Rencontre interparlementaire organisée par les commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Transport et développement durable.

Jeudi 10 juillet 2008

9 heures 30

Intervention d'ouverture de M. Jean-Paul Emorine,
Président de la commission des affaires économiques du Sénat

 

 

Mesdames les présidentes,
Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mes chers collègues,

Permettez-moi d'abord de saluer cette initiative conjointe de nos deux assemblées pour aborder les dossiers clefs de la présidence française de l'Union européenne. Le Parlement ne saurait, en effet, rester à l'écart des enjeux européens de plus en plus importants pour l'avenir de nos concitoyens.

La commission des affaires économiques du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, s'est fortement impliquée, depuis plusieurs années, dans le suivi des politiques européennes qui impactent nombre des sujets relevant de notre commission.

La politique des transports en constitue d'ailleurs un excellent exemple. La suppression des frontières, le ciel unique européen et l'ouverture à la concurrence du transport ont indéniablement favorisé la libre-circulation des hommes et des marchandises, principe fondateur de la construction européenne et il faut s'en réjouir.

Sur le sujet d'actualité de la pollution atmosphérique et du changement climatique, il est évident que celui-ci ne s'arrête pas aux frontières nationales, c'est pourquoi les décisions qui ont été prises lors du Grenelle de l'environnement pour des transports plus propres, demandent à être appliquées à l'échelle de l'Union européenne pour connaître une efficacité maximale.

La présidence française qui vient de débuter a fixé quatre priorités dans le domaine des transports, à savoir, le changement climatique et le développement durable, la sécurité, la poursuite de la mise en œuvre du marché intérieur et les transports intelligents.

Parmi ces priorités, la lutte contre le changement climatique et le transport durable sont sans doute les plus importants.

Il est d'autant plus urgent de déployer des « transports verts » que ce secteur est en première ligne face aux effets de la hausse du prix du pétrole et du réchauffement climatique constatés au niveau international.

A cet égard, il faut garder à l'esprit que les activités de transport représentent en moyenne plus de la moitié de la pollution atmosphérique locale et régionale et 31 % de la consommation d'énergie dans l'Union européenne. Et parmi les différents modes de transport, le transport routier génère près de 84 % du CO2 émis par le secteur dans son ensemble.

Face aux externalités négatives du transport sur l'environnement, il est urgent que les pouvoirs publics au sens large, et j'inclus naturellement ici les institutions communautaires, prennent les mesures adéquates pour favoriser une politique des transports durable. C'est à dire, à mon sens, une politique des transports respectueuse de l'environnement mais qui ne sacrifie pas la compétitivité des nos entreprises dans ce secteur.

Pour atteindre cet objectif, permettez-moi, au nom de la commission des affaires économiques, de formuler quelques propositions :

1/ Il convient tout d'abord de promouvoir le changement modal.

Les modes de transport alternatif à la route sont encore insuffisamment développés, en particulier en France. L'intermodalité repose sur une meilleure intégration des différents modes de transport dans des chaînes logistiques efficaces, afin de permettre un usage optimal et réduire les encombrements.

A cet égard, il me paraît indispensable de favoriser le transfert modal du fret routier vers le réseau ferroviaire et maritime. Le renforcement de la position du rail, passe notamment par la construction de nouvelles lignes TGV. S'agissant du fret ferroviaire, je voudrais faire remarquer qu'il a augmenté significativement en Allemagne et en Italie, alors que son développement est très ralenti en France.

Le transport maritime doit lui aussi être envisagé comme une alternative à la route, par la mise en place de « véritables autoroutes de la mer » et en rendant la navigation intérieure attractive.

2/ Il convient ensuite de développer la tarification des infrastructures de transport.

Dans son excellent rapport du 6 février dernier, la mission d'information du Sénat sur « le fonctionnement et le financement des infrastructures de transport », présidée par notre collègue Francis Grignon, a proposé des pistes innovantes pour dégager des ressources nouvelles nécessaires au financement des investissements futurs.

Parmi celles-ci, je voudrais citer la redevance d'usage pour les poids lourd, qui doit permettre outre l'amélioration de la gestion du transport de fret routier, de minimiser l'impact écologique du transport en internalisant les coûts externes. A cet égard, je pense que la France doit saisir l'opportunité de cette présidence pour faire aboutir la révision de la directive « eurovignette » en vue d'internaliser les coûts environnementaux liés à la pollution, au bruit et à la congestion des routes.

Il y a deux jours à peine, en effet, la Commission européenne a proposé le paquet « Greening transport ». Parmi les mesures envisagées, la proposition de directive modifiant la directive « eurovignette » retient toute mon attention. La commission des affaires économiques, dans son rapport sur les infrastructures que j'ai mentionné, s'était largement prononcée en faveur de la rénovation du dispositif « eurovignette » en vue d'en faire un instrument écologique efficace pour rendre le secteur des transports plus durable.

Toujours dans la perspective de lier le transport et l'environnement, je voudrais mentionner la taxe spéciale sur les polices d'assurance automobile des véhicules de moins de 3,5 tonnes que j'ai moi-même soutenu afin de permettre de boucler le financement des projets d'infrastructures de transport issus du Grenelle de l'environnement. Cette contribution resterait modique, puisqu'elle ne représenterait en moyenne, sur une année, qu'une trentaine d'euros, soit environ le prix moyen d'un péage d'autoroute pour faire 300 km. Elle aurait de plus un caractère écologique puisque son taux dépendrait essentiellement du niveau de rejet de CO2 et de particules toxiques en grammes par kilomètre.

3/ Il convient en outre de promouvoir l'utilisation de voitures et de carburants plus propres.

Les véhicules sont aujourd'hui responsables de 10 % des émissions de CO2 en Europe. Jusqu'à présent la stratégie de réduction de ces émissions a davantage reposé sur des engagements volontaires des constructeurs automobiles que sur des mesures contraignantes. Je me félicite que la France et l'Allemagne soient parvenus à un accord sur les futures normes européennes d'émissions de CO2 des voitures, lors du sommet bilatéral du 9 juin dernier en Bavière. Ainsi, d'ici 2012, les constructeurs devront faire passer de 160 à 120 grammes, en moyenne par kilomètre, le CO2 émis par les voitures. Si je salue cet objectif, je considère toutefois qu'il doit être atteint progressivement, afin de permettre un remplacement du parc automobile existant dans les meilleures conditions technologiques et économiques.

S'agissant des carburants, je ne peux que me féliciter du contenu du paquet « énergie-climat » présenté le 23 janvier dernier par la Commission européenne. Il propose notamment de faire passer de 2 à 10 % d'ici 2020 la part des biocarburants dans les transports. Toutefois, je crois que dans le contexte actuel de flambée des prix des matières premières, et à un moment où l'humanité doit faire face à une vraie pénurie alimentaire dans certaines zones du globe, comme les émeutes de la faim nous l'ont montré, nous devons faire preuve de responsabilité.

C'est pourquoi je considère qu'il convient de privilégier les biocarburants de deuxième génération, fabriqués à partir de sous-produits, afin que ceux-ci n'entrent pas en concurrence avec la production alimentaire.

Je voudrais souligner que la commission des affaires économique du sénat s'est déjà largement mobilisée sur ces sujets puisqu'elle a constitué un groupe de travail « énergie-climat », présidé par nos collègues Marcel Deneux et Daniel Raoul, en vue de l'adoption d'une résolution du Sénat à l'automne prochain.

4/ Il convient ensuite de mobiliser le secteur du transport aérien sur les impératifs environnementaux

En effet, le trafic aérien s'est très fortement intensifié au cours de ces quinze dernières années, entraînant une augmentation considérable des émissions de gaz à effet de serre.

Aussi, je me félicite des propositions de la Commission européenne, qui ont d'ailleurs fait l'objet d'un accord du Conseil et du Parlement européen le 26 juin dernier, en vue d'une inclusion de l'aviation dans le système européen des permis d'émission à partir de 2012.

Il faut souligner que le système ETS s'appliquera à tous les vols intercontinentaux et donc qu'il couvrira également les compagnies des pays tiers opérant vers et en provenance du territoire de l'Union européenne. J'estime qu'il s'agit là d'une avancée majeure en matière de lutte contre le changement climatique, et un pas supplémentaire vers la négociation d'un accord international sur des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour ce secteur.

5/ J'en viens à présent à la nécessité de promouvoir les transports en commun, ô combien importants pour le développement et la dynamisation de nos villes.

Plus de 80 % de la population de l'Union européenne vit en effet en zone urbaine et l'utilisation fréquente de la voiture s'est accompagnée de problèmes environnementaux et de congestion de nos centres-villes.

Je suis persuadé qu'en matière de transports urbains, les collectivités territoriales peuvent jouer un rôle d'avant garde et j'invite mes collègues élus locaux à soutenir les investissements pour promouvoir des transports publics écologiques et économes en énergie.

La Commission européenne devrait, de son coté, présenter à l'automne prochain un plan d'action spécifique sur les « Transports urbains », avec un certain nombre d'actions visant à rendre les villes plus fluides.

6/ J'évoquerais enfin la question fondamentale de la recherche dans les transports.

En effet, aucune des propositions que je viens de formuler n'a de sens si elle n'est accompagnée d'un effort substantiel en matière de recherche sur les modes de transports plus propres et plus sûrs.

A cet égard, je me félicite, qu'au niveau européen, le 7ème programme cadre pour la recherche et le développement ait, sur un budget de 50 milliards d'euros, attribué plus de 4 milliards spécifiquement aux activités de recherche sur les transports, et 2,25 milliards sur la recherche en matière d'énergie.

Je suis persuadé que des solutions alternatives au pétrole peuvent être explorées, comme c'est aujourd'hui le cas sur l'utilisation de l'hydrogène, les piles à combustible, l'électricité, ou encore la production de carburant renouvelable.

Vous aurez compris, mes chers collègues, mon parti pris positif et mon engagement en faveur des transports durables. Je suis persuadé, qu'à l'avenir, nous devrons « rouler vert », mais je ne sous-estime aucunement les coûts induits par cette évolution et notamment pour nos entreprises. Nous devons rechercher un équilibre entre les transports collectifs et individuels d'une part, entre l'exigence de compétitivité, les aspirations sociétales et les contraintes environnementales d'autre part afin de répondre aux critères de développement durable, figurant dans la charte de l'environnement inscrite dans notre Constitution, en 2005.

Je vous remercie.