N° 1889

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

visant à apporter une contribution parlementaire à la définition des contours

d’un accord de paix entre la Serbie et le Kosovo

 

présenté par

Mme Marine HAMELET, M. Frédéric PETIT, M. Pierre PRIBETICH, et M. Jean-Louis ROUMÉGAS

Députés

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La délégation de la commission était composée de : Mme Marine Hamelet (Tarn-et-Garonne – Rassemblement national), M. Frédéric Petit (Français établis hors de France – Les Démocrates) ; M. Pierre Pribetich (Côte-d’Or  Socialistes et apparentés) et M. Jean-Louis Roumégas (Hérault  Écologiste et Social).


 SOMMAIRE 

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 Pages

Introduction

I. LE PROCESSUS DE NORMALISATION DES RELATIONS ENTRE LA SERBIE ET LE KOSOVO S’est appuyé, CES DERNIÈRES ANNÉES, SUR UNE STRATÉGIE DES « petits pas » au RÉsuLtat en demi-teinte

A. Une normalisation économique et sociale qui a connu certains progrès

1. Des avancées en matière économique grâce à l’implication de l’Union européenne et des ÉtatsUnis

2. Des tentatives pour apaiser les relations entre les communautés du Kosovo et restaurer un lien de confiance

B. SUR LE PLAN POLITIQUE, une normalisation bloquÉe par de fortes tensions autour de la constitution d’une association des municipalitÉs À majoritÉ serbe du Kosovo

1. L’accord de Bruxelles du 19 avril 2013 : une « ambiguïté constructive » au service de la paix

2. Un blocage persistant autour de la constitution et des pouvoirs de l’association des municipalités à majorité serbe

3. La conclusion de l’accord de Bruxelles-Ohrid : une opportunité manquée de relancer le dialogue politique

II. FAUTE DE VOLONTÉ POLITIQUE, le dialogue belgrade-Pristina est désormais totalement enlisé malgré l’ESPOIR SUSCITé par La conclusion de l’accord de BRUXELLES-OHRID

A. Le kosovo du PREMIER MINISTRE Kurti : une politique volontariste de réaffirmation de sa souveraineté au prix d’une dégradation profonde de ses relatons avec la serbie

1. La multiplication des actions unilatérales d’affirmation de la souveraineté kosovare

2. La dégradation des conditions de vie des Serbes du Kosovo qui se sentent toujours plus marginalisés

3. L’isolement progressif du Kosovo sur la scène internationale

B. La Serbie du président Vučić : un acteur peu enclin au dialogue qui pourrait profiter du retour au pouvoir du prÉSIDENT AMÉricain donald trump

1. Une position attentiste à l’égard du dialogue

2. Une stratégie potentiellement consolidée par le changement d’administration aux ÉtatsUnis

III. LA RELANCE DU DIALOGUE, cOMPLIQUÉE PAR LES TENSIONS POLITIQUES QUE CONNAISSENT LE KOSOVO ET la SERBIE, doit redevenir un enjeu international de premier plan pour assurer la stabilitÉ de la rÉgion des balkans, aujourd’hui menacÉe

A. un contexte politique troublÉ peu favorable à la reprise du processus de normalisation

1. Au Kosovo, une profonde incertitude politique suite aux élections législatives du 9 février 2025

2. En Serbie, un pouvoir déstabilisé par une crise politique persistante

B. LA REPRISE DU DIALOGUE DOIT PASSER PAR LA REFONDATION D’un lien de confiance entre les populations pour Éviter un nouvel enlisement du processus de normalisation

1. L’Union européenne, garante de la Pax Europea, face au risque de marginalisation

2. La France, un facilitateur potentiel du dialogue sous réserve du renforcement de ses relations bilatérales avec les deux parties

a. La France, un acteur investi dans le règlement du conflit même s’il n’échappe pas à certaines critiques

b. La diplomatie parlementaire, indispensable contributeur au maintien du dialogue et à la recherche de nouveaux compromis

Examen en commission

Annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par la dÉlÉgation de la commission

Annexe  2 : PROPOSITION FRANCO-ALLEMANDE AYANT servi de fondement À L’ACCORD de bruxelles-ohriD du 27 février 2023

ANNEXE  3 : L’accord de bruxelles-ohrid du 27 février 2023

Annexe  4 : ANNEXE sur la MISE EN ŒUVRE À L’ACCORD de bruxelles-OHRID, PUBLIÉE LE 18 MARS 2023

Contribution complémentaire portée à titre personnel par M. Frédéric Petit, député de la 7ème circonscription des Français établis à l’étranger (Allemagne, Europe centrale et Balkans)

 


   Introduction

Depuis sa déclaration unilatérale d’indépendance, le 17 février 2008, le Kosovo fait face à un conflit durable et profond avec la Serbie autour de son statut. Si le Kosovo tente de se faire reconnaître par la communauté internationale comme un nouvel État-nation, la Serbie le considère toujours comme une partie intégrante de son territoire, berceau historique et culturel de la nation et de l’Église orthodoxe serbes depuis la défaite des armées du Prince Lazar Hrebeljanović contre les Ottomans en 1389, lors de la célèbre bataille du Champ des Merles. Cette mémoire médiévale, teintée d’une forte connotation religieuse, empreigne encore profondément l’esprit serbe. À cette lecture de l’histoire s’oppose un autre récit porté par Pristina, celui de la libération héroïque du Kosovo. Ce sont ainsi deux visions radicalement opposées qui se font face, « Kosovo je Srbija » (« Kosovo is Serbia ») et « La liberté a un nom : UÇK ([1]) ».

Or, aux yeux des autorités serbes, l’indépendance de sa province constitue une violation manifeste des dispositions de la résolution 1244 du 10 juin 1999 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette résolution octroie un statut d’autonomie substantielle au Kosovo assurant dans le même temps la coexistence et l’expression politique de toutes les communautés ethniques présentes sur son territoire. La Cour internationale de justice (CIJ) a toutefois estimé, dans un avis consultatif rendu le 22 juillet 2010, que la déclaration unilatérale d’indépendance kosovare ne violait aucune disposition du droit international. Quelques semaines plus tard, le 9 septembre 2010, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) adoptait une résolution prenant acte et se félicitant de la volonté de l’Union européenne de faciliter le dialogue bilatéral entre la Serbie et le Kosovo, afin de consolider la paix entre les deux parties.

Ces concessions réciproques n’ont cependant pas permis d’aboutir à une pacification globale et durable des relations entre les deux parties, dont atteste le prolongement d’une présence internationale importante au Kosovo, sur les plans militaire et civil. La Force pour le Kosovo (KFOR) de l’Alliance atlantique poursuit ainsi son action sur place afin de prévenir la reprise des hostilités, d’instaurer un environnement sûr, de veiller au maintien de la sécurité et de l’ordre public, d’appuyer l’action humanitaire internationale et de soutenir la communauté civile internationale. Les tensions se sont récemment amplifiées et ont abouti à la suspension du dialogue entre novembre 2018 et juillet 2022. Malgré sa reprise, les différends restent vifs et il a fallu tous les efforts de la diplomatie européenne pour aboutir à la conclusion d’un accord de normalisation, le 27 février 2023.

Dans ces conditions et douze ans après la mise en place du dialogue Belgrade-Pristina, la sortie de crise semble encore hors de portée dans un avenir proche. La mise en œuvre de l’accord de Bruxelles‑Ohrid demeure lettre morte et les sujets de tensions se multiplient à l’échelle locale, en particulier dans le Nord du Kosovo où la population d’origine serbe se sent marginalisée et menacée dans son existence même. Quant à la Serbie, elle refuse toujours catégoriquement de reconnaître le Kosovo. Le processus de normalisation poursuivi par l’Union européenne n’exige d’ailleurs pas une telle reconnaissance. « Kosovo is Serbia » : tel est le slogan que les visiteurs peuvent lire sur l’autoroute les menant de l’aéroport de Belgrade à la capitale serbe. Le message est clair. Il a été rappelé avec force par les autorités serbes à la délégation de la commission des affaires étrangères qui s’est rendue au Kosovo et en Serbie pour établir un état des lieux des relations entre ces deux acteurs importants de la région des Balkans.

Enfin, les contextes nationaux de chacune des parties n’encouragent guère à plus d’optimisme : le blocage politique que connaît le Kosovo depuis la tenue des élections législatives du 9 février 2025 hypothèque toute perspective de relance du dialogue tandis que la Serbie fait face à un important mouvement social qui ébranle le pouvoir en place comme l’opposition et relègue au second plan la question kosovare. Les opinions publiques elles-mêmes demeurent largement polarisées et campent sur des positions antagonistes. Le risque est ainsi grand de voir s’enliser pour longtemps encore ce conflit aux portes de l’Union européenne. Si cette dernière souhaite relancer le dialogue, ses perspectives de réussite semblent pour l’heure assez minces, prises entre les provocations des deux parties et leur divergence de vues quant à l’avenir du Kosovo.

En raison des liens privilégiés qu’elle entretient avec les deux parties, la France a aussi un rôle à jouer pour éviter que la situation sur place ne s’envenime. La diplomatie française est indéniablement active. Les parlementaires français doivent l’être tout autant. La délégation de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui s’est rendue à Pristina et à Belgrade ces dernières semaines, a pu mesurer que l’attention doit demeurer totale sur cette région, ne serait-ce que pour y maintenir le nécessaire dialogue entre les principaux intéressés. Il s’agit en effet d’un travail de longue haleine et d’une vigilance appelée à s’inscrire dans la durée.


I.   LE PROCESSUS DE NORMALISATION DES RELATIONS ENTRE LA SERBIE ET LE KOSOVO S’est appuyé, CES DERNIÈRES ANNÉES, SUR UNE STRATÉGIE DES « petits pas » au RÉsuLtat en demi-teinte

Malgré la persistance du refus serbe de reconnaître l’indépendance du Kosovo, des progrès ont été réalisés dans le cadre du processus de normalisation des relations entre Belgrade et Pristina, principalement porté par l’Union européenne à travers l’accord de Bruxelles du 19 avril 2013. Ces progrès se concentrent principalement sur des sujets techniques, à défaut de consensus politique, et résultent davantage de la pression exercée par la communauté internationale que de la bonne volonté des parties ([2]). Leur mise en œuvre demeure cependant lente et incomplète.

A.   Une normalisation économique et sociale qui a connu certains progrès

1.   Des avancées en matière économique grâce à l’implication de l’Union européenne et des États‑Unis

La normalisation des relations économiques entre le Kosovo et la Serbie connaît des avancées sur les sujets énergétiques, commerciaux et de télécommunications, conformément aux dispositions de l’accord de Bruxelles.

Dans le secteur de l’énergie, les deux parties ont conclu un accord en 2015 prévoyant que l’opérateur de transport d’électricité du Kosovo KOST devienne un membre du réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (ENTSCO-E), condition réalisée depuis 2019. Un opérateur serbe, Elektroseveri, est également autorisé à poursuivre ses activités au Kosovo afin de distribuer de l’électricité aux habitants, majoritairement serbes, des municipalités du Nord. Faute de mise en œuvre concrète, une feuille de route sur l’énergie conclue en 2022 rappelle la nécessité de donner suite à ces engagements.

En matière de télécommunications, Belgrade et Pristina ont signé en 2013, sous l’égide de l’Union européenne, un plan d’action reconnaissant au Kosovo le droit d’acquérir son propre indicatif. Ce plan est complété par des accords techniques et de mise en œuvre conclus en 2015 et 2016. Depuis février 2018, un indicatif téléphonique international à trois chiffres est opérationnel, mettant ainsi fin à une longue période durant laquelle trois codes différents – ceux de Monaco, de la Serbie et de la Slovénie – étaient utilisés par le Kosovo. Cette situation engendrait non seulement un coût supplémentaire pour le pays, obligé de payer des opérateurs étrangers pour utiliser leurs indicatifs, mais aussi des complications pour certains citoyens, principalement d’origine serbe. Ces derniers étaient, en effet, contraints d’utiliser deux téléphones, l’un pour appeler en Serbie et dans les municipalités du Nord du Kosovo, l’autre dans le reste du monde.

Sur le plan commercial, des progrès significatifs ont été réalisés depuis 2011. Cette même année, un accord sur les timbres douaniers a été conclu, Belgrade acceptant désormais de reconnaître la validité de timbres portant la mention « douanes du Kosovo ». Grâce à cette initiative, les biens à destination du marché kosovar ont pu circuler plus rapidement à travers la Serbie et les douanes kosovares ont été capables de prélever des taxes à la frontière. Toutefois, ces avancées ont pris fin en 2018 lorsque le Kosovo a décidé d’imposer des tarifs douaniers de 100 % sur ses importations en provenance de Serbie en représailles aux efforts serbes pour empêcher son adhésion à l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et à l’organisation internationale de police criminelle (INTERPOL). Cette décision a alors de profondes conséquences économiques et politiques. Elle met un coup d’arrêt au dialogue facilité avec l’Union européenne et réduit considérablement les importations en provenance de Serbie, qui reculent de la première à la vingt‑septième place des principaux exportateurs vers le Kosovo. Il faut attendre l’intervention des États‑Unis pour que le Kosovo accepte finalement de lever ces droits de douane en juin 2020.

Sous le premier mandat du président américain Donald Trump, les États‑Unis ont également cherché à promouvoir une normalisation des relations économiques entre le Kosovo et la Serbie, quitte à prendre le pas sur les efforts européens en ce sens. Leurs initiatives aboutissent à la conclusion, en 2020, de l’accord dit « de Washington » incluant notamment des dispositions relatives à l’opérationnalisation d’une autoroute et d’une ligne de chemin de fer entre Belgrade et Pristina, ainsi que la préparation d’une étude de faisabilité sur le partage des eaux du lac artificiel Gazivoda-Ujman à la frontière serbo‑kosovare. Plus largement, cet accord entend promouvoir la liberté de religion, l’établissement de liens économiques entre le Kosovo et Israël et la relocalisation de l’ambassade de Serbie à Jérusalem. Cependant, au-delà de l’ambition affichée, peu de résultats concrets ont été obtenus.

2.   Des tentatives pour apaiser les relations entre les communautés du Kosovo et restaurer un lien de confiance

L’apaisement des relations serbo-kosovares, entachées par le sombre héritage de la guerre de 1998-1999, passe par la restauration d’un lien de confiance entre le Kosovo et la Serbie, d’une part, et les communautés albanaises et serbes du Kosovo, d’autre part. La traduction en justice des auteurs des crimes de guerre, l’identification des personnes disparues lors du conflit et le soutien au retour des réfugiés doivent contribuer à cet apaisement des mémoires.

 

La recherche des personnes disparues :

un facteur essentiel de réconciliation entre les peuples

La recherche des lieux de sépulture datant de la guerre du Kosovo (1998-1999), nécessaire à l’identification des restes des personnes portées disparues durant le conflit, demeure un irritant majeur entre les deux parties. Alors que de nouveaux charniers ont été découverts, le Kosovo reproche à la Serbie son refus de reconnaître les crimes de guerre dont elle s’est rendue coupable et d’entraver le retour des réfugiés kosovars albanais.

Près de vingt-quatre ans après la fin de la guerre, 1 612 personnes sur les 6 065 disparues (chiffres d’octobre 2024), principalement des Albanais du Kosovo, n’ont toujours pas été retrouvées. La mission « État de droit » de l’Union européenne au Kosovo (EULEX) a indiqué qu’il était délicat de localiser les corps de ces victimes souvent enterrées dans de petites tombes difficilement identifiables afin de dissimuler la preuve de leur assassinat.

En vertu d’une déclaration conjointe de 2023, les parties se sont engagées à coopérer étroitement à l’identification des lieux de sépulture et à garantir le plein accès à des informations fiables et précises permettant de localiser et d’identifier les personnes disparues entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2000. Les deux parties ont également convenu de partager des documents, y compris ceux qui sont classifiés, et d’avoir recours à des données satellitaires et autres technologies pour détecter les charniers. Ce travail est encouragé par les instances internationales. Dans une résolution du 10 mai 2023, le Parlement européen encourage le Kosovo à l’adoption d’une stratégie nationale globale de traitement des événements passés, tout en soulignant le rôle central joué par les organisations de la société civile dans ce domaine et leur contribution à la préparation de la stratégie de justice transitionnelle. Il a également exprimé son souhait de voir s’intensifier les efforts et la recherche de solutions aux problèmes des personnes disparues, suggèrant que ces sujets soient également abordés dans le cadre du dialogue entre Belgrade et Pristina. Finalement, le 17 décembre 2024, une commission conjointe sur les personnes disparues est agréée par les deux parties dans le prolongement de la déclaration de 2023.

Sources diverses.

L’Union européenne participe à ce processus en œuvrant à l’édification et au renforcement de l’État de droit au Kosovo à travers la mission « État de droit » d’EULEX (European Union Rule of Law Mission in Kosovo), lancée en 2008 ([3]). Son mandat a d’ailleurs été renouvelé en juin 2025 pour deux ans ([4]).

Le retour des réfugiés ([5]) au Kosovo fait, quant à lui, l’objet du programme Retour et réintégration, lancé en 2011 par l’organisation internationale pour les migrations (OIM) et soutenu par l’Union européenne, afin de reconstruire une société pluriethnique durable et tolérante au Kosovo. Cette politique est toutefois accueillie avec défiance par la société kosovare qui considère les conditions de retour des réfugiés et déplacés comme excessivement favorables en dépit des menaces et violences qu’ils subissent régulièrement ([6]). Dans ces conditions, le nombre de réfugiés faisant effectivement le choix de revenir au Kosovo demeure limité.

Le programme Retour et réintégration au Kosovo et l’action de l’organisation internationale pour les migrations

1) La présence de l’organisation internationale pour les migrations au Kosovo

L’organisation internationale pour les migrations est présente sur le territoire kosovar depuis 1999. L’OIM décline ses missions autour de trois objectifs : la protection des populations en mouvement, la recherche de solutions alternatives aux déplacements et l’aménagement de voies de migrations régulières. Depuis 1999, l’organisation a pris en charge l’hébergement, le ravitaillement et facilité le retour de plus d’un million de réfugiés et de déplacés internes.

Le bureau de l’OIM au Kosovo emploie près de 700 salariés, auxquels s’ajoutent les travailleurs de droit local. Les besoins en financements de l’organisation pour accomplir ses missions au Kosovo s’élèvent, pour l’année 2025, à 9 300 000 euros, somme qui représente moins de 1 % de l’ensemble des besoins en financements de l’OIM.

2) Le programme Retour et réintégration : une initiative européenne justifiée par la possible adhésion du Kosovo à l’Union

Un programme intégré à l’instrument d’aide de pré-adhésion

En tant que candidat potentiel à l’adhésion à l’Union européenne, le Kosovo bénéficie des actions liées à l’instrument d’aide de pré-adhésion (IAP). Le programme Retour et réintégration au Kosovo naît du constat que, parmi les milliers de personnes déplacées à la suite des conflits en ex-Yougoslavie, plus de 10 000 résidents des Balkans ont exprimé le souhait de retourner au Kosovo. À ces personnes s’ajoutent 17 000 déplacés internes qui ne disposent pas de solution d’hébergement durable. Dans cette perspective, le programme vise à l’émergence d’un climat de tolérance interethnique et à la promotion des droits des communautés minoritaires dans le but de satisfaire les critères de Copenhague. Plus spécifiquement, le programme s’adresse aux Roms, Ashkelis et Égyptiens, des communautés ethniques minoritaires représentant 2,1 % de la population kosovare. Il déploie ses actions de concert avec les municipalités et les organisations de la société civile et participe à la consolidation des institutions promues par l’IAP en matière d’État de droit et de droits fondamentaux. Le programme suit également trois objectifs de développement durable déterminés par les Nations unies : l’éradication de la pauvreté, la réduction des inégalités et la construction de villes et de communautés durables.

 

Le fonctionnement du programme

Ce programme est mis en œuvre avec la collaboration du ministère des communautés et des retours, en charge du retour de tous les déplacés du Kosovo. Il se décline en six phases d’ampleur variable qui dépendent désormais de l’OIM, et ce depuis 2011, date d’entrée en vigueur de sa troisième phase. Il implique la construction de logements, un accompagnement financier des personnes déplacées et la distribution de lots d’assistance comprenant de la nourriture et du mobilier. Il est financé par l’Union européenne (UE) dans sa quasi-intégralité.

Progressivement, ce programme a élargi sa couverture territoriale ainsi que le nombre de familles accompagnées. Sa cinquième phase couvre ainsi onze municipalités dont une majorité est située dans les districts de Pejë et de Pristina ; 400 familles – dont plus de 40 % sont issus des communautés minoritaires – ont pu être accompagnées dans leur retour et leur réintégration économique au Kosovo. En outre, 377 logements ont été construits, soit un nombre croissant par rapport à la phase précédente et ses 262 logements. De même, son budget augmente : il est passé de 3,7 millions d’euros consacrés à sa troisième phase à 8 millions d’euros dédiés à sa cinquième phase.

Le sixième volet du RRK est lancé en août 2024 par l’OIM. S’il est encore trop tôt pour faire un premier bilan de son action, son budget prévisionnel s’élève, selon le gouvernement kosovar, à 6 millions d’euros. Actuellement, 7 familles représentant 35 individus sont accompagnées et la construction de 32 logements est prévue. Le programme couvre deux municipalités : Lipjan, située dans le district de Pristina, et Sharri (Dragaš), dans le district de Prizren au Sud du Kosovo.

Sources diverses.

Le dialogue facilité par l’Union européenne sur la liberté de mouvement se situe à la croisée des efforts de normalisation économique et sociale entre Belgrade et Pristina. Les accords conclus concernent, entre autres, les plaques d’immatriculation ainsi que la reconnaissance mutuelle des cartes d’identité des autres parties comme documents de travail. Leurs résultats sont cependant contrastés.

Un accord sur la reconnaissance des plaques d’immatriculation apparaissait nécessaire alors que la Serbie reconnaissait les seules plaques portant mention des lettres KS (Kosovo) au détriment des plaques immatriculées RKS (République du Kosovo). Cette situation contraignait les propriétaires de voitures possédant des plaques RKS à acheter des plaques temporaires serbes à la frontière pour entrer en Serbie. En réponse, le Kosovo avait imposé des mesures similaires en octobre 2021, demandant aux conducteurs de véhicules porteurs de plaques serbes d’acheter des plaques temporaires kosovares à la frontière pour se déplacer au Kosovo. Cette décision suscita de fortes tensions à la frontière, poussant la police kosovare à s’y déployer en nombre. Après la médiation de l’Union européenne, les parties se sont finalement accordées sur une mesure temporaire consistant à couvrir tous les symboles distinctifs sur les plaques d’immatriculation de véhicules entrant ou sortant du Kosovo.

Les plaques d’immatriculation : un sujet de fortes tensions
entre la serbie et le kosovo

Ce conflit ressurgit toutefois lorsque Pristina impose aux Serbes du Kosovo la date butoir du 31 octobre 2022 pour enregistrer leurs voitures et acquérir de nouvelles plaques commençant par les lettres RKS. Très peu de Serbes du Kosovo se conforment alors à cette nouvelle exigence. Quand un policier serbe du Nord du Kosovo est renvoyé pour refus de changer sa plaque d’immatriculation, il s’ensuit une vague de démissions, les Serbes du Kosovo quittant toutes les institutions officielles, y compris l’Assemblée du Kosovo. Des barrages sont érigés dans le Nord et les deux parties se trouvent engagées dans une polémique conduisant à la pire crise politique et sociale que le Kosovo a traversée depuis la déclaration de son indépendance. Le différend s’apaise en janvier 2024, lorsque la Serbie accepte de laisser circuler sur son territoire des véhicules porteurs des plaques kosovares. Cependant, dans l’intervalle, le problème s’est mué en un sujet identitaire pour les Serbes du Kosovo et en démonstration de souveraineté pour le gouvernement kosovar. Le dialogue facilité par l’Union européenne a échoué à prévenir ce regain de tensions.

D’autres sujets ont pu faire l’objet de compromis comme la reconnaissance mutuelle des cartes d’identité émises par Belgrade et Pristina. En août 2022, les deux gouvernements ont trouvé un accord oral pour reconnaître mutuellement leurs documents d’identité sous l’égide de l’Union européenne et des États-Unis. Cet accord ne règle cependant pas toutes les difficultés rencontrées par les Serbes du Kosovo détenteurs de passeports issus de l’autorité ou de la direction de la coordination basée à Belgrade. Depuis 2009, date à laquelle les Serbes ont obtenu le droit de circuler dans l’espace Schengen, deux types de passeports subsistent : l’un pour les Serbes résidant en Serbie, l’autre pour les Serbes du Kosovo. Si le passeport octroyé aux Serbes présents en Serbie leur permet de voyager librement dans l’espace Schengen, tel n’est pas le cas pour les détenteurs du second type de passeport qui requiert toujours l’utilisation d’un visa. Par ailleurs, ces passeports ayant été déclarés illégaux par le Kosovo en 2017, les Serbes du Kosovo se sont progressivement trouvés isolés. Ce problème connaît une nouvelle actualité en 2024 lorsque les Kosovars ont obtenu la possibilité de voyager sans visa dans l’espace Schengen, puisque ce statut ne s’applique pas aux détenteurs des passeports délivrés par le conseil d’administration de la direction de la coordination de Belgrade, faisant ainsi des Serbes du Kosovo les seuls citoyens à ne pas pouvoir se déplacer librement au sein de l’espace Schengen sans visa. Cette difficulté a finalement été levée par le règlement (UE) 2024/2495 du Parlement européen et du Conseil du 18 septembre 2024, qui a étendu l’exemption de visa aux titulaires d’un passeport serbe délivré par la direction de la coordination de Serbie. Toutefois, pour voyager dans l’espace Schengen, les Serbes du Kosovo sont contraints de passer la frontière depuis la Serbie, en l’absence de reconnaissance de leur passeport par les autorités kosovares.

Malgré ces initiatives, le niveau de défiance entre les populations serbes et kosovares demeure très élevé, compliquant un peu plus les dynamiques politiques et sociales à l’œuvre. Cette défiance est redoublée par l’absence de tout progrès politique sur le statut du Kosovo malgré l’activisme de l’Union européenne et de ses États membres pour trouver une issue au conflit.

B.   SUR LE PLAN POLITIQUE, une normalisation bloquÉe par de fortes tensions autour de la constitution d’une association des municipalitÉs À majoritÉ serbe du Kosovo

1.   L’accord de Bruxelles du 19 avril 2013 : une « ambiguïté constructive » au service de la paix

L’une des conditions à la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina réside dans le règlement du conflit existant autour des structures serbes présentes au Kosovo, en particulier dans les domaines policier et judiciaire.

Cet enjeu est pleinement pris en compte par l’accord de Bruxelles conclu le 19 avril 2013, qui couronne un rapprochement entre les deux parties, entamé dès mars 2011 ([7]). Cet accord propose, en effet, la constitution d’une association des municipalités à majorité serbe dans le Nord du Kosovo en lieu et place des structures parallèles dépendantes de Belgrade. Cette association, qui doit œuvrer à l’amélioration des conditions de vie des populations locales, disposerait des moyens pour développer l’économie ou encore agir en matière d’éducation et de santé dans les municipalités où les Serbes sont majoritaires.

En contrepartie, l’accord prévoit que les policiers présents dans le Nord du Kosovo, essentiellement composés d’éléments serbes, soient pleinement intégrés à la police nationale kosovare. De même, les autorités judiciaires du Nord du Kosovo sont appelées à fonctionner conformément au cadre juridique applicable dans le reste du territoire kosovar. Il s’agit, pour certains commentateurs, d’une forme de reconnaissance implicite de l’indépendance du Kosovo, même si Belgrade a toujours formellement refusé cette lecture. En ce sens, l’accord de Bruxelles cultive une ambiguïté pouvant être qualifiée de « constructive » ([8]).

2.   Un blocage persistant autour de la constitution et des pouvoirs de l’association des municipalités à majorité serbe

Bien que les deux parties aient signé un accord en ce sens, la Serbie et le Kosovo ne parviennent pas à s’entendre sur les pouvoirs à octroyer à cette association. Le gouvernement serbe souhaite qu’elle dispose de vrais pouvoirs exécutifs, sans en déterminer les contours précis. Quant au gouvernement kosovar, il considère que cette association doit être dotée d’un seul pouvoir consultatif équivalent à celui dont dispose l’association des municipalités kosovares, organisation à but non lucratif représentant les intérêts généraux de ses membres.

Dans ces conditions, la mise en place de l’association des municipalités à majorité serbe du Kosovo est un irritant de longue date entre les deux parties. En 2015, Atifete Jahjagaa, alors président du Kosovo, soumet à la Cour constitutionnelle kosovare la question de savoir si les principes généraux de cette association sont compatibles avec l’esprit de la Constitution, qui consacre la nature multiethnique du Kosovo ainsi qu’une série de droits et libertés fondamentales, dont ceux des communautés de la nation kosovare et de leurs membres. Or, selon la Cour constitutionnelle, cette initiative serait contraire à l’esprit de la Constitution kosovare sans être formellement incompatible avec ses dispositions. Si l’Union européenne considère que ce jugement ne s’oppose en rien à la création de ladite association, sa réalisation est depuis au point mort.

Le rejet du projet d’association émane non seulement des autorités politiques du Kosovo mais aussi de la population serbe du Kosovo. En effet, sa mise en œuvre mettrait fin au fonctionnement parallèle des structures serbes en territoire kosovar et à l’emploi de personnels au service de Belgrade. Elle impliquerait également le transfert des services couverts par ces structures au système kosovar, jugé de moindre qualité par les Serbes. Quant aux Serbes du Kosovo soutenant un tel projet, ils souhaitent que l’association soit dotée des compétences promues par Belgrade : il s’agirait alors d’une forme de décentralisation au sens du transfert d’une partie de l’autorité exécutive du gouvernement central vers l’association. Paradoxalement, alors que certains Serbes du Kosovo voient dans la constitution d’une telle association le retrait préjudiciable de la Serbie du Kosovo, la population albanaise kosovare redoute le scénario inverse. À ses yeux, l’association établirait institutionnellement l’implication de Belgrade dans les affaires du Kosovo, au risque d’affecter sa souveraineté sur le modèle de la Republika Srpska ([9]).

Aussi, le statut de cette association doit encore être déterminé : une première proposition, qui n’a jamais été rendue publique, a été rejetée par l’Union européenne. Conçue par les municipalités serbes du Kosovo sous le contrôle d’une « management team » européenne, elle instituait une véritable entité séparatiste permettant à la Serbie de peser dans les affaires intérieures du Kosovo, comme le craignaient les autorités kosovares. Depuis, les Kosovars sont censés préparer un nouveau statut devant être soumis à leur Cour constitutionnelle mais le projet n’a guère progressé : le gouvernement du premier ministre Kurti continue de s’opposer à toute association mono-ethnique conservant ce nom, dotée de pouvoirs exécutifs et créée sans qu’elle n’engage la reconnaissance officielle de l’indépendance du Kosovo.

Cette question n’a pas empêché certaines avancées comme la coexistence des deux gouvernements au sein de quelques forums internationaux. La Serbie a ainsi accepté que le Kosovo devienne membre à part entière d’organisations internationales régionales telles que le conseil de coopération régionale en 2013 et le processus de coopération de l’Europe du Sud-Est ([10]) en 2014. Toutefois, l’amélioration des relations serbo-kosovares s’arrête là et le dialogue a même été complètement suspendu entre 2018 et 2020.

En somme, les efforts déployés par l’Union européenne ont permis de maintenir le dialogue entre les deux parties à l’échelle internationale. Malgré les revers observés, aucun conflit ouvert n’a éclaté. Toutefois, à l’échelle locale, l’extrême défiance entre les communautés a jusqu’alors rendu impossible l’émergence de conditions de coexistence apaisée au prix de tensions croissantes sur le terrain.

3.   La conclusion de l’accord de Bruxelles-Ohrid : une opportunité manquée de relancer le dialogue politique

La pacification des relations entre la Serbie et le Kosovo aurait pu connaître un développement décisif grâce à la conclusion, le 27 février 2023, de l’accord de Bruxelles-Ohrid et de son annexe qui, pour la première fois, ont fourni un cadre clair ouvrant la voie à une normalisation complète des relations serbo-kosovares.

Issu d’une proposition franco-allemande et adopté – sans toutefois être formellement signé – par le président serbe Aleksandar Vučić et le premier ministre kosovar Albin Kurti à Ohrid, en République de Macédoine du Nord, cet accord repose sur des concessions mutuelles en vue de la définition d’une solution acceptable par les deux parties. Celles-ci impliquent la reconnaissance des documents, symboles et institutions kosovares, la non-objection de la Serbie à la demande d’adhésion du Kosovo aux organisations internationales, l’échange de missions permanentes, la mise en place de l’association des municipalités à majorité serbe, ainsi que la protection institutionnelle des Serbes du Kosovo. L’accord laisse toutefois de côté la question la plus épineuse de la reconnaissance de jure du Kosovo par la Serbie, à laquelle Belgrade n’est pas prête. En cela, il implique la mise en œuvre de l’ensemble des accords antérieurs dont celui de Bruxelles de 2013, et reproduit, en partie, l’esprit du traité fondamental conclu entre la République fédérale d’Allemagne (RFA) et la République démocratique allemande (RDA), le 21 décembre 1972. Par ce traité, la RFA n’a jamais officiellement reconnu la RDA mais a accepté qu’elle agisse de facto comme un État souverain.

La conclusion en 2023 d’un nouvel accord de normalisation s’inscrivant dans le cadre du dialogue facilité de l’Union européenne a constitué une initiative porteuse d’espoirs pour l’avenir des relations entre Belgrade et Pristina. Pourtant, les obstacles à sa mise en œuvre se sont multipliés obérant jusqu’à aujourd’hui ses chances de succès.

 


II.   FAUTE DE VOLONTÉ POLITIQUE, le dialogue belgrade-Pristina est désormais totalement enlisé malgré l’ESPOIR SUSCITé par La conclusion de l’accord de BRUXELLES-OHRID

Si l’accord de Bruxelles-Ohrid constitue l’initiative la plus ambitieuse jusqu’alors, sa mise en œuvre est restée lettre morte, aucune des parties n’estimant ses bénéfices supérieurs aux coûts politiques internes qu’impliquerait la recherche de la paix. À ces obstacles se sont ajoutées l’impossibilité pour les parties de s’entendre sur le séquençage précis d’entrée en vigueur de ses dispositions et les tensions croissantes au Nord du Kosovo. La situation sur le terrain n’a jamais été aussi éloignée d’une normalisation et les crises se succèdent depuis septembre 2021 avec, à chaque fois, un risque d’escalade dangereux.

A.   Le kosovo du PREMIER MINISTRE Kurti : une politique volontariste de réaffirmation de sa souveraineté au prix d’une dégradation profonde de ses relatons avec la serbie

1.   La multiplication des actions unilatérales d’affirmation de la souveraineté kosovare

Depuis son arrivée au pouvoir en février 2021, le premier ministre Albin Kurti a engagé un mouvement d’affirmation de la souveraineté kosovare au Nord du pays fondé sur le recours à la force et sur une politique du fait accompli dont les manifestations ont redoublé à l’approche des élections législatives du 9 février 2025. Cette politique est justifiée, à ses yeux, par l’absence de toute volonté du président serbe de négocier : « Milosevic avait perdu le Kosovo et Vučić voulait le reprendre » a-t-il déclaré à la délégation. Or, cette stratégie s’est en partie révélée payante puisque le Kosovo a obtenu des avancées tangibles et populaires auprès d’une grande partie de la population kosovare d’origine albanaise.

Parmi ses succès, figure le rétablissement du contrôle territorial de Pristina sur le Nord du Kosovo. En 2021 pourtant, les unités spéciales de la police kosovare en étaient absentes, à l’exception notable de la police aux frontières. Le Nord était alors dominé par une police de proximité majoritairement composée d’éléments serbes et placés sous le contrôle effectif de Belgrade et des réseaux du responsable politique des Serbes du Nord du Kosovo, Milan Radojicic ([11]). Désormais, les unités spéciales kosovares sont déployées dans toute la région et solidement installées dans des bases en dur. Quant à la police de proximité, elle est dirigée avec fermeté par un directeur régional kosovar albanais.

Cette évolution a été rendue possible par le déploiement des unités spéciales kosovares en réponse à l’érection de barricades dans toute la partie Nord du territoire kosovar par la population d’origine serbe. Elle entendait alors protester contre le refus des autorités de Pristina de reconnaître les plaques d’immatriculation serbes du Kosovo. Les heurts qui s’ensuivirent eurent des conséquences importantes : protestant contre l’arrestation de l’un de leurs collègues accusé d’être impliqué dans une attaque menée contre des policiers kosovars, les policiers serbes démissionnent collectivement, le 5 novembre 2022, tout comme les membres du parti Srpska Lista représentés au Parlement et dans le gouvernement kosovar. Ces démissions aboutissent à l’abandon des quatre municipalités du Nord à des maires élus par l’infime minorité albanaise facilitant ainsi l’implantation de commerces kosovars albanais.

Parallèlement, le gouvernement du Pristina s’est régulièrement attaqué à la présence serbe au Kosovo. À partir de la fin de l’année 2023, il s’attelle à démanteler les structures de l’administration serbe sur son territoire, lesquelles offrent des services plus ou moins directs à la communauté serbe dans les domaines aussi divers que l’éducation et la santé, le paiement de prestations sociales ou encore le recours aux services postaux. Il ferme même définitivement ces structures, le 15 janvier 2025, après plusieurs tentatives pour en entraver le fonctionnement.

L’année 2024 a également vu se multiplier les initiatives de Pristina pour assurer l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation applicable à la banque centrale kosovare prohibant les transactions financières en dinar serbe, la poursuite des expropriations de terrain dans le Nord du pays afin d’y construire des bases destinées aux policiers kosovars albanais ou encore l’examen d’un projet de loi visant à nationaliser les propriétés de l’Église orthodoxe serbe. Le Kosovo a également annoncé la possible réouverture unilatérale à la circulation automobile du pont reliant les parties serbe et albanaise de Mitrovica ou, à défaut, la construction de deux nouveaux ponts sur l’Ibar, suscitant une vive émotion chez les Serbes du Kosovo.

Enfin, les tensions se sont encore accrues au cours de l’été 2025 lorsque les autorités serbes ont arrêté, au poste-frontière de Brnjak, et placé en détention le négociateur adjoint serbe, Igor Popović, pour « incitation à la haine et la discorde » ([12]).

Le pont de Mitrovica : une illustration des tensions entre le Kosovo et la Serbie

Le pont de Mitrovica, au Nord du Kosovo, est devenu le symbole de la partition du pays sur la base de critères ethniques entre les populations serbes et albanaises. Fermé par le contingent otanien français de la KFOR en 1999 pour éviter les affrontements entre les deux communautés, il marque la frontière avec ce que les habitants de la ville ont appelé le Nord de Mitrovica, et plus largement le Nord du Kovoso. Cette partie du territoire kosovar abrite une écrasante majorité ethnique serbe d’environ 40 000 personnes contre quelques milliers d’Albanais répartis essentiellement dans le quartier de la petite Bosnie jouxtant l’Ibar et au sein de quelques villages.

La réouverture du pont a progressivement été intégrée aux thématiques couvertes par le dialogue Pristina-Belgrade dont l’Union européenne assume la médiation. En 2016, les parties serbe et kosovare conviennent d’autoriser de nouveau la circulation des véhicules sur le pont à partir de janvier 2017. Cette décision n’est toutefois pas mise en œuvre par le gouvernement kosovar de l’époque, à la fois fragilisé par des difficultés internes et invité à la prudence par les acteurs internationaux. La réouveture de la circulation automobile sur le pont est de nouveau envisagée par le gouvernement d’Albin Kurti dans le prolongement de sa politique d’affirmation de la souveraineté kosovare. Des discussions sont menées sur ce sujet depuis l’été 2024 suscitant la colère de Belgrade et l’inquiétude des chancelleries occidentales.

Face à ces réserves, le premier ministre kosovar a finalement annoncé, en juin 2025, en pleine campagne électorale pour les élections législatives d’octobre de la même année, la construction de nouveaux ponts sur l’Ibar dans un délai de 55 à 90 jours. La Serbie a dénoncé une « provocation et une violation directe de l’accord de Bruxelles » et appelé la communauté internationale à intervenir pour mettre fin au projet, tandis que le parti Srpska Lista a organisé une pétition contre cette initiative.

Source : « Le pont de Mitrovica : une illustration des tensions entre le Kosovo et la Serbie », fondation Jean Jaurès, 2 décembre 2024.

 

Le monastère de Gračanica : l’un des joyaux de l’Église orthodoxe serbe
au Kosovo

Source : déplacement de la délégation au Kosovo du 7 au 10 avril 2025.

L’Église orthodoxe serbe du Kosovo

La religion joue un rôle important au sein des Balkans, même si elle est davantage un marqueur d’appartenance que de foi. De manière générale, le pouvoir de l’Église orthodoxe a plutôt diminué au fil du temps  du fait de son emprise spatiale moindre, de la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe macédonienne et de la revendication d’indépendance portée par l’Église autocéphale orthodoxe au Monténégro. Le monde orthodoxe des Balkans est donc un ensemble complexe avec ses divisions entre les influences grecque et russe et ses nuances. Le statut de l’Église orthodoxe serbe du Kosovo n’en reste pas moins un sujet sensible.

1) Le Kosovo, « berceau » de l’Église orthodoxe serbe

Le territoire kosovar fait entièrement partie d’une des éparchies de l’Église orthodoxe serbe, qui regroupe d’importants monastères pour la religion orthodoxe. Quatre édifices de l’Église orthodoxe serbe sont ainsi inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, depuis les années 2000. Ils ont été construits entre le XIIème et le XIVème siècles, alors que cette région était dirigée par la dynastie serbe des Nemanjić. Parmi eux, se trouve le monastère patriarcal de Pec qui est considéré par l’Église orthodoxe serbe comme son siège historique.

2) Le statut de l’Église orthodoxe serbe au Kosovo

L’article 8 de la Constitution du Kosovo dispose que l’État kosovar est laïc et neutre. La loi fondamentale n° 02/L-31 sur la liberté de religion au Kosovo protège la liberté religieuse et, à ce titre, l’Église orthodoxe serbe.

La loi n° 04/L-115 de 2012, qui s’inspire du plan Ahtisaari pour le statut du Kosovo de 2007, reconnaît à son article 7A que l’Église orthodoxe serbe du Kosovo est réputée faire partie intégrante de l’Église orthodoxe serbe et que son nom comme son organisation interne doivent être respectés. La loi n° 03/L-139 prévoit en outre que les biens meubles et immeubles et autres avoirs de l’Église orthodoxe serbe du Kosovo sont inviolables et ne peuvent être soumis à aucune expropriation. Le droit kosovar reconnaît ainsi formellement l’existence de cette Église sans lui conférer de statut spécifique.

L’article 7 de l’accord d’Ohrid prévoit une formalisation de son statut et rappelle la nécessité, pour les deux parties, d’accorder un fort niveau de protection aux sites culturels et religieux serbes. Ce sujet, extrêmement sensible, est toutefois peu abordé dans le cadre du dialogue Belgrade-Pristina mené par l’Union européenne, qui reste dominé par la question de l’association des municipalités à majorité serbe.

3) Les atteintes portées à l’Église orthodoxe serbe du Kosovo

Les relations entre l’Église orthodoxe serbe et le gouvernement Kurti se sont progressivement tendues. Ce dernier est, en effet, hostile à une Église considérée comme un élément intégrant, voire un instrument, de l’État serbe.

Parmi les différents griefs existants, peuvent être mentionnés :

– le refus d’entrée au Kosovo régulièrement opposé au Patriarche de l’Église orthodoxe serbe, Porphyre ;

– le projet de loi kosovar visant à nationaliser les propriétés de l’Église orthodoxe serbe ;

– des atteintes portées à des propriétés de l’Église orthodoxe serbe.

Sous la pression de la communauté internationale, le gouvernement kosovar a fini par régler la question des propriétés du monastère de Visoki Dečani, dans la municipalité de Deçan/DečaneNote, qui était l’une des conditions fixées à l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe. Alors qu’un arrêt de 2016 de la Cour constitutionnelle kosovare reconnaissait l’Église orthodoxe serbe comme le propriétaire légal de 24 hectares de terrain, le gouvernement kosovar refusait jusqu’alors son application, sapant l’autorité de la Cour. Le monastère reste toutefois sous la protection de la KFOR en raison des menaces dont il fait l’objet, y compris à l’intérieur des bâtiments, la police kosovare n’étant pas en mesure d’assurer pleinement sa protection.

Sources diverses.

Dans ce contexte, le gouvernement kosovar a consenti avec des réserves à l’accord d’Ohrid, qui n’a guère déclenché d’espoir dans l’opinion publique kosovare. Celle‑ci reproche à la Serbie, et aux extrémistes serbes, d’avoir progressivement accru le niveau de confrontation voire de violence.

L’année 2023 a, par exemple, vu se multiplier les cas d’agressions physiques au Kosovo. Le 29 mai, la minorité serbe manifeste violemment contre l’intronisation de maires albanophones élus après les élections municipales anticipées, repoussées et finalement boycottées par les Serbes du Kosovo. Le 14 juin, trois policiers d’une patrouille du Kosovo sont enlevés à proximité de la frontière puis détenus par la Serbie pendant plus d’une semaine. Le 24 septembre, un commando armé venu de Serbie tue un policier du Kosovo dans une embuscade avant de se réfugier dans le monastère orthodoxe de Banjska ([13]). Plus récemment, la responsabilité d’une attaque perpétrée le 30 novembre 2024 contre une infrastructure de distribution d’électricité et d’eau potable au Nord du Kosovo a été immédiatement attribuée par les autorités kosovares à la Serbie ([14]).

Ces évènements nourrissent un peu plus le sentiment que le Kosovo vivrait sous la menace constante d’une possible agression justifiant, aux yeux de l’opinion publique, la politique de réaffirmation de la souveraineté kosovare par le gouvernement Kurti.

2.   La dégradation des conditions de vie des Serbes du Kosovo qui se sentent toujours plus marginalisés

Dans ce contexte, les conditions de vie des Serbes du Kosovo apparaissent difficiles et nourrissent un profond sentiment d’injustice et de colère au sein de cette communauté : l’un des journalistes kosovars serbes rencontrés par la délégation a même qualifié la situation des Serbes du Kosovo de « drame de civilisation ». Certains interlocuteurs en Serbie ont quant à eux parlé de « génocide » ou de « nettoyage ethnique » ([15]). Si le trait était incontestablement forcé pour attirer l’attention de la délégation, il n’en reste pas moins le sentiment d’un malaise sincère devant l’absence d’une vision d’avenir pour cette population qui se sent abandonnée, y compris de l’Union européenne à laquelle elle reproche son silence.

La population serbe du kosovo

Source : « Tensions Kosovo-Serbie. Le chemin difficile vers une normalisation des relations », Benjamin Couteau et Lukáš Macek, institut Jacques Delors, juillet 2023.

Sur le plan sécuritaire, les Serbes dénoncent l’attitude menaçante et agressive des forces spéciales kosovares présentes dans le Nord et réclament le déploiement permanent des forces de la KFOR dans cette partie du territoire. Celles‑ci auraient vocation à se substituer aux activités d’EULEX et de la police du Kosovo. Ils accusent cette dernière de jouer le rôle d’une police politique visant à les discipliner en recourant de manière démesurée à la force et en se livrant, selon leurs dires, à des actes de torture et de harcèlement sexuel ([16]).

Plus largement, ils dénoncent les attaques permanentes que mèneraient les autorités kosovares à leur encontre, ainsi que leur vision ethno-centrée du Kosovo dans laquelle ils ne trouvent pas leur place. L’interdiction du dinar serbe contraint ceux qui touchent un salaire ou une pension de Belgrade à se rendre en Serbie – le chemin peut être long pour les Serbes du Sud du Kosovo – afin d’être payés. La langue et les diplômes serbes n’étant pas reconnus, il est impossible à un étudiant de langue serbe de faire ses études supérieures dans une université kosovare. Les autorités de Pristina ont quasiment fermé toutes les institutions serbes, à l’exception de celles dans les domaines de la santé et de l’éducation, sans offrir d’alternatives. Les interlocuteurs serbes rencontrés au Kosovo par la délégation ont aussi fait part de la précarité des médias serbes indépendants. Les journalistes kosovars serbes feraient l’objet de nombreuses pressions : sept d’entre eux ont été tués ([17]) entre 1998 et 2000. Si les Serbes du Kosovo font globalement confiance aux médias indépendants, ceux-ci ne peuvent survivre qu’avec le soutien financier de la communauté internationale. Les contacts entre les communautés albanaise et serbe sont quasiment inexistants et le premier ministre Kurti n’a jamais échangé directement avec la communauté serbe.

La situation des Serbes du Kosovo est rendue d’autant plus complexe que ces derniers sont aussi soumis à l’influence de Belgrade, qui encourage des prises de position radicales comme la démission collective des représentants de la communauté serbe du Kosovo membres du parti Srpska Lista ([18]), proche du parti progressiste serbe (SNS) d’Aleksandar Vučić. Ce dernier capte encore la grande majorité du vote serbe (9 sièges sur les 10 réservés à la minorité serbe lors des élections législatives du 9 février 2025). Si de nouveaux partis tentent de voir le jour, leur influence demeure limitée et leurs membres soumis à des pressions et menaces, à l’instar de Nenad Rašić, ministre des communautés et du retour dans le gouvernement du premier ministre Kurti. En somme, les populations serbes du Kosovo se trouvent prises entre le marteau et l’enclume.

De plus en plus marginalisés, les Serbes du Kosovo quittent peu à peu le pays : on estime que 20 % d’entre eux seraient déjà partis au cours des vingt dernières années et leur nombre est en constante diminution depuis 1999. Alors qu’ils représentaient 23 % de la population kosovare en 1950 et 190 000 personnes en 1971, ils ne comptent plus qu’entre 80 000 à 90 000 membres, soit entre 5 et 8 % de la population totale du Kosovo. De même, le nombre de fidèles de l’Église orthodoxe serbe est en nette diminution : il resterait environ 70 000 fidèles, 100 prêtres, 24 monastères et 1 000 moines. La crainte des Serbes du Kosovo est alors de disparaître et que le Kosovo ne se transforme en un territoire mono‑ethnique, peur alimentée par la Russie dans certains médias d’information de langue serbe.

Il existe sans conteste une réelle inquiétude des Serbes du Kosovo pour leur futur. Leur souhait, pour reprendre leurs mots, est de rester au Kosovo et de bénéficier de meilleures conditions de vie. Ils nourrissent l’espérance de voir le Kosovo réintégrer la Serbie ou, a minima, de vivre au Kosovo comme s’ils étaient en Serbie.

3.   L’isolement progressif du Kosovo sur la scène internationale

L’ensemble de ces incidents ne sont pas sans conséquences pour le Kosovo et son premier ministre, dont l’image s’est considérablement dégradée auprès de plusieurs capitales européennes. Par ailleurs, ils n’ont pas permis au Kosovo de rallier de nouveaux soutiens ; la Serbie prétend même avoir obtenu la « dé‑reconnaissance » de l’indépendance du Kosovo de la part de certains États ([19]).

La « dé-reconnaissance » du Kosovo, objet d’une campagne diplomatique intense de la part de la Serbie

Depuis 2018, plusieurs États sont revenus sur leur décision de reconnaître l’indépendance du Kosovo proclamée en 2008 suite à une campagne diplomatique active commencée fin 2017 par le ministre des affaires étrangères serbe, Ivica Dačić. Cette campagne cible principalement des États d’Afrique, d’Amérique du Sud et des îles du Pacifique, dont l’engagement dans les affaires internationales est limité.

Le premier État à avoir opéré ce revirement est le Suriname, en 2017, suivi par le Burundi, la Papouasie‑Nouvelle-Guinée, le Lesotho, les Comores, la Dominique, la Grenade, les Îles Salomon et Madagascar en 2018. En 2019, cinq États se sont aussi engagés dans cette voie, les Palaos, le Togo, la République centrafricaine, le Ghana et Nauru. La Sierra Leone a fait de même en 2020. Ce mouvement s’est poursuivi en 2023 avec la Somalie, le Burkina Faso, le Gabon, l’Eswatini, la Libye, la Guinée, Antigua‑et‑Barbuda, Sainte-Lucie et les Maldives. Il s’est trouvé renforcé par la fin du moratoire d’un an prévu par l’accord de Washington de 2020, par lequel la Serbie s’engageait à mettre fin à cette campagne contre la promesse que le Kosovo ne chercherait plus à adhérer à de nouvelles organisations internationales.

Néanmoins, ce mouvement est controversé et sa légimité contestée. Malgré les annonces de la Serbie, le Kosovo affirme n’avoir reçu aucune information de la part des États concernés, qui restent bien souvent silencieux. Dans de nombreux cas, aucune déclaration officielle ne vient confirmer les affirmations de la Serbie ; certains États les contestent même. En juin 2018, par exemple, Belgrade proclame que le Libéria cesse désormais de reconnaître l’indépendance du Kosovo. Cette information est pourtant rapidement démentie par le gouvernement libérien, qui publie une déclaration officielle réaffirmant la poursuite de ses relations bilatérales avec Pristina. Le Kosovo accuse également la Serbie de payer certains États pour les inciter à revenir sur leur reconnaissance ou de faciliter le commerce d’armes en échange d’un soutien sur le dossier kosovar.

Sources diverses.

La candidature d’adhésion du Kosovo à l’Union européenne n’a pas avancé et le pays fait même désormais l’objet de sanctions réversibles imposées par l’Union depuis juin 2023 (limitation des contacts de haut niveau et gel de certains financements). Surtout, le gouvernement Kurti a, pour l’heure, sacrifié sa candidature, pourtant bien engagée, au Conseil de l’Europe. Bien que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) ait voté en faveur de son adhésion à 76 % des voix en avril 2024, le processus reste suspendu à un vote du comité des ministres, où une majorité des deux tiers est requise. Ce vote, initialement prévu en mai 2024, a été reporté à la demande du Quint ([20]) en l’absence de progrès sur la constitution d’une association des municipalités à majorité serbe et pour le respect des garanties juridiques en matière d’expropriation. Cette question est restée d’actualité à l’approche de la réunion du conseil des ministres de mai 2025, la position française demeurant fondée sur le principe qu’une telle adhésion était prématurée en l’absence de tout progrès sur les sujets de tensions susmentionnés. Pourtant, les Kosovars font de leur adhésion au Conseil de l’Europe une priorité de leur diplomatie : l’Assemblée du Kosovo a ainsi demandé, en novembre 2024, le statut d’invité spécial à l’APCE, réservé aux Parlements nationaux d’États européens non-membres de l’Union européenne ayant déposé une demande d’adhésion au Conseil de l’Europe.

La dégradation des relations entre le Kosovo et ses principaux alliés constitue l’un des rares sujets que les oppositions peuvent mobiliser contre le gouvernement en place mais celles-ci en font un usage modéré ; elles savent que les réalisations évoquées ont le soutien d’une grande partie de l’opinion publique. La rhétorique de Belgrade (« le Kosovo, c’est la Serbie ») entretient une crainte existentielle bien réelle qui explique l’opposition farouche au projet d’association des municipalités serbes. Dans le même temps, l’impact de la politique du gouvernement sur la communauté serbe n’émeut guère au Kosovo, alors que le souvenir de la guerre et de l’ère Milosevic ([21]) est encore très présent, entretenu par tous les partis kosovars et par le déni des autorités de Belgrade.

B.   La Serbie du président Vučić : un acteur peu enclin au dialogue qui pourrait profiter du retour au pouvoir du prÉSIDENT AMÉricain donald trump

1.   Une position attentiste à l’égard du dialogue

La Serbie n’a pas manifesté beaucoup plus d’entrain que le Kosovo à la mise en œuvre de l’accord de Bruxelles-Ohrid. Si elle se montre très vocale pour appeler la partie kosovare à honorer les engagements pris dans le cadre de cet accord ou pour dénoncer la politique du premier ministre Kurti qu’elle accuse de bloquer toute perspective de paix, elle ignore largement ses propres obligations toujours en suspens. Aucun progrès n’a été réalisé sur la réintégration des Serbes du Kosovo dans les institutions kosovares depuis leur départ en novembre 2022, malgré l’engagement public en ce sens du président Vučić en septembre 2024. Quant aux poursuites à l’encontre des individus responsables de l’attaque de Banjska du 24 septembre 2023, elles se font toujours attendre malgré l’engagement du président serbe : Milan Radoičić, à la tête de l’opération, n’a pas été inquiété par la justice et demeure en liberté, sous contrôle judiciaire.

Le 13 septembre 2024, le président serbe a annoncé une série de mesures de soutien aux Serbes du Kosovo (ouverture de guichets administratifs à la frontière pour pallier la fermeture des administrations serbes, création d’un parquet spécial compétent pour les crimes dirigés contre les Serbes au Kosovo, par exemple) et a présenté plusieurs conditions jugées nécessaires au retour au statu quo ante, c’est‑à‑dire à la situation prévalant avant janvier 2022. Parmi elles, la convocation immédiate d’élections locales au Nord sous la supervision de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’Union européenne, le retour des policiers serbes, des juges et des procureurs serbes à leurs postes, le retrait des forces de police spéciales kosovares stationnées dans le Nord ou encore l’établissement de l’association des municipalités.

Quant à la reconnaissance officielle du Kosovo, elle est encore inenvisageable dans un pays où la population reste profondément attachée à ce territoire considéré comme un haut-lieu de l’identité nationale serbe, intrinsèquement liée à la religion orthodoxe : c’est dans la banlieue de Pristina que les Serbes et leurs alliés bulgares, albanais et valaques ont tenté de résister, en vain, à l’invasion ottomane lors de la bataille de Kosovo Polje (le Champ des Merles) en 1389. Ainsi, selon un sondage de 2022 ([22]), seuls 23 % des Serbes pensent que leur gouvernement devrait reconnaître l’indépendance du Kosovo et 75 % des personnes interrogées préféraient renoncer à l’adhésion de leur pays à l’Union européenne plutôt que de concéder une telle indépendance.

2.   Une stratégie potentiellement consolidée par le changement d’administration aux États‑Unis

Dans ces conditions, la Serbie a accueilli avec bienveillance la réélection du président des États-Unis, Donald Trump, en novembre 2024. La première administration Trump a promu dès 2018, mais sans succès, un échange de territoires entre la Serbie et le Kosovo ([23]). Richard Grenell, nommé envoyé spécial du président américain pour les négociations de paix entre les deux pays, a, quant à lui, court‑circuité la médiation européenne pour obtenir – après de fortes pressions sur Pristina – la signature, le 4 septembre 2020, d’un accord bilatéral de normalisation économique entre Belgrade et Pristina composé d’engagements disparates et sans force juridique. Toutefois, la défaite à l’élection présidentielle de Donald Trump, en novembre 2020, met fin à ces initiatives, qui reposent sur une logique transactionnelle (« the Art of the deal ») et interpersonnelle.

Le président démocrate Joe Biden a pris ses distances avec cette approche jugée déséquilibrée ([24]) sans que la rupture annoncée n’ait été totale. Son administration s’est engagée dans une coopération plus étroite avec la médiation européenne visant au règlement du différend serbo‑kosovar tout en poursuivant le rapprochement entrepris par le président Donald Trump avec la Serbie. Celui-ci s’est notamment traduit par une intensification des contacts économiques avec Belgrade, formalisés en septembre 2024 par la conclusion d’un mémorandum sur la coopération stratégique entre les États-Unis et la Serbie dans le domaine de l’énergie.

Aussi, il n’est guère étonnant que la réélection du président Donald Trump ait été accueillie avec enthousiasme par la Serbie ; le président Vučić a affirmé, à cette occasion, que les Serbes étaient les plus fervents soutiens européens du président Trump. Ce dernier a d’ailleurs eu un échange téléphonique avec le président serbe dès le 10 novembre 2024. Parallèlement, Aleksandar Vučić a conservé et entretenu des liens avec le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, et Richard Grenell.

Si le président Vučić craint, en réalité, que Washington ne renforce la pression sur son pays afin de l’obliger à prendre ses distances avec Pékin ([25]), la classe politique serbe au pouvoir soutient la transition politique en cours aux États‑Unis. Celle-ci pourrait avoir d’importantes conséquences sur les Balkans et les relations serbo‑kosovares, notamment au regard du rôle octroyé à Richard Grenell, un moment envisagé comme envoyé spécial américain pour l’Ukraine et les Balkans. Finalement désigné envoyé du président pour les missions spéciales, Richard Grenell n’en reste pas moins attentif au contexte régional et considère que le développement économique des Balkans devrait permettre de mettre fin aux conflits gelés. Ce partenariat économique vise en priorité la Serbie, où le gendre du président Donald Trump, Jared Kushner, a un projet d’investissements. Sa société Affinity Global Development a déjà procédé, en mai 2024, au rachat en crédit-bail de l’ancien quartier général de l’armée yougoslave à Belgrade, site hautement symbolique ciblé par les bombardements de l’OTAN en 1999, où il s’est rendu en personne à plusieurs reprises.

Ce primat accordé aux questions économiques va de pair avec une mise en sourdine des questions mémorielles. Richard Grenell s’est ainsi opposé à la résolution adoptée à l’AGNU sur le génocide de Srebrenica ([26]), refusant que les crimes de guerre soient systématiquement qualifiés de génocide. Le 7 février 2025, il a également apporté un démenti cinglant aux déclarations du premier ministre Kurti qui jugeait les relations de son pays avec les États-Unis excellentes ([27]). Enfin, conformément à leur souhait de réduire leurs investissements dans les organisations internationales, les États-Unis souhaitent l’extinction de la mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), laquelle relève d’une décision du Conseil de sécurité ([28]).

Dans une étude de l’European Council on Foreign Relations publiée le 29 octobre 2024 ([29]), Adan Cerimagic et Majda Ruge identifient plusieurs risques dont la nouvelle administration pourrait être porteuse. Parmi eux figurent l’abandon de la neutralité américaine à l’égard de la question serbo‑kosovare en raison des liens entre le président Vučić et Jared Kushner, l’accroissement de l’influence de la Hongrie dans la région ainsi que la levée des sanctions américaines dirigées contre les Serbes du Nord du Kosovo.

Quel que soit le scénario retenu, il est probable de voir l’Europe marginalisée. Richard Grenell a, en effet, appelé ouvertement à un nouveau leadership américain dans la région, critiquant l’administration Biden pour ses liens supposément trop étroits avec les Européens, accusés de faiblesse et d’impuissance. La capacité de l’Union européenne à imposer ses arbitrages dans son voisinage, déjà mise en doute, n’en serait que davantage compromise, portant atteinte à son attractivité déjà limitée en Serbie. Il n’est pas non plus impossible que l’administration américaine tente de réactiver l’hypothèse d’un échange de territoires, qui serait conclu sans la consultation de l’Union européenne ([30]), dans une logique transactionnelle chère au président Donald Trump, même si les Serbes et les Kosovars eux‑mêmes semblent avoir écarté cette option. Cette solution est aussi dénoncée par de nombreux responsables politiques européens, qui craignent qu’un échange de territoires entre la Serbie et le Kosovo réveille d’autres formes de séparatismes dans la région ([31]).

L’échange de territoires entre la Serbie et le Kosovo,
une solution problématique

 

 

Source : infographie Le Monde, « L’échange de territoires entre le Kosovo et la Serbie, sujet complexe et risqué », 14 décembre 2018.

 

 

 

L’échange de territoires entre la Serbie et le Kosovo :
un effet « boîte de Pandore » sur la rÉgion des Balkans ?

Source : infographie Le Monde, « L’échange de territoires entre le Kosovo et la Serbie, sujet complexe et risqué », 14 décembre 2018.

Une autre hypothèse serait celle d’un retrait rapide et déstabilisateur des États‑Unis désireux de recentrer leur action sur la compétition assumée et prioritaire avec la Chine. Au Kosovo, une réduction du dispositif américain au sein de la KFOR aurait un effet négatif sur sa capacité de dissuasion et pourrait convaincre Belgrade de l’intérêt de nouvelles actions agressives, comme celle de Banjska en septembre 2023, voire de plus grande ampleur.


III.   LA RELANCE DU DIALOGUE, cOMPLIQUÉE PAR LES TENSIONS POLITIQUES QUE CONNAISSENT LE KOSOVO ET la SERBIE, doit redevenir un enjeu international de premier plan pour assurer la stabilitÉ de la rÉgion des balkans, aujourd’hui menacÉe

A.   un contexte politique troublÉ peu favorable à la reprise du processus de normalisation

1.   Au Kosovo, une profonde incertitude politique suite aux élections législatives du 9 février 2025

Selon la mission kosovare d’observation électorale de l’Union européenne, les élections législatives du 9 février 2025 se sont déroulées pacifiquement malgré une campagne électorale aux accents nationalistes, marquée par les actions unilatérales du gouvernement dans le Nord. Ce dernier a critiqué les ingérences serbes durant la campagne et le manque de soutien supposé de la part de l’Union européenne. Les partis d’opposition ont davantage évoqué les problèmes d’ordre économique, l’expatriation des jeunes et la lutte contre la corruption. Si le parti du premier ministre Vetevendosje (VV) affirme qu’il n’existe pas de véritables clivages au sein de la vie politique kosovare autour du dialogue avec Belgrade, les entretiens menés ont tout de même fait apparaître des sensibilités différentes voire un certain flou sur le sujet. Lumir Abdixhiku, président de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), a ainsi souligné la nécessité d’adopter une attitude plus conciliante à l’égard des Serbes du Kosovo, à l’exclusion de Srpska Lista qui était partie prenante des attaques contre le pays. Quant à Memli Krasniqi, président du Parti démocratique du Kosovo (PDK), il s’est dit favorable à une meilleure intégration des Serbes du Kosovo malgré le coût politique potentiel d’une telle décision, critiquant ouvertement le premier ministre responsable, selon lui, de l’isolement du Kosovo sur la scène internationale.

La campagne électorale s’est déroulée dans une atmosphère tendue, marquée par des propos outranciers voire violents et des attaques sexistes à l’égard des candidatures féminines. La Serbie et les États‑Unis, par la voix de Richard Grenell, sont intervenus dans le processus électoral. Quant au parti VV, il a boycotté les principales chaînes télévisées privées, si bien qu’aucun débat politique important n’a pu s’y tenir.

À l’exception des Serbes du Kosovo, les minorités ethniques ont pu faire campagne normalement. Pour les Serbes du Kosovo en revanche, la campagne a été discrète en raison de la pression exercée notamment par la Liste Serbe (Srpska Lista), même si les six partis représentant la minorité serbe ont pu participer aux élections. Aucun incident sérieux ou irrégularité n’a été déploré, à l’exception de la présence de la police du Kosovo dans certains bureaux de vote. La mission EULEX a été déployée pour surveiller les opérations électorales. La commission électorale centrale (CEC) s’est tout de même montrée défaillante, notamment pour la remontée des données municipales. Le décompte des voix a été retardé ; couplé à l’absence de communication de la CEC, il a renforcé la défiance de la société civile à l’égard du processus électoral. Cela n’est probablement pas une manipulation mais la CEC semble s’être insuffisamment préparée et s’en est remise avec une confiance excessive à son prestataire informatique privé.

Après un nouveau décompte des voix, les résultats définitifs ont donné le parti VV vainqueur avec 48 sièges sur 120 (10 de moins qu’en 2021), suivi par le PDK fort de 24 sièges, la LDK et ses 20 sièges, ainsi que l’Alliance pour l’Avenir du Kosovo (AAK), détentrice de 8 sièges. Sur les 10 sièges réservés à la minorité serbe, Sprska Lista en a obtenu 9 et le ministre Nenad Rašić le dixième. Sprska Lista a dénoncé cette élection qui aurait été obtenue « grâce aux votes des Albanais ».

Ces résultats serrés rendent la formation d’un nouveau gouvernement particulièrement incertaine. Albin Kurti a annoncé qu’il souhaitait former un gouvernement avec l’appui des députés des minorités non serbes tandis que les oppositions (LDK et PDK) ont fait savoir qu’elles refusaient toute coalition avec le parti VV. Après neuf mois de négociations, le Parlement a pu se doter d’un président, en la personne du député Dimal Basha (VV), le 26 août 2025, mais le blocage se poursuit autour du choix du vice-président de l’Assemblée.

Le Kosovo entre donc dans une période d’incertitude politique, qui pourrait déboucher sur des élections anticipées d’ici à 2026, voire plus tôt encore si un nouveau gouvernement ne pouvait être formé. Il faut craindre que cette instabilité institutionnelle soit peu favorable à toute reprise du dialogue avec Belgrade. De nouvelles fermetures de structures parallèles ont d’ailleurs eu lieu le 23 avril 2025 à Strpce (entreprise de collecte de déchets et de gestion de l’eau) et à Leposavic (structures de retraite et d’emploi).

2.   En Serbie, un pouvoir déstabilisé par une crise politique persistante

Sur le plan intérieur, la Serbie se caractérise par la domination sur l’échiquier politique du SNS et de son leader Aleksandar Vučić, premier ministre de 2014 à 2017, élu président de la République le 2 avril 2017 et réélu le 3 avril 2022 pour un mandat de cinq ans. À l’issue des élections législatives anticipées du 17 décembre 2023, marquées par des allégations d’irrégularités dénoncées par l’opposition sur la base des conclusions du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE, le SNS a remporté la majorité absolue des sièges de l’Assemblée nationale.

Or, le pouvoir est aujourd’hui confronté à une contestation populaire importante depuis l’effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad, capitale de la Voïvodine, le 1er novembre 2024, causant la mort de seize personnes. Initié par des organisations étudiantes et soutenu par une grande partie de la population, le mouvement de contestation concentre ses demandes sur la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée.

Les gestes d’apaisement du pouvoir, comme la publication de certains documents relatifs aux travaux de rénovation de la gare, la démission du premier ministre Miloš Vučević, le 28 janvier 2025, et la nomination d’un nouveau gouvernement en avril dernier n’ont pas suffi à mettre fin aux protestations. Un incident au Parlement impliquant l’usage d’engins pyrotechniques et autres fumigènes par des membres de l’opposition, le 4 mars 2025, a même blessé trois députés, dont une grièvement. La posture des autorités serbes s’est par la suite durcie, le pouvoir accusant les manifestants d’être manipulés par des puissances étrangères et de se faire les relais d’une « révolution de couleur ». Elles auraient fait usage d’une arme interdite, un canon à son, pour disperser les quelque 300 000 manifestants ([32]) qui défilaient dans les rues de Belgrade, le 15 mars 2025, sans que la situation ne dégénère toutefois, et le président a appelé au « plein rétablissement de l’ordre » le 10 juin.

Depuis lors, loin de s’épuiser, le mouvement se poursuit. Il est parvenu à réunir 140 000 manifestants le 28 juin 2025, alors même que les étudiants profitaient de la pause estivale, et il prend des formes nouvelles, comme la multiplication de barrages de rue et de route mobiles. Quant à l’opposition, elle semble déterminée à boycotter durablement les travaux du Parlement ([33]).

La gestion de cette crise d’une rare ampleur est désormais la priorité du gouvernement, au risque de reléguer au second plan la question kosovare. Pour certains commentateurs, le président pourrait même chercher à attiser les tensions dans son environnement régional, y compris avec le Kosovo, pour raffermir sa position domestique, en particulier auprès des États européens qui verraient en lui le meilleur rempart contre l’instabilité balkanique. Quant aux étudiants des universités de Novi Sad, Nis et Kragujevac, ils ont publié, le 25 mai 2025, un communiqué dénonçant les accords de Bruxelles du 19 avril 2013 et de BruxellesOhrid de mars 2023 sur la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo, les jugeant contraires à la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies ; ils reprochent au président Vučić de les avoir acceptés, un acte qu’ils qualifient de « haute trahison ».

Le 5 mai 2025, la principale composante de la manifestation a présenté sa première revendication politique sur l’un de ses comptes Instagram, appelant à la tenue d’élections anticipées ([34]) le plus rapidement possible et à un soutien de la population à l’égard de la liste présentée par les étudiants. La quasi-totalité des représentants de l’opposition ont soutenu cette première revendication politique tout en prenant parfois leur distance avec l’idée d’un soutien unanime à la liste étudiante, au risque de compromettre leur influence et leur identité. Depuis Moscou ([35]), le président serbe a laissé entendre, le 7 mai 2025, qu’il accepterait de convoquer des élections en affirmant que les étudiants « n’auront pas à attendre longtemps avant les élections, [et] devraient commencer à se préparer », sans donner de calendrier précis. Depuis cette date néanmoins, aucune perspective sérieuse de nouvelles élections ne semble s’esquisser.

B.   LA REPRISE DU DIALOGUE DOIT PASSER PAR LA REFONDATION D’un lien de confiance entre les populations pour Éviter un nouvel enlisement du processus de normalisation

1.   L’Union européenne, garante de la Pax Europea, face au risque de marginalisation

Face à l’enlisement du dialogue Belgrade-Pristina, l’Union européenne court le risque de se voir marginalisée alors même que le conflit entre la Serbie et le Kosovo se joue aux portes de l’Europe entre deux candidats à l’adhésion. Désireuse de ne pas reproduire le scénario chypriote, l’Union fait du règlement du conflit une condition préalable et indispensable à leur adhésion, clairement définie dans l’acquis auquel doit se conformer la Serbie qui a obtenu le statut de pays candidat en 2012. En ce sens, la crédibilité de son action dépend de la relance de la dynamique du dialogue.

Dans ce contexte, l’Union s’est dotée d’un nouveau représentant spécial pour le dialogue entre Belgrade et Pristina, le diplomate d’origine danoise Peter Sørensen ([36]). Ce dernier souhaite revenir à une méthode de travail proche de la politique des « petits pas » des années 2010. Prenant acte des blocages politiques persistants, il souhaite poursuivre la négociation d’accords techniques et de coopérations économiques, l’objectif étant d’éviter de s’enfermer dans une stratégie du « tout ou rien ». Cette approche présente également l’avantage d’être attentive à la vie quotidienne des populations locales au-delà des seules négociations menées à l’échelle intergouvernementale. Dans cette même perspective, il pourrait être utile d’œuvrer à la réintégration des Serbes du Kosovo dans les institutions du Nord du territoire, qu’il s’agisse des juges et procureurs ou des policiers. Dans le premier cas, leur retour pourrait être facilement obtenu dès lors que le gouvernement kosovar n’a jamais accepté leur démission ; dans le second, la situation est plus délicate en raison de la défiance dont fait l’objet la police kosovare au sein de la communauté serbe.

Plus largement, une meilleure intégration régionale de la zone des Balkans pourrait contribuer à ce mouvement. L’Union européenne a lancé, dès 2007‑2008, une stratégie d’élargissement œuvrant en ce sens. Depuis, quelques initiatives régionales ont été menées directement par les États de la région dans le but de pallier la lenteur du processus d’élargissement avec des résultats mitigés. C’est, par exemple, le cas du programme Open Balkans, visant au rapprochement économique entre la Serbie, l’Albanie et la Macédoine du Nord mais auquel le Kosovo a toujours refusé d’adhérer, ou encore du Regional Youth Cooperation Office. Ce dernier, qui regroupe l’Albanie, la Bosnie‑Herzégovine, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine du Nord et la Serbie, œuvre à l’esprit de réconciliation et de coopération entre les jeunes de la région. Le soutien à de telles initiatives pourrait s’avérer fructueux dès lors qu’elles permettent de multiplier les contacts entre les sociétés civiles et de retisser un lien parfois très distendu entre États de la région.

Il est, en effet, utile de rappeler que certains acteurs régionaux, à commencer par l’Albanie, exercent une influence importante sur le conflit. L’Albanie partage avec le Kosovo des liens culturels, humains et historiques particulièrement forts, les deux États étant peuplés par une population majoritairement albanaise. Elle s’est imposée comme l’un des principaux partenaires du Kosovo indépendant dans les Balkans occidentaux. Cette posture offre à cet État, membre de l’OTAN et candidate à l’adhésion européenne, un moyen de renforcer son influence sur la scène internationale. L’Albanie se livre cependant à un délicat exercice d’équilibre. Si elle maintient sa défense des intérêts du Kosovo, elle s’efforce également de ne pas totalement compromettre ses relations avec ses voisins immédiats, à commencer par la Serbie. La question de l’indépendance kosovare a, en effet, pu constituer un point de tensions majeur dans les relations serbo-albanaises. Un rapprochement s’est dessiné sur le plan économique en 2021, avec la mise en place du « mini‑Schengen », zone économique de libre circulation entre la Serbie, l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Kosovo. La signature, le 18 mars 2025, de la déclaration conjointe sur la coopération en matière de défense entre l’Albanie, le Kosovo et la Croatie, a toutefois été perçue par la Serbie comme une nouvelle provocation, entachant le développement des relations entre les deux États.

Cependant, le dialogue engagé par l’Union européenne souffre de certaines contraintes importantes. Le représentant spécial de l’Union a des pouvoirs et des moyens limités qui restreignent ses marges de manœuvre. Son équipe ne compte ainsi que quatre diplomates, dont un Français, pour couvrir une multitude de sujets parfois extrêmement techniques. De même, l’ordre du jour du dialogue est arrêté par les seules parties, rendant le processus d’autant plus dépendant de leur bonne volonté. Par ailleurs, le traitement des relations serbo-kosovares ne se limite pas à l’action du représentant spécial, nommé par le Conseil, mais relève également des prérogatives de la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, et de la Commission européenne avec lesquels il doit composer. Le contexte politique interne au Kosovo et à la Serbie ne favorise guère, enfin, l’esprit constructif des réunions organisées avec les négociateurs des deux parties : le négociateur kosovar est affaibli par le manque de légitimité du gouvernement démissionnaire du premier ministre Kurti tandis que la partie serbe se montre peu encline à tout compromis qui pourrait être interprété comme un signe de faiblesse de la part de son président, déjà contesté en interne.

Plus largement, l’Union européenne mobilise encore très imparfaitement ses leviers d’influence sur les deux parties, à commencer par la conditionnalité de l’adhésion de la Serbie et du Kosovo au règlement du conflit. Il pourrait être envisagé de présenter un paquet de mesures incitatives substantiel, comprenant des avantages mais aussi des sanctions applicables en fonction de l’attitude des parties, les conséquences devant être clairement définies en cas de non-engagement d’une partie dans le processus. Parmi les options susceptibles d’inciter le Kosovo à s’abstenir de toute action unilatérale dans le Nord et de consentir à la mise en place d’une association des municipalités serbes, pourraient figurer la levée graduelle, conditionnée et réversible des mesures punitives imposées au Kosovo, l’acceptation de l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe et à Interpol et, in fine, l’accord de la Commission européenne à l’ouverture de son processus d’adhésion. Dans une interview accordée à Radio Free Europe le 28 avril 2025, la commissaire à l’élargissement Marta Kos a d’ailleurs soutenu une telle démarche en présentant la normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie comme une « précondition » pour que le Kosovo obtienne le statut d’État candidat. Dans le cas de la Serbie, l’ouverture du bloc 3 de négociations, demandée de longue date par Belgrade, pourrait être elle aussi conditionnée à une réelle implication du pays dans le processus de négociations. Pour l’heure, le représentant spécial cherche à voir des règles de conditionnalités introduites dans le plan de croissance pour les Balkans occidentaux de manière à ce que le versement de fonds européens au Kosovo et à la Serbie réponde à des engagements concrets de la part de chacune des parties.

Le processus d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne : avancées et limites

La Serbie est largement tournée vers l’Union européenne : en 2023, 60 % de ses relations commerciales ont été réalisées avec l’Union, premier investisseur étranger en Serbie (58 % des flux d’investissements directs étrangers entre 2010 et 2023). C’est aussi, après le Monténégro, le pays candidat le plus avancé dans les négociations d’adhésion à l’Union européenne, avec 22 chapitres ouverts (sur un total de 35), dont 2 provisoirement clos. La Serbie a déposé sa demande d’adhésion à l’Union européenne en décembre 2009, obtenu le statut de pays candidat en mars 2012 et commencé les négociations d’adhésion en janvier 2014. Les derniers progrès de la candidature de la Serbie ont été obtenus en décembre 2021 avec l’ouverture du bloc de chapitres n° 4 sur l’environnement et la connectivité durable.

Depuis 2021, la Commission européenne considère que le bloc de chapitres n° 3 sur la compétitivité et la croissance inclusive est « techniquement prêt » à être ouvert. Sous l’impulsion de la présidence hongroise de l’Union, la question de l’ouverture de ce bloc a été débattue entre les États membres en fin d’année 2024. Une telle décision, soutenue notamment par l’Autriche, Chypre, la France, la Grèce, l’Irlande et la République tchèque, n’a pas pu emporter l’unanimité du Conseil en raison des réserves de plusieurs États membres (Bulgarie, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas et Suède). Ils reprochent à la Serbie son attitude ambivalente dans le dialogue avec Pristina – notamment depuis l’attaque de Banjska, survenue le 24 septembre 2023, au cours de laquelle des paramilitaires serbes ont tué un policier kosovar dans le Nord du Kosovo –, ainsi que le manque de progrès en matière d’État de droit et le faible taux d’alignement du pays sur la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne. Ses liens avec Moscou lui sont également reprochés alors que la Serbie a refusé d’appliquer des sanctions contre la Russie dans le contexte de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine. La Russie demeure un partenaire stratégique majeur pour la Serbie, s’appuyant sur plusieurs leviers d’influence : une russophilie traditionnelle ancrée dans l’opinion publique, une proximité religieuse fondée sur l’orthodoxie, ainsi qu’une forte dépendance énergétique. Cette dernière pourrait toutefois être fragilisée depuis la mise en œuvre, en janvier 2025, de sanctions américaines visant la compagnie pétrolière NIS, dont la majorité du capital est détenue par Gazprom. Aux yeux de Belgrade, Moscou reste également un allié crucial pour empêcher l’adhésion du Kosovo aux Nations unies et soutenir, plus généralement, sa position à l’égard du Kosovo. La rencontre entre le président serbe et Vladimir Poutine à Pékin, le 2 septembre 2025, a été l’occasion de rappeler cette convergence de vues. D’autres États disposent d’une influence certaine en Serbie à l’instar de la Turquie : si la Serbie ne constitue pas une priorité stratégique pour Ankara, les présidents Erdoğan et Vučić entretiennent d’excellentes relations.

Par ailleurs, le soutien du président Vučić au processus d’adhésion n’est pas sans ambiguïté. Le mouvement de contestation contre la corruption en cours est interprété par le pouvoir comme le résultat d’une intervention étrangère, inaugurée par l’ancienne administration américaine démocrate et entretenue par l’Union européenne, qui soutiendrait en Serbie un nouveau « Maïdan ». Cette méfiance à l’égard de l’Union pourrait être renforcée par la recherche d’un rapprochement avec l’administration américaine qui n’a pas tardé à condamner le mouvement étudiant. En ce sens, le levier européen a, de longue date, perdu de son efficacité en Serbie et pourrait encore s’affaiblir.

En fin d’année 2024, la Serbie a toutefois pris des engagements complémentaires sur le pluralisme des médias, la réforme du code électoral, l’alignement avec la politique des visas et la connectivité énergétique qui ont encouragé le Conseil à donner son accord pour l’envoi d’un courrier de la Commission européenne aux autorités serbes reconnaissant le niveau de préparation de la Serbie pour poursuivre les négociations sur deux chapitres (16 et 19) du bloc n° 3 consacrés à la fiscalité, à la politique sociale et à l’emploi.

Si la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne a exprimé sa disponibilité à poursuivre les discussions sur l’ouverture du bloc n° 3 des chapitres de négociations, les événements de politique intérieure en cours depuis décembre 2024 ont, de fait, conduit à un arrêt des travaux législatifs dans le pays, y compris ceux attendus par l’Union européenne. Ce blocage résulte en grande partie de la décision des partis d’opposition et des représentants de la société civile de suspendre leur participation aux groupes de travail chargés de proposer des amendements législatifs. Ce choix fait lui-même suite au refus des autorités de répondre aux demandes des manifestants sur les exigences de transparence autour de l’accident de la gare de Novi Sad dans lequel ont péri seize personnes.

Sources diverses.

Il n’en reste pas moins que la position européenne demeure fragilisée par plusieurs facteurs, à commencer par l’absence de consensus interne sur la reconnaissance du Kosovo, (Espagne, Grèce, Chypre, Slovaquie et Roumanie ne reconnaissent toujours pas son indépendance), obérant en l’état les chances d’une adhésion. Par ailleurs, le Kosovo reproche à l’Union européenne sa vision partiale du conflit qui s’est traduite par l’application de sanctions contre lui seul alors que les blocages du processus de normalisation seraient imputables aux deux parties. Les autorités kosovares évoquent d’ailleurs désormais peu l’Union européenne, préférant se référer à l’OTAN. Quant à l’opposition au gouvernement serbe, elle accuse l’Union européenne de ne pas suffisamment prendre parti en faveur de la contestation qui lui paraît pourtant porter, à bien des égards, des valeurs qui pourraient être celles de l’Europe. Enfin, l’objectif de l’Union européenne est parfois considéré comme excessivement flou, la normalisation des relations serbo‑kosovares constituant un processus plus qu’un objectif en soi : en ce sens, l’Union jouerait le rôle de facilitateur davantage que de négociateur apte à peser de manière décisive sur l’avenir de la région. Ce constat n’invalide pas la démarche européenne mais doit du moins appeler à la considérer avec prudence et nuances. Toutefois, les progrès de l’intégration européenne de pays limitrophes comme le Monténégro et l’Albanie sont de nature à infléchir le Kosovo et la Serbie, jaloux de la perspective européenne de ces États et craignant, dans le cas du Kosovo, l’isolement sur le plan régional alors que ses frontières sont aujourd’hui poreuses avec son voisin albanais.

Par ailleurs, l’Union européenne doit agir pour améliorer les conditions de vie des populations. Le commandant de la KFOR, le général Enrico Barduani, a souligné que le Kosovo demeurait une zone de trafics en tous genres souffrant, d’« une réconciliation mafieuse » dans le domaine du crime organisé. Or, nombre d’altercations présentées comme des violences interethniques sont en fait des règlements de compte entre bandes criminelles rivales qui contribuent au sentiment d’insécurité des populations locales. L’Union européenne doit faire pression sur la Serbie et le Kosovo pour les inciter à mieux coopérer avec la KFOR. Il est indispensable de lutter contre la constitution de réseaux mafieux, notamment d’origine albanaise, dans la région, en particulier dans la perspective d’une Europe élargie aux Balkans. Ses États membres appartenant à l’OTAN peuvent aussi réclamer que la KFOR soit dotée de plus de moyens pour contrôler la partie inférieure de l’espace aérien kosovar – la partie supérieure et les routes commerciales ont été confiées par l’OTAN à une société hongroise en 2006. Au cours de la seule année 2024, une centaine de vols non autorisés de drones ont en effet eu lieu, notamment au-dessus des bases de la KFOR, sans que celle-ci puisse les empêcher.

Enfin, l’Union européenne pourrait investir davantage en matière d’aide publique au développement. La suppression de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) affecte, en effet, de nombreux programmes menés aussi bien en Serbie qu’au Kosovo et couvrant des sujets aussi centraux que l’État de droit ou les processus démocratiques et de réconciliation régionale entre les jeunes des deux pays. Cette décision affectera également le processus d’élargissement en réduisant les opportunités de convergence des valeurs et des standards nationaux avec ceux de l’Union européenne. Aussi l’Union pourrait-elle utilement se mobiliser pour poursuivre ce travail en recourant, par exemple, aux fonds du plan de croissance pour les Balkans occidentaux.

2.   La France, un facilitateur potentiel du dialogue sous réserve du renforcement de ses relations bilatérales avec les deux parties

a.   La France, un acteur investi dans le règlement du conflit même s’il n’échappe pas à certaines critiques

La France entretient traditionnellement de bonnes relations avec les deux parties. Notre pays a reconnu le Kosovo dès le 18 février 2008, au lendemain de la proclamation de son indépendance. Il s’est impliqué activement dans le processus de normalisation et est considéré par le Kosovo comme un partenaire et un soutien traditionnel important. L’influence de la France a pu compter sur des personnalités aussi francophiles et francophones qu’Ibrahim Rugova, premier président du Kosovo, qui a fait ses études à La Sorbonne, ou l’ancien premier ministre Avdullah Hoti. Ses investissements dans le pays sont appréciés.

La France au Kosovo : investissements et coopérations

La France a activement contribué aux projets de reconstruction du Kosovo. Les exportations françaises sont en hausse depuis 2019 (à l’exception de l’année 2020) pour un montant de 121,2 millions d’euros en 2023 (+ 66 % sur un an). Les importations françaises ont également progressé (15,8 millions d’euros, + 17 %). Parmi les principaux investisseurs français, peuvent être cités Aéroports de Lyon, en consortium avec l’entreprise turque Limak, la filiale franco-turque de BNP Paribas TEB, le cabinet Mazars, ou encore la filiale Dukat (Lactalis). En 2016, la France a octroyé un concours financier au Kosovo sous forme de prêt du Trésor concessionnel d’un montant de 66 millions d’euros, induisant une part liée de 70 % pour nos entreprises, destiné à la réalisation d’un projet de traitement des eaux usées de Pristina. Le consortium ANTEA/BRLi a remporté l’appel d’offres pour l’assistance à la maîtrise d’ouvrage qui a commencé en mai 2022. L’accord intergouvernemental prévoyant l’intervention du groupe Agence française de développement (AFD) au Kosovo est entré en vigueur le 1er novembre 2020 et plusieurs projets sont à l’étude, en particulier dans les domaines de la transition énergétique, écologique et territoriale et dans l’échange d’expertise sur l’organisation de grandes compétitions sportives (le Kosovo accueillera, en 2030, les Jeux méditerranéens).

La France mène, au Kosovo, des actions de coopération en matière institutionnelle, universitaire, dans les domaines de la justice et du droit. Elle conduit aussi une action culturelle reconnue sur la scène kosovare, impliquant des activités dans les domaines du cinéma, de la musique et du patrimoine, la diffusion de l’enseignement du français et la promotion de la francophonie. Notre dispositif s’appuie notamment sur l’Institut français du Kosovo, inauguré au printemps 2024. Un accord de coproduction cinématographique entre la France et le Kosovo a été signé en mai 2022 à l’occasion du festival de Cannes, ainsi qu’un accord de coopération administrative en novembre 2022. La France développe également sa coopération bilatérale en matière de sécurité intérieure, qui a donné lieu à plusieurs visites du ministre de l’intérieur kosovar à Paris entre 2021 et 2022, et diverses actions de coopération, dont une mission de l’inspection générale de l’administration à Pristina en juin 2022 et le don du système balistique Evofinder en juillet 2022.

Source : ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Quant aux relations franco-serbes, elles ont connu une forte dynamique ces dernières années, en dépit de la mémoire des bombardements de l’OTAN en 1999, auxquels la France a contribué de façon importante, et de la reconnaissance du Kosovo en 2008 : l’année 2025 marque ainsi les cent quatre-vingt-six ans de nos relations bilatérales et le quatorzième anniversaire de notre partenariat stratégique.

Les échanges politiques de haut niveau sont fréquents. Le président de la République français a ainsi effectué deux visites officielles en Serbie : l’une les 15 et 16 juillet 2019, l’autre les 29 et 30 août 2024, à Belgrade et Novi Sad. Cette dernière a été marquée par la signature d’une douzaine de documents établissant des coopérations dans de nouveaux secteurs (agriculture, tourisme, matériaux et minerais stratégiques, innovation et intelligence artificielle) et du contrat de livraison de douze avions de combat Rafale à la Serbie, d’une valeur de 2,7 milliards d’euros. Quant aux investissements français en Serbie, ils représentent les deux tiers de l’enveloppe de 1,6 milliard d’euros investis par notre pays dans la région des Balkans, soit environ 1 milliard d’euros. Au total, 120 entreprises françaises sont présentes en Serbie, parmi lesquelles Vinci, Suez, Schneider Electric, Michelin, Veolia, Savencia et Lactalis. Nos grands groupes se positionnent sur des projets structurants comme la construction du métro de Belgrade, la fourniture d’un réseau intelligent d’électricité, la réalisation du centre régional de traitement des déchets de Vinca (Belgrade), opéré par Veolia, ou encore la concession de l’aéroport Nikola Tesla de Belgrade (Vinci Airports).

Dans les deux cas pourtant, la France est critiquée pour ses choix. En Serbie, derrière la fréquence des échanges au plus haut sommet de l’État, se cache un certain malaise : l’opposition au président Vučić reproche aux autorités françaises sa proximité avec le gouvernement en place tandis que l’opinion publique manifeste une certaine défiance à l’égard d’une France jugée trop sévère à l’encontre de son pays.

De même, l’influence française au Kosovo est en déclin. La France souffre de son soutien aux sanctions appliquées par l’Union européenne et de son refus de le voir adhérer au Conseil de l’Europe ([37]) tant qu’il se refusera à transmettre le statut de l’association des municipalités à sa Cour constitutionnelle. Cette décision contraste singulièrement avec la rapidité par laquelle notre pays a reconnu l’indépendance du Kosovo en 2008. Plus largement, l’enseignement du français est en recul. Il ne subsiste plus à Pristina qu’une seule école française dont la délégation a pu apprécier le dynamisme et l’engagement de son équipe pédagogique et de direction. La France est encore trop absente de certaines organisations qui comptent dans le pays, à l’instar de la KFOR, où ne sont présents que quatre Français. Quant aux moyens alloués à notre diplomatie sur place, ils sont sans commune mesure avec ceux de l’ambassade des États-Unis, qui a compté jusqu’à 400 personnes.

Dans ces conditions, il est nécessaire que la France réinvestisse pleinement la région des Balkans, comme elle avait eu l’ambition de le faire lors de la définition de sa stratégie pour les Balkans occidentaux lancée en 2019. Elle identifiait alors avec raison les Balkans comme la région où se jouaient en grande part la cohésion et l’avenir de l’Union européenne. Or, la résolution des conflits internes à cette région, dont celui qui oppose la Serbie et le Kosovo, est une des conditions à la pleine intégration de cette région et, avec elle, de la pacification du voisinage de l’Union. Il est donc primordial que la France continue de se mobiliser sur ce sujet, comme elle a su le faire en rédigeant le projet d’accord Bruxelles-Ohrid en 2023. Cela doit passer par le maintien de moyens humains et financiers à la hauteur de nos ambitions dans la région, ainsi que par une intensification de nos échanges, y compris de haut niveau, avec les deux parties. Ces échanges doivent s’inscrire dans le cadre de relations plus nourries sur tous les plans, qu’ils soient linguistiques, culturels, scientifiques, éducatifs et universitaires : en somme, tous les composants d’un véritable « soft power » si nécessaire pour tisser des liens approfondis et durables avec nos partenaires.

b.   La diplomatie parlementaire, indispensable contributeur au maintien du dialogue et à la recherche de nouveaux compromis

La diplomatie parlementaire peut permettre d’œuvrer activement au maintien du dialogue avec chacune des parties. Les visites du président de la République sont certes appréciées mais elles ont peu d’impact si elles ne trouvent pas de relais dans l’ensemble de la société. En ce sens, la délégation insiste sur l’importance des échanges parlementaires, qui contribuent à nourrir ces relations et à les décentrer de la seule approche gouvernementale, comme l’appellent d’ailleurs de leurs vœux nos interlocuteurs. Cette mission a pu y contribuer avec intérêt et doit être poursuivie par des rencontres futures dans le cadre des travaux de la commission des affaires étrangères et des groupes d’amitié pertinents.

En Serbie, la délégation a ainsi pu rencontrer des membres de l’opposition au parti SNS du président Vučic, qui refusaient jusqu’alors de s’entretenir avec des représentants du gouvernement français, accusé de soutenir le pouvoir en place. Or, cet échange était particulièrement fructueux pour nourrir la réflexion française aussi bien sur le conflit serbo-kosovar que pour apprécier de manière plus fine les enjeux de la crise politique serbe.

Plus largement, notre pays doit saisir toutes les opportunités possibles pour favoriser les contacts entre les deux parties, en particulier au sein des organisations internationales où elle est présente. Il a, par exemple, un rôle essentiel à jouer à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dont la Serbie et le Kosovo sont des membres associés. Plus les échanges seront nombreux, quels que soient les sujets envisagés, plus la recherche de nouveaux compromis aura une chance d’aboutir.

 

 


   Examen en commission

Au cours de sa séance du mardi 30 septembre 2025, à 16 heures, la commission examine une communication, ouverte à la presse, visant à apporter une contribution parlementaire à la définition des contours d’un accord de paix entre la Serbie et le Kosovo.

M. le président Bruno Fuchs. Nous allons entendre la communication de la mission opérationnelle d’observation créée par notre commission en vue d’apporter une contribution parlementaire à la définition des contours d’un accord de paix entre la Serbie et le Kosovo. Il s’agit de l’une des manifestations concrètes des actions de diplomatie parlementaire que nous avons lancées. Le format de cette mission, quelque peu inédit, résulte de propositions que j’avais formulées au sein du bureau afin de permettre à notre commission d’avoir un apport plus tangible.

Pour rappel, le conflit entre la Serbie et le Kosovo, qui a pris une tournure majeure à la fin des années 1990, trouve ses racines dans des tensions ethniques et politiques antérieures. Le Kosovo, province à majorité albanaise au sein de la Serbie, cherchait à obtenir plus d’autonomie, voire l’indépendance, ce à quoi Belgrade s’opposait fermement. En 1998 et 1999, les affrontements entre les forces serbes et l’armée de libération du Kosovo, un groupe paramilitaire albanais, ont dégénéré en une guerre ouverte marquée par des violences et des violations des droits de l’homme.

M. Pierre Pribetich, rapporteur. Dans les Balkans, tout le monde a raison : c’est pour cela que ça va si mal. Si la paix est un art, alors cette région est le plus exigeant des ateliers européens. Au terme de notre mission, nous souhaiterions vous faire part de nos impressions et de nos analyses sur l’un des grands foyers de tensions qui persiste au sein des Balkans, aux portes mêmes de l’Union européenne (UE), entre la Serbie, pays candidat à l’adhésion à l’UE, et le Kosovo, qui aspire à l’être. Nous avons pu nous rendre dans ces pays et mesurer l’ampleur de la tâche qui s’annonce pour réconcilier les parties. Force est de constater que le contexte, intérieur comme extérieur, pèse aujourd’hui grandement sur l’avenir de ce conflit qui semble enlisé pour longtemps encore.

Ces deux territoires sont liés par des siècles d’histoire, de culture et de conflits ; aujourd’hui séparés par une frontière politique, psychologique et historique, ils demeurent unis par des blessures non cicatrisées. Cette membrane de séparation, c’est ce passé douloureux. Le conflit reste latent et les tentatives de médiation ne cessent d’échouer. Rappelons que les tensions perdurent depuis la proclamation unilatérale d’indépendance du Kosovo, en 2008.

Si la France fait partie des 110 pays à avoir reconnu ce nouvel État, ce n’est le cas ni de la Serbie, ni de puissances telles que la Russie et la Chine, ni de certains membres de l’Union européenne, comme l’Espagne. La Serbie continue de dénoncer une violation du droit international, en particulier de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le Kosovo occupe une place centrale dans l’identité nationale serbe. L’attachement des Serbes au Kosovo relève davantage de l’histoire et du symbole que de réalités démographiques. Selon les estimations, 7 % de la population kosovare est d’origine serbe et 90 % d’origine albanaise. Pour Belgrade, ce territoire demeure la « Jérusalem serbe », qui abrite le siège de l’Église orthodoxe serbe et certains de ses plus grands monastères. C’est aussi sur cette terre que s’est déroulée, en 1389, la bataille du Champ des merles (Kosovo Polje), fondatrice du mythe national serbe, au cours de laquelle le prince Lazar, figure de la résistance serbe à l’expansion ottomane, fut capturé puis décapité. Il est depuis vénéré comme un saint martyr par l’Église orthodoxe serbe.

« Kosovo je Srbija » – « le Kosovo est la Serbie » –, scandé dans les manifestations à Belgrade, « Kosovo is Serbia » écrit en grand sur les passerelles des autoroutes : plus qu’un slogan, c’est un cri du cœur, une revendication identitaire.

De l’autre côté, « La liberté a un nom : UÇK », en référence à l’armée de libération du Kosovo, est repris en chœur par la foule à Pristina lors de rassemblements.

Les Albanais du Kosovo portent une autre mémoire : celle de la répression, des tensions ethniques, de la guerre des années 1990 et de la lutte armée menée par l’UÇK, qui est vue par certains comme une armée de libération, symbole de résistance et de liberté, par d’autres comme une organisation terroriste, mafieuse, responsable de crimes contre les civils.

Deux récits, deux vérités, deux douleurs, mais une même terre.

Si la pression internationale a permis quelques avancées sur des questions techniques, qui ont été perçues comme autant de petits pas vers la normalisation, le chemin à parcourir reste long.

Le premier tournant majeur a été l’accord de Bruxelles de 2013, qui prévoit notamment la dissolution des structures municipales parallèles serbes financées par Belgrade sur le territoire kosovar et la création d’une association des municipalités à majorité serbe, ainsi que l’intégration de la police et des autorités judiciaires du Nord du Kosovo dans le cadre juridique du Kosovo. Mais, très vite, les discussions ont achoppé sur la question centrale : quels pouvoirs accorder à l’association des municipalités serbes ? Pour Belgrade, cette entité doit disposer de véritables compétences exécutives. Pour Pristina, elle ne peut être qu’un organe consultatif, sans autonomie politique, pour éviter de recréer une mini-Republika Srpska au sein d’un État encore fragile.

En février 2023, l’accord de Bruxelles-Ohrid, inspiré du traité fondamental signé entre la République fédérale d’Allemagne (RFA) et la République démocratique allemande (RDA) en 1972, a suscité un nouvel espoir. Il prévoit des avancées concrètes tout en éludant volontairement la question la plus sensible, à savoir la reconnaissance explicite du Kosovo par la Serbie.

Là encore, l’accord est resté lettre morte. Aucune des deux parties ne semble prête à assumer le coût politique de la paix. Chaque avancée est perçue comme une concession, chaque concession comme une trahison.

La situation sur le terrain n’a jamais été aussi éloignée d’une normalisation et les crises se succèdent depuis septembre 2021, qui entraînent, chaque fois, un risque d’escalade dangereux.

L’Union européenne a bien compris que la normalisation des relations était impérative pour permettre l’adhésion de la Serbie et le développement du Kosovo.

Dialoguer ne signifie pas renoncer à son identité mais reconnaître l’humanité de l’autre et faire un pas vers la reconnaissance mutuelle. Il s’agit d’emprunter un chemin où chaque peuple voit son droit à la dignité, à la sécurité, à la mémoire respecté. Il est temps de rebâtir un pont entre les communautés. Impossible dans les Balkans, me direz-vous ? Pensez au vieux pont de Mostar, le Stari Most, édifié par les Ottomans en 1566, détruit par les Croates en novembre 1993, reconstruit à l’identique à partir de 1997 avec les pierres repêchées dans le lit de la Neretva, qui ont été réutilisées selon les anciennes techniques ottomanes. Chaque étape a constitué un acte de mémoire et de réconciliation. Le pont s’est relevé et est redevenu un symbole de coexistence. Cette œuvre d’art nous montre que, même dans les Balkans, après la destruction, la paix peut renaître, pierre par pierre.

Mme Marine Hamelet, rapporteure. Dans ce contexte, le Kosovo du premier ministre Albin Kurti – que nous avons rencontré – multiplie depuis 2021 les actions unilatérales d’affirmation de sa souveraineté, en particulier dans le Nord du territoire, où réside la majorité de la population d’origine serbe. Cette politique a donné lieu à certains succès, qui expliquent sa popularité auprès des Albanais du Kosovo. Il est ainsi parvenu à étendre les prérogatives de la police kosovare au Nord, dans des bases en dur, alors qu’elle en était jusqu’alors totalement absente. Elle a également poussé à la démission collective, en 2022, des policiers serbes du Nord du Kosovo, ainsi que des membres du principal parti de la communauté serbe, Srpska Lista, du Parlement et des autorités exécutives du pays. Ce vide a permis à des maires albanais de gagner quatre municipalités du Nord pourtant peuplées de Serbes, y favorisant l’implantation de la culture et de commerces albanais.

Le premier ministre Kurti s’est également attelé à démanteler, à partir de la fin de l’année 2023, les structures de l’administration serbe au Kosovo. Ces structures offrent des services plus ou moins directs à la communauté serbe dans des domaines aussi divers que l’éducation et la santé, le paiement de prestations sociales ou le recours aux services postaux. Elles sont perçues par Pristina comme un empiétement sur ses prérogatives et sa souveraineté. Aussi, après avoir fortement contraint leur fonctionnement, le Kosovo a décidé unilatéralement de leur fermeture, le 15 janvier 2025.

L’année 2024 a également vu se multiplier les initiatives du Kosovo pour assurer l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation applicable à la banque centrale kosovare prohibant les transactions financières en dinar serbe, la poursuite des expropriations de terrain dans le Nord du pays afin d’y construire des bases destinées aux policiers kosovars albanais ou encore l’examen un projet de loi visant à nationaliser les propriétés de l’Église orthodoxe serbe. Le Kosovo a également annoncé la possible réouverture unilatérale à la circulation automobile du pont reliant les parties serbe et albanaise de Mitrovica ou, à défaut, la construction de deux nouveaux ponts sur l’Ibar, suscitant une émotion perceptible chez les Serbes du Kosovo.

Le gouvernement justifie cette politique par l’attitude de la Serbie, qui multiplie les agressions à son égard. L’année 2023 a ainsi vu s’accumuler les sujets de tension, qui ont culminé, en septembre, lorsqu’un commando armé venu de Serbie a tué un policier du Kosovo dans une embuscade avant de se réfugier dans le monastère orthodoxe de Banjska. La responsabilité d’une attaque perpétrée le 30 novembre 2024 contre une infrastructure de distribution d’électricité et d’eau potable au Nord du Kosovo a été immédiatement attribuée par les autorités kosovares à la Serbie sans que son implication soit prouvée. Ces événements nourrissent un peu plus le sentiment que le Kosovo vivrait sous la menace constante d’une agression, ce qui justifie, aux yeux de l’opinion publique, la politique menée par le gouvernement Kurti.

Cette politique a toutefois valu un certain isolement au Kosovo au sein de la communauté internationale. Sa candidature d’adhésion à l’Union européenne n’a pas avancé et le pays fait même l’objet de sanctions réversibles imposées par l’Europe depuis juin 2023. Surtout, le gouvernement Kurti a, pour l’heure, sacrifié sa candidature, pourtant bien engagée, au Conseil de l’Europe. Cette situation vaut d’ailleurs au premier ministre des critiques marquées de la part des autres partis politiques comme la Ligue démocratique du Kosovo et le Parti démocratique du Kosovo.

Comme nous avons pu le constater sur le terrain, le contexte national est peu propice à l’évolution de la politique actuelle. Depuis les élections législatives du 9 février dernier, qui ont donné une courte majorité au premier ministre Kurti, le pays est incapable de se doter d’un nouveau gouvernement, faute de coalition entre les principaux partis. Cette instabilité institutionnelle, qui pourrait perdurer jusqu’en 2026, date de la tenue de nouvelles élections, favorise le statu quo et donc le maintien d’une attitude ferme à l’égard de la Serbie.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Nous avions prévu de nous rendre, en mars, au Kosovo puis en Serbie – au sein de ma circonscription – mais notre voyage en Serbie a été repoussé en juillet en raison des événements qui s’y sont produits. Nous avons donc effectué ces visites à quatre mois de distance, ce qui n’est pas anodin dans des pays où la situation évolue très rapidement.

Le gouvernement serbe est confronté à un profond mouvement de contestation populaire qui n’a rien à voir avec le Kosovo, la situation politique ou les élections, mais qui traduit le réveil de la société, en lutte contre la corruption des pouvoirs publics. L’effondrement, le 1er novembre 2024, d’un auvent qui venait d’être rénové à la gare de Novi Sad, capitale de la Voïvodine – historiquement l’une des régions les plus multiculturelles –, causant la mort de seize personnes, a provoqué un important mouvement d’étudiants, rejoints par la société civile qui voulait en finir avec cette corruption.

Je suis plus réservé que mes collègues sur certains points. Comme je l’écris dans ma contribution annexée au rapport, je pense que les poches de conflits sont largement instrumentalisées et utilisées de manière artificielle, des deux côtés, pour répondre à des enjeux locaux. Marine Hamelet l’a rappelé s’agissant du premier ministre Kurti et des élections ; en ce qui concerne la Serbie, beaucoup s’accordent à dire que le gouvernement n’a plus de vision politique depuis un an qu’il résiste à l’opposition marquée des étudiants, qui s’est propagée ensuite aux petites municipalités. Il ne s’agit plus de luttes ataviques entre nationalités. D’ailleurs, les étudiants ne parlent absolument pas du Kosovo et les banderoles arborant le slogan « Kosovo je Srbija » sont plutôt le fait des milieux gouvernementaux que de la rue, des étudiants, des facs ou des partis – très peu, parmi les parlementaires rencontrés, l’ont évoqué, mis à part ceux qui sont membres du parti du président Vučić. Dans une Serbie où coexistent de nombreuses minorités ethniques et culturelles qui parlent des langues différentes, le mouvement étudiant a toujours été multiethnique – par exemple au sandjak de Novi Pazar, situé au Nord du Kosovo, qui regroupe des Bosniaques musulmans et qui fait partie, depuis toujours, de cette marmite multiethnique. Par conséquent, la société civile n’est pas obnubilée par la question du Kosovo, contrairement à ce que les gouvernements aimeraient nous faire croire. J’ajoute qu’au sein de la République serbe de Yougoslavie, le Kosovo était une région autonome, dans laquelle on parlait albanais et qui disposait de son propre Parlement – et Kosovo Polje était situé à l’intérieur de cette province autonome.

Le conflit est donc instrumentalisé et utilisé à dessein, j’y insiste, par des gouvernements qui en ont besoin pour rester en place.

Bien sûr, nous avons des divergences quant à la question de l’élargissement. Pour moi, les Balkans sont l’avenir de l’Union européenne. Faut-il rappeler qu’au moment d’engager la construction européenne, la Sarre était encore française – ce que beaucoup de jeunes ignorent ? Elle n’est devenue un Land allemand, le Saarland, que des années plus tard. Or il y avait aussi des frictions et des conflits dans cette région, qui étaient de nature à compromettre la paix en devenir. Pourrons‑nous reproduire ce modèle au Kosovo et œuvrer à la réconciliation pour l’avenir, pour la jeunesse et les sociétés civiles ? Cela marchera-t-il ? Ce ne sera possible que si ce que nous avons entendu en Serbie se réalise. Il ne faut ni oublier ni humilier – ce principe a été respecté dans les relations franco-allemandes. Côté serbe, certains considèrent qu’il se passe désormais l’inverse de ce qui prévalait au moment de la guerre. Néanmoins, même s’il est vrai que les Serbes du Kosovo subissent du harcèlement et de la discrimination, nous n’avons pas pu étayer les accusations de viols ou de violences.

Enfin, au-delà de la diplomatie parlementaire, nous avons observé des initiatives intéressantes émanant de la diplomatie des sociétés civiles, engagées notamment par la France. Ainsi, nous avons visité une église située à la frontière entre les deux pays, rénovée grâce à des fonds français – ce qui n’a pas été très bien compris par les Albanais du Kosovo, d’autant que le monastère orthodoxe situé à côté est, lui, quelque peu discriminé. Pourtant, cette église ressortie de terre témoigne d’une histoire passée, qu’il est important de remettre à l’honneur. Il y a donc beaucoup de choses à faire et la diplomatie parlementaire, comme celle des sociétés civiles, permettra de maintenir le lien. Nous devons le faire, parallèlement à la diplomatie gouvernementale, parce que j’ai la conviction que ce sont les gouvernements qui attisent le feu, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’avenir de leurs enfants ou de leurs petits-enfants.

M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. Le dernier point de cette communication porte sur les évolutions possibles du conflit et le rôle de la France. La communauté internationale se révèle impuissante, pour l’heure, à trouver des solutions, même si de nouvelles initiatives pourraient voir le jour.

Les conséquences de la réélection du président américain Donald Trump sont observées avec attention. En effet, un rapprochement de la Serbie et des États-Unis est possible, en raison notamment des accointances idéologiques entre les deux chefs d’État et des intérêts économiques américains en Serbie, incarnés par le gendre du président, Jared Kushner. Cette lecture a été renforcée par les prises de position d’un proche du président, l’ancien envoyé spécial pour les Balkans, Richard Grenell, qui s’en est violemment pris au premier ministre Kurti sur le réseau social X. Dans les faits, il n’y a guère de bouleversements dans la politique américaine dans la région, à l’exception notable de la réduction drastique des fonds alloués à l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Le président Trump s’est toutefois exprimé à plusieurs reprises sur la situation locale en cours – dont le soir même de sa rencontre avec Vladimir Poutine, le 15 août dernier –, affirmant avoir mis fin au conflit. Force est de constater qu’il s’agit d’une lecture très optimiste du contexte géopolitique.

Quant à l’Union européenne, son attitude à l’égard du conflit est ambiguë. Elle apparaît très en retrait et incapable de peser sur le destin de la région. L’envoyé spécial pour le dialogue entre Belgrade et Pristina, Peter Sørensen, souhaite impulser une nouvelle méthode de travail, proche de la politique des petits pas des années 2010. Prenant acte des blocages politiques persistants, il veut ainsi revenir à la négociation d’accords techniques et de coopération économique, l’objectif étant d’éviter de s’enfermer dans une stratégie du tout ou rien. Toutefois, l’influence de l’Union européenne paraît fragile. D’abord, parce que cinq de ses États membres ne reconnaissent toujours pas l’indépendance du Kosovo, affectant sa crédibilité. Ensuite, parce que son attractivité décroît, en particulier en Serbie, où une large partie de la population semble s’en détourner. Le pouvoir joue d’ailleurs de cette défiance, accusant les manifestants anti-régime de fomenter une révolution de couleur soutenue par les pays occidentaux. Quant aux étudiants et à une partie de l’opposition, ils critiquent l’Union pour son silence sur les manifestations.

Dans ce contexte complexe, la France peut jouer un rôle actif du fait des bonnes relations qu’elle entretient avec les deux parties. Elle a reconnu l’indépendance du Kosovo au lendemain de sa proclamation et entretient un dialogue politique régulier avec Pristina. Quant aux relations franco-serbes, elles ont connu une forte dynamique ces dernières années. Les échanges politiques de haut niveau sont fréquents et les relations économiques bilatérales en développement. Ce n’est donc pas un hasard si notre pays a été à l’origine du projet d’accord qui a inspiré le traité dit de Bruxelles-Ohrid.

Cependant, nous devons prendre garde à conserver une position équilibrée qui garantisse la pérennité de nos relations bilatérales et faire en sorte que la voix de la France soit entendue dans les Balkans.

En Serbie, l’opposition au président Vučić reproche aux autorités françaises leur proximité avec le gouvernement en place. Un certain malaise est également perceptible au sein de l’opinion publique, agacée de l’attitude de la France jugée trop sévère à son encontre. Au-delà des visites du président de la République, nos interlocuteurs regrettent la rareté des contacts de haut niveau.

Parallèlement, notre influence au Kosovo est en déclin, du fait de notre soutien aux sanctions européennes qui lui sont imposées en réaction aux actions unilatérales de Pristina et de notre refus de voir le Kosovo adhérer au Conseil de l’Europe tant qu’il se refusera à transmettre le statut de l’association des municipalités serbes à sa Cour constitutionnelle. Plus largement, l’enseignement du français est en recul : il ne subsiste plus qu’une seule école française à Pristina, dont notre délégation a pu apprécier le dynamisme et l’engagement de l’équipe pédagogique et de direction. La France est encore trop absente de certaines organisations qui comptent dans le pays, telle la Force pour le Kosovo (KFOR), à laquelle ne participent que quatre militaires français. Quant à notre ambassade, elle dispose de moyens qui sont sans commune mesure avec ceux alloués à la représentation des États-Unis, qui a compté jusqu’à 400 personnels.

Nous insistons donc sur la nécessité pour la France d’investir pleinement la région des Balkans si elle souhaite peser sur son avenir. Il est impératif de redonner toute son ambition à la stratégie française pour les Balkans occidentaux qui identifiait avec raison la centralité de cette région pour œuvrer à la réunification et à l’intégration du continent européen. Le règlement du conflit serbo-kosovar en est une dimension importante. Notre pays dispose d’atouts majeurs, comme sa large expérience en matière de bon voisinage et la promotion du multilatéralisme dans les affaires internationales. De par sa présence et son influence au sein d’organisations internationales, dans lesquelles la Serbie et le Kosovo sont représentés, il peut agir comme un trait d’union pour rapprocher les deux parties et favoriser la reprise du dialogue. Dans cette perspective, la France gagnerait à soutenir les coopérations régionales au sein des Balkans, en particulier si elles permettent de nouer des liens entre les sociétés civiles. Nous pensons à des initiatives telles que le programme Open Balkans en matière économique ou le travail du Regional Youth Cooperation Office, qui devraient être mieux valorisés.

Pour toutes ces raisons, nous sommes persuadés que l’intensification des contacts avec nos homologues serbes et kosovars, à laquelle notre mission a contribué, est cruciale, à la fois parce qu’elle répond à une attente de nos partenaires et parce qu’elle crée des liens entre nos sociétés. C’est là tout l’apport de la diplomatie parlementaire dont nous encourageons le développement au sein de cette commission comme des groupes d’amitié.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, tous les quatre, de nous avoir présenté le rapport réalisé dans le cadre de votre mission, qui a duré plusieurs mois et qui a été décidée, bien sûr, avec l’aval des autorités des deux pays. Vous aviez, au départ, des approches différentes, ce qui ne peut que rendre votre travail plus riche.

M. Stéphane Hablot (SOC). Le dialogue entre Belgrade et Pristina s’enlise. L’Europe apparaît comme un acteur d’arrière-plan dans son propre voisinage. Le rôle de médiation est insuffisant et il est désormais urgent d’aider au développement économique. Au Kosovo, la Turquie contrôle l’aéroport de Pristina, vend des drones et rénove des mosquées. En Serbie, la part des investissements chinois est passée, en cinq ans, de 11 % à 30 % des investissements étrangers. La Russie fournit les armes et 95 % du gaz. Les Émirats arabes unis ont lancé un immense projet immobilier, estimé à 3 milliards de dollars, de nature à modifier le cœur de Belgrade.

L’inertie de l’Europe pousse à s’interroger. Quels sont les investissements européens et comment les rendre davantage visibles ? Quel calendrier proposons-nous pour que l’ex-Yougoslavie adhère à l’Union européenne ? À Mitrovica, dans le Nord du Kosovo, les Serbes ont conservé leur maison et cohabitent avec les Albanais. La solution ne serait-elle pas que chacune de ces ethnies garde son identité, c’est-à-dire son appartenance à son peuple, tout en vivant dans un même État ? Le drapeau du Kosovo arbore six étoiles, qui représentent les six principales communautés ethniques et symbolisent le vivre ensemble dans un même État. C’est bien en respectant l’identité des ethnies, grâce à un État qui fédère, et en développant les activités économiques que nous obtiendrons la paix durable.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Il faut rester prudent s’agissant des investissements des Émirats arabes unis à Belgrade. L’Europe reste, de très loin, le premier partenaire de ces pays.

Ensuite, n’oublions pas qu’historiquement la région résulte d’une mosaïque d’ethnies. Je dis parfois que Voïvodine est une proto-Union européenne ! Ses habitants savent très bien ce que c’est de s’opposer un temps, puis de s’efforcer de construire un avenir commun, pour la jeunesse – comme nous l’avons fait avec l’Allemagne ou d’autres pays par la suite. Ils ont l’expérience, depuis plusieurs siècles, de la résolution des conflits que nous essayons de mettre en œuvre, en humanistes, grâce à l’Union européenne – nous avons évoqué tout à l’heure le pont de Mostar, mais vous pouvez aussi lire le roman Le Pont sur la Drina.

Au XXIe siècle, les nations ne seront pas des nations ethniques, attribuées par Dieu ou par filiation, mais des nations de citoyens. C’est en ce sens que nous devons avancer.

La solution passe aussi, comme vous l’avez mentionné, par des coopérations. J’explique, dans ma contribution, qu’au lieu de compter les virgules dans les statuts de l’association des municipalités, nous pourrions nous attaquer au fléau des mafias ou lutter contre les armes de petits calibres. La France le fait déjà, en aidant les deux pays – au-delà de leurs différences et sans chercher à savoir si le Champ des merles est une victoire orthodoxe ou non. Nous avons évoqué le lycée français qui vient d’être créé au Kosovo. Il y a déjà un lycée français à Belgrade. Au lieu d’avoir des lycées séparés, dotés chacun de sa direction propre, nous pourrions imaginer des actions communes, comme des olympiades des lycées français des Balkans. Il y a également beaucoup à faire en matière de lutte contre le grand banditisme. On a évoqué tout à l’heure une agression commise par un commando armé serbe mais il s’agissait manifestement de bandits et non de l’armée serbe régulière.

M. Michel Guiniot (RN). Dans la liste des auditions, vous indiquez avoir reçu le codirecteur de l’Observatoire des Balkans à la Fondation Jean Jaurès. Cette dernière a publié, le 30 janvier dernier, un article sur la Serbie dans lequel elle parle de son président élu au suffrage universel direct comme d’un homme à la tête d’un régime autoritaire, ce qui ne correspond pas à la position officielle de la France. Jugez-vous son éclairage parfaitement neutre ?

Vous avez également rencontré au Kosovo M. Barbano, chef de la mission Eulex, la mission Etat de droit de l’UE au Kosovo. À la suite d’une enquête des autorités slovaques en 2014, cette mission et ses membres ont été reconnus coupables de corruption et d’abus de pouvoir. Tant du fait de l’Union européenne que des autorités locales, ses prérogatives ont été réduites au strict minimum à partir de 2019, retirant à Eulex ses compétences en matière de police judiciaire ou de douane. Elle semble défaillante sur ses attributions résiduelles, notamment en matière électorale – vous l’évoquez en pages 34 et 35 du rapport. Malgré tout, Eulex a vu son mandat renouvelé pour deux ans, en juin dernier. Pourriez-vous nous indiquer quels sont le rôle et l’intérêt de cette mission civile ?

Enfin, vous écrivez dans votre contribution, monsieur Petit, que « la France a d’importants atouts dans cette diplomatie des sociétés civiles [dont des] lycées français établis de chaque côté de la haine ». Je sais que vous utilisez parfois des expressions un peu originales, mais qu’entendez-vous par là ?

Mme Marine Hamelet, rapporteure. Que répondre au sujet de la Fondation Jean Jaurès qui, d’ailleurs, assume pleinement ses positions ? Permettez-moi de profiter de votre question pour remercier nos diplomates dont l’action dans ces deux pays en particulier, et plus généralement dans toute la zone des Balkans, est compliquée. Je pense que si la Fondation Jean Jaurès a tenu ce genre de propos, c’est lié au fait que ses volontés européistes sont de plus en plus en recul, aussi bien au Kosovo qu’en Serbie ; nous l’avons constaté sur place.

M. Pierre Pribetich, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur la qualification de la Fondation Jean Jaurès qui, au demeurant, produit d’excellentes analyses. Soyons lucides : soit vous voulez sortir par le haut et garantir la paix dans ce territoire, que ce soit grâce à la politique des petits pas mentionnée par notre collègue Jean-Louis Roumégas ou grâce aux accords de coopération évoqués par Frédéric Petit, soit vous laissez s’installer la pax mafia. Car la réalité, c’est que les trafics existent. Je veux bien que, pour des raisons idéologiques, vous ne souhaitiez pas que l’Union européenne joue un rôle. Néanmoins, la pax europaea est préférable à la pax mafia.

Nous avons visité plusieurs organismes militaires et de sécurité et la présence de ces instruments de sécurité doit au moins permettre de maîtriser la situation. Ce n’est pas la peine d’être grand clerc pour deviner que, si nous laissons les choses se faire, la situation risque de dégénérer rapidement. Par conséquent, si nous voulons que les Balkans aient un avenir, l’Europe doit s’impliquer davantage, ne pas laisser le champ libre à la Turquie et empêcher les États-Unis de s’emparer de certains marchés. Il vaut mieux qu’elle soit présente, responsable et qu’elle utilise les outils dont elle a la maîtrise pour ne pas laisser s’implanter des influences néfastes qui conduiraient à la pax mafia. J’y insiste, la pax europaea est préférable à la pax mafia.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Puisque vous parlez de pax mafia, permettez-moi d’ouvrir une courte parenthèse sur l’élection du président serbe au suffrage universel : elle est quand même contestée et les élections dans ce pays ne sont pas parfaitement libres et démocratiques, au sens où l’entend la Constitution française qui garantit l’expression de chaque citoyen. Sur ce sujet, la France a une position ; je suis libre d’en avoir une autre.

Pourquoi, me demandez-vous, ai-je écrit que des lycées français sont établis de chaque côté de la haine ? Laissez-moi prendre un autre exemple : nous venons d’homologuer un établissement laïc d’enseignement français à Jaffa, dans la commune israélienne de Tel Aviv, qui est une ancienne école chrétienne – implantée, par conséquent, en territoire arabe. Or je sais que pour être homologué établissement français, il faut constituer un comité de parents : le programme et la langue seuls ne suffisent pas. J’ai donc demandé au père salésien espagnol qui en assure la direction, comment il avait procédé : il m’a expliqué que cela avait été compliqué au départ, parce que l’établissement rassemble des juifs, des musulmans et des chrétiens, qui plus est dans la banlieue de Tel Aviv. Mais les parents ont finalement compris qu’il leur revenait de s’impliquer et les choses avancent depuis un an.

J’ai rencontré à cette occasion une enseignante française, responsable du cycle 1 et salariée locale, avec ses deux filles également scolarisées dans l’établissement. D’origine israélienne, elle a fait son alya. Elle m’a expliqué que si elle n’avait pas été enseignante dans cette école, elle serait repartie à Paris dès le 8 octobre. Elle est restée, parce qu’il y a une lueur d’espoir.

Nos établissements d’enseignement français sont donc aussi des outils de géopolitique des sociétés civiles. Notre rôle ne consiste pas simplement à déboucher les toilettes du lycée de Serbie ou à repeindre la cantine de celui au Kosovo mais à inculquer des valeurs communes à ceux qui sont situés de chaque côté de la haine et à les rassembler au sein d’un même réseau. Nous disposons des outils pour cela ; il suffit d’avoir un peu d’imagination et il n’est pas nécessaire d’engager beaucoup d’argent pour rapprocher les gens.

Mme Marine Hamelet, rapporteure. Frédéric Petit a évoqué les élections en Serbie et le problème démocratique qu’elles posent ; néanmoins, c’est aussi le cas au Kosovo et, plus généralement, dans l’ensemble des pays des Balkans. En Albanie, les élections du mois de mai dernier ont nécessité un recomptage qui a duré des mois et entraîné des difficultés, voire une impossibilité, à former un gouvernement. Ce problème est récurrent et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous nous opposons à l’élargissement de l’Europe aux pays des Balkans.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Vos interventions, très complémentaires, sont intéressantes car elles permettent d’aborder le sujet sous des angles différents et de se poser toutes les bonnes questions avant d’adopter une position définitive sur la difficile réconciliation entre la Serbie et le Kosovo.

Je souhaite, pour ma part, aborder d’autres questions. Sur quels principes communs construisons-nous nos relations, à la fois au niveau européen et au niveau national ? Qu’il s’agisse des sanctions envers la Russie, du soutien à l’Ukraine ou d’autres dossiers, que partageons-nous concrètement, au-delà des intérêts économiques ? Par ailleurs, ces derniers ne prévalent-ils pas un peu trop souvent et trop fortement sur notre volonté de promouvoir les valeurs françaises ou européennes ? Je pense notamment à la vente de douze avions de combat Rafale à la Serbie l’an dernier, sans aucune condition, ce qui pose bien sûr problème.

J’en viens au rôle de relais de l’influence russe que joue la Serbie en Europe, sur le plan diplomatique mais aussi par des actions de déstabilisation, comme l’ont montré l’affaire des têtes de cochon déposées devant des mosquées et celle des jets de peinture sur des synagogues. La Serbie fait également tout un travail diplomatique pour empêcher la reconnaissance du Kosovo dans des pays que je connais bien, comme les Comores et le Suriname, et dans d’autres que vous citez dans votre rapport.

Jean-Louis Roumégas a évoqué, d’une façon qu’on peut trouver émouvante, la société civile mais on sait ce qu’il en est des sportifs, par exemple. Djokovic fait de l’humour avec les supporters mais la belle image dont il jouit cache des opinions nationalistes extrêmement fortes. Qu’en est-il des entreprises, des artistes, des journalistes et des étudiants ? Les nationalistes engrangent des victoires électorales sur des bases qui ne sont pas celles de la réconciliation. Où sont donc les interlocuteurs crédibles ? Par ailleurs, utilisons-nous pleinement les leviers qui sont à notre disposition ? J’entends ce que dit Frédéric Petit au sujet des actions éducatives, qui sont une façon de s’inscrire dans le moyen ou le long terme, mais on peut avoir l’impression que cela n’ira pas assez vite pour enrayer l’évolution que vous avez tous décrite.

M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. Quand on se rend sur place, on s’aperçoit que la perspective européenne, qui aurait dû être un levier pour la normalisation des relations, n’a pas pleinement fonctionné. On pourrait donc se demander à quoi bon continuer. Je pense, néanmoins, que l’Europe doit à tout prix être présente. Dès qu’on lève les yeux dans les Balkans, on voit qu’on est entouré par l’Europe. La géographie parle d’elle-même et, au-delà des questions économiques, les sociétés, serbe comme kosovare, sont totalement européennes. Les populations ont des attentes qui sont manifestes : les think tanks et les mouvements de jeunes sont très clairs à cet égard.

En revanche, il y a une ambiguïté dans la position de l’Europe. Le fait que le président Macron vende des Rafale ne plaît pas spécialement aux jeunes, qui rêvent d’un soutien à la démocratie et à la transparence de la société et de l’information. Ceux qui manifestent tous les jours sont un peu déçus par le soutien apporté à des gens dont les positions leur paraissent figées et qu’ils jugent incapables de faire évoluer le pays. Il existe un hiatus entre la position des dirigeants, qui jouent du conflit et de sa non-résolution, et les attentes des populations. La France et l’Europe doivent continuer à être présentes, pour jouer un rôle positif à travers les échanges économiques mais aussi par les valeurs. C’est un tout.

Quand on va là-bas, il paraît totalement impossible qu’il n’y ait pas de relations avec la France et avec l’Europe. Même si l’une de nos collègues n’arrête pas de dire qu’elle n’est pas favorable à l’élargissement – on peut effectivement s’interroger sur le calendrier –, la France et l’Europe doivent être présentes.

M. Pierre Pribetich, rapporteur. Je suis parfaitement en phase avec ce qu’a dit Jean-Louis Roumégas. L’absence de l’Europe créé un vide et la nature a horreur du vide. On favorise ainsi les divergences.

Mme Voynet a raison : la diplomatie serbe est efficace. La reconnaissance du Kosovo est en chute libre : les Serbes courtisent certains pays, auprès desquels ils dépêchent des parlementaires en mission diplomatique.

Je suis favorable, depuis une décennie au moins, à l’élargissement de l’Union européenne et à l’intégration des ex-pays de la Yougoslavie. C’est la seule manière d’éviter que s’instaurent le vide et des systèmes mafieux. Notre absence risque de conduire à l’installation de régimes autoritaires, voire totalitaires.

Mme Marine Hamelet, rapporteure. Je ne suis pas entièrement d’accord avec vous, ce qui ne devrait surprendre personne. La présence de l’Europe ne signifie pas l’intégration et le principal sujet de préoccupation des personnes que nous avons rencontrées n’est pas l’Europe.

Par ailleurs, j’ai le sentiment que nous n’avons pas le même calendrier que ces pays – je parle des Balkans en général. Nous les pressons sans arrêt de faire ceci ou cela, ce qui produit l’effet inverse au sein de la population : on en demande tellement, dans des délais si courts, que beaucoup n’ont plus envie. Au-delà des jeunes et des think tanks que nous avons rencontrés, on commence à se dire que l’Europe, finalement, représente beaucoup de contraintes et d’obligations. Les gens n’y trouvent pas leur compte.

Mme Christine Engrand (NI). Le conflit entre la Serbie et le Kosovo reste l’un des plus épineux des Balkans : il a des répercussions directes sur la sécurité européenne et des événements récents montrent combien la situation demeure fragile. L’attaque de Banjska, qui a coûté la vie à un policier kosovar et à trois assaillants en septembre 2023, a marqué une étape inquiétante. Quarante-cinq personnes ont par la suite été mises en examen mais seules trois arrestations ont effectivement eu lieu, ce qui illustre bien le manque de coopération judiciaire entre Belgrade et Pristina, alors même que l’impunité nourrit les tensions.

Sur le plan international, le Kosovo revendique entre 110 et 119 reconnaissances de son indépendance mais reste confronté au refus de cinq États membres de l’Union européenne. Cette fracture interne complique l’efficacité de notre diplomatie commune. Par ailleurs, le maintien de 3 700 soldats de la KFOR montre la persistance d’un risque sécuritaire sérieux.

Comment la diplomatie parlementaire peut-elle contribuer concrètement à lever l’obstacle que représente le non-alignement de cinq États membres de l’Union européenne au sujet de la reconnaissance du Kosovo ? Face au poids d’acteurs extérieurs tels que la Russie, la Chine et les États-Unis, quelle place spécifique la France peut-elle occuper afin d’éviter l’instrumentalisation du dossier serbo-kosovar ?

M. Frédéric Petit, rapporteur. La question du travail parlementaire à l’intérieur de l’Union européenne, avec les Espagnols, par exemple, est assez intéressante. Nous en avons déjà un peu parlé tout à l’heure, à propos de l’APFA et des Biélorusses : nous avons besoin de réseaux parlementaires à l’intérieur de l’Union européenne, pour travailler ensemble sur ces questions, et pas seulement avec les pays concernés. En Afrique, monsieur le président, il faut effectivement y aller à deux, avec d’autres Européens.

Les investissements directs étrangers (IDE) de l’Union européenne au Kosovo s’élèvent à 2 milliards d’euros, contre 500 millions pour la Turquie. Je n’ai pas trouvé de chiffre exact pour la Chine mais je crois qu’il est également inférieur. Sur le plan des échanges, nous sommes les premiers, avec 41 % de parts de marché. Il y a des choses visibles, comme l’énorme centre Confucius de Belgrade, mais beaucoup de Français travaillent aussi là-bas.

J’ai bien aimé l’idée que l’Europe est tout autour. Je me sens dans l’Union européenne quand je vais là-bas, parce que les gens sont unis dans la diversité, depuis bien plus longtemps que nous. Ils vivent notre propre contradiction qui consiste à vouloir rester français tout en travaillant avec nos amis européens – même s’ils nous énervent, même s’ils ne sont pas pareils, même si nous sommes déphasés – et ils essaient de trouver des solutions.

Des problèmes se posent, bien sûr ; je ne suis pas un Européen naïf. Je vais vous raconter une anecdote : un jeune m’a demandé, dans la rue, comment il était possible de faire confiance à l’Union européenne alors que Mme von der Leyen appartient au même parti que M. Vučić. Le parti de M. Vučić, qui est un très vieux parti non-européen, mais européen tout de même, fait en effet partie du Parti populaire européen (PPE). Le Parti démocrate européen a marqué ses distances : notre secrétaire général a rencontré les partis d’opposition. Il existe aussi en Europe des gens qui, comme nous, sont capables de dire des choses fortes. Il est important de le souligner.

Un autre problème, que nous avons déjà un tout petit peu abordé, est celui de la mobilité. Les accords actuels ne prévoient rien en la matière. La question du retour des Serbes qui ne sont pas du Nord-Kosovo et dont les propriétés ont été rachetées n’a donc jamais été prise en compte. Les Serbes n’y touchent pas ; ils sont bloqués. Ils seraient déjà contents d’arriver à régler l’affaire, que vous connaissez, des quatre municipalités. Quant aux Kosovars, qui ont récupéré les terrains, ils n’en parlent évidemment pas. La solution ne peut passer que par la mobilité telle qu’on l’entend dans le cadre de la construction européenne.

M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. Il n’y aura pas de solution diplomatique rapide. La question qui se pose est la suivante : devons-nous continuer à être présents, à dialoguer, à avancer sur le chemin de l’Europe ou bien faut-il se désintéresser de ces territoires à cause de la persistance de conflits ? Sans l’Europe et sans la communauté internationale, les conflits auraient été beaucoup plus graves. Et vu la situation des Balkans, il est impossible de se désintéresser de cette région, pour des raisons géopolitiques, de même qu’on ne peut pas se désintéresser de ce que fait la Turquie : il y va de la paix dans le monde et de l’équilibre des forces. Par ailleurs, les sociétés concernées sont extrêmement réceptives. Il faut donc avancer. Le conflit se résoudra grâce à un changement de génération, en Serbie comme au Kosovo.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je commencerai par un mot de solidarité avec la jeunesse serbe, qui se soulève depuis presque un an. L’effondrement du toit de la gare de Novi Sad a été le symbole physique du fait que la corruption peut tuer. Une bonne partie de l’argent public n’a pas été utilisée pour rénover les infrastructures et améliorer la vie des Serbes : il a certainement été capté, en grande partie, par les dirigeants du pays. Par ailleurs, le mouvement de révolte de la jeunesse serbe s’inscrit dans un mouvement plus large qu’on retrouve aussi à Madagascar, au Pérou ou au Népal. La génération Z se lève un peu partout pour dire son ras-le-bol de la corruption et son envie d’un autre monde.

Je salue votre initiative, monsieur le président, de lancer des missions opérationnelles qui permettent à notre Parlement d’être dans l’action mais je m’interroge sur la capacité de la France à être vraiment un pays crédible pour ce qui est de la médiation entre la Serbie et le Kosovo. En 1999, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a bombardé la Serbie sans mandat de l’ONU, sans résolution du Conseil de sécurité mais sous l’impulsion des États-Unis, sans qu’on sache exactement pourquoi les Américains avaient changé de position d’une manière aussi brutale. Je comprends que vous n’avez pas pu aller en Serbie, à cause des événements…

M. Frédéric Petit, rapporteur. Si, nous y sommes allés en juillet.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Au temps pour moi. Nous pouvons mener, en tant que parlementaires, une diplomatie différente de celle du gouvernement mais la France est pleinement partie prenante de l’OTAN. Je ne sais pas si les Serbes sont extrêmement réceptifs, compte tenu de l’histoire, que j’ai rappelée, à l’idée d’une médiation de notre pays.

Par ailleurs, presque la moitié des pays membres de l’ONU ne reconnaissent pas encore le Kosovo, notamment la Russie, la Chine et cinq États membres de l’Union européenne, dont l’Espagne et la Grèce. La France ne serait-elle pas plus crédible quand il est question de mener une médiation dans cette région, et dans bien d’autres régions d’ailleurs, si elle n’était pas membre de l’OTAN ? J’aimerais que vous nous disiez comment le message français est perçu.

Je ne pense pas qu’on puisse confondre la question de la présence de la France et de l’Europe avec celle de l’adhésion à l’Union européenne. Il faut évidemment s’intéresser à ce qui se passe dans les Balkans et à la manière dont nous pouvons, modestement, contribuer à rénover la relation entre la Serbie et le Kosovo. Mais que peut apporter, concrètement, l’Union européenne ? On parle d’Europe des valeurs mais, quand l’Europe n’est pas capable de dénoncer le génocide à Gaza, qu’elle se ferme lorsque les réfugiés arrivent et qu’elle laisse faire Viktor Orbán, je ne sais pas quelles valeurs elle défend réellement. Je sais, en revanche, quelles sont les valeurs universelles de la France.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Je pense que vous faites pas mal de contresens. La France est aimée en Serbie. On trouve une référence à notre pays dans toutes les maisons et les campagnes serbes, et jusque dans une chanson qu’on chante aux enfants. Ce que vous avez dit est une erreur historique : les Serbes se définissent, depuis un siècle, comme des compagnons d’armes des Français.

S’agissant de l’OTAN, nous ne sommes pas le pouvoir exécutif et nous ne siégions pas à cette époque, mais je rappelle quand même que le bombardement dont vous parlez ne visait pas un pays au hasard. Les Serbes, et ils ont été condamnés pour cela, commettaient à l’égard des Albanais du Kosovo un massacre que nous n’arrivions pas à arrêter. Quand certains Serbes disent que ce qui se passe actuellement dans le Nord du Kosovo est exactement ce qu’ils ont fait eux-mêmes en sens inverse, cela revient à reconnaître le passé. Les bombes qui sont tombées étaient une manière de dire qu’il fallait arrêter.

Vous pouvez contester ce qui a été fait à l’époque, et c’était évidemment un événement qui a marqué l’opinion publique serbe – cela explique leur refus d’adhérer à l’OTAN –, mais je ne vois pas en quoi le fait que la France fasse partie de cette organisation l’empêcherait d’être présente et appréciée. Je rappelle que c’est une entreprise française qui a sauvé le Danube, menacé par trente ans de déchets accumulés : ils servent aujourd’hui à chauffer le centre de Belgrade. Nous sommes là ; beaucoup de choses se font, au-delà des chambres de commerce et des lycées. La situation n’est pas restée figée et, du reste, on n’avance pas en regardant, comme vous le faites, dans son rétroviseur.

M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. Les débats sur l’Europe à l’intérieur de l’Europe, en particulier en France, ne sont pas vraiment compréhensibles, à tort ou à raison – je pense que c’est à raison – dans ces pays, qui sont les marches de l’Europe. Je l’ai vu en Moldavie comme dans les Balkans. Pour la population – je ne parle pas des politiques –, l’Europe reste un phare en matière de liberté d’expression, de démocratie et de défense du droit international, malgré les contradictions des dirigeants européens. Il ne faut pas négliger cette réalité, ni confondre les sociétés civiles et le jeu des politiques locaux. Nous devons poursuivre les échanges culturels et politiques et développer notre présence, tout en gardant la perspective de l’intégration européenne, par étapes, évidemment – cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Cette perspective est mobilisatrice et plutôt vertueuse. C’est une évidence quand on rencontre la société civile.

Mme Marine Hamelet, rapporteure. Il n’a pas encore été question de la situation des Serbes au Nord du Kosovo, où nous nous sommes rendus. Nous avons constaté qu’elle était assez catastrophique ; je pense que nous serons tous d’accord sur ce point. Les populations serbes sont contraintes de quitter le Kosovo en raison de l’emprise qui s’y exerce. Frédéric Petit a dit qu’il n’y avait pas de viols mais nous avons entendu le contraire à plusieurs reprises. Les femmes hésitent à porter plainte, surtout quand elles doivent s’adresser à des policiers kosovars, mais beaucoup d’exactions ont lieu. Tout est fait pour rendre la vie impossible et faire en sorte que les gens désertent. Si rien ne se passe, l’intégralité de la population serbe du Kosovo va partir. Il faut faire quelque chose.

Pour le reste, la France a toute sa place là-bas, bien sûr.

M. Pierre Pribetich, rapporteur. Je ne partage pas la même vision mais nous en avons déjà parlé. Vos propos sont excessifs. J’ignore s’il y a des réalités derrière ce que vous évoquez – un ou deux cas correspondent peut-être à ce que vous dites – ; la pression visant à faire partir les Serbes du Kosovo est plus sociale et politique, mais elle est énorme. Les autorités font du nettoyage ethnique, social, sociétal et politique. Je pense, toutefois, que les Kosovars sont conscients qu’ils devront sortir de la situation actuelle.

Il est urgent que nous nous mêlions de cette question. Tout cela se passe, je le rappelle, à deux heures, en avion, de nos frontières. La vente de Rafale – j’ai eu l’occasion de poser une question à ce sujet à un ministre des armées qui s’appelait, de mémoire, Sébastien Lecornu – ne s’explique pas dans un contexte où notre présence doit d’abord permettre d’apaiser la situation. Nous devons multiplier les liens pour éviter un vide qui peut conduire à des tensions politiques et à des affrontements, car tout peut dégénérer. Il est urgent de faire de la diplomatie parlementaire et de convaincre notre gouvernement et l’Europe d’être présents, pour éviter le pire.

M. le président Bruno Fuchs. Merci à nos quatre rapporteurs pour leur travail.

Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information qui lui a été présenté sous la forme d’une communication des participants à cette mission opérationnelle.

 

 


   Annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par la dÉlÉgation de la commission

 

Mercredi 5 mars 2025

S.E. M. Mehdi Halimi, ambassadeur du Kosovo en France ;

M. Xhevdet Grainca, consul du Kosovo à Paris ;

S.E. Mme Ana Hrustanović, ambassadrice de Serbie en France ;

Mme Aleksandra Nikolic Ristovojevic, secrétaire à l’ambassade de Serbie en France.

Mardi 11 mars 2025

M. Sébastien Gricourt, co-directeur de l’observatoire des Balkans à la fondation Jean Jaurès, conseiller aux affaires européennes auprès du vice-premier ministre du Kosovo ;

M. Florent Marciacq, chercheur associé à l’institut français des relations internationales et secrétaire général adjoint au centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe.

Mercredi 12 mars 2025

Mme Marguerite Costa de Beauregard, sous-directrice de l’Europe balkanique au ministère de l’Europe et des affaires étrangères ;

M. Vladimir Deliry, rédacteur Kosovo à la direction de l’Europe continentale du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.  

Déplacement au Kosovo du 7 au 10 avril 2025

S.E. M. Olivier Guérot, ambassadeur de France au Kosovo ;

M. Marc Ivarra, premier conseiller à l’ambassade de France au Kosovo ;

M. Xavier Rouard, second conseiller à l’ambassade de France au Kosovo ;

M. Glauk Konjufca, président du Parlement du Kosovo ;

Mme Vjosa Osmani-Sadriu, présidente de la République du Kosovo ;

Mme Mélanie Malinvaud, représentante du Kosovo et de la Macédoine du Nord au sein du bureau des Balkans occidentaux de l’agence française de développement ;

M. Louis Boisgibault, expert technique international auprès d’expertise France ;

M. Lumir Abdixhiku, président de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) ;

M. Giovanni Pietro Barbano, chef de la mission État de droit de l’Union européenne au Kosovo (EULEX Kosovo) ;

M. Albin Kurti, premier ministre du Kosovo ;

M. Jeton Zulfaj, conseiller politique du premier ministre ;

M. Eugen Cakolli, chercheur au sein du Kosova Democratic Institute/Transparency International Kosova ;

M. Lulzim Peci, directeur exécutif du Kosovar Institute for Policy Research and Development (KIPRED) ;

Mme Serbeze Haxhiaj, journaliste à la RTK et correspondante du Courrier du Kosovo à Pristina ;

M. Enrico Barduani, commandant de la force intérimaire de sécurité des Nations unies au Kosovo (KFOR) ;

M. Memli Krasniqi, président du Parti démocratique du Kosovo (PDK) ;

M. Miodrag Milicevic, directeur exécutif de l’organisation non gouvernementale Aktiv et représentant de la société civile serbe au Kosovo ;

Mme Jovana Radosavljevic, directrice exécutive de l’organisation de représentation de la société civile New social initiative (NSI) et représentante de la société civile serbe au Kosovo ;

M. Miki Marinkovic, directeur du Center for Affirmative Social Actions (CASA) et représentant de la société civile serbe au Kosovo ;

M. Dusan Radakovic, directeur exécutif du centre de défense de la culture démocratique et représentant de la société civile serbe au Kosovo ;

M. Dragan Jočić, représentant de la société civile serbe au Kosovo ;

Monseigneur Teodosije, évêque du monastère de Gracanica ;

M. Budimir Nicic, journaliste au Media Center ;

M. Isak Vorgucic, journaliste et directeur de Radio Kim ;

M. Goran Avramovic, rédacteur en chef de Radio Kim.

Déplacement en Serbie du 30 juin au 4 juillet 2025

M. Fatih Akcal, premier conseiller à l’ambassade de France en Serbie ;

M. Olivier Buchbinder, conseiller politique à l’ambassade de France en Serbie ;

M. Nicolas Thiriet, conseiller politique intérieure et presse à l’ambassade de France en Serbie ;

M. Stanislas Pierret, conseiller de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France en Serbie, et directeur de l’Institut français de Serbie ;

M. Simon Schoonbroodt, responsable de l’antenne de l’Institut français de Novi Sad ;

Mme Ana Brnabic, présidente de l’Assemblée nationale de Serbie ;

Mme Jadranka Jovanovic, députée et présidente du groupe d’amitié Serbie-France ;

M. Edin Djerlek, député et vice-président du groupe d’amitié Serbie‑France ;

M. Milovan Drecun, député et membre du groupe d’amitié Serbie‑France ;

Mme Natasa Jovanovic, députée et membre du groupe d’amitié Serbie‑France ;

Mme Marija Zdravkovic, députée et membre du groupe d’amitié Serbie‑France ;

Mme Marina Ragus, députée, présidente de la commission des affaires étrangères et vice-présidente de l’Assemblée nationale serbe ;

Mme Dunja Simonovic Bratic, députée et membre de la commission des affaires étrangères ;

M. Dragan Markovic, député et membre de la commission des affaires étrangères ;

Mme Tanja Radjenovic, députée et membre de la commission des affaires étrangères ;

M. Dobrica Veselinovic, député et membre de la commission des affaires étrangères ;

Mme Danijela Nikolic, députée et présidente de la commission sur le Kosovo et la Métochie ;

M. Aleksandar Pavic, député et membre de la commission sur le Kosovo et la Métochie ;

M. Goran Rakic, député et membre de la commission sur le Kosovo et la Métochie ;

M. Ugljesa Markovic, député et membre de la commission sur le Kosovo et la Métochie ;

Mme Milena Mihajlovic, co-fondatrice et directrice de programme au Centre for European Policy ;

Mme Strahinja Subotic, directrice de programme au Centre for European Policy ;

M. Vukasin Milicevic, théologien et prêtre orthodoxe ;

M. Natan Albahari, ancien député et membre de la présidence du mouvement des citoyens libres ;

M. Jozsef Pandur, représentant spécial de l’Union européenne (RSUE) en Serbie ;

Mme Dominika Krois, représentante et directrice du bureau des Nations Unies à Belgrade ;

Mme Carolina Hidea, directrice par intérim de la mission de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Serbie ;

M. Marko Savkovic, analyste politique et conseiller de l’International and Security Affairs Centre ;

M. Miodrag Milicevic, directeur exécutif de l’organisation non gouvernementale Aktiv ;

M. Dragisa Mijavic, directeur exécutif de l’Institut pour le développement économique territorial (InTEr) ;

M. Milan Igrutinovic, chercheur associé à l’Institut des études européennes de Belgrade ;

Mme Jovana Spremo, directrice du plaidoyer au Comité des avocats pour les droits de l’homme ;

M. Branislav Grubacki Guta, fondateur du mouvement Novi Optimizam ;

M. Srdjan Cvijic, analyste à l’Open Society Foundation et membre du Balkans in Europe Policy Advisory Group ;

M. Marko Djuric, ministre des affaires étrangères de la Serbie ;

M. Borko Stefanovic, député et membre de la commission des affaires étrangères ;

M. Pavle Grbonovic, député et président du Mouvement des citoyens libres (PSG) ;

M. Radomir Lazovic, député et membre du groupe d’amitié Serbie‑France ;

Mme Ana Jakovljevic, députée et vice-présidente du mouvement populaire pour la Serbie ;

M. Stefan Janjic, député et membre du groupe d’amitié Serbie-France ;

M. Srdjan Milivojevic, député et président du Parti démocrate ;

M. Marko Aleksic, directeur du Bureau de coordination de négociation avec Pristina.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


—  1  —

 

 

   Annexe n° 2 : PROPOSITION FRANCO-ALLEMANDE AYANT servi de fondement À L’ACCORD de bruxelles-ohriD du 27 février 2023

Article 1

Le Kosovo et la Serbie développeront entre eux des relations normales et de bon voisinage, fondées sur l’égalité des droits.

Article 2

Le Kosovo et la Serbie seront guidés par leurs aspirations mutuelles à l’adhésion à l’UE.

Article 3

Conformément aux ASA [accords de stabilisation et d’association] signés par les deux parties, le Kosovo et la Serbie régleront leurs différends exclusivement par des moyens pacifiques et s’abstiendront de recourir à toute menace ou usage de la force.

Elles réaffirment l’inviolabilité, aujourd’hui et à l’avenir, de la frontière/séparation existant entre elles et s’engagent à respecter pleinement l’intégrité territoriale de l’autre.

Article 4

Le Kosovo et la Serbie partent du principe qu’aucune des deux parties ne peut représenter l’autre dans la sphère internationale ni agir en son nom.

La Serbie ne s’opposera pas à l’adhésion du Kosovo à une quelconque organisation internationale.

Article 5

Le Kosovo et la Serbie favoriseront les relations pacifiques dans les Balkans occidentaux et contribueront à la sécurité régionale et à la coopération en Europe.

Article 6

Le Kosovo et la Serbie agissent dans le respect mutuel de la juridiction de chaque partie.

 

 

Article 7

Le Kosovo et la Serbie se déclarent prêts à régler les questions pratiques et humanitaires dans le cadre du processus de normalisation de leurs relations. Ils concluent des accords en vue de développer et de promouvoir, sur la base de ce Traité et dans leur intérêt mutuel, la coopération dans les domaines de l’économie, de la science et de la technologie, des transports, des relations judiciaires, des postes et télécommunications, de la santé, de la culture, du sport, de la protection de l’environnement et d’autres domaines. Les détails ont été établis dans le Protocole additionnel.

Article 8

Le Kosovo et la Serbie échangent des missions permanentes. Elles sont établies au siège du gouvernement respectif.

Les questions pratiques relatives à l’établissement des missions sont traitées séparément.

Article 9

Le Kosovo et la Serbie conviennent que ce Traité n’affecte pas les traités et accords internationaux bilatéraux et multilatéraux déjà conclus par eux-mêmes ou les concernant.

 


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   ANNEXE N° 3 : L’accord de bruxelles-ohrid
du 27 février 2023

The Contracting Parties,

Conscious of their responsibility for the preservation of peace,

Committed to contribute to fruitful regional co-operation and security in Europe and to overcome the legacy of the past,

Aware that the inviolability of frontiers and respect for territorial integrity and sovereignty and the protection of national minorities are a basic condition for peace,

Proceeding from the historical facts and without prejudice to the different view of the Parties on fundamental questions, including on status questions,

Desirous to create the conditions for cooperation between the Parties for the benefit of the people,

Have agreed as follows:

Article 1

The Parties shall develop normal, good-neighbourly relations with each other on the basis of equal rights.

Both Parties shall mutually recognise their respective documents and national symbols, including passports, diplomas, licence plates, and customs stamps.

Article 2

Both Parties will be guided by the aims and principles laid down in the United Nations Charter, especially those of the sovereign equality of all States, respect for their independence, autonomy and territorial integrity, the right of self-determination, the protection of human rights, and non-discrimination.

Article 3

In conformity with the United Nations Charter, the Parties shall settle any disputes between them exclusively by peaceful means and refrain from the threat or use of force.

 

Article 4

The Parties proceed on the assumption that neither of the two can represent the other in the international sphere or act on its behalf.

Serbia will not object to Kosovo’s membership in any international organisation.

Article 5

Neither Party will block, nor encourage others to block, the other Party’s progress in their respective EU path based on their own merits. Both Parties shall respect the values referred to in Articles 2 and 21 of the Treaty of the European Union.

Article 6

While the present Agreement constitutes an important step of normalization, both Parties will continue with new impetus the EU-led Dialogue process which should lead to a legally binding agreement on comprehensive normalization of their relations.

The Parties agree to deepen future cooperation in the fields of economy, science and technology, transport and connectivity, judicial and law enforcement relations, posts and telecommunications, health, culture, religion, sport, environmental protection, missing persons, displaced persons and other similar areas through the conclusion of specific agreements.

The details will be agreed in additional agreements facilitated by the EU-led Dialogue.

Article 7

Both Parties commit to establish specific arrangements and guarantees, in accordance with relevant Council of Europe instruments and by drawing on existing European experiences, to ensure an appropriate level of self-management for the Serbian community in Kosovo and ability for service provision in specific areas, including the possibility for financial support by Serbia and a direct communication channel for the Serbian community to the Government of Kosovo.

The Parties shall formalise the status of the Serbian Orthodox Church in Kosovo and afford strong level of protection to the Serbian religious and cultural heritage sites, in line with existing European models.

Article 8

The Parties shall exchange Permanent Missions. They shall be established at the respective Government’s seat.

Practical questions relating to the establishment of the Missions shall be dealt with separately.

Article 9

Both Parties take note of the EU’s and other donors’ commitment to establish a special investment and financial support package for joint projects of the Parties in economic development, connectivity, green transition and other key areas.

Article 10

The Parties shall establish a joint Committee, chaired by the EU, for monitoring the implementation of this Agreement.

Both Parties confirm their obligation to implement all past Dialogue agreements, which remain valid and binding.

Article 11

Both Parties commit to respect the Implementation Roadmap annexed to this Agreement.

 


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Annexe n° 4 : ANNEXE sur la MISE EN ŒUVRE À L’ACCORD de bruxelles-OHRID, PUBLIÉE LE 18 MARS 2023

Cette annexe fait partie intégrante de l’accord.

Le Kosovo et la Serbie s’engagent pleinement à respecter tous les articles de l’accord ainsi que cette annexe, et à mettre en œuvre toutes leurs obligations respectives découlant de l’accord et de cette annexe rapidement et de bonne foi.

Les parties prennent note que l’accord et l’annexe de mise en œuvre feront partie intégrante des processus respectifs d’adhésion à l’Union européenne (UE) pour le Kosovo et la Serbie. Les Parties notent qu’immédiatement après l’adoption de l’accord et de cette annexe, le facilitateur de l’UE entamera le processus d’amendement des critères du chapitre 35 pour la Serbie afin de refléter les nouvelles obligations de la Serbie découlant de l’accord et de cette annexe. L’ordre du jour du groupe spécial de normalisation pour le Kosovo reflétera également les nouvelles obligations du Kosovo découlant de l’accord et de cette annexe.

Les parties conviennent d’approuver la déclaration sur les personnes disparues, telle que négociée dans le cadre du dialogue facilité par l’UE, comme une question d’urgence.

Pour mettre en œuvre l’article 7, le Kosovo lance immédiatement des négociations dans le cadre du dialogue facilité par l’UE en vue d’établir des arrangements et garanties spécifiques pour assurer un niveau approprié d’autogestion pour la communauté serbe au Kosovo, en conformité avec les accords de dialogue précédents pertinents, tels que déterminés par le Facilitateur de l’UE.

Les parties conviennent de créer un comité de suivi conjoint, présidé par l’UE, dans un délai de 30 jours. La mise en œuvre de toutes les dispositions sera assurée et supervisée par le Comité de suivi conjoint.

Pour mettre en œuvre l’article 9, l’UE organisera une conférence de donateurs dans un délai de 150 jours afin de mettre en place un programme d’investissement et d’aide financière pour le Kosovo et la Serbie. Aucun versement n’aura lieu avant que l’UE ne détermine que toutes les dispositions de l’accord ont été pleinement mises en œuvre.

Le Kosovo et la Serbie conviennent que tous les articles seront mis en œuvre indépendamment les uns des autres.

L’ordre des paragraphes de cette annexe ne préjuge pas de l’ordre de leur mise en œuvre.

Le Kosovo et la Serbie conviennent de ne pas bloquer la mise en œuvre d’aucun des articles.

Toutes les discussions liées à la mise en œuvre de l’accord auront lieu dans le cadre du dialogue facilité par l’UE.

Le Kosovo et la Serbie reconnaissent que tout manquement à leurs obligations découlant de l’accord, de cette annexe ou des accords de dialogue précédents pourrait avoir des conséquences négatives directes sur leurs processus respectifs d’adhésion à l’UE et sur les aides financières qu’ils reçoivent de l’UE.

 


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   Contribution complémentaire portée à titre personnel par M. Frédéric Petit, député de la 7ème circonscription des Français établis à l’étranger (Allemagne, Europe centrale et Balkans)

Les Balkans sont l’avenir de l’Union européenne. Ces pays qui constituaient l’ancienne Yougoslavie se posent aujourd’hui les mêmes questions que celles qui traversaient les membres fondateurs de l’UE, hier : peut-on construire des lendemains communs en s’unissant à son ennemi d’hier ? Sur quels sujets avancer ? À quel rythme ? De la réponse à ces questions dépend sans doute la pertinence de la réponse que nous avons apportée ici. Faut-il rappeler qu’au moment où Français et Allemands décident de s’engager dans la construction européenne, la Sarre est encore française ?

Dans sa stratégie pour les Balkans occidentaux lancée en 2019, déjà, la France reconnaissait qu’une grande partie de l’avenir et de la cohésion européenne se joue dans les Balkans. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que le contexte géopolitique a profondément changé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, en 2022 et davantage encore depuis l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche. L’Europe ne peut plus compter désormais sur son allié américain face à l’impérialisme du Kremlin de plus en plus menaçant. Elle a un impérieux et urgent besoin de sécuriser son flan Est en intégrant les pays des Balkans, et donc, la Serbie et le Kosovo.

Les poches de conflits encore existantes entre les deux entités serbes et kosovares, ne sont pas insurmontables : les deux nations partagent des lieux d’histoire commune ; lors de notre mission, nous avons pu visiter Mitrovica, où les Serbes du Kosovo subissent certes des provocations, voire connaissent le harcèlement, mais ils ne sont pas en état de siège, ni même menacés d’exactions ou de crimes. En réalité, le conflit est non seulement largement instrumentalisé, mais également maintenu sur le feu de manière artificielle, des deux côtés, répondant de facto à des enjeux de politique intérieure et de compétition électorale ou de lutte de pouvoir à court terme.

Boycotter les élections municipales dans ces municipalités, sous prétexte de la fragilité et du délai des engagements du gouvernement Kosovar était une erreur, mais c’était tout aussi préjudiciable d’en valider les résultats sous prétexte de « constitutionnalité » et de prendre en otage les électeurs qui avaient été poussés au boycott.

Bien plus préoccupants sont les vrais sujets dont on ne parle pas ou peu, cachés derrière des lieux communs et les divisions soi-disant irréductibles que certains ont plaisir à monter en épingle. Que l’on soit officiellement membre, comme la Bulgarie ou la Croatie, ou simplement candidat à l’adhésion, le rôle de l’Union européenne, et c’est la première de ses valeurs, est d’œuvrer à la résolution des conflits par le haut, par la mise en commun d’enjeux stratégiques et vitaux pour la jeunesse, pour les sociétés civiles. Plutôt que de compter les virgules dans les statuts de la fameuse association des municipalités, il est urgent de s’occuper par exemple du retour des Serbes, ceux qui y étaient installés depuis des générations, dans tout le Kosovo ; de s’attaquer de concert au fléau du grand banditisme qui défie les autorités tant kosovares que serbes, voire même internationales, en jouant sur les zones grises du droit et des frontières.

Il revient à l’Europe d’anticiper ces situations et de proposer dès maintenant les réponses adéquates, à même de fédérer les sociétés civiles et les « libérer » des vieilles querelles. La France a d’importants atouts dans cette diplomatie des sociétés civiles : lutte contre les armes de petits calibres, lycées français établis de chaque côté de la haine, coopération anti-mafia, soutien au RYCO, qui est aux Balkans ce que l’OFAJ a représenté dans la réconciliation franco-allemande.


([1]) Ushtria Çlirimtare e Kosovës, soit l’Armée de libération du Kosovo, organisation paramilitaire qui a combattu pour l’indépendance du Kosovo.

([2]) « Serbia-Kosovo relations : confrontation and normalisation », Parlement européen, briefing, 12 février 2019.

([3]) Le mandat initial de la mission EULEX couvre deux objectifs opérationnels : un objectif de suivi, d’encadrement et de conseil, pour apporter son soutien aux institutions du Kosovo chargées de faire respecter l’État de droit et le dialogue entre Belgrade et Pristina, et un objectif exécutif visant à soutenir les décisions judiciaires en matière de justice constitutionnelle et de justice civile, à engager des poursuites et à statuer dans certaines affaires pénales. Le 8 juin 2018, le Conseil a décidé de recentrer le mandat de la mission et de mettre un terme au volet exécutif judiciaire d’EULEX pour ne conserver que la seule mission « État de droit » (EULEX KOSOVO).

([4]) Décision (PESC) 2025/1161 du Conseil.

([5]) Au cours de la guerre du Kosovo (1998-1999), plusieurs milliers de personnes, principalement issues de minorités ethniques, ont été déplacées au sein du territoire kosovar ou ont fui vers d’autres territoires de l’ex-Yougoslavie. Si beaucoup sont revenues, certaines demeurent aujourd’hui encore réfugiées ou déplacées, parfois sans logement permanent à l’intérieur ou à l’extérieur du Kosovo.

([6]) Ces difficultés sont, par exemple, rapportées dans le Memorandum following the Commissioner’s mission to Kosovo from 30 May to 3 June 2022 de la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, publié le 18 octobre 2022 : https://rm.coe.int/1680a88e42

([7]) « Serbie et Kosovo : un accord historique qui trace la voie à des avancées décisives dans leurs perspective européennes », communiqué de presse de la Commission européenne, 22 avril 2013. Consultation en ligne : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/api/files/document/print/fr/ip_13_347/IP_13_347_FR.pdf

([8]) « Serbie et Kosovo : l’ambiguïté constructive », compte rendu du déplacement du groupe interparlementaire d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat en Serbie et au Kosovo entre le 16 et 20 septembre 2013.

([9]) Nom de l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine dirigée par Milorad Dodik. Suite à sa condamnation, le 26 février 2025, à six ans d’interdiction d’exercer un mandat public et à un an de prison, Dodik a plongé le pays dans une grave crise politique et constitutionnelle en multipliant les initiatives et mesures visant à une sécession pacifiste de la Republika Srpska du reste du pays.

([10]) Le processus de coopération en Europe du Sud-Est (SEECP) constitue, depuis le lancement de cette initiative en 1996, la seule forme de coopération issue de l’Europe du Sud-Est, regroupant les pays de la région c’est‑à‑dire l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, le Kosovo, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie, la Slovénie, la Roumanie et la Turquie. Depuis 2008, le dispositif de la coopération régionale a été revalorisé du point de vue institutionnel par la mise en place du conseil de coopération régionale dont le secrétariat siège à Sarajevo et constitue le volet opérationnel de SEECP. L’objectif de cette instance, qui dispose aussi d’un bureau de liaison à Bruxelles, est de promouvoir la coopération régionale spécialisée à travers la mise en œuvre des programmes régionaux dans six domaines prioritaires (croissance économique et sociale, infrastructures, sécurité, justice et affaires intérieures, développement des ressources humaines et coopération parlementaire).

([11]) Milan Radoičić est notamment soupçonné d’avoir organisé l’attaque du 24 septembre 2023 contre la police du Kosovo, qui a fait un mort et deux blessés.

([12]) Ces termes sont ceux retenus, le 5 août 2025, par le tribunal de première instance de Pristina qui a condamné Igor Popović à six mois de prison. Cette peine sanctionne sa prise de position lors d’un discours prononcé le 18 juillet 2025 à Hoçë e Madhe, dans lequel il a notamment qualifié l’Armée de libération du Kosovo d’« organisation terroriste ».

([13]) « Ce que nous enseigne le conflit avec la Serbie au Kosovo sur notre souveraineté », Hysamedin Feraj et Elvis Hoxha, fondation Jean Jaurès, 5 septembre 2024.

([14]) La Serbie nie son implication et a proposé sa coopération à l’enquête. Aucune information ne permet à ce stade d’incriminer les autorités serbes.

([15]) Selon les informations transmises à la délégation par la commission du Parlement serbe pour le Kosovo et la Métochie, 654 attaques auraient été perpétrées contre les Serbes du Kosovo, dont 33 contre des enfants. La délégation n’a pas pu vérifier ces informations qui n’ont pas été corroborées par d’autres sources.

([16]) Certains interlocuteurs en Serbie ont fait état de viols qui auraient été commis par des policiers kosovars contre des jeunes filles et des femmes d’origine serbe. Ces informations n’ont pas été transmises à la délégation par les Serbes du Kosovo rencontrés en territoire kosovar et n’ont pas pu être vérifiées.  

([17]) S’y ajoute la mort de sept journalistes kosovars albanais et de trois journalistes allemands d’après les informations rapportées à la délégation.

([18]) La délégation aurait souhaité rencontrer des membres du parti Srpska Lista mais ceux-ci n’ont pas souhaité donner suite à sa demande d’entretien.

([19]) À ce jour, 117 États reconnaissent l’indépendance du Kosovo, dont la France, les États-Unis, le Canada, vingt-deux États membres de l’Union européenne, le Japon et la Turquie.

([20]) Le Quint désigne le groupe formé par la France, la République fédérale d’Allemagne, l’Italie, le Royaume‑Uni et les États-Unis.

([21]) Membre (1959) puis secrétaire de la ligue des communistes de Yougoslavie (LCY) à partir de 1987, il fonde et préside, après l’éclatement de cette dernière en janvier 1990, le parti socialiste de Serbie. Président de la République de Serbie (1990-1997) puis de la République fédérale de Yougoslavie (1997-2000), il mène une politique fondée sur l’exaltation du nationalisme serbe. Inculpé en 1999 par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre en raison de la politique de terreur et de violences menée à l’encontre des civils albanais au Kosovo, il est poursuivi dans son pays pour abus de pouvoir et malversations financières, incarcéré puis transféré au TPIY en juin 2001. Il est successivement inculpé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour son rôle dans la guerre en Croatie (1991-1992) et de génocide pour sa responsabilité dans la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992‑1995). L’ouverture de son procès (février 2002) – le premier depuis ceux de Nuremberg et de Tokyo à juger un ancien chef d’État devant une cour internationale – marque une étape importante de l’application du droit international, n’empêchant pas sa réélection à l’Assemblée serbe en 2003. Il meurt toutefois en détention, peu avant le terme du procès. Source : notice biographique du dictionnaire Larousse.

([22]) « Poll shows Serbians divided over Kosovo », Fonet, 17 août 2022.

([23]) Il est à noter que l’Église orthodoxe serbe du Kosovo est très opposée à cette solution qui aboutirait à sa marginalisation.

([24]) Rappelons que c’est une administration démocrate qui a participé à l’intervention de l’OTAN en 1999 et reconnu l’indépendance du Kosovo en 2008.

([25]) Les relations entre la Serbie et la Chine ont été renforcées par le bombardement de l’OTAN en 1999, lequel a détruit l’ambassade de Chine à Belgrade. Cet événement est utilisé dans le narratif pro-BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en Serbie comme le signe d’une communauté de destin entre Belgrade et Pékin. Entre 2009 et 2021, la Chine a investi 32 milliards d’euros dans les Balkans occidentaux, dont près d’un tiers (10,3 milliards d’euros) en Serbie. Depuis 2021, Pékin est même le principal investisseur étranger et le deuxième partenaire commercial de la Serbie. L’influence de Pékin en Serbie s’est intensifiée depuis la pandémie de 2020 après que la Chine a fourni une aide médicale significative à Belgrade, l’Allemagne ayant interdit toute exportation d’équipements de protection vers le pays. La diplomatie chinoise poursuit deux objectifs concrets dans la région. Le premier est le maintien du contrôle exercé par Pékin sur les ressources minières, en particulier le cuivre et l’or en Serbie. En plus d’être lucratif, il permet à la Chine de priver l’Union européenne de ressources stratégiques localisées dans son environnement proche, tout en consolidant ses réseaux dans le pays. Le second est la pénétration du marché européen des infrastructures, en particulier dans le secteur ferroviaire à grande vitesse. Le cas du corridor X, programme européen qui doit relier la Grèce à l’Autriche, en est révélateur. En Serbie, la Chine est parvenue à imposer ses normes de construction sur le segment Belgrade-Novi Sad, qu’elle a financé, et pourrait soumettre sa candidature pour un appel d’offres financé par l’Union sur le segment reliant Belgrade à la Macédoine du Nord.

([26]) La résolution 78/282 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 23 mai 2024, fait du 11 juillet la Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995.

([27]) Richard Grenell a publié sur son compte X, le 7 février 2025, un message agressif à l’encontre du premier ministre kosovar: « Delusional. Relations have never been lower. Albin Kurti has been condemned by the first Trump Administration, the Biden Administration, NATO, the EU, the U.S. Embassy, Anthony Blinken, etc. ».

([28]) Créée le 10 juin 1999 par la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, la MINUK a initialement eu pour objectif de refonder les institutions d’un pays dévasté par la guerre et d’y établir une gouvernance démocratique. Elle poursuit désormais ses actions visant à renforcer la confiance entre les parties, principalement à travers le centre Barabar de Pristina, dédié à la promotion du dialogue interethnique, ainsi que celles en faveur des femmes et des jeunes via les agendas dits Femmes, paix et sécurité et Jeunes, paix et sécurité.

([29]) « Trump’s tinderbox : US politics and the next war in the Balkans », Adan Cerimagic et Majda Ruge, policy brief, European Council on Foreign Relations, 29 octobre 2024.

([30]) L’idée d’un échange de territoires consisterait, pour le Kosovo, à abandonner la partie Nord du pays autour de Mitrovica, adossée à la Serbie et peuplée principalement de Serbes, contre la région de Presevo dans le Sud‑Est de la Serbie, habitée en majorité par des Albanais. Une autre hypothèse serait l’annexion pure et simple du Nord du Kosovo par la Serbie avec le soutien américain.

([31]) En Bosnie-Herzégovine, le président de l’entité́ serbe menace depuis des années de faire sécession pour rejoindre la Serbie. En Macédoine du Nord, les Albanais pourraient être tentés de faire de même avec Tirana, alors qu’ils avaient renoncé́ à ce projet après plusieurs années de tensions. Enfin, dans le Nord de la Serbie, les Hongrois de Voïvodine pourraient demander leur retour sous souveraineté hongroise.

([32]) Rappelons que la Serbie ne compte que 6,6 millions d’habitants, preuve de l’importance du mouvement.

([33]) Cette décision n’est pas sans conséquence sur l’agenda du Parlement. La reprise des travaux sur la réforme de l’autorité de régulation des médias électroniques (REM), attendue dans les négociations d’adhésion à l’Union européenne, est à nouveau suspendue faute de participants. Les organisations non gouvernementales et sociétés civiles sollicitées ne sont pas non plus désireuses de participer à une initiative portée par la présidente du Parlement dans ce contexte dégradé.

([34]) Les prochaines élections sont normalement prévues en 2027.

([35]) Le président serbe s’est rendu aux commémorations du 9 mai 1945 organisées par la Russie à Moscou.

([36]) Jens Sørensen a occupé plusieurs postes dans les Balkans au sein de la mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo, en Serbie, en Bosnie-Herzégovine ainsi qu’en Macédoine du Nord et a été le chef de la délégation de l’Union européenne auprès des Nations unies à Genève. Il succède au Slovaque Miroslav Lajčák dont le mandat a pris fin le 1er février 2025. Ce dernier, d’un grand professionnalisme, a toutefois souffert d’une certaine défiance de la part du Kosovo qui reprochait à son pays d’origine, la Slovaquie, de ne pas reconnaître son indépendance.

([37]) Cette décision a été très ouvertement critiquée par la présidente du Kosovo lors de son entretien avec la délégation.