Jean-Paul Marat

1743 - 1793

Informations générales
  • Né le 24 mai 1743 à Boudry (Canton de Neuchâtel (Suisse))
  • Décédé le 13 juillet 1793 à Paris (Département de Paris - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Révolution
Législature
Convention nationale
Mandat
Du 9 septembre 1792 au 13 juillet 1793
Département
Seine
Groupe
Montagne

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Membre de la Convention, né à Boudry (Canton de Neuchâtel -Suisse) le 24 mai 1743, mort à Paris (Département de Paris) le 13 juillet 1793, il était l'aîné des 5 enfants de Jean-Paul Mara et de Louise Cabrol, de Genève. Sa famille paternelle, d'origine espagnole, était venue se fixer à Cagliari (Sardaigne) où son père était médecin, et d'où il dut partir après s'être converti au calvinisme ; il se réfugia à Genève. Le jeune Jean-Paul étudia à son tour la médecine, vint en France, et ajouta un t à son nom, sans doute pour lui donner une tournure française. Il avait reçu une instruction étendue, était doué d'une rare mémoire et d'une grande aptitude pour l'étude des langues : il savait le français, l'anglais, l'italien, l'espagnol, l'allemand, le hollandais, le grec et le latin.

De l'âge de seize ans à trente et un, il mena une existence cosmopolite et voyagea un peu partout : « J'ai vécu deux années à Bordeaux, écrivit-il plus tard, dix à Londres, une à Dublin, une à La Haye, à Utrecht, à Amsterdam, dix-neuf à Paris et j'ai parcouru la moitié de l'Europe. » (Le Publiciste, n° 147). C'est pendant son séjour à Londres qu'il fut condamné pour vol de médailles ; les pièces du procès ont été publiées tout récemment, et ne laissent plus aucun doute sur ce fait longtemps contesté.

Divers ouvrages, qu'il publia avant 1789, obtinrent un vif succès. Le premier en date, les Chaînes de l'Esclavage, pamphlet politique, fut d'abord écrit en anglais (The Chains of slavery), et parut à Edimbourg (1774). L'auteur donnait alors, dans cette ville, des leçons de français ; il traduisit lui-même, dix-neuf années plus tard, cet ouvrage en français et l'accompagna d'une notice où il s'exprimait ainsi : « Citoyen du monde dans un temps où les Français n'avaient point encore de patrie, chérissant la liberté dont je fus toujours l'apôtre et quelquefois le martyr, tremblant de la voir bannie de la terre entière, jaloux de concourir à son triomphe dans une île qui paraissait son dernier asile, je résolus de lui consacrer mes veilles et mon repos. » Et plus loin : « Un parlement décrié pour sa vénalité touchait à sa fin, le moment d'élire le nouveau approchait: sur lui reposaient toutes mes espérances. Il s'agissait de pénétrer les électeurs de la Grande-Bretagne de la nécessité de faire tomber leur choix sur des hommes éclairés et vertueux : le seul moyen praticable était de réveiller les Anglais de leur léthargie, de leur peindre les avantages inestimables de la liberté, les scènes d'épouvante et d'effroi de la tyrannie ; en un mot de faire passer dans leur âme le feu sacré qui dévorait la mienne. » Son second ouvrage fut : De l'homme, ou des principes ou des lois de l'influence de l'âme sur les corps, et du corps sur les âmes (Amsterdam, 1775). Voltaire qui, sur la demande du duc de Praslin, fournissait quelques articles à la Gazette littéraire, en envoya un sur cet ouvrage. Dans un discours préliminaire, Marat esquissait à grands traits la critique des principaux ouvrages qui se sont occupés de l'homme ; puis il s'attachait à montrer pourquoi toutes les recherches antérieures avaient été sans fruit. Le premier livre traitait de l'anatomie du corps humain ; le second, des facultés de l'âme ; le troisième, de l'influence réciproque du corps sur l'âme et de l'âme sur le corps. Marat publia encore successivement : Découvertes sur le feu, l'électricité et la lumière, constatée par une suite d'expériences nouvelles (1779) ; Recherches physiques sur le feu (1780) ; Recherches sur l'électricité médicale (1784) ; Notions élémentaires d'optique (1784) ; les Charlatans modernes ou Lettres sur le charlatanisme académique (1791). Marat n'avait pas craint de s'attaquer ouvertement à Newton, et de révoquer en doute ses théories.

Bien qu'établi médecin à Paris, il songeait, en 1783, à se fixer en Espagne : « J'ai mis mon bonheur, écrivait-il à un de ses amis de Madrid, à porter les sciences exactes et utiles au plus haut point qu'elles peuvent prétendre. J'ai besoin pour réussir de la protection d'un grand roi et je serais au comble de mes vœux si je puis consacrer mes talents au bien d'une nation que j'aime et respecte. » La protection ne vint pas, et Marat accepta les fonctions de médecin des gardes du corps du comte d'Artois. Il s'était surtout occupé d'études et de publications scientifiques, lorsqu'un succès médical le mit tout à coup en vue. Appelé à donner ses soins à une dame de la cour, la marquise de Laubespine, phtisique au dernier degré et abandonnée par les plus célèbres médecins de l'époque, il la sauva, et, en journaliste habile, se fit faire à cette occasion, dans la Gazette de santé notamment, une série d'adroites réclames. L'Eau factice anti-pulmoniquee de M. Marat devint vite à la mode, et son inventeur se fit bientôt une nombreuse et noble clientèle ; il habitait alors rue de Bourgogne un appartement élégant, et Brissot dit qu'on lui payait jusqu'à 36 livres la visite. Mais la tournure de son esprit le portait bien plus vers les spéculations que vers la pratique de son art, qu'il déclarait d'ailleurs « une profession de charlatan indigne de lui ».

La Révolution vint détourner alors le cours de ses idées. Dès le premier moment, il se montra le partisan enthousiaste des idées nouvelles. Son premier écrit révolutionnaire fut un discours au tiers état de France, qu'il intitula Offrande à la patrie ; puis il fonda un journal sous le titre Le Moniteur patriote ; mais il n'en publia qu'un seul numéro. Plus tard, il rédigea le Publiciste parisien, et échangea enfin cette dernière dénomination contre celle de l'Ami du peuple, à laquelle son nom fut tellement identifié dans la suite qu'on le désignait lui-même par le titre de son journal. Domicilié dans le quartier Saint-André-des-Arts, ce fut dans les assemblées populaires de cette section qu'il se fit bientôt remarquer par l'extrême vivacité de ses motions. Danton, qui venait d'ouvrir le club des Cordeliers, y appela Marat, qui se fit bientôt par son journal le propagateur de toutes les idées émises dans le club. Cette feuille avait paru aussitôt que les trois ordres furent réunis en une seule assemblée.

Marat ne se montra point le partisan de la Constituante, et on le considéra dès lors comme un enfant perdu du parti démocratique. Dès le mois d'août 1789, il déclara qu'il fallait pendre huit cents députés à huit cents arbres du jardin des Tuileries, et il plaça Mirabeau en tête de sa liste, pour avoir proposé de dissoudre l'armée et de la réformer sur un nouveau plan. Malouet le dénonça et demanda qu'il fût livré à la justice ; mais l'Assemblée passa à l'ordre du jour. Marat se trouva encore en butte à l'hostilité de la municipalité de Paris qu'il avait dénoncée en 1790, et d'où « le patrouillotisme, disait-il, chassait le patriotisme ». Poursuivi par La Fayette, il fut dérobé aux recherches par Danton et par le boucher Legendre ; plusieurs fois les caves du couvent des Cordeliers lui servirent d'asile ; enfin la comédienne Fleury lui donna l'hospitalité. Il ne resta pas longtemps chez elle ; craignant de la compromettre, il se réfugia à Versailles, chez Bassal, curé de la paroisse de Saint-Louis, qui, plus tard, devait être son collègue à la Convention. La violente opposition qu'il rencontrait ne fit que l'exciter davantage et son journal, qui ne discontinua pas un jour de paraître, n'en devint lui-même que plus violent. Marat ne vit dans ses persécuteurs que des traîtres dont il fallait faire justice. Convaincu qu'il était appelé à sauver le peuple, et que le sang des ennemis de la Révolution pouvait seul régénérer la France et l'arracher à la fois aux ennemis du dedans et à ceux du dehors, il provoqua les mesures les plus sanglantes.

L'arrestation de Louis XVI à Varennes donna un nouvel aiguillon à son énergie et à son activité. Les Girondins entraînaient, selon lui, la France dans un abîme ; il fut le premier à les attaquer ; aussi sur la proposition de Guadet et de Lasource, l'Assemblée législative fit ce qu'avait fait avant elle la Constituante, elle décréta de prise de corps l'Ami du peuple. Ce fut encore Legendre qui le cacha chez lui ; et Marat était au fond de quelque cave, rêvant de théories impitoyables, quand la journée du Dix-Août renversa la monarchie et vint ouvrir une nouvelle carrière aux ardeurs révolutionnaires.

Danton, nommé ministre de la Justice, fit entrer Marat comme administrateur adjoint au comité de surveillance et de salut public qui venait d'être créé. Les prisons regorgeaient de suspects, l'ennemi était à nos portes. Marat eut part aux actes du conseil général de la commune et du ministère de la Justice dans. les terribles tournées de septembre; il en accepta, du reste, la responsabilité, en signant la lettre adressée par le comité de surveillance aux municipalités de province, où, après avoir annoncé la mise à mort des conspirateurs, le comité exprime le vœu que la nation entière s'empresse d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public. Marat continua, avec plus d'emportement que jamais, à lancer des dénonciations, des écrits incessants, qui, placardés sur les murs de Paris, entretenaient dans les masses une agitation violente. Roland, ministre de l'Intérieur, accusé par lui dans un de ces placards, crut devoir se défendre publiquement par une lettre adressée aux Parisiens.

Le nom de Marat avait acquis de la sorte une popularité redoutable et chacun tremblait devant la puissance mystérieuse de cet homme qui se faisait gloire de n'appartenir à aucun parti. Logicien inflexible, impatient des résultats, ennemi de toute transaction, ardent dans ses attaques et dans ses haines, croyant qu'avec des réformateurs tels que lui la société pouvait être régénérée en un jour, rude et véhément dans son style, il plaisait à la multitude. Cependant aucun des hommes politiques surgis de la Révolution ne trouvait grâce devant sa verve cinglante et grossière; il reprochait à Danton trop de nonchalance ; il accusait Chaumette de modérantisme et Robespierre de tiédeur. Au fond, il n'avait guère d'autre système politique que l'extermination des traîtres.

Elu, le 9 septembre 1792, membre de la Convention par le département de Paris, le 7e sur 24, avec 420 voix (758 votants), sa présence excita sur un grand nombre de bancs une répugnance et une terreur invincibles. Seul, sans amis, à la tribune comme partout, il déploya du calme et du courage. Fabre d'Eglantine, le jugeant comme orateur, l'a apprécié en ces termes : « Jamais, dit-il, je ne l'ai vu, dans les orages même les plus violents, sans une présence d'esprit rare et constante. Dans ses desseins, dans leur exécution, dans ses opinions, dans sa haine patriotique, rien ne le faisait dévier, rien ne le faisait fléchir. » (Portrait de Marat, par P. F. N. Fabre d'Eglantine). Accusé par Louvet d'avoir réclamé la dictature en faveur de Robespierre, loin de démentir son accusateur, il s'attacha à démontrer la nécessité d'une dictature momentanée ; mais le dictateur devait être, suivant lui, enchaîné à la patrie, et traîner, comme symbole de cette servitude, un boulet au pied. « Que ceux qui ont fait revivre aujourd'hui le fantôme de la dictature, ajouta-t-il, se réunissent à moi ; qu'ils s'unissent à tous les bons patriotes, et qu'ils pressent l'Assemblée de marcher vers les grandes mesures qui doivent assurer le bonheur du peuple, pour lequel je m'immolerais tous les jours de ma vie. »

Vergniaud qui succéda à la tribune à « l'Ami du peuple », ne trouva pour lui répondre que des paroles de vengeance. La lecture d'un écrit de Marat, par le député Boilleau, souleva des transports d'indignation et de colère, on proposa de le décréter d'accusation. Mais Marat parvint à détourner l'orage : « Je puis répondre, dit-il, de la pureté de mon cœur ; mais je ne puis changer mes pensées ; elles sont ce que la nature des choses me suggère... Votre fureur est indigne d'hommes libres ; mais je ne crains rien sous le soleil. » Et tirant à ces mots un pistolet de sa poche, puis l'appuyant sur son front, il déclara que si le décret d'accusation était lancé contre lui. il se brûlerait la cervelle à la tribune.

Marat pressa autant qu'il put le jugement de Louis XVI, signala des omissions dans le rapport de Lindet, s'opposa à ce que le roi pût se choisir un conseil, apostropha « la faction rolandine », et, lors du procès du roi, s'exprima en ces termes au 2e appel nominal :

« Je rends hommage à la souveraineté du peuple, et je suis le premier qui ait rappelé l'Assemblée constituante à ses devoirs, en lui rappelant tant de fois que, sans la sanction du peuple, sa souveraineté était illusoire ; mais le seul cas où le peuple puisse exercer ces actes de souveraineté doit être restreint à la déclaration des droits. Or la seule mesure convenable à prendre pour que le législateur ne puisse jamais y porter atteinte, c'est de statuer pour dernier article de cette déclaration, que tout décret qui blesserait ces droits soit déclaré nul, illégitime, attentatoire et tyrannique, et qu'il sera licite de s'opposer à son exécution, même à main armée. Etendre la sanction du peuple à tous les décrets est chose impossible ; l'appliquer aux décrets importants est chose impraticable. Ce serait arracher le marchand, l'artiste, l'artisan, le laboureur, à leur état pour en faire des législateurs, ce serait renverser l'ordre des choses, bouleverser l'Etat, et en faire un désert. Renvoyer à la ratification des assemblées populaires, un jugement criminel qu'ont décidé des raisons politiques bien approfondies, c'est vouloir métamorphoser en hommes d'Etat des artisans, des laboureurs, des ouvriers, dés manœuvres ; cette mesure est le comble de l'imbécillité, pour ne pas dire de la démence. Elle n'a pu être proposée que par des complices du tyran, qui ne voyaient d'autre moyen de le soustraire au supplice que d'exciter la guerre civile. Ne voulant point concourir à ces projets désastreux, je prends acte à cette tribune de mes efforts pour m'y opposer ; en conséquence, je vote non. »

Au 3e appel nominal :

« Dans l'intime conviction où je suis que Louis est le principal auteur des forfaits qui ont fait couler tant de sang le 10 août, et de tous les massacres qui ont souillé la France depuis la Révolution, je vote pour la mort du tyran dans les vingt-quatre heures. »

Le 4 avril, il réclama la formation d'un comité de sûreté générale pour arrêter les suspects.

Lors de la défection de Dumouriez, il demanda que la tête de ce général et celle du jeune duc de Chartres fussent mises à prix.

Cependant, lorsqu'il fut question de statuer sur le sort du duc d'Orléans, Marat, sans paraître prendre sa défense, soutint que rassemblée ne pouvait se permettre une mesure aussi contraire à l'inviolabilité des représentants, et il prétendit qu'avant de prononcer l'arrestation du citoyen Egalité, il fallait savoir ce dont on l'accusait.

La Convention n'eut point d'égard à ces observations. Aux approches du 31 mai, ayant signé une adresse dans laquelle le peuple était provoqué à l'insurrection, Marat fut dénoncé à l'Assemblée par plusieurs députés, et traduit devant le tribunal révolutionnaire: mais ce tribunal le reçut plutôt en triomphateur. Les jurés le déclarèrent le véritable ami du peuple, et il fut acquitté à l'unanimité. On le chargea de couronnes civiques, et il fut porté en triomphe jusqu'à la Convention.

Il eut personnellement une grande part à la journée du 31 mai, et à la chute des Girondins, qu'il n'avait cessé de réclamer; mais il s'opposa ensuite à la proscription d'un certain nombre de membres qu'il était question de poursuivre.

Atteint, peu après, d'une maladie inflammatoire, il ne parut que rarement à la Convention ; mais, quoique obligé de garder le lit, il ne cessa pas d'écrire et de prendre part aux actes de l'assemblée. On sait comment il périt assassiné, le 14 juillet 1793, par Charlotte Corday.

La mort de Marat fut considérée par les révolutionnaires comme un malheur public ; plusieurs sections se présentèrent le lendemain même à la barre de la Convention pour demander vengeance. Son corps fut embaumé et exposé aux yeux de tous. David le peignit à ses derniers moments, et ce tableau fut placé dans le lieu des séances. L'Assemblée entière assista à ses funérailles ; enfin les cendres de l' « Ami du peuple » furent portées en grande pompe au Panthéon le jour même ou celles de Mirabeau en étaient exclues. Un décret du 8 février 1795 les en chassa à leur tour, et elles furent jetées dans l'égout Montmartre, « comme si, dit un historien, toute cendre humaine n'était pas également respectable, comme si les passions des hommes avaient le droit de fouiller les tombeaux ! »

Marat fut de la part de deux femmes, une amie dévouée, Simonne Evrard, et sa sœur, Albertine Marat, l'objet d'une inaltérable affection. Plus de vingt-cinq ans après la Révolution, elles vivaient ensemble d'une petite rente de 560 francs sur l'Etat et du travail de leurs mains. Simonne Evrard mourut le 24 février 1824; Albertine Marat s'éteignit, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, le 6 novembre 1841, dans un grenier de la rue de la Barillerie, en proie à une profonde misère.