N° 1968
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX‑SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2025
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
sur le déplacement d’une délégation de la commission au Maroc,
du 11 au 14 juin 2025
présenté par
MM. Alain DAVID, Michel HERBILLON,
Sébastien CHENU, Vincent LEDOUX et Aurélien TACHÉ,
Députés
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La délégation de la commission était composée de : M. Alain David (Gironde – Socialistes et apparentés), vice‑président de la commission ; M. Michel Herbillon (Val‑de‑Marne – Droite Républicaine), vice‑président de la commission, secrétaire du groupe d’amitié France / Maroc ; M. Sébastien Chenu (Nord – Rassemblement national) ; M. Vincent Ledoux (Nord – Ensemble pour la République) ; M. Aurélien Taché (Val‑d’Oise – La France Insoumise‑Nouveau Front Populaire).
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Pages
I. La modernisation du Maroc, partenaire clé pour la France
A. Une modernisation tous azimuts : politique, économique et sociale
1. La nouvelle donne en matière politique et diplomatique
2. Un remarquable dynamisme économique
3. L’importante mutation sociale et culturelle de la société marocaine
B. Des défis complexes persistants
1. Les défis économiques et sociaux : un impératif de croissance inclusive
2. Les enjeux environnementaux et climatiques : une nécessaire adaptation durable
3. Les contraintes de gouvernance et d’équilibre territorial : une harmonisation régionale
C. Un partenaire stratégique pour la France
1. Les relations économiques franco‑marocaines sont fort anciennes et toujours dynamiques
2. Les destins croisés de la coopération humaine et migratoire
3. Un partage du savoir commun : la coopération culturelle, scientifique et européenne
A. Le Sahara occidental : un point d’appui pour le rapprochement
1. Le contexte historique et le rôle du Sahara dans la politique extérieure marocaine
3. Le nouvel élan des relations bilatérales
B. Des partenariats stratégiques récents
2. Une collaboration éducative et scientifique : innover et développer les échanges de savoirs
3. La coopération sécuritaire et institutionnelle : consolider les accords entre les deux pays
C. Le tournant diplomatique de la visite d’État d’octobre 2024 :
2. Des entretiens parlementaires et ministériels intensifiés
3. Des perspectives de dialogue à haut niveau
III. Une relation tournée vers l’avenir
A. La diplomatie parlementaire : un nouveau pilier pour l’amitié entre la France et le Maroc
1. La relance du Forum interparlementaire
2. La mise en place de missions d’information conjointes
3. La coopération des territoires et des collectivités : un travail de proximité
B. La coopération économique et sectorielle : un axe crucial de la relation franco‑marocaine
1. De grands projets d’infrastructures
2. La dynamisation des échanges commerciaux et des investissements
3. Le soutien à la transition énergétique et numérique
C. La culture, la jeunesse, l’innovation et les migrations : un partenariat d’avenir
1. La feuille de route culturelle 2024
2. Le développement de l’aide en matière éducative : alternance, mobilité étudiante
3. Les industries créatives et les grands événements sportifs
D. La sécurité : un enjeu majeur
1. L’amélioration de la coopération policière et le renforcement de la coopération militaire
2. La prévention des risques naturels et la coopération civile
Annexe 1 : liste des personnes entendues par la délégation de la commission et des visites
L’année 2024 représente un moment clé dans les relations franco‑marocaines. Elle a été marquée par une série d'événements qui ont permis de renforcer les liens entre les deux pays.
Le moment pivot – répondant à la question de confiance posée par le Maroc – a été la Lettre du président de la République à l’occasion des vingt-cinq années de règne du Roi Mohammed VI, le 30 juillet 2024. Le président Emmanuel Macron a assuré que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine et que le Plan d’autonomie était la seule base crédible pour une solution politique juste, durable et négociée, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
La visite d’État du président Emmanuel Macron, qui s’est déroulée
les 28, 29 et 30 octobre 2024, a constitué un jalon majeur, ouvrant la voie à un « partenariat d’exception renforcé » entre la France et le Maroc. Cette visite historique, première depuis plusieurs années, a jeté les bases d'une coopération renforcée dans des domaines stratégiques et couvrant un large spectre, allant de la politique à l'économie, en passant par la culture et la sécurité.
L’ambassadeur de France au Maroc, M. Christophe Lecourtier, a rappelé à la délégation que l’année 2025 est celle de la mise en œuvre de cet agenda, autour :
- de « l’opérationnalisation » de la position de la France sur le Sahara occidental ;
- du renforcement considérable du partenariat économique (grands contrats au sujet de la ligne à grande vitesse de chemin de fer, par exemple) ;
- de l’approfondissement de la coopération sécuritaire (ponctuée de visites ministérielles et de hauts fonctionnaires) ;
- du renforcement du partenariat militaire (achat d’un sous-marin à Naval Group, notamment) ;
- du lancement d’un travail de fond sur le volet « société civile », à travers nos coopérations éducatives, universitaires et culturelles.
Les membres de la délégation souhaitent indiquer dès ces lignes d’introduction que la visite d’État a permis une véritable réinitialisation d’une relation « irremplaçable » pour l’un et l’autre de nos pays, dont le niveau d’ambition – « le partenariat stratégique renforcé » – entend répondre aux réalités et aux enjeux du siècle.
Le déplacement au Maroc s’est donc inscrit dans ce contexte favorable de dynamisme et de relance des échanges politiques et parlementaires. La diplomatie parlementaire (visite de Mme la Présidente de l’Assemblée nationale en décembre 2024 et échanges entre les groupes d’amitié parlementaires des deux pays, par exemple) prend désormais une importance grandissante dans la relation bilatérale. L’objectif de la mission était de renforcer les coopérations sectorielles, notamment dans les domaines économique, éducatif, culturel et sécuritaire, tout en préparant la prochaine session du Forum interparlementaire franco‑marocain. Ce forum, véritable plateforme de dialogue, constitue un levier essentiel pour approfondir la relation bilatérale et favoriser une coopération toujours plus fructueuse.
La mission a permis de relever les avancées réalisées dans des domaines stratégiques comme la transition énergétique. Le Maroc, grâce à des partenariats avec des entreprises françaises, se positionne comme un acteur majeur des énergies renouvelables. Des projets emblématiques tels que le complexe solaire Noor Ouarzazate, l’un des plus grands au monde, illustrent l’engagement du Royaume dans la lutte contre le changement climatique et son rôle clé dans la transition énergétique régionale. La coopération entre la France et le Maroc dans ce domaine est particulièrement symbolique car elle combine innovation technologique, expertise partagée et investissements mutuels.
Dans le secteur culturel, la mission a également permis de mettre en lumière les nombreux et fructueux échanges entre nos deux pays. Des initiatives concrètes, comme la mise en place de programmes éducatifs conjoints et des partenariats universitaires, peuvent être constatées. Ces échanges, loin de se limiter à la seule sphère académique, s’étendent à des projets culturels qui favorisent la circulation des idées, des talents et des œuvres, contribuant ainsi à une meilleure connaissance mutuelle et à l’enrichissement des sociétés respectives. La promotion de la langue et de la culture françaises au Maroc, par le biais de l’Alliance française et de l’Institut français, est au cœur de ce renouveau culturel.
Enfin, la mission a confirmé la volonté des deux pays de renforcer leur coopération sécuritaire, essentielle dans un contexte régional marqué par les défis du Sahel et de la menace terroriste. Le Maroc est un acteur de premier plan de la stabilité régionale et collabore activement avec la France dans la lutte contre le terrorisme, les réseaux criminels transnationaux et la gestion des flux migratoires. Ce partenariat, fondé sur des échanges d’informations et des actions conjointes, contribue à la sécurité de l’Europe, tout en renforçant la position du Maroc comme partenaire stratégique dans la région.
Ainsi, le rapport de cette mission vise à souligner l’importance de poursuivre sur cette lancée et de saisir les opportunités offertes par cette relation renforcée pour créer de nouveaux projets conjoints. Au‑delà des accords politiques et des discussions diplomatiques, il s’agit de construire un avenir commun fondé sur des valeurs partagées et un engagement réciproque, où les jeunes, la culture et l’innovation joueront un rôle clé. Le Maroc, par son dynamisme et sa volonté de modernisation, est un partenaire essentiel pour la France, et cette coopération promet de se développer encore davantage dans les années à venir.
I. La modernisation du Maroc, partenaire clé pour la France
A. Une modernisation tous azimuts : politique, économique et sociale
1. La nouvelle donne en matière politique et diplomatique
La dynamique politique marocaine a pris un tournant majeur sous l’impulsion de Mohammed VI, qui a initié une série de réformes institutionnelles marquantes depuis son accession au trône en 1999. Celles‑ci ont profondément transformé l'architecture institutionnelle du Royaume, tout en affirmant une diplomatie ambitieuse qui place le Maroc au cœur des grands équilibres régionaux. En réponse aux aspirations populaires exprimées lors du « printemps arabe », la Constitution du 29 juillet 2011 a été un acte symbolique fort de cette modernisation. Cette réforme a élargi les prérogatives du Parlement, renforcé le rôle du chef du gouvernement et affirmé l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle a également enrichi le catalogue des droits fondamentaux, en intégrant des garanties supplémentaires en matière de libertés publiques, de pluralisme linguistique et de régionalisation avancée, un principe stratégique visant à décentraliser davantage le pouvoir et à réduire les disparités entre les régions côtières et l’intérieur du pays.
Le système politique marocain demeure toutefois marqué par la prééminence de la monarchie. Le roi Mohammed VI, en tant qu’« Amir Al‑Mouminine » (commandeur des croyants) et chef de l’État, conserve un rôle central dans l’orientation de la politique intérieure et étrangère. Il nomme le chef du gouvernement parmi les membres du parti arrivé en tête des élections législatives et préside le Conseil des ministres pour les grandes décisions stratégiques. Ce modèle hybride, qui combine légitimité traditionnelle et institutions démocratiques, a contribué à la stabilité du pays dans un environnement régional souvent instable.
Sur le plan diplomatique, le Maroc a déployé une stratégie d’influence visant à consolider sa position en Afrique et dans le monde arabe tout en renforçant ses partenariats avec l’Europe. Sa réintégration dans l’Union africaine en janvier 2017 a marqué le retour du Royaume sur la scène diplomatique continentale après plus de trois décennies d’absence. Cette décision a été suivie d’une intense activité diplomatique : de nombreuses visites royales en Afrique subsaharienne ont été organisées depuis, aboutissant à la signature de plus de 1 000 accords bilatéraux couvrant l’énergie, l’agriculture, la formation et la coopération sécuritaire. L’annonce, en 2023, de l’initiative royale visant à donner un accès direct à l’océan Atlantique aux pays du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso) traduit l’ambition du Maroc de jouer un rôle structurant dans le développement régional et de sécuriser les échanges commerciaux.
La diplomatie marocaine se déploie également sur le terrain multilatéral. En 2024, le Maroc a présidé le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU), renforçant son image d’acteur responsable et constructif sur les enjeux globaux. Le Royaume est régulièrement sollicité comme médiateur dans des crises régionales, qu’il s’agisse du dossier libyen, des négociations intra‑palestiniennes ou de la coopération sécuritaire au Sahel. Ainsi, les accords d’Abraham ont été signés par le Maroc. Ces initiatives contribuent à accroître la visibilité internationale du pays et à en faire un partenaire privilégié de l’Union européenne et de ses États membres. La France, en particulier, trouve dans le Maroc un interlocuteur stratégique partageant de nombreux intérêts communs, qu’il s’agisse de lutte contre le terrorisme, de régulation des flux migratoires ou de développement économique euro‑méditerranéen.
2. Un remarquable dynamisme économique
Le dynamisme économique du Maroc constitue l’un des axes majeurs de sa modernisation et explique en partie la solidité de son partenariat avec la France. Malgré un contexte international marqué par des incertitudes et par les conséquences économiques de la pandémie de Covid‑19, le Royaume a enregistré une croissance de son produit intérieur brut (PIB) de 3,4 % en 2023 et prévoit un taux supérieur à 4 % à l’horizon 2025. Cette performance repose sur la diversification progressive de l’économie, qui a permis de réduire la dépendance au secteur agricole, historiquement sensible aux aléas climatiques.
Les autorités ont mis en œuvre une stratégie industrielle ambitieuse, articulée autour du Plan d’accélération industrielle lancé en 2014, qui vise à développer des écosystèmes sectoriels compétitifs. Le secteur automobile, désormais premier secteur exportateur du pays, représente plus de 25 % des ventes extérieures grâce à la montée en puissance des sites de production de Renault et de Stellantis. Le secteur aéronautique s’affirme également, avec 150 entreprises implantées sur le territoire et une croissance annuelle avoisinant 20 %. À cela s’ajoutent des efforts notables dans le numérique et les nouvelles technologies, soutenus par la création de zones d’activités dédiées et par des partenariats avec des investisseurs étrangers.
Les infrastructures constituent un autre pilier de ce développement. L’inauguration en novembre 2018 de la première ligne de train à grande vitesse (TGV) Tanger‑Casablanca – projet de 2 milliards d’euros financé à 51 % par des prêts français – a réduit de moitié le temps de trajet entre les deux principales villes du pays et favorisé la mobilité des personnes et des biens. Les travaux d’extension de la ligne vers Marrakech sont en cours, avec la commande de dix‑huit nouvelles rames auprès d’Alstom pour une mise en service prévue avant 2030.
Parallèlement, le complexe portuaire de Tanger Med, que la délégation a visité le 13 juin 2025, a consolidé sa place de hub maritime de premier plan. Il est devenu le premier port en Méditerranée et d’Afrique avec une capacité annuelle supérieure à dix millions de conteneurs. Des projets complémentaires, comme le futur port en eau profonde d’Atla sur la façade atlantique, sont destinés à renforcer cette vocation logistique.
Le Maroc s’est également engagé dans la transition énergétique et dans le développement des énergies renouvelables. Le complexe solaire Noor Ouarzazate, l’un des plus grands au monde, témoigne de l’ambition du pays de porter la part des renouvelables à 52 % du mix électrique d’ici 2030. Des projets d’hydrogène vert sont en discussion avec des partenaires européens, dont la France, afin de faire du Royaume un exportateur d’énergie propre vers le marché européen. Cette politique énergétique s’accompagne d’investissements dans les réseaux électriques et dans le développement de capacités de dessalement pour sécuriser l’approvisionnement en eau.
Enfin, les finances publiques ont fait l’objet de réformes visant à maîtriser le déficit budgétaire et à renforcer l’attractivité pour les investisseurs. Le Maroc a mis en place un nouveau régime de zones franches et d’incitations fiscales pour attirer les industries à forte valeur ajoutée, tout en poursuivant l’amélioration du climat des affaires. Ces efforts lui valent de figurer régulièrement parmi les pays les plus attractifs d’Afrique du Nord pour les investissements directs étrangers (IDE), la France représentant le premier investisseur avec plus de 8,4 milliards d’euros de stock d’IDE en 2023 (31 % du stock d’IDE total au Maroc). Cette dynamique économique conforte le rôle du Royaume comme partenaire stratégique pour l’Europe et comme plateforme incontournable pour l’accès aux marchés africains.
3. L’importante mutation sociale et culturelle de la société marocaine
La modernisation sociale et culturelle du Maroc constitue l’un des piliers de son développement global et accompagne les réformes institutionnelles et économiques engagées depuis le début des années 2000. La population marocaine, estimée à 37,8 millions d’habitants en 2024, se caractérise par une structure démographique particulièrement jeune : près de 30 % de la population a moins de 15 ans. Cette vitalité démographique représente à la fois un atout et un défi pour les autorités, qui doivent investir dans l’éducation, la santé et la formation professionnelle afin de transformer ce potentiel humain en moteur de croissance.
L’éducation est au cœur de cette stratégie. Le Maroc a engagé un vaste programme de généralisation de l’enseignement primaire et d’amélioration de la qualité pédagogique. De nouvelles universités ont été ouvertes dans les régions pour rapprocher l’offre de formation des étudiants et réduire les inégalités territoriales. L’enseignement supérieur se développe, avec une augmentation régulière du nombre d’inscrits et un renforcement des partenariats avec les établissements européens et africains. La coopération universitaire franco‑marocaine joue un rôle clé dans cette dynamique, facilitant la mobilité étudiante et le développement de cursus conjoints.
Sur le plan sociétal, l’annonce de la révision du code de la famille en septembre 2024, constitue un jalon majeur. Ce projet de réforme, qui doit être débattu en 2025, prévoit d’améliorer les droits des femmes et des enfants et de moderniser les dispositions relatives au mariage et à l’héritage. Cette évolution traduit une volonté politique d’adapter le droit aux réalités sociales et de promouvoir une société plus inclusive. Parallèlement, les politiques publiques de protection sociale ont été renforcées, notamment avec la généralisation progressive de la couverture maladie obligatoire et la mise en place d’allocations ciblées pour les ménages vulnérables.
Le Maroc œuvre également à la promotion d’un islam modéré et ouvert, facteur de stabilité intérieure et d’influence régionale. L’Institut Mohammed VI pour la formation des imams, morchidines et morchidates est devenu une référence internationale : près de la moitié sont des étudiants étrangers, principalement originaires du Mali, du Sénégal et du Nigeria. Cette action contribue à la diffusion d’un discours religieux prônant la tolérance et la coexistence pacifique.
La vie culturelle est en plein essor, portée par le dynamisme des villes comme Rabat, Casablanca, Marrakech et Tanger. Elles accueillent des festivals, des biennales et des expositions d’envergure internationale. La politique culturelle du Royaume vise à valoriser le patrimoine, développer les industries créatives et renforcer l’attractivité touristique. La Coupe du monde de football de 2030, que le Maroc organisera avec l’Espagne et le Portugal, constitue un levier supplémentaire pour stimuler les investissements culturels et sportifs et pour projeter une image moderne et ouverte du pays sur la scène internationale.
Cette dynamique sociale et culturelle, conjuguée aux réformes économiques et politiques, confirme la volonté du Maroc de construire un modèle de développement équilibré. Ce nouveau système se veut capable de répondre aux aspirations de sa jeunesse tout en renforçant son rayonnement international.
B. Des défis complexes persistants
1. Les défis économiques et sociaux : un impératif de croissance inclusive
Malgré la solidité de ses fondamentaux macroéconomiques, le Maroc reste confronté à des défis économiques et sociaux majeurs. Le taux de chômage national s’élève à environ 13 %, mais ce chiffre masque des disparités importantes selon les régions et les catégories de population. Le chômage des jeunes diplômés dépasse 35 %, ce qui révèle un décalage persistant entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail. Les autorités ont lancé plusieurs programmes pour y remédier, parmi lesquels le plan Intelaka pour soutenir l’entrepreneuriat et les startups, et le programme Awrach, destiné à créer des emplois temporaires et à renforcer les compétences des jeunes. En outre, la place des femmes sur le marché du travail est en baisse. Ces initiatives visent à encourager l’insertion professionnelle, notamment dans les secteurs porteurs comme l’industrie automobile, l’aéronautique, le tourisme et le numérique.
La question des inégalités sociales reste également un sujet de préoccupation. Bien que le taux de pauvreté ait reculé de manière significative au cours des vingt dernières années, les disparités entre milieux urbain et rural demeurent marquées. Le gouvernement a engagé un vaste chantier de protection sociale, prévoyant la généralisation de la couverture maladie obligatoire, des allocations familiales et des régimes de retraite pour les travailleurs indépendants. Ce programme, lancé en 2021 et soutenu par des financements internationaux, doit permettre de renforcer la cohésion sociale.
Sur le plan macro‑financier, le Maroc bénéficie d’un appui solide des bailleurs de fonds internationaux. En 2023, le Fonds monétaire international (FMI) a accordé une ligne de crédit modulable de 5 milliards de dollars, qui constitue un filet de sécurité contre les chocs exogènes et contribue à la stabilité du dirham. Les relations avec la Banque mondiale et l’Agence française de développement (AFD) se traduisent par le financement de projets d’infrastructures, de programmes d’adduction d’eau et de plans de modernisation de l’administration publique. Ces partenariats appuient la mise en œuvre du Nouveau modèle de développement dévoilé en 2021, qui trace la feuille de route du pays à l’horizon 2035 et vise à hisser le Maroc parmi les nations émergentes à revenu intermédiaire supérieur.
Ces défis économiques et sociaux, bien que considérables, sont abordés avec une stratégie cohérente qui combine réformes structurelles, politiques actives de l’emploi et mobilisation des partenaires internationaux. Ils constituent ainsi autant d’opportunités de coopération renforcée avec la France, qui peut apporter son expertise en matière de formation professionnelle, de développement territorial et d’appui aux petites et moyennes entreprises (PME).
2. Les enjeux environnementaux et climatiques : une nécessaire adaptation durable
Le Maroc fait face à un défi environnemental de premier ordre : la raréfaction de l’eau. Le pays est confronté à un stress hydrique structurel depuis plusieurs années, aggravé par sept années consécutives de sécheresse qui ont réduit les réserves hydriques, fragilisé la production agricole et pesé sur le PIB. Cette situation est particulièrement préoccupante pour les régions à vocation agricole comme le Haouz ou le Souss‑Massa qui font face à un exode rural accéléré. La baisse des nappes phréatiques y a entraîné une réduction des surfaces cultivées et une perte de revenus pour les exploitants. Les autorités ont réagi en lançant un programme national de l’eau 2020‑2050, doté de plus de 40 milliards d’euros. Son objectif est de développer les capacités de stockage, moderniser les réseaux d’irrigation et multiplier les usines de dessalement.
Parmi les projets emblématiques figurent la future station de dessalement de Rabat, qui doit alimenter plusieurs millions de personnes, ainsi que l’usine de Casablanca, appelée à devenir l’une des plus grandes du continent. Ces infrastructures, souvent réalisées en partenariat entre les secteurs public et privé, mobilisent l’expertise d’entreprises françaises comme Veolia ou Suez. Elles s’accompagnent de programmes de réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation des espaces verts et de promotion des techniques de micro‑irrigation, afin de rationaliser la consommation d’eau dans l’agriculture.
Au‑delà de la question de l’eau, le Maroc est exposé aux effets du changement climatique : élévation des températures, désertification progressive de certaines régions, intensification des vagues de chaleur et des précipitations extrêmes. Ces phénomènes accentuent les risques d’érosion des sols et de dégradation des écosystèmes. Le gouvernement a adopté une Stratégie nationale de développement durable et des plans climat régionaux visant à intégrer l’adaptation dans les politiques publiques. L’accent est mis sur la reforestation, la préservation des zones humides et la protection du littoral.
La dimension de la résilience face aux catastrophes naturelles a pris une importance accrue depuis le séisme de l’Atlas survenu en septembre 2023, qui a fait plusieurs milliers de victimes et causé d’importants dégâts matériels. Cet événement a conduit les autorités à renforcer les normes de construction parasismique, à créer des stocks stratégiques de matériel de secours et à améliorer la coordination entre les forces de protection civile. Ces efforts ouvrent des perspectives de coopération technique avec la France dans les domaines de la gestion des risques, de l’ingénierie des infrastructures résilientes et de l’alerte précoce.
3. Les contraintes de gouvernance et d’équilibre territorial : une harmonisation régionale
L’un des chantiers majeurs du Maroc reste la mise en œuvre effective de la régionalisation avancée, inscrite dans la Constitution de 2011 comme axe stratégique de modernisation de l’État. Cette réforme vise à transférer progressivement aux régions des compétences en matière de développement économique, de planification urbaine, de transport et d’action sociale, afin de rapprocher la décision publique des citoyens et de réduire les déséquilibres entre les régions littorales et les zones de l’intérieur. Si les conseils régionaux ont été mis en place et disposent d’une autonomie budgétaire accrue, la montée en puissance des administrations locales nécessite encore un renforcement des ressources humaines et techniques. Le défi consiste à garantir une capacité de gestion efficace tout en préservant la cohérence nationale des politiques publiques.
Les inégalités territoriales constituent en effet un enjeu considérable pour le pays : le PIB par habitant de certaines régions de l’intérieur reste très inférieur à celui des grandes métropoles côtières comme Casablanca ou Tanger. Pour y remédier, les autorités investissent dans des projets structurants de désenclavement, tels que l’extension du réseau autoroutier, la modernisation des routes rurales et le développement de liaisons ferroviaires nouvelles. Ces programmes ont pour objectif de favoriser l’implantation d’industries dans les régions, de dynamiser l’emploi local et de freiner l’exode rural.
L’urbanisation rapide, avec près de 64 % de la population vivant désormais en ville, pose également des défis en matière de logement, de mobilité et de services urbains. Le Maroc a ainsi engagé de très nombreux programmes de rénovation des quartiers précaires et de construction de logements sociaux, tout en encourageant le développement de transports collectifs modernes, à l’image du tramway de Rabat‑Salé et de Casablanca. Ces projets nécessitent des financements importants et une coordination étroite entre les différents niveaux de gouvernance.
Enfin, la modernisation de l’administration publique et la numérisation des services constituent des priorités pour améliorer l’efficacité de l’action publique et renforcer la transparence. La mise en œuvre de plateformes numériques pour les démarches administratives et la simplification des procédures visent à rapprocher l’État des citoyens et à soutenir l’attractivité économique. L’ensemble de ces efforts offre un terrain propice à une coopération renforcée avec la France, notamment en matière de formation des cadres territoriaux, de planification urbaine et d’ingénierie des infrastructures.
C. Un partenaire stratégique pour la France
1. Les relations économiques franco‑marocaines sont fort anciennes et toujours dynamiques
Les relations économiques entre la France et le Maroc sont anciennes et marquées par une coopération durable. Depuis l'indépendance du Maroc en 1956, les deux pays ont établi des liens économiques solides, renforcés par des échanges commerciaux réguliers et des investissements réciproques. Ces relations se sont consolidées au fil des décennies, avec la présence de nombreuses entreprises françaises au Maroc et un développement parallèle des infrastructures et des secteurs clés.
Les membres de la délégation souhaitent indiquer que les milieux économiques ont été un moteur essentiel pour la relation et doivent continuer à être parties prenantes avec leurs échéances (forum d’affaires franco-marocain, réunion du Club des chefs d’entreprises) mais aussi des personnalités identifiées, capables de porter un sujet en particulier, sur le modèle de ce qu’a pu faire la mission Mestrallet-Piechaczyk sur la connectivité électrique.
La relation économique entre la France et le Maroc constitue l’un des piliers les plus solides de leur partenariat stratégique. En 2023, les échanges commerciaux bilatéraux ont atteint 14,1 milliards d’euros. Entre 2012 et 2022, les importations françaises venant du Maroc ont augmenté de 110 % et les exportations de 61,5 %. La France demeure le premier investisseur étranger au Maroc, avec un stock d’investissements directs étrangers estimé à 8,4 milliards d’euros, soit près d’un tiers du total des IDE. Plus de 1 000 filiales françaises sont implantées au Maroc employant environ 150 000 personnes. Presque la totalité de ces filiales appartiennent à des entreprises du CAC40. Cette présence se concentre dans des secteurs stratégiques tels que l’automobile, l’aéronautique, les infrastructures, les télécommunications, la distribution et les énergies renouvelables.
Les grands groupes français comme Renault, Stellantis, Alstom, Safran, Orange, Veolia et TotalEnergies jouent un rôle moteur dans l’industrialisation et la modernisation du pays. Le site de Renault à Tanger, inauguré en 2012 et que la délégation a visité le 13 juin 2025, est l’une des plus grandes usines automobiles d’Afrique et exporte une part importante de sa production vers l’Europe et la Méditerranée. Dans le secteur ferroviaire, la coopération franco‑marocaine a permis la réalisation du TGV Tanger‑Casablanca et prépare l’extension de la ligne vers Marrakech, un projet qui mobilise l’expertise technique d’Alstom et du groupe SNCF. Dans le domaine énergétique, les entreprises françaises participent à la construction de centrales solaires et éoliennes et s’impliquent dans les projets d’hydrogène vert, soutenant ainsi l’objectif du Maroc de porter la part des énergies renouvelables à 52 % du mix électrique d’ici 2030.
Les relations économiques se renforcent également à travers la coopération financière et institutionnelle. L’Agence française de développement constitue un partenaire de long terme, finançant des projets dans les domaines de l’eau, de l’assainissement, de l’éducation et de la mobilité durable. Entre 2017 et 2023, l’AFD a engagé plus de 2 milliards d’euros de financements au Maroc. Par ailleurs, les chambres de commerce et d’industrie bilatérales accompagnent les PME françaises souhaitant s’implanter au Maroc et soutiennent les entreprises marocaines désireuses de développer leurs échanges avec la France.
Cette densité d’interactions économiques confère à la relation franco‑marocaine une dimension stratégique qui dépasse le simple commerce de biens et de services. Elle s’inscrit dans une logique de co‑développement et d’intégration industrielle, dans laquelle le Maroc devient une plateforme de production et d’exportation vers l’Afrique, offrant aux entreprises françaises une porte d’entrée privilégiée sur ce continent en pleine croissance.
2. Les destins croisés de la coopération humaine et migratoire
La dimension humaine des relations franco‑marocaines constitue un socle unique qui nourrit l’ensemble du partenariat bilatéral. La communauté marocaine établie en France, estimée à 1,5 million de personnes, est la plus importante diaspora marocaine dans le monde et l’une des principales communautés étrangères en France. Cette présence historique se traduit par une contribution significative à l’économie française, à la vie culturelle et au dynamisme des échanges sociaux. Les transferts de fonds des Marocains résidant à l’étranger représentent chaque année entre 8 % et 10 % du PIB marocain. Ils jouent un rôle essentiel dans le financement de l’économie nationale et le soutien aux ménages.
La coopération en matière d’éducation et de formation constitue un autre pilier de ce lien humain. Les étudiants marocains représentent la deuxième population étrangère dans l’enseignement supérieur français, avec environ 45 000 inscrits en 2023. Cette mobilité étudiante est facilitée par un réseau dense d’établissements scolaires français au Maroc, comprenant plus de 40 écoles et lycées, ainsi que par des partenariats universitaires et des programmes de double diplôme. L’Agence Campus France joue un rôle central dans l’accompagnement des candidats et dans la promotion de l’offre éducative française.
Sur le plan migratoire, le dialogue entre les deux pays est institutionnalisé au sein du Groupe migratoire mixte permanent (GMMP), qui s’est réuni en octobre 2024 puis en juin 2025 pour aborder les questions de mobilité légale, de visas, de réadmission et de lutte contre l’immigration irrégulière. Les deux parties s’emploient à concilier les impératifs de sécurité avec la facilitation de la circulation des étudiants, chercheurs et entrepreneurs. Des initiatives conjointes favorisent la migration circulaire et le retour volontaire des compétences marocaines, afin de contribuer au développement local.
Cette coopération humaine et migratoire, fondée sur des liens historiques et familiaux, constitue un levier crucial de compréhension mutuelle et de proximité culturelle. Elle confère à la relation bilatérale une profondeur qui dépasse la seule logique interétatique et enracine le partenariat franco‑marocain dans la vie quotidienne de millions de citoyens des deux rives de la Méditerranée.
3. Un partage du savoir commun : la coopération culturelle, scientifique et européenne
La coopération culturelle entre la France et le Maroc repose sur un cadre institutionnel ancien et un réseau particulièrement dense. Le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France coordonne les actions de plus de 12 Alliances françaises réparties sur l’ensemble du territoire marocain, offrant chaque année des cours de français à des dizaines de milliers d’apprenants. L’Institut français du Maroc, avec ses dix sites principaux, organise plus de 1 000 événements culturels annuels (expositions, conférences, projections), contribuant au rayonnement de la culture francophone et au dialogue interculturel.
Dans le domaine éducatif, le Maroc dispose du plus grand réseau d’enseignement français à l’étranger, avec plus de 44 établissements homologués scolarisant près de 45 000 élèves. L’ouverture récente d’écoles à Laâyoune et Dakhla illustre la volonté de garantir un accès égal à l’enseignement francophone sur l’ensemble du territoire, y compris dans les provinces du Sud. Ces établissements favorisent la mobilité des élèves et facilitent la poursuite d’études supérieures en France ou dans d’autres pays francophones.
La coopération scientifique et technique est également un axe prioritaire. Des partenariats entre les universités et centres de recherche des deux pays se sont multipliés dans les domaines de la gestion de l’eau, des énergies renouvelables, de la santé publique et de l’intelligence artificielle. Des programmes de recherche conjoints, soutenus par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les universités marocaines, permettent le partage d’expertise et la formation de jeunes chercheurs.
Enfin, sur le plan européen, le Maroc bénéficie depuis 2008 du Statut avancé avec l’Union européenne, qui en fait un partenaire privilégié du voisinage Sud. Cette relation lui permet de participer à plusieurs programmes européens (Horizon Europe, Erasmus+), d’aligner progressivement ses normes sur celles de l’Union européenne (UE) et de bénéficier de financements pour des projets d’infrastructures et de transition énergétique. La France joue un rôle moteur dans ce partenariat en soutenant l’intégration économique et réglementaire du Maroc dans l’espace euro‑méditerranéen.
L’ensemble de ces coopérations contribue à rapprocher les sociétés civiles et à renforcer les interconnexions entre les deux pays. Elles inscrivent également la relation franco‑marocaine dans un cadre plus large associant l’Europe et l’Afrique.
II. Un rapprochement diplomatique bilatéral mutuellement bénéfique et des partenariats stratégiques de premier ordre
A. Le Sahara occidental : un point d’appui pour le rapprochement
1. Le contexte historique et le rôle du Sahara dans la politique extérieure marocaine
La question du Sahara occidental occupe une place centrale dans la politique intérieure et étrangère du Maroc depuis la fin de la colonisation espagnole en 1975. La « Marche verte », organisée le 6 novembre 1975 à l’appel du roi Hassan II, a constitué un moment fondateur de l’unité nationale en mobilisant 350 000 volontaires pacifiques pour revendiquer la souveraineté marocaine sur les provinces du Sud. Depuis lors, la consolidation de l’intégrité territoriale est demeurée une priorité stratégique et un consensus national, transcendant les clivages politiques.
Sur le plan diplomatique, le Maroc a proposé dès 2007 un Plan d’autonomie pour le Sahara, considéré comme sérieux et crédible par de nombreux partenaires internationaux. Ce plan prévoit une large autonomie pour la région dans le cadre de la souveraineté marocaine, avec des institutions exécutives, législatives et judiciaires locales élues démocratiquement. Cette initiative a été saluée par les Nations unies comme une contribution constructive au processus de règlement.
La question du Sahara est également un moteur du développement économique et social. D’importants investissements ont été réalisés dans les provinces du Sud : infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, zones industrielles et projets d’énergies renouvelables, notamment à Dakhla et Laâyoune. Ces projets visent à favoriser l’intégration de la région dans l’économie nationale et à améliorer les conditions de vie des populations locales. L’organisation d’événements internationaux, tels que le Forum de Crans Montana à Dakhla, traduit la volonté du Maroc de faire de ces territoires un espace de coopération régionale et de rayonnement vers l’Afrique de l’Ouest.
Enfin, sur le plan identitaire, le Sahara constitue un élément de cohésion et de légitimité pour la monarchie, qui se présente comme garante de l’unité nationale. Les célébrations annuelles de la Marche verte, particulièrement en 2025 pour son cinquantenaire, offrent l’occasion de réaffirmer ce lien entre le trône et le peuple et de rappeler que la question du Sahara demeure une cause « sacrée » pour l’ensemble des Marocains.
2. La position de la France jusqu’à la reconnaissance d’un avenir « dans le cadre de la souveraineté marocaine » en 2024
La position de la France sur la question du Sahara occidental a longtemps été caractérisée par un soutien politique constant au Maroc, tout en s’inscrivant dans le cadre du droit international et des résolutions des Nations unies. Depuis les années 1990, Paris a systématiquement rappelé son appui à une solution « politique, juste, durable et mutuellement acceptable » sous l’égide de l’ONU. La France a soutenu le processus de négociation lancé à Manhasset en 2007 et a salué la présentation par le Maroc de son Plan d’autonomie, considéré comme une base sérieuse et crédible de discussion.
Toutefois, jusqu’en 2024, la diplomatie française s’était gardée de reconnaître formellement la souveraineté marocaine sur le Sahara, privilégiant un langage d’équilibre pour ne pas compromettre les discussions avec les autres parties prenantes. Ce positionnement avait parfois été perçu par Rabat comme une réserve, en particulier dans le contexte de l’évolution de la position de plusieurs partenaires internationaux, dont les États‑Unis en décembre 2020, qui avaient reconnu officiellement la souveraineté marocaine.
Le 12 juillet 2024, la France a franchi une étape décisive en reconnaissant officiellement le Plan d’autonomie comme la solution la plus réaliste pour parvenir à un règlement du conflit. Dans un communiqué conjoint publié à l’issue d’un entretien entre le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et son homologue marocain, Paris a affirmé que « l’autonomie proposée par le Maroc constitue la base la plus sérieuse et la plus crédible pour mettre un terme au différend ». Cette déclaration a été saluée par le gouvernement marocain comme un acte fort de confiance et un geste qui a rouvert un cycle de coopération approfondie.
Les entretiens menés par la délégation parlementaire confirment l’importance symbolique de cette décision. Le président de la Chambre des représentants a insisté sur le fait que « cette reconnaissance marque le début d’une nouvelle ère » et qu’elle permettra de « tourner la page des incompréhensions passées ». De leur côté, les responsables gouvernementaux ont souligné que la France demeure un allié stratégique et que ce soutien renforce la légitimité internationale du projet marocain pour le Sahara. La presse nationale a largement relayé l’événement, le présentant comme un moment clé dans les relations franco‑marocaines.
La reconnaissance française a eu un effet immédiat sur la dynamique bilatérale. Elle a permis de lever les derniers obstacles à la reprise d’un dialogue politique de haut niveau, interrompu ou ralenti au cours des dernières années. Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs visites ministérielles ont été programmées, notamment dans les domaines de l’économie, de l’énergie et de la sécurité. Les préparatifs de la visite d’État du président Emmanuel Macron se sont accélérés, confirmant la volonté des deux capitales de donner un nouvel élan au partenariat stratégique.
Les conséquences économiques de cette reconnaissance sont également notables. Des projets d’investissement français, parfois gelés en raison du climat diplomatique, ont été relancés. Les entretiens avec les responsables du ministère de l’équipement et de l’eau ont permis de constater un regain de dynamisme dans les discussions sur les projets de dessalement, les infrastructures routières et les extensions ferroviaires. Les représentants de l’AFD ont indiqué à la délégation que de nouveaux financements pourraient être mobilisés pour accompagner le développement des provinces du Sud, en lien avec le Plan de développement intégré lancé par le Maroc.
Cette décision a aussi un impact symbolique dans le domaine sécuritaire et régional. Les autorités marocaines estiment que la France, en reconnaissant le Plan d’autonomie, envoie un message fort de soutien à la stabilité régionale. Le Maroc, qui joue un rôle actif dans la lutte contre le terrorisme et la coopération sécuritaire au Sahel, voit dans ce rapprochement un encouragement à intensifier les échanges d’informations et les opérations conjointes.
Un autre aspect important réside dans la dimension européenne de cette reconnaissance. En adoptant cette position, la France se place en chef de file au sein de l’Union européenne, susceptible d’entraîner d’autres États membres vers une approche convergente. Cette évolution s’inscrit dans un contexte où l’Espagne a déjà soutenu publiquement le Plan d’autonomie en mars 2022 et où l’Allemagne a exprimé en 2023 son appui à une solution fondée sur l’autonomie. La diplomatie française peut ainsi jouer un rôle de médiateur et de facilitateur pour harmoniser les positions européennes, favoriser l’adoption de déclarations communes et renforcer la coopération UE‑Maroc dans le cadre du Statut avancé.
Les autorités marocaines espèrent que cette année du 50e anniversaire de la Marche verte puisse être enfin le moment d’une bascule irrémédiable en faveur de la position marocaine, avec l’aide d’une administration américaine jugée plutôt proche de leurs vues. Le renouvellement par le Conseil de sécurité du mandat de la mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), à la fin octobre 2025, juste avant la date anniversaire de la Marche verte, peut en être le moment clef, surtout s’il se combine à une décision marocaine de préciser son Plan d’autonomie de 2007 comme l’y avait invité M. Staffan de Mitsura en 2024. Actuellement, le Maroc espère nouer un dialogue étroit avec les principaux responsables américains. La France, dont le changement de position de l’été 2024 a été déterminant, doit être pleinement partie prenante dans cette séquence diplomatique en cours.
Enfin, du point de vue parlementaire, cette évolution crée des perspectives pour renforcer la diplomatie d’influence et la coopération interparlementaire. Les députés marocains rencontrés se sont accordés avec les membres de la délégation sur la nécessité de faire du Forum interparlementaire franco‑marocain de 2026 une étape structurante pour approfondir les échanges sur les défis communs : jeunesse, emploi, climat, sécurité. Cette reconnaissance devient ainsi un catalyseur de projets concrets et un levier pour rapprocher encore davantage les deux sociétés.
3. Le nouvel élan des relations bilatérales
La reconnaissance française du Plan d’autonomie a marqué un véritable tournant dans les relations bilatérales, en rétablissant un climat de confiance à tous les niveaux. Sur le plan politique, elle a permis de mettre un terme à une période de relations plus distantes et de rouvrir un dialogue régulier entre les deux Exécutifs. Les canaux diplomatiques ont été réactivés, avec la tenue de consultations politiques bilatérales à un rythme plus soutenu et l’annonce d’une reprise du dialogue stratégique annuel entre les ministères des affaires étrangères.
Cette évolution a aussi favorisé un nouvel élan dans la coopération économique. Plusieurs projets d’envergure, notamment dans les infrastructures de transport et les énergies renouvelables, ont bénéficié d’un traitement prioritaire. La relance de l’extension de la ligne à grande vitesse vers Marrakech, les discussions autour du projet de port en eau profonde Dakhla Atlantique et les partenariats dans le dessalement de l’eau de mer en sont des illustrations concrètes. Les entreprises françaises, encouragées par ce climat de confiance, ont réaffirmé leur intérêt pour investir dans les provinces du Sud et participer aux programmes de développement intégrés.
L’impact se mesure également dans le domaine sécuritaire. La coopération en matière de renseignement, essentielle pour la lutte contre le terrorisme, a été intensifiée. Les autorités des deux pays ont décidé de renforcer les échanges opérationnels concernant la surveillance des réseaux terroristes et la prévention de la radicalisation. Ce rapprochement contribue à la stabilité régionale, en particulier dans le contexte sahélien.
Au‑delà de ses effets diplomatiques et économiques, la reconnaissance française a eu un impact symbolique considérable sur l’opinion publique marocaine. Les interlocuteurs rencontrés par la délégation ont souligné que ce geste était perçu comme un acte d’amitié historique, confirmant que la France reste un partenaire fidèle et attentif aux intérêts stratégiques du Royaume. Les médias marocains ont largement relaté l’événement, le présentant comme la confirmation d’un alignement politique attendu de longue date et comme un facteur de fierté nationale, en particulier à l’approche du cinquantenaire de la Marche verte.
Cet effet psychologique a renforcé le climat de confiance mutuelle et facilité les échanges entre acteurs de la société civile, des milieux d’affaires et du monde universitaire. Les visites de terrain effectuées dans les provinces du Sud par les élus français ont été perçues comme un signal de reconnaissance supplémentaire, contribuant à rapprocher les populations et à donner corps à la relation bilatérale.
Enfin, cette décision crée une dynamique nouvelle pour la diplomatie parlementaire. Les membres de la délégation ont relevé un fort intérêt de leurs homologues marocains pour relancer des travaux conjoints sur les thématiques de l’emploi des jeunes, de l’adaptation au changement climatique et de la sécurité régionale. Le Forum interparlementaire franco‑marocain prévu pour 2025 devrait constituer une occasion de concrétiser ces échanges en recommandations communes et en initiatives législatives partagées. Ainsi, la reconnaissance française agit comme un catalyseur qui dépasse la seule sphère diplomatique pour irriguer l’ensemble des dimensions de la relation bilatérale.
B. Des partenariats stratégiques récents
1. Les partenariats dans le secteur de l’énergie et des infrastructures : bâtir un avenir commun solide
La coopération franco‑marocaine en matière énergétique et d’infrastructures constitue l’un des volets les plus dynamiques du partenariat bilatéral. Dans le domaine des énergies renouvelables, les entreprises françaises participent activement au développement du complexe solaire Noor Ouarzazate, l’un des plus vastes au monde, qui alimente déjà plus d’un million de foyers et contribue à réduire les émissions de CO₂ du pays. Des groupes comme Engie et EDF Renouvelables sont également impliqués dans plusieurs projets éoliens, notamment dans la région de Taza et à Midelt, qui devraient permettre d’augmenter significativement la capacité installée d’ici 2030.
La coopération s’étend aussi au secteur émergent de l’hydrogène vert, pour lequel le Maroc ambitionne de devenir un acteur majeur sur la scène internationale. Des discussions techniques ont été engagées avec des partenaires français afin de développer des unités pilotes de production et d’exportation à destination de l’Europe, en cohérence avec les objectifs du Pacte vert européen.
En matière d’infrastructures, la France accompagne de longue date le Maroc dans ses grands projets structurants. L’extension de la ligne à grande vitesse (LGV) Rabat-Tanger vers Marrakech, en cours de réalisation, mobilise l’expertise d’Alstom et de la SNCF. Ce projet, qui devrait réduire considérablement le temps de trajet entre Casablanca et Marrakech, est appelé à renforcer la cohésion territoriale et à soutenir le tourisme. La délégation parlementaire a pu constater sur le terrain l’avancement des travaux et l’impact attendu sur le développement régional.
Les projets de dessalement de l’eau de mer, soutenus par l’AFD et réalisés en partenariat avec des entreprises françaises comme Veolia et Suez, constituent une réponse aux défis de stress hydrique. Les stations de Rabat et de Casablanca, en construction, doivent fournir de l’eau potable à plusieurs millions d’habitants et contribuer à l’irrigation agricole.
Enfin, le complexe portuaire de Tanger Med et ses extensions futures demeurent un autre domaine de coopération stratégique. Les autorités marocaines ont exprimé leur souhait de renforcer les partenariats avec les entreprises françaises dans la logistique, le transport maritime et la numérisation des chaînes d’approvisionnement. Ces projets confirment le rôle du Maroc comme hub logistique régional et partenaire incontournable pour les flux commerciaux euro‑méditerranéens.
Dans l’ensemble, cette coopération énergétique et infrastructurelle illustre la complémentarité des deux pays : le Maroc bénéficie de technologies et de financements qui accélèrent sa transition, tandis que la France consolide sa position de premier investisseur et partenaire technique dans des secteurs stratégiques pour l’avenir du Royaume.
2. Une collaboration éducative et scientifique : innover et développer les échanges de savoirs
La coopération éducative constitue l’un des piliers historiques de la relation franco‑marocaine et a connu, ces dernières années, un nouvel essor. La France reste la première destination des étudiants marocains à l’étranger. En 2023, ils étaient près de 45 000 inscrits dans l’enseignement supérieur français, faisant du Maroc la deuxième source d’étudiants internationaux en France, après l’Algérie. Cette mobilité est facilitée par l’action de Campus France Maroc, qui accompagne chaque année des dizaines de milliers de candidats dans leurs démarches d’admission et de visa, et par un réseau scolaire français particulièrement dense au Maroc.
Les universités françaises et marocaines ont multiplié les partenariats académiques sous forme de doubles diplômes, de programmes conjoints de master et de thèse et de laboratoires de recherche partagés. Les coopérations les plus dynamiques concernent la gestion de l’eau, la santé publique, l’agronomie, les énergies renouvelables et, plus récemment, l’intelligence artificielle et le numérique. L’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le CNRS soutiennent plusieurs projets de recherche en partenariat avec des institutions marocaines, permettant la formation de jeunes chercheurs et l’échange de savoir‑faire scientifique.
La formation professionnelle et technique est également un domaine clé. Des centres de formation dédiés aux métiers de l’automobile et de l’aéronautique ont été mis en place avec le soutien d’entreprises françaises comme Renault, Stellantis et Safran, en lien avec l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT). Ces dispositifs visent à répondre aux besoins de main‑d'œuvre qualifiée et à accompagner la montée en gamme de l’industrie marocaine.
L’Agence française de développement intervient en soutien à ces programmes en finançant la construction et la modernisation d’établissements scolaires et universitaires, ainsi que des projets innovants de formation continue et de digitalisation de l’enseignement. Les responsables marocains rencontrés par la délégation ont insisté sur l’importance de renforcer ces partenariats pour répondre aux défis d’une jeunesse nombreuse et ambitieuse.
Ainsi, la coopération éducative et scientifique bilatérale contribue non seulement à l’élévation du capital humain au Maroc, mais aussi à la constitution de passerelles durables entre les deux pays, en favorisant la mobilité, la recherche conjointe et l’innovation.
3. La coopération sécuritaire et institutionnelle : consolider les accords entre les deux pays
La coopération sécuritaire entre la France et le Maroc constitue l’un des volets les plus stratégiques du partenariat bilatéral. Les deux pays partagent un intérêt commun pour la lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la gestion des flux migratoires. Les services de renseignement marocains, reconnus pour leur efficacité, entretiennent des échanges réguliers avec leurs homologues français, notamment dans le cadre de la prévention des attentats sur le sol européen. Les autorités françaises ont régulièrement salué le rôle du Maroc dans la fourniture d’informations ayant permis de déjouer des projets terroristes.
La coopération policière est tout aussi active, avec l’organisation d’exercices conjoints, de formations techniques et l’échange de bonnes pratiques en matière d’investigation criminelle. Les deux pays collaborent également dans la lutte contre les fugitifs, le trafic de stupéfiants, le blanchiment et le démantèlement des réseaux de migration irrégulière. Un plan d’action entre nos deux polices a été signé à Rabat le 24 juin 2025. Ce texte fait suite à un plan d’action conclu entre nos deux forces de gendarmerie fin août 2024, ainsi qu’à une feuille de route entre les deux ministres de l’intérieur à l’occasion de la visite de M. Bruno Retailleau à Rabat, le 14 avril 2025.
Sur le plan judiciaire, plusieurs conventions bilatérales encadrent l’entraide en matière pénale, l’extradition et le transfert de détenus, renforçant ainsi l’efficacité de la réponse judiciaire aux infractions transfrontalières.
Les partenariats institutionnels concernent aussi la modernisation de l’administration publique et de la justice. Des programmes de coopération ont permis la formation de magistrats et de greffiers marocains en France, ainsi que l’accompagnement de réformes visant à renforcer l’indépendance et l’efficacité du système judiciaire. Dans le domaine de la cybersécurité, un dialogue renforcé a été engagé pour protéger les infrastructures critiques et échanger sur les techniques de lutte contre la cybercriminalité.
Les membres de la délégation parlementaire ont constaté un fort intérêt des autorités marocaines pour approfondir ces coopérations, notamment dans le contexte régional marqué par l’instabilité au Sahel. Les responsables rencontrés ont exprimé leur souhait de développer des programmes conjoints de formation en matière de gestion des frontières, de protection civile et de lutte contre le blanchiment de capitaux. Cette convergence de priorités renforce la dimension stratégique de la relation franco‑marocaine et contribue à la stabilité de l’espace euro‑méditerranéen.
Cette coopération sécuritaire se projette également dans le domaine maritime, qui représente un enjeu stratégique majeur pour le Maroc en raison de sa façade atlantique et de son rôle de contrôle des routes maritimes. Un projet particulièrement significatif illustre cette dynamique : le Maroc est actuellement dans la phase finale d’un accord pour l’acquisition de sous‑marins de type Scorpène auprès de Naval Group. Cette démarche vise à combler un manque capacitaire stratégique dans le domaine sous‑marin et à doter la marine royale marocaine d’une capacité de dissuasion et de surveillance accrue. Le programme envisagé inclurait un volet industriel important, avec un transfert de compétences et la participation d’acteurs locaux, notamment via la possibilité de développer des capacités de maintenance à Casablanca. Pour la France, ce projet constituerait un signal fort de la relance de la coopération de défense, en consolidant la place de Naval Group et de la base industrielle et technologique de défense française dans un secteur stratégique à l’échelle régionale.
C. Le tournant diplomatique de la visite d’État d’octobre 2024 :
1. Vers un « partenariat d’exception renforcé » : la visite d’État d’octobre 2024 et le nouvel agenda bilatéral
La visite d’État du président Emmanuel Macron au Maroc, qui s’est tenue les 28 et 29 octobre 2024, a constitué un moment clé de la relation bilatérale. Première visite d’État depuis plusieurs années, elle a marqué la normalisation complète des relations diplomatiques après une période de relative réserve. Cette séquence a été placée sous le signe du lancement d’un « partenariat d’exception renforcé ». Il est destiné à structurer la coopération entre les deux pays autour de quatre axes : politique et diplomatie, économie et développement durable, culture et éducation, sécurité et défense.
Au cours de cette visite, plusieurs accords ont été signés. Dans le domaine économique, un protocole de coopération sur le développement des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert a été paraphé, avec la participation d’entreprises françaises majeures. Sur le plan éducatif, un programme bilatéral de bourses a été renforcé pour soutenir la mobilité étudiante et l’ouverture de filières universitaires conjointes. En matière de sécurité, un accord de coopération renforcée a été conclu afin d’intensifier l’échange de renseignements et la lutte contre la criminalité transnationale.
La visite a également été l’occasion de rencontres de haut niveau entre le président de la République, le roi Mohammed VI et les principaux responsables politiques marocains. Les discussions ont porté sur la mise en œuvre concrète de la reconnaissance française du plan d’autonomie pour le Sahara, sur les grands projets d’infrastructures et sur la coordination des positions sur les dossiers régionaux, notamment la situation au Sahel et en Méditerranée.
La délégation parlementaire, présente dans le pays quelques mois après cet événement, a pu mesurer son impact sur le climat politique et social. Les interlocuteurs marocains ont insisté sur le caractère symbolique de cette visite, perçue comme la confirmation d’un soutien de long terme de la France. Les médias marocains ont souligné que cette séquence diplomatique coïncidait avec les célébrations préparatoires du cinquantenaire de la Marche verte, conférant à l’événement une portée historique particulière.
En définitive, la visite d’État d’octobre 2024 a posé les bases d’une coopération bilatérale rénovée et ambitieuse, en donnant une feuille de route claire aux administrations et aux acteurs économiques et culturels des deux pays.
2. Des entretiens parlementaires et ministériels intensifiés
La visite de la délégation au Maroc a constitué un moment important dans le renforcement des relations parlementaires entre les deux pays. Lors de leur séjour, les représentants de la commission des affaires étrangères ont été reçus par le Président de la Chambre des représentants du Maroc, M. Rachid Talbi El Alami, avec lequel ils ont échangé sur les perspectives de coopération entre les Parlements français et marocain. Cet entretien a permis de mettre en lumière l’importance d’une coopération parlementaire structurée, axée sur des thématiques stratégiques telles que la sécurité régionale, la lutte contre le terrorisme, et les initiatives de développement durable. Le président marocain a réaffirmé l’engagement du Maroc à approfondir ses liens institutionnels avec la France et a souligné la nécessité d’accélérer les partenariats législatifs.
Les membres de la délégation ont également rencontré la présidente de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants du Maroc, pour discuter des priorités communes en matière de politique étrangère et de coopération multilatérale. Celle-ci a exprimé l’importance de renforcer la coopération parlementaire afin de mieux soutenir les politiques publiques, en particulier dans des domaines comme la gestion des crises migratoires, la lutte contre le changement climatique et la coopération économique. Elle a également souligné le rôle stratégique des parlementaires pour favoriser une coopération régionale plus solide, notamment en Afrique.
Le Forum interparlementaire franco‑marocain a été identifié comme un cadre essentiel pour poursuivre le dialogue entre les deux pays. Ce forum, qui réunit régulièrement des parlementaires français et marocains, constitue une plateforme clé pour aborder des défis communs. Il a été convenu que ce mécanisme permettrait de renforcer la coopération législative sur des sujets comme la sécurité énergétique, la lutte contre la radicalisation et la promotion des droits humains, avec des projets législatifs conjoints destinés à répondre aux enjeux mondiaux actuels.
Les visites de personnalités politiques au Maroc et en France ont également contribué à cette dynamique. En octobre 2024, la visite d'État du président français Emmanuel Macron à Rabat a été un moment fort dans la redéfinition des priorités bilatérales, avec des échanges axés sur la coopération économique, la lutte contre le changement climatique, et les relations sécuritaires. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères français, Jean‑Noël Barrot, a également rencontré des responsables marocains pour discuter des perspectives de coopération parlementaire, marquant ainsi un renforcement des relations diplomatiques.
Par ailleurs, la création prochaine d’une Alliance française dans la région du Sahara occidental, vient compléter les efforts pour renforcer la présence culturelle et diplomatique de la France au Maroc. Cette initiative témoigne de la volonté partagée de valoriser l’éducation, la culture, et la coopération parlementaire comme des leviers essentiels pour renforcer les liens bilatéraux.
3. Des perspectives de dialogue à haut niveau
Les entretiens de la délégation ont confirmé la volonté commune de consolider la relation bilatérale et de l’inscrire dans un cadre structuré et pérenne. Les deux parties ont convenu de maintenir un dialogue politique régulier à travers la relance du dialogue stratégique annuel, la tenue de commissions mixtes sectorielles et l’organisation de visites ministérielles récurrentes. Cette dynamique vise à passer d’une phase de normalisation des relations à une véritable planification conjointe des projets, afin d’assurer un suivi concret des engagements pris lors de la visite d’État d’octobre 2024.
Les membres de la délégation ont exprimé le souhait que le Forum interparlementaire prévu pour janvier 2026 serve de point d’ancrage à ce nouveau cycle de coopération. Il s’agira d’adopter une feuille de route commune portant sur les grands enjeux bilatéraux : emploi et formation des jeunes, transition énergétique, sécurité régionale et adaptation au changement climatique. Les membres de la délégation recommandent également la mise en place d’un mécanisme de suivi semestriel pour évaluer les avancées, identifier les obstacles et ajuster les priorités.
En définitive, ces perspectives traduisent une volonté partagée de maintenir une dynamique politique soutenue, en inscrivant le partenariat d’exception dans la durée et en le dotant d’outils de pilotage efficaces. Elles ouvrent la voie à un dialogue de haut niveau davantage structuré, capable d’apporter des résultats tangibles pour les sociétés des deux pays.
III. Une relation tournée vers l’avenir
A. La diplomatie parlementaire : un nouveau pilier pour l’amitié entre la France et le Maroc
1. La relance du Forum interparlementaire
Le Forum interparlementaire franco‑marocain apparaît comme un outil central de la relance de la coopération bilatérale. Conçu pour réunir régulièrement les représentants de l’Assemblée nationale française, du Sénat et des deux chambres du Parlement marocain, il constitue un espace privilégié de dialogue politique et de co‑construction. La tenue de la prochaine édition, prévue en janvier 2026, est appelée à revêtir une importance particulière dans le contexte du « partenariat d’exception » relancé en octobre 2024.
Les thématiques retenues pour ce Forum illustrent la convergence des priorités entre les deux pays : l’emploi et la formation des jeunes, la transition énergétique et l’adaptation au changement climatique, la sécurité régionale et la lutte contre le terrorisme, ainsi que la coopération en matière d’éducation et de culture. Les parlementaires marocains rencontrés ont exprimé leur volonté d’utiliser ce cadre comme un véritable laboratoire de propositions, capable de déboucher sur des initiatives législatives concertées ou sur des recommandations conjointes adressées aux gouvernements.
Lors des entretiens à Rabat, le Président de la Chambre des conseillers a déclaré : « Le Forum interparlementaire doit devenir un rendez‑vous de travail régulier, permettant d’avancer concrètement sur les dossiers qui concernent nos deux sociétés. ». Les élus français ont abondé dans ce sens en soulignant la nécessité de mettre en place des groupes de travail thématiques et un mécanisme de suivi des décisions prises, afin de garantir la continuité entre les sessions.
Ainsi, le renforcement du rôle du Forum interparlementaire s’impose comme un levier essentiel pour ancrer la relation bilatérale dans la durée. L’objectif est de l’ouvrir davantage aux sociétés civiles et d’assurer une traduction politique et opérationnelle des engagements pris au plus haut niveau de l’État.
2. La mise en place de missions d’information conjointes
Afin de donner un contenu concret au Forum interparlementaire, la création de groupes de travail permanents a été évoquée lors du déplacement de la délégation. Ces groupes seraient chargés de suivre, entre deux sessions plénières, la mise en œuvre des engagements adoptés et de préparer des propositions conjointes. Les thématiques identifiées comme prioritaires couvrent l’ensemble des grands défis communs : énergie et transition écologique, emploi et insertion des jeunes, sécurité et lutte contre le terrorisme, coopération culturelle et linguistique.
Chaque groupe pourrait associer, en plus des parlementaires, des experts techniques, des représentants de la société civile et des universitaires, afin d’enrichir la réflexion et d’élaborer des recommandations opérationnelles. Les députés français et marocains rencontrés ont souligné l’importance d’organiser des réunions semestrielles et de produire des rapports de suivi publics, permettant de rendre compte des avancées aux deux opinions publiques.
La coopération technique constituerait un volet essentiel de ce dispositif. Des visites d’étude pourraient être conjointement organisées, par exemple sur des sites industriels, des projets de transition énergétique ou des centres de formation professionnelle, afin de partager les expériences et d’identifier les bonnes pratiques. Des missions d’experts législatifs pourraient également être envisagées. Elles auraient pour visée un travail sur l’harmonisation des normes ou sur la conception de cadres réglementaires communs, notamment en matière d’environnement et de cybersécurité.
La mise en place de ces groupes de travail thématiques offrirait ainsi une méthode structurée pour passer de la concertation politique à l’action concrète, renforçant le rôle des Parlements dans la mise en œuvre du partenariat d’exception.
3. La coopération des territoires et des collectivités : un travail de proximité
La coopération décentralisée constitue un volet historique et structurant de la relation franco‑marocaine. De nombreuses collectivités territoriales françaises sont engagées dans des partenariats avec leurs homologues marocaines : jumelages de villes, projets culturels, programmes de coopération technique dans les domaines de la gestion urbaine, de l’assainissement, de la mobilité ou encore du développement durable. Cette coopération repose sur un cadre institutionnel solide facilitant les échanges et bénéficie souvent du soutien de l’AFD ou de fonds européens mobilisés via les collectivités.
Lors des entretiens menés avec les élus marocains, ces derniers ont clairement indiqué leur souhait de renforcer le rôle des collectivités locales dans le partenariat bilatéral, notamment pour accompagner les politiques de développement régional et la mise en œuvre de la régionalisation avancée. Les provinces du Sud, en particulier, constituent un terrain privilégié pour la coopération décentralisée, avec des projets visant à améliorer l’accès aux services publics, à soutenir l’emploi local et à favoriser le développement économique.
Pour les députés français en mission, cette coopération territoriale représente un instrument complémentaire du dialogue politique national. Elle permet d’associer les citoyens à la relation bilatérale et de développer des projets concrets à l’échelle locale, contribuant ainsi à donner une dimension humaine et durable au « partenariat d’exception renforcé ».
B. La coopération économique et sectorielle : un axe crucial de la relation franco‑marocaine
1. De grands projets d’infrastructures
Le Maroc poursuit une stratégie ambitieuse de modernisation de ses infrastructures afin de soutenir sa croissance économique et de renforcer son positionnement en tant qu'acteur régional majeur. Cette stratégie repose sur des projets d'envergure dans des secteurs clés tels que les transports, l'énergie, et l'urbanisme. Son objectif est d’améliorer la connectivité du pays, de stimuler l'attractivité économique et de soutenir les réformes structurelles en cours.
Le secteur des infrastructures de transport est au cœur de cette stratégie. Le port Tanger Med, avec sa capacité croissante, est devenu l'un des plus grands hubs portuaires de la Méditerranée. En facilitant le commerce entre le Maroc, l'Europe et l'Afrique, il représente un pilier central dans les ambitions logistiques du pays. À côté de ce port stratégique, le Maroc a investi dans des routes et autoroutes modernes, facilitant ainsi la mobilité des biens et des personnes à l'échelle nationale et régionale. Par ailleurs, le réseau ferroviaire a fait un grand saut en avant avec la mise en service du train à grande vitesse entre Casablanca et Tanger, un projet qui place le Maroc comme précurseur sur le continent africain. Le TGV permet non seulement de réduire les temps de trajet mais aussi d’attirer les investissements et de favoriser la mobilité économique entre les grandes villes du pays.
Dans le secteur aérien, le Maroc investit dans l’extension de ses principaux aéroports, notamment Mohammed V à Casablanca et Marrakech‑Menara, afin d’absorber la croissance du trafic passagers et de consolider sa place comme hub aérien entre l’Europe et l’Afrique. Ces projets d’agrandissement visent à améliorer la capacité d’accueil, à moderniser les infrastructures et à soutenir le développement du tourisme et des échanges économiques.
Dans le domaine de l'énergie, le Maroc a lancé des projets pionniers dans les énergies renouvelables, avec un accent particulier sur l'énergie solaire et éolienne. Le complexe solaire de Noor à Ouarzazate, l'un des plus grands au monde, est une référence internationale dans ce domaine. Ce projet vise à positionner le Maroc comme leader africain dans la transition énergétique, en produisant une énergie propre et durable tout en répondant à la demande intérieure croissante en électricité. En parallèle, des parcs éoliens sont en cours de construction le long des côtes atlantiques, permettant de diversifier l’approvisionnement énergétique et de réduire la dépendance aux énergies fossiles.
Sur le plan urbain, les projets d’aménagement continuent de transformer le visage des villes marocaines. Des projets d’urbanisme durable sont mis en place pour répondre à l’expansion démographique et à l’urbanisation rapide. Des initiatives telles que la construction de villes nouvelles et le développement de logements sociaux visent à réduire la pression sur les grandes agglomérations tout en améliorant la qualité de vie des citoyens. Des projets d'infrastructure verte, comme des espaces publics et des parcs, sont également développés pour rendre les villes plus résilientes face aux changements climatiques.
Enfin, ces projets d’infrastructures sont soutenus par des financements internationaux et des partenariats public‑privé. La France, par exemple, joue un rôle central en tant que partenaire dans plusieurs de ces projets. Les entreprises françaises contribuent activement à la réalisation de ces infrastructures, que ce soit dans la construction des routes et ports, la gestion des infrastructures énergétiques ou encore le financement des projets d’urbanisme. De plus, les investissements étrangers dans ces grands projets contribuent à la création d’emplois et au développement de compétences locales, en particulier dans les secteurs de la construction, de la logistique et de l’ingénierie.
Ces grands projets d'infrastructures ne visent pas seulement à moderniser les capacités logistiques du Maroc mais également à renforcer son attractivité économique et à offrir des opportunités d’investissement. À terme, ils contribueront à faire du Maroc un leader régional en matière de transport, d’énergie et d’urbanisme, tout en offrant un modèle de développement durable et inclusif pour d'autres pays de la région.
2. La dynamisation des échanges commerciaux et des investissements
La transition énergétique constitue l’un des axes les plus stratégiques du partenariat d’exception. Le Maroc s’est fixé pour objectif de porter la part des énergies renouvelables à plus de 50 % de son mix électrique d’ici 2030. Les entretiens menés par la délégation ont confirmé que les autorités marocaines comptent sur le savoir‑faire français pour atteindre cet objectif, en particulier dans les filières solaire, éolienne et hydraulique.
Les projets solaires de la région de Ouarzazate et les parcs éoliens de Taza et de Midelt, auxquels participent plusieurs entreprises françaises, illustrent cette dynamique. Les autorités marocaines ont également évoqué le potentiel considérable de l’hydrogène vert, qui pourrait faire du pays un fournisseur majeur pour l’Europe dans les prochaines décennies. Les discussions ont souligné la nécessité d’investir dans les infrastructures de stockage et de transport, ainsi que dans la formation de compétences locales pour accompagner cette mutation énergétique.
La délégation a également relevé l’importance accordée par le Maroc aux questions environnementales et climatiques, en particulier la gestion de l’eau et la lutte contre la désertification. Les projets de dessalement soutenus par l’AFD et les programmes de reboisement constituent des exemples concrets d’actions en cours. Les représentants marocains ont exprimé leur souhait de renforcer la coopération scientifique avec les instituts français pour développer des solutions innovantes de gestion durable des ressources.
Cette transition énergétique et environnementale représente à la fois un défi et une opportunité pour le partenariat franco‑marocain, en ouvrant la voie à des coopérations technologiques, industrielles et scientifiques de long terme.
3. Le soutien à la transition énergétique et numérique
La transition énergétique et la transformation numérique occupent une place prioritaire dans l’agenda bilatéral. Le Maroc s’est fixé pour objectif d’atteindre plus de 50 % d’énergies renouvelables dans son mix électrique d’ici 2030, ce qui en fait l’un des pays les plus ambitieux de la région en matière de transition énergétique. La coopération avec la France joue un rôle clé dans la réalisation de cette ambition.
Les grands projets solaires, en particulier le complexe Noor Ouarzazate, ainsi que les parcs éoliens de Taza et de Midelt, mobilisent des acteurs français de premier plan. Les autorités marocaines ont présenté à la délégation les avancées de ces projets et insisté sur la nécessité de développer des partenariats technologiques pour améliorer le stockage de l’énergie et l’intégration des renouvelables dans le réseau électrique. L’hydrogène vert a également été identifié comme un secteur d’avenir : des discussions techniques ont été engagées pour développer des unités pilotes destinées à l’exportation vers l’Europe.
La transformation numérique a fait l’objet d’un dialogue approfondi. Le Maroc ambitionne d’accélérer la digitalisation de son économie et de son administration, notamment par la mise en place de plateformes en ligne pour les services publics et par la numérisation des procédures douanières. Les entreprises françaises sont sollicitées pour partager leur expertise en cybersécurité, en e‑gouvernement et en infrastructures numériques.
Les membres de la délégation ont relevé que ce double chantier – énergétique et numérique – représente un levier majeur pour la compétitivité de l’économie marocaine et pour l’intégration du pays dans les chaînes de valeur mondiales. Le soutien français, à travers l’AFD et les partenariats technologiques, contribue à faire de la transition énergétique et numérique un moteur de croissance inclusive et durable.
C. La culture, la jeunesse, l’innovation et les migrations : un partenariat d’avenir
1. La feuille de route culturelle 2024
La feuille de route culturelle signée en 2024 entre la France et le Maroc a marqué une étape importante dans la consolidation de la coopération bilatérale dans ce domaine. Elle fixe des objectifs précis pour renforcer la diffusion de la langue française, soutenir la création artistique et favoriser les échanges entre institutions culturelles des deux pays.
Les Instituts français et le réseau des Alliances françaises jouent un rôle central dans la mise en œuvre de cette stratégie. Ils organisent chaque année des centaines d’événements – festivals de cinéma, expositions, conférences – qui participent à la vitalité de la scène culturelle marocaine. Les responsables rencontrés par la délégation ont insisté sur l’importance de maintenir cet effort, en particulier auprès de la jeunesse et dans les régions éloignées des grands centres urbains.
La coopération culturelle inclut également un volet patrimonial. Des projets de restauration et de mise en valeur de sites historiques sont menés conjointement, contribuant à préserver la mémoire commune et à valoriser l’héritage architectural. Les élus marocains ont exprimé leur souhait de voir ces initiatives s’étendre aux provinces du Sud, afin d’y renforcer l’attractivité touristique et de promouvoir la diversité culturelle du Royaume.
Enfin, la feuille de route encourage le développement de programmes conjoints dans les industries créatives, notamment le cinéma, la musique et les arts visuels, ainsi que la participation d’artistes marocains à de grands festivals en France. Cette dynamique contribue à la circulation des œuvres et à la reconnaissance internationale de la création marocaine, tout en renforçant les liens entre les deux sociétés.
2. Le développement de l’aide en matière éducative : alternance, mobilité étudiante
L’éducation et la mobilité étudiante figurent au cœur du partenariat franco‑marocain. En 2023, près de 43 000 élèves marocains étaient scolarisés dans les 44 établissements français au Maroc. Il existe cinq lycées français([1]) relevant de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger. Ce nombre inclut une large proportion de 69 % d’élèves marocains, et l’Institut français du Maroc (IFM) soutient cette dynamique à travers ses 13 sites et plusieurs Alliances françaises et espaces Campus‑France répartis à travers le pays. Le Maroc demeure également le principal pays d’origine des étudiants étrangers en France, une tendance facilitée par le soutien de Campus France Maroc, qui accompagne les étudiants dans leurs démarches administratives, ainsi que par un maillage dense d’établissements scolaires français couvrant l'ensemble du territoire marocain.
La coopération éducative ne se limite pas à l’enseignement supérieur : elle s’étend à la formation professionnelle et à l’alternance. Plusieurs projets structurants ont été évoqués lors de la mission, notamment la création de centres de formation dédiés aux métiers de l’automobile et de l’aéronautique, réalisés en partenariat avec l’OFPPT et soutenus par des entreprises françaises comme Renault, Stellantis et Safran. Ces centres ont pour vocation de répondre aux besoins croissants en main‑d’œuvre qualifiée et de favoriser l’employabilité des jeunes.
Des programmes de double diplomation et de recherche conjointe se développent également entre les universités françaises et marocaines. Les domaines prioritaires concernent la santé publique, l’agronomie, l’ingénierie hydraulique et les énergies renouvelables. Les représentants de l’IRD et du CNRS ont insisté sur le rôle stratégique de ces partenariats pour former une nouvelle génération de chercheurs et d’ingénieurs capables de répondre aux défis du changement climatique et de la transition énergétique.
Enfin, la délégation a relevé l’importance croissante de la mobilité réciproque, avec l’accueil d’étudiants et de chercheurs français dans les établissements marocains, favorisant un dialogue scientifique équilibré. Cette politique de mobilité s’inscrit dans la perspective d’un rapprochement durable entre les sociétés civiles et contribue à l’émergence d’une véritable communauté de savoirs franco‑marocaine.
3. Les industries créatives et les grands événements sportifs
Les industries créatives représentent un secteur en plein essor au Maroc et un terrain de coopération privilégié avec la France. Les échanges avec les responsables culturels rencontrés ont montré une volonté commune de soutenir l’émergence de nouveaux talents dans les domaines du cinéma, de la musique, de la mode et du design. Des initiatives conjointes sont en cours pour favoriser la coproduction cinématographique, encourager la diffusion des œuvres marocaines en France et renforcer la présence des artistes français dans les festivals marocains.
La délégation a également souligné le potentiel économique et diplomatique des grands événements sportifs, en particulier la Coupe du monde de football 2030, que le Maroc co‑organisera avec l’Espagne et le Portugal. Les interlocuteurs marocains ont exprimé leur souhait de bénéficier de l’expertise française en matière de construction et de gestion d’infrastructures sportives, d’organisation logistique et de sécurité événementielle. Cette collaboration pourrait s’étendre aux volets touristiques et culturels liés à la préparation de cet événement planétaire. La Coupe du monde de football 2030 représente une occasion exceptionnelle pour le Maroc de renforcer sa visibilité internationale et de dynamiser son secteur économique et culturel. Sur le plan économique, cet événement sera un levier majeur pour la construction d'infrastructures sportives et touristiques, avec des investissements dans les stades, les transports et l'hôtellerie, ce qui créera de nombreuses opportunités d'emploi et stimulera l’activité économique du pays. Sur le plan culturel, cette compétition internationale constitue également un tremplin pour mettre en avant la richesse culturelle du Maroc, à travers des événements annexes, des festivals et des expositions. Cette coopération permettra au Maroc de se positionner comme un acteur majeur du tourisme mondial, attirant visiteurs et investisseurs à la fois pour les matchs et pour la richesse de son patrimoine et de ses traditions.
Au‑delà de la Coupe du monde, les échanges ont porté sur la nécessité de structurer une filière sportive professionnelle capable de former des jeunes talents, d’attirer des investissements et de faire du sport un levier de développement territorial. La coopération avec la France dans les domaines de la formation des entraîneurs, de la médecine du sport et de l’économie sportive a été identifiée comme un axe prioritaire pour les années à venir.
Ces initiatives contribuent à faire de la culture et du sport des vecteurs de rayonnement pour la relation bilatérale, en renforçant les liens entre les sociétés civiles et en donnant une visibilité internationale au partenariat franco‑marocain.
La question migratoire occupe une place centrale dans la relation franco‑marocaine, tant pour ses dimensions humaines qu’économiques et sécuritaires. Le Maroc est à la fois un pays d’origine, de transit et de destination des flux migratoires, ce qui en fait un partenaire stratégique incontournable pour la France et pour l’Union européenne.
Les échanges ont permis de constater une volonté partagée de renforcer le dialogue sur la gestion des flux migratoires. Les autorités marocaines ont rappelé les efforts importants déployés pour encadrer l’immigration clandestine et sécuriser les frontières, tout en soulignant la nécessité de préserver la dignité des personnes migrantes et de promouvoir une approche équilibrée entre sécurité et développement.
La coopération consulaire entre les deux pays en matière migratoire a été identifiée comme un point clé pour fluidifier la délivrance des visas, en particulier pour les étudiants et les professionnels participant à des projets de coopération. Cette approche concertée vise à renforcer les échanges humains, à valoriser le rôle de la diaspora marocaine en France et à inscrire la mobilité dans une logique gagnant-gagnant. L’objectif est la construction d’un partenariat modèle en matière de gestion concertée et mutuellement profitable des flux. Un meilleur concours du Maroc à la chaîne française de l’éloignement (nombre et délai d’identifications, délivrance de laissez-passer consulaires) a permis d’atteindre 818 éloignements forcés en 2024 contre moins de 500 en 2023. Le rythme pour 2025 est déjà élevé (527 éloignements pendant le seul premier semestre). Les instances de dialogue fonctionnent désormais à plein régime, qu’il s’agisse du groupe migratoire mixte permanent, qui s’est réuni deux fois en un an (3 octobre 2024 à Marrakech puis 25 juin à Paris) ou bien de formats ad hoc.
Les membres de la délégation ont salué les initiatives marocaines en faveur de l’intégration des migrants subsahariens et de la régularisation progressive de leur situation, considérées comme des exemples dans la région. Les deux parties ont également évoqué la nécessité de développer des programmes de mobilité concertée, notamment pour les étudiants, les chercheurs et les travailleurs qualifiés. L’objectif est de favoriser la circulation légale et ordonnée des personnes, de répondre aux besoins en main‑d’œuvre des deux économies et de réduire les incitations à l’immigration irrégulière.
Enfin, la coopération consulaire a été identifiée comme un point clé pour fluidifier la délivrance des visas, en particulier pour les étudiants et les professionnels participant à des projets de coopération. Cette approche concertée vise à renforcer les échanges humains, à valoriser le rôle de la diaspora marocaine en France et à inscrire la mobilité dans une logique gagnant‑gagnant.
D. La sécurité : un enjeu majeur
1. L’amélioration de la coopération policière et le renforcement de la coopération militaire
La coopération entre la France et le Maroc en matière de sécurité est l’une des plus approfondies et constitue un pilier essentiel du partenariat bilatéral. Les entretiens tenus à Rabat ont confirmé que le Royaume est un acteur central de la stabilité régionale et un allié de premier plan dans la lutte contre le terrorisme.
Les services de renseignement marocains ont fourni, à plusieurs reprises, des informations déterminantes ayant permis de déjouer des projets d’attentats sur le sol européen. Les autorités françaises ont exprimé leur reconnaissance pour cette collaboration étroite et cette coordination. Elle repose sur un échange constant d’informations opérationnelles et sur l’organisation d’exercices conjoints entre forces de police et de gendarmerie.
Au‑delà de la lutte contre le terrorisme, la coopération s’étend au démantèlement des réseaux de criminalité organisée, au combat contre le trafic de stupéfiants et au contrôle des flux migratoires irréguliers. Les conventions bilatérales en matière d’entraide judiciaire et d’extradition renforcent l’efficacité des procédures et témoignent de la confiance mutuelle entre les deux systèmes judiciaires.
Les responsables marocains rencontrés ont exprimé leur souhait de développer de nouveaux programmes de formation pour les forces de sécurité, y compris dans les domaines de la cybersécurité et de la protection des infrastructures critiques. Les membres de la délégation ont relevé que cet approfondissement de la coopération sécuritaire répond aux enjeux communs de la France et du Maroc et contribue directement à la sécurité de l’espace euro‑méditerranéen.
Dans le domaine de la défense et de la sécurité, les rapporteurs ont pu constater que le format d’un véritable dialogue stratégique est en construction.
La montée en puissance de la coopération opérationnelle et structurelle de défense (exercice aérien Marathon, entre autres) est significative et trouve ses prolongements industriels naturels, y compris comme la France l’a déjà fait dans d’autres secteurs, à travers l’accompagnement en faveur de l’émergence d’écosystèmes locaux.
2. La prévention des risques naturels et la coopération civile
La coopération franco‑marocaine ne se limite pas aux questions de sécurité et de migration : elle s’étend également à la gestion des risques naturels et à la protection civile, qui sont devenues des priorités à la suite des catastrophes récentes. Le séisme survenu en septembre 2023 dans la région du Haut Atlas a rappelé l’importance de renforcer les capacités de prévention, d’alerte et d’intervention en cas de crise.
Lors des échanges avec les autorités marocaines, ces dernières ont souligné leur reconnaissance du rôle de la France qui avait dépêché des équipes de secours et fourni un appui logistique dès les premières heures de la catastrophe. Cette solidarité a été perçue comme un geste fort et a contribué à renforcer la relation de confiance entre les deux pays. La France a apporté une aide financière de 2,6 millions d’euros par biais du fonds de concours Gestion de crise du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
Les responsables marocains ont exprimé leur souhait de poursuivre cette coopération par des programmes de formation conjointe des équipes de protection civile, l’acquisition de matériels spécialisés et l’élaboration de plans d’intervention communs. La France apporte également son expertise en matière de cartographie des risques, de planification urbaine résiliente et de gestion post‑catastrophe, afin d’accompagner le Maroc dans l’adaptation de ses infrastructures aux effets du changement climatique.
La délégation de la commission des affaires étrangères a relevé que ces initiatives permettent non seulement de sauver des vies en cas de crise mais aussi de consolider les liens humains entre les deux sociétés, en donnant un visage concret et solidaire au partenariat d’exception.
Au cours de sa séance du 15 octobre 2025, à 9 h 30, la commission entend une communication, ouverte à la presse, sur le déplacement effectué par une délégation de la commission au Maroc, du 11 au 14 juin 2025.
M. le président Bruno Fuchs. Nous allons entendre une communication concernant le déplacement au Maroc, du 11 au 14 juin 2025, d’une délégation de notre commission composée de MM. Alain David, Michel Herbillon, Sébastien Chenu, Vincent Ledoux et Aurélien Taché. Ce déplacement s’est inscrit dans la continuité des deux déplacements du président de la République l’année dernière et de la présidente de l’Assemblée nationale, auxquels j’ai personnellement assisté. Ces visites ont permis de restaurer une relation forte avec le Maroc, laquelle a traversé entre 2021 et 2023 une période de tensions extrêmement vives, plaçant nos rapports quasiment à l’arrêt. Elles ont rétabli une relation de confiance et défini des objectifs importants à moyen et long termes pour le développement de nos relations bilatérales.
La relation renouvelée entre la France et le Maroc impacte également nos rapports avec les pays européens voisins en Afrique. Dans ce contexte, l’implication de notre commission revêt une importance particulière, les parlementaires jouant un rôle déterminant dans la reconstruction d’une relation nouvelle. C’était précisément l’objet du déplacement qui nous sera présenté ce matin.
La délégation a été reçue à Rabat par les plus hautes autorités du royaume chérifien, notamment le ministre des affaires étrangères, le président de la Chambre des représentants et la présidente de la commission des affaires étrangères. Cette délégation a contribué à porter un regard sur la dimension économique de nos relations, particulièrement significative avec 14 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2023. Le Maroc constitue notre premier partenaire commercial en Afrique, la France étant son deuxième fournisseur et client mais aussi son premier investisseur étranger. Nos collègues aborderont également les dimensions politique, culturelle, historique et linguistique de nos relations.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Cette mission parlementaire s’est déroulée dans les meilleures conditions, grâce à une feuille de route claire, un esprit d’équipe exemplaire et une parfaite cohésion entre les participants. J’exprime ma profonde gratitude aux services de l’Assemblée nationale pour la qualité de la préparation, de l’organisation et du suivi de nos déplacements, nous permettant d’aborder avec efficacité les nombreux sujets inscrits à notre ordre du jour. Je remercie aussi la cheffe de la division du protocole de la Chambre des représentants, dont l’assistance sur place nous a été extrêmement précieuse.
Cette mission est intervenue à un moment charnière de l’histoire des relations entre la France et le Maroc, deux nations liées par des siècles d’échanges, de défis partagés et d’aspirations communes que nous avons pu véritablement percevoir sur place. L’année 2024 restera gravée dans les mémoires comme celle d’un renouveau sans précédent dans ces relations, après une période de tensions diplomatiques. Nos deux pays ont réussi à tourner la page et à engager un nouveau dialogue fondé sur une confiance mutuelle et une vision commune de l’avenir.
Ce renouveau s’est manifesté à travers deux événements majeurs : la lettre du président de la République française adressée à Sa Majesté le roi Mohammed VI en juillet 2024, à l’occasion des vingt-cinq ans de son règne, et la visite d’État historique du président de la République au Maroc les 28, 29 et 30 octobre 2024. Dans sa lettre, le président de la République a réaffirmé avec clarté et détermination la position de la France sur la question du Sahara occidental, reconnaissant le plan d’autonomie proposé par le Maroc comme « la seule base crédible pour une solution politique juste, durable et négociée, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ». Ce geste, à la fois symbolique et stratégique, a marqué un tournant dans notre relation bilatérale. Il a permis de dissiper les malentendus et d’ouvrir la voie à ce que nos deux pays qualifient désormais de « partenariat d’exception renforcée », cadre ambitieux couvrant des domaines aussi variés que l’économie, la sécurité, la culture, l’éducation et la transition énergétique.
La visite d’État d’octobre 2024, première du genre depuis plusieurs années, a concrétisé cette volonté politique par la signature d’une série d’accords et de protocoles visant à approfondir notre coopération dans des secteurs clés. Au-delà de ces textes officiels, c’est une dynamique nouvelle qui s’est instaurée, portée par une volonté commune de co-construire un avenir partagé, fondé sur des valeurs communes et des intérêts convergents.
Notre mission s’est inscrite pleinement dans cette dynamique et poursuivait trois objectifs principaux. Tout d’abord, nous souhaitions évaluer les avancées réalisées dans les domaines stratégiques en mesurant l’impact des réformes engagées par le Maroc et le niveau de mise en œuvre des accords signés lors de la visite présidentielle. Ensuite, nous avons identifié les opportunités de projets conjoints bénéfiques à nos deux sociétés en repérant les secteurs où notre coopération pourrait être renforcée par la mobilisation des acteurs publics, privés et des sociétés civiles. Enfin, nous avons, au cours de nos déplacements, préparé l’avenir de notre collaboration en posant les bases d’un dialogue parlementaire renforcé. Nous avons notamment contribué à la redéfinition d’une feuille de route commune pour les années à venir, en nous appuyant sur les priorités identifiées par nos deux gouvernements. Plus particulièrement, il s’agissait de préparer activement la prochaine session du Forum interparlementaire franco-marocain prévu en janvier 2026. Bien plus qu’une simple plateforme de dialogue, il constitue un levier essentiel pour approfondir et stabiliser notre relation bilatérale et favoriser une diplomatie parlementaire toujours plus fructueuse, donnant ainsi une dimension concrète et opérationnelle aux engagements pris au plus haut niveau de l’État.
Au cours de trois journées particulièrement intenses, nous avons rencontré les plus hautes autorités marocaines, dont le président de la Chambre des représentants, M. Rachid Talbi El-Alami, la présidente de la commission des affaires étrangères, avec qui nous avons eu des échanges particulièrement dynamiques et fructueux, ainsi que trois ministres et divers responsables gouvernementaux. Nous avons visité des sites emblématiques tels que le complexe portuaire de Tanger Med et le site industriel de Renault à Tanger, qui illustrent concrètement les réalisations et les ambitions du Maroc. Nous avons également échangé avec des représentants de la société civile, des universitaires et des entrepreneurs, afin d’obtenir une vision globale et équilibrée des enjeux et des défis auxquels nos deux pays font face.
Ce que nous avons constaté sur place dépasse largement le cadre des relations interétatiques. Le Maroc est un pays en pleine modernisation, porté par une jeunesse dynamique, ambitieuse et joyeuse, avec un niveau de formation en constante progression, une économie qui se diversifie et démontre une résilience remarquable, ainsi qu’une volonté politique claire de jouer un rôle de premier plan sur les scènes régionale et internationale. Cette modernisation économique, sociale et institutionnelle génère des opportunités considérables pour notre partenariat, malgré les défis qu’il nous faut aborder avec pragmatisme et détermination.
Les liens entre la France et le Maroc, très anciens, remontent à des siècles d’échanges qui ont façonné cette relation depuis l’indépendance, en 1956. Nous avons construit une relation privilégiée, caractérisée par une coopération durable et des échanges humains intenses. La communauté marocaine en France, forte de près de 1,5 million de personnes, constitue un pont vivant entre nos deux nations et nous souhaitions vraiment mesurer ce lien des deux côtés de la Méditerranée. Cette communauté contribue activement à notre économie, à notre vie culturelle et à notre dynamisme social.
Sur le plan économique, la France demeure le premier investisseur au Maroc, avec un stock d’investissements directs estimé à 8,4 milliards d’euros, soit un tiers du total des investissements étrangers dans le royaume. Plus de 1 000 filiales françaises implantées au Maroc emploient 150 000 personnes. Ces entreprises, majoritairement issues du CAC40, opèrent dans des secteurs stratégiques comme l’automobile, l’aéronautique, les infrastructures, les télécommunications et les énergies renouvelables.
Dans le domaine éducatif, le Maroc représente le deuxième pays d’origine des étudiants étrangers en France, avec près de 45 000 étudiants marocains inscrits dans nos universités. Cette mobilité étudiante, facilitée par un réseau dense d’établissements scolaires français au Maroc, constitue un vecteur essentiel de notre rayonnement.
Sur le plan sécuritaire, notre coopération s’avère tout aussi intense, le Maroc représentant un partenaire clé dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale. Les services de renseignement marocains ont, à plusieurs reprises, fourni des informations déterminantes ayant permis de déjouer des attentats sur le sol européen. Notre collaboration en matière de sécurité et de défense revêt donc un caractère stratégique, non seulement pour nos deux pays mais également pour la stabilité de la région.
Notre mission s’est déroulée dans un contexte marqué par des défis majeurs : la crise au Sahel, les tensions en Méditerranée orientale, les flux migratoires, le changement climatique et le conflit israélo-arabe. Dans ce contexte, le Maroc apparaît comme un acteur de stabilité et de progrès, engagé dans la recherche de relations durables et innovantes. Le royaume du Maroc a lancé des initiatives ambitieuses pour faire face au stress hydrique, développer les énergies renouvelables et moderniser ses infrastructures. Il joue également un rôle actif dans la résolution des crises régionales, que ce soit en Libye, au Sahel ou au Proche-Orient.
Le Maroc, partie prenante des accords d’Abraham, avec son retour au sein de l’Union africaine en 2017 et son engagement en faveur de la coopération Sud-Sud, constitue désormais un interlocuteur incontournable pour la France et pour l’Europe. Nous avons souhaité inscrire notre action dans ce cadre. Notre objectif ne consistait pas simplement à constater des progrès mais également à proposer des pistes concrètes pour renforcer notre partenariat et lui donner une nouvelle dimension.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour ce premier exposé qui présente le cadre de la mission et les grands enjeux qu’elle comportait. Je donne maintenant la parole à M. Alain David pour approfondir les rencontres que vous avez effectuées, leur richesse, les propositions qui se dessinent, et notamment le volet parlementaire, les parlementaires jouant naturellement un rôle important dans le développement de notre relation avec le Maroc.
M. Alain David, rapporteur. Le Maroc constitue effectivement un partenaire clé en pleine modernisation.
Premièrement, il connaît une modernisation politique et diplomatique ambitieuse. Depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohammed VI engage le Maroc dans une profonde transformation institutionnelle visant à moderniser l’État, renforcer les droits et libertés et positionner le pays comme un acteur majeur sur la scène internationale.
La Constitution de 2011, adoptée en réponse aux aspirations exprimées lors du Printemps arabe, marque une étape décisive dans ce processus. Elle élargit les prérogatives du Parlement, renforce le rôle du chef de gouvernement et affirme l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle enrichit également le catalogue des droits fondamentaux en intégrant des garanties supplémentaires en matière de libertés publiques, de pluralisme linguistique et de régionalisation avancée.
Cette régionalisation avancée représente un élément clé de la stratégie marocaine. Elle vise à décentraliser le pouvoir et à réduire les disparités entre les régions côtières, dynamiques et urbanisées, et les zones de l’intérieur, souvent enclavées et moins développées. Elle constitue donc à la fois un outil de développement territorial et un levier de cohésion sociale.
Malgré ces avancées, le système politique marocain reste marqué par la prééminence de la monarchie. Le Roi, en tant que commandeur des croyants et chef de l’État, conserve un rôle central dans l’orientation de la politique intérieure et extérieure. Il nomme le chef du gouvernement parmi les membres du parti arrivé en tête aux élections législatives et préside le conseil des ministres pour les grandes décisions stratégiques. Ce modèle, alliant légitimité traditionnelle et institutions démocratiques, contribue à la stabilité du pays dans un environnement régional souvent instable.
Deuxièmement, le Maroc met en œuvre une diplomatie active et influente. Sur le plan diplomatique, il déploie une stratégie ambitieuse visant à consolider son influence en Afrique et dans le monde arabe, tout en renforçant ses partenariats avec l’Europe et les États-Unis. Sa réintégration dans l’Union africaine en 2017, après plus de trois décennies d’absence, constitue un succès retentissant. Depuis lors, le royaume multiplie les initiatives pour renforcer les liens avec les pays africains, notamment à travers des visites royales et la signature de plus de 1 000 accords bilatéraux couvrant des domaines aussi variés que l’énergie, l’agriculture, la formation et la coopération sécuritaire.
Le Maroc joue également un rôle clé dans la résolution des crises régionales. Il s’impose comme un médiateur crédible dans plusieurs dossiers, notamment en Libye, où il facilite des négociations entre les parties belligérantes, et dans le dossier palestinien, où il continue de plaider pour une solution négociée et durable. En 2024, le Maroc a présidé le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, ce qui lui a permis de mettre en avant son engagement en faveur des droits humains et de la paix. Cette présidence a renforcé également son image d’acteur responsable et constructif sur la scène internationale.
Par ailleurs, le Maroc a lancé une initiative audacieuse visant à donner un accès direct à l’océan Atlantique aux pays du Sahel, en particulier le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Cette initiative, annoncée en 2023, illustre la volonté du royaume de jouer un rôle structurant dans le développement régional et de sécuriser les échanges commerciaux.
Le Maroc est aujourd’hui reconnu comme un pôle de stabilité dans une région marquée par l’instabilité et les conflits. Son engagement dans la lutte contre le terrorisme, son rôle dans la gestion des flux migratoires et sa contribution à la sécurité en Méditerranée en font un partenaire indispensable pour la France et pour l’Europe. Notre coopération en matière de sécurité revêt donc un caractère stratégique. Elle repose sur un échange constant d’informations, des exercices conjoints entre nos forces de police et de gendarmerie et une coordination étroite dans la lutte contre les réseaux criminels transnationaux.
Le dynamisme économique du Maroc se révèle remarquable à de nombreux égards. Malgré un contexte international marqué par des incertitudes et les conséquences de la pandémie de Covid-19, le Maroc enregistre une croissance de 3,4 % en 2023 et table sur un taux supérieur à 4 % d’ici 2025. Cette performance repose sur une diversification progressive de l’économie, qui permet de réduire la dépendance au secteur agricole, historiquement sensible aux aléas climatiques. Le secteur automobile constitue aujourd’hui le premier secteur exportateur du Maroc, représentant plus de 25 % des ventes extérieures.
Les usines de Renault et de Stellantis au Maroc figurent parmi les plus modernes et les plus compétitives d’Afrique. Elles exportent une part significative de leur production vers l’Europe et la Méditerranée, contribuant ainsi directement à la compétitivité de l’industrie marocaine. Le secteur aéronautique connaît également un essor remarquable, avec une croissance annuelle avoisinant les 20 %. Plus de 150 entreprises sont désormais implantées dans le royaume, faisant du Maroc un acteur majeur dans ce domaine.
Les nouvelles technologies et le numérique constituent un autre pilier essentiel de cette diversification économique. Le Maroc a créé des zones d’activités dédiées et établi des partenariats stratégiques avec des investisseurs étrangers pour développer ce secteur porteur d’avenir.
Le Maroc se distingue également par ses infrastructures de classe mondiale. Le complexe portuaire de Tanger Med, que nous avons visité lors de notre mission, est devenu le premier port en Méditerranée et en Afrique, avec une capacité annuelle dépassant 10 millions de conteneurs. Ce hub logistique joue un rôle stratégique dans les échanges commerciaux entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. La ligne à grande vitesse Tanger-Rabat-Casablanca, inaugurée en 2018, a réduit de moitié le temps de trajet entre ces villes. Ce projet, financé à 51 % par des prêts français, symbolise notre coopération et notre engagement commun en faveur du développement des infrastructures. Les travaux d’extension vers Marrakech progressent actuellement, avec la commande de 18 nouvelles rames auprès d’Alstom. Ce projet, dont l’achèvement est prévu avant 2030, illustrera une fois encore l’excellence de notre partenariat industriel.
Par ailleurs, le Maroc poursuit des objectifs ambitieux en matière de transition énergétique. Le complexe solaire Noor Ouarzazate, l’un des plus imposants au monde, témoigne de cet engagement. Ce projet, réalisé en collaboration avec des entreprises françaises, alimente déjà plus d’un million de foyers en électricité propre. Le royaume ambitionne de porter la part des énergies renouvelables à 52 % de son mix électrique d’ici 2030. Des projets d’hydrogène vert sont également en discussion avec des partenaires européens, dont la France. Ces initiatives positionnent le Maroc comme un leader régional dans la lutte contre le changement climatique.
Le Maroc connaît également une profonde mutation sociale et culturelle. Avec une population de 37,8 millions d’habitants, dont près de 30 % ont moins de 15 ans, le pays dispose d’un formidable potentiel démographique. Pour transformer ce potentiel en véritable moteur de croissance, les autorités ont lancé un vaste programme de généralisation de l’enseignement primaire et d’amélioration de la qualité pédagogique. L’éducation et la formation constituent des priorités nationales depuis une quinzaine d’années. De nouvelles universités ont été créées dans les régions pour réduire les inégalités territoriales et faciliter l’accès à l’enseignement supérieur. La coopération universitaire franco-marocaine joue un rôle déterminant dans cette dynamique, en favorisant la mobilité étudiante et le développement de cursus conjoints.
L’enseignement supérieur connaît un développement rapide, avec une augmentation constante du nombre d’inscrits. Les partenariats avec les établissements européens et africains se multiplient, offrant aux étudiants marocains des opportunités de formation d’excellence.
Sur le plan sociétal, le Maroc a engagé des réformes significatives pour moderniser son cadre juridique et promouvoir une société plus inclusive. La révision du code de la famille, annoncée en 2024, vise à renforcer les droits des femmes et des enfants et à moderniser les dispositions relatives au mariage et à l’héritage. Le Maroc œuvre également à la promotion d’un islam modéré et ouvert. L’institut Mohammed VI pour la formation des imams, qui accueille des étudiants de toute l’Afrique subsaharienne, constitue une référence internationale dans la lutte contre l’extrémisme religieux.
Enfin, la vie culturelle marocaine connaît un essor remarquable. Les villes comme Rabat, Casablanca, Marrakech et Tanger accueillent des festivals, des biennales et des expositions d’envergure internationale. La Coupe du monde de football 2030, que le Maroc co-organisera avec l’Espagne et le Portugal, offrira une occasion exceptionnelle de mettre en lumière cette dynamique culturelle et de projeter une image moderne et ouverte du pays sur la scène internationale.
M. Aurélien Taché, rapporteur. Nous avons effectivement constaté les avancées considérables réalisées par le Maroc dans les domaines économiques et sociaux. Toutefois, ce pays fait face à des défis importants qu’il nous faut également aborder. Le Maroc, comme de nombreux pays, est confronté à un chômage des jeunes particulièrement élevé et à des inégalités territoriales qui peuvent freiner son développement économique. Le taux de chômage s’élève actuellement à environ 14 %, avec des disparités significatives selon les régions et les catégories de population. Le chômage des jeunes diplômés dépasse même les 38 %, ce qui souligne la nécessité d’adapter plus efficacement l’offre de formation aux besoins du marché du travail.
Je tiens à évoquer la mobilisation récente de la jeunesse marocaine, notamment à travers sa « génération Z », dont les revendications portant sur l’accès à la santé, à l’éducation, aux services publics et à l’emploi sont parfaitement légitimes et partagées par de nombreux jeunes à travers le monde. Je salue le dialogue encourageant ouvert avec les autorités, qui doit se traduire par une véritable écoute des aspirations de cette jeunesse. Comme le disait le président François Mitterrand : « La jeunesse n’a pas toujours raison mais le pouvoir qui la méconnaît a toujours tort ». Le Maroc a d’ailleurs lancé plusieurs programmes pour répondre à cette problématique de l’emploi des jeunes, notamment le plan Intilaka pour soutenir l’entrepreneuriat, ou encore le programme Awrach, destiné à créer des emplois temporaires et à renforcer les compétences des jeunes.
Un autre enjeu majeur que nous avons abordé avec les autorités marocaines, notamment avec le ministère de l’eau et la ministre de l’économie, concerne le stress hydrique et les défis environnementaux devenus cruciaux pour le Maroc. Ce pays, particulièrement engagé dans la transition écologique, fait face à des situations que nous pourrions un jour connaître en France, notamment dans nos régions méridionales. La raréfaction de l’eau, aggravée par des sécheresses de plus en plus fréquentes et intenses, a constitué un point central de nos échanges. Pour y remédier, les autorités ont engagé un programme national de l’eau 2020-2050, doté de plus de 40 milliards d’euros.
Des projets emblématiques comme la future station de dessalement de Rabat sont en cours de réalisation avec le soutien d’entreprises françaises telles que Veolia et Suez. Ces infrastructures s’avèrent essentielles pour sécuriser l’approvisionnement en eau et soutenir le développement agricole dans un pays encore fortement tributaire de ce secteur.
La régionalisation avancée constitue également un chantier en progression constante au Maroc. Ce principe, inscrit dans la Constitution de 2011, vise à transférer progressivement des compétences aux régions en matière de développement économique, de planification urbaine et d’action sociale, avec l’objectif de rapprocher la décision publique des citoyens.
Le partenariat bilatéral entre la France et le Maroc demeure extrêmement solide et continue de se renforcer. Sur le plan économique, nos relations sont particulièrement robustes et anciennes. En 2023, nos échanges commerciaux bilatéraux ont atteint 14 milliards d’euros. Entre 2012 et 2022, les importations françaises en provenance du Maroc ont augmenté de 110 %, tandis que nos exportations vers ce pays ont progressé de 61 %. La France maintient sa position de premier investisseur étranger au Maroc, avec un stock d’investissements directs estimé à 8,4 milliards d’euros. Plus de 1 000 filiales françaises sont implantées au Maroc, employant environ 150 000 personnes. Ces entreprises, dont la plupart figurent au CAC40, opèrent dans des secteurs variés : automobile, aéronautique, infrastructures, télécommunications et énergies renouvelables. Nous avons notamment visité le site de Renault à Tanger, la plus grande usine automobile d’Afrique, qui exporte une part substantielle de sa production vers l’Europe.
Cette coopération s’intensifie également dans d’autres domaines comme le ferroviaire et la question des énergies renouvelables, à laquelle je suis particulièrement attaché. Concernant la question du Sahara occidental, je précise simplement qu’au sein de mon groupe politique, notre position se fonde toujours sur le droit international. Cependant, si, comme je le crois, la mission de l’Organisation des Nations unies (ONU) évolue actuellement et permet d’aboutir à une solution respectueuse des populations, il s’agira évidemment d’une avancée positive.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Nous pouvons véritablement qualifier notre relation avec le Maroc d’intense en matière de coopérations humaine et migratoire. La communauté marocaine en France, forte de près de 1,5 million de personnes, constitue un pont vivant entre nos deux pays. Elle contribue activement à notre économie, à notre vie culturelle et à notre dynamisme social. La mobilité étudiante connaît une augmentation constante, les étudiants marocains représentant la deuxième population étrangère dans l’enseignement supérieur français, avec environ 45 000 inscrits en 2023. Cette mobilité s’appuie sur un réseau d’enseignement français à l’étranger particulièrement dense d’établissements scolaires au Maroc, comprenant plus de 40 écoles et lycées. Les partenariats universitaires et les programmes de double diplôme se multiplient, offrant aux étudiants marocains des perspectives de formation en France tout en renforçant les liens entre nos deux systèmes éducatifs.
Le dialogue migratoire entre nos pays se caractérise par sa structure et son équilibre. Il s’institutionnalise au sein du groupe migratoire mixte permanent, qui se réunit régulièrement pour traiter des questions de mobilité légale, de délivrance de visas, de réadmission et de lutte contre l’immigration irrégulière. Nos deux pays s’attachent à concilier les impératifs de sécurité avec la facilitation de la circulation des étudiants, des chercheurs et des entrepreneurs. Des initiatives conjointes favorisent la migration circulaire et le retour volontaire des compétences marocaines afin de contribuer au développement local.
Par ailleurs, nos deux pays ont développé une coopération culturelle et scientifique nourrie et enrichissante. Le réseau des Alliances françaises et de l’Institut français du Maroc organise annuellement plus de 1 000 événements culturels, comprenant expositions, conférences et projections. Ces initiatives contribuent au rayonnement de la culture francophone et au dialogue interculturel franco-marocain. Nous avons d’ailleurs visité, avec mes collègues, les travaux du futur Institut français de Tanger, qui s’établira dans un lieu patrimonial remarquable et constituera un instrument extrêmement performant pour le développement des relations culturelles entre nos deux pays. Le réseau éducatif français, comme je l’ai mentionné, se distingue par sa densité et sa performance. Le Maroc dispose du plus grand réseau d’enseignement français à l’étranger, comptant plus de 44 établissements homologués qui accueillent près de 45 000 élèves. L’ouverture récente d’écoles à Laâyoune et à Dakhla illustre la volonté d’assurer un accès égal à l’enseignement francophone sur l’ensemble du territoire marocain.
La coopération scientifique et technique connaît un essor considérable. Les partenariats entre nos universités et centres de recherche se multiplient dans des domaines stratégiques tels que la gestion de l’eau, les énergies renouvelables, la santé publique et l’intelligence artificielle. Des programmes de recherche conjoints, soutenus par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), facilitent le partage d’expertise et la formation de jeunes chercheurs.
En outre, notre coopération en matière de sécurité et de défense a atteint une dimension stratégique. Le Maroc s’affirme comme un acteur clé de la stabilité régionale et un allié de premier plan dans la lutte contre le terrorisme. Les services de renseignement marocains ont fourni à plusieurs reprises des informations déterminantes ayant permis de déjouer des projets d’attentats sur le sol européen. La collaboration policière et judiciaire s’est incontestablement renforcée. Notre coopération en matière de renseignement et de sécurité repose sur un échange constant d’informations opérationnelles et sur l’organisation d’exercices conjoints entre nos forces de police et de gendarmerie. Des conventions bilatérales encadrent l’entraide judiciaire, l’extradition et le transfert de détenus, renforçant ainsi l’efficacité de notre réponse aux infractions transfrontalières.
La France et le Maroc affichent désormais un partenariat de défense ambitieux. Dans ce domaine, le Maroc se trouve en phase finale d’un accord pour l’acquisition de sous-marins de type Scorpène auprès de Naval Group. Ce projet vise à combler un manque capacitaire stratégique et à doter la marine royale marocaine d’une capacité de dissuasion et de surveillance accrue. Il comprend un important volet industriel avec un transfert de compétences et la participation d’acteurs locaux, notamment à travers le développement de capacités de maintenance à Casablanca.
Enfin, la reconnaissance du plan d’autonomie du Sahara occidental constitue un point d’appui fondamental pour le rapprochement entre nos deux pays et pour notre partenariat d’exception renforcée. La question du Sahara occidental occupe une place centrale dans la politique intérieure et extérieure du Maroc depuis la fin de la colonisation espagnole en 1975. La Marche verte, organisée à l’appel de Sa Majesté le Roi Hassan II, a marqué un moment fondateur de l’unité nationale et de la revendication de la souveraineté marocaine sur les provinces du Sud. Depuis lors, la consolidation de l’intégrité territoriale demeure une priorité stratégique pour le Maroc, transcendant les clivages politiques et rassemblant l’ensemble de la nation autour d’une cause commune. Cette orientation, instaurée par Sa Majesté Hassan II, se poursuit avec l’actuel souverain, Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
Le Maroc a proposé dès 2007 un plan d’autonomie pour le Sahara, considéré comme sérieux et crédible par de nombreux partenaires internationaux. Ce plan prévoit une large autonomie pour la région dans le cadre de la souveraineté marocaine, avec des institutions exécutives, législatives et judiciaires locales élues démocratiquement. En juillet 2024, la France a franchi une étape décisive en reconnaissant officiellement ce plan comme, je cite, « la base la plus sérieuse et crédible pour mettre un terme aux différends ». Cette décision a été saluée par les autorités marocaines comme un acte fort de confiance, ouvrant une nouvelle ère dans nos relations bilatérales et mettant un terme aux désaccords qui existaient entre nos deux pays depuis plusieurs années.
Cette reconnaissance a produit un effet immédiat sur cette dynamique bilatérale. Elle a permis de lever les derniers obstacles à la reprise d’un dialogue politique de haut niveau et d’accélérer la mise en œuvre de projets d’investissement français au Maroc, auparavant mis en sommeil en raison de cette crise. Sur le plan économique, des projets gelés ont été relancés, notamment dans les domaines des infrastructures, de l’énergie et de la sécurité. Sur le plan symbolique, cette décision a renforcé la légitimité internationale du projet marocain pour le Sahara et a envoyé un message fort de soutien à la stabilité régionale. En adoptant cette position, la France s’est placée en chef de file au sein de l’Union européenne, plusieurs États membres, comme l’Espagne ou l’Allemagne, ayant déjà exprimé leur appui à une solution fondée sur l’autonomie. Notre diplomatie peut ainsi jouer un rôle de médiateur et de facilitateur pour harmoniser les positions européennes et renforcer la coopération Union européenne-Maroc dans le cadre du statut avancé.
Pour conclure, je tiens à souligner que la visite d’État du président de la République au Maroc, les 28 et 29 octobre 2024, a constitué un tournant diplomatique décisif. Plusieurs accords majeurs ont été signés, notamment un protocole de coopération sur le développement des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert, un programme bilatéral de bourses pour la mobilité étudiante et un accord de coopération renforcée en matière de sécurité.
Le Forum interparlementaire franco-marocain se tiendra en janvier 2026. Nous avions abordé ce sujet avant notre voyage avec le président de la commission – je tiens à le remercier car il a œuvré avec détermination pour permettre la tenue de ce déplacement. Ce Forum constituera une plateforme essentielle pour approfondir notre coopération sur des thématiques stratégiques telles que l’emploi des jeunes, la transition énergétique et la sécurité régionale. Tous nos interlocuteurs marocains ont manifesté un vif intérêt pour cet événement. Nous avons rencontré des responsables de très haut niveau : le ministre des affaires étrangères, le ministre de l’économie et des finances, le président de la Chambre des représentants, ainsi que la ministre de l’eau. Tous ont insisté sur l’importance qu’ils accordent à la présence des parlementaires français lors de ce rendez-vous.
Le Maroc, par son dynamisme et sa volonté de modernisation, représente un partenaire essentiel pour la France. Notre mission parlementaire, qui s’est déroulée dans un excellent climat malgré la diversité de nos sensibilités politiques, illustre parfaitement l’importance de la diplomatie parlementaire. Le Forum interparlementaire constituera un prolongement naturel de nos efforts. Je suis convaincu que ce message sera transmis à la présidente de l’Assemblée nationale, Madame Braun-Pivet, qui avait elle-même effectué un déplacement au Maroc auparavant, accompagnée du président de notre commission, M. Bruno Fuchs.
Nos deux pays ouvrent désormais un nouveau chapitre dans leurs relations. Le partenariat d’exception renforcé, lancé lors de la visite d’État du président de la République, offre une feuille de route ambitieuse pour les années à venir. Il nous appartient maintenant de concrétiser ces engagements en mobilisant tous les acteurs – États, entreprises, sociétés civiles et Parlements – pour construire un avenir commun fondé sur des valeurs partagées et un engagement réciproque.
Nous avons évoqué avec M. Christophe Lecourtier, l’ambassadeur de France auprès du Maroc, la possibilité de développer des actions concrètes en matière de diplomatie parlementaire. La jeunesse, la culture et l’innovation constitueront les moteurs de cette coopération. Ensemble, nous pouvons relever les défis du XXIe siècle et faire de la relation franco-marocaine un modèle de partenariat euro-méditerranéen.
Les parlementaires français et les députés de la commission des affaires étrangères doivent soutenir activement cette dynamique et contribuer à la mise en œuvre des projets qui en découlent. La France et le Maroc ont tout intérêt à renforcer leur collaboration, tant pour le bien de nos deux peuples que pour la stabilité de notre région. J’insiste particulièrement sur le rôle crucial que joue le Maroc dans la stabilité régionale.
En conclusion, je tiens à souligner l’excellence de l’accueil qui nous a été réservé, tant par les acteurs politiques qu’économiques. Cette mission parlementaire a constitué une expérience riche d’enseignements et inspirante. Elle nous a permis de mesurer l’ampleur des opportunités qui s’offrent à nous et de renforcer notre détermination à travailler ensemble, notamment au niveau parlementaire, pour bâtir un avenir commun, prospère et pacifique.
À mon tour, je remercie également celles et ceux qui nous ont accompagnés dans la préparation, le déroulement et le suivi de ce déplacement.
M. le président Bruno Fuchs. Merci à vous quatre pour vos interventions. Les échanges qui vont suivre permettront d’identifier, à travers les questions qui vous seront posées, un certain nombre de thématiques ou de sujets sur lesquels nous pourrions nous impliquer, en termes de déploiement de projets ou de processus.
M. Michel Guiniot (RN). Merci, monsieur le président et messieurs les rapporteurs. Vous avez précisé dans votre introduction que la relation diplomatique franco-marocaine était particulièrement soutenue depuis quelques mois, après la visite d’État, en octobre 2024, du président de la République, de la présidente de l’Assemblée nationale, fin 2024, et de la commission des affaires étrangères, en juin 2025. Cette coopération et ces échanges s’avèrent essentiels pour renforcer les liens entre nos deux États, notamment sur la thématique sécuritaire, dans un contexte local particulièrement menacé par les terroristes et l’instabilité au Sahel.
La France demeure aussi un partenaire commercial majeur du Maroc, comme vous l’avez souligné en évoquant votre visite de l’usine Renault à Tanger.
Nous souhaitons également, comme mentionné en page 38 de votre rapport, que la collaboration soit effective sur la question migratoire. Vous insistez particulièrement, au début de la page 39, sur la coopération consulaire pour fluidifier la délivrance de visas, effectivement importante au regard du nombre d’individus problématiques présents sur notre sol. En 2024, 13 000 Marocains ont été interpellés pour des infractions délictueuses ou criminelles, soit une hausse de 21 % entre 2023 et 2024.
Par conséquent, j’ai quelques difficultés à comprendre pourquoi vous qualifiez, dans votre rapport en page 38, le rythme d’exécution des mesures de « soutenu » : avec 818 éloignements forcés en 2024, les statistiques indiquant que seules 2,4 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont exécutées. Vous mentionnez avoir obtenu des informations concernant la délivrance de visas pour les étudiants et les professionnels participant à des projets de coopération mais avez-vous également recueilli des éléments concernant les individus qu’il serait nécessaire d’éloigner ?
Par ailleurs, vous indiquez avoir visité un chantier relatif à l’Institut français au Maroc. Pourquoi celui-ci, qui dispose de dix sites principaux et organise des milliers d’événements annuels, déménage-t-il dans les locaux du consul général à Tanger ? Est-ce pour des raisons de sécurité, financières ou de positionnement stratégique ? Je vous remercie par avance de vos éclaircissements.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Sur votre première question, je précise que nous avons effectivement abordé la question des OQTF lors de notre déplacement. Je rappelle que très peu de temps après sa prise de fonction, le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Bruno Retailleau, a effectué un déplacement au Maroc afin de fluidifier les relations et d’obtenir une meilleure exécution des OQTF concernant les citoyens marocains. Cette démarche a porté ses fruits et nous constatons que, comparativement au blocage existant avec l’Algérie, les relations avec le Maroc sur cet aspect qui, très légitimement, suscite votre question, se révèlent nettement meilleures.
Concernant votre second point, je souligne que le Maroc dispose d’un réseau extrêmement dense d’Instituts français et d’Alliances françaises. Tanger, par sa position géographique, son histoire marquée par la présence de nombreuses communautés et son importance économique et portuaire, constitue une ville stratégique et donc un lieu essentiel pour l’Institut français. Le consulat général de Tanger a déménagé et n’occupe plus ses locaux historiques. Ces derniers se situent dans un bâtiment de très belle qualité patrimoniale, qui nécessitait d’importants travaux de rénovation, chantier que nous avons visité et qui est en cours.
Le consul général, désormais à la retraite, s’est fortement impliqué dans la mise en œuvre de ces travaux. Ce nouvel Institut français, par sa localisation et l’occupation de ce bâtiment historique reconnu dans tout le Maroc, au-delà même de Tanger, constituera un élément majeur de notre diplomatie culturelle, technique et scientifique, ainsi qu’un vecteur important des relations entre nos deux pays.
M. Michel Guiniot (RN). Je tiens à remercier monsieur Herbillon, qui a parfaitement répondu à ma question concernant ce déménagement.
M. le président Bruno Fuchs. Nous aborderons cette question en fin de séance, car nous envisageons un prolongement de la mission que vous avez menée : l’objectif serait d’approfondir spécifiquement les aspects liés à la mobilité et à la fluidité des relations avec le Maroc, comme vous l’avez évoqué, afin de proposer un cadre réglementaire rendant plus lisibles et plus fluides les déplacements entre nos deux pays.
M. Michel Guiniot (RN). Monsieur Herbillon a mentionné un Forum précédemment sans préciser le lieu où il se tiendra. Pourrait-il avoir l’amabilité de le faire ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Naturellement. Il s’agit du Forum interparlementaire franco-marocain, qui doit se tenir à Rabat en janvier 2026.
M. Julien Gokel (SOC). Je souhaite tout d’abord adresser mes remerciements aux membres de la délégation pour la qualité de leur travail. Leur rapport nous offre une vision complète de la situation politique, économique et sociale du Maroc tout en illustrant la richesse des relations franco-marocaines.
Vous l’avez souligné, l’année 2024 constitue un moment charnière dans les relations entre nos deux pays. Dans sa lettre adressée au roi Mohammed VI à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son règne, le président de la République affirmait que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine. Si nous sommes attachés à l’amitié ancienne liant la France et le Maroc, nous devons néanmoins rappeler que cette déclaration de juillet 2024 a constitué un tournant diplomatique précipité et unilatéral, alors même que le gouvernement était démissionnaire et chargé d’expédier les affaires courantes.
Cette décision engageait pourtant la parole de la France et a, dans les faits, entraîné une dégradation de nos relations avec l’Algérie. Notre groupe demeure attaché à une diplomatie équilibrée, respectueuse du droit international, des droits humains et du principe de libre détermination des peuples. La stabilité du Maghreb requiert dialogue et coopération, non des initiatives unilatérales fragilisant notre crédibilité régionale.
Ma question est la suivante, au regard de vos échanges sur place, comment les responsables marocains perçoivent-ils aujourd’hui ce changement de position française ? Selon vous, quelle marge de manœuvre la France conserve-t-elle pour équilibrer ses relations avec l’ensemble des pays du Maghreb, notamment l’Algérie, tout en maintenant un dialogue constructif avec le Maroc ?
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Permettez-moi de partager quelques observations non convenues mais reflétant fidèlement notre ressenti sur le terrain. Cette reconnaissance a marqué un tournant essentiel car il était impératif de ressouder une relation fragilisée. Nous avons clairement perçu le besoin des Marocains de recevoir ces signes forts. En tant que mission diplomatique parlementaire, nous avons également contribué à cette démarche car il est fondamental de nourrir, structurer et architecturer les relations entre nos peuples. Nous avons tenté d’y contribuer du mieux possible. Monsieur Michel Herbillon a d’ailleurs rappelé avec justesse que la culture constitue un ciment extrêmement important.
Nous n’avons nullement occulté les problématiques que connaît la sous-région dans son ensemble. Vous avez raison, la stabilité de l’Afrique du Nord revêt une importance capitale. Cette stabilité, nous l’avons ressentie notamment dans les relations entre le Maroc, la France et l’Europe. Le royaume du Maroc joue actuellement un rôle pacificateur et stabilisateur dans cette sous-région et même au-delà, particulièrement en matière religieuse. Nous avons constaté l’importance de la structuration de l’enseignement religieux, attirant de nombreuses personnes, notamment du Mali et du Sénégal, venues suivre au Maroc un enseignement d’une grande rigueur. Il ne nous appartient pas de juger de la qualité ou du contenu de cet enseignement mais nous avons été particulièrement sensibles à la volonté exprimée par les Marocains de fournir à leur communauté en France des imams qualifiés, véritables vecteurs de pacification dispensant un enseignement authentique aux croyants. Cet aspect nous a semblé fondamental.
Parallèlement, nous ne devons certainement pas rompre le lien historique avec l’Algérie, lien qui nécessite l’engagement des deux parties. Le Maroc se positionne aujourd’hui comme une plateforme de stabilité et de sécurité dans cette région. Sans aller au-delà de ces observations, nous nous efforçons de maintenir une relation équilibrée tout en exprimant notre volonté d’intensifier nos liens, notamment à travers ce projet culturel en développement via un partenariat public-privé, qui pourra, je pense, renforcer le rayonnement de notre diplomatie dans ce pays.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je tiens à préciser à notre collègue Julien Gokel que, bien que nous soyons également attachés aux relations avec l’Algérie, la crise diplomatique entre la France et le Maroc constituait la plus grave tension entre nos deux pays depuis les années 1960, depuis l’affaire Ben Barka notamment. Il était donc impératif de débloquer cette situation compte tenu de l’importance stratégique du Maroc dans nos relations bilatérales, du poids des investissements étrangers et du rôle crucial que joue ce pays dans la stabilité régionale. Bien entendu, comme nous l’avons affirmé à plusieurs reprises au sein de cette commission, nous appelons également de nos vœux une amélioration des relations avec l’Algérie.
M. le président Bruno Fuchs. Dans cette perspective, je m’efforce depuis plusieurs mois d’établir des relations de travail, ou du moins de réflexion, avec nos homologues de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale d’Algérie. Pour le moment, les résultats demeurent limités, sans avancée significative. Toutefois, nous pouvons espérer des développements dans les semaines à venir, certains obstacles existants pouvant être levés dans les prochains jours ; des progrès semblent donc envisageables. En tout cas, nous nous efforçons de renforcer nos liens avec nos homologues algériens, au moins dans un premier temps.
Mme Christelle D’Intorni (UDR). Le rapport que nous présentent aujourd’hui les membres de la délégation qui s’est rendue au Maroc met en évidence à quel point notre diplomatie a souvent manqué de constance et de courage dans ses relations avec le Maghreb. Face à la multiplication des tensions avec l’Algérie, liées aux provocations répétées et aux questions migratoires, il devenait urgent de refonder une relation solide avec le Maroc, partenaire fiable et ami de longue date.
Le Maroc constitue un acteur clé de la stabilité régionale, un allié stratégique dans la lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires et le développement économique africain. Tandis que certains ferment la porte au dialogue, ce pays demeure un partenaire ouvert et respectueux de ses engagements.
La reconnaissance du plan d’autonomie pour le Sahara occidental représente une avancée majeure qui doit désormais se traduire par des actions concrètes : la relance de nos coopérations économiques, le renforcement de nos échanges culturels et le soutien aux transitions énergétiques et industrielles. Messieurs les rapporteurs, comment la France peut-elle consolider avec le Maroc un partenariat durable, fiable et ambitieux, fondé sur le respect mutuel de nos intérêts stratégiques communs ? Plus fondamentalement, comment redonner à notre politique étrangère au Maghreb la cohérence qu’elle a perdue, en reconnaissant que le Maroc constitue aujourd’hui notre partenaire le plus fiable et le plus tourné vers l’avenir ?
M. Aurélien Taché, rapporteur. Le partenariat bilatéral avec le Maroc s’intensifie et se renforce, ce qui constitue indéniablement une excellente dynamique. De nombreuses pistes existent pour l’approfondir davantage. Sur le plan de la coopération financière et institutionnelle, l’Agence française de développement débloque près de 2 milliards d’euros, avec des programmes particulièrement pertinents, notamment dans le domaine de l’enseignement du français, sujet auquel je suis particulièrement attaché, comme beaucoup de membres de cette commission.
Je suis cependant gêné par cette tendance à opposer différents pays du Maghreb. En tant qu’ancienne puissance coloniale, la France doit absolument s’abstenir de jouer un jeu qui viserait à créer une concurrence entre ces nations. Je partage pleinement la position exprimée par le président de la commission. Nous devons impérativement trouver les voies de rénovation du dialogue avec l’Algérie. Intensifions autant que possible la coopération avec le Maroc mais évitons soigneusement de donner l’impression de favoriser un pays au détriment de l’autre, ce qui constituerait une approche totalement inappropriée.
M. Alain David, rapporteur. Lors de notre visite et des rencontres que nous avons conduites à très haut niveau avec nos homologues et les représentants du gouvernement marocain – particulièrement le ministre des affaires étrangères et la ministre des finances –, nous avons clairement perçu la complexité des relations entre l’Algérie et le Maroc. Des intérêts communs existent indéniablement, notamment en matière de sécurité territoriale. Le ministre des affaires étrangères a d’ailleurs mis l’accent sur cette volonté de travailler, parfois tacitement, avec l’Algérie pour lutter contre le terrorisme et protéger leurs frontières respectives, ce qui constitue un enjeu majeur dans cette région. Nous avons également compris que la question du Sahara occidental revêt une importance primordiale pour les Marocains.
Malgré les tensions persistantes, les deux pays s’efforcent de trouver des points d’accord, principalement autour de la sécurité intérieure et de la protection de leurs frontières communes. Ces impératifs d’autoprotection rapprochent ces deux peuples autour d’intérêts partagés. Le chemin reste néanmoins long, ces différends et ces difficultés entre les deux nations s’inscrivant dans une histoire conflictuelle vieille de plusieurs décennies.
M. le président Bruno Fuchs. Cette discussion me donne l’opportunité de proposer un prolongement à ce déplacement, dans les mois ou les années à venir. Certes, plusieurs traités de coopération ont déjà été signés mais l’accord fondamental qui régit nos relations demeure la déclaration commune franco-marocaine du 2 mars 1956 signée à Rabat, texte qui définit les règles de coopération entre nos deux pays, comparable – toutes proportions gardées – au traité d’Aix-la-Chapelle pour nos relations avec l’Allemagne. Ce texte approche désormais de son soixante-dixième anniversaire, qui sera célébré le 2 mars 2026. Je propose que nous travaillions à l’élaboration d’un nouveau traité entre nos deux nations, à l’image du traité d’Aix-la-Chapelle, afin de soumettre aux Exécutifs de nos deux pays un cadre rénové qui illustre mieux la coopération actuelle et la relation d’exception que nous entretenons avec le Maroc. Ce projet pourrait être développé en collaboration avec nos homologues parlementaires marocains, notamment ceux de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Dans le contexte actuel, il est fondamental de rappeler que la puissance et l’avenir de la France dépendent aussi de ses relations internationales, tant au niveau étatique que populaire, particulièrement avec les pays d’Afrique du Nord, dont le Maroc. Nous devons cependant rester vigilants face aux transformations profondes de la mondialisation. Les colères populaires qui s’expriment au Maroc comme en France en témoignent. Ne bâtissons pas ces relations sur un modèle de mondialisation néolibérale désormais obsolète. L’ère des délocalisations industrielles massives orchestrées par des multinationales réticentes à investir en France touche à sa fin. De même, le temps de l’import-export massif de productions agricoles intensives s’achève, comme l’attestent la crise de stress hydrique au Maroc et la crise agricole en France.
Face à ces défis communs, la compétition généralisée entre les peuples et à l’intérieur des peuples ne constitue pas une réponse adéquate. L’entraide doit prévaloir. Les relations anciennes et les liens forts entre la France et le Maroc, entre le peuple français et le peuple marocain, ne représentent pas une donnée intangible et naturelle. Des stratégies de diversification des relations se développent activement.
Prenons l’exemple des étudiants. Si l’accueil d’étudiants étrangers renforce incontestablement les coopérations et l’avenir des relations bilatérales, de nombreux étudiants marocains se tournent désormais vers l’Allemagne, la Chine, le Canada, les États-Unis ou l’Espagne. Cette réorientation s’explique notamment par les obstacles administratifs pour obtenir un visa français. Le ministère de l’intérieur néglige les enjeux de coopération internationale et le doublement du prix du timbre pour les titres de séjour prévu dans le projet de budget 2026 aggravera certainement cette situation.
Dans le domaine spatial, second exemple significatif, le Maroc compte parmi les rares puissances spatiales africaines. Auparavant, ce pays collaborait avec Thalès et Airbus pour le développement de ses satellites. Aujourd’hui, il coopère principalement avec des entreprises israéliennes et chinoises. Avez-vous eu l’occasion d’aborder ce sujet avec vos interlocuteurs ?
M. Aurélien Taché, rapporteur. Concernant le premier aspect, je partage votre constat de la situation actuelle au Maroc. Elle démontre également la posture d’écoute des autorités face à la colère populaire de sa jeunesse. D’autres nations pourraient parfois s’en inspirer.
Concernant les mobilités étudiantes, j’ai pu constater cette réalité préoccupante tant lors de notre mission qu’à l’occasion d’un autre déplacement. En matière de francophonie, un nombre croissant de jeunes Marocains nous confient que s’ils continuent d’apprendre le français, c’est essentiellement dans la perspective d’étudier au Canada, l’accès aux études en France étant devenu très difficile. Cette tendance s’accompagne d’un autre phénomène significatif : une part importante de la jeunesse d’Afrique subsaharienne francophone continue d’apprendre le français pour poursuivre des études au Maroc. La France se trouve ainsi en décalage face à cette évolution majeure que vous évoquez et qu’il faut absolument prendre en considération.
Or, les politiques en matière de mobilité étudiante vers la France sont plutôt contradictoires vis-à-vis des partenariats que nous souhaitons renforcer dans d’autres domaines. Ce paradoxe ne pourra perdurer indéfiniment : nous ne pouvons continuer à proclamer notre volonté de coopération accrue tout en négligeant la question cruciale de la mobilité, particulièrement essentielle pour de nombreux pays d’Afrique du Nord et d’autres régions africaines.
Concernant la question spatiale que vous soulevez, nous ne l’avons effectivement pas abordée dans nos travaux. Ce point m’intéresse particulièrement et mériterait d’être exploré à l’avenir. La coopération scientifique entre la France et le Maroc s’avère déjà extrêmement riche dans de multiples domaines mais le secteur spatial, domaine porteur dans lequel le Maroc a réalisé des avancées significatives, devrait constituer, à mon sens, une priorité stratégique dans nos relations bilatérales.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je souhaite nuancer les propos de notre collègue Arnaud Le Gall concernant les relations universitaires entre la France et le Maroc. Nous ne devons pas dresser un tableau excessivement négatif de cette situation. Nos contacts sur place confirment qu’il existe toujours une réelle attirance pour la France et une demande persistante de la part des étudiants marocains. Certes, le Maroc, pays résolument ouvert à l’international, développe également des partenariats avec d’autres nations mais les relations universitaires franco-marocaines demeurent particulièrement fécondes et fructueuses, comme nous l’avons d’ailleurs souligné dans notre présentation.
M. le président Bruno Fuchs. Sans me faire le porte-parole d’Arnaud Le Gall, je crois nécessaire de préciser que son intervention portait davantage sur les obstacles logistiques rencontrés par les Marocains désireux d’étudier en France que sur la qualité intrinsèque des relations universitaires entre nos deux pays.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je conteste néanmoins son affirmation selon laquelle le ministère de l’intérieur se désintéresserait complètement des échanges universitaires. Cette formulation relève de la caricature.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). J’assume pleinement mes propos. Certes, certains services du ministère de l’intérieur accomplissent leur mission avec diligence, ce dont nous devons nous féliciter. Cependant, force est de constater que la facilitation des échanges universitaires ne constitue nullement une priorité pour ce ministère.
La sous-traitance des dépôts de demandes de visa à des organismes privés à travers toute l’Afrique et ailleurs représente une véritable catastrophe, comme vous le confirmeront tous les acteurs de terrain. Je fais partie de ceux qui estiment que la compétence en matière de visas devrait revenir, comme avant 2007, du ministère des affaires étrangères. Concernant les statistiques évoquées, je ne prétends pas que la France a perdu l’ensemble des étudiants marocains. Historiquement, ces derniers privilégiaient massivement notre pays pour leurs études à l’étranger. Automatiquement, ils demeurent nombreux. Je parle néanmoins de tendance significative, notamment illustrée par l’Allemagne, qui a pratiquement doublé ses effectifs d’étudiants marocains entre 2015 et 2020. Mon propos concerne donc les évolutions actuelles et leurs implications futures.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Les tensions considérables qui ont caractérisé les relations franco-marocaines pendant de très nombreuses années commencent aujourd’hui à s’apaiser. Ces tensions n’ont évidemment pas favorisé l’intensification des échanges étudiants ; il convient de le reconnaître sans ambages. Notre pays a tout intérêt à s’ouvrir davantage aux étudiants africains dans leur ensemble, position que j’ai défendue dans plusieurs rapports antérieurs.
Diverses stratégies se mettent en place depuis longtemps déjà. Ainsi, de nombreux étudiants maliens poursuivent leur formation au Maroc. J’ai personnellement compté parmi mes collaborateurs un assistant parlementaire formé en droit au Maroc avant de compléter son parcours par un master en France. Ces circulations étudiantes profitent d’ailleurs à l’ensemble des pays concernés. Par exemple, environ 10 % des polytechniciens sont d’origine marocaine et les écoles de commerce françaises accueillent également de nombreux ressortissants marocains.
Concernant la délivrance des visas, j’ai effectivement constaté, lorsque j'étais rapporteur spécial de la commission des finances sur le budget au ministère des affaires étrangères, l’existence de nombreux blocages et la possibilité d’améliorations substantielles. La question de l’attribution de cette compétence à tel ou tel ministère mérite certainement d’être débattue, sans que nous puissions trancher cette question ici.
Sur le volet spatial, nous l’avons effectivement mentionné dans notre rapport, en évoquant notamment la coopération avec Airbus et Thalès. Ce domaine pourra faire l’objet d’une exploration approfondie lors de la prochaine phase de notre mission qui, je l’espère, se poursuivra, nous permettant ainsi, à votre demande, d’examiner plus en détail ce secteur économique particulièrement important.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Concernant les 10 % de polytechniciens évoqués, j’invite, pour des raisons tant statistiques que conceptuelles relatives à notre vision de la nation, à ne pas confondre les étudiants étrangers marocains sollicitant un visa d’études pour la France des binationaux ou tout simplement des Marocains vivant en France. Il ne s’agit pas de binationaux dans ce cas précis ; vous faites donc référence aux polytechniciens qui retournent ensuite au Maroc ?
M. Vincent Ledoux, rapporteur. En l’espèce, ils sont bien marocains.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Quel que soit notre regard sur le plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental, nous ne pouvons que nous féliciter de la restauration du dialogue parlementaire entre la France et le Maroc, rendue possible par l’envoi d’une importante délégation de notre commission. Cette délégation était, certes, très pluraliste mais nullement paritaire, ce que je ne peux que déplorer.
Vous avez insisté sur la modernisation institutionnelle du Maroc mais les exemples présentés me laissent quelque peu perplexe. Qu’il s'agisse de la régionalisation ou de la refonte du code de la famille visant à renforcer les droits des femmes, ces initiatives relèvent davantage de projets que de réalités juridiquement établies et effectivement mises en pratique, dans un pays où la royauté continue d’exercer son autorité sur la quasi-totalité des décisions. Vos rencontres avec les acteurs de la société civile concernant le déficit démocratique, les restrictions à la liberté d’expression ou les tensions sociales ont été évoquées de manière approximative. Ces aspects mériteraient des précisions complémentaires.
Ma question porte essentiellement sur une autre ellipse de votre rapport. Le Maroc subit actuellement de plein fouet les effets du changement climatique, confronté à une crise hydrique majeure et à des températures extrêmes sur une partie significative de son territoire. Ces phénomènes affectent considérablement tant la production agricole que les conditions de vie des populations de la zone saharienne. Or, les entreprises françaises actuellement implantées au Maroc, que vous citez dans votre rapport – Renault, Alstom, Veolia, Total, Engie – dans les secteurs de l’industrie, de l’énergie et des transports, sont principalement de grands groupes davantage orientés vers une logique productiviste que vers une démarche préventive face aux défis climatiques. Avez-vous engagé des discussions sur cette problématique et, le cas échéant, quelles conclusions en avez-vous tirées ?
M. le président Bruno Fuchs. Concernant la composition non paritaire de notre délégation, je tiens à préciser qu’aucune disposition règlementaire n’impose la parité aux groupes politiques appelés à désigner un représentant. Dans le cas d’espèce, tous les groupes ont proposé des collègues masculins. Il n’est pas en mon pouvoir d’inverser de tels choix. Une évolution de notre règlement serait peut-être nécessaire mais, dans l’état actuel des choses, je ne dispose personnellement d’aucun moyen d’action.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Pour une mission dans un pays comme le Maroc, où cette question constitue un enjeu central du débat citoyen, la parité aurait revêtu, me semble-t-il, une importance particulière.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je tiens également à indiquer à notre collègue Dominique Voynet que l’absence de femmes dans notre mission ne résultait nullement d’une volonté délibérée de notre part. D’ailleurs, il est parfois arrivé que certaines délégations présentent un déséquilibre inverse. Le critère de parité n’intervient aucunement dans la constitution de nos délégations.
Vous soulevez par ailleurs deux questions tout à fait pertinentes mais notre mission n’a duré que trois jours, ce qui limite considérablement notre capacité à aborder l’ensemble des aspects des relations franco-marocaines. Nos interlocuteurs marocains ont souhaité faire le point sur les difficultés passées et se concentrer sur l’actualité, une orientation également encouragée par le ministre des affaires étrangères lors de notre rencontre. C’est pourquoi j’ai évoqué, dans ma présentation, avec le plein accord du président de notre commission, la nécessité impérative de poursuivre cette mission et d’approfondir certaines questions, dont celle que vous mentionnez, que nous n’avons pas eu le temps d’explorer en trois jours seulement.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Ce sujet a effectivement été largement évoqué dans les médias, notamment en raison de l’actualité du moment qui coïncidait avec le ramadan et la question du sacrifice d’animaux, pratique que le roi a interdite. Je ne me permettrai pas de commenter ici le mode de gouvernance d’un pays étranger mais plutôt de contribuer à établir des liens avec ses représentants. Cette interdiction royale visait à éviter, entre autres, que les populations ne s’endettent davantage pour sacrifier des animaux, devenus par ailleurs trop rares du fait de sept années consécutives de sécheresse.
En outre, nous avons observé, lors de nos rencontres avec les industriels, une réelle volonté d’adopter de nouvelles approches. Ainsi, lors de notre visite de l’usine Renault à Tanger, nous avons appris que l’entreprise s’est associée à Veolia pour créer la première usine automobile à zéro émission de carbone et zéro rejet de liquide industriel, notamment grâce à l’utilisation de résidus de bois recyclés comme source d’énergie. Cette initiative s’est révélée particulièrement intéressante.
Cette dimension environnementale a donc été bien présente tout au long de notre déplacement, chaque acteur progressant à son rythme et selon ses moyens. La question du dessalement, notamment, est revenue régulièrement dans nos discussions.
M. le président Bruno Fuchs. Le cadre de cette mission, au-delà du temps relativement court passé au Maroc, a visé à développer certains programmes de diplomatie parlementaire, et non à dresser un état exhaustif des relations entre nos deux pays.
Mme Christine Engrand (NI). Ce déplacement met en lumière un moment charnière dans la relation entre la France et le Maroc. Ce partenaire représente aujourd’hui un acteur stable dans une région traversée par de multiples crises. Sa croissance se maintient autour de 3,5 %, son industrie poursuit son développement et ses projets énergétiques, notamment le complexe solaire Noor ou le port de Tanger Med, témoignent d’une ambition régionale incontestable. La France investit depuis longtemps dans cette coopération et nos entreprises sont présentes dans tous les secteurs stratégiques.
Cependant, les résultats ne correspondent pas toujours à l’ampleur de l’engagement français. Les délocalisations d’activités et les déséquilibres commerciaux s’opèrent trop souvent au détriment de l’emploi national. Quelles mesures pourrions-nous adopter pour que la France dépasse le simple rôle de fournisseur de capitaux et devienne un véritable partenaire industriel générant des retombées technologiques et d’emploi sur notre territoire national ? Comment la France compte-t-elle protéger ses intérêts dans le cadre des coopérations sécuritaires, en garantissant que les décisions et l’utilisation des renseignements demeurent sous le contrôle intégral des autorités françaises ?
M. Vincent Ledoux, rapporteur. En matière de sécurité, nous sommes également dans une posture de coopération. Coopérer implique nécessairement le partage d’informations plutôt que leur rétention exclusive. Sans ce partage, la démarche perd tout son intérêt et son efficacité.
Ce même principe s’applique au domaine économique. Le développement de sites industriels et la création d’emplois locaux s’inscrivent dans ce que nous appelons des « chaînes de valeur ». Ces chaînes peuvent se déployer sur différents territoires. Nous pouvons choisir de les concentrer uniquement en France, nous replier sur nous-mêmes et adopter une vision passéiste, ou bien nous pouvons établir une véritable coopération économique qui crée des emplois, développe des sites industriels et conçoit des produits adaptés aux marchés africain, marocain et local.
Il s’agit d’une stratégie globale que le président de la commission évoquait précédemment en parlant de la définition d’un traité qui engloberait l’ensemble des actions, y compris la coopération culturelle. Certains y verront une forme d’entrisme ; d’autres considéreront que l’échange culturel et le dialogue entre les cultures génèrent des dynamiques porteuses d’avenir. J’estime qu’il faut dépasser la perspective strictement franco-française pour construire une coopération authentique, qui s’établit ici et là-bas, entre la France et le Maroc, conjointement.
Mme Christine Engrand (NI). Une véritable coopération devrait s’établir sur des bases plus équilibrées, à 50-50 ou au moins 40-60, et non avec le décalage important que nous constatons actuellement. Les chiffres que vous avez présentés montrent un écart considérable entre ce que nous recevons et ce dont ils bénéficient. Nous nous trouvons face à un déséquilibre significatif en termes de pourcentage.
M. le président Bruno Fuchs. Sur quelle activité précisément ?
Mme Christine Engrand (RN). Je reviens sur la question des entreprises. Je conviens parfaitement qu’une négociation implique un équilibre à 50-50. Aujourd’hui, nous perdons du terrain dans nos relations avec le Maroc, d’autant plus que ce dernier s’ouvre à d’autres pays. Le retour sur investissement que nous réalisons présente un décalage manifeste.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Il est indéniable que l’Afrique en général ne privilégie plus, aujourd’hui, de partenaire particulier. L’éventail des collaborations s’est considérablement élargi, ce qui profite à nos partenaires africains, qui peuvent désormais comparer les différents pays et la qualité des coopérations proposées. Un graphique figurant dans notre rapport démontre qu’avant le repositionnement de la France dans ses relations avec le Maroc, nous occupions la place de premier partenaire commercial de ce pays, aux niveaux mondial et national, et de deuxième fournisseur. Nous partons donc d’une position extrêmement favorable, qui sera naturellement renforcée par la dynamique que nous venons d’engager dans notre nouvelle relation avec le Maroc.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Les 9 et 10 octobre derniers, le Conseil de l’Europe a envoyé une délégation au Maroc afin d’ouvrir une coopération sur l’abolition de la peine de mort avec le Conseil national des droits de l’homme du Maroc. Au moment où la France fait entrer Robert Badinter au Panthéon, je souhaite savoir comment notre pays envisage une coopération ou un regard sur cette évolution des droits de l’homme au Maroc et, plus généralement, quelle perception vous avez de la situation des droits de l’homme dans ce pays.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Étant donné que vous présidez la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je pense que vous êtes mieux à même de nous indiquer où en est exactement cette mission du Conseil de l’Europe.
M. Bertrand Bouyx (HOR). En l’occurrence, c’est moi qui vous interroge sur l’évolution de ce sujet au Maroc car vous vous y êtes rendus récemment. Cette question a-t-elle été abordée lors de votre mission ? Si ce n’est pas le cas, je prendrai acte de votre réponse.
M. Michel Herbillon, rapporteur. En toute franchise, nous n’avons pas abordé ce sujet. Cependant, votre information concernant cette mission du Conseil de l’Europe revêt une importance significative. La question des droits de l’homme et des libertés individuelles constitue indéniablement un sujet crucial qui fait l’objet de discussions entre nos deux pays, mais nous n’avons pas eu l’occasion de traiter cette question spécifique dans le cadre de notre mission.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Le Conseil de l’Europe a récemment lancé un projet de coopération avec le Maroc qui s’inscrit dans une démarche visant à l’abolition de la peine de mort au Maroc d’ici quelques années. L’Organisation accompagnera le Maroc dans cette évolution positive de sa législation sur ce sujet.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Cette initiative est effectivement excellente mais, comme nous l’avons déjà souligné, notre délégation constituait la première mission parlementaire française au Maroc après plusieurs années de relations diplomatiques bilatérales difficiles. Nous avons traversé des périodes de crise, comme vous le savez parfaitement. Nous ne souhaitions pas immédiatement nous positionner dans cette posture, souvent reprochée à la France, consistant à donner des leçons sur les comportements et les libertés. Cette propension française n’est généralement pas bien perçue par nos interlocuteurs, a fortiori lorsqu’il s’agit de la première mission intervenant après des tensions relationnelles considérables.
M. le président Bruno Fuchs. Nous pouvons considérer cette question comme une invitation à intégrer ce sujet dans la suite de cette mission ou dans le cadre des relations parlementaires avec le Maroc.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Ce sujet pourrait effectivement être intégré dans les prochaines missions au Maroc, d’autant que le pays travaille actuellement sur cette évolution positive. Il serait donc pertinent de développer une action complémentaire à celle menée par le Conseil de l’Europe et d’examiner comment la France peut contribuer à une coopération constructive sur cette question.
M. Frédéric Petit (Dem). Je souhaite aborder trois points distincts.
Concernant, d’abord, la diplomatie parlementaire, nous venons d’évoquer des répartitions 50-50 ou 60-40. Je vous rappelle que je suis rapporteur sur les moyens dédiés à une forme de diplomatie plus extensive, communément appelée « diplomatie d’influence » – termes que je n’apprécie guère depuis huit ans – et que je préfère nommer « diplomatie des sociétés civiles ». J’avais effectué une mission en Algérie il y a deux ans en interrogeant le rôle de cette diplomatie en l’absence de relations diplomatiques conventionnelles, dans un contexte alors totalement bloqué. Cette forme de diplomatie demeure extrêmement active et, au-delà d’un éventuel traité similaire à celui d’Aix-la-Chapelle comme vous le proposez, monsieur le président, je rappelle que le traité existant comporte déjà de nombreux dispositifs relevant d’une dimension infra-diplomatique. Le Fonds citoyen, par exemple, ou la volonté de développer des associations franco-allemandes et de les projeter dans le monde correspondent précisément à cette diplomatie non gouvernementale, cette diplomatie des sociétés civiles qui fonctionne efficacement en Algérie aujourd’hui.
Des initiatives remarquables se déploient en Algérie dans le cadre d’une diplomatie infra-parlementaire, sous les radars institutionnels. Sans citer de noms précis pour éviter toute exposition problématique, je peux mentionner des associations de ports de pêche français qui accompagnent leurs homologues algériennes dans l’élaboration de plans de pêche durable sur cinquante ans. Ces actions se déroulent entièrement hors des canaux officiels mais perdurent remarquablement. De même, certains nouveaux lycées français peuvent parfois être institués discrètement grâce à l’implication d’associations locales. Cette dimension méritait d’être soulignée.
Prenons encore l’exemple de la Syrie, je déplore profondément la réponse systématique de nos administrations affirmant que la diplomatie culturelle ne pourra s’y déployer qu’après la reprise complète des relations diplomatiques officielles. Je leur objecte qu’un lycée français continue de fonctionner sur place sans interruption. Pourquoi ne pas examiner immédiatement la situation ? Pourquoi ne pas rouvrir la bibliothèque de l’Institut français du Proche-Orient ? Ces initiatives devraient être entreprises avec le même réflexe que le vôtre, monsieur le président. Notre rôle de parlementaires consiste précisément à mobiliser toutes ces formes de diplomatie qui existent en parallèle des canaux officiels.
Mon deuxième point concerne les visas, sujet sur lequel je me montre beaucoup plus catégorique. Je dois formuler une observation concernant la remarque de notre collègue Arnaud Le Gall. Notre organisation actuelle présente de graves défaillances. Les agents aux guichets reçoivent des instructions de deux hiérarchies distinctes, situation intenable. Notre politique de visas souffre de dysfonctionnements majeurs. Je comprends parfaitement la dimension sécuritaire inhérente aux visas et la légitimité du contrôle exercé par le ministère de l’intérieur mais le système actuel ne peut perdurer.
Je mentionnerai un cas éloquent à cet égard : un éminent professeur indien, invité à un colloque majeur à Nice – événement itinérant alternant entre diverses capitales, dont Berlin – s’est vu refuser son visa après son passage à Berlin au motif qu’il avait déjà séjourné dans l’espace Schengen moins d’un an auparavant, étant ainsi considéré comme un simple touriste Schengen. Il s’agissait pourtant d’une sommité dans son domaine, spécifiquement invitée pour cet événement. Notre gestion des visas étudiants atteint également des niveaux d’absurdité inacceptables. Contrairement à monsieur Le Gall, je ne rejette pas le principe de sous-traitance. Au Sénégal, nous devons traiter, chaque printemps, 30 000 à 40 000 demandes de visas étudiants en seulement deux mois. Nous prétendons gérer ce flux avec des fonctionnaires employés à l’année, ce qui est normal. Tant que nous n’adapterons pas notre politique de visas en la dissociant clairement des enjeux sécuritaires, nous resterons dans l’impasse.
Mon troisième point porte sur l’idée d’un traité similaire à celui d’Aix-la-Chapelle. Je soutiens pleinement votre proposition, monsieur le président. Je rappelle que ce sont des parlementaires – sous forme de groupe restreint – qui ont rédigé les premières bases de ce traité durant la période d’attente imposée par les élections allemandes. Il me paraît essentiel de constituer rapidement un groupe de travail, sans attendre nécessairement le lancement officiel du processus.
M. le président Bruno Fuchs. Si nous parvenions à un consensus, nous pourrions engager ce travail immédiatement.
M. Frédéric Petit (Dem). Absolument, cette initiative doit être lancée sans délai avec la participation de parlementaires ne siégeant pas nécessairement dans notre commission, en incluant éventuellement des sénateurs, comme nous l’avions fait précédemment pour le traité d’Aix-la-Chapelle. La présence de précurseurs dans ce processus revêt une importance capitale.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je profite de cette discussion qui a révélé plusieurs questions dépassant le cadre strict de notre mission pour souligner l’excellente suggestion du président Bruno Fuchs concernant l’actualisation du traité de coopération de 1956. Dans la continuité de l’évocation du traité d’Aix-la-Chapelle, je souhaite porter à votre connaissance la mission actuellement conduite par nos deux collègues, Brigitte Klinkert, membre de notre commission, et Andreas Jung, notre homologue du Bundestag, dans le cadre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (AFPA). Cette mission examine précisément, plusieurs années après la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, l’état d’avancement des engagements pris. Sans vouloir anticiper indûment sur leurs conclusions, les informations que m’a confiées notre collègue Brigitte Klinkert révèlent que de nombreux objectifs inscrits dans le traité n’ont toujours pas été concrétisés. Il serait particulièrement opportun, monsieur le président, d’inviter madame Brigitte Klinkert à présenter ce rapport devant notre commission après sa communication officielle à l’Assemblée parlementaire franco-allemande.
M. Frédéric Petit (Dem). Je partage entièrement l’analyse de Michel Herbillon. Dans le cadre de la préparation de mon rapport sur la diplomatie des sociétés civiles que j’ai évoqué précédemment, j’ai présenté au gouvernement, dès juin, des mesures pré-budgétaires non chiffrées, les rapporteurs budgétaires ayant été nommés dès mars. Parmi ces propositions concernant la diplomatie d’influence, figure une solution pour débloquer ce que l’on appellerait des « visas d’influence », dont je présenterai les détails lors de l’exposé complet de mon rapport. Nous devons absolument traiter cette question différemment du problème des visas sécuritaires. Appliquer les mêmes règles sécuritaires à des sommités intellectuelles n’a pas de sens. L’administration française est parfaitement capable de distinguer un éminent scientifique indien d’une personne arrivant avec un passeur. Notre système doit s’adapter tant aux motifs de venue qu’aux variations saisonnières des flux.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Je rejoins pleinement notre collègue Frédéric Petit sur ce point. Ce sujet mérite d’être porté collectivement car nous partageons tous une vision similaire sur cette question. Résoudre cette problématique permettrait d’apaiser significativement certaines tensions entre pays et entre sociétés civiles. Lors de nos visites dans les consulats, les fonctionnaires nous répètent qu’ils appliquent simplement les directives reçues. Nous pouvons donc dénouer ces situations par une simple volonté politique. C’est un sujet pragmatique que nous pouvons défendre ensemble.
M. le président Bruno Fuchs. Nous pourrions effectivement préparer une résolution sur l’établissement d’une double compétence concernant les visas, cette question ayant déjà fait l’objet d’une position unanime avant l’été. Deuxièmement, dans le cadre de nos relations bilatérales avec le Maroc, nous pourrions mandater deux de nos collègues marocains et deux parlementaires français pour travailler spécifiquement sur les questions de mobilité, notamment les visas et les différents types de séjour, afin d’apporter clarté et efficacité à la gestion de la mobilité pour cette partie de la population.
M. Frédéric Petit (Dem). Je tiens à rappeler clairement que l’objectif de faire passer le nombre d’étudiants étrangers en France de 350 000, en 2017, à 500 000, à l’horizon de l’année prochaine constitue une politique publique française portée unanimement par cette commission. Nous finançons le programme Bienvenue en France dans cette perspective. Nous avons déjà progressé jusqu’à 440 000 étudiants aujourd’hui et devons encore accueillir 60 000 étudiants supplémentaires. Notre ambition d’atteindre 500 000 étudiants en France d’ici deux ans reflète une volonté politique affirmée depuis une décennie par cette commission.
Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information qui lui a été présenté sous la forme d’une communication des participants à ce déplacement.
Annexe 1 : liste des personnes entendues par la délégation de la commission et des visites
Parlement marocain :
– M. Rachid Talbi El Alami, président de la Chambre des Représentants ;
– Mme Salma Benaziz, présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques, de la migration et des MRE.
Gouvernement du Royaume du Maroc :
– M. Nasser Bourita, ministre des affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger ;
– M. Nizar Baraka, ministre de l’équipement et de l’eau ;
– Mme Nadia Fettah, ministre de l’économie et des finances.
Réseau diplomatique français :
– M. Christophe Lecourtier, ambassadeur de France au Maroc (Rabat) ;
– M. Philippe Truquet, consul général de Tanger ;
– M. Olivier Ramladour, consul général de Rabat.
Visites de la délégation :
– Complexe portuaire de Tanger Med ;
– Usine Renault à Tanger Med ;
– Site du chantier de l’Institut Français du Maroc : relocalisation de l’Institut dans les locaux du consul general de France à Tanger.
([1]) Lycée Lyautey (Casablanca) ; Lycée Victor Hugo (Marrakech) ; Lycée Paul Valéry (Meknès) ; Lycée Descartes (Rabat) et le Lycée Regnault (Tanger).