Rencontre des commissions et offices parlementaires chargés de l’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de vous dire combien je suis heureuse d’être parmi vous ce soir, au terme d’une journée qui s’est en tout point révélée exceptionnelle : il est en effet rare que soient ainsi rassemblés tous ceux qui, partout en Europe, donnent chair à ce dialogue permanent entre responsables politiques, experts scientifiques et citoyens, que nous appelons tous si souvent de nos voeux, sans toujours savoir le faire vivre.

Pour qu’un tel dialogue soit non pas seulement fructueux, mais même tout simplement possible, il faut en effet que puissent s’y faire entendre des attentes si différentes qu’elles en paraissent quelquefois contradictoires.

Derrière les craintes qu’éprouvent nos sociétés lorsqu’elles sont confrontées à des transformations aussi profondes qu’incessantes, les scientifiques craignent en effet que se niche une défiance systématique et irraisonnée à l’endroit de la science et de ses progrès. Mais de là vient aussi que les hommes et les femmes de science se refusent parfois à répondre aux interrogations et aux craintes que nourrissent nos sociétés, de peur d’alimenter la défiance qu’ils redoutent en opposant des arguments rationnels à des peurs qui souvent ne le sont pas.

Parler en scientifique, c’est en effet accepter que le savoir puisse revêtir différents degrés de certitude et qu’aux côtés des théories les mieux établies puissent voisiner des conjectures solides, des hypothèses pour l’heure simplement prometteuses et même des zones d’ombre où règne encore l’incertitude.

Parler en scientifique, c’est donc savoir que même les plus grandes certitudes conservent une part de fragilité et qu’en leur temps, elles furent elles-aussi des hypothèses audacieuses, mais incertaines.

C’est pourquoi il existe bien un usage proprement scientifique du doute : loin de paralyser la réflexion, celui-ci permet de conserver la saine distance sans laquelle le progrès même deviendrait impossible, toute innovation étant alors vouée à disparaître, faute de certitude immédiate.

Aux citoyens qui attendent d’eux une réponse claire et tranchée, les scientifiques ne sont toujours pas en mesure d’apporter les certitudes qu’ils espèrent et ce décalage même risque de nourrir une incompréhension et une méfiance réciproque. Car si l’incertitude est à l’origine de toutes les audaces scientifiques, elle ne peut et ne doit jamais prendre le visage d’un risque que la société devrait accepter de courir sans même le savoir.

Aussi, pour qu’un véritable dialogue puisse se nouer entre une science source des plus grands progrès et une société capable de juger ce qu’est un progrès authentique, il faut nécessairement qu’intervienne une tierce instance, capable de se faire le porte-parole des scientifiques auprès des citoyens et des citoyens auprès des scientifiques, et donc digne de la confiance de chacun parce que soucieuse de l’intérêt de tous.

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Ce tiers en qui tous peuvent avoir confiance, c’est, à l’évidence, le Parlement.

Tout le destine en effet à remplir ce rôle : par nature, il n’est en effet aucune institution qui ne soit plus ouverte à la société que les assemblées parlementaires. C’est en effet de la société qu’elles tirent toute leur légitimité ; c’est elle qu’elles doivent refléter, c’est à ses besoins qu’elles doivent répondre et c’est pourquoi, chaque jour, défilent dans les couloirs des assemblées des citoyens qui viennent pour y être entendus par ceux qui les représentent quand ces derniers ne sont pas déjà venus à leur rencontre.

Aussi le Parlement ne peut-il jamais rester indifférent aux craintes, aux attentes et aux espoirs de citoyens qu’il a pour vocation de servir, bien au contraire, puisqu’il est le lieu où elles peuvent s’exprimer le plus librement par le double jeu du pluralisme politique et de la liberté de parole offerte à chaque parlementaire.

Sur chacun de nous, il pèse donc un devoir d’écoute et d’attention à la société qui par nature même ne peut qu’être absolu : car s’il revient aux responsables politiques de faire des choix, il leur revient également de ne les faire qu’après avoir entendu ce que les citoyens avaient à leur dire et à leur proposer.

Ecouter et choisir, voici les deux responsabilités qui sont les nôtres et c’est pour les assumer au mieux qu’en quelques années à peine, la très grande majorité des parlements de l’Union a choisi de se doter d’organes capables d’apprécier et d’évaluer les choix scientifiques et technologiques qui s’offrent à nos sociétés.

Car alors même que les grandes évolutions scientifiques et technologiques de notre temps faisaient naître mille questions dans l’esprit de chacun, il devenait indispensable pour les représentants de la nation d’ouvrir une enceinte à ces interrogations et de se donner les moyens humains et scientifiques nécessaires pour y répondre.

C’est l’objet même des offices et commissions qui sont aujourd’hui rassemblées à travers vous. Par delà l’infinie diversité de leur forme et de leurs attributions, elles partagent toutes la même caractéristique : celle d’être des espaces de débat et de dialogue neutres et pluralistes, ouverts à toutes les sensibilités politiques, intellectuelles et scientifiques.

Cette neutralité trouve sa première origine dans la nature proprement parlementaire de ces organes : qu’ils soient composés de responsables politiques ou d’experts scientifiques, ils ont tous vocation à éclairer en premier lieu le pouvoir législatif et lui seul.

Par essence, le pouvoir exécutif vit en effet dans un temps dont l’horizon unique est l’action. Il lui est donc impossible de construire patiemment le consensus scientifique et social nécessaire pour aborder les sujets que vous traitez quotidiennement : pour ce faire, il faut non seulement disposer du temps nécessaire, mais plus encore, il faut pouvoir bâtir une réflexion ouverte et ne pas sentir peser constamment sur soi le poids de la décision prochaine, qui conduit chacun à durcir son discours ou à choisir par avance son camp.

Je pense ainsi aux questions bioéthiques, particulièrement délicates et auxquelles j’ai été confrontée lorsque j’étais députée : sur de tels problèmes, l’urgence n’a pas de prise, la décision ne peut être immédiate, mais elle doit bien au contraire se nourrir d’un large travail de concertation et d’écoute, scandé par les étapes successives sans lesquelles un consensus ne peut ni se former ni murir.

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Sur ces sujets comme sur bien d’autres, les réflexions de l’office parlementaire français furent exemplaires et je veux, cher Claude Birraux, cher Henri Revol, saluer l’extrême qualité des travaux auxquels vous présidez, qui ont permis à la société française d’évoluer sur bien des sujets. Loin de papillonner d’un sujet à l’autre au fil de l’actualité, l’Office a en effet su répondre aux sollicitations du temps tout en revenant régulièrement sur un petit nombre de problèmes qui lui tenaient à coeur, faisant ainsi progresser la réflexion collective.

Il en est allé ainsi en matière bioéthique, puisque les travaux de l’office n’ont pas seulement inspiré la première loi en la matière, mais ont aussi préparé sa révision et permis son actualisation. De même, vous avez mis les risques technologiques et naturels au coeur des réflexions des parlementaires, vous montrant ainsi les précurseurs de l’esprit de précaution auxquels nous en appelons tous aujourd’hui.

Pour mener ces travaux de longue haleine, l’Office a su pleinement tirer parti des trois dimensions de l’action publique : en venant régulièrement défricher des sujets particulièrement délicats, les rapports de l’Office ont permis d’ouvrir le débat public sur ces questions et de le faire sur des bases scientifiques sûres et politiquement responsables ; par ce travail de préparation, ils ont également rendu possible l’adoption, dans des conditions souvent remarquablement sereines, de lois pourtant majeures ; enfin, une fois ces textes votés, l’office a toujours eu à coeur de revenir sur eux pour en mesurer les effets et en préparer l’éventuelle révision.

Vous nous avez ainsi donné un très bel exemple de la place qui peut être celle du Parlement dans une démocratie mâture : celle d’un pouvoir législatif renforcé, capable sur tous les sujets non seulement d’ouvrir la voie à la réflexion collective, mais aussi de mener les évaluations apaisées qui permettent aux décisions politiques d’être analysé du seul point de vue qui compte : celui des résultats.

Au lendemain d’une réforme constitutionnelle qui a transformé en profondeur le visage de notre démocratie en redonnant au Parlement toute l’étendue des prérogatives qui sont naturellement les siennes, l’Office apparaît donc comme l’un des plus beaux exemples de ce que nous pouvons espérer construire ensemble : une démocratie apaisée et une action publique efficace.

Vos travaux ont en effet acquis une indiscutable autorité, reconnue par tous ceux qui ont pu en mesurer l’objectivité et la profondeur. Peu à peu, l’Office s’est en effet imposé comme une instance de réflexion incontournable parce qu’ouverte à tous, citoyens, associations et scientifiques, et où tous pouvaient venir exposer leurs positions, leurs certitudes et les inquiétudes en ayant la certitude d’être écouté et entendu.

Ce faisant, vous n’avez pas seulement tissé des relations de confiance avec l’ensemble de la science et de la société française, vous avez également fait naître des habitudes de dialogue et de transparence qui ont permis de rapprocher la science et la société elles-mêmes.

A mes yeux, il s’agit sans doute là de la plus belle des réussites de l’Office : car grâce à vos travaux, le débat public n’est plus le signe de la méfiance, mais bien la première condition de la confiance, d’une confiance certes réfléchie et non plus instinctive, mais qui n’en est pas moins précieuse.

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Aux yeux de la France, rien n’est en effet plus essentiel que de rétablir partout cette relation de confiance qui unissait traditionnellement les scientifiques et les citoyens d’Europe et que les formidables transformations technologiques qu’il nous a été donné de vivre ont parfois ébranlé.

Rien n’est plus essentiel, car dans les années qui viennent, le visage de nos sociétés va une nouvelle fois changer, accélérant encore les métamorphoses de nos vies quotidiennes. De nouveaux défis s’offrent en effet à nous et pour les relever, nous aurons besoin de pouvoir nous appuyer sur l’une de nos plus grandes richesses : l’excellence de nos chercheurs, nourrie par une tradition scientifique millénaire.

C’est pourquoi, dès la réunion informelle des ministres européens chargés de la Recherche, à Versailles en juillet dernier, la France a proposé à ses partenaires européens d’unir leurs efforts de recherche pour relever ensemble quatre de ces défis primordiaux : sans nouveaux progrès scientifiques, il nous sera en effet presque impossible de faire face au vieillissement de la population et à ses conséquences sur la santé, au changement climatique, à la transition énergétique qui s’annonce ou bien encore à la nécessité de nourrir en toute sécurité une population mondiale qui ne cesse de croître.

Ces quatre défis seront donc au coeur de la vision 2020 pour l’espace européen de la recherche, une vision que la France a reçu pour mission de rédiger avec ses partenaires et dont elle a fait l’une des priorités cardinales de sa Présidence de l’Union.

Avec cette vision 2020, l’Europe préparera en effet l’avenir de la plus belle manière qui soit : en misant sur l’intelligence et sur l’inventivité des peuples de l’Union et en faisant de leurs efforts scientifiques communs le socle de nos progrès futurs.

Mais ces efforts resteront stériles s’ils ne trouvent partout le relais de la confiance réciproque qui doit à nouveau unir nos sociétés et nos scientifiques. Pour relever chacun des défis qui s’offrent désormais à nouveau, il faudra en effet que se noue un dialogue permanent entre les chercheurs et les citoyens.

Sans cette confiance, les progrès de la recherche ne tarderaient pas à se heurter à des résistances et à des craintes sociales qui n’auraient été ni dissipées ni prises en compte ; et de même, sans cette confiance, les scientifiques ignoreraient tous des besoins précis des citoyens de l’Union et avanceraient à l’aveuglette, privés qu’ils seraient alors du fil directeur le plus précieux qui soit, celui de l’intérêt et des besoins communs de nos peuples.

C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, à l’issue de cette journée de réflexion consacrée aux rapports entre la science et la société et à la contribution décisive qu’y apportent nos instances parlementaires, je tenais à vous lancer cet appel : dès les mois à venir, nous aurons besoin de vous pour donner chair au beau programme qui sous-tend la vision 2020 pour l’espace européen de la recherche.

Pour fixer un seul cap à nos efforts de recherche, celui de l’intérêt de nos sociétés et des besoins de nos économies, nous aurons en effet besoin de vous.

Nous aurons besoin de ces liens de confiance mutuelle que vous avez su patiemment tisser avec tous ceux qui font vivre la recherche et la réflexion scientifique dans nos pays. Nous aurons besoin de cette confiance que placent aujourd’hui en vous tous les citoyens de l’Union.

Chacun des grands défis que nous devons relever ensemble reste en effet encore à explorer : c’est à vous qu’il revient, en premier lieu, de les faire vivre et d’engager ainsi l’ensemble de la société européenne dans une vaste réflexion collective. Car c’est ainsi que nous parviendrons à dessiner ensemble le visage de notre avenir commun.

Au nom du Conseil des ministres de l’Union, je ne voulais donc vous dire qu’une seule chose : nous comptons sur vous, sur l’office scientifique et technologique du Parlement européen, bien sûr, mais aussi sur chaque office et sur chaque commission parlementaire nationale pour nous aider à bâtir ensemble l’Europe, mais aussi le monde de demain.

Car c’est là, dans nos Parlements, que nous devrons et que nous pourrons le mieux réfléchir ensemble à ce que sera l’Europe de demain, c’est là que nous pourrons tous ensemble, experts, politiques et citoyens, imaginer comment répondre aux nouveaux besoins d’une population plus âgée ou comment construire la société de l’après-pétrole et du changement climatique.

Et je sais que c’est là où en toute liberté et en toute indépendance, vous mènerez les travaux qui nous permettront d’honorer ensemble chacun de ces grands rendez-vous.

Je vous remercie.