TEXTE ADOPTÉ  700

« Petite loi »

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

 

24 novembre 2021

 

 

 

résolution EUROPÉENNE

 

relative à la proposition de règlement dit
« législation sur les marchés numériques » (Digital Market Act).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Est considérée comme définitive, en application de l’article 151-7 du Règlement, la résolution dont la teneur suit :

 

 Voir le numéro : 4519.

 


1

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 102 et 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;

Vu l’article 190 du TFUE ;

Vu la proposition de règlement COM (2020) 842 du 15 décembre 2020 relative à la régulation des marchés numériques, connue sous le nom de « Digital Market Act » (DMA) ;

Vu le rapport de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale présenté le 21 juillet 2021 sur ce même texte,

Considérant que la liberté de choix de l’utilisateur final doit figurer expressément parmi les objectifs de la proposition de règlement au même titre que l’équité et la contestabilité des marchés ;

Considérant que le manque d’articulation entre la future régulation des marchés numériques et le droit existant, à commencer par le droit de la concurrence, posera des difficultés d’interprétation et un risque d’insécurité juridique ;

Considérant que certains concepts fondamentaux affectant l’objet et le périmètre du texte ne sont pas suffisamment clairs à cause de définitions imprécises ou incohérentes, ou d’une traduction inadéquate ;

Considérant en particulier que le concept de « service de plateforme essentiel » (SPE) est ambigu et que la liste de ces services est à la fois trop longue et incomplète ;

Considérant de manière générale que le texte est souvent confus et que sa rédaction devrait être affinée dans un objectif d’efficacité et de sécurité juridique ;

Considérant que le champ du texte ne devrait pas se limiter aux services de plateforme « essentiels », mais réguler aussi certains services connexes d’un écosystème numérique comme la publicité, le cloud, les services de messagerie et le navigateur ;

Considérant que tous les SPE d’un gatekeeper devraient être appréhendés, y compris ceux qui ne constituent pas encore un « point d’accès majeur » au marché ;

Considérant que les critères quantitatifs permettant de désigner les gatekeepers sont mal définis et qu’ils pourraient pénaliser les entreprises européennes en ne tenant pas suffisamment compte de la puissance mondiale des entreprises ;

Considérant que les actes délégués n’ont pas vocation à corriger les lacunes conceptuelles d’un acte législatif et que ces critères, à commencer par la notion « d’utilisateur actif », devraient être définis dans le texte lui-même ;

Considérant que la notion « d’utilisateur actif » devrait en outre recevoir une définition différenciée selon le type de plateforme et que les seuils devraient être adaptés en cohérence ;

Considérant que les critères quantitatifs devraient de toute façon être subordonnés aux critères qualitatifs et que les gatekeepers ne devraient pas pouvoir être désignés de manière automatique ;

Considérant que les critères qualitatifs ne tiennent pas suffisamment compte de la dimension conglomérale des gatekeepers et du degré de liberté de choix dont disposent les utilisateurs sur les marchés concernés ;

Considérant que les obligations des articles 5 et 6 sont peu lisibles, du fait que les services auxquels elles s’appliquent et les objectifs poursuivis ne sont pas précisés ;

Considérant que les dark patterns constituent un risque de contournement majeur de ces obligations ;

Considérant que les obligations des articles 5 et 6 sont un élément essentiel du texte et que la possibilité de les modifier par voie d’actes délégués, prévue à son article 10, est contraire à l’article 190 du TFUE ;

Considérant qu’il est néanmoins nécessaire de pouvoir préciser in concreto la manière dont ces obligations doivent être appliquées par chaque gatekeeper et de les ajuster au cas par cas ;

Considérant de manière générale que la proposition de règlement souffre à la fois d’un manque de précision et d’un manque de souplesse ;

Considérant, sur le fond, que de nombreuses obligations doivent être étendues ou renforcées, par exemple pour mieux prévenir le tie-in entre services ou le self preferencing et pour défendre les intérêts des utilisateurs finaux ;

Considérant que le texte néglige l’importance des algorithmes dans le fonctionnement des services de plateforme ;

Considérant aussi bien pour des raisons de légitimité que d’efficacité, que les États membres et les autorités nationales de régulation doivent jouer un rôle dans la mise en œuvre du texte, et notamment dans l’ouverture et la conduite des enquêtes ;

Considérant qu’un mécanisme décentralisé de plainte et de médiation serait nécessaire pour une application effective du texte ;

Considérant que l’absence de mécanisme de coordination entre les autorités administratives ou judiciaires nationales entraîne le risque d’une mauvaise application du texte au niveau européen,

Demande au Gouvernement d’employer les moyens de persuasion dont il dispose lors des négociations au Conseil pour améliorer la proposition de règlement et :

Sur les objectifs, les concepts et l’économie générale du texte :

1. Rajouter, parmi les objectifs du texte (article 1§1), la liberté de choix des utilisateurs finaux entre différents fournisseurs de services et la diversification de l’offre de services numériques ;

2. S’assurer d’une articulation fluide entre le DMA, le droit de la concurrence, national et européen, et les autres règlements s’appliquant aux plateformes en ligne ;

3. Préciser le sens de l’opposition business users / end users – quitte à modifier la traduction française – et rendre la terminologie cohérente avec celle du règlement n° 2019/1150 dit « Platform to business » ;

4. Mentionner de manière séparée les assistants vocaux dans la liste des services de plateforme essentiels (SPE) et distinguer expressément, au sein des services d’intermédiation, les market places et les app stores ;

5. Créer après l’article 2§2 une liste de services de plateformes « secondaires » qui pourront faire l’objet d’obligations a minima dès lors qu’ils sont rattachés à un écosystème comprenant au moins un SPE ;

6. Considérer comme des services de plateforme « secondaires » en ce sens les services de publicité, de cloud et de messagerie, ainsi que les navigateurs ;

7. Compléter l’article 3§7 pour que soient énumérés, pour chaque gatekeeper, non seulement ses SPE constituant un point d’accès majeur au marché, mais aussi ses SPE ne constituant pas un point d’accès majeur au marché, et assimiler ceux-ci à des services de plateforme secondaires ;

Sur la procédure et les critères de désignation des gatekeepers :

8. Rendre cumulatifs les deux premiers critères de l’article 3§2(a) (chiffre d’affaires européen et capitalisation mondiale), quitte à les ajuster, et supprimer le troisième critère du même article (activité dans trois États membres) ;

9. Supprimer la possibilité de recours aux actes délégués prévue à l’article 3§5 ;

10. Clarifier dans le texte lui-même le périmètre du chiffre d’affaires de l’entreprise au sens de l’article 3§2(a) et préciser ses modalités de calcul ;

11. Définir de même la notion « d’utilisateur actif » en tenant compte des spécificités de chaque type de plateforme et en adaptant les seuils et la période de référence à chaque type de plateforme ;

12. Affirmer clairement le caractère indicatif des seuils quantitatifs de l’article 3§2 et supprimer la possibilité prévue à l’article 3§4 de désigner automatiquement un gatekeeper sur le fondement de ces seuils ;

13. Renforcer l’importance des critères qualitatifs dans la désignation des gatekeepers, et insister à l’article 3§6 sur la notion d’écosystème et sur la latitude de choix des utilisateurs ;

14. Préciser à l’article 3§1(b) qu’une entreprise doit assurer au moins deux services de plateforme, dont au moins un service de plateforme essentiel, pour être considérée comme gatekeeper ;

Sur les obligations et interdictions imposées aux gatekeepers :

15. Préciser, pour chaque obligation de l’article 5 et de l’article 6, quels SPE sont concernés et présenter les obligations par catégorie de plateformes ;

16. Préciser, pour chaque obligation, à quel objectif général du règlement elle se rattache principalement (équité, contestabilité, liberté de choix) et expliquer le résultat particulier recherché ;

17. Introduire à l’article 11§3 une clause générale prohibant le contournement des obligations par des techniques de manipulation liées à l’interface (dark patterns) ;

18. Déplacer dans le dispositif anticontournement (article 11) l’interdiction d’exercer des mesures de pression et de représailles visant à dissuader les entreprises utilisatrices de signaler les pratiques non vertueuses des gatekeepers (article 5d), et étendre aux utilisateurs finaux la protection garantie par cette disposition ;

19. Supprimer l’article 11§2 et l’intégrer directement à l’article 6§1‑i ;

20. Restreindre à l’article 10 la possibilité d’utiliser les actes délégués autrement que pour préciser, pour chaque obligation, ce qui est requis pour satisfaire l’objectif qu’elle poursuit, ou pour élargir son champ d’application à d’autres services de plateforme du gatekeeper ;

21. Prévoir à l’article 3§7 que la Commission précise systématiquement, en déterminant les SPE d’un gatekeeper, la façon dont les obligations de l’article 6 doivent être appliquées in concreto par ce gatekeeper ;

22. Étendre la portée de l’article 5-e et interdire aux gatekeepers d’imposer aux utilisateurs professionnels non seulement leurs services d’identification, mais aussi leurs services de paiement, voire l’ensemble de leurs services accessoires au sens de l’article 2§14 ;

23. Interdire également, dans l’article 5-e, de lier services de plateforme essentiels et services de plateforme secondaires ou assimilés ;

24. Étendre l’interdiction du self-preferencing (article 6§1-d), actuellement limité aux méthodes de classement, à toutes les techniques qui permettent au gatekeeper d’influencer les utilisateurs finaux pour les inciter à utiliser ses propres produits plutôt ceux des entreprises utilisatrices concurrentes ;

25. Permettre aux entreprises vendant des produits sur une market place de vendre le même produit à des conditions différentes non seulement sur d’autres market places, mais aussi directement sur leur propre site (article 5-b) ;

26. S’assurer que les gatekeepers n’abusent pas de la réserve de consentement de l’article 6§1-i en prévoyant, par exemple, de remplacer l’opt-in par un opt-out, et intégrer pour plus de clarté l’exigence de l’article 11§2 à l’article 6§1-i ;

27. Préciser à l’article 6§1-k que l’accès aux app stores doit se faire dans des conditions équitables, non discriminatoires et raisonnables (FRAND) d’un point de vue financier ; étendre cette obligation à l’ensemble des services d’intermédiation en ligne ;

28. Préciser à l’article 5a que le refus du croisement des données ne doit avoir aucune incidence sur la qualité du service offert, seulement sur son degré de personnalisation ;

29. Supprimer l’article 6§2, qui nuit à la lisibilité de l’article 6, et intégrer son contenu à l’article 6§1-a, qui deviendrait de ce fait l’article 6a ;

30. Compléter l’article 6§1-b pour obliger les fournisseurs de systèmes d’exploitation à proposer, à titre facultatif, une version « vierge » du système d’exploitation, sans aucune application logicielle préinstallée à l’exception de celles qui sont strictement nécessaires au fonctionnement de l’appareil ;

31. Soumettre au régime de l’article 5 les obligations de l’article 6 suivantes : 6§1-b, 6§1-c, 6§1-d, et 6§1-e ;

32. Ajouter, à l’article 6, l’obligation de communiquer automatiquement au régulateur les algorithmes fondamentaux des SPE, et d’informer les utilisateurs des principes généraux qui régissent ces algorithmes ;

33. Encadrer le pouvoir discrétionnaire dont disposent les gatekeepers pour changer leurs conditions générales d’utilisation (CGU), en prévoyant un préavis et mécanisme de consultation obligatoire ou un recours devant le régulateur ;

Sur le rôle des Etats membres et des autorités nationales dans la mise en œuvre du règlement :

34. Modifier l’article 33 pour permettre aux États membres de demander l’ouverture des enquêtes prévues aux articles 15, 16 ou 17 ; ouvrir également cette possibilité aux autorités nationales de régulation et, par leur intermédiaire, aux entreprises, aux organisations professionnelles et aux associations de consommateurs ;

35. Permettre aux autorités de régulation nationales d’effectuer le travail d’instruction préalable à la prise d’une décision ou à la publication du rapport par la Commission dans le cadre des enquêtes des articles 15 et 16 ;

36. Rendre l’ouverture d’une enquête de l’article 16 systématique quand un gatekeeper a déjà fait l’objet de deux décisions constatant un manquement et autoriser les mesures correctives comportementales dès le deuxième manquement, en cas de mauvaise foi caractérisée du gatekeeper ou de pratiques particulièrement dommageables ;

37. Compléter l’article 25 par un mécanisme de plainte ouvert aux États membres, aux autorités nationales de régulation et éventuellement à des tiers intéressés. La Commission serait obligée de donner suite à la plainte par un avis motivé ;

38. Conférer aux autorités nationales de régulation un rôle de médiation, de recueil des plaintes et de relais des informations auprès de la Commission.

39. Compléter l’article 24§2 pour donner à la Commission la faculté de déléguer aux autorités nationales de régulation certains de ses pouvoirs, et notamment ses pouvoirs d’enquête, afin d’accomplir les missions énumérées à l’article 24§1 ;

40. Structurer un « réseau européen de la régulation numérique » autour des autorités nationales de régulation, sur le modèle du Réseau européen de la concurrence ou du BEREC, avec un rôle d’échange d’informations et de coordination.

À Paris, le 24 novembre 2021.

 Le Président,
 Signé : Richard FERRAND

 

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 ISSN 1240 8468

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