste du risque de comportement violent chez les personnes souffrant de troubles mentaux »([37]).
Plusieurs études indiquent par ailleurs que les personnes souffrant de troubles psychiques graves sont 7 à 17 fois plus fréquemment victimes de violence que la population générale ([38]). Elles sont bien plus à risque de subir des violences et d’être en contact avec le système judiciaire en tant que victimes.
b. Troubles psychiques et passages à l’acte
Le lien entre troubles psychiques et passages à l’acte est débattu.
Si la HAS relève que le risque de comportement violent chez les personnes souffrant de troubles mentaux est « une réalité clinique, connue de longue date, » elle note que « la maladie mentale grave n’est pas, en elle-même, un fort indicateur de violences à venir. Les facteurs qui participent à la genèse des comportements violents sont multiples et souvent intriqués. L’association maladie mentale grave et abus ou dépendance à des substances psychoactives majore le risque, de même que certains événements de vie. »
La HAS indique ainsi que « les recherches concernant les relations entre facteurs cliniques et violence n’ont pas toujours donné des résultats très concordants – la question des abus et dépendances à des substances psychoactives mise à part, ce dernier facteur étant universellement identifié, seul ou en comorbidité, comme très fortement associé avec les conduites agressives.
Les autres variables cliniques ne contribuent que modérément à l’identification du risque de survenue de violence, pas plus en tout cas que bon nombre de variables “ générales ” : en effet l’âge (jeune), le sexe (masculin), le statut socio-économique (bas) ou bien encore la qualité de l’environnement (voisinage défavorisé, absence de logement) sont des indicateurs reconnus de comportements violents. Ces variables générales, en outre, par la force de leur association statistique avec les comportements antisociaux, peuvent masquer l’effet éventuel des éléments cliniques dans les analyses épidémiologiques.»
Il arrive que l’acte pénalement répréhensible constitue le symptôme d’un trouble non pris en charge. S’agissant des personnes souffrant de schizophrénie, « quand ils sont délirants, ils font des bêtises et comme ils n’ont pas les pieds sur terre, ils se font prendre », analyse Bruno Falissard, « C’est même leur maladie qui a entraîné l’acte délinquant » ([39]).
Comme le relève la HAS et comme le soulignent la MILDECA et l’OFDT, la consommation de substances psychoactives est identifiée par les données de la littérature scientifique([40]) comme un facteur majeur de passage à l’acte.
Il en va de même des troubles liés aux jeux d’argent et de hasard : « certains chercheurs s’appuyant sur une synthèse de différents travaux de recherche estiment qu’environ 50 % des délits ou des crimes commis par des personnes détenues ayant des problèmes de jeu plus ou moins graves, l’ont été pour soutenir leur pratique » ([41]).
Thomas Fovet souligne que « l’association de pathologies, notamment celle d’un trouble psychiatrique et d’une addiction, constitue un facteur de risque de passage à l’acte. » Elle est en particulier identifiée comme un facteur de risque important de crime violent, conduisant à l’incarcération fréquente des personnes souffrant de ce double diagnostic ([42]).
c. Troubles psychiques et récidive
L’étude précitée d’une cohorte de sortants de prison ([43]) montre que « ceux qui présentent des troubles psychologiques ou psychiatriques récidivent davantage ». Sur l’ensemble des sortants de prison étudiés, 31 % sont à nouveau condamnés pour une infraction commise dans l’année qui suit leur libération. Les personnes avec antécédents psychiatriques le sont dans 38 % des cas, comme 43 % des personnes ayant des antécédents d’automutilation. 36 % des personnes souffrant d’addictions sont à nouveau condamnées.
L’addiction (notamment à l’alcool, aux stupéfiants, aux jeux d’argent et de hasard) est aussi identifiée comme un facteur de risque de récidive. ([44])
Comme l’indique l’étude précitée sur les sortants de prison, « l’enjeu de l’identification des troubles psychiatriques avant la libération est crucial puisque ces derniers sont associés à la réitération des infractions ([45]) tout particulièrement lorsqu’aucune prise en charge n’a été initiée ([46]). »
L’existence d’un « cercle rue-hôpital-prison », c’est-à-dire le passage répété des mêmes personnes en situation de grande précarité et souffrant de troubles psychiatriques entre la rue, l’hôpital et la prison a été bien documenté aux États-Unis sous le nom de « revolving doors »([47]).
2. « Des gens arrivent en prison parce qu’ils ne sont pas soignés dehors et y reviendront pour la même raison »
« On ne peut pas parler de la psychiatrie en milieu pénitentiaire sans faire le lien avec la crise profonde que traverse la psychiatrie à l’extérieur, » a insisté Valérie Kanoui, cheffe de service de l’unité de soins en milieu pénitentiaire (USMP) de Fleury-Mérogis, vice-présidente de l’Association des personnels de santé exerçant en prison (APSEP). « Il faut avoir à l’esprit qu’aujourd’hui la population générale est très mal soignée. Des gens sont en rupture totale de soins. C’est cette rupture totale de soins qui va conduire à l’incarcération dans un contexte délictueux. Des gens arrivent en prison car ils ne sont pas soignés dehors et y reviendront pour la même raison. »
a. Le « désastre » de la psychiatrie : l’effondrement des capacités de prise en charge face à l’explosion des besoins
La crise du secteur de la psychiatrie, touchée par la pénurie de soignants et de lits, a été très abondamment documentée ces dernières décennies tout comme la détérioration rapide de la santé mentale de la population observée ces dernières années, en particulier chez les jeunes et singulièrement depuis la crise sanitaire ([48]).
L’ensemble des observateurs et acteurs rencontrés par la mission estime que la présence massive de troubles psychiques en prison s’explique en grande partie par cette situation qualifiée de « désastre » par Frank Bellivier. Alors que les besoins explosent, un nombre croissant de personnes malades ne bénéficie ni d’un diagnostic précoce, ni d’une prise en charge adaptée dans le cadre du droit commun.
Le « lien de causalité entre la diminution de la prise en charge psychiatrique en population générale et l’augmentation du nombre de personnes incarcérées souffrant de troubles psychiques » est établi par le CGLPL comme par l’ensemble des acteurs entendus par la mission. Comme le résume Pascale Giravalli, psychiatre, cheffe de service de l’Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Marseille, présidente de l’Association des secteurs de Psychiatrie en milieu Pénitentiaire (ASPMP), « l’absence de soins psychiatriques à l’extérieur fabrique de la délinquance que l’on retrouve en prison ».
Un lien de causalité établi par l’ensemble des acteurs
La direction de l’administration pénitentiaire, qualifie « l’augmentation constatée depuis plusieurs années du nombre de personnes détenues souffrant de troubles psychiques » d’« effet de bord de la diminution de l’offre de prise en charge psychiatrique en population générale. »
Pour l’Union syndicale des magistrats (USM), « s’il n’est pas possible de généraliser faute d’enquête scientifique sur ce sujet, il est certain que les magistrats sont confrontés de façon récurrente à des personnes commettant des infractions en raison d’un arrêt de soins, volontaire ou non. » Parmi les facteurs responsables de la pénalisation accrue des personnes souffrant de troubles, l’USM évoque « le démantèlement de l’hôpital psychiatrique qui a précipité dans la rue, sans réel suivi, nombre de personnes atteintes de pathologies » ainsi que la prise en charge et la prévention insuffisantes des addictions.
L’association nationale des juges d’application des peines (ANJAP) pointe également « l’état alarmant de délabrement du secteur public de la psychiatrie, et qui, de ce fait, ne joue plus son rôle dans la détection et la prise en charge de ces troubles. »
« À l’audience, on se rend compte que les prévenus qui comparaissent ont souvent une problématique d’alcoologie, de troubles psychiques, des expériences de vie complexes sans l’accompagnement qui aurait permis de les surmonter », relève Cécile Gressier, sous-directrice de la justice pénale générale à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) au ministère de la justice.
De même, pour le Syndicat de la magistrature, « la pénalisation renforcée des passages à l’acte imputables aux personnes atteintes de troubles mentaux résulte d’un défaut de politiques publiques de prise en charge des personnes malades, sur le plan médical et social. »
« Plus que la maladie mentale, c’est le défaut de prise en charge sanitaire et sociale des publics qui en sont atteints qui constitue le facteur majeur de passage à l’acte », observe également l’Observatoire international des prisons (OIP).
« Combien de jeunes sont en détention parce qu’ils ne sont pas pris en charge en hôpital psychiatrique ? » s’est interrogé Frédéric Gautier, responsable d’unité à la PJJ de l’Orne et élu national à la CFDT PJJ, en illustrant son propos par le cas récent d’un jeune qui était hospitalisé au centre psychothérapeutique de l’Orne et qui en a été « sorti » car jugé « trop dangereux » à l’intérieur du centre. « Quelques mois plus tard, il était en prison car il était évidemment trop dangereux à l’extérieur aussi. »
« Nous avons des détenus qui avant leur passage à l’acte sont allés demander secours auprès des services psychiatriques et n’ont pas été pris au sérieux. Puis il y a eu passage à l’acte. Ils arrivent chez nous avec de graves troubles », a également constaté Élise Tabary, surveillante au centre pénitentiaire de Château-Thierry ([49]).
« La psychiatrie n’en veut pas. La prison est obligée de les accepter », observe Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Carences et ruptures de soins en amont de l’incarcération
Une grande partie des entrants en détention n’a pas eu de contact avec le système de soins dans les douze mois qui ont précédé l’incarcération. Cette part était estimée, au niveau national, à six entrants sur dix en 2015 ([50]). « Cette consommation de soins moindre que la population générale » est à rapprocher en partie de l’âge médian de la population carcérale (32 ans en 2015), mais également du mode de vie et de la précarité des conditions sociales d’une partie importante des personnes détenues avant leur incarcération. » ([51])
L’étude de décembre 2022 sur les sortants de prison indique qu’avant incarcération 48,5 % avaient déjà bénéficié d’un suivi par un psychiatre, un psychologue ou un addictologue, dont seulement 23,9 % dans le mois précédent l’incarcération. Près d’un cinquième des répondants (19,5 %) avaient déjà été hospitalisés en psychiatrie, 10,9 % avaient déjà été hospitalisés en addictologie ou avaient suivi une cure ou postcure, et 13,1 % avaient bénéficié d’un traitement par agoniste opioïde (TAO).
b. Un système de soins qui pénalise davantage les plus vulnérables
Le système de soins se révèle encore plus défaillant lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins des publics les plus vulnérables, ceux-là mêmes que l’on retrouve massivement en détention.
En premier lieu, la « désinstitutionalisation » a constitué une avancée en rompant avec la psychiatrie asilaire. En revanche, la baisse des budgets et des effectifs ainsi que la réduction des lits d’hôpitaux non compensée par les capacités en ambulatoire ont mené à une crise de la psychiatrie qui pénalise particulièrement les publics porteurs des troubles les plus complexes, notamment ceux qui cumulent trouble psychiatrique et addiction ou encore ceux dont les troubles psychiques s’accompagnent d’une grande précarité sociale.
La « désinstitutionalisation » de la psychiatrie
Dans de nombreux pays, à compter des années 1960, parallèlement au développement de traitements médicamenteux efficaces, on observe un mouvement visant à fournir des soins aux personnes malades tout en leur permettant de continuer à vivre chez elles plutôt que dans un établissement, mouvement qualifié de « désinstitutionalisation du soin psychiatrique ». Cette évolution s’est traduite par la promotion de services ambulatoires appelés à relayer ou remplacer l’hôpital psychiatrique.
En France, le nombre de lits d’hospitalisation est parallèlement passé de 120 000 en 1970 à 40 000 en 2005 et la durée moyenne de séjour a été ramenée de 270 jours en 1969 à 32 jours en 1999 ([52]).
Le « virage ambulatoire », qui s’est poursuivi et a réduit les capacités d’hospitalisation à temps complet de près de 7 000 places (6 741) en psychiatrie en quinze ans, affecte principalement le secteur public qui a vu fermer près de 8 800 places depuis 2008. La diminution des capacités d’accueil à temps complet n’a pas été compensée à due concurrence par les créations de places d’accueil à temps partiel dans le cadre du « virage ambulatoire ». Ces fermetures de lits se sont accélérées après la crise sanitaire, principalement en raison du manque de personnel ([53]).
Déjà en 2000, dans un rapport intitulé « Prisons : une humiliation pour la République », une commission d’enquête du Sénat relevait que « la fin des asiles traditionnels a laissé de côté les malades mentaux errants ou en situation de précarité, qui suivent leur traitement de manière hasardeuse »([54]).
Si la psychiatrie ambulatoire s’est développée, elle reste structurellement sous-dotée pour prendre en charge « les publics les plus précaires et instables, les moins insérés socialement », confirme Thomas Fovet. D’autant que ces personnes nécessitent « une action proactive, un aller-vers ».
Une prévalence massive de troubles chez les personnes sans domicile
Une étude conduite en Île-de-France a montré qu’environ un tiers des personnes sans logement personnel souffrirait de troubles psychiatriques sévères ([55]) (troubles psychotiques, troubles sévères de l’humeur ou troubles anxieux).
La dépendance ou la consommation régulière de substances psychoactives étaient de 3 à 6 fois supérieures à celles de la population générale.
Selon d’autres études, la prévalence de troubles mentaux approcherait 75 % si l’on inclut d’autres troubles comme la dépression, l’anxiété ou le trouble de stress post-traumatique ([56]).
Par ailleurs, alors que les vulnérabilités psychiques et sociales sont fortement imbriquées, « les acteurs du soin sont insuffisamment coordonnés avec les autres acteurs convoqués au chevet de ces publics pour lesquels des réponses globales et multisectorielles sont nécessaires (acteurs sanitaires, acteurs de l’addictologie, du champ social, du logement) », comme le souligne le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie.
« Notre organisation est excessivement centrée sur la psychiatrie », a également constaté Anne-Sophie Lepinard, présidente de la commission accès au droit et membre de la commission libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux (CNB). « Dans d’autres pays des prises en charges pluridisciplinaires sont mises en place. La Cour européenne des droits de l’homme ([57]) rappelle que les personnes atteintes de troubles psychiques sont des personnes vulnérables qui nécessitent une prise en charge médicale mais aussi un accompagnement social. L’intervention d’un psychiatre ne suffit pas. »
« La désinstitutionalisation a été très positive pour l’accès aux droits et la vie dans la cité, mais on a aussi laissé sur le bord du chemin une part importante des personnes présentant les troubles les plus complexes, en particulier les pathologies duelles », note Thomas Fovet.
Ces publics se heurtent eux aussi à un cloisonnement important entre les structures de soins psychiatriques et addictologiques alors même que les deux problématiques sont étroitement corrélées.
L’UNAFAM insiste particulièrement sur ce point : « Nos proches auraient beaucoup moins à faire avec la justice pénale s’il y avait des soins plus intégrés en amont entre addictologie et psychiatrie. Des personnes sont hospitalisées pour une décompensation psychotique. À la faveur des entretiens et des soins qu’elles reçoivent, on découvre une consommation de stupéfiant. Pourtant, les soins ne sont alors pas prodigués de manière concertée. »
Non seulement la prise en charge coordonnée et intégrée fait défaut mais Antonia Dandé, directrice de l’association Épisode ([58]) à Béziers, évoque un « effet patate chaude » où psychiatrie et addictologie se renvoient la responsabilité : « en addictologie, quand il n’y a pas de prise en charge psychiatrique, on est démunis et on demande au préalable une prise en charge psychiatrique. Inversement en psychiatrie, quand un patient est dans une situation de dépendance, on peut être démunis pour initier une prise en charge psychiatrique et on renvoie vers l’addictologie ».
La prise en charge défaillante des comorbidités est particulièrement préoccupante dans un contexte où l’état de santé mentale de la population se dégrade et où les usages de substances évoluent de manière inquiétante, notamment chez les publics les plus précaires ([59]).
Addictions et comorbidités : « prégnance croissante », « prise en charge complexe »
La moitié des patients admis en service hospitalier de psychiatrie présente un trouble mental associé à un abus de substance (principalement l’alcool, le cannabis et les sédatifs). ([60])
Le rapport d’information précité de nos collègues Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau sur les urgences psychiatriques souligne « la prégnance croissante des enjeux d’addiction » qui « s’illustre à la fois dans la prévalence des venues aux urgences pour motif psychiatrique associées à une consommation de stupéfiants, et dans l’augmentation des hospitalisations pour sevrage au sein des hôpitaux généraux. Cette dernière est plus rapide que l’augmentation totale des séjours pour motif psychiatrique. »
Le rapport précise que « ces prises en charge sont particulièrement complexes s’agissant des intoxications par drogues de synthèse, fréquemment associées à des comportements violents et extrêmes des patients envers les soignants et les autres patients et des dégradations du matériel. »
Il cite à cet égard le syndicat Samu-Urgences de France : « Il y a entre 40 % et 50 % de comorbidités psychiatriques en lien avec les conduites addictives. On assiste à une flambée de l’usage des drogues et des nouvelles drogues : c’est un tsunami. Les patients qui arrivent sous l’emprise de ces drogues aux urgences sont tellement violents qu’on ouvre la porte du service et on les laisse partir. »
Enfin et surtout, au regard de l’état encore plus délabré de la pédopsychiatrie, les publics les plus abandonnés par le système de soin sont les enfants et les adolescents, à commencer par les plus fragiles et vulnérables d’entre eux, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, dont il est question dans la quatrième partie du présent rapport.
c. Le déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison
Dès 1939, le psychiatre et statisticien Lionel Penrose a mis en lumière une relation inverse entre le nombre de lits de psychiatrie et le nombre de personnes incarcérées dans un pays. Si cette corrélation est discutée ([61]), une littérature abondante observe que la diminution du nombre de lits hospitaliers de psychiatrie en France a entraîné un déplacement des patients les plus déficitaires vers les institutions médico-sociales, et des plus pauvres vers la prison ou la rue ([62]).
Mundtet al., JAMA Psychiatry2015 ; Thomas, Amadet Fovet, 2015
« Asile de substitution » pour le CGLPL, « mode de gestion de la folie » pour l’OIP, « lieu d’asile pour les malades psychiatriques » pour Pascale Giravalli, cheffe de service de l’UHSA de Marseille, présidente de l’ASPMP : l’idée selon laquelle la prison remplit des fonctions qui étaient autrefois celles des hôpitaux psychiatriques a été abondamment évoquée au cours de nos travaux.
Le conseil national des barreaux constate pour sa part « un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison ». L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’inspection générale de la justice (IGJ), dans un récent rapport sur l’accès aux soins en prison, parlent d’une « psychiatrisation de la prison ».
D’autant que parallèlement, ainsi que le relèvent Thomas Fovet et Camille Lancelevée ([63]), l’entrée de l’hôpital dans la prison (voir infra) renforce l’idée selon laquelle la prison serait un lieu adapté pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques graves : « il n’est pas rare que les juges orientent une personne vers une prison disposant d’un dispositif de soins psychiatriques richement doté dans l’optique de combiner sanction pénale et soins psychiatriques. »
Enfin, d’autres tels Éric Aouchar, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation au SPIP de Paris ou Christiane de Beaurepaire, ancienne cheffe du service psychiatrie de la prison de Fresnes, dans un essai publié en 2009 ([64]), pointent un enjeu budgétaire alors que le coût d’une journée en prison est très inférieur à celui d’une journée à l’hôpital.
Préconisation n° 1 : Donner aux structures de soin les moyens nécessaires, notamment par l’ouverture de lits, pour sécuriser les parcours d’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques.
B. une justice de plus en plus démunie : une prise en compte insuffisante des troubles psychiques
La forte prévalence des troubles psychiques en détention trouve aussi ses racines dans le cadre juridique et le fonctionnement de l’institution judiciaire.
Faute d’expertises psychiatriques réalisées dans des conditions satisfaisantes et dans un contexte de recours croissant aux procédures accélérées, la justice est de plus en plus confrontée aux troubles psychiques avec des moyens toujours plus limités pour en tenir compte.
En dépit de données lacunaires, les mécanismes juridiques censés protéger les personnes souffrant de troubles – irresponsabilité pénale ou atténuation de la peine en cas d’altération du discernement, réductions et aménagements de peine pour raisons liées à la santé psychique – apparaissent peu mobilisés.
Plus encore, les personnes souffrant de troubles sont exposées à des facteurs de surincarcération ([65]).
1. Des freins croissants au recours à l’irresponsabilité pénale
Pour expliquer la surreprésentation de troubles psychiatriques en détention, plusieurs personnes et organisations entendues mettent en cause une diminution du recours à l’irresponsabilité pénale ([66]).
« La responsabilité pénale repose sur la capacité d’un individu à comprendre l’interdit et vouloir son acte et le résultat de celui-ci » ([67]). Son corollaire, l’irresponsabilité pénale, est un principe fondateur du droit pénal : une personne ne peut être tenue pénalement responsable de ses actes si, au moment des faits, elle était atteinte de troubles psychiques ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
Les magistrats s’appuient sur des expertises médicales pour identifier une éventuelle abolition ou altération du discernement.
a. Une irresponsabilité pénale qui reste marginale
Les travaux de Camille Protais ont mis en évidence une diminution sensible du taux d’irresponsabilité pénale pour cause psychiatrique au cours du dernier quart du vingtième siècle avant une stabilisation de ce taux, entre 0,2 et 0,6 % des affaires instruites, dans les années 2000 ([68]).
En 2023, le ministère de la justice estime à environ 11 600 le nombre de personnes qui ont été reconnues irresponsables pénalement, soit 0,5 % des quelque 2 millions de personnes orientées par an ([69]), proportion qui demeure marginale. En 2019, ce nombre était estimé à moins de 10 000, soit une proportion estimée également à 0,5 % des personnes suivies chaque année par la justice pénale ([70]).
Cette irresponsabilité est dans l’écrasante majorité des cas constatée dès le stade de l’enquête, au travers de classements sans suite dont le nombre a fortement augmenté entre 1998 et 2018 et semble globalement stabilisé depuis.
« Il est vrai qu’il y a eu une baisse des irresponsabilités pénales dans les années 1990-2000. Mais sur les années 2010-2020, c’est assez stable », a précisé Thomas Fovet.
La question de l’irresponsabilité n’est « qu’une partie du problème », comme il le souligne. D’autant qu’une personne atteinte de troubles psychiques ne voit pas son discernement automatiquement aboli ou altéré. Le discernement est évalué au moment du passage à l’acte et une dégradation de l’état de santé peut être postérieure aux faits sans impact sur la responsabilité pénale. De plus, l’absence d’abolition du discernement au moment des faits ne préjuge en aucun cas de l’absence d’un trouble psychiatrique sévère par ailleurs.
Néanmoins, la proportion très marginale d’irresponsabilités pénales ne peut qu’interroger au regard des chiffres de prévalence des troubles psychiques au sein de la population pénale.
Une irresponsabilité pénale constatée le plus souvent dès le stade de l’enquête
Dans l’écrasante majorité des cas (11 200 ([71]) personnes soit 96 % des cas d’irresponsabilité pénale en 2023), l’irresponsabilité est constatée par le parquet, dès le stade de l’enquête ([72]) à travers un classement sans suite.
En 2023, 4 371 personnes ont fait l’objet d’un classement sans suite pour état mental déficient ([73]), dont 6 % étaient mineures au moment des faits.
En 2023, 6 862 personnes ont fait l’objet d’un classement pour trouble psychique ([74]), dont environ 8 % étaient mineures au moment des faits.
Après une diminution au début des années 2000, le nombre de classements sans suite a :
- augmenté de 55 % entre 1998 et 2003 (passant de 2 385 à 3 705) ;
- puis doublé sur la période 2012 à 2018 (passant de 6 195 à 13 495) ([75]).
Entre 2018 et 2023, en moyenne annuelle, le ministère de la justice estime à 10 000 le nombre de personnes ayant bénéficié d’un classement sans suite pour trouble psychique.
Les décisions d’irresponsabilité pénale prononcées par les juridictions pénales sont très minoritaires et rarissimes devant les cours d’assises.
En 2023, elle se répartissent de la manière suivante : 66 pour les chambres de l’instructionen 2023 ; 335 pour les tribunaux correctionnels (sur 607 045 décisions rendues par les tribunaux correctionnels ([76]) soit 0,05 %) ([77]) ; 7 pour les juridictions pour enfants ([78]) ; moins de 5 cas pour les cours d’appel et moins de 5 cas pour les cours d’assises (affaires criminelles).
Parmi ces décisions, 205 ont été prononcées sur comparution immédiate, 75 sur comparution à délai différé, 51 sur convocation par officier de police judiciaire (COPJ) devant le tribunal correctionnel et 54 sur convocation par procès-verbal.
b. Un champ restreint par deux interventions législatives
L’irresponsabilité pénale, un champ restreint par deux interventions législatives
Le champ de l’irresponsabilité pénale a été restreint par deux interventions successives du législateur.
En 1994, il a introduit la responsabilité pénale atténuée lorsque le trouble a altéré le discernement sans l’abolir.
En 2022 ([79]), il a exclu l’irresponsabilité pénale lorsque l’intéressé a consommé volontairement des substances psychoactives dans un temps très voisin de l’action et dans le dessein de commettre l’infraction.
Même si les données font défaut ([80]), l’introduction de la notion d’altération du discernement a mécaniquement contribué à la diminution du nombre de personnes déclarées irresponsables et à une augmentation de l’incarcération de personnes dont la responsabilité est considérée comme « atténuée ».
Par ailleurs, selon le CGLPL, « les expertises psychiatriques, qui ne sont systématiques qu’en matière criminelle et qui ne lient pas le juge, concluent rarement à l’irresponsabilité totale. »
Le constat est partagé par le syndicat de la magistrature : « les expertises psychiatriques sur lesquelles se fondent quasi-exclusivement les juridictions de jugement ne concluent quasiment jamais à l’irresponsabilité pénale ».
L’USM confirme que les psychiatres sont moins enclins à aller sur le terrain de l’irresponsabilité « estimant que la personne doit répondre de ses actes. »
Le syndicat de la magistrature ajoute que la réforme de 2022 a accentué cette tendance. « Sur impulsion du législateur », « les experts autant que les magistrats [tendent] à distinguer entre les bons et les mauvais malades ». Interrogé sur ce sujet, le ministère de la justice n’a pas transmis d’éléments permettant d’apprécier l’impact de cette évolution législative sur le recours à l’irresponsabilité pénale.
c. Des catégories floues qui laissent prise à des considérations et positionnements défavorables à l’irresponsabilité
« Les notions d’altération ou d’abolition du discernement ne sont pas des notions définies, ni juridiquement, ni médicalement », ainsi que le souligne le rapport précité de la mission pluridisciplinaire sur l’irresponsabilité pénale ([81]). En particulier, la frontière entre altération et abolition du discernement est floue et subjective.
Ce flou ouvre la voie à des analyses variables, influencées par des positionnements idéologiques ou des considérations d’opportunité, le plus souvent défavorables à l’irresponsabilité pénale.
Il s’ensuit que des experts peuvent « se prononcer non seulement sur des aspects scientifiques et médicaux comme le prescrit la loi, mais également sur des considérations d’opportunités sur l’application de la règle de droit et les attentes de la société en matière d’action judiciaire, voire sur des convictions théoriques contraires à la lettre et à l’esprit de la loi. Un courant minoritaire s’oppose, par principe, à l’irresponsabilité pénale, considérant qu’un citoyen, même affecté d’un trouble mental, doit passer en procès » ([82]).
L’existence d’une « posture idéologique » de certains experts contre le principe d’irresponsabilité pénale a également été soulignée et dénoncée par l’UNAFAM.
D’autres personnes ont également pointé une possible réticence à orienter vers un système hospitalier en crise qui influencerait les décisions.
Déjà, en 2000, le rapport précité de la commission d’enquête du Sénat sur les prisons indiquait que « les experts sont tentés de ne pas déclarer irresponsables des personnes qui seront difficiles à gérer en hôpital psychiatrique ».
Thomas Fovet rappelle que « les experts psychiatres travaillent dans les services de psychiatrie. Quand vous “ irresponsabilisez ” une personne, elle est orientée vers le secteur de psychiatrie générale en hospitalisation qui va souvent durer très longtemps, les préfets ayant beaucoup de réticences à lever ces hospitalisations de personnes qui traînent un peu une réputation de dangerosité, parfois à tort, au plan médical, et qu’on n’arrive pas à faire sortir. Il est certain que dans un contexte de diminution du nombre de lits en psychiatrie, si on embolise les lits avec des gens qu’on a irresponsabilisés et qu’on n’arrive plus à faire sortir, c’est compliqué à gérer. »
Éric Aouchar, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation ([83]) déplore une forme de conflit d’intérêts : « aujourd’hui on déclare responsables des personnes qui ont des parcours psychiatriques gigantesques, parce que l’expert ne veut pas envoyer à ses collègues une personne qui va les mettre en difficulté dans leur gestion. »
d. Une évaluation compromise par l’état critique de l’expertise
Comme le souligne l’USM, « quel que soit le stade de la procédure judiciaire, les magistrats se heurtent à la difficulté de trouver des experts de qualité pour réaliser les examens ou expertises psychiatriques dans des délais raisonnables. » De fait, comme le confirme le ministère de la justice, toutes les juridictions de France sont confrontées à des difficultés pour la réalisation d’expertises psychiatriques sur leur ressort.
Cette situation, connue depuis longtemps, ne cesse de s’aggraver. Après plus de vingt ans d’alertes sur l’état critique de l’expertise psychiatrique, le nombre d’experts inscrits sur les listes des cours d’appel poursuit son déclin : il est passé de 537 en 2011 à 300 en 2024 ([84]). Une cour d’appel (Cayenne) et de nombreux tribunaux judiciaires s’étendent sur des ressorts qui ne comptent plus aucun expert.
On assiste pourtant parallèlement, à une « démultiplication des cas d’expertise psychiatrique obligatoire » ([85]) voulue par le législateur qui, selon la direction des affaires criminelles et des grâces, « est en décalage avec le faible nombre de psychiatres disponibles et volontaires pour réaliser de telles expertises. » ([86])
« Ceux qui restent sont mécaniquement de plus en plus sollicités alors même que leurs conditions de rémunérations indigentes n’ont jamais été revues, » comme le souligne l’USM.
Les délais de paiement des expertises et les conditions dans lesquelles elles sont réalisées (parfois nécessairement « bâclées ») contribuent à dégrader l’attractivité de l’exercice.
Ces difficultés entraînent dans certains ressorts un recours massif aux experts hors ressort ou non-inscrits sur les listes d’experts judiciaires, dont la qualité des expertises est jugée moindre. Certains recourent à des psychologues et Valérie Dervieux, présidente de chambre de l’instruction à la Cour d’appel de Paris et déléguée générale du Syndicat Unité Magistrats SNM FO relève qu’une juridiction ([87]) confie désormais les expertises à des infirmiers en pratique avancée (IPA).
Comme le souligne le syndicat de la magistrature, « la pénurie d’experts et les conditions dégradées d’exercice des missions des psychiatres comme des juges contribuent également à un traitement dégradé des situations des malades mentaux, dans la mesure où il est bien plus exigeant de justifier une abolition du discernement plutôt qu’une simple altération, voire un comportement discernant. La détection d’une pathologie psychiatrique, susceptible de justifier une abolition du discernement, nécessite d’entendre et d’investiguer sur la personne, afin de savoir si elle fait par exemple l’objet d’un suivi psychiatrique intensif. »
Liste des mesures concernées |
Tarifs applicables |
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Anciens tarifs |
Tarifs à compter du 22 décembre 2024 |
Tarifs applicables au 1er juillet 2025 |
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Expertise psychiatrique |
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réalisée par un expert relevant du statut COSP |
340,00 € |
400,00 € |
416,00 € |
réalisée par un expert relevant d’un autre régime social |
552,50 € |
650,00 € |
676,00 € |
Expertise psychiatrique en cas d’infraction sexuelle (personne poursuivie ou condamnée, victime) |
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réalisée par un expert relevant du statut COSP |
361,25 € |
425,00 € |
442,00 € |
réalisée par un expert relevant d’un autre régime social |
573,75 € |
675,00 € |
702,00 € |
Expertise médico-psychologique comportant un ou plusieurs examens pratiqués par un médecin ayant également la qualité de psychologue, intervenant en qualité d’expert unique |
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réalisée par un expert relevant du statut COSP |
276,25 € |
325,00 € |
338,00 € |
réalisée par un expert relevant d’un autre régime social |
425,00 € |
500,00 € |
520,00 € |
Expertise médico-psychologique pratiquée par un médecin et un psychologue |
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réalisée par un expert relevant du statut COSP |
276,25 € |
325,00 € |
338,00 € |
réalisée par un expert relevant d’un autre régime social |
425,00 € |
500,00 € |
520,00 € |
Expertise psychologique comportant un ou plusieurs examens |
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réalisée par un expert relevant du statut COSP |
276,25 € |
325,00 € |
338,00 € |
réalisée par un expert relevant d’un autre régime social |
425,00 € |
500,00 € |
520,00 € |
Source : Ministère de la justice
Préconisation n° 2 : Valoriser le travail des experts, en particulier des psychiatres, et améliorer leurs conditions de travail (locaux adaptés, augmentation des tarifs, réduction des délais de paiement) afin de concourir à l’attractivité du métier.
Préconisation n° 3 : Poursuivre les travaux en vue d’un système de gradation des expertises.
e. Le filtre défaillant de la garde à vue
Il est essentiel que l’évaluation de l’état clinique de la personne mise en cause intervienne au plus proche des faits et les chiffres confirment que la garde à vue constitue un stade clé pour repérer des troubles et orienter, le cas échéant, vers une irresponsabilité pénale.
Pourtant, les acteurs soulignent les lacunes particulièrement criantes de l’évaluation à ce moment de la procédure.
En 2023, 4 371 personnes ont fait l’objet d’un classement sans suite pour état mental déficient. Ce motif de classement vise les cas où la poursuite n’est pas opportune compte tenu de la personnalité de l’auteur, dont il s’avère qu’il ne jouit pas de toutes ses facultés mentales, sans pour autant qu’il y ait eu expertise mais souvent un simple « examen » psychiatrique. Le recours à l’expertise psychiatrique ne constitue une obligation que dans certains cas([88]).
Dominique Simonnot observe des examens des gardés à vue « minables » réalisés dans l’urgence, sans confidentialité ni réel diagnostic.
L’USM « regrette aussi la qualité des examens psychiatriques réalisés lors des gardes à vue. D’ailleurs, il convient de relever qu’on ne parle pas d’expertise mais d’examen psychiatrique. ». « Dans tous les cas, il est compliqué de trouver des experts psychiatres pour réaliser ces examens dans le temps contraint de la garde à vue et dans des conditions de confidentialité perfectibles. »
Le ministère de la justice observe aussi que les examens psychiatriques réalisés en garde-à-vue se font souvent « dans une pièce réduite et inadaptée » et « partage le constat d’un manque très important de psychiatres disponibles pour effectuer des examens de compatibilité des gardés-à-vue. » « Le manque de psychiatres est très régulièrement relayé par les parquets généraux comme une difficulté dans la conduite des gardes-à-vue et la prise en charge des gardés-à-vue, l’examen par un psychiatre pouvant intervenir plusieurs heures après le début de la mesure et conduire à sa levée. Cette situation a pour effet de maintenir en garde-à-vue des individus susceptibles de présenter un trouble psychiatrique incompatible avec le maintien de cette mesure. »
Pour Frank Bellivier, « l’absence de psychiatres dans les unités médico-judiciaire a supprimé un filtre essentiel d’amont : dans le parcours judiciaire après un trouble à l’ordre public, il y avait une étape importante qui était l’examen de gardés à vue autrefois réalisé par des psychiatres qui pouvaient par exemple immédiatement repérer un schizophrène en totale décompensation. Maintenant ils sont vus par des unités médico-judiciaires. L’évaluation n’est à mon sens pas de la même qualité. La conséquence, c’est que la trajectoire de personnes qui sont d’authentiques malades mentaux et qui ont prioritairement besoin de soin est désormais orientée par la gravité des faits, l’inquiétude des magistrats instructeurs et ça se termine en prison. »
La pénurie de psychiatres et la qualité insuffisante des examens engendre également une déperdition de moyens et un allongement des procédures : comme le souligne l’USM « le tribunal correctionnel ordonne souvent une expertise psychiatrique supplémentaire si l’examen psychiatrique n’est pas de qualité, ce qui arrive souvent. »
En tant que journaliste, « j’ai vu défiler des gens qu’on voyait dans le box se tenir d’une façon qui montrait que ça n’allait pas du tout et entendu le magistrat dire gêné : monsieur je ne comprends pas le médecin vous a jugé apte à comparaître ? » a expliqué Dominique Simonnot. « Certains laissent passer. D’autres demandent une expertise psychiatrique mais ça demande deux à quatre mois et en attendant c’est la détention provisoire. »
Un recours à l’expertise en décalage avec les besoins
« Moins de 40 % des personnes qui vont en prison font l’objet d’une expertise, » selon Caroline Protais ([89]). Parce que beaucoup sont en détention provisoire. Parce que l’expertise n’est, en correctionnelle, pas obligatoire, et qu’elle est encore plus rare en comparution immédiate.
S’agissant des expertises rendues obligatoires par la loi, les acteurs observent qu’elles mobilisent fortement les experts sans être nécessairement adaptées aux besoins, s’agissant par exemple des infractions à caractère sexuel qui ne sont pas associées à une forte prévalence de troubles psychiques.
Par ailleurs, « quand les affaires font l’objet d’une instruction, en matière correctionnelle, le choix de recourir à l’expertise est laissé à la discrétion du juge. Or, des études ont montré qu’il existe une distorsion importante entre le type de personnes qui devraient faire l’objet d’une expertise selon le magistrat et celles qui le devraient selon l’expert, » observe également Caroline Protais.
Préconisation n° 4 : Garantir dans chaque commissariat/brigade de gendarmerie/unité médico-judiciaire la présence d’un professionnel de santé mentale (psychiatre, psychologue, infirmier, IPA santé mentale…) afin d’évaluer les PPSMJ dès la garde à vue, dans le but de renforcer le repérage des troubles psychiques et addictifs.
2. Des facteurs de surincarcération des personnes souffrant de troubles psychiques
a. La détention provisoire comme antichambre de l’expertise
Faute de garantie de représentation ou d’alternative crédible, les juges placent fréquemment en détention des personnes pour s’assurer qu’elles se présentent à l’expertise. Cette logique produit une incarcération de précaution qui touche davantage les personnes malades.
« S’agissant d’un public très largement désocialisé et sans solution d’accueil et de prise en charge alternative, il n’est pas rare qu’une mesure de détention provisoire soit ordonnée le temps de l’expertise pour s’assurer que celle-ci ait bien lieu et éviter des renvois d’audience à l’infini », relève l’USM.
L’USM note aussi que « la détention est malheureusement perçue comme le moyen d’éviter un nouveau passage à l’acte, faute de contention hospitalière » pour des personnes dont les magistrats estiment que leurs troubles majorent le risque de nouveau passage à l’acte.
Les délais peuvent atteindre plusieurs mois, voire une année, pendant lesquels des personnes sont incarcérées en attendant les conclusions d’une expertise qui peut conclure à leur irresponsabilité pénale.
b. Une altération du discernement sans atténuation de la peine ?
Comme l’indique le rapport rendu en 2020 par la mission pluridisciplinaire sur l’irresponsabilité pénale, la création de la notion d’altération du discernement « a conduit les juridictions à prononcer des peines sévères en raison de la crainte qu’inspirent ces délinquants. Cette tendance était renforcée par le fait que le législateur avait omis de préciser que cette adaptation devait aller dans le sens d’une atténuation » ([90]).
Cette réforme a donc ouvert la voie à l’incarcération de personnes souffrant de troubles psychiques, avec des peines probablement plus lourdes que celles prononcées à l’égard de personnes pleinement responsables.
Pour contrer cette tendance à la sur-pénalisation des malades psychiques, le législateur a consacré en 2014 un principe d’atténuation de la peine encourue en cas d’altération du discernement. La juridiction peut cependant, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine.
Il n’est pas possible de mesurer l’impact de ces réformes faute de données sur les cas dans lesquels une altération du discernement a été retenue. Selon les données transmises par le ministère de la justice, « une augmentation sensible du prononcé des mesures d’atténuation de peine » est constaté : on en comptait 7 en 2014, 60 en 2018, 159 en 2022 et 294 en 2024. Cependant ces chiffres paraissent très faibles en valeur absolue ([91]).
Pour le syndicat de la magistrature, « si le principe posé par le droit pénal est celui de l’atténuation de la peine pour les personnes dont le discernement est altéré, la réalité est au contraire celle d’une aggravation de la sanction. »
L’USM constate une hausse des altérations du discernement mais récuse l’idée selon laquelle le principe d’atténuation de la peine ne serait pas appliqué. « Il convient de rappeler que le législateur ne précise que le maximum de la peine d’emprisonnement encouru, le juge étant libre de prononcer la peine prononcée en fonction de divers éléments : faits commis, circonstances et personnalité. Ce ressenti s’inscrit dans le cadre d’une sévérité accrue des peines prononcées et peut-être, pour partie, la conséquence d’un manque de certitude quant à une prise en charge hospitalière efficace permettant de réduire un risque de récidive sans doute plus élevé concernant ces publics peu ou mal pris en charge. »
Pour Amélie Morineau, présidente de la commission libertés et droits de l’homme du conseil national des barreaux (CNB), « dans certaines chambres, on observe clairement que la peine prononcée est la même, qu’une altération du discernement soit reconnue ou pas. L’altération du discernement n’aggrave pas la peine, mais on ne constate pas d’atténuation de la peine prononcée. Ce n’est pas le cas dans toutes les chambres mais ce principe inscrit dans la loi n’est pas bien appliqué. La maladie psychique fait peur à tous ceux qui en sont ignorants. »
Cécile Gressier, sous-directrice de la justice pénale générale à la direction des affaires criminelles et des grâces observe qu’il est souvent difficile de plaider une atténuation de la peine devant les jurés non professionnels des cours d’assise. « Du fait de sa présentation et du contenu de son discours, d’une attitude totalement liée aux symptômes de sa maladie, le schizophrène va impressionner défavorablement le jury de cour d’assises, » explique aussi une psychiatre ([92]).
Frank Bellivier estime que ces personnes sont globalement plus pénalisées, plus condamnées car leurs moyens de défense sont moindres. « Dans les pays qui pratiquent la peine de mort, les malades mentaux sont plus condamnés et plus exécutés », a-t-il précisé.
Une évaluation des modalités d’application du principe d’atténuation de la peine en cas d’altération du discernement apparaît indispensable comme préalable à une éventuelle modification législative.
Préconisation n° 5 : Évaluer les modalités d’application du principe d’atténuation de la peine en cas d’altération du discernement.
c. Des procédures accélérées pénalisantes pour les personnes malades
« On ne peut s’interdire de penser que des modalités de fonctionnement du régime pénal comme la comparution immédiate n’ont pas facilité le diagnostic et le traitement de la maladie mentale, » notait la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en juin 2008 ([93]).
La comparution immédiate
La comparution immédiate est une procédure qui permet de faire juger un prévenu, sous certaines conditions, dès la fin de sa garde à vue. C’est le tribunal correctionnel, chargé de la répression des délits, qui juge les personnes acceptant cette procédure.
Cette procédure, qui s’inscrit dans un temps restreint qui se compte en jours permet de juger des infractions qui peuvent mener jusqu’à dix ans d’emprisonnement (voire vingt ans dans le cas de délits commis en état de récidive).
De nombreux observateurs estiment que la comparution immédiate favorise l’enfermement de personnes porteuses de troubles psychiques. « L’accélération du train de la justice ordinaire concerne le plus souvent les auteurs d’une délinquance visible, de rue, qui sont eux-mêmes dans une situation de marginalité. Interpellées par la justice et envoyées dans un circuit judiciaire ultra-rapide, ces personnes ont fort peu de chance de voir leur trouble psychiatrique reconnu et pris en charge », analysent Jean Bérard et Gilles Chantraine ([94]).
Le recours à la comparution immédiate, procédure particulièrement pourvoyeuse d’incarcération, a quasiment doublé depuis le début des années 2000([95]). Une étude a montré que, toutes choses égales par ailleurs, elle multiplie par 8,4 la probabilité d’un emprisonnement ferme par rapport à une audience classique de jugement ([96]).
« Ces procédures garantissent moins bien les droits de la défense de ces personnes fragiles », selon le syndicat de la magistrature. Elles laissent peu de place à une évaluation sérieuse de l’état mental.
Un exemple d’audience de comparution immédiate observée par l’OIP
en juillet 2024
30 juillet, Paris : AD reconnaît avoir crié aux usagers de la station de métro qu’il y avait une bombe et avoir tenté d’éloigner les personnes présentes.
Selon lui, il ne proférait pas de menaces, mais des avertissements d’un danger qu’il croyait alors réel, une bombe qu’il imaginait durant un épisode psychotique induit par l’usage de stupéfiants. Les témoignages vont dans ce sens : les personnes présentes n’auraient pas déclaré s’être senties menacées. Il n’y a pas de partie civile.
AD est d’ailleurs relaxé pour violences sur personnes vulnérables (personnes âgées et enfants).
Selon le travailleur social rencontré en garde à vue, il est en proie à une addiction à l’alcool et à la cocaïne, qu’il consomme tous les jours depuis ses 16 ans. Il aurait également été vu par un psychiatre, qui a conseillé de l’envoyer aux urgences.
Il est condamné à 5 mois de prison ferme pour « menaces de dégradation », avec mandat de dépôt, c’est-à-dire incarcération immédiate à la sortie du tribunal.
L’USM indique ne pas souscrire à ce constat et souligne l’absence d’enquêtes sur le sujet.
Thomas Bosetti, psychiatre et coordinateur général du projet AiLSi (Alternative à l’incarcération par le logement et le suivi intensif) a évoqué les résultats d’une étude conduite en 2016 au tribunal de de grande instance de Marseille ([97]) : « sur les 1 600 dossiers jugés en comparution immédiate sur l’année, une centaine de personnes, au plus bas mot, cumulait troubles psychiatriques et problèmes de logement. À délit équivalent avec la population qui ne cumulait pas ces deux difficultés, l’étude montre que ces personnes partaient plus en mandat de dépôt. »
« Les magistrats avec lesquels nous avons pu échanger sur les résultats de l’étude, ont reconnu une tendance à incarcérer, mais pour des raisons humanitaires, à savoir pour s’assurer que des soins commencent, pour des personnes dont on ne sait pas trop ce qu’elles font à l’extérieur, et pour s’assurer qu’elles aient un toit sur la tête. »
Préconisation n° 6 : Exclure la procédure de comparution immédiate pour toute personne pour laquelle les premiers éléments de l’enquête sont en faveur d’une altération de son discernement.
d. La prison perçue dans certains cas comme un lieu de soin par défaut
« Les magistrats considèrent, parfois à raison malheureusement, que l’accès aux soins sera plus facile en prison qu’à l’extérieur. C’est en lien avec la situation particulière de certaines personnes et la dégradation des soins psychiatriques à l’extérieur qui ne devrait jamais être un motif d’incarcération, » a observé Anne-Hélène Moncany, psychiatre, cheffe du pôle de psychiatrie légale au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse.
Ce constat, qui ne peut évidemment pas être généralisé et que certains magistrats récusent, est revenu fréquemment au cours de nos auditions et déplacements.
Ainsi, pour le Syndicat de la magistrature, il n’est pas rare que des juridictions de jugement raisonnent de la façon suivante : « mieux vaut que cette personne, certes malade mentale, soit incarcérée et prise en charge - même mal - en prison, plutôt que de retourner dans l’errance, face au désert de la prise en charge psychiatrique en milieu ouvert. »
Delphine Blot, déléguée générale adjointe d’Unité Magistrats, a évoqué la possibilité d’un tel raisonnement pour des profils très spécifiques, en particulier les mineurs non-accompagnés (MNA) et « certains majeurs marginalisés (sans abri) qui n’ont parfois pas vu de médecin depuis plusieurs années. »
S’agissant des MNA, « ce sont des mineurs extrêmement abîmés souvent toxicomanes, qui n’ont parfois jamais consulté de médecin de leur vie. Il arrive que des éducateurs PJJ se disent favorables à la détention du mineur pour établir au moins un bilan médical et obtenir un début de prise en charge. Ce n’est pas rare et ce n’est pas satisfaisant d’en arriver là. Le magistrat étant pragmatique, il peut être dans l’intérêt du mineur de passer quelques jours en détention pour avoir un bilan médical et un début de prise en charge dans un certain nombre de cas. »
« Certains magistrats pourraient même penser que les jeunes bénéficient d’un service sanitaire en détention qu’ils n’auraient pas ailleurs, » relève aussi la CGT PJJ.
Ce constat est confirmé entre autres par Pascale Giravalli : « Aux Baumettes, je voyais souvent arriver des détenus avec des courriers signés de magistrats qui disaient : “merci de bien vouloir prendre en charge monsieur qui présente un trouble psychiatrique très sévère ; nous pensons qu’une hospitalisation s’impose”. »
Dans certains cas, et notamment pour des personnes particulièrement désinsérées, la mission a eu confirmation que la prison permet hélas parfois un accès à des soins inaccessibles à l’extérieur.
« Il est possible de constater que des personnes en rupture de soins hors détention les reprennent en détention et sont à nouveau inclus, même a minima, dans le système des soins, » note l’USM.
On peut à cet égard citer les propos d’Antonia Dandé, directrice de l’association Épisode à Béziers ([98]) : « il arrive qu’on ait des patients pour lesquels, en réunion clinique, nous n’avons aucune solution et nous espérons qu’il va commettre un petit délit, retourner en prison, parce qu’on sait qu’il y retrouvera un cadre, un toit, des soins via l’unité sanitaire, ce qui nous permettrait de remettre en place un accompagnement, une cure et une posture à la sortie de prison. »
Ou encore ceux de Béatrice Briout, secrétaire générale de l’union nationale des syndicats autonomes (UNSa) SPJJ : « je peux vous parler d’un jeune qui souffrait de troubles psychiatriques et qui est arrivé en détention dans un état d’agitation extrême. Il a été diagnostiqué par l’unité de soins et on a pu administrer un traitement efficace. Sa mère n’a pu que constater que son adolescent n’avait jamais bénéficié d’un tel suivi avant d’arriver en détention ».
Préconisation n° 7 : Mieux former les magistrats et les acteurs judiciaires à la compréhension des troubles psychiques dans le cadre de la formation initiale et continue.
Ce constat édifiant ne saurait occulter le caractère de plus en plus pathogène et pénalisant de la prison.
e. Des aménagements de peine entravés, des réductions de peine inaccessibles
La difficulté d’accéder à un aménagement de peine est un obstacle majeur à la réinsertion.
Les personnes souffrant de troubles psychiques accèdent plus difficilement aux aménagements de peine (tels que la semi-liberté, la détention à domicile sous surveillance électronique, le placement extérieur ou la libération conditionnelle).
Pour le syndicat de la magistrature, « ces personnes, généralement marginalisées du fait de leurs troubles mentaux, sont moins accessibles aux aménagements de peine, du fait d’une absence de logement ou d’une domiciliation précaire et de l’absence d’emploi, tout particulièrement lorsqu’elles sont jugées dans des délais rapides qui empêchent de penser d’autres alternatives. »
Au-delà de la nécessité d’une expertise qui se heurte à la pénurie d’experts, les exigences classiques de ces dispositifs apparaissent inadaptées aux réalités de ces publics.
Les fragilités qui mènent à la prison sont autant de verrous qui empêchent d’en sortir, à commencer par le manque de relais de soin psychiatrique à l’extérieur, l’instabilité de la situation administrative ou sociale, les difficultés à établir un projet de sortie cohérent, l’absence de réseau de soutien, ou encore la perception par les autorités judiciaires d’un « risque » plus difficile à encadrer.
Dans les faits, pour les personnes souffrant de troubles psychiques les suspensions de peine pour raisons médicales sont quasiment inaccessibles. Le législateur a pourtant explicitement intégré les pathologies mentales parmi les motifs pouvant conduire à une suspension de peine pour raisons médicales en 2014.
L’OIP qualifie cette procédure de « chimère juridique » ([99]). « La personne doit pouvoir accepter et être consciente des conditions de la mise en liberté définies par le juge. Si bien qu’en sont expressément exclues les personnes les plus lourdement malades […]. Il faut donc que leur état s’améliore et se stabilise un peu pour pouvoir déposer une demande. Si, une fois libérée, la personne va mieux […], elle risque une révocation de la mesure et donc… un retour en prison. »
La suspension de peine est d’autant moins accessible qu’il faut prouver l’absence de tout risque de réitération.
Le CGLPL identifie plusieurs obstacles majeurs aux suspensions de peine :
- une appréciation stricte du critère d’incompatibilité avec la détention ;
- un recours insuffisant aux expertises médicales permettant d’évaluer la nécessité d’une suspension ;
- des réticences des juridictions à accorder ces mesures, par crainte du trouble à l’ordre public ou du risque de récidive ;
- la lenteur des procédures : le délai entre la demande de suspension et la décision judiciaire est souvent incompatible avec l’urgence médicale ;
- le manque de coordination entre les acteurs judiciaires et sanitaires, entraînant un manque de confiance de l’autorité judiciaire sur la prise en charge sanitaire du détenu à l’extérieur ;
- le manque de solutions de prise en charge extracarcérale adaptées : les structures psychiatriques manquent de places pour accueillir les personnes souffrant de troubles mentaux.
Préconisation n° 8 : Décorréler la suspension de peine pour motif médical de la notion de risque de récidive.
Le témoignage de Pascale Giravalli est éclairant : « Nous avons réussi à Marseille à obtenir une suspension de peine pour raisons psychiatriques. Cela a pris trois ans mais c’était un cas très exceptionnel : la personne avait la chance d’avoir une avocate, une famille, une maison et l’hôpital le connaissait et avait un regard bienveillant sur son histoire. »
De même que celui d’Amélie Morineau : « Ce sont des mesures qui sont peu demandées et quasiment jamais accordées. On s’en saisit peu, nous les avocats. Le SPIP a peu l’habitude d’accompagner dans ce sens. Pour obtenir une suspension de peine, il faudrait d’abord trouver un expert qui me dise que l’état de mon client est incompatible avec le maintien en détention. Personne ne prend la responsabilité de les sortir. Pour l’un de mes clients, on en est à la troisième ordonnance de commission d’expert par la juge d’application des peines et il ne veut pas voir le psychiatre. Il est enfermé dans sa cellule dont il recouvre l’intégralité d’excréments parce qu’il a le sentiment qu’on veut sa mort et que partout du gaz s’infiltre pour le tuer. Il y a eu un placement sans consentement en UHSA pendant lequel la situation s’est grandement améliorée. Il est alors retourné en détention où il a arrêté de prendre son traitement. Chaque acteur est dans son couloir de nage. Le directeur de l’établissement dit : j’ai signalé le sujet au médical ; le médical dit : il ne veut pas nous voir ; le juge dit : je commets un expert pour essayer d’avoir une information ; l’avocat s’agite. »
Par ailleurs, comme l’illustre cet exemple, la procédure visant à la préparation d’une mesure de suspension de peine médicale nécessite une articulation fine et étroite entre les différents acteurs, pénitentiaires, judiciaires et sanitaires, qui fait aujourd’hui largement défaut comme le développe la cinquième partie du présent rapport.
C. la détention : de plus en plus pathogène et surpénalisante
1. Une détention de plus en plus pathogène
a. Une expérience structurellement pathogène
La prison n’a pas été conçue pour soigner. Au contraire, il est unanimement reconnu qu’elle peut aggraver des troubles préexistants et en créer de nouveaux. Elle concentre en effet tous les éléments connus pour dégrader la santé mentale : enfermement, perte des repères, privation sensorielle, promiscuité, insécurité, tensions permanentes, stress, sous-activité ou inactivité contraintes, exposition à la violence, au bruit, rupture des liens sociaux et familiaux.
Les personnes souffrant de troubles sont plus susceptibles de présenter une mauvaise tolérance à un certain nombre de situations aversives comme l’enfermement, l’isolement, le stress, la promiscuité ou l’exposition à des violences. « Il faut penser à ce que peut donner la vie en prison pour des gens qui se pensent persécutés », souligne le psychiatre Bruno Falissard ([100]). La détention favorise les décompensations, les aggravations symptomatiques ou encore les conduites suicidaires.
Par ailleurs la prison « favorise, chez des personnes vulnérables, l’éclosion de pathologies qui, dans un autre environnement, ne se seraient sans doute pas exprimées », ainsi que le souligne Christine-Dominique Bataillard, cheffe de pôle des unités pour malades difficiles de l’hôpital de Montfavet et des unités en milieu pénitentiaire de la maison centrale d’Arles, du centre de détention de Tarascon et du centre pénitentiaire du Ponte ([101]). Elle engendre des troubles spécifiques connus sous le terme de « psychoses carcérales ».
Il manque une analyse fine de l’évolution des troubles au cours de la détention et de l’effet pathogène de l’incarcération, a fortiori dans des conditions inadaptées marquées par la surpopulation.
L’étude précitée menée par Santé publique France sur les suicides en prison ([102]) indique qu’un trouble psychiatrique a été rapporté pendant la détention pour 64 % des cas de suicide. Parmi ceux-ci, près d’un tiers n’avaient pas d’antécédent psychiatrique connu avant l’incarcération. Ainsi que le souligne l’étude, « l’absence de troubles psychiatriques connus avant l’incarcération pour un tiers des personnes détenues qui présentent des troubles psychiatriques en détention, principalement des troubles anxieux et dépressifs, attire l’attention sur les conditions de vie en établissement pénitentiaire » ([103]).
Par ailleurs, comme l’indiquent les auteurs de l’enquête sur les sortants de prison, la prévalence plus élevée du trouble de stress post-traumatique avant la libération interroge quant à l’exposition à des événements potentiellement traumatiques au cours de la détention.
En tout état de cause, les témoignages recueillis par la mission attestent de conditions de détention de plus en plus pathogènes, en particulier en maison d’arrêt.
b. Une incarcération addictogène qui expose à des pratiques dangereuses
La prison est également addictogène. Elle accentue le besoin de consommer. « Les détenus, en particulier ceux présentant des antécédents de consommation de substances, sont confrontés à un environnement propice à rehausser l’incitation à recourir à des substances pour gérer angoisse, stress et troubles du sommeil », soulignent la MILDECA et l’OFDT.([104])
Deux enquêtes ([105]) montrent que la prison ne met pas à l’abri des consommations. Il en ressort trois constats principaux :
– toutes les personnes détenues sont exposées de manière importante aux substances psychoactives ;
– on observe une poursuite des consommations qui se déplacent vers les substances les plus accessibles notamment le cannabis et les traitements médicamenteux détournés de leur usage ;
– en revanche, le fait d’être incarcéré ne conduit pas, ou très rarement, à démarrer une consommation.
L’ampleur de la circulation de substances psychoactives en milieu carcéral confirmée par l’étude Circé conduite par l’OFDT entre 2016 et 2018
L’étude montre que les directions d’établissements usent de différents moyens pour tenter de lutter contre la mise en place d’un marché des substances psychoactives en détention : sanctions, fouilles, aménagements de l’espace pour limiter les projections, partenariat avec la police et l’institution judiciaire afin de contrôler les parloirs et enquêter sur les éventuels trafiquants, enquêtes internes grâce à des informateurs privilégiés (surveillants, voire détenus), orientation vers l’unité sanitaire…
L’étude révèle également la difficulté des établissements pénitentiaires à répondre à l’ensemble des actes commis en détention en lien avec les drogues.
Elle montre enfin qu’« autour de l’absence de sanction systématique se négocie également une forme de ‘paix sociale’ dans un contexte de surpopulation carcérale, en particulier dans les grandes maisons d’arrêt pour hommes », comme le souligne l’OFDT ([106]).
Éric de Gentil-Baichis, membre de l’association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice (ANVP) observe pour sa part que « des drogues nettement plus dures circulent en prison. Le cannabis était plutôt apaisant et je pense qu’il y a eu et il y a toujours une forme de tolérance à son égard pour cette raison. La cocaïne qui arrive aujourd’hui en détention n’est pas du tout apaisante : c’est un vrai danger qui donne un sentiment de toute puissance. »
Jean-Baptiste Blanchard, éducateur spécialisé, référent ALIA à la maison d’arrêt d’Angers et membre de l’OIP souligne également que « les usages de substances psychoactives sont plus irréguliers qu’à l’extérieur, du fait d’un approvisionnement plus discontinu, mais aussi parce que la prison reste un moment de rupture dans la vie des personnes que beaucoup souhaitent mettre à profit pour changer leurs pratiques.
Les consommations sont donc davantage ponctuelles et massives Les risques liés à l’usage sont donc particulièrement importants : risques de surdosages de substances ou de médicaments psychoactifs mésusés (en cause la tolérance du cerveau à l’égard des substances qui diminue du fait de périodes sans consommation). »
Et de conclure : « pour les personnes avec troubles psychiques et addictifs, particulièrement vulnérables, l’incarcération va donc aggraver leur situation. »
c. Des facteurs pathogènes qui s’aggravent
i. Une surpopulation qui ne cesse d’empirer
Guillaume Giret, chef de pôle de psychiatrie légale et de santé mentale des détenus à Lyon, a partagé une inquiétude majeure : « cela fait seize ans que je travaille en milieu pénitentiaire. La surpopulation, qui atteint un stade critique, dégrade rapidement l’état de santé de la population carcérale. Il y a quelque chose de non linéaire. L’aggravation des troubles mentaux en détention augmente de façon exponentielle par rapport à la montée de la population carcérale. »
L’ARS Martinique observe aussi que la « surpopulation majore les troubles et les décompensations psychiatriques ».
Dans son rapport annuel d’activité 2024, la CGLPL alerte sur « la croissance inquiétante et nocive de la surpopulation carcérale ». Selon le ministère de la justice, au 1er juin 2025, 84 447 personnes étaient détenues pour 62 566 places opérationnelles, soit une densité carcérale globale qui atteint 135 %. 5 761 personnes dorment sur des matelas à même le sol. Le taux d’occupation explose dans les maisons d’arrêt, avec une moyenne de 165,6 %. 23 établissements ou quartiers présentent une densité supérieure ou égale à 200 % ([107]).
Cette surpopulation dégrade les conditions de détention et les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Wilfried Fonck, secrétaire national UFAP UNSa justice, évoque un « effet de ciseaux » : l’augmentation historique du nombre de personnes détenues s’accompagne d’une diminution des effectifs pénitentiaires (démissions, départs à la retraite non anticipés…). Le nombre croissant de personnes détenues couplé à la complexification des profils et à un manque de formation sont un frein majeur au repérage et à l’accompagnement des détenus souffrant de troubles psychiques.
Préconisation n° 9 : Corréler les effectifs de personnels pénitentiaires/de surveillants aux taux d’occupation réels des établissements pénitentiaires.
« Les conditions de détention et l’usage de substances font “flamber” un nombre croissant de personnes incarcérées », a indiqué Marion Faucher ([108]), psychologue au centre de détention de Toul. « De plus en plus de personnes ont des symptômes et expressions agressifs et violents et s’en prennent à nos personnels ou les uns aux autres. »
De fait, le nombre de violences physiques en détention augmente de manière frappante au cours des dernières années, les violences entre détenus ayant en particulier augmenté de 72 % en quatre ans.
Évolution du nombre de violences physiques en détention (2020–2023)
Type de violence |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Envers le personnel |
3 611 |
4 222 |
4 911 |
4 901 |
Entre personnes détenues |
7 862 |
9 493 |
11 310 |
13 518 |
Total général |
11 473 |
13 715 |
16 221 |
18 419 |
Source : direction de l’administration pénitentiaire ([109]
Les personnes souffrant de troubles sont à l’origine de violences et en sont aussi victimes comme l’a souligné la direction de l’administration pénitentiaire.
L’ARS Pays-de-Loire signale « une santé mentale très dégradée et des violences majeures amenant à la sollicitation appuyée de traitements médicamenteux ».
Guillaume Giret, chef de pôle de psychiatrie légale et de santé mentale des détenus à Lyon, souligne les « conséquences en termes traumatologiques, notamment sur les victimes mais aussi sur les auteurs, traumatisés par leur propre geste, du nombre croissant d’agressions entre détenus et des homicides en cellule survenus dans plusieurs établissements de la région, en lien avec les conditions de détention particulièrement dégradées. »
Pierre Horrach, responsable du SMPR de Metz, a lui aussi insisté sur l’amplification des violences entre détenus ainsi que sur « la multiplication des agressions sur les cours de promenade et des violences communautaires qui n’étaient pas observées auparavant : des détenus agressés particulièrement gravement présentent des symptomatologies à caractère post-traumatique et nécessitent une hospitalisation en SMPR. »
L’ARS Auvergne-Rhône-Alpes estime à cet égard nécessaire, dans certains établissements, « de travailler pour protocoliser la gestion des incidents (suicide, meurtre, décès…). Les informations entre l’établissement pénitentiaire et l’établissement de santé doivent être harmonisées afin qu’une action et une communication communes soient assurées au sein de la détention pour éviter les rumeurs et les décompensations psychiatriques. L’organisation d’une première régulation, d’une cellule psychologique et d’un suivi sur le long cours des détenus choqués, des témoins et des détenus proches du défunt doit être favorisée. »
Préconisation n° 10 : Actualiser et appliquer dans l’ensemble des établissements pénitentiaires les protocoles relatifs à la gestion d’événements traumatiques pour les détenus et le personnel pénitentiaire (suicide, meurtre, violence…).
iii. Le temps vide de la détention
Parmi les répondants de l’étude précitée sur les sortants de prison, 31,9 % déclarent n’avoir jamais fait de sport depuis le début de l’incarcération, 41,8 % n’ont pas eu accès aux parloirs, 47,4 % n’ont jamais travaillé, 59,9 % n’ont pas eu accès à la scolarité, 68,4 % n’ont participé à aucune activité socio-culturelle et 76,5 % n’ont jamais accédé à une formation professionnelle.
La sous-activité, aggravée par la surpopulation, est un facteur majeur de dégradation de la santé mentale. Les personnes souffrant de troubles y ont encore moins accès que les autres.
L’ANVP alerte également sur le nombre très important et croissant de personnes souffrant de troubles psychiques qui renoncent à la promenade. « Ces personnes évoquent un fort sentiment d’insécurité. Elles se sentent agressées de partout en détention. »
Le CGLPL identifie plusieurs obstacles majeurs à l’accès des détenus aux activités :
- le manque de moyens humains et matériels dans de nombreux établissements, notamment pour encadrer les activités sportives, culturelles et éducatives. De nombreux établissements manquent d’éducateurs spécialisés et de formateurs qualifiés pour proposer une offre cohérente et diversifiée ;
- la surcharge des établissements : dans les maisons d’arrêt, où la population carcérale est souvent supérieure à la capacité d’accueil, l’accès aux activités est limité, car les plannings sont surchargés et l’espace disponible pour certaines activités (salles de sport, ateliers de travail, etc.) est restreint ;
- l’absence de coordination entre les acteurs : souvent, la gestion des activités en prison est éclatée entre plusieurs services (administration pénitentiaire, services sociaux, associations partenaires), ce qui peut entraîner des dysfonctionnements, un manque de communication et une offre moins ciblée ;
- le manque de valorisation de certaines activités, notamment les activités culturelles, qui ne sont pas toujours considérées comme prioritaires dans l’organisation des espaces ou des plannings d’activités.
« En Allemagne, plus de 70 % des détenus travaillent. En France ils ne sont que 28 %. Le travail a un peu augmenté mais le ratio baisse au fur et à mesure que la surpopulation monte. Les listes d’attente ne font que s’allonger », a indiqué Dominique Simonnot.
C’est un vrai problème, comme l’a souligné Thomas Fovet. « Les études internationales montrent que l’accès au travail ou à la formation professionnelle est un facteur majeur d’amélioration de la santé mentale en détention. »
L’accès aux activités est en réalité très contrasté d’un établissement à un autre, la situation étant meilleure en établissement pour peine alors qu’en maison d’arrêt, des détenus restent presque 22 heures par jour dans des cellules souvent surpeuplées.
L’accès aux activités dépend aussi de l’engagement et de l’énergie déployés sur cette thématique par la direction de l’établissement. Les bonnes pratiques doivent être évaluées et encouragées.
À la maison centrale d’Ensisheim, un travail partenarial a ainsi permis d’expérimenter depuis 2019 « l’atelier de l’Ill », ESAT pour personnes détenues présentant des troubles psychiatriques. Les personnes souffrant de pathologies psychiatriques étant encore plus éloignées du travail en détention, cette initiative mérite d’être évaluée ([110]).
Il est essentiel de soutenir les activités éducatives, culturelles, thérapeutiques et le travail, essentiels à la réinsertion de la personne détenue. La diffusion le 19 février 2025 par le Garde des Sceaux d’une instruction interdisant les activités « ludiques » ou « provocantes » en prison s’inscrit à rebours des préconisations de la CGLPL ou de la littérature scientifique, qui démontrent l’utilité de ces activités pour la réinsertion. Il est à noter qu’une compréhension et donc une application hétérogène de cette circulaire nous avait été signalée. Le Conseil d’État a depuis considéré que l’interdiction par principe de toute activité à caractère « ludique » était illégale.
Ce soutien doit aussi se matérialiser par un engagement financier, plusieurs acteurs notant que, si les annulations d’activités en prison en raison de la circulaire du 19 février 2025 n’ont été que résiduelles, le manque de moyens budgétaires contribue fortement à réduire le nombre d’activités.
Préconisation n° 11 : Développer les activités en détention. Élaborer sur ce sujet un guide des bonnes pratiques en s’appuyant notamment sur des exemples étrangers. Garantir le développement d’activités adaptées et thérapeutiques pour les personnes souffrant de troubles psychiques.
Préconisation n° 12 : Garantir à tous les détenus la possibilité d’accéder à la promenade dans des conditions sécurisées.
2. Une détention de plus en plus surpénalisante
a. L’isolement, comme « mode de gestion des troubles psychiques »
Comme le souligne l’OIP, « l’isolement, en dépit de ses conséquences désastreuses, est considéré comme un mode de gestion des troubles psychiques. »
Pour tenter de les protéger ou de protéger les autres, l’administration pénitentiaire pratique, dans la mesure du possible, l’encellulement individuel ou le placement à l’isolement des personnes souffrant de troubles graves.
On peut citer à cet égard la description édifiante de Dominique Graindorge, surveillant à la maison d’arrêt d’Épinal, délégué régional du syndicat pénitentiaire des surveillants : « quand des détenus ont de grosses pathologies, on les met à l’isolement, parce qu’ils sont dangereux pour eux-mêmes, pour les codétenus et pour le personnel. Ils ne voient alors plus personne, à part le surveillant, l’infirmier ou le médecin psy une fois par mois. Ça n’arrange pas les troubles. Ça ne fait que monter crescendo. On se retrouve avec des ouvertures de porte à 2 ou 3 surveillants, équipés de boucliers, de casques…Jusqu’au moment où la corde casse avec agression, tentative de suicide et c’est seulement à ce moment-là qu’on envoie la personne en unité hospitalière. Mais avant le week-end on vous les renvoie. »
b. La gestion disciplinaire des troubles
La surexposition des personnes souffrant de troubles psychiatriques aux sanctions disciplinaires a déjà été décrite dans la littérature internationale ([111]).
Les troubles psychiques peuvent rendre les personnes qui en souffrent particulièrement inadaptées à la vie en détention. « Elles ne sont pas accessibles à la sanction. Leur demander de respecter un règlement intérieur qu’elles ne comprennent pas, forcément c’est insurmontable pour elles », observe Wilfried Fonck, secrétaire national de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP UNSA-Justice).
Les troubles du comportement liés à des pathologies peuvent être interprétés comme des fautes disciplinaires, voire des délits en détention, par des surveillants dont ce n’est pas le métier de gérer ce type de public. Il s’ensuit un processus de surpénalisation dans lequel les symptômes du trouble deviennent à nouveau source de sanction. Ludovic Friat, président de l’union syndicale des magistrats (USM), parle d’une « victimisation secondaire » pour ces profils. L’OIP parle de « peines nosocomiales ».
L’impact psychique du placement à l’isolement ou au quartier disciplinaire ([112])
« Les personnes mises à l’isolement voient leur rapport à l’autre se modifier au fil du temps. La privation de communication avec l’autre entraîne un rétrécissement de la pensée. Ils ruminent, ce qui favorise les angoisses. Au QD, c’est encore différent parce qu’il n’y a rien à quoi les personnes puissent se raccrocher, au sens propre comme au figuré. Les gens envoyés au QD le sont généralement parce qu’ils sont dans le passage à l’acte, qui est, par définition, le court-circuit de la pensée : on dit d’ailleurs d’une personne qu’elle a « disjoncté ». Or, au QD, ils sont confrontés à leur psyché, à leur monde intérieur et c’est insupportable. Ils ont besoin d’être accompagnés. Seuls, ça ne marche pas. Au contraire, ça renforce la colère, l’agressivité, la violence contre eux-mêmes ou envers les autres. Le risque de développer une psychose réactionnelle est en outre renforcé par l’absence de stimulus. » ([113])
Au-delà de l’impact psychique, comme le souligne Amélie Morineau, présidente de la commission libertés et droits de l’homme du conseil national des barreaux (CNB), « cela a des conséquences sur leurs parcours d’exécution de peines. En raison de leurs troubles, parce qu’ils décompensent, ce parcours est émaillé d’incidents qui vont mécaniquement les priver du bénéfice d’un certain nombre de mesures d’individualisation et d’aménagement de peine. Ils vont aller au bout de leur peine sans pouvoir ensuite bénéficier d’un accompagnement en milieu ouvert. »
Deuxième partie :
en détention, explosion des besoins,
dégradation des capacités de prise en charge
L’explosion des besoins décrite précédemment se heurte à une capacité de prise en charge dégradée.
I. une organisation entravée par un manque de moyens et des contraintes carcérales croissants
A. une architecture de soins incomplète et sous-dimensionnée
1. Les grands principes de la prise en charge
a. « L’hôpital se déplace vers la prison pour y assurer les soins »
La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a marqué un tournant décisif en confiant au ministère de la santé la responsabilité des soins dispensés en prison. Elle a mis fin à un système de soin assuré par l’administration pénitentiaire dans des conditions indignes, déconnectées du droit commun.
Les équipes médicales qui interviennent en détention sont donc sous l’autorité des établissements de santé et strictement indépendantes des directions des établissements pénitentiaires.
L’Agence régionale de santé désigne pour chaque établissement pénitentiaire un centre hospitalier de rattachement chargé de mettre en place une équipe médicale intervenant au sein de l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) de l’établissement et de la doter en personnel et en équipement médical et non médical. Selon les termes de Thomas Fovet, « c’est donc l’hôpital qui se déplace vers la prison pour y assurer les soins ».
L’administration pénitentiaire, elle, est chargée de mettre à disposition des locaux pour les consultations et examens et de permettre et organiser l’extraction du patient détenu vers un établissement de soins à l’extérieur le cas échéant.
La loi ne s’applique pas en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie ni à Wallis-et-Futuna, où la prise en charge relève majoritairement de conventions entre l’administration pénitentiaire et les établissements hospitaliers locaux.
Il faut mesurer le chemin parcouru, comme l’a souligné Aquilino Morelle, inspecteur général des affaires sociales. Cette révolution sanitaire a été un « choc qui provoque encore des tensions et des incompréhensions mais c’est quand même un très grand progrès humain, médical et social. »
Certains regrettent néanmoins que cette évolution puisse paradoxalement faire apparaître la prison comme un lieu de soins potentiel pour les personnes les plus marginalisées et précarisées. Prune Missoffe, responsable des analyses et du plaidoyer à l’observatoire international des prisons (OIP) estime ainsi qu’« on fait trop entrer les soins en prison » au détriment de l’extraction de la personne d’un milieu pénitentiaire où elle n’a rien à faire.
b. Des soins équivalents, les mêmes droits et garanties qu’à l’extérieur
La loi pose un principe d’équivalence des soins entre la prison et le milieu libre.
Les personnes détenues bénéficient des mêmes droits et garanties qu’à l’extérieur : droit au respect du secret médical et principe du consentement aux soins. On ne peut donc pas contraindre une personne à des soins en prison. La seule exception concerne les hospitalisations en soins sans consentement (sur décision du représentant de l’État) en cas de trouble psychiatrique qui représente un danger immédiat pour la personne ou pour autrui. Ces soins sans consentement ne se font pas en prison mais à l’hôpital.
Toute personne écrouée bénéficie de la prise en charge de ses frais de santé par le régime général d’assurance maladie tout au long de la mise sous écrou ([114]). Ces dépenses sont prises en charge à hauteur de 100 % des tarifs de la sécurité sociale, en tiers payant intégral. Les personnes écrouées n’ont donc pas à avancer d’argent pour leurs soins.
2. Une architecture à trois niveaux théorique et très incomplète
Parce qu’ils sont d’intensité et de complexité variables, les besoins en soins psychiatriques requièrent des modalités de prises en charge graduées et adaptées à l’état des patients. L’accès aux soins fait ainsi l’objet d’une organisation théorique en trois niveaux.
a. Au niveau 1, des USMP très inégalement dotées
Les 179 unités de soin en milieu pénitentiaire (USMP) ([115]) sont des unités de consultations déportées des établissements de santé auxquels elles sont rattachées. Elles incluent un dispositif de soins somatiques et un dispositif de soins psychiatriques.
Le dispositif de soins psychiatriques assure, dans des locaux dédiés, l’ensemble des consultations externes, les consultations individuelles et les éventuelles activités thérapeutiques de groupe.
Les USMP sont très inégalement dotées dans la mesure où il n’y a pas d’organigramme de référence.
La composition des équipes chargées des soins psychiatriques varie fortement d’une unité à l’autre, tant en nombre qu’en profils. Elles incluent, en nombres très variables, des personnels médicaux (psychiatres et étudiants en médecine), des personnels non médicaux (des personnels infirmiers, psychologues, beaucoup plus rarement des ergothérapeutes, thérapeutes en psychomotricité) et des personnels administratifs.
Un nombre réduit d’USMP bénéficie d’assistantes sociales ou le plus souvent de temps d’assistantes sociales dont la contribution est particulièrement précieuse, notamment pour repérer les risques sociaux chez les personnes souffrant de troubles psychiques et préparer la sortie. En 2023, seules 25 % des USMP ayant renseigné cette donnée bénéficiaient d’un temps d’assistante sociale.
Certaines USMP proposent des activités thérapeutiques de groupe, sous la forme de centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP). En 2023, sur les 137 USMP psychiatriques ayant renseigné cette donnée, 105 déclaraient avoir mis en place des activités de groupe, contre 32 qui n’en avaient organisé aucune.
Certaines USMP ne disposent que d’une consultation psychiatrique sporadique et irrégulière quand d’autres sont en mesure d’accueillir des patients en hospitalisation de jour.
L’USMP est par ailleurs chargée de coordonner des actions de prévention et de promotion de la santé mises en œuvre au sein de l’établissement pénitentiaire.
Elles doivent proposer un examen médical d’entrée et un examen médical de sortie.
Pour le reste les consultations médicales résultent de demandes formulées par la personne détenue elle-même, par le personnel pénitentiaire, par le médecin dans le cadre des suivis médicaux, par les services éducatifs de la PJJ, par la famille.
b. Au niveau 2, 27 SMPR inégalement répartis, aux capacités très variables et incapables d’assumer leur mission régionale
Le niveau 2 correspond aux soins requérant une prise en charge à temps partiel en hôpital de jour.
En 1986, des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ont été créés pour organiser et coordonner la psychiatrie en milieu pénitentiaire au niveau régional. 24 de ces 27 SMPR disposaient en 2018 de lits d’hospitalisation ([116]), offre qui représentait au total environ 370 ([117]) cellules dédiées à l’accueil de personnes pouvant bénéficier de soins psychiatriques en journée, dans une aile aménagée de la prison.
Quelques SMPR ne permettent pas ou peu d’hospitalisation de jour faute de moyens (lits, ressources médicales) alors que d’autres peuvent admettre un nombre important de patients pour des durées parfois importantes.
Par ailleurs, il existe une grande disparité des moyens psychiatriques affectés à des établissements de même catégorie sans que cela soit corrélé à une disparité des besoins.
Les soins de niveau 2 sont dans certains cas réalisés par le dispositif psychiatrique d’une USMP non dotée d’un SMPR.
Les SMPR, situés dans les maisons d’arrêt les plus importantes, doivent en théorie accueillir les patients de l’ensemble de leur région d’implantation. Cependant, la vocation régionale des SMPR est loin d’être effective. Dans les faits, leurs capacités sont le plus souvent largement saturées par les détenus de leur établissement de rattachement. Une minorité de détenus y ont donc accès et leur implantation inégale lèse en particulier les personnes détenues en maison centrale.
Surtout, les femmes en sont actuellement toujours exclues.
c. Au niveau 3, le développement inabouti d’une hospitalisation dédiée aux personnes détenues
Le troisième niveau, qui correspond aux hospitalisations à temps complet, a connu des évolutions majeures au cours des quinze dernières années avec la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), spécifiquement dédiées aux personnes détenues.
La création des UHSA a répondu à un besoin criant et aux très grandes difficultés de la psychiatrie générale à accueillir ces publics.
Avant les UHSA, les personnes qui avaient besoin d’une hospitalisation étaient orientées vers la psychiatrie générale, exclusivement en soins sans consentement. Les détenus étaient en tant que tels quasi-systématiquement placés dans des chambres d’isolement et/ou contentionnés ou orientés vers des unités pour malades difficiles, même si ce type de traitement n’était pas nécessaire d’un point de vue clinique et risquait d’aggraver la pathologie.
Les UHSA représentent de ce point de vue une avancée indiscutable saluée par tous.
Le développement des UHSA a été à la fois tardif et incomplet.
Créées par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, neuf UHSA n’ont été progressivement construites et mises en service qu’entre 2010 et 2018. Le programme de création d’UHSA établi en 2010([118]), qui en prévoyait 17, n’a donc été que partiellement mis en œuvre.
Ces neuf UHSA ([119]), cinq de 40 lits et quatre de 60 lits, représentent un total de 440 places théoriques, qui ne sont dans les faits pas toutes opérationnelles par manque de soignants (voire infra). La création de trois nouveaux sites (Île-de-France, Normandie et Occitanie) pour un total de 160 places supplémentaires est planifiée.
Les UHSA sont implantées au sein des établissements de santé, dans un bâtiment séparé, et sécurisées par l’administration pénitentiaire qui assure les transferts et le contrôle des entrées et sorties mais qui n’est pas présente au sein de l’unité de soins, sauf sur demande du personnel soignant.
La mission d’évaluation s’est rendue à l’UHSA de Seclin. De l’extérieur, l’UHSA a tout d’un établissement pénitentiaire. Mais à l’intérieur, c’est un espace protégé intégralement dédié à la prise en charge psychiatrique. Les patients peuvent circuler librement au sein de leur unité mais pas entre les unités.
Les UHSA accueillent dans les mêmes locaux des hommes, des femmes et des mineurs en soins libres ou sans consentement.
Comme aux autres niveaux, on constate une grande hétérogénéité des pratiques entre les différentes unités, chacune ayant été conçue autour d’un projet médical spécifique.
Les règles de circulation des patients sont notamment différentes. Certaines ont mis en place une unité réservée à l’accueil des arrivants comme en milieu pénitentiaire. Ce fonctionnement présente une limite majeure : tant qu’un patient y est maintenu, la place reste bloquée et aucun nouveau patient ne peut être admis, même si des lits sont libres dans les autres unités.
Les inspections générales relevaient aussi dans un rapport d’évaluation publié en 2020 une forte hétérogénéité dans la conception, la pratique médicale et le fonctionnement général des UHSA. Depuis, un cahier des charges a été publié en annexe de l’arrêté du 10 octobre 2022 ([120]).
L’hospitalisation en UHSA est aujourd’hui le principe. À défaut, les détenus peuvent toujours être orientés, uniquement en soins sans consentement, dans l’hôpital psychiatrique du secteur ou au sein d’une unité pour malades difficiles (UMD) si les critères cliniques le justifient.
la répartition territoriale des 27 SMPR et des 9 UHSA
3. Une présence inégale des CSAPA, maillon indispensable
L’organisation des soins addictologiques en détention est elle aussi très hétérogène selon les établissements.
Certaines unités peuvent bénéficier d’une collaboration avec un centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) en milieu pénitentiaire, implanté dans les onze plus gros établissements de France (couvrant environ un quart de la population incarcérée) ([121]).
L’organisation des soins dépend des configurations locales : elle peut être portée par le dispositif de soins psychiatrique, par un médecin du dispositif de soins somatiques, par un CSAPA hospitalier accolé à un SMPR, par un CSAPA associatif, ou par tous ces acteurs en même temps.
Les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) interviennent de manière ponctuelle et inégale pour informer les usagers sur la réduction des risques et des dommages, améliorer l’accès au soin, et parfois mettre à disposition du matériel de réduction des risques et des dommages. En 2023, seules 30 % des USMP répondantes indiquent recevoir des intervenants de CAARUD ([122]).
Distinct du CSAPA en milieu pénitentiaire, chaque établissement doit bénéficier d’un CSAPA référent, dispositif spécifique développé à compter de 2012 dont la mission est de préparer la sortie.
B. Le soin à l’épreuve d’une pénurie de moyens
Sur le terrain, l’accès des détenus aux soins s’écarte très largement du parcours théorique imaginé, mis à mal par des moyens en baisse et des contraintes carcérales de plus en plus lourdes.
1. Un modèle de financement de plus en plus déconnecté des besoins
Le constat est loin d’être nouveau : en prison les moyens alloués aux services sanitaires, comme ceux des services pénitentiaires, restent fondés sur la capacité théorique des établissements. Dans des établissements en surpopulation chronique et croissante, ce mode de calcul est de moins en moins tenable ([123]).
Une refonte du modèle de financement des USMP est annoncée depuis longtemps mais toujours attendue à ce jour.
Un groupe de travail associant le ministère de la santé et les professionnels a élaboré un nouveau modèle de financement qui permettrait de rééquilibrer les enveloppes budgétaires en tenant enfin compte de la réalité des besoins sur le terrain. Les acteurs attendent impatiemment des arbitrages sur ce sujet central.
S’agissant des moyens consacrés à la prise en charge des troubles psychiques en milieu carcéral, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) indique qu’en 2022 ([124]), 178 millions d’euros étaient alloués à l’ensemble des dispositifs de psychiatrie spécifiques aux personnes détenues, dont 62 millions d’euros pour les UHSA, 64 millions d’euros pour les USMP psychiatriques, 44 millions pour le niveau 2 (SMPR et USMP ayant développé une activité d’hôpital de jour) et 6,5 millions d’euros pour d’autres dispositifs.
Ces chiffres mettent notamment en lumière le poids budgétaire important des neuf UHSA qui concentrent à elles seules plus du tiers de l’enveloppe dédiée et représentent un coût équivalent à celui de l’ensemble des 179 USMP.
Préconisation n° 13 : Mettre en œuvre la réforme du modèle de financement des unités de soins en milieu pénitentiaire, afin qu’il soit corrélé aux besoins sanitaires réels des personnes détenues.
2. Une pénurie de soignants qui s’aggrave à tous les niveaux
a. Des équipes en sous-effectif, fragiles et instables
À des moyens déconnectés de l’évolution des besoins s’ajoute un sous‑effectif de soignants à tous les niveaux, avec de nombreux postes vacants qui impactent très fortement les organisations compte-tenu de la petite taille des équipes.
Selon les informations communiquées par la DGOS, « en 2023, les USMP psychiatriques ont déclaré 32,18 ETP vacants de psychiatre ; 16,54 ETP d’infirmier ; 14,35 ETP de psychologue » ([125]). Ces données apparaissent très partielles et incomplètes puisque parmi les 120 USMP qui ont renseigné ces données en 2024, 60 % indiquent rencontrer des difficultés de recrutement et 40 % n’en rencontrent pas. Parmi celles qui déclarent des difficultés, 15 % ne précisent pas les catégories de professionnels concernés.
En 2014, la direction générale de l’offre de soins avait été en mesure de transmettre à la Cour des comptes des pourcentages de postes non pourvus pour les différentes catégories de personnels de santé (16 % pour les psychiatres, 7 % pour les psychologues et 8 % pour les infirmiers psychiatriques) et des taux moyens en ETP pourvus pour 1 000 détenus.
Huit ans plus tard, il faut déplorer l’incapacité – ou le refus – de produire de tels indicateurs, pourtant indispensables à toute analyse objectivée des ressources humaines et à un pilotage efficace.
En tout état de cause, comme l’a souligné Anne Hégoburu, sous-directrice de la prise en charge hospitalière et des parcours ville-hôpital à la direction générale de l’offre de soins, et comme le confirment l’ensemble des acteurs « la situation s’est aggravée au cours des dernières années, en particulier le ratio de postes vacants. Nous avons eu beaucoup de départs de professionnels de santé. »
Comme en milieu libre, le système souffre surtout d’une grave pénurie de psychiatres qui s’est aggravée.
À titre d’illustration, à la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes, comme l’a indiqué Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP, l’équipe de psychiatrie suit 80 % des détenus parmi lesquels, il y a 30 à 40 % de psychotiques. « En 2010, il y avait 1,2 psychiatre pour 400 détenus. Nous sommes désormais à 0,8 ETP pour 700 détenus. »
De nombreux professionnels font état de situations devenues critiques.
Faute de psychiatres, des lits ferment sur l’ensemble du territoire et les capacités de prise en charge se réduisent à tous les niveaux. Ainsi la direction interrégionale des services pénitentiaire (DISP) Sud Est relève une absence de psychiatre au sein de l’USMP de la maison d’arrêt de Draguignan depuis mars 2023, la fermeture du SMPR de la maison d’arrêt de Nice depuis 2024 et la fermeture de la troisième aile de l’UHSA de Marseille.
Plusieurs acteurs pointent des difficultés amplifiées par le turn over important au sein du personnel soignant en détention.
À l’UHSA d’Orléans, Coralie Langlet, cheffe du pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire de l’EPSM du Loiret, déplore par exemple « des effectifs médicaux insuffisants et très instables. Le service fonctionne grâce à des praticiens associés, médecins étrangers en cours de parcours de consolidation et amenés à changer d’affectation pour faire valider leur diplôme. »
Des ARS soulignent également le faible remplacement des arrêts de travail, y compris en longue maladie, qui majore les difficultés rencontrées.
Le manque de personnel permettant un accès aux soins
fait l’objet de recommandations régulières du CGLPL.
La pénurie de psychiatres, de psychologues et d’infirmiers relevée aux maisons d’arrêt de Rochefort, d’Agen, de Cherbourg, au centre de détention de Bédenac et au centre pénitentiaire de Seysses en 2021 est toujours d’actualité.
À la maison d’arrêt d’Agen, un psychiatre intervient seulement une journée par semaine.
À la maison d’arrêt de Cherbourg, l’offre psychiatrique se limite à des vacations, sans psychiatre ou infirmier affectés durablement à l’établissement.
À la maison d’arrêt de Rouen, visitée par le CGLPL en novembre 2023, les postes de l’effectif théorique de l’USMP ne sont pas pourvus. Seuls quatre des huit postes de psychiatres du pôle étant pourvus, l’effectif médical réel a été décrit comme insuffisant pour proposer des soins psychiatriques autres qu’urgents, notamment l’organisation sereine de suivis répondant à la prise en charge des maladies psychiatriques chroniques. Le rapport annuel d’activité de l’UMSP pour l’année 2021 fait état d’une file active de 1 120 patients détenus.
À la maison d’arrêt pour hommes de Meaux-Chauconin, visitée en décembre 2023, l’USMP disposait de moins d’un temps plein de psychiatre pour un millier de personnes détenues, sachant que la prévalence des troubles psychotiques était estimée, comme dans d’autres établissements, à 15 % ; sans compter les syndromes dépressifs, les troubles anxieux et les troubles graves de la personnalité. Sur 4 ETP de psychologues inscrits dans le protocole de 2018, 2,1 étaient effectifs (dont 0,2 de neuropsychologie). Si bien que le délai d’attente pour une première rencontre avec un psychologue (hors orientation particulière en cas de risque suicidaire notamment) est d’un an, voire un an et demi.
En revanche, les inspections générales, dans le cadre de leur récente mission consacrée au soin en détention, relèvent que les équipes paramédicales sont « globalement plus stables » ou moins instables qu’au sein de l’hôpital public. Au-delà de l’intérêt de l’exercice en détention, les personnels paramédicaux, notamment les infirmiers, y jugent les horaires de travail plus attractifs ([126]). Ils reçoivent en outre une prime dite « de risque » qui représente jusqu’à 200 euros par mois. « Dans tous les établissements visités par la mission, les taux de vacances étaient, à la date des visites de la mission, dans tous les cas inférieurs aux taux observés en moyenne dans les hôpitaux de rattachement. »
Les inspections relèvent cependant que les infirmiers qualifiés en psychiatrie manquent cruellement dans certaines structures visitées et rappelle qu’il est désormais possible d’obtenir un diplôme d’infirmier sans jamais effectuer aucun stage en psychiatrie au cours de la formation initiale. De nombreux infirmiers, non qualifiés en psychiatrie, exercent au sein d’unités psychiatriques. Leur formation repose alors sur le seul collectif de travail.
Certaines ARS préconisent un recours accru aux infirmiers en pratique avancée (IPA) en psychiatrie. Ce levier ne pourra cependant pas pallier le manque de médecins et certaines équipes médicales rencontrées expriment leur scepticisme sur l’apport de ces IPA.
Préconisation n° 14 : Encourager la formation et le recrutement d’infirmiers en pratique avancée en psychiatrie en détention.
b. Un déficit d’attractivité qui s’amplifie
« La principale difficulté tient au recrutement de psychiatres, » souligne Pascale Giravalli. « Nous n’en sommes plus à demander des moyens supplémentaires. Il faudrait déjà que les postes budgétés puissent être pourvus. »
À la crise de la démographie psychiatrique s’ajoute le manque d’attractivité de la psychiatrie en milieu carcéral.
Bien qu’inscrite dans les différentes feuilles de route, l’attractivité constitue un axe sur lequel les avancées ne peuvent être que limitées dans un contexte de dégradation des conditions d’exercice. Ce chantier est d’autant plus crucial que trois nouvelles UHSA doivent prochainement ouvrir, alors même que certaines unités existantes n’ont pas été en mesure d’ouvrir de lits faute de soignants disponibles. La réussite de ce programme est très largement conditionnée à la capacité d’attirer et de fidéliser des professionnels qualifiés.
Comme l’indique l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, « la détention rebute et effraye beaucoup de soignants. » L’isolement géographique de certains établissements pénitentiaires complique encore le recrutement.
Se pose de manière de plus en plus prégnante la question du renouvellement des équipes, dans un contexte marqué par le vieillissement de l’encadrement et l’appétence encore moindre des nouvelles générations pour l’exercice en prison. Les soignants actuellement en poste expriment une vive inquiétude quant à une possible absence totale de relève.
Pourtant, malgré les grandes difficultés rencontrées, les praticiens font preuve d’un engagement remarquable et soulignent l’intérêt singulier de l’exercice en milieu pénitentiaire. C’est ce qu’ont relevé et souligné les inspections générales.
Les soignants mettent en avant, entre autres, un milieu d’étude passionnant, une moindre pression administrative en détention par rapport à l’exercice dans un service hospitalier ou en libéral, la richesse du travail en équipe mais aussi, paradoxalement, un sentiment de sécurité accru par rapport au milieu libre, qui souligne en creux les grandes difficultés de ce dernier.
Un sentiment de sécurité accru dans le cadre de l’exercice en prison
Ce constat est illustré par les témoignages rapportés par les inspections générales d’une infirmière psychiatrique en UHSA : « Nous sommes plus en sécurité ici que dans une clinique psychiatrique, je vous le dis » ou d’un praticien hospitalier urgentiste en USMP : « J’ai été agressée plusieurs fois, c’était toujours aux urgences, jamais dans la prison ».
Bien que des incidents et agressions aient été portés à notre connaissance, notamment la semaine précédant notre visite à Fleury-Mérogis, les retours des soignants avec lesquels nous avons échangé vont dans ce sens.
La proximité des surveillants, l’existence de boutons d’alarmes dans les bureaux, les caméras et les portiques de détection créent des conditions de sécurité dont ne bénéficient pas les soignants en milieu libre.
L’exercice en prison, très spécifique, est surtout très largement méconnu et souffre de représentations contraires à la réalité du terrain. C’est pourquoi il apparaît indispensable d’intégrer une sensibilisation à cet exercice au sein du cursus des études médicales et de la formation continue des médecins et de développer activement les stages en unités pénitentiaires.
Préconisation n° 15 : Intégrer une sensibilisation à l’exercice en prison au sein du cursus des études médicales et de la formation continue des médecins et autres professionnels de santé et développer les stages en unités pénitentiaires. Favoriser le partage de connaissances et d’expériences entre professionnels de santé.
Il est important par ailleurs de lever les freins statutaires à l’exercice en milieu pénitentiaire.
Les exercices mixtes, permettant à des professionnels de partager leur temps entre le milieu pénitentiaire et un établissement de santé, offrent un équilibre intéressant et doivent être encouragés.
Les inspections générales ont observé en 2024 que la prime d’exercice territorial dont bénéficient les médecins exerçant en prison en raison des contraintes évidentes qui pèsent sur leur activité n’était pas systématiquement attribuée, en raison d’interprétations des textes à géométrie variable. Il est important de remédier à d’éventuelles disparités d’application pour garantir cette prime à tous les professionnels.
Enfin, l’attention de la mission a été appelée sur une difficulté particulière rencontrée par les praticiens hospitaliers à diplôme extérieur à l’Union européenne : les périodes d’exercice au sein des USMP ne sont pas toujours reconnues comme validantes dans le cadre des parcours exigés pour leur autorisation d’inscription à l’Ordre des médecins.
Préconisation n° 16 : Veiller à l’attribution effective et homogène de la prime d’exercice territorial aux professionnels de santé exerçant en milieu pénitentiaire.
Préconisation n° 17 : S’assurer que les périodes d’exercice effectuées au sein des USMP soient systématiquement validées pour les praticiens titulaires de diplômes extracommunautaires (PADHUE), dans le cadre des démarches d’autorisation d’exercice et d’inscription à l’Ordre des médecins.
Cependant, les actions conduites pour renforcer l’attractivité et la fidélisation des soignants sont largement compromises par la dégradation accélérée des conditions d’exercice, dans un environnement de plus en plus hostile aux soins.
C. Un environnement de plus en plus hostile aux soins, des contraintes carcérales croissantes
La mission constate que l’accès aux soins est rendu de plus en plus difficile par l’environnement pénitentiaire dans un contexte de surpopulation carcérale. Pour l’ARS Ile-de-France, « l’exercice des soignants devient de plus en plus difficile à mettre en œuvre » au point d’« interroger sur la mission des professionnels de santé. »
1. Un accès aux soins de plus en plus entravé par la surpopulation et le manque de surveillants
À la pénurie des moyens s’ajoute l’impossibilité croissante d’en faire pleinement usage.
Faire du soin en prison prend plus de temps et mobilise plus de moyens qu’ailleurs. L’organisation même des établissements impose structurellement des procédures lourdes et chronophages : limitation des mouvements, contrôles d’entrée et de sortie, franchissement de SAS successifs, ouverture de grilles, respect de normes de sécurité. L’accès aux lieux de consultations peut être un parcours du combattant pour les soignants comme pour les patients.
Même si tous les déplacements ne sont pas accompagnés, l’acheminement de détenus vers l’unité sanitaire peut mobiliser massivement les surveillants. Pour certains profils jugés dangereux ou instables, jusqu’à quatre surveillants peuvent être requis, avec équipements de sécurité renforcés, une opération lourde qui peut accaparer une heure.
La situation est d’autant plus critique que l’administration pénitentiaire accuse un déficit d’environ 6 000 surveillants. Dans ce contexte, chaque mouvement nécessite un arbitrage, les escortes médicales étant notamment en concurrence avec les autres activités de la détention (promenade, travail, parloirs, etc.).
La surpopulation carcérale ne fait qu’amplifier ces contraintes en augmentant mécaniquement le nombre de déplacements à gérer, le nombre de patients à suivre et les conflits de programmation.
2. Des problèmes de locaux aggravés par la surpopulation
Les locaux des unités sanitaires en détention sont, dans de nombreux établissements, exigus, mal aménagés, vétustes et inadaptés aux exigences du soin. Ils limitent structurellement les capacités de prise en charge, faute de bureaux disponibles, d’espaces de confidentialité ou de lieux adaptés aux consultations individuelles ou aux activités de groupe.
Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes, déplore ainsi un double déficit : « Il nous manque du personnel et des locaux. Nous manquons de bureaux pour recevoir les personnes. Par exemple, le psychologue doit attendre dans la salle de pause qu’un bureau se libère pour pouvoir recevoir un patient, sachant que leur délai de consultation est déjà de quatre mois et demi à cinq mois. »
Christine-Dominique Bataillard, cheffe des USMP de la maison centrale d’Arles, du centre de détention de Tarascon et du centre pénitentiaire du Ponte, décrit des locaux si exigus qu’ils ne permettent l’accueil simultané que de trois personnes détenues, soumises à des règles de circulation très contraignantes. « Nous sommes parfois six intervenants à vouloir travailler dans deux pièces, ce qui pose évidemment des difficultés. » ([127])
À cette contrainte structurelle s’en ajoute une autre, de plus en plus fréquente selon les témoignages : dans plusieurs établissements, des cellules de SMPR destinées aux soins sont réquisitionnés par l’administration pénitentiaire qui y effectue des « placements d’autorité » pour répondre à l’urgence de l’hébergement, dans un contexte de surpopulation critique.
3. Une part massive de rendez-vous non honorés, un gaspillage de ressources rares
À la pénurie de soignants et parfois de locaux s’ajoute une part considérable de consultations programmées non réalisées aggravée là encore par la surpopulation et les sous-effectifs.
La part de non-réalisation des consultations programmées n’est pas suivie de manière rigoureuse par toutes les USMP. Cependant en 2023, 77 USMP psychiatriques ont déclaré un total de 60 550 consultations programmées non réalisées, ce qui confirme l’ampleur du phénomène.
Parmi les structures ayant renseigné à la fois les consultations réalisées et non réalisées, le taux de non-réalisation atteint environ 34 % depuis 2021 contre 25,5 % en 2019. Ce chiffre suggère une dégradation structurelle de l’accès effectif aux soins. Cette estimation rejoint celle du CGLPL qui a évoqué un taux de rendez-vous non honorés autour de 30 à 40 %, pouvant atteindre 50 % dans certains établissements.
Ces absences – qu’elles soient liées à l’impossibilité d’extraire la personne, à un refus de sa part, à des arbitrages sécuritaires ou à des problèmes de coordination – constituent une perte nette dans un environnement où toutes les ressources manquent. Des moyens rares sont mobilisés pour des soins qui n’ont pas lieu.
Comme le souligne André Ferragne, secrétaire général du CGLPL, s’agissant des surveillants, « assez souvent quand ils sont très submergés, si le détenu n’est pas debout derrière la porte chaussures aux pieds, on considère qu’on coche la case refus et on passe à autre chose. »
S’agissant des détenus, « ils ne donnent pas la priorité aux rendez-vous médicaux quand ils entrent en concurrence avec d’autres activités. Ce qui est prioritaire pour les détenus, ce sont les parloirs, puis le travail. Peu de détenus sacrifieront un peu de travail et encore moins un peu de temps avec leurs proches pour aller à l’unité sanitaire ».
Ces rendez-vous manqués résultent également d’un défaut de coordination entre l’unité sanitaire et l’administration pénitentiaire.
Ils pèsent lourdement sur les équipes exposées à la frustration, voire au découragement. Comme le schématise Stéphanie Lafont-Rapnouil, psychiatre, cheffe de projet animation territoriale en santé mentale à la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie, « en prison le soignant perd une heure à l’entrée, une heure à la sortie. Et entre les deux, il attend dans un bureau un détenu qui ne vient pas. »
Ils pénalisent également les patients, qui doivent parfois attendre plusieurs mois pour une nouvelle consultation.
4. Des extractions médicales de plus en plus difficiles à obtenir
Les extractions médicales constituent depuis longtemps un point de friction majeur entre les équipes soignantes et l’administration pénitentiaire. Ces déplacements sous escorte, nécessaires pour permettre à une personne détenue d’accéder à des soins en dehors de l’établissement, mobilisent aussi des moyens humains considérables.
Selon les informations transmises par la DAP aux inspections générales, en janvier 2024, 52 % des personnes détenues sont classées en niveau d’escorte 2, qui implique la mobilisation de trois surveillants.
En matière de santé mentale, les extractions concernent principalement des hospitalisations en UHSA ou des transferts vers un SMPR, ainsi que, plus ponctuellement, des examens complémentaires (IRM, scanner) nécessaires à l’évaluation ou à la prise en charge psychiatrique. La problématique est beaucoup plus prégnante en matière de soins somatiques.
Les équipes de l’administration pénitentiaire déplorent un nombre trop élevé d’extractions, perçues comme risquées, excessives ou injustifiées, dans un contexte où les effectifs ne permettent déjà pas d’assurer les missions courantes. De fait, comme le souligne l’ARS Martinique, des incidents liés à ces extractions se sont déjà produits au CHU de Martinique avec menace par armes à feu et évasion de prisonniers.
Selon de nombreux témoignages, il est de plus en plus fréquent que l’indisponibilité des escortes impose à l’équipe médicale de prioriser une urgence et d’annuler un examen ou une consultation, dont le report représente un risque de perte de chance pour le patient. L’indisponibilité des escortes pèse notamment sur les délais d’admission et de sortie des UHSA.
Les professionnels de santé expriment quant à eux un profond malaise face à l’injonction d’arbitrer entre les besoins. Certains parlent d’« autocensure » dans les prescriptions, intégrant par avance les contraintes et refus probables.
Depuis le drame d’Incarville, ces tensions se sont encore accrues. Le renforcement des exigences de sécurité a eu pour effet de resserrer davantage les conditions d’extractions.
Certains mettent en cause la mutualisation des moyens dévolus aux escortes médicales et judiciaires au sein des équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) engagée depuis 2024. Selon plusieurs ARS, cette réforme, mise en œuvre à moyens constants, se traduirait par un effet d’éviction au détriment des soins : les escortes judiciaires seraient prioritaires, tandis que les extractions médicales seraient de plus en plus reportées faute de personnel formé ou disponible. Les équipes soignantes, tant somatiques que psychiatriques, constatent une hausse significative des reports d’extractions et d’hospitalisations, impliquant une reprogrammation complexe et, dans certains cas, une perte de chance manifeste.
Pour la DISP Grand Est, au contraire, les tensions relatives aux escortes tendraient à s’aplanir, grâce la mise en place progressive de ces ELSP sur le ressort de la DISP de Strasbourg ainsi qu’au recours à la visioconférence.
Comme le soulignent les inspections générales dans leur récent rapport sur l’accès aux soins des personnes détenues, « à défaut de données statistiques, il est difficile d’objectiver cette information. Les interlocuteurs pénitentiaires reconnaissent être amenés à devoir prioriser certaines missions telles que les transfèrements administratifs ou les extractions judiciaires lorsque leurs capacités opérationnelles sont dépassées. » Ce phénomène est accru par la politique de désencombrement des maisons d’arrêt. La multiplication des transferts vers les établissements pour peine entraîne également un effet d’éviction au détriment des extractions médicales.
En 2023, seules 55 USMP psychiatriques ont renseigné à la fois le nombre d’extractions demandées et le nombre d’extractions non réalisées. Sur ce périmètre, 8 528 extractions ont été demandées, dont 1 725 n’ont pas été réalisées, soit environ 20 %. Ce taux élevé confirme la difficulté de réaliser des soins hors les murs.
Sur les extractions non réalisées pour lesquelles au moins un motif a été renseigné, les refus imputables à la personne détenue elle-même représentent près de la moitié.
Quelle que soit la qualité très approximative de ces données, le refus ou l’impossibilité de la personne détenue elle-même apparaît comme un motif fréquent de non réalisation des extractions, ce qui rejoint les constats évoqués en audition par l’inspection générale de la justice.
Préconisation n° 18 : En cas d’annulation d’une extraction, prévoir une information obligatoire et sans délai de l’unité sanitaire et de la personne détenue concernée, avec indication du motif d’annulation.
Préconisation n° 19 : Engager une réflexion interministérielle en vue d’améliorer la réalisation des extractions médicales.
5. Entre refus et demandes stratégiques de soin
a. Des facteurs de refus de soin majorés en détention
En prison, et plus encore en matière psychiatrique, les causes de refus de soins sont particulièrement nombreuses et majorées.
i. La peur de la stigmatisation
Elle occupe une place centrale en détention, où les troubles psychiques sont peu compris, souvent moqués ou associés à une forme de faiblesse. Les personnes qui en souffrent peuvent être exposées à des railleries, voire à des violences, y compris à des rackets dans le cadre du trafic de médicaments. De nombreux détenus « en ont une vision négative et disent ne pas vouloir être "cachetonnés" ou stigmatisés auprès des autres détenus », explique le docteur Bais, psychiatre au sein de l’USMP de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone. ([128])
D’autant que le secret médical est fortement mis à mal par l’environnement carcéral. Il est difficile de consulter notamment au SMPR sans être rapidement repéré par les autres détenus et les surveillants. Contrairement à l’extérieur où l’on peut accéder à un suivi de manière discrète, l’acte de consulter en prison expose à un risque réel de stigmatisation qui freine la demande de soins.
L’ARS Pays de la Loire souligne également la « difficulté d’identifier les consommations car le sujet des addictions est tabou en détention, en particulier pour les jeunes détenus. Cette situation nécessite des stratégies d’accompagnement vers le soin plus longues (avec la mobilisation d’outils comme la médiation par la musique ou l’animal). »
ii. L’incapacité ou le refus de se percevoir comme malade
Il y a également, chez une partie des personnes atteintes de troubles psychiques, une résistance qui tient à un défaut d’« insight » ou « anosognosie » : ces personnes ne se reconnaissent pas comme malades, ne perçoivent pas leur état comme pathologique.
Les personnes les plus gravement atteintes n’ont souvent pas conscience d’avoir besoin de soins.
Ces personnes nécessitent une démarche proactive, un « aller vers » soignant qui est de plus en plus illusoire dans un contexte de surpopulation et de tension sur les effectifs.
Ces personnes sont très exposées au risque de rupture de traitement. Certaines USMP s’efforcent de mettre en place des traitements à action prolongée mais beaucoup de patients, notamment psychotiques, ne sont pas toujours en état de suivre un traitement.
iii. Un public éloigné du soin
Il en va de même des personnes chez lesquelles la précarité a généré un éloignement du parcours de soins et des difficultés à y adhérer.
Il ressort de l’étude précitée portant sur les sortants de prison que 15,2 % des participants s’orientent vers d’autres personnes que les professionnels de santé mentale pour des « problèmes ou difficultés de santé mentale » (en majorité codétenu, familles ou amis).
iv. La crainte des ruptures induites par l’hospitalisation
Les refus d’extraction ou d’hospitalisation tiennent aussi à des raisons concrètes et logistiques propres à l’univers carcéral.
L’hospitalisation entraîne de nombreuses ruptures liées au transfert.
La crainte de ne pas retrouver sa cellule à la sortie est un frein puissant au consentement à l’hospitalisation, notamment dans les maisons d’arrêt en surpopulation chronique.
Par ailleurs le détenu est provisoirement transféré et ré-écroué sur l’établissement pénitentiaire de rattachement de l’hôpital, avec un nouveau numéro d’écrou temporaire. Ce changement, purement administratif en théorie, entraîne en pratique des ruptures importantes dans la continuité des droits et des services.
Les conséquences sont multiples : perte ou suspension temporaire du compte de téléphonie, nécessité de refaire les démarches de permis de visite, retard dans l’acheminement des effets personnels, difficultés d’accès aux cantines ou à l’argent, blocages dans les correspondances, etc. La chaîne de transmission est lente et cloisonnée : entre régie, greffe, détention et hôpital, aucun service n’a la charge de lier les morceaux. Ce qui apparaît comme un simple transfert temporaire est vécu comme un saut dans l’inconnu. Comme l’a résumé André Ferragne, secrétaire général du CGLPL, « en prison, changer de numéro d’écrou c’est mourir et renaître : tout s’arrête et tout doit recommencer ».
À ces obstacles s’ajoutent parfois des contraintes qui peuvent paraître anecdotiques mais suffisent à rendre une hospitalisation inenvisageable comme l’interdiction de fumer en UHSA. C’est un motif de refus fréquent, comme l’a souligné Aquilino Morelle, inspecteur général des affaires sociales. La cigarette devient pour beaucoup l’élément central d’un quotidien sans repère ni activité.
Certains redoutent également le transfert dans un établissement éloigné, notamment de leurs proches, qui peut les isoler davantage.
Enfin, le soin psychiatrique en détention n’est pas nécessairement perçu comme plus accueillant ou protecteur que l’univers pénitentiaire lui-même, comme l’a souligné André Ferragne. Un détenu croisé à l’UHSA de Seclin a d’ailleurs supplié les rapporteures de le « ramener en prison ».
Préconisation n° 20 : Mieux articuler les procédures en cas de transfert dans le cadre d’une hospitalisation afin d’assurer une meilleure continuité des droits et des services aux patients-détenus.
b. Des demandes de soins à dimension judiciaire
Parallèlement à ces refus ou résistances aux soins, les équipes soignantes en détention sont confrontées à un afflux de demandes de consultations motivées par des objectifs judiciaires : espoir de réductions ou aménagements de peine. Ces demandes de soins ne s’inscrivent pas toujours dans une véritable démarche thérapeutique, mais visent prioritairement l’obtention d’un certificat ou d’une attestation de suivi, souvent sollicitées par les magistrats eux-mêmes.
Plusieurs ARS attirent l’attention sur ce phénomène.
L’ARS Martinique évoque « une forte demande de consultations en SMPR, fréquemment motivée par les possibilités de remises de peine ». L’ARS Grand Est insiste sur ce point : « les équipes médicales dénoncent régulièrement des demandes perçues comme “utilitaires”, dans le but explicite d’obtenir une attestation à destination du juge de l’application des peines. » Ce phénomène est également signalé dans les filières addictologiques, où les attestations de suivi sont de plus en plus sollicitées comme pièces justificatives dans les procédures d’aménagement. L’ARS Pays de la Loire relève aussi une augmentation marquée des rendez-vous médicaux motivés par la préparation d’une audition judiciaire.
Ces sollicitations mobilisent des ressources limitées et ont un impact majeur sur la capacité des équipes à traiter les situations les plus urgentes ou les plus cliniquement justifiées.
« Plus le psychiatre a de pouvoirs de faire sortir les gens plus on amène vers le soin les personnes qui n’en ont pas besoin », a analysé Thomas Fovet.
Préconisation n° 21 : Engager une concertation entre acteurs du soin et de la justice sur le recours aux soins comme critère d’aménagement ou de suspension de la peine en vue de le rendre plus efficient.
6. Des contraintes carcérales croissantes, une sécurité plus incertaine
a. Des contraintes carcérales croissantes
De nombreux soignants partagent aujourd’hui le sentiment que les contraintes carcérales pesant sur l’exercice du soin se sont considérablement accrues, en particulier au cours des dernières années.
Après la question des extractions, déjà évoquée, la pression exercée pour que les soignants interviennent directement au quartier d’isolement-quartier disciplinaire en constitue un point de crispation majeur. L’administration pénitentiaire incite les soignants à se déplacer dans ces quartiers, en mettant en avant le manque de personnel pénitentiaire pour acheminer les détenus vers l’USMP, le risque que ces déplacements feraient courir à tout le monde et la possibilité, pour les soignants, de voir davantage de patients en faisant eux-mêmes le déplacement.
Amel Masseboeuf, cheffe du service du SMPR et du centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) du centre pénitentiaire des Baumettes fait également état de plus grandes difficultés à faire participer les détenus mis à l’isolement à des groupes thérapeutiques.
Lorsque les détenus sont acheminés vers les espaces dédiés aux consultations, il est, selon les témoignages, de plus en plus fréquent que les patients soient menottés, encadrés par des surveillants en tenue d’intervention, et qu’une présence pénitentiaire soit très fortement recommandée ou imposée pendant les consultations, au mépris du secret médical.
Les soignants dénoncent de manière générale une multiplication des situations d’atteinte au secret médical. En particulier, dans un nombre croissant de situations, l’administration pénitentiaire conditionnerait la réalisation des extractions à la transmission d’informations à caractère médical.
Extrait du courrier du 4 mai 2025 adressé aux ministres de tutelle (voir annexe 2) par l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) et l’’association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP)
« Depuis plusieurs années déjà, les soignants ont été contraints dans certains lieux, sous la pression pénitentiaire, au nom du principe de précaution auquel il est souvent difficile de résister pour ne pas laisser des patients malades sans soin, de travailler dans des conditions indignes : consultations à travers des grilles, en présence de surveillants casqués et armés de boucliers, à travers l’embrasure d’une porte ou d’une petite ouverture (passe-menottes) avec un soignant courbé pour tenter de voir au moins en partie le visage du patient, directeur pénitentiaire qui exige des informations à caractère médical pour décider seul de la nécessité d’une extraction médicale, personnels de santé enfermés dans des lieux d’entretien, personnel de surveillance imposé dans les locaux de consultations dans la prison et dans les hôpitaux… »
De très fortes préoccupations se font jour autour de la mise en place des prisons de haute sécurité à Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil. Elles portent d’abord sur les conditions de détention elles-mêmes, marquées par un « isolement strict dont les effets délétères et inhumains sur la santé physique et psychique des personnes sont prouvés » ([129]). « On va fabriquer des fous en cage », s’est émue Angélique Guillain, infirmière coordinatrice de l’unité sanitaire de Vendin-le-Vieil.
Les inquiétudes portent aussi sur l’annonce de contraintes renforcées pesant sur le soin (organisation des détenus en groupes étanches sans possibilité de croisement entre membres de deux groupes différents lors de leur passage à l’unité sanitaire, fouille à nu du patient détenu après chaque soin ou consultation avec un soignant, objectif de suppression totale des extractions médicales, « binômage » imposé pour toutes les consultations médicales etc.) mais aussi de garanties de sécurité insuffisantes pour les soignants (dispositifs d’anonymisation et d’alerte par accès à une ligne téléphonique reliée aux FSI réservés aux équipes pénitentiaires…)
b. Une sécurité plus incertaine
Ces contraintes pénitentiaires renforcées sont jugées contre-productives, voire dangereuses, par de nombreux professionnels, notamment en psychiatrie, où elles peuvent inutilement provoquer une très forte agitation chez le patient ou compromettre la relation thérapeutique. Un psychiatre témoigne : « quand le patient est entravé et menotté, il s’agite, hurle et crie encore plus fort. Quand les surveillants restent à l’extérieur, il est plus détendu. » Et Pascale Giravalli de conclure : « trop de sécurité tue la sécurité. J’ai pris des coups dans ma vie mais toujours à l’hôpital. En prison je me suis sentie en insécurité quand il y avait trop de sécurité. » « L’administration pénitentiaire se dit protectrice à notre égard mais elle nous met en danger par un excès de sécurité », confirme Valérie Kanoui.
Dans le même esprit, les annonces et déclarations du ministre de la justice concernant la suppression ou la restriction des activités dites « ludiques » ont été particulièrement mal vécues par les soignants. Ils ont dû rappeler qu’elles jouent un rôle thérapeutique avéré en « contribuant à restaurer la confiance, à stabiliser les patients et à réduire les tensions liées à l’enfermement. En entravant ces leviers de régulation psychique, on affaiblit les outils de prévention de l’agressivité, et l’on expose en premier lieu les professionnels pénitentiaires qui ouvrent les portes », a observé Pascale Giravalli.
Ces contraintes renforcées créent par ailleurs des risques avérés.
L’APSEP a ainsi souligné qu’il n’est pas rare que les soignants soient enfermés avec les détenus dans la salle de consultation.
De même, le témoignage de Maria Merle, infirmière coordonnatrice au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, montre que les consultations au QI-QD dans des espaces qui ne sont pas conçus pour cela et dans lesquels les soignants sont parfois enfermés avec les détenus les exposent à des risques accrus.
Cette situation a conduit en octobre 2024 à une prise d’otage dans une salle de sport du QI-QD lors d’une consultation psychiatrique au cours de laquelle un étudiant a été retenu par un patient. « Ça s’est très bien fini mais ça a traumatisé l’équipe. Les médecins ont depuis décidé d’arrêter les consultations au QI-QD. L’administration pénitentiaire continue d’en demander la reprise. »
Par ailleurs, la sécurité de tous est surtout mise à mal par la pénurie de surveillants dans un environnement surpeuplé qui fait flamber la violence.
La prise d’otages survenue en janvier 2025 à la maison centrale d’Arles en offre une illustration saisissante. Un détenu souffrant de troubles psychiatriques a retenu pendant plus de quatre heures cinq personnes au sein de l’unité sanitaire. Le retour d’expérience a révélé qu’un des deux postes de surveillants était vacant. Selon les informations communiquées par le ministère de la santé, « un surveillant a fait remarquer que si les deux surveillants prévus avaient été présents, cela aurait été différent. Le DISP a fait remarquer qu’il faudrait à l’avenir veiller à ce que les deux postes soient pourvus. ».
« Il semblerait que, du fait du manque de surveillants, cette situation ne soit pas exceptionnelle », alerte la Direction générale de la santé.
La télésanté est un axe prioritaire des différentes feuilles de route relatives à la santé des personnes placées sous main de justice depuis 2010 ([130]). Elle est présentée par certains comme un levier essentiel pour réduire les extractions sanitaires et améliorer l’offre de soins dans le contexte décrit précédemment.
Le ministère de la santé avait prévu un état des lieux en 2022-2023 qui n’a pas été transmis à la mission. Une enquête sur l’effectivité de la télésanté en USMP et les difficultés et freins éventuels a été menée auprès des USMP dont les résultats seraient encore en cours d’exploitation.
1. Un déploiement chaotique et très incomplet
Selon le CGLPL, « le déploiement de la télémédecine en USMP a progressé ces dernières années, mais il reste encore inégal et insuffisant à l’échelle nationale. En effet, bien que des initiatives aient été prises pour faciliter l’accès à des consultations spécialisées à distance, de nombreux établissements ne sont pas encore équipés de manière systématique. »
Selon les données transmises par la DAP, « du fait d’initiatives portées par les acteurs locaux », « au moins 85 USMP » disposent de matériel de télémédecine, soit moins de la moitié. La DAP note que « les régions Grand-Est et Île-de-France se distinguent par des projets de télésanté pilotés au niveau des ARS qui permettent un plus grand déploiement. » La DISP Grand-Est précise en effet que 13 établissements sur 20 sont équipés sur l’interrégion, soit 65 %.
La DAP, comme la DGOS, note que « des difficultés techniques (câblage, sécurité informatique, connexion internet) et bâtimentaires (locaux inadaptés) ralentissent les projets de télésanté locaux. »
b. Un déploiement chaotique, reflet d’un pilotage éclaté
Le déploiement se heurte entre autres à un défaut de coordination majeur de tous les acteurs sanitaires et pénitentiaires concernés à tous les échelons, comme le relève la DAP.
La DISP Hauts-de-France en donne une illustration frappante : « il y a eu dans un premier temps des budgets « santé » pour le matériel, mais pas pour le câblage ou les travaux immobiliers nécessaires à la mise en place de la télémédecine. Il y a actuellement un appel à projet pour répondre aux demandes concernant l’infrastructure ; mais la santé n’a pas de budget pour le matériel informatique ; et ceux qui avaient investi autrefois, se retrouvent avec du matériel obsolète. Il est dommage de ne pas être dans une temporalité coordonnée. »
L’ARS Centre Val de Loire relève « des équipements obsolètes ou absents. »
Le rapport précité des inspections générales formule un constat du même ordre : « il est apparu en 2022 que le ministère de la santé n’avait finalement pas prévu de budget pour le projet DAP/DGOS, alors qu’aux termes du contrat initial, la santé prévoyait d’apporter le budget le plus important. Cela a dû être corrigé par un avenant toujours en cours de signature. »
La DISP Dijon-Grand-Centre cite aussi parmi les freins au développement de la télémédecine, « les équipements restant à financer par les ARS »
Le défaut de pilotage est tel que depuis septembre 2024, une référente nationale est, au sein de la sous-direction de l’innovation et de la prescription, selon la DAP, « en charge de redonner une impulsion au projet. » Les éléments transmis par la DAP témoignent d’une forme de reprise en main d’un pilotage défaillant, s’agissant notamment de la mobilisation des acteurs du champ de la santé.
La reprise en main du pilotage par une référente nationale
Chargée de « redonner une impulsion au projet, » la référente « collabore étroitement avec les acteurs du ministère de la Santé auxquels incombe le financement des équipements de télésanté et la formation du personnel soignant.
Elle a également commencé à s’appuyer sur le réseau d’acteurs du numérique en santé déjà existant afin de permettre l’intégration de la population carcérale dans les politiques publiques de droit commun. En ce sens, un travail avec la Délégation au numérique en santé (DNS) qui fixe des objectifs aux GRADeS ([131]) a déjà été amorcé.
Les réseaux de référents «PPSMJ » et « e-santé » des ARS ont aussi été mobilisés sur le sujet et vont continuer à l’être.
Un appel à projet avec des fonds dédiés de la DAP va être lancé, en lien très étroit avec la délégation ministérielle au numérique en santé, à la fin du premier trimestre 2025, afin de financer des actions (câblage réseaux, extension de locaux d’unités sanitaires…) à la charge de l’AP en s’assurant que les acteurs sanitaires prendront aussi leur charge (financement de matériels, formations de médecins à l’hôpital de rattachement de l’unité sanitaire…). »
2. Un outil très peu investi en psychiatrie en raison de freins multiples
Le matériel déployé est par ailleurs selon la DAP « sous-utilisé ».
En 2022, selon l’OIP, la DGOS estimait à 60 % le nombre d’unités sanitaires n’y ayant pas recours. ([132]) En ce qui concerne les équipes psychiatriques des USMP, en 2023, sur 133 USMP psychiatriques ayant fourni une réponse exploitable, 120, soit 86,3 % déclarent ne pas réaliser d’actes de télémédecine, et seules 13 déclarent y avoir recours.
Les retours des ARS témoignent d’un développement particulièrement limité et inégal. L’ARS Grand Est signale par exemple que « la pratique de la télé-psychiatrie perdure actuellement dans un certain nombre d’établissements pénitentiaires et est exclusive au centre de détention de Villenauxe-la-Grande, établissement isolé, pour lequel l’usage de la téléconsultation a permis de supprimer le temps passé par les professionnels de santé sur les routes qui impactait le temps de présence auprès des patients. »
Le recours à la téléconsultation est freiné par un manque de formation du personnel soignant à l’utilisation de ces outils. L’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, relève aussi que « les patients détenus ne savent pas toujours se saisir de cette opportunité non plus, la communication sur l’utilisation de cet outil n’est pas toujours bonne au sein de la détention. »
De nombreux acteurs soulignent également le manque de ressources médicales dans les centres hospitaliers de rattachement pour réaliser les téléconsultations, singulièrement en psychiatrie. D’autant que, comme le fait remarquer l’ARS Pays de la Loire, il faut trouver des téléconsultants qui aient une connaissance minimale de l’organisation et des spécificités de la détention.
Il convient au demeurant de souligner que la téléconsultation en milieu pénitentiaire ne dispense pas d’un déplacement à l’unité sanitaire et que la personne détenue doit être accompagnée d’un soignant qui reste à ses côtés pendant la consultation, notamment pour le suivi des prescriptions.
3. Des réticences très fortes dans le domaine de la santé mentale
Surtout, la télépsychiatrie suscite une adhésion très inégale et des réticentes très fortes parmi les soignants des unités sanitaires dont certains la jugent inadaptée, en particulier en détention, et craignent que les téléconsultations ne se substituent à la présence de médecins et soient présentés comme une réponse au manque de personnels.
À ce titre, le sujet constitue un autre abcès de crispation entre l’administration pénitentiaire et certaines équipes soignantes. « On connaît nos partenaires de la pénitentiaire, si on commence à leur dire que c’est une solution, on ne pourra plus jamais sortir les gens des prisons », observe ainsi Valérie Kanoui.
Pour l’ARS Centre Val de Loire, « la psychiatrie étant une discipline nécessitant beaucoup de relations interpersonnelles, il nous semble que la télépsychiatrie devrait être utilisée qu’en dernier recours (télé staff ou téléexpertise à destination des soignants). »
Le CGLPL estime que la télépsychiatrie peut être « un outil précieux pour contourner certaines contraintes géographiques ou logistiques, notamment dans des établissements situés dans des zones rurales ou éloignées des centres hospitaliers tout en gardant un regard prudent sur son développement dans le cadre pénitentiaire ».
« Bien qu’elle puisse constituer une solution complémentaire, elle ne saurait remplacer complètement la prise en charge en présentiel, surtout pour des personnes souffrant de troubles psychiatriques graves. Le suivi psychothérapeutique, et les soins plus intensifs nécessitent souvent des interactions physiques pour établir un diagnostic précis, ce qui ne peut pas toujours être assuré via une consultation à distance. »
Les soignants redoutent surtout qu’un système unique leur soit imposé mais reconnaissent que la télépsychiatrie peut constituer, dans certaines situations, un outil très utile, un complément qui ne saurait devenir l’unique modalité de prise en charge. La forme des consultations doit relever, autant que possible, d’une décision partagée entre le médecin et le patient. Certains évoquent en particulier la nécessité d’un premier contact en présentiel comme préalable indispensable à la mise en place d’un suivi à distance ou les bénéfices d’une sortie de prison, même encadrée, pour la santé mentale. Outil complémentaire, la télépsychiatrie ne peut être érigée en solution exclusive, encore moins en réponse systématique à la pénurie médicale.
En tout état de cause, Josiane Corneloup estime qu’il est urgent d’équiper l’ensemble des établissements, tant la téléconsultation peut représenter un levier décisif dans certains contextes : dans des zones mal desservies, pour certaines spécialités – notamment somatiques – où elle permet d’éviter des extractions inutiles, pour des consultations en dehors des horaires d’ouverture des unités sanitaires. En addictologie aussi, elle peut constituer un soutien ponctuel pertinent.
En allégeant la pression sur certaines extractions, elle peut aussi contribuer à libérer des moyens pour d’autres types de transferts, notamment les hospitalisations en SMPR ou UHSA.
Dans tous les cas, le déploiement des outils et la formation à leur usage doivent donc être, de son point de vue, accélérés.
Préconisation n° 22 (portée exclusivement par Mme Josiane Corneloup) : Accélérer l’équipement des établissements pénitentiaires en outils de téléconsultation et la formation à leur usage.
II. Un parcours de soin hétérogène, marqué par des carences et des ruptures
A. Un accès aux soins ambulatoires inégal et appauvri
Le parcours de soins : données issues de l’étude sur les sortants de prison
89,6 % des participants ont pu bénéficier annuellement d’au moins une consultation par un professionnel de santé mentale (psychiatre, psychologue ou infirmier en psychiatrie). 7 % ont été hospitalisés en psychiatrie durant leur détention (SMPR, UHSA soins libres ou SDRE, hôpital de secteur).
Près d’un quart des personnes détenues (27,6 %) a été suivi dans un centre spécialisé alcool / toxicomanie (CSAPA, CAARUD, etc.). 13,3 % indiquent avoir reçu un Traitement par agonistes opioïdes (TAO) et 55,1 % « un autre médicament pour les nerfs, pour dormir comme des tranquillisants, des somnifères ou des antidépresseurs. »
1. La consultation d’entrée, outil essentiel du repérage fragilisé par la pénurie de moyens et la surpopulation
a. Une consultation essentielle, une opportunité majeure
La consultation d’entrée constitue un acquis essentiel du système carcéral : elle doit être systématiquement proposée à toute personne incarcérée et permet théoriquement d’initier un repérage précoce des besoins médicaux et psychiatriques.
C’est aujourd’hui la seule population en France à bénéficier d’un tel repérage systématique, comme l’a souligné Frank Bellivier, alors que la médecine scolaire, qui remplissait une fonction comparable, a quasiment disparu.
Cette consultation constitue une opportunité majeure en particulier pour les personnes les plus désinsérées de repérer des troubles jusque-là ignorés, non traités ou non diagnostiqués, qui sont nombreux comme évoqué en première partie.
L’ARS Grand-Est souligne à cet égard que l’incarcération « permet la reconnexion au parcours de soins à travers la visite médicale d’entrée systématiquement proposée, la majorité des entrants déclarant être en rupture de soins. »
Cette consultation est également indispensable pour éviter les ruptures de soins à l’entrée pour les personnes qui avaient un suivi psychiatrique ou addictologique à l’extérieur dont l’incarcération peut entraîner une rupture brutale.
Pourtant, les conditions de sa réalisation se dégradent, sous l’effet combiné de la surpopulation carcérale et de la pénurie de professionnels de santé.
b. Une entrée dans le soin hétérogène, dégradée et parfois absente
En 2023, seules 114 USM psychiatriques sur les 150 ayant renseigné cette donnée déclaraient organiser une consultation systématique à l’entrée soit 76 %, proportion qui apparaît globalement stable au cours des dernières années.
L’absence d’évaluation systématique par le dispositif psychiatrie à l’entrée est particulièrement alarmante.
La consultation psychiatrique peut être réalisée de manière concomitante avec la consultation somatique. En 2023, sur les 101 USMP ayant renseigné cette donnée, la moitié déclare réaliser une consultation concomitante systématiquement ou souvent. 30 % ne le font jamais. 20 % le font parfois.
Là où la consultation par l’unité psychiatrique a lieu, elle est faite systématiquement par un infirmier du dispositif psychiatrique seul dans un grand nombre de cas déclarés (environ 27 %). Dans environ 10 % des unités, la consultation est assurée par un psychiatre. Dans tous les autres, elle peut être assurée, par un infirmier, un psychologue, un psychiatre selon les disponibilités et les effectifs en présence.
L’ARS Bourgogne-Franche-Comté indique que l’évaluation de l’état de santé du détenu arrivant est faite systématiquement dans les établissements dans lesquels l’équipe médicale est au complet. Lorsque la consultation est assurée par l’équipe somatique, les situations nécessitant une prise en charge psychique sont signalées à l’équipe de soins psychiatriques. L’agence relève que l’équipe de soins psychiatriques du centre de détention de Varennes le Grand propose une consultation systématique aux détenus arrivants, avec un rappel dans les 15 jours suivants en cas de non-réponse.
Les conditions de réalisation et la qualité de ces consultations apparaissent donc très hétérogènes.
Les soignants comme les ARS soulignent une difficulté croissante à faire face à l’augmentation du flux des entrées qui nécessite un nombre accru de consultations primo-arrivants.
Olivier Giron, chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de Nantes évoque une « charge écrasante ». « Nous avons eu 19 arrivants à la maison d’arrêt de Nantes hier. Il est impossible pour les praticiens d’être dans une attitude d’écoute, de correcte évaluation et d’orientation. Il nous faut repérer les personnes schizophrènes, bipolaires, présentant des traitements de substitution ou en crise suicidaire et à prendre en charge globalement. »
Dans ce contexte, la consultation se réduit souvent à l’essentiel, comme le souligne Frank Bellivier avec un repérage centré sur les « grosses pathologies », les urgences psychiatriques manifestes, au détriment d’un diagnostic plus fin et d’une évaluation globale.
Une opportunité précieuse se transforme alors, trop souvent, en occasion manquée.
c. Un repérage à renforcer, une politique d’« aller vers » à structurer
Il est urgent de garantir le volet psychiatrique et addictologique de cette consultation essentielle dans tous les établissements.
Il est impératif de s’assurer qu’elle repose sur une coordination effective entre les dispositifs d’addictologie et de psychiatrie, dans la mesure où les organisations à cet égard sont très disparates d’un établissement à un autre et que le cumul des troubles, particulièrement fréquent en détention, rend le repérage et le diagnostic plus complexes.
Il est également indispensable de renforcer les capacités diagnostiques de cette consultation, notamment pour mieux détecter certains troubles surreprésentés mais aujourd’hui sous-repérés, comme le TDAH, le trouble de l’alcoolisation fœtale, les pratiques de jeu à risque.
« Il y a un vrai problème de sous-diagnostic de ce trouble [le TDAH] en prison, » alerte le docteur Jérôme Bachellier, psychiatre au sein de l’USMP de la maison d’arrêt de Tours, d’autant que les comorbidités associées au TDAH (addictions, troubles de l’humeur, du sommeil ou anxiété) compliquent le diagnostic. ([133]) « C’est une perte de chances pour ces détenus, alors qu’on pourrait se servir de leur incarcération pour amorcer une prise en charge. » Il suggère l’instauration d’un auto-questionnaire soumis aux arrivants, qui pourrait alerter le personnel soignant.
Le docteur Bachellier déplore également que « la prison manque de gens formés au repérage de ce trouble. La connaissance du TDAH a été intégrée au tronc commun des programmes mais rien n’est prévu pour les personnels soignants déjà en activité. » ([134])
Par ailleurs, cette consultation ne suffit pas. Une stratégie proactive et systématique de dépistage doit être mise en place, avec des modalités adaptées aux contraintes du milieu carcéral.
La réticence très forte de la population carcérale à entrer dans un parcours de soin, la prévalence élevée de l’anosognosie — l’incapacité à reconnaître sa propre pathologie — rendent inefficaces une approche strictement passive.
À Lille, Thomas Fovet a indiqué que des infirmiers de liaison sont envoyés en détention à la suite de signalements émanant de l’administration pénitentiaire, des familles, ou de l’unité sanitaire (par exemple lorsqu’un détenu ne s’est pas présenté à plusieurs rendez-vous consécutifs).
Ce dispositif d’aller vers apparaît absolument essentiel pour mieux repérer les personnes en souffrance, en dehors des seuls temps de consultation programmés.
L’objectif est d’aller au contact, directement en bâtiment, pour observer, évaluer, et orienter sans délai vers des soins adaptés, y compris vers des dispositifs de soins sans consentement si nécessaire.
Ce type d’approche mobile et réactive, adossée à une stratégie de repérage concertée, permet de sortir d’un modèle exclusivement déclaratif ou curatif, et d’intervenir de manière plus précoce, en amont d’éventuelles décompensations.
Pour être pleinement efficace, ce type de dispositif suppose une articulation renforcée avec l’administration pénitentiaire, qui reste souvent le premier témoin de signaux faibles. L’administration pénitentiaire fait beaucoup de signalements mais les soignants soulignent des incompréhensions sur ce que sont les priorités du soin.
Une formation minimale des personnels pénitentiaires au repérage des troubles psychiques apparaît indispensable.
Préconisation n° 23 : Garantir la mise en œuvre systématique d’une évaluation psychiatrique et addictologique dans tous les établissements.
Préconisation n° 24 : Renforcer la coordination entre les dispositifs de psychiatrie et d’addictologie, afin d’éviter les diagnostics erronés ou incomplets en cas de comorbidité.
Préconisation n° 25 : Accroître les capacités diagnostiques, en intégrant des outils de repérage plus fins et adaptés, y compris à travers un questionnaire d’auto-évaluation renseigné par la personne détenue et notamment pour des troubles surreprésentés mais encore sous-détectés comme le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), le trouble de l’alcoolisation fœtale, les conduites de jeu à risque.
Préconisation n° 26 : Former les professionnels sanitaires déjà en poste au repérage et à la prise en charge de ces troubles.
Préconisation n° 27 : Pour favoriser un meilleur repérage et dépistage des troubles, généraliser des dispositifs de liaison intervenant dans les quartiers de détention.
2. Hors consultation d’entrée et urgences, un accès aux soins ambulatoires inégal et atrophié
a. Des prises en charge assurées de manière croissante par des professionnels non médicaux
Comme la consultation d’entrée, l’accès aux soins ambulatoires repose de plus en plus sur les infirmiers et les psychologues, dans un contexte de pénurie de psychiatres.
En 2023, pour les 142 USMP qui ont renseigné ces deux données, le nombre de consultations de psychologues est beaucoup plus important que le nombre de consultations de psychiatres en présentiel.
Pour un panel constant de 135 USMP entre 2021 et 2023, le nombre de consultations médicales enregistre une baisse globale de 8 % sur trois ans.
Même s’ils font preuve de compétence et de mobilisation et peuvent éviter des ruptures totales de prise en charge, ces professionnels ne peuvent offrir la même qualité de suivi, ni assurer l’ensemble des actes relevant du psychiatre.
L’ARS Auvergne-Rhône-Alpes alerte ainsi sur des « prises en charge en addictologie assurées par des psychologues ou des infirmiers des USMP, faute de spécialistes volontaires pour exercer en détention ».
L’ARS Pays de la Loire relève « une baisse des consultations médicales compensées par des consultations psychologiques et des consultations faites par des infirmiers diplômés d’État (IDE) », et souligne « la prise de responsabilité de plus en plus grande de ces IDE et des psychologues », ainsi qu’« une augmentation des prises en charge par les psychologues ».
L’ARS Pays de la Loire note que ce « recours majoré aux IDE implique de leur part de faire preuve d’expérience et de beaucoup d’autonomie ». Or, « des arrêts de travail longs non remplacés » sont régulièrement signalés pour ces personnels ainsi que « des difficultés de recrutement en raison de ces exigences d’autonomie face à un public avec des conditions de vie difficiles ».
b. Allongement des délais, primat de l’urgence
Selon les témoignages, les délais d’accès aux soins psychiatriques s’allongent dans de nombreux établissements. Ce constat n’a rien d’étonnant, tant il résulte de la dégradation cumulative de tous les facteurs qui conditionnent cet indicateur.
Selon la DGOS, le délai moyen d’attente pour une personne détenue sollicitant une prise en charge psychiatrique serait de 13 jours, d’après une enquête qui ne nous a toutefois pas été transmise. La fiabilité d’un tel indicateur global est par ailleurs discutable, dans la mesure où les délais sont très hétérogènes selon la voie d’entrée dans le soin, la structure, le niveau d’urgence et la disponibilité des personnels. Les auditions d’autres acteurs ont par ailleurs fait remonter des délais d’attente bien plus élevés, pouvant atteindre plusieurs mois voire un an selon les établissements.
Il convient de distinguer le premier accès aux soins dans le cadre de la consultation d’entrée. Celle-ci est généralement assurée dans un délai de 24 à 72 heures après l’incarcération, par un infirmier en psychiatrie seul ou en binôme avec un psychologue ou un psychiatre. Lorsque la consultation est faite par l’équipe somatique et que cette dernière est en mesure d’identifier un besoin, le patient doit être orienté auprès de l’équipe psychiatrique. « Sans urgence, le patient est généralement vu dans la semaine par une IDE psy ou un binôme IDE et psychologue ou psychiatre dans le cadre de la visite d’entrée, » selon l’ARS Grand-Est.
Au-delà de cette consultation initiale, l’accès aux soins psychiatriques en détention repose sur la demande du patient (par oral ou écrit), des alertes de la famille, des alertes formulées par l’administration pénitentiaire, ou un repérage par l’équipe soignante. En fonction du degré d’urgence perçu, une consultation peut être programmée plus ou moins rapidement.
Comme le soulignent certaines ARS et praticiens interrogés, la plupart des unités ont organisé les services pour permettre des réponses rapides en cas d’identification d’une urgence. « En cas d’urgence, je m’arrange pour voir le patient dans les dix minutes », a indiqué Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes.L’ARS Martinique confirme qu’un entretien psychiatrique peut avoir lieu dans les 24 heures en cas d’urgence. L’ARS Île-de-France précise que des créneaux spécifiques sont dédiés à l’urgence, permettant des prises en charge en dehors des suivis programmés.
En dehors de ces cas d’urgence, les délais d’accès aux soins psychiatriques sont très variables et peuvent être très longs. L’ARS Pays de la Loire signale une augmentation de l’activité non programmée qui accroît les délais de prise en charge. « Les besoins de soins avec détresse psychiques voire tentatives de suicide génèrent une activité d’urgence et la reprogrammation des rendez-vous de suivi des autres détenus ».
« Un détenu sans urgence, je peux le voir d’ici un mois, un mois et demi », a précisé Anne de Ybarlucea.
L’ARS Bourgogne-Franche-Comté souligne pour sa part que « ce délai de prise en charge est bien inférieur au délai de prise en charge en milieu ouvert quand l’accès aux soins est possible, ce qui n’est pas toujours le cas ».
Des délais rapportés par les ARS variables
« Il faut compter en moyenne entre 15 et 20 jours d’attente pour une consultation de psychiatre, une vingtaine de jours pour une consultation de psychologue, et entre 0 et 7 jours pour un rendez-vous avec une IDE, » indique l’ARS Bourgogne-Franche-Comté.
L’ARS Auvergne-Rhône-Alpes indique ainsi que, pour le centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, le délai d’accès aux soins en santé mentale était de deux mois en 2021, en faible augmentation en 2022. Pour le centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, la seule donnée disponible date de 2021 et fait état d’un délai d’environ un mois pour l’accès aux soins psychiatriques. Au centre pénitentiaire de Valence, la seule donnée recueillie concerne la partie maison d’arrêt et fait état d’un délai de quatre mois pour une prise en charge psychiatrique, selon les éléments communiqués en 2022.
L’ARS Martinique précise que les demandes non urgentes peuvent nécessiter un délai allant jusqu’à un mois. En ce qui concerne l’accès au suivi psychologique, une inscription sur liste d’attente est nécessaire, avec un délai d’environ six mois, sauf pour les situations considérées comme prioritaires : dans ce cas, la consultation peut intervenir dans un délai d’environ 15 jours.
L’ARS Pays de la Loire fait également état d’un délai d’accès aux soins en santé mentale de l’ordre de 1 à 2 mois, selon les établissements.
Des délais dénoncés par le CGLPL et le conseil national des barreaux
Pour le CGLPL, s’agissant des USMP, « les délais pour une consultation sont, de manière générale, trop longs. Les situations varient d’un établissement à l’autre mais le manque d’effectif engendre, la plupart du temps, des délais d’attente trop importants. »
« Certaines personnes détenues sont libérées avant d’avoir pu bénéficier d’un suivi psychologique. Il est également remarqué que les files d’attente augmentent au fil des années. Par exemple, au centre pénitentiaire de Longuenesse, les délais d’attente étaient de cinq semaines pour une consultation avec un psychologue. À la maison centrale de Poissy les soins psychiatriques souffrent d’un manque important de personnel, les délais d’attention sont de l’ordre d’un à deux mois. Pour un premier rendez-vous avec un psychologue, hors urgence, l’attente est très longue : près d’un an et demi.
A la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine, à Nanterre, la liste d’attente pour un entretien était d’environ 200 personnes au moment du contrôle, en octobre 2024. Il n’est pas exceptionnel que des personnes détenues soient libérées sans avoir pu en bénéficier, le délai s’établissant à 6 mois. »
Le premier bilan d’application du droit de visite des bâtonniers formule les constats suivants : « à Uzerche, un psychiatre à plein temps serait nécessaire ; à Nanterre le délai d’accès à un psychiatre est de 2 à 3 mois ; de même qu’à Ensisheim, Saint-Brieuc, et à Bourges où les consultations de psychologue et de psychiatre sont particulièrement longues à obtenir du fait de la forte demande et du manque de praticiens. À Laon, le délai d’attente est d’un an pour un rendez-vous avec le psychologue, même si une prise en charge d’urgence est possible. » ([135])
De manière générale, le CGLPL observe une « dispensation des soins sur le mode très majoritaire de l’urgence », l’ARS Pays de la Loire « une présence médicale centrée autour des situations d’urgences et moins de suivis soutenus et de régulation ».
Les soignants en prison sont de plus en plus débordés par les urgences et souvent incapables d’offrir autre chose qu’un suivi minimal, essentiellement médicamenteux.
En complément, certaines USMP (environ trois sur quatre selon les données disponibles en 2023) ont développé des activités thérapeutiques de groupe, sous la forme de centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP).
Plusieurs acteurs soulignent l’intérêt de développer ces formats qui peuvent d’ailleurs être pris en charge par des infirmiers. Ils permettent notamment de mobiliser les patients autrement, d’aborder certains troubles dans un cadre moins stigmatisant et d’améliorer le suivi en contexte contraint.
Préconisation n° 28 : Généraliser les activités thérapeutiques de groupe dans l’ensemble des USMP et SMPR.
c. Un défaut d’accès aux soins urgents la nuit et le weekend
La plupart des USMP sont ouvertes cinq jours par semaine.
Seule une quinzaine d’USMP déclare l’existence d’une permanence médicale le samedi et elles sont deux à en assurer une le dimanche. La moitié des USMP déclarantes indiquent une permanence infirmière le samedi et moins d’une sur deux le dimanche.
La survenue d’une crise aiguë psychiatrique en dehors des heures d’ouverture de l’unité sanitaire relève du dispositif civil (appel au 15, SOS médecins essentiellement).
Sur 136 USMP ayant répondu à la question en 2023, 33 % seulement indiquent disposer d’une astreinte hospitalière. 90 % des répondantes déclarent que le centre 15 participe à la prise en charge des soins.
La défenseure des droits souligne que « l’accès aux soins est difficile en raison des conditions d’alerte des surveillants, de l’absence de médecin ou de tout professionnel de santé de garde la nuit et le week-end, et de la lourdeur de la procédure à mettre en œuvre devant une urgence médicale de nuit.
En effet, en cas d’urgence, les procédures d’alerte et d’accès aux cellules rallongent les délais d’intervention : outre qu’il doit entendre les appels du détenu en détresse ou ceux de ses codétenus, le surveillant de garde doit évaluer seul la gravité de la situation – en dépit de l’absence de compétence médicale –, demander le cas échéant à un gradé – seul habilité à ouvrir la cellule – de se rendre sur les lieux, et enfin, contacter le médecin régulateur qui dépêchera un moyen de prise en charge. Un contact direct du détenu malade avec le médecin régulateur n’est pas systématiquement assuré. » ([136])
À cet égard, l’ARS Grand Est souligne que « la mise en œuvre d’un outil régional nommé ‘Visio Régul’ sur quelques établissements du ressort est une amélioration manifeste pour la prise en charge. En effet ce dispositif de régulation d’urgence médicale permet en dehors des heures d’ouverture de l’unité sanitaire de mettre en relation visuellement un médecin du SAMU directement avec la personne concernée par le biais d’un smartphone. Un gain de temps en termes de prise en charge sanitaire, une diminution des extractions urgentes en service de nuit et les week-ends et jours fériés, une sécurisation plus importante de celles qui sont réalisées et une sécurisation des personnels pénitentiaires non aguerris aux problématiques sanitaires et souvent démunis face à l’urgence sont les bénéfices identifiés par les équipes pratiquant avec cet outil. »
Préconisation n° 29 : Procéder à une évaluation de la mise en œuvre de l’outil Visio Régul, dispositif de régulation d’urgence médicale permettant de mettre un patient en contact avec un médecin du SAMU en dehors des heures d’ouverture des USMP.
3. D’importantes marges d’amélioration de la délivrance des médicaments
a. Des pratiques de distribution inadaptées et risquées
La délivrance des traitements médicamenteux en détention est marquée par de nombreuses défaillances.
Le CGLPL constate d’abord que « l’accès aux traitements psychotropes est souvent limité ou retardé en raison d’une organisation déficiente de la délivrance des médicaments. Les délais d’obtention peuvent être excessivement longs, notamment à l’entrée en détention, où la reprise des prescriptions antérieures n’est pas toujours immédiate, ce qui peut provoquer des interruptions délétères. »
Par ailleurs, « le sous-effectif des équipes médicales et infirmières complique la gestion des administrations de médicaments. » Dans certains établissements, le CGLPL observe « une distribution irrégulière, voire partiellement assurée en raison de contraintes logistiques ou de difficultés liées à la coordination entre les services de santé et l’administration pénitentiaire ».
Les modalités concrètes de délivrance sont parfois inadaptées voire dangereuses.
Laurent Trippier, responsable du pôle santé au département des politiques sociales et du partenariat de la direction de l’administration pénitentiaire rapporte qu’à la demande de l’unité sanitaire, il arrive que ce soient les agents pénitentiaires eux-mêmes qui distribuent les médicaments aux détenus, « ce qui n’est évidemment pas à faire », notamment au regard du principe de secret médical.
Il arrive aussi que l’unité sanitaire remette aux patients les traitements pour plusieurs jours, voire pour toute une semaine, créant des risques importants d’accumulation, de mésusage, de surdosage ou de trafic.
b. Mésusage et détournement de l’usage des médicaments
Cette absence de sécurisation du circuit de distribution des médicaments est d’autant plus préoccupante que le mésusage est fréquent.
L’enquête ESSPRI, menée par l’OFDT, montre que parmi les personnes détenues ayant consommé au moins un médicament depuis leur incarcération, 24 % déclarent avoir pris un ou plusieurs médicaments en dehors de toute prescription au cours du dernier mois. Parmi ces personnes, 55 % citent un antidouleur codéiné
S’agissant des traitements de substitution, l’ARS Grand Est signale aussi « des ajustements des traitements à faire en urgence liés à la consommation simultanée de substances illégales qui circulent en détention avec risque de passages aux urgences. »
Le détournement de l’usage des médicaments constitue un risque avéré.
Les overdoses médicamenteuses figurent parmi les causes identifiées de suicide en détention.
Selon l’ANVP, « des personnes mettent dans ce qu’ils fument des médicaments concassés, des pratiques terribles pour le cerveau. »
c. Le détournement à des fins de trafic
Le rapport précité des inspections générales sur l’accès aux soins des personnes détenues estime que « le trafic des médicaments semble davantage lié à des produits introduits irrégulièrement en détention, qu’à un détournement de médicaments prescrits par des médecins, les médecins des unités pénitentiaires, le dispositif de distribution semblant assez bien sécurisé. »
Ce constat n’est pas partagé par les autres acteurs entendus par la mission.
Pour Frank Bellivier : « dans le meilleur des cas, l’infirmière va dans les cellules puis fait un reporting, mais la vérification de la prise du traitement n’est pas techniquement possible pour une infirmière, d’où le trafic : ils n’avalent pas les médicaments mais ils les revendent. »
Pour le CGLPL, les médicaments trafiqués en détention proviennent de multiples sources : « de l’infirmerie, par drone, ou encore via des raquettes de tennis ». Dominique Simonnot rapporte ainsi : « J’ai vu les infirmières en centre de détention distribuer du Lyrica, qui se négocie ensuite à 8 euros le comprimé. » « Les médicaments sont un instrument de pouvoir et une source de violence », souligne Laurent Trippier.
L’ARS Pays de la Loire souligne le risque de racket par les codétenus des traitements de substitution.
L’OFDT et la MILDECA confirment l’existence d’un détournement de médicaments à des fins de trafic qui « confronte les équipes des unités sanitaires aux spécificités de l’exercice en milieu carcéral ainsi qu’aux limites de la posture soignante. »
Selon l’OFDT et la MILDECA, « la majorité des professionnels interrogés adaptent les prescriptions au cadre carcéral. Certaines unités sanitaires mettent en place des protocoles concertés pour faire face au mésusage du traitement, tel qu’à Villeneuve les Maguelone, Argentan et à Seysses. Parmi les principales mesures, on note une action de prévention via des affichettes en prison, la suppression des molécules à fort potentiel addictogène ([137]) et le remplacement par des molécules intermédiaires et/ou de la phytothérapie ([138]). »
Laurent Trippier, suggère d’essaimer des bonnes pratiques. À titre d’exemple, « dans certains endroits des casiers confidentiels sont mis à disposition dans lesquels l’unité sanitaire dépose les médicaments et l’ordonnance pour le détenu. Ce dernier, escorté par un agent pénitentiaire, ouvre le casier et prend ses médicaments. Il n’y a pas de rupture du secret médical. »
Préconisation n° 30 : Actualiser et appliquer un protocole strict de distribution du médicament.
4. La prise en charge des troubles addictifs : une approche morcelée, sous-dotée et mal articulée avec la psychiatrie
Au cours de ses travaux, la mission a été alertée de plusieurs difficultés importantes affectant cette prise en charge.
a. Une prise en charge très dépendante des configurations locales
Comme évoqué précédemment, la prise en charge des addictions s’inscrit dans des configurations institutionnelles différentes d’un établissement à l’autre.
Elle dépend donc en particulier des liens qui existent entre les CSAPA intervenant dans l’établissement et le reste des équipes de soin, des ressources en personnel mobilisables pour cette activité, de la formation des professionnels à l’addictologie et de l’intérêt porté au sujet par les acteurs en place. Le CGLPL souligne ainsi le caractère très hétérogène de cette prise en charge
b. Une prise en charge dégradée par des moyens limités, un déficit d’expertise et des difficultés d’accès aux traitements
Frank Bellivier juge cette prise en charge globalement « très insuffisante ».
En dépit d’une prévalence massive des addictions, plusieurs témoignages font état d’un déficit de compétences en addictologie, lié à la fois à l’insuffisance de professionnels spécialisés et à un manque de formation des équipes.
L’ARS Bourgogne-Franche-Comté relève ainsi que « l’augmentation notable de la consommation de produits stupéfiants en détention exigerait également l’attribution de moyens supplémentaires pour la prise en charge des addictions. »
La DISP des Hauts-de-France déplore quant à elle que l’intervention d’addictologues ne soit pas prévue dans le calcul des financements accordés aux USMP.
De fait, comme le souligne Barbara Sclafer, chargée de mission santé justice à la fédération addiction, un grand nombre d’établissements pénitentiaires ne dispose pas de médecin addictologue. Les rapports de visite des bâtonniers signalent aussi de façon récurrente un manque d’addictologues.
Barbara Sclafer pointe « un problème général de formation des équipes médicales qui, de fait sont confrontées de manière massive à des situations addictologiques complexes, sans expertise spécifique sur ce sujet. »
Dans ce contexte, l’ARS Pays de la Loire observe pour sa part « des demandes de soins formulées mais impossibles à mettre en œuvre en raison de la précocité de la sortie de détention ». Ainsi à Angers, en 2024, 99 personnes sont sorties sans soins malgré leurs demandes.
L’ARS Martinique note qu’il n’y a « pas de prise en charge des problématiques addictives en dehors de la mise en place du traitement de substitution. »
D’autres acteurs soulignent la difficulté, voire l’incapacité à initier des traitements de substitution en détention.
« Les ressources humaines en addictologie étant également en raréfaction, les prises en charge sont davantage orientées vers la poursuite des traitements plutôt que sur l’initiation en détention », indique ainsi l’ARS Grand Est. Ce constat rejoint celui de Barbara Sclafer : « il y a beaucoup d’établissements où, faute d’addictologues (on les a évalués à cinq pour 100), il n’y a pas d’initiation de nouveaux traitements de substitution. Les médecins poursuivent les traitements préexistant à l’incarcération, mais n’initient pas de nouveau traitement ».
Frank Bellivier et le CGLPL confirment aussi que « l’accès aux traitements de substitution n’est pas toujours garanti en détention » et que « le sevrage est mal accompagné ».
L’OFDT et la MILDECA indiquent ne pas disposer d’informations sur cette difficulté d’accès à un traitement de substitution. La MILDECA rappelle à cet égard que la primo-prescription de méthadone est autorisée par tout praticien exerçant en unité sanitaire ([139]). Ce possible décalage entre le cadre réglementaire et les pratiques observées renvoie aussi à l’insuffisante formation à l’addictologie des soignants en détention.
En tout état de cause, l’étude sur la santé mentale des sortants de prison souligne que la part des personnes traitées par des médicaments de substitution aux opiacées est équivalente à l’entrée et au cours de la détention.
Les traitements de substitution aux opiacés (TSO) en prison ([140])
En 2022, les données relatives à ces traitements sont disponibles pour 71 % des établissements pénitentiaires regroupant 67,1 % des détenus.
Le nombre estimé de personnes détenues ayant été pris en charge sur l’année par le dispositif de soin avec un traitement TSO s’élève à 7 888 soit 6,7 % des patients ayant séjourné dans un établissement pénitentiaire où les données de TSO étaient disponibles. En prenant en compte le taux d’exhaustivité des établissements, on estime à environ 11 800 le total des détenus ayant été pris en charge avec un traitement TSO dans l’ensemble des établissements pénitentiaires en France ([141]).
Le choix entre traitement par méthadone et par buprénorphine haut dosage BHD existe dans l’ensemble des établissements où les données étaient disponibles. La méthadone poursuit sa progression et représente, en 2022, 52,9 % des prescriptions de TSO.
Nous n’avons pas d’informations sur les établissements qui n’initieraient pas de traitement, faute d’addictologue. Sur les 136 établissements où les données sur les TSO sont disponibles, seulement 12 déclarent un nombre de patients vus au moins une fois en 2023 mais aucun patient pris en charge en 2023 avec un traitement dont 5 établissements spécialisés pour mineurs.
La MILDECA, l’OFDT et d’autres acteurs attirent l’attention sur l’option thérapeutique très prometteuse que constitue aujourd’hui la buprénorphine à action prolongée (BAP), actuellement distribuée dans environ un quart des prisons françaises pour à peu près 1 620 prescriptions en 2023.
La buprénorphine à action prolongée (BAP) : une option thérapeutique prometteuse, un intérêt spécifique en détention
La BAP ou Buvidal, administrée par injection sous-cutanée à libération prolongée hebdomadaire ou mensuelle, constitue une avancée importante dans la prise en charge des troubles liés à l’usage d’opioïdes. Depuis sa mise sur le marché en 2021, Buvidal est de plus en plus souvent prescrit.
Les effets positifs de la BAP ont été démontrés par des études françaises et internationales qui indiquent un niveau de rétention important dans le traitement, une réduction du score composite de l’addiction par rapport à la situation précédant l’instauration du traitement, une baisse du craving (désir persistant anormal de faire usage, prédicteur du risque de rechute), une disparition du mésusage, une amélioration de la qualité de vie et une diminution du nombre de jours de consommation. ([142])
Les études internationales indiquent aussi qu’il s’agit d’une option particulièrement adaptée au contexte carcéral qui permet : la réduction du mésusage et de la prise concomitante d’autres opioïdes (avec une diminution des surdoses associées) ; une diminution du recours aux soins et hospitalisations durant l’incarcération ; une réduction du sentiment de stigmatisation des usagers ; une meilleure rétention dans le traitement, notamment à la sortie de prison ; une amélioration globale de la qualité de vie ; une meilleure réintégration dans la société et une réduction du nombre de réincarcérations
L’expérimentation de ce nouveau médicament menée en 2021-2022 au centre pénitentiaire de Villeneuve les Maguelonne a été accompagnée d’une étude qui confirme largement les données de la littérature internationale. Une enquête en cours montre que l’usage des BAP en milieu carcéral permet de diminuer le taux de réincarcération de 38 % chez les patients sous buprénorphine sublinguale à 21 % chez les patients sous BAP.
Dans un article récent ([143]), l’équipe du centre pénitentiaire de Villeneuve les Maguelonne a analysé l’impact budgétaire lié à l’utilisation de la BAP en milieu carcéral sur 5 ans. En prenant en compte les coûts liés à l’achat des traitements, au personnel, au mésusage et aux surdoses à la sortie, l’équipe envisage une économie cumulée annuelle de 240 278 euros, sur une base de 50 % de patients candidats aux TAO sous BAP.
Un plus large accès à ce médicament, sur la base d’une évaluation médicale de la situation de chaque patient et accompagné d’une formation adéquate des équipes soignantes, pourrait constituer un recours face au mésusage, assurer la continuité des traitements à l’intérieur de la prison, mais aussi au moment de la sortie. Le non-remboursement du Buvidal constitue cependant, selon l’ARS Normandie, un frein majeur à sa prescription.
Préconisation n° 31 : Développer l’accès au Buvidal en détention et permettre son remboursement conformément aux préconisations de la Haute Autorité de Santé.
L’unité de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD). première communauté thérapeutique en milieu carcéral au centre de détention de Neuvic ([144])
Expérimentation lancée en 2017, il s’agit d’une adaptation du modèle des quartiers sans drogue anglais, espagnols ou de dispositifs équivalents aux États-Unis et au Canada.
Elle propose un cadre thérapeutique communautaire en trois phases reposant sur un système de pairs-aidants, sur une durée de six mois. Le programme (qui peut accueillir jusqu’à 15 détenus) concerne des usagers de substances psychoactives inscrits dans une démarche d’arrêt du produit.
Deux évaluations ont déjà été menées (une première évaluation par l’OFDT en 2018 et une deuxième confiée au professeur Philippe Nubukpo en 2022). La deuxième étude a conclu que l’URUD était un dispositif original, avec des partenaires très engagés et motivés, rejoignant largement les conclusions de l’OFDT.
Cependant, les conclusions de l’évaluation sont du point de vue des rapporteurs à prendre avec prudence du fait de la faiblesse de l’échantillon initial et ne permettent pas de tirer des conclusions formelles sur le rapport coût-efficacité du dispositif. Ce rapport proposait l’élargissement de l’expérimentation sur d’autres sites afin de disposer de davantage de données et de permettre une évaluation plus robuste sous un angle médico-économique.
Au titre de la feuille de route santé des PPSMJ, l’un des objectifs fixés est donc d’élargir l’expérimentation URUD. Des travaux interministériels (auxquels participe la MILDECA) sont en cours pour permettre le déploiement de deux autres sites expérimentaux et pouvoir mener une évaluation plus robuste.
Préconisation n° 32 : Élargir l’expérimentation des Unités de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD).
c. Des approches trop cloisonnées entre psychiatrie et addictologie
« Il est hautement pertinent d’associer systématiquement un examen psychiatrique à la prise en soins des troubles addictifs, et ce particulièrement en milieu carcéral », insistent la MILDECA et l’OFDT. Au regard des liens étroits entre troubles addictifs et troubles psychiques et des dommages qu’ils occasionnent, il est essentiel de pouvoir en assurer une prise en charge coordonnée.
Cependant, comme à l’extérieur, les professionnels déplorent des cloisonnements qui nuisent à l’efficacité du soin. Le CGLPL pointe « un suivi psychothérapeutique insuffisant, faute de personnel soignant formé en addictologie. »
MILDECA et OFDT alertent à cet égard sur une lacune majeure : « la prise en charge des personnes présentant des conduites addictives en UHSA n’est pas un axe priorisé par les professionnels et les actions thérapeutiques addictologiques y sont quasi-inexistantes (Protais 2015). » La direction générale de l’offre de soin ne partage pas cette analyse.
Inversement, il nous a également été rapporté que l’UHSA de Lille conditionnerait l’admission en son sein au fait que les patients présentent également une addiction, information qui n’a pas pu être confirmée par le ministère de la santé. Ces éléments contradictoires soulignent l’hétérogénéité des approches en matière de lien entre psychiatrie et addictologie, due à une absence de cadre clair.
L’ARS Bourgogne-Franche-Comté observe aussi « une difficulté importante pour l’efficience du soin qui réside souvent dans le manque de stratégie commune et de mise en cohérence des actions avec les équipes soignantes (IDE et les médecins addictologues) des unités sanitaires. Un gros travail en mode « conduite de projet » est à initier entre ces intervenants. »
L’agence évoque à cet égard une initiative intéressante : « un groupe de travail piloté par le CSAPA de La sauvegarde 71 doit être mis en place pour établir un projet global de prise en charge des addictions sur le centre pénitentiaire de Varennes le Grand (dans lequel était pratiqué la distribution de matériel de réduction des risques). La démarche vise à associer les équipes médicales et les personnels de l’administration pénitentiaire à la prise en charge des addictions de l’entrée dans l’établissement jusqu’à l’accompagnement à la sortie. »
Enfin, plusieurs acteurs soulignent le rôle central que pourrait jouer une politique de réduction des risques et des dommages dans l’amélioration de la prise en charge. Or, cette politique, bien qu’inscrite dans la loi, est aujourd’hui en suspens et se heurte entre autres à des résistances venant des unités sanitaires, comme le soulignent la MILDECA et l’OFDT. Cette résistance illustre la nécessité de décloisonner les deux approches et de renforcer la formation des équipes psychiatriques aux enjeux de l’addictologie.
Préconisation n° 33 : Assurer des dotations suffisantes pour les CSAPA intervenant en milieu pénitentiaire et des formations en addictologie à destination du personnel soignant des unités sanitaires.
B. Malgré des avancÉes notables, une hospitalisation encore difficile d’accès et souvent inadaPtée
1. Le développement des UHSA, avancée majeure mais encore très loin de couvrir les besoins d’hospitalisation complète
De l’avis général, l’arrivée des UHSA a représenté une avancée majeure dans l’accès aux soins des personnes détenues mais les capacités d’hospitalisation, tant en SMPR qu’en UHSA, sont très loin de couvrir les besoins.
a. Une explosion du recours à l’hospitalisation, une amélioration de la qualité des soins
Comme l’a souligné Thomas Fovet, l’ouverture progressive des UHSA s’est accompagnée d’une véritable « explosion » du recours à l’hospitalisation psychiatrique des personnes détenues.
Sur les dix dernières années, le nombre de personnes détenues hospitalisées en psychiatrie a augmenté de plus de 50 %, beaucoup plus vite que la population carcérale (+ 13 %) et que recours à l’hospitalisation psychiatrique dans la population générale.
Ce phénomène témoigne d’une amélioration réelle du recours aux soins psychiatriques pour les personnes détenues et d’un besoin massif, jusque-là insuffisamment pris en charge.
Dans un rapport d’évaluation des UHSA datant de décembre 2018 et publié en 2020, l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale de la justice y voient « un effet révélateur » : les UHSA ont accueilli en quelques années près de 2000 patients par an sans que le nombre de détenus hospitalisés par ailleurs (EPSM, UMD, SMPR) ne baisse globalement. « Entre les données disponibles sur les hospitalisations de détenus au titre des dispositions de l’article D. 398 du CPP (4000 détenus par an), celles issues des files actives des SMPR (entre 1500 et 2000 par an), des UMD/USIP (200 détenus par an) et des UHSA (2000 détenus effectivement accueillis en 2017), ce sont donc près de 8000 détenus que l’on peut estimer être pris en charge par an hors détention pour un problème d’ordre psychiatrique. »
Les UHSA ont mis en lumière l’ampleur du besoin et permis d’y répondre en partie.
Par ailleurs, d’autres évaluations montrent que l’ouverture des UHSA a permis une amélioration de la qualité des soins dispensés aux personnes détenues dans le cadre d’une hospitalisation psychiatrique. Elle a notamment contribué à réduire le recours aux hospitalisations en chambre d’isolement dans les services de secteur, rapprochant ainsi les conditions de prise en charge de celles proposées à la population générale.
Une enquête ([145]) menée auprès de patients-détenus en 2015 a montré qu’ils ressortaient globalement satisfaits de leur hospitalisation à l’UHSA, que ce soit s’agissant des soins, de l’information délivrée ou du fonctionnement de l’UHSA. Cette étude établissait en outre que 85 % des patients exprimaient le souhait de poursuivre des soins en détention et 77,6 % après la détention, faisant conclure à leurs auteurs que « compte tenu des liens entre satisfaction des patients et observance », « ces structures pourraient présenter un intérêt majeur dans le parcours de soin des personnes incarcérées souffrant de troubles psychiatriques ».
b. Une montée en charge enrayée par le manque de ressources médicales, une incapacité à absorber tous les besoins
Si les UHSA ont permis une amélioration indiscutable de l’accès aux soins, la montée en charge du dispositif a été durablement enrayée par le manque de moyens. Faute en particulier de psychiatres, les UHSA ont subi des fermetures de lits en grand nombre.
À l’UHSA d’Orléans, ouverte en 2013, la moitié des 40 lits ont été fermés en 2022. Une réouverture partielle a été engagée à compter de 2024, portant la capacité à 30 lits seulement, contre 40 théoriques.
Une situation comparable a été observée à Rennes, où seuls 30 des 40 lits ont été effectivement ouverts pendant un an.
En Île-de-France, l’ARS souligne que la région ne dispose que d’une seule UHSA (Villejuif), de 52 lits théoriques, dont seulement 46 sont ouverts à ce jour.
En Nouvelle-Aquitaine, l’ARS souligne que plusieurs ETP budgétés ne sont pas pourvus à l’UHSA de Cadillac et que la situation continue de se dégrader. La carence de psychiatres impose une réduction du capacitaire à 28 lits, au lieu de 40, durant l’été. En période de congés, la situation devient critique : « Quand je suis en congé, il n’y a tout simplement plus d’admission possible », a témoigné le médecin-chef auprès des inspections générales, lors de leur passage à Cadillac.
À Marseille, la situation est encore plus désolante : la troisième unité de l’UHSA n’a tout simplement jamais ouvert depuis l’inauguration de la structure en 2018.
Les inspections générales avaient par ailleurs noté en 2020 que « rapportés aux files actives, les moyens en médecins psychiatres varient du simple au triple, les ratios les plus importants étant majoritairement observés dans les structures disposant de 60 places et implantées dans les grandes métropoles. » Faute de données complètes sur les moyens médicaux, il n’est malheureusement pas possible de mesurer l’évolution de ces écarts.
À des capacités réduites s’ajoutent des taux d’occupation très variables, parfois jugés trop faibles. En 2020, ces taux allaient de 64 % à 97 % avec une moyenne de 77,6 %, un taux de 100 % n’étant pas souhaitable. ([146]) En 2023, selon les données renseignées, ce taux varie de 53 % à Nancy jusqu’à 97 % à Villejuif avec une moyenne de 82 %.
Les taux d’occupation des UHSA de Nancy, Lille, Cadillac apparaissent faibles. La DISP Hauts-de-France a notamment pointé la faiblesse du taux d’occupation de l’UHSA comme du SMPR de Lille qui s’établissent à 70 % : « les professionnels de l’administration pénitentiaire ne comprennent pas pourquoi ça ne peut pas être plus. »
Taux d’occupation moyen par UHSA - Année 2023
UHSA |
Taux d’occupation 2023 (%) |
UHSA MARSEILLE |
96 |
UHSA TOULOUSE |
95 |
UHSA CADILLAC |
72 |
UHSA RENNES |
70 |
UHSA ORLEANS |
95 |
UHSA NANCY LAXOU |
53 |
UHSA LILLE SECLIN |
72 |
UHSA LYON (SIMOINE VEIL) |
86 |
UHSA VILLEJUIF |
97 |
Source : d’après l’exploitation des données renseignées dans la plateforme PIRAMIG
Ces taux dépendent entre autres du projet médical de soins, de l’existence d’un circuit d’admission comportant un passage obligé et préalable par une unité de stabilisation, d’une sélectivité des patients plus ou moins forte.
En tout état de cause, ces capacités, déjà limitées sur le papier et amputées dans les faits, sont unanimement jugées insuffisantes pour répondre à l’ensemble des besoins. Le maintien d’un niveau très élevé d’hospitalisation en psychiatrie générale en constitue un indicateur manifeste.
Comme énoncé plus haut, la création de trois nouvelles UHSA permettant la création de 160 lits, s’ajoutant aux 440 lits théoriques déjà existants est engagée.
Les trois sites d’implantation ont été déterminés sur la base des recommandations issues du rapport précité des inspections générales à la première tranche des UHSA.
Les établissements de santé porteurs de ces projets sont le centre hospitalier Robert Ballanger en Ile-de-France pour une UHSA de 60 lits, le centre hospitalier de Rouvray en Normandie pour une UHSA de 60 lits, le centre hospitalier de Béziers et le CHU de Montpellier en Occitanie pour une UHSA de 40 lits.
Les opérations de construction de ces unités seront financées par des crédits du fonds pour la modernisation et l’investissement en santé (FMIS). Le coût des opérations est estimé à 40,7 M€ pour l’UHSA de Ballanger, 33,9 M€ pour l’UHSA de Béziers, 43,9 M€ pour l’UHSA du Rouvray.
Pour éviter le paradoxe d’unités neuves mais partiellement fermées faute de moyens humains pour les faire fonctionner, le déploiement de ces UHSA ne peut faire l’économie de mesures fortes et rapides en matière d’attractivité pour garantir le recrutement d’effectifs suffisants à la fois médicaux et pénitentiaires. Il convient par ailleurs de veiller à ce que ces recrutements ne se fassent pas au détriment des autres dispositifs déjà en tension.
Préconisation n° 34 : Engager une réflexion sur le maillage territorial des UHSA, en Outre-mer et dans l’hexagone.
Préconisation n° 35 : Accélérer la construction de trois nouvelles UHSA en l’accompagnant d’un plan de recrutement de personnels médicaux, paramédicaux et pénitentiaires.
c. Des délais d’admission incompatibles avec la gestion des urgences, une part majoritaire d’hospitalisations en soins sans consentement
Les capacités réduites des UHSA ont pour effet direct des délais d’admission variables mais globalement jugés trop longs.
Le SPIP de Meurthe-et-Moselle évoque des délais d’attente pouvant aller de plusieurs semaines à deux ou trois mois à l’UHSA de Nancy. À Lille-Seclin, le délai serait en moyenne d’un mois. L’ARS Pays de la Loire rapporte pour l’UHSA de Rennes un délai de 25 jours en moyenne pour une hospitalisation sans consentement contre 36 jours en cas d’hospitalisation en soins libres, hors refus d’admission. Ces délais peuvent être prolongés par les contraintes logistiques liées aux extractions nécessaires aux transferts, dont 14,3 % seraient reportés et 4,8 % annulés selon cette même ARS.
L’UHSA de Lyon présente un délai moyen d’environ 10 jours sur la période 2019-2023 mais qui passe à environ 17 jours en 2024. La DISP Dijon-Grand Centre note que « l’accès à l’UHSA de Lyon se révèle très compliqué, au regard des délais de réponse aux demandes d’admission qui doivent, de ce fait, être renouvelées systématiquement. »
Enfin, la DISP des Hauts-de-France souligne une procédure d’admission particulièrement lourde, complexe et chronophage pour les équipes soignantes, qui ajoute une barrière supplémentaire.
Dans ces conditions, comme le souligne très justement l’ARS Centre-Val-de-Loire, « si le législateur fixe le principe d’une admission immédiate en UHSA, force est de constater dans la pratique que le principe devient exception. »
Compte tenu des délais d’admission, les acteurs observent qu’une prise en charge en urgence ou semi-urgence n’est pas possible en UHSA, lesquels se spécialisent dans la pratique sur les hospitalisations à distance des épisodes de crise.
André Ferragne, secrétaire général du CGLPL, observe une forme de spécialisation vers une prise en charge programmée : « On ne place pas un détenu en UHSA dans l’urgence. »
Des médecins intervenant en maison d’arrêt ont ainsi confirmé aux inspections générales ([147]) que les délais d’attente pour une admission à l’UHSA ne permettent pas d’y adresser les crises de décompensation.
Faute d’accès à des solutions disponibles en urgence, les chefs d’établissement pénitentiaire sont d’ailleurs parfois contraints, en attente d’une prise en charge psychiatrique rapide, de placer provisoirement une personne détenue en Cellule de protection d’Urgence.
Pensées pour structurer l’hospitalisation à temps complet, les UHSA ne sont de fait pas en mesure de répondre aux besoins urgents, qui continuent de peser sur les autres segments de la chaîne de soins.
Par ailleurs, alors que les UHSA devaient favoriser l’hospitalisation en soins libres de personnes détenues qui n’avaient jusque-là accès qu’à des prises en charge sous contrainte, les données montrent qu’elles accueillent dans la plupart des établissements une proportion très élevée de patients en soins sans consentement.
nombre de patients HospitalisÉs avec ou sans consentement en 2023
UHSA |
Avec consentement |
Sans consentement |
% Sans consentement |
UHSA MARSEILLE |
64 |
98 |
60.5 % |
UHSA TOULOUSE |
135 |
122 |
47.5 % |
UHSA CADILLAC |
97 |
108 |
52.7 % |
UHSA RENNES |
188 |
116 |
38.2 % |
UHSA ORLEANS |
79 |
206 |
72.3 % |
UHSA NANCY |
181 |
148 |
45.0 % |
UHSA LILLE SECLIN |
Donnée non disponible |
Donnée non disponible |
|
UHSA LYON |
90 |
275 |
75.3 % |
UHSA VILLEJUIF |
80 |
183 |
69.6 % |
Source : d’après les données renseignées dans PIRAMIG
Journées d’hospitalisation en UHSA - Année 2023
UHSA |
Journées avec consentement |
Journées sans consentement |
UHSA MARSEILLE |
3 355 |
7 396 |
UHSA TOULOUSE |
6 250 |
7 698 |
UHSA CADILLAC |
7 354 |
3 210 |
UHSA RENNES |
5 938 |
4 325 |
UHSA ORLEANS |
2 682 |
4 264 |
UHSA NANCY LAXOU |
3 121 |
4 578 |
UHSA LILLE SECLIN |
Donnée non disponible |
Donnée non disponible |
UHSA LYON (SIMONE VEIL) |
8 493 |
10 203 |
Total |
37 193 |
41 674 |
Source : d’après les données renseignées dans PIRAMIG
Cette donnée peut être lue comme un indicateur d’une dégradation avancée de la santé mentale en détention et d’un défaut de prise en charge en amont, s’agissant souvent de personnes dont l’état ne leur permet plus de consentir aux soins. Elle est cohérente avec la forte prévalence de pathologies graves, notamment de troubles schizophréniques.
diagnostics psychiatriques en UHSA - Année 2023
Trouble |
Nombre |
F0 Démences |
27 |
F1 Addictions |
606 |
F2 Schizophrénie |
2 274 |
F3 Troubles dépressifs |
549 |
F4 Troubles anxieux |
599 |
F5 Anorexie mentale |
20 |
F6 Troubles de la personnalité |
487 |
F7 Retard mental |
60 |
F8 Troubles du développement |
4 |
F9 Troubles des conduites |
24 |
Total |
4 650 |
Source : Piramig
La part importante de soins sans consentement en UHSA résulte aussi de la configuration même du système qui exclut les soins sans consentement aux niveaux 1 et 2.
d. Un accès inégal, parfois inexistant selon les établissements
L’accès aux UHSA varie fortement en fonction de la localisation des établissements pénitentiaires.
Plus un établissement est éloigné d’une UHSA, plus les obstacles logistiques et sécuritaires s’accumulent – notamment en matière de mobilisation des escortes pénitentiaires – rendant les hospitalisations particulièrement difficiles à organiser. À l’inverse, les établissements situés à proximité immédiate d’une UHSA bénéficient d’un accès plus fluide et régulier.
Comme l’illustre la carte ci-dessous, ces très fortes disparités territoriales se traduisent concrètement dans la part des hospitalisations réalisées en UHSA parmi l’ensemble des hospitalisations psychiatriques de personnes détenues.
Dans les situations d’urgence, ce facteur territorial devient déterminant : faute de pouvoir être transférées immédiatement vers l’UHSA, les personnes concernées sont le plus souvent hospitalisées dans le service psychiatrique général de secteur, dans l’attente d’une admission différée. L’implantation parcimonieuse des UHSA contribue ainsi à la spécialisation observée sur le terrain sur les situations psychiatriques plus stabilisées.
L’accès aux UHSA est parfois tout simplement impossible. Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes indique ainsi : « nous dépendons de l’UHSA de Rennes. Cela fait des mois qu’ils ne nous ont pris personne. On se débrouille sans eux ».
Plusieurs témoignages indiquent par ailleurs que des critères restrictifs non formalisés, au-delà de la seule question géographique, conditionnent l’admission en UHSA.
Selon Laurent Trippier, l’admission d’une personne détenue à l’UHSA de Lille Seclin serait conditionnée à la présence concomitante d’une addiction. « Cela suscite des récriminations de la part de l’administration pénitentiaire », a-t-il précisé.
Comme indiqué précédemment, cette information n’a pas été précisée à la mission lors de sa visite et le ministère de la santé ne l’a pas confirmée. Pourtant les données issues des rapports d’activité font apparaître un nombre anormalement élevé de diagnostics d’addiction à l’UHSA de Lille (527 en 2023, 630 en 2022) qui semble accréditer l’existence d’une forme de priorisation ou d’un meilleur repérage. Inversement, la faiblesse des diagnostics liés aux addictions dans les autres UHSA pourrait aussi traduire le défaut d’intégration de cette dimension pointé par l’OFDT et la MILDECA.
Diagnostics d’addiction par LES UHSA en 2023
UHSA |
Diagnostics addiction |
UHSA MARSEILLE |
14 |
UHSA TOULOUSE |
3 |
UHSA CADILLAC |
1 |
UHSA RENNES |
2 |
UHSA ORLEANS |
6 |
UHSA NANCY LAXOU |
12 |
UHSA LILLE SECLIN |
527 |
UHSA LYON (SIMOINE VEIL) |
13 |
UHSA VILLEJUIF |
28 |
Source : données PIRAMIG
Le rapport d’évaluation des UHSA relève lui aussi que les publics admis en UHSA font parfois l’objet d’une sélection non exclusivement fondée sur des critères cliniques : rôle de la pression démographique qui aboutit à ne retenir que certains profils très lourds, orientations « régaliennes » liées à l’intervention de certains préfets et de certains magistrats, attractivité ou dureté des conditions de vie qui joue sur la demande volontaire, admissions pour raisons diverses non directement liées à la pathologie psychiatrique (difficultés liées à l’incarcération, séjours dit de rupture avec l’environnement carcéral…).
Le secrétaire général du CGLPL a également pointé la réticence voire le refus d’accueillir certains profils, notamment ceux incarcérés dans les établissements les plus sécurisés. Les UHSA dont dépendent les maisons centrales de Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil – respectivement Rennes et Seclin – se montreraient particulièrement réticentes à accueillir les personnes qui y sont incarcérées. À Seclin, le refus serait explicite et systématique. « À Rennes, c’est moins clair mais ils ne les prennent pas volontiers et les gardent le moins possible. »
e. Des « tranches d’hospitalisation sans continuité »
La durée moyenne de séjour en UHSA est variable d’une UHSA à une autre. Le nombre de places étant très limité, la contrainte est forte pour libérer des places permettant d’accueillir de nouveaux patients.
Tableau synthétique par UHSA - Année 2023
UHSA |
File active (patients) |
Durée moyenne de séjour (jours) |
Nombre de séjours |
MARSEILLE |
162 |
49.0 |
214 |
TOULOUSE |
257 |
43.0 |
325 |
CADILLAC |
205 |
48.5 |
240 |
RENNES |
207 |
39.0 |
259 |
ORLEANS |
209 |
24.0 |
286 |
NANCY LAXOU |
223 |
34.5 |
377 |
LILLE SECLIN |
404 |
28.5 |
646 |
LYON |
365 |
39.4 |
474 |
VILLEJUIF |
214 |
54.0 |
298 |
Source : PIRAMIG
La part de patients dont les troubles sévères relèvent d’un suivi approfondi et de soins dans la durée est très importante. Le risque est alors double :
– soit le séjour s’étire au-delà des délais habituels, faute de solution de sortie, bloquant l’accès pour d’autres patients ;
– soit la personne retourne en détention sans que les conditions ne soient réunies pour assurer une continuité de soins, ce qui mène fréquemment à des rechutes et à des allers-retours en UHSA.
Le soin se fait alors « par tranches d’hospitalisation sans continuité », selon les termes employés par Thomas Fovet. « Dans les Hauts-de-France, une unité sanitaire fonctionne avec une demie journée de psychiatre par semaine, qui ne fait pas de suivi et ne peut gérer que les urgences. Il n’y a donc de fait pas de soin entre les hospitalisations pour les patients. Ça ne peut pas fonctionner. »
Tiphaine Lefebvre, cheffe de service de l’UHSA de Rennes confirme cette impasse en l’absence de relais de soin à la sortie : « Un patient incarcéré dans un établissement avec un niveau de soin important, nous pouvons le renvoyer éventuellement avec des soins de niveau 2 ou de niveau 1 renforcé. Pour certains patients, dans les déserts médicaux, on s’attend à leur retour. »
« C’est ce qui est le plus compliqué pour nous, je pense : soigner quelqu’un dont on sait qu’il va retourner dans un milieu pathogène et qui risque donc de décompenser à nouveau rapidement. On sait qu’il va revenir régulièrement jusqu’à ce qu’il sorte de prison », confie une soignante de l’UHSA Villejuif ([148]). À Toulouse, les soignants ont tenté dans certains cas d’intégrer ces allers-retours dans un projet de soins : « Il y a des patients pour lesquels on établit, avec les psychiatres des établissements pénitentiaires qui nous les adressent, que l’on va faire du séquentiel. Parce qu’ils décompensent trop ou trop vite. On essaie de les aider à tenir comme ça… », indique Anne-Hélène Moncany ([149]).
Coralie Langlet, cheffe du pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire de l’EPSM du Loiret, indique qu’en 2024, 70 patients sur 215 admis à l’UHSA d’Orléans avaient déjà fait l’objet d’au moins un séjour en UHSA dans l’année qui précédait le jour de l’admission. Elles peuvent être programmées dans le cadre de séjours séquentiels ou dues à des rechutes résultant de ruptures de traitement ou du contexte structurellement persécutoire de la détention.
Comme le souligne le conseil national des barreaux, la saturation des UHSA est également source de difficultés pour les SMPR qui doivent gérer, dans des conditions également dégradées, des détenus atteints de pathologies psychiatriques relevant d’une hospitalisation complète.
Préconisation n° 36 : Harmoniser les règles de fonctionnement des UHSA sur la base des meilleures pratiques constatées par une révision de leur cahier des charges.
2. Des SMPR à l’accès restreint et au positionnement incertain
a. Un accès restreint et inégal
S’agissant des SMPR, les rares informations communiquées à la mission confirment un constat déjà établi : ces structures sont elles aussi aujourd’hui largement sous-dotées, pas assez nombreuses et très inégalement accessibles selon les territoires, leur implantation ne couvrant qu’une très faible partie du parc pénitentiaire et leur périmètre d’intervention étant de fait limité à leur établissement pénitentiaire de rattachement.
Par ailleurs, la cartographie officielle des SMPR est obsolète et mouvante. Certaines unités ne disposeraient plus de la capacité effective d’assurer une mission d’hôpital de jour, tandis que d’autres l’ont développée. Le ministère de la santé a indiqué qu’un nouvel arrêté était en préparation afin d’actualiser la cartographie des SMPR et de l’adapter aux réalités du terrain, ce qui permettrait notamment de reconnaître officiellement le rôle des USMP qui ont développé une capacité de prise en charge en hôpital de jour. Cette nouvelle cartographie n’a pas été transmise à la mission, pas plus que les rapports d’activité des SMPR.
Sans disposer d’une vision exhaustive de l’activité réelle de ces structures ([150]), tous les témoignages convergent pour souligner qu’elles sont, comme les autres niveaux, fortement touchées par le manque de psychiatres qui entraîne des fermetures de lits et des situations de saturation. La situation apparaît là encore localement très contrastée.
Une situation localement contrastée et instable
Le SMPR de la maison d’arrêt de Nice aurait par exemple fermé en raison d’un déficit de personnel de psychiatrie.
La DISP Hauts-de-France fait état de « difficultés RH au SMPR du centre pénitentiaire de Lille-Annœullin (CPLA) entrainant la limitation du nombre de places en hôpital de jour. » Certaines unités sanitaires se plaignent par ailleurs que les sessions consacrées à l’addictologie « empêchent des prises en charge psychiatriques classiques ».
Selon l’ARS, « le niveau 2 en Pays de la Loire est très important et permet grâce à l’hospitalisation de jour, de réduire le recours à l’UHSA.
En revanche, l’hospitalisation de niveau 3 portée par l’EPSM de Rennes compense le manque de places de niveau 2 en Bretagne qui a été confronté à des difficultés organisationnelles en 2022 et 2023 réduisant le nombre de lits disponibles. »
Comme l’indique ainsi la DISPOM, l’absence de SMPR sur certains territoires ([151]) conduit les USMP à prendre en charge des besoins qui relèvent de ce niveau, dans des conditions nécessairement dégradées.
Les rapporteures se rendues au SMPR de Fleury-Mérogis dont la situation, avec une capacité de 16 lits pour près de 4 000 détenus, est de plus en plus critique et alarmante.
L’ARS Corse annonce l’ouverture prochaine d’un hôpital de jour au sein de l’établissement pénitentiaire de Borgo pour éviter des décompensations, extractions et transferts évitables.
La pénurie au niveau 2 est d’autant plus préoccupante que, comme le souligne la DISP Nouvelle Aquitaine, les détenus ayant les plus gros troubles du comportement sont gérés de préférence dans les établissements dotés d’un SMPR.
Certains SMPR s’efforcent de suppléer l’absence d’accès à une UHSA, bien que dans des conditions plus restreintes : ils ne peuvent pas accueillir les femmes et les mineurs et ne sont pas habilités à accueillir des patients en soins sans consentement, ce qui constitue une limite majeure pour la prise en charge des troubles les plus sévères.
Plusieurs acteurs indiquent que les SMPR se heurtent très largement à l’absence d’adhésion des patients détenus. Cet obstacle est majoré lorsqu’un transfert est nécessaire qui peut éloigner le détenu de sa famille.
De manière générale, il apparaît que chaque structure tente de compenser les carences des autres.
b. Un positionnement incertain dans l’architecture de soins
Les SMPR, théoriquement positionnés comme des structures intermédiaires entre l’ambulatoire et l’hospitalisation complète, peinent à trouver leur place dans un parcours qui semble moins guidé par les besoins cliniques que par la disponibilité aléatoire de l’offre.
Le rapport précité des inspections générales sur les UHSA relève que la place des SMPR est mal assurée entre soins simples et hospitalisation.
Leur articulation avec les UHSA n’apparaît pas évidente.
Ainsi, « il est difficile de dire si ces services jouent bien leur rôle en amont des hospitalisations en UHSA : recevant annuellement entre 1 500 et 2 000 personnes détenues adressées par les USMP, ils n’en réorienteraient vers les UHSA qu’une faible partie (environ 5 %). Tout se passe comme si les soins qu’ils délivrent étaient suffisants, les SMPR assumant efficacement la fonction de filtre qui peut être attendue d’un niveau 2. Mais, au regard de la part très importante des adressages directs vers les UHSA en provenance du niveau 1 (80 %), cette fonction apparaît en réalité très marginale dans le dispositif global. Même en ne prenant en compte que les démarches volontaires, soit environ la moitié des admissions en UHSA, ils ne représentent un point de passage que dans 10 % des cas. »
L’action des SMPR semble également très modeste à la sortie de l’UHSA, notamment lorsqu’une prise en charge intensive en ambulatoire est encore nécessaire. La réorientation vers les SMPR ne concernerait également qu’une faible part des patients (6 %).
En tout état de cause, les SMPR n’apparaissent pas comme une étape obligée dans le parcours de soins dont le principe de gradation en niveau 1 à 3 reste théorique dans la plupart des cas.
c. Une mission de coordination désertée par manque de ressources
Au-delà du recours clinique de niveau 2, les SMPR ont depuis leur création une mission essentielle de coordination régionale et d’organisation de la formation de l’ensemble des acteurs de psychiatrie intervenant en milieu pénitentiaire et d’articulation avec les unités hospitalières spécialement aménagées, de formation
Il apparaît que les SMPR, faute de moyens et d’accompagnement, n’exercent pas cette mission essentielle qui serait réaffirmée dans l’arrêté évoqué précédemment.
3. Un recours forcé à la psychiatrie de droit commun au prix de graves dysfonctionnements
Comme indiqué précédemment, malgré l’arrivée des UHSA, l’hôpital de proximité reste en première ligne, en particulier pour la gestion des urgences dans des conditions particulièrement dégradées à tous points de vue.
a. Des conditions dégradées sur le plan de la sécurité
L’hospitalisation des personnes détenues en psychiatrie générale suscite de très fortes réticences, en l’absence notamment de conditions de sécurité satisfaisantes.
En effet, contrairement aux hospitalisations pour soins somatiques, pour lesquelles l’administration pénitentiaire organise le transport, l’escorte et, le cas échéant, une garde statique assurée par les forces de sécurité intérieure, aucun dispositif équivalent n’est prévu pour les prises en charges psychiatriques dans les établissements de proximité.
Sont mis en avant des risques de violences, d’agression, de fugue ou d’évasion.
Des conditions de sécurité dégradées dénoncées par plusieurs ARS
« Le cadre légal et réglementaire ne prévoit pas d’escorte systématique pour les admissions en psychiatrie en unité adaptée dans les établissements de santé de rattachement des USMP, contrairement aux admissions à l’UHSA (qui prévoit avec raison un dispositif d’escorte et de garde sécuritaire en complément de la prise en charge sanitaire). L’établissement de santé peut en faire la demande auprès de la préfecture, et l’ARS soutient toujours ces demandes, mais elles ne sont que très rarement acceptées faute de disponibilités des moyens de l’administration pénitentiaire, police ou gendarmerie, dans le cas de détenus particulièrement signalés le plus souvent. En pratique, les soignants se retrouvent donc la plupart du temps seuls en ambulance pour le trajet de l’établissement pénitentiaires vers l’établissement de santé qui peut parfois durer longtemps en fonction du lieu d’implantation des EP. Ces détenus qui, par définition présentent des troubles psychiques justifiant leur hospitalisation en urgence en soins sans consentement, peuvent se révéler violents ou susceptibles de feindre un état de santé fragile pour tenter de s’évader. Cette difficulté majeure est signalée au niveau national depuis des années, par divers canaux, y compris en lien avec certaines préfectures, mais ce sujet n’a toujours pas pu être traité à ce jour. Ce point de crispation pour les soignants est d’autant plus important et vécu comme une véritable injustice que les transports de patients détenus pour les consultations ou hospitalisations en somatique sont systématiquement assurés avec escorte sécuritaire et garde statique. » ([152])
L’ARS Auvergne-Rhônes-Alpes évoque des cas avérés de fugues, problème récurrent, dans des proportions qui ne sont pas précisées mais qui seraient « souvent reprochées aux établissements de santé. »
Plusieurs DISP signalent le refus de certaines structures d’accueillir des détenus, tandis que le CGLPL note une grande réticence des établissements de santé mentale à prendre des détenus.
La DISP Sud Est attire l’attention sur la situation particulièrement difficile des établissements pénitentiaires de Haute-Corse. La préfecture refuse de placer des personnes détenues en soins sans consentement sur le seul établissement de Haute-Corse (San Ornello) au regard d’incidents qui se sont déroulés au sein de cette structure et qui ont été commis par des personnes détenues. Les hospitalisations sous contrainte ne peuvent dès lors s’effectuer qu’au sein de l’établissement de Corse du Sud, éloigné géographiquement et saturé, ou à l’UHSA de Marseille. L’insularité rend les admissions très délicates, notamment lors de crises aigues en raison de l’impossibilité de faire embarquer dans un avion une personne en situation de crise.
Le rapport des inspections sur les UHSA observe de manière générale un sous-recours aux EPSM et aux UMD, « pour des raisons associant considérations techniques (manque de place et de moyens adaptés) et positions plus subjectives (difficulté de mélanger les publics médicolégaux et non médico-légaux, appréhension liée au statut de détenus et aux risques possibles de violence et de fugues). »
Préconisation n° 37 : Comme pour les extractions en soins somatiques ou vers les UHSA, prévoir une escorte systématique pour les hospitalisations en psychiatrie dans les établissements de santé de rattachement des USMP.
b. Des conditions dégradées sur le plan du soin
Les hospitalisations d’office dans les hôpitaux psychiatriques de rattachement, dépourvus d’aménagements de sécurité appropriés, demeurent un mode essentiel d’hospitalisation, qui conduit au placement quasi-systématique de la personne détenue en chambre d’isolement, en associant éventuellement des mesures de contention, et ce pour des motifs strictement sécuritaires alors que son état de santé ne le justifie pas.
Certains hôpitaux placés à côté des grandes centrales comme à Moulins ou Lannemezan ont construit des chambres sécurisées réservées aux personnes détenues.
L’hospitalisation en service de psychiatrie générale est par ailleurs aussi courte que possible. Les conditions d’hospitalisation poussent d’ailleurs le patient lui-même à demander un retour en prison aussi rapide que possible.
« En général, ce passage à l’hôpital est un « lavage-rinçage » », déplore Christine-Dominique Bataillard. « Les soignants les gardent 24 ou 48 heures et nous les renvoient tout de suite, parfois très sédatés, avec une ordonnance très longue. Quand les personnes reviennent en prison, elles ressentent souvent les effets secondaires des traitements, que l’on n’a pas pris le temps de leur expliquer à l’hôpital. Alors forcément, elles arrêtent de les prendre. » ([153])
c. La nécessité d’améliorer l’accueil en psychiatrie générale
Les 160 places prévues dans la deuxième tranche d’UHSA ne suffiront pas à absorber l’ensemble des hospitalisations de détenus. À ce titre, la part assumée par les EPSM va demeurer importante.
S’agissant des places restant à construire, la mission d’évaluation réalisée par les inspections générales préconise à juste titre « d’exclure l’inscription systématique des patients-détenus dans une filière spécifique et parallèle à celle du droit commun qui exposerait à une ségrégation de fait et aux risques de confusion entre les motifs pénaux, thérapeutiques et préventifs d’enfermement. »
Au-delà de ces questions de principe, les solutions d’accueil permettant d’hospitaliser des personnes détenues en EPSM doivent, en tout état de cause, être développées et renforcées pour pouvoir répondre aux besoins qui augmentent régulièrement par une partie des crédits initialement prévus pour de nouvelles places en UHSA. Les rapporteures souscrivent à cette approche.
Certaines ARS suggèrent par exemple le financement de chambres sécurisées. Celui-ci doit cependant être associé à un encadrement strict. Lors de sa visite des chambres sécurisées du centre hospitalier de Blois, du centre hospitalier Cochin dans le quatorzième arrondissement de Paris le 13 février et du centre hospitalier de Dunkerque en 2020, le CGLPL avait ainsi indiqué que l’établissement de conventions cadres entre l’administration pénitentiaire, l’hôpital et les services de police était « une garantie de qualité de prise en charge, chacun connaissant ses propres contingences mais aussi celle des partenaires dans la réalisation de ses missions. »
« L’existence d’une convention permettrait de préciser les modalités d’accueil et de prise en charge des patients détenus au sein des chambres sécurisées tant par les forces de police que par le personnel soignant et médical. Elle permettrait également de lister les droits de ces patients et les moyens de les respecter. »
Préconisation n° 38 : Renforcer et développer les capacités d’accueil de personnes détenues par des financements accordés aux établissements psychiatriques de secteur.
Préconisation n° 39 : Établir des conventions-cadre entre l’administration pénitentiaire, l’établissement de santé et la police nationale précisant les modalités d’accueil et de prise en charge des patients détenus.
C. une prise en charge très inégale, des angles morts
1. Une situation très hétérogène selon le régime de détention
a. Une situation moins dégradée dans les établissements pour peine
La situation apparaît nettement moins dégradée dans les établissements pour peine que dans les maisons d’arrêt.
Claudine Beauchemin, inspectrice de la justice, souligne que dans ces établissements, les actions de promotion de la santé, l’accompagnement social et le lien entre le dedans et le dehors « fonctionnent plutôt bien ».
Amélie Morineau, présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux, va dans le même sens : « Dans les établissements pour peine, sans suroccupation carcérale, à proximité d’une grande ville, là où il y a des soignants, ça fonctionne.
Les gens se présentent aux rendez-vous. On voit des personnes évoluer dans leur pathologie, et même quand [elles] ne souffrent pas de pathologies, l’accompagnement psychologique permet de discuter du passage à l’acte et de prévenir la récidive. Tout cela existe et fonctionne. C’est une question de moyens.
Dans un établissement pour peine, vous avez un surveillant pour vingt personnes, et non pas un pour cent comme dans certaines maisons d’arrêt. Et ça change tout. Il a le temps d’ouvrir la porte, d’accompagner le détenu sur la coursive. Si l’unité sanitaire appelle pour dire que le détenu n’est pas venu, il y a un surveillant au bout de la ligne pour aller voir la personne et essayer de comprendre. S’il y a un parloir en même temps, on va essayer de trouver une solution. Mais tout cela n’est possible qu’à la condition que vous ayez quatre minutes dans votre journée pour faire en sorte que le système fonctionne. Dans un établissement à 150 % de taux d’occupation, avec un psychiatre pour trois postes, ça ne peut pas fonctionner. »
Ce constat est partagé par l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), qui invite toutefois à relativiser ce constat s’agissant des centres de détention, dans la mesure où la politique de désencombrement des maisons d’arrêt tend à transférer vers eux un nombre croissant de profils complexes.
Enfin, la mission rappelle que la surpopulation carcérale touche plus fortement les personnes en détention provisoire, qui ne bénéficient pas, contrairement aux condamnés, de l’encellulement individuel. Ce facteur pourrait en partie expliquer la prévalence particulièrement élevée du suicide chez les personnes prévenues.
b. La semi-liberté, angle mort préoccupant
La mission a été alertée, à juste titre, par la Fédération addictions sur l’existence de ce qu’elle a qualifié de « véritable zone de non-droit en matière d’accès aux soins » : les quartiers de semi-liberté.
Les acteurs interrogés ont massivement confirmé l’existence d’une difficulté majeure d’accès aux soins pour ce public, pourtant orienté vers la sortie et qui devrait, à ce titre, faire l’objet d’un accompagnement particulièrement renforcé.
En effet, ces personnes ne relèvent plus de l’unité sanitaire de l’établissement pénitentiaire, tout en rencontrant de très grandes difficultés d’accès aux soins de droit commun à l’extérieur.
Comme l’indique l’ARS Grand Est, les patients sont théoriquement rattachés au droit commun, mais souvent démunis pour reprendre seuls un parcours de soin, après une période de détention durant laquelle leurs rendez-vous médicaux étaient gérés à leur place. Ils peuvent en outre faire face une réticence des dispositifs de droit commun à prendre en charge des personnes placées sous main de justice voire à une stigmatisation, comme le soulignent plusieurs psychiatres exerçant en UHSA.
Leurs journées sont, par ailleurs, absorbées par une multitude de démarches administratives liées à la réinsertion. Dans ces conditions, l’accès aux soins passe fréquemment au second plan.
La DISP Nord insiste sur le fait que l’autonomie attendue de ces personnes est souvent illusoire et qu’un accompagnement médico-social soutenu serait indispensable, mais fait aujourd’hui défaut.
Patricia Théodose directrice du SPIP du Val-de-Marne a pointé des situations ubuesques, citant notamment le cas d’un homme souffrant de troubles psychiques en grande difficulté, que les services ont été contraints de réintégrer à Fresnes pour qu’il puisse bénéficier de soins de la part de l’EPSF. « La semi-liberté, c’est vraiment l’angle mort », a-t-elle résumé.
Anne-Noëlle Heitz, directrice du SPIP de Meurthe-et-Moselle relève d’ailleurs que cette population est de plus en plus concernée par des problématiques d’addictions.
Face à ce vide de soins, certains professionnels rapportent que des USMP acceptent ponctuellement d’intervenir au quartier de semi-liberté, bien que cela ne fasse pas partie de leur mission, et sans financement spécifique.
Il convient d’apporter rapidement des solutions à cette anomalie.
Préconisation n° 40 : Mettre en place un accompagnement médico-social renforcé auprès du public semi-libre souffrant de troubles psychiques et d’addictions. À défaut, prévoir une prise en charge par les structures pénitentiaires sanitaires.
c. Les structures d’accompagnement vers la sortie : des ambitions contredites par des défaillances importantes
Interrogée sur le bilan des structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) en matière de prise en charge des troubles psychiques et des addictions, la direction de l’administration pénitentiaire s’est contentée d’une réponse lacunaire indiquant que « la couverture médicale, assurée dans plusieurs SAS, s’est avérée peu fournie, ne permettant pas de dresser un réel bilan de la prise en charge médicale, notamment psychiatrique ». Mais au-delà du défaut de bilan, plusieurs personnes ont surtout alerté la mission sur des difficultés concrètes d’accès aux soins dans ces structures.
Les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS)
Créées dans le cadre de la réforme pénitentiaire, les SAS sont des quartiers ou établissements spécifiquement dédiés à la préparation à la sortie de détention.
Selon la Direction de l’administration pénitentiaire, « les SAS permettent un accompagnement renforcé en fin de peine, dans un environnement plus ouvert et responsabilisant, afin de favoriser la réinsertion et de prévenir la récidive. » ([154])
Elles reposent sur les caractéristiques principales suivante :
– Accueil de personnes en fin de peine (généralement à moins d’un an de la libération).
– Mise en place d’un parcours individualisé : santé, emploi, logement, droits sociaux.
– Accès élargi à des partenaires extérieurs : SPIP, associations, missions locales, France Travail, etc.
– Organisation fondée sur la progressivité et la responsabilisation (activités obligatoires, cellules individuelles, ouverture en journée).
Du fait de leur séparation physique avec les établissements pénitentiaires de rattachement, ces SAS ont nécessité la création d’unités sanitaires nouvelles, avec toutes les difficultés que cela implique. Dans plusieurs SAS – notamment Le Mans et Toulon – la montée en charge des unités sanitaires a été compliquée par un manque de personnel soignant.
La DISP de Bordeaux-Nouvelle-Aquitaine évoque pourtant une « présence renforcée du soin » dans les SAS de son ressort, avec un projet ciblé sur la santé mentale à la SAS de Bordeaux-Gradignan à travers des groupes thématiques, ainsi qu’un projet de lutte contre les addictions porté par la DISP.
En revanche, Stéphanie Lafont-Rapnouil, cheffe de projet animation territoriale en santé mentale à la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie, souligne que ces structures sont souvent implantées « dans la pampa », dans des zones mal desservies par le soin, ce qui rend difficile tout travail avec le tissu local. Ces choix d’implantation apparaissent absurdes, dans la mesure où les personnes détenues ne vont pas résider durablement sur le territoire.
Dans la DISP Sud-Est, quatre SAS sont recensées : Marseille, Aix-Luynes, Avignon et Toulon. À Marseille, l’USMP a construit un parcours de soins hors détention, dans le cadre de permissions de sortir. L’expérience est jugée intéressante et d’autres structures souhaiteraient pouvoir développer cette modalité. Toutefois, la DISP souligne que ce type de prise en charge rend plus complexe l’affectation des personnes au sein de ces structures, et suppose que des permissions soient octroyées dès l’arrivée.
En l’absence de réelle prise en charge médicale interne – notamment de psychologues, de psychiatres et d’un CSAPA – certaines personnes détenues ne peuvent pas être orientées vers la structure, faute de pouvoir garantir la continuité des soins.
S’agissant du dispositif expérimenté à Marseille, il serait utile de disposer d’une étude sur la réalité de la poursuite des soins, ce que l’ARS n’a pas fait à ce jour.
Par ailleurs, selon cette direction interrégionale, la communication entre professionnels de santé et personnels pénitentiaires « n’est pas forcément meilleure que dans les autres établissements, alors même que les SAS sont censées reposer sur une logique de pluridisciplinarité renforcée ».
Enfin, Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes, souligne qu’à la SAS du Mans, il n’est pas possible de distribuer quotidiennement les traitements de substitution aux opiacés. Les personnes sous méthadone à la maison d’arrêt doivent ainsi abandonner leur traitement si elles souhaitent intégrer la SAS. Cette situation ubuesque, liée au manque de moyens – puisqu’il faudrait qu’une infirmière puisse se rendre sur place tous les jours – interdit toute distribution quotidienne et rend impossible une délivrance groupée.
Préconisation n° 41 : Développer le dispositif des structures d’accompagnement vers la sortie (SAS). Évaluer et le cas échéant généraliser les bonnes pratiques, telles que le parcours de soin hors détention mis en place à la SAS de Marseille.
d. Les auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS) : une prise en charge lacunaire aux effets incertains
Les AICS présentent des spécificités qui appellent des modalités adaptées de prise en charge en détention. Ils sont à ce titre orientés prioritairement vers les 24 (22 jusqu’en février 2025) établissements pénitentiaires « labellisés » AICS censés offrir un accompagnement renforcé et dotés de crédits supplémentaires à cet effet.
Pour déterminer les spécificités de cette prise en charge, en 2011, le ministère de la Justice et le ministère de la Santé ont mis en place un protocole qui prévoit notamment l’élaboration d’un partenariat entre les ARS et les DISP destiné à coordonner les actions sanitaires et pénitentiaires en ce domaine.
Les données transmises par la DAP font apparaître des lacunes importantes dans la mise en œuvre du protocole et le suivi des AICS.
Une mise en œuvre très lacunaire du protocole santé-justice sur la prise en charge des auteurs d’infraction à caractère sexuel
Seuls 19 établissements pénitentiaires labellisés AICS sur 22 ont répondu au questionnaire d’évaluation élaboré par la DAP :
– seuls 5 avaient mis en place des programmes de prévention de la récidive (PPR) ;
– 1 établissement avait mis en place un programme spécifique co-animé par une CPIP et une psychologue ;
– 7 sur 19 indiquaient avoir mis en place des actions collectives hors PPR à destination des AICS ou proposées au public AICS.
Par ailleurs, seuls 10 établissements indiquaient l’existence d’un protocole entre les services pénitentiaires et les services de soins fixant les modalités d’intervention des services de santé au sein de l’établissement.
Seuls 11 établissements sur 19 indiquaient bénéficier d’un accompagnement par le centre ressources pour intervenants auprès d’auteurs de violences sexuelles (CRIAVS).
Créés en 2006, les CRIAVS sont des structures régionales visant à améliorer la prévention, la compréhension et la prise en charge des violences sexuelles par les professionnels en contact avec les AICS.
Alors que les 22 établissements fléchés pour prendre en charge des AICS bénéficient d’un soutien spécifique de 9 millions d’euros supplémentaires en plus de leur dotation de base, il apparaît, selon les résultats de l’enquête réalisée en 2023, que la spécialisation AICS de l’établissement pénitentiaire n’est pas effective partout en dépit des crédits versés aux ARS à ce titre. Toutes n’ont pas mis en place un projet médical, des équipes dédiées.
La DAP souligne à cet égard l’autonomie des hôpitaux de rattachement dans l’utilisation des crédits dédiés aux établissements pénitentiaires « AICS » mais signale à juste titre qu’un renforcement du suivi national en la matière apparaît nécessaire.
La DAP annonce une actualisation du protocole pour « amplifier la mobilisation ». Dans cette attente, une note DAP est venue en juin 2024 rappeler un certain nombre de fondamentaux : nécessité de proposer aux AICS un programme de prévention de la récidive par an a minima, nécessité de proposer une formation adaptée aux personnels intervenant dans les établissements labellisés ; nécessité d’entretenir des liens réguliers avec les CRIAVS pour pouvoir mettre en place des sessions de formation, d’information et d’analyse des pratiques adaptées.
Des modalités de suivi spécifiques des AICS
« Au niveau des USMP des établissements labélisés, l’incitation aux soins psychiatriques d’un AICS est faite dès la première consultation médicale. Une prise en charge individuelle ou groupale est proposée au détenu AICS. Un bilan de personnalité peut être réalisé avec l’accord du patient afin d’individualiser un projet de soin qui sera validé en CPU. Pour la sortie, une consultation est obligatoire et fait le bilan des soins réalisés dans le cadre de la prise en charge psychiatrique. Ce bilan peut être transmis au JAP. L’accompagnement à la sortie est facilité par une plateforme référentielle départementale qui recense les AICS, sous la responsabilité de l’ES, et qui permet de transmettre les informations du patient de l’USMP vers son centre de prise en charge à l’extérieur de la prison. Enfin, le centre de ressources pour intervenants auprès des AICS, le CRIAVS, aide les soignants extérieurs à la bonne prise en charge de cette population. » ([155])
De manière générale, les informations communiquées à la mission témoignent de carences importantes dans la prise en charge des personnes auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS).
Tout d’abord, il n’existe étonnamment aucun élément d’évaluation relatif aux actions et outils spécifiques mis en place pour ce public depuis 2011. L’absence de données consolidées ne permet ni d’en apprécier l’impact ni d’ajuster efficacement les dispositifs existants.
Comme le confirme Anne Hegoburu, sous-directrice de la prise en charge hospitalière et des parcours ville-hôpital, à la direction générale de l’offre de soins, « il n’y a pas d’études françaises sur ce sujet. L’évaluation de l’impact de cette prise en charge sur la récidive est un champ à explorer. Il est difficile de tirer des conclusions françaises sur la base d’études internationales avec des conditions de prise en charge qui sont différentes. On n’est pas très affirmatifs sur ce sujet aujourd’hui. »
La DISP Grand-Nord-Lille note pour sa part que cette prise en charge est peu pilotée au niveau interrégional, en raison de carences RH, alors même qu’il s’agit d’un « vaste sujet » qui mériterait d’être « suivi à plusieurs têtes ».
Le CGLPL estime que « les soins proposés aux AICS en détention restent très variables selon les établissements.
En dehors des établissements accueillant prioritairement les AICS, la prise en charge repose souvent uniquement sur un suivi psychiatrique (quand des psychiatres sont présents en nombre suffisant), sans toujours d’accompagnement thérapeutique. »
La DISP Sud-Est et l’ARS Ile-de-France relèvent que même dans les établissements « fléchés », l’accès aux soins reste difficile.
Si les CRIAVS (Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles) apportent un cadre efficace et structurant, lorsqu’ils sont sollicités, ils restent selon le CGLPL sous-dimensionnés et ne peuvent couvrir l’ensemble des besoins sur le territoire.
Plusieurs acteurs soulignent également que lorsque des consultations spécifiques sont proposées, nombre de personnes concernées ne s’y inscrivent pas, en raison d’un déni des faits ou d’une non-reconnaissance de l’infraction, ce qui constitue un frein majeur à l’engagement dans les soins.
L’ANJAP souligne enfin, sur ce sujet également, une situation plus favorable en centre de détention et dégradée en maison d’arrêt. « Or tous les AICS détenus passent par les maisons d’arrêt en détention provisoire parfois pour de longues périodes dans les premiers temps de l’exécution de leur peine. »
Préconisation n° 42 : Procéder à une étude pluridisciplinaire, impliquant les acteurs de la Santé et de la Justice, sur la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel et son impact sur la récidive.
2. Une situation particulièrement critique dans certains territoires
a. Une situation particulièrement critique dans les déserts médicaux
Comme indiqué précédemment, les établissements disposant d’un SMPR et situés à proximité d’un UHSA sont dans une situation beaucoup moins défavorable que les autres établissements et singulièrement, les nombreux établissements situés dans des déserts médicaux.
Comme le souligne Frank Bellivier, « l’isolement de certains établissements dans des déserts médicaux fait que techniquement on n’y arrive pas avec la meilleure volonté du monde. »
La DISP Grand-Est signale à cet égard la situation difficile de la maison d’arrêt de Charleville, du centre de détention de Villenauxe-La-Grande, des établissements meusiens (centre de détention de Montmédy, Saint Mihiel et maison d’arrêt de Bar Le Duc) ou encore de la maison d’arrêt de Chaumont.
Elle relève que des établissements situés en zones autrefois moins défavorisées comme le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach ou la maison centrale d’Ensisheim souffrent désormais également d’une pénurie médicale ne permettant pas la prise en charge optimale du public détenu, ce qui est particulièrement dommageable sur l’établissement d’Ensisheim, labellisé « AICS ».
La DISP Dijon-Grand Centre signale la situation critique du centre de détention de Châteaudun qui, avec une capacité de 582 places, a vu son temps de psychiatre passer de 0,4 à 0,2 ETP. « Cette diminution de réponse médicale a engendré des périodes de fortes sollicitations de la part des patients et une agressivité accrue. Des risques de décompensation ont pu être identifiés, en lien avec des ruptures de soins. »
b. La situation particulièrement critique des Outre-mer
La situation de la Corse a déjà été évoquée.
Plusieurs alertes concernant la situation particulière des Outre-mer ont également été formulées. Dans les départements et territoires d’outre-mer, le CGLPL relève des conditions de détention souvent plus dégradées qu’en métropole et un accès plus difficile aux soins spécialisés, notamment en santé mentale. Le manque de structures médicales adaptées et la distance avec les centres hospitaliers spécialisés compliquent le suivi des personnes incarcérées.
Pour Wilfried Fonck, secrétaire national de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP UNSA-Justice), les Outre-mer sont les « grands oubliés en matière de santé pénitentiaire en dépit d’une problématique urgente ».
Les Outre-mer ne disposent d’aucune UHSA, ce qui est justifié par le faible nombre de patients et le caractère très étendu des zones géographiques concernées. Toutefois, la direction de l’administration pénitentiaire indique que des partenariats sont développés avec les hôpitaux locaux, afin d’accueillir les patients détenus dans des chambres sécurisées, permettant également d’éviter les transferts vers l’Hexagone.
La DSPOM souligne que « l’absence d’UHSA sur la zone de la DSPOM complexifie les difficultés rencontrées par l’administration pénitentiaire. Par conséquent, la gestion repose entièrement sur les structures hospitalières de droit commun. » « La situation apparaît critique sur les établissements du centre pénitentiaire de Remire-Montjoly (Guyane) et du centre pénitentiaire Majicavo (Mayotte). Une situation liée à l’état critique des dispositifs de droit commun et aussi à la survenance de catastrophes naturelles majeures (exemple : Chido en décembre 2024 à Mayotte) La situation apparaît beaucoup plus favorable sur le département de La Réunion dont les ressources et le maillage territorial sont beaucoup plus conséquents que sur les autres territoires ultra-marins. »
La DSPOM souligne également que « l’année 2024 a permis de lever une difficulté ancienne : la question de la formation TERRA en Polynésie française. En effet, des professionnels ont pu se déplacer en métropole pour devenir formateurs relais et ainsi former les professionnels de l’archipel et cette formation continue à se développer sur ce territoire cette année. »
Enfin, elle suggère de remettre en cause le fonctionnement dérogatoire de la prise en charge sanitaire des détenus dans les collectivités du Pacifique où la loi de 1994 ne s’applique pas, et où l’administration pénitentiaire prend en charge l’ensemble des dépenses de santé au bénéfice des personnes détenues.
Préconisation n° 43 : Lancer une évaluation et une réflexion interministérielles spécifiques sur la prise en charge des personnes placées sous main de justice dans les Outre-mer.
Préconisation n° 44 : Remettre en cause le fonctionnement dérogatoire de la prise en charge sanitaire des détenus dans les collectivités du Pacifique où la loi de 1994 ne s’applique pas.
3. Des publics vulnérables ou plus éloignés du soin qui doivent faire l’objet d’une attention renforcée
a. Les femmes
Elles représentent 3,2 % de la population carcérale.
L’étude précitée sur la santé mentale de la population carcérale sortante montre que la santé mentale des femmes est encore plus dégradée que celle des hommes, en lien avec des parcours très marqués par des violences et des traumatismes, ce qui correspond aux résultats des études internationales. Les études montrent de plus qu’elles sont beaucoup plus exposées au risque de suicide en détention. Lors de notre déplacement à Lille, nous avons été frappées par l’ampleur des besoins identifiés pour les femmes, les soignants en addictologie nous indiquant ainsi avoir autant de patientes que de patients, alors que les hommes incarcérés sont bien plus nombreux
Par ailleurs, leurs conditions d’incarcération sont plus difficiles que celles des hommes. « La vie carcérale pour les femmes est plus compliquée que pour les hommes. La prison est organisée pour les hommes donc les femmes ne sont pas chez elles », résume André Ferragne, secrétaire général du CGLPL. Il relève à titre d’exemple que dans certaines prisons, lorsqu’une détenue doit traverser les quartiers des hommes (pour se rendre à l’unité sanitaire, aller travailler, faire du sport), les autres mouvements sont gelés, ce qui en pratique pousse à regrouper et donc à limiter les déplacements des détenues. Les femmes détenues ont moins de travail, sont plus éloignées de leurs familles. L’ARS Pays de la Loire relève qu’elles ne bénéficient pas des mêmes accès aux équipements sportifs que les hommes.
Pourtant, détenus hommes et femmes ne sont pas égaux dans l’accès aux soins en prison, et notamment en matière de santé mentale. Le CGLPL indique être « régulièrement informé des inégalités de prise en charge entre les hommes et les femmes en détention, notamment en matière de santé mentale. » « Du fait de leur faible proportion par rapport au reste de la population carcérale, mais aussi de leurs vulnérabilités, elles sont parfois éloignés d’une prise en charge sanitaire optimale », souligne la DISP Grand Est.
En particulier, en raison du principe de non-mixité, elles sont exclues des SMPR. Stéphanie Lafont-Rapnouil, cheffe de projet animation territoriale en santé mentale à la délégation ministérielle à la santé mentale évoque à ce sujet un « dysfonctionnement majeur ». Selon les informations communiquées à la mission, ce principe n’est pas strictement respecté dans la pratique et des accès sont ménagés pour les femmes dans certains établissements, comme au SMPR de Poitiers.
Plusieurs responsables de SMPR ont indiqué avoir tenté à plusieurs reprises de présenter des projets destinés à permettre l’accès des femmes au niveau 2 qui n’ont pas abouti, souvent faute de moyens en particulier. Marc Fédèle, chef de pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire de Rennes, a ainsi précisé porter depuis de nombreuses années un projet d’hôpital de jour mixte qui est systématiquement retoqué faute de moyens et de place. « La question du soin des femmes incarcérées passe après celle de la lutte contre la radicalisation ou le narcotrafic », a-t-il constaté.
La Fédération addiction souligne également qu’elles accèdent moins à une prise en charge de leurs addictions que le reste de la population.
L’ARS Auvergne Rhône-Alpes note que « la non-mixité et le principe de non-croisement de ces deux populations peuvent générer une priorisation donnée aux hommes au vu de leur nombre dans l’organisation des consultations. » De fait, elles bénéficient de créneaux limités.
La création des UHSA est venue, dans une certaine mesure, atténuer les effets de l’exclusion des femmes des soins de niveau 2, comme en témoigne leur surreprésentation au sein de ces structures. Pascale Giravalli indique en avoir fait un public prioritaire à l’UHSA de Marseille dans un souci de rééquilibrage face à l’absence d’alternative en SMPR.
Toutefois, le rapport (publié en 2018) des groupes de travail sur la prison, mis en place par la commission des lois de l’Assemblée nationale pendant la 15e législature, alerte sur des difficultés liées à la gestion de la mixité des publics au sein des UHSA. La plupart du temps, les patients sont mélangés en UHSA et y circulent librement. Selon le groupe de travail, les problèmes de mixité peuvent conduire à écourter le séjour des femmes.
De même, la mission des inspections générales sur les UHSA indique avoir été informée de faits, très isolés, d’agressions sexuelles qui auraient été commis à l’encontre de patientes dans des UHSA. « Du point de vue pénitentiaire, il est reproché aux équipes soignantes mais aussi aux directions des établissements de santé de rattachement, une information tardive dans la connaissance de ces faits et une absence d’utilisation par les directions des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale. »
Les difficultés particulières auxquelles sont confrontées les femmes détenues ne sont pas nouvelles. Elles sont bien identifiées par le ministère de la santé et l’administration pénitentiaire qui en ont fait un axe de la nouvelle feuille de route « santé des PPSMJ » et indiquent avoir lancé un « groupe de travail » pour identifier les bonnes pratiques.
Préconisation n° 45 : Permettre la mixité au sein des SMPR selon des modalités alignées sur les meilleures pratiques mises en place sur le terrain.
b. Les personnes détenues âgées et en perte d’autonomie
De nombreux acteurs alertent également sur les conséquences du vieillissement de la population carcérale, notamment dans les établissements pour peine, étant souligné qu’on vieillit plus vite en prison, phénomène bien documenté par la littérature scientifique. « Selon l’OMS, on est vieux à compter de cinquante ans en détention », insiste l’ANJAP. Or 12 % des personnes détenues ont plus de cinquante ans.
« La population carcérale vieillit », relève ainsi le CGLPL « et un nombre croissant de détenus sont confrontés à des problèmes de santé chronique, cognitive ou physique. Les établissements ne sont pas toujours adaptés aux personnes en perte d’autonomie, qui peuvent se retrouver isolées, sans accès suffisant aux soins palliatifs ou à un accompagnement spécifique. » Le SPIP de Meurthe et Moselle attire aussi l’attention sur la situation des personnes âgées qui cumulent pathologies somatiques et psychiatriques.
Cette évolution vient encore majorer les besoins de soins spécifiques avec comorbidités.
Par ailleurs Pascale Giravalli alerte sur « l’effet boomerang à venir des centrales » où sont incarcérées un très grand nombre de personnes extrêmement malades, souffrant de pathologies psychotiques lourdes et « dont l’état ne peut que s’aggraver au fil du temps. Après vingt ans de prison, ces personnes n’auront d’autre issue que l’hôpital psychiatrique. »
D. La prévention, parent pauvre
1. Des actions ponctuelles et résiduelles
L’éducation à la santé et la prévention sont inscrites dans les missions des USMP depuis leur création en 1994.
Dans les faits la prévention est une dimension résiduelle, réduite à quelques actions ponctuelles menées à la marge à l’initiative de certains personnels de santé ou des associations intervenant en détention.
Les outils prévus par les textes pour structurer ces actions sont rarement mobilisés. Chaque unité sanitaire doit en théorie mettre en place un comité de pilotage « prévention et promotion de la santé » ([156]). Sur les 135 USMP qui ont renseigné cette donnée en 2023, près de 60 % n’en disposent pas. Seules 62 % indiquent avoir réalisé une activité d’information et de prévention au cours de l’année et à peine 32 % ont mis en place un programme annuel d’éducation pour la santé ([157]).
Pour tenter de développer cette dimension, elle a fait l’objet d’une instruction en 2023 ([158]) dont on peut douter qu’elle soit de nature à lever des obstacles majeurs.
Les actions mises en œuvre par la direction de l’administration pénitentiaire
« La DAP favorise l’intervention des groupes d’entraide et travaille ainsi avec l’association alcooliques anonymes, la coordination des associations et mouvements d’entraide reconnue d’utilité publique, (CAMERUP) ainsi que l’association narcotiques anonymes (CPO 2023-2025, sans contrepartie financière) qui réunit des personnes détenues ou suivies en milieu ouvert pour s’entraider à rester abstinentes et propose des points d’information et une permanence téléphonique.
La DAP émarge depuis plusieurs années au fonds de concours drogues de la MILDECA : en 2024, la DAP a obtenu 1 190 000 euros pour le financement de 44 projets.
Grâce à ce fonds de concours, la DAP soutient le projet régional d’expérimentation d’une unité de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD) en milieu carcéral.
Il permet également de financer la rédaction, actuellement en cours sous l’égide de l’association Fédération Addiction, d’un guide sur le repérage des addictions.
Si les ARS proposent aux unités sanitaires des financements en fonction des projets portés, comme le souligne l’ARS Île-de-France, les projets de prévention et de promotion de la santé sont « fortement contraints par les moyens RH actuels au sein des unités sanitaires et la surpopulation carcérale. »
D’autant qu’il n’existe pas de personnels dédiés à la prévention et que les moyens dont disposent les USMP ne tiennent pas compte de cette mission pourtant inscrite dans leurs attributions, comme le souligne la DGS.
Dans ce contexte, l’ARS Pays de la Loire observe que « face à la suroccupation et au manque de temps médical et paramédical, certains responsables des USMP n’ont pas souhaité renouveler leurs demandes de financement, ce qui a amené à une diminution de l’enveloppe allouée » à des actions de prévention et de promotion de la santé.
Lorsqu’elles sont mises en œuvre, ces actions se heurtent aussi au manque d’adhésion ou d’assiduité de la population à laquelle elles s’adressent.
Comme le relève l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, elles « sont bénéfiques aux détenus lorsqu’elles sont bien suivies. Malheureusement, les ateliers ont souvent un nombre de places limité et les défections de dernière minute mettent à mal l’enthousiasme des intervenants. » Et d’ajouter : « Une attention particulière doit être portée sur la communication et sur la présence effective des inscrits. »
Le turnover des soignants, le financement non pérenne fondé sur des appels à projets, nuisent par ailleurs à l’ancrage de ces actions dans la durée.
Enfin, leur évaluation est particulièrement compliquée, a fortiori dans un environnement où tout concourt à dégrader la santé mentale. La DAP indique que « les professionnels intervenant en détention s’accordent à dire que l’amélioration des conditions de détention notamment via des actions sport-santé ou tout autre vecteur visant in fine à améliorer la santé permet d’améliorer le climat en détention et influe de manière positive sur les troubles psychiques de certaines personnes détenues notamment celles qui souffrent de stress. »
Sur ce sujet, le CGLPL observe que « pour l’heure l’accès minimal aux soins n’est pas assuré dans beaucoup d’établissements pénitentiaires. » Le rétablissement de cet accès est une priorité qui relègue nécessairement la prévention au second plan.
2. Une politique de réduction des risques et des dommages encore très largement empêchée
En 2016 le législateur ([159]) a prévu la mise en œuvre de la réduction des risques et des dommages « dans des conditions adaptées aux spécificités du milieu pénitentiaire ». Cette politique vise à limiter les risques liés à la consommation de substances psychoactives, sans exiger l’abstinence comme préalable. Elle repose sur une approche pragmatique centrée sur la prévention des infections, la diminution des overdoses, l’information des usagers mais aussi l’accès aux soins.
Comme le soulignent la MILDECA et l’OFDT, « les différentes études réalisées au plan international montrent l’efficacité de ces mesures pour prévenir les risques infectieux et les surdoses mais aussi pour améliorer la prise en charge sanitaire des personnes détenues. »
Pourtant, plus de dix après son inscription dans la loi, la mise en œuvre de cette politique est très largement bloquée sur le terrain. La MILDECA et l’OFDT précisent que « son déploiement au niveau national a été suspendu à l’adoption d’un cadre réglementaire ». Le Conseil d’État a pourtant précisé en avril 2024 qu’il ne nécessitait pas l’adoption d’un cadre réglementaire. Sur ce sujet, inscrit dans les feuilles de route successives, force est en réalité de constater qu’il n’existe ni cadrage national, ni véritable impulsion. La politique actuelle se résume à laisser les initiatives locales émerger ou non.
Missionné par la direction générale de la santé (DGS) en 2023 pour documenter la mise en place de mesures en milieu carcéral, l’OFDT confirme le développement très limité de cette politique.
Des outils peu développés
Sur la base des informations fragiles fournies par des enquêtes menées par la DGS et la DGOS, l’OFDT confirme que « certains outils restent peu développés dans les établissements pénitentiaires français » : des kits de naloxone sont proposés dans 55 établissements, essentiellement pour la sortie, et pour 15 d’entre eux y compris pendant la détention ; des kits d’injection (ou seringues) sont remis dans 10 établissements, des kits d’inhalation dans 9 établissements. Certains établissements proposent des outils diversifiés (« roule ta paille », pipes à crack, naloxone notamment) ainsi qu’un programme d’échange de seringues PES tandis que dans d’autres établissements les matériels mis à disposition est beaucoup plus limité (préservatifs, sérum physiologique essentiellement, plus rarement « roule ta paille »).
Dans tous les établissements représentés, le matériel disponible et l’offre de prise en charge en addictologie sont présentés dès le parcours arrivant.
En mai 2023, un groupe de travail réunissant des personnels soignants travaillant en USMP ou en CSAPA ayant mis en place des actions dans ce domaine a identifié quatre freins principaux : des dotations insuffisantes en personnel de formation addictologique ; des résistances au sein des équipes sanitaires ; des résistances au sein de l’administration pénitentiaire ; des difficultés d’accès aux personnes détenues consommatrices de substances psychoactives.
Les participants se sont accordés sur plusieurs conditions essentielles pour favoriser un déploiement :
– des dotations suffisantes pour les CSAPA et des formations d’addictologie à destination du personnel soignant. Barbara Sclafer insiste sur ce point : « les équipes de soins (unités sanitaires et SMPR) ne sont pas toujours à l’aise avec la réduction des risques et des dommages. Les former serait un levier majeur pour déployer une stratégie de réduction des risques en détention ». Cette démarche doit être considérée comme un projet d’équipe, porté par le chef de service, et non comme l’initiative de quelques professionnels isolés ;
– un dialogue nourri avec l’administration pénitentiaire. Il est indispensable de communiquer systématiquement sur le matériel mis à disposition et de former le personnel pénitentiaire aux enjeux de cette politique et au maniement de certains matériels. La Fédération Addiction observe que ces matériels offrent aussi des conditions plus sûres d’intervention aux surveillants, notamment dans le cadre des fouilles, en vidant la prison des seringues artisanales usagées et partagées ;
– l’accessibilité des outils de réduction des risques et des dommages. Pour simplifier le recours aux programmes d’échange de seringues, il s’agit notamment de proposer des stéribox complets ou des tubes sécurisés pour transporter les seringues stériles données à l’unité ;
– le développement de l’information sur la réduction des risques en détention mais aussi d’une démarche d’« aller-vers » pour toucher des détenus éloignés des dispositifs de prise en charge de l’addictologie ;
– l’intégration des enjeux de réduction des risques et des dommages dans le cadre de la préparation à la sortie.
Préconisation n° 46 : Accompagner le développement d’une politique de réduction des risques et des dommages en détention. Garantir une approche partagée par un dialogue régulier et transparent avec l’administration pénitentiaire et former le personnel pénitentiaire aux enjeux de la réduction des risques et au maniement des matériels.
Préconisation n° 47 : Renforcer l’accessibilité des outils de réduction des risques et des dommages, en veillant à leur disponibilité, leur discrétion d’accès et leur adaptation aux spécificités de la détention.
Préconisation n° 48 : Développer des actions d’information et de sensibilisation à la réduction des risques et des dommages en détention et mettre en œuvre une démarche proactive (« d’aller vers ») pour toucher les personnes les plus éloignées des dispositifs de soin, en lien notamment avec les CSAPA référents ou carcéraux.
Préconisation n° 49 : Inclure la réduction des risques et des dommages dans les actions de préparation à la sortie.
Une politique de réduction des risques et des dommages en détention : l’exemple de la maison d’arrêt d’Angers ([160])
La maison d’arrêt d’Angers constitue un exemple rare de mise en œuvre progressive d’une politique de réduction des risques et des dommages (RDRD) en détention. Le dispositif a été initié dès 2011, à la suite d’une enquête interne révélant des pratiques de consommation et des pratiques sexuelles à risque parmi les personnes détenues.
Il a fait l’objet de plusieurs protocoles dans une logique de construction progressive.
Le dispositif a d’abord porté sur la mise à disposition de matériel de sniff ou d’inhalation. En 2016, dans la première version du protocole, le choix a été fait de ne pas proposer de seringues ou de pipes à crack en verre, sujet jugé trop clivant à l’époque.
En 2020, un protocole d’échange de seringues a été mis en place, conditionné au retour d’une seringue artisanale. En 2024, le protocole a été renforcé, exigeant désormais une évaluation globale croisée entre le dispositif de soins somatiques, le dispositif de soins psychiatriques et l’équipe du CSAPA, pour sécuriser les situations et adapter les réponses. En cas de doute sur une situation, la délivrance de matériel n’est pas accordée, après discussion entre les membres de l’équipe.
La réduction des risques ne se limite pas à la distribution de matériel : elle commence bien en amont, par un accompagnement individuel et une responsabilisation des usagers.
Le CSAPA, avec une équipe de 1,1 ETP, accompagne entre 306 et 380 personnes par an. En 2024, 28 personnes sur 380 se sont vu remettre du matériel de consommation à moindre risque (roule-ta-paille, pailles à usage unique, matériel d’inhalation, pipe à crack), et 4 participent au programme d’échange de seringues.
Le taux de partage de matériel nasal ou d’inhalation est passé de 41,2 % en 2011 à 23,8 % en 2022, et le partage de matériel d’inhalation de 60 % à 32 % sur la même période.
La mise en œuvre de cette politique a d’abord reposé sur une étroite collaboration entre le médecin de l’USMP et les intervenants socio-éducatifs du CSAPA,
La transparence avec l’administration pénitentiaire est très avancée , ce qui constitue un facteur clé de réussite. Les professionnels communiquent régulièrement sur le nombre de bénéficiaires (mais pas leurs identités), les matériels remis, ainsi que sur les matériels artisanaux récupérés. Les effets perçus sont multiples : stabilisation ou diminution de la consommation chez certains usagers, sécurisation des codétenus et des surveillants qui n’ont plus à craindre la présence de matériel dissimulé, en particulier lors de fouilles.
Le travail avec les personnels pénitentiaires a longtemps été difficile. Jusqu’en 2020, les formations proposées sur le sujet ne suscitaient aucune participation. C’est la décision de les rendre obligatoires, portée par la direction, qui a permis une évolution significative. Les échanges, appuyés sur des données concrètes, ont contribué à déconstruire les craintes d’« incitation à la consommation ».
3. La prévention du suicide : les limites d’une politique sans prise sur les causes
Comme le reconnaît la DAP, en dépit des actions mises en œuvre, le nombre de suicides en détention demeure très important. Alors que les outils de prévention du suicide se sont étoffés ces dernières années, leur efficacité est minée par la dégradation des conditions de détention et de prise en charge.
a. Le déploiement d’une large palette d’outils
La prévention du suicide en prison s’appuie sur une grande diversité de mesures couvrant un champ large qui va de la prévention à la postvention.
En matière de prévention, on peut citer notamment l’accueil des arrivants, la formation (présentée comme l’un des grands axes du plan déployé en 2022) ([161]), l’utilisation de grilles d’analyse du risque suicidaire, la commission pluridisciplinaire unique (CPU) dédiée à la prévention du suicide (lieu d’échange entre les professionnels du soin et de l’administration pénitentiaire), ou encore le déploiement du dispositif des codétenus de soutien ([162]).
Pour prévenir un risque imminent de passage à l’acte, des plans de protection individualisés sont prévus de même que des surveillances spécifiques. Certains établissements disposent de cellules de protection d’urgence (CProU) ([163]) et de dotations de protection d’urgence ([164]). L’objectif est de les généraliser dans tous les établissements pénitentiaires.
Pour répondre au constat d’une tentative de suicide par pendaison, les personnels de surveillance sont désormais équipés de coupe-liens.
Enfin, après un suicide, des procédures de gestion de crise, d’accompagnement des personnels et de retours sur expérience (RETEX) ont été mises en place.
Plusieurs expérimentations sont par ailleurs en cours.
Plusieurs expérimentations dans le champ de la prévention du suicide
Pour prévenir la récidive suicidiaire, le programme VigilanS, dispositif de recontact par téléphone ou carte postale de personnes ayant fait une tentative de suicide, déjà déployé en population générale, est expérimenté et adapté dans plusieurs centres pénitentiaires ([165]).
L’accès au numéro national de prévention du suicide 3114 pour les personnes détenues fait l’objet d’une expérimentation dans cinq établissements ([166]). Ce dispositif est ouvert en population générale depuis octobre 2021.
Seize établissements expérimentent en 2025 un dispositif([167]) consistant à sensibiliser l’entourage à l’éventuel risque suicidaire d’un proche incarcéré et lui fournir des ressources et des outils pour agir face à ce risque.
b. Un taux de suicide qui reste anormalement élevé
Malgré ces actions, 141 suicides ont été déplorés en détention en 2024 (soit un suicide tous les deux jours et demi), un chiffre en augmentation d’environ 37 % depuis 2017 dans un contexte d’augmentation de la population carcérale.
Période 2017-2024
|
Suicides en détention |
|
2017 |
14,9 |
|
2018 |
16,9 |
|
2019 |
16 |
|
2020 |
18 |
|
2021 |
121 |
18,1 |
2022 |
130 |
18,2 |
2023 |
148 |
20,0 |
2024 |
141 |
18,0 |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Le taux de mortalité par suicide a augmenté depuis 2017 même s’il se stabilise globalement autour de 18 pour 10 000 depuis 2020.
Comme le souligne l’étude de Santé publique France évoquée précédemment, le taux de suicide en prison est 10 fois plus élevé pour les hommes et 40 fois plus élevé pour les femmes en prison que le taux de suicide de la population générale, qui est lui-même un des plus élevés d’Europe ([168]) .
Quant aux statistiques du Conseil de l’Europe qui évaluent le taux de mortalité par suicide en détention à 19,1 pour 10 000 en 2022, elles montrent que la France affiche le troisième taux le plus élevé parmi les 47 pays étudiés et un taux très supérieure à une moyenne qui s’établit à 7 pour 10 000.
L’étude de Santé publique France montre en outre que la plupart des suicides en détention surviennent dans des contextes où les risques sont pourtant connus et/ou identifiés en amont– qu’il s’agisse de personnes dont les troubles psychiatriques ont été identifiés (dans 64 % des cas de suicides), de personnes ayant des antécédents de tentatives de suicide ou de personnes placées en quartier disciplinaire dont les effets suicidogènes sont largement établis (le risque suicidaire y est multiplié par 20).
Des suicides dans des contextes à risque pourtant identifiés
Sur la période 2017-2021, 627 personnes écrouées sont décédées par suicide (dont 598 personnes détenues et 95,5 % d’hommes) :
– un trouble psychiatrique a été rapporté pendant la détention pour 64 % des cas de suicide. Parmi ceux-ci, près d’un tiers n’avaient pas d’antécédent psychiatrique connu avant l’incarcération ;
– le suicide avait été précédé d’une ou de plusieurs tentatives de suicide pour 46 % des cas, avant ou pendant l’incarcération ;
– la semaine précédant le suicide, un évènement marquant, le plus souvent de nature pénale, carcérale ou familiale, avait été retrouvé pour 61 % des cas et 60 % avaient consulté à l’unité sanitaire ;
– au moment du suicide, un risque suicidaire avait été repéré par l’administration pénitentiaire pour 44 % des cas ;
– le taux de suicide est 6 fois plus élevé la première semaine de détention, qui correspond au « choc carcéral », deux fois plus élevé en détention provisoire, et 14 % des suicides sont survenus au quartier disciplinaire alors qu’en moyenne un peu moins de 1 % des personnes détenues sont au quartier disciplinaire.
Le problème ne tient donc pas tant à une absence de signaux qu’à une incapacité structurelle à en tirer les conséquences.
c. Des mesures aux effets limités face aux impasses structurelles
Plusieurs axes d’amélioration ont été signalés à la mission.
Les représentants de l’administration pénitentiaire soulignent la nécessité d’un meilleur échange d’informations entre les USMP et l’administration pénitentiaire, dans l’intérêt du patient. Ce point fait l’objet d’un développement plus approfondi dans la cinquième partie du présent rapport.
À cet égard, le CGLPL a mis en évidence un lien entre une vague de suicides intervenue à Fleury-Mérogis en 2018 et des difficultés de communications importantes entre l’administration pénitentiaire et l’unité sanitaire. « Il y avait donc bien une faiblesse de la prévention qui pouvait être analysée comme résultant des difficultés de communication. Il y avait notamment des alertes mal notées, » a souligné André Ferragne, secrétaire général du CGLPL.
La défenseure des droits déplore que le programme VigilanS en cours de déploiement en population générale ne soit « toujours pas en vigueur en milieu pénitentiaire, alors que toutes les conditions sont réunies. » Une évaluation de ce dispositif ([169]) indique en effet une baisse significative du taux de suicide (-37,31 / 10 000 immédiatement après la mise en place du dispositif et démontre la faisabilité de sa mise en place en prison quel que soit le type d’établissement.
La Défenseure des droits regrette également que le 3114, ligne d’écoute « souffrance prévention du suicide », ne soit pas inscrit sur la liste des numéros de téléphonie sociale, accessibles gratuitement et sans condition pour toutes les personnes détenues. Elle s’inquiète également de l’inexistence d’un dispositif d’urgence sous la forme d’une écoute téléphonique par des professionnels (psychiatres/psychologues), visant à prendre en charge les personnes détenues en souffrance psychologique et annonçant vouloir mettre fin à leurs jours.
La DISP Grand Centre observe pour sa part que le plan de protection individualisé, mis en œuvre sur la base d’échanges pluridisciplinaires pour une personne présentant un risque suicidaire majeur, présente des marges d’amélioration. Il relève que la rédaction de ce plan est souvent incomplète et n’explore pas suffisamment la palette des actions à mettre en œuvre en faveur de la personne en souffrance.
Les acteurs observent de manière générale que la formation des personnels à la prévention du suicide ([170]) se heurte à la tension très forte sur les effectifs qui fait obstacle à la disponibilité des agents pour suivre les formations continues.
Quant à la direction des services pénitentiaires d’Outre-Mer, elle indique travailler avec les établissements au bon usage des CproU « ayant noté des pratiques qui n’étaient pas en adéquation avec les notes nationales sur ce sujet. »
Le CGLPL note le caractère incomplet et la qualité fluctuante des comptes rendus de retour sur expérience. Seuls 92 comptes rendus ont pu lui être communiqués en 2023 pour 148 suicides.
Au regard du caractère anxiogène du quartier disciplinaire, la DISP Grand-Est indique avoir impulsé une politique visant à privilégier les réponses infra-disciplinaires afin que le quartier disciplinaire reste un lieu d’exception réservé aux infractions les plus graves.
Cette initiative, qui vise à limiter le recours à une mesure connue pour ses effets délétères, mérite d’être suivie de près et précisément évaluée.
Par ailleurs, il apparaît souhaitable d’exclure le placement au quartier disciplinaire pour les personnes ayant des antécédents de tentatives de suicide.
Cependant, l’efficacité de l’ensemble de ces leviers est limitée par deux impasses majeures.
La prévention du suicide se heurte à la dégradation des capacités de prise en charge psychiatriques. Moins de professionnels, c’est moins de temps, une capacité altérée à procéder à des évaluations et à un suivi de qualité lorsqu’un risque est identifié. Par ailleurs, il arrive, selon certains témoignages, que des personnes en crise suicidaire aiguë ne puissent être hospitalisées faute de lit disponible.
Plus encore, cette politique se heurte à des conditions de détention, de plus en plus pathogènes et suicidogènes. « On ne cesse de le répéter, ce qui rend suicidaire c’est la prison, ce sont les conditions d’incarcération, l’isolement, le quartier disciplinaire », a insisté Valérie Kanoui. La psychiatrie y est impuissante.
Préconisation n° 50 : Généraliser le déploiement du 3114 et du dispositif de recontact VigilanS dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.
Préconisation n° 51 : Élaborer un guide du plan de protection individualisé en documentant et en recensant en particulier les meilleures pratiques.
Préconisation n° 52 : Documenter l’initiative de la DISP Grand Est visant à privilégier les réponses infra-disciplinaires.
Préconisation n° 53 : Exclure le placement au quartier disciplinaire des personnes ayant des antécédents de tentative de suicide.
Préconisation n° 54 : Systématiser le recours aux retours sur expérience (RETEX).
troisième partie :
Entre carences et ruptures de soins :
en milieu ouvert, un parcours qui (RE)-condamne ?
Le « milieu ouvert »
Il s’agit d’une population beaucoup plus nombreuse que la population des personnes détenues : 180 972 personnes au 1er janvier 2024 dont seulement 7,3% de femmes ([171]).
Les personnes suivies en milieu ouvert sont :
– des personnes placées sous contrôle judiciaire (mesure restrictive de liberté assortie d’obligations et d’interdictions, concernant notamment les déplacements) ;
– des personnes condamnées à une peine autre que l’incarcération (suivi socio-judiciaire, sursis probatoire, travail d’intérêt général...) ;
– des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement ayant bénéficié d’un aménagement de peine ou d’une libération sous contrainte.
Ces personnes sont suivies par le juge de l’application des peines (JAP), assisté par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).
Certaines font l’objet de soins dits « pénalement ordonnés » : injonctions et obligations de soins.
Comme évoqué précédemment, il n’existe pas de données sur les besoins de soins en santé mentale de cette population en tant que telle, en dehors des besoins identifiés indirectement à travers les soins ordonnés par la justice, qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins réels.
Il n’existe pas davantage de données sur l’accès aux soins de cette population, y compris lorsqu’elle est soumise à des soins ordonnés par la justice – ce qui peut surprendre, s’agissant d’un dispositif inscrit dans un cadre judiciaire.
Alors que la continuité des soins psychiatriques et addictologiques est un enjeu central dans la prévention de la récidive, il n’existe en particulier aucune donnée ou étude sur la continuité des soins en sortie de détention.
L’évaluation de l’accès aux soins des personnes placées sous main de justice souffrant de troubles psychiatriques en milieu ouvert ne repose donc que sur les témoignages et observations des acteurs de terrain.
S’agissant de l’offre de soins, en milieu ouvert, les PPSMJ relèvent du droit commun sans être prioritaires. Comme le résume Frank Bellivier, « c’est simple : tous les dispositifs de la psychiatrie de droit commun (consultation, hospitalisation de jour, hospitalisations complètes, équipes mobiles) sont en théorie à leur disposition. »
Leur prise en charge en milieu ouvert est donc conditionnée par l’offre territoriale existant, dont l’état de délabrement a été largement évoqué. Son amélioration passe ainsi avant tout par un renforcement massif de l’offre de soins dans son ensemble, mais aussi par des mesures concrètes pour garantir l’accès effectif des publics les plus vulnérables, parmi lesquels se trouvent, de manière non systématiquement repérable, une part importante de personnes sous main de justice souffrant de troubles psychiques.
De manière plus spécifique, la politique publique de prise en charge des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert recouvre deux enjeux principaux :
– d’une part, l’accompagnement de la sortie de prison, moment critique pour prévenir la rechute et la récidive ;
– d’autre part, l’effectivité et le bon ciblage des soins ordonnés par la justice. La DAP précise que l’évaluation du respect de l’obligation/injonction de soins est son « principal sujet de préoccupation en milieu ouvert ».
Or, le milieu ouvert est longtemps resté en marge des différentes feuilles de route successives, centrées sur la détention. La sortie de prison, en particulier, n’a pas fait l’objet de l’attention qu’elle mérite, alors qu’elle constitue un moment de bascule déterminant.
Les investissements massifs consentis depuis trente ans pour améliorer le soin en détention voient leur portée réduite – et parfois annulée – en l’absence de relais en milieu libre.
Quant aux soins ordonnés par la justice, dont le nombre a explosé, ils apparaissent de plus en plus comme une coquille vide dès lors que les capacités concrètes de leur mise en œuvre font de plus en plus défaut. Plus encore, une mesure censée faciliter une entrée dans le soin devient, dans un nombre croissant de situations, un facteur d’exclusion.
I. la sortie de prison, un moment charnière à haut risque qu’on ne peut plus ignorer
La sortie de prison est pour les personnes souffrant de troubles psychiques un moment de bascule à haut risque marqué non seulement par une vulnérabilité accrue mais aussi des obstacles majorés à l’accès aux soins.
A. Un moment de vulnérabilité accrue
La prison, malgré ses défauts, permet au moins dans la plupart des cas un repérage et une amorce de soins. La première partie du présent rapport l’a montré : les carences du soin à l’extérieur constituent un facteur majeur d’entrée dans un parcours pénal. Or, la sortie de prison renvoie les personnes souffrant de troubles psychiques dans le droit commun mais dans une situation encore plus dégradée.
L’incarcération a pu aggraver les troubles ou en créer de nouveaux – l’étude santé mentale en population carcérale sortante met en lumière la proportion massive de personnes souffrant de troubles psychiatriques et/ou d’addictions sévères et qui « se retrouvent en très grave difficulté si elles sont dans l’incapacité de prendre leur retraitement », selon les termes de Frank Bellivier.
De plus, la prison a pu fragiliser encore davantage leur situation familiale et sociale. Rencontrés quelques jours avant leur sortie, seuls 27,8 % des participants indiquent qu’ils vivront dans un logement personnel à la sortie, quand 44,9 % déclarent qu’ils habiteront chez un tiers (famille, proches) et 6,1 % en institution. Enfin, 20,6 % ignorent où loger. Plus des deux tiers (68,9 %) anticipent un statut de chômeur ou ne savent pas quel sera leur avenir professionnel.
En outre, au plan psychique, ce moment de transition crée ce que l’on appelle un « choc de la libération » qui désigne l’état de détresse ou de sidération que peut susciter le retour brutal à la vie libre.
Le choc décarcéral
Plusieurs mécanismes sont en jeu, en particulier :
– une rupture des repères : en prison, le temps est structuré, les repères sont fixes et les choix limités. À l’extérieur, tout redevient ouvert et donc potentiellement angoissant ;
– une hyperstimulation : le bruit, la foule, la vitesse du quotidien, tout peut être vécu comme excessif ou agressif ;
– une surresponsabilisation immédiate : il faut se reprendre en main alors que la prison a une dimension très infantilisante et déresponsabilisante ;
– la peur de l’échec et de la rechute ;
– la stigmatisation et la solitude qui peuvent prendre le relais de l’enfermement.
En France, la mortalité dans les cinq années suivant la libération est multipliée par 3,6 par rapport à la population générale ([172]).
Les principales causes en sont l’overdose, les maladies cardiovasculaires, l’homicide et le suicide. Les overdoses s’expliquent en particulier par la reprise de niveaux de consommation antérieurs à l’incarcération alors que la tolérance de la personne a pu baisser pendant la détention, en raison de l’accès plus difficile à des drogues « dures » ou du démarrage d’un parcours de sevrage.
Il est établi que les personnes suivies par la justice en milieu ouvert présentent un risque de suicide au moins équivalent à celui des personnes détenues et même plus élevé dans les deux ans suivant la sortie de prison. ([173])
Ce moment critique reste pourtant trop ignoré par les politiques publiques. Tous les témoignages confirment que les lacunes de la préparation et de l’accompagnement exposent à la rechute, à la désinsertion et à la récidive.
B. Une préparation insuffisante, des obstacles majeurs au relais de soin
La préparation de la sortie repose sur les SPIP et, au plan sanitaire, essentiellement sur les USMP. Lorsque l’unité sanitaire a connaissance de la date de sortie du détenu, une consultation de sortie doit lui être proposée pour prescrire les traitements nécessaires dans les premiers temps de la sortie mais aussi pour orienter et faire le lien avec les professionnels de ville ou hospitaliers.
Cette préparation, jugée « trop tardive et inégale selon les établissements » par le CGLPL, rencontre de très nombreux obstacles.
1. Brièveté des séjours, imprévisibilité de la sortie
La capacité à préparer la sortie est mise à mal en cas de séjour très court, ce qui est très fréquent en maison d’arrêt. 47 % des séjours y sont inférieurs à cinq mois, selon l’ARS Pays de la Loire.
S’y ajoutent les nombreuses sorties dites « sèches », qui privent de toute possibilité d’anticipation.
Sont notamment évoquées des décisions d’aménagement de peine prises en dernière minute suivies de libérations rapides ou encore le cas, fréquent en maison d’arrêt, des personnes prévenues finalement condamnées à une peine inférieure à leur détention provisoire et donc libérées immédiatement. De manière générale de nombreux acteurs pointent le volume important de sorties non anticipées engendré par la libération sous contrainte de plein droit.
De manière générale, il arrive fréquemment que les équipes des USMP ne soient pas informées des dates de sortie.
2. La consultation de sortie : une mise en œuvre très inégale
En 2023, sur 141 structures ayant répondu, seules 5 indiquent ne pas participer à la préparation à la sortie mais les modalités de cette participation sont hétérogènes selon les unités. En particulier, la mise en œuvre de la consultation de pré-sortie est très inégale.
Dans les maisons d’arrêt, la surpopulation carcérale et le flux annuel d’entrants et de sortants (dix fois plus important que dans les centres de détention), ne permettent tout simplement pas d’assurer une consultation systématique.
À Fleury-Mérogis, Valérie Kanoui résume ainsi la difficulté : « Nous avons 8 000 personnes détenues qui entrent chaque année, un peu moins en sortent. Donc on a en gros 14 000 mouvements de personnes par an. Comment imaginer qu’on va pouvoir voir tous les entrants et tous les sortants, sachant qu’il faut aussi soigner les autres ? Nous nous étions d’ailleurs élevés contre cette principe de visite systématique. Il faut laisser les professionnels de santé faire leur travail. Quand un médecin sait qu’une personne malade va sortir, il saura organiser la continuité du soin autant que faire se peut. Mais une visite de pré-sortie systématique n’est pas envisageable. Notre activité se réduirait à ces examens systématiques d’entrée et de sortie et on ne soignerait plus les gens. »
Préconisation n° 55 : Intégrer les enjeux de la sortie dès la consultation d’entrée en maison d’arrêt.
Préconisation n° 56 : Favoriser les permissions de sortie pour la préparation de la sortie définitive et assurer les conditions d’une continuité des soins.
Préconisation n° 57 : Faciliter l’établissement d’un premier contact du détenu sortant avec les structures de soins à l’extérieur en utilisant le téléphone ou la visioconférence.
3. Les CSAPA référents, un dispositif pertinent mais en deçà des besoins et insuffisamment intégré à l’offre de soins
Des CSAPA référents ont été introduits à compter 2012 pour préparer la sortie et assurer la continuité des soins addictologiques. Ils interviennent en détention, en principe à raison d’au minimum un mi-temps d’éducateur spécialisé, selon la Fédération Addiction.
Leur action est largement saluée par les acteurs de terrain, qui y voient un levier précieux pour articuler le dedans et le dehors et dont la psychiatrie pourrait d’ailleurs s’inspirer.
Mais plusieurs limites majeures sont relevées.
Tout d’abord, sur 107 USMP ayant renseigné correctement cette donnée en 2023, 20 déclarent qu’il n’existe pas de CSAPA référent.
De plus, là où ils existent, les moyens humains sont insuffisants pour couvrir l’ensemble des besoins. 62 % jugent leurs moyens insuffisants, selon une enquête conduite par la Fédération Addiction. Certains établissements sont saturés de demandes, notamment dans les maisons d’arrêt, selon Barbara Sclafer, chargée de mission santé justice à la Fédération Addiction.
Nathalie Coursan, éducatrice spécialisée au CSAPA référent de la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan, confirme que ce dernier ne voit ainsi que la moitié des personnes qui lui sont orientées : « On a beaucoup d’attente, et ils sont souvent libérés avant qu’on ait eu le temps de répondre à leur demande ».
Selon l’étude sur les sortants de prison, dans les jours précédant la sortie, 22 % des répondants et 33,6 % des répondantes déclaraient avoir un rendez-vous programmé avec un professionnel de la santé mentale et seuls 14 % des répondants et 27,5 % des répondantes avec un professionnel de l’addictologie. L’ARS Pays de la Loire note en particulier un besoin de mieux accompagner la sortie par la délivrance d’un kit de Naloxone pour prévenir les risques d’overdose.
La Fédération Addiction souligne également une absence de reconnaissance et d’intégration par les acteurs du soin. Dans de nombreux établissements, les CSAPA référents resteraient en marge des dispositifs, peu reconnus par les équipes soignantes et pas toujours inclus dans les instances telles que les commissions en lien avec la santé. Leur accès aux locaux et au matériel, notamment informatique, est jugé trop limité. Barbara Schlafer note que seule la moitié des intervenants a accès à un téléphone de temps en temps : « Il est pourtant essentiel d’avoir un téléphone pour appeler les structures extérieures et faire la préparation à la sortie avec le détenu. De même sans accès à Internet, on ne peut pas faire toutes les démarches en ligne nécessaires. » Et de conclure : « Le manque de locaux est constant en détention. Les unités sanitaires en souffrent aussi. Mais dans cette situation, le parent le plus pauvre sera souvent le CSAPA référent. »
À l’inverse, Barbara Sclafer souligne que lorsque la collaboration entre l’unité sanitaire et les équipes soignantes fonctionne de manière intégrée, des initiatives très intéressantes peuvent émerger et bénéficier de financements spécifiques supplémentaires des ARS. Elle cite à cet égard l’exemple du CSAPA de Nanterre, souvent présenté comme bien doté en raison de projets innovants mis en œuvre sur le terrain.
Préconisation n° 58 : Développer les CSAPA référents et garantir leur intégration à l’ensemble des instances intra-carcérales en lien avec le parcours de soin. Garantir une information sur les CSAPA référents dès le quartier arrivant.
4. Un défaut de coordination criant
La continuité du soin se heurte aussi au défaut de coordination entre les services impliqués dans l’accompagnement à la sortie. Le CGLPL déplore une « transition entre la prison et le milieu libre insuffisamment préparée en raison d’un manque de coordination entre l’administration pénitentiaire, les services sociaux, les professionnels de santé et les associations spécialisées. » On pourrait ajouter à cette énumération les acteurs judiciaires.
Le rôle des SPIP, selon l’administration pénitentiaire
« La continuité des soins dedans/dehors repose très largement sur les soignants. Mais il est exact que, pour les sortants de détention quand ils sont sous le coup d’une peine en milieu ouvert après leur sortie, le SPIP est le mieux placé pour connaître leur futur lieu de sortie et donc contribuer à orienter les soignants en milieu fermé (MF) vers les interlocuteurs les plus opportuns géographiquement en milieu ouvert (MO).
En effet, contrairement aux soignants qui vont se fonder sur les souhaits exprimés de la personne détenue, le SPIP est contraint de connaître le lieu de suivi réel par le SPIP de MO puisqu’il doit lui communiquer la convocation selon l’article 741-1 CPP, en fonction de l’adresse donnée par la PPSMJ au jour-même de sa sortie si celle-ci venait à changer au dernier moment.
Par ailleurs, le SPIP est mieux habilité pour savoir si cette adresse de sortie déclarée correspond à une résidence effective, une domiciliation postale en cours ou expirée, une adresse sous le coup d’une interdiction de résidence donc ineffective, etc… De la même façon, si la PPSMJ est en errance, le SPIP peut savoir où se situe son lieu de vie habituel ou ses anciens suivis sociaux et travailler à établir si possible une domiciliation postale sur ce territoire. Ou encore, par défaut, quel est le tribunal de condamnation de la PPSMJ (qui sera son lieu de suivi en MO en l’absence d’adresse).
Enfin, le SPIP saura mieux que les soignants la date de sortie réelle de la PPSMJ afin de mieux s’y préparer (à moins qu’une libération anticipée ne prenne également le SPIP par surprise). »
Ce défaut de coordination apparaît hétérogène selon les personnes mais il touche tous les niveaux, y compris les professionnels de santé eux-mêmes, entre soins en détention et soins en milieu libre.
La transmission des informations vers les structures extérieures, en particulier, est jugée parfois défaillante. « Le manque de coordination avec le système de santé extérieur pose un problème majeur dans la continuité des soins à la sortie de détention. De nombreux patients quittent la prison sans ordonnance de sortie, sans rendez-vous médical programmé et parfois même sans accès immédiat à leurs traitements, ce qui entraîne un risque accru de rupture thérapeutique », relève le CGLPL.
Plusieurs directions interrégionales des services pénitentiaires ont insisté sur la nécessité de renforcer le travail en pluridisciplinarité pour préparer les sorties et pointe sur ce sujet comme sur d’autres la participation insuffisante des unités sanitaires aux commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) « sortants », pourtant conçues comme un espace de concertation.
Ce retrait est régulièrement critiqué par les SPIP, qui déplorent de ne pas disposer des informations nécessaires pour organiser la prise en charge post-carcérale et le parcours d’insertion. Les soignants, eux, invoquent les contraintes liées au secret médical, qui empêchent selon eux de partager certaines données.
La DISP de Dijon note également que les CPU et consultations de sortie sont trop peu réalisées par manque de praticiens dans les USMP, mais aussi en raison du « refus fréquent de la part des personnes détenues de s’y soumettre ».
De manière plus générale, les échanges entre acteurs restent insuffisants et se heurtent à de nombreux freins : divergences d’interprétation sur le secret professionnel, absence de temps dédié à la coordination, manque d’outils de communication sécurisés, méconnaissance mutuelle des pratiques, cloisonnement institutionnel, et instabilité due au turnover des personnels.
Dans ce contexte, il est particulièrement éloquent que l’ARS Grand Est présente comme expérimentale une initiative consistant à organiser, à la maison d’arrêt de Nancy, une réunion pluridisciplinaire de préparation à la sortie, associant la juge d’application des peines, le SPIP, la direction de l’établissement, l’ARS ainsi que les professionnels de santé de l’unité sanitaire, notamment en psychiatrie et en addictologie. « Ces réunions permettent d’anticiper la sortie sur l’ensemble des critères sociaux, sanitaires et pénaux, des personnes libérables ou en aménagement de peines, notamment celles qui sont soumises à un suivi socio-judiciaire et/ou à des soins pénalement ordonnés. »
Le simple fait que ce type de coordination relève encore de l’expérimentation en dit long sur l’ampleur du cloisonnement actuel. Cette pratique, qui permet de mettre en place une véritable préparation pluridimensionnelle, mérite d’être saluée – et, si son efficacité se confirme, généralisée.
Préconisation n° 59 : Généraliser, dans tous les établissements pénitentiaires, la tenue effective de réunions pluridisciplinaires de préparation à la sortie, associant les professionnels de santé de l’unité sanitaire (psychiatrie, addictologie), les services pénitentiaires (direction, SPIP), les autorités judiciaires (juge d’application des peines) et les représentants des ARS.
C. Entre précarité et démarches administratives : un parcours semé d’embûches
À la sortie de détention, il faut pour accéder aux soins surmonter une série d’obstacles sociaux, matériels et administratifs : absence de logement stable, rupture de couverture maladie, pièces d’identité manquantes etc. La mise en place d’équipes mobiles transitionnelles accompagnant la sortie de détenus souffrant de troubles psychiatriques (EMOT) (voir infra) a eu sur ce sujet un effet révélateur.
1. L’absence de logement stable, comme facteur de rupture du soin
De nombreuses personnes cumulent des troubles psychiques et une situation de grande précarité.
Or, l’absence de domicile fixe est un obstacle majeur à la continuité des soins. Selon l’ARS Pays de la Loire, près de 45 % des personnes sortant de détention se retrouvent dans des hébergements précaires, voire à la rue. À Angers, cette proportion de personnes sans domicile fixe à la sortie de prison est passée de 9 % à 16 %. À Lille, une personne sur deux suivie par l’EMOT sort sans solution d’hébergement.
Or, selon Thomas Fovet : « On peut mettre 150 psychiatres à leur disposition mais s’ils n’ont pas d’hébergement, de quoi manger, on ‘pisse dans un violon’. » L’ARS Grand Est confirme : « pour des patients sans hébergement, sans soutien familial, la notion de priorité du soin est perdue » : tant que les besoins fondamentaux ne sont pas couverts, l’accès au soin devient secondaire.
Face à ce constat, plusieurs partenariats avec des structures d’hébergement ont été mis en place et doivent être soutenus et renforcés. Le dispositif Un chez-soi d’abord est notamment jugé indispensable par l’ARS Pays de la Loire.
Par ailleurs, comme le note l’inspection générale de la justice, « le SPIP peut faciliter la continuité de soins en lien avec les assistants de service sociaux affectés dans les unités sanitaires, par exemple afin de trouver un hébergement après maintes années de détention pour des publics présentant d’importants troubles psychologiques ou psychiques. »
Préconisation n° 60 : Accorder une priorité explicite dans les missions des SPIP et des assistants de services sociaux à l’identification de solutions d’hébergement pour les sortants de prison présentant des troubles psychiatriques.
2. Des freins administratifs à lever d’urgence
La liste des obstacles administratifs rencontrés à la sortie de détention donne presque le vertige. De nombreux professionnels alertent sur des ruptures de soins provoquées par des complexités bureaucratiques qui apparaissent insurmontables pour des personnes déjà fragilisées.
L’absence de documents d’identité est fréquente.
Caroline de Charrette, psychiatre au SMPR de Nantes, précise que plus de la moitié des patients suivis par l’EMOT n’en disposent pas, s’agissant en particulier de migrants souffrant de psychoses graves. À Lille, un sortant sur cinq accompagné par l’EMOT ne possède aucune pièce d’identité et un sur trois ne bénéficie ni d’une complémentaire santé solidaire ni de l’aide médicale d’État. L’obtention ou le renouvellement de ces droits – carte vitale, couverture santé, justificatifs – suppose un investissement considérable.
Isabelle Lefebvre, cheffe de pôle de soins psychiatriques ambulatoires aux détenus responsable de l’équipe mobile transitionnelle du CH de Montperrin, précise qu’une permission de sortie est nécessaire pour refaire ses papiers d’identité à la maison d’arrêt de Luynes, qui ne compte aucune assistante sociale, dans la mesure où on ne peut pas y faire de photographies d’identité.
D’autres démarches, comme la demande de RSA, ne peuvent être engagées en détention ce qui induit des périodes de deux à trois mois sans revenu.
D’autres mentionnent les interruptions de prise en charge occasionnées par les changements de département : le centre médico-psychologique (CMP) du futur lieu de résidence refuse parfois de fixer un rendez-vous au motif que la personne ne dépend pas encore officiellement de son secteur. « Concrètement, un détenu sortant du centre pénitentiaire de Melun avec une injonction de soins qui devra être mise en œuvre en Normandie n’obtiendra pas de rendez-vous en CMP avant 5 mois après la levée d’écrou compte tenu du changement de département ». « Aucune convention nationale ne permet aujourd’hui d’anticiper ces situations pourtant fréquentes, » observe l’ANJAP.
La DISP Nord confirme que la sectorisation psychiatrique est « un frein important » au relais de soins vers les CMP.
Certaines personnes étaient avant leur incarcération suivies depuis longtemps par un secteur psychiatrique de droit commun. Pour ces patients, comme le relève Amel Masseboeuf, cheffe de service du SMPR et du CSAPA du centre pénitentiaire des Baumettes, la perte du logement pendant l’incarcération entraîne une perte de rattachement territorial. Elles sont considérées comme sans domicile fixe et « le secteur d’origine estime souvent qu’elles ne relèvent plus de sa compétence ». L’inspection générale de la justice confirme : « le fonctionnement des CMP suppose une adresse bien identifiée ce qui n’est souvent pas le cas des personnes libérées. »
Préconisation n° 61 : Prévoir des conventions pour que les incarcérations et sorties entraînant une perte du logement et/ou un changement de secteur ne créent pas des ruptures de soins.
Enfin, de nombreux acteurs alertent sur les ruptures majeures entraînées par le changement de régime de sécurité sociale.
Maxime Védère, psychiatre, responsable de l’EMOT de Toulouse, résume la situation de la manière suivante : « lorsqu’elles sortent de prison, les personnes détenues changent de régime de sécurité sociale en passant du régime du centre national de gestion de la protection sociale des personnes écrouées (CNPE) au régime général. Ce transfert administratif prend entre une semaine et un mois. Cet intervalle engendre une rupture de droits puisque ni le CNPE ni la sécurité sociale ne délivrent d’attestation de droits au motif que les personnes ne sont ni écrouées ni rattachées au régime général. »
Les personnes souffrant de troubles ne peuvent donc obtenir le remboursement de leurs traitements au moment où elles en ont le plus besoin.
Le système actuel a remplacé un dispositif antérieur dans lequel les personnes écrouées étaient rattachées à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du ressort de l’établissement pénitentiaire dans lequel elles étaient détenues. À chaque transfert, même temporaire, dans un autre département – y compris pour une hospitalisation – la personne changeait de CPAM.
Tous les acteurs s’accordent à reconnaître que le système centralisé actuel est plus favorable que le précédent. L’entrée dans les droits est en effet mieux assurée à l’incarcération, comme le souligne Christophe Michon, médecin retraité et ancien chef de projet Santé des PPSMJ à la DGS. Une caisse spécialisée a pu être constituée, avec des équipes qui maîtrisent les particularités de l’accès au droit en détention. Les flux financiers entre l’État et l’assurance maladie ont été simplifiés.
Mais cette simplification à l’entrée s’est faite au prix d’une nouvelle complexité à la sortie. Pour les personnes qui disposaient déjà de droits ouverts avant leur incarcération, ce passage par un régime dérogatoire crée désormais un point de rupture au moment du retour dans le droit commun.
L’ARS Pays de la Loire note que « 50 % des personnes détenues n’ont pas leur accès aux droits (PUMA et CSS) en sortant de détention. »
L’ARS Centre Val de Loire insiste à cet égard sur les difficultés rencontrées par les « personnes ne disposant pas d’adresse ou de domiciliation fixe à la sortie », qui sont nombreuses. La DISP Nouvelle Aquitaine appelle à « encourager l’anticipation administrative pour l’affiliation à l’assurance maladie ». Certains mettent en cause un problème de transmission de l’information de la part de l’administration pénitentiaire.
Au regard de l’ampleur des difficultés rencontrées, Stéphanie Lafont-Rapnouil, cheffe de projet animation territoriale en santé mentale à la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie s’interroge, comme d’autres acteurs, sur l’utilité de maintenir deux régimes distincts.
La mission a interrogé de nombreux interlocuteurs sur ce point, mais a obtenu très peu de réponses ou des réponses contradictoires. Contrairement aux représentants de la direction générale de la santé et de l’administration pénitentiaire entendus par la mission, la direction de la sécurité sociale estime pour sa part que le système fonctionne sans difficulté. Les inspections générales n’ont pas relevé de difficultés particulières relatives à cette organisation.
Une continuité assurée sans difficulté selon la direction de la sécurité sociale
Depuis fin 2017, le centre national de gestion de la protection sociale des personnes écrouées (CNPE) gère les affiliations, remboursements, mutations des personnes détenues jusqu’à leur libération et reprise en gestion par leur caisse de résidence.
Cette gestion est assurée par deux pôles : la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Oise, qui gère les personnes incarcérées dans les régions Hauts de France, Ile de France et Grand Est et la CPAM du Lot, qui a en charge les autres territoires à l’exception de Mayotte.
La centralisation a eu pour objectif de simplifier le système et de garantir l’accès aux droits et aux soins et de prévenir les ruptures de droits.
La direction de la sécurité sociale, interrogée sur ce sujet, récuse toute difficulté : « Le CNPE a développé une expertise au sein du réseau de l’Assurance maladie sur les problématiques de détention. La coopération avec l’administration pénitentiaire a été facilitée par la mise en place d’un interlocuteur unique, ce qui a notamment amélioré les délais de prise en charge.
Reposant sur des équipes d’agents spécialisés, le CNPE accompagne les personnes sous écrou dans l’accès aux droits lors de la détention mais également à la sortie, en limitant le risque de rupture de soins à la sortie de détention. En effet, le CNPE mène des actions pour délivrer des cartes Vitale et permettre l’accès à la complémentaire santé solidaire. Cela fluidifie la prise en charge des assurés pendant et à la sortie de détention, en garantissant un bon niveau de couverture.
Concrètement, à la levée d’écrou, la transmission des informations par l’administration pénitentiaire permet un transfert automatique du dossier de l’assuré du CNPE vers l’organisme de rattachement en fonction de son lieu de résidence connu à la sortie. Le transfert du dossier est réalisé sous un délai de 5 jours ouvrés.
En principe, la personne libérée n’a pas besoin de se déplacer auprès de sa CPAM locale, sauf si elle est sans domicile fixe. Dans ces situations, en l’absence d’adresse de résidence, le CNPE continue d’assurer la gestion des droits de la personne, mais sous le régime d’assurance maladie de droit commun.
Pour les personnes en situation irrégulière, en revanche, il est nécessaire de déposer une demande d’aide médicale de l’État (AME) auprès de la CPAM de résidence pour assurer la continuité des droits maladie.
Ainsi, la mise en place du CNPE a-t-elle permis de simplifier et fluidifier les parcours des assurés (entrées, transferts et sorties de détention) et d’offrir un meilleur accompagnement des personnes écrouées tout au long de leur détention. »
Préconisation n° 62 : Sécuriser la couverture sociale des sortants de prison. Réaliser un diagnostic approfondi des difficultés rencontrées lors de la sortie de détention en identifiant les déterminants des ruptures de droits (délais de transfert de régime, absence d’attestation, défaut de coordination entre acteurs, etc.). Accompagner ce diagnostic de propositions opérationnelles visant à sécuriser l’accès effectif aux droits.
3. Les assistantes sociales, maillon indispensable mais trop rare
Au regard de l’ampleur de ces difficultés, le manque d’assistants de service social (ASS) en détention et au sein des SPIP est déploré par de nombreux acteurs qui soulignent la nécessité de prévoir au moins un temps d’assistant social pour accompagner les démarches administratives liées à la sortie.
Certaines équipes psychiatriques en USMP bénéficient d’un renfort en ASS mais leur présence est très inégale d’un établissement à l’autre. Sur 129 USMP ayant correctement renseigné cette donnée pour l’année 2023, 95 USMP ne disposent d’aucun ETP d’assistante sociale, 22 disposent de moins de 1 ETP, 12 bénéficient de 1 ETP ou plus.
Comme le soulignent les inspections générales dans leur rapport récent sur l’accès aux soins en détention, les ASS « pratiquent un repérage précoce des risques sociaux et des vulnérabilités sociales de santé. Ils prennent en charge des personnes en situation de précarité. En relation avec les CPIP, ils instruisent les dossiers administratifs en vue de l’obtention et du rétablissement des droits, participent le cas échéant à la protection des majeurs vulnérables.
Ils participent surtout à la préparation de la sortie de prison des patients porteurs de pathologies chroniques avec les équipes de soins, à la mise en place d’actions préventives ou curatives en vue du retour ou du maintien à domicile, ou du placement en institution ou vers des structures relais. Ils essaient de mobiliser les partenaires dans les réseaux territoriaux de santé et médico-sociaux afin d’assurer la continuité des soins. (…)
Au regard des difficultés extrêmes à organiser l’accès aux droits et à la continuité des soins pour les patients détenus au moment de leur sortie (…) l’apport de ces professionnels semble décisif au sein des équipes de soins. »
Les responsables d’EMOT rencontrés par la mission ont insisté sur le rôle absolument central de ces professionnels dans la préparation des sorties ainsi que sur la pénurie d’ASS en milieu pénitentiaire.
« Nous n’avons qu’une assistante sociale pénitentiaire pour tout le département qui travaille à la maison d’arrêt, au centre de détention et auprès des CPIP à l’extérieur, » a ainsi souligné Jean-Pierre Gognau, psychiatre, responsable des soins en milieu pénitentiaire au CHD La Candélie et de l’EMOT d’Agen.
Préconisation n° 63 : Développer les temps d’assistant de service social idéalement mobiles entre les unités de soins en détention et les SPIP pour améliorer l’accompagnement des sortants de prison les plus vulnérables. Leur assurer un accompagnement dans l’ensemble des démarches administratives notamment en vue de rétablir l’accès aux droits sociaux.
D. Des soins indisponibles, dépriorisés ou refusés en sortie de détention
1. Une offre de soins aussi absente qu’avant la détention
Enfin et surtout, la continuité du soin se heurte, en aval comme en amont de la détention, à la même pénurie de l’offre de soins.
Les délais pour obtenir un premier rendez-vous en CMP atteignent plusieurs mois – jusqu’à huit selon les témoignages –, des délais incompatibles avec l’état de santé des personnes et qui majorent le nombre de « perdus de vue » pointés par l’ARS Martinique.
Et lorsque ce précieux contact a enfin pu être établi, la suite du suivi est trop souvent lacunaire, les rendez-vous trop espacés pour permettre une prise en charge efficace.
2. Un public mal accepté, voire rejeté par le circuit sanitaire
Au-delà de cette pénurie structurelle, les sortants de prison ne sont pas prioritaires dans les circuits de soins, comme le rappellent certains. Plus encore, de nombreux témoignages mettent en lumière de nombreux cas de dépriorisation, voire de rejet, dans les circuits de soin de droit commun.
Étonnamment, la DGOS affirme ne disposer d’aucune information ou remontée en ce sens, tout comme la Défenseure des droits qui n’évoque pas du tout cette problématique dans son récent rapport sur les discriminations dans l’accès aux soins.
Pourtant le CGLPL indique que certains CMP se montrent réticents à accueillir d’anciens détenus. Ce constat est confirmé par l’Inspection générale de la justice. Amel Masseboeuf, cheffe du service du SMPR et CSAPA du centre pénitentiaire des Baumettes rapporte avoir sollicité l’ARS pour organiser un rendez-vous en CMP dans le cadre de la sortie d’un patient « sans obligation de soin », et s’être vu opposer la réponse suivante : « nous ne recevons pas ce type de patient ».
« Le circuit sanitaire accepte mal nos publics », confirme également Emmanuel Razous, directeur adjoint à la direction de l’administration pénitentiaire. La direction générale de l’administration pénitentiaire relève que ce public « peut constituer une source d’appréhension ».
Pour objectiver ce phénomène, Thomas Fovet a mené une étude expérimentale avec deux profils fictifs similaires (patients bipolaires stabilisés sous traitement retard), l’un sortant de détention, l’autre simplement nouvellement arrivé sur le territoire. Tous deux ont tenté d’obtenir un rendez-vous dans les CMP du Nord et du Pas-de-Calais. Les résultats mettent en évidence de fortes inégalités d’accès : certaines CMP étaient injoignables, d’autres ont refusé un rendez-vous aux deux profils, mais plusieurs ont refusé uniquement au profil sortant de détention. Ce travail illustre l’existence de barrières spécifiques à l’accès aux soins pour les personnes sortant de prison.
Des refus implicites ou explicites seraient notamment liés à une confusion persistante entre soins pénalement ordonnés et soins psychiatriques classiques. Thomas Fovet observe que, lorsqu’une consultation en CMP est demandée pour une personne sortant de détention, les professionnels adoptent fréquemment une posture défensive, en supposant d’emblée qu’il s’agit de soins pénalement ordonnés. Cette posture, fréquente, est révélatrice des obstacles spécifiques auxquels se heurtent les soins pénalement ordonnés.
II. Les soins pénalement ordonnés : une inflation d’obligations, un recul du soin
A. Une inflation des soins pénalement ordonnés
En 2024, le nombre de personnes ayant fait l’objet d’au moins une mesure en lien avec la santé mentale – injonction ou obligation – est estimé à plus de 73 500, chiffre en hausse de 109 % par rapport à 2014.
Ces mesures sont de plus en plus rarement prononcées dans le cadre d’une alternative aux poursuites, ce qui traduit une utilisation croissante dans une logique de contrôle post-sentenciel ([174]) : la justice « garde la main » sur des personnes considérées comme à risque par le biais du soin.
Personnes ayant fait l’objet d’au moins une mesure de soin pénalement ordonné décidée par le parquet ou prononcée par une juridiction
aux stades pré-sentenciel et/ou sentenciel ([175])
Filière de la réponse pénale |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Evol. 2024/ 2014 |
Alternative |
6 271 |
5 659 |
4 556 |
4 629 |
4 512 |
3 765 |
1 842 |
1 559 |
1 219 |
1 333 |
1 094 |
-83% |
Poursuite |
47 820 |
50 518 |
54 496 |
55 904 |
57 756 |
62 915 |
57 906 |
69 861 |
69 707 |
71 457 |
71 529 |
50% |
Inconnu |
453 |
434 |
475 |
515 |
684 |
814 |
798 |
868 |
912 |
942 |
948 |
109% |
Total général |
54 544 |
56 611 |
59 527 |
61 048 |
62 952 |
67 494 |
60 546 |
72 288 |
71 838 |
73 732 |
73 571 |
35% |
Source : SSER/SID-Cassiopée, traitement DACG-BEPP
1. Des injonctions de soins en augmentation malgré une pénurie de médecins coordonnateurs qui fragilise le dispositif
L’injonction de soins est un dispositif encadré : elle ne peut être prononcée qu’après expertise médicale et le suivi mis en place est contrôlé par un médecin coordonnateur, qui joue le rôle d’interface entre le psychiatre ou psychologue traitant et le juge d’application des peines (JAP) ([176]). Le médecin coordonnateur rencontre le condamné plusieurs fois par an et rend compte de sa prise en charge au JAP ([177]).
Les injonctions de soins ont connu une croissance marquée au cours des dix dernières années, passant de 446 en 2015 à 938 en 2023, en dépit de la pénurie de médecins coordonnateurs.
La DACG confirme le « manque saillant de médecins coordonnateurs au regard du nombre de mesures susceptibles de leur être confiées et de la durée des suivis ». En 2024 ([178]), elle dénombrait environ 300 médecins coordonnateurs, chiffre relativement stable autour de 290 depuis 2015 alors que les injonctions prononcées ont plus que doublé. Onze tribunaux judiciaires ([179]) et quatre cours d’appel ([180]) en étaient dépourvus([181]).
Ce constat est d’autant plus critique, selon la DACG, que le législateur ([182]) a progressivement étendu les hypothèses dans lesquelles une injonction de soins peut être prononcée, et rendu dans certains cas, son prononcé obligatoire ([183]).
Amélie Morineau, présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du conseil national des barreaux, souligne aussi un champ de plus en plus extensif : « initialement, elle était ciblée sur les auteurs d’infractions à caractère sexuel sur mineurs. Le législateur l’a étendue à un champ très large d’infractions qui va jusqu’à la dégradation d’un bien par un moyen dangereux. Aujourd’hui on encourt donc une injonction de soins quand on met le feu à une boîte aux lettres. »
La DACG indique que la pénurie de médecins coordonnateurs a « des répercussions sur le prononcé de ces mesures », ce que ne confirme pas l’USM, « dans la mesure où cette obligation doit être prononcée si le médecin psychiatre le préconise ».
L’USM alerte au contraire sur le fait que dans certains ressorts des injonctions de soins sont mises en œuvre sans médecin coordonnateur, au risque d’en faire des « coquilles vides » en l’absence de tout contrôle.
La DACG précise avoir « alerté sur ces difficultés et identifié des leviers qui permettraient de pallier ce nombre insuffisant et de dynamiser leur recensement. Elle a également sollicité le ministère en charge de la santé afin d’envisager l’assouplissement des conditions de recrutement des médecins coordonnateurs, notamment s’agissant du délai d’exercice en qualité de spécialiste permettant l’inscription sur la liste des médecins coordonnateurs. »
L’ARS Nouvelle-Aquitaine souligne à cet égard le manque de communication sur les soins obligés par les ministères chargés de la santé et de la justice. « Une campagne de communication auprès des médecins libéraux et une action de sensibilisation auprès des internes/docteurs juniors en psychiatrie faciliteraient », de son point de vue, « le recrutement de médecins coordonnateurs. »
Préconisation n° 64 : Sécuriser les conditions de règlement des indemnités des médecins coordonnateurs ; assouplir leurs conditions de recrutement et communiquer auprès des médecins libéraux et des internes en psychiatrie sur ce dispositif.
2. Une tendance à l’« industrialisation » des obligations de soins
L’essentiel des mesures prononcées aujourd’hui par les juridictions sont des obligations de soins, beaucoup moins encadrées.
Elles peuvent être prononcées pour tous types de délits ou de crimes sans expertise psychiatrique préalable.
Le dispositif repose sur la production d’un simple justificatif de suivi par la personne condamnée qui a le choix de son professionnel de santé —psychiatre ou psychologue— seul responsable du contenu de la prise en charge, sans contrôle par un médecin coordonnateur.
Le SPIP de Meurthe-et-Moselle estime que l’obligation de soins psychologiques ou addictologiques concerne plus de 60 à 70 % des personnes suivies dans certains ressorts. Patricia Théodose, directrice du SPIP du Val-de-Marne estime pour sa part ce taux à 80 %, tout comme Philippe Arhan, directeur du SPIP du Nord, qui évoque une véritable « industrialisation ».
B. un discrédit croissant, une mise en œuvre défaillante
Les obligations de soins font aujourd’hui l’objet de critiques croissantes, tant dans le monde judiciaire que parmi les professionnels de santé.
1. Le soin sous contrainte pénale, une mesure contestée dès son principe
Ces mesures ont toujours suscité des réserves importantes dans le champ médical, en particulier en santé mentale. De nombreux soignants considèrent qu’elles entravent la relation thérapeutique, en plaçant le soin dans un cadre de contrainte plutôt que d’adhésion et qu’elles entretiennent une confusion entre les finalités respectives du soin et de la sanction. Les soignants redoutent en particulier une instrumentalisation du soin à des fins de contrôle social, plus que de réelle amélioration de la santé.
Cette critique n’émane pas seulement des soignants.
Amélie Morineau déplore que ces mesures conduisent à pénaliser certains symptômes constitutifs de la pathologie que l’on prétend soigner. En effet, le refus d’un suivi ou l’incapacité à adhérer à un soin peuvent être un élément central du trouble psychique. Or, lorsque ce refus devient une violation de l’obligation judiciaire, il expose la personne à des sanctions – souvent à une réincarcération. « Le serpent se mord la queue », conclut-elle.
Certains thérapeutes, toutefois, défendent ces soins contraints qui peuvent provoquer un « déclic » chez des patients initialement réticents – y compris en contexte de contrainte judiciaire.
De même, le Syndicat de la magistrature, tout en partageant certaines critiques, refuse de rejeter en bloc ces obligations, estimant qu’elles peuvent constituer un point d’entrée dans le soin pour des personnes qui ne l’auraient pas sollicité spontanément, notamment en matière d’addictologie.
Amélie Morineau souligne pour sa part que si la contrainte est censée mener à l’adhésion, elle n’est parfois pas supportable pour la personne condamnée, ce qui peut conduire au résultat inverse : le rejet absolu. La contrainte peut également mener à la perception chez la personne que le soin est une case à cocher, sans adhésion réelle à la démarche de soins (voir infra).
2. Un ciblage largement inadéquat
Nombreux sont les professionnels de santé, de justice et de l’administration pénitentiaire qui constatent et déplorent une banalisation des obligations de soins dont la pertinence clinique comme judiciaire est de plus en plus questionnée. « L’obligation est mal utilisée », déplore l’ARS Martinique.
Nombre d’observateurs soulignent le décalage entre les besoins cliniques réels des personnes condamnées et le périmètre des soins pénalement ordonnés, qui tendent à s’inscrire dans une logique de médicalisation de comportements considérés comme déviants.
Certaines décisions judiciaires traduisent une volonté de contrôle ou de réassurance sociale par le soin, indépendamment de la pertinence clinique de celui‑ci.
Selon le Syndicat de la magistrature, elles sont « prononcées de manière particulièrement extensive par les juridictions correctionnelles, parfois sans en penser le contenu et comme réponse pénale toute faite à l’augmentation du nombre de personnes renvoyées devant des juridictions répressives présentant des troubles psychiques ou psychiatriques, corollaire notamment de l’affaiblissement du nombre de déclarations d’irresponsabilité pénale. »
L’Union syndicale des magistrats (USM) souligne que l’absence d’éléments psycho-médicaux recueillis pendant le temps de l’enquête peut conduire le tribunal à prononcer une obligation de soins « à titre préventif », moins en réponse à un besoin médical objectivé qu’en tant que « garantie de coercition médico-sociale, selon une logique de serre-file ».
La direction de l’administration pénitentiaire observe aussi que ces obligations sont fréquemment prononcées au moment du jugement à une peine ferme, en prévision de la future libération, parfois programmée plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard. Or, ces mesures ne peuvent s’exécuter pendant la partie ferme de la peine, leur activation intervenant donc à un moment où l’état psychique de la personne peut avoir profondément évolué. Ce décalage oblige les SPIP, au moment de la mise en œuvre, à réévaluer la pertinence et les modalités concrètes d’exécution de l’obligation, à la lumière de l’évolution de la situation clinique.
Dans le même sens, l’ARS Grand Est observe que « certaines obligations de soins ne relèvent pas nécessairement de la psychiatrie, ce qui interroge sur leur cohérence ».
Une recherche soutenue par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a documenté l’existence de biais dans les critères mobilisés par les magistrats au moment de prononcer ces mesures ([184]). L’étude révèle notamment que les chances de se voir prescrire des soins varient de manière significative selon le produit consommé. Ainsi, un justiciable déclarant consommer une drogue illicite autre que le cannabis a trois fois plus de probabilité d’être soumis à une mesure de soin. Ce constat reflète une réponse judiciaire fortement influencée par la nature du produit, davantage que par le degré de dépendance ou l’évaluation clinique de la situation. La même recherche montre que les antécédents judiciaires pèsent lourdement dans le choix de la réponse, bien au-delà des critères médicaux.
3. Des soignants mis en difficulté
Au-delà des critiques de fond portant sur leur ciblage ou leur finalité, les obligations et injonctions de soins peuvent confronter les professionnels de santé à des situations compliquées.
Outre la possible absence d’indication médicale, les soignants soulignent les impasses auxquelles ils sont confrontés dans la prise en charge de condamnés qui n’adhèrent pas toujours au parcours de soins et ne reconnaissent pas nécessairement les faits pour lesquels ils ont été mis en cause ou condamnés. Le suivi s’avère souvent fragile, parfois purement formel.
L’ARS Grand Est cite à cet égard le cas de personnes condamnées qui ne relèvent pas de la psychiatrie, mais qui se rendent aux rendez-vous prescrits uniquement pour obtenir une attestation de présence, sans réelle démarche de soin.
L’USM évoque un « risque de submersion des services de soins saisis dans le cadre de soins pour lesquels, n’étant pas les prescripteurs, ils ont le sentiment de n’être que des ‘distributeurs’ à certificats médicaux de pure forme. »
Antonia Dandé, directrice de l’association Episode à Béziers ([185]) pointe un grand nombre de rendez-vous non honorés. « Les personnes vont venir au dernier moment, parce qu’il y a l’audience dans trois jours alors qu’il y a trois mois de délai pour un rendez-vous au CSAPA. »
L’ARS Grand Est signale par ailleurs que certains soignants ont été victimes de menaces directes de la part de personnes placées sous obligation de soins. Ces menaces peuvent viser les familles des professionnels, notamment leurs enfants. Dans ces situations, des décisions d’arrêt immédiat de la prise en charge sont prises par mesure de protection du personnel.
Elle alerte également sur des situations préoccupantes où des personnes placées sous obligation de soins pour des faits graves décrivent explicitement en entretien des scénarios de récidive. « Les professionnels précisent alerter le SPIP mais les solutions pour prises en charge par le système judiciaire sont difficiles tant qu’il n’y a pas de passage à l’acte. Les professionnels de santé peuvent porter le poids d’une certaine culpabilité ».
4. Une mise en œuvre défaillante
Dans le cadre des obligations ou injonctions de soins, les pièces judiciaires utiles doivent être transmises aux médecins assurant le suivi de la personne ainsi qu’au médecin coordonnateur. Cette transmission doit permettre aux soignants de disposer des éléments de contexte nécessaires à une prise en charge adaptée, notamment en recevant copie des rapports d’expertise réalisés pendant l’enquête, de l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement, ainsi que de toute pièce utile permettant de faire le lien entre les soins et l’infraction commise.
La direction de l’administration pénitentiaire pointe des défaillances dans cette transmission qu’elle explique notamment par le volume considérable d’obligations prononcées sur le territoire.
Ce défaut de circulation de l’information, qui est un nouveau symptôme du défaut d’articulation entre les acteurs, constitue un échec structurel de mise en œuvre, en ce qu’il prive les soignants des éléments nécessaires à une évaluation rigoureuse de la situation de la personne. Le SPIP de Meurthe et Moselle confirme une application très hétérogène selon les magistrats, l’absence de procédure standardisée, la méconnaissance de cette obligation, l’absence d’outils de transmission sécurisés, le manque de temps des greffes pour assurer cette transmission mais aussi la réticence des professionnels de santé à la recevoir. Il en résulte, selon le SPIP, une « prise en charge inadaptée faute d’informations et des retards dans la mise en œuvre des soins ».
Enfin et surtout, s’agissant des obligations de soins, comme le relève la direction de l’administration pénitentiaire, « ni le SPIP ni le juge ne peuvent contrôler la teneur des soins en tant que tels. » Ils ne peuvent contrôler que la réalité du passage de la personne placée sous main de justice devant un soignant et éventuellement l’effet de ces soins sur son comportement.
Il s’ensuit que « des soignants peuvent se contenter de recevoir rapidement la personne insistante sans entamer de soins si elle ne le souhaite pas, ce que le SPIP ne saura pas forcément ».
Cette absence de contrôle effectif ouvre la voie à une mise en œuvre très inégale et à des formes de contournements.
En tout état de cause, au-delà de ces difficultés de mise en œuvre, la situation actuelle est surtout marquée, dans un nombre croissant de cas qui ne peuvent pas être estimés, par une absence totale de mise en œuvre.
Préconisation n° 65 : Garantir la transmission effective des informations judiciaires aux professionnels de santé chargés du suivi dans le cadre des soins pénalement ordonnés.
C. Une mesure massivement inopérante confrontée à l’indisponibilité ou au refus du soin
Selon la DACG, en milieu ouvert, « le suivi des personnes placées sous main de justice souffrant de troubles mentaux est très largement mis en échec par le manque de places offertes en CMP comme en CSAPA », d’autant que « la sectorisation empêche le condamné de se présenter dans d’autres établissements et que la situation financière de ce dernier fait souvent obstacle à la mise en place d’un suivi en libéral, payant. » Mais au-delà du manque de place, de nombreux acteurs signalent une dépriorisation et un rejet croissant par ces structures qui exprimeraient pour certaines des refus explicites de prise en charge.
1. Des mesures qui submergent des structures de soin déjà saturées et suscitent un rejet croissant
L’inflation des obligations et injonctions de soins, dans un contexte de pénurie de ressources psychiatriques et addictologiques, embolise des structures de soins déjà saturées et génère un rejet croissant de la part des CMP.
« Nos partenaires ne font plus face », indique Philippe Arhan, directeur du SPIP du Nord. « La situation a tendance à complexifier et rigidifier nos relations avec ces structures, qui ont du mal à comprendre cette industrialisation des obligations de soin. »
Les estimations montrent l’ampleur des soins orientés par la justice : en moyenne, un tiers des publics suivis en CSAPA seraient des personnes orientées par la justice, selon les estimations de la Fédération addictions. La MILDECA et l’OFDT confirment qu’« une part significative des files actives des CSAPA est constituée de personnes adressées par la Justice. En 2015, elles représentaient 40,8 % des consultations en lien avec le cannabis, 13,3 % alcool et 7,9 % autres drogues, » chiffres qui n’intègrent pas l’inflation de ces mesures intervenue depuis.
Le Syndicat de la magistrature pointe une défiance croissante des structures de soins psychiatriques ou psychologiques à l’égard de patients non volontaires, en raison de l’absence d’adhésion effective au soin et des sous-effectifs massifs qui ne permettent pas d’accueillir des publics dont la pertinence de la prise en charge n’est pas médicalement établie.
Les agences régionales de santé rejoignent ce constat. L’ARS Grand Est rappelle que « la pertinence des injonctions et obligations de soins doit être questionnée pour chaque personne, eu égard aux difficultés des ressources actuelles ».
Pour l’ARS Île-de-France, « l’inflation du nombre des obligations de soins, décidées sans indication médicale, venant percuter l’augmentation des demandes de soins dans le secteur public de psychiatrie, laisse parfois les soignants dans une incompréhension de leur rôle et missions dans l’accompagnement de personne ne présentant pas d’indication de soins. Les demandes de soin sont priorisées en fonction du besoin de soins évalué et le dispositif même de l’obligation de soins, posant certes une contrainte sur la PPSMJ et non sur les soignants, peut être perçu comme une pression aux soignants pour l’intégration dans les files actives de ces patients. »
2. Plus la justice ordonne, plus le soin abandonne
Dans ces conditions, de nombreux acteurs témoignent de refus de CMP débordés de prendre en charge les soins pénalement ordonnés, en particulier les obligations de soins, même lorsqu’elles correspondent à de réels besoins.
Selon l’ANJAP, « de nombreux CMP, débordés, refusent de prendre en charge les obligations judiciaires de soins, disant qu’ils n’ont pas le temps pour des patients dont la démarche n’est pas volontaire, et ce alors même que le besoin de soins peut être avéré, dès lors que ce sont parfois des personnes avec des troubles psychiques avérés et qui peuvent aussi être favorables à un suivi thérapeutique. »
« Certains CMP annoncent officiellement qu’ils ne prennent plus en charge les obligations et les injonctions de soins par principe, » précise Pascale Giravalli.
Guillaume Giret, chef de pôle de psychiatrie légale et de santé mentale des détenus à Lyon, confirme : « Parfois, le patient est même réorienté vers le secteur libéral. Une lettre de motivation peut lui être demandée. »
En principe, le non-respect d’une obligation de soins entraîne la révocation de la mesure prononcée. Dans les faits, l’impossibilité matérielle d’accéder à un suivi conduit de nombreux magistrats à renoncer à toute sanction pour non-exécution. La Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) reconnaît que le caractère inopérant des soins pénalement ordonnés interroge le sens même de la peine.
3. Vers un meilleur ciblage des obligations de soins : des évolutions procédurales à explorer, des évaluations à conduire
Un large consensus se dégage parmi les professionnels pour reconnaître la nécessité de mieux cibler les obligations de soins, afin d’en restaurer la cohérence et l’efficacité. Pour y parvenir, plusieurs évolutions de la procédure judiciaire sont envisagées, qui ne sont en revanche pas consensuelles.
Certains proposent de recourir davantage au dispositif de la césure, peu utilisé aujourd’hui car particulièrement exigeant en termes de ressources humaines. Ce mécanisme en deux temps permettrait à la juridiction de se prononcer d’abord sur la culpabilité, puis, après une évaluation approfondie de la situation de la personne, d’arrêter dans un second temps la peine, avec un contenu adapté. Mais cette solution est jugée peu réaliste à court terme, en raison du manque de moyens chroniques dans les juridictions et de la charge actuelle pesant sur les magistrats.
D’autres professionnels évoquent la création d’une peine de probation unique, dans laquelle le SPIP aurait la charge de définir les modalités d’exécution, après un temps d’évaluation d’environ trois mois de la personne condamnée. À l’issue de ce délai, un rapport initial permettrait d’établir un plan d’accompagnement individualisé, incluant le cas échéant un volet de soins.
L’Union syndicale des magistrats (USM) propose de confier au tribunal correctionnel la seule décision de principe sur l’obligation de soins, tandis que le juge de l’application des peines, en lien avec le SPIP, définirait, après entretiens et évaluations, les modalités concrètes de la prise en charge. L’USM alerte sur l’illusion d’une personnalisation immédiate de la peine à l’audience correctionnelle, dans un contexte où le temps d’examen individuel est très limité.
L’ANJAP préconise une spécialisation de la fonction de président correctionnel qui permettrait une connaissance plus poussée des peines et surtout de leurs conditions d’exécution.
Ces pistes ne relèvent pas directement du périmètre de ce rapport, qui n’a pas vocation à proposer une réforme de la procédure pénale. Cependant, l’ampleur des dysfonctionnements constatés et de leurs conséquences justifie l’ouverture d’une réflexion nationale sur ce sujet, voire le lancement d’expérimentations permettant de tester et d’évaluer différentes modalités procédurales permettant un meilleur ciblage des obligations de soins.
Mais surtout, une évaluation de leur impact sur la récidive doit être engagée sans délai. Une telle analyse est indispensable pour apprécier l’efficacité réelle du dispositif, identifier les situations et conditions dans lesquelles il se révèle pertinent, et envisager, le cas échéant, une restriction de son champ d’application aux seules situations justifiant un encadrement sanitaire renforcé.
Préconisation n° 66 : Lancer une évaluation sur les obligations de soins, comprenant un recensement précisant les motifs pour lesquels elles sont prononcées et leur application concrète. Évaluer leur impact sur la prévention de la récidive, en distinguant les types d’infractions pour lesquelles elles sont prononcées.
Préconisation n° 67 : Engager à titre expérimental des évolutions de la procédure pénale permettant une évaluation plus fine des besoins psychiques des personnes poursuivies et un meilleur ciblage des obligations de soins. Expérimenter en particulier une répartition renouvelée des compétences entre juge correctionnel et juge d’application des peines, ce dernier étant chargé d’aménager la peine et de préciser en lien avec le SPIP l’obligation de soins prononcée par la juridiction de jugement.
III. Des initiatives locales pour pallier ces défaillances structurelles : accompagner la sortie, recréer des ponts vers le soin
Comme le souligne l’ANJAP, « la continuité du soin en sortie de détention relève d’initiatives locales et non d’une organisation nationale pensée. »
De manière générale, pour pallier les défaillances structurelles en matière de continuité des soins à la sortie de détention et d’accès aux soins des personnes soumises à une obligation, sans prétendre à l’exhaustivité, la mission a eu connaissance de différents dispositifs qui existent ou se mettent en place localement, selon des logiques diverses.
Certains visent à faciliter le retour des personnes placées sous main de justice dans le droit commun, d’autres, partant du constat de l’incapacité du droit commun à prendre en charge ces publics, s’orientent vers des formes de spécialisation. Certaines initiatives sont centrées sur les soins ordonnés par la justice quand d’autres ne s’y consacrent qu’en partie ou pas du tout.
Dans tous les cas, il convient de penser l’articulation et le passage de relai avec le droit commun, les personnes placées sous main de justice ayant vocation à être réinsérées dans la société et donc à réintégrer le droit commun.
A. face aux limites du droit commun, Des appels à créer des dispositifs spécifiques
L’ANJAP estime nécessaire de sortir les personnes placées sous main de justice des structures de droit commun, pour les orienter vers des dispositifs pluridisciplinaires dédiés, réunissant des soignants spécifiquement formés et non réticents à travailler avec ce public. Elle appelle à développer des services spécifiquement tournés vers la prise en charge des personnes présentant des troubles psychiques, qu’il s’agisse d’appartements thérapeutiques, de suivis en hôpital de jour ou de dispositifs ambulatoires adaptés.
La direction des affaires criminelles et des grâces soutient également une spécialisation du suivi des personnes condamnées et la possibilité de flécher ou de réserver des soins pour les personnes soumises à des obligations judiciaires. « On nous oppose l’argument selon lequel il y a des gens qui n’ont jamais commis d’infraction qui n’arrivent pas à trouver un accompagnement médical mais il y a un enjeu de prévention de la récidive ou de la réitération qui passe par la mise en œuvre de ces soins. Il faut considérer que c’est de l’intérêt de tous », a observé Cécile Gressier.
La MILDECA et l’OFDT ont également préconisé la réservation de places en CSAPA pour les personnes sortant de prison en vue de la prise en charge des obligations de soins.
De manière générale, plusieurs personnes auditionnées ont souligné l’intérêt qu’il y aurait à créer des structures de soins spécifiquement destinées aux sortants de détention, afin d’assurer un accompagnement intensif, médical et social, dans la continuité de l’incarcération. L’ANJAP a évoqué, à cet égard, l’existence de telles structures en Suisse, proposant un suivi rapproché de personnes souffrant de troubles psychiques, à travers un accompagnement pluridisciplinaire et une prise en charge adaptée. Elle a également mentionné les maisons de probation existant dans certains pays d’Europe du Nord, dotées de moyens médico-sociaux renforcés.
De son côté, Thomas Fovet a insisté sur l’obstacle majeur que constitue l’accès au logement pour les personnes suivies par les EMOT, et plus largement pour les personnes atteintes de pathologies psychiatriques lourdes. Il a souligné l’absence actuelle de structure réellement adaptée pour des publics souffrant de troubles psychiques sévères sur le long terme. L’hôpital psychiatrique, de plus en plus contraint, n’est plus un lieu de vie ; les durées d’hospitalisation sont brèves, et aucune solution de relais durable n’est véritablement organisée. Il en résulte un véritable problème d’orientation à la sortie de prison, pour des personnes dont la vulnérabilité est maximale.
Dans cette perspective, Thomas Fovet a évoqué la piste de « lits halte soins santé » (LHSS) adaptés à la sortie de détention, c’est-à-dire des structures médico-sociales intermédiaires, plus légères que l’hôpital, mais permettant d’accueillir en hébergement des personnes en situation de grande précarité souffrant de troubles psychiques graves. L’objectif serait non seulement de leur offrir un cadre stabilisant, mais aussi de construire avec elles un projet à moyen terme vers l’extérieur, en lien avec le soin, l’insertion et le logement de droit commun.
Le constat d’un manque de structure adaptée pour ces profils est plus général. On pense à des personnes souffrant de troubles ne leur permettant pas de suivre un traitement. Il serait par conséquent regrettable de cibler l’aval du parcours judiciaire alors qu’un déploiement en amont permettrait dans certains cas d’éviter l’incarcération.
Préconisation n° 68 : Mettre en place une expérimentation de « lits halte soins santé » pour les personnes sans domicile fixe souffrant de graves troubles psychiques.
B. L’émergence de structures spécialisées en milieu ouvert
Dans certains territoires, des dispositifs ponctuels ont été mis en place, souvent à titre expérimental et portés par l’engagement d’acteurs de terrain, pour répondre aux lacunes du droit commun, selon des modalités très diverses.
Parmi eux figurent des centres médico-psychologiques post-pénaux, permettant la prise en charge de personnes placées sous main de justice. Ces structures proposent des consultations psychiatriques et des suivis psychothérapeutiques qui peuvent être spécifiquement orientés vers la mise en œuvre des obligations ou injonctions de soins.
Le Grand Est indique ainsi disposer de trois CMP post-pénaux à Reims, Châlons-en-Champagne et Metz (expérimental). L’ARS Pays de la Loire confirme l’existence de consultations post-carcérales au sein de deux CMP. Elle précise que des dispositifs similaires ne sont pas mis en place dans les autres départements souvent pour des raisons de démographie médicale et/ou de surpopulation carcérale.
Certaines pratiques relèvent encore d’initiatives non formalisées, portées par des soignants à moyens constants. Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes indique ainsi avoir mis en place, sans financement dédié, une consultation extra-carcérale hebdomadaire à l’hôpital général, accessible aux personnes libérées au cours du dernier trimestre. Faute de relais effectif dans les CMP – où l’absence de psychiatres est désormais chronique dans la Sarthe –, le suivi peut se prolonger bien au-delà du trimestre, de façon informelle. Cette prise en charge repose souvent sur des réseaux de confiance, avec les CSAPA ou les assistantes sociales, et sur des ajustements pragmatiques (envoi d’ordonnances par fax à une pharmacie, maintien de contacts malgré la sortie du cadre pénitentiaire), afin de prévenir les ruptures de traitement dans des parcours chaotiques.
La DISP Grand-Centre que des établissements bien dotés ont permis de dégager « des axes de travail de manière pérenne, au-delà du milieu fermé ». À ce titre, la maison d’arrêt de Tours bénéficie de l’appui d’un praticienne psychiatre qui intervient tant en milieu fermé qu’en milieu ouvert.
Certains SPIP ont par ailleurs développé des « plateaux techniques » intégrant des interventions diversifiées en matière d’insertion professionnelle, d’accès au logement, et parfois de soutien psychologique. C’est notamment le cas du SPIP du Val-de-Marne, dont le dispositif, financé par le FIPD, est centré sur l’accompagnement des publics soumis à une obligation de soins.
En Meurthe-et-Moselle, une antenne psychiatrie-justice a été créée dès 1988, dans une logique de prise en charge des obligations de soins. Il s’agit d’une structure de type CMP intervenant dans les locaux du SPIP, en milieu ouvert, rattachée à une USMP. Elle comprend 2 ETP infirmiers de l’hôpital psychiatrique de Nancy et 1 ETP de psychologue sous l’autorité du médecin chef de l’équipe médicale en milieu fermé.
Depuis 2023, le Centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers dispose d’un hôpital de jour de dix places pour les personnes placées sous main de justice. Cet hôpital de jour en psychiatrie a été retenu et financé par le FIOP en 2022. Selon l’ARS Nouvelle Aquitaine, cette offre de soins spécialisée de psychiatrie légale permet d’assurer un continuum de prise en soins des sortants de détention, des PPSMJ sous injonctions et obligations de soins, notamment les auteurs de violences conjugales, sexuelles et intrafamiliales.
Dans le Loiret, l’ARS Centre Val de Loire signale la mise en place, par l’EPSM George Daumézon, de quatre appartements de transition destinés à accompagner la réinsertion des personnes souffrant de troubles psychiatriques à leur sortie de détention. Ce dispositif vise à répondre à la double impasse, sanitaire et sociale, rencontrée par ces publics : l’absence de logement et la difficulté d’accès aux soins. Le projet permet une double prise en charge sociale et sanitaire adossée à un réseau structuré d’acteurs de l’insertion afin d’apporter un accompagnement global, dans les soins comme dans les démarches d’insertion.
On peut mentionner l’ouverture, en janvier 2022, de l’unité de consultation psychiatrique post-pénale (UC3P) à Tours, première structure intersectorielle dédiée à la prise en charge de patients sortants de détention et/ou condamnés à des soins pénalement ordonnés dans le département d’Indre-et-Loire. Rattachée au pôle psychiatrie-addictologie du CHRU de Tours et financée par le FIOP, l’UC3P propose une prise en charge pluridisciplinaire, gratuite et individualisée, centrée sur le mieux-être psychique, l’accompagnement socio-éducatif et les activités de groupe ou de relaxation. En 2022-2023, l’unité a connu une nette augmentation de sa file active et a développé des visites à domicile ainsi que des accompagnements physiques, destinés à lever les freins à l’adhésion aux soins, en particulier pour les publics les plus précaires ou les plus en retrait social. Cette création a été favorisée par l’existence d’une structure hospitalière à forte capacité à Tours.
Enfin l’ARS Pays de la Loire souligne également le rôle des équipes mobiles psychiatriques précarité qui interviennent dans les structures d’hébergement social. Selon l’ARS, leur présence a permis d’amener certaines personnes sortant de détention à accéder volontairement à un suivi.
Préconisation n° 69 : Recenser et évaluer les structures et dispositifs spécialisés dans la prise en charge des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert, en vue de leur développement selon les besoins des territoires.
C. les Équipes mobiles transitionnelles
Par ailleurs, au-delà du développement de structures spécifiques en milieu ouvert, plusieurs acteurs soulignent l’intérêt de déployer des équipes mobiles, capables d’intervenir à la fois en intra- et extra-carcéral et dans une logique d’« aller-vers ».
Les EMOT sont des équipes pluridisciplinaires dont l’objectif est d’accompagner les sortants de prison atteints de troubles psychiatriques et/ou addictologiques sévères. L’objectif est d’éviter les ruptures de prise en charge médicale et de prévenir les situations de récidive judiciaire précoce, souvent liées à l’absence de suivi à la sortie.
Les EMOT ont été créées à partir du constat partagé, sur le terrain, d’un phénomène de « revolving door » : les médecins intervenant en milieu carcéral constataient le retour récurrent en détention des mêmes personnes, cumulant troubles psychiques sévères et grande précarité sociale, en l’absence de relais thérapeutique et social adapté à la sortie. La première EMOT a été mise en place à Lille, et la DGOS en recense aujourd’hui neuf sur le territoire.
Les équipes (psychiatre, infirmier, assistant de service social, éducateur, etc.) mettent en place un accompagnement médical, social et éducatif dès le milieu fermé, et jusqu’à six mois après la sortie de prison. Elles accompagnent une file active composée en majorité de personnes en situation de grande précarité, qui mobilisent un accompagnement très intensif et un investissement conséquent en temps et en ressources humaines.
L’équipe a vocation à assurer le trait d’union entre le milieu fermé et les structures de droit commun. Les équipes insistent sur la nécessité de ne pas se substituer à la psychiatrie de secteur : l’objectif est bien de faciliter l’accès de ce public aux dispositifs de droit commun et non d’accélérer le désengagement de ce dernier en devenant des équipes mobiles pour personnes anciennement détenues.
Si les retours sont globalement positifs et les attentes très grandes, l’articulation assurée par les EMOT avec le droit commun reste fragile, en raison des carences structurelles, voire du désengagement de la psychiatrie de secteur. Thomas Fovet observe que six mois de suivi représentent une période trop courte pour certains patients mais que « plus nous allongeons la période de suivi, plus nous nous substituons au dispositif de droit commun, plus il se désengage ».
Les équipes se heurtent à de très nombreux obstacles, dont elles avaient sous-estimé l’ampleur, sur les autres volets : complexités administratives récurrentes (accès aux droits, renouvellement de pièces, etc.), difficultés majeures d’accès au logement et à l’emploi.
Expérimentation en partie financée par le FIOP, les EMOT doivent faire l’objet d’une évaluation qui a été amorcée par le programme Eval-EMOT, conduit par l’équipe de Lille.
Les premiers résultats mettent en évidence une forte appréciation du dispositif par les usagers mais une absence d’impact sur les taux de réincarcération. L’expérimentation mérite d’être répliquée à plus grande échelle et son évaluation devra permettre notamment de documenter la capacité des EMOT à réengager durablement les personnes accompagnées dans les circuits de droit commun. Des dimensions telles que l’accès au logement, au travail ou à la formation, l’engagement dans une démarche de soins, en plus des taux de récidive, devraient être prises en compte.
La direction de l’administration pénitentiaire souligne de son côté que « même si le recul demeure encore insuffisant, les premiers éléments confirment tout l’intérêt à développer ce type de dispositifs permettant d’assurer un suivi renforcé des sortants de détention dont les troubles psychiques sont marqués. »
Certains évoquent une généralisation. Selon Franck Bellivier, les expérimentations sont probantes, mais les EMOT, « très consommatrices de moyens et de soin » n’ont pas vocation à concerner l’ensemble des sortants de prison.
On peut relever des différences d’approche entre EMOT reflétant des visions divergentes du lien entre soin et contrainte judiciaire puisque celle de Lille a fait le choix de ne pas intégrer la prise en charge des soins pénalement ordonnés quand d’autres EMOT les ont inclus.
Préconisation n° 70 : prévoir un dispositif structuré d’accompagnement à la sortie de prison pour les personnes souffrant de troubles psychiques et procéder à un recensement exhaustif et à une évaluation comparée des dispositifs existants, tels que les EMOT, afin de mieux identifier leurs apports respectifs.
Surtout, il apparaît indispensable de développer et prioriser le développement d’expérimentations ciblant les enfants et les mineurs, au regard des constats récurrents sur la précocité de l’entrée dans un parcours pénal, la prévalence édifiante des carences éducatives et traumatismes de l’enfance parmi les personnes incarcérées et la continuité des parcours entre l’aide sociale à l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, la rue et/ou l’incarcération.
L’action publique est d’autant plus efficace qu’elle cible l’amont et mobilise des leviers susceptibles de modifier des trajectoires. À ce titre, il est à la fois légitime et stratégique de cibler le premier maillon de l’action publique – l’aide sociale à l’enfance – qui apparaît aujourd’hui comme le plus faible alors qu’il conditionne tout le reste.
quatriÈme partie :
les mineurs :
À besoins plus criants, rÉponses plus insuffisantes
Dans la situation des 80 000 mineurs sous main de justice suivis au pénal, on retrouve, selon Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, « toutes les difficultés identifiées chez les majeurs, mais en plus grave ».
Moins repérés, moins pris en charge, moins suivis, les jeunes dans le champ pénal sont confrontés à une accumulation de vulnérabilités et à une offre de soins encore plus lacunaire que celle des majeurs. « Ce sont les publics sur lesquels on doit concentrer nos efforts. Ils sont peu atteints par les politiques publiques généralistes que nous mettons en place, alors que ce sont ceux qui concentrent les plus gros besoins, » conclut Frank Bellivier.
Les mineurs apparaissent pourtant comme un angle mort des différentes feuilles de route relatives à la santé des personnes placées sous main de justice. Ils n’étaient ciblés par aucune des mesures inscrites dans la feuille de route 2019-2022, si ce n’est la réalisation d’une étude sur leur état de santé qui n’a pas pu être conduite dans le calendrier envisagé...
Absents des feuilles de route, ils sont tout aussi absents des évaluations conduites sur l’accès à la santé des personnes placées sous main de justice par les inspections générales.
Depuis 2017, la direction de la protection de la jeunesse a son propre document de politique publique sous le nom de « PJJ promotrice de santé ». Une évaluation de cette démarche réalisée par le cabinet Quadrant Conseil en mars 2022 relève que parmi l’ensemble des axes, l’accès aux soins en santé mentale est « celui où les professionnels rencontrent le plus de difficultés » ([186]) et préconise d’en faire une priorité.
« C’est pourtant sur les mineurs qu’il faut concentrer les efforts les plus importants », a également souligné Mireille Gaüzère, inspectrice générale de la justice et ancienne adjointe au directeur de la protection judiciaire de la jeunesse. « C’est à cet âge de tous les possibles qu’on peut inverser les choses. On ne peut laisser les jeunes s’enfermer dans une spirale descendante, alors qu’il suffit parfois d’une prise en charge psychologique ou psychiatrique adaptée pour qu’ils comprennent qu’ils peuvent se faire remarquer autrement qu’en faisant des bêtises, et se relancent dans une spirale vertueuse. » Elle illustre ce propos par le souvenir d’un jeune rencontré au cours de sa carrière : « Ma mère n’est jamais venue me chercher à l’école. Au commissariat, elle était bien obligée. »
A. Des donnÉes rares mais rÉvÉlatrices, des observations convergentes
1. Une seule étude nationale globale, ancienne mais révélatrice
La seule étude nationale disponible à ce jour sur les jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) remonte à 2004. Réalisée par l’Inserm, elle mettait déjà en évidence une prévalence élevée des troubles psychiatriques dans cette population. Elle soulignait le cumul de vulnérabilités affectant ces jeunes, souvent marqués par des parcours de vie jalonnés de négligences et de maltraitances durant l’enfance – facteurs de risque connus de violences agies et de conduites délinquantes à l’adolescence.
Ces expériences précoces ont également des conséquences durables sur la santé, tout au long de la vie. L’étude faisait ainsi ressortir des besoins spécifiques en santé mentale, en lien avec des fragilités psychiques (troubles du neurodéveloppement, troubles cognitifs, troubles émotionnels, troubles de l’apprentissage) et comportementales (conduites addictives, troubles liés à la santé sexuelle et affective, mises en danger, comportements hétéro-agressifs, etc.).
Cette étude ne permet pas de rendre compte de l’évolution de la situation au cours des vingt dernières années. La précédente feuille de route relative à la santé mentale des PPSMJ 2019-2022 prévoyait déjà la réalisation d’une nouvelle enquête nationale commandée récemment par la direction de la PJJ dont les résultats étaient attendus au premier semestre 2025.
2. Une étude de référence en centre éducatif fermé : un faisceau d’indicateurs alarmants
L’étude la plus récente faisant référence en matière de santé mentale des mineurs sous protection judiciaire est celle conduite par le Professeur Bronsard en 2019 ([187]), dans un cadre spécifique : les centres éducatifs fermés (CEF). Si elle ne permet pas d’extrapoler à l’ensemble des mineurs suivis par la PJJ, elle offre un éclairage documenté sur un segment du public pris en charge dans les formes les plus contraignantes.
Elle révèle que 46 % des jeunes placés en CEF présentent un trouble psychiatrique, avec des comorbidités fréquentes. Le trouble le plus fréquemment retrouvé est le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), qui concerne 26 % des jeunes, suivi des troubles anxieux (20 %), des troubles de l’humeur (17 %), des troubles psychotiques (7,7 %) et du trouble de stress post‑traumatique (5 %).
Les troubles du comportement sont très largement répandus : 81 % des jeunes présentent un trouble des conduites, recouvrant en grande partie les actes de délinquance juvénile, associé à un trouble psychique dans 37 % des cas.
60 % d’entre eux présentent un développement intellectuel inférieur à la moyenne, en particulier lorsqu’ils sont exposés à des troubles psychiatriques ou à des traumatismes précoces.
62 % des jeunes interrogés ont été exposés à des violences physiques, sexuelles ou émotionnelles, souvent dans un environnement familial déstructuré. L’étude rappelle le rôle déterminant des expériences aversives dans l’enfance – incarcération, addictions ou pathologies psychiatriques parentales, négligences affectives – dans l’émergence des troubles psychiques et addictifs chez les mineurs pris en charge par la justice.
40 % ont consommé à plusieurs reprises des psychotropes pour le sommeil ou l’anxiété.
Enfin, l’étude met en évidence une forte prévalence des conduites suicidaires ou à risque, avec 18 % des jeunes présentant des antécédents de tentative de suicide ou de comportement potentiellement létal.
Ces constats doivent être rapprochés de ceux relatifs aux enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) tant les professionnels s’accordent à dire que les publics ASE et PJJ forment deux populations très proches, entre lesquelles s’exerce un véritable phénomène de vase communiquant.
Les enfants pris en charge par l’ASE présentent une fréquence de troubles psychiques quatre fois plus élevée que le reste de la population. Une enquête de la Haute Autorité de Santé publiée en décembre 2018 souligne que les jeunes accueillis dans les établissements de placement relevant de la PJJ sont encore plus exposés que ceux de l’ASE aux conduites à risque, troubles alimentaires, souffrances psychiques et addictions.
Une forte prévalence établie au niveau international
Au Royaume-Uni, les mineurs en conflit avec la loi présentent une forte prévalence de troubles de l’humeur et d’anxiété (67 % des femmes, 41 % des hommes), d’automutilation (11 % des femmes, 7 % des hommes) et d’antécédents de tentatives de suicide (33 % des femmes, 20 % des hommes ([188]) .
Aux États-Unis, près de 70 % des mineurs qui commettent des actes criminels souffrent d’au moins une maladie mentale pouvant être diagnostiquée ([189]).
Au Canada, selon un rapport du Child and Youth Officer et du Provincial Health Officer datant de 2006, près des deux tiers des mineurs en détention ont été diagnostiqués avec un trouble mental, les mineurs en détention étaient quatre fois plus susceptibles que les enfants de la population générale d’être diagnostiqués avec un trouble mental.
En Nouvelle-Zélande, une étude ([190]) a montré que 50 % à 75 % des jeunes en conflits avec la loi ont été diagnostiqués d’au moins un trouble et que les jeunes en détention ont 10 fois plus de risques de présenter un trouble psychiatrique.
3. L’observation de troubles plus fréquents, plus sévères, plus complexes
Malgré le manque de données récentes, les observations de terrain convergent sur la fréquence de plus en plus alarmante des troubles psychiques chez ces jeunes.
Ce constat est d’abord à mettre en lien avec l’augmentation des troubles psychiques dans la population générale, particulièrement marquée dans la population adolescente, notamment depuis la crise sanitaire. Selon Philippe Leborgne, médecin de santé publique à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « cette dégradation qui se poursuit nous impacte dans la mesure où les mineurs que nous suivons sont particulièrement vulnérables. »
André Ferragne, secrétaire général du CGLPL, confirme : « Dans nos visites, nous voyons de manière massive de la maladie mentale dans des lieux qui ne sont pas prévus pour l’accueillir, surtout dans les centres éducatifs fermés pour les 13‑16 ans. Les éducateurs se plaignent de plus en plus de voir arriver des enfants qui souffrent de troubles. Ce phénomène se propage dans les quartiers pour mineurs et les établissements pour mineurs, puis dans la détention pour adultes. »
Les professionnels interrogés notent une forme de rajeunissement des publics, des profils de plus en plus dégradés, des troubles psychiatriques de plus en plus marqués, davantage de troubles cognitifs, des problèmes d’addiction et de déscolarisation qui interviennent de plus en plus tôt.
Pour la DISP Grand-Centre-Dijon, « déjà fragilisés par des carences précoces et un parcours de vie chaotique, les mineurs présentent de plus en plus fréquemment une santé psychique dégradée, nécessitant une réponse forte en termes de prise en charge psychiatrique. »
La DIRPJJ Sud-Est fait le constat d’une « croissance des situations complexes qui mêlent situations de handicap, troubles psychiques, conduites addictives ».
Selon la DIRPJJ Sud-Est, « la totalité des professionnels qui accompagnent les mineurs PJJ constate des situations individuelles et familiales de plus en plus dégradées, qui favorisent le développement de troubles psychiques et d’addictions. Ce constat est d’autant plus prégnant pour les mineurs placés, qui sont de plus en plus nombreux à souffrir de plurivulnérabilités : suivi ASE puis PJJ, troubles cognitifs et troubles psychiques qui demandent aux professionnels et à l’institution de développer des réponses adaptées et coordonnées entre les différents acteurs. »
« Les conseillers techniques en promotion de la santé des territoires témoignent d’une augmentation du nombre de situations complexes gérées chaque semaine en direction territoriale, » précise la direction.
Parmi les jeunes en situation complexe, la DIRPJJ Grand Nord observe « un nombre croissant de jeunes ayant une reconnaissance MDPH avec une déficience intellectuelle. »
On peut enfin relever un nombre de tentatives de suicides particulièrement élevé.
Nombre de suicides de mineurs et jeunes majeurs suivis par la PJJ
Nombre de tentatives de suicides de mineurs et de jeunes majeurs
suivis par la PJJ
4. Des addictions plus diversifiées, presque généralisées
a. Des usages de substances plus précoces, massifs et à risque
La DPJJ estime que les jeunes qu’elle suit sont plus fréquemment exposés aux conduites addictives avec et sans substance par rapport aux jeunes du même âge en population générale.
Elle constate également « l’existence systématique de pratiques addictives dans les établissements de la PJJ, avec une précocité des consommations, des pratiques à risque et un usage de drogue allant d’une expérimentation simple à l’automédication. »
L’étude INSERM de 2004 précitée mettait déjà en évidence des consommations quotidiennes de cannabis de l’ordre de 66 %.
Selon les témoignages, les conduites addictives seraient plus fréquentes et plus diversifiées.
La DIRPJJ-Sud observe « des problématiques d’addiction de plus en plus nombreuses chez les jeunes, aux conséquences délétères tant sur le plan individuel que collectif. »
La CGT-PJJ observe « des conduites addictives qui se sont diversifiées. Parmi les addictions, on trouve aujourd’hui du cannabis, de l’alcool, des médicaments, de la cocaïne, de l’ecstasy, du protoxyde d’azote (préoccupation grandissante qui touche tant les adolescents que les adolescentes, notamment dans un contexte prostitutionnel), etc.
La consommation de stupéfiants, notamment le cannabis, est très largement répandue si ce n’est majoritairement la norme chez les jeunes que nous accompagnons. Sa prise peut débuter à l’entrée dans l’adolescence, vers 12‑13 ans, et atteindre rapidement des rythmes très élevés, avec plus de 10 joints par jour. »
L’ARS Martinique évalue à environ 70 % la part des jeunes suivis par la PJJ qui consomment des produits stupéfiants.
« Les jeunes vont jusqu’à consommer dans leur chambre la nuit », souligne la CGT PJJ et « l’addiction au téléphone renforce aussi leurs problèmes d’endormissement. »
b. Des addictions numériques qui appellent une vigilance accrue
Les addictions aux « écrans » ne sont pas reconnues comme telles par les classifications des troubles faisant référence. Seules deux addictions en lien avec le numérique le sont : le trouble de l’usage des jeux d’argent et de hasard en ligne et le trouble du jeu vidéo.
Compte tenu de la très forte prévalence des usages problématiques relatifs aux jeux d’argent et de hasard parmi les personnes détenues, une attention renforcée doit être apportée au repérage et à l’accompagnement sur ce sujet. Si la vente de jeux d’argent et de hasard n’est pas autorisée pour les mineurs, son application souffre d’insuffisances, notamment sur Internet. Une meilleure application de cette interdiction est impérative.
La reconnaissance des usages problématiques des écrans fait aujourd’hui l’objet d’un consensus scientifique. Ils peuvent en effet affecter gravement le développement cognitif et l’équilibre psychique. Au regard de leur impact massif, ils appellent une vigilance accrue.
D’autant que, « si le numérique n’est pas la cause de la plupart des infractions commises par les mineurs, l’hypothèse qu’il favorise le passage à l’acte ou permet la commission de certaines infractions est tout à fait vraisemblable :violences, harcèlement scolaire, infractions à la législation sur les stupéfiants, radicalisation », comme le relèvent la MILDECA et l’OFDT.
Parmi les risques les plus préoccupants figure l’exposition massive et précoce à la pornographie, qui tend à altérer les représentations de la sexualité et de la relation affective, en particulier chez les garçons. La MILDECA et l’OFDT soulignent qu’elle peut diminuer la sensibilité à la souffrance d’autrui et accroître l’agressivité. Le visionnage répétitif de contenus pornographiques peut aussi favoriser l’émergence d’un comportement addictif, et parfois conduire à des comportements sexuels à risque. Ces phénomènes sont fréquemment observés chez des adolescents suivis pour des infractions à caractère sexuel.
Chez les filles, la CGT PJJ observe que « les pratiques sexuelles à risques sont aussi plus nombreuses et souvent banalisées. La majorité des jeunes filles sous-main de justice a recours à des pratiques prostitutionnelles. »
Une étude publiée en décembre 2023 ([191]) montre en outre que les poursuites de mineurs pour infractions numériques ont été multipliées par 3,3 de 2013 à 2019, alors que le nombre de mineurs poursuivis au global reste relativement constant. Le nombre de filles jugées pour infraction numérique (17,6 %) était d’ailleurs environ deux fois plus élevé que pour les jugements au global (9 %).
La MILDECA et l’OFDT indiquent que la PJJ est mobilisée sur ces enjeux. « Ainsi, l’évaluation des situations des mineurs aborde systématiquement la question des écrans et des réseaux sociaux et fait partie intégrante de la prise en charge éducative. La grille d’analyse comprend plusieurs items : l’usage des jeux vidéo, des séries, de l’accès à internet, du smartphone et des réseaux sociaux. Elle questionne également sur les conséquences de ces usages notamment en matière de santé, de scolarité et de vie sociale. L’analyse des éléments recueillis permet en cas de besoin d’informer le mineur des dangers ou de l’orienter vers une prise en charge spécifique. »
Lors de notre déplacement à l’unité éducative d’hébergement collectif (UEHC) de Bagneux, nous avons pu mesurer combien le numérique constitue un défi éducatif quotidien, à la fois source de risques majeurs et potentiel levier d’autonomisation et de construction de compétences. Comme le relève la MILDECA, le numérique « participe pleinement à la construction du lien social et de la vision qu’un jeune a de lui-même, des autres, de ses relations avec eux et de sa place dans la société. A ce titre, il constitue un thème incontournable pour les adultes, familles et professionnels ». Le numérique peut constituer un moyen de rester en contact avec son entourage, mais peut aussi exposer à des violences ou faciliter la commission d’infractions, comme indiqué plus haut.
Les pratiques d’encadrement des usages numériques dans les structures de la PJJ apparaissent hétérogènes. Certaines auraient mis en place des interdictions plus ou moins ciblées, d’autres adoptent une position plus souple, sans qu’un cadre commun ne soit défini. Cette diversité rend difficile une régulation éducative cohérente, s’agissant de jeunes qui passent fréquemment d’une structure à une autre. Il apparaît nécessaire d’engager une réflexion visant à harmoniser les pratiques, notamment en envisageant dans certaines situations des interdictions ciblées (comme l’usage nocturne), tout en intégrant des usages pédagogiques et encadrés du numérique.
Préconisation n° 71 : Dans le cadre de l’évaluation des situations de mineurs, accorder une attention renforcée aux usages problématiques du numérique, y compris la pornographie et les jeux en ligne. Prévoir systématiquement un accompagnement renforcé sur ces enjeux.
Préconisation n° 72 : Engager une réflexion afin de définir un cadre national relatif aux usages du numérique au sein des structures de la PJJ.
B. une double faillite en amont : aide sociale à l’enfance et pédopsychiatrie sinistréeS
« La PJJ toute seule ne peut pas tout », ainsi que le relève Philippe Leborgne, médecin de santé publique à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). « Elle intervient en bout de ligne, après une série d’échecs successifs des dispositifs de protection de l’enfance et d’occasions manquées en amont du parcours pénal ». Il n’appartient pas au présent rapport de recenser de manière exhaustive et détaillée les nombreuses carences ou occasions manquées de l’amont qui commencent dès la petite enfance, notamment à l’école, où le repérage précoce des troubles s’est affaibli sous l’effet de la pénurie de médecins scolaires.
Deux d’entre elles méritent toutefois d’être soulignées tant elles éclairent la situation dégradée des jeunes suivis par la PJJ : la faillite de l’aide sociale à l’enfance et celle de la pédopsychiatrie.
Comme le résume Dominique Simonnot, « la faillite de la psychiatrie rejaillit sur la prison et ce marasme commence très tôt, dès l’enfance avec la crise de la pédopsychiatrie. Les enfants les plus fragiles, les plus vulnérables, ceux de l’ASE, paient plus que les autres. On ne repère pas leurs troubles. Ils ne sont pas soignés. Les troubles avancent à bas bruit et ça se termine mal. »
1. Le délabrement de l’ASE, « catastrophe sanitaire »
Des mesures de placement d’enfants en danger qui ne sont pas exécutées ou des magistrats qui n’en ordonnent plus faute de place dans les établissements ; un nombre toujours croissant d’enfants, y compris des tout-petits, qu’on laisse grandir dans des familles défaillantes ou dans des lieux d’accueil inadaptés et en sureffectif ; une pénurie de professionnels, qui conduit à espacer les visites chez des familles à risque en exposant des enfants à la négligence et à la maltraitance ; des parcours faits de ruptures permanentes en raison de l’instabilité des lieux de placement et de la rotation importante des professionnels ; l’absence d’accompagnement à la majorité; une implication très variable départements, dont certains se désengagent de leurs missions relatives à l’ASE ou à une partie de son public, notamment les mineurs non accompagnés; les rapports se succèdent pour dénoncer des carences qui font de l’État le premier parent défaillant de France.
Ces défaillances condamnent de nombreux enfants placés dont la grande vulnérabilité à l’adolescence les conduit massivement vers la rue et/ou le champ pénal.
Les chiffres sont sans appel :
– plus d’une personne incarcérée sur deux a fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative ou d’un placement au cours de l’enfance ;
– près d’une personne incarcérée sur deux a fait l’objet d’une mesure pénale pendant l’enfance ;
– près d’un jeune de 18 à 25 ans sans abri est passé par l’aide sociale à l’enfance ;
– un enfant sur deux pris en charge par l’aide sociale à l’enfance souffre d’au moins un trouble psychique ([192]).
La DPJJ n’a pas communiqué la part des jeunes suivis au pénal qui ont fait l’objet d’une prise en charge par l’ASE ou d’un suivi PJJ au civil mais la DIRPJJ Grand Nord observe qu’environ 70 % des jeunes suivis par la PJJ ont été accompagnés précédemment dans un cadre civil, au titre de la protection de l’enfance.
Julie Houdan-Mauduit, psychologue à l’UEMO d’Argenteuil ([193]), qualifie le « délabrement de la protection de l’enfance » de « catastrophe sanitaire », « d’autant qu’elle se conjugue avec l’effondrement de la psychiatrie infanto juvénile. »
Préconisation n° 73 : faire du renforcement de l’accompagnement des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance une priorité absolue de l’action publique.
2. L’effondrement de la pédopsychiatrie
Les rapports se succèdent pour dénoncer l’effondrement de la pédopsychiatrie. Sa situation alarmante a été récemment décrite par le rapport de nos collègues Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat.
L’effondrement de la pédopsychiatrie décrit par le rapport de Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat sur les urgences psychiatriques
« La pédopsychiatrie, qui supporte à la fois les difficultés de la psychiatrie et celles qui sont propres au secteur de l’enfance, apparaît particulièrement sinistrée et caractérisée par une offre de soins cruellement insuffisante, singulièrement dans le contexte de l’explosion des troubles psychiques des jeunes.
La démographie des pédopsychiatres, dont le nombre a chuté de 34 % entre 2010 et 2022 et dont le renouvellement générationnel n’est pas assuré, est tout simplement alarmante. Les capacités de prise en charge apparaissent structurellement lacunaires et même en diminution : 58 % des lits d’hospitalisation ont été supprimés entre 1986 et 2013, tandis que certains départements demeurent dépourvus de capacité d’accueil à temps complet. Les CMP infanto-juvéniles sont saturés et la prévention demeure très défaillante, notamment dans le cadre scolaire, où la médecine est elle-même déficiente.
Dans ce contexte, la prise en charge des mineurs est souvent opérée dans des conditions inadaptées, par exemple en unité pour adultes.
Bien pire, la prise en charge est parfois impossible et entraîne des pertes de chances évidentes : en 2023, 123 enfants de moins de 15 ans s’étant présentés aux urgences du CHU de Nantes pour des idées suicidaires ou une tentative de suicide, n’ont pu être hospitalisés et ont dû retourner sans soins à leur domicile, alors même que la pédopsychiatre qui les avait évalués énonçait une indication formelle d’hospitalisation.
L’accès aux soins pédopsychiatriques est ainsi en péril et les populations les plus vulnérables sont laissées-pour-compte, à l’image des mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) et des mineurs non accompagnés (MNA).
L’état des lieux est d’autant plus alarmant que les défaillances actuelles se traduiront mécaniquement par une augmentation des troubles psychiatriques, et donc des besoins de prise en charge, à l’âge adulte. »
Et, comme le souligne le rapport précité et la HAS, alors que les enfants ayant une mesure de protection de l’enfance ont un risque plus important de présenter des troubles, leur accès aux soins est plus difficile ([194]).
Une enquête ([195]) sur les adolescents reçus en urgence en psychiatrie infanto‑juvénile a montré que :
– les jeunes accompagnés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou la PJJ consultent moins dans le circuit classique du soin psychiatrique (en particulier les centres médico-psychologiques, (31 %) contre 56 % pour les jeunes en population générale ;
– faute d’un suivi adapté en amont, les jeunes accompagnés par l’ASE ou la PJJ consultent davantage au sein de structures d’urgence (35,8 %) contre 22,1 % des jeunes en population générale.
Malgré un besoin de suivi intensif et régulier en ambulatoire, l’accès aux soins en psychiatrie se fait majoritairement en situation d’urgence, lorsqu’il se fait.
II. Des difficultÉs accrues d’accÈs à des soins coordonnÉs et adaptÉs
En dépit de besoins qualifiés d’« indécents » par Vincent Fritch, membre du bureau national du SNPES PJJ FSU, comme l’indique la DPJJ, « le constat est que ces jeunes ont plus de difficultés à accéder à une prise en charge des troubles psychiques, coordonnée et adaptée à leurs besoins. »
Les modalités de la prise en charge diffèrent selon les modalités de suivi au pénal.
La plus grande partie des mesures prises à l’encontre des jeunes suivis au pénal sont des mesures dites de milieu ouvert. L’essentiel des jeunes sont suivis dans ce cadre.
Certains jeunes font l’objet d’une mesure privative de liberté en centre éducatif fermé ou en centre éducatif renforcé (3 142 mineurs) ou en détention – c’est le cas d’environ 700 mineurs au 1er août 2022.
A. une prise en charge des mineurs privÉs de libertÉ hétérogène
Ils représentent environ 1 % de la population carcérale et entre 3 et 4 % des jeunes suivis par la PJJ.
La DPJJ alerte sur l’augmentation importante du nombre de mineurs incarcérés qui pourrait à brève échéance conduire à une remise en cause du principe de l’encellulement individuel pour les mineurs.
Les mineurs ne peuvent être incarcérés que dans un quartier spécial d’un établissement pénitentiaire – 47 établissements en disposent, essentiellement des maisons d’arrêt – ou dans l’un des six établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs.
34 % des mineurs détenus au 31 décembre 2023 étaient hébergés dans l’un des six établissements pénitentiaires pour mineurs. La majorité (66 %) reste donc hébergée en quartier pour mineurs des maisons d’arrêt, qui sont souvent plus proches du domicile du mineur. Ils sont suivis depuis le début des années 2000 par des professionnels de la PJJ intervenant en détention.
Si les données dont dispose la mission sont très lacunaires, il apparaît que les modalités et la qualité de la prise en charge sont très variables et dépendent notamment du type d’établissement dans lequel les mineurs sont incarcérés.
1. Des capacités de prise en charge variables selon type d’établissement
a. Un accès moins dégradé en établissements pénitentiaires pour mineurs
Selon Mireille Gaüzère, inspectrice générale des affaires sociales, co-autrice du rapport sur l’accès aux soins en détention, les structures conjointement opérées par la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire « sont généralement assez bien équipées en personnel médical et paramédical. Il s’agit généralement d’une priorité de la PJJ et l’administration pénitentiaire, pour la raison que ces populations ont commis les actes les plus graves, en réitération ou en récidive. »
« Nous sommes allés dans plusieurs établissements pour mineurs et y avons constaté un équipement médical assez solide. La pédopsychiatrie rencontre la difficulté générale de la pédopsychiatrie française, c’est-à-dire une grande pauvreté des moyens humains. Pour autant, il y avait des généralistes qui avaient quand même une forte expérience en psychiatrie et des références assez précises concernant la prise en charge de ces mineurs. »
Le CGLPL indiquait également dans un rapport de 2021 sur « les droits fondamentaux des mineurs enfermés » que les établissements pénitentiaires pour mineurs sont « globalement bien organisés pour permettre aux mineurs privés de liberté un accès aux soins satisfaisants ».
Constats du CGLPL sur l’accès aux soins dans les établissements pour mineurs
« La prise en charge sanitaire est faite dès l’arrivée du mineur.
Par exemple, à l’EPM de Quiévrechain, tous les arrivants incarcérés avant 19 heures, sont vus en consultation infirmière le jour même de leur arrivée, week-end inclus, sont reçus par le médecin au plus tard le lendemain de leur arrivée et des tests biologiques leur sont proposés. Les mineurs sont vus systématiquement par une psychologue et ceux dont l’état le nécessite sont pris en charge sur le champ par un psychiatre. Il n’y a ni délai d’attente ni nécessité de programmer les consultations.
Le médecin se rend deux fois par semaine au quartier disciplinaire, ce qui n’est malheureusement pas le cas des psychologues. Il est également regrettable que les traitements, au quartier disciplinaire, soient dispensés à travers la grille. Le consentement aux soins est en principe systématiquement recherché auprès des titulaires de l’autorité parentale par les infirmières et en cas de difficulté par les éducateurs de la PJJ. Néanmoins, lors des extractions, en dépit de niveaux de sécurité toujours faibles, le personnel pénitentiaire est présent aux consultations et aux soins, ce qui constitue une atteinte au secret médical. Les hospitalisations en psychiatrie ont lieu à l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA).
À l’EPM de Marseille, le fonctionnement est sensiblement le même. Néanmoins, les psychologues ne rencontrent pas l’ensemble des mineurs arrivants, en raison d’une disponibilité insuffisante. Dans cet établissement, un livret de présentation de l’unité sanitaire, réalisé par les infirmières sous forme de bande dessinée, est remis au jeune détenu. »
Mais là encore, la santé mentale apparaît trop souvent comme le maillon faible. Ces établissements ne sont pas épargnés par la pénurie de psychiatres, qui est d’autant plus marquée en ce qui concerne les pédopsychiatres.
L’ARS Île-de-France pointe ainsi « une carence en pédopsychiatres qui crée des difficultés de prise en charge. » Elle cite l’exemple de l’établissement pour mineurs de Porcheville, qui comporte 60 places, et où il n’y a pas de psychiatre en exercice. L’accès aux soins des jeunes concernés se fait via le service de psychiatrie adulte de l’hôpital de rattachement.
La DIRPJJ Sud indique que, malgré les moyens déployés, les temps de présence psychiatrique consacrés aux jeunes restent très limités. À titre d’exemple, à l’EPM de Lavaur, un psychiatre n’intervient qu’une demi-journée par semaine pour 58 mineurs détenus. Les besoins y sont tels que selon les organisations syndicales, une unité de mineurs à besoins spécifiques y aurait été mise en place.
La Défenseure des droits note aussi « un défaut de psychologues ou pédopsychiatres dans certains lieux de détention dans lesquels tous les mineurs arrivants ne peuvent être vus » et une « difficulté de recherche de consentement aux soins auprès des titulaires de l’autorité parentale fréquemment soulevée par les soignants et qui se trouve accrue s’agissant des mineurs isolés étrangers. »
b. Une prise en compte insuffisante des spécificités des mineurs dans les quartiers pour mineurs
Dans les établissements non spécifiquement dédiés aux mineurs, les moyens sont ceux de l’ensemble de l’établissement (USMP, SMPR, UHSA).
Plusieurs personnes alertent sur une prise en compte insuffisante des spécificités des mineurs dans ces établissements qui ne sont pas faits pour les accueillir et dans lesquels ils sont très minoritaires.
Les unités sanitaires sont censées leur proposer des soins pédopsychiatriques. Les synthèses des rapports d’activité des USMP ne renseignent pas d’information spécifique sur la prise en charge des mineurs, ce qui est regrettable et signifiant. La DGOS confirme qu’il n’y a pas de pédopsychiatre partout où il y a des mineurs. Elle devait apporter des précisions à ce sujet, qui n’ont pas été transmises.
Anne-Sophie Lepinard, présidente de la commission accès au droit et membre de la commission libertés et droits de l’homme du conseil national des barreaux, a insisté sur les difficultés rencontrées dans ces quartiers pour mineurs, sans accès à des personnels spécialisés.
Ainsi, il n’y a par exemple plus de pédopsychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt de Grasse depuis 2021 qui accueille un public mineur. La mission s’est rendue à Fleury-Mérogis, où elle a constaté l’absence de pédopsychiatre pour un quartier pour mineurs qui en accueille 57 au 1er janvier 2024.
Les mineurs sont également confrontés à des difficultés d’accès, majorées par la surpopulation.
Sur le plan logistique, le principe selon lequel ils ont l’interdiction de croiser des détenus majeurs, tout comme les femmes ne peuvent croiser des hommes, est une contrainte forte : les déplacements de mineurs dans l’établissement donnent lieu au « blocage » des autres mouvements de détenus. Lorsqu’un mineur doit se rendre à l’USMP, il ne peut y croiser de majeurs, ce qui peut conduire à la fixation de créneaux limités pour leurs consultations.
L’ARS Bourgogne-Franche-Comté a constaté que les unités sanitaires et le CSAPA ne se rendaient pas dans les quartiers mineurs, alors même que les jeunes ont des difficultés à se déplacer vers l’unité sanitaire en raison de leur emploi du temps et des interdictions de croiser des majeurs. L’ARS indique avoir contribué au financement de l’aménagement d’un local dédié au sein du quartier mineurs, afin d’y assurer une permanence hebdomadaire de soins et de faciliter l’accès aux soins de ce public.
La DISP Nord confirme qu’un accès aux soins peut s’avérer difficile dans certains établissements, en raison de l’éloignement géographique du quartier mineurs au sein de l’établissement. Elle cite le centre pénitentiaire de Longuenesse et évoque une réflexion en cours sur l’organisation des mouvements, avec l’idée de réserver des créneaux spécifiques pour faciliter l’accès aux soins.
Le CGLPL indique que des aménagements sont possibles pour assurer une prise en charge spécifique des mineurs au regard de leur vulnérabilité.
Des aménagements possibles dans certains quartiers mineurs ([196])
À la maison d’arrêt de Grenoble-Varces, les infirmiers et un psychiatre se rendent au quartier mineurs pour rencontrer les arrivants. Au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes, les mineurs arrivants sont reçus à titre principal par un binôme de soignants qui évalue le besoin de soins. Au centre pénitentiaire de Villeneuve-lès-Maguelone, un trio référent a été identifié : un psychologue, un médecin généraliste et un psychiatre. De même, à la maison d’arrêt d’Angoulême, il existe une prise en charge spécifique pour la population mineure : un psychologue et un infirmier sont référents institutionnels et travaillent en étroite collaboration avec l’éducateur. Au centre pénitentiaire de Ducos, l’infirmier référent est présent à la commission pluridisciplinaire unique des mineurs et le personnel du service médico-psychologique régional (SMPR) se déplace régulièrement au quartier mineurs.
Enfin, « s’agissant des mineurs non accompagnés, qui sont nombreux parmi les mineurs détenus notamment en raison de l’absence de garantie de représentation et souvent placés en quartier mineur plutôt qu’en établissement pénitentiaire pour mineurs, » la Défenseure des droits appelle à « former l’ensemble des personnels à leur prise en charge particulière (addictions, traumatismes liés au parcours migratoire...), et assurer aux personnels l’accès aux interprètes de manière rapide et adaptée pour leur permettre de dialoguer rapidement avec le mineur. »
c. Une prise en charge particulièrement inégale en centre éducatif fermé
Les CEF bénéficient en théorie de 1,5 ETP (hors psychologue) de professionnels de santé. Selon la DPJJ, tous les CEF sont dotés de psychologues et d’infirmiers, permettant notamment de réaliser un bilan de santé à l’arrivée.
La DIRPJJ Centre Est souligne toutefois que l’accès aux soins des CEF dépend de la capacité à pourvoir ces postes. Or, « aucun des 6 CEF de la DIRPJJ Centre Est ne dispose d’1,5 ETP de professionnels de santé. »
Par ailleurs, André Ferragne, secrétaire général du CGLPL, alerte sur le caractère particulièrement inégal, « encore plus erratique que dans les établissements pénitentiaires », de la prise en charge psychiatrique au sein des centres éducatifs fermés. En établissements pénitentiaires, l’unité sanitaire et les soins sont adossés à un hôpital, quelle que soit la taille de l’établissement. Ce n’est pas le cas des CEF, qui sont souvent des petites structures de 12 places très isolées.
L’accès à des soins spécialisés dépend ainsi entièrement des ressources locales et de la capacité des centres à établir des partenariats avec les structures de pédopsychiatrie (CMP, hôpitaux, maisons des adolescents).
Une expérimentation de CEF dits « santé mentale », lancée en 2008 avec des moyens renforcés en psychiatres, avait été évaluée par une mission conjointe IGAS-IGJ en 2013, qui en avait préconisé l’arrêt. Elle estimait que l’orientation spécifique portait un effet stigmatisant, sans répondre à des profils sensiblement différents de ceux des CEF ordinaires. La mission recommandait plutôt de favoriser des partenariats avec les dispositifs de soins de droit commun.
De fait, toutes les directions interrégionales de la PJJ font remonter des difficultés pour accéder à un psychiatre. Les CEF déplorent l’impossibilité de bénéficier de l’intervention de psychiatre en interne et la difficulté de pouvoir solliciter un psychiatre de ville.
La DIRPJJ Sud indique que sur l’interrégion, il n’existe pas de partenariat spécifique. Au CEF de Nîmes, la convention qui permettait la mise à disposition d’un temps de psychiatre n’a pas été renouvelée, faute d’accord entre la PJJ et le CHU de Nîmes sur les conditions d’exercice du psychiatre.
Philippe Leborgne indique que certaines directions territoriales parviennent à financer des vacations d’une journée de pédopsychiatre au sein des centres éducatifs fermés, mais que ces initiatives se heurtent fréquemment au refus des établissements hospitaliers qui privilégient l’affectation de leurs professionnels aux soins dispensés en CMP ou à l’hôpital.
André Ferragne évoque également la visite du CEF de Sainte-Gauburge dans l’Orne, où la seule solution est de faire deux heures de voiture pour emmener un jeune voir un psychiatre à Caen.
Une prise en charge des mineurs placés en CEF très inégale, selon le CGLPL ([197])
« Si plusieurs CEF bénéficient de pôles sanitaires efficaces, quelquefois même d’infirmières qui jouent un rôle actif dans la prise en charge des enfants et l’éducation à la santé, d’autres, faute de bénéficier du soutien de structures hospitalières fortes, ne fournissent qu’une prise en charge sommaire, principalement assurée par la médecine libérale des environs, par exemple à Sinard ou à Cambrai, où cela se fait avec facilité.
En revanche, il arrive que ce soit plus difficile. Par exemple à Moissannes, où le recours à des spécialistes est peu aisé, avec des délais d’attente longs, comme pour le dentiste, ou en raison du refus de certains praticiens. Pour des enfants dont l’état de santé est souvent dégradé par l’errance, les addictions, la négligence ou l’éloignement durable des soins, une telle prise en charge n’est pas suffisante.
Cette observation est plus vraie encore en ce qui concerne les soins psychiatriques. En effet, rares sont les CEF qui bénéficient d’une convention avec un établissement de santé mentale de sorte que certains enfants soumis à des traitements sédatifs au long cours n’ont pas accès à un suivi psychiatrique adapté.
Dans certains CEF, des conventions locales permettent des entretiens réguliers des mineurs avec des psychologues parfois chaque semaine, comme à Cambrai, ou au moins à l’arrivée et une fois par mois, comme à Allonnes. Ces interventions peuvent être complétées par celles d’un art-thérapeute, comme à Moissannes.
Dans les centres qui ne disposent pas d’un partenariat institutionnalisé, par exemple à Sinard ou Saint-Jean-la Buissière, la présence régulière d’un psychiatre fait défaut, même si le plus souvent, il est possible d’en solliciter un. De même, il peut arriver que la prise en charge des mineurs dans les centres médico-psychologiques soit impossible au motif qu’ils ne relèveraient pas du secteur.
Dans un centre au moins, celui de la Jubaudière, pour les jeunes qui sont auteurs d’infractions à caractère sexuel, le centre ressource pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles est sollicité. »
Pour pallier les carences en matière de diagnostic et de prise en charge psychiatrique, Philippe Leborgne a évoqué une solution expérimentée localement : la mobilisation d’un interne en pédopsychiatrie. Ce dernier effectue son stage au sein de la PJJ, sous la supervision d’un psychiatre senior, et réalise des vacations dans les structures éducatives. Il peut ainsi voir les jeunes pour une première évaluation et, le cas échéant, orienter les situations complexes vers un praticien confirmé. Cette solution, jugée très satisfaisante par les professionnels, permet de « colmater les brèches » en l’absence de ressources pérennes. Les internes peuvent intervenir deux jours par semaine sur plusieurs centres éducatifs fermés.
Ces mesures peuvent être des outils permettant de susciter des vocations. Elles doivent cependant s’accompagner d’une garantie d’un bon encadrement des internes.
2. Des angles morts et des carences
Au-delà de toutes les difficultés évoquées dans la deuxième partie du présent rapport, les mineurs apparaissent confrontés à des difficultés renforcées dans l’accès à certaines prises en charge et singulièrement à l’accès à l’éducation.
a. Un accès plus difficile à des soins adaptés en addictologie
S’agissant des possibilités d’accès à des substances psychoactives en détention, l’OFDT souligne des disparités entre établissements pénitentiaires. « Par rapport aux établissements accueillant des majeurs (et disposant parfois d’un quartier réservé à l’accueil des mineurs), les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), notamment du fait du nombre supérieur de personnels de surveillance par rapport au nombre de détenus écroués, présentent un environnement plus “hermétique”, où les opportunités de contournement des règles sont moindres, rendant ainsi la circulation des substances plus limitée et imposant de fait un sevrage aux jeunes détenus. À l’inverse, dans les quartiers pour mineurs, les produits restent plus accessibles, en raison des interactions avec les détenus majeurs et des échanges via les transactions de “cantine” ou des réseaux interpersonnels. »
Malgré des besoins massifs, quels que soient les établissements dans lesquels ils se trouvent, en matière d’addictologie, Barbara Sclafer, chargée de mission Santé-Justice à la Fédération addiction, souligne que les mineurs incarcérés n’ont pas accès aux mêmes soins que ceux disponibles en milieu libre, où la prise en charge se fait principalement par les consultations jeunes consommateurs (CJC) qui dépendent des CSAPA.
« En détention, les mineurs relèvent d’unités sanitaires qui ne sont pas nécessairement spécialisées dans la clinique de l’adolescence, ce qui est particulièrement regrettable compte tenu de la spécificité et de la complexité de leurs parcours et des très hauts niveaux de consommation observés. » Elle relève notamment l’absence, dans les quartiers mineurs comme dans les établissements pour mineurs, de dispositifs spécialisés tels que les CJC accessibles en milieu libre. Elle souligne également que les CSAPA référents n’interviennent pas auprès de ce public.
De son côté, la DPJJ indique que des consultations jeunes consommateurs avancées se développent, dans une proportion qui n’est pas précisée.
Elle considère que l’intervention des CSAPA référents auprès des mineurs n’est pas pertinente, comme en témoigne une expérimentation récente conduite en Île-de-France via un élargissement de la mission des CSAPA référents au public mineur. « Le retour d’expérience a permis de faire ressortir que l’intervention auprès de mineurs incarcérés nécessite l’intervention d’une CJC et une adaptation de l’offre de soins. L’accessibilité au dispositif doit être pensée de manière adaptée aux jeunes pour susciter une accroche et un intérêt. Les jeunes ont des contraintes horaires différentes des adultes incarcérés auxquels il faut pouvoir s’adapter. »
Au regard de leurs besoins massifs, il est particulièrement regrettable qu’un dispositif adapté n’ait pas encore été mis en place pour les mineurs.
Ces éléments témoignent d’une prise en charge bien trop lacunaire des besoins addictologiques spécifiques de cette population.
Barbara Sclafer évoque une forme d’« invisibilisation » des mineurs dans les politiques publiques menées en détention en raison de leur faible nombre. Selon Mirelle Gaüzère, « en addictologie, la faiblesse des cohortes rend parfois difficile l’organisation de manière méthodique d’une prise en charge des problèmes de santé, comme pour les femmes. »
b. Des difficultés particulières d’accès à l’hospitalisation
La DIRPJJ Sud juge l’accès à une place en UHSA très contraint. « Depuis la signature d’une convention avec l’ARS en 2023, un seul mineur a pu y être pris en charge », précise-t-elle. De manière plus générale, les mineurs ne représentent en effet qu’environ 1 % de l’activité des UHSA.
L’ARS Martinique indique qu’il est particulièrement difficile de faire admettre les mineurs en hospitalisation complète, en raison notamment des réticences exprimées par l’USIP. Elle souligne l’absence de toute structure dédiée à l’hospitalisation pédopsychiatrique sur le territoire.
Préconisation n° 74 : Orienter prioritairement les mineurs détenus nécessitant des soins psychiatriques vers des services de pédopsychiatrie spécialisés hors UHSA, et privilégier la suspension de peine ou la libération conditionnelle pour raison médicale lorsque leur état de santé l’exige.
c. Un accès entravé aux activités et de graves carences éducatives
De manière générale, le CGLPL note un accès aux activités insuffisant et un très fort sentiment d’ennui pendant les week-ends et les vacances scolaires où il arrive que les mineurs restent 22 heures sur 24 en cellule, « à jouer à la PS », comme le souligne Dominique Simonnot.
Surtout, alors que l’écrasante majorité des mineurs concernés a connu le décrochage scolaire, le CGLPL estime que les enfants placés en CEF bénéficient souvent de moins de cinq heures de cours hebdomadaires effectifs, y compris des mineurs de moins de seize ans. Dans les EPM, le temps consacré à l’enseignement serait souvent plus important mais ne passerait jamais la quinzaine d’heures hebdomadaires tandis qu’il varie entre deux et six heures dans les quartiers mineurs. Pour mémoire, un collégien français suit vingt‑six heures d’enseignement chaque semaine, hors options facultatives.
En outre, dans les CEF comme dans les EPM et quartiers mineurs, les enseignements sont interrompus durant les deux mois d’été. La direction générale de l’enseignement scolaire indique, selon le CGLPL, que des obstacles statutaires s’opposent à la mise en œuvre d’enseignements durant les vacances scolaires d’été.
Des lacunes confirmées par les directions interrégionales de la PJJ
La DIRPJJ Grand Est précise avoir repéré cet axe lors d’un contrôle des missions éducatives en maisons d’arrêt du Grand Est en 2024 et travailler avec la proviseure de la DISP Grand Est afin de tenter de « trouver des solutions ».
La DIRPJJ Sud Ouest confirme que la cible de 12 heures d’enseignement n’est pas atteinte : « elle s’élevait en moyenne à 7,6 heures sur l’ensemble des 4 quartiers mineur en 2023 et dépassait à peine les 8 en 2024. L’objectif affiché reste néanmoins de se rapprocher le plus possible des 12 heures d’enseignement prévues en quartier mineurs même si la surpopulation carcérale complique les choses car les ETP d’enseignants sont basés sur la capacité théorique des établissements pénitentiaires. »
La DIRPJJ Centre Est précise que « la moyenne d’heures d’enseignement scolaire dispensée par mineur varie selon la période de placement. Sur les deux premiers mois, la moyenne est d’environ 6 heures d’enseignement par jeune et par semaine. A partir du troisième mois, la moyenne est d’environ 4,5 heures d’enseignement car les jeunes peuvent être en situation de stage. Les deux derniers mois de placement, la moyenne est d’environ trois heures par jeune et par semaine. »
L’accès aux activités et à l’éducation est essentiel pour la réinsertion et l’équilibre psychique.
La CGT-PJJ souligne également l’impact déterminant d’un « quotidien plus ou moins occupé » sur les conduites addictives. Une diminution de ces conduites est observée « lorsque le jeune est engagé dans un parcours d’insertion, signe d’une remobilisation », et à l’inverse, les consommations repartent à la hausse lorsque le jeune se retrouve sans activité.
Préconisation n° 75 : Garantir le droit à l’éducation lors de l’incarcération des mineurs et prévoir des aménagements pour permettre la continuité pédagogique pendant les vacances d’été.
Préconisation n° 76 : Ajuster les ETP d’enseignants à la population réelle.
B. En milieu ouvert, une prise en charge très lacunaire et inégale qui repose sur des partenariats fragiles
1. Une prise en charge inégale, un fossé qui se creuse entre l’offre et la demande
a. Une prise en charge relevant du droit commun, adossée à des partenariats territoriaux de plus en plus fragiles
La prise en charge des troubles psychiques des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse en milieu ouvert relève en principe du droit commun, les soins étant assurés par les structures sanitaires ordinaires (CMP, hôpitaux de jour, maisons des adolescents etc.).
Même si l’état de santé mentale des jeunes est toujours pris en compte, l’accompagnement réalisé par la PJJ reste prioritairement éducatif et non soignant.
Pour faciliter l’accès aux soins des mineurs suivis par la PJJ, des conventions entre les directions interrégionales de la PJJ et les ARS ont été signées dans plusieurs régions, qui ont permis de décliner des partenariats avec plusieurs centres hospitaliers, équipes mobiles de psychiatrie ou maisons des adolescents, notamment pour la réalisation de bilans de santé globale et allant même jusqu’à la réservation de lits d’hôpital ([198]).
Cependant, les partenariats avec la pédopsychiatrie sont de plus en plus inégaux et fragiles selon les territoires, en raison de la pénurie de l’offre de soins.
Les partenariats avec les équipes mobiles de psychiatrie, comme ceux noués avec les maisons des adolescents, reposent souvent sur la mise à disposition de personnels de la PJJ au sein de ces structures. Près d’un quart des maisons des adolescents (MDA) disposent d’éducateurs mis à disposition par la PJJ ([199]). Ces structures sont elles-mêmes saturées et ces mises à disposition tendent à être remises en cause, les besoins croissants en ressources humaines de la PJJ entraînant des rapatriements. Ces tensions risquent fortement de s’accroître, en raison notamment des contraintes budgétaires induisant des suppressions de postes au sein de la PJJ : le 31 août 2024, la PJJ annonçait ainsi ne pas renouveler les contrats de 500 éducateurs, psychologues et assistants sociaux contractuels.
b. Des prises en charge très inégales, un fossé qui se creuse entre l’offre et la demande
En dépit de ces partenariats, les acteurs de la PJJ sont confrontés à la saturation d’une offre de soins structurellement insuffisante et à l’incapacité de mettre en œuvre des parcours de soins.
Les délais d’accès aux soins sont ceux du droit commun, des délais devenus « totalement fous » selon Julie Houdan-Mauduit, psychologue à l’UEMO d’Argenteuil, « six mois, un an pour un rendez-vous, autant pour une hospitalisation… »
« Des délais totalement fous »
D’après une enquête réalisée par la Fédération hospitalière de France (FHF) en 2023, en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent :
– 45% des établissements décrivent des délais d’accès à l’ambulatoire compris entre 5 mois et plus d’un an ;
– le délai moyen d’accès à l’hospitalisation en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est compris entre 1 et 4 mois pour 20 % des établissements. 13 % des établissements déplorent des délais d’accès à l’hospitalisation de 5 mois à 1 an.
Ces délais s’appliquent aux jeunes de la PJJ puisque leur prise en charge relève des soins de droit commun.
Face à cette situation, les professionnels font état d’un profond désarroi. Ils se sentent souvent seuls face à des situations cliniques de plus en plus complexes.
Les psychologues de la PJJ sont en première ligne pour évaluer les besoins des mineurs et mettre en place un accompagnement, ainsi qu’une éventuelle prise en charge médicale lorsque celle-ci est possible. L’enjeu du repérage et de la prise en charge précoce des troubles est majeur.
Les professionnels de la PJJ souffrent pourtant d’un manque d’accès à une évaluation psychiatrique. Ce manque est d’autant plus regrettable qu’il existe, chez ces jeunes, « un fort potentiel de correction de trajectoire, à condition de se donner les moyens. Les études médico-économiques montrent qu’un euro investi dans le repérage précoce peut générer des bénéfices importants », comme le souligne Frank Bellivier. Pourtant, nombre de professionnels se trouvent démunis faute d’accès à un diagnostic formel. Des troubles du neuro-développement, comme le TDAH, restent ainsi non diagnostiqués car ils nécessitent l’intervention d’un psychiatre.
Les professionnels souffrent également d’un manque criant de solutions identifiées et de capacités réelles d’orientation, lorsqu’un diagnostic a pu être posé.
Chaque éducateur ou psychologue tente, à son niveau, de se constituer un réseau de recours, de manière empirique et inégale. Cette logique artisanale engendre des disparités importantes.
Certains centres éducatifs fermés ou unités éducatives d’hébergement collectif (UEHC) parviennent, grâce à un investissement local, à bénéficier d’un conventionnement avec un service de pédopsychiatrie, permettant par exemple l’intervention hebdomadaire d’un pédopsychiatre, comme à l’UEHC de Bagneux. Mais ces situations restent isolées, et les directions interrégionales n’ont pas toujours de vision consolidée de ces arrangements.
Les délais de prise en charge varient fortement selon les territoires et les interlocuteurs. Là où des liens de confiance ont été construits avec les équipes de soin, une certaine réactivité est possible. Mais ces partenariats, aussi précieux soient-ils, ne peuvent compenser la faiblesse structurelle de l’offre.
Un accès insuffisant des mineurs aux compétences spécialisées en matière de prise en charge des traumatismes
La mission des inspections sur les mineurs en grande difficulté constate que les compétences spécialisées pour le diagnostic et la prise en charge des troubles du stress post-traumatique sont insuffisamment accessibles aux mineurs. À cet égard, les centres régionaux du psychotraumatisme sont encore majoritairement orientés vers le public adulte – d’après le délégué ministériel à la psychiatrie et à la santé mentale – et/ou manquent des ressources pour jouer leur rôle d’évaluation au sein des régions qu’ils sont censés couvrir.
Rattachés à des centres hospitaliers, les 17 centres régionaux du psychotraumatisme (CRP) et leurs antennes sont un dispositif de prise en charge globale (accueil, orientation et traitement) des personnes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Formées au psychotraumatismes, les équipes de professionnels proposent les soins les mieux adaptés à chaque personne à l’épreuve d’un évènement traumatisant.
L’offre de soins ambulatoire étant peu disponible, l’hospitalisation de crise, répétée, reste trop souvent la seule réponse thérapeutique.
Ludovic Friat, président de l’union syndicale des magistrats (USM) souligne que « les juges des enfants font face à des mineurs qui ont des troubles psychiatriques et pour lesquels il est quasiment impossible d’obtenir une hospitalisation en service psychiatrique hospitalier pour adolescent. »
Comme le souligne la CGT-PJJ, « l’hospitalisation dans des lieux repérés pour ce public relève quasiment de l’impossible étant donné l’engorgement et les fermetures successives des unités. De ce fait, il ne s’agit alors que de « gestion de crise » par appel aux urgences, stabilisation (souvent médicamenteuse) et renvoi vers les unités éducatives. » Les difficultés de placement en hospitalisation dans un service de pédopsychiatrie peuvent dans certains cas amener à une hospitalisation dans une unité pour adultes, occasionnant une prise en charge non adaptée voire exposant à des expériences pathogènes et traumatisantes.
La DIRPJJ Grand Nord va dans le même sens : « les professionnels de la PJJ peuvent se sentir démunis par les agissements répétés de certains mineurs (mises en dangers, passages à l’acte auto agressifs, tentative de suicide…). Les services d’urgence vont parfois les prendre en charge sur une durée de 24 heures, parfois plus après évaluation des symptômes. L’hospitalisation n’est plus envisagée que temporairement. Certains mineurs vont être accueillis en Centres d’Accueil de Crises (CAC), structures qui jugulent la crise. L’hospitalisation va osciller entre 5 et 7 jours et demandera une continuité qui ne peut pas toujours être assurée par les CMP, faute de moyens... »
Le dispositif santé protégé : une généralisation limitée à l’ASE
Dans le cadre de la stratégie nationale de protection de l’enfance, une expérimentation pilotée par la DGCS sur le parcours de soins coordonné des enfants et adolescents de l’ASE a été lancée en 2021. Cette expérimentation prévoyait :
– une évaluation médicale et psychologique en médecine de ville sous forme de consultation complexe ;
– une orientation si nécessaire vers une prise en charge en santé mentale précoce, le cas échéant, auprès de professionnels libéraux (psychologues et psychomotriciens).
Un forfait de 430 euros/enfant/an est versé à une structure de coordination départementale par l’assurance maladie.
Cette expérimentation a débuté en 2021 initialement sur 3 départements (Loire Atlantique, Pyrénées Atlantique et Haute Vienne) pour les mineurs confiés à l’ASE et a été étendue à 600 mineurs suivis par la PJJ en Loire Atlantique, les premières inclusions ont commencé pour la PJJ en 2022.
Le dispositif a été évalué par un opérateur désigné par le Ministère de la Santé (uniquement pour l’ASE, pas pour la PJJ), il a été recommandé une généralisation sur l’ensemble du territoire pour les enfants de l’ASE.
Des décrets sont prévus à l’été 2025 en vue d’une généralisation du dispositif Sante Protégée mais uniquement pour l’ASE, les mineurs PJJ en étant exclus.
Préconisation n° 77 : Inclure les mineurs suivis par la PJJ dans le dispositif Santé protégée.
c. Des soins ordonnés par le juge qui restent souvent des coquilles vides
Pour les mineurs, le système judiciaire peut ordonner des mesures éducatives mais aussi des mesures de soins : obligations de soins dans le cadre des procédures criminelles, modules de soins dans le cadre des mesures éducatives judiciaires ([200]).
En 2024, 9 877 modules santé ont été prononcés sur l’ensemble des directions interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse (DIR PJJ). La DPJJ estime que ces mesures sont sous-mobilisées par les juges des enfants « faute d’étayage médical suffisant dans l’environnement. »
Certains éducateurs font également part de leurs interrogations quant à la pertinence de certains modules, selon les informations communiquées par la DIRPJJ Sud. « Selon certains éducateurs, ces modules semblent parfois être prononcés de manière systématique en l’absence de situation particulière, de problématique spécifique de santé rencontrée par le jeune. Certains professionnels ajoutent que des magistrats semblent parfois faire un amalgame entre trafic et consommation de stupéfiants. Ils déclarent perdre le sens de la mesure lorsque les magistrats orientent trafiquants et consommateurs de la même manière. »
Surtout, comme pour les majeurs, de nombreux acteurs confirment que ces obligations et modules de soins restent très souvent lettre morte, faute de ressources psychiatriques disponibles pour les mettre en œuvre.
2. Une orientation médico-sociale entravée pour les mineurs en situation de handicap
Parmi les jeunes pris en charge à la PJJ et en situation complexe, les professionnels observent un nombre croissant de jeunes souffrant de troubles cognitifs. Or, les équipes éducatives ne sont pas encore suffisamment formées pour répondre aux besoins spécifiques de protection et d’accompagnement de ces jeunes
Au regard des troubles du neuro-développement observés chez les jeunes et des besoins d’orientation, les places dans les structures médico-sociales (instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques – ITEP– et instituts médico-éducatifs – IME) sont trop rares. Dans plusieurs départements des orientations dans ce type de structure ne peuvent être mises en œuvre.
La DIRPJJ Sud observe que « depuis la mise en œuvre des DITEP, l’accès et la prise en charge en ITEP est difficile et complexe. Les difficultés rencontrées pour activer les notifications MDPH représentent un frein. »
Selon les professionnels de terrain, de nombreux jeunes suivis par la PJJ disposent d’une orientation MDPH qui ne peut être mise en œuvre faute de place dans les structures médico-sociales adaptées. Il faut parfois, selon certains témoignages, attendre un à deux ans avant de bénéficier d’une prise en charge effective.
La DIRPJJ Grand Nord observe à cet égard que les professionnels peuvent se retrouver en difficulté face à certains profils complexes de jeunes qui, auparavant, relevaient de structures comme les IME, les ITEP ou les maisons d’enfants à caractère social, mais qui sont désormais placés dans un cadre pénal – souvent à la suite de dégradations ou d’agressions survenues dans ces structures. Or, une unité de placement de la PJJ ne dispose pas du plateau technique et médical nécessaire pour assurer le continuum thérapeutique que requièrent ces situations. De plus, l’organisation quotidienne de ces unités, qui doivent encadrer simultanément jusqu’à douze jeunes, s’accorde mal avec les besoins spécifiques de ces adolescents nécessitant une attention constante, voire une protection vis-à-vis du groupe.
C. Des freins qui s’additionnent : ruptures fréquentes, public difficile d’accès, indisponibilité des psychologues
1. Des parcours faits de successions de ruptures
La durée moyenne de prise en charge des mineurs par la PJJ est de 15 mois. La moitié des jeunes sont suivis pendant moins de huit mois. Pour un accompagnement éducatif et médical, il s’agit d’un laps de temps très réduit, d’autant plus qu’il n’existe aucun suivi à l’issue de la mesure.
Au-delà, le parcours de ces jeunes les expose à de très nombreuses ruptures, qui sont autant de freins à la continuité d’une prise en charge.
Les mineurs sont tout d’abord confrontés à des ruptures lorsqu’ils basculent d’un dispositif à un autre : protection de l’enfance, justice des mineurs, structures sanitaires. Chaque institution fonctionnant en silo, sans gouvernance partagée, les jeunes les plus vulnérables tombent dans les interstices du système.
La détention entraîne des ruptures d’autant plus importantes que les durées d’incarcération sont souvent très brèves. Comme pour les majeurs, de nombreux professionnels de la PJJ soulignent également le manque d’échange d’informations entre les services de soins et les services éducatifs en détention, qui nuit à la cohérence de la prise en charge et à la préparation de la sortie. Le CGLPL relève que les jeunes arrivent parfois en centre éducatif fermé (CEF) sans dossier médical, et qu’ils peuvent en ressortir toujours sans dossier, le CEF ignorant leur destination.
Le changement de domicile à la suite d’un placement peut se révéler peu compatible avec l’organisation sectorisée du système de santé, ce qui constitue un frein à l’accès aux soins.
Des ruptures apparaissent également au passage à la majorité, comme en témoignent les relais très perfectibles entre les éducateurs de la PJJ et les SPIP.
Les professionnels rencontrés lors des visites du CGLPL regrettent pour la plupart qu’il n’existe pas de dispositif permettant de connaître le devenir du mineur un temps enfermé.
Pour répondre à cette discontinuité, la DPJJ suggère d’étendre son mandat éducatif au-delà de la durée de la mesure judiciaire proprement dite, sur une durée administrative complémentaire, afin d’éviter les ruptures et, le cas échéant, de mieux réinsérer le mineur dans les dispositifs de droit commun. Par exemple, un accompagnement prévu sur six mois par le magistrat pourrait se poursuivre pendant six mois supplémentaires.
Préconisation n° 78 : Étendre le mandat de la PJJ au-delà de la mesure judiciaire proprement dite, sur une durée administrative complémentaire, afin d’éviter les ruptures et, le cas échéant, de réinsérer le mineur dans les dispositifs de droit commun.
Un parcours emblématique des failles systémiques ([201])
Un jeune homme de 17 ans, bénéficiaire d’une reconnaissance MDPH depuis l’école primaire, fait l’objet d’orientations scolaires spécifiques, puis, à partir de 2021, d’une orientation vers un institut médico-éducatif (IME). Faute de place, cette orientation ne peut se concrétiser. Inadapté aux dispositifs de droit commun, le jeune sort progressivement du système scolaire. Ce vide génère des angoisses massives, menant à une décompensation psychotique. Pris dans un délire de persécution, il agresse sa voisine, convaincu qu’elle voulait nuire à sa mère.
Incarcéré en détention provisoire pendant un an et demi dans un établissement pour mineurs, il fait l’objet d’une mesure d’investigation éducative décrivant une symptomatologie psychiatrique lourde : propos incohérents, délires de persécution, symptômes dissociatifs. En raison de troubles du comportement et de tensions dans le collectif, il est transféré à six reprises d’unité en unité. Il bénéficie d’une hospitalisation en UHSA, mais se retrouve profondément sédaté, au point d’éprouver des troubles d’élocution et de dormir toute la journée. Le psychologue de milieu ouvert tente d’entrer en contact avec les soignants de l’UHSA, sans succès : aucun échange n’est possible, les psychiatres et psychologues refusent de participer aux synthèses.
La sortie de détention se fait sans préparation. Aucun relais n’est prévu pour la poursuite du traitement, qui est brutalement interrompu. Très vite, les symptômes réapparaissent. La mère du jeune homme alerte sur la dégradation de son état : destruction de son matelas, chambre ravagée, propos suicidaires et menaçants, délire persistant. Le jeune sollicite régulièrement le service pour qu’il l’aide à trouver un emploi, sans conscience de ses incapacités.
2. Un public difficile à mobiliser, souvent éloigné du soin
Beaucoup d’acteurs rencontrés soulignent que les mineurs suivis par la PJJ constituent un public plus éloigné du système de santé, particulièrement réfractaire aux soins. La DIR-PJJ Grand Nord observe ainsi que ces jeunes ont fréquemment tendance à éviter ou fuir les contraintes, par peur, défiance ou absence d’éducation à la santé pendant l’enfance.
L’ARS Centre-Val de Loire confirme également que l’absence de demande de soins, qui ne signifie pas l’absence de besoins, mais témoigne d’une incapacité ou d’une réticence à les exprimer, constitue une difficulté majeure dans la prise en charge de ces publics.
Par ailleurs, les aléas de la vie familiale jouent un rôle non négligeable. Les équipes évoquent fréquemment des situations où une dispute avec un parent la veille d’un rendez-vous suffit à désengager totalement le jeune de la consultation prévue.
Pour la CGT PJJ, la mobilisation des adolescents autour du soin est de plus en plus difficile, non seulement en raison de leurs résistances individuelles, mais aussi de leur faible autonomie dans les démarches de santé.
Pour autant, une mobilisation progressive reste possible. Pour ce faire, les professionnels doivent non seulement disposer des moyens, mais surtout du temps nécessaire pour accompagner ces jeunes dans leurs parcours, un temps qui fait de plus en plus défaut, selon les témoignages.
3. Des psychologues de la PJJ en perte de capacité d’action
Comme le souligne la DIRPJJ Grand Est, le temps de travail des psychologues au sein des unités est fréquemment jugé insuffisant au regard des besoins des adolescents pris en charge.
Les professionnels de la PJJ alertent sur l’effet cumulé de la surcharge de mesures et de la multiplicité des tâches administratives, qui réduit le temps disponible pour créer du lien avec les jeunes, au détriment de la qualité de leur accompagnement.
Les mesures judiciaires d’investigation éducative (MJIE) mobilisent de façon croissante les psychologues, un examen psychologique du mineur étant quasi systématiquement attendu par les magistrats dans ce cadre, ce qui diminue d’autant la disponibilité des psychologues pour d’autres types de suivis et d’interventions.
L’indisponibilité croissante des psychologues pour assurer des prises en charge globales est jugée d’autant plus problématique que les relais externes au sein des services de soin font défaut.
« Que peut faire un psychologue pour 200 jeunes en milieu ouvert ? Que peut faire une psychologue pour 60 mineurs dans un établissement pour mineurs ? » s’est interrogée Julie Houdan-Mauduit, psychologue à l’UEMO d’Argenteuil. « L’orienter ? Mais vers qui ? »
4. Des structures encore largement hors champ : renforcer le contrôle des établissements de la PJJ et de l’ASE
De nombreuses instances, nationales ou internationales, sont aujourd’hui habilitées à exercer un contrôle sur les établissements pénitentiaires. Il s’agit notamment du CGLPL, de la Défenseure des droits, des inspections générales, des agences régionales de santé (ARS) pour les structures de soin en milieu pénitentiaire, des parlementaires et des bâtonniers dotés d’un droit de visite, des autorités judiciaires, des organes du Conseil de l’Europe, comme le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), de certains acteurs associatifs comme l’observatoire international des prisons.
Ce maillage dense permet l’exercice de contrôles réguliers, variés et en partie redondants sur les établissements pénitentiaires.
À l’inverse, les structures relevant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de l’aide sociale à l’enfance (ASE) font l’objet de contrôles singulièrement insuffisants ce qui contribue à invisibiliser ces maillons clés de l’action publique.
En dehors des centres éducatifs fermés (CEF) et des établissements publics pour mineurs (EPM), qui relèvent bien du CGLPL en tant que lieux de privation de liberté, les autres structures – foyers éducatifs, unités éducatives d’hébergement collectif (UEHC) – échappent à tout contrôle indépendant.
La Défenseure des droits, pourtant investie d’une mission explicite de défense des droits de l’enfant, consacre l’essentiel de sa contribution écrite aux établissements pénitentiaires et CEF, sans évoquer les structures de milieu ouvert de la PJJ, ni les entraves rencontrées dans l’accès aux soins en milieu ouvert.
De fait, les dispositifs actuels de contrôle des structures de la PJJ reposent quasi exclusivement sur des autorités internes à la justice : juges des enfants et magistrats du parquet (tenus de visiter annuellement les établissements PJJ accueillant des mineurs au pénal), directions interrégionales de la PJJ (chargées d’assurer au moins 35 visites semestrielles à l’échelle nationale).
Ces inspections ne sont pas rendues publiques et ne garantissent pas un regard extérieur indépendant. Le manque de données sur ces structures en témoigne.
La récente commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’aide sociale à l’enfance appelle à la création d’une instance de contrôle indépendante des structures de l’ASE, ainsi qu’à l’instauration d’un droit de visite parlementaire spécifique.
L’instauration de contrôles indépendants et publics des structures de l’ASE et de la PJJ est souhaitable. Pour autant, la mission ne recommande pas la création d’un nouvel acteur, mais une montée en puissance coordonnée de deux autorités indépendantes existantes dotées de compétences complémentaires : le CGLPL, garant de la protection des droits fondamentaux dans les lieux de privation ou restriction de liberté et la Défenseure des droits, déjà investie d’un rôle spécifique de protection de l’enfance mais au champ de compétence trop large pour pouvoir assurer un suivi en profondeur et dans la durée de ce champ.
Préconisation n° 79 : Étendre les missions de la Défenseure des droits au contrôle des structures gérées par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et à celles de milieu ouvert gérées par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ).
Préconisation n° 80 : Organiser tous les ans au Parlement, notamment en commission des lois et délégation aux droits des enfants, un examen/une audition/un débat autour du rapport annuel de la CGLP et de la défenseure des droits
Préconisation n° 81 : instaurer un droit de visite parlementaire des structures de la PJJ et de l’ASE.
cinquiÈme partie :
une gouvernance À dÉcloisonner
et un pilotage À renforcer
au service d’une rÉponse plus intégrÉe et efficiente
I. une politique publique minÉe par le cloisonnement et la fragmentation institutionnelle
La mise en œuvre de cette politique interministérielle fait intervenir de très nombreux acteurs aux cultures très différentes. Au fil des travaux, un thème est revenu avec une insistance particulière : le manque de coordination à tous les niveaux qui affaiblit considérablement cette politique publique. Ce ne sont pas seulement les moyens qui font défaut, c’est aussi la capacité à travailler ensemble, à partager des diagnostics, à construire des réponses coordonnées.
A. une politique publique qui fabrique son propre Échec À l’intersection de trois services pubLics en crise
La prise en charge des troubles psychiques de la population pénale s’appuie sur des institutions (santé, prison, justice) sous-dotées et dont les conditions d’intervention ne cessent de se dégrader. Pire encore, l’explosion de ces troubles et leur défaut de prise en charge viennent non seulement aggraver la crise des institutions concernées mais aussi alimenter la progression des problèmes que cette politique publique prétend résoudre.
1. Une situation qui achève d’asphyxier l’administration pénitentiaire
a. Une gestion impossible pour des surveillants déjà à bout de souffle
L’administration pénitentiaire est aujourd’hui au bord de la rupture, prise en étau entre une surpopulation alarmante et un manque criant d’agents qui alimentent une spirale d’épuisement et d’absentéisme. C’est dans ce contexte déjà saturé que s’impose la prise en charge d’un nombre croissant de personnes souffrant de troubles graves.
Les surveillants sont de plus en plus confrontés à des problématiques qui dépassent largement leur champ de compétence, leur formation et leur mandat. Exposés à des décompensations brutales, des auto-agressions, des passages à l’acte suicidaire, des hallucinations, des symptômes de sevrage brutal, ils encaissent des situations cliniques, dans un environnement qui les aggrave et qui n’est pas conçu pour y faire face.
Dominique Graindorge, surveillant à la maison d’arrêt d’Épinal témoigne ainsi : « Les maisons d’arrêt, c’est une énorme machine à laver. On met tout dedans en se disant qu’on verra bien ce que ça donne. Le personnel de surveillance, les médecins, les infirmiers, prennent tout en pleine face un beau matin quand ils ouvrent une porte et qu’un détenu souffrant de troubles psychiatriques explose ou décompense, parce qu’il n’a pas son tabac ou pour tout autre détail qui, dans son état, est vécu comme insupportable. Il ne faut pas grand-chose pour que ça flambe. Un gars a foutu le feu dans sa chambre et il a failli mourir car il n’avait pas de cigarette. »
Julien Stefaniak, surveillant rencontré à Lille : « Un jour, un détenu m’a regardé droit dans les yeux, puis il s’est lacéré le visage avec une lame de rasoir. Le sang a jailli de partout. J’ai de l’expérience et une formation de pompier, mais là je me suis senti complètement désemparé. »
Comme évoqué précédemment, l’encellulement individuel est fréquemment utilisé comme un outil de gestion par défaut pour contenir et protéger les personnes dont l’état psychique ne leur permet pas de supporter la promiscuité carcérale. Comme l’a indiqué Damien Tripenne, secrétaire national de la CGT pénitentiaire, surveillant au centre pénitentiaire de Meaux, « on applique un encellulement individuel pour eux par protection et on bourre les autres cellules. »
Un seul détenu souffrant de troubles psychiatriques sévères peut mobiliser une part très importante du temps et des ressources disponibles. Le personnel pénitentiaire doit gérer les crises, assurer une surveillance renforcée, organiser des extractions médicales, répondre aux incidents, tout en maintenant la sécurité de l’unité. Il faut parfois prévoir des ouvertures de porte à deux ou trois surveillants, dans un contexte de sous-effectif chronique. Cette charge disproportionnée se fait au détriment du suivi des autres personnes détenues et de la fluidité du fonctionnement général. La pathologie de quelques-uns rejaillit massivement sur les conditions de tous.
Il arrive même, selon les témoignages, que des UHSA accueillent des personnes détenues dans une logique de « séjour de rupture », afin de permettre au milieu carcéral de « souffler un peu. »
À cela s’ajoutent des risques psychosociaux majeurs, liés à l’impuissance, à la peur, à l’isolement dans des situations de crise. Certains témoignent d’un sentiment de maltraiter des malades, faute de cadre adapté à leur situation. Comme nous l’a confié Julien Stefaniak, surveillant à Lille : « ce n’est pas anodin d’enfermer un être humain mais quand on enferme quelqu’un qui ne comprend pas pourquoi on l’enferme, c’est insoutenable ».
La perte de sens est massive. Face à un système qui craque de toutes parts, des cellules surpeuplées dans lesquelles des détenus sont réduits à l’inactivité, la circulation de téléphones ou de cannabis est souvent tacitement tolérée faute d’autres moyens pour apaiser les tensions et préserver un semblant d’équilibre.
« Sans cette consommation, ce serait explosif, terminé… Les surveillants ne sont pas fous, » a observé Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Et André Ferragne, secrétaire général, d’ajouter : « Nous nous demandons tous les jours comment ça tient. »
b. Des CPIP débordés et en perte de repères face à des publics qui échappent à la logique du suivi
Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont eux aussi confrontés à une augmentation de leur charge de travail. « Malgré des efforts de recrutement et une augmentation des effectifs, » « chaque CPIP est responsable en moyenne de 70 à 100 dossiers, avec des variations selon les régions et les établissements, » selon le CGLPL.
À cela s’ajoute l’explosion des soins pénalement ordonnés et une complexification des profils dans un contexte de désengagement croissant des partenaires du soin. Les personnes souffrant de troubles psychiques nécessitent un suivi plus long, un effort accru d’accompagnement et de coordination avec des partenaires parfois inaccessibles.
Ces professionnels doivent accompagner des personnes sans soins ou mal soignées, parfois incapables de comprendre le contexte judiciaire dans lequel elles sont et avec lesquelles il devient impossible de travailler à un projet d’insertion. Les outils classiques de l’accompagnement sont inopérants pour des personnes qui ne sont pas stabilisées psychiquement. Ce décalage produit un sentiment d’impuissance croissant et une forme de découragement professionnel face à l’ampleur des besoins non couverts.
2. Un malaise croissant parmi les professionnels de la PJJ, une action éducative mise à mal
Comme évoqué dans la quatrième partie du présent rapport, les professionnels de la PJJ sont eux aussi confrontés à un désarroi croissant. Les éducateurs et psychologues, en première ligne face aux jeunes, peinent à répondre à des troubles psychiques de plus en plus fréquents, sans pouvoir s’appuyer sur des relais médicaux adaptés. Cette situation fragilise leur action éducative et génère une insécurité professionnelle croissante.
« Sur le terrain, pour les éducateurs c’est compliqué de gérer l’angoisse que peut générer l’apparition de troubles psychiques ou psychiatriques chez les mineurs, et un sentiment d’impuissance, de peur aussi parfois, parce qu’il y a aussi de la crainte, » constate Sandrine Baumann, psychologue à l’UEMO de Toulouse ([202]).
Préconisation n° 82 : mettre en place des mesures d’attractivité visant à améliorer le recrutement de surveillants pénitentiaires, de CPIP, de personnels éducateurs et psychologues de la PJJ.
3. Un système de santé débordé, des soignants en prise avec un sentiment d’échec massif
Les difficultés et les sources du malaise des soignants en prison ont été largement exposées dans les différentes parties du présent rapport : sentiment de dévoiement de leur mission dans un contexte où les logiques de soin leur paraissent court-circuitées par les exigences sécuritaires ; sentiment que l’action soignante ne produit plus d’effet tangible ; rendez-vous annulés ou non honorés ; difficulté ou incapacité d’accéder aux patients ; ruptures de suivi ; arbitrages douloureux lorsque des extractions ou des soins sont impossibles faute de moyens.
Cette situation constitue également le symptôme d’un échec profond du système de santé à l’extérieur. Si autant de personnes atteintes de troubles psychiques se retrouvent en détention, c’est aussi parce qu’elles n’ont pas trouvé leur place dans les dispositifs de droit commun. Ces derniers, déjà en crise, sont de moins en moins en capacité d’absorber les besoins des personnes présentant des troubles psychiques sévères, souvent désinsérées, parfois violentes, peu observantes, en errance ou en situation de grande précarité.
À leur sortie de prison, ces personnes rebasculent vers ce système de soins, qui n’est pas davantage en capacité de les accueillir et qui l’est peut-être encore moins. Les obligations de soins, souvent peu pertinentes, voire irréalistes, viennent s’ajouter à la file active de structures déjà saturées.
Ce sont parfois des personnes auxquelles le système de santé va être à nouveau confronté, le plus souvent dans les services d’urgence déjà saturés auxquels elles vont se rajouter, ou dans des filières de soin inadaptées. Leur passage par la détention ne fait que renforcer leur vulnérabilité, aggraver leurs troubles, rompre leurs suivis, et les rendre plus difficiles à prendre en charge encore.
La prison, loin de délester le système de santé, le renvoie à ses impasses.
4. Une justice submergée par un système qui produit massivement de la délinquance et de la récidive
Le système ne produit pas seulement de l’échec thérapeutique, il engendre aussi de la délinquance et de la récidive qui viennent accroître la submersion des magistrats. Ces derniers ne peuvent que constater la récidive massive de profils, qui passent d’une sanction à l’autre sans que rien ne change. Ils sont les témoins directs de l’échec des parcours, de l’ineffectivité des obligations de soins, et de la surpénalisation des malades.
Le système crée ainsi les conditions mêmes de son propre engorgement et de son propre échec.
B. une politique publique affaiblie par le cloisonnement, les incompréhensions et une coordination lacunaire
À tous les étages, des cloisonnements, des difficultés d’articulation entre les acteurs du soin, de la justice et de la pénitentiaire, des silos institutionnels et des logiques concurrentes sont observés et déplorés.
La coordination, bien que présente dans certains territoires ou contextes, reste structurellement insuffisante, inégalement portée, trop souvent dépendante de volontés locales ou de personnes ressources.
Ce constat n’a rien de nouveau : il est formulé depuis des années par les professionnels eux-mêmes et par tous les rapports de contrôle et d’évaluation, sans que des réponses structurelles à la hauteur aient été mises en œuvre.
Pire, la dégradation de la situation, loin d’inciter à une coopération renforcée entre les acteurs, tend au contraire à réduire le temps disponible pour la coordination et à accentuer les tensions et les incompréhensions. Elle alimente une dynamique de renvoi de responsabilité, où chacun a le sentiment que son action est entravée par les carences ou les limites de l’autre.
Dans ce paysage institutionnel fragmenté, la première ligne de fracture réside dans l’articulation encore insuffisante entre les acteurs du soin et l’administration pénitentiaire.
1. Entre santé et pénitentiaire : une articulation toujours insuffisante, des tensions persistantes
L’administration pénitentiaire et le système de santé relèvent de deux logiques, deux cultures et deux organisations profondément différentes : d’un côté, une administration pénitentiaire hiérarchisée, pyramidale, structurée de manière verticale depuis le niveau central jusqu’aux établissements ; de l’autre, un système de santé plus décentralisé, sans principe de subordination hiérarchique, piloté et mis en œuvre par des ARS qui bénéficient d’une large autonomie.
Des difficultés sont constatées et signalées de manière hétérogène à chaque niveau – local, régional, national – chaque échelon ayant d’ailleurs tendance à affirmer que les difficultés sont imputables aux insuffisances des autres.
a. Au niveau central, un partenariat déséquilibré entre Santé et Pénitentiaire
Les administrations centrales – direction de l’administration pénitentiaire et directions concernées du ministère de la Santé – disent entretenir des relations régulières et très constructives.
Le partenariat apparaît néanmoins déséquilibré.
Au sein même du ministère de la santé, le pilotage est plus fragmenté et beaucoup moins lisible avec l’intervention de quatre directions – la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l’offre de soins (DGOS), la Direction de la sécurité sociale (DSS) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Une chefferie de projet a été créée en 2007 pour assurer la coordination des différentes directions concernées et l’articulation avec le ministère de la justice. Elle a été rattachée à la DGOS puis à la DGS.
Ces directions ne parlent pourtant pas d’une seule voix, renvoient parfois les unes vers les autres et il peut être difficile d’identifier qui est responsable de quoi. Cette segmentation interne ne garantit pas un pilotage efficace et affaiblit le positionnement du ministère de la santé dans le rapport de force avec l’administration pénitentiaire. La vacance de poste à la chefferie de projet pendant plusieurs mois pourrait également être interprétée comme un signe de difficultés.
Un pilotage segmenté au sein du ministère de la santé ([203])
« En interne au ministère de la santé, le pilotage général est confié à la direction générale de la santé : une cheffe de projet est chargée de la coordination d’ensemble.
Quatre directions sont particulièrement impliquées : outre la direction générale de la santé, la direction générale de l’offre de soins, la direction de la sécurité sociale et la direction de la cohésion sociale sont très impliquées sur l’offre de soins et les relations avec les professionnels de santé (DGOS), l’accès aux soins et l’accès aux droits (DSS), les « liens dedans-dehors » et l’accès aux EHPAD en sortie de détention (DGCS). La DGS pilote les sujets prévention, en articulation avec la DGOS et en lien étroit avec la DAP et la DPJJ. »
Par ailleurs, « les administrations sanitaires sont faibles et intériorisent beaucoup trop la contrainte de leur partenaire », observe Aquilino Morelle, inspecteur général de affaires sociales. Les soignants en milieu pénitentiaire ont récemment appelé le ministère de la santé à réaffirmer plus fermement son rôle, à porter une parole claire sur l’importance du soin en milieu pénitentiaire et à défendre le principe d’indépendance du soin.
Ce partenariat déséquilibré se traduit notamment, selon les organisations professionnelles de soignants en milieu pénitentiaire, par un affaiblissement progressif des outils de référence censés baliser et encadrer l’articulation entre soin et pénitentiaire. L’outil faisant référence selon les soignants, au-delà de la loi de 1994, est le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice élaboré et validé conjointement par les deux administrations.
Mais selon l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), ce cadre commun est progressivement rendu caduc ou contourné par une inflation de notes émanant de l’administration pénitentiaire. Ces notes réintroduisent, selon les soignants, une lecture unilatérale des procédures, introduisant de nouvelles contraintes sécuritaires sur le soin. Pascale Giravalli observe que parmi les personnels pénitentiaires auxquels elle dispense des formations, aucun n’a jamais entendu parler de l’existence de ce guide.
Au plan politique, ce déséquilibre s’est récemment illustré par deux évolutions : l’interdiction des activités dites « ludiques » à la suite d’une polémique sur des « soins » dispensés par une association en détention et la mise en places de prisons de haute sécurité.
Dans les deux cas, il apparaît clairement que la nécessaire concertation interministérielle préalable n’a pas été menée à bien et que le ministère de la santé n’a pas été mis en situation de faire valoir des réserves ou lignes rouges en amont des annonces. Face à l’émoi suscité par l’annonce relative aux activités « ludiques », les administrations sont intervenues a posteriori pour exclure les activités thérapeutiques et rassurer sur l’absence de conséquences sur les pratiques soignantes.
Entre-temps, dans certains établissements, selon Pascale Giravalli, il avait été demandé à certaines USMP de « reformuler » les activités thérapeutiques pour qu’elles soient validées par l’administration pénitentiaire. À Toulouse, un atelier théâtre en cours dans l’unité sanitaire avait été brutalement arrêté « sur ordre du ministère de la justice ».
b. Des relations localement hétérogènes, des tensions récurrentes entre professionnels sanitaires et pénitentiaires
Au sein des établissements pénitentiaires, la qualité de la collaboration entre les équipes sanitaires et pénitentiaires apparaît extrêmement variable et très fortement dépendante des personnes en présence, comme le soulignent en particulier les échelons supérieurs.
L’ARS Martinique décrit par exemple une situation de relation très conflictuelle et dégradée entre l’USMP et l’administration pénitentiaire, évoquant des « menaces émises à l’encontre de l’USMP », des « injonctions sur les modalités d’organisation des soins », « une exigence de divulgation d’informations couvertes par le secret médical avec pression sur la responsabilité des soignants en cas d’incident sous prétexte sécuritaire ».
À l’inverse, à la maison d’arrêt Angers, pourtant particulièrement vétuste et surpeuplée, les relations sont qualifiées d’excellentes par l’administration pénitentiaire comme par l’équipe soignante. Comme évoqué précédemment, c’est précisément en s’appuyant sur des relations de confiance construites entre les équipes qu’a pu être mise en place, de manière progressive et concertée, une politique de réduction des risques et des dommages. Cet exemple rappelle que la qualité de la coopération ne dépend pas exclusivement des contraintes matérielles, mais aussi de la volonté des acteurs de travailler ensemble dans le respect des missions de chacun.
Plusieurs sujets de tension – déjà évoqués dans les parties précédentes – reviennent de manière récurrente : l’organisation des soins, les difficultés liées aux extractions médicales et au manque d’escortes disponibles, les consultations dans les quartiers disciplinaires ou d’isolement, ainsi que le partage d’informations.
La question du partage d’informations et de la participation des soignants aux commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) continue de figurer parmi les principaux sujets de désaccord. Les difficultés sont telles qu’un groupe de travail a récemment été mis en place sur le sujet par les ministères chargés de la santé et de la justice.
Instituée à la demande de l’administration pénitentiaire au sein de chaque établissement, la CPU se veut un lieu d’échange interinstitutionnel regroupant l’ensemble des acteurs concernés (personnels de détention, services de probation, services médicaux, etc.) pour adapter les modalités de gestion quotidienne des personnes détenues.
Ces commissions ne sont dans les faits pas véritablement pluridisciplinaires et encore moins uniques. Elles se déclinent selon les thématiques : entrée, sortie, prévention du suicide, situations individuelles complexes, etc. Une circulaire de 2012 en précise les modalités et les informations susceptibles d’être partagées. Elles sont parfois très nombreuses, jusqu’à six par semaine dans chaque bâtiment à Fleury‑Mérogis. Dans les établissements surpeuplés, le nombre de dossiers à examiner est tel que, selon Manuel Mendez, ces commissions sont devenues « une usine ».
Dans les faits, la participation du personnel médical aux CPU est très variable selon les établissements pénitentiaires. La CPU qui mobilise le plus les soignants est la CPU dite « suicide ».
Selon la DAP, « en 2024, dans 57 % des établissements pénitentiaires, le personnel soignant participe systématiquement à plus de deux CPU (sachant que toutes les CPU ne comportent pas une thématique pour laquelle la participation de soignants est nécessaire). La même année, dans 31 % des établissements pénitentiaires, il participe à certaines CPU, notamment celles relatives à la « prévention du suicide » et aux « arrivants » au sein desquelles la dimension sanitaire est très importante. Dans 12 % des établissements pénitentiaires, aucun personnel soignant ne participe aux CPU ou n’y participe qu’exceptionnellement. »
Les arguments avancés par les unités qui ne participent pas à toutes les CPU tiennent au manque de temps dans un contexte de pénurie des ressources humaines.
Plusieurs équipes justifient leur non-participation par une position de principe : le risque de violation du secret médical et de l’alliance thérapeutique. C’est le cas à Fleury-Mérogis.
L’administration pénitentiaire déplore fortement les effets d’une approche jugée trop dogmatique qui limite sa capacité à adapter le régime de détention des personnes souffrant de troubles psychiques et qui peut faire obstacle à la prévention du suicide.
Les personnels de la PJJ dénoncent également une situation qui les prive de leviers pour travailler efficacement avec les jeunes.
Les SPIP comme les professionnels de la PJJ alertent également sur les conséquences d’un partage jugé insuffisant de l’information sur la préparation de la sortie.
Le partage d’informations en pratique : retour d’expérience de Manuel Mendez, inspecteur de la justice
Inspecteur de la justice, ancien DISP et directeur d’établissement pénitentiaire, Manuel Mendez décrit des difficultés concrètes engendrées par des échanges insuffisants entre soignants et personnel pénitentiaire.
Lorsqu’une personne détenue est repérée comme potentiellement à risque suicidaire, l’administration pénitentiaire sollicite une évaluation médicale. Or, après la rencontre, il peut ne subsister aucun retour : le personnel ne sait pas s’il avait raison de s’inquiéter, ni s’il doit mettre en place des mesures de précaution spécifiques.
Dans certains établissements, un retour encadré existe : le médecin informe que le signalement a été pris en compte, que l’intéressé a été vu, qu’une fragilité a été identifiée et qu’une prise en charge est prévue.
À l’inverse, dans d’autres établissements, comme à Fleury-Mérogis, la position médicale est plus rigoureuse : « le risque suicidaire relève du champ médical. Il nous appartient de le prendre en charge. Il n’y a pas lieu de rendre compte à l’administration pénitentiaire. »
Cette absence d’information peut laisser le personnel pénitentiaire très démuni, notamment lorsqu’il s’agit de décider du régime de détention, par exemple à la sortie du SMPR : retour en cellule classique ou maintien de mesures particulières ?
Là où les soignants ne participent pas à la CPU, certains observateurs notent que des échanges informels se mettent parfois en place : des alertes et indications utiles peuvent être transmises aux agents pénitentiaires en dehors de tout cadre formalisé.
Des leviers identifiés pour dépasser les blocages
Plusieurs pistes ont été évoquées qui pourraient permettre de dépasser les blocages observés en matière de partage d’information.
D’abord, la création d’instances plus ciblées permettrait d’éviter de convoquer les soignants à des réunions où sont abordés trop de sujets qui ne relèvent pas de leur champ de compétence ou sur lesquels ils ne souhaitent pas être informés (situation pénale, questions disciplinaires, etc.).
Ensuite, Pascale Giravalli observe que certains établissements ont mis en place une CPU en présence de la personne détenue lui permettant de maîtriser l’information partagée et de livrer elle-même les informations qu’elle souhaite partager.
Enfin, à l’établissement pour mineurs de Lavaur, une charte quadripartite (protection judiciaire de la jeunesse, administration pénitentiaire, éducation nationale, pôle sanitaire) a été élaborée et contractualisée dans un contexte de fortes tensions. Selon l’administration pénitentiaire les retours sont positifs.
Enfin, des tensions peuvent résulter de malentendus concernant les missions de chacun. Il arrive que des personnels pénitentiaires reprochent aux soignants de ne pas intervenir face à des troubles du comportement, sans percevoir que ces troubles ne relèvent pas nécessairement d’une pathologie psychiatrique, et ne justifient donc pas une prise en charge médicale. La confusion entre troubles du comportement et troubles psychiatriques est fréquente et alimente une incompréhension qui pourrait être sensiblement atténuée par des formations adaptées, en particulier des formations croisées (voir infra).
Les soignants dénoncent également une tendance croissante à solliciter leur avis ou à les informer de décisions relevant strictement de la logique pénitentiaire, notamment des placements au quartier disciplinaire. Ils perçoivent cette évolution comme une manière pour l’administration pénitentiaire de se prémunir d’une éventuelle mise en cause en cas de suicide en transférant la responsabilité sur les professionnels de santé ayant été prévenus ou sollicités pour avis.
Les tensions observées au niveau local ne résultent donc pas seulement de difficultés interpersonnelles ou d’approches plus ou moins dogmatiques ou pragmatiques des acteurs. Elles traduisent également un défaut de clarification des règles au niveau central. Il appartient donc à ce dernier de reprendre la main pour définir un cadre plus lisible et partagé.
Face à la multiplication des zones de tension, à la perte de lisibilité et à la remise en cause, par certains acteurs pénitentiaires, du cadre de référence existant, il apparaît indispensable que les partenaires se remettent autour de la table pour procéder à une révision concertée du guide méthodologique.
Cette actualisation doit permettre de lever les ambiguïtés, de réduire les zones grises, d’intégrer les bonnes pratiques identifiées sur le terrain et de dégager des consensus opérationnels sur les sujets de désaccord. Elle doit aboutir à un cadre stabilisé, largement diffusé, et reconnu comme référence partagée par tous.
Préconisation n° 83 : Actualiser et appliquer le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice afin de lever les ambiguïtés persistantes, limiter les zones grises, intégrer les meilleures pratiques et établir un cadre stabilisé et partagé par l’ensemble des acteurs.
Préconisation n° 84 : Mettre à jour la circulaire de 2012 sur le partage d’information au sein de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) en intégrant le cas échéant les conclusions du groupe de travail mis en place sur ce sujet. Dans l’hypothèse où le groupe de travail ne permettrait pas de créer un consensus sur la CPU, identifier les bonnes pratiques de partage de l’information dans un cadre plus informel pour les diffuser.
c. Au plan régional, une coordination très inégale selon les territoires
Au plan régional, les ARS ont des missions clé : elles sont notamment chargées d’évaluer les besoins sanitaires des personnes détenues, de définir et réguler l’offre de soins et de prévention en milieu pénitentiaire et de piloter la commission régionale santé-justice.
La commission régionale santé-justice et les comités de coordination
– Pour disposer au niveau régional d’une structure de coordination et d’échanges, une instruction de 2010 prévoit la mise en place d’une commission régionale santé-justice, censée se réunir au moins une fois par an pour examiner toute question se rapportant à la protection sociale et à l’amélioration de la prise en charge sanitaire et sociale des personnes majeures et mineures placées sous main de justice ; toute question se rapportant aux prises en charge sanitaires en amont et en aval de l’incarcération en lien avec les procédures judiciaires; toute question d’ordre général se rapportant à la protection et à l’amélioration de la santé des mineurs sous protection judiciaire.
– Le comité de coordination des USMP est un organe de concertation établi entre le ou les établissements de santé concernés et l’établissement pénitentiaire. Sa mission porte notamment sur les conditions d’application du protocole qui détermine les conditions de fonctionnement des USMP. Il est présidé par le directeur général de l’ARS ou son représentant. Participent à ce comité, outre les signataires du protocole, le chef de service de rattachement et le médecin responsable de l’unité sanitaire, le chef de service du SMPR ou le chef de service et le psychiatre du secteur en charge des soins psychiatriques dans l’établissement pénitentiaire, le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation et le directeur territorial de la PJJ. Il doit être convoqué au moins une fois par an, à l’initiative de son président, pour la présentation du rapport annuel d’activité par l’établissement de santé. Il peut être convoqué pour régler des difficultés ponctuelles.
– Une circulaire interministérielle de 2011 met en place une commission de coordination des UHSA, présidée par le préfet du département siège de l’implantation de l’UHSA. Elle doit se réunir à son initiative, au moins une fois par an. Elle a pour objet d’examiner le fonctionnement de l’UHSA dans les interactions entre les services hospitaliers, les services pénitentiaires, les services éducatifs de la PJJ et les missions dévolues au préfet. Elle doit être un lieu privilégié d’échanges entre les services pour répondre aux difficultés éventuelles.
La Cour des comptes relevait en 2014 que la dynamique interministérielle avait eu du mal s’enclencher, notamment au niveau régional : « au-delà des difficultés du travail interministériel, les ARS ne se sont encore que très inégalement investies sur ce champ. La stratégie nationale a manqué de relais de terrain ».
Toutes les agences avaient désigné un référent sur ce sujet dont l’action était jugée très hétérogène. Certains assuraient un important travail de réseau et de mobilisation des acteurs locaux. Pour la plupart des ARS néanmoins, confrontées à une multiplicité de missions, « ce sujet a eu tendance à passer après d’autres », estimait la Cour.
La Cour ajoutait : « les défaillances d’articulation des ARS avec les services de l’administration pénitentiaire sont en tout état de cause très préjudiciables. Les référents des agences disposent d’homologues au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires mais les relations sont parfois peu étroites.
Plus fondamentalement, la mise en place des commissions régionales santé/justice, demandée dès 2008 et ayant fait l’objet en décembre 2010 d’une instruction en précisant la composition et le fonctionnement, demeure très partielle. Fin 2012, la moitié seulement avait été installée et quand elles l’ont été, elles ne se réunissent pas toujours régulièrement comme en Bretagne. »
Le constat formulé il y a plus de dix ans reste largement d’actualité. La coordination régionale reste insuffisante et hétérogène selon les territoires.
« Au niveau régional, les agences régionales de santé et les directions inter-régionales des services pénitentiaires travaillent ensemble, avec des niveaux de coordination et de relations différents selon les régions », confirme la DGS. La DPJJ estime aussi que la déclinaison territoriale des politiques avec les ARS reste un enjeu.
L’organisation retenue pour le suivi des missions relatives aux PPSMJ est très variable d’une ARS à l’autre. La coordination est complexifiée par les ressorts territoriaux différents des acteurs (DISP, ARS, DPJJ, parquets, UHSA).
La DGS indique que « les commissions régionales santé-justice ont été mises en place par les ARS (ou sont en train de l’être) et les autres instances de pilotage régional également. » « Dans leur ensemble, les instances de gouvernance fonctionnent ». Ces informations ne correspondent pas à celles communiquées par l’ensemble des acteurs interrogés par la mission.
Les instances de coordination restent très inégalement mises en œuvre, leur « redynamisation » est d’ailleurs un axe majeur de toutes les feuilles de route qui se succèdent.
Les commissions santé-justice n’ont pas été mises en place partout ou ne sont pas réunies chaque année.
L’ARS Martinique et l’ARS Normandie indiquent par exemple qu’il n’existe pas de commission santé-justice. Dans la région Auvergne‑Rhône‑Alpes, la mise en place de la commission est « envisagée », de même qu’en Pays de la Loire où elle n’a pas été réunie depuis 2018. La DISP de Marseille qui couvre les régions PACA et Corse indique que les commissions régionales santé-justice annuelles ne sont pas régulières et que malgré des demandes répétées, l’ARS Corse n’organise aucun comité de coordination pour les trois établissements de l’île.
L’efficacité des instances apparaît par ailleurs variable selon l’implication des acteurs et les moyens et le temps manquent pour animer ces instances.
L’ARS Nouvelle Aquitaine signale par exemple la difficulté à réunir annuellement les comités de coordination des USMP et de l’UHSA, faute de pouvoir trouver des dates communes et estime à 10 à 20 % la proportion de comités de coordination qui n’ont pas lieu chaque année.
Plusieurs acteurs déplorent l’absence de commission de coordination de certaines UHSA, point qui avait déjà été relevé par les inspections dans leur rapport précité d’évaluation des UHSA.
Le récent rapport de la mission conduite par les inspections générales sur l’accès aux soins en détention porte un diagnostic comparable : « là où il peut y avoir près de vingt comités de coordination locaux tenus par an, avec des visites et des groupes de travail et la tenue de comités locaux de coordination des UHSA, d’autres territoires ne disposent d’aucune instance de pilotage. »
Enfin l’enjeu de la prise en charge des personnes placées sous main de justice est clairement identifié comme un angle mort de la première génération des projets territoriaux de santé mental (PTSM) dans le rapport du tour de France des PTSM établi par la délégation interministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie. Une meilleure intégration de la question des personnes placées sous main de justice dans les Conseils locaux de santé mentale (CLSM) est également souhaitable.
Préconisation n° 85 : Mettre en place et redynamiser les instances de coordination régionales et locales.
2. Un dialogue à structurer entre justice et psychiatrie
Les acteurs du soin déplorent un dialogue insuffisant voire inexistant avec les acteurs de la justice et inversement.
Il apparaît nécessaire d’engager un dialogue approfondi entre la justice et les acteurs du soin, afin notamment de réinterroger les représentations du soin psychiatrique dans le champ pénal.
De nombreux magistrats, comme une grande partie de la société, disposent d’une vision approximative de ce que recouvre la psychiatrie, de ce qu’est un trouble psychique, de ce que le soin peut – ou ne peut pas – produire. Ils peuvent également ne pas avoir une vision précise des capacités de prise en charge et des contraintes auxquelles les soignants sont soumis.
Cette méconnaissance alimente des obligations ou injonctions de soins fondées sur le type d’infraction, en particulier lorsqu’il s’agit de faits de violence : violences conjugales, infractions sexuelles, radicalisation, etc. Or, le fait d’avoir commis un acte violent ne signifie pas nécessairement que la personne relève d’une prise en charge psychiatrique. À l’inverse, une personne incarcérée pour un vol sans violence peut souffrir de troubles psychiques sévères, sans que cela ne donne lieu à une orientation vers les soins.
Ce décalage entre les représentations judiciaires et la réalité clinique contribue à fragiliser la pertinence des soins ordonnés par les magistrats et à entretenir des malentendus durables entre les institutions.
Il est donc indispensable de favoriser un espace d’échange structuré entre soignants et magistrats, permettant de mieux cerner les finalités du soin, les limites de la psychiatrie, et les conditions dans lesquelles un suivi peut réellement être utile, pour la personne comme pour la société. Pour les magistrats il s’agit aussi de mieux faire connaître les contraintes propres au travail judiciaire.
La mission ne sous-estime pas la difficulté à organiser de telles instances compte tenu des contraintes de moyens et de disponibilité qui pèsent sur les uns et les autres mais les bénéfices collectifs à en attendre en valent la peine.
Préconisation n° 86 : Instaurer un espace de dialogue structuré entre magistrats et professionnels du soin psychiatrique, afin de favoriser une meilleure compréhension réciproque des finalités et des limites du soin, des contraintes de moyens auxquelles les soignants sont soumis et d’améliorer la pertinence des obligations ou injonctions de soins.
Parmi les leviers identifiés pour dépasser les malentendus persistants entre professionnels du soin et magistrats, la mission souhaite relancer une proposition déjà formulée par les inspections générales en 2018 dans leur rapport d’évaluation des UHSA : l’organisation d’une conférence de consensus, placée sous l’égide de la Haute Autorité de santé.
Il s’agissait alors de faire dialoguer les parties prenantes – médicales, judiciaires, pénitentiaires – autour des pratiques professionnelles en matière de prise en charge des personnes sous main de justice souffrant de troubles psychiques, afin d’expliciter les différences d’approche, de méthode, voire de philosophie, notamment sur la question du soin contraint. Cette recommandation, qui n’a à ce jour jamais été traduite dans les faits, conserve toute sa pertinence. Elle constitue pourtant, dans le contexte actuel, un levier intéressant pour lever les divergences et les blocages persistants, et pour construire un socle partagé de compréhension et de légitimité des pratiques professionnelles.
Préconisation n° 87 : Confier à la Haute Autorité de santé l’organisation d’une conférence de consensus, associant l’ensemble des parties prenantes – professionnels du soin, magistrats, administration pénitentiaire, représentants de l’État –, afin de clarifier les pratiques professionnelles en matière de prise en charge des personnes placées sous main de justice souffrant de troubles mentaux.
Il convient enfin de rappeler aux procureurs de la République leur obligation de visite annuelle dans les structures où sont mises en œuvre les obligations de soins, en particulier les UHSA et les SMPR. Cette exigence, posée par les textes, est insuffisamment respectée, alors même qu’elle constitue un levier essentiel de connaissance du terrain et de renforcement du dialogue interinstitutionnel.
Préconisation n° 88 : Rappeler aux procureurs de la République leur obligation de visite annuelle en UHSA et en SMPR.
Les inspections relevaient plus généralement le « retrait » de l’autorité judiciaire rapport à ces structures où les magistrats de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) étaient jugés peu présents.
Les inspections appelaient par ailleurs les services de la protection judiciaire à « définir une organisation de leur intervention et assurer une présence plus régulière dans le suivi des mineurs hospitalisés. »
Préconisation n° 89 : Renforcer les permanences des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans les UHSA.
3. Un décloisonnement nécessaire au sein même du champ sanitaire
a. Un nécessaire décloisonnement entre psychiatrie et addictologie
Comme évoqué dans d’autres sections du présent rapport, la complexité des parcours et la très forte prévalence des comorbidités – troubles psychiques et troubles addictologiques souvent entremêlés – imposent une coordination renforcée entre les professionnels du soin. Repérage, prise en charge, actions de prévention et de promotion de la santé supposent une approche intégrée, rendue aujourd’hui difficile par l’organisation cloisonnée des filières.
Or, comme le relèvent la MILDECA et l’OFDT, le dispositif de prise en charge des addictions s’est historiquement structuré autour de deux filières distinctes : d’un côté, la psychiatrie ; de l’autre, l’addictologie, qui n’est pas une spécialité médicale reconnue. Cette dualité entretient des logiques de renvoi entre structures, au détriment d’une prise en charge globale des patients.
Malgré l’enjeu largement reconnu, les réponses institutionnelles à ce stade demeurent insuffisantes. La publication d’un guide repère sur les troubles psychiatriques et les addictions, porté par la Fédération addiction, constitue une avancée utile mais encore très en deçà des besoins.
Il est aujourd’hui impératif de décloisonner les prises en charge psychiatrique et addictologique, de promouvoir les formations interdisciplinaires, et de lutter contre les logiques de segmentation des responsabilités. Les USMP comme les UHSA doivent pleinement intégrer cette dimension dans leurs pratiques.
b. Résorber les ruptures entre les niveaux de soins en milieu pénitentiaire et les secteurs de psychiatrie générale
Au-delà du cloisonnement entre psychiatrie et addictologie, il convient également de mesurer l’ampleur des ruptures et des difficultés d’articulation entre les différents niveaux de soins en milieu pénitentiaire (USMP, SMPR, UHSA, hôpital général).
À cet égard, le retour d’expérience de l’UHSA de Lille met en lumière les impasses majeures d’un parcours encore trop désarticulé.
L’établissement a mis en place un dispositif expérimental baptisé Diligens (dispositif de facilitation du parcours régional de soins psychiatriques aux personnes détenues), financé par le FIOP, visant à fluidifier les trajectoires entre les différents échelons de soins.
Les moyens étant rares, les transferts coûteux et peu accessibles, l’objectif est d’éviter les hospitalisations inadaptées ou mal synchronisées, tant en amont (mauvaise orientation vers un SMPR nécessitant un transfert rapide vers l’UHSA en soins sans consentement) qu’en aval (retour non préparé en détention, ordonnances non transmises à l’unité sanitaire, incapacité à distribuer le traitement le week-end en l’absence de secrétaire, rupture de traitement, rechute immédiate, retour à l’UHSA avec nouvelle mobilisation d’un escorte et d’une place précieuse en hospitalisation).
Le dispositif repose notamment sur la désignation d’un soignant de l’UHSA, issu du service de soins sans consentement, chargé de faire la liaison avec les établissements pénitentiaires et d’assurer un suivi post-hospitalisation. Cette fonction permet de recréer un lien thérapeutique, y compris dans des situations de défiance : des personnes hospitalisées sans leur consentement, réticentes à consulter en USMP, acceptent de revoir le soignant qu’elles ont connu à l’UHSA et avec qui elles ont noué une relation de confiance.
Le dispositif Diligens inclut également des démarches vers les secteurs de psychiatrie générale, pour les inciter à réinvestir l’accompagnement des personnes détenues en amont de leur libération, afin d’éviter que des patients à quelques jours de leur sortie soient encore hospitalisés en UHSA sans relais extérieur.
S’il paraît extrêmement difficile de dégager des indicateurs d’efficacité pour évaluer ce dispositif, son intérêt clinique et organisationnel apparaît évident. Un développement de ce type d’initiative apparaît particulièrement indiqué, d’autant qu’elle permet de combler un vide : en théorie, ce rôle de liaison et de fluidification devrait relever des SMPR, mais il n’est pas assumé dans les faits aujourd’hui.
De manière générale, comme le souligne le CGLPL, il est essentiel de garantir une meilleure coordination entre les services de santé pénitentiaires et le secteur hospitalier, pour assurer une prise en charge adaptée et continue des patients.
Préconisation n° 90 : Redynamiser la mission de coordination qui incombe aux SMPR. A minima, assurer la mise en place d’un dispositif spécifique de liaison entre les différents niveaux de soin en milieu pénitentiaire et les secteurs de psychiatrie générale.
c. Une psychiatrie insuffisamment coordonnée avec les autres acteurs, face à des parcours complexes
Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, souligne que la psychiatrie ne peut, à elle seule, répondre aux besoins d’une grande partie des publics sous main de justice, présentant des troubles mentaux non généralisés, mais cumulant de nombreux facteurs de vulnérabilité : déscolarisation, précarité sociale (notamment défaut d’accès à un logement stable), addictions, violence vécue ou infligée, exposition à des communautés de pairs délinquants, avec des phénomènes de contagion comportementale. Ces personnes, dit-il, agrègent de multiples facteurs de risque de mauvaise santé mentale.
Or, les techniques thérapeutiques actuellement disponibles en psychiatrie n’ont qu’« un effet limité sur la trajectoire de ces publics qui peuvent gravement troubler l’ordre public. » Il est donc illusoire d’attendre de la psychiatrie qu’elle joue un rôle déterminant dans l’évolution de ces personnes qui représentent une part très importante des personnes placées sous main de justice. Elles n’ont pas seulement besoin de soins, mais aussi de logement, de travail, de soutien social et d’un accompagnement global et multisectoriel. Pour ces profils, les soins médicaux sont nécessaires mais insuffisants.
Or, « la psychiatrie en France est insuffisamment coordonnée avec les autres acteurs convoqués au chevet de ces publics pour lesquelles des réponses multisectorielles sont attendues. » Franck Bellivier observe que certains pays européens, comme le Danemark, ont su mettre en place une prise en charge globale et intégrée. La France accuse quant à elle un retard en la matière.
Il estime que l’organisation de cette coopération entre acteurs de la psychiatrie, de l’addictologie, de l’éducation, de la formation, du travail, du logement, de la culture, doit être une priorité de la deuxième génération des projets territoriaux en santé mentale (PTSM), la première n’étant pas parvenue, selon lui, à atteindre cet objectif d’intégration. L’enjeu est de réunir durablement les acteurs convoqués au chevet de ces parcours complexes, en dépassant les cloisonnements institutionnels qui entravent une prise en charge globale.
Une meilleure intégration des questions relatives aux personnes placées sous main de justice au sein des Conseils locaux de santé mentale (CLSM), qui agissent la plupart du temps à l’échelle communale, permettrait également une meilleure coordination.
Préconisation n° 91 : Faire de la coordination intersectorielle un axe structurant de la deuxième génération des projets territoriaux en santé mentale, en y intégrant explicitement les publics placés sous main de justice et en accordant une priorité particulière aux mineurs.
Préconisation n° 92 : Renforcer l’intégration des questions relatives aux personnes placées sous main de justice dans les conseils locaux de santé mentale (CLSM).
4. Engager une concertation interinstitutionnelle sur l’avenir de la prison en y intégrant la question de la régulation carcérale
« Ce qui est sûr c’est que 60 % des gens qui sortent de prison sont en récidive, ce qui montre que notre système carcéral, non seulement ne protège pas les agents pénitentiaires et les Français, mais en plus ne réussit pas bien à réinsérer les gens. Il faut donc qu’on change tout », a déclaré le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, le 27 février 2025 en mettant notamment en exergue « beaucoup de problèmes de santé mentale ».
Ce n’était pas le mandat de la mission que d’apporter des réponses à la surpopulation carcérale, mais le thème est omniprésent et incontournable.
Elle dégrade la santé mentale des personnes détenues, crée de nouveaux troubles, engendre des violences, désorganise et asphyxie les services.
Les moyens investis dans la santé mentale et l’accompagnement des détenus vers la réinsertion produisent de moins en moins de résultats, tant ils se heurtent à un contexte général devenu aussi ingérable que pathogène.
La situation n’est plus tenable. Nous sommes face à un échec sanitaire et sécuritaire, et un gâchis humain et financier dont il est urgent de sortir.
Alors que de plus en plus de voix appellent à la mise en place de mécanismes de régulation carcérale ([204]) et que des annonces se multiplient sur des évolutions de la politique carcérale sans la concertation interinstitutionnelle pourtant indispensable pour articuler de manière efficace l’ensemble des dimensions concernées, il est urgent d’engager une réflexion d’ampleur qui puisse s’appuyer sur une large concertation interinstitutionnelle sur l’évolution de la prison, en y intégrant la question de la régulation carcérale.
Préconisation n° 93 : Engager une concertation interinstitutionnelle sur l’évolution de la prison, en intégrant une réflexion sur la régulation carcérale.
C. structurer le dÉveloppement d’alternatives À l’incarcération fondÉes sur une approche intÉgrÉe
1. De l’expérimentation locale au pilotage national : cadrer et accompagner le développement des justices résolutives de problèmes
Alors que la prison s’avère dans un grand nombre de cas un échec, tant thérapeutique qu’addictologique, réinsertionnel ou préventif en matière de récidive, des alternatives fondées sur une approche individualisée et partenariale se sont développées en France depuis une dizaine d’années, dans le sillage de dispositifs nord-américains dits de justice résolutive de problèmes.
Ces initiatives visent à proposer un accompagnement renforcé, pluridisciplinaire, centré sur les causes concrètes du passage à l’acte délictuel : addictions, instabilité sociale, troubles psychiques, précarité ou conflits familiaux.
Elles reposent sur un suivi renforcé du prévenu ou du condamné, une participation active du magistrat (avec des audiences régulières), et une coordination étroite entre les acteurs impliqués, réunis en comités pluridisciplinaires, c’est-à-dire le contraire de ce qui est constaté dans le cadre habituel.
Elles sont aujourd’hui portées par plusieurs juridictions, à l’initiative de certains parquets ou services d’application des peines, financées dans la majeure partie des cas par la MILDECA. On en recense aujourd’hui plus d’une quarantaine sur le territoire national.
Soutenus par plusieurs administrations centrales, ces dispositifs continuent pourtant de se développer en ordre dispersé, sans cadrage ni doctrine nationale, sur la base d’initiatives locales.
Cette très grande hétérogénéité, dans les modalités, le ciblage, les procédures, nuit à la lisibilité, à la diffusion des bonnes pratiques, à la pérennité des financements et à l’évaluation de leur efficacité.
Leur développement demeure par ailleurs largement centré sur les problématiques addictives, tandis que les publics présentant des troubles psychiatriques, notamment lorsqu’ils ne sont pas stabilisés, peuvent en être exclus. À l’inverse, quelques rares initiatives, comme à Lyon, ciblent spécifiquement les personnes souffrant de troubles psychiques.
Dans ce contexte, il apparaît indispensable de sortir du modèle de l’expérimentation isolée pour créer les conditions d’un déploiement mieux structuré, évalué et accompagné au niveau national. Cela suppose à la fois d’élaborer un cahier des charges commun et de promouvoir une doctrine partagée entre les acteurs judiciaires, sanitaires, sociaux et médico-sociaux.
Le défaut d’évaluation malgré dix années de développement est surprenant, alors même que les premiers résultats disponibles – notamment à Valenciennes – tendent à montrer une efficacité importante : la réduction du coût journalier par rapport à l’incarcération y a été évaluée de 100 euros à 2,60 euros par jour, avec un impact jugé significatif sur la récidive. Les financements ne prévoient en général pas de budget d’évaluation.
Un appel à projets de recherche a été lancé en avril 2022 pour évaluer ces expérimentations, avec un travail d’analyse actuellement en cours.
Il apparaît par ailleurs important de développer des expériences ciblées sur les mineurs, les expériences étrangères ayant montré que ce type d’approche pouvait avoir un impact significatif sur la trajectoire de jeunes en conflit avec la loi.
Des dispositifs probants pour prévenir la récidive chez les mineurs souffrant de troubles psychiques et de troubles addictifs ([205])
Aux États unis, les tribunaux de santé mentale pour mineurs (Juvenile Mental Health Courts) sont des juridictions spécialisées mises en place aux États-Unis pour les mineurs en conflit avec la loi souffrant de troubles psychiques. Elles proposent une alternative à l’incarcération, fondée sur une équipe pluridisciplinaire, une coordination étroite entre magistrats, professionnels de santé mentale et services sociaux, avec un suivi individualisé centré sur la stabilisation du jeune et la prévention de la récidive. Ce modèle, fondé sur l’adhésion volontaire, a montré des résultats prometteurs en matière de réinsertion. Des études ont montré qu’il réduisait de manière significative la récidive pendant la durée du programme et pendant au moins un an après l’achèvement du programme.
Le Canada a développé des programmes de déjudiciarisation dans le but de favoriser le transfert des délinquants atteints de troubles mentaux de la justice pénale vers les services de soins. Des tribunaux de santé mentale ont également été créés.
En Nouvelle-Zélande, des programmes intégrés de traitement des mineurs délinquants ont été développés avec des résultats jugés satisfaisants, selon un rapport commandé par le Premier ministre en 2018. Fondés sur une approche systémique, ces dispositifs conjuguent intervention thérapeutique, soutien socio-économique et travail structuré avec le jeune et son entourage. Tous les aspects du développement du mineur – physique, psychique, scolaire, relationnel – sont abordés dans une logique de changement durable, avec un rythme soutenu d’interventions et une évaluation régulière des progrès.
Préconisation n° 94 : Appuyer le développement encadré des dispositifs de justice résolutive de problèmes, en s’appuyant sur l’évaluation scientifique en cours, afin de dégager des principes communs et d’éviter des critères d’exclusion injustifiés. Élaborer une doctrine nationale pour favoriser la cohérence des initiatives locales et leur pérennisation.
Préconisation n° 95 : Développer les dispositifs de justice résolutive de problèmes ciblés sur les mineurs.
2. L’expérimentation AILSI, alternative à l’incarcération fondée sur le rétablissement et le décloisonnement
Inspirée des dispositifs nord-américains de justice résolutive de problèmes, l’expérimentation AILSI (Alternative à l’incarcération par le logement et le suivi intensif dans la communauté) a été lancée à Marseille en 2019 à l’initiative de Médecins du Monde. Ce projet s’adresse à un public particulièrement vulnérable : des personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères, en situation de grande précarité résidentielle, régulièrement confrontées à la justice et susceptibles d’être placées en détention provisoire à l’issue d’une comparution immédiate.
Porté par un consortium d’acteurs des champs sanitaire, social et judiciaire, le dispositif vise à prévenir les allers-retours entre la prison, l’hôpital et les centres d’hébergement d’urgence, en proposant une alternative solide à l’incarcération, centrée sur l’accompagnement global de la personne dans une logique de rétablissement. Le projet repose sur la conviction que l’accompagnement intensif fondé sur l’accès au logement, aux droits sociaux (RSA, AAH, retraite, etc.), la prise en charge de la santé mentale et l’insertion professionnelle sont autant de leviers permettant de sortir durablement de la spirale de la récidive.
Les critères d’admission au dispositif sont stricts : présence d’un trouble psychique sévère, absence de logement, risque avéré de récidive, volonté de s’engager dans une démarche d’accompagnement, et consentement à participer à une étude, mais aussi validation de la démarche par les magistrats. Chaque personne est suivie pendant deux ans par une équipe pluridisciplinaire composée notamment de deux psychiatres à mi-temps, d’infirmiers, de travailleurs sociaux, d’une coordinatrice, et d’un travailleur pair – une personne ayant elle-même connu des parcours de rupture et jouant un rôle d’intermédiaire précieux entre les bénéficiaires et les professionnels.
L’accompagnement est intensif et adaptable : visites à domicile, soutien administratif, accès aux soins, à l’hébergement, à la formation ou à l’emploi. L’équipe est également en capacité d’organiser une hospitalisation si nécessaire, à titre de dernier recours. Le volet judiciaire constitue une dimension centrale de l’accompagnement, en lien étroit avec le SPIP. Des rencontres tripartites sont organisées entre le justiciable, le contrôleur judiciaire et un professionnel du dispositif, afin d’assurer un suivi concerté et cohérent.
L’étude, conduite sous forme de recherche-action, est rigoureusement évaluée selon un protocole comparatif. Deux groupes ont été constitués : un groupe de 80 personnes intégrées au dispositif ELSI, et un groupe témoin de 89 personnes. L’étude, débutée en 2022, doit s’achever fin 2026, avec des résultats attendus pour 2027. L’appel à inclusion est désormais clos, et l’équipe est engagée dans une recherche de financements pour permettre la relance du programme à partir de 2026.
Comme le souligne Wilfried Fonck, secrétaire national de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP UNSA-Justice), « il ne suffit plus de colmater les brèches, il est temps que le ministre de la justice et le ministre de la santé s’assoient autour d’une même table pour reconnaître qu’il y a un problème qui appelle une réponse politique d’ampleur. »
A. Un pilotage dÉfaillant, une gouvernance À repenser
Le pilotage de la politique de santé des personnes placées sous main de justice s’est développé très tardivement et a minima au niveau national par la création d’une instance de concertation interministérielle présidée alternativement par le garde des sceaux et le ministre chargé de la santé en 2006 et la mise en place d’une direction de projet en 2007 au sein du ministère de la santé.
C’est dans ce cadre qu’a été élaboré un plan d’actions stratégiques 2010‑2014 « politique de santé pour les personnes placées sous main de justice », auquel a succédé une stratégie interministérielle pour la santé des PPSMJ, adoptée en 2017, suivie de deux feuilles de route couvrant successivement les périodes 2019‑2022 puis 2024‑2028.
Les différents constats posés dans le présent rapport témoignent d’un pilotage profondément défaillant de la politique de santé mentale des personnes placées sous main de justice, en dépit des enjeux sanitaires, judiciaires, pénitentiaires et sécuritaires majeurs qu’elle soulève.
Plus de dix ans après les premiers constats posés par la Cour des comptes en 2014, à l’issue de la mise en œuvre de la première feuille de route, la situation n’a fait que s’aggraver.
En décembre 2018, le rapport précité d’évaluation des UHSA réalisé par les inspections générales faisait le constat suivant : « il ressort des travaux de la mission de grandes dissemblances qui démontrent une absence de pilotage national, de suivi et de mise en lien de bonnes pratiques mais aussi de dysfonctionnements qui pourraient être évités. » Et de conclure : « La situation ne peut perdurer ».
La mission souscrit à ce constat resté lettre morte.
Les inspections générales avaient recommandé la création d’une instance commune de gouvernance entre santé et justice, « préalable indispensable ». Elles avaient proposé la mise en place d’un service à compétence nationale, sous double tutelle des ministres de la justice et de la santé et rattaché pour sa gestion administrative à la DGOS et à la DAP.
Il n’appartient pas à la présente mission de trancher sur un schéma administratif précis, mais elle tient à souligner l’urgence de mettre un terme à l’errance stratégique qui caractérise ce champ. À défaut d’un pilotage structuré, doté d’une légitimité renforcée et adossée à une interministérialité effective et des moyens propres, cette politique publique est condamnée à rester largement dysfonctionnelle et inefficiente.
Préconisation n° 96 : Expertiser les modalités possibles de structuration d’un pilotage interministériel Santé-Justice de haut niveau capable de coordonner, planifier, évaluer cette politique publique à l’échelle nationale (service à compétence nationale sous double tutelle Santé-Justice, mission de coordination permanente, délégation interministérielle etc.).
B. Un pilotage aveugle : des données lacunaires, une culture de l’évaluation encore trop absente
Le déficit d’outils statistiques et d’évaluation – tant dans le champ pénal (aménagements, obligations de soins, décisions d’irresponsabilité) qu’en matière sanitaire (connaissance des pathologies en détention et du taux d’occupation des postes médicaux et paramédicaux) – était le premier des constats des groupes de travail sur la prison mis en place à l’initiative de Yaël Braun-Pivet, en 2017.
Sept ans plus tard, et malgré les alertes récurrentes, le système demeure massivement sous-informé, à la fois sur le versant sanitaire et judiciaire. Cette carence structurelle de données entrave gravement les capacités de pilotage, de régulation ou de répartition pertinente des moyens.
Du côté sanitaire, plusieurs ARS pointent ainsi à juste titre des outils inadéquats ou incomplets. L’ARS Martinique souligne les limites de l’outil Piramig de suivi de l’activité et des moyens des USMP, SMPR et UHSA, insuffisamment complet et renseigné. L’ARS Nouvelle-Aquitaine souligne que les rapports d’activité s’appuient sur des données en N-1, inexploitables pour un suivi actualisé des moyens disponibles.
À l’échelle nationale, les rapports d’activité des unités sanitaires sont bien trop lacunaires, parfois incohérents ou remplis de façon hétérogène. Il est impossible d’avoir une vision précise et exhaustive du taux d’extractions non réalisées, des pathologies les plus courantes, ou encore des effectifs médicaux en poste dans chaque établissement.
Certaines études sont prévues ou en cours – notamment sur l’état de santé des mineurs suivis par la PJJ, les dernières données datant de 2004 ou sur la santé mentale des personnes incarcérées en maison d’arrêt pendant les neuf premiers mois passés dans l’établissement, ce qui mérite d’être salué.
Mais des enquêtes et évaluations indispensables font défaut. En particulier aucune recherche n’existe à ce jour sur la continuité des soins en sortie de détention. Il n’existe pas de données sur la consommation de soins en détention. De même, l’évaluation de la qualité des soins en détention fait défaut. Comme le souligne l’ANJAP, la connaissance des besoins en santé mentale des PPSMJ par bassin de population serait par ailleurs un outil stratégique, permettant de croiser offres judiciaires et capacités médicales.
Préconisation n° 97 : Instaurer une récurrence claire des études épidémiologiques sur la santé psychique des personnes placées sous main de justice, ou à défaut des personnes entrant/sortant de détention.
Préconisation n° 98 : Lancer une étude sur la continuité des soins en sortie de détention.
Sur le versant judiciaire, les lacunes sont tout aussi criantes. Yaël Braun‑Pivet déplorait des données extrêmement lacunaires sur les déterminants de la récidive, l’absence d’évaluation de son coût global et d’étude statistique territorialisée du parcours des détenus à leur sortie de détention. L’ANJAP déplore de manière générale l’absence d’évaluation des politiques publiques pénales. Aucune donnée n’est par exemple disponible sur la mise en œuvre des obligations et injonctions de soins, ni sur leur efficacité. Il en va de même pour les aménagements de peine pour raisons de santé mentale qui ne sont pas recensés. Les données sur les constats d’altération du discernement sont tout aussi manquantes, de même qu’une étude sur l’évolution de l’irresponsabilité pénale. L’impact des évolutions législatives ne peut globalement pas être mesuré.
Le déficit de connaissance pèse sur les capacités d’arbitrages et interdit toute évaluation médico-économique rigoureuse des nombreux dispositifs et expérimentations développés localement pour compenser les défaillances structurelles.
Préconisation n° 99 : Doter le champ santé-justice d’un appareil statistique robuste et de capacités d’évaluation en assurant un croisement des données sanitaires et judiciaires.
C. UN effort de formation massif À dÉployer
Un effort de formation massif des personnels de l’administration pénitentiaire (surveillants et CPIP) et des professionnels de la PJJ apparaît indispensable afin de favoriser des signalements et orientations précoces, avant que les situations ne deviennent critiques.
Dans certains établissements, des demandes d’intervention sont formulées sur des bases peu cliniques, tandis que des situations manifestes de souffrance psychique passent inaperçues. Les besoins concernent aussi le repérage des conduites addictives, souvent intriquées avec les troubles psychiatriques.
Un effort de formation initialement centré sur le dispositif premiers secours en santé mentale (PSSM) a été engagé, mais il reste récent au regard de l’ancienneté du sujet. L’administration pénitentiaire et ses agents estiment que les formations aux PSSM, conçues pour un contexte de vie quotidienne (et dont le contenu ne peut être modifié), sont parfois inadaptées, voire contre-productives dans un contexte carcéral. Une formation plus adaptée a récemment été développée dans le cadre d’un partenariat avec l’UNAFAM.
La DAP indique que 1 300 agents ont été formés aux premiers secours en santé mentale (PSSM) entre 2020 et 2024, tandis que la DPJJ mentionne 1 400 professionnels formés sur la période 2022–2023. Certaines DISP signalent une demande croissante de formation qui dépasse l’offre existante et la capacité des personnels à libérer le temps nécessaire à cette formation.
Un effort de formation des professionnels de santé intervenant en détention apparaît également indispensable. Comme le souligne l’ANJAP, il s’agit souvent de personnels jeunes et particulièrement exposés à des personnes souffrant de troubles graves et complexes. Cette difficulté participe au turnover important des personnels.
En raison de la prégnance des troubles additifs, il est par ailleurs important de former l’ensemble du personnel de soin intervenant en détention à ces enjeux.
Des formations communes et croisées (des uns par les autres) se développent qui constituent un excellent levier de décloisonnement.
Idéalement, une généralisation des formations croisées permettrait de mieux comprendre les rôles et contraintes de chacun.
Préconisation n° 100 : Généraliser les formations des personnels sanitaires, pénitentiaires et PJJ au repérage des troubles psychiques et addictifs en privilégiant les formations croisées des uns par les autres et les formations communes.
Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors de sa réunion du jeudi 10 juillet 2025 et a autorisé sa publication.
Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
ANNEXE N° 1 :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES
M. Damien Tripenne, secrétaire national de la CGT pénitentiaire, surveillant au centre pénitentiaire de Meaux
Mme Margaux Le Gallo, conseillère pénitentiaire insertion et probation et secrétaire nationale de CGT insertion et probation
Mme Audrey Brulé, psychologue, secrétaire générale adjointe de la filière « psychologues » de FO Justice, et Mmes Anaïs Lequellec et Marion Fauchet, psychologues
M. Wilfried Fonck, secrétaire national de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP UNSA-Justice), M. Florian Rousset, conseiller insertion et probation, et Mme Elise Tabary, surveillante pénitentiaire au centre pénitentiaire de Château-Thierry
M. Cyril Huet‑Lambing, surveillant au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes, secrétaire général national adjoint du syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS), M. Samuel Castells, surveillant au centre de détention d’Aiton, M. Dominique Graindorge, surveillant à la maison d’arrêt d’Epinal, et Mme Stéphanie Prédot, surveillante au centre de détention de Tarascon
M. Damien Rameau, surveillant et secrétaire national du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), Mme Annabelle Bouchet, conseillère pénitentiaire insertion et probation, secrétaire générale adjointe, et M. Eric Aouchar, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation.
M. Frédéric Gautier, représentant de la confédération française démocratique du travail (CFDT) au comité social d’administration (CSA) PPJ, et Mmes Romane Deletoile et Martine Ravineau, psychologues
M. Josselin Valdenaire, éducateur à l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO) de Nîmes, secrétaire général de l'union nationale des syndicats CGT de la protection judiciaire de la jeunesse (UNS CGT PJJ), accompagné de Mme Sandrine Baumann, psychologue à l’UEMO de Toulouse, membre de la commission exécutive nationale
M. Nabil Amar, secrétaire régional Force ouvrière (FO) justice PJJ Ile‑de‑France/Outre‑mer (IDF‑OM)
Mme Julie Houdan‑Mauduit, psychologue à l’UEMO d’Argenteuil, élue nationale du syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES) de la PJJ/Fédération syndicale unitaire (FSU), M. Vincent Frisch, membre du bureau national, Mme Céline Tintillier, psychologue, représentante régionale, et Mme Célia Grasset, psychologue
Mme Béatrice Briout, secrétaire générale union nationale des syndicats autonomes (UNSa) SPJJ.
Dr Caroline de Charrette, PH psychiatre au CHU de Nantes SMPR, référente unité EMOT
Dr Thomas Fovet, MD, PhD. maître de conférences HDR en psychiatrie. université de Lille, CHU de Lille
Dr Jean-Pierre Gognau, praticien hospitalier de secteur de psychiatrie générale, médecin responsable des soins en milieu pénitentiaire CHD La Candélie
Dr Isabelle Lefebvre, responsable de l’équipe mobile transitionnelle, chef de pôle de soins psychiatriques ambulatoires aux détenus (SPAD), CH de Montperrin
Dr Olivier Marmasse, praticien hospitalier, chef de service psychiatrie légale (SMPR USIP-CRIAVS) établissement public de santé mentale de la Réunion
Dr Jean-Michel Pasquier, responsable de la fédération de psychiatrie légale du centre hospitalier du Rouvray, praticien hospitalier en psychiatrie, travaillant en détention au sein d’un SMPR et en ambulatoire auprès de patients sous main de justice
Dr Maxime Védère, psychiatre, responsable de l’EMOT de Toulouse.
M. Franck Baldi, directeur interrégional adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse Sud-Est
M. Fabrice Colson, conseiller technique santé à la direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse Grand-Est
M. Hervé Duplenne, directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Île-de-France/Outre-mer
M. Renaud Houdayer, directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Grand‑Centre
M. Benoist Jolly, directeur interrégional adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse Grand‑Nord
Mme Christine Lestrade, directrice interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse Centre-Est
Mme Sylvie Vella, directrice interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse du Sud
M. Samuel Véron, directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Grand-Ouest.
Dr Marc Fédèle, chef de pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire de Rennes au sein du SMPR
Dr Pascale Giravalli, cheffe de service de l’UHSA de Marseille
Dr Guillaume Giret, chef de pôle de psychiatrie légale et de santé mentale des détenus à Lyon
Dr Olivier Giron, praticien hospitalier, chef du service médico-psychologique régional (SMPR) du CHU de Nantes
Dr Pierre Horrach, responsable du SMPR de Metz
Dr Coralie Langlet, psychiatre, cheffe du pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire de l’EPSM du Loiret
Dr Tiphaine Lefebvre, psychiatre, praticien hospitalier pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire, chef de service unité d’hopsitalisation spécialement aménagée (UHSA) de Rennes
Dr Amel Masseboeuf, cheffe du service du SMPR et du centre de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) du centre pénitentiaire des Baumettes
Dr Anne-Hélène Moncany, psychiatre, cheffe du pôle de psychiatrie légale au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse, présidente de la Fédération française des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (FFCRIAVS).
M. Philippe Arhan, directeur du SPIP du Nord
M. Stéphane Dramé, directeur du SPIP d’Indre‑et‑Loire
Mme Anne-Noëlle Heitz, directrice du SPIP de Meurthe-et-Moselle
Mme Patricia Théodose, directrice du SPIP du Val‑de‑Marne.
Dr Angélique Guillain, infirmière coordonnatrice de l’unité sanitaire du centre pénitentiaire de Vendin le Vieil
M. Jean-Baptiste Blanchard, éducateur spécialisé et référent ALIA (Association ligérienne d’addictologie) à la maison d’arrêt d’Angers
Dr Alix Moireau, médecin généraliste à l'USMP de la maison d'arrêt d'Angers
Dr Axel André, médecin psychiatre au CHU de Lille
Dr Anne de Ybarlucea, psychiatre à l’USMP de la maison d’arrêt du Mans-Les Croisettes.
M. Patrick Ambroise, sous-directeur adjoint santé des populations et prévention des maladies chroniques à la Direction générale de la santé (DGS) et Mme Véronique Billaud, cheffe de projet santé des personnes placées sous main de justice à la Direction générale de la santé (DGS), et Mme Anne Hegoburu, sous-directrice de la prise en charge hospitalière et des parcours ville-hôpital, et Mme Laora Tilman, cheffe du bureau de la prise en charge en santé mentale et des publics vulnérables à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) (23 janvier et 15 mai 2025)
M. Emmanuel Razous, directeur adjoint à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) (23 janvier 2025), et M. Laurent Trippier, responsable du pôle santé au sein du département des politiques sociales et du partenariat (sous-direction de à la Direction générale de la santé) à la Direction de l’administration pénitentiaire (23 janvier et 15 mai 2025)
M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie et Dr Stéphanie Lafont-Rapnouil, cheffe de projet animation territoriale en santé mentale (30 janvier 2025)
M. Philippe Leborgne, médecin de santé publique à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) (30 janvier et 15 mai 2025)
Mme Prune Missoffe, responsable des analyses et du plaidoyer de l’Observatoire international des prisons (OIP) et M. Jean-Baptiste Blanchard, membre de l’OIP, éducateur spécialisé et référent CSAPA ALiA à la maison d'Arrêt d'Angers, M. Christophe Michon, membre de l’OIP, médecin retraité et ancien chef de projet Santé des PPSMJ à la DGS, et Mme Pauline Petitot, journaliste chargée d'enquête à l'OIP (6 février 2025)
M. Eric de Gentil-Baichis, membre de l’association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice (ANVP) (6 février 2025)
Mme Emmanuelle Rémond. présidente de l’union nationale des familles et amis de malades ou handicapés psychiques (UNAFAM), Mme Pascale Giravalli, psychiatre, cheffe de service de l’Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Marseille, présidente de l’Association des secteurs de Psychiatrie en milieu Pénitentiaire (ASPMP), et Mme Valérie Kanoui, cheffe de service de l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de Fleury-Mérogis (Centre hospitalier sud francilien), vice‑présidente de Association des personnels de santé exerçant en prison (APSEP). (28 février 2025)
Mme Barbara Sclafer, chargée de mission Santé justice à la Fédération Addiction, Mme Nathalie Coursan, éducatrice spécialisée au Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), référent de la maison d’arrêt de Bordeaux Gradignan, et Mme Antonia Dandé, directrice de l’association Episode à Béziers (CSAPA, Point d’accueil et d’écoute jeunes et Consultations jeunes consommateurs) (6 mars 2025)
Dr Thomas Fovet, MD, PhD. maître de conférences HDR en psychiatrie, université de Lille, CHU de Lille (6 mars 2025)
Mme Mireille Gaüzère, inspectrice générale, et M. Aquilino Morelle, inspecteur général, à l’inspection générale des affaires sociales (13 mars 2025)
Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), et M. André Ferragne, secrétaire général (13 mars 2025)
Dr Thomas Bosetti, médecin psychiatre, coordinateur général du projet AiLSi (Alternative à l'incarcération par le logement et le suivi intensif) (26 mars 2025)
Mme Anne-Sophie Lepinard, présidente de la commission Accès au droit et membre de la commission Libertés et droits de l’Homme du Conseil national des barreaux (CNB), Mme Amélie Morineau, présidente de la commission Libertés et droits de l’homme, et Mme Mona Laaroussi, chargée de mission affaires publiques (26 mars 2025)
Mme Claudine Beauchemin et M. Manuel Mendez, inspecteurs de la justice (3 avril 2025)
Mme Cécile Gressier, sous-directrice de la justice pénale générale à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), accompagnée de Mme Amélie de Robien, magistrate rédactrice au sein du bureau de l’exécution des peines et des grâces (3 avril 2025)
Mmes Valentine Fournier, déléguée de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), Aurore Vandendriessche, chargée de mission justice, et Ruth Gozlan, chargée de mission santé, et Mmes Valérie Ulrich, responsable de l’unité scientifique FOCUS de l’observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), et Caroline Protais, chargée d’études et référente prison (10 avril 2025)
Mme Céline Bertetto, présidente de l’association nationale des juges d’application des peines (ANJAP), et Mme Marlène Landais, vice‑présidente chargée de l’application des peines au tribunal judiciaire de Bonneville et administratrice de l’ANJAP (10 avril 2025)
M. Ludovic Friat, président de l’union syndicale des magistrats (USM), Mme Rachel Beck, secrétaire nationale, Mme Judith Allenbach, présidente du syndicat de la magistrature, Mme Mathilde Thimotée, secrétaire générale, et Mme Valérie Dervieux, déléguée générale d’unité magistrats, et Mme Delphine Blot, déléguée générale adjointe (6 mai 2025)
M. Méhidine Faroudj, sous-directeur des missions de protection judiciaire et d’éducation à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) (15 mai 2025)
Mme Sandrine Rossi, sous-directrice adjointe de l’insertion et de la probation à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) (20 mai 2025)
M. Mathieu Dangoisse, adjoint au chef d’établissement
Mme Sandrine Fagiannelli, directrice de détention en charge de la question des soins
Dr Anne Deuez, psychiatre à l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) de Sequedin
Dr Anne-Sophie Ternois psychiatre à l’USMP de Sequedin
Mme Aurélie Hurez, cadre de santé à l’USMP de Sequedin
Dr Catherine Adins, psychiatre à l’unité hospitalière aménagée (UHSA) de Seclin
Dr Jules Vivier, psychiatre à l’UHSA de Seclin
Dr Maxime Watteau Henon, psychiatre à l’UHSA de Seclin
Dr Vincent Jardon, psychiatre au sein du dispositif VigilanS Prison
M. Matthieu Paindavoine, infirmier au sein de l’équipe mobile transitionnelle (EMOT)
Mme Pauline Spychala, assistante sociale au sein de Diligens (service à la personne)
Mme Marie Dievart, cadre de santé à l’UHSA de Seclin
M. Sylvain Couture, cadre de santé à l’UHSA de Seclin
M. Jean-Luc Madoux, cadre supérieur de pôle
Mme Nathalie Samadi, directrice du pôle psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire
Pr Pierre Thomas, chef de pôle psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire
Monsieur Boubker, directeur territorial de la PJJ des Hauts-de-Seine
Madame Léal, directrice de l’EPEI
Madame Compan, responsable unité éducative
Dr Phan, pédopsychiatre
Mme Stéphanie Pellegrini, adjointe au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation de l’Essonne (SPIP91)
Mme Stéphanie Perrin directrice du service infra et bâtiments centraux où sont hébergées les personnes détenues arrivant et celles bénéficiant de soins adaptés à leur profil
M. Anatole Lucchini, adjoint à la directrice du service infra et bâtiments centraux où sont hébergées les personnes détenues arrivant et celles bénéficiant de soins adaptés à leur profil
M. Pascal Forissier, chef du service SMPR
Mme Valérie Kanoui, cheffe de service de l’unité sanitaire
M. François Paindorge, directeur du service éducatif en charge du suivi des mineurs.
Mme Claire Hédon, défenseure des droits.
ANNEXE N° 2 :
LETTRE DE L’ASSOCIATION DES SECTEURS DE PSYCHIATRIE
EN MILIEU PÉNITENTIAIRE ET DE L’association
des professionnels de santé exerçant en prison
À LA MINISTRE DU travail, de la santÉ, Des solidaritÉs
et des familles EN DATE DU 4 MAI 2025
[1] Personnes ayant commis une infraction pénale ou faisant l’objet d’une procédure pénale. S’agissant des jeunes suivis par les services de la PJJ, l’évaluation est centrée sur les mineurs suivis au pénal en excluant les mineurs en danger faisant l’objet d’une mesure de protection (mesures dites « d’assistance éducative » prévues par les articles 375 et suivants du code civil). En effet, l’enfance protégée qui va au-delà des jeunes suivis par la PJJ a fait l’objet de plusieurs rapports et était notamment au cœur des travaux de la commission d’enquête sur l’aide sociale à l’enfance.
[2] La mission a adressé un questionnaire à l’ensemble des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP), des directions interrégionales de la PJJ, des agences régionales de santé (ARS). Elle a reçu des réponses de 9 ARS sur les 13 que compte la métropole. Dans les Outre-mer, seule l’ARS de Martinique a répondu, sur les 5 ARS concernées.
[3] semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique, libération conditionnelle.
1 Comme l’a souligné Thomas Fovet.
2 Ainsi que le souligne le docteur Christine Beaurepaire, « La vulnérabilité sociale et psychique des détenus et des sortants de prison », revue du MAUSS, 2012/2 n° 40.
3 Falissard et al., BMC Psychiatry, 2006. Étude commandée par la direction générale de la santé et la direction générale de l’administration pénitentiaires https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_detenus25-07-06-2.pdf
4 Fovet et al. European Psychiatry, 2020. Étude réalisée auprès de 653 personnes arrivant en détention dans huit maisons d’arrêt du Nord et du Pas-de-Calais.
5 L’étude SPCS a été financée par la DGS (Direction générale de la santé) et SpF (Santé Publique France). Elle a été portée par la F2RSM Psy (Fédération Régionale de Recherche en Santé Mentale et Psychiatrie) et coordonnée par le professeur Pierre Thomas. La réalisation de l’étude a été pilotée par Thomas Fovet et Camille Lancelevée. Il s’agit d’une évaluation réalisée de septembre 2020 à septembre 2022 de la santé mentale dans les trente jours précédant la libération réalisée auprès de 586 hommes qui sortaient de 26 maisons d’arrêt de France métropolitaine et 131 femmes qui sortaient de quatre établissements pénitentiaires des Hauts-de-France.
6 Fovet et al. European Psychiatry, 2020. Étude réalisée auprès de 653 personnes arrivant en détention dans huit maisons d’arrêt du Nord et du Pas-de-Calais.
1 Dans le cadre de l’enquête ESSPRI, d’avril à juin, 1 094 hommes détenus en France métropolitaine âgés de plus de 18 ans et incarcérés depuis plus de trois mois ont répondu à un questionnaire anonyme sur leur santé physique et mentale, leurs activités sportives, leur alimentation, l’accès aux soins mais aussi leurs usages de tabac, d’alcool et d’autres substances https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2024-05/ofdt_tend163.pdf
2 Conduites de jeu considérées comme « à risque » ou « excessive », selon les critères du DSM
3 Lind & al. 2019
[13] Williams & al. 2005
[14] « Les jeux d’argent dans la population carcérale : Pratiques de jeu, trajectoires de joueurs, problématiques d’addiction. », étude menée avec le soutien de la MILDECA par Aymeric Brody, enseignant-chercheur à l’EPITA
[15] Fovet et al. European Addiction Research, 2021.
[16] Réponses au questionnaire de la mission.
[17] Airagnes G, Sánchez-Rico M, Deguilhem A, Blanco C, Olfson M, Ouazana Vedrines C, Lemogne C, Limosin F Hoertel N. Nicotine dependence and incident psychiatric disorders: prospective evidence from US national study. Mol Psychiatry. 2024 Sep 11 ; Hjorthøj, C., Larsen, M. O., Starzer, M. S. K., & Nordentoft, M. (2021). Annual incidence of cannabis-induced psychosis, other substanceinduced psychoses and dually diagnosed schizophrenia and cannabis use disorder in Denmark from 1994 to 2016. Psychological medicine, 51(4), 617-622 ; Petit, A., Reynaud, M., Lejoyeux, M., Coscas, S., & Karila, L. (2012). Addiction à la cocaïne: un facteur de risque de suicide ? La Presse Médicale, 41(7-8), 702-712 ; Darvishi, N., Farhadi, M., Haghtalab, T., & Poorolajal, J. (2015). Alcohol-related risk of suicidal ideation, suicide attempt, and completed suicide: a meta-analysis. PloS one, 10(5), e0126870 ; Kranzler, H. R., & Rosenthal, R. N. (2003). Dual diagnosis: Alcoholism and co morbid psychiatric disorders. The American journal on addictions, 12, s26-s40.
[18] « 20 à 30 % des patients vivant avec des troubles psychiques présentent des conduites addictives (hors tabac). Entre 40 et 50 % des patients ayant des consommations problématiques de substances présentent des troubles psychiques associés : pathologies dépressives, troubles bipolaires, pathologies anxieuses, schizophrénie, et certains troubles de la personnalité (sociopathie, états limites). »
[19] ”Addictologie et psychiatrie : allons-nous enfin célébrer un mariage de raison ?“, Michel REYNAUD, L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 85, N° 7 - SEPTEMBRE 2009
[20] https://www.cambridge.org/core/journals/psychological-medicine/article/metaanalysis-of-the-prevalence-of-attention-deficit-hyperactivity-disorder-in-incarcerated populations/23477B340EDE335069C9050EF9F0DD0A
[21] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0272735815301653
[22] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/06/21/tdah-un-trouble-surrepresente-en prison_6131307_1650684.html
[23] Streissguth et al. 2004
[24] Popova et al. 2011
[25] Fast, Conry, 2009 (Fetal alcohol spectrum disorders and the criminal justice system - PubMed)
[26] Mesurer et comprendre les déterminants de la récidive des sortants de prison, juillet 2021 https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/migrations/portail/art_pix/stat_Infostat_183.pdf ; https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2024-12/Infos_rapides_justice_num%C3%A9ro_20.pdf
[27] Le taux de récidive des sortants de prison qui présentaient avant leur incarcération une instabilité dans l’emploi ou dans le logement est de 35 %.
[28] https://www.f2rsmpsy.fr/fichs/30838.pdf
[29] Étude menée par Alexis Vanhaesebrouck pour Santé publique France
[30] Contribution écrite de la Défenseure des droits.
[31] Réponse au questionnaire de la mission.
[32] Réponse au questionnaire de la mission.
[33] Cheffe du service de psychiatrie de la prison de Fresnes pendant quinze ans, Christiane de Beaurepaire avait ainsi dénoncé en 2009 l’incarcération de personnes qui n’ont rien à faire derrière les barreaux Non-lieu. Un psychiatre en prison, Christiane de Beaurepaire, Fayard, 2009.
[34] Quelques travaux spécifiques sur les mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse existent néanmoins et feront l’objet d’un traitement distinct dans la quatrième partie du présent rapport
[35] Réponses au questionnaire de la mission.
[36] Ils sont chargés de veiller au respect des obligations judiciaires auxquelles elles sont soumises tout en les accompagnant dans leurs démarches d’insertion.
[37] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2011-07/evaluation_de_la_dangerosite_psychiatrique_-_recommandations_2011-07-06_15-48-9_213.pdf
[38] Ainsi que le souligne la HAS. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2011-07/evaluation_de_la_dangerosite_psychiatrique_-_recommandations_2011-07-06_15-48-9_213.pdf
[39] https://www.liberation.fr/societe/2004/12/08/la-prison-un-monde-de-detenus-mures-dans-leur-folie_502094/
[40] Bègue, 2016 ; Brown & Leonard, 2017 ; Cafferky et al., 2018 ; Parrott & Eckhart, 2017. L’inspection générale de la justice a publié en octobre 2019, un rapport dressant un état des lieux des condamnations pour homicides liés à des violences conjugales commis durant les années 2015 et 2016, dans lequel il est notamment mis en exergue que 40 % des auteurs avaient une forte dépendance à l’alcool et 25 % consommaient des stupéfiants. https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/271806.pdf Le lien entre la commission d’infractions et la consommation de substances psychoactives est également établi par plusieurs études et enquêtes de victimation qui permettent d’évaluer, pour certaines catégories d’infractions, le pourcentage d’infractions susceptibles d’avoir été commises sous l’emprise de substances psychoactives. Ainsi, Laurent Bègue-Shankland, dans une étude évaluative sur les relations entre violences et alcool (menée en 2008 sur le fondement de l’enquête épidémiologique Violence Alcool Multi-Méthodes (VAMM) réalisée pour la DGS) estime que l’alcool est présent dans 30 % des condamnations pour violences, dans 40 % des cas de violences familiales et dans 30 % des cas de viols et agressions sexuelles. Il ressort de l’enquête de victimation « vécu et ressenti en matière de sécurité » publiée en 2022 par le SSMSI que 28 % des personnes se déclarant victimes de viol ou d’agression sexuelle en 2021 estiment que l’auteur était sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, tout comme 27 % des personnes se déclarant victimes de violences physiques.https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1278
[41] MILDECA et OFDT, Réponses au questionnaire transmis par la mission.
[42] Voir notamment Pickard H, Fazel S. Substance abuse as a risk factor for violence in mental illness: some implications for forensic psychiatric practice and clinical ethics. Curr Opin Psychiatry 2013;1, http://dx.doi.org/10.1097/YCO.0b013e328361e798. Les données de la littérature confirment que plus le nombre de comorbidités est important plus le risque de violence est élevé chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou de l’humeur https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2011-07/evaluation_de_la_dangerosite_psychiatrique_-_recommandations_2011-07-06_15-48-9_213.pdf
[43] Mesurer et comprendre les déterminants de la récidive des sortants de prison, juillet 2021
[44] MILDECA, réponse au questionnaire écrit.
[45] Fazel S, Yu R. Psychotic Disorders and Repeat Offending: Systematic Review and Meta-analysis. Schizophr Bull. 1 juill 2011;37(4):800-10 ; Baillargeon J, Binswanger IA, Penn JV, Williams BA, Murray OJ. Psychiatric Disorders and Repeat Incarcerations: The Revolving Prison Door. Am J Psychiatry. janv 2009;166(1):103-9.
[46] Albalawi O, Chowdhury NZ, Wand H, Allnutt S, Greenberg D, Adily A, et al. Court diversion for those with psychosis and its impact on re-offending rates: results from a longitudinal data-linkage study. BJPsych Open [Internet]. 10 janv 2019 [cité 25 oct 2019];5(1). Disponible sur: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6343116/.
[47] Kushel et al., 2005 ; Fazel, 2014 ; Roy et al., 2016
[48] Voir notamment sur ce sujet le rapport d’information n° 714, déposé le mercredi 11 décembre 2024 sur la prise en charge des urgences psychiatriques, de Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau. Le rapport note en particulier chez les 18-24 ans, une prévalence en forte croissante des épisodes dépressifs, passée de 11,7 % à 20,8 % entre 2017 et 2021, soit une hausse de 77 %, qui touche; l’augmentation inquiétante de la consommation de psychotropes chez les adolescents et les jeunes adultes : en 2023, le nombre de jeunes de 12 à 25 ans ayant bénéficié de remboursement d’au moins un psychotrope atteint 936 000, soit une augmentation de 18 % depuis 2019. La souffrance psychique se traduit dans une hausse de l’activité d’urgence depuis fin 2020 : 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique ont été recensés en 2023, soit une hausse de 21 % par rapport à 2019, la progression du taux du recours étant particulièrement notable pour les adolescents et les jeunes adultes.
[49] Membre de la délégation de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP UNSA-Justice) entendue par la mission.
[50] IGAS, IGSJ, 2015, Évaluation du plan d’actions stratégiques 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice, n°2015-050R.
[51] OIP https://oip.org/wp-content/uploads/2022/07/oip-rapport-soinsspe-07-2022-planches.pdf
[52] Chiffres cités dans le rapport remis au Gouvernement en avril 2021 par Philippe Houillon et Dominque Raimbourg sur l’irresponsabilité pénale, issus respectivement du mémoire de master de droit pénal de Laetitia Morat, Université Panthéon Assas 2010, p. 75 et de l’ouvrage de Marc Renneville, Crime et folie, Fayard 2003, p. 432.
[53] Voir sur ce sujet le rapport d’information n° 714, déposé le mercredi 11 décembre 2024 sur la prise en charge des urgences psychiatriques, de Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion-soc/l17b0714_rapport-information#_Toc256000001
[54] « Prisons : une humiliation pour la République. Rapport de commission d’enquête n° 449 de MM. Jean-Jacques HYEST et Guy-Pierre CABANEL , déposé le 29 juin 2000
[55] Étude Samenta (santé mentale et addictions chez les sans domicile franciliens), 2010.
[56] Hossain et al. Prevalence of mental disorders among people who are homeless : An umbrella review. Int J Soc Psychiatry, 2020 - Gutwinski S, et al. The prevalence of mental disorders among homeless people in high-income countries: An updated systematic review and meta-regression analysis. PLoS Med, 2021
[57] CEDH, Rooman c. Belgique, 31 janvier 2019.
[58] CSAPA, Point d’accueil et d’écoute jeunes et Consultations jeunes consommateurs
[59] Selon les dernières données publiées par l’OFDT, « Qu’il s’agisse de la cocaïne ou de l’ecstasy/MDMA, la diffusion élargie des psychostimulants représente l’une des grandes tendances de ces dernières années : l’usage au cours de l’année (au moins une fois dans les 12 derniers mois) concerne désormais 1,1 million de Français (11-75 ans) pour la cocaïne et 750 000 pour l’ecstasy/MDMA. Avec 24 millions de joueurs dans l’année contre 21 millions précédemment, les jeux d’argent et de hasard connaissent également une popularité croissante parmi les Français. Quant au cannabis, il demeure la drogue illégale la plus consommée, avec 900 000 usagers quotidiens. » https://www.ofdt.fr/publication/2025/drogues-et-addictions-chiffres-cles-2025-2474
[60] https://www.ofdt.fr/alcool-synthese-des-connaissances-1722#consequ
[61] Notamment parce que la population qui était autrefois hospitalisée et la population qui est aujourd’hui incarcérée ne se recoupent pas complètement.
[62] L’incarcération des personnes sans logement et en grande difficulté psychique dans les procédures de comparution immédiate, Camille Allaria et Mohamed Boucekine. Voir Bérard, Chantraine, 2008 ; Girard et al., 2009 ; Mucchielli, 2011
[63] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0001407922000267
[64] Christiane de Beaurepaire Non-lieu. Un psychiatre en prison, Fayard, 2009.
[65] Divers facteurs majorent leur risque d’incarcération, indépendamment de la gravité des faits.
[66] CGLPL, OIP, Syndicat de la magistrature, Union syndicale des magistrats, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie notamment
[67] DACG, réponses au questionnaire de la mission.
[68] Camille Protais, Sous l’emprise de la folie ? L’expertise judiciaire face à la maladie mentale (1950-2009).
[69] Les personnes orientées dans les statistiques judiciaires françaises désignent les individus pour lesquels le parquet a pris une décision à l’issue d’une procédure pénale (1 945 745 auteurs dans les affaires traitées par les parquets en 2023)
[70] Communication de Mme Naïma Moutchou et M. Antoine Savignat en conclusion d’une mission « flash » mise en place par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, sur l’application de l’article 122-1 du code pénal, 30 juin 2021. https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/349608/3439404/version/1/
[71] Environ 9 000 en 2019.
[72] Une expertise peut être requise par les enquêteurs ou le procureur de la République, soit parce que la loi l’exige, soit parce qu’ils constatent que le mis en cause pourrait présenter des troubles psychiatriques.
[73] Ce motif de classement vise les cas où la poursuite n’est pas opportune compte tenu de la personnalité de l’auteur, dont il s’avère qu’il ne jouit pas de toutes ses facultés mentales, sans pour autant qu’il y ait eu expertise mais souvent un simple « examen » psychiatrique
[74] Ce motif de classement vise les cas dans lesquels un expert psychiatre a examiné la personne mise en cause et a conclu à l’abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique (article 122-1 du code pénal)
[75] Rapport de la mission pluridisciplinaire coprésidée par Philippe Houillon et Dominique Raimbourg, sur l’irresponsabilité pénale, février 2020.
[76] Voir chiffres clés de la justice, édition 2024.
[77] Contre 238 en 2019.
[78] 6 en 2019.
[79] Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
[80] la DACG n’est pas en mesure de transmettre le nombre de déclarations annuelles d’altération du discernement
[81] Rapport de la mission pluridisciplinaire coprésidée par Philippe Houillon et Dominique Raimbourg, remis au Gouvernement en 2020.
[82] Mme Naïma Moutchou et M. Antoine Savignat, communication en conclusion d’une mission flash sur l’irresponsabilité pénale
[83] Membre de la délégation du SNEPAP-FSU reçue par la mission.
[84] DACG, réponses au questionnaire de la mission.
[85] L’expertise est obligatoire en matière sexuelle, elle est un préalable obligé du prononcé d’une injonction de soins et une condition légale pour l’octroi d’aménagements de peine ou de permissions de sortir à tout condamné à une peine de suivi socio-judiciaire.
[86] Réponses de la DACG au questionnaire de la mission.
[87] Le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières
[88] Pour les personnes placées sous une mesure de protection ou en raison des faits commis, notamment pour les infractions sexuelles.
[89] https://oip.org/analyse/malades-psy-en-prison-les-experts-ne-concluent-presque-plus-a-lirresponsabilite/
[90] Mission coprésidée par Philippe Houillon et Dominique Raimbourg,
[91] La DACG attire l’attention sur le fait que l’enregistrement régulier et stable de la mesure dans le temps peut être questionné.
[92] B. Brahmy, « Psychiatrie et prison », Études, vol. 402, n° 6, 2005.
[93] https://www.cncdh.fr/sites/default/files/202104/08.06.12%20Avis%20maladie%20mentale%20et%20droits%20de%20l%27homme.pdf
[94] « La carcéralisation du soin psychiatrique », Vacarme, n° 42, 2008, p. 91-92.
[95] Il est passé de 31 213 en 2001 à 60 348 en 2023. Source : Chiffres-clés de la Justice, Site du Ministère de la Justice
[96] V. Gautron et J.-N. Rétière, La justice pénale est-elle discriminatoire ? Une étude empirique des pratiques décisionnelles dans cinq tribunaux correctionnels
[97] Camille Allaria and Mohamed Boucekine, « L’incarcération des personnes sans logement et en grande difficulté psychique dans les procédures de comparution immédiate »
[98] CSAPA, Point d’accueil et d’écoute jeunes et Consultations jeunes consommateurs
[99] https://oip.org/analyse/la-liberation-pour-troubles-psychiatriques-une-chimere-juridique/
[100] https://www.liberation.fr/societe/2004/12/08/la-prison-un-monde-de-detenus-mures-dans-leur-folie_502094/
[101] https://oip.org/publication/malades-psychiques-en-prison-une-folie/
[102] Étude menée par Alexis Vanhaesebrouck à Santé publique France, sur les suicides survenus pendant la période 2017-2021.
[103] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale/suicides-et-tentatives-de-suicide/documents/rapport-synthese/description-des-personnes-ecrouees-decedees-par-suicide-en-france-sur-la-periode-2017-2021.-interpretation-de-donnees-de-surveillance-par-sante-pub
[104] Obradovic, 2015 ; Protais, Morel d’Arleux et Jauffret-Roustide, 2019
[105] L’enquête ESSPRI réalisée par l’OFDT en 2023 ; l’étude COSMOS (Consommations de Substances et Médicaments au sein de Populations carcérales) réalisée en 2016
[106] Réponse au questionnaire de la mission.
[107] Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée | Ministère de la justice (chiffres de juin 2025)
[108] Membre du bureau national des psychologues, FO justice
[109] Tableau figurant dans le rapport IGAS/IGJ, « L’accès aux soins des personnes détenues en France : la loi Veil 30 ans après », avril 2024.
[110] Selon les informations communiquées par l’ARS Grand Est
[111] Parcours de soins et expertises psychiatriques pré-sentenceilles : une étude descriptive au centre pénitentiaire de Château-Thierry.
[112] https://oip.org/publication/malades-psychiques-en-prison-une-folie/
[113] Christine-Dominique Bataillard, cheffe de pôle des unités pour malades difficiles de l’hôpital de Montfavet et des unités en milieu pénitentiaire de la maison centrale d’Arles, du centre de détention de Tarascon et du centre pénitentiaire du Ponte https://oip.org/analyse/quand-la-prison-rend-malade/
[114] La prise en charge est effectuée par le CNPE (Centre National de la protection sociale des personnes écrouées), sur la base des informations transmises par l’administration pénitentiaire.
[115] Anciennement unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA).
[116] Information transmise par l’IGJ.
[117] Rapport en conclusion des travaux des groupes de travail sur la détention, n° 808, déposé le mercredi 21 mars 2018
[118] Le programme établi en 2010 incluait 17 unités pour une capacité totale de 705 places, réparties en deux tranches, l’une de 440 places pour neuf unités et la seconde de 265 places pour les huit autres unités.
[119] Implantées dans chacune des neuf directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP).
[120] Arrêté du 10 octobre 2022 relatif au ressort territorial et au cahier des charges des unités hospitalières sécurisées interrégionales destinées à l’accueil des personnes détenues - Légifrance
[121] Selon les données transmises par la MILDECA et l’OFDT
[122] Les équipes de liaison et de soins en addictologie (ELSA) du centre hospitalier de rattachement dont relève l’USMP, interviennent dans certains établissements pénitentiaires afin de délivrer des avis spécialisés à la demande de certains soignants de l’USMP.
[123] Comme le souligne le rapport IGAS/IGJ d’avril 2024 sur l’accès aux soins des personnes détenues, et comme le confirment certaines ARS, certaines agences ont pu consentir ponctuellement des dotations complémentaires « mal documentées » en faveur des unités confrontées à une surpopulation massive.
[124] Au moment de la réforme du financement de la psychiatrie hospitalière : source retraitement comptable des établissements
[125] PIRAMIG campagne 2024
[126] En unité sanitaire, les infirmiers sont présents, sauf cas particulier, uniquement en journée sur cinq jours.
[127] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cedysap/l16cedysap2223024_compte-rendu#
[128] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/06/21/tdah-un-trouble-surrepresente-en-prison_6131307_1650684.html
[129] Extrait du courrier précité.
[130] La feuille de route 2010-2014 prévoyait de « mettre en place un plan de développement de la télémédecine dans les USMP » et, la suivante (2018-2022) de « doter d’une offre de télémédecine la majorité des unités de soins en milieu pénitentiaire »
[131] Les GRADeS sont les groupements régionaux d’appui au développement de la e-santé, opérateurs publics en charge de décliner les objectifs de la feuille de route du numérique en santé 2023-2027. Ils sont financés par les ARS et peuvent apporter une expertise technique, juridique et médicale aux établissements de santé souhaitant pratiquer de la télésanté.
[132] https://oip.org/wp-content/uploads/2022/07/oip-rapport-soinsspe-07-2022-planches.pdf
[133] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/06/21/tdah-un-trouble-surrepresente-en prison_6131307_1650684.html
[134] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/06/21/tdah-un-trouble-surrepresente-en prison_6131307_1650684.html
[135] Conseil national des barreaux, Le droit de visite du bâtonnier : deux ans de pratique et de constats, 17 et 18 novembre 2023, Conseil national des barreaux, rapport adopté par l’assemblée générale du 16 novembre 2023
[136] Contribution écrite adressée à la mission.
[137] Benzodiazépines et hypnotiques
[138] Avec par exemple le remplacement de la prégabaline par la gabapentine après évaluation médicale
[139] Conformément à la circulaire n°57/DGS/DHOS du 30 janvier 2002
[140] Réponses MILDECA et OFDT au questionnaire de la mission
[141] Exploitation OFDT des rapports d’activités des unités sanitaires PIRAMIG/DGOS
[142] https://www.u-bordeaux.fr/actualites/un-observatoire-dans-la-lutte-contre-laddiction-aux-opiaces; https://sanpsy.u-bordeaux.fr/article117/letude-obap-observatoire-buprenorphine-daction-prolongee-description-en-situation-naturelle-de-lintroduction-de-la-buprenorphine-daction-prolongee-en-france-une-etude-prospective-observationnelle-n-id-rcb-2022-a02616-37
[143] Terrail et al. 2023
[144] Informations transmises par la MILDECA et l’OFDT
[145] De Labrouhe D. et al., « Hospitalisation en unité hospitalière spécialement aménagée : enquête de satisfaction auprès des patients », Revue d’épidémiologie et de santé publique (2017). Enquête réalisée auprès de 125 patients sortant des UHSA de Villejuif et Seclin entre février et juin 2015.
[146] IGAS/IGJ, évaluation des UHSA.
[147] IGAS/IGJ, Évaluation des UHSA, 2020
[148] OIP, https://oip.org/publication/malades-psychiques-en-prison-une-folie/
[149] OIP, https://oip.org/publication/malades-psychiques-en-prison-une-folie/
[150] Les rapports d’activité de ces structures n’ont pas été transmis.
[151] Il y a trois SMPR au sein des centres pénitentiaires de Ducos (Martinique), de Baie Mahault (Guadeloupe) et de Saint Denis (La Réunion)
[152] ARS Auvergne-Rhône-Alpes, réponses au questionnaire de la mission
[153] https://oip.org/publication/malades-psychiques-en-prison-une-folie/
[154] DAP, circulaire du 3 mai 2021
[155] ARS Auvergne-Rhône-Alpes
[156] Ainsi que le prévoit le guide méthodologique de la prise en charge sanitaire des PPSMJ
[157] Les actions mises en place concernent entre autres la prévention du suicide, des risques liés aux consommation, la gestion des émotions, l’estime de soi, le sommeil, la sexualité ou encore la préparation à la sortie et l’observance du traitement.
[158] Instruction du 7 septembre 2023 relative à la mise en place d’une stratégie régionale de promotion de la santé en milieu pénitentiaire
[159] Loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
[160] Informations communiquées par Jean-Baptiste Blanchard, éducateur spécialisé CSAPA et référent ALIA (Association ligérienne d’addictologie) à la maison d’arrêt d’Angers et Alix Moireau, médecin généraliste à l’USMP de la maison d’arrêt d’Angers reçus par la mission.
[161] Appelée formation Terra, il s’agit de la formation de référence pour la prévention du suicide en milieu carcéral
[162] Ce dispositif, lancé en 2009, repose sur un partenariat avec la Croix-Rouge française, complété en 2019 par une convention avec l’Union nationale de prévention du suicide. Des personnes détenues sont formées à repérer, soutenir et protéger un codétenu présentant une souffrance psychique ou un risque suicidaire. Il est déployé dans 23 établissements.
[163] Cellule lisse qui ne comporte aucun point d’accroche ni aisément démontable ou dégradable susceptible de constituer un objet tranchant ou contondant
[164] Composées de couvertures indéchirables et de vêtements déchirables et jetables
[165] Lille-Annœullin et Lille-Sequedin depuis juin 2021 et plus récemment dans les établissements de Longuenesse, Vendin-le-Vieil et Maubeuge.
[166] Poitiers, Angers, Uzerche, Brest et Rouen.
[167] À travers une convention signée par la DAP avec l’association « Dites, je suis là »
[168] Étude sur les suicides des personnes détenues pendant la période 2017-2021 menée par Alexis Vanhaesebrouck à Santé publique France
[169] Dans les établissements pénitentiaires de Lille-Sequedin et Lille-Annoeullin
[170] En 2023, 1 812 personnes ont été formées à la prévention du suicide et 1 667 l’ont été en 2024.
[172] Etude sur la santé mentale des sortants de prison.
[173] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale/suicides-et-tentatives-de-suicide/documents/rapport-synthese/description-des-personnes-ecrouees-decedees-par-suicide-en-france-sur-la-periode-2017-2021.-interpretation-de-donnees-de-surveillance-par-sante-pub
[174] La DACG attire l’attention sur le fait que « ce cadre de prononcé enregistre une diminution très sensible (de 83% entre 2014 et 2024), qui s’explique peut-être par des problèmes de saisie dans Cassiopée des informations utiles. Le recours aux procédures alternatives à l’emprisonnement n’ayant pas rencontré de telles diminutions, il est probable que, à ce stade procédural, le décompte de ces mesures ne soit pas pertinent. »
[175] Il convient de préciser que si une personne a fait l’objet du prononcé de plusieurs mesures, portées par des événements successifs, seule la dernière est dénombrée.
[176] Le médecin coordonnateur est inscrit sur une liste départementale établie par le Procureur de la République après avis du conseil départemental de l’ordre des médecins et du directeur général de l’agence régionale de santé. Il est mandaté par une ordonnance du JAP.
[177] L’ARS prend en charge les dépenses afférentes aux interventions des médecins coordonnateurs. Une indemnité forfaitaire annuelle est versée pour chaque personne suivie, fixée par arrêté à 700€ bruts par année civile et par personne suivie, réduite de moitié s’il y a moins de deux entretiens de suivi sur l’année. Elle est versée par l’ARS sur la base d’un justificatif annuel visé par le JAP.
[178] À la date du 9 juillet.
[179] CA Cayenne, CA Douai, CA Nîmes, CA Nouméa, CA Papeete, CA Poitiers, CA Riom, CA Saint-Denis, CA Saint-Pierre-et-Miquelon.
[180] CA Cayenne, CA Papeete, CA Nouméa, CA Saint-Pierre-et-Miquelon.
[181] La DACG souligne que « ces chiffres – non exhaustifs – ne révèlent que partiellement l’ampleur de la pénurie de médecins coordonnateurs et doivent être appréhendés avec prudence. En effet, le ministère de la Justice n’est pas systématiquement informé par les parquets généraux, des modifications apportées aux listes établies, localement et tous les trois ans, par le procureur de la République (art. R. 3711-1 du code de la santé publique). »
[182] En particulier la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
[183] L’article 131-36-4 du code pénal prévoit en effet que, sauf décision contraire de la juridiction de jugement, la seule mention dans l’expertise de la possibilité d’un traitement du condamné à un suivi socio-judiciaire implique qu’il soit soumis à une injonction de soins.
[184] Les résultats de cette recherche ont été publiés dans un ouvrage collectif : Gautron V. (dir), Réprimer et soigner. Pratiques et enjeux d’une articulation complexe, PUR, 2023
[185] CSAPA, Point d’accueil et d’écoute jeunes et Consultations jeunes consommateurs
[186] Quadran conseil, Évaluation de la démarche PJJ-Promotrice de santé, Rapport final, mars 2022
[187] Prévalence des troubles psychiques en centres éducatifs fermés en France, Guillaume Bronsard et Al, Encéphale 2024.
[188] Données transmises par la DPJJ.
[189] Office of Juvenile Justice and Delinquency Prevention, 2017
[190] It’s never too early, never too late: A discussion paper on preventing youth offending in New Zealand,2018
[191] Etude publiée par l’institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) en décembre 2023 réalisée sur la base de chiffres de 2013 à 2019.
[192] Cour des comptes. La pédopsychiatrie, un accès et une offre de soins à réorganiser. Mars 2023.
[193] élue nationale du syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES) de la PJJ/Fédération syndicale unitaire (FSU)
[194] https://www.has-sante.fr/jcms/p_3261731/fr/coordination-entre-protection-de-l-enfance-et-psychiatrie-de-l-enfant-et-de-l-adolescent
[195] A. Chatagner et al, Adolescents reçus en urgence en psychiatrie infanto-juvénile. Qui sont-ils ? Quel est leur parcours ? Quel suivi social et/ou judiciaire ? Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2014.
[196] CGLPL, rapport sur les droits fondamentaux de mineurs enfermés, 2021.
[197] CGLPL, Rapport de 2021 sur les droits fondamentaux des mineurs enfermés
[198] Pour faciliter le travail en réseau, élaborer des protocoles avec les ARS et permettre la prise en compte des mineurs concernés dans les plans régionaux de santé, la PJJ a recruté dans chaque DIR d’un conseiller technique dédié
[199] étude de l’association des MDA communiquée à la mission 2023
[200] Depuis l’entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs.
[201] Exemple fourni par la CGT PJJ.
[202] Membre de la commission exécutive nationale de l’union nationale des syndicats CGT de la protection judiciaire de la jeunesse (UNS CGT PJJ).
[203] Présentation de l’organisation par la DGS en réponse au questionnaire de la mission
[204] Voir à cet effet le rapport de la mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, porté par Mmes Abadie et Faucillon (2023).
[205] Réponses de la DPJJ au questionnaire de la mission.