Charles, Louis Bonaparte

1808 - 1873

Président de la République du 10 décembre 1848 au 2 décembre 1852

Informations générales
  • Né le 20 avril 1808 à Paris (Seine - France)
  • Décédé le 9 janvier 1873 à Chislehurst (Royaume-uni)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Deuxième République
Législature
Assemblée nationale constituante
Mandat
Du 17 septembre 1848 au 26 mai 1849
Département
Seine
Groupe
Bonapartiste

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant en 1848, président de la République et empereur, né à Paris, aux Tuileries, le 20 avril 1808, mort à Chislehurst (Angleterre) le 9 janvier 1873, était le troisième fils d'Hortense de Beauharnais, mariée à Louis-Napoléon Bonaparte, roi de Hollande et frère de Napoléon Ier. Par sa mère il était le petit-fils de l'impératrice Joséphine et de son premier mari, le vicomte de Beauharnais.

Sa naissance fut célébrée dans tout l'empire comme celle d'un héritier du trône : la loi de succession des 28 floréal an XII et 5 frimaire an XIII n'attribuait les droits d'hérédité, à défaut de descendants directs de l'empereur, qu'aux fils de Joseph et de Louis, et ni Napoléon ni son frère Joseph n'avaient d'enfants, Le jeune prince fut baptisé le 10 novembre 1810 au palais de Fontainebleau, par le cardinal Fesch: il eut pour parrain l'empereur et pour marraine la nouvelle impératrice Marie-Louise. En 1815, la reine Hortense, séparée de son mari l'ex-roi Louis et exilée par les Bourbons, emmena avec elle ses deux fils (l'aîné, Napoléon-Charles, était mort à La Haye, âgé de cinq ans), et les fit élever sous ses yeux dans le château d'Arenenberg, sur les bords du lac de Constance, où elle demeura presque continuellement depuis 1824, sans que le gouvernement de la Restauration parût en prendre ombrage : précédemment elle avait résidé à Genève, en Savoie, dans le duché de Bade, en Bavière. Louis Napoléon eut pour premier gouverneur l'abbé Bertrand et pour principal précepteur M. Ph. Le Bas, fils du conventionnel. Doué, disait-on, de beaucoup d'aptitude pour les sciences exactes, ainsi que pour l'état militaire, il prit part, en Suisse, aux manœuvres de l'armée fédérale, et se distingua, au camp de Thun, sous la direction du général Dufour.

En 1830, de concert avec son frère, Napoléon-Louis, il demanda vainement à Louis-Philippe l'autorisation de revenir en France, puis il entra, à Rome, dans une conspiration contre le gouvernement temporel du pape. En 1831, il se jeta dans l'insurrection des Romagnes, où son frère perdit la vie. Il combattit aussi, la même année, comme volontaire, dans les rangs des insurgés polonais, qui lui promettaient un royaume. Peu de temps après, la reine Hortense, qui se faisait appeler duchesse de Saint-Leu, vint incognito en France et insista auprès du roi pour obtenir l'autorisation d'y rester. Mais ses démarches furent infructueuses; le gouvernement fit renouveler par les Chambres (1832) la loi de bannissement contre la famille Bonaparte, et, le 11 avril 1832, Louis-Napoléon Bonaparte se fixa définitivement en Suisse.

Pendant plusieurs années, il suivit les cours de l'Ecole d'application d'artillerie, fut successivement nommé bourgeois de la commune de Salenstein, citoyen de Thurgovie, président de la société fédérale des carabiniers thurgoviens, capitaine dans le régiment de Berne et membre du grand conseil. Dans une lettre écrite en allemand, adressée par le prince Louis, de Baden, le 14 juillet 1834, à l'avoyer de Berne, pour le remercier de l'envoi de son brevet, il s'exprimait ainsi : « Ma patrie, ou plutôt le gouvernement de ma patrie me repousse parce que je suis le neveu d'un grand homme; vous êtes plus juste. Je suis fier de pouvoir me compter parmi les défenseurs d'un Etat où la souveraineté du peuple est la base de la Constitution et où tout citoyen est prêt à sacrifier sa vie pour la liberté et l'indépendance de sa patrie. »

La mort du duc de Reichstadt (22 juillet 1832) étant venue réveiller ses espérances et son ambition, il se fit connaître par un certain nombre de publications importantes, souvent bien accueillies par la presse républicaine et démocratique. A cette époque de la vie du prince se rapportent : Rêveries politiques suivies d'un Projet de constitution ; Deux mots à M. de Châteaubriand sur la duchesse de Berri, en vers (1833); Considérations politiques et militaires sur la Suisse ; le Manuel d'artillerie (1836), signé: « le prince Louis-Napoléon Bonaparte, capitaine au régiment d'artillerie du canton de Berne. » Cette brochure fut assez estimée des hommes spéciaux pour qu'on l'attribuât au général Dufour. Louis-Napoléon s'était concilié en Suisse la sympathie des classes inférieures : ses libéralités, ses manières douces, l'hospitalité qu'exerçait à Arenenberg la duchesse de Saint-Leu, le soin extrême qu'elle prenait d'attirer les hommes marquants de tous les partis, disposaient en sa faveur l'opinion publique. « Toutefois, écrit Daniel Stern (Histoire de la Révolution de 1848), on ne concevait pas du neveu de l'Empereur une opinion très haute. Son précepteur, le républicain Le Bas, depuis membre de l'Institut, lui trouvait une intelligence médiocre; les plus bienveillants, en lui donnant des louanges, vantaient surtout son application à l'étude, sa politesse, sa tenue et sa simplicité; mais lui, dans son for intérieur, aspirait à une autre renommée. Tout enfant, il parlait avec une assurance surprenante de son étoile. Simple dans ses manières, modeste pour lui-même, il attachait à son nom un orgueil sans bornes. Depuis la mort de son frère aîné et celle du duc de Reichstadt, il disait ouvertement, sans jamais prononcer le mot d'Empire, qu'il serait un jour le chef de la démocratie française. Ses dédaigneuses prodigalités n'étaient pas d'un particulier riche, mais d'un prince du sang. Bien qu'habituellement réservé, il avait parfois des accents de domination qui le trahissaient. Tacite, Lucain, Machiavel, l'Histoire de Cromwell, étaient ses lectures favorites. Enfin, celui qui l'aurait alors observé avec attention eût découvert en lui, sous la pâleur de sa physionomie presque immobile, sous l'indolence de son langage, sous un flegme incroyable dans une aussi grande jeunesse, la fixité ardente d'une ambition concentrée. » En France, Armand Carrel faisait dans le National l'éloge des ouvrages du jeune prince. « Les ouvrages de Louis-Napoléon Bonaparte, disait-il, annoncent une bonne tête et un noble caractère. Il y a de profonds aperçus qui dénotent de sérieuses études et une grande intelligence des temps nouveaux. » En 1834, il fut question de marier le prince. Ce projet, qui n'eut pas de suites, est connu par une lettre du prince à son père, l'ex-roi Louis, retiré à Florence : « Puisque mon père ne donne pas à mon mariage toute l'approbation qu'il semblait devoir mériter, je renonce à me marier pour le moment. » (d'Arenenberg, le 28 septembre 1834).

M. Fialin de Persigny, qui traversait alors la Suisse pour se rendre en Allemagne, afin d'y étudier, pour le compte du ministère de la Guerre, l'élève et l'amélioration de la race chevaline, reçut de la reine Hortense une hospitalité qu'il reconnut en livrant aux rêves maternels un aliment nouveau : ses discours, ses exhortations débitées d'une façon spécieuse devant des personnes intéressées par leur passion à y donner créance, furent la première origine du complot de Strasbourg. Le prince s'attacha M. de Persigny en qualité de secrétaire, noua par lui des relations avec quelques officiers de l'armée française et se lia étroitement avec le colonel Vaudrey qui commandait à Strasbourg le 4e régiment d'artillerie, celui dans lequel l'empereur avait fait ses premières armes. Bientôt, on crut pouvoir passer d'une idée à un coup de main. La conspiration de Strasbourg, mal conduite, fut dissipée en quelques heures, dans la journée du 30 octobre 1836; mais elle ne laissa pas d'inquiéter le gouvernement de Louis-Philippe, car elle avait fait découvrir dans l'armée des idées dont on ne soupçonnait pas l'existence, dans le peuple, des souvenirs que l'on croyait effacés, et dans la fraction la moins clairvoyante du parti républicain, une certaine disposition à s'allier aux bonapartistes. Quelques-uns des chefs du mouvement, M. de Persigny entre autres, étaient parvenus à s'évader, mais la justice s'était emparée du plus grand nombre, notamment de la belle Mme Gordon qui avait prêté une sorte d'intérêt romanesque à cette entreprise avortée. Le gouvernement se trouvait même très embarrassé du principal prisonnier. Louis-Philippe jugea habile, au lieu de grandir le prétendant par l'éclat d'un procès, de chercher à l'amoindrir et à ridiculiser sa tentative. Le prince Louis fut enlevé de sa prison pendant la nuit qui suivit son arrestation, conduit à Lorient, retenu en mer sur un vaisseau de l'Etat pendant cinq mois, puis enfin débarqué sur le territoire des Etats-Unis d'Amérique. Défendus par MM. Ferdinand Barrot, Parquin, Thierret, Lichtenberger, Martin (de Strasbourg), et protégés surtout par l'absence de l'auteur principal, les complices furent tous acquittés par le jury.

Une maladie de la reine Hortense, qui devait l'emporter le 5 octobre 1837, rappela en Europe Louis Bonaparte. A son arrivée à Londres, « mes deux oncles, écrivit-il, se sont enfuis, et mon oncle Joseph a refusé absolument de me voir. quel est donc mon crime? C'est d'avoir promené un moment, dans une ville française, la drapeau d'Austerlitz. » Pour se rendre auprès de sa mère mourante, il demanda à Berlin et à Vienne des passeports qui lui furent refusés: alors, trompant toutes les polices, il se rendit à Arenenberg, où il reçut les derniers soupirs. de la reine. Peu de temps après, le lieutenant Laity ayant publié, de l'aveu du prince, une relation de l'affaire de Strasbourg, fut poursuivi devant la Chambre des pairs, et condamné à cinq ans de détention. Dans le même temps, M. Molé, président du conseil, après plusieurs insinuations restées sans effet faisait remettre par M. de Montebello à la diète helvétique, une note officielle, appuyée par l'Autriche et la Prusse, qui demandait que Louis-Napoléon fût expulsé du territoire suisse. Le ton de la note blessa le gouvernement fédéral, qui résista aux injonctions; le grand conseil, à l'unanimité, déclara la demande de la France inadmissible. Déjà 20 à 25,000 hommes étaient réunis sur nos frontières, quand le proscrit, qui pendant tout le débat s'était tenu dans une attitude expectante, quitta subitement Arenenberg pour se rendre à Londres.

Médiocrement accueilli par l'aristocratie anglaise, il vécut dans la société excentrique du comte d'Orsay, de lady Blessington, et de quelques viveurs, fidèles à sa fortune, et qui s'efforcèrent de le pousser à une expédition nouvelle. La comtesse de Walsh, qui avait eu l'occasion de le voir souvent, le jugeait ainsi en 1837 : « Grande instruction, volonté ferme, entêtement dans ses projets, audace et ambition effrénées. Il ne dissimule pas que tout ce qu'il dit au peuple sur la liberté dont on jouirait sous son gouvernement n'est qu'une amorce dont il rit avec ses adeptes. Il écrit parfaitement, s'exprime avec précision, clarté et éloquence, mais il manque de présence d'esprit en parlant; courageux jusqu'à la témérité, menteur comme tous les membres de la famille Bonaparte. » (Mémoires inédits de la baronne du M.)

Après avoir publié en Angleterre son principal livre : Des idées napoléoniennes, qui eut de nombreuses éditions et qui fut traduit dans la plupart des langues de l'Europe, après avoir créé en France un organe nouveau, le Capitole, qui aida le Journal du Commerce, déjà exclusivement dévoué à sa cause, à répandre ses idées et à rappeler son nom, il profita au retour en France des cendres de Napoléon Ier, pour tenter un second débarquement. Malgré le ridicule attaché au complot de Boulogne, favorisé, a-t-on dit, puis éventé par la police de Thiers, et bien que l'expédition ait échoué plus vite et plus complètement encore que celle de Strasbourg, les personnes initiées à la conspiration affirmèrent qu'elle était mieux ourdie: l'embauchage des troupes avait été pratiqué depuis plus longtemps; un général était à demi gagné; un régiment tout entier devait passer a la cause bonapartiste; le prince avait des armes, des munitions, une espèce de maison militaire; ses proclamations, ses décrets étaient imprimés d'avance. Le 4 août, le prince s'embarqua sur un bateau à vapeur, l'Edinburg-Castle, loué à une compagnie commerciale de Londres, sous le prétexte d'une partie de plaisir. Pendant la traversée, il découvrit ses projets à l'équipage et aux passagers. Il lut ses proclamations et son ordre du jour, et, aux cris de : Vive l'Empereur! on revêtit les uniformes dont les chefs de la conspiration s'étaient munis, on prépara les aigles, on apporta l'épée d'Austerlitz. Alors le prince fit connaître les premiers décrets de son gouvernement, prononçant la déchéance de la dynastie d'Orléans, l'adoption des constitutions impériales et annonçant que M. Thiers était président de son conseil. Entre quatre et cinq heures du matin, le 6 août 1840, on débarqua sur la côte de France, à Wimereux, non loin de Boulogne-sur-Mer. Le lieutenant Aladenise et trois sous-officiers du 42e de ligne attendaient le prince sur la plage et le reçurent au cri de Vive l'Empereur! Ils promirent d'enlever par acclamation les deux compagnies en garnison à Boulogne. Le cortège alors se déploya et s'avança vers la caserne : il était dix heures du matin. Les officiers n'étant pas encore arrivés. Aladenise fit mettre les soldats en bataille, leur annonça que Louis-Philippe avait cessé de régner, et leur présenta le neveu, quelques-uns disent le fils de l'Empereur. Pendant que Louis Bonaparte faisait des promotions et distribuait des croix d'honneur, deux officiers, avertis de ce qui se passait, accoururent le sabre à la main. « On vous trompe! » crient-ils aux soldats. Le prince s'avance alors et veut se faire reconnaître. Une vive altercation s'élève, Louis Bonaparte tire, à bout portant, sur le capitaine Col-Puygellier, un coup de pistolet qui va fracasser la mâchoire d'un soldat. La troupe croise la baïonnette, les conjurés reculent. Le prince veut alors se diriger vers la ville ; mais les portes se ferment, le sous-préfet, la garde nationale et la gendarmerie marchent à la rencontre des conjurés qui se débandent et fuient vers le rivage. On se jette dans les canots; le prince essaye de se sauver à la nage; mais il est pris, roulé dans la capote d'un douanier, jeté en prison, puis dirigé de là sur Paris, et enfermé à la Conciergerie.

Traduit devant la Chambre des pairs, il fut condamné (9 octobre) à la détention perpétuelle dans une forteresse : 160 voix sur 161 avaient déclaré le prince coupable, 132 avaient prononcé la peine de la détention perpétuelle. Une seule vota pour la peine de mort. L'attitude de l'accusé avait paru embarrassée devant la cour ; le président Pasquier l'avait accablé de son dédain. Quoique assisté par Berryer et par M. Ferdinand Barrot, Louis Napoléon avait voulu lire lui-même, à la première audience (28 septembre), une sorte de manifeste qui n'obtint que peu de succès. Le lendemain, il partait pour le fort de Ham, où il subit une captivité qui dura jusqu'au commencement de 1846, et qui servit mieux que tout le reste la cause napoléonienne. Renonçant en apparence à son rôle de prétendant, le prince entra en correspondance avec plusieurs membres distingués du parti démocratique, et parut ne plus songer qu'aux intérêts du pays et à la prospérité de la France. Les personnes qui l'allaient voir dans sa prison revenaient charmées de son accueil; il souffrait qu'on le questionnât, et il semblait incliner alors vers les idées républicaines et les théories socialistes. Les articles qu'il insérait dans le Progrès du Pas-de-Calais, ses Fragments historiques, et surtout son livre fameux: Extinction du paupérisme, où, abordant directement la question sociale, il proposait l'établissement de colonies dans les régions les plus incultes de la France au moyen de capitaux fournis par l'Etat, lui valurent les éloges de la presse opposante. Le contraste du triomphe décerné aux restes de Napoléon Ier et de la dure captivité que subissait son neveu saisissait les imaginations. Il se formait peu à peu, de bien des sympathies diverses, de bien des courants d'opinion, autour du nom de Bonaparte, une force considérable. A peu de temps de là, le gouvernement refusa sèchement au prince, malgré une lettre que celui-ci avait adressée directement au roi, malgré les démarches de lord Londonderry et de M. Barrot, l'autorisation d'aller à Florence, où l'appelait son père mourant. L'évasion du prisonnier suivit de près ce refus. Le 25 mai 1846, il s'échappait de Ham, déguisé en ouvrier, une planche sur l'épaule, sous les yeux mêmes des soldats et des gardiens de la citadelle. De là il gagna l'Angleterre.
C'est à Londres qu'il apprit les événements du 24 février 1848. Le 26 au soir, il arriva à Paris et descendit sans bruit rue de Richelieu, à l'hôtel de Castille. Ayant résolu, sur le conseil de ses amis, d'offrir son dévouement au gouvernement provisoire, il lui adressa une première lettre à laquelle le gouvernement ne répondit qu'en exprimant le désir que Louis-napoléon quittât la France. Le prince ne fit aucune difficulté d'obtempérer à ce désir. Il repartit donc pour Londres, en exprimant l'espérance qu'on verrait dans ce sacrifice « la pureté de ses intentions et de son patriotisme ». Mais ses amis commencèrent à s'entremettre pour lui, et la propagande bonapartiste se multiplia, en changeant de caractère: il ne fut plus question d'un empereur, mais seulement d'un chef populaire pour la République; on ne parla plus des droits au trône que Louis Bonaparte tirait de sa naissance, mais des devoirs que lui créait son nom envers le peuple; on vanta sa « loyauté chevaleresque »; lui seul, assurait-on, pourrait fonder en France une démocratie sans anarchie, et l'on s'efforçait d'influencer à cette idée les républicains mécontents de la politique du gouvernement. L'approche des élections concentra les efforts encore épars : on fonda des journaux à bas prix qui furent colportés non seulement dans Paris, mais dans les campagnes, on répandit par milliers des portraits, des médailles, des lithographies qui montraient l'empereur présentant son neveu à la France. M. Emile Thomas favorisa ouvertement dans les ateliers nationaux la candidature du prince et fit placarder une affiche qui proposait ensemble aux électeurs: Louis Bonaparte, Emile Thomas, Emile de Girardin. Pendant qu'ils agissaient sur les classes populaires par cette propagande spéciale, les bonapartistes ne négligeaient pas d'intéresser par d'autres moyens au succès de Louis-Napoléon les partis hostiles à la République. M. de Persigny renouait avec M. de Falloux d'anciennes relations, voyait M. de Girardin, circonvenait M. Carlier.

Au scrutin complémentaire du 4 juin 1848, la candidature de Louis Bonaparte apparut à un grand nombre de mécontents politiques comme l'acte d'opposition le plus habile et le plus efficace. Le succès dépassa l'attente : le prince fut élu représentant dans trois départements: 1° dans la Charente-Inférieure, par 23,022 voix (65, 179 votants, 136,115 inscrits) ; 2° dans la Seine, le 8e sur 11, par 84,420 voix (248,392 votants, 414,317 inscrits) ; 3° dans l'Yonne, le 2e et dernier par 14,621 voix 37,571 votants, 107,994 inscrits). Le même jour, il obtenait dans la Sarthe, sans être élu, 19,390 voix contre MM. Lorette et Hauréau. Le 18 juin, il l'emporta également dans la Corse. avec 35,903 voix (38,197 votants).

L'Assemblée ne parut pas s'émouvoir de ces succès. Dans les discussions soulevées par le décret de bannissement de la maison d'Orléans, les républicains s'étaient presque tous opposés avec vivacité à l'extension de la mesure à la famille Bonaparte, « Cette famille n'a plus qu'une valeur intrinsèque, disait M. Ducoux; elle n'est plus que la tradition glorieuse d'une époque que personne ne peut avoir la folie de vouloir recommencer. » Le 10 juin, à l'occasion d'une motion de M. Piétri tendant à abroger l'article 6 de la loi du 10 avril 1842, M. Crémieux, ministre de la Justice, vint déclarer à la tribune que la loi de 1832 était virtuellement abolie par la révolution de février. Cependant l'agitation était grande dans Paris, des groupes nombreux se formaient dans les rues, et l'on y parlait à haute voix de mettre Louis-Napoléon à la tête de la République. Au sein de la commission exécutive on était plus inquiet qu'à l'Assemblée. Entre tous les membres du gouvernement, Lamartine semblait surtout préoccupé de ces symptômes alarmants pour les destinées de la République. Ayant obtenu de ses collègues un décret de bannissement contre le prince, il résolut de le proposer à l'Assemblée le 12 juin, et d'enlever, s'il se pouvait, dans la séance même, le vote favorable. La salle était entourée d'un imposant appareil militaire quand Lamartine monta à la tribune. Pendant une suspension de séance, le bruit se répandit que plusieurs coups de feu venaient d'être tirés: «Les coups de feu, reprit Lamartine, ont été tirés au nom de vive l'Empereur! C'est la première goutte de sang qui ait taché la révolution éternellement pure et glorieuse du 24 février. Gloire à la population, gloire aux différents partis de la République, du moins ce sang n'a pas été versé par leurs mains : il a coulé, non pas au nom de la liberté, mais au nom des souvenirs militaires et d'une opinion naturellement, quoique involontairement peut-être, ennemie invétérée de toute république. Lorsque l'audace des factieux est prise en flagrant délit, les mains dans le sang français, la loi doit être votée d'acclamation. » Et Lamartine, malgré les interruptions et les protestations qui partaient de tous les bancs, lut le texte du décret: « La commission du pouvoir exécutif, vu l'article 3 de la loi du 15 février 1816, déclare qu'elle fera exécuter, en ce qui concerne Louis Bonaparte, la loi de 1832, jusqu'au jour où l'Assemblée nationale en aura autrement ordonné. » Cette lecture excita une désapprobation générale. On venait d'apprendre qu'il n'y avait rien d'exact dans le récit de Lamartine: sa proposition fut écartée.

Le lendemain 13, Louis Bonaparte fut admis, conformément aux conclusions du septième bureau, dont le rapporteur était Jules Favre, et contrairement à celles du dixième bureau (rapporteur Buchez). M. Vieillard et M. Bonjean, amis personnels du nouvel élu, se portèrent garants de la sincérité de ses sentiments; Louis Blanc déclara qu'il ne voyait dans le fait même de l'élection de Louis Bonaparte aucun danger sérieux pour la République. Ledru-Rollin, au contraire, opina pour l'invalidation, mais en vain. Au surplus, Louis Bonaparte ne voulut pas se prévaloir immédiatement du vote qui lui ouvrait l'enceinte de la représentation nationale : il adressa au président la lettre suivante, qui fut lue dans la séance du 15 juin :

« Monsieur le président, je partais pour me rendre à mon poste, quand j'apprends que mon élection sert de prétexte à des troubles déplorables et à des erreurs funestes, Je n'ai pas cherché l'honneur d'être représentant du peuple parce que je savais les soupçons injurieux dont j'étais l'objet. Je rechercherais encore moins le pouvoir. Si le peuple m'imposait des devoirs, je saurais les remplir; mais je désavoue tous ceux qui me prêtent des intentions que je n'ai pas. Mon nom est un symbole d'ordre, de nationalité, de gloire, et ce serait avec la plus vive douleur que je le verrais servir à augmenter les troubles et les déchirements de la patrie. Pour éviter un tel malheur, je resterais plutôt en exil. Je suis prêt à tout sacrifier pour le bonheur de la France. »

Cette lettre, qui avait dans son renoncement un ton de hauteur singulière, déplut à l'Assemblée: MM. Antony Thouret, Baune, David (d'Angers) signalèrent à l'attention la phrase : « Si le peuple m'imposait des devoirs, je saurais les remplir. » Jules Favre, qui s'était ravisé depuis le 13, demanda que la lettre et l'adresse aux électeurs qui l'accompagnait fussent déposées entre les mains du ministre de la Justice. Un violent orage parlementaire s'ensuivit, et chacun se demandait ce qui allait sortir de l'incident, lorsqu'une nouvelle lettre de Louis Bonaparte au président de l'Assemblée vint apporter un dénouement pacifique.

« J'étais fier d'avoir été élu représentant du peuple à Paris et dans trois autres départements, disait-il; c'était à mes yeux une ample réparation pour trente ans d'exil et six ans de captivité; mais les soupçons injurieux qu'a fait naître mon élection, mais les troubles dont elle a été le prétexte, mais l'hostilité du pouvoir exécutif, m'imposent le devoir de refuser un honneur qu'on croit avoir été obtenu par l'intrigue. Je désire l'ordre et le maintien d'une République sage, grande, intelligente, et puisque involontairement je favorise le désordre, je dépose, non sans de vas regrets, ma démission entre vos mains. Bientôt, je l'espère, le calme renaîtra et me permettra de retourner en France comme le plus simple des citoyens, mais aussi comme un des plus dévoués au repos et à la prospérité de mon pays.

Louis-Napoléon BONAPARTE.»

Bien que le ton de cette lettre fût tout autre que celui de la première, l'Assemblée affecta cette fois de la traiter avec dédain, et la renvoya au ministre de l'Intérieur, en se fondant sur ce motif que l'admission du citoyen Louis Bonaparte n'ayant été prononcée que conditionnellement, jusqu'à preuve d'âge et de nationalité, la démission ne pouvait pas être acceptée.
Le prince ne revint en France qu'au mois de septembre, rappelé par une quintuple élection, qui avait en lieu le 17 : 1° dans la Charente-Inférieure, par 39,820 voix (47,332 votants, 136,174 inscrits); 2° en Corse, avec 30,193 voix (32,968 votants, 51,420 inscrits); 3° dans la Moselle, avec 17,813 voix (36,489 votants, 104,006 inscrits); 4° dans la Seine, avec 110,752 voix (247,242 votants, 406,896 inscrits); 5° dans l'Yonne, avec 42,086 voix (50,445 votants, 108,477 inscrits). Il avait obtenu en même temps, sans être élu, 2,661 voix dans la Mayenne, contre 24,239 à l'élu, M. Chambolle, et 24,200 à M. de la Broise; 19,685 voix dans le Nord contre 26,123 à l'élu, général Négrier, et 14,815 à M. de Genoude; et 4,526 dans le Rhône contre 41,850 à l'élu, M. Rivet et 34,385 à M. Raspail.

Il prit séance, et voulut faire partie, dans la Constituante, du comité de l'instruction publique. Il parut d'ailleurs rarement à la tribune, où un fort accent tudesque, dont il ne put jamais se défaire, ajoutait encore à la gêne d'une élocution difficile. Il ne prit la parole que pour remercier le pays de ses sympathies ou pour repousser quelques-unes des plus graves attaques dirigées contre sa personne (26 septembre, 10 et 24 octobre). Sa contribution aux travaux parlementaires fut peu considérable: on ne trouve sous son nom que quatre votes d'une certaine importance : contre l'amendement Grévy, contre les bons hypothécaires, contre l'abolition du remplacement militaire, et pour l'ensemble de la Constitution.

A peine entré dans l'Assemblée, sa candidature à la présidence se posa devant le pays et excita des appréhensions parmi ses collègues, qui, toutefois, n'osèrent pas exclure de la magistrature suprême, par un article de la Constitution, les anciennes familles souveraines, et qui même (le 10 octobre) votèrent l'abrogation des lois bannissant la famille Bonaparte. Bientôt Louis-Napoléon engagea ouvertement la lutte comme candidat à la présidence de la République, contre le général Cavaignac, son principal adversaire, Lamartine, Ledru-Rollin et Raspail. Tandis que la presse bonapartiste, et ceux des journaux monarchistes qui soutenaient le candidat impérial, multipliaient les attaques contre ses compétiteurs, lui, retiré dans une maison de campagne à Auteuil, essayait de gagner tous les hommes influents, recherchant surtout ceux de la droite, en particulier les légitimistes et les ultramontains. L'opinion que les représentants de la droite s'étaient formée de la médiocrité d'esprit du prétendant contribua beaucoup à la préférence qu'ils lui accordèrent sur le général Cavaignac. Au surplus, son manifeste électoral avait de quoi les satisfaire. Il y rassurait les intérêts de « l'ordre, de la religion, de la famille et de la propriété », condamnait cette « tendance funeste qui entraîne l'Etat à exécuter lui-même ce que les particuliers peuvent faire aussi bien et mieux que lui », se montrait préoccupé de la dignité nationale, témoignait du respect de la loi établie, et terminait par cette phrase, extraite de sa proclamation de Boulogne : « Quand on a l'honneur d'être à la tête du peuple français, il y a un moyen infaillible de faire le bien, c'est de le vouloir, »

Le 10 décembre 1848, jour fixé pour l'élection présidentielle, sur 7,326,345 votants, le général Cavaignac obtint 1,448,107 voix, Ledru-Rollin 370,119, Raspail 36 920, Lamartine 7,910, et Louis Napoléon 5,434,226. Ce furent les départements de Saône-et-Loire, de la Creuse, de la Haute-Vienne, de l'Isère et de la Drôme qui donnèrent au prince le plus grand nombre de voix. La prestige de son nom lui avait conquis les masses. « Jamais, on peut l'affirmer, écrit à ce sujet Daniel Stern (ouvr. cité) l'homme des campagnes n'avait cru très positivement à la mort de Napoléon, et quand le neveu obscur du grand capitaine vint, après la chute de deux dynasties, revendiquer son droit à gouverner la France, il crut voir apparaître une seconde fois son empereur. L'évocation fut magique, l'identification complète dans sa pensée; si complète qu'il ne songea seulement pas à demander quelle avait été jusque-là l'existence, quelles étaient les vertus, quel serait le génie de ce nouveau Bonaparte. »

Le 20 décembre 1848, le nouveau président de la République prêta devant l'Assemblée le serment solennel dont la formule était : « En présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que m'impose la Constitution. » Puis il demanda la parole et s'exprima ainsi:

« Les suffrages de la nation et le serment que je viens de prêter commandent ma conduite future. Mon devoir est tracé. je le remplirai en homme d'honneur. Je verrai des ennemis de la patrie dans tous ceux qui tenteraient de changer, par des voies illégales, ce que la France entière a établi. Entre vous et moi, citoyens représentants, il ne saurait y avoir de véritables dissentiments; nos volontés, nos désirs sont les mêmes. Je veux, comme vous, rasseoir la société sur ses bases, affirmer les institutions démocratiques et rechercher tous les moyens propres à soulager les maux de ce peuple généreux et intelligent qui vient de me donner un témoignage si éclatant de sa confiance. La majorité que j'ai obtenue, non seulement me pénètre de reconnaissance, mais elle donnera au gouvernement nouveau la force morale sans laquelle il n'y a pas d'autorité. Avec la paix et l'ordre, notre pays peut se relever, guérir ses plaies, ramener les hommes égarés et calmer les passions...» Il conclut en disant : « Nous avons, citoyens représentants, une grande mission à remplir, c'est de fonder une République dans l'intérêt de tous et un gouvernement juste, ferme, qui soit animé d'un sincère amour du progrès, sans être réactionnaire ni utopiste. Soyons les hommes du pays et non les hommes des partis et, Dieu aidant, nous ferons du moins le bien, si nous ne pouvons faire de grandes choses. »

A dater de cette époque, la biographie du futur Napoléon III se confond presque avec l'histoire nationale, et il suffira d'en rappeler ici les points saillants en marquant surtout l'intervention du chef de l'Etat dans les destinées du pays et son action sur la marche des affaires. Son premier ministère, composé d'hommes appartenant aux diverses fractions de la majorité de l'Assemblée, réunissait MM. Odilon Barrot, Drouyn de Lhuys, Léon de Maleville (qui se retira presque aussitôt pour faire place à M. Léon Faucher), de Tracy, le général Rullière, Passy, de Falloux et Bixio. L'Assemblée, hostile jusque-là au prétendant, se rapproche de lui, choisit pour vice-président un homme tout dévoué au chef du pouvoir, M. Boulay de la Meurthe; mais, en dépit de ces gages d'union, l'accord ne tarde pas à être troublé par le vote, contraire au vœu des ministres, de la réduction immédiate de l'impôt du sel (1er janvier 1849), par celui de la suppression de l'impôt sur les boissons (18 mai), etc.

L'expédition d'Italie, surtout, fut l'occasion de nombreux conflits : la gauche fit entendre de menaçantes protestations. Mais, ayant admis la proposition Rateau, qui avait pour objet de dissoudre l'Assemblée avant la rédaction des lois organiques qu'elle s'était réservé de voter, et de délivrer le pouvoir exécutif de l'opposition qu'il rencontrait chez les républicains même modérés, la Constituante fut remplacée par la Législative (28 mai 1849) dont la majorité devait se montrer, tout d'abord, plus favorable aux vues du prince-président.

Dans les premiers jours de la session, trois représentants, du tiers-parti conservateur, MM. Dufaure, de Tocqueville et de Lanjuinais, étaient entrés au ministère. Mais la pensée propre de Louis-Napoléon, relativement aux affaires de Rome, s'étant exprimée dans une sorte de programme politique sous forme de lettre au colonel Edgar Ney (Voy. ce nom), les chefs de la droite en prirent ombrage et l'harmonie entre l'Assemblée et le chef de l'Etat se trouva compromise : le président n'en tint nul compte, et, par son message du 31 octobre 1849, accentua encore davantage sa politique personnelle : le cabinet qui fut constitué sous la présidence de M. Ferd. Barrot, avec MM. d'Hautpoul, de La Hitte, Fould, Bineau, Dumas, de Parieu, Desfossés, Rouher, était déjà à peu près exclusivement dévoué à l'initiative présidentielle.

Toutefois la majorité parlementaire accorda sans peine au gouvernement le vote des lois de réaction et de répression qu'il lui demanda : le rétablissement de l'impôt sur les boissons (13 décembre 1849) fut suivi de près par la loi qui soumit les instituteurs à l'autorité préfectorale (20 décembre) et par la loi organique du 15 mars 1850 sur l'enseignement. En outre, les progrès du parti socialiste, vainqueur dans plusieurs élections complémentaires, déterminèrent l'Assemblée et le ministère, auquel M. Baroche avait été adjoint, à élaborer la loi dite du 31 mai (1850) qui portait atteinte à l'intégrité du suffrage universel, et à travailler de concert, par plusieurs autres mesures du même ordre, à ce qu'on appelait alors « l'expédition de Rome à l'intérieur. » La loi sur la déportation à Noukaïva (8 juin), un crédit de 2,560,000 francs pour les frais de la présidence, une loi rigoureuse sur la presse, portant rétablissement du timbre, élévation du cautionnement et obligation de signer les articles (16 juillet), marquèrent cette période de la législature. Les vacances parlementaires (août-novembre) donnèrent le signal de nouvelles agitations : royalistes, démocrates-socialistes, faisaient assaut de manifestations. Le président y répondit par une série de voyages officiels, de banquets, d'inaugurations de chemins de fer, de revues passées au Champ de Mars et à Satory, autant d'occasions pour lui de prononcer des harangues plus que présidentielles et de viser à des acclamations peu en harmonie avec le respect de la Constitution. L'Assemblée s'émut, et d'ardentes discussions prirent naissance, que vint exaspérer la révocation du général Changarnier, le favori de la majorité monarchique, commandant de la 1re division militaire et de la garde nationale. D'autre part, un remaniement ministériel opéré en dehors du parlement (27 janvier 1851) achevait de compromettre Louis-Napoléon vis-à-vis des représentants, qui lui témoignèrent leur mécontentement en rejetant, quelques jours après, le crédit supplémentaire de 1,800,000 fr., destiné aux frais de représentation de la présidence. Les mois qui suivirent furent marqués par de nouveaux dissentiments, et, pour que le cabinet du 10 avril 1851, comprenant MM. Baroche, Fould, Léon Faucher, Buffet, Rouher, Chasseloup-Laubat, de Crouseilhes, le général Randon et Magne, se fît accepter de l'Assemblée, il ne fallut rien moins que la promesse formelle de maintenir la loi du 31 mai.

Mais la question de la révision de la Constitution s'ajouta aux autres causes de conflit. Tous les partis la souhaitaient à leur profit; les amis du président s'emparèrent de cette plate-forme, et organisèrent un vaste mouvement de pétitionnement tendant à la prorogation de la présidence : après de longs débats (juillet) la révision fut votée par 446 voix contre 278, majorité insuffisante, car l'article 68 de la Constitution exigeait les trois quarts des voix. Les pétitionnaires redoublèrent d'ardeur, et obtinrent l'adhésion de 80 départements. Profitant de la retraite du ministère (14 octobre), le prince-président lui substitua un cabinet formé de MM. de Casabianca, Lacrosse, Fortoul, Giraud, de Thorigny, David, Saint-Arnaud, Turgot, Lefebvre-Duruflé, décidé à braver les colères de l'Assemblée en proposant le rétablissement du suffrage universel et l'abrogation de la loi du 31 mai, comme le seul obstacle à la révision légale; au message présidentiel, conçu dans ce sens, l'Assemblée, irritée, répondit par le rejet du projet gouvernemental (13 novembre), et ses inquiétudes se firent jour dans la célèbre proposition des questeurs sur le droit de réquisition directe de la force armée par le président de l'Assemblée.

Cette situation, de jour en jour plus tendue, se dénoua par le coup d'Etat du 2 décembre, dont les principaux acteurs furent M. de Morny, le général Saint-Arnaud et M. de Maupas, et les incidents: la dissolution violente de l'Assemblée, l'arrestation de plusieurs représentants, les mesures prises à Paris et en province contre les chefs du parti démocratique, les tentatives de résistance réprimées par la force, l'inutile protestation de 220 députés réunis à la mairie du 10e arrondissement sous la présidence de M. Benoît-d'Azy. M. de Morny s'était emparé du ministère de l'Intérieur; MM. Rouher et Magne furent rappelés et la nomination de M. Ducos compléta le ministère. Tandis que les républicains étaient proscrits et déportés sans jugement par les commissions mixtes, le plébiscite des 20 et 21 décembre vint conférer à Louis-Napoléon, avec les pouvoirs constituants qu'il demandait, la présidence pour dix ans.
La nouvelle Constitution fut promulguée le 14 janvier 1852. Quelques jours après, les décrets confisquant les biens de la famille d'Orléans, « ce premier vol de l'aigle», provoquèrent la démission de quatre ministres, qui devaient d'ailleurs ne pas tarder à revenir aux affaires. A l'ouverture de la première session du nouveau Corps législatif (29 mars 1852), le prince-président, après avoir dit que «s'il avait désiré rétablir l'empire, ni les moyens ni les occasions ne lui avaient manqué », ajouta : « Conservons la République, elle ne menace personne, elle peut rassurer tout le monde... La dictature, que le peuple m'avait confiée, cesse aujourd'hui... Pourquoi, en 1814, a-t-on vu avec satisfaction, et en dépit de nos revers, inaugurer le régime parlementaire? C'est que l'empereur, ne craignons pas de l'avouer, avait été, à cause de la guerre, entraîné à un exercice trop absolu du pouvoir. Pourquoi, au contraire, en 1851, la France applaudit-elle à la chute de ce régime parlementaire? C'est que les Chambres avaient abusé de l'influence qui leur avait été donnée, et, que, voulant tout dominer, elles compromettaient l'équilibre général. » Les députés, choisis par le gouvernement, n'eurent garde de tomber dans l'abus reproché au régime parlementaire; trois d'entre eux, le général Cavaignac et Carnot, députés de Paris, et Hénon, député de Lyon, furent déclarés démissionnaires par suite du refus de serment, et la session fut close sans incident le 28 juin suivant.

Après la distribution des drapeaux, un voyage triomphal à travers la France, accompagné de quelques cris de : Vive Napoléon III ! et la découverte d'une machine infernale à Marseille, le prince, rentrant à Paris, le 16 octobre, fut reçu solennellement par le préfet de la Seine, M. Berger, qui le pressa « de céder aux vœux d'un peuple entier dont la Providence empruntait la voix pour lui dire de terminer la mission qu'elle lui avait confiée en reprenant la couronne de l'immortel fondateur de sa dynastie. » Le lendemain, le Moniteur annonça que les manifestations éclatantes en faveur du rétablissement de l'Empire faisaient un devoir au président de consulter le Sénat. Le Sénat, convoqué le 4 novembre, ratifia ces manifestations, et le suffrage universel consulté approuva « le rétablissement de la dignité impériale, dans la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive », par 7,824,129 oui, contre 253,149 non. Quelques jours après, le gouvernement proposait (6 décembre) et le Sénat votait (24 décembre) un sénatus-consulte qui restreignait encore les fonctions si modestes laissées au Corps législatif par la Constitution du 14 janvier 1852; l'empereur reprenait le droit de conclure seul les traités de commerce, d'ordonner par simples décrets les travaux d'utilité publique et les entreprises d'intérêt général, imposait la vote du budget par ministère et non par chapitre, en se réservant la faculté de répartir les crédits et d'autoriser les virements ; en échange, les députés, à qui la constitution du 14 janvier n'accordait aucun traitement, recevraient dorénavant une indemnité de 2,500 francs par mois de session.

A l'intérieur, le mariage de l'empereur avec Mlle Eugénie de Montijo, les complots de l'Hippodrome et de l'Opéra-Comique, les discours d'ouverture des sessions législatives, qui en constituaient en quelque sorte le programme obligatoire, la naissance du prince impérial ; à l'extérieur, la guerre de Crimée, furent les événements marquants des quatre années qui suivirent. Dans la session de 1856, le Sénat, où le président, M. Troplong, avait déjà laissé, « par courtoisie », entr'ouvrir quelques débats, eut la velléité de discuter plus à fond le projet de loi Fortoul sur l'enseignement. Le Moniteur du 21 janvier 1856 lui rappela sèchement qu'il sortait de son rôle constitutionnel pour empiéter sur le terrain législatif. Le Sénat, piqué au jeu, repoussa la taxe des voitures, que lui demandait le gouvernement, « comme dérogeant à l'un des grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public français » (article 1er de la constitution, au principe d'égalité). Le désaccord dura peu, et, en juillet suivant, un sénatus-consulte organisa la régence.

Les élections générales du 22 juin 1857 amenèrent à la Chambre quelques députés de l'opposition, sans modifier les sentiments d'une majorité plus que docile. L'attentat d'Orsini (14 janvier 1858) provoqua la promulgation de la loi de sûreté générale, et la guerre d'Italie (5 mai-7 juillet 1859) vint démontrer une fois de plus, à côté des défectuosités de notre administration militaire, l'intrépidité de nos soldats. L'annexion de Nice et de la Savoie à la France en fut le prix, mais la question romaine embarrassa bientôt notre diplomatie, et les nouvelles élections générales de janvier 1863 se firent au milieu des inquiétudes créées par la politique extérieure, par l'échec de l'expédition du Mexique, et par les inquiétudes commerciales de la guerre de sécession des Etats-Unis. Malgré les manœuvres les moins dissimulées de l'administration, l'opposition revint à la Chambre plus compacte et plus puissante, avec trente-cinq membres, Thiers en tête. A l'ouverture de la session de 1866, 45 députés de la majorité proposèrent d'ajouter au dernier paragraphe de l'Adresse l'amendement suivant : « La France, fermement attachée à la dynastie qui lui garantit l'ordre, ne l'est pas moins à la liberté qu'elle considère comme nécessaire à l'accomplissement de ses destinées, etc. » L'amendement recueillit 63 voix. Le gouvernement comprit néanmoins qu'il fallait faire quelque chose ; le 24 novembre 1860, l'empereur avait rétabli, dans les deux Chambres, le droit d' « Adresse » ; il lui substitua, le 19 janvier 1867, le système des « interpellations »; le 25 février, un sénatus-consulte donna au Sénat le droit de discuter et de renvoyer à correction devant le Corps législatif les lois qui lui étaient présentées.

L'Exposition universelle de 1867, qui attira à Paris tous les souverains de l'Europe, marqua l'apogée du second Empire; dès l'année suivante, la souscription Baudin (décembre 1868) ramena le trouble dans les rues et les attaques violentes contre le gouvernement. Les élections du 24 mai 1869 se ressentirent de l'état des esprits. Un certain nombre des nouveaux élus demandèrent, dès l'ouverture de la session extraordinaire convoquée le 28 juin, à interpeller le gouvernement « sur la nécessité de donner satisfaction aux sentiments du pays en l'associant d'une manière plus efficace à la direction des affaires ». Le Corps législatif fut prorogé, et le Sénat, convoqué le 2 août, adopta, le 8 septembre, un sénatus-consulte qui donnait une quasi-satisfaction aux revendications parlementaires, et qui inaugurait « l'Empire libéral », pour la direction duquel l'empereur confia la composition d'un cabinet homogène à M. Emile Ollivier (2 janvier 1870). Mais celui-ci ne put satisfaire les espérances qu'il avait encouragées ; le 22 mars, une lettre de l'empereur invita le président du conseil à lui soumettre un projet de sénatus-consulte destiné à arrêter le désir immodéré de changement qui s'était emparé des esprits. La nouvelle constitution, en 45 articles, votée par le Sénat le 20 avril, fut soumise, le 8 mai, au plébiscite du peuple français qui la ratifia par 7,358,786 oui contre 1,571,939 non. Le rôle personnel de Napoléon III était terminé.

Deux mois après, le ministère Ollivier assuma « d'un cœur léger » la responsabilité de la guerre déclarée le 15 juillet 1870 à la Prusse, et a laquelle les autres Etats de l'Allemagne prirent part. Après une série de revers, Napoléon III, pris à Sedan, fut conduit en captivité à Wilhelmshoehe, tandis que sa déchéance était prononcée à Paris dans la journée du 4 septembre : elle fut renouvelée le 1er mars 1871 par l'Assemblée nationale.

L'ex-empereur protesta contre cette décision au nom du « droit plébiscitaire». Il se retira ensuite à Chislehurst. Poursuivi par les accusations élevées, soit dans le parlement, soit dans la presse, contre l'imprévoyance coupable de son gouvernement qui avait follement déclaré la guerre, alors qu'il n'était pas en mesure de la soutenir, il ne répondit qu'en reprochant à ses ministres de l'avoir gravement trompé.

Depuis longtemps déjà, Napoléon III souffrait d'une grave maladie de vessie; son état s'étant aggravé, il dut recourir à un traitement qui l'épuisa, et amena sa mort, le 9 janvier 1873. Son testament, rédigé et écrit de sa main aux Tuileries le 21 avril 1865, léguait trois millions à l'ex-impératrice et contenait pour le prince impérial, entre autres recommandations, celle de se pénétrer avant tout de la pensée du « captif de Sainte-Hélène ». Napoléon III avait beaucoup écrit, soit avant, soit après son avènement au trône. Aux ouvrages que nous avons cités, il faut ajouter, outre ses Proclamations et Messages au Corps législatif, une brochure intitulée : Politique de la France en Algérie (1865), et une Histoire de Jules César (1855-1869), son œuvre principale, à laquelle collabora activement M. Duruy.