N° 871
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le.5 mai 1998
Dépôt publié au Journal Officiel du 6
mai 1998
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION
DENQUÊTE (1)
sur létat des droits de lenfant en France,
notamment au regard des conditions de vie des mineurs
et de leur place dans la cité,
Président
M .
Laurent FABIUS,
Rapporteur
M .
Jean-Paul BRET,
Députés .
TOME II
AUDITIONS - 2ème Partie
[
Première partie ]
(1) Cette Commission est composée
de : MM. Laurent FABIUS, président, Mmes Martine AURILLAC,
Bernadette ISAAC-SIBILLE, vice-présidents, MM. Bernard
BIRSINGER, Pierre CARASSUS,
secrétaires, Jean-Paul BRET, rapporteur ; Mme Sylvie
ANDRIEUX, MM.
Pierre-Christophe BAGUET, François BAROIN, Mmes Huguette BELLO,
Yvette BENAYOUN-NAKACHE, Danièle BOUSQUET, Christine BOUTIN, MM. Jean-François
CHOSSY, François FILLON, Mme Dominique GILLOT, MM. Pierre GOLDBERG, Gaétan
GORCE, Michel HUNAULT, Mme Claudine LEDOUX, M. Pierre LEQUILLER, Mme Raymonde LE TEXIER, MM.
Lionnel LUCA, Alain NÉRI, Mme Françoise de PANAFIEU, MM. Christian PAUL, Bernard
PERRUT,
Mme Annette PEULVAST-BERGEAL, MM. François VANNSON, Kofi YAMGNANE
Enfants .
TOME SECOND
SOMMAIRE DES AUDITIONS
Les auditions sont présentées dans lordre chronologique des
séances tenues par la Commission
(la date de laudition figure ci-dessous entre parenthèses)
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Pages
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__ Madame Sylvie
PERDRIOLLE,
Directrice de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice et
Monsieur Christian PETIT, Sous-directeur des affaires administratives et financières
(26 février 1998).
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123
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__ Monsieur Hervé HAMON,
Président de lAssociation française des magistrats de la jeunesse et de la famille
(26 février 1998).
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131
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__ Madame Marie-Paule POILPOT,
Directrice de la Fondation pour lenfance et le Professeur Jean-Paul Dommergues, Chef
du service de pédiatrie de lhôpital du Kremlin-Bicêtre (26 février 1998).
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139
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__ Monsieur Henri LECLERC,
Président de la Ligue des droits de lhomme et Madame Elisabeth Auclaire,
Présidente de la commission " Droits de lenfant "
(26 février 1998).
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147
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__ Madame Denise CACHEUX, Chargée
de mission au COFRADE, ancienne directrice de lInstitut de lenfance et de la
famille, ancienne députée et auteur dun rapport dinformation sur les droits
de lenfant (5 mars 1998).
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155
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__ Madame Odile MOIRIN, ancienne
parlementaire en mission, auteur du rapport " Pour une véritable politique de
lenfance " (5 mars 1998).
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161
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__ Madame Monique LOUSTAU,
Présidente de lAssociation contre la prostitution enfantine et
Monsieur Bernard LEMETTRE, Coordonnateur national du mouvement Le Nid (5 mars 1998).
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167
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__ Monsieur Hubert BRIN, Président
de lUnion nationale des associations familiales et Mesdames Chantal LEBATARD,
Responsable du secteur psycho-sociologie et droit des familles et Monique SASSIER,
Sous-directrice des études et actions politiques (5 mars 1998).
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173
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__ Mesdames Francine de la
GORCE,
Vice-Présidente du mouvement ATD-Quart monde et Isabelle DELIGNE, Responsable de la
petite enfance (5 mars 1998).
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179
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__ Madame Monique DAGNAUD, Membre
du Conseil Supérieur de lAudiovisuel (CSA) (26 mars 1998).
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187
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__ Messieurs Pascal PETIT,
Rédacteur en chef du journal télévisé de Canal J et Rémy Pflimlin, Directeur de la
publication du Journal de enfants et Madame Béatrice dIRUBE, Directrice de la
rédaction (26 mars 1998).
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193
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__ Madame Isabelle
FALQUE-PIERROTIN, ancienne Présidente dun groupe de travail interministériel
chargé délaborer un rapport sur lInternet (26 mars 1998).
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199
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__ Messieurs Pierre TOURNEMIRE,
Secrétaire général adjoint de la Ligue de lenseignement, Jacques HENRARD,
Secrétaire général de la Jeunesse au plein air (JPA), Jacques DEMEULIER, Directeur
général des centres dentraînement aux méthodes déducation active (CEMEA),
et Pierre de ROSA, Vice président des Francas (26 mars 1998).
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205
|
__ Monsieur Didier BOULAUD,
Président de lAssociation nationale des conseils denfants et de jeunes
(ANACEJ), Madame Claire JODRY, Directrice et Monsieur Roger ADELAIDE,
Administrateur (26 mars 1998).
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215
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__ Docteur Jean-François
DODET, Membre
du Haut comité de la santé publique, médecin inspecteur régional de Bourgogne (2 avril
1998).
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223
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__ Monsieur Jean-Pierre
ROSENCZVEIG, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny (2 avril 1998).
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229
|
__ Madame Louise
SYLWANDER,
Médiateur des enfants du royaume de Suède (2 avril 1998).
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243
|
*
* *
Audition de Mme Sylvie
PERDRIOLLE,
Directrice de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice
et de M. Christian PETIT,
Sous-directeur des affaires administratives et financières
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Sylvie Perdriolle et Monsieur Christian Petit sont
introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, Mme Sylvie Perdriolle et M. Christian Petit prêtent
serment.
Mme Sylvie Perdriolle :
La direction de la protection judiciaire
de la jeunesse a été créée en 1945 afin de mettre en uvre les moyens
nécessaires à léducation et à la rééducation des mineurs délinquants. Sa
compétence a été étendue en 1958 à la prise en charge des mineurs en danger. Cette
direction est, en outre, compétente pour assurer le suivi des textes relatifs à
lenfance délinquante et à la protection des mineurs ainsi que celui des politiques
judiciaires conduites à ce titre.
Jaborderai essentiellement les conditions concrètes
dexercice des droits de lenfant, notamment du droit à léducation, qui
est la mission première de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Deux
volets seront examinés : en premier lieu, les politiques judiciaires; en second
lieu, les prises en charge éducatives.
Les politiques judiciaires et, bien sûr, le traitement des mineurs
délinquants.
Le cadre général dintervention des parquets a été déterminé
par une circulaire doctobre 1991. Depuis, deux réformes législatives sont
intervenues, en 1995 et 1996, qui permettent, dune part, de convoquer les mineurs
par officier de police judiciaire devant les juges des enfants et, dautre part, de
les juger dans des délais rapprochés.
La plupart des grandes juridictions ont mis en place aujourdhui,
en réponse aux questions qui nous préoccupent, notamment celle de laugmentation de
la délinquance juvénile, une politique de traitement en temps réel des infractions
commises par les mineurs. Celle-ci requiert au préalable une très forte articulation
entre services de police et parquets. Dores et déjà, nous constatons depuis
trois ans une augmentation certaine du nombre de mineurs délinquants pris en charge
par le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, puisque leur nombre est
passé de onze mille trois cents mineurs suivis en 1993 à dix-neuf mille en 1996. Le
chiffre de 1997 nest pas encore disponible, mais il confirme cette évolution.
Une attention particulière est portée aujourdhui par le
ministère de la justice à lélaboration des contrats locaux de sécurité qui
doivent favoriser des actions de prévention à légard des jeunes en difficulté et
doivent également permettre une meilleure coordination de lintervention des
différents services.
La mesure de réparation qui peut être prononcée à légard des
mineurs a connu, depuis son adoption par le Parlement en 1993, un réel essor :
quatre mille mesures ont été ordonnées en 1994 et sept mille huit cent quarante en
1996. Cette évolution se confirme pour 1997.
Cette mesure, qui demande aux mineurs de réaliser une activité
daide ou de réparation auprès des collectivités locales ou dorganismes à
but non lucratif, présente un intérêt pédagogique certain. Elle conduit le mineur à
prendre conscience de limportance des faits quil a commis et lamène à
accomplir une activité compréhensible pour lui et utile pour la collectivité.
Cest la raison pour laquelle elle sera très certainement fortement développée.
En ce qui concerne la protection des mineurs en danger, je rappelle
simplement pour mémoire, puisque cette question a déjà été abordée devant vous, que
le projet de loi actuellement soumis au Parlement, relatif à la prévention et à la
répression des infractions sexuelles ainsi quà la protection des mineurs, renforce
la protection des mineurs victimes de tels abus.
Je ferai une remarque à ce sujet. Si les juges pour enfants
interviennent lorsquun mineur se trouve en danger, les Conseils généraux sont,
depuis 1986, responsables de la protection administrative des mineurs. La demande sociale
à légard de la justice est extrêmement forte, vous le savez. Cependant, il
apparaît essentiel déviter des déplacements de compétence. Lintervention
du juge des enfants ne peut quêtre limitée aux critères définis par la loi. Il
appartient aux Conseils généraux dexercer les compétences qui leur ont été
dévolues par les lois de décentralisation, notamment en matière de prévention.
Des travaux seront engagés en avril entre le ministère de la justice
et lAssemblée des présidents de Conseils généraux en vue dune meilleure
articulation de nos interventions en ce sens.
Jen viens aux prises en charge éducatives, qui font lobjet
de nombreux rapports déposés ou en cours délaboration.
Un premier rapport a été remis au garde des sceaux en
janvier 1998 sur les unités éducatives à encadrement renforcé. Ce rapport a été
réalisé par trois inspections
inspection des services judiciaires, inspection générale des affaires
sociales et inspection générale de ladministration.
Par ailleurs, le Conseil de sécurité intérieure a saisi une mission
interministérielle, présidée par Mme Lazerges et M. Balduyck, des questions
relatives à la prévention et au traitement de la délinquance des mineurs.
Enfin, le conseil économique et social sest lui-même saisi de
ces questions en 1997 et remettra un rapport fin mars sur ce sujet.
Des propositions seront faites au vu de lensemble de ces
rapports. Je peux dores et déjà en dire quelques mots.
Le premier rapport, celui des trois inspections, souligne
lintérêt que représente une prise en charge éducative continue et intensive des
mineurs les plus en difficulté. Il note, en ce qui concerne lhébergement des
mineurs par le secteur public de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse,
une certaine désaffection des personnels pour de cette mission et un fort désarroi. Il
souligne, en outre, les difficultés dadaptation de cette direction. Il pose la
question de létendue de ses missions au regard de ses faibles moyens. Il aborde
celle de la rigidité des règles de gestion des personnels. Ce rapport sinterroge
enfin sur la spécificité des formations propres à la protection judiciaire de la
jeunesse.
Sagissant des prises en charge éducatives, il est vrai
quexiste un certain désarroi des personnels de la protection judiciaire de la
jeunesse, désarroi qui nest pas propre à ce secteur. Nous lobservons
aujourdhui de la même manière à léducation nationale et je reçois
actuellement les responsables des fédérations du secteur associatif qui me font part des
mêmes interrogations.
Ce désarroi sexplique pour partie. La société connaît depuis
le milieu des années 80, sans doute depuis plus longtemps dailleurs, de très
profondes mutations liées en particulier à lévolution du marché du travail, mais
aussi des situations familiales. La permanence dun nombre très important de
personnes en situation de précarité, ou de très grande précarité, remet en cause,
nous lobservons tous, les liens sociaux et les références communes qui rassemblent
nos concitoyens. Enfin, la délinquance quotidienne des mineurs, et parfois leur
intégration dans des circuits économiques parallèles et illégaux, pose un problème
sérieux.
Les jeunes pris en charge par la direction de la protection judiciaire
de la jeunesse sont pour la plupart " déscolarisés ", entrent très
tardivement et difficilement sur le marché du travail, sils y entrent. Parfois,
leurs parents eux-mêmes en sont exclus depuis très longtemps. Or, les politiques
conduites en ce domaine durant les années 80 ont toutes eu pour objectifs, dune
part, la réinscription de chaque mineur dans un dispositif de droit commun, dautre
part, linsertion professionnelle, avec un souci très net de meilleure adéquation
avec le marché du travail.
Cela a très certainement permis des avancées et des progrès,
notamment un travail mieux articulé entre le secteur éducatif spécialisé et les autres
dispositifs dintervention tels que léducation nationale ou les missions
locales. Mais, à ce jour, il faut bien remarquer que les mineurs que nous avons en
charge, en tout cas ceux qui sont les plus en difficulté, ou les mineurs délinquants les
plus réitérants, ne peuvent pas réintégrer aussitôt un dispositif de droit commun,
pas plus lécole, dans un premier temps, quun stage de formation. Il est
nécessaire que nous redéfinissions des prises en charge éducatives continues dont ils
bénéficieraient pendant une durée déterminée.
Cela signifie que nous devons réfléchir à ce que nous entendons par
rééducation.
Là encore, au cours des années précédentes, léducation a
parfois été réduite à la notion dinsertion sociale et professionnelle. Or, elle
ne peut se limiter à cette notion. Elle dépasse cet objectif. Cest
laffirmation dun principe de responsabilité et dautorité des adultes
à légard des jeunes dont nous avons la charge, de la transmission de valeurs
communes. Il sagit de permettre à chaque mineur de construire son identité et
davoir la force suffisante pour affronter, sil y a lieu, les difficultés de
la vie. Notre direction examine actuellement les moyens de réorienter lactivité de
lensemble des services en ce sens. Des objectifs et des priorités en la matière
seront précisés dès le dépôt des rapports dont je viens dévoquer le contenu.
En ce qui concerne lorganisation administrative, je rappelle que
cette direction a déjà connu des évolutions très importantes durant les dix dernières
années. Un décret de janvier 1988 détermine lorganisation des services
déconcentrés de la protection judiciaire de la jeunesse et cette direction a
pratiquement achevé aujourdhui son implantation territoriale.
Un véritable corps de direction a été créé en 1992. Cette
évolution sera confirmée par ladoption cette année dun statut demploi
de directeur départemental et par la refonte des statuts de directeur régional et de
directeur de service. Un effort très important de formation des personnels de direction a
été engagé, cet effort sera renforcé. Des schémas départementaux ont été
réalisés qui permettent à ce jour de mieux prévoir la répartition géographique des
personnels. Une carte dimplantation des emplois a été réalisée. De même, la
déconcentration budgétaire a déjà été effectuée.
Nous réfléchissons actuellement aux moyens de mieux répondre aux
impératifs éducatifs, notamment de pallier les difficultés de remplacement des
personnels dans des structures qui sont aujourdhui dassez petite taille, ou de
soutenir de manière plus rapide des projets éducatifs intéressants. Nous sommes aussi
confrontés, comme beaucoup dadministrations, à un problème particulier de gestion
en région parisienne, question qui méritera sans doute des réponses spécifiques à
cette région.
Nous ferons des propositions sur lensemble de ces points au vu
des rapports qui nous seront remis, qui abordent et aborderont sans doute à nouveau ces
questions.
M. le Président : Je souhaite vous poser une question sur
un ou deux points, même si directement ou indirectement vous venez dy faire
allusion.
Une proposition a été faite par le rapport dinspection sur les
UEER, unités éducatives à encadrement renforcé, relative à la création dune
agence de prévention de la délinquance juvénile. Quen pensez-vous ?
Par ailleurs, existe-t-il un travail en collaboration avec les services
départementaux sur la mise au point dun recueil statistique permettant un suivi
socio-judiciaire des mineurs délinquants ?
Mme Sylvie Perdriolle : En ce qui concerne lagence de
prévention, celle-ci fait lobjet dune réflexion. La position du ministère
nest pas encore arrêtée.
Plusieurs questions se posent à cet égard. Les rapports soulignent
une faiblesse dintervention en ce qui concerne la prévention spécialisée,
notamment une insuffisante présence auprès des mineurs qui, dans certains quartiers, se
trouvent inactifs et désuvrés, notamment le soir, peut-être même la nuit. Cette
question nous intéresse très directement puisquune meilleure intervention en
termes de prévention ne peut quinduire moins de délinquance. Tout travail en ce
sens nous paraît aujourdhui intéressant. Cest un des sujets que nous
souhaitons aborder à nouveau avec lAssemblée des présidents de Conseils
généraux que Mme Guigou a reçue il y a un mois, sujet qui a déjà été mentionné
lors de ce premier entretien.
Nous avons également besoin, cest évident, dune meilleure
articulation des services qui interviennent. Cette articulation peut être conduite à
plusieurs titres. Cétait lenjeu des conseils communaux de prévention de la
délinquance et cela lest sans doute toujours. Cest aujourdhui
lenjeu des contrats locaux de sécurité et de leur élaboration. De ce point de
vue, tout dispositif darticulation est intéressant à examiner.
Pour ce qui est des statistiques, je dois admettre que des travaux ont
été engagés à nouveau en ce sens, mais de manière totalement insuffisante
aujourdhui. Il nexiste aucune articulation des statistiques entre les services
des Conseils généraux et nous-mêmes. Cette question avait été soulevée par une
inspection conjointe des services judiciaires et de lIGAS en 1995 sur ce sujet.
Nous allons également traiter cette question avec lAssemblée
des présidents de Conseils généraux. Lélaboration des statistiques est largement
faite par lODAS aujourdhui.
Nous avons, pour notre part, un problème darticulation entre les
statistiques des services de police et les statistiques judiciaires. Cest une
question de fond qui nest pas simple à régler. Mais elle mérite certainement que
nous la reprenions de façon très sérieuse dans lannée qui vient.
Mme Raymonde Le Texier : Vos services, Mme la Directrice, font
un travail à la fois lourd et indispensable.
Sagissant des droits de lenfant, je voudrais savoir
sil existe dans vos services des structures de réflexion permanentes sur le respect
des droits des enfants qui vous sont confiés.
Ainsi, par exemple, lorsque lon se réunit pour faire une
synthèse de la situation dun enfant, y a-t-il des principes qui régissent ce type
de réunion ? Linforme-t-on de cette synthèse, de ce qui va sy dire, de
ce qui est conclu ? Linclut-on dans ce travail de réflexion ?
En ce qui concerne son lieu de placement, par exemple, a-t-il son mot
à dire ?
Ce sont des exemples que je vous donne pour illustrer mes
interrogations.
Mme Sylvie Perdriolle : Sur la question du placement, nos
services ninterviennent que sur décision judiciaire. Cest donc une décision
qui appartient au magistrat lorsque le mineur est placé directement dans un foyer. En
aucun cas, elle nappartient au service lui-même. Lorsquun mineur est confié
à laide sociale à lenfance, cest alors le directeur de laide
sociale à lenfance qui oriente le mineur.
Le juge pour enfants peut entendre le mineur. Je dirai même quil
est recommandé quil lentende. Les textes le prévoient.
Dans la conduite de laction éducative, une action éducative à
légard dun mineur ne peut produire deffets que si ce dernier est, au
fur et à mesure, profondément impliqué dans cette action.
Là encore, les situations sont très diverses. Pour les mineurs qui
sont confiés à la suite dabus sexuels ou de maltraitances, la question principale
est dexaminer, avec lui, les faits commis, lenvironnement général,
lenvironnement familial et les projets qui peuvent être déterminés pour lui. Les
services éducatifs ont depuis longtemps le souci et lhabitude de discuter avec les
mineurs des projets élaborés. Cela aussi fait partie de la conduite dune action
éducative.
En ce qui concerne les mineurs délinquants, la prise en charge ne se
fait pas nécessairement dans le même cadre que celle des mineurs en danger. Cest
le magistrat qui détermine le cadre dintervention, puis léducateur qui le
met en uvre.
Il sagit pour le mineur délinquant de prendre en compte les
faits quil a commis et den répondre. Lorsquil y a placement, celui-ci
fait partie dune mesure contraignante déterminée par le juge. Le mineur nest
donc pas, en principe, en mesure de la remettre en cause. Si la situation se déroule mal,
sil y a une difficulté majeure, elle est réexaminée. Mais peut-être faut-il
aussi examiner la situation des mineurs selon la décision qui a été prise par le juge
et le cadre juridique dans lequel nous intervenons.
Pour les mineurs délinquants, la participation du mineur au projet ne
se fait pas dans le même cadre, car il faut nécessairement prendre en compte la part
contraignante de lintervention.
M. Gaëtan Gorce : Je minterroge sur la position de
votre direction, et plus encore des directions départementales, dans un dispositif qui
est finalement assez éclaté.
Nous avons un secteur habilité assez important qui exerce directement
des missions de service public, un système qui associe lEtat et le Conseil
général, lÉtat prescripteur, à travers la justice, et le Conseil général
payeur; nous avons des directeurs départementaux qui ne sont pas soumis à
lautorité du préfet, mais qui ne relèvent pas non plus directement de la justice,
et qui sinterrogent parfois, sur des décisions quils ont à prendre, pour
savoir quelle est leur référence.
On a le sentiment, pour être un peu provocateur, que vos services sont
en apesanteur par rapport aux sujets quils ont à traiter, compte tenu de cette
organisation administrative, des modes de financement et des types dintervenants.
Cela ne pose-t-il pas un problème plus général, qui devrait nous conduire à
reconsidérer complètement la position de vos services et la manière dont ils
fonctionnent en relation avec ces différents partenaires ?
Mme Sylvie Perdriolle : Les services de la protection judiciaire
de la jeunesse, comme tous les services de la justice, ne relèvent pas du préfet suite
au décret de 1982. En revanche, ils relèvent du ministère de la justice et de ma
direction, très précisément et de manière hiérarchique. Cest là un point qui
ne donne pas lieu à discussion.
Vous dites que le système est très complexe. Vous avez raison de le
souligner. Ce nest pas nouveau, il sagit dun très ancien système.
Depuis 1958, la France connaît un double système de protection,
dun côté, une protection administrative des mineurs en difficulté, qui était à
lépoque confiée aux affaires sociales, de lautre, une intervention
judiciaire dès quun mineur se trouve en danger et dès quil est porté
atteinte à lautorité parentale, cest-à-dire dès que lon doit
envisager une mesure de placement sans laccord des parents.
Depuis les lois de décentralisation, depuis 1986 précisément, ces
compétences ont été transférées aux Conseils généraux et nous sommes dans un
système qui doit articuler lintervention de lÉtat et celle des Conseils
généraux sur le volet de la protection des mineurs en danger, puisque
lintervention à légard des mineurs délinquants ne relève, quant à elle,
que de lEtat, que du ministère de la justice.
Cest la raison pour laquelle nous avions engagé une démarche de
schéma départemental pour tenter darticuler les interventions des différents
acteurs et permettre une prévision de lorganisation des moyens respectifs sur des
territoires donnés. Ces schémas sont aujourdhui non contraignants. On peut
peut-être sinterroger pour lavenir sur la portée quils devraient avoir
pour nous permettre denvisager une programmation conjointe plus précise de moyens
réciproques de lEtat et des Conseils généraux. Pour linstant, leffort
darticulation relève des uns et des autres et, depuis la décentralisation, du
respect des compétences propres des collectivités locales.
La prise en charge des mineurs délinquants relève, quant à elle,
entièrement du ministère de la justice et lensemble des mesures, quelles
soient prises en charge par le secteur associatif ou le secteur public, relève du
ministère de la justice. Cest au ministère de la justice dorganiser les
moyens de réponse nécessaires sur chacun des territoires.
Mme Bernadette IsAac-Sibille : Mme Le Texier et M. Gorce
viennent de soulever limportant problème des rapports entre les Conseils généraux
et le ministère de la justice.
Il est vrai que nous nous heurtons sans cesse à des difficultés avec
les juges des enfants, quil sagisse des affaires classées sans suite pour des
faits graves, ou, pour ce qui est du placement des enfants, de létablissement qui
devrait être choisi par le président du Conseil général alors que, très souvent, ce
sont les juges qui décident, laissant aux Conseils généraux le soin de payer. Il nous
faudrait tous engager une réflexion, car chacun a son expérience propre, afin de
parvenir à une amélioration.
Mme Sylvie Perdriolle : Nous sommes tout à fait conscients de
cette difficile articulation. Cest dailleurs la raison pour laquelle
lAssemblée des présidents de Conseils généraux a souhaité rencontrer Mme Guigou
et pour laquelle nous avons décidé dengager un travail conjoint et dessayer
de repérer très concrètement sur un certain nombre de départements comment progresser.
Vous dites, avec raison, que le juge intervient. Mais dès quil
est porté atteinte à lautorité parentale, seul le magistrat est compétent.
Cest la raison pour laquelle on le saisit.
Jajouterai quà notre sens, nous assistons aujourdhui
à une " sursaisine " des juridictions pour mineurs. Lon
constate que le Conseil général, qui est responsable de la protection administrative et
donc responsable des signalements qui sont faits aux magistrats, est à lorigine de
80 % des signalements fait aux juridictions pour mineurs. Les Conseils généraux
sont donc eux-mêmes responsables de cette inflation de saisine des juridictions pour
mineurs aujourdhui.
Il faudrait effectivement reprendre cette question de la saisine et
permettre que le juge réserve son intervention au critère déterminé par la loi,
cest-à-dire latteinte à lautorité parentale, et pas au-delà.
Or, aujourdhui, nous le voyons bien cest une
question de société , dès quil y a une difficulté, le juge est saisi.
Ce schéma, nous le retrouvons dans le domaine de lenfance, dautant plus que
toutes les difficultés et les affaires qui ont eu lieu récemment et leur médiatisation
en matière dabus sexuels, par exemple, engendrent aussi une très grande propension
à la saisine des magistrats. Cela se comprend tout à fait, mais nous sommes
aujourdhui dans une situation où les juges des enfants se trouvent très facilement
en première ligne, alors que nous devrions parvenir à réarticuler les deux systèmes
dintervention.
En tous les cas, le ministère de la justice et nombre de juridictions
souhaitent et demandent que chacun se retrouve à une place déterminée pour que nous
parvenions à réarticuler ces interventions.
M. le Président : Nous vous remercions, Mme la Directrice,
ainsi que M. le Directeur, de votre venue, de votre gentillesse et de votre
compétence.
Audition de M. Hervé
HAMON, Président de
lAssociation française des magistrats de la jeunesse et de la famille
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Hervé Hamon est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation
du Président, M. Hervé Hamon prête serment.
M. Hervé Hamon : LAssociation française des
magistrats de la jeunesse fait partie de lAssociation internationale des magistrats
de la jeunesse et de la famille. Elle est très active dans cette association
internationale et très proche de tout ce courant de Conventions internationales.
Curieusement, la question posée nest pas ce qui préoccupe le
plus lassociation française à lheure actuelle. Au fond, nous avons
limpression que, globalement, létat des lieux et ladéquation de la
législation française à la Convention internationale relative aux droits de
lenfant sont à peu près corrects.
En revanche, ce qui nous paraît plus préoccupant, cest le
constat dun certain décalage entre lattention portée aux Conventions
internationales, comme en témoigne la réforme de 1993 facilitant laccès de
lenfant à la justice, et le fait que lon a peut-être oublié que
lappareil judiciaire est tout de même un appareil violent. Il existe certes une
violence légitime de lappareil judiciaire, mais il nous paraît curieux et
inquiétant que, finalement, la seule question traitée soit celle de la prise en compte
de la parole de lenfant dans le système judiciaire.
Lhypothèse que nous formulons est que cest, peut-être,
une façon déviter le débat sur la " judiciarisation ". Notre
analyse est quil existe une volonté politique importante autour de la défense des
droits, de la protection des enfants, au niveau de la sexualité, etc., mais, en même
temps, on observe une espèce daveuglement politique qui fait que tous les systèmes
de prévention ont été attaqués et quainsi le judiciaire se trouve actuellement
en première ligne, au détriment de tous les processus de prévention.
Il y a là une certaine incohérence politique. Les politiques
dénoncent cette " judiciarisation " et, en même temps, manifestent
une ambivalence certaine par rapport à lappareil judiciaire et lon constate
que malgré les promesses réitérées des ministres de la justice depuis quelque temps,
affirmant que la justice des mineurs serait prioritaire, nous sommes constamment dans
lincapacité de faire notre travail correctement, confrontés à une augmentation
constante de la charge de travail. Sur le terrain, nous navons jamais aussi mal
travaillé. Il y aurait certainement un choix politique à faire par rapport à cette
ambivalence.
Si lon veut travailler contre la
" judiciarisation " excessive, cela doit être un travail de long
terme, interministériel et associant, au titre de la prévention, lAssemblée des
présidents de Conseils généraux, avec toute la difficulté de cette représentativité
et de ce positionnement.
Si lon sengage dans ce travail de longue haleine, il faut
que les juges pour enfants soient épaulés de façon significative, dabord en ce
qui concerne le nombre de magistrats. Toute la politique des services judiciaires est
également aberrante et celle du Conseil supérieur de la magistrature très discutable.
Je ne parle pas de labsence de services éducatifs et de limpossibilité de
faire exécuter nos mesures éducatives : dans la région parisienne, près de quinze
cents mesures éducatives ne sont pas exécutées à lheure actuelle et quatre mille
pour toute la France ; si lon ajoute lautocensure des magistrats qui ne
prononcent pas de mesures éducatives parce quils savent quelles ne seront pas
exécutées, on mesure lampleur des dégâts.
Ce sont ces paradoxes et ces contradictions qui nous ont fait
réfléchir et sur lesquels nous voulions attirer votre attention lors de cette audition.
Le point de départ de notre réflexion sur la
" judiciarisation " est labsence de politique de santé publique
en France.
Je me réfère notamment au rapport du Haut comité de santé publique
de 1997, auquel jai eu la chance de participer en tant que président de
lAssociation française des magistrats de la jeunesse. Cela a été pour moi
extrêmement révélateur. Je me suis aperçu quun problème comme le suicide, qui
pouvait être considéré comme un problème numéro un de santé publique, avait des
bases épidémiologiques, des bases denquête assez sérieuses, mais que
laction ministérielle en ce domaine était quasiment inexistante, avec des crédits
quasiment nuls.
Dautres enquêtes épidémiologiques sont inquiétantes, celles
sur les accidents scolaires et les accidents sportifs, donc sur tout ce qui tourne autour
des conduites à risque. Malgré ces enquêtes, aucune action de santé publique
nest engagée face à un taux extrêmement important de mortalité et de morbidité.
Ce rapport comporte aussi un volet sur les problèmes psychosomatiques
rencontrés mais, là aussi, aucune conclusion et aucune politique globale.
Cest le premier aspect critique du rapport du Haut comité, qui
est quand même très alarmiste par rapport à la situation des pays européens et qui dit
à quel point, en France, létat de santé des jeunes et des adolescents est grave.
La situation des jeunes en insertion est également très préoccupante, puisquils
connaissent des problèmes de santé, danxiété et de dépression extrêmement
importants.
Le deuxième aspect critique est dordre institutionnel. En tant
que juges des enfants praticiens, nous savons bien quil y a une incohérence entre
la PMI et la santé scolaire. Ce rapport met en relief la quasi-incohérence entre un
travail relativement proche des familles et des parents et une conception assez absurde de
la santé des jeunes scolarisés.
On voit pourtant que, dans ce domaine, il y a aussi des bombes à
retardement. Le seul maillon de prévention primaire qui tienne à peu près la route à
lheure actuelle est la PMI. Or, seulement un médecin de PMI sur sept est un
pédiatre. Les formations des généralistes en pédiatrie sont notoirement insuffisantes
et, dici dix ans, on ne pourra plus recruter un seul pédiatre en protection
sociale. La mort annoncée de la pédiatrie sociale justifierait une prise de position
politique très ferme.
Par ailleurs, la réforme de lenseignement de la pédopsychiatrie
a été une catastrophe. Cest la deuxième bombe à retardement : alors que les
files actives des CMP et que la question de la psychiatrie de lenfant et de
ladolescent est posée comme étant notoirement insuffisante dans les équipements
dadolescence et dhospitalisation, on voit que la formation des
pédopsychiatres est attaquée gravement et que nous allons vers une autre culture
pédospychiatrique beaucoup plus comportementaliste, qui me paraît assez inadaptée aux
enjeux de société actuels.
Nous aimerions beaucoup que souvre un véritable débat sur la
santé publique dans un cadre interministériel.
Pour ma part, javais proposé la fusion de la PMI et de la santé
scolaire dans un dispositif qui soit extérieur à léducation nationale, avec des
antennes dans lécole, sur le modèle je le dis un peu par
provocation de la santé en prison, cest-à-dire avec des antennes très
pointues, un vrai dépistage et une véritable écoute de ce qui relève du
psychosomatique, un dispositif assurant une continuité avec les parents.
Cela suppose des coordinations complexes entre les Conseils généraux
et lEtat, mais il me semble quil y aurait alors entre la petite enfance,
lenfance et ladolescence, une ligne continue. Il faudrait fortement insister
sur la question de la santé publique qui me paraît très préoccupante aujourdhui
en France. Cette question est plus amplement développée dans le texte que javais
préparé pour cette audition, et que je vous remets.
Jai aussi très brièvement expliqué dans ce texte, mais vous
les connaissez, toutes les brèches qui ont été faites dans le système dualiste de
protection de lenfance mis en place en 58-59, avec sur le plan législatif la
décentralisation et lexigence de laccord des parents pour la protection
administrative.
On peut dire quaujourdhui la prévention administrative est
complètement exsangue en France. Nous sommes en train de faire une étude qui
sinscrit dans la droite ligne des rapports IGAS sur les services judiciaires, et
lon peut dire que, sur un département comme le Val-de-Marne, il y a 10 % de
protection administrative par rapport à la protection judiciaire. Nous sommes dans une
situation complètement inversée.
Il est vraisemblable que lEtat lui-même est responsable de la
mise à mal des dispositifs de prévention.
Une des propositions de notre association serait que souvre un
débat sur la question de la prévention : quest-ce que la prévention en
France à lheure actuelle ?
A mon avis, on nen a plus de représentation, tant au niveau de
la prévention spécialisée, de la prévention administrative que des autres types de
prévention. Cette question de la prévention concerne également lautorité
parentale : jusquoù peut-on être intrusif dans lautorité
parentale ? Il y a tout un travail de prévention à faire autour de la parentalité.
Cela rejoint les recherches conduites pour le compte du ministère des
affaires sociales et de la santé par M. Bruel, président du tribunal pour enfants
de Paris et celles sintéressant à la question sur la parentalité, qui ont été
conduites par le professeur Housel, pédopsychiatre, auxquelles jai participé en
tant que magistrat. Encore faudrait-il que ces rapports ne finissent pas dans des
placards !
Il me semble quil y a là des germes de réflexion qui pourraient
aller à lencontre des discours que lon entend. On avait déjà un discours
anti-jeunes. On a maintenant un discours anti-parental de ces jeunes. La question de la
prévention serait peut-être à reprendre autour dune éducation parentale et
dun soutien de la parentalité. Il y a là des pistes à explorer.
La loi de 1989 sur la protection de lenfance, sur lenfant
maltraité, a accru le rôle de la protection judiciaire et a accentué le désengagement
de la prévention administrative. Après une première
" judiciarisation " excessive, la seconde vient de la pratique du
temps réel par les parquetiers, au nom de la politique du parquet selon laquelle il
faudrait que les jeunes soient jugés très rapidement.
Dans le rapport, je souligne les effets pervers de cette politique de
temps réel appliquée aux mineurs. On a limpression que, tant du côté de la
police que du côté des mineurs, il y a une sorte dexcitation autour du temps réel
et une mise à nu par le système judiciaire, puisque lon y confronte les jeunes de
façon plus rapide ce qui dans certains cas est tout à fait
positif mais assez violent, sans réponse éducative, puisquil ny
a plus de possibilité de nature éducative. Doù un accroissement de la répression
et, effectivement, une tension excessive.
Mon propos est également de dénoncer le manque de
" réinterrogation " du ministère de lintérieur sur la
question de la police. Autant la gendarmerie a mis en place des brigades de protection
pour les mineurs, qui sont un peu balbutiantes mais dotées de formations intéressantes,
autant les commissaires de police, dont le syndicat est si virulent vis-à-vis des juges
des enfants qui seraient dun laxisme invraisemblable, ont été les plus actifs dans
la disparition des brigades des mineurs.
On ne peut pas ne pas sinterroger sur la question de la
formation, ne pas sinterroger sur ladéquation de laction de la police
à la question de la minorité et de ladolescence.
Un autre souhait de lassociation est quun débat ait lieu
sur larticulation de la police judiciaire et de la notion dordre public, en
termes techniques et non polémiques, comme on a pu le voir dans la presse ou sur le
terrain, par exemple à Strasbourg.
Lenjeu est celui dune interaction correcte entre les deux
niveaux dintervention policière, qui ne sont pas au même niveau logique. La
véritable crainte des juges des enfants nest pas tellement laccroissement de
la délinquance, puisque, au fond, lon na jamais su ce qui était le fait de
la politique policière et de la politique du temps réel mais admettons
quil y ait un accroissement ; ce qui nous préoccupe davantage,
cest la non-responsabilité individuelle et la difficulté des procédures de police
à établir, dans un groupe dintervenants, qui a fait quoi, tout en sachant que
lon est bien, à notre avis, au-delà dune technique dévitement
policière ou judiciaire par les jeunes, dans une situation où ces jeunes sont
effectivement incapables de dire quelle est leur part de responsabilité dans une chaîne
de pensée.
Nous sommes là face à un problème de société qui touche les
questions des abus sexuels, des sectes, et qui met en difficulté lappareil
policier, lappareil judiciaire, mais aussi lappareil éducatif. Au fond, nous
ne savons pas travailler sur ces questions.
Doù la nécessité dune réinterrogation, qui nous amène
à proposer quau niveau de la PJJ, et peut-être pas seulement là, on puisse
réfléchir à dautres techniques éducatives. Pour notre association, il y a là un
enjeu de démocratie : peut-on encore maintenir un espace de justice spécifique pour
les mineurs ?
Lautre question est de savoir si lon peut, au niveau des
institutions, de la prévention et dune réflexion autour de lécole, de la
santé et de lintérieur, garantir une individualisation.
Tels sont les points essentiels dont je souhaitais vous entretenir.
En ce qui concerne léducation nationale, sans dire des
banalités, nous pensons que, là aussi, il y a eu, au pire moment, une désagrégation du
système social scolaire, alors que cétait peut-être le moment, au contraire, de
le renforcer.
Léducation nationale entretient des rapports ambivalents avec le
judiciaire, après lavoir longtemps fuit comme la peste. Elle se situe maintenant
dans une proximité qui aboutit à une " judiciarisation " excessive
et une confusion entre le système disciplinaire interne et le traitement judiciaire. Je
crois quen fait, on na pas encore trouvé le bon équilibre. A Bobigny, des
collègues me racontaient quils faisaient des audiences pénales sur des faits qui
relevaient de la discipline intérieure. On voit bien que les Conventions peuvent
engendrer des effets pervers.
Il y a vraisemblablement une redéfinition de la politique globale de
lenfance, mais aussi de la parentalité, à opérer. Cela prendra énormément de
temps et si nous voulons éviter la " judiciarisation " excessive
pendant ce temps, il ne faut pas laisser les juridictions dans létat de
désespérance où elles sont.
M. le Président : Nous vous remercions de nous laisser
votre texte mais, dores et déjà, lessentiel a été dit oralement.
Mme Bernadette Isaac-Sibille : Pour donner un peu despoir
à M. le Président, je puis lui dire que jai pu initier il y a
trois ans une opération de santé scolaire, alliant PMI et santé scolaire du
rectorat, qui donne des résultats absolument extraordinaires avec presque pas plus
dargent - quatre cent mille francs par an.
M. le Président : A Lyon, chez vous ?
Mme Bernadette Isaac-Sibille : Dans le Rhône où nous avons
créé des bassins de santé dans lesquels les enfants vont garder les mêmes médecins,
assistantes sociales et infirmières de leur entrée en CE1 jusquà la sortie de
troisième. Nous avons pris des exemples ruraux et urbains. Il y en a à Bron, chez
M. Queyranne. Les résultats sont tout à fait étonnants pour tout le monde.
Mme la Ministre était très intéressée puisquelle ma
fait recevoir lautre jour avec les représentants du rectorat et du Conseil
général pour essayer de généraliser cette opération. On peut arriver à construire
quelque chose en matière de santé scolaire, laquelle est indispensable pour nos chers
petits.
M. Hervé Hamon : La question de la santé est au cur
du problème. Si lon parvient à lier la question de scolarité aux troubles de
lapprentissage et à garantir un véritable soutien dans la continuité, nous y
arriverons peut-être.
Mon idée est quil faudrait aussi travailler la question du
psychosomatique au niveau de lécole parce que, en creux, nous avons toute cette
population dite caractérielle, avec des comportements invraisemblables, que lon
retrouve dans les tribunaux pour enfants. On voit bien quavec ce travail, on est
pratiquement en première ligne sur les problèmes de santé, ce qui est quand même tout
à fait inquiétant.
Mme Bernadette Isaac-Sibille :
Jai fait une enquête
là-dessus : 30 % des jeunes qui arrivent au RMI sont ininsérables parce que
leur santé physique ou mentale est trop déficiente. Ils ont vingt-cinq ans. Ils
sortent du système scolaire depuis peu. Ces 30 %, il faut dabord les
réinsérer physiquement ou mentalement dans la société avant de les réinsérer
économiquement.
M. Hervé Hamon : On lit dans les chiffres du Haut comité
de santé publique le bond en avant des difficultés psychosomatiques, danxiété et
de dépression chez les jeunes en insertion. Il y a là aussi une discontinuité.
M. Jean-Paul Bret, rapporteur : Au-delà du constat sur
lequel vous avez terminé concernant les rapports entre léducation nationale et la
justice, rapports qui se traduisent soit par un comportement dévitement
traditionnel soit, au contraire, par un recours au juge pour régler des problèmes de
cours de récréation, avez-vous concrètement des propositions dans ce domaine ?
M. Hervé Hamon : Lidée de lassociation est
quil devrait y avoir dans les écoles une antenne de santé et une antenne sociale,
cest-à-dire que les jeunes puissent, quand ils sont en difficulté, choisir un mode
dentrée : ce serait soit un soutien scolaire traditionnel que lécole
devrait pouvoir proposer au mineur et à ses parents, soit plutôt les problèmes sociaux,
les problèmes médicaux, psychosomatiques, etc. avec linfirmerie dans laquelle on
se réfugie.
Il faudrait vraisemblablement renforcer tout le système social
scolaire et que les Conventions, quand elles existent, ou les protocoles ne soient pas
uniquement des protocoles parquet-police, mais des protocoles qui visent éventuellement
à réorienter sur la prévention et pas uniquement sur la répression.
Certains protocoles le font. Par exemple, dans les Hauts-de-Seine où
jétais précédemment, le protocole visait expressément à mettre en place un
fléchage vers la prévention. Cétait donc pensé globalement et donc pas
uniquement en termes disciplinaires, ce qui est déjà une façon déviter la
" judiciarisation ".
Nous sommes également très préoccupés par la déscolarisation des
très jeunes. Nous ne sommes plus face aux quatorze-seize ans qui étaient notre lot
quotidien. Nous avons des très jeunes déscolarisés avec des exclusions de fait et des
renvois vers les CDES qui nont même pas la possibilité de les prendre en charge.
Cest très préoccupant.
M. Gaëtan Gorce : Cest moins une question
quune observation. On nous dit souvent que les enfants manquent de repères, que les
familles en manquent aussi. A écouter M. Hamon il ne men voudra
pas de le dire, ce nest pas dans cet esprit quil la évoqué
on a limpression aussi que ladministration et le service public manquent de
repères sur les actions quils doivent conduire.
Face aux problèmes que vous soulevez, on en arrive à se demander qui
définit une politique de lenfance dans ce pays et qui a en charge de
lappliquer et à quel niveau.
M. Hervé Hamon : Lanalyse que nous faisons est
davantage de souligner un déficit de politique interministérielle. Chacun pense dans sa
sphère sans référence à une continuité daccompagnement éducatif, médical,
social. A lheure actuelle, dans la prévention, on voit bien que tout le monde
observe et que cela arrive au judiciaire.
Disons que la circonscription observe, fait une évaluation technique
assez rapide, essaie de passer à la prévention administrative qui réobserve, qui ne
peut pas signer avec des parents qui ne veulent pas reconnaître leur défaillance
cest un peu lhistoire du contrat pervers qui
" refile " au judiciaire parce queffectivement, la famille
refusant de signer, le risque de danger devient grand et le judiciaire réobserve et
renvoie à la prévention qui ne prend pas.
Nous sommes dans une espèce de violence institutionnelle, où
lintervention du judiciaire constitue la première action éducative. Je caricature,
mais lon peut voir que presque 50 % des mesures dinvestigation judiciaire
aboutissent à des non-lieux à assistance éducative. Or, ces investigations sont
financées par lEtat.
Il ne suffit pas de dire que la prévention ne fait pas son travail.
Cest plus compliqué que cela. Cest pour cela que lon parle dune
réinterrogation sur la notion de prévention. Plus personne ne sait, à lheure
actuelle, ce que lon entend derrière ce concept.
Le travail que nous avons fait à Créteil sur la police est
éclairant. Nous avions demandé à la police de nous faire une liste des adolescents
difficiles, délinquants. Ils avaient, dans un premier temps, dressé une liste de
soixante et onze mineurs délinquants et lorsque nous avons vérifié dans notre fichier
informatique puisque nous avons la chance dêtre
informatisés , nous avons vu que onze mineurs nétaient pas connus comme
délinquants, cest-à-dire que la police voyait comme délinquants des mineurs qui
ne létaient pas.
Première hypothèse : la police fait nimporte quoi. Comme
les policiers étaient là, et nous étions dans une démarche de réflexion, bien
entendu, nous navons pas retenu cette hypothèse, qui dailleurs, je tiens à
le préciser, ne me paraît pas juste.
Nous nous sommes demandé ce qui faisait que tout le monde voyait ces
mineurs comme délinquants mais que personne ne les prenait en charge. On voit bien que
lon est dans une zone dincivilité, de dégradation : ce sont des jeunes
qui nentrent pas dans une logique de procédure, la prévention voit quils
dérapent mais pense quils sont délinquants, donc, personne ne bouge et lon
ne les voit pas suffisamment en danger pour les signaler à lautorité judiciaire.
Donc, tout le monde pense, tout le monde voit et personne ne fait. Nous
sommes là dans de vraies questions politiques de redéfinition du champ.
La grosse difficulté avec les Conseils généraux, même si on peut
imaginer un calage par des schémas départementaux, est de savoir comment traiter cette
question. La décentralisation cest limpression des juges pour
enfants na pas été suffisamment pensée en matière sociale et nous
nous retrouvons maintenant en réelle difficulté : cest un peu le jeu de la
patate chaude autour de la prévention, jeu perverti par la question des financements.
M. le Président : Nous vous remercions de ces propos fort
intéressants.
Audition de Mme Marie-Paule POILPOT,
Directrice de la Fondation pour lenfance
et du Professeur Jean-Paul DOMMERGUES,
Chef du service de pédiatrie de lhôpital du Kremlin-Bicêtre
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Marie-Paule Poilpot et Monsieur Jean-Paul Dommergues
sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, Mme Marie-Paule Poilpot et M. Jean-Paul Dommergues
prêtent serment.
Mme Marie-Paule Poilpot : M. le Président, mesdames et
messieurs les députés, je vous remercie de nous permettre de nous exprimer devant vous.
Je rappelle que la Fondation pour lenfance, créée en 1977 par
Mme Anne Aymone Giscard dEstaing, a vingt ans dexistence et que
sa vocation est de susciter, encourager, promouvoir, conseiller et aider la réflexion et
les actions en faveur de lenfance en danger et des familles en difficulté, et de
contribuer à lapplication de la Convention internationale des droits de
lenfant, notamment de son article 19.
Nous avons voulu ce matin vous présenter trois aspects susceptibles de
retenir votre attention. Ainsi, je traiterai dun aspect plus spécifique à la
fondation, celui de la maltraitance envers les enfants ; le professeur Dommergues,
membre de la Fondation pour lenfance et de son conseil dadministration, vous
parlera des besoins de santé de lenfant ; et, enfin, je vous parlerai des
disparitions denfants en France.
Dans une société développée comme la nôtre, lorsque lenfance
est en difficulté, elle apparaît dautant plus démunie et abandonnée que
létat sanitaire et social de la majorité des jeunes est satisfaisant, voire en
situation damélioration constante, comme cest le cas en France
aujourdhui.
Notre conception des besoins de lenfant se base sur trois
notions : premièrement, lenfant est un être en voie de développement ;
deuxièmement, son développement doit se faire en harmonie avec son environnement
familial et avec les différents milieux de vie quil fréquente ;
troisièmement, une approche globale de lensemble des problèmes liés à
lenfance, quils soient dordre physique, psychique ou moral, est
indispensable, surtout lorsque la famille est défaillante.
Dans chacun des trois domaines que sont la maltraitance, les besoins de
santé de lenfant et la disparition des mineurs, nous souhaitons attirer votre
attention sur des problèmes actuels et précis qui nous semblent insuffisamment pris en
compte. Pour chacun dentre eux, nous émettons des propositions de solutions
réalistes dont les bénéfices pourraient être considérables pour lavenir des
enfants concernés.
Je commence par la maltraitance.
Je parlerai plus spécifiquement des mauvais traitements aux très
jeunes enfants, cest-à-dire entre la naissance et deux ans.
En France, le taux de mauvais traitements aux enfants de cette tranche
dâge sélève à 1,8 %, ce qui en valeur absolue représente douze mille
six cents cas de mauvais traitements par an. Il est à noter que cette fréquence est du
même ordre de grandeur que celle des malformations ftales, dont la prévention
bénéficie de moyens publics et privés considérables.
Ce problème mal connu et peu dépisté ne bénéficie que dun
faible effort préventif de la part des autorités médicales, qui le sous-estiment ou
sen désintéressent, et des autorités civiles, qui préfèrent porter leurs
efforts sur la prise en charge de la maltraitance plutôt que sur la prévention.
Des facteurs de risque prédisposant, dès la grossesse, à cette forme
de maltraitance aux nouveau-nés ont été identifiés, mais les médecins obstétriciens
ne sont pas formés et ne bénéficient daucune structure de soutien et de suivi. Il
faudrait envisager, pour réduire ce taux, de traiter le problème à la source.
La formation des médecins, tant initiale que continue, naborde
pas systématiquement les effets multiples de la maltraitance envers les enfants.
Cest pourquoi les médecins, malgré leur situation privilégiée pour dépister et
révéler les situations de mauvais traitements et dabus sexuels, sont très souvent
mal à laise pour poser un diagnostic et participer au suivi des situations.
Enfin, concernant les abus sexuels envers les enfants, il nexiste
aucun dispositif de collecte nationale des informations. Chaque entité
police, justice, SNATEM, départements, hôpitaux recueille des
données pour son propre compte, sans normalisation au plan national, et encore moins
européen. A titre dexemple, on ne sait pas, aujourdhui en France, combien
denfants meurent chaque année victimes de mauvais traitements.
Notre première proposition concernant le dépistage des facteurs de
risque de mauvais traitements cest, à partir des premières études effectuées sur
le terrain, délaborer une méthodologie de dépistage des risques de maltraitance
précoce et de mettre en place des formations spécifiques au monde obstétrical,
inspirées de cette méthodologie, pour dépister les dysfonctionnements relationnels dès
la grossesse et dintégrer cette formation dans le cursus des études de médecine.
De plus, la mise en place dun dispositif pluridisciplinaire
composé de médecins, assistants sociaux, juristes, psychologues,
etc. permettrait aux familles, très précocement dépistées dès la
grossesse, de bénéficier dun suivi.
Notre deuxième proposition concerne la formation des médecins. Il
conviendrait, dune manière plus générale, de prévoir dans la formation initiale
des médecins une formation aux multiples aspects de la maltraitance et dorganiser
la formation continue des médecins par létude de situations pratiques et de cas
cliniques au sein déquipes pluridisciplinaires.
Notre troisième proposition concerne le recueil
dinformations : il serait nécessaire de créer une cellule nationale de
recueil dinformations concernant les agressions sexuelles envers les enfants, dont
la vocation serait la collecte des données et la mise en uvre détudes
épidémiologiques et cliniques concrètes.
Le professeur Dommergues abordera la question des besoins de santé de
lenfant. Permettez-moi de dire quelques mots de la disparition des mineurs en
France.
Ce sujet est préoccupant parce que mal défini, donc mal comptabilisé
par les autorités compétentes. Fugues de mineurs, disparitions parentales suite aux
conflits relatifs à la garde, sectes, crime organisé, crimes divers, disparitions liées
à la grande criminalité internationale sont autant de formes de disparitions dont
lordonnancement et le dénombrement donneraient un profil à ce vaste problème
quest celui de la disparition de mineurs.
On ne dispose, dans aucun pays européen, de statistiques fiables sur
la disparition des mineurs, en raison du manque de centralisation de linformation.
La France na pas été en mesure de fournir à Interpol en 1996 les chiffres
concernant la disparition des mineurs sur son territoire. Jai le document ici :
il y est dit quen France, les personnes disparues sont inscrites au fichier des
personnes recherchées, fichier informatique à la disposition de lensemble des
services de police, quil sagit dune base à but opérationnel et non
statistique, qui ne permet pas de répondre à toutes les questions concernant lâge
et le sexe des intéressés, ni de distinguer, dans la rubrique " disparitions
inquiétantes ", les mineurs des majeurs.
Notre proposition est de donner à lOffice européen des enfants
disparus et exploités, lOEEDE, récemment créé en France avec le soutien de la
Fondation de lenfance, les moyens de recueillir les informations de base en vue
délaborer des statistiques harmonisées à léchelon de la France, puis de
lEurope. Cette base de données permettrait dapporter un soutien aux services
de police et de justice, pour une meilleure circulation de linformation.
Ces propositions ne sont que des actions ponctuelles participant à
leffort damélioration des conditions de vie des enfants en France. Elles
devront sharmoniser avec toutes les autres propositions et actions menées par de
multiples acteurs publics et privés. Il nous semble quune plus grande efficacité
serait obtenue sil existait une entité unique chargée dorchestrer
lensemble des initiatives, dans un souci de mise en synergie des différents moyens
budgétaires et humains, tout en insufflant une véritable volonté politique.
Cest la raison pour laquelle, en guise de conclusion, nous
émettons la proposition générale suivante : la Fondation pour lenfance
préconise la mise en place dune véritable politique de lenfance par la
création dun secrétariat dEtat à lenfance, dont la mission serait de
coordonner les actions dans ce domaine, dactiver les réseaux et dassurer une
permanence politique aux problèmes de lenfance.
M. le Président : Votre exposé était concis. Je propose
au professeur Dommergues de nous faire également un petit topo.
M. Jean-Paul Dommergues :
M. le Président, mesdames et
messieurs les députés, les progrès médicaux et les acquis considérables concernant la
santé des enfants dans les trente dernières années risqueraient dêtre remis en
question si le développement de lenfant ne se faisait pas en harmonie avec son
environnement familial et avec les différents milieux de vie dans lesquels il est amené
à évoluer. La préservation de ces acquis conduit donc à considérer avec vigilance
cette adéquation. Il est bien clair que les politiques sociales sont un complément
indispensable de la pratique de la médecine et cest dans cette perspective que je
minscrirai pour proposer un certain nombre de réflexions.
Concernant linégalité du recours aux soins, bon nombre
denfants des milieux défavorisés sont aujourdhui dans une situation
critique, notamment après lâge de six ans, âge auquel sarrête
légalement laction de la protection maternelle et infantile. Que faire pour
organiser le suivi des enfants de milieux défavorisés pour lesquels des problèmes de
santé ont été repérés passé cet âge limite ?
Les enfants des familles victimes de la pauvreté et de
lexclusion sont à haut risque de problèmes de santé et la possibilité de recours
aux soins est très insuffisante : signalons, par exemple, que, en 1996, au moins
10 % de la clientèle de Médecins du monde en France est constituée par des
mineurs.
Les jeunes sans droits sociaux, car non scolarisés et sans travail,
sont également à haut risque de ne pas être soignés convenablement.
Dans toutes ces situations de précarité, le travail daide des
assistantes sociales est primordial : ces services doivent être suffisamment pourvus
pour satisfaire à ces tâches très consommatrices de temps. Sans recourir à eux, en
précisant laide individuelle à apporter, tous les plans daide, aussi
généreux soient-ils, risqueraient de demeurer caduques.
Jen viens aux conditions de vie des enfants dâge
préscolaire et scolaire.
Pour ce qui est des premiers, les ressources en moyens de garde sont
aujourdhui insuffisantes au regard des besoins des familles. II existe environ deux
cents mille places pour trois classes dâges de sept cent cinquante mille enfants,
soit moins dune place pour dix enfants ou moins dune place pour cinq enfants
dont les mères ont une activité professionnelle.
Vous connaissez bien le problème des cantines scolaires pour
lesquelles lalarme a été récemment donnée devant limpossibilité pour des
familles en situation difficile den assurer les frais, au détriment de létat
de santé de leurs enfants.
Pour ce qui est des enfants dâge scolaire, les activités
passives de loisirs
télévision, jeux sur ordinateurs prennent le pas de façon
inquiétante sur les activités physiques, favorisant lisolement de lenfant.
Cette réduction de la dépense physique est également responsable de laugmentation
inquiétante de lobésité infantile en France, comme dans tous les pays
développés.
A lopposé, je souhaite stigmatiser les méfaits physiques et
psychiques du surentraînement sportif, notamment dans les sports exigeant un maintien
strict du poids, comme la danse ou la gymnastique, dans des situations où, parfois,
entraîneur et parents savèrent, plus ou moins inconsciemment, complices dune
forme particulière de mauvais traitements.
Je voudrais dire quelques mots à propos du service de promotion de la
santé en faveur des élèves, lancien service de santé scolaire.
Sa tâche est lourde puisque son ambition est à la fois
deffectuer les bilans de santé aux âges-clé que sont la première année de
maternelle, lentrée au cours préparatoire et en classe de troisième ;
dêtre disponible pour des activités découte ; de faciliter
lintégration des élèves porteurs de handicaps ; et dassurer des
prestations de santé.
En fait, ces objectifs ne sont atteints que très partiellement dans
notre pays du fait de linsuffisance numérique des médecins scolaires, de
linterdiction qui leur est faite de prescrire laquelle mériterait
dêtre reconsidérée et en raison du peu de considération dont ils
jouissent. Ajoutons que leur salaire est dérisoire.
Nos propositions seraient les suivantes.
Au niveau des bilans de santé scolaire, il nous paraît judicieux
dajouter aux obligations légales un examen systématique à lentrée en
sixième. Il faut être vigilant et savoir que les enfants absents ou hors des circuits de
scolarité habituels échappent souvent à ces visites médicales. Or, il a été montré
que ce sont précisément eux qui posent le plus de problèmes.
A cet égard, les régions sont pourvues de façon extrêmement
inégale, car il en est dans lesquelles ces visites sont pratiquées à 80 % et
dautres à moins de 40 % des effectifs scolaires.
Dans tous les cas, une organisation administrative minutieuse doit
être mise en place pour remédier à ces " évitements ".
Les plans daccueil individualisés, les PAI, qui ont été mis en
place par léducation nationale pour accueillir les enfants atteints de maladie
chronique, doivent se généraliser et les démarches pour leur obtention gagneraient à
être simplifiées.
Concernant les principales causes de mortalité, il faut redire que la
mortalité a baissé de 50 % dans les dix dernières années. Ce constat doit être
nuancé par le fait que les accidents constituent toujours la première cause de
mortalité de lenfant. Létude approfondie des statistiques révèle des
diminutions très inégales de la mortalité selon les types daccidents. La
mortalité des accidents cyclistes a très peu diminué et elle reste très élevée pour
les enfants victimes dincendies dhabitation et de noyades en piscine.
Nous proposons trois types de mesures a priori simples mais qui
nont pas été adoptées jusquici, dont lintérêt a pourtant été
maintes fois démontré par des travaux étrangers. Il sagit de la recommandation,
voire de lobligation, du port du casque pour les jeunes cyclistes, de
linstallation de détecteurs autonomes de fumée dans les habitations et de
lobligation de clôturer les piscines lorsquil y a de jeunes enfants à
proximité.
Je ne reviendrai que très rapidement sur les suicides à
ladolescence, deuxième cause de mortalité : la France est le pays
dEurope où les jeunes se suicident le plus. La concertation actuelle sur ce
problème met en exergue lurgence quil y a à constituer des lieux
découte pour les adolescents, en milieu scolaire mais aussi au sein de la cité, en
dehors de ce milieu scolaire.
Concernant la prise en charge des mauvais traitements, Mme Poilpot
en a parlé largement, je me contenterai dajouter quelques points précis.
Sagissant des sévices sexuels, les familles se heurtent souvent
à des refus ou à des réticences denregistrement des plaintes par les officiers de
police pour les abus sexuels tant quil ny a pas de certificat médical à
lappui, contrairement aux directives données par les parquets aux officiers de
police judiciaire.
De même, nous nous heurtons à de grandes difficultés pour faire
prendre en considération tous les cas pour lesquels lexamen physique est normal,
sans lésion génitale identifiable, ce qui est le cas dans la très grande majorité des
abus. Cela pose le problème de linformation au niveau de la police, des brigades
des mineurs et de la justice.
Ce travail de formation concerne également, comme le rappelait Mme
Poilpot, les personnels médicaux, paramédicaux, et les professionnels de lenfance.
Des travaux récents ont montré combien la démarche objective de la réflexion pouvait
être perturbée par limpact émotionnel de ces situations de violences sexuelles,
impact émotionnel perçu même par des professionnels chevronnés chargés
dapporter cette aide, notamment dans la très difficile phase dattente qui
sépare un signalement dune décision judiciaire.
Nous voudrions donner quelques exemples de dysfonctionnement en
matière de signalement judiciaire. Des progrès restent à faire dans laudition des
enfants, afin datténuer le traumatisme psychique des interrogatoires
techniques vidéo, par exemple les avancées enregistrées dans ce
domaine ne devant pas rester des expériences pilotes sans lendemain.
Le retour dinformation sur les décisions prises, dans
limmédiat et surtout à moyen terme, nest pratiquement jamais assuré par les
services judiciaires auprès des professionnels de santé, auteurs des signalements. Nous
formulons donc les propositions suivantes : le parquet devrait accuser réception du
signalement et, par la suite, indiquer lorientation donnée à la procédure
classement sans suite, enquête complémentaire, saisine du juge des enfants,
poursuites judiciaires, etc. , ce qui nest pas fait aujourdhui.
Je terminerai par quelques mots sur les droits des adolescents en
matière de santé et de sexualité.
En ce qui concerne la législation, il est important de réfléchir à
lélargissement possible de lespace dautonomie juridique à accorder à
ladolescent à la lumière de quelques exemples de difficultés concrètes.
Le premier de ces problèmes est la consultation de ladolescent
et sa confidentialité : comment faire coexister confidentialité et prise en charge
des frais de consultation ?
En matière de relations sexuelles, le code pénal reconnaît au mineur
de quinze ans le droit de consentir librement à des relations sexuelles, fixant
ainsi la " majorité sexuelle " à cet âge. Soulignons
lambiguïté : un mineur de quatorze ans ne peut-il librement consentir à
une relation sexuelle avec un mineur de quinze ans, lequel en tant que
majeur sexuel, peut être considéré, aux yeux de la loi, comme un abuseur
condamnable alors que, dans le même temps, le Code de la santé publique
autorise la délivrance de produits contraceptifs quel que soit lâge...
La législation sur linterruption volontaire de grossesse veut
que lautorité de lun des deux parents soit requise pour décider de ce geste
chez une adolescente mineure. Et lorsque la grossesse est découverte tardivement, après
le délai légal de lIVG en France, que peut-on envisager ? Il sagit là
de sujets difficiles et délicats mais, sur ces deux points, la situation juridique est
plus souple dans les pays européens voisins. Ne faut-il pas faire évoluer la
législation française ? Ou tout au moins initier une réflexion sur sa remise en
question ?
En conclusion, je voudrais reprendre ce qua dit Mme Poilpot à
propos de la coordination nécessaire de toutes ces actions et de la nécessité
davoir des structures de coordination à léchelon régional certes, mais
probablement aussi à léchelon national, telles quun secrétariat pour la
défense des droits de lenfant.
M. Gaëtan Gorce : Ne voyez pas dans ma question un aspect
péjoratif ou inquisitorial, mais vous êtes une fondation et la question que je me pose
est de savoir parce quil est
vrai que lon fait beaucoup appel au financement public, ce qui
est normal puisque la protection de lenfance relève de la responsabilité de
lEtat et des collectivités sil existe aussi un financement privé
important. Autrement dit, rencontrez-vous, pour les actions que vous conduisez et les
soutiens que vous sollicitez, une disponibilité des milieux économiques et
professionnels, qui vous permette de développer ces actions au-delà de ce que la
collectivité peut envisager ?
Mme Marie-Paule Poilpot : Je vous remercie davoir posé
cette question. Cest effectivement une question de fond, puisque la Fondation ne
reçoit pas actuellement de fonds publics mais des fonds privés, cest-à-dire en
provenance de donateurs ou dentreprises. Il est évident quune fondation comme
la nôtre, qui na pas pour mission davoir des actions de terrain mais plutôt,
comme vous le voyez aujourdhui, de mener une réflexion approfondie, a beaucoup plus
de mal à mobiliser des " sponsors ", parce que son travail est
beaucoup moins lisible pour le grand public.
Je pense que sur ce thème, également, il y aurait également matière
à réfléchir mais ce nest pas lobjet de cette audtion. Un assouplissement de
la fiscalité en ce qui concerne les possibilités de dons à accorder aux associations et
aux fondations serait sans doute incitatif et peut-être serait-il bon de sinspirer
des législations dautres pays.
Sur le terrain, nous soutenons de nombreuses actions, près de sept
cent cinquante actions privées par an directement utilisables par les enfants, sous
forme de ludothèques par exemple.
Nous organisons également chaque année des prix et essayons de
favoriser tout ce qui est du domaine de la recherche.
M. le Président : Nous navons pas dautres
questions à vous poser, mais je précise que si vous souhaitez faire connaître à la
commission tel ou tel élément que vous navez pas eu loccasion
dénoncer oralement, nous serions tout à fait heureux que vous nous les fassiez
parvenir.
M. le professeur, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
M. Jean-Paul Dommergues : Je voudrais revenir sur cette
difficile question quest le rôle des médias, notamment en ce qui concerne
ladolescent. Je suis frappé, comme beaucoup, de lespèce de
" surlittérature " concernant des problèmes comme la violence de
ladolescent. On a limpression, à lire les journaux, que tous les adolescents
cassent et sont violents, alors quil existe dautres problèmes qui touchent un
nombre bien plus élevé dadolescents. Je pense notamment aux formes larvées de
dépression et à toutes les difficultés psychosomatiques que rencontrent les
adolescents.
Le rôle dune commission comme la vôtre est sûrement difficile,
parce quil y a des sujets porteurs actuellement, comme la violence. Cest un
sujet dont je ne nie pas limportance, mais il ne faut pas oublier quexistent
aussi des problèmes de fond plus graves à prendre en compte, même sils sont moins
médiatiques.
Mme Marie-Paule POILPOT : Je voudrais ajouter quil
faudrait peut être que dans les médias cessent de mettre en avant cette insupportable
thèse selon laquelle un enfant maltraité deviendra à son tour, un parent maltraitant :
aucune étude sérieuse ne le prouve actuellement. Plutôt que parler de la maltraitance,
il faudrait parler de la " bientraitance " et avoir un discours
positif.
M. le Président : Votre propos reprend en partie une
discussion que nous avons eue ce matin, quelques minutes avant votre arrivée. Nous vous
remercions.
Audition de M. Henri LECLERC,
Président de la Ligue des droits de lhomme
et de Mme Elisabeth AUCLAIRE,
Présidente de la commission " Droits de lenfant "
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Henri Leclerc et Madame Elisabeth Auclaire sont
introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, M. Henri Leclerc et Mme Elisabeth Auclaire
prêtent serment.
M. Henri Leclerc :
Notre exposé liminaire sera court car
je souhaite pouvoir répondre aux questions que vous seriez amenés à nous poser.
La ligue des droits de lhomme a soutenu dès lorigine le
projet de Convention internationale des droits de lenfant. Cest même un
objectif quelle a poursuivi pendant très longtemps. Nous avions dailleurs
réuni une commission en France depuis longtemps sur ce sujet et, lorsque la Convention a
été adoptée, nous lavons maintenue et avons créé à la Ligue des droits de
lhomme, une commission des droits de lenfant. Mme Marie-José Chombard de
Lauwe en fut très longtemps la présidente, avant que Mme Élisabeth Auclaire ne lui
succède.
Cest une commission dans laquelle nous nous préoccupons
beaucoup, bien entendu, des problèmes actuels des droits de lenfant dans la
société où nous sommes.
Nous essayons de veiller à lapplication de la Convention des
droits de lenfant. Je ne mappesantirai pas sur la question de son
applicabilité directe qui nous préoccupe. Il est inutile de vous dire que nous sommes
favorables à lapplicabilité directe. Cest un problème très juridique sur
lequel votre commission dispose déjà de tous les éléments. Je nai pas besoin de
lui en fournir dautres.
Au sein de notre commission des droits de lenfant siègent de
nombreux magistrats, des avocats pour enfants très spécialisés, des travailleurs
sociaux et des enseignants. Nous organisons de nombreux colloques, réunions de
commissions et séminaires pour réfléchir aux différents problèmes posés. Le champ
est vaste.
Vous aurez à prendre en compte les deux grandes tendances qui se
dessinent ; lune est favorable à une démarche de prévention et
déducation ; lautre à une démarche de protection et de répression
(les deux allant de pair). Nous sommes, de manière unanime, de lécole qui
privilégie la démarche de prévention et déducation. Jai plusieurs choses
à vous dire à ce sujet.
Tout dabord, il est un point quun certain nombre
davocats, sachant que je devais venir ici, mont rappelé et que je tiens à
vous signaler, tenant à lévolution de notre droit civil, pour que soit mis fin à
linégalité de droits qui subsiste encore entre enfants adultérins, enfants
naturels et enfants légitimes. Cette inégalité doit être supprimée. Cest une
question de droits de lenfant et, de ce point de vue, nous sommes véritablement en
retard sur lapplication de la Convention internationale. Il faut absolument que cela
cesse.
Restent les sujets les plus préoccupants aujourdhui touchant,
dune part, à la protection des enfants victimes et, dautre part, à celle de
lenfance délinquante.
En ce qui concerne la protection des enfants victimes, nous sommes
très soucieux de préserver un espace de dignité et de parole. Sur ce point, Mme
Auclaire vous donnera un certain nombre déléments complémentaires, mais nous
pensons quil reste actuellement beaucoup à faire.
En ce qui concerne lenfance délinquante, question qui
aujourdhui secoue le plus lopinion et les médias, nous pensons que la
frénésie actuelle qui consiste à dire que la délinquance est de plus en plus jeune,
que lon rencontre de plus en plus de difficultés dans nos quartiers avec les jeunes
enfants, que ceux-ci sont de plus en plus durs, quil nexiste dautre
solution que celle de la répression et que lordonnance de 1945 est dépassée, nous
paraît inadmissible.
Lordonnance de 1945 a été un progrès considérable. Il faut
tout de même rappeler doù lon sortait. Les colonies pénitentiaires
géraient un certain nombre de choses. Lordonnance de 1945 est, dans notre système
juridique, une étape, un progrès considérable. Lenfant y est déjà considéré
comme une personne et tout ce que lon entend dire aujourdhui, qui tend à
revenir à des solutions essentiellement répressives ne nous paraît pas adapté, nous
paraît être une solution de facilité. Nous ne croyons pas que le retour à la solution
répressive permette de progresser. Lordonnance de 1945 a permis de progresser
justement en tournant le dos aux systèmes répressifs antérieurs.
Cest la première idée dont je voulais vous faire part
concernant la délinquance des enfants.
La seconde est quil faut sinterroger sur les raisons
dune telle délinquance. Là encore, nous sommes tout à fait conscients des
problèmes de dignité de lenfant, denfants qui se trouvent généralement
dans des situations où il ny a plus grand chose. Certes, il est facile de reprocher
aux parents je ne sais quel manquement à leurs devoirs, mais rappelons que la relation
enfants-parents est une relation qui tient aussi à la situation sociale des parents et à
celle des enfants.
Un enfant dont les parents nont plus de lien social, un enfant
dont les parents ne travaillent plus, un enfant qui na même pas ce repère
essentiel du travail de son père, est un enfant effectivement en situation difficile par
rapport à ce qui lui serait nécessaire pour construire son identité et se situer dans
la société.
Dans ce contexte, une attitude répressive ne fait quaggraver le
problème et il est faux de dire que cela marche très bien dans dautres pays. Cela
ne marche pas, on déstructure complètement des enfants en apportant des réponses
répressives.
Je men tiens à ces généralités mais je ne voudrais pas
terminer cet exposé sans préciser que ce qui nous paraît le plus important, cest
linsertion des enfants dans la société. Les décisions récentes, et plus
anciennes, qui ont consisté à modifier le code de la nationalité pour un certain nombre
denfants et qui aujourdhui ne permettent pas à des enfants qui ont vocation
à devenir Français, puisquils sont nés en France, dêtre véritablement
Français dès leur plus jeune âge puisque, sur ce point, la réforme législative
récente nest pas allée jusquoù nous le souhaitions, est, à notre avis,
lune des raisons qui désarticule le plus les relations sociales des enfants
dorigine étrangère dans un certain nombre de lieux où ils vivent en fortes
proportions. Cela, nous lavons constaté. Nos sections sur le terrain nous le disent
et nous vous le transmettons.
Cela étant dit, en ce qui concerne plus particulièrement le travail
de la commission des droits de lenfant, Mme Elisabeth Auclaire aurait quelques mots
à ajouter dans le cadre de cet exposé préliminaire.
M. le Président : Je vous en prie, madame.
Mme Elisabeth Auclaire : Je voudrais parler des enfants,
vraiment des enfants, parce quil nous semble que trop souvent, en fonctionnant sur
le mode déclaratif, qui est nécessaire pour interpeller la population, on oublie ce que
représente la parole des enfants dans des conditions difficiles.
Henri Leclerc évoquait le problème de lidentité. Nous en avons
parlé sur le plan de la structure de lidentité dun enfant.
La loi de 1927 disposait que les familles qui vivaient depuis plus de
cinq ans en France pouvaient demander lidentité française pour leurs enfants.
Il est essentiel, quand on arrive à la maternelle et à lécole primaire,
dêtre comme les autres. Déjà, ne pas être comme les autres parce que lon
na pas la même nationalité est une vraie entrave à la construction de
lenfant.
Jen viens aux problèmes des enfants maltraités et de la parole
de lenfant. Dans nos réunions avec des magistrats et des avocats, tous nous disent
combien il est difficile de recueillir la parole de lenfant. Les psychologues et les
personnes qui ont lhabitude de travailler avec des enfants en difficulté savent
quun enfant ne va pas répondre à une question posée par un adulte par une
réponse claire et nette. Il y a un temps dapprivoisement et un temps pour
lexpression.
Nous sommes très inquiets de cette volonté de vouloir faire parler à
tout prix les enfants. Si jen parle ici, cest que nous avons été alertés à
plusieurs reprises sur des interventions de policiers venant chercher des enfants dans les
écoles, les interrogeant de la façon la moins respectueuse possible de lenfant.
Cela nous paraît extrêmement grave. Lorsque lon vient chercher un enfant
pour des raisons tout à fait variées, cela peut être lenfant dont les
parents sarrachent la garde dans sa classe, devant ses camarades,
cest toute une classe qui est bouleversée par ce qui se passe et qui essaie de
comprendre.
Cela na aucun sens. Dautant moins que cela pouvait tout à
fait attendre la sortie de lécole. Jévoque cela parce que jai reçu
énormément de rapports relatant de tels actes.
Par ailleurs, nous sommes très inquiets que ne soit justement pas
donné de temps à la parole à lenfant. Actuellement, des éducateurs et des
pédopsychiatres se trouvent pris entre deux feux, entre la nécessité de signaler les
cas rapidement au procureur et celle, compte tenu des problèmes psychologiques que cela
pose, davoir ce temps de faire le travail de préparation de lenfant à la
mise en question. Il est très important que ce temps-là soit prévu.
Il nous semblerait donc indispensable quexistent des lieux, non
liés à linstitution, même sils sont situés dans une institution familière
comme lécole, où les enfants savent quils trouveront des personnes qui
peuvent les écouter, que leurs propos ne seront pas forcément répercutés à leurs
professeurs ou à leurs maîtres, ni même au directeur.
Nous pensons également quil faudrait mettre en place un
médiateur accessible à tous, et pas seulement par le biais dun député. Il nous
paraît important quil puisse y avoir une possibilité dinterpeller le
médiateur presque directement.
Mme Raymonde Le Texier : Je nai pas très bien compris la
fin de vos propos : un lieu où lenfant puisse être écouté en ayant la
certitude que ses propos ne sortiront pas de là. Si lenfant révèle des choses
graves qui le mettent en situation de danger, qui lui font vivre de telles situations,
comment sa parole peut-elle en rester là ?
Mme Elisabeth Auclaire : Vous posez là la question qui est au
coeur des débats actuellement.
Effectivement, quand lenfant révèle dans un cadre de confiance
des choses graves, il nest pas toujours immédiatement prêt à être entendu
autrement : il faut du temps.
Cest le problème qui se pose à lheure actuelle lorsque
des éducateurs qui ont respecté ce temps nécessaire de maturation sont interpellés par
la justice parce quils nont pas agi assez vite. Parfois, en agissant ainsi,
ils font plus de dégâts.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : M. le Président, vous avez
dit que nous étions parfaitement informés des problèmes posés par la position de la
Cour de cassation sur la Convention internationale des droits de lenfant.
La question qui se pose à nous en tant que commission denquête,
est de savoir quelle mesure proposer pour amener éventuellement la Cour à changer
dattitude. Avez-vous quelques suggestions à nous faire sur ce sujet, par exemple
celle dune loi interprétative ?
Ma seconde interrogation porte sur laccouchement sous X, sujet
qui est souvent revenu au sein de notre commission. Le problème de laccouchement
sous X, cest-à-dire du droit de lenfant à connaître ses origines, sur
lequel vous avez pris position en fonction de la Convention internationale des droits de
lenfant, avec laquelle le droit français est aujourdhui en désaccord. Je me
fais lavocat du diable : quadviendrait-il des droits de la mère, qui
sont actuellement privilégiés par rapport aux droits de lenfant ?
M. Henri Leclerc : Sur le premier point, je répondrai que
le législateur a tout pouvoir. Le problème est de savoir quelle est la nature de
lapplicabilité de cette Convention dans notre pays. Le législateur peut
parfaitement dire aux juges que linterprétation quils ont donnée nest
pas conforme à sa volonté à lui, législateur. A partir du moment où le législateur
prend position, sans être un grand spécialiste de droit international, il
mapparaît quand même quil pourrait faire prévaloir cette position. Que je
sache, le propre du judiciaire est dappliquer la loi. Dès lors, si le législateur
donnait sa propre interprétation de la Convention internationale, le judiciaire suivrait.
Sur le problème de laccouchement sous X à propos duquel nous
avons eu de longs débats à la ligue des droits de lhomme, qui ont posé problème
ce qui ne vous étonnera pas entre notre commission des droits des
femmes et la commission des droits de lenfant, je laisse Mme Elisabeth Auclaire
répondre.
Mme Elisabeth Auclaire : Cest un véritable débat.
La commission des droits des femmes défendait le droit absolu à
laccouchement sous X. Nous pensons que le droit à accoucher, je naime pas
lexpression " sous X ", disons le droit à accoucher sans donner
son nom à lenfant et sans le garder, est un droit que nous sommes obligés de
respecter.
Nous avons tenu une réunion contradictoire sur le sujet. Cest la
coutume à la ligue lorsque nous ne sommes pas tous daccord et
heureusement, nous ne parlons pas tous dune même voix. Nous sommes, je crois, tous
daccord pour quil y ait une évolution en la matière, et jespère que
cela va aller vite. On sest en effet aperçu que des femmes qui ont accouché sous X
ont, des années plus tard, quand elles ont mûri et que la situation a évolué, un
regret de cet enfant quelles ont abandonné. Donc, la solution passe aussi par un
temps dexplication, de discussion avec les mères.
Cest dautant plus souhaitable quil y a des cas tout
à fait regrettables dont nous avons eu à connaître tout récemment, de femmes
étrangères, parlant mal le français, se trouvant dans des maternités où lon
profite de leur désarroi devant cet enfant qui naît pour leur forcer la main et leur
faire signer des papiers quelles ne peuvent pas lire, dans lesquels elles acceptent
ladoption de lenfant. Jai actuellement dans nos dossiers deux de ces cas
qui donnent à penser quil serait nécessaire de créer des possibilités de
recours.
Il nous semble quil faudrait parvenir, progressivement pour que
tout le monde laccepte, à des conditions qui permettent de garder un certain nombre
déléments dans la confidentialité, de sorte quau moment où un enfant
demande des informations, on puisse lui dire que lon demandera à sa mère si elle
est daccord pour lever cette confidentialité. Si elle lest, les choses
peuvent se résoudre ainsi.
Cest une approche médiane qui ne satisfera peut-être personne,
mais ce sont des domaines dans lesquels il est difficile de légiférer de façon trop
manichéenne.
M. Gaëtan Gorce : En ce qui concerne lavocat pour
enfants, faut-il autoriser, permettre, créer une situation dans laquelle lenfant,
chaque fois quil est partie à une procédure civile ou pénale, puisse faire appel
à un avocat ? Ce nest pas seulement un problème juridique, mais parfois
économique. Si cest un jeune avocat commis doffice, y aura-t-il réellement
une situation équilibrée ? Dès lors, comment traiter ce problème pour faire en
sorte que lavocat qui défend lenfant le fasse avec la plénitude de
compétence et de talent que lon peut attendre dans une situation de cette
nature ? Cela peut être vrai dailleurs sur des affaires de pédophilie.
Deuxièmement, comment appréhendez-vous le pouvoir du juge des
enfants ? Il est considérable quand on sait les conséquences que peut avoir une
décision, pas seulement sur lavenir de lenfant, mais aussi sur sa santé
psychologique.
M. Henri Leclerc : En ce qui concerne la question des
enfants et de lavocat de lenfant, nous rencontrons un certain nombre de
difficultés concrètes et pratiques.
Tout dabord, personne ne doit remettre en cause la compétence de
lavocat. Elle est absolue depuis lobscur défenseur de correctionnelle
jusquà celui qui construit des accords internationaux, mais chacun sait très bien
quil y a tout de même des spécialités.
Or, je pense que la spécialité " avocat de
lenfant " est tout à fait spécifique. Je sais bien quil existe au
barreau de Paris des possibilités de formation plus grandes, de constitution
déquipes spécialisées, cest très important. Car ce nest pas la
jeunesse ou linexpérience, mais bien lincompétence parfois de lavocat
en ce qui concerne la défense de lenfant qui est en cause. Nous sommes partisans
dune formation plus poussée des avocats amenés à devenir des avocats de
lenfant.
Dailleurs un certain nombre de ces avocats très spécialisés
travaillent au sein de la commission des droits de lenfant de la ligue des droits de
lhomme. Ils mont justement fait parvenir une note à ce sujet ce matin. Elle
donne un certain nombre déléments sur lesquels je navais pas de détail, qui
sont intéressants.
Ils me disent quen matière civile, lavocat désigné
rencontre de grandes difficultés pour avoir accès à lenfant. La désignation des
administrateurs ad hoc pose par ailleurs des problèmes techniques auxquels il
faudrait apporter une solution.
Il est vrai que la loi sur les victimes a mieux résolu, à mon avis,
le problème des enfants victimes avec, là aussi, la désignation dun
administrateur ad hoc, mais il est absolument indispensable que les enfants
victimes puissent être assistés dun avocat, mais dun avocat qui sache
écouter leur parole, ce qui nest pas facile. Vous avez raison, cela ne
sapprend pas à la faculté, cela nécessite une formation tout à fait spécifique.
Il serait extrêmement dangereux de donner à des avocats non préparés la défense de
lenfant parce que lécoute de la parole de lenfant est très complexe,
on le sait très bien, dans toutes les affaires.
Donc, les problèmes essentiels quils soulignent sont, dune
part, la nécessité dune spécialisation, et, dautre part, la difficulté
daccès à lenfant et la réorganisation du système des administrateurs ad
hoc.
Mme Christine Boutin : Jaimerais avoir votre opinion et la
position de la Ligue des droits de lhomme sur le problème qui se pose pour la garde
des enfants au moment de la séparation des couples. On voit, de façon très générale,
que la garde des enfants est donnée à la mère. Je voudrais connaître votre position
vis-à-vis de la responsabilité paternelle.
Mme Elisabeth Auclaire : Je pense quil ny a que des
cas despèce. Père et mère ont absolument les mêmes responsabilités. Je ne parle
pas dautorité, qui ne me paraît pas un mot approprié, mais de responsabilité. La
qualité de soin et daccueil que peuvent avoir lun et lautre envers
lenfant pèsera extrêmement lourd dans les choix. Je ne pense pas quil faille
privilégier lun ou lautre, si ce nest que lon sait quà
certains âges de la vie, il est important que lenfant soit avec la mère et, à
certains autres, sil a été longtemps avec la mère, il est important quil
ait un rapport peut-être plus étroit et plus long avec le père.
M. Henri Leclerc :
Tout cela est extrêmement compliqué
car cela relève dune évolution sociale que nous vivons actuellement, qui est
complexe et repose sur légalité de droits enfin reconnue aux femmes. Celle-ci est
reconnue dans les principes mais certainement pas reconnue encore dans la pratique et
cette histoire des pères qui se plaignent beaucoup dun certain nombre de choses est
la conséquence de la non-acceptation complète de légalité de la femme.
Cest très curieux, mais la pratique judiciaire reste encore
fondée sur cette idée que, même si la femme travaille, ce travail est secondaire par
rapport à son rôle de mère de famille et que, somme toute, il vaut mieux privilégier
la présence des enfants auprès de la mère.
Le problème est que cela nest pas un problème de droit, mais de
pratique judiciaire. Cest une critique qui pourrait être faite aux juges, je
connais assez bien les juges... Le principe législatif est admis, cest
lintérêt de lenfant qui doit être privilégié. La question est très
difficile à trancher, on peut difficilement la trancher en droit. Les juges ont quand
même créé quelque chose de prétorien : lautorité parentale partagée. Cela
a été une création des juges, cela ne se trouvait pas dans la loi, à tel point que
certains se sont émus de la régularité de cette innovation.
Dans la situation actuelle, les choses sont extrêmement difficiles, ce
problème soulève beaucoup de passion. Je crains quil y ait peu de solutions
législatives, restent à trouver des solutions judiciaires et à renforcer cette idée
centrale, fondamentale, essentielle que cest toujours lintérêt de
lenfant qui doit être privilégié.
Mme Christine Boutin :
Je partage tout à fait votre analyse. Je
crois quil faut réaffirmer quil y a égalité entre le père et la mère.
M. Henri Leclerc : Il y a une égalité totale entre le
père et la mère. Cest dit une bonne fois pour toute. La seule inégalité qui
existe, cest linégalité biologique, la mère porte lenfant et le père
na pas cette chance mais, à partir du moment où lenfant est né,
légalité est totale.
M. le Président : Il nous reste à vous remercier de ce
que vous faites et dêtre venus.
Audition de Mme Denise CACHEUX,
Chargée de mission au COFRADE,
ancienne directrice de lInstitut de lenfance et de la famille,
ancienne députée et auteur dun rapport dinformation sur les droits de
lenfant
(extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Denise Cacheux est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation
du Président, Mme Denise Cacheux prête serment.
M. le Président : Nous accueillons aujourdhui madame
Cacheux, chargée de mission au COFRADE, ancienne directrice de lInstitut de
lenfance et de la famille, ancien député et auteur dun rapport
dinformation sur les droits de lenfant. Chère madame et amie, bonjour, je
vous remercie davoir accepté linvitation de notre commission.
Je propose que vous nous présentiez un exposé liminaire, puis nous
vous poserons des questions.
Mme Denise CACHEUX : M. le Président, mesdames, messieurs les
députés, il est évident que, dans le temps qui mest imparti, je ne ferai pas un
exposé exhaustif. Si je me réfère au rapport dinformation que jai fait, en
1989, au nom de la commission des lois, avant même que la Convention internationale des
droits de lenfant soit votée à lONU et ratifiée par la France, la
présentation du projet avait duré une heure et demie. Il nest donc pas question de
le reprendre et jai choisi, dans une autre démarche, de me limiter à quelques
points, dans la mesure où tous les membres de la commission denquête ont eu accès
à ce rapport.
Par ailleurs, je ne reprendrai pas les interventions des membres du
COFRADE que vous avez déjà auditionnés, puisque je suis entièrement daccord avec
les propos quils ont tenus. Je suis également en accord avec lintervention de
Jean-Pierre Rosenczveig avec lequel jai travaillé dans le cadre de lIDEF.
Je souhaite simplement insister à nouveau sur trois points qui me
semblent particulièrement importants.
Premièrement, sagissant de lapplication de la Convention
internationale des droits de lenfant en droit français, il serait souhaitable,
devant la mauvaise volonté de la Cour de cassation, que le Parlement puisse légiférer
sur lapplicabilité directe de la Convention. En effet, la position de la Cour de
cassation sappuie sur la lettre et non sur lesprit de la Convention, et fait
des distinguos subtils entre les articles selon quils stipulent
" lenfant a droit à ... " ou " les Etats parties
sengagent à ... ", pour dire que la Convention doit sappliquer
directement dans le premier cas, mais quil convient de légiférer dans le second.
Je pense donc quil conviendrait de trancher dans le vif en
attendant que notre législation soit en conformité avec la Convention et que lon
considére quune Convention internationale a le pas sur la législation interne.
Deuxième remarque : la promotion de la Convention auprès des
citoyens.
LIDEF, lInstitut de lenfance et de la famille, avait
pour missions dêtre un " lieu ressource ", un lieu
dinformations permanent sur les droits de lenfant et un lieu danimation
en tant que " messager " de la Convention. Or, cet établissement
public ayant été supprimé par le précédent Gouvernement, le 31 décembre 1996, il me
semble souhaitable que ses missions, et bien sûr les moyens budgétaires ad hoc,
soient attribués par voie contractuelle à dautres instances. Je suggère que ses
missions continuent dêtre assurées, dune part, par le CIDEF, fondation
subventionnée par lEtat, comme " lieu ressource " et
dinformation toute la médiathèque de lIDEF et toutes ses
ressources ont été transférées au CIDEF et, dautre part, par le
COFRADE, association qui fédère environ cent trente associations, dans leurs
compétences de défense et de promotion des droits de lenfant. Le COFRADE est en
effet constamment interrogé à ce sujet, et est dans lincapacité matérielle
dagir du fait dun manque de personnel et de moyens évident.
Troisième point, la mise en uvre de la Convention en faveur des
enfants.
Il serait souhaitable que la France suive les recommandations du
Conseil de lEurope, qui datent de 1990, et quelle institue un médiateur pour
lenfance qui tienne une place reconnue, confortée par lEtat de droit, tout
comme le médiateur de la République institué voilà un quart de siècle.
Nous souhaitons que ce médiateur puisse se saisir des demandes
individuelles et collectives, et même sautosaisir, quil ait une capacité
dinvestigation, de contrôle et de proposition par rapport à cette Convention.
Après avoir insisté sur ces trois points qui me paraissent
fondamentaux dans les propose de certains de mes prédecesseurs, jen viens
maintenant à mon intervention. Jinsisterai sur deux points.
Tout dabord, je rappellerai, à propos de la ratification de la
Convention internationale par pratiquement tous les pays du monde seuls la
Somalie et les Etats-Unis ne lont pas ratifiée , que les pays
développés ont un peu " roulé des mécaniques " en disant que les
rappels des droits élémentaires lenfant doit être logé, nourri et
soigné ne les concernaient pas. Or cela est totalement faux. Les droits
élémentaires, aujourdhui, ne sont pas respectés pour tous les enfants en France.
La pauvreté, la précarité, lexclusion, lillettrisme des parents, quelles
quen soient les causes, ont des répercussions sur un réel accès de lenfant
à ses droits.
Logement inadapté, dégradé, précaire, familles expulsées, hôtels
meublés, sous-location, retard de loyers, coupures deau... Il est évident que
quand les moyens financiers de la famille ne permettent pas dassurer les dépenses
minimum du fait de linsuffisance des minima sociaux, du surendettement, ce sont les
enfants qui en sont victimes, au détriment de lapplication de la Convention et de
lengagement de la France à donner ces droits minimum aux enfants.
De nombreuses familles ne peuvent plus servir
d" amortisseurs " à la crise, et la misère économique,
sociale et culturelle touche en priorité les enfants, ce qui a des conséquences
graves : éclatement familial, violences, malnutrition, échec scolaire, illettrisme,
difficultés daccès aux soins et à la prévention, situation de déshérence pour
certains adolescents, suicide, délinquance, etc.
LUNICEF constate que dans les nations riches la pauvreté frappe
encore 5 à 20 % des enfants. Certes, la France nest pas la plus mal placée
dans ce classement mondial et la pauvreté touche proportionnellement moins les enfants en
France que dans les autres pays industriels, puisque le rapport de lUNICEF de 1994
chiffrait pour la France le taux des enfants en situation de pauvreté à 7,4 %,
contre 10 % en moyenne 20 % pour les Etats-Unis.
Ce rapport sappuie sur des statistiques de 1994. Il y a donc un
décalage de trois ans dans linformation alors que notre taux de chômage
sest aggravé. Or lEtat qui a ratifié la Convention sengage à apporter
laide appropriée aux parents pour garantir et promouvoir les droits élémentaires
des enfants. Il y a donc une nécessité absolue de réponse forte mais le
Gouvernement est en train de faire des propositions et lAssemblée nationale va en
être saisie , dune volonté claire et de moyens financiers appropriés
pour remplir cet engagement de lEtat.
Les enfants ont un besoin qui nest pas inscrit dans la
Convention, mais qui est très fort et dont on sent les difficultés de mise en uvre
actuellement : la vie de famille. Les enfants ont besoin dêtre fiers de leurs
parents. Or, lorsquon a des parents chômeurs, sans statut social, des parents
honteux qui se détruisent eux-mêmes par la violence, par lalcool, qui se replient
sur eux-mêmes, on ne peut pas en être fier, et de ce fait de nombreuses difficultés
sociales surgissent.
Je souhaitais insister sur ces droits élémentaires dont les pays
développés pensaient ne pas avoir à se préoccuper. La pauvreté et lexclusion
sont, aujourdhui, une des premières violations des droits de lenfant.
Je voudrais également insister sur laccès à lécole.
Lillettrisme est un handicap grave dans la vie sociale future, or sa prévention
nest même pas assurée à lensemble des enfants ! Bien que le principe
de la gratuité de lenseignement obligatoire soit inscrit dans notre vie collective,
cela nest pas la réalité. Lévolution de la façon denseigner
entraîne de nombreux frais périphériques à lenseignement qui ne font pas partie
de la garantie de la gratuité. Il convient donc de trouver un moyen pour que tous les
enfants soient traités de la même façon, lorsquil sagit davoir des
activités sportives, culturelles ou douverture sur le monde prévues à côté de
lécole.
Il convient de garantir la prévention de lillettrisme par la
possibilité de scolarisation précoce des enfants qui est un moyen de
socialisation et de maniement de la langue dès deux ans.
Deuxième droit élémentaire qui est une demande forte des enfants
eux-mêmes : le droit des enfants à accéder à une protection sanitaire, sociale et
psychologique. Notre service de santé scolaire est un service public sinistré. Les
enfants ont exprimé cette demande à la session du Parlement des enfants en mai dernier.
Jai eu loccasion, avec le COFRADE, danimer un groupe de deux cents
enfants qui a séjourné à Belle-Ile pour réfléchir à ce problème ils
venaient de plus de soixante départements français et mettre en exergue les
dix points forts dapplication nécessaire de la Convention ; or le premier fut
la demande dune infirmière dans les écoles, dun lieu découte et donc
de la possibilité daccéder à un système sanitaire. Il y a donc urgence en la
matière.
Jen viens à la seconde partie de mon intervention. Une
réflexion est menée au sein du ministère des affaires sociales par un groupe, composé
de personnalités, depuis maintenant trois ans, à la suite dune demande de Mme
Veil et de M. Gaymard confirmée par M. Barrot puis par
Mme Aubry sur la paternité et la carence paternelle. La Convention
internationale insiste, en effet, à plusieurs reprises, sur la première responsabilité
des parents pour faire valoir les droits de lenfant et sur la nécessité pour
lenfant davoir un père et une mère.
Mme Veil sest rendue en 1996 à Helsinki à une conférence qui
réunit tous les deux ans les ministres des affaires sociales sur un sujet qui
concerne la grande Europe. Cette année-là, la réflexion portait sur le statut et le
rôle du père en Europe lIDEF était chargé détablir le rapport
introductif pour le Gouvernement.
Mme Veil est rentrée très mécontente de cette réunion, car il lui
avait semblé que tous les pays avaient prononcé des discours parallèles, défendu tout
ce qui se faisait de bien chez eux, mais quil ny avait pas eu de vrai
dialogue. Elle a donc créé un groupe de travail auprès delle pour réfléchir à
ce quimplique cette carence paternelle.
Le groupe est composé dun nombre restreint de personnalités
choisies en fonction de leurs compétences et de leur expérience, et a enrichi sa
réflexion par laudition de personnalités extérieures psychanalystes,
anthropologues, psychologues, sociologues et hommes et femmes de terrain. Premier
constat : labsence des pères dans la société. Absence des pères
lorsquil y a dissolution des couples lenfant est le plus souvent
confié à sa mère , puisque 52 % des enfants ne voient plus du tout, ou
très rarement, leur père après cinq ans de séparation. Actuellement, en France,
un enfant sur trois ne voit plus jamais son père.
Il y a les familles monoparentales, par veuvage, par abandon, par
divorce ou par choix et de surcroit, dans 90 % des cas, la famille est construite
autour de la mère. Cest la négation du rôle du père et la volonté
dappropriation totale de lenfant par lun des parents le plus
souvent par la mère sil y a conflit de pouvoirs entre les parents. Cest le
père présent physiquement, mais démissionnaire, muet, qui na pas de statut et qui
ne peut pas simposer, qui a été dévalorisé par le chômage, par
limmigration.
Le résultat est un double dysfonctionnement. Les pères qui sont ainsi
" écrasés ", quelle quen soit la raison, ont une réaction
plus ou moins violente à cette absence forcée et ont des pratiques perverses pour
imposer une maîtrise masculine dans la famille qui est murée dans le silence :
cest le cas de toutes les violences, des pratiques perverses, etc ... Par ailleurs,
le mode de vie moderne la télévision, la défaite des idéologies,
lémiettement des repères, lévolution des métiers prive les
pères, mais également les mères, dune partie de leur rôle de transmission.
Conclusion : ou les pères sont maltraitants ou labsence de
père se traduit par des conduites déviantes ou délinquantes de la part des
jeunes : absentéisme scolaire, conduite violente, toxicomanie, conduites à risque,
suicide, sectes, criminalité, etc. Ce que beaucoup de psychanalistes et de psychologues
analysent comme la recherche forcenée dun père, dun référent adulte
stable.
Notre groupe a voulu sinterroger sur ce rôle des pères dans la
société. Au fil de notre réflexion, nous sommes allés plus loin que le rôle du père,
pour réfléchir au rôle de la parentalité. Nous avons fait le constat que
lorsquil y a une délégation de responsabilité parentale au quotidien
quand les pouvoirs publics assument une part de la parentalité ,
cela est plus souvent exercé par des femmes que par des hommes. Les enfants sont presque
toute leur vie au contact des femmes et voient très peu dhommes : les
auxiliaires familiales, les nourrices, les puéricultrices, les institutrices, les
professions sociales, sont des professions très mal payées, donc très féminisées.
Nous avons tenté danalyser la mutation de la fonction paternelle
par une approche transversale, en nous appuyant sur des données scientifiques, afin de
déterminer les difficultés objectives et subjectives à être père dans la société
française contemporaine face à ce délitement du rôle classique du père.
On sest aperçu, au fil des audiences, que cette fragilisation du
lien paternel a des raisons économiques, sociales et aussi culturelles. Beaucoup
dhommes ont des incertitudes sur la spécificité du rôle paternel dans le couple
parental le rôle maternel a mieux résisté. Françoise Héritier, professeur
au Collège de France et anthropologue, ainsi que des psychanalystes, insistent sur le
fait quau-delà des modifications du rôle du père et même de celui de
la mère à travers le temps et lespace, une donnée reste
inchangée : le père a une fonction sociale, une fonction symbolique. Il est le
représentant de laltérité dans le couple parental. Il représente la différence
dans légalité, il est le géniteur, il donne le nom et représente une force
rassurante.
La paternité a donc la charge permanente, dans le temps et dans
lespace, de représenter laltérité dans le processus du développement
identitaire de lenfant.
Notre rapport détape a été remis au ministre des affaires
sociales au mois de juin dernier ; nous en sommes actuellement aux réflexions sur
les préconisations.
Que proposons-nous ?
Face au constat quil faut donner à la jeunesse actuelle une
parentalité à la hauteur de ses attentes, il convient donc de mettre en oeuvre une
politique familiale qui rende les adultes plus capables dêtre parents en les
reconnaissant mieux comme tels, et ce pour répondre aux droits de lenfant, car
lenfant a droit à des parents. Il faut lui donner la chance dune relation
stable et juste avec ses deux parents, quels que soient les aléas du couple. Tout le
monde saccorde à dire, comme la souligné la sociologue Irène Théry, que si
la conjugalité aujourdhui devient plus souple et même facultative, il faut
absolument que le lien de filiation, lui, soit inconditionnel et insoluble.
Il convient donc de progresser dans légalité et la
complémentarité des sexes en assurant la mixité des relais de la fonction parentale par
les professionnels tous ceux qui apportent des appuis extérieurs à la
famille dans les modes de garde, à lécole ou dans le travail social, mais
également, en miroir, une mixité effective dans les instances économiques et politiques
afin que lenfant ait une vision mixte de sa famille et de la société.
Il convient également de veiller à légalité des modes
détablissement de la filiation, ce qui nest pas encore tout à fait le cas
dans notre code civil, de mieux garantir à lenfant sa double filiation. A ce sujet,
faut-il, comme dans la législation suédoise, rechercher à tout prix le parent
défaillant ? Faut-il remettre en cause laccouchement sous X et en parallèle
le don anonyme de sperme ?
En ratifiant la Convention internationale des droits de lenfant,
la France sest engagée à donner il ny a pas eu de réserves sur
ce point à lenfant les moyens de connaître ses origines. Faut-il alors
de savoir que lon est né dune " fivette " ou que
lon a été adopté, ou de connaître nommément son père et sa mère
biologiques ?
M. le Président : Madame, nous aimerions vous poser des
questions, je vous demanderai donc de nous faire parvenir vos préconisations par écrit.
Je vous remercie.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Madame, pensez-vous que beaucoup
a été fait entre 1989, date de votre rapport, et aujourdhui ?
Mme Denise CACHEUX : Il y a un progrès certain, notamment dans
les esprits, mais aussi dans les textes. Par exemple, la réforme du code civil de janvier
1993 a introduit lavocat de lenfant et inscrit, dans les textes, le droit à
la parole pour lenfant même si dans les faits beaucoup de juges
nont pas le temps, disent-ils, ou ne savent pas écouter un enfant. En outre, il y a
un réel souci de former les avocats à ce métier.
Par ailleurs, il existe une réflexion, dans les associations de
jeunesse et les ministères, sur une plus grande adéquation de notre législation avec la
Convention. Cela a été fait lorsque M. Jospin était ministre de léducation
nationale et Mme Bredin ministre à la jeunesse et aux sports, mais également lorsque
MM. Bayrou et Drut étaient au Gouvernement. Il y a eu, à chaque fois, un débat
entre les deux ministères sur le droit dexpression de lenfant dans
lécole, qui a abouti à des textes.
Il y a également eu une réflexion mort-née, mais qui est
toujours dans les cartons sur léventualité dun statut de
prémajorité, pour donner à lenfant la possibilité de prendre des
responsabilités réelles dans les conseils municipaux denfants, dans les
associations. Très curieusement, quel que soit le Gouvernement, le ministère de la
jeunesse et des sports est toujours plus en avance que celui de léducation
nationale sur ce sujet.
En revanche, nous navons pas beaucoup avancé
cest délicat, je le reconnais sur le droit de lenfant
à choisir sa religion, ce qui est le cas en Suisse et en Angleterre où il existe un
statut de prémajorité. Des associations familiales nous font remarquer que ce droit
pourrait avoir un effet pervers de mainmise des sectes sur les enfants. Ce nest pas,
selon moi, un vrai obstacle puisquil me semble que bien souvent ce sont les parents
qui entraînent leurs enfants dans des sectes.
Cependant, il est certain que des progrès ont été réalisés, même
sil reste beaucoup à faire.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Pourriez-vous nous faire
parvenir le rapport sur la parentalité auquel vous avez fait allusion ?
Mme Denise CACHEUX : Je vous lai amené, et je vous ferai
parvenir nos préconisations lorsque notre travail sera terminé
Mme Christine BOUTIN : Mme Cacheux, jai été
particulièrement attentive à votre intervention concernant le rôle du père, la
conjugalité et la parentalité. Il est effectivement très important pour un enfant
davoir un père et une mère, quels que soient les aléas du couple. Je suis donc
très demandeur des notes que vous pourriez nous faire parvenir sur ce sujet particulier
de la responsabilité des pères à légard des enfants.
M. le Président : Mme Cacheux, nous vous remercions
davoir répondu à notre invitation et vous félicitons pour tout ce que vous
faites.
Audition de Mme Odile MOIRIN,
ancienne parlementaire en mission,
auteur du rapport " Pour une véritable politique de lenfance "
(extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Odile Moirin est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation
du Président, Mme Odile Moirin prête serment.
M. le Président : Madame, je propose que vous nous présentiez
un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
Mme Odile MOIRIN : M. le Président, vous le savez, jai
travaillé plus particulièrement sur le dossier de lenfance maltraitée, dossier
qui est à la fois douloureux et, malheureusement, assez banal. En effet, il y a une
maltraitance quotidienne et ordinaire qui passe pratiquement inaperçue et nest pas
médiatisée.
En France, il existe une certaine " tradition " de
violence à légard des enfants, puisquil a fallu attendre 1934 pour que soit
aboli le droit dit de " correction paternelle ", cest-à-dire la
possibilité pour un père de faire incarcérer ses enfants mineurs sans justification.
Du point de vue de la législation, la France na pas,
aujourdhui, à rougir de sa situation. Nous avons, en particulier, une très bonne
loi, celle du 10 juillet 1989 sur lenfance maltraitée, qui a vraiment clarifié les
choses. Elle a permis de grandes avancées, telles que la création du numéro vert, le
SNATEM, " Allô enfance maltraitée ", la définition des compétences
la compétence sur lenfance maltraitée a été donnée aux présidents
des Conseils généraux , la formation des personnes qui sont en charge des
enfants, la possibilité pour chaque enfant de prendre un avocat et de se faire assister
par un administrateur ad hoc, la réouverture du délai de prescription à la
majorité, enfin une levée partielle du secret professionnel pour le médecin,
cest-à-dire que le médecin nest pas poursuivi sil signale un cas
denfant maltraité.
Malgré ces avancées, jai remarqué, au cours de la mission qui
ma été confiée par M. Alain Juppé, un certain nombre de dysfonctionnements
auxquels jai tenté dapporter des réponses en faisant des propositions que je
vais maintenant vous présenter.
Mes propositions sont fondées sur la formation, linformation et
la prévention.
La formation, prévue par la loi de 1989 nexiste,
malheureusement, que de façon isolée et sporadique ; elle nest pas
systématique. Or il conviendrait que toutes les personnes qui sont en contact avec les
enfants soient formées à détecter la maltraitance
plus de 90 % des cas de maltraitance ont lieu dans les familles. Il
serait donc intéressant que, dans chaque IUFM, il y ait une formation spécifique et
obligatoire pour tous les enseignants. Cette formation devrait être étendue aux
éducateurs dans le cadre du BAFA et aux médecins.
Jai été surprise, lors de la rédaction de ce rapport, de
constater quun grand nombre de médecins, généralistes et autres, ne connaissaient
pas la méthode de signalement. Ils ont donc besoin dune formation, ainsi que de
cours de médecine légale. Naturellement, les magistrats et les policiers devraient, eux
aussi, être formés à détecter la maltraitance et à savoir écouter lenfant
quand il sen plaint.
Sagissant de linformation, je pense que la création du
numéro vert qui est maintenant le 119 a été bénéfique pour la
détection de lenfance maltraitée. Cependant, il devrait faire lobjet
dune diffusion beaucoup plus large étant observé quil nest
diffusé quau moment des campagnes de préventions et être affiché par
exemple sur les annuaires téléphoniques ou passer en spots télévisés aux heures de
grande écoute. Par ailleurs, tous les instituteurs devraient vérifier que ce numéro est
bien inscrit dans les préaux décole et non pas derrière une porte de placard,
comme cela arrive, malheureusement, assez souvent.
En ce qui concerne la prévention, lécole est un endroit idéal
où elle pourrait sappliquer. Une journée spéciale, avec des enseignants et des
magistrats, pourrait y être organisée non seulement pour prévenir les enfants, mais
également pour aider les éducateurs et les enseignants qui se trouvent parfois dans des
situations très difficiles. En effet, lorsquils ont un cas à signaler, la
hiérarchie, il faut bien le dire, ne les aide pas beaucoup.
Par ailleurs, il serait souhaitable que les médecins scolaires soient
plus nombreux, et cela pour une double raison : un médecin peut détecter plus
facilement la maltraitance et apporter une aide psychologique importante à
lenseignant.
Malheureusement, il convient dévoquer le cas des enseignants
pédophiles car il est évident quun pédophile va plutôt sorienter vers des
professions le mettant en contact avec des enfants. Quand les enseignants sont condamnés,
je pense quon commet une faute en les rayant de léducation nationale, car en
les laissant dans la nature sans subsides, on perd leur trace et ils vont proposer
ailleurs leurs services, par exemple à une municipalité, pour soccuper
denfants. Or, il y a des postes au sein de léducation nationale où ils ne
seraient pas en contact avec les enfants.
Au niveau de la police, le recueil du premier témoignage est très
important. Si ce dernier est mal recueilli et mal interprété, toute lenquête peut
en être changée. Aujourdhui, il existe la possibilité de recueillir le
témoignage des enfants sur une bande vidéo. Il est évident que cela ne doit pas être
fait par nimporte qui et quil ne faut pas, bien entendu, abandonner le
procès-verbal classique. Cependant, cette vidéo aurait lavantage déviter à
lenfant de raconter sa terrible histoire plusieurs fois. Cela éviterait dune
part des traumatismes répétés et dautre part que lenfant, lassé de se
répéter, ne se rétracte.
Les policiers et les gendarmes pourraient donc, eux aussi, être
formés à cet effet puis bénéficier dune formation continue fondée sur le
volontariat. Il conviendrait également de prévoir un accompagnement psychologique, car
ils recueillent des témoignages parfois très durs à entendre et à supporter.
A propos de la justice, le manque de formation des magistrats et des
avocats est également évident. La loi de 1989 donne la possibilité à lenfant de
prendre un avocat, mais comment un enfant peut-il choisir un avocat et surtout comment
peut-il le payer ? On pourrait donc prévoir un fonds dindemnisation des
avocats qui pourrait être pris en charge par les Conseils généraux, puisquils
sont compétents sagissant de laide sociale à lenfance.
Je voudrais saluer une initiative mise en place dans mon
département : la création dune petite cellule davocats volontaires et
bénévoles " le mercredi, je viens parler avec mon
avocat " qui, tous les mercredis après-midi, tient une permanence.
Une telle initiative permet de dénouer des crises qui ne sont pas très graves, mais qui
pourraient le devenir, et daider des enfants en grande difficulté. Pourquoi ne pas
envisager la création dun numéro vert pour les avocats ?
Au travers de tous les témoignages que jai entendus, jai
constaté quaujourdhui encore, on ne reconnaît pas lenfant victime en
tant que tel. Jai connu des enfants qui avaient été violés et dont
lagresseur avait été jugé et déclaré coupable, mais qui navaient jamais
rencontré ni un juge ni un avocat. Or ces enfants sont très difficiles à
" réparer " ensuite, car on ne les a pas reconnus en tant que
victimes.
Un enfant est vite brisé, mais également vite
" réparé ", sil bénéficie dun accompagnement
psychologique pendant et après linstruction. Il serait donc souhaitable de mettre
en place des centres de victimologie, afin daider non seulement les enfants, mais
également la famille.
M. le Président : Mme Moirin, si vous désirez nous faire
parvenir des précisions ou des observations par écrit, nous sommes, bien entendu,
intéressés.
M. Gaëtan GORCE : Mme Moirin, vous avez parlé du suivi des
pédophiles, afin de prévenir une éventuelle récidive cest tout le
sens du projet de loi qui est en cours de discussion au Parlement. Etes-vous favorable à
des mesures qui sappliquent aux Etats-Unis et qui consistent à obliger les
délinquants pédophiles à faire connaître leurs déplacements et à se faire connaître
auprès des unités de police du lieu de résidence où ils se trouvent ? Pensez-vous
quil faille aller jusque-là, cest-à-dire que lon identifie
publiquement de manière presque systématique la situation de ces délinquants, ou cela
vous paraît être une mesure un peu excessive ?
Par ailleurs, vous parlez de protection des enfants contre la
maltraitance, mais on parle peu de protection de lenfance. Au fond, la société ne
sexonère-t-elle pas un peu de sa responsabilité par rapport à ces questions en
renvoyant à chaque fois à une relation entre le coupable et la victime ? Est-ce
quon se pose dune manière suffisamment forte la question de la prévention en
se demandant quelle place lenfant occupe dans la société et quels mécanismes de
protection de lenfance on met en place par rapport à son image, au rôle des
médias et à une certaine violence. Est-ce que ces questions nentrent pas aussi en
relation avec le problème de la pédophilie ?
Enfin, vous ne parlez pas de la coordination des services sur le
terrain. Or on a eu le sentiment, dans différentes auditions, quil y avait beaucoup
de difficultés pour faire travailler ces services ensemble. Quen pensez-vous ?
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Dans votre rapport, vous
soulignez le caractère néfaste de certaines associations qui interviennent dans le
domaine de la maltraitance et dont le rôle se limiterait à " vendre du
rêve ". Pouvez-vous préciser ce jugement ? Sagit-il, pour vous,
dun phénomène important ou marginal ?
Mme Odile MOIRIN : La récidive des pédophiles est un problème
important et difficile à aborder. Aujourdhui, il ny a pas de réponse. Mais
faire comme aux Etats-Unis et prévenir tout le monde, je ne suis pas daccord. Nous
avons, en France, le principe du respect de la vie privée qui doit être préservé.
Jai classé les pédophiles en deux catégories et
certains psychiatres mont suivie. Dune part, le vrai pédophile, pervers, qui
ne prend son plaisir quavec des enfants
et qui ne représente quune très faible partie de la population.
Dautre part, le pédophile occasionnel qui, sous une pulsion, viole un enfant
peut-être parce quil a été une victime dans son enfance. Le
traitement nest pas le même pour les deux. Mais je pense aussi que la prison
nest pas la bonne solution. En effet, lorsquun pédophile se retrouve en
prison, du fait quil na pas de tentation, il se tient tranquille. Mais plus le
temps passé en prison est long, plus la pulsion est forte lorsquil en sort ;
et cest là que lon voit des récidives avec crimes denfants
lagresseur tue lenfant pour ne pas être dénoncé, pour ne pas
retourner en prison.
Il y a une obligation de soin, cest tout à fait évident, avec
la difficulté réelle que cela implique, car il est difficile de soigner quelquun
contre son gré. On peut lui faire des piqûres de pénicilline sans son accord, mais une
psychothérapie est impossible sans sa participation. La castration chimique
prise de médicaments empêchant les pulsions donne certains
résultats. Et lon pourrait prévoir une surveillance électronique, sous forme de
bracelets, à la maison.
Quant à la politique de lenfance, la société ne doit pas, en
effet, se dédouaner en mettant des rustines à droite ou à gauche. Lenfant est une
personne qui a sa part entière dans la société et il convient daborder ce sujet
de manière globale.
M. le député, il est vrai que je nai pas insisté sur le manque
de coordination qui existe entre les différents intervenants. Cest vrai, et
cest lune des très grosses causes de dysfonctionnement, alors que nous avons,
dans larsenal législatif, tout ce quil faut pour bien travailler. Chaque
service travaille dans son coin sans passer les informations à son voisin.
Je cite régulièrement lexemple dun enfant qui a perdu son
père. Sa mère devient tutrice mais est incapable dassumer cette charge. Les
grands-parents saisissent alors un juge pour enfant qui le place dans un foyer. Si ces
derniers veulent aller le voir, ils doivent faire intervenir un juge des affaires
familiales et comme lenfant a hérité dune petite somme dargent, un
juge des tutelles est également nommé. Or toutes ces personnes ne se parlent pas.
Sachez, par exemple, que le juge ne consulte pas les familles
daccueil pour savoir si lenfant peut ou non retourner dans sa famille
dorigine. Donc chacun travaille, bien, mais de façon isolée.
Autre incohérence, lorsque les parents sont divorcés parce que le
père a abusé de lenfant, ou en abuse lors des droits de visite, le juge des
affaires familiales renvoie parfois lenfant dans sa famille contre lavis du
juge pour enfants. Dans un tel cas, il serait indispensable que la décision du juge pour
enfants prime celle du juge des affaires familiales.
Il est vrai que jai remarqué un certain nombre de
dysfonctionnements dans certaines associations. Cependant, je ne veux pas jeter
lopprobre sur toutes les associations, car si la protection de lenfant est ce
quelle est aujourdhui, cest bien grâce à des associations, lEtat
nayant pas toujours joué le rôle qui aurait du être le sien.
Mais il est certain que certaines associations sont inutiles et que
dautres donnent de très mauvais conseils. Enfin, on en trouve qui sont à dérive
sectaire je ne vous citerai pas de noms et même dautres qui
sont tenues par des pédophiles.
LEtat a donc une réflexion à mener et un devoir de surveillance
de ces associations. Javais pensé quil pourrait être attribué un label à
celles qui remplissent certaines conditions et critères bien définis. Cela dit,
cest rare, mais cela existe. Et je veux rendre hommage à toutes les associations
qui font un travail remarquable.
M. le Président : Mme Moirin je vous remercie davoir
accepté notre invitation et vous félicite de votre travail.
Audition de Mme Monique LOUSTAU,
Présidente de lAssociation contre la prostitution enfantine
et de M. Bernard Lemettre,
Coordonnateur national du mouvement Le Nid
(extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Monique LOUSTAU et Monsieur Bernard Lemettre sont
introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, Mme Monique LOUSTAU et M. Bernard Lemettre prêtent
serment.
M. le Président :
Je propose que vous nous présentiez un
exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
M. Bernard LEMETTRE : M. le Président, pour le mouvement Le
Nid, la question de la prostitution est globale. Il ny a pas, dun côté, une
prostitution " méchante ", celle des mineurs, des enfants, et, de
lautre, une autre prostitution qui serait celle des adultes, soi-disant consentants.
Il ny a quune seule prostitution. Jaime à répéter une phrase de
Vassila Tanzali de lUnesco : " Cest bien parce que lon
prostitue des adultes que lon en vient, un jour, à prostituer des
enfants "!!
Nous disposons dune affiche qui pose la question suivante à
lopinion publique : " si à quatorze ans cest
inadmissible, est-il un âge où la prostitution est admissible ? " Au Nid,
nous abordons donc cette question dans sa globalité, et nous nous occupons de jeunes qui
nous sont confiés parce quils ont un jour basculé dans la prostitution.
Le parcours à effectuer, une fois que ces jeunes sont tombés dans le
piège de la prostitution, est lent, lourd, il coûte cher et demande beaucoup
dénergie, car pour certains, il faudra des années avant de sen sortir.
Par ailleurs, un autre travail doit être effectué auprès de nos
concitoyens, car de nombreuses personnes utilisent un langage qui va favoriser la
prostitution des jeunes : aujourdhui, quand on parle de la prostitution, il y a
des sourires et tout un langage " cest un mal nécessaire, cest le
plus vieux métier du monde, elles ont choisi, elles aiment ça... ". Un langage
totalement faux, bien entendu, lorsquon connaît la réalité, mais qui en quelque
sorte fabrique de la prostitution.
Je suis ici aujourdhui pour que lon trouve des solutions à
ce grave problème. Pour notre part, nous tentons dapporter des solutions
globales ; nous voulons toucher à la fois les victimes de la prostitution et ceux
qui détiennent les clés du changement. Notre objectif est de faire disparaître la
prostitution. Nous ne sommes pas des rêveurs, nous savons que cela nest pas pour
demain, mais nous devons lutter pour faire évoluer les comportements et les discours de
la population.
Dans le dossier que je vous ai remis, vous trouverez un outil que nous
venons de publier, une bande dessinée destinée à approcher les jeunes et les inciter à
ne pas reprendre le discours des générations qui les ont précédés. Ils doivent avoir
un langage nouveau vis-à-vis de la prostitution, non pas celui dun discours
fataliste, mais dun discours de changement.
Vous trouverez également notre revue, " Prostitution et
société ", que nous essayons de publier régulièrement pour alerter, avertir
et former les gens. M. le Président, je suis maintenant à votre disposition pour
répondre à vos questions.
M. le Président :
Que représente la prostitution enfantine en
France, disposez-vous dindications qualitatives ou quantitatives ?
M. Bernard LEMETTRE : Heureusement, il y en a peu. Cependant,
personne, dans ce pays, nest capable de donner des chiffres.
Pourtant cela se passe à notre porte. Actuellement, jaccompagne
deux mineurs, dont les situations sont complètement différentes lune de
lautre, mais qui vont demander un long parcours. Je moccupe tout dabord
dun jeune garçon de dix-sept ans, originaire du Pas-de-Calais, qui est en
hôpital psychiatrique en attendant de trouver une autre solution. Cette solution serait
une famille daccueil. Des familles daccueil pour des enfants en difficulté,
cela existe. Des familles daccueil pour un garçon qui a connu la prostitution,
cest déjà beaucoup plus difficile à trouver. Mais une famille daccueil pour
un jeune homme qui a connu la prostitution qui a également subi des abus
sexuels et qui shabille en fille depuis lâge de douze ans
parce quil a perdu son identité, cest encore plus difficile à trouver.
Comment lui faire retrouver, à travers litinéraire que nous allons vivre avec lui,
son identité sexuelle ?
Nous sommes en contact avec plusieurs familles, mais nous les
avertissons de la difficulté quil y aura pour elles je pense notamment
au voisinage daccueillir un jeune homme qui shabille en fille. Il
y a donc un travail à faire non seulement avec cette famille, mais également avec ce
jeune homme afin quil puisse retrouver son identité.
Je moccupe également dune jeune fille de dix-sept ans
issue dun milieu bourgeois, dont la famille a découvert quelle se
prostituait. Le savaient-ils ou fermaient-ils les yeux ? Toujours est-il que
cest la jeune fille qui a pris contact avec nous. Lorsque je suis allé la chercher,
afin de lévacuer, car elle était en danger immédiat avec un proxénétisme qui
lentourait, jai compris les raisons de cette prostitution. Elle vivait dans un
appartement cossu de Paris, certes, mais son lit se trouvait, depuis sa naissance, près
de lévier dans la cuisine. Ce qui avait précipité cette enfant, qui ne manquait
de rien, au niveau matériel, dans la prostitution, cétait labsence
daffection, de tendresse de la part de ses parents.
Dans ces deux situations, il sagit de personnes fragiles,
facilement " exploitables ". Il nétait pas difficile pour les
proxénètes dexploiter cette détresse profonde.
Nous devons, en France comme ailleurs, continuer à travailler sur la
question des abus sexuels. Laffaire Dutroux a eu le mérite de faire parler de ce
problème et dobliger les pouvoirs publics à agir. Nous devons également
travailler sur lexploitation de la personne humaine, car il sagit bien,
lorsquon parle de prostitution, dun système doppression et
dasservissement de la personne.
M. le Président :
M. Lemettre vient de nous expliquer
quil fallait avoir une approche globale de la question de la prostitution, thèse
que vous partagez sans doute Mme Loustau. Vous pourriez présenter votre association et
apporter un éclairage complémentaire à ces propos.
Mme Monique LOUSTAU : M. le Président, je suis présidente de
lAssociation contre la prostitution enfantine, association qui a été créée en
1985 lors de laffaire du réseau Spartacus, qui était un réseau
dexploitation sexuelle denfants dans les pays du tiers monde. En 1996, nous
avons participé au Congrès de Stockholm sur lexploitation sexuelle commerciale.
Lobjectif était de dénoncer et danalyser les agressions et violences
sexuelles dont sont victimes les enfants contre rémunération. Nous avons dépassé la
notion de prostitution avec le problème de la pornographie, des enfants payés pour
tourner des scènes obscènes.
Depuis Stockholm, nous avons reçu beaucoup dappels, notamment de
travailleurs sociaux, dun juge de Bordeaux et de la brigade des mineurs de cette
ville, de toulousains, pour nous informer que la prostitution des mineurs existait
également en France et quil fallait se préoccuper de ce problème.
Jaimerais, là, ouvrir une parenthèse et attirer votre attention
sur les chiffres. Jai entendu, même à Stockholm, des personnes parler de trois
mille garçons prostitués à Paris et de cinq mille filles. Or ces chiffres, cités par
Bertrand Boulin quand il soccupait de délinquance juvénile dans une interview à
France-Soir, il y a environ dix ans, étaient une estimation concernant
lensemble de la France, chiffres qui nous paraîssent vraisemblables pour
lépoque. Mais France-Soir a commis lerreur de les donner pour Paris et cette
erreur a perduré pendant des années et a même été reprise par une députée au
Parlement européen. Doù notre souci de rigueur sur ce que lon peut dire à
propos de la prostitution des mineurs en France.
Lorsque nous avons été convoqués au cabinet de M. Juppé après
le Congrès de Stockholm, jai demandé quune enquête soit réalisée, au
moins sur une ville Paris, Marseille ou Bordeaux sur létat
de la prostitution des mineurs, afin que lon puisse en parler de manière précise
et plus juste, sans exagération.
M. le Président :
De telles enquêtes ont-elles été
réalisées ?
Mme Monique LOUSTAU : Non, et cest ce que nous demandons.
Il y a eu une enquête menée par M. François Lefort en 1984, sur la demande je crois de
Mme Dufoix, mais elle est très ancienne et ne portait que sur la prostitution masculine
elle faisait état de quatre cent jeunes garçons prostitués.
Aujourdhui, je pense que les chiffres sont différents et il serait souhaitable que
lon mène une enquête sérieuse. Mais notre association na pas les moyens de
faire une telle enquête.
En revanche, étant donné tous les appels qui nous ont été lancés,
nous avons décidé de proposer un programme de prévention je vous lai
dailleurs apporté. Il sagit dun programme basé sur un film vidéo que
nous voulons mettre en oeuvre en partenariat avec le mouvement du Nid et
lassociation " Altaïr " qui soccupe de prostitution
masculine et est située à Nanterre. Notre projet pourrait, si nous le menons à bien,
avoir un impact important, pour une prévention qui vise non seulement les victimes
potentielles, mais également, cest là son originalité, les clients potentiels. Il
faut, en effet, sattaquer à la racine du problème. Ce projet a reçu le label
" Grande cause nationale ", mais il demeure à létat de projet
tant que son financement nest pas assuré.
Par ailleurs, nous nous sommes portés partie civile dans
laffaire de Draguignan, dont on a peu parlé dans la presse, mais qui est pourtant
une très importante affaire selon certaines personnes du ministère de lintérieur.
Il sagit dun réseau international de prostitution enfantine qui part de
France et qui fait venir en France des enfants Roumains pour les prostituer. Ce réseau
est-il un cas unique en France, ou risquons-nous de retrouver ce genre daffaires où
des personnes prostituent des mineurs, se les passent, se les achètent, se les vendent,
se les louent car on en est là, dans laffaire Draguignan ?
Pour nous, un enjeu est capital. Aujourdhui, malgré les efforts
du Gouvernement en faveur des jeunes, nombre dentre eux sont en échec scolaire, en
errance, à la recherche dargent. Les jeunes ne se prostituent plus seulement pour
sacheter un blouson, un skate ou une moto. Il sagit pour certains dune
prostitution de survie. Il convient donc dagir durgence, car, de plus, il y a
un enjeu européen, sur lequel je voudrais dire deux mots.
Tous les pays du Nord de lEurope sont
" réglementaristes " : ils réglementent la prostitution, à la
limite jusquà en faire " un métier ". Et pourquoi pas proposer
ce métier aux jeunes chômeurs, en leur faisant valoir quil est très
rémunérateur ? cela dit ironiquement et amèrement. Il faut être
conscient du danger représenté par une telle manière de poser le problème.
A partir du moment où il existe des lobbies très forts dans
lUnion européenne, au Conseil de lEurope, pour que toute lEurope
devienne " réglementariste ", les jeunes risquent de pouvoir, demain,
en toute légalité, exercer ce " métier " qui leur rapportera
beaucoup dargent.
La France est, quant à elle, " abolitionniste ",
et tend à labolition du proxénétisme et de la traite des êtres humains. Or il
faut absolument que nous gardions ce régime, avec lItalie, lEspagne et le
Portugal. Dans ce domaine précis, il y a véritablement quelque chose à faire.
M. Alain NERI : Mme Loustau, vous avez parlé de la prostitution
organisée. Mais peut-on avoir une idée exacte du nombre de jeunes qui se prostituent
occasionnellement pour, il faut bien le dire, avoir un complément économique dans les
milieux défavorisés mais parfois aussi dans des milieux plus aisés où les jeunes se
livrent à cette activité pour payer leurs études ?
Mme Monique LOUSTAU : Non, M. le député, nous ne disposons pas
de chiffres. Cest la raison pour laquelle nous réclamons une enquête. Evidemment,
nous naurons jamais les chiffres exacts, puisque cette prostitution est plutôt
clandestine.
Cette enquête est indispensable, car jentends dire que, dans
certains lycées parisiens, surtout en banlieue, les grands frères prostituent les plus
petits ! Est-ce la vérité ? Je ne suis pas sur le terrain pour le vérifier,
mais ce type dappels nous arrivent. De même, un juge de Bordeaux ma dit
quil y avait de la prostitution enfantine dans sa ville, et quil le
découvrait à travers des affaires de drogue ou de délinquance. Tels sont les appels qui
nous parviennent.
Mme Dominique GILLOT : Je voudrais poursuivre dans cette
direction, car lorsquon entend parler de prostitution, on oublie que beaucoup de
jeunes peuvent se laisser aller à des comportements " de commerce "
sans en avoir conscience, tout simplement parce quils nont pas été
sensibilisés à la propriété de leur corps, à leur propre dignité, du fait de
pratiques familiales ou sociales qui les abusent à la fois dans le langage, dans
lappréciation des conduites humaines, et dans les comportements. A quel moment un
adulte dépasse la limite en achetant laffection ou la complaisance dun enfant
par des cadeaux ou une menace ?
Tout cela rejoint lintervention de Mme Cacheux tout à
lheure, cest-à-dire la nécessité de " ressaisir " les
valeurs de transmission entre les générations, de bien remettre les uns et les autres à
leur place, à savoir, dun coté des adultes responsables qui jouent leur rôle
dadulte et de lautre des enfants qui ont leur vie denfant à vivre et à
construire pour devenir à leur tour des adultes conscients dun certain nombre de
cadres et de valeurs à respecter.
Lorsquon vous signale des pratiques telles que celles que vous
évoquez, on est confronté à une absence de conscience de la réalité des gestes qui
sont commis. Beaucoup de ces enfants, dans un premier temps, considèrent que ce
nest pas grave. Mais cela entraîne une fragilité et une opportunité pour,
ensuite, entrer dans des réseaux de prostitution dont ils ont beaucoup de mal à sortir.
Il est donc important que vous nous transmettiez votre programme de
prévention et que lon soit attentif à tout ce qui peut conduire à la
déstructuration de limage de lenfant dans sa construction, afin de revenir à
des cadres plus précis et plus lisibles des rôles de chacun.
Par ailleurs, jai été désignée par notre assemblée à la
commission de contrôle des publications enfantines. Lorsque je me suis rendue pour la
première fois à cette commission, je pensais que jallais me pencher sur des albums
de presse enfantine ou sur des manuels scolaires. Or ce nétait pas tout à fait
cela. La première partie de notre réunion consistait à donner des autorisations de mise
en vente de revues. Or il y a de lhypocrisie dans certaines de ces publications, il
est important de revoir notre législation à ce sujet. Sous couvert déchanges
familiaux, de rencontres, elles servent en réalité à proposer des échanges souterrains
de pratiques totalement condamnables.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Disposez-vous, aujourdhui,
déléments vous permettant de repérer les enfants à risque au niveau de la
prostitution ?
Mme Christine BOUTIN : Pouvez-vous nous dire lâge du plus
jeune enfant que vous ayiez connu et qui se prostituait ? Par ailleurs, pensez-vous
que nous puissions faire un lien entre les disparitions inexpliquées des enfants et les
réseaux de prostitution enfantine ?
M. Bernard LEMETTRE : Le plus jeune enfant que jaie
rencontré avait onze ans et demi. Cétait en 1987.
Quant à votre seconde question, Mme le député, je vous répondrai
que non, il ne faut pas établir un lien systématique entre la disparition denfants
et les réseaux de prostitution. Bien sûr, cela peut exister, mais je ne pense pas que
cela soit courant.
Sagissant de la prévention, qui est un domaine capital
aujourdhui et pour les années qui viennent, la difficulté est de nous présenter
au jeune public, non pas comme des moralistes, mais avec un discours cohérent, fondé sur
les droits de lhomme. Sur une décennie, nous sentons que les jeunes ont pris
conscience du problème, dans notre pays, et grâce à nos supports bande
dessinée et films nous devrions continuer de progresser.
En revanche, je suis toujours frappé par lattitude de personnes
qui nont jamais réfléchi à la prostitution ; elles ont colporté des bruits,
en ont ri, mais nont jamais réfléchi sur le fond du problème.
Mme Monique LOUSTAU : Lors dun procès qui sest tenu
à Limoges, nous avons eu des exemples de parents qui prostituaient leurs très jeunes
enfants. Mais, cela est de lordre du fait divers, et nous ne pouvons pas juger une
situation à partir de faits divers. Par ailleurs, un juge de Bordeaux ma contactée
pour me dire que des enfants de dix, onze ou douze ans se prostituaient et que
malheureusement la brigade des mineurs où travaillent des femmes
remarquables , qui est surchargée de travail, narrive pas à cerner le
problème.
Je voudrais vous parler dun phénomène nouveau, le rôle
dInternet et du téléphone, et vous donner un exemple concret de ce que lon
peut y trouver. Hier, une dame ma contactée elle avait une note de
téléphone faramineuse avec appel en province et ma expliqué
quaprès investigation, elle avait découvert que son petit-fils, avec des copains,
avait composé un numéro du type 36 15 ou 36 69... et avait ainsi pu
entendre des propos obscènes et pornographiques. Je cite ce cas, car il nest pas
unique et Mme Gillot a tout à fait raison de dénoncer certaines publications qui
incitent les enfants à découvrir ce genre de choses.
La liberté de la presse et des médias est telle que nous ne pourrons
pas nous opposer à de tels abus. Sur Internet, on compte cinq mille passages de
pornographies enfantines par semaine ! En revanche, je pense quil y a,
effectivement, tout un travail de prévention à faire auprès des jeunes sur les droits
de lhomme, mais également sur les droits de lenfant, en faisant connaître
cette Convention.
M. Bernard LEMETTRE : Sagissant de repérer les jeunes à
risque, je dois vous dire que les travailleurs sociaux nont pas été formés pour
cela. A Tourcoing et à Lille, nous avons pu former, sur trois ans, cent travailleurs
pour chaque ville aux questions de la prostitution, à raison de sept jours par
travailleur social. Cest en formant les travailleurs sociaux que nous aurons des
résultats, car désormais ils disposent dun bagage, de connaissances leur
permettant daborder des situations où il y a un risque de prostitution.
La seule façon de lutter contre ce fléau est bien de prévenir, de
former, daider les personnes à comprendre, et de dispenser un langage nouveau.
M. le Président :
Madame, monsieur, je vous remercie de votre
présence et vous félicite du travail que vous faites.
Audition de M. Hubert BRIN,
Président de lUnion nationale des associations familiales
et de Mmes Chantal LEBATARD,
Responsable du secteur psycho-sociologie et droit des familles
et Monique SASSIER, Sous-directrice des études et actions politiques
(extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Hubert Brin, Mesdames Chantal Lebatard et Monique
Sassier sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, M. Hubert Brin, Mme Chantal Lebatard et Monique
Sassier prêtent serment.
M. le Président : Mesdames, monsieur, je propose que vous nous
présentiez un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions, étant observé
que vous pourrez nous faire parvenir, par écrit, dautres documents et informations.
M. Hubert BRIN : M. le Président, mesdames, messieurs les
députés, au nom de lUNAF, je voudrais dire que le premier droit de lenfant
est la famille. Il a le droit davoir une famille, le droit de bénéficier de bonnes
conditions pour son développement, à lespérance, à la confiance, et le droit de
devenir un adulte.
Je mettrai laccent, dans un premier temps, sur le fait que
lenfant a le droit dêtre élevé par ses deux parents. Dans la
complémentarité des sexes, quels que soient les aléas du couple. Effectivement, pour ce
qui nous concerne, au niveau de lUNAF, si nous navons pas à porter de
jugement sur le choix de vie des adultes, du couple lorsquil se sépare, en
revanche, nous affirmons régulièrement que lon ne peut pas divorcer de son enfant.
Sur cette question, se pose, pour de très nombreux enfants, la
question de la place du père. Il y a, sur ce sujet, une nécessité davancer dans
la réflexion concernant la place du père dans léducation de lenfant, quels
que soient les aléas du couple. Lenfant a droit à la durée dans la relation
familiale.
Bien évidemment les situations familiales, et notamment les situations
conjugales, font quelquefois lobjet de crises et cest bien dans ce sens-là
que nous mettons un accent particulier sur les aides à la fonction parentale et sur tout
ce qui touche la médiation familiale.
Denise Cacheux a dit en son temps : " lenfant a
droit à des parents quil puisse aimer et respecter ". Cela veut dire que
la fonction parentale doit être reconnue et soutenue, mais quelle doit aussi
pouvoir être relayée par lenvironnement familial. Dans ce sens, les relations
parents/enfants, grands-parents/petits-enfants nous paraissent tout à fait essentielles.
Ce qui veut dire également, par rapport à la reconnaissance et au
soutien de la fonction parentale, quil faut que les parents aient les moyens de
lexercer. Je ne reviendrai pas sur la question des moyens financiers ; nous
avons eu de nombreux débats en 1997 et nous en aurons en 1998 en ce qui concerne les
prestations familiales. Je voudrais surtout insister sur la question de lespace et
du logement. De trop nombreux enfants, notamment dans les banlieues, ont un espace
insuffisant pour pouvoir conduire leur vie denfant.
Environnement familial, environnement social, environnement favorable
au développement de lenfant, je voudrais ici mettre laccent sur tout ce qui
touche à la santé, avec notamment toutes les réflexions qui peuvent être conduites sur
les thèmes de la prévention, des soins, mettre laccent sur la PMI et la santé
scolaire.
De même, dans cet environnement, nous avons eu, ces derniers temps, un
certain nombre dinterventions autour de lhygiène alimentaire et du
financement des cantines scolaires.
Environnement favorable à lenfant, cela veut dire aussi un
environnement éducatif et culturel. Cela veut dire que les adultes doivent être des
médiateurs de culture. Je ninsisterai pas sur la question de léducation, de
lenseignement, en revanche, je soulignerai le fait que lenfant a le droit
dêtre aidé pour se construire dans sa liberté.
Or sur ce sujet-là, nous avons, aujourdhui, un certain nombre
dinquiétudes à légard des sectes, et des nouvelles technologies
dinformation et de communication, qui font lobjet dutilisation en
matière sexuelle.
Par ailleurs, lenfant a droit à la parole. Mais il nous semble
quil convient dêtre extrêmement attentif à ne pas faire porter à
lenfant les choix qui relèvent des devoirs des parents. Le droit à la parole est
un droit valable quelles que soient les situations, y compris lorsque nous sommes face à
des parents maltraitants.
Enfin, si le glissement vers le " tout
biologique ", par rapport à la filiation, à lenfant, est un phénomène
mondial, il nous semble que la résistance à ce " tout biologique "
est une spécificité française quil est nécessaire de conserver. Si lon dit
que lenfant a droit à ses parents, nous pouvons également dire quil a droit
à des parents et là il y a tous les débats autour de la génétique et des
procréations médicalement assistées.
En conclusion, je dirai que lUNAF est favorable à une extension
des droits de lenfant en tant que sujet de son enfance et non du droit à
lenfant en tant quobjet. André Comte-Sponville disait :
" Lenfant est dans sa famille, les familles sont des ports, des ports de
haute mer que lon quitte ". Or tout le débat autour de lenfant est
le suivant : comment faire en sorte que lenfant puisse, en adulte, quitter sa
famille ?
M. le Président : Le plus grand port français sappelant
le Havre ...
Mme Monique SASSIER : Juste un mot pour préciser les droits de
lenfant. Quand daventure, dans des situations extrêmes, un mineur doit être
incarcéré, les droits de lenfant doivent être respectés, notamment celui du lien
avec la famille aussi difficiles que soient ces liens. Il sagit
dune réflexion quil faudra avoir au long cours et la question se posera un
jour de savoir si lon peut encore, en France, incarcérer des mineurs, quand les
liens familiaux et sociaux ne peuvent pas être respectés.
Mme Dominique GILLOT : Je voudrais en préambule remercier les
représentants de lUNAF de léclairage mis sur la question quon leur
posait et aller un peu plus loin sur deux points. M. Brin, je souscris tout à fait à vos
propos lorsque vous dites que lenfant a droit à une enfance, à lespérance
et à devenir adulte. Jai souvent répété, au cours de nos auditions, que
lenfant a essentiellement des droits qui confèrent des obligations aux adultes qui
ont la responsabilité de le conduire vers lâge adulte, pour ainsi pouvoir quitter
sa famille en étant armé pour vivre lui-même son propre parcours.
Par ailleurs, vous avez bien situé la place du père. Il nous faudra
effectivement apporter des réponses sur la nécessité de maintenir à lenfant ses
deux parents, quels que soient les aléas du couple, comme vous le disiez. Cependant, je
souhaiterais connaître votre sentiment sur la place des beaux-parents. On assiste, en
effet, dans des familles reconstituées, à un substitut de limage du père qui est
quelquefois successif ou qui nest pas forcément choisi, ce qui peut poser des
difficultés dans le devenir de lenfant et les relations familiales.
Cela dit, il y a des revendications que nous devons entendre.
Lorsquune famille reconstituée exerce réellement ses responsabilités, il faut que
les parents nourriciers soient lun et lautre reconnus comme tels.
En outre, il est tout à fait vrai que lenfant ne doit pas porter
la responsabilité des choix qui sont faits par les parents. Or, nous avons tous
rencontré des cas où les enfants étaient manipulés par les adultes, leurs paroles
étaient interprétées en fonction de telle ou telle situation ou de telle ou telle
intention des adultes. Comment pouvons-nous à la fois garantir les droits des parties
intéressées et garantir le droit pour lenfant de rester en dehors des querelles
dadultes, en dehors de choix qui ne relèvent pas de son état de maturité ?
M. Hubert BRIN : Sagissant de la question des
beaux-parents, nous nous trouvons, avant tout, face à une situation de séparation et de
monoparentalité. Or un certain nombre didées sont actuellement émises sur le fait
que le mot " famille monoparentale " ne devrait pas exister
ce qui, biologiquement, est vrai. Néanmoins, il est important, avant
davancer sur ces questions, de bien rappeler que pour toutes ces femmes, qui ont
élevé seules leurs enfants, le fait dêtre reconnues comme une famille a été une
victoire.
Nous réglerons la question de la place du beau-père lorsque nous
aurons avancé sur celle de la place du père dans un couple séparé. Comme je lai
dit tout à lheure, si un enfant, pour se construire, a besoin de son père et de sa
mère, il a également besoin dun père et dune mère, en fonction des aléas
de la vie du couple.
Cela dit, il sagit davancer sur les droits qui peuvent
être reconnus au beau-père, car on ne peut ni lignorer ni lui dénier certains
droits, des devoirs aussi, à légard de lenfant. Aujourdhui, je
nai pas de proposition particulière à vous faire cette réflexion est
en cours , car, compte tenu de la diversité de lUNAF nous
regroupons également toutes les associations des familles monoparentales et des
veuves , cest un sujet extrêmement sensible.
Mme Chantal LEBATARD : Lintérêt de lenfant nous
sert de guide. Il y a dabord le fait quil a besoin de savoir de qui il est le
fils pour bien se situer dans sa relation avec ses deux parents. Cela étant, dans la vie
quotidienne, quand un adulte vient assumer, aux côtés de la mère, le partage de la
responsabilité parentale, il faut quil puisse aussi gérer ce partage et se sentir
à laise. Il est plus important pour lenfant, pour se construire, davoir
autour de lui des adultes qui se situent bien et qui assument un certain nombre de
responsabilités, que dêtre lotage dun conflit.
Cest à nous, adultes, dorganiser cette relation. Or des
outils, tels que la médiation, peuvent permettre au couple de gérer cette place du
beau-père et ce partage temporaire de responsabilité qui ne doit en rien occulter le
fait que lenfant reste toujours le fils de son père.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez évoqué la
résistance au " tout biologique " comme une spécificité française.
Jusquoù va-t-elle par rapport à laccouchement sous X ?
Aujourdhui, votre association privilégie-t-elle la loi, telle quelle existe
ou bien, sinscrit-elle dans le courant de pensée, apparemment majoritaire, qui dit
que lenfant a le droit de connaître ses origines donc ses père et
mère biologiques ?
Mme Chantal LEBATARD : Il y a eu, au sein de notre institution
les associations de foyers adoptifs sont également membres de notre
Union une forte réflexion sur ce sujet. La loi a organisé un certain nombre
de règles. Une ouverture nous a semblé intéressante concernant les possibilités qui
étaient données à la mère, lors dun accouchement sous X, de transmettre un
certain nombre déléments. Il sagit dune ouverture permettant de
respecter la mère dans la femme qui était contrainte de confier son enfant à un autre
foyer. La grandeur de ladoption est de donner à un enfant les parents dont il a
besoin. On sait en effet que les enfants dans cette situation sont recueillis par un autre
foyer et trouvent des parents de remplacement.
Cela étant dit, il y a également eu un débat concernant les
procréations médicalement assistées et le don de gamètes. Nous avons abouti à une
position non pas unanime mais majoritaire, le débat reste donc très ouvert. Lorsque nous
parlons de spécificité française, cest parce que nous voulons dire que la force
de lamour des parents qui accueillent lenfant peut laider à se
construire et à devenir adulte à son tour ; et cela nous semble plus important que
de savoir sil est génétiquement bien le fils de lun et lautre. Faut-il
risquer de réduire cette dimension essentielle de lamour qui doit permettre à
lenfant de se construire, à un déterminisme biologique qui nest pas non plus
sans risque ?
La situation peut évoluer, mais pour linstant les ouvertures qui
ont été faites vont dans le sens dun accompagnement des accouchements sous X et de
cet anonymat organisé, en le réduisant à ce qui peut permettre la protection non
seulement de la mère, mais également de la famille adoptante, tout en essayant
daménager le droit de lenfant à savoir de quelle histoire il est issu. Les
foyers adoptifs, chez nous, ont résolu cette question dune façon
harmonieuse ; nous connaissons très peu de cas où il y a eu des drames. La
dimension de lamour fonde nos histoires familiales, la " vérité
scientifique " risquerait de mettre en cause cette harmonie.
Mme Christine BOUTIN : M. le Rapporteur a posé la question
essentielle que je voulais poser, et même si votre réponse nest pas très
précise, je vous remercie davoir rappelé la position de lUNAF sur cette
question.
Je voudrais revenir sur la remarque de Mme Sassier sagissant du
problème de lincarcération des enfants et des conditions dans lesquelles cela se
passe. Il sagit là, M. le Président, dune question que nous
devrions également examiner. Les conditions dincarcération en France mériteraient
dêtre améliorées, nous le savons tous, mais en ce qui concerne les enfants, nous
ne pouvons pas faire léconomie de cela.
Quelle est la position de lUNAF en ce qui concerne la relation
grands-parents/petits-enfants ? Je suis très étonnée de constater que de nombreux
grands-parents, à la suite de léclatement de la famille de leur enfant, nont
plus aucun lien avec leurs petits-enfants, alors quils sont très demandeurs.
Mme Chantal LEBATARD : LUNAF a toujours dit que la famille
ne se réduisait pas à la simple relation temporaire parents/enfants, mais quelle
est une communauté qui dépasse cette relation et qui est donc une communauté
intergénérationnelle. La place des grands-parents doit donc être réaffirmée,
aujourdhui plus encore que jamais, car les enfants ont souvent des grands-parents,
mais également des arrière-grands-parents, et de ce fait, une transmission peut se faire
qui permet de se situer dans le temps et dans la durée ; prendre possession de son
histoire fait partie de son patrimoine et de ce que lon peut transmettre.
Je crois aussi quil peut y avoir, et on le voit dans les
situations matériellement difficiles, auprès des grands-parents, un appui à la fonction
parentale et un relais en cas de difficulté. Lexpérience prouve aux uns et aux
autres que, pour un enfant qui a quelquefois du mal à trouver un mode de relation à un
moment de sa vie avec ses parents, " le relais grands-parents " peut
constituer, au niveau affectif, un appui très solide. Les grands-parents peuvent
représenter, dans bien des cas, la stabilité dont les enfants ont besoin,
indépendamment des aides matérielles quils peuvent leur apporter ; il
sagit là de la traduction de ce lien très fort qui fait que la communauté
familiale ne se réduit pas exclusivement à la relation parents/enfants.
M. le Président : Monsieur, mesdames, je vous remercie de votre
présence et vous félicite pour ce que vous faites.
Audition de Mmes Francine de la GORCE,
Vice-présidente du mouvement ATD-Quart monde
et Isabelle DELIGNE, Responsable de la petite enfance
(extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars 1998
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER
Mesdames Francine de la Gorce et Isabelle Deligne sont introduites.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, Mmes Francine de la Gorce et Isabelle Deligne prêtent
serment.
Mme la Présidente : Mesdames, je propose que vous nous
présentiez un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
Mme Francine de la GORCE : Mme la Présidente, mesdames,
messieurs les députés, neuf ans après la Convention internationale des droits de
lenfant, quen est-il en France pour les enfants issus des milieux les plus
défavorisés ?
La Convention reconnaît quils ont le droit dêtre élevés
par leurs parents et ces derniers doivent avoir les moyens de les élever
cest ce que revendiquaient les enfants du quart-monde que nous avions
interrogés en 1979, lors de lannée internationale de lenfant. Cela nous
rappelle que la première protection de lenfant contre la misère consiste à donner
aux parents les moyens délever leurs enfants.
Plutôt que de multiplier les prises en charge institutionnelles
onéreuses, tant en argent quen souffrance humaine, ne faudrait-il pas rechercher
avec les parents tout ce qui pourrait les soutenir dans leurs responsabilités ? La
misère et les réponses à la misère tendent à disloquer les familles. Ainsi, lon
constate depuis plusieurs années, dans certains départements, une corrélation évidente
entre le nombre de placements denfants et la montée de la pauvreté.
Mme Anthonioz De Gaulle, chargée par le Conseil économique et social
détablir un rapport pour évaluer les politiques de lutte contre la pauvreté, a
constaté laugmentation du nombre de jeunes qui se trouvent à la rue. Cela est dû
non pas simplement à un changement des structures familiales, mais au fait que, dans les
familles les plus défavorisées, on na plus les moyens dassumer les jeunes.
Permettre aux enfants les plus démunis dêtre élevés par leurs
parents suppose une politique qui se donne pour objectif prioritaire de permettre à tout
citoyen dassumer ses responsabilités familiales et sociales, comme le décrivait le
rapport Wresinski établi pour le Conseil économique et social en 1987. Cela a été
également rappelé par les avis du CES et de la commission des droits de lhomme
lors de la réflexion sur la loi de cohésion sociale et jespère, par les prochains
avis sur la nouvelle loi annoncée hier par le Conseil des ministres. Une telle politique
comporte le respect des droits fondamentaux à la dignité, à la vie privée,
individuelle et familiale, à lexercice de la citoyenneté des parents ; elle
comporte aussi les sécurités de base nécessaires à la vie familiale
ressources, logement, protection de la santé , les moyens
davoir des ressources et donc, essentiellement, un travail.
Autre point important : laccès et la participation aux
moyens du développement : éducation, instruction, culture, loisirs, sports,
vacances, qualification professionnelle. Enfin, les moyens de participation et de
représentation face à la justice, dans la vie associative, civique et politique.
Le temps nous manque pour développer tous ces droits, je ne le ferai
donc pas et je donnerai simplement quelques " flashes " pour montrer
à quel point ils concernent les enfants.
Ainsi, des enfants vivent encore aujourdhui le drame des
expulsions, voient leurs parents traités comme des malfaiteurs on a vu, par
exemple, un homme emmené avec des menottes parce quil avait branché son compteur
électrique qui avait été coupé sur celui de son voisin et les objets de
leur cadre quotidien honteusement étalés sur le trottoir au moment de lexpulsion.
Dautres enfants sont victimes du feu dans les caravanes ou les
taudis. Ces dernières années, on a beaucoup parlé du saturnisme qui frappe les enfants
habitant dans des chambres dhôtel ou dans des habitats vétustes. On connaît aussi
le cas denfants qui sont placés, parce que lon ne trouve pas de solution pour
reloger leur famille.
En ce qui concerne laccès à linstruction et à la
culture, le rapport Wresinski faisait état de limportance de lécole
maternelle pour lutter contre léchec scolaire. Le mouvement ATD-Quart monde a
beaucoup expérimenté, depuis les années soixante, ce que nous appelons les pré-écoles
familiales à domicile ou en collectif, pour permettre aux parents de développer leur
capacité déducateur Mme Deligne avait, ainsi, créé un club des
bébés à Reims.
Contrairement à ce que lon pourrait croire, il existe encore des
enfants qui ne sont pas inscrits à lécole ou qui ny vont pas, pour
différentes raisons : le manque de justification de domicile, pour les sans-papiers,
les squatters ou les gens du voyage qui se sont sédentarisés dans des habitats
précaires ; linadéquation des méthodes denseignement. Nous avons fait,
par exemple, un effort énorme auprès dune population issue du voyage pour les
scolariser, et il y a eu beaucoup de bonne volonté de la part des enseignants et des
parents. Mais quand ces enfants se sont retrouvés à lécole, lenseignement
nétait pas adapté à leur mode dintelligence.
Les autres raisons sont les suivantes : la discrimination, les
humiliations dues au langage différent, aux vêtements, aux conditions de vie
lorsquon na pas deau il est très difficile de se présenter
propre à lécole et aux expériences de vie différentes qui ne
trouvent pas décho auprès des autres enfants et auprès des enseignants. Enfin, il
y a la difficulté du dialogue entre les parents et les enseignants.
Dans le domaine de léducation nationale, il reste encore
beaucoup à faire, malgré de grands progrès évidemment je mets
laccent sur ce qui ne va pas, et je ne parle pas de ce qui fonctionne.
Je soulignerai également le manque de proximité et de moyens
daccès aux lieux de culture et de création artistique et artisanale. Les plus
pauvres ne cessent de nous répéter à quel point ils ont soif de beauté et de
création, qui sont parfois pour eux le seul moyen de surmonter les échecs et les
humiliations connus par ailleurs.
Enfin, le mouvement a mis au point, depuis 1970, un programme de
politique globale à travers ce que nous appelons les cités de promotion familiales et
sociales. Il y en a eu plusieurs en région parisienne et en province. La loi relative aux
centres dhébergement a été modifiée en novembre 1974 pour permettre la
reconnaissance de ces cités. Malheureusement, elles nont jamais été développées
en tant que telles, ni même en tant quactions en milieu ouvert, et les lignes
budgétaires qui les concernaient ont disparu peu à peu, parce que ces cités de
promotion familiales et sociales nont pas été reconnues comme instruments de
laide sociale à lenfance.
Jen viens maintenant à la deuxième partie de mon intervention,
relative à lévaluation des lois et des pratiques concernant laide à
lenfance.
La plus grande souffrance des familles vivant en situation de grande
pauvreté reste, encore aujourdhui, le retrait de leurs enfants. Retraits qui
interviennent encore trop souvent à la suite dinterventions abusives, voire
illégales on retire lenfant et on passe devant le juge après pour
faire entériner le placement, par exemple.
Les parents souffrent également de la non prise en compte de leur
parole ou de leurs efforts pour maintenir les relations une fois que les enfants sont
placés. Couramment des frères et des soeurs sont dispersés, sans possibilité de
maintenir des liens entre eux et avec des visites de parents extrêmement
problématiques, car ils nont pas de moyens de transport individuels. Enfin, le
retour des enfants est très mal préparé, alors quil demanderait au moins autant
de soin que le retrait préparation avec les parents, les enfants et les
personne ou institution daccueil. Cela éviterait des ruptures violentes dans la vie
de lenfant et une quantité de souffrances inutiles.
Lorsque lEtat sest substitué durablement aux parents,
brisant par là-même les solidarités naturelles de la famille, il semble que les jeunes,
lorsquils deviennent majeurs, sont parfois renvoyés à lautonomie sans avoir
reçu les moyens dune insertion dans la vie active ; et on retrouve beaucoup de
ces jeunes à la rue.
Des lois ont été mises en place, notamment la loi de juin 1984
relative à la protection de lenfance qui reconnaît, entre autres, aux parents le
droit dêtre considérés comme des usagers de laide sociale à
lenfance. Je citerai également la loi de janvier 1986 qui remet à jour le rôle du
juge des enfants et la nécessité de réévaluer chaque dossier tous les deux ans.
Il serait utile dévaluer aujourdhui lefficacité de ces lois, qui
étaient bien conçues, mais dont on ne sait pas toujours quelle application en a été
faite.
Lautre loi dont il faudrait également évaluer les effets est
celle relative à la prévention des mauvais traitements. Dans la cité de promotion
familiale de Noisy-le-Grand, où nous accueillons trente-deux familles, en 1996 un quart
de ces familles, cest-à-dire huit sur trente-deux, étaient, avant dentrer
dans la cité, poursuivies pour abus sexuels ou mauvais traitements. Or, peu après leur
entrée dans la cité, les poursuites se sont avérées non fondées pour trois de ces
huit familles.
Il est vrai que la misère peut augmenter les risques de mauvais
traitements ou dabus sexuels, notamment à cause de lisolement social, de la
promiscuité et parfois aussi à cause de la déchéance humaine engendrée par la
misère. Mais il est certain que les familles en situation de grande pauvreté sont plus
vulnérables que les autres aux contrôles sociaux et nont pas de moyens de
défense. Ce manque de parole et de défense existe aussi face au juge.
Dans la Convention des droits de lenfant, il est demandé que les
enfants soient dotés de moyens de défense, et un effort considérable a été fait pour
former des avocats dans ce sens. Malheureusement, les parents de milieux très démunis se
trouvent encore aujourdhui très souvent sans aucun moyen dêtre défendus ou
représentés, notamment en ce qui concerne le retrait des enfants. Les familles du quart
monde continuent de faire lobjet de retraits sans avoir été entendues par le juge
ou sans quun dialogue ait pu sinstaurer, en labsence de médiateur,
davocat ou dassociations.
Troisième thème de mon intervention déjà évoqué il y a quelques
années par le Conseil supérieur de ladoption : le droit, pour tous les
enfants, de connaître leurs origines et leur histoire.
Sagissant des enfants nés sous X et des enfants adoptés après
avoir été reconnus par leurs parents, nous avions préconisé quune instance
suprême puisse être détentrice du secret on ne peut pas aller à
lencontre du droit des femmes à accoucher dans lanonymat et
puisse le lever si, par la suite, la mère et lenfant ont le désir de retrouver
leurs racines communes. Actuellement, ce nest pas possible.
Par ailleurs, lorsque les enfants ne sont pas nés sous X et
quils ont été reconnus par les parents, les DDASS ont les moyens de faire accéder
les enfants à leur histoire. Mais dans la pratique, quen est-il exactement ?
Cela mériterait aussi dêtre évalué. Je voudrais préciser que lorsque je parle
de " droit à son histoire ", ce nest pas simplement droit à
son patrimoine génétique, qui na rien à voir avec une histoire. Chaque enfant a
besoin de savoir quil na pas été rejeté dès la naissance. Cest une
souffrance épouvantable de penser que lon na pas été désiré. Il na
peut-être pas besoin de rencontrer ses parents dorigine, mais il a besoin de savoir
que ce sont les circonstances qui ont fait que ses parents nont pas été en mesure
de lélever et quen renonçant à le garder, ils ont eu un geste damour,
et non un geste de rejet et de mépris. Toute la vie des jeunes est changée quand ils
savent quils nont pas été mal aimés avant leur naissance.
Je voudrais en venir aux abus en la matière. Je ne suis pas totalement
sûre de ce que javance, mais une des femmes accueillies dans la cité de
Noisy-le-Grand lannée dernière, aurait fait des démarches pour renoncer à son
enfant après laccouchement, tout en voulant le reconnaître. Cependant, il semble
quelle ait été incitée à accoucher sous X
probablement parce que ladoption est plus rapide dans ce cas. Il serait
nécessaire de vérifier sil y a des abus de lutilisation de
laccouchement sous X.
En revanche, ce dont je suis sûre car nous avons dû
parfois porter plainte , cest quil existe des pressions, des abus
de pouvoir de la part de certaines personnes de la DDASS pour changer de familles des
enfants qui ont été placés tout jeunes, de façon que les parents perdent leur adresse
et ne puissent plus se manifester pendant un an ce qui rend les enfants
adoptables.
Il y a également des pressions faites sur les femmes très démunies
pour les inciter à avorter, voire à accepter une stérilisation. Nous avons même
rencontré des situations de véritables chantages, où la stérilisation était une
condition pour rendre des enfants placés ou pour obtenir un logement.
Dans tous ces domaines, il est évident que les parents très démunis
sont particulièrement vulnérables et ne veulent pas toujours aller en justice. Il semble
donc nécessaire que des mouvements, tels que ATD-Quart monde, puissent se porter parties
civiles et les relayer pour présenter leur cause en justice.
Je conclurai en rappelant que la véritable urgence de la misère
réside dans les enfants. Ce quils endurent pendant les premières années de leur
vie les marque à tout jamais et les années perdues sont irrattrapables. Un enfant qui a
vécu une expulsion, qui voit ses parents soupçonnés de négligence ou de mauvais
traitements, se forge une idée de la société menaçante et intrusive. Il apprend, avant
la maternelle, à mentir, à dissimuler pour protéger les siens. Et quand il deviendra
parent à son tour, il naura aucune sécurité. La seule image de référence sera
celle de léchec de ses parents. Il aura bien du mal à sortir de ce quil est
convenu dappeler " la reproduction de la misère dune génération
à lautre ". Bien sûr, cela est dramatique pour lui et ses enfants, mais
cest très grave aussi pour une société qui naurait rien fait pour briser ce
cercle vicieux, alors quaujourdhui elle en a conscience et en a les moyens.
M. Gaëtan GORCE : Je voudrais tout dabord revenir sur les
propos de Mme Moirin, lorsquelle a fait allusion à des associations qui présentent
un certain nombre de caractéristiques. Je comprends quelle ne veuille pas citer de
noms en public, mais il entre dans les attributions de notre commission de recevoir sa
déclaration, si elle a des exemples précis à donner. Il serait intéressant de lui
demander de quelles associations il sagit et quels éléments de preuve elle
détient sur ces structures.
Je reviens maintenant aux propos de Mme de la Gorce pour soulever un
certain nombre de points, notamment sur lexercice concret des droits des enfants.
Par exemple, le droit à la santé et à léducation. Ce que lon entend, de la
part de personnes de terrain, cest linsuffisance criante des moyens en la
matière. Lorsque nous avons reçu les membres de lUNAF, tout à lheure, on a
évidemment évoqué le problème de la famille, problème qui doit être posé avec
beaucoup de précautions. En effet, très souvent, on a tendance à dire dans ces débats,
que la famille se décharge sur la société de ses responsabilités. Mais lorsque des
familles sont confrontées à des difficultés sociales, au chômage, à une perte de
repères, comment peut-on leur reprocher directement les difficultés quelles ont à
donner des repères à leurs propres enfants ?
Ce que notent souvent les enseignants, au-delà de la maltraitance,
cest cette perte de repères, de références, qui est frappante chez de très
jeunes enfants, et pour laquelle la famille ne peut pas apporter la réponse et la
société nest pas forcément organisée pour la remplacer. Les moyens sont très
insuffisants. On connaît la difficulté à faire intervenir un psychiatre ou un
psychologue en milieu scolaire ; on connaît la difficulté à faire intervenir un
spécialiste pour faire face à un problème auditif ou de comportement. Et quand les
moyens existent, cest parfois les moyens de fonctionnement qui ne suivent pas.
Jai été confronté à une situation où les psychiatres navaient pas les
moyens de payer leurs frais de déplacement. Il faut donc, si lon affiche des
postes, que les moyens budgétaires suivent.
On évoquait également le droit à la parole des enfants. Mais
écoute-t-on vraiment lenfant dans cette situation ? Lorsquun enfant a
été placé et quon le rend ensuite à sa famille, la décision a été prise par
un juge, de façon souveraine, sans quil soit obligé de consulter et a fortiori de
tenir compte de lavis de ceux qui ont suivi lenfant dans la famille de
placement, de la famille de placement elle-même et encore moins de celui de
lenfant.
Ensuite, quel est le suivi réellement effectué lorsque lenfant
a été placé puis remis dans la famille, ce qui est une solution souhaitable ? On
soccupera de lenfant seulement sil y a un nouveau signalement. La
famille daccueil nest plus informée de la situation de lenfant,
na plus de contact, et si des problèmes surviennent, ce sera à travers un
signalement.
Cela veut dire que dans le contexte législatif dans lequel nous
débattons de ces questions, nous devrons établir un lien entre le débat que nous allons
engager sur lexclusion et un certain nombre de questions que nous abordons dans
cette commission.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Le mouvement ATD-Quart monde a
souvent dénoncé des recours abusifs au placement, en cas de difficultés dans une
famille. Un certain nombre des personnes que nous avons auditionnées ont évoqué ce
problème, quelquefois pour regretter le " dogme du maintien dans la famille
naturelle ". Je souhaiterais donc que vous précisiez votre opinion à ce sujet.
Estimez-vous que le maintien dans la famille dorigine doit être la solution
préférable en matière de protection de lenfant ? Reconnaissez-vous, que dans
un certain nombre de cas, cette solution doit être écartée ?
M. Alain NERI : Lorsquon parle des droits de
lenfant, des droits de la famille, on sait que linfluence du milieu est
prépondérante dans lévolution dun enfant ; tout le monde sait que,
selon lenvironnement familial, certains ont plus de chance que dautres de
bénéficier dune éducation et daboutir à des résultats, à un
développement normal.
Il est vrai que si la solution idéale est que lenfant reste dans
sa famille, notre mission etant daider la famille à jouer son rôle social avec
toutes les institutions. Mais je minterroge lorsque vous dites que, quelquefois,
lenfant est retiré trop vite de sa famille dorigine. Evidemment, cela doit
être fait avec beaucoup de précautions, mais dans certains cas, lorsquil y a un
réel danger une loi prévoit cette hypothèse lurgence, un
placement en urgence est nécessaire. Cette loi précise que lenfant est en danger
lorsque sa santé, sa moralité ou son éducation est compromise.
Jai eu à vivre des exemples précis je me suis
occupé denfants inadaptés où, effectivement, bien que le rôle de la
famille et de lenvironnement soit irremplaçable, il fallait aller vite et où un
placement rapide était la seule façon de limiter les dégâts, quitte, ensuite, à
prendre des mesures daccompagnement.
Mme Francine de la GORCE : Je répondrai tout dabord à la
dernière question, car elle me paraît fondamentale et justifie presque lexistence
de notre mouvement.
Jai écrit, en 1984, un livre sur ce que les plus pauvres nous
apprennent sur la famille, ce qui ma poussée à faire des recherches. Jy ai
découvert que la notion denfance en danger, denfance délinquante, est une
notion qui remonte au siècle dernier, même si nous pourrions la faire remonter à
Molière : " qui veut noyer son chien, laccuse de la
rage ". On trouve toujours de bonnes raisons pour pratiquer telle ou telle
intervention.
Nous avons constaté, en quarante ans de vie avec les populations
extrêmement démunies, que lorsquon donne les moyens aux familles délever
leurs enfants, tous les dangers dont vous parlez, M. le député, qui sont réels, sont
contrebalancés par les forces du milieu.
Je suis arrivée dans la cité de Noisy-le-Grand en 1960, jai
donc connu deux générations les enfants que jai connus sont devenus
parents, et même parfois grands-parents. Or jai connu des enfants qui sont devenus
des parents capables. Pourtant, un tiers des adultes, à mon arrivée, venait de
lassistance publique, cest-à-dire que la solution du placement avait déjà
été utilisée. On avait déraciné ces personnes de leurs familles, parce quelles
étaient trop pauvres, et pourtant, elles nont pas été arrachées à la misère.
M. Alain NERI : Je parlais des placements définitifs. Car, bien
sûr, il est indispensable daider les familles en situation difficile pour
quelles puissent, ensuite, de nouveau accueillir leurs enfants.
Mme Francine de la GORCE : Mais je lavais compris ainsi.
Je voulais simplement préciser quhistoriquement des générations successives
avaient été coupées de leurs racines, parce que lon navait pas
dautres solutions, et que lon sétait aperçu depuis quil ne
sagissait pas forcément dune solution valable.
Cela dit, il est vrai que, dans certaines situations, nous pensons que
lenfant doit être enlevé à sa famille temporairement ou même pour un temps assez
long, parce quil y a des parents pervers. Mais cest tout de même
lexception. Jai connu des milliers de familles et je nai vraiment eu
peur pour lenfant quune dizaine de fois dailleurs, nous
avons demandé, pour ces cas, une intervention du juge.
Ce qui est très courant, cest que les personnes se trouvent dans
une situation de crise momentanée, de désarroi, par exemple après un accouchement, et
aient besoin, pour un temps, de trouver un relais pour assumer leurs responsabilités
parentales. Il y a également des situations dabandon ou de violence dues au
chômage et à lhumiliation des hommes qui se réfugient dans lalcool ou
sen vont. Car les familles monoparentales ne proviennent pas seulement dun
changement de vie conjugale, mais sont souvent dues à la trop grande honte des hommes qui
ne peuvent assumer leurs responsabilités. Ces situations de danger peuvent être parées
lorsquon peut aller à la rencontre des familles, lorsquon sengage avec
elles dune façon ou dune autre.
Il mest arrivé, lorsque jétais responsable dune
cité de promotion familiale, de pouvoir maintenir un nouveau-né dans sa famille, parce
que, tous les jours, une infirmière allait réveiller les parents pour quils
donnent un biberon à leur enfant. Ils avaient une capacité à aimer cet enfant, mais ils
navaient rien à la maison et avaient eux-mêmes faim. Mais trois ans après,
lorsquils ont quitté la cité, ils étaient toujours incapables dassumer
leurs responsabilités et on leur a retiré leur enfant. Cest un cas où je vous
rejoins.
Enfin, M. Gorce, je crois quavant dévoquer le manque de
moyens, il convient de parler du manque de formation des intervenants.
Mme Isabelle DELIGNE : Le manque de moyens existe cependant, il
est réel, et trop souvent on imagine des solutions que lon ne peut pas mettre en
place parce que les moyens ne suivent pas. Mais des moyens donnés ne suffisent pas.
Jexerce actuellement en tant que médecin en PMI, je travaille
donc dans des consultations de nourrissons dans les quartiers et en lien avec des écoles
maternelles. Quand nous, professionnels, pensons que lenfant a besoin dun
orthophoniste, dun psychologue, il ny a aucune garantie que cela va marcher
avec la famille si elle ne peut quaccepter ou refuser. Ce que les professionnels
savent le moins bien faire, cest se mettre en état recherche avec la famille pour
déterminer les besoins de lenfant et ce que chacun peut lui apporter. Je ne leur
fais là aucun reproche, car je suis confrontée depuis quinze ans à des familles très
pauvres, et, jai, au début, eu limpression darriver dans un milieu que
je ne connaissais pas du tout.
Cest la raison pour laquelle je comprends très bien que
lorsquon ne connaît pas les familles, il est difficile davoir un dialogue
franc et de ne pas se cacher derrière de faux prétextes. Il est difficile de parler de
ce qui nous inquiète et découter, réellement, ce qui les inquiète. Il est donc
important de former les professionnels à ce dialogue, à une connaissance des conditions
de vie de ces personnes et, avec les parents, de bien comprendre la place de lenfant
dans la famille. Il ne suffit pas de prévoir certains moyens en faveur denfants
très pauvres, il faut rechercher avec les parents ce qui leur semble utile et inventer
ensemble.
Lenfant doit apprendre à penser par lui-même et
cest tout le rôle de lécole. Cest-à-dire non pas à penser dune
manière isolée ou contre sa famille, mais à penser en osant parler avec dautres
à partir de lexpérience propre de chacun. Ce qui est un pari lorsquon a une
expérience de vie non reconnue là encore, cest le rôle des
enseignants.
M. Alain NERI : Il ne faut pas chercher de fausses réponses.
Dire que lon na pas les moyens est une solution de facilité, vous avez
raison. Mais la grande difficulté, cest la capacité découte de certains
professionnels notamment chez les enseignants qui sont directement confrontés
aux problèmes des enfants et la capacité de pénétrer et dêtre
accepté dans ce milieu.
Mme Francine de la GORCE : Je voudrais encore aller plus loin et
dire que la volonté politique de léducation nationale est également très
importante. Car il y a des enseignants qui ont cette capacité découte et qui
inventent des solutions. Je peux vous citer au moins deux exemples, lun à
Marseille, avec des enfants gitans, et lautre à Angers, où a été établi un
programme préscolaire qui a ensuite débouché sur la maternelle.
A Angers, alors quil y avait treize ou quatorze classes de
maternelle dans une école, le directeur avait embauché un enseignant supplémentaire
pour aller à la rencontre des parents dans le quartier ; cela a donné des
résultats extraordinaires, car les parents se sentaient considérés. Ils avaient peur de
venir vers lécole et lécole est venue vers eux.
A Marseille, dans une cité où la majorité des enfants étaient
dorigine gitane, la directrice, avant douvrir son école, a fait le tour de
tous les parents pour leur expliquer ce quétait lécole. En effet, pour des
Gitans, lécole fait peur, car ils sont issus dune culture non écrite et
pensent que lon va prendre lâme de leurs enfants. A partir du moment où les
parents se sont mobilisés, parce quils ont compris que cétait une chance
pour sortir de la misère, leur volonté de soutenir leurs enfants a remplacé ce que
dautres fournissent par un support culturel.
Malheureusement, de tels efforts ne sont pas soutenus au niveau
national, ils ne sont pas repris comme modèles à suivre et ne débouchent sur aucun
changement des structures.
Mme la Présidente : Et cest sans doute extrêmement
frustrant pour vous de voir que de telles expériences ponctuelles, qui ont du succès, ne
sont pas reprises.
Mesdames, je vous remercie de votre présence, de la qualité de vos
propos et vous félicite pour le travail que vous effectuez au quotidien.
Audition de Mme Monique Dagnaud,
Membre du Conseil supérieur de laudiovisuel (CSA)
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Monique Dagnaud est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation
du Président, Mme Monique Dagnaud prête serment.
M. le Président : Madame, je propose que vous nous
présentiez un exposé liminaire dune dizaine de minutes, puis nous vous poserons
des questions.
Mme Monique DAGNAUD : M. le Président, jai choisi de
traiter de la question de la culture de lécran telle quelle est pratiquée
par les enfants et les adolescents.
La pratique des écrans remplit une part croissante du temps de loisirs
des enfants et des adolescents. De nombreuses études tentent de cerner cette
transformation et den saisir limportance et les implications. Une des
questions lancinantes de ces travaux concerne laptitude de la télévision et des
jeux vidéo à susciter des comportements dagressivité ou de déviance chez les
adolescents ou les pré-adolescents. Et plus généralement, on peut sinterroger sur
la culture, sur le mode de représentation et le mode de construction mentale que
développe cet usage intensif des écrans.
Je tenterai donc dapporter des réponses à ces deux questions et
je ferai un certain nombre de propositions pour une évolution législative en ce domaine.
Premièrement, la place des écrans dans le temps de loisirs des
enfants.
Le temps consacré à la télévision est en état de stagnation ;
les enfants lui consacrent en moyenne deux heures par jour alors que les
adultes la regardent trois heures par jour. En outre, ce temps consacré à regarder
la télévision régresse légèrement dannée en année. Il y a deux chiffres plus
spectaculaires : 30 % des enfants disposent dun récepteur dans leur
chambre et 10 % passent plus de quatre heures par jour devant leur télévision.
Enfin, lon peut noter que la plupart du temps les enfants sont
seuls devant la télévision pour 80 % dentre eux dans la journée.
Le soir, même si les parents sont présents dans lappartement, un quart des enfants
se retrouvent seuls devant leur écran.
Si la présence des enfants devant la télévision stagne, la pratique
dautres écrans prend de lampleur. Dabord celle de
lordinateur : 30 à 40 % des jeunes ont un micro-ordinateur à leur
disposition. Mais de fortes disparités sociales existent : 14% des enfants
douvriers ont un ordinateur à leur disposition contre 47 % des enfants des
cadres. Par ailleurs, 57 % des jeunes ont une console de jeux et seulement 3 %
des ménages sont abonnés à lInternet.
On saperçoit, cependant, que la pratique de ces nouveaux écrans
nest pas tellement développée, puisque parmi les onze/dix-neuf ans, 17 %
utilisent un ordinateur et 21 % disent utiliser une console de jeux plusieurs fois
par semaine, ce qui est peu.
Ce que lon observe, dans lutilisation de ce type
décran ordinateur ou jeu vidéo , cest le
développement dune pratique " doverdose ". Il existe des
consommateurs frénétiques de jeux vidéo. Leur nombre, si lon se réfère aux
travaux de M. Le Diberder
grand spécialiste des jeux vidéo est estimé à quarante mille
ou cinquante mille enfants.
En ce qui concerne la pratique de ces nouveaux écrans, deux autres
éléments sont à noter. Dabord lutilisation des écrans dordinateur,
jeux vidéo et CD Rom est une pratique presque exclusivement dordre ludique :
80 % des CD Rom vendus sont des jeux. Il convient donc de rejeter lidée selon
laquelle la pratique de ces écrans a une part pédagogique. Ensuite, les jeux vidéo ne
sont utilisés pratiquement que par les jeunes garçons.
A propos de ces quelques données, nous devons relever un aspect propre
aux médias électroniques, je veux parler de lexistence de pratiques
doverdose. Ce sont ces pratiques qui engendrent les troubles les plus graves dont on
accuse les médias la dérive vers un monde virtuel, la perte du sens du
réel, la perte de repères, les troubles de la personnalité et le développement de
lagressivité. Pour opposer cette pratique à celle de la lecture, on parle très
rarement doverdose de lecture, et en tout état de cause, elle ne conduit pas à des
écueils aussi dangereux, sauf chez Madame Bovary.
Première question : la télévision et les jeux vidéo
expliquent-ils le développement de la délinquance des jeunes ?
Evidemment, on ne peut pas nier que ces médias promeuvent une vision
de la société, des modèles de comportement, des valeurs, des messages et des
représentations symboliques. En la matière, les jeux vidéo, qui impliquent une
interaction avec les images
et souvent sur un mode agressif , sont encore plus suspects que la
télévision de conditionner des comportements.
Mais cest une chose dimiter ses héros préférés dans la
cour de lécole, cela en est une autre de passer à lacte, de transgresser les
normes et commettre des délits. Le passage à lacte délinquant agressif dépend
dabord de facteurs extérieurs aux médias audiovisuels. Même les chercheurs les
plus enclins à dénoncer le déterminisme technologique des médias électroniques sur la
culture et les comportements admettent que, dans les passages à lacte,
lenvironnement social, culturel et familial compte autant, sinon plus, que
limpact des images animées.
Autrement dit, en désignant souvent la télévision et les jeux vidéo
comme éléments moteurs du passage à lacte, on désigne des boucs émissaires,
même sil ne faut pas nier quils constituent des supports pour ce genre de
comportements ; bien entendu, cela ne
doit pas dédouaner les opérateurs de télévision ou les éditeurs de jeux vidéo de
leur responsabilité. Cependant, il convient avant tout dincriminer la précarité,
le chômage, le fait que de nombreuses familles sont déboussolées devant des
adolescents. Et la télévision ne doit pas faire de surenchère dans la diffusion
dimages de violence et surtout dimages de violence gratuite.
Plus important me semble-t-il est la culture de lécran,
cest-à-dire ce quengendre ce développement des pratiques de lécran
comme type de pratiques et de représentation du monde. Nous devons prendre au sérieux
les effets des médias électroniques dans lapprentissage du monde et des savoirs,
et donc dans la construction des âges de lenfance et de ladolescence, ainsi
que les recherches mettant en lumière la construction dune culture spécifique
liée à cette pratique des écrans.
Les écrans, et la télévision en particulier, permettent à
lenfant daccéder à une multitude dinformations et de connaissances
qui, autrefois, lui étaient progressivement délivrées par la famille et par
lécole selon un parcours bien défini. Dans lenseignement et
léducation traditionnels à chaque âge correspond un niveau de savoir, un niveau
dimmixtion dans le monde des adultes.
Alors que lécrit organise un acheminement lent dans le domaine
de la connaissance et lapprentissage du monde, lécran fonctionne de façon
tout à fait différente et plonge demblée, et souvent sans précaution,
lenfant dans lunivers des grands ; 75% des programmes regardés par les
enfants sont des programmes pour adultes. Or ce processus est lourd de
conséquences : lenfant pénètre très tôt dans lunivers des grands,
dans sa complexité, dans ses tricheries, dans son intimité. Il démystifie vite un
contexte dont, autrefois, ses parents tentaient de le protéger et que parfois ils
cherchaient à idéaliser. La culture de lécran bouscule donc les barrières
générationnelles. Lenfant porte un regard plus critique sur sa famille et se croit
davantage autorisé à se comporter en adulte, puisquun même modèle de
comportement est proposé à tous et pour tous les âges. Lexercice de
lautorité parentale peut sen trouver affaibli.
Plus généralement, la culture qui est proposée par la vidéosphère
soppose à celle promue par lécole : lInternet, les jeux vidéo,
la télévision interactive induisent lenfant dans un monde ouvert à
dinfinies possibilités, un monde qui semble ne comporter aucun interdit.
Laccès aux connaissances seffectue rapidement et selon un processus intuitif.
Le système scolaire est, quant à lui, jalonné de règles à
apprendre et à respecter et en particulier le respect de lautorité des
enseignants. Les apprentissages seffectuent avec une certaine lenteur et sur un mode
inductif/déductif. De ce fait, un certain nombre denfants, qui sont dans cette
culture de lécran, se trouvent en décalage avec la culture proposée par
lécole. Ces jeunes adeptes sennuient à lécole, rejettent son
fonctionnement et le type de culture qui y est proposée.
Jajouterai que les services que lon peut trouver sur
lInternet et les jeux vidéo sont le plus souvent élaborés avec des images de
synthèse, ce qui accentue encore les possibilités de confusion entre le réel et
limaginaire. LInternet et les produits " off line " ne
sinscrivent donc pas de façon aussi naturelle et complémentaire quon peut
limaginer dans le prolongement de léducation scolaire.
Telles sont les analyses que je voulais vous présenter, je ferai
maintenant des propositions.
Premièrement, en ce qui concerne la télévision.
La télévision est, en fait, très réglementée. Le CSA a pris tout
un ensemble de mesures, que vous connaissez, pour la protection de lenfance ;
la mesure la plus connue est la signalétique, dont lefficacité est
aujourdhui prouvée. En effet, on saperçoit que lécoute par les
enfants des téléfilms ou films violents a diminué de 35 % en un an. On peut donc
mesurer lefficacité de cette signalétique. Aujourdhui, nous sommes en train
de discuter avec les opérateurs de télévision, afin de laméliorer. Donc, sur
lensemble des média traditionnels, lenfant est assez bien protégé.
Par ailleurs, il convient de continuer à nous battre en faveur de la
diffusion de programmes nationaux ou européens : je rappelle que 80 % des films
violents sont des films américains. Il est donc évident que le combat contre la violence
à lécran rejoint celui en faveur de lexception culturelle.
Pour ce qui concerne lInternet et les produits multimédias, on
est tout à fait dans un autre monde, car il sagit de secteurs qui, contrairement à
laudiovisuel, ne sont pas protégés ; ce sont des biens qui circulent selon
les dispositions légales classiques applicables au commerce. Les jeux vidéo et les
cassettes, en dehors des films cinématographiques, ne sont pas soumis à une obligation
détiquetage en fonction des tranches dâge, ni à déventuelles
interdictions de vente aux mineurs. Je suggère donc aux législateurs denvisager
des mesures plus précises calquées sur celles de laudiovisuel, pour ce qui
concerne la classification et la vente de ces produits multimédias.
Sagissant de lInternet, le CSA a élaboré une analyse
juridique transmise au Gouvernement , dont je vous laisserai une
copie. Sans entrer dans le détail de ces propositions qui posent de possibles fondements
pour réglementer lInternet, jen indiquerai lesprit.
Etant donné que ce qui circule sur Internet relève soit des
télécommunications soit de laudiovisuel, il semblerait possible de ne pas créer
une catégorie juridique particulière mais dadapter le système réglementaire
propre à ces deux types de services, en sinspirant notamment de ce qui figure dans
la loi sur laudiovisuel et qui renvoie au régime du droit sur la presse : un
régime déclaratif, la responsabilité pénale de léditeur de services, la
responsabilité civile et pénale en cas datteintes à la personne et la protection
des mineurs.
Faciliter laccès à lInternet dans les écoles
permettrait, évidemment, de réduire les disparités sociales très importantes. Il
semblerait que le Ministre de léconomie ait annoncé sa décision dhomologuer
le tarif préférentiel proposé par France Télécom pour laccès aux
établissements scolaires. Il sagit là dune mesure tout à fait souhaitable.
Une autre voie juridique avait été proposée. Elle présentait, me
semble-t-il, plus de sécurité, je veux parler de lidée dinscrire
lacheminement de lInternet vers les écoles dans le service universel des
télécommunications. Mais, cette proposition na pas été acceptée par la
commission européenne. Cependant, il sagissait dune orientation souhaitable
dans la mesure où tous les pays vont être confrontés à cette question de lusage
de lInternet et donc de son usage dans les écoles.
Pour lInternet et les produits multimédias, il serait
souhaitable de mettre en place une direction des industries de limage qui soit
rattachée au ministère de lindustrie. Il sagit, en effet, de lun des
moyens de maîtriser les effets de la culture de lécran et davoir notre
propre production nationale en la matière. Or la chaîne qui va de laudiovisuel, au
CD Rom et des jeux vidéo et à lInternet est, en fait, complètement dominée
par lindustrie américaine et les représentations symboliques quelle diffuse.
Telles sont mes propositions pour réglementer lInternet et les
produits multimédias.
Sagissant de lécole, compte tenu des analyses que
jai présentées tout à lheure, je pense quil faut y faire entrer la
vidéosphère, tout en résistant au projet de vouloir trop modifier la culture scolaire
pour ladapter aux modalités de la culture de lécran. Voici mes trois
propositions.
Tout dabord, il serait souhaitable, comme cela existe en Suisse,
de créer, dans le cadre des cours dinstruction civique, un enseignement obligatoire
sur la culture et la critique de limage. Il sagit dun projet souvent
proposé, et appliqué dans certaines écoles, mais qui nest pas obligatoire.
En ce qui concerne lInternet et les produits multimédias, il
convient de favoriser un usage pédagogique du " off line " et du
" on line ", puisque, aujourdhui, ce sont uniquement des usages
ludiques qui sont pratiqués par les enfants. Il faut que la recherche de données, la
constitution de dossier via lInternet ou les CD Rom fassent lobjet dun
enseignement spécifique ou de séances particulières. Cela supposerait, évidemment, une
formation des enseignants. Il faut tourner lusage de lInternet et des produits
multimédias vers lécrit, ves les banques de données, vers des recherches plutôt
que vers des activités ludiques.
Enfin, puisquun certain nombre denfants, qui
sadaptent mal à lécole, ont une véritable compétence en matière de
circulation dans ces nouveaux réseaux, on pourrait imaginer un cursus scolaire qui ferait
la part belle aux compétences en matière de navigation informatique. En effet, on peut
être un virtuose de la navigation Internet et un cancre à lécole dans les
matières scolaires traditionnelles. Or les compétences informatiques sont
aujourdhui précieuses et fortement valorisées dans le monde du travail.
Le développement de la culture de lécran peut être bénéfique
si celle-ci est socialement maîtrisée, mais cela ne doit pas conduire à abandonner le
terrain de lécrit et leffort en faveur de la lecture, qui doit être
largement soutenu. Il serait dailleurs souhaitable daider au développement de
journaux dinformation pour les pré-adolescents, à limage de ce qui existe
pour les plus jeunes avec " Mon Quotidien ".
Enfin, il conviendrait de lancer une campagne nationale auprès des
familles sur le contrôle de lusage des écrans, les parents étant les premiers
concernés en matière de responsabilité et de contrôle de ce que regardent les enfants
et du temps quils consacrent à la télévision et à lordinateur.
Pour ce qui concerne la signalétique, nous avons mis en place tout un
ensemble de dispositifs, mais nous voulions surtout lancer une campagne nationale sur le
sujet afin damener les parents à utiliser la signalétique pour exercer leur
responsabilité et leur autorité parentale, en ce qui concerne lusage de
lécran.
M. le Président : Madame, je vous remercie de votre
exposé ainsi que de vos propositions.
M. Pierre CARASSUS : Je suis très intéressé par les
propositions de Mme Dagnaud.
Au-delà des interdits, ne pouvons-nous pas tenter de mettre en place
un mécanisme de recherche dexcellence au niveau de la télévision et du
multimédia ? Il serait intéressant de mettre en avant ce qui se fait
dexcellent au niveau de la communication citoyenne pour les enfants.
Mme Monique DAGNAUD : Il sagit dun sujet que
jaurais souhaité développer davantage, mais le temps qui métait imparti
était trop court pour que je puisse le faire.
Il est vrai que, au niveau de la télévision, pour diminuer la part de
violence, il serait nécessaire de réfléchir davantage aux émissions proposées à la
jeunesse. Le service public devrait dailleurs avoir un rôle important en la
matière.
Aujourdhui, les obligations de diffusion, en matière de
programmes français et européen, sont mesurées de façon quantitative. Peu de mesures
qualitatives sont fixées dans les obligations des chaînes, et notamment des chaînes
publiques. Les rédacteurs des cahiers des charges des chaînes publiques pourraient, en
effet, faire un effort dimagination pour favoriser à la fois la qualité et les
modèles de représentation que proposent les programmes pour enfants.
Dans le même temps, le COSIP, cest-à-dire lorganisme qui
soutient notre industrie de programmes, pourrait, ce quil ne fait pas
aujourdhui, favoriser la production de fiction jeunesse destinée à des enfants de
huit à douze ans, programmes qui ont été pratiquement abandonnés par les
chaînes. Or aujourdhui les chaînes thématiques, notamment les chaînes pour
enfants, sont très demandeuses de ce genre de programmes, mais nont pas les moyens
de les financer. Cela fait également lobjet dune demande des parents.
M. le Président : Vous avez parlé de la
signalétique qui a été décidée par le CSA. Envisagez-vous daméliorer ce
dispositif par des logos ou des rappels vocaux, par exemple ?
Mme Monique DAGNAUD : Nous sommes en pourparlers avec les
diffuseurs en vue de lamélioration de notre signalétique. Le problème le plus
important, est que la première signalétique celle qui rappelle que dans un
programme certaines scènes violentes peuvent heurter la sensibilité des
enfants est de couleur verte. Or, pour la plupart des personnes, cette
signalétique veut dire " tout public ". La première difficulté à
résoudre, est donc celle des couleurs.
Par ailleurs, Canal Plus na pas la même signalétique et le
même degré de protection que les chaînes en clair. Or Canal Plus est une chaîne qui
compte aujourdhui quatre million cinq cent mille abonnés. Nous tentons donc de
faire en sorte que la signalétique de cette chaîne se rapproche de celle des chaînes en
clair. Nous essayons également daméliorer la signalétique en la faisant
connaître et en la rendant plus lisible et plus longuement présente à lécran.
M. le Président : Mme Dagnaud, je vous remercie
davoir accepté notre invitation.
Audition de MM. Pascal Petit,
Rédacteur en chef du journal télévisé de Canal J,
et Rémy Pflimlin,
Directeur de la publication du Journal des enfants
et de Mme Béatrice dIrube, Directrice de la rédaction
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Messieurs Pascal Petit, Rémy Pflimlin et Madame Béatrice
dIrube sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, MM. Pascal Petit, Rémy Pflimlin et Mme
Béatrice dIrube prêtent serment.
M. le Président : Madame, messieurs, je propose que vous
nous présentiez un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
M. Rémy PFLIMLIN : M. le Président, mesdames, messieurs les
députés, " le Journal des enfants " a été créé il y a
quatorze ans. Il a pour objectif dinformer, de manière hebdomadaire, les
enfants de huit à quatorze ans sur les principaux points de lactualité de la
semaine en utilisant des mots quils comprennent.
Nous considérons lenfant comme un futur citoyen et nous voulons
lui donner tous les éléments qui lui permettent de découvrir le monde dans lequel il
évolue et de se former. Le journal sadresse à lenfant, soit par le biais de
lécole sur cent mille exemplaires diffusés, cinquante mille le sont
dans des classes de CM1/CM2 soit directement à son domicile.
En ce qui concerne son lien avec la question des droits de
lenfant, le Journal des enfants, en termes de contenu, a, dès 1989, publié sur une
double page la Convention des droits de lenfant, puis, régulièrement, fait
travailler les enfants sur ce sujet. Le 6 mars dernier, un sondage important, destiné à
leur poser des questions concernant leur rapport avec les adultes
parents, enseignants et limage quils se font de leurs
droits par rapport au monde dans lequel ils vivent, leur a été proposé. Ce sondage sera
dépouillé au cours du mois davril et les résultats seront présentés fin mai
lors du Parlement des enfants.
Le message que veut faire passer " le Journal des
enfants " par rapport à ces questions est de dire quaujourdhui,
pour quil puisse exister en tant quêtre à part entière face aux pressions
qui peuvent sexercer contre lui et aux risques quil court, et pour quil
puisse se défendre, lenfant doit être informé et formé. Cest ce que nous
voulons faire, en évitant la facilité " le Journal des
enfants " est, me semble-t-il, la seule publication destinée aux enfants qui ne
traite pas de sujets de magazines ou ludiques , en ayant ce côté sérieux et
rébarbatif qui nest pas à la mode, mais en tentant dattirer son attention,
de susciter sa curiosité et de le former peu à peu.
M. Pascal PETIT : M. le Président, je rappellerai dabord,
en quelques mots, ce que nous faisons au JTJ.
Il sagit donc dun journal dinformation quotidien sur
Canal J qui sadresse aux huit/douze ans. Il est diffusé chaque soir en direct
à 19 heures 50, juste avant les grands messes de 20 heures sur TF1 et France 2.
Dailleurs, si vous avez dix minutes avant 20 heures, je vous invite à le
regarder régulièrement !
Bien entendu, nous navons pas, en dix minutes, lambition de
traiter toute lactualité. Nous choisissons donc, chaque jour, les deux ou trois
événements les plus importants dans le monde. Nous recevons les mêmes images que les
autres chaînes que nous sélectionnons , mais nos explications
sont différentes.
Je crois sincèrement que les enfants de cet âge les
huit/douze ans sont très demandeurs. Ils sont curieux et ont envie
quon leur explique le monde des adultes. Ils sont, pour moi, un public
" en or ".
Notre mission est de leur donner des repères, des clés, pour mieux
comprendre le monde, de leur donner les moyens de devenir des citoyens à part entière.
Il sagit donc, me semble-t-il, dune vraie mission de service public. Le
paradoxe, cest que dans le paysage audiovisuel français, cette mission de service
public est aujourdhui assurée par Canal J, cest-à-dire par une chaîne
privée diffusée sur le câble et le satellite.
Dans tous les pays européens, sans exception, il y a un journal
dinformation pour les enfants. Ces journaux sont diffusés par des chaînes
publiques ce qui est tout à fait logique, puisque les droits de linformation fait
partie intégrante des droits de lenfant. Les journaux de la RAI en Italie ou celui
de la BBC en Grande-Bretagne sappuient même sur les rédactions des journaux
destinés aux adultes pour préparer le journal des enfants. La France est donc le seul
pays européen dont les chaînes publiques ne diffusent pas de journal pour les enfants
seul Canal J assure cette mission. TF1 en avait un jusquen 1987, mais il
na pas survécu à la privatisation de la chaîne.
Je suis très heureux que Canal J ait pris linitiative de créer
ce journal, mais je crois que lon peut sincèrement regretter, notamment en regard
du droit à linformation des enfants, que les chaînes publiques naient pas eu
le courage et la volonté de se lancer dans cette voie.
Lexplication est le mode de financement des chaînes
publiques : le recours massif à la publicité rend les dirigeants plutôt frileux et
ils nosent pas programmer, entre 18 et 20 heures, un programme sadressant
spécifiquement aux enfants il sagit, en termes de marketing, dun
programme trop " segmentant ". Il ne sagit pas forcément
dun bon calcul, car, grâce au courrier que nous recevons, nous savons que beaucoup
de parents regardent ce journal avec leurs enfants. Le pluralisme qui existe dans la
presse pour enfant, nexiste pas à la télévision.
Sur le plan personnel, cette situation de monopole me permet de bien
dormir la concurrence étant inexistante, elle ne vient pas hanter mes
nuits , mais sur le plan du droit à linformation des enfants, droit
auquel vous vous intéressez, cest préoccupant. Les dirigeants des chaînes
publiques feraient bien den prendre conscience.
M. le Président : Je vous remercie de cet exposé à la fois
très honnête et très paradoxal.
Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : Cette intervention et celle de
Mme Dagnaud mamènent à me poser une question. Il a été dit, tout à
lheure, que lon ne laissait pas le temps aux enfants de vivre leur vie
denfant. Il est vrai que lorsquon est petit, on a quelquefois besoin de ne
rien faire. Or nous sommes dans une société où, actuellement, lon souhaite
par la télévision et les journaux que tout soit fait pour les
enfants ; de ce fait, on ne laisse pas les enfants vivre leur vie denfants.
Mme Dagnaud disait très justement que dun côté, avec les
multimédias, lapprentissage était trop rapide, et que de lautre, avec
lécole traditionnelle, il était peut-être trop lent. Avec les machines à
calculer, les mots " diviser, multiplier ou soustraire " ne signifient
plus rien pour eux.
A vouloir trop soccuper des enfants, ne risque-t-on pas den
faire, non pas des futurs citoyens, mais des petits hommes ou des petits adultes très
jeunes ?
M. Pierre-Christophe BAGUET : Sagissant du Journal des
enfants, jaurais quelques questions à poser à M. Pflimlin.
Connaissez-vous le profil de votre lectorat quelles sont
les professions des parents des cinquante mille enfants abonnés ? Connaissez-vous la
couverture géographique de votre journal est-ce plutôt un milieu urbain ou
rural ? Enfin, sous quelle forme se fait lexploitation du " Journal
des enfants " à lécole ? Quels sont les critères de
diffusion ? Quelle est la couverture géographique des écoles ?
En ce qui concerne le JTJ, jaimerais savoir si cet appel au
service public pourrait se faire dans des conditions analogues, avec les mêmes moyens
financiers ? Quel est le coût du JTJ ? Enfin, le créneau de 19 heures 50
est-il un créneau auquel vous avez particulièrement réfléchi ou pourrait-il être
diffusé à un autre moment pour éviter quil soit en concurrence avec
les recettes publicitaires des chaînes publiques ?
M. Rémy PFLIMLIN : Je répondrai tout dabord à la
question posée par Mme le député.
De fait, aujourdhui, lenfant est exposé à un certain
nombre dinformations qui lui font perdre une part denfance. Lorsquil y a
un grave problème de société, parce que la télévision fonctionne, parce quil
entend ses parents discuter à table, parce quil voit dans la rue des affiches
racoleuses, il y est exposé.
A partir du moment où il y est exposé, mieux vaut lui en parler
franchement, afin déviter la construction dun univers fantasmagorique et
employer des termes clairs qui lui permettront de comprendre le monde dans lequel il vit.
Si nous voulions préserver lenfant et cette part denfance
si importante, il ne faudrait lui parler ni de drames, ni de difficultés, ni de guerres.
A partir du moment où il y est de toute façon exposé, peut-être vaut-il mieux utiliser
des termes quil comprend, le mettre en situation et lui donner des voies
despoir ce que nous essayons de faire.
En ce qui concerne la diffusion du " Journal des
enfants ", nous ne disposons pas de base de données marketing précises nous
permettant danalyser lorigine de nos lecteurs. Toutefois, je puis vous dire
que notre journal est diffusé sur la France entière, avec une corrélation assez forte
entre la diffusion du " Journal des enfants " et la lecture des
quotidiens. La lecture des quotidiens étant par exemple importante dans le nord de la
France, la diffusion de notre journal lest également.
Sagissant de la diffusion de notre journal dans les écoles, nous
faisons régulièrement des propositions aux établissements, soit à travers les centres
de documentation, soit à travers les principaux des collèges. La décision
dabonnement est prise en fonction du budget disponible et du choix des principaux.
Il est clair que, aujourdhui, la lecture du " Journal
des enfants " est plus importante dans les foyers où la lecture est déjà
présente que dans ceux où elle est inexistante. Je pense même que si les parents
abonnent leur enfant au JDE, cest certainement parce quils sont eux-mêmes
abonnés à un journal.
Ce qui nous semble capital aujourdhui au niveau de la presse
régionale, cest de faire en sorte que la lecture entre, à travers lécole,
dans des familles qui ont perdu cette habitude. Un effort considérable doit être
réalisé non seulement pour apprendre à lire et à sinformer, mais également pour
réapprendre à sintéresser à ce qui se passe autour de nous.
M. Pascal PETIT : Je rejoins tout à fait M. Pflimlin en ce
qui concerne la demande dinformation des enfants. Ils sont submergés par les images
et regardent, la plupart du temps, de façon captive parce quils dînent
avec leurs parents devant la télévision , le journal de 20 heures sans
rien y comprendre. Il nous appartient donc de donner un sens aux images quils
peuvent voir.
Sagissant du budget du JTJ, je vous donnerai des chiffres très
précis : nous réalisons deux cent quinze émissions entre le 1er septembre et le 30
juin pour un budget de cinq millions de francs, soit un coût de vingt mille francs par
émission. Cela est largement accessible au service public, puisque cinq millions de
francs correspondent à une émission de divertissement sur TF1 en première partie de
soirée.
Lhoraire de notre journal pendant la publicité sur
les autres chaînes nest, bien entendu, pas totalement innocent. Nous
voulons que les enfants puissent dire à leurs parents que ce quils vont voir à
20 heures dans leur journal télévisé, ils lont déjà vu sur Canal J, avec
les mêmes images, mais avec dautres explications. De ce fait, un dialogue peut se
nouer entre les parents et les enfants.
Cet horaire 19 heures 50 a donc été
choisi pour une question de visibilité, mais rien ninterdirait à une chaîne de
diffuser un tel journal entre 18 et 19 heures, cest-à-dire après
lécole. Cependant, je ne suis pas sûr que cela fidéliserait le public. Mais je ne
vois aucune raison qui empêcherait la diffusion dun tel journal à 19 heures
45 sur une chaîne publique au contraire, il sagit dun journal qui
peut rassembler les parents et les enfants.
Lautre solution, pour que les dirigeants du service public se
posent moins de questions, serait peut-être de diminuer la part de publicité qui finance
France 2...
M. le Président : Nous ne sommes pas chargés détablir
le programme des chaînes, mais si lon envisageait de diffuser sur une chaîne
publique un journal pour les enfants juste avant le journal de 20 heures, cela serait
compliqué et peut être redondant. Vous, vous pouvez le faire parce que vous navez
que ce journal. Considérez-vous que cette solution serait envisageable ?
M. Pascal PETIT : Cela existe ailleurs, notamment sur la BBC. Le
journal pour les enfants est diffusé à 17 heures. A cette heure-là, aucune autre
chaîne publique ne diffuse dinformations pour les adultes ; sil se passe
un événement important dans le monde, cest donc le journal pour les enfants qui
lannoncera.
M. le Président : Certes, mais le journal pour les enfants est
à 17 heures, cest-à-dire bien avant celui destiné aux adultes.
M. Pascal PETIT : Oui, celui des adultes passe plus tard.
M. le Président : Ce type de journal pour enfants existe donc
dans la plupart des pays ?
M. Pascal PETIT : Dans tous les pays européens ; dix-sept
pays européens nous ont montré ce quils faisaient et celui de la BBC existe depuis
vingt-cinq ans.
M. Pierre CARASSUS : Sagit-il du même type de journal que
le vôtre ?
M. Pascal PETIT : Chaque journal est, bien entendu, adapté à
la culture du pays, mais lon traite un peu les mêmes informations. En tout cas,
nous avons le même objectif : expliquer aux enfants lactualité du monde.
Dans certains journaux européens, on traite exclusivement
lactualité des enfants
par exemple, pour ou contre largent de poche.
M. le Président : Pouvez-vous nous faire passer une note
relative à ce qui se passe dans les autres pays et les caractéristiques de ces journaux
télévisés ?
M. Pascal PETIT : Nous avons déjà établi un dossier de presse
à ce sujet que nous avons diffusé il y a un mois et que je peux vous communiquer.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Connaissez-vous laudience
de votre journal ? Par ailleurs, existe-t-il une forme dinteractivité qui vous
permet de connaître les réactions des enfants qui regardent votre journal ?
M. Pascal PETIT : Il sagit là dune partie
importante du journal, car nous souhaitions que les enfants se lapproprient. Nous
allons donc les voir une fois par mois chez eux ou dans les écoles pour leur demander ce
qui les a le plus marqués dans lactualité des quinze derniers jours. Nous filmons
ces visites et les diffusons dans le journal.
Dautre part, nous leur demandons tous les jours denvoyer
des dessins sur ce qui les a le plus marqués dans lactualité ; en six mois
dexistence, nous en avons reçu neuf cents et diffusé cent cinquante un
par jour. Nous recevons également beaucoup de courrier des enfants, comme des parents.
On leur demande aussi, sur les sujets de société importants
je pense notamment à lexécution de lAméricaine Karla Tucker, il
y a quelques semaines au Texas , de sexprimer, soit par le Minitel, soit
par courrier. Les réactions sont donc quasi immédiates et nombreuses. Le dernier sujet
sur lequel nous avons lancé un débat est lexhumation du corps dYves Montand.
Il y a deux mois, nous avons lancé une opération autour dun
petit garçon russe venu en France grâce à lassociation " La chaîne de
lespoir ", pour se faire opérer dune malformation cardiaque. Nous
suivons ce petit garçon depuis son arrivée en France ; tous les vendredis soir nous
faisons le point sur lévolution de son état. Depuis le début de cette opération,
nous recevons une centaine de lettres, de colis et de cadeaux par jour pour cet
enfant ; cest un véritable raz de marée, une grande réussite. A cet âge,
les enfants sont prêts à se mobiliser pour de telles causes.
M. le Président : Madame, messieurs, je vous remercie et vous
félicite pour votre travail.
Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin,
ancienne Présidente dun groupe de travail interministériel
chargé délaborer un rapport sur lInternet
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Isabelle Falque-Pierrotin est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation
du président, Mme Isabelle Falque-Pierrotin prête serment.
M. le Président :
Madame, je propose que vous nous
présentiez un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN :
M. le Président, je voudrais,
en introduction, préciser que je mexprimerai, aujourdhui, en mon nom propre
et non pas au nom du Conseil dEtat, qui travaille, par ailleurs, sur ces questions
juridiques liées à la protection de lenfant. Je vous livrerai aujourdhui mon
expertise qui sappuie sur les travaux que jai eu loccasion de mener à
bien sur ces questions.
La protection de lenfant est un sujet qui a cristallisé le
débat sur la régulation de la société de linformation et de lInternet.
Pourquoi ? Parce que cela illustre de façon magistrale lambivalence de cette
société de linformation : on veut à la fois raccorder toutes les écoles,
car lInternet et la société de linformation sont porteurs de connaissances
et damélioration pour les enfants, et en même temps on dénonce les démarches
pédophiles, le recueil dinformations illicites contre les enfants, car on craint
davoir introduit le loup dans la bergerie.
Il y a donc une émotivité extrêmement forte, car sil existe un
sujet sur lequel tout le monde est daccord, cest bien la protection de
lenfant, en France comme au plan international. Il sagit dun débat qui
sest développé depuis 1996 environ.
Les premières réponses à cette question que faire pour
assurer la protection de lenfant sur les réseaux ont été des
réponses de réglementation classique. Les Français, les Américains, ont les uns après
les autres essayé dappliquer la réglementation classique pour limiter les
atteintes au droit de lenfant sur les réseaux et dans la société de
linformation. Dans les deux cas, ce fut un échec. Le " Communication
Decency Act " a été annulé par la Cour suprême américaine et les
" amendements Fillon ", qui venaient en complément de la loi
Télécom en juillet 1996, ont eux aussi été annulés.
Face à ce premier échec, un certain nombre dexpérimentations,
qui reposent largement sur lautorégulation des acteurs, sont en cours dans
lensemble des pays. Nous allons analyser ce qui sest passé, essayer de
dépasser une approche relativement émotive et voir ce que lon peut faire pour
assurer la protection de lenfant dans un espace radicalement nouveau.
En premier lieu, lenfant nest pas nu dans cette société
de linformation ; on a déjà toute une série de réglementations qui
sappliquent, qui peuvent assurer la protection de lenfant, en France et à
létranger. Je nénumérerai pas la liste de tous les textes du code pénal ou
des textes spécialisés, mais nous disposons dun arsenal législatif et
réglementaire qui permet dagir sur le territoire national.
Cela étant, un certain nombre de spécificités de ce nouvel espace
font que cette réglementation étatique est souvent inefficace. Quelles sont ces
spécificités ? Il y en a quatre.
Premièrement, nous nous situons dans un espace international, alors
que la réglementation classique est territoriale.
Deuxièmement, lhétérogénéité des acteurs est extrêmement
forte. Dans la réglementation classique, les acteurs étaient clairement identifiés
les chaînes de télévision, un certain nombre dopérateurs
économiques et on pouvait faire peser sur eux des obligations homogènes.
Dans le cas de lInternet et de la société de linformation, tout un chacun
peut tout faire à tout moment sur ce réseau. Il paraît donc relativement difficile de
faire peser des obligations homogènes sur des particuliers, des associations, des
sociétés, etc.
Troisièmement, le caractère extrêmement hétérogéne et
décentralisé de ce qui se passe sur le réseau. Il ny a pas un point de contrôle
unique sur lequel on pourrait faire peser un certain nombre dobligations, comme dans
le cas du Minitel avec France Télécom. Tout le monde peut entrer dans ce réseau par de
nombreuses portes.
Quatrièmement, ces réseaux se sont constitués autour de la notion de
liberté. De ce fait, toute personne, tout Gouvernement qui prétend introduire une
réglementation qui par définition sera restrictive, se voit opposer toute la philosophie
extrêmement libérale, voire libertaire du réseau.
On se rend bien compte quil va falloir trouver dautres
solutions. Quelles sont celles qui ont été imaginées ?
Ce sont des solutions qui reposent largement sur
lautorégulation, cest-à-dire la volonté des acteurs de policer leur
contenu, dassurer une partie de cette protection des enfants que lon souhaite.
Les techniques sont variées.
La première, ce sont ces fameux logiciels de tri.
Vous mettez sur votre ordinateur un logiciel de tri vous permettant de
sélectionner les mots clés que vous acceptez, ou non, à la réception sur votre
ordinateur. Un certain nombre de produits existent, mais ils sont peu utilisés
15 % des utilisateurs en ont un. En outre, ces logiciels sont
frustes : le mot clé est aveugle et va traiter de la même manière un site
pornographique, que vous voulez justement interdire, et un site médical ou
dinformations, sur le sida par exemple. Il sagit donc dune première
réponse, mais qui est loin dêtre satisfaisante.
La deuxième solution est la classification des sites.
La méthode est de mettre des étiquettes sur les sites et de faire son
choix sur lordinateur, en fonction de cela. Les étiquettes peuvent se spécialiser,
par exemple, dans la protection de lenfant. Il sagit là dun système
plus intéressant qui sest développé à linitiative des Américains. Il
repose sur une norme internationale " PICS ", mais pose également un
certain nombre de questions.
Quelles sont en effet les instances qui vont classifier ?
Sont-elles légitimes dun point de vue démocratique ? Quelles sont les
conséquences de la classification ? Les sites qui nauraient pas reçu
détiquettes seront-ils encore acceptés dans les moteurs de recherche et par les
différents fournisseurs daccès ? Nallons-nous pas aboutir à cantonner
ces sites non classifiés à la périphérie de cette société dinformation ?
Il existe donc des risques liés au développement de ces techniques de
classification et surtout celui de substituer à la censure publique gouvernementale, une
censure privée faite par des instances dont la légitimité peut être contestée.
Troisième technique dautorégulation, celle des hotlines.
Les hotlines sont des lignes dappel durgence mises en place
dabord en Angleterre et aux Pays-Bas, puis progressivement adoptées dans un certain
nombre dautres pays.
Le processus est, en lui-même, assez contestable, puisque, en
réalité, on appelle à une délation universelle. Il peut être acceptable dans le cas
spécifique de la protection de lenfant, car sil y a un sujet sur lequel nous
sommes tous daccord, cest bien de dénoncer les atteintes éventuelles aux
enfants. Par ailleurs, cet outil pose les mêmes types de questions que celles relative à
la classification des sites : qui va gérer les hotlines ? Les seuls
fournisseurs daccès vont-ils décider de leur propre chef de couper des sites qui
seraient contraires, selon eux, aux intérêts des enfants? Quels critères seront
employés ? Le juge sera-t-il systématiquement saisi des images pédophiles sur
lesquelles lalerte sera donnée par les hotlines et qui seront ensuite
coupées par le fournisseur daccès ?
Toutes ces nouvelles techniques ne sont donc pas sans poser de
difficultés, et il est nécessaire, sur ces questions, davoir une réflexion
globale et complète, de manière à assurer une protection satisfaisante de
lenfant.
Par rapport à ces idées et à ces innovations, où se situe la France
et que pourrait-on dire du cas spécifique français ?
Il conviendrait, tout dabord, dappliquer notre droit. Si,
effectivement, nous avons des textes, ils ne sont ni connus, ni correctement appliqués
par les parquets. En labsence dune circulaire définissant une politique
pénale par rapport à la société de linformation, il existe une extrême
hétérogénéité de ce qui se passe au niveau des différentes juridictions ; on ne
peut pas dire, aujourdhui, quil y ait une doctrine claire sur la
responsabilité et sur les mesures à prendre lorsquil y a un certain nombre
datteintes manifestes aux droits de lenfant. A ma connaissance, aucune affaire
na été jugée au fond, en France, sur lensemble de ces questions
les affaires de ce type nont été jugées quen référé. Il faut
donc faire connaître le droit, le faire appliquer et donner à la justice et à la police
les moyens de faire leur travail. Dans les auditions que jai pu mener au Conseil
dEtat, il est apparu, par exemple, que la brigade de protection des mineurs,
jusquà présent, ne disposait pas daccès à lInternet. Elle dépend
donc, pour réaliser ses investigations, du SEFTI dépendant du ministère de
lintérieur et dune équipe de la gendarmerie. Face à un environnement aussi
mouvant et rapide que lInternet, il faut donc se doter des moyens correspondants.
Deuxième orientation, il conviendrait de travailler sur
lautorégulation. Cette question est discutée depuis deux ans, mais les
travaux nont, pour linstant, pas débouché. Nous ne disposons ni de
véritable organisation regroupant lensemble des acteurs, ni de procédé
dautorégulation de type hotlines ou code de conduite. Il existe bien un code
de conduite réalisé par les fournisseurs daccès, mais il est relativement modeste
et ne sintéresse pas dans le détail à lensemble de ces questions.
Troisièmement, il serait opportun de mener une campagne
dinformation massive et précise sur lensemble de ces questions. Cela existe
aux Etats-Unis, où elle est mise en uvre à la fois par le Gouvernement et par les
acteurs privés. Mais, en France, les parents et les enfants ne sont pas formés à
lensemble de ces nouveaux enjeux.
Quatrième orientation, nous avons beaucoup parlé en France,
récemment, du raccordement des écoles. Face à ce projet, il ny a pas de
réflexion parallèle sur le filtrage et la position que les écoles et les bibliothèques
devront adopter par rapport à ces techniques de raccordement. En ce moment, un débat
extrêmement vif a lieu aux Etats-Unis à ce sujet, et les sénateurs ont voté une loi
stipulant que les écoles et les bibliothèques se verraient retirer leurs subventions
pour le raccordement si elles ne mettaient pas en place des dispositifs de filtrage. Bien
évidemment, toutes les associations de défense des libertés se sont fortement émues en
soutenant que, pour un certain nombre dutilisateurs, laccès à
lInternet ne se faisait que par lécole ou par la bibliothèque, et que donc,
de ce fait, on allait restreindre la liberté dexpression et de communication.
Ce débat doit avoir lieu en France et devrait sorganiser, soit
à linitiative de parlementaires, soit au sein de lorganisme
dautorégulation qui pourrait se mettre en place.
Dernière orientation, développer la coopération internationale. Cela
se met en place progressivement. La communauté européenne a été extrêmement active
depuis un an sur ces questions. La France, jusquà présent, y a participé, mais
nous ne sommes pas suffisamment actifs au sein des ces instances internationales qui
définissent les règles qui présideront à la protection de nos enfants.
M. le Président :
Je vous remercie, madame, de cet exposé
très intéressant.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Madame, vous nous avez dit
quil convenait dappliquer, dans un premier temps, notre arsenal juridique.
Puis, vous nous avez démontré quil était inapplicable. Ny a-t-il pas là un
paradoxe ?
Par ailleurs, existe-t-il des exemples pour lesquels notre droit a pu
être appliqué à des faits délictueux constatés sur lInternet ?
Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN :
Votre question nest pas
spécifique aux droits de lenfant, cest une question très générale
concernant lInternet.
Il nexiste pas une bonne réponse pour lutter contre les contenus
litigieux sur lInternet. Il ne faut pas opposer la réglementation étatique et le
reste. En réalité, les deux réponses doivent se combiner. Il est clair que le salut
total ne viendra pas dune réglementation étatique. Bien entendu, cette
réglementation sappliquera sur le territoire national, face à un certain nombre
dacteurs, mais il faudra la combiner avec dautres types de solution et
notamment lautorégulation.
Mme Christine BOUTIN :
Je voudrais revenir sur la présence de
lInternet à lécole : je suis moins inquiète que vous sur ce point.
Il me semble que la liberté doit sexprimer et que
lInternet est une grande chance pour tout le monde. Le danger que vous évoquez, et
qui est réel, existe peut-être davantage en dehors de lécole ; en effet, on
peut imaginer que laccès à lInternet à lécole sera contrôlé.
Je suis très attachée au principe de liberté, je sais que sur
lInternet se trouvent des sites épouvantables, mais il faut déjà avoir la
volonté daller les chercher. Je ne pense pas que ce soit à lintérieur de
lécole que se pose véritablement le problème, cest plutôt à
lextérieur.
Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN : Il va de soi que si les écoles
offrent un accès à lInternet, elles devront restreindre et filtrer un certain
nombre de contenus. Cest sur cette question précise quil conviendra de
définir une position, une politique claire : quels sont les contenus auxquels les
écoles auront accès et ceux auxquels elles nauront pas accès ?
Tel est le débat qui se noue aux Etats-Unis, car certaines personnes
répondent, face à ces restrictions, que lécole nest pas simplement
fréquentée par des élèves, quil y a également des professeurs qui
naccepteront pas de se voir restreindre laccès à un certain nombre de sites.
Je ne dis pas que lécole est un lieu de danger, mais
quelle pose de nombreuses questions très concrètes sur lesquelles nous
navons pas, en France, débattu, et sur lesquelles il convient de réfléchir avant
de raccorder toutes les écoles.
M. Pierre CARASSUS :
Madame, vous nous avez dit
quaucune affaire concernant ce nouveau domaine navait été jugée sur le
fond. Pourquoi ?
Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN : Tout dabord, je crois que
les référés répondaient à une urgence. Il y a eu, par exemple, une affaire de site
révisionniste, soulevée par lUnion des étudiants juifs de France ; un
problème de droit dauteur un étudiant de lENFPTT avait diffusé
des extraits non autorisés de chansons de Brel et de Sardou.
Le juge, de façon raisonnable dailleurs, a pris assez rapidement
des positions conservatoires, tout en considérant quil sagissait dun
sujet nouveau sur lequel il fallait réfléchir et quil convenait de renvoyer au
fond les questions de principe, notamment celle de la responsabilité, qui na jamais
été vraiment jugée en France. Qui est responsable dans le cas de mise sur le réseau
dun site illégal ?
M. le Président :
Vous avez fait allusion à
lautorégulation et aux démarches qui ont été entreprises pour essayer de donner
un contenu à tout cela. Où en est-on ?
Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN : Le travail sur
lautorégulation se déroule depuis environ deux ans. Il a commencé sous la
présidence de M. Antoine Beaussant qui était président du GESTE
à la demande de M. François Fillon.
Ce travail, qui a duré six mois, a débouché sur la rédaction
dune charte dautorégulation et sur la proposition dun Conseil de
lInternet, mais pas sur un consensus ; elle na pas reçu
lapprobation générale de tous les acteurs et notamment des utilisateurs. Les
travaux se sont poursuivis sous une forme allégée sous la présidence du professeur
Vivant
professeur de droit très compétent sur ces questions. Ils ont conduit à la
rédaction dun document plus court, le " Manifeste ", en
juillet 1997.
Depuis le mois de juillet, il ne sest pas passé grand chose.
Seule lassociation des fournisseurs daccès, lAFA, regroupant
lensemble des fournisseurs daccès français, a rédigé un code de conduite
dans lequel elle définit leurs pratiques et fixe un certain nombre de principes. Mais
cela nintéresse que les fournisseurs daccès et correspond à un code
professionnel ; en outre la légitimité de lAFA, compte tenu de
lensemble des opérations de fusion ou de rapprochement qui ont eu lieu, doit être
renforcée.
Il nexiste pas, aujourdhui, dorganisation
représentative de lensemble des acteurs ; il ny a pas véritablement de
cadre dautorégulation qui se soit mis en place ; il ny a pas de
processus de type hotlines qui se soit mis en place. Cela est très préoccupant,
car lensemble de la négociation internationale avance et repose largement sur
lautorégulation, du fait que nos partenaires américains sont très motivés et
acceptent très bien, au plan international, la démarche dopérateurs
privés ; or nous navons personne à mettre en face pour participer à cette
négociation.
Nous en avons dailleurs souffert pas plus tard quhier,
puisque lOCDE a organisé un forum sur lautorégulation ; il a été
extrêmement difficile darriver à une représentation française, privée ou
publique, qui soit légitime et qui puisse faire état de nos travaux.
M. le Président :
Que devons-nous faire pour que les choses
évoluent ?
Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN : Javais recommandé, lors
de mes précédents travaux, la constitution dun organisme pluraliste,
cest-à-dire associant lensemble des acteurs. Les enseignements de
léchec des " amendements Fillon " conduisent en effet à
éliminer un organisme qui aurait un rôle autoritaire et se substituerait au juge. Il
existe au moins un point sur lequel lensemble des acteurs saccordent,
cest que la qualification finale des infractions doit relever du juge. Tout ce que
doit faire lautorégulation, cest se situer avant le juge de manière à
éclairer le choix des parties et du juge.
Il sagirait dun organisme pluraliste, consultatif, chargé
de réunir lintelligence et la compétence sur ces questions et déclairer le
choix des uns et des autres.
Cela étant, il sagit dune question sur laquelle nous
travaillons, au Conseil dEtat, et sur lequel nous allons faire une recommandation
ces jours-ci au Gouvernement.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur :
Vous parlez
dautorégulation, mais force est de constater quelle est encore insignifiante
en France, elle ne fonctionne pas.
Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN : Non, pas en France.
Sur ce sujet, nous sommes, dans bien des cas, dans des querelles
idéologiques. Pour certains, il ny a que lEtat souverain qui peut prendre
correctement en compte ces questions. Pour dautres, ceux qui ont une philosophie
libertaire, cest lautorégulation qui va tout régler. Je pense que ces deux
positions sont fausses et quil convient de combiner, sans idéologie, ces deux types
de réponses pour arriver, in fine, à un résultat concrêt et pragmatique.
M. le Président :
Madame, je vous remercie de votre
intervention qui nous a beaucoup intéressés.
Audition de MM. Pierre Tournemire,
Secrétaire général adjoint de la Ligue de lenseignement,
Jacques Henrard,
Secrétaire général de la Jeunesse au plein air (JPA),
Jacques Demeulier, Directeur général
des centres dentraînement aux méthodes déducation active (CEMEA)
et Pierre de Rosa, Vice-président des Francas
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Messieurs Pierre Tournemire, Jacques Henrard, Jacques Demeulier
et Pierre de Rosa sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, MM. Pierre Tournemire, Jacques Henrard, Jacques
Demeulier et Pierre de Rosa prêtent serment.
M. le Président :
Messieurs, je propose que vous nous
présentiez un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
M. Pierre TOURNEMIRE :
M. le Président, mesdames, messieurs les
députés, votre commission a déjà entendu plusieurs organismes lui exposer des
situations dramatiques denfants battus ou mal nourris. Au regard de ces situations,
notre propos peut paraître secondaire. Pourtant, dans notre tradition républicaine,
léducation a un rôle déterminant pour lépanouissement des enfants et leur
rôle de futurs citoyens.
Depuis leurs origines, nos cinq organisations ont soutenu le
développement de léducation nationale et organisé des activités éducatives
complémentaires de lécole, contribuant ainsi à assurer son lien avec la cité.
Aussi, notre intervention aura deux volets : nous ferons, dune part, des
propositions relevant de la scolarisation, et, dautre part, des propositions
relevant des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité. Je commencerai
par la scolarisation et Jacques Henrard vous parlera de la place des enfants dans la
cité.
Dans notre pays, linstruction est obligatoire,
lenseignement est libre, lécole est facultative. Aussi, des enfants sont,
aujourdhui, non scolarisés et ce pour plusieurs raisons : ou leur instruction
est assurée par leur famille, ou ils vivent à lintérieur dune secte, ou ils
sont livrés à eux-mêmes et à la rue en raison de lexclusion sociale ou de
limmigration clandestine, ou parce quils ont été exclus de plusieurs
établissements scolaires et quils ne trouvent plus détablissement
daccueil.
On ne connaît pas de chiffres précis concernant ces enfants. Le
nombre varie, suivant les sources dinformation, de cinq mille à vingt mille. Devant
ce flou, nous proposons que soit effectué un recensement exhaustif, régulièrement
actualisé, du nombre denfants non scolarisés et de leur situation précise.
Les maires ont lobligation de dresser, à chaque rentrée
scolaire, la liste de tous les enfants résidant dans leurs communes et qui sont soumis à
lobligation scolaire. Cette disposition, simple et efficace dans une France rurale
avec une population stable, est difficile à mettre en uvre dans une société
urbanisée avec de forts mouvements de population. Il est donc nécessaire de créer les
dispositifs adaptés et de renforcer les moyens mis à la disposition des maires pour leur
permettre de remplir cette obligation.
Par ailleurs, il convient, une fois ces enfants recensés, de
sassurer de leur niveau dinstruction. Or les familles ou les établissements
denseignement privé qui ne sont pas liés à lEtat par contrat sont
entièrement libres dans le choix des méthodes, des programmes et des livres. Le
contrôle par lEtat se limite au respect de lordre public et des bonnes
murs et à la prévention sanitaire et sociale. Il ne peut porter sur
lenseignement que pour vérifier sil est conforme à la morale, à la
Constitution et aux lois.
Pour ces enfants non scolarisés, la loi a prévu quà
lâge de huit, dix et douze ans, ils feront lobjet dune enquête
sommaire de la mairie compétente qui est transmise à léducation nationale. Ces
contrôles sont notoirement insuffisants et, en tous cas, ne donnent pas de garanties sur
le niveau dinstruction réel. Des enfants sont ainsi en danger. Pour le moins, ils
rencontreront des difficultés majeures dans leur insertion sociale et professionnelle.
Le code de léducation, examiné prochainement par le Parlement,
réglera dailleurs une anomalie : si la scolarité est obligatoire
jusquà seize ans, linstruction ne létait que jusquà
treize ans, puisque lordonnance de 1959 portant sur la prolongation de la
scolarité obligatoire navait pas touché à linstruction. Il nous semble
nécessaire daller plus loin.
Sappuyant sur la loi dorientation de 1989, sur la
protection des mineurs et sur les Conventions internationales signées par la France, il
conviendrait, dune part, de remplacer lenquête sommaire par une réelle
évaluation faite par léducation nationale des connaissances acquises par rapport
à des contenus denseignement fixés par elle à huit, dix, douze, quatorze et
seize ans, et, dautre part, de faciliter et de multiplier les contrôles par
les inspecteurs de léducation nationale avec la possibilité, pour les sectes,
davoir recours à laide de la gendarmerie.
Un rapport annuel devrait être présenté au Parlement sur le nombre
denfants non scolarisés et les évaluations de leurs connaissances par
léducation nationale.
Quen est-il des enfants exclus des établissements
scolaires ?
Si lon peut comprendre quil soit parfois nécessaire
dexclure un élève dun établissement scolaire pour maintenir des conditions
normales denseignement, il nest pas acceptable que la poursuite de la
scolarité de ces enfants ne fasse pas lobjet dun suivi précis. Des mesures
réglementaires devraient conduire les chefs détablissement à trouver des
solutions, notamment par le biais des commissions départementales déducation
spécialisée, en liaison avec la protection judiciaire de la jeunesse et les services de
laide sociale à lenfance des conseil généraux.
Jaborderai maintenant le thème suivant : linégalité
devant léducation.
Un récent rapport de linspection générale de léducation
nationale constate que les écarts entre les établissements et, à lintérieur des
établissements, entre les classes, se creusent. Les cas extrêmes se développent.
Dun côté, les établissements " chocs ", avec ségrégation
sociale et insécurité. Dun autre côté, les établissements
" chics ", délite, attractifs et protégés. On peut,
aujourdhui, sinterroger : quy a-t-il de commun entre un collège
rural, celui dune banlieue difficile et un collège de centre ville ?
Si léducation nationale a apporté des réponses à cette
situation depuis une quinzaine dannées, elles manquent de continuité et
dénergie. Aucune politique densemble de mobilisation contre les inégalités
na été bâtie. Or, ces inégalités daccès à léducation ne sont pas
acceptables dans une démocratie.
Le Parlement doit donc fixer les orientations dune telle
politique, mettre en place un observatoire et exiger un rapport annuel, avant le vote du
budget, sur les mesures prises par léducation nationale.
Dernier point : léducation à la citoyenneté.
Depuis une quinzaine dannées, la demande sociale
déducation à la citoyenneté se fait plus pressante, à mesure que le tissu social
et les repères traditionnels saffaiblissent. Le système éducatif ne répond
quimparfaitement à cette demande, même si, localement, des initiatives exemplaires
existent.
Plus que jamais, la situation de notre pays exige quune attention
particulière soit portée à léducation à la citoyenneté. Le Parlement doit
demander à léducation nationale de prendre toutes les mesures adéquates et de lui
fournir un rapport annuel sur le niveau dinstruction civique des élèves quittant
la scolarité.
Mais la citoyenneté est, avant tout, un apprentissage et les
conditions doivent être créées pour quau cours de la scolarité, tous les
élèves aient une pratique dans létablissement scolaire et autour de celui-ci.
Cest lobjet du deuxième volet des propositions de nos organisations que va
présenter Jacques Henrard.
M. Jacques HENRARD :
M. le Président, mesdames, messieurs
les députés, dans la continuité des propos de Pierre Tournemire, un certain nombre
dautres droits ne peuvent être exercés par les jeunes aujourdhui. Pourtant,
ces droits concourent tous au développement harmonieux des jeunes, à la lutte contre
lexclusion et à lexercice dune réelle citoyenneté. La pratique de ces
droits complète et amplifie la lutte contre les inégalités.
En effet, les lieux de formation et déducation ne se limitent
plus à lécole. Le temps passé hors de lécole est probablement aussi
important et, en tout cas, creuse ou accentue les inégalités selon que les jeunes ont
accès ou non à la pratique de ces droits. Nous avons recensé et développé, dans le
dossier que nous vous laisserons, de nombreux droits dont la pratique reste à
développer.
Les propositions que nous faisons sont multiples. Dans ce dossier, vous
trouverez un état des lieux, les propositions et limplication nécessaire de
lEtat pour chacun. Elles sinscrivent soit dans le court terme, soit dans le
moyen terme, et, par ailleurs, relèvent soit de la loi, soit dune décision
réglementaire. Jen développerai trois.
Premièrement, le droit à léducation.
Ce que vient de dire Pierre Tournemire concerne les enfants pour qui le
droit à léducation nest pas respecté. Au-delà, il y a aussi des enfants
pour qui ce droit nest que virtuel : ils vont à lécole, mais nont
pas reçu les moyens nécessaires pour bien en profiter.
Pour certains enfants, ces moyens sont donnés par la famille et
lenvironnement culturel : ouverture desprit, capital culturel important,
aide aux devoirs... Pour les autres, si lon ne veut pas que le droit à
léducation reste virtuel, la société doit leur donner les mêmes possibilités
de même que le droit à la santé, pour ne pas rester virtuel, doit être
accompagné daides à la santé.
Cette mise en pratique du droit à léducation est ce que
lon appelle aujourdhui " laccompagnement scolaire "
aide aux devoirs, activités méthodologiques, ouverture culturelle. Ce type
daction est, depuis quelques années, pris en charge par le mouvement associatif. Il
y a, en France, quelques centaines de milliers denfants qui en bénéficient.
Mais les associations sessoufflent. Il faut non seulement des
moyens, mais également une réelle volonté. Pour rendre réel le droit à
léducation, nous demandons une vraie et concrète politique daccompagnement
scolaire, impulsée par lEtat en partenariat avec les collectivités territoriales.
Cette politique devrait se traduire par une institution dEtat
chargée du problème
une direction du ministère de léducation, par exemple et
également par un plan national daccompagnement scolaire avec définition dune
doctrine, élaboration doutils pédagogiques et soutien aux associations.
Dautres outils existent, mais sont insuffisamment utilisés.
Cest, par exemple, le cas des classes de découverte. Elles sont, pour les enfants
qui en bénéficient, un apport culturel indispensable permettant de lutter contre les
inégalités sociales. Chaque enfant devrait pouvoir partir au moins une fois, au cours de
sa scolarité, en classe de découverte. Cette disposition pourrait figurer dans le cadre
de lobligation scolaire.
Deuxièmement, le droit aux vacances et aux loisirs éducatifs.
Sagissant des vacances, nous savons quun tiers des enfants
ne partent pas chaque année, soit quatre millions denfants qui ne sortent jamais de
leur univers quotidien.
Comment peut-on devenir un adulte ouvert, curieux, solidaire, citoyen,
quand on passe sa jeunesse à " galérer "dans des quartiers de béton
sans activité ? Comment ne pas comprendre la violence et lerrance, quand on
sait que ces jeunes nont rien à faire, rien à vouloir, rien à construire ?
Conformément à larticle 31 de la Convention internationale des
droits de lenfant, nous réclamons un vrai droit aux vacances. Pour cela, il est
important de développer les vacances collectives qui sont un apprentissage de la vie
sociale et de créer un chèque vacances collectives/jeunes qui soit un droit pour chacun.
Une telle disposition aurait pour objet de regrouper les diverses aides
existantes pour en assurer une meilleure utilisation par les familles et sinscrirait
dans la recherche dune réduction du coût des séjours.
Second point, les loisirs. Il faut préciser, dans le cadre des lois de
décentralisation, les champs de compétences des communes dans ce domaine, de manière à
créer les conditions réelles dune politique publique. Nous observons, à la fois,
une inégalité en matière déquipements selon les territoires et, dans de nombreux
cas, un manque daccessibilité à ceux-ci. Lobjectif est de permettre aux
jeunes deffectuer et daffirmer des choix par rapport à une offre de loisirs.
Troisièmement, le droit dassociation.
La Convention internationale des droits de lenfant affirme que
les enfants doivent avoir le droit de sassocier. Cest, en fait, le droit à
construire progressivement la capacité à devenir un être social et solidaire et la
capacité à devenir citoyen. Cest donc, pour notre société, pour notre
démocratie, un droit fondamental, un droit qui complète le droit à léducation.
Notre législation permet aux mineurs de sassocier, mais, comme
ils ne disposent pas de la " capacité juridique ", ils ne peuvent
être ni président ni trésorier au sein dune association. Deux types de réponse
commencent à être apportés pour résoudre cette difficulté.
Tout dabord, lentrée dadultes dans les associations
de mineurs élèves majeurs ou adultes proprement dit qui assument
les fonctions de responsabilité de lassociation
trésorier et président. Cest ce que recommande léducation
nationale pour les associations de lycéens par la circulaire Jospin de 1992.
Mais cela ne peut marcher ni pour les collégiens, ni pour les jeunes à lécole.
Ensuite, lincitation à la création dassociations de fait
non déclarées nutilisant pas de moyens financiers et ne
prenant pas de véritables décisions. Ce sont des associations non pas daction,
mais de débat. Cela ne correspond pas aux finalités éducatives du droit
dassociation.
Il convient donc de chercher dautres solutions.
Certains parlent dabaisser lâge de la majorité
M. Claude Allègre, par exemple. Nous ne sommes pas sûrs que ce soit une
bonne solution, car cela poserait beaucoup de problèmes juridiques.
Dautres, plus nombreux, souhaitent la création dun statut
de pré-majorité pour les mineurs de seize à dix-huit ans. Cela permettrait, par
exemple, de gérer un compte bancaire. Cest à étudier, mais cela poserait sans
doute des problèmes juridiques difficiles ; ce nest donc pas notre
revendication.
Nous proposons la création dun dispositif nouveau, garanti par
les pouvoirs publics. La mise en place dun réseau dadultes qualifiés,
réunis au sein dun " lieu ressource ", parrainant ces
associations de jeunes et assumant les responsabilités financières et juridiques de ces
associations. Nous proposons que le ministère de la jeunesse et des sports soit chargé
de trouver la formule adéquate en concertation avec les associations, et que celle-ci
soit inscrite dans un texte de loi complétant la loi de 1901 sur les associations.
Plus généralement, nous souhaitons insister pour vous convaincre que
le développement de la pratique de ces droits permettrait aussi, et peut-être surtout,
de rendre acteurs de leur citoyenneté les jeunes, dans tous lieux et à tous moments. Il
importe de développer le volet " participation " inscrit dans la
Convention internationale des droits de lenfant.
La citoyenneté ne se décrète pas, elle se construit tout au long de
la vie. Aujourdhui, on affirme la citoyenneté des jeunes, mais on ne sait pas
réellement comment elle sacquiert. Nous suggérons donc à votre commission la
constitution dune mission parlementaire, afin de montrer comment, où et avec qui se
construit une citoyenneté active.
M. le Président :
Messieurs, je vous remercie pour cet exposé
très complet.
Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE :
Considérez-vous les vacances en
famille comme des vacances collectives ayant droit à une aide financière ?
M. Pierre TOURNEMIRE :
Non, la famille nest pas une
collectivité. Mais que lon attribue des aides aux enfants afin quils puissent
partir en famille, cela est possible.
Ce que soulignait Jacques Henrard, cest quun tiers des
enfants ne partent pas en vacances ; ni en famille, ni en collectivité.
Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : Mais est-ce que partir en famille
entre dans la définition des vacances collectives ?
M. Pierre TOURNEMIRE : Non, il ne sagit pas de
vacances collectives, mais des aides peuvent être attribuées aux familles. La CNAF le
fait déjà. A ce sujet, il serait nécessaire dabaisser les quotients familiaux,
dautant quaujourdhui la politique nationale de la CNAF tend à revenir
sur le principe des aides aux vacances.
M. le Président :
Les termes de " vacances
collectives " impliquent que plusieurs enfants partent ensemble. Ce que vous
voulez savoir, Mme Isaac-Sibille, cest si les enfants qui partent en vacances avec
leur famille sont susceptibles de bénéficier de ces aides.
M. Jacques DEMEULIER :
Notre proposition de vacances
collectives ne va pas contre la famille ou contre les propositions de vacances, de loisirs
ou de culture familiales, qui restent essentielles. Mais elle doit être regardée comme
une solution complémentaire et intéressante, du point de vue de léducation des
enfants, qui ont droit à une éducation familiale, responsable et efficace, mais
également à une éducation en collectivité, dans des lieux divers. Collectif, signifie
aussi groupe dâges et confrontation avec des personnes plus jeunes.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur :
Messieurs, vous avez peu
évoqué le droit dexpression des enfants au sein de linstitution scolaire.
Quel est votre sentiment sur la participation ou lassociation des enfants au sein
des conseils décoles primaires ?
M. Pierre de ROSA :
Lorsque nous parlons de
" droit de participation ", il y a, en fait, trois droits qui sont
inséparables. Le droit dexpression qui est, effectivement, lié au droit à
informer et à sinformer ; le droit de réunion le droit
davoir des opinions et le droit dassociation. Il y a une
interaction entre ces droits.
Lorsque nous parlons de lexercice du droit de participation, il
doit, effectivement, être prévu au sein de toutes les collectivités éducatives
linstitution scolaire, les centres de loisirs, les centres de
vacances...
A ce propos, si des progrès ont été accomplis au cours de ces
dernières années, cest quand même dans lexercice du droit de participation,
sans doute parce que cest lorsque nous touchons à des problèmes de culture et de
mentalité que nous avons le plus de mal. Nous suggérons donc de dépasser les formes de
délégations délèves ce qui ne veut pas dire quil faille les
supprimer et de faire en sorte que lorganisation et le fonctionnement de
la vie collective dans les collectivités éducatives soient réellement pris en compte
par lensemble de la collectivité des adultes ; que les enfants aient la
possibilité, avec les adultes, quelle que soit leur fonction, de participer à
lélaboration ou tout au moins à lactualisation des règles de vie.
Il sagit là dune pratique éducative dans le domaine du
civisme absolument indispensable pour que les enfants acquièrent un certain nombre de
repères, puissent sen construire et comprendre à quoi correspondent les règles
celles qui sont fondées, celles qui ne le sont pas, celles qui sont
dactualité et celles qui ne le sont plus. Cest un chantier que nous
souhaitons voir souvrir dans toutes les collectivités éducatives.
M. Bernard BIRSINGER :
Sagissant du temps de
lenfant, pouvez-vous estimer combien de temps passe un enfant en dehors de
lécole et de sa famille ?
Vous avez parlé de laide au devoir. Je suis élu dun
département où cette forme daccompagnement scolaire se développe, de façon
spontanée et quelquefois anarchique, même sil y a beaucoup de bonnes volontés.
Ces associations effectuent un travail important. Comment les placez-vous dans ce
dispositif ?
En ce qui concerne les vacances collectives, la question du coût des
transports est importante. Nous sommes tous confrontés à ce problème, lorsque nous
voulons envoyer des enfants en centre de vacances ; les tarifs de la SNCF ne sont pas
adaptés à leffort que font les villes pour offrir des vacances à tous ces jeunes.
Une négociation est donc à envisager avec la SNCF.
Vous avez opposé les établissements scolaires
" chocs " aux établissements " chics ". Ces
termes résonnent bien à mon oreille, étant issu de la Seine-Saint-Denis. Et il est vrai
que lon peut se demander si légalité des chances est bien réelle sur
lensemble du territoire. Ce qui se passe dans mon département est assez
significatif de ce point de vue, car lorsquon prend, dans les collèges, ce fameux
taux H/E heures denseignement sur nombre délèves , on
est à 2,1 en France et à 1,1 en Seine-Saint-Denis.
Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur cette notion
dégalité sur lensemble du territoire national.
M. Pierre CARASSUS :
Je suis surpris que vous nayez
pas évoqué les difficultés rencontrées en ce qui concerne les responsabilités en cas
daccidents. En effet, je peux constater, en tant quélu local, que des bonnes
volontés se découragent face à ce problème. Comment vivez-vous cela ? Ny
a-t-il pas là un réel problème ?
M. Pierre TOURNEMIRE :
Sagissant de
laccompagnement scolaire, il est en effet indispensable de permettre à des élèves
en échec scolaire de bénéficier dun soutien. Si lon veut assurer une
réussite, laccompagnement ne doit pas être uniquement scolaire. Il doit avoir un
caractère éducatif, être mené en dehors de lécole, mais avec lécole
cest-à-dire en concertation avec les enseignants.
Cest la raison pour laquelle léducation nationale ne peut
pas abandonner à nimporte quelle association le soin dorganiser ces
activités. Il existe une nécessité de contrôle, ne serait-ce que par rapport aux
dérives que lon peut imaginer.
Des dispositifs ont été mis en place, mais il est vrai quils
sont insuffisants et quil serait nécessaire de les renforcer et de les clarifier en
termes daccompagnement et de contrôle par léducation nationale.
En ce qui concerne le coût des transports, lon peut
effectivement constater une dégradation depuis un certain nombre dannées ;
les voyages de groupes sont aujourdhui soumis aux contraintes commerciales de la
SNCF. De ce fait, nous souhaitons quune étude soit faite, en concertation avec
lEtat et la SNCF, pour que les voyages de groupes puissent se faire à des tarifs
abordables.
Je ne reviendrai pas sur le problème des collèges
" chics " et " chocs ", le rapport étant tout à
fait clair à ce sujet. Les inégalités non seulement existent, mais samplifient.
Or lexigence dune démocratie est de permettre légalité des chances
par rapport à léducation. Nous proposons donc que des mesures précises soient
prises par léducation nationale et que le Parlement en ait connaissance tous
les ans avant le vote du budget, pour juger des efforts qui sont réellement
accomplis.
Sagissant des accidents, il y a une évolution de la mentalité
dans notre pays qui est relativement inquiétante : nous sommes incapables
dapprécier la notion de risque sans immédiatement chercher les coupables. Toute
activité éducative comporte des risques. Or la dimension éducative est justement de
maîtriser ces risques et de pouvoir les assumer, sans quil y ait de conséquences
dommageables pour lintérêt des enfants.
Sous la pression des médias et de lopinion publique, une dérive
est en train de sopérer qui mettra demain en difficulté lorganisateur, qui
cherchera à se protéger, voire à ne plus organiser dactivités. Il convient donc
de revenir vers une bonne appréciation du risque et de sa gestion.
M. Pierre-Christophe BAGUET :
Vous représentez les uns et
les autres des mouvements déducation populaires ; or je suis surpris de vous
entendre parler uniquement de la responsabilité de léducation nationale dans
léducation de lenfant. On sait que lenfant passe cent quarante trois
jours par an à lécole, mais certains élèves passent également cent jours par an
dans les centres de loisirs.
Ne pensez-vous pas quil est urgent et nécessaire de faire
travailler ensemble le monde de lanimation et le monde de léducation
nationale en rendant par exemple obligatoire la présence des directeurs de
centre de loisirs dans les conseils décole ?
M. Pierre de ROSA :
Je me suis sans doute mal exprimé,
mais lorsque jai parlé de " toutes les collectivités
éducatives ", je ne parlais pas seulement de linstitution scolaire.
La mise en convergence de toutes les synergies éducatives,
quelles viennent de léducation nationale ou de lextérieur, est
absolument nécessaire pour parvenir à mettre en cohérence un certain nombre
dactions éducatives diverses nécessairement diverses mais
qui se complètent et qui permettent à lenfant de se construire.
Je préciserai, quant au problème des accidents, que le droit de
participation des enfants a souvent été opposé à la protection des enfants. Or il
sagit dune erreur fondamentale. Léducation consiste aussi à permettre
aux enfants de passer progressivement de la dépendance du nouveau-né à lautonomie
de ladolescent et de ladulte. Or, cest par la pratique progressive de
lautonomie quils deviennent autonomes et quils peuvent, de ce fait, se
protéger plutôt que de toujours compter sur lextérieur pour être protégés. En
outre, ils acquièrent ainsi la conscience du risque quils sont prêts à courir.
M. Jacques DEMEULIER :
Je voudrais revenir sur la
suggestion faite par M. le député concernant la participation du directeur du
centre de loisirs au conseil décole.
Il sagit dune proposition très concrète que lon
pourrait suivre, par exemple dans le cadre de la confrontation des points de vue, pour
parvenir à des complémentarités qui pourraient éviter des situations qui ont été
qualifiées d" anarchiques " du point de vue des modalités
dintervention des bonnes volontés.
Je suis membre dun conseil décole, jai été membre
dun groupe de pilotage et dévaluation dune ZEP ; il faut
aujourdhui garantir que les temps professionnels des animateurs, des parents et des
enseignants puissent correspondre. Proposer que de nouveaux professionnels assistent aux
conseils décole renforce la difficulté de trouver un horaire qui convienne à tout
le monde.
Par ailleurs, la rencontre interprofessionnelle et la complémentarité
éducative appellent de nouveaux outils une réflexion sur la place et les
limites du projet et exigent donc une formation des enseignants, des
animateurs et des parents.
M. le Président :
Messieurs, je vous remercie davoir
accepté notre invitation.
Audition de M. Didier Boulaud,
Président de lAssociation nationale des conseils denfants et de jeunes
(ANACEJ),
de Mme Claire Jodry, Directrice
et de M. Roger Adélaïde, Administrateur
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mars 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Didier Boulaud, Mme Claire Jodry et M. Roger
Adélaïde sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A
linvitation du Président, M. Didier Boulaud, Mme Claire Jodry et M. Roger
Adélaïde prêtent serment.
M. le Président : Madame, messieurs, je propose que vous nous
présentiez un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
M. Didier BOULAUD : M. le Président, je voudrais tout
dabord vous présenter Claire Jodry, directrice de lAnacej, et Roger
Adélaïde, conseiller municipal à Guyancourt, dans les Yvelines, et qui soccupe
notamment du conseil municipal denfants et du conseil municipal de jeunes qui est en
voie de réorganisation.
M. le Président, mesdames, messieurs les députés, mes chers
collègues, je vous remercie tout dabord davoir pris en considération
lAssociation nationale des conseils denfants et de jeunes, en nous invitant à
participer aux réflexions de cette commission.
Plus de mille communes de toute taille et de toute orientation
politique ou presque animent aujourdhui en France un conseil
municipal denfants et de jeunes, appelé maintenant plus communément, et afin
quil ny ait pas dambiguïté, conseil communal denfants et de
jeunes. Trois conseils régionaux et treize conseils généraux animaient, jusquaux
récentes élections, des conseils régionaux et généraux de jeunes.
A linstar de la France, des pays comme la Belgique,
lItalie, lAngleterre, lAllemagne, la Suisse, la Hongrie, la Pologne, la
Roumanie, mettent en place des conseils, et tiennent la France pour un pays phare en ce
qui concerne la participation des jeunes à la vie de la cité.
Pas un jour ne se passe sans que notre association nationale, à
laquelle adhèrent quatre cent trente communes et dix fédérations déducation
populaire, ne reçoive dappels de la part délus, denseignants, de
jeunes, de militants associatifs, pour savoir comment fonctionnent les conseils, ce
quils font, comment les animer et quelles erreurs éviter.
Lintérêt pour ces conseils denfants et de jeunes ne cesse
de croître. Ils constituent un mode de dialogue entre les élus, leurs partenaires
éducatifs, associatifs, et les jeunes mineurs de neuf à dix-huit ans, élus par
leurs camarades, en associant des jeunes à la réflexion sur des sujets qui les
concernent, sur un territoire donné. Ils se situent à la fois dans le présent du jeune,
quils contribuent à améliorer, et dans son avenir, lui donnant les clés
dune citoyenneté pleine et entière.
Cette possibilité dexpression des jeunes débouche sur une prise
en compte effective de leur parole et se traduit par des réalisations visant à
améliorer leur vie dans les communes ou sur un territoire plus large, par des échanges
intergénérationnels et un apprentissage réciproque des jeunes et des adultes, par des
politiques " jeunesse " visant à tenir compte de la vie des jeunes,
par des consultations de lensemble des jeunes menées par les jeunes des conseils et
par de multiples campagnes de sensibilisation portées par les jeunes eux-mêmes.
Nous sommes là, me semble-t-il, au coeur de la Convention
internationale des droits de lenfant et notamment des articles 12, 13, 14 et 15. Ces
articles sont fondamentaux, car ils reconnaissent à lenfant, pour la première fois
dans un texte ayant valeur dobligation pour les Etats qui lont ratifié, des
droits de participation aux côtés des droits plus traditionnels à la protection et à
léducation.
Citons rapidement, lalinéa 1 de larticle 12 :
" les Etats parties garantissent à lenfant qui est capable de
discernement le droit dexprimer librement son opinion sur toute question
lintéressant, les opinions de lenfant étant dûment prises en considération
eu égard à son âge et à son degré de maturité " et lalinéa 1 de
larticle 13 : " lenfant a droit à la liberté
dexpression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de répandre et de
recevoir des informations et des idées de toute espèce, sans considération de
frontière, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre
moyen du choix de lenfant ". Cet alinéa est complété des
dispositions limitant les restrictions à ce droit à celles prescrites par la loi qui
sont nécessaires au respect des droits dautrui et à la sauvegarde de la sécurité
nationale de lordre public...
Larticle 14 affirme le droit de lenfant à la liberté de
pensée, de conscience et de religion et larticle 15 reconnaît les droits de
lenfant à la liberté dassociation et de réunion pacifique.
Il ne me semble pas que ces droits-là, appelés par certains
" nouveaux droits ", soient les mieux appliqués aujourdhui. Ils
rencontrent une résistance de la part des adultes et ne font pas lobjet de
consensus. Il y a cependant quelques espaces dapplication.
Certes, il existe les conseils communaux denfants et de jeunes
qui, pour beaucoup, se réfèrent à la Convention internationale, mais qui ne
fonctionnent pas encore tous de manière optimale et qui nexistent que dans mille
communes sur trente-six mille. Certes, il existe des délégués dans les collèges et les
lycées. Mais lors dune récente enquête, les jeunes indiquaient quils
nétaient pas satisfaits du fonctionnement de ces instances. Pour un petit nombre de
collèges et de lycées qui construisent, aujourdhui, des projets autour de la
citoyenneté, qui bâtissent en commun un règlement intérieur valable pour les jeunes
comme pour les adultes, combien détablissements scolaires redoutent encore toute
parole critique et constructive sur la vie scolaire.
Certes, des associations, notamment déducation populaire,
sportive, de cadre de vie, favorisent la présence des jeunes dans les instances
dirigeantes et dans la vie du club autrement quen les confinant dans une position de
consommateurs dactivités, mais combien le font ? Dans leur grande masse, les
jeunes il ne faut pas sen étonner ont du mal à comprendre
les règles de notre société et se méfient des adultes. Dans certains endroits, on leur
propose de les écouter et de tenir compte de leur parole. Dans dautres, toute
tentative dexpression se heurte à une fin de non-recevoir.
Dernièrement, lors dune rencontre, une jeune fille dun
conseil général junior, nous disait : " Ici on a limpression que
les adultes, les élus, les responsables de service nous écoutent. Alors quà
lécole, cest incroyable comme les enseignants ne nous respectent
pas ". Une autre jeune fille qui affirmait être satisfaite de sa participation
aux Conseil municipal des jeunes ajoutait alors : " les hommes politiques
se désintéressent totalement de ce que nous vivons et ne nous entendent pas ".
Alors que nous essayions de lui dire quelle se trompait, elle a eu cette
phrase : " sils nous entendent tant que cela, pourquoi ne nous le
disent-ils pas et nous ne le font-ils pas savoir ? ".
Vous me direz que lattitude de ces jeunes nest en rien
différente de celle des adultes, puisque des chiffres de la Sofres cités par Pascal
Perrinaud, directeur du Cevipof, nous montrent quen 1989, 27 % de la
population avaient limpression que les hommes politiques prenaient en compte leurs
préoccupations, alors quils ne sont plus que 19 % à le penser en 1996.
Mais les jeunes sont ceux qui, aujourdhui, ont la crise de
confiance la plus profonde par rapport à notre système démocratique et à la politique,
ils sont ceux qui sabstiennent le plus aux élections : 25 % des jeunes
nétaient pas inscrits sur les listes électorales jusquà la mise en place du
nouveau dispositif dinscription doffice à dix-huit ans. Pour autant, ils
ont peu voté aux récentes consultations.
Quel rapport, me direz-vous, avec la participation des jeunes et avec
la Convention internationale des droits de lenfant ? Il est assez simple. La
participation des jeunes, que ce soit par lintermédiaire des conseils
denfants et de jeunes, des instances scolaires et universitaires ou des
associations, est ce qui permet à des jeunes de se sentir utiles, de valoriser leurs
capacités, dexpérimenter en agissant, de se percevoir comme membres dune
communauté en se liant avec dautres membres et donc de trouver une place dans notre
société.
Trouver sa place aujourdhui est bien une question lancinante qui
se pose à chacun, mais encore plus aux jeunes à qui le chômage, la crise de nos
institutions, la mutation profonde de notre société apparaissent comme obscurcissant
leur avenir et la possibilité de sintégrer.
Sans prétendre constituer le " Sésame ouvre-toi "
qui réglera tous les problèmes, la participation des jeunes aux instances que nous
venons de citer les aide à se forger des armes pour sinsérer, à le faire
collectivement dans le respect des autres et de lintérêt général, et non en
marchant sur son voisin. Elle est porteuse despoir, de liens entre les
générations, de liens entre les membres dune société au-delà des différences.
Poser la question de la vie, des règles de vie, des améliorations à
apporter dans une commune, dans un lycée, dans une association, cest se poser la
question du " vivre ensemble ". Question cruciale aujourdhui, en
ces temps où le repli communautaire, le repli sur laffirmation de sa différence
font perdre de vue ce qui, dans un pays, unit ses habitants.
Les recherches que nous avons commandées à des sociologues confirment
cette importance de la participation des jeunes. Dans lune delles, intitulée
" Les répercussions de la participation des jeunes aux conseils ",
confiée en 1996 à Nathalie Rossini et Hugues Bazin, sociologues, et qui devrait être
éditée par lINJEP prochainement, soixante jeunes interviewés dans plusieurs
communes, dans une période de un à cinq ans après leur passage dans un conseil de
jeunes, ont indiqué que cette expérience de participation a été pour la plupart une
aventure individuelle très forte, tout autant que collective. Cétait la première
fois, pour certains, quils avaient limpression dêtre écoutés, de
recevoir des marques de confiance, tout en ne se faisant pas beaucoup dillusions sur
leurs marges de manoeuvre.
Deuxièmement, cela leur a permis dapprendre à se comporter en
groupe, à ne pas considérer leur idée comme la meilleure à tout prix, à argumenter
tout en prenant en compte largumentaire des autres et à acquérir un plus grand
sens de lintérêt général.
Troisièmement, cela a valorisé limage du vote, qui leur semble
désormais un devoir tout autant quun droit. Le vote leur semble une responsabilité
importante pour laquelle ils ont limpression de ne pas être formés, de même il
leur semble que les électeurs ne votent pas en connaissance de cause.
Quatrièmement, cela a revalorisé limage des élus locaux
adultes qui leur apparaissent comme pleins de bonne volonté, mais ils appréhendent
toujours le monde politique national comme " magouilles et
compagnie... ". Cela leur a donné envie dagir, même si, à lissue
du conseil, ils ne perçoivent pas toujours dans quel cadre ils peuvent le faire.
Ils indiquent également avoir peu de culture politique, regrettant que
lécole ne leur permette pas de lacquérir et soulignent que le conseil ne
comble pas non plus cette lacune.
Voilà des jeunes à qui maintenant le vote semble important, la chose
publique paraît mériter leur investissement, lintérêt général nest pas
pour eux un vain concept. Ne serait-ce pas là un remède possible à cette désaffection
civique dont nous parlions tout à lheure ?
Même si dans le même temps, dans cette étude, les jeunes montrent
aussi les limites de ces expériences, liées beaucoup plus aux adultes, dont certains
écoutent leurs propositions pour les oublier aussitôt après. Encore à parfaire, cette
expérience de conseil leur a permis en tout cas de vivre une expérience sociale
nouvelle, douverture au monde, aux autres, à leur environnement, les aidant à
mieux sy inscrire. Nouvel espace daction, elle permet aussi à certains de
sortir de rôles négatifs et stigmatisés.
Cest justement le rôle de notre association que de contribuer à
lamélioration de la qualité de ces conseils, en accompagnant leur création, leur
développement ; en proposant aux adultes accompagnateurs des formations, aux jeunes
des méthodes ; en organisant des échanges en France et en Europe, des opérations
thématiques, avec des ministères ou des organismes, par exemple sur les relations
intergénérations avec la Fondation nationale de gérontologie, sur le thème de la
solidarité avec la Fondation du groupe Air France, sur le respect, la tolérance et la
démocratie avec la Fondation de France, sur le thème de la santé au coeur de la ville
avec le ministère de lenvironnement et dautres ministères, tels que la
jeunesse et les sports, la santé, les affaires sociales et le travail.
Nous sommes heureux, aujourdhui, de mieux vous faire connaître
notre travail, de formuler un certain nombre de propositions et de rappeler que nous
serons, dans les temps qui viennent, présents auprès des pouvoirs publics et des
ministères qui le souhaitent pour mener, dans la continuité et la pérennité, des
réflexions et des actions dont les objectifs ne sont autres que de mieux insérer les
jeunes et lenfant dans notre société et de leur permettre de participer à la vie
de notre démocratie.
Il nous a paru, pour cela, utile de faire quelques propositions qui
nous semblent de nature à faciliter cette démarche. Et comme lon nest jamais
si bien défendu que par soi-même, nous pensons tout dabord quil convient de
mieux soutenir financièrement et dans la durée les associations " têtes de
réseaux " et pas seulement la nôtre qui encouragent la
participation des jeunes, accomplissent un travail dinformation, forment les
accompagnateurs adultes, aident à la mise en réseau des expériences ; les
financements des associations telles que la nôtre étant très aléatoires dune
année sur lautre et pâtissant depuis quelques années dune mode qui consiste
surtout à aider directement, en les privilégiant, les expériences de terrain, au
détriment des associations " têtes de réseaux " qui sont, au
demeurant, les seules à même de fournir de véritables synthèses et douvrir des
pistes générales.
Nous proposons également :
de mettre en place, dans tous les ministères et selon
leurs attributions respectives, une politique visant à favoriser la citoyenneté des
jeunes par une meilleure information sur leurs droits, un meilleur accueil dans toutes les
administrations et un questionnement visant à recueillir leur avis et à aider à la
prise en compte de leur point de vue, une diffusion des propositions contenues dans
certains rapports ministériels il y en a un actuellement en cours de parution
au ministère de la jeunesse et des sports ;
de favoriser en France un climat dintérêt autour
des questions de participation des jeunes, en soutenant, par exemple, des colloques
nationaux et régionaux, des mises en perspective de participations de jeunes réussies,
des recherches de qualité, une large diffusion des recherches et des documents sur le
sujet, des émissions grand public à une bonne heure découte montrant des
expériences positives de jeunes prenant en charge leur environnement et le dialogue entre
les jeunes et les adultes, des rencontres et des passerelles entre différents modes de
participation ;
de favoriser lengagement civique des jeunes en
soutenant les initiatives quils prennent, en organisant des lieux de débat, de
confrontation, en leur proposant une véritable place dans les instances statutaires des
associations et à lécole, en les confrontant aux femmes et aux hommes politiques,
en faisant parrainer par un adulte expérimenté, les jeunes présents dans les instances
décisionnelles ;
de réfléchir à la formation politique des jeunes et de
revoir le rôle que lécole pourrait avoir en la matière, par exemple en exposant
les différents systèmes démocratiques et les différents courants politiques
en sassurant, bien sûr, de lobjectivité des informations ainsi
présentées ;
dorganiser un vote blanc des seize/dix-huit ans
aux élections locales, afin de les familiariser avec le vote et de recueillir leurs
opinions ;
de donner obligatoirement des formations aux jeunes
délégués des élèves et aux jeunes des conseils.
Enfin, il nous paraît souhaitable de donner une image noble de la
politique, en montrant des débats sereins et de qualité, en essayant déviter la
langue de bois, en employant un langage de vérité, parfois de nuance, ou en essayant de
faire ce que lon dit.
M. le Président : Je vous remercie.
Mme Christine BOUTIN : Personnellement, jétais dubitative
au départ sur la création de ces conseils municipaux jeunes, craignant quil y ait
une confusion des niveaux de responsabilités entre les uns et les autres. Je
maperçois, en fait, quil y a un intérêt certain pour ces conseils et une
demande de la part des jeunes. Je vous remercie, M. Boulaud, de nous avoir présenté cela
de façon aussi complète.
Sentez-vous le mouvement samplifier, ou y a-t-il encore des
hésitations ? Par ailleurs, comment aidez-vous les communes les plus démunies,
notamment rurales, à répondre à cette attente des jeunes ?
Mme Claire JODRY : Il est certain quaujourdhui il
existe un intérêt croissant pour les conseils denfants et de jeunes. Cependant,
beaucoup délus expriment leur impression de ne pas savoir comment sy prendre
et leur crainte du dialogue qui va se nouer avec les jeunes.
Linquiétude est, en effet, peut-être encore plus forte en
milieu rural, les maires et les élus ayant parfois limpression quils ne
pourront pas répondre aux propositions des jeunes du fait du manque de solutions de
financement.
Nous organisons donc régulièrement des débats, par exemple un
colloque aura lieu très prochainement à Bordeaux avec pour thème la participation des
jeunes dans les petites communes en milieu rural.
M. Pierre-Christophe BAGUET : Je voudrais soulever le
problème de représentation des jeunes qui existe dans ces conseils communaux de jeunes.
Jen ai créé un dans ma commune, et, de ce fait, jai réfléchi à cette
question : devions-nous établir des listes électorales pour les enfants de douze à
quinze ans ? Sur quels critères ? Avec quel découpage
géographique ? Finalement, nous avons décidé quil y aurait un représentant
des CM 2 par école privée et publique. Il na pas été simple de
convaincre linspectrice de léducation nationale de jouer le jeu, et les
directeurs décole sont également très réservés. Ils napprécient guère
des élections au sein du monde scolaire, même pour un Conseil communal local.
Avez-vous réfléchi à ce problème, afin de faciliter le travail des
élus qui souhaiteraient mettre en place de tels conseils ?
M. Roger ADELAIDE : Il y a, dune part, des conseils
municipaux denfants, et dautre part, des commissions de jeunes. Dans les
conseils municipaux denfants, ces derniers sont des représentants des classes de
CM1 à la quatrième. Les élections ont lieu au sein de lécole et du collège,
avec la participation de léducation nationale. Jusquà présent, nous
navons relevé aucun problème pour les quatre cent trente communes qui ont utilisé
ce mode de représentation et de participation.
Il sagit là dune forme de citoyenneté importante, dans la
mesure où les enfants sont présidents de bureau, assesseurs... Cest une autre
dimension. Les enfants se rendent bien compte de lacte de voter et de son
importance.
Par ailleurs, on peut travailler soit par quartier, soit par école,
tout dépend de limportance de la ville. Toutes les solutions sont bonnes pour
créer ce type de conseil. Pour ce qui est des élèves, ils viennent de tous bords. Dans
les Yvelines, de nombreuses petites communes nous posent des questions, car elles
nosent pas se lancer dans cette opération. Mais il y a beaucoup de petites communes
qui appartiennent au Conseil national.
M. Didier BOULAUD : Nous sommes actuellement en contact
étroit avec le ministère de léducation nationale pour voir comment nous pourrions
sensibiliser la hiérarchie inspecteurs académiques, directeurs
décole. Dans ma commune, qui se situe dans la Nièvre, linspecteur
dacadémie, accompagné des inspecteurs de lEducation nationale, assiste au
conseil municipal des enfants ; voilà un exemple que nous souhaiterions
généraliser.
Les contacts que nous avons établis avec le ministère de
lEducation nationale vont dans cette direction et nous avons même suggéré que les
enfants, élus au conseil municipal denfants, puissent siéger dans le conseil
décole. Un enfant de CM 2 est tout à fait à même dapporter sa pierre à
lédifice dans le débat du conseil décole, de la même façon que des
élèves de sixième et de cinquième sont représentés dans les Conseils des collèges.
Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : M. Boulaud, je vous remercie pour
votre exposé dense et instructif.
Je voudrais revenir sur les délégués de classe. Vous disiez que leur
rôle était minoré, voire pratiquement inexistant et quil conviendrait de leur
donner plus de poids. Il faut reconnaître que les élus ne donnent pas lexemple, en
étant très souvent absents des conseils dadministration.
Je souhaiterais revenir également sur le rôle des élus dans le cadre
des initiatives citoyennes qua lancé léducation nationale et notamment des
députés qui pourraient entreprendre des tournées dans les classes de CM 2 et dans les
collèges et les lycées. Cest ce que je mapplique à faire et jai pu
constater que les enfants, comme les éducateurs et les parents délèves, sont
très preneurs de ce genre dinitiatives. Voilà une formule qui pourrait être
généralisée.
M. Didier BOULAUD : Linitiative prise dans le cadre
du Parlement des enfants, et invitant les parlementaires à se rendre dans une classe de
leur circonscription, mérite, en effet, dêtre amplifiée. A chaque visite, nous
pouvons nous rendre compte, par les nombreuses questions, de lintérêt que portent
les enfants au travail parlementaire. Le seul problème est lemploi du temps chargé
des élus.
En ce qui concerne la représentation des élus dans les conseils
décole, de collège et de lycée, je partage tout à fait votre point de vue,
Madame, et lon peut regretter parfois labsentéisme des élus. Cependant, je
pense quil faudrait que lon revoie, avec le ministère de lEducation
nationale, les textes qui imposent à des communes davoir deux ou trois
représentants dans des conseils de lycée ou de collège, ce qui me paraît tout à fait
inutile. Un seul représentant du conseil municipal au collège permettrait de répartir
un peu les responsabilités. Actuellement, nous sommes obligés denvoyer un
représentant du maire et un conseiller municipal par école !
Quand on a soixante-dix écoles dans la commune, cela devient
insurmontable. Il faudrait simplifier la représentation dans les écoles, les collèges
et les lycées, afin de permettre une réelle présence des élus.
M. Roger ADELAIDE : Sagissant de la participation des
élus au conseil dadministration, il conviendrait peut-être de changer lordre
du jour de ces conseils. En effet, lorsquun élu assiste au conseil ce nest
pas pour parler de citoyenneté, mais des problèmes du collège.
M. le Président : Madame, messieurs, je vous remercie beaucoup.
Audition du Docteur Jean-François DODET,
Membre du Haut comité de la santé publique,
médecin inspecteur régional de Bourgogne
(extrait du procès-verbal de la séance du 2 avril 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Jean-François Dodet est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation
du Président, M. Jean-François Dodet prête serment.
M. Jean-François DODET : Je pense que vous avez dû recevoir le
document du Haut comité. En principe, on devait vous envoyer le rapport entier parce
quil est assez volumineux.
M. le Président : A ma connaissance, non.
M. Jean-François DODET : Résumer en dix minutes six mois de
travail dun groupe assez important va être très succinct.
Je vais insister sur quelques idées de ce rapport.
La première idée est le droit à la santé, qui est quelque chose
dessentiel pour nous en termes de droits de lenfant, dans la mesure où on
doit considérer la santé, non pas comme quelque chose qui se découpe au cours de la
vie, cest-à-dire quil ny a pas la santé des enfants, la santé des
jeunes, la santé des vieux, la santé des adultes et la santé de X, Y ou Z, mais il y a,
en fait, un processus dynamique vis-à-vis de la santé, sachant que nous naissons tous
avec un capital qui nous est propre, qui est différent dun homme à lautre,
avec des composantes géniques qui font quon a parfois plus de prédispositions à
avoir une maladie plutôt quune autre, et quinterviennent ensuite des facteurs
denvironnement et de comportements personnels qui font quon fait fructifier ce
capital initial ou, au contraire, quon va le détruire ou lamputer dun
certain nombre de " points ".
Si bien que lon doit tout faire pour que le capital avec lequel
lenfant naît, fructifie et ne se dilapide pas.
En quoi est-ce important de percevoir lenvironnement de
lenfant par rapport à ce droit à la santé ? Cest quun certain
nombre détudes montrent bien que les carences affectives ou les carences
dautorité ont des répercussions jusquà lâge adulte, et une étude
montre que 50 % des personnes, pour lesquelles on a pu déceler lexistence de
carences affectives pendant lenfance, ont 53 % de plus de maladies
lorsquils sont arrivés à lâge adulte.
Tout cela est un point pour nous important.
Autre idée que je vais développer rapidement, ce sont les indicateurs
de mortalité et de morbidité chez lenfant. Quelques chiffres : en gros, de
zéro à vingt-cinq ans, on trouve treize mille décès par an en France
nous avons pris la période zéro-vingt-cinq ans puisque, pour nous,
enfance et adolescence, cest la même chose et que, psychologiquement, il ny a
pas de catégorie " adolescents ". Sur ces treize mille, un peu plus
de trois mille sont des décès qui surviennent entre zéro et un an, et un peu plus de
six mille sont des décès qui surviennent entre quinze et vingt-quatre ans. Ce sont
donc deux tranches à forte mortalité : pour celle de zéro à un an, il sagit
essentiellement de décès par malformation ou infection périnatale, mais 25 % des
décès sont liés à la mort subite du nourisson puisquon a, en gros, un tiers
détats morbides mal définis dont on sait que 25 % sont des décès dus à la
mort subite.
Voilà donc pour les indicateurs de mortalité.
Les indicateurs de morbidité, eux, sont un peu différents et
révèlent un problème plutôt pour la classe dâge des dix à quatorze ans.
Sont concernés tous les comportements dits " comportements à
risque ". On fait également, dans le rapport, la différence entre
comportements à risque et comportements dessai car, en terme de politique, cela ne
conduira pas aux mêmes développements, dans la mesure où il doit être admis quun
enfant qui se forme essaie un certain nombre de choses et teste ses limites, alors que le
comportement à risque est quelque chose qui est plus pathologique, cest-à-dire un
comportement qui va entraîner, soit le décès, soit une maladie grave.
On a tendance et je pense que cest un fait de
société à rechercher le risque zéro qui nexiste pas. Il faut bien,
dans les politiques déducation, mettre en parallèle la prévention des
comportements à risque et la violence dans les banlieues est
vraisemblablement un comportement à risque et pas un comportement
dessai et faire la différence avec ces comportements dessai qui
caractérisent lenfant qui teste ses limites.
Les divers risques qui apparaissent aujourdhui majeurs sont le
tabagisme, lalcool, les toxicomanies et les suicides étant souligné, sur ce
dernier point que, parmi les six mille décès des quinze-vingt-quatre ans, on a
environ mille décès par suicide, cest-à-dire que trois adolescents se suicident
chaque jour en France. Lautre facteur de risque important sont les accidents,
puisquon a trois mille décès par an de jeunes enfants ou dadolescents, soit
par accidents de la route, soit par accidents de loisirs. Cela représente à peu près
71 % des causes de décès de la classe quatorze-vingt-quatre ans, ce qui montre
quil existe dimportantes possibilités daction dans ce domaine.
Quels sont les systèmes de prise en charge dont on peut penser
quils fonctionnent mal ? Dabord, la prise en charge des parents
au moins par intermittence. Il y a très peu de systèmes dits éducatifs pour
les parents, cest-à-dire quon ne dispose pas de lieu de concertation, de lieu
permettant de faire la liaison entre des parents qui ont parfois du mal face à leurs
enfants, quel que soit leur âge, et toutes les difficultés de lenfant. Et je crois
quil y a aussi une notion à laquelle il faut tordre le coup, cest celle de
" parents démissionnaires ". Les études montrent que les parents ne
sont pas démissionnaires, simplement ils ne savent pas quoi faire. Et parallèlement, la
société ne leur offre pas grand chose pour les aider dans leur rôle de parents et il y
aurait vraisemblablement des systèmes à mettre en place à cette fin.
Autres carences, celles des systèmes de PMI et de santé scolaire.
Notre système de protection maternelle et infantile est assez spécifique et sa
responsabilité incombe aux conseils généraux. Or, on saperçoit que les conseils
généraux sont loin den faire une priorité. Tout dépend des conseils généraux
mais, sauf pour quelques uns, on saperçoit que ce nest pas, globalement, leur
vraie priorité, de sorte quil serait quand même souhaitable de trouver un moyen de
les inciter à faire plus en matière de PMI.
La santé scolaire qui est très critiquée est
sans doute inadaptée en ce qui concerne ses effectifs, mais également ses concepts
dintervention, parce quil est vrai quil y a actuellement un stress
important chez les jeunes et que la santé scolaire na peut-être pas les outils qui
lui permettraient de repérer et daider les adolescents et les enfants à pouvoir
exprimer ce stress et dessayer de les prendre en charge. Certains, au sein de notre
commission, soutenaient que, plutôt que daugmenter le nombre des médecins
scolaires je suis médecin et je défends la santé scolaire , il
serait peut-être aussi utile de faire intervenir quelques acteurs de théâtre ou membres
dautres professions du spectacle qui apporteraient un peu dexpression
corporelle ou dexpression de vie dans les écoles, ce qui permettrait, avec
laide de psychologues, de mieux repérer toutes les difficultés que peuvent
exprimer un certain nombre de jeunes.
Au niveau du système médical en tant que système de prise en charge,
ce qui ne va pas, cest probablement le fractionnement de la prise en charge des
enfants, laquelle se termine à quinze ans et trois mois, puisque la législation
prévoit quun enfant après cet âge doit passer dans le système adulte, avec un
autre mode de prise en charge. Il est vrai que cest une barrière un peu
artificielle elle est fixée à seize ans pour la psychiatrie.
En matière de pédiatrie, on a une diminution importante du nombre de
pédiatres formés, alors que ceux-ci devraient être la pierre angulaire du système de
prise en charge. Là aussi, il y aurait donc vraisemblablement des choses à faire.
Enfin, lidée maîtresse également perçue au cours de nos
auditions et dans dautres travaux de recherche, est que le système est
hyper-cloisonné et quil faudrait, là aussi, prévoir une mise en relation ou
créer une instance susceptible de coordonner lensemble des acteurs qui tournent
autour de cet enfant parfois un peu malmené. Je prendrais un exemple concernant la PMI et
la santé scolaire ; la PMI ou le pédiatre ont, en principe, en charge de déceler,
vers quatre ans, tous les handicaps de lenfant et la santé scolaire doit
vérifier, à six ans, comment ces handicaps ont été être pris en compte. Eh bien,
il y a très peu de relations entre ces deux systèmes ; celles qui existent sont des
relations purement personnelles, mais il ny a pas de relations institutionnelles
organisées entre la PMI, qui relève du Conseil général, et la santé scolaire, qui est
de la compétences de lEtat. Il ny a pas, bien souvent, de dossier de
transmission, et le médecin qui fait le bilan de six ans na pas en main le
bilan de quatre ans qui lui permettrait peut-être dévaluer plus précisément
lintégration de lenfant dans le système de santé.
Voilà résumé en dix minutes le rapport, sans doute dune
manière très éloignée de lexhaustivité, mais je pense que vous allez pouvoir en
disposer, avec tous les chiffres qui y sont annexés.
M. Jean-François CHOSSY : Jai été frappé par les
propos que vous avez tenus au sujet de la relation parents-enfants. Vous avez dit,
notamment, que les parents navaient pas démissionné, mais quils étaient
incapables de trouver ou dapporter des solutions au désarroi de leurs enfants.
Jimagine donc que vous avez vous-même des pistes de solution à proposer.
M. Jean-François DODET : Des pistes à proposer... Nous
navons pas pu aller aussi loin, puisque nous navions que six mois pour faire
ce travail. Nous avons constaté quil y a effectivement très peu de lieux de
liaison, de lieux de concertation où on puisse au moins repérer les problèmes et les
difficultés des parents à éduquer leurs enfants. Cela se fait un peu dans le système
de PMI. La PMI a pu mettre en place dans ses consultations, avec des psychologues, avec un
certain nombre dintervenants formés parce quil faut, là aussi,
des compétences professionnelles , des systèmes de relation mère-enfants ou
parents-enfants, chez le tout-petit de zéro à trois ans. Par contre, cela
nexiste pas en milieu scolaire.
On pourrait imaginer que les parents, intégrés au conseil
dadministration des établissements, puissent piloter ou être le moteur de ce genre
de réflexion. Or, on a vu, sur quelques exemples, que le système scolaire était très
hermétique à cette démarche. Cela peut être aussi fait au niveau des municipalités.
Certaines collectivités essaient de mettre en place des systèmes de concertation ou des
systèmes daide. Il y a les associations types " les écoles de
parents " ou des choses analogues...
Mais je crois que ce nest pas non plus dans la culture latine. Ce
nest pas notre culture. Cette démarche consistant à utiliser la parole pour
essayer de résoudre les problèmes est très anglo-saxonne. Les anglo-saxons savent le
faire et nous, latins, nous sommes plus enclins à laisser les choses sexprimer
spontanément, parfois un peu violemment, sans chercher forcément à en faire
lanalyse. Je crois quil faut peut-être, à partir de trois expériences qui
existent, voir comment cette pratique pourrait se généraliser.
Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : Lautre jour, M. le
Président, nous avions envisagé laudition dun représentant de lAPCG.
Je crois que ce serait vraiment utile pour sensibiliser lAPCG, qui a été souvent
citée au cours de nos auditions, à ces problèmes.
Je voudrais également dire que nous avons, au Conseil général du
Rhône, décentralisé, dans chaque canton, ce quon appelle la " Maison du
département ", et que nous finançons des postes dintervenants chargés
de ces questions dans le cadre de la consultation PMI ce qui donne des résultats tout à
fait intéressants. Il y a une personne chargée de dialoguer avec les parents qui
viennent consulter pour leurs enfants, petits ou pas, et il y a là un échange tout à
fait utile. Je crois que cest tout à fait possible sans coûts exorbitants, sachant
que les collectivités locales craignent toujours que cela coûte très cher.
M. le Président : Sur la question que vous avez posée, nous
irons la semaine prochaine, comme vous le savez, dans un département. Dautre part,
jai écrit au président de lAPCG pour faire état de nos interrogations.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez évoqué
linadaptation relative de la médecine scolaire et de la PMI dans leurs concepts
dintervention, en disant quil vaudrait quelquefois mieux avoir des acteurs de
théâtre utilisant la parole. Sur ce plan, que pensez-vous du projet de lEducation
nationale de décloisonner la médecine scolaire en établissant des liens avec la
médecine de ville ?
Ma seconde question concerne la question de la politique globale que
vous avez aussi évoquée, et que, je crois, le Haut comité de la santé publique avait
recommandée dans un avis au mois de février dernier. Pouvez-vous préciser ce qui
pourrait être fait dans ce domaine au-delà de la dénonciation ou tout au moins du
constat, de cette sectorisation des interventions ? Y a-t-il ou des expériences à
létranger, ou des expériences locales, ou dautres exemples qui peuvent être
cités pour remédier à cet état de fait ?
M. Jean-François DODET : Il y a eu un petit raté dans notre
premier rapport. La mouture quon avait distribuée à la presse indiquait que le
Haut comité ne voyait pas dintérêt à ce que les médecins généralistes
interviennent au sein du système de santé scolaire, ce qui était une erreur. Ce
nétait pas du tout ce quil fallait lire, même si cela était écrit. Notre
position est de dire quil faut des médecins de santé scolaire pour coordonner,
pour définir les programmes dintervention. Par contre, il faut que la médecine
générale intervienne et soit un acteur important du système ; il convient donc
dintégrer des médecins généralistes dans le suivi, dans lexamen des
enfants, mais à condition que la politique globale soit définie par un acteur relevant
de léducation nationale. Cest la réponse à la première question.
La réponse à la deuxième question sur la coordination
nécessaire : on retombe toujours dans le cadre habituel, cest-à-dire que,
pour coordonner, on crée une structure. Nous ny sommes pas très favorables, mais
nous ne voyons pas, aujourdhui, ce qui pourrait lui être substitué. Au niveau
national, nous pensons quil faut une délégation interministérielle compétente
pour lensemble des problèmes denfance et dadolescence. Au niveau
régional, puisquon a la chance davoir des conférences régionales de santé,
il nous semble que le préfet devrait avoir des instructions assez précises en ce qui
concerne la définition de la politique de santé, notamment pour le volet
" enfance et adolescence " de cette politique. Le décret de 1997
donne aux préfets le pouvoir dorganiser des conférences et de mener des programmes
régionaux de santé. Je suis tenu sur ce point à une certaine obligation de réserve,
mais il me semble que les préfets nont pas totalement saisi cette opportunité et
que lorsquun préfet a envie de faire avancer un dossier ou prend en main un
dossier, il est évident quil devient un dossier prioritaire plus facile à
coordonner.
Nous pensons quil faut garder le niveau régional comme lieu de
coordination mais sans créer de structure particulière et en demandant simplement aux
représentants de lEtat, en partant du principe que la politique de santé est une
politique dEtat, de bien vouloir, au plus haut niveau de la région, coordonner les
acteurs, puisquil y a quand même, en priorité, beaucoup de services de lEtat
concernés : jeunesse et sports, action sanitaire et sociale, action culturelle, etc... Il
y a donc de quoi faire et beaucoup de lignes budgétaires sont, en fait, un peu
éparpillées entre tous ces ministères.
M. Bernard BIRSINGER : Une question très générale : à
votre avis, la santé globale des enfants, dans notre pays, sur ces dix dernières années
se dégrade-t-elle ou sest-elle améliorée ?
M. Jean-François DODET : Elle saméliore globalement,
mais cela reflète lévolution de létat général de la population. Par
contre, en comparaison internationale, elle est moins bonne sur un certain nombre
dindicateurs, et dabord la mort subite du nourrisson. Bien que nous ayons eu
une politique assez volontariste dans le domaine, nos indicateurs restent supérieurs à
certains pays européens et, au niveau des accidents, nous demeurons le pays où il y a le
plus daccidents mortels, aussi bien chez ladulte que chez ladolescent.
Ce sont donc deux points noirs de nos statistiques.
Globalement, la mortalité périnatale na fait que diminuer, bien
quon observe actuellement une phase de plateau. On na pas encore les chiffres
1996-1997 mais sur les chiffres 1993-1995, les courbes de mortalité périnatale, qui
avaient fortement chuté, commencent à amorcer un plateau et, pour la France, on pourrait
même craindre une petite remontée, alors que dautres pays, comme lItalie ou
lEspagne, continuent voir leurs courbes chuter. Il y a là une petite inquiétude,
nous verrons dans les années à venir si elle se confirme.
Cela veut dire quil faut effectivement renforcer notre système
de prise en charge périnatale. Le rapport du Haut comité, en 1994, avait déjà
préconisé un certain nombre de mesures en matière de politique de périnatalité.
Mme Danièle BOUSQUET : Je voudrais aborder la question que vous
avez évoquée des jeunes adolescents et des conduites à risque. Dans les observations
que vous avez faites, hormis la tranche dâge qui est évidemment une constante,
avez-vous réussi à observer dautres constantes chez ces jeunes qui ont des
comportements qui conduisent éventuellement jusquau décès ?
M. Jean-François DODET : Cest-à-dire en termes de
déterminants ?
Mme Danièle BOUSQUET : Cest-à-dire dautres types
de constantes qui peuvent être relevées, soit des déterminants, soit des facteurs
environnementaux susceptibles dinfluer sur ces conduites à risque, ou est-ce
exclusivement lâge qui a pu être pris en compte ?
M. Jean-François DODET : Cest lâge qui influe le
plus. Lorsquon regarde, par exemple, les statistiques sur le tabac, on
saperçoit quil y a effectivement un comportement dessai. Cest
pourquoi je ne parle pas forcément de comportement à risque. On peut essayer le tabac et
sarrêter à dix-huit/vingt ans par exemple. On observe sur ce phénomène du
tabac que, quand les enfants ont fumé jeunes entre dix, douze et treize ans, il y a
une proportion plus importante dadultes qui seront fumeurs dans cette cohorte. Par
contre, des enfants qui nont pas fumé avant quinze ans font pratiquement
toujours partie de la cohorte des gens qui ne fumeront pas à lâge adulte.
Cest donc vraiment leffet " âge " qui prédomine.
On a peu détudes sur leffet
" environnement " ou leffet " éducation ",
sur lesquels on se fait également des idées toutes faites. Nous menons actuellement,
avec une équipe de sociologues, une étude en région Bourgogne sur la grossesse chez les
femmes en situation de précarité. Nous avions tout un tas de lieux communs en
tête : il sagirait de femmes qui ny connaissent rien, qui ne lisent pas,
qui sont incapables déduquer leur enfant, etc... On saperçoit en fait que
cest faux et que cest sûrement le système qui est inadapté,
cest-à-dire que ces femmes ont bien compris la finalité du système, quelle
perçoivent ainsi : " On va me retirer mon enfant et il faut que je fasse
tout pour montrer que je suis une bonne mère, moyennant quoi je sais que ce que je dois
faire en tant que mère, et même si cela ne correspond pas à ce que me disent le
travailleur social ou la sage-femme de PMI, tant pis, je leur dis que jobserve leurs
recommandations, mais je ne change rien à ma façon de faire ".
On a été très surpris de voir que ces femmes, par exemple, lisaient
Laurence Pernoud dans le texte. Elles avaient une connaissance très précise des termes
médicaux, aussi bien pour la contraception que pour la phase de laccouchement ou
pour éduquer leur gamin. Elles avaient des principes éducatifs qui étaient tout à fait
satisfaisants, peut-être pas forcément parfaitement conformes à ce que souhaitaient le
travailleur social, la sage-femme, linfirmière ou le médecin de PMI, mais ne
comportant pas de risque ; elles faisaient vraiment passer lenfant avant
dautres préoccupations.
On dit que le milieu social à une grande influence... Ce nest
peut-être pas aussi exact quon ne le croit en ce qui concerne la petite enfance,
bien quil existe deux extrêmes : il y a dabord les milieux très
précaires où lenfant peut effectivement être en danger, mais dans lequel doit
sappliquer toute la réglementation sur lenfance en danger ; et il y a,
à linverse, les milieux très favorisés où lenfant est aussi parfois en
danger mais pas sous les mêmes formes, les études disponibles montrant bien que les
enfants de milieu supérieur courent parfois, notamment en matière de toxicomanie, des
risques qui ne sont pas négligeables, même si on sait quil est plus facile de
" récupérer " lenfant lorsque le milieu est favorisé que dans
le cas contraire. Mais il y a les deux extrêmes. Et il y a ensuite, au milieu, des gens
" de bon sens " entre guillemets. Je crois quil faut savoir, de
temps en temps, laisser le bon sens jouer en matière de principes éducatifs, et ne pas
non plus trop vouloir rigidifier les comportements.
M. le Président : Si vous aviez à résumer, en quelques mots,
les deux ou trois éléments essentiels qui relèvent de laction des pouvoirs
publics pour améliorer les carences principales que vous constatez, que diriez-vous de
façon concrète ?
M. Jean-François DODET : De façon concrète, il faudrait dire,
premièrement, quil devrait y avoir un effet daffichage très fort,
cest-à-dire que la politique santé " jeunes et ados " doit
avoir un caractère prioritaire, ne serait-ce quà cause de la dynamique du
phénomène santé dont jai déjà parlé, qui nest pas cloisonnée mais qui
doit se construire en continu, surtout pendant la période de lenfance et de
ladolescence. Il y a donc en premier lieu laffichage dune priorité.
Deuxièmement, il y a, sans aucun doute, la nécessité de coordonner
les acteurs. On a vu au fil des auditions des gens qui se méconnaissaient, alors
quils intervenaient parfois lun derrière lautre en termes dâge.
Cest à mon avis à lEtat et à ses représentants sur le terrain
dessayer dy réfléchir dans le cadre des conférences régionales de santé.
Je pense quil faut aussi vraisemblablement changer les concepts.
Cest quelque chose de plus difficile à faire ; cela peut faire lobjet de
conférences de consensus ; je ne sais pas précisément quelle méthode on pourrait
utiliser. Il existe des concepts dintervention qui ne paraissent plus adaptés à la
société actuelle et il y a tout ce que je disais sur la parole, lexpression... On
parle de la violence dans les banlieues, cest une forme dexpression quil
faut analyser et quil faut essayer de comprendre. Il faut surtout lanalyser
parce quon y colle, bien souvent, des idées toute faites qui nont rien à
voir avec la réalité du terrain et on définit en conséquence des politiques qui
nont bien évidemment rien à voir avec cette réalité. Je crois quune
modification de concepts est nécessaire mais plus difficile à faire, parce quon
est sur des terrains " sociopsychologiques " qui ne sont pas simples.
M. le Président : Nous vous remercions beaucoup. Merci
dêtre venu devant nous et très bon travail.
Audition de M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG,
Président du Tribunal pour enfants de Bobigny
(extrait du procès-verbal de la séance du 2 avril 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Jean-Pierre Rosenczveig est introduit.
M. le Président :
Monsieur Rosenczveig sera dispensé de
serment puisquil la déjà prêté lors de sa précédente audition. Nous vous
avons demandé de revenir parce que vous naviez pas eu un temps suffisant pour
développer un certain nombre de propositions et votre exposé avait paru aux membres de
la commission particulièrement intéressant.
Vous avez dû réfléchir, depuis notre dernière rencontre, à tout ce
que vous aviez dit. Comme toujours dans ce genre dexercice, on a des regrets, des
remords, on a fait des oublis, etc... Peut-être pouvez-vous, en quelques mots, traiter
tel ou tel point sur lesquels vous souhaitez insister ; mes collègues et moi-même
vous poserons ensuite quelques questions.
M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG : Je le ferais très succinctement et
en vous remerciant de me " rappeler en deuxième semaine ". Je sais
que cest exceptionnel et jen mesure lhonneur. Cela dit, cest
peut-être le fruit du travail que jai collationné et qui a été mené au sein de
lInstitut de lenfance et de la famille que vous avez créé en 1984.
Cest la poursuite de ce travail, que je restitue aujourdhui devant une
commission parlementaire.
Deuxième chose : je voudrais vous présenter mes excuses
jai effectivement eu des remords pour la qualité technique
des documents que je vous ai remis.
Troisièmement : pour répondre à votre préoccupation, il est
vrai que, comme tout le monde dans ce genre dexercice, jai approfondi ma
réflexion et je pense quil faut établir des priorités.
La première chose que je voudrais faire, cest dabord
souligner les zones dombre dont on ne parlera peut-être pas ici je ne
suis sans doute pas le plus compétent pour le faire. Jai suivi lintervention
précédente que jai hautement appréciée et que japprouve totalement, mais
ces zones dombre nont pas été explorées et elles sont classiques, il
sagit des enfants handicapés et de la psychiatrie infantile, cest-à-dire des
enfants qui sont en très grande difficulté, de ces enfants qui, autour de dix, onze,
douze, treize ans, ont besoin dune prise en charge très spécialisée. De
ceux-là, on ne parle pas. On parle des enfants du divorce, on parle des enfants
maltraités, on parle de la violence dans les établissements scolaires, on parle de la
délinquance juvénile, mais ceux qui sont en grande souffrance, ceux qui sont avec leurs
parents et ceux qui sont en grande difficulté sont cent, cent vingt mille. On voit de
temps en temps, à travers un amendement lamendement Creton ou des
choses de cette nature , les problèmes que pose la prise en charge de ces
enfants.
Je crois que ce sont des zones dombre sur lesquelles il faudrait
travailler et avoir une politique affichée, concertée et offensive.
Les enfants qui sont pris en charge par les CDES, cest une zone
dombre
certains disent parfois " une zone de non
droit " pour les parents et pour les enfants. Beaucoup de parents
errent avec une orientation donnée par la CDES, avec deux ou trois noms
détablissements qui pourraient éventuellement prendre en charge leurs enfants
autistes ou en grande difficulté, et ils ne trouvent pas de relais à lheure
actuelle. Doù ces enfants quon retrouve dailleurs à lAide
sociale à lenfance, parce quelle est obligée de relayer dune manière
difficile les carences du dispositif.
En psychiatrie infantile, il y a le gros problème de ces enfants dits
" incasables " qui nont leur place ni en prison
surtout pas, quoiquils soient dangereux pour certains , ni
dans les établissements scolaires cela va de soi , ni dans les
établissements éducatifs classiques, et que lhôpital ne peut pas prendre en
charge facilement.
On a besoin de créer des lits, de créer des équipes, pour que ce
soit moins difficile de faire prendre en charge les problèmes mentaux de certains
enfants. Je ne sais pas si le rapport du Haut comité de la santé publique sy
arrête, je le suppose, mais je crois que beaucoup denfants et de familles sont en
grande difficulté, parce que les problèmes sociaux, financiers, matériels,
dinsertion dans la société, se traduisent par des troubles psychiatriques.
Voilà les deux zones dombre.
Et très rapidement parce que jai donné les
documents et que je sais que des questions pourraient venir , jévoquerai
les priorités.
Première priorité : je rejoins totalement ce qui a été dit par
le médecin, M. Dodet, qui me précédait, sur le thème des parents. Il y a un
discours à tenir sur les difficultés que les parents rencontrent, qui nest pas
obligatoirement celui dune pratique démissionnaire, mais dune pratique de
difficulté. Il y a des gens en très grande difficulté pour prendre en charge leurs
enfants.
Je compléterai ce que le médecin a dit, en ma qualité de
juriste : je pense quil y a une parole publique à tenir, quil y a une
parole de la République à tenir, pour rassurer ces gens sur les attitudes qui sont
légitimes ou non.
Deux angles peuvent être abordés par la puissance publique :
dabord envoyer des messages très forts à travers la loi ; cest ce que
je vous propose dans quelques-unes des propositions que je vous ai exposées. La loi est
faite pour réguler les problèmes, mais elle est là aussi pour afficher les valeurs,
pour afficher des principes républicains. Et si la République noccupe pas son
terrain, ce sont des " ayatollahs " qui vont le faire, ou les
religions. Je pense quil faut quelle tienne le sien et quelle dise où
est le bien, où est le mal, le permis, linterdit, et notamment quelle affiche
un certain nombre de droits.
Je vous propose donc, puisque cest votre préoccupation,
dentrer radicalement dans le thème : " les enfants ont le droit à
... ". Cela ne veut pas dire quils naient pas de devoirs sur un
certain nombre de points.
Sur lautorité parentale, il me semble quil y a deux choses
à faire : dabord afficher ce quest la filiation, afficher ce quest
lautorité parentale, qui la détient, au regard de parents qui ne sont plus
aujourdhui, pour beaucoup dentre eux, ce que nos parents ont été dans le
passé, cest-à-dire quils reproduisaient le comportement de leurs propres
parents. Il y a donc beaucoup de jeunes parents qui ne savent plus à lheure
actuelle ce quils doivent faire comme parents, quel est lordre légitime, quel
est lordre normal des choses. Je pense que la loi a un rôle à jouer.
Deuxièmement, il faut communiquer sur la loi, et là nous avons en
stock, en Seine-Saint-Denis, une campagne de communication à la télévision à proposer
aux pouvoirs publics, laquelle se présenterait volontairement sous forme de spots
publicitaires parce que cest la publicité que les enfants et les adultes regardent,
et quainsi on peut communiquer. On a préparé une campagne de communication avec
Gilles Demestre, un réalisateur que vous connaissez sans doute, sur le thème de
lenfance, sur le thème : " vous, parents, vous pouvez légitimement
avoir tel ou tel type dattitude, vous navez pas à complexer si vous êtes le
beau-père, vous navez pas à complexer si la chambre de votre enfant se transforme
en caverne dAli Baba, vous ne pouvez pas laisser faire nimporte quoi
nimporte comment ".
Je crois que la République doit renvoyer des messages sans faire de
morale mais en réaffirmant les règles du jeu. On part du principe que nul nest
censé ignorer la loi mais quand apprenons-nous la loi ? Jamais.
Je rejoins ce que disait le docteur Dodet : nous essayons en
Seine-Saint-Denis, à travers le groupe sur la responsabilité parentale que je préside,
qui est un sous-groupe du comité de prévention de la délinquance il
nest pas inintéressant de noter cette filiation , de monter à Stains
une " maison des parents " avec la municipalité et tous les services
publics locaux et dEtat, un lieu daccueil des parents en difficulté, un lieu
de conseil et daccompagnement.
Est-ce-quil faut créer des structures, est-ce quil faut
mobiliser des moyens qui existent ? Cest un débat classique, qui a été
évoqué par le précédent témoin. Il est vrai quil faut une impulsion au plan
national et une coordination interministérielle cela me paraît aller de
soi mais sans aller jusquà créer un ministère.
Le deuxième grand axe après la responsabilité parentale qui me
paraît important, cest celui de la parole des enfants. Je pense quil faut
aller jusquau bout de ce qui a été dit. On a laissé penser aux enfants que, dans
les affaires qui les concernaient, ils auraient le droit à la parole et quils
seraient entendus. La législation de 1993 est dune prudence de Sioux comme les
Français peuvent lêtre quand ils disent blanc et quils font noir. Cest
le droit de demander à être entendu qui a été consacré par le Parlement et non pas le
droit dêtre entendu.
Je crois que cest un grand principe des droits de lhomme
que tout individu
et là cest encore un message important : lenfant est un
individu dès sa naissance tout individu a le droit dêtre entendu par
la personne qui exerce sur lui des responsabilités, donc, a fortiori, par son
juge. Les juges ne sont pas seuls en cause. Il ny a pas que des juges qui gèrent
les droits dans la société. Le droit se joue ailleurs, au commissariat, à
lécole, dans la cité, il se joue partout et éventuellement devant la justice.
Enfin, en contrepoint, je pense quil faut développer et
promouvoir des passerelles sociales parce que ce pays manque de liens. Les jeunes qui nous
préoccupent sont ceux qui sont délinquants, puisque le thème des droits de
lenfant est vu aujourdhui à travers la délinquance, avec la difficulté que
vous allez avoir de produire un document sur les droits des enfants quand la société
serait plutôt, à lheure actuelle, répressive à leur égard. Il faut abaisser la
majorité pénale à quatorze ans, disent certains, leur donner des droits alors
quils devraient avoir des devoirs. Il me semble que cela va être votre grande
difficulté.
Je fais partie des gens qui pensent, au contraire, quon peut
être exigeant à légard des gens si on affirme leurs droits. Je crois quil
faut renforcer cette dynamique mais il ne faut pas non plus être angélique, il faut
être équilibré. Et je crois quil faut aussi prendre conscience, dans cette
société, une fois quon a identifié les personnes comme sujets de droit, que les
enfants autant que les adultes manquent de lieux de débat, de lieux déchanges,
dinterlocuteurs, de passerelles. Il faut mettre de telles personnes dans les écoles
cest ce qui est proposé et dans la rue. Il serait aussi
souhaitable cest une des propositions que je développais, et qui serait
conforme aux engagements internationaux pris par la France de mettre en place
une démarche de médiation au plan national : soit on augmente les compétences
actuelles du médiateur de la République, soit on crée une institution spécifique.
Vous allez recevoir, dans quelques instants, le médiateur suédois.
Nous travaillons sur cette idée en France depuis quelques années. Il y a des démarches
" ombudsmatiques " en France qui nosent pas dire leur nom, mais
on pourrait réellement mettre en place un dispositif qui incarne cette fonction.
Il faut en identifier le champ les moins de
dix-huit ans et les objectifs. Il ne sagit pas davoir un
pouvoir décisionnel mais une autorité morale qui permette de remettre en relation, au
plan national et au plan local, des institutions qui narrivent pas à se concerter
entre elles, avec pour objectif de régler, sinon des problèmes individuels qui relèvent
généralement de la justice mais pourquoi pas pour tel ou tel problème
individuel , surtout les problèmes de types généraux. Je pense quil
faut que ce médiateur puisse être saisi individuellement et collectivement par des
jeunes pour prendre en compte leurs besoins et leurs problèmes.
Ce médiateur pourrait à la fois réguler un certain nombre de
conflits individuels et collectifs, mais il pourrait aussi promouvoir, comme le font le
médiateur norvégien notamment et dautres médiateurs des adaptations législatives
et administratives. Jai amené le document sur le médiateur belge, version wallonne
parce quil y en a deux. Vient récemment dêtre créée la version flamande
mais je nai pas encore son rapport parce quil vient dêtre institué il
y a peu de temps.
Lidée est que le médiateur puisse, à travers les
dysfonctionnements quil a repéré, promouvoir des adaptations législatives,
administratives et autres. Je crois quil y a là une piste de travail.
La greffe sera difficile à prendre parce quil faut appeler les
choses par leur nom : la culture de médiation, dune institution médiatrice,
ne marche pas en France. Les Français ny croient pas. Dun autre côté, il y
a un besoin de médiation. Il ny a pas un conflit individuel ou collectif où on ne
songe immédiatement à mettre en place une médiation, ce qui prouve bien que les flux
normaux de communication entre les uns et les autres ne fonctionnent pas.
Dernier point sur lequel jinsisterai dans ce débat sur la
médiation : il ne peut pas y avoir de médiation sil ny a pas des choses
à médiatiser. On ne peut pas médiatiser la justice. Il faut donc que les individus ou
les groupes soient reconnus comme étant sujets de droit individuel ou collectif pour
quil puisse y avoir une médiation, sinon ce serait un cautère sur une jambe de
bois, et ce serait un artifice que de créer un médiateur si, dans notre culture, les
enfants de ce pays ne sont pas reconnus comme personnes dans leurs droits et dans leurs
devoirs.
Voilà résumés le plus brièvement possible létat
desprit et les priorités parmi les quelques propositions que je vous ai faites. La
conclusion serait de dire que le vrai problème qui explique la violence des enfants dans
les établissements scolaires à lheure actuelle, cest quil ny a
pas despoir, pas de perspective, pas de projet qui leur sont proposés, individuels
ou collectifs. Tout le reste, cest de la " roupie de
sansonnet ", si nous narrivons pas globalement, nous les adultes, à faire
passer un message en direction de nos jeunes, de nos enfants, et dune manière
collective aux jeunes de ce pays, en disant quil faut croire à quelque chose.... Il
faut croire à quelque chose, il faut affirmer des objectifs et affirmer des valeurs.
M. le Président : Chers collègues... le champ est immense.
M. Jean-François CHOSSY :
Les propositions du Président
Rosenczveig sont denses. Je suis heureux davoir sous les yeux un document qui les
récapitule. Je vais en ressortir simplement une ou deux, et cela nétonnera pas le
Président Fabius que je parle de lautisme.
Dans vos propositions, vous avez évoqué dentrée le problème
de laccueil des enfants handicapés. Au-delà des problèmes de laccueil, je
crois quil faudrait sintéresser à la formation des professionnels qui
nont pas tout à fait tous les repères nécessaires. Je pense aux professionnels de
léducation nationale par exemple ; je pense aussi aux professionnels de santé
qui ne sont pas tous formés à laccueil des jeunes handicapés ; je pense
surtout à la formation et à linformation des parents qui sont complètement
déstabilisés quand ils découvrent le handicap de leur enfant, qui le découvrent
quelquefois tardivement, surtout quand il sagit de lautisme, qui ne savent pas
ce quil faut dire ou ne pas dire, ce quil faut faire ou ne pas faire et qui
ont besoin, soit dinformations, soit simplement de formation.
Je me retourne vers la Commission et vers vous, M. le Président, pour
savoir quelles propositions concrètes on pourrait faire dans ce domaine, dans
lintérêt de lenfant bien sûr, mais aussi dans lintérêt des parents.
M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG :
Il mest difficile de
répondre ; je suis trop loin de mon champ. Je vais vous relater une anecdote. Avec
ma femme, nous avons eu un enfant, et avons constaté, au moment de laccouchement,
quil était handicapé, quil avait un moignon de main gauche. Il est évident
que cétait difficile à vivre mais nous avons été très bien accueillis à
lhôpital ; cela a été bien fait, correctement fait. Il a maintenant
quinze ans. Cela dit, nous sommes rapidement allés voir un spécialiste pour savoir
sil ny avait pas une possibilité dappareillage.
La première chose que ce spécialiste, considéré comme lun des
plus grands spécialistes de France, nous a dite, cest : " il faut
que cela paraisse comme un accident ". Il nous a donc suggéré de revenir le
voir quand notre enfant aurait deux ans pour couper ce qui subsistait comme moignon,
afin que cela puisse apparaître comme accidentel.
Cest pour aller dans votre sens sur laccueil des parents.
Je prends cela comme une caricature, comme un excès, cela va de soi. Nous avons été
profondément choqués mais, comme nous sommes polis, nous navons rien dit. Mais
jimaginais ce que dautres gens avaient pu supporter face à ce type de
personnage, considéré comme lun des plus grands techniciens de France...
sur le plan technique sûrement, sur le plan psychologique, je pense
quil faut le remettre à lécole.
La réponse à votre question, est, comme dhabitude, dans la
question elle-même, cest un problème de formation et de sensibilisation et donc de
regard. Il faut faire passer cette idée. Je tiens beaucoup au message fort, peut-être
parce que je suis juriste jai aussi exercé des responsabilités
administratives en faisant la loi de temps en temps, en contribuant à faire des lois. Je
crois quil faut faire passer cette idée que lenfant handicapé est un enfant,
il est une personne, et quil a des problèmes spécifiques. Il faut faire passer
cette idée que cest une personne et quil est en grande difficulté.
Cest un problème de formation, cest un problème de culture. La technique
suit ensuite. Après, vous énoncez et vous identifiez bien les personnages qui peuvent
effectivement contribuer à cette sensibilisation, notamment au sein de léducation
nationale. Beaucoup de choses ont été faites à linitiative de M. Savary, de Mme
Questiaux. Souvenez-vous des circulaires qui ont beaucoup fait rire à lépoque, ou
qui ont beaucoup choqué, sur lintégration des enfants handicapés en milieu
scolaire normal. Beaucoup de choses ont été faites dans ce pays pour que les enfants
handicapés physiques ou psychologiques puissent, autant que faire se peut, trouver leur
place.
Il y a un merveilleux film que je vous conseillerais de voir, qui
sappelle " La chance de notre vie " ; cest le plus
grand film antiraciste que je puisse connaître, qui a été fait par le professeur Vidali
au Cnam. Cest lhistoire dune enfant autiste accueillie à travers
lAide sociale à lenfance par une famille qui décide de ladopter.
Après avoir adopté un enfant dorigine coréenne et un autre enfant dorigine
noire, ils décident dadopter un enfant handicapé. Ils étaient stériles après
leur premier enfant.
On voit très bien comment cet enfant, accueilli dans cette famille, se
développe plus rapidement quen milieu normal, et on voit ensuite les efforts de ses
parents pour intégrer leur enfant dans lécole classique et les difficultés que
cela peut poser, mais aussi les avancées.
Je crois que beaucoup a été fait parce quil y a eu une
réflexion, un regard nouveau a été porté sur les enfants handicapés, mais il est vrai
cest la zone dombre quon ne veut pas voir nos
handicapés. Vous savez que sur les plages, il peut y avoir des problèmes quand tels ou
tels enfants viennent prendre le soleil. Mais cela devient quand même de plus en plus
marginal. Beaucoup a été fait, sur une vingtaine dannées, pour que notre
société accepte de porter un regard daccueil sur des personnes différentes. Il
faut maintenant plus que jamais former les professionnels et les organiser.
Cela me permet de revenir sur une autre question que jai déjà
esquissée et également sur ce que disait M. Dodet : il faut identifier les
responsabilités des uns et des autres, des parents, des professionnels et, parmi les
professionnels, ceux qui travaillent directement pour la puissance publique dEtat et
locale, et ceux qui travaillent pour les réseaux associatifs dune manière
générale, sachant quils travaillent dailleurs tous sur fonds publics.
Un des enjeux politiques posés, à lheure actuelle, est de
franchir la deuxième étape de la décentralisation. Chacun ayant repéré ce quil
doit faire, il est temps et il est possible de concerter les stratégies. Et cela rejoint
une question qui était posée par lun dentre vous tout à lheure. Il
est vrai que lAssemblée des présidents de conseils généraux est lun des
partenaires importants de la politique de lenfance. Et si je prends un exemple
concret sur une des questions que vous posiez vous-même sur la santé scolaire, je crois
quil ne faut pas tout attendre de lEtat à lheure actuelle. Il faut dire
la chose suivante : le lieu où sont les enfants en grande difficulté qui nous
préoccupent, cest lécole. Il y sont quasiment tous. Il y a deux grands
carrefours sociaux dans la société, cest la santé le
médecin et lécole, avant quil y ait des processus
dexclusion. Cest dans ce lieu, lécole, que se trouvent les enfants en
grande difficulté.
Il faut convaincre que chacun a un intérêt commun à ce que le social
et le médical pénètrent dans lécole. Le Conseil général y a intérêt
puisquil narrive pas à détecter les familles en difficulté. Les
" palpeurs sociaux " sont mal répartis à lheure actuelle.
Beaucoup de gens sont en souffrance, et échappent aux services sociaux qui
narrivent pas à les rencontrer. Or, lendroit où sont les enfants, cest
lécole. Il faut que le Conseil général pénètre dans lécole.
Deuxièmement, lEtat lEducation
nationale a intérêt à ce que les enfants soient en pleine forme pour bien
étudier. Ils sont en souffrance et cela révèle un certain nombre de choses. LEtat
dispose dun embryon de service de santé scolaire et il tente de le développer avec
deux cent cinquante créations de postes. Cest important mais cest sept mille
postes supplémentaires qui seraient nécessaires daprès les syndicats.
Il faut passer une bonne alliance. Il faut que chacun admette
quil y a un intérêt commun à ce que le service social scolaire et le service de
santé scolaire soient renforcés et, là, on résoudra pour partie le problème du
repérage et du traitement des enfants handicapés. Il faut sortir de la stratégie de
pouvoir dans laquelle nous sommes à lheure actuelle. Il faut une concertation et
cest là que lEtat, à mon avis, a un rôle dimpulsion à donner, en
amenant, par une conférence nationale, peut-être, ou sans doute par des conférences
régionales, ladministration dEtat et ladministration locale à se
concerter en raisonnant, non plus en termes de pouvoir, mais en termes de fonctions à
remplir. Je dis quen tant que contribuable, lEtat, cest moi, le Conseil
général, cest moi ; je paye les deux et je demande quils soient plus
performants dans lintérêt de mes enfants, et surtout des enfants des autres.
M. Alain NERI :
A partir du moment où on est en contact
avec des enfants, la première mission dont on doit se sentir investi, cest de
considérer que lenfant est un petit homme et quil a droit au même respect
que lhomme. Puis car il y a malheureusement des enfants
handicapés , il faut découvrir très vite le handicap, doù
lintérêt davoir, dès la crèche ou dès lécole maternelle, des
professionnels informés et formés. Je crois que la sensibilité et surtout la
sensiblerie ne sont pas de mise. Il faut regarder le problème en face. Et la difficulté,
cest peut-être de dire quon a affaire à deux types de personnels.
Lensemble du personnel concerné devrait être informé pour pouvoir jouer un rôle
de détection. En revanche, ensuite, lorsquil faut mettre les enfants dans des
structures adaptées, ne pensez-vous pas quil conviendrait que les personnels qui
auront à soccuper de ces enfants naient pas reçu comme première formation
une formation directement axée sur les enfants handicapés mais aient déjà une
première expérience au contact des enfants " normaux "
entre guillemets parce que la normalité commence et sarrête
où ? et que ce soit une spécialisation, de façon à ce quils
aient, à légard des enfants en grande difficulté qui vont leur être confiés, le
même comportement quils auraient avec les autres enfants ?
Il ny a rien de pire que de se laisser aller à créer des
espèces de ghetto avec des gens qui, nétant pas formés au contact des réalités
denfants " classiques ", se laissent aller à ne pas être assez
réalistes et assez exigeants vis-à-vis deux.
Sur le plan de la justice, puisque vous êtes juge dun tribunal
pour enfants, ne pensez-vous pas quil serait intéressant que les enseignants et les
personnels du ministère des Affaires sociales qui soccupent des enfants aient une
plus grande information sur les problèmes de justice et de lenfance en
danger ?
M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG :
Sur le premier point, je ne
peux pas aller plus loin que ce que jai dit. Jai essayé didentifier des
problèmes à travers ma " militance " associative et ma pratique
professionnelle mais je ne peux pas aller plus loin. Vous avez tracé une piste de
travail, de réflexion. Celle que vous indiquiez et que vous développiez me semble de bon
sens.
Sur la deuxième partie, qui est à la fois en cohérence avec le reste
et qui constitue une autre question tout à fait autonome sur la justice, il est vrai que
lensemble des personnels qui travaillent dans les dispositifs de protection de
lenfance ont relativement peu de culture institutionnelle et juridique. Cest
dommage parce que comme M. Dodet le disait tout à
lheure , on néchappera pas demain à une coordination
institutionnelle et à une coordination professionnelle. Mais comment peut-on se
coordonner quand on ignore soi-même les responsabilités quon doit assumer au sein
du dispositif, quon ignore lautre et quon ne connaît pas les
responsabilités de lautre ? On est dans des jeux de rôle.
Cela étant, les choses ont progressé. Il y a une vingtaine
dannées, les médecins hospitaliers ne signalaient pas un cas sur cinquante
denfants maltraités cest ce quils me disaient quand je les
visitais car que signifiait enfant maltraité pour eux ? Que la police
déboulait dans la famille maltraitante et faisait, avec un juge dinstruction,
incarcérer les parents. Ils navaient aucune sensibilité aux différentes nuances
de lintervention judiciaire. Deuxièmement, pour eux, médecins et
cétait surtout cela limportant cela se résolvait par le
placement de lenfant, alors quils ignoraient totalement, là encore, la gamme
dinterventions de la justice. Comment pouvaient-ils faire un signalement à la
justice quand ils ignoraient ce que peut produire linstitution judiciaire ? On
pourrait multiplier les illustrations sur ce schéma.
Il sest fait beaucoup de choses ces dernières années, notamment
depuis 1983 : le cas dit de " lenfant du placard " a
relancé le débat. On a osé parler de la maltraitance à lenfant. Et il y a eu un
continuum politique. Tous les ministres qui se sont succédé ont apporté leur pierre. Le
tabou sur les violences sexuelles est tombé en 1985. La convention de 1989 a créé une
autre dynamique. La loi de 1989, mauvaise loi au départ mais très bon texte au final
parce quil a politiquement mobilisé tout le monde, était inutile parce que
redondante mais, dun autre côté, elle a créé une dynamique. Cest un
paradoxe, mais cest une loi symbolique qui a joué un rôle très important pour
remobiliser tous les gens sur la maltraitance à enfants. Il y a actuellement plus de
dialogue. Il est parfois forcé parce que, quand les professionnels ont peur de passer en
correctionnelle, comme on la vu au Mans ou ailleurs, cela incite effectivement à se
préoccuper des informations que pourraient avoir le président du Conseil général, le
procureur ou le juge des enfants.
De gros efforts ont effectivement été faits pour une meilleure
connaissance institutionnelle sur le terrain. Il y a plus de rencontres, plus de dialogue,
plus de liens. Beaucoup de stages de formation sont organisés. Au tribunal pour enfants
de Bobigny par exemple, nous avons en permanence des enseignants stagiaires
des principaux détablissements, des conseillers dorientation, des
médecins de PMI, etc... , et nous sortons aussi beaucoup pour expliquer la loi
et parler des institutions. Un très gros effort a donc été fait pour contribuer à une
meilleure connaissance du fonctionnement judiciaire et de ce que peut proposer la justice.
Mais cest un puits sans fond ; il est évident quil faut renouveler cet
effort en permanence, dautant plus quil y a des choses difficiles à combattre
en quelques années, comme une certaine conception du secret professionnel par exemple.
Beaucoup de gens sont convaincus que le secret professionnel est un droit des
professionnels, alors que cest, en réalité, un devoir. Ils sont convaincus, parce
quil y a le secret professionnel, quils nont pas, dans certaines
circonstances, lobligation de parler. Les gens ont le sentiment que la loi est mal
faite entre lobligation de se taire quimpose le secret professionnel,
lobligation de parler quimpose celle de porter secours à la personne en
péril et lobligation de dénoncer les crimes et délits.
Les gens narrivent pas à sy retrouver. Ils ont le
sentiment que la loi est mal faite, quelle est contradictoire, et il faut leur
expliquer que ce nest pas vrai, que la loi est, en réalité, bien organisée,
quelle garantit effectivement lintimité de la personne mais surtout la
crédibilité dune fonction en posant le problème du secret professionnel. La loi a
dailleurs été refaite à loccasion de ce quon a appelé le nouveau
code pénal. Elle a été bien faite et elle est très claire.
Le secret professionnel est absolu ; en revanche, il y a
lobligation de porter secours à la personne en péril et, dans des circonstances
très clairement définies, la possibilité de parler.
Et il faut rappeler aux gens quils sont tous des salariés
dune institution, notamment de lAide sociale à lenfance, de la
Protection maternelle et infantile ou de léducation nationale, et quils
doivent prévenir leur hiérarchie des faits dont ils ont connaissance.
Ce sont des choses complexes que lon passe des journées et des
journées à expliquer. Nous sommes quelques-uns à faire la tournée en France de tous
les services sociaux qui le souhaitent et qui le demandent.
Je rejoins votre première partie de question : il faut
effectivement beaucoup informer et faire réfléchir les gens, mais la loi sur ce point
est bien faite. Je nai dailleurs avancé aucune préconisation, parce que je
pense que le code pénal a opéré une clarification très nette des responsabilités des
uns et des autres. Il y a un problème je vais être caricatural ,
cest que, dans ce pays, on vote la loi mais sans les débats préparatoires
nécessaires et les gens ont limpression, dans ces conditions, que la loi est
arbitraire, quelle tombe du ciel et quelle est contradictoire. Il faut ensuite
que les débats aient lieu pour expliciter la loi.
Mme Martine AURILLAC :
Parmi les propositions très denses que
vous nous soumettez, M. le Président, je voudrais en retenir deux : lune, en
matière de droit civil, concerne létablissement du droit daccès à ses
origines, et je voudrais vous demander, compte tenu de notre conception actuelle en
matière daccouchement sous X, de quelle manière vous concevez la mise en oeuvre de
cette proposition. Lautre concerne lamélioration des conditions matérielles
dapplication de la loi en matière de prise en charge éducative, et vous citez
lexpérience des écoles de la deuxième chance, notamment à Beauvais. Pouvez-vous
nous donner quelques précisions sur cette expérience ?
M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG :
Ce sont deux questions très
différentes qui posent, pour chacune dentre elles, des grands problèmes.
Sur laccès aux origines et sur laccouchement sous X, je
fais partie des gens qui sont minoritaires actuellement. On était 11 % en 1987
lorsque, M. le Président, vous aviez commandé un rapport sur les nouvelles
procréations. Jétais un des cinq missionnaires. On était 11 % à penser
que cétait un droit pour toute personne et pour tout enfant de connaître ses
origines, quitte à ce quil y ait, bien sûr, un dispositif daccompagnement.
Beaucoup de gens ont progressé sur cette question, ont mieux pris en compte le fait que
lenfant est une personne.
Je pense maintenant quil y a beaucoup de résistance en termes de
pouvoir, en termes dinquiétude de la part des adultes, en ce qui concerne la
possibilité pour les enfants de savoir comment ils ont été conçus, notamment en cas de
procréation assistée ou lorsquil y a eu un abandon et des difficultés.
Nous sommes effectivement quelques-uns à préconiser la suppression de
laccouchement sous X à partir du raisonnement suivant je reviens à la
première proposition, cest la proposition fondamentale dont le reste découle,
ensuite cest mathématique : il faut rendre obligatoire létablissement
de la filiation paternelle et maternelle. Cest la législation suédoise. Jai
retrouvé un document rédigé par un juriste suédois qui explique bien comment les
choses se passent, et cela fonctionne relativement bien. Et dans un certain nombre de
situations où il nest pas possible détablir la filiation paternelle, la
puissance publique y renonce : lorsquil y a eu un viol ou dautres choses
assez dramatiques et que lintérêt de tout le monde est de ne pas savoir
trois cents à quatre cents cas par an si jai bien compris. Mais le
principe est que les pouvoirs publics vérifient, à travers le Conseil municipal de
service social, si lenfant dont la naissance a été déclarée aux impôts,
bénéficie dune filiation paternelle et dune filiation maternelle établies.
Dans ce cadre, il ny a, en effet, pas daccouchement sous X. Nous sommes
dailleurs un des rares pays en Europe, avec le Luxembourg, à avoir ce type de
dispositif.
A travers laccouchement sous X, on a confondu deux problèmes qui
sont, bien sûr, tout à fait importants lun comme lautre : il y a des
situations dans lesquelles des jeunes femmes ne peuvent pas assumer la maternité, ne
peuvent pas élever leur enfant. Il faut donc leur garantir quelles pourront
effectivement, entre guillemets, l" abandonner ", le
" délaisser ", le " confier "... la loi de 1984
parle de le " remettre aux fins dadoption ". Je crois que
cest un mot positif. Cest un mot barbare mais on voulait un mot positif et non
ségrégatif. Remettre leur enfant aux fins dadoption et donc leur garantir le droit
à ne pas pouvoir assumer lenfant pour des raisons psychologiques,
matérielles, morales, peu importe malgré tous les soutiens quon a pu
leur offrir, et il faut quelles puissent effectivement ne pas lassumer.
Dun autre côté, il faut garantir le droit de lenfant à
avoir une filiation établie.
Je crois quon a confondu les deux et quon nie le fait de la
naissance. On accouche sous X et on nie ce fait. Il faut distinguer les deux choses. Il
faut que la filiation de lenfant soit établie et que la personne concernée renonce
ensuite à lexercice de ses droits. Pour moi, le problème se résout, non pas par
labsurde, mais par le fait quil ne doit pas y avoir daccouchement sous
X.
Deuxièmement, et pour être simple, le Conseil économique et social,
sur le rapport de M. Burnel, a mené il y a cinq ans des travaux qui sont à mon
avis tout à fait intéressants. Bien sûr, les travaux de la Commission Mattei et la loi
telle que vous lavez votée ont repris en compte une partie de ce que nous
souhaitions, pour veiller à ce que les dossiers des enfants soient au moins remplis, que
ceux-ci puissent y accéder à un certain âge et que des informations relativement
pertinentes puissent figurer dans leur dossier.
Jajoute que, de tous les gens que jai vu souffrir, ceux qui
ont le sentiment que la société les a amputés dune partie deux-mêmes, à
tort ou à raison, sont ceux qui souffrent le plus. Des témoignages pourraient être
donnés par dautres que moi. Il est vrai que laccès aux origines doit être
accompagné, comme cest le cas en Angleterre. Il a été prévu dans le rapport de
M. Burnel et il a été proposé, dans le rapport de M. Mattei, quune
instance nationale accompagne les gens qui souhaitent accéder à leur dossier dans la
révélation de leurs origines. On napprend pas comme cela, sans tout un travail
préparatoire, que son père sappelle M. X ou que sa mère sappelle Mme
Y. Et lexpérience montre dailleurs que, lorsque les gens savent quils
peuvent accéder à linformation, ils ne demandent pas à le faire. Ce quils
ne supportent pas, cest quon puisse prétendre leur cacher quelque chose qui
leur appartient. Si on me disait quon sait des choses sur moi, sur mon état de
santé, et quon refuse de me le dire, je ne laccepterais pas un seul instant.
Cela ne mintéresse pas de le savoir, mais je ne peux pas accepter quon me
prive dune partie des choses qui mappartiennent.
Voilà, je réponds rapidement à votre question, mais jinsiste
sur la nécessité dun accompagnement social. Cest dailleurs ce qui est
prévu par toutes les commissions ayant travaillé sur ce sujet.
Sur lécole de la deuxième chance, ce nest, daprès
ce que je sais, quun projet. Jy travaille avec M. Amsallem.
Lidée est, pour reprendre le débat sur la violence et le fait quun
certain nombre de gamins sont en rupture avec lécole, que nombre de jeunes qui sont
en rupture avec lécole de la République y ont leur place, mais ne peuvent pas y
accéder localement parce quils ont " brulé tous leurs
vaisseaux ". Il faut quil y ait quelque part, pour ces jeunes, un séjour
de rupture par rapport à leur quartier, par rapport à leur famille. Il sagit donc
de créer un réseau public détablissements, décoles primaires,
décoles secondaires sinon de lycées, qui permette à un département de
sappuyer sur un ou plusieurs autres départements et aux jeunes de continuer leur
scolarité dans le cadre de lécole de la République quitte, pour un an ou deux, à
le faire ailleurs que dans leur ville dorigine. Il faut mettre en réseau
léducation nationale de façon à ce que les jeunes qui ont encore la possibilité
dy être scolarisés le soient.
Mais il faut ajouter deux choses mentionnées dans mon document, qui me
paraissent tout à fait importantes : premièrement, il y a actuellement un besoin
énorme dinternats scolaires. Beaucoup denfants se présentent au tribunal
ce qui est une caricature pour demander à être scolarisés.
Cest révélateur et cela veut dire quil y a des dysfonctionnements.
Il y a une demande très forte de la part de parents et denfants
pour que ceux-ci soient protégés dans des structures scolaires qui puissent les
scolariser et les héberger. Cest important conjoncturellement et, en outre, cela
coûte moins cher cent cinquante francs par jour ou cent cinquante-cinq francs
par jour que, quelques années plus tard, une place dUEER à mille
quatre cents francs. Il faut aussi être réaliste.
Deuxièmement, il y a un besoin détablissements éducatifs,
cette fois-ci pour des enfants ou des adolescents en grande difficulté. Il faut
effectivement démultiplier ce qui existe dores et déjà à travers quelques
structures que jai citées dans mon document et lors de mon audition à
lAssemblée nationale sur lordonnance de 1945. Il y a une dizaine, une
quinzaine détablissements capables de prendre des enfants en très grande
difficulté, qui sont dans un fantasme de toute puissance, dans la violence, etc..., et de
les ramener à autre chose. Ce sont des établissements qui utilisent des stratégies. Peu
importe que ce soit lié au charisme de lun, à luniforme de lautre
lAmiral Brac de la Perrière -, aux méthodes un peu
" karatéka " du troisième. Lessentiel, cest que des
enfants de treize, quatorze, seize ans, qui ont rarement trouvé très jeunes
et en particulier pas dans leur famille les structures
" cadrantes " qui leur indiquent le bien, le mal, le permis et
linterdit, et qui leur disent quand ils vont trop loin et quils vont se
brûler, puissent à lheure actuelle bénéficier de structures qui les cadrent, qui
sont " contenantes " pour reprendre lexpression technique, sans
être fermées. Car, on ne peut pas apprendre en étant dans un lieu clos, on
napprend pas à courir dans une pièce, on apprend à courir dans la rue. La rue
sapprend dans la rue. Cela dit, ces gamins connaissent la rue dix fois mieux que
nous, ils ont besoin de structures qui les éloignent de leur quartier et dans lesquelles
ils peuvent être contenus.
En dautres termes, ce ne sont pas des murs quil faut
bâtir, ce sont des hommes quil faut trouver, qui prennent en charge, comme on a su
le faire en 1945, les gosses en difficulté daujourdhui. Il existe une dizaine
ou une quinzaine déquipes. On a besoin de cinquante ou de soixante équipes, pour
caricaturer un peu mon propos. Tout cela prendrait alors de la cohérence. Un certain
nombre denfants ont leur place dans lécole normale de la République mais il
faut simplement les déplacer pendant un an pour quils reprennent leur souffle,
quils reprennent confiance en eux, quitte à ce que des équipes enseignantes
mettent en uvre des classes relais, qui font du " sur mesure "
pour un certain nombre denfants. Léducation nationale travaille bien pour
95 % des élèves mais, pour 5 %, il faut quelle fasse du " sur
mesure ". Cela se fait dune manière embryonnaire à lheure
actuelle.
Le projet de M. Amsallem, cest effectivement de mettre en
réseau un certain nombre détablissements, en réalité un certain nombre de
départements, pour que lun puisse sappuyer sur lautre et
réciproquement. Dans le même temps, il faut, premièrement, créer des internats
scolaires de base dans le privé ou dans le public et, deuxièmement, créer des
établissements éducatifs sous les formes les plus variées possible mais en
sappuyant sur la capacité des individus, et notamment des hommes, parce que,
cest aussi un vrai problème : il y a beaucoup trop de femmes dans ce domaine.
Ce nest pas une critique sur la féminisation, cest une réalité que les
gamins qui sont dans la toute puissance nont, à lheure actuelle, jamais eu
affaire à des hommes. Cest pourquoi je pense quil faut rendre obligatoire la
filiation paternelle pour les obliger à être en situation de responsabilité. A
lheure actuelle, les enfants en très grande difficulté sont confrontés à des
professionnels qui sont souvent uniquement des femmes. Ils ne retrouvent même pas
dhommes dans cette situation. Il faut donc trouver aussi des équilibres dans la
prise en charge de ces jeunes en grande difficulté.
Mme Dominique GILLOT :
Je rejoins ce que vous expliquiez sur la
nécessité de travailler en réseau et de réellement décloisonner les institutions qui
concourent à la structuration de lenfant. Mais je voudrais aussi votre avis sur la
place quil faut réserver aux parents dans ce dispositif. Je remarque et
beaucoup de travaux le montrent quon a beaucoup spécialisé, beaucoup
professionnalisé et beaucoup médicalisé, et lexpérience que vous avez relatée
à propos de votre enfant handicapé montre bien que les parents sont, à certains
moments, dépossédés et déqualifiés de leur rôle de parents. Il y a ceux qui ont la
capacité de réagir et de se réinscrire dans la conduite du projet individuel
déducation et du devenir de leur enfant, et il y a ceux qui saccommodent ou
sont complètement désorientés, désappointés, par la déqualification dont ils font
lobjet.
Jaimerais connaître vos propositions. Quelle piste devons-nous
explorer pour réintroduire les parents dans leur rôle obligatoire, dans leurs
obligations de parents ? Vous dites quun enfant a droit à ses deux parents et
quil faut réaffirmer la parentalité, notamment celle du père. Vous insistez aussi
sur la nécessité de la mixité des équipes qui, à certains moments de la vie de
lenfant, sont des substituts de la famille.
Toutes ces pistes là sont corroborées par des travaux sur lesquels
nous nous appuyons, mais il me semble quil y a peut-être des procédures plus
systématiques à mettre en oeuvre aujourdhui pour apprendre aux jeunes parents à
être des parents, pour les introduire dans la parentalité et leur expliquer quils
ont un lien de filiation avec leur enfant qui ne sera jamais rompu. Il y a un seul lien
indissoluble dans la vie, cest la filiation. Les liens du mariage, les liens
dassociation peuvent se casser et se dissoudre, mais on est obligé dassumer
celui-là, et cest un des droits fondamentaux de lenfant.
Réaffirmer les droits de lenfant, cest aussi conforter les
obligations des adultes qui en ont la charge. Pouvez-vous nous aider à mettre en place
des dispositifs pour conforter ces obligations ?
M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG :
Je vais totalement dans votre
sens avec des propositions concrètes. La première remarque que je ferai, cest
effectivement le constat que les gamins, qui ont été en rupture avec leurs parents entre
douze et quinze ans, sont à nouveau à vingt-quatre, vingt-cinq, vingt-six ans,
dans lunivers de leurs parents. Cela ramène les professionnels à une certaine
modestie. On ne peut jamais éliminer la dimension familiale ou la représentation de la
dimension familiale.
Mais subsiste une difficulté que jai essayé de pointer dans mes
documents : quest-ce quêtre parent ? De qui parle-t-on quand on
parle de parents ? La difficulté conjoncturelle dans laquelle nous sommes,
cest quil y a plusieurs types de parentalités, il y a plusieurs types de
parents je fais très simple pour faire rapide : il y a à la
fois les parents biologiques il faut établir la filiation
obligatoire , mais il y a aussi les parents affectifs, le beau-père, la
belle-mère. Et tous sont des parents importants pour lenfant à des niveaux
différents. Il ne faut pas mélanger le beau-père avec le père, mais pourtant le
beau-père joue un rôle conjoncturel alors que le père joue un autre rôle en
profondeur. Il faut identifier lun, identifier lautre, et là réside la
caractéristique du problème auquel nous sommes confrontés. Les enfants modernes ont
plus que jamais plein de personnes qui soccupent deux. Je dis en plaisantant
que si certains enfants sont privés dadultes responsables, dautres en
débordent. Entre les deux parents biologiques, les deux couches de beaux-parents, quatre
grands-parents vivants, grâce à la santé et à labsence de guerre, une vingtaine
de professionnels, cela fait beaucoup trop pour soccuper du même gosse.
Et le problème, derrière la caricature, est à la fois
didentifier clairement les responsabilités des uns et des autres, doù les
premières propositions en tête de mon document, mais aussi et je rejoins
M. Dodet sur ce point , dorganiser larticulation des
responsabilités des uns avec celles des autres.
Et jajoute une troisième chose qui va dans votre sens :
articuler ne veut pas dire quon est au même niveau et il y a une priorité. La
priorité, dans ce pays démocratique et dans notre culture, cest lautorité
parentale, cest la responsabilité parentale. Tout ce que nous faisons vise à la
garantir à tout enfant. Cela résume tout le droit de la famille. Tout enfant a droit à
une famille, dabord la sienne, à défaut une autre qui a vocation à devenir la
sienne par ladoption, cest-à-dire par un lien juridique. Cela résume, de mon
point de vue, lensemble du droit de la famille française. Il faut dabord
faire en sorte que les enfants vivent chez eux avec leurs parents. Tous les services
sociaux ont cette vocation. Et pour un certain nombre dentre eux qui vont être en
rupture, lobjectif est de rejoindre et de rétablir la relation parentale.
Pour être maintenant très précis, jai deux illustrations à
vous donner indépendamment des propositions de texte que je fais et qui ont valeur
symbolique : ce que nous faisons à Bobigny, ce que le Parquet je
nai aucun mérite , ce que le Procureur de la République fait
systématiquement, cest, lorsquun jeune est présenté comme étant un jeune
délinquant, de le convoquer au tribunal, chez le Procureur de la République, avec ses
parents et contrairement à ce quon dit, les parents viennent la plupart
du temps. Le procureur va essayer de travailler sur lautorité parentale pour voir
si les parents étaient au courant de la délinquance du jeune, comment ils
lexpliquent, ce quils sont prêts à faire. Six mois plus tard, il y a une
contre-expertise, une contre-visite, pour vérifier que les engagements qui avaient été
pris par les parents ont bien été tenus.
A lautre bout de la chaîne, il y a des actes de type symbolique.
Cela rejoint la question que posait votre collègue tout à lheure sur la formation
et sur la culture. Nous avons tous été amenés comme parents, un jour ou lautre,
à signer des autorisations dopérer en blanc réclamées par léducation
nationale ou par les colonies de vacances. Combien sommes-nous à savoir que ces
autorisations dopérer nont strictement aucune valeur juridique ?
Personne ne peut me déposséder, moi, parent, ou ma femme, de donner lautorisation
dopérer mon enfant sil a un problème, sauf urgence absolue mais
alors le médecin na besoin daucun accord, sinon ce serait non assistance à
personne en péril ou urgence " relative " les
parents ayant disparu, la décision incombe au Procureur de la République et au juge pour
enfants. En dautres termes, on me demande de me déposséder dune partie de
mes droits, alors quon devrait en réalité avoir en tête la préoccupation
suivante : " monsieur ou madame, si jamais il y a un problème, où et
comment puis-je vous prévenir ? ".
On rejoint donc le débat culturel qui vise à recentrer les
professionnels sur laccompagnement de lexercice de lautorité parentale,
et à ne pas se substituer à lautorité parentale.
M. le Président : Merci beaucoup dêtre revenu devant
nous. Je crois que le témoignage que vous avez apporté, vos documents et votre
expérience nous seront extrêmement précieux. Je vous remercie.
Audition de Mme Louise SYLWANDER,
Médiateur des enfants du royaume de Suède
(extrait du procès-verbal de la séance du 2 avril 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Louise Sylwander est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives
relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées.
M. le Président : Madame Sylwander va sexprimer en
anglais.
Madame, vous le savez, notre Commission denquête se penche sur
létat des droits de lenfant en France et les améliorations susceptibles
dy être apportées. Lexpérience du médiateur suédois nous intéresse
vivement. Nous souhaitons en connaître le fonctionnement et les enseignements qui peuvent
en être tirés. Je vous donne la parole pour un exposé introductif et mes collègues et
moi-même vous poserons ensuite des questions si vous le voulez bien.
Mme Louise SYLWANDER : Cest un grand honneur pour moi de
mexprimer devant vous et jespère que je pourrai répondre utilement à vos
questions.
Le médiateur pour les enfants en Suède est une institution créée
par un acte spécial du Parlement en 1993. Le bureau de lombudsman du
médiateur suédois pour les enfants est un organisme indépendant et non
politique. Nous avons été mis en place par la loi et des pouvoirs statutaires formels
nous ont été accordés par le gouvernement mais, à tous autres égards, nous sommes
indépendants et apolitiques.
En Suède, il y a eu un débat, pendant de nombreuses années, pour
savoir sil fallait ou non un médiateur pour les enfants mais, lorsque la Suède a
ratifié la Convention sur les droits de lenfant, on a considéré quun
médiateur pour les enfants était nécessaire afin de remplir les obligations de la
Suède par rapport à la Convention.
Comme vous le savez peut-être, la Suède a déjà un système de
médiation assez évolué. Il y a quatre médiateurs pour les droits de
lhomme : un médiateur contre la discrimination raciale, un médiateur pour les
handicapés, un médiateur pour légalité des chances entre les sexes et maintenant
un médiateur pour les enfants.
Lorsquon a discuté de la mise en place dun médiateur pour
les enfants, des craintes se sont exprimées. On pouvait estimer que lidée du
médiateur serait affaiblie si on avait un médiateur pour toutes les catégories dans la
société mais, finalement, on a considéré que, sil y avait un groupe qui avait
réellement besoin dun médiateur, cétait bien les enfants.
Une autre question qui sest posée alors a été celle de savoir
comment utiliser au mieux les potentiels du médiateur, ses pouvoirs dintervention
pouvant conduire, dans certains cas, à ce quil soit noyé sous les cas individuels.
Le Parlement a finalement décidé que le médiateur devrait travailler à un niveau
général et stratégique, ce qui signifie que mes collaborateurs et moi-même, nous
devons prendre en considération les jeunes et les enfants de Suède en tant que groupe.
Cela a conduit les différents organismes publics, les sociétés, etc... à prendre des
dispositions générales en faveur des enfants en tant que groupe, mais cela ne veut pas
dire que nous ignorions complètement les cas particuliers.
Il y a en effet des enfants en difficulté ou des enfants qui sont
soumis à des décisions conflictuelles qui peuvent attirer lattention des services
du médiateur sur des situations non satisfaisantes, mais aussi, parfois, sur la non prise
en compte du point de vue des enfants dans des domaines particuliers. A propos dun
cas particulier, je peux donc attirer lattention sur des principes généraux sur
lesquels il faudrait peut-être fonder les modifications à apporter à la loi ou aux
procédures officielles. Comme je lai dit, le médiateur a été mis en place en
1993 et mon service compte quatorze personnes.
Mes collaborateurs et moi-même sommes guidés par trois principes
directeurs : il y a tout dabord, bien entendu, la Convention des Nations unies
sur les droits de lenfant, avec la médiation pour les enfants qui y est
explicitement prévue ; il y a le thème des enfants en difficulté et celui du droit
des jeunes à participer, à différents niveaux, à la vie de la société.
La Convention des Nations unies est un instrument idéologique
important permettant daffirmer le point de vue des enfants, mais la Convention ne
sapplique pas en Suède directement comme une loi suédoise. Par conséquent, une de
mes tâches les plus importantes a consisté à examiner systématiquement la législation
suédoise qui sapplique aux enfants afin de la mettre en conformité avec la
Convention.
Il est important que le point de vue des enfants devienne un élément
à prendre naturellement en compte dans lélaboration de toutes les nouvelles
législations. Nous essayons donc de nous engager dans le processus à un stade aussi
précoce que possible, ce qui implique des contacts permanents avec les ministères avant,
par exemple, que les projets de textes ne soient rédigés.
Il y a également des contacts directs avec les commissions ou les
comités concernés par ces questions : le rôle du médiateur des enfants, en tant
quorgane consultatif dans le processus législatif, est une part importante de notre
travail.
Il est tout à fait encourageant quun grand nombre de nos points
de vue aient été pris en compte dans les plus récents projets de loi, par exemple le
code parental, la loi sur les services sociaux et la loi sur les étrangers. Cest la
première fois que les principes fondamentaux de la Convention des Nations unies sur les
droits de lenfant sont ainsi directement incorporés dans la législation suédoise.
Mais la Convention sur les droits de lenfant ne sert pas
simplement de guide au législateur. Ma tâche est également de diffuser des informations
et de faire connaître la convention aux citoyens dans leur ensemble, aux catégories
professionnelles qui travaillent avec les enfants et aux décideurs.
Mon service a donc travaillé activement à la mise en place de
lapplication de la convention au niveau des pouvoirs locaux, dans les
municipalités. Nous pensons que cela est vital pour promouvoir les droits et les besoins
des enfants.
Nous avons un système très décentralisé dans notre pays ; les
crèches, les écoles, le travail social, relèvent des pouvoirs locaux et nous pensons
quil est essentiel quils utilisent eux-mêmes la convention dans leur travail
auprès des enfants. Nous avons effectué deux enquêtes en 1995 et en 1997, et les
résultats ont démontré quil ny a, en fait, que quelques municipalités en
Suède qui ont commencé à mettre en oeuvre la convention. Cest donc une de mes
tâches principales à lheure actuelle, dautant que mes services ont reçu, de
la part du gouvernement, un mandat spécial pour sassurer que les autorités locales
appliquent réellement la Convention sur les droits de lenfant. Une partie du
travail de mes services a donc consisté à élaborer un manuel de prescriptions, un
guide, sur la façon dappliquer la convention.
De plus, le gouvernement a affecté des crédits pour accélérer la
mise en uvre de la Convention au niveau des municipalités. Il sagit dun
projet important basé sur la coopération entre les services du médiateur pour les
enfants et toutes les organisations non gouvernementales qui travaillent en Suède sur le
droit des enfants.
Le deuxième thème sur lequel nous travaillons est celui des enfants
en situation de danger. Dans lensemble, les enfants sont, en Suède, en bonne
situation physique et mentale par rapport à dautres pays, mais il y a néanmoins
des enfants qui subissent des sévices sexuels ou qui sont maltraités. Au cours des dix
dernières années, la Suède a connu des difficultés économiques avec les conséquences
que lon sait sur les enfants, et cest une préoccupation importante pour mes
services.
La majeure partie de nos activités, au cours des années récentes, a
été consacrée aux questions de la violence physique ou psychologique dans les écoles
entre élèves, mais également entre élèves et adultes. Si on demande aux enfants
suédois ce qui les contrarie, ce dont ils se plaignent, ils répondent que ce sont les
agressions à lécole, la violence à lécole. On a fait une enquête auprès
des jeunes de treize ans à travers le pays ; on leur a demandé ce quils
pensaient quon devrait faire pour aider à résoudre cette violence à
lécole. Nous avons reçu plus de six mille réponses et nous avons publié un
rapport pour le gouvernement qui contenait un grand nombre de propositions ou de mesures
que mes services considèrent comme essentielles. Ce rapport sert de base pour
lintroduction dun certain nombre de modifications dans la loi sur
léducation nationale en Suède.
Le troisième thème daction du médiateur, cest
lexercice dun rôle de porte-parole des jeunes et des enfants en Suède. Comme
je lai dit, une des principales tâches de mon service consiste à représenter les
enfants et les jeunes, et à défendre leurs intérêts dans la société. Le meilleur
moyen pour moi est dobtenir pour eux la possibilité de sexprimer eux-mêmes.
Nous consacrons beaucoup de temps et de travail à favoriser lintroduction de
procédures de co-décision associant les enfants, par exemple lors de litiges
sur la garde de lenfant et au niveau des pouvoirs locaux. Dans cette
perspective, le médiateur des enfants doit recueillir des informations et écouter les
jeunes afin darriver aux meilleures propositions possibles.
Nous sommes en contact avec les enfants de plusieurs manières
différentes. Par exemple, nous rendons visite à des centres de loisirs, à des écoles
ou à diverses institutions. Il y a également une ligne dappel gratuite que nous
appelons " direct médiateur enfants ". Il sagit dun
service dinformation pour les enfants leur indiquant où trouver des informations
sur leurs différents droits. Ils peuvent également nous exposer différentes questions
quils souhaitent que nous traitions.
Nous utilisons également le potentiel quoffre
linformatique pour la communication et, cet automne, nous avons mis en place un site
pour les enfants sur lInternet. Il sagit dun site Internet
interactif : nous pouvons, bien entendu, donner des informations aux enfants sur
leurs droits. Nous pouvons également utiliser ce site pour leur poser des questions. Nous
sommes reliés à un certain nombre décoles, à lheure actuelle, et nous les
interrogeons régulièrement sur les problèmes sur lesquels nous travaillons. Nous
souhaitons bien entendu augmenter cet effort afin dêtre reliés, dici la fin
de lannée si possible, à une centaine décoles. Bien entendu, un service
composé de quatorze personnes tel que le nôtre doit coopérer avec toute une gamme
dinstitutions, de services et de personnes afin daméliorer son efficacité et
davoir plus de " punch ". Cela signifie par exemple des
campagnes conjointes avec des organisations non gouvernementales ou en coopération avec
une ou plusieurs autres autorités, afin de mieux cerner le point de vue des enfants et de
mettre sur pied des réseaux et des groupes de référence dans des domaines particuliers.
Dans certains domaines, le médiateur pour les enfants a également un
rôle de coordination entre différentes institutions ou autorités. Je peux vous en
donner deux exemples : nous sommes responsables de la coordination et du suivi
détudes concernant le bien-être social des enfants, et toutes les autorités
nationales importantes sont également impliquées dans ce travail. Nous fonctionnons en
réseau et nous nous rencontrons quatre fois par an. Nous avons aussi pour tâche de
recueillir les données statistiques concernant les enfants et les jeunes et den
établir une compilation publiée tous les deux ans.
Nous devons également coordonner les activités pour la promotion de
la sécurité des enfants et des jeunes. Je ne sais pas si vous connaissez la semaine
britannique pour la sécurité des enfants. Nous avons, en Suède, une quinzaine qui est
organisée sur le même thème et nous essayons de montrer les efforts qui sont faits dans
la prévention des accidents, quil sagisse daccidents domestiques ou de
la circulation.
Enfin, je voudrais mentionner le rôle essentiel, à mes yeux, que nous
jouons dans la formation de lopinion en Suède. Nous publions chaque année un
rapport qui doit, entre autres, transmettre le point de vue du médiateur des enfants
quant à la façon dont la Suède a mis en oeuvre la Convention sur les droits de
lenfant. Ce rapport comporte différents points de vue et des propositions à
lattention du gouvernement. Nous nous servons de ce rapport pour influencer
lopinion publique. Nous essayons dattirer lattention des médias sur
différents problèmes qui y sont soulevés. Ce rapport décrit la prise en compte de la
Convention des droits de lenfant des Nations unies, en Suède, année après année,
et il donne, en même temps, au gouvernement des informations pour létablissement
de son propre rapport à la Commission des droits de lenfant à Genève. Nous
envoyons, de notre côté, des rapports à Genève et, comme vous le savez peut-être, la
Suède fera cet automne son second rapport sur lapplication de la Convention. En
tant quorgane compétent, je serai présente à Genève et jy donnerai mon
point de vue.
A titre dexemple de problèmes soulevés dans notre rapport
annuel, je citerai les conséquences des réductions importantes des dépenses de
lEtat suédois pour les enfants ou les droits des jeunes à influencer certaines
décisions. Le rapport est publié à huit mille exemplaires. Il constitue la pierre
angulaire de notre contribution à lévolution des idées sur ce sujet.
Un autre moyen dattirer lattention sur certains problèmes
consiste à organiser des auditions de différents experts capables déclairer le
point de vue des enfants et de tenir compte de leurs attentes. Il faut préparer les
conditions dun changement dattitude et travailler sur le long terme.
Je voudrais dire enfin que nous coopérons de manière régulière avec
les médiateurs pour les enfants des autres pays nordiques. Nous avons ainsi participé à
une réunion avec eux à Copenhague. Vous savez peut-être que certains représentants des
onze médiateurs pour enfants se sont réunis à Trondheim en 1997 et quà
cette occasion nous avons mis en place un réseau qui sappelle lENOC (European
network of ombudsmen for children). LENOC coopérera, entre autres, sur des
questions liées à la Convention de lenfant en Europe et augmentera les pressions
exercées afin de préserver les droits et les intérêts des enfants.
Après cet exposé liminaire, je me tiens maintenant à votre
disposition pour répondre à vos questions.
M. le Président : Merci beaucoup pour votre exposé très
intéressant pour nous, très dense, très riche. Je vais me tourner vers mes collègues
députés pour leur demander sils ont des questions à poser ou des demandes de
complément dinformations à faire.
M. Gaétan GORCE :
Madame, vous avez évoqué le débat qui
a précédé la création de votre fonction. Ce débat, qui a duré quelques années
entre 1989 et 1993 a-t-il suscité des arguments qui permettaient
de douter de lutilité dun médiateur de lenfant ? Je crois
comprendre, à travers ce que vous nous dites, que votre action est très dense et porte
sur différents domaines. Pour autant, des interrogations sont-elles apparues, notamment
sur le partage des rôles entre cette nouvelle mission et ladministration plus
traditionnelle ? De la même manière, comment se situe votre action par rapport à
la justice et êtes-vous en situation, à un moment donné, dintervenir lorsque des
affaires concernent la justice ou sont susceptibles de la concerner ?
Mme Louise SYLWANDER : Il est exact que la question de
lefficacité et de limpact sur la société du médiateur a été posée. Mais
il existe en Suède, comme je vous lai indiqué, une longue tradition du médiateur
ou des médiateurs, et je crois que nous avons plutôt tendance à leur faire confiance.
Lexpérience montre que les médiateurs et le système dont ils
font partie ont été à lorigine de progrès incontestables. Je disais tout à
lheure que nous avons pu craindre que la notion même de médiateur et de ses
fonctions soit affaiblie, si jamais il y avait un ombudsman pour chaque secteur de la
société. En fin de compte, lopinion publique, de manière assez unanime, a estimé
que si un groupe, si un secteur particulier, devait avoir un médiateur, cétait
bien celui des enfants qui, par ailleurs, nétaient pas en mesure de se défendre
seuls. Dautre part, je crois quon estime aujourdhui que le médiateur
suédois pour les enfants a aidé à mieux mettre en valeur la convention.
Les médiateurs, dune manière générale, sont nommés et
désignés par le Parlement. Je dois rencontrer, la semaine prochaine, mes collègues
médiateurs parlementaires, et jai limpression, si jen juge par rapport
à mes contacts et aux relations que jentretiens avec ce que vous qualifiez
dadministrations traditionnelles, quil ny a pas eu de difficultés
particulières avec elles, car les médiateurs, les ombudsmen, ne possèdent pas de
pouvoir spécifique de contrôle. Pour ma part, je ne suis pas chargée du contrôle du
travail réalisé par dautres. Je nai pas les mêmes obligations que les
autorités de tutelle dans dautres secteurs. Le rôle de médiateur est de favoriser
la prise de conscience, de travailler sur lopinion publique, dessayer de faire
bouger les choses, pour que les gens aient spontanément envie de protéger les droits de
lenfant : alors que les autres systèmes traditionnels sont là pour réprimer,
je suis là pour favoriser la protection des droits de lenfant.
Bien entendu, toutes les propositions de loi et de modifications de la
législation dont je saisis le gouvernement naboutissent pas. Parfois,
lorsquune question est débattue entre les parties concernées dans le cadre
dun processus classique, je ne joue pas forcément sur du velours, par exemple pour
la question de la pornographie, qui est chez nous posée depuis de longues années.
Dautre part, pour peu que les conséquences dune nouvelle législation soient
onéreuses, ce texte peut être difficile à faire passer.
Mais, dans lensemble, nous avons réussi. Les cas où nous avons
réussi sont en tout état de cause plus nombreux que les cas où nous avons échoué.
M. le Président : Vous avez fait allusion à vos collègues
ombudsmen dautres pays, à la fois pays du Nord et autres : y a-t-il des
aspects sur lesquels leurs activités ou leurs modes de fonctionnement diffèrent des
vôtres ? Y a-t-il des aspects de leurs activités ou de leur fonctionnement qui vous
paraissent utiles et qui, au fond, si on devait créer un ombudsman ailleurs, devraient
être repris ? Est-ce que vous connaissez des expériences dans dautres
pays ?
Mme Louise SYLWANDER : Lorsque je parlais de mes collègues
médiateurs, je me référais plutôt à mes collaborateurs en Suède qui sont au nombre
de treize. Jai parlé du réseau européen, de lENOC. Ce réseau existe et il
est constitué de onze pays européens. Tous les ombudsmen ne sont pas identiques. On peut
dire que les modèles suédois et norvégien sont quasiment identiques, mais cela
nest pas le cas pour tous. Je dirais que la principale différence porte sur les cas
à traiter. Nous pouvons, en Suède, traiter de cas particuliers, qui mettent en lumière
des principes pouvant servir de base à diverses prises de position. Dautres
organisations et dautres ministères ont également la possibilité, en Suède, de
traiter des cas particuliers. Le gouvernement a donc craint le risque de doublon et, avec
les quatre années et demie de recul que nous avons maintenant, je crois pouvoir dire
quétant donné les moyens limités dont je dispose, il me serait impossible de
traiter tous les cas particuliers qui pourraient nous être soumis. Dautre part,
cela ferait incontestablement double emploi.
Dans dautres pays européens en revanche, là où il ny a
pas de services ministériels chargés de ce genre de travail, il pourrait être tout à
fait utile que le médiateur prenne à sa charge certains de ces cas, en tout cas les plus
importants. Encore une fois, il y aurait là le risque dêtre pris sous un déluge
de cas particuliers et davoir tendance à trop privilégier le particulier au
détriment du général. Mais tout dépend évidemment de la structure en vigueur dans les
différents pays, notamment des relations entre ONG et services ministériels ou
interministériels.
Le réseau ENOC est nouveau, puisquil a vu le jour en 1997. Une
réunion est prévue à Copenhague en 1998. Plus nous nous réunirons souvent, et plus
nous serons en mesure de nous rapprocher et de comparer nos rôles. Je crois que la
différence essentielle porte sur laptitude du médiateur à se saisir de cas
particuliers. Chez nous, nous nous situons davantage au niveau stratégique et moins à
celui des cas particuliers, et je crois que cest la bonne voie, du moins pour la
Suède.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Je voudrais évoquer le
droit des enfants à établir une double filiation. Cest un problème que nous avons
précédemment évoqué dans cette commission. Dans son état actuel, la législation en
France ne permet pas de garantir le droit à une filiation paternelle et maternelle. Le
droit suédois, lui, prévoit lintervention de la justice en cas de défaillance
parentale, afin que chaque enfant puisse avoir un père et une mère. Pouvez-vous nous
éclairer sur les modalités de mise en oeuvre de ce principe ? Est-ce quil est
bien accepté ou est-ce quil a suscité un certain nombre de conflits ou de
difficultés dans sa mise en application ?
Mme Louise SYLWANDER : Vous parlez de filiation ? Je
souhaite que vous expliquiez davantage ce que vous entendez par double filiation.
Parlez-vous des droits de lenfant à avoir à la fois un père et une mère ?
Oui, mais quest-ce que vous entendez par filiation ?
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Cest le droit des
enfants à avoir un père et une mère
comment le dire plus clairement , à les connaître, cest
cela.
Mme Louise SYLWANDER : En Suède, la question ne se pose même
pas. Cest, dailleurs, pourquoi je ne lavais pas comprise. La loi est
très claire. Obligation est faite aux autorités de tutelle de procéder à une enquête
sur lidentité du père. En principe, on sait quand même qui est la mère, mais je
dirais que rarissimes sont les cas où il est difficile ou impossible de connaître
lidentité du père. Encore une fois, les autorités ont le devoir de déterminer
qui est le père et la question ne se pose donc pas pour nous, cela va de soi. Nous sommes
dans la droite ligne de la Convention sur les droits de lenfance qui précise
nettement que lenfant a le droit de connaître lidentité de ses parents. La
mère cest autre chose peut refuser de divulguer des
informations à ce sujet, mais cest un cas rare en Suède. Jai donc peu
dexpérience à vous communiquer, puisque cest un problème dont la pratique
montre quil nen est pas un, en raison justement de létat actuel de nos
lois, qui sont dailleurs assez anciennes. Cest pour nous, par conséquent, un
droit qui na pas besoin dêtre précisé. Lenfant a, doffice, le
droit de connaître son père et sa mère.
M. Alain NERI : Madame, vous nous avez dit tout à
lheure que votre service veillait à lapplication de la convention dans les
collectivités locales. Quels sont vos relais auprès des collectivités locales ?
Existe-t-il une administration qui vous est propre auprès des collectivités
locales ?
Mme Louise SYLWANDER : Nous avons procédé à une enquête en
1995 et sondé les deux cent quatre vingt-six collectivités locales de Suède pour savoir
si elles étaient informées de la convention, si elles lappliquaient et, dans
laffirmative, comment les dispositions de la convention étaient prises en compte
dans leurs décisions. Le résultat a été peu probant. En 1995, on trouvait sept
municipalités sur les deux cent quatre vingt-six qui avaient bien appliqué les
dispositions de la convention et fait référence à la convention dans la mise en
uvre de leurs décisions relatives aux jeunes et aux droits des jeunes. Une nouvelle
enquête a eu lieu deux ans plus tard. Nous avons vu que des progrès étaient
perceptibles mais, en même temps, que le nombre de municipalités appliquant les
dispositions de la convention restait encore insuffisant. Malgré tout, il y avait un net
progrès.
Cette année, jai pu me rendre, une ou deux fois par semaine, sur
le terrain, pour mentretenir avec les autorités locales, pour demander à ces élus
locaux comment pratiquement ils appliquaient la convention. Je crois quon peut dire
aujourdhui que cest un sujet auquel ils sont sensibilisés. Ils veulent
appliquer la convention. Cest pourquoi nous avons fait publier ce manuel dont je
vous parlais tout à lheure et qui traite de la manière dont les élus locaux, les
collectivités locales, peuvent appliquer les dispositions de la convention. Je pense que
la Convention sur les droits de lenfant, dans un avenir proche
cinq ou dix ans , sera réellement appliquée dans les
décisions quotidiennes des autorités locales. Cest dailleurs lexemple
dun cas où le travail du médiateur a produit un effet réel, a fait bouger les
choses.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Dans la continuité de
votre propos, pouvez-vous nous préciser sur quels points le droit suédois est encore en
retard aujourdhui sur la Convention de New-York ?
Mme Louise SYLWANDER : Il existe une commission spéciale
nommée, il y a deux ans, par le gouvernement : la " Commission pour
la protection des droits de lenfant ". Elle a été chargée de passer à
la loupe tous les textes de loi suédois pour déceler les écarts ou les lacunes par
rapport à la convention de New York, par rapport aux différentes conventions. Jai
participé, en qualité dexpert, aux travaux de cette commission qui ont abouti à
quelques propositions de changement de nos textes législatifs. Certaines de ces
propositions ont été intégrées ou, en tout cas, ont été soumises au Parlement en vue
de leur intégration et, si les changements que nous avons proposés, ainsi que ceux
proposés par la commission, étaient adoptés, on pourrait dire, à ce moment-là, que la
législation suédoise serait entièrement conforme à la convention.
Mais la lettre des textes est une chose, la pratique sur le terrain en
est une autre. Certains de ces changements sont nouveaux et récents. Les articles 3 et
12, par exemple, de la loi sur la protection sociale ne remontent quau mois de
janvier ; il convient, ensuite, de voir sur le terrain si ces dispositions, qui sont
bien intégrées aux textes, cest vrai, sont réellement mises en uvre dans le
travail de ceux qui sont chargés de lapplication de ces textes. On peut donc dire
que les textes de loi commencent à être conformes. On ne peut pas en dire autant, du
moins à cent pour cent, de leur mise en uvre. Cest une dynamique, cest
un processus. Les enfants, dautre part, ont le droit de sexprimer en Suède,
ce qui nest pas sans produire un effet sur le travail des autorités. Or, cest
un processus qui na pas encore abouti. Des choses restent à modifier et à
consolider.
Létat des textes est donc satisfaisant. On ne peut pas en dire
autant de la mise en uvre de ces textes. Il sera très important, dici
deux ans par exemple, de procéder à une nouvelle enquête pour constater
lamélioration réelle des conditions de vie des enfants.
M. le Président : Madame, je vous remercie. Vous avez
certainement beaucoup apporté à notre commission et je vous remercie infiniment
dêtre venue depuis votre pays ami et voisin pour nous donner un peu du soleil
suédois.
Mme Louise SYLWANDER : Merci beaucoup. M. le Président, je vous
invite à reprendre contact avec nous, chaque fois que vous le jugerez utile. Vous pouvez,
dautre part, consulter notre site Internet pour tout savoir sur le fonctionnement de
notre service.
M. le Président : Merci.
© Assemblée nationale
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